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JAMES THOMSON
SA VIE ET SES ŒUVRES
JAMES THOMSON
SA VIE ET SES ŒUVRES
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LÉON MOREL
Doi'leur es lettres, ^
Professeur ag l>ciie Louis-le-Grand el au lycé<» Montaipn*.
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C*
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
I^ONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STUAM»
1895
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A LA CIIKUI-: MKMOIKK
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fKl.^CIPAI. IlONOItAIRt Dr OOLl.EiiK IlE KO T LOC Nlî • ^ 1' H - M I H
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JAMES THOMSON
PREMIÈRE PARTIE
VIE DE J. THOMSON
Dans cette luxuriante foret de la littérature anglaise où six
siècles d'une végétation infatigable ont accumulé les puis-
santes futaies et les riches sous-bois, les frondaisons toulTucs
et les précieuses floraisons, le voyageur courrait risque de
s'égarer, s'il n'observait comme points de repère certaines
cimes qui font saillie au-dessus de Thorizon des verdures. Les
c Saisons "b de James Thomson sont un de ces sommets. Tous
les critiques s'accordent à les signaler comme un des grands
événements littéraires qui jalonnent Thistoire de la poésie
anglaise de Chaucer à Tcnnyson. Et cependant on a pu se
demander si l'auteur de cette œuvre fut un écrivain de génie.
On a pu croire que le poème dut son importance à la date où
il parut, et que son originalité tenait tout entière dans un
désaccord avec le milieu où il a surgi ^
i. Cest le pins grand des succe^^senrs directs do Thomson qui a donné
de cette opinion Texprcssion la plus catégorique :
• Wonder is thc natiirnl product of Ignorance : and as tiio soi! was in
toch good condition at thc lime of the publication oT llic Seasons, llie
crop was doubtle^is abundant.... iJaving shown that much of what his
biograpbcr deemed genuine admiration must in fact hâve beon blind won-
derment — how is the rest lo be accounted for?... • (Wohdswortii, fJ-VAY/»/,
gHppleni^nfary to the Préface lo the second ctiition of the pocms, publishcd,
wilb an additioual volume, under thc title oï Lyrical liallads.)
1
s UMBS TH0H80N-
Ge sont là deax questions que nous nous proposons d'exa-
miner dans leur étroite union. Nous essaierons de faire des
c Saisons > une étude plus détaillée, plus précise et plus appro-
fondie qu'on ne l'a jusqu'à présent tenté. Nous nous attache-
rons aussi à connaître le poète lui-même. Nous chercherons,
non seulement dans l'analyse de son œuvre maltresse, mais
aussi dans celle des productions très diverses qui s'y sont ajou-
tées, à déterminer les caractères et l'étendue de son talent. Nous
apporterons les témoignages recueillis au cours d'une longue
et consciencieuse enquête à l'appui de l'opinion qui voit en lui,
malgré d'évidentes limitations et des imperfections très appa- -
rentes, un des grands poètes de l'Angleterre.
CHAPITRE 1
L^BNFANCE ET l'aDOLESCENCE. — EN ECOSSE
I
r
Thomson n'est pas un de ces écrivains dont la vie est étroi-
tement liée à leur production artistique ; ce ne sont point d*or-
dinaire les événements de son existence qui lui inspirent ses
vers; il ne faut pas chercher dans ses œuvres le rellet mouvant
des passions qui l'ont agité. Nous ne renoncerons pas cepen-
dant à présenter le tableau de cette vie. Il ne semble pas qu'une
étade littéraire puisse se passer de cette préface. Bien des années
se sont écoulées depuis que Sainte-Beuve a donné à la critique
une méthode et une direction nouvelles, bien des années et
aussi bien des opinions et bien des modes, bien des systèmes
difîérents du sien. Nous entendons autour de nous discuter
avec autant d'ardeur que jamais les bases mêmes de toute étude
artistique. Le critique est-il un juge qui distribue l'éloge ou le
blâme après avoir comparé l'œuvre au code formel et absolu
des lois consacrées? Doit-il au contraire se borner à préciser et
à expliquer l'impression qu'il ressent en face d'une œuvre d'art,
à essayer d'en pénétrer l'intime inspiration, à reconnaître d'ail-
leurs que le jugement à porter reste chose d'ordre subjectif
autant que l'émotion subie? On n'est pas plus d'accord à la fin
de ce siècle qu'on n'eût pu l'être en 1825 sur ces sujets d'éter-
nelles controverses. Mais une chose demeure acquise définiti-
)
4 JAMES THOMSON.
vement de la révolution introduite par Sainte-Beuve. C'est la
nécessité de joindre Tétude de l'homme à celle de l'œuvre. Les
divers systèmes de philosophie delà littérature qui se sont pro-
duits depuis trois quarts de siècle ont tous apporté de nouvelles
raisons pour justifier le procédé employé par le critique avec
une si pénétrante et si féconde sagacité. Pour les écoles qui pro-
fessent d'ambitieuses prétentions scientifiques, Tétude de la vie
d'un auteur, la notation des influences qui ont agi sur lui, des
circonstances au milieu desquelles s'est développe* cet échan-
tillon de la plante humaine, la recherche môme de ses antécé-
dents de famille ou de race, tout cela constitue les faits qui
fournissent une détermination rigoureuse de cet accident qui
est l'œuvre elle-même. Quant aux critiques, plus nombreux
aujourd'hui qu'ils n'étaient il y a peu d'années, qui voient beau-
coup d'hypothèses gratuites dans ces prétendus documents,
beaucoup de vague et nuageuse spéculation dans ces méthodes
à Tapparence scientilique, s'ils croient que le génie échappe
aux déterminations trop précises par cela même qu'il est le
génie ', ils s'attachent d'autant plus à connaître ces âmes d'élite
dont ils ne prétendent pas exposer dogmatiquement l'origine
et la formation, mais où ils trouvent l'ultime et suffisante
explication des œuvres produites. Enfin la critique la plus
décidée à promener sur la face de toutes les productions lit-
téraires le niveau de lois extérieures et supérieures, celle-là
même reconnaît que, pour bien comprendre avant de juger,
il faut tenter de revivre les intentions, les elTorts et les sen-
timents de l'auteur. Nous ne pouvons donc plus considérer
une œuvre littéraire comme une chose qui se suffise à elle-
même, comme une fleur à laquelle nul ne demande sur quelle
tige elle s'est épanouie. Mais nous y voyons refflorescence
d'une àme humaine, c'est-à-dire, s'il en faut croire le poète
critique, du plus noble objet d'étude que puissent se proposer
les hommes*.
Ces raisons générales ne sont pas les seules qui justifient ici
■ i. *> M ne faut (lissc<|iir»r que les morts. Cette manière de chercher à
"ônvrir le ccrveuu d'un vivant est Tausse et mauvaise. Dieu seul et le poOle
saviMil comment nait et se forme la pensée. Les hommes ne peuvent ouvrir
ce fruit divin et y chercher l*amundc. • (A. i>b Viony, Journal tVun
poète, p. 80, IS33.)
„ 2. ■ Tlic proj^er sludy of mankiud is man. » (Pope, An Essai/ on Man,
Ep. II, v. 2.;.
^•• /.v
l'bnfangb et l'adolescence. 8
un essai de reconstitution de la vie de Thomson. Cet écrivain,
dont rinfluence sur notre littérature a été très directe et très
puissante, n'a fait Tobjet dans notre langue que de deux essais
biographiques très courts et très imparfaits *. Les n Memoirs»
anglais sont au contraire nombreux. On ne peut pas dire
qu'aucun d'eux mérite de prendre rang dans le voisinage de
ces biographies remarquables qui sont une des originililés et
un des honneurs des lettres anglaises *. La plupart reprodui-
sent, sans les contrôler, des anecdotes suspectes qui sont le
■plus clair des souvenirs attachés dans Tesprit du public à la
1. Chpfs fP œuvre de^ thédti^s étrangers : Théâtre nnf/laiSy l. X : Vie de
Thomson^ par P.-B. (Brugière de Rarante). — Biographie universelle de
MiCHACb : Vie de Thomson, par \V...r (Walkenacr).
3. Les principales biof^raphics anglaises de notre poêle sont :
f Celle de Siiirls {Cibber*s Lices of Ihe Poels^ Londres, \T)o\, Cette vie est,
en novi.'nibre de la même année, reproduite dans la Monihhj lirvien-, vol. IX.
Appcndix, p. 481.
i' Celle de Murdocii, en têle de l'édition des OKuvres, de 17()2.
J» Celle de S. Joii?isoN (Livea of the PoeL), nsi. Ces trois aut«'urs ont
directement connu le poète. Johnson a eu avec lui peu de relations; mais
il a reçu des renseignements d'amis intimes de Thomson.
4* Celle de G. W'hight, en t^te d'une édition des <• Saisons -, Londres, 1770.
5« Une biographie anonyme en tête d'une édition \\q,^ (iF^ivres publiée
par Clark à Edimbourg en 1772. Elle ajoute peu de chose ù la biographie
de Munlocb.
ff* Un Essai de Erskixe, earl of BrcHAx [On th»? Lires of Flefcher of Sal-
toun^ and of the poel Thomson)^ 1792.
7'* Celle de Robert ilEROif, en tête d'une édition des « Saisons » publiée à
Penh en 1793.
*• Celle de Stockdale, en tôle d'une édition des « Saisons ^), Londrijs, 1703.
C'est & peu près la reproduction de la biographie de Murdoch.
Arrivant au xix" siècle, nous trouvons :
9** La vie de Thomson dans la collection des poMes d'ÀNUERSON.
4<t Celle du Uev. Robert Lu!idie, de Kelso. en 1^30.
/ /*L*ne biographie, plus étendue qu'aucune des précédentes, de Sir IIahris
Nicolas, en tt>te de l'édition des Œuvres (AMinc Kdition), \^\\\\ rL'lle bio-
graphie est encore augmentée dans l'édition de ISU. Mr. Peter Cunningliam
y ajoute en 1862 des notes importantes.
lî** D'importantes notes d'ALLAK Cunmnoiiam h la biographie de Murdoch,
1841.
#^En tête de l'édition illustrée des « Saisons -.LS'^^. la biographie deMur-
doch avec des notes de Boi.ton Cornet aussi précieu'ïes (lu'une biographie
nouvelle.
14* En tête d'une édition des Œuvres complûtes, la biographie de Mur-
doch avec des notes Iri^s copieuses de Niciiols, Londres, 18 i9.
iS* Celle de Robert Bell, en tête des (F.uvres. Londres, 185.7.
f^ La notice biographique de J. Logie Robertson, en télc d'une remar-
quable édition des « Saisons » et du « Chdleau » Clarcndon Press Séries),
1891.
6 JAMES THOMSON.
vie de Thomson. Aucun d'eux ne nous laisse une idée un peu
nette de ce que fut riiomme ; ou bien de son caractère et de
son intelligence ils ont reproduit seulement quelques traits
accidentels, et, les exagérant grossièrement, ils nous ont
donné de leur personnage une caricature plutôt qu'un portrait.
Peut-être faut-il attribuer à cette insuffisance des biographies
une ignorance des faits littéraires de la vie de Thomson assez
souvent apparente chez les critiques anglais, et qui fait con-
traste avec la sûreté de leurs informations en ce qui concerne
d'autres grands écrivains du xviii*^ siècle, Swift, par exemple,
ou Pope, Young, Gray, Johnson ou Cowper *. Nous voudrions
donc, en nous aidant des travaux accumulés jusqu'à ce jour,
essayer de faire revivre la figure peu ou mal connue de Thomson .
Le récit de cette vie très simple évoquera devant nous quelques
scènes de la société littéraire et politique d'un passé très atta-
chant, le deuxième quart du xv!!!*^ siècle. A tout le moins, à
défaut des péripéties émouvantes qui donnent un intérêt dra-
matique à la biographie de quelques grands artistes, elle nous
fournira le spectacle profondément sympathique d'une àme
d'élite chez laquelle la conscience de sa valeur et la joie du
succès n'ont jamais altéré la modestie, la bonté ni la droiture
natives.
1. Nous aurons occasion de relever plusieurs de ces erreurs. Nous noas
contenterons ici, pour justifier notre assertion, d'en signaler une seule.
Un des plus justement estimés parmi les modernes historiens de la litté-
rature anglaise, M. Ed. Gosse, a donné récemment à la collection des
English Men of Lelters, une biographie de Gray. On y peut lire (p. 50
et 51) ces lignes : - When Gray began seriously to write, in 1742,...
Thomson... had practically retreated aircady upon his laurels, and was
presently to die, wilhout again addressing the public except in the luckless
tragedy of Sophonisba, bequeathing however to postcrity the trcasures of
his Castle of Indolence ».
Pas un renseignement de ce passage qui ne soit erroné.
1* Thomson ne s'est pas retiré sur ses lauriers en 1742, puisqu'il écrit
ultérieurement deux tragédies : Tancred and Sigismunda, et Coriolanusj
et un important poème : The Castle of Indolence.
2"* La tragédie de Sophonista, au lieu d'être postérieure à 17(2, est de
1730.
3« The Castle of Indolence n*est nullement une publication posthume. 11
parut plus de trois mois avant la mort du poète.
• ••
• • •
L*ENFANGE ET L'aDOLESGENGE.
II
Les efforts que Ton peut faire pour remonter le cours des
générations, dans la ligne des ancêtres paternels de notre
auteur, sont très vite arrêtés. Nous connaissons un peu son
père, nous savons quelles furent la condition sociale et la rési-
dence de son grand-père, et là se borne notre savoir. Dans
l'ombre qui nous cache au delà tout le passé, à peine croyons-
nous apercevoir quelques vagues silhouettes. Peut-être même
n'ont-elles d'autre réalité que celle que leur prête notre ima-
gination. Leigh Hunt a relevé, dans un poème macaronique de
Drumraond de Hawthornden, le nom d'un certain Jamy Tom-
sonus parmi les combattants d'une lutte rustique, et il se
demande si ce n'est pas là un ancêtre du poète '. Nous-même
avons noté, dans une production bien ignorée ' d'un homme
qui s*est trouvé en contact avec le père de James, la mention
de trois frères du nom de Thomson. Ils servaient dans l'armée
presbytérienne, et furent faits prisonniers à la bataille de
Bothwell-Bridge, 1679. Peut-être tenaient-ils de près à cet
autre Thomson dont le zèle religieux devait se manifester d'une
manière différente, et qui fournit un pieux ministre à cette
même Église que les trois frères avaient servie les armes à
la main.
Les biographes ne sont pas mieux informés au sujet des
ancêtres maternels du poète. Mais ici nous avons la satis-
faction de pouvoir compléter les brèves indications fournies
jusqu'à ce jour. Le Révérend J. Mair, ministre de la paroisse
de Southdean, avait eu l'obligeance de nous fournir copie
d'une lettre adressée en 1874 à lord Home par miss Elizabeth
Bell, petite-nièce et dernière survivante de la famille de
Thomson. La vénérable demoiselle — elle avait alors quatre-
vingt-neuf ans — annonçait à son correspondant renvoi de
la tabatière authentique du poète, et, dans ce coffret original,
un tableau généalogique dressé par elle et qui prouve la
1. Le poème a pour tilre Polemo-Middinia. — Voir Leigh IIi'nt, On Wit
and Humour f p. 51.
2. RiREWOOD, r/ic Histcry of the Twenly-Seven Gods of Linlilhgow, p. 9.
8
JAMES THOMSON.
parenté de Thomson avec la famille des Home. Le Révérend
J. Mair a bien voulu se charger de demander communica-
tion de cet intéressent document. Le présent lord Home igno-
rait Texistence de la tabatière et de son contenu. Mais les
recherches qu'il a ordonnées ont fait retrouver les deux objets,
et nous pouvons considérer comme sérieusement établie la
découverte de miss Elizabeth Bell *. La mère du poète appar-
tenait à la famille des Home; Thomson avait dans les veines
quelques gouttes du sang de la plus haute noblesse écossaise.
Plusieurs détails de sa biographie sont expliqués par cette
parenté. Elle établit aussi un lien entre notre poète et ce
John Home dont la tragédie de Douglas eut, au milieu du
xviu'" siècle, son heure d'éclatante célébrité.
Nous savons que le grand-père du poète ' était jardinier au
service d'un Mr. Edmonston ' à Ednam, ou Ednim, dans le
comté de lloxburgh. H n'est pas sans intérêt de noter ce
1. Voici la généalogie établie par miss Bell grÂcc à Tytier et à d'autres
historiens, grdce au l*ecra*je de Douglas, et grdce aussi à des sources d'in-
formations qu'elle seule pouvait avoir :
Sir Jnhu Homo of Coldinpknou-A
(fourth in descent from ihe flrst Baron llome, 1 i73)
Sir James Home
William Ilimio
(of Battcndcan)
John Home
Mar/?aret Home
(marriod Mr. Trutler of Fouro,aulhor of the sung
PobcaNh on the fJreen]
Sir Jamo.s Home
Sir JamcA Homo
( wlio sucuei'di'd his rou<*in as third
earl of Homo lu UiXi)
Buatrix Trotter
(marriod llev. Mr. Thomson. mini:$terof Ednam)
James Thoniaou Lizzio Thomsou
TiiR POET (married Hev. Rob. Bell)
llcT. James Bell
Miss ËliKabcth Bell
2. Sou prénom était probablement Andrew. Le ser.ond flls de Thomas
Thomson rcqut le nom d'Alexander, qui était celui de son grand-père
maternel. Andrew, le nom du (ils aîné, était sins doute celui du grand-
père paternel.
3. Fasti Ecclesiœ Scotianœ by Hew Scott, part. II, p. 460.
l'enfance et l*adolescenge. 9
détail. D'autres membres de la famille de Thomson ont exercé
le même métier*. Peut-être, soit par un phénomène de trans-
mission héréditaire, soit au commerce de ces proches parents
qui vivaient dans l'observation constante et intime du monde
des plantes, peut-être le poète doit-il à son humble aïeul une
part de son génie, celle qui est faite d'une connaissance fami-
lière, et d'une prise directe et sûre des choses de la nature.
Pour le fils, Thomas, qui lui était né en KKkî, le modeste
artisan ambitionna un rang social plus élevé. Grâce sans doute
à Tappui de M. Edmonston, il put l'envoyer à l'université
d'Edimbourg où le jeune homme prit en 1G86 le grade de
maître es arts. Cinq ans plus tard, le 17 juin 1691, il recevait
la licence qui lui permettait l'exercice des fondions ecclésias-
tiques, et, le 12 juillet 1692, il était appelé à Téglise d'Ednam,
dans le voisinage de Kelso *. On peut croire qu'ici encore l'in-
fluence de M. Edmonston ne fut pas étrangère à cette nomina-
tion qui laissait le jeune ministre dans le village où il était né,
où vivaient ses parents. Il ne tarda pas du reste à se créer une
nouvelle famille. Le 6 octobre 1693, il épousait Beatrix, une
des filles de M. Alexander Trotter ', propriétaire du petit
1. Sun ODclc et son cousin Robert Thomson oal été jardiniers à Minto.
Deux de ses neveux, Andrew et Gilbert Thomson, sont venus s'établir &
Richmond dans les dernières années de sa vie; Andrew travaillait au jardin
du poète, Gilbert trouva plus tard un emploi de jardinier à Easl Sheen,
chez un Squire Taylor. (Rob. Bell, p. 8.)
2. Le poste était inoccupé depuis la Révolution de 1688 qui avait chassé
de toutes les paroisses les ministres épiscopaliens. Voir Thp New StaliS'
tical Account of Scolland by the ministers of the respective parishcs,
Yol. m, p. 41'J.
3. Le nom de la mère de James est donné inexactement par Johnson, et
nous insisterons un peu sur ce point qui montre avec qu(.'ll» légèreté le
docteur traitait parfois ces détails. « Sa mêro, dil-il, se nommait Hume. »
L'erreur avait été commise par M urdoch, dans Tcdition de 11G2. (Kllc était
due, ou k une confusion avec le nom d'une sœur de Mr. Thomas Thomson
qui épousa d'abord un Mr. Hume et en secondes noces le Révérend Mr. Ni-
coljion, ou à une vague notion des relations avec la famille llnmc.) Murdoch
avait corrigé cette erreur dans la seconde édition de sa biographie, en
1768. Bien plus, Boswell, chargé par Johnson de recueillir des renseigne-
ments en Ecosse sur Thomson, apprend d*un«^ sceur du po(!le, Jean,
femme de Rob. Thomson, directeur de l'école de grammaire <le i^nark, le
Tèritable nom de l'aîeule du poète, et il on informe aussitôt le biographe,
non sans s'étonner de l'erreur de Murdoch. (Lettre de Boswell à Johnson,
Edimbourg, 18 juin 1178.) Johnson ne tient cependant aucun compte de
rindicalion et donne le nom inexact adopté par Murdoch en nr.2. — Plus
tard, Boswell, après avoir blAmé son illustre ami d'une aussi llagrante
négligence, publia lui-même sa prétendue découverte, en 1791.
10 JAMES THOMSON.
domaine de Widehope ou Wideopen, dans la paroisse de More-
battle, voisine de Kelso et d'Ëdnam. L'union fut féconde et le
registre des baptêmes s'enrichit successivement des noms de
Andrew, 1695, Alexander, 1697, Issobcl (Isabelle), 1699, et enfin
James, jusqu'au jour où une autre paroisse reçut le bénéfice
des services spirituels du révérend Thomas Thomson (ou
Thomsone, comme le nom était parfois écrit), et enregistra
à son tour le périodique accroissement de sa famille *.
La date de la naissance de ce quatrième enfant, James, n'est
pas connue avec certitude. Il fut baptisé le 15 septembre 1700,
et la plupart des biographes acceptent le 11 du même mois
comme date de sa venue au monde. Cependant l'usage de
l'Église presbytérienne établissait plutôt un intervalle de huit
jours entre la naissance et le baptême. Nous croyons donc de
préférence, avec Johnson et avec M. LogieRobertson, que James
Thomson naquit le 7 septembre *. Le séjour de l'enfanta Ednam
fut de bien courte durée; il compta exactement deux mois.
C'est assez cependant pour que ce petit village, isolé dans un
coin du Roxburghshire, en dehors des grandes voies qui, do
Kelso, se dirigent sur Berwick en suivant le cours de la Tweed,
ou bien remontent au sud-ouest vers Edimbourg, revête à nos
yeux l'intérêt qui s'attache au lieu d'origine d'un homme
illustre.
Ednam (pour Edenham), arrosé par l'Eden, affluent de gauche
de la Tweed, est, comme une grande partie du comté de
Roxburgh, une région pastorale. Le village et la plaine qui
l'entoure offrent aux yeux une scène agréable de paix un peu
monotone. Un poète, qui y venait chercher le souvenir de
Thomson, nous en a laissé la description suivante :
a Une église champêtre, les toits de quelques chaumières
« épai'ses, et, de leurs foyers isolés, la légère fumée bleue,
« tournant silencieusement dans l'air immobile, s'élevait et se
1. Les cinq coranls nés à Southdean sont un fils : John, et quatre
fliles : Jean, Ëlizabcth, Margnret et Mary.
2. Les Parish Records d'Ëdnam conservent encore Tinscriplion de ce
baplrmc. Les Session Records soûl muets sur la date de la naissance.
C*est Murdocli qui a, le premier, indiqué comme date le 11. Son témoi-
gnante aurait plus de valeur, s'il avait aussi mentionné la date du baptême.
Le Révérend John iMair, ministre de Southdean, que nous avons consulté
sur ce point, nous répond : « I would say that, accordin<; to tho usiial prac-
tice of our l'resbyterian church, eight days are far more likely to hâve
elapsed than only four days between the birlh and baptism ».
1
L'BNFANGE ET L'ADOLESCENCE. 11
t perdait dans le ciel estival ; un pont rustique, couvert de
c mousse et coloré par les saisons; un petit ruisseau de fées
c qui se chante à lui-même sa chanson ; et çà et là, un arbre
c vénérable dans la beauté de son feuillage; tels sont les
c éléments, les seuls éléments dont était formé ce simple
c tableau' ».
La grandeur et le style manquent évidemment à ce paysage.
Mais la description que nous en venons de citer est incom-
plète. Elle ne mentionne pas la colline, Ednam Hill, qui abrite
le village à Test. Et surtout elle ne signale pas cette richesse
d*eaux vives où Thomson lui-même a bien vu le trait dominant
qui donne à tout ce pays de pâturages son caractère de fraî-
cheur souriante :
«Ces vallées fertiles... qu'arrose amoureusement roainlc rivière
fraîche, transparente et pleine, la Tweed mon fleuve natal, au pur
courant entre des rives pastorales... '. »
Dans le groupe des chaumières modestes le presbytère ne se
distinguait pas par son luxe ni son confort. Un écrivain qui a
exploré toute la Grande-Bretagne, en quête d'anecdotes sur ses
poètes éminents, a eu l'heureuse fortune de trouver à Ednam
une bonne femme dont la mère avait habité la vieille manse et,
sans doute, servi la famille Thomson. Elle se rappelait quelles
réponses faisait sa mère aux visiteurs qui venaient s'informer,
et nous savons par elle que le presbytère était une misérable
Gonslruction en torchis. Au fond de la petite pièce qui servait
de parloir était une alcôve fermée d'un rideau; c'est là que
naquit James Thomson ^.
On comprend que le jeune ministre, si détaché qu'il pût être
des biens de ce monde, ait désiré un poste moins humble. Deux
1. BlackvpowCs Magazine. Vol. XXIX, p. 127, avec la signature A, qui
représente Mr. David Macbeth Moir.
2. Autumn, 887-890.
3. W. HowiTT, Uimu-s and llaunts of the mosl Eminenl Urilish Poetf,
p. 142.
Disons cependant qu*une tradition s'est conservée dans le pays, d'après
laquelle Mrs. Thomson se serait trouvée, au moment de la naissance de
James, à Widehope, près do ses sœurs. Le Révérend Mr. John Mair, de
Southdean, est enclin k accepter l'hypothèse, et nul plus que lui ue fait
autorité pour tout ce qui regarde l'histoire de la jeunesse du poète. Il
nous semble cependant qu'eu l'absence de témoignages précis et directs»
le reoseiguement reçu par Uowitt pèse d'un poids plus grand.
12 JAMES TnOMSON.
mois après la naissance de James, le 7 novembre 1700, il prê-
chait son sermon d'adieu dans Tégiise d*£dnam. Les paroisses
de Gastleton, de Morebattle et de Southdcan avaient brigué
Tavantage de l'avoir pour ministre. Il s'était décidé pour cette
dernière, et, traversant d'un bout à l'autre le comté de Roxburgh,
il alla se fixer au village de Southdean ou Soud'en. Il devait y
passer le reste de sa vie, y voir s'accroître de cinq enfants la
famille qu'il y amenait, et mourir à cinquante ans sans avoir
entrevu la gloire réservée à son nom, et sans laisser aux siens
d'autre fortune que le souvenir de ses vertus.
Ce n'était pas en effet Topulence que la paroisse de Southdean
offrait à son ministre. Le presbytère était, nous dit un écrivain
qui l'a vu, un petit cottage au toit de chaume *. Les appointe-
ments demeuraient sans nul doute en rapport avec la modestie
du logement. Soixante livres sterling passaient alors pour un
traitement très sortable à offrir au pasteur d'une paroisse écos-
saise. Au moins le pays était-il très supérieur en beauté pitto-
resque à la vallée de TEden. Southdean, ou la vallée du sud
de la forêt jadis célèbre de Jed, est une paroisse d'une vaste
étendue et d'une grande diversité d'aspects. Elle est arrosée par
le cours sinueux delà rivière Jed (autrefois Ged); elle est coupée
de collines, et terminée au sud par la chaîne imposante des
Cheviots qui sépare l'Ecosse de l'Angleterre. Le Carter Fell qui
domine l'horizon dans cette région atteint la hauteur de 1815
pieds. La manse était heureusement située à la base du
Southdean Law qui l'abritait. Elle était précédée d'un jardin
que le Jed entourait a comme une ceinture d'argent » ', et
d'où l'œil embrassait toute la pittoresque vallée jusqu'au C-arter
Fell dont le profil se découpait nettement sur le bleu du ciel,
et dont les pentes couvertes de bruyères s'empourpraient au
soleil couchant. Ce spectacle et celui des violences et des tem-
pêtes de la mauvaise saison ont souvent arrêté l'attention de
James. Il nous dit lui-rnénie comment, du seuil du presbytère
ou de la fenêtre du petit salon, il observait le torrent gonflé, ou
voyait se former la tempête dans le ciel menaçant du soir. L'in-
fluence de CCS tableaux fut à coup sûr considérable sur l'esprit
i. HoB. CnAMBERS, The PiHurc of Scotland^ p. 87. Cité aussi par IIowitt,
Uomex and Haunts^ etc., p. 144.
2. D';iprè8 la description communiquée à M. Logic llobcrlson pur le
Dr. John .Mair.
L^ENFANCE ET L'ADOLESCENGE. 13
dn jeune Thomson, à Tâge où se gravent dans 1 aine d'indélé-
biles impressions. Les notations précises des phénomènes natu-
rels ou des faits de la vie rurale qui se présentent en si grand
nombre dans les a Saisons » et surtout dans Te Hiver »* sont
manifestement des souvenirs des choses vues dans la vallée
du Jed. Dès que l'enfant fut en âge de recevoir des impressions
d'ordre plus complexe, il subit sans doute le charme des sou-
venirs du passé mêlés partout aux beautés naturelles dans cette
région des « Borders », terre d'exploits et de chants héroïques
où les drames de l'histoire sont, dans le seul comté de Rox-
burgh, rappelés par tant d'édifices ou de ruines imposants :
Jedburgh, Ferniehurst, Dryburgh', Kelso, Floors et Melrose.
Nous aimerions à nous rendre compte aussi de Tinfluencc
exercée sur son jeune esprit par les parents qui rélevaient.
Malheureusement les renseignements sont sur ce point assez
maigres. Thomas Thomson était un ministre plein de zèle, et sans
doute un prédicateur de talent, puisque, nous l'avons vu, plu-
sieurs paroisses avaient désiré se l'attacher. Mais il n'est fjjuèi'e
probable qu'il se soit élevé à une indépendance de pensée et à
un souci des choses littéraires qui n'avaient guère de place alors
dans l'esprit du clergé presbytérien. Pour la sévère et sombre
religion qui depuis deux siècles avait pris possession de Tàme
écossaise, toute occupation capable de détourner les esprits de
i'obsédante pensée du salut et de l'humaine indignité devenait
ikcilement suspecte. La poésie paraissait un des moyens de
séduction de l'Ennemi; l'imagination était traitée comme une
inquiétante et dangereuse maladie '. Nous n'avons aucune
raison de supposer que Thomas Thomson ait pensé sur ce
point autrement que ses confrères. Son horizon intellectuel ne
s'étendait guère au delà de ses devoirs pastoraux, de la sèche
et scolastique étude du dogme dont il était le ministre, l't des
conversations de ses collègues. Il était hautement honoré par
I. Voir en particulier Winter, de 5 à 14.
S. Drybiirgh Abhey est, il est vrai, silure sur la rive de la Tweed qui
appartient au comte de Berwick. Mais le cours seul du tleuvela srparcdu
Rosburfîhshire.
3. ■ For a long period aftcr ScoUand becamc Britisli. \ve had no lilcra-
ture.... Then came the schisiiis iii our National Cliurclj, and tlie iicrcer
schisnis in our Body Potilic : Théologie ink, and Jacobile blood. witli
gall cnough in bolh cases, seemed to bave bloUed oui the intellect of
the coanlry. • (Carlyle, Essay on Uurn:i.)
14 JAMES THOMSON.
eux, ce qui semble l)ien indiquer qu'on trouvait en lui un parfait
presbytérien. Quand il était encore à Ednam, le presbytery,
ou conseil des ministres d'un certain nombre de paroisses, l'avait
choisi pour clerc, c'est-à-dire pour secrétaire et trésorier. Nous
trouvons ce renseignement dans le volumineux mémoire apo-
logétique d'un maître d'école que ce conseil presbytérial avait
frappé. L'ouvrage met en scène le digne pasteur et rapporte
tout au long des dialogues où il figure comme interlocuteur •.
Ils sont de bien fastidieuse lecture et n'éclairent pas d'une vive
lumière la psychologie des personnages. Mais ils servent à
montrer dans quelle atmosphère de soucis étroits, de contro-
verses pédantes et mesquines et d'intolérance inquisitoriale
vivait comme bien d'autres le père de James. Ce n'est pas de là
évidemment que vint au jeune homme l'impulsion première
qui tourna son esprit vers la poésie.
Sa mère au contraire (et la même constatation a été faita
pour plus d'un grand écrivain), sa mère était douée de cest
qualités de vive sensibilité, d'imagination active et de chaleur
enthousiaste qui sont comme les matières premières dont esL
faite une âme de poète. <cSes dons naturels, nous dit Murdoch,
c étaient exceptionnels; elle possédait toutes les vertus sociales
c et domestiques; elle avait une imagination qui par sa viva-
c cité et sa chaleur était à peine inférieure à celle de son fils,
(c et qui élevait ses exercices de dévotion à un diapason voisin
« de l'enthousiasme. » Ces qualités, nous le verrons bientôt,
n'excluaient pas un sens pratique et une fermeté de conduite
tout écossais. Elles n'avaient pas pour effet de transformer
Mrs. Thomson en une femme savante ni en une femme let-
trée. Il est impossible cependant de ne pas noter, au nombre
des influences qui ont pu contribuer à former l'esprit du
poète, celle de cette mère aimable, d'esprit enjoué et de cœur
ardent à qui son fils a rendu plus tard un hommage de recon-
naissance éloquente.
Comment aussi ne pas signaler, parmi les influences qui,
dès les premières années, ont pétri et façonné l'âme de l'enfant,
cette Bible où sans douteil a appris à lire, et qui fut, jusque bien
avant dans les années de l'adolescence, le sujet constant de ses
lectures, de ses méditations et de ses études? Il y avait dans le
1. RiHKWoou's Plea before ihe Kirk, p. 50, 52, etc.
L*ENFANGE ET L'ADOLESGENGB. 15
livre merveilleux un inépuisable trésor de richesses poétiques
que toute la sécheresse du culte presbytérien ne parvenait pas
à cacher. Et quand, au lieu du froid enseignement de TÉglise, la
mère de James commentait le texte sacré avec son ardente
imagination et sa sensibilité exaltée, la Bible alors donnait à
Ten&nt, avec de fortes et fécondes émotions, Téblouissante
intuition des beautés d'une poésie grandiose.
A défaut d'anecdotes précises sur les première années de
cette vie, un écho nous a été transmis par un critique assez
voisin des contemporains du poète pour que ses renseignements
méritent d*élre recueillis, a L'attachement du poète pour la
t simplicité des champs et pour le charme romanesque de la
c solitude fut précoce et remarquable. Tandis qu'il était encore
« tout enfant, on le voyait souvent s'écarter de ses petits com-
* pagnons, et ceux-ci le retrouvaient parfois errant seul parmi
( les taillis ou les buissons, sur le bord des ruisseaux ou sur
(les pentes des monts.... Ces habitudes de flânerie méditative
( lui donnèrent une certaine gaucherie de manières qui ne
( l'abandonna jamais, mais il leur dut un commerce avec les
( choses dans leur essence et dans leurs rapports, qui compen-
(saitamplement son manque d'aisance par une rare provision
( de sentiment et de savoir ^ i»
III
James reçut sans doute à l'école de Southdean les premiers
éléments d'une éducation solide, telle qu'en pouvait fournir
déjà un village écossais des Basses-Terres. Il semble que, dès
ces premières années, il ait montré d'heureuses dispositions.
Son père, en effet, ne se contenta pas pour lui de Tinstruction
de l'école de sa paroisse, et, quand l'enfant eut douze ans, il fut
envoyé à Jedburgh pour y recevoir ce que nous appellerions une
éducation d' a ordre secondaire ». Dès ce début du xvnr siècle
1. J. MoRK*fl Slrictures on Thomson's Seasons, chap. vi, p. M'2. L'ouvrage
est publié k Londres en 1777.
Ailan Cunningham donne aussi ce détail précis : ■ Dans sa jeunesse, il
trouvait un grand charme à s'asseoir sur les collines voisines des source»
du Jed el à y voir les étoiles apparaître une à une, les nuages s'amasser... •.
/• Vie de Thomson >, p. 44.)
16 JAMES THOMSON.
la société écossaise montrait, à tous ses degrés, un zèle ardent
pour rinstruction populaire *. C'était alors un trait spécial à ce
pays. Nous y voyons aujourd'hui un de ses plus nobles titres
d'honneur, et l'une des causes principales du merveilleux épa-
nouissement intellectuel qui a fait à l'Ecosse une si grande
part dans l'histoire de la pensée anglaise depuis deux siècles.
En dehors de la région des Hautes-Terres, l'instruction pri-
maire était largement assurée aux enfants du peuple; l'ensei-
gnement secondaire était accessible à ceux d'entre eux que
leur intelligence et leurs aptitudes désignaient pour une pre-
mière sélection; plus tard, et dans les mêmes conditions,
l'accès des universités leur était ouvert. Mais il fallait aux
parents et aux élèves payer parfois de beaucoup de résolution
et d'énergie les avantages offerts par cette libérale et démo-
cratique organisation de l'enseignement. Jedburgh était situé
à environ huit milles de Southdean. Son a école de gram-
maire » n'avait pas d'internat. Si pittoresque et si variée que
pût être la route, qui suivait le cours du Jed et passait au pied
des ruines de Ferniehirst Castle, nous avons peine à imaginer
le studieux bambin parcourant une si longue distance pour
aller étudier son rudiment. Nous devons supposer qu'il rece-
vait l'hospitalité de parents ou d'amis qui habitaient à une
moindre distance de Jedburgh. Nous savons en effet qu'il fit
souvent séjour à Minto, où son oncle était jardinier, à Chesters,
à Ancrum, à Marlefield. Cette grammar-scliool de Jedburgh
avait obtenu une haute réputation dès le début du xvir siècle '.
A répoque où Thomson y vintcommencer l'étude des langues
anciennes, elle était dirigée, dit Murdoch, par un maître de
talent. Quant à Tinstallation matérielle, elle était des plus
simples. L'école n'avait même pas de bâtiment particulier.
C'était un des bas-côtés de l'église qui recevait pendant les
heures de classe maître et élèves '. — Le peu que nous savons
1. Des le temps de Jobn Knox les réfornialcurs voulaient consacrer h
l'inslruclion populaire une partie des revenus confisqués au clergé
calliulique. (NV. Scott. « Hisl. d'Irlcosse », 2* série, p. 17, 8.)
2. Tfn' Scw Stufislicai Account of Scollami, part. I : Jt'dburgh.
. 3. .Vu dire du Dr. Somcrville qui, nommé en 1715 miuislre de Jedburgh,
y retrouva d'anciens camarades du pdète. — Mr. Lo^ie Robcrtson précise
davantage et inditpie, comme consacrée A Técole, la seule chapelle de
Sainl-.MarY. Cela est d'aulant plus vraisemblable que le magnifique vais-
seau de Jedburgh Abbey a 13U pieds de longueur.
L'ENFANCE ET L'aDOLESCENCE. 17
de celte période de la vie du jeune Thomson ne nous montre
pas chez lui un goût très vif pour Fétude des langues mortes.
« Maudite soit la Tour de Babel! i» disait-il un jour à demi-
voix. Le maître Ten tendit et lui demanda ce qu'il entendait par
là. « Sans la Tour de Babel, répondit-il, on n'aurait pas
« à appi*endre de langues * I d
C'était donner de lui une fôcheuse idée au digne professeur;
et nous savons qu'en effet celui-ci ne voyait en James qu'un
élève fort ordinaire. Mais cette opinion n'était pas celle de tous
les hommes qui connaissaient l'enfant. Mr. Robert Riccaltoun,
un des amis de Thomas Thomson, exploitait une ferme à
E^arlshaugh, dans la paroisse de Ilobkirk, très voisine de South-
dean. C'était un homme jeune (il n'avait que neuf ans de plus
que James), qui venait de recevoir l'éducation de l'Université,
et qui du reste, renonçant à sa première carrière, entra plus
tard dans le ministère ecclésiastique *. Riccaltoun avait de
bonne heure deviné chez le jeune James une intelligence d'élite.
Il s'était offert à surveiller et à diriger ses études dès le jour
où l'enfant fut envoyé à cette école de Jedburgh où lui-même
avait été élève. Le premier en date des biographes de Thomson,
Shiels, insiste sur ce fait que Riccaltoun (il l'appelle Hickerton)
appréciait le talent poétique de son jeune ami et croyait pour
lui à un brillant avenir, alors que le maître de l'école ne
voyait en son élève qu'un esprit au-dessous de la moyenne'.
L'intelligent et serviable fermier de Earlshaugh fit partager à
d'autres la bonne opinion qu'il avait du médiocre écolier.
Quelques-uns des personnages marquants du pays, sir (lilbert
Elliot *, de Minto, chez qui l'oncle et le cousin de James étaient
jardiniei*s, Mr. Haliburton, de New-Mains, qui hal)itait Dry-
burgh ', et sir William Bennel, de Chesters dans le voisinage
1. Cité par Robert Bell d*après les manuscrits laissés par le Dr. Soiner-
ville.
2. II devint, en 1725, Tannée même où Thomson qiiilta lÉi^osse, ministre
de la parosse do Hobkirk où se trouvait sa ferme d'Karlsliaii^h.
3. Monlhbj Revieii\ vol. IX, p. 481.
4. Le Rrand-pèrc de lord Minto.
5. C*est là, d'après lord Bnchau qui fut le propriétaire du domaine, que
Thomson aurait écrit ses premiers vers. Ainsi s'cxpiiqucraienl à la lettre
les mots du poète :
« The Tweed (pure parmi stream
Wiiose pastoral banks first heard my Doric reed;. »
{Aulumn, v. 889, 800.)
6)
18 JAMES TnONSON.
immédiat de Southdean, encourageaient les efforts du jeune
poète, et le recevaient chez eux avec une gracieuse afTabilité,
Quelques-uns d'entre eux cultivaient aussi la poésie. Sir Wil-
liam Bennet faisait des vers et recherchait à Edimbourg h
société de ces gens d'esprit et de ces poètes dont Allan Ramsay
était le plus en vue *. Quant à Riccaltoun, ses talents poéti-
ques étaient d'ordre vraiment élevé *. Il a eu le grand hon-
neur de fournir à Thomson, non seulement des avis et des
encouragements précieux, mais môme le modèle ou au moins
l'exemple qui a décidé le poète à entreprendre son œuvre
capitale.
Nous pouvons donc assez bien imaginer quels furent les
occupations, les plaisirs et les travaux de James pendant ces
trois années. D'une part cette routine do l'école à laquelle i
apportait peu de zèle et où il ne réussissait guère; et, d'autri
part, de nombreuses heures données avec enthousiasme à Is
production de poésies variées. Ses camarades et son maître U
jugeaient peu intelligent puisqu'il s'acquittait moins bien qxu
beaucoup d'autres des exercices où s'alimentait le travail d<
l'école. 11 prenait son parti sans mauvaise humeur de ces opi-
nions défavorables, et jouissait à plein cœur des plaisirs que
lui offrait la vie. C'était en première ligne le charme des lieux,
de toutes ces parties du Roxburghshire qu'il parcourait suc-
cessivement dans ses visites à ses patrons et à ses amis, de ce
1. Sir Gilbert Klliol Ht au moins souche de poètes. Le troisième baronet,
un autre sir Gilbert KUiot (1722-1177), est Tauteur d'une charmante chan-
son pastorale, et sa sœur, miss Jane Klliot, a laissé une ballade patrio-
tique. Tfie Flowers of ihe Forest, t\u\ n'est pas oubliée. (Voir Chamber*g
Cyclopœdia, I, 713.)
2. Robert Riccaltoun (dont le nom se rencontro sous bien des formes
variées, Rickleton, Rickerton, etc.), né en 11)91, mourut le 17 septembre 1769.
Deux ans après, ses (uuvres furent publiées fi Edimbourg en 3 vol. in-8.
Ce recueil ne renferme pas de poésies; c'eût été donner un caractère trop
léger aux productions d'un ministre de TÉglise presbytéricnue.
La pièce de vers qui inspira ii Thomson Tidée de son premier poème a
pour titre A Winters I)ay. Mlle parut d'abord anonymement dans un
Miscdlany de Savage en 1726. et fut allribnéc à Mallct. lOllo fut reproduite
dans le Gcnileman^s Magazine eu 17 tO (p. 2.jC) sous ce titre : • A Winter's
Day written by a Scotrh clcrgyman, corrccted by an eminent Hand •. Dans
un numôro de mai 18'i3 du Gentleman s Muf/azine, P. Cunniugliam reprend
pour son compte l'attribution à Mallet. Mais l'autorité de Thomson lui-
même résout la question sans laisser de doute : « Mr. Riccaltoun's Poem
on Winter, which l still bave, llrst put the design into my head. In itarc
some maslerly strokes that awakened me ». (Lettre au Dr. Cranstoun, de
septembre 172.'>.)
l'enfance et l'adolescence. 19
district du Teviotdale si riche en bois, en eaux et en rochers,
de cette vieille et pittoresque petite ville de Jedburgh avec ses
ruines dont Tune remonte au x* siècle, avec son imposante
abbaye et son château, avec les souvenirs évoqués par cette
maison restée intacte depuis le temps où Marie Stuart malade
y séjourna ' ; de ce Jedburgh qui plus tard faisait sur un autre
grand poète une si frappante impression : « Situation char-
t mante et romantique;... des jardins et des vergers mêlés aux
€ maisons— de vieilles et nobles ruines — une cathédrale autre-
« fois magnifique, et un château fort. Toutes les villes ont dans
• cette région un air de grandeur antique et rude.... Le Jed est
< une petite rivière pittoresque.... Nous en avons, avec quelques
« dames, suivi la rive en amont pour voir Love-lane, et Black-
t burn, deux sites féeriques *. » C'étaient aussi les joies de la
tiraille. Il les goûtait vivement, et nous verrons avec quelle
P^ine il put se décider un peu plus tard à s'éloigner des siens '.
C'étaient enfin les satisfactions de sa jeune ambition poétique,
et les encouragements flatteurs des patrons auxquels il mon-
trait ses vers. De ces premiers essais un certain nombre
nous sont parvenus. On les trouvera étudiés à leur place dans
l'œuvre du poète. Ils sont intéressants si nous y cherchons,
sous les inexpériences d'un écrivain de quatorze ans, et sous
les réminiscences classiques, le germe des qualités que mani-
festera plus tard l'auteur. En eux-mêmes, ils sont de peu de
valeur. On eût pu craindre que l'indulgente approbation de
Patrons trop bienveillants ne développât chez le jeune homme
'ïne vanité dangereuse pour son talent même. Heureusement
*1 nnontrait, dès ce moment, une sûreté de goût plus rare que
le don précoce de mettre sur pieds quelques vers. Il ôtait pour
'^'-méme plus sévère qu'on ne l'était autour de lui; et, le
PJ^mier jour de chaque année nouvelle, il brûlait les produc-
^ons de l'année écoulée. La cérémonie s'accomplissait avec
L The New Stalisiical Account of Scotlami, part I : Jedburgh.
S.BcRHS, The BoMer Tour, May 1187 (The Works of Roi). Burns, with his
^fe. by Alian Cunningham, in 8 volumes, London. 183i, vol. VIII).
3. Bieu des années plus tard, quand lui-uiôme était très proche de sa fin,
voici comment il parlait d'eux : « Puisque nos bons, nos tendres parents
n'oDt pas assez longtemps vécu pour recevoir les témoignages de celte
extrême reconnaissance que je leur devais (et rien n'aurait pu me causer
»n plaisir égal à celui-là), le seul retour que je puisse aujourd'hui leur
donner, c'est Taffection envers ceux qu'ils ont laissés derrière eux.... »
•Lettre à sa sœur, Mrs. Thomson de Lanark, du 4 oct. 1147.)
20 JAMES THOMSON.
une certaine solennité. Les pièces étaient détruites dans l'ordre
où elles avaient été composées; et, pour faire aux poésies
sacrifiées de poétiques funérailles, Tauteur consignait le sou-
venir de chacune d'elles dans une pièce humoristique où il
énonçait les motifs qui justifiaient l'éxecution *.
IV
Le moment vînt où d'autres études appelaient le jeune éco-
lier. Le révérend Thomas Thomson destinait son fils à la
carrière qu'il avait embrassée lui-même. C'était, de fait, la
seule qui fût ouverte à James, s'il ne voulait pas redescendre
à ces métiers manuels où se trouvaient confinés tant d'autres
membres de sa famille. Il fallait donc dire adieu à ses parents,
à Southdean et à Jedburgh, aux amis et aux lieux où son cœur
s'était attaché pour aller faire à Edimbourg le long apprentis-
sage du ministère ecclésiastique. En 1715 *, il partait pour
l'université. Une tradition, qui nous a été rapportée par un
successeur de Thomas Thomson à Southdean % témoigne du
d. Quelques-unes de ces pièces ont échappé h l'autodaré annuel parce
que leurs destinataires les onl conservées. La plupart ont été rappelées à
la vie dans la <-ircunstaucc suivante : après 1726, Thomson, lié d'amitié
avec le jeune lord George Graham, fui prié par lui d'écrire et de lui
donner ceux de ces poèmes de son enfance dont il avait pu conserver le
souvenir. II s'exécuta avec bonne humeur et avec celte ténacité de mémoire
dont un poMe fait preuve même envers les plus dédaignées de ses pro-
ductions. Une petite-fille de ce premier possesseur, miss Graham, lit don du
recueil à lord Buehan; celui-ci le communiqua à Mr. William Goodhugh qui
inséra plusieurs de ces pièces dans The Enf/lish Gentleman s Library ManuaL
2. Au mois de mars, dit sir Harris Nicolas; vers la tin de Tannée, dit
Mr. Logie Robertson. — Il est probable cependant que la date ne fut pas
postérieure à la lin d'août. Dès le début de septembre (1715) l'insurrection
jacobite est devenue inquiétante. La chasse de Uraemar, la tentative sur
le chdteau d'Kdimbourg ont eu lieu déjà. Le Teviotdale s'occupe d'orga-
niser la résistance; sir William Hennel s\mit au duc de Roxburgh pour
lever et organiser quatre compagnies. — On peut croire que c'est avant
ces troubles que le jeune Thomson fut envoyé à la capitale. (Voir Walter
Scott, - Uist. d'Ecosse •, 2= série, p. 84-103.)
3. Mr. Hichmond. L'anecdole figure d'abord dans le • Dictionnaire bio-
graphique des l^^cossais éuiinents » de Charnbers. (Nous devons à la vérité
de dire que cette origine ne lui constitue pas un titre indiscutable d'au-
thenticité.) C'est lii que Ta recueillie IIowit [Homes and Ilaunts) qui la cite,
p. 215.
l'enfance et l'adolescence. 21
chagrin causé à Tenfant par cette séparation. Il s'était mis en
route, voyageant en croupe derrière un homme du pays en
qui le père avait toute confiance, et, dans cet équipage, il était
arrivé à la ville. Mais bientôt, incapable de se faire à Tidée de
cette vie nouvelle, il avait repris la route récemment parcourue.
Il était bon marcheur, et le cavalier sans doute avait prolongé
son séjour dans la ville, si bien que Tenfant reparut le pre-
mier au village, protestant qu'il pourrait aussi bien étudier
c sur les coteaux de Southdean * » qu'à Edimbourg.
Son instinct de poète ne le trompait pas entièrement. Quels
instructeurs pouvaient valoir mieux que ces maîtres muets
auxquels un autre grand poète formé par eux a rendu un
reconnaissant hommage!
«Pour le jeune homme grandissant, quelle àme se for-
< mait, quand du sommet nu de quelque hardi promon-
( toire, il voyait le soleil se lever, et baigner le monde de
t lumière. Il regardait; Tocéan et la terre, la solide structure
< de la terre, et la masse liquide de l'océan, s'étendaient au-
t dessous de lui dans l'allégresse et la joie profonde. Les
t nuages étaient touchés, et dans leurs faces silencieuses il
* lisait un amour inexprimable. Il n'était pas besoin de son,
^ ni de voix pour cette joie; son esprit buvait le spec-
« tacle *. D
Mais ces maîtres et leur enseignement, admirablement pro-
pres sans doute à former l'âme et le cœur d'un ministre de
''Évangile, ne fournissaient pas ces connaissances exactes
qu'exigeaient les examens de l'université. Thomas Thomson
passa outre à TafTectueuse et poétique protestation de son fils,
1. « Oa the braes of Soud'en », dit une version, • on the baughs of Sudan •,
<lit une autre.
2. .... For the growing youth,
What 80ul was bis, when from the naked top
Of 9omc bold beadland, be bebeld Ihe sun
Rise op, and batbc tbe worldin llght. He looked —
Occan and eartb, the 8oIid frame of carth.
And Ocean*s liqnid ma^s, benealb him lay
In gladness and deep joy. The clouds were toucbed,
And in tbeir silent faces did be read
Unutterable love. Sound necded none,
Nor any voice of joy; bis spirit drauk
Tbe spectacle....
(WORDSWORTII.)
a JAMES THOMSON.
et James dut retourner à l'Université avec l'assurance qu'il y
faudrait rester.
Edimbourg, qui paraît au touriste une des villes les plus
pittoresques de l'Europe, frappait l'enfant d'une tout autre
façon. Ce qu'il y voyait d'abord, c'étaient ces accumulations
pressées de maisons monstrueuses, ces a lands » où les habita-
tions s'élevaient jusqu'à une hauteur de douze étages; c'étaient
les ruelles étroites, ces « wynds » et a closes d obscurs, qui
tournaient et dévalaient entre les bâtisses énormes. Pour cet
enfant des grands horizons et des campagnes baignées de
lumière, le séjour de « auld Reekie », la Vieille Enfumée,
devait paraître oppressant et lugubre, comme une cage sombre
à une libre alouette. — Les descriptions détaillées de la vieille
capitale écossaise ne manquent pas. Un récent ouvrage fran-
çais * a consacré plusieurs pages brillamment colorées à l'as-
pect général de la ville, et aux nombreux monuments qui
bordent la rue fameuse de lligh Street, comme autant de
tombeaux d'une « Via sacra» dont chacun enferme un fragment
du passé. On peut se reporter à ce tableau fait de main de
maître, pour se figurer l'Edimbourg de 1715. Il faudrait seu-
lement imaginer la ville un peu plus étroite et plus obstruée
qu'elle n'était à la fin du siècle. La longue voie formée par
High Street et la Canongate était encore coupée en deux par
la a Netherbow Port » qui fut démolie en 176i. C'était une
porte monumentale qu'avaient élevée en 16CK) les partisans
de la reine Marie-Stuart. Avec ses deux étages, ses toui'S, son
faîte crénelé, sa flèche centrale, au-dessus d'une porte aux
vantaux ouvragés, elle occupait toute la largeur de la voie,
immédiatement au-dessus de « Leith Wynd » et de a St-Mary's
Wynd ». Un guichet de la tour du Sud donnait passage aux
piétons *.
Le jeune Thomson était moins sensible au charme de
toutes ces lignes et de toutes ces couleurs combinées de
façon capricieuse et hardie qu'à l'incommodité de tous ces
legs du passé. Il ne soupçonnait pas qu'à un de ses parents
ino^iberait un jour la tâche de faire tomber les murs entre
lesquels étoun*ait Edimbourg, et l'honneur de créer autour de
1. Alg. ANOELLiEn, Robert IturnSj l. 1, chap. iv. p. 174-180.
2. H. Abxot, The Histonj o.r Ediiihurgh. p. 23«. 238.
L'ENFANCE ET L'aDOLESCENGB. 23
la vieille et pittoresque forteresse une ville nouvelle largement
ouverte à Tair et à la lumière ^
Il commençait donc à suivre les études de l'Université, souf-
frant de la nostalgie de ses chères campagnes du Teviotdale.
Mais il oublia bientôt ces premières amertumes de la vie : il
n'allait pas tarder à en connaître les douloureuses blessures.
Quelques mois après son arrivée à Edimbourg, en février 1716,
il perdait son père dans des circonstances singulières et tra-
giques. Nous reproduisons le récit de l'événement tel que Ta
donné le Dr. Somerville, parce qu'elles n'ont pas été sans
influer sur la destinée de James Thomson. Elles jettent d'ail-
leurs une lumière imprévue sur certain état d'esprit des con-
temporains écossais de ces Anglais dont Montesquieu et Vol-
taire admiraient si vivement la saine et libre raison.
« La croyance aux fantômes, aux sorcières, aux fées était si géné-
rale au commencement de ce siècle qu'on eût considéré comme
hérétique uq prêtre qui aurait mis eu doute Texistence de ces êtres,
on même leur intervention directe *. Une des dernières apparitions de
ces agents redoutables eut lieu à Woolie, dans la paroisse de South-
dean.... Mr. Thomson, le père du poète, consentit à essayer de con-
jurer Tesprit mauvais.... Mais à peine avail-il commencé les prières
qu'une boule de feu vint le frapper à la têle. Saisi de frayeur, il ne put
prononcer un mot de plus. On le transporta chez lui où il languit
<iuelque temps et enfin expira. »
H avait cinquante ans, et apparemment, une vigoureuse
s^té. L'attaque d'apoplexie qui l'a terrassé semble à notre
^riosité sceptique pouvoir s'expliquer par l'émotion et la
frayeur '. L'honnête pasteur fut enterré dans le cimetière de
^ paroisse où des soins pieux ont restauré, il y a vingt-cinq
f.Mary, la plus jeune sœur de Thomson, avait épousé en premières noces
William Craig, négociant à Edimbourg, et ensuite un certain Mr. Thomson.
Son fils, James Craig, fut architecte et ingénieur. C'est lui qui arrêta le
projet d'agrandissement et d'assainissement d'Kdimbourg, et qui donna
les plans de la Ville Neuve.
2. «In 1678 his Majesty's advocate could prosecule, PiTteen impartial
jurymen convict, and the suprême judgcs of the nation condcmn lo tUe
Haines, ten women in one day, for having had carnal copulation with the
deril. » (Ar50t, The Uiaiory of Edinburgh, p. 194.)
3. Oa a même mis en doute le fait qui aurait donne naissance à la lé-
gende. Cependant Taffirmation de Somerville est péremptoire, et trouve
quelque confirmation dans ce fait qu'on démolit à Woolie (ou Wolflca) une
Diaisoo parce qu'elle était hantée.
24 JAMES THOMSON.
ans, sa tombe modeste/et remplacé par une plaque de bronze
l'inscription devenue illisible *.
James arriva trop tard pour recevoir le dernier soupir de ce
père auquel rattachait une affection profonde. Il ressentit un
chagrin violent et un ébranlement nerveux qui laissa des
traces prolongées. C'est depuis ce temps-là qu'il manifesta, au
dire de son intime ami Cranstoun, une crainte superstitieuse
des êtres surnaturels. Il ne pouvait rester la nuit seul et sans
lumière; et son camarade de chambre nous rapporte comment
cette faiblesse, pour nous très explicable, offrait à ses compa-
gnons une occasion de cruelles moqueries *.
James reprit donc avec une tristesse nouvelle sa vie d'études,
et sa chambre dans une sombre ruelle de la capitale. Sa mère
ne l'y laissa pas longtemps isolé. Elle hypothéqua ses droits à
la propriété de Widehope, réalisa ainsi une certaine somme,
et vint avec toute sa famille s'établir à Edimbourg. Elle savait
que les difficultés ' de la vie y seraient plus grandes qu'à
la campagne, mais elle ne voulait pas que les études de son
fils favori fussent suspendues. Elle réussit en effet, à force
d'activité et d'économie, à faire vivre les siens avec ses modi-
ques ressources. Quelques amis de son mari l'aidèrent de leurs
avis, peut-être aussi de secours plus directs. Murdoch a
signalé en particulier le dévounient actif de Mr. Gusthart, et
nous savons par des lettres de Thomson lui-même que, dix
ans après la mort de leur mère, deux sœurs du poète trouvaient
encore chez ce vieil ami une affectueuse hospitalité *.
Quant aux études de la Faculté des Arts, qui étaient la
1. Ooodliugh constatait en 4827 que Tinscription était ù demi cfTacée,
En 1867, les Heritors (propriétaires) de la paroisse ont recouvert le moiiii-
ment d'une plaque de cuivre rappelant que Th. Ttioinson fui le père de
Tauteur des • Saisons >•.
2. Le fait est rapporté par le Dr. Somerville qui le tenait de John Crans-
loun, le frère du Dr. Wil. Cranstoun, rinlime ami du poète. Johii avait
vécu quelque temps à Edimbourg, partageant avec Thomson la même
chambre.
3. Les conditions de la vie passaient pour être onéreuses à Edimbourg.
Les documeuts du temps nous apprennent cependant que la viande s'y
payait en moyenne 2 penre 2 farthings la livre; qu'où y pouvait acheter
une poule pour u pence et une paire de pigeous pour 2 pence 2 farthings.
(\'oir 11. An.NOT, The Ui^tortj of Edinburqh. Tableau des prix des provisions
dé 1605 ù 1715.)
4. Lettre à Mr. Ross, du 6 nov. 1736. Lettre à Mr. Gavin Hamilton,
fév. 1737.
L*ENFANCE ET L'ADOLESCENCE.* 25
préface obligée des études religieuses, elles plaisaient au
jeune homme aussi peu que renseignement de la n grammar
school » auquel elles faisaient suite. Le latin restait la partie
principale des programmes. Le grec y oœupait aussi une place
importante; mais la langue nationale n'y était guère consi-
dérée comme un objet d'étude. Les humanités classiques
avaient autrefois été cultivées en Ecosse avec un grand éclat.
Mais au commencement du xvni° siècle a les Écossais, nous
4L dit le Dr. Aikin, avaient perdu leur supériorité en latinité et
c n'avaient pas encore appris l'anglais » ». Thomson suivait
donc le cours d'études de la Faculté, avec une assiduité dont
le résultat est apparent dans sa sûre connaissance des langues
et des littératures anciennes, mais sans ombre d'enthousiasme.
Ici comme à Jedburgh il fait à ses maîtres et à ses camarades
l'effet d'un élève médiocre et d'intelligence assez terne. Il
semble se porter avec plus de goût vers l'étude des sciences
naturelles qui commence à ce moment même à prendre une
place importante dans l'université. Tandis que l'enseignement
littéraire y demeurait exclusivement et étroitement attaché
aux langues anciennes, Edimbourg s'ouvrait plus facilement
que les universités anglaises à l'influence de la science telle
que Newton la renouvelait et la vivifiait. On s'y livrait avec
ardeur à l'étude des mathématiques et des sciences naturelles.
Le programme de la 4" année du a curriculum » de la Faculté
des Arts leur est presque entièrement consacré. Une école de
médecine est ajoutée aux Facultés en 1710. La correspondance
de Thomson pendant ces années, mais surtout son œuvre
poétique, attestent l'intérêt qu'il trouvait aux grandes spécu-
lations scientifiques appuyées sur l'observation de la nature *.
Le travail ordonné et contrôlé à la Faculté n'absorbait pas
^n entier, ni même pour la meilleure partie, l'activité de son
esprit . Il lisait assidûment ces grands écrivains auxquels
1. Voir aussi Allan Cunhinghah, « Vie de Thomson », el Jeffrey dans un
article de la Revue d'Edimbourg, t. XVIII, p. 80, 82.
2. Voir plus loin sur la science dans le poème des <i Saisons », deuxième
partie, liv. 1, chap. vi.
S6 JAMES THOMSON.
TAcadémie ne reconnaissait point un rang parmi les classi-
ques, et c'est de ces années que date sa familiarité intime avec
les œuvres de Spenser, de Shakespeare et de Milton. Il n'était
pas le seul qui éprouvât le besoin d'élargir ainsi le programme
étriqué de l'Université. Parmi les camarades qui, comme lui,
se destinaient au ministère ecclésiastique, il s'en trouvait plu-
sieurs que les scrupules de l'église presbytérienne n'arrê-
taient pas, et qui cherchaient, dans les œuvi'es des grands
poètes anglais, un aliment à ce besoin d'admiration et d*ea
thousiasme qui agite des cœurs de vingt ans.
La sévère discipline de l'Église ne suffisait plus d'ailleurs à
réprimer ces aspirations vers le beau, vers le mouvement et
vers les séductions de l'art. Des sociétés se formaient parmi
les jeunes gens d'Edimbourg pour professer en commun ce
goût nouveau de la poésie. Les poètes commençaient à se mon-
trer, chaque jour plus nombreux, et, parmi eux, un au moins,
AUan Ramsay, a mérité de conserver une place élevée dans
rhistoiœ de la littérature écossaisse. La contagion se répand
en ce moment parmi les élèves de TUniversité, parmi les can-
didats au sacerdoce, parmi les ministres même, en dépit des
anathèmes de l'Église. En 1719, cinq jeunes gens publient
ensemble à Edimbourg cinq traductions de TÉpître à Néron
d'Horace *. Leurs maîtres durent trouver que c'était faire un
fâcheux emploi de leur talent de latinistes. D'autres produc-
tions, de nature plus variée, font leur apparition à ce moment.
Plusieurs ont pour auteurs des étudiants de la Faculté de Théo-
logie. Nous savons déjà par l'exemple de Riccaltoun, nous
verrons encore par celui d'autres amis de James : Cranstoun,
Wilson, Murdoch, etc., que chaque jour se glissent dans les
rangs du clergé presbytérien, des hommes qui prétendent
allier à la foi religieuse l'amour des lettres.
Le jeune Thomson, on le croira sans peine, se joignit avec
ardeur à ce mouvement nouveau. Il était arrivé à Edimbourg
précédé de quelque réputation *. M. William Bennet avait sans
doute parlé déjà à ses amis du précoce poète dont s'enorgueil-
lissait la vallée du Jed. James trouva donc facilement accès à
ces clubs où Ton faisait métier de poésie, et nous savons qu'il
1. J. Ramsay, Scotland artd Scolsmen in thn XVIll^'^ centunj^ p. 21.
2. Allaw Comnciiam, « Vie de Thomson », p. xiv.
l'enfance et l* adolescence. il
fit partie du c Grotesque Club x> et de V a Athenian Society ».
Nous sommes tentés de croire que la première de ces sociétés
o'était pas composée des adeptes les plus fervents de la muse.
Oo devait s*y occuper autant de c charges m et de bruyantes
gaités que de strophes et de rimes, et J. Mitchell nous rapporte
que Thomson y passait pour un lourdaud ^ Le témoignage est
suspect, venant, comme nous le verrons plus tard, d'un adver-
saire assez violent. Le jeune poète avait dans le caractère un
fonds de bonne humeur et de gaité communicative qu'attes-
tent les lettres et les poésies de cette période de sa vie; il est
possible cependant qu'il n'ait pas fait preuve du genre d'hu-
mour qui était en vogue au Club des Grotesques. La Société
Athénienne a laissé plus de traces de son activité poétique.
Elle publia sous ce titre : a The Edinburgh Miscellany x>, un
recueil de pièces dues à ses membres. Les principaux collabo-
rateurs semblent avoir été J. Mitchell, Callander, Symmer,
David Malloch (Mallet), Hamilton of Bangour, Patrick Mur-
doch ', le futur biographe de notre poète, et Thomson lui-
même. Le recueil parut vers 1718 '. La deuxième édition, qui
est de 1720, renferme trois pièces, signées T., que nous devons
attribuer à Thomson. Elles ont pour titres : a On a Country
Life by a Student of the University » ; — à Upon Happiness » ;
— «Verses on receiving a flower from his Mistress d *. Les deux
dernières offrent peu d'intérêt. L'une est un madrigal assez
lourd, et l'autre une froide épître pleine de lieux communs
'^iigieux et moraux. Mais la première et la plus importante
nous apprend quelle place continuaient à occuper dans l'esprit
du jeune poète, après plusieurs années de séjour à la ville, les
^ïeaux pittoresques de la campagne, les travaux et les scènes
de la vie des champs.
James cependant était arrivé au terme des études de la
'^ultédes Arts. Il ne prit pas, comme l'avait fait son père, le
^' • A duU fellow •, dit-il dans une IcUre à Kerr que cite J. Ramsay,
*'^'W and Scotsmen,.., p. 24.
2. Xous retrouverons la plupart de ces compagnons do jeunesse. Hob.
^fniiner est devenu plus tard F. R. S.; il meurt en IIBS. Nous rencon-
^'ong son nom dans la dernière lettre qu'ait écrite Thomson (à Paterson,
'^ril 1748). Le poète s'y félicite de voir Symmer renoncer aux dissipations,
et Tenir s'établir à Hanâmersmilh, à mi-chemin entre Londres et Richmond.
3. Voir The Gentleman*s Mayazine, Sew séries, vol. 16, p. 503 et suiv.
(article de .Mitrord).
4. Edinburgh Miscellany, 2e éd., vol. 1, p. 193 à 191.
28 JAMES THOMSON.
titre do. M. A. (Ma^nsler Artiuiii). Depuis plusieurs années la
Faculté avait négligé ses réunions régulières; les grailes
n'étaient plus accordés que comme une pure formalité; ils
avaient dès lors perdu tout prestige. Le nombre des étudiants
consacrés M. A. à Edimbourg, qui était en 1705 de 105, dimi-
nuera peu à peu, à partir des changements introduits en 1708
dans Torganisation de la Faculté des Arts, pour tomber enlin
au chiffre de 3 en 1749. Ainsi s'explique cette absence du titre
dans laquelle Johnson paraît voir une preuve de Findolence
ou de l'incapacité du jeune étudiant. Devenu en 1719 élève de
la Faculté de Tliéologie, Thomson continua le genre de vie
qu'il menait depuis plusieurs années, partagé entre des tr3--
vaux académiques où il n'apportait qu*un zèle fort tiède, et d^s
occupations irrégulières qui s'emparaient chaque jour plus
complètement de lui. Un certain nombre des pièces fugitives
qui datent de cette époque nous sont conservées; on les trou-
vera étudiées à leur place dans Tœuvre du poète. Elles tradui-
sent bien la diversité des influences qui se partagent l'esprit
du jeune liomme. A côte d'une pièce religieuse : A Paraphrase
of Psalm GIV, c'est une pièce sentimentale sur la douleur de>
l'amant séparé de sa maîtresse : An Elegy on Parting; à côtST
d'un morceau inspiré par l'amour de la campagne : The Morn'in^
in the Country, c'est une adresse à La Beauté ou au Vertugadin.
La première lettre de Thomson qui nous soit restée est do-
11 décembre 1720. 11 l'envoie d'Kdimbourg à son ami Cranstoun
qui, ses études de médecine terminées, s'est établi à Ancrum.
Ces franches effusions avec un camarade de la veille conlir-^
ment exactement les suppositions que d'autres renseignements
pouvaient suggérer sur le caractère et sur les goûts de nolr^
étudiant. Son amitié s'y exprime en accents chaleureux. l9
constate qu'il fréquente peu « le beau monde » d'Edimbourg^
11 se plaint avec bonne humeur de manquer d'élégance, d^
galanterie et d'argent; mais il trouve compensation à tout dand
l'affection de son ami. 11 apostrophe les feunnes avec l'ardeur
d'un jouvenceau et d'un poète, et leur i*eproche de ne pas
réserver toute leur admiration au génie. Il cite Shakespeare *
i. • Wil and bcaïUy thus joined would be, as Shakespeare bas it, makiog
honey a eaucc to siigar. » — C'est une adaplatioii ingénieuse du mot de
Touchstono : « For boue^ty couplcd to bcauty is lo bave honey a sauce lo
sugar •. (AU is Well ihat Ends Well, acte 11, se. m.)
L'ENFANCE ET L'âUOLESCENCE. 29
pour expliquer Taveuglement des belles, et termine sur la
promesse d'envoyer bientôt à son correspondant un poème
manuscrit.
Cranstoun, paraît-il, lui avait reproché de trop tarder à lui
communiquer de nouveaux travaux littéraires; et Thomson
s'excuse en disant : « Comment pouvez- vous attendre mieux
t de l'amphithéâtre de théologie ou d'une Cave à deux pence? d
-I What can you expect from the Divinity Hall, or a Tipenny
f Ceir? » Et plus loin, dans la même lettre, il parle des gens de
sa condition comme des a humbles fils de Tipenny d. Il y a là,
en même temps qu'un souvenir curieux du vieil Edimbourg,
un détail intéressant sur la vie de notre étudiant.
Les plaisirs offerts aux jeunes gens n'étaient pas nombreux
dans la capitale écossaise. La liste de ceux qui restaient acces-
sibles aux futurs ministres presbytériens était fort réduite. Les
combats de coq, introduits en 1702, les bals publics dont le
premier datait de 1710 ', le théâtre qu'alimentaient surtout les
tours de force d'une acrobate italienne, la signera Violante,
n'étaient pas des distractions abordables aux étudiants en
théologie. Les jeux de golf, de tennis, le tir à Tare étaient
passe-temps de « gentlemen i». Pas de concerts; la première
société musicale fut fondée en 1728 *. Restaient les tavernes, et
nos théologiens les fréquentaient comme tout le monde. On y
allait pour traiter d'affaires, pour boire et pour jouer. Celles
"qui avaient le plus de vogue nous paraîtraient aujourd'hui fort
naisérables. « Elles étaient en général sales et lugubres'. t> Quant
î^ux établissements ouverts aux bourses modestes, celaient
^ Tipenny-Cells où se débitait, au prix de deux pence la pinte
^ossaise, une bière médiocre. Nous aimons à croire que
Thomson n'y cherchait pas les plaisirs du jeu; nous pouvons
P^ser qu'il n'en sortait pas pour se livrer aux scènes de désordre
®^ de tapage nocturne qui indignaient les pieux magistrats du
Conseil *. Mais nous sommes bien obligés d'admettre que le lieu
i. Ils étaient soumis, on peut le croire, à une étroite surveillance. Un
arrêté du Conseil de 1121 interdit l'enseignement public ou prive de la
danse, à moins de licence spéciale accordée par le Conseil.
2. HcGO AarsOT, The History of Edinburgh, p. 195, 366, 379, 381.
3. lluco Arnot, The History of Edinburgh, p.3o4.
4. • The Couneil enacted Ihat, whercas the not obli^ing ail persons to
repair timeously to their lodgings at night, is one of the greatest causes
of the abounding of drunkenness, uncleanness, night-revellings, and other
30 JAMES THOMSON.
n'est pas de ceux où Ton contracte des habitudes de sévère dis-
cipline et de parfaite sobriété. Supposons du moins qu'autour
des tables malpropres, dans les sous-sols obscurs des ruelles
d'Edimbourg, James Thomson et les. amis qu'il fréquentait :
Granstoun, Pettie *, le joyeux Mass John *, et Malloch ' s'eni*
vraient moins de bière faible que de gais propos, de projets
d'avenir et de hautes spéculations sur les choses de la science,
de la philosophie et de la poésie.
Nous comprenons toutefois que le milieu ait semblé à
Thomson peu favorable à l'éclosion des idées poétiques qui ger-
maient en lui. Il saisissait avec empressement toutes les occa-
sions de quitter Técole et la ville pour retrouver l'air, la
lumière et la paix des campagnes. La résidence de son ami
Granstoun à Ancrum, entre Jedburgh et Selkirk, fut un de ses
séjours de prédilection pendant les périodes de vacances. La
(( manse », où sans doute le jeune médecin habitait avec son
père, ministre de la paroisse, était située sur les bords de l'Aie.
En amont du bourg on remarque sur les rives rocheuses une
quinzaine de grottes creusées dans des parties d'accès difficile,
et qui sans doute avaient servi de lieu de refuge aux habitants,
au temps des guerres du Border. James avait adopté une de
ces grottes, la plus voisine de la manse, pour y rêver et y
écrire. Son nom s'y voit, dit-on, sur le plafond, gravé peut-être
de sa main; et elle est appelée encore a Thomson's cave »,
la grotte de Thomson *.
immoralilies and disorders, bo(h in houses and upon Ihe slreeU, and is a
grcal liinderance to sober persons in Uieir worshiping of God, in accret,
and in their familles, therefore they prohibit ail persons from being in
laverns, cellars, etc., aftcr len at night, under penalties, at Uie dibcrclion
of Ihe magislralcs,... and déclare their resolution to hold « two courts in
the week, allenarly for cognoscing and puuishing of immoralilies, such
as cnrsin.:*, swcaring, drunkcnness, brcach of Ihe Lord's day -, etc., and
to «ive informers the third part of the fines as their rcward. • {Council
register, v. 36, p. 862, — cité par Ar.not, p. 193.)
1. Pathick MiruDOCH, D. D., F. R. S., • the oily man of God », du Château
d'Indolence, l'ami fidèle et le biographe de Thomson. 11 devint un mathé-
maticien distingué, et mourut à I^oudres le 12 novembre 1174.
2. Mass Jour ou .Misjohn, le boute-en-train, semble-t-ii, de cette troupe
de jeunes gens, se nommait Gabriel Wilson et devint ministre de Maxton,
du pre8!)ytèri^ de Selkirk.
3. Maixocu. l'écrivain gagé de Walpole, l'éditeur posthume de Boling-
brokc, trop connu pour qu'il soit utile de présenter sa biographie. Il
changea son nom en celui de Mallet comme plus euphonique.
4. Gooniiion, Tfh> English Gmileman's Hbrar;/ Mamiaf, p. 256. — The
l'enfance et l'adolescence. 31
Le jeune poète cependant poursuivait longuement le cours de
ses études. Devenu en 1719 étudiant en théologie, il recevait le
2 novembre 1720 une bourse du a presbytery » de Jedburgh *.
Les livres de l'université mentionnent des exercices exécutés
par lui en février 1720, février 1722 et mai 1724. Sa bourse est,
le !•' janvier 1724, renouvelée pour une année, et (réserve qui
paraît montrer qu'on soupçonnait l'aspirant ministre de tié-
deur), il est invité à envoyer au « presbytère » des certificats de
son assiduité à suivre le cours du professeur de théologie.
Le moment approchait où il faudrait prendre un parti.
Thomson pouvait comme Riccaltoun, comme Cranstoun, comme
Murdoch ou Wilson entrer dans la carrière ecclésiastique, et
se réserver d'en rompre la routine monotone, en continuant
les exercices poétiques de ses années d'études. Il lui aurait fallu,
pour accepter cette disposition de sa vie, moins de vocation
poétique et plus de goût pour le ministère religieux. Mais il était
poète; le fait devenait chaque jour plus évident, et les vers
l'occupaient chaque jour davantage. Ce n'était pas que ses pro-
ductions rencontrassent une approbation unanime. Murdoch,
près de quarante ans plus tard, parlait encore avec amertume
deces critiques d'Edimbourg qui n'avaient pas su comprendre
lo génie de son ami, et qui, dans ces œuvres de jeunesse,
n'apercevaient que des défauts. Thomson ne prenait pas si
fort à cœur ces opinions défavorables. La même sûreté de goût
^^ la même indépendance de jugement qui jadis lui faisaient, à
Southdean, immoler gaîment ses propres œuvres lui permet-
^^ent aussi d'apprécier à leur valeur les critiques favorables
^û hostiles. Il savait écouler les avis de Riccaltoun quand
^'ui-ci combattait une tendance naturelle à l'emphase ' ; il
"^ Statistical Account, etc., vol. III, p. 2i4. — La groltc est devenue,
P^ suite d'ëboulemenls, impossible d'accès. Le Rèv. John Mair, de
^uthdean, y parviat, non sans peine, il y a une trentaine d'années, et
^ostata l'existence des initiales J. T.
I. ScoTT*8 f*af/i, etc., part. IV, p. 519. Le renseignement a échappé aux
plus récents biographes. Sir Harris Nicolas arfirme niéuie que Thomâon
f^'obiiat pas de bourse, et l'opinion est endossée par P. Cunningham.
1 Bien des années après, Riccaltoun écrivant à un ami au sujet de
poésies d'un Mr. Muir, d'Orwell, qui lui avaient été soumises, s'exprimait
ainsi : < I hâve looked over the spécimen you sent me of his poelic
laleoLs; and, had I the same opporluuitics, I wouid treat him as I did
Mr. Thomsoo, and still do ail my friends in that way; viz. to discourage to
iie utmost of iny power indulging thaï humour where it requircs more
32 JAMES THOMSON.
savait dcdaignoi* sans s'abaiulonnor au découragement les coii-
dauinations niiutelligentes et malveillantes des juges dont
parle Murdoch. Mais il semble avoir conclu que, malgré les
chaudes approbations de quelques amis, son talent ne trouve-
rait pas à Edimbourg la considération à laquelle il devait pré-
tendre. La capitale écossaise pouvait assurer une renommée de
clocher à des poètes chantant, comme Allan llamsay, dans le
dialecte local, les coutumes, les costumes, les menus événe-
ments de la ville et de ses environs. C'était autre chose cfue
voulait James Thomson. Il entendait exercer sur de plus vastes
sujets le don de poésie qu'il sentait en lui. Il voulait pour ins-
trument, non pas la langue du spirituel perruquier devenu
libraire, du poète lauréat du club des Sans-Souci \ mais celle
de Spenser et de Milton. Et il tournait vers l'Angleterre et v^îrî
Londres ses regards et ses espérances. Il fallait dès Ion
renoncer à la carrière pour laquelle il allait être prêt. Il étSLÎt
nous pouvons le croire, disposé à le faire sans regrets. C'ét^i-î-''
comme le dit Murdoch, le choix de son père et non pas le si^^
qui avait orienté sa vie vers ce but. Il n'avait pas hérité d& 1
foi de Thomas Thomson. L'Kglise presbytérienne, avec s<^
dogme austère et sombre, avec sa discipline inquiète et intol ^
rante, éloignait le jeune homme dont le cœur s'ouvrait confi
à tout sentiment de large humanité, et Tesprit à toute influe
de joyeuse et enthousiaste admiration. Il semble même qu^
vieille cité presbytérienne n'ait pas réussi à fermer ses por**
à ce vent de scepticisme frondeur qui soufflait de TAngletef:^
L'esprit des Bolingbroke et des apôtres de l'incrédulité coi*^
mençait-il à recruter des adeptes jusque sur les bancs de
faculté de théologie? On le croirait assez d'après le ton de ^^
deux ou trois lettres qui ont conservé pour nous, comme ^
fragments d'un miroir, quelques reflets brisés de l'esprit ^
James, a May I be damned, if.... », écrit ce jeune lévite, ^
début de sa lettre de 1720 à Granstoun ; et, cinq ans plus ta. ^^^
dans une lettre au même ami, il demande à Mass John, ^^
joyeuse mémoire, comment il a pu « traîner avec lui un ^^^
judgment Uian evcrybody is master of to kccp imagination and fancy' to
their proper province. » :LeUre écrite de Hohkirk, le 30 avril 1759.)
1. Tlic Easy Club conTéra celle distinction à Allan Ramsay vers 1712. //
ii*y avait pas longtemps qu'il avait renoncé à son premier métier de per-
ruquier.
l'enfance et l*adolesgenge. 33
m
I bagage de bonne humeur à travers les sentiers épineux des
c systèmes et de la théologie scolastique )>. Enfin notre jeune
homme n'était pas dépourvu d'ambition mondaine *, et nous
savoosque TËglise écossaise n'avait à oiTrir à ses prêtres qu'une
position fort humble *. Pas de hiérarchie; pas de riches béné-
fices comme ceux de l'Église anglicane, et, pour l'acquisition
•des postes les meilleurs, le choix d'assemblées près desquelles
Mectation d'un zèle extrême comptait parfois plus que le
talent, le caractère ou la vertu modeste.
Tels étaient donc les désirs d'indépendance, de gloire et de
fortune, qui flottaient dans l'àme de Thomson, attendant l'ac-
cident, le choc léger qui les ferait cristalliser. Il ne tarda pas à
se produire, et aussitôt, de toutes ses répugnances pour l'avenir
Çui lui avait été préparé, de toutes ses aspirations vers un
iutre idéal de vie naquit la résolution de quitter TÉcosse.
II suivait depuis plus d'une année le cours de théologie de
^- William Hamilton ', quand ce maître lui fixa comme tâche
. ''ne dissertation explicative d'un psaume *. Le jeune homme
'^t son travail dans la grande salle de la faculté de théologie,
'® 27 octobre 1724. L'effet produit par son langage coloré et
^* • There is another life aflcr this, which dépends as to its happiness
^n oar virtue, as this for Ihe roost parton our fortune. >• (Lettre à Crans-
*^^n, écrite à la veille du départ d'Edimbourg.)
. ^- II est vrai que TÉglise anglicane avait aussi pour quelques-uns de ses
''^nibles serviteurs une médiocre générosité : 40 livres par an, c'était le
IJ^^^re, à Pallas, du père de Goldsmith, le modèle de Timmorlel pasteur
^* >VakeOeld.
^< Le Révérend William Hamilton, ministre de Cramonl en lOOi. fut
'^^Qiiné professeur de théologie en 1709, et devint, en 1730, principal du
^^llège de Jacques VI. 11 mourut en 1733. II passait pour un homme
^iâlingué pour sa piété, son savoir et sa modération •. (Soott's Fasti,
•^* 67; — Sir Alexander Grant, The Slorff of the UniversUy of Edinhurgh,
^5^1.11, p. 238.) — J. Ramsay of Ochtertyre dit de lui • qu'il y avait une
^^Dcérité, une bonté et une veine de libéralité daus tout ce qu'il disait ou
''^îsait qui lui gagnait le cœur de ses élèves, et leur faisait épouser
^lialeureusement ses opinions et ses sentiments » {Scotland and Scolsmen
*»l the xviii'* cenlury, p. 228).
4. C'était la 10* section du psaume CXIX. Il s*agissait d une sorte de
Germon sur un texte indiqué. Nous n'avons pas à supposer un moment
^ueTbomson ait donné à la place une pièce de vers. C'est ce qu'ont cru
cependant plusieurs biographes. Shiels avance même que ce que le Hévé-
^nd professeur bl&ma principalement fut le choix de vers non rimes; il
les jugeait indignes d'un pareil sujet. — La vérité est qu'une confusion
l'est établie entre cette homélie sur un fragment du psaume CXIX et la
paraphrase poétique du psaume CIV, dont nous avons parlé déjà comme
tvaol été écrite par Thomson à Edimbourg.
3
34 JAMES THOMSON.
magnifique fut tel que Tauditoire éclata en applaudissemenli
Mais le professeur fut plus sévère. Il loua le talent de récri
vain, mais il en déclara remploi inopportun. Il fit observer a
jeune poète que l'éclat et la richesse du style ne sauraier
remplacer les facultés plus modestes grâce auxquelles u
ministre du culte met la parole divine à la portée d'un
humble congrégation. C'était autre chose que des qualités litU
raires qui pouvaient assurer le succès dans la carrière ecclé
siastique. L'autorité personnelle, la bienveillance et la larger
d'esprit de M. Hamilton rendaient l'avis particulièremei
significatif. Thomson ne voulait pas renoncer aux lettres;
renonça à la carrière ecclésiastique *.
Dès ce moment, il s'occupa de préparer son départ. Que
proposait-il de faire à Londres? Nous ne le savons pas exact
ment. Ses lettres renferment quelques vagues allusions a 3
grand projet » qu'il nourrissait. On a supposé que peut-èL
il songeait à entrer dans le clergé de l'Église anglicane. Il
nous semble pas admissible que ce projet eût pris corps ;
moment où il quittait l'Ecosse. Son but dernier était assui"
ment de devenir homme de lettres, et sans doute il espéra
qu'à la gloire poétique viendrait s'ajouter pour lui, comr
pour bien d'autres, quelqu'un de ces bénéfices laïques do
les hommes d'État et les grands seigneui's disposaient. Quai
aux ressources à se procurer immédiatement, il comptait si
sa bonne étoile avec cette confiance qui soutenait le courag
de tant d'Écossais venant chercher fortune à Londres. So
ami Mallet, l'humble fils d'un aubergiste des Highlands, I
« janitor » du High-School d'Edimbourg, n'était-il pas attach
comme précepteur à une riche et puissante famille'? N'avait-i
pas lui-rnème à compter sur de précieux concours? L'auditeu
Benson après avoir pris connaissances de quelques-unes de
pièces écrites par le jeune homme, lui prédisait le succès e
lui promettait son appui. Une dame de qualité, lady Grizf
Baillie, parente de Mrs. Thomson et poète elle-même ^ s'en
1. Mr. William Hamilton ne sut pas mauvais gré à son élève de cett
décision. Il s'intéressa à la carrière du jeune poète, et nous le voyon
figurer parmi les souscripteurs à la 1" édition des * Saisons •.
2. Le duc de Monlrose ayant besoin d'un précepteur pour ses fils sVlai
adressé ou collège qui lui envoya Mallet.
3. Klle appartenait à cette grande famille des Home h laquelle, nou
l'enfance et l'adolescence. 38
gageait à aider James à Londres. 11 se munit en outre de lettres
de recommandations, Cranston lui en donne une pour un
cousin habitant la capitale *, et une autre pour un Mr. Elliot%
frère sans doute de Sir Gilbert EUiot. Thomson en sollicite une
aussi d'un Mr. Golden, et se plaint avec une certaine amertume
de l'indifférence du digne homme qui se borne à lui offrir ses
souhaits et ses prières. Tous les préliminaires du voyage sont
enfin terminés, et il s'embarque à Leith, par une nuit agitée ■*
de février 1725, accompagné jusqu'au bateau par sa mère. Il
emportait pour tout bagage beaucoup d'espérances, et très peu
d'argent, une forte dose de résolution, quelques fragments
poétiques, et ses lettres de recommandation enfermées dans
un mouchoir noué.
l'avons dit plus haut, la mère de Thomson se rattachait (voir, p. 8, note 1).
^ Elle estrauteur d'une chanson pleine de saveur et qui Tut très popu-
laire.
• Were na m y Heart licht I wad dee. •
1^ petite pièce parut cette même année 1725 dans VOrpheus Caledonius
^l fui reproduite par A. Ramsay dans The Tea-Table Miscedany, Cette
femme d'esprit, qu'on aime à trouver parmi les premiers patrons du jeune
Thomson, était aussi une femme de CŒur. Elle avait dix-huit ans quand
^^ père, sir Patrick Home de Polwarth, fut compromis dans le niouve-
'^(nt d'iosurrection presbytérienne auquel s'est attaché le nom de Jer-
^^ood qui en avait été le promoteur et en fut la victime. La jeune fille.
Pendant un temps prolongé, servit de messagère à son père qui s'était
caché dans un souterrain du cimetière de Polwarth; elle lui portait de
1^ nourriture, lui transmettait les avis utiles, et lui sauva la vie. Plus
|^f<l elle épousa le fils de ce Baillie de Jerviswood, Tami malheureux
1*^ sir Patrick Home. Au moment où nous la voyons s'intéresser à
Jhonison elle dispose d'une influence considérable. Son mari est membre
^^ift Chambre des Communes; son père est ou va devenir lord March-
"ïûni.
^* La lettre à Cranstoun (Edimbourg, février 1125), telle qu*on la lit dans
l'^dine Edition porte : n Your letter to my cousin, I do not doubt, will
^ considerably useful to me, if I can find him out •. 11 faut évidemment
ure • your v au lieu de • my cousin ».
3« Probablement le Mr. J. Elliot que nous voyons figurer parmi les
^uscripteurs à la première édition des « Saisons », entre le capitaine
Wil. EiJiot et Mrs. Elliot.
3. « But ab! that night — that torturiug night rcmains
When
And mixed our murmurs with the wavy roar. "
{On the Dealh of his Mother,)
CHAPITRE II
LONDRES. — LKS DÉBUTS d'uN POÈTE. l'hIVER
1
Presque tous les biographes fixent au mois de mars 17
l'époque de l'arrivée de Thomson à Londres *. Ils n'ont po
cela qu'un seul motif, c est que la lettre à Cranstoun, annonça
l'embarquement comme prochain, est supposée être de la i
de février ou du commencement de mars. Or c est là u
hypothèse parfaitement gratuite : la lettre peut aussi bien et
d'une date quelconque de février, et nous croyons qu'il co
vient de modifier l'indication des biographies. Le docume
positif sur lequel doit s appuyer toute recherche à ce suj"
c'est une lettre écrite de Londres à Cranstoun, à la date >
3 avril. Dès les premiers mots elle nous apprend que notre \0]
geur a déjà écrit une fois à son ami, et qu'il en a reçu, depi
plusieurs jours, la réponse désirée. Si nous songeons au tem
que prenait alors l'échange des correspondances entre Lo
dres et un village écossais, nous conclurons que l'arrivée
James doit être notablement antérieure aii 5 avril. D'aillei
1. Wri^lit place le voyage en \''2\ (édil. de 1770, noie viii). Al
Cunniu;;haui le fixe au mois d'avril 1725 (Bioj^rapliie, p. xvi); un au
biographe à l'iiutomne de la môme année. L'erreur dans chacun de
cas est évidente. C'est uni(|ucment entre février et mars «pic nous ave
à choisir.
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 37
celte rnéme lettre indique plusieurs démarches faites auprès de
diverses personnes; elle nous montre le jeune homme aux
trois quarts découragé, songeant même à retourner en Ecosse.
Evidemment cela suppose un séjour à Londres, non pas de
quelques jours, mais de quelques semaines. Nous pouvons
encore rapprocher les dates extrêmes entre lesquelles doit être
placé ce voyage. Thomson raconte à son ami, dans la même
lettre, qu'il a assisté, à Drury-Lane, à une représentation
d'Orooiioko. D'après les annales du théâtre, cette représenta-
tion ne peut être que celle du lundi 1*' mars. Notre voyageur
mentionne des pièces jouées postérieurement, mais non pas
celles qui ont été représentés le 25 et le 27 lévrier. Si nous
admettons, comme il est extrêmement probable, (ju'il n'a
guère laissé passer de jours avant de se rendre au théâtre,
/ïous sommes amenés à conclure qu'il a dû arriver à Londres
à une date très voisine du 1" mars '.
C'est donc dans les derniers jours de février 1725 que
James Thomson mit le pied sur le sol anglais et sur le pavé de
la grande ville '. Sa première visite fut, dit-on, pour Mallet
qui se trouvait habiter, avec la famille Montrose, lïanover
Square. La route était longue et Tatlention de notre provincial
était sollicitée par mille objets nouveaux. Les monuments
fameux dans le voisinage desquels il avait abordé, le tumulte
de ces quartiers où s agitait la population bruyante et bariolée
du port, l'activité de la Cité où battaitalors comme aujourd'hui
le cœur de l'Angleterre commerçante, puis et surtout 1 élé-
gance elle luxe, inouïs pour un Écossais, de ces quartiers de
l'Ouest où il cherchait son ami, tout cela était bien fait pour
le surprendre, le charmer et l'étourdir. Un pickpocket plus
habile qu'heureux lui vola le paquet de lettres qui faisait le
1. Mr. E. CuDinghamc, dans une noie inléressantc à laquelle nous
empruntons la dale de la représentation d'Orooîioko, est enclin à penser
que Tarrivée de Thomson doit être placée au lundi 1"' mars {Notes and
QueHeSf V série, vol. VI, p. 341). Ce jour était la fOle. de saint David,
et, dans le tumulte des réjouiSi^ancos populaires et des processions, la
mésaventure qui sifçnalela première promenade de notre poète à Londres
s'expliquerait d'autant mieux. La supposition est ingénieuse, mais il est
dirricile de croire que, malgn': tout son désir de voir enûn un théâtre de
la capilale, Thomson ait assisté à une représentation, le jour même où il
débarquait après un long voyage.
2. Le lieu de débarquement était Billingsgate, d'après Shiels {Cibber's
Livei), ou Wupping, d'après Buchan.
38 JAMES THOMSON.
plus clair de sa fortune. C'était un fâcheux début. Il lui fallut
écrire de nouveau en Ecosse pour faire remplacer les lettres
perdues. Nous savons que Cranstounrecommençjasur nouveaux
frais celle qu'il avait adressée à Mr. Elliot de Londres. La lettre
du 3 avril nous apprend que Thomson a « trouvé d le cousin
de Granstoun, et qu'il a fait plusieurs visites. Le désastre est
donc à peu près réparé. Il laisse cependant encore une impres-
sion désagréable et contribue peut-être à inspirer au jeune
homme naguère si confiant ses réflexions pessimistes sur la
vanité et la méchanceté du monde*. Plus tard, il n'en conserva
qu'un souvenir joyeux; ses amis et lui s'égayeront plus d'une
fois en rappelant cette première expérience des mœurs de la
capitale ^.
Nous savons avec quel empressement il a voulu connaître
le théâtre dès son arrivée. Le 3 avril il avait déjà fait à Drury-
Lane cinq visites, et, s'il c'en est tenu là, dit-il, c'est que sa
bourse n ne marche pas de pair avec ses désirs ». 11 a vu jouer
Oroonoko, Hamlety A Trip to ihe Juhilee et Calo. Il est évi-
dent que Londres, ses théâtres, ses acteurs et ses actrices
étaient en Ecosse un sujet d'entretien familier des deux amis.
Il semble que Granstoun ait lui-même demandé ces renseigne-
ments que ne comportait pas la première lettre de Thomson ;
et celui-ci donne des détails sur les pièces (la tragédie lui a
causé quelque déception), sur les acteurs en vogue : Booth,
Wilks, Gibber, etc., sur les actrices surtout : Mrs. Oldlîeld,
Mrs. Porter, Mrs. Booth dont il admire le jeu et plus encore
la beauté avec un enthousiasme fort expansif ^
Quant aux objets plus sérieux qui occupent James, ils tien-
nent moins de place dans cette lettre, sans doute parce que
notre voyageur n'a rien d'heureux à apprendre à son ami.
Tout le monde lui dit que son projet (quel qu'il soit) sera pro-
digieusement difficile à réaliser. 11 se propose bravement
1. ■ The more 1 see of ihc vauily and wicUcdncss of tbc Nvorld, 1 am
more inclined to the sacred orûcc. •
2. ■ I rcmembcr havinp heard al old Strahan's (Ihe translater of the six
Ûrst books of Iho .^ilneid) in SuITolk Street, Johnson and Mallct repealing
Ihe stopy wilh plee. • (Buciian, Essay on Ihc Lift* of Ihoimon^ p. 255.)
3. « She (Mrs. Booth)..., dancos so dcliciously, has siich meltin^^ lascivions
motions, air, and postures.... indeed the womcn arc frenerally llio hand-
somesl in Ihe house, and bettcr nclors than the men, but perhaps their
sex préjudices me in their favour. •
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 39
d'essayer encore, et s'en fie pour le résultat à la Providence,
n croit que les choses sont déterminées nécessairement par la
chaîne des événements, mais il se promet de lier toujours sa
fertune au travail et à Thonnêteté. Enfm, il se résigne à la
pensée de poursuivre et d'achever ses études de théologie. A
défaut de mieux, il lui faudra peut-être entrer dans le minis-
tère, et il prépare son ami à cette évolution, non sans prévoir
ies moqueries qu'elle lui vaudra *.
11 nous est assez facile de comprendre à quelles difficultés
devait se heurter notre jeune Écossais. De toutes les parties de
'a Grande-Bretagne affluent dans la capitale tous les aven-
turiers qui attendent la fortune de leur savoir-faire, de leur
talent ou de la protection de quelque patron. Thomson esta
ce moment dans toute la vigueur de ses vingt-cinq ans, actif et
énergique (en dépit de la réputation d'indolence qu'il s'est plus
^rd acquise), grand et fort, avec cette fraîcheur de teint qui
^ractérise ses compatriotes et une physionomie ouverte qui lui
Bagne facilement les sympathies. Mais il faut aussi nous le
^présenter à Londres comme un étranger dont le langage
'^éme a quelque chose d'emprunté et d'exotique. Ces nom-
^^m Écossais, qu'il compare lui-même à des vols de vautours
^^baltant sur la capitale ', parlent un anglais appris dans les
'^^te&, une langue artificielle, tendue et pompeuse, que les
^ï^glais ont peine à comprendre '. Pour arriver à percer au
'Milieu de cette foule de gens en quête de places, il faudra
^lliciter beaucoup, réveiller fréquemment le bon vouloir des
ï^trons qui ont promis leur appui, et ce sont là des choses
^ont s'accommode mal la délicatesse un peu ficre de notre
Poète. H faudra surtout s'armer de patience pour attendre
i. • Ile (Mr. Elliul) rcceivcd we affably cnoiigh, and promised me
bis assistance, though at thc samc lime ke told me, which evcryonc
tells me, that it wiU be prodigiously difncull lo succeed in Ibe business
yoii kiiow I design. However, comc what will come, l sball make an efTorl,
and leave Ihe rcst lo Providence. There is, I am persuaded, a necepsary
fixed chain of things, and I hope my fortune, whalevcr il be, aball be
lioked lo diligence and lionesty.... Succeed or noi, I firmly résolve lo
porsoe divinity as tbe only thing now 1 a m fil for.... I was poing lo bid
you suppress Ibal rising laugb, bul 1 chcck mysclf scverely again for
sulTering such an nnbecoming thoughl of you lo colcr inlo my mind. •
2. - ScoUand is really fruitful of surgeons; Uicy come hcre like flocks
of vnltures every day. • (Lettre à Cransloun. du 20 juillet il'lo.)
3. J. Ramsav, Scofiand and Scotsmen in the\ viu"' century, vol. I, p. 2:>;
Tol. Il, p. 543<
40 JAMES THOMSON.
roccasion fa\orable, et lï*tat de s(^s linances ne lui permet pa:
une attente trop prolongée.
L'affection de sa mère s'employait cependant à lui fourni
les moyens de poursuivre sa tentative. Elle voulait vendre s.
part de la propriété de Widehope pour lui procurer les res^
sources nécessaires. C'est un dernier trait de dévoûment de L^
noble femme que les biographes n'ont pas relevé. Au moment
même où cette vente allait se faire, James apprit que sa mère
était morte, le 10 mai *, dix semaines environ après leur sépa-
ration. Sa douleur fut extrême, et la trace nous en est restée
dans les vers qu'il écrivit à ce moment. Il énamère les vertus
de celle à qui il devait la meilleure partie de ce qu'il y avait
dans son talent et dans son cœur de délicatesse et de force. 11
rappelle avec une émotion d'une éloquente sincérité la vie de
la pauvre veuve toujours en pleurs, toujours en lutte, qui
n aura connu qu'au ciel le repos et le bonheur.
Il fallait vivre cependant, et, renonçant aux rêves ambitieux
qui lavaient conduit à Londres, Thomson était prêt à accepter
la plus modeste situation.il avait jusqu'ici reçu l'hospitalité
de Mallet et du duc de Montrose, ou vécu de ses deniers dans
les auberges de Londres. Il est alors hébergé dans la famille
de lord liinning, gendre de lady Grizel Baillie de Jerviswood
et, par conséquent, allié à cette famille des Home à laquelle
Thomson lui-même se rattachait par sa mère *. Pour s'y
rendre utile il se chargea de l'étlucalion du jeune Thomas,
fils aîné de lord IMnning. L'enfant n'avait que cinq ans, et^
la tâche répondait mal aux goûts de notre poète. Les pro-
messes de concours de la noble dame aboutissaient à un-
médiocre résultat. Il ne semble pas même que le cousin-pré-
cepteur reçût de salaire. Il s'elTorça pourtant de faire boïi
visage à la fortune sous la forme peu engageante où elle se
présentait. Dans une lettre à son ami Cranstoun, du 20 juillet
1. • VVhen I came up herc I brou^'hl very liltle money along with me,
expectinf^ some more upon Uie sclling of Widehope, wliich was to liave lieen
8oi(l thut day my motlier Nvas buricd. • (Lettre à Cranstoun, du mois de
septembre.)
2. Ctiarles, lord Binninp, septième comte de Uaddin^ton, avait épousé
Rnchel. seconde Oile cl héritière de Geor|?c Baillie de Jerviswood. Lord
Binniiifï recevait donc chez lui un parent de la famille de sa femme.
Thomson était chez lui un parent pauvre en visite plus exactement qu'un
précepteur. C'est un des points de la biographie du puète sur lesquels la
constatation d'un lien avec les Home jette un jour nouveau.
LES DÉBITS d'un POÈTE. 41
1725, il parle de ses occupations nouvelles. Il esta EastBarnet,
à la limite du comté de Hertford, à dix milles de Londres, et
semble assez satisfait de se retrouver à la campagne. 11 men-
tionne ses déceptions avec une philosophie résignée, et compte
revenir à ses études de théologie. Il n'a plus comme autrefois
< une idée méprisable de ce qui est proche et une idée roma-
inesque de ce qui est étranger ». Il recommande au frère de
son ami la carrière ecclésiastique comme « honorable, utile et
■ certaine », et regrette d'en avoir autrefois parlé avec trop de
dédain. Pour le moment, il interrompt de temps en temps, par
on voyage à Londres, la monotonie du séjour de East Barnet.
Du reste il travaille, et, le 10 juillet, envoie à son ami Mallet
«ni Hymne sur la Solitude » composé la veille pendant une
promenade du soir.
La troisième lettre de Thomson à Cranstoun est du mois de
septembre *. Il est toujours à East Barnet, fort bien traité mais
fort peu payé dans la famille de lord Binning. Il a dû faire des
dettes pour se procurer les objets les plus indispensables :
vêtements, linge *, etc. (il n'ajoute pas visites aux théâtres,
roais il parle un peu plus loin du plaisir que lui ont causé
Miller et Cibber dans Love makes a Man, or the Fop's For^
^^^)^ Les créanciers demandent avec insistance à être rem-
^ursés, et James prie Cranstoun de lui prêter une somme de
<îouze livres. Widehope va être vendu et il pourra prochaine-
°ïcnt s'acquitter envers son ami. Cette première partie de la
tettredut lui coûter à écrire. Sous la simplicité vaillante avec
Quelle il expose sa situation, il nous est facile de lire le désen-
chantement et l'humiliation dont il souffre. Voilà plus de six
'^ois qu'il est à Londres. Il avait voulu fuir la médiocrité
<J*une carrière telle que celle de son ami, et le voilà réduit à
apprendre à lire à un bambin de cinq ans, et à implorer, pour
wne somme misérable, le secours du modeste docteur.
i. La leUre ne porte pas de date; la marque de la poste indique qu'elle
fat écrite à East Barnet. Elle fut publiée pour la première fois dars le
London Magazine de novembre 1824, p. 413, à la suite de l'avis suivant :
• The foliowing very ioteresting letter bas bcen recovcred from oblivion,
oral last from neglect, by our friend Ella, and the public >vill no doubt
(haok him for Ibe deed
2, Ainsi s'explique le fait rapporté par Johnson avec une apparence de
lédaio contre laquelle Buchan s'élève indigné : - His lirst want was a pair
)f shoes • {l-ifc of Thomson).
43 JANES THOMSON.
Mais, d'autre part, la deuxième partie de sa lettre
montre qu'en dépit de ces déboires, cette sorte de retra
quelques milles de Londres, dans un pays monotone et p
sans les nécessités d'un travail assidu, ni les attractions
plaisirs, était (il ne s'en doutait pas) la plus précieuse l'a
que pût lui assurer la fortune. Car dans ce loisir fructueu
Ëast Barnet il mûrissait l'œuvre qui allait, du premier c
faire de lui un des grands écrivains de son temps. Déjà la I
à Mallet, du 10 juillet, mentionnait un a poème » queThoi
soumettait aux observations de son correspondant. Il s'agi
très probablement de 1' a Hiver » . Ici l'œuvre est expressé
indiquée. Le poète se propose une description de la nî
sous son costume le plus lugubre. Suivant l'exemple d
par Riccaltoun dans la pièce qu'il admire si vivement, i
le tableau des scènes horribles et grandioses que présen
dure saison : inondations, tempêtes, etc. L'hiver est pn
cette année, et, sans parler des souvenirs de Southdean,
sous les yeux le modèle de ses peintures.
Cependant le poème se développe . Ces description
Thomson voyait d'abord un amusement destiné à être a
donné pour tout autre sujet qui lui viendrait à Fespril
commence à penser qu'elles peuvent se grouper et s'orga
en une œuvre nouvelle à la fois par le sujet et par la forn
pense qu elle lui permettra d'affronter le jugement de ces
tiques et de ce public à qui il demande do Taccueillir p
les poètes anglais. Mais il faut préparer cette publicatio
faut se rapprocher de Londres où sont les éditeui's qui lai
les ouvrages, les critiques dont l'opinion assure le succt
les patrons qui récompensent le mérite. Thomson dit
adieu à ses humbles occupations auprès du noble bambi
quitte lord G. Binning. Leurs relations restent d'ail
excellentes; et, deux ans plus tard, il songera à lui dédi
poème qui doit succéder à T a Hiver m ^ Il partagea son te
1. » This coiintry l am in is nol very cnlerlaininK; no variely, bu
of Nvoods, an il Ihcm wc liave in abnndancc; but wbcre is Ihe
blreain? Ibc airy inouiilain? or Uie lian^iiif^' rov.kl •
2. « .... Bcinj; only a présent amiisuiiienl, ilis leu toone but Idro|> it '
crveauollîcr faiicy cornes across. >» (Lettre ùCransloun, de septembre
3. QiicUpics-uns des renseignemenls sur TUom?un qmj Boswe
fournir à Johnson bii venaient de sir David I)alryiu|)le, plus tan
Hailes, cousin du jeune Tbomas, rélève de Thomson.
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 43
après ce départ d'East Barnet, entre Twyford \ la résidence
d'été de Ja famille Montrose, et Londres. 11 y trouvait son vieil
ami, Mâllet; il y eut bientôt aussi pour ami le plus jeune des
élèves de celui-ci, lord George Graham. Peut-être est-ce à cette
époque qu^l fréquenta Hammersmith et la taverne où la tradi-
tion prétend qu'il écrivit une partie de son poème. Entre les deux
« Mails », en fece d'un coude de la Tamise d'où l'on aperçoit
un paysage étendu, nu, plat et auquel l'hiver donne un aspect
de désolation lugubre, subsiste encore un petit cabaret qui
prenait jadis le titre de café. Plus modeste aujourd'hui l'en-
%igne qui se balance au-dessus de la porte, dans la ruelle
étroite par où l'on accède à l'établissement, porte seulement
ce nom « The Doves », les Colombes. <c Thomson s'y rendait
t volontiers quand la Tamise était gelée, et tout le pays couvert
• de neige. Le fait est bien établi, et beaucoup de personnes
* viennent visiter l'endroit i>, disait Faulkner vers 1830 '. La tra-
(lition n'a pas disparu depuis lors. Les admirateurs de Thomson
oes*y rendent plus aussi nombreux, et c'est dommage, car ils
trouveraient là quelques restes curieux du vieux village subur-
^n. La taverne des Colombes, comme plusieurs des petites
'liaisons qui bordent le fleuve, date au moins du temps de la
'^ine Anne. Il n'est pas sûr que le mobilier soit aussi ancien.
^pendant la patronne de l'établissement, qui sert à boire
^^jourd'hui plus souvent aux terrassiers du voisinage qu'à des
P^tes, vous montre la table « où s'asseyait le grand Thomson
P^tir écrire les Saisons ». La tradition, on le voit, a gagné en
Pï'écision depuis Faulkner. La brave femme a même entendu
^ire que Thomson habitait la maison voisine. Le silence de
*^Hulkner sur cet intéressant renseignement nous fait craindre
^ue la tradition ne se soit enrichie d'additions apocryphes.
Une autre indication, dont l'origine est diflicile à contrôler,
'îous dit qu'il vint habiter dans la maison de Millan le libraire,
et qu'il y acheva le poème dans une chambre au-dessus de la
boutique '.
U Dans le Hampshire, entre AVinchesler el Soulhampton.
2. An Historical and Topoyraphical Account of Fiilham; includiny the
hamiet of Hammersmith, by T. Faulkner, p. 359.
3. • T. Park lias wriUen on Lis copy of Ihe 1»» édition of Spring, now
in Mr. Holton Corney's possession : John Egerlon lold me Ihat he
{Thomson; lived some lime with MilIan. J. Egerlon, llie booksellcr, was
Millan'a successor at Whi'ehall. » (P. GossiNonAM, Correspondence of
44 JAMES THOMSON.
En quelque lieu que ce soit, il termine le poème pendant Pau
tomne de 1725. Tout en poursuivant son travail, il s'est crée
peu à peu des relations dans la société de la capitale. Avec
Mr. Elliot, dont James lui-même disait à Cranstoun Taccuei
cdmàble, un de ses premiers protecteurs fut Mr. Duncan Forbes
de Cullôden *, le « Lord-Advocate -», que ses fonctions rete-
naient alors à Londres, auprès du Parlement. Il avait vu er
Ecosse quelques poésies de son compatriote. Il slntéresss
chaudement à lui, le reçut et le fît connaître à plusieurs des»
amis, grands seigneurs et hommes d'État, écrivains illustrei
ou artistes en vogue : le duc d'Argyle ', le comte de Burlington
sir Robert Walpole, le Dr. Arbuthnot, Pope, Gay, le peinln
Thomson and Mallet^ p. vi.) — Rob. Hell dit de son côté: « Removing fror
Barnet lo the house of Millan, the bookseller, in Charing-Cross, he com
pleted the poem in Ihe apartment over Ihe shop ». Elle biographe ajout
une note où il indique la maison avec une précision qui semble devo
donner confiance. Malheureusement rindication est inexacte en ce qi
concerne Tadrcsse de Millan à ce moment et la valeur de tout le rense
{^nement s'en trouve diminuée d'autant. J. Miilan, que les biographe
conToudent souvent avec son conTrère A. Millar, n'habite alors ni Wliit
hall ni Charing-Cross, mais, comme le disent les ouvrages sortis de S4
magasin, la maison de Locke*s Head, dans Shug-Lane, près de Textrémî
supérieure de Hay-Market. Nous le trouvons établi dans New Street <
1727 (édit. de Siimmer), à Pall Mail en 172S, et près de Scollaud Yar
Whitehall, vers 1730. Il ne se fixe près de Charihg-Cross que plus tard.
i. Cet homme d'Ktat disliugué était né en 1G85. 11 avait débuté ou ba
reau d'Edimbourg en 1709. et le duc d'Arygle lui avait confié l'admini
tratiou de ses biens. Sa carrière au barreau fut rapide et brillante. Il e
nommé •• Dcputy-Advocate ■ en 4716, envoyé au Parlement en 1722 et, i
1725, devient • Lord-Advocate ». Dix ans plus tard il occupe une des haut
fonctions de la magistrature écossaise comme Tun des « Justicia
Lords •. En 1737 enlin, il est nommé • Président of the court of session
c'esl-îi-dire principal juge pour les affaires civiles. U rendit en cet
qualité de précieux services pendant rinsurrcclion de 1745, et s'efforra
calmer l'animosité de partis hostilos, d'amener la paix et de la rend
durable. Il mourut on 1747 et laissa la réputation d'un magistrat intèg
et d'un homme d'État habile. Les savants, les écrivains et les artisl
écossais trouvaient en lui un protecteur aussi éclairé que bienveillant.
2. John, duke of Argylc, né en 1G78, hérite eu 17U3 de la pairie écc
saise de son père, et est élevé h la pairie anglaise en 1705. 11 servit av
distinction sous Marlburough, fut ambassadeur en Espagne, et devint
des orateurs de marque du Parlement, ainsi que Va rappelé Pope :
a Argyle the state's whole thunder born to wield,
And shake aiike Ihe senate and the lield. •
Commandant en chef des troupes écossaises, il réprima avec vigue
et avec habileté la rébellion de 1715. Après quelques années de reirai
il mourut en 1743. Tous les poètes du temps ont vanté, outre ses qu
lités de guerrier, de diplom.-ile et d'homme d'État, son goût pour 1
lettres et sa bonne grâce parfaite.
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 45
Âiiimann ' avec lequel Thomson se lia â*une étroite amitié.
Mailet l'introduisit dans une société moins élégante et moins
correcte: celle des auteurs qui attendaient encore le succès et
la fortune. Il y avait bien des éléments dans ce groupe très
mélangé. Tout n*y était pas édifiant. Mais on y avait de l'es-
prit, de la verve, une gaieté facile; et, après la réclusion d*East
Barnet ou les élégances cérémonieuses des Montrose ou de
Mr. Forbes, Thomson retrouvait sans doute avec quelque
plaisir cette société un peu bohème. Nous le voyons lié avec
Richard Savage, le prototype d'une classe d'écrivains nom-
breux alors, qui, avec quelque talent, peu de scrupule et beau-
coup d'orgueil, aspiraient à la gloire la plus haute, mais, en
attendant, mettaient leur plume au service des hommes d'État
ou des libraires sans regarder de trop près à la nature des
besognes imposées. Un autre personnage curieux du groupe
est le poète Clio, de son vrai nom, Martha Fowkes *. Elle
aimait les lettres, et les hommes de lettres. Ses mœurs étaient
fort légères et ses bonnes grâces réparties avec une libéralité
cléplorable entre les jeunes poètes du jour. Mais elles étaient
réservées, parait-il, exclusivement à cette portion de la société
londonienne '. Mailet semble en ce moment être en fort bons
termes avec elle: Elle se montre au moins avec tous obligeante
et bon camarade. Dix ans plus tard, Aaron Hill, homme
sérieux et de vie très digne, apprenait avec une vive douleur
•a mort de cette Muse de Grub-Street *.
jNéea Ecosse en 4682, se destinait au barreau et montrait un goût
^ vif pour la peinture. H fut élève de Médina, et, après un voyage en
Italie, renonça au droit, pour 8*adonner entièrement à i'arl. Le duc
<l'Argyle le patronnait en Ecosse, et de nombreux encouragements l'ap-
P^l^rent à Londres. Il y peignit les portraits du duc, celui de la comtesse
^c Burlington, de lady Grizell Baiilie, de ces mêmes hauts personnages
^"i favorisaient les débuts de Thomson. Mais il fut atteint d'une maladie
^'» après de longues souffrances, l'emporta en 1731. Nous verrons que
jf^^^n.son consacra quelques vers à son souvenir. Le portrait que ilt
^^^an de son ami date de cette année 1725.
ç. ^ Klle était née en 1690 et mourut en 1736. Fille d'un officier, le major
?^lKes, elle épousa un Mr. Arnold Sansom. Curll avait public d'elle cer-
'"^es . Épitres à Clio », après quoi elle prit ce nom comme pseudonyme,
'^'4irà ce que, sur le xîonscil de Mailet, elle Teilt remplacé par celui de
• M. Bollon Corney (Aiherueum, 26 juil. 185U, p. 78) donne une liste
'''"iblement longue des écrivains qu'elle aurait tour à tour distingués :
^*VJ,Milchen, Mailet, Thomson^ Aaron Hill, Rich, Savage, Dyer. Ce der-
^^^^ soupire et meurt pour, elle dans la plupart de ses petites pièces.
i, . PoorC oî It is long since I met with an aflliction more sensible
46 JAMES THOMSON.
Le poiMiio acliovt'», ce fut oiK'ore roflicieiix Mallct qui se
chargea de tr'ouver un éditeur. Il se iriit en campagne, dit un
biographe, par une journée de novembre, et, accompagné d'un
autre ami de l'auteur, s'en fut offrir Touvrage à tous les libraires
du Strand et de Fleet Street. Pas plus alors que depuis on ne
trouvait facilementacquéreur pour les vers d'un poète inconnu;
et, quand enfln on eut décidé John Millan à tenter l'aventure,
il paya, dit-on, trois livres sterling, soixante-quinze francs,
l'œuvre sur laquelle Thomson comptait pour forcer les portes
de la renommée*.
C'est là un des détails les plus connus de la vie de notre
auteur. Ce prix payé pour une des œuvres maîtresses de la
poésie anglaise est devenu un des documents célèbres de l'his-
toire anecdotique des écrivains et de leurs rapports avec les
éditeurs. Ni le libraire qui a acheté la propriété du <c Paradis
Perdu » *, ni celui à qui Savage vendit son Wanderer^, ni celui
à qui Johnson abandonna son poème satirique, London *, ni
les Griffiths et les Newbery qui exploitèrent à si peu de frais le
talent fertile d'Olivier Goldsmith, aucun de ces industriels n'est
arrivé à ce taux resté fameux des trois livres payées par MillB^
pour r « Hiver». C'est un a record » que Thonnéte libraire étB--
blissait là sans s'en douter. — Telle est l'opinion généralement
accréditée. En réalité la négociation est beaucoup moins remar-
quable. Ce chiffre de trois livres nous vient d'une autorité
très suspecte, car, dans la note où il figure, le renseignement
est accompagné de plusieurs autres dont l'inexactitude est
manifeste \ D'ailleurs les paroles du biographe qui a la respon-
Uian Ihc inrormatioa yoii sent mo concerning her. » 'Hill'» Works, édil.
1752, leUre du 23 juin' 1736.)
1. The Scasons, édit. 1770. — Life by Mufdoch with noies by WniGHT,
^note viii).
2. L'auteur recevait 5 livres, et devait en recevoir encore 5 après la
vente de 1 300 exemplaires.
3. Savnge vendit la propriété de ce poème pour 10 guinôesdontil rendit
2, afin que les deux dernières Teuilles qui avaient été imprimées de façon
incorrecte fussent recommencées. (Johnson's Life of Savaye,)
4. Arlicté par Dodsicy en 1738 pour 10 guinées. Le même éditeur don-
nait, en 1740, 15 guinées de la satire, On the Vanity of Human Wishes,
r». « ThcPoem onWinterwas written by Mr. Thomson inl72i,afewmonlh8
arter hid coming to London. Hc had no fricnd bere but Mr. Mallel, his
scliooirellow; 'who, with an intlmate acquaintance, >^'alked one day in the
monlh of November to ail the booksellcrs in the Strand and Fleet Street
lo sell the copy of his season and at last agreed with Mr. Millar (who thea
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 47
sabililé de Tanecdote ont reçu une interprétation précise
qu'elles ne comportent pas. n Le libraire, nous dit-il, ne voulut
« avancer que trois livres. » Cela ne signifie pas nécessairement
qu'il ait acheté le poème pour cette somme. De fait nous savons
que l'argent reçu de Millan pour V a Hiver » n'a en rien gêné
l'auteur quand il commença, dès 1728, à recueillir des souscrip-
tions pour les « quatre Saisons ]>, ni quand il vendit le poème
complet à Millar. Cela suffirait à montrer que le premier édi-
teur n'avait pas acquis un droit de propriété. Mais nous avons
un autre document qui ne laisse guère de place au doute. Un
jugement de la Cour du Banc du Roi, qui a contribué à fixer*
pour longtemps en Angleterre la jurisprudence en matière de
propriété littéraire, est intervenu, en 1769, à la requête de
Millar, poursuivant le libraire Taylor pour avoir imprimé les
« Saisons ^ '. Après un long débat qù toutes les circonstances
de la publication des diverses parties du poème furent rappelées
et vérifiées, les juges rendirent une sentence qu'accompagnent
entre autres les considérants suivants : « James Thomson Esq.
•afeit d'abord publier et imprimer « les Saisons y> pour son
• propre usage et bénéfice » a Andrew Millar en 1729 acheta
• l'ouvrage, pour une somme importante, à James Thomson,
• l'auteur et le propriétaire*. » L'éditeur de l'intéressant opus-
l'^ed in a lillle shop in Fleet Street), and the chief motive with him was
tliat the autor was his countryinan ; for aftcr scveral arguments he would
idrance no more than three pounds for it.... This poem sold so well that
Mr. Millar gave Mr. Thomson fifty pounds forlbaton Springand incrcased
thccopy money for the SummerandÂutiimu. • {The Seasons... ivilhLife...,
hj 6. WwoHT, note vm.)
La note fourmille d'erreurs. Thomson vient à Londres et écrit V « Hiver - en
1725 et non en 1724. Le poème est publié par Millan et non par Millar. Ni
i un ni Tautre de ces deux éditeurs n'habitait alors Fleet Street.
i. Le fameux Dr. Blackstone était conseil du plaignant.
2. Mr. Justice Willes, appelé le premier à énoncer son opinion, dit, entre
autres choses : « The jury hâve found this spécial verdict : They say Ibe
work is an original composition by James Thomson, Esquirc... at flrst
published and prinled by James Thomson for his own use and bencfit at
several times between the beginningof the year 1727 and 1729, the same
having never before been printed elscwhere. And the spécial verdict farth-
er find^, Andrew Millar, the plaintiiï, in ihe year 1729, purchascd this
work called Ihe Seasons for a valuable considération, of James Thomson
the authorand proprietor, to him, his heirs and assigns for ever »... {Speerhes
and arguments of the Court of King*s Bencb... in the cause Millar against
Taylor.... Printed for William Coke, Leith, mdcclxxi.)
Les circonstances de fait rappelées par ces considérants sont loin
d'être toutes exactes; mais il est évidemment acquis à la cause que
48 JAMES THOMSON.
cule auquel nous empruntons ces citations ajoute lui-même (
c*ést sans doute un écho des débats) que l'œuvre rapporta
l'auteur environ 1 000 guinées tandis qu'il en restait proprj
taire, et avant ^u'il la vendit à Millar pour 160 livres'.
L'anecdote du poème payé trois livres doit donc, bien que
biographie de Thomson en puisse perdre un trait piquant, alh
rejoindre les légendes controuvées qui, mises en circulatio
par un chroniqueur Imaginatif, puis docilement reproduitei
finissent par obtenir une créance à laquelle elles n'ont nul droit
11
C'est au mois de mars 1726 que parut V « Hiver ». C'est don
cette date qui marque le moment capital de la carrière de notr
poète. La vie lui avait été jusque-là ce qu'elle est pour tou
les hommes qui n'ont à compter que sur eux-mêmes,
avait connu « les rudes épreuves que dissimule l'indigène
« modeste,... le mépris de l'orgueil opulent, et les mille autn
« maux de la pauvreté * ». Il pouvait cependant songer sans trc
d'amertume à cette période de difficiles débuts. Elle n'ava
pas été trop prolongée : il était à Londres depuis un an exacte
ment. Elle ne lui avait pas montré la société uniquemej
égoïste et impitoyable aux faibles : il avait rencontré ch<
beaucoup une courtoisie bienveillante, à défaut d'un concou:
très efficace. Il avait surtout senti à ses côtés une amitié vai
lante et active qui l'avait encouragé, soutenu, guidé, qui ava
aplani pour lui les obstacles, en mettant au service de se
génie un utile savoir-faire pratique '. Il n'avait tenté, poi
Tbomson n'avait pas vendu à Millar son droit d€ propriété, et c'est tout
qu'il nous importe de relever.
1. • The author of the Seasons reaped about a thousand guineas prc
W'hile the work was his own property; he sold it in 1129 to Millar I
160 pounds.... w (Note ajoutée aux considérants de l'opinion de sir José
Yates, un des quatre juges.)
2. The shork severe Ihat modest wanl conceals.
The oppressor's scourge, the scorn oT wealthy pride
And poverty's unnumbered ills bcsidc.
(On Ihc Death of his Mother.)
3. Ce qui chez Mallet n'était alorâ qu'adresse mondaine et entregent <
devenu plus lard indélicatesse et absence de sens moral. Mais si Malli
LES DÉnuTS d'un poètk. 49
s'assurer la fortune, aucun acte dont il cûL à rougir, et n'avait
rien p.'hlu de ce fonds de bonne hunneur égale, de sociabilité
joypuse et indulgente et de philosopliique insouciance qu'il
avait apportées à Londres. 11 avait donc cette bonne fortune
d'avoir traversé les premières et inévitables épreuves sans
qu'elles laissassent en lui ni souvenir humilié, ni levain de
ïîiisanthropique égoïsmc. A partir du mois de mars 1720, il
est entré dans les rangs des écrivains en renom; il rencontrera
sans doute encore des difficultés et des déboires; mais la noto-
riété lui est désormais assurée, en attendant la gloire.
Le succès du poème fut-il immédiat? C'est encore là un des
points sur lesquels une légende s'est formée qui ne résiste
{îuèreaux investigations précises. On a répété, sur la foi de bio-
graphes dont Taffirmation pouvait être facilement contrôlée, que
i' « Hiver» resta longtemps chez l'éditeur sans être ni vendu,
oi lii,jusqu'à ce qu'un homme de goût en eût célébré le mérite
dans les cercles littéraires. Mais les informations sont en
désaccord dès qu'il s'agit de déterminer qui fut cet homme de
goût. Shiels nomme Whately, et Johnson Whatley, Warton dit
J- Spence, Goodhugh dit Mitchell et Dalloway dit Rundle \
^'oilà bien des critiques empressés à assurer le succès du
poème; ils font déjà un petit public à eux seuls. Quant au grand
public, voici ce qu'en dit l'auteur d'une ancienne biographie de
Thomson : « Ce qui paraîtra un peu surprenant, c'est que les
* critiques de profession furent les seules personnes qui hési-
^^^ain minislériel, exécuteur testamentaire de Bolinglisokc ou éditeur
|1* ta vie du grand Marlborough, mérile de sévères repruclios, il est
juste de porter à son actif ce dévouement afTectueux pour un cumpalriole
^'^pt il n*avait alors rien à attendre, en qui plutôt il pouvait voir un rival,
^^iels insiste sur ce fait que, pendant de longues années, jamais un nuage
^'^ Toilé Tamilié des deux poètes.
*• • One Mr. Whately, a man of some tasle in lelters. » (Shiels, CiO-
*-'■'* Liots,)
■ ^r. Wlialley. a man net wholly unknown. • fJouNSo.N.)
* The Winter lay like waste pnper at the publisher's until a genlloman
^^ lasle, Mr. Mitchell, promulgated ils mcrils inlo Ihe best circles. •
^GoohBucH, The English Gentleman' s Library Maîiual, p. 294. .
' l^uring Ihis era he (Dr. Rundle) becaniK more known to the republic of
jj^llersby ihe libéral support he gave lo Thomson upon his publishing his
^'nier. • (Leiiei's of the laie Thomas Rundle, with .Memoirs, by James Dal-
*^^AT, 1189.)
*^nOn Warton dit, dans son Essay on the Genius ofPope, que le poème resta
*^"glemp8 négligé jusqu'à ce que l'attention du public fût éveillée par la
''"«Uiion favorable qu'en fit Spence dans son Essay on the Odyssey.
4
50 JAMES THOMSON.
(( tassi'iil à donner leur a[)prol)ation » '. El Murdoch, le con-
temporain et l'ami de l'auteur, constate que a le ijoènie fut
« universellement admiré dès qu'il Tut lu ».
La vérité est que le succès l'ut en clïét très prompt. Sans
doute les exemplaires ne furent pas enlevés dès le jour de Ja
mise en vente, comme si l'auteur avait été déjà célèbre. Il
fallut que le public fût informé de la valeur de Toeuvre, et du
talent de ce poète nouveau -. Mais nous savons que les avis de
ce genre se répandirent sans retard. L'honneur que nous avons
vu réclamer pour chacun des personnages nommés plus haut
leur revient à tous collectivement. Nous ne sommes pas sur-
pris de trouver parmi ces admirateurs de la première heure
A. Mitchell, compatriote de l'auteur, et homme d'une haute
intelligence ', ni Rundle, esprit d'une rare indépendance en
même temps que fin lettré *. Spence * s'était fait une vocation
de découvrir les talents ignorés. 11 avait ainsi prôné et patronné
à leurs débuts Dodsley, le domestique devenu homme de
lettres, le poète aveugle Blacklock, Térudit tailleur l\ob. HiU?
1. • Wbat wiil appear a little surprising, the proressed crilics werc t\i^
only persons thaï hesitalcd lo givc Iheir approbalion. » {The Works ^1
Thotnsoiij Edinb., 1772.)
2. Il n'en a pas été aulrement d;i premier poème importanl de Pope ivt'i'
mcinti : « Pope's Essay on Criticiâm was nol sold before one mootti *
(D'IsnAKLi, Quarrrls of Anthors, p. 280.)
'.\. Mitchell fui ambassadeur à Herlin, et sut représenter dignement 1^
diplomatie an-zlaise auprès d'un joueur tel que le Grand Frédéric. Les lec-
teurs des études de .M. le duc de Broglic sur Thistoire diplomatique de 1^
France au xviii* siècle, connaissent bien A. Mitchell et son rôle à Berli'''
4. Thomas Uundle LL D. (1080-1743) devint en 1735 évoque de Derry,
Comme théologien ses opinions étaient suspectes d'hétérodoxie. Ses dém^l^^
avec l'évéque de Londres, Edmond Gibsou, ont beaucoup occupé '^
société du temps. Ils ont été l'occasion du poème de R. Savagi', The PrO'
f/ress of a Divine. Pope disait de lui dans son journal : « Uundle bas û
heart », et Swift écrivait :
Malic Rundle bishop! lie for shame!
An Arian lo usurp the name!
(On Dr, Rundle, bishop of Dervy.) Swift, vol. IH, p. 92.
Rundlo, très répandu dans la société de son temps, s*y faisait remarquer
par l'élégance de ses manières et par Téclat de sa conversation. Ses lettres
à Mrs. Sandys, publiées longtemps après sa mort, nous montrent bien un
appréciateur éclairé des hommes et des choses du monde des lettres.
5. Joseph Spence (1699-176S), fellow de New-Collego, Oxford, en 1722,—
professeur de poésie à Oxford do 1728 à i"3S, — Regius Professer d'histoire
moderne, 1712. L' « Essai sur la traduction d'Homère > de Pope parut à Lon*
dres, la !'• partie en juin 1726 et la 2* en 1727.
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 51
et d'autres encore. Quant à ce Whately ou Whatley, qui est
cité plus souvent que les autres, il y a quelque difficulté à
Hier sa personnalité. On a supposé qu'il s'agissait du Rev.
Robert Whatley, qui devint plus tard a prebendary of York ».
Nous trouvons en effet parmi les souscripteurs à l'édition de
1730, le Rev. Mr. Whatley. Il est cependant un Robert Whatley
qui ne semble pas être le même, et qui pourrait bien, plutôt
qu'un membre du clergé, être visé par la dédaigneuse indica-
tion de Shiels et de Johnson. C'est un personnage remuant et
intrigant, dont certain opuscule figure parmi les brochures
politiques du temps *, et ressemble fort, il faut bien le dire, à
unetentative de chantage à l'adresse de Walpole. Il a Millan
• pour éditeur, et se vante de ses relations d'amitié avec Mr. Hill.
I Voilà plusieurs points de contact possible avec Thomson.
' Mais notre embarras est surtout grand devant l'affirmation
très positive du Rév. Richard Whately D. D., qui revendique
pour son oncle Thomas Whately, auteur d'un traité sur l'art
des Jardins, l'honneur d'avoir le premier (disons un des pre-
miers) appelé l'attention sur l'œuvre de Thomson *.
11 n'est plus d'incertitude ni d'obscurité quand nous en
venons à un cinquième patron du poème que les biographes
nientionnent moins, mais qui seul a pour lui le témoignage
^e Thomson.
*• A short Bistory of a (en years negoiialion belween a Prime Minister
and a Priiate Gentleman. Printedfor J. Millan, near Charing Cross. By the
*"lhor of A Discourse on Fornication (Robert Whatley).
Dans le même volume (Brit. Mus. E 2029) sont reliées trois letires de
"•Whatley au premier minisire (Rob. Walpole), où Taiiteur expos.i lon-
^einenl ses antécédents. II a voyagé auprès des cours étrangères; il a eu
^honneur de connaître le roi; il a été l'ami d*hommeslels que leTeu comte
^6 Pembroke, sir Isaac Newton, et Mr. Hill.
2.« Theearliest writer, webelieve, on thc subjectfLandscape Gardening)
^38 my uncle Thomas Whately.... The French poet De Lille in his poem of
'Les Jardins » does acknowledge him as his master. Mr. Whately wasdistin-
^uisbed as a mao of taste in more than one département. Being by many
fooked up to with déférence in such matters, it was he who flrst brou«ht
'nio notice Tbomson's Scasons, and this laid the fonndation of its greal
ropularity. •
Ce Thomson Whately est l'auteur des Observations on modem Gardening
(2* édit., 1770) dont parle H. Walpole dans une lettre adressée de Paris à
la comlesse d'Ossory (Aug. 11»" 1771) : . The taste for English ganloning
makes a great progress bere, not owing, alas! to mine, but to Mr. Wha-
tcly's book which bas been translated -. Il est connu aussi pour ses lie-
marks on some of the characters of Shakespeare que son frère, le père du
Révérend Richard Whately, publia en 1785.
52 JAMES THOMSON.
Miillet avait .sullicilé iiour rcriivre de son ami le jiif,'eineii
d'Aaroii Ilill, i)oète, historien, inventeur et critique, au totu
honnne fort réi)andu '. Dès le 5 avril, Thomson pouvo.i
remercier Hill d'une approbation qui était pour le poème \x\v
promesse de succès. Ce tut le début entre les deux homii:ie.
d'une durable amitié, et Toccasion d'une série de lettres qu
nous sont conservées. La reconnaissance de Thomson s'}
exprime avec un excès d'humilité, avec un débordement d'ad-
miration et de flatteries tout à fait extraordinaires. Johnson osty
à ce sujet, très sévère pour le jeune poète ^ On a supposé que
les conseils de Mallet n'avaient pas été étrangers à l'adoption
de ce ton d'enthousiasme exubérant. Hill, qui prodiguait volon-
tiers les éloges, et qui s'entendait à les distribuer avec esprit et
avec tact, aimait pour son compte la flatterie même exagérée
et brutale. Reconnaissons ici, pour atténuer les torts de
Thomson, que ses hyperboles ont pour objet, non pas de lui
assurer un protecteur utile, mais de remercier un des maî-
tres de la littérature, pour un appui gratuitement et génère ti"
sèment accordé. Il n'en reste pas moins quelque chose d'amct-
sant pour nous dans le ton de cette correspondance, quat^^^
m
nous comparons au rang qu'elle établissait entre les deux éc mr^
vains celui que la postérité leur a assigné. On en jugera i>^
ce début de la première lettre.
1. Anron Hill est rcslé connu surtout par ses démêlés avec Pope,
la dignité qiril sut conserver devant les attaques injustes et les tergiv^
salions misérables de l'auteur de la Dtinciad. C'était un écrivain pi
fique, uu esprit chercheur et inventif, un homme aimable, serviable et gè-
reux. A l'époque où commencent ses relations avec Thomson, il a
écrit lin ouvrage d'histoire important {A histonj of the Ottoman Emp
1"09), des tragédies, des potmes, des ■ essais • sur la fabrication de Vh\
de hêtre, sur la houille, sur le vin, etc. Ses œuvres les plus récentes sont
tragédie, - Henri V • (1723), et un poème, « l'Éloile du Nord • (1725). H pu
le Plahi Dealer et c'est à ce litre surtout que son appui est précieux i^ ^
un jeune auteur. H y TiTa paratlre Tannée suivante la ballade célèbre? <
Mallet, William and Margarct, {The Plain Dealer, u» 36, 14 juillet ilZT -)
2. • Thomson obtained likewise Ihe notice of Aaron Hill, whoin, b^^ i",
friendless and indigent, and glad of kindness, lie courted with a^rer^
expression of servilc adulation. •• (Life of Tfiomson.) Il serait juste d ""op-
poser à ct.'lte condamnation rigoureuse ce qtie le docteur dit lui-mônaje à
un autre moment : - To charge ail unmerited praise with tbc giiil t of
flaltery... is to discover great ignorance of human nature ». (Ii/<p of
Halifar.^
LES DÉBUTS D'UN POÈTE.
53
< Monsieur,
• J'ai vu la lettre que vous avez écrite à mon ami, Mr. Mallet,
«samedi, et, bien que je ne puisse m'enorgueillir de l'honneur
t etdu bonheur de votre connaissance, bien que je doive appro-
« cheravec la plus extrême déférence et la plus extrême véné-
« ration un génie aussi éminent, cependant mon cœur débor-
*dant ne peut se laisser arrêter aux formes ordinaires; et il
« faut que vous me permettiez la joie d'épancher mes meil-
• leurs remerciements... *. »
reçut ces effusions avec une gracieuse condescendance.
l^De seconde lettre nous montre chez Thomson un enthousiasme
encore accru, et confmant à l'extravagance : ... oc Tandis que
•je médite sur vos lignes encourageantes, j'oublie pour un
• nioment l'égoïsme, l'avilissement et la cruauté des hommes,
• et il me semble je suis dans la société d'êtres meilleurs et de
•plus noble essence* ». La même lettre fait allusion à une
entrevue proposée par Hill, et qui eut lieu le 26 avril. Le len-
^^naain le jeune poète remercie dans des termes où sa recon-
'^^issance perd toute notion de mesure et de bon sens :
t Quand je songe combien je fus hier vraiment heureux dans
* Votre société, il m'est impossible d'empêcher le sentiment de
* Ce bonheur de s'épancher au dehors dans ces remercie-
nients.... Il n'y a personne qui rende la nature humaine plus
aimable que vous; personne en même temps qui rende plus
méprisable la plus grande partie des hommes : et, quitter
votre compagnie pour se mêler au troupeau des humains,
c'est, comme Nabuchodonosor, descendre d'un trône pour
paître avec les brutes des champs... \ j>
1.
To Aaron Hill Esq.
Sip,
« April 5, 1726.
• HavÎDg seen a IcUer you wrolc lo my friend Mr. Mallet, on Salurday
^asl, Ihough I cannot boasl Ihe honoiir and happiness of your acquainl-
«oce, aud oiight wilh Ihe utmost dererence and vénération lo approach
50 suprême a genius, yet my fuU hearl is not lo be repressed by fopmali-
*'es; and you musl allow me Uie pleasure of pouring forth my best ackuow-
'«dgmenls.... »
2. N ... Whiie I medilale your encouraging Unes, for a while I forget
^he selfishne.-s, degeneracy, and cruelty of men, and scem to be associaled
*«th better and more exalted beings (Lettre du 18 avril 1726.)
3. • When I reflect how truly happy I was, yeslerday, ia your company
o4 JAMES THOMSON.
Savaj^o ('.'lait présent à aAUi réunion. Tlioinson crut coiiis-
tater en lui un res[)ect niélé de crainte en lace de rimiu)sai \L
Aaron Hill ». Ce sont là des sentiments que nous nous attrix-
dions peu à trouver chez le personnage. Son front n'était pi.\s
de ceux sur lesquels il puisse y avoir lieu d' (c écraser la bosse
du respect *». Son mutisme a du être mal interprété i>5."xr
Thomson; et nous sommes plutôt tentés de croire qu'il assista
au dialogue en auditeur un peu narquois, prompt à en recueil lir
les traits les plus piquants pour en amuser peut-être le cerc:;le
intime de Mr. Pope ».
Nous pouvons supposer que, de toutes les félicitations qui
accueillirent le poème, aucune ne fut plus agréable à Tauteur
que celle qui lui vint de son premier conseiller, de Tamical
confident de ses premiers essais et de ses jeunes espérances.
(( Quand Mr. Riccaltoun vit pour la première fois Ta Hiver y> de
a Mr. Thomson, chez un libraire d'Edimbourg, il en fut vi vemen t
m impressionné, et, après avoir lu certains vers, il laissa, dans
a Texcés de son admiration, tomber le livre de ses mains *. »
Si grand et si prompt qu'ait pu être le succès, il eût été
il is impossible for me to reslrain my sensé of il from breaking oui in ^^
Ibis acknowledgmeat.... Tbcre is iione (bal rcnders human nalure m(p ^^
amiable tban you; and, ai tbe same lime, none tbat renders Ibe gréais ^
pari of il more conlemplible : and lo descend from your company, ac
miuglc wilb tbe berd of mankind, is like Nebucbadnczzars descendii
from a tbrone, lo grazc wilb Ibe beasts of tbe tîeld.... » (Lettre du 27 avri
1. « Il gives mu un addilional pleasure to reflect tiow justly please
too, Mr. Savage was. Nolbing is to me a slrouger instance of tbe unii
provable nalure of tbat unbappy créature of wbom you speak bo compa^
sionately, Dolwitbstanding of Ibe barbarous provocation be bas givi
you, tliau bis remaiuing bieak aud williered, under tbe influences of yo^
conversation.... • (Mùme lettre.)
2. Proidiion, Correspondance,
3. • Savage was of greal use lo Mr. Pope, in bclping him lo liltle sL-
ries, and idle taies of many pcrsons whose names bad long since been fc
golton, bad not Mr. Pope menlioned Ibem in bis Dunciad. ■ (Life of
Hill in Cibber's Lives.)
C'est le mùme renseignement que le Docteur répète en langue johm
nienne : • lie was considered as a kind of confédérale of Mr. Pope, whc:^^
be wa^ suspecled of supplying wilb privale intelligence and secret im^ *-
denU; so tbat tbe ignominy of an informer was addod to Ibo terror o ^
salirisl ». (Joii.nson, Life of H. Saviujc.)
4. • Wben Mr. Uickerlon firsl saw Mr. Tbomson's Winter, wbicb v^' -^
in a book^^eller's sbop al Edinburgb, be stood amazcd and afler be lï^
rcad tbe lines «juoted below (Induction lo Winter), be dropt tbe po*-5
from bis band in tbe ecbta^y of bis admiration. • (Shikls, Cibber's Uf& ^
Thomson.)
LES DÉBUTS D*UN POÈTE. 58
surprenant que nulle critique ne vînt se mêler au concert
des éloges. Samuel Johnson disait au moment où allait paraître
son premier livre : « Quelle réception je dois trouver sur le
t rivage, je l'ignore. Je ne sais si je verrai sur la côte une
«Calypso qui m'appelle, ou un Polyphème qui me fasse
I obstacle. Mais si c'est Polyphème qui se présente, gare à son
«œiP!» — Thomson, nous l'avons vu, a rencontré sur le
rivage la menue monnaie de Calypso ; il y a aussi trouvé
Polyphème. Joseph Mitchell était un de ses anciens cama-
rades d'Université, celui-là même qui Testimait un pur lour-
[ daud. Lui aussi était poète, et lui aussi venait chercher la
! fortune à Londres. Après la publication de 1' a Hiver » i!
adressa à l'auteur son jugement sous forme de distique :
« Les beautés et les défauts se montrent là si pressés — que
< je ne puis voir les premières tant sont proches les derniers -. »
La critique ne fut pas du goût de Thomson, malgré la part
<l'éloges qu'elle impliquait; et il répondit par ce quatrain :
«Pourquoi autre chose que des défauts, insolent Mitchell?
«pourquoi — une seule beauté se montre-t-elle à ton œil
t flétri? — Une condamnation pire que ta damnation, si cela
• est possible, — c'est là tout ce que je demande, et tout ce que
« je veux de toi '. »
/^ faut, pour apprécier l'aménité de la réponse, savoir que
^^^hell était borgne. Tout ce que purent obtenir de Thomson
'^ instances d'amis communs, ce fut qu'il modifiât l'adjectif
^^•^nsant. « Blasted » devint oc blasting d, l'œil flétri, un œil
'^^rissant. Décidément Polyphème n'avait pas à se louer de
'^ ''encontre.
*^*Israèli voit ici chez notre poète la preuve d'une irascibilité
^^cule*. Nous ne devons pas oublier qu'il s'agit d'une bou-
^. • • Whal receplion I shall meet wilh on Ihe shore, I know net...
pj^^lher I shall find upon Ihe coast a Calypso that will court or a Poly-
p^ïïie ibat will resist. But If Polyphème cornes, hâve at his eyel » (Cité
** FoRSTER, Life of Goldsmith, B. JII, ch. i, p. 129.)
^* Beauties and faulls so thick lie scattered hère,
Those I could read, if thèse were not po near.
(SiiiEi^, Cibbers Life of Thomson.)
^. Why not ail faults, injurions Mitchell; why
Âppears one beauty to tby blasted eye?
Damnation worse tban thine, if worse can be
Is ail I ask, and ail I want of thee.
4. DISRAELI, Literary characlen, CrUicism of friends^ p. 65.
56 JAMES THOMSON.
tadc à Tadivsse d'un caniai-adi» de jeunos>(\ Les plaisanteries
éehangées ne sont pas du plus pur atLicisine; mais celle boLii'-
rade brutale reste dans le goût des méchants tours que l'oii se
jouait jadis l'un à l'autre au ce club des Grotesques ». Mitcliell
lui-même ne garda pas rancune au poète, et, quelque temps
après, il s'eiïorçait de rendre service à son confrère, a pour
réparer ses torts envers un génie excellent » •.
Quant à Thomson, il avait quelques vigoureuses antipathies,
et Mitchell figure en bonne place dans la liste des gens qu'il
n'aimait pas. Une de ^es lettres à Mallet contient <;es mots :
« Loin de défendre ces deux vers de ma traduction ^ je les
« condamne aux derniers abîmes du Tophet poétique depuis
« longtemps préparé pour Mitchell, Morrice, Rook, Cooke,
Beckingham, et un long etc. ^ » Et, dans une autre lettre à
Mallet : « Ce journal Britannique de samedi est plus mépri-
a sable que la langue ne saurait le dire; je soupçonne fort ce*
(( imbécile de Mitchell, à demi foudroyé des dieux * ».
1. • Id one of his leUers, in answor lo Ker's (|iicslion whether he w»-^
the auUior of Winter, he (Mitchell) says il was wriUcn by Ibat duli fello"^^
Thomson, who had loug been Ihc sport of thcir club. He says that tlm^
obligations he had lattcrly conferred on him were the best atonemeal fc^î
his pétulance lowards un excellent genius. • (J. Ramsay, Scotland an^^
Scohvten, p. 24.)
2. Il a bien raison de ne pas défendre ces deux vers, si, comme il sembla
ppobal)le, ce sont ceux par lesquels il traduit le • Me vcro primum » d^
Virjzilc. On en jugera par le début :
u Me may the Muses my suprême delight »
Il cite ces vers ainsi traduits dvTns sa Préface à la 2" édition de « l'Hiver ^
pour montrer que le dcvoùment aux œuvres de la Nature a inspiré ^
VirLMle son style inimitable, « iuspired the rural Virgil to write so inJm'
itably ».
3. « Far from dcfending thèse two lines in my translation, I dama thern
lo the lowest depth of the poetical Tophet prepared of old for Mitchell*
Morrice, Uouk, Cooke, Beckingham, and a long etc. » (Lettre à Mallet, du
2 août 1726.)
Le « long etc. « est en partie complété par une autre liste moins
connue. Elle se trouve dans une pièce de vers fort immodestes dont
Buchan a vu l'original écrit de la main de Thomson et trouvé dans ses
papiers par Andrew .Mitchell. L'exemplaire de .Milford, au British Muséum,
en contient une copie en caractères grecs. Uue énumération de poètes
ennemis de Pope et de l'auteur y ligure, et comprend ces noms : Ralph,
Theobald, Welsted, Mitchell, Cook.
4. • That Brilish Jourual of Inst Saturday is more contemplihle Ihan
language can express; 1 suspect that Plnnet-blasted fool Mitchell. * (Lettre
à Mallet, sans date, de sept, ou oct. 1726.)
Celte anUpathie est du reste fort naturelle et assez louable. Ce Joseph
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 67
Du reste les critiques d'un petit cercle de confrères jaloux
ne nuisent en rien au succès du poème. « Tous les gens de
« goût, dit Murdoch, cherchaient à connaître Tauteur, et plu-
t sieurs nobles dames se déclarèrent ses protectrices : la com-
« tesse de Ilertford, Miss Drelincourt (la future vicomtesse
«Prinirose), Mrs. Stanley, d'autres encore. » Déjà dans la
société d'hommes tels que Duncan Forbes, Aikman, les Graham
et les Montrose, Thomson s'était défait des manières un peu
frustes, du langage et de la prononciation exotiques qu'il avait
apportés d'Ecosse*. Il acquiert dans le commerce des nobles
^itchen qui a laissé une Iragcdie dont la paternité, dil-on, devrait revenir
ilobligeanl Hill (the Fatal Extravagoîice), en vint à être connu comme
' le poète de Sir Rohert Walpole •. 1! n\y avait rien de natteur ni d'hono-
nble dans ce patronage de l'homme d'Etat que Swift appelait : « Bob,
lliepoefs foe. - (An EpUlle to Mr. Gay, 1731.)
Quant aux poètes dont les noms accompagnent celui de Mitchell dans
les deux listes, ils appartiennent & la même classe d'écrivains de peu de
^lenl et de moins d'honneur. Ralph, un Américain venu à Londres avec
Franklin, en 1724, était apte à tout. On le voit journaliste, polémiste,
Pamphlétaire, dramaturge, poète et historien. Partisan déclaré de la fac-
Uoo du Prince de Galles, Rob. Walpole l'achète à beaux deniers. II ligure
*u premier chant de la Dunciad :
« Silepce, ye Wolves, while Ralph to Cyntbia howls
And makes the Night hideous! Answer him, ye Owls. »
^ke s était Imprudemment attaqué à Pope en 1725 dans son poème
^^ * la Bataille des Poètes >. 11 publie en 1727 dans le Daily Journal une
Wuciion de l'épisode de Thersite, pour montrer les bévues de Pope.
^usgj j^.^.ii g^ place dans la Dunciad. 11 vécut pendant vingt ans des pro-
Juils (l'une souscription, qui ne fut jamais close, en vue d'une traduction
°^ Piaule. (Voir Pkrby, English Uterature in the xviu"" cent., p. 256.)
^cliingham avait été un jeune prodige et Tait représenter des tragédies
^^^nt l'^ige de vingt ans. Il a aussi écrit un poème sacré traduit du latin
'^'ipin, et est mort à trente ans. « Beckingham and another gentleman
J"^*'ished an accountorthe life of Savage when he was under sentence of
''«Jlli (1727). « (Joa.^soN, Life of Savage.)
. "esaleel Morris est l'auteur de satires sur les traducteurs d'Homère, et
^ ^ombreux articles dans les journaux du temps.
• Breval, Bond, Besaleel, the varlets caught. •
{The Dunciad, B. II, v. 126.)
Voir aussi dans la Dunciad un autre trait à la même adresse, B. IIl,
^- l68.
*. • Duncan Forbes is supposed to hâve aided him in laming his lan-
^^«ge a litlle » (Allan Cunningham). — Forbes était en effet noté pour
^*^Xcellence et la pureté de son anglais. C'était chez les Écossais qualité
^^62 rare pour qu'elle fût signalée quand elle se présentait, comme chez
Arbnthnot, le Dr. Armstrong ou sir Gilbert Elliot, le fils de celui que nous
»vons vu encourager Thomson enfant. (Voir J. Ramsat, Scotland and the
Scotsmenj etc., vol. I, p. 311, 364.)
58 JAMES THOMSON.
personnages qui le recherchent et le patronnent ces Ta
aisées et simples, également éloignées de Tindiscrétion et
servilité, qui lui permettront, sans elTort et sans gaucli
pendant tout le reste de sa vie, de traiter sur un pied de
laite dignité avec tous, depuis les écrivains besogneux jusqi
princes de la famille royale. De ce moment aussi dater
relations du poète avec bon nombre d'hommes que nous
contrerons désormais mêlés à sa vie : Dodington, qui de
un (le ses plus actifs protecteurs ' ; Dyer, le peintre-poc
Tauteur de Grongar Hilt, cette œuvre sœur des « Saisons
parva licct componere magnis *; Tacteur Quin, peut-
bien que Fautorité du renseignement soit douteuse ^ ; les pi
Young *, Hammond % \Vest°; John Forbes, le lîls du L
Advocate '; Robertson, qui nous laissera de si précieux
seignements sur son voisin et ami, et qui nous apprend
ce moment le poète habite Lancaster Court dans le Strai
1. « Dodington sent his services to Thomson by Dr. Youn^ and di
to see him... this wait Iiis first introduction to llial acquaintar
{Spence..., by Singer, Mallrt, p. 327.)
2. Thomson fait de lui une mention amicale dans une lettre ù Mal
18 juin. — John Dyer, né probablement la même année que Tho
dans les montagnes du pays de Galles, comme notre auteur dans cd
rÉcosse, fit paraître aussi en 172G, son célèbre Grongar HUl (sous
d'ode irréguliéredans un volume de Mélanges de Sava;?e). I/œuvre >
reste bien inférieure ai'- Hiver •» mais elle proctdc d« la même inspir
et apporte le même élément nouveau dans la poésie anglaise.
3. « About this timo, I believc, commenced the friendship hc
Thomson and Quin. >» {The Seasons wilh an original Life of Thomsi
RoB. llRRO.^ PerUi, iVJ3.)
4. Mentionné de fat.'on fort irrévérencieuse dans une lettre à Mal!
âaoïH. « 1 hâve not secn thèse rcdections on the Dr.'s <t Installment
hear they are as wretched as their subject. The Dr.'s very buckrai
run short ou this occasion; his alTected sublimity even fails him
down he cornes with no small velocity. •
•6. Hammond, le poêle cléiziaque, le Tibulle anglais, était écuyer du ]
de Galles. Thomson avait pour lui une vive affection qui nous a
quelques vers émus sur le jeune poète gentilhomuic, mort & trente a
6. Gilbert West.
7. John Forbes.
8. n mourut en 1791, le dernier survivant des amis du poète. On<
jours avant sa mort, il reçut l.i visite d*un • reporter » intelligent,
il put donner avec une entière lucidité d'esprit, et une grande pré
de souvenirs, des renseignements nombreux et inappréciables ^ur
de Thomson, dont il fut Ta mi pendant vingt-deux ans, le voisin à
mond, et dont il faillit devenir le beau-frère. « 1 became acqu
wilh Thomson in the year i72t) when he published his poem of \\
Ho livcd opposite to me in Lancaster Court, in the Slrand.... • (/
yîemoranda.,.y dans Goohuvcn & Librar g... ^ p. 27i.)
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 59
d'autres encore recherchent son amitié. Deux mois seulement
se sont écoulés depuis la publication du poème, et Thomson
peut écrire à Hill : « Vous m*avez donné la gloire ».
Mais cette gloire n'assurait pas au jeune poète des moyens
d'existence. L' € Hiver » avait été dédié à sir Spencer Gompton,
« Speaker b de la Chambre des Communes. Mallet avait écrit
cette dédicace, et Tavait libéralement assaisonnée de l'ingré-
dient qui devait rendre le plat agréable. Les talents et les
vertus de sir Spencer sont pompeusement célébrés et l'auteur
lui dit en plein visage : « Comme le berger dans sa cabane
«peut sentir et reconnaître l'influence du soleil, avec une gra-
, « tilude égale à celle des grands dans leurs palais, ainsi peut-il
i « mètre permis de dire combien j'ai conscience de ces bienfaits,
«qui de tant de vertus puissantes tombent sur cette nation
«dont ces vertus sont l'ornement » \ L'auteur était donc en
droit d'attendre du patron qu'il avait choisi quelque substantiel
témoignage de satisfaction. Le « speaker » était un très puis-
sant personnage '; la protection de Mrs. Howard, qui le fit un
jour premier ministre, lui permettait sans doute d'intervenir
^ns la distribution des places et des sinécures. Or, c'étaient
^à les récompenses visées alors par les écrivains. Ils les trou-
vaient moins humiliantes et moins précaires que les faveurs
sollicitées de la cour par les gens de lettres d'un âge antérieure
Thomson évidemment avait, depuis son arrivée à Londres,
. ^' • As Ihe shepherd in bis cottage may feel and acknowledgc ttie
'QÛueace of ibe sua, with as lively a gratitude as Ihe great man in his
P^^ce, even I may be allowed lo publish my 8cnse of those blessings
^lï'ch, from so many powerful virlues are derived to Ihe nalion tbey
«dora. »
-• Ce Wilmington était un personnage politique auquel peut s\npiiHquer
'*^ spiritueUe dénnilion que Ton connail : un imbécile longtemps méconnu.
^ njère de Pope rappelait, dit-on, the Proser, et Rob. Walpole résumait
son jugement en ces termes : • a^er ail he was a poor créature >. Mais la
laTeur de Mrs. Howard le Ht créer en 1727 barou Wilmiuglon, et comte
^Q 1730. (1 ne fallut pas moins que son élévation au poste de premier
liinistre en 1742, pour que sa nullité devint manifeste.
3. a Ils échangèrent la protection de la Cour pour la protection des
hommes d'État, et celle-ci fut aussi inévitable que l'autre. Que cette pro-
tection nouvelle ait été plus agréable, plus digne que l'autre, cela est de
^ule évidence. • (Alex. Beuame, Le Public et les Hommes de lettres en
'^fiffleterre au xviii* siècle^ p. 353.) — Depuis l'avènement de Walpole aux
affaires, Ja protection des ministres faisait défaut aux écrivains, aussi bien
qne cJle de la Cour. C'est ce que Thomson et les aventuriers aUirés à
Londres vers la mémo époque n'avaient pas encore eu le temps de con-
stater.
60 JAMES THOMSON.
espéré pareille aubaine. En choisissant Thonime politique à
qui dédier son poème, il avait cru s'arrêter à celui qui pouvait
le plus sûrement lui assurer ce rêve de plus d'un poète, otium
eu m dignitate.
Rien ne vint; et la déception fut très grande. Sir Spencer
resta tout à fait insensible à Thonneur qui lui était fait. 11 ne
répondit même pas aux compliments de l'auteur par renvoi de
quelques guinées. Ceci était une véritable infraction au code
des usages qui régissaient alors les relations entre écrivains et
grands seigneurs* ; c'était un affront qui demandait vengeance
Hill prit vivement fait et cause pour son jeune protégé. Il lu
adressa quelques vers où le manque de goût et de tact di
a speaker » était signalé à l'indignation publique. Thomson 1
remercie, le 24 mai, avec les formules exubérantes qui conti
nuent à remplir cette correspondance. 11 exprime en partiel
lier toute l'admiration que lui inspirent les vers les plus frap
pants de la pièce. L'auteur de V a Hiver » devait faire appel
toute sa courtoisie pour s'extasier devant d'aussi médiocre
iraiUitions des distiques et des antithèses de Pope :
a Souriez de votre espoir évanoui — convaincu, trop tard, -
« que la grandeur ne réside pas toujours chez les grands*.
a Les patrons sont les grands de la nature, non pas ceux c
(( l'État; — et le génie est un titre que ne crée pas le grai
a sceau. — Les rois, de la générosité de qui découlent les pri
« cipaux courants de la richesse, — sont pauvres en puissanc
a quand ils veulent conférer des âmes '. »
Une fois de plus il fallut accepter pour vivre un modes
emploi. Thomson (juitta son logement de Lancaster Court, c
dans les derniers jours de mai, entra dans T a Académie » <
Mr. Watts, Little Tower Street. Il y était précepteur d'un jein
homme que l'on suppose avoir été lord George Graliam,
4. « Tickell affinns thit (wiUi Halifax) no dedication wentiinrewarded
(Johnson, Lift* nf llalifac.)\o\v aussi A. Beuame, Le Public et les llomfh
de lettres, p. 357.
2. Smile al yoiir vanished hope — convinccd, too late,
Thaï grcatness dvvclls noi, always, wilh llie greal.
3. Patrons are naturels nobles, not Uie stale*s;
And wil's a Lille no broad seal créâtes.
Kings, from wliosebounty weallh's chief currenls flow,
Are poor in power, whcn they would soûls beslow.
LES DEBUTS d'un POÂTE. 61
du duc de Montrose, et jusqu'alors un dea élèves de
iprès sa correspondance avec Hill, nous pouvons
r que ses fonctions lui laissaient beaucoup de loisirs,
■s six mois passés à Little Tower Street. D'ailleurs
t là qu'une situation toute provisoire. La première
V « Hiver > était épuisée, et déjà l'heureux poète
tien préparer une seconde.
s de Hill avaient, s'il faut en croire Johnson, été
par quelques journaux. Sir Spencer Compton s'émut
icité donnée à cette afTaire. Le poème et le poète aux-
ait attaché si peu d'importance étaient en voie de
lèbres; il était temps de faire preuve de discerne-
le générosité. On apprit donc à Thomson que le
» le recevrait volontiers. L'entrevue eut lieu dans la
u i juin, et le poète la raconte aussitât à Hill avec
imie malicieuse. Le grand homme l'a reçu de façon
ins doute en dissimulantdeson mieux son embarras,
it quelques questions banales, et lui a donné vingt
C'était, parait-il, le taux ordinaire auquel se payaient
:es. Le a speaker » n'avait donc pos réparé ses torts
[i vraiment libéral, et Thomson no conservait pas de
sse tardive une très chaude reconnaissance.
)uva cependant fort embari'assé. La seconde édition
itre dans jwu de jours. Les vers de Hill devaient y
lOC ceux que Mallet avait écrits sous la même inspi-
était pourtant difficile de flétrir publiquement l'ab-
;oùt et l'avarice de Complon après avoir accepté son
'lusieurs lettres de Tliumson à ses deux amis nous
eraux |>éripétiesd'une amusante comédie. H voudrait
ivvcr ces épitres oii de chaleureux éloges consacrent
s; il s'efToi-ce de décider ses deux alliés à atténuer
qiies, ot à en effacer dos reproches qui n'ont plus de
Ire. Mais les deux poètes n'entendent pas renoncer
es plus mordants de leurs satires; ce sont les mieux
ceux auxquels ils tiennent le plus. Toulc la diplo-
Ttiomson menaçait de rester impuissante dans cette
icate. Quand il croyait avoir dét.'idé Mallot ii des atté-
nécessaires et faisait valoir cet exemple pour peser
a Hill du 4eL du 7 juin.
6i JAMES THOMSON.
sur llill \ il apprenait au contraire que Mallet tenait mord
h ses apostrophes indignées, et, plutôt que d'y renoncer, ]
posait, au grand émoi de notre poète, de supprimer le t
éloges à l'auteur et reproches au patron. Puis, c'était Hill
tour à tour consentait et refusait, si bien que le malheui
Thomson lui adressait une dernière et pressante demande I
jours avant le tirage de l'édition *.
Enfin le poème fut publié vers la fin de juin ', avec les c
pièces. Nous ne savons pas si Mallet avait changé quelquecl
à la sienne*; il semble que llill ait consenti à quelques rc
ches '. Une troisième pièce élogieuse s'ajoutait aux deux aul
Elle était signée du nom de Mira ^ C'était le pseudonyme i
1. • ... Asthc case dow is, one of your infinité delicacy will be thc
juUge, whcthcr il will be proper lo priât thèse two inimilablc copi
Verses 1 liave from you and Trom Mr. Mallet, withoulsucli litlle altéra
as sh.ill cUar sir Spencer of thc bcst satire I cver read (Lettre à
du 7 juin 1726.)
2. Lettres ù llill des 4, 7, 11 et 17 juin, et à Mallet du 13 juin.
3. En un format in-oclavo, tandis que la première édition cla
quarto. Le nom de Tauteur n'y est plus suivi des lettres A. M. qui se v
au titre de Pédition du mois de mars, bien qu^^, nous le savons, Thc
u*y eût point de droit. Cette édition fut l'objelf dans la mOme annc
nouveaux tirages qui portent, comme seule différence, des pages de
uiodiflées et indiquant la 3* et la 4» édition.
4. To Mr, Thomson on his publishiiif/ th'j second édition of kix
cailed Wintei'f by David Mallocii. Il semble que ce soit la dernière
sion où Tami de Thomsou ait conservé son nom patronymique. Il I
la m(}mc année (sept. 1720) sous le nom de Malle I, dans la liste des
criptcurs au Misccllani^ puijliû par Savage. Mais, dans ses relations
SCS amis, le nom de Mallet était depuis quel(|ue temps adopté. La
de Thomson, du 10 juillet 1725, commence par ces mots : « Deor Ma
et se lermine par ceux-ci :
Nor by a morlal scen, save he
A Mallet or a Murdocli be.
Mr. P. Cunninghaui (édil. des • Vies de Johnson •) indique à tort ce
cément comme ayant été brusquement elTeelué vers ce moment. Dan:
lettre à Kcr, de septembre 172i, Malloch dit : « .My cousin Paton \
hâve me write my name Mallet, for there is not an lilnglishman Ihu
pronounce il •. — Il e^l une antre raison qu'il ne mentionne pas : Mî
se prêtait à une transformation en Moloch, qui déplaisait à notre Kco
r». To \fr. Thomson doithtiwj to what patron he shou>d addres^ his
calUd \Vinlef\ by Aaron Hill. La pi^cc se trouve dans le Recuei
poésies do IlilI {Thc Engliah Poels in 100 vol , 1822, vol. LX, p. 40).
G. To Mi', Thomson on hia blootninr/ Winlor^ by Mira. — • .... I b
you could Nvilli a liltle trouble, make Clio's vérités very pretty — lov
(Thomson à Mallet, 13 juiu 1726.) — • Her name (Glio) bas of late be
l'ibusod and 8candalise<l, that 1 am informed she bas lately changod
t'.ial of Myra... • — {The Brilish Journal, Salurday, 2i septembcr 172.î
LES DÉBUTS D'UN POÈTE. 63
vellement adopté, sur le conseil de Mallet, par Martha Fowkes
dont le premier nom de plume, Clio, était devenu trop célèbre.
Cest Mallet aussi qui avait demandé à Tobligeant bas-bleu
cette contribution à la gloire de Thomson. Il avait revu et
amélioré les vers.
Celte deuxième édition conserve du reste la dédicace de
Mallet ', et les lecteurs devaient être surpris du contraste que
présentait Tadresse en prose au speaker et les épîtres de Hill
et (le Mallet où il était question de lui. Thomson n'avait pas
ajouté de vers à sa première production *; mais il Tavait fait
précéder d'une préface en prose qui est en heureuse opposition
avec le ton et le style de la dédicace. C'est une sorte de mani-
feste poétique où l'auteur fait sa profession de foi avec fierté,
avec indépendance, avec une véritable élévation de pensée. Il
revendique les droits de la poésie : on n'y veut voir souvent
qu'un amusement frivole, il y montre les plus nobles plaisirs
qui aient charmé les hommes a depuis Moïse jusqu'à Milton ».
Il s'élève du reste contre l'emploi vil, mercenaire ou puéril qui
est trop généralement fait alors de la langue des vers. La poésie
ue restera pas dans son état présent. Le retour aux sujets
grands et graves la sauvera. Rien n'y contribuera plus que
'élude de la nature trop longtemps négligée. Et, après quel-
ques compliments aux trois confrères qui lui ont donné un
témoignage poétique de leur sympathie et de leur estime, il
termine cette page de noble et haute critique, en annonçant
son projet de traiter les autres a Saisons y> '.
^- Elle se trouve dans les 5 premières cdilions.
-Elle conlenail 187 vers. Ce nombre restera celui des cinq premières
'-^itious. Plus lard le chlfTre s'élèvera graduellement jusqu'à 1 069.
^* « Altbough Ibere may seem to be some appearauce of reason for Ihe
Posent contempt of it,... yet that any man shonid seriously déclare
^^^inst that divine art is really amazing. Il is... nfTronting the universal
'*^te of maokind, and declaring against what bas clmrmcd Ibc listcning
^^'Ofld from Moses down to Millon.... That Ihere are fréquent and noto-
•^ous abuses of poetry is true,... let bor exchange her low, vénal, trining
^Dfcjects for sucb as are fair, useful and magnilicent.... Notbiug can bave a
Mter inQuence towards the revival of poelry than the choosing of great
3Qd serions sabjects.... Pocts and roaders of poelry should rclurn to the
iludy of Nature loo long oeslected.... See the bcst poels, both ancient and
/DoJern. Whence did tbey dérive thcir inspiration? They bave been pas-
Jionnlely fond of retirement and solitude : the wild romanlic country was
tlicir dclight.... »
CHAPITRE III
ACHÈVEMENT DES << SAISONS ». — LA PREMIÈRE TRAGÉDIE
I
Déjà r « Été D était sur chantier. Encouragé par le succès d©
r « Hiver », Tautcur avait avec ardeur entrepris une seconde
« Saison ». Il en pouvait montrer un fragment à Hill dès 1&
11 juin, et, deux jours après, disait à Mailet : et Si mon début de
1' « Été » vous plaît, je suis sur qu'il est bon. J 'ai écrit plus encore
a et vous enverrai cela ponctuellement *. » — Tout le reste de
cette année est laborieusement occupé. Il continue à faire fonc-
tion de professeur à l'Académie de Little Tower Street; il tra-
vaille avec entrain à son poème *, peut-être en même temps à
quelque traduction ^. Les lettres à Hill et à Mailet nous per-
mettent de suivre assez exactement sa vie et le mouvement de
son esprit pendant cette période. Il continue à se montrer
envers le premier extraordinairement modeste et hyperboli-
quement louangeur. Quand le grand homme voyage en Ecosse,
Thomson lui écrit : « Toutes les Muses et toutes les Vertus lan-
a guissent ici en attendant votre retour, et je ne trouve d'adou-
1. « If my bc;2inning of Summer please you, I am sure il is ffood. Ihave
wril more Nvliich ru scnd you in due lime. • (Lettre à Mailet, du 17 juin 1726.)
2. • In Ihc cncloscd shoels of Summer, I raise the sun to nine or ten
o'clock.... I havc written a good deal more.... • (Lettre h Mallel, du 2 août.)
3. - You triumph over us translatord.... • (Même lettre.)
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 65
f cissement à mon chagrin que dans le bonheur de mon pays
c natal... j> *.
Très différent est le ton de sa correspondance avec Mallet.
Sans doute il loue vivement les vers de son ami, et pousse la
courtoisie jusqu'à se déclarer inférieur à lui * ; mais il lui adresse
des conseils empreints d'un goût excellent ', et il maintient
avec énergie, contre toutes les critiques, le plan de son nou-
veau poème *. Il remercie de même Aikman qui s'est proposé
de corriger amicalement sa façon d'écrire, mais il défend, avec
la fermeté du génie sûr de lui-même, la langue qu'il s'est faite
et dont il entend ne pas changer *.
Ces lettres à Mallet, de juin à novembre 1726, sont d'un
grand intérêt. Elles portent à chaque ligne la trace des préoc-
1. • Erery Muse, every Virtue, hère, languishes for yourreturn : to me
your absence would be much severer, if my partial sympathy in the hap-
pioess of my native country did nol alleviate the misfortune....
■ May you sooo return to towo, résume the Plaia-dealer, and, if we are
not defoted to destruction, restore the great dramatic taste by that
Iragedy, part of which 1 had the honour and sublime pleasure of hearing
read, by the finest reader, as well as the flnest author, io England. »
(Uttre à Hill, du 20 octobre 1726.)
2. - Trust me, my friend, I could run with you the race of glory, if
Heaven would permit; Irue I am iaferior, but through your assistance I
niightbold out. » (Lettre de septembre ou octobre.) II pourrait bien y avoir
<iuelqae malice sous cette extrême modestie.
3< Nous citerons seulement deux exemples de ces critiques. Elles serveat
& montrer ce quMl y a de soin scrupuleux dans l'art de Thomson. Sur ce
^«8 de Mallet
IIIumin*d by the glow-worm's mimic day,
il remarque : « Tbere is a littleness in this I think, that does not suit the
^^^<^ioD. I would change it for the moon in distress, represcnted with as
ooch ghaslliness as possible, to some such purpose as this :
Hlumin'd fainUy by the fading moon.
pans un autre passage. Mallet avait écrit • brown Night •, et son ami
loi conseille de remplacer cette épithète qu'il juge bonne pour le Soir
(Evening iu her brown mantle wrapt), mais non pour la Nuit. (Lettre de
septembre ou octobre 1726.)
4. M. Logie Robertson suppose avec assez de vraisemblance que Mallet
bUme ce plan parce qu'il Ta lui-même adopté pour son poème The Excur-
sion. Thomson lui répond très simplement qu'il aurait dû exprimer ses
objections plus tôt et que lui-même ne peut remanier maintenant un
travail fort avancé déjà.
5. n Mr. Aikman did me the honour of a visit yesternight.... His reflec-
tions ou my wriling are very good; but he does not in them regard ibe
tom of my genius enough; should 1 alter my way I would writc poorly,
I mustchoose what appears to me the most significant cpithel, or I cannol
with any heart proceed. » (Lettre à Mallet, du 11 août 1126.)
66 JAMES THOMSON.
cupations littéraires, des lectures, des admirations du je
écrivain. Des comparaisons avec Shakespeare et avec Mi
lui sont suggérées par les vers de son ami. La façon m
dont il mentionne le grand poète du xvif siècle indique qi
place il lui a faite dans ses affections et dans son enthousias
c This equals any image our Milton gave us of the evening
Ici, comme dans d'autres passages de sa correspondance,
allusions à Cervantes nous permettent de conclure que c
Quichotte » était un de ses livres favoris. Enfîn ces lettres c
tiennent force allusions aux événements littéraires du jour,
qu'il annonce à Hill la publication des lettres de Pop
Cromwell *,soit qu'il signale et déplore rabaissement du |
public et le succès des comédiens italiens ', soit qu'il en
tienne Mallet d'un récent ouvrage de Young * ou de la dern
attaque dirigée par un poète contre Waipole '. Une seule a
sion à sa vie privée nous laisse entendre qu'il ne s'isole paî
la vie libre et peu édifiante de ses amis •. Évidemment il n
croit plus aucune vocation pour le ministère sacré.
i. Lettre à Mallet du 11 aoûl 172C. Les vers de Mallet auxquels s*appl
cet éloge sont :
« Onward she cornes with silent steps aud slow,
In her brown mantle wrapl.... •
LMmilation de Milton est en efTet évidente.
2. « Notliing lias appcared hère since your departure, unless it be s
mushroomisli pamphlets, beings of a Summer's night... I beg Mr. Pc
pardon, some of wh «se letters to .Mr. Cromwell were surreptitiously pri
by Curll; and yct, Ihough writ careless and uncorrected, full of wit
gaiety. » (Lettre du 20 octobre 1726.)
3. • A new torrent of Italian farces is lately poured io upon us.
advcrtisement which now lies before me... is such a maze of increc
imperlintince, and promises so much folly, thut it is to be presumed
bouse will be very full, and that too with persons of the first qualil
(Même lettre.)
4. • I hâve not secn thèse reflections on the Dr. *s - Inslallment »,
hear they arc as wretched as their subjccl. The Dr. 's very buckram
run short on this occasion; his alTected sublimity even fails him, and d*
be cornes with no small velocily. A star to us, a cornet to the foe. » (Le
sans date; [septembre ou oct. 1726] à Mallel.j
5. « Havc you heard that our blockhead Lauréate, or Lauréate Blockli
(c'était Lawrence Eusden) bas had a fling at Waipole too? He had be
bribe Ihem to silence. • (Môme lettre.) — On trouvera sur les rapp
de Waipole avec les écrivains des détails très circonstanciés et très i
dans Alexandre Bbuame, le Public et les Hommes de lettres^ etc., p.
et suiv.
6. « What you write about is very diverting. She can make you s
for ail that, when you think upon her. Perhaps I may tell you in my i
I
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 67
De la lecture de cette correspondance on reçoit cette impres-
sion, que les histoires littéraires ont fort exagéré la misère et
l'indignité de la vie des écrivains à cette époque. Il en est peu,
sans doute, qui, comme Pope, trouvent dans leur profession la
richesse; mais d'autres temps ont réservé aux hommes de let-
tres plus d'épreuves et moins de considération *. Si Thomson,
n'ayant d'autres ressources que sa plume, traverse quelques
années de gêne, quand en a-t-ii été autrement des poètes? Le
succès s'imposant de prime abord, c'est déjà un phénomène
assez rare. Le succès d'argent accompagnant immédiatement
I la notoriété littéraire, c'est une conjonction de faveurs que la
Fortune accorde d'une main parcimonieuse et fort capricieuse-
ment '. D'ailleurs, il y avait autre chose que de la misère et de
l'inconduite dans ce groupe de jeunes gens qui demandaient
aux lettres la gloire et la richesse et ne les recevaient qu'en
de bien modiques mesures. Il y avait aussi des qualités de
cœur, une vivacité d'affection qui apparaît chez ceux-là mêmes
dont la réputation laisse le plus à désirer, comme Savage ou
Mallet'. Ces réunions, où tous apportaient du talent et du
savoir, où se mêlaient aux littérateurs des artistes comme Dyer
6t Aikman, étaient sans doute l'occasion de conversations éle-
^betheror notwe design to consummate our unfinished loves, and trans-
'oîl yoa a letter I received yesterday (Lettre à Mallet, septembre ou
octobre.)
^8 termes « to consummate our uafinished loves • sont un souvenir
^'un amusant passage de Tke Hehearsal^ parodiant une tirade de • La Con-
<|Qéle de Grenade • : ce souvenir indique suftisamment que les amours
^Qt parle ici Thomson n*ont rien de platonique :
« Boar beckons sow to trot in cbcsnut groves,
And there consummate their unfinished loves. •
{The Rehearsalj fln du premier acte.)
!• Dans notre siècle même, et sans sortir de rAnglelcrre, qu'on se rap-
pelle, à côté des succès de. Scott, de Byron ou de Moore, robsciirité où
estaient les chefs-d'œuvre de Wordsworth et de Keats, ou les diflicultés
i&atérielles contre lesquelles se débattait Coleridge alors même que son
talent était reconnu.
2. Quelque trente-cinq ans plus tard, Goldsmith se plaindra de la situa-
tion faite aux gens de lettres par ses contemporains, et y opposera la
façon dont ils étaient traités du vivant de Young. (Voy. Forster's Golds-
mith, B. II, ch. VII, p. 120.)
3. Voyez avec quel dévoûment il aide aux débuts de Thomson. Il sait
même, et le trait est plus beau, ne pas souffrir du succès de son ami.
Quant à Savage, il est prodigne d'effusions reconnaissantes envers ceux
chez qui il a trouvé quelque appui.
68 JAMES THOMSON.
vées où, avec la vervr de leurs \ iïi}^^t-ciiu] ans. Ions ces jeunes
gens aj^ilaienl les problèmes les plus intéressants de la cri-
tique. Cela nous aiderait à comprendre i)ourquoi rinlluence
littéraire de Thomson s'est exercée principalement sur les
poètes qui ont vécu dans sa société innnédiate : Mallet, Savage,
Dyer, Young, Somerville, Armstrong, etc.
Enfin les charmes d'une société aimable et raffinée n'étaient
pas inconnus à ces pauvres écrivains. Us n'étaient pas toujours
dépenaillés comme les représente la légende. Nous ne devons pas
nous figurer Thomson sans souliers et Savage en guenilles. Ils
avaient accès auprès de Pope dont la délicatesse élégante se
serait mal accommodée de pareils hôtes. Ils voyaient dans la
maison hospitalière d'Aaron Hill, un intérieur charmant
auquel présidait une femme distinguée qui s'intéressait au^
lettres et était elle-même poète *. Par la suite, il est vrai, l^s
choses ont changé. Savage est devenu l'incorrigible et vicieu^
bohème que l'on sait; Mallet en est descendu à faire, moyerf
nant rémunération, d'assez tristes besognes littéraires; mais, ^
l'époque dont nous parlons, il faut voir Thomson entou^^
d'une pléiade de jeunes hommes confiants dans leur talent, ^^*
riches de bonne humeur et d'espoirs.
L' a Hiver » avait, à la fin de cette année 1726, atteint à Londr^^*
une quatrième édition, sans parler d'une édition publiée ^
Dublin * ; a l'Été » était en bonne voie d'achèvement,
poète pouvait espérer un nouveau succès accompagné de pli
solides avantages pécuniaires. II quitta donc l'a Académie»
Mr. Watts vers les derniers jours de l'année, à l'époque peu t-
être où Mallet revenait de Twyford à Londres. Il avait la l^te
pleine de projets. Après l'achèvement de 1' a Été », il entendait
compléter le poème en chantant les deux autres saisons. I'
voulut se consacrer tout entier à son travail littéraire.
Millan se chargea encore de la publication de l' d Été ». On peut
s'étonner qu'après le succès du premier poème, Thomson n'ait
pas obtenu de son éditeur de brillantes conditions pour le
1. Savnge lui a adressé des vers qui figurent dans le recueil de ses
œuvres, et où il rend hommage au lulent de son aimable confrère.
2. Format in-12, sans doute pour eu faciliter rinlroduclion en Angleterre.
« lu tliose days, and iudeed unlil Ihe Âct ofUnion was passed, Ihe Eoglish
wriler hail no copyright in Ireland : it being a part of the independence
of Irisli booksellcrs to sleal froni English Aulhors. » (Forster*s Goldsmith,
p. 85.)
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 69
second. Johnson dit qu'il en reçut peu de chose de plus que
pour r « Hiver j> ; Wright, qui a mis en circulation l'anecdote des
trois livres payées pour le premier poème, indique cinquante
livres pour le prix du second *. Il est vrai qu'il se trompe sur
la désignation de ce second poème, et croit le a Printemps » an-
térieure T « Été ». La vérité, nous le savons, est que Thomson
ne se dessaisissait pas plus cette fois que précédemment de la
propriété de son œuvre. Il n'a pu recevoir de Millan qu'une
avance sur le produit certain de la vente. Du reste, à cette
occasion encore, le poète entendait s'assurer un autre profit,
en faisant choix d'un patron. Il voulut dédier le poème à lord
Binning. Mais celui-ci déclina cet honneur, dans l'intérêt même
de son jeune ami. Il lui conseilla de s'adressera un personnage
qui fût plus en mesure de lui procurer quelque place lucra-
tive, et suggéra le nom de Sir George Bubb Dodington, l'un
des lords de la Trésorerie '. Les sentiments de bienveillance de
<• «This poem (Winter) sold so well that Mr. Miilar gave Mr. ThomsoQ
^0 1. for Ihat oo the Spring, and increased Ihecopy money for Ihe Summer
•nd Autumn. . (Édit. de mo, Life of Thomson.)
C'est à cette • Vie » que Goodhugh a emprunté bon nombre des ren-
seignements qui sont depuis entrés dans la plupart des biographies; à
^^iimencer par Tanecdote des 3 livres payées pour l'Hiver. — Nous pou-
^^hs voir ici encore combien Wright mérite peu de confiance. La petite
?^te que nous venons de reproduire renferme trois grosses erreurs : c'est
^lllàn el non Miilar qui publie les deux premières Saisons. La 2^ saison
publiée est TÉlé et non pas le Printemps. Enfin ce n'est pas le même édi.
^^urqui a publié les deux dernières Saisons.
â. Bubb Dodington, né en 1691 el héritier d'une grande fortune, devint
^D 172i un des lords de la Trésorerie. En 1737 il se range parmi lesadhé-
^ots du prince de Galles contre le roi, et Walpole lui fait quitter la Tré-
^rerie. A la chute du grand ministre, il devint trésorier de la Marine.
Après ravènement de George III, il fut un des confidents de lord Bute, et
^Q 1761 fut élevé à la pairie avec le titre de lord Melcombe-Regis. Il
mourut l'année suivante. Mêlé très activement aux luttes politiques, et
très répandu d'autre part dans la société littéraire, son nom est un de
ceux qui reparaissent le plus souvent dans les écrits du temps. Il est loué
par Thomson, par Young;, par Bentley qui le place sur le même rangqu'nn
antre protecteur des gens de lettres : Halifax; Horace Walpole a pour lui
quelque bienveillance (Royal and Noble Authors, vol. IV). — D'autre part
Pope et Churchill le traitent durement (les traits lancés contre Duho sont
fréquents dans les Satires et les Épîtres de Pope). Foote le met en scène
dans The Patron, sous le nom de sir Thomas Lofty. Ilogarth le poursuit
de ses satires mordantes; il ne tarit point en caricatures sur l'embonpoint
du personnage, sur ses vêtements couverts de galons et de broderies, sur
son énorme perruque et ses vastes manchettes de dentelle.
Dodington était un orateur abondant, brillant, pompeux et de mauvais
goût. Il ne se contentait pas d'être le patron des gens de lettres, mais
lai-ménie ambitionnait la renommée littéraire. • Il écrivit, dit Cumberland
70 JAMES THOMSOiN.
cet homrne d'État, qui se piquait de littérature, n'étaient pas
douteux. Il avait, après la publication de 1* « Hiver », fait porter
à l'auteur ses compliments par le Dr. Young, et avait exprimé
le désir de le voir. Ce choix fut en effet plus heureux que
celui de Sir Spencer Gompion. Thomson trouva en Dodington
un protecteur et un ami; nous le verrons jouir plus d'une
fois de l'hospitalité à la fois cordiale et fastueuse d'Eastbury.
L' « Été » parut dans la première partie de l'année 1727, en un
format in-8, comme celui de la 2' édition de 1' « Hiver », et fut
mis en vente au pris de 1 shilling G pence. La dédicace égalait
en flagorneries extravagantes celle que Mallet avait écrite pour
Sir Spencer, ou les lettres de Thomson à Hill. « La louange
a publique célèbre hautement tint de vertus, mais la postérité
« seule leur rendra justice. Puissiez-vous, Monsieur, vivre de
« longs jours pour ajouter encore à l'état de votre gloire par
« vos actions, et pour être par elles indiqué aux siècles à venir
a comme le Mécène britannique!... Si ce que je vous présente
« ici a quelque mérite qui obtienne votre approbation, je n'ai
« pas d'inquiétude sur le succès; et, si l'œuvre ne réussit pas
a à arrêter votre attention, je l'abandonne à son juste sort ', i^
Cette adresse en prose disparut après la seconde édition, et,
comm3 la première dédicace de V « Hiver », fut remplacée par ur^
hommage en vers inséré dans le début du poème. H n'y a dm
reste pas plus de discrétion ni de vérités dans les flatteries poé -
tiques que dans les autres. On se demande si le jeune Écossais
ne se moque pas de son noble patron lorsqu'il célèbre son
« génie et sa sagesse », « sa gaieté toujours décente », « son
honneur sans tache », a son zèle infatigable pour la gloire
a de la Bretagne, pour la liberté et pour l'homme » '.
de petits poèmes avec de grands cfTurts, et dos lettres travaillées où il
moDtrt) une jjrande élégance de style et une cerlaine étrangeté d'expres-
sion. • — On a de lui un Jo-.irnal qui s'étend de 1740 à 1761. Il a pro-
bablement collaboré h Tonvrago historique de son protégé Ralph :
Englaml durituj the reir/fis of William ///, Quren Anne and King George I.
On Ta aiissi suppo«îé rauteiir d'une Epistle to the Right Uonourahle Sir
Robcil Walpole (l>« édit.. 1720).
i. « .... The genoral voice is loud in the praise of so many virtues, though
poslcritv nlone will do Ihem justice. But may you, Sir, live long to ilhis-
tralo yoiir own famé by yourown actions, and by them be traasmitted
to future time as the Britisli M«>cenasî... If what 1 berc présent you has
any merit, so as to gain your approbation, I am not afraid of success;
and if il faits of yoiir notice, I give it np to ils just fale. •
2. Summer, de 2) à 31.
ACHÈVEMENT DE§ « SAISONS ». 71
Le mois de juin 1727 vit paraître une des œuvres les plus
heureuses qui figurent parmi les petits poèmes de notre auteur.
Newton était mort le 20 mars. Thomson qui, dès FUniversité,
avait acquis le goût des sciences naturelles; qui, dans son
étude prolongée et enthousiaste de la nature, avait plusieurs
fois rencontré les explications ingénieuses ou profondes, et les
hardies synthèses de Newton, Thomson écrivit un Poème à la
mémoire de Tillustre savant *. Nous aurons à apprécier plus
tard la valeur de ce travail. Contentons-nous ici de noter Theu-
reuse rencontre qui unit dans une œuvre digne de Tun et de
l'autre, l'homme de science qui a donné aux phénomènes du
monde sensible leur plus large et leur plus grandiose explica-
tion, et le poète qui, à ce moment même, en donnait la plus
vaste et la plus noble traduction artistique.
Le poème parut en in-folio chez J. Millan V II était dédié au
premier ministre. Nous savons que Robert Walpole n'était
guère un patron des poètes. Il n'avait ni instruction étendue,
ni goût artistique ou littéraire. Son bon sens robuste mais fort
terre à terre tenait en petite estime tout ce monde des écri-
vains besogneux tour à tour humbles ou insolents, mais
presque toujours quémandeurs. Sa politique ne s'appuyait pas
sur l'opinion publique tejle que pouvait l'inspirer ou la diriger
la foule des gens de lettres. Attaqué par la plupart d'entre eux,
'1 opposait à ce débordement de violences et d'outrages une
^nhomie indifférente ou dédaigneuse. Thomson, nous l'avons
pu voir », avait une certaine sympathie pour le ministre
^' Pour les renseignements scientifiques très [«récis et très exacts qui
*« '■enconlrent dans le poème, il fut aidé par J. (iray Esq., F. H. S., l'au-
^^ur d'un traité sur l'artillerie, un des collaborateurs aux Philosophical
^^ntardions de la Société Royale, et Tua des disciples les plus éclairés de
'^philosophie scientifique de Newton. 11 est probable aussi que Murdoch,
'^ futur biog^phe de notre poète, qui devait se faire un nom parmi les
<DaUiémalicieDS de son temps, a contribué à donner à son ami la connais-
^oee qu'il montre des théories newtoniennes.
2. La même année, une édition en était publiée à Dublin.
Un des vers du poème, dit Murdoch, sort d^épigraphe aux Dialogues
publiés par le comte Algarotti sous ce titre : // Neutonianismo per le-
Oame. Algarotti et Thomson ont pu se connaître chez Pope, où lo bril-
lant Italien fréquentait. Mais Tinformation de Murdoch n'est pas exacte,
la première édition des « Dialogues •, publiée à Naples en 1137, avec une
dédicace à Fontenelle, datée de Paris 1730, porte pour seule épigraphe
ces quelques mots de Virgile, X« églogue :
— Quœ légat ipsa Lycoris.
3. Voir p. 66, note 5.
72 JAMES THOMSON.
c ennemi des poètes » *. Peut-être aussi pensait-il que son tra-
vail, célébrant une gloire nationale, et prêtant la parure de la
poésie à Texposé des plus hautes découvertes de la science,
trouverait grâce auprès de Thomme d'État qui traitait avec
tant de mépris les productions inutiles des faiseurs de vers. A
coup sûr la pensée de dédier au chef du gouvernement ce
poème consacré au plus grand des Anglais était fort naturelle
et fort louable. Il est fâcheux qu'elle ait inspiré à l'auteur une
dédicace indigne de lui. Le ministre y est comparé au Ciel qui
dispense le bonheur, même aux mécontents et aux ingrats *.
Il ne paraît pas que Walpole se soit montré sensible à ce pom-
peux panégyrique. Lorsque plus tard le poète se rangea parmi
les adversaires du ministre, il ne fut gêné par le souvenir
d'aucun bienfait reçu. Quant à la malencontreuse dédicace,
elle disparut de toutes les éditions postérieures.
Cette hostilité, à laquelle Thomson se trouva conduit, nous
le verrons, par ses relations avec les ennemis politiques de
Walpole, les sentiments et les opinions du poète auraient sans
doute suffi quelque jour à la faire naître. La fibre patriotique
était chez lui très sensible, et il se serait tout naturellement allié
à ces « patriotes d ' que liguait, sous couleur de fierté natio-
nale, une commune haine du a ministre de la Paix i>. L'opi-
nion était alors vivement surexcitée contre l'Espagne. Cette
nation ne prenait point son parti de la présence des Anglais â
Gibraltar et à Minorque; elle prétendait d'ailleurs exiger Tob-
servation de certaines clauses du traité d'Utrecht qui gènaieni
fort le commerce britannique *. Il n'en fallait pas davantage
1. • Bob, Ihe poet's foe. » (Swift, An Epistle to Mr, Gày, 1731 ; vers 4.)
2. • Though you are enga^cd in the highest aod most active scènes of
life... evcn, like Heaven, dispensing happiness to the discontented aod
ingratcful,... you are not less attentive, in the hour of leisure, to the variety,
beauty and magnificence of nature.... The samc comprehensive geoius
which way soever it looks must hâve a steady, clear and unbounded
prospect. »
3. Le mot en est venu h désigner les adversaires de Walpole et de la
Cour. Dans le langage de Thomson, qui remploie souvent, il n*a pas cette
acception. Le pol'te rapplique à Walpole lui-même.
4. Le traité permettait à un navire anglais chaque année des opérations
commerciales avec les colonies sud-américaines. C'était une infraction
aux principes de la politique espagnole qui voulait conserverie monopole
du commerce de ses colonies. Mais les Anglais ne voulaient pas se con-
tenter d'une concession aussi restreinte; et il y avait de perpétuels con-
flits entre les Espagnols qui soufTraient avec peine Toctroi de cette faveur
I •
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 73
pour que les Anglais se considérassent comme outragés et pro-
voqués. La querelle durait depuis longtemps, lorsque, en 1727,
quelques incidents l'amenèrent à l'état aigu *. Thomson se fit
alors récho du sentiment national en écrivant Britanniay une
de ses plus faibles productions. Malgré une tirade qui célèbre
les bienfaits de la paix, le poème proclamait avec une véhé-
mence indignée la nécessité de venger des affronts déshono-
rants. Il répondait si bien à l'état des esprits que, malgré la
pauvreté de la conception et la faiblesse de l'exécution, il
aurait sans doute rencontré un vif succès. Thomson cependant
ne le fit pas paraître. Peut-être, au moment où il tournait vers
Robert Walpole ses espérances de fortune, jugeait-il inoppor-
tune l'expression de patriotiques sentiments qui s'accordaient
mal avec la politique du « Premier ». Le poème fut donc
publié seulement en 1729, l'année même où Thabile et patiente
diplomatie du ministre allait amener l'Espagne à signer le
traité de Séville.
II
Ces pièces de circonstance ne faisaient pas perdre de vue au
poète son grand travail. Il commença le « Printemps » vers le
milieu de l'année 1727. Il n'eut pas à chercherpoursavoir à qui
dédier cette troisième « Saison » : un patron s'était présenté et
offert de lui-même. La comtesse de Hertford était à la fois une
P^ndedame et une femme lettrée *. Elle invitait chaque année
*QQ seul navire, et les Anglais qui violaient tous les jours l'interdiction
établie.
'- On sait que le retour d'incidents analogues, amenant une nouvelle
^^Plosion d'anioiosilé contre l'Espagne, fut, en 1739, l'occasion de la
^°"lc de Walpole.
*• Prances Thynne, Glle de l'honorable Henry Thynne, viscount Wey-
^Uth, épousa Algernon Seymour, comte de Hertford, qui, à la mort de
, ^ père, devint, en 1748, duc de Somerset. Elle fut une des dames de la
^^Oibre de la reine Caroline. C'est elle qui, dans cette même année 1727,
^^va de la potence le malheureux Rich. Savage. — Elle écrivait sous le pseu-
^Hyme d'Eusebia. On trouve la plus grande partie de ses œuvres poétiques
.^Is Dr, Walls's MUeellanyy et dans sa correspondance. Quelques-unes
^ ses lettres se rencontrent aussi dans les Miscellanies de Shenstone,
*ï^i lui a dédié une Ode on rural élégance. — ■ Her acquirements in
74 JAMES THOMSON.
quelque écrivain à sa résidence de Marlborough, dans le Wilt-
shire, afin, dit Johnson, « de lui lire les vers qu'elle écrivait el
« de se faire aider dans ses essais poétiques i». C'est Thomson
qui fut honoré de cette invitation pour Tété de 1727. Il s€
montra sans nul doute heureux de cette flatteuse distinction.
Les campagnes et les collines du Wiltshire étaient plus propices
que les vues de Londres à la poursuite de son travail. Lad)
Hertford nous a laissé, dans de bien médiocres petits vers ', um
liste des occupations, promenades, jeux, flâneries, causeriez
gaies ou sérieuses entre lesquelles se partageait le temps des
hôtes de Marlborough. Mais Thomson, s'ilcnfautcroire Johnson
aurait montré plus d'empressement à boire avec le comte qu'è
collaborer aux productions versifiées de la comtesse. Et le bîa
graphe ajoute que lady Hertford, peu satisfaite, ne renouveU
pas son invitation. Nous avons au moins la preuve que U
grande dame et le poète ont conservé longtemps après d'ami-
cales relations V Et s'il est vrai que l'invité, faisant trop volon
tiers honneur à la joyeuse hospitalité du comte, ait mal second
les velléités poétiques de son hôtesse, la poésie n'y a cependan
rien perdu. Dès le commencement de l'année 1728, le poèm»
du « Printemps d était publié. Il avait donc été achevé vers lafif
de 1727, et une grande partie en avait été écrite à Marlbo-
lilcralnre were varions, and hcr reading, particularly ia hislory, appears
lo havc becn very exlcnsive. ■ [Prefatonj memoir to her correspondance,
cdited by Mr. W. Bindley.) Ou peut voir un portrait de lady Hertford dans
Horace Walfole, Catalogue of Royal and Sable Authors^ vol. IV, p. 239.
1. Mr. Logie Robertson les a cités dans son Introduction aux Dotes sur
le « Printemps >».
2. Dans une lettre à sa nièce, lady Pomrpet, écrite en juin 1739, lady
Hertford dit : - I hope your route will lead you to thc Fontaine de Vau-
cluse.... Mr. Thomson told me lie had sccn this fountain and he promised
to give me a description of il in verse; but llie promises of pocts are no'
alwajs lo be. depcnded upon. •
En 1742, elle dit h un de ses correspondants : ■ 1 hâve not seen Thomsoc
almost thèse three vears •.
En 1748, elle écrit, le 13 mai, a lady Luxborough : • I conclude yoi
will rcad Mr. Thomson's Castle of Indolence : il is after Ihe manner o
Spenser.... I believe the Castle will aiïord you much entertainraent.... •
Enfin ces sentiments amicaux ne s'éteignent pas & la mort de Thomson
En 1748, dans une lettre à la même lady Luxborough, elle parle di
poète qui vient de mourir et de Tlionneur que lui rend Shenstone dans soc
poème de 1' « Automne •, et dans le parc où il lui consacre une urne. Cinc
ans plus lard, elle demande ù Shenstone de laisser insérer dans la collée
tion que prépare Dodsiey • Damon's Bower -, une élégie en Thonneur de
Tfiomson, el oITre d'en foamir une copie si l'auteur a perdu Toriginal.
ACHÈVEMENT DES ce SAISONS ». 7S
rough Castle *. L'auteur, et c'était justice, le dédiait à la
très honorable comtesse de Hertford. a Ce poème a grandi
€ sous vos auspices, il a donc un droit naturel à votre patro-
« nage. »
À cette occasion Thomson quitta son premier éditeur. Peut-
être J. Millan n'offrait-il pas les garanties d'une maison très
solide. Nous le voyons en effet changer sans cesse d'adresse;
de 1726 à 1730 nous lui connaissons quatre installations suc-
cessives, et il ne s'en tiendra pas là*. Andrew Millar, un des
libraires du Strand, qui semble avoir été à Londres l'éditeur
préféré des écrivains écossais, fut chargé de publier le a Prin-
temps », conjointement avec un de se» confrères, G. Strahan '.
Le nom de ce dernier ne paraît plus sur la page de titre d'au-
cune autre des œuvres de Thomson; mais chez Millar le
poète trouva, en même temps qu'un éditeur actif et intelligent,
un ami sûr dont le dé voûment survécut mémeà la mort de son
auteur favori *.
La dédicace en prose, plus agréable à lire que celles dont
l'auteur avait fait précéder 1' a Hiver et 1' « Été », fut rem-
placée, dès la deuxième édition, par six vers placés au début du
poème*. A la fin de l'in-octavo (de 1727) se trouvent des proposi-
tions pour imprimer par souscriptions les quatre a Saisons lo,
avec « un Hymne sur leur cours », le « Poème à la mémoire
de Newton » et un « Essai sur la Poésie descriptive ». Les
souscriptions devaient être adressées à l'auteur, qui habite
1- • The History of Willshire • enregistre, dit R. Bell, cette tradition
cooserrëe dans la région, que Thomson composa une partie de ses • Saï-
s^ns • dans le voisinage de Mariborough Castle. Et Stepîien Duck, le poète-
laboureur du Wiltshire, contemporain de noire auteur, énonce nettement
««tle affirmation (Paems, 1737, p. 212).
2- Voir p. 43, n. 3.
3* Aucun des biographes n'a remarqué cette présence de deux éditeurs,
Pjwr le • Printemps », comme aussi, nous le verrons, pour la première
Wilion mise en vente des • Saisons ».
*• • Mr. Millar was always at hnnd to answer, or eveu to prevent, his
J«mands. . (McRDOCH.) — John Nichols {Anecdotes, vol. VI, p. 41, édit.
<>« 1812) le mentionne comme le ferme patron de Thomson, de Fielding
*' <ic beaucoup d'autres auteurs éminents.
^- C'est-à-dire la !'• édition des ■ Saisons • complètes. Le nombre des
J«^ est de 408Î dans l'édition de 1728, et de i087 dans l'édition des
• Saisons • de 1730, comme dans la 2* édition séparée du ■ Printemps •
^ ^^3|, et dans l'édition des « Saisons • de 1738. Puis le poème s'aug-
J*Dte d'une centaine de vers pour les deux dernières éditions publiées
^" ▼ivant de Thomson : ii73 vers en 1744 et ii76 en 1746.
76 JAMES THOMSON.
alors au Café de Smyrne, dans Pall-Mall; à ses éditeurs
G. Strahan, A. Millar et J. Millan; ou à son confrère écossais
Allan Ramsay, à Edimbourg '.
Plusieurs biographes disent que Millar paya au poét
50 livres pour le « Printemps », puis que, achetant à Miilai
r a Hiver » et le a Printemps d, et plus tard V a Automne» î
Thomson, il devint seul propriétaire des diverses parties di
poème. Le renseignement qui établit ce chiffre de 50 livre
provient nous l'avons vu, d'une source très suspecte, et nom
ne savons d'ailleurs s'il doit s'appliquer au a Printemps» ci
à r a Été » *. Il est en tout cas certain que Millar n'acquit pas d(
droit exclusif sur les « Saisons », et que Millan conserva, con-
curremment avec lui, ceux qu'il pouvait avoir '.
Les souscriptions n'affluèrent pas, semble-t-il, au gré deî
désirs ni des besoins de Thomson. Le public était deveni
méfiant. On lui avait fait des appels trop fréquents, et bien de!
abus s'étaient produits avec ce système de paiements anticipés
Il arrivait que l'auteur, après avoir touché les versements, fi
attendre bien longtemps, sinon toujours, la publication pro
mise. Les lecteurs trop souvent dupés menaçaient de fair
grève. Un certain nombre de personnes s'étaient mutuelle
ment engagées, sous peine d'amende, à ne jamais favoriser d
souscription *. Thomson, qui se rend compte de la défaveu
justement attachée à ce système de publication , ne fait pa
ses propositions sans un certain embarras. « La souscrif
1. « Subscriptions are token in by the Author, at tbe Smyrna Coffe
House, in PalI-.Mall; and by G. Strahan, at the Golden Hall in Cornhil
A. Millar, at Buchaoan's Head in the Strand; J. Millan at the Blue Ancht
in Pall-Mall, and by A. Rumsay, atEdinburgh. » Brydges assure m^meqi
Thomson publia ses souscriptions dès 1727. (Censura Literariay art. 2
p. 50.)
2. Le premier auteur du renseignement paraît être Wright. V(
p. 69, n. 1.
3. Nous trouvons en effet, parmi les éditions que nous avons pu ex
miner, et qui sont de date postérieure à Tacquisition du « Printemps * p
Millar :
Summer, 2« édit., Millan, 4728; Summer, 3e édit., Millan, 1730; Autun
2» édit., Millan, 1730; Winler wilh llymn, 3* édit., Millan, 1730; Summ
4" édit., Millan, 1733; Winter wilh Hymn, Millan, 1734; Britannia, 2*
3- édit.. Millan, 1730; Poem to Newton, 4« et 5" édit. (avec Millar), Millan, 17;
4. • I bave heard of an agreemcnt among some of our modem Got
(who by the bye are even unworthy of thaï name) by which thcy bii
themselvcs not to encourage any subscriptions whatcver under a certa
penalty. » (Lettre de Thomson à Mallel, sept. 1729.)
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 77
ition, dit-il, agonise; et le monde semble avoir fini par
cvaJDcre ce monstre aux tètes multiples K id Sans doute le
poète a la satisfaction de voir Télite de la société littéraire
lui apporter son concours. Le Dr. Rundle par exemple écrit
à son amie Mrs. Sandys : a J'ai pris la liberté, madame, de
I vous inscrire parmi les souscripteurs au poème de Thom-
(son. Je vous en demande pardon; mais, connaissant votre
cgoût, je suis assuré de ce pardon.... Il a certainement un
i génie.... * » Malheureusement la foule ne suit guère l'exemple
que lui donnent les gens du meilleur jugement, et les res-
sourœs apportées à notre écrivain par son futur poème sont
insuffisantes. Il lutte contre les difficultés avec une vaillance
admirable, et, en quelques mois, produit une somme de tra-
vail \Taiment extraordinaire. Il commence V a Automne », et
poursuit activement l'achèvement de cette dernière a Saison ».
En attendant le poème complet, la fin de Tannée 1728 voit
paraître une 2* édition de 1' « Été ». En janvier 1729 il publie
ce poème de a Britannia » qu'il avait écrit deux ans aupa-
ravant. On peut croire qu'il a maintenant renoncé à rien
obtenir de Walpole et n'est plus arrêté par les mêmes scru-
pules qu'en 1727. Cependant l'ouvrage est publié avec des
précautions qui semblent indiquer chez l'auteur le désir de
ne pas être compromis, au cas où l'œuvre déplairait au tout-
puissant ministre '.
11 donne quatre pièces à un volume de a Mélanges poétiques »
publié par James Ralph ^ Ce sont : une paraphrase de la fin du
1- • For subscriplion is dow at its last gasp, and tbe world seems lo
bave got the betler of that many-headed monster. •
^- • To rerresh you, Madam, wilh chit-chat more agreeable than this,
I bave taken the liberty to put you into the list of subscribers for Thom-
song Poems for which 1 beg your pardon; but I know your taste, and
Ani sure you will give it me... [suit un éloge abondant du poète...]. He
^cerlainly a genius... [et Rundle expose à sa correspondante le plan des
• Saisons »]. (Lettres de Rundle à Mrs. Sandys, lettre XIV, mars 1129.)
3- L'édition originale est publiée par T. Warner, in Paternosler Row,
^s nom d'auteur ni dédicace. La page du titre porte que l'ouvrage fut
^il en 1119. Dans d'autres éditions la date indiquée est 1127. Voir par
^ Mttnifesto of the Lord Proteclor.,, written in Latin by J. Miltoi»... now
i.'^nslaied into English. To which is added Briiannia, a Pocm; by Mr.
^'^OiHON, first published ia 1727. London, Millar, 1733.
w^» « Miscfillaneous PoemSj by several liands : particularly the D... of
p "-n, Sir Samuel Garth, Dean S..., Mr. John Hughes, Mr. Thomson, Mrs.
^*'*r- • Publish'd by, Mr. Ralph... Loudon MDCCXXIX.
78 JAMES THOMSON.
sixième chapitre de saint Mathieu ', une courte plaisanter
sur son ami Murdoch *, quelques vers adressés à Dodingtc
sous ce titre « l'Homme heureux » % et un « Hymne à la Sol
tude » *. Une lettre du 29 septembre nous apporte de préciet
renseignements sur sa vie à ce moment. II est, et pour u
séjour assez prolongé, Thôte de Dodington à Eastbury dans
Dorsetshire. Le maître du logis s'est absenté, appelé à Londn
par ses devoirs d'homme politique; il a laissé son invité dai
la société du Rev. G. Stubbs, pauvre poète et pasteur fo
pauvre '. Thomson donne à entendre à Mallet, son correspoi
dant, qu'il entrevoit le terme de cette période de laborieu;
activité. U pourra bientôt a suspendre sa harpe aux saules »
n se plaint de l'indiiTérence du public, et propose une grè
des auteurs. Le projet d'ailleurs est dépourvu d'héroïsm
puisqu'au moment où il le met en avant, le poète compi
pour une époque prochaine, sur des ressources qui lui assui
ront a cette divine liberté, cette vie indépendante qu'aime
les Muses ». La fm de la lettre est consacrée à des questio
d'ordre plus intime. Mallet est encore le confident à q
Thomson révèle l'état de son cœur, a Je suis réellement amoi
« reux d'une de vos belles voisines; vous savez qui je vei
« dire. » Nous l'ignorons, quant à nous, entièrement; maisnoi
ne sommes point tenté de croire à une passion bien profond
Au moins la mention de ces amours à fleur de cœur inspin
t-elle au poète des pensées délicates et charmantes, a Avoir toi
« jours quelque idée secrète et chère à laquelle on puisse à toi
1. P. 341 du recueil.
2. • The Incomparable Sopori fie Doc tov », p. 343.
3. • The Happy Man », p. 345. Dodington étail le patron et, dit-on,
collaborateur de Ralph. Voir p. 69, n. 2.
A. • A ttymn on Solitude •, p. 346. C^est l'exécution plus achevée d'ui
pièce écrite quatre ans auparavant. Voir la lettre à Mallet du 10 ju
let 1725.
Millan fit paraître, cette même année, un poème anonyme à la mémoi
de Confçreve que l'on a attribué h Thomson. Cette paternité n*est p
prouvée. On trouvera la question examinée dans une autre partie de c
ouvrage.
5. " Poor Stubbs kept me alive. He toils hère in two parishes for 40
a year; had I paper I would rail for a page more at it. » Le Révérer
George Stubbs était un des famlHers de Dodiugton à Eastbury. Thomsc
fait encore mention de lui dans une lettre à Dodington, octobre 1731.
6. « It shall not be long thus, and soon will I hang up my harp upon tl
willows. •
AGHËYEMENT DES « SAISONS ». 79
c moment revenir, au milieu du tumulte et des sottises du
c monde, et qui ne manque jamais de faire naître en nous
I rémotion la plus exquise, c'est là un Art du Bonheur dont
c la Fortune ne saurait nous dépouiller *. y>
Il avait en vérité le droit de songer au repos, car en même
temps qu'il assurait, en écrivant V « Automne i), la fin de sa
grande œuvre, il se préparait à demander au théâtre une autre
gloire et, si possible, des ressources plus prochaines et moins
précaires. Il suivait en cela l'exemple d'un grand nombre de ses
contemporains. Young, Hill, Mallet, Mitchell-Polyphème, pour
ne parler que de ceux avec qui Thomson se trouve en rela-
tions directes et fréquentes, ont fait jouer des tragédies. Ce
n'est pas que le génie dramatique fût alors abondamment
répandu. Il n'est pas d'époque où le théâtre anglais se montre
plus pauvre que durant cette longue période qui s'étend des
drames d'Otway aux comédies de Sheridan. Mais au moins
l'art dramatique offrait-il aux auteurs de sérieux avantages.
Le profit qu'ils en tirent est, au xvni° siècle, notablement
supérieur à ce qu'il était à la fin du xvii^ '. Il est et il restera
longtemps encore plus élevé que celui des autres labeurs
poétiques '. Pour ces derniers en effet les patrons ont cessé de
!• • To turn my eyes a softer way, I am reaily touched wilh a fair
Deigbbour of yours — you know who... Lay your hand upon a kindred
beart, and despise me not. I know not ^hat il is, but she dwells upon my
tboughl, in a mingled seDUment which is the sweetest, Ihc most intima-
tely pleasing the soûl can receiye, and wliich 1 could wish never to want
towards some dear object or other. To hâve always some secret darling
idea, lo Mihich one can still hâve recourse amidst the noise and nonsense
of the world, and which never Taiis lo touch us in the most exquisite
inaooer, is an Art of Happiness Ihat Fortune cannot deprive us of.... »
Il M une curieuse ressemblance de fond et même de tour entre cette
Pensée et celle qu'exprime Mme de Sta£l : « Le cœur a besoin de
Quelque idée merveilleuse qui le calme et le délivre des incertitudes et
<Ics lerreurs sans nombre , que Timagination fait naître... » (Cilé par
A- SoREL, Mme de Staël, p. 48.)
^' ' Old Jacob Tonson purchased the copy right of Venice Prcserved for
^S poQQds. « (Davies, Dramalic Miscellanies, t. III, p. 150.) — Les libraires
^^Doent aux contemporains de Thomson environ iOO livres pour ce droit
^^ publication. (Voir, au sujet du bénéfice des auteurs dramatiques,
^ Beuame, le Public et les Hommes de lellrex, p. 386.)
^; Tandis que Johnson recevait 100 livres de son éditeur pour le nianu-
J^rit à'Irene, il vendait pour 15 livres son poème Upon the Vanity of
°j^»ian Wishes, On sait quel prix modique Goldsmilh recevait de ses
«'Perses productions; sa comédie She Sloops to Conquei' lui valut au con-
''^»'e de 300 & 400 livres.
80 JAMES THOMSON.
payer généreusement, et le public ne donne pas encore de
rémunération satisfaisante. Une gloire fructueuse comme celle
de Pope est chose extraordinaire et toute exceptionnelle. Au
théâtre, au contraire, outre la vente du droit de publication,
les trois soirées réservées au bénéfice de Fauteur lui laissent
presque toujours une somme fort raisonnable, et, si la pièce
rencontre un franc succès, elle peut apporter la fortune au
poète. On connaît le mot qui courait alors sur le célèbre
Beggar's Opéra joué le 29 janvier 1828, avec un succès qui
a rendit Gay riche et Rich gai ».
III
L'annonce de la tragédie de Sophonisha éveilla l'attention
de tout le public lettré. Les répétitions en furent suivies par la
société la plus élégante, et la pièce fut jouée au théâtre royal
de Drury-Lane, le 28 février 1730, devant un auditoire si nom-
breux que beaucoup de « gentlemen i> furent obligés de se
placer dans la galerie supérieure *.
C'est une notion très généralement répandue que la pre-
mière tragédie de Thomson échoua entièrement; c'est aussi
une anecdote reproduite par la plupart des biographes que
l'échec, préparé par la faiblesse de la pièce, fut déterminé par
une parodie burlesque d'un vers malheureux.
Oh! Sophonisha, Sophonisha, oh!
aurait provoqué cette exclamation d'un loustic du parterre :
Oh! Jemmy Thomson, Jemmy Thomson, oh!
L'examen attentif des faits nous oblige à faire d'expresses
réserves sur le premier point, et à nier l'influence sur le sort
de la tragédie du célèbre bon mot.
On peut considérer a Sophonisbe » comme ayant obtenu ut*
succès fort honnête. La tragédie eut dix représentations '. Le^
1. Voir en particulier les biographie de Shiels et de Bell.
2. La 3', la C" et la 9* eurent lieu au bénéfice de Fauteur.
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 81
èces malheureuses n'arrivaient pas à pareil total '; et qua-
rze représentations, comme pour le Mustapha de Mallet,
lient un résultat tout à fait brillant. Le droit de publication
t acheté par Millar 137 livres 10 schellings '. Le prix ordi-
ire pour les tragédies qu'on jugeait valoir la peine d'être
ibliées était 100 livres'. L'éditeur n'eut pas à regretter l'af-
ire: il avait tiré, avant la fin de l'année, quatre éditions *.
oilà des faits qui suffiraient à indiquer autre chose qu'un
iteux échec; il y en a d'autres encore qui sont moins connus.
a correspondance de Rundle relate les applaudissements de
auditoire, et le même témoignage nous est fourni par un
nnemi de Thomson. Une brochure, dans laquelle une attaque
iolente est dirigée contre l'auteur et la pièce *, reconnaît le
uccèsbruyantetpersistantdelaccSophonisbe» : a Cette tragédie
a été recommandée au monde par une foule de Patrons.... Il
est vrai qu'elle parut plaire à certaines personnes; elle avait
des partisans nombreux dans la salle : des Écossais aux mains
harmonieuses et aux pieds joyeux attestaient que c'était là une
vraie fille du Génie •. » Et vers la fin de cette longue diatribe
1. VIrene de Johnson s'éteignit après la 9*.
3- GooDnucn, The English GentlemarCs Library Manual, p. 29i.
3. C'estTora Davics (Life of Garrick, vol. I, p. 148) qui fait connaître ce
rix-courant.
^' • In 1130 four éditions of Sophonisba, a Tragedy, as it is now
<^cdat ihe Theatre-Royal in Drury lane. by Mr. Thomson, were printed
y Bowyer. A small number >^'ere printed iD-4'' on large paper. »
• NiCHOLs, Anecdotes of Bowyer, édit. 1812, vol. I, p. 436.)
^'ACritidsin of Ihe New Sophonisba,,,, MDCCXXX, L'auteur anonyme
^^ évidemment un confrère. l\ fait à plusieurs reprises menlion d'une
]Médie du Timoleon qui fut jouée à Drury-Lane un mois avant • Sopho-
i^be •. Il établit entre les deux pièces une comparaison qui est tout à
ivaola^e de la première, et accuse Thomson d'avoir manifesté, pendant
^ représentation de cette tragédie, une jalousie inconvenante. On a
apposé que l'auteur du pamphlet était un ami de Benjamin Martyr, le
^^ de Timoleon. Nous admettrions môme volontiers qu'il faisait avec
'luis:! une seule et même personne. 11 se donne, au cours de ses aigres
^marques, le pseudonyme burlesque de Tim Birch, qui, si on le compare
,^QJamin Martyr, a bien avec ce nom quelque air do parenté. • 1 pro-
'■^d not to appear in the Pit till the author's 4"> benefit Night when
*ïpecl for my Service a Ticket directed for me Tim Birch at Richard's
^^e House, Temple Bar. •
^- • The Tragedy has been recommended to the World by a crowded
■iFonage.... 'Tis irue the Thing seemed to please somc Pensons; Ihere
^ a numerous Party in the House, Scolchmen with tuneful Hands and
'^''17 Peet, atlestcd it to be a truc Uarn of Wit.... 1 don t expect the
^nour of being answer'd by Uie Âuthor or any of his admirers...< l was
6
Si JAMES THOMSON.
Fauteur conclut avec mélancolie : c Je ne m'attends pas
« ce que le poète ni ses admirateurs me fassent Thonne
(t d'une réponse.... J'ai appris que le droit de publication a i
« vendu,... je ri% pense pas que les fautes empêchent la ver
c de la tragédie, i»
La note exacte, qui nous fait connaître l'impression du pub!
éclairé de 1730, nous est donnée par le Dr. Rundle. c Je vo
« envoie a Sophonisbe », écrit-il à Mrs. Sandys. C'est, à m<
a sens, une distraction raisonnable à laquelle la vertu ell
ce même peut accorder quelques larmes d'approbation.... ]
a sujet est mauvais; sa seule justification, c'est qu'il est vn
« Le style est incomparable, mais le plaisir qu'il procure n'i
c pas de cette qualité populaire qui remplit les théâtres d'à
« diteurs nombreux *. d
La parodie célèbre que Cibber et Johnson attribuent à '
plaisant du parterre n'eut donc pas sur les destinées de la pié
l'influence fatale qu'ont supposée les biographes. La rais
pourrait bien en être qu'elle ne fut pas improvisée et lanc
aux échos de la salle, au milieu des éclats de rire des speci
teurs, comme la légende s'en est établie. Nous doutons fort q
les contemporains de Thomson l'aient connue aussi général
ment que nous. C'est Johnson qui l'a rendue célèbre. No
venons de voir que la pièce ne tomba aucunement après J
premières représentations. Nous ajouterons que le vers maie
contreux se retrouve non seulement dans les quatre éditions (
« Sophonisbe » qui parurent en 4730, mais encore dans Téditit
des œuvres complètes de 1738 ^ Ce n'est qu'après cette da
que le vers fut changé en cet autre :
0 Sophonisba, I am wholly thine!
informée! the first Night that the CÔpy was sold for 100 pounds.... I do
Uiink the fauUs will be any hindrance to tho sale. •
1. « 1 send you SophonisfjOy which I think a reasonable eatertainiiK
becoming virtue herself to behold with tears of approbation.... 1
story is a bad one, and ils being true is the only justification of it. T
writing is incomparable, though the pleasure it atfords is not of that pi
ular kind which can draw crowded audiences.... When it was acU
however, (he sentiments of virtue and honour were universally felt w
pleasurc; and the audience was hurried, by the divine eothusiasm
nature, to honour, by the praise of their hands, those moral beaut
which they can not forbear loving.... » (Rundlb. Lettert to Mr$, Sand,
16 mars 1129-1730, p. 105.)
2. On est étonné de voir que Terreur commune sur cd point soit pi
ACHÈVBMENT DES « SAISONS ». 83
Est-il vraisemblable que Tauteur eût obstinément conservé
un vers devenu ridicule? N'est-il pas plus probable que la
parodie eut un succès limité à un cercle étroit? Elle se trouve
dans la c Critique » du prétendu Tim Birch. Passant en revue
ce qu'il appelle ironiquement c les beautés de pensée et de
style >, il annonce le vers comme « a fine Epanodos, in imita-
lion of Farnaby * », et inscrit au-dessous sa propre imitation :
cOh! Jemmy Thomson, Jemmy Thomson, oh! t> Mais pas une
allusion à la popularité de cette parodie; rien qui fasse supposer
qu'elle ne provienne pas, aussi bien que toutes les autres
ironies ici dirigées contre Thomson, du propre cru de Tim
Birch. Telle nous semble bien être en effet l'origine de cette
amusante plaisanterie. Elle ne fut connue d'abord que des lec-
teurs, sans doute assez peu nombreux, de la ce Critique ». C'est
là que Fielding l'a recueillie ', et après lui Cibber et Johnson.
De ces lazzis fameux qui sont restés attachés au souvenir de
certaines pièces, il est deux catégories. Les uns, authentiques,
ont entraîné ou accompagné la chute de l'œuvre; les autres
plus nombreux ont été sans effet sur les représentations, parce
Qu'ils ont été imaginés après coup. C'est à cette catégorie,
croyons-nous, qu'appartient celui qui a immortalisé un mauvais
vers de c Sophonisbe ».
La reine avait manifesté un intérêt spécial pour cette
première œuvre dramatique du poète. Ce fut donc à elle
^tt'il la dédia. Dans quelques mots de préface il reconnaît
*vec modestie les fautes de ce début ', et renvoie aux inter-
^^ même par un historien aussi prudent et aussi exact que Allan
p^oningham : • The line was amended in the second édition », dit-il
(p. 88).
'• Probablement Thomas Farnaby, Tauteur d'un Systema Gramma-
''*^*«w (1641).
^* Dans son amusante tragédie burlesque The Tragedy of Tragédies;
^^ 'Af Life and Death of Tom Thumb the Great, publiée aussi en 1130. Le
PJ^cédé suivi est exactement celui de Tim Birch. Le vers de ■ Sophonisbe »
^ cité comme imité de cet admirable modèle de Tom Thumb :
Oh! Huncamunca, Huncamunca, oh!
^ ^ n'est pas la dernière plaisanterie qu*ait inspirée le malheureux vers;
^^8 le verrons dans notre étude de la tragédie de Thomson.
1^ ^* Cette préface contient la traduction d'un passage • from the celé-
j^^^ted Monsieur Racine ». C'est ce fragment de la préface de Bérénice (et
^^n pas d'Iphigénie, comme dit Brugière de Barante) où le dramaturge
^^Dçais justifie les règles de la simplicité d'action et de Tunilé de temps.
84 JAMES THOMSON.
prêtes, Wilks, et surtout Mrs. Oldfleld *, le mérite du succès
Johnson rapporte, sur Tautorité de Savage, que le prologu
de la tragédie fut écrit, pour la première partie, par Pope, e
pour la deuxième, par Mallet. Le fait serait intéressant, car
témoignerait d'une faveur tout exceptionnelle. Pope était soi
vent sollicité de rendre pareils services
4 Les souhaits modestes d'un autre poète se bornent à a
c trois points : — mon amitié, un prologue et dix livres '. >
1. Mrs. Oldfield occupe une place importante dans la chronique Ihê
traie et littéraire de ce temps. Elle se posait en protectrice du mérî
infortuné (Savage fut plus d'une fois son obligé et lui a adressé une ode
elle avait des prétentions au f^oAt et au talent de parole. Pope
Taimait pas, et dans son « Art of Sinking » tourne en ridicule une façon
parler qu'il désigne sous le nom d'Olddeldismos, imprimé en caractèi
grecs. Voltaire semble avoir apprécié son talent dramatique et meotion
dans l'Épi trc dédicatoire de Zdire
• Votre Ohifleld et sa devancière. •
Le rôle de Sophonisbe fut sa dernière création, et, disent les annales
théâtre, la cause immédiate de sa mort.
• The pari of Sophonisba, a Tragedy (by Mr. Thomson, famed for ma.
excellent Poems) was repiited the cause of her Dealh; for, in her Exe<
lion, she went beyond Wonder, to Astonishment! From that Time I"
Decay came slowly on and ncver left her till it conducled her to V
eternal Rest, the 23'<* of Oclober 1730.... Oh! that we might bave anoth
from her ashcs I ■ (Chetwood, Ilistory of the Stage, p. 202.)
2. La liste des inlerprctes est celle-ci : .Massinissa, Mr. Wilks; Syph£
Mr. Mills; Narva, Mr. Roberls; Scipio, Mr. Williams; Lœlius, Mr. Brid^
water; Sophonisba, Mrs. Oldfield; Phœnissa. Mrs. lloberts.
Les chroniques du tbéiltro enregistrent quelques anecdotes se rapporta
& ces représentations de Sophonisba.
La biographie de Shiels (Cibber's Lives) prétend que Thomson s*éta
placé, pour suivre la représentation, dans la galerie supérieure, mais qu
dans l'état de surexcitation où il se trouvait, il ne pouvait s'empêcher c
déclamer les rôles en même temps que les acteurs, et d'annoncer h
scènes a venir. — Nous verrons plus loin que ce racontar peu vraisen
blahle est rapporté, par d'autres autorités, à la représentation d'autn
pièces. Voici une anecdote moins connue et plus authentique :
a When Thomson's Sophonisba was read to the actors, Cibber laid h
hand upon Scipio, a characler which, though it appears only in the la
act, is of grent dignity and importance. For two nights successivel
Cibber was as much exploded as any had actor coiild be. Williams, l
désire of Wilks, made himself masler of the part, but he, marchic
slowly, in great mililary distinction, from Ihc upper part of the stag
and wcaring the same dress as Cibber, was mislaken for him and m
with repeated hisses joined to the music of catc&ls, but as soon as tl
audience were undeceivcd, they converted their groans and hisses to loc
and long continued applausc. ». (T. Davies, Misceltanies, vol. 111, p. 263
3. « Three things another's modest wishes bound,
My friendship, and a prologue, and ten pounds. »
(Epistle to Arbuthnotj vers 47, 48.)
AGBËVEMENT DES « SAISONS ». 85
Il s'était fait une règle de répondre par un refus, et nous le
voyons agir de la même façon envers Mallet, envers Thomson
et envers Hill. Celui-ci Tavait prié de lui fournir un prologue
pour sa tragédie d*Athelwdld et reçut cette réponse :
i ... Tous les poètes mes amis ont reçu ma parole d'honneur
que je n'ai jamais consenti à en écrire un ; ... et, cet hiver même
Mr. Thomson et Mr. Mallet m'excusent au sujet de leurs tra-
gédies qui vont paraître cette saison-ci ou la prochaine '. >
Sans doute une affirmation de Pope n'entraîne pas nécessai-
rement notre conviction. Ici même, malgré la netteté de ses
dires, nous pouvons constater qu'il ne respecte pas scrupuleu-
sement la vérité. On connaît en effet de lui au moins un pro-
logue pour le Cato d'Addison, un autre pour une pièce jouée
en 1733 au bénéfice du vieux Dennis, et un épilogue pour la
^ane Shore de Rowe. Mais la véracité de Savage est peut-être
plus encore sujette à caution, et les circonstances donnent un
caractère de vraisemblance au démenti de Pope. Il est extrê-
mement probable que le Prologue fut écrit en entier par
Mallet.
Vers le milieu de cette même année 1730, parut enfin le
poème complet des « Saisons » *. L'auteur avait achevé la der-
^' ■ .... Kvery poelical friand I hâve bas my word 1 ncver wouîd, and
^y leavc to take the same refusais I made him ill if ever I wrole one for
^olher; and this very winter .Mr. Thomson and Mr. .Mallet excuse me,
J^bose tragédies eilher are to appear this season or Ihe next. » (Pope à
"''U9»ept. 1731.)
^tragédie de Mallet dont il s*agit est Eurydice^ jouée en 1731« qui est
'Qcntiouri^Q dans la correspondance de Thomson avec Mallet, le 20 sept. 1739.
f^^t^ Hill, qui faisait beaucoup moins de façons que Pope, envoya à l*au-
or ^^Eurydice un prologue pour sa pièce, avant que celui-ci lui en eût
"Jl**^ demande. (The \york$ of Hill, édil. 1734, p. 95.)
''Gitans auparavant, Pope opposait déjà pareil refus aux sollicitations
^ .^^* confrères. Fenlon, son collaborateur a ses traductions d'Homère,
s'ex ^^ pouvoir lui demander un service de ce genre, et le grand homme
g^^^sa en lui disant : • I bave actually refused doing it for the Duke of
2 ^'^ngham's play •. (Lettre de Pope à Fenton, du 18 sept. 1722.)
:^ti *^rès probablement au mois de juin, comme nous l'apprend cette indi-
li^ ^^ : " I bave a copy of the 1730 édition wilb the four bathers. It bas
^*^llowing interesting entry in the fly-
Manniug, in Notes and Queriet,
)Q^*^llowing interesting entry in the fly-leaf : - Jac* Thomson Alex® Pope
t ^^ dédît, mense Junio, 1730. • (G. R. \
^^rie, vol. XI, p. 434.)
' »^ numérotation de cette édition princcps donne pour 1' « Été • 1205 vers
^*^ our r • Automne » 1275. C'est une erreur de Timpression. Deux vers de
Été • ont reçu le nombre 725; et dans V - Automne • il n*y aen réalité que
«rs entre les numéros 70 et 80. (Voir & ce sujet le Ubleau dressé par
86 JâMBS TffOMSON.
nière partie qui en restât à écrire, V «c Automne », et Tavait
dédiée en quelques vers incorporés dans l'œuvre, au Très
Honorable Arthur Onslow \ le speaker qui avait remplacé sir
Spenser Compton. C]!onformément à l'engagement pris dans
les c propositions i> par lesquelles il avait sollicité des sous-
criptions, Thomson avait ajouté à l'œuvre un « Hymne à la
gloire de Dieu i>. U avait aussi revu les parties antérieurement
publiées, en y faisant des additions importantes \ Les sous-
cripteurs n'avaient pas à se plaindre; ils n'avaient pas trop
longtemps attendu, et recevaient pour leur guinée un fort
b^u volume in-quarto, avec quatre gravures de Kent, conte-
nant, outre les c Saisons » et 1' « Hymne », le « Poème sur
Newton », «c Britannia » et, en appendice, quatre petites pièces *
de vers *.
Peut-être l'auteur était-il moins satisfait du public; le pro-
duit des souscriptions ne devait pas laisser un bénéfice très
Mr. BoItoD Corney dans son édition des - Saisons » de 1842, et les commu-
nications de MM. F. Cunningham et Cook dans Notes and Queries, 4* série,
vol. XI, p. 419 et 530, et vol. XU, p. 58.)
1. C'est, dans les annales du Parlement anglfiis, le speaker qui a le plus
longtemps occupé ces fonctions. Appelé au fauteuil en 1128, il y siégea jus-
qu'au 18 mars 1161. Les Communes lui votèrent alors d^unanimes remercie-
ments, en priant la Couronne de lui accorder une pension annuelle de
3000 livres.
Les compliments du poète à ce nouveau patron sont heureusement jus-
tiOés. Onslow jouissait d'une réputation d'homme d*Ëtat intègre, de pré-
sident impartial, de jurisconsulte savant, et en même temps d'homme de
goût, ami des lettres. Young lui a dédié le premier livre de ses Nighi
Thoughls^ et Richardson a trouvé en lui un patron zélé.
2. On en jugera par ces chifTres :
. L' « Hiver » avait 405 vers dans la première édition et 181 dans rin-4 de
4130. L' • Été • passait de 1146 vers à 1205. Le « Printemps» recevait une
faible addition de 5 vers (1081 au lieu de 1082) correspondant & l'insertion
de la dédicace à lad y Hertford.
Quant à r • Automne • et à T « Hymne » qui paraissent pour la première fois,
ils comptent le premier 1275 vqts et l'autre 121.
3. Tandis que ni les «Saisons», ni le « Poème » à la mémoire de Newton
ne portent de nom d*éditeurs, Britannia est donné comme une 2« édition,
imprimée pour J. Millan, et a une pagination spéciale.
Les exemplaires de cette édition princeps des « Saisons • sont devenus
extrêmement rares. La bibliothèque du British Muséum n*en a pas. La
bibliothèque de l'Université d'Edimbourg en possède un qui est en parfait
état de conservation. U lui a été donné par lord Buchan, le biographe de
notre poète. Lord Buchan Pavait reçu de son père qui avait été Tun des
souscripteurs à la première édition. C'est cet exemplaire même qu'un jour
l'enthousiaste biographe et admirateur de Thomson couronna de lauriers
à Ëdnam dans une cérémonie pompeuse de gloriflcation du poète sur
laquelle nous donnerons quelques détails.
ACHÈVEMENT DES « SAISONS ». 87
considérable après le paiement des frais de cette luxueuse
publication. 386 souscripteurs avaient demandé 454 exem-
plaires*. Dodington en prenait 20; John Conduitt, le neveu de
Newton, en prenait 10; le « provost » d'Edimbourg, 10; Bur-
lington, 5; Forbes, 5; Pope, 3; et Mrs. Martha Blount, 1;
Walpole et lady Walpole, 3; lord et lady Hertford, 3; sir
Spencer Compton, devenu comte de Wilmington, figure dans
la liste pour un seul exemplaire*.
Bientôt après cette publication privilégiée, une édition plus
modeste est mise en vente par Millan et Millar. Elle est de
format in-8« et composée d'exemplaires de la deuxième édition
du « Printemps », d'une troisième édition de V v. Été ï), d'une
édition nouvelle de 1' a Hiver », et d'une impression particu-
lière de r « Automne » et de 1' a Hymne » 3. L' d Automne » est
mis en vente séparément par Millan, au prix de un schelling
(première édition de cette c Saison » isolée), pour les lecteurs
qui, possédant déjà les autres parties, veulent compléter le
poème.
C'est un exemplaire de l'édition in-quarto que Rundle avait
1. Lowndes dit « environ 360 •, confondant évidemment le nombre
d'exemplaires souscrits avec le nombre des souscripteurs.
2. Voici les noms les plus intéressants à extraire de cette longue liste :
William Aikman; Dr. Arbutlinot; Karl of Uuchan; Lord Bolingbroke;
Sir William fiennet of Grubbat, Bar*; Mrs. Martha Blount; Karl of Chester-
field; John Conduitt, Ësq., 10 B. (c'est-à-dire 10 exemplaires); The Hon. Sir
John Clark, Ban, 3 B.; The Hon. Ëdw. Carteret; Thomas Cragie, 6B.;
Dr. William CranstouD;The Righl Hon. George Dodington, Esq., 2U B. ; The
Hon. Hugh Dalrymphe Esq.: Mrs. Anne Drelincourt; University Library,
Edinburgh; Capt. William Elliot; Mrs. J. Elliot; Mr. Elliot; The Right Hou.
Duncan Forbes, Esq., 5 B.; Duke of Gordon; xMrs. Gray; Earl of Harlford;
Gountess of Hartford, 2 B.; Mr. Gavin Hamilton, 4 B.; Wil. Hamilton, Esq.;
Mr. John Rer, King's Collège, Aberdeen ; The Righl Hon. Patrick Lindsay,
Esq., Lord Provost of Edinburgh, iO B. ; Sir Wilfrid Lawson, Bar, 2 B.;
The Hon. Worlley Mouniague É)sq. ; David Mitchell, Esq., 4 B.;Audrew
Mitchell, Esq.; Mr. Mallet; Mr. Patrick Murdoch; Mr. John Murdoch;The
Right lion. Arthur Onslow, Esq.; The Hon. Mrs. Onslow; Mri«. Oldlicld; Earl
of Peterborough ; The Right Hon. Wil. Pulleney; Thomas Pelham, Esq.;
Alcxander Pope, Esq., 3 B.; The ReV» Mr. Pitt; The Rev. Dr. Riindle;
Mr. Allan Ramsay; Wil. Somerville; Mrs. Stanley; Richard Savage Esq.;
Mrs. Sandys; The Rev» Mr. Spence; Lord Viscount Tyrconnel; Charles
Talbot, Jun. Esq. ; Mr. John Thomson, 4 B.; Thomas Tickell Ksq.; Earl of
Wilmington; The Right Hon. Sir Robert Walpole; The Right Hon. Lady
Walpole, 2 B.; HisExcellency Horace Walpole, Esq.;TheRev'»Mr. Whatley;
The Rev' Dr. Edward Young.
3. Il en résulte que, tandis que le « Printemps o n'a point de pagination
numérotée, chacune des deux autres parties a sa pagination spéciale.
88 JAMES THOMSON.
ofTert à son amie Mrs. San dys quand il lui écrivait, le 16 juillet :
« Je me suis permis de vous envoyer comme présent les c Sai-
c sons i> de Mr. Thomson, un ouvrage où la raison et Timagi-
« nation inspirent autant de beautés Tune que Tautre ' >. Mais
Tadmiration et le dévoûment de Rundle ne s'en tenaient pas
à des compliments. Il avait présenté son protégé à sir Charles
Talbot, alors solicitor-general , et Tavait recommandé pour
servir de « travelling tutor 3» au fils aîné de Sir Charles. C'était
alors un usage très général, et qui s'est conservé longtemps
après, que les jeunes gens de l'aristocratie anglaise allassent
parfaire leur éducation par un voyage sur le continent. Lee Tour
d'Europe » (ou simplement le « tour i)) était une institution
consacrée, à l'égal du séjour à l'Université. Le jeune homme
était accompagné d'un « tutor », moins précepteur que mentor,
qui veillait sur lui, et faisait en sorte que le voyageur trouvât,
dans la gaie capitale de la France ou dans les villes italiennes,
non pas seulement les plaisirs qu'elles offraient aux étrangers,
mais aussi une solide instruction, la familiarité des langues',
le perfectionnement des manières et du goût, et tout ce que
comporte de précieuse culture pour l'esprit la connaissance
des c hommes et des cités ». Le choix de ce « travelling tutor »
portait, selon les familles, sur un homme d'Église ou sur un
homme de lettres. C'est à Thomson que Sir Charles Talbot
confia la mission d'accompagner son fils '.
La décision avait été prise (les biographes ne Font pas
remarqué) plus d'une année avant qu'elle fût mise à exécu-
tion. Dans une lettre à Mallet du 20 septembre 1729, le poète
annonce une prochaine modification de sa situation; il va
« suspendre sa harpe aux saules » *. Il n'est pas douteux qu'il
ne fasse allusion aux arrangements pris avec sir Charles pour
1. Lettres de Rundle à Mrs. Barbara Sandys, lettre XVI.
2. A aucune époque plus que durant le xvin<^ siècle, la connaissance du
français n'a été considérée en Angleterre comme le complément indispen-
sable d'une bonne éducation. Pour les jeunes geusqui ne pouvaient s^ofTrir
« le tour d'Europe », on cherchait des moyens moins dispendieux. Le
8 octobre 1728 paraissait^ Londres le 1" numéro d'un journal, The Flying
Pùst or Weekly Medley, destiné à faciliter l'élude du français.
3. C'est ainsi que Hill avait servi de travelling tutor à sir William Went-
worth pendant un tour d'Europe qui dura près de trois ans; et que Mallet,
après avoir quitté la famille de Monlrosc, passa plusieurs étés à visiter le
continent avec un fils de Mr. Knight de GosOeld.
4. Voir p. 78
AGBËVfiMENT DES « SAISONS ».
89
Tannée suivante. Et c'est pour terminer avant son départ les
œuvres entreprises que Thomson, en quelques mois, achève
sa tragédie et livre à l'imprimeur la dernière partie de son
grand poème. Son labeur de cinq années était couronné de
succès : il avait acquis d'honorables et précieuses amitiés, et
la renommée littéraire. Quant à la fortune, il pouvait Tespérer
de la protection puissante de Talbot, appelé à occuper bientôt
une des plus hautes charges de l'Ëtat.
Le nouveau précepteur se prépara donc à ce voyage avec
une satisfiaction que nous pouvons imaginer. Il allait réaliser
QQ de ses plus vifs désirs. II allait connaître l'indépendance,
la vie affranchie des misérables soucis de la pauvreté, affran-
chie même de la nécessité du travail. Pas d'autre occupation,
dans cette existence toute nouvelle, que de charmer ses regards
de beautés sans cesse renouvelées et d'enrichir son esprit
d'observations infiniment variées. Le jeune Talbot était pour
lui un compagnon et un ami. Il avait vingt ans; un mentor
de trente ans était plutôt fait pour s'associer aux gaités de son
élève que pour les réprimer. Tout le monde trouvait son
compte aux dispositions prises. Sir Charles savait qu'il confiait
son fils à un honnête homme, en même temps qu'à un esprit
d'élite. Charles Richard Talbot appréciait chez son précepteur
une bonté éprouvée et une bonne humeur communicative.
Enfin Thomson se promettait les plus vives jouissances de
cette expédition où une ample moisson d'observations allaient
s'offrir aux deux hommes qu'il portait en lui : l'artiste épris
des formes et des couleurs de la nature, et le philosophe
moraliste curieux des problèmes sociaux.
CHAPITRE IV
LE TOUR d'eUROPE. — RETOUR A LONDRES
« LA UBERTÉ ». — RIGHMOND
I
Nos deux voyageurs partirent vers la fin de Tannée 1730
avec rintention de passer l'hiver à Paris. Les seuls renseigne-
ments directs que nous ayons sur ce séjour, et, du reste, sur
tout le voyage, nous sont donnés par trois lettres de Thomson
àDodington *. La première est datée du 27 décembre (nou-
veau style). Elle nous apprend que les jeunes Anglais sont
arrivés depuis peu de temps à Paris. Nous y trouvons aussi la
preuve que, dès son arrivée, Thomson s*est mis en relations
directes avec Voltaire. C'est un fait qui a échappé aux biogra-
phes et aux annotateurs, et sur lequel nous insisterons, en
citant les passages de la lettre qui l'établissent.
« Le Brutus de M. de Voltaire vient d'être joué sept ou huit^
a fois avec succès et se joue encore *.... Voltaire se propose^»
« dans sa préface, de se lancer dans la critique; et Dieu ai^
tt pitié des pauvres comparaisons qui terminent les actes d^
1. Pelles ont été imprimées pour la première fois dans les Anecdotes <le
Seward. Voir vol. V, p. 137.
2. n fut joué 16 fois.
LE TOUR D'EUROPE. 91
L nos pièces anglaises ! car il semble que ce soient là de fort
L dignes objets de sa française indignation '.... i>
Or, la préface de Brutus ne renferme aucune allusion à ce
x>Lnt particulier de critique. Ce n'est que plus tard, quand il
[>ubiie la deuxième édition de Zaîre^ que Voltaire énonce, dans sa
ieuxième Épitre dédicatoire à Mr. Falkner % sa désapprobation
d*un usage alors constant chez les poètes tragiques de TÂngle-
lerre. Thomson connaît donc, au mois de décembre 1730, des
opinions que l'écrivain français ne devait pas rendre publiques
avant plusieurs années. Comment douter qu'il les ait recueil-
lies de là bouche même de Voltaire? Dans le ton ironique avec
lequel il parle de reproches auxquels son unique tragédie
l'exposait autant que personne, il semble que nous retrouvions
récho des conversations du brillant auteur de Brutus avec
le poète anglais, tout empressé de venir l'entretenir de sa
récente c Sophonisbe ».
Ils s'étaient du reste connus en Angleterre, avant que
Thomson eût encore abordé la scène. Voltaire lui-même nous
l'apprend '. Il était arrivé à Londres, en mai 1726 *, au
moment même où le succès de 1' « Hiver » commençait à en
rendre l'auteur célèbre. Curieux de connaître toutes les illus-
trations britanniques, il désira sans doute rencontrer le jeune
poète écossais. Les occasions ne lui manquaient pas. Venu en
Angleterre comme l'hôte de Bolingbroke, le chef du parti tory,
1. c Paris, December 27, N.-S. 1730.
I • M. de Voltaire^s Brutus bas been acted hère seven or eight limes with
I ^pplause, and still continues to be acted.... Voltaire, in his préface, designs
to hâve a stroke at criticism; and Lord hâve mercy on the poor similes al
tbe eDd of the acts in our English plays, for thèse seem to be very worlhy
objecU of his Frencb indignation.... »
2>E?erard Falkner ou Faulkner avait connu Voltaire à Paris et celui-ci
troQva chez lui, & Wandsworlh, près de Londres, Thospitalité la plus gra-
[ ^^^^^ pendant une grande partie de son séjour en Angleterre. — La
|oHune de cet ancien négociant fait Fadmlration de Voltaire (voir lettre
■^•Thiériot du !•' sept. 1735). • Notre Falkener », comme rappelle Voltaire,
fut nommé ambassadeur à Constant inople, fut anobli, devint secrétaire du
Jjjcde Cumberland et Tun des Postmasters-General. Il épousa en 1747 une
f ""* <ïa général Churchill, et mourut à Bath le 16 novembre 1758.
\ j ^^^ *^50, Lyttelton avait* envoyé un exemplaire d'une édition nouvelle
««8 OBOvres de Thomson à Voltaire, et celui-ci dit en répondant : « 1 was
^u%ted with the author when I was in England ».
*• Probablement le rS du mois, selon les ingénieuses conjectures de
iT"*^. Churton CoUins, dont le travail, très nourri et très intéressant, sur
^joor de Voltaire en Angleterre, nous a beaucoup servi
92 JAMES THOMSON.
il voulut s'assurer sans retard une amitié puissante dans le
parti politique opposé. Il s'adressa à Bubb Dodington pour qui
Horace Walpole Taîné, alors ambassadeur à Paris, lui avait
donné une lettre de recommandation. Il profita plus d'une fois
de la libérale hospttalité d'Eastbury. C'est là qu'il se lia avec
Young d'une amitié durable. Il s'y trouvait en 1727 et y ren-
contra très probablement Thomson • qui, cette même année,
dédiait l' a Été d à Dodington.
La maison de Pope à Twickenham, près de Richmond, est
encore une de celles où Voltaire et Thomson purent se trouver
réunis. Dès le mois d'avril 4724, Pope exprimait son admira-
tion pour la Henriade ', et il semble qu'une correspondance
se soit dès lors engagée entre les poètes •. Voltaire alla rendre
visite à son illustre confrère dès qu'il fut en Angleterre, et
plusieurs récits nous ont été transmis de l'entrevue de ces deux
royautés littéraires. Il est vrai que, dans ce cas, comme pour
plus d'un autre événement historique, les trois comptes rendus
diffèrent totalement *. Voltaire en tout cas resta un visiteur
assez assidu de Pope *, et eut plus d'une occasion de voir
chez celui-ci l'auteur des a Saisons ».
Chez lord Chesterfield, dont il trouvait l'ordinaire trop cher.
1. C'est aussi la supposition à laquelle s'arrête Tauteur d'un volumineux
ouvrage »ur le séjour de Voltaire en Angleterre, VoUaire's Visil to England,
i726-1729, by Archibald Ballantyne, London, 1893.
2. Lettre à Bolingbroke, du 9 avril 1724.
3. Lettre de Pope à Carye, du 25 décembre 1725.
4. Owen RufThead, le premier biographe de Pope, dit que celui-ci retint
à dîner son illustre visiteur, et que la conversation de Voltaire fut à ce
point inconvenante que la mère de son hôte dut quitter la table (Ruffhbad,
Life of Pope, in-4, p. 156). C'est la version qu'a adoptée et répandue Johnson
dans sa vie de Pope.
Goldsmith rapporte qu'à la vue de Pope, si chétif et malingre, Voltaire
éprouva un sentiment de compassion, qui se changea en admiration quand
le poète anglais se mit à parler.
Enfin un troisième historiographe, Duvernet, nous dit que les deux
grands hommes n'arrivaient guère à se comprendre. (Cité par M. Ghurton
Collins.) C'est à coup sûr le plus vraisemblable des trois récits. Voltaire
tout nouvellement arrivé en Angleterre n'en pouvait encore parler la
langue que très imparraitemenl; et quant à Pope, c'est Voltaire lui-même
qui nous dit « qu'il pouvait à peine lire le français, et n'en parlait pas un
mot u. (Cité par Mr. Churton Collins.)
5. Faisant de Thospiialité reçue le plus odieux usage, s'il faut croire,
comme le rapporte RulThead, qu'il rendait compte au parti whig des ren-
seignements que pouvait lui laisser surpendre l'amitié confiante de Boling-
broke et de Pope.
LB TOUR D*EUROPE. 93
et pour qui Thomson a poétiquement exprimé une vive
admiration ; chez Mrs. Conduitl * , cette nièce du grand
Newton, de qui Voltaire apprit l'anecdote, devenue grâce à lui
fiimeuse, de la pomme tombant d'un arbre et faisant jaillir
dans l'esprit du savant la pensée de son immortelle hypothèse;
dans les théâtres où Voltaire fréquentait assidûment, parce
qu'il y trouvait une excellente façon d'étudier la langue *;
dans presque tous les lieux où l'infatigable Français portait
sa curiosité, son avidité d'apprendre, son esprit étincelant et
ses audacieuses galanteries, il fut exposé à rencontrer le jeune
poète dont les productions successives appelaient et retenaient
l'attention de toute la société élégante et lettrée '.
Cette lettre de décembre 1730 nous montre qu'au milieu des
plaisirs de Paris, Thomson mûrit le projet de nouveaux tra-
vaux poétiques. Il entretient Dodington du plan d'un poème
où 11 décrirait les pays qu'il allait visiter, en y ajoutant des
1. Elle a prouvé son iniérôl et son eslime pour Thomson en souscrivant
poor dix exemplaires à la publication des v. Saisons ».
2. • This noted author (Voltaire), about twenty years past, resided in
London. His acquainlance wilh Ihe Lauréate brouglit him frequcnlly to
Ibe Théâtre, where (he confess'd) he improved in the English ortho-
grapby more in a week, than he sbould otherwise hâve done by labour'd
stndy in a montli. 1 furnish'd him every evening with the Play oT the
Night, vehich be took with him inlo the Orchestra (his accustomed seat) :
in four or five months, he not only convers'd in élégant Elnglish, but
wrote it with exact propriety. » (Chetwood, A gênerai histoty of the stage,
London, 1149, p. 46.)
Ses progrès furent en effet singulièrement rapides : il publiait dans
l'hiver de 1127 deux « Essays » en anglais : An Essay upon the civil wai^s in
France. An Essay upon Epie Poetry. — Il devint même poêle anglais,
témoin cette petite pièce adressée à Molly Lepei, femme de lord Harvey :
Harvey, would you know the passsion
You hâve kindied in my breasi?
Trifling is the inclination
That by words can be express'd.
In my silence see the lover
True love is best by silence known ;
In my eyes youMl best discover
Ail the power of your own.
Vingt ans plus tard, il avait conservé de cette langue une connais-
sance assez sûre pour pouvoir répondre dans un anglais très honnête à ses
correspondants d'outre-Manche.
3. Cette période du séjour de Voltaire (mai 1726 à février 1729) est celle
de la plus active production littéraire de Thomson : elle embrasse la publi-
cation de - THivep », de • TÉté », du « Printemps », du • Poème à la mémoire
de Newton • et de « Brilannia ».
94 JAMES TflOMSON.
observations morales sur les gouvernements et les peuples *.
C'est ce projet que réalisa plus tard le poème Liberty^ et
l'esprit qui devait Tinspirer est résumé tout entier dans cette
courte phrase de la lettre : a I shall return no worse English-
« man than I came away d.
Le jeune Talbot était en parfaite union de sentiments avec
son (L tutor ». Tous deux avaient au même point la conscience
de la supériorité de l'Angleterre, et le mépris de tout ce qui
n'est pas britannique. Cette disposition d'esprit pouvait être,
pour nos voyageurs, une inépuisable source d'intimes satisfac-
tions; mais elle les préparait mal à comprendre et à juger
exactement les hommes et les institutions qu'ils se proposaient
d'étudier. « Le fils aîné de sir Charles Talbot », écrivait
Rundle à la fin de janvier, « est à Paris, et s'y comporte
t comme on pourrait le souhaiter. Son rude amour anglais de
c la liberté dédaigne cet esclavage brodé qui brille à cette cour
« frivole. Il hait les chaînes, même celles qui sont en or '. »
L'automne de l'année 1731 trouve encore nos pèlerins
à Paris; mais ils se préparent à poursuivre leur route. Ils ont
épuisé les plaisirs et les curiosités de la grande ville, et se sont
rendus maîtres de la langue; ils vont se diriger vers l'Italie.
c II me tarde », écrit Thomson à Dodington, le 24 octobre, c de
c voir les champs où Virgile butinait son miel immortel, et
« de fouler ce sol où les hommes ont pensé, ont agi avec tant
« de grandeur '. »
1. tt .... There are scarce any travellers to be met with who hâve given a
landscape of Ihe counlries through which Ihey bave trayelled, tbat bave
secn (as y ou express it) with the Muses' eye.... It seems to me tbat such a
poetical landscape of coun tries mixed with moral observations on their
government and people, would not be an ill-judged undertaking. •
On est tenté de croire que Pidée du poème descriptif vient bien du génie
môme de Thomson, et que celle du poème philosophique et prédicant lui
est inspirée par le goût de son public d'Angleterre, peut-être aussi par les
conseils de Voltaire. Ce dernier, parlant de Thomson en 1750, louait sur-
tout en lui un poêle vraiment philosophe, et ajoutait : « I think, withont
a good stock of such philosophy, a poet is just above a fiddler, who
amuses our ears, but does not go to our soûls • (Voltaire & Lyttelton,
Paris, 17 mai 1750). (PiiiLLiMonB's Memoirs and correspondance of lord Lyt-
ieltony vol. I, p. 323.)
2. « His (sir G. Talbol's) eldest son is at Paris, and behaves as onc
wishes be should behave. His rough English love for liberty disdains the
embroidered slavery that glitters in that trifling court. He hâtes chains even
golden oncs. » (Lettres à Mrs. Sandys. Lettre XXI, 30 janvier 1730-1731.)
3. « I long to see the fields wherc Virgil gathered his immortal boney,
LE TOUR D'EUROPE. 95
Cette lettre nous apprend aussi que le bien-être et la prospé-
rite actuels ne font pas perdre de vue au poète voyageur la
pensée de l'avenir. Il se préoccupe des ressources qui pourront
lui assurer l'indépendance et la paix de l'esprit. Il espère tou-
jours obtenir du gouvernement de son pays quelque poste
lucratif, et il veut employer son voyage à s'y préparer. « Mon
t ambition est de pouvoir servir mon pays d'une façon active
t aussi bien que d'une façon contemplative ^ -b Dodington a
exprimé, dans une lettre précédente, cette pensée que le poète
doit vivre uniquement pour son art, et planer au-dessus des
intérêts matériels. C'est une opinion à coup sûr flatteuse, et
Thomson fait mine d'en approuver le principe. Mais aussitôt
après il développe avec une ardeur amusante, et non sans
esprit, les objections du prosaïque bon sens qui s'obstine à
survivre dans son âme de poète. « Le Parnasse! on ne le
«gravit pas, non plus qu'aucune montagne mortelle, pour
« s'y fixer à jamais sur un sommet stérile. Non, c'est quelque
« chère petite retraite, plus bas, dans un vallon, qui permet
« de goûter dans tout son charme la beauté du spectacle. »
Et ne voulant pas prendre directement à partie son noble cor-
respondant, il s'élève avec indignation contre les théories
odieuses d'un ami absent, Iç Dr. Cheyne. « Le grand et gros
< docteur de Bath me disait qu'il convient de maintenir les
t poètes dans la pauvreté, pour aviver leur génie, comme on
« crève les yeux aux oiseaux pour les faire mieux chanter. Mais
* assurément ils chantent mieux encore au milieu des bois
« touffus, quand le printemps épanoui fleurit autour d'eux *. »
^nd tread the same groufid where men bave thought and acted so greaUy. »
(Lettre da 24 octobre 1731.)
i. • But not to travel entirely like a poet, I résolve not to neglect thc
oiore prpsaic advantages of it, for it is no Ies9 my ambition to be capable
of serving my coiintry in an active than in a comtemplative way. » (Même
lettre.)
2. « What yon observe, conceming the pursuit of poetry... is certainly
ju8t.... A true genius, like light, must be bcaming forth, as a false one is
an incurable disease. One would not, however, climb Parnassus, any
more than your mortal hills, to fix for ever on the barren top. No : it is
some little dear retirement in the vale below that gives the right relish,
of the prospect.... The great fat Doctor of Bath, told me that poels should
be kept poor, the more to animate their genius. This is like the cruel
costom of . putUng a bird's êye ont, that it may sing the swceter; but,
surely, they sing sweetest amidst the luxuriant woods, whilst the full
spring blooms around them. • (Même lettre.)
Goldsmith, un des poètes & qui la fortune s'est plu à appliquer la
96 JAMES THOMSON.
La cruelle doctrine de Cheyne trouvait bien cependant
quelque confirmation dans le cas de Thomson. Depuis dix mois
qu'il a quitté l'Angleterre et n*a plus à s'occuper de nid ou de
pâture, il n'a rien écrit. Aussi annonce-t-il à Dodlngton son
intention de se remettre au travail pendant les loisirs de ce
voyage. Dodington demandait un poème épique et suggérait le
sujet de Timoléon. Thomson écarte la proposition avec un tact
très judicieux, mais il s'engage à entreprendre une nouvelle
tragédie.
Nous sommes assez tentés de croire que ce projet dramatique
est c^lui qui déjà l'occupait à Londres, plus d'un an aupara-
vant, et qu'il avait alors espéré réaliser pour l'hiver de 1731 *.
Il se pourrait bien que ce fût cette même tragédie de « So-
crate d dont Rundle lui avait inspiré l'idée, et que plus tard
d'autres amis, Mr. Pitt (le futur lord Chatham), Mr. Lyttelton et
Gilbert West lui conseillèrent d'abandonner. Cette supposition
faciliterait la solution d'une petite énigme assez piquante qui
n'a arrêté l'attention ni des biographes de Thomson, ni de ceux
de Voltaire. Dans le théâtre de celui-ci figure un a Socrate d,
« ouvrage dramatique traduit de l'anglais de feu Mr. Thomson,
« par feu Mr. Fatema ». N'est-il pas fort probable que si Vol-
taire, désirant éviter la responsabilité des hardiesses satiriques
de son Socrate, a imaginé de l'attribuer à James Thomson, c'est
que celui-ci lavait en effet entretenu, pendant ce séjour à Paris,
d'un projet de tragédie sur ce sujet? La préface de a Mr. Fatema,
traducteur d reproduit quelques idées générales sur le théâtre,
qui n'ont guère de rapport avec la pièce qu'elles précèdent,
mais qui sont en conformité parfaite avec les vues qui recom-
mandaient le sujet de Socrate à Rundle et à Thomson *.
méthode du docteur Cbeyne et des oiseleurs, Goldsmitli semble avoir
voulu réruter cet aphorisme cruel dans ce passage de son Animaied
Nature où il développe en quelques mots gracieux la mOme idée que
Thomson vient d'indiquer :
« The music of cvcry bird in captivity produces no very pleasing sensa-
tions : it is but the mirth of a little animal insensible o? ils unfortunate
situation. It is the landscape, the grove, the golden break of day, the
contest upon the hawthorn, the fluttering from branch to branch, ihe
soaring in the air, and the answering of its youug, that gives the bird's
song its true relish. » (Cité par Forbtbr, Goldsmith, p. 195.)
\. Comme il semble ressortir du mot de Pope cité plus haut. Voir p. 85,
n. 1.
2. « On a dit dans un livre, et répété dans un autre, qu'il est impossible
LE TOUR D'EUROPE. 97
C'est à la fin d'octobre ou au commencement de novembre
que Talbot et son précepteur quittèrent Paris pour le midi de la
France et Tltalie. Nous pouvons noter leur passage à Lyon, où
ils rencontrèrent Spence, un des premiers critiques favorables
des t Saisons » *. Puis ils descendent le Rhône, s'arrêtent à Avi-
gnon, et vont voir la fontaine de Vaucluse. Le poète conserva
de ce spectable une impression profonde; il en entretenait
lady Hertford, à son retour en Angleterre, et lui en avait
promis une description en vers '.
A la fin de novembre, ils sont à Rome. Le voyage s'est
. effectué rapidement, vu la saison. Peut-être la fatigue expli-
que-l-elle une mauvaise humeur très apparente dans la der-
nière lettre que Thomson adresse à Dodington. « Mon enthou-
t siasme au sujet des voyages se calme très rapidement. On
( peut imaginer de belles choses en lisant les auteurs anciens,
t mais voyager c'est dissiper cette vision '. » Il n'hésite pas à
écrire qu'il ne comprend point la fureur qui pousse les gens à
faire tant de chemin pour contempler des statues qu'on pour-
rait se procurer chez soi à peu de frais. Il ne sent, dit-il, aucun
goût pour ce plaisir des archéologues qui consiste à flairer de
vieilles pierres moisies. Il ne se préoccupe, dans ce qu'il voit,
que des matériaux à faire entrer dans son futur poème *. Quant
à la ppomesse de reprendre son labeur poétique, il n'a pas
^ïïimencé à la réaliser depuis qu'il est à Rome. « Si vous me
* demandiez des nouvelles de ma Muse, tout ce que je pourrais
411'un homme simplement vertueux, sans intrigue, sans passions puisse
Pl^'re sur la scène. C'est une injure k faire au genre tiumain : elle ne
P^utélre plus fortement repoussée que par la pièce de feu M. Thomson.... »
(A Amsterdam, 1755.)
i. Voir p. 49, 50.
^ • I hope your roule will lead you to thc Fontaine de Vaucluse ...
^f. Thomson told me he had seen this fountain and he promised to give
me a description of it in verse; but the promises of poels are not always
lo be depended upon. « (Lettre de lady Hertford à sa nièce lady Pomfret,
JQin 1139. Citée par Allan Cnnningham, « Vie de Thomson », p. xxv.)
3. Rome, November 28, 1731.
• .... That enthosiasm which I had upon me, with regard to travelling,
goes off, I find, very fast. One may imagine line things in reading ancient
authors; but to travel is to dissipate that vision.... »
4. « .... For my part, I, who hâve no taste for smclling to an old musty
stone, look upon thcse countries with an eye to poetry, in regard that
the sisters reflect light and images to one another. -
7
98 JAMES THOMSON.
(n VOUS dire, c'est qu'elle n'a pas, je crois, traversé la Manche
« avec moi. » Elle a dû rester, ajoute-t-il, parmi les bois
d'Eastbury *. Il en avait reçu cependant au moins une courte
visite, car la mort de son ami, le peintre Aikman, survenue
en juin 1731, lui avait inspire quelques vers émus qui méri-
tent de n'être pas oubliés *.
Il ne faut pas prendre à la lettre les boutades d'un voyayeur
de mauvaise humeur. L'Italie et Rome ont inspiré à Thomson
autre chose que des réflexions chagrines et des désillusions.
Dans la première partie de Liberty, il enregistre sans doute
son souvenir vindicatif des auberges incommodes et mal-
propres de ce pays ^, mais les preuves abondent aussi dans
le poème de l'admiration profonde, chaleureuse et féconda
qu'il ressentit en face de tant de chefs-d'œuvre et de grands;
souvenirs *.
Ce séjour à Rome fut, pour quelque raison que nous igno-
1. « .... Should you inquire arter my Muse, ail I can answer is, that
I believe she did nul cross Ihe Channel with me. (L'idée rappelle le mot
d'un autre poêle voyageur : « My heart untravelVd foodly lurns to thee >.)
[ know not whether your gardener al Easlbnry has hcard any ihin:? of
ber among the woods tbere; she bas nol thou^bt fil to visit me wbile 1
bave beeo in tbis once poelic land, nor do 1 Teel Ibc least présage that
she will. »
2. Ces quarante-deux vers ne furent pas publiés du vivant de Pauleur.
Les huit derniers furent imprimés dans rédilion des œuvres de 1750. Ils
avaient sans aucun doute été communiqués par Lyllellon, car le manu-
scrit s'en trouve encore dans les archives de la famille à Hagley (Phillimore,
Life of Lord Lytlelton^ vol. I, p. 312). La pièce entière était en la posses-
sion du comte de Buchan et fut publiée par lui en 1792 (Essays on the
lives and vmtinus of Flelcher of Saltoun and Uie poet Thomson.., with
some pièces of Thomson's never published).
Le beau portrait de Thomson qui figure en léle du !•' vol. de l'édition
des œuvres de 1762 est gravé d*après une peinture d'Aikman conservée k
Hagley.
3. Tbere, buxom Plenly never lurns ber born ;
The grâce and virtue of exterior life.
No clean convenience reigns; c'en sleep itself,
Least délicate of powers, reluctant, tbere,
Lays on the bed impure bis heavy head.
{Ancient and Modem Italy comparedf being the First Part of Liberty^
v. 175-180.)
4. Parmi les amis d'Angleterre qui entretiennent une correspondance
avec Thomson pendant son absence, la lettre du 28 nov. nous apprend
qu'il faut compter lord Binning. Nous savons aussi par Johnson que Pope
envoya au voyageur une épitre, dont il employa du reste plus lard quel-
ques vers pour sa célèbre épftre à Arbuthnot.
LE TOUR D'EUROPE. 99
rons, brusquement interrompu. Thomson, nous le savons, se
proposait, en quittant Paris, d'écrire à Rome au moins une
partie d'une tragédie. Dans sa lettre à Dodington, du 28 no-
vembre, il ne parle aucunement de retour; et cependant, son
élève et lui étaient revenus à Londres avant la fin de décembre.
La famille et les amis de Talbot se trouvaient réunis à Ashdown
Park, sans doute pour les fêtes de la fin de Tannée, etRundle
écrivit : «.... Toutes les neuf Muses sont arrivés ici avec
«Mr. Thomson, l'esprit et la vivacité avec Billy (William,
« Earl Talbot), et la sagesse, mais après avoir laissé derrière
« elle ses façons solennelles, avec le Soliciter * ».
II
Murdoch nous dit que Thomson fut, dès ce retour à Lon-
dres, pourvu par son patron d'une lucrative sinécure. Les
choses n'allèrent pas si vite. Talbot n'était pas encore Chance-
lier, et n'avait pas la disposition des emplois qui pouvaient le
mieux convenir à son poète, c'est-à-dire de ceux qui n'entraî-
naient aucune fonction active. Le « tutor » continua donc,
selon toutes probabilités, à vivre auprès de son élève, dans
l'agréable hospitalité de Talbot. Il eut ainsi tout loisir d'écrire
ce poème dont il avait conçu la pensée pendant son voyage, et
qu'il avait mis sur le métier aussitôt après, s'il en faut croire
ces vers du début :
a J'étais couché pensif, tout ardent encore du souvenir de
« ces promenades sacrées — où, à chaque pas, l'imagination
« s'enflamme *. d
Le progrès du travail fut cependant très lent. L'année 1732
et la plus grande partie de 1733 s'étaient écoulées sans que la
i. rt AshdowD Park, Friday morniDg, 1731.
M .... AU tlie nine Muses came hère with Mr. Thomson, wil and sprightli-
ness wilh Billy (William, earl Talbot), and wisdom (though she left her
solemn state behind her), wilh the Solicitor.... » (Rundic k Mrs. Sandys,
leUre XXV.)
2. Musing, I lay; warm from the sacred walks,
Where at each slep imagination burns.
[Liberty, Part. I. v. 15, 16.)
100 JAMES THOMSON.
première partie du poème fût achevée *, quand Thomson eut,
le 27 septembre 1733, la douleur de perdre son jeune ami,
Charles Richard Talbot. Il écrivit, pour le début de Liberty,
quelques vers où il rappelait, avec émotion et avec simplicité,
les vertus et les dons du jeune homme, Tamitié qui les avait
unis, et les communes pensées qui faisaient du poème «c leur
sujet aimé y> '.
Deux mois après la mort de son fils, Talbot devenait Lord
Chancelier, et Tun de ses premiers actes fut d'assurer à
Thomson un titre qui comportait un traitement fort honnête
sans fonctions assujettissantes. Le nouveau secrétaire des Brefs
de la Chancellerie avait donc, sur ce point, réalisé son vœu.
Les trois cents livres que lui valait sa charge suffisaient à lui
garantir l'aisance, l'indépendance et la dignité qu'il n'en sépa-
rait pas.
On est heureux de voir quel usage fait le poète de l'influence
qu'il doit à son talent, à ses hautes amitiés, à sa nouvelle
situation sociale. A son retour à Londres, au milieu de
décembre 1732, après avoir passé l'été et partie de l'au-
tomne à la campagne ^, il s'occupe activement d'une leuvre
1. Notons aussi, de celle année 1733, une nouvelle édilion de Britannia
à laquelle Thomson dul se prt^ler volonliers, car son nom el son poème
s'y Irouvaienl unis aux souvenirs de Crornsvell el de Milton :
« A manifeslo of Ihe Lord Pvotector of the Commonu^alth of Enqland,
Scolland, ïrelandy etc., publishcd by consent and ad vice or his council.
Wherein is showu the reasonableness of the cause of Ihis Republic
against the déprédations of tho Spaniards. Written in Latin by John
Milton, and ilrst printed in 1655, now translated inlo English.
(Puis une citation de 7 vers de Britannia.)
■ To which is added Britan?iia, a Poeni, by Mr. Thomson, first published
in 1727.
m London; Printed for and sold by Â. Millar, al Buchanan's Head, over-
against SI Clcmenl's Church in the Strand, 1733 (in-ia*^) : Price six Pence. »
2. Ah! lillle thought she (the Muse) her retiirning verse
Should sing our darliug subject to thy Shado.
{Liherh/j Part. I, v. 4, 5.)
Après les treize premiers vers consacrés à la mémoire de Charles Talbot,
le poète avait voulu d'abord ajouter un assez long développement de
froids lieux communs. U y renoni^a très justement pour les remplacer
par une courte transition de deux vers. La religion ni la philosophie
n'avaient rien à }:agner à ces maximes banales, cl Tèloge de Talbot en
était alourdi el alfaibli. — Thomson cite ces vers deux ans plus tard dans
une lettre à Granstoun, du 20 ocl. 1735.
3. Soit chez Talbot à Ashdown Park, soit t Eastbury, bien que Dodington
fût alors en Irlande.
« LA LIBERTÉ ». 101
de charité. C'était une représentation au bénéfice du vieux
Dennis tombé dans un profond dénûment. Thomson mul-
tiplie les démarches. Peut-être est-ce son intervention qui
décide Pope, en dépit d'anciennes rancunes et d'une longue
hostilité, à fournir un prologue pour cette représentation *.
Savage de son côté offre au vieux critique le concours de ses
vers pour remercier les confrères qui lui venaient généreuse-
1. • This dreadful satirist Dennis will confess
Foe lo his pride, but friend to his distress »,
dit Pope lui-même dans son épttre à Arbuthnot (vers 370). Mais la généro-
sité dont il se targue cache une dernière attaque contre son vieil ennemi.
Le Prologud est d'une ironie que les circonstances font paraître cruelle
et lâche.
« How chonged from him vrho made the boxes groan,
And shook the stage with Thunders ail his own!
If there's a Critic of distinguish'd rage;
If there's a Senior, who conlemns this âge;
Let him to-night his just assistance lend,
And bc the Critic's, Briton's, Old Man's friend. »
^r. Leslie Stephen (fAfe of Pope, p. 44) dit qu'à ce moment le misérable
l^enois était hors d'état de comprendre cette petite perfidie. Le trait n'en
^cait pas plus beau. Mais il ne semble pas que le vieux poète fût arrivé
^ Çe point d'afîdiblissement intellectuel, si nous en jugeons par les vers
^iii^auts que publia le Gentleman's Magazine (année 1733, p. 756) :
* To Mr. Thomson on his gênerons Concern for Mr. Dennis's last Benefit.
• "While I reflect thee o'er, methinks I Gnd
Thy varions Secuons in their author's mind!
Spring in thy flowery fancy spreads her hues,
And like thy soft compassion sheds her dews;
Summer^s hot strength on thy expression glows,
And o*er thy pages a beamy ripencss throws.
Autumh's rich fruits th' instructed readcr gains,
Who tastes the mcaning purpose of thy strains.
Winter,., but that no semblance take from theel
That hoary seasons's type was drawn from me....
Sbatter'd by time's bleak storms, I with' ring lay,
Leafless and whitening, in a cold decay,
Yet shall my propless Ivy.... pale and bent
Bless the short sunshine which thy pity lent. »
J. D.
Peut-être aussi sout-ce là les vers dont parle D'Israêli comme ayant été
écrits par Savage au nom de Dennis {Calamilies of Auihors, p. 55). Ils ne
figurent pas cependant parmi les œuvres de Savage données par Johnson.
D'après D'Israâli, Dennis aurait au moins conservé jusqu'au bout cette
humeur atrabilaire et celte brutalité de langage qui l'avaient caractérisé.
Après avoir lu les vers du confrère charitable qui parlait en son nom, il se
serait écrié : « They could be no one but that fool Savage's! »
103 JAMES TOOMSON.
ment en aide. — Ces efforts réussirent; la représentation eul
lieu au théâtre de Haymarket, et les acteurs abandonnèrent ai:
bénéficiaire tout le profit de la soirée. Le vieux Dennis ne jouil
pas longtemps de ce rayon réconfortant de sympathie et de
confraternité. Il mourut, quelques jours après, le G jan-
vier 17Î34.
Voilà donc Thomson devenu à son tour un personnage
influent, une autorité en matière de lettres, un protecteur poui
les écrivains qui réclament un appui. La pauvreté ne Favail
pas laissé aigri ; la prospérité ne le trouva pas égoïste ni jaloux.
Dennis ne fut pas le seul qui reçut des preuves de sa bonté
cordiale et de sa simple et serviable bienveillance. Un jeune
Écossais, son compatriote du Roxburghshire, John Armstrong,
après des études de médecine faites à Edimbourg, était réciîm-
ment venu, dans un de ces a vols de vautours » dont parlai!
un jour Thomson ', s'établir à Londres. Le jeune docteur
était poète. 11 avait écrit, lui aussi, en 1725, un poème sui
r « Hiver », et il en soumit le manuscrit aux écrivains en vue :
Thomson, Mallet, Hill et Young. Mallet promit d'imprimer h
pièce, et n'en fit rien. Thomson ft^licita son nouveau confrère,
l'encouragea, et se lia avec lui d'une amitié que la mort seule
devait rompre '.
A son tour Hill en venait à solliciter l'appui de son ancien
protégé. Dans une lettre du 10 novembre 1733, il exprimait
son regret de n'avoir pu depuis longtemps causer avec lui ; il
lui envoyait sa tragédie de Zara, et le priait d'assurer à la pièce
la protection de Dodington ^ Thomson promit avec empres-
sement de satisfaire ce désir*. Sa réponse nous apprend aussi
qu'il compte venir se fixer bientôt à Londres pour Thiver,
qu'il est en relations familières avec Pope, que tous deux se
promettent de passer plusieurs soirées heureuses dans la com-
i. Voir siiprù, p. 30.
2. John Armstrong élait nû en 170D h Casllcton, el Tut reçu M. D. en 173^.
Sa carrR're de médecin à Londres fut assez prospore, mais il ne renonça
pas à la poésie; et Tamitii'; de Thomson y fut sans doute pour quchpic
chose. Ses poèmes T/te (JEconomy of hvfi^ \T\1. et The Art of pre.ferviuff
hcalfhf Mki, reflètent l'inllueDce de l'auleiir des « Saisons -. Nous verrons
qu'il contribua au • Ch.ltcau d'indolence - les ipiatre strophes qui ter-
minent le premier chnnt.
3. Tfie Works of the iatc Xwxoy Hill, London, Hu», lettre du 10 nov., 1733.
4. Lettre du 18 décembre 1733.
« LA LIBERTÉ ». 403
pagnie de Hill. La lettre contient, bien entendu, force éloges
de la nouvelle tragédie. Il est difficile de ne pas demeurer en
reste de compliments avec un correspondant tel que Hill; mais
Thomson fait de son mieux. Zara n'est qu'une traduction de
Zaire\ il déclare nettement qu'il met la pièce anglaise fort au-
dessus de l'original ^ Les changements apportés par Hill au
texte français ne sont pas cependant de nature à expliquer
l'enthousiasme de Thomson. Ce que Voltaire loue dans Zara^
c'est justement la fidélité et la simplicité de la traduction. Du
reste, en flatteur habile, notre poète, pour relever la saveur de
ses éloges, y mêle un grain détritique. Dans la première scène
de Zara^ il est question de la politesse galante de la France
« où les hommes adorent leurs femmes d. Au nom de son
expérience de voyageur, Thomson s'inscrit en faux contre
cette assertion, et propose de remplacer « leurs femmes » par
• les belles » *. Ce ne sont pas des réserves de cette nature qui
^•« You hâve heighteoed it with inore imaginalion, but such a chaslised
<>ne, as accords perfeclly well wilh Ihe nobler fervency of Ihe heart. The
senlimenls and reHeclions, too, rise ia the translation, and glow slronger
^ ^aW as the touches of the poelical pencil. ÂIIow me lo say, Ihat, in
^*ïese respects, 1 deeply feel the différence belween Mr. Voltaire and Mr.
Voltaire aurait eu mauvaise grâce à se plaindre de Tétrange préférence
^e Thomson, car lui-même a plus d*une fois exprimé à l'égard du poète
^Qglais des jugements aussi peu sincères et aussi iuju8ti6ables.
Après avoir reçu de Saurin Blanche et Guiscard^ traduction ou adapta-
t'en d'une tragédie de Thomson, il lui écrit :
* Vous avez fait, Monsieur, bien de Thouneur à ce Thomson (Lettre
<*a 28 février 1764.)
Quant à Saint- Lambert, l'imitateur de Thomson, Voltaire le déclare &
plusieurs reprises plus grand poète que son modèle :
• Je m'en rapporte... à l'illustre auteur des Saisons, si supérieur à
Thomson et à son sujet.... » (Epttre dédicatoire [de la tragédie de Don
fèdre] à M. d'Alembert.)
■ Vous oc ressemblez pas à celui qui,... en dernier lieu, a mandé que
le poème français des Saisons est inférieur au poème anglais de Thomson.
S'il m'appartenait de décider, je donnerais sans difOcullé la préférence &
M. de Saint-Lambert.... » (Lettre à M. Dupont, Fernay, 7 juin 1769.)
Frédéric H s'est avisé aussi de faire de la poésie descriptive et Voltaire
ne le trouve pas inférieur à Thomson : • Le Printemps est dans un tout
autre goût : c'est un tableau de Claude Lorrain. Il y a un poète anglais,
homme de mérite, nommé Thomson, qui a fait les quatre Saisons dans ce
goût là.... U semble que le même Dieu vous ait inspirés tous deux. » (Lettre
d'avril 1738.)
2. • Where men adore their wives. » The two last words I would
change inlo — the fair. — I imagine you smiling at my important criti-
cism, and ready lo reply — that though the présent Frcnch are not famous
104 JAMBS THOMSON.
pourront diminuer ]a satisfaction de Hill à se ypir applaudi
par l'auteur universellement admiré des a Saisons ».
Thomson n'oublie pas non plus les membres de sa famille
Il considère que la seule manière dont il puisse manifester s
reconnaissance et son affection pour son père et pour sa nièr
est de se faire le soutien de leurs autres enfants '. Il fait veni
auprès de lui son jeune frère John, et l'emploiera, aussi long
temps qu'il le pourra, comme secrétaire et copiste.
L'année 1734 est tout entière consacrée au poème entrepri
dès le début de 1732. Il apparaît assez clairement, par la com
position même de l'œuvre dans son état actuel, que le plan
dû s'étendre et se modifier à mesure que le poète avançai
dans sa tâche. C'est ainsi que le début nous place au miliei
du sujet, et que la seconde partie est consacrée à une revu
d'événements antérieurs qui formerait plus naturellemen
un début. Aussi n'est-ce pas avant le commencement d
Tannée 1735* que parut le premier chant. Mais le deuxièm
et le troisième suivirent de près, et furent publiés dans 1;
for adoring Iheir wives, yet Ihose in Ihe good old unrefined days of St
Lewis might.... •
Daos SCS critiques de ZarUy Thomson ue souffle mot d'une innovatioi
qui valut à HilI les chaleureuses félicitations de Voltaire : • Le traducleu
de Zaïre est le premier qui ait osé maintenir les droits de la nature contr
uu goiUsi éloigné d'elle », dit-il, en parlant de la coutume de Gnir chaqu
acte par - des vers d'un goût diiïérent du reste de la pièce et renfer
mant nécessairement une comparaison ». (Deuxième lettre à Mr. Fal
kener.)
Cette remarque de Voltaire a fourni à Lcssiug l'occasion d'une violent
attaque contre le dramaturge français {Dramaturgie de Hambourg^ XVlc$oi
rée). Le critique allemand, très sévère pour los erreurs qu'il relève clie
Voltaire, en commet lui-même plus d'une au sujet du théâtre anglais. Voii
à la fin de cette étude, Appendice L
1. « As our good and tendcr-hearted parents did not live to recoiv
any material testimouies of ihat highest human gratitude I owed theu
than which uothing could hâve given me equal pleasure, Ihe only retur
I can make them uow, is by kindness to those they left behind. » (Lettr
de Thomson à Mrs. Thomson, sa sœur, du 4 octobre 1147.)
2. • Ancicnt and Modem Itabj comparcdy being Ihc Firat Part (
Liberty^ a Poem by Mr. Thomson », London, Millar, 1735. Formt
in-quarto. Lowndes et sir Harris Nicolas adoptent de préférence le mille
sime 1734. Ce dernier précise même au point d'indiquer comme date 1
27 décembre. C'est sans doute la difTèrence de Tancien et du nouvea
style. Les livres de rimprimcur Woodfall donnent comme date pou
Pachèvcment du tirage de la première partie le 8 janvier 113^. Les 2* et ^
parties sont du 1" février et 12 mars.
- « LA LIBERTÉ ». 105
première moitié de la même année ^ Le succès fut loin de
répondre au labeur du poète. Le public, qui avait fait si bon
accueil aux « Saisons ]>, se trouva désappointé devant cette œuvre
si différente. Nous voyons le chiffre du tirage baisser pour
chacune des parties à mesure qu'elles paraissent. La première
avait été imprimée à 3000 exemplaires, plus 250 exemplaires
de luxe; la deuxième et la troisième le sont à. 2000, plus 250;
et le tirage tombera à 1250 pour les quatrième et cinquième
parties *.
Ce dut être une vive déception pour Thomson qui fondait de
grands espoirs sur « La Liberté » . Il appréciait ce sujet historique
et philosophique plus que les descriptions de son premier
poème, et avait peine à comprendre que le public fût d'un avis
si différent. A cette blessure inattendue de son amour-propre,
vint se joindre un chagrin pénible. John, le frère qu'il avait
appelé auprès de lui vers la fin de 1733, souffrait, depuis le
printemps, d'une grave affection des poumons. Le médecin
recommandait d'essayer les effets d'un retour à l'air natal,
Thomson le renvoya en Ecosse au mois d'août 1735. Il s'occupe
avec sollicitude de son bien-être. Il le loge à Chesters, chez
leur tante, Mrs. Turnbull, parce qu'il juge l'excellente femme
plus capable d'adoucir les souffrances du malade que le cousin
^avid, établi à Minto, qui offre aussi de le recevoir. Il le recom-
mande à son ami, le Dr. Cranstoun ; lui a donné un peu d'argent
et promet de lui en envoyer davantage aussitôt qu'il sera besoin.
^ lettre remise à Cranstoun par John Thomson nous a été con-
^''vée. Le poète y constate l'état satisfaisant de ses ressources
^tuelles, grâce à la place que lui a value la protection du
Chancelier; mais nous le voyons manifester déjà quelque
''îquiétude pour l'avenir. Une sotte enquête menace de révéler
l'entière inutilité d'un certain nombre de fonctions près les
Cours de justice; et le Secrétaire des Brefs risque fort de voir
son office supprimé. On lui promet, il est vrai, quelque com-
pensation ; mais passer de la jouissance à un espoir est, dit-il,
une fort mauvaise affaire'. Il envoie en même temps à son ami
i. Greece, being the Second Part of Liberty, etc.
Home, being the Third Part of Liberty^ etc.
2. W'oodfairs Ledger dans Notes and Queries, 4» série, vol. XI, p. 419.
3. « Should you inquire into my circumslances : they blossomed pretty
uell of late, the Chancellor having given me the ofOce of secretary of the
106 JAMES TDOMSON.
les trois premières parties de a La Liberté » puisqu* a il s'aven-
« ture encore sur les pentes stériles, mais pleines de charme, du
« Parnasse d. Il a aussi chargé son messager de quelques-uns
des ouvrages qui viennent de paraître à Londres. L'un est le
deuxième volume des a Mélanges » de Pope, celui qui renferme
TEssai sur Thomme. — Un autre est cette correspondance de
Pope a que Tinfàme Curll vient d'imprimer frauduleusement».
Thomson, il est vrai, s'étonne de la colère inspirée au poète par
cette publication de lettres qui lui font le plus grand honneur.
Nous saisissons là sur le vif une preuve intéressante du succès
des manœuvres compliquées et tortueuses par lesquelles Pope
avait fait paraître le recueil, tout en protestant contre la publi-
cation et en accusant de vol l'éditeur à qui lui-même avait com-
muniqué la copie *. — Un troisième ouvrage a pour auteur un
homme dont le nom paraît ici pour la première fois dans la
correspondance de notre auteur, mais qui sera bientôt intime-
ment mêlé à sa vie. C'est George Lyttelton, dont les a Lettres
Persanes » sont recommandées à Cranstoun, comme étant
« joliment tournées » '.
Thomson est alors revenu à Londres, à son logement de Lan-
caster-Court. Mais il a passé au moins une partie de Tété chez
Dodington, à Eastbury. C'est ce que nous apprend une lettre à
Hill, du 23 août 1735. Elle est entièrement consacrée à des
considérations sur l'état du théâtre anglais. C'est là un sujet
qui ne cesse de préoccuper notre poète depuis sa première
tentative dramatique, ou plutôt, depuis sa première arrivée à
Bricrs under him : but Ihe bli^hl of an idie iaquiry into the fées and
ofiiccs of the courts of justice, which arose of late, seems to threaten its
destruction. la tbat case I am made to hopo amends : to bc reduced,
however, froni enjoyment to hope, will be but an awkward arTair.... »
(Lettre du 7 août 1735.)
\. ■ His (Pope's) letlers were piratically printed by the infamous Curll.
Though Mr. Pope be much concerned at thoir being printed, yet are Ihey
full of wit, humour, good sensé, and inrliat is bcst of ail, a good hcart. •
Les circonstances aujourd'hui bleu connues de cette publication sont
exposées en détail par D'israoli (A narrative of the extraordinanj transac-
tions respecting the publication of Pope's Letlers), et, dans la Préface des
(ouvres de Pope, par Elwin.
2. • One Mr. Lyttelton, a young gentleman, and membcr of parliament.
wrote the Pcrsian Leiters. Thny are reckoned prcllily donc. » Inutile de
dire que ces lettres sont une imitation de celles de Montesquieu. Lyttelton
connaissait bien la France et la littérature française. Sa première œuvre,
épttre en vers au Dr. Ayscough, fut publiée pendant qu'il était à Paris
pour son voyage du « grand tour » en 1728.
« LA LIBEBTi ». 107
Londres. Il félicite l'auteur de Zara de ses efforts heureux pour
ramener sur la scène Taction et la vie, et des idées que vien-
nent d'énoncer les derniers « Prompters » sur le rôle social et
moral du théâtre, sur l'abaissement du goût public, sur la
fausse déclamation et sur le jeu dépourvu de naturel des
acteurs anglais.
John Thomson était mort peu de temps après son retour en
Ecosse. Cranstoun en informa son ami, et nous avons la réponse
de ce dernier. Elle est écrite à Londres, et datée du 20 octobre
1735. Le début en est grave et triste, sans trahir cette véhé-
mence de douleur qui suit un malheur imprévu. James prend
à sa charge les frais occasionnés par la maladie et la mort de
son frère, et règle le partage à faire, entre deux cousins, du
pauvre héritage laissé par John. Le poète est retourné à East-
bury et n'en est revenu que depuis peu de temps.
Le commencement de l'année 1736 vit paraître les dernières
parties de « La Liberté i> '. Le poème ainsi complété est dédié à
Frédéric, prince de Galles, que Thomson remercie de la bien-
veillante condescension et de la générosité avec lesquelles il a
daigné prendre l'œuvre sous sa protection. Les termes de cette
dédicace paraissent très sobres si nous nous rappelons ceux qui
célébffiient, en tête des « Saisons», les vertus de personnages
moins haut placés. Faut-il supposer que Thomson éprouvât
quelque honte à flatter un si indigne patron? Sans doute Fré-
déric était un triste sire. Robert Walpole, en dépit de sa scep-
tique indulgence, ne pouvait parler de lui sans un torrent d'in-
vectives *. S'il se posait en patriote et en patron des lettres,
c'est parce que ces rôles le mettaient en contraste et en conflit
^vec le père qu'il haïssait. Tout cela est vrai, mais assurément
Thomson n'était pas à ce moment plus clairvoyant que les nom-
breux ( patriotes » à qui Bolingbroke montrait en Frédéric
On héros de vertu et l'espoir de l'Angleterre. Le poète était
sincèrement et honnêtement reconnaissant de Tintérêt affable
que Frédéric lui témoignait. Ces rapports de bienveillance et
1. Bntain^ being the Fourth Part ot Liberty, a Poem by Mr. Thomson,
Undon, Millar, 1736.
The Prospect, being Ihe Fiflh Part ot Liberty, a Poem by Mr. Tliomson,
LoDdon, Millar, 1736.
5
Woodrall avait achevé d'imprimer le 13 janvier et le 29 janvier 173^.
2. Voir CBURTOif CoLUfis, Bolingbroke, p. 201.
108 JAMES THOMSON.
de cordialité n'ont du reste pas moins servi le prince (
l'écrivain. Ils sont un des rares titres de l'auguste personn
à l'estime de la postérité; ils ont inspiré quelques-unes
dépositions favorables qui peuvent être opposées à tant
charges accablantes '.
Nous ne savons pas exactement quelle influence put assu
à l'auteur de <c La Liberté » ce haut patronage. Plusieurs h
graphes désignent Mr. Lyttelton. Mais nous avons vu qu'au m
d'août 1735 Thomson parle de lui comme d'un étranger*. N(
avons du reste l'assurance formelle du biographe de Lyttel
que l'amitié des deux hommes ne date que de 1738 ». Il n(
i. Les satires, les épigrammes et les injures versiflées à l'adresse
Frédéric ne se comptent pas. La plus connue, sinon la plus mécha
est peut-être ce projet d*épitaphe :
« Hère lies Fred,
Who was alive, and is dead.
Had it been his father,
I had much rather.
Had it been his brother
Still better than another.
Had it been his sister,
No one would hâve ntissed her.
Had il been the whole génération,
Still better for the nation.
But silice 'tis only Fred
Who Nvas alive, and is dead,
There's no more to be said. »
Beaucoup plus rares ont élé, après la mort du prince, les tributs de res|
et d'attachement. En voici un cependant où se trouve rappelée
amitié pour Thomson :
On the Death of Frederick, prince of Wales, March 20, 1751.
By Thomas Warton.
VI* et dernière strophe :
« IIow to the few with sparks ethcreal stored,
He never barr'd his castle's génial gatc,
But bade sweet Thomson share the fricndly board,
Soothing with verse divine the toi) of stale.
Henco fired, the bard forsook the flowery plain,
And decked the régal mask and tried the tragic strain. »
2. Voir p. 106, n» 2.
3. « The carlier éditions of the Seasons, Apamemnon, Sophonisba
Liberty were published before .Mr. Thomson was pcrsonnally acquai
with Mr. Lyttelton. ■ (Phillimoh e's Afewotr*,... of G. Lord Lyttelton, p.'
Or Agamemnon est de 1738.
11 est vra: que, d'après Murdoch, Lyttelton aurait recommandé Tau
« LA LIBERTÉ ». 109
ible donc plus probable que Dodington, qui avait été, avant
telton, un des secrétaires du prince de Galles ', lui présenta
ni recommanda le poète.
)uoi qu'il en soit, le nom de l'héritier du trône ne garantit
mt le poème complet d'un insuccès que présageait la froi-
IV des lecteurs pour les premières parties. Le zèle des cri-
iies amis, qui avait ouvert les yeux du public aux beautés
s « Saisons i>, n'eut plus cette fois la même vertu. C'est en
in que Hill professe pour le nouveau poème une admiration
thousiaste. On se refuse à acheter l'ouvrage malgré « la
grandeur de la conception,... la noblesse, la profondeur et
la richesse des sentiments; la force, l'élégance, l'harmonie,
l'énergie vivante, et l'exacte propriété de l'expression • ». Le
braire a eu beau restreindre le tirage, il ne peut écouler le
vre. Thomson eut alors la générosité d'annuler le traité de
ente déjà conclu. Le passage d'une lettre à Hill où il men-
onne son échec et son haut fait, avec une bonne grâce sou-
iante, est un des plus heureux de sa correspondance.
« .... Je vous avoue que je trouve une juste fierté, un grand
plaisir et la plus agréable des récompenses dans la bonne
opinion que vous avez de mon poème. A ce propos, permettez-
moi de remarquer que, si les poètes sont depuis longtemps
habitués à ne guère tirer de leurs travaux que ce bénéfice
Vraiment spirituel, je soupçonne fort d'autre part que les
libraires n'ont aucune sorte de goût pour ce genre de rému-
nération. Je songe donc (bien que les mânes de maint auteur
errent encore sans vengeance) à annuler le traité que j'ai
conclu avec mon éditeur. Sinon, il se trouverait perdre une
prince avant d'être lié personnellement avec lui. Mais il serait surpre-
nd que ce service rendu n'eût pas amené une rencontre des deux
niTnes avant plusieurs années, alors surtout quMls avaient divers amis
(nmuQs. Lyttelton était lié d'amitié avec Pope au moins depuis 4728.
1* Lyttelton avait pris cette fonction après la démission de Mr. James
'iliam, le 16 août 1737.
^* • 1 do not know a pleasure I should enjoy with more pride than tbat
•exerting the critic on your poem; in considering it first, witb a view
the vastness of its conception, in the gênerai plan; secondly, to the
^ndeur, the depth, the unleaning, self-su pported richness of the senti-
-nts, and thirdly, to the strength, the élégance, the mùsic, the compre-
Dsi?e living energy, and close propriety of your expression. I look upon
'S mighty work as the last stretched blaze of our expiring-genius
Bllre du 17 février 1735. The Works of A Hill, p. 277.)
110 JAMES THOMSON.
somme considérable pour le papier, l'impression et la pub
cation de « La Liberté » '.
Et le poète mit à exécution sa chevaleresque intention (
dépit des remontrances de Plill qui déclarait qu'un pareil ac
de générosité demeurerait célèbre et rendrait éternelle la bon
de la nation qui négligeait ce poème sublime.
La résignation de Thomson s'explique sans doute par VéU
prospère de sa situation à ce moment. Nous voyons, dans 1(
lettres de Flill, quel important personnage est devenu a
auteur qui, peu d'années auparavant, regardait l'obligeant cr
tique comme une si auguste puissance. Tous deux s'accorder
à médire de la scène anglaise, et à condamner le goût d
public, des auteurs, et des acteurs. Tous deux cherchent u
remède au mal. Thomson propose de faire du théâtre une ins
titution publique. Il trouve absurde que l'école où se former
les mœurs puisse être la propriété de particuliers *. Hill sonç
à un moyen moins radical, et voudrait voir établir une Ac5
demie tragique. 11 se déclare prêt à courir seul les risque
pécuniaires de l'entreprise, pourvu seulement qu'il obtienr
lappui moral de quelques grands personnages; et il demanc
à Thomson, dont il connaît les hautes relations, si le proj<
pourrait recevoir le patronage du prince de Galles '. I
prince refusa l'appui sollicité, et Hill abandonna son proje
1. • I will avow that I am justly proud of, charroed with, and me
agrecably rewarded by your ^ood opinion of my poem. Allow me hei
by tlie bye, lo remark Ihat, though poels hâve been long used to tl
trniy spiritual and almost only émolument arising from their works, >
I doubt much if booksellers bave any sort of relish for il : I thiuk, Ihei
fore (notwithstanding tbat tlic gbosts of many autbors walk unrevenget
of annuUing the bargain I made with mine, who would else be a con*
derablc loser by the paper, printing, and publication of Liberty. » (LetI
à Hill du 11 mai 173ti.)
2. • Was there ever an equal absurdity beard of, among a civiliz
people? tbat such an important public diversion, tbe scbool wbich fori
the manners of tbe âge, should be made tbe property of private pt
sons.... » (Lettre à Ilill du 23 aoûL 1735.)
3. • I could hasard tbe expense of a trial, without any subscription
otbcr support Ihaii the counteuance of a dozcn or two of untaxod enco
ragers, properly chosen, great names.... » (Lettre de Ilill à Thomson
5 sept. 1135), citée par T. Davies, Life of Garrick^ t. I, p. 143.
11 y avait plusieurs années que l'idée préoccupait Hill, ce fécond faise
de projets. H entretient longuement un Mr. B. de cette institution d'i
• Conservatoire » dans une lettre du 31 aoiU 1733. {The Works of Hn
p. 494.)
<c LA LIBERTÉ ». 111
fort heureusement, car il est probable que sa ruine en eût été
hâtée de plusieurs années.
La question des droits et des intérêts des auteurs est aussi
une de celles qui tiennent une grande place dans cette corres-
pondance. Dans une lettre du 20 mai 1736, Hill, répondant à
son ami, s'exprime ainsi : « Plût à Dieu que vos vœux fussent
I réalisés quand vous souhaitez qu'au lieu du patronage de
I l'État, nous eussions seulement quelque bon acte du Par-
flement pour assurer aux auteurs la propriété de leurs
I œuvres * ». Thomson a, sans le savoir, fait plus que personne
pour assurer cette équitable solution d'une question longtemps
pendante. C'est le conflit de deux libraires au sujet de la publi-
cation des fi Saisons d qui a provoqué, nous l'avons dit, une
décision judiciaire par laquelle fut fixé pour une longue
période le règlement des droits de propriété littéraire ^.
Une nouvelle édition de « La Liberté » est cependant
imprimée. Elle est de format in-octavo, et, ajoutée au texte de
« Sophonisbe » et de Britannia, forme un deuxième volume
dest Œuvres », pour accompagner l'édition in octavo des « Sai-
sons i de 1730. Du reste l'échec de sa dernière production n'a
point diminué la gloire de l'auteur des « Saisons ». Peut-être
même le public, qui trouvait formidablement sérieux le sujet
du poème et les développements de ces cinq longs chants,
accorda-t-il plus d'estime que jamais à l'auteur. Il s'abstenait
d'acheter « La Liberté », mais sentait grandir son admiration
pour le poète qui, après avoir chanté la nature, donnait aux
hommes de si graves et si nobles leçons d'histoire et de science
sociale. La mention de son nom dans les revues et les maga-
zines est accompagnée des éloges les plus vifs. Des pièces de
vers lui sont adressées comme à un des maîtres de la
poésie '. A peine faudrait-il citer, à titre d'exception, la plai-
1. • Would to God you were in the riglit in thaï part of your lelter
which wishes, in lieu of state palronage in favour of learning, that we
had only some good act of parliament for securing to aulhord the pro-
perly of their owd works. ■
2. Voir p. 47.
3. Dans le GenilemarCa Magazine (août 1736), nous trouvons une pièce
de 52 vers signée Astrophil. Les louanges y sont chaleureuses :
• Restorer of the poets sinking name! »
• .... Wisdom*s raost conspicuous son! •
« 0 Britain^s happier Orpbeus! >
112 JAMES THOMSON.
santerie très irré vendeuse d'Isaac Hawkins Browne. Ce
après la publication de ce La Liberté d que parurent les airi'
santés et spirituelles parodies de a La Pipe de Tabac i». M<
Thomson qui, dit-on, riposta par quelques vers irrités
aurait pu prendre avec bonne humeur son parti d'une m«^2
venture qui atteignait en même temps que lui non seulenac
des écrivains comme Colley Cibber, Ambrose Philips et Youlï
mais aussi des maîtres tels que Pope et Swift *.
Si ces railleries venaient aviver la blessure de son amox
propre, le poète avait d'autre part reçu une marque d'est î
et de respect qui put adoucir Tamertune de sa déception,
"mois de mai 1736 une société se formait à Londres pour « T I
couragement de la Science ». Le président en était le duc
Richmond, et la liste des membres du premier comité <
direction comprend, parmi plusieurs -représentants de
— Quel est Fauteur? Il se donne comme malheureux,
« Of friend and ev^ry pleasing hope forlorn »,
et comme né sur les bords de la Tamise.
Un autre numéro du même recueil et de la même année publie la pi^<^
de ■ Mr. Thompson > (sic) : • Corne, gentle god of soft désire » avec n^
réponse en quatre strophes correspondantes de Mr. Blythe. Notons que
se trouve une version du petit poème erotique de Thomson plus complu
que celle que donna sir Harris Nicolas dans PÂldine Édition.
Peter Cunninghan et Rob. Bell ajoutent la 2* strophe — « d'après t
manuscrit • — ignorant qu'elle avait été imprimée du vivant de l'auteu
Plus important que le témoignage de Blythe est celui de Somerville Q
adressait une Kpitre en vers k Mr. Thomson u sur la première édition <
ses Saisons ». C'est l'appréciation la plus complète qui nous soit transniî-
de toutes celles qu'ont pu formuler les contemporains. On en trouve^
plus loin la traduction (Appendice II}, et Ton verra que bon nombre à.*
éloges et des reproches que notre critique distribue aujourd'hui àl'œuv
avaient été énoncés déjà au lendemain de l'apparition du poème.
1. Voir Chambers's CyclopxdiUy t. I, p. 599. — Nous n'avons pu du rcs
trouver aucune trace de ces vers, et ignorons quelle est l'autorité <■
renseignement.
2. Il est vrai que Thomson est du nombre des poètes dont la manière
le style sont le plus plaisamment raillés. Il était moins facile de tourn'
en charge la façon d'écrire de Pope ou celle de Swift.
« 0 thou, matured by glad Hcsperian suns,
Tobacco, fountain pure of limpid truth,
That looks the very soûl », etc.
C'est bien la solennité de ton que Thomson applique à peu près à toi
sujet et qui faisait dire à Johnson qu'il aurait parlé poétiquement d'ui
chandelle.
« LA LIBERTE ». 113
ooblesse-et quelques illustrations des lettres et des sciences, le
nom de James Thomson, esquire *.
C'est vers cette époque aussi qu'il songe à faire un établisse-
ment plus satisfaisant, et à prendre maison. Jusque-là nous
l'avons vu partager son temps entre les résidences d'été de ses
nobles amis : Hertford, Binning, Talbot, Dodington, et un
modeste appartement au-dessus d'un café de Lancaster-Court *.
Au mois de mai 1736 il s'établit, à Richmond, dans une simple
mais agréable petite maison à un seul étage de Kew-fool-Lane,
d'où la vue embrassait la Tamise, et, au delà de ce premier
plan, un paysage étendu et riant. Derrière le cottage se trou-
vait un joli Jardin. Thomson prit plaisir à orner cette résidence*
où il devait passer le reste de sa vie. Il avait rapporté d'Italie
et de France de nombreuses et belles gravures et quelques des-
sins de maîtres qui trouvèrent leur place sur les murs de sa
nouvelle maison. C'est là qu'est le luxe principal de cet
< humble toit » '. Le mobilier des trois chambres à coucher,
du salon, de la salle à manger et du bureau est très simple.
Mais le catalogue dressé, après la mort du poète, men-
tionne 83 tableaux ou gravures suspendus aux murs, outre un
gntnd carton-portefeuille rempli de cartes, de dessins et
d'estampes *. Les gravures sont de vieux maîtres italiens,
flnelques-unes aussi d'artistes français : Audran, Le Bas,
Lépicié, etc. Dix dessins attribués à Castelli reproduisent les
chefs-d'œuvre de la sculpture antique : la Vénus de Médicis,
le Gladiateur Combattant, et le Gladiateur Mourant, Persée et
Andromède, Apollon, Antinous, Méléagre, Laocoon, l'Hercule
l'arnèse. La bibliothèque comprend 514 volumes, principale-
'ûentdes classiques anglais et étrangers *. C'est un total fort
modeste; mais Johnson et Goldsmith n'en eurent pas davan-
*^e. La cave renfermait un choix assez varié de vins et de
*• NiCHOLs, Anecdotes, t. II, p. 93.
-• l'indication d'un aulre domicile à Londres nous est fournie par
'^^^ Pio/zi, mais sans que nous piii8>ion8 contrôler la valeur du rensei-
jî'^tînïenl : • So, charniing Thomson writes from his lodffings at a mil-
'•^«'"s JQ eond Slreel... ». (Gilé par E.-F. Rimbault, Sotes and Queries,
** série, vol. XI. p. 493.)
^- • My humble roof • {Winter, 547).
. *• Voir les Culloden PaperSy et aussi Notes and Queries, mars 4855 et
'"ï'ier 1862.
. ^' Peu de curiosités bibliographiques. A noter cependant un Décaméron
^^ 1583 (Venise, A" édit.).
8
- ' 1
114
JAMES THOMSON.
bières. Le jardin était l'objet de soins particuliers. Le poète ût
venir, pour diriger chez lui « Tif et le chèvrefeuille i, un de
ses cousins d'Ecosse, Andrew.
Peut-être Thomson était-il attiré à Richmond par le voisi-
nage de Pope. De Kew-foot-Lane à la célèbre villa de Twick-
enham il n'y avait que la distance d'une facile promenade.
Nous voyons au moins, par la lettre à Hill, du mois de mai,
qu'il est alors en commerce de visites familières avec l'illustre
poète. Il promet à son correspondant, si celui-ci vient le voir,
de lui faire passer une soirée avec Mr. Pope et avec^ ce pauvre
Mr. Savage », s'il est possible de mettre la main sur leur capri-
cieux et erratique ami ^
i. « Having been tantalized lately by seeing you at a distance. 1 wish
you would be so guod as to make me amends some evcning, and let me
know of it a few days before. Mr. Pope was the other day enquîring
kiudly aflcr you : 1 slioiild be glad we couid al tbe same lime engage
him. Poor Mr. Savage woulii bc happy to pass an cvening wilh you; bis
heart burns towards you willi Ihc elernal Pire of gratitude : but bow to
find binif requires more intelligence Iban is allowed to morlals....
- P. S, Please to direct to me in Kew Lane, Richmond.... »
Hill, dans sa réponse, relève la preuve- de bonté que donne Thomsor^
dans sa fa(;on de parler • de ce pauvre Mr. Savage ». (Hili/s irorAcf, vol. I ^
p. 237.
CHAPITRE V
PROSPÉRITÉS ET REVERS. — LES TRAGÉDIES. — VIE A RICHMOND
LE CHATEAU D*INDOLENCE
I
L'échec de son grand poème ne décourage pas Thomson.
Nous le trouvons activement occupé, cette même année, à ime
œuvre nouvelle. Mais c'est au théâtre qu'il revient cette fois.
Le public a demandé une nouvelle édition de cette « Sopho-
nisbe 1» » qui, dès la première année, avait atteint plusieurs
Citions '. Peut-être trouvait-il là quelque encouragement à
'^'ïterde nouveau la fortune. « Je sue sang et eau », écrit-il à
^n ami Ross, « pour vous achever une tragédie pour cet
'^^^er^ » II, s'agit d*Agamemnon commencé, selon toute pro-
*^ilité, depuis assez longtemps, et dont le poète poursuit alors
^^*ec ardeur l'achèvement. La tragédie fut assez promptement
1- Imprimée par Woodfall, et portée sur son registre à la date du
^ mars 1*73-. Les éditions de 1730 avaient élé imprimées par Bowyer.
II esl utile de noter que le nombre des exemplaires de ce lira^^e est bien
laible : 200. On est tenté de croire que le poète les a fait tirer pour son
propre compte.
2. Voir p. 81, n. 4. .
3. • I am wbipping aod spurring to finish a Iragedy for you lliis winter,
but am still at some distance from thc goal, which inakes me fcar being
distanced. • (Lettre & Ross, du 6 nov. 1136.) Les derniers mois cités font
allusion aux tragédies en projet de Hill et de Mallet.
116 JAMES THOMSON.
terminée; nous verrons qu'elle n'en fut pas pour cela plus "^
jouée.
Cette même lettre à Ross nous montre Thomson s'occupa
avec sollicitude du sort de deux de ses sœurs, Jean et Ëli
beth. Elles reçoivent à Edimbourg l'hospitalité du Révéra
Mr. Gusthart, et veulent s'assurer un gagne-pain. On leur a c ^
seillé de s'établir comme modistes. Les dames d'Edimbourg-
se contentent plus, paraît-il, de draper sur leur tète le pft
national que Thomson jeune homme admirait si vivement*,
dépit de l'opposition des conservateurs et de celle des poètfe f
on les voit de plus en plus adopter les coiffures en vogimc
Londres ou à Paris. Déjà la ville écossaise comptait ti
modiste depuis 1720; le moment semble être bien choisi poi
fonder une nouvelle maison de ce genre. Thomson approuve
projet. Le grave auteur des « Saisons b et de a la Liberté » a p
acquérir quelque savoir et quelque goût en pareille matière
s'il est vrai, comme nous le dit Mrs. Piozzi, qu'il ait habité au
dessus d'une modiste de Rond Street '. Il ne se contente pascl
conseils, mais prie son ami d'avancer à ses sœurs douze livre
sterling, et se propose de leur envoyer lui-même de temps e
temps des marchandises. Trois mois plus tard il s'adressa:
pour lui servir de banquier, à Mr. Gavin Halmiton, et le prî
1. « The milliner's business was liardly known in Scoliand before II
bepiniiinj^ oT tliis cei)lury; in 1753 llicre wcre only lîvc or six in Kdii"^
bur<:h« oi.Iy one in 1720, says n Laiiy Sirah Bnicc »
« EvHpy iady in on undre^s wor^ a pl.iid whcn she went abroad, sniu
limes of Ci'luiir, scarlel, criinson, etc., more commoaly tarlan ; some we
siik, oUiers woollen lined willi silk, somme plain worsled. • (U. ARNr~i
Ilislorf/ of Edinhurnh^ vol. II. p. S6.)
2. All.m Hamsay, dans ses poèmes, proteste contre les tentatives fait
pour 8ub>litner au plaid une êcli.ir;ie.
Thomson lui-même voyait daus le tartan une des séductions des fcmir*
d'Ecosse.
« NouRht pives onr sox such terrible alnrms,
As when the hoop uud t.iria?) boih combine
To mukc a virgin like a goddess shine »,
dit-il d.THS une de ses poésies do jeunesse, « On the Hoop », et quan'
dans une autre pièce, il peint la déesse de la beauté, il nous montre cfi'
« Around her shoulders, danRliuR on lier throne,
A bright Tarlana rarcles'^ly was tlirown,
Whisîh bas alrcady \vnn immorlai pniisc,
Musl sweetly sung in AUan Ramsay's lays. '>
{On Ueauty.)
3. Voir p. US, n. 2.
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 117
de payer à Jean et à Élizabeth moitié des seize livres qu'il a
l'intention de leur allouer chaque année *.
Ace moment, « Agamemnon », reçu à Drury-Lane, et soumis
à la censure du Lord-Chambellan avant le 12 janvier 1737, est
prêt pour la représentation. L'auteur espère voir jouer sa
pièce dans moins de trois semaines, et s'occupe de la publica-
tion du texte, qu'il songe à faire imprimer à son propre
compte *. Mais des difficultés soulevées par le directeur du
théâtre devaient retarder la représentation de plus d'une
année. Et à ce même moment, qu'il pensait devoir être celui
d'un succès littéraire accompagné de fructueux bénéfices, un
malheur imprévu vint le frapper à la fois dans ses intérêts et
dans sa reconnaissante affection. Le lord chancelier Talbot
mourut le 11 février. Thomson perdait, en même temps qu'un
&n)i et un patron généreux, la position qui lui assurait une
modeste aisance. — Le nouveau chancelier, lord Hardwicke,
laissa, dit-on, la place vacante pendant quelque temps, atten-
dant que lancien titulaire la demandât. Le poète ne fit pas
cette démarche, et la sinécure fut attribuée à un autre bénéfi-
ciaire. Murdoch explique cette réserve ou cette inertie de
Thomson par le découragement où l'avait mis la mort de Talbot,
®^ par une grande insouciance des intérêts matériels ^ Il ajoute
^* Ces deux sœurs du poète se sont plus tard mariées. Jean épousa
^^^ TlioinsoD qui dirigea une école à Lanarok. Elle survécut bien des
^'^Qéesà son frère et c'est elle qui en 1718 commuoiqua à Bos\\eU des
^^nseiifnemeals sur la vie de James,
élizabeth (la Lizzy des pièces juvéniles) semble avoir été colle de ses
J^urHque le poète préférait. Elle épousa le Rev. Robert Bell, ministre du
^^■^aihaveo, et eut deux (ils, le Dr. Jnmes Bell, qui devint ministre de Culd-
^^(!am, et Thomas Bell qui fut négociant à la Jamaïque. Elle mourut un
^^ Ou deux avant Thomson.
îiiomson avait encore une troisième sœur, Mary, que nous retrouverons
^'^ peu plus lard.
2. Ces n-nseiguemeals nous sont fournis par une lettre à Ross du
*^ janvier 1737 et une aulre à Mr. Gavin Hamilton, de février. La pre-
mière es>i d*un Ion particulièrement enjoué. Thomson y invile à venir &
Londres cet hiver son ami que menace, parait-il, la terrible institution
^u • Creepy >. C*est cet escabeau de pénitence où les pécheurs atteints
^eg sévérités de la • kirk-session » faisaient amende honorable de leur faute
^t recevaient l'admonestulion publique du minisire et des elders. h What
>vill become of you, if you don't couie up? I am arraid the Creepy and you
^ill bccome acquainted.... > (Mr. Angeilier a donné d*ubondarils détails
sur cette institution disciplinaire de la société presbytérienne d'Ecosse,
dans son beau travail sur Burns, voir p. 82.)
3. • Thomson >, dit Brugiêre de Barante, « parlait souvent du projet
118 JAMES THOMSON.
que CL'lto néu:ligeii«*e fut vivement blàinée par tous les amis de
James. .lolmsoii cherche l'explication de cette conduite soil dans
la timidité du poète, soit dans son or^j^ueil, soit dans a quelque
autre motif aussi peu louable peut-être », sans expliquer plus
clairement ce qu'il veut faire entendre. Qu'ant à Buchan et aux
admirateurs qui se sont donné mission de défendre en toute
circonstance la mémoire du poète écossais, ils louent le senti-
ment de légitime fierté auquel il obéit ici ^ — Nous savons, par
la lettre à Cranstoun du 7 août 1735 *, que cette place Thomson
avait été menacé de la perdre aussitôt après Tavoir occupée.
L'enquête faite pendant qu'il était titulaire avait dû établir
nettement que les droits de justice sur lesquels le « Secré-
taire des Brefs » prélevait ses honoraires pouvaient aisément
être diminués ou supprimés. Il lui était donc plus difficile
qu'à un autre de prendre le rôle de postulant pour cet office
à moitié condamné. D'ailleurs, la sinécure qui lui assurait
un revenu de trois cents livres était, à son jugement, le légi-
time salaire d'un talent reconnu qui avait illustré le pays. Il
n'avait rien fait pour démériter. 11 pouvait donc s'attendre à
ce qu'on le maintînt en possession de la place sans qu'il eût à
la demander ^ Une intéressante pièce de vers insérée dans le
Genlle})iaii's Magazine en décembre 1736 nous montre que les
amis de Tliomson le croyaient fort capable de renoncer à une
place lucrative, par un sentiment d'honncte fierté. Elle con-
tient clairement une allusion à une offre faite et noblement
refusée :
a Oui, Slaughter, dans ces traits je vois une âme, —
qu'il avait de se peindre dans un conlc oriental qu'il aurait intitulé :
L'Homme qui aime la pauvreté. • (l'iV de Thomson.) Le renseignement est
emprunté à Johnson.
i. Bucbau déborde dMndignalion toutes les fuis qu*il parle de Johnson.
• The memory of Thomson lias bcen prophanely touched by Ihe rude
hands or thc pedantic Samuel Johnson, whose famé and réputation indi-
cates the décline of taste in this country. » Plus loin il parle de « that
vulgar m.ilevolen<îe which pives a race to the works of thc savage bio^ra-
pher •. \EiiIof/f/ of Thomson defivered,.. on Ednam UUL,. on the 52"* of
September 1791.)
2. Voir p. 105, n. 3.
3. Hardwickc aurait eu d'autant meilleure grâce à prendre à cœur Pin-
Icrét de Thomson dans cette circonstance que lui-même était quelque
peu poète. On peut voir dans le recueil des œuvres de Lytlelton, un
impromptu ajouté par lui à une pièce de celui-ci (Johnson's PoetSy vol. 64,
p. 328).
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 119
< Qui dédaigne de faire un mensonge même pour gagner une
« place '. •
Nous pouvons avec confiance estimer que dans toute cette
aflaire le poète agit avec un désintéressement et une dignité qui
i'hoDorent. Le trait fôtit penser à la conduite d*un autre écri-
vain dont la célébrité n'est pas moindre et envers qui la vie fut
plus cruelle. Goldsmith, au milieu des humiliations et de la
poignante détresse d'une carrière de « Grub-street hack i,
refusait avec indignation l'offre qui lui était faite d'une aisance
assurée s'il consentait à mettre sa plume au service d'un parti
politique *. L'indignation mêlée de pitié que ressentit l'émis-
saire de Sandwich, en face d'une aussi impudente indépen-
dance, est l'équivalent exact de la surprise et des reproches des
amis de Thomson.
Le poète avait un devoir à remplir envers la famille qui
venait d'être ainsi frappée, envers le protecteur dont l'amitié
généreuse avait tant fait pour lui. Il n'y faillit point, et, dès le
raois de juin, il dédiait au fils du chancelier un « Poème » à la
niêmoire de lord Talbot *. Il y expose avec une chaleureuse
éloquence, que viennent rarement gâter quelques éclats décla-
Hîatoires, les vertus de Talbot, et les qualités déployées par
*ui dans toutes les positions où il fut appelé. A cet éloge ému
^^ chancelier, il joint celui de l'intime ami de Talbot, Thomas
fiundle, et proteste courageusement contre les haines injustes
^^i l'ont exilé à Derry. Indépendamment du mérite poétique
^ • " On Mr. Thomson's Picture drawn hy Mr. Slaughler, ivilh the Figure
** Liberty in his lland^ as descnbed by him in his Poem on thaï subject. »
(. What paint can do, I own,'thy skill has wrougbt,
From lincs slruck likeness, and from colours thought.
Yes, Slaughtcr, in thèse lines a soûl I trace
That scorns a falsehood ev'n to gain a place. •
G. W.
L'auteur est sans doute Gilbert West, LL. D. neveu de sir Richard
7^ple, parent de G. Lyltelton et de William Pilt. Il publia en 1139 une
imitation de Spenser qu*ont louée Gray et Walpole.
2. Forstbr's Goldsiniih^ Bk. III, chap. xvin.
3. L'impression est portée sur le registre de Woodfall à la date du
16 Juin. Le tirage est de 1 000 exemplaires, plus 156 exemplaires de
luxe. L'éditeur est Millar. L'ouvrage, de format in-quarto, est vendu
1 shilling.
120 JAMES THOMSON.
par lequel cette pièce mérite de survivre, elle a pour nous cet
intérêt de nous montrer le génie de Thomson consacré à un
ami disparu, et à un ami persécuté. Johnson, qui s'était
montré sévère pour les humbles dédicaces des premières
publications, n'aurait pas dû passer sous silence celte œuvre
de la maturité du poète qui ne fait pas moins d'honneur à son
caractère qu'à son talent.
Quelques mois plus tard, en août 1737, le Genileinans
Magazine insérait deux courtes pièces. L'une a pour occasion
un projet de construction d'un pont de bois à Westminster.
Le poète y évoque le « Fleuve Tamise », et le fait gémir, en vers
héroï-comiques, sur l'ingratitude des Anglais qui vont désho-
norer ses flots d'une construction misérable payée par les
produits d'une loterie, c'est-à-dire par les dépouilles des pau-
vres *. — L'autre est une « Ode au Prince de Galles », à l'occa-
sion de la naissance de son premier enfant. La pièce est d'un
beau mouvement et devait plaire au prince, aussi bien par
quelques flatteries adroites que par de vives attaques contre
les directeurs de la politique du pays '.
Cependant la satisfaction de Frédéric ne se manifesta point
par le témoignage qui eût le mieux convenu au poète, l'octroi
d'une fonction ou d'une pension. Privé du revenu qui le faisait
vivre, il dut se trouver pendant quelques mois dans un état de
fortune précaire. C'est à ce moment que les biographes ont
placé une anecdote bien connue. Thomson est arrêté pour une
dette d'environ soixante-dix livres sterling. Il voit entrer dans
sa chambre de la a spunging house » un personnage grand et
fort au visage énergique, aux yeux vifs et perçants '. C'est-
l'acteur Quin qui vient faire visite au poète, et de sa voijci
chaude et forte exprime le désir de se lier avec lui d'amitié.
Pour ne pas perdre de temps, il s'invite à souper. Grand
embarras du prisonnier qui n'a ni argent ni crédit; mais Tac—
1. • On Ihe lieportof a Wooden Bridge to be buitt al Westminster • {Th^
Gentleman's Magazine^ Âugiist l'37, p. 511). — Le morceau n'est pas suivi
de nom d'auienr. Il a (if^ur^ duns les poèmes de Dodsiey, 1748.
2. - To Uix Royal Wghness the l*rince of Wales^ an Ode, by Mr.
Thomson • (Seplember), p. 569. — La nai-^^tance de la princesse Augusta
est du 31 juillet \TM, — Le dernier vers esl ainM* libellé :
• "Wlien Fr— e insulls, and Sp— n shall rob no more. »
3. Voir un portrait de Quin dans Davies, Life of Garrick, I, p. ISS.
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 121
teur le rassure. Il a jugé que le lieu ne se prétait pas à la pré-
paration d'un dîner suffisamment soigné; le repas va être
apporté d'un cabaret voisin. Comme entrée de jeu Texcentrique
visiteur fait d'abord paraître une demi-douzaine de bouteilles
de vin *. On soupe, et, sans doute, gaiment. Le convive était
fort aimable, et Thomson n'était pas insensible aux charmes
de quelques bouteilles. A la fin du repas Quin prend la parole :
1 11 est temps, Jemmy Thomson, de régler nos comptes ». Et,
pour mettre fin à Tétonnement de son hôte, il poursuit :
t Monsieur, le plaisir que j'ai éprouvé à la lecture de vos
f ouvrages m'a constitué votre débiteur pour une somme que
«je ne puis estimer à moins de cent livres. Je tiens à pro-
t filer de cette occasion pour m'acquitter. d 11 place alors sur
la table un billet de cette valeur, et se retire sans attendre
que le prisonnier ébahi lui ait fait aucune réponse.
Quelle créance mérite l'anecdote? Il est assez difficile d'en
décider. Reproduite depuis longtemps dans toutes les biogra-
phies de Thomson et dans celles de Quin, elle ne présente pas
cependant d'incontestables titres d'authenticité. Johnson est le
premier qui l'ait accueillie, et nous savons qu'il faut un peu
nous méfier des renseignements fournis par lui, même quand
i* est plus affirmatif qu'ici '. La biographie de Shiels et celle
deMurdoch sont muettes sur ce point ^ Sans doute l'aventure
n'est pas de prime abord invraisemblable. Nombreux sont les
^rivains contemporains de Thomson qui, comme Fielding,
^Hins ou Johnson lui-même, ont connu la prison pour dettes.
Mais Murdoch s'exprime, sur cette période de la vie de son
^^h dans des termes qui excluent la possibilité de cette arres-
'^^ion. € Le poète, dit-il, ne se laissa pas décourager par la
'• • Quin était un grand buveur. IL se faisait souvent le plaisir d'amener
P^u à peu les imprudents qui s'attablaient avec lui à un état d'ivresse
J^^nîplèle. • {Records of my Life, by the late J. Taylor esq., London, 1842,
2 ^ol. in-8. Vol. M chap. vi, p. 75.)
2. • Quin 18 reported lo havc delivered Thomson.... » (Joh.^son's Life of
''^mson.)
De même aussi un témoin intime de la vie de James, Robertson, apporte
^0 témoignage qui laisse place au do ite : • 1 bclieve the anecdote of
QiJio and Thomson was Irue •. (Park's Memoranda,)
3. Jl est vrai que, dans les biographies publiées sous sa direction, Theo-
philus Cibber n'aurait pas volontiers admis une anecdote aussi Hatteuse
pour Qaio. 11 y avait entre eux peu d'amitié, ils ife battirent en duel en
n39. (Voir The Thespian Diçlionary, art. Quin,)
132 JAMES TnOMSON.
« perte de son protecteur, et ne changea rien à son genre
« vie qui était simple, mais aisé et élégant. Mr. Millar é
Cl toujours là pour prévenir môme ses demandes, et il a\
« en outre de riches amis qui seraient d'eux-mêmes int
« venus s'il en avait été besoin '. »
Les témoignages directs sont donc contradictoires, mais
silence de Shiels et la négation formelle de Murdoch n
semblent avoir plus de poids que Taffirmation un peu hésita
de Johnson et de Robertson. Quant aux circonstances ex
rieures, elles tendent assurément plutôt à faire rejeter lar
dote. Il est inadmisible que Quin et Thomson ne se soient
connus plus tôt. Le célèbre acteur avait, en 1735, quitte
théâtre de Rich pour entrer à Drury-Lane *. C'est lui
était chargé du rôle principal dans c Agamemnon d, et la pi
était presque prête pour la représentation dès le début
Tannée 1737 '. Comment l'acteur et l'auteur n'auraient-ils
été par là mis en contact? Au total, l'historiette n'est d
aucunement certaine, et de sérieux témoignages la démenti
Si elle repose sur un fait véridique, elle nous est assuréir
parvenue avec l'addition de détails inexacts. Ce qui du m(
n'est pas douteux, c'est que Quin et Thomson ont été
d'une amitié dont nous ne pouvons préciser l'origine, n
qui fut étroite et dura jusqu'à la mort du poète *.
1. • Yet could iiot bis ^euius be depresscd, or his temper hurl, by
reverse of fortune. He resnmed with time his iisual chearfulness,
Dever abated ooe a- licle in his way of livinf^; which, though simple,
génial and élégant.... Mr. Miliar was always at hand, to answer, or <
to prevent, his demands; and he had a friend or two besides, w
hearts, he koew, wero nol contracted by Ihc ample fortunes they
acquired; who would of themselvc» interpose, if they saw any occa
for it. » (MuKnocii, An account of the Life of James Thomson.)
2. T. Davies, Dramatic Miscellanies^ p. 82.
3. Voir p. 115.
4. James Quin, plus dgé que Thomson de sept ans, était un homme
le commerce ne devait avoir rieu de banal. A cette époque, les avent
abondent dans sa vie, et elles y ont commencé de très bonne heure,
père, riche avocat, avait épousé une veuve. Après la naissance de Ja
un premier mari de la fausse veuve reparut. Les choses s'arrange
sans scandale et la seule victime du malentendu fut l'enfant qui en
tait l'embarrassant témoignage. Déclaré incapable d*horiter de la for
de son père, Quin chercha fortune sur les planches. De Dublin où
ses premières armes, il vint à Londres, se fit remarquer par son taie
aussi par la vivacité de son humeur. Il quitta Drury-Lane après avoii
en duel un de ses camarades. Attaqué par Aaron Hill dans la camp.
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 123
Le 13 septembre 1737, le « Daily Advertiser » informait ses
lecteurs que quatre jours auparavant James Thomson, Esq.,
l'auteur des a Saisons », avait, en compagnie du Dr. Armstrong,
été reçu franc-maçon; Richard Savage, Esq., officiait comme
maître*.
La représentation si longtemps retardée d' (n Agamemnon d eut
enfînIieu,àDrury-Lane, Ie6avrill738. L'auteur avait consenti,
pour en finir avec les difficultés soulevées par les directeurs,
à abréger la pièce*, notamment en pratiquant des coupures
dans les longs discours où Faction risquait de s'enliser. Ce
n'est pas du reste, s'il en faut croire Davles, la seule preuve
(le bonne humeur et de résignation facile qu'il eut à donner au
cours des répétitions. Sa façon de lire le manuscrit avait causé
chez les acteurs un tel accès d'hilarité qu'il dut prier le direc-
teur de continuer à sa place cette lecture, « car, ajouta-t-il, si
* je sais écrire une tragédie, je vois bien que je ne sais pas la
*lire'». Quin jouait le rôle d'Agamemnon, et Colley Cibber
celui de Melisander *; Mrs. Porter faisait Clytemnestre ' et
*nic menait le critique 'en 1735 contre le faux goût des tragédiens, il
fêpond aux criii(|ues du • Prompter • par des voies de fait.
L'&necdote du secours apporté par l*acleuran poète prisonnier a fourni
le sujet d'une pièce française dont on trouvera le résumé à la fin de cet
<>"mge (Appendice III).
*• «A scrap from the Daily Advertiser of Tuesday, Sept. 13, 1737, pre-
serred in a volume of Masonic Collections, by Dr. Rawlinson (now Bodl.
^S* Rawl. G 136), informs us that, on the preceding Friday, James
Tbomson, esq., autbor of The Seasons, Dr. Armstrong, and others, were
^dmitied free and accepted Masons at Old Mans Coffee House, Charing-
^ross, on which occasion Richard Savage, esq., son of the laie Karl
"•vers, officiated as Master. •
(Note de W. D. Macray, dans Notes and Quevies, 2" série, n« 7, p. 132.)
. ^' *■ Mr. Thomson submitted to bave this play considerably shorlened
"^ ^he action, as soroc parts were too long, others unnecessary in whIch
°<>^ the cbaracter but the poet spoke. • (Shiels, Cibber*s Lives.)
^* • Davies tells us that when Thomson was reading this play in the
green-rooiD^ he pronounced the Unes wilh so strong a Scotch accent that
^^^ actors could nol restrain their laughter; upon which the poet turncd
^^^he manager, and handing ovcr the play to him, begged him to go on
^ith the reading, « for, he added. though I can write a tragedy, I fînd
' cannot read one. » (Bbll, note à Pépilogue (VAgamemnon^ p. 248.)
^. Avec son ordinaire insuccès, s'il en faut croire les souvenirs de
^à^ks, « Colley affected a stately magnificent trcad ;... bis wholc behaviour
^Mstarchly studicd. • (Davibs, Dramatic MisceUanies, t. I, p. 23.)
3. Davies parle, à propos d'une autre pièce, de la dignité et de la grâce
incomparables de cette actrice dans les rôles de reines. « The dignity and
124 JAMES THOMSON.
Mrs. Cibber Cassandre '. Pope avait chaleureusement encou-
ragé le poète pendant l'élaboration de la tragédie; il Tavait aide
à écarter les obstacles ; il avait écrit deux lettres aux directeurs
du théâtre, pour les décider à faire enfin jouer cette pièce qui,
depuis janvier 1737, était reçue et étudiée. Il lui donna une
nouvelle preuve d'amitié en assistant à la première représen
tation '. Thomson avait lieu d'être fier d'une pareille faveur
car à cette époque Pope fuyait les occasions de se montrer er
public. A son entrée dans la salle, le traducteur d'Homère fu
salué par les applaudissements des spectateurs.
Quant à la pièce, Johnson déclare qu'elle fut écoutée san
plaisir ', et il raconte, à propos de l'attitude de l'auteur pen
dant la représentation, deux anecdotes qui se sont retrouvée
depuis dans toutes les biographies. L'auteur devait, après 1
spectacle, souper avec quelques amis; il arriva fort en relarc
L'émotion et l'anxiété l'avaient mis dans un tel état de tran:
piration que sa perruque en avait été gravement endommagé
Il avait dû la faire refriser chez le perruquier. Le détail para
fort exact; il est donné pas Davies ^ aussi bien que par Johnsoi
et s'accorde avec ce que nous savons de la coquetterie (
Thomson en matière de perruques. C'était le seul article de i
toilette pour lequel il montrât quelque sollicitude. Il avait dei
fournisseurs : Lauder à Richmond et Taylor dans Grave
Street, à Londres; et chacun d'eux l'approvisionnait de modèl
dilTéreiits pour les diverses circonstances. L'employé de Laud
qui nous a transmis ces détails dit qu'il a vu chez son maît
jusqu'à douze perruques appartenant à Thomson, et toutes
grosses que nulle autre personne n'aurait pu les porter
grâce of a queen were ncver, perliaps, more happily set oCT than
Mrs. Porter. » {Dram. Mi>cel., 1, p. 206.)
1. La jeune femme de Thoopliilu*) Cibber valait surtout par le naturel
le pathétique de son jeu. Qnin disait d'elle k Garrick en 1744 au Cifé
Bedford : « Never tell me, Mr. Garrick; tlint womnn lias a hnart, aud can
anylhin^ where passion is required ». (Davirs, Dram. Miscel., I, p. 21.
2. Sliicls, CiBKEH*s Lives,
3. K It was endured but not favoured. » {Life of Thomson.)
i. Life of Garrick, t. Il, p. 33.
5. Le comte de Buchan reçut, en 1791, ces révélations d'un nommé W
liam Taylor, ancien emplové de Lauder à Richmond. Hllles ont été publia
d'abord dans The Weckiy Entertainer^ journal qui paraissait à Sherbori
dans le Dorselshire, puis dans le Table- Dook de llorie. Voici, dans le te
même, les renseigncmeuts de ce spécialiste : « Thomson always worea w
and was very extravagant about them. I hâve seen a dozen at a tii
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 125
Voilà qui nous explique à la fois redet produit par la double
influence de rémotion et du poids de la coilTure, et le désir
de l'auteur de soumettre sa coilTure au fer de Taylor, dùt-il
fiaire attendre ses amis. Cette extravagance à propos de per-
ruques nous étonne aujourd'hui. Autre temps, autres prodi-
galités. C'était là que Thomson mettait son luxe et sa vanité,
comme Goldsmith les placera plus tard dans ses culottes de
salin cramoisi et sa roquelaure écarlate *. Les poètes du
xix*^ siècle connaîtront de plus ruineuses extravagances.
L'autre anecdote est plus sujette à caution. L'auteur, dit
Johnson, était à ce point excité que, de la galerie où il avait
pris place, il ne pouvait s*empécher d'accompagner à haute
voix L-s acteurs, jusqu'au moment où un avis amical Teut rap-
pelé à la réserve qui convenait. Johnson emprunte le détail,
presque avec les mêmes termes, à la biographie de Shiels %•
mais là, c'est à la représentation de a Sophonisbe » qu'il est
rapporté. Il faut convenir qu'il y gagne en vraisemblance. En
1738, Tlîomson ne devait plus être exposé à d*aussi juvéniles
angoisses, et nous avons peine à nous le figurer assistant à la
représentation du haut du a paradis ».
Les deux biographes sont en désaccord plus complet au sujet
de l'accueil fait à 1' a Agamemnon ». Johnson dit que la tra-
gédie échoua. Shiels assure que, « bien que jouée seulementen
•^vril,elle fut représentée pendant plusieurs soirées de suite,
• au milieu des applaudissements* ». La vérité sans doute nous
est donnée par l'opinion intermédiaire de T. Davies. Le public.
>i3nRin{( up in my mAster's shop, and ail of them so big Ihat nohody
c'»e would wear them. I suppose his sweatiii^ç to ^uch a degree made liim
^•^e go many, for I hâve known him spoil a new one oniy in wulking
from London.... Lauder mnde his majors aid hobs, and a person of Ihe
Wme of Taylor, in Cravcn-Slreet in ihe Slrand, made his tie-wigs. An
®x<'ellcnl ciistomer he wa» to bolh. »
^' KoHSTBH*s Goldsmith^ B. III, ciiapt. ix.
^* ' Al the Orst performance (of Sophouisbn) he placed himscif in ihe
"ppep-^llery to sce withoul bcing knowii; but could nol help rcpeating
j|**î parts with the players and would somctimes whisper to himscif:
^ow sm!h a scène is to opcn. » (Shiels, Cibrer^s Livet.)
1^" ivste Johnson n'est pas très afnrmnlif. « If I remember right... -,
P'^'il, avant de coûter l'anecdote, et, de fait, il ne se souvenait pas tou-
J®"»"» cxacfcment.
.^ • Though not brnught on the stage till the monlh of April, it con-
tinued to be acted with applause for several nighls. • (Shiels, Cibber's
126 JAMES THOMSON.
selon lui, ne prit pas grand plaisir à Faction du drame, mais
accueillit par de vifs applaudissements les allusions politiqu
prodiguées dans la pièce *.
Ce qui est certain, c'est que la tragédie tint raffiche ass
longtemps pour que Tauteur pût bénéficier des trois représe
tations dont le produit lui revenait de droit : la 3', la G"^ et
{)•. Elle se jouait encore le 24 avril*. Le prince de Galles doni
au poète une marque particulière d'intérêt : ce fut sur s(
ordre que la 1° représentation eut lieu. Peu de semaines aprc
deux éditions de la pièce avaient paru. La première, inscri
par Woodfall à la date du 24 avril^ étail tirée à 3000 exen
plaires, plus 100 exemplaires de luxe ; la deuxième, quatre jou
plus tard, à 1500 exemplaires. On comprend que Murdoch ;
pu dire qu' c Agamemnon » rapporta à l'auteur une gros
somme.
Le prologue, prononcé par Quin, avait été écrit par Maliel
Il contenait, à la fin, l'expression de quelques vagues seni
ments politiques et une allusion fort inotîensive à la censui
La censure se vengea en exigeant la suppression des demie
vers *.
L'épilogue imprimé ne porte pas de nom d'auteur; il (
donc probablement de la main de Thomson. Il n'est pas ser
1. Davies cite comme exemple de ces allusions les vers suivants :
• — But thft most fruiiriil source
Of every evil — 0 thaï 1 in thunder
Could Sound il o'er the list'ning world to king.**,
Is delegating power to wickcd bands. »
{Life of Gni-rick, vol. II, p. 32.)
2: Voir plus bas, n. i.
.'<. - By Ihe aulhor of Eurydice », dit l'édition.
4. Après avoir affirmé les intentions hautement morales de l'aiil
d* « Agamemnon », le prologue disait :
t
• As such our fair nltempt, we hope to see
Our judges — hère al Icast — from influence free;
One place, — unbiass'd yet by party-rage, —
Wliere only honour votes, — the Brilisli stage.
We ask for justice, for indulgence sue :
Our lasl best licenrc musl proceed from you. •
Le London Oaibj Post du 24 avril IT^H contenait la note suivaD
signalée par P. Cunningham (Percy Sociely) : - To-morro\v morning,
9 o'clock, will be pnblishod, price 1 s. 6 d., Agamemnon, a tragedy, as
is uow acting M'ith greal applanse, elc. •
• .V. U. Thj lines in i\w prologue not ailowod by the liccnser to be spoli
are priutcd and distinguished by inverted connnas. »
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 137
blable à celui qui fut dit, à la première représentation, par
Mrs. Cibber. L'auditoire ayant, de ce premier épilogue, approuvé
les six vers du début et blâmé ce qui suivait, le début seul fut
conservé. Dix-huit vers nouveaux remplacèrent ceux qui
avaient été condamnés. Le public y est félicité de sa sévérité;
le poète se déclare heureux de ce réveil du goût; cette condam-
nation est pour lui un triomphe; ces sifflets l'ont enchanté *.
Voilà un assez obscur amphigouri. — On a supposé que les
vers désapprouvés renfermaient quelques-unes de ces plaisan-
teries inconvenantes dont le théâtre faisait, depuis la Restaura-
tion, l'ordinaire assaisonnement des épilogues. Mais ici une
pareille pratique aurait été en singulier désaccord avec les ver-
tueuses professions de foi du prologue. Nous n'en pouvons
donc attribuer la responsabilité à Thomson ni à Mallet. Peut-
être les acteurs eux-mêmes ont-ils cru devoir se conformer à
l'usage, et servir au public quelques distractions moins aus-
tères que les tragiques émotions d' a Agamemnon ». Les répu-
gnances du poète n'étaient pas pour les arrêter. Les rapports
de Thomson avec la troupe de Drury-Lane (Quin excepté)
n'étaient pas des meilleurs '. Cibber pourrait donc bien être
l'auteur de ce premier épilogue qui semblait, de parti pris,
opposer aux opinions de Thomson la coutume du théâtre, et
appeler le public à décider. Le jugement prononcé donnait
gain de cause à l'auteur, et l'on comprend alors que celui-ci,
i^prenant la plume pour remplacer le malencontreux épilogue,
^ soit félicité d'un échec qui était pour lui-même un succès '.
*• • Thus he began — and yon approv'd Ihe straio;
Till Uie next couplet sunk to light and vain.
You check'd hiin there. — To you, to reason jiist,
He owns he. triamph*d in your kind dis^usl.
Cliarm'd by your frown, by your displeasure graced.
He hails the rising virtue of your lasle. -
*• Voir plus loin, p. !28, n. 3.
'^- • Dur bard, to modem épilogue a foe,
Thinks such mean mirlh hul deadens generous woe. •
Ainsi commence le deuxième épilogue. On reconnaît ici les idées fami-
''^'■«s à Thomson etàHIlL idées auxquelles l'inHuence de Voltaire ifestsans
aoute pas étrangère. La nouvelle école tragique, se fondant sur l'exemple
"'^ '« scène française, avait, depuis Addison jusqu a Thomson et Yuung,
^''^ssé le comique du drame tragique. C'était par une conséquence toute
•^^lurelle des mêmes idées, que l'auteur tï Agamemnon voulait le faire
^'sparaltre aussi de ces appendices que l'iisa^îc ajoutait aux tragédies.
' ^^ Mit, dit Lessing, combien Thomsou s'eat révolté contre cet usage
128 JAMES TQOMSON.
II
Dès avant la représentation d*Âgamemnon, Thomson aval
sur le métier une nouvelle tragédie. Le sujet lui en avait et
proposé par Mrs. Sandys, Tamie de Rundle. Il en avait arrêt
toute la division en actes et en scènes, mais en avait remis
plus tard * Tachèvement. C'était ce même drame d' a Edouard <
Èléonore d dont Pope parle dans une lettre à HilU du 8 décembi
1738 *. Deux actes seulement en étaient écrits à ce momen
Une autre lettre de Pope, à la date du 12 février 1739, noi
apprend que la pièce est complétée; mais que le poète, méco
tent des procédés du directeur de Drury-Lane, s'est décidé
porter sa tragédie à Covent-Garden. Les rôles de femmes
trouveraient de meilleures interprètes, et c'est d'elles qi
dépendra le succès de la pièce '.
En attendant la représentation et la publication d' a Edouard
les annonces des éditeurs mentionnent, pendant cette ann
1738, quelques autres publications portant le nom de Thomso
Le 6 juin, Woodfall achevait d'imprimer pour Millar une éc
de secouer los grelots de la folie derrière les pas de Melpomëne. • {D.
maturgie de Hambourg^ tradiict. de Suckau, p. 38.)
Sur le» uiânions exprimées par Lessing sur Voltaire et sur Tlioms*
voir h la fin de cet ouvrage. Appendice 1.
4. • My Triend Thomson, ihe poel, is bringing another untow^
heroine on the >tage, and lias dererred writing on the subjecl you ch«
for liim, Ihoiigh hc ha<i the whole scheme drawn into acts and scènes
His présent story is Agamemnon... Perhnps Ihe dclicacy of the snbjf
and tlie jiidgmcnt reqiiired in saying buUi truths, Vhose boldness sho
nol mako them deucnerate into oITensiveness, dtiterred him.... •» (Run
h Mrs. S.iQ.lys, lettre XXVII, p. 189.)
2. • I hâve been coufirmed by Mr. Thomson as to the retardmcnt of
play, of which he has wrillcn but Iwo acts.... » — Hill écrivait à Ma.
le 9 décembre : « .... Uavlni; lieard tbat ncithcr yours nor Mr. Thom^c
were cxpeclcd to be ready lill toward Ihe end of the season, 1 propo
thatCœ^r shniibl be brought on in January. » (I1ill*s Works, vol. Il, p. '
3. - Mr. Thomson, aftor many shamcful tricks from the manager
determinod to a'H his play at the olher théâtre where the advanlage
ns to tho women, and the success of his will dépend upon them..*
(Pope à Hiil.)
Et de mcnic Hill, dans sa réponse : « If Mr. Thomson's new Trngedy
to dépend on h'S women perrormers, he has cerlninly judued \vA\ in >
choice of the C«>veDl-Garden théâtre. » (Hili/s Works, vol. Il, p. 67.)
Sir Harris Nicholas rapporte la mention des lettres de Pope à la tragéi
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 1^9
tion (les (Kuvres ' qui ajoute au contenu de l'édition de ilM) la
tragédie d' « A*^'aniernnon ». CVest du reste la seule dilTérence.
Le nombre de vers des a Saisons » reste le même que dans les
éditions de 17:30 *.
Millar publiait encore cette année une édition de 1' « Areopa-
gitica» de Milton, avec une préface de six pajj;es, d'un autre
auteur ^ Cet autre auteur était Thomson \ 11 dut éprouver une
\ive satisfaction à s'associer ainsi à l'hommage rendu au grand
Milton, le maître à l'école duquel s'est formé son génie, et
l'éloquent avocat de ces doctrines libérales auxquelles l'auteur
i^Libertij était profondément dévoué.
On a relevé dans les correspondances -de quelques hommes
de lettres de cette époque deux mentions de Thomson qui nous
apportent quelques renseignements sur ses amitiés, sur ses
occupations, sur son genre de vie. Cave, le directeur du Gentle-
wwn's Magazine, envoyait le 12 août 1738 ce court billet au
Dr. Birch * : « Le jour fixé reste mardi. Je crois que nous visi-
^'Agamemnon (Biographie de rAIdine édition^. Cesi une inadvertance
usez singulière, puisque les dates qu'il cite lui-môme les placent plusieurs
iDois après la représentation de cette tragédie.
*• Le format est in-8 comme celui de la 2* êdit. (1730), et celui du 2* vol.,
qui forme l'édition de 1136. De l'édition de 1738, Woodfall imprima
^ ^00 exemplaires du premier volume, et 1 500 du deuxième.
^' Dans ces deux éditions la seule dilTérence porte sur une addition de
^▼ers que, dans 1' • Hiver •, l'édition in-8 ajoute au texte de rin-4. C'est le
^«ffre de l'in-S, 187, que donne pour cette • saison • l'édition de 1138.
3* • Âreopagitica, a Speech of Mr. John Milton, for the liberty of unli-
cens'd Printing, to the Parliameotof England. First published in the year
'SU. With a Préface by anolher Hand. •
1*008 les biographes qui mentionnent] cette publication : sir Harris
^'cholas, Rob. Bell, Mr. Logie Robertson la rapportent à l'année 1740.
C'est une erreur, comme le prouve le titre de la brochure. Voir notre
bibliographie.
^' Nous ne voyons pas que Thomson l'ait reconnu de son vivant, mais
^tte attribution, outre les preuves intrinsèques, est établie par le titre
suivant d'une publication postérieure :
* Substance of the speech of the Rev. Mr. Walker, at the gênerai Meet-
'°S of the County of Nottingham held at Mansfield on Monday the 28^^
^^ Pebruary 1180, to which is added Mr. Thomson's Préface to a speech
®'Mr. John Milton, for the liberty of unliccnsed printing, etc. •
''Printed and distributed gratis by the Society for Constitutional Infor-
'«'alion. MDCCLXXX. •
S- Cave était le fils d'un savetier. Il devint libraire, et célèbre pour deux
^sons. Il a créé le Gentleman's Magazine^ et il fut à la fois réJiteurJde
Mnton et son aini, comme Millar l'était de Thomson.
Thomas Birch, d'une famille de quakers, devint ministre a iglicin. 11
Pistait Gare dans la publication du Gentkman's Magazine \ il a lii<sé de
9
130 JAMES THOMSON.
« loroiis nianMiiont, (;l que nous reviendrons dîner à Piiclirnond.
(( Ferais-je bien de prévenir Mr. Thomson que nous serons à
a telle auberge de Uiclimond vers midi, son heure habituelle de
<( lever? * » Notre poète, en elTet, s'est de plus en plus abandonné
à une indolence qu'il décorait volontiers du nom de rêverie
philosophique ou poétique. Il est devenu physiquement et
moralement très différent du jeune Écossais énergique et dur à
la fatigue que nous avons connu. La note de Cave s'ajoute à
Tanecdole de la perruque pour constater cet alourdissemeat.
Rien de plus significatif à cet égard qu'une comparaison des
deux portraits de l'édition de 1762. Le Thomson qu'a peint
Aikman en 1725, jeune, bien découplé, de physionomie éveillée
et d'agréable visage se retrouve à peine dans les traits épaissis
de ce personnage à double menton que représente le portrait
de Kent; les yeux seuls y rappellent le Thomson des jeunes
années. La paix et le loisir de Richmond et les grasses matinées
n'ont pas peu contribué à cette transformation.
Le mois suivant Richard Savage écrivait à ce même Dr. Bircl'^ *
« . . .J'espère que vous ne vous désappointerez pas. Le Dr. Arnns-
a trong, Mr. Thomson et moi devons être de la partie *. » I^
nombreux ouvrages de littérature et d'histoire, et fut, de 1752 à 17^5,
secrétaire de la Société Royale. C'est de lui que Johnson disait : • He ti^^
more anecdotes than any man », mais dont le grand critique apprécia-'^
moins les écrits : « Tom BircU is as brisk as a bee in conversation, but
DO sooncr does hc takc a pen in his hand, than it becomes a torpédo to
him and bcnunibs ail his faculties •. (Boswbll's Johnson, chap. iv, anoé^
1143.)
L'opinion d'Horace Walpole était encore plus sévère : « A worthygood,
natured soûl, fui! of indiistry and aclivity, and running about like s
young dog in quest of anvthing new or old, and with no parts, taste or
judgment ».
De nombreuses lettres échangées par lui avec divers personnages figu-
rent dans les Anecdotes Littéraires de Nichols, vol. I, p. 585, 637, —H,
507, — III, 258, — V, 40, 43, 53, 282, 290.
1. « We still agrée on Tuesday, and I think we shall see Claremonl,...
and thcn corne to dîne to Richmond. Had I best scnd Mr. Thomson word
that we shall be at such an inn at Richmond by noon, his hour of rising? »
Cette information de Cave est confirmée par Robertson, voisin et ami
de noire poète, dans sa conversation avec .Mr. Park : « I hear he kept
very late hours? • — « No, sir — very early. He was always up at sunri.se,
but then be had never bcen in bcd. • — On comprend alors que Cave et
ses autres visiteurs pussent le trouver au lit à midi.
2 I beg you will not disappoint us. Dr. Armstrong and .Mr. Thomson
and myself will be of Ihc party.... » (Lettre de Savage au Dr. Birch, sep-
tembre 1738.) Elle est citée par P. Cunningham, Percy Society, voL IX.
Poem to the Memory of Congreve; elle est par lui extraite des volumineux
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 131
s'agissait d'aller à Chiswick visiter la maison et les jardins du
comte de Burlington.
Tel qu'il était, en dépit de cette nonchalance qui s'aggrave
chaque jour, notre poète continuait à plaire à nombre de gens.
Il conservait ses vieux amis; sans en excepter, nous le voyons,
cet incorrigible bohème, Dick Savage. Il en faisait aussi de
nouveaux et non seulement dans le monde des lettres, mais
dans la haute société politique et dans l'aristocratie. George, le
futur lord Lyttelton, dont nous avons rencontré le nom dans
la correspondance de Thomson en 17.'Î5 *, va se montrer, pen-
dant les dix dernières années de la vie du poète, son ami le
plus affectueux et le plus dévoué. C'est à l'année 1738 que Phil-
limore, le biographe de Lyttelton, fait remonter cette amitié.
Toutes les « vies de Thomson », il est vrai, reproduisent la
date fournie par Johnson, 1737 V Ce qui est au moins cer-
tain, c'est que l'intérêt du prince de Galles se manifesta sous
la forme de substantielles faveurs, peu après que Lyttelton fut
devenu secrétaire de Frédéric '. Bientôt même le nouveau
secrétaire présenta au prince le poète patriote qui lui avait
dédié Liberty^ et Frédéric accorda à l'écrivain une pension
annuelle de cent livres *. Si modeste que fût la somme, elle
venait fort à propos assurera Thomson des ressources moins
incertaines que les gains de sa plume. Johnson et les bio-
^phes qui l'ont suivi, rapportent à cette entrevue une repartie
spirituelle qui aurait déterminé l'acte de générosité du prince.
Interrogé sur sa situation de fortune, l'écrivain aurait répondu
que ses affaires étaient a dans un état plus que jamais poé-
tique » •. Le mot était joli, et n'est pas invraisemblable, bien
que la conversation de James nous apparaisse d'ordinaire
manuscrits laissés par Birch et qui se trouvent à la bibliothèque du Brit-
ish Muséum (Birch MSS, 4318, art. 46.)
1. Voir p. 106, n. 2.
2. • Thomsan had published the earliest éditions of the Seasons, Aga-
memnon, Sophonisba and Liberty before he was acquaiuded with
Mr. Lyttelton. » (Phillimore's Memoir of Lord Lytlelton^ vol. 1, p. 285.)
3. En 1137, quand Pelbam eut renoncé à ce poste.
4. On voit souvent associer les noms de Thomson, Mallet et West
comme ayant été en môme temps, et sur la recommandation de Lyttelton,
l'objet de pareilles faveurs. En réalité, Thomson jouispail d'une pension,
Undis que Mallet reçut plus tard (Phillimoro dit en 1742 [vol. 1, p. 113]) le
poste de secrétaire adjoint avec des appointements de deux cents livres.
5. • In a more poetical posture then formerly. • (Johnson, Ufe of
Thomson.)
132 JAMES THOMSON.
comme marquée par une lente et négligente bonhomie pluW
que par de brillantes ripostes. Mais nous devons noter qu
Phillimore donne positivement le mot comme ayant été adresj
à Lyttelton \ et non pas à l'imposant personnage qu'était l'hi
ritier du trône.
Le poète ne pouvait faire moins, pour reconnaître la libt
ralité de Frédéric, que d'introduire dans l'œuvre qu'il élabc
rait à ce moment des allusions ilatteuses. Le sujet y prêtait
le héros, dans a Edouard et Éléonore », est l'héritier pré
somptif de la couronne d'Angleterre; son avènement au trôr
est ardemment souliailé par la nation ; le prince a pour ennem
les conseillers incapables ou perfides du vieux roi. L'applicatic
de cette situation au temps présent était trop facile : dans so
désir de faire sa cour à Frédéric, Thomson dépassa la mesur
Aussi ne pouvons-nous èlre surpris que la représentation c
la pièce ait été interdite. Une loi de 1737 soumettait les œuvn
dramatiques à une censure préalable*. Le gouvernement, qi
avait déjà fait usage de cette arme ', s'en servit, une seconc
fois, contre le protégé du prince de Galles. Johnson et Mui
doch s'étonnent de cette rigueur. Il est cependant diffici
d'imaginer un cas où elle eût pu être mieux justifiée. Les pai
sages que le poète comptait faire applaudir au public n'étaiei
pas seulement des tirades pleines de l'éloge de Frédéric
c'étaient aussi des attaques directes et violentes contre li
ministres et contre la politique de la cour *.
Le coup dut être désagréablement ressenti par le poète q_
comptait sur le prolit de la représentation. Il chercha, c
Johnson, une compensation en publiant par souscription
1. Phillimore's Memoir of Lyttelton, p. 2X3-287. Au lieu de « poslur*:
le texte donné par Pliillimore dit • state ». La substitution du prenn
de ces muls au second serait bien danf% le goût de Johnson.
2. Le « Sta^'e act » fut provoqué, dit Murdoch, par certaines pasquinaL<
dont le ministère avait eu à soulTrir.
3. Pour interdire une tragédie de Brooke, Gustavus Vasa.
4. On en jugera par ces deux échantillons :
Tis a inuch more pious oHice,
To save your falher's old and broken years,
His mild and easy temper, frora the snares
Of low, corrupt, insinuating traitors.
Uas« not the Royal hcir ajuster claim
To share his father's inmost heart and counsels
Than aliens to his inlerest, those, who make
A property, a markct of his honour?
PROSPÉRITÉS ET REVERS. 133
»
texte de sa tragédie. C'est ainsi qu'avait procédé Brooke, et
cette première victime du a Stage act » avait exploité sa mésa-
yenture en lui faisant produire mille livres*. Mais, bien que
les deux pièces fussent écrites sous une même inspiration et
s'attaquassent aux mêmes adversaires, celle de Thomson ne
rencontra pas la même faveur ni les mêmes encouragements.
Il est probable que l'effet à tirer de la persécution avait été
épuisé par le premier martyre.
La pièce imprimée était dédiée à la princesse de Galles,
dans des termes qui soulignaient nettement l'intention du
poète de rapporter au temps présent bon nombre des
réflexions émises par les personnages. Le Prologue et l'Épi-
logue sont écrits par « un ami ». Le prologue est de ton
sérieux, conformément aux principes de Thomson. Au con-
traire l'épilogue, assez lestement tourné du reste, revient au
genre badin que le poète avait paru blâmer, à l'occasion de
^'^gamemnon, V a ami » devait être Mallet, qui avait
''endu déjà de semblables services à Thomson, et pour qui
^lui-ci venait d'écrire, peu de mois auparavant, le prologue
^6 Mustapha *. Le volume, de format in-8, était imprimé
pour l'auteur, et vendu par Millar. L'épigraphe de la page du
^'tre prenait soin d'établir que le public, aussi bien que le
poète, était volé. par la décision du censeur. Cette ingénieuse
^aptation d'un vers de Phèdre n'eut pas raison de la froideur
<iu public'.
1- Grâce auxquelles il alla s'établir à Twickenham dans une maison
Pi'oche de celle de Pope. 11 est en conséquence probable qu'il se lia avec
^bomson, son voisin, son coreligionnaire politique et son compagnon de
Persécution.
1 Joué à Drury-Lane le 13 février 1739, avec un assez vif succès. Dans
^e prologue, Thomson développe son thème favori de l'influence morali-
^Irice du théâtre.
3. « Edward and Eleonora, a Tragedy. As it was to hâve been acted at
^bc Thcatre-Royal in Covent-Garden by Mr. Thomson.
« Suspicione si quis errabit sua,
Et rapiet ad se quod crit commune omnium,
Stulte nudabit animi conscientiam.
{Phsedrus,)
London. Printed for the author; and sold by A. Millar, etc. MDCCXXXIX. •
Nous pouvons supposer cependant que la vente fut plus satisfaisante
^ue ne le ferait supposer le récit des biographes, car la môme année
noe édition, de format in-12, était imprimée à Dublin (voir notre biblio-
graphie).
Une autre édition parut à Dublin, éditée par G. Risk, en 1751.
434 JAMES THOMSON.
A cette interdiction d* a Edouard et Éléonore ii> * se rattacl
une anecdote bien connue qui mérite de figurer dans un cl
chapitres gais de l'histoire de la censure. Mr. Paterson, i
ami de Thomson que nous retrouverons plus tard, rend
au poète le service de recopier ses manuscrits. Lui-mèi
avait des prétentions au talent dramatique, et il présents
l'examen de la censure une tragédie d'Armi7iius. Mais
lecteur n'eut pas plutôt reconnu l'écriture du manusc
d' e Edouard et Éléonore n que, croyant avoir affaire à u
nouvelle œuvre de Tliomson, il s'écria : a Emportez-moi cela,
et, de confiance, refusa la permission de jouer *.
Les écrivains ministériels apportaient parfois de la gaiLé
défaut d'esprit, dans leur défense de l'administration et
cette censure dont les foudres suivaient des voies si cap:
cieuses, Johnson dit qu'en réponse aux protestations du pubJ
contre la mesure qui avait atteint l'auteur d' a Edouard », c
fit courir ce mot : « Mi'. Thomson a pris une Liberté qui n'^
<i agréable à Britannia dans aucune Saison ^ d.
Cette tragédie redoutable aux puissances était la troisicii:
œuvre dramatique du poète. Aussi le voyons-nous trail
comme un des maîtres, ou au moins comme un des ouvrier
experts, de la scène de ce temps. Savage que le zèle de s(
amis, et en particulier de Pope, avait expédié en provinc(
loin du théâtre de ses sottises et de ses misères, voulait reven
de Bristol ou de Swansea à Londres pour y faire jouer ur
tragédie écrite dans son salutaire exil. Pope s'efforce de
dissuader de ce retour, et lui conseille plutôt d'envoyer se
1. La pièce, du reste, a élé plus lard jouce cl rejouée. Le texte en avait,
est vrai, été reiuunié par un certain Thomas Huit, qui publia, en 1775,
version amendée en la faisant précéder de ces observations : « Miss Bar
hinted a wisli to restore this play : a désire to oblige this excelle
actress.... as well as an ardour to be thc means of producing to an audieu
another work of our amiable and élégant Thomson, induced the prest
Editor to undertake an altération. Thc omission of too prolix passai
reudcred somc additions indispensably neccssary. »
C'est ce texte retouché qui ligure dans VEdward and Eleonora •
BritM Théâtre da Bell, 1797, vol. XXU.
2. L*anccdote est donnée par Murdoch, ce qui lui confère quelq
caractère d'authenticité.
Paterson publia lui aussi sa tragédie, et la dédia au duc de Cumbe
land.
3. « Mr. Thomson had takeu a Liberty which was not agreeable to Britann
in any Season, •
PROSPÉRITÉS ET REVEKS. 133
manuscrit à Mr. Thoiuson ou à Mr. Mallet qui se chargeront
de mettre le travail au point pour la scène *.
C'est encore une œuvre dramatique qui marque la prochaine
contribution de notre poète aux lettres anglaises. Le 1" août
1710, le prince de Galles donnait une fête, à sa magnifique
résidence de Ciifîden % pour célébrera la fois Tanniversaire
de l'avènement du roi George P% et celui de la naissance de sa
propre fille, la princesse Augusta^. Le prince était grand ama-
teur de théâtre *. Il commanda à ses poètes, Thomson et Mallet,
'in drame pour la circonstance. Un théâtre avait été dressé dans
le jardin, et toute la charpente en disparaissait sous les plantes
et les guirlandes de fleurs. On y joua quelques scènes des pan-
tomimes de Rich et deux masques : a Le Jugement de Paris »,
et f Alfred ». Ce dernier était Tœuvre due à la collaboration
des deux poètes. Ils avaient fait en sorte d'y ménager les
occasions d allusions flatteuses et de courtisanesques compli-
ments au prince et à sa famille. Quant à Taction et à la force
dramatique on n'avait pas jugé que ce fussent qualités utiles
pour la circonstance '. L'œuvre, soutenue par une riche mise
®n scène, par le jeu de Quin ^ et par la musique du Dr. Arne,
P^Ut-être même du grand Hiindel ', plut à l'auditoire auquel
i. Jou!(sox, Life of Savage f p. 343, 344. — Savage rejeta du reste la pro-
'^5ilion avec indignation.
. ^. C'était ce palais, bdli par Villiers, duc de Buckingham, sur les bords
^ la Tamise, dont parle Pope :
• Gallant and gay, in Clivcden's proiid alcovc,
The bower of wanton Shpcwsbury and love. •
(Épitre 111, & Allen lord Bathurst, v. 307, 308.)
3. La future duchesse de Brunswick.
4. 11 donnait, à Leicester-House, sa résidence de Londres, des repré-
sentations où ses enfants étaient les acteurs. Ainsi Tannée précédente
^vail-on joué Caton. Le prince George, le futur (îleorge 111, y jouait le
principal rôle et y débitait un prologue où Pou avait introduit des allu-
mions aux(|uelles n'avait pu songer Addison.
5. Hill à qui les deux amis avaient soumis leur projet de Masque fait
^ette critique judicieuse : • .... The bu>incss will, I fear, be thought too
ihin for the occasion ;....itianguii»hes for wantof action.... » (Lettre à Mallet,
Uill's Works, p. 147.) — Les auteurs eurent le bon sens de reconnoitre la
Justesse du reproche. (Voir Hill à Mallet, le 13 janvier HU. Hill's Works^
p. 152.)
G. GrAce à Tinfluence de Thomson et de Lytieltou, Quin était devenu
lacteur favori du Prince de Galles. {The Thespian Diclionanj, arL Quin.)
■ 7. On ne sait en elTel exactement si la musique de Rulej Brilannia
doit être attribuée À Arne ou à Handel. On peut voir à ce sujet les notes
136 JAMES THOMSON.
elle était destinée. Le Prince en ordonna pour le lendemain
une seconde représentation '. Le grand public, à qui elle fut
soumise quelques années plus tard, sous diiïérentes formes, u^
semble pas lui avoir ftut mauvais accueil *. Mais pour nous,
qui ne savons plus goûter les cbarmes par lesquels elle a pu ^^
recommander aux contemporains, la pièce ne mériterait p^^
d'être sauvée de l'oubli, si elle ne contenait le chant famec^^
Rule Briiannui, On trouvera, exposés dans une autre part ^^
de cette étude, les motifs pour lesquels nous attribuons ^
Thomson, plutôt qu'à son collaborateur, la paternité de cet
ode qui assure à son auteur un rang parmi les poètes lyriques
échangées dans Noies and Queries par Mr. Cliappelet Mr. Juliao Marshal
(.V. and Q., T série, vol. II, p. 132, p. 410; vol. IV, p. 152.)
Les deux adversaires négligent dans leur argumentation un point qi
serait important. Ils s'occupcut des éditions de 1151 et 1753, et de la ini
sique écrite pour cette adaptation. Or le titre de la publication de 1153 d
formellement que toute la musique en est nouvelle sauf deux ou tro
airs que le public avait d6s Torigine adoptes (voir notre bibliugr.). Iles
infiniment probable que celui de liule, Britannia était du nombre,
la question se ramène à savoir quel est, de Arne et de H&ndel, celui qi
put composer la musique d'Alfred, non pas en 1751, mais en 1740.
1. 11 est rendu compte de la fête et des deux représentations dans f ^
London Daily Post and General Adverliser du 2 et du 5 août 1740-
Thomson y est seul indiqué comme auteur.
2. En {"ii'ô, Alfred îiii transformé eu opéra par le Dr. Arne pour la scèae
de Covcnt-Cîarden, et, la même année, en un « drame musical • pour la
scène de Drury-Lane (M. Cliappel, Notea and Queries, 26 novembre 1886).
Après la mort de Thomson, Mallet voulut tirer parti de Tœuvre commune,
et fit jouer le manque, considérablemeut modifié, à Drury-Lane, en n51|
« avec grand succès », dit Shiels qui écrit très pou temps après la repré-
sentation. 11 est vrai que la liibliot/rapfiia Dramalica dit au contraire
(1812) : « thougli exccllently performed, it was not very successfui •. Le
prologue était écrit par le comte de Cork. Bolingbroke avait fourni
pour le clianl llule lirilannia trois strophes nouvelles qu*a reproduites
Davies dans sa Vie de Garrick (vol. II, p. 38, 39). Johnson raconte (Vie de
Thomson) que Mallet décida Garrick à recevoir et à jouer le masque, eo
lui promettant • de réserver une [liche pour le Roscius du siècle • dans
cette biographie du duc de Marlborough qu'il était toujours à la veille
de publier et qu*il ne semble pas avoir jumais commencée. — Enfin,
en 1773, Garrick fit subir à la pièce une dernière transformation et la joua
comme tragédie.
3. Alfred fut publié en 1740 par Millar, en un format in-R. En 1751,
1753 et 1754 paraissent des éditions du texte remanié par Mallet, et
en 1773 l'édition de Garrick. Dans Pintervalle le texte original avait
reparu dans la belle édition des œuvres de Thomson que donnèrent, en
1762, Murdoch et Millar. Nous n'avons pu vérifier quel est le texte repro-
duit par l'édition publiée en 1781.
Dans la correspondance de IJill, trois lettres adressées à Mallet se rap-
portent au masque d'Alfred, L'officieux critique y olTre des conseils, et y
VIE A RICHMOND. 137
III
A partir de ce moment, et pendant quelques années, les ren-
seignements se font très rares sur la vie de notre poète. Cinq
ans s'écoulent avant qu'il produise une œuvre nouvelle. Il est
loin pourtant de rester inactif : il procède à une revision du
texte des « Saisons » qui changera et augmentera considéra-
blement le poème; il élabore lentement l'œuvre exquise de ses
dernières années, a le Château d'Indolence». Sa vie se partage
entre ce double a labeur d'amour », et le commerce des amis
nombreux qui vivent auprès de lui, comme Pope, Hammond,
Robertson, Gray, Hill, plus tard Collins, de ceux qui viennent
le voir, comme Millar, Quin, West, Armstrong, etc., ou qu'il
'^•"a visiter dans leurs somptueuses résidences, comme Lyttelton,
lordCobham, le duc et la duchesse de Queensberry '. Dans le
^'che et riant pays qui lui offrait de nombreuses et agréables
promenades *, dans la petite maison où il avait réuni ses livres
^Qggère des modiO cations. Les termes de ces lettres sembleraient les
placer ayant la représentation, mais les dates données les font postérieures
{foiTliUl's Works p. 147, 452 et 181). 11 faut supposer que les dates attribuées
P^ l'éditeur sont inexactes. La première de ces lettres est manifeste-
ment antérieure à la représentation (voir plus haut, p. 135, n. 5), et fut écrite
^Q 1740, non pas en 1741. La deuxième, dans laquelle Hill se félicite de
^oir que ses critiques aient été prises en bonne part, peut être de la date
marquée, 13 janvier 1741. Mais la troisième, qui propose des changements
€0 Toe soit de la représentation, soit de la publication du masque, ne
peut pas être du 21 décembre 1741, et doit aussi être rapportée à l'année 1740.
1- Ils habitaient Uam-House, tout près de Richmond et de Kew. Cest là
ja'iU donnaient une si amicale hospitalité à Gay. Sur la résidence et ses
Wtes, Lcigh Hunt a écrit une page pleine de son hiimour habituel {Table
'o'*» p. 216, 217).
^- Il se plaint que Richmond ne soit pas assez rural, et va chercher h.
quelque distance -Ihe muses of Ihe great simple country, not Ihe little
fine-Iady muses of Richmond Hill .. (Lettre à Lyttelton, du 14 juillet 1743.)
il profitait des ombrages magnifiques et des pittoresques solitudes de
*"chinond Park, grâce à Lyttelton qui lui avait fait obtenir une clef du
P**^- H semble que Brentford ait été une des localités où le portaient ses
P^jonienades, non pas cependant qu'il goûtât beaucoup l'aspect do celte
^"l^si nous en jugeons par la mention qu'il en fait dans la dernière
strophe du . Château d'Indolence . :
• Evcn 80 through Brentford town, a town of mud,
A herd of bristly swine is pricked along •.
Peut-être y avait-il là quelque taverne qu'il honorait de sa faveur. Une
'•édition locale, qui persistait encore en 1824, rapportait en effet, que»
138 JAMES THOMSON.
préférés et les gravures qui lui rappelaient les chefs-d'œu^
admirés jadis en Italie, il goûtait tout le charme d'une ex
tence modeste, mais affranchie de soucis. Assuré du lenc
main, revenu des désirs ambitieux de sa jeunesse, entouré
nombreuses sympathies et de quelques chères amitiés, sa
n'était-elle pas celle que tout poète, depuis Horace, s'est pi
posée comme un idéal rarement réalisé?
Un élément d'émotion et de passion vint du reste s'y mt
qui l'empêche de trop rappeler la banalité béate d'une existe:
de bourgeois retiré, ou la sécheresse et la futilité d'un diletl
tisme égoïste. Dans une des familles qu'il fréquentait à Ri
mond, il rencontra une jeune fille à laquelle il voua i
affection délicate et profonde. Miss Élizabeth \oung é
d'origine écossaise; son père, le capitaine Gilbert You
appartenait à une famille de Gully liill ou Goolie Hill, dan
Dumfriesshire *. Une sœur de la jeune femme avait épc
Robertson, l'ami de jeunesse de Thomson, et son voisi
Richmond conmie il Tavait été jadis à Lancaster-Court *.
occasions de voir et de connaître miss Élizabeth Young deva
par là même être fréquentes pour le poète. Leurs relati
ont commencé de bonne heure, et, de bonne heure au
Thomson y apporta une galanterie qui l'achemina plus tai
la passion. C'est pour miss Young qu'il écrivait les pie
assez nombreuses dans le recueil de ses œuvres, qui por
dans un cabaret de Bentrord, Thomson faisait de fréquentes visite!
récitait ses vers aux habitués de la maison. (Voir une note de M. C.-U. \
dans Sûtes and Queries, 6« série, vol. Il, p. 447.)
Du reste il trouvait à Richmond même une taverne hospitalièn
causer et boire avec quelque compagnon ami de la bouteille et eni
des cérémonies. Uobertson, coniirmant la rumeur publique, se rapp
que Thomson se réunissait volontiers avec • Parsou Cromor • et d'ai
compagnons de bouteille à Old Orange Tree, dans Kew-Lanc. Lt
Hobart, rexcellente Temme qui gouvernait la maison du poète, v<
toujours avec inquiétude partir son maître lorsque Quin l'emme
parce que l'heure du retour et d'autres signes apparents diéaient trop
les deux amis n'avaient pas conservé dans leur séance à la taverne t
la sobriété désirable. (Voir p. i2\, n. 1.)
1. • Amanda, the young lady of Goolie Hill, lived with her mothei
the banks of the Nith, in a secluded vallcy. She was of a good family
bad Utile wealth. m (Allam Clnninuhasi, Memoir of Thonison, p. xxxu.'
2. En 1726, au début même de la carrière du poète. Peu après, Rol>i>r
partit pour les Indes Orientales; mais à son retour Tamitié des i
jeunes gens devint plus étroite que jamais, et Uobertson vint se log
Richmond tout auprès de Thomson.
VIE A HIGHMOiNI). 139
le nom dAnKDidu ». Dès Je mois de lévrier ITi'O, et avant
qu'Use t'ùt install»'» dans sa maison de Kew-Lane, iJ donnait au
Gentleinan's Mcvjazine une courte pièce dont la dernière
strophe renferme le nom d\\ manda. Deux lettres adressées à
Mrs. Kobertson en 1742 % et une lettre directement adressée à
miss Young en 1743 ^ nous montrent que les années n'ont fait
qu'enraciner TafTection de Thomson. Cette dernière lettre sur-
tout exprime, en des termes d'une évidente sincérité, une de
ces passions qui tiennent aux fibres profondes du cœur ^ Il y
1. Il y en a dix environ. Quatre ont été publiées d'abord dans VEssay
du comte Buchan. Elles ont pour titres :
Vmîs addressed lo Amanda. ■ Ah! urged loo'Iate! from beauly's bondage
free », etc.
Tothesame (en lui envoyant un exemplaire des « Saisons »). • Accept, dear
nymph, this tribute due •, etc. (Peut-ôtre public d'abord par Foulis of
Glasgow.)
To Fortune. « For ever, Fortune, wilt thou prove ■, etc.
To .Vyra (c'est-à-dire à Amanda). « 0 thou, whose teoder serions eyes »,
etc.
Ces derniers vers se trouvent à la fin d'une lettre adressée par Thomson,
le jour de Noël 1142, à Mrs. Robertson qui se trouvait à Bath avec miss
^oung, sa sœur.
Deux ont été imprimées pour la première fois dans l'AIdine édition, par
Sir Harris Nicholas. qui les tenait de lord William Henry Lyttellon :
To Amanda, • Come, dear Amanda, quit the town >, etc.
*lJft petite pi^ce : « Uniess wilh my Amanda blesscd », etc.
^^ncaparu d'abord dans Honb's Table-Book, d'après un manuscrit trouvé
^Ds les papiers de Mr. Chaucer Ogle : « Sweet Tyrant Love, but hear me
now ., etc.
^ne autre dans la vie de Lyttelton par Phillimore (vol. I, p. 310).
Stries to Amanda in imitation of Tibullus. « Come, heallng God, Apollo,
^ine and aid », etc. C'est une imitation très libre de la pièce latine : * lluc
^*» €t tenerae morbos expelle puellx •, etc.
^ plus ancienne est celle que publiait le Gentleman's Magazine de
*^36, p. 103 : H Come, gentle god of soft désire », etc.
Peul-étre enfin faut-il aussi rapporter à Amanda, bien qu'elle n'y soit
^ nommée, la pièce qui a pour titre :
Tfie Lover's fate. ■ Hard is the fate of him who loves », etc.
2. Elles sont du 27 novembre et du 25 décembre 1742. Sir llarris Nicholas
"^^ donne dans son Memoir of Thomson qu'un fragment de l'une d'elles,
°^*i8 elles se trouvent en entier dans VEssay de Buchan, et dans la bio-
K^phic écrite par II. lleron. La première est une des plus joliment tour-
nées des lettres du poète. La seconde est très gaie et commence ainsi :
' 1 belicve 1 am in love with some one or ail of you ».
I* Datée du 29 août 1143, et écrite à Hagley, chez Lyttellon.
.^* • .... Whrrever 1 am, and however employed, I never cease to think
®^ "*y loveliest miss Young. You are part of my being; you mix with ail
°*y Ihoughts.... Yes, I love you to that degree as must inspire inlo the
140 JAMES THOMSON.
annonce son projet d'adresser à la jeune fille dès qu'elle si
de retour une proposition formelle de mariage, et il mon
une certaine confiance de voir sa demande agréée. Le marii
n'eut cependant pas lieu. Il semble bien que ce soit la jei
femme qui, après plusieurs années d'une amitié où se mè
quelque coquetterie, ait mis fin au rêve longtemps can
du poète. Elle n'était pas riche, et sa mère, femme gross
et vulgaire, si nous en croyons un témoin bien placé p
juger, s'opposait avec violence à cette union. « C'est o
t s'écriait-elle un jour, tu voudrais épouser Thomson? Il
t des ballades, et tu iras les chanter dans les rues * ! » Miss Yo
devint la femme de l'amiral Campbell, et Thomson ne se c
sola point. Cet amour d'automne avait eu chez lui l'arc
d'une première passion. La ruine lui en laissait au cœu
douloureuse mélancolie d'une déception que la vie ne pou
plus désormais rt^parer. William Robertson va jusqu'à
qu'après cette blessure inguérissable il prit la vie en dégoi
Au moins est-il certain qu'il traîna dès lors avec lui un s
venir attristé qui ne s'effaça jamais.
Nous serions curieux de savoir au juste ce que fut c
femme qui traversa la vie du poète pour y mêler un pei
charme et beaucoup de douleur. Mais 1 amour de Thomsor
discret. Aucun des premiers biographes ne mentionne m
lepisode. Les quelques vers adressés à Amanda ne renfeni
guère d'indication précise sur la personne de celle qui les
pirait. Ils tendent cependant à confirmer cette apprcciatioi
vieux Roberlson : a C'était une femme belle et sensée », e
coldesl brcasl a mutiial passion.... * Le vieux Robertson ne se tron
pas, quand il disait cinquante ans plus lard : ■ Poor Thomson was d<
rately in love wiUi lier ■.
1. • Accord iug lo Ihe account of Mrs. Robertson, Ihe second wife o
William Robertson, surpj'on at Kiehniond, wbo was ber intimate fi
for a numbcr of years, miss Young was not a slriking beauly, but a ge
mannered, eleganl-minded woman, wortby of Ihe love of a man of
and virtue.... lier molher was a coarsp, vulgar woman.... She consi
opposed Ihe poet's prelcnsions lo Amanda, saying lo ber one day, • W
would you marry Thomson? He will make ballads, and you will
tbem! » (John Ramsay of Ochtehtyre, i^cotlanci and Scotsmen in the i8*^
iury, p. 23.)
2. « I was in Ihe room with him when he died.... lie seemed lo n
be désirons nol lo live, and I had reason lo tbink thaï my sisler-ir
was the occasion of Ibis. He could not bear Ibc Ihougbts of her being
ried lo auother. » (Parkk's Memoranda,)
VIE A RIGHMOND. 141
jugement très favorable qu'a porté cet autre témoin, Mrs. Ro-
i)ertson, dont l'opinion était si sévère à l'égard de la mère :
c Miss Young n'était pas d'une beauté frappante, mais elle
r < avait la distinction des manières et l'élégance de l'esprit ; elle
était digne de l'amour d'un homme de goût et de vertu d.
A interroger les vers à Âmanda, nous apprenons que l'amie
du poète était personne grave *. Elle n'encourageait guère les
effusions brûlantes; et Thomson, qui se plaint de trouver en
elle trop de sagesse ', croit devoir attester plusieurs fois que
c'est l'âme qu'il aime en elle '. Enfin elle paraît avoir été
personne fort « pratique ». C'est sans doute parce qu'elle avait
peu de penchant aux idées romanesques qu'elle accueillit avec
quelque faveur les hommages de James. En dépit de sa gloire,
Vauteur des c Saisons i» était, en 1743, un peu mûr pour un
rôle de jeune premier. L'auréole poétique ceignait chez lui le
Iront d'un barbon. L'esprit rassis de miss Young lui avait fait
apprécier le rare talent et l'exquise bonté qui se cachaient sous
la bonhomie et sous la personne un peu alourdie de Thomson.
Cette même tournure d'esprit lui fit peser exactement les avan-
tages et les inconvénients du mariage proposé. Il nous faut
bien supposer que la modeste situation du faiseur de ballades
ftit le véritable obstacle à leur union. N'est-ce pas ce que
Thoinson lui-même laisse entrevoir dans une pièce peu remar-
^' • 0 thou, whose tender serious cyes
Expressive speak the mipd 1 love. »
{To Myra.)
^' « Her whose goodness is my bane : »
(Sweet Tyrant Love.)
^' • Tis nol for comraon charms I sigh,
For what the vulgar beauly caU;
Tis not a cheek, a lip, an eye;
Bat 'tis the souI that lights them ail. »
{Sweet Tyrant Love.)
^deseription la plus précise est ceUe qui se trouve dans quelques vers
^° ' Printemps • :
« And thou« Amanda, corne, pride of my song!
Formed by the grâces, loveliness itself !
Come with those downcast eyes, sedate and sweet,
Thèse looks demurc, that deeply pierce the soûl,
Where, with the light of Uioughtfiil reason mixed,
Shines lively fancv; and the feeling heart. -
(Spring, t. 483-8.)
142 JAMES THOMSON.
quée des biographes? a Mais nous, frivoles esclaves de l'intérêt
c et de l'orgueil. — Nous n'osons être heureux, de peur que la
a langue des envieux ne nous blâme. Et voilà pourquoi je pleure
« inutilement ma fiancée! — 0 déplore avec moi, doux oiseau,
« ma flamme malheureuse*. »
Mais, avant cette catastrophe du drame de sa vie, Tliomson
semble au contraire puiser dans son amour et dans Tespoir
dont il se berce, une verve et une gaîté qui ne lui sont pas
ordinaires. Nous avons parlé plus haut de ses deux lettres à
Mrs. Uoberlson. Du mois de décembre 1742 est également datée
une épitre humoristique adressée a à un ami en voyage > '•
Dans cette plaisanterie, un peu longuement poursuivie, Buff,
un chien d'expérience, écrit à Marquis, son ami, jeune roquet
qui s'est mis en route pour a voir le monde ». Il est bien diffi-
cile d'extraire de cette charade quelque renseignement biogra-
phique. Elle nous apprend que Marquis a habité Richmond,
qu'il est gros % qu'il accompagne à une ville d'eaux deui
dames bien connues de Thomson, évidemment Mrs. Roberlson
et sa sœur *. Il est question d'un ami commun, « that wret-
ched animal Scrub ï), qui a tous les talents voulus pour
réussir en cour, et Bufl* ajoute, pensant à ce qui manquait à
Thomson : <l Un mot à votre oreille : Je voudrais bien qu'un
« certain bipède de mes amis eût un peu de ce zèle empressé* »
Un autre passage nous laisse entendre en termes d'un cynisme
qui sans doute est ici de circonstance, que les deux amis son
1. « Bill we, vain slaves of inlerest and of pride,
Darc not be blest, lest cnvious longues shonid blâme :
And hcncc, in vain, I languisli for my bride!
0 mourn with me, sweel bird, my hopeless fiame. •
'(To the NightingaU.)
2. « To a friend, ou his Travels », datée du 7 décembre 1742. Kilo a cl
publiée par Buchan.
3. « ] w'ill.... concludc by wishing Ibat tbc waters and exercice ma
bring down yonr fat sides. ■
4. « Pray lick for me, you happy dog you, the banda of the fair ladi«
you bave ihe honour to attend. I remembcr to bave had that happineJ
once, when one who shall be namcless looked with an envious eye upC
me. «
Il est fort probable que Marquis n*esl autre que Roberlson accompagna'
sa femme et Ba belle-sœur & Batb. - the great smart of scandai ••
5. ■ A Word in your car. — 1 wish a certain two-legged ft'iend of mil
had a littlc of his assiduity. »
VIE A RICllMOND. 143
peu satisfaits tles Tarons hautaines de certains habitants de
Richmond *.
En 174:i, le poète est occupé, nous l'avons dit, à un travail
considérable de développement et de refonte des a Saisons».
C'est alors sans doute qu'il y fait une place, dans quelques
vers émus et charmants *, à cette Amanda dont la pensée,
dit-il, se joint pour lui à toute occupation. Peut-être aussi
songe-t-il à tenter de nouveau la fortune au théâtre. Certain
passage de la correspondance de Hill pourrait bien se rap-
porter à cette tragédie de « Socrate » dont le projet hantait
depuis tant d'années la pensée de Thomson *. Au mois de juin
de cette année, il n'a pas encore vu Hagley, la résidence de
Lyttelton. Son noble ami, qui s'est marié depuis peu de temps,
insiste vivement pour que la visite longtemps promise ne soit
pas retardée davantage. Thomson promet d'aller, à l'automne,
passer quelques semaines dans ce lieu qu'il désire voir a plus
qu'aucun autre au monde », et où il trouvera a les Muses de
la grande et simple nature ». Il espère qu'il pourra montrer
alors à son hôte plus d'un Chant des Saisons prêt pour l'édi-
tion nouvelle qu'il prépare *.
L'engagement fut exactement tenu et le poète se rendit dans
te Worcestershire à la fin du mois d'août, à ce moment de
l'année qui lui offrait l'aspect de la nature qu'il préférait à tout
autre.
Ce séjour à Hagley lui causa la plus vive satisfaction. Son
enthousiasme pour le lieu, pour ses hôtes, pour la vie qu'il y
"ïène s'exprime longuement dans une lettre à miss Young, du
29 août. Nous la traduisons en entier parce qu'elle est intéres-
sante à divers titres : elle nous initie aux goûts intimes du
^- • For me, il is always a maxim
To bonour hnmble worth; and, scorning stale,
P— on the proud inhospitable gâte.
^Of which reason I go scattering my waler every where about Richmond. •
2- Summer, v. 1401 et siiiv.
^- Hill écrivait à Mallet, le 24 mai 1743 : « You werc asking what I think
^ . the subject of Socrates for a tragedy.... the pbilosophical ray is loo
^*^t for the clash of passions : this objection that lay against Cato will
*^f cqually bad against Socrates. » (Ujll's Works, vol. II, p. 210.)
Estce Thomson qui reprenait son projet d'il y a douze ans, ou Mallet
^wi songeait k exploiter pour son compte le sujet abandonné par son ami?
^' Lettre à Lyttelton du U juillet 1143.
144 JAMES THOMSON.
poète et nous fait connaître ses rêves d'avenir; elle nous donr
la note exacte de ses rapports avec le meilleur de ses amis, <
avec la femme qu'il aime; enfin elle nous présente un exce
lent spécimen du tour ordinaire de ses lettres.
« Hagley, 29 août, 1743.
« Après un fâcheux voyage en diligence, voyage désagréabl
« en lui-même, et bien plus encore en ce qu'il m'éloignait d
« vous, me voici dans le lieu et dans la société les plus agréable
a du monde. Le parc, où nous passons une grande partie di
t notre temps, est parfaitement délicieux, et tout à fait enchan
« teur. Il consiste en plusieurs petites collines couvertes d<
t beaux bois, et s'élevant doucement les unes au-dessus de
« autres. De là on jouit de différents points de vue magnifiques
< grandioses et étendus. Mais ce qui me charme le plus danser
c lieu, ce sont ses douces retraites abritées, et particuliéremen
c un vallon sinueux qui en parcourt tout le milieu. Audessuî
« croissent des bois épais; au fond coule gaiment un ruisseai
« qui, tantôt jaillissant des rochers moussus, tantôt tombant ei
a cascades, et tantôt s'étendant en une nappe longue et calme
« offre la scène la plus naturelle et la plus charmante qu'oi
« puisse imaginer. La source est formée de plusieurs jolis ruis
a selets qui murmurent entre les racines des chênes; et c'est 1
c que se trouve un siège bien isolé, le plus beau que puissesou
a haiter le cœur d'un amoureux. C'est là que je viens souven
« m'asseoir,etqu avec un mélange doux et exquis de plaisir et d
« peine je pense à vous '. Mais que parlé-je de m'asseoir en celt
a retraite pour penser à vous? en quelque lieu que je sois, ^
(( quelque chose qui m'occupe, je ne cesse jamais de penser
(( mon aimable miss Young. Vous êtes partie de mon être; vou
« vous mêlez à toutes mes pensées, même les plus studieuse:
1. Après la mort du poète, Lyltelton fit élever en ce point un petit éd
culc selon le goût du temps, avec cette inscription :
« Ingenio immortali Jacobi Thomson, viri boni, œdiculam hanc in seces<
quam vivns dilexit post mortem cjus constructam dicat dedicatqi
G. Lyttelton. » (Voir The Gentlemun*s Magazine, 1845. A review on 11
Memoirs and correspondencn of Lyltelton compiled by Phillimore.)
Au sujet de ce petit monument nous trouvons cette note dans la colle
lion des poètes de Chalmer : « A very handsome and well-fînished buil<
ing, in an octogonal Une •.
VIB A RICHMOND. 148
et, au lieu de les troubler, vous y ajoutez plus d'harmonie
et de vigueur. Ah! dites-moi si je vous dérobe de temps en
temps une pensée tendre. C'est une faveur à laquelle me donne
droit la sincérité de mon amour. Oui, je vous aime à un
point qui ne saurait manquer d'inspirer au cœur le plus froid
une passion réciproque. Veillez donc sur votre cœur, car
vous aurez peine à le défendre contre ma tendresse. — La
société n'est pas ici indigne du séjour. Elle est aimable,
animée, agréable. Il ne se produit rien qui ne tende à amuser
l'imagination ou à améliorer l'esprit ou le cœur. Voilà vrai-
ment la vie heureuse : l'union de la retraite et d'une société
choisie. Cela nous donne l'idée de ce que l'âge patriarcal ou
l'âge d'or était, ce dit-on, alors que chaque famille était en
elle-même un petit état gouverné par les douces lois de la rai-
son, de la bonté et de lafTection. N'imaginez pas cependant
que je sois féru de la folie des champs au point de ne pas
croire heureux en tous lieux ceux qui ont en eux-mêmes ce
qui assure le bonheur.... Avec tous mes transports au sujet
de la campagne, j'aimerais mieux vivre avec vous dans le coin
le plus londonesque de Londres, que sans vous dans la plus
i)elle retraite champêtre et dans tout le charme de la plus
^éable société. Vous remplissez si entièrement mon esprit
d'idées de beauté, vous satisfaites si parfaitement mon âme
du charme le plus pur et le plus sincère, que je ne sentirais
^ère le besoin d'aucune autre chose. Mais cependant une
^'ie passée à la campagne avec vous, et de temps en temps
^imée par le contraste de la ville, voilà quel est le vœu de mon
^ur. Puisse le Ciel m'accorder cette insigne faveur, et je serai
^ plus heureux des hommes, d'autant plus heureux que la
P^session de votre personne m'excitera à mériter mon
bonheur par tout ce qui est vertueux et bien.... Je ne suis
P^ extravagant au point d'espérer recevoir de vos nouvelles
de votre main, mais je compte en recevoir par le moyen de
^otre ami. Pensez avec amitié et avec tendresse à celui qui
^t à vous avec une amitié et une tendresse inexprimables.
« James Thomson. »
Le séjour à Hagley resserra l'amitié de Ly ttelton et du poète,
y^ition nouvelle des t Saisons » contient un chaleureux
^'oge de la résidence où Thomson avait reçu un si gracieux
iO
146 JAMES THOMSON.
accueil ', et le noble possesseur de Hagtey se montra vive
touché de ce poétique hommage qui associait leur amitié
gloire du poème*.
Cette édition longuement préparée parut en juin 1744.
une des plus importantes parmi les éditions successive!
a Saisons », puisque c'est celle qui enregistre les plus i
breuses modifications au texte antérieur. Le « Printemps
87 vers de plus qu*en 1738, V « Été » gagne 590 vers, V (
tomne » 106, et V a Hiver d 282. L' « Hymne » final seul esl
iégèreiiient écourté ^. C'était un total de plus de mille ven
le poète ajoutait à l'ancien texte. Thomson reçut pour ce
vail une illustre collaboration. Pope se prêta à revoir n
tieusement tout le poème, indiquant des critiques, prop(
des modillcations dont les unes portent sur un mot pu n
sur une terminaison, et les autres sur des passages quel
fois fort étendus. C'est une preuve curieuse de la merveil
souplesse de Pope que la façon dont il s'identifie avec le g
avec la façon d'écrire et de développer de fauteur des « Saisc
Nous ne sommes pas étonnés de le voir corriger les dur
les imperfections prosodiques où pouvait être blessée
oreille délic<itc *, et les hardiesses parfois singulières
style que devait désapprouver sa méticuleuse correcti
Mais quelle surprise de voir le maître du distique rimé é
1. • Thèse are Ihe sacred fceliiig of Uiy hearl,
0 Lytlellon, the frieiid! »
(Spj'in;/, 904-962.)
2. Il écrivail de iJa^Iey à Doddridpe, le 27 aoiil 1745 : « If any buf
sliould, at any timu, oall yoii to Wm part of En^Iand, I hope you >
lel us sec you hcre, aiid show you Ihe park, >vhich \vc are as proud
Lord Col)ham of Slowe, es[»ccially siuc<' Ihe honour Mr. Thomson has
il in the ncw cdilion of his Soa>*onâ. • (Philumoke's Memoir of Lyll
vol. I, p. :J48.'
Lord Cobham était l'oncle nialernel de (i. Lyitelton. Thomson a
célébré le ■ parudise of Slowe • {Autunin^ 1042).
3. Sprinij 1113 vers, au lieu de 1087; Summer 1790. au lieu de
Auluntn IJTo, au lieu de 1209; Winlev 1U09 au lieu de 787; Uymn il
lieu de 121.
•4. Par exemple, dès les premiers vers du • Printemps •, il corrige « k
the lime », « the plovers theirs » en « knows his time », • the pi'
whcn •.
5. Pour ne citer qu'un exemple, il remplace •• worthlcss of our foot
• unworthv of thv foot «. {Sprlng^ v. 401 de l'edil. de 1738, et 503 du i
définitif.)
VIE A RICUMOND. 147
: abondance de très heureux vers blancs *; de voir Técri-
I qui avait fait son domaine de la satire et de la psycho-
i morale, rivaliser avec le chantre de la nature *; de
ver étroitement fondus dans l'œuvre de Thomson plusieurs
âges descriptifs très bien venus de ce même poète qui
essait pour la pure description un si parfait dédain '. Et
A coup silr il comprenait le caractère particulier du vers blanc quand
[Tait ces vers de Thomsoo :
« The human mind
lias iost that Harmony ineffable »
(Spring, 327, 328.)
! remplaçait par :
• Now the disleinper'd mind
Uas Iost that concord of hannonious powers. »
^s preuves abondent, dans ces corrections, qu'il n'avait pas, pour le
<le Shakespeare et de Millon, le dédain qu'il affichait parfois, comme
)ur où. Voltaire lui demandant pourquoi Milton n'avait pas rimé le
ira(li<t Perdu », il répondait : « Because he couid not •.
Thomson avait écrit {Spring, v. 417 de l'édit. de 173S) :
• The forest running round, the rising spire »,
ope substitue :
« The forest darkcning round, the glittering spire. »
^correction a été adoptée. Elle ajoute très heureusement deux nota-
sdeiïets lumineux.
U jolie comparaison qui semble si bien faire corps avec tout le reste
épisode de Lavinia, dans 1' • Automne », est de Pope :
H As in the hollow breast of Apennine
A myrtle rises.... •
(Autumn, 209 et suir.)
^st parfois plus thomsooien que Thomson lui-môme. Voici quelle était,
9 le texte de 1738, l'explication du déluge :
- When the disparting Orb of E!arth, that arch'd
Th' imprison'd Deep around, impetuous rush'd
With ruin inconceivable, at once
Into the gulph, and o'er the highest Hills. *
{Spring, 357, éd. 1738.)
^pe propose de remplacer cela par ces vers, qui ont à un bi^u nuiic
'•"é l'énergie riche et sonore des grandes descriplious des • Saisons •» :
.... • Deep-cleft dispnrting orb, that arch'd
The rarefy'd Abyss, whose searching stenms
Expansive sought a vent, impetuous rush'd
With universal lapsc, into the gulph,
And o'er the high-pil'd hills of fractur'd earth
Wide dashed », etc..
148 JAMES THOMSON.
cependant rien n'est moins douteux que cette collaboration.
Le Rév. J. Mitford acheta un jour pour un schelling et demi
un volume des Œuvres de Thomson dont les marges conte-
naient de nombreuses corrections manuscrites. C'était un
exemplaire du premier volume de Tédition de 1738, et les
annotations étaient toutes de la main de Pope ou de celles de
Thomson. Le précieux exemplaire est aujourd'hui à la Biblio-
thèque du Musée Britannique, et nous y pouvons suivre minu-
tieusement le travail des deux amis *. Nous y voyons les pro-
positions de Pope, quelquefois efîacées, puis rétablies par
Thomson ; parfois aussi défmitivement éliminées ', mais beau-
ou par ceux-ci (car il expose deux versions différentes) :
« Deep-clefl disparting orb, that arch*d
The ccniral walcrs round, impctuous rushed
With universal lapse into the gulph,
Wide-dashed •, etc.
Parfois même il trouve des vers d'inspiration vraiment miltonieone.
Thomson avait écrit (Winler, v. 137, éd. 1738) :
<i Through the loud Night, that bids the Waves arise »,
et Pope remplace ces expressions peu précises et banales par :
u Thro* the biack Night that slts immense around. »
i. L'écriture élégante et menue de Pope y est aussi nettement recon-
naissable que l'écriture ample et ferme de Thomson. Mr. P. Cunningham
avait énoncé quelques doutes sur cette attribution à Pope et croyait recon-
naître récriture de Lyttellon. MM. Combe et Ellis, de la Bibliothèque d"
Musée Britannique, ont étubli, par une comparaison avec d'autres maou-
scrils, que les notes sont, sans le moindre doute, de la main de Pope.
Les notes de Thomson sont écrites tantôt à l'encre et tantôt au crayon»
celles de Pope toujours à l'encre. Et l'on est surpris de trouver, adhérant
encore au papier, des traces de la poudre mélalliqne dont l'auteur de 1^
« Dunciade • se servait pour sécher son encre pendant ce travail d'obligeant^
confraternité.
L'exemplaire qui avait été acheté par Mitford 1 sh. 6 d. (un franc soixante
quinze centimes) fut, à sa mort, adjugé au prix de 46 livres (1 150 franco)'
Il figure au catalogue du British Muséum avec cette cote : C. 28. e.
2. Thomson déclare en différents endroits qu'il préfère, dans un jardii^f
un peu de désordre naturel à un excès de régularité. Il avait écrit :
• Dewy bright
And in yon mingled wilderness of flowers. •
{Spriug, v. 486, éd. 1738.)
Pope voudrait que ce jardin ressemblât plus au sien et remplace par :
« In that wild
Or those mingled beds of cboicer flowers. *
VIE A RIGHMOND. 149
up plus souvent conservées. Rien ne saurait donner une
ée plus fistvorable des deux poètes que l'étude attentive du
*lume dû à cette union de leur génie. Pope y apporte un
ns critique aiguisé, précis mais non pas mesquin ni tatillon ;
est sincère sans risquer de blesser par un excès de sévérité;
surtout, nous l'avons dit, il se pénètre de l'esprit du poète
du poème avec une entière bonne foi. S'il est impossible
ail cesse entièrement d'être lui-même *, il s'efforce cepen-
ant, sans jalousie et sans parti pris, d'améliorer l'œuvre. Il
rrive à y insérer sa marqueterie avec [un tel succès qu'il est
)rt difficile de la distinguer parmi les vers de Thomson.
lelui-ci de son côté accepte toutes les critiques fondées, avec
ne simplicité virile. Il reste assez modeste pour savoir pro-
iler des avis utiles, même quand ils impliquent un blâme *.
^t d'autre part il conserve l'entière indépendance de son juge-
lais Thomson tienl bon el biffe les plates-bandes de fleurs rares.
Ailleurs, le texte du poème portait (Autumn, v. 395, éd. 1748) :
« Of the worst monster ever howled the waste n.
« verbe était peu satisfaisant et Pope le remplaçait par « trod ». Thomson
*ouve le terme vague et peu propre à suggérer une image; il s'arrête &
roamed '«qui est resté la leçon déflnitive.
^•11 a, par exemple, introduit dans les « Saisons • quelques-uns des vers
antithèses ou à scintillement de mots qui s'y trouvent. Dans l'épisode de
avinla,
« Thou wilt add that bliss
That dearest bliss, the power of blessing thee »
{Aulumn, V. 293)
l de Pope.
'• II $<upprime par exemple, conformément à Tavis de Pope, des passages
^nrs ou de construction pénible tels que celui-ci :
« But yonder breathing prospect bids the Muse
Throw ail her beauty forth, that daubing ail
Will be to what I gaze : for who can paint
Like Nature? •
(Spring, v. 427, éd. 1738)
'1 garde seulement :
• Behold, yon breathing prospect bids the muse
Throw ail her beauty forth. But who can paint », etc.
' est vrai que le reproche d'obscurité ne le touche pas toujours autant,
ïi'a pas consenti à sacrifier, malgré l'avis de Pope, ces trois vers de
' Automne » :
« And, stretching street on street. by thousands drew,
From twining woody haunts, or the tough yew
To bows strong-straining, her aspiring sons. >
(115-417.)
loO JAMES TnOMSON.
ment en face d'un confrère pins famenx. Il n'hésite pas à
aflirmer Jes droits de son génie dans les cas où la' critique de
Pope lui paraît affaiblir l'image ou la pensée que lui-même
a voulu exprimer.
Cette édition des a Saisons » était publiée par Millar au mois
de juin 1744. Woodfall en avait imprimé 1 500 exemplaires.
Le mois suivant, dans le même format in-8, Millar publiait
une nouvelle édition du premier volume des Œuvres *, et,
au mois d'août, une réimpression en un seul volume d'à Aga-
memnon d et d' a Edouard et Éléonore » *.
IV
Enfin, durant cette année 1744, Mr. Lyttelton arriva aux
affaires, dans Tadministration qui succéda à celle de Rob.
Walpole, et devint un des lords de la Trésorerie. Il fit
aussitôt profiter son ami de son influence, et lui assura, dans
l'administration des douanes, la place de Suin^eyor-General
of the Leeward Islands. Cette direction des douanes des Iles
Sous-le-Vent pouvait beureusement s'exercer de loin. Ou.
plutôt le titulaire ne dirigeait rien et se contentait d'envoyer
un substitut auquel il abandonnait partie des émoluments.
Thomson fit choix de William Paterson, l'ami obligeant qu*
avait recopié son manuscrit d' « Edouard ». Il lui restait encore,
après avoir payé son lieutenant, un revenu de trois cents livres.
Avec les cent livres de pension du prince de Galles, notre
poète se trouvait donc pourvu, indépendamment du produit
éventuel de ses travaux littéraires, d'une large aisance.
Dans un des recueils de correspondances de ce temps, nous
relevons une mention de Thomson qui paraît avoir échappe
à ses biographes. Elle offre cet intérêt de nous le montrer en
relations d'amitié avec un des plus illustres parmi ses con-
temporains. Richardson, après la publication de « Paméla h
en 1740, et celle de la suite qu'il crut devoir y ajouter un an
plus tard, était déjà un personnage célèbre, quand HiU le
1. Tirage à 1500 exemplaires. L'année suivauto, tirage supplémentaire
de 500 exemplaires. (Woodfall's Ledger, 26 juin 1745.)
2. Tirage à 250 exemplaires. (Woodfall's Ledger, 26 août 1744.)
VIE A RIGHMOND. 151
hargeait, le 24 juillet 1744, de remerciments et d'amitiés
our Thomson *. Notre poète ne se doutait guère que le digne
jmraerçant qui venait, sur le tard, d'écrire ce récit familier
touchant, inaugurait une forme d'art nouvelle et apportait
solution du grave problème alors posé devant les écrivains
les critiques. La première moitié du xviii' siècle s'était
îoulée sans avoir vu naître une école dramatique nouvelle.
e public continuait à demander aux poètes les plaisirs que la
êne anglaise avait su lui assurer dans la longue période qui
i, presque sans interruption, de Marlowe à Otway. Et les
)ètes, pour satisfaire ce désir, continuaient à alimenter le
léàtre de tragédies sans vie, qu'ils avaient élaborées sans
ithousiasmeetsans foi, que les auditeurs écoutaient sans émo-
)nni plaisir. Cette antinomie entre les aspirations du public
l'impuissance d'un genre épuisé pouvait se prolonger long-
fnps. Comment rajeunir et raviver la tragédie? Home devait
ns quelques années la faire briller d'un nouvel et fugitif
lat; mais la vraie solution était apportée par Richardson. Le
man mettrait fm à la longue agonie de la tragédie en la
ant définitivement. Et il la remplaçait par la forme d'art la
us souple, la plus plastique, la plus propre à se transformer
on les variations du goût, des milieux et des temps,
rhomson, pas plus sans doute que Richardson lui-même,
voyait aussi loin dans l'avenir. Il persistait à croire qu'une
nne tragédie ne demandait qu'une application conscien-
use des règles du genre, avec ce que le talent de chaque
eur pouvait communiquer de noblesse ou de grâce au lan-.
je des personnages mis en scène. Ses tentatives de rénova-
1 n'allaient pas au delà d'une imitation des hardiesses de
taire. L'œuvre qu'il achevait en 1744 emprunta, comme
Idouard et Éléonore », son sujet aux temps modernes, et
I pas à l'antiquité classique *. Cette quatrième tragédie fut
• .... To the author of Ihc Seasons will you be so good as to relurn
tbanks for his rememberiog an old friond who, Ihough he had still
I forgotlen on, would notwithslanding Ihat, havc yearly Iraced him
id wilh new delight from Spring qiiite down to Winter. • (Hîll à
lardsoD, July 24, 1744.)
II a élé fourni à Thomson par un épisode de Gil Dlas, \iy, IV,chap.iv:
Mariage par vengeance ».
I revanche, la tragédie anglaise a été imitée, ou plutôt traduite en
ce, par Saurin, et représentée le 2o septembre 1763 sous le titre de
152 JAMES TnOMSON.
jouée à Drury-Lane on mars 1745. Il ne s'agissait plus cette
fois de l'œuvre d'un auteur ignoré ou d'un homme de lettres
besogneux. La tragédie se présentait au public avec les plus
nobles répondants. Lyttelton et son cousin, Mr. Pitt, avaient
suivi les répétitions avec une extrême assiduité, donnant aux
acteurs des conseils que ceux-ci écoutaient avec respect et
suivaient avec confiance*. Ce n'pst pas, pour la mémoire de
Thomson, un médiocre honneur que ces preuves d'amitié du
futur lord Ghatham. Le grand orateur était un fin lettré dont
le jugement s'appuyait sur un savoir étendu et solide*. Gar-
rick jouait le rôle de Tancrède'. Le prince de Galles accepta
la Dédicace, en sa qualité de « protecteur de tous les arts
et de toutes les sciences et, en particulier, des œuvres drama-
tiques * ». Le succès fut beaucoup plus complet que pour
aucune des autres tentatives faites par l'auteur à la scèa©-
L'œuvre fut chaudement applaudie, comme l'atteste Walpol^»
un des critiques les plus malveillants de Thomson *. Woodf3.n
imprima pour Millar 5000 exemplaires, plus 50 exemplaiï*^
de luxe °. La faveur rencontrée par cette tragédie auprès du
public anglais persista pendant de longues années. Nomt>re
d'éditions en paraissent sans épuiser la vogue dont elle est
Blanche et Guiscard. La traduction avait été publiée d'abord dans le Me'
cure de janvier et de février 1761.
1. « Those preat persons (Pitt and Lyttelton) had taken npon IhemseW^^^
the patronage of Thomson's Tancred and Sigismunda; under their direc-^"
tion and induencc, it was acted at Drury-Lane. » (Davibs, Life of Garriek^
vol. 1, p. 78.)
« Tlie two great statesmen, Pitt and Lyttelton, attended the rehearsal o
Tancred and Sigismunda with great assiduity; they had a sincère value
for the amiable author. Their instructions were heard by the players with
great respect, and embraced with implicit confidence. The play was well
acted in ali its parts. •
2. On rapporte de lui qu'il pouvait également éclipser Gibbon dans une
conversation, battre les humanistes les plus experts dans une traduction
improvisée, et, à un souper shakespearien, « parler Shakespeare - de façon
à humilier tous les assistants, y compris Porson lui-même.
Sa prédilection pour le théâtre datait de loin. A treize ans il avait écrit
une tragédie. (Voir The Life and Letters ofLord Macaulay by G. Trbvbltak,
Macaulay's Diary, July 17, 1856.)
3. Les autres rôles étaient tenus par Sherridan et Delane, Mrs. Cibber et
Miss Budgell.
4. Ce sont les termes employés par Thomson dans la dédicace.
5. « The town flocks to a new play of Thomson's called Tancred and
Sigismunda; it is verv dull. • (Horace Walpole à H. Mann, 29 mars 1745.
Lettre 167.)
e. WoodfalFslLedger, March 25, 1745.
VIE A RICHMOND.
153
l'objet*. Murdoch, en 1762, Clark, en 1772, Johnson, en 1781,
constatent ce succès persistant % dont la traduction de Saurin
est à l'étranger une flatteuse consécration '.
L'accaeil fait à sa tragédie, la popularité toujours croissante
des c Saisons », l'amitié active de Lyttelton, chez qui il passe
encore Tété de 1745, apportent au cœur meurtri du poète les
consolations ou les distractiqps qu'il peut recevoir. A Tusage,
sa demeure à demi rustique n'a rien perdu du charme qu'il y
avait trouvé en quittant l'appartement sans gaîté d'une étroite
et bruyante rue de Londres, a La solitude et la nature me
« plaisent tous les jours davantage », dit-il dans une lettre à son
ami Paterson *. Et il conseille au voyageur, qui est allé si loin
chercher un emploi lucratif, d'amasser, avant le retour, un
pécule suffisant pour pouvoir jouir, dans quelque agréable
retraite, d'une vie vraiment heureuse, telle que celle du vieil-
lard de Corycus *. Et c'est ainsi que s'écoulent ses dernières
années, entre les charmes d'un genre de vie qui réalisait
tous ses vœux, l'exécution de travaux littéraires auxquels il
peut se consacrer sans hâte et sans fièvre, la mélancolie de
^tte passion qui avait cru fixer le bonheur et l'avait vu fuir
^ns retour, et la chaude sympathie d'amis anciens et nou-
. ^. Édition in-8 en 1752; in-8 en 1766; in-12 en 1768; in-8 en 1777; édi-
^*<^n in-12 en 1812, imprimée d*après le • prompl-book •.
. 3- • It continues to draw crowded houses » (Murdoch). Mêmes expres-
sions dans la biographie de l'édition de darke. « It slill keeps ils turn
^pon the stage. • (Johnson.)
3. Voltaire accueillit avec beaucoup de mauvaise humeur cette invasion
^cla scène française par une pièce d'origine anglaise. Évidemment il ne
^oyait pas dans la tragédie un article d'importation qu'on pût admettre
^ Paris. Récrit à M. Damilaville, le 26 février 176i : a ....J'ai lu Blanche.
^0Q8 prenons donc à présent nos tragédies chez les Anglais? Quand
l^reodrons-Dous ce qu'ils ont de bon? »
£t au traducteur lui-même, deux jours plus tard :
• Vous ayez fait, Monsieur, bien de l'honneur à ce Thomson. Je l'ai
connu, il y a quelques années. S'il avait su être plus intéressant
dans ses autres pièces et moins déclamateur, il aurait réformé le théâtre
anglais que Gilles Shakespeare a fait naître et a gâté.... • (A M. Saurin,
28 fév. 1764.)
4. Du mois d'avril 1748; et probablement du milieu du mois, selon la
conjecture de R. Héron, puisqu'il y est question du siège de Maastricht,
où 1 armée française ouvrit son feu dans les premiers jours du mois.
5. Le dernier paragraphe de la lettre contient ce passage : <« May your
bealth... still continue, till you hâve scraped together enough to return
home and live in some snug corner, as happy as the Corycius senex, in
Virgil's fourth Géorgie, whom I recommend both to you and myself as a
perfect model of the truest happy life ».
184 JAMES THOMSON.
veaux. CoUins mérite parmi ceux-ci une mention spéciale.
Entre ces deux hommes à bien des égards différents : le poète
délicat, exquis, un peu précieux et frêle des«i Églogues » et des
tt Odesi>,etle chantre abondant et robuste de la a Nature i», une
vive amitié s'établit, dont Collins devait donner plus tard un
témoignage touchant. Très différent était, parmi les visiteurs
de Kew-Lane, le Dr. de la Cîour, prêtre et poète irlandais, que
ses excentricités avaient fait surnommer en Irlande tfie mad
parson. Il avait pour Thomson une enthousiaste admiration
qu'il a exprimée en vers. Il venait souvent le voir, et se mon-
trait prêt à lui tenir tête, selon l'humeur du moment, soit
dans une conversation littéraire, soit en face d'une bouteille
de porto * .
Dans la lettre à Paterson déjà citée, la dernière lettre de
Thomson que nous connaissions, le poète fait mention d'un
assez grand nombre de ces amis de toutes classes et de toutes
sortes dont il a su gagner et retenir laffection. Ce sont des
hommes politiques élevés aux grandes fonctions de TÉtat
comme Pitt et Lytteiton ou comme Mitchell qui vient d'être
envoyé aux Communes par le comté d'Aberdeen. C'est, à côté
d'eux, Tacteur Quin pour lequel son amitié ne diminue pas
quand la gloire d'un jeune rival vient faire pâlir la popularité
du tragédien. Ce sont des gens de lettres comme Gilbert West *
1. De la Cour avait publié en 1733 un recueil de pièces dont la plus
importante avait pour titre The Prospect of Poelry. il y adressait de vifs
ëloj^cs à l'auteur des • Saisons -. Le comte de Buchan a publié, comme étant
de Thomson, un morceau poétique adressé au docteur de la Cour, sur son
Prospect of Poctry. Les vers fif^urent dans les recueils des œuvres
diverses de Thomson. Mais Cave, l'éditeur du Gentieman's Magazine, avait
d'avance nié cette attribution. Le morceau, dit-il, lui avait été adressé
en 1136, avec la signature J. Thomson. Il ne l'avait pas accepté, car il
s'était aperçu que les vers avaient été déjà publiés en 1734 dans un recueil
mensuel, et parce que d'ailleurs Thnmson lui avait afûrmé n'eu être pas
lauteur. Le morceau a bien en elTet le caractère d'un pastiche et presque
d'un centon des vers des « Saisons ».
Malgré ses excentricités et ses habitudes d'intempérance, De la Cour
vécut jusqu'à soixante-douze ans. — C'est Robertson qui nous dit qu'il
comptait parmi les amis les plus chers de Thomson, dans les dernières
aunées de la vie de celui-ci.
2. (Hiberl West, après avoir quitté l'armée, s'était fait un nom parmi
les thi'ologicnà par ses • Observations sur la Résurrection ». — 11 habi-
tait ù Wickham, dans le Kent, une charmante résidence où Lytteiton et
Pill allaient souvent le voir. C'est là, dit-on, que ce dernier contracta son
goût pour l'art des jardins, et Lytteiton son goût pour les controverseti
théologiques.
VIE A RICllMOND. loo
etMalIet ', des ecclésiastiques tels que son vieux eaniarade
Miirdocli ou AVarrender. La lettre mentionne également le
Iir. Arnislrong, qui se lait en ce moment sa place paruji les
plus célèbres particiensdu jour et Andrew Millar, depuis vingt
ans l'éditeur et l'ami du poète. La mention de chacun de ces
noms est accompagnée de quelques mots où se montrent
l'attachement et Testime de Thomson. « Mitchell est à la
• Chambre. . . . J 'espère qu'il arrivera bientôt à autre chose *, per-
t sonne ne le mérite mieux que lui : la vraie amitié et Thuma-
« nilé habitent son cœur. » — a Pierre Murdoch a bon espoir
« d'un nouveau bénéfice dans le SufTolk. Il y prendra femme, s'y
« terrera et sera heureux.» — a Le bon, l'obligeant Millar va
« comme d'ordinaire. » — a Le Docteur(Armstrong) voit croître
• saclientèle, mais non pas décroître sa misanthropie. Il est vrai
• qu'il y aune certaine misanthropie qui ne manque ni d'huma-
« nité ni de charme, c'est celle de Jaques dans la comédie'. »
De tous ces amis cependant, c'est Lytleltonqui, pendant ces
dernières années, occupe la plus grande place dans les aflfec-
Uons et dans la vie de Thomson. Il reçoit chaque année le
Poète à Hagley et l'y garde plusieurs semaines *; il va lui-
'^ème s'installer à Kew-Lane pour y faire des séjours pro-
longés. Une de ses lettres à Thomson, datée du 21 mai 1747,
*^ous fournit d'intéressantes indications sur les relations des
1. Les relations de Thomson avec Mallet semblent avoir perdu à un
Certain moment quelque chose de leur cordiale intimité. Dans les lettres
t^nbiiées par P. Cunningham pour la Philobiblon Society, il en est une,
^alée du 9 août 1745, où notre poète s'excuse de ne pas toujours observer
^es règles extérieures de l'amitié. Il demande à son vieux camarade de ne
pas le juger d*après son apparente né^'ligence. 11 vient d'apprendre, en
rencontrant par hasard des domestiques de Mallet, que la famille de
celui-ci s*est augmentée tout dernièrement.
La même lettre nous fait connaître un trait assez amusant de l'ordi-
naire négligence du poète. Il avait loué un livre (Hackluyts Rock of
Voyages) sans du reste connaître les termes de la location. Mnllet Tavait
engigé à renvoyer le livre chez Millar. Thomson avait omis de le faire,
et se trouvait devoir 12 schcllings. Il estima qu'il valait mieux ajouter
quelque chose à la somme et devenir propriétaire de l'ouvrage.
2. Il devint en effet ministre d'Angleterre à Berlin.
3. « Though the Doctor increases in business, he does not decrease in
spleen, but ihere is a certain kind of spleen Ihat is both humane and
agreeable, like Jacques [sic) in the play. •
4. Ces voyages ont lieu à Tété de 1743, à l'automne de 1146 et 1747.
Un autre était convenu pour l'année 1748. — Shenstone confirme ces
indications dans une note manuscrite tracée sur son exemplaire des
« Saisons ».
156 JAMES THOMSON.
deux amis. Le poète, nous l'avons dit, aimait à se promei
dans Tadmirable parc de Richmond. Lytteltôn, qui en av
une clef, l'avait mise à sa disposition; puis, il s'était vu a
traint par les plaintes des jardiniers et par la demande de
duchesse de Bridgewater, à reprendre la clef pour la donne
la noble dame. Thomson proteste vainement, se croyant, dit
les mêmes droits que les rossignols à jouir de ces beaux j
dins. Lytteltôn lui fait entendre raison et le console dans
termes les plus affectueux *. 11 lui donne en même temps n
dez-vous pour l'emmener, quelques jours plus tard, en cha
de poste, faire une visite à Mrs. Stanley. Un autre passi
exprime des remercîments pour le rhum envoyé par Thoms
(et sans doute reçu par celui-ci de Paterson). Il annonce
retour l'arrivée prochaine à Kew-Lane d'un cadeau de vin
Bordeaux.
Mais ces rapports de cordialité simple et enjouée savai
aussi être élevés et graves. Lytteltôn qui s'était montré dans
jeunesse irréligieux, comme le demandait alors le bon toi
avait trouvé son chemin de Damas, grâce à Gilbert West, et £
c Observations sur la Résurrection » ^. Avec la ferveur d
néophyte, il s'efforçait de ramener à la foi chrétienne Thoins
qui, depuis bien des années, s'était arrêté à la religiosité s(
timentale d'une philosophie assez vague. Lytteltôn, faisant al
sion à la perte de sa jeune femme *, écrivait à son ami : « M
« refuge et ma consolation, c'est la philosophie — la philo!
c phie chrétienne dont je désire ardemment vous voir deve
« comme moi un adepte.... Je vous ai envoyé une brochure î
1. Lyttellon à Thomson, lettre du 21 mai 1147. (Dans Piiillimo
Memoirs, vol. I, p. 131.)
2. Il avait imité les Lettres persanes (Letters from a Persian in Lon
to his Friend at Ispahan) en conservant non seulement le cadre de Mon
quicu, mais aussi la liberté des peintures, et l'audacieuse raillerie
choses religieuses.
3. Gilbert West who, you say, first led yourway to trulh. ■ (Le
de Pelham à Lytteltoo, du il juillet 1141, dans PHiLLi3iORB*s3femotr.« of ï
tel ton,)
4. Le 19 janvier 1147. Il avait épousé Lucy, fille de Hugh Fortes
Esq., de Filleigh, comté de De von, en juin 174*2. Il avait à cette occas
reçu de Chesterfleld une lettre de félicitations (Balh, 19 juin) où n
relevons le passage suivant : « To wish you joy were frivolous, iha
certain and présent, but whenever that does décline,... mayall ils swt
nées turn to strength, or, as Thompson {sic) say s, may il mellow i
friendship. » (Phillimore*s Memoirs of Lytteltôn,)
YIB A RICHMOND. 187
c un sujet qui y touche et dont nous avons autrefois causé. Je
t'ai écrite à Kew-Lane Tannée dernière, et Tai écrite particu-
I lièrementen vue de répondre à vos doutes. Vous y avez donc
c un double droit. Je prie Dieu que le traité vous paraisse aussi
€ convaincant qu'à moi-même et qu'il vous amène à la foi du
I chrétien, vous qui en avez le cœur *. i& C'est donc pour l'édi-
fication de notre poète que Ly ttelton écrivit ces a Observations
sur la conversion et l'apostolat de saint Paul ]» dont Johnson
tait un chaleureux éloge, et où il voit une irréfutable apologie
du christianisme >. Lyttelton était persuadé que sa dialectique
avait eu raison de l'incrédulité de Thomson. Dans une lettre
écrite peu de jours après la mort du poète, il unit de façon assez
touchante le souvenir de sa femme et celui de son ami : «i II
( aimait ma Lucie, et il était aimé d'elle. J'espère, plein de
( confiance en la bonté divine, qu'ils sont maintenant réunis
< dans une vie beaucoup plus heureuse '. d Et dans une autre
lettre de la même année, il s'exprime ainsi : a Thomson, je le
* crois sincèrement, est mort en chrétien. S'il avait vécu plus
< longtemps, je ne doute pas qu'il n*eût ouvertement déclaré
< sa foi, car le courage ne lui manquait pas pour faire ce qu'il
< croyait être bien. Son esprit avait été fort embarrassé de
< doutes que mon livre sur saint Paul (j'ai le bonheur de le
< croire) avait entièrement dissipés. Il me l'a dit lui-même, et
^ l'a, dans sa maladie, déclaré à d'autres. — Quant au cœur
* d'un chrétien, il l'avait toujours eu à un degré de perfection
* qu'ont atteint peu d'hommes, à ma connaissance \... t^
^' Philu3iorb*s Memoirs and Correspondence of LytlelloUy vol. I, p. 307.
^' ioHNsofi, Life of Lyttelton.
3- « Hagley, September 30'^ 1748.
* .... God's wiil be done! It bas pleascd bis Providence to arflict me
iately with a new atroke in tbe sudden death of poor Mr. Tbomson, one of
l^e £est and most beloved of my friends. He loved my Lucy too, and was
l^^^d by ber. I bope and trust in Ibe Divine goodness Ibat tbey are now
^^ether in a much bappier slale. Tbat is my consolation : tbat is my
^^Pport.... » (Lettre au Dr. Doddridge, dans Philumore's Memoirs and
^f^espondence, etc., vol. I, p. 407.)
^. • London, November tbe 7'^.
I * •... Tbomson, I bope and believe, died a Cbristian. Had be lived longer
^on't doubt but be would bave openly profest bis faitb; for be wanied
^^ courage in wbat be tbougbt rigbt, but bis mind bad been mucb per-
^^^xed witb doubts, wbicb 1 bave tbe pleasure to tbink my book on
^.^ Paul bad almost entirely removed. He told me so bimself, and in bis
^\ckoess deciared so to otbers. Tbis is my best consolation in tbe loss of
^im, for as to tbe beart of a Cbristian, he always bad tiiat in a degree of
188 JAMES THOMSON.
Nous ne saurons vraisemblablement jamais ni quelle part la
politesse et l'amitié purent avoir à l'assentiment donné par le
poète aux démonstrations du noble théologien, ni à quel point
TalTection en même temps que la vanité ont pu influer sur
Topinion qu'exprime Lyttelton au sujet du résultat de son pro-
sélytisme.
Là ne se bornait pas la sollicitude de Lyttelton. il se préoc-
cupait du bonheur de son ami dans ce monde aussi bien que
dans l'autre. Une des lettres de Thomson * répond à la propo-
sition d'un mariage. Le poète s'est donné le temps de réfléchir,
et il se décide à refuser. 11 est plein d'estime pour les « bonnes
et dignes qualités » de la personne dont on lui parle, mais
« elle ne fait pas son caprice * ». Et il est, dit-il, d'âge trop
avancé pour vouloir se marier, s'il ne se sent ranimé et, pour
ainsi dire, rajeuni par une grande flamme d'imagination*.
Aussi conclut-il que, placé entre les exigences de sa raison et
celles de son imagination, il restera sans doute à jamais exclu
du saint état de mariage *. Il fait une discrète allusion à
miss Young, sans donner, comme motif réel de son refus, le
souvenir encore si vif du drame de sa vie. Mais il est poui
nous apparent que c'est la pensée de cet amour malheurea^
qui communique à toute la lettre sa teinte de mélancolie.
Au moins désire-t-elle voir son jeune ami en agirautreraen t
Il faut du reste convenir que, pour l'engager à se remarier, i
a recours à d'assez étranges arguments. Lyttelton, tout attrist
de la mort de sa chère Lucy, dit qu'il ne pourra jamais apporte
dans une seconde union un pareil amour. Tant mieux, réponi
Tliomson, car vous ne risquerez plus, si vous perdez auss
celle-là, d'éprouver une si grande douleur. Quant à prétendre
perfection beyond niost inen 1 liave known (Lettre à Doddridge dan
Puillimoke's -Wtv/î';//'*, (.'le, vol. I, p. 409.)
1. Kew-Lane, Dcccniber 14, 174". (Piiillimohe's Memoirs and Correspon
dence, vol. I, p. 307.) La proposition a été transmise par ce Mr. Gr.iy, d
Richmond, dont le nom revient plusieurs fois dans les lettres do ces der
nières années. « Mr. Grav discliarged liis commission faithfully, and witi
very décent grnvity. «
2. « As I lold you before, she does not pique my imagination.... T
strike one's fancy is Ihc same in love thaicharity is in religion. •
3. « I am too niuch advaiiced in life to venture to marry, without fee
inR niyself invigurated, and made as it wcre young again, with a groa
flame of imagination. *
4. « What betwixl judgment and fancy, I shall run a grcat risk of neve
entering inlo Ihe lioly state. »
VIE A iUCIIMONU. ir>l»
ijuun no piiissi' pas aimer deux l'ois, c'est niie a>.^erliuii « con-
'laiiiinV pai" la pliilosophic ' «.
kiiis une lettre antérieure de moins de trois mois, et
aJresséti, de llagley, à sa sœur, Mrs. Thomson, (!(» Lanark *,
Thomson s'était expliqué déjà sur le même sujet. H ne s'est
point marié plus tôt, dit-il, à cause de la nature précaire et
variable de ses ressources. Et si elles se trouvent alors fort
améliorées, il se sent trop avancé dans la vie pour tenter une
entreprise aussi juvénile ^
1. • If yoii canDOl again love so cxquisitely as you hâve donc, so much
tbct)elter; you will not ihen risque bcing so misérable. To say tliat orie
cannol love Iwice. is utterly unphilosopbical. • — La lo^^ique de Thomson
parait avoir convaincu Lyttelton, car, après avoir calmé sa douleur en
rexprimanl dans les strophes do sa Alonody, il se remaria.
-• C'est Ji^an Thomson qui venait depuis puu d'épouser Mr. Thomson,
iosliintcur à Lanark.
^' • Ha>:lcy, in Worceslershire, Oclober Ihe V*", 1747.
■•.-. .\ly circunistances bave hitberlo been so varinble and uncertain, in
'his fluctuating world, as lo induce me to keep from enga^ing in such a
^ttlc; and now, though tbey arc more setlled.... I bcgin lo Ihink myseir
^0 far advanced in life for such youlbful uudertakings. »
Nous ne pouvons cependant passer sous silence une autre explication
W n été proposée de cette persistance avec laquelle Thomson repousse les
"i^ilations de ses amis désireux de le voir prendre femme.
^' Taylor s'exprime comme suit dans le xv* chapitre de ses souvenirs
^^'•corf/j ofmy Life, London, 183'J) :
• Mr. G. Chalmers wbosc industry, research and learning are well
*^nown, told me the following remarkable fact on which bc assured me I
]^î:!ht confldenlly dépend. He bad beard that an old bousekeepcr of
/homson's was alive aud still resided at Richmond.... He wenL... Shc
"^formed him that Thomson bad been actually married in early life, but
y\^^ his wifc... was so litlle calculated to be inlroduced to bis great
^''■«nds, or indeed bis friends in gênerai, that be bad kcpt lier in a state of
J^l^scurily for many years, and wben at last ho... requircd lier to couie and
^^0 wilh him at Richmond, bc still kepl ber in Ihe same sccluded state,
^ 'bat she appeared to be only one of Ihe old domestics of the family...,
^ lengtb she asked bis permission to go for a fcw weeks to visit lier
relations in IbcNorth;... but \vben in London she was tliere taken ill and
"^ îi short time died. The news were immediately conveyed to Thomson
^^^o ordered a décent funeral, and she was buried, as the old housekeeper
'*^id, in the cburchyard of old Marylebonc Church. •
* Mr. Chalmers immediately went and examined the church rt?gisler,
^*Uere he found the following entry : « Died, .Mary Thomson, a slrariger. m
^ ^^us we find that the letter from Thomson to his sisleraboul bis not having
'^^rried is faliacious. »
fest-il besoin de faire remarquer Tinvraiscmblance de cette histoire? Il
^^Udrait que le secret do Thomson eût été bien gardé pour que nul do
^^s amis n*eût soupçonné la vérité, et que Lyttelton insistât pour le
^^cider à se marier. — La seule présomption de vérité qu'on pourrait
invoquer co faveur du récit de Taylor ou de Chalmers, c'est la constata-
160 JAMES THOMSON.
Le début de la iiièine lettre contient une allusion émue aux
parents perdus. Tant d'années écoulées n'ont fait oublier à
notre poète ni leur chère alïection, ni la reconnaissance qu'il
leur doit. Il donne aussi un souvenir attendri à Élizabeth ',sa
sœur préférée, Tassocié de Jean dans l'entreprise pour laquelle
il les avait, en 1737, aidées de ses conseils et de son argent'.
Elle avait épousé un Mr. Bell qui, après la mort de sa femme,
avait conservé d'affectueuses relations avec les Thomson. Jean
et James engagent leur beau-frère à se remarier '. — La fin de
la lettre laisse entendre que le poète a quelque intention d'aller
faire un voyage dans son pays natal. Il ne Ta pas revu depuis
son départ en 1725.
Cette lettre, avons-nous dit, fut écrite pendant un séjour à
Hagley dans Tété de Tannée 1747 *. La date exacte de l'arrivée
du poète chez Lyttelton nous est fournie par la lettre d'un de ses
confrères. Shenstone écrivait le 20 septembre : « Comme je reve-
« nais de l'église, dimanche dernier, qui vins-je à rencontrer
a dans une chaise à deux chevaux attelés en file, sinon ce barde
a et cet excellent ami, Mr. Thomson? Je le complirtientai sut
c sa venue dans le pays et le priai d'accompagner Mr. Lyttelloi^
c aux Leasowes ^ Il m'assura qu'il le ferait avec infiniment d^
a plaisir et nous nous séparâmes. » Cette visite eut lieu en effet 5
Uon de l'inscriplion au registre de Marylebone-Church. Mais celte pré^
tendue vérification est entièrt^mcnt fausse, comme l'établit la note su>'
vante : • .... I hâve examined Ihe regisler of Marylebone parish durin^
tlie whole of Thomson's présence al Richmond... Only one Thomson
(Anne) is menlioned, iinder date October 17i5; no mention of her bein^
a stranper ».... — W. T. Lynn-Blackhealh. {\otes and Quenes, 6* série,
vol. IV, p. 46.)
1. • Would to God poorLizzy had lived longer... that I might bave had
the pleasure of seeing once more a sisler, who so truly deserved my
esleem and my love. »
2. Voir p. 116.
3. Mr. Bell suivit le conseil.
4. Thomson y rencontra Pitt, qui était aussi un des hôtes de Hagley &
ce moment. C'est ce que nous apprend la correspondance de Lyttelton.
(Lettre à George Grenville, sept. n47.)
5. C'était le domaine à rembellissement duquel Shenstone consacra plu-
sieurs années et toute sa fortune. Il Pavait acheté en 1145, et devait être,
au moment de cette visite de Thomson, dans toute la fièvre et l'enthou-
siasme des premières transformations qu'il y avait opérées. H y avait
ménagé des surprises, des points de vue, des accidents pittoresques, des
chutes d'eau et jusqu'à des paysages sauvages. On peut lire une descrip-
tion minutieuse de toutes ces merveilles dans le premier des deux volumes
consacrés & Shenstone dans la Collection des poètes de Dell.
VIE A RICIIMOND. 161
enstone en voulut perpétuer le souvenir. Il plaça une
iption commémorative dans celle des parties de son
re parc pour laquelle Thomson avait manifesté le plus
liration '.
int à l'auteur des «i Saisons i», très épris, lui aussi, de son
i de Kew-Lane, il avait le bon goût de n'y pas rechercher
fTets extraordinaires. Il laissait aux grands parcs des
igton, des Cobham ', des Ly ttelton et des Shenstone leurs
ges compliqués et truqués. Il n'était pas tenté d'imiter
3rveilles de la « grotte » où Pope avait accumulé coquilles
ailles. Il estimait sans doute que la nature s'entend mieux
i main des hommes à l'agencement de sites pittoresques.
e coin préféré de ThomBon était une petite vallée qui portait le
e « Virgirs Grove ». A rentrée se dressait un obélisque avec cette
)tioD :
« P. Virgilio Maroni
Lapis iste cum luco sacer esto. •
édicace à Thomson était :
« Celeberrimo Poets
lacobo Thomson,
Prope fontes illi non fastiditos
G. S.
Sedem banc ornavit.
Quœ tibi, qus tali reddam pro carminé dona?
Nam neque me tantum venientis sibilus austri,
Nec percussa juvant fluctu tam littora, nec quœ
Saxosas inter decurrunt flumina valles. •
istone a fait plus d*une allusion à Thomson^ à sa visite, à son admi-
des Leasowes, et au siège consacré à l'auteur des « Saisons •.
• Say Thomson hère was wont to rest,
For him yon vemal seat I drest
Ah ! never to return !
In place of wit, and melling strain
And social mirlh, it now remains
To weep beside his urn. »
{Pastoral ode, to R. Ly ttelton.)
ncore, dans une ode adressée à Wil. Lyttcllon :
« He is gone, whose montai strain
Could wit and mirth refine. »
owe, « the fair majestic paradise of Stowe n {Autumn, v. 1042), avait
posé par sir Richard Temple, plus tard Lord Cobham. Les arbres
nt plantés en lignes régulières, les allées et les pelouses tracées en
droites, à la française, et « buttoned up •, comme dit H. Walpole»
temples and statues ••
il
162
JAMES THOMSON.
Son sentiment profond de la beauté simple des choses s'accom-
modait mal du luxe des ornements architecturaux, et de ce
style sentimental qui sévissait jusque sur les jardiniers. Il ne
demandait à son lopin de terre que ce qu'on peut réclamer
d'un honnête jardin : de l'ombre et des fleurs. Mais il l'aimait
dans sa fraîche modestie. Il le faisait soigner par un de ses
cousins; il s'en occupait lui-même avec passion '; il en ava.it
doublé l'étendue en y ajoutant deux champs voisins '. 11 ^'
vivait, on peut le dire, à toute heure du jour, puisque ^^
maison, haute d'un unique étage, était entièrement entourée ^3t
comme pénétrée partout de plantes et de verdures '. Il cuit- ^'
vait toutes ces fleurs d'Angleterre dont il a décrit les charm
dans des pages parfumées de senteurs et comme mouillées
rosée *. Il demandait en outre à Paterson de lui envoyer qui
ques semences de fleurs des Antilles qui pourraient au moi
s'épanouir l'été sous le ciel du Nord, ou vivre, à force
précautions, dans une serre chaude.
1
1. « I am such a genuine lover of gardening. • (Lettre à Patersc
avril 1748.)
2. Voir môme lettre.
3. Voir Leioh Hujjt, A Jar of Honey^ p. 173.
4. Spring, vers 528 à 551. Mais il a dans bien d'autres passades déi
les fleurs de nos climats. Voir plus loin, 2* partie, La Natui'e dans Vœvr
de Thomson. Les Fleurs,
Vf
CHAPITRE VI
LA MORT
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. — APpÈS LA MORT
THOMSON EN ECOSSE. — THOMSON A l'éTRANGER
I
Cette lettre à Paterson que nous avons déjà plusieurs fois
nientionnée, cette longue lettre toute enjouée et pleine d'un
bavardage de bonne humeur, Thomson l'écrivait au lendemain
du jour où il venait de recevoir, comme aurait dit Voltaire,
^ne nouvelle taloche de la fortune*. Le récit de sa mésaventure
y tient beaucoup moins de place que le souci de son jardin.
Son ami Lyttelton était depuis quelque temps en complète
disgrâce auprès du prince de Galles *. Celui-ci avait d'abord
continué à payer au protégé de son ancien secrétaire la
Pension qu'il lui avait allouée. La dédicace que Thomson lui
*vait faite en 1745 de son 9. Tancrède » a pu contribuer à
prolonger la générosité du royal personnage. Mais on ne pou-
*• UUpc à M. Thiériot, 1* sept. 1735.
^' Leurs relations s'étaient refroidies depuis la chute de Walpolo en
*^^^> Us avaient adopté des partis dilTérents dans la lutte d'inHuences
^^ <li visait le cabinet formé sous la présidence de l'incapable Wilmington
Jl^Spenser Compton auquel avait été dédié 1' • Hiver »). Quand enfîn Pelham
\^^^ complètement emporté sur Carteret, et que celui-ci se fut vu forcé
^^ Ruiiter les sceaux malgré l'appui du roi et celui du prince, Lyttelton
^^^n. dans la - Broad Bottom administration », et Frédéric lui retira son
^^ de secrétaire.
164 JAMES THOMSON.
vait s'attendre à voir durer longtemps cette libéralité chez un
prince que Tamour désintéressé des lettres n'avait jamais ins-
piré, et que tourmentaient sans cesse des besoins d'argent'. II
eût au moins fallu faire un choix entre son amitié et celle de
Lyttelton. Ni Thomson, ni West, ni même Mallet ne songèrent
à pareille lâcheté. L'orage éclata donc; tous trois furent frappés,
en un même jour de la fin de 1747 ou du commencement de
1748, et Thomson se trouva rayé de la liste des pensions du
prince de Galles *.
Notre poète se consola en « creusant de nouveau cette mine
« d'inépuisables trésors que nous portons en nous, que ne peut
c détruire la rouille du temps, et que les voleurs ne sauraient
c violer ni piller' t> ; il se remit au travail. Depuis 1745, aucune
œuvre nouvelle n'avait été par lui produite. Il avait seulement
publié, en mai 1746, une nouvelle édition des « Saisons i», la
dernière qu'il lui ait été permis de revoir et de retoucher*.
1. On sait que ce fui une des causes les plus actives du désaccord cotre
le prince héritier et le peu libéral George II. Le fils se plaignait amère-
ment de la lésinerio du père. Dès 1734, il avait songé à exposer au Parle-
ment ses griefs. En 1131, ses. amis appuient une notion de Pulteney ten-
dant à prier le roi d'élever la part faite au prince de Galles sur la liste
civile, et de la porter de 60 à 100 000 livres. C'est à partir de ce moment
que l'aversion de George pour son fils devint invincible.
2. Le prince semble avoir eu quelque honte de cette misérable façon
d'atteindre Lyttelton dans la personne de ses amis. Il laissa entendre que
peut-être rendrait-il un jour au poète avec intérêt ce qu'il lui reprenait.
Ce n'était qu'une hypocrisie de plus, et Thomson ne s'y trompait pas.
« Yet 1 hâve hopes given me of having it restored with interest some
lime or other. Oh, that « some time or other » is a great deceiver! »
(Lettre à Paterson.)
On voit, en tout cas, combien est inexacte l'assertion de Phîllimore et de
nombreux biographes qui font coïncider la perte de la pension avec la
rupture entre Lyttelton et Frederick.
3. tt Thèse are the treasures dug from an inexhaustible mine in our own
breasts, which, likc those in the kingdom of heaven, Uie rust of time
cannot corrupt, nor thieves break through and steal. I must leam to work
this mine a iittle more, being struck ofT from a certain hundred pounds a
year which you know Ihad.... » (Lettre à Paterson.)
4. Elle fut publiée par Millar, en un format in-12. Woodfall en imprima
(9 mai 1410) 4 000 exemplaires. L'édition précédente avait été tirée,
deux ans auparavant, au même nombre. On voit à ces réimpressions suc-
cessives que la popularité du poème ne cessait de s'étendre et de s'af-
firmer.
Les modifications apportées à cette édition définitive ne sont pas très
importantes. Le • Printemps • a 3 vers de plus qu'en 1144,1' • Été « en gagne 9,
r « Automne » en perd 2, 1' • Hiver» et 1' • Hymne • conservent le même
nombre. Mais à coup sûr c'est bien lu pour nous le texte ne varieiur des
« Saisons •. Pendant longtemps cependant, à partir de l'édition publiée
LA MORT. 165
Au commencement de 1718 il est prêt à donner au public une
trafîédie nouvelle et un important poème.
Le « Château d'Indolence » parut vers le mois de mai. Il y
avait, au dire de Fauteur lui-même, quatorze ou quinze ans
que l'œuvre était sur le métier*. Thomson s'était, au début,
proposé de railler, dans quelques strophes légères, ses amis
et lui-même d'une indolence qu'on lui reprochait et qu'il
croyait aussi bien voir en eux. Mais peu à peu l'œuvre s'était
développée au point de devenir le poème charmant que
publiait Millar*. Les conditions dans lesquelles il avait été
conçu devaient y assurer une place à maint détail de la vie du
poète, à mainte allusion à son caractère et à ses habitudes.
Thomson, en effet, y a élevé une galerie où plusieurs de ses
amis et lui-même ont (comme il le dit) leur niche. Le premier
?ui soit décrit, parmi les hôtes du château, ce personnage
d'aspect particulièrement grave, pensif, mais non pas triste,
Qui, en regardant les nuages, bâtissait mille systèmes glo-
''ieux, concevait mille grandes idées et les laissait fuir avec
1^ nuées sans laisser plus de traces que celles-ci, c'était
'^atersoh '. Le taciturne et mélancolique promeneur de la
^^fophe suivante est Armstrong •. Le misérable dont la rudesse
^t la saleté déshonoraient le château, c'est, dit-on, un certain
^litaire excentrique du nom de Welby ', que, du reste, nous
^^ voyons nulle part figurer parmi les familiers de Thomson.
. ^hn Forbes est cet adolescent joyeux que le hasard amène un
J^Ur dans les salles enchantées, et dont la bruyante et commu-
^^calive gaîté dissipe en partie le charme qui pèse sur les
Prisonniers •. Cet autre dont le sentiment aiguisé savait recon-
*^^r Murdocb et Millar en 1762, les éditions successives reproduisirent le
J^^te de 1144, jusqu'à ce que Mr. Bolton Corney eût signalé les divergences
^% deux éditions {The Gentleman*s Magazine, 1845, t. I, p. 145).
^ l)*Israeli, rinfaligable curieux, avait déjà observé cette inadvertance des
^ dateurs modernes.
^ i. - Now that 1 am prating of myself, know that, after fourteen or flf-
^«n years, the CasUe of Indolence cornes abroad in a fortnight. It wiU
^^rtainly travel as far as Barbadoes. You bave an apartment in it as a
^ight pensioner; which, you may remembcr, I fitted up for you duriag
^lir deligbtrul party at North Haw -.... (i-ettre à Palerson, avril 1748.)
2. En un format in-4. La même année parut une 2* édit. de format in-8.
3. The Castle of Indolence, canlo I, strophes lvii, lviii, lix.
4. strophe lx.
5. Strophe lxi.
6. Canto ly strophes uui, lxiii et lxiv.
166 JAMBS THOMSON.
naître toute valeur parce qu'il les avait toutes en lui, et qui
ne consentait pas à se laisser enfermer dans le palais délicieux
du magicien, c'est Lyttelton*. Quin se reconnaît dansTEsope
(le Glodius Esopus) de son siècle, le dormeur qui, appelé par
la gloire, se relevait comme un géant qu'on éveille, et, prenant
possession de la scène, savait tour à tour ébranler les ccBurs
et convaincre la raison V Et nous reconnaissons surtout ce
barde <t plus gras qu'il ne sied à un barde; qui, ne connaissant
€ ni l'envie, ni l'intrigue, ni l'âpre soif du gain, a consacré
« toujours ses chants spontanés à la vertu et à la nature, et sut
c renoncer au monde avec un dédain tranquille. Il riait sans
« soucis dans sa confortable maisonnette; il y buvait sans
€ soucis, au milieu d'un cercle joyeux;... il se décidait ave<
c peine à écrire ses doux chants, et n'aimait pas à les réciter'.
C'est Thomson lui-même qui, dans le premier vers, nous prt
sente sa personne avec une spirituelle bonhomie, et c'est Lyl
telton qui s'est chargé de finir la strophe. Nous connaissor
maintenant assez bien l'original pour pouvoir constater 1
ressemblance du portrait.
L'homme de Dieu petit, replet, gras et onctueux c'es
Murdoch, chez qui Thomson s'est plu bien des fois à railler 1
mélange de convoitises très mondaines avec une expressio
de pieuse Immilité*. Une autre strophe, qui ne paraît pas dan
la première édition, montrait, sous les traits d'une nympli
contre laquelle les charmes du magicien restent impuissant
la femme de Lyltelton.
Il n'est pas sûr que le poème ait rencontré dès son appar
tion tout le succès qu'il méritait. La forme en est si diflféren
du vers de Pope que l'on ne sentit pas d'abord tout ce qi
supposait d'art aciievé ce gracieux badinage. Un connaisse)
aussi délicat que Gray pouvait lire ce chef-d'œuvre exqu
sans en comprendre la valeur ^ Et cependant l'influence s
les poètes fut prompte, et elle fut considérable. Au lend
1. G. I, LXV, LXVI.
2. G. I. Lxvii.
3. G. 1, i.xviii.
4. G. I, Lxix.
5. Dans une leUre au Dr. Wharton du 5 juin 1748, il parle des nouveaui
qu'il Tient de lire, et, après avoir copieusement exprimé son admirati
pour le Méchant de Gresset et pour lus jolis badinages de Tauteur Tra
çais, voici ce qu'il trouve à dire du poème dont vient de s'enrichir la lit!
LA MORT. 167
main même de la mort de Pope, en plein régne du distique
rimi', aux effets brillants mais secs et monotones, on vit
paraître, avec Gilbert West et Sbenstone d'abord, puis avec
un grand nombre d'autres écrivains, des imitations de ce
mètre savant et riche de Spenser que Thomson avait remis en
honneur*.
Quant à la tragédie de ce Goriolan », elle était terminée depuis
la première partie de Tannée 1747. L'auteur en entretenait
Mallet, le 31 mars de cette année ^ Les difficultés qui se sont
opposées à la représentation, avaient pour cause la rivalité des
deux acteurs de Drury-Lane. Thomson voulait réserver à Quin
le rôle de Goriolan. Garrick ne voulait pas se contenter du rôle
de Tullus Âufidius, ou, du moins, n'avait aucune hâte de
voir jouer une pièce dans laquelle il ne devait paraître qu'au
I second plan. Gomme à cette époque même (la fin de mars 1747)
Garrick devenait un des deux directeurs du théâtre ', Thomson
^t Quin se heurtaient désormais à un obstacle insurmontable.
Le poète revient sur ce sujet, une année plus tard, dans sa
lettre à Paterson : « Goriolan n'a pas encore paru sur la scène,
< à cause de la mesquine et misérable jalousie de Tullus envers
< celui qui seul peut jouer Goriolan. De fait, le premier a, pour
t cette saison, entièrement chassé l'autre de la scène, comme un
• géant en colère *. Montrons donc encore un peu de patience,
'^^ure anglaise : • There is aUo a poem lalely published by Thomson,
^lled-thc Castle or Indolence, wilb some good stanzas in il. » (La Ictlre
•8 trouve dans Touvrage de Mason sur la vie et les œuvres de Cray.)
^' Voir sur ce point plus de détails dans l'élude que nous consacrons
P'"»» loin au • ChAteau v.
^' • I will désire you as a friend to read • Coriolanus ». Tho' pretly
^^th indifferenl whether ever he appear upon Ihe slage or no, yct I am
^''from being so with regard to his haviu;; yoiir approbation.... »
^ (VlH* et dernière lettre de Thomson à Mallet, dans la série publiée par
* Cunningham pour la Philobiblon Society.)
^' Mr. Lacy, le possesseur du brevel, lui en avait cédé la moitié pour
!!^c somme de 8 000 livres, ce qui parut alors un prix très modéré. (V.
^* Davies. Ufe ofGairick, v. I, p. 103.)
^* Cette inimillé des deux acteurs n'est pas pour nous surprendre. Quin
^^&itélé, pendant plusieurs années, le premier acteur de la scène anglaise,
r*^ deux grands ttiéàlres de Londres se le disputaient. Quand Fleetwood
^^i eut ofTert, pour l'attirer à Drury-Lane, des appointements de 500 livres
^an, rénormité de cette .somme fit scandale, et Rich, le directeur de
^▼ent Garden, laissait en mau^^réant partir son premier sujet, et décla-
^t qu'aucun acteur ne valait plus de 300 livres. — C'est cette suprô-
tfiatie que le succès d'un acteur nouveau venait mettre en danger. Gar-
rick débute à Londres en 1741, et la faveur du public s'attache aussitôt &
168 JAMES THOMSON.
c mon cher Paterson; montrons même de la gaieté; tout s'
c rangera un jour; en tout cas tout finira un jour — au mo
c ici-bas*.... ]>
La fin était plus prochaine qu*il ne le supposait en écriv
ces mots. Il ne devait plus vivre assez longtemps pour \
jouer son a Coriolan i», ni même pour goûter encore une foi!
charme de cette saison d'automne qu*il préférait à toute au
Il avait toujours été, dit Murdoch, médiocre cavalier. La ro
de Londres à Richmond, sillonnée sans cesse de nombr
voyageurs, parmi lesquels les imprudents et les maladroits
manquaient pas, lui semblait particulièrement dangereuse
préférait donc, quand il le pouvait, faire le trajet à pied
était heureux en pareille circonstance de rencontrer quelqi
de connaissance avec qui cheminer en causant. Il s'arré
quand venait la fatigue, et parfois dînait à mi-chemin,
demeure de Mallet, à Strand-on-the-Green, sur les bordj
fleuve; Tauberge de la Colombe, à Hammersmith, où son
venir s'est perpétué, étaient quelques-unes de ses stat
lui. C'est toute une révolution qu'il apporte au théâtre, en faisant
céder le naturel et le pathétique au jeu guindé, à la déclamation te
des vieux acteurs. • If the young fellow is right, disait Quin, 1 an<
rest of the players hâve been ail wrong. • — Us avaient tort en effet,
public le leur (It sentir tous les jours davantage, à mesure que Tau
de Garrick s^afnrmait.
1. • Coriolanufl bas not yet appeared on the stage, from the little,
jealousy of Tulhis towards him who alone can act Coriolanus. In
the first bas entirely jockcyod the last oiï the stage, for this season, 1
giant in bis wrath. Lcl us bave a liltle more patience, Paterson; na
us be cbeerful; at last ail will be wcll, al last ail wiU be over, — t
mean.... *
Il faut ajouter que si Garrick a eu de? torts en cette circonstance
a réparés noblement. Après la mort de Quin il écrivit une poétique
taphe où les mérites et le talent de son ancien rival sont loyale
reconnus. Nous la reproduisons d'autant plus volontiers qu'elle se
bien renTermer une allusion à Tanccdote célèbre de Quin venant dél
Thomson :
a That tongue >vhich set the table on a roar,
And charm'd the public ear, is no more!
Clos'd are those eyes, the harbingers of wit
Which spoke, before the tongue, what Shakespeare writ;
Cold are those hands, which, living, were stretched forth
At friendship's call te succour modcst worth.
Herc lies James Quin! deign readcr to be taught
(Whate'er thy strength of body, force of Ihought,
In naturels happiest mould however cast),
To this complexion thou must come at last. v
(Cité par Ed. Gosse, Eighteenth Cenlury Literature, p. 229.)
LA MORT. 169
ordinaires. Il était ainsi parti seul, un soir d'été. Arrivé à
Hamroersmith, et accablé de fatigue et de chaleur, il commit
l'imprudence de prendre une barque pour se faire conduire
jusqu'à Kew. Mais Tair frais du soir le saisit. La marche qui
lui restait à fournir, du bord du fleuve jusqu'à sa maison, ne
suffît pas à dissiper l'influence funeste de ce refroidissement,
et, le lendemain, il était atteint d'une forte fièvre. Un traite-
ment approprié semblait avoir assuré la guérison, quand une
imprudence du malade, qui s'exposa prématurément à l'air
d'une soirée fraîche, amena une rechute, et bientôt son état ne
laissa plus d'espoir. Ses amis, Mr. Mitchell, Mr. Reid ', le doc-
teur Armstrong qui lui avait donné ses soins dès le début de la
maladie, accoururent de Londres en toute hâte. Leurs efforts
furent inutiles •. Le samedi 27 août 1748, vers quatre heures
du matin, le poète expirait entre les bras de Robertson, l'ami
de son adolescence, le beau-frère de miss Young. Il avait qua-
rante-huit ans moins quelques jours.
Mitchell se chargea de faire rendre à la dépouille de son
ami les derniers devoirs, et de veiller aux intérêts de ses héri-
tiers. Le jour même de la mort du poète, il écrivait au Révérend
Mr. Gusthart ', le plus ancien sans doute des amis de Thomson,
1* Andrew Reid, Écossais, comme son nom ^indique, était de très longue
<l^le on ami de Thomson et de Murdoch. U a écrit, comme Murdoch,
quelques ouvrages de mathématiques, et publié pour Lyttelton V • Histoire
d'Henri II ..
2- U maladie est décrite par Mitchell comme une fièvre tierce trans-
^rmée ensuite en fièvre continue (Lettre au Révérend Mr. Guslhart, du
27 aoùl).
Aroisirong, en sa qualité de médecin, parle du mal avec plus de détail.
* i^oor Thomson died last Saturday morning of a fever, which at first
'Ppeared to be an intermittent; but in a short time it degcueraled from
^/ever, which I hoped would do him a great pièce of service by scouring
'Habils, into the low, nervous, malignant one which soon proved fatal
*^ iïim, as it bas lo many. • (To Murdoch, London, August 30.)
'^^z elles.
^.I^onison avait reçu à Richmond, peu de temps avant sa mort, la
^^'le d'un autre fils de Texcellent homme. Le jeune étranger s'était pré-
^té sans d'abord se faire connaître. Quand le poète sut qui il avait
• ^^^nt lui, il le serra dans ses bras, et exprima sa reconnaissance pour
. . bienfaiteur et l'ami de ses jeunes années, avec une émotion qui lui
^^^it verser des larmes, et qui amenait naturellement sur ses lèvres ces
P ^^s écossais qu'il avait depuis si longtemps cessé d'entendre. (Shiels, dans
^'•^iR's Lives.)
>-^ 1 -■*-
' ■' 'm
170 JAMES THOMSON.
et à Patrick Murdoch. Son court billet à celui-ci se termine
par ces mots : « Ce dernier coup m*a presque anéanti * ï.
L'expression d'une aussi vive et aussi sincère douleur se
retrouve dans toutes les lettres qu'échangent en cette circon-
stance ces hommes qu'avait unis une commune aiîectioD
pour le poète, t Ce coup, dit Armstrong, nous laisse un vide
c affreux. La perte d'un ami si charmant change, au moins pour
«t un certain temps, quelques-unes des scènes les plus ravis-
ât santés de l'Angleterre, en une solitude désolée. Il se passera
« longtemps avant que je puisse revoir Richmond sans une poi-
t gnante douleur *. » — « Rien, écrit Murdoch à J. Forbes,
«t ne m'a jamais dans la vie frappé et affligé autant que cette
« nouvelle.... Mon premier souci, quand j'eus repris quelque
c sang-froid, fut la douleur et la désolation que ressentirait
« votre cœur aimant*. » Et quelques jours plus tard : « Hélas!
a que puis-jedire, moi qui ai besoin de consolations autant que
« personne? Nous avons perdu, mon cher Forbes, l'ami ancien,
a éprouvé, aimable, ouvert, notrebon Thomson,... le dépositaire
« le plus fidèle de nos pensées intimes, le conseiller toujours
1 H RichmoDd, in Surrey, Satarday S7 Auf?.
« My dear P. »
• Our dear friend Thomson died Ihis morning about four o'clock, aflef
a very short illncss.... 1 am hère to see the last duties fairly paid. 1 ^^
almosl sunk wilh Ihis last stroke.
• Yours aiïectionately, »
A. M. >
2. • This blow makes a hideous gap, and the loss of such an agreeable
friend turns some of the sweelesl scènes in England into a somethiniï
waste and desolate, at least for the tiine; it will be so for a Jong lii"*
wilh me, for 1 question whether I shall ever bc able to see Richmond
again wilhout sorrow and mortification. » (Armstrong à Murdoch.
London, 30 août.)
3. « Naiton, 2"* September.
« My dearest J. •
• You wiU hâve the most unwelcome news of the death of our dear
'riend. I received it only ihis morning, and must own that nolhing »«*
Hfe bas ever more shocked and aiïecled me; il makes such a gap, ^
the Dr. in bis letter to me calls it, in the circle of our. acquaiulance a»
nolhing can repair; yet we must bear this and everything else in hfe tilï
>^e ourselves are released. My first concern, dear F., after I was able 10
recolJect myself from Ihe shock, was the pain and misery it must give
yo""* affectionate heart, and which nolhing but lime can alieviatc.... •
(Murdoch to John Forbes.)
LA MORT. 171
nsé, toujours plein de sympathie*. » Andrew Millar venait
lire en Ecosse un agréable voyage quand il reçut la nou-
î. « ...Je ne puis plus agir ni penser, écrit-il, car, le
ar même de mon retour, on a enterré notre cher ami
lomson. A quel point cela a détruit toute ma joie, vous le
ntez mieux que personne, vous qui le connaissiez bien et
viez combien je l'aimais'. » Un mois plus tard, George Lyt-
)n s'exprimait ainsi sur le même sujet : « Il a plu à la Pro-
dence de m'affliger récemment d*un nouveau coup par la
ort soudaine de ce pauvre Mr. Thomson. C'était un des meil-
urs et des plus aimés parmi mes amis^ n Et Shenstone qui
connaissait que depuis peu de temps le poète défunt, se
« Ipswich, 3*^** Septembor, 1718.
• My dearest Forbes.
Uthotigh I wrote you but two posts ago, I cannot let pass any opportu-
of conversing with you, now 1 know you to be oppressed wilh Uie
est melancholy, and in need of ail the consolation your friends can
• But, alas! what can I say? who niyself as much stand in need of a
'orter. We bave lost, my dear Forbes, our old, tried, amiable, open,
hunest-hearted Thomson, whom we hâve never parted from but
illingly, and never met, but with fresh transport; whoui we found
thc same delightful companion, the most faithrul depository of our
>st thou^hts, and the same sensible sympatiiizing adviser.... »
u 10<i> Suptember, 1748. »
• Dear Sir,
thank God we ail arrived safe hère, after a most agreeablc journey.
ever since 1 bave never bcen able to act or think, for that very
inp our dear frlend Thomson was buried. How il dampt ail my joy,
who knew him well and how I loved him can best feel. 1 rcally was
ibie to Write you, and if thc enclosed had not come last night, I
tion if I should now. »
^Ir. Mitcheil spent the evening with me, we remembered you kindly
ill PurvivîDg friends. Poor Mr. Lyttelton is iu great grief, as indeed
n bis friends, and even those that did not know him; but 1 can add
ng to thc enclosed, and thereforc shall leave that melancholy subject
, but to him full of joy, on which account we ought to submit. >
(Andrew Millar to John Forbes.)
Jtcs ces lettres, Mitcheil à Miirdoch, Ârmstrong à Murdoch, Murdoch
illar à J. Forbes, ont été publiées en 1815 dans les CuUoden Papers.
• .... It bas plcased his providence to afnict me lately with a ncw
e in thc sudden dealh of poor Mr. Thomson, oue of the best and
beloved of my friends. He loved my Lucy too, and was loved by
I hope and trust in the Divine Goodness that they are now together
mnch happier state : that is my consolation, that is my support. •
ttelton à Doddridge, 30 septembre 1748.) Puillimoke's Memoirs^ vol. I.
I.
173 JAMES THOMSON.
déclarait aussi péniblement frappé que si leur affection Tun
pour Tautre eût été vieille de bien des années *.
Quelles plus belles funérailles auraient pu faire au mort ainsi
pleuré des pompes fastueuses? Ses restes furent portés, pai
une calme et mélancolique soirée de la fin d'août ', le long des
chemins ombragés qu'il avait si souvent parcourus, jusqu'au
sommet de la colline de Richmond. Quelques amis les sui-
vaient : Robertson, Quin, Mallet, sans doute aussi Mitchell et
Ârmstrong '. Le corps fut déposé dans le cimetière qui entoure
réglisc paroissiale, et d'où la vue embrassait alors un vaste et
riant panorama que le poète a un jour décrit avec enthou-
siasme *. L'antique église de Sainte-Marie-Madeleine ne se voit
plus aujourd'hui, comme la voyait Collins, du milieu de la
Tamise; trop de maisons se sont entassées autour d'elle. Et les
amirateurs de Thomson qui pénètrent dans le vieux cimetière
humide et triste, cherchent en vain, parmi les dalles moisies et
disjointes, la pierre funéraire du poète. Dans des travaux de
réparation et d'agrandissement de l'église, un mur a été cens
truit en partie au-dessus de sa tombe *. Mais l'auteur des « Sai
sons ]> n'a pas besoin, lui non plus, a du labeur d'un siècle &
pierres accumulées ». a II s'est bâti un monument », comrn
disait Milton, son maître, parlant du plus grand des poètes
c dans notre admiration ^ » qui ne finira pas, et aussi dans l's
fection de ses amis qui fut durable et pieusement active.
4. « Poor Mr. Thomson, Mr. Pitt tells me, is dead. He was to hâve be^
al Hagley this week, and Ihen I should probably bave seen him hcre.
it is I \vill erect an urn in Virgifs Grove to bis memory. I was really
much shocked lo hear of bis death as if I had known him and loved h.
a number of years. God knows I leun on a very few friends, and if llv
drop me, I become a wretch«d mi9antbrof)e. » (Lettre du 3 septembre 17ii
2. Le 20.
3. Le renseignement nous vient de Robertson (Parkb's Memoranda)^ ^
nomme Quin cl Mallet et a oublié le nom d'un quatrième ami présera
ces simples funérailles. A coup sûr Mitchell était là, et il est bien i^
bable que Âmstrong était aussi du pieux cortège.
4. S«wwîer, 1408-1445.
5. Le comte de Buchan dit que le poète fut enterré dans VéglUe,
dessous du point où furent ensuite établis les fonts baptismaux. 11 sein
qu'il ait dû être exactement renseigné; cependant les indications <
nous donnons nous ont été fournies directement par Mr. Procter, Tt'*
du révérend canon Procter, curé de Saint-Mary Magdalene.
6. • An Epilaph on the admirable Dramatic Poet, W. Shakespear. » i^^
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 173
II
Lyttelton et Mitchell s'occupèrent des soins de sa succession.
Le 25 octobre 1748, ils étaient déclarés administrateurs au nom
de Mary Craig '. La vente de la petite maison de Kew-Lane
et de tout ce qu'elle contenait eut lieu le lundi 15 mai 1749, et
rapporta quelques centaines de livres *. Ils se crurent surtout
1. • Extracted from the Régis try of the Prérogative Court of Ganter bury.
- Oclober 1748. James Thompson (bîc). On the twenty fifth day admôn
of ail and singular the good.s chattles and crédits of James Thompson
late of Richmond in the county of Surry t)atchelor deceased was granted
to Ihe Hon^* George Lyttleton (sic) Esq'* and Andrew Mitchell Esq^ the
Uwfuil attorneys of Mary Craig formerly Thompson (wife of William
Craig) the firal and lawfull sister and next of kin of the said deceased for
the use and benefît of the said Mary Craig now residing at Edinburgh
heJQg flrst sworn duly to administer.
Charles Dyneley, etc. Deputy Registers. »
2. La vente de la maison et du mobilier, le produit des représentations
Et de la publication de « Coriolan • laissèrent aux deux sœurs du poète après
Nement des dettes de la succession, une somme assez élevée. L'héri-
sse était fort utile à Tune d'elles. Mr. Craig, le mari de Mary, nt de mau-
^(ises affaires, et en vint à accepter l'humble situation de massier de la
'Orporation des marchands d'Edimbourg.
Le catalogue de la vente des biens et effets de Thomson existe encore
^oir }iotes and Queries, 17 mars 1835 et février 1862). Les Culloden
^opers en avaient donné d'intéressants extraits. Nous avons plus haut
*^i'lé de la bibliothèque et des gravures (voir p. 113). Le mobilier propre-
ment dit était fort simple; le tout en est estimé à une valeur de 66 livres,
' schellings. Parmi les objets énumérés figurent une épée à poignée d'ar-
^nt et une épée de deuil. La cave contenait un certain nombre de bou-
illes de bourgogne, de porto, de bock, de madère et de vin du Rhin,
^ Il bière d'Edimbourg et de Dunbar. 11 n'est pas fait mention de
^•ritneux.
«'obn Forbes acheta le « Shakespeare » de TheobaldJ'* Histoire » de Raleigh,
* Oceana • de Harrington, et d'autres ouvrages qui sont restés dans la
bliolhèque de Culloden House. Les gravures et les dessins furent acquis
i* Mr. Gray, un marchand de comestibles, dit Robertson, mais plus pro-
viennent le Mr. Gray qui devint recteur de Marischal Collège Aberdeen.
'ant à la maison, elle fut achetée par Mr. George Ross, un ami du
(ite, qui devint plus tard membre du Parlement. Elle appartint ensuite
^Ti. Boscawen, veuve de l'amiral, qui, fervente admiratrice de Thomson,
Q^orça de conserver son souvenir dans la maison où il avait vécu. Elle
tlaura, dans une partie retirée du jardin, le pavillon où Thomson avait
né à rêver ou à écrire. Elle en orna les murs de tablettes et d'inscrip*
ns appropriées; elle y dressa un buste du poète avec cette inscription :
Hère Thomson sung
The Seasons, and their change.
xis ce kiosque elle plaça la petite table sur laquelle le poète avait
174 JAMES THOMSON.
des devoirs envers la gloire de leur ami^ et firent le nécessaire
pour assurer la représentation de la tragédie qui depuis si
longtemps était prête pour la scène. Ils retirèrent la pièce
disait-on, écrit la plupart des vers de ses dernières années. La principale
des inscriptions était celle-ci :
« Within this pleasing retirement,
allured by the music of the nightingale
which warbled in soft unison,
to the melody of his souI,
in analTected checrrulness,
and génial, though simple élégance,
lived
James Thomson!
Sensibly alive to ail the beauUes of nature,
He painted Iheir images as they rose in review;
and poiired the whole profusion of them
into his inimitable
Seasoks !
Warmed with intense dévotion
to the Sovereign of the Universe,
its flame glowed through ail his compositions.
Animatcd with unbounded benevolence,
with the tenderest social sensibility,
he never gave one moments pain,
to an y of his fellow-crcatures;
save, only, by his death,
which happened at this place,
on the
27 '" day of August, 1748. •
L'année même où mourut Mrs. Doscawen, en 1805, un voyageur am^^^'
cain, visitait la maison de Kew Lane et le pavillon où avait écrit ThoiD?^*|''
(A Journal of Travels in Englandy Holland and ScoUand in the years iSO '>
t806, by Benjamin Sillimen, 2 vol., New- York, 1810. Compte rendu dan» '*
Quarterly Review, vol. XV, p. 558.) — Cbalmers avait reçu de la goo^*^'
nanle du poète quehiues objets qui lui avaient appartenu : une tabl^
déjeuner, des salières d'un modèle suranné, etc. (VoirTAYLOR*s/?ecorrf*, c*f'*
clmp. XV.) 11 faisait boire son ami J. Taylor dans un verre où avait^ **
l'auteur (les « Saisons -; en foi de quoi Taylor lui adressait une petite pi^^
rimèe dont voici le tilre et la première strophe (il y en a quatre) :
« To George Chalmers Esq.^ the Possessor of a Table and Wine-
Glasses which ôelonged to Thomson the Poet
Friend Chalmers, 'tis a noble treat
At Thomson's hallowed board to meet,
The bard of nalure's sphère,
The bard whom, long as âges roU,
And nature animâtes the whole,
Taste, virtue will révère. ■
Une chaise fat aussi conservée et figura, nous le verrons plus loin, ààns
DÉVOUEMENT ET AFFECTIOiN DES AMIS. 175
que les directeurs de Drury-Lane mettaient tant de mauvais
vouloir à faire paraître, et, le 13 janvier 1749, « Coriolan »
était joué à Covent-Garden. Quin remplissait, comme l'avait
désiré l'auteur, le rôle principal. Il vint, vêtu de noir, selon
Tantique usage, dire le « Prologue » qu avait écrit Lyttelton '.
une cérémonie tenue à Ednam, quarante ans après la mort du poète
(voir p. !89).
Après Mrs. Boscawen, lord Falmouth devint propriétaire du petit
domaine, mais il le vendit presque aussitôt au comte de Shaftesbury.
La maison existe encore aujourd'hui, mais elle a subi entre les mains
de ses propriétaires successifs une transformation qui rappelle celle que
Lyttelton voulait imposer aux poèmes de son ami. Les murs extérieurs
n'en ont pas été démolis, mais ils ont été considérablement surélevés, et
englobés dans une construction beaucoup plus vaste; le toit ayant, bien
entendu, disparu. Quand Howitt visita le lieu, ce qui avait été la maison
du poète formait le grand vestibule de la demeure de Lord Shaftesbury
(Howitt's Homes and Haunts, p. 218-228). Le côté gauche de ce vestibule
correspondait à l'emplacement de la pièce où Thomson se tenait le plus
souvent. On y voyait encore la table d'acajou qui lui avait appartenu, et
sifr laquelle Mrs. Boscawcn avait fait incruster une banderole de bois
blanc portant en lettres noires cette inscription : « On this table James
Thomson constantly wrote. It was therefore purchased of bis servant,
who aiso gave the brass hooks, on which bis bat and cane v^ere hung in
this silting room. F. B. •
Le sixième puis le septième comtes de Shaftesbury et, après celui-ci, la
comtesse douairière occupèrent la maison. Cette dernière y mourut, à
l'ige de 93 ans, vers la fin de l'année 1866. La propriété est aujourd'hui
devenue « the Royal Richmond Hospital ». Lu kiosque a disparu; on a
conservé seulement quelques carreaux émaillés.
i'Nous en citons les vers qui peuvent concourir à fixer les traits du
caractère de Thomson :
c 1 come not hère your candour to implore
For scènes, whose author is, alas! no more.
No party bis benevolence confin'd.
No sect — alike it flow*d to ail mankind.
He lov'd his friends (forgive this gushing tear :
Alas! I feel I am no actor hère)
He lov'd his friends with such a warmth of heart,
So clear of interest, so dcvoid of art,
Such gênerons friendship, such unshaken zeal,
No words can speak it ; but our tears may tell.
0 candid truth, o faith without a stain,
0 manners gently firm, and nobly plein,
0 sympathizing love of olhers' bliss,
Where will you find another breast lilvC his?
Such was the man, the poet well you know :
For his chaste Muse employ'd her heaven-taughtljre
None but the noblest passions to inspire,
Not one immoral, one corrupted thought,
One Une, which dying he could wish to blot.
176 JAMES THOMSON.
Les vers étaient beaux, parce que la douleur qu'ils exp
maient était sincère. L'acteur les prononça avec tant d'émoti
qu'il dut s'interrompre quelques moments, suffoqué par
véritables larmes.
Shiels, le futur biographe ', publiait dès avant cette rep
sentation une ode à la mémoire du maître qui venait de dis]
raître *. Un autre et plus célèbre poète, Gollins, disait à s
tour en 1749 la douleur de ceux qui avaient aimé Thomsc
Pour lui, comme pour Lyttelton, la profondeur de l'émoti
fournit une inspiration heureuse, et son c Ode élégiaque s
la Mort de Mr. Thomson ib est restée un de ses purs che:
d'oeuvre '. Il était venu s'établir à Richmond pour s'y trou\
1. C'était un ouvrier typoj^raphe qui, sans éducation première, s'est éU
au niveau de bon nombre d'écrivains et de poètes de son temps. II av
conçu pour Thomson une admiration enthousiaste, et s'elTorçait d'imi
son style. De même qu'il fut le premier à lui adresser an poétique adi
il a été aussi son premier biographe.
2. Musidorus : a Poem sacred to the Memory of Mr. James Thomson.
«I Dignum laude virum
Musa vetat mori. >
(Hor.)
« London : Printed for Griiïiths, at the Dunciad in Ladgate Street (prie
one shilling). »
La date est indiquée par cette note au bas de la page 45 : • Coriolan
a Tragcdy written by Mr. Thomson, which is expected to be acted tl
season. »
Le poème débute ainsi :
« From lighter Slrains, to sîng the Tragic Thème,
Awake, my Muse! while Nature lends her aid,
Inspires my bosom, animâtes Ihe lay,
And calls forth fancy from her airy seat
To wing the sacred flighl.... »
Puis l'auteur passe en revue Ief« diverses œuvres de Thomson, et en vi4
à décrire le caractère du poète défunt (p. 16) :
- Never did Envy slain bis noble breast;
. . . Ile never knew
The idle pomp of life, nor meanly grasp'd
At pa«cant greatness; nor with eager eye,
Pursu'd the glare of wealth
Le portrait se poursuit ainsi, très consciencieux et très complet, d'^
bliant pas de mentionner que Thomson était, à uhe table.d'amis, un ti
joyeux convive.
3. Qui ne connaît ces strophes d'une harmonieuse mélancolie? Le tbëc
principal sur lequel se déroulent les variations de ce flûtiste exquis (}■
fut Gollins, c'est l'union et comme la solidarité du poète pleuré avec
nature au milieu de laquelle il vécut, qu'il chanta et où il dort l'étero
DÉVOUBMENT ET AFFECTION DES AMIS. 177
dans lé voisinage de Thomson ; il quitta cette résidence après
la mort de son ami. Elle lui était devenue, disait-il, odieuse.
Murdoch s'est plaint que les confrères du grand poète aient
négligé, à la seule exception de Collins, de lui faire de poéti-
ques adieux. Il oublie le Musidorus de Shiels et l'hommage
rendu par plus d'un autre écrivain. Mendez, un des amis du
cercle de Thomson à Richmond, est sans doute l'auteur d'une
poétique épitaphequ'a publiée Johnson *. Shenstone consacrait
plusieurs strophes à l'auteur des c Saisons » dans deux pièces
de vers dont l'une au moins est de Tannée 1748 '. Et pendant
ummeil. Aucun trait ne s'y rapporte au caractère de Thomme. Mais
ThomsoD n'aurait pu souhaiter un autre chaut funèbre que cette petite
pièce où, par une inspiration du cœur autant que du génie, Collins a uni
dans l'expression de sa douleur tout ce qu'avait chéri le poète disparu et
tout ce qu'il a chanté : les amis auxquels il donnait sans compter le meil-
lear de sa vie, la nature dont il est resté le chantre suprême et comme le
poète-lauréat, et même ces créatures auxquelles ont foi l'imagination
populaire et celle des poètes, ces génies et ces fées à qui l'auteur du
'Cbâleau d'Indolence • avait Tun des premiers rendu leur place dans la
littérature de son pays.
1. • Epitaph on Mr. Thomson.
• Otbers to marble may their glory owe,
And boast those honours Sculpture can bestow;
Short-liv'd renown! that every moment must
Siuk with its emblem, and consume to dust!
But Thomson needs no artist to engrave,
From dumb oblivion no device to save;
Such Yulgar aids let names inferior ask;
Nature for him assumes herself the task ;
The Seasona are bis monuments of famé,
With them to flourish, as from them it came. >
(Jobusor's LiveXy etc., Thomson*s Works; vol. lv, p. 185.)
^* Nous avons cité déjà (voir p. 161, n. 1.) une strophe consacrée à Thomson
dans 1\ Ode Pastorale • adressée à l'honorable sir Richard Lvttelton. Dans
I ^ Vers adressés vers la fln de l'année 1748 à William Lyttelton esq.
^ treize dernières strophes sont consacrées au souvenir du poète des
* Saisons »; la première étant :
« Though Thomson, sweet descriptive bard!
Inspiring Autumn sung;
Yet how should we the months regard,
. That stopp'd bis flowing tongue? >
^^ ** dernière :
• But no kind suns will bid me share,
Once more, bis social hour;
Ah Spring! thou never canst repair
This loss to Damon's bower. •
p ^ous apprenons de ces vers que les relations d'amitié de Thomson avec
^rge Lyttelton s'étendaient au père et au frère de celui-ci.
^ peut s'étonner que Mallet, le compagnon et l'ami depuis trente ans
iO
178 JAMES THOMSON.
les années qui suivirent, nombreux ont été les hommages
rendus par les poètes à Thomson \ jusqu'au jour où sa gloire
le poète disert et facile, ne prenne point part à ce concert de poétiques
lamentations. Peut-être pouvons-nous, malgré le silence des biographes
sur ce point, rapporter au souvenir de Thomson certaine «Ode funéraire*
qui imite le rythme de Tode célèbre de Dryden, et dont quelques parties
conviendraient heureusement h Tauteur des « Saisons » ; témoin cette fin
de la dernière strophe :
« God is just.
And man most happy, when he dies !
Uis winter past,
Fair spring at last
Receives him on her flowery shore;
Where Pleasure's rose
Imraortal blows.
And sin and sorrow are no more. >
(JoHivso.Vs Poets, vol. 63, p. 150, i51.)
1. VoiiM quelques-uns au moins de ces hommages de la Muse anglaise.
En 1163 paraissait « Genius and Valour, a Scotch Pastoral », Becket, 1/6.
Un passage nous montre les quatre Saisons apparaissant à Thoaison et
rinvitant, comme les trois déesses du mont Ida, à décerner à l'une d'elles
la palme de la beauté. Nous nous bornerons à citer quelques vers :
« First Spring addresses the libéral boy.
Her naked charms, like Venus, to disclose,
Spring from her bosom threw the shadowing rose:
BarM the pure snow that feeds the lover's fire,
The breast that Ihrilis wilh exquisite désire;
ÂssumM the tender smile, the melting eye,
The brealh fuvonian, and the yielding sigh;
One beauteons hand a wilding's blossom grac'd,
And one cnfulded half her zoneless waist. »
(Voir sur cette pièce The Monthbj Review, vol. 28, p. 398.)
En 1713 est publiée • A poetical Epistle to Christopher Anstey Esq., on
ihe Englibh poets, chieHy those vvho hâve wrilten in Blank verse, in-4.
Wilkie. • On y lit sur Thomson :
• .... Next Thomson came,
Hc, curions bard, examin'd every drop
That glistens on the lliorn; each leaf survey'd
Which Autumn from the rustling fores t shakes,
And mark'd ils shape, and trac'd in the rude wind
Us eddying motion : Nature in his hand
A pencil, dip'd in her own colours, plac'd,
Wilh which the ever fuilhful copyist drew
Each feature in proportion just. Had Art
But soflen'd the hard Unes, and mellow'd down
The glaring tints, not Mincio's self would roll
A prouder stream than Caledonian Tweed. »
(Voir The Monthly Review, vol. 48, p. 147, 148.)
La même revue nous fournit un extrait des - Poems, by the Author of
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 179
a été proclamée par quelques-uns des plus grands. parmi les
The Sentimental Sailor » in-4, Dilly, publiés en 1774. Ce sont quarante vers
dont nous citons les premiers seulement :
• To usher in Ihe smiling years,
Naturels gentlc bard appearsl
Descriptive Thomsoo! on thy head
Every Muse sweel influence shed. »
(Monthly Review, vol. 51, p. 342.)
Datée de Kelso, septembre 1788, est la pièce suivante où se reflète clai-
rement rinfluence de TOde de CoUins :
Eden Streams :
To the Memory of Thomson.
By Dr. Trottkr.
Te youlhs that haunt the Tiviot's side,
Or sport along the silver Tweed,
What vales delight, what fates divide,
What charms awake my Jamie's reed!
' To Eltrick braes perhaps he*s fled,
'Midst foresl flowers bis laurel beams;
Or haply stretch'd by sylvan Jed,
He pipes no more by Eden*s streams.
To Leader haughs 1*11 gladly stray,
If chance he roves through Cowdenknows,
Though sweet their broom, and haughs so gay,
ril lead him back where Kden flows.
Or like the maid on Yarrow's si<Ie,
ru seek my love in frantic druams;
Her*s was the Yarrow's early pride.
And mine the boast of Eden*s streams.
Then mourn, thou dear deserled flood,
Go murmur to thy banks along,
And sigh, soft Echo of the wood,
For thou no more shalt hear his song.
Those sweets are fled that loiter'd hère,
The seasons's face in sorrow seems;
Those notes he warbled smoolh and clear
Are heard no more on Eden*s streams.
Yct soft in thèse neglected shades,
That nurs*d the Poet of the year,
Shall Fancy, Icd by sylvan maids,
And meek-eyed memory, shed the tear;
While glides that wave wilh willows crown'd,
Beueath pale Cynthia's evening bcams,
Gay youth and geuii, hoverint? round,
Shall deck his lover on Eden's streams. •
Nous avons tronvé cette pièce dans un recueil de Thomsoniana formé
par un érudit d'Edimbourg, Mr. James Maidment; aucune indication ne
180 JAMES THOMSON.
maîtres de Tâge nouveau, par Wordsworth et par Bums *.
Pendant que se jouait « Coriolan d qui atteignit le chiffre de
nous fait savoir de quel journal ou de quelle revue le morceau est extrait
Dans les Poèmes de Langhorne, les Fables of Flora dédiés & la comtesse
de Hcrlford contiennent une pièce où figure le poète des « Saisons». Cest
la dixième fable, «The Wilding and the Broom >.
L*auteur y évoque Hamiltoo (of Bungour) et ThomsoD.
u And oh! that he whose gentle breast
In nature's softest mould was made,
Who left lier smiling work imprest
In characters that caoDot fade;
That he might leave his lowly shrine,
Though softer there the Seasuns fall —
They corne, the sons of verse divine,
They corne to fancy^s magie call. >.
Et ce sont en eiïet Thomson et Ilamilton qui célèbrent et qui comP^
rcnt les mérites du sauvageon couvert de fruits, et du brillant mais inu^'*7
genêt, dans un langage qui se propose d'imiter celui des deux poètes. (Von
Johnso.n's Poets, Laughorne, vol. LXXI, p. 347.)
L'abbaye de Dryburgh, que Thomson enfant avait bien connue, était'
résidence des comtes de Buchan, et, vers la fin du xviue siècle, avait, so^^
le goût du temps, son temple des Muses. Une inscription en vers y »*
consacrée à Thomson le 10 novembre 1191, et plus tard imprimée ^*-
frais de Buchan, le biographe de notre poète. L'auteur était le Rév. J(>^
Richmond, ministre de cette paroisse de Southdean où s^élait écoulée T*^
fance du poète. Nous n'en donnerons qu'un bref échantillon :
« 0 pensive Autumn! how 1 grieve
Thy sorrowinp face to see!
\ViiL>n ian^iiid suns are laking leave
or every droopiug tree. ■
l. Nous ne rappellerons pas les vers où Burns revendique fièremeut pc7
rÉcosse la gloire d'avoir donné naissance & Thomson. Ils sont plus faci ^
a trouver que ceux des poètes ignorés que nous venons de citer. Ils fur*^
composés pour une de ces commémorations annuelles de la naissance *
poète dont nous parlerons, et qui furent l'occasion de véritables voIudus
de vers à la mémoire de Tauteur des « Saisons ».
L'hommage rendu par Wordsworth se trouve surtout dans l'influer"»
indéniable, mal^Té tant d'oppositions, du vieux poète sur son grand s *-
cesseur. Wordsworth a rarement fait mention expresse de Thomson,
une fois au moins, ce fut pour l'attaquer violemment. L'injustice et P ^
reur du critique peuvent être pardonnes au poète qui a, dans quelii ^
vers toucliauts, réuni le souvenir de Collins et celui de Thomson; et ci <
dans une fantaisie très heureuse, imitant exactement la manière et.
style de l'auteur du • Château >, a, comme lui, enchâssé dans quel<|Li<
strophes spcusérieunes le portrait de deux de ses amis. — Voir • Poe ni
written in youlh : Rcmcmbrance of Collin^j composée upon the Thamei
near Richmond » ; cl ■ Poems founded on the AlTections : Stanzas vcrt/i^
on my pocket'Copy of Thomson' s Castle of Indolence •.
Nous no songeons pas à relever tout ce qu'on pourrait trouver d^a/iu-
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 181
if représentations, Millar publiait le texte de la tragédie, et
lonçait en même temps une édition dss œuvres complètes
maître en trois volumes *. Lyttelton de son côté poussait
\ loin son zèle d'ami soucieux de la bonne renommée du
te. Thomson lui avait, parait-il, confié la mission de revoir
ore ce texte des c Saisons i> qu'il avait lui-même si souvent
i laborieusement remanié. L'exécuteur testamentaire publia
s à Thomson dans la poésie de notre siècle. Nous nous bornerons -è
r deax morceaux.
Maidment a trouvé dans une publication dont il ne nous donne pas
itre, et à la date de janvier 1819, ces quelques vers : On a French
-pièce, ornamented with Thompson^s Bu^t and Lyre,
• To teach old Time an equal pace
Should be the artistes care;
But every Season speeds his race,
If Thompson*s lyre is there.
Fond workman ! — humbler minstrelsy
Might regulale thy chime —
The Bard of immortality
Need take no note of Time. »
ans le parc de Bichmond, sur le sommet d^me colline qui domine le
rs de la Tamise, un êcriteau est lixé sur un arbre, et l'on y lit ces
• TO THB MEMORY OF THOMSON
• Ye who from London's smoke and turmoil fly
To seek a purer air and brighter sky,
Think of thc bard who dwelt in yonder dell,
Who sang so swcetly what he loved so well ;
Think, as ye gaze on thèse luxurious bowers,
Hère Thomson loved Ihe sunshine and the flowers :
He who couid paint, in ail their varied forms,
Âpril's young bloom, December's dreary slorms.
By yon fairstream which calmly glides along,
Pure as his life and lovely as his song,
There oft he roved. In yonder churchyard lies
AU of the deathless bard that ever dies;
For hère his gentle spirit lingers still.
In yon sweet vale, on Ihis enchanled hill,
Flinging a holier interest o'er the grove,
Stirring the heart to poetry and love,
Bidding us prizo the favourile scènes he trod,
And View in Naturels beauties Naturels God. •
»us ne savons ni qui écrivit les vers ni qui les a placés là. Un corres-
lant les communiquait, le 15 août 1864, au Ladies* Own Journal, et
andait s'ils avaient été écrits par le • présent Poète-Lauréat ». A coup
ils n'en ont guère l'apparence.
Édil. in-8 de 1749. Une édition irlandaise, de format in-12, paraissait
lème année.
182 JAMES THOMSON.
en 4750 une édition * des œuvres où plusieurs corrections de
détail étaient apportées au texte de Tauteur. Mais il prenait
plus au sérieux sa mission. Il prépara plus tard une édi-
tion d'où le poème serait sorti à peu près méconnais-
sable. L' <t Hymne ^ devait disparaître, et quelques-uns des
vers de cette magnifique prière, non pas tous, auraient trouvé
place en différentes parties de l'ouvrage. Tout ce qui, dans
la philosophie du poète, pouvait paraître suspect à Texi-
geante orthodoxie de l'éditeur était modifié ou supprimé. Cer-
tains vers étaient transposés; tout ce qui semblait à Lyttelton
ou dur ou obscur, ou d'une correction grammaticale insuffi-
sante était consciencieusement rectifié sinon élagué. Les
changements de termes étaient extrêmement copieux. Heu-
reusement ce beau dessein ne se réalisa point, et Thomson
n'eut pas à souff'rir de cet étrange abus de confiance ■. L'oppo-
sition aussi sensée qu'énergique de Murdoch eut raison du zèle
intempestif de Lyttelton. Quant à celui-ci, il s'était donné
quelque satisfaction en faisant paraître une version de c La
1. Suivie d*une nouvelle édition en 1752 (puis d*une 3* en 1758). LyUelton
à Doddridge pour lui annoncer renvoi d'un exemplaire de cette édition :
« Ilill Stroct, March S2, 1750.
« By the Northampton coach of ncxt week, I shall send Mrs. Doddridge
a new, compleat and correct édition of Mr. Tliomson's works made under
my care, which 1 beg Ihe favoiir of lier to accept.... You will find thi?
édition much préférable to any of Ihe former, though not entirely free
from false prints. (îreat corrections hâve been niadc in the diction and
many redundancies hâve been cul o£f.... so that upou the wholc I am per-
suaded you will thinU Mr. Thomson a rauch belter poet, if you take the
trouble to read over his works in their présent form, than you ever
thought him before.... » (Phillimore's Memoirs of Lyttelton, vol. I, p. 322.)
— Voici quelles sont les principales modilications apportées an texte de
1746 par Tcdilion de Lyttelton : la dédicace, Tavant-propos et 87 Ters de
I'« Automne • sont supprimés. Ces vers sont rétablis avec des variations
comme un appendice au poème sous ce titre : • The Return from the
Fox-chascj a burlesque poem in the manner of Mr. Phillips • (vol. Il,
p. 239). On voit que Lyttelton ne goûtait pas le mélange du plaisant au
sévère. — Quant à la Liberté elle perdait 1400 vers! Deux strophes sont
supprimées dans le « Château d*lndoIence », Chant I, str. LV et LVL
2. La bibliothèque de Haf^iey conserve l'exemplaire iuterfolié sur lequel
Lyttelton avait exécuté son travail de remaniement.
La bibliothèque du Musée Britannique possède un exemplaire de Tédit.
de 1758 sur lequel des notes manuscrites reproduisent les corrections pré-
parées par Lyttelton. (Brit. Mus., 11632, c. 57.) On y lit cette indication :
• The copy now in the possession of the présent lord Lyttelton. It was
givcn to lord Spencer by Matthew Montagu Esq. who found it among
the books of Mrs. Montagu. •
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 183
Liberté » où, grâce à une manipulation énergique, le nombre
des chants était ramené de cinq à trois'. Le mal était moins
grave, et sans doute Murdoch eût consenti à sacrifier <k La
Liberté d s'il avait fallu payer ce prix pour sauver les <t Sai-
sons ' >.
Il ne rendit pas seulement à Thomson ce service d*empêcher
une mutilation de son œuvre. Lui-même publia en 1762, avec
Andrew Millar, une magnifîque édition des œuvres complètes,
en deux beaux volumes in-4, ornés de portraits du poète, de
nombreuses gravures illustrant les poèmes ou les œuvres dra-
matiques, et précédés d'une biographie. Le texte était celui de
'a petite édition de 1752 '. Murdoch avait, ici encore, opposé
UDe énergique résistance aux tentatives de Lyttelton pour
corriger l'œuvre du poète *. L'ouvrage était publié par sous-
^ i- L'édition ftit publiée par A. Millar. Dans une préface au lecteur,
Tèditear dit à propos de Liberty : « The author was sensible of ils being
^ long. It bas been therefore considorably shortened, by reducing the
fi^e parts into ihree. •
U première partie a pour titre Ancient and Modem Italy compared,
^1 contient 485 vers; la deuxième, Greece^ a 443 vers, et la troisième,
^nlain^ en a 985.
2; Lytlelton a rendu à son ami un hommage plus acceptable dans ses
'Dialogues des morts >, tout en continuant à faire ses réserves sur les défauts
^^ou l'a empêché d'élaguer. Dans le Dialogue in Elysium between Boileau
^ i*ope, nous lisons :
"Boileau. — Who is the poet that arrived soon after you in Elysium,
^bom 1 saw Spenser lead in and présent to Virgil, as the author of a
P^ni resembling the Georgics? On bis head was a garland of the several
uoweri that blow in each season, with cvergreens intermixed.
I^ope. — Tour description points out Thomson. He painted nature exactly
*°^ with great slrenglh of pencil. His imagination was rich, extensive
^^^ sublime : bis diction bold and glowing, but sometimes obscure and
^^cted. Nor did he always know when to stop or what to reject
^' Celle-ci reproduisait le texte de 1744, sans les uiodiûcations qu'y fit
'moteur pour l'édition de 1746. (Voir plus haut, p. 164, n. 4.)
, ^- Le Rév. John WooU a publié, dans sa biographie de Joseph Warton,
^ lettre où ce modèle des éditeurs oppose son refus formel de concours
^^ entreprises projetées par Lyttelton sur le poème de leur ami. Nous
^ extrayons les passages saillants :
From Dr. Murdoch to Mr. Millar (sans date).
« Dear sir,
^* With regard to the altérations proposed to be made in Mr. Thomson's
r^^sons, having now fully considered that matter, and seen how few and
'^Considérable his own last corrections were, 1 am confirmed in my fîrst
opinion — so much, that I shall retract most of my concessions, and even
^oïDe of the altérations which I thought I had made for the better. In a
^ord, I can bave no hand in any édition that is much difTerent from the
i84 JAMES THOMSON.
cription. Le roi figurait en tête de la liste pour une somme
de cent livres. Après lui venaient la Reine et la princesse
douairière de Galles, cette veuve de Frédéric, à qui Thomson
avait dédié une de ses tragédies. Parmi les noms qui suivent
ceux de la famille royale, se trouvent, mêlés aux amis survi-
vants du poète, plusieurs des représentants de l'aristocratie et
quelques-unes des célébrités des lettres. Ce sont par exemple •
le docteur Akenside, le docteur Armstrong, le comte de Bute,
Madame Bontems, James Boswell, le docteur Blair, James Craig,
sir David Dalrymple, J. Forbes of Culloden, David Garrick,
John Gray (deux exemplaires), le Dr. Gusthart, Andrew Mitchell,
envoyé extraordinaire en Prusse (deux exemplaires), le Très
Honorable Onslow, le duc de Queensbery (cinq exemplaires),
Quin, Mrs. W. Robertson, G. Lewis Scott, Mr. Jos. Spence.
Mr. Jos. Warton, Mr. Thomas Warton, John Wilkes Esq.
Le produit de cette belle publication ' était destiné à assure
small one of 1752.... It is pity indeed that Mr. T. aided by niy lord 1
did not correct and aller many things himself; but as Ihat went no furi^
er than a bare intentioD, it is too laie lo think of it now, and we c£
only say • ËmcDdaturus, si licuisset, oral ».... What if aftcr aU some
my Lord*s altérations should provc bad?... this would produce aseco^
edilion and then a tliird, which woiild end in a total contempt
Mr. Thomson's works, or in a restitution of thein from the copies pi^
lishcd by himself (and with so much délibération and care, tUut his printç
were lir'd to death, as you well remember.) — Spring (I. 65) ended vw'i
« greatly independent liv*d. • He, in some intemperate Ot of zeal turn'd it if
■ scorn'd
AH the vile stores corruption can beslow. »
in the stile of a party-pamphlelcer.... I bave Iherefore altered it trd
the subscription édition.
« .... As to the Ilymn, if a word or two are allcr'd it needs give his Lo'
ship no pain, if it is compar'd wilh that of Mil ton. There are not in it ^
two lines so bad, for the numbers and sensé, as
a Moou that now meets (sic) the orient Sun, now fly'st
Wilh the flxt Stars, fixtin their orb that flyes. •
and the theolop:y of it, allowance made for poelic expression, is orthodo
.... As to Mr. Th.*s diction, of which my Lord's acquaintances so mu<
complain, I would recommend to thèse gentlemen to read Milton wil
care, and the greatest part of that objection would vanish.... Certain il i
that Mr. Thomson\s languagc bas been well-received by the publicl
excepting Ihose my Lord spcaks of, who are more disposed to find blem
ishes than capable of feeling beauties.... His numbers and manners bav
been adopted by good authurs, and, since he began lo write, our poetr
is become more nervous and rich {Bioffraphical memoir of the late Rei
Joseph Warton, p. 252, lettre XXXL)
1. Une nouvelle édition en fut publiée en 1768 par les mêmes édi
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 183
au poète, quatorze ans après sa mort, un monument digne de
lui et digne de l'Angleterre. Un cénotaphe lui fut élevé dans
l'Abbaye de Westminster; et, si l'œuvre d'art est à peine
médiocre, l'honneur est grand pour Thomson de figurer, à
côté de Shakespeare, dans le « Coin des Poètes * ».
Rien dans l'église de Richmoud ne disait quel mort illustre
elle abritait quand, en 1792, le comte de Buchan fit placer
une plaque de cuivre contre le mur nord-ouest de St. Mary
Magdalene, au-dessus du point où se trouvaient les restes
du poète. On y peut lire encore l'inscription qui y fut alors
gravée.
teurs. Le format de cette dernière est in-8. Murdoch y corrige quelques
erreurs de la biographie de 1762.
Eotre la mort du poète et la publication de ses œuvres complètes en
i168 nous avons la série suivante des éditions de ses œuvres, qui nous
niODtre combien le génie de Thomson prend possession de la faveur
publique :
i749. Œuvres complètes (Millar), 3 vol. in-8.
1750. CEuvres complètes (Millar), 4 vol. in-12.
nso. Œuvres complètes (Millar), in-8 (Brit. Mus., 11631 c).
1752. Œuvres complètes (Millar), 4 vol. in-12 (Lowndes parle d'une édi-
tion in-18 de la même année).
1758. Saisons (London), in-8 (Brit. Mus., 11631. b. 43).
1158. Saisons (Dublin), in-16 (Brit. Mus., 11632. a. 36).
n60(?). Saisons (Dublin), in-12 (Brit. Mus., Ii65. 6. 40).
n61. Saisons (Dublin), in-8 (Brit. Mus., 11G32. a, 37)..
1762. Œuvres complètes, in-4.
1166. Saisons, in-12 (Brit. Mus., 11633. aaa. 45).
1768. Œuvres complètes, in-12 (Brit. Mus., 11632. 6. 50).
^ Tannée suivante, nouvelle édition des « Saisons • publiée à Glasgow
^69, iD.12 (Brit. Mus., 238. a. 39), avec la biographie de l'auteur et l'Ode de
Collins; et, en 1770, l'édition avec biographie, illustrations et notes de
Wright, London, in-8 (Brit. Mus., 991. a. 35).
1' Le monument est placé entre celui de Shakespeare et celui de Rowe.
Jl^ été composé par Rob. Adam et exécuté par H. Spang, et leur fait peu
^'honneur. La composition est prétentieuse, l'exécution lourde et mat-
'^^ile. Thomson, en costume antique, est assis, le bras gauche appuyé sur
^° piédestal; il tient de la main droite un livre et le bonnet phrygien.
^J"" le piédestal un bas-relief représente les saisons, et un amorino montre
^uoe main le bas-relief en même temps que de l'autre il offre une palme
^^ poète. Sur le piédestal cette inscription :
James Tiiomsor.
iEtatis 48. Obiit 27 August 1748.
^^ cei fers extraits de 1' « Été » :
• Tutor'd by thee, sweet poetry cxalts
Her voice to âges; and informs the page
With music, image, sentiment and thought,
Never to die ! •
186 JAMES THOMSON.
In the earth, below this tablet,
arc the rem ai n s of
James Thomson
Author of the beau ti fui Poems entituled
« The Seasons >, the < Gastle of Indolence > etc.
who died al Richmond
on the 27 th of August
and was buricd
on the 29 Ih 0. S. 1748.
The Earl of Buchan,
unwilling that
so good a Man, and sweet a Poet
should bc without a mémorial,
has denoted the place of his interment,
for the satisfaction of his Admirers,
in the year of our Lord
M. DCC. XGII.
Si ces admirateurs étaient alors nombreux les ami
avaient connu le poète étaient devenus bien rares. I
sœurs, Jean était morte en 1781 \ et Mary en 1790 •
1. « At Lanark, Mrs. Thomson, wife of Mr. Robert Thomson, and s
Mr. James Thomson, author of the Seasons », etc. Cette coupure de j
recueillie par Mr. Maidment ne donne pas la date de ce décès qu
trouvons dans la biographie de sir Harri» Nicolas : le 3 septembr
C'est cette Jean Thomson que Boswell vit en 1777 et qui lui c
niqua des renseignements sur sou frère. Boswell plaça comme
chez son mari, à Lanark, deux de ses neveux. Elle avait eu un fils 1
qui étudia la médecine à Edimbourg et mourut jeune, et deux HIU
l'une, Elisabeth, était née avant la mort de Thomson, et Tautre, l
épousa Mr. Thomas Prentice de Jerviswood.
2. - Death. At Edinburgh, Mrs. Mary Thomson, widow of Mr. \
Craig, mcrchant in Ediuburgh, and sister of the author of the S*
She was interred in the Grey Friars Churchyard, on the 22'" (bci
birth-day of lier brother) beaide the remains of the mother of Thon
{The Scots Magazine, MDCCXC, vol. III, p. 466. Edinburgh. Prin
Murray and Cochrane.)
La même annonce se trouve dans VEdhiburgh Courant qui fixe
en septembre. — L'indication des deux journaux est incomplète
la mort de Mr. Craig, Mary avait épousé un Mr. Mihie, meunier.
Le nis de Mary Thomson, James Craig, Tarchitecte qui fit le pla
nouvelle ville d'Edimbourg, mourut en 1795.
Enfin Elisabeth, la Lizzie des lettres de Thomson, morte eu 174'
eut deux fils : l'un, le docteur James Bell, ministre de Coldstream,prép
édition variorum des œuvres de son oncle, était en relations avec '.
en 1791, et lui donna ce renseignement que, an dire de Mrs. Thom*
Lanark, on avait trouvé dans les papiers laissés par le poète à sa i
canevas d'un beau poème. L'autre 11 Is, Thomas Bell, était négoc
mourut à la Jamaïque.
James Bell eut une fille qui vivait encore, il y a peu d'années. *
DÉVCHJEMENT ET AFFEGTIOM DES AMIS. 187
cousin cependant, Robert Thomson, celui qui, jardinier comme
son père, à Minto, avait connu Thomson enfant, vivait encore
au commencement de ce siècle, et mourut en janvier 1802 *.
Quant aux amis que le poète avait eus pendant quelque
temps pour compagnons dans le voyage de la vie, de tous
ceux qui s'étaient avancés plus loin que lui pas un seul ne res-
tait sur la route. Hill était mort en 1750, la duchesse de
Somerset en 1754, Gilbert West en 1756, Collins en 1759,
Dodington en 1761, Robert Symmer et Shenstone en 1763,
Young et Mallet en 1765, Millar, Riccaltoun et Gray en 1769,
John Forbes en 1772, Lyttelton en 1773, Murdoch en 1774.
George Lewis Scot pouvait se croire le dernier, quand, en 1777,
un critique, admirateur de Thomson, lui dédiait un «c Essay i»
sur les « Saisons ij, comme « au seul survivant de cette société
< dont le poète était Tun des membres les plus aimables ' j>.
Cependant, lorsqu'il mourut, en 1780, il laissait encore derrière
lui le docteur De La Cour que ses habitudes d'intempérance ne
condamnèrent pas à une fin prématurée, puisqu'il vécut
jusqu'en 1781, George Ross et enfin Robertson, deux des amis
qui avaient assisté aux derniers moments de Thomson, et qui
moururent, le premier en 1786, l'autre en 1791.
La disparition de ces derniers témoins de sa vie ne laissait
pas sans fidèles la mémoire du poète. Dans cette Ecosse qu'il
avait illustrée, et qui toujours a eu le culte de ses grands
hommes, une sorte de religion s'était établie en l'honneur de
Thomson, avec ses dévots, ses ministres et ses rites. En 1770,
wue société d'Edimbourg, « the Knights Companions of the
Cape », célébra solennellement la date anniversaire de la
naissance du poète. Le samedi 22 septembre, un Festival
^n 1876, on plaça dans la nouvelle église paroissiale de Soulhdean, un
vitrail en Thonneur de Thornson, le Rév. John Mair reçut la sous-
<^ription de Miss Bell, petite-nièce du poète, alors âgée de quatre-vingt-
<*eux ans.
1. tt Ai Broughton, at a very advanced âge, Robert Thomson, a cousin
ofour immortal Scottish Bard, the aulhor of the Seasons », etc.
(Date manuscrite de Mr. Maidment : January 1802); — pas d*indication de
provenance; il est probable que la coupure était fournie comme les pré-
cédentes par un numéro du Scots Magazine,
2. • Strictures Crilical and Sentimental on Thomson' s Seasons, etc., by
J. More. London MDCCLXXVII. » L'ouvrage est dédié à « George Lewis
Scot Esq., onc of His Majesty's Commissioners of Excise, as a friend of
the aulhor of the Seasons, and the sole Surviver of that... society of
vrhich our Aulhor was one of the most amiable members.... •
188 JAMES THOMSON.
musical réunissait les membres de la société. Une sorte
d'oratorio avait été écrit pour la circonstance et mis en
musique par Mr. Smeiton. Les récitatifs, les airs, les duos, les
chœurs se succèdent, rappelant les œuvres, le talent et la
gloire du a barde », avec ce refrain, que tous les adeplos
chantaient à l'unisson dans le chœur fînal :
Raise lo Thomson, raise the lay,
Ilail with joy his natal day!
Ilail thc happy, happy morn !
Whcn great Naturels Bard was bom *.
Le programme de la cérémonie était complété par une dis-
sertation de l'un des membres sur les poèmes de Thomson ,
et par l'exécution de tous les chants, qui se trouvent dans les
œuvres du poète, adaptés à une musique écossaise par
Mr. Smeiton.
Dix ans plus tard, les mêmes chevaliers se réunissent dans
leur hall. La salle était décorée de fleurs et d'une lyre qu'en-
touraient le laurier, la gerbe de blé et la faucille. La fête com-
prenait deux parties : dans la première on récita une invoca-
tion aux Muses et aux amis du génie, on lut un poème du Dr.
Langhorne, « la lutte des Saisons i», et les vers de Lyttelton
sur le mérite de Thomson comme auteur dramatique. Dans la
deuxième, on récita un passage des quatre Saisons, chacun
étant suivi d'un chant qui s'y rapportait; puis le lecteur rap-
pela le patriotisme de Thomson, et l'on chanta en chœur
Rule Britannia, Après quoi la compagnie « nombreuse et
choisie » soupa et but à la mémoire de Thomson et de ses
amis.
En 1790, la même pieuse célébration réunit les chevaliers.
Le cérémonial suivi esta peu près le même. Mr. Woods récite
un poème de sa composition '. Un des compagnons, avant
1. Toute cette cnthousiasle poésie nous est conservée sous la forme
d'une brochure de 14 pages : • A musical entertainment performed by
a Society of Gentlemen in Ëdinburgh, upoo the anniversary of the
Birth-Day of James Thomson, author of the Seasons, etc. Septembre 22,
M, DOC, LXX. » (14 pages sans nom d'auleur, d'éditeur, ni de lieu de publi-
cation.)
2. « Occasional poem on the Birth-Day of Thomson, Celebrated at Cape-
Hall, on Wednesday sept. 22 "' 1790. Written and recited by Mr. Woods. •
(3 pages petit in-8.) ^ La pièce est aussi publiée par le Scolt MagazinCy
vol. 52, p. 504, oct. 1790.
I
DÉVOUEMENT ET AFFECTION DES AMIS. 189
d'arriver à la réunion, avait assisté à Tenterrement de Mary,
la dernière sœur de Thomson.
Indépendamment de cette célébration décennale à Edim-
bourg, tous les ans l'anniversaire du 22 septembre réunissait
au village d'Ednam les admirateurs du poète. La cérémonie
eut en 1791 un éclat particulier. Elle fut présidée par lord
Buchan. L'excentrique grand seigneur prononça un pompeux
éloge de Thomson, puis il couronna de laurier le buste de
l'écrivain et un exemplaire de l'édition princeps des « Saisons » * .
C'est à l'occasion de cette solennité que Burns avait écrit, sur
la demande de Buchan, son adresse aux mânes m du barde
d'Ednam » *. — Mr. Gilbert Eliot avait obligeamment prêté,
pour servir de siège au président, la chaise sur laquelle le
poète avait travaillé à 1' « Hiver » '. — En 1796, la solennité
eut encore un éclat exceptionnel. Lord Buchan choisit cette date
\. Le discours figure dans V « Essay » publié Tannée suivante par le comte
sur la vie de Thomson. On peut le lire aussi dans les Illustrations de
Mchols, vol. VI, p. 404, dans le GentUman^s Magazine, vol. LXI, p.p.
1019-1083, et dans une note supplémentaire du Ttiomson, de R. Brll. —
•A couple of casts from Thomson*s statue, in Westminster Abbey, bave
been sent to the Earl of Buchan by Mr. Coutts, who generously olTured
tbe mould also, that they might be uniques; but lord Buchan chose
rather that casts should be multiplied for Ihe gratification of ihe laste and
patriotism of the public. » (Edinburgh Journal de la fin de sept. 1790.)
— On voit que Robert Bell & tort de relever ce qu'il appelle une erreur de
sir Barris Nicholas, et de déclarer que Buchan couronna non pas un buste
mais un exemplaire des œuvres. La vérilé est que le lyrisme du comte
s'exerça tout à la fois devant le moulage envoyé par M. Coutts et devant
un exemplaire de Tédition de 1730. Cet exemplaire se trouve encore
aujourd'hui à la Bibliothèque de Tuniversité d'Ediml>ourg. Il porte à la
première page cette inscription de la main du comte : « This copy of the
Seasons was given to Henry David, Earl of Buchan, by Andrew Millar, as
from Ihe author, and was covered with Ivy by David Stewarl, Earl of
Buchan, on Ednam Hilj, september 22 "' 1791 ».
2. La lettre où le poète envoie ses quelques strophes à Buchan et
regrette de ne pouvoir, retenu qu'il est par la moisson, assister au cou-
ronnement du buste, est de 1791. Il est singulier que les Chamburs la
reproduisent avec la date (september) 1790.
3. Ce fauteuil est encore conservé au musée de Kelso. C'est un siège
canné de solide construction. Une plaque de cuivre y a été fixée, disant
que ce fut le fauteuil de Thomson, et quMl a été donné au musée par la
famille de W. Ker Esq. Avant Ker, Ar William Bennct (of Grubbat)
paraît avoir été le possesseur de celte relique.
L'authenticité de son origine a été mise en doute, mais non pas con-
trouvée. On a même remarqué sur l'un des pieds les traces d'un commen-
cement de combustion, et l'on s'est rappelé qu'une tradition rapportait
que Thonison avait un jour failli être brûlé vif pour s'être endormi sur
un siège placé trop près du foyer.
190 JAMES THOMSON.
pour consacrer à la mémoire de Robert Burns une urne
marbre qui fut placée dans le c Chapter-House » de Drybur^
auprès du buste de Thomson.
La date du centenaire fut pour les chevaliers compagne
de la c[ Cape » l'occasion d'une fête plus pompeuse encc
que les précédentes. Dans la grande salle d'un hôtel d'Edii
bourg, richement ornée de Heurs, de lauriers, de gerbes et
faucilles, une très nombreuse assistance s'assit à la table <
banquet ^ A l'une des extrémités avait été placé le portn
original de Thomson, en face du président du club (c theSo^
reign n) qui portait sur la poitrine, retenue autour du o
par un ruban, une miniature du poète ^ Un « temple »
feuillages avait été dressé dans la salle, et, au milieu, un bus
de Thomson était entouré de nombreuses lumières. Après
repas, lecture et chants de fragments variés des œuvres <
maître. Mr. Woods, Tinfatigable ordonnateur de la fête en 18
comme en 1790 et en 1780,*avait ajouté une pièce nouvelk
celles que le même anniversaire lui avait inspirées '.
La société des Chevaliers annonçait alors son intention
célébrer également en 1810 la date du 22 septembre. Il n'(
guère douteux que cette intention ait été réalisée. L'anniv(
saire de la naissance de Thomson se trouvait coïncider av
celui de la victoire remportée par Wallace à Stirling-brid^
La gloire du grand patriote et celle du grand poète fure
associées dans les fêtes célébrées en 1714. Le comte de Buch
inaugura la statue colossale de Wallace, dont le piédestal po
tait ce simple vers de 1' a Automne » : a Great Patriot Her
Ill-requited Chief! » Aussitôt après, il se rendit à Ednam po
assister au dîner annuel en l'honneur du poète. Après ave
1. Quatre-vingts personnes, disent les journaux locaux.
2. Ce portrait, san? doute une copie de celui de Slau^liter, fut,
22 sept. 1818, donn<^ par lord Buchao au club d*Ednam. Il est anjourd'h
la propriété du Hcv. John Burlei^h, ministre d'hldnam, qui a bi
voulu nous en communiquer la description : « The picture is oval; t
poet is wearin^ a red cap; haa dark eyebrows; do hair seen; fa
shavcn; hrown coat ».
3. L* Edinhurgh Evening Courant et le Cnledonian Mercury do
ncnt d'abondants détails sur cette fùte. — L'élucubratlon poétique *
Mr. Woods fut im|>rimée : « Verses inlrodunlory to Ihe Récitation of pa
Mages front the Seasons,,. at the commémoration of Thomsotï's Birth D.\
held on Mondaf/y sept. 22. 1800 » (Kdinburgh. Printed by Geo. Reid ar
Go. Opposite Magdaleno Chapel, Cow^ate), petit in-S de 3 pages. .
APRÈS LA MORT. 191
bu «le toast du jour i», on écouta une ode écrite pour la cir-
constance par George Noble de Jedburgh ; et le trésorier du
comité formé pour Térection d'un monument commémoratif
de la naissance de Thomson fit son rapport ^ Ce ne fut pas
cependant avant le 24 novembre 1819 que la première pierre
fut posée. Le plan du monument avait été dressé par Mr. Wil-
liam Elliot de Kelso. Il devait consister en un obélisque de cin-
quante pieds de hauteur. Toutes les loges maçonniques des
environs s'étaient réunies, et marchèrent de Kelso à Ednam en
uo cortège précédé d'une fanfare '.
III
Cet enthousiasme, qui n'allait pas sans quelque exubérance
un peu puérile, s'est aujourd'hui calmé. La commémoration
annuelle du 22 septembre cessa après cette année 1819. Sans
doute i'Ëcosse est toujours fière du poète né à Ëdnam ; sans
doute aussi son œuvre continue à faire partie de ce petit
nombre de livres qui ont le privilège de charmer les lecteurs
de tout âge et de toutes conditions. On pourrait encore aujour-
d'hui comme au temps de Coleridge trouver, dans la chaumière
d'un paysan écossais, à côté de la vieille bible, un exemplaire
^tigué et maintes fois corné des a Saisons ^ ». Mais il est pro-
i- II y constate que, sur les 300 livres souscrites, 150 seulement ont été
l^ersées, bien que la souscription soit ouverte depuis plusieurs années; et
il ajoute qu'il a bien du mal à faire rentrer le reste. Voilà lexplicalion du
long retard apporté à l'érection du monument.
2. La première pierre fut posée par le Right Worshipful Masler, John
HuUierford, de la loge St Jean à Kelso. Nous savons que James Thomson
i^ait été reçu maçon dans une assemblée que présidait Richard Savage
Nr p. 123).
James Craig, l'architecte mort en 1795, avait eu auparavant le projet
<lelever un monument à la mémoire de son oncle. Il lui aurait donné la
forme d'un pilier; il s'était même adressé au poète Beattie pour lui
demander une inscription latine. Beattie repondit qu'il trouverait ridicule
de célébrer en latin la gloire d'un poète anglais.
L'obélisque, construit sur la colline d'Ëdnam. à peu près à mi-chemin
entre ce village et Kelso, fait plus d'honneur à la piété des admirateurs du
poète qu*au talent de l'architecte.
3. • Coleridge, on seeing a little shabby soiled copy of Thomson's
Seasons lying on the window-seat of an obscure counlry ale-housc,
ezclatmed : • That is true famé! » {Memoirs of Coleridge, by \V. Hazlitt,
Édit. 1867, I, p. 65.)
192 JAMES THOMSON.
bable que, de l'autre côté du livre saint, un tout petit volume
ferait pendant aux a Saisons », un recueil de vers moins
grandioses, moins épiques, mais plus variés et plus vibrants
de vie et de passion : les poésies de Robert Burns *. La popu-
larité de Thomson dans sa patrie a souffert de cette concur-
rence redoutable. Nous ne pouvons être surpris que les chants
du poète-paysan aillent plus droit au cœur des hommes du
peuple que les nobles périodes et les' calmes descriptions des
c Saisons i». Le poète national de l'Ecosse, celui dont le nom,
le souvenir, Timage et les œuvres sont à tout moment rappelés
au voyageur au nord de la Tweed, c'est Burns. -Il y a un peu
d'injustice et d'engouement dans cette préférence. On peut
supposer que, même au pays où se parle la langue dans
laquelle écrivait le « barde de l'Ayrshire », le jour viendra où
l'on se rappellera que Thomson, moins bouillant, moins ner-
veux, moins lyrique, moins passionné et moins divers, a
cependant un génie plus large et plus fécond. Il est peu d'œu-
vres qui aient eu sur la littérature de l'Angleterre une
influence plus puissante que les c Saisons » ; il n'en est pas
peut-être qui en ait eu à l'étranger uhe aussi grande.
Dès 1750 Voltaire rendait hommage au talent du poète qu'il
avait connu vingt ans auparavant ^, et ce sincère jugement
1. Burns lui-môme a du reste exprimé plus d'une fois son admiration
pour Thomson, en dehors delà pièce qu'il lui a consacrée (voir p. 189 etn. 2).
Il le cite parmi ses auteurs favoris dans une lettre à Mr. John Murdoch
(Lochlea, 15^» January, 1783), et aussi dans une phrase de son Commun-
place Book (August 1784). Il le nomme dans The Vision comme un
maître inimitable :
Thon canst not learn, nor can I show
To paint with Thomson's landscape glow.
L'addition à sa bibliothèque de jeune paysan des œuvres de Thomsou
en 1775, marque un des événements notables dans le développement de
son talent poétique. Les citations empruntées à notre poète sont fré-
quentes dans sa correspondance et dans ses œuvres. Voir par ex. The
Farewell, qui a pour épigraphe neuf vers d'Edward and Eleonora\ la pre-
mière lettre à Mrs. Dunlop, 1786 ; la lettre autobiographique au docteur
Moore ; le Commonplace Book à la date du 14 juin 1788; etc.
La poésie de Burns est toute pleine de ressouvenirs des « Saisons •. Un
très grand nombre en ont été relevés dans l'édition annotée de Thomson
de Mr. Logie Robertson.
2. Voltaire & Lyltelton (pour accuser réception d'un exemplaire de Tèdi-
APRÈS LA MORT. 193
fait oublier les opinions dédaigneuses émises à d'autres occa-
lion des œuvres de Thomsou, que lui euvoyait LyUelton), Paris, 17 mai 1750.
La lettre est donnée in extenso dans le Monoir de Phillimore, vol. I,
p. 323, et dans le Genlleman's Magazine, 1845, New Séries, vol. 24, p. 443.
Nous la reproduisons presque in extenso comme un document intéressant.
On y voit commeDt Voltaire écrivait en anglais vingt ans après son court
séjour dans ce pays :
« A Pari», 17«»» May, 1750. N. S.
• Sir, You was beneficent to Mr. Thomson, when he lived, and you is se to
me in favouring me with his works. I wasacquainted with the author when
1 stayed in England. I discovered in him a great gcnius, and a great sim-
plicity. I liked in him the poet and the true philosopher, I mean the lover
of maokind. I think that without a good stock of such a philosophy a
pœt is just above a fidler, who amuses our cars and canuot go to our
soal.
« I am notsurprised your nation has done more justice to Mr. Thomson's
Seasons than to his dramatic performances. There is one kind of poetry
ofwhich the judicious readers and the men of taste are the proper Judges;
there is another that dépends upon the vulgar, great or small; tragedy
and comedy are of thèse last species. They must be suited to the turn of
miod and to the ability of the multitude and proportioned to their taste :
your nation two hundred years since, is used to a wild scène, to a crowd
of tumultuous events, to an emphatical poetry mixed with low and
comical expressions, to murthers, to a lively représentation of hloody
deeds, toa kind of horrour which scems often barbarous and childish, ail
fruits which never sullied the Greek, the Roman or the French stage.
^o<)) give me leave to say, that the taâte of your politest countrymen
^iffers not much in point of tragedy from the taste of the mob at bear-
?*rdens. Tis truc we hâve too much of words if you hâve too much of
^(^tioD, and perhaps the perfection of this art should consist in a due mix-
ture of the French taste and English energy. Mr. Addison, who would
hâve reached to that pitch of perfection had he succeeded in theamorous
P^H of his tragedy as well as in the part of Cato, warned often your nation
^Dst the corrupted taste of the stage, and since he could not reform
^^ genius of the country, I am afraid the contagions distemper is past
curing.
* Mr. Thomson's tragédies seem to mo wisely intricated, and elegantly
^^t; they want perhaps some fire, and it may be that his heroes are nei-
Iher inoving nor busy enough, but taking him ail in ail, methinks he has the
^hestclaim to the greatest esteem; your friendship, Sir, is a great vonch-
**fer for his merit...
« Your most obedient servant,
• Voltaire. »
La correspondance et les œuvres de Voltaire renferment un assez grand
nombre d'antres allusions à Thomson. Dans une lettre du 28 février 1764,
on lit : - Je Tai connu, il y a quelque quarante ans. S'il avait su être un
peu plus intéressant dans ses pièces et un peu moins déclamatoire, il aurait
réformé le théâtre anglais que Gilles Shakespeare a fait naître et a cor-
rompu. » (Œuvres, XLIII, p. 140.)
Aillenrs il apprécie le choix fait par Thomson du sujet de son grand
poème, et juge que ce thème convenait peu à un Écossais :
« They sadly gather their inferior, insipid apples, while vre see under
13
194 JAMES THOMSON.
sions pour liât 1er tel ou tel correspondant*. — Montesquieu,
après son voyage; en Angletei-re, entourait son « château
gothique » « de bois charmants » où il élevait des souveni l'S
en l'honneur de Théocrite et de Virgile, de Thomson, de
Shenstone et de Gessner *. — L'influence du poète anglais sur
notre grand <( descripteur » français n'est guère douteuse, et
our Windows a huudred boys and giris dancing round the cars whîch
they hâve loaded witli delicious grapes. Thomson did not dare to touch
this siibject. • (Œuvres, XLVI, 350.) On est tenté de croire qu'il av&U
mal lu ou se souvenait peu, car les • Saisons » parlent de la vendange
dans le Midi.
Tout cela était connu déjà. Mais dans un ouvrage tout récent {Vc^i-
iairé's Visit to England^ London 1893) Mr. Ballantyne a donné la tra-
duction de lettres manuscrites de Voltaire qui n'ont pas encore été
publiées et où se trouvent d'autres mentions de Thomson. Ecrivant à ui^
Mr. George Keate, il dit : a .... If Addison could hâve put more waros ^1^
into his Cato, he would hâve been the wriler for me. You still hâve ^
Thomson whose verses are not amiss, but his is an iced genius.... » (Brî^^*
Mus., Add. Mss., 30991. /*. 15. — Ballantyne, p. 279.)
Au même correspondant Voltaire écrivait, le 17 mai 1768, une lettre ^°
français dont la traduction renferme ce passage : «i .... At last, Sir, I ha"^^
rcceived and read the beautiful verses (on Ferney).... It seems to me tl»^^
your verses are a good dcal in the taste of Thomson, but 1 think yO>i
are much superior to him in the amenity which you diffuse over 0^'
your writings.... » (Brit. Mus., Add. Mss., 30991. /*. 42. — Ballaittypi^/
p. 283, 4.)
Nous relevons dans le même ouvrage une très heureuse citation de
Thomson faite par Voltaire en réponse à Boswell qui lui adressait une de
ses questions saugrenues : *( I asked him if he could give me any notion
of the situation of our ideas which we hâve totally forgotten at the lime,
yet shall afterwards recoUeet. Ile paused, meditated a little, and acknow-
ledged his ignorance in the spirit of a philosophical poet, by repeating
as a vcry happy allusion a passage in Thomson's Seasons : « Ave, said
he, where sicep the winds when it is calm ? » (Extrait du London Maya-
zine d'avril 1783, et de l'un des soixante-dix - Essays » qu'y publia Boswell
de 1777 à 1783.)
1. Voir plus haut, p. 153, n. 3.
2. D'IsRAEu, Curiosities of Literature : Domestie Life of a poet : Shen-
atone vindicated^ p. 414.
Nous ignorons de quelle nature était le monument consacré & Thomson,
dans les jardins de la Brèdc. Une inscription y était sans nul doute jointe,
et peut-être, pour plus de couleur locale, était-elle rédigée dans la langue
de Thomson ainsi que celle qui concerne Shenstone, et où Montesquieu se
révèle à nous comme poète anglais. Il loue l'auteur de la School-mistrest
d'avoir déployé dans ses écrits • a mind natural » et d'avoir dans son
domaine des Leasowes « laid Arcadian greens rural ».
Le séjour de Montesquieu eu Angleterre se place en 1729-30-31. Le voya-
geur se trouvait donc à Londres au moment où la publication du poème
complet des « Saisons » mettait Thomson en pleine évidence. Montesquieu
a-t-il directement connu le poète écossais? Nous n'avons rien rencontré
qui nous éclaire sur ce point.
APRES LA MORT. 195
si les ressemblances générales sont frappantes entre la poésie
de Thomson et la c poésie )» de BufTon, il y a là plus qu'une
parenté de génies. L'écrivain français aurait-il conçu cette
entreprise grandiose d'une description à la fois scientifique
et noblement littéraire du monde des choses et des êtres
vivants, s'il n'y avait été encouragé par le succès du grand
poème descriptif anglais *? — Quant à Rousseau, on ne
saurait exagérer la part qu'a prise l'œuvre de Thomson
dans le développement de son génie ou au moins dans l'in-
spiration de son œuvre littéraire. S'il n'y avait là qu'une
simple coïncidenee, elle serait la plus extraordinaire qu'on
puisse relever dans l'histoire des lettres. Nous verrons dans
l'élude de l'œuvre de Thomson que celui-ci a donné au
inonde, trente ans avant Jean-Jacques, et avec les différences
de forme qui sont la marque du génie de chacun, la con-
naissance et le goût des choses de la nature, la perception
des beautés du monde extérieur révélées jusque dans les
phénomènes les plus vulgaires, la philosophie sociale dont
Rousseau devait tirer de si brillants effets oratoires, la sen-
timentalité tantôt noble et tantôt factice ou puérile, qui va
devenir comme le cachet propre de la littérature du XYin*" siècle,
ïa prédication morale, et cette religiosité éloquente et vague
qui alimentera le spiritualisme du siècle '. N'est-ce pas dire
que l'œuvre de Thomson annonçait tout ce qui chez Rous-
seau a constitué le corps de doctrines, d*enseignement et
d'idées de sa poésie, de sa politique, de sa morale et de sa
philosophie'?
1. Quand les trois premiers volumes de V Histoire naturelle panirenl, en
174!), le poème des « Saisons » n*avait pas oncoru été traduit en français.
Mais on sait que de bonne heure BufTon s'était familiarisé avec la langue
anglaise. Quelques-uns de ses premiers travaux sont des traductions d'ou-
vrages scientifiques publiés en Angleterre.
2. Voir infra, deuxième partie.
3. Aussi les jugements portés sur Thomson sont-ils très généralement
favorables ou hostiles au poète anglais selon que celui qui les exprime,
procède ou non de l'influence de Rousseau. Pour prendre un petit nombre
d'exemples, Grimm s'exprime ainsi : « .... Je ne dirai qu'un mot des
Saisons de Thomson comparées asix Géorgiques de Virgile; c'est que
la mase de Thomson ressemble à Notre-Dame de Lorette, et la Muse de
Virgile à Vénus : Tune est riche et couverte de diamants, l'autre est
belle, nue et n'a qu'un simple bracelet. Virgile est un modèle de bon goût;
Thomson serait tout propre à corrompre celui d'un jeune homme. » (Cor-
196 JAMES THOMSON.
Soit directement, soit par Tintermédiaire de Rousseau
Thomson a donc exercé sur la littérature française un
influence considérable. Mais outre cette action générale Toeuvi
du poète anglais a provoqué un grand nombre d'imitatior
formelles et conscientes quoiqu'elles ne soient pas toujoui
avouées. Il suffira de rappeler les Saisons de Léonard * ; U
Saisons jadis fameuses de Saint-Lambert, où Voltaire voya
une des œuvres maîtresses de la poésie moderne *; les Mois c
Roucher ' ; les Fastes de Lemierre * ; les diverses œuvres c
Delille a copieusement mis à contribution le poète anglais : l^
respondance de Grimm ; cité dans le Quarterly Review, vol. IX, p. lli
Au contraire, Mme de Staël admire dans les « Saisons » jusqu'aux lies
communs de morale et aux intermèdes sentimentaux :
« Les vers de Thomson me touchent plus que les sonnets de Pétrarque-
{De la Littérature^ préface de la 2» édition.)
« Est-il une plus délicieuse peinture de Tamour dans le mariage que 1
vers qui terminent le premier Chant de Thomson sur le Printemps? » {l
la Littérature, chap. xv.)
Et Mme Roland, dans sa prison, cite de mémoire des vers des Saison
Quant à Chateaubriand, qui aurait dû coûter la magnificence et la pom|
des descriptions de Thomson, il le juge de façon bien sèche et bien étroit
11 l'associe à Pope comme ayant concouru à la même œuvre :
• Ainsi repoussée en France, la Musc des champs se réfugia en Angl
terre.... En ne peignant plus que la vraie nature, elle voulut tout peindre..
Thomson môme dans son chant de l'Hiver, si supérieur aux trois autre
a des détails d^une mortelle longueur. Telle fut la seconde époque de
poésie descriptive.
• D'Angleterre elle revint en France avec les ouvrages de Pope et duchantr
des Saisons.... » {Génie du Christianisme, liv. IV, chap. m.)
1. Né en 1744, mort en 1*783.
« Léonard, dit Saintc-Ueuve, est un diminutif de Thomson et de Col
lins. • {Portraits littéraires.)
2. Né en 1716, mort en 1763. Les « Saisons » parurent en 1769, et euren
la même année deux éditions, l'une iu-8, l'autre in-12. Malgré renlliou
siasme de Voltaire qui disait avec assurance : « C'est le seul ouvrage d
notre siècle qui passera à la postérité », et, dans sa Lettre à V Académie
mars 1772 : u Le Poème des Saisons et les Géorgiques (de Delille) sont le
deux meilleurs poèmes qui aient honoré la France depuis PArt Poétique »
les éditions suivantes se succèdent à d'assez longs intervalles (1782 in-8
1783 in-12, 1795 in-18, 2 vol.; puis 1822). jusqu'à ce que le poème si vanl
tombe dans Toubli ou dans le dédain. Qui sonpe aujourd'hui, en dehor
des historiens curieux, ou des critiques de Thomson, à relire ce lon|
poème dans lequel Mme du DelTand, Voltaire et Sainte-Beuve, ont à eu:
trois relevé jusqu'à onze bons vers? (Sur Saint-Lambert, voir les corrcs
pondnnces de (irimm. de Mme de Deffand et dllorace Walpole; Villemaio
Littérature du XVlll^ siècle: Saiiile-Beuvo, Causeries du lundi, t. XI.)
3. Rouclicr (1745-1 704) fait paraître son poème des Mois en 1779. On cun
nait le mot de Rivarol : « C'est le plus beau naufrage poétique du sii-clc -
4. Les Fastes de Lemierre sont de la même année que les Mois de Roucher
APRàS LA MORT. 197
JardinSy V Homme des Champs^ les Trois Règnes de la Nature ^ ;
les Saisons du cardinal de Bernis % etc.
Plusieurs traductions des c Saisons i» ont aussi été faites
eo France. Dès 1759, Mme Marie-Jeanne de Chatillon-Bon-
tems publiait la première '. Puis viennent celles de Deleuze,
1801 *, de Poullin (en vers), 1802 ', et de Fremin de Beau-
1. Le$ Jardins f 1782. — L* Homme des Champs, 1800. — Les trois Régnes
de la Nature, 1809. — Nous aurons plus d'une fois, pour Delille comme
pour Saint-Lambert, à rapprocher rimitation française du modèle, quand
nous étudierons Tœuvre de Thomson.
L'ambition de Delille était de prendre rang à côté de Saint-Lambert, de
Pope et de Thomson. Il croyait son vœu modeste et d'avance exaucé. Il
était réalisé dans les jardins de la princesse Gzartoryska :
• Mes vœux sont exaucés : du sein de leur repos
Un essaim glorieux de belles, de héros,
Qui, successeurs polis des Sarmates sauvages.
De l'antique Vistule honorent les rivages,
Auprès de Saint-Lambert, de Pope, de Thomson,
Offre dans ses jardins une place & mon nom. u
(V Homme des Champs, chap. xi, p. 199.)
La postérité n*a pas ratifié ce classement. La petite urne qu'elle a con-
sacrée à Delille se trouverait proche peut-ôtro du monument de Pope,
m&is à on autre coin du jardin que celui où se rencontrent les « souvenirs •
<l6 Thomson et des poètes qui ont vu, connu, senti et fidèlement peint la
nature.
2- Le cardinal de Bernis, 1715-1794. (Voir Causeries du lundi, t. VIII.)
3* Cette première édition (Paris, format in-8) est suivie, dit la Nouvelle
biographie générale, de plus de dix autres éditions.
A la no de la liste des souscripteurs de Tédition de 1762, parmi lesquels
figure Mme Bontems, Murdoch adresse au traducteur un très gracieux
^mpiiiugQi sur son travail • equally faithful and élégant ».
Mme Bontcmps ne s'en est pas tenue à cette traduction et publia en
^ '69 les Saisons, poème (fondé sur celui de Thomson), Amsterdam, in-12.
*• Delcuze, les SaUons, 1801-1806, in-S.
J- -ï- Poullin, les Saisons, Paris, 1802, 2 vol. in-8.
l^n critique anglais déclare ce travail supérieur à l'original {Edinburgh
^^, January, 1806). Il énumère les défauts du poème anglais, et les
'fouve heureusement corrigés par le traducteur. A peine blAme-t-il quel-
ques passages on Técrivain français « a écrasé sous son pied quelques-uns
^^ l^etils bijoux inestimables qu'il a trouvés sur son chemin -. Par
^^^mple, dans sa description de la beauté des femmes anglaises, Thomson
• .... The parting lip
Like the red rose-bud moist with morning dew
Breathing delight. •
* jolis vers sont imparfaitement rendus par
« Les lys et les roses
Ensemble confondus sur vos lèvres mi-closes. •
À
198 JAMES THOMSON.
mont ^ Enfin, nous devons mentionner, parmi les hommage
rendus à Thomson par les écrivains français, une petite comédi
jouée à Paris en 1822, dont notre poète est le personnage prir
cipal *.
L'influence exercée par le poème dans les autres pays cf
aussi très grande. Elle s'exerce sur des œuvres indépendanU
telles que les « Idylles i> de Gessner ', et sur toutes les produc
tions où s'affirme le retour du goût à la nature. Klopstock ef
un fervent admirateur de notre poète et de son style imité d
Milton. Fr. Schlegel constate que Thomson est le prototyp
de tous les poètes descriptifs du continent. Cette influence s
manifeste enfm par un grand nombre de traductions dan
presque toutes les langues de l'Europe ^
Les traits énergiques dont Thomson décrit Forage et la foudre :
« The clouds
Pour a whole flood, and yet, its flame unquench*d
The unconquerabie lightning struggles through »
sont bien afTaiblis dans la traduction :
« Tandis que les éclairs, à travers Thorizon,
Du pôle à réquateur voient en tourbillons. »
Dans la peinture de Tamour des oiseaux, le dernier vers de Thomso
tout frissonnant de vie,
« And shivcr every feather wilh désire >,
est rendu par une plate banalité :
- Et parler de Tamour le plus tendre langage. •
1. Né en i744, mort en 4820. Etait membre du corps législatif de Te
pire quand parut sa traduction (Paris, in-8, 1806). 11 avait collaboré à
traduction d'Ossian donnée par Le Tourneur en 1176.
Ajoutons, pour compléter la liste de ces traductions, que le «Château
été traduit par Lemierre d'Argy (Paris, 1814, in- 12); que la Blanc/ie
Guiscard de Saurin, 1763, n'était qu'une traduction de Tancred a
Sigismunda, et que Brugiëre de Barante a donné à la collection c
théâtres étrangers une traduction d^Edward and Eleonora.
La librairie française a d'ailleurs plusieurs fois publié le texte angl
des • Saisons ». Voir notre bibliographie.
2. Voir p. 120, 121, et Appendice IL
3. Publiées en 1758-62.
4. Voici la liste de celles que nous avons pu relever.
En Allemagne traductions des Saisons par :
B -H. Brockes, Hambourg, 1745, in-8.
(D'aprfes une note de « Brevis », Notes and Queriesy 3* série, vol. 1
p. 203, cette traduction ne suivait pas le texte des dernières éditic
publiées; le Printemps par ex. était traduit d'après le texte de 1731.)
Pulte, 1758.
I APRÈS LA MORT. 199
I J.-F. von Palthen, Hostuck, 1"CG, in-4.
Schubert, 1789.
! Harries, Allona, 1796, in-8.
Sollau, Braunschweip, 1803, in-8.
Rosenzweig, Hamburg, 1825, in-8.
firuckbraen, 1824.
U traduction de Rosenzweig est en vers hexamètres.
LessiDg s'est à plusieurs reprises occupé de Thomson. II en a écrit une
biographie où il développe et délaye la « Vie » de la collection de Cibber.
Notons en passant quMl confond ce Cibber (Theophilus), avec son père
Colley Cibber, et lui attribue les Lives and Characters of the most emin-
fnt actors and adresses. Voir dans les Œuvres de Lessing, Ëdit. Hempel,
Tol. XI (1), p. 235-250. Dans le même volume, à la page 853, on trouvera
one préface de Lessing à une traduction des Tragédies de Thomson. Le
critique allemand a écrit des fragments d'une traduction de Tancred and
Sigimunda (XI, (2), p. 516) et de VAgamemnon [ibid,, p. 519).
Ajoutons qu'une édition annotée du texte anglais des « Saisons • avait paru
eo Allemagne dès 1758 (G. Herrmann, Leipzig, in-8), et que le poème a
fourni la matière d'un opéra en quatre actes dont le libretto fut publié à
Berlin en 1822 : Die Jareszeiten nach Thomson, p. 44.
Est-il besoin d'ajouter que le plus noble monument élevé par l'AIIe-
magne à la gloire de Thomson est l'oratorio de Haydn sur les « Saisons •?
En Italie, V « Éloge de Newton • avait été traduit dès 1760 (Naples, Bon-
<lucci).— L' • Été > est traduit en 1817 (Modène, in-8). Le « Printemps • en
IS20 (Bologne, in-4, anonyme). — Le « Château d'Indolence •, en 1826
(Naples, Mathias), — et enfin la 3« partie de a La Liberté » : Rome, est tra-
<lQite en 1867 par A. Castelfranco (Trieste, in-8).
U Hollande nous donne une traduction du Livret qui accompagne la
musique de Haydn {De Jaargetijden, Amsterdam, 1803), et une « Sopho-
nisbe • (voir notre* bibliographie).
" Sophonisbe • est aussi traduite en russe (1786, in-8).
Un traducteur danois, P. Foersom, fait paraître à Copenhague le « Prin-
^ntps » en 1807 et 1' « Hiver » en 1812.
Enfin une autre langue vivante s'enrichit d'une traduction de Thomson,
^^st le romalque, dans lequel Petrides donne en 1817 la traduction d'une
P*rtieder.Été..
^ langues mortes ont aussi apporté leur tribut d'hommages à ce
P^me moderne. V « Hymne » final était traduit en latin par un anonyme en
i775(in-4), et toutes les « Saisons » rendues en vers latins par R.-T. Brown-
^ell en 1795 (Londres, in-8). Un Français, Favières, « conseiller au parle-
^^nt >, est rauleor d'un poème • Fer, carmen pentametrum », que la
Bibliothèque Nationale n'a pu nous fournir. Nous ne savons si c'est là
^(icore une traduction du poème anglais.
Enfin il nous reste à noter une traduction hébraïque de L. Lévy (Berlin,
*842).
.»
CHAPITRE Vil
LA PERSONNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSON
Le poète dont nous avons ainsi observé la vie année par
année nous est maintenant assez sûrement connu pour que
nous puissions apprécier à leur vcdeur les jugements divers
qui ont été exprimés sur sa personne. Johnson ne lui était pas
bienveillant. Le double défaut chez Thomson d'être Écossais
et d*être libéral suffirait évidemment à expliquer un peu de
prévention chez le biographe. Et malheureusement le portrait
tracé par lui avait toute chance de déterminer l'image qui se
graverait dans Tesprit du public. Nous savons qu'il y a lieu de
rectifier sur plus d'un point les indications du Docteur.
Il n'a pu connaître Thomson que quand ce dernier appro -
chait de la quarantaine; mais, même en tenant compte de ce
fait, la peinture qu'il nous donne est en contradiction avec ce
que nous montrent les renseignements directs, c II était,
dit-il, de physionomie épaisse; son visage était grossier,
sans animation et sans aucun attrait ^ i» On l'a cru sur parole;
et, complétant ces premières indications, on s'est figuré
Thomson comme petit', gros, laid et gauche. En réalité il
était grand; Johnson du reste Ta noté. Cet embonpoint que
Thomson lui-même a raillé avec une bonne grâce spirituelle
pouvait convenir peu à un barde. Le pauvre Collins, maigre,
1. « Thomson was of stature above the mîddle size, and • more fat
than bard beseems •, of a dull countenance, and a grosa, unonimated,
uninviting appearance. >
2. « The heayy, silent little man », dit de lui M. Ed. Gosse dans un por-
trait d'ailleurs hienveiWàni {Eighteenth Cenlury Literature, p. 227).
LA PERSOiNNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSON. 201
paie, et sur qui s'était posée déjà l'ombre d'un mal terrible,
avait sans doute, mieux que notre Écossais robuste et épanoui,
le physique de l'emploi. Mais nous pouvons être assurés que
celle corpulence n'était pas exagérée ni grotesque. Il suffit de
nous rappeler qu'aux approches de la cinquantaine Thomson
prenait encore plaisir à franchira pied les seize kilomètres qui
le conduisaient de Londres à Richmond. — Quant à son visage
et à sa physionomie, nous les jugerons plutôt par les témoi-
gnages des peintres qui ont fixé ses traits que par les souve-
nirs de Samuel Johnson. Le portrait d'Aikman >, représentant
le poète à 25 ans, nous met en présence d'un visage ouvert,
expressif, souriant et cependant correct de lignes. Onze ans
plus tard, un peintre du nom de Slaughter fixe sur la toile
les traits de Thomson arrivé à la maturité', et ce double carac-
tère s'y retrouve encore d'une régularité qui n'exclut pas la
vie ni la chaleur. Enfin le portrait de Paton, peint dans les
dernières années de la vie », nous montre à coup sûr Técrivain
vieilli et alourdi. Les traits sont devenus plus forts; le nez et
1* Cest celui qui est encore conservé à Hagley et que Pitt déclarait
être* beastly like >. Une note, signée Ann Forbes, qui est jointe à l'exem-
Pl^re de Tédition princeps des « Saisons •, à la Bibliothèque de TUnivcrsité
d'Edimbourg, se rapporte à une esquisse faite par Aikman • vers 1720 ».
Cest presque certainement une erreur pour 1725. Le portrait a été gravé
eo iiGi par Basire pour la grande édition de 1762.
^ 2* Il se trouve à Dryburgh Abbey, la résidence des Buchan, et porte à
l'enTers de la toile cette inscription de la main du comte : « Procured
for (he Earl of Buchan by bis friend, Richard Cooper, Esq., engraver.
^oQsoQ and bis friends, Dr. Armstrong, Peter Murdoch, etc., used to
l'^quent Old Slaughter's Coffee House, London, and his portrait was
P&inled at that time by Slaughter, a kinsman of old Slaughter.
Buchan. •
« Dec. 3, 1812. »
.1^ Gentlemuri's Magazine de décembre 1736 publiait une pièce ,'de vers
•Ignée G. W. (Gilbert Wesl) avec ce titre :
* On Mr. Thomson*s picture drawn by Mr. Slaughter, with the figure
P'I'iberty in his Hand, aa describ'd by him in his Poem on that sub-
Jttt. »... Un des vers relève ainsi l'exactitude de la ressemblance :
« Correct, tho* free, and réguler tho' warm •.
3- £n 1746. Il a été gravé en 1761 par Basire pour Tédition de 1762. Il a
^ donné en 1858 à la National Portrait Gallery par miss Bell, de Spring-
^f la petile-niéce du poète.
Mentionnons encore parmi les portraits connus de Thomson la minia-
^1^ d*Ednam (voir p. 190 et n. 2) qui est peut-être une réduction du
***>leau de Slaughter, et celui qui fut exécuté en 1791 par William Berry,
^ que mentionne une note manuscrite dans Texem plaire des « Saisons »
^onné par Bachan à la Bibliothèque de rUniversité d'Edimbourg.
202 JAMES THOMSON.
les lèvres se sont épaissis; le menton, que coupait gracieuse-
ment une fossette, est devenu un double menton. Mais même
alors, sous un front large et haut, les yeux ont conservé une
beauté de forme et un éclat qui suffiraient à sauver ce visage
de la laideur ou de la banalité.
La même prévention injuste se retrouve dans quelques-uns
des jugements portés sur les façons de vivre et sur les mœurs
de Thomson. Shenstone, ce campagnard plein d'affectation et
de prétentions à Télégance, jugeait très vulgaires les manières
et l'apparence de l'ami des Lyttelton et des Pitt *. Ces manières
étaient seulement franches et simples, et nous pouvons sup-
poser que c'était un des charmes que trouvaient à la société
du poète les grands seigneurs qui cultivaient son amitié. Quant
à son aspect et à sa mise, il parait bien quà la fm de sa vie,
après la ruine de son rêve d'amour, il les ait négligés, au
risque d'être sévèrement jugé par les raffinés du genre de
Shenstone ou d'Horace Walpole. Mais ni la dignité, ni la
simple aisance qui lui étaient naturelles ne disparaissent sous
ces deliors inélégants. La vérité nous est donnée par cette
appréciation du vieux Robertson : a Thomson n'était ni un
petit-maître ni un rustre* ».
Johnson a eu le tort d'accueillir un témoignage très suspect,
et de se faire trop légèrement le complice de quelques accusa^
tions injurieuses. Savage lui avait raconté qu'une dame, après
avoir lu les a Saisons », concluait que le poète devait être « un
<K grand amoureux, un grand nageur, un homme d'une rigou-
« reuse frugalité ». Or, ajoutait l'affreux bohème qui a si sou-
vent imposé à Johnson, Thomson n'a jamais connu dans
1. A la (in d'un exemplaire des œuvres de Thomson se trouve cette note
manuscrite de la main de Shenstone : « Mr. Thomson was at the Lea-
sovves.... lie had nothing of the gentleman in his person or address; but
he made amends for this deHciency by his reHned sensé, spirited expres-
sions, and manner of speaking nol unhke his friend Quin. • (Voir The
London Gentleman's Mag.y March 1823, p. 226.)
2. « Thomson was neither a petit-matlre nor a boor; he had sioiplicity
without rudeness, and a cullivaled manner wilhout being courtly. >
(Pabk's Memoranda.) — 11 semble même n'avoir pas en tout point dédaigné
les élégances mièvres qui étaient alors de mode. \\ avait trois cachets
qu'a possédés son neveu, James Craig, et dont les empreintes se trouvent
jointes à l'exemplaire donné par Buchan, à la Bibliothèque de l'Université
d'Edimbourg. L'un reproduit ses initiales au milieu d'une couronne de
fleurs, un autre représente trois flèches, et le dernier flgure Cnpidon
lançant un trait.
1
LA PERSONNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSON. 203
.mour que le plaisir des sens, il ne s*est peut-être pas mis
le seule fois dans Teau froide, et il ne s'est jamais privé
aucun des plaisirs qui se sont présentés à sa portée. La
îcherche d'une méchante antithèse a poussé ce jour-là
ichard Savage à une méchante action. L'ami qui l'avait sou-
mu et protégé de sa bourse, de son talent et du prestige de
Dn honneur aurait dû rester pour lui à l'abri d'aussi ridi-
ules accusations ^ Nous en retiendrons tout au plus que
lOtre poète aimait à vider avec ses amis les bouteilles qu'il
vait laissées vieillir dans sa cave. On sait que la sobriété
l'était pas vertu courante, parmi les gens de lettres, ni du
tste dans aucune classe de la société anglaise, au xvm* siècle,
ohnson qui, lui du moins, avait le droit de juger ce défaut,
s'eD offusquait moins quand il le rencontrait chez ses meil-
eurs amis, comme Boswell ou Goldsmith. Mais jamais du
•este, chez Thomson, ce travers n'est devenu rien de semblable
ui vice qui a contribué à dégrader ce même Savage. Nous
savons d'autre part ce qu'il faut penser du reproche de n'avoir
^nnu que l'amour grossier. La correspondance du poète avec
^iss Young, les vers consacrés à son Amanda, l'incurable
blessure que lui a laissée l'issue malheureuse de son amour,
^ut cela nous a appris de quelle passion élevée et puissante
^ battu le cœur de Thomson '. On dit cependant que dans ses
propos avec ses compagnons ordinaires, il lui arrivait de
l'exprimer sur le sujet des femmes et de l'amour, avec autant
le liberté qu'aucun autre assistant. Le fait est possible. Moins
encore que la sobriété, la décence du langage ne caractérisait
es contemporains de Swift, de Pope et de Voltaire*. Ce qui
^nporte davantage, c'est que, au contraire de ces trois écri-
'^ns, les plus grands parmi ceux qu'a pu connaître Thomson,
!• N'a-t-il pa8 voulu simplement « faire poser • le trop confiant Johnson?
lui est arrivé dans ses œuvres de mentionner Thomson, et il le fait en
^ termes qui témoignent d'une estime reconnaissante :
« And, Thomson, in this praise thy merit see :
The longue that praises merit, praises thce. •
{The Wanderery canto 1, v. 327, 328.)
2. Voir p. 138 et suiv.
3. • The bachelor society of ihat day, not only Wycherleys and Crom-
ells, but the more virtuous society of Addison and his friends was not
markable for anyexalted tone abont women. • (Lesub Stephen, Life of
}pe, chap. IV, p. 100.)
204 JAMES THOMSON.
jamais il n'abaissa son talent à l'expression de pensées viles
ou d^images libertines. Johnson enfin a-t-il cru à cette horreur
du poète pour l'eau froide? On sait pour quelles raisons toutes
personnelles le Docteur ne devait trouver rien d'invraisem-
blable à pareille accusation. Ce qui est vrai c'est que jamais
Thomson n'a eu le souci de l'élégance ni de la richesse des
vêtements. Nous avons noté déjà qu'à la fin de sa vie cette
insouciance s'aggrava considérablement.
C'était une des manifestations de ce qui fut le gros défaut de
sa nature : une indolence à laquelle il s'abandonna de plus en
plus, à mesure que les années pesaient plus lourdement sur
lui. Encore faut-il bien faire la part de l'exagération et de la
fantaisie dans tout ce qu'on a dit à ce sujet. A lire certaines
anecdotes et certains jugements, on se représenterait Thomson
comme c une tonne de chair », moins capable d'ailleurs de
mouvement et d'activité que sir John FalstalT. Lui est-il arrivé
de manger, sur l'espalier, la moitié vermeille d'une pèche,
sans retirer ses mains de ses poches*? Cela prouverait sans
doute que chez ses amis, dans les jardins d'Eastbury ou de
Hagley, il était à l'occasion capable d'une gaminerie. Cela
prouverait encore qu'il était moins fm gourmet que nous ne
l'aurions cru. Le poète qui a si bien parlé des fruits n'a jamais
dû les manger si mal '. Mais ne serait-il pas absurde de pré-
tendre trouver dans une pareille anecdote, fût-elle véridique,
un trait de caractère?
Il est plus certain qu'il aimait à rester tard au lit. Lui qui
avait vu dans sa jeunesse tant d'admirables levers de soleil,
qui nous a laissé de ce spectacle de radieux tableaux, et qui ne
ménage pas aux paresseux attardés sur l'oreiller les objurga-
tions indignées', il avait fmi, dit-on, par adopter midi pour
1. Nous ne savons quelle est Torigine de ce pittoresque « document ». Il
nous est fourni par un écrivain américain qui raccompagne d'autres
preuves également probantes de la paresse de Thomson :
« He was once seen to bite out the sunny side of a peach with bis
hands in bis pockets. A lover of music, be did not fatigue himself with
blowing a flûte or flourishing a fîddie-bow, but kept an iEolian harp in
bis window, and listened to Ibc nigbtingale.... » (T. Tucurman, Thoughts
on the Poets, New-York, 1846, p. 96.)
2. Il note précisément cette enveloppe, très ricbe de couleur, mais
très désagréable au contact qui protège le fruit : • tbe downy peach •
{Aulumn^ v. 676).
3. Spring, v. 241 et suiv.; Summer, v. 67 et suiv.
LA PERSONNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSON. 205
rheure de son lever '. Il avait tort évidemment. Mais, n'oublions
pas qu'il travaillait volontiers la nuit et se couchait souvent au
petit jour. En somme, ce détail si souvent rapporté prouve une
distribution peu raisonnable de son temps, plutôt qu'un sacrifice
de ce temps à Toisiveté. L'indolence de Thomson a consisté
dans une réelle aversion pour le mouvement, les déplacements,
les aventures de route et d'auberges, mais surtout pour cette
agitation égoïste et fiévreuse qui poursuit la richesse et les
biens du monde. Il a un jour ainsi perdu, par dédaigneuse
nonchalance, la charge dont il vivait. Il ne semble pas qu^il
s'en soit jamais repenti. La fortune ne lui paraissait pas valoir
un effort pour l'atteindre. Mais cet indolent à qui, pour une
lettre à rédiger, la plume était lourde <k comme rame en
galère i» fut un écrivain singulièrement actif et très fécond.
Jusqu'à son dernier jour, il a repris, limé, développé son poème
des c Saisons ». L'œuvre de la fin de sa vie, <k le Château
d'Indolence », se déroule dans une forme artistique où les
difficultés techniques sont à plaisir accumulées. Enfin sa vie
n*a pas été longue, et l'œuvre qu'il a fournie suffirait à la répu-
tation de plus d'un laborieux. Elle n'est pas inférieure au chiffre
considérable de 20 000 vers.
Nous pouvons donc négliger, sans plus nous y arrêter, les
attaques de critiques malveillants *, le reportage posthume de
bavards peu scrupuleux % ou certaines petites anecdotes scan-
^' Lettre de Cave à Birch, citée plus haut (voir p. 130, n. i.)
I)>ns les Memoranda de Park nous lisons :
' Park. I hear he kept very late hours?
RoBBRTsoK. No, sir, Tery early : he was always up at sunrise, but then
^^ hftd never been in bed. >
2> * He (Johnson) allovved high praise to Tliomson as a poet; but when
one of the company said he was aiso a very good man, our moralist con-
^sted this witii great warmth, accusing him of great sensuality and
licenliousness of manners. • (Boswell's Johîison^ Mai 1768.)
De son côté Boswell, parlant en son propre nom, s'exprime ainsi dans
^* Vie de Johnson » : « My own notion is that Thomson was a much coarser
lian Ihan his friends are willing to allow ».
3. John Taylor, qui nous a transmis, en l'imputant à Chalmers, Thistoirc
cootrouvée du mariage secret de Thomson, met en scène un autre pcrson-
Qftge pour lui attribuer un jugement très malveillant sur notre poète :
• Tiie character of his (Thomson's) works and the conduct of his life
werc cssentially différent.... My friend Mr. Donaldson who resided at
Richmond when Thomson lived at the same place, and was very intimate
wilh him.... assured me Ihat when once in company with Thomson,
and several gentlemen were speaking of the fair sex in a sensual manner,
Thomson expressed his admiration of them in more beastly tcrms than
206 JAMES THOMSON.
daleuses qui, pour la vraisemblance et pour rattlcisme, soi
dignes de Pigault-Lebrun ou de Paul de Kock '. La vie c
Thomson et son œuvre, où ne se trouve pas « un seul vei
qu'en mourant il voulût efîacer ' d, sont le véritable commeu
taire et l'éclatante justification de ce jugement que nous on
laissé ses amis : a II fut, à tous égards, un gentleman ^ i».
Il fut plus et mieux encore. Il fut un homme d'un granc
cœur. Sous des dehors dont la simplicité a pu tromper quel
ques a snobs i», il y avait chez lui un fond d'extrême sensibi-
lité * et de bonté exquise. Jamais homme n'a eu moins d'en
nemis. Jamais homme n'a eu plus d'amis, ni de plus divers, d
de plus inaltérablement dévoués. C'est le fait le plus frappant
qui se détache de l'histoire de sa vie que cette séductior
exercée sans artifice, sans coquetterie ou besoin de plaire, pai
la seule et involontaire influence d'une nature droite, aimanti
et sincère, sur tous ceux qui Tont approché. Qu'on se rappela
les éléments hétérogènes qui ont composé le groupe de se
amis. La liste en va de Richard Savage, le che^^lier d'indus
trie paresseux, menteur et fanfaron, qu'il aimait sans dou^
any of Ihe company, and such as, though I well remember» I do n
think ppoper to préserve.... » {Records of my Life hy the Laie John TatlC
vol. I, chap. XV, p. 185.)
1. • I hâve heard or read an anecdote of hia conduct while living
the family of Lord Binning given as characterislic of his sensibihty a3
iodoleuce. A young lady of the family had attracted his passionate ada
ration. The ceiling was slight; the lover contrived to bore a holc throuj
which lie could enjoy a bird's eye view of wlial pnsscd in his luistres:
chamber. One evening slie aud her maid were alarmed by the loud suo
of a person asieep. The peeping-hole was discovered, and the inhum
Abigail, by upplying the candie to the orifice, roiised the poor lover ve
abruptiy perhaps from a dream of happiness. » (Robert Hbhon, The Si
sons with a Life, etc., Perth, 179.'i, p. 9 et siiiv.)
2. C'est la traduction donnée par de Baraute du vers célèbre de Lyttelto
• One line, which dying he could wish lo blot • [Prologue to Coriolanu
3. a Lord ChalhaiD, Lord Temple, Lord Lyttclton, Sir Andrew Mitchi
Dr. Armstrong, Mr. Gray, of Kichmoud Hill, aud the oily man of God
hâve oftcn had the pleasure to hear on the subject of Thomson. AU of tlx
agreed in the testimony of his being a gentleman at ail points. - (D. S. Ea
OF BucHAN, Essays on the Lices etc., p. 2." 5.)
4. Les preuves les plus sérieuses nous en sont données par ces passa;:
de ses lettres et de ses œuvres où s'exprime la vraie, la bonne sensibili
celle qui s'émeut du malheur des êtres chers, et qui se traduit par d
actes. Nous pouvons noter en outre combien vivement le poète ressent
les émotions d'ordre esthétique : - Thomson was so oppressed by a i^s
sage in Virgil or Milton when he attempted to read, that his voice siiz
in ill-articulated sounds from the bottom of his heart. » (D'Israbli, Litf
ary Characters : Enthusiasm, p. H2.)
LA PERSONNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSON. 207
pour ce qu'il aurait pu être plutôt que pour ce qu'il était, jus-
qu'aux noms les plus illustres et les plus respectés de la
société de son temps. Il semble qu'il désarme les jalousies les
plus inquiètes. Il gagne sans effort la bienveillance des poètes
ses confrères. Pope le traite sur un pied d'intime familiarité *,
collabore à son œuvre avec zèle et avec bonne foi, et n'a pas à
soD adresse une seule épigramme. Des hommes que séparait
une hostilité violente se trouvent rapprochés dans une com-
mune amitié pour lui : Pope et Hill, par exemple, ou Hill et
Quin. Il trouvait tout naturel de solliciter de Pope un secours
pour le vieux Dennis; et il l'obtenait. Il s'est fait de nouveaux
amis jusqu'à la fin de ses jours, et ces derniers venus n'ont pas
été les moins chers ni les moins dévoués : témoin Lyttelton et
Goliins. Mais il n'a jamais perdu que par la mort ceux qu'il
s'était attachés».
Voilà le caractère dominant de cette âme, tel qu'il ressort de
toute la vie que nous avons racontée. James Thomson, avec
son accent provincial, sa mise négligée et sa bonhomie noncha-
lante, sans le charme des dehors, et sans la fascination de l'es-
prit, a exercé, sur un grand nombre d'hommes distingués et
sur quelques hommes supérieurs, l'influence qui peut rayonner
d*une âme d'élite. C'est à sa bonté simple et large qu'il dut
^tte puissance, et avec elle les meilleures joies de sa vie.
N*avions-nous pas raison d'annoncer que sa biographie, à
défaut d'aventures pathétiques ou de piquantes curiosités
psychologiques, placerait cependant devant nous un spectacle
^i a bien son intérêt et sa beauté?
1* Il lui avait envoyé, pendant le voyage de Thomson en France el en
'^ie une épttre versinée. C'était un rare privilège. Mais il n'a pas inséré
^ctle pièce dans ses œuvres et en a transporté une partie dans sa célèbre
^Pilre à Arbulhuot.
* Park. Pope, as 1 hâve heard, used olten to visit Thomson?
HicBARDso?(. Yes, frequently. Pope bas sometimes said : Thomson, Dl
^ftlk to the end of your garden, and then set ofT to the end of Kew-
^oot-lane and back. Pope, Sir, courted Thomson, and Thomson was always
'dmitted to Pope, whether he had conipauy or not.... * (Park*s Mémo-
2. 11 n'a jamais manqué de leur donner dans ses œuvres une place
^^\ les fait participera son immortalité : témoin Aikman, Hammond, miss
Stanley, Talbot et Rundle.
DEUXIÈME PARTIE
LE POÈTE
Introduction. — Exposition.
Les véritables événements de la vie de Thomson, ce sont les
uvres que nous allons maintenant étudier. Ce modeste a été
n révolutionnaire. Cette âme simple, sans complications ni
étours, a donné aux lettres anglaises une production touffue,
Tune extrême variété. Nous nous proposons de l'examiner en
létail. Nous insisterons d'abord et plus particulièrement, sur
le poème original et puissant des années de jeunesse, qui a
consacré la gloire de l'écrivain. Lui-même a bien senti qu'il
ivait mis là le meilleur de son génie. Nous nous arrêterons
^ussi sur le poème délicieux de ses dernières années, où se
"évèle un talent assoupli, mûri et affiné. Mais nous ne passe-
rons pas sous silence les œuvres qui séparent- ces deux florai-
^ns extrêmes. Sur la même tige, pendant ce long intervalle, se
^nt ouvertes successivement quelques fleurs pâles et frêles;
^'autres, larges et nourries d'une sève généreuse, ont manqué
^^ cette subtile harmonie, de cette eurythmie qui fait la
^auté, et qui signale les fleurs parfaites et les chefs-d'œuvre.
'Ous rechercherons dans les petits poèmes, et jusque dans
^ vers de l'adolescent, les traces ou les promesses du génie qui
inspiré les « Saisons i» et le a Château d'Indolence i». Et, dans
énorme poème de « La Liberté i», dans les six pièces données
U théâtre, nous étudierons les aspects nouveaux que peut pré-
^nter le talent du poète, en même temps que nous constate-
Ons les causes pour lesquelles, dans cette voie, cet effort
obuste et vaillant était voué à l'insuccès.
14
LIVRE I
«
LES SAISONS
))
CHAPITRE I
LE SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE
AVANT « LES SAISONS »
I
lia raison d'ôtre de cette étude. — A cpiels noms
elle doit s'attacher.
Thomson, disions-nous, a été en poésie un révolutionnaire,
un de ces initiateurs qui provoquent — ou, selon d'autres,
qui attestent et qui consacrent une modification du goût, un
changement de direction dans la marche de Tart. Et d'autre
part, il est d'une vérité banale de dire qu'en ramenant la
nature dans la poésie il n'a fait que suivre l'inspiration cons-
tante du génie anglais. Nous aurons à préciser ces deux affir-
inations, à montrer comment elles s'accordent et se com-
plètent. Pour cela, après avoir rappelé brièvement quelle a été
1 importance, dans l'histoire de la littérature anglaise, du sen-
^ment de la nature ; après avoir exposé ce qu'il était devenu
^ers le début du xvin<* siècle ; après avoir ainsi placé le poème
^6 Thomson dans son cadre naturel, dans le milieu où il s'est
Produit, nous apprécierons l'œuvre elle-même. Nous verrons
^^ors comment elle se rattache à la tradition nationale et
212 JAHES TflOHSON.
comment elle s'en éloigne; par où elle se sépare de l'école lit-
téraire au milieu de laquelle elle a. surgi, et par quels points
au contraire elle s'y relie.
La tâche serait longue s'il nous fallait poursuivre noire
recherche dans tout ce qui eut un nom et une valeur durant
les trois siècles qu'avait déjà vécu la littérature moderne de
l'Angleterre lorsque Thomson y vint (ixer sa place. Mais, si
l'étude des talents d'arrière-plan est, au même titre que œlle
des génies dominateurs, la tâche de l'histoire et de l'éruditioD,
il n'en va plus nécessairement ainsi de la critique littéraire ou
artistique. Pour qui veut établir la filiation d'un individu avec
les ancêtres de qui procède son génie, ce n'est pas dans [es
masses confuses des esprits moyens qu'il convient de chercher.
Dans la vie de l'art, ce qui est médiocre est sans valeur; ce
qui est grand existe seul. Cequiesti)anal est stérile et disparaît;
seules les œuvres hors ligne sont fécondes, et leur vie se prolonge
dans les œuvres nouvelles qu'elles inspirent. C'est là, nous pou-
vons le noter, une des graves objections qui s'élèvent contre cer-
taine conception, fort en faveur aujourd'hui, du mouvement
et de la progression dans la littérature. Le terme d'évolution
emprunté aux sciences naturelles etappliqué aux choses litté-
raires risque fort de ny être qu'une décevante métaphore. Koos
en pouvons faire ici une double constatation. — Dans lemonde
des organismes solidaires, il n'y a pas de solution de continuité.
Cha<iue être est étroitement déterminé par ses ancêtres directs;
etleurinHuence est d'autant plus puissante qu'ils sont plus voi-
sins de lui dans le temps. Dans le monde des esprits et des arts,
au contraire, l'être de génie peut s'isoler violemment et irapê- !
rieusement des productions qui l'ont précédé. Un Chaucer, un
Shakespeare, un Molière, un Gœlhe donneront aux lettres une |
œuvre où la part de ce qui est antérieurement acquis et par
eux hérité compte, au jugement de l'esthétique, pour bien
peu, à cûté de ce qui est l'apport de leur génie propre. — En
second lieu, dans l'évolution des organismes, les individus
pèsent d'un faible poids. Les divergences qui, chez l'un d'eux,
peuvent être le point de départ d'une évolution nouvelle appa-
raissent comme partielles et de peu d'importance. Il faol
l'accumulation de circonstances favorables pour qu'elles devien-
nent un clément actif de modification de l'espèce. Et, à sup-
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 213
poser même un individu doué d'un caractère particulier forte- .
ment accusé, son influence isolée sur les générations suivantes
iras'afTaiblissant de plus en plus et finira par s'éteindre. Au
contraire, un grand esprit ou un chef-d'œuvre se distinguent
vivement dans le milieu où ils paraissent, soit qu'ils tranchent
parle contraste d'une originalité vigoureuse, soient qu'ils élè-
vent à une puissance suprême les caractères déjà manifestés
par d'autres. Et non seulement ils se placent hors de pair,
mais leur action peut s'exercer sans diminution d'efl'et à tra-
vers les siècles. Elle peut échauffer, à des centaines ou des
milliers d'années d'intervalle, une âme congénère qui demeure
insensible aux influences ambiantes. Thomson rêvant au « Ghàr
teau d'Indolence » oublie tout ce qui occupe ses contemporains
pour suivre les tableaux lumineux et la riche musique de
Spenser; Ghénier écrivant ses pures idylles n'entend point ce
que produit autour de lui la littérature de son siècle : son
oreille est pleine des accents de cette voix grave et merveilleu-
sement mélodieuse dont lui parle la poésie grecque *.
Pour savoir quel rôle a joué le monde des choses dans la lit-
térature anglaise, nous consulterons donc seulement les plus
grands parmi les maîtres, assurés que, si même la réponse
fournie par leurs œuvres pouvait n'être pas d'accord avec celle
que donneraient les productions moins célèbres, n,ous connaî-
trions néanmoins véritablement, avec l'esprit des œuvres
d'élite, l'esprit même, l'esprit vivant et fécond de cette
littérature.
Les grands poètes anglais ont eu cette intuition d'une
parenté des génies à travers les âges, et nous pouvons leur
iemander la liste de ces noms qui résument l'originalité, la
1. Oo entend de reste que nous ne présentons pas ici une réfutation
le la théorie de M. Brunetière. Sa doctrine de l'évolution considère les
enres, non les individus. Toute la science et toute l'éloquence dont il
appuie peut laisser subsister bien des doutes. Le Darwinisme, vidant de
)ute réalité le concept du genre, ne connaît que les individus : il peut
arattre singulier que la critique artistique s'appuie sur le Darwinisme
our faire du genre l'objet essentiel de son étude. Ce n'est pas le lieu
'entrer dans pareille discussion. Mais les disciples sont tentés de donner
jx idées du maître une extension qu'il n'a pas demandée pour elles. Ce
>nl ces conséquences injustifiées que nous avons en vue. Entre le monde
es choses littéraires et celui des êtres organisés M. Brunetière a montré
irtaines analogies possibles; il n'est pas inutile de signaler aussi des
ppositions et des contrastes certains.
214 JAMES THOMSON.
puissance el la beauté des lettres anglaises, et Milton », écrit
Dryden, « lut le lils poétique de Spenser;... car nous avons
a nos descendants en ligne directe et nos clans, aussi bien que
c d'autres familles. Spenser laisse entendre plus d'une fois
« que rame de Ghaucer avait été transfusée en lui, et qu'il
a avait été engendré par le vieux poète mort depuis deux
« cents ans *. » — Pope ajoute avec justice un nom à cette
liste : « Il est facile de retracer le cours général de notre
« littérature : Ghaucer, Spenser, Milton et Dryden en sont
« les principaux points de repère* ». Nous aurons complété
rénumération, si nous y joignons le nom de Pope lui-même,
représentant éminent d'une école importante; si surtout nous
y inscrivons celui du plus illustre de tous, de ce Shakespeare
que Dryden et Pope admiraient Tun et l'autre. S'ils omettent
son nom, c'est sans doute parce qu'ils le trouvent trop grand
pour être rattaché même à une telle famille. Aucun critiqixe
n'a pu nous apprendre quel fut le père du génie de Shakes-
peare; aucun poète n'a émis la prétention d'être son descer*'
dant ou son héritier.
II
GeofCrey Chaucer.
Le sentiment de la nature se montre, très vif et
précis, chez le plus vieux des grands poètes de l'Angletenr^»
chez ce Ghaucer dont l'œuvre clôt une longue période litt^^"
raire et ouvre l'ère moderne de la poésie. Ses sujets ont è^ "^
ceux de ses contemporains, ceux des siècles antérieurs. Il ^
traduit nos trouvères, et, grâce à lui, s'est déroulé dans ^^
langue des Anglais le Roman de la Rose, avec la longue théor i^
de ses pâles et froides allégories . Il a fait son œuv^^
capitale d'éléments où se retrouvent toutes les inspirations ^^
1. • Milton was Ihe poeticnl son of Speascr,... for we bave our line^i
descents and clans, as well as other families. Spenser more than once
insinuâtes that Ihe souI of Ghaucer was transfused into hls body, and
that he was be go tien by him two hundred years after bis decease. •
(Préface to Fables.)
2. • It is easy to trace the gênerai course of our literature : Ghaucer,
Spenser, Milton and Dryden are Ihe chief landmarks. »
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 215
toutes les aspirations du moyen âge, depuis le noble idéal
chevaleresque el religieux des romans jusqu'au réalisme
cynique des fabliaux. Mais à ces matériaux que le long
labeur des siècles passés avait infructueusement maniés et
brassés, il sut ajouter Fart, grâce auquel ces éléments confus
s'organisèrent et prirent vie. Aux œuvres diffuses, amorphes,
sans discipline, sans unité, sans charpente intérieure et sans
harmonie avec la réalité, il fit succéder un poème concis dans
son large cadre, fortement uni dans sa variété, partout mer-
veilleusement plein de mouvement et de vérité. Et c'est ainsi
que, 8*il n'a pas atteint la tragique et sublime grandeur de
Dante, il a, plus complètement que Tauteur de la « Divine
Comédie >, donné une expression artistique à cet effort de
plusieurs siècles qui mepaçait de ne laisser derrière lui qu'im-
puissance et stérilité.
Le même don de sympathie vibrante et de précision dans
'observation, qui lui permet de comprendre les hommes au
nilieu desquels il vit et de les faire passer dans ses poèmes, si
'ivement crayonnés, si vrais et si vivants, le même don
^(^aucer l'applique à l'observation de la nature. Là aussi il
^mplace les indications vagues et banales qui se rencontrent
^ns les poèmes d'autrefois par la notation franche et fortement
foncée d'impressions qu'il a directement ressenties.
Les exemples à citer seraient aussi nombreux que les pages
^ poète, car il décrit volontiers tout et à tout propos. Ce qu'il
Surtout au cœur cependant, c'est Tamour des choses de la
mpagne. Il en retrace avec complaisance les aspects, même
5 plus simples et les plus ordinaires. Son œuvre est remplie
s êtres, des formes, des sons et des parfums de la nature
stique. Les pèlerins des « Récits de Cantorbéry i» cheminent
aiment sur une route anglaise, au milieu des champs et des
iines, à travers les villages et les bourgs de la vieille Angle-
're. Tout le poème est baigné de grand air et de lumière, et
rtout la nature fait un chaud et solide fond de tableau à la
valcade bigarrée. C'est un des caractères par lesquels le
ème se sépare le plus profondément de son modèle italien,
.ndis que les égoïstes causeurs du « Décaméron i» sont, par
poète aussi bien que par leur propre décision, isolés du reste
i monde, tandis qu'ils ne vivent qu'une existence toute men-
te, les personnages de Chaucer doivent en partie leur relief
216 JAMES THOMSON.
et leur vérité dramatique au contact toujours senti de la nature
ambiante ^
Aucune recherche, d'ailleurs, aucune afifectation dans ce
rappel du monde extérieur. Les effets qui reviennent le plus
souvent sont ceux-là mêmes qui depuis longtemps approvi-
sionnaient les trouvères de fades lieux communs : la margue-
rite et la rose, le chant des oiseaux, la fraîcheur du matin et
la beauté du printemps. Mais la différence est grande entre ces
images pâles, estompées et sans relief, purs exercices de vir-
tuoses où se révèle bien rarement un détail précU de chose
vue, et les tableaux solidement peints de Chaucer où, dans un
contour précis et ferme, les objets se détachent vivement, déga-
geant une impression nette et vigoureuse parce qu'ils repro-
duisent une sensation sincère et forte.
Qu'on se rappelle, entre mille traits analogues, cette brève
notation d'une aurore :
a L'alouette affairée, messagère du jour, — salue de sa
■
« chanson le gris matin, — et Tardent Phébus s'élève si
a radieux — que tout l'orient rit à sa vue, — et de ses rayons
a il sèche dans les bosquets toutes les gouttes argentées des
a feuilles '. t^
1. Les exemples abondent. On connaît surtout le début du Prologue.
Voici un passage plus intéressant encore :
• Our hoste sey wel that the bryghte sonne
The ark of his artificial day hatli ronne
The fourthc part, and halfan houre, and more;
And though he were not depe expert in lore,
He wisle it was the cightetethe day
Of April, that is messager to May;
And sey wel that the shadwe of euery tree
Was as in lengthe the same quantitce
That was Ihe body erect that caused it.
And therfor hy the shadwe he took his wit
That Phebus, which that shoon so clere and bryghte,
Oegrces was fyiie and fourty clombe on hyghte. •
{Introduction to the Man ofLaw 's Prologue.)
2. « The bisy larke, messager of daye,
Saluëth in hirsong Iho morwegraye;
And fyry Phebus ryselh up so brighte,
That ail the orient laugheth of the sighte,
And with his stremes dryeth in Ihc groves
The silver dropes, hanging on the levés. »
{The Knightes Taie, 633-638, Clarendon Press edit.)
(Nous ne gardons pas cependant la leçon de celle édition qui donne au
quatrième vers • lighte •, moins satisfaisant que • sighte ».]
IMBNT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 317
lette description d'une forêt au renouveau :
grands chênes s'y élevaient — sous lesquels le gazon de
e si vive — avait fraîchement poussé, et chaque arbre
;sait à huit ou neuf pieds de ses voisins — et déployait
arges branches, chargées de feuilles nouvelles, — qui,
ouies, masquaient l'éclat du soleil, — quelques-unes
rouges, et d'autres d'un vert clair et gai * »•
1 manifestement là, dans la minutie de l'observation et
justesse de touche de la peinture, quelque chose que
en âge n'avait pas connu, pas même dans les vers gra-
trop parés et trop spirituels, du rondeau célèbre de
5 d'Orléans.
cette précision aiguë de la vision qui sauve de la mono-
es descriptions si fréquentes d'oiseaux, d'arbres et de
Dans une forêt, Ghaucer donne à chaque arbre sa
lomie propre. De chaque oiseau il connaît et il note le
Taspect, le mouvement particulier *. Il voit tous les
des objets, et en même temps il sympathise avec toutes
lifestations de la vie des choses. Voyez ce que lui suggère
3rse de printemps :
ind les douces ondées de la pluie tombent mollement, —
« In A\'hich were oakis gretc, strcight as a line,
Uuder Ihe which Uie grass, so freshe of hew,
Was Dcwly sprong, and an eight fote or nine
Every Ire wel fro his fellow grew,
W'ith braunchis brode, ladin with levis new,
Thaï sprongin oui agen Uie soone shene,
Some very red, and somc a glad li^ht grene. »
{The Flour and Ihe Leafe,)
* There sat 1 down among ihe faire flouris
And saw Ihe birdes tripping out of Iher bowris,
There as Ihey restid* hem Iiad al nighl,
They were so joyful of the day' is lyghl,
They began of Mayc for to done hunouris.
They condin wel that service ail by rôle.
And there was many a fui lovely noie,
Some songin loude as they had yplained,
And some iu olher manir Vdice yfained
And some songin al out wilh Ihe fui Ihrole.
They proynid* hem and madin 'hem right gay,
And daunsidin, and Icplin on Ihe spray,
And evirmore were two and two in fere •, etc.
;e passage a été cité et traduit par M. Taine, Liltér, angl,, vol.
lap. III.
218 JAMES THOMSON.
c que le sol bien souvent — exhale de bienfaisantes vapeurs,
« — et que chaque plaine se pare richement — d'une fraîche
« verdure; que les petites fleurs — éclosent çà et là dans les
t champs et les prairies, — si bonnes et si bienfaisantes sont
t ces ondées, — qu'elles renouvellent ce qui était vieux et
t mort — pendant l'hiver ; et, de toutes les semences, — sor-
t tent les plantes ; si bien que chacun — se sent, à la venue
t delà saison nouvelle, tout joyeux et léger \ >
Et cependant ces descriptions directes ne sont pas tout ce
qui révèle chez Ghaucer le sentiment et l'amour de la nature.
Son style emprunte à tout moment au souvenir de la vie des
plantes et des oiseaux des notes qui lui communiquent une
fraîcheur et une animation exquises. Tantôt c'est une compa-
raison prolongée comme celle de Cressid avouant son amour:
c Tel le jeune rossignol timide qui s'arrête d'abord quand il
€ commençait à chanter, — parce qu'il entend la voix d'un
« berger, — ou le bruit de quelqu*un agitant les haies, — et
« qui, rassuré, déploie sa voix *. »
Plus souvent encore, c'est une indication rapide telle que
celle qui complète la description du costume d'un jeune
écuyer : « tout brodé, comme une prairie pleine de fraîches
« fleurs blanches et rouges ' ».
1. « Wlien sliouris sole of raio descendid sofl,
Causing tlie ground, fele limes and oft,
Up for to give many a wholesome air,
And cvery plain was yrlothid faire
Wilh newe grene, and makilh smale flours
To springen hère and there in field and mede.
Se very gode aod wholesome be the shours,
That tliey renewin Ihat was old and dede
In winter time, nnd out of every sede
Springeth ttie Jierbe, so thaï evcry wight
Of Ihis seson venilh richt glud and lighl.... »
{Troilus, cité par Taine, vol. I, p. i87.)
2. • And as the newe aba^hcd nightingale
That slinteth lirst whan she begionelh singe,
Whan that she heareth an y heerdes laie,
Or in the hedges any wight stcaringe,
And after siker doeth her voice outringe. »
(Ttx>nus and Creséid, liv. III, m-l8i.)
3. • Embroudcd was he, as il were a mede
Al fui of fresshe floures, whyte and rede. »
(r. C. The Prologue, 89, 90.)
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 319
Ainsi, la nature, directement sentie, et rappelée avec un
ntarissable plaisir, figure partout dans Tœuvre du père de la
oé8ie anglaise. Elle ne s'y montre pas, il est vrai, sous ses
spects exceptionnels, ni avec ses spectacles imposants ou
randioses. C'est la nature aimable et riante, telle qu'elle
ouscharme dans la jeune saison et dans les matinées radieuses,
'est bien celle qui convient à une littérature jeune elle-même,
aiciie et pleine de promesses comme une aurore. Dans ces
miniers chefs-d'œuvre nous ne trouvons pas seulement le
>u venir, mais comme la sensation même de la campagne au
'intemps. On pourrait appliquer au poète le vers par lequel
résume le portrait' du jeune seigneur : a il avait toute la fraî-
leur du mois de mai * ». — « A lire Chaucer », dit M. Lowell,
poète-critique américain, a il semble qu'on marche, au lever
du soleil, sur le gazon couvert de rosée. »
III
Shakespeare.
>i Chaucer a le don de création dramatique, son poème est
rendant avant tout narratif, et la description des choses y
nt facilement prendre place. Il pourrait n'en être pas de
me d'un pur dramaturge. On connaît de grands tragiques
it les personnages, merveilleusement analysés et fouillés,
ent dans un monde de passions et de pensées qui s'isole de
matière et ignore les réalités extérieures. Tout autre est le
actère du théâtre de Shakespeare. S'il n'était pas d'abord le
s grand des poètes dramatiques, on pourrait voir en lui le
s grand des poètes descriptifs, parce qu'il n'en est pas un
, avec une plus admirable puissance, fasse paraître à nos
IX les objets du monde sensible, pas un qui ait plus con-
nment ni plus intimement mêlé à toute son œuvre les
DUS, les sensations et les impressions de la nature.
1 serait oiseux d'insister sur ce dernier point : ce serait la
gue môme de Shakespeare qu'il faudrait étudier. Qui ne
« He was as fresh as is Ihe monlh of May. »
(/6t(/., V. 92.)
220 JAMES THOMSON.
sait que ce style est fait de métaphores, embryonnaires ou
pleinement écloses, pour lesquelles le poète puise avec une pro-
digieuse variété, avec une originalité et un bonheur merveil-
leux dans le réservoir des formes, des couleurs ou des sons du
monde matériel? Il n'est pas une idée ou un sentiment, semble-
t-il, qu'il ne traduise, ou au moins dont il ne colore ou ne for-
tifie l'expression par une image. Il aurait épuisé ce pouvoir
d'expression des choses si un pareil trésor ne défiait la prodi-
galité la plus folle. « Shakespeare a possédé plus qu'aucun
« poète le pouvoir de faire servir la nature à ses besoins
« d'expression. Sa Muse impériale jongle avec la création
t comme avec une marotte qui passe d'une main à l'autre;
a il remploie à revêtir d'une forme sensible la plus capricieuse
« pensée qui vienne flotter sur son esprit *. >
Ce serait un dessein plus réalisable de relever les tableaux
insérés par le poète au milieu de ses drames, ou les coups de
pinceau par lesquels il lui arrive sans cesse, au milieu de ses
dialogues rapides et emportés par l'action, d'évoquer à nos
yeux un objet, une scène, un vaste ensemble mème^ perçus
aussitôt avec la netteté aiguë et l'éblouissante clarté queféclair
projette sur un paysage.*
Les poèmes de jeunesse sont là pour nous dire avec quelle
puissance et quel a gusto t) Shakespeare se laisserait aller au
plaisir de décrire, si son génie dramatique n'avait impérieuse-
ment écarté la tentation. Les mythologiques amours de c Vénus
et Adonis » ont pour cadre un paysage tout anglais, richement
et complaisamment peint, et tout rempli des notations précises
delà vie rustique. Mais le dramaturge nous présente rarement
une description prolongée. Encore ces tableaux ne sont-ils
jamais des hors-d'œuvre; ils ont toujours une valeur drama-
tique. Est-il besoin de rappeler ces fragments qui figurent
dans toutes les anthologies, qui tous y brillent comme d'in-
comparables morceaux de bravoure, et qui tous cependant
ont perdu quelque chose de leur éclat et de leur beauté comn^e
un fragment isolé de la mosaïque dont les valeurs voisines
1. - Shakespeare possesses the power of subordinaling nature for l»^
purposes of expression, beyond ail poets. His impérial muse tosses Uie
création like a bawble from hand to hand, and uses it to embody any
caprice of thought that is uppermost in his mind. » (Ehbrson, Essaya •
Nature,)
SNTINBNT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 321
aplétaîent la sienne? Qui n'a devant les yeux la mer en
eur telle que la contemplent avec effroi Desdémone et les
nitiens sur la côte de Chypre », ou telle que nous Tenten-
is siffler et mugir autour du vaisseau de Périclès * ? Le rêve
Clarence ' nous montre le paysage mystérieux de l'abime
^ autant d'émouvante précision qu'Edgar en apporte à
crire la mer vue du haut de la falaise vertigineuse de
•uvres \ La forêt de c Comme il vous Plaira d, ou la sauvage
:raite de Belarius dans c Gymbeline i» ont pour nous une
istence aussi réelle, un caractère aussi fortement imprimé
r notre imagination que ces prés et ces jardins de la cam-
$nie anglaise dont la fraîche vision reparait, à toutes les
riodes de la carrière du poète, dans des pièces telles que
Peines d'amour perdues i^, « Les Joyeuses Commères de
indsor i» et le t Conte d'Hiver ^,
El quant à ces brèves évocations où l'on ne sait s'il faut plus
mirer la magie avec laquelle la perception d'une chose réelle
>us est suggérée ou l'effet dramatiq ue tiré par le maître de cette
^nce des choses, est-il une seule de ses trente-sept pièces
ti n'en fournisse plusieurs exemples? Il n'avait pas besoin de
cors le peintre qui savait fixer ainsi en quelques mots la
sne de c Roméo et Juliette d au pays des nuits tièdes et
mineuses :
< Ange brillant, tu es — radieuse comme cette nuit, et ton
éclat égale — celui d'un de ces messagers ailés du ciel, —
que les hommes contemplent étonnés... — quand il passe
sur les lents nuages — et vogue au sein de l'air **. »
« Demoiselle, je le jure par cette lune bénie — qui de là-
haut argenté la tête de tous les arbres de ce verger ^ t^
. Othello, acte II, se. i.
. PericleSf acte III, se. i.
. The Traqedy of King Richard III, acte I, se. iv.
. King Lear, acte IV, se. vi.
. Romeo and Juliet, acte II, se. ii, ▼. 26-32.
'il en faut croire un bon juge, Shakespeare, seul avec Wordsworth, a
é aussi un elTet merveiUeux du soleil sur les sapins dans ces vers de
hard II :
« But when, from under this terrestrial bail,
He Ares the proud tops of the eastern pines. m
Toir Rusiiif, The Stones of Venice, I, p. 240, 241..
). Romeo andJuUetj acte II, se. ii, v. 107, 108.
222 JAMES THOMSON.
Ailleurs, il fait tenir dans deux vers une évocation du lieu,
de rheure, des froides nuits du Nord, et de ses &mes à Timagi-
nation inquiète et sombre :
a Que s'est-il donc passé — pour que tu viennes, corps sans
t vie, comme autrefois tout vêtu d'acier, — revisiter la terre
« sous les pâles rayons de la lune ' ? i»
Dans les tragédies où l'action marche du pas le plus emporté,
les images gracieuses ou sinistres se rencontrent à chaque
scène. Trois vers de c Coriolan i» nous font connaître Valeria,
et, du même coup, par une série de vibrations qui vont jus-
qu'au fond de nos esprits, ils éveillent l'idée de la vieille Rome
républicaine, violente et dure, mais grave et de mœurs aus-
tères :
(( C'est la lune de Rome, chaste comme le glaçon — que le
« gel a fait de la neige la plus pure — et qu'il a suspendu au
€ fronton du temple de Diane*. > Et dans la plus sobre et la
plus concise des tragédies, dans ce Macbeth où la tourmente
des passions et des événements semble ne pouvoir laisser
aucune place à l'observation des choses, on sait quel délicieux
« repos 1» est fourni par la description du château d'Inver-
ness ', et quelle horreur ajoute au drame humain la violence
déchaînée de la tempête *.
Tout cela est depuis longtemps établi; nous nous reproche-
rions d'y insister davantage. La nature, elle est partout dans
l'œuvre de Shakespeare, non pas comme un ornement acces-
soire, mais comme un des éléments essentiels de son système
dramatique. Dans les tragédies où les passions se heurtent, et
où l'humanité grandie emplit la scène, une part est faîte au
monde matériel, soit que la vision en vienne, comme un
accompagnement harmonique, ajouter à l'intensité de l'émo-
tion (a le Roi Lear », <c Macbeth », a Pericles », etc.); soit
qu'elle pose, en face de ce monde mobile et désordonné des
âmes, l'antithèsee de la nature calme et bonne (c Gymbeline »,
« la Tempête», a le Conte d'hiver »). Et il en est encore ainsi
dans ces comédies où le poète semble se laisser entraîner par
1. Uamlety Prince of Denmark^ acte I, se. iv, v. 51-53.
2. CoriolanuSf acle V, se. m, v. 65-67.
3. MacffCth, acte I, se. vi. — Sir Joshua Reynolds signalait aux jeunes
peintres l'heureux eiïet de cette scène paisible et gracieuse au milieu des
violences forcenées du drame. {The Eighlh Discourse.)
4. Macbeth^ acte II, se. ui, y. 4C-53.
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 223
la plus capricieuse fantaisie. Jamais en réalité nous ne per-
dons terre entièrement. Les joutes d'esprit de (( Peines d'amour
perdues » mettent aux prises des personnages quintessenciés
et précieux, dans un milieu très réel de prairies et de bois
où croissent les pâquerettes mi-parties et les violettes bleues,
où chante Talouette joyeuse et le coucou moqueur; où les
jeunes filles font sécher leurs jupes d'été * ; où résonnent les
chants rustiques de vrais et simples paysans. A l'action com-
pliquée et fabuleuse du « Marchand de Venise y> se mêlent des
scènes à la fois délicieuses et d'une surprenante valeur de réa-
lisme '. Les petits êtres surnaturels du c Songe d'une Nuit
d'Été > sont en commerce si intime avec les plantes et les fleurs
de la campagne anglaise que nous sommes prêts à voir en eux
lesgénieset l'âme même de ces bijoux vivants *. Dans les comé-
dies aussi bien que dans les drames la nature est utile et néces-
saire au poète. S'il ne nous y emporte pas en plein pays des
songes vaporeux, ce n'est pas seulement parce que mille traits
d'une observation psychologique exacte nous rappellent au sen-
Ument de la réalité, c'est aussi parce que le milieu dans lequel
Se meuvent ces êtres de fantaisie est toujours le monde réel.
Et de fait, n'est-elle pas bornée et incomplète la psycho-
logie qui ignore l'importance dans la formation d'une âme de
<^es mille influences des choses qui sans cesse, et même dans
1^ conditions de vie les plus factices, nous pénètrent et nous
Modèlent? Shakespeare n'isole jamais quant à lui ces deux
termes de l'étude du poète, l'âme humaine, le monde. Il semble
'^ême que, pour lui, ces sensations fournies par les forces
f Oibiantes forment les premières assises et le fond de notre être
^^tellectuel. Ce sont elles qui remontent à la surface quand
'^ autres influences s'aflaiblissent. Ophélie privée de raison
^hante les fleurs des champs et des bois *, le vieux Lear se
^Uvre de fleurs sauvages % Falstaff mourant joue avec des
^^urs et parle des prés verts ®.
i. Love*s Labour's Loêty acte V, bc. ii, v. 904 et suiv.
^. The Merchant of Veniœ, acte V, se. i, v. 54 et suiv.
3. A Midsummer NighVs Dreum^ acte II, se. i, v. 8 et suiv.
I. HamM, Prince of Benmark, acte IV, se. v.
5. • NatureV above art in that respect. »
(King Lear, acte IV, se. vi, v. 86.)
«. The Life of King Henry F, acte II, se. m, v. 17. — Sur le rôle de la
224 JAMES THOMSON.
IV
Edmuzid Spenser.
A côté du grand peintre de l'humanité, voici, dans le glorieux
épanouissement de la Renaissance anglaise, un poète bien dif-
férent. Nous ne chercherons pas chez lui cet équilibre du pou-
voir d'observer et de Timagination inventive qui fait de Sha-
kespeare un phénomène unique. Spenser ne prend à la réalité
sensible que les éléments de ses créations idéales. Pour ali-
menter chez lui un intarissable bouillonnement de visions et
d'images, il suffira des souvenirs de l'antiquité classique et
d'un minimum de formes et de couleurs. Son œuvre dous
transporte dans un autre monde que celui qui nous entoure, et
que Shakespeare a dépeint. Sous la magie de ses vers, lui-
même a pris soin de nous dire ce qui se trouve. Ce n'est < que
a l'illusion d'une peinture, — et nul de ceux qui respirent l'air
« de la vie ne sait — où se trouve cet heureux pays des Fées
a — que je célèbre tant et ne montre nulle part > ».
Entendons par là qu'il ne le fixe en aucun point de la terre
Mais il ne se lasse pas de nous le montrer. Les descriptions d€
paysages se pressent dans son poème aussi nombreuses qu<
celles des êtres animés *; il ne s'y arrête pas avec une moindr
nature daus le théAtrc de Shakespeare, M. de Laprade a écrit quelque
lignes, où sans doute le sujet n'est pas creusé profondément et où man
queut los « documents ». Mais la sym|)athie et Tadmiration de l'auteu
lui dictent d'éloquentes et péuêtrantes observations qui sont un honneu
pour la critique fran^*aise. Voir la préface aux Symphonies, p. 14, 13.
1. « Uight well I wote, most miphty Soveraine,
That ail this famous antique history
Of some th' abundance of an ydie braine
Will judged be, and painted forgery,
Sith Done that brcatheth liviug aire does know
Where is that happy land of Faery,
NVhich I so much doe vaunt, yet no where show. »
(The Faerie Queene, Bk. U, i.)
2. ti A chaque détour d'allée, à chaque changement du jour, une stance.
un mot fait entrer un paysage ou une apparition. « (Tainb, Histoire de l(^
Littérature anglaise^ t. 1, liv. II, chap. i.)
>ENTIMBNT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 235
mplaisance; il n'y déploie pas une moindre richesse de
loris. Sans doute ce n*est pas le monde réel. Peut-être le
)ète a-t-il voulu se garder d'une dissonance possible, en évi-
Ht de placer, au milieu des scènes et des formes qui nous
)nt familières, la foule hétérogène et brillante de ses person-
ages : dieux païens et satyres, chevaliers et allégories du
noyen âge, enchanteurs et nobles dames des poèmes italiens,
îéants et fées des légendes populaires. Nulle surprise donc- si
lous trouvons à la t nature » de Spenser le même caractère
le fantaisie audacieuse. Il remplace volontiers les forces du
nonde matériel par les poétiques entités de l'antique mytho-
ogie. Il aime mieux reproduire ou imaginer un mythe que
loier exactement les phénomènes visibles. Une pluie d'orage
îst déversée par Jupiter irrité sur le sein de sa maîtresse *. Aux
'ris d'effroi poussés par une vertueuse héroïne, les étoiles
se fondent et tombent comme des larmes. Phébus, pour fuir
on spectacle révoltant, recouvre d'un nuage épais son visage
rougissant et se cache de pure honte *.
Et cependant, de même que tous les habitants du ce Pays
Féerique » ne restent pas à l'état de vagues chimères, parce
^lu'ils ont reçu le don de vie,. qui les dispense de la vraisem-
blance, de même aussi les paysages parmi lesquels la fantaisie
du poète les promène conservent avec la nature quelques
points de contact. De tous les phénomènes du monde sensible,
1' ft The day with cloudcs was suddcine ovcrcast.
And angry Jove aa hideous storme of raine
Did pourc into his Lcmans lap so fast,
That everie wight to shrowd it did conslrain. n
(The Faerie Queene, Bk. I, canto I, str. vi.)
ï^eul-être, il est vrai, avons-nous aiïaire ici à Virgile plus encore qu'à
^penser. Le poète anglais s'esl cvidcmmcnt souvenu des u Géorgitjues » :
« Tum pater omnipotens fecundis imbribus œtber
Conjugis io gremium lœtœ descendil^ et omnes
Magnus alit, magno commixtus corpore, fœtus. »
(Géorgiques, liv. Il, v. 323.)
^* « The pitteous maydcn, carefull, comfortlessc,
.... with loud plaintes importuneth the skyes,
That molten starres doe drop like weeping eycs;
And Pbœbus, nying so most sbamefuU sight,
His blushing face in foggy cloud implycs,
And hydes for shame. »
[The Faerie Queene^ Bk. I, canto VI, str. vi )
15
226 JAMES THOMSON.
le poète s'est attaché à celui qui, par son caractère infinimeot
variable, se prête au.^^ jeux capricieux de ses créations, et dont
la magie propre défie les plus merveilleuses visions de Tart.
Spenser ne nous donne guère de paysages aux formes arrêtées,
aux couleurs franches et vraies; mais il a fait sien le monde de
la lumière. Le soleil ruisselle dans son poème, dore et fait
briller tous ces groupes chatoyants qui s'y meuvent. Et ce n'est
pas seulement du grand éclat lumineux qu'est frappé l'artiste.
Il observe et enregistre les effets les plus subtils de la lumière
réiléchie et brisée. On peut se demander si jamais poète avant
lui a fixé dans ses vers les délicatesses du clair-obscur. < Le
« jeune chevalier ne se laissa pas arrêter, mais pénétra dans la
« sombre caverne, — et regarda. Son armure brillante produi-
« sait — une faible lumière sombre, très semblable à l'ombre,
a — et il put voir distinctement le monstre affreux '. »
Un pareil sens de la lumière, si vif et si juste, contribue
puissamment, on ne l'a pas assez remarqué, à cette illusion
1. « But, full of Pire and greedy hardiment,
The youlhfull knighl would not for ought bc staide;
But forlh unto the darksome hole he went.
And lookcd iu. His glislering armor made
A litlle glooming li^ht, much like a shade;
By Nvhich he saw the ugly monsler plaine. »
{The Faerie Queene, Bk. I, canto I, str. xn'.)
Leigh Ilunt (hnaf/ination and Fancy) a remarqué la prédilection du poète
pour ces eiïets savants de lumière. On pourrait citer encore cette caverne
de Mammon qui n'est éclairée que par les vagues reflets de Ter qui en
forme les murs, le sol et la voûte :
« Both roofe, and floore, and walls, were ail of gold,
But overgrowne with dust and old decay.
And hid in darkenes, that none could behold
The hew thereoT; for vew of cherefull day
Did never in Ihal house it selfe display,
But a faint shadow of unccrtein lighl :
Such as a lamp, whose life does fade away,
Or as the Moone, cloathed with clowdy night,
Does show to him that walkes in feare and sad aOright. »
{The Faerie Qneene^ Bk. II, canto VII, str. xxix.)
Au premier de ces exemples on peut opposer cet autre cfTet d'une armure
réfléchissant l'éclat du plein soleil :
. . . , ■ -
« One in hright armes embattciled full stroDg
That, as the Sunny beamcs do glauQce and gl^de
Upon the trcmbling wave, so shincd bright,
And round about him threw forlh sparkling fire,
That secmd him to cnflame on every side. »
{The Faerie Queene, Bk. II, canto V, str. u.)
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 327
\ vérité que revêtent les invraisemblables créatures de la
Reine des Fées ». Or cette vérité-là peut suffire. Réunissez
s architectures les pins artificielles, les groupements d'arbres,
e collines et de nappes d'eau les plus factices, les anachro-
ismes les plus criants de costumes et de personnages, le riche
nveloppement de la lumière atténuera tous les disparates et,
ur une toile de Claude, donnera à des scènes imaginaires un
cachet de sincérité et de vraisemblance. C'est au même titre
lue Spenser peut être considéré comme un grand paysagiste.
Par un autre point encore cet enfant de Londres, ce poète
de cour, touche à la nature. S'il ne nous a pas donné la pein-
ture fidèle des grandes scènes du monde visible, des grands
personnages de la réalité extérieure, jamais poète n'a fait plus
large place à toutes ces choses gracieuses, douces et souriantes
qui charment également les dieux païens et les villageois, et
qui peuvent être mêlées, sans qu'il soit besoin de les modifier,
aux rêveries les plus idéales. C'est à tout le poème de la
« Heine des Fées b que nous pouvons appliquer ce qu'il dit
lui-même du <( Bosquet de Bonheur ^ » : « Les oiseaux et les
« voix, les instruments, les murmures du vent et de l'eau, tout
« y forme harmonie ». Avec quelle profusion aussi les ileurs y
croissent! Non pas la fleur symbolique du moyen âge, mais
celles qu'il a vues en effet dans les campagnes d'Angleterre,
et sur les bords de la Mulla. Elles parsèment ces clairières
ï^ondées de lumière, où se déroulent ses nobles visions; elles
^^ sont pas moins nombreuses sur l'épais tapis des forêts;
-^les tombent en pluie et se mêlent aux cheveux des jeunes
^lles qui fuient sous la ramée*; elles parfument l'eau où se
^^igne Chrysogone 3; Vénus les répand à pleines mains sur la
[^ï^taine où Adonis rafraîchit ses membres fatigués * ; et, quand
Occasion s'en offre, le poète réunit en une gerbe brillante
^Ule fleurs qu'il se plaît à décrire ou à nommer l'une après
1. • For ail ihat pleasing is to living eare
Was theo consorled in onc harmonee;
Birds, voices, instruments, windes, waters, ail a(;ree :
• The joyous birdes, shrouded in chearefull sliade
Their notes unto the voice altempred sweet. •
{The Faerie QueenCy Bk. II, canto Xll, str. lxx, lxxi.)
^. The Faerie Queene, Bk. II, canto 111, str. xxx.
^. Ibid,, Bk. m, canto VI, str. vi.
^- Ibid.f Bk. 111, canto i, str. xxivi.
228 JAMES THOMSON.
l'autre : « Apportez ici l'œillet et la pourpre ancolie, -— avec
« des giroflées ; — apportez des grenadins et ces œillets-giroflées
<K — que portent les amants; — jonchez le sol de narcisses, —
c et de primevères, et de boutons d'or, et de lis aimés : — la
« jolie pensée — et la tleur des chevaliers — rivaliseront avec
€ la belle fleur-de-délices » ».
Ce n'est pas de la « Reine des Fées » que vient ce passage.
Si nous comparons à la grande allégorie épique les autres
œuvres du poète, nous remarquerons que dans les poèmes
secondaires Tinfluence de la nature est plus directe et plus
vive. La part faite aux choses inanimées est en proportion de
l'intensité d'émotion qui anime ces dilTérentes pièces. Dans le
a Calendrier du Berger » où, sous une fable bucolique et
allégorique, Spenser exprime souvent des sentiments ou des
opinions qui lui tiennent fortement au cœur, nous trouvons
plus d'une fois des notations très exactes de choses rustiques*.
1. « Bring hethcr thc Pincke and purple CuUambine,
With GelliUowres;
Bring Coronation», and Sops in Wine,
Worue of J*araiuoures :
Slrowc me the groiind witli Daiïadowndillies,
And Cowdlips, and Kingcups, and loved Lillies :
Thc prctie Pawnce.
And the Clievisaunce,
Shall match with thc fayre flowrc Délice. »
[The Shepheard's Calendet" : April.)
2. Voir par exemple cette description des arbres en hiver :
■ You naked troes, whose shady leaves are lost,
Whereiu the byrds \vere wont to build their bowre,
And nuw are clolhd with mosse and huary frost,
Insted of bloosmes, whcrewith your buds did flowre. «
(Januafy.)
• FaJed oak
Whose body is sere, whuse branches broke,
Whose naked arms stretch unto the Ore. »
(Feôruary.)
Ou, dans la deuxième Kglogue:
" My rat^^cd rontes al! siiiver and shakc,
As docn high Towcrs in au earthqnake,
They wont in the wind wagge their wrigle tayles»
Perke as a Peacock; but now it avales. »
{Fehruary.)
• Seest howe brag yond Bullocke bearcs,
So smirke, so smoothe, bis pricked eares?
His bornes bene as broade as Bainebowe bent,
Ilis dewelap as lythc as lasse of Kent. • (fd.)
MENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 229
comment le poète rappelle d'une touche sobre et
te la Mulla sur les bords de laquelle il a devisé avec
i, dans Colin Clouts corne home again. Les pièces
ées au souvenir de Philip Sidney renferment (sauf
re Astropîiel, la plus froide de toutes) de nombreux
escriptifs. Quelques-uns des oc Sonnets j> sont de purs
ic *, et Tun d'eux au moins traduit comme l'obsession
ensation ^ Enfm dans le morceau le plus lyrique de
ivre, dans cet admirable Epitlialamium où il sonne
s fanfare de son amour heureux, on sent un ravisse-
refond dans la beauté de Tunivei^s. La nature y fournit
de ce refrain qui sans cesse vient associer au bonheur
3 les bois et leurs échos sonores.
Milton.
ipit de la chronologie, Milton est un contemporain de
)eare et de Spenser; il complète avec eux la glorieuse
poétique de la Renaissance anglaise. Il appartient &
e privilégiée par l'union do ces deux caractères : la
de la pensée et la recherche passionnée du beau. Il a,
son maître, une foi religieuse intense et un haut idéal
il croit que le don de poésie a été mis en lui pour le
exemple le sonnet XIX : « The merry Cuckow, messenger of
,etc.
« Comming to kissc her lyps (such grâce I found),
Me seemd, I smelt a gardin of sweet flowres,
That dainly odoura from lliem tlircw around,
For damzels fll to decke tbeir lovers bowres.
Her lips did smcli lyke uiito Ihe Gillyflowers;
Her ruddy cheekes, lyke unto Roses red;
Her snowy browes, lyke budded Bellamourcs;
Her lovely eyes, likc Pincks but newly spred;
Her goodly bosomef like a Strawberry bed;
Her neck, lyke to a buncli of Cullambynes;
Her brest, lyke Lillyes, ère Ihcyr leaves bc shed;
Her nipples, like yong blossomed Je^scmynes;
Such fragrant flowurs doe give inost odorous smcU;
But her sweet odour did them ail excell. •
(Sonnet LXIV.)
230 JAMES TQOMSON.
service de ses convictions *. Et comme chez Spenser aussi,
cette aspiration vers un but élevé, cette sorte d'apostolat poé-
tique est associée chez Milton à un sentiment très vif de la
beauté sous toutes ses formes. Dans ses œuvres de jeunesse
nous retrouvons tous les motifs inspirateurs du poète que
nous venons d'étudier : Téclat radieux de l'antiquité païenne,
la noblesse morale du platonisme et de la foi chrétienne, la
soif d'idéal et le charme naïf des poèmes chevaleresques ou
des légendes populaires. Mais il y ajoute quelque chose. Si
ces premières productions, VAUegro^ le PenserosOy Cornus,
Lycidas, etc., méritent d'être considérés comme les chefs-
d'œuvre les plus achevés de la poésie de la Renaissance,
en dehors du théâtre, c'est que Milton y manifeste, à un plus
haut degré que Spenser, une ferme étreinte de la réalité, uo
sentiment large et profond de la nature.
E^t-il besoin de rappeler que VAUegro et le Penseroso
énumèrent avec une complaisance ravie les spectacles, \^
travaux et les plaisirs de la campagne? Malgré l'opinion des
critiques à qui ces tableaux ont paru manquer d'exactitude,
est-il rien de plus justement vu et noté que la plupart de ces
traits descriptifs? Sans doute l'imagination seule du poète a
entendu l'alouette lui chanter à la fenêtre une joyeuse aubade*.
Mais ce sont bien des impressions directes que ce bruit « du
a faucheur qui aiguise sa faucille' »,ou la vue de «c ces meules
c fauves qui s'élèvent dans la prairie * », de a cette cheminée de
«c chaumière dont la fumée monte entre deux vieux chênes* h
de a cette lune voyageuse qui semble se baisser pour franchir
c un nuage floconneux ^ d, de <( cette petite pluie qui, du bord
a du toit laisse tomber à intervalles réguliers ses gouttes sur les
a feuilles qui bruissent' ». Les scènes merveilleuses de Corf^^^
se déroulent au milieu de paysages qui ont à la fois l'éclat des
tableaux de Spenser et le charme pénétrant des champs et des
bois véritables. Ce sont des vallées aux broderies de violettes,
4. • Milton bas acknowledgcd to me, thaï Spenser vraa bis original» *
(Dryden, Préface to Fables,)
Dans VAreopagitica Millon lui-môme exprime en ces termes son jug^'
ment 8ur Spenser et aa conviction que le poète a une mission morale :
« the sage and serions Spenser, whom I dare be known to tbink a bellcr
teacher that Scotus or Aquinas. »
2. VAUegro, v. 46. — 3. Ibid., v. 66. — 4. Mid., v. 90. — 5. Ibid., ▼• 81»
82. — 6. // Penseroso, v. 71, 72. - 7. îbid,, v. 127-130.
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 231
u'emplissent la voix d'Écho, la douce nymphe, et les tristes
hants d'amour du rossignol* ; une forêt de sombres pins dont
es cimes noires s'agitent et secouent sur le voyageur égaré
'horreur et la menace*; des clairières où, sur le bord du
ruisseau à la surface légèrement ridée, les nymphes des bois
ornées de parures de pâquerettes célèbrent leurs veillées
joyeuses 3; des âables jaunes où dansent les fées légères et les
gracieux lutins % des sources entourées de fragiles roseaux*,
des rives que tapissent les primevères à la tête de velours •.
Lycidas commence par une apostrophe à ces plantes
symboliques : le laurier, le myrte, le lierre; il se termine
par la mention de bois et de prairies. Et dans le poème lui-
même que de souvenirs des choses de la nature, depuis Ténu-
raération célèbre des fleurs dont le poète veut joncher la tombe
de son ami % jusqu'à ces nombreux traits de description qui
tantôt reproduisent la perception précise d'une délicate obser-
vation, et tantôt évoquent d'une poétique hnage, plus éloquent'e
et plus suggestive qu'une longue énumération de détails, quel-
qu'une des apparences familières de la nature. Est-il rien de
plus rustique ou de plus fidèle que ces vers où nous entendons
k bourdon du taon sous la chaleur étouffante de midi"? que
ceux où nous voyons s'allonger, au soleil du soir, l'ombre des
collines'? que ceux où sont dépeintes ces vallées profondes
que hantent les faibles murmures des ombres, des vents capri-
cieux et des ruisseaux jaillissants, et dont le frais repli reçoit
rarement le regard de l'étoile néfaste *°? Et d'autre part la poésie
'ïioderne a-t-elle jamais retrouvé plus heureusement le don de
'réation de ces mythes à la fois gracieux et merveilleusement
Pittoresques où se plaisait la poésie des Grecs? Qu'on se rap-
^lle ces « prés élevés qui apparaissent lorsque commencent
à s'ouvrir les paupières de l'Aurore *^ », ou «c le calme matin
s'éloignant avec ses sandales grises *^ ».
1. Cornus, V. 230-235. — 2. Ibid., v. 36-38. — 3. Ibid., 120, 121. — 4, Ibid.,
117, 118. -- 5. Ibid., V. 890, 891. — 6. Ibid., v. 898. — 7. Lycidas, v. 142-
0. — 8. Ibid, V. 28. — 9. Ibid,, v. 190. — 10. Ibid., v. 136, 138. —
. Ibid., V. 28.
12. Lycidas., v. 187. — Macaulay a 1res justement note ce caractère des
emières œuvres de Millon que dous essayons ici de préciser : • Neitber
icocritus nor Ariosto had a flner or a more healthrul scn^e of Ihe plea-
ntness of external objects, or loved bettcr to luxuriatc amidst sunbeams
id Qowers, the songs of ni^htiogales» the jiiice of summer fruit?, and
le coolness of shady fountains. » {Essay on Milton.)
332 JAMES THOMSON.
Trente années séparent ces premières productions del'œum
épique à laquelle est attachée surtout la gloire de Milton, trente
années de passions ardentes, de haines sans mesure, d'&pres
luttes aboutissant à une défaite sans espoir. Que reste-t-il
de la vive et lumineuse imagination qui inspira V Allegro et
Cornus chez le polémiste qui pendant vingt ans a rédigé,
argumenté et bataillé en pesantes périodes latines? A coup
sûr le changement est profond du jeune homme pour qui tout
spectacle de la nature était une joie et provoquait un chant,
au vieillard aigri, souffrant et aveugle qui dictait le c Paradis
Perdu. » Mais cette fêle des sens, dont il avait joui si pleine-
ment, lui avait laissé un souvenir trop vivant pour que la
nature fût exclue du poème qu'enfantait son génie assoinbri
et en même temps grandi. Ce n'est pas seulement le souvenir
des lectures, c'est aussi celui des visions d'autrefois qui, selon
le mot délicat et poétique de Hallam, « venait éclairer sa route
c sombre et solitaire comme la lune sortant des nuages » '. Sans
doute les paysages qu'il donne pour cadre aux scènes de son
poème surhumain ne sont point des copies de la Nature. Ni le
Ciel dont le sol brille comme une mer de jaspe', que traver-
sent les flots d'ambre du fleuve de la Félicité, où croissent
l'amaranthe et les fleurs élyséennes ' ; ni l'Eden fortuné
qu'entourent d'infranchissables murailles*, où d'une source
de saphir, s échappent des ruisseaux de nectar qui coulent
sur un lit de perles et de sables d'or% pour arroser l'arbre de
vie et des roses sans épines ^; ni ce monde sans couleur et sans
forme où régnent rAntiijue Nuit et le Chaos et qu'emplit la
lutte sans lîn des éléments \ rien de tout cela n'appelle des
peintures du monde réel. Et cependant la vision de ce monde
est toujoui-s présente à ces yeux de l'àme que le poète demande
à la lumière divine ^ En quelque région merveilleuse qu'il pl^^
les héros de son poème, lui-même ne renonce pas à parcourir
les séjours favoris des muses : claires fontaines, bosquets
ombreux ou colline ensoleillée*; il s'y nourrit de pensées et
i. • The rcmembrance of carly reading came on bis dark and lonely P^^"*
like llie nioon emer^çiiiff froiii Ihe clomis. » {Introduction to Ihe Litertït'^''^
Of Europe in t /te /J»", t6^^ and /7*^ rcnturirs.
2. Paradise Lost, Bk. Ul, v. 302-364. — 3. Ihid., v. 353, 359. — 4. /'«'«•i
Bk. IV, V. 175 et suiv. — 5. Ihid,, v. 237-240. — 6. ifctrf., v. 2i6.— 7. /*'«•'
Bk. n, V. 890 et suiv. — 8. Ibid., Bk. Hl, v. 53. — 9. ïbid,, r. 27-2».
STIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 233
ouvenirs qui font naître en lui les vers harmonieux*. Et
grâce à cette communion persistante avec la idéalité qu'il
ve, pour le développement de son œuvre mystique, une
ue toujours éclatante, pleine et ferme, et toujours poé-
e, là même où la pensée semblerait ne pouvoir revêtir
ine forme abstraite et froide. Chaque page, presque chaque
évoque devant nous quelque image du monde extérieur;
lut c'est une comparaison hardie et frappante, comme celle
>atan déchu mais non pas entièrement dépouillé de tout
l et de toute beauté, avec le soleil voilé au matin par les
nés de l'horizon *; comme celle aussi, parmi tant d'autres,
anges frappés, mais non pas domptés, avec les chênes et
sapins foudroyés qui s'élèvent flétris sur la lande '. Sou-
; encore, c'est une personnification, qui, plus sûrement
me description directe, éveille en nous l'écho de sensations
3 souvenirs, a Voilà que l'Aurore, faisant sur l'horizon rose
l'Est ses premiers pas, a parsemé la terre de perles étince-
lles *. » — a La Terre, aclievée par la main du Créateur,
unit charmante, dans son riche costume * », etc. — Et enfin
r)(l le poète nous peint expressément quelqu'un des grands
cls de la nature qui peuvent trouver place dans son
re, un de ceux en particulier où l'effet est dû plus aux
de la lumière qu'à l'harmonie des formes, il atteint une
sance descriptive qui n'a jamais été dépassée. Il suffira de
fêler ces vers dans lesquels Adam éveille sa compagne et
ite à venir goûter avec lui les grâces du matin *, ou ceux
1 lesquels est décrite la tombée progressive de la nuit depuis
)arition d'Hespérus jusqu'à la venue de la Lune qui jette
a terre son manteau d'argent \
rapide que soit cette étude du sentiment de la nature
Milton, elle ne saurait négliger un des traits qui carac-
ent toute son œuvre : « Milton d, disait Coleridge, «c fut,
nme poète, plus musicien que peintre. » il entendait par là
ses descriptions doivent leur charme et leur puissance à
monie et à la magie des sons plus qu'à la fidélité des lignes
îs couleurs ®. Le mot resterait encore exact si nous lui
aradis'! Losl, v. 37, 38. — 2. Ibid., BU. I, v. 594-596. — 3. Ibid., v. 612-615.
Ibid., Bk. V, V. 1. — 5. Ibid., Bk. VII, v. 501, 502. — 6. Ibid., Bk. V, v.
suiv. — "7. Ibid., Bk. IV, v. 598-609.
lilton était musicien, cl Gis d'un musicien — comme Pindare ravail
234 JAMES THOMSON.
doiinions une autre interprétation. Mil ton a noté plus fréquem-
ment, plus cotnpiaisamment et plus heureusement qu'aucun
poète, sauf Shakespeare, les sons de la nature. Et ce n*est pas là
un caractère particulier des œuvres écrites quand « les ailes
c de la Nuit eurent étendu sur ses yeux leur ombre épaisse i.
Déjà les premiers poèmes témoignaient de cette perception
délicate des bruits qui donne à ses paysages tant d'animation
et de vérité. VAUegro ne renferme pas moins de vingt-trois
notations de sons, et le Peiiseroso en renferme vingt. L'air
que respirent les personnages de Cornus est animé de mille
sons divers, chants des oiseaux, murmures des bois et des
ruisseaux, voix aériennes, ou bruyantes orgies de la troupe
impure de Cornus. Déjà V a Ode sur la Naissance du Christ »
renfermait en grand nombre des effets de cette nature, et quel-
ques-uns d'une délicatesse extrême : « Les vents ravis etmuets
« baisèrent doucement les eaux, annonçant à voix basse des
« joies nouvelles à TOcéiin paisible * ». Et les poèmes des der-
nières années abondent à leur tour en notations de sons dont
quelques-unes sont restées célèbres, comme cette comparaison
des anges déchus qui, se levant tous ensemble dans lePandé-
monium, font entendre un bruit semblable au grondement loin-
tain du tonnerre *, ou ce vers de sonorité merveilleuse qui
nous fait entendre Tappel de Satan résonnant dans les abîmes
de Tenfer ^ Il serait exact de dire que Milton est le poète du
son, de la musique des choses, comme Spenser est par excel-
lence le poète de la lumière.
Un dernier caractère nous reste à signaler par lequel
Milton dépasse et Chaucer et Spenser, et, avec ce Shakespeare
aux mille âmes qui a tout compris, tout senti et tout expriiw^»
devance notre poésie moderne dans son interprétation de 1*
nature. Le monde n'est pas seulement pour lui un panorama
aux spectacles merveilleux, une source de beauté et de joies.
Il y voit une force en contraste avec l'humanité; un enseign^-
élé, dit-on. — Daate, le poêle h qui l'on a le plus souvent comparé Mil^oo»
était lui aussi musicien. (Voir De Vulgari Eloquio.)
1. On Ihe Moming of ChrisVs NativUyy str. v.
2. Paradise Lost,' Qk H, v. 476, 477.
3. « He called so loud thaï ail the hollow dcep
or hcU reàounded. -
{Paradise Lost, Bk. I, v. 314, 315.)
HTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 235
t, une influence bonne et salutaire pour nos passions;
moitié de la création qu'il tend à associer étroitement à
autre partie qui est le monde des âmes. On peut suivre
les œuvres poétiques de sa jeunesse le développement
ette conception du rôle des choses et de l'harmonie de
vers. Déjà VAllegro et le Penseroso unissent V a état
le j> qu'ils expriment aux spectacles de la nature. Le plaisir
promet à ses fidèles Euphrosyne, la fille de Zéphyr et
Aurore, c'est avant tout la jouissance des formes et dos
eurs des choses, l'éclat radieux du soleil, les sons et les
ums de la campagne '. £t de même, au premier rang des
que la divine Mélancolie assure à ceux qui la suivent, le
c place la contemplation de la nature sous ses aspects de
trantc et délicieuse tristesse. Ilnouspeintavec ravissement
larme des belles nuits où, au-dessus du chêne familier,
hia arrête son attelage de dragons, où le rosignol, c si
)dieux et si mélancolique d, emplit de son chant les bois
icieux, où la lune semble errer comme un voyageur égaré
> les plaines du ciel, où le son lent et grave d'une cloche
aine apporte une note si triste et si émue sur le rivage de
er sans bornes *.
! Cornus nous présente la même union des réalités maté-
es à nos plaisirs et à nos tristesses. Comus associe aux
de la volupté le chœur des astres qui dans leur ronde
le entraînent les mois et les années, et les mers dont
agues dansent en suivant le mouvement de la lune, et les
!s jaunes ou les sources mystérieuses que hantent les
et les dryades '. Et, d'autre part, la jeune fille invoque le
irs des choses bonnes et pures. Perdue dans la forêt dan-
ise elle fait appel à Echo, la douce nymphe *; un nuage
le vers elle pour la guider sa frange d'argent '. La nature
;e une saine et vivifiante influence qui s'oppose aux malé-
du magicien. La pure divinité qui seule peut briser le
oir du fils de Circé, c'est la nymphe d'une rivière. Et
, dans Tépilogue lyrique qui termine le Masque, l'Esprit
proposer à la Vertu, comme récompense suprême, la
contemplation des magnificences de l'univers.
* Allegro, passim. — 2. // Penseroso^ v. 56-16. — 3. Comus, v. 112-121.
'bid., V. 230 et suiv. — 5. Ibid., v. 221-225.
236 JAMBS THOMSON.
Lycidas associe plus directement encore la nature à une
émotion humaine, a Les saules et les verts buissons de coudrier
c n'agiteront plus gaiement leurs feuilles aux doux chants de
c Lycidas ^ » Mais c'est la nature aussi qui console Tami laissé
seul. Il arrache aux lauriers, aux myrtes sombres, au lierre
toujours vert leurs feuilles et leurs dures baies pour honorer
Lycidas. Il veut que sur cette tombe les vallées jettent leurs
clochettes et les mille couleurs de leurs petites fleurs; il
invite les ravins profonds à y répandre Témail de ces jolis
yeux qui, sur le gazon vert, boivent les pluies délicieuses *.
Et quand sa foi religieuse lui montre, dans la bonté de Dieu
et dans le bonheur de Tami perdu, la vraie consolation de
sa douleur, il rêve que les vertus de Lycidas lui auront mérité
cette récompense de devenir le «c génie » des rives où il est
mort\
Enfin les traits de ce genre ne sont pas absents non plus du
grand poème plus <( objectif » cependant que ceux dont nous
venons de parler. La nature a une sympathie pour rhomme
dans le a Paradis Perdu ». Au spectacle de la faute, a la Terre
« frémit jusque dans ses entrailles, — et la Nature fit entendre
a un gémissement; — le ciel s'assombrit, et, murmurant dans
c le tonnerre, pleura — quelques tristes larmes quand le péché
« de rhomme fut commis * ».
1. Lycidas, v. 37-i4. — Ce irest pas sur cp point même que nous fondons
le titre de Millon à uuc originalilé parmi les poêles descriptifs. La nature
attristée par le deuil qui emplit l'âme de récrivain, c'est un des li«"^
communs les plus anciens et ]e^^ plus constants de la poésie. On le trou-
verait à toutes les époques et dans toutes les littératures depuis ranliquit^
jusqu'aux poètes contemporains. Et, dans la longue liste des pièces & '^
fois descriptives et élégiaques, il faudrait réserver une place d'honneur,
entre certains morceaux de Spencer et de Milton, à ceux de Ben Jonson.
Dans le Sad Shepherd^ quelques passages inspirés de Théocrite etdeBio"
sont au nombre des vers les plus exquis de ce genre, qui est du dumai"^
public de la poésie.
2. Lycidas y v. 134 et suiv.
3. Ibid., v. 182-185.
• Earth trembled from lier entrails, as again
In pangs, and Nature gave a second groan. >
4. « Sky lowercd, and, mullering thundcr, some sad drops
Wept at complctiou of Ihc mortal sin. »
{Paradise Lost, Bk. IX, v. 1000-1003.)
(T DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 237
VI
Dryden.
vait pu traverser vingt ans de polémique et rester
fut une fortune unique. Ce que les successeurs de
ce et de Spenser, ce que Ben Jonson et son groupe
iservé de la grande inspiration poétique avait sombré
)urmente politique eut pris fin.
reste, avant la révolution, les signes de décadence
iiifestes. L'école littéraire qui fleurit pendant le règne
I" est loin d'être sans valeur; mais elle nous appa-
3 une continuation diminuée et afîaiblie de la poésie
^'Jizabeth. Les dramaturges ont acquis une remar-
mce de la scène, et cette habileté de main qu'assure
3 expérience. Ils ont conservé le don lyrique de leurs
urs, ils l'ont même développé et affiné plus que
ait les maîtres, à l'exception de Shakespeare et de
1 *. Mais la puissance dramatique a baissé. Ces dér-
ives d'une grande école ne montrent plus ni la sûreté
ion, ni la vigoureuse étreinte de la réalité qui sont
la puissance tragique de Shakespeare et de ses con-
s. Et de même, la poésie, en dehors du théâtre, a
juelques-unes des qualités des grands poètes dis-
langue colorée et éclatante, l'imagination prodigue,
)ontanée et chantante. Mais là encore la fatigue et le
rahissent, dans une fidélité moins exacte à la vérité
, dans un moindre souci et un moindre pouvoir de
3 traduire la nature. Le monde extérieur n'est certes
de cette poésie; mais il n'en est plus l'intarissable
I. Les images qu'il suggère ne sont plus aussi
exactitude n'en est plus aussi sûre; leur rôle est de
us subordonné et effacé. Pas un, il est vrai, de ces
mt et Flelchep, Middleton, Webster, elc, Mp. Sainlsbury a
ite des pluH remarquables parmi ces arielles souvent déli-
zahethan litevature, p. 313.) Avec les derniers dramaturges de
Massinger, Ford, elc. (mais à l'exception de Shirley), ce don
de musique légué par les maîtres est épuisé, quels que soient
bauts mérites de plusieurs de ces écrivains.
238 JAMES THOMSON.
poètes Cavaliers chez qui nous ne retrouvions quelques bril-
lants souvenirs de Tadmiration de la Renaissance pour la
beauté des choses. Mais il est rare que, dans ces passages, un
trait de faux goût, une infidélité de peinture ne viennent nous
rappeler le caractère artificiel que tendent à prendre ces des-
criptions *. Celui même des poètes a carolingiens » qui est le
plus imprégné de Tinfluence des champs, Robert Herrick, ne
voit qu'une portion bien limitée des apparences diverses delà
1. Voici, par exemple, une description de Gilcs Fletcher :
• Tlie flowers-de-luce, and Ihe round sparks of dew
Tiiat hung upon their azuré leaves did shcw
Like Iwinkling stars that sparkle in the evening bluc. •
(ChrisCs Victory and Triumph.)
11 y a une observation délicate, et faite pour charmer un impressio:*-
nisle, dans cette notation de la couleur particulière du feuiUage du ii^. U
est vrai que, soit pauvreté de la langue, soit désir d^appuycr sur Tobser-
vation, le mol • azuré • exagère le caractère signalé. Mais surtout nous
cessons entièrement d'avoir à faire à une sensation vraie, sincèremeol
rendue, quand ces gouttes de rosée sur les feuilles du lis sont comparées
à des étoiles élincclant sur le bleu sombre du ciel.
Voici de Phiueas Flechler le début d'une peinture du matin :
« The early morn lets ont the peeping day.
And strew'd his path with golden marigolds. -
{T/te Purple Island.)
Les vers sont gracieux, et ingénieux à Texcès; mais les détails accu-
mules dans ces deux vers n'ont pas cette précison et celte vérité qui f*'^
le charme de tant de descriptions analogues chez les grands poètes tl^^'
criptifs.
11 serait facile de multiplier de pareils exemples; mais il serait de toute
injustice de ne pas signaler, en dépit de ce mélange d'une verve moinsi
spontanée et d'un goClt moins sûr, de très heureux passages descriptifs
chez plus d'un de ces poètes. Les « Pastorales » de William Browne mani-
festent un vif amour de la campagne. On trouverait chez Wil. Drummond*
chez Uabington, chez Herbert, chez Chamberlayne ou Waller, maint petit
tableau qui mériterait d'être cité à. côté de la description gracieuse d
fraîche du printemps que donne Carew :
• Now Ihal the winters gone », etc.,
ou de ces vers de Vaughan adressés à ce qui fut jadis un arbre :
(i Sure thou didsl flourish once, and maoy springs,
Many briglil mornings, much dew, many showers,
Passed o'er thy hcad: many lighl hcarts and wings
Wliich now are doad, logded in thy living towers.
And still a new succession sings and (lies,
Fresh groves grow up, and their grcen branches shoot
Towards the old and still enduring skies,
While the low violet thrives al their root. » Etc.
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 239
îe de la terre. Et encore, dans ce monde gracieux des fleurs
.ont le poète des roses a fait son domaine *, une préciosité
avante et la préoccupation de lefTet littéraire nuisent trop
ouvent au charme de pièces exquises d'ailleurs -.
Mais après la révolution, après la longue et brutale com-
)ression des républicains, après le régime de rude austérité
le5 puritains, la réaction est complète contre les souvenirs, les
admirations et les aspirations d autrefois. La société de la
tleslauration n'avait cure de l'idéal, ni d'un art aux nobles
?t hautes jouissances. Elle vivait pour le plaisir, pour les ran-
cunes politiques et pour les haines religieuses. La poésie se
nnt à son niveau. Un théâtre sans profondeur et sans vérité
vint lui fournir, avec une mise en scène somptueuse et une
déclamation sonore, des plaisirs faciles et vulgaires. Et d'autre
part une forme poétique nouvelle apparut, qui, renonçant aux
rt'ves d'antan, aux brillantes chimères et aux essors audacieux,
ï'evètaitdu langage des vers des satires haineuses ou des dis-
1. • Were 1 lo give thee baptisme, I woM chuso
To christen Ihee, the Bride, Ihe Bashfull Muse,
Or Muse of Roses. »
(Hesperides. To his Muse.)
«• Il faul bien justifier ce que ces remarques comportent de critique :
« Besides, the childhood of the day has kept
Against you corne, some orient pearls unwept :
Come, and receive Ihem while the lighl
Hangs on the dew-locks of the night :
And Titan on the easlern hi!l
Retires himselfe, or else stands still
Till you corne forth. -
Ce n*est pas le moins charmant des passages descriptifs qui abondent
)ns ce chef-d'œuvre exquis : Corinna^s ffoing a Maying. Mais n'est-il pas
*ai que la nature y joue un rôle de fantaisie? Le poète erotique est sans
^ute ici parfait; le poète descriptif, au contraire, cesse d*ôtre sincère quand
nous montre faurore, les plantes, la rosée, le dieu du soleil lui-môme
«servis au caprice de Tindolentc Corinne.
Ou encore, on peut regretter la présence dans Técrin de ces bijoux prc-
eux, de plus d'une pièce trop ingénieuse, où la virtuosité de Tartiste
ilègueau second plan la nature k\\\\ lui fournit un sujet. 11 ne se contente
is de chanter les fleurs; il veut aussi nous apprendre pourquoi les roses
)nt ronges, les lis blancs, on les primroses vertes. Los pièces un peu
laniérécs, sentant la poudre et le fard, où il nons fournit ainsi les • causes
es choses • ne valent pas un vers, un mot d'émolion simple comme
1 en sait aussi trouver :
• Foilow me weeping to my turfe, and there
Lel fall a primrose, and with il a teare. »
. {ToPeriUa.)
310 JAMES THOMSON.
eussions politiques et religieuses. Peut-être eût*ce été l*aboù-
tissemcnt naturel du mouvement que nous avons plus haut
noté. La pensée, sous la forme de raisonnements et d'exposés
didactiques, tendait à passer de plus en plus au premier plan.
Le poème descriptif par excellence de la période qui prêche
la révolution, c*est le Coopevs HUl de Denham. Les digres-
sions sentimentales y occupent autant de place que la peinture
des choses, et la réflexion morale y est une plus puissante
source d'inspiration que la jouissance des beautés naturelles.
Quoi qu'il en soit, avec la Restauration la transformatioA est
consommée. Dans la littérature qui règne alors, Milton est
isolé, comme une étoile lointaine *. Il vit des inspirations et
des souvenirs d'une ère close; il écrit pour un âge à venir. •
L'Angleterre est fatiguée de l'exubérante production à laquelle
sa poésie a fourni pendant plus d'un demi-siècle. L'exemple
de la France était là pour montrer qu'une forme littéraire où
l'imagination prévaut moins que la raison peut avoir aussi sa
beauté. i)lus sévère et plus froide. Un grand écrivain parut à
point pour donner satisfaction au goût nouveau ; et le génie de
Dryden consacra, pour une période prolongée, l'hégémonie de
l'esprit classique en Angleterre.
Dire quelles hautes et puissantes qualités Dryden manifeste
dans son œuvre immonse, ce n'est pas notre tâche. Ce qu'il
nous faut constater c'est que parmi ces qualités ne figure pas
le don d'évocation du monde matériel. Le poète est trop voisin
des grands peintres de la Renaissance pour qu'on ne retrouve
jamais chez lui quelque reflet de leur foyer. Il s'élève parfois
d'un coup d'aile au-dessus des misères scolastiques de ses
sujets. Une image éclatante , une comparaison bien venue
nous donnent alors comme un écho de la poésie des maîtres,
et ouvrent quelques échappées sur la grande scène de la
nature. Mais on sent trop qu'il y a là des souvenirs littéraires
plutôt que des observations directes; ce n'est pas dans les
champs ou les bois, c'est dans les vers des poètes que Dryden
a connu le monde. Ces passages forment du reste de rares
exceptions *. Discuter, prouver et surtout réfuter, telle est l^
1. « llis soûl was like a star and dvvelt apart. »
{Word8UX}rth.)
2. .M. Taine en a relevé <iuelquos-uns, comme ces quatre vers charmant^
du Prologue & la seconde duchesse d'York \0n her Return from Scoiland] '
MENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 241
î de Dryden, Il y suffit d'éloquence, d'ironie, de pas-
1 n'est pas besoin d'y réserver une place aux scènes du
matériel. Et ce monde, en effet, il l'ignore le plus sou-
u bien il lui arrive de le profaner. Le Léman et les
ont pour lui une mare et une muraille *. La nature
iitc de son œuvre parce qu'il ne la sent ni ne l'aime.
. jolie pièce qu'il adresse à son cousin John Driden, il
[1 sans agrément, l'éloge de la vie d'un gentilhomme
nard ; mais de ces hautes jouissances que peuvent
les spectacles de la nature, il n'est pas une fois ques-
y eùt-il pas d'autre raison que celle-là, Dryden est, par
sensibilité à la beauté des choses, l'inlidèle disciple de
espeare dont il a sans cesse le portrait devant les yeux,
il implore la bénédiction avant d'écrire, il n'est pas
Mit inférieur au maître; il est, quoi qu'il en dise, d'une
ice ".
VII
Pope.
ij Dryden, après son œuvre puissante, mais inégale et
, tour à tour brillante d'une vive flamme, puis assom-
fulijjfineusc, il reste un progrès à faire à l'école clas-
n Angleterre. Il lui faut acquérir le don de mesure et
t; il lui faut assouplir et tremper plus finement le
!r tlie weeping heaveiis becomc serene » (v. 26 el suiv.). On eu
ajouler quelques autres, pas beaucoup, sauf dans les Fables
n and Arcite, Bk. I, v. 170; Bk. Il, v. SU; Bk. III, v. 123, elc), mais
}l le vieux Chauccr et non pas Dryden qui nous charme.
• But satire wiil hâve room where'er 1 wrilc. »
(Ta Sir (iodfrtn/ Knellery v. Oi.)
<( Whal Ihough your native keunel still be small,
Bounded betwixt a pnddie and a wall. »
ijhc llind and the Vanthcr, v. 204, 205.)
• Shakespeare, thy pift, I place before my sij,'ht;
Wilh awe 1 ask his blessing ère 1 ^v^ite;
With révérence look on his majcstic face;
Proud to be Icss, but of his godlike race. •
{To Sir Godfrey Kneller.)
16
242 JAMES THOMSON.
solide métal dont était faite la langue de Dryden. Cette transfor
mation qui, toutes proportions gardées, n*est pas sans analogie
avec la progression par laquelle chez nous au style deCk)meille
succéda celui de Racine, fut la tâche et fut l'œuvre de Pope.
On sait quelles merveilleuses aptitudes révélait dès renfance
le futur héritier de Dryden, Il bégayait en vers, comme ill'a
dit lui-même, et telle était sa complète possession de toutes les
ressources de l'art, qu'avant l'âge d'homme il avait produit,
avec r « Essai sur la Critique », un chef-d'œuvre dans un genre
qui semble réservé au talent mûri par les années et nourri par
Texpérience. Il ne lui a même manqué ni l'exacte perception,
ni le talent de description des choses. Il faut à cet égard dis-
tinguer dans sa carrière littéraire trois périodes distinctes.
L'énorme labeur qui correspond à ses traductions d'Homère
remplit ici le même rôle qu'a joué dans la vie de Milton la
période d'agitations politiques. Nous nous trou vons, après cet
intervalle prolongé, en face d'un poète différent de celui que
nous avions auparavant connu. Or, les œuvres de la première
période font seules une place au sentiment de la nature. Les
imitations de Chaucer, les « Pastorales », la <i Forêt de Wind-
sor », etc., nous laissent comprendre que le poète aurait pu être
un peintre du monde matériel. Gardons-nous, du reste, de
rien exaj^érer. Un critique éminent exprimait dans une étude
récente cette opinion que le premier Pope annonçait des qua-
lités de rare et précieuse essence qui ont été plus tard et sans
compensation faussées ou détruites '. Nous pensons au con-
traire que la vériUible puissance de Pope, le plein épanouisse-
ment de son génie se trouvent dans les épîtres, les satires (y
compris la Dunciad) et les /issafjs de ses dernières années.
Qucl(|iic jugement qu'on puisse porter sur le genre, le poètey
règne sans rival. Il n aurait jamais ligure que dans un rang
modeste parmi les poètes d'imagination, de passion, de lyrisme.
Et de même aussi ses peintures du monde matériel, précieuses
à noter dans les premières (cuvres, parce qu'elles ne se retrou-
vent plus dans les dernières, n'ont pas pour effet de l'égaler
aux grands poètes de la nature.
1. « Le premier Popo est tout lyrique, d'une fantaisie ailée et hardie,
d'une passion vive et charmante,.- il nous semble, apercevoir en lui un
poète en puissance bien autrement grand que celui que nous connais'
sons. » (Em. Montéout, Heures de lecture d'un critique, p. 85, 86.)
SENTIXBNT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE. 243
Dans bon nombre de ces poèmes de jeunesse, il voit surtout
! monde à travers les œuvres qu'il imite ou traduit. Les
nages qu'il nous en donne sont un reflet indirect. Si dans «t le
emple de la Renommée », dans a January et May d, dans <l la
erame de Bath » nous retrouvons quelque chose de cette
)yeuse ivresse que les splendeurs de la terre inspirent à
haucer, nous sentons bien que nous le devons à la sève puis-
intc du vieux conteur, plutôt qu'à une sympathie de génie de
)n traducteur *. Parmi les nombreux souvenirs de Virgile qui,
isérés dans les a Pastorales », en font presque d'ingénieux
întons, beaucoup sont descriptifs. Leur charme nous vient
u poète latin, quand le traducteur ne les a pas gûtés par le
lélange d'un faux goût qui n'a rien de virgilien. La pluie
conde et joyeuse deviendra par exemple, grâce à une très
ïgjîre modification verbale, les larmes silencieuses de Jupiter
î joignant au deuil de la nature ^ Et quand nous rencontrons
n vers de Spencer transporté de toutes pièces dans V « Été »,
se détache du reste par une franchise d'allure et une netteté
image qui font ressortir le caractère artificiel de ces petits
oèmes '.
Mais la part ainsi faite à l'imitation et même au goût maniéré
un très jeune écrivain, il faut reconnaître dans quelques-uns
aces vers descriptifs de Pope une fine précision qui n'a rien
e banal. S'il y a des réminiscences, elles sont très heureuse-
lent appropriées, fondues et confondues dans Tesprit et dans
i langue du poète quand il nous parle de a brises printanières
i. Par exemple dans ce passage où la notation de quelques faits ualu-
Is Sert à Chaucer, et à son traducteur, à exprimer plus de vraie passion
le M. Montogut ne réussit à nous en montrer dans tout le poème
* IK'ioîse et Abéiard > :
• Awake, my love, disclose tliy radiant eyes;
Arise, my wife, my boauleous lady» rise!
Hear how the doves with pensive notes complain,
And in soft murmurs tell the troes their pain :
The wiriter's past; the ciouds and tempcst fly;
The sun adorns the tields, and brightcns ail tJie sky. »
[January and May^ v. 525, 530.)
2. «Jupiter et lîcto descondet plurimus imbri » (« Kglof;ue Vil •, v. 60)
soient chez Pope : « And Jove consented in a silent shower. » (Summer,
3- « The woods shall answer and their ccho ring. •
[Summer, v. 16.)
244 JAMES THOMSON.
a qui se jouent parmi les osiers tremblants i» *, quand il nous
montre « entre des rives pastorales, la Tamise d'argent — sur
a les eaux de laquelle dansent les rayons du soleil, — et où les
9. aunes verdoyants forment une ombre frémissante * >.
La a Forêt de Windsor » fournissait au poète une admirable
occasion de développer librement ce qu'il y avait en lui de
sens de la beauté des choses et de talent descriptif. Le poème
était écrit au milieu même des scènes grandioses ou gracieuses
qu'il se propose de peindre; l'auteur en était à cet âge où l'in-
fluence de la nature fait le plus facilement vibrer une ànie de
poète. L'œuvre cependant ne donne, comme les précédentes,
que la promesse d'un talent de peintre; elle manifeste le même
pouvoir, limité de sa nature, et volontairement comprimé dans
son effet. On a souvent cité la description du faisan blessé par
le plomb du chasseur \ Elle est en effet le meilleur spécimen
qui puisse être donné de Thabileté de Pope dans ce genre. H
voit avec exactitude les aspects superficiels *; il n'a pas la
sympathie profonde qui sent au-dessous de ces apparences la
vie intime. Mais, au service de son observation un peu étroite
et sèche, il a une admirable maîtrise d'expression. Ce passage
de huit vers est le plus important de ceux où Pope s'arrête à
décrire des scènes naturelles. Il en est d'autres qui ne sont pas
sans bonheur :
a Ici, en pleine lumière, les plaines rousses s'étendent;^
a là voilés do bruine s'élèvent les monts bleuâtres, — et la
a lande sauvage elle-mênie étale les tons empourprés de ses
« bruyères \ »
a Souvent les vanneaux criards sont atteints du plomb mortel
1. « Let vernal airs throu^'li Irembling osiers play. »
{SprinQy V. 5.)
2. « Along Ihc silver Thame,
Wherc dancing sunbeams on llic walers played,
And verdanl aldcrs formed a (iiiivcring sliade. >
(Swmwer, v. 3, *.)
3. Wi/uUor Foresf^ v. ill et sniv.
4. n avait |)endant quelque temps étudié la peinture, et dut peuU'lrc '^
cette circonstance la minutieuse justesse d'observation dont témoifî»^'^
parfois ses «ouvres.
n. •• Hcre in fui! light (he russet plains exlend :
Tliere, Mrapt in clouds the bliieisb hills ascend.
Kven the wild lieath displays her purple dyes. •
{Windsor Forest, v. 23.)
SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA POÉSIE ANGLAISE- 245
t — alors que de leur vol agile ils tournoient en effleurant les
ibruvères '. »
« Au printemps quand les fraîches vapeurs se traînent sur
t la prairie, — le pêcheur prend son poste sous l'ombrage fré-
t missant '. »
« Dans le miroir (du Loddon) le berger étonne voit souvent
«— les monts renversés et le ciel reflété; — Teau lui montre
«un paysage de bois suspendus, — et dans Tonde mobile
« tremblent des arbres absents '. »
Au total, cependant, ce qui frappe le plus dans ce poème
descriptif, c'est la faible part faite à la description. Ici, bien
plus encore que dans le Coopers Hill de Denham, dont nous
pariions plus haut, les scènes et les objets naturels ne sont
qu'un prétexte commode et un cadre sans cesse oublié pour
des choses très différentes : personnifications et ressouvenirs
d'une mythologie inanimée, développements historiques ou
moraux, et patriotiques apostrophes.
Eh bien ! cette portion si modeste à laquelle est réduit le
monde des formes, des couleurs et des sons, ce minimum de
description introduit dans les premières œuvres. Pope mûri
et en pleine possession de son talent le regarde comme un
péché de jeunesse. Ce n'est pas, comme paraît le croire le cri-
tique dont nous avons cité l'opinion, parce que ses facultés
poétiques ont subi une transformation. Ne le voyons-nous pas,
après 1738, collaborer avec complaisance, avec plaisir et quel-
quefois avec un remarquable succès au grand poème où
Thomson décrit la nature sous tous ses aspects *? S'il fallait
choisir quelques exemples particulièrement significatifs du
talent de peintre de Pope, ce serait peut-être dans ces notes
1- • on, as ia airy rings they skim Ihe healh,
The clamerons lapwings fecl Uie leadcn death : •
(Windsor Forest, v. 131, 132.)
2- « In génial spring, bencath the quivering shade,
Wherecooling vapeurs brealhe along Uic niead,
The paUent Hsher takes his sileot stand. •
(Mit/.. V. 133-137.)
3' • Ort in her glass Ihe musini? shepherd spics
The he.idlongineiinlains and the dQvvnvvard skies,
The watery laudscape ef the pendent woods,
And absent trocs that tremble in the floods. >
(Ibid,, V. 211-214.)
*• Voir plus haut, p. 146.
246 JAMES THOMSON.
proposées à Thomson qu'il conviendrait de les prendre. Mais
s*il veut bien ainsi concourir à l'œuvre d'un confrère, il a,
pour son compte, résolument éliminé cet élément des poèmes
de sa dernière manière. Il ne parle que pour s'en excuser, et
en plaidant les circonstances atténuantes, de cette époque où,
dans ses vers, a la pure description tenait lieu de pensée ' i.
Il est tout fier de s'être élevé à une conception plus raisonnable
du rôle du poète. Il revendique le mérite a de ne pas s'être
9. attardé dans le labyrinthe de Timagination, mais d'avoir mis
c ses chants au service de la morale * ». C'est encore la même
idée, vue sous un autre angle qu'il exprime par cet aphorisme :
c La nature doit céder à Tart ' ». Enfin, la doctrine qu'ap-
pliquaient ses œuvres, le poète la prêchait autour de lui.
Voici la formule qu'en a recueillie un critique enthousiaste :
c Mr. Pope était d'avis que la poésie descriptive est une com-
c position aussi absurde qu'un repas où l'on ne servirait que
« des sauces * ».
1. hpitre & ArbulhDot, v. 148.
2. Ëpitre à Arbuthnot, v. 336-341. a But stooped to truth and moralized
his song », est une imitation du vers qui terraiDe la première strophe de
la « Reine des Fées » :
« Ficrie wars and faithful loves shall moralize roy song. »
3. « Nature must give way to art. »
4. « Pope, it seems, was of opinion Ihat descriptive poetry is a compo-
sition as absurd as a feast made up of sauces » (An Èssay on the GeniuM
and WrUings of Pope, by Joseph Warton), p. 40-48, the 5'' edil., Lond.
1806.
CHAPITRE II
LE SENTIMENT DE LA NATURE DANS LA LITTÉRATURE
ET DANS LA SOCIÉTÉ ANGLAISES VERS 1725
I
Nous avons atteint avec Pope Tapogée de cette révolution
ui de la poésie a peu à peu chassé la fougue, Timagination, la
►assion et le sentiment de la nature, pour y faire régner la
aison et le raisonnement, les calmes exposés didactiques, ou
as aigres personnalités de la satire. En lui se sont trouvés unis
•u degré le plus éminent les caractères essentiels de Técole
lassique. S'il est vrai qu'aucun poète, sauf peut-être notre Boi-
âau, n'a plus complètement ignoré dans son œuvre le monde
les choses. Pope, au service des idées personnelles sincères ou
empruntées qu'il exprime, au service de ses doctrines de phi-
osophie morale et sentimentale, de ses acerbes jugements de
ïritique ou de ses rancunes forcenées de poète, a déployé un
aient de style, une verve, une variété de ressources, un brio
rexécution qui le placent comme artiste fort au-dessus de
'écrivain français. L'éclatante valeur de son œuvre allait-elle
lonner une consécration définitive à l'évolution commencée
ivec la Restauration? Allait-elle rendre permanente et irrémé-
liable cette déviation du génie national de l'Angleterre? A ne
voir que l'apparence des choses, qui ne l'aurait cru? Au
moment où Thomson arrive à Londres, la tète pleine de
visions et de vers, la suprématie littéraire de Pope est hors de
1
2i8 JAMES THOMSON.
contcstalion. Ceux-là mêmes qu'une hostilité violente sépare
de lui n'osent guère s'attaquer à son mérite littéraire. 11 ne
faut pas cherclier parmi les écrivains qui gravitent autour de
lui un désir d'airranchissement, ni une velléité d'indépendance.
L'imitation est la loi de l'école, et Pope lui-même est le maître
que tous imitent. — Et cependant quelque chose proteste, dans
le sentiment public, contre la sécheresssede cette littérature.
Le génie national n'est en réalité ni étouffé, ni transformé.
L'arbre est violemment tordu, mais d'un effort puissant il tend
à se redresser. Les preuves nous en apparaissent en grand
nombre dans le goût tout nouveau que manifeste la société let-
trée pour les chants et les ballades populaires *, dans le retour
de la faveur publique aux maîtres de la Renaissance, et surtout
dans une extraordinaire poussée d'admiration pour le grand
poète de la nature, pour le grand psychologue doublé d'un
grand peintre qui fut Shakespeare.
Dryden, on le sait, avait tour à tour déprécié puis loué
celui qu'il appelait son maître; il en avait fait pour la scène
des imitations qui étaient à la fois une offense et un hommage.
Steele, dans plusieurs articles du Tattler et du Spectator,
avait appelé l'attention sur Spencer *. Addison avait vanté les
1. Ce n'est pas à (lin> (|ue celle littérature populaire n'ait été goûtée
d*aurun des écrivains de la f^énération aDtérieurc. Dryden, en dépit àt
tendances d'école, appréciait l'onerpie et la franchise spontanée de ces
petits po^me9 (voir Spectator, n» 85, Thursday, June 7, 1711). Mais ce
qui était chez lui exception un peu singulière devient, chez les écrivains
du xvnic siècle, chose familière, surtout après Tintervention d'Addison.
Rowe se fait remarquer parmi ces chauds admirateurs des vieux chants
populaires. C'est très justement que sa Jane Shore a fourni la devise du
premier volume de la première collection publiée d'anciennes Ballades.
2. n réussit du reste h tel point que le retour de faveur au « poète des
poètes » ne s'arrêtera plus. — Tonson publie eu 1715 une édition de Spenser
en trois volumes. Les imitations directes deviennent alors de plus en plus
nombreuses. Déjà Prior avait, en 1706, public une ode où il emprunte la
stance et le style de Spenser. G. West se sert de la même forme pour s*
pièce On the Ahuse of Travelling (1739). Après Texemple plus célèbre
donné par Thomson dans sou « Châleau d'indolence », les imitations foison-
nent : Lloyd, The Progress of Envg; Shenslone, The Schoolmislress; Wil-
liam Julius Mickle, The Concubine ;Bcàilïe, The Minstrel; et d'autres moins
connus, tels que William Thompson ou WJlkie. — « Il has been fashion-
able of late to imitate Spencer », écrit Warton. Et Samuel Johnson
proteste contre cet eni^ouement : « Life is surely p:iven us for highcr pur-
poses thau to gather what our ancestors bave wisely thrown away, and lo
iearu whnt is of no value but because it has been forgotten. « (The Ram-
bler, nM21.)
SENTIMENT DE LA NATURE VERS 1725. 249
beautés héroïques ou naïves des vieilles ballades *, et s'était
fait le héraut de la gloire de Milton. Enfin, après les innombra-
bles profanations commises par les dramaturges de la Restaura-
tion sur les œuvres de Shakespeare, Rowe publiait, en 1790, la
première édition critique, et Pope lui-même donnait en 1725
une somptueuse édition. Il y professe une admiration profonde
pour son auteur. Sans doute ses éloges ne sont pas toujours
judicieux, et il y mêle des critiques où se manifeste une évi-
iente étroitesse de goût. Mais de ces hommages incomplets,
^omme de tout cet ensemble de faits, ressort pour nous une
constatation importante. Contrairement aux préceptes et à la
Pratique de la génération précédente, les contemporains de
Pope et Pope lui-même reviennent au commerce et au respect
le Shakespeare et des grands artistes de la Renaissance. Dès
ors, et pour une période prolongée, on verra s'établir parallè-
euienten Angleterre deux courants du goût et de la critique.
^ productions littéraires continueront à s'inspirer des pré-
eptes consacrés par la mode, par le goût convenu du jour et par
exemple de Pope. Mais, au-dessous de cette apparence, tous,
t Pope lui-même (nous venons de le rappeler), ont une intime
Irniration pour les chefs-d'œuvre d'une école toute opposée à
îlle qui prévaut. Ces deux courants ne pourront continuer
ngtemps à couler l'un au-dessus de l'autre sans quô peu à
m leurs eaux se confondent. Ces œuvres, que l'on croit
ortes et auxquelles on ne marchande pas les louanges parce
Ton les juge sans effet possible sur la fortune des productions
centes, doivent finir par modifier profondément celles-ci. A
ut le moins, et dès à présent, les contemporains de Pope
nt préparés à l'avènement d'une poésie entièrement différente
la sienne. On pourrait a priori prédire que, si les hommea
! font pas défaut aux circonstances, cette nouvelle évolution
produira. L'école classique d'alors si confiante, si con-
incue de sa supériorité, si riche, il faut bien le dire, en
lents, ne saurait suffire aux besoins d'une société qui goûte
même temps qu'elle Spenser, Shakespeare et Milton.
. Le Spectator contient en particulier une critique pleine d'admira-
n de Chevy Chace dans ses numéros 70 (21 mai 1711), 74 (25 mai),
de la ballade des « Enfants perdus au Bois » dans son numéro 85
uin 1711).
à
2o0 JAMES THOMSON.
II
Quelqu*un des poètes anglais en possession de la faveur
publique pouvait-il être l'initiateur de ce retour à Timagination
et à la nature? Ni Swift dont le génie puissant se mani-
feste ailleurs que dans la poésie ; ni Steele qui depuis 1723
avait quitté Londres, et dont la muse d'ailleurs, pas plus
que celle de Gay qui prépare ses a Fables i, n'a rien des
fières audaces des novateurs ; ni les talents de second plan,
namby-pambij Philipps *, ou son frère John, ni Tickell ou
Somerville, ne pouvaient devenir ce vase d'élection où serait
recueilli Tichor précieux, l'inspiration des maîtres d'autrefois
et de la poésie généreuse. Le plus vigoureux de tous ces talents,
celui de Young ne vit pas, il est vrai, de pure imitation. Le futur
auteur des a Nuits » a l'honneur de donner dans ses satires
l'exemple d'une forme littéraire bien personnelle. Cependant
c'est là si peu une tentative contraire au courant régnant que
Pope lui-même adoptera bientôt cette forme. II y voit avec
raison le terme naturel de cette transformation qui avait
chaque jour davantage fait de la langue chantée d'autrefois
un idiome surtout propre à la critique et à la dialectique.
Ainsi la poésie de l'Angleterre semble incapable de se rafraî-
chir et de se raviver aux sources où s'étaient alimentés les vieux
maîtres. Mais au nord de la Tweed s'étend un pays très dis-
tinct, longtemps indifférent ou hostile, associé depuis peu de
temps par l'union politique, au fond original, peu assimilable,
et méfiant à l'égard des influences venant d'Angleterre. La
littérature polie, j'allais dire lettrée, de l'Ecosse n'a jamais été
bien intense. Quelques poètes — souvent des gentilshommes
et une fois un roi — ont, à l'exemple des poètes français, puis
de Chaucer, puis des écrivains de l'âge d'Ëlizabeth, donné à
leur rude patrie quelque chose du lustre que pouvaient lui
ajouter d'élégantes productions poétiques. La révolution reli-
gieuse vient à la fois diminuer en haut l'importance de ce mou-
1. Le • Cidre » de John Philipps vise bien h, imiler le slyle et la manière
de Millon; mais l'effet produit n'a rien de miitonien.
t
SENTIMENT DE LA NATl'HE VERS 172:;. 251
vement littéraire, et tarir en bas la soiirctî autreineiil abon-
dante d'où avaient jailli en grand nombre les ballades, les
chants d'amour on de guerre du menu peuple. II est curieux
de comparer à cet égard les elTets opposés produits dans les
deux pays par un même événement moral et social. La Réforme,
établie en Angleterre par la couronne et dirigée dans son évo-
lution par Taristocratie, conserve tout ce côté artistique par
lequel le catholicisme s'adresse aux imaginations pour arriver
au cœur et à la foi. Le protestantisme anglais ne sera pas un
obstacle aux aspirations de la Renaissance vers les pures
voluptés du Beau. Elle échauffera même d'une flamme inté-
rieure plus intense quelques-uns des plus nobles parmi ces
poètes : Spenser et Milton sont de pieux et sincères puritains,
î- Au contraire en Ecosse, le mouvement vient d'en bas, des
masses populaires; et la religion nouvelle en reçoit un carac-
tère sombre, farouche, démocratiquement jaloux de toute
supériorité, de tout luxe et de toute élégance. Cette opposition
d'effets est accrue encore par une autre différence. La révolu-
tion religieuse imposée d'un côté par la main de fer des
Tudor s'accomplit sans convulsions sociales. En Ecosse,
d'autre part, elle ne s'achève qu'au prix de luttes sanglantes.
Aussi tout ce qui appartient au vieux dogme catholique, tout
ce qu'a voulu conserver le protestantisme modéré des épis-
^paliens est-il un objet de haine et d'horreur pour le presby-
térianisme victorieux. L'art et la poésie deviennent aux yeux
des sectaires autant d'embûches du démon. La littérature
^ubit une complète et longue éclipse, a L'encre théologique, et
^ le sang jacobite, mélangés l'un et l'autre d'une forte dose de
^ fiel, semblaient avoir anéanti toute l'intelligence du pays *. »
Cet état de choses prend fin, dans le premier quart du
Xvm* siècle, avec l'apaisement des passions religieuses, avec
l'échange plus fréquent de produits et d'idées entre les deux
parties de la grande lie. A la suite de l'Acte d'Union, les rela-
tions avec l'Angleterre et avec Londres deviennent beaucoup
1. • Théo came the scliisms in our National Church, and the fiercer
schisms in our Body Poiitic : Théologie ink, and Jacobite blood, with
gall enough in both cases, seemed lo hâve blotted out Ihe intellect of
Ihe country. * (Carlylb, Essay on Bums. Critical Essays, vol. II, p. 26.)
On peut lire aussi sur le même sujet quelques lignes intéressanlcs da
Mr. Shairp {On the poetic interprétation of Sature^ p. 186).
3o2 JAMES THOMSON.
plus fréquentes. Les rapports commerciaux entre les deux pays
se développent. Les Écossais des classes aisées prennent l'ha-
bitude de visiter Londres, malgré les diflîcultés et les longueurs
du voyage qui se Taisait alors à cheval. Il était impossible que
les idées ne circulassent pas en môme temps que les marchan-
dises et les voyageurs. Le premier effet est de déterminer dans
les villes d'Ecosse un désir d'affranchissement, une révolte
contre laustère et tyrannique autorité de l'Église. Les tavernes
et les clubs d'Edimbourg forment de nombreux foyers de libre
discussion et de pensée indépendante. L'activité littéraire
devient une des formes de la protestation contre l'étouffante
compression du presbytérianisme. L'université d'Edimbourg,
jusqu'alors pur séminaire pour la préparation des ministres,
voit s'éveiller chez un grand nombre de ses jeunes étudiants
une curiosité artistique, une recherche et un amour du beau
qui font tort aux études théologiques *. Et bientôt, en Ecosse
mémo, des auteurs se révèlent qui donnent satisfaction à ces
besoins nouveaux de l'âme écossaise.
On voit dans quelles conditions différentes se trouvent les
écrivains des deux pays. Tandis que l'école anglaise, lassée
et comme épuisée, après le foisonnement de poètes et la
débauclie d'imagination de la Renaissance, en est venue avec
Pope à une doctrine de scepticisme et de négation railleuse
à l'égard des hautes et ficres inspirations de la poésie, l'esprit
littéraire au contraire est, en Ecosse, presque entièrement neuf.
Après une longue léthargie, il revient à la vie, avec les inexpé-
riences et les curiosités, avec la simple et fraîche sincérité de
la jeunesse. Les maîtres que connaîtra cette école, ce seront,
avec les grands poètes de Tantiquité, Shakespeare, Spenser et
Milton plutôt qu'Addison ou Pope *. Et comment oublierions-
nous, d'autre part, que, si la littérature anglaise d'alors est
essentiellement urbaine, les écrivains écossais sont en contact
intime avec la nature, vivent au milieu de paysages gran-
dioses ou souriants, d'une infinie variété et d'un charme
puissant?
Il y a donc là, dans une terre longtemps laissée en friche,
1. Voir plus haut, première partie, p. 20.
2. « Thomson was educated in Scolland, where the new style, we
believehad notyet bccome Tamiliar. • [The Edinhurgh Review, vol. 18, p. 182
[Jeffrey?])
SENTIMENT DE LA NATURE VEHS illo- 233
jondante réserve de poésie et de talent. C'est de cette
de montagnes que viendra pour l'Angleterre, comme
plus tard viendra des Alpes pour la France, le souffle
t faire reverdir dans les lettres la passion et l'imagina-
1 naturel et la poésie de la nature. Le génie de cette
ure naissante de TÉcosse ne prend pas immédiatement
:nce de lui-même. Mais de toutes parts on voit dans les
rcs qui se produisent, un caractère commun; c'est,
le indépendance relative de la forme, un retour à Tobser-
des choses et à la description. Nous le trouvons dans
nts rustiques de Francis Sempill '; dans le recueil de
anciennes et modernes de James Watson -qui donne
sse rimmortel et pathétique Auld Lang Sijne; dans les
s de William Hamillon ^ et les pastorales de Robert
>rd *. Nous le suivons dans l'œuvre abondante et très
J'AUan Ramsay, où se trouvent un don lyrique souvent
une riche veine d'humour, une Une et gracieuse puis-
dc pinceau, une sincère sympathie avec la nature et
es de la campagne, toutes ces qualités dont l'union a
Genile Shepherd un des chefs-d'œuvre, sinon le chef-
•e même, de la poésie pastorale. Nous le trouvons encore
i pièce si délicate et si simple d'une grande dame, lady
Baillie', dont Thomson était quelque peu parent; comme
Sempill, iairds of Rcnfrewshire, forinciil une dynastio de pointes
il. Robert Sempill (lo^o-lOCO) eut Tinvcnteur d'une strophe qui a
ide fortune. Elle a rourni ù Allan Ramsay, à Fergusson et h Burns
une favori. — Le (ils, Francis (06. cu^ca 1683) est un des écrivains
le plus heureusement exprimé (Mugyie Laude»*, Fy, let us a* io
al >, etc..) le charme de ces êuiolions simples et tendrus que Ton
propres à la calme vie des champs. Go lui a attribué la ballade de
ng Lync, sous la forme où elle parut dans le Kecueil de Watson.
hoice Collection of Comic and Serious Scots Poems^ bot h Aucient
(iern, publié en 1700, 1709 et 1711. Oulre la plus ancienne ver-
inue de Auld Lang Syne, le recueil contenait la ballade de //(ir-
, si fort admirée par <iray, par Percy, par W. Scott. Lauleur en
dy Wardlaw, qui mourut en 1727.
en 170i, collaborateur du Tea-Tahle Mncellany de Ramsay, il est
de la ballade connue The Uracs of Yarrow.
!oro un collaborateur de Hamsay. Mourut en 1733, h Tàge de
nq ans. Ses pièces, principalement T/te Bush oboon Traquair et
\e, montrent l'inspiration et le juste sentiment de la poésie paslo-
r plus haut, première partie, p. 33. Sa jolie chanson : « Wore na
t licht 1 wad dee - parut en 17*25 dans VOrpheus Caledonius et
'ée par Ramsay dans son Tea-Tabte ML^cellany,
2o-4 JAMES THOMSON.
dans celles do C(?s amis, lUccaltoun ', Armslrong ^ qui, avant
lui ou en uunne temps que lui, ont entendu le même appel de
la poésie, ont fait pour s'élever jusqu'au but indiqué le miMne
effort vaillant, limité chez eux par un génie inférieur, knta
salix quatitum pallenli cedit oticx ^.
Tel est donc le milieu dans lequel s'est formé le talent de
Thomson, telles sont les influences ambiantes qui ont pu en
orienter la direction. Ajoutons-y cet heureux accident qui lui
fit choisir, contrairement à l'exemple de Ramsay et des autres,
l'anglais, de préférence au dialecte écossais, et nous aurons
déterminé tous les éléments qui concourent à expliquer sa
grande fortune poétique, tous, à l'exception de ce quelque
chose qui résiste aux analyses du creuset, et qui est le génie
lui-même. Nous savons maintenant comment expliquer ce
fait au premier abord surprenant : le succès immédiat d'une
œuvre qui semble en opposition absolue avec les tendances,
les habitudes d'esprit, le goût confirmé de la société qui U^
fait si bon accueil. Thomson est venu à point pour donner
satisfaction à ce sentiment et à cet amour de la Nature qi^ii
persistaient dans l'âme et dans le cœur de l'Angleterre, alors
même qu'ils se trahissaient le moins dans les œuvres consB-
crées et en quelque sorte officielles des littérateurs en renom-
Et cependant on ne saurait trop insister, si l'on veut com-
prendre la valeur profondément originale de l'œuvre nouvel le»
sur le violent contraste qu'elle oppose aux productions de
la poésie anglaise contemporaine. L'école classique et Pope
n'avaient voulu voir dans le monde que l'homme, et rhomnie
abstrait, force intelligente bien plutôt que principe d'action
ou que matière aux dramatiques orages des passions. Le poème
de Thomson, au contraire, faisait simplement de Thomnie
un des détails pittoresques du tableau. Les écrivains en vogue
avaient exclu toute perception de la Nature de ce monde fac-
tice où ils s'étaient renfermés. Avec les « Saisons » un grand
coup de vent vient ouvrir les fenêtres soigneusement fermées.
Il fait entrer à Ilots, dans le salon élégant où devise la muse
1. Nous avons plus haut parlé de Riccaltouu (voir prem. partie, p. 17, i^^
et nous avons dit que sa description d'une scène d'hiver daos le Teviotdal^
avait (^veilli'î le j^énie <le Thomson au sentiment de son propre pouvoir.
2. II avait écrit son Wiittrr en même temps que Thomson élaborait 1*^
sien. (Voir prem. partie, p. 18, n. 2.)
3. ViHGiLE, • Ëglogue V », v. 16.
SEiNTIMBNT DE LA NATURE VERS 1725. 2^)S
mondaine de Pope, l'air vif et la pleine lumière, la libre vue
des choses extérieures, et jusqu'aux sons rustiques et aux sen-
teurs des champs.
Il est difficile de supposer que le jeune Écossais n'eût pas
conscience de Taudace de sa tentative. Soit estime sincère
pour l'école régnante, soit concession politique aux puissances
du jour, il s'efforce de faire une part dans son œuvre révolu-
tionnaire à ces goûts du public auxquels il semble que son
^uvre ait pour objet de rompre en visière. En réalité ses inno-
'ations ne sont pas d'un destructeur. Il rend une importance
prépondérante à un élément de poésie que son siècle avait
élaissé; mais il reste assez homme de son temps pour garder
•ur place, au milieu de ses peintures, à ces développements
- philosophie sententieuse et sentimentale que ses contempo-
»-ins prisaient fort. Il croit utile, lui aussi, de mêler à ses des-
'iptions quelques épisodes moraux ou pathétiques, et sans
énoncer jamais à certain fonds d'irréductible originalité, il
efTorce, avec une déférence modeste, d'y allier plus d'une
)ncession aux doctrines littéraires en cours. Il est curieux à
ît égard de le voir, dans chacune des a Saisons » qui parais-
nt successivement, ou, plus tard, dans les éditions nouvelles,
crifier de plus en plus au goût régnant, allonger ses tirades
j philosophie ou d'histoire, ajouter de nouveaux épisodes. Le
rnier de ses éditeurs, Mr. Logie Robertson, a très justement
5malé ces apports successifs des influences exercées sur
lomson à mesure que se prolonge son séjour à Londres,
lis il semble avoir singulièrement exagéré l'importance de
3 modilications. Il nous paraît, quant à nous, qu'à étudier le
veloppementdu poème, on doive être avant tout frappé d'une
ose : c'est la persistance chez l'auteur d'une individualité
Juste. Elle forme la charpente solide de Toeuvre à la fin
nme au début; elle se laisse couvrir mais non pas cacher
is les ornements disparates qu'impose la mode du temps,
lous est aujourd'hui difficile de dire laquelle des deux par-
5 si diverses de son poème a le plus contribué au succès.
Drdsworth avait évidemment tort de croire que les lecteurs
lors eussent été surtout frappés et charmés par les épisodes * .
. Second Préface to Ihe Lyrical liallads. — Nous pouvons noter que le
s connu de ces épisodes, le bain de Musidora, ne figure pas dans la
mière édition de l* « Eté ».
2S6 JAMES THOMSON.
Les nombreux poètes qui aussitôt après le triomphe des
a Saisons » voulurent s'inspirer de l'œuvre nouvelle, en imi-
tèrent plus la richesse descriptive que Tambition philoso-
phique ou les narrations. La vérité sans doute est que le poème
plut précisément parce qu'il flattait à la fois le goût de nou-
veauté et rattachement aux choses établies, qu'il rétablissait
dans leurs droits la Nature et les maîtres d'autrefois, sans
bannir expressément la poésie discursive ni les écrivains qui
y déployaient un si rare talent.
Quoi qu'il en soit, la postérité, moins éclectique, fait un
départ très net entre ces deux portions de l'œuvre. Par Tune,
Thomson est un initiateur, un chef d'école original et puis-
sant, dans la glorieuse histoire de la poésie anglaise. Par
l'autre il prend rang, non pas même le premier rang, parmi
les hommes de lettres qui ont versifié, au cours du dix-
huitième siècle, quelques lieux communs de politi(}ue huma-
nitaire, de banale philosophie et de sensibilité larmoyante
et superficielle. Nous distinguerons nettement ces éléments
si divers. Nous étudierons d'abord et principalement ce qui
appartient en propre au poète, les traits d'observation et
de description par lesquels vaut le poème. Puis nous isole-
rons, pour les examiner à part, tous ces hors-d'œuvre, pas-
sages de déclamation oratoire ou récits romanesques, qu'i^
introduit non pas toujours sans violence, au milieu de ses
tableaux de la Nature.
CHAPITRE III
LES OBJETS DÉCRITS. — LA NATURE DANS l'oEUVRE
DE THOMSON
C'était la première fois qu'un poète prenait la Nature pour
sujet d'une œuvre de longue haleine. On peut être tenté d'ob-
J^ter le De Naiiira Rerum. Mais ce poème n*est pas une
Peinture du monde. Lucrèce est trop préoccupa d'enseigne-
'^ent philosophique pour s'attarder beaucoup à la pure des-
^''iption. Le souvenir de quelques traits merveilleusement
Pï*écis et vigoureux qui sont dans toutes les mémoires, ne doit
P^ guider notre jugement sur Tensemble. Lucrèce ne voit
^uèrele côté pittoresque des choses, a II dissèque et analyse la
'^^ture D, dit M. de Laprade, « plutôt qu'il ne la décrit ^ » Au
^n traire, avec le poème de Thomson, c'est la série complète
*^s tableaux de l'univers qui doit passer devant nos yeux.
^* bien que pour étudier son œuvre, nous pouvons dresser
^ priori le catalogue des aspects et des phénomènes variés que
Pï'ésente la vie du monde, et chercher quelle interprétation et
^^elle i>einture il nous a données de chacun. Nous commence-
rons par les plus grands, par ces trois objets dont l'immensité
n'exclut pas une sorte d'unité individuelle : le ciel, la mer,
ies montagnes.
l. Le Sentiment de la Sature avant le Christianisme, p. 180 et auiv. On
trouvera aussi Texposc de considèralious analogues dans Touvrage de
.Shairp, On the Poetic Interprétation of Sature, chap. x, p. 147 et suiv.
17
288 JAMES THOMSON.
I
Le Ciel.
Le premier est celui qui exerce sur Thomson le plus puissant
attrait. Il ne Toublie dans aucun de ses paysages. Il le suit
sous ses aspects toujours changeants et infiniment variés. U
observe et il note dans cette mobilité même un des caractères
et une des beautés de ce fond splendide sur lequel se dôtach^
toute scène. On a signalé déjà la valeur de ses ciels; nous avons
à indiquer ici quelle richesse de coloris, quelle subtile percep-
tion d^effets merveilleusement divers justifient Téloge. K*^
réunissant les passages épars dans les différents chants, nou ^
trouvons ime suite de tableaux où sont notés et décrits tota-
les états successifs du ciel aux diverses heures du jour et dar»^
les conditions changeantes de Tatmosphère.
Quel poète n'a pas chanté l'aurore? Mais après tant de ma ^■
très qui (m ont laissé d'éclatantes ou de gracieuses peinture ===
Thomson mérite d'être placé hors de pair pour la précision, ï-
justesse et surtout la riche diversité de ses descriptions. TantcS
toute la vision est suggérée par un seul mot : « Aussitôt qij^-
« le matin tremble au ciel, et peu à peu déploie l'immen^
« clarté du jour * ...)>; ou encore dans le même chant : * L--
« longue nuit s'achève et le matin brille serein dans tout l'éclat
a de sa beauté humide * ». Tantôt, au contraire, une descrip
tion minutieuse nous fait assister au développement graduel d^
cette scène grandiose : « L'Aurore aux doux yeux apparaît. Tau -
« rore, mère des rosées, qui d'abord brille faiblement à Torien
« diapré, jusqu'à ce que la lueur grandissante s'étende au loif
« sur le ciel, et que, devant l'éclat de sa face, les blancs nuages
a se dispersent et fuient. D'un pas précipité la brune nuit se=
« retire. Le jeune jour envahit l'espace, et découvre tout^
« l'immense perspective des plaines », etc. ^ — Combien dilfé^
rente l'aube qui met lin à une nuit d'hiver a quand l'aurore^
« se levant tard sur le monde engourdi, soulève son <eil pâl€^
« et sans joie * ».
i. AulwHiij V. 151. — 2. Mîrf., V. llGi). — 3. Sutnmer, v. 47-53. —
4. \Vinter, v. 745, 756.
I
' LES OBJKTS DKCIUTS. :2y9
I
Après le tableau de si riclie coloris où U' poète nous a
montré l'aurore d'un jour d été, sa palette a des tons plus
éclatants encore pour décrire l'apparition du soleil lui-même
et cette pompe vraiment royale, selon le mot des Grecs*, au
milieu de laquelle il s'élève.
« Mais là-bas à Torient s'approche joyeux le puissant roi du
« jour. Le nuage diminué, l'azur flamboyant, le front de la
« montagne qui s'illumine d'or lluide, annoncent gaîment sa
« venue. Et voilà que soudain, entièrement révélé, rasant la
* terre brillante de rosée et l'air qui se colore, il apparaît dans
* sa majesté infinie; il verse le jour brillant, les rayons d'or
* qui se jouent sur les rochers, sur les collines, les tours et les
* cours d'eau sinueux, et lui-même étincelant s'élève à l'ho-
* rizon lointain ^ » Voyez, d'autre part, quelles teintes sobres
^t fines dans ce tableau d'un matin de printemps : « Alors l'air
* redevenu libre échappe à l'oppression du froid, mais, plein
* de vie, plein d'une âme vivifiante, il élève au plus haut du
* ciel les nuages légers, il les étend minces, floconneux et
^ blancs sur toute la voûte céleste ^ »
Suivons la marche du soleil. Voici le grand jour : « Mainte-
* nant flamboyant au ciel, le soleil puissant fond dans l'air
* iimpide les nuages hauts élevés et les brumes du matin qui
^ planaient autour des collines en bandes mi-parties, jusqu'à
* Ce qu'enfin, tout entière dévoilée, la face de la Nature
^ brille depuis l'immense cercle où la terre semble s'unir à
* la sphère inclinée du ciel * ». Et voici la même heure quand
^^Utomne a tout empreint de sa beauté plus grave : a Le jour,
^ répandu à flots sur le ciel et sur la terre, s'échauffe et
^ grandit; splendeur infinie! il revêt au loin tous les êtres.
^ Ciombien calme est la brise! à peine un souffle entraîne-t-il
1. Ba(nXev<7iç.
^. Summery y. 81-90. — En face du même spectacle, Dyer, le coDlempo-
^ÎD de Thomson, notait aussi des effets précis de lumière et de couleur.
^yer, on te sait, était peintre avant d'être poète. Mais combien est plus
^Dtiple et moins gâtée de mythologie la description des •• Saisons ».
• Half his beams Âpollo sheds
On the yellow mounlain heads!
Gilds the fleeces of the flocks,
And glitters on the broken rocks ! »
(Grongar HilL)
3. Spring, ▼. 27-31. — 4. Summer, v. 199-204.
260 JAMES THOMSON.
c sur la plaine les fils délicats des rosées évaporées! Combien
c est clair le ciel sans nuage! Quelle teinte profonde il prend
« d'un bleu particulier! Comme la voûte céleste s'enfle
« immense! Combien, du baut de son trône d'azur, le soleil
« rayonne joyeusement! Combien est calme au-dessous la
« terre par lui dorée ' ! »
Enfin après ces tableaux nuancés où le poète fait preuve
d'une si délicate perception des jeux subtils de la lumière,
voici ceux où il se montre capable de rendre les splendeurs
royales de midi : « le soleil, de son trône au zénith, ébranle
« et disperse les nuages, et lance jusque dans les profondeurs
c des abîmes une indolente langueur*. » Notons la gradation
qui sépare de cette brève indication d'un midi de printemps,
celle qui retrace Tccrasante puissance du soleil d*élé : « C'est
« la pleine ardeur de midi, et verticalement le soleil lance sur
« nos tètes ses rayons violents. Sur le ciel et la terre, aussi
« loin que peut errer le regard, tout est submergé par Téblouis-
« sant déluge; tout d'un pôle à Tautre se perd dans un llam-
« boiement indistinct '. » Il n'y a plus au delà que le soleil
tyrannicpie et le ciel écrasant des tropiques. <( Voyez comme
<f le soleil aux ravons étincelants s'élève sans aurore et chasse
a aussitôt du ciel le bref crépuscule; voyez de quelle llamine
a anlente, joyeux et cruel il se répand dans l'air éblouis-
« sant^ »
Les ciels d'après-midi sont nombreux et se retrouvent dans
plusieurs des a Saisons » : « Affranchi de l'éclat ardent de l'été
ce (|ui séloigne, un azur plus serein qu'anime une lumière
a d'or, embrasse jusqu'à l'horizon le monde joyeux. Des soleils
« tempérés s'élèvent et lancent des rayons cléments, et sou-
« vent, à travers les nuées transparentes, ils versent un calme
<c délicieux... jusqu'à ce que l'air ébranlé s'agite et que souffle
a la brise. Alors le manteau floconneux du ciel se déchire; les
a nues volent dispersées; et tantôt le soleil tout à coup brille
<( et dore la plaine illuminée, tantôt les ombres noires courent
a sur la terrée » — a Cependant, jetant sur tout une ombre
« légère, un calme sobre suspend dans l'air les nuages flocon-
ci neux. La moindre ondulation de l'air s'arrête tremblante,
1. Autnrmu liiOS-1217. — 2. Sprinr/, 4i2-4ii. — 3. Sumtner, 432436.-
4. Ibi(L, 0.io-«48. — o. Aulumn. 2o-39.
LES OBJETS DÉCRITS. S61
ne sachant où diriger le doux courant, tandis que, tout illu-
minés, les nuages à la frange humide boivent le soleil, et
de leur voile transparent laissent arriver au monde paisible,
sa force adoucie ^ » — Toute autre est rinfluence du soleil
l'aspect du ciel aux mêmes heures de Thiver : a Suspendu
à l'extrême bord du ciel, le soleil verse à peine dans l'air
un jour attristé. Faible est son éclat, et ses rayons impuis-
sants ont peine à franchir en longues lignes horizontales
Tair épais; tandis que lui-même, vêtu des nuées de la
tempête, faible, pâle et large, il longe au sud le bord du
ciel, pour descendre bientôt et abandonner le monde abattu
à une longue nuit*, n
Ia journée s'achève; voici le soir, puis la nuit dans un ciel
été : <t Le soleil a perdu sa violence; son globe abaissé ne
lance plus qu*une chaleur vivifiante et un éclat joyeux; ses
rayons variés colorent les nuages, ces vêtements magni-
fiques du ciel qui, sans cesse mobiles, prennent des formes
rjittoresques, où Timagination poursuit des rêves sans som-
neil '. » — a Le soleil chemine près de l'horizon, et s'élargit
graduellement à la lin du jour. Les nuages changeants, gai-
nent assemblés, riche et pompeux cortège, entourent de
oute leur gloire son trône au couchant. L'air, la terre et
océan sourient dans leur immensité. Et bientôt comme si
?s chevaux fatigués de son char avaient hâte de retrouver
;elon la fable grecque) la demeure d'Amphitrite et les soins
e ses nymphes, il plonge son globe; le voilà à moitié
nrnergé : puis, un croissant d'or lance un dernier brillant
ivon, et l'astre disparaît tout entier*. » — a Annoncé là-
as ï^ar les nuées qui lentement se sont éteintes, le sobre
-épuscule, adoucissant tout Téther, prend sa place accou-
imée au milieu des airs, avec les milliers d'ombres qu'il
)mmande. Il lance sur la terre celle-ci d'abord; puis une
jtre de teinte plus profonde se glisse doucement derrière
le, et une autre plus profonde encore, dont le cercle suc-
îdant aux précédents, s'ajoute à eux pour recouvrir la sur-
,ce des choses ^ » Enfm règne la nuit : <l Sur les pas du
,i*épuscule suit rapide la Nuit; non pas dans sa robe d'hiver
Autumn, 901-963. — 2. Winter, 44-51. — 3. Sunimer, 1311-1376. —
bid., 1620-1629. — 5. Ihid,, 1641-1654.
962 JAMES THOMSON.
« (l'un épais et noir tissu, mais négligemment drapée d'un
« manteau brun. Un rayon faible et décevant, réfléchi par les
« surfaces indistinctes des choses, envoie à l'œil qui fait effort
c une image incertaine.... Et bientôt la vue fatiguée se toum.^
c vers le ciel. Amenant doucement les heures silencieuses d^
c l'amour, Vénus charmante brille de son pur éclat, et quari. ^
t elle s'est levée propice, du moment où la lumière du joi
c s'est évanouie jusqu'à ce qu'elle jaillisse de nouveau, Véni:
« règne sans rivale, la plus belle parmi ces lampes de la nui
« Tandis que mon œil ravi s'enivre de cet éclat tremblant,
t légers éclairs traversent le ciel, ou jaillissent sur l'horizon &^
« formes capricieuses.... Parmi les sphères radieuses qui no-
« seulement ornent, qui animent le ciel, soleils vivifiants d'ai__
« très mondes, des profondeurs terrifiantes de l'espace revierr
€ dans sa course précipitée la comète qui s'approche du soleil
« et quand elle disparait sous l'ombre de la terre, sa quei
« effrayante se projette sur le ciel *. d — Comparons une nu^ -i
d'automne : « Le soleil couchant met fin à la brève journé^^
« le soir humide glissant sur le ciel jette sur le sol, pendainf
« sa froide marche, les vapeurs condens(îes en brouillards.. -.
« Puis la lune, dans toute la plénitude de son globe, appât-
« raissant h travers les nuages rompus, montre sa large fac£?
« dans l'orienl empourpré. Tournée tout entière vers le
« soleil, son disque tacheté (oii la lunette des astronomes nous
« fait voir des montaj^nes qui s'élèvent, de sombres vallées
a qui s'abaissent, et de profonds abîmes), son disque nous
a renvoie Téclat du soleil sans sa flamme, et verse un jour
« plus doux. Tantôt elle semble se baisser au milieu du nuage
« qui passe, tantôt elle vogue majestueuse au plus haut de
« l'azur sans tache. Le pâle déluge flotte au loin; il s'épanche
« doucement sur la montagne voisine du ciel, et jusqu'à la
« vallée pleine d'ombre; les rochers et les eaux réfléchissent
« cette lueur frissonnante; l'air tout entier blanchit sous ce
« flot immense de lumi('ro argentée qui entoure le monde de
« son éclat tremblant. Mais quand, à demi eflkcée du ciel, sa
« lumière affaiblie laisse les feux des étoiles brûler d'un éclat
« plus perçant à travers les profondeurs célestes, ou quand
« son globe amorti, presque éteint, se montre, et se montre à
1. Suinmei', 1f>S4-l710.
LES OBJETS DÉCRITS. 263
[l'une blancheur pale et sans rayonnement, souvent,
e saison, silencieusement au nord des lueurs météo-
jail lissent. D'abord elles couvrent la région inférieure
, puis toutes ensemble convergent soudain vers le
t du firmament, et aussitôt retombent toutes ensemble
^monter aussi rapidement; elles se mêlent, s'arrêtent,
lent et se raniment, emplissant l'air d'un dédale
ux *. »
oici la nuit d'hiver : a Quand du ciel livide le soleil
1, souillé de mainte tache qui erre mobile sur son
l'éclat terni, des bandes rouges et ardentes com-
)t autour de lui à s'embraser. Les nuages chancelants
ent incertains et hésitants, comme s'ils ne savaient
à quel maître obéir; tandis que la lune s'élève len-
, pâle à l'orient plombé, et porte un cercle blême
de ses cornes émoussées. Vues à travers l'air trouble
, les étoiles sans éclat émettent un rayon frissonnant;
► ent semblent s'élancer à travers l'obscurité, laissant
e elles une longue lueur blancliAtre '. » — Et quand,
de la saison rigoureuse, le froid s'est emparé du
la sphère du ciel tout entière révélée, déployant à la
s mondes infinis, brille d'un éclat intense, et, d'un
l'autre, elle scintille, voûte formée d'étoiles éblouis-
s heures et les saisons ne sont pas seules capables
)rmer ce ciel aux aspect mobiles. Nous ne pouvons
relever tous les passages où Thomson en a noté
ipparence pittoresque. A l'approche de l'orage il se
3 nuées. « Le vent du sud se répand, échaufTe l'air
îe, et sur le ciel vide son souffle forme les grosses
3utes gonflées d'averses printanièrcs. D'abord on voit
une grise volute qui fait à peine une tache sur le
lis rapidement, en amas accumulés, les nuées épaisses
înt le ciel chargé ; elles se mêlent profondes, et une
té opaque couvre tout l'horizon... . Peu à peu la brise
ce à un calme absolu \... n Et quand la pluie ainsi
a pris fin, a dans le ciel du couchant le soleil
/i, 1082-1114. — L>. Winler, 118-129. - 3. Ibid., 738-741. —
H3-I55.
264 JAMES THOMSON.
(( qui 6'al»aisr>(* re[>îu*;ul radieux au milieu des rougeurs des
a nuages divisés que ses rayons égaient de changeantes cou-
c leurs * ». Le pinceau du poète se charge de teintes plus
violentes pour nous montrer un ciel d'été où va éclater la tem-
pête. (( S'accumulant lentement au-dessus du bois devenu
« livide, une obscurité éti'ange s'amoncelle, et grandit, et
« prend possession du ciel entier qu'emplissent les vapeurs
a funestes exhalées des couches secrètes où dorment les miné-
« raux. Le nitre, le soufre, le gaz ardent du gras bitume, se
« répandent dans l'air, et leurs amas aux nuances variées où
« se cache la flamme souillent le ciel -.... » — L'horreur de
l'orage dont la description suit les vers que nous venons de
traduire, rend plus radieux le retour du soleil et l'affranchis-
sement du ciel : a A mesure que de la face du ciel les nuages
a dispersés s'éloignent tumultueusement, la voûte immense
c s'enfle plus sublime, et sur le monde elle étend unazu*
« plus pur. La nature après l'orage brille d'une fraîcheu*^
« nouvelle; à travers l'air plus léger un éclat plus vif, u^
a calme plus limpide tremblent et se répandent. Et cependaa*'^
« comme signe du danger passé, une brillante robe de joi-^
« que rehausse l'abondance des jaunes rayons recouvre \^^
« champs; la nature ranimée sourit '. »
Il faudrait, pour ne rien oublier, reproduire aussi la descrip^
tion de Tarc-en-ciel après la pluie de printemps *, celle d'u
ciel polaire '', celle d'un ciel africain embrasé par le simoun, o
d'un ciel bouleversé par le typhon *; d'autres passages encor
Au total le poème ne renferme pas moins de vingt-six descrip
lions des aspects du ciel. Nous venons de voir de quelle valeu
ils sont. Aucun poète, sans excepter Wordsworth qui pendan
soixante ans a promené sur la nature l'objectif de son observa^**
tion patiente, sincère et enthousiaste, aucun poète a-t-il réussie
à transcrire aussi vivement, avec une plus grande magie des^
mots, ces mille aspects ondoyants du ciel, des nuages et dés-
astres ? Nous ne sommes pas surpris qu'un autre poète, un de
ceux aussi que l'inconstante splendeur du ciel et de la lumière
attiraient plus que tout autre objet, le peintre ïurner, ait par-
fois voulu joindre son génie à celui de Thomson, et fixer sur
1. Sprhiff, 188-100. — 2. Sumnier, UOaiMl. — 3. Ibid., 1223-1232. —
4. Sprinr/, 203-206. —5. Winter, 859-864. — 6. Smwwc/-, 961-992.
LES OnJETS DÉCRITS. ^65
sa toile l^s ouleiirs et les l'ayoïis qui vibrent dans les vev^ des
«Saisons » '. S'il est vrai, comme le pensait Ampère, qu'on ne
doive pas juger un poète avant de connaître son soleil, Thomson
peut hardiment solliciter ce jugement-.
:
II
La Mer.
On peut à bon droit s'étonner que, dans cette œuvre où le ciel
est si curieusement et amoureusement peint, on rencontre peu
de descriptions de la mer. Le poète écossais a bien le sentiment
Que ce qui fait le caractère particulier de sa terre natale, ce qui
inexpliqué tous les traits, ce qui la rend si diflférente de toute
*utre région montagneuse, c'est la présence continuelle de la
'ïier souriante ou formidable, qui bat les côtes, pénètre de
toutes parts dans les terres par ses a firtlis » et ses (( lochs », et
^^mble prolongée au cœur même du pays par les lacs qu'elle
alimente et qui reproduisent ses grâces et ses colères. Ne
devrait-on pas s'attendre à voir (!hez lui, comme chez Théo-
^rite, la mer partout présente dans une poésie toute insu-
laire '? Thomson est loin cependant de lui donner pareille
importance. Dans sa description de TÉcosse, il note d'un trait
^pide la proximité de ce puissant voisin ; mais rien ici qui sup-
l)Ose ni qui évoque une vision directe : « Voici la Galédonie et
« ses hautes montagnes. Elles sont, grâce à la mer onduleuse,
1. • Turner emprunte au • Printemps • de Thomson Le lac Buttermere
(effet de pluie), National Gallcry, n» 460. » (Cuesneau, la Peinture anglaise,
p. 133.)
Une autre peinture de Turner, n" 492 de la Galerie Nationale, a pour
titre Frosty Morning, et pour thème ce vers :
- The rigid hoar frost melts before his beam. »
(Aulumn, 1159.)
2. • On ne comprend pas bien le coloris d'un poète, si Ton ne connaît
son soleil. - (J.-J. Ampère, cité par Mérimée recevant Ampère à l'Aca-
démie.)
3. « Dans celte poésie insulaire, on aperçoit sans cesse la mer à Tho-
rizon. » (J.-J. Ampère, la Poésie grecque en Grèce, chap. ii.)
266 JAMES THOMSON.
« enveloppées d'un air vif et subtil qui aiguise les âmes ^... »
Et c'est tout. Pas un mot pour décrire ces prodigieuses scènes
de la côte d'Ecosse, où, dans les tempêtes terribles de la racr
du Nord ou de TAtlantiquo, les vagues livrent de si furieux
assauts aux falaises de granit. Pas un souvenir de ces aspects
tour à tour charmants et grandioses de la côte occidentale, 0(1
les Hébrides étendent, le long d'un rivage merveilleusement
découpé, leurs îles aux formes capricieuses, et les curieux
défilés de leurs détroits, et leurs montagnes qui semblent
surgir de la mer, et les mille accidents pittoresques de ce rivage
fameux.
Ailleurs, il est vrai, il arrive au poète de mentionner cesiles
écossaises. C'est pour y noter la multitude des oiseaux qui y
vivent. Le caractère de cette région est fixé brièvement en deux
traits. « Là où Tocéan du Nord, en vastes tourbillons, bouil-
c lonne autour des îles nues et tristes de la lointaine Thulé, là
« où la houle de TAtlantique se déverse parmi les Hébrides
« orageuses *.... »
A défaut de peintures précises, savamment développées,
comme celles qui nous ont été données du ciel, les « Saisons •
offrent cependant quelques scènes où ce puissant acteur joue
son rôle. Toutes, sauf une ou deux exceptions, sont des scènes
de bouleversement et de tempêtes. « Au milieu de l'hiver sau-
« vage, je voudrais me retirer entre la forêt gémissante et le
« rivage battu par l'infinie multitude des flots, dans un séjour
« rustique, abrité, solitaire '. » Voilà la seule occasion où le
poète exprime le désir d'avoir la mer pour voisine, et voici les
seules où elle lui offre un spectacle qui le charme : « Aux
« splendeurs du soleil couchant, l'air, la terre et l'océan sou-
« rient dans leur immensité* ». — « L'océan amer, vu du
« sommet de quelque promontoire aigu, réfléchit, toujours
« mobile, jusqu'aux limites extrêmes de l'horizon bleuâtre, un
« rayon flottant ^ » La beauté de? la peinture est hors de doute,
mais on voit que, même dans ces deux exemples, le poète est
surtout frappé du caractère violent ou mélancolique de la mer.
Le soleil n'évoque pas sur ses flots Timpression de joie qu'il
sait répandre sur le désert ^ La mer plissée de sourires,
1. Atthimn, 8x0-x83. - 2. M/rf., 862-865. — 3. Winier, 425-42». -
4. Summe,\ 1623-1621. — :\. Ihifi.^ 167-170. -6. Iht'd., 163.
LES OBJETS DÉCRITS. 267
.>i)5iOjxov ytXxajxx *, la mer qu'une agitation légère couvre de
aille fleurs, la mer bienfaisante qui nourrit ou enrichit les
lommes, et qui rapproche les nations, Thomson ne voit guère
es aspects. Il s'attache de préférence à dépeindre les colères
e l'océan déchaîné : « C'est surtout sur la mer dont les vagues
flexibles obéissent à la tempête, que la fureur du vent gran-
dit. Sur Tocéan redouté que creusent de longues ondula-
tions, sous la ligne de feu qui entoure le globe, le typhon
tournoyant, lancé d'un bout de l'horizon à l'autre, épuisant
toute la rage de tout le ciel, le typhon règne et la trombe
impitoyable. Dans le ciel d'une sérénité trompeuse, la tem-
pête couve, condensée dans un petit nuage qui fait une tache
sur l'azur. Igooré de tous, sauf du marin expérimenté, le
signe précurseur plane, ardent et cruel, ou bien sur le front
de quelque promontoire il amasse ses forces. Le démon pro-
duit d'abord un calme trompeur, puis il lance une brise
légère pour tenter le navire à déployer ses voiles. Et alors
tout à coup s'abat sur la mer une masse confuse de vents
mugissants, de flammes et de flots en torrents '. »
Ce sont surtout les préliminaires de la tempête qui l'ont
1 arrêté. Il dépeint avec plus de détail et d'insistance les
erreurs d'une tempête sur les mers d'Europe : « L'océan,
sous une pression inégale, se soulève d'un mouvement rompu
et désordonné.... Alors d'une explosion soudaine la tempête
se déchaîne et lance comme un torrent toute la masse de
l'eau bouleversée. Sur la mer impuissante cette force
iérienne s'abat,' et la violence du vent creuse jusqu'à son
it l'océan décoloré. Et pendant toute la durée de cette nuit
loire dont l'aile immense recouvre Thorizon ', l'onde fouettée
lans cette lutte terrible se couvre d'écume; le sommet de ses
nille vagues semble s'embraser.
'< I..es flots, énormes comme des montagnes, s'élèvent en un
iésordreaff'reux jusqu'au ciel, pour éclater l'un après l'autre,
u» îioç at6f,p xal ta/OirTepo: Tcvoal,
Koraftâv xe iCTjvai tcovtîwv tî xvi|xsTri>v
ivr,piO{iov Y^Xa^iia, 7ra|i;xf,T(i>p te yf,,
xa\ Tov iravisT/jV x*ix)ov t,).îo*j xaXtô.
•Eschyle^ • Promcthée ».'.
Sumtner, 980-996.
Le vers anglais, fort beau, est dà à nue suggestion de Pope qui
•"élre 8*C8t souvenu de Miilon. Voir plus liant, p. 147 et n. 2.
268 JAMES THOMSON.
« et, avec un fracas formidable, retomber en chaos. Les navire
« à 1 ancre sont chassés de leur station et fuient éperdus, au^
« rapides que les vents, sur le désert hurlant des eaux irré-
« sistibles. Tantôt ils escaladent gémissants la vague gonflée,
« tantôt ils se précipitent au fond des retraites cachées de
« Tabîme, et entendent tonner les ilôts au-dessus d*eux. Puis
« ils remontent, et, poussés par le souffle de tous les vents
« réunis, ils volent vers des côtes lointaines, — à moins qu'un
« rocher aigu ou quelque barre perfide ne les arrête, les brise
« et les disperse en fragments flottant épars *. »
On voit que, si Thomson a borné son observation à un des
aspects de la mer, au moins a-t-il su le peindre avec une sin-
gulière puissance. 11 s*est attaqué à une vision plus grandiose
encore, et en quelques vers comparables aux plus sublimes
tableaux de Milton, il a évoqué le spectacle du cataclysme
diluvien :
<( A une époque lointaine et obscure, un déluge survint. Le
« globe qui recouvrait de ses voûtes les eaux centrales s'ou\Til
« en crevasses profondes, et, partout brisé, s'écroula dans
« Tabîme. Sur les montagnes immenses formées par les débris
a de la terre, les eaux passèrent en vagues énormes, jusqu'à
« ce que, du centre jusqu'aux nuages qui se déversaient en
a torrents, rien n'apparut plus autour du globe que les flots
(L tunmltueux d'un océan sans rivage *. »
En contraste avec ces descriptions où le peintre a surtout
vu le mouvement et la violence de la mer, en voici d'autres
qui l'ont frappé par un caractère d'immobilité non inoins
efl'rayante. Il nous montre l'exilé russe errant dans sa prison
de déserts sans limites, a Rien ne frappe ses regards que la
« neige couvrant le sol et chargeant lourdement les arbres, et
« des fleuves solidifiés qui, à travers Timmense solitude, éten-
« dent jusqu'à la mer leurs horreurs glacées'. » Il les suit
jusque-là et, dans les mers polaires, nous montre « des mon-
« tagnes de glace entassées énormes sur des montagnes. Le
« marin frissonnant les aperçoit de loin informes et blanches,
« comme une atmosphère de nuages. Parfois, surplombant les
« flots, des cimes se dressent menaçantes au-dessus d'autres
« cimes; ou bien s'écroulant avec un bruit terrible, comme si
\. Winter, 148-174. — i>. Sprim/, 308-3i:3. —3. Winter, 801-805.
LES OBJETS DÉCRITS. S69
« le chaos s'emparait de nouveau du monde, elles entr'ouvrent
« au loin la mer et ébranlent le pôle solide. L'océan Jui-mème
« ne peut se défendre de la puissance furieuse qui enchaîne
« la nature, mais, saisi au milieu des colères de sa tempête,
« par le froid irrésistible, il est, jusqu'à une profondeur de
t maintes toises, enchaîné, incapable désormais de rugir, —
« désert lugubre, hérissé de vagues rocheuses, inhospitalier à
« toute joie et à toute vie *... »
Gomme si ces tableaux d'un monde mystérieux et effrayant
exerçaient sur lui un attrait particulier, le poète revient encore
à ces paysage polaires pour nous y montrer l'effet du dégel :
Ces mers mornes qui entourent Tàpre pôle ne vont plus
souffrir les entraves du nord puissant; mais, éveillant tous
leurs Ilots, elles se soulèvent irrésistibles. Ecoutez! le gron-
dement se prolonge ; il s'étend sans arrêt à travers les glaces
qui se fendent. Puis tout à coup elles éclatent, et dressent
jusqu'aux nues mille montagnes formées de leurs amas.
Malheur à la barque chargée de misérables pleins d'effroi
qui, ballottée parmi ces fragments flottants, jette l'ancre à
l'abri d'une île de glace, quand la nuit accable la mer et rend
cette horreur plus horrible! Quelle force humaine peut
résister aux maux qui s'unissent pour les assiéger? La faim
qui leur ronge le cœur, une lassitude impuissante, le rugis-
sement des vents et des vagues, le fracas des glaces qui
s'écroulent, cessant un moment pour se renouveler avec
plus de rage et de bruit, et mugissant au loin dans d'ef-
frayants échos *. »
La mer de Thomson ne vaut pas son ciel. Elle n'est pas
ariée comme nous la montre la nature; le poète ne la voit que
ous son aspect terrible. Dans ces descriptions, il y a plus
l'emphase que le sujet lui-même ne l'exige; le peintre s'y
neutre à nous observateur moins délicat et artiste moins sin-
cère que nous ne l'avions vu dans ses premiers tableaux. Mais
a part ainsi faite aux lacunes et aux défauts, ne serait-il pas
)iseux de signaler la puissance de langage, la maîtrise robuste
ivec laquelle le jeune poète luttait contre les plus grandioses
;t les plus terrifiants spectacles de la nature et en fixait des
mages d'une beauté saisissante? De tous les poètes qui depuis
1. Winter, 006-019. — 2. Ibifi., 007-1043.
270 JAMES THOMSON.
ont voulu peindre les colères de rocéan, il n'en est guère en
Angleterre, sans excepter Byron, qui ne se soient souvenus de
l'auteur des « Saisons )) et ne lui aient emprunté quelques-uns
de Ieui*s effets; il n'en est pas qui Talent surpassé en tragique
grandeur. Quand Hugh Miller, un savant qui fut, lui aussi, un
peintre puissant, voulut d'un trait évoquer l'aspect de la terre
à l'une des lointaines époques géologiques, il crut ne pouvoir
mieux l'aire que d'emprunter à Thomson un vers magnifique :
A shoreless Oceaa tumbles round the globe *.
III
La Montagne.
Plus rares encore et plus brèves sont les descriptions de
montagnes; mais nous n'en éprouverons pas la même sur-
prise. La perception d'une beauté dans les spectacles que pré-
sentent les régions montagneuses est une des acquisitions non
seulement de la littérature mais de l'àme modernes. Avec la
riche complexité et la profonde analyse du drame, elle con-
stitue les principaux accroissements ajoutés par l'esprit humain
au patrimoine poétique légué par l'antiquité. La Grèce elle-
méirie, cette terre d'élection de l'art, a produit sa moisson de
chefs-d'œuvre au pied de monts majestueux, sans rien soup-
çonner des émouvantes impressions qu'ils pouvaient fournir,
a Les influences cliarmantes des douces brises, des ruisseaux
n sonores, des couverts ombreux, des lits de violettes, ou de
a l'ombrage des platanes, les écrivains païens les ont ressenties,
« peut être plus noblement que nous; mais ils n'ont rien trouvé,
(L que la frayeur, sur la montagne nue, ou dans la gorge mysté-
(L rieuse ^ » La constatation ainsi faite par M. Ruskin est insuf-
fisante. L'àme grecque n'était pas ouverte uniquement aux
1. Sprifig, 31î>.
2. • The picasant influences of sofl winds, and ringing slreamlets, and
shady co verts, of thc violet couch and paiin-tree shade, tliey (Ihe Uealhen
writers) received, perhaps in a more noble way than we; but Ihey fourni
nol anything, exccpl feur, upon Uic bare mountain, or in Ibe ghostly
glen. ■ {Kusum, Modem Painlers, 11, vol. I, p. 42.)
LES OBJETS DÉCRITS. 271
essions modérées et douces. Sa poésie fourmille de vers
iiontrent combien elle ressentait vivement Témotion du
nie et de l'infinie grandeur en face de spectacles tels que
du firmament et de la mer. Mais si nous nous sommes
ués à unir ces deux termes, la mer, la montagne, comme
manifestations diverses d'un même caractère des forces
elles, il n'en était pas ainsi des Grecs. Leur admiration
attachée uniquement à l'océan. Cette mer sur les rivages
juelle se développe leur civilisation, ce tcovtoç, ce a grand
in » qui réunit les membres épars de la glorieuse famille,
une puissance formidable qu'ils ont en quelque degré
liée. C'est un inconnu auquel ils ont en partie arraché
lecret. C'est une force qui, dans ses déchaînements les
:;fTrayants, manifeste encore cette unité qui plaît à leur
épris d'ordre et d'harmonie. Quant aux montagnes, ils
l(Mit n'y voir que les etïets de forces désordonnées. Pour
nylhologie et pour leur poésie, ce sont ou bien les instru-
> de lutte ou de supplice d'êtres monstrueux, ou bien le
' inaccessible, jamais visité, jamais décrit, des puissances
ieui'es. Ne peut -on pas exprimer une surprise et un
: en pensant que lorsque Eschyle enchaîne au flanc des
; son Prométhée, il ne tente aucune description de cette
3 affreuse avec laquelle étaient dignes de lutter sa langue
mte et ses a mots de six coudées »?
Latins, élèves et imitateurs, ne verront pas ce qui a
pé à leurs maîtres. Leur sentiment de la mer est plus res-
et plus étroit. Moins familiers avec elle, ils n'en connais-
juère les grâces et les caresses. Pour Lucrèce, pour
e, pour Virgile, elle est surtout perfide, violente, objet
»i. Lorsque Catulle note en elle, même sous l'orage, le
le et les sourires de ses couleurs changeantes, on peut se
ider s'il fait autre chose que reproduire une impression
le '. — Quant aux montagnes, à plus forte raison doivent
« Hic, qualis flatu placiduin mare matutino
norrificaos Zephyrus proclivas incilat undus
Aurora exorionle vagi sub limina solis,
Quœ tarde priuium démenti flamine pulsœ,
Proceduni leni resonanl plangore cachinni.
Post vento crescenle magis magis increbescunt
Purpureaqiie procul nantes a luce refuIgcDt. •
(Catulle, LXIV, 269-215.)
â73 JAMES THOMSON.
elles conserver leur caractère de mystère et de terreur. Une
fois seulement Virgile leur consacre un trait tfe descriptkm
qui même s accompagne d'une sympathie bien nouvelle, i le
vieil Apennin qui rugit de tous ses chênes et qui soulève avec
exaltation jusqu'au ciel ses sommets blancs do neige * ». Mais
l'opinion esthétique de cette littérature et de cette société est
exprimée par Quintilien : oi La beauté est le privilège des
a pays qui s'étendent près de la mer, plats et agréables * i.
La Renaissance n'a pas comblé la lacune laissée par l'anti-
quité, non pas même avec Shakespeare. Sans doute il fait
passer quelquefois dans ses drames l'impression physique des
régions montagneuses. On sent, dans certaines scènes de
Cymbeline, l'air aigu, le grave silence des monts. Mais il n'a
nulle part porté sur celte partie du monde matériel son
extraordinaire pouvoir d'observer et de décrire. M. Ruskinse
félicite, dans une page curieuse, de cette ignorance du maître;
il y voit une dispensation de la Providence ^.
A coup sûr nous ne demanderons pas aux modernes littéra-
tures classiques la révélation de ce domaine encore inexploré.
Elles ferment les yeux même aux tableaux qui depuis plus de
vingt siècles avaient provoqné sans la lasser Tadmiration des
hommes *. A peine un mot vient-il de temps en temps, chez
les plus Imaginatifs des écrivains de notre grand siècle, laisser
entendre que Ton pouvait voir dans les montagnes autre chose
que de gênantes et laides murailles *. Il n'en va pas autrement
chez les auteurs anglais. Le sage Evelyn devenait épigramma-
1. « Quantus Athos, aut qiiautiis H)ryx, aul ipsc. coruscis
Cum frémit iiicibiis, quantiis, gaiidet(|iie nivali
Verlicese atlolleni» paler Aponniniis ad auras. •
C« Enéide -, XH, 099-701, éd. Beiioist.)
2. « SpecJes maritimis, plani?, anuruis. • (Cité par Shâirp, On the Inter-
prétation of Sature, chap. x, p. \ Wl.)
3. - So far as nature had any influence over Ihc early Iraininft of Ihi»
man, il was cssentini to his pcrfcctness tlint the nature ï^hnnld be quiet..**
Shakespeare eould be allowed no niounlains. - [Modem Painters^ vol. IV,
part o, ch. xx, p. 372 et auiv.)
4. • Quelle que soit la liante valeur morale de notre liltirature classi-
que.... elle exclut trop la nature visible,... tout le domaine de Timagina-
tion, pour constiluer une véritable poésie, pour être rien de plus qu'une
éloquente et sublime prose. • (De Laphade, le Sentiment de la Nature avant
le Christianisme, p. -410.
5. Comme Pexclamation de Mme de Sévignc sur •> les alTreuses beautés >
des montagnes.
LES OBJETS DÉCRITS. 273
tique pour noter que « la Nature a balayé et amoncelé dans
I les Alpes tous les décombres de la terre, alin de former et de
ï nettoyer les plaines de la Lombardie * ». Le poète Blackmore
ttlest pas moins énergique dans sa réprobation d'une erreur
manifeste du Créateur : « Les montagnes,... ce fardeau encom-
ibrant qui déshonore la terre* ». Fleming, né dans un pays de
montagnes, s'efTorce de justifier le Créateur et de leur trouver
une finalité : « Klles offrent », dit-il, a un refuge aux bêtes
I sauvages' ». Addison se contente de résumer ainsi ses impres-
sions, après son passage dans la partie la plus admirable de
l'Europe : a Je viens d'arriver à Cenève, par un bien ennuyeux
' voy»ige à travers les Alpes. J'y suis resté pendant plusieurs
ï jours à grelotter au miliou des neiges perpétuelles. J'ai la tète
ï encore étourdie de montagnes et de précipices, et vous ne
' pouvez imaginer combien me fait plaisir la vue d'une plaine*. »
Très différente fut en somme Tattitude de Thomson en face
les monts. Quand il aura vu les grandes Alpes (c^r il doit lui
•ussi les franchir), il en rapportera quelques impressions
grandioses. Nous les retrouverons dans <( La Liberté » où
lies sont un des lambeaux de pourpre, purpurei panni, du
rave poème. Il lui arrivera alors de s'écrier au sujet de son
onfrère Glover : « Lui, écrire un poème épique! 11 n'a jamais
vu de montagne*! » A l'époque où il écrit les a Saisons », il
l'a pas encore ressenti le grand coup de surprise et d'admi-
ation que donne un panorama de hautes montagnes. Mais,
*il n*a eu sous les yeux que les effets à échelle réduite de ses
i. • Nature has swept up Ihe rubhisli of ihe earth in the ÂIps to form
nd clear the plains of Lombard y. » (Cité dans Chambehs's Cffclop/ediaj
ûl. I, p. 460.)
2 - the hills
That earth 's dishonour and encumbering load. -
(Ulackmorb. The Création.)
3. « .... In the seventeenth centiiry, one of the niost enlightencd of the reli-
ous mon of his day (Fleming), himself a native of ;i niountain country,
sting about for soiue reason to cxplain to himself the existeuce of mon-
ins, can light upon this reason only : they are inhabiled by the
lasls. • (Ri'SKiN, Modem Painters, vol. IV, part, v, chap. vu, p. 94.)
4. « I am just arrived at Geneva, by a vcry troiiblesome journey over
e Âlps, where I hâve been for some days togelher shivering among the
ernal snows. My head is stiU giddy >vith mountains and preiûpices, and
>u cau't imagine how much I am plcasied with the sight of a plaiu. •
5. - Hc Write ao epic poem, who nevcr saw a mountain ! » (Cité dans
iAMBEns*s Ctjchp,rdia of Eufflish Lileralure, vol. I, p. 682.)
374 JAMES THOM&ON.
monts d'Ecosse, au moins n'est-il pas resté insensible à leur
caractère et à leur charme. Il lui arrive rarement d'en évoquer
la vision devant nous par une description directe. C'est tou-
jours à propos d'un phénomène ou d'une apparence secondaires
qu'il en fait mention. Â la fonte des neige-s on voit € les
« monts élever vers le ciel leurs têtes verdoyantes * )>. a Après
« l'orage, le premier rayon du soleil va frapper la montagne qui
« s'illumine '. » — Et de même à Taurore « le rocher humide,
(( le sommet brumeux de la montagne surgissent à nos yeux et
« s'éclairent de la lueur matinale' ». — Au lever du soleil «le
« nuage disparaît, l'azur s'enflamme, le front de la montagne
<( s'illumine d'or fluide* ». — Le dernier rayon du soleil cou-
chant s'attarde sur le mont *; et la lune verse son pâle déluge
qui flotte au loin et se répand doucement sur la montagne
voisine du ciel *. Dans les paysages d'hiver nous voyons la
montagne tactietée par l'elTet du dégel '. — Les détails pitto-
resques des hautes régions sont parfois indiqués d'une touche
ferme et sûre. C'est a le précipice abrupt qui projette l'horreur
« sur l'onde noire du torrent' », ou qui ofl're un inaccessible
abri à l'aire de l'oiseau de proie * ; ou bien encore l'avalanche
« qui roule d'abîme en abîme, avec un bruit de tonnerre, ses
« montagnes de neige '° ». — Quelquefois aussi le poète trace au
tond de son tableau, d'un trait rapide, le profil d'une chaîne
éloignée, (c Le paysage rompu s'élevant peu à peu, se hérisse
« en collines escarpées, et au-dessus, les monts de Cambrie<
tf comme de lointains nuages qui bordent l'horizon bleu, s'élè-
<( vent sombres " . » Et quand le poète note en quelques mots le
caractère des gi'andes chaînes qui forment l'ossature du cx)D-
tinent européen il trouve des traits précis et heureusement
suggestifs : « Tonte cette région, de montagnes farouches que
(( les Alpes étincelantes, que les Apennins où ondulent l^
(( forêts, que les Pyrénées lancent comme des branches prodi-
a gieuses jusque dans les pays lointains '^... »
Rien de tout cela ne constitue la description directe d'une
montagne. Une fois cependant le poète a revu et nous *
montré le rocher qui terminait la vallée du Jed, ce Carte»"
1. S/ning, vers 17. — 2. Ihid., v. 190, l!)l. — 3. Swnmer, v. 54. 55. -^
h. Ihid., V. 83, 84. — 5. Ihid.. 1691, 1692. — 6. Aututnn, 1098, 10^^'
~ 7. Winter, 994. --% 8. Summer, 163, 464. — 9. Spring, 452, 453. "
10. Winter, 416-448. — 11. Spring, 958-961. — 12. Winter, 389-392.
LES OBJETS DÉCRITS. 375
ell qui pendant ses jeunes années était pour lui «c la mon-
igne ». Et, chose singulière, cette description (bien som-
laire du reste) n'est introduite que pour constater la dispari-
on de l'objet qu'elle peint : « La montagne hérissée, énorme
etsublime, qui,... entre les royaumes ennemis, élève la haute
et longue muraille de ses rochers, la montiigne ne remplit
plus la scène de ses aspects grandioses et variés; mais dans
la nuit des vapeurs qui s'amassent, elle disparaît au regard
étonné *. » — La seule autre description un peu prolongée
ue renferme le poème est celle d'une région que le poète n'a
ueque par l'imagination et à travers les récils des voyageurs;
e sont les monts de l'Abyssinie '.
Et cependant à défaut de descriptions i)rolongées, nous
rouvons dans les « Saisons » de nombreuses traces de ce
entiment si naturel cliez un fils de l'Ecosse et qu'exprimait
e dernier passage cité : la montagne est un des traits les plus
mportants du décor de la nature. Proche ou lointaine, elle
l'est jamais absente des paysages de Thomson. Nous venons
le voir comment elle s'associe aux divers jeux de lumière où
>e plaisent les pinceaux de notre peintre. Un effet moins banal,
lui porte plus sûrement la marque d'un souvenir de choses
senties, c'est l'évocation des voix de la montagne. L'habitant
les vallées et des plaines se blase sur le spectacle de ces
nasses uniformément imposantes. Mais les bruits qui par inter-
iiitlences lui sont envoyés par ces géants inmiobiles contri-
buent surtout à leur donner le caractère d'acteurs importants
ians le grand drame de la nature. Lorsque la tempête menace,
^n des présages qui frappent le poète, c'est a au milieu du
" silence de la nature, le bruit sourd qui, des montagnes, roule
^ sur la terre grondante, trouble l'eau du fleuve, et, sans un
* souffle de vent, agite les feuilles de la forêt ^ ». — a Par les
^ bois, par les landes marécageuses soupire le triste génie de
* l'orage; là-haut, parmi les rochers disjoints et branlants,
* parmi les solitudes des montagnes aux sommets fracassés, les
* ruisseaux bruyants et les cavernes font entendre, comme un
^ présage, un rauque gémissement dont l'écho se prolonge *.... »
"" « Des montagnes, couvertes de forêts bruissantes, une voix
*• Autumn, 7H-717. — 2. S
'• H'm/er, 66-71.
Summer, "47-78i. — 3. Ibid., 1116-1120. —
â76 JAMES THOMSON.
«L sort et, d'un accent solennel, invite le monde à se pré-
a parer *. »
De la montagne vient le présage; c'est elle aussi qui prépare
l'orage et le lance sur la plaine, m Le cercle des montagnes
« battu des vents enferme leur masse tourbillonnante et la
« précipite comme un torrent dans la vallée *. ^ C'est d'elle
enfin que viennent les torrents et les ruisseaux qui formeront
les fleuves : a La rivière, grossie de maint torrent, irrésistible,
a mugissante et terrible, descend des montagnes sauvages et
a des solitudes que peuplent les mousses, et bondit parmi les
tt rochers abrupts, avec un bruit retentissant'. »
On le voit, Thomson est loin de négliger dans ses tableaux
du monde la montagne. Il la mêle presque à toutes ses des-
criptions. Et ses montagnes ne sont pas celles qui découpaient
sur les fonds de toile des peintres du paysage classique leur
silhouette banale et sans vérité. A plus d'un trait nous recon-
naissons qu'il a vécu dans leur voisinage, qu'il a éprouvé les
impressions diverses de leurs aspects changeants. Il a senti
leur beauté; il s'élève par là au-dessus de la capacité esthé-
tique de ses contemporains et des siècles passés. Mais il n'a
pas abordé de front, au moins dans les « Saisons », la tache de
retracer avec précision les caractères de ces paysages gran-
dioses; il n'a pas eu sur ce point l'audace qui fait les grands
explorateurs; et, comme la page où il a plus tard comblé
cette lacune, est restée inconnue au milieu d'un poème oublié,
on peut dire que Thomson a laissé à d'autres, parfois moins
bien doués pour cette œuvre, le mérite d'ouvrir à la littéra-
ture et à lesprit humain ce domaine nouveau. Les pages
révélatrices de Gray et de Rousseau, les brillantes ou éloquentes
peintures de Byron, de Shelley, de Wordsworth et de Coleridge,
ou de notre Lamartine ne doivent pas cependant nous faire
oublier qu'avant eux Thomson avait connu la beauté des
montagnes, et leur avait fait une place sur la scène du monde.
1. Winter, 1;>1, 152. —2. Auttnnn, 3i>2-32i. — 3. U'm/er, 94-99.
^
LES OBJETS DÉCRITS. 277
IV
Plaines, champs, prairies, landes, marais, etc.
Sans doute ces aspects que nous avons étudiés, et dans les-
quels la nature se montre sublime et surhumaine, sont ceux
qui sollicitent le plus justement reffort d'un grand artiste. Ils
ne sont pas peut-être ceux dont Tinterprétation nous révèle le
plus sûrement chez récrivain un sentiment pénétrant et sûr
du monde visible. Il faut plus de délicatesse de perception et
une sensibilité plus fine pour goûter et pour traduire le
charme d'une scène simple et familière, d'un panorama sans
accidents grandioses, d'un paysage de plaine. C'est la pensée
qui se dégage des vers où Sainte-Beuve, observateur à coup
sûr capable de tout comprendre, déclare choisir pour son
domaine les aspects les moins imposants de la nature :
« Laissons Chateaubriand
ne rien demander
Que d'entendre la foudre en longs éclats gronder,
Ou mugir le lion dans les forêts suixîrbes.
Bien; il faut Taigle aux monls, le géant à Tabime,
Au sublime spectacle un spectateur sublime.
Moi, j'aime à cheminer et je reste plus bas.
Quoi! des rocs, des forêts, des fleuves? Oh! non pas,
Mais bien moins; mais un champ, un peu d'eau qui murmure,
Un vent frais agitant une frêle ramure;
L'étang sous labruyère avec le jonc qui dort. •
Thomson qui, nous l'avons vu, a montré, dans la descrip-
on de quelques-uns des grands tableaux, une admirable
maestria, Thomson est aussi le peintre épris des simples
sautés de la terre, des grandes plaines couvertes de gazon, ou
es champs de blé ondulant au souffle du vent. Il connaît et il
îtrace le charme de ces paysages, dont l'uniformité a aussi sa
randeur. Il les a vus et il nous les montre sous tous leurs
spects, aux difiërentcs heures du jour et aux différentes sai-
Dns. Les descriptions qu'il nous en donne ont une franche
aveur et un véritable parfum rustique :
t Oh! loin de la ville enfumée,... errer par les champs
278 JAMES THOMSON.
« mouillés de rosée où tout est fraîcheur! et, des buissons
a courbés, faire jaillir les gouttes tremblantes, à mesure que
a j'avance dans le vert dédale des haies de chèvrefeuille! sentir
« Todeur des établesî gravir quelque éminence et de lavoir
c la campagne, aussi loin que Tœil peut atteindre, épanouie
« comme sous une pluie de fleurs mêlées, blanches et
« rouges*. »
Évidemment ce sont là des tableaux qui l'attirent plus que
les violences superbes de la mer ou Tccrasante grandeur des
montagnes. Il y revient avec une complaisance manifeste. C'est
devant une de ces scènes au charme discret, qui plaisent sans
étonner, qu'il veut parler d'amour à la femme aimée, t Viens
« et promenons-nous longtemps en ce lieu où la brise nous
« arrive après avoir franchi ce champ de fèves en fleur.
« L'Arabie n'a pas de plus suave parfum.... Viens et que ton
a pied ne dédaigne pas la prairie, toute couverte d'une fraiclie
ft verdure et de Heurs innombrables, parure spontanée de la
(( Nature*. » — Ets'adressantencoreàson Amanda : « Parcour-
a rons-nous la prairie souiiante? ou bien nous promènerons-
cc nous au hasard dans lesciiampsoù ondulent les moissons**'»
S'il finit par proposer à son amie une ascension modeste*,
c'est pour lui faire admirer, du haut de la colline de Richinond,
un riche panorama a de collines, de vallées, de bois, de
a champs, de clochers, de villes brillantes et de cours d'eau
(c dorés, jusqu'au point où l'inmiense paysage se perd dans la
« brume' ». — Dans cette description même, ni l'amoureux, ni
le peintre ne font entièrement disparaître le fils des champs,
élevé parmi les rudes laboureurs. La pensée des richesses pro-
mises s'associe pour lui, devant ce paysage d'été, au charme
des couleurs chaudes ou riantes, comme elle s'associait au
ravissement de la campagne couverte de fleurs au printemps*.
4. Spring, v. 100-110. — 2. //////.. iOl-oOi. — 3. Sitmmer, 1403-1400.
4. Un (les premiers comuientateiirs et critiques des • Saisons •. J. Morei^
fait ceUe remarque que jamais Tliomson no décrit une scène un peu vaste
sans avoir an préalable amené le spcclateurou le lecteur jusqu'à un point
élevé. (Voir More's Striclures, et The MonUibj Heview, vol. 58 (année H^'
p. 286, 287.)
5. Sunnner, 1406-1444.
Ci. u Tlie raptured eye
Hurries from joy to joy, and, hid bineatli
The fair profusion, yullow Au tu m n spies. »
(Spring, 110-112.)
LES OBJETS DÉCRITS. 279
aux moissons mûries, orgueil el joie du cultivateur,
les contemple et les montre avec un inépuisable
'oici, au début de T a Automne », de vastes champs de
e soleil inonde de sa lumière, et sur lesquels un nuage
î jette une ombre mobile. « La scène, gaiment chan-
, est bien faite pour dilater le cœur. Partout, aussi
ue Tœil peut atteindre, il rencontre les flots sans
1 d'une mer d'épis *. » — Les vagues de cette mer Vïn-
: plus que celles de Tocéan. Elles ont aussi leurs orages
oète décrit comme il avait décrit leur lourd sommeil
Ac\ir de midi. « Dabord un murmure étoufTé parcourt
imps de blé qui doucement s'inclinent. Mais quand la
te aérienne s'est abattue bruyamment sur le monde,...
? nu à la rage du vent, le champ se creuse en longues
5 qui courent et roulent dans cette mer d'épis. Les
bien que flexibles, ne p'=îuvent échapper à la violence
tourmente; elles sont arrachées ou vidées de leurs
s 2. „
Lableaux de la tei're féconde et cultivée, il convient de
uelques-unes des grandes scènes de la vie des campa-
poète n'a eu garde de les oublier. Ses descriptions de
DU ' et de la moisson *, pleines de détails d'une exquise
procédant d'une belle allure simple et franche, sont
eaux célèbres.
;s champs ne revêtent qu'un moment ces parures que
les grandes lierbes et les jaunes épis. Nous les voyons
ind la prairie roussûlre s'empreint d'une mélancolie
. pas sans charme pour le promeneur solitaire et
ou quand la saison des humides brouillards alourdit
s, confond les couleurs et attriste la nature ^. Puis
ver qui étend sur vmk son âpre empire, et bientôt « la
tièrc de la terre, cachée sous une enveloppe épaisse et
, n'est qu'un désert éblouissant et confus, où toutes les
s de l'homme sont ensevelies " d.
maisons » nous transportent quelquefois loin des scènes
éfjfions. Le poète sait d'une touche puissante et large
vaut nous les immenses savanes de l'Amérique * ou
/m, 37-42. — 2. Mi//., :n4-:i30. — ;i. Summev, 352-370. —
,151-106. —5. MiW.. 1»70, \rA. —fi. M/V/.. 1081-10X7. — 7. W'inter,
8. Summer, O'.i0-r.U2.
280 JAMES THOMSON.
Je (lés(Tt africain ^ Mais c'est dans la description des scènes
intimes de la nature anj^laise, tempérée et discrète, qu'il trouve
ses plus heureuses inspirations. Son âme rencontre une émo-
tion à chacun des petits événements de la vie des champs, et
l'on pourrait multiplier les exemples d'observations délicate-
ment notées et rendues avec une fine précision. Ce sont, par
exemple, ces signes précurseurs de la lin de l'hiver qu'il a
surpris quelque pâle matin : <( L'année tremble encore incer-
« taine, et souvent, vers le soir, l'Hiver envoie de nouveau
« sa bise glacée.... Le butor sait à peine si la saison est venue
« 011 il peut plonger son bec sous l'eau et agiter le marais
« sonore; à peine les pluviers savent-ils s'ils peuvent se
€ répandre sur la lande et lancer leurs notes sauvages à la
« solitude attentive '. » C'est, devant l'étang que recouvre un
vert manteau, l'observation des millions d'insectes qui se
cachent dans cette verdure flottante '. N'est-ce [)as l'œil d'un
peintre qui, dansée paysage d autonme, a noté ces tons effacés
grâce auxquels l'influence dominante est si fortement accusée:
« Sur les champs labourés que la charrue vient de laisser
tt humides, les troupeaux à la toison sans couleur se disper-
a sent * »? — Et dans ce tableau de la plaine vue le soir, au
aruv de l'hiver, les phénomènes observés n'évoquent-ils pas
plus que la perception, mais presque la sensation d'une nuit
brillante et glacée? ce La terre gelée résonne fortement, et sa
c surface duirie réfléchit et double chaque son, quand le chien
« du village aboie vigilant pour écarter le rôdeur nocturne,
a quand la génisse beugle, quand la brise ondule et apporte
« le bruit de la cascade lointaine, et que sous le pas presse du
« voyageur, la plaine sonore vibre au loin *. ]»
Il est sansdouteinutile de multiplier ces exemples. Thomson,
on le voit, aimait la nature dans ses aspects les plus familiers
et les plus simples. Il sentait, comme l'a enseigné depuis un
penseur qui fut un poète, que les étoiles brillent la nuit sur
une landt' brune et banale avec autant de magnificence qu'elles
en ont versé jamais sur la campagne romaine, ou sur les
déserts peuplés de marbres de l'Egypte ^ II a su trouver par-
1. Swnmet\ «Gl-S:";. — 2. Sprhtg, 48-25. — 3. Summcr, 303-305. -
4. WintPr, 63-Jî:i. — l). Ihiti., 732-738.
6. • We exa^Keratc llie praises of local seenery. In every landscape. Ihc
point of astoniBhment is lliu meeting of tlie sky and the earth, and tbAt
LES OBJETS DÉCRITS. 281
tout la beauté dont aucune œuvre de la nature n'est privée. Il
nous a montré celle des champs cultivés et des prairies plates,
ceJle des landes incultes et des marais brumeux.
V
Les Cours d'eau.
Kn bon paysagiste, Tauttmr des <c Saisons » sait quel parti
eut être tiré pour Tordonnance d*un tableau, d'une surface
*iuide, réfléchissant le ton du ciel et celui des verdures et
oiînant à l'ensemble la tenue et rharrnonic. Mais peut-être
invient-ii plutôt de ne pas établir pareille assimilation. Si les
ïisseaux se rencontrent fréquemment dans les descriptions
' Thomson ce n'est pas refTot d'une banale recette d'atelier.
>n àme s'est éveillée à l'observation de la nature dans un
strict où Tabondance des eaux vives est le caractère dominant
i paysage. Et d'autre part, Taptilude propre de son génie
scriptif devait le porter d goûter tout particulièrement, dans
5 choses visibles, ces éléments de vie et de mouvement, dont
mobilité anime la surface terrestre, comme celle des nuages
ime le ciel. Aussi le ruisseau l'intéresse-t-il sous tous ses
)ects, et trouve-t-il une place dans presque toutes les scènes
:n.semble. Nous le voyons naître « dans la fraîche grotte
apissée de chèvrefeuille, et toute mouillée de la rosée de
sources toujours jaillissantes * ». Nous le voyons couler pai-
le a entre des berges aux riches herbages ' », ou « parcourir
n jasant le bois aux mille voix, tantôt s'irritant au-dessus
l'un rocher, tantôt se mouvant à peine pour traverser l'étang
;ouvert de roseaux ; ici se précipitant en un brusque torrent,
t là s' étalant doucement en une plaine limpide ^ ». Un peu
is loin, quelques vei^ brillants nous font voir et entendre
e de ces cascades qu'offrent en si grand nombre les paysages
een from Ihe first hillock as well as from tlie top of tlie Allrglianies
' .stars at niglit sloop ovcr the brownost, homeliest common wilh ail
spiritual ma^Qificeuce th.it llicy «-lied on thc Campagna. or on the
•ble déserts of Ep\pt. - ;EMEh^ON, Eftsaj/s. second séries; Nature,)
Summery 461, 2. — 2. Ibid., X'Vi. — 3.' Ihid., 480-484.
iSi . JAMES THOMSON.
écossais *. — Voici le moment d'aller pécher la truite, t Main-
a tenant que le premier et trouble torrent des ruisseauK grossis
a par les pluies du printemps s'est écoulé, que sur leur lit coloré
a par les mousses descend Fécume blanchissante de leurs flots,
« maintenant que Teau encore brune et sombre favorise la ruse
a du pécheur'. » Le poète a vu aussi : « le ruisseau capricieux
a et sauvage qui dans un vallon où croissent les coudriers tombe
tt avec un bruit rauque de rocher en rocher ' i». — Il a vu les
terreui-s de Tinondation : « le déluge ne cesse de s'accroître;
a les ciiamps disparaissent noyés et nivelés sous le flot impur.
« Kii peu de temps les fossés s'emplissent, les prairies sont
n inondées. Du haut des montagnes, d'innombrables ruisseaux
« se précipitent rouges et mugissants, et soulèvent la rivière
ft bien au-dessus de son lit. Alors le Ilot tumultueux renverse
a et roule pèle-mèle bœufs, moutons, moissons, chaumières et
a villageois; tout ce que le vent avait épargné, rafTreuse inon-
« dation le ruine en un moment *. » — L' « Hiver i> nous fournit
encore une magistrale description d'un cours d'eau et des
camctères opposés qui marquent successivement son cours :
a La rivière, grossie de maint torrent, et charriant péle-méle
(( les ruines de ses rives, linit par répandre au loin, hors de
« son lit, ses Ilots gonllés et rapides : irrésistible, rugissant et
« elTrayante elle descend des montagnes sauvages et des vallons
a déserts, et se précipite parmi les rochers abrupts, avec un
« fracas retentissant. Puis sur la vallée sablonneuse elle s'étale
m lentement, calme, paresseuse et muette; jusqu'à ce que de
iL nouveau, n^sserrée entre deux hauteurs rapprochées, elle
« s'élance dans le détilé, où les rochers et les bois surplombent
(L son courant bourbeux; et là, d'une force triplée, là, rapide
a et profonde, elle bout, tournoie, écume et passe comme un
<( tonnerre *. » Mais l'hiver finit par enchaîner toute c«tte
violence : a Vers le soir une bise glacée, venant de différents
(k points, souffle sur le marais et le couvre d'une pellicule
« bleuâtre; elle arrête, au milieu de sa course, le ruisseau
« frémissant. La glace détachée, charriée par le courant et à
a demi dissoute pendant le jour, ne fait plus entendre aucun
«L bruit, mais se soude à la rive couverte de roseaux, ou
1. Summct\ 590-r.06. - 2. Sprhig, ;n8-383. — 3. Auttnnn, 610-612. -
4. Ihid.j 331-342. — 5. Winter, 9i-105.
LES OBJETS DÉCRITS. 283
s'amasse autour de quelque pierre pointue et forme un
pavage de cristal que le souffle de Tair cimente solidement,
jusqu'à ce qu'enfin, prise d'une rive à Tautre, la rivière
emprisonnée gronde sous la glace *. » Et quand, après la
uit écoulée, le poète nous montre Tœuvre de la gelée, nous
oyons <c la cascade muette dont le torrent impuissant semble,
el semble seulement, rugir; le glaçon suspendu, le travail
délicat du gel, où apparaissent des teintes fugitives, et
d'imaginaires figures; le ruisseau figé dont le fianc de la
montagne versait le flot abor^dant et qui, au matin, n'est
plus qu'une traînée livide réfléchissant une froide lueur ' ».
Indépendamment de ces descriptions détaillées, combien
observations délicates pourraient être relevées, comme celle
e « cette vapeur qui monte, au matin, au-dessus du cours
d'eau bleuâtre * », ou celle des jeux de la lumière sur l'eau
ouvante*; ou la note terne et sombre que met la rivière
iiueuse au milieu de l'éblouissante blancheur de la neige ^.
Enfin le poète nous parle aussi des fleuves d'autres conti-
ints que le nôtre : le Nil auquel il consacre dix-neuf vers •;
Niger, le Méinam et l'Indus ', et ces fleuves monstrueux du
>uveau Monde, l'Orénoque, l'Oi'elIana, la Plata « dont les
Ilots pressés roulent fièrement vers la mer. La mer vaincue,
refoulée par ce choc, cède à la pression de cette masse liquide
versée par une moitié du globe; et Tocéan tremble pour son
vert domaine *. »
Il est des occasions où l'emphase est moins admissible que
tis une description du conflit de ces masses prodigieuses,
js ce n'est pas dans ces traits d'une rhétorique habile qu'il
it chercher le meilleur du talent de Thomson. C'est dans les
tations vives, pittoresques, véridiques et si nombreuses des
irs d'eau d'Angleterre, qui donnent aux « Saisons » quelque
3se de la fraîcheur de ses vallées natales de la Tweed ou du
I.
. \Vintei\ 720-731. — 2. lOùi., •;48-7:>3. -- 3. Summer, 5(>. — I. Mm/., 89-90.
-162. — 5. Winter. 234, 23r.. — 6. Summer. 803-82^ . - 7. Ibûl., H22-831.
<. Ifjid., 832-859.
284 JAMES THOMSON.
VI
Forêts, bois, arbres.
<c 0 vallons et bois sauvages ! . . . Dans cette tombe repose votre
druide. » C'est ainsi que se termine Tode touchante inspirée à
CoUins par la mort de son ami. Thomson, en effet, mérite
d'être appelé le poète des bois s'il suffit de constater que, de
toutes les scènes naturelles, il n en est pas qu'il ait paru plus
aimer, ni dont le souveuir apparaisse plus souvent dans ses
vers. Il n'est pas une des « Saisons » où les forêts ne soient
maintes fois mentionnées. Évidemment les scènes de son
enfance, les restes majestueux d'une ancienne opulence dont
se paraît encore « la vallée sylvestre du Jed * », lui ont laissé au
cœur l'amour des bois *. Et cependant il faut bien noter qu'il
ne nous en donne pas de descriptions expresses, à mettre à
côté de ses a ciels » ou de ses « ruisseaux ». Jamais il ne fiait
poser devant lui la forêt comme un modèle isolé. Elle figure
toujours dans l'ensemble de ses tableaux, comme liée aux
autres manifesUitions de la vie de la nature.
Du reste les traits rapides où il en évoque l'image suffisent à
nous laire sentir combien il en subit profondément le charme.
Il la célèbre conmie une des beautés de sa patrie, a la Calé-
« donie aux forêts hautes, robustes, incultes, immenses, planttîes
« par la main de la nature' ». — Il en connaît et en comprend
tous les aspects. Quand la verdure printanière s'étend succes-
sivement de la prairie humide à la montagne flétrie, il nous
montre l'œuvre de la force vivifiante complétée au moment où
« la forêt épanouie expose aux soupirs de la brise la pleine luxu-
<c riance de ses frondaisons, alors que les daims traversent les
« fourrés épais qui bruissent, et que les oiseaux chantent invi-
4. Autiir/niy 801.
2. Mr. Hugh Halibiirton a fait paraître (Good Wovds, July 1893) un
article auquel il donne ce titre : • James Thomson, a poet of Uie wootls ••
Cette éluiJo note et explique rattachement du poète pour les bois. K'^*
réunit un certain nombre d'exemples des vers où cet attachement
s'exprime. Klle ne donne pas une appréciation critique du pouvoir àt
Thomson comme peintre de ces scènes naturelles.
3. Autumn, 883-885.
LES OBJETS DÉCRITS. 385
t sibles * ». Il ne se lasse pas de noter au printemps ces voix de
a forêt : murmure du vent, babillage du ruisseau, ou cbant
les oiseaux '. Et de même à l'automne, il remarque la riche
>eautédes feuillages multicolores : ci Conduisez-moi dans les
avenues larges et vastes de Stowe. Je veux, ô Pitt, m'y asseoir
sous les pentes ombragées, et tandis que je jouirai du
bonheur de ton entretien, surprendre les derniers sourires
de Tautomne illuminant les bois jaunis ^. b
11 n en connaît pas moins les aspects imposants ou terribles.
!'est là que se révèlent les présages de la tempête, soit à l'au-
)mne, quand, sous la chaleur étoutTante, « les bois laissent à
peine deviner un mouvement sur leurs cimes qui frisson-
nent ^ D, soit en hiver quand a dans les forêts soupire le triste
génie de l'orage ° i>, et que « des montagnes où bruissent les
forêts, vient une voix dont l'accent solennel invite le monde
à se préparer^ b. Et quand la tempête « se précipite impé-
tueuse sur la terre qui résonne, la forêt, ébranlée jusqu'en
ses racines, se penche et répand une averse de feuilles bruis-
santes ' yt. — Plus énergique encore est la description, quand
liver vient ajouter son horreur à la scène. Alors a quand
la tempête déchaînée fait rage, les (ils robustes de la mon-
tagne se courbent jusqu'au niveau des rochers qu'ils abri-
tent,... la forêt enracinée se creuse en vagues profondes, et
secouée, répand tout ce qui reste encore de sa parure flétrie ;
ses membres gigantesques sont par la fureur acharnée du
vent arrachés et jetés épai's sur le sol ' ». — Le poète a vu
ssi la forêt sous la neige, mais il n'a pas décrit le merveil-
IX spectacle. D'un seul mot il note d la forêt inclinée sous
'amoncellement des flocons ® ».
[| revient au contraire souvent et abondamment aux
)ects riants des bois. Si une pluie de printemps verse sa fraî-
3ur à la terre, « l'ondée glisse et c'est à peine si le bruit des
gouttes est entendu de ceux qui se promènent dans les allées
le la forêt, sous labri des feuilles serrées et innombrables *® ».
Plus précieuse est cette protection quand l'été a établi sur
monde son empire brûlant. « Alors je fuis à l'abri des
. Spring, 90-94. — 2. Ibid,, 497-201. — 3. Autumji, 4048-1053. —
bid., 313-64. — 5. Winier, 66, 67. — 6. lùid,, 151, 152, — 7. Autwnn, 319-
. — 8. Winter, 175-184. — Voir aussi /6iV/., 75, 76. — 9. Ibid,, 754. —
Spring, 176-178.
âHt> JAMES TIIOMSÛK.
« futaies où à peine un rayon de soleil vient s*êgarer dans
« Tombre. Là sur le gazon d'un vert sombre, près de la berge
« de quelque ruisseau enchanté qui roule sur son lit de pierre
<( et baigne les racines d'un chêne, je m'étends à Taise'. »
Hien de plus sincère que (*es descriptions. Rien de plusvéri-
tabietnent scMiti que ce charme de Tombre et de la fraîcheur.
Dans r a Été » le porte ne se lasse pas de l'exprimer. « Trois
« fois heureux c^lui qui, sur le versant abrité d'une montagne
« pittoresque couroimée de bois, se couche sous l'abri de
n l'ombre épaisse'. » — « Salut, ombrages! salut, taillis et
« bosquets!... Votre ombre est à notre cœur délicieuse comme
a l'est au cerf blessé la fontaine jaillissante ou la rivière qui
« coule à pleins bords et baigne ses flancs haletants.... Vous
a vei*sez dans nos veines fraîcheur, plaisir et repos; le cœur
u alors bat joyeux; l'œil et l'oreille détendus et ranimés
« n^prennent leur oflice; les nerfs retrouvent leur force, et la
« vie court rapide dans les membres plus légers *. i — Et
plus loin encore : « Puissé-je m'asseoir à la lisière du bois
« mouillé de rosée, à la pleine fraîcheur de l'air humide! là,
0 sur ce rocher creusé, de forme étrange et frust(», qui m'offre
tt un large siège tapissé de mousse» et qu'abrite un ombrage
« lleuri *!... »
Si complaisaminent que notre épicurien revienne à ce
charme sensuel de l'ombre et de la fraîcheur, il n'en est pas
pour cela moins sensil^Ie à l'impression profonde et caractéris-
ti(|ue do la beauté dos forêts. Il en a éprouvé la mélancolie
pénétrante?, et nous la montre subie également par le jeune
homme amoureux, par le sage et le philosophe, et par l'artiste
occupé des aspects extérieui's des choses. « L'amant inquiet fuit
« sous ces ombres travei'sées de lueurs, dans cette obscurité
« sympathique à sonàme,oii des arbres suspendent pittoresque-
« ment au-dessus tle la cascade leur ombrage brun *. » — < J^
« veux m'enfoncer dans la nuit profonde de ce bois aux arbres
« sauvages et puissants, (|ui, formant haut dans l'air un
a chœur sylvestre, agite ses cimes au-dessus de la montagne. A
« chaque pas que je fais, solennelles et lentes les ombres lom-
« bent plus noires et je me sens entouré d'une obscurité
1. Spi'ing, U-13. — '2. Summer, 458-400. - 3. Ibid., 469-419. - On
peut V4»ir encore IbUi.. 1C5-1«9. -- 4. Ihif/., 622-027. -- 5. Spring. 1«24-
102-;.
LES OIUETS dk«:kits. HHl
« aujiuste et anxieuse. Là est la retraite de la iruMlitation '. »
— C'est surtout à l'automne que les paysages sylvestres revê-
tent ce caractère de mélancolie. Ni 1 aspect riant dont les pare
leîfuleil, ni les tons splendides que prodigue dans les l'euillages
la palette de la nature ne lui laissent oublier que cet éclat
précède de peu de temps les tristesses de l'hiver. « Voyez les
mille couleurs des bois qui se flétrissent; leurs teintes de
plus en plus foncées brunissent Ja campagne à Tentour; ils
forment un ombrage épais, sombre et brun, où se rencon-
trent toutes les nuances, depuis un vert pâle et fugitif,
jusqu'à un noir de suie. Et maintenant, d une voix murmu-
rante, ils attirent la muse solitaire, dans leurs allées jon-
chées de feuilles *. » — <( Voici que les feuilles, tombant
sans cesse avec bruit du bocage cm deuil, font tressaillir les
promeneurs studieux et dans l'air agité tournoient lente-
ment. Mais si une brise plus rapide vient à gémir parmi les
rameaux, le déluge de feuilles se dévei*se, masquant le ciel,
jusqu'à ce que, étouffées sous Tépais tapis que leur fait cette
triste averse, les avenues de la forêt, à chaque vent qui
s'élève, roulent au loin cet amas tlétri et fassent entendre
^ un sifflement lugubre '. d
Enfin, sans s'arrêter, là non plus, à des descriptions précises
^t détaillées, le poète a enregistré les caractères par lesquels se
distingue la végétation des tropiques violente et inépuisable
Comme les forces naturelles qui l'alimentent : « Forêts majes-
^ tueuses où éclatent toutes les vigueurs du vert, et dont les
^ assises superposées ondulent sur les montagnes, ou s'étalent
^ énormes jusqu'à l'horizon lointain; immensité sans limites
a d'ombre épaisse. Là des arbres élevés, inconnus aux poètes
« d'autrefois, des géants, nobles fils d'une chaleur puissante
« et des eaux que déversent les nues, dressent vers le ciel leurs
« troncs épineux, et loin autour d'eux répandent, au milieu
f du jour, l'obscurité '. »
1. Summety 516-522. — 2. Autumn, 930-955. — 3. Ibid., 989-997.
4. Summer, 649-657.
D*autre9 descriptions ont été données depuis de ces forêts vierges de
PAmérique, étranges, mystérieuses, redoutables. Aux vers de Thomson
on comparera avec intérêt ceux où un poète contemporain peint le spec-
tacle offert par cette terre inconnue au regard étonne du conquistador :
• Elle poussait au ciel des végétaux énormes;
Ses nopals, ses cactus et ses bois résineux,
288 JAMES THOMSON.
Thomson voit la forêt; il voit rarement les arbres. Cestlà
un trait assez général de son observation qui s'attache plus
volontiers aux ensembles qu'au détail. Les peintures d'arbres
isolés sont clairsemées dans son poème ; et encore convien-
drait-il peu d'employer ici le mot de peintures. Lorsqu'il lui
arrive de mentionner un arbre d'essence déterminée, l'épithète
destinée à placer devant nos yeux l'image de l'objet est souvent
vague et banale. L'adjectif a lofty », élevé, attribué tantôt à
Torme S tantôt au sapin ', n'éveille guère de représentation
précise. C'est un caractère moral qui lui fournit le qualificatif
dont il accompagne d'ordinaire la mention du chêne : t le
chêne solennel ' », dit-il, et, à plusieurs reprises « le chêne
vénérable * ». Parfois cependant une observation plus profonde
le fait pénétrer jusqu'à un de ces caractères essentiels dont la
seule mention groupe autour du mot toute une série de sensa-
tions, et évoque l'image de l'objet lui-même avec sa forme indi-
viduelle, avec l'impression qu'il peut communiquer à rame.
« Salut, ombrages! sapins élevés, chênes vénérables, frênes
« sauvages qui bruissez au-dessus du précipice ^ » Une simple
indication presque négative peut avoir cette valeur de sugges-
tion, et deux vers nous rendront éloquemment l'impression
émouvante des grandes colonnades de sapins : c Sur le rocher,
« le sapin qu'agite à peine une légère ondulation emplit l'ombre
<L brune d'une crainte religieuse ®. »
Dans ces exemples même ce que le poète a noté, c'est l'attitude,
c'est rhabitat, c'est iniMue la puissance émotive du frêne ou du
sapin, ce ne sont pas les caractères particuliers de l'un des
individus de l'espèce. Nous n'avons pas à nous en étonner.
C'est un tableau de la nature qu'a prétendu nous donner le
poète. Son cadre n'a guère de place pour la représentation des
Ses nocturnes forrls, pleines d'étranges formes,
Tordaient paisiblement d'inextricables nœuds. •
(Sully-Pridhomme, Stances et Poèmes. L'Amérique.)
1. Par exemple, dans Summer, 766. — 2. Ibid.j 469. — 3. Spring, 9^5.
— 4. Ibid., 066; Summer, 46U. —5. lôid., 471.
6. Hi/mn, 43, 4 S. La même impression se retrouvera dans « le CliiUcau
d'Indolence ».
« A wood
Of blackening pines aye waNving to and fro
Sent forlh a sleepy horror througli the blood. •
(Canlo I, sir. v, 4143.)
LBS OBJETS DÉCRITS. 289
détails individuels. D'autres poètes après lui s'attacheront au
contraire à ces peintures d'objets déterminés et précis. Les
arbres leur fourniront un des termes favoris de ces descrip-
tions. Ne demandons pas à Thomson l'équivalent des pièces
superbes consacrées par Cowper * ou par Wordsworth * à quel-
ques arbres aimés, ni les notations, relevées si complaisam-
nient par la poésie de notre siècle, d'accidents pittoresques et
d'anomalies frappantes '. Mais reconnaissons que par le grand
nombre et la sincérité de ces brèves descriptions de forêts, par
^ amour qu'il leur a porté, il mérite le nom que lui a donné
Gollins; il est vraiment le poète des vallons et des bois d'An-
gleterre.
VII
Les Fleurs.
De tous les objets naturels voici sans doute celui qui a le
''us souvent été mis à contribution par les poètes. Lescompa-
^isons empruntées au monde des fleurs sont un des lieux
^mmuns qui alimentent toutes les écoles et tous les genres,
homson y a recours comme les autres, et quelques-unes des
nages qui lui sont ainsi fournies sont pleines de grâce et de
liarme. Rappelons seulement l'héroïne de l'idylle qui occupe
i. Voir enire autres ceUe vigoureuse esquisse, Yavdley Oak^ que le poète
*a pas reprise connue taut d'autres de ses pièces pour Tachever au risque
«î rémoiisser.
1. YtiU'-trees (Poems of the Imagination), The Thorn (i^id.), et nombre
a portraits insérés dans les poèmes.
o. Voyez par exemple combien une description de Shelley, se rapportant
u même speclable que vient de nous présenter Thomson, est de préci-
ioQ plus ai^'uë: comment elle éveille Tidce d'un certain arbre et non pns
u type de l'espèce :
< A pine
Rock-rooted, stretched athwart tlie vacuncy
Its swinging boughs. •
(SiiELLEY, Alastor.)
Tennysou fournirait en grand nombre de pittoresques descriptions
arbres bien individuels. Par exemple :
A troc
Was haïr disrooted from his place and sloop'd
To drcnch his dark locks in the gurgling wave
Mid-channel. »
{The Princess, IV.)
19
290 J\MES TUÛMSON.
une partie de V m Automne » : c Plus fraîche était sa beauté que
a la rose matinale aux pétales mouillés de rosée ; elle étaitpureet
<( sans tache comme le lis ou comme la neige des montagnes....
c De même que dans un creux vallon de l'Apennin, à Tabri
c d'un cercle de montagnes, un myrte croit, loin des yeux des
41 hommes, et, dans la solitude, exhale ses parfums délicieux.
« ainsi fleurissait épanouie, sans que nul œil la vit, la douc^^
« Lavinia *. )> Et lorsque Palémon, le jeune seigneur, déclarp
son amour à Thumble glaneuse, rien de plus attendu qu'une
nouvelle comparaison du même genre. Si elle peut paraître
longue et trop complaisamment soutenue, n'oublions pas que
cette rhétorique fleurie n'est pas sans convenance dans la bouche
du galant Palémon, amoureux et agriculteur : « Seule fleur qui
« survives de la plante où s'est nourrie ma fortune, où, dis-le-
« moi, dans quel désert caché as-tu bu la splendeur du ciel
a ravi, pour t'épanouir en une telle beauté, malgré le vent
a glacé, malgré la pluie meurtrière de la pauvreté qui àpre-
a ment et cruellement ont battu tes jeunes années? oh ! laisse-
(L moi te transplanter dans un sol plus riche, où le soleil el
a les ondées du printemps répandent leur plus chaude, leur
a plus généreuse influence; et sois de mon jardin l'orgueil et
a la joie ' ! »
Mais ce n'est pas le poète descriptif que nous montrent ces
comparaisons. Quelle place fait Thomson aux fleurs dans ses
tableaux du monde extérieur? 11 a observé l'exquise richesse
dont se pare la terre quand le printemps a répandu à pleines
mains les couleurs délicates ou brillantes : <( Partant de la
1. Autumiiy 192-21 4. Notons que les huit vers où se trouve la conipa-
raisou avec le myrle, « As in the hoUow... she went », sont dus à Pops*
Us sont proposés par lui et acceptés par Thomson pour remplacer ces
quatre vers de Tcditioa de 1738 :
« Recluse auiong the Woods; if City-Dames
Will deign their Faith. Aud Ihus she went compcird
By stroDg Necessity, wilh as serene,
And pleas'd a Look as Patience can put on. •
La seule modification apportée par Thomson aux vers proposés par
Pope a été de remplacer le • far from Human Eyes » de la note manus-
crite par un singulier.
Pope s'est-il souvenu, en écrivant ces vers, de ceux de Racine:
« Tel en un secret vallon •, etc.?
(Atfialie, acte 11)
2. Autumn, 271-281.
LES OBJKTS DÉCHUS. 1>9I
»< prairit* IniTiiido |iuiii" s"(''l('V(.'i' JLi.s(|irâ la nioiilaf^ne llétrie,
" <ou.s If souille (le la brist», court la vive verdure ', et Tn'il
•' charmé la voit «grandir et devenir i)lus intense. Puis l'aubé-
« piiie blanchit; et, sur les bosquets où regorge la sève, les
« bourgeons éclatent, et peu à peu s'épanouissent.... Bientôt,
•< paré de toutes les riches couleurs du printemps,... le jardin
« brille, et emplit lair entier de ses parfums prodigués;... le
« promeneur qui monte parmi les haies de chèvrefeuille...
H voit au loin la plaine immense épanouie comme sous une
« pluie de fleurs mêlées blanches et rouges *. »
Les fleurs ne sont jamais absentes des coins de paysages
dans lesquels notre poète promène sa rêverie nonchalante ou
cherche un repos voluptueux, a Quand le soleil, du zénith où
« il trône, frappe et disperse les nuages, et verse jusqu'au
^ fond des abîmes une langueur indolente, alors cherche une
** retraite où se pressent les sureaux en fleur, où sans culture
^ le muguet abonde et répande son haleine embaumée, où les
*' coucous penchent leur tète humide de rosée, où les violettes
*' d'un bleu sombre se cachent avec tous les humbles enfants
^ des ombrages ^ » — Et de même les retraites qu'il rêve
r>our fuir en été Tardeur du soleil sont des cavernes tapissées
*le chèvrefeuille*, ou bien, « sur le bord d'un ruisseau, une
** ample couche garnie de mousse sous un ombrage fleuri, où
^^ pénètre rabeillc diligente pour faire son butin du nectar
*« pris au chèvrefeuille embaumé ' ».
Il lui arrive du reste d'aller plus loin que cette observation
^superficielle et toute égoïste. 11 voit alors dans les fleurs autre
«;hose que des notes brillantes dans Torchestre des couleurs,
ou qu'une des sources de plaisir qui charment ses sens. Quand
la chaleur de Tété accable la nature, il a une compassion atten-
«Irie pour ces créatures exquises et frêles, et il distingue dans
len^iemble de la scène le rôle joué par un des personnages de
1. .Mussel connaissait-il le vers de Thomson?
- Sur le flanc des coteaux déjà court le ^azon »
{A la Mi'CanhtiP,)
2. Sprinff, 86-110. — 3. MiJ., 442-449. — 4. Summer, 461.
Ti. Summer^ 622-628. — En dépit du nom anglais « honey-suckle w, des
obBervateara dignes de foi assurent que Tabeillc ne butine pas sur le
olièTrefeuilIe. (Voir J. Buhiows, Pepacton. Saiure and ihe Poets, p. 113.)
S'il en est ainsi, Thomson 8*c8t trompé en nombreuse compagnie.
39â JAMES THOMSON.
ce petit inonde : ec Qui peut voir sans pitié la tribu des fleurs
a qui, semées par Taurore, perdent, sous le brûlant rayon,
a leur beauté fraîche éelose?... Seul le tournesol altier referme
« tristement au coucher du soleil sa jaune corolle, et languit
a aussi longtemps que dure la nuit; mais quand reparait Tastre
« brûlant, il tourne vers les rayons son sein énamouré *. i
On a pu remarquer le caractère un peu vague et général de
ces notations, sauf celle que nous venons en dernier lieu de
rappeler. Peintre de vastes scènes, Thomson ici encore s'ar-
rête peu aux détails pour leur valeur propre. Dans tous les
exemples que nous avons jusqu'ici traduits, les fleurs appa-
raissent comme traits accessoires; elles n'appellent pas de des-
cription précise et détaillée. Mais une fois au moins le poète a
voulu montrer que son pinceau, habile à peindre les grandes
scènes de la nature, pouvait aussi rendre justice aux beautés
les plus menues de la création. Par une heureuse rencontre
c'est dans un des passages où sa personnalité apparaît le plus
directement, c'est en compagnie de la femme aimée qu'il
décrit les fleurs de la campagne anglaise.
(( Viens, Amanda, viens, et tandis que Mai aux pieds rosés
(( s'avance rougissante, allons ensemble fouler le gazon humide
« du malin et cueillir dans leur première fraîcheur les fleursà
« peine écloses ; nous en ornerons les tresses de tes cheveux,
a et ton sein charmant qui les rend plus charmantes.
(( Vois comme ce vallon sinueux déploie ses riches trésors
a sur les rives du ruisseau qui l'arrose. Vois le narcisse boire
a l'eau cachée qui sourd à peine à travers l'herbe haute et
« luxuriante, ou, de sa ravissante profusion, orner la berge
« humide. Suivons longuement ce chemin où la brise nous
a arrive d'un vaste champ de fèves en fleur. L'Arabie n'a
a point de parfum plus enivrant... Que ton pied ne dédaigne
« pas non plus le pré plein d'une fraîche verdure et de fleurs
« sans nombre.... C'est là que les essaims d'abeilles bourdon-
ci nantes se livrent à leur doux labeur... ou bien souvent,
« d'une aile plus hardie, elles s'élèvent jusqu'à la pourpre
a bruyère, jusqu'aux régions où croît le thym sauvage, pour
« s'y charger d'un jaune et riche butin....
<( Mais tout près de nous, le long de ces haies rougissantes
1. Summer, 212-219.
LES OBJETS DÉCRITS. 393
OÙ brille la rosée, dans ce champ où les fleurs se mêlent en
liberté, le Printemps aux mains de fée déploie toutes ses
beautés. Il sème d'abord le perce-neige et le crocus, lar
pâquerette, le coucou, la violette d'un bleu sombre et les
teintes infiniment variées de la grande primevère, puis la
jaune giroflée aux taches de rouille, et le violier prodigue
([ui parfume tout le jardin. Des douces ailes des brises
printanières tombentencore les anémones, les oreilles d'ours
dont une poussière brillante recouvre les pétales de velours ;
et la renoncule à la rondo corolle d'un rouge éclatant. Puis
vient la tribu des tulipes dont la beauté se plaît aux vains
caprices : passant d'une famille à une autre, selon le vol du
pollen fécondant, les couleurs se répandent variées;... aucune
fleur n'est absente de toutes celles qui tour à tour éclosent,
depuis le premier bouton du Printemps jusqu'aux fleurs
musquées de l'Été. Voici les jacintlies, du plus pur blanc
virginal, qui se penchent très bas et dont le sein rougit; les
jonquilles au puissant arôme; le beau narcisse qui, comme
au temps de la fable, s'incline toujours au-dessus de la fon-
taine, et les œillets, ceux-ci larges et rouges, ceux-là gaie-
ment mouchetés; et de tous les buissons tombe la rose de
Damas. Leur nombre est infini; infinis leurs délicatesses et
leurs parfums; les mots ne sauraient peindre leurs teintes
superposées; elles sont l'haleine de la Natui'e et son éclat
éternel *. d
Quel jugement porter sur cette page? M. Ruskin, je le crains,
ipprécierait sévèrement. 11 y trouverait peu de cette imagina-
on qui pénètre sous les apparences et va jusqu'à la vie pro-
nde des choses. Ces fleui's sont de bien humble essence si
DUS les opposons à ces joyaux vivants de Milton ou de Shake-
)eare que le grand critique a comparés avec une ingénieuse
ïbtilité '. Elles n'ont pas la noble tristesse, ni l'âme altière et
\.Spfinr/, 488-554.
'2. Ri:sKi!«, Modem Painlcis, part 111, section 2, cliapter m.
Cest une des pages bien connues du célèbre esthéticien. Il prétend y
iposerdeux sortes d'imagination. L'une prête aux choses iugénieuscmeut
:ul-ètre, à coup sûr faussement, des qualités humaines. C'est la fantaisie,
Fancy •, la grande pourvoyeuse de l'ernîur pathétique, ■ Pathetic fal-
cy •. L'autre, ï « Imagination •, voit le - C(i:ur et la nature intime des
loses » ; elle est la plus haute puissance intellectuelle de l'homme. (On
cuvera quelques mots de critique solide et fine de cette théorie, dans
294 JAMES THOMSON.
pathétique des fleurs qui jonchent la tombe de Lycidas ou de
celles que Perdita voudrait offrir à ses hôtes *. Et cependanl
une noie du beau travail de M. Angellier sur Burns, 2" vol., p. 374.
3*15.) — Le plus important des exemples choisis par Ruskin à Tappoi de
sa doctrine, c'est une comparaison de ces deux catalogues de flean que
fournissent « Lycidas • et le « Conte d'Hiver •. Le critique y oppose les
observations de pure « imagination pénétrative - de Shakespeare, à
celles de Millon où se mêlent à doses à peu près égales V • imagina-
tion » et la " fantaisie ».
1. Les deux passages avaient été comparés avant Ruskin par Uazlilt
et par Leigh Uunt. — Nous pensons qu'il ne sera pas inutile d'en donner
ici la traduction. Nous y avons fait allusion déjà dans des pages précé-
dentes. Ils serviront mieux que de longues dissertations à montrer de
quelle façon diverse de grands artistes peuvent interpréter les méme^
sujets. Enfin on y trouvera quelques traits dont Thomson s*est protMble-
ment souvenu.
- Apportez la hâtive primevère qui meurt négligée.
La renoncule aux touiïes pressées et le pAle jasmin,
L'œillet blanc et la pensée tachetée de noir,
La violette au sombre éclat,
La rose musquée et le chèvrefeuille à la riche parure,
Avec les frêles coucous dont la tète s'incline pensive.
Et toutes les fleurs qui portent une triste broderie.
Faites répandre à l'amaranthe toute sa beauté,
Et que les narcisses emplissent toutes leurs coupes de larmes.
Pour joncher le cercueil où Lycidas gît sous les lauriers. -
(MiLTO.N, Lf/cùlas, li2-15i.}
• pEKDiTA. — Doiine-nioi ces fleurs, Dorcas. Dignes seigneurs.
Voici pour vous du roscmarin et de la rue; ce sont des fleurs
Oui conscrvcnl tout l'hiver leur forme et 'eur parfum.
Mofisieur, l'année se fait vieille, [nais>ainv
L'Eté n'est pas encore mort, nous n'en sommes pas encore a li
De l'Hiver tremblant, les plus belles fleurs de la saison
Sont nos œillets, et les giroflées mi-parties.
Voici des fleurs pour vous ;
La chaude lavande, la menthe, la saui;e. la marjolaiue.
Le souci, qui se couche avec le soleil.
Et avec lui se lève pleurant : ce sont les fleurs
Du plein Été, celles, je pense, qui .se donnent
Aux hommes d'Age moyen.
Je voudrais avoir quelques-unes des fleurs du printemps
Convenables à votre heure de la vie, et à la vôtre, et à la y^^^'*^'
Vous qui portez encore sur vos rameaux inviolés
La fleur de votre virginité : 0 Proserpiue î
Il me faudrait ces fleurs que ta main elTrayée
Laissa tomber du char de Pluton : les narcisses,
Qui nous viennent avant que n'ose Thirondelle
S'aventurer, et qui charment de leur beauté
Les vents de Mar.^: les violettes sombres,
LES OBJETS DÉCRITS. 2v)S
ir qu'elles n'ont pas la même richesse de vie ni la même
ce émotive, ce n'est pas les condamner. L'ami de
voit la nature à travers le trouble et les larmes d'une
douleur. L'émotion qu'il prête à ses fleurs est celle qui
)0n cœur. Et de môme Perdita, nommant les fleurs des-
servir de symboles à quelques destinées humaines, les
['une vie analogue à la nôtre. Il y a dans les deux cas
oureuse vérité dramatique, mais non pas cette vérité
Live qui seule préoccupe Thomson. Ne demandons pas
îurs une psychologie ambitieuse qui n'y serait point de
ais notons dans son riche tableau un chatoyant éclat
3ur, une exquise fidélité d'observation, une admiration
et chaleureuse. Un jeune botaniste voulut, après avoir
I les vei's de Thomson où sont mentionnées la primevère
eu la y comparer les fleurs vivantes. 11 fut alors à tel
larmé qu'il s'adonna lui-même à la poésie, débuta par
tation d'un passage du maître, et eut son jour d'écla-
Dtoriété. Voilà un témoignage qui en vaut bien un
Ce n'est pas un mince honneur pour les fleurs de
m que d'avoir éveillé une vocation poétique K
VIII
Les Animaux.
bien que les plantes, les animaux ont leur rôle dans
Ts spectacles de la nature. Thomson n'a 'garde d'ou-
iis ces humbles enfants de la terre dont la vie demeure
Inis plus douces que les paupières des yeux de Junon.
Mus douces que l'haleine de Vénus; les pdles coucous
»ui meurent sans hymen avant de conlcmjiler
*h«>bu'* radieux et puissant — mal trop fréquent
kux jeunes lilk-s; les hautes et hardies primevères, et
.a couronne impériale; les lis de toutes sortes
it avec eux le glaïeul! Que ne les ai-je
*our vous en faire des Ruirinndes, et vous, mon doux ami,
*our vous en couvrir et vous en joncher ! »
{Winlers Taie, acle IV, se iv, 13-129.)
oèle est Kbenezer Eiiioll. le Poêle Libre-Echangiste, « thc Corn-
mer ". L'anecdote nous est fournie par Iîe.nhy .Mobi.ry, Of Englhh
p ifi the Reiffti of Victoria, p. 2.)M.
<1
396 JAMES THOMSON.
liée étroitement à elle et en reflète toutes les modifications.
Nombreux sont les vers qui mettent en scène ces acteurs
modestes que le poète connaît familièrement, et qu'il étudie
avec amour : les oiseaux d'abord ; puis tous les hôtes domes-
tiques ou sauvages de la ferme, des champs et des bois; les
habitants des eaux; et jusqu'aux insectes, même les plus
repoussants. — Quelquefois, entraîné par sa sympathie pour
ces frères muets, il s'abandonne à de longs développemente;
ce sont alors des sortes de monographies poétiques qu'il nous
présente. Mais le plus souvent il associe toutes ces existences
aux manifestations des grandes forces de la nature. Il nous en
entretient parce qu'elles ont leur place dans le concert des
valeurs qui font l'harmonie caractéristique de chaque saison
et de chaque région. Il voit encore en eux des a témoins»
intéressants et pittoresques des changements effectués dans
l'apparence visible des choses par les phases successives de la
vie de la terre. — On peut ainsi diviser en trois groupes ses
observations et ses descriptions des êtres animés, autres que
l'homme.
Dans le premier groupe se rangent les développements célè-
bres sur les amours des oiseaux ', leurs nids*, leurs mœurs';
sur le touchant héroïsme que savent montrer les mères pour
protéger leurs petits * ; sur la douleur du rossignol dont le
nid a été pillé % sur la leçon de vol ®. Ce sont des pages
entières du poème qu'il faudrait traduire pour faire connaître
— bien imparfaitement — ces tableaux gracieux ou touchants.
C'est encore un épisode fameux, trop long et trop familière-
ment connu pour que nous le rapportions ici, que celui du
rouge-gorge venant avec un mélange de timidité mutine et de
hardie confiance chercher jusque auprès des tables les miettes
du repas \ Après les descriptions des « mariages » des oiseaux ',
vient dans le a Printemps » un développement sur les amours
des brutes et même des monstres marins; et celui-ci, par con-
traste avec les tableaux précédents, fait valoir la souplesse et
1. Spring, 613-633. — 2. ïhid., 635-660. — 3. Ibid., 661-685. — 4. /'A
r,87-700. — î). Ihid., 116-726. — 6. Ihid., 728-753.
7. Winlcr, 245-256. — On peut s'otonner qu'un autre poète, un aulre
umi des oiseaux, Michelet, qui savait Tanglais, ait écrit ces mots : • Com-
ment se fait-il qu'aucun poète n'ait chanté le rouge-gorge? • (L'Oiseau-)
8. • Connubial leagues -, Sprinf/, 630.
LES OBJETS DÉCRITS. 297
puissance variée du pinceau du maître '. Du même ton rude
sombre est ce passage de V a Hiver d qui nous montre les
ips chassés par la neige de leurs repaires et descendant
sqiie dans les plaines, en troupes nombreuses, « osseux, mai-
es et farouches », pour attaquer les troupeaux et les hommes,
i parfois pour chercher dans les cimetières une horrible
tiire 2. — Il faudrait mentionner encore les vers, souvent fort
aux, toujours fidèles et imprégnés d'une sincère émotion, où
poète suit les pauvres bètes harcelées et tuées pour le plaisir
Liel de rhomme. Les traits d'observation pénétrante abon-
ni dans ces descriptions de la perdrix % du lièvre *, du
rf' ou du renard*. 11 ne faudrait oublier, pour tout rap-
ler, ni les hirondelles ', ni les cigognes voyageuses % ni ces
Tiades d*oiseaux qui peuplent les Hébrides ®. — a La
ise », selon les paroles du poète, « ne dédaigne pas non
)Ius les tribus bourdonnantes des créatures menues de Tété.
Olles vivent dans ses chants et vibrent parmi ses vers *°. »
uteur en effet sait quel rôle important est dévolu à ces
?s minuscules. Il nous parle d'eux longuement, soit pour
istater le mal qu'ils peuvent faire au laboureur ", soit pour
js signaler leur beauté, nous faire assister à leur éclosion,
montrer leur vie, leurs dangers, leurs ennemis *^ Historien
martial il énumère et évoque devant nous aussi bien les
tus et le charmant labeur de labeille *\ que la cruauté et la
fie meurtrière de Taraignée **.
liomson est un observateur trop exact pour ne pas remar-
îr cette harmonie qui, en chaque climat, donne à la faune
lieu un caractère nettement approprié aux aspects visibles
pays. Un grand nombre de ses mentions dïîtres vivants
pour effet de compléter et de préciser le caractère de ses
sages en les animant par la présence des êtres gracieux ou
ribles, redoutables ou bienfaisants à Thomme, que la nature
placés. S'agit-il de nous transporter sous le ciel brûlant de
(uatcur*? le poète nous y montre <c ces oiseaux au plumage
datant qui, sous les hauts ombrages des cours d'eau sinueux,
Spring, 1S8-829. — 2. \Vintc)\ 38l>-4li. — 3. Aitlumn, 300-378. —
rt/Vi., 4Ôl-i25. — 5. IhiiL, 426-457. — (J. IbUI., 470-402. - 7. Mirf.,
8i8. — 8. Ibid., 840-861. — 0. Mi'//., 862-870. — 10. Suminer, 236-238.
1. Spring, 119-13:*). — 12. Sununer, 241-266, et 281-317. — 13. ^pring,
•51». — 14. Summer, 267-2>J0.
398 JAMES THOMSOX.
(( brillent comme des fleurs animées ' ». Dans ces solitudes i où
« ne se voient que les troupeaux sauvages qui ne connaissent
« point récurie d'un maître * », nous apercevons, t à demi
c caché dans l'herbe épaisse, et semblable à un cèdre abattu,
« le crocodile enveloppé d'écaillés verdàtres * ». De l'eau de ces
fleuves prodigieux émerge la tète monstrueuse de l'hippopo-
tame *, et, dans l'épaisseur des forêts sombres, l'éléphant
énorme s'appuie contre un arbre séculaire '. — Cette nature
est cruelle autant qu'elle est puissante ou vivement colorée,
et le peintre n'oublie ni ces fauves ni ces serpents qui semblent
avoir en eux quelque chose de l'ardeur meurtrière dont le
soleil accable ces régions *. Le désert et ses tempêtes ne nous
sont pas décrits sans que sur l'immense étendue nous voyons
le chameau, « ce fils du désert, sobre et patient ' ». — Et la
peinture même de la mer déchaînée reçoit un complément
d'horreur quand le poète nous montre le requin suivant le
négrier, « attiré par l'odeur des multitudes pressées, de la
a maladie et de la mort », jusqu'au moment où, parmi les
victimes du naufrage, (c il s'enivre de carnage, broyant les
a membres et rougissant la mer de sang ' ».
Nous savons qu'à une autre extrémité du monde le poète a
voulu évoquer devant nous les scènes non moins grandioses
des paysages septentrionaux. Là encore, au milieu des neiges
et des glaces, la vie palpite, et nous voyons dans le poème
tous ces êtres que la nature a enveloppés d'une fourrure pro-
tectrice : les hermines, les martres et cent autres animaux
aux pelages précieux. Puis ce sont les élans serrés en trou-
peaux épais, et, sons les forêts de sapins, l'ours informe, occu-
pant hideux de ces ombres ^. Ou bien, au contraire, près de>
sauvages tribus humaines qui parcourent ces régions déso-
ir»es, nous trouvons le renne docile qui fournit aux Lapons
« leurs tentes, leurs vêlements et leurs couches; toute leur
i. Summer, 733-138. — 2. //>/</.. 70i. — 3. Ibifl., "06-708. — 4. Ihi'l-
70«i.71o. ~ -i. M/^/., 710-721. — T.. Jbid., 890-938. — 7. /Airf., 965-«fH.
8. Ibid.j i013-i02îi. — Il y a dans ces quelques vers une singulière pui*-
ftanoe. On peiil les comparer aux pièces les plus heureuses où des poète>
ont depuis tenté de nous faire pénétrer jusqu'à IMme obscure qui meui
ces forces effrayantes. Après avoir connu le requin de Thomson on csi
moins tenté do trouver une note poétique nouvelle dans des pièces telle;
que If Heqnin de Lcoonte de Lisle.
9. Wintev. 8C9-833.
LES OBJETS DÉCRITS. 299
inple richesse, et leurs aliments, et la boisson dont ils
égaient ' ».
ème souci quand il s'agit des climats tempérés et de cette
jre anglaise à laquelle le poète s attache surtout. Dans ces
nés abondamment arrosées les troupeaux nonchalants
nent un des éléments indispensables de la scène, a Quelques
Hufs ruminent couchés, d'autres, plongés à mi-corps dans le
curant, baissent la tète pour boire et chaque fois laissent sur
eau des rides circulaires*. » — Les insectes animent de leur
lissement incessant les champs, les clairières, les cours
lu, les malsons '; les abeilles bourdonnent affairées sur les
teaux couverts de bruyère *. Quant aux forêts, nombreux
t les passages qui nous en montrent les habitants : oiseaux
nleurs ou « daims qui traversent avec bruit les fourrés * ».
'our de Thabitation du fermier ce la génisse beugle et
cniande sa ration i», tandis que nous voyons à la ferme tous
Ilotes de la basse-cour, et le chien de garde « paresseuse-
lent couché ^ i».
e poète se montre plus original, et son observation est plus
étrante dans les descriptions du troisième groupe. Elles
t très fréquentes. La présence de ces créatures animées qui,
3 passivement et plus complètement que Thomme, subis-
: TeiTet de chaque changement du monde matériel, donne
euvre une vie qui fait appel à notre sympathie ; elle con-
tre les notations diverses de la description, et contribue à
pression d'ensemble qui se dégage du tableau,
es premiers vers du a Printemps j> fournissent un des
mples les mieux marqués : « L'année incertaine balance
itre rhiver et la saison plus douce,... si bien que le butor a
eine à savoir si le temps est venu pour lui de gagner le
larais que son bec, plongé dans la vase, fait trembler et
isonner; et, du rivage, les pluviers hésitent à se disperser
xr les bruyères, et à crier leur note aigur» aux solitudes
lencieuses ". » — De tous les traits qui concourent à tra-
re cette impression de joie que le poète veut associer à la
cription de la jeune saison, il n'en est pas de plus frappants
cette page exquise où il nous fait entendre le concert des
WiniPr, 851-833. — 2. Stwimer, 480-493. — 3. Ibitl., 211-331. —
V'W/i//, 307-514. — 5. Ihid., 93. — 0. Sitmhier, 220-23i}. — 7. Sprin^f^
300 JAMES THOMSON.
oiseaux ' . Ses vers sont animés alors, selon son vœu, par cl Tâme
(le la mélodie » ; ils reflètent avec un rare bonheur cet hymne
d allégresse de la nature dont le poète nous montre chaque
« choriste » avec sa physionomie propre et sa place exacte.
<( Du sol s'élève Talouette à la voix perçante et forte, la nies-
« sagère de Taurore; et, avant que les ombres se soient dis-
« persées, elle chante bien haut parmi les nuages blanchis-
« sants, pour éveiller dans les nids le petit peuple des chanteurs.
m Chaque taillis épais, chaque arbre sauvage, chaque buisson
a courbé par le poids des gouttes de rosée au-dessus de la tète
4L des timides chanteurs qui Thabitent, tous répandent à flots
a rharmonie. La grive et Talouette des bois, dominant le bruit
« des musiciens qui rivalisent, égrènent les chants les plus
ce longs et les notes les plus charmantes; Philomèle les laisse
« s'(»n donner à co'ur joie, sachant bien que sa nuit dépassera
<( leur jour. Le merle siffle sur le buisson épineux; le bou-
<c vreuil mélodieux répond du bosquet; les linottes, répandues
(( à pi-ofusion sur les genêts en fleur, ne restent i)as silen-
ce cieuses. Kt dans Tombre fraîche des feuilles nouvellement
il écloses, d'innombrables chanteurs ajoutent leurs modula-
« lions ravissantes. Le geai, la corneille, le choucas, toutes les
« rauqnes voix qui entendues seules sont discordantes, font
« leur part dans le concert général; tandis que sur Tensemble,
« le ramier fait courir son mélancolique murmure '. »
Les animaux serviront encore au poète à rendre cette impres-
sion d'attente <*onliante et de joie que dégagent les choses à
rapproche d'une pluie i>rintanière, a Les bœufs et les moutons
(( laissent retomber de leur bouche les tiges desséchées, et
(( d'une muette prière, leurs yeux attendent la chute de cette
« ondée qui va tout reverdir. Dans une courte et silencieuse
« interruption, les hôtes emplumés de l'air lissent leurs aile:?,-
« ils attendent le signal prochain pour faire éclater leur
« chd'ur ^ » Ktquiind la pluie est venue, a les bois s'épanouis-
(( sent; tout leur orchestre s'éveille et se mêle, en un simple?
<( concert, au babillage des ruisseaux, aux bêlements lointainï"
« qui viennent des collines, aux profonds mugissements q'J*'
« des vallées, leur répondent * ».
i. Spring, l'Ai cl siiiv. — 2. Ihid., :i8l»-C12. — 3. Mirf., 166-167.
4. Ibid,, 11)7-200.
LES OBJETS DÉCRITS. 301
Ist-ce une matinée d'été qui nous est décrite? Voici Tun des
lils qui éveillent le plus sûrement une impression semblable
Aie qu'a éprouvée l'observateur : « Du champ de blé aux
iges élevées, le lièvre s'élance avec des bonds bizarres,
undis que, le long de la clairière, les daims sauvages courent
igers, et se retournent souvent pour regarder surpris le
iromeneur matinal '. » — Kt quand vient l'heure de midi,
i corneille, le freux et la pie regagnent paresseusement les
leiix chênes gris, et, dans les rameaux épais, ils se per-
hent, protégés pendant Theure brûlante.... Au pied de
arbre, les oiseaux de la basse-cour se réunissent lassés, et
ans un coin de cette ombre pleine de bourdonnements, le
bien de garde se couche, à côté du lévrier oisif, et s'étend
ngourdi * ». — En dehors des coins ainsi abrités, la tyrannie
soleil accable toute la nature. « A peine une cigale chante
ans toute la prairie silencieuse' ». Et cette oppression des
•ses et des êtres vivants est rendue plus saisissante par
)l)Osition de la seule créature qui n'en subisse pas l'influence
iguissante :
Loin du rocher sur le noir sommet duquel il a fixé son
ire, l'aigle s'élève et plane d'une aile hardie dans les flots
e lumière; et, livrant sa poitrine au flamboiement des
ayons, il s'approche du soleil. Mais tous les oiseaux chan-
2urs, frappés par l'ardeur cruelle, languissent pèle-mele
u plus épais des buissons, ou, d'un bosquet à l'autre,
changent avec peine quelques notes vite interrompues,
eul le ramier roucoule dans la forêt sa plainte triste et
auquc *. »
.es oiseaux aussi serviront à peindre à l'âme plus qu'aux
IX la mélancolie del' a Automne», a Dans le bosquet attristé,
i bûcheron entend à peine une mélodie mourante encou-
ager son labeur. C'est quelque chanteur privé de sa com-
pagne qui, de loin en loin, en faibles accents, répand sa
»lainte dans les fauves taillis; tandis que, pressés les uns
ontrc les autres, grives, linottes, alouettes, tous les simples
nusiciens dont les chants naïfs emplissaient naguère ces
rnbrages de leur harmonie, n'ayant plus maintenant en
Summer, 57-60. — 2. Ibid., 224-233. — 3. Ibid , 4ift, 441. — 4. /6ie/..
616.
30^ JAMES THOMSON. I
a eux rinspiration mélodieuse, sont perchés frissonnants sur ■
u Tarbre mort, troupe muette et triste *. d I
Le ciel s'assombrit, l'orage fond sur les campagnes. « Les I
« tribus aériennes descendent rapides vers les vallées pro- I
(( fondes; le corbeau, ami des tempêtes, ose à peine fendre J
« de son aile Tobscurité incertaine. Les bestiaux immobiles, 1
« Tôpouvante dans les yeux, regardent le ciel menaçant'. » 1
Et s'il s'agit d'une tempête d'hiver, a la génisse tourne vers le 1
a ciel ses naseaux élargis, et aspire le vent chargé d'orage' ».
« Mais surtout les tribus emplumées des hôtes de l'air annon-
ce cent la tourniente prochaine. Fuyant loin des dunes où,
« tout le jour, elles ont cherché une maigre pAture, une
ce bande noire de corneilles criardes s'efforce, d'un vol fatigué.
« d'atteindre l'épais abri du bois. Du bosquet le hibou triste
ce fait entendre sa plainte monotone. Le cormoran, de la sur-
« face de l'eau, s'élève en tournoyant jusqu'au haut des airs et
« cric en passant au-dessus des terres. Le héron plane et pousse
« sa note stridente; et d'une aile hardie, les oiseaux de mer
« tourbillonnent et fendent les nuages épais *. »
Dans la désolation que présente le paysage d'hiver un sur-
croît de tristesse est ajouté par a le bœuf laboureur qui épuisé
<( s'arrête tout couvert de neige » et par ec les oiseaux du ciel
(( qui, domptés par la saison cruelle, viennent en foule autour
a (le Taire où Ton bat le blé ^ )). — « Des solitudes stériles
a sortent alors leurs fauves habitants. I^ lièvre... ose s'ap-
« procher des jardins. Les moutons bêlants regardent le ciel
« lugubre puis la terre étincelante;... alors, tristes et dispersés,
a ils fouillent la neige amoncelée pour y chercher une herbe
« flétrie®. »
Thomson, on le voit, n'est pas de ces peintres dont los
paysages restent privés de mouvement et de vie. Ses descrip-
tions sont complétées par le souvenir toujours présent des
êtres qui y mettent l'animation et le bruit; qui y ajoutent
par là même un surcroît de vérité. Les oiseaux lui fournissent
le plus grand nombre de ces détails; et c'est là encore une
preuve d'observation exacte. Ils sont bien en effet, parmi les
hôtes des champs et des bois, ceux dont le rôle s'impose le
1. Aulumn, 972-980. — 2. Summer, 1121-1125. — 3. U'iw/cr, 132, i:^^.
— 4. lhid,y 137-147. Voir aussi 80-89. — l'y. Ihid,, 240-245. — 6. Ibid.^
256-5^64.
LES OBJETS DÉCRITS. 303
lus fortement à l'attention. Mais ce n'est pas aux ei Saisons i»
ue l'on appliquerait cette fine remarque d'un critique : a Chez
la plupart des poètes, si on tuait les oiseaux, la nature res-
terait dépeuplée* ». Thomson a vu, à leur place, et avec
importance du rôle assigné par la nature à chacun d'eux,
ius les êtres qui peuplent les campagnes d'Angleterre. La vie
3urmille dans son poème comme dans la nature.
IX
L'Homme.
Nous avons eu à remarquer déjà comment chez Thomson à
observation des choses s'unit toujours la pensée des intérêts
imains. Ses descriptions ne sont pas celles d'un dilettante ou
un pur artiste. 11 a vu de trop près la vie des champs; il a
op intimement partagé les travaux, les joies, les espérances
i les craintes des laboureurs pour séparer comme des éléments
jtérogènes la beauté des choses et leur utilité. Est-ce un mal
une infériorité comme le prétendent certains théoriciens de
rt *?N©us sommes disposés à croire plutôt que le poète y a
gné quelques-unes de ses plus précieuses qualités : cette
icérité absolue qui distingue son œuvre de tant d'autres mor-
aux descriptifs éclos au cours du xviii* siècle, et la profonde
nipathie qui donne à ses peintures tant de force et de péné-
ition. Quoi qu'il en soit, ce que nous avons ici à noter c'est
le l'homme est toujoui-s présent dans les observations du
ète. Ajoutons qu'il s'agit souvent d'une présence virtuelle,
. Auo. Â.NGELLiKR, Uurns, vol. II. p. 33 i.
I. Emerson a exprimé cette opinion dans quelques-unes de ces formules
ppantes, magistrales et dogmatiques dont il est coutumier.
îuskin, dont les aphorismes sibyllins et les jugements en apparence
personnels reflètent souvent, dans les premières œuvres, Tinspiration
penseur américain, Ruskin à son tour avait protesté contre l'union
oite do la nature avec les « afTaires ou les afTections des hommes ».
is dans une des curieuses notes d*une édition récente où il critique,
culc et corrige ses opinions de jeunesse, il revient sur ce point pour
naler une modification de ses sentiments : • As I hâve grown older,
) aspects of nature conducive to human life hâve become hourly more
ir to me; and I had rather now see a brown harvest field than the
ghtest Aurora Borealis ». {Modem Pointers, édit. de 4888. Vol. 1, p. 8i.)
i
304 JAMES THOMSON.
Tliomson nous rappelle quelle est l'influence des choses ou des
phénomènes qu'il décrit sur la fortune et sur la vie des êtres
humains ; mais iJ nous montre assez rarement, au milieu des
divers paysages, l'acteur humain qui y a légitimement sa
place. Il reste en cela de son temps. C'est par exemple chose
jjien moderne que la perception d'une beauté, d'une valeur
esthétique dans le paysan, dans la simple noblesse de son tra-
vail, dans l'harmonie de sa vie, de ses attitudes et de son être
avec la terre à laquelle mille liens l'unissent. Le xviii* siècle n'a
eu ni son Wordsworth, ni son G. Sand, ni son Millet. — Mais
si peu nombreuses que soient chez Thomson les descriptions
pittoresques d'êtres humains, c'est dans son poème cependant
que l'on pourrait le mieux trouver la promesse de cette inspi-
ration qui devait fournir à l'art de notre siècle quelques-unes
de ses œuvres les plus fortes et les plus originales.
Les premiers vers du a Printemps i> nous offrent quelques
uns des meilleurs exemples que nous ayons à citer :
(( Le laboureur impatient voit avec joie la nature s'adoucir.
« Il fait sortir de Tétable ses bœufs vigoureux, et les annèneau
« champ où la charrue polie git dans le sillon que la gelée
a n'étreint plus. Docilement ils acceptent le joug que le maître
a fixe sur leurs épaules, et ils commencent leur tâche égayée
(( par la simple chanson de lalouetle qui s'élève. Et le labou-
« reur, pcs^uit sur le soc brillant, se penche, enlève la terre
(( qui s'iittaclie au vcrsoir, dirige tout le travail, et rejette la
a glèbe sur le côté du sillon. »
a Dans les champs voisins le semeur blanc s'avance d'un pas
« large et régulier, et jette à pleines mains la graine au sein
et fidèle de la terre. Puis la herse grinçante suit et termine le
a travail '. »
1. Spi'ing, 34-47. — Uu éditeur a cru trouver dans ce tableau du labouf'
une imilalion lilléraire des écrivains du Midi, une description faite • ^^
chic -. Kn réalité l'emploi de l»œufs pour le Ia))our durait encore eu
Kcosse à la (in du xvnr siècle (voir Bihks, The Lea-rig), C'est sur le in<jf
• shoulder - que pourrait plutôt porter le reproche d'Inexaclitude. ^'
c'est une métonymie, l'épaule pour la tête, elle est fâcheuse dans un tablea'*
si précis et si juste.
« Le semeur blanc » avait passé longtemps sans remarque. Mr. Keightl'->
a donné dans Noien and Queries une intéressante observation à ce sujçj
(4« série, vol. H, p. :UU). Eu Ecosse cl en Irlande, dit-il, le semeur av>»
un drap de lit fixé autour du cou pour porter une quantité considérai)'®
de graines.
Un autre correspondant (même vol., p. 470) explique autrement l'ép'*
LES OBJETS DÉCRITS. 305
Notre paysan est moins exactement observé quand, en
rmes un peu ambitieux et gonflés, le poète le montre, à Tap-
oche d'une pluie bienfaisante, « parcourant, en maître, la
nature joyeuse ; de pieuses louanges dans sa pensée, et dans
ses regards une vive gratitude * ». — Plus loin c'est un vil-
Jieois de convention, un villageois de trumeaux et de berge-
lesqui nous est peint stupéfait à la vue de Tarc-en-ciel et
iirant après Tobjet brillant qui fuit devant lui *. — Il y a
)iiis de fantaisie dans l'indication du a berger assis au haut de
a montagne, sur l'herbe épaisse », mais le poète ne s'arrête
sa décrire ce personnage, pittoresque cependant en Ecosse
is encore qu'ailleurs; il réserve l'efTort de sa peinture pour
troupeau ^.
^lème sobriété dans 1' a Été » quand le berger vient à être
ntionné. Les renseignements qui nous sont donnés sur son
npte ne sont guère propres à évoquer^ devant nos yeux
e image, a Éveillé par le coq, le berger vite habillé, quitte
a cabane moussue où habite avec lui la paix, et fait sortir un
i un du parc la foule des moutons *. » — C'est encore le trou-
au qui seul est décrit lorsque le berger le ramène au milieu
jour \ — Le tableau de la fenaison nous met au contraire
présence de travailleurs bien observés. Ici les traits d'une
?oription toute réaliste se mêlent à la phraséologie vague et
ivenue de l'époque : « Maintenant le village entier se répand
sur la prairie pleine de gaité; voici le jeune paysan, bruni
jarson travail au grand soleil, sain et robuste; puis, épa-
nouie comme la rose d'été qui s'ouvre au soleil vainqueur,
a jeune lille aux vives couleurs, demi-nue, laissant voir
les formes pleines et palpitantes, et dont les joues brûlent
le ses grâces ardentes. Les vieillards courbés sont eux-
nêmes présents; et de leurs petites mains des enfants traî-
lent le long râteau, ou bien, accablés sous leur charge
embaumée, il roulent sans danger au milieu du foin trop
ourd pour eux. L'herbe fauchée laisse échapper au loin ses
le rie Thomson. Le grain chaulé avanl les semailles Iais.se échapper une
flsière dé chaux que le venl rejeUu en parlie sur le semeur. L'explica-
on parail phis simple et rimngc ainsi produite est plus satisraisanlc
œil. En tout cas. il est apparent que le poète a enregistré lu l'observa-
1 d'uu fait bien réel.
. Spriny, lOl'-lIl.— 2. Ibid., 211-2ir>. — 3, IfiUl,, 83I-8iO. - \. Snmnwr,
m. — 5. Ibid., 220.
20
î^0() JAMES THOMSON.
<( graines; tandis que tous avaiirant sur une longue ligne, on
(( parcourant en tournant la prairie, étalent au soleil leur
« moisson parfumée.... A un autre moment ils promènent 1^^
(( râteau sur le sol qui reparaît alors vert, et poussent le long
« du champ la vague sombre; derrière eux les meules rousses
a s'élèvent nombreuses en gaie succession; et d'un vallon à
« un autre, éveillant la brise, résonnent les voix confondue>
a du travail heureux, de Taniour, et d'une camaraderip
« joyeuse *. »
Quelques traits pourraient être aussi relevés dans le tableau
si plein d'éclat, de mouvement et de relief de la baignade et de
la tonte des moutons. On y entend les cris des hommes, des
jeunes garçons et des chiens qui poussent dans le ruisseau le
troupeau effaré. On y voit le paysan impatient saisir un des
moutons rebelles et le jeter dans Peau. On y entend les bergers
aiguiser leui*s ciseaux sonores. On y voit la ménagère attendre le ,
trésor des blanches toisons. Auprès d'elle toutes les jeunes lilles
en gais costumes entourent le trône de celle qu'elles ont choisie
pour reine. Tout le monde est joyeux et la tdche se poursuit
activement. Les uns mêlent et agitent le goudron fondu, d'au-
tres se tiennent prêts à imprimer sur le flanc haletant de
l'animal la marque du maître; quelques-uns entraînent un
mouton récalcitrant; enfin (et le détail est digne de ThéO"
crite ou d'un bas-relief antique) un jeune gargon tout fier de s^
force maintient par ses cornes recourbées le bélierindigné '.
Plusieurs fois encore le berger figure dans les tableaux di*
r (( Kté », mais toujours avec la plus brève indication. Ici nou^
le voyons dormir sans souci au milieu de son troupeau, étend^,
sur le gazon moelleux, un bi'as autour de la tète; à côté de l^**
sa besace garnie (le saines provisions, et, de l'autre côté, la ho^'
lette, son sceptre, et le chien vigilant \ Plus tard, après avo*^
sûrement enfermé son troupeau dans le parc, il regagne gaîme^
sa demeure, et de temps en temps soulage du poids de son se^^
plein à déborder la laitière aux joues vermeilles. — Enfin ^
deux reprises le poète mentionne les plaisirs du bain; chaq*^^
fois il s'arrête à noter les motifs de nu qui se présentent à s^^
observation. Il voit dans les eaux du Niger « les jeunes fill^^
« d'Afrique aux formes pleines baigner leurs membres ^
1. Summer, 351-370. — 2. IbUi., 311 -ill. — 3. //;«/., 493-497.
LES OBJETS dk«:rits. 307
•< jai.s ' )). Il .suit sur la surface d'une rivirre d'An^lelerre les
liiouveinents du nageur; il voit sortir de leau ses tresses
noires et ses joues vermeilles; il a noté (remarque plus pré-
cise) le souffle bref qui s'échappe de ses lèvres à chaque
brassée; il a été charmé du reflet de luuiière humide que ren-
voient ses flancs luisants -.
L'« Automne )> àson tour offre quelques descriptions des tra-
vaux et des plaisirs rustiques. « Aussitôt que le matin tremble
• au ciel... devant le champ mûri la troupe des moissonneurs
• se déploie en bon ordre. Chacun s'est placé auprès de la
^ jeune fille qu*il aime, pour se charger des plus dures fati-
^ gués, et pour adoucir par mille services affectueux le labeui-
• de l'amie. Les travailleurs se baissent et les gerbes épaisses
• se forment, et dans les rangs courent les causeries, les
• médisances, les plaisanteries du village, distraction inoffen-
• sive qui trompe la longue tâche, et fait passer sans souf-
• france les heures brûlantes. Le maître s'avance derrière
• eux, dresse les meules, et, embrassant toute la scène d'un
• regard satisfait, sent la joie gonfler son coîur. Plus loin les
• glaneuses se répandent, et ramassent çà et là, épi par épi,
• leur pauvre moisson ^ »
La chasse n'est pas au poète une occasion de nous décrire le
chasseur comme les chiens ou le gibier. Mais il s'est amusé à
placer devant nous avec de copieux détails la scène du repas
^ui termine la journée. Nous entendons les récits des chas-
^urs; la modestie n'en est pas le trait caractéristique. Nous
soyons même les provisioTis énormes sous lesquelles gémit la
^ble; les jeux auxquels on se livre, une fois l'appétit satis-
^*^t, et la galanterie robuste avec laquelle on arrête au passage
'^ servante peu farouche. Nous voyons surtout, au dernier acte
^^ la pièce, les convives un à un vaincus roulant sous la table
jusqu'à ce que, resté seul en face des bouteilles vides, « le
* 'Ministre à la panse énorme, grave et profond, dont la redin-
^ ^ote noire recouvre un goufre que la boisson ne peut remplir,
* ^e retire, laissant là ses ouailles qui gisent à terre, et, rumi-
* ^aint de tristes réflexions, déplore la faiblesse d'un siècle
^ dégénéré * n.
# ^- Summei\ 823, 821. - 2. lOid.. 424i-l2:.«i. —3. Au(umVy l.M-IOG. —
' '*^UL. 4y8-560.
308 JAMES THOMSON.
La récolte des noisettes, celle des fruits du verger, la ven-
dange sont énumérées sans aucun trait descriptif qui nous
montre les villageois occupés à ces tâches. Mais le poète a con-
servé le souvenir d'une vision qui Ta frappé sur les collines de
Southdean ; et quand il énumère les effets produits par un
épais brouillard d'automne, il n'oublie pas ce le berger qui,
a perdu sur la lande, marche à grands pas et parait gigan-
« tesque * d. — Enfin toute la population du village nous est
montrée à l'occasion des fêtes qui célèbrent Tachèvement des
travaux de Tannée. Nous voyons le jeune homme danser, et,
sous les circonlocutions du narrateur, nous reconnaissons le
n réel y> écossais; la a belle d du village est là « déployant
a tous ses charmes, jeune, accorte et vive, riche d'une simple
a beauté; elle lance à tel ou tel un regard significatif; et quand
« le sourire de ses yeux porte un encouragement, les bâtons
« s'entrechoquent, ou les lutteurs s'étreignent avec une force
« redoublée * ».
Ce sont aussi dans V a Hiver » les jeux des paysans, qui four-
nissent à Thomson l'occasion de quelques vers de description.
Auprès du feu les gens a se répètent quelque histoire bien
« connue de lutin, jusqu'à ce que tous sentent courir en eux
a un frisson de terreur: ou bien dans la salle sonore ils se
« livrent à leui-s rustiques ébats; une simple gaîté les anime;
a on entend les éclats bruyants d'un rire sincère, le baiser
« furtivement dérobé à la jeune fille qui, observant le galant
« du coin de l'œil, a eu soin de se laisser surprendre, ou a
a feint de dormir; puis ce sont les sauts, les claques, les
« bousculades, et la danse qui suit la mesure d'une simple?
a musique ' ».
1. «« Beyond the life
Objccls appear; and wildcred o'er the waste
The shcpiierd slalks giganlic », etc.
{Aulumn, 725-727.)
WordsworUi a vu ceUe môme apparition. On peut se demander si loi^-
qu'il Ta décrite, il ne s'est pas aussi souvenu des Ter» de Thomson :
<( Ânglinf; I went, or trod the trackless hills
By mists funrildered^ suddenly mine eyes
Hâve glauced upon him distant a few steps,
In sizo a giant, slalking through thick Tog. »
{The Prélude, Bk. VIII.)
2. ÀHlwnn, 1222-1230. — 3. Winter, r)17-r,2H.
LES OBJETS DÉCRITS.
309
Il est toute une série de personnages humains que nous avons
lassés sous silence. Ce sont les acteurs des petits drames que
3 poète mêle, sous forme d'épisodes narratifs, à ses descrip-
lons du monde. Cette partie de l'œuvre fera pour nous l'objet
'une étude spéciale. Les personnages qui y figurent n'ont que
lire ici. Ce sont villageois et bergères aux costumes de satin,
ux gestes et aux attitudes élégamment maniérés, comme ceux
es scènes rustiques de Boucher ou de Lancret *. Mais au con-
raire les passages que avons rencontrés au cours de ce cha-
pitre nous ont plus d'une fois mis en présence de vrais paysans,
us dans la justesse de leurs mouvements, dans leur harmonie
vec le milieu naturel, intéressants par eux-mêmes, et peints
idèlement. C'était là, on le reconnaîtra, une donnée bien nou-
elle alors et dont l'art pas plus que la littérature ne fournirait
^ère d'exemples dans ces premières années du xviir siècle.
1. Voir par exemple les Quatre Saisons de ce peintre (Musée du Louvre,
i" 462, 463, 464, 465). Les personnages de quelques-unes de ces jolies
cènes sont peut-être gens de ville ou de châteaux. Mais la diiïérence
est pas facile à tracer entre les citadins et les campagnards.
CIl.VrMTKE IV
m: I'Okik i)i:scuii>iiF. — sa tkchmqle
Apivs ce résumé de l'œuvre descriptive de Thomson, nous
pouvons abordei' les deux, questions que comporte pareiU<î
élude. Nous rechercherons d'abord les procédés de son arl.
Nous nous d(in](uiderons ensuite quelle conception le poètf
s'est faite de ce monde extérieur dont il a été Tinterprèle.
(Test donc la technique du poème des a Saisons », et sa philo-
sophie' ([ue nous nous proposons d'étudier successivement. i
l'nt; i)remière conslatalion s'impose. Elle ressort du pl**^
même et du sujet du poème. L'auteur a voulu peindre ^^
nature sous lous ses aspects, en tous les lieux et par toutes i^^
saisons. 11 s'est dès lors interdit le choix entre les scènes ^^
rélimination de celles ([ui pourraient paraître moins intér^^'
santés ou moins artistiques. Il n'est pas de ces peintres dont ^^
cadre enserre une combinaison soigneusement agencée d'é^^'
menls pittoresques; il n'est pas de c€ux non plus qui s'adO^'
nent à lobservalion et à la reproduction de certains aspe^
du monde à l'exclusion des autres. C'est toute la nature (g ^*
son poème doit passer en revue. A peine peut-il s'arrêter p^ ^*r
longuement à certaines scènes parce qu'elles sont agréable^^ *
contempler; mais il n'omettra pas un spectacle parce qu'il
atrreux, ou triste ou monotone. Et en effet, au même ti^''"^
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 311
il décrit les grâces du printemps ou les splendeurs de
ilonine, il dépeint les terreurs de la tempête, les mornes
tcsses des solitudes glacées ou des déserts brûlés, et jus-
aux effets qui paraissent le moins se prêter à une interpré-
uii artistique : la chute persistante et monotone d'une
rse de pluie ou de neige, ou la vision confuse d'un paysage
i noient les brouillards. — Est-ce là pour le poème une
idilion de force ou de faiblesse? C'est en tout cas une néces-
''■ qui s'imposait. Et si parfois l'intérêt faiblit devant telle ou
e description, ce parti pris de tout voir et de tout peindre
leux avantages notables. Il fait l'unité du poème; il l'em-
:lie de se désagréger en une série de petits tableaux indé-
idants et disparates; il établit, sous la diversité des aspects,
»ennanence de celte force toujoui*s renouvelée, la « Nature »,
1 est le héros mémo du poème. Et d'autre part il est la
uve d'une sympathie profonde pour ce monde des choses
ibies, où d'autres peintres ont pu choisir des tableaux
jIcs ou riants, mais dont toutes les manifestations parais-
it à l'auteur des a Saisons » dignes d'intérêt. Or, et c'est là
point sur lequel nous aurons à revenir, c€tte sympathie est
condition même du pouvoir d'interprétation de l'artiste,
.e degré de beauté que nous pouvons observer dans les
hoses visibles est en raison de l'amour que nous pouvons
?ur porter '. »
I y a lieu de distinguer entre cette- apparente indifférence
Thomson au choix des sujets, et l'incapacité de certains
rits à s'élever au delà de la sèche reproduction de scènes
ourvues de vie et de beauté. L'observation de Crabbe, par
rnple, s'arrête, avec une préférence niarquée, à des choses
tes et ternes qu'il reproduit d'un crayon admirablement
L-t et sur, mais dur et sans souplesse. Thomson au contraire
•orte dans ses descriptions des scènes les plus nues ou des
nomènes les moins pittoresques une largeur de touche et
î sincère symjmthie qui sauvent ces parties de son œuvre de
échoFesse et de la monotonie. Une averse de pluie n'est pas
ir lui un accident banal qui voile le paysage et l'attriste;
l un épisode du long drame que déroule la vie de la nature.
- The «logree or heaiily we eau sec, in visible things, dépends on Uie
wc can bear them. • iKuski.n, Modem Pointers, vol. Il, spolion lU. Of
lieauty. note de la p. 230 dans l'édition de 1888).
M^2 JAMES THOMSON.
II nr la dri'i'it pas, sans [)lacer (Fabord devant nous les pre-
siij4('S qui raunouceiit; il nous montre dans la nature et chez
les êtres humains cette attenle joyeuse qui précède une pluie
de printemps, ou cette angoisse inquiète que font naître les
menaces d'un orage d'été. La vue du phénomène ne va pas non
plus sans une indication de ses suites heureuses ou néfastes.
Derrière la pluie qui tombe le poète nous fait entrevoir la terre
fécondée, réjouie, parée de teintes brillantes, ou au contraire
les ravages et les tristesses de Tinondation. Cette sympathie est
bien, comme le dit lluskin, une condition de fidélité chez
Tartiste; et Grabbe, malgré la précision aiguë de son obser\'a-
tion, est moins vrai que Thomson. L'air, en effet, ne circule pas
dans ses tableaux sèchement exacts. Sous la touche impecca-
blement sincère et juste de son pinceau, on ne sent pas battre
la vie profonde des choses. Il y a, entre son art et celui du
poète des « Saisons », la différence d'une image photogra-
phique à une esquisse colorée et vibrante. Sa description n'ou-
blie rien de ce qui s'est trouvé devant Tobjectif et elle n'altère
aucune forme. Mais elle les présente toutes comme autant de
silhouettes découpées et sans relief. Elle ne rend pas cette
harmonie des tons dans l'air ambiant qui fait Tunité et qui fait
la beauté d'un paysage. Elle ne nous fait pas pénétrer jusqu'à
cette force que les formes révèlent et dont notre àme s'émeut*-
C'est ce quelque chose de caché que voit surtout Thomson; sa
desci'iption large et un peu vague nous en donne l'impression
toujours présente.
1. Qu'on lise, par exemple, la description d'AIdborough {The VillaH^'
Bk. I, V. 03-78; ou The Ihrough, Letlcr I). Nous en détacherons quatre
vers très caractéristique? ^ notre avis de la force et de l'insuftisance u^
Crabbe. U parle des rives de TAld :
• Hère samphirc-banks and sallwort bound Ihc flood,
There slakes and sea-weeds >vithering on the mud;
And liigher up a ridge of ail things base,
Which some strong tide bas rolled upon the place. »
Tout cela est d'une extrême justesse do notation, mais ce n'est pas ^"
par l'œil d'un artiste. L'observateur a regardé de trop près cette accujn»-
iation de débris jetés sur le sable par la marée; il n'y a trouvé que d'iuu-
tiics et répugnantes épaves. Un peintre y aurait vu surtout une note pl"^
vive, une ligue de tons intéressants au milieu des surfaces grises et déco-
lorées de la plage. Un poète plus vibrant y aurait senti l'action de l« "\^'
lointaine, mais rappelée par ces témoins de ses agitations et de sa p^'^'
aance.
LE POÈTB DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 313
Ce projet de peindre toutes les scènes de la vie du monde
entraine encore une autre conséquence. Le poète se trouve
conduit à supprimer presque entièrement toute part faite à la
description de scènes particulières, de tableaux déterminés,
localisés, individuels. Ce n'est pas tel rocher, telle forêt ou tel
coin de paysage qu'il se propose de placer devant nos yeux;
c'est le rocher, la forêt, le champ de blé ou le vallon. Sans
doute les images générales qu'il trace sont faites du souvenir
d'observations précises; mais sa préoccupation est d'atténuer
ce qu'il pourrait y avoir de personnel et d' « égotiste d dans
ces visions . Nous retrouvons bien , en particulier dans
1' < Hiver », un certain nombre de notations de détails où se
révèle le souvenir des paysages écossais et de la vallée du Jed.
Mais rien dans le poème ne souligne ce caractère de reproduc-
tion exacte; et en dehors de ces détails clairsemés, le poème
ne nous présente jamais l'image de quelque scène entrée tout
d'un bloc dans l'esprit de l'auteur et reparaissant dans ses des-
^i*iptions. Le panorama de la Terrace de Uichmond peut à
P^ine être considéré comme un paysage *. En tout cas les
'^rsqui le rappellent produisent une impression totale d'im-
'^ensité par une énumération de noms propres et de détails du
^bleau plus que par des traits descriptifs. La mention des
hàteaux de Dodington ' ou de Lyttelton ' appelle quelques
Pithètes de louange banale, mais non pas une description.
Rien ne fait mieux ressortir ce caractère du poème de
homson qu'une comparaison avec l'œuvre de Cowper. Les
^intures de celui-ci ont une physionomie de choses vues avec
récision, et reproduites avec l'exactitude minutieuse de por-
:*aits. Ce qu'il nous montre ce n'est pas une des grandes appa-
ences du monde; c'est tel coin de paysage familier que sa
lurae retrace amoureusement. Ce sont les champs au milieu
esquels s'écoule sa vie, les rives de l'Ouse avec les chau-
liêres, les haies, la tour carrée, les bosquets et les villages
ui forment les traits du simple tableau tous les jours déployé
evant lui * ; c'est le jardin auquel il consacre un labeur plein
e charme % ou le pont qui, sous sa fenêtre, franchit la rivière
;onflée •. Rien dans son œuvre descriptive ne dépasse en
1. Summer, 1408-1441. — 2. Aulumti, G54-G82. — 3. Ihid., 10iM033. —
^ Lelter lo Lady Hesketh, April 17, 1786; The Task, Bks. I, VI. — 5. The
rask, Bk. III. — 6. Ihid., Uk. IV.
314 JAMES THOMSON. 1
valeur poétique les vers consacrés à quelque détail mille fois I
vu par lui comme ces maisons de paysans si heureusement I
décrites au premier livre de <( la Tâche * », ou ce chêne de I
Yardley auquel il doit une de ses plus Hères et de ses pi us puis- i
santés inspirations.
Pour bien des lecteurs et pour plus d'un critique, il y a là
une limitation fâcheuse du génie de Thomson. Il n'a pas moins |
de puissance descriptive queCowper; il a une intelligence plus
large, un sentiment plus profond de la force intérieure qui
anime l'univers. Mais son œuvre n'a que dans de rares passages
ce caractère de charme intime qui s'associe au souvenir des
petits tableaux si précis et si achevés de Cowper. C'est que,
dans sa tendance à généraliser, il ne conserve des scènes parti-
culières que l'impression produite par elles, et c'est cette
seule impression qu'il s'attache à traduire. C'est bien l'idéal
classique qui l'inspire ici. Cette élimination de l'individuel, du
particulier, cette généralisation noble et froide sont également
les préoccupations du paysage classique en peinture. U
sobriété laborieuse, la noblesse conventionnelle que recom-
mande l'enseignement de l'école, n'étaient pas alors près de
disparaître. Nombre d'années après la mort de Thomson, sir
.loshua lleynolds, un génie tout fait de sincérité et d'exacte
observation, [)rèchera aux étudiants de l'Académie Royale les
mêmes doctrines esthétiques que son ami le docteur Johnson
aurait pu enseigner aux écrivains *.
La doctrine est d'ailleurs, pour ce qui concerne la descrip-
tion de la nature, moins funeste à la littérature qu'à la pein-
ture. Si généraux que soient les éléments du tableau dans
l'esprit de l'artiste, il faut bien que l'exécution les précise. Kt
ici, la recherche d'une grandeur et d'une noblesse ambitieuses
1. The Task, Bk. I, • The peasjuit's nest ».
2. Voir en particulier le troisième Discours {W décembre 1170). Le suj»^^
on est le développement de cet aphorisme : • The whole beauly and gran-
deur of the art consists, in my opinion, in being able to gel above al'
singular Tornis, local cnstoms, partieularities, and détails of evcry kind. -
On ne saurait mieux prouver <]ue par l'exemple de Reynolds combien la
pratique et les opinion:* théoriques peuvent ditfêrer. Ce contempteur de
1 accident, du particulier est un ^rand peintre pour avoir admirablement
lixè sur ses toiles le caractère individuel et par conséquent la vie de ses
modèles. 11 proclamait, au nom de ses instincts d'artiste, et en contradic-
tion avec ses doctrines esthétiques, (îainsborough supérieur comme paysa-
giste à Richard WilA^on.
LE POÈTE DESCIUPTIF. — SA TECHNIQUE. 315
outit à une invraisemblable combinaison d'éléments hétéro-
nes, d'architectures conventionnelles, d'arbres artificiels et
généraux n auxquels on ne saurait attacher le caractère ni le
•m d'aucune essence. Le poète est plus libre dans cette
ivre de simplification, ou de « sacrilices », selon le mot d'un
nos plus récents esthéticiens *. Il peut se contenter de nous
re l'impression qu'il a subie et s'arrêter à un minimum de
scriplion des objets . C'est ainsi que procède souvent
lomson. Mais ne cherchons pas chez lui cette notation pitto-
?(iue de tous les détails précis d'un ensemble qui deviendra
I des camctèrss du moderne paysage littéraire.
Kst-il certain au reste que les œuvres où nous constatons ce
Jci de la précision pittoresque aient ajouté à l'art une con-
ête importante? Le poète, l'écrivain peut-il se proposer de
tier avec le peintre dans la description exacte d'un site ou
ine scène? Sans doute on trouverait des pages bien connues
s lettres de Gray, par exemple, des poèmes de Cowper ou de
ordsvorth, des œuvres de Jean -Jacques ou de Victor Hugo
i laissent cette impression d'un tableau évoqué avec la nette
icision de ses lignes et de ses couleurs. Mais n'y a-t-il iKis là
e forte dose d'illusion? Les moyens dont dispose l'écrivain
lui permettent pas de tenter l'œuvre du peintre. —
us ne songeons pas à reprendre à notre tour l'étude de ce
X commun vieux comme la critique et auquel les pratiques
es ambitions de certains écrivains rendent périodiquement
intérêt d'actualité ^ Nous nous contenterons de rappeler
IX considérations qui paraissent décisives. L'effet d'un pay-
e est produit par cette harmonie qui résulte de la vue
ultanée d'un ensemble. 11 n'y a pas simplement une accu-
lation d'effets indépendants qui s'ajoutent les uns aux
res; le tout ne vaut pas l'effet du ciel, plus celui de cette
- La nature est toujours ropieuse, luxuriaute et touiïue. L'artiste 8>n
L à Tcssentiely il a Tesprit de dioix, il a l'esprit de sacrifice. • (V. Ciibh-
Ez, CArl et la Salure, fierue des Deux Mondes, {''* juillet 1891, p. 24.)
. Delacroix pour exprimer la même idée avait recours au même terme.
mal d'iilug. Delacroix. lievue des Deux Mondes, août 1894.)
C*esl là un des sujets qui ne s'épuisent jamais, comme le prouve l'étude
ourrie et si forte de M. Cberbulicz à laquelle nous avons fait allusion.
s avons plaisir encore à citer quelques analyses tr6s fines et très judi-
ses d'uu autre écrivain, romancier lui aussi doublé d'un critique,
i^aul fiour^ct. Voir dans les Nouveau.r Essais de Psychologie conlem-
\ine l'étude sur Leconte de Lisic.
316 .AMES THOMSON.
masse d'arbres, plus celui de cette nappe d'eau, et celui de
cette chaumière. Mais la valeur de chacun de ces éléments est
modifiée par le jeu des lignes, des masses et des tons de tous
les autres; la valeur de Tensemble est due à la combinaison de
tous les détails; Timpression produite par la scène a pour con-
dition la perception simultanée des diverses parties. Or, c'est
là une condition que ne peut réaliser la description littéraire.
Il lui est impossible de placer sous nos yeux plusieurs objets à
la fois. Elle ne peut que solliciter en nous un effort de mémoire
et d'imagination qui réunisse et combine des images successi-
vement évoquées. Mais alors le lecteur devient le très actif
collaborateur de Técrivain. Il y aurait chimère pour celui-ci à
prétendre déterminer rigoureusement ce travail de recons-
truction auquel se livre chacun des lecteurs. — En second lieu,
comment ne serait-on pas frappé de l'impuissance du langage
à exprimer tous les détails des formes et toutes les nuancesdes |
couleurs? « Notre langue )>, dit Mérimée, a et aucune autre que
a je sache, ne peut décrire avec exactitude les qualités d'une
« œuvre d'art. Ellecstasscz riche pour distinguer les couleurs:
« mais entre deux nuances qui ont un nom combien y en a-t-il»
a appréciables aux yeux, qu'il est absolument impossible de
(( déterminer par des mots ' î » Et en effet, la langue littéraire
permanente n'enrej^istre guère qu'un nom, accompagné par-
fois de synonymes plus ou moins métaphoriques, pour chaque
couleur du prisme, et pour un petit nombre de couleurs inter-
médiaires. Cela lui suffit, mais cela répond mal à Finlinieel
subtile variété des nuances que la nature et la palette du
peintre peuvent prodiguer -,
Ce n'est pas à dire que l'on puisse nier la beauté de certains
1. Xoticp sur Stt'nd/tal,
2. Cela ne suflît pas non plus h ces arts inférieurs qui servent les caprice>
de la mode dans les vêtements des femmes. Dans la lanf^ue spéciale qui
s'y réfère, chaque saison am(.me rôclosion de termes, parfois ingénieux ft
exacts, pour noter certaines nuances ou certaines combinaisons nouvell<^'
.Mais il est ïi remarquer que très rarement ces termes entrent dans le cou-
rant de la langue fj;énérale. Ils durent une saison, « a season's glitter'* *
{Summei\ v. 34S), sont vite remplaces et oubliés au profit des Tocables nou-
veaux correspondant h. d'autres objets. II semble que la langue se rcfu»*'
à adopter ces termes qui enregistrent de trop particulières observation^
de couleur, et quand un retour du même besoin se produit, après quel-
ques années, c'est d'ordinaire un mot nouveau qui remplit le même oriice-
La destinée de ces mots est d'être capricieux et éphémères comme ce>
variations du goût pour le service desi]uellcs ils ont vécu un jour.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 317
laysages littéraires. On prétend seulement que TelTet en est
rés différent de celui d'une peinture. Le talent de Técrivain
l'a pas consisté à reproduire tous les traits de la scène qu'il a
evant les yeux *. Il a su, par quelques indications choisies,
lous communiquer l'impression qu'il a sentie, et provoquer
ans notre imagination Tapparition d'un tableau plus ou moins
récis, et de fidélité fort variable. C'est une nécessité de l'art à
iquelle n'échappe aucun des écrivains qui se sont le plus
iqués de puissance graphique de description. Les tableaux: aux
étails accumulés où se plaisent par exemple Victor Hugo ou
I. Zola ne sauraient jamais nous faire voir une scène pour
ous inconnue. Mais ils produisent par l'accumulation de traits
articuliers un certain état affectif de Tàme; ils concourent à
3US communiquer une impression et une émotion, à la suite
îsquelles notre imagination crée eJle-méme un tableau. Rien
î garantit qu'il soit semblable à celui que le maître avait
ivant les yeux, mais nous avons l'iJlusion qu'il n'y en a qu'un
ul. En résumé les procédés des deux arts peuvent se distin-
ler ainsi : le peintre met devant nous une image de la chose
e pour que cette image provoque en nous l'impression qu'il
*essentieen face de la réalité. L'écrivain nous communique,
r les ressources spéciales à son art, l'impression qu'il a
bie et nous invite à imaginer aloi's les apparences visibles,
i la lui ont fournie.
rhomson a le sentiment très net de cette impuissance de
langue à placer devant nos yeux l'image des scènes com-
xes, des masses aux contours arrêtés, ou des étendues colo-
s. a Qui peut peindre comme la nature? dit-il. L'imagina-
ion peut-elle, dans ses œuvres les plus brillantes, montrer
es nuances comparables à celles des choses? Sait-elle les mê-
3r, les fondre l'une dans Tautre avec cette habileté suprême
[ue manifeste chaque fleur qui s'épanouit? Et si l'imagination
uccombe impuissante sous cette tâche charmante, hélas!
[ue fera le langage? où trouver des mots teints de nuances si
. Crabbe lui-môme, le plus minutieusement exact des peintres poètes,
bbe, qui revendiquait pour son art les droits et les' prérogatives de la
ilure, écrit :
• A part I paint — let Fancy form tlie rest. •
{The Uorough, Letter I, v. 6.)
318 JAMES THOMSON.
flc diverses *? » — Mais il a aussi compris en quoi consiste U
supériorité de récrivain. 11 a pour lui la durée. S'il ne peut,
comme le peintre, combiner divers éléments en vue d'une per-
ception unique, il peut, au contraire de celui-ci, noter la succes-
sion des apparences et suivre dans ses incessantes modifications,
l'aspect de la nature. L'objet même du poème des <i Saisons»
c'est celte série de transformations qui entraine le monde des
choses il travers les diverses heures de la journée et les diffé-
rentes saisons de l'année. Voilà pourquoi les tableaux qui repré-
sentent quelqu'un des phénomènes météorologiques ont une si
grande importance dans l'œuvre de Thomson. Les « Saisons)»
ne nous laissent guère le souvenir de tel ou tel coin de pay-
sage nettement indiqué; mais elles sont toutes pleines des agi-
tations de l'atmosphère, des visions mobiles qui animent,
diversifient et renouvellent sans cesse l'aspect des choses.
Aucun poète n'a su plus puissamment nous faire voir ou
entendre la chute apaisante et bénie d'une ondée de printemps,
le fracas d'un orage d'été, la tombée silencieuse, prolongée,
monotone de la neige, les splendeurs progressives d'un lever
de soleil, les épouvantes de la tempête ou de l'inondation, ou
même, par contraste avec le mouvement qui est la vie nor-
male des choses, l'engourdissement que l'hiver jette sur la
nature avec son linceul de neige et de glace.
Ce sont tous les tableaux rappelés dans une autre partie de
notre étude qu'il faudrait citer ici de nouveau, s'il était besoin
de justifier notre remarque. On n'a pas oublié ce paysage
d'automne où volent au ciel les nuages dispersés dont les
ombres courent sur le sol -. C'est le mouvement des épis qui
fournit le trait caractéristique du champ de blé '. Les orages
doivent leur efTel à Taccumulalion des phénomènes successils
\, Spring^ 'irt7-'i7.ï.
2. Voir plus haiil, p. '8. u " 3.
3. Voir plus* haut. [>. 219. — Celte notation d'une ondulation qui ^^
propage et se perd au loin nous montre un des efl'els par où le langagi^
dépas<ac les moyens d'expression de la peinture. « Ce qui nous aide i^
plus à apprécier la profondeur d'un rliamp de blé ou d*avoine. c'esl
i'exlinction graduelle des mouvements que nous y percevons. Si IranquiH*'
que soit Tair, les premières rangées d'épis ne nous apparaissent jamais
absolument immobiles; à mesure que nous portons plus loin notre regard'
le mouvement échappe à notre percepUon, et le repos des derniers pla"^
nous avertit de leur éloignement. La peinture fait reposer et dormir se>
premiers plans comme ses fonds. • (Chkhri i.ihz. loc. cil,, p. 18.)
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 319
îs par l'observateur *. La verdure du printemps n'appa-
pas ici comme chez tant d'autres, par une soudaine éclosion
ie; nous la voyons naître d'abord aux lieux les plus pro-
!s et se répandre de là jusqu'aux flancs ternes et flétris
monts •. Au spectacle du monde noyé et comme engourdi
5 l'éblouissant soleil de midi, le poète est frappé du rayon-
lent de la lumière, de la vibration de l'ai r, du reflet mou-
tque renvoient les surfaces liquides '. La chute de la nuit
inspire Theureuse image du soir jetant l'une après l'autre
la terre ses ombres qui s'accumulent *. Et quand l'hiver
venu suspendre, semble-t-il, toute vie et tout mouvement
:ours d'eau, le poète entend sous la couche de glace, l'onde
tinuer à couler en grondant *.
artout, on le voit, le même procédé de description se
ouve. Les phénomènes de mouvement interviennent jusque
s la fixation d'effets où il semble que le repos et l'immobi-
donnent la note dominante. Partout, comme le poète le
lui-même, € la vision passe rapide devant le regard créa-
de rimagination * ».
II
i critique moderne se pique de précision scientifique.
'S même qu'elle entend rester purement subjective dans
îonclusions à formuler, elle aime à s'appuyer sur des ana-
3 et à fournir ses a documents ». Sainte-Beuve Tavait
chie de fécondes et délicates observations psychologiques,
raine y a ajouté de hautes conceptions moitié historiques
noitié philosophiques, et, tout en recommandant Tétude
îise des faits, a proposé de hardies, peut-être de hâtives
Summer, i 103-1168. — 2. Sprinff, 80, 87. — 3. Vuir p. "7, n" 2; et 38,
2. _ 4. Voir p. 80, n" 2.
Voir p. 118. n« 1. Cowpcra vu et nolé la mOmc sctnc; il y a été Trappe
eiïet de mort et de silence :
« On Ihe flood,
Induraled and (Ix'd, the snowy weigiit
Lies undissolved; wliile silently bcnoaUu
And unpcrceived, the current sleals awav. •
(The Task\ Hk. V.)
"Sprint/ ^ 4*17. 4r»S.
330 JAMES THOaiSON.
conclusions. La tendance est aujourd'hui de mêler à ces études
d'ordre éminemment intellectuel des observations à demi phy-
siologiques. Sans parler des notations de détail qu'ont pu pro-
voquer ces préoccupations nouvelles, elles ont inspiré des
ouvrages importants qui conserveront une place dans l'his-
toire des théories sur l'art poétique, et, par exemple, les Essaie
de critique scientifique de M. Hennequin et l'étude de M. L
Mabilleau sur Victor Hugo.
Quelque illusion complaisante est pardonnable aux auteurs
de procédés inédits d'étude et d'analyse. Nous ne croyons pas
cependant que les formules nouvelles soient appelées à résoudre
un problème jusqu'à présent insoluble. Elles n'auront pas
trouvé le secret du génie d'un poète parce qu'elles auront lait
« la décomposition de ses divers éléments b, de a l'ensemble
d des origines et des conditions de la faculté créatrice... qu'il
a a portée dans le domaine de l'imagination poétique * ». Mais,
alTrancliie d'une ambitieuse et irréalisable visée, la méthode
est légitime, et l'exemple des ouvrages cités montre qu'elle
peut être féconde en résultats intéressants. Il est incon-
testable que, selon le mot de Taine, il est pour chacun de nous
un « rythme spécial de l'appareil des sens » auquel tient notre
connaissance de Tunivers. Il est juste, il est nécessaire que,
dans l'étude approfondie d'un artiste, nous nous demandions
quel a été l'instrument de sa perception des choses, quels sens
ont joué chez lui lo rôle le plus actif, quels caractères distin-
guent en (M)nséqucncc ses images du monde de celles qu'en ont
données d'autres observateurs. Disons-le dès à présent, pour
compléter notre pensée sur ce point, les renseignements, par-
fois curieux, qui peuvent nous être ainsi fournis ne nous
apprendront rien sur le fond même de ce qui est le génie; ils
ne nous fourniront pas mémo un critérium nouveau pour
classer les talents. Sainte-Beuve» avait depuis longtemps noté
que la poésie de V. Hugo ne connaît que deux sensations, celle
de la vue et celle de l'ouïe-. M. Mabilleau a, par une analyse
singulièrement vigoureuse et serrée, montré combien, chez le
même poète, les perceptions visuelles sont limitées à un étroit
domaine. Hugo n'en demeure pas moins, après comme avant
i, Victor JiugOy par Léopold Mabiu.kai, p. 06.
2. Portraits littéraires. Itcmardin de St-Pierre.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 3î2i
observations, un des artistes les plus prodigieux qui aient
it en vers. — Southey nous apprend que Wordsworth
ait pas le sens de l'odorat, et le peintre Ilaydon qu'il
ait pas celui de la forme *. Nous ne conclurons pas qu'il
pour ce motif inférieur à Thomson chez qui, nous Talions
itrer, « le rythme spécial de l'appareil des sens » mettait en
une organisation remarquablement riche et ouverte à
es les influences de la nature.
es les premiers pas dans cette recherche, nous avons cepen-
t à noter chez notre poète une lacune, sinon dans son
voir d'observation, au moins dans ses procédés de traduc-
i. Les objets sont surtout révélés à notre vue imr leur
Tie et par leur couleur. Selon la prédominance de l'une ou de
itre de ces apparences dans le fait de perception ou dans
iboration artistique de l'image, nous aurons des modes de
résentation qui varieront par d'infinis degrés chez les
ïrenls artistes, depuis la fixation rigoureuse des contours
z des peintres qui poursuivent quelques-uns des effets de
tatuaire, sans disposer des ressources de cet art, jusqu'à
combinaisons indéterminées de taches lumineuses où finit
aboutir la technique d'un peintre tel que Turner. Or,
: Thomson ce second mode de représentation l'emporte
blement sur l'autre. Nous ne trouverons dans les c Sai-
; » aucune de ces visions nettes et éclatantes qui déta-
jt vigoureusement sur le fond une silhouette fortement
ée. Les objets, nous Tavons vu, se montrent surtout au
e comme partie d'un vaste tableau, et lors même qu'il les
rve séparément, ils lui apparaissent toujours comme
irs, mobiles et changeants; c'est là une condition qui
ut la notation précise de formes arrêtées. Ce qui le frappe
; la montagne c'est la coloration des pentes, blanches
id la neige les recouvre, tachées de gris quand le dégel a
niencé son œuvre, flétries plus tard jusqu'à ce que peu
u le printemps y fasse courir la verdure, ou bleues lors-
Iles sont aperçues dans le lointain. Il ne s'arrête pas à la
le du rocher, mais il note le rayon de soleil qui vient à
ore en frapper le sommet, ou qui s'y attarde le soir quand
irface du sol est envahie par l'ombre. Il observe les colo-
The Englinh Poels^ by James Rissell Lowëli., p. 240.
21
3ââ JAMES TnOMSON.
rations variées de la forêt; il voitd*un arbre ses mouvemeDls;
il ne déterminera son port et son caractère que par de vague
épitbètes morales. Il n'a pas la vision plastique; ses images
des choses sont celles d'un coloriste *.
Ce terme lui-même demande à être expliqué. Quand ondil
d'un poète tel que Victor Hugo que sa langue est éminemment
colorée, qu'il prodigue la couleur, etc., on est exposé à une
contusion qu'ont fortement signalée les analyses de M. Mabil-
leau *. On ne trouvera pas chez Hugo une notation fréquente
des couleurs, ni l'observation de tons variés ou riches ou rares.
Ce qui revient sans cesst* dans ses images, c'est l'opposition
d'ombres vigoureuses avec d'intenses lumières. Ses puissantes
antithèses ne se lassent pas d'accoler à un objet sombre ou noir,
un autre objet blanc ou radieux. Il ne semble pas qu'il puisse
mentionner un de ces effets sans qu'aussitôt s'impose à son
imajîination la vision d'un objet contrasté '. Les gradations de
la lumière et de l'ombre sont infinies; ellespeuvent suflireàla
1. Vcul'On par uue.xeinplc préciser ces différences? Dans «rÉlé •Thomson
a noté Icd • nuages qui sans cesse changeant revêtent des formes pittores-
ques, rêve de l'iiuagination éveillée ». (Summet\ I373-1376.) Voici ce qu'
dcvjout. dans la bouclio d'un personnage de Shakespeare, cette indicAtios
abstraite :
- Parfois nous voyons un nuage qui ressemble à un dragon,
Une vapeur quelqueTois a l'aspect d'un ours ou d'un lion,
D'une citadelle cerclée de tours, d'un rocher menaçant,
b'unc moiitaune à la cime fourchue, ou d'un bleu promontoire
Portant des arbres ({ui s'aizitent et s'inclinent et nous trompent.
Tu aj» vu ces apparences; c'est la fêle et la pompe du sombre soir. •
{Antoni/ and Cleopatra^ IV, xiv, i-8.)
■
'1. Victor lliiffo, chap. n, p. 10:J-liU.
'^. Dans un petit nombre de pn«;es de la Léqendc îles SiVr/«, la pièce T"
a pour titre La i'omvtt' nous l'oiirnirait à elle seule ces exemples :
» Ne (|uestionnez poitit sur son itinéraire
Ce fantôme de nuit et de clarlc vêtu. •
- Lai8>ez ces yeux de fîaminp à ce masque de Vombre%
Ne fixez pas sur eux vos yeux; et ce manteau
De lm*ur o{\ s'abrite \n\ snîuhrt.- incognito,
Ne le soulevez pas, » etc.
n .... Donnant aux algèbres
[/ordre de prendre un peu de lumière aux idnèbits, »
• Les yeux d'une lumière invisihlr [loyés. •
• Soudain, un soir, on vit la nuit noirr. et superbe
A l'heure où sous le grand suaire tout se tait.
Blêmir confusément, puis hlanvhir. »
LE POÈTE DESCRIPTIF. SA TEClLNlorE. 'Mi:\
production rieheinont variée d'un peintre tri (jne lienii)ran<lt.
Mais la langue ne peut même tenter de i-endre ces subtils j)lié-
noniènes; ell(î ne fournit qu'un petit nombre de mots corres-
pondant aux notes extrêmes et brutales de et^te gamme aux
mille valeurs, ('/est une des causes pour lesquelles, en dépit
de l'admirable habileté avec laquelle le rythme est soutenu ou
varié, la poésie de Victor Hugo comporte pour certains lec-
teurs une impression de monotonie et de fatigue. Du reste, et
c'est là ce que nous avons à retenir, là même où cette opposi-
tion d une tache sombre et d'un éclat brillant produit l'elTet lo
plus heureux, c'est, chez le poète français, la lumière et non
pas la couleur qui nous frappe et nous éblouit.
11 n'en est pas ainsi de Thomson. Le développement de son
poème rappelle sans doute plus d'une fois à enregistrer des
apparences de pure intensité lumineuse. Nous avons dit
combien ses descriptions de levers et de couchers de soleil s(mt
justes et sont belles; nous avons remarqué son aptitude à
'ïoter les effets les plus puissants ou les plus délicats des phé-
'ïomènes de lumière. Il est épris de cette beauté éclatante ou
Subtile. Il s'abandonne à un enthousiasme lyrique lorsqu'il
apostrophe la « lumière, source de toute joie.... émanation
^ divine; robe radieuse de la nature », ou le « soleil, àme des
* mondes, dont l'éclat révèle le Créateur * ». Mais dans ces
descriptions même son mode d'observation se distingue en
deux points de celui du poète français que nous avons pris
Pour terme de comparaison. Il note la valeur d'une lumière
^n la distinguant d'un degré différent de lumière, plutôt que
par le contraste tranchant de l'ombre; et il ne sépare guère
l'observation des phénomènes lumineux de celle des opposi-
tions de couleurs. Dans les autres passages, c'est à-dire dans
les plus nombreuses de ses descriptions, il note de préférence
la coloration des objets. L' «Été», par exemple (et nous choisis-
sons cet exemple comme le plus significatif), l' « Kté » renferme
quinze notations d'effets purement lumineux, contre vingt-sept
indications de couleurs V
1. Summer, 90-96. Le mouvement se prolonge jusqu'au vers 17 'i.
2. On peut comparer à celte proportion les chitTrcs suivants :
Dans Le Satyre {Légende des Siècles) 78 effets de lumière, pour iil elFels
de couleur (dont moitié, portant sur la notation de blanc et de noir, devraicnl
peut-être plus justement figurer dans le premier groupe).
Dans Les Pauvres Gptis, 3A efTels de lumièro, et 7 notations de cou-
324 JAMES THOMSON.
Les couleurs, par elles-mêmes et indépendamment des sur-
faces qu'elles recouvrent, ont pour notre poète un charme,
une beauté, une expression particulière à chacune. Lorsqu'O
mentionne, dans son poème « sur la Mort de Newton », les
teintes diverses produites par la décomposition du prisme, les
épithètes qu'il attache à la plupart des nuances suggèrent une
impression de plaisir ou d émotion sympathique : « le roup
ardent, Torangé fauve, le jaune délicieux, le vert qui reposeet
rafraîchit, le pur bleu, le sombre indigo de teinte plus triste,
le violet peu distinct ' ». D'ailleurs ce sont les tons francs de
la gamme qui, dans ses descriptions, apparaissent presque
seuls. Peu de notations de nuances exceptionnelles, pas de
termes recherchés et curieux. Mais seulement quelques mots
très simples correspondant aux trois ou quatre couleurs les
plus généralement répandues dans la nature : le bleu du ciel
et des eaux; le jaune des champs mûris, des feuillages d'au-
tomne et des surfaces que dore le soleil; le rouge dont s'ein-
pourpront les nuages du couchant, et le vert qui revêt le sol.
C'est avec ce clavier peu étendu que le poète devra lutter
contre la merveilleuse magie des couleurs de la nature. Aussi
ne vise-t-il pas à faire traduire par sa plume l'exacte nuance
des objets. Ici encore, comme lorsqu'il s'agit de peindre Fen-
semble d'une scène, il évoque en nous une impression analogue
à celle qu'il a ressentie. Notre esprit se chargera d'imaginer la
coloration spéciale qui a donné à l'objet son caractère et à
l'àme du poète son émotion. Nous avons vu combien sont
nombreuses et variées les descriptions du ciel dans les t Sai-
sons r>. Toute la couleur en est fournie par trois mots : blue.
azuré, ccruletoi. Encore l'emploi qui en est fait ne corres-
pond-il pas à des nuances distinguées Tune de l'autre avec
précision. Et cependant qui ne sent, gnVce à la diversité de
l'impression qui accompagne chaque peinture, les tonalités
différentes de ce ciel de printemps, léger, lumineux, tout
baigné des blancheurs des nuées *; de ce ciel d'été embrasé,
tout rempli d'or fluide, qui fond et absorbe les nuages, <'t
étend l'azur sans tache de son dôme jusqu'aux bords extrêmes
leurs. Dans les 340 premiers vers de Jocehjn^ 16 notations de lumière el
il de couleurs.
1. A Poem on ihe Death of Sir Jsaac Newton, 102-111.
2. Sprinff, 30, 31. Voir plus haul, p. 2119.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TKCHNIQCE:. 3-2o
de l'horizon ^; de ce ciel d'autuiimc (jui, dans U\ calme de
ralmosphère, tantôt se couvre de flocons légers et tantôt brille
pur, joyeux, teinté d'un bleu si profond et si particulier?
Le jaune vient souvent jeter une note claire ou chaude ou
brillante dans les tableaux du poète. Il apparaît partout où le
soleil pose ses tons dorés; il est la caractéristique de Tau-
tomne; il pailleté de reflets éclatants les tons plus sobres du
paysage quand le peintre note les pétales de la jaune giroflée,
<iu tournesol, ou des genêts brillants ^ Il est la richesse et la
joie de la nature; et s'il arrive à notre poète de souligner avec
une inépuisable complaisance ce ton qui est celui de Ter, il
peut affirmer, lui aussi, que ce n'est pas par amour des gui-
nées, mais des boutons d'or, des genêts et des blés mûrs '.
Le vert a un autre rôle, moins actif, reposant et apaisant.
Le poète en observe toutes les teintes dégradées dans les
niasses ombreuses des bois ; il en signale avec allégresse
^*apparition, soit au printemps quand le souffle vivifiant fond
les neiges et de toute part découvre les pelouses de gazon,
Soit, en été, lorsque les hautes herbes sèches ont été coupées
et que le râteau des faneurs rend visible la surface toujours
Verte du sol. Son enthousiasme s'épanche une fois en une apos-
trophe qui a presque l'accent d'un hymne : k Des couleui's
^ variées se répandent au printemps sur la terre, mais toi sur-
^ tout, vert joyeux I toi qui fais à la Nature souriante un uni-
« versel vêtement! Mélange d'ombre et de lumière, où la vue
K se repose, et, goûtant une joie toujours nouvelle, prend une
K force ravivée *. »
A vouloir faire le compte exact des indications de couleurs
que fournissent les « Saisons )>, nous trouverions pour l'Au-
tomne, celle où l'on peut s'attendre à rencontrer la plus grande
variété de tons, les résultats suivants : le jaune (yellow, gold)
est mentionné huit fois; — le bleu (blue, azuré, cerulean);
le vert; le rouge (red, purple), et le noir, six fois; — le blanc,
1. Summer, 499-204. AiUumn, 1208-1217. Voir p. 259.
2. Aulumn, 957-963 el 1215.
3. • Welike gold becauâe il iâ of a prclty aod pcrmaneni yellow; and
not Uie yellow colour because il is likc gold. I overwork Ihe epilliet • gold-
en • în niosl of Qiy descriptions; nol because I like guineus, bul because
I like buUercupaand broom. • (Ruskik, Modem Painlers^ vol. I, noie p. 20»
de l'édit. de 1888.)
4. Spring, 82, 85.
3:26 JAMES THOMSON.
cinq fois; — les tons neutres dérivés du rouge et du jaune
(brown, russet, tawny), huit fois; — et le gris une fois. Mais,
à dire vrai, on ne peut guère faire état de pareils relevé». Il
est tel effet incontestablement dû à révocation d'une couleur,
que les vers expriment sans un mot qui nomme directement
cette couleur. C'est le cas, par exemple, du passage où nous
voyons le lièvre se cacher parmi les objets dont la nuance est
semblable à celle de sa fourrure : « la lande pierreuse, le
<c chaume du champ crevassé, les chardons de la pelouse, les
« buissons touffus des genêts, la fougère flétrie, les sillons
« exposés à l'ardeur brûlante du soleil, ou la rive sableuse au
> « bas de laquelle coule un torrent » ». C'est le cas encore de telle
description toute en tons neutres et eflacés qui peut cependant
figurer parmi les plus heureuses, et, en un certain sens, les
plus colorées du poème : « S'élevant lente et blême, sur le ciel
« plombé de l'orient, la lune porte un cercle blafard autour de
« ses pointes émoussées *. »
On peut croire que Thomson n'attachait pas à cette notation
précise des nuances des objets l'importance que les descrip-
tions littéraires modernes y ont attribuée. Nous le voyons, par
(îxemple, dans un des remaniements de son texte, remplacer
par dix vers, où ne se trouve pas une seule indication de cou-
leur, cinq vers des éditions antérieures qui en contenaient
trois ^ Il sacrifie sans regret la mention de la mer verte ou du
ciel bleu. Il est rare qu'il accolle à un nom une simple et
banale épithète de nature rappelant la coloration de l'objet.
S'il parle du bleu du ciel c'est pour en remarquer la qualité
particulière à telle saison ou telle heure du jour, ou pour rap-
peler le fond sur lequel se détache w\\ autre objet qu'il décrit.
Quant à mettre directement sous nos yeux une teinte subtile et
complexe, ou à reproduire pour l'esprit cet orchestre de
valeurs et de tons qui chante dans un paysage, il ne croit pas
1. Auliwin, 404-409.
2. Winfer, 123, 124.
3. Les vers 7^)4 à 76i du « Printemps » ont pris la place du passage sui*
varit :
H Higli from Ihe snmmil of a crafi^y cli(T
tliing o*or tlic green sea, grudgin^ at ils base,
Tlie royal eagle draws liis young, rcsoived
Tu try them at the sud. Strong-pounced, and bright
As hnrnished day, they up Ihe blue sky >vind. •
LB POÈTB DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 327
che possible, et il ne la tente point *. Est-il certain que les
oristes i» les mieux doués y puissent réussir? Les descrip-
1 (le la langue peuvent-elles jamais placer sous nos yeux les
surs d'une scène ou d*un tableau, ou Texacte nuance d'un
)ariiculier? Voyons comment y réussit tel peintre-poète :
« L'ensemble éblouissant de ces vives couleurs....
Où le jaune-citron, l'orangé, Tinearnat,
Le lilas, l'outremer, Tazur et le grenat.
Tous les Ions violents, toutes les note! franches
Eclatent au milieu des grandes masses blanches ^. »
s vers peuvent-ils nous suggérer une image de la moindre
té? la réalisation du tableau ainsi esquissé ne peut-elle pas
on ami ut son élève, Savage, a <^lé plus audacieux. Les « Saisons «
ferment pas une observation de couleur aussi compliquée que celle-ci :
- Tberc blue-vciPd vcIIonv, tliro * a sky serene,
lu s>velling mixture foruis a floating green;
Slrcaked tiiro* white clouds a mild vermilion shines,
And the breeze freshens, as llie beat déclines. »
{The Urtm/p/rr, Canio V, v. 23:^236.)
i LES Bbeton, Œuvres poétiques : le Pardon de Sainte- Anne-la-Pnlud,
il d'une scène dont le peintre s'i'st plus d'une fois inspiré et en par-
r pour une de ses toiles les plus impurlautes : /<? Pardon de Kergoat.
IVnumcration des couleurs par l'écrivain ne reproduit guère TelTet
Il par le peintre.
lutre exemple nous est fourni pur le petit poème Gronyar-lliU^ celte
ion des •> Saisons » qui, par une si curieuse coïncidence, paraissait
jes mois avant V » Hiver ». L'auteur, i)>er, était, comme notre Jules
I, un peintre doublé d'un poète. L'oMivre commence par une invo-
à la nymphe qui colore la nature. Mais tout le coloris de Técrivain
uit à des effets tels que celui-ci :
« Below me trecs unnumbered rise,
Beautiful in varions dves :
The gloomy pine, the poplar blue,
The yellow bcech, the sable yew ,
And beyond a long and levcl la\N n.
On Nvhich a dark hill. steep and hi^h,
Holds and charms the wunderinf: eve. »
a une incontestable fermeté d'observation dans la description; mais
ire des effets de couleurs? Us ne sont pas plus complexes que chez
son et ils sont moins justes. L'œil exercé de l'observateur a noté
ileur un peu bleutée dans \o. vert du peuplier, un peu jaunâtre dans
du h'Mre: et alors exagérant cette exacte Dotation, ne voyant plus la
dominante mais seulement Telément de distinction qui s'y mêle, il
'e bleu Tun de ces arbres et l'autre jaune. N'est-ce pas ainsi que se
nt expliquer ces étrangetés de coloration qui, dans certaines pein-
découcertent les profanes?
328 JAMES THOMSON.
produire aussi bien un barbouillage cru et déplaisant qu*UDe
peinture d'harmonie éclatante comme le tableau qu'avait vu
Jules Breton?
L'écrivain peut-il mieux réussir à rendre TelTet d'une nuaoœ
spéciale, rare et subtile? Le vocabulaire de la langue s'y prête
mal, mais une ressource y peut suppléer, c'est la comparaisoD
avec un autre objet de nuance semblable et déjà connu. C'est
le procédé dont se sont servis ceux des poètes de notre siècle
qui ont visé surtoift à ces effets de couleur. Excellent s'il
reste discret, il ne tarde pas, entre les mains d'un virtuose trop
habile, à devenir la raison même et la fin de la description.
Notre attention se porte alors sur l'ingénieux rapprochement de
l'auteur, plus que sur l'objet qu'il s'agissait de peindre. Plus
la comparaison est habile, c'est-à-dire imprévue et cependant
exacte, plus grande est notre admiration de l'artiste, mais plus
faible aussi Timpression provoquée en nous par Timagination
de l'objet lui-même qui a fourni l'occasion de ces variations
brillantes. Il nous semble que tel est bien le caractère de la
plupart de ces pièces de Théophile Gautier, auxquelles con-
viendrait mal le nom de description, et où le poète-peintre a
voulu fixer les teintes les plus délicates par une série de
comparaisons accumulées *.
1. Par exemple dans la St/mphonie en blanc majeur :
a De ces femmes il en est une
Blanche comme le clair Je lune
Sur les glaciers dans les cieux froids.
Sou sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blaucs
Kt le blanc satin de sa robe,
Soutient des combats insolents.
De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de !»a peau? »
{Emaux et Camées.)
Comment ne souscrirait-on pas au jugement de Henri Heine :
« Les poètes vont vainement à la chasse des métaphores pour décrira ^'
peau blanche. Théophile Gautier lui-môme n'en est pas capable. • 'i?o?'"'"
ce,'0. VÉléphant lilanc.)
Réussira-t-il mieux à préciser la nuance de beaux yeux?
• Ses yeux, où le ciel se reflèle,
Mêlent à leur azur amer
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 339
>n peut goûter, comme ils le méritent justement, les tours
force de ces coloristes du vers. Mais les simples et larges
hètes des poètes qui peignent à la façon de Thomson suffi-
t pour mettre en jeu chez le lecteur l'imagination créatrice,
leur banalité même a cet avantage de ne rien enlever à
ipression générale que le poète a voulu faire naître par
isemble des traits de sa description et par le rythme de son
le.
III
ncapable de lutter avec la peinture pour la représentation
> formes ou des couleurs, le langage peut, en revanche, faire
pel au concours de tous les sens autres que la vue. Il peut
îttre en jeu dans notre imagination le pouvoir de représenter,
ssi bien que des lignes ou des surfaces colorées, des sons^
3 odeurs, et môme des impressions de goût ou de toucher.
Les sensations auditives n'accompagnent pas aussi constam-
'nt que les sensations visuelles notre perception des choses.
Plains objets s'adressent à la vue seule; avec d'autres, il
Tfit souvent d'un faible éloignement pour que le bruit
eigne et que, demeurant visibles, ils paraissent muets. Mais
'S la représentation du monde que peut nous donner récri-
ra, il est permis de croire que Timportance relative de ces
X ordres de phénomènes est différente.
'il est vrai que les formes et les couleui^s aient avec notre
i (le profondes et mystérieuses affinités; s'il est vrai que,
Qu*étoile une humide paillette
Les teiiited glauques de la mer.
Comme dans Teau bleue cl profonde,
Où dort plus d'un trésor coulé,
On y découvre à travers Tonde
La coupe du roi de Tliulé. »
{Émaii.r et Camées. Cxruici Oculi.)
. pour finir, ces quatre vers de la pièce A utie rohc rose :
«t Est-ce A la rouf^eur de l'aurore.
A la coquille de Venus.
Au botiion de sein près d eclore.
Que sont pris ces tous inconnus? >
{Émaux et Camées,)
330 JAMES THOMSON.
grâce à elles, la description bien indirecte de récrivain puisse
éveiller dans notre esprit et dans notre cœur mille échos
endormis, ce sont cependant plus encore les sons de la nature
(|ui contribuent à donner aux choses un caractère d'êtres
animés, à y révéler, ou à nous y faire imaginer, les manifesta-
tions d'une vie accessible à notre connaissance et à nos svm-
•
pathies. Et surtout, c'est dans Tordre des phénomènes auditifs
que récrivain peut le plus sûrement trouver des éléments de
description conformes à la nature, à la portée, aux aptitudesde
rinstrument artistique dont il dispose. La phrase, la strophe,
le vei's, le uïot, autant de formes diverses de sons. Le poète,
récrivain ne peut « peindre », selon la métaphore banale de la
langue, qu'au moyen de sons. Il est bien vrai que, dans leur
emploi artistique, les éléments du langage ne sont pas dépures
notations absti*aites. Autour des mots flotte une atmosphère de
sensations suj^^gérées qui soutiennent, amplilient, afûnent,
diversiiient à Tinllni l'impression produite par le sens immédiat
(les termes. N'est-il pas évident cependant que, de toutes les
sensations, le langage excelle à traduire et à évoquer celles de
l'ouïe? Les images de vision et les images auditives s'unissent
dans le procédé de (K»scription de la plupart des écrivains '.
L'importance relative des unes et des autres varie selon le
tenipéranicnt de chaque artiste. Mais on peut, semble-t-il.
trouver eonfornio aux conditions rationnelles de l'art une pré-
dominance (les elVels auditifs. Quand il arrive que Tun de c&i
ordres de sensations soit, par tel ou tel |>oète, nettement sacrifié
et subordonné à l'autre, il semble que de ces deux violences:
ramener à un effet de bruit une perception de la vue, ou à une
sensation visuelle la perception d'un son, notre esprit accepte
plus facilement la première que la seconde. Quand Milton,chez
qui, nous le savons, les images sont plutôt musicales que pit-
toresques, écrit :
|j' s(»lril c^l ptnir iin»i ^uIIlb^c
Kl sil«Mici<;u.\ r(>inino la luno ^,
I. Le InriKaKC m(':inc. cette porsie fossile, comme dit Emerson, n*cst-ii
pas fait d(* métaphores t\uï transportent nos sensations siiccessivemeot
dans 1rs diverses catcjzones de phénomènes?
>'. • The sun to mo is dark
And silent a^ the moon. •
^Samwn AtjonisUs, v. 8", M.)
LE POÈTE DESCRIPTIF. -— SA TECHNIQUE. 331
ifiision des deux impressions ne nous choque pas. Mais
l Victor Hugo, un halluciné de la vision, voit un bruit
i silence, Timpérieuse puissance du maître ne suffit pas
irsù nous faire accepter une assimilation impossible.
« Et c'était le clairon de rabime....
Je le considérais dans les vapeurs funèbres
Comme on verrait se taire un coq dans les ténèbres
« ....ce clairon qui se tait dans la nuit
Et qu'emplit le sommeil formidable du bruits »
1 notations de sons prédominent chez Thomson; et rien
pins naturel puisque, selon une observation qui s'est déjà
d'une fois imposée à nous, ce sont les phénomènes de
renient et de vie, plutôt que les apparences définitives et
uablesqui le frappent et qu'il s'attache à reproduire. Dans
liver » où nous avons relevé quarante-deux indications de
ère ou de couleur, les notations de sons s'élèvent au
jre de soixante-deux *. Le poète, on le sent, n'est sourd à
ne de ces mille voix par lesquelles se manifeste la vie des
is. 11 a l'oreille extrêmement sensible aux inlinies modula-
de ces bruits. H sait quelle est l'action sur notre àme de
simple et puissante musique de la nature, et son poème
en fait entendre l'éternel accompagnement,
ur traduire les effets sonores qui s'imposent à l'attention
is superficielle : la voix de hi mer, le gémissement du vent,
ondementdu torrent ou de la cascade, le vers de Thomson
e ou s'apaise avec une merveilleuse souplesse, et de ces
omènes si connus il nous donne une représentation égale-
. e.xacte et poétique. Voyez, par exemple (autant qu'une
iction peut viser à rendre im effet dû comme ici à la sono-
égende des Siècles, vol. IV, La Trompette du Jugement,
'oici quelques points de comparaison : dans J^s Pauvres Gens de
» Hcoo, 43 notalious de lumière et couleur (36 + 7) pour 20 notations
1. Dans Le Soti/re, lOo nolation.-* du premier ordre (78 -f- 27) contre 27
:ond.
s les 3(0 premiers vers de Jorclyn^ 27 impressions visuelles, et 20
ssions auditives.
.ut, bien entendu, traiter ces documents avec la prudente réserve
nvient à la plupart des données statistiques. Le relevé fait dans d'au-
•uvres pourrait modifier considérablement la prop:)rtiou. C'est une
ice générale que nous avons prétendu indiquer.
33â JAMES THOMSON.
rit('* même du texte), cette description d'un orage de tonnerre:
a Partout règne une peur inquiète et une morne stupeur. Tout
a à coup à Tœil ébloui la lueur rapide apparaît, loin au sud,
u. déchirant la nue; et, suivant plus lentement, d'une explo-
« sion qui emplit Fair, le tonnerre élève sa voix terrible. C'est
« d'abord à la limite de l'horizon que se fait entendre le
« grondement auguste de lorage; mais, à mesure qu'il se
« rapproche, et livre aux vents les roulements de son formi-
a dable refrain, les éclairs tracent une plus large courbe de
a l'eu, le fracas devient plus assourdissant, jusqu'à ce que sur
c le ciel se déploie une vaste nappe de flamme livide, qui se
« referme et s'ouvre plus immense, se referme de nouveau et
« s'ouvre énorme, enveloppant tout le ciel de son flamboie-
a ment. Et toujours suit le rugissement plus bruyant et main-
« tenant déchaîné; il grandit, il devient plus profond, elles
« éclats se mêlent en un horrible fracas qui secoue le ciel et |
a la terre *. »
Il est difficile de ne pas penser que Byron s'est rappelé celte
page magnilique en décrivant au troisième chant de ClMe-
Harold ' un onige dans les Alpes. Il ajoute à la scène des Irait*
qui la placent en un point précis; les montagnes dont il faillô
fond de son tableau, et le lac du premier plan sont des élé-
ments qui viennent accroître relTet; mais, en dépit d'une exa-
géralion qui n'échappe pas à Temphase, Byron n'a point ici
surpassé la puissance descriptive de l'auteur des t Saisons».
Rappelons encore, parmi tous les exemples que l'on pourrait
citer, la tempête en mer décrite dans 1' « Hiver ». Le poète y
accumule les évocations de sons penjants ou graves, et la lecture
de ses vers laisse à l'esprit l'impression d'un tumulte assour-
dissanl et confus. Rien n'est oublié des bruits précurseurs, d*
l(»scris des oiseaux, ni cette voix mvstérieuse et solennelle qui
vient des montagnes et que Virgile avait aussi entendue '. Pi^'^
vient le fracas des Ilots soulevés et précipités les uns sur 1^
autres, ou foueltés jusqu'à se couvrir d'écume, et le hurlement
\. Sutntner, M-28-1H3. — 2. Strophes xoii, xc.iii.
:i, « ... Vi'nlis siirgentibus aiit TreU ponli
Incipiiint af^itata liimescero, cl aridiis allia
MoDtil)us audiri fragor; aut rcsonanlia longe
Litlora niisceri, cl nemorum inrrebresccre tiiiirmur. -
(Géorgigues^ liv. 1, 356-359.)
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 333
Ht, et tous les éléments de désordre qui concourent à
' cette scène de chaos effrayant.
: un autre aspect du talent du poète qui nous apparaît
nous constatons avec quelle fine exactitude il perçoit et
un grand nombre de faits plus délicats. Il saisit et il
rappelle des bruits peu éclatants, mais non pas peu
sifs, grâce auxquels nous entendons circuler Tair dans
leaux. C'est le gémissement des bois courbés par le vent;
)ruissement des forêts sur les montagnes ; ou le murmure
jjours émane des champs de blé, sauf pendant le calme
de certaines journées d'automne. Ce sont les chants ou
is infiniment variés des oiseaux, tous notés avec une
16 précision. Un passage déjà cité du a Printemps » nous
itendre le chant du rossignol qui parait à Thomson,
3 à Milton, également exquis et mélancolique, la note
du coucou, la voix aiguë et bruyante de l'alouette, les
nnélodies de la grive et de l'alouette des bois, le siffle-
lu merle, les notes gravement suaves du bouvreuil, les
grès et discordants de la corneille ou du geai, le triste
ure du ramier *. Ailleurs c'est Tappel bruyant du butor
:ris sauvages des pluviers *; ailleurs encore les clameurs
îux, le hululement du hibou, les cris aigres et perçants
tnoran et du héroa'.
oète remarque aussi la valeur particulière que prennent
ns famihers dans des circonstances exceptionnelles. Il a
!s modifications apportées aux voix ordinaires des choses
gelée de l'hiver : les cours d'eau font entendre un mur-
plus rauque sous le froid qui les étreint, et les glaçons
3sent sur la surface du courant; la terre glacée retentit
)nore sous les pas du marcheur. Enfin, et c'est encore
çon de signaler Timportance des sons dans la nature,
î le frappe plus que le silence succédant au bruit habituel,
iieurs fois il a noté les effets imposants de ce calme inac-
né. C'est, au milieu des ardeurs du jour, la prairie
î dont le silence est encore souligné par le cri d'un
*; c'est le silence de la nature apeurée à l'approche de
:^; c'est, dans une claire nuit de printemps, le rossignol
fing, 515-612. — 2. Ibid., 20-2:i. — 3. Winter, H0-U7. — 4. Sitm-
;, 44". — 5. /6trf., 1110.
3:^4 J\Mt:S THOMSON.
«jui MTst* st's l'IiMiils À la nature ravie et ï-ileiieieuse \ Ou bi^ii
encore le i)oèle note le contraste d'un mouvement apparent
avec un silence qui le ilc-ment, et il tire un heureux ellVtdela
peinture de cette cascade gelée et nuiette dont les eaux enchai-
nées semblent — et semblent seulement — rugir -.
Nous avons tenu à souligner cette importance dans les des-
criptions de Thomson des phénomènes auditifs. En même
temps (jue nous y voyons une confirmation du caractère
général que nous attribuons au poème, celui d'un tableau delà
vi(î de la nature, elle est le témoignage d*unc riche et délicate
organisation d'artiste. Quel que soit le parti qu'il saura tirer
plus tiu-d de ses impressions, on peut dire que 1 obsen*aleor
sensible à de subtiles influences des sons naturels montre un
plus rare pouvoir de perception que celui auquel les sensa-
tions visuelles s'imposent de préférence. L'influence des voi.\
des choses s'exerce en nous de façon plus discrète et plus
intime. Il faut un travail d'analyse plus délié pour les isoler
lans ralllux des perceptions qui nous enveloppent, ou au
contraire pour leur rendre dans l'œuvre poétique la place
ju'elles ont dans la nature. Il convenait donc de signalerici
un des traits principaux qui donnent au génie descriptif de
Thomson sa valeur.
(
i
IV
(.le n'est plus, pourrait-on dire, de description qu'il s*agi*
quand nous en venons au rôle des autres sens. Les éniotious
qu'ils nous fournissent ne sont pas d'ordre esthétique. L^
satislaclions du palais n'ont rien de comnmn avecles joies di>
Beau ; nijns dire quelle est l'odeur d'un objet ou quelle réaction
il offre an loucher, ce n'est pas nous en donner une ima?^
artisti(iu<*. Kt cependant on ne saurait omettre Tétude de c^
sens inlérieurs, si l'on veut exactement connaître et le cara^^"
tère d'une u'uvre descriptive, et la richesse ou la délicatesse
de l'instrument d'observation du poète.
a Dans Paul ci Virginie d, dit Sainte-Beuve, « les odeurs ^^
2. \\ inter, "48, 74U. • Tiimulluous silence Tor ail Sound -, dit en fa<'^
d iiiiL' scène analogue le poêle essayisle américain Thoreau.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 3^^
mêlent à propos aux couleurs, signe de délicatesse et de sen-
sibilité qu'on ne trouve guère, ce me semble, chez un poète
moderne le plus prodigue d'éclat *. » Chez Thomson aussi les
stations d'odeurs sont fréquentes, et comme chez Bernardin
e Saint-Pierre, elles témoignent de cette sensibilité aux
nlluences des choses que signale la critique. Mais elles ont
lans le poème des « Saisons d une importance plus grande. Il
le s'agit plus ici des senteurs inconnues d'une terre lointaine,
^sont les parfums associés à des choses familières; ce sont
les impressions maintes fois ressenties que le poète nous
•appelle. Et si ces traits ne peuvent directement concourir à
lôlerminer l'image des choses décrites, qui ne sait au moins
îombien est grande la part de ces sensations dans l'impression
lui se dégage de certaines scènes? Nous nous trouvons ramenés
ùnsi à l'observation fondamentale de ces pages. C'est l'impres-
>ion suggérée par les choses, et non pas leur image directe,
lue l'écrivain vise à reproduire; et, parce que les sensations
ïe l'odorat peuvent jouer un rôle important dans cette impres-
sion, la notation de ces effets lui est d'un précieux concours.
-fi souvenir du parfum exquis ou pénétrant qui s'érhappc
'un pré fraîchement fauché ou d'un champ de fèves en fleurs
^'oillera avec une puissance singulière le souvenir dos objets;
^ ^ans notre esprit, vibrant sous le choc de cette vive sensa-
^^y l'image de l'objet apparaîtra, plus précise et plus forte
^'aucune description formelle n'aurait pu l'évoquer. Thomson
^it la fine sensibilité qui s'ébranle à ces subtiles influences
^ odeurs; il avait aussi, grâce à son instinct d'artiste, ce sen-
tent que son œuvre en devait être imprégnée comme lîi
^Ure elle-même. « Où trouver des mots... dont la puissance,
^"oisine de la vie, parfume mes vers de ces fines essences, de
^es souffles embaumés, qui, sans s'épuiser jamais, ne cessent
4e se répandre autour de nous*? » Aussi les indications de ce
^re abondent-elles dans les « Saisons ». Hien ne contribue
^s à donner au poème son caractère de sincérité, à quelques-
'es des scènes qu'il retrace leur physionomie de choses vues
aimées. Nous avions noté, dans un autre passage, que
^omson nous montre rarement un coin découpé du pano-
tna réel de la nature. F]n revanche, dans ses scènes un peu
*. Porlrai/s li/lêraires, vol. H, p. 129. — 2. Sprinf/. iVi-ilS.
33G JAMES THOMSON.
^n''ru'rali's el va^nics, cVsl hien une almosphrre iwlJe qui cir-
oule. Nous entendons Jes murmures d'un vent qui n'a rien de
mythologique; noiis en sentons la caresse ou le choc brutal;
et il nous arrive, connue dans les campagnes de nos pays,cliarçé
de douces, de vivifiantes ou d'enivrantes senteui-s. Évidemment
c'est un des traits de la nature rustique par où se communique
le plus directement à notre poète cette jouissance épicurienne
que nous avons signalée déjà. Il goûte les plus simples de ces
sensations; et, sorti de la ville, il aspire avec délices, non pas
seulement Todeur des églantiers de la haie, mais aussi celle
des vacheries •. Il mentionne au premier rang des caractères
de la nature au printemps ces parfums prodigués dans l'air
entier -. Il note Texquise odeur du muguet ', le parfum pro-
digue de la giroflée * ou la senteur pénétrante des jon-
quilles % etc. Il s'enivre avec les moissonneurs de la capiteuse
odeur des foins *; et, en dépit de ses plaintes sur Timpuissance
du langage ", il rend avec force la sensation délicieuse que lui
a fait éprouver une de ces simples senteurs des champs : « Pro-
a menons-nous longtemps dans ce chemin où la brise qui vient
<( à nous passe sur ce champ de fèves en fleurs. L'Arabie f^
i( peut s'enorgueillir de parfums plus enivrants que celui qui,
« ai)portc par chaque souffle de Tair, pénètre nos sens et ra>il
« notre Ame *. »
Nous avons voulu reproduire ce passage pour montrer que
si, dans la description de la nature que nous donnent les
« Saisons », les sensations de l'odorat ont un rôle important*
<'o n'est pas seulement par le nombre des passages qui les enre-
gistrent, c'est autant, sinon plus, par l'intensité de Timpression
subie et reproduite par le poète *.
I. Sprinf/, 105, 106. — 2. Ibid., y7, 98. — 3. Ibid,, 446, 447. ■-
4. Ibitf., 533. -- r>. Iffid., 547, iiiS. — C. Summer, 359, 360-545. -"
7. ^prinf/, 474- 1"8.
S. Sprintf, 4y'ï-;)00. Nous trouvons chez un contemporaia de Thomso*'-
^fui niinait et qui connaissait lui aussi la campagne, un souvenir decett^
nuMiic impression exquise :
- At Ihc close of day
Whon tlic hean-flower and hay
Breatird odours in evcry wind,
Love enliven'd Ihe veins
Of the damsels and swains. «
(Gay, vol. I, p. 267, The Coquette Mother and herdaughter, à Sons)
U. Le « Printemps • fournirait 14 et V* Kté • 16 indications d'odeurs.Sin^"*
reprenons le terme de comparaison cité précédemment, nous trouvons
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 3S7
Il est également vrai que la langue de Thomson éveille plus
d'une fois l'imagination de sensations tactiles. Non pas qu'il se
propose jamais d'insister dans sa description sur ces efîets de
reliefs, de succession de plans solides qui sont le domaine de
la sculpture. Son art est trop général pour rechercher cette
précision matérielle, et cette solidité marmoréenne que certains
poètes ont atteintes dans leurs images ^ Mais cette vive sensi-
bilité à l'action des choses qui lui fait enregistrer si souvent
des sensations de l'odorat, se révèle aussi dans nombre de
termes auxquels s'associe une impression de tact. Les adjectifs
smooih et surtout soft reparaissent très fréquemment dans
les d Saisons ». Leur valeur est tantôt matérielle et tantôt
morale. Dans ce dernier cas encore elle manifeste la tendance
du poète à comparer volontiers diverses qualités des choses
aux caractères d'une surface polie, moelleuse, agréable au tou-
cher. Dans cette transposition de perceptions d'un sens à un
autre qui alimente le vocabulaire de toutes les langues, les
préférences d'un écrivain pour certains termes permettent de
conclure à la vivacité de certaines impressions sur son Ame.
Thomson a une prédilection marquée pour le mot mellow,
ïï l'emploie à traduire des qualités très diverses, depuis la
"ialurilé des fruits » ou le moelleux d'un vieux vin ', jusqu'à
^ 6clat tamisé d'un corps de femme vu dans l'eau *, ou au chant
'^^^icieux et grave du bouvreuil *. Or c'est toujours une sensa-
^on tactile qui se retrouve au fond de toutes ces valeurs méta-
phoriques. On pourrait noter la même valeur d'association
^'ïs plusieurs des épithètes fréquemment employées par le
^^te. C'est un des secrets de la force et du pouvoir suggestif
^ Ses adjectifs. Entre cent exemples contentons-nous encore
' citer « 1 éclat intense et aigu )> dont il voit briller les étoiles
'^ïi ciel d'hiver *, ou cette a froide lueur » du ruisseau gelé
^i réfléchit les rayons du matin ^
*^8 Le Satyre de V. Hujio 5 indications de celte nature contre 105
-ntions de phénomènes visuels et 27 évocations do sons. Dans les
^■* premiers vers de Joceh/n, une seule indication d'odeur. Mais encore
^^ fois il faut se garder d'exagérer l'importance de pareils relevés.
^uires morceaux ou d'autres passages pourraiont donner des propor-
^Hs variables.
'^. Aucun peut-être plus que Keals. Voir Ode lo a Grecian Uni, ou ces
»Ure8 d'une noble et divine statuaire du début (Vllt/periott.
Si. Summer, 302. — 3, AiUumn, "îOj. — 4. Summer, 1324. — u. Spririff
^. — 6. Winler, 740. — 7. lùid., 7î>3.
00
338 JAMES TUOBiSON.
Enfin la plus superficielle lecture du poème fera remarquer
le grand nombre de passages qui notent une impression de
plaisir tout physique et sensuel. Les mots cooly gelid^ fresh,
hinnid reviennent sans cesse, parce que Técrivain ne se lasse
pas de mentionner les jouissances dues à la fraîcheur des bois
et des eaux. 11 n'y a pas dans V a Été » moins de dix-huit
traits qui rappellent ces sensations.
Los sensations du goût ne sauraient être absentes de rœu\Te
de notre épicurien. S'il passe en revue les fruits, il n'en note
pas seulement les couleurs, mais l'indication de leur goût
trouve place dans ses vers. Il n'oublie ni la saveur intense des
fruits des tropiques *, ni la vertu piquante du citron *, ni la
chair rafraîchissante du tamarin '. A plus forte raison s'arrête-
t-il aux qualités des fruits de nos climats. Il énumère dans le
verger d'automne : la poire juteuse*, et les pommes, t Dans
« leur froide pulpe réside une essence diverse, fraîche, exquise,
u acide, (lui préjiare pour la langue altérée le cidre piquant'....!
11 ne mentionne de la pèche ou de la prune que leur aspect et
leur couleur; mais il rappelle le goût succulent de la ligue*.
La saveur des raisins ne l'arrête pas; il n'y a là qu'un vin
inachevé; mais quand le travail des hommes est venu compléter
rd.uivre de la terre et du soleil, avec quelle savante précision
il distln^^ue le « bordeaux moelleux », a le bourgogne au riche
<«t mûr bouquet » et a le Champagne vif et gai »M Rien
n'égale cependant l'enthousiasme qui l'inspire au souvenir du
goût délicieux de certain fruit exotique; il n'est plus alors
d'hyperbole (pii semble excessive à son lyrisme : « Ananas
K délicieux, orgueil iUi monde végétal, toi qui dépasses tout ce
(( (jue les poètes ont imaginé dans leurs rêves d'un âge d'or; vite,
« laisse-moi te dépouiller de ta robe épaisse, mettre à nu tes
(c trésors d'ambroisie et prendre place au banquet de Jupiter*! •
C'est aussi le souvenir d'un banquet qui nous vient à l'esprit
après cette étude où nous avons vu combien Thomson a subi
tortement ou délicatcMiient toutes les influences des chose:*
naturelles et les a toutes reproduites. A lui, comme au pro-
1. Suinmer, 05X. — 2. Ibid., 604. -- 3. MiV/., 667, 668. — 4. Autufnfif
631. — 5. IhuL, 6U-613. — 6. Ibid., 616-619. — 7. Ibid., 703-T06.
— 8. Sumtnpt; 685.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 339
7imon dans la pièce de Shakespeare, peuvent s'adresser
ts : a Les cinq sens voient en toi leur patron,... Toreille,
\ t, le toucher et Todorat se lèvent de ta table charniés i^ '.
V
nson, nous le savons, s'attache surtout à décrire les
les plus simples, les aspects les plus connus de la
. C'est une des raisons sans doute qui lui ont assuré une
.rite si prompte, si grande et si universelle. Quand la lit-
*e et la société étaient peu familières avec le monde des
, le poème des « Saisons » tut accessible aux lecteurs sans
d'eux une initiation préalable. Il n'en est pas besoin pour
le plaisir que peuvent donner les descriptions fidèles et
euses d'un orage, d'un champ de blé ou d'une prairie,
averse de pluie ou de neige, d'un ciel brillant ou nua-
ou d'un torrent — schématique.
t peut-être pour la même raison qu'à cette popularité suc-
ujourd'hui un respect qui est un peu fait d'oubli et d'igno-
()n admet que Thomson excelle à rendre ces phénomènes
c|uotidlenne banalité dont est tissée la vie de la nature, et
oit volontiers qu'il n'y a pas autre chose dans son poème,
poésie moderne vit d'autres recherches et d*autres effets.
t les apparences exceptionnelles, les notations subtiles, les
faits jusqu'alors inaperçus qui témoignent de la puissance
rvation de Tartiste. — Kst-il bien certain cju'il y ait là
ent une conquête de la poésie de notre siècle? On nous
îltra d'en douter, et de revendiquer pour Thomson ce
» aujourd'hui si prist*\ Aussi bien, quand nous avons
é Texquise et riche sensibilité de ses organes, n'avons-
jas fait pressentir, et du reste prouvé par quelques-uns
emples cités, que son œuvre enregistre en grand nombre
tails ou rares, ou fugitifs, ou d'une délicatesse ténue qui
» Hail lo thee, worUiy Timon
The fivc liest sensés
Ackiiowleilpe Winfi Iheir patron; and corne freely
To gratulalc tliy plenteoiis boeoui : Ih'ear,
Taste. touch and smell, pleased from Uiy table rise. •
(Timon of Athens, act. I, se. ii, 128-132.)
340 JAMES TnOMSON.
échapperait à une attention superficielle et qui dénote à la
fois l'observateur, Tartisle et le familier de la nature?
C'est un côté du talent de notre poète qui n'a guère été mis
en lumière. La raison de cette injustice est très apparente. Ces
traits délicats sont notés par Thomson avec une sincérité, oo
pourrait dire avec une naïveté absolues. Nos modernes littéra-
teurs soignent et sertissent avec un soin jaloux tout eiîet inédit
qu'ils ont eu la bonne fortune de découvrir. Il n'y a au con-
traire chez Thomson aucune préoccupation de souligner et de
mettre en valeur ces éléments de pittoresque. Ils disparaissent
presque, emportes au courant de son ample période et de ses
larges descriptions. Mentionnés seulement comme appoint en
vue d'effets plus vastes, ils sont souvent cachés sous le vête-
ment somptueux et un peu raide de son style. Et cependant on
se ferait une idée incomplète et inexacte de son génie si l'on
négligeait ces indications rapides. Dans toutes les parties de
Tcouvre elles viennent nous montrer le don d'observation
miimtieuse et serrée, l'aptitude à noter certains traits pittores-
ques parmi les mille éléments qui concourent à Teffet d'en-
semble.
Nous avons cité déjà les vers charmants où le poète décrit
une promenade à la campagne par une matinée de printemps.
11 va là un détail singulièrement précis, et bien fait pour
mettre dans les vers quelque chose de la fraîcheur délicieuse
de l'heure. C'est celui qui nous montre le promeneur courbant
les buissons de la haie qui, on se redressant, font jaillir les
gouttes tremblantes de la rosée '. — Il note un peu plus loin
le calme parfait de l'air : ce On n'entend pas un souflle frémir
a parmi les bois, ou faire tourner avec leur bruissement coutu-
« mier, les feuilles aux mille scintillements du tremble élevé • »•
— Jamais poète n'a rendu avec plus de sobriété, ni d'éclat, ni
plus de line justesse la magique transformation de la terre
quand, après une longue pluie, un rayon perce les nuages '
« Le rayon rapide frappe la montagne qui s'illumine, il glissa
a sous la forêt, il tremble sur les eaux, et, dans une brume
a jaune qui fume au loin sur la plaine immense, il met une
« flamme sur toutes ces pierreries de la rosée dont les myriades
« étincellent ' ». — a Sur la terre saturée la nuit calme jette une
1. Spriuff, 103-105. — 2. //>/(/., m:'), 136, — 3. lôid., 191-195.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SX TECHNIQUE. 341
ombre adoucie *. » — Nous avons parlé déjà de ce ruisseau de
internps, où (l après que le premier et trouble torrent grossi
par les pluies printanières s'est écoulé, l'écume blanche
descend sur l'eau brune que colorent çà et là les mousses
du fond * ». — La scène de la pêche fournirait plus d'un trait
bre et délicatement noté, comme celui de la surface de
nde où une ride vient trahir la crainte du poisson qui s'est
ntenté de toucher Tappàt'. — Le poète a vu encore dans le
ste panorama que le regard embrasse de la colline de Uich-
3nd, le fleuve dont la surface apparaît au loin moirée *. —
, pour emprunter un dernier trait à cette première partie du
ème, rappelons cette description des manœuvres de l'oiseau
près de la femelle : « ... frappé, il se retire confus, puis il se
•approche encore; tourne amoureusement et déploie ses ailes
achetées; pas une de ses plumes qui ne frémisse de désir* ».
L.' « Été » nous fournira également presque à chaque page
elqu'une de ces notes vives et pittoresques. Le poète en quête
in frais abri remarque la coloration plus foncée de l'herbe
'S du ruisseau *. — A la naissance du jour, il aperçoit <c les
ours d'eau fumants qui brillent bleus à travers le crépus-
ule ». — Il voit la mer a jusqu'à l'extrême limite de Thorizon
Sprint/, 216, 217. — 2. Itid., 378-38->. — 3. y6i</., 426, 42". —
W., 521, 522.
Sprinff, 626-629. — Il va là un effet que plus d'une fois Ronsard s est
chc à rendre :
• Voyez, de çà de là, d'une frétillante aile,
Voleter par les bois les amoureux oiseaux. •
{Amours de Mafie, VI.)
« Tout ainsi les colombcllcs
Trémoussant un peu des ailes
Havemcnt se vont baisant. »
{Ode VI.)
« L'alouetlc
Trémoussant d'une aile menue. »
{Gaietés, l.)
tpc vieux poète n'approche pas cependant de l'exacte, vive et presque
elle description de Thomson :
« In fond rotation spread the spottcd Nvinfç,
And shiver every fealher with désire. •>
premier vers pourrait être d'ailleurs un souvenir de cet hexamètre
. Vanière :
«« Sa»pe solum verrons penna pendente rotatur. •
Summcr, 11.
34â JAMES THOMSON.
a bleu refléter l'éclat flottant et toujours mobile du soleiP ». -
Le berger assoupi par la chaleur « s'étend, les yeux à demi
« fermés, sous Tonibre flottante des saules gris * ». — Le tableau
de la fenaison nous montre la bande des travailleurs quand
u ils étendent au soleil leur moisson qui répand à Tentour un
« parfum rustique et rafraîchissant », ou que de leurs ràteaax
a ils poussent la vague fauve du foin sous laquelle le sol de la
« prairie reparaît verdoyant ^ ». — « Le faucheur accablé se
<t couche en se recouvrant d'un tas de foin humide, parfumé
« de fleurs *. » Nous avons déjà parlé de ce tableau achevéqui
nous montre le troupeau dans la prairie près du ruisseau,
au milieu d'un jour d'été. « Sur la rive herbeuse quelques-
a uns des bœufs ruminent couchés; d'autres debout ont la
a moitié du corps dans l'eau, et souvent ils se baissent et boi-
« vent, et la surface se ride en larges cercles '. » Dans les
signes précurseurs de la tempête, le poète a noté « le son
« assourdi qui, venant de la montagne, roule sur la terre qui
a murmure, trouble les eaux, et, sans un souffle de vent,
<c agite les feuilles de la forêt • ». — Après la pluie et l'orage
qui ont efi"rayé les créatures et qui ont rafraîchi la terre et
les plantes, on entend a le beuglement des vaches et les bél^
1. SumniPr, lt>7-109. - 2. Ihid., 285, 286.
3. Ibid.. 303-366.
Quelques lignes de J. Burrouglis, Inexact et enthousiaste observateur
américain, ofTrent le meilleur commentaire du |>assage. Il a lui aussi
•înregislrô ce «létail tout arif^lais. • From my ouUook (on Ihe slopes of
Uelwellyn), the hay-makers appeared to be slowly and laboriously roHïQK
up a grcat slieet of dark-brown paper, uucovering beneatb it one of the
most fresh and vivid green. The mown grass is so long in curing in Ihi^
country, Ihat the new blades spring benoath it, and a second crop is
Nvell under way before the old is carried. • (In Wordsworfh*s Couniry.
rresh Fields. p. 21"».)
1^ précision de la remarque a frappe Saint-Lambert et il a voulu I»
conserver. Il est vrai qu'il la gâte en subtiluant le champ moissonné au
pré fauché, et en faisant intervenir des moutons bêtement surpris; mai:)
que ne gàtc-t-il pas? Après avoir dit de son agriculteur :
• Il apprendra cet art de choisir les engrais,
(^e grand art qu'à Townshend a révélé Gérés -,
il lui recommande d'apprendre
« A contraindre les champs depuis peu moissonnés
D'offrir une herbe tendre aux troupeaux étonnés. •
[Automne, p. 112.)
4. Sitmmcr, 444, 44:>. — 5. Ibid., 48»i-i8«.<. — «. Ibid,. 1117-1120.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — SA TECHNIQUE. 343
ments nombreux des moutons qui, afTairés, broutent les
trèfles de la vallée * ». — Et dans cette <t Saison » encore
lentionnons <i sur le champ couvert de chardons la pluie
blanchissante de duvet végétal qui, lorsque la brise s'élève,
flotte capricieusement * ».
L' d Automne » est la moins heureuse des quatre parties du
oème. C'est la dernière venue. Le labeur de l'écrivain y res-
;mble parfois à l'accomplissement d'une tâche. Nous y retrou-
ons cependant en aussi grand nombre qu'ailleurs ces traits
e pénétrante observation qui nous occupent. Le poète, Tar-
ste sincère pei*siste, et se révèle sous les amplifications un peu
)urdes de ce dernier chant.
On se rappelle ce passage où le lièvre nous était montré
lierchant à se dissimuler dans les terrains ou parmi les plantes
vec la couleur desquels sa robe peut se confondre. Aussitôt
près l'animal nous est décrit lui-même : « tapi ; les oreilles
repliées, explorant l'horizon de ces yeux saillants que lui a
donnés la nature, et qui jamais ne dorment; la tète couchée
entre ses pieds velus, tout prêt à bondir et à fuir' ». — Voici
3 verger en automne : « obéissant à la brise et au soleil qui
les frappe, les fruits quittent les branches lourdement char-
gées, en une continue et molle chute de choses mûres ». —
^t quand viennent « les nuits plus fraîches, les pommes tom-
bent nombreuses, secouées et répandues sur le verger
qu'elles rougissent par la main vigoureuse de la saison ^ ».
- Dans un autre climat notre voyageur a vu les vignes prêtes
)our la vendange, a les raisins s'aperçoivent à demi entre les
: feuilles; quelques grappes flamboient ardentes, d'autres
: brillent transparentes, et la saison de pleine maturité souflle
i sur les grains gonflés une blanche pellicule de vivante
ï rosée * ». — Il faudrait tout citer de lu description du brouil-
ard; rappelons seulement (( la rivière, indistinctement aperçue,
( qui semble, morne et lente, rouler la vague de brumes * ».
— Suivons avec le poète un sentier de forêt en cette saison
nélancolique : « chaque fois que le vent gémit parmi les bran-
i ches, un déluge de feuilles tombe sur le sol, jusqu'à ce
f qu'enfin les sentiers tapissés et étouff'és par cette triste pluie
{. Summer, i23t, 1235. — 2. //m/., 1058-1600. — 3. AutuMti, 410-414.
^. Ibid., 629-640. — 5. /6îV/., 690-903. — 6. Ibid., 719, 120.
344 JAMES THOMSOiN.
« roulent, à cliaque souflle qui s'élève, des monceaux flétris,
« et s'emplissent d'un sifflement lugubre* ». — L'automne
a aussi ses aspects riants, et Tobservateur y a noté « la mon-
a tagne brillante qui tout entière s^anime de mille ruisseaux
« jaillissants d ^ — Et, pour prendre aussi un exemple aux
dernières pages de ce chant, rappelons cette pure et calme
journée : a II n'y a de brise que ce qu'il en faut pour élever
<( du sol les tils ténus de rosée évaporée ' ». M. Logie Robertsou
se porte garant de la délicatesse et de Texactitude de Tobser-
vation. « Par ces tranquilles matinées d'automne, dit-il, quand
« un de ces lils légers vous touche le visage, on est tenté de
a croire qu'il va pleuvoir, mais le ciel est partout bleu et enso-
« Icillé, et nul vent ne peut chasser la rosée des lourds épis
« de blé *. »
L' (( Hiver » contient une admirable description de la tem-
pête. Parmi les signes précurseurs du grandiose phénomène,
le pocile a noté de bien subtils et de bien menus détails : « Vues
a à travers lair trouble et agité, les étoiles émoussées émettent
« un rayon frissonnant; et dans la chaumière où la ménagère
« pensive, toute à sa laborieuse veillée, allonge le lîl de lin, les
(( souffles brefs du vent, qui au dehors soulèvent les feuilles
« flétries en rapides tourbillons, font couler la chandelle et
(( pétiller la llamiuedu foyer ^)). — Quand la tempête l'ègnesur
le monde bouleversé, « les nuages fuient sur le ciel, confusé-
« ment mêlés aux étoiles qui glissent rapides ® ». — Sur la terre
uniforiaêinent recouverte par la neige, avec quelle netteté se
détachent les objets qui seuls tranchent sur Tuniverselle blan-
cheur : « le cours d'eau sinueux sur lequel fondent les
a flocons" » ou « les hôtes fauves qui fuient les déserts où ils ne
(( trouvent plus de nourriture *• ». — Là où la neige, accumulée
dans un étroit vallon, l'a comblé et s'élève en une éclatante
colline, le poète a vu au sommet le blanc « panache qui monte
a et tournoie '•* » cjuand le vent emporte cette poussière de neige.
— (( La bise glacée, qui souflle tour à tour des divers points de
(( l'horizon, dépose sur le marais une pellicule bleuâtre, et
iL arrête au milieu de son cours le ruisseau jaseur *°. » — La
1. Aulinnn, t»9;j-în)7. — 2. Ihid., 'i\\^, "îcifi. — 3. IbiiL, 1211, 1212. -
4. Thnmson *s Works (Glarendon Press Séries), noie p. 343. — 5. \Vintn\
130-136. — 6. Uni., ir,, 1%. — 7. IhhL, 23i-2:U). — 8. Ibid,, 256, 257. —
». M/V/., 273-275. — 10. tbid., 723-720.
LE POÈTE DESCRIPTIF. — ^A TECHNIQUE.
348
€ gelée affine et rend plus blanche la neige * ». — Et quand
le dégel se produit n les montagnes brillent tachetées * ».
Combien d'autres exemples on pourrait ajouter à ceux-là!
Quand l'attention s'est une fois portée sur ce caractère des des-
criptions de Thomson, on demeure surpris qu'il n'ait pas été
plus souvent et plus fortement signalé. Aucun poète peut-être
n'a plus souvent enregistré de ces vives notations des choses.
Aucun non plus (et ici la traduction est bien insuffisante pour
mettre les preuves sous les yeux du lecteur) n'a reproduit ces
délicates observations par de plus heureuses trouvailles de
langage.
1. \Vin(er, "53. — 2. Ibid., 1)91.
CHAPITRE V
LE POÈTE DESCRIPTIF. — LA PHILOSOPHIE DU POÈMR
QUELLE CONCEPTION IL FOURNIT DU MONDE
1
Des observations teJles que celles qu'ont présentées les cha-
pitres précédents ne sauraient être le terme de l'étude d'une
œuvre comme les a Saisons ». Thomson est un des poètes
dont le souvenir vient à l'esprit dès que nous pensons à la
description littéraire de la nature; il est vraiment dans ce
domaine un de ces « représentative men » dont parle Emerson.
Nous avons à nous demander quelle conception il s'est faite
de cet univers matériel; comment il s'en est expliqué l'être:
quelles actions il lui a reconnues sur l'âme des hommes; quelle
interprétation en un mot il nous a laissée de ce monde des
choses auquel sVst appliqué Teftort d'observation et de pensée
de sa vie entière.
Cette recherche gagnera plus de sûreté à la fois et plus d'in-
térêt à s'appuyer sur une comparaison avec les autres témoi-
gnages qu'ont portés sur la nature les grands poètes descrip-
tifs. Quelles réponses fournit l'histoire de la poésie à cette
question des rapports qui unissent le monde des choses et
l'âme humaine? C'est une enquêta» qui a plus d'une fois occupé
la critique moderne. Elle a voulu dresser une sorte de cata-
logue raisonné des poètes descriptifs. Trois de ces tentatives
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 847
classification méritent surtout d'être retenues, pour la
ience étendue qu'elles supposent, pour la sympathie pro-
nde qu'elles révèlent avec le monde des choses; pour la
gueur d'étreinte grâce à laquelle ces faits ondoyants et
obiles de l'art ont été rangés, disciplinés, soumis sans vio-
nce qui les dénature, à une hiérarchie de vérité et de beauté.
. Gebhart, dans un travail sur le sentiment de la Nature
ins l'antiquité, arrête un cadre à la fois simple et souple
ins lequel peuvent prendre place tous les interprètes de
inivers matériel '. Mr. J. C. Shairp, avec une extrême
^ondance de souvenirs et d'aperçus ingénieux, dresse une
lumération beaucoup plus longue et un peu confuse *, Enfin
ins un travail récent, un critique français ajoutant aux
Dnnées de M. Shairp Tidée directrice qui n'apparaissait pas
>sez nettement dans le catalogue du théoricien anglais, a
assé dans une liste de solide ordonnance, les divers modes
î représentation poétique de l'univers ^. Nous ne nous con-
nterons pas d'adopter Tun de ces tableaux, parce que, vu
î l'angle particulier que suppose notre étude, aucun ne
)us a semblé répondre à toutes les données du problème,
ais c'est un agréable devoir que de reconnaître quelles
)ligations nous avons à chacun d'eux. C'est en partie en
l. M. Gebhart {Du sentiment de la Nature dans Vantiquité) divise les
êtes descripUra en trois familles correspondant à la triple division des
itëmes philo8ophi(iue8 professée par l'école historique de Cousin : poètes
isualistes, poètes spiritualistes, poèteif mystiques cl panthéistes. Le cadre
, en effet assez large pour qu'on y puisse faire entrer tout mode d'in-
'prétation du monde, bien que l'auteur u'ait pas eu lui-même le souci
les noter et de les y placer tous. Mais on peut regretter que le prin-
)e de distinction soit ainsi arrôtf! en dehors des faits auxquels il doit
ppliquer, et transporté tout entier d'un ordre de pensées à un autre.
l. On the Poetk Interprétation of Sature, Les divisions établies par
uteur sont au nombre de huit. (7e<«t dire que son analyse* des formes
œrscs de la poésie descriptive est poursuivie avec patience et avec
fueur. Mais il fait également porter son étude sur les modes de repré-
itation des choses et sur remploi qu'ont fait de la Nature certains
êtes. Si bien qu'on est surpris de voir consacrer un chapitre «ux écri-
ins qui, comme Walter Scott, se sont intéressés au monde visible, en
ison des souvenirs historiques associt^s. Évidemment c'est lÀ un ordre de
nsidérations qui n'a rien à voir ni avec la conception philosophique ni
ec la reproduction artistique des choses.
). M. A. A.NGELLiEH, Étudc sur liums, t. II. chap. IV. m. L'auteur
ide sa classification sur le degré de pénétration grâce auquel le poète
it lire, sous les apparences, le caractère intime et la nature vraie des
oses. Nous aurons à dire quelles objections soulève ce critérium.
348 JAMES THOMSON.
profitant des distinctions et des rapports qu'ils ont notés, c*est
en nous appuyant sur eux que nous essaierons à notre tour
de dire comment les poètes, et parmi eux comment Thomson,
ont compris les relations du monde matériel avec le monde
de l'esprit.
Ce sont là, de toute évidence, les deux éléments qui se
retrouvent dans toute perception et dans toute représentation
des choses. Notre connaissance de Tunivers est une relation
établie entre ces deux réalités : notre àme, et les forces exlé-
rieurt's qui l'afTectent. Mais ces deux éléments peuvent se
combiner dans des proportions très variables. C'est là que
nous prendrons le princiiDC très simple d'une classification
qui est assurée de ne laisser échapper aucun des modes de
représentation, aucune des interprétations du monde matériel.
Toute poésie de la nature peut être considérée en raison de
la confusion ou de la distinction qu'elle suppose entre le
monde ot l'âme, ou, pour employer une autre formule, en
raison de la plus ou moins grande part d'humanité qu'elle
voit dans les choses.
II
Celles de ces conceptions qui nous paraissent les plus sim-
ples ne sont pas celles qu'a d'abord conçues l'esprit des
hommes. Ni les enfants ni les races jeunes ne distinguent for-
tein(;nt la diversité de ces deux moitiés de l'univers. Les pr^'
mièrcs poésies les confondent, et miMent à toute réalité maté-
rielliî une intelli^^enco et une sensibilité humaines. Le résulta^
sera divers selon l'aptitude et la forme d'esprit des races. Pou^
l'âmt^ j^n-ecque, avide de clarté et de simplicité, amoureuse d**
la beauté plastique, toute fière de l'harmonieux épanouisse-
ment de rétro humain libre et fort dans une nature modén**^
et propice, le problème est vite résolu. Tout objet enferme ufï
être divin, et tout être divin est semblable à un homme, l^
Grèce ignore toute réalité extérieure que n'explique pas cet
anthropomorphisme à la fois gracieux et grossier. Il n'y ^
pour elle de beauté, il n'y a de réalité que dans des êtres sem-
blables à ses hommes et à ses femmes. « Un arbre n'est qu^
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 349
lois à brûler, s'il n'est humanisé; c'est ce que les Grecs
avaient bien quand ils faisaient palpiter sous son écorce les
eins étroitement pressés des nymphes qui s'y cachaient;
[uand ils entendaient dans le ramage des rivières des forêts
0 bavardage dos dieux *. d
V un autre pôle de la civilisation et de l'esprit humain;
is cet Orient où les forces brutales du monde pèsent si
irdement sur l'homme, et où l'humaine personnalité a peine
prendre conscience d'elle-même, la conception sera difîé-
ite. La poésie de l'Inde place dans le monde extérieur l'être
la puissance, et veut noyer l'unie humaine dans la vie des
oses. En réalité elle aboutit à peupler la nature de forces à
fois confuses et violentes, d'êtres démesurés, enfantés par
5 rêves inquiets et vagues. Complète est l'opposition entre
s productions et les divines entités aux formes précises et
rmonieuses qui animent la nature et la poésie des Grecs,
cependant la tendance est au fond la même. Dans les deux
ces se retrouve la même impuissance à isoler les deux termes
Hs. Les Hellènes imposent à la nature un caractère humain
rnple et lumineux, comme l'Orient indien projette sur Tuni-
rs les visions monstrueuses et complexes de ses âmes sub-
tîs, compliquées, sans personnalité vigoureuse K — L'anthro-
0 A tree*â mère tirewooil, unless humanised,
Which well the Greeks knew when thcy stirred ils bark
Wilh close-pressed bosoms of subsiding nymphs,
And made the foresl-rivers garrulous
With babble or gods. »
(Elizabeth B. Browmxo, Attrora Leigh^ o'" Bk.)
:^ Vers ne rappellent-ils pas ceux d*un poète plus proche du paganisme
'^'^-abeth Browning?
« Escoute, Bûcheron, arreste un peu le bras :
Ce ne sont pas dus bois que tu jettes A-bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoûte à force
Des Nympbes qui vivaient dessous la dure cscorce? -
(Ronsard, Contre les Bûcherons de la Foresl de Gastine.)
Mr. Shairp parait avoir noté cette analogie sons les différences. W
^ présentes à l'esprit les deux grandes civilisations aryennes, celle de
^ et celle de la Grèce, en écrivant : « When the Aryan family had
^ed tbeir mythologising era, and, owing to the weakness of their
^^cting powers and the slrength of untutored imagination, were
^ing the appearances of earth and sky inlo tbeir hiérarchies of gods,
'^e and Imagination were face to face, and werc ail in ail. » (On the
«c Interprétation of Nature^ p. 24.)
3S0 JAMES THOMSON. ]
pomorphismo grec a vécu. La poésie moderne n'y revient]
parfois que par un dilettantisme érudil. Il n'était pas la meil-
leure part du patrimoine artistique du noble peuple. Il sacri- 1
liait la nature à Thomme. En dépit de ses mythes charmants, '
en dépit de ses contes radieux, de cet Olympe dont le cnlte
échappe à la loi de l'abandon fmal, il a fermé les yeux à toute
une moitié des clioses et ne nous a laissé du monde qu'une
conception mesquine et faussée *. L'effort de Tesprit indiens
trouvé au contraire un renouveau dans notre moderne poésie.
Shelloy, comme on l'a remarqué, est un Indou d'Occident*.
Avec une autre puissance artistique sans doute que celle des
vieux poètes d'Asie, il nous montre la résurrection d'un étal
d'àme primitif des Orientaux. Il a, lui aussi, identiflé son
être avec les existences matérielles qui nous entourent. Il a
vouhi vivre de la vie des choses, connaître et traduire les
élémentaires sensations des forces naturelles; se faire tour à
tour oiseau, (leur ou nuage. Le résultat — qui le nierait? -
a été Tune des plus merveilleuses œuvres poétiques qu'aucune
littérature ait produites. Mais quand on prétend faire de cette
conception le terme d'une évolution, l'aboutissement, l'épa-
nouissemc^nt suprême de la poésie descriptive, il nous semble
1. •> Le uioiule fui pour Homère la srène taulôt agitée, tan loi paisible,
de riniiiianiu.'. (l'esl à l'homme que le poète s'intéresse dans TimmeDM
univer-î. Ce u'csl f>as la Nature en elle-même qu'il dépeint, mais la Nature
ûKiî^s'ant .-iur riiomm*' et l'homme sur la Nature. • (Gkbiiart. loc, àt.,
p. .')(», .*»7.)
• LJsing Nature as a backpround or setting to humaa action and
émotion.... is frc<iuent in thc Uiad and cspccially in the Odyssey- ■
(Siiaihp, On tfir Portic Interprétation of Nature^ II.)
Mr. Huskin indique avec précision les limites assez étroites entre les-
quelles se donne carrière dans les poèmes homériques l'observation do
monde [Modem Painters. vol. 111, chap. xiii); et Schiller va jusqu'à nier
que le vieil at'de ail eu plus de sentiment pour la nature qae pour le vête*
ment ou le bouclier qu'il décrivait avec un égal plaisir. (Cité par Shairp
loc. cii.^ chap. X, p. 14G.)
Kcoutons enfin sur ce sujet l'opinion de M. de Laprade : « La Grèce et
Tanlliropomorphisme onl détruit le sentiment de la Nature.... Le fle»^*
et l'arbre, pour t^lre déiliés sous forme humaine, ont dû. être privés de
leur caractère d'arbre et de fleuve. Quand leur nom mythologique sera
effacé, quand leur eftigie humaine sera brisée, ils resteront quelque chose
sans vie et sans nom ({ui n'aura plus de sif^nification poétique pour I^^
peuples. • [Le Sentiment de la Nature avant le Christianisme, p. 310-312.)
2. On peut citer, parmi les critiques français qui ont relevé cette an*"
logie, M. G. Sarrazin, la Benaissancc de la Poésie anglaise, p. 45; et sur-
tout M. A. Chcvrillon, Dans Vlnde, p. 171, 172.
LA PHILOSOPHIE DU POËME. 351
l'on méconnaît le passé. Le mysticisme naturaliste de Shelley
3US ramène au plus ancien mode de représentatiop du monde.
Cette conception extrême est exceptionnelle. En voici une
X contraire qui est fréquente. Le poète sait qu'il y a en dehors
B rhomme une réalité indépendante de lui et d'essence très
iiïérente. Mais il croit à un lieu de subordination entre ces
très inférieurs et l'àme humaine. Il se refuse à admettre que
1 nature puisse ignorer le drame auquel elle fournit un cadre
t un fond de scène. Il veut trouver une vie et une sympathie
ans la matière. Et, non pas sans doute à titre permanent
omme dans le polythéisme mythologique des Grecs, mais
ccidentellement et pour faire écho à ses passions et à ses
motions, il voit dans l'univers des souffrances ou des joies,
es ravissements ou des plaisirs semblables aux siens. Ce sera
i fa«:on d'être, en face de la nature, des écoles et des époques
ù la personnalité de Fhomme prend un développement
xcessif. Ce sera un des traits caractéristiques de ce qu'il nous
lut appeler, faute de terme plus précis, la poésie romantique*,
[ais, à des degrés divers, cette tendance à colorer les choses
es reflets qu'y jettent nos sentiments se trouve toujours
ccompagner l'expression d'émotions vives et profondes K
1. Telle est bien raltitude de Chateaubriand en face de la nature. Jamais
ne s'oublie devant elle. Quand il Tobserve et la décrit c'est pour noter
3 rapports de cette grande chose avec cette autre grandeur : l'Ame de
hateaubriand ; de même que « s'il médite sur la destinée des empires
isparus c'est pour découvrir le rapport surprenant de la ruine des plus
randes choses et de l'inévitable anéantissement de sa personne ». (A. Sorel,
^rne de Staël, p. 122, 123.)
C'est aussi la même émotion égoïste et théâtrale que manifesteront ses
isciples : Byron, Lamartine, de Vigny, etc. Pour trouver des exemples de
ette déformation dramatique de l'univers, il suffirait d'ouvrir au hasard
iurs œuvres. Le noble et pur poète dont nous avons plus haut repro-
uit quelques vers nous fournira une unique citation :
• I watched the sun
On lurid morns or monslrous afternoons
(Likc some Druidic idol's fiery brass
With fixed unflickering outline of dead beat,
Prom which the blood of wretches pent inside
Seems oozing to incarnadine the air)
Push ont through fog with his dilated disk.
And startle the slant roofs and chimney pots
With splashes ot Tierce colour. •
(ËLiz. B. Bhowmno, Aurora Leigh, Bk. III.)
2. Bacon a été si frappé de cette perversion de la réalité qu'il y voit le
3Sâ JAMES THOMSON.
L'îime alors déborde au dehors et s'associe violemment la
nature *. Le lyrisme, dans tous les temps, a vu les choses I
travers une passion qui les altère, et lors même qu'il s'est
elTorcé de les distinguer de l'être humain, il n'a pu jamaisqtt
leur prêter des sentiments calqués sur les nôtres. En toot
temps les hommes ont cru trouver dans le monde visible nn
accompajçnement harmonieux de leurs joies ou de leurs dou-
leurs. Les dramaturges depuis Sophocle et Euripide % et
toute la longue lignée des poètes élégiaques jusqu'à Shelley 'ou
Tennyson ont ol)servé ou ont imaginé dans la nature une
sympathie avec les afîections des cœurs humains. Les mêmes
efîels nous paraissent tour à tour sombres ou riants selon
l'émotion de notre àme. Les poètes inviteront successivement
la nature à prendre le deuil quand ils pleurent, et à se parer
de ses plus brillantes beautés quand ils sont heureux. Quelle
littérature n'a pas eu, après les vieux poètes siciliens etafH«
carucU're essentit*! de la poésie : • Poetry accommodâtes Uic «ihowsoî
things lo Ihe desires of tlie mind. - (Cité par Emerson, Poetry and Imaii-
notion.)
\. La poésie n'est pas le seul des arts qui soumette la nature à ces défor-
mations. M. Ed. Rod trouve dans V Invocation de la Nature de Berlioz l»"
mrme c.iractèr<; de sensibilité passionnée que dans les œuvres littéraire^
do SOS contemporains [Henry licyle, p. 95). Les arti.stes qui semblenî
nstrrints par Ic^ <'(»nditions de leur art à une plus exacte fidélité s'abao*
donncrU parTois à ces délires de l'imagination. Ruskin admire fort, (lan<
r«iMi\Te de Turncr. le J.ison du Liher Studiontm, Après avoir noté TetTet
puissant du dra}î»»n « upheavinj^ a single coil -, il remarque avec enlhoH-
siasm»» que le peintre. • pour s'assurer de nous, pour nous forcer, mêiDC
malgré nous, à i«; suivre, a fendu, ouvert et tordu les troncs des arbrr^
en télcs cl en corps, et a répandu dans tout ce qui nous entoure une énergie
• dragoncsque •. {Madeni l'aniters, II, u. p. 84, 85.) — On trouverait tian"'
plus d'une plancha de 1' « Enfer • de (i. Doré le même caractère.
2. • LesTrar.hiniennes », vers M'i; <■ Electre ■,vers 10"; • Hercule furieux •
vers 781, olc Voir (iKiniAUT, fht. sentiment de ta Nature^ etc., p. TO, "î<.
:i. Il n'est pas toujours en effet le poêle que nous signalions plus haut-
Si l'effort pour perdre sa personnalité dans les choses est ce qui domioi'
et nous frappe en lui, dans bien des «iuvres cependant sa personnalil»*
h'afliruie, au point m»^me parfois d'asservir le monde à sa passion. A »*
mort d'Adonais
• Morning sougbt
lier easlern walch-to>ver, and her haïr unbound,
Wet >Nill) the lears which sliould adorn the ground,
Dimm'd the aerial eyes Ihat kindle the day :
Afar the melanoholy Ihunder moan'd,
Pale Océan in unquiet slumber lay,
And the wild vvinds llew round, sobbing in thcir dîsma>. *
{AdonaiSj XIV.)*
IT
li'
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 353
çile leur imitateur, ses « jeunes victimes » pleurées par les
rs, les sources et les dryades? Quelle muse erotique ou
iique n'a pas fait de la joie des choses le cadre rayonnant
bonheur humain*? — Alors même que la poésie oppose,
louloureusement, et là orgueilleusement, l'homme à la
ire, pour constater la fragilité ou la grandeur morale de
, rimmobilité et Tinlinie puissance de l'autre, elle anime
ours de sentiments semblables aux nôtres cet objet de son
liration ou de sa haine *. Il n'y a au fond pas plus de pué-
humanisation dans les adjurations de Lamartine invitant
ic, les rochers, les grottes et les forêts à conserver le sou-
ir de ses amours, que dans la résignation mélancolique
lympio % ou dans les apostrophes révoltées de Vigny s'in-
Ce - motif » joyeux est moinâ fréquent du reste que l'autre. ^Est-ce
3 que nous éprouvons moins le besoin de faire partager notre allé-
se aux choses que celui de nous soulager sur elles d'une partie de
louleurs?) L'Anacréon anglais, H. Herrick^estde ceux qui en ont tiré les
heureux effets. Voyez la pièce où il invite les fleurs à célébrer le retour
iantê de sa maîtresse :
« Droop, droop no more, or hang tho hend,
Ye roses almost wilhercd;
New strength and newer purple get,
Each hère declining violet. •
{Hesperides. On Julia's Recovery.)
» Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations,
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J'ignore, en les portant, les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe.
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.
C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon cœur alors je la hais; et je vois
Notre sang dans son onde, et nos morts dans son herbe,
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois. »
(Alfred dk Vigny, La Maison du Berger,)
C'est aussi Tattilude de Ronsard, et Tune des formes par lesquelles
trime cette mélancolie où Sainle-Ucuve a relevé autant d'insouciance
le tristesse. {Le xvr siècle, p. "6, note i.) Le critique cependant n'a pas
c morceau peut-t'tre où ce sentiment apparaît le plus poétiquement :
• Rochers, bien que soyez dgcz
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais uy d'estat ny de forme :
Mais toujours ma jeunesse fuit,
Et la vieillesse qui me suit.
De jeune en vieillard me transforme. »
l'ode se continue, prolongeant l'antithèse et apostrophant tour à tour :
23
354 JAMES THOMSON.
(lignant que la Nature demeure sereine en face des éphémères
et douloureuses destinées humaines.
Dautres esprits s'élèvent au-dessus de cette conceptioD
égoïste et, à la bi<*u considérer, mesquine et frivole. Ils ne veu-
lent pas voir dans Tunivers immense un simple miroir où se
contemple Thumaine vanité *. Ils ne s'indignent \)as non pios
que les choses, poursuivant leur impassible destinée, restenl
étranj^ères et insensibles à nus passions. Ils reconnaissent et
îiflirment la distinction absolue des deux mondes; et à lespril
de riioimne, ils opposent Tesprit qui soutient et régit le monde
matériel, lumx conceptions peuvent satisfaire ce besoin d'établir
un intervalle bien tranché entre Tunivers et Thomine. Lune
est inspirée par un spiritualisme profond, Tautre par un amour
intense de la nature.
La |»rernit're est celle qui observe avant tout dans la nature
ruMivre d'un Dieu personnel, dont la volonté toute-puissante»
créé les choses, <lont la Providence les conserve et les gou-
verne. I/univers vaulaloi'sà nos yeux comme témoignage de la
grandeur de son auteur. C'est la tliéorie qui ressort de toute la
poésie (le la lUble. Le monde y est a comme une salle extérieure
u où se laissi* parfois apercevoir le souverain mystérieux qui
« hahih* au delà - ». C(»tte vue des choses ne laisse aucun rôlea
«. \hn> ••, « Anlivs • cl • Urules '. (O/^'.v, XXIII : ■ (Juand je suis vint'l i'"
trcnli* iiioi^ •, clo
Viclnr Flu^'o iTailleur^ a p.irfoi;?, un fane tlii mystère et d(*B Irisli'SsCS '''
la naliire. une altitude plus virile et plus tièrc (|ue celle dM)lym|>io '
•• Le riel est trouble. ob?iMir, niNslérieux; qu*imporlc?
Rien de jusle ne frjppe en vain à celle porte.
I.a plainte e>t un vain cri, le mal est un mot creux,
.l'ai reni[»li nnui di^vuir, c'est lion, je souffre heureux. »
(L'Année terrible.)
1. " ï now aftirm of Nature and of Trutli,
Whoui I liave served, thaï their Divinity
Itevolts, olTendod al the \\a\s uf men.
IMiilosophtM's. wliotliou^h the hunian soûl
|{e of a lliousand faculties composcd,
And twier ton thousand inlerests, do yet prize
This «oui, and the iran>cendent universe
.No mort' tlian as a mirror thnt reHeots
To proud Scir-!ove lier own intellijjence. «
Ce sont Ci'> vers de Wordsworlh «|nc Kuskin a choisis pour épigW'^
«le sou hrau livre Modnn Puintcrs.
2. Kxprcssion do .Mr. Shairp.
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 355
î obsen'ation complaisante, à une description de la nature.
détails dès lors et les formes précises importent moins que
vastes ensembles et les grands mouvements. C'est dans le
nerre ou dans le mugissement de la tempête plutôt que
is le murmure du ruisseau- que s'entend la voix du Tout-
issant *. L'immensité du désert ou de la mer parle de lui
s éloquemment que la source ou la fleur '. Mais jamais la
lire n'est par elle-même un objet digne de la contemplation
1 hommes. — Cet état d'unie qui subordonne si radicalement
Tionde visible au pur esprit n'est pas propice à l'art. Il est le
me qui, dans la civilisation musulmane, aboutit à éliminer
ite représentation directe des choses. Et si le lyrisme biblique
iferme en grand nombre des peintures merveilleusement
ictes dans leur concision, on peut dire cependant que la
escription » du Livre saint ne compte pas parmi les notables
erprétations de la nature, parce qu'il y manque le sens d'une
indeur indépendante dans le monde des choses, et une sym-
thie pour ces existences inférieures.
Parmi les poètes modernes il en est beaucoup qui ont ainsi
dans l'observation des créatures l'occasion d'un hvmne
donation au Créateur. Mais chez eux également nous pou-
ls noter combien la préoccupation exclusive de cette dépen-
icedu monde nuit à l'interprétation artistique. Chez Cowper,
>lus religieux des écrivains qui nous aient donné d'abondantes
icriptions, la poésie de la nature ne s'élève jamais au-dessus
n niveau familier, moyen, presque médiocre. On sent que
n'est pas là que jaillissent pour lïime du poète les sources
Jt'ondes d'émotion. On a pu se demander si l'auteur de ces
•Icaux aimables et exacts eut réellement au cœur l'amour de
nature -.
juand cet amour au contraire est puissant, le besoin d'idéa-
ilion auquel il s'associe d'habitude aboutit à une autre con-
Hion. C'est dans le monde lui-même que le penseur place
• « La voix du Seigneur a tonné dans sa vertu et sa magnificence.
)t elle (pli hrise les cèdres, cVst elle qui éteint Ui^ flammes, c'est elle
ébranle les déserts. » (Psaume XXVIII.)
. • l)ieu est admirable dans les hautes mers » (Mirabilis in altis
niuus). (Psaume XCIl.)
. - Keble does nol believe iu Cowper's love of nature, aud opp"'ses Ihc
borate Evening, in the IV "* Book of IheTask, to Bnrns^s pastoral cliant
Uainiy Davie, • (Siiaihp, On the Poetic Interpret.^ cbap. xiii.)
3S6 JAMES TROIISON.
alors le principe de vie et de grandeur. Il aboutit au panthéisme
naturaliste. Son enthousiasme, refusant également de sabo^
donner Tunivers à l'homme et de le sacrifier à Dieu, élève le
monde lui-même à la suprême dignité. Cette déification se pro-
duit quelquefois à Tinsu du poète. Elle peut être en contradic-
tion avec les croyances philosophiques ou religieuses qu'il pro-
fesse. Elle se superpose aux négations matérialistes de Lucrèce,
comme à la foi chrétienne de Wordsworth. C'est elle qui,
depuis ce dernier, est demeurée la conception fondamentale de
la poésie descriptive. Elle a consacré l'importance extraordi-
naire donnée à 1 étude et à la représentation des choses dans
nos littératures. Ellejustifie toute l'admiration et tous les trans-
ports des modernes peintres de l'univers. Elle ouvre en même
temps au poète philosophe un champ illimité de recherches et
de découvertes. Cette réalité unique et divine qui, « diffuse
a parmi les choses, a son séjour dans la lumière des soleils cou-
« chants, dans le cercle de locéan, dans l'air vivant, et dans le
a ciel hleu * )>, sollicite de Thonime un eflbrt pour la pénétrer,
la fixer et la comprendre. « Ne pouvons-nous pas espérer...
a que nous y gagnerons un pouvoir nouveau de communier
<( avec le monde invisible d'entendre le courant puissant
(( des choses qui tendent à leurs fins parler, pour l'éléva-
(c tion de notre pensée, d'une voix claire et sonore?* • Et
la tâche du poète est alors de prêter l'oreille à cette voix
mystérieuse, de pénétrer jusqu'à la réalité qui se cache sous
1. • And 1 hâve fell
A présence thaï dislurbs me wilh Ihe joy
or olevated Ihoughls; a sensé subh'me
Of someUiinp far more deeply interfused,
Whose dwelling is the lighl of setting suns,
Aud thc ronnd océan, and the living air.
And Uie hhie sky, and in the mind of man;
A motion and a spirit thaï impels
Ali thinking things, al! objects of ail thought,
And roUs through ail things. -
(WoRDswoHTii, Lines composed a few miles above Tintern Abhey.
2. • .... And may it net be hoped....
.... Ihat \\e hcreby, should gain
Fresh powcr to commune wilh the invisible world.
And hear the mighty stream of tendency
Uttering, for élévation of oiir thought,
A ciear sonorous voice? » etc.
(Wordsworth, The Excursion, Bk. ÎX.)
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 3S1
apparences : « de voir sous la robe flottante la ferme
t sul]3tance * b. Les descriptions de la nature nous paraîtront
>elles, en raison de la puissance avec laquelle elles auront
ttteint et révélé une partie de la vie profonde des choses. Et
î'est pour avoir fourni plus .que nul autre ces observations
livinatrices que Wordsworth méritera d'être considéré comme
e plus grand des interprètes du monde sensible.
La doctrine est hardie. Elle est propre assurément à
rehausser Tàme de l'artiste et à grandir par là même le carac-
tère et la beauté de son œuvre. Mais elle est difficilement con-
siliableavec Torthodoxie chrétienne. Aussi voyons-nous plu-
sieurs disciples de Wordsworth s'efforcer de conserver de
l'enseignement du maître la haute conception quMl apportait
lu monde, sans cependant accepter sa déification de la nature
par le panthéisme. Le monde alors est un signe, un intermé-
liaire entre l'homme et une réalité supérieure qui lui parle par
toutes les apparences matérielles *. Quelle est celte réalité? On
sent bien, malgré les précautions prises pour éviter une con-
3lusion métaphysique, que les uns la trouveraient dans un
i. • He is the poet, and shall draw witli love and terror, who sees,
Ihrough tlie flowing vesl» thc firm nature and can déclare il. » {Eurr^os,
The Poe t.)
3. « Poctry is the perpétuai endcavour to express the spirit of the
Ihing, to pass the hrnte body, and scarch tlic life and reason which cause
it to cxist. *> (Kmekso^t, Poelnj ami Imagination.)
« The poet did not stop at the colour or the form, but read their mean-
ing. • (Emersom, The Poet,)
Les écrivains sacrés ont parfois émis des pensées qui sont singulière-
ment voisines de cette conception : * Ce qui est invisible en Dieu, se voit
et se comprend par ce qui a été créé dans le monde. » (Saint Paal, Ad
Hom.j I, 20.) — • Per similitudinem sensibih'uui rerum in divina Scriptura
'es spirituales nobis dcscril>uutur. » (Saint Thomas d'Aquin, 3* p., q. IX,
\, IV, in c, art.) C'est le point de départ de la science religieuse du sym-
bolisme. .Mgr de la Bouillerie, qui nous fournit ces deux citations, a voulu
endre quelque faveur à cette science où s'est complu le moyen Age. II
lanifestc Tespoir (Le Symbolisme de la \ature, p. 11) que les enseigne-
nents du symbolisme s'ajouteront utilement à l'observation et à Tamour
e la nature. Mais Timpression produite par son livre, c'est qu'il n'y a
icn de commun entre la contemplation artistique et cette étude hagio»
;raphique des choses. Le symbolisme sacré voit dans l'univers ane sorte
l'immense blason. Les sens attachés aux signes leur sont attribués p^ir
m enseignement extérieur qui tient faiblement compte de leurs caractères
lalurels. Et le monde réel, objet d'étude et d'émotion esthétique, dispa-
raît sous la végétation extraordinairement toulTue des symboles que la
iltératurc sacrée y a peu à peu accumulés.
358 JAMES THOMSON.
Dieu-providence extérieur et supérieur à la nature, les autres
dans une force immanente animant les corps célestes et se
manifestant aussi dans la moindre créature. Mais les poètes de
ce groupe s'attachent seulement à affirmer que ce monde
visible est un symbole d*une réalité distincte et qu'il y a pour
rhomme d'innombrables et précieuses leçons à recueillir de
l'observation des choses.
a II n'est pas une fleur du Printemps, de celles qui raeu-
a rent avant juin, qui n'ait l'orgueil d'être alliée par sa fin
« et son symbole, par son sens et par son harmonie, avec
« le monde spirituel qui s'étend au delà des limites de cel
« espace et de ce temps auxquels nous sommes enchaînés.
<L Qu'à cette fleur les poètes donnent une voix avec un sens
« humain; sinon ils n'ont pas su lire la pensée *. i»
Cette doctrine très haute et très noble réserve cependant
encore à la création un rôle subordonné. Si les choses ont sur
nous un tel pouvoir d'éducation; si nous pouvons lire en elles
la réponse aux grandes questions que se pose notre raison,
comment échapper à cette conclusion (ju'elles sont faites pour
nous, qu'elles ont leur finalité dans leur influence sur nos Ames
et dans les enseignements qu'elles nous apportent? Et, par un
long délour, nous sommes ainsi ramenés à cette même concep-
tion dont la doctrine avait voulu s'écarter. La nature nous est
ici encore présentée comme subordonnée à l'homme, et comme
teinte du reflet de nos âmes. — Au total donc, aucun des sys-
tèmes i:)roposés pour déterminer les rapports qui unissent les
choses matérielles et resj^rit, n'échappe à ce dilemme : ou
subordonner absolument, quoi qu'il en puisse coûter à l'art,
le monde physique à une existence spirituelle et supérieure, ou
y introduire, par une inconsciente supercherie, un élément
spirituel qui ne peut être autre chose que notre âme.
J. «... Tlicrc's Mot a llower of Spring
Tliat dios orc Jiinc, bulvaunlâ ilselfallicd
By is>?iie and symbol. by significancc
And correspondeiice. lo Ihat spirit-world
Outsidc llic limits of our space and Umc,
Wherclo we are boiind. — Let poels givc it voicc
Wilh liiiman rneanings. — else Ihey miss Uie thoiight. "
(Kliz. B. Bmowmm;. Ainora Leiyhf Bk. V.)
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 359
III
Mais est-il donc indispensable que le poète s'arrête à Tune de
'es explications métaphysiques de l'univers? Demande-t-on au
Peintre d'avoir une opinion sur ces questions transcendantes?
Le monde des apparences qu'atteint nos sens ne suffit-il pas à
ilimenter notre soif de beauté? Thomson l'a pensé, et dans son
poème consacré à la Nature, nous trouvons partout la trace
l'une admiration émue, mais nulle part l'influence des doc-
trines que nous venons de passer en revue. Reconnaissons que
ce n'est pas là le jugement qu'ont porté tous les critiques. On
a, au contraire, relevé dans le poème tantôt la preuve d'une
foi spiritualisle et chrétienne, et tantôt celle d'un panthéisme
l>iju déguisé. Les deux affirmations sont également fondées, et
leur opposition doit nous mettre en garde contre la valeur de
ces constatations. Sans doute quelques passages des « Saisons »
et de l'Hymne final ont un accent nettement religieux, comme
d'autres professent la croyance à une force intérieure qui ani-
merait et expliquerait le monde. Mais ces morceaux sont des
amplifications ajoutées au tableau de la nature et ne font pas
corps avec lui. Les doctrines, du reste contradictoires, qu'ils
énoncent ne pénètrent ni ne colorentMes faits rapportés par le
poète de son observation des choses. On pourrait retrancher
de l'œuvre tous ces passages. On aurait fait disparaître quel-
ques riches déclamations et plusieurs beaux vers. Mais on
n'aurait pas atteint le poème dans ce qu'il a d'essentiel, de
sincère et de vraiment caractéristique. Thomson a mêlé à ses
descriptions quelques développements d'un thème courant.
Mais il serait également inexact de voir en lui comme en
Jlowper, un de ces poètes chez qui la pensée de la Providence
Jomine toute observation des créatures, ou de le mettre au
lonibre de ces penseurs qui, comme Wordsworth, ont mêlé à
/amour des choses un mystique besoin d'élévation et de divi-
nisation de la nature. Rien en lui ne vient altérer ou contreba-
lancer l'admiration du monde sensible. L'étude approfondie de
lœuvre nous le dirait, si du reste nous ne le savions d'autre
Ijart. A l'époque où il écrivait cette magnifique prière qui clôt
le poème, il avait perdu la foi chrétienne. Le déisme auquel
360 JAMES THOMSON.
semble s'être alors arrêté son esprit était de nature fort incer-
taine et vague, puisqu'il flotte entre la notion d'un Dieu provi-
dentiel et celle d'une substance infinie inhérente aux choses
elles-mêmes. Mais il n'avait pas besoin de préciser rigoureuse-
ment ses idées sur ces questions de haute philosophie pour
goûter, de toutes les forces de sa faculté d émotion, les beautés
de l'univers.
II faut entendre cependant qu'il n'en subit pas le charme
avec le passif abandon qui suffit à une jouissance épicurienne.
C'haucer par exemple s'enivre des joies du printemps, du jeune
soleil, de la verdure nouvelle et des fleurs fraîches écloses,
avec une naïve et superficielle sensualité. Thomson a de plus
le sentiment que la nature est un tout grandiose. Il ne sait pas
quelle en est l'ultime substance. Mais il sent que chacun des
phénomènes est étroitement lié à d'autres; qu'il y a là unesérie
de faits enchaînés dont aucun ne peut sans violence être abso-
lument isolé. Il croit à une vie du monde avec son développe-
ment nécessaire. Il associe chaque fait présent à ceux qui Font
précédé et à ceux qui le suivront. A son observation de l'uni-
vers il ne mêle pas, comme de brillantes broderies à un tissu,
les spéculations métaphysiques; mais il a quelque chose de la
méthode du savant qui reconnaît dans chaque phénomène un
anneau d'une chaîne.
Cette façon de considérer la nature n'a pas toujours trouvé
faveur en notre siècle. Klle manque d'héroïsme et de pathétique'.
Voir les choses exactement, reproduire fidèlement leur carac-
tère et l'émotion qu'elles suggèrent, cela paraît à certaine esthé-
tique une plate attitude en face du monde. Nous voulons que
cette contemplation fasse naître chez le poète autre chose
qu'une jouissance d'artiste. Il faut qu'elle ébranle toute son
âme, et il n'est pas mal qu'elle la bouleverse. Il faut que les
choses qu'il voit posent en face de lui le torturant problème
des choses invisibles. Il faut qu'il oit l'angoisse de l'au-delà,
et (]u'il nous fournisse une réponse aux questions qui nous
1. « Ces riMlisles onl pliitôl la sensation que le senlimentde la nature. -
(Gedhart, p. U-iO.)
• Thu8, Thomson's Scasons uud the best parts of many old an<l
many new poets are simply enumerations bya person who felt thecomnn»"
sights and soiinds, without any attempt to draw a moral or affî^ '
mcaning. • (EvKHso.f. Poctry and Imagination.)
Lk PHILOSOPHIE DU POÈME. 361
obsèdent» Nous lui demandons de plonger, comme le héros
le la ballade, loin au-dessous de la claire surface, pour
lous rapporter du fond de Tabîme la coupe royale, le savoir
ibsolu.
Loin de nous la pensée de protester contre ces exigences, ni
^ntre la haute idée qu'a pu se faire la poésie de sa mission et
le son pouvoir. Si elle a été le jouet d'illusions, nous leur
levons plusieurs des plus fiéres inspirations et des plus purs
îhefe-d œuvre des littératures modernes. Mais nous demandons
s'il n'y a pas quelque injustice à condamner les poètes qui se
placent en face de la nature comme le peintre en face d'un site
iéterminé, pour l'observer avec leurs sens, avec leur faculté
l'admiration, avec toute leur sensibilité, mais non pas pour y
chercher occasion aux révélations d'une faculté transcendante.
La perception et l'intelligence des formes, des couleurs ou des
>ons, et la reproduction de ces sensations en une image propre
i éveiller chez d'autres l'émotion qui l'a suggérée ne peuvent-
îlles pas suffire aussi à l'efîort artistique de l'écrivain*? Pour
ivoir le droit de dénoncer la médiocrité et l'insulUsance de ce
rôle du poète, il faudrait prouver que les théories plus ambi-
ieuses soient en possession certaine de la vérité. La tache ne
>erait pas aisée.
II semble bien qu'elles ne fassent point autre chose que verser
Jans le monde une partie de l'humanité que seule elles connais-
sent directement. Et c'est ce quelque chose d'humain qu'elles
retrouvent avec ravissement, qu'elles découvrent avec un res-
pect étonné, qu'elles proclament supérieur et divin. A tous les
d^rés, cette humanisation de la réalité est légitime, si nous
reconnaissons qu'elle est purement lyrique et dramatique *. A
1. Demandons un exemple au plus ^rand des dramalurp^es, et un autre
i l'un des plus parfaits poètes lyriques.
Shakespeare qui fait un très grand, très puiiisaut et très légitime usage
le cette transformation des choses, la présente hien comme subjective,
-ar c'est par là qu'elle prend une valeur dramatique :
• Methought the billows spoke and told me of it,
The winds did sing it to me, and the thunder,
Thnt deep and drcadfui organ-pipe, pronounced
The name of Prosper : it did hass my trespass. »
{The Tempest, art. III, se. m, 96-99.)
Kt Burns, dont le bon sens robuste répugne à asservir Tunivcrs aux
862 JAMES THOMSON. I
aucun degré elle n'a le droit de s'imposer comme une révéla- W-
lion de l'absolue vérité. Les distinctions que Ton s'est efforcé ■
d'établir entre l'imagination, mère de mensonges, et l'imagiDi" S
tion, source de savoir certain, sont aussi fragiles qu'ingénieuses. I
Leigh Hunt ', Kmerson * et Uuskin ' se sont évertués à séparer I
comme choses entièrement diverses deux pouvoirs différente 1
d'imaginer sous les noms de a iancy » et d' « imagination». 1
Uuskin insiste, avec son éloquente dialectique, sur le danger 1
de a Terreur pathétique d, de celle qui nous fait voir dans les I
choses des caractères que nous leur prêtons gratuitement; I
tandis que « l'imagination pénétrative n saisit vraiment la |
nature intime et la profonde réalité. M. Angeliier a montré 1
avec une rigueur qui nous paraît irréfutable, l'inanité de ces
distinctions *. On est étonné dès lors qu'il s'arrête lui-même à I
une doctrine peu dilTérente de celle de Ruskin. Sur quoi peut-
on fonder philosophiquement ou scientifiquement cette pré-
tendue clairvoyance d'un poète-prophète tel que Wordsworth"?
Où est le critérium qui permettra de savoir quand il a vraiment
extrait des clioses une partie de leur réalité, quand au con-
traire il y a lu le reflet de son ùme? Quand et comment saurons-
nous jamais s'il y a sous les apparences qui nous affectent un
quelque chose analogue à notre être spirituel? Et surtout à
quelles erreurs ne nous exposons-nous pas si nous prétendons
traduire dans le langage de nos émotions et de nos pensées les
signes par où se manifestent à nous ces existences extérieures*.'
Cette psychologie des êtres inférieurs restera, dit-on, toujours
un peu vague; mais elle se fait lentement, a Pour quelques-
ce uns, comme dans l'alouette de Shelley et le rossignol de Keals,
u elle semble presque achevée ^ )> Gomment le croirions-nous'?
caprices de sa passion, choisil au moins dans les spectacles de la naliir-
ceiix où il trouve une apparente (onformitê avec rétat de son âme :
• Corne. Winler, wiUi Ihiuo angry Iîon>I,
And, raping, bend thc nnkedtree;
Thy frlooni will sooUie my cheerless soûl,
Wlien Nature ail is sad like me. -
{yîecnie^s Ee.)
i. Imaf/inalhn and Fann/, The Works of Leigh Htm, vol. III.
2. H. \V. Kmemsox, Voclnj and lunufinnlion. Lrllers and Social AiM$.
'A. Modem PainferSy partie III. section II, chap. m : Of Imagination pcne-
Iralire,
4. Etude sur Hoh, Burns, vol. il. note p. 374, 315.
5. 76t(/., p. 374.
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 363
î peut-il y avoir dans cette prétendue connaissance qui
t rapport de notre imagination? L'alouette est-elle vrai-
cet « esprit joyeux », cette a gaîté sans corps » qui plane
uito dans Tode de Shelley? Symbole et emblème d'une
•aillante qui tend vers les hauteurs, tous l'admettront
tiers. Mais nous faut-il croire que ce cliant allègre ou ce
(lacieux révèlent les « pensées exquises » de cette petite
Un oiseau moins bien doué sera-t-il donc nécessairement
triste? On oublie que Talouette emprisonnée dans une
étroite fait entendre la même chanson joyeuse *. Vous
z, ô poète, que lorsque a de son cœur débordent les
odics intarissables » ce sont a les champs, les vagues ou
montagnes; les formes du ciel ou de la plaine, l'amour de
sfpurs et l'ignorance de la douleur rt qui l'inspirent '. Il
ns doute plus vrai qu'elle pense aux mille dangers qui
nacent elle et les siens, et au pauvre nid posé sur le sol
ibri ni défense '. — Le rossignol de Keats a dont l'âme
•anche en une extase de bonlieur » * est-il plus vrai que
de Milton, a si mélodieux et si mélancolique * »? — Le
est-ce pas l'observation de La Fontaine sur Talouelte • qui chante
quoique près du tombeau »?
• Whal objects are tlie founlains
(»f Ihy hoppy slrain?
Whal flelds, or waves, or mountains?
Whal shapes of sky or plain 1
What love of tliine own \i\ud1 wliat ijçnorance of pain? »
(SiiELLEY, To a Skf/lark^ sir. xv.)
issct chez qui, au milieu des plus lyriques envolées, le bon sens et
sentiment de la vérité ne perdent jamais entièrement leurs droits,
it être oppose à Shelley :
(( Quand j'ai traversé la vallée,
Un oiseau chaulait sur son nid.
Ses petits, sa chère couvée,
Venaient de mourir dans la nuit,
Cependant il chantait Taurore. •
{La Nuit d'AoAl,)
■ Now more than evcr seems il rich to die,
To cease upon the midni^ht wilh no pain,
While thou art pourinj; forth thy soûl abroad
In such an ccstasvî »
(Ode to a Siffhtingale.)
• Sweet bird Ihat shunn'st the noise of folly,
Mosl musical, most uielancholy! •
(// Pensci'iJSO, 6l-rt2.)
lia erreurs des poêles qui ont proposé une explication de cette pré-
364 JAMKS THOMSON.
hibou même, a triste oiseau le hibou * b, est-il condamné à la
désolation qu*ont notée chez lui tous les poètes ', sauf un seul?
Et Shakespeare n'a-t-il pas raison contre tous les autres*
quand il croit que son hululement monotone est pour Toiseau
un chant d'amour et de joie tout aussi bien que la diane alerte
de Talouette ou Texquise mélodie du rossignol '?
Quoi que nous puissions faire, runivers,si nous tentons de
rinterpnHer, sera toujours, selon l'expression môme qu'a
laissée un jour échapper l'un des tenants du symbolisme du
monde, une « cxternisation de notre âme » *. Le constater ce
n'est pas diminuer ni déflorer la poésie. Alore même que ses
tendue mélancolie du rossignol {teste Virgile), on peut lire une pa^te
intéressante de BrRROUCHs, Fresh Fields; A liunt for the Sightingalf,
p. 117-118.
1. Li Fontaine, XI, ix.
2. Sans excepter Thomson :
« Assiduous in his hower the wailing owl
Plies liis sad song. >*
(Winter, 113, 14i.)
3. - Then niglitly sings the stariug owl,
Tu-whit ;
Tii-Nvho, a nierry note,
While greasy Juan dolh keci the pot. -
{Love\s Lnhour*s Lont, acte V, ac. ii, 92'-u0.)
4. - The univerr^e is the externization of the soûl. » (E1merso?c. Es$a;i>'
Second Séries : The Po<7J
Kt c'est aussi la pensée qu'exprime en beaux vers cet ami de Wonl?-
worth, ce po«'t>: et ce penseur. Coleridge, dont l'art et dont la philosoplii«:
sont restés si indépendants :
« And hark! the nightingule hegins its song.
« Most muiiical, most melancholy » bird!
A melancholy bird? 0 idie thought!
In nature there is nothing melancholy.
— But some night-NvandVing man, whose heart was pierced
With the remembrance of a grievous wrong.
Or slow distemper, or neglectiMl love,
(And so, poor wrotch! Pilled ail things with himscir,
And made ail gentle soumis tell back the talc
or his own sorrow?) he and such as he
First named lliose notes a melancholy slrain. -
(OiLKuiDJiE, The Niffhiingale.)
Toute cette partie de notrn travail était terminée qnand nous avoDii ren-
contré des vues semblables exprimées avec force par un ■ essayist ■ am»>
ricain qui a consacré aux oiseaux des années d'observation et plusicur<'
volumes. « Did Shelley interpret the song of the skylark» or Kea'.s that of
the nightingale? They interprcled their own wild, yearning hearlP. •
(Joiix BuRiiOLfiiis, l't'pfn'ton. .V//////V timl the Vnets^ p. 154.)
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 365
èves de divination et de révélation ne trouveraient plus que
cepticisme, elle continuera à puiser à pleines mains dans le
résor des formes et des apparences matérielles; elle en fera
Dujours le vêtement de sa pensée, comme les langues en font
1 matière infiniment souple et ductile de leurs signes. Et si les
toètes persévèrent, au milieu d'un âge incrédule, dans leur
postulat, leur ambition ou leurs chimères, Tadmiration ne
essera pas de suivre leurs menteuses et dramatiques visions.
)n continuera, selon les variations du goût (puisqu'il est là
lussi des modes), à s'éprendre de cette puissanteou pathétique
lumanisation des choses qui se retrouve tour à tour dans
'égoisme orgueilleux d'un Chateaubriand ou d'un Byron,
îomme dans l'apparent efifacement d'un Shelley; dans la fra-
ernelle confiance de Lamartine ou de Hugo *, comme dans les
•èvoltes de Vigny ; dans le déisme de Rousseau ou de Laprade
îomme dans le panthéisme de Wordsworth.
Mais l'art n'est pas nécessairement lié à ces conceptions où
lant d'imagination se donne carrière. Il peut y avoir une beauté
dans une poésie qui ressente pour les choses une sympathie
ï>ans subtilité et qui en donne une reproduction docile, a Encore
<( aujourd'hui, sous tant de raisonnements accumulés, la
« nature sympathique persiste. Notre corps se redresse à la
« vue d'un noble chêne ; notre main décrit une ligne sinueuse
K à l'aspect d'une eau ployante et penchée; notre passe mesure
ï sur le rythme d'un air que nous entendons; les sons nous
c pénètrent, et retentissent en passions au plus profond de
( notre cœur; le monde extérieur trouve encore son écho en
: nous-mêmes, et notre vieille âme, entourée et façonnée par
[ la grande âme naturelle, palpite comme autrefois sous son
: contact et sous son efl*ort*. » C'est la beauté née de cette
ïarmonie qui se trouve dans le poème de Thomson. Elle
emble aujourd'hui un peu effacée et pâlie. Elle pourrait bien
etrouver un jour plus d'éclat, alors que d'autres gloires,
nain tenant plus brillantes, se seront ternies. Elle n'a rien à
1. « La plaine brille, heureuse et pure,
Le bois jase, Therbe fleurit....
HomDie ! Ne crains rien ! La nature
Sait le grand secret, et sourit. »
(Ij:s Hayons et les Ombres. Spectacle rassurant,)
2. IL Taire, La Fontaine et ses Fables^ chap. ii, l'Expression, p. 306, 301.
366 JAMES THOMSON.
craindre de Tesprit de science, de précision et de vérité, avec
lequel il est dangereux, même à la poésie, d'entrer en lutte.
Le monde qu'atteignent directement nos sens, et la passion
humaine dans des cœurs humains, voilà le véritable objet de
Tétude de l'artiste. C'est là son domaine, et là seulement il est
assuré de ne pas perdre pied.
« La beauté cV>l la vérité: la vérité c'est la beauté, voilà tout ce qu«»
Vous savez sur la teri-e. el tout ce que vous avez besoin de savoir • ».
Ce n'est pas sans doute tout ce que nous aspirons à savoir.
Malgré le conseil du poète, l'humanité ne cessera pas do faire
effort pour ajouter aux plaisirs du beau les joies plus chère-
ment acquises et plus austères de la connaissance. Et si cet
effort des philosophes est condamné à un éternel insuccès,
l'art trouvera son compte dans les doutes, les échecs, les dou-
loureux désespoirs de cette lutte, plus encore que dans les pré-
tendues révélations d'une divination imaginaire.
Voici une conque marine. Il y a pour notre œil une caresse
et un charme dans la ligne élégante de ses spires, dans le
rose exquis et les délicates teintes opalines de sa nacre. C'est
la joui.^ance ingénue et sans sophistication que ressent en
face de la nature un observateur naif. Elle peut s'associer
aux émotions graves et hautes que suggère la pensée de ces
deux immensités, la mer et le temps, qu'a traversées le
gracieux objet. C est l'impression de beauté que s'efforce de
traduire, avec ses retentissements profonds dans notre àtne,
une poésie descriptive sincère et simple, telle que celle de
Thomson.
Wordsworth ne se contente pas d'impressions aussi directes,
et il met dans ce coquillage une vie, un souvenir, une âme, un
enseignement.
« J*ai vu
l'n iMifaiil curieux, qui. habitant une ré^'ion
De l'intérieur des liTre»», apfdiffuait à son oreille
Ij's volutes il'une roquill»' aux lévii's f>olies :
Kt abjrs. dans un nuirï >ilcn«.e. son âme même
1. - Beauly is trutti, Irulh heauty. — thaï is ail
Ve knoNv on eartli. and ail ve nced to know. ■
Keats, Ode on a Grecian Um.)
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 367
Kooutait ardemment; et hicutùt sa (i^nire
S'éclaira d'une joie; car du Ibnd venaient se faire entendre
Des murmures, dans lesquels cette chose enseignait, et disail
l'iio lUYstérieuse union avec son océan natal *. »
Cette idéalisation et ce symbolisme sont-ils la condition d'une
haute interprétation artistique de la nature? Y a-t-il moins de
l)eaulé ou moins de profondeur dans les vers où un autre
poète dépouille Thumble coquille de toute chimérique puis-
sance, et mélancoliquement, dépouille aussi TAme humaine de
ce qu'il voit en elle d'espoirs chimériques?
€ Cette conque vide qui dejMiis nond)re d'années
Est restée sur <le poudreux rayons, approchez-la de votre oreille.
Et elle parle de la mer orageuse où elle est née; nous entendons alors
Le faihle et lointain murmure des flots (jui se brisent.
Nous entendons la mer. La mer? C'est le sang
De no^ propres veines, impétueux et tout proche [craintes],
(\c sont les pulsations dont les battements suivent nos espoirs et nos
El le mode toujours chauf^eant de nos sentiments.
Et dans mon ccrur j'i'utends, comme dans cr«tt(î ct)quille,
I^e murmure d'un monde au delà de la tondu».
Distinct, distinct, si faihb* (^l si lointain quil soit,
Ifonnnr crédule! c<'l écho n'fsl jxis nmins trompeur (pie Taulre, —
(l'est la rumeur des instincts terrestres; et nous aspirons
[con<jue*. •]
A un UKUide aussi imaginaire que la mer entendue dans la
1. * .... I hâve seen
A curions cliihl, wiio dwell upon a Iracl
Of inland Riound, applyin^ to his car
The convolutions of a smooth-lippcil sliell;
To which, in silonce hushed, his very soûl
Listeiicd inlensely; aiid his countcnance soon
Hri^hlencd wilh joy; for from wilhiu wcre heard
Murmurings, wliereby llie monilor expressed
Myslerious union wilh ils native sea. -
Mr. Stedman, <|ui cite ces vcrsi et le sonnet de Lee-ilamilton [The Salure
ntifl Klernenls of Porlrtj, \). 2ut;, -iOI), fait rrnianiuer que Wordsworth y a
paraplirasé quehpies vers plus fermes de Landor {(icUr) :
« But I hâve sinuous shclls of peurly hue;
Siiake one and il asNakens, theu ap[»iy
Ils polished lips to >our attentive enr,
And il remembers ils anguàl abodes.
And murniurs as ihe océan uiurmurs Ihere. »>
2 <« The hollow sea-shell which for vears hath slood
On duslN slielves, when held against Ihe ear.
368 JAMES THOMSON<
IV
Cette tristesse pathétique n'est pas la note que rende sous le
doigt du critique le poème des a Saisons ». En le constatant
nous sommes amenés à dire quelques mots d'un caractère
d'après lequel on a quelquefois groupé les écrivains, indépen-
damment des formes de leur art ou des pensées directrices qui
guident leur observation. On a voulu distinguer les poètes en
raison de leur pessimisme ou de leur optimisme. Nous ne pou-
vons trouver là un caractère fondamental de classement. 11
exprime en effet un état tout subjectif de Tàme de récri-
vain puisque la Nature si diversement interprétée est la même
pour tous; et, en tout cas, cet état est extérieur et postérieure
l'effort d'observation et de traduction de l'artiste. Mais il ne
sera pas hors de propos de dire ici, pour terminer cette partie
de notre étude, à laquelle des deux familles d'esprits se rat-
tache Thomson. Il y a lieu d'abord à dissiper une confusion
qui se mêle souvent à cette question. Nous n'appellerons pas
un poète pessimiste parce qu'il a fréquemment exprimé des
sentiments douloureux. Nous réserverons ce nom au penseur
qui, de l'observation du monde et de la vie, tire une conclu-
sion de négation, de mépris, de tristesse, de désespoir ou de
révolte. C'est peut-être pour n'avoir pas établi cette distinc-
tion, (]ue les critiques ont parfois cru et enseigné que le pessi-
misme seul est poétique. Il est trop vrai que la tristesse et la
douleur fournissent à l'écrivain une inspiration plus variée e
plus puissante que la gaîté et le bonheur. « Les plus déses-
Proclaims itsstormy parent; and \ve hear
The faint far murmiir of the breaking flood,
Wc hear the sea. The sea? It is the blood
In our own veins, impeluous and Dear,
And puises keeping pace with hope and fear
And with our feclings' cver-shifting mood.
Lo! in my heart I hear, as in a shell,
The murmur of a world beyond the grave.
Distinct, distinct, though faint and far it be.
Thou fool! Ihis écho is a cheat as well,
The hum of earthly instincts; and we crave
A world unreal as the shell-heard sea. »
(EtOENB Lee-Hamilton, Sonnets of the Wingless llours.)
LA PHILOSOPHIB DU POÈME. 369
)érés sont les chants les plus beaux ^ i» Il est vrai surtout que
tre sympathie est émue par les premiers de ces sentiments
is que par les seconds. Notre àme semble s'ouvrir plus
ontiers à la souffrance qu*à la joie d'autrui. Nous nous asso-
ns plus facilement aux plaintes douloureuses d' « In Memo-
11 » qu'au chant d'allégresse de V « Epithalamium »; Shelley
is émeut plus profondément dans la tristesse d' « Adonaïsi»
î dans les extases d' « Epipsychidion * »; et, depuis Aris-
\ la haute poésie dramatique sait qu'elle est vouée aux
;^iques souffrances et aux larmes . Mais cette puissance
cprimer une douleur en vers émouvants ne s'associe pas
cssairement à une conception pessimiste de la vie et de la
ition. Quelques-uns des chants les plus déchirants nous
t venus drames chrétiennes pleines d'espérance, ou de
nés esprits que ne trouble pas la pensée de l'humaine
jrance. Le poète philosophe que nous avons cité plus d'une
, Emerson, n'a pas de pièce plus achevée, plus émue et en
ne temps plus exquise de forme que sa « Threnody », sur
iiort de son fils bien-aimé, de son « hyarinthine boy ^ ». Il
1 demeure pas moins le plus convaincu et le plus éloquent
:eux qui ont cru que le monde est bien fait et que la vie est
ne; que le poète doit être joyeux; qu'il a pour mission de
andre sur l'univers un esprit de gaîté et d'allégresse, et
il reçoit des choses une inspiration de bonheur confiant.
« Le Printemps fait encore du [)rintemps dans notre âme,
Ouand soixante ans sont passés ;
L'amour réveille ce co'ur palpitant
Et nous ne sommes jamais vieux.
A. DE Musset, La Suit de Mai.
Nous voulons parler de cette fm radieuse du poème :
Emilv
A ship is tloatiog in tlic harbour now <*, etc.
f>eiiit ou qui imagine le ravissement de Tamour heureux.
Voir îi ce sujet Stedmam, The Nature of Poetnj, p. 267.
haute et pure philosophie de cette belle pièce est résumée dans ces
•
« SayioK •' What is excellent,
As God lives is permanent;
Hearts are dust, hearts* loves remaiii,
Hearfs love will meet thee again. »
24
370 JAMES THOMSON.
Au-dessus des glaciers de Thiver,
Je vois récUit de Tété,
Kt, à travers Tanias accuuuilé di*s tourbillons de neige,
Lt's chauds boutons de roses c|ui se cachent au-dessous '. »
Cesl bien renseignement que donne la nature à ceux qui
l'ont aimée passionnément, à ceux qui Tont observée d'une
vue directe, sans Kintermédiaire des systèmes ou des croyances.
C'est l'impression qui se dégage du tableau qu'en a tracé
Thomson. 11 s'est longuement enivré des mille beautés de
l'univers; il s'y est plongé avec ravissement, comme ce faneur
qu'il nous montre couché sur la prairie et tout recouvert
d'herbe Fraîche, de fleurs et de parfums. Comment de toutes
ces beautés, dont chacune est une joie, pourrait-on extraire
cette essence : — la tristesse? Non les choses en elles-mêmes
sont une source d'inépuisables et de pures voluptés. Il n'y a
d'amertume en elles que celle qu'y verse notre passion on
notre inquiétude. Elles ne sauraient être rendues complices de
notre égoïsme ni de notre présomptueuse ignorance *. Leur
vie d'ailleurs ne nous apprend-elle pas que les troubles, 1rs
1. • Springstill makei^ Spring in thc mind,
When sixly yoarg are told;
Love Nvakes ancw this throbbin^ heart,
And we are never oUi.
Over the w in 1er placiers,
I see tlie summer glow.
And througli the wild-piled snowdrift,
Ttie wann rosebuds below. »
[The World-Soul.)
Le plus cloquent des ap<Mres du pcssiinisuie. Schopenhauer, nVt-il pas
dit lui môme : « Le malaise des soucis et dos passions est apaisé par un
simple regard jeté sur Tunivers; le torrent des passions, Torage des désirs
et des craintes, le tourment de la volonté, tout est aussitôt calmé d*iinc
façon merveilleuse. • {/>/> Welt als Wiiie und Vorstellung^ cité par Ribol.
p. 99 <le son étude sur Schopeuhauer.)
2. Le groupe des poêles naturalistes de l'Amérique : Emerson, Thoreau
Whillier, Lowell, etc., olTre ce caractère de n'avoir jamais cédé à cette
tendance. Un critique français la remarqué avec justesse : • Aucun d'eux
n'a jamais eu le tort d'amollir iVune en faisant de la nature la complice de
ses passions, fécho de ses douleurs.... Sur ce point ils se dégagent du
groupe des grands peintres du paysage idéal : Bernardiu de Saint -Pierre,
Cowper, Chateaubriand, Wordsworlh, Byron. Lamartine, G. Sand, sortis
de l'école de Rousseau qui lui-même, selon Lowell, dérive à son insu
de Thomson, ce poète incomplet mais sincère, le premier qui essaya de
rendre avec des mots ce qu'avaient fait avec des lignes et des couleurs
Salvator Rosa et Le Poussin. • (Benfzon, Le Snturalisme aux Étals^l'nis.
Revue des Deux Mondes, i5 sept. 1887.)
LA PHILOSOPHIE DU POÈME. 371
violences et le désordre ne sont qu'un accident passager; que
ce qui paraît lassitude ou épuisement n'est que repos et prépa-
i*ation d'une énergie nouvelle; qu'il n'y a pas de mort, mais
seulement une transformation de la vie? C'est la leçon qu'y a
lue Thomson; et il letend à tous les modes de l'existence
quand il termine son tableau du monde par ces paroles de
confiante espérance :
« Los leinpéles de l'hiver passeront rapidement,
VA un él»»rnel printemps (;nvelop|»era toute la création '. »
Pour une autre raison encore il est éloigné d'une interpréta-
tion pessimiste. S'il ne verse pas dans l'illusion qui consiste à
confondre l'une dans l'autre les deux moitiés du monde, il
associe cependant toujours la pensée de l'homme, de ses tra-
vaux, de ses intérêts à la contemplation de l'univers. Et c'est
là une préoccupation qui exclut une conclusion découragée.
Pour Tobservateur qui voit les choses du haut d'un dillettan-
tisme dédaigneux, le contraste entre le monde et l'homme
peut faire ressortir la faiblesse et l'impuissance de celui-ci; et
le poète, le voyant écrasé sous des forces inconscientes et bru-
tales, prend en pitié la vie et l'acteur impuissant qui s'y agite
une heure. Mais tel n'est pas le sentiment qu'inspire à Thomson
l'univers. Il y voit le champ fécond de l'activité des hommes;
il sait que leur labeur trouve dans les choses une aide, un con-
cours assuré, et comme une sympathie inconsciente. Il sait
qu'il y a harmonie étroite entre l'être humain et cette nature
où il vit, dont il vit et qui le fait ce qu'il est. Sa poésie est uti-
litaire, si l'on entend par là que le souvenir de l'influence des
choses sur les intérêts humains y est toujours présent. — Dans
le beau traité d'esthétique auquel nous avons tant de fois déjà
fait allusion, Ruskin jeune s'élevait avec véhémence contre
celte conception mesquine et stérile qui mêle à la contempla-
1. Winler, i068, 1069.— Il y a cependant un passage des Saisons où Fou
pourrait être tenté de voir une interprétation pessimiste de la vie et du
monde. Le poète vient de <lécrire et de célébrer TAge d'or. Il lui Tant bien,
quand il y compare le temps actuel, constater une décadence, et il parle
de • nos djîes de fer », de - cette lie de la vie •. {Spririff^ 271, 307.)
Mai» ce n'esl pas dans ce passage qu'il faut lire la pensée de rccrivain.
Il n*y a là que le développement d'un lieu commun et la transition établie
par le poète entre deux beaux morceaux descriptifs : celui de lu nature
à l'âge d'or et celui du Déluge.
373 JAMES THOMSON.
tien du Beau l'humiliante préoccupation de l'Utile. Mais
lluskin vieilli, relisant les pensées qu'il avait autrefois énon-
cées, les corrige dans ce qu'elles avaient d'exclusif et d'absolu :
« A mesure que j'avance en âge les aspects de la nature qui
a intéressent la vie des hommes me deviennent chaque jour
c plus chers; et j'aime mieux aujourd'hui voir un champ de
« brune moisson que la plus brillante Aurore boréale * i>....
« la jeunesse sympathise plutôt avec la joie, la plénitude et la
« magnificence des choses, et les cheveux blanc avec ce qu'il
« y a en elles d'achèvement, de satisfaction et de repos '. »
Ces sincères et profondes paroles du grand esthéticien
sont une réponse à bien des reproches et à bien des dédains
que l'on a opposés au poème des a Saisons ». Nous ne pouvons
mieux clore qu'en les citant l'étude où nous avons tenté de
déterminer les caractères de Thomson poète descriptif, et de
montrer en lui un observateur et un peintre d'une franchise
rigoureuse, d'une simplicité qui n'exclut ni la pénétration du
regard, ni la variété des impressions, ni l'émotion de Tàme;
un artiste qui aima la nature d'un vif amour sans éprouver le
besoin d'y ajouter des caractères ambitieux et incertains; un
homme enfin qui, de cette contemplation charmée, a fait passer
dans son œuvre l'influence apaisante et heureuse qu'il a
trouvée dans les choses '.
1. • As I hâve grown older, tlic aspects of nature conducivc to human
life hâve bccome hourly more dear to me; and I had rather now see a
brown harvest field than Ihe brightest Aurore Borealis. » (Modern Pain-
terSt C'd. de 1888, vol. I, note de la p. 84. >
2. • ... The youth sympathizing more with the gladness, fulness, and
magnificence of things, and the grey hairs wilh their compleliou, suffi-
cieocy and repose. • (MOme volume, p. 92.)
3. Tel est bien renseignement qu'a su trouver dans Fœuvre de Thooison,
un des phis fermes esprits du xvin* siècle et l'une des plus louchantes
victimes de la révolution. Mme Roland, dans la prison qu'elle ne devait
quitter que pour l'échafaud, se rappelait et citait de mémoire quelques
vers des • Saisons ». Ils lui apportaient, comme aurait pu le faire la
nature elle-même, un réconfort et une influence apaisante. « Ces vers
de Thomson •, écrit-elle, « que je ne répète jamais sans attendrisse-
ment :
• IMeasM was I, in m y cheerful morn of life,
When murs'd by careless solitude I liy'd,
And sung of nature with unceasing joy,
Pleas'd was I wandering through your rough domain,
Through the pure virgiu-snows, myself as pure, etc. •
[Mémoires de Mme Roland.)
CHAPITRE VI
LES HORS-D CEUVne MfiLËS AU POËHE DESCRIPTIF
lies Épisode B.
L'admiration que mérile le génie descriptif de Tlioinson ne
doit pas fermer nos yeux aux défauts du poème. Le premier
et le plus grave est l'abus même de la description. Si variés que
soient les tableaux qui se succèdent au coure de ces quatre
chants, l'intérêt se fatigue un peu à suivre le panorama longue-
ment déroulé devant nous. 11 y manque le sujet principal
auquel se puissent prendre notre émotion et notre sympathie :
l'être humain. Il y a bien quelque part de vérité dans les juge-
ments sévères qu'ont portés Pope sur une poésie purement
descriptive i semblable k un repas où l'on ne servirait que des
sauces ' », et Switt sur les n Saisons » a dont il ne raffole pas,
t. Le mol est rapporté par Warlon dans eod Esiay on Ihe Geniu
Wrilingt of Popt (1156.1783).
Comparez ces autres expressioni ds l'opinioD de Pope :
■ Who could lake oITence,
While pore descriplion held the place ot aenseî -
{EpislU lo Arbuihnot, 147, ItS.)
• Be OQe poeL'g praise
Thnt nol in faney's maie lie wandered Iodr,
But stoopeil to (ruih nod momllzed hia sang. ■
(»irf., 33W*0.)
374 JAMES THOMSON.
« parce que tout y est description et qu'il n'y a pas d'action * i.
— Thomson paraît avoir eu le sentiment de ce défaut. Il n'a
pas mêlé intimement l'intérêt humain au poème; c'eût été en
détruire Toriginalité profonde; et du reste son génie, nous
aurons à le prouver, n'était ni lyrique ni dramatique. Mais il a
juxtaposé à ses tableaux de la nature un grand nombre de
hors-d'œuvre divers : épisodes narratifs , développements
philosophiques, historiques, scientifiques ou moraux. C'est
une partie de son œuvre qui compte aujourd'hui pour bien peu
dans l'estime que nous nous faisons de son talent. Elle occupe
cependant une portion importante du poème, et les contemix)-
rains ne Tont pas considérée comme moins intéressante ni
moins belle que le reste. Nous ne croirons pas avec Words-
worth que ce soit là, et surtout dans les Épisodes, que le public
du temps ait vu le principal mérite des <( Saisons » *. Mais il
est vrai que le poète, qui imposait aux goûts de ce public une
si étrange violence par le choix et par le traitement de son
sujet principal, dut rechercher les moyens de satisfaire, dans
les passages accessoires, les habitudes d'esprit et les préfé-
rences consacrées de ses lecteurs.
Un de ces moyens était l'introduction, au milieu des descrip-
tions, de petits récits romanesques insérés, avec plus ou moins
de bonheur, dans la trame du poème. Nous verrons qu'ils ont
été une des choses qui ont le plus charmé les admirateurs et
les imitateurs français des « Saisons i>. La répartition dans le
poème en est fort irrégulière. Ni le printemps ni l'hiver n'en
contiennent; Télé en fournit deux, et l'automne un seul '.
1. « Ouc Thomson, a Scolcliman, lias succeeded the best in that way
(l)Iank verse), in Tour poems he lias writ on Uic four seasons : yet I ani
not ovur fond of thew, becnuse they are ail description, and nolhing is
doinj:. • (Leller io Sir Ch. Wogan. Jiily 1132.)
'2. Woniiswoimi, Essuf/ supplemetitari/ io the Préface lo Ihc Second Edi-
tion of the Lyrivat Bnllnds.
'A. Cette répartition parait à Saint-Lauiberl manquer d'équilibre. Cha-
cune de SL'S Saison<^ a un épisode. Pour le Printemps ce sont les amour»
de Lindor et Glict>re; soixante-cinq vers nous racontent comment un
Jeune homme au^'Uiente les richesses de son jardin pour plaire à • uuo
jeune beauté ». S'il fallait choisir un titre à ce récit d'une sinj<ulière puéri-
lité, ce stM-ait • Lindor et Tilicère, ou le jardinier par amour -.
Dans riliver le récit est moins simple. Cent vers nous disent Taveu-
ture extravagante d'un chasseur de chamois qui voit une avalanche recou-
vrir la maison où sa femme l'attend. Fou de douleur, il veut de sa bêclio
percer ramoncellemcnt des neiges et des glaces :
LES iiOHS-[)'(i:rv[it: mêlks au porme desckii'tik. în5
Le |)reiiiier de ceux qui li;^ui't;iil dans VvAr re[)roduit en cin-
(luanle V(U\s une aiieedole ijien comme poui' avoir été eiire-
gisti'ée dans la correspondance de I*ope *. Klle paraît avoir été
d'abord traitée par (lay dans une de ses lettres -. — Deux
jeunes gens se réfugient sous un arbre pendant un orage, et la
jeune lille est foudroyée entre les bras de son auiant. — Ni
Pope lïi Thomson n'ont conservé la parfaite simplicité du récit
de Gay. Le début du poète a bien quelques vers élégants et
gracieux :
« Elle avait la douce beauté de l'aurore en sa (leur
Et lui réolat radieux du jour épanoui ^. »
L'amour des deux jeunes gens est peint en quelques traits
parfois délicats, et non pas toujours sans énergie :
€ Chacuu voyait dans sou «unie un autre et plus cher soi-même
Et trouvait le suprême bonheur dans un pouvoir nouveau
De donner de la joie *. >
« Leur vie se passait au milieu
Des champs, et tout le jour leur cœur s'épanchait eu causeries.
[sauraient faire entendre 5. »
Ou bien ils soupiraient et leurs reganls disaient ce que les mots ne
• Courbé sur les glaçons qu'il baigne de ses pleurs,
Le malheureux époux fatigué, harassé,
Poursuit un mois entier son ouvrage insensé. »
Il a perdu tout espoir quand le retour de la belle saison, faisant fondre
« les glaçons entassés », lui rend sa maison et sa femme intactes l*une
et Tautre.
1. Lettre de Pope ù lady Mary Monlagu, i*' sept. 1717. Mr. Logie
Hohertson suppo:<e que c est là que Tliomaon a trouvé Panecdote, et rap-
pelle qu'une partie des lettres de Pope fui publiée eu 172G. Mais cette
édition de Curll de 1726 ne contenait que les lettres de jeunesse de Pope
â Cromwcll.
2. La partie de la lettre de Gay qui contient ce récit a été publiée par
Thackeray dans ses Englhh Humourhts ; Prior^ Gay and Pope.
'A. « Ilers the mild lustre of the blooming morn.
And his llie radiance of the risen day. ••
(Summer, H7o, 1176.)
4. • Each was to eacli a dearer self,
Supremely happy in the awaUencd power
Of givjng joy. -'
[Sum., 1183-1185.1
5. • Tliey lived
The rural day, and lalked the flowing heart,
Or sîghed and looUed unutlerable things. »
\^Sum,, 1186-1188).
376 JAMES TUOMSOiN.
Mais d'autre part les vers ne manquent pas où se retrouve la
phraséologie convenue et emphatique du temps. La jeune fille
éprouve des pressentiments qui ne nous émeuvent guère :
< Sa peur croissait et ébranlait
Son èlre presque jusqu'à la détruire *. »
Céladon regarde son amante épouvantée
c Comme les anges regardent
Les saints qui se meurent* »,
et il l'apostrophe à grand renfort d'abstractions personnifiées:
« Ne crains rien, disait-il,
Douce iimoce'nce! ô toi qui es étrangère au péché,
Aux orages de la conscience ' ! >
« C'est assurément une protection que d'être ainsi près de liù,
hV'treindre la perleclion * ! • [et, comnoe je le fais.
Plus important est l'épisode de Damon et Musidora, non pas
Seulement par le développement qu'il prend dans le poème,
mais par la popularité qu'il a aussitôt acquise et par la célé-
brité qui s'y est attachée. — Le jeune Damon aime Musidora,
ignore que son amour est payé de retour, et se plaint, dans le
coin le plus secret d'un bois, de la cruauté de sa maîtresse. La
jeune femme vient se baigner à cet endroit même. Damon,
muet de surprise, assiste à ime scène dont aucun détail ne lui
1. «Il ^Tcw, and shook
lier framc ne-ar dissolution. »
Summei\ 1200, i201.)
2. « As an gels look
On dvin^ saints. •
{Sum., 1202, 1203.)
:\. • Fear not -, he said,
- Swcet innocence! tliou stranger to oiïence
And inward storui! -
(Sam., 1204-1206.)
'*. « Tis safety to be near tliee, sure, and tlius
To clasp perfection î n
(.Sum., 1213, 1214.)
I/anecdote fournit le sujet d'une idylle de Léonard : « L'Orage ou
Ni«e cl Silvandre ». [Poésies paslorales, liv. I, IdyJle huitième.) Mai»
le poète français supprime toute complication dramatique, et fait périr
les deux amants du mOme coup de foudre.
LES hors-d'œuvre mklés au poème DESCMIPTIF. '577
éeliapï)0, ni ne nous tH'lia[)i)t\ Il s(î d^'cide à fuir, ri jolie sur la
rive un billet où il invile sa bergère à se baigner en paix : il va
laii'e le guet et écarter les promeneurs importuns. Musidora
est plus sensible à la réserve qui Ta t'ait fuir, qu'à rindiscré-
tioii qui lavait d'abord fait rester; et, sur Técorce d'un bètre,
elle trace, avec « la plume sylvestre des amants rustiques »,
quelques mots de remerciements, d'aveu et de promesses peu
réservées.
Tel est le sujet de ce tableau où se mêlent de façon piquante
l'inspiration voluptueuse du paganisme et répicurisme peu
délicat du x\nii' siècle, Je culte bardi de la beauté impériale et
nue, et une phraséologie à la fois vertueuse et sensuelle. On a
signalé, comme modèle imité par le poète, une scène du
« Gentle Shepherd » de Ramsay *. La ressemblance n'est pas
très grande. G*est bien plutôt le souvenir de la Grèce qui hante
l'esprit de Thomson. C'est surtout le souvenir du poète qui, au
XVI* siècle, reproduisait le plus merveilleusement l'admiration
haute et purifiante de l'âme grecque pour la beauté. C'est la
scène de Sir Guyon et des deux baigneuses dans le jardin
d'Acrasia * qui a directement inspiré l'épisode. Mais l'auteur
des « Saisons » n'a pas cette suprême distinction, ce grand
style qui rendent les nudités de Spenser aussi nobles qu'un
marbre grec. Il y a là une forme d'art dont Ja tradition est
perdue depuis Milton, et que le xviii' siècle ne retrouvera pas.
Thomson est de son temps, pour tout ce qui n'est pas le senti-
ment de la nature. Ces souvenirs de la Grèce et de la Renais-
sance qui remplissent le tableau du bain de Musidora, le poète
les interprète avec la fidélité qu'on pourrait attendre d'un Clo-
<lion traduisant Praxitèle.
L'influence des souvenirs d'Homère et de Spenser était plus
frappante encore dans la forme qu'avait d'abord revêtue l'épi-
sode. 11 ne figurait pas dans la première édition de 1' « Été ».
C'est dans l'édition des « Saisons » de 1730 qu'il fait son appa-
rition. Mais alors le héros est un philosophe morose, un
a stoïque » réfractaire a l'amour. 11 assiste invisible au bain
non pas d'une seule, mais de trois nymphes. Ia vue de tant
1. Dans la deuxième scène de Pacte I du poème, une paysanne propose
à une autre d*allcr se baigner, cl celle-ci hésite de crainte que • leurs
bergers • ne les surprennent.
2. The Faerie Queene, Bk. Il, canlo XII, str. lxiii et seq.
;^78 JAMES THOMSON.
(le charmes « met en fuite sa rude philosophie ». Le voilà tout
d'un coup <( humanisé » (tout au contraire d'Actéon qui, dans
une aventure analogue, avait perdu son humanité), et ii
s'éprend de Musidora. Le choix faisait honneur à un ex-philo-
sophe; c'est elle qui, dans le trouhlant trio, représentait la
Minerve du groupe grec *.
On peut se demander si celte version plus grossière et plus
fruste n'était pas à tout prendre moins choquante que cette
seconde forme sous laquelle le poète croyait assurément enno-
blir et épurer son récit. L'histoire de ce farouche misogyne
dont les théories sur le mariage et Tamour sont réfutées par de
si singuliers arguments est d'une sensualité naïve. Mais que
dirons-nous de cette héroïne qu'une réserve timide et une
virginale fierté empêchent de laisser deviner son amour, et
qui, vite rassurée quand elle sait que l'indiscret est Dainon,
trace à son adresse ces mots : « Mon bien aimé,... toi que la
<i fortune a trop favorisé, mais que l'amour, hélas! ne favori:>o
« pas moins, reste comme aujourd'hui discret; le jour viendra
a peut-être où tu n'auras plus à t'enfuir ' ».
Telle qu'elle nous est présentée depuis l'édition de 1744,
riiistoriette eut le don de plaire aux contemporains, et, des
deux côtés de la Manche, à ce public qui demandait aux poètes
de lui servir à doses égales de vertueux préceptes et de hardies
peintures. Le pieux Lyttelton n'y voit rien à blâmer '. On
serait même tenté de supposer que son influence n a pas été
1. La version première donnait une cxacle conlre-parlie du jugement
de Paris : Saccharissa y représentait Junon, Auioret Vénus et Musidora
Minerve. Dix-sept vers et deux demi-vers ont été conservés dans le
second tableau; il en est dans le nombre qui rappellent leur premij^n'
de^tinaliou :
• Nor Paris panted stronger, wben aside
Tbe rival goddesses Ibe veil divine
Cast uncoiifined. >
I.e premier de ces vers a été plus tard modifié et répond à deux ver>
do la version définitive.)
INirmi les vers sacrifiés, on peut regretter d'beurcux traits descriptifs:
« The brook raii babbling by; and sighin^ wcak,
The brecze among the bending willows play'd. •
2. Summer, 1307-1370.
3. 11 est vrai qu'il avait lui-même débuté dans les lettres par une tra-
duction des Lettres persanes. Mais nous savons combien plus tard il était
devenu moral pour lui-même et pour les autres. (Voir plus haut, p. 15r*.)
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 379
étrangère à la transformation qu'a subie l*épisode entre l'édi-
tion de 1738 et celle de 1744. — Damon et Musidora inspirent
le motif principal au gi-aveur qui illustre V n Été » dans l'édi-
tion de 1738 *. C'est le nom de rhéroïne qui fournit le titre du
premier poème consacré à la gloire de Thomson *. Enfin, et ce
n'est pas le moindre des hommages rendus au poète, Gainsbo-
rough y trouve le sujet d'un de ses tableaux '.
Kn France, Saint-Lambert reprend l'épisode, l'amplifie et le
délaie en deux cent cinquante vers. Nous n'avons plus seule-
ment un amant, mais deux. Damon est un jeune seigneur
libertin,
€ ComMé dans h*s cités des faveurs de rainour ».
Lucas est un vrai berger,
« Des troupeaux de Damon, le jeune et beau pasteur ».
Nous voyons figurer dans le récit non seulement Lise, la Musi-
dora du poème anglais, mais aussi son père, sa mère, le
(( ministre sacré » de la paroisse et la foule des villageois.
L'épisode du bain est traité d'une touche brutale. II ne s'agit
plus d'un accident fortuit, mais d'une surprise préméditée.
Damon, qui du reste connaît l'amour de la baigneuse pour a le
jeune et beau pasteur », assiste au bain et, quand la jeune fille
se prépare à reprendre ses vêtements,
€ Damon vol(», il sVlance et Lise est dans ses bras ».
Ilatons-nous de dire qu'il arrête là sa galante entreprise. Les
supplications et les larmes de sa victime le touchent,
« Ouoiqu'infecté des nuours d'un monde corrompu ».
1. Par une inadvertance ou une infidélité assez Ringulières, l'arlisto.
W. Kent, fait figurer quatre nymphes. Et c'est la méuie gravure ognindiu
ipie reproduit fcdition in-4 de 1762. alors que le texte ne fait plus men-
tion que d'une baigneuse.
2. • Muxidorits: A Poein sacred to the Meoiorv of .Mr. James Tliomson. •
1749. L*auteur, nous l'avons dit autre part, est Sliiels.
Un autre admirateur a eu la fantaisie de représenter — en de bien
mauvais vers — Thomson lui-même, la poiume à la main, invité à choisir
cuire les quatre Saisons. Le tableau des coquetteries de Spring est parti-
culièrement vif. (Voir The Monthlij lievieiv, vol. 28, p. 398.) Voir plus haut,
p. 17.^.
3. « Musidora balbing lier feet. >> (Vernon Collection.) National Gal-
lery, 308.
380 JAMES TBOMSON.
Il répare généreusement sa faute, donne une ferme à Lucas,
marie les deux amants <i dans deux jours », et fait les frais du
repas de noces où il traite tout le village. Tout le monde est
ému, tout le monde est heureux, toutes les vertus trouvent
leur récompense,
< Et Damon tour à tour recevait dans ses bras
Polémon et sa fille, et la mère et Lucas >.
Delille a tiré de Tépisode un tout autre parti. Il l'introduit
au chant III de son poème des « Trois Règnes », — à l'occa-
sion des propriétés et des usages de Teau ! Il invoque le sou-
venir du poète anglais,
• et, rival des Thomsons,
Osons par un récit égayer mes leçons ».
Puis, sans dire autrement jusqu'à quel point il est redevable à
iion prédécesseur, il traduit entièrement et fidèlement l'épi-
sode. Son travail est du reste un modèle de traduction facile,
harmonieuse, exacte et complète. Sans presque dépasser le
nombre de vers de l'original, l'habile versificateur reproduit
en distiques élégants tous les détails du récit. A peine omet-il
parfois un trait, comme celui de ce vers anacréontique auquel
le galant abbé n'a pas dû renoncer sans un regret, et qui nous
montre Musidora « conduite au bain par les amours rieurs * ».
On sent que la traduction a été pour son auteur « a labour of
love ». Avec quel plaisir il a cherché et trouvé l'équivalent
français de si ingénieuses périphrases et de si voluptueuse
peintures :
€ déjà f>ii helle main
Sur ses jambes d'albâtre a replié la soie '. »
Peut-on dire plus noblement qu'une demoiselle ôte ses bas? —
La description un peu vive des trésors révélés à l'indiscret
berger et complaisamment détaillés au lecteur n'est pas pour
1. - For lo! conducted by tlie laughing loves. »
{Summer, 4288.)
:i. « from the snowy leg
And slender fool, Ihe inverled silk she drew. n
{Sumjner, 4308, 1309.)
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 381
>ucher le traducteur. Mais, sans l'avoir cherché sans doute,
is donne une peinture un peu atténuée. Son coloris est
s chaud, son modelé a moins de l'eliei'. Il semble voir
urceau de Rubens transcrit par Fragonard *.
: Automne » renferme aussi un long épisode. La description
moisson est suivie d'un récit fondé sur Timmorlelle
î de Kuth et Booz '. Le portrait de la jeune Lavinia, pauvre,
et vertueuse, renferme de jolies choses gracieuses et
is assez banales^; d'autres au contraire qui sont un peu
lurnées et précieuses *; et une comparaison poétique
3 célèbre :
Il en jugera si Ton compare au lexlc anglais des passages tels que
:i :
K Jadis le beau pasteur de Troie
Dans son cœur palpitant ressentit moins de joie. »
..•..• ••..••..• ....
(I Ce sein éblouissant dont le double contour
Palpite de santé, de jeunesse et d'amour:
(^es deux globes charmants qu'avec grâce compose
Un frais amas de lis que surmonte la rose! »
" Ahî Ihen, nol Paris on llic piny top,
Of Ida panted stronger »»....
[Summer, {'MA, 130;».)
- And, Ihrough the parti ng rol^, tlie alleruate breast,
With youth wild-throbbing, on thc lawless gaze
In full luxuriance rose. »
l-il aussi signaler un léger contresens du traducteur?
a A travers le cristal tel brille un jeune lis »,
e pas une idée très satisraisaiite. Delille n'a pas vu que le terme
is « lily » désignait ici le << water lily • le nénuphar.
}unnt aux noms, ils sont par Thomson empruntés à deux poèmes de
u^ntemporain Weisled : « Palœmon and Cœlia ». • Cleon and LAvi-
. (Vide NicnOLS, Lilernni Anecdotes^ vol. IX, p. 3i.)
non figure aussi dans Tidylle que Léonard appelle UÉté (iPamon
iphné; Poésies pastorales. Livre deuxième), mais il n'y a pas d*autrc
niblance avec l'épisode de Thomson.
*nr exemple :
• Like the gay birds that sung them to repose,
Content and careless oT to-morro\v's fare.
Her forni \\as frcshcr than the morning rose
Whun the dew wets its leaves, unstained and pure
As is the lily or the mountain snow. »
{Autumn, 190-1Î>1.)
« The modest virtues mingled in her eyes,
Still on the ground dejected. darting ail
Tlieir humid beams into the blooming flowers. »
(193-197.)
38â JAMES THOMSON.
< Comme dans un vallon, au sein de TApenniii,
A l'abri d'un cercle de montagnes,
Un myrte croit, loin de tout regard humain.
Et répand dans cette solitude ses parfums délicieux.
Ainsi s'épanouissait, Heur que nul ne voyait,
La douce Lavinia K »
Ce joli passage est une des plus heureuses additions faites
par Pope au texte de son ami, et Thomson accepte les six
vers sans y rien modifier. Le début de Tidylle en est la partie
la plus heureuse. Thomson y montre qu'à ses qualités d'énergie
et de touche vigoureuse il sait aussi joindre la délicatesse et
la grâce. Pope y manifeste une fois de plus la merveilleuse
aisance avec laquelle il sait se mettre à l'unisson d'un talent
original et d'une inspiration très éloignée de la sienne. Quant
aux vers où se développe le récit proprement dit, ils offrent
peu d'intérêt. On y trouve plus d'un trait de goût contestable,
comme cette fin du discours par lequel Palémon offre à la
jolie glaneuse ses biens, son cœur et sa main.
« Les champs, le maître, tout, belle jeune fille, est à toi,
Si aux bienfaits nombreux que ta maison
M'a prodigués tu veux ajouter ce bien,
Le plus précieux de tous, le pouvoir de le combler de bienfaits *. »
1. • As io the hoUow breaet of Apennine
Beneath tbc shclter oT encircliug hills,
A luyplle rises far frora human eye,
And brcathes its balmy fragrance o'er the wild.
Se flourished blooming and unseen by ail
The sweet Lavinia. •
• 209-214.)
On a remarqué que la botanique de Pope laisse à désirer. Virgile avait
plus exactement noté Thabitat du myrte : « amantes littoru myrtes •.
2. Autumny 290-293. Le trait, tel qu'il est, appartient à Pope. L'idée en
était en germe dans le texte de Thomson (édit. de 1738), mais mal et lour-
dement développée :
« Wilh barvest shining ail thèse Fields are Ihine;
And if m y wisbes may présume so far,
Their master too, who Ihen indeed were blest
To make the daughter of Acaslo so. •
Nulle surprise que la correction de Pope ait été adoptée avec empresse-
ment. Quelques vers plus haut, Pope avait voulu supprimer un elTet d'an-
tithèse un peu analogue, mais cette fois Thomson regimbe et conserve son
vers et sa pointe :
• And is when unadorned adorned the most. •
(▼. 206.)
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 383
L'invraisemblance de la fable est naive. La pauvre glaneuse
dont la vue inspire dès l'abord à Palémon un violent amour,
lui parait ressembler au vieil Acasto, son bienfaiteur, dont il
recherche depuis longtemps la fille, et il se trouve que Lavinia
est cette fille même. Les sentiments sont d'une psychologie
toute sommaire.
« Il la vil charmante, mais il ne vit pas la moitié
Des charmes que sa vue modestement haissée tenait cachés;
A ce moment même l'amour et un chaste désir
Naquirent dans son sein *. »
Cet amour, de naissance si subite, s'exprime en exclama-
tions, en interrogations et en interjections continues : « Quel
dommage qu'une beauté si délicate.... soit destinée aux rudes
embrassements de quelque rustre grossier M — 0 vœu
romanesque, je voudrais qu'elle fût sa fille*! — Es-tu donc la
fille laissée par Acasto *? — 0 toi, plus douce que le prin-
temps ' ! — II te sied mal, oh î il sied mal à la fille d' Acasto ^ ï),elc.
Saint-Lambert n'a pas conservé l'épisode '; peut-être l'ori-
gine biblique lui en déplaisait elle. Mais le récit est resté
longtemps populaire en Angleterre. Goldsmith le faisait
figurer parmi ses extraits choisis des beautés de la Littérature
anglaise * ; et un poète provincial y prenait la matière d'un
long poème en deux chants *. Nous ne recommandons à per-
1. Autumn, 229-232. — 2. Ibid.y 231-241. — 3. Ibid., 251. —4. Ibid., 265.
— 5. Ibid,, 210. — 6. Ibid,, 282.
7. l\ lui en Tautun cependant pour rAutomne. Il reprend le premier épi-
sode de Summer^ le dépouille du tout ce qui en faisait la raison d'être, et le
réduit à la plus insignifiante anecdote. Cinquante vers nous apprennent
que la naïve Rosette et le jeune Lubin s'aiment, qu'un orage les effraie,
qu'ils veulent rentrer chez eux, rencontrent sur leur chemin un tombeau,
et en profitent pour jurer de s'aimer toujours.
8. « Sélection of the Beauties of English Literature. » L'hommage ainsi
rendu à l'auteur des Saisons est d'ailleurs fort diminue par cette remarque
dont Goldsmith fait précéder le morceau : « Mr. Thomson, though in
gênerai a verbose and afTccted poet, has told this story with unusual sim-
plicity. It is rather given hère for being mucb esteemed by the public,
than by the éditer. • {Murray's Goldsmith, vol. lU, p. 438.)
9. « Palemon and Lavinia, A Letjendary Taie. In two Parts. Enlarged
from a story in Thomson's Seasons, by David Mountfort, Prompter of the
Theatre-Royal. Edinburgh. » 1183.
L'ouvrage est devenu très rare. L'exemplaire du Brilish Muséum est
incomplet. Le poème est écrit en strophes de quatre pentamètres A rimes
alternées. La première partie contient LVII1 strophes, la seconde doit avoir
t384 JAMES THOMSON.
sonne la lecture de Fœuvre de Mountford. Nous reconnaissons
même que sous la forme beaucoup plus brève où il parait
dans les a Saisons », le récit n'est ]>as un chef-d'œuvre.
Thomson, avec la collaboration de Pope, ne nous a pas donné
une version nouvelle à comparer au simple et pénétrant récit
de la Bible. Son imitation est bien pâle à côté de la sobre
esquisse où Hugo a fixé le charme grave de Pidylle juive *.
Au total, on le voit, ces passages ne sont pas de ceux qui
ajoutent beaucoup à la gloire du poète. Ils viennent moins de
lui-même et de l'inspiration de son vrai génie, que de son
temps et des influences qui Tentourent. Il n'a ni le talent de
narration alerte et souple, ni le don dramatique qui aurait pu
insuffler la vie aux personnages de ces petites scènes. Et cepen-
dant, même dans ces hors-d'œuvre, se retrouvent encore
quelques traces de la personnalité vigoureuse du maître.
Dans l'ampleur et la sonorité du vers d'abord. Et puis, pour
ce qui regarde le plus important de ces épisodes, dans une
manière à tout prendre plus large, plus robuste et plus saine,
qui tranche au milieu des œuvres de ce temps. Le tableau de
genre du bain de Musidora — le souvenir le plus saillant que
laisse la lecture de ces passages narratifs — peut avec avan-
tage être comparé aux scènes analogues où se complaisent la
littéi-ature et Tart du xviu" siècle. Pour la morale comme
pour l'art, la sensualité un peu grossière des peintures de
Thomson vaut mieux que les mièvres élégances de Prior, de
Parny ou de Dorât, ou que la licence à froid de Swift, de
Montesquieu ou de Voltaire. Il y a dans son fait une teinte de
réalisme peu délicat, mais il n'y a pas de libertinage. Et c'est
peut-être un mérite que d'avoir rappelé, à Tépoque où flori.s-
sait IJoucher, les droits et la beauté du naturel, fût-il même
un peu cru.
à peu près la môme élendne. à en juger par le développement aUeint par
le récit à la slrophc L, la dernière qui figure dans l'exemplaire de la grande
Bibliollièque de Londres.
1. La Létjende des Siècles, Hooz endonni. — A. Chénier semble avoir eii
la pensée de Irailer le même thème, témoin ce >ifi' fragment dMdylle qu'il
imite • des vers de Thomson en faveur des pauvres glaneuses •,
LES IIORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 38S
II
Patriotisme et Politique.
y a dans les « Saisons » bien d'autres développements
sites que les Épisodes. Ceux-ci étaient, au moins par
jue lien fragile, rattachés au poème descriptif. Nombre
très morceaux * ont pour seule raison d'être le désir du
2 d'entretenir ses lecteurs des sujets qui occupaient alors
i^prits, ou de faire une place — au second plan et der-
! la Nature — à un nouveau personnage, James Thomson
Qùme. Nous passerons rapidement en revue les passages
lous sont ainsi révélés les pensées de son esprit et les
:ions de son cœur, les jugements de son goût aussi bien
es témoignages de sa science ou les traits de son esprit,
patriotisme est une des sources d'inspiration qui vien-
Ic plus souvent alimenter ces effusions du poète. Il avait
rté d'Ecosse une foi nationale sincère, et il y mêlait,
le savons, quelque secret espoir que la politique le
lirait, comme plus d'un écrivain avant lui, à la richesse
^ honneurs. Aussi sommes-nous tentés de lui savoir gré
qu'il n'ait pas plus souvent encore abandonné le sujet
e de son poème pour adresser à ([ui de droit les tirades
i patriotisme quelquefois éloquent et souvent déclama-
3casion en est d'ordinaire l'éloge de quelqu'un de ces
n'S d'État du parti whig auxquels il était attaché par ses
'tions non moins que par ses ambitions ou sa reconnais-
Nous voyons apparaître successivement au milieu des
iix de la nature (comme, dans les parcs alors célè-
chaque tournant de chemin était orné d'une colonne,
urne ou d'un terme), les portraits de ces hommes
;s, de renommée fort inégale, auxquels le poète assigne
lelqucs clntrres préciseront l'importance relative de ces deux élé-
rournis par le poème. Dans Tlliver, qui ne renferme pas d'épisodes,
G vers, 37o, soit plus d'un tiers, sont consacrés à ces dêveloppe-
riccessoiriîs. Le nombre en serait dans le « Printemps • de 500 vers,
!;, soit près d'une moilié; dans V « Kté - de 073, sur 1805; et dans
omne • àe 0i8, sur 13T3.
or
386 JAMES THOMSON.
d'uniformes et sublimes vertus : Dodinglon ", Onslow ,
Argyle 3, Forbes*, Lyttelton*, Pitt®, Cobham ", Wilmington*
ou Ciiesterfield •. — Nous n'avons guère de renseignements
utiles à recueillir de ces extraits. Cen*estpas dans les louanges
extravagantes adressées à des Dodington ou à des Wilmington
que rhistoire cherchera des documents sur les hommes d'État
du xviu' siècle. Mais ce qui peut frapper dans ces panégyriques,
c'est l'insistance avec laquelle l'auteur célèbre chez ses héros
leur amour de la liberté, leur déypuement à la patrie, et aussi
(car la plupart appartiennent à l'opposition) aux doctrines du
parti whig. Le terme patHot revient sans cesse dans Ténumé-
ration des vertus de ces politiques. Le mot n'a pas alors la
même valeur qu'aujourd'hui. Les « patriots » ce sont les
partisans des droits de la nation, en contraste avec les servi-
teurs trop zélés du roi *".
Mais le patriotisme, avec le sens que nous attachons à ce
mol, est également présent dans ces effusions de Thomson.
Le poète ressent et exprime fortement l'orgueil national de ses
concitoyens et de ses contemporains. Il a le patriotisme local
de l'Écossais. 11 énonce avec fierté les beautés de son pays de
lacs, de forêts et de montagnes ; il en résume l'histoire avec
enthousiasme **. Mais il a surtout le patriotisme britannique.
A maintes reprises il exprime l'orgueil que lui inspire la gran-
deur de sa patrie, et qui ne va pas sans une bonne part de
dédain ou de haine pour les rivaux de l'Angleterre". 11 demande
qu'un honmie d'Klat se lève, digne de présider aux détestinées
de la patrie et qui ne souffre plus celte humiliation de laisser
les bateaux hollandais pêcher dans les baies et les estuaires
anglais *^î Ce sont parfois des occasions inattendues qui font
jailUr ces hymnes à la gloire de la Liberté ou de la constitu-
1. Summer, 21-31 — 2. Autumn. 0-22. — 3. Ibid., 929-943. -- 4. Ibid., 944-
949.— 5. %m.9, 903-961.— 0. Auiumti, 1048-1069. — ". /6/V/., 10-0-1081.
— 8. Wifiter, 17-40. — 9. Ihid., 6:)6-690.
10. C'est le sens que le mot conservait encore dans la langue de Burke
lorsque le grand orateur représentait radniinistration de Pitt (1166) comme
formée d'éléments hétérogènes : a patriots and courtiers, King's frieiids
an d republioans, whigs nnd tories, trcacherous friends and open en-
cmies, etc. » (Cité par A. T. Thomson, p. 332.)
U. Autitmn, 878-909.
12. L'ennemi Gaulois reçoit, bien entendu, la plus forte part de ces traits.
Voir par exemple : Summer, 428-430, et Autuinn, 107.5-1017.
13. Su m mer, 428-430.
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈMB DESCRIPTIF. 387
lion britannique. La description des splendeurs de la nature
«1UX tropiques appelle, par exemple, dans son esprit et sous sa
plume, le contraste de la glorieuse liberté de l'Angleterre ^
Ailleurs le poète ne peut observer le tableau d'un troupeau de
moutons que tondent les bergers, sans célrbrer avec un trans-
port lyrique cette liberté politique à laquelle l'Angleterre doit
d'être la plus riche, la plus heureuse et la plus puissante
des nations '. — Voilà un des éléments de vie et d'intérêt du
poùrne pour les lecteurs à quiMl s'adressait. Le patriotisme de
Thomson n était pas moins sincère que son amour de la nature.
L'auteur avait le droit d'inscrire dans son œuvre cette fière
déclaration que « la muse...., toutes les fois que la pensée de
(( la patrie envahit son cœur, prend un ton plus hardi et tente
m de mêler à la flamme du poète la flamme du patriote ^ ».
III
Morale. — Sentiment et Sentimentalité.
Le caractère par lequel Tiiomson appartient le plus com-
plètement à son temps, c'est, avec le goût de la prédication
morale, une sensibilité qui s'épanche complaisamment en
toute occasion et sur tout objet. Nous savons que ce sont là des
traits qui se retrouvent à peu près dans toute la littérature du
xviii^ siècle. Pas un écrivain qui n'y prêche et ne prodigue les
maximes vertueuses. Les plus éloquents sont peut-être ceux
que leur vie prépare le moins à ce sacerdoce, comme Pope ou
Diderot. Et quelles sont les œuvres littéraires de ce temps où
ne s'aflirme, ne s'attendrisse et ne larmoie la chaude bonté,
l'humanité pitoyable d'auteurs qui s'appellent parfois Sterne
ou .Ïean-Jacques Rousseau? Thomson n'a pas inauguré la pré-
dication moraliste. Sans parler d'Addison et de Steele, les
satires de Young avaient avant lui fait une grande place à cette
inspiration. Mais nous verrons qu'il a contribué, pour une
part très notable, à établir ce règne du sentiment et de la sen-
timentalité qui est demeuré un des caractères essentiels du
siècle.
1. .Swmmer, 860-881 et seq. — 2. Spring, 830-8i8. — 3. Auiutnn, i8-22.
388 JAMES THOMSON.
Toutes les occasions lui sont bonnes pour adressera ses lec-
tcui*s quelque vertueux conseil. La scène des glaneuses, vers
le début der a Automne* », et plus loin le tableau d'une inon-
dation *, lui fournissent prétexte pour une invitation à la cha-
rité. Le souvenir du bonheur et de Tinnocence de l'âge d'or
l'amène à décrire les vices des sociétés modernes et les maux
qu'ils entraînent '. La misère des pauvres gens en hiver
appelle ses protestations contre l'indifférence des hommes
(( orgueilleux et livrés à la dissipation ^ dont le plaisir est fait
pour une si grande part de la souffrance d'autrui *. Et, dans
un passage de réelle émotion malgré la langue un peu décla-
matoire, il salue les hommes qui se sont voués à la réforme
des prisons, à Tabolition d'une des plus criantes misères de la
société de ce temps*. — Parmi les hautes objurgations se
glissent aussi quelques conseils familiers et d'ordre plus
modeste. De même que le poète flétrit l'égoïsme des riches en
accents dont se souviendront Goldsmith et Rousseau, il imite,
avec moins de finesse et de grâce, les sermons laïques d "Ad-
dison sur la pratique des petites vertus d'intérieur. Il s'indigne
par exemple contre les paresseux qui peuvent préférer leur lit
aux plaisirs réserves au promeneur matinal •. Et c'est un
nouvel exemple à citer, moins tragique que celui de Sterne et
de Jean-Jacques, du désaccord qui peut régner entre l'ensei-
gnement et la pratique chez un moraliste. — A propos delà
chasse, il s'élève contre la participation des femmes à ce jeu
cruel, et trace un programme des occupations, des talents, de
la toilette même qui conviennent « aux beautés anglaises ' ï.
Cette chaleur d'affection que nous a fait connaître la vie de
Thomson, son poème en reproduit plus d'une fois la trace.
Rien de plus significatif que la différence entre les éloges,
glacés malgré leurs hyperboles, qu'il adresse aux honunes
d'Ktatou aux grands ])ersonnages dont il recherche l'appui, et
ceux où il parle des amis qu'il s'est faits. On peut comparer
les louanges oflicielles et rémunérées de lady Herttord S de
Dodington ou de Wilmington, à celles où il célèbre Argyle, le
grand seigneur écossais, qui a généreusement favorisé ses
débuts, ou Lyttelton, « l'ami » % ou Forbes, le patron des
1. Autumn, 169-176. — ii. IbùL, 350. —3. î^prirnj, 271-307.— 4. W'inler.
322-358. — 5. lhi(L, 359-388. — (>. Summer, 07-80. — 7. Autumn, 570-600.
— 8. i>pring, début. — i). Ihid., 905-961.
LES nORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 389
premiers jours, le père d'un camarade tendrement aimé*. Il y
a surtout un accent de profonde émotion dans les vers con-
sacrés à des amis perdus. Tels ceux où il rend un honnnage
de regret affectueux à James llammond, l'orgueil de la petite
société d'écrivains et d'hommes du monde où Ta connu
Thomson*. Ces quelques vers des a Saisons » feront plus sans
doute pour assurer au gentilhonnne-poète une part d'innnorta-
lité que ses froides Élégies amoureuses. Tel aussi le passage
où il pleure la mort de la jeune Stanley enlevée à dix-huit ans
à Taffection de sa mère et à de chères amitiés ^
Voilà le sentiment juste, ému sans extravagance, sorti du
cœur et s'adressant au cœur. Il est digne de l'homme que nous
avons appris à connaître; il est en harmonie avec cette mélan-
colie attendrie que l'influence de la nature communique, à
certaines heures, même à l'observation la plus résolument
optimiste. Thomson l'a noté dans une des pages de « l'Au-
tomne ». Il vient de décrire le spectacle d'une douceur
navrante qu'offre l'année à son déclin : les feuilles qui tombent
lentement en cercles capricieux, ou que le vent agite et fait
tomber en pluie, ou qui tapissent les allées de la forêt et font
entendre un sifflement lugubre quand le vent soulève et trans-
porte leurs amas flétris. Plus de fleurs, les derniers fruits
tombent et tout prend un aspect désolé qui fait frissonner
lame. « La voici! la voici! — Avec chaque brise arrive l'in--
«t fluence de la Mélancolie philosophique! Son approche est
(n annonci^e par une larme qui jaillit soudain, par le feu des
« joues... et les battements du C(eur.... Mille idées et mille pas-
« sions se pressent devant Tesprit — la piété,... l'amour de la
a Nature, de toute la nature et surtout de la race humaine; le
<( grand et ambitieux désir de rendre les hommes heureux; le
« soupir pour le mérite soutirant perdu dans l'obscurité *. »
Retenons ce mot, a l'amour de la Nature, de toute la nature ».
C'est par là que le sentiment va prendre un développement
excessif et mal dirigé, et verser dans la sentimentalité.
Thomson ne se lasse pas de s'apitoyer sur les souffrances des
1. Aufamn,9kWdi\i. — 2. Winter, iiSo-r,"!.
;>. Summe)\ oG4-384. Le poète avait en outre composé uue épilaphe ilc
vingt-quatre vera pour rappeler les jeunes vertus de Miss Stanley oi la
douleur de sa mère.
-i. Autttmn^ lOOi-iOiiO.
390 JAMES THOMSON«
animaux. Pourquoi cette souffrance d'êtres inoffensi£s? Vingt
fois il se pose cette question douloureuse. Il s'élève contre la
cruauté de l'homme qui sacrifie leur vie à ses besoins ou à ses
plaisire*. Il regrette cet âge d'or où n'était pas né le goût de
la chair et du sang ^. Cette cruauté le révolte d'autant plus
qu'elle s'aggrave d'une noire ingratitude. Nos victimes ne sont
pas seulement inofTensives ; elles sont nos serviteurs et nos
amis. Et alors, avec une conviction qui atténue le ridicule de
l'argumentation et des hyperboles, le poète flétrit Thomme
plus cruel que le loup, car celui-ci <k n'a pas bu le lait de la
victime qu'il entraîne bêlante, il ne s'est pas vêtu de sa chaude
toison ^ ]». Du reste la compassion de Thomson n'attend pas
pour s'émouvoir la catastrophe causée par le couteau du bou-
cher. Il s'apitoie sur le sort des bestiaux exposés à Forage. Il
ne peut se défendre de prêter à ces humbles frères des atti-
tudes et des expressions tout humaines. A l'approche de la
tempête b(eufs et moutons « élèvent vers le ciel menaçant de
« suppliants regards * j>. Au milieu de l'hiver, le poète a vu les
1. Spring, 369, 370. — 2. Jbùf., 237.
3. Ibid., 339-370.
Dclille a repris ce thème. Il flétrit la chasse, et cette • lâche victoire sur
d'impuissantes victimes ». l\ invite les chasseurs à s'adresser de préfé-
rence aux fauves. {L Homme des Champs,) Mais il a compris combien l'excès
peut ici devenir puérU, et il semble bien qu'il ait en vue le paragraphe
de TliomsoQ. quand il écrit :
<i Pourtant, quelque intérêt que m'iospireut vos maux,
Je n'irai point, rival du vieillard de Samos,
Répéter aux humains sa plainte attendrissante.
Je ne m'écrirai point d'une voix gémissante :
> CruelSf que vous ont fait rinnocente brebis,
Que vous a fait Toiseau
Que vous a fait le bo3uf ? >*
[Malheur et Pitié. Ch. I, p. 15, Itt.)
Uoucher n'a pas les nu^mcs réserves, ni le même sentiment du ridicule.
Il traduit Thomson (sans le dire) dans uue langue plus médiocre.
« Arrête, homme vorace, arrête : ta furie.
Des Tigres, des Lions passe la barbarie.
Jamais ces animaux dans le sang élevés
Du lait de la Brebis ne furent abreuvés;
llfl ne furent jamais revêtus de sa laine.
Le Bœuf pour les nourrir fécondc-t-il la plaine?
C'est pour toi que, sans fiel, docile à Taiguillon,
Il creuse sous le joug un paisible sillon. »
[Lea }fois. Vol. I, chant I, p. 15, 16.)
i. Summei\ 112 i, 1125.
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 391
moutons « contempler tour à tour le ciel lugubre et la terre
<( brillante avec des regards de désespoir muet * ». Cette sym-
pathie qui s'aCnige des rigueurs de la nalure garde, à plus
forte raison, pour toutes les victimes de Tégoïsme humain, de
la pitié et des vers. Quelques-uns sont touchants et bien venus,
comme ceux où « sa muse pleure sans honte ses frères des
« bosquets », « les jolis prisonniers que Fhomme enferme dans
c une cage étroite pour satisfaire un cruel caprice, ou dont il
« pille le nid, insoucieux de la douleur qu'il cause ' ». Mais les
traits sont au contraire, trop souvent, de goût douteux. Le
poète s'élève contre la pratique inhumaine d'enfumer les
abeilles pour prendre le miel des ruches, et il nous montre
« ce peuple heureux dans ses cellules de cire, occupé des tra-
« vaux de lacommmunauté, faisant des projets de tempérance
« pour rhiver et la disette, et se réjouissant de voir amassées
« les amples provisions, quand soudain monte la noire fumée
a étouffante qui suffoque par milliers ces insectes délicats
c( habitués à de plus douces odeurs ^ ».
I^ chasse, on le comprend, est Tobjct de sa réprobation
violente. Pour nous attendrir plus sûrement il nous montre
successivement les souffrances de chacun des animaux. 11 nous
intéresse, après Pope, au spectacle du faisan atteint par le
plomb. Sa description moins curieusement pittoresque et pré-
cise est plus émue et plus touchante ^ Il ne voit pas seulement
Toiseau et son plumage éclatant, mais la somme de bonheur
que représentait cette [petite vie, et la couvée, ses alarmes, son
épouvante. Le lièvre est à son tour Tobjet d'une description
dont nous avons noté ailleui's l'extrême et délicate justesse.
Klle se termine par quelques vers indignés sur « cette folie
a tumultueuse et cette joie discordante de la foule confuse des
« chiens, des chevaux et des chasseurs, tous triomphants d'une
« faible et innocente créature qui ne sait que fuir ^ ».
Le cerf est le sujet du troisième tableau dans cette descrip-
1. Winler, 261-263. — 2. Sprint, 713-72*;. — 3. Autumn, 1172-1200.
4. Autwnn, 360-378. — PopeJ Windsor h'oresi, v. il 1-119. Thomson
n'a conservé ni le ■ whirrin^ • du vol de Foiscau, ni le « panting beats
Ihe ground », ni le « scaiiel-circled eyes -. .Mais il adopte l'épiUièle
- Iriumphant • par laquelle Pope caractérise d'un mot le spectacle superbe
de l'oiseau traversant Tair: et <« varied plumes » dans 1* k Automne » est
un souvenir de - varying dycs • de Winfhor Fores^t.
5. Aulumn, 400-i2i>.
39â JAMBS THOMSON.
tion de là chasse. Le peintre et le moraliste avaient ici un pré-
décesseur illustre. Nous ne nous étonnons pas de trouver dans
les vers de Thomson plus d'un souvenir d*une scène célèbre
de Shakespeare \ C'est à lui que notre poète emprunte Tépi-
thèle a sobbing* ï>, et « mark his side with gore ' i, et Tidi'e
de la dernière souffrance du pauvre animal que fuient ses
frères égoïstes, et ce vers qui est presque de toutes pi«'ces
emprunté au grand dramaturge :
€ Tlic bifî round lears nin down his dappled face *. »
Les soulTrances même des bêles de proie éveillent chez le
poète quelque sympathie. Après avoir engagé les chasseurs à
tourner leur ardeur contre le lion, Je loup, le sanglier ou le
renard, (c le nocturne voleur », il constate l'héroïsme du
bandit qui, a forcé et dur à tuer, se laisse sans une plainte
« déchiier par cent gueules impitoyables * ». C'est là une note
très moderne que ne connaissait guère la poésie antérieure à
notrcî siècle. Le renard de Thomson n'est pas indigne d'être
mentionjic à coté du loup de Vigny, qui
« Sans diiifincr savoir comnuMit il a péri,
Refermant si's grands yeux, meurt sans jelcr un cri •. »
Cela suftirait sans doute à montrer que c'est bien à Thomson
que revient l'honneur d'avoir, le premier depuis Shakespeare,
témoigné une sympathie pour les soulîrances des animaux et
prononcé un plaidoyer ému en défense de leur faiblesse et de
leur droit à la vie. C'est une injustice que d'attibuer à Gowper
et à Biirns le mérite d(î cette compassion et de ce rappel à
l'humanité ".
1. .l.v You tikfi //, acte II, se. i, du vers 21 à la On de la scène.
2. • The sobliiuK deer -, v. 00.
'.\. • llnve Iheir round liaunches pored •, v. 25.
». " And llie big round tears
Goursed one another do\Mi his innocent nosc. •
(Vers 39, 40.)
:>. Autumn, 190-192.
0. Iji Mort tlu Loup. Poésies diverses.
'. M. Angellier, si exnrioment informé d'ordinaire, a commis cette
injustice. {Esxai sur liurns, vol. 11, p. 350, 351.) — I^ mérite de Bums
ne soufTrira pas d'ailleurs do cette réparation faite à un écrivain qu'il
aimait. Chez le poi*te paysan le sentiment ne tourne jamais à la sensi-
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLES AU POÈME DESCRIPTIF. 393
Mais notre poète ne s'arrête pas là, et sa protection, bien
plus bas dans Téchelle, descend jusqu'aux créatures les plus
humbles, les plus méprisées. S'il parle de la pêche, il con-
damne l'emploi de l'appât vivant. ((Que sur ton hame(;on le ver
(( torturé n'agite pas ses anneaux dans une douleur convul-
ii sive*. Ti Ici encore le souvenir de Shakespeare s'impose à
nous. Il avait déjà — et peut-être avant Thomson était-il le
seul parmi lt»s poètes de l'Occident — pensé et dit que l'homme
n'a pas le droit d'infliger la souffrance à la moindre créature.
Lit pauvre insecte que nous écrasons sous le pied.
Éprouve dans la souffrance de son corps une agonie aussi cruelle
Que celle du géant qui meurt *.
11 est vrai que, par une inconséquence assez commune,
Thomson n'étend guère au poisson la pitié que lui inspire le
ver. Il a bien un mot de compassion pour oi le misérable faible,
a inerte et sans plainte, de la poitrine duquel il faut arracher
d l'hameçon »; mais sa nature d'Écossais et de pécheur l'em-
porte; il prône et recommande la pèche — à condition de n'em-
ployer que des mouches artificielles ^
blerie. 11 s'y mêle presque toujours uu ^rain d*ironie ou de malice qui
le sauve de la puérilité, et lui permet d'étendre, en demeurant touchant
et sincère, sa pitié jusqu'au « pauvre vieux Nicholas >*. — Burns a trouvé
l'exacte mesure dans cette expression de la sympathie de Thomme pour
les créatures inférieures. C'est l'émotion sobre d'une tristesse à demi
souriante, qui reste à égale distance des attendrissements larmoyants de
Thomson, et de la rhétorique déclamatoire de Victor Hugo dans des
pièces comme VAne, le Cochon^ etc.
1. Spring, 387, 388.
2. Mensure for measure, acte 111, se. i, vers 70-81.
• And Ihe poor beetle that \ve tread upon.
In corporal sulTeraDce finds a pang as great
As when a giant dies. »
3. Sprinfjy 390, 391. Il pourrait bien y avoir là un souvenir de (îay, dont
les Rural Sports présentent avec le poème de Thomson des affinités qui
n'ont pas été suffisamment remarquées.
« Around the steci, no torlur'd worm shall twine.
No blood of living inscct stain my line.
Let me, less cruel, cast the feather'd liook
Aod with the fur-wrouglit fly delude the prcy. »
[Rural Sports, Canlo I, v. *205-270.)
Cette subtile distinction, cette sensibihté qui s'exalte en faveur du ver,
et ne s'émeut pas pour le poisson, avait attire h Gay une boutade de Swift
394 JAMES THOMSON.
L'auteur des a Saisons i> a donc une part et une part impor-
tanteau retour du sentiment dans la poésie, et à rétablissement
aussi de cette forme d'affectation qui, sous le nom de sensibi-
lité, va sévir pendant près d'un siècle sur la littérature de
l'Europe. Faudra-t-il de ce chef le condamner? Il semble qu'on
doive lui tenir compte d'une réelle sincérité qui perc^ sous les
exagérations d'une rhétorique parfois emphatique. C'est, au
demeurant, un noble rôle qu'il assigne à la Muse, quand il l'in-
vite à prendre courageusement la défense des petits, des fai-
bles, des victimes impuissantes et muettes, de tous les êtres
qu'il nomme ses frères parce qu'ils ont comme lui le pouvoir
de sentir, d'aimer et de souffrir. S'il l'applique, ce beau nom,
aux oiseaux chez qui les poètes se sont plu à constater une
commune mission de chants *, nous savons que son cœur
l'étend à tout ce qui a vie. Thomson annonce et prépare ici
l'un des plus nobles a motifs d inspirateurs de la poésie
moderne, celui qui a dicté tant de beaux vers non seulement à
Cowper et à Burns, mais aussi à Goleridge et à Wordsworth *
et que Shelley a ainsi formulé :
« Terre, océan, air, fraternité chérie.
N'esl-il pas vrai que jamais je n'ai sciemment blessé
Xi un oiseau brillant, ni un insecte, ni un iuofTcnsif animal,
Mais que toujours j'ai aimé ces éti*es, mes frères '? »
Sans doute cette sympathie étendue à tant de choses peut
devenir puérile. Chez plus d'un « le sentiment b va cesser d'être
que Lei^h Hunt fuit figurer dans ses conversations de Pope et de Swifl :
« Mr. Gay, vous êtes le seul pécheur que je connaisse qui ait une idée
dans la tête; et de toutes vos idées, c'est la seule qui ne mérite pas que
vous l'ayez. • (Voir Lbioh Hum, Table Talk.)
\. • Be not the muse asliamed, hère to bemoan
lier brothers of the jçrovc. »
(Spring, 101,102.!
2. I*ar exemple dans the Taie of Ihc Ancient Mariner, dans HarlUap
Wrll et dans The v^hite Doe of liaveior.
l\. • Karth, océan, air, beloved brotherhood !
ir no briglit bird, insecl or gentle Iteast
I consciously hâve iuJurecJ. but still loved
And cherished thcse my kindred.... •
{Alasior,)
LES iiors-d'œl'vrk mklks Ai: POÈME des«:hiptif. 3î)o
mie émotion, pour lu^ reslur qu'un»' juniniace. Mais celloîilleiMa-
tion iiu''me u«î vaul-eiio pas mieux encore que l'allectation d'une
insensibilité où beaucoup croient prouver une force et une
supériorité * ? La raison avait eu son long règne. On avait vu
les plus grands penseurs, en France, en arriver, par d'ingé-
nieuses déductions, à nier chez les animaux toute l'acuité de
sentir. Les philosophes anglais fondaient volontiers leur morale
ou leur politique sur régoïsme ou sur les pires instincts, ceux-
là seuls leur semblant partie essentielle de Tàme humaine. Ce
n'est pas une gloire méprisable pour Thomson que d'avoir, un
des premiers, rappelé les droits du sentiment et protesté contre
une véritable mutilation de la nature humaine. Nous avons
connu depuis un autre goût et une autre attitude de grandes
écoles littéraires. C'est peut-être pour nous une raison de voir
avec plus d'indulgence Témotion et même la sensiblerie de
Thomson et des écrivains qui l'ont suivi. On peut trouver leur
puérilité moins déplaisante et moins contraire à la vérité de
Tàme humaine que l'irritante et orgueilleuse sécheresse de
certaines écoles très modernes.
IV
Philosophie.
Nous avons dit que, dans les a Saisons », la représentation
poétique du monde ne procède d'aucun système religieux ou
philosophique. Il n*est pas moins vrai cependant que le poème
renferme l'exposé d'opinions doctrinales auxquelles Tauteur
attachait assurément une grande importance. Il était, depuis
l'université, resté enthousiaste des hautes spéculations de la
pensée. Les problèmes de la métaphysique se posaient devant
lui non seulement à l'occasion de ces réflexions morales dont
nous parlions dans les pages précédentes, mais aussi comme
le terme de sa longue observation de l'univers matériel. Il nous
a dit lui-même quel charme il trouvait à poursuivre, avec quel-
ques amis, la solution de ces grandes questions. Durant les
1. On peut lire sur ce sujet une page spirituelle de Olivek Wekdell
Holmes, dans The Poet ni the Breakfast-Table, V, p. 12D, 120.
396 JAMES THOMSON.
loisirs des soirées d'hiver^ on se demandait, dans la petite
maison de Kew-foot Lane, a si la structure immense de Funi-
vers fut tardivement évoquée du monde de la Nuit, ou si elle
jaillit éternelle de Téternel Esprit; quelle est sa vie, quels sont
ses lois, son dévclo[)poment et sa fin ' ». Thomson célèbre avec
chaleur les beautés et les joies de la philosophie : elle défendiez
hommes éclairés de Tesclavage des superstitions, de la t foi
mystique » et de « Tétonnement aveugle »; elle leur assure les
jouissances divines du savoir *. Et, apostrophant la noble science
elle-même, la « Philosophie sereine,.... source jaillissante de
vérité », il termine V « Été » par une longue énumération des
bienfaits dus à ces eiïorts de l'esprit vers le vrai absolu, aux-
quels il rattache toute science, toute civilisation et tout pro-
grès '.
(Juelle est donc la doctrine du poète? Il n'est pas très facile
de lier à un système nettement précisé les nombreuses expres-
sions qu'il donne successivement à sa pensée. Les professions
de foi panthéiste abondent : « Quel est cet esprit puissant...'?
« Quel est-il, sinon Dieu, qui, esprit partout présent, énergie
« incessante, pénètre, dirige, supporte et meut le monde
« entier*? » — « La Maison remonte jusqu'à Celui, Essence pro-
<i ductrice du monde, qui seul possède l'être *. » — « En toi,
<ï Printemps charmant, et dans tes douces scènes, on voit le
« Dieu souriant^. » — Le début de PHvmne final est aussi
très explicite : « C) père Tout-puissant, toutes ces saisons,
a. dans leurs changements, ne sont que le Dieu manifesté
<i divei*sement. Tu remplis l'année dans ses révolutions. C'est
<( ta beauté qui s'avance dans le Printemps charmant, c'est
« ta tendresse et ton amour ", etc.... » On comprend que des
affirmations aussi catégoriques de la doctrine aient paru con-
traires à l'orthodoxie : que Lyttelton ait voulu atténuer la
netteté de ces professions de foi »*; que Gibbon et Dugald-
1. Winter, 375-:i:S. — *->. Siwtmer, 1711-1729.
3. Sununf*!', 1730-!s0*>. — Ce caractère de \)oè{e philosophe est un «le
ceux que signale Vnllairc chez Thomson dans sa lettre à LyUelton :
« Mr. Thomson was a tnie philosophical ))Oet.... I think without a K'ood
stock of such philosophv, a poet is jusi above a fiddler who amuses our
eurs but docs not ^o lo our soul$. • (Lettre du 17 mai 1750 n. st.)
i. Sprint/, 8iS-8«:i. - ".. Sum7ner, 1 740-17 ts. -6. Spring, 860, 861. —
7. Ili/inft, 1-20.
8. 1! proposait de supprimer T- Hymne -. d'en conserver seulement quoi-
ques vers et de les verger daus le corps du poème.
LES IIORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 397
:ewart * aient signalé les a Saisons » parmi les œuvres
ii'inspii'e la philosophie panthéiste. Mais on peut d'ftutre part
pposer aux extraits cités plus haut bien des passages qu'il
?rait malaisé de concilier avec eux. Le poète de la Nature en
ait venu à cette conception — demeurée sans doute assez
ijïue en son esprit — que le monde est un être, que toutes
s créatures participent de la vie universelle, que Tesprit ou
: génie humain est un reflet ou une manifestation de l'Être
niversel -, que l'univers visible ou moral et Tesprit divin sont
idissolublement liés et n*ont qu'une même existence. Mais,
)it persistance presque inconsciente de Tancienne foi reli-
ieuse et des enseignements de Técole, soit concession prudente
jx doctrin(;s orthodoxes, notre panthéiste môle à ces vues
lus d'une invocation au Dieu personnel et providentiel des
)iritualistes et des chrétiens :
« Comment oserai-je essayer de le chanter, lui qui est la
Lumière même.... dont un seul sourire, à l'aurore du temps, a
rempli d'une clarté débordante toutes ces lampes du ciel ^? »
- <ic Père de la Lumière et de la Vie î Toi qui es le Bien suprême,
ô apprends-moi ce qui est bien.... Sauve-moi de la folie, de
la vanité et du vice*.... »
Parfois aussi les deux conceptions se mêlent dans un même
issage. Dans a la complexe nmltitude des merveilles inces-
mtes » la philosophie, dit-il, lui permet <c de concevoir jus-
tement rÈtre unique, celui qui n'eut qu'à dire un mot pour
que toute la nature alors s'animât^ ». — Le « Printemps »
aussi un passage dont le début est de pur panthéisme, et la
n d'un irréprochable déisme : (c Salut, source de l'être! Ame
universelle de la terre et du ciel, Présence Essentielle,
saUitî... toi qui de ta main de maître as touché l'Univers
immense et Tas rendu parfait.... A ton ordre le soleil du
printemps éveille la sève engourdie**.... » — Du même
1. Dissertation préliminaire, servant cJe prérace à la première édition de
> Encyclopédie Britannique », p. 147.
2. Winter, 594-397. Aussi A Poem (o ihe Memory of the Lord Talbot^
-23; et On the dealh of Mr. Aihnan, H, 12.
3. Summer, 175-191.
». Winter, 216-222. C'est ce passage que cite, dans une lettre drama-
|ue, une des femmes que Burns a aimées et fait souffrir. On trouvera
tle lettre traduite dans le travail de M. Angellier, t. I, p. 346.
5. Snmmer, 17S:)-1788. — 6. Sprbiff, 555-570.
398 JAMES THOMSON.
double caractère étaient ces vers des premières éditions qni
ont disparu aprôs 1738. L'exemplaire de Mitford nous les
montre barrôs et condamnés. Mitford suppose que c*est à cause
de leur saveur de panthéisme. En réalité si quelques termes se
prêtent à cette interprétation, le passage semble au total sug-
gérer plutôt ridée d'une Providence personnelle et indépen-
dante de la Nature : a Le soleil et la lune... sont un rayon de
« lui. Un signe de sa tête produit le calme. C'est sa colère
a qui s'exhale dans la tempête,... le Tonnerre est sa voix,
a et le rouge Éclair Tépée rapide de sa justice. *»
A cette conception d'un panthéisme un peu flottant, Thomson
ajoute une idée qui lui est chère. La doctrine pythagoricienne
a pour lui un attrait puissant. Elle est en parfait accord avec
cette aversion — théorique — pour la nourriture animale que
nous relevions dans un chapitre précédent. Elle donne en
outi'e satisfaction à ce désir de croire à une vie au delà de la
tombe, à ce vague besoin de spiritualité mystique qui sunil
souvent à la perte de la foi religieuse.
(( Il suffit que nous ayons touché légèrement ces nombres
« du sage de Samos. Le ciel... nous a, dans sa volonté parfai-
a tement sage, fixés en un état qui ne doit pas encore s élever
a à la pure perfection. Et qui sait comment, s'élevant à une
« vie plus haute, réchelle vitale monte do degré en degré *? »
Les rêves de notre poète imaginent, en même temps qu'une
transmutation des Ames d'un être vivant à un autre, un trans-
port ou une résurrection dans des mondes successifs. Il veut,
a entraîné par l'espérance dans les obscures régions de
a l'avenir, prévoir, grâce à la feneur de sa pensée, ces scènes
a de bonheur et de splendeur où l'esprit, dans un développe-
« ment sans terme et une ascension infinie, s'élève d'une con-
<r dition à une autre et d'un monde à un monde nouveau ' ».
C'est une doctrine à laquelle il revient volontiers, même en
dehors de son grand poème. Dans son beau morceau sur la
mort de Newton, il exprime l'hypothèse, et suppose que son
héros erre parmi ces mondes dont il a pénétré les secrets *. —
Plusieurs années après, nous le trouvons encore attaché au
même dogme. Il écrit à son ami Cranstoun, en réponse à une
1. Dans rédilion de 1138. de 805 à 820.
2. Spritif/, 310-377. — 3. Wintcr, C03-608. — 4. Vers 187 et 19 i.
LES «ORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 399
lettre où celui-ci lui a appris la mort de son frère, John
Thomson : a ... Une chose dont je suis assuré, c'est que la vie
« à venir vaudra mieux que celle-ci, et ainsi de suite à travers
a rinlinie succession des états futurs. Chacun s'élève au-dessus
« des précédents, et tous manifestent éternellement Tinfinie
*i bonté. Mais tout cela tient à un sy.stème qui ne convient pas
« peut-être au milieu dans lequel vous vivez, et qu'il serait
« trop long d'expliquer dans une lettre *.... »
Au moment où il écrivait ces lignes, il travaillait à son
grand poème de a La Liberté », et il y réserve une place à une
nouvelle exposition de sa doctrine favorite. La troisième
l^artie du poème contient en eiïet une digression assez inat-
tendue où lauteur exprime une fois de plus son admiration de
Pythagore et de sa philo.sophie. Après avoir rappelé les
recherches astronomiques du sage, il ajoute : n Instruit par ce
« spectacle, il se forme une noble idée du Dieu qui donne à
<( tout le mouvement (;t la forme.... Il enseigne que la flamme
a inextinguible de la vie passe tour à tour de la brute à
<( rhomme et de Thonime à la brute en un cvde éternel....
a Doctrine de vérité parfaite, si le maître avait vu que cette
tf chaîne de la vie monte toujours : s'il avait vu, non pas un
u cercle uniforme, mais un ensemble qui toujoure s'élève '. »
Voilà la partie originale des opinions de Thomson. Mais cette
doctrine de poète, il Texpose en poète. Nous savons de quel
enthousiasme elle l'inspire; mais il ne nous a pas dit sur quels
arguments il appuie sa croyance. Quant à son panthéisme, il
n'avait pas, comme sa foi à la métempsycose, le caractère
d'un paradoxe piquant. C'était la doctrine métaphysique de
Pope, celle au moins que lui avait dictée Shaftesbury ^ Si elle
se montre plus arrêtée, plus chaleureuse surtout chez Thomson,
1. Lettre du 20 oct. 1135.
•2. Liberty, pari 111, 32-70.
.1. TlioinsoD a d'ailleurs liii-mt^me exprime sun respect el son admiratiou
pour Ai^hlcy Cooper, 3« comte de Shaftesbury. Voir Winler, 1551-1*15;). —
Le panthëii^me de Sliaftesbury ou de Pope n'est pas du reste une doctrine
•hoirie pour ses mérites propres. C'est surtout une dos formules par oiï
l'exprime chez eux le sentiment d*une harmonie parfaite dans la création:
r*est l'optimisme qui se retrouve sous cette forme métaphysique.
Ouant aux vers de Pope qui énoncent la doctrine, ils sont nombreux
lin ri s VEssaf/ on Alan, Contentons-nous de rappeler ce distique :
« AU are but parts of onc stupendous whole,
Whose body Nature is, and God the soûl. •
400 JAMES THOMSON.
c'est que toute poésie de Tunivers a une tendance à voir dans
la divinité Tàme dos choses *. Ce genre évidemment sacxîoni-
mode, mieux tjue la poésie didactique* ou moi*ale, d un sys-
tème qui aboutit à Tapothéose de la nature. Lauteur des
<i Saisons )) cependant n'a pas trouvé d'inspiration très lïeu-
reuse dans cette doctrine demeurée en son esprit incertaine et
nuageuse. La poésie philosophique n'est pas son fait. Il n'y a
pas dans sa langue cette ferveur contenue qui a permis à
Dryden, par un phénomène presque unique, de traiter en
{?rand poète des thèses de philosophie ou de politique.
ïhomson est plus heureux dans les vers de sentiment pure-
ment religieux. Quand, oublieux des subtilités métaphysiques
où il lui arrive d(^ se perdre, il se laisse entraîner à une effusion
de piété, pour adorer la puissance suprême, force immanente et
essence unique, ou au contraire Dieu créateur et Providence
tutélaire, alors il trouve des accents d'une éloquence enflammée
qui ne sont pas indignes de Milton. Tels sont quelques-uns des
passages rappelés plus haut *. Tel est surtout cet « Hymne »
qui tout à la fois résume le tableau de la nature et fait de la
Création entière un clidîur magnifique de joie reconnaissante.
Ici sans doute il convient de mentionner les quelques ana-
lyses psychologi(|ues qui se rencontrent dans le poème. Il ne
s'agit pas d'une étude des passions traitée à la façon des dra-
maturges. La seule part faite par les a Saisons » à cette forme
d'ai't, nous l'avons rencontrée dans les épisodes, et nous avons
dû noter alors de (luelle faible valeur sont ces peintures de
l'amour. Mais dans d'autres parties de l'œuvre se montre une
tentative d'analyse scientiliquc de passions, méthodiquement
poursuivie et exposée '. C'est, dans le a Printemps », la pein-
ture de l'amour naissant, l'étude des manifestations diverses
1. Ce n'est pas seuleinenl Virgile qui nous on fournirait la preuve :
« Spiritus intud alit, tolamque infusa per artus,
Mens agitai mole m, et maixno se corpore miscet • ;
le pins clirélicn des poètes, Gowpcr. a orrit :
« Tliere livcs and works
A pou! in al! tiiings, and tliat soûl is God. •
2. Sumtner, 175-191, 17.S2-178S; IVj//^'/-, 216-222: .S;;W/i«;, 555-570.
3. Un passage de V • Kté » expose môme et la méthode, et Tobjet. cl
les limites de lu science qui étudie les phénomènes de l'esprit. {Suttiihi.
1782-1789.)
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 4U1
(le ce sentiment et des transformations qu'il peut subir. Nous
voyons exposé Tamourchez la jeune fille *, puis chez le jeune
homme — avec force recommandations morales à Tun et à
lautre sur les dangers qui les menacent *. Alors viennent les
maux et les tourments de l'amour, les souffrances de Tamant
séparé de sa maîtresse ^. Puis les déviations de Tamour; la
jalousie *, a cette peste qui teint tout en jaune * ». Enfin un
tableau des félicités de Tamour honnête, du mariage et de la
famille •.
Nous n arrivons guère à goûter les passages que ces thèmes
ont inspirés au poète. Sa langue y parait trop souvent bour-
souflée. Sa large et sonore période ne se prête pas heureuse-
ment à l'analvse des Unes et délicates nuances de la vie du
cœur. Dans la peinture des transports violents il arrive vite à
l'hyperbole déraisonnable. S'il s'agit de famant que torture
Tabsence de celle qu'il aime, « son Ame ravie vole bien loin jus-
ci qu'au sein imaginaire de sa belle, ne laissant derrière elle
1 que l'image d'un amant immobile ' )>.
Hyperbole et banalité, tels nous paraissent être aujourd'hui
les deux caractères principaux de ces observations et de ces
descriptions. S'il fallait y chercher une trace du temjiéi'ament
individuel du poète, peut-être pourrait-on la trouver dans la
conception qu'il s'est faite de l'amour chez les jeunes filles.
Nous savons, par sa vie, qu'il a su comprendre l'amour sous
une forme très pure et très haute ^ Mais quand il peint les
émotions d'une jeune fille qui aime, si touchante et si chaste
qu'il veuille la figurer, ses descriptions ont quelque chose de
lourdement appuyé, de sensuel et d'indélicat.
« Les désirs soulèvent son sein en palpitations violentes;
« un désordre délicieux envahit ses veines, et toute son àme
a qui s'abandonne est amour. Son amant détourne ses yeux
« de ce regard ardent, tout plein lui-même des chers et
a puissants transports, et pâmé de langueur ^ »
1. Sprint/, 962-981. — 2. Ihid., 982-99i. — 3. Ibid., 095-i0'72. — 4. Ihid.,
1014-1111. — 5. - The yellow tinpein}jç plaque - (M/V/., 1082). — «i. Ihid.,
1 112-1173. — 1. Ibid., 1019-1021. Voir encore 1091-1095.
s. Il a su aussi dire quelle est la noblesse morale de ce sentiment :
- That noble wish, tbal never-cloyed désire,
Wbicli, seltish joy disdaining, sccks alone
To bless the dearer object of its (lame. -
{Ibid., 290-293.^
0. lôid.y 967-972.
2G
402 JAMES THOMSON.
« Un parfum puissant, exquis comme Thaleine de Mai
a quand, après s'être épandue sur les violettes, elle arrive à la
« bergère pâmée d*amour, qui doucement entend son berger
Cl haletant s'approcher pour se glisser dans ses bras *. »
Nous avons relevé plus haut la teinte do sensualité un peu
grossière qui se mêle aux peintures de femmes qu a tracées
Thomson *. C'est le même caractère qui reparait ici. II ne
mérite pas un blâme très sévère . Rappelons-nous quelle
licence moins franche, moins naturelle et moins inofleiisive
autorisaient les mœurs (*t les exemples de ce temps. Nous
comprendrons que les contemporains de Thomson n aient wi
dans son poème rien que la plus rigide moralité. Longtemps
apivs sa mort c'était un grand écrivain français et une femme
qui admirait à la fois la pureté de l'enseignement et la beauté
poétique des peintures de l'amour dans les t Saisons ». t Les
vers de Thomson me touchent plus que les sonnets de Pétrar-
que ^ », (lisait Mme de Sta('l. Et dans une autre partie du même
ouvrage : ce Esl-il une ])his délicieuse peinture de Tamour dans
(( le mariage que les vers (|ui terminent le premier chant de
a Thomson sur le Printemps *? »
1. Anittmn^ oVô-VAH.
'2. Nous avons parlé du bain de Musidora et des peinturi^s iadiscrèle>
du poùte. Dans lo même clianl, voici :
« ttie ruddy maid
Ilalf nakud ewellin^ on the si^lit. •
(Summer, 355, 356. ■
VA dans rAutomne :
« Her every cliarin abroad, llic village toast
Yonnp, buxom, warm. in native beauty rich,
Darls not unmeaning looks. •
(Autumn, 1226-1228.)
Ses statues de bronze n'ont pas moin? que les marbres qui ngureaU<:â
jounts lllles d'Auf-leterre ce caracbTO de beaulê pleine, é]mnouie. un peu
maté ri elle :
• Mis brothor Niger too, and ail llie floods
In whicli the full-formed inaids of Afric lave
Tlieir jelty limbs. -
{Summer, 822-824.)
'^. !>(' la LU it' rature, préface de la 2" édition.
^. Ihiff.. clinp. XV. • De rima^inalion des Anglais ».
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 403
V
Science.
es sciences naturelles, non moins que la philosophie,
ient eu pour Thomson un attrait qui survécut à ses années
nivei*sité. Sa poésie y a plus d'une fois trouvé une inspira-
{ heureuse. Le poème sur la mort de Newton montre avec
1 succès son vers et sa langue se prêtaient à Texposé des
ndes hypothèses de la science. Les a Saisons » renferment
nombreux passages où l'auteur mêle à ses descriptions pit-
.^sques le souci d'une explication scientifique. Non pas du
te que le poète oublie son véritable rôle et se place, pour
erver la nature, au point de vue qui convient au savant,
explications et les investigations de la science ne viennent
plus que les spéculations de la métaphysique troubler sa
re vision des choses. C'est en artiste et en poète qu'il con-
iple le monde. L'intérêt qu'il prend aux réponses fournies
la science vient s'ajouter ch(;z lui à l'observation directe
apparences, sans dénaturer l'émotion qu'il éprouve ni
pression qu'il nous en donne. Tout au plus pourrait-on
îver quelques rares passages où une confusion s'est établie
!'e les deux personnages, et où le pseudo-savant vient faire
. au poète. Il lui arrive par exemple, dans un accès de for-
te curiosité, de prononcer tel souhait où l'artiste eût dû
r une profanation. Il voudrait pénétrer le secret de la for-
tion des sources, et s'écrie : « O génie de la science,... mets
nu la montagne; révèle sa structure secrète aux yeux
tonnés! arrache aux Alpes leur fardeau de sapins; arrache
u Taurus l'énorme et encombrant vêtement de ses bois
(Treux ^... »
iiutilede dire que ces notions scicMitifiques ne sont pas tou-
rs telles que le savoir moderne les puisse accepter. Klles
roduisent les connaissances d'alors telles que pouvait les
Drasser un esprit avisé, volontiers hardi dans ces matières,
L'ptant d'enthousiasme les hypothèses des derniers arrivés
Autumn, *'l) 78 'i.
404 JAMES TBOMSON.
el des plus entreprenants parmi les chercheurs. Les difiérentes
découvertes de Newton dans le domaine des sciences naturelles
sont rappelées on plusieurs passages des « Saisons », indépen-
damment du brillant exposé qui en est fait dans le poème con-
sacré à rillustre savant. S'il y a là même une part aujourd'hui
condamnée, à plus forte raison les erreurs se rencontrent-elles
dans les occasions où Técrivain ne s'appuie pas sur la haute
autorité d'un Newtoïi. Dès le début du a Printemps » lauteur,
après tant d'autres poètes — et il ne devait pas être le dernier,
— fait du mois de Mai le temps des roses. Il croit que le c mil-
dew » est causé par le brouillard *. II explique la formation des
saisons par une pure fiction poétique *. Il répète, après Vir-
gile, que le taon vit en troupes *. Il enregistre la commune
erreur que les oiseaux brillants des tropiques ne puissent être
d'aussi ravissants chanteurs que les oiseaux de nos climats *.
Ses explications de la formation des orages et de la nature de
la foudre ont le tort de venir quelque vingt ans avant les tra-
vaux de Franklin *. Il ne devait pas lui-même croire avec
beaucoup de conviction que la peste soit due à l'influence des
étoiles®. Il s'est trompé en supposant que c'était le mâle du ver
luisant qui avait le pouvoir phosphorescent que l'on sait "; ce
que. les naturalistes de son temps prenaient pour une lanterne,
ceux du nôtre y voient un phare, le phare de Héro. Les hiron-
delles ne sont pas engourdies pendant l'hiver •, et sa sympathie
pour les jolis oiseaux aurait été accrue s'il avait mieux connu
leurs mœurs. Pour aucune de ces erreurs on ne songera à lui
tenir rigueur. Pour quelques autres on est tenté de se féliciter
qu'il se soit trompé. N'est-ce pas une heureuse fiction qui lui
fait supposer que le soleil, dont Newton vient do décomposer
les rayons, forme et colore directeujent les diverses pierres pré-
cieuses dans les profondeurs de la terre '? le tournesol, nous
t. Spring, Utl. — 2. Ibid., 310 et suiv.
:\. Summer, 41»8, iOO. Cf. Virgile :
" Plurimus Albiirnum volilans. oui nomoQ asiio
Homanum csU (Iraii n'struui vertêro vocantes. •
(« r,(>orîziqi]cs -, liv. UI, v. 147, 148.)
i. Summo'y 138-740. Sur ce siijcl on lira avec intérêt quelques pa^'es
charmantes de J. Bunnouoiis, EiujUsh and American song-birds, in Fre^ffi
Fields, p. 159.
5. Summet\ lÛOo-lOir,. — (J. //>«/., [Oi)\. — 7. Ihid., 1683. — 8. Autumn.
836-847.— 9. Summev, liO-l.-iîï.
LES IIORS-D'ŒUVRB MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 405
assure-t-on, ne suit aucunement les mouvements du soleil. Les
poètes continueront, je le crains, toutes les fois qu'ils le juge-
ront à propos, de lui faire a tourner vers Tastre son sein éna-
mouré * ». A défaut d'une explication plus certaine des fonctions
de la comète, il ne nous déplaît pas de rêver avec Thomson que
ce sont tt des soleils alimentant la vie de mondes lointains ' ».
Et s'il a tort de penser que les fils de la Vierge soient une con-
densation de la rosée ', qui voudrait détruire cette erreur pour se
rappeler que ces lils chers aux poètes sont le produit et le
moyen de locomotion de je ne sais quelle araignée?
Parfois aussi Tauteur des a Saisons » fait plus qu'enregis-
trer les croyances de son temps. 11 affirme que les diverses pla-
nètes sont habitées ^ Elles sont les séjours de nos âmes dans
leurs transmigrations successives. C'est un rêve pour lequel le
poète n'a pas à solliciter l'indulgence. Mais il a voulu aussi, dans
un ordre de faits où le contrôle est moins impraticable, écha-
fauder sa petite théorie scientilique. La chose n'a pas été sans
l'entraîner dans d'assez singulières aventures. L' <t Automne b
nous présente une étude et une explication des sources \ Les
sept premiers vers du passage contiennent un exposé conforme
aux données de la science. Puis vient l'énoncé d'une autre
hypothèse; treize vers sont employés à la présenter, et vingt-
six autres à la réfuter. La complication s'explique ainsi : l'au-
teur adopte dans la leçon définitive la théorie que dans les
premières éditions il déiîlaniit insuflisante, et il réfute alors
abondamment celle qui l'avait d'abord séduit. La tâche était
pour le poète de conserver dans ses vers les deux théories
alternativement déclarées vraies et fausses, et d'y ajouter une
réfutation d'abord inutile. Il faut avouer qu'il s'est mal tiré de
l'embarras où il s'est mis.
Une autre tentative assez ambitieuse est celle qui nous
explique le phénomène de la congélation. Thomson, selon la
doctrine alors courante, la croit produite par « des myriades
K de petits sels crochus, ou bien en forme de doubles coins, et
« répandus à l'infini dans l'eau, la terre et l'éther ^ ». C'est une
hypothèse qui avait chance de lui plaire. Il est apparent qu'il
aime ces théories qui mettent l'esprit en présence de nombres
1. Summer, 210, 211. — '2. Jbid., 1123-112'.). — 3. Autumn, 1211, 1212.
— 4. Winter, 104-106. — o. Autumn, "ï30.«3o. — 6. \Vintet\ 718-:20.
406 JAMES TUOMSOiN.
inlinis et de prodigieuses grandeurs. Celte idée d'une multi-
tude de cristaux invisibles emplissant l'univers avait séduit
son imagination, comme Tidée du voyage mystérieux des
gouttes d*eau de la mer aux montagnes à travers les sombres
immensités des roches, l 'ne fois au moins la ménie tendance
de son esprit le sert plus heureusement. Il y a comme une vue
prophétique des enseignements les plus récents de la scienre
dans les vers où il célèbre la prodigieuse fécondité de la nature
et rinépuisable multitude des organismes infiniment petits.
a Au-dessous des insectes, par d'inlinis degrés, quelles espèces
<c innombrables descendent et finissent par échapper même à la
« vision du microscope! La vie fourmille dans toute la nature;
« c'est une masse merveilleuse d'êtres vivants ou datonies
(( organisés qui n'attendent que le souffle de vie '.... »
Voilà comment le grand poème descriptif donnait en même
temps quelque satisfaction à ce besoin de savoir, à cet amour
passionné du vrai qui est un des titres d'honneur du
xvnr siècle. Les parties des a Saisons » que nous venons de
rappeler devaient avoir pour les contemporains de Thomson
une valeur et un intérêt qu'il nous est assurément diflicile
aujourd'hui d'imaginer fidèlement.
VI
Jugements littéraires.
Nous aurons enfin achevé de passer en revue les principaux
éléments d'intérêt ajoutés par le poète à ses descriptions de la
nature, si nous signalons les jugements qu'il a portés sur
quelques grands écrivains, et les rares passages où sa muse,
d'habitude grave et un peu guindée, se détend et s'abandonne
aux saillies de l'esprit ou de l'humour.
Thomson est très sobre d'appréciations sur les poétesses con-
tomj)orains. Il faudrait excepter le passage où il parle de James
Hammond. Mais, on a pu le voir par ce que nous en avons dit,
c'est en ami bien plus qu'en critique littéraire que Thomson
s'est exprimé dans cette occasion. Sur Voung * ou Gay ', quel-
1. Summer, 287-2ÎM. — 2. Autumn. M^'. — 3. Siwtmcr, 4423.
LES HORS-D'ŒUVRB MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 407
ques mots de respect ou d affection qui font à peine allusion au
mérite littéraire de ces poètes. Pope n'est pas beaucoup mieux
partagé. Il y a cependant un accent de franche et vive émotion
dans le vers où Thomson prie pour le retour à la santé de son
illustre ami >. Et celui-ci, quelque exigeant qu'il fût en fait de
compliments, dut savourer avec plaisir la double flatterie qui
termine un autre passage consacré à son éloge :
Car bien que son Homère ne chante pas avec plus d'harmonie,
Sa vie cependant est de ses chants le plus digne d'amour *.
Dans les deux tableaux où le poète énumère les illustrations
de l'Angleterre ou celles de lantiquité, plusieurs jugements
littéraires se rencontrent. Les seuls qui offrent pour nous
quelque intérêt sont ceux qui se rapportent aux poètes anglais.
Voici Topinion de Thomson sur Shakespeare :
Pour le bon sens élevé,
Pour rimagination créatrice, et ])our la pénétration aigu<'
Dans les replis secrets du cœur humain,
Shakesi)eare, le poète sans art, n'est-il pas Torgueil de TAngle-
[terre et de la nature '?
L'auteur des « Saisons » reprend, on le voit, Tépithète appli-
quée déjà par Milton au gi'and dramaturge. 1! s'écoulera bien
des années encore avant que la critique sache découvrir tout
ce qu'il y a de raffinement et d' a art » dans Tart de Shakes-
peare.
Milton, voilà vraiment le maître et le modèle de Thomson.
Les vers qui lui sont consacrés débordent d'admiration :
Toutes les muses nobles ou aimables
Des âges classiques ne se retrouvent-elles pas dans ton Milton?
Son génie est universel comme son sujet,
Etonnant comme le chaos, beau comme l'éclat
De FKden en tleur, sublime comme b» ciel *.
4. Summer, 14;*7. — 2. Winter, 550-554.
3. Summer, 1563-1560.
« U not wild Shakeitpeare Ihine and Nature's boast? n
Milton avait dit :
« Sweetest Sbakespeare, fancy's child ;
Warble bis native wood-noles wild. »
{L\illegro, p. 133,134.)
4. Summer, 1367-1571.
408 JAMES THOMSON.
Et, dans un autre chant, si le poète rappelle les gloires de la
Grèce, à coté a du grand Homère, au vol audacieux, père de
la poésie », il voit a égal à lui, le poète de Bretagne; ils mar-
ie client la main dans la main, tous deux aveugles, et s'avancent
a droit vers le sommet du mont glorieux ' ».
Si Milton est le poète qui s'impose d'abord à son admiratiou.
nous pouvons croire que Spenser Tut celui qu'il aimait au-
dessus de tous . C'est au grave et majestueux auteur du <t Paradis
Perdu X» qu'il demande le secret d'une versification lière, pom-
peuse, digne de ce sujet, Dieu révélé dans ses créations, qui
était à peine moins sublime que le drame de la Genèse. Mais
nous savons par maintes circonstances, et surtout par le c Châ-
teau d'Indolence », cette œuvre des longs loisirs si amoureuse-
ment caressée pendant quinze ans, que Thomson faisait ses
délices du « poète des poètes » *. Il le nomme, dans les « Sai-
sons », à côté de Shakespeare et de Milton. Son jugement,
exprimé en trois vers, implique l'appréciation la plus juste du
talent du ^rand conteur.
Lo doux et charmant Spenser, fils de la Fantaisie,
Dont le poème, comme un lleuve abondant, coulait
Parmi tous les labyrinthes du pays enchanté ^.
Thotnson n'oublie pas non plus le vieux maître de Spenser.
Son esprit ouvert et si franc d'allure ne pouvait manquer d'être
charmé par le poète à l'inimitable sincérité.
Sage rieur,
(^haucer, dont les vers naturels, tableau tldùle des mœurs.
I]t riches en utiles leçons, brillent à travers ce nuage gothique
(Jue le temps et la lanj^ue jetaient sur ton génie *.
C'est une question de théorie littéraire, à laquelle s'est inté-
ressé Thomson, que celle de la nature de l'esprit et de l'hu-
mour. Il nous a donné sa définition de ces deux mots.
1. Winter, :\:\^-oM\.
2. «( He is tlie eldest t)orn of Spencer, and lie lias often conressed Ihat
if lie had anyUiin^ excellent in poetry. he uwed il to the inspiration ht
first received from reading Ihe Fairy Oueen iu llie very early part of his
life. » (Cibber's Life of Thomson.\
3. Summer, 1:m3-1:j75. — i. Ihid., i:i70- 1:379.
LES HORS-D'ŒUVRE MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 409
Quand, après les sérieuses pensées de la philosophie.
Nous chercherions quelque soulagement, nous lerions se jouer
[devant nous les formes
De la fantaisie capricieuse, nous composerions sans cesse
Os tableaux rapides, ce cortège rassemblé
D'idées fugitives qui n'ont jamais été jointes,
Et par lesquelles Tesprit alerte excite une sui-prise joyeuse,
Ou [)ar lesquelles liiumour, peintre des sottises, lui-même
[restant toujours grave,
Provoque un rire qui ébranle profondément tous les nerfs *.
Rien de surprenant à rencontrer dans les a Saisons » cette
analyse d'une faculté qui du reste a peu de part aux inspira-
tions ordinaires du poète. L'esprit n'est-il pas une des qualités
souveraines de la poésie du xviir- siècle? Tout ce que les dra-
maturges de la Restauration avaient dépensé de verve, de
traits piquants, de saillies ingénieuses et risibles, les poètes du
siècle l'ont retrouvé. L'héritière directe de la comédie du
xvir siècle, c'est la poésie satirique et légère. A côté de Steele
et d'Addison dont la gaité prend la forme de l'humour plutôt
encore que celle de lesprit, c'est Pope qui est le véritable suc-
cesseur de Congreve. Autour de lui tout le monde a de Tes-
prit; esprit morose, amer, parfois féroce chez Swift, esprit
frondeur, impertinent et immoral chez Gay, esprit moral et
moralisant chez le Young des <k Satires » et même un peu plus
tard dans les mélancolies apprêtées des a Nuits ».
Or Tesprit ne serait-il pas à peu près l'opposé de l'imagi-
nation qui fait vraiment le poète? Le trait spirituel supix)se
toujours une comparaison. La comparaison développée, ou au
contraire résumée dans un seul terme métaphorique, c'est le
mode d'expression fondamental de la poésie. Mais quelle
difîérence entre ces deux genres de comparaison!
L'esprit rapproche deux termes en raison de rapports inat-
tendus et peu probables. L'imagination poétique au contraire
les unit en constatant entre eux une harmonie intime et pro-
fonde. L'esprit voit les choses par leurs côtés exceptionnels,
i. Winter, 609-()l6. — La délinition développée par Thomson est celle
qu'avait donnée Locke : « Wit consisls... in th« aflflemblage of ideas; and
putting thèse togclher with quickness and variety, wherein can be
founri any ressemblance or congruily ». (On the Uuman Understanditig,
Bk. II, chap. n.) — C'esl aussi la théorie q«*a exposée Dugald-Slewart.
[Eléments of the Philosopha of the Uuman Mind, sect. IV, p. 302.)
410 JAMES THOMSON.
extérieurs et peu importants. Le poète les voit en ce qu'elles
ont d'essentiel. Le trait d'esprit sera d'autant plus piquant
qu'il mettra en lumière un caractère plus imprévu de Tobjel
visé. L'image poétique est d'autant plus belle qu'elle nous fait
mieux pénétrer jusqu'au fond permanent de l'être ou de la
chose. Voilà sans doute pourauoi les écrivains si spirituels de
l'école de Pope sont si peu poètes. Voilà pourquoi Thomson,
qui avait retrouvé une des sources vives de la vraie poésie,
montre peu d'esprit. 11 n'est pas sans doute au même point
que son maître, le grand Milton, dépourvu de tout sentiment
d'humour. Mais, comme lui, il se laisse aller à la recherclie
d'effets d'un goût très contestable. Ses antithèses à Tinstarde
Pope sont quelquefois assez heureuses, témoin celle que nous
venons de citer au sujet de Pope lui-même *. Plus souvent
cependant ces effets sont d'une lourdeur banale, exprimant par
une froide répétition de termes une assimilation peu natu-
relle. On en a pu lire plus haut quelques exemples.
La fantaisie, qui rapproche deux termes en apparence fort
éloignés, est assez heureuse dans ce vers, qui, au milieu des
fêtes mondaines, signale
... insecte brillant dans tout son éclat de l'élé,
Le petit inaitre qui voltige léger, et étend ses ailes poudreuses *.
Kllc est plus audacieuse dans l'exemple suivant, mais un sou-
rire du poète atténue l'emphase de l'hyperbole. Il s'adresse
aux jeunes tilles :
Dans le berceau
Où flotte le cbèvivfeuille, et où les roses font un lit,
X'allez pas, (piand le soir tire ses rideaux de pourpre,
Vous lier pour quebjiies douces minutes à rhomme trompeur \
Mais le plus souvent cette fantaisie n'aboutit qu'à des pointes
recherchées, à des con(!etti du genre de ceux-ci :
Cueillons dans leur fraîcheur
Des lleurs à pein»' écloses. pour en orner les tresses de tes cheveux,
Et ton sein aimé qui ajoute à leur parfum *,
I. Voir p. 40T. — 2. \Vinler, (U3-G4o. — 3. Sfiring, 978-981.
4. Spring^ 490-492. Tlioinson était très satisfait de la gentillesse qu'avait
trouvée là son esprit. 11 y revient encore dans une petite pièce adressée
à Âmanda.
• Unlees to deck lier swceter breast,
In vain I rear the breathin^ flower. ■
LES nORS-D'ŒUVRB MÊLÉS AU POÈME DESCRIPTIF. 411
OU, dans le même chant, cette idée reprise par Thomson aux
poètes de la Renaissance qui n'en avaient que trop usé :
... gontlc la brise
De soupirs incessants, et le ruisseau de larmes ',
ou telle métaphore qui se poursuit à travers dix vers avec une
insistance excessive : Palémon voit dans la jeune Lavinia la
seule fleur survivante de la racine qui jadis nourrissait sa for-
tune; il énumère les influences atmosphériques sous lesquelles
cette fleur s'est développée; il veut la transplanter dans un sol
plus généreux et en faire l'orgueil de son jardin *.
L'esprit et la fantaisie n'ont donc apporté à notre poète
qu'une inspiration intermittente et non pas toujours propice.
Son poème renferme un épisode franchement humoristique.
C'est la scène du repas des chasseurs dans I' « Automne d. Il y
a là une description d*un naturel et d'une gaité parfaits. Le
ton est bien celui du poème héroï-comique. L'emphase en est
d'une drôlerie amusante. Rien n'est oublié des traits qui peu-
vent rendre la scène plus vivante et plus bruyante. Nous
entendons les récits merveilleux et les vantardises audacieuses
autour de la table chargée d'un rôti monstrueux, et les jeux
retentissants, et la galanterie éléphantine des buveurs qui
arrêtent au passage la fille d'auberge peu farouche, et les
explosions de gaité des convives déjà gagnés par l'ivresse,
auxquelles les chiens répondent du chenil. La scène fmale nous
montre, sous la table, au milieu des verres et des pipes brisés,
les victimes de cette lutte héroïque, tous vaincus, a sauf
« quelque pasteur à la panse énorme, qui, s'éloignant de ses
« ouailles prosternées, rentre chez lui et gémit de la faiblesse
« de ce temps ' ».
!. Sj>nng, 1030, 1031. — 2. Autumn, 2H-28I. — 3. lbi(L, 492-5(;9.
CHAPITRE VII
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE
L'œuvre poétique de Thomson nous paraît donc formée de
deux éléments très divers. Par Tun d'eux, la description du
monde sensible, Tauteur se montre à nous comme un génie
original et novateur. Par Tautre, récrivain se rattache étroite-
ment à son temps et en reflète les pensées, les préoccupations
et les goûts. C'est à une même constatation que nous con-
duira l'étude qu'il nous reste à faire des a Saisons » au point
de vue de la forme. Nous relèverons ce qui appartient en
propie à Thomson et ce qui lui est inspiré par les influences
alors régnantes, en analysant la langue du poète dans son
vocabulaire, dans sa grammaire, dans les figures de sa langue
poétique, dans le rythme général et dans les particularités
j)rosodiques de son vers.
I
Le Vocabulaire.
La rt'cherche de l'originalité dans les termes est un des
caractères qui frappent immédiatement le lecteur des * Sai-
sons ». Aucun poète, depuis Milton, n'avait à pareil point
éprouvé le besoin de créer des mots. Ce besoin en effet ne
s'associe guère aux tendances de l'école classique. Un écrivain
peut être tenté de forger un terme nouveau quand il s'agit
LES <' SAISONS ■>. — LA LANGUE ET LE STYLE. 413
pour lui crexprimer une sensation inédite, de peindre un objet
au caractère fortement individuel, de traduire la nuance net-
tement déterminée d'une pensée. Mais l'école classique aspire
surtout à l'expression du général. Elle ne se heurtera guère à
cette difficultc) qu'oppose la langue à la notation d'elTets excep-
tionnels et de caractères strictement particuliers. Le talent
d'un écrivain tel que Pope s'applique à combiner ingénieuse-
ment les mots de la langue; il n'a nul besoin d'en façonner de
nouveaux, et considère volontiers tout néologisme comme une
hérésie condamnable *.
Thomson au contraire avait des choses nouvelles à dire, des
observations et des impressions à enregistrer qui n'avaient pas
encore reçu d'expression dans la littérature de son pays. Il
ne se fit pas scrupule d'étendre considérablement le vocabu-
laire dont se servaient ses contemporains. Du reste il n'était
pas besoin pour cela de faire violence à la langue. L'anglais
offre à l'esprit d'invention de l'écrivain d'inépuisables res-
sources. La faculté de réunir dans des combinaisons nouvelles
les termes du vocabulaire courant, permet une création indé-
tinie de mots. Ils pourront avoir une valeur particulière très
précise, et seront cependant immédiatement compris. C'est
que les combinaisons qui les ont produits suivent des lois
consacrées par l'usage constant du langage. Ces nouveaux
venus ne paraîtront pas des étrangers ni des intrus, car ils
sont formés d'éléments connus combinés selon des formules
connues.
Thomson sait quelles ressources offre au poète ce caractère de
la langue anglaise. 11 admire volontiers, chez les maîtres ou
chez ses amis, les épithètes complexes *. Il résiste aux efforts
1. • Be not thc first by whom the new are tried. -
{Essaij on Crilicism, H, 13o.)
Rien de plus caractérislique à cet égard que les observation» de Popj
hii-méme sur les épithètes composées chez Homère (préface à la traduc-
tion de « riliade -). •> Whcnevcr they eau be expressed in a single word as
in a compound one, the course to Îjc taken is obvions. Some... may havc
justice donc tbem by circumlocution ; as the epithet eîvjaî^u/.Xoc to a moun-
taîD, would appear little or ridiculous translatcd literally « leaf-shaking »,
but alTords a majestic idea in the periphrasis : Tlie lofty mountain
shakes his waving woods. »
2. • Let me mention the comprehensive compound epithet : all-shun-
ned. * (Lettre à Mallet au sujet du poème de celui-ci, The Excursion,
M aoiU 1726.)
414 JAMES TBOMSON.
des critiques auprès desquels ces néologismes n'ont pas trouvé
grâce \ et, dans tout son poème, il prodigue les termes com-
posas nouveaux.
Toutes les variétés de combinaisons auxquelles se prêtent ie
vocabulaire et la grammaire de l'anglais peuvent être relevées
dans les « Saisons i». Les substantifs composés d'abord. Quel-
ques-uns sont d'un usage banal, et du reste le caractère de
combinaison y apparaît peu, le premier terme ayant autant la
valeur d'un adjectif que celle d'un élément actif dans la for-
mation d'un terme nouveau : m insect-tribes -, forest-walks \
tulip-ract' * », etc. — Quelquefois, le groupement moins banal
comporte un sens plus complexe : « the barvest-treasures * »,
pour « les trésors des moissons » ; <k reaper-train ^ », pour t la
ligne des moissonneurs » ; « torrent-softness ' », pour t unr
douceur qui a la force d'un torrent d.
Puis viennent les épithètes. Le premier terme est souvent
un nom. Le deuxième alors peut être un adjectif : a blood-
happy '*', the plume-dark air • », etc. Plus fréquemment ce
deuxième terme est un participe passé : « sage-instructed eye '".
tlower-enwovcn bowers *', love-enlivened cheeks '^, mind-illu-
mined face '% blood-[)ollutcd fur **, tower-encircled head *\art
irnagination-tlushed *®, rhymc-unfettered verse *% vapour-bur-
dtMied air *\ sca-girt roign ''', sea-encircled globe *®, leaf-strewn
walks -', stench-involvod ", toil-strung youth *' », etc. — Au
lieu du participe passé souvent nous trouvons un participe pré-
sent : « world-revivingsun -^, heart-oxpandingview", life-reli-
ning soûl -", romp-loving miss ^", love-breatbing lips ", care-
eluding art *\ joy-rosounding llelds '°, Nature's all-refining
i. Dans la un>me letlre à propos d'observations suri' • Hiver » faites par
leur ami commun, le peintre Aikman : - Should I aller mv wav. I would
wrilc poorls : l musl rlioose whal appenrs lo me Ihe most signillcaol
epilluît. or 1 cannol willi any Iiearl jirooed. •
Dans l'exempliiire de MiiroriJ, au vers 485 de Spring^ Pope proposait deux
correolions pour remplacer « dew y-l)rij?hl -.C'étaient « briglit with dc\\ ■.
on « in that wiid ». Thomson maintient sou adjectif composé.
2. Sprintf, OU. —3. M/V/.. 1". — t. //;/>/., nSîS. — 5. Autitmn, i217. ■
G. Ihid., i2:i. — 1. Spriinj, ïiSi. -- 8. Autumn. 45t». — 9. /6irf., 809, -
10. Sprinff, 200. — 11. Ihid., lOiiS. - 12. IbhL, 108o. — 13. Ihid.. IIH. -
11. Autùmn, 84. — la. Ihid., 114. — 10. Ihid., 140. — i7. îbid,, liiN. -
18. Ihid., 829. — 19. //>/>/., 814. — 20. ihid., 920. — 21. Ibid.^ 9b5. — 2i.
Ihid., 1200. — 23. U'id.. 1223. — 2i. Sprinij. .il. — 25. AuUiwn. ;o. -
21». Ihid., 89. ~ 27. lh\d., :i28. — 28. îbd.. .-.93. — 29. 76«</., 605. ~ 3n.
Ihid., 62ri.
LBS « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 418
hand ', all-enlivening trade' », etc. Au demeurant, il n'y a
vraiment dans ces formes qu'une inversion du régime. Le com-
posé, dans ce cas, a pour eiTet principal de transformer le
participe présent en une épithète.
Dans un autre modèle de combinaisons, le premier terme
est un adjectif : c bitter-breathing frost ', the deep-loaded
bougli *, cruel-seeming winds *, modest-seeming eye ", heavy-
loaded groves \ sole-sitting * », etc. — Dans plusieurs de
ces exemples, on le voit, Tadjectif a une valeur d'adverbe.
C*est là un des traits familiers du style des a Saisons », Nous
en avons, au courant de la plume, relevé dans V « Automne »
vingt-six exemples, et trente-quatre dans le a Printemps ». Cette
même transformation de l'adjectif en adverbe dans un com-
posé se rencontre d'ailleurs autre part que dans les épithetes :
Fricndship fuU-exerts lier soltesl power •.
There throw, nice-judging, ihe delusive lly *".
A serener blue.... wide invests
The happy world *'.
Thèse unhappy partners of your kind
Wide-hover round you like the fowls of heaven **.^
Whcn strict inquirin^:. lie fi*om herself found *^.
Dans d'autres cas, le premier terme de l'épi thète composée
est un véritable adverbe. La combinaison alors a pour effet
ou de rendre plus intime l'union de l'adjectif et de son déter-
minatif : « ever-dripping fogs **, wcll-dissembled fly '* »; ou
d'établir entre les deux termes un rapport tel que celui qui
d'habitude joint l'adverbe seulement au verbe :
Thv loftv dôme
* «
Far-splendid seizes on the ravished eye **.
1. Aulutnn, 634. — 2. Ibi(L, 92i. — 3. Ib'uL, 02. — 4. Ifmi., 030. — 5. Sprinif
136. — 6. /6iV/., 989. — 7. Winter, S03.
8. Sprhiffj 723. Wordaworth s'esl-il souvenu de l'épilhèle?
" Lodv of tlie mere.
Sole-sitting by the shores of old romance ».
{Poems on the Naming of Places, IV.)
9. Spring, 1119.— 10. Ibid., 407.— 11. Autumn, 27. — 12. Ihid., 1*3. —
13. /6iV/., 253. — 14. /6iW., 812. — 15. Spring, 383. — 10. Autnmn, 060, 001.
416 JAMES THOMSON.
Un des modèles de combinaison les plus connus est celui
des épithètes qui aiTectent la forme de participes passés, en
ajoutant la terminaison a ed i» au groupe formé par une
épithète et un nom. Malgré la condamnation prononcée par
Johnson, ce sont là des composés, parfaitement conformes ao
génie de la langue ^ Ils ont fourni à tous les grands poètes
anglais quelques-unes de leurs expressions les plus frappantes
et les plus célèbres -. Dans les deux Chants où nous avons
pris les exemples précédents, nous trouverions à noter :
(L rocky-channelled maze % rosy-footed May *, innumerous-
coloured scène % young-eyed health •, rosy-bosomed Spring ',
various-blossomed Spring *, sweet-beamed suns •, keen-aired
mountains *^, the lusty-handed year ", mellow-tasted bur-
gundy *-, many-coloured woods ", dewy-skirted ciouds ",
low-thoughted vice *^ dusky-mantled lawn *•, the moon full-
orbed *^ ».
Dans quelques-uns de ces composés, l'adjectif qui précède
le participe ne lui est uni par aucun rapport de subordination
logique. Il ne fait qu'énoncerun deuxième caractère de Tobjet:
a white-empurpled shower '% wide-dejected waste *• >, etc.
— Enfin la combinaison est parfois plus hardie. Le poète
rencontre une association de termes qui, d'un trait, lui parait
nolei* avec précision un effet intéressant, et il s'y arrête en
dépit de la difficulté de justifier logiquement la formation du
composé. C'est le cas d'expressions telles que : « In world-
rejoicing state *° », pour a the state of one in whom the world
rejoices », ou telles que l'épithéte pittoresque de ce vers :
Aiul whih^niii^' down (hoir inossy-tinclured slream
l)<'sccnds the billow l'oain -',
1. JoiiNsox, lÀ/'e of (iray. C'est à propos du terme « honied w euiploxé
par Gr.iy (juc le Doclciir réprouve celle transformation d*un subsUintif en
un participe passée apparent. Dans l'édition de Gray par Milford, oo pL-iit
lire, p. 17, une répoiiHe de lord (iren ville aux objections de Jolinfon.
2. On en trouvera une série d'exemples relevés chez les auteurs les pli!>
variés, depuis Shakespeare jusqu'à Tennyson, dans ëarlk. The Philoioff^i
of tht» Knfflish TonQUP., ;*. fiO".
a. Spriwj, 400. -- V. Ihid., 488. — o. Ihid., ImO.— fi. Ibid,, 892. — 7. Ihid,,
lOOî). — 8." Autiimn, "^. — 9. Ihid., 29. — 10. Ihid., 434.— 14. Ihid,^ 6S9. -
12. Ihid., 70:». -- 1:î. Vdd.. 950. — 14. ïhid., 961. — 15. JbUL, 968. -
16. Ibid,, 1088. — 17. Ihid., 1089. — 18. ^prinu, 109. — 19. Ibid,, 118. -
20. Summer, IIC. — 21. Spi-ing, 380, 381.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 417
t récuine emportée blanche sur le ruisseau coloré par les
mousses ».
Dans tous ces exemples, il y a plus d'une heureuse trou -
vaille. Ce <k mossy-tinctured stream » n'éveille-t-il pas,mieux
qu'une longue description, Timage de ce ruisseau aux eaux
vertes et au lit moussu que les pluies d'orage vont changer en
un torrent trouble et sombre? « Young-eyed healtli *, rosy-
bosomed spring *, meek-eyed morn '», etc., sont de charmantes
épithètes dont le trait discret suffit à revêtir une notion abs-
traite d'une forme animée et vivante. La valeur graphique
de l'épithèteest manifeste dans les composés tels que a flower-
enwoven bowers *, (a strain) faint-warbled *, sweet-beamed
suns •, ou the green-appearing ground ' ». Souvent l'emploi,
comme premier terme de la combinaison, d'un adjectif pris
adverbialement donne à l'expression une force concise qu'un
autre procédé atteindrait difficilement : a (the turkey) loud-
threatening reddens *, the heifer balmy-breathing ^, the hol-
low-whispering breeze, '°, bitter-breathing frost **, voices
deep-sounding ", mazy-running brook " », etc.
Mais il faut bien reconnaître que toutes les combinaisons
ne sont pas également heureuses. Celles qui mettent en jeu
des termes d'origine latine prennent facilement une allure
forcée et gauche. C'est surtout aux mots germaniques que le
procédé germanique de composition a chance de s'adapter
i. Souvenir de Shakespeare :
• Sliil quiring to the yoiiog-eycd cherubius -.
(Aferc/i. of Vewicf, V, 62.)
2. Spring, 1009. — Milton avait dit :
• The Grâces, and the rosy-bosoui'd iJours. - ^
{Cornus, V. 984.)
Quel est des deux celui que s'est rappelé Gray?
• Loî whcre the rosy-bosomed Hours. •
{Ode on the Spring.)
3. Summer, 47. Encore une épilhètc composée de Milton. (Earlb, § 607.)
Le même auteur relève chez Keats :
• Whereat, methought, the lidless-eyed train
or plaoets ail were in the blue again. »
(ËARLE, § 608.)
4. Spring, 1058. — 5. Ibid., 586. — 6. Autumn, 28, 29. — 7. Summer,
365. — 8. Spring, 782. — 9. Ibid., 806. — 10. Ibid,, 918. — 11. Auiumn, 62.
— 12. Ibid,, 1036. Cf. Pope : • The hoarse-resounding main. - (The lUad,
203.) — 13. Summer, 373.
27
418 JAMES THOMSON.
avec succès. On sent ce qu'il y a de lourd et de guindé dans
des ibrmes comme m frequent-pausing *, secret-winding \
niind-illumined face % et surtout sage instructed eye *, ou
art-imagination-flushed '' d. Le nombre seul de ces formes
suffirait à donner au style du poète un caractère artificiel; et
ce défaut est aggravé par la répétition complaisante des mêmes
combinaisons. Nous citions tout à l'beure « mazy-runniog
brook * », de V a Été »; le a Printemps » nous fournit t the
mazy-runnig clefts' » et T a Automne » mazy-running clefls'.
— The many-twinkling leaves • » est charmant; mais dans le
môme chant vient a many-bleating flocks 'V ©^ dans V « Au-
tomne » many-coloured woods '* d. Dans le seul t Printemps »
nous avons : a the well-used plough ", well-showered ", the
well-dissembled lly **. » Dans V a Automne», à moins décent
vers d'intervalle, wide-projected heaps **, et wide-refracted
ray '^. — All-surrounding heaven ", du n Printemps », est rap-
pelé par ces deux expressions de V « Automne » : Naturels ail-
refining hand **, et all-enlivening trade *•. — Seagirt reign'*
est, dans V a Automne », bientôt suivi de sea-encircled globe ".
— Never-cloyed désire ", et ever changing views " >, du
« Printemps », sont rappelés comme par un écho dans « ever-
dripping fogs " ».
Ces exemples suffisent pour montrer quel parti Thomson
a su tirer de ces combinaisons grâce auxquelles il a étendu,
enrichi et varié le vocabulaire descriptif de la langue. Ils
nous apprennent aussi comment le poète a abusé de cette
ressource, et comment, dans sa création excessive de termes
I. Sprhitj, 943. - 2. Ibid,, 1058. — 3. 7/yw/., i!41. — 4. Ibid.^ 209. -
:\. Autuînn, 140. — 6. Swntnery 373. — 1. Spring, 576. — 8. Aulumn^ 816.
9. Spriîig, 136. (iray a RoiUé Tadjeclir et l'a emprunté. En parlant de
danseurs : - Glance llicir many-twinkling feet. • {The Procréas of Poesy,
I, 3, V. 34.)
;0. Sprinff, 834.
II. Aulumn, O.'W). - Aussi est-ce un des traits qu'a relevés Isaac Hà\^'
kins Browne dans sou amusante parodie du style de Thomson :
« forth issue clouds,
Thought-thrillinK) thirst-inciling clouds around,
And many-mining fires. •
(A Pipe of Tobacco.)
12. Spring, 33. — 13. MiV/., 186. — 14. ////</., 383. — 15. Auiumn, 638. -
16. ibui., 722. — 17. Spring, 30. — 18. Atitumn, 634. — 19. tbid., 869. -
20. Ibid , 874. — 21. Ihid., 926. — 22. Spring, 290. —23. Ibid., 297. —
24. Aulumn, 812.
LES « SAlSOiNS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 419
complexes, il a mérité le reproche de lourdeur et de mono-
tonie.
Ce n'est pas seulement dans ces épithètes composées qu'il
manifeste un attachement complaisant à certains mots ou à
certains tours d'expression. Il serait très long de relever tous
les termes qui, en eux-mêmes frappants et justes, perdent
leur valeur par une répétition indiscrète et fmissent par cho-
quer d'autant plus qu'ils sont en eux-mêmes plus vigoureux
et saillants. « Thick » *, au sens de a nombreux », revient sans
cesse, <K Tumble*, convolved ^, appalled*, invest*, detruded*,
fréquent ^ », adjectif ou adverbe, au sens de « nombreux »,
« flounce ^, Sound et resound ^ », et surtout le verbe empha-
tique <K demand *^ » sont parmi les expressions favorites dont
l'auteur use et abuse.
Toutes ces expressions, on peut le remarquer, sont, à l'excep-
tion d'une seule, d'origine latine. L'emploi complaisant de
pareils termes est en effet un des caractères marquants du
style de notre poète. Quand il s'agit de mots français depuis
longtemps entrés dans le vocabulaire de la langue et dans
l'usage du peuple, rien de plus naturel ni de plus légitime que
l'emploi de pareils termes. Quelques-uns peuvent prendre,
en dépit d'une opinion fort répandue parmi les grammai-
riens anglais, autant de force ou de précision pittoresque que
les termes proprement saxons. Si Thomson a tort sans doute
d'abuser du verbe « demand », il a raison de trouver ce
mot énergique plus que pas un de ses synonymes germani-
ques '^ Mais le poète cède aussi trop souvent à la tentation de
1 . Comme dans ce passage de V u Été » :
« The russet hay-cock rises Ihick behind. »
{Summer, 367.)
2. Spring, 823; Winler, 99, 341, etc.
3. Spring^ 836; Summer, 343; Aulumn, 1183, et des formes très voisines
dans Winlei', 278 et 639.
4. Summer, 305; Winter, 352; voir aussi lUd., 118.
5. Autumn, 27 et 880.
6. Spring, 569; se retrouve dans la forme » protrudes » de Aulumn, 1311.
7. Spring, 940; Summer, 1049; Winter, 6, 128, 621.
8. Spring, 823; Summer, 367; Winter, 788.
9. Summer, 281, 369, 596, 471 ; AuUimn, 319, 103^ etc.
10. Spring, 168,672,730; Swmmtfr, 927, 1021, 1851; Autumn, 358; Winlei-,
314, 528.
11. Le sens énergique du verbe a demand • est mis en lumière par
420 JAMES THOMSON.
former directement du latin des mots savants. L'effet est rare-
ment heureux. Ces vocables nouveaux ont presque toujours
quelque chose de prétentieux et de pédantesque. Ils consenenl
au milieu des autres Tair d'étrangers et d'intrus. C'est que
les mots, et surtout les mots de la langue poétique, ne sont
pas de simples signes algébriques correspondant, avec une
exacte et froide précision, à telle ou telle notion. Ils portent
en eux, soit isolément, soit par les combinaisons dans les-
quelles l'écrivain les groupe, un pouvoir de suggestion qui
fait leur valeur poétique. Ils évoquent une image, une sensa-
tion, et parfois, comme dernier retentissement dans les pro-
fondeurs de notre être, une émotion. Mais il est rare qu'un
terme nouveau ait cette puissance d'association. Il n'y a pas
en lui cette sève dont sont gonflés les mots qui participent
depuis longtemps à la vie du langage. Ceux-là seuls, par
l'usage qu'en ont fait plusieurs générations et des écrivains de
génie, ont pris une valeur à la fois précise et variée, riche de
nuances immédiatement reconnues. Pour les termes d'une
langue comme pour les arbres d'une forêt, c'est d'une longue
vie en commun et d'influences mutuelles que résultent le
caractère propre de chacun en même temps que l'harmonie
de l'ensemble. Le nouveau venu, violemment implanté en
plein développement, a peu de chances d'adaptation et de
survie. Les néologismes latins de Thomson sont trop souvent
dénués des qualités qui pourraient leur faire prendre racine
dans la langue. Leur sens n'est pas facilement apparent. 11
faut le chercher dans une langue savante dont tous les lec-
teurs n'ont pas la clef. Alors même que la valeur du radical
latin est connue, lein ot ne porte pas toujours en lui-même la
détermination exacte de la nuance de sens visée par l'écrivain.
l'anecdote suivante que raconte M. Boiitiuy dans une de 8es savantes
éludes sur la Couslitution des Etats-Unis : * Un peu après 1730... les
rapports... étaient fort aigres entre les deux nations; le président Jackson
alla même jusqu'à proposer au congrès des mesures d'un caractère
extrême. Sur ces entrefaites, une dépêche française parvint & la Maison-
Blanche. Elle commençait par ces mots : « Le gouvernement français
demande... ». qu'un secrétaire ignorant traduisit tout uniment par : The
Fi^ench government demanda. Le président Jackson no savait pas notre
langue. A peine eut-il entendu cette phrase qu'il se récria : • Si le gou-
vernement français ose demand quoi que ce soit aux Étals-Unis, il
n'obtiendra rien.... »> {Études de droit constilutionnel^ France, Angleterre,
États-Unis, par E. Boutmy, Paris, Pion, 1883, p. 87-89.)
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 4âi
De fait, bien loin que ce terme apporte à la phrase son appoint
de force ou d'éclat, il ne sera compris que grâce au contexte.
Quelques exemples permettront de préciser ces observations :
The torpid sap, lietruded to the root
By winlry winds *.
Les lettrés seuls entendront ce participe, et à ceux-là même
l'expression paraîtra inutilement pompeuse. La langue a bien
une forme a protrude » (et l'emploi qu'en a fait le poète dans un
passage de V « Automne », risque de rester obscur*). Mais quand,
du même radical, il veut former un dérivé nouveau, il ne voit
pas que ce radical n'a pas en anglais de valeur propre, qu'il ne
vit pas de la vie du langage, qu'il ne peut se prêter aux modi-
fications que subissent aisément des termes vraiment anglais,
et que, pour bien des lecteurs, même pour ceux qui connais-
sent l'adjectif « protruding d, le mot « detruded », restera affecté
et quelque peu mystérieux '.
Le même désir d'ajouter à son style les ornements d'une élé-
gance académique et savante explique l'usage des termes cités
plus haut, et de nombre d'autres tels que c sequacious*, con-
junctive *, ensanguined *, vacant ' au sens de « inoccupé », etc.
La même cause fait comprendre le rôle attribué à certains
termes abstraits tels que perfection^ ou oppression^; et le
transport à la langue poétique de mots qui conviennent mieux
au langage du raisonnement, de la logique et des sciences :
1. Spring, 567, 568.
2. - When young Spring protrudes the bursling gems. • Auiumn, 131i.
3. On pourrait répeter les mômes observations au sujet du verbe
u educe », Hymm, 114, ou du substantif • inspecl •. Autumn, 1134.
4. Summery 1713.
5. //yid., 1777.
6. Spring, 338; Wintery 823. Aulumn a aussi u sanguine • dans un sens
analogue, v. 1120.
7. Summer^ 232. Le terme reparaîtra dans le Castle of Indolence :
8. «....Perfection brcathes
Wbile o*cr the turgent Hlm the living dew. »
{Autumtïy 692, 693.)
9. « And infant hands
Trail the long rake, or, with the fragrant load
O'ercharged, amid the kind oppression roU. •
(Summer, 358-360.)
42à JAMES THOMSON.
While 1 deduce
From Ihc first note the hoUow cuckoo sings
The symphony of spring *.
Manifestement les épithètes d'origne latine ont pour lui un
attrait particulier. L'apparition fréquente de ces termes :
« pungent * », a crude • », « observant * », « inflated ' »,
n bounteous ^ », « amorous ^ », etc., donne à son style une
coloration bien particulière. — Parfois aussi Thomson rend au
terme latin un sens primitif qu'il avait perdu dans l'usage cou-
rant de la langue. Ainsi <k sordid ^ » au sens matériel ; « gêne-
rons ' » dans un passage où le mot parait signifier « digne
d'une noble race »; « varied '° » et « inverted " » pour
« changé »; « officions *' » au sens de « dutiful », t thy pic-
tured life " », pour « the picture of thy life », « dôme ** » au
sens de « maison », « demeure », etc.
Ces termes latins doivent souvent leur obscurité à ce que
l'écrivain leur attribue une valeur à lat]uelle sans doute se prèle
le radical, mais que le lecteur doit deviner. Ainsi, « the altemate
Twins *' » pour <( les deux Gémeaux »; a unessential gloom *• »,
1. Spring^ 577-580. Pope avail dit de môme :
« Shall I deduce m y rhymes
From Ihe dire nalion in ils early limes? »
2. SpvifKjy 130. — 3. I/Ad, Ul. — 4. Summcr, 46. — 5. U'in/er, 166. -
0. Summer, 679. — 7. Spring, 786. — 8. Summer, 386.
9. • To hold a gênerons nndiminished slate. »
(Autumny 902.)
10. Winler, 1.
11. • And fierce Aqnarius stains the inverled year. »
{Winter, 43.)
C*esl un mol traduit d'Horace et plus d*une fois reproduit par d*autres
poètes anglais :
• Simul Inversum contrislat Aquarius annum. »
(• Satire l ., v. 36.)
Dry de n Tavail imité ainsi :
• And winter storms iuverl llic year. •
(.4 Song to a Fair Young Lady going oui of Town in tfuf Spring.)
El Cowper dira encore :
« Oh! Win 1er! rnler ot Ihe inverled year. •
12. Winter, 311. Le mot se retrouve avec la même valeur dans la pièce
To the Memonj of Lord Talbot, v. 296.
13. Winter, 1029. — 14. Spring, 6i9. — lo. Summer, 43.— 16. lùid,, 9'i.
LES « SAISONS >K — L\ LANGUE ET LE STYLE. 423
pour a une obscurité qui cache les objets » ; « collected * » pour
accumulé; a amusive * », « qui se joue au hasard, sans direc-
tion i>; « disastered ' », « malheureux, soumis à Tinfluence
d'astres défavorables »; <k unequal times * », « un temps qui
n'est plus digne des héros dont il s*agit »; « luculent '^ » pour
« translucide »; « Ceres void of pain * », pour a des moissons
recueillies sans labeur »; « tempest ' » employé comme verbe;
a inform ' » au sens de <k animer », etc.
C'en est assez pour montrer quel est le défaut de la plupart
de ces néologismes. Ils ne sont pas de ces mots « que l'on trans-
plante dans ses pages avec la terre adhérant encore aux racines ;
de ces mots si vrais, si frais et si naturels, qu'ils semblent s'épa-
nouir comme les bourgeons à l'approche du printemps '». Kt
cependant cet effort pour étendre, enrichir et renouveler le
vocabulaire de l'anglais par des emprunts faits au latin, il serait
absurde de le condamner de parti-pris. Si Thomson y a porté
quelque abus, il y a parfois rencontré plein succès. Tous les
poètes anglais ont aussi puisé à cette source quand ils ont
voulu donner à leur langue la majesté et la tenue qui convien-
nent à l'expression de pensées hautes et nobles. C'est le cas,
pour citer un petit nombre d'exemples, deMilton *°, d'Élizabeth
Browning *', et même de ce Wordsworth qui voulait exclure
1. Summer, 143-460.— 2. /6irf., 1660.-3. \Vintei\ 279. — 4. Ibid., 472.
— 5. Wintery 710. — 6. lôid., 863.
7. • Tempes! the loosened brine <• (Winter, tOlb). C'est une imitation de
MiUon : • Tempest the Océan »>. (Paradise J^st, Bk. VII, 412.)
8. Summer, 143, 460. Wordsworlh s'csl-il souvenu de cet usagj du
verbe?
■ How the immortal soûl wilh god-like power
Informs, croates.... »
(The Prélude, Bk IV.)
9. «He would bc a poel... who nailed words to Iheir primitive sensés,..*
transptanted Ihem to his page with carth adhering to their roots; whose
words were so true and fresh and natural, that they would appear to
expand like Ihe buds at the approach of Spring.... - (Henry THORBAr,
Essays, Walking.)
10. Comment songer à citer des exemples? Tout le style du « Paradis
Perdu » est imprégné de latin. Rap;)elons plutôt quel usage Shakespeare
sait faire de néologismes latins :
u ....No, this my liand will rather
The mullitudinous seas incarnadiue. »
{Macbeth, acte II, se. ii, 61, 62.)
11. What 1 do
I do votitient, not obedient. »
[A Dramn of Ej'ife, p. 19.)
424 JAMBS THOMSON.
du vers des poètes tout ce qui n'appartient pas à la langue II
plus familière *.
Les innovations de Thomson dans l'emploi des termes d'ori-
gine saxonne sont beaucoup plus rares. Dans ces libertés
prises avec la langue, le poète ne fait d'ailleurs le plus souvent
que suivre un exemple donné par Milton, le nnaître dont Fin-
lluence profonde apparaît partout dans les € Saisons i. Si
Thomson emploie le mot <l frolic » comme adjectif : t th€
shapes of frolic fancy * d, Milton avait dit avant lui c Ripe
and frolic of his full grown âge ' ». — « Freaked * », du même
chant, est un mot fort rare, mais Milton en avait fait usage ^
— a Uncouth • d pour a inaccoutumé » rend au terme son sens
naturel dont s*écarte un peu l'acception moderne.
Il semble bien que le mot a green » employé comme verbe
appartienne en propre à Thomson. Il en est évidemment très
satisfait et l'emploie au moins trois fois^.
Relevons enfin, pour terminer ces obsen^ations sur le voca-
bulaire du poète, combien y sont rares les traces d'une origine
écossaise. L'œuvre a été revue tant de fois que presque toutes
• ....So \vc
Sprang very beautcous from Uie créant word. »
(A Dratna of Exile, p. 40.)
<« For this loss it did préfigure. <•
{The Lost Bower, p. 231.)
Kl d'aulreB passages.
1. Voici quelques exemples empruntés à un seul ouvrage du grand
poùte :
« ....When Ihe moruing forms
Of Nature were collalcrally attached
To every scheme of holiday delight. »
{The Prélude, Bk. II.)
u .... In this timc
Of dereliction aud dismay. •
{Ibid., Bk. II, p. 368.)
• Trinily's loquacious ciock. •
(/6tU, Bk. III.)
(• ....Immense
Is the recess, the circumambient world
Magnificent. •
(/6ic/., Bk. VIII, p. 395.)
Dans une petite pièce qui compte parmi les plus simples de son œuvre,
on trouve » an incommunicable sieep •, et l'adjectif, au sens de • avec
lequel on ne peut entrer en communication •, est placé par le poète dans
la bouche d'une pauvre femme du Cumberland. {The Affliction ofMargaret
in Poems founded on the Affections.)
2. U't/i/er, 611, 612. — 3. Cornus, 59. — 4. ^yinter, 814. — 5. Lycidas,
144. — 6. Summer, 1070. — 7. Spring, 320; Autumnf 664, 1160.
LES « SAISONS »>. — LA LANGUE ET LE STYLE. 425
ces marques de provincialisme en ont été effacées, alors que
les pièces de jeunesse, qui nous ont été transmises intactes,
renferment, nous le verrons, un grand nombre de scotticismes.
Ceux qui ont survécu aux remaniements successifs des a Sai-
sons » sont en bien petit nombre.
< And shook to notes
Of native music, the respondent dance * •
est un peu étrange et obscur. Mr. Logie Robertson l'explique
heureusement en le rapprochant de ce vers de Burns :
« ni laugh, an' sing, an' shake my leg*. •
Le même éditeur nous fournit l'explication d'un passage
embarrassant :
« A stronger glow sits on the livelycheek
Of riiddy (ire ^ »,
et nous apprend que dans les campagnes écossaises, les jam-
bages de la cheminée s'appellent « the cheeks o' the fire * ».
€ In ils mid career
Arrcsts the bickering stream • »
nous présente un terme dont l'emploie moderne est différent
de celui qu'en fait le poète. Le sens primitif indiqué par Skeat,
« to keep pecking », et conservé en Ecosse semble bien subsister
dans l'exemple de Thomson •.
\. Winler, 627, 8. — 2. Second EpisUe to lavraik, — 3. Winter, ^09, "îlO.
— 4. Clarendon Press édition, p. 384. — 5. Winter, 124, 125.
6. Comme aussi dans l'emploi qu'en fait Tennyson :
• (I) sparkie out among Ibe fern
To bicker down a valley. »
{The Bi-ook.)
• To bicker (dit le dictionnaire de Murray) expresses the noise occasioncd
by successive strokes, or by any rapid motion. •
« Frae thatched eaves the icicles dépend
In glitl* ring show, an' the once bick' ring stream,
ImprisonM by the ice, low-growling, runs
Below the crystal pavement. »
(Davidso!i's Seasons, p. 156.)
426 JAMES THOMSON.
Enfin Mr. Logie Robertson signale aussi un sens particulière-
ment écossais du mot « friends » ennployé pour c relatives i
dans deux passages de V ce Hiver ».
Thomson, pour nous résumer, apporte jusque dans le choix
des mots de sa langue, Tindépendance aventureuse qui fait de
lui une figure si originale dans la société littéraire anglaise do
xviiF siècle. Chez les maîtres de ce temps le vocabulaire était
comme à plaisir réduit, le néologisme était volontiers jugé
téméraire et inutile, le goût semblait consister à chercher Teffei
dans les combinaisons ingénieuses de mots très simples plutôt
que dans la variété ou Téclat des termes eux-mêmes. Thomson
au contraire recherche les mots à efTets, s'efTorce d'étendre sou
clavier et de varier ses notes. Il lui parait que jamais il ne
versera dans son style assez de termes éclatants et colorés. 11
prend au fond de la langue, aux œuvres des vieux maîtres et en
particulier à Spenscr leur riche vocabulaire germanique. Il
emprunte à Milton un grand nombre de termes latins, et, à
l'exemple du grand poète, il introduit lui-même complaisain-
ment des mots tirés de la langue savante. Mais pour avoir
manqué de mesure dans cette latinisation de son vocabulaire,
il s'est exposé à ce qu'on méconnût tout ce qu'il a montré de
richesse de bon aloi. Les termes trop souvent lourds et sans
naturel qu'il façonne pour exprimer sa pensée ont, pour une
part notable, contribué à donner à son style un caractère tendu,
artificiel et parfois boursouflé.
11
La Grammaire des a Saisons >».
Incorrections; anacoluthes. — Les premières observations
qu'appelle ce sujet, celles qui concernent le respect des lois de
Biirns donne seiilcmenl au mot le sens de « courir ».
<« Auld Ayr ran by before me,
And bickered lo Ihe seas. >
(Dans la pièce qui co.nmence par <« Tliough cruel Fate should bid us
f>art », in Commonplace liooK\ 1784.)
Voir aussi l'emploi de - bicker -, - une courte course •, dans Death and
f>r. Hornbook, »
LES <« SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 427
la langue, seront fort brèves. Les incorrections formelles sont
rares dans le poème. Les remaniements fréquents du texte
pour les éditions successives ont fait disparaître presque toutes
les taches dues à la hâte ou à Tinexpérience du jeune porte.
Quelques-unes cependant ont traversé toutes les réimpressions.
Ce sont surtout de ces constructions incohérentes, les anaco-
luthes de la rhétorique, où une partie de la phrase demeure
comme suspendue en Tair sans être rattachée par aucun lien
grammatical au?; termes de la proposition.
O'er the boughs
Danc'mg about, still at the giddy verge
Thcir résolu lion fails *.
Or, twniing Ikence Ihy vieiv, thèse graver thoughls
The Muscs charm *.
f Even présent » % au début d'une longue période, ne se rap-
porte à aucun substantif ou pronom exprimé dans la phrase,
mais, justifié par une ellipse hardie du sujet et du verbe, l'ad-
jectif se rapporte au « jeune homme» dont il a éti* question
au paragraphe précédent.
Cette construction plaît à Tauteur; il la répète quelques vers
plus loin au début d'un passage qui s'oppose au précédent *,
et plus loin encore dans un mouvement de phrase différent :
While, home away
On swelliog thought, his waflcd spiril Aies *.
Quelques autres exemples de ces formes de phrases brisées
peuvent s'expliquer, si l'on y veut voir des sortes de « cas
absolus D analogues à l'ablatif absolu des Latins, ou au datif
absolu de l'ancien anglais, remplacé plus tard par un nomi-
natif absolu •. C'est là en effet une construction que recherche
volontiers Thomson. Peut-être v devons-nous voir un effet de
rinfluence de Milton; mais cette forme devait par elle-même
plaire au poète pour le caractère de noblesse et d'élévation
qu'elle contribuait à donner à son style.
I. Spring, 739-14L - 2. Ibici,, 931-932. — 3. Ibid., 993. — 4. Ibid., 1003.
— 5. Ibîd., 1018-1019.
6. Voir R. Morris, UUtorical oultines of English accidencCy ^ 102.
428 JAMES THOMSON.
Ile now shut up
Within his iron cave *.
Dashed down and scattercd by the tearing \vind*s
Assiduous fury ils gigantic limbs '.
Le seul a Printemps d renferme une quinzaine d'exemplesde
cette construction peu commune en anglais.
Dans d'autres tournures, difficiles à analyser, une ellip»
peut rendre compte de Tapparenté incohérence de la phrase:
Arabia cannot boast
A fullcr gale of joy than, libéral, Ihence
Breathes through the sensé '.
Le lecteur supplée volontiers, après « than », les mots c thaï
which ».
Mais quelquefois, au contraire, il parait bien que le poète,
dans son ample période, perde de vue l'exacte relation des
termes entre eux.
Or can il mix them with that matchless skill,
And lose them in cach other, (is appears
In every bud that blows *1
a As » continue très correctement la phrase après c and lose
them in each other », mais il ne s'ajuste plus avec rexpression
précédente.
But corne, ye gênerons minds, in whose wide thought
Of ail his \vorks, créative Bounty burns
Wilh warmesl beam, and, on your open front
And libéral eye, sils ^....
La construction est confuse et rebelle à l'analyse. « Warmest...
of ail his Works » n'offre guère de sens, et ql your » tient la
place du relatif a whose » qu'exigerait la grammaire.
1. Spring^ li2, 143. — Une correction postérieure a remplacé he par and.
La phrase semble alors moins heurtée, mais elle est plus obscure. —
MilloD, en pareil cas, emploierait, à Timitation du latin, une forme objet
tive : « me overthrown », <« us dispossessed •, > him destroyed •, • in(
of thèse nor skilled, uor sludious •. {Pamd. Lost, Bk. IX, 41, 42.)
2. Winter^ 183, 184. — On peut voir encore en fait d'exemples : Spring
^»04, 750, 751 ; Summer, 348-351 ; Aulumn, 245, 246, 856-860; Winier, 968, elc
3. Spring, 499-501. - 4. /6/d., 470472. — 5. Ibid., 877-880.
LES <' SAISONS •'. — LA LANGLE HT LE STYLE. 4-J9
larcrsii^n^. — L'inversicjii est une des |)arti('ularilés {^q-ain-
inalieales qui s'iiui)oseutà toute étude de la laiif,aied'uii poète.
L'usaj^e qui en a été fait par les dilTérentes écoles est très divers,
selon ridée qu'elles se sont t'orniée de ce que doit être la
langue de la poésie. Ni Téclat des images, ni la parure des
métaphores, ni l'intensité de la pensée ou de l'émotion ne lui
appartiennent en propre à cette langue. Il semble que le
rythme seul la distingue essentiellement de la prose, mais
que cela suffise. Les poètes de recelé classique, en Angleterre
aussi bien qu*en France, ont cependant tenu à marquernette-
ment une autre différence. Indépendamment de la forme que
donne à la pensée le rythme, c'est-à-dire le moyen d'expression
spécial de Tart poétique, ils ont voulu introduire entre les deux
langues une différence de grammaire en faisant un très fré-
quent usage de l'inversion.
On sait combien est constant chez Pope ce renversement de
l'ordre normal des termes. Rien ne contribue plus à donner
au style du brillant écrivain ce caractère artificiel et apprêté
qui, en dépit de beaucoup d'art et d'esprit, ne tarde pas à causer
une impression de fatigue. Thomson ne s'est pas affranchi
sur ce point de l'usage de son temps. Mais chez lui ces
constructions sont notablement moins fréquentes que chez
Pope '.
Au reste le nombre de ces tournures n'est pas la chose qu'il
importe de noter. Les inversions qui se rencontrent dans les
t Saisons » peuvent se diviser en trois groupes : celles qui
servent à exprimer une supposition, — celles qui expriment un
impératif ou un optatif ou une interrogation, — celles enfin où
le renversement de l'ordre normal n'apporte à la phrase aucun
sens particulier.
Les exemples de l'inversion hypothétique ne nous arrêteront
pas. Des formes telles que « Should she seem * », a should
I turn 5 », « was every longue silent * » sont conformes à l'usage
constant de la langue. Leur répétition complaisante dans le
1. Nous releyoDS dans les vers de VEssat/ on Man 40 inversions bien
caractérisées (en négligeant celles qui sonl peu frappantes). Dans les
300 premiers vers de Winfery le nombre des inversions est de 20.
Encore est-ce là une très forte proportion, si nous considérons Fensemblo
du poème. L' « Hiver >* entier ne donne que 60 inversions sur 1069 vers.
2. Spring, 623. — 3. Ibid., 165. — 4. Summer, 185, 186.
430 JAMES THOMSON.
poème est la seule chose qui mérite d'être signalée. — La
construction est plus remarquable lorsqu'elle porte sur un
temps simple du verbe, en l'absence de tout auxiliaire.
Thought fond man
Of Ihese».
Mais ces exemples sont rares.
De l'inversion par laquelle un sens impératif ou optatif est
exprimé, nous aurons peu de chose à dire. Elle est légitime.
Klle est conforme à l'usage ancien de la langue. Elle conxienl
au style de la poésie où l'appareil commode mais inélégant
des auxiliaires ne va pas sans quelque lourdeur. Tout au plus
pourrions-nous remarquer Teffet peu agréable que produit
la répétition trop fréquente de ces formes : « Be thèse m?
thèmes * » -- a Be my retreat ' » — « To me be Natures
volume broad displayed » *.
Mais le cas est différent lorsque l'inversion s'applique à un
verbe non auxiliaire, pour exprimer soit un impératif, soit une
interrogation. La construction est alore beaucoup plus frap-
pante, et selon l'emploi qui en est fait, sera tantôt brèveel
alerte :
Pass some few ycars •'*
In what région.... sleep you when 'tis calm?«
tantôt au contraire gauche et obscure :
And livcs the man whose universal eve
lias swept al once the iinbounded scheme of things? "^
Ce sont surtout les inversions du troisième groupe qui
retiennent Tatlention; elles forment un des traits essentiels du
style des a Saisons ». Contrairement au génie de la langue,
Thomson place volontiers le déterminatif après le terme déter-
miné, répithèle après le substantif, le complément avant le
verbe ou l'adjectif, l'adverbe après le verbe : c on churchvards
m
\. Wiiiler, 348, 349. — 2. Itid., 3. — 3. Ibid., 426. — 4. Summer, 19^
5. Winler, 1029. Cf. Wordsworlh :
• Pass we from enlerlainments. •
{The Prélude, Bk. Vil, p. 392.)
6. Winler, 117. — 1. Summer, 329, 330.
LES « SAISONS >>. — LA LANGUE ET LE STYLE- 431
drear' d, « the quire celestial * », etc. Très souvent ces inver-
sions de répilhète ont pour motif un désir d'éviter la répéti-
tion d'une construction précédente, et de balancer deux
expressions symétriques en y introduisant quelque variété :
If some sharp rock
Or shoal insidious'.
Heaven-born trulh
And mcdilation fair *.
Joyless rains obscure *.
Tbe brawling brook
And cave presageful •. — Etc.
Nous voyons le complément précéder Tadject if dans des formes
telles que :
and of watery weallh
FulP.
of unequal bounds
Impatient *. — Etc.
OU précéder le verbe :
And to the quire celestial Thee resound ^.
The downy orchard, and the melting pulp
Of mellow fruit the nameless nations feed
Of evanescent insects *o.
The fading many-coloured woods
Shade deepening over shade, the country round
Imbrown ".
i. Winter, AiO.
2. Summer, 190. Voir encore entre autres exemples : Auiumn, 407, 408,
433; Winter 127, 693, C94; etc.
3. Winter, 172,3. — 4. Ibid., 1059, 1060. — 5. Ibid., 73. Exemples analo-
gues : Autumn, 134,445; 543; etc. — 6. Winter, 70. Voir aussi Autumn, 871,
872. — 7. Auiumn, 886, 887. — 8. Ibid, 903, 904. — 9. Sttmmer, 190. —
10. Ibid., 301-303.
11. Auiumn, 950-952; ou bien encore Auiumn, 961-963; Winter, 52, 53;
Jbid., 507; Ibid.y 400. Une inversion du régime - Thee • {Auiumn, 9U-
947) :
• Thee, Forbes, too, whom
Thee Iruly generous, and in thy silence great,
Tby country fecls •, etc.
rappelle fort une expression de Milton :
Thee another flood,
Of tears and sorrow a flood thee aiso drowned, •
{Paradise Losi, Bk. XI, 754, 755.)
43:2 JAMES THOMSON.
L attribut est aussi placé avant le verbe :
Flcd is tlie blasted verdure of the fleld •.
Books are but formai duiness, tedious friends *.
Rent is ihc (leecy manllc of the sky '.
Là encore l'usage trop fréquent de ces formes les rend
remarquables, bien plutôt que la violence qu'elles font à la
langue. Mais ce qui est plus caractéristique de la manière de
Thomson, c'est l'inversion qui place le sujet après le verbe
sans que la raison en soit d'indiquer interrogation, supposi-
tion, ordre ni souhait.
Nous parlions tout à l'heure d'une comparaison qui nous
montrait, dans un môme nombre de vers, une moindre propor-
tion de tournures inversives chez Thomson que chez Pope*.
Mais si nous comparions uniquement les inversions du sujet,
nous trouverions dans ces mêmes passages que Pope en pré-
sente seulement trois contre trente-sept inversions du régime,
tandis qu'il y en a onze sur les vingt inversions relevées dans
les trois cents vers de Thomson. Or ces formes, moins fré-
quentes dans le style des écrivains, comme dans l'usage courant
de la langue, donnent aux inversions dans le style de notre
poète une importance que leur nombre seul ne justifierait pas.
11 a une prédilection marquée pour des mouvements de phrase
tels que ceux-ci :
Looked oui Ihc joyous Spring *.
Looks out Ihe joyless sun ®.
Pleased hâve l.... ''.
Resouiids the livinj,' surface of the ground •.
Paint are his gleams and inefTectual shoot
Ilis struggling rays ^.
Sighs the sad genius ofthe coining storm *^.
Gathered play
The swallow people **.
i. Autumn, 998. — 2. Spring, 1015. — 3. Aulumn, 36. — 4. Voir plus
haut, p, 429, note 1.-5. Winier, 16. — 6. Autumn, 1028. — 7. Winier,
7; lôid., 10. — 8. Ibid., 281. — 9. lùid,, 46, 47. — 10. Ibid., 67. — H. Au-
tumn, 837, 838.
LES « SAISONS ». ~ LA LANGUE ET LE STYLE. 433
And swcUed thc pomp of peace their faithful toil,
As from Iheir own clear norlh in radiant streams
Bright over Europe bursts ihe Boréal morn *.
Where creeping waters ooze,
Where marshes stagnale, and where rivers wind,
(Uusler the rolling fogs ^
. . . Vanish Ihe woods '.
Hard by thèse shores, where scarce his freezing stream
Rolls the wild Oby, live the last of inen *.
C'est donc par leur nombre à la fois et par le relief qui les
impose à notre attention que ces formes de langage deviennent
un des traits les plus importants du style et de la manière de
Thomson.
Il convient aussi de mentionner certaines phrases qui ne
sont pas toujours inversives, où Fauteur affecte un mouvement
haletant, une construction désarticulée dont l'effet est plus sin-
gulier qu'agréable. Elles se rencontrent surtout dans les apos-
trophes — fréquentes chez notre poète — et consistent à placer
le terme vocatif entre deux mots qui ne peuvent être isolés
sans violence :
May my song softcn, as thy daughters I,
Britannia, bail ^.
Oh ! lose me in the green delightful walks
Of, Dodington, thy seat ^.
You, gallant Vernon, saw
you pitying saw"'....
ou ces exemples un peu différents mais non moins étranges :
Among the bending willows, falsely lie
Of Musidora's cruelty complained *.
The melting pulp
Of mellow fruit the nameless nations feed
Of evanescent insects •.
\. Autumn, 907-909. — 2. Ibid., 1085-1087. — 3. Ibid,, 719.
4. Win/tfr, 936, 937. Un antre exemple significatif dans le même chant,
951-954.
5. Summer, 1580, 1581. — 6. Aulumn, 654, 655. — 7. Summer, 1041, 1042.
— 8. lind., 1275, 1276. — 9. Jbid., 301-303.
28
434 JAMES THOMSON.
Ces interruptions inattendues de la coiistruction sont une
des causes de l'obscurité qui parfois arrête le lecteur des
ce Saisons » :
A peopic Savage Irom rcmotest lime,
A huge neglected empire, one vast niind,
By heavcn inspirée!, from Gothic darkness calledi.
devient fort clair si Ton rétablit Tordre normal des membre?
de la proposition *.
Ellipses. ~ Nous avons vu que plusieurs des inversions coutu-
iniéi-es de Thomson sont accompagnées d'une ellipse. Les cons-
tructions elliptiques sont en effet aussi une des tournures favo-
rites du poète. C'est un des procédés par lesquels la langue des
vers visait alors à se distinguer de la prose. L'auteur des « Sai-
sons » le devait adopter d'autant plus facilement que ces cous-
tructions lui étaient recommandées par l'usage qu'en a fait
Milton. L'influence du maître explique en particulier pourquoi
dans le poème de Thomson, comme dans le n Paradis Perdu i.
nous trouvons assez souvent un nom employé sans article, dans
des occasions où le sens appellerait ce signe de détermination :
falling fasl
Wilh wiKi inlVacled course and lessened roar"*.
Ihe halle wed car
Uf poet, swcUing lo seraphic slraiii *.
gaze
At early passcngcr •'....
Plus rarement un verbe est employé sans sujet exprimé
Behoves vou then lo ply vour (Inest art ®.
Dans des cas plus nombreux le verbe substantif est omis :
Repealed lliis, lill deop thc well-washed fleeeo
lias drunk tlie flood "....
1. Winler, 952-954.
2. " One vasl miud, inspired by lleaven, calied Trom froUiic darkness a
people savage from remotesl time, a huge neglecled empire. *
3. Summcr, 604. — 4. MiV/., ,'162. 563. — ;i. Ibid., 59, 00. — 6. Spri/t',
424. — 7. Snmmer, 384, 3s:;.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 435
Quatre phrases successives de V « Automne » procèdent par
exclamations sans verbes, sur ce modèle :
The radianl sun how gay * !
Ces constructions elliptiques deviennent facilement obscures :
Whosc spolless swains ne'er knew
Iiijurious deed: nor. blasled by the brcath
or l'aithlcss lovo, Iheir blooming daughters woe *.
Archaïsmes, — Pronoms; adjectifs. — La tendance à faire
emploi de formes presque abandonnées, mais conformes à lan-
cien usage de la langue et des écrivains, celte tendance bien natu-
rel le chez un disciple fervent de Spenser explique plusieurs des
particularités qui frappent le lecteur des « Saisons». Le poète
conserve plus d'une fois au pronom personnel la valeur réflé-
chie qu'il avait jadis. Il n'est pas douteux que la forme moderne
plus claire ne soit bien lourde pour la langue des vers. Nombre
d'autres écrivains anglais après Thomson continueront à éviter
les pronoms réfléchis :
And ycllow load theni wilh Ihe luscious spoil ^.
Wlio to the crowded cottage hies him fast *. — Etc.
La forme archaïque m ye » est assez fréquemment employée
par Thomson dans les apostrophes :
Ve, ashcs wild ' !
Lend me your song, ye nightingàlcs ^ î
What is this mighty brealh, ye ciirious, say ^.
Du reste la distinction entre les deux formes n'est pas absolue ;
le poète les emploie en même temps Tune et l'autre dans un
même passage, tantôt avec valeur de vocatif et tantôt avec
valeur de sujet :
hul you, ye flocks,
What hâve ye done?yo [)caceful people, what,
To ineril death? you, who havc given us milk '/
1. Autumn, 1213-1217. — 2. Winfer, S8S, 8St>. ~ 3. Sprinff, oii. —
Siiiii'tfer, 1120. - 'J. Ihid.. 171. — G. Spn'nff, 375. — 7. I/jid,\ 848. — 8.
436 JAMES THOMSON.
Nous pouvons encore signaler un archaïsme dans l'emploi
très fréquent de l'adjectif avec valeur adverbiale. Sans doute il
n'y a là rien que de conforme au génie de la langue. Bien que
le purisme des grammairiens demande aujourd'hui qu'une
terminaison spéciale marque la différence entre l'adjectif et
l'adverbe, la langue populaire, en négligeant cette distinclioo,
reste fidèle à l'usage du vieil anglais *. La langue du peuple est
souvent aussi celle de la poésie; rien de plus légitime que l'em-
ploi fait par Thomson de formes telles que :
Tlien, sliding soft, Ihey drop *.
Loud shrieks the soaring hern '.
*Tis by thy secret strong attractive force *. — Etc.
Mais il n'en est plus de même quand le poète attribue une valeur
adverbiale à des adjectifs français ou latins. Et ce sont ceux-là
surtout qu'il se plaît à transformer ainsi. Il n'a pas senti que
ces mots, sauf ceux qui se sont intimement fondus dans la
langue, n'ont pas la plasticité des termes qui appartiennent au
fond môme de l'idiome national. Ils ne se prêtent pas toujours
à ces transpositions de valeur que les mots germaniques subis-
sent facilement. « Swift » prendra sans difticulté le sens de
« swiftiy ». Il ne s'en suit pas que son synonyme « instanta-
neous » puisse s'employer pour « instantaneously t^ :
The rapid radiancc instantaiicous slrikes
Th'illuniined mountaiu ^.
• ■
When o'er this world, by cquinoctial rains
Floodod immense, looks ont the joyless sun *.
Ai'dent crowd
Hritannia^s sons lo hear her plcaded cause '.
The central walers impeluous rush'd •.
and ofl the swain
On sonir impatient seizinj^, hurls them in •.
for every land Iheir life
lias flowcd profuse *".
1. Voir Eari.e. The Philology of the Engllsh Tongue, §§ 431, 432.
1. Autumn, o57. — 3. \Vintei\ Uf». — 4. Summer, 97. — 5» Spring, 191,
192. — 0. Summer, 1026, 1027. — 7. Winter, 680. — 8. Spring, 310. -
fl. Summer, 371», 3«0. — 10. Aulumn, 905. 906.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 437
the Icaf
Incessant rustlcs *.
Wliat pity, Gobham, thon thy verdaiit files
Of ordered trees shouldst herc inglorioiis range *.
Au moins, dans ces exemples, qu'il serait aisé de multiplier,
remploi adverbial des adjectifs est-il facilité par cette circons-
tance que le mot pourrait à la rigueur être interprété comme
une épithéte. Mais quand cette atténuation vient à manquer,
alors l'attribution arbitraire d'un sens adverbial à des adjectifs
d'origine latine est presque toujours une pénible violence faite
à la langue :
'lis copions blest '.
Iligh-seen the Seasons lead, in sprightly dance
Uarmonious knit, the rosy-lingered Ilours ^
They sportive wheel, or sailing down the stream
Are snalched immédiate by Ihe qnick-eyed trout '.
Graduai from thèse what luiinerous kinds descend •.
Tis raging noon ; and vertical the sun
Darts on the head direct his forceful rays '.
Ihose aromatic gales
That inexhaustive flow continuai round *.
Lavish fed •.
Toutes les pages du poème offrent des exemples de ces
formes de langage dont l'abus communique au style de Thomson
un caractère à la fois apprêté et monotone.
Les latinismes de syntaxe sont beaucoup moins nombreux
qu'on ne le pourrait croire quand on songe à l'influence exercée
sur le poète par le style de Milton. Nous devons signaler cepen-
dant des formes telles que :
Thv Works... would....
/ Thec resound *".
4 Autumn. 990, 991. - 2. Ihid., 1013, 1014. — 3. Spring, 338. — 4.
sLmer^i^i^' - ^' ^'^'^- ^52, 953. - li. Ibid., 287. - 7. Ibid., 432, 433. -
^'^^niiimn 498. — Il faudrait encore signaler, parmi les traces d»ar-
h P^ remploi d'une forme de participe passé aujourd'hui hors d'usage.
C' Tfe mot « shook -, pour • shaken .. Il se rencontre trois fois rien que
dans «""l'Automne » : 25, 330, 548.
10. Summer, iSi-ivu.
438 JAMES THOMSON.
C'est, au delà de Milton, Virgile lui-même qui nous est ici
rappelé par le choix du verbe, en même temps que la construc-
tion est un hardi latinisme.
Mais c'est bien Milton qui a fourni le modèle de cette forme
de phrase :
Meanliiiio Ihis l'airer nymph than ever hlcst
Arcadian strcani *....
dans laquelle Tadjectif précédé d*un adjectif déterminatif esl,
contrairement à la grammaire de l'anglais, séparé de son com-
plément.
En résumé la grammaire de Thomson, comme son vocabu-
laire, nous montre une indépendance et un désir d'originalité
par où le poète se distingue des écrivains de son temps. Mais
dans les formes de sa phrase, comme dans le choix de ses mots,
il pousse à l'excès la recherche des effets de force et de
noblesse; et la répétition abusive de constructions favoriles
doime parfois à sa langue une incontestable monotonie et un
caractère regrettable d'artifice et de déclamation.
III
La langue poétique.
Ilypallage et métonymie. — Si, de la grammaire de notre
poète, nous passons à sa rhétorique, nous trouverons là
encore plus d'une occasion de comparer le style qu'il s'est fait
avec celui des écrivains de son temps. L'école de Pope n'avait
guère de faveur pour ces audacieuses figures qui, dans le style
des grands poètes Imaginatifs, font violence à la langue etafiir-
ment la supériorité du génie sur les lois de l'usage. Il est dou-
teux que toute Toeuvre de Pope renferme un seul exemple
d'hypallage comme ce vers où Thomson reproduit une expres-
sion célèbre de Virgile :
The dark wayfariuf^ stranger brcalhlcss toils *.
1. Summer, 1247, 1248.
2. Winter, 177. Cf. Virgile : • Ibaul obscuri sola sub nocle ».
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 439
Moins frappantes, mais de même nature sont les figures de
ces vers :
Tlu» \veU-earinM| treasiircs ol' Ihe paint'ul year '.
inoiinlains....
Kreathing Ihe soûl aciitc '.
Le lecteur des «Saisons » ne larde pas à remarquer le retour
livquent de cette l'orme de métonymie qui consiste à employer
un terme abstrait avec un sens concret. Ce n'était assurément
pas là une hardiesse nouvelle dans la poésie anglaise. Tous les
poètes y ont eu recours, et le plus grand d'entre eux en a pro-
digué les exemples les plus saisissants '. Mais chez Popt» et les
écrivains de son école, nous ne trouvons plus guère que des
métonymies banales, trop eftacées par l'usage pour avoir con-
servé aucune valeur propre. Dans les plus mouvementées des
œuvres du maître, dans celles où le feu de la passion doit le
|)lus facilement provoquer l'apparition de traits hardis, nous
rencontrons à peine quelques figures telles que celle-ci : a Là,
« nulles saintes images d'argent, léguées par des avares à leur
c( lit de mort — ne tentaient, présents insuffisants, de suborner
« la colère des dieux * ».
Il est aussi chez Thomson nombre de termes abstraits dont
remploi dans un sens figuré appartient au vocabulaire courant
des poètes. Mais il en est d'autres au contraire où l'écrivain a mis
l'empreinte vigoureuse de sa personnalité et de sa maîtrise de
la langue '*.
« Les jeunes oiseaux... brisent leur fragile esclavage * », pour
1. Autumti^ 344. — 2. Aulumn^ K81.
:\. « Divine perfection of a woman. »> [Kin;/ Richard III, acte I, se. ii, 15./
« Brin^ in Uie admiration. «> {AlTs W'eily etc., acte ÏJ, se. i, 01.)
«< 0 fair affliction, peace! • {King John, acte III, se. iv, 36.)
" Yea, joy. » [i* Heurt/ l]\ acte IL se. iv. 52.)
.' Untlirifiy loveliness. « {Sonnet JV). — Etc.. etc.
». - No silver saints, by dying miscrs fciven,
Herd bribed ttie raf^e of ill requiled heaven;
Bill sucii plain roofs as pietv could raise.... •
\Elo\sa ta Abelard, 137-139.)
V). Par exempte : Sprint/, 930; Summer, 1459; Summer, 1214.
6. • ... The callow young....
Tbeir brittle bondage break. »
{Summer^ 671.)
440 JAMES THOMSON.
« la coquille qui les enferme »; — c la perfection * > pour c la
a chaleur qui mûrit les raisins » sont des formes de langage assez
audacieuses déjà. En voici de plus hardies : Dans un paysage
des tropiques le poète nous montre le serpent qui, près d'une
source, est venu rouler ses anneaux « et quand dardant une
m langue menaçante — ouvrant ses mâchoires meurtrières, le
a monstre plisse — sa crête ardente, toute autre soif épouvantée
« — s'enfuit * ». Quelques vers plus loin nous avons encore :
<i Les moutons tremblants — se pressent autour du bei^er qui
c les garde; les bestiaux plus nobles — .... entendent avec hor-
« reur — cette rage qui s'approche '. » — a Les troupeaux —
« laissent retomber les brindilles sèches, et avec une muette
c prière regardent — la verdure qui tombe * » (pour « la pluie
qui fem reverdir la terre »). Voici à peu d'intervalle une autre
et non moins audacieuse métonymie : « et toujours les nuages
« bienfaisants ■— déversaient une grasse abondance * ».
L'accent d'énergie que ces figures donnent au style de
Thomson est malheureusement affaibli par l'usage abusif qu'il
lui arrive d'en faire. Il a pour quelques-unes une prédilection
qui ne se lasse point. Dans moins de cent vers nous trouvons
trois fois le mot a fate » au sens de « mort ]> ou de « cause de
mort » : a Les horribles mâchoires du requin armées d'une
« triple mort ^ » — a L'air (d'une ville ravagée par la peste) est
1. Perfection breathes
White o*er the lurgent film (he living dew.
{Autumn, 692-69 L)
2. ... Wliile wilh Ihrcalening longue
And dealhful jaws erect, the monster curis
His naming crcst, ail other thirst appaUed
Or shivering Aies, or checked at dislance stands
Nor dares approach.
(Summer, 903-907.)
3. Wilh horror hear
The coming rage.
{Summcr, 928-932.)
4. .... Herds and flocks
Drop Ihe dry sprig, and mute-imploring eye
The falling verdure.
{Spring, 161-163.)
5. ... And slill Ihe gracious clouds
Dropt fatness down.
{Spring, 260, 261 .)
6. His jaws horrifie armed wilh threefoid fate.
(Summer^ 1013.)
LES ^« SAISONS ». — LA LA.NfJiK KT LK STYLK. 441
plein (U* iiH)i"t ' », — (( Là-has, dans ('«Miiia^uî liinosle, une ()l)^^-
« curité i'Oii^ràtiv, un arsenal dr nior'l — feï'rnentenl -. »
Périphrnuc. — Les (H'rivainsde l'école classique évitent, uous
le (lisioiLs plus haut, les audaces qui font violence à la langue.
Ils poussent plus loin la timidité lorsqu'ils reculent devant
remploi d'un terme qui, traduisant exactement Tidée, leur
parait manquer de noblesse. La périphrase est la ligure favorite
de ces écrivains; la littérature du xviip siècle l'a cultivée avec
prédilection. Il faut bien entendre que l'abus seul de cette
forme d'e.xpression est condamnable. Il y a un emploi de la
périphrase que le goût le plus sévère reconnaît légitime, et
dont tous les grands poètes fourniraient des exemples. Quand
Hippolyte désigne Phèdre sous cette forme indirecte et com-
pliquée :
La iillc de Minos el de Pasiphaé -'.
Racine n'a pas eu seulement pour objet de réunir des mots
harmonieux et sonores *. Le vei*s nous rappelle de quelle mère
infâme est née Phèdre ; il exprime la haine et le mépris d'Ilip-
polyte pour l'étrangère; il prépare et il annonce les révélations
de la scène m.
Mais quand la périphrase n'a pas d'eflet analogue; quand, ne
nous apprenant rien, ou rien d'important sur l'objet qu'elle
désigne, elle vise uniquement à nous faire admirer chez l'au-
teur une habileté à trouver des équivalents; quand elle devient
un futile jeu d'esprit pour l'écrivain qui s'eftbrce de dire ce qu'il
doit dire par le moyen le plus détourné, et pour le lecteur dont
la tâche est de deviner l'énigme proposée, alors en effet la péri-
phrase mérite la défaveur et le mépris qui l'ont frappée.
Il faut bien avouer que l'œuvre de Thomson renferme plu-
sieurs exemples dignes d'être rangés dans cette catégorie. Ce
i. The wide enliycniiig air is full of fate.
{Summery 1084.)
2. In yon l>alerul cloud
A reddcning gloon, a magazine of fale
Ferment.
{Sumrner, 1111-1113.)
3. Phèdre, acte T., bc. i.
4. C'est sans doute par pure boutade que Ttiéophile Gauthier ne voyait
dans ce vers que la musique des sons, et, fie ce seul chef, le déclarait^
dit-on, le plus t>eau vers qu'ait écrit Racine.
443 JAMES TUOMSON.
souri du style noble, qui obsède Técole classique en Angleterre
comme en France, inspire à notre poète des détours fâcheux
pour dire des choses très simples.
Dans seize vers du « Printemps d il parle des insectes nuisibles
à lagriculture, et c'est à peine si le mot a insect » est une fois
mentionné *. Le sujet peut paraître bien humble, et lauteur
croit élever son style au moyen de circonlocutions compli-
quées : « C'est une faible race, et pourtant ce sont souvent les
<( fils sacrés de la vengeance * ». Et comme le vague de ces dési-
gnations rend difficile l'emploi de pronoms se rapportant aux
mêmes objets, le poète acccumule les périphrases : « rennemi
caché » », a la gent engourdie par le froid * ». Ce dernier
exemple rappelle une forme banale que Thomson reproduit très
souvent. La môme <c Saison » nous la montre encore dans « la
gent emplumée '^ », a la gent à nageoires * », « la gent au plu-
mage brillant ^ », a les douces tribus ® ». S'il s'agit de jeunes
oiseaux ce n'est plus (( la gent », mais la « jeunesse emplu-
mée '•* » — Le berger des Hébrides a récolte sa nourriture ovaire
— (c ou... amoncelle — le plumage, qui s'élève élastique, pour
(i former le lit — du luxe *° ». — Quel est le serpent que désigne
cette périphrase de 1' « Été » : « Le petit ministre de mort qui se
<( cache dans un étroit espace — et dont le venin concentré par
a un soleil brûlant répand dans les veines un éclair rapide *'? »
Nous avons moins d'incertitude sur l'objet dont il s'agit quand
Musidora a de sa jambe de neige — et de son pied menu tire
la soie retournée '* ».
Tout cela est peu digne du génie d'un poète tel que Thomson.
11 va cependant plus loin encore. Dans ce passage du « Prin-
temps » où il célèbre les charmes de la pêche et nous fait de cet
art un cours didactique, pas un nom de poisson n'est men-
tionné; le seul qui soit particulièrement désigné se reconnaît à
cette périphrase « le monanjue du ruisseau " ». Mais le poète
nous parle a des i)etites naïades '* » qu'il s'agit de décider à
mordre, et il recommande au pécheur de rejeter à l'eau comme
trop jeune « le bébé tacheté *^ ». Quant à l'arme du pêclieur.
1. Spring, 119-135. — 2. Ibid., 123, 124.— 3. Ibid., 128.— i.làid., 131. 5.
Ibid., 164. — 6. Ibid., 394. — 7. Ibid.. 616. — 8. Jbid., 710. — 9. !bid.,
728. — 10. ^M^wmn, 875-878. — 11. SMmmer, 907-909. —12. Ibid,, 1308, 1300.
— 13. Spring, 423. - 14. Ibid., 402.
15. Spring, 421. — Delille n'appeHe-t-il pas quelque part le veau « un foldtre
LES « SAISONS )». — LA LANGUE ET LE STYLE. 443
c'est « la ligne ilottante arrachée au coursier blanchi ' ». La pluie
même a, paraît-il, besoin d'être désignée par une circonlocu-
tion; c'est elle qu*il nous faut reconnaître dans « ralimentsem-
(( blable au lait - ».
N'allons pas cependant juger notre auteur sur ces déplo-
rables erreurs. Il serait à peine plus injuste de voir un échan-
tillon du style habituel de Lamartine ou de Vigny dans
certaines périphrases extraordinaires qu'on peut relever dans
leurs œuvres ^ Aux exemples d'expressions tourmentées et
i>izarres que nous avons citées, on en pourrait opposer beau-
<:oup d'autres où Thomson sait faire usage du terme propre.
Quand il ne cède pas à l'inlluence du goût régnant, c'est dans
une langue simple, directe et franche qu'il décrit les scènes
modestes de la vie des champs. Il observe dans la basse-cour
u la poule vigilante — qui appelle autour d'elle toute sa
<( gazouillante famille, — que nourrit et défend le coq
eufanl »? Notons que toul ce pa3sa;j:e sur la pèche ne figure pas dans les
premières éditions. 11 est ajouté après 1738, quand la manière d'écrire du
porte a subi quelque modification.
1. Snatched from the hoary steed tlie floating line.
{Sprtnff^ 383.)
Pope s'était contenté <le dire : • Slight Unes of hair surprise the Tinny
pri?y ■ {The Râpe of the Lock.)
■2. And while Ihe milky nutriment distils.
[^Spring. 183.)
:i. Celle entre autres qui désigne ainsi les poules :
<i Kt les oiseaux privés, dont le chant entendu
Avertit Thommc à jeun du fruit qu'ils ont perdu. '»
(La Chute cTun Ange.)
A. de Vigny, »i plein de raillerie pour ces préjugés littéraires qu'ofTus-
«(liait le mouchoir d'Othello, imagine lui-même, pour parler d'une chemise,
titi bien ingénieuses périphrases :
« Dolorida n'u plus que ce voile incertain,
Le premier que revêt le pudique matin,
Et le dernier rempart que, dans sa nuit folâtre,
L'amour ose enlever d'une main idolâtre. «>
{Livre Moderne. Dolorida.)
Si Delille avait eu à parler du quadrille des lanciers, Taurait-il fait en
tonnes plus alambiqués que ceux-ci?
<« Le signal est donné, l'archet frémit encore,
Elancez-vous, liez ces pas nouveaux
Que l'Anglais inventa, nœuds chers à Terpsichore,
Qui d'une noble chaîne imitent les anneaux. -
[Livre Moderne, Le Bat.)
444 JAMES THOMSON.
« intrépide * ». Tous les hôtes de la ferme sont ainsi décrits et
nommés sans fausse honte : le canard aussi bien que le cygne,
le dindon à côté du paon ou du pigeon *. Les pages du poème
sont pleines de descriptions aussi éloignées que possible de
cette langue contournée, molle et vague que produit l'abus des
périphrases. Qu'on se rappelle cette scène de V « Été » qui nous
montre tous les animaux accablés par Tardeur du soleil, depuis
« la corneille, le freux et la pie qui se dirigent d'un vol pares-
« seux vers les chênes devenus gris » jusqu'au chien de la
ferme qui a dort étendu tout au long jusqu'à ce que, éveillé
« par une guêpe, il la iiappe brusquement ' ».
A lire le poème nous ne pouvons nous défendre aujourd'hui
de remarquer surtout ces passages où l'écrivain semble, selon
le mot de Pascal, s'ingénier a à masquer la nature et à la
déguiser ». Mais si nous replaçons les a Saisons d au temps où
elles ont été écrites, nous saurons gré au poète de s'être sou-
vent affranchi du mauvais goût régnant. Nous remarquerons
alors davantage tant de descriptions d'une langue si simple et
d'une saveur si franche, comme la baignade et la tonte des
moutons *, comme la fenaison ^ ou la moisson **, comme tant
d'autres scènes où Thomson écrit avec son instinct naturel
et que ne gâtent pas de fâcheuses élégances.
Personnilicalion et allégorie, — Au même degré peut-être
que la périphrase, la personnification est considérée comme
un des procédés caractéristiques de la poésie classique au
xvni« siècle. Pour ce qui est de l'Angleterre, il y a là quelque
injustice. L'école ne mérite pas tout entière de porter la
responsabilité d'un travers qui sans doute a sévi sur beau-
coup. Les maîtres du commencement du siècle sont, plus
qu'on ne serait tenté de le croire, exempts de cette affecta-
tion. Pope en use assez peu. Non seulement dans ses poèmes
de discussion rimée, épîtres ou satires, mais même dans sci^
œuvres descriptives ou pathétiques, il est sobre de ces effets
ambitieux ^ Plus rares encore, on le croira sans peine, sont
\. Spring, 771-773. — 2. Ibid., 7G5-787. — 3. Summer, 224-236. — i.
/6iV/., 370-400. — 5. Jbid., 352-369. — 6. Autumn, 151-169.
7. Pas une seule personDification dans les ({uatre Pastorales des - Sai-
sons », sauf ces métaphores banales d'arbres qui versent des larmes
d*ambre, on de fleurs qui s^associcnl & un deuil mortel. — Deux person-
niflcations bien caractérisées dans Héloïse el Abélard (v. 163-170 et v. 299).
— Il y en a nn plus grand nombre dans lu ■ Forêt de Windsor • ; mai*
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 445
Swift ces audaces poétiques. Dans ses vers nets, tran-
its et froids, nous ne pourrions guère relever que lattri-
on de majuscules aux noms de certaines abstractions,
'emploi d'expressions tellement effacées et ternies par
ige qu'elles ne conservent plus couleur de personnifica-
*. — On peut être tenté de voir en Young un des poètes
ont consacré le triomphe de cette figure. Qui n'a présent
»sprit ce début de la première des a Nuits » où, en vers
)res et magnifiques, l'auteur évoque devant nous comme
mt de personnages imposants et muets le Sommeil, la
t et le Silence primordial? Mais on aurait tort de conclure
,'e passage au reste du poème. Dans les parties même où il
once à sa prédication rimée, et où sa pesante dialectique
se quelque repos au malheureux Lorenzo; dans ces pas-
es célèbres où il s'élève à une haute et riche poésie, il fait
îment usage de la personnification -.
i nous en venons aux a poetie minores », l'importance de
formes de style s'accroît beimcoup. Garth y a volontiers
ours. On en peut trouver plusieurs exemples accumulés
is quelques vers de l'Épilogue du a Caton » d'Addison. —
:hard Savage en fournil des spécimens de caractère plus
usé. Son a Wanderer » nous offre plusieurs personnifica-
îs prolongées et poussées à fond. L'une d'elles, celle du
une n'a de caractère nouveau ni saillant. — • L'Enlèyement de la
icle « au coulraire en reufcnnc d'originales, qui sont un des éléments
umour du joli poème. Voir au chaut IV, ces personnages qui s'appel-
l - la Migraine •, • TÂlTectation », etc.
- Let Love with Folly and Pride
More fit associâtes Hnd! -
iOdc to WiHlom.)
■ Why on that brow dwell sorrow and dismay
Where Loves were wont to sport, and Suiiles to play? >
(-■1 Town Eclogue,)
)uand par hasard la Muse un peu prosaïque du Doyen onfunte une
'itable persounification, c'est avec une intention burlesque :
- Discrétion ! tu u'as jamais été Tamic de l'amour.
... Discrétion maudite, la faute était toute à toi....
Vénus, dis a ton père de préparer ses carreaux, et de faire
Rentrer la Discrétion dans les ténèbres infernales. •
To Love, Vers trouvés dans le pupitre de miss Vanhonirigh après sa
>rt.)
2. Un des rares exemples h citer s^appliquerait & une allégorie des
atre saisons.
446 JAMES THOMSON.
Suicide, poursuivie durant cinquante vers *, fait penser à quel-
ques-unes des évocations de Collins, un des maîtres du genre.
Enfin pour citer encore un nom, le poème si curieux de Dyer,
qui, publié la même année que r« Hiver »,en reproduit à une
échelle très réduite les caractères principaux, Grongar Hill
commence et se termine par des personnifications.
Nous voyons donc que cette fijîure n'a pas encore pris, chez
les contemporains de Thomson, la prépondérance abusive
qu'on lui connaîtra plus tard. L'auteur des c Saisons » en cette
matière imite plutôt les petits écrivains que les grands. Il
recherche trop volontiei*s dans celte création d'êtres vides de
réalité une ressource facile du style poétique. Ses personnifica-
tions valent celles de tous les héros de la Dunciad quand il
nous montre « la chaumière couverte de mousse où, avec le
« berger, habite la Paix * », ou quand il énumère les passion>
qui, depuis la lin de l'àgc d'or, ont envahi le cœur de l'homme:
« la colère frénétique — ou bien, pâle et silencieuse, la basse
« envie que dessèche la vue du bonheur d'autrui, la i)€ur
« etfaréc ' », etc. Les images de ce genre sont innombrables dans
le poème. Les meilleures sont celles qui sont employées avec
une intention ironique : « Alors la Faim rassasiée ordonne à sa
« sfeur la Soif — de faire paraître le bol énorme * ».
Comme tous ses contemporains d'ailleurs, Thomson emploie
coniplaisamment l'apostrophe, et c'est l'occasion de nom-
breuses transformations d'êtres de raison en pseudo-person-
nages. <K 0 chaleur qui accables tous les êtres, suspends ta
« rage *. » — a Salut, ombrages, fourrés, sapins, chênes*», etc.
— « Soufllcz, brises fécondantes,... ô vous, rosées... et vous,
« ondées... et toi, soleil, qui rends la vie au monde ". » — a Et
« toi surtout, ô vert joyeux, toi qui partout es la parure de la
a Nature souriante *. » — a Où es-tu. Gelée? • » -— « Et loi,
« délicieux ananas, toi, l'orgueil du monde végétal... vite je
« veux te dépouiller de la tunique aux écailles tôufîues, pour
a dégager ton trésor d'ambroisie, et m'asseoir à la table de
u Jupiter! *° »
1. Thr Wandrrcr, caïUo H, 19l-2r)0. On peut voir encore dans le pre-
mier cliant du même poème une louf^ue allégorie de l'Industrie (170-2%).
2. Sumtner, 64. - 3. Sf,rin{f. 280-306. — 4. Autunnu 512, 513. —
5. Suitnner, iTti. — 6. Sunifiirr, MVJ. — 7. Sprintj. 49-.52. — 8. Ihid., S2, 83
— 9. \Yinifit\ 714. — 10. Sumhter, 68:>-08'i.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 447
Les personnifications, on le voit, sont abondantes; elles
portent sur les objets les plus divers; elles sont souvent d'une
entière banalité *. Mais parfois il arrive à Thomson de descendre
au niveau des plus pauvres versificateui's' C'est par exemple
quand, au pâle olympe de ces divinités de baudruche auxquelles
tant de poètes ont adressé leurs honunages, il s*avise d ajouter
rinspiration elle-même, a Viens, ô Insiûration, de cet hermi-
tt tage où les mortels te découvrent rarement; et que mon ima-
« gination ose, à tes yeux sérieux, fixes et ravis qui parcourent
a la voûte du ciel, dérober un regard, un de ces regards qui
« créent un poète -. » — Imaginer, pour lui demander l'Inspira-
tion, une déesse de l'Inspiration, c'est bien du triple galima-
tias. Disons, pour atténuer la responsabilité de Thomson, qu'il
eut un complice. C'est de Mallet qu'était venue d'abord cette
ingénieuse idée '. D'autre part on voudra mettre à l'actif d(^
notre poète une petite révolution dans les usages typographi-
ques d'alors. 11 use beaucoup moins que ses contemporains
de majuscules et d'italiques *. Ses allégoriques ligures y
gagnent de passer un peu plus inaperçues. Sachons-lui gré
d'avoir paru quelque peu honteux de ces produits de son feu
poétique.
Il est au moins un sujet de représentation symbolique que
Ton serait surpris de ne pas rencontrer dans le poème; ce
sont les saisons elles-mêmes. Il y a là matière à des allégo-
ries tout indiquées; la peinture et la sculpture les ont prodi-
guées. Chacune des parties de l'œuvre, en effet, commence par
une description du mythologique personnage à qui le chant
doit être consacré. On a vu dans ces allégories une concession
au goût du temps, et l'on n'a pas eu tort. Mais nous pensons
(ju'il ne faut pas accepter sans réserve le jugement porté par
M. Guillaume Guizot : « Son a Printemps » est un personnage
1. Isaac Browne n'a pas manqué, dans sa spirituelle parodie, de
'élever cet abus de l'invocation et de la personnification.
* 0 thou....
Tnbacco, Tuuntain pure of limpid trulh.
Toach llie myaterious lips thaï chant thy praise. -
{The Pipe of Tobacro.)
2. Sunwtcr, iV).
:i. • 1 thank you hcartily for your hint about personiziug of Inspira-
ion ; il strikes me. • (Thomson à Mallet, 11 ao^t i72G.)
i. Nichols en a justement fait la remarque. ^Préface ù l'édition de Tegg.)
448 JAMES THOMSON.
a inytliologique tel qu'on en peint alors sur les trumeaux. Ce
d n'est que le reflet d'une œuvre d'art » ■. Ce serait apprécier
inexactement le caractère des quatre allégories de Thomson
que d'y voir une imitation des œuvres des peintres. Notons
d'abord que ces descriptions sont bien brèves : quatre vers
pour le Printemps, trois pour l'Été, deux et demi pour l'Au-
tomne, deux pour l'Hiver. Il faudrait plus de mots pour
résumer la représentation fournie par un peintre. Elles sonl
très brèves et sont très vagues. Nous comprendrions mieux qœ
l'on comparât à des tableaux les allégories que Gray et Collins
ont mises en œuvre, poursuivant la description jusque dans
les derniers détails, et plaçant devant nos yeux une image com-
plète, arrêtée dans ses lignes. Opposons aux deux lignes où
l'auteur des a Saisons » figure l'Hiver les portraits détaillés
que donne Cowper * ou même Shelley, et nous nous assure-
rons que Thomson ne s'est pas proposé de lutter avec le pin-
ceau des décorateurs de trumeaux. H a compris qu'il y aurait
discordance entre la nature telle qu'il la voyait et l'aimait, et
ces factices personnifications. H a senti que ses fraîches et sin-
cères peintures des choses de la campagne ne devaient point
partager l'attention avec les imaginaires personnages qui ont
traîné à travers tant de poèmes et sur tant de toiles leurs
grâces banales et leurs emblèmes défraîchis.
C'est donc une impression plutôt qu'un portrait que ses
descriptions visent à donner, a Viens, Printemps char-
a niant, viens, Saison des cieux cléments; — et du sein de
a ce nuage qui s'abaisse, — tandis que partout s'éveillent les
a chants, caché dans une pluie — de roses, descends sur nos
u plaines ^. » Aucun artiste ne se chargerait de donner une
forme visible à cette nuageuse divinité. Mais les vers du poète
sont une évocation du printemps, de ses tiédeurs, de ses mélo-
dies joyeuses, de ses senteurs et de sa parure de fleurs. Peu
nous importe que la ligure elle-même soii si vaguement des-
sinée qu'un critique ait pu se demander quel en est le sexe *.
1. Lor.ou? professées au Collège de France, mai 1886.
2. né Task, Bk. IV, 120.
;i. SpritKjf 1-4.
4. Wilson (Christopher North). Voir lilackwootTs Magazine^ t. XXVlll,
p. 872. Il est vrai que Tembarras du critique est aggravé par une étrange
inadvertance. H a lu au 6* vers de V • Été » : • The turoing Springavertsbis
hlusliful face •. En réalité le texte porte • her blushful face ». Ici comme
LES « SAISONS ». — LA LAiNGUE ET LE STYLE. 449
Ce brillant prélude avec sa flottante allégorie éveille en quel-
ques traits heureux les impressions de beauté, de richesse et
de joie qu'a voulu suggérer le poète. On peut douter qu'une
ligure plus arrêtée y eût aussi bien réussi.
En dépit de Topinion de Hazlitt * qui reproche à cette figure
du Printemps son insuffisance, nous ne sommes pas loin
de croire que ces personniQcations imparfaites sont les meil-
leures. Rien n'est plus dangereux que ces allégories précises et
minutieuses qui multiplient les concordances entre la notion
abstraite et la représentation matérielle qui en est imaginée.
Des écrivains de talent et de goût arrivent, dans cette voie,
aux plus puériles et aux plus étranges abus *, En tout état de
cause, ces rébus compliqués s'accordent-ils avec la véritable
inspiration poétique? Notre admiration doit-elle faire grand
cas de l'adresse avec laquelle le poète introduit dans le cadre
de son allégorie les attributs divers qu'un peintre ingénieux
peut prêter à l'idéal personnage? Il y a là un danger que Gray
lui-même, cet artiste consommé, n'a pas toujours évité. Ses per-
sonnifications contribuent à donner à son œuvre un caractère
un peu pédantesque et comme l'odeur de la lampe. CoUins est
à cet égard plus heureux. Il y a chez le jeune poète une puis-
sance d'évocation qui s'impose au lecteur. Ce sont de véri-
tables hallucinations que ces visions de la Peur, du Danger, de
la Gaîté, ou de la Pitié, qui travei*sent l'esprit de Collins et
«
que ses vers ont fixées. Mais c'est peut-être au germe de folie,
qui se cachait dans le génie du malheureux poète, que ses
créations ont dû d'écliapper à la froideur et au caractère fac-
tice de tant d'autres allégories.
dans tous les autres passages. Thomson personuilîo le Printemps sous
les iraits d'une jeune fille, « llie rosy-bosomed Sprin^ç •. (Spnng, 4009.)
— - Consenting Spring — Sheds her own rosy garlands.... • {Spr,, 1168.i
i, .5'* Lecture on Eiif/Hs/i Poelry {Ulachvood's Magazine, vol. 11, p. t>8l.)
2. Nos poètes français du xviii* siècle, et d'autres encore, pourraient
fournir des exemples significatifs. En voici un qui a pour auteur Con-
^reve, un poète homme de goût :
• And lo! Sileuce himself is hère.
Behold the révérend shade.
An ancient sigh he aits upon
Whose memory of sound is long sincc gonc,
And purposely annihilated for his throne. •
(Ode on Singing of Mrs, Arabella llunt.)
29
450 JAMES THOMSON.
Évidemment Thomson n'a pas de goût pour ces personnifi-
cations soutenues. Ses peintures de chacune des Saisons restent
sommaires et indistinctes comme celle que nous avons citée; et
quand, en dehors du prélude de chaque chant, il fait reparaître
une de ces mythologiques figures, c'est toujours, sauf une
exception, en un trait rapide qui éveille une impression, mais
n'a pas le caractère d'un portrait. C'est aussi de cette manière
que procédait Milton. On pourrait avec Intérêt comparer aux
allégories de la « Reine des Fées » celles du « Paradis Perdu»,
opposer le portrait de Duessa *, d'un si vigoureux relief,
avec la figure de la Mort au Livre II du « Paradis Perdu • -.
La description de Milton laisse à l'épouvantable gardienne de
l'enfer une mystérieuse obscurité, quelque chose d'indistinct
dans l'horreur qui lui assure plus de grandeur et plus d'artis-
tique beauté que n'en a la peinture de Spenser, arrêtée et pré-
cise au point d'en être révoltante. Qu'on se rappelle encore cet
admirable passage du Livre IV qui décrit la venue du soir et
se termine en faisant paraître <( la lune qui se lève d'abord
a dans une majesté que cachent en partie les nuages, mais
a bientôt, révélant sa royauté, déploie sa lumière sans rivale et
« sur l'obscurité jette son manteau d'argent ' ». — Voilà le
modèle a sans rival )d de la personnification mêlée à la vision
réelle des choses. Bien des écrivains ont imité ce morceau
célèbre. Ils n'ont pas toujours compris que le charme en réside
dans le caractère imparfait, volontairement inachevé de la
comparaison avec un être humain. Ni Collins avec la ferveur
de son imagination enflammée ni Gray avec le souci de raison
et de logique qu'il conserve dans ses plus grandes hardiesses
lyriques, n'auraient pu s'accommoder de ces inconséquences :
une reine qui dévoile sa lumière, un manteau jeté sur l'obscu-
rité. Savage croit améliorer le passage en serrant la personni-
fication *. Cette double nature de l'image est précisément ce
qui en fait la beauté. Nous admirons la comparaison de l'astre
radieux à une reine et à la déesse de Virgile — « vera incessu
1. Odes io Fear, to Mercy, to Simplicity; The Passions j etc.
2. Paradise Losl, Bk. II, 048-606.
3. Paradise Lost, Bk. IV, 598-000.
4. • Orient, llie Queen of Niglils emits lier dawii
And throws unseen her mantlc o*er Uie lawn. »
(The Wanderer, canto HT, 13, 14.)
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 461
patuit )) — , mais nous voulons qu'en même temps le poète con-
serve (levant les yeux de notre imagination les apparences
réelles du spectacle qu'il décrit. Aucun portrait de reine ou de
déesse ne saurait égaler les splendeurs d'une nuit d'été.
A un degré plus modeste, les allégories consacrées par
Thomson aux quatre Saisons, ont aussi ce mérite de con-
server l'équilibre qui convient entre la vérité de la nature et la
convention d'une représentation symbolique. Une fois seule-
ment il prolonge et précise la personnification.
« Sur son trône, dans un palais de glace azurée, c'est ici que
a l'Hiver tient sa triste cour; et, dans les vastes salles s'entend
« toujours le tumulte bruyant des tempêtes furieuses. C'est là
(L que le tyran farouche prépare ses fureurs; qu'il arme ses
(( vents du gel irrésistible, qu'il façonne la grêle cruelle, et qu'il
« amoncelle les neiges dont il accable maintenant la moitié du
a globe *. )) L'image est vigoureuse et Tassimilation suivie avec
rigueur. Mais ce monarque ennuyé et farouche, dans son
arsenal de grêles et de neiges, ne nous donne pas la vraie
poésie de l'hiver. Nous la trouverons bien plutôt dans les vers
où le poète a peint la nature accablée sous l'influence du froid
et des tempêtes, et revêtue d'une tristesse ou d'une horreur
qui ont encore leur beauté.
Enfm, au-dessous des allégories soutenues, au-dessous aussi
des personnifications incomplètes dont nous venons de parler,
il est des formes de description où une comparaison avec un
être vivant est à peine suggérée. L'objet est peint avec son
caractère véritable, mais dans l'image intervient un mot qui
exprime l'état ou l'action d'un être humain. Ces personnifica-
tions embryonnaires sont vraiment la langue courante de la
poésie-. Elles naissent spontanément sous la plume des grands
écrivains. Elles sont la forme que prend naturellement le lan-
gage sous l'influence d'une vive émotion. Elles ont puissam-
ment le don de nous communiquer l'impression ressentie par
le poète. Dans toutes les littératures les maîtres les ont prodi-
guées. Elles forment quelques-uns des traits les plus souvent
cités des œuvres les plus célèbres. — Lorsque dans un
immortel duo d'amour un personnage de Shakespeare dit :
c( Combien doucement la lumière de la lune dort sur ce
i, Winter, 894-901.
ioi JAMES THOMSON.
tertre ' », la personnification suggérée par ce verbe est si
elTacée que l'esprit ne s'y arrête pas, et cependant quelles
vibrations prolongées cette simple note éveille dans notre âraeî
Quand le roi Lear défie la tempête : « Soufffez, vents, jusqu'à
faire éclater « vos joues! * » n'entendons-nous pas l'énergie
violente du vieux roi dans cette personnification rapide? — La
poésie des anciens est pleine d'efîets de cette nature. C'est chez
ceux des écrivains modernes qui se sont le plus abondamment
abreuvés aux sources antiques que l'on en pourrait relever les
plus heureux exemples '.
Thomson en fournirait un grand nombre. Si quelques-uns
reproduisent des alliances devenues banales *, si quelques
autres trahissent trop directement l'imitation des grands
modèles classiques ^ beaucoup au contraire sont bien person-
nels et sont charmants, évej^ent d'un seul mot une vive
1. • How swcet Uie moonliglit sleeps upon thîs bank. >»
(The Merchant o/" Venice, V. 54.)
■2. • Blow, winds, and crack your clieeks! >
(King Lear, acte UI, se. ii, 1.)
3. Pour nous borner à deux citations empruntées à des poètes trt->
divers, n'y a-t-il pas comme un subtil parfum de la poésie grecque dan?
ces vers de Milton et de Coleridge :
« Tlius sang tlic uncouth swain to the oaks and riUs
Whiie the still moru went out with sandals gray. »
(Lycidasy 186, 181.)
u And Win ter, slumbering in the open air,
Wears on his smih'ng face a drcam of Spring. »
{\Vork withoui kope.)
4. • Tlic grcy-grown oaks ~ Titat the calm village in thcir verdant
arms — Sheltering embrace» • (Suinmer, 225-227.)
« (The lively diamond) Dares as it sparkies on the fair oné*8 breast —
With vain ambition emulate lier eyes. • (Ibid., 145, 146.)
« Softer gales at >vhose kind touch.... — The mountains lift Iheir green
heads to the sky. » [Spring, 15 et 17.)
• Smiling Nature. • (!bid., 83.) — • The sighing gales. • (Mirf., 93.)
• The North-East spends his rage. • {Ibid.^ 142.)
- Even mountains, vales — And forests seem, impalienl, to demaud —
The promiscd sweetness. » (/6/V/., lô'-ifi'j.)
Et d'autres passages.
5. tt The rosy-footed May — Steals blushing on. »
(Spring, 488, 489.)
H Of bloom ethereal the light-footed dews. >»
{Suminer^ 123.)
« The rosy-bosomed Spring. »
(Spring, 1009.) Etc.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 453
impression, éclairent et colorent Tample période du poète et
piquent rà et là une fleur brillante au milieu de ses vers un
peu graves et raides. Voici le matin. Un seul mot lui prête une
vague ligure humaine, et suffit à nous communiquer Timpres-
sion de douceur sereine d'une matinée d'été : « L'aube aux
« doux yeux paraît, mère des rosées * ». — Par un eflfet analogue
le poète exprimera le sentiment de morne oppression d'un
paysage hivernal : « Et toujours il gèle, jusqu'à ce que le
(( matin se levant tard sur le monde accablé soulève son («il pâle
u et sans joie ^ d. — La a nuit sombre » n'est pas une personni-
fication ; mais quand le poète nous dit qu'elle a se retire d'un
pas a précipité », à l'idée de l'obscurité qui se dissipe se mêle
daiïs notre esprit celle d'un marcheur qui hâte le pas ^. — Com-
bieïi de termes descriptifs faudrait-il pour placer devant nos
yeux, aussi heureusement que le fait une simple épithète
morale, la splendeur du soleil levant? « Mais voici venir joyeux
« à l'orient le puissant roi du jour *. » — Les cours d'eau ont
été bien des fois comparés à des êtres humains. La comparaison
chez Thomson est sobre, et elle est particulièrement bien venue
dans ce passage de 1' a Été » qui nous montre la nature hale-
tante sous l'ardeur du soleil : a Les ruisseaux même semblent
« de loin languissants, — ou bien on croirait qu'ils se précipi-
te tent impatients à travers la clairière découverte — pour
H gagner l'abri du bois \ » — Un simple vers du « Printemps »
nous fait comprendre avec quel bonheur un trait de personni-
fication rapide peut compléter une description des apparences
visibles : « Humide, brillant et vert tout le paysage rit au loin • ».
Les nuages et les aspects du ciel sont pour notre poète l'occasion
de plusieurs de ces expressions qui suggèrent sans emphase
la présence d'une vie et d'un sentiment dans les choses : a Les
41 nuages abaissés vers le sol cachent le noble visage du jour " ».
i. Summer, 47.
2. \Mntei\ "U-7i3. — A comparer, chez un de nos poètes :
't Lorsque la froide pluie enlin s'en est allée,
El <iue le ricl gaioiont ouvre son bel œil bleu. '>
(Tu. GAi.TiEn, Paysayes.)
:i. Même elTcl plus bref encore dans Coleridge :
u Al one slride cornes tli<* dark. »
{The Ancienl Mariner.)
4. Summer, 8!, 82. - 5. M/W., iiT-ino. - G. Spring, 196. — 7. WltUery
«0, 81.
454 JAMES THOMSON.
Il y a même un degré d'humanisation plus marqué, propre à
faire songer à Shelley, le magicien qui a répandu partout la
vie parmi les êtres de la nature, dans des expressions telles que
celles-ci : a Les nuages chancelants — hésitent comme pris de
« vertige, et ne sachant pas — à quel maître obéir * ». — t Les
« nuages mêlés — aux étoiles qui glissent rapides, fuient sur le
« ciel. — Toute la nature chancelle *. » — « Les nuées fati-
cc guées se réunissent lentement et s*amassent en ténèbres
« massives '. d
Mais il n'y a guère dans ces expressions que le degré de per-
sonnification impliqué dans toute métaphore qui institue com-
paraison avec un être humain. Pour les personnifications pro-
prement dites, nous avons vu que si quelques-unes chez notre
auteur sont poétiques et brillantes — celles en particulier qui
conservent un caractère flottant et indéterminé, — beaucoup
au contraire ne s'élèvent pas au-dessus du niveau de ces figures
insignifiantes, ornements factices et d'usage banal qui emplis-
sent le magasin d'accessoires de la poésie du xviir siècle.
Notons, pour terminer cette partie de notre étude par un éloge
accompagné de moins de restrictions, que Thomson ne mêle
pas la mythologie à ses descriptions. Les signes du Zodiaque
figurent dans son poème, et C/ette astronomie fabuleuse est
pour nous dénuée de tout intérêt. Mais rien n'était alors plus
naturel ni plus familier aux lecteurs *. Quant à ces dieux que
peintres, graveurs et poètes faisaient couramment descendre
du ciel pour les mêler aux scènes de la vie rustique, Thomson
n'a pas de place pour eux dans ses paysages. Il a compris
l'absurdité de ces cacophonies contre lesquelles Reynolds
élèvera plus tard la protestation de son robuste bon sens *. Les
1. Winter, 121-123. — 2. Ibid.y 195-197. — 3. Winler, 202, 203.
4. a Le Soleil sorl du Bélier, et le Taureau brillant le reçoit » {Printemps^
20, 2"). — • Quaad les Gémeaux cessent d'être embrasés et que le Cancer
rougit. » {Ét^, 43.) « Qiiaud la Vierge brillante nous donne les jours
splendides et que la Balance pèse Tannée daus ses plateaux équilibrés. •
(Automne, 28.) • Maintenant que rArcIier-Cenlaure cède au Capricorne
Tempire désolé du ciel. » {Hiver, 41.) C'étaient là façons de parler ordî*
naires et aussitôt comprises. Le sobre Pope les employait aussi :
• Now Cancer glows wilh Phœbus' fier y car. *
[Windsor Foi^st, 147.)
• Now bright Arcturus glads llie teeming grain. »
(Autumn, 72.)
5. Sir J. Reynolds, The Fowteenth Discourse, t. I[, p. 90, 91.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 455
c Saisons Jt du poète anglais ne renferment rien que nous
puissions comparer à ces vers où Saint-Lambert, son imitateur
français, fait intervenir de façon si saugrenue une des déesses
païennes :
Il apprendra cel art de choisir les engrais.
Ce grand art qu'à Townsliend a révélé Cérès '.
IV
Ije phrase et la période poétiques.
Opposition avec la langue de Pope, La liberté ramenée dans
le style. — L'étude de la grammaire et des procédés de rhéto-
rique de Thomson ne nous a pas fait constater chez lui Tindé-
pendance audacieuse qui se manifestait dans le choix de son
sujet et dans le plan de son poème. Nous allons au contraire
retrouver un même affranchissement des influences régnantes
et une même initiative féconde, en étudiant les formes de sa
phrase et de sa période poétiques. Alors que le poème s'élabo-
rait, le prestige souverain de Pope semblait avoir donné
Texemple et le précepte de ce qui devait être à titre défmitif la
langue de la poésie. L'œuvre presque entière du maître est
écrite en distiques rimes. A force de condensation, d'efforts
successifs vers une netteté toujours plus brillante et plus inci-
sive, l'école était arrivée à la perfection de cette forme d'art.
La phrase brève, rapide et frappante est, il est vrai, saccadée,
monotone, étriquée. C'est une pierre taillée avec une irrépro-
chable habileté; mais de ses vives arêtes et de ses facettes bril-
lantes il ne jaillit qu'un éclat sans chaleur. Toute phrase ren-
ferme au moins un trait. La pensée procède par un perpétuel
balancement d'antithèses. Antithèse entre les deux vei*s du
distique ou les deux hémistiches du vers ; parfois aussi entre
les diverses épithètes appliquées à un même terme, ou entre
les différents termes d'une énumération. Tout le talent d'un
écrivain comme Pope ne peut sauver de la monotonie et de la
4. L* Automne.
456 JAMES THOMSON.
froideur une langue ainsi faite de procédés et d'effets extérieurs,
toute artificielle et convenue.
Thomson n'y chercha pas son modèle. Il comprit que les
ingénieux distiques de Pope pouvaient convenir pour exprimer
les pointes spirituelles du critique ou les traits mordants du
satiriste; mais que ce n'était pas là une forme poétique dont
pût s'accommoder la description inflniment variée des spec-
tacles du monde. La symphonie de la nature ne pouvait se
jouer sur le grêle instrument où Pope montrait sa virtuosité. Il
fallait au poète des « Saisons » un autre vers qu'au poète des
salons et des cénacles littéraires. C'est à Milton que Thomson
demanda le modèle d'une langue ample et souple, riche et
majestueuse, capable aussi de grâce et d'intimité. Jamais notre
poète n'a hésité sur ce point. Son propre génie et son admira-
tion pour Milton lui fournissaient dès le début la forme d'ex-
pression qui seule pouvait s'adapter à son sujet. La première
édition de 1' a Hiver Dnous montre Tauteur en pleine posses-
sion de son style, avec tous les caractères par où il se distingue
si fortement de la langue alors en usage : vers blanc, variété
des coupes, période volontiers large et nombreuse, régularité du
rytlime, élévation soutenue du ton, qui, en quelques occasions,
fait place à une fraîche simplicité, qui, plus souvent, s'exagère
jusqu'à devenir tendue et emphatique. Ici encore c'est bien une
révokition qu'opère Thomson, et elle a pour mot d'ordre la
liberté ramenée dans la langue poétique.
La suppression de la rime est dans cette voie le premier pas
et le plus important. Elle est une des conditions qui permet-
tront l'assouplissement du rythme poétique par l'usage des
coupes variées, du rejet et de Tenjambement. On pourrait ciler
sans doute des poètes chez qui le vers non rimé s'associe au
groupement par distiques, ou tout au moins conser\'e dans les
périodes plus prolongées, des divisions de sens correspondant
à la division des vers. Le vers blanc de Marlowe et des pre-
mières œuvres dramatiques de Shakespeare est un exemple bien
connu. Mais Thomson, comme pour accentuer son opposition
à la forme en vogue, a voulu tirer du vers sans rime tout ce
qu'il comporte de liberté dans l'allure de la phrase et dans la
coupe des vers.
Les 1170 vers du a Printemps » renferment 135 phrases dont
la fin coïncide avec la lin d'un vers, et 1013 qui, au contraire, se
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 487
terminent dans le corps du vers. C'est pour les premières une
proportion de 9/7. Dans V « Essai sur THomme d de Pope, les
294 vers de la « Première Épître » contiennent 85 phrases qui
se terminent avec le vers, et 7 qui prennent fin au milieu d'un
vers *. C'est une porportion de 85/7.
Cette liberté dans la coupe reste un des caractères du style de
Thomson même lorsque nous le comparons aux écrivains qui
ont plus ou moins imité la langue des a Saisons ». Dans le
a Dernier Jour » de Young la division des vers et des phrases
est aussi régulière que chez Pope. Dans les « Nuits », posté-
rieures aux « Saisons » et qui en reflètent l'influence, il y a un
peu plus de souplesse; mais un calcul analogue à celui que
nous établissions plus haut donnerait pour les chutes de phrase
à la fin du vers une proportion moyenne de 56/7 '. — Shcn-
stone est un des écrivains sur qui s'est exercée fortement l'ac-
tion de l'auteur des « Saisons ». Dans son a Poème à Lyttelton
sur la mort de Thomson », et dans les 510 vers de son « Juge-
ment d'Hercule », il n'y a pas une phrase dont la fin ne
coïncide avec la fin d'un vers ^
Cette forme poétique, si opposée à la formule alors consa-
crée, n'est pas du reste une servile imitation du vers de Milton.
Thomson s'est fait une manière qui est bien à lui. On sera
rarement tenté de confondre une de ses périodes, soit avec
celles du grand poète qui fut son maître, soit avec celles
des écrivains nombreux auxquels il a lui-même servi de
modèle.
Son style n'a pas le caractère semi-archaïque ni la teinte de
pédantisme du style de Milton. Sans doute il y fait abus des
mots latins. Mais ce défaut chez lui ne saurait être comparé à
Teffort de Milton pour latiniser à outrance son langage. Le
poète du <L Paradis Perdu », faisant violence au génie de l'an-
glais, recherche avec complaisance des constructions toutes
1. Kncore sur ces sept exemples n'y en a-t-il que deux qui constituent
véritablement un rejet (v. 07, 08 et 241, 242;.
Dans une œuvre d'une autre période, les 108 vers du « Messie » donne-
raient ane propoilion bien plus forte encore. Une seule phrase, sur 33, se
termine autrement qu'à la fin du vers. Ce serait une proportion de 224/7.
2. Dans The Last Day, 1'* Bk., 51 fins de phrases normales contre
\ rejets, proportion 91/7. Dans les 300 premiers vers de la IX" Nuit
«<> phrases du premier type contre 13 de l'autre.
3. U est vrai que ces poèmes sont rimes.
488 JAMES THOMSON.
latines et verse dans sa langue tout le vocabulaire de la langue
savante, si bien que ce maître de Tanglaîs nous fait souvent
refîet d'un homme qui aurait pensé en latin. Mais Thomson n'a
pas non plus cette naïveté sublime qui chez Milton fait com-
pensation à l'intervention un peu pédantesque d'un humaniste
trop savant *. Il n'a pas ces répétitions ou ces gaucheries que
le grand poète a dédaigné d'effacer, dont la simplicité repose
parfois de l'effort et de la tension d'une partie du poème. Les
a Saisons i> ne nous laissent pas cette impression de spontanéité
qui se dégage du a Paradis Perdu d malgré tant d'érudition et
tant de latin. Tliomson ne pourrait, comme son maître, parlerde
r « inspiration facile qui vient à ses chants improvisés * ». Le
résultat de ce travail infatigable par lequel notre poète a ron,
corrigé, poli et développé son œuvre pendant plus de vingt ans,
c'est une phrase poétique remarquablement riche et variée,
mais où l'effort et la manière se sentent très souvent.
La variété, que nous signalons comme un de ces caractères,
n'est pas une qualité que l'on s'accorde toujours à constater
chez lui. Il l'a recherchée cependant ', et il ne serait pas juste
de la lui dénier entièrement. Des formes diverses que revél sa
phmse, le lecteur conserve surtout le souvenir de la période
large et nombreuse à laquelle on a attaché son nom. Mais la
«t période Ihomsonienne » n'est pas l'unique moule où se fonde
la pensée du poète. Qu'on relise les pages où il s'attache à la
description de scènes familières. On y trouvera plus d'une fois
un style simple, une phrase brève et dégagée, qui font con-
traste avec la pompe ou les effets déclamatoires de tant d'autres
1. Voir, par exemple, les quarante-sept premiers vers du livre IX du
• Paradis Perdu », cette sorte de préface apologétique où le poète justifie
le choix de son sujet et la nature de son inspiration, et exprime sa
crainte de ne pas trouver un style digne de sa tentative.
2. • If answerable style I can oblain
Of my celestial patroness, who deigns
Her niglitly Visitation uniniplor'd.
And dictâtes to me slumbViug, or inspires
Kasy my unpremedilated verse. »
Paradise Lost, Bk. IX, 20-24.)
3. Oh! pour
The mazy-runniug soui of melody
Into my varied verse.
Spnng, 575.517.)
LS8 ^ SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 459
•
passages *. C'est bien aussi du Thomson, et du meilleur, que
ces morceaux : la construction des nids -, la description de la
basse-cour ', les effets produits à la ferme par Taccablante cha-
leur de midi ^ ou le repos du berger et de son troupeau ^ ; ou
J'épisode célèbre du rouge-gorge *, — pour rappeler seulement
quelques-uns des plus connus parmi les passages familiers et
d'une grâce facile.
Le contraste de phrases brèves et d'amples périodes est quel-
quefois pour Thomson l'occasion d'effets heureux. Dans la des-
cription d'un paysage d'automne noyé par la pluie, une phrase
sobre d'un seul vers, « Bientôt les fossés s'emplissent et les
« prairies sont noyées », est suivie d'une période de sept vers
qui doit à cette opposition une partie de sa valeur descriptive ^.
— Il va certainement un contraste voulu entre les courtes
phrases par lesquelles un passage de 1' a Été » célèbre la
beauté et les bienfaits du soleil, et l'ample développement de
dix vers où, aussitôt après, se déroule une apostrophe au
Créateur*.
Le poète du reste a, pour cette phrase oratoire large et sou-
tenue, une évidente prédilection. C'est dans l'habileté avec
laquelle il manie cette forme de style complexe, aux séductions
dangereuses, que réside un de ces principaux mérites comme
écrivain. Les exemples de périodes pleines sans redondance,
riches sans lourdeur et prolongées sans obscurité pourraient
être multipliés. Contentons-nous d'en citer comme type cette
phrase de 1' « Automne t> qui se déroule en trente-deux vers et
qui, sans fatigue et sans monotonie, grâce à la clarté de la
construction et aux heureuses variations du mouvement, con-
duit le lecteur, par une progression soutenue, jusqu'au vers
qui résume et clôt la période •.
1. Des phrases telles que celles-ci sont nombreuses, mais elles sont un
peu êtoufTées sous les grandes pt^riodes :
MoisL bri^ht. (md green. the.landscape laughs uroimd.
{Spring, 19»».)
Tis silence ail
And pieasiug expectation.
{Ibid., irtO, 161.)
2. Ibid., 630-659. — 3. Ibid., 763-787. — 4. Summer, 220-240. - Ji. Ibid..
480-503. — 6. Winter, 245-256. — 7. Auiumn, 336-343. 8. Ibid,, 160-184.
9. And bade him be llie lord of ail below.
{Atttumn, 63-95.)
460 JAMES THOMSON.
Nous insistons sur ces considérations parce qu'il y a là une
face du talent de Thomson qui n'a pas toujours été appréciée
à sa réelle valeur. L'auteur des « Saisons » est un artisan de
vers d'une extrême habileté. Il peut à cet égard soutenir li
comparaison avec les plus grands parmi les poètes an^
dont les sujets et la forme présentent quelque analogie a>"ec
son (puvre, avec Milton et avec Wordsworth. Ses périodes ne
vont pas se perdre dans cette obscurité où s'égare parfois h
phrase luxuriante de Milton. Elles ne sont pas, comme il
ariive à celles du maître, surchargées d'incidentes; on ne les
voit pas faire effort pour dérouler avec peine leurs replis mul-
tiples. Et d'autre part les vers de Thomson conservent toujours
dans l'ensemble une harmonie du nombre et une résonance
musicale que n'offrent plus ceux de Wordsworth dans bien des
passages prosaïques. Cette aptitude à revêtir d'une forme riche
et poétique toute pensée et la description du moindre objet
<.'st celle à laquelle Johnson faisait sans doute allusion, quand
il déclarait que Thomson voyait en toute chose de la poésie'.
Il n'y a pas lieu du reste à tirer de cette comparaison des
conclusions exagérées. Thomson n'est assurément pas un plus
grand poète que Milton ou que Wordsworth. Peut-être même
est-il juste de dire que, si sa facture est parfois supérieure à
celle de ces deux maîtres, c'est parce que chez lui Tinspii-alion
artistique est moins puissante et moins spontanée. On sent, à
la lecture du « Paradis Perdu d, qu'il y a conformité, simulta-
néité parfaites dans l'élaboration de la pensée et du langa<:e
qui l'exprime. On sent, à lire a l'Excursion» ou « le Prélude»,
que la pensée de Tauteur est toute lixée sur les idées à traduire
ou sur les scènes à retracer. Son austère probité d'écrivain
exprime de la faron la plus directe et la plus simple l'image ou
ridée qui le hante. — Limpression produite par les « Saisons *
n'est pas toujours analogue à celle-là. Le procédé de compo-
sition poétique en parait souvent moins sincère. Au lieu que
le fond et la forme soient indissolublement liés comme chez
Milton; au lieu que la langue et le vers paraissent absolument
subordonnés au fond comme chez Wordsworth, il semble que
chez Thomson la forme égale en importance la pensée dans les
préoccupations et dans le travail de Tartiste. On est tenté de
1. Voir Boswell's Life of Johnson, 11 avril m6.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 461
ire que la musique de la phrase préexiste dans son esprit.
)t elle qui sollicite la pensée, et celle-ci vient, non pas.
jours sans effort, remplir le moule. On peut aloi^s en arriver
3gretter les longueurs, les obscurités et les gaucheries de
ton, ou la simplicité prosaïque de Wordsworth.
lette façon de composer de Thomson, ce n'est pas seulement
î impression générale laissée par la lecture de son poème
la révrle; on en peut noter quelques indices très précis.
1 est un certain nombre de modèles de phrases qui revieu-
U sans cesse dans les « Saisons id. C'est un cadre tout fait
doit se placer tant bien que mal la pensée. Le poète a,
• exemple, une prédilection spéciale pour une construction
is laquelle un déterminatif du sujet termine la phrase. Tantôt
sujet lui-même est à peu de distance de ce déterminatif,
tôt au contraire (et c'est alors surtout que le mouvement
la période est caractéristique), le sujet est placé au début.
But yondcr cornes tlic poworfui kinj^ of dav
hejoicirnj in thceast, The lessening cloiid,
The kindling azure
his ncar approaoh
Betoken glad K
Ile sheds Ihe shilling day, thaï huniished plays
On rocks, and hills, and towcrs, and wandering slrcanis
ïliyh gleamhifj from a far *.
. . . her dreadful Ihundcr hcnce
Rides o*cr Ihe waves aublime '.
away they fly
Affectionate ♦.
Tins onc glad oflice more, and now dissolves
Parental love al once, now needlcsa grown ^.
In Ihe pond
The finely checkered duck bcibrc her train
Rows gairuloita. The stately sailing swan
Bears forward ficicc ^.
The house dog, wilh the vacanl greyhoiind lies
Out-siretched and siecpy '.
And, lixing in the wrelch his cruel fangs,
Strikes backward. grimUj plcascd '.
Summer, 81-85. — 2. Ibid., 88-90. — 3. Ifnd,, 428-429. — 4. Spring.
676. — 5. Jbid,, 731, 732. — 6. /6irf., 775-780. — 7. Snmmc)., •J32, 233.
. Ibid,, 277, 278.
462 JAMES THOMSON.
Ce complément ainsi rejeté à la fm de la phrase prend pa
lois un développement considérable.
The food of man
While yet lie lived in innocence, and told
A lengtli of golden years, unfleshed in blood,
A stranycr to the savage arts of life,
The hrd, and not the tyrant of the world *.
The mountain brow
Where sils Ihe shepherd on the grassy turf,
Inhaling healthful the descending sun ^.
Where gloomily retired
The villain spider lives, cunning and fiei^ce.
Mixture abhorred ='/
Ce déterminatif du sujet vient dans d'autres cas se place
début de la phrase. La suspension de sens ainsi obtenue,
qu'à ce que paraisse le sujet reporté quelquefois à la fm, es
des effets le plus fréquemment recherchés par le poète.
Hence al eve,
^teamcil eager froni the red horizon round,
Wilh the (\orce rage of winler deep au/fused,
An icy gale, ol't shifting, o'er the pool
Hrealhes a blue film *.
Projrcted hugc and horrid o'er the surgc
Alps frown on Alps ■*.
While, full of death^ and fierce wilh lenfold frost,
The long long night, incumbent o'er their heads,
Falls horrible *.
Subdued
The frost résolves into a Irickling thaw.
Spolfed the mountains shinto ''.
C'est surtout au commencement des paragraphes que
raît cet artifice de style. Il y a là comme un moyen d'à
l'attention du lecteur par cette suspension du sens. Mais
l'abus du procédé en émousse l'effet. Il semble que ce s
propre verve et sa a muse haletante * », que le poète épi
Je besoin de stimuler pour un effort vigoureux. Les exei
\. Spring, 235-240. — 2. Ibid., 831-833. —3. Jbid., 268-270. —4. V
720-124. — 5. Ibid,, 909, 910. — 6. Ibid,, 923-925. — 7. /6irf., 989-î
8. - My panling muse » {Spring, 573).
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 463
suivent sont tous des débuts de paragraphes; tous sont
'untés au même chant ; et ite ne sont qu'un choix parmi
(ju'on y pourrait citer.
Ry wintry famine rouaed, from ail Ihe tract
Of horrid niountains which thc shiniiig Alps
And wavy Apennines and Pyrénées
liranch out slupendous into distant lands,
Cruel as ileath and hungry as the grave,
Bnrning for blood, bony, and gaunt, and grim,
Assembling wolves in raging troops descend *.
Among those hilly régions, ^vhere embraced
In peaceful vales the happy Grisons dwell,
Oft, rushing sudden from thc loaded cliffs,
Mountains of snow their gathering terrors roll '.
There, tlirough the prison of unbounded wilds,
Hnrred hy thc hand of Sature from escape,
Wide roanis the Russian exile ^.
St il l pressing on, beyond Tornea's lake,
And Hecla flaming through a wasle of snow,
And farthesl Greenland, to the pôle itself,
Wherc, failing graduai, lii'e ai length goes ont,
Thc musc cxpands lier solilary flight ♦.
Thcnce winding eastward to the Tartar's coasl
Shc sweeps thc bowling margin of the main *\
Muttering, thc winds at cve with blunted point
hlow hoUow-blustcring from the south. Subdued
The frost résolves into a trickling thaw •.
Wide oVr the spacious régions of tiie north,
That see Bootcs urgc bis tardy wain,
A boistcrous race, by frosty Caurus pierced,
Who littlc plcasurc know and fear no pain,
Prolific swarm '.
And, half enlivencd by tiie distant sun
(That rears and ripcns man as well as plants),
Herc human nature wears its rudest form.
Deep from thc picrcing scason sunk in caves,
llere bydull (ires and with unjoyous cbcer
They waste the tedious gloom •.
is ce sont les fins de paragraphes qui, plus encore peut-
ue les débuts, font apparaître dans le style de Thomson
inter, 389-395. — 2. lùid,, 414-417. — 3. Jtid., 799-801. — 4. Itid.,
. — 5. lùid., 902, 903. — 0. Jbid., 988-990. — 7. Ibid,, 834-838. —
., 938-943.
464 JAMES THOMSON.
un procédé coutumier, une a manière "ty une forme de langage
qui préi»xiste à la pensée et lui est imposée. Après ces périodes
prolongées où il se plaît à étaler ses développements, il semble
vouloir fermer et boucler son paragraphe, li fait alors appela
une plirase concise, d'une seule proposition, qui, en un vere
sonore amené par une conjonction, vient clore le passage. Au
début du <( Printemps d, six paragraphes de suite (du qua-
trième au neuvième), se terminent ainsi par une phrase à effet
qui occupe ou la fin du vers ou plutôt encore le vers entier :
Tlic harrow follows harsli, and shuls Ihe scène *.
And sing thcir wild notes lo Ihe listening wasle *.
And bc the cxhausdess granary of a world ^i etc.
Dans toutes les parties du poème se retrouve l'emploi de ces
vers retentissants à la fin des alinéas, et presque toujours ils
reproduisent un même modèle de construction.
And pour untoiling harvesl o'er Ihe land *.
And mark his beauteous chequered sides with gore *.
And lay the meddling sensés ail aside *.
And murinur hoarser at the fixing frost ^.
Parfois, un déterininatif est introduit entre la conjonction et
le verbe :
And chcoricss drown the crude unripencd year •.
\m\, once rojoicin^', nevcr know them more •.
And in unbounded commerce mixed Ihe world *».
And in loose fragments lling Ihem floaiing round **.
Un degré d'emphase plus accentué est fourni par un type
de vers terminal où le sujet suit immédiatement la conjonc-
tion :
An«l Egypl joys benealh the spreading wave **.
And Océan trembles for his green domain '5.
And Mecca saddcns at the long delay *♦.
And Thule bellows through her utmost isles *".
And the sky saddens with the gathered storm ".
1. Spring, 47. — 2. Ibid., 25. — 3. Itid.^ 70. — 4. Summet\ 82i. --
5. Auttimn, ij7. — 6. Winter, 208. — 7. Jbid., 713. — 8. Spring^ 141. —
9. Ibid., 753. — 10. Summer, 1012. — 11. Winter, 174. — 12. Summei,
821. -- 13. Ibid., 859. — 14. Ibid., 979. — 15. Ibid., 1168. — 16. Winter.iî^,
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 46S
La similitude des phrases ne se borne pas à l'uniformité des
luîtes; elle s'étend (larrois â la période entière. On peut,
onime exemple, noter deux paragraphes de 1' « Hiver » qui
ie suivent immédiatement '. Tous deux ont même nombre
le vers; fous deux commencent par une phrase d'un demi- vers,
suivie d'une phrase d'un vers et demi :
lluiia uproar lonls it wiAc. Tiic clouds commixcd
Wilh star? swilt-^liilin); swecp along the sky.
As ycl 'tis mldniglit ilccp, The wcory clouJs
Slotv-ineeting, mjii{;lc inlo nolid gloom.
Et tous deux se terminent par un septième vers qui se
di'taclie, isolé du reste, dans le mouvement de la période.
Mais lors mrme que l'impression de monotonie n'est pas
accrue par cet exact parallélisme des plirases, cette chute sur
un vers retentissant, de modèle si uniforme, est un procédé
dont le poète a l'ait un regrettable abus. Au cours du para-
graphe nous prévoyons et attendons l'effet saillant réservé pour
la fin. Kt ce vefs sonore qui vient signaler le terme d'un déve-
loppement, nous fait un peu l'effet de ce « han ! » final qu'a noté
maître Itabelais che^ l'ouvrier (|ui achève un travail fatigant.
Ces défauts très apparents du style de Thomson ne doivent
pas nous faire oublier les précieuses conquêtes que lui dut la
langue de la poésie. .Nous avons rappelé comment il y avait
ramené la liberté du rythme. Il nous reste à dire quels effets il
a BU tirer de cette coupe plus souple et plus variée des vers.
Kpuiser cette étude, ce serait analyser chacune des phrases du
poème. Nous nous bornerons à quelques indications sur les
formes les pluscaralêristlques.
Tous les effets de cette niture peuvent se ramener à deux
types, selon qu'ils sont dus à la continuité du sens d'un vers
au suivant, ou à l'arrêt de la phrase avant la lin d'un vers, —
Le premier effet à attendre d'un prolongement de la phrase
par enjambemeni, c'est l'itnpresssion d'un mouvement rapide.
C'est bien l'effet que se proposent des vers tels que ceux-ci :
Lf iid me j'Oiir soiiff, ye 1%'hliiigiiU'--: ; oh pour
The maij-ninniiig soûl of melorlv
Into mv varieii verse '.
1. Winler, ISD-aOB. — 2. Sprint,, '^ri-â',1.
466 JAMES THOMSON.
Now 'tis nought
But resticss hurry through llie busy air
Beat by unniiinhered wings. The swallow swecpi»
The slimy pool, to huild his hanging house
Inleiit».
The surging air
Roceives the plumy bunlen '.
And neighing, on Ihe aërial summit lakes
The exciling gale ; thin, deep-descending, clcaves
The headlong torrents foaming down the hills '.
At lirst the groves are scarcely scen to stir
Their tremhling tops *.
Throw the broad ditch behind you; o'er Ihe hedp*
Iligh bound resistless '.
Then, down at once
Precipilant descends a ininglcd mass
Of roaring winds and flame and rushing floods "î.
not a brcath
Is hcard lo qiiiver through the closing woods.
Or rustling lurn Ihe many-twinkling leaveîî
Of aspen tall '.
Ilow in his mid career, the spaniel, struck
Stiff by the lainted gale, with open noso
Out-stretched *....
Througli the hushed air the ^vhitening shower desceiui-.
At first thin-wavering; till at last the flakcs
Fall broad and wide and fast, dimming the day
With a «Mjntinual flow «.
S'agit-il, au contraire, de communiquer une impressio
lenteur ou de majesté, ou simplement de donner à un te
\, Spriny, Goi-65o.
2. Ibid, 743, 746. — Ces deux hémistiches, d'un elTet charmant,
a opposer aux critiques qui n'ont pas su voir ce que le vers de Tho
peut prendre, à roccasion, de grAce légère. Ce n*e8t pas seulement
rejet, mais aussi le rythme balancé de la phrase, et jusqu'aux
labiales des derniers mots, qui donnent à cette courte phrase une v
d'expression parfaite.
3. Sprinff, 814-816. — 4. AtUnmn, 313, 314. — o. /AiV/, 475, 4";
6. Summer, 904-906. — 7. Spring, lo.'J. 156. — 8. AtUumn^ 363-365.
9. Winler^ 229-232. — L'effet de rapiiiité produit dans ces beaux
descriptifs par les deux rejets et par l'accumulation des conjonction
encore accru par le contraste du début, lent et hésitant comme les
miers flocons de neige.
LES « SAISONS ». — LA LANGUE ET LE STYLE. 467
valeur exceptionnelle? La fin de la phrase occupe alors le
menceinent d'un vers :
The sooty hulk
SloiM- '(l sliiggish ou '.
and, wilderM o'er tiie waste
The shepherd stalks ^'iganlic *.
*Tis silence ail
And pleasinf^' expeclation ^.
how calm below
The gilded earth * !
And last, while haply n'cv the sliaded sun
Passes a cJoud, he, desperate. lakes the death
With sullcn plunge ^.
Eveu where Un» madness of the straitened slreani
Turns in hlack eddies round •.
With quickenetl step
Hrown nighl reliivs. Young day pours in apace '.
The prei'i])ice abrupt;
Projecting horror on th(î bhickeuiMl llood
Softens at thv rolurn '.
Till, wakeneil i)y the wasp
They starting snap ^.
:»flet très marqué de ce dernier exemple se retrouve dans
:res fins de phrases en r(?jet où deux monosyllabes sont
l'és par un mot plus long :
Through sublerranean cells
Where searching sunheauis sraree eau find a way
Karlh aniniated hiNives "^.
and irom lus sides
The troublous inseets lashes with bis tail,
Relurning slill *'.
A thousand shapes or glide athwart the dusk
Or stalk luajeslic on '-.
3 exemples ne nous ont pas montré le type le plus accen-
le rejet, celui qui renvoie au début d'un vers suivant le
lutumn, 126. 127. — 2. IfAd., 720, 727. — 3. Spring, 160, 161. —
lumn. 1216. 1217. — 5. Spring, i28-430. — 6. laid,, 817, 818. —
nmer. 51, .•;2. — 8. Ihid., 163-165. — 9. Ibid., 235, 236. - 10. Ihid.,
6. — 11. /6*W.. '»8«-493. — 12. fhid.. 539, ;mO.
468 JAMES THOMSON.
mot qui termine la phrase. C'est là un procédé un peu violent.
Les a Saisons d en olTrent quelques applications, mais en nombre
fort restreint :
Near the dire cell the dreadless wandcrer oft
Passes * .
Prone to the lowost valc the aêrial Irilwîs
Descend *.
As if Iheir con scions ravage shunned the Hf^ht
Ashanied '.
V
Prosodie.
Si de la langue de Thomson nous faisons une étude, non
plus littéraire mais purement prosodique, nous remarquerons
que la versilication des « Saisons j> est extrêmement régulière.
Le vers héroïque y déroule ses ïambes avec un rythme égal
que viennent rompre assez rarement quelques infractions à la
forme normale. Seul le premier pied est souvent autre chose
(lu'un ïambe. C'est là, on le sait, une licence fréquente du vers
ïambique anglais. L'auteur y a recours, soit qu'il veuille placer
en vedette un mot important (monosyllabe, ou polj'syllabe
accentué sur la première); soit qu'au début d'une phrase il
entende marquer fortement le départ d'une période nouvelle:
soit enfin qu'il cherche seulement à varier lallure de ses vers,
à éviter la monotonie d'une répétition ininterrompue du
rythme. On remarquera, dans les exemples que nous alleu?
donner et qui correspondent à ces trois effets, que le pied par
lequel Thomson remplace l'ïambe au début du vers est presque
toujours un trochée.
I" Terme emphatique au début du vers :
Ik'.al hy the boundless niiilliliide of waves *.
Hoiiscd at the inspirinfj Ihoughl "•.
who to arnis
Tnrned the luxurioiis ponip he could nol cure •.
I. Sumwtr, '2r^, 2:4. — 2. Sumtner, 1121, 1122. — 3. .411/11171», 389, 3M.
— \, Wititer, i28. — .■;. /6/>/., 430. — 6. IbUl., i94, 495.
LES <' SAISONS ". — LA PROSODIK. U)9
'Irrini- al.iriii> tllr luT.l-^t '.
l'riith llir >i)['\ ioIm' ul' iiiiltl |)t'i>ii<,'isiuii wt'.us -'.
Uk' liollow-soiimlin}^' plaiii
Sliakt's IVoni alar •.
2" Syllabe accentuée au début des paragraphes :
Now, wheii llic cheerless empire of Ihe sky *.
Nalure! fjreal [Kirent '!
Father of lif^ht and life « !
Hard by thèse shores, where scarce his freezin|T stream "'.
Muttering, the winds at eve, with bhinted point •.
Thèse, as they change, Alniighty lather, thèse '.
Nature, attend î join every hving soûl *".
3° Premier pied anormal pour introduire de la variété dans
le rvthme :
m
Renders Ihe savage wilderness more wild *^
Thinking o'er ail the bitterness of death **.
Into the horrors of the gloomy jail *'.
Tous ces exemples sauf deux sont empruntés à T a Hiver ».
Sur les 1 080 vers de ce chant, il en est 180 qui commencent
par une syllabe accentuée. C'est une proportion d'un sixième,
fort semblable à ce que donnerait Texamen de la même parti-
cularité chez les divers contemporains de Thomson **.
La substitution d'une autre combinaison à Tïambe est beau-
coup plus rare aux autres pieds. Une scansion exacte des 300
premiers vers de V « Kté •> nous fournit les résultats suivants :
1. Winter, 649. — 2. Ibid., C83. — 3. Ibid., "38, "39. — 4. Ibid., 41. —
5. M/rf., 106. — 6. Ibid,, 217. — 1. Ibid.. 936. — 8. fbid., 988. — 9. Ihjmn. \.
— 10. Jbid., 31. — 11. Winter, 296. — 12. Ibid., 307. — 13. Ibid., 361.
14. Sommerville [T/te Chacc] 1/6. — Savage {The Unstard, et «livers frajç-
incnU) 1/7. — Blair (passim), 1/6. — Youiig {Satires et \ighi Thowjhts) 1/9.
— La proportion est plus faible dans The Hermit de Parnell : 1/13. — Chez
Pope la fréquence de cette licence varie; elle va en augmentant des pre-
mières œuvres aux dernières : The Messiah 1,15, Eloisa 1. 10. ïiape of the
Lork (fragments) 1/7. — Essay on Man (/jaww) 1.6.
Pour prendn; un terme de comparaison dilTérent, on peut noter, grâce
au relevé fait par M. Ucljame dans son édition de Enoch Arden, une pro-
portion de 1/3, dans le petit chef-d'œuvre de Tennyson.
470 JAMES THOMSON.
07 trochées au !««• pied » ; 2 au 2^ «; 3 au 3« *; 6 au ♦« *; — il pp
rhiqucs au l'-'^^; 1 au 2« *; 36 au 3® '; Il au 4« •; — 8 spondée*
au l'*^; \ au 2*^ *.
Ce sont donc, après les trochées au premier pied, les pyrrhi-
ques au troisième qui forment Tanomalie la plus fréquente.
L'explication du fait nous sera fournie par l'étude des césures
dans les vers de Thomson.
Ces 300 premiers vers de V « Été « nous montrent :
21 césures après le 1*^' pied; 95 après le 2^; 72 après lé 3*^.
Ce sont là les seules véritables césures;
16 coupes après le t«; 107 coupes au milieu d'un pied *•.
Enfin ce dernier chiffre se décomposerait ainsi :
Coupes dans le !«•• pied, 2 »* ; dans le '2«, 9 **; dans le 3«, 7»; -
dans le t^ '20 »»; dans le 5<^, 2 «*.
On voit combien est considérable la proportion des coupes
au troisième pied, divisant les vers en deux hémistiches égaux,
à la façon de la césure normale de l'alexandrin classique fran-
1. Vers 2, 6, 13, 14, 18, 24, 30, 38, 45, 55, 56, 63, 67, 74, 76, 78, 93, 103,
113, 115, 117, 126, 130, 131, 133, 137, 144, 155, 156, 159, 163, 165, 166, 168,
169, 170, 172, 180, 184, 188, 197, 200, 205, 207, 213, 215, 217, 218, 219, 220.
222, 226, 227, 228, 229, 238, 241, 243, 247, 250, 263, 270. 273, 274, 287, 291.
296, 297.
2. Vers 51, 232.
3. Vers 92, 110, 179.
4. Vers 34, 99, 124, 258, 261, 269.
5. Vers 16, 39, 40, 50, 57, 63, 148, 152, 190, 193, 231.
6. Vers 82.
7. Vers 24, 27, 46, 48, 69, 73, 83, 109, 111, 114, 119, 124, 130, 139, 144,
150, 154, 157, 158, 162, 164, 167, 181, 197, 206, 225, 231, 233, 239, 242, 253,
2.'^4, 204, 283, 284, 300.
8. Vers 45, 103, 128, 186, 195, 209, 216, 221, 235, 238, 245.
9. Âutaol qu'il est possible d^arpiroier la présence d'un spondée dans un
versianibiqne. Il suffit d'une accentuation plus forte donnée dans le débit
à la deuxième syllabe pour que le pied ait le rythme de l'ïambe.
10. Le total dépasserait le nombre des vers. Il y a des vers en effet où
se trouvent plusieurs coupes nettement indiquées.
11. Vers 45, 168.
12. Vers 8, 30, 31, 58, 104, 185, 194, 232, 272.
13. Vers 5, 13, 19, 72, 79, 103, 108, 117, 133, 144. 148, 158, 160, 169. 190,
192,219,222, 248, 303.
14. Vers 98, 205.
LES « SAISONS ». — LA PROSODIE. 471
çais. La plupart des pyrrhiques au troisième pied, et une forte
proportion des pyrrhiques au quatrième pied coïncident avec
la présence d'une coupe au même pied. C'est cette circonstance
qui explique l'interruption apparente du rythme *. L'arrêt
placé entre les deux syllabes communique à l'une d'elles une
valeur légèrement emphatique.
Un grand nombre de ces césures ou de ces coupes (trente
environ dans les 300 vers sur lesquels s'est portée notre obser-
vation) se produisent après une syllabe terminale muette. Par
exemple :
Shot on I surround | ing heaven, | — lo steal | one look *.
On rocks, | and hills, | and lowers, | — and wand | ering
[slreams '.
Froni thee | Ihc sap | phire — sol | id e | ther takes ♦.
Ce ne sont pas là cependant de véritables césures féminines.
Les syllabes hypermétriques, soit à la césure, soit en lin de
vers, sont une anomalie extrêmement rare dans les « Saisons » ^.
Les exemples que nous venons de citer nous ont montré des
syllabes non pas atones, mais muettes ".
La terminaison ed qui souvent, en poésie compte pour une
syllabe, alors surtout qu'elle s'applique à un verbe dont l'infi-
nitif a un e fmal, est généralement traitée par Thomson comme
syllabe muette. Au risque d'une certaine dureté de son, il la
i. Dans les âO premiers vers cilés plus haut comme ayant un pyrrhiquc
au 3« pied, nous n'en trouvons que 3 (46, 114 et 144) où ce 3« pied ne porte
pas la césure.
2. Vers 18.
3. Vers 89.
4. Ver» 149.
o. Voici cependant un exemple :
• Alive I his eve | ry look, | his eve | ry fea | turc. »
(Autumrif 269.)
Aikin voit là un vers trochalque. Ce serait Tisoler bien plus violemment
au milieu du rythme si nettement marqué des vers de Thomson.
6. L> final en elTet n'est jamais compté, sauf après / ou r précédés
d'une consonne :
• Modest I and sim | pie, in | the pomp j of wealtli. -
{Summer, 410.)
• Stands mant | led o'er j with green, | invi I sible -
{Winter, 304.)
« As with i a chain I indis I solu | ble bound. »
(Siimmer^ 98.)
472 JAMES TUOMSON.
néglige presque toujours dans la mesure de ses vers '. Du reste
il use d'une grande liberté dans sa façon d'élider les voyelles
non accentuées. Ve de l'article « the » disparait toujoui^
devant une voyelle. La même voyelle, non accentuée, s*élide
très souvent dans le corps des mots : heaven ou heavens ',
clustering% wanderer *. flutttTing', muttering *, quickenings
gênerons % gênerai •, shelfering *®, boisterous*', etc. D'autres
voyelles encore subissent la syncope : av-a-rice ", barb-
a-rous *% etc. A plus forte raison la voyelle qui en avoisine une
autre et peut former diphtongue avec elle : radiance **, gra-
duai *\ influence *°, impetuoies ". Ow suivi de er absorbe l'e:
towers *% sliower ", flower ", flowery ", follower ". Quelque-
fois c'est Vo lui-même qui s'atténue au point de ne plus
compter dans la mesure et de former synérèse avec la syllabe
suivante :
And in | dire ech | ocs bel | lowing round | the main *^.
And watch | them strict : | for, from | the bel | lowing east **.
The bil | lowy tcni | pest whelms '*.
L' « y » d'une terminaison atone s'élide quelquefois devant
une voyelle suivante :
In ma | ny a vain | attempt. | llow sinks | hissoni"!
Parfois au contraire le poète fait compter comme syllabe atone
une terminaison dont la voyelle est habituellement muette :
JUank in | tlie lead | en ooi | oured east, | the nioon -".
Au sujet des cas si nombreux de voyelles qui ne comptent
pas dans la scansion (hi vers, on peut se demander si le poète
1. Dans les vers de Sumtnev que nous avons analysés la finale est muettf
dans « chaslisod, • 25, « sublimed », 110. •> abhorrcd > 270, • ensnared •.
27o, • pleased •. '278, « unnumbercd », 300.
2. Sumtner, 18, 110, 291, etc. — 3. Ihid., 20"). — \. Ibid., 273. — 5. /<»»V/..
2"8. — G. Wintcr, 088. — 7. Summn\ 105. — 8. Ibid., 138. 9. /6i</., 187. -
10. Ihid., 226.— 11. Winfer, 830. — 12. Ihid., '#89.
13. Spririff, 710, etc. Dans les premiers vers du même chaut on relève-
rait : <« neighb-oï/r-ing »,44; « rxiib-^-ranl »», 7i;« gran-a-ry »», 76; «i lib-<*-
ral », 229; etc.
14. Summer, 148. — 15. IbUL, 281. — 16. Ibifi., 210. — 17. Spi-tn^, 310. -
18. Summer, 89. — 19. lôid.. 127. — 20. //>/>/., 128. — 21. Ihid., 212. —
22. Ibid., 216. — 23. Winter, 1013. — 2i. Ibid., 208. — 25. Ibid., 273. -
26. Ibid., 288. — 27. Ibid., 12i.
LES « SAISONS ». — LA PROSODIE. . 47»
entendait leur conserver une valeur atténuée ou bien les élidér
frahchement. La réponse ne nous semble pas douteuse. Jamais
Thomson n'a songé à cette moderne théorie qui admet le
mélange dans le rythme ïambique de pieds trisyllabiques.
L'exemplaire de Mitford, avec ses annotations manuscrites,
nous fournit à cet égard des indications décisives.
Ni Thomson ni Pope ne suppriment toujours, dans leur ortho-
graphe du mot, la voyelle qui s'élide pour l'oreille; mais ils
prennent ce soin assez souvent pour nous donner la preuve
que le mot se présente bien à leur esprit sous cette forme. Ils
suppriment généralement 1' « e x) de l'article quand il doit
disparaître devant une voyelle.
« Th' exoner'd » du texte est par Pope changé en a Th' acquit-
ted * ». Dans un autre cas la note de Pope donne <t the » qui
est remplacé par « th' » quand le poète a fixé son choix, pour
le mot suivant, sur a amusing * ».
Si <( barbarous » % « billowy » •, a reddening » % et beaucoup
d'autres termes analogues conservent orthographe de trisyllabes
alors qu'ils ont une valeur de dysyllabes, d'autre part nous
lisons a roughning^ », « towr-encircled " », a ev'n • », etc.
Allitération et onomatopée, — L'adoption d'une forme poé-
tique imitée de la France n'a jamais fait entièrement oublier,
dans la littérature anglaise, le procédé de l'ancienne poésie
anglo-saxonne, l'allitération. Elle reprend surtout une partie de
son importance première dans le vers blanc. Elle y conserve
une place à des effets analogues à ceux que produit la rime.
Quelques-uns des maîtres du vers non rimé en ont fait un
très heureux usage. Chez Thomson cependant, elle ne joue pas
un rôle important. On peut dire que, sauf une exception que
nous aurons à signaler, il a fait bon marché de cet ornement.
1. Édition de 1738, Sprhif/, v. 100. Kdilion définitive, v. T6'2.
2. « And to the Curious ^ives (the) th' amusing scènes ».
3. Spring, 716 (édit. de 1738).
4. Autumn, 341 (édit. de 1738).
0. Summer, 834 (édit. de 1738).
t). Spring, 597 (édit. de 1738;.
7. Note de Pope au v. 20 de Summer.
8. Aulumn^ 1107 (édit. de 1738). — Il arrive à Thomson de corriger
Torthographe de Pope. Celui-ci proposait « Ail etbcr sadd'ning •; Tautcur
des « Saisons » accepte rhômistiche, mais en modifie Torthographe :
« AU elher sadening », (vers 1076 de rédilion de 17:58).
474 JAMES THOMSON.
Avant de commencer cette étude, il ne sera pas inutile de
préciser ce qu*il faut entendre par le mot lui-même. Il y a en
effet plusieurs sortes d'allitérations. L'une résulte de la ren-
contre fortuite d'un même son de consonne au commence-
ment de plusieurs mots du même vers, sans qu'il en résulte
aucun effet littéraire. C'est là d'ordinaire une négligence et un
défaut de style, et non pas un procédé poétique. La véritable
allitération est une ressource volontairement employée par
l'écrivain en vue de certains effets que nous pouvons déter-
miner. Tantôt elle a pour objet de flatter l'oreille, comme le
fait la rime, en lui procurant ce plaisir qui naît du retour du
même son. Tantôt, comme la rime encore, elle marque d'un
trait plus accentué certains mots, et les fait ressortir plus vive-
ment. Tantôt enfin elle vise à rapprocher l'un de l'autre; s'ils
se trouvent séparés dans la contexture de la phrase, des termes
qu'unit un rap[x>rt de sens, ou à les joindre plus étroitement
s'ils sont voisins. C'est à c^s trois effets que se reconnaît la
véritable allitération. Outre l'effet sonore qu'elle apporte à
l'oreille, elle ajoute aux mots une valeur nouvelle par le seul
fait de la ressemblance qu'elle établit ou qu'elle signale entre
eux. Quand enfin la répétition des sons concourt à produire
une certaine harmonie du vers, en rapport avec la nature des
pensées, alors nous dépassons l'allitération proprement dite;
nous rencontrons une des formes de l'harmonie imitative.
Les allitérations inutiles et involontaires ne nous retiendront
paLa. Elles ne méritent d'être signalées que comme indices d'un
défaut de fini dans l'œuvre, d'un certain manque de délicatesse
d'organe chez l'auteur. La consonne S présente à cet égard en
anglais un danger constant. Elle constitue trois des flexions
les plus importantes de la langue, et joue un rôle dans la com-
position d'un grand nombre de termes. Il faut à récrivain un
soin minutieux et une fine sensibilité de l'oreille pour éviter le
retour trop fréquent du son sifflant. Thomson n'y a pas toujours
réussi. Les « Saisons » nous offrent assez souvent des vers tels
que ceux-ci :
Sound slopt the watcrs; no snlphurous glooms
Swellod in llie sky and sent tho lightning forlh '.
Clieored l>y thn simple son^ an<l soaring lark '.
1. Spring, 32n, 327. — 2. Ihid., 40.
LES " SAISONS ». — LA PROSODIE. 478
The iiiounlain thunders, and ils sturtiy sons
Stoop *.
With stars swift-gliding, sweep along the sky *.
s une seule page du même chant nous relevons ces trois
où Vs siffle comme le vent d'hiver dans les branches
ies :
Strikcs bis sad eye, but déserts losl in snow '.
Pair (Tmines spotlcss as tbe snows they press *.
Slow-paced, and sourer as tbe storms increase '.
jrément c'est là, de beaucoup, la consonne que le poète
ligue le plus, sans conscience de TefTet désagréable que
iuit cette répétition abusive. Mais à un moindre degré,
itres sons pourraient donner lieu à une observation ana-
le. Les exemples ne manquent pas dans le poème de vers
que ceux-ci :
ïbeir reindeer forni their ricbes •.
Througb buds and bark inlo tbe blackened core '.
(k'bold, yon breathing prospect bids tlie Muse •
Where Ibe breeze blows from yon extended field
Of blossom 'd beans. Arabia cannot boast •....
bids bis driving sleets
Heforni thc day deligbtless ^^.
n il arrive quelquefois à cet habile et soigneux écrivain de
jer échapper des vers d'une singulière dureté, comme
li-ci où ne se rencontrent pas moins de dix sons de den-
s :
Joylcss and dcad a wide dejected waste '^
ans certains cas au contraire la répétition du même son
ial produit un eflet heureux. Thomson semble avoir
Winter, 170. — 2. Ibid., 195. —3. Ibid., 802. — 4. Ibid.j 812. a. Ibid,,
— 6. Ibid., 851. — 7. Sfuing, 122. — 8. Ibid., 466. — 9. Ibid., 498,
— 10. Ibid,, 20, 21.
. Spring, 118. — C'est deux de plus que dans ce vers de Voltaire, sans
e le plus riche en dentales de notre poésie :
o Tout art t'est étranger, combattre est ton partage. »
(Brutus, acte 1, se. ii.)
476 JAMES THOMSON.
recherché ragrément de cette impression toute physique dans
les premiers chants de son poème plus que dans les derniers.
Les exemples d'allitération purement musicale sont plus nom-
breux dans r a Hiver » et dans V « Été » que dans le « Prin-
temps » et r a Automne. » Le son de la lettre f lui plaît parti-
culièrement et il recherche les groupements de mots qui le
font entendre.
Deniaiid their fatcd food. The fearful flocks '.
Slill fondly l'onning in the farthest verge *.
From stifled Cairo's lillh and fetid lîelds '.
To thc l'air forms of Fancy's fleeting train *.
The Ihert profane if aught profane in love '\
Recovering, swifl she flew to find those robes *:
And on tlie flood tiie dancing feather floats ^.
And in loose fragments fling them floaling round •.
At lirst thin-wavering; till at last the flakes
Fall broad and wide and fast, dimming the day
With a continuons fall. The cherished lield$ •...
Nor can the bull his awful front défend *^.
The i^^aming i'ury falls ; and in one gulf
Fri«*ii(ls, fainilies and fortune headlong sink **.
Fur siglit too Ihie, Ihc ethereal nitre (lies '*.
Mais au total, on peut dire que, sauf cette prédilection
remarquable pour le son de Vf, Thomson recherche peu Teffet
purement sensible de ces répétitions. Il n'est pas de ces écri-
vains qui, comme llolophernes, y voient « une preuve de
facilité '^ y>
L'allitération peut avoir un rôle plus utile. Elle permet
d'atteindre les mots importants du vers, et, en quelque point
qu'ils se trouvent placés, de les éclairer d'un rayon brillant.
C'est un eflet dont tous les grands poètes fourniraient des
1. Smnmer, 928. — 2. Ihui., OU. — 3. lOid., 1056. — 4. Ibid. — 5. Ibùi.,
1336. — G. Ifjtd., 13fi0. - 7. Winier, 131. — 8. Ibid,, 174. — 9. Ibid..
230-232. — 10. Ibid., 400. — 11. Ibid., r»3o-637. — 12. Ibid., 694.
13. • 1 will EomethiDg afTecl the lelter, for il argues facililie ».
{Love' s Labour' $ Loaity acte IV. se. ii, 53.)
LES « SAISONS >y. — L\ PROSODIB. 477
iples, et qui se rencontre très souvent dans les proverbes
jlaires '. Il est obtenu par Thomson dans des passages tels
les suivants :
wheii Nature idl
Is bloomin;/ and bcncvolcnt — like Ihce *.
tatal to tlie frostv tribc 3.
hursls his blind wav *.
V
tiio passions ail
Hâve biirst their boiinds ^.
Ov in dead silence waslcs tbe weeping bours *.
Wide dasbed tbe waves ', etc.
tbe llntterinj,' winj,'
Ami sbrilicr sound déclare extrême distress *.
•
ces notes sont assez rares chez notre poète. Il est permis
e regretter. On aimerait à voir plus souvent, dans ses
les et majestueuses périodes, les mots essentiels se déta-
vivement et faire entendre la sonorité musicale de l'alli-
:ion. Il est vrai que ce regret porter-ait sur le fond même
ir le caractère esssentiel du stvlc de Thomson. Ce stvle
surtout par Tensemblc de la phrase. Le mot importe moins
• sa qualité propre que pour ce qu'il ajoute à Teffet total
e période. Quand le poète veut donner à quelques termes
valeur exceptionnelle, il a recours à ces constructions
niales que nous avons étudiées et qui isolent énergique-
t certains mots soit au début, soit à la fin de la phrase,
lis si Thomson n'emploie guère Tallitération pour déta-
de Tensemble quelques mots lumineux, il lui demande
ent Teffet tout opposé qu'elle peut aussi fournir. Appli-
à des termes imi)ortants qui sont séparés les uns des
2s, elle les op[)ose entre eux et au reste de la phrase; elle
end plus brillants et plus expressifs. Mais si elle porte sur
ermes qui se suivent et qu'unisse dans la phrase un rap-
étroit, elle les fond en un groupe compact, peut sans
r^ar exemple celui que cile sir Nalhaniel dans la scène où Holo-
lus dépUiie son talent pour rallit(*ratioD :
'< M an y can brook tlie weathpr, tliat love uot thc wind. »>
Lové's Labour'jt I^st, acte IV, se. ii, 34.)
^pring, 0, 10. — 3. M/V., 131. — 4. //><>/., 22". — 5. Ibid., 277, 278.
Ifjd., 205. — 7. Ibid., 313. — 8. Siutwier, 278, 279.
478 JAMES THOMSON.
doute détacher ce groupe dans l'ensemble de la phrase, mais
tend à diminuer la valeur de chacun des termes pris à part.
C*est bien FetTet des nombreux exemples où le poète associe
par une même consonne initiale Tépithète et le substantif. La
première partie du « Printemps » nous donnerait ces exemples :
a Bright Bull », 27; a vivid verdure », 87; « gay green i,82;
« bent bush )>,10i; « boundless blush », 109; « baleful blast i.
ll(); (( sacred sons », 124; « plumy people », 164; c bus)
bill », <( 134; fancy fired », 182; « rapid radiance », 191:
« silent search », 225; a secret stores », 234; « horrid heart •.
2()4; « perfect peace », 266; <c winding wiles », 302; c high-
piled hills », 312; « social sweetness »,321 ; « drooping days »,
3Î33; « fair form », Xj3; « peaceful people », 358; t high
heaven », 373; «c wisest will », 374; « pure perfection », 385:
« bleeding breast », 390; « harsh pain and horror », 392:
a woodlands warbling », 399; « shelving shore », 414; « lislless
languor », 444; « fresh-blooming flowers », 491; c blossomed
beans », 499; (c unbounded beauty », 506; « blushing borders
briglit », 520; et fabled fountain », 549; « wintry winds », 508:
« varied verse », 377; <( bush bending », 594, 5; c coy qui-
rislers », 595; « melancholy murmur », 612, etc.
A ces quarante exemples pourraient être ajoutés ceux qui
réunissent un verbe et l'adverbe qui s'y rapporte : t scarce
staining », 147; « successive stole », 249; c soft sighed », 207;
(( Sound slept », 326; a dwindled down », 33;^; a poured out
profusely », 586, etc.
L'influence particuUère de rallitèration dans ces réunions
de termes peut, selon les cas, varier de degré. Un des exem-
ples les plus frappants de l'atténuation de valeur de chacun
des mots dans le groupement ainsi obtenu est fourni par le
vri's célèbre de Campbell :
Like anp'ls* visils few and far betweeu *.
(Test là, on le sait, une altération peu logique d'un vei-s de
lUair :
iii visils,
Likc tlios«' of anj;ols, sluut and far belweon ^.
1. The Pleasurrs of llopt\ [mit II.
2. Ttw Grave. — l/iilée première parnîl. dit !'« Knoyclopédie littéraire ^
de Chambers. appartenir à John Norris ;
LES « SAISONS ». — LA PROSODIB. 479
€ Short B avait un sens, et « few » n'en a pas. Mais ce dernier
mot fait allitération. L'oreille y trouve son compte et les termes
< few and ikr » sont si bien unis dans le vers que l'esprit se
contente du sens total qu'ils fournissent. Voilà en prenant un
exemple extrême, la raison d'être et l'effet de cet accouple-
ment si fréquent chez ïhomson de termes qli'unit un rapport
de sens et que l'allitération vient rapprocher plus étroitement.
Enfin nous avons dit que la répétition, dans plusieurs mots,
d'un même son initial a parfois un autre objet encore. Non
seulement elle flatte l'oreille d'une impression agréable, mais
elle peut accompagner le sens d'une notation sonore appro-
priée. Cet accompagnement musical peut figurer directement
un son qu'il s'agit de décrire; c'est la pure onomatopée. 11 peut
aussi, en raison de cette sympathie qui existe entre certains
sons et certaines modifications de notre sensibilité, contribuer
à rendre plus vive la peinture que le poète veut placer derant
nos yeux.
Nous avons signalé l'abus que fait Thomson des consonnes
sifflantes. Il est clair que la critique ne s'adresserait pas à uu
vers comme celui oii le poète nous fait entendre le sifllemcnt
du vent précurseur de l'orage :
Sighs Ihe »a<i )fciiiiis ofiliu oumin^ storiii <,
La réunion de plusieurs mots commençant par une même
labiale est d'un effet peu agréable dans des exemples tels que
a before whose baleful blast > » ; mais elle concourt heureuse-
ment à l'impression que veut produire le poète dans ces vers
où il décrit les efforts des élans qui luttent contre la neige et
brament lamentablement :
As wcak againsi thc mouiitaiii heops llipy push
Their bcalin); breast in vain, and pîteous bray '.
Ces effets d'harmonie imitative, sans être rares dans les « Sai-
sons B n'y sont pas prodigués avec l'affectation qui, chez, cer-
tains écrivains, les rend insupportables et fait de ta poésie un
■ llow fading ar« tbe joys vt dote ii|>un !
Like anf^el vlbïIb i<liort and tiriplil. •
1, Wiiiln: 61. — 2. ^prittf/, 116. — 3. Winki; 823, H2i.
480 JAMES THOMSON.
amusement puéril. On conserve dans la mémoire un
grand nombre de vers où Thomson, soit par la seule allitéra-
tion, soit en y ajoutant rassouance, obtient d'heureux effets de
musique imitative :
In fond rotation spread the spoitcd wiag *.
Al last the roused up river pours along
Resislless, roaring; dreadful down it cornes
From the rude mountain and Ihe mossy wild,
Tumhling throngh rocks abrupt, and sounding far -.
Avec d'autres sonorités la même consonne r nous fera
entendre le ruisseau qui bruit contre un obstacle :
An icy gale, oft shifting, o'er the pool
Hreathes a bluc film, and in its mid carcer
Arrests the bickering slrcani 3.
Ou bien, combinée avec des sifflantes, et avec le son assourdi
du w\ elle reproduit le bruit des tourbillons de feuilles mortes
qui roulent et se froissent :
Tho forost walks al overy rising gale
I{oU widc the withercd waste, and whistle hleak ♦.
L'accumulation des consonnes liquides augmente Timpres-
sien de calme solennel de la scène évoquée :
whilc rising slow,
Blank, in tho leaden ooloui>?d cast, the moon ', etc.
Les labiales et les gutturales contribuent à donner au vers
quelque chose de heurté et de précipité quand le poète nous
montre les loups
hurning for blood, bony, and gaunl and grim •.
La sonorité étouffée du w est employée pour décrire le mou-
vement silencieux des ailes :
and thcir self taught wiugs
Winnow the waving élément '^.
1. Sprififf, 62S. — 2. Winter, UCOH. — 3. Ihid,, "23-725. — 4. Autum,
096-997. — 5. Winter. 123. — 6. Ibid., 393. — 7. Spnng, 746, 747.
LES « SAISONS ». — - CONCLUSION. 481
Enfin on pourrait citer dans le poème plus d'un exemple
'onomatopée qui n'emprunte pas le concours de rallitéra-
ion :
FoHows thc loospiied aj;gravated roar.
Eiilarging, dcepeniiig, miiigling, peal on peal
Crushed horrible, coiivulsing heaven and earth *.
They llouncc and iumblc in unwieldy joy *.
Whilc Irom their labourin^ breasts a hollow moan
Proccedingruns low-bellowing round the hiils ^.
Mais il y a une harmonie plus subtile que celle qui repro-
luit ou suggère directement certains sons. C'est celle qui, par
a résonance générale du langage et par le rythme de la
ihrase, produit TetTet musical propre à ajouter une force et
ine beauté nouvelles à la pensée du poète. Nous touchons ici
. l'un des dons intimes, à Tun des pouvoirs les plus difficiles
analyser du génie poétique. Les a Saisons » nous offrent d'un
out à l'autre d'admirables exemples de cet accord étroit entre
i nature des scènes décrites et la couleur musicale de la
ingue. Il n'y a guère lieu de citer des exemples. Tout le
oéme révèle ce sentiment profond d'une harmonie entre les
3ns de la phrase poétique et le tableau ou Témotion que la
ingue traduit *. Mr. Bain a raison de citer le poème de
homson, entre certaines scènes du « Paradis Perdu » et cette
etite merveille de poésie descriptive : « Les Mangeurs de
otus D de ïennyson, comme exemple d'un accord parfait
ntre le sens et la musique des mots *.
Conclusion. — Arrivés au terme de cette étude des « Saisons »
l convient que nous en résumions les principales conclusions
Thomson est bien, grâce à son premier poème, le restaura-
eur dans la littérature anglaise du sentiment de la nature.
LU milieu d'une école aux tendances tout opposées, rompant
udacieusement avec une esthétique consacrée, s'élevant d'un
ssor puissant au-dessus des vagues aspirations de quclques-
1. Summer, 1141-1143. — 2. Spring, 823. — 3. Summer, o04, 505.
i. Mr. Bain cependant cite particulièrement les quatre vers du • Prin-
cmps •. Nous les avons notés déjà pour en relever la valeur expressive
p. 349).
5. EuffUsh Composition and ïihetoriCf p. 210.
31
482 JAMES THOMSON.
uns et des tentatives incertaines d'un petit nombre, il a reven-
diqué pour le monde matériel une place au premier rang
parmi les objets do l'art et de la poésie.
A cette tâche il a porté d'éminentes qualités d'artiste. Soo
talent de description le fait Tégal des plus grands j^armi b
maîtres. Sa vision des choses est large et embrasse d'oixliuaire
l'ensemble des scènes. Mais à ses tableaux de vastes spectacles,
se mêlent nombre d'observations de détail, délicates et pré-
cises. Il s'attache surtout à peindre les masses; mais ses des-
criptions révèlent toujours une organisation d'observateur et
d'artiste singulièrement riche et souple.
Son interprétation de la nature n'offre pas, il est vrai, Tin-
tensité d'éclat ni le pathétique intérêt qui s'attachent à celles
d'autres écrivains. Elle n'est pas dramatique comme celles des
nombreux poètes qui voient les choses à travei's les émotions
et les passions humaines. Elle n'est pas philosophique et pro-
fonde (!omme celle de Wordsworth. Elle n'est pas lyrique et
créatrice de vie comme celle de Shelley. Mais elle esl la pliii
complète, la plus sincère et la plus vraie parmi celles «jui ouï
visé seulement à reproduire fidèlement et directement la
beauté qui émane des mille aspects du monde sensible.
Pour son œuvre originale il s'est fait une forme à peine
moins indépendante du goût alors régnant. Son vers et sa
langue ramènent dans la poésie la liberté, l'ampleur et le
grand style qui y étaient devenus aussi étrangei's que la con-
naissance du monde matériel. Mais cette forme éloquente et
somptueuse reste troj) uniformément oratoire, pomi^euse et
tendue. Les quelques occasions où le ton s'abaisse n'inlluenl
pas assez sur l'impression générale. Et sous cette envel(>|)i)e
ti'op riche et trop raide risquent de disparaître mille délail^
gracieux et familiers qu'il en faut dégager pour apprécier
justement le génie de l'écrivain.
Par lui-même le fond de l'cruvre reste digne de toute adnii-
ration. En dépit des elVets nouveaux plus subtils et plus ambi-
tieux que les poètes ont depuis tirés de l'observation d»^
(îhoses, les peintures de Thomson gardent leur beauté pour
les lecteurs de toutes les classes. Mais pour rendre justice ;i
l'écrivain il faut un peu de critique et d'histoire; il faut le
comparer à ses prédécesseurs et à ses contemporains. Sa
langue, pleine de hautes qualités, manque de soupière et de
LES « SAISONS •>. — CONCLUSION.
483
simplicité. Elle emploie trop souvent, pour traduire des obser-
vations directes et franches, une forme où se sentent Tartifice
et la manière. Et voilà comment ce poème des a Saisons d qui
marque une des dates glorieuses de Thistoire des lettres, qui
a donné le signal et le mot d'ordre d'une révolution destinée
à renouveler la littérature de l'Europe, n'est pas au nombre
des chefs-d'œuvre complets, parce qu'il n'a pas réalisé l'har-
monie absolue du fond et de la forme.
LIVRE II
PETITS POÈMES
CHAPITRE I
PIÈCES JUVÉNILES
Les éditeurs de Thomson ont recueilli un certain nombre
des pièces où s'exerçait son jeune talent. Ce sont ces premiers
vers, on s'en souvient, qui inspiraient à quelques hommes de
goût tels que sir William Bennett et Riccaltoun, la pensée
que le jeune auteur avait en lui Tétoffe d'un poète de valeur *.
Nous y trouverons donc l'intérêt qui s'attache aux promesses
d'un génie en voie de formation. Nous y observerons la pre-
mière floraison de ce talent dont nous avons étudié le plein
épanouissement.
On sait que le jeune Thomson, avec une rare modestie,
détruisait ces productions imparfaites ». Quinze seulement ont
survécu à l'autodafé annuel, et l'on y peut joindre les trois
morceaux publiés en 1720 dans VEdinburgh Miscellany.
La première constatation que suggèrent ces pièces, c'est,
chez leur auteur, un vif amour des choses de la campagne, un
don d'observation rapide et précise, et un réel pouvoir de
i. Voir plus haut, p. 17.
2. Voir plus haut, p. 19.
486 JAMES THOMSON.
description. Douze au moins, sur les dix-huit, nous offrenl
dos peintures de spectacles naturels. Quelques-unes sont
entièrement consacrées à cet objet, comme la pièce sur le mois
de mai, ou celle qui a pour titre « Le matin à la campagne i.
Mais alors même que le sujet principal est différent, on sent
que rame et les yeux du poète sont pleins d'images et de
visions de la nature, qui, à la première occasion, viennent »
condenser dans ses vers. Le morceau, par exemple, qu'il inti-
tule (( Sur la Beauté » renferme, après un court préambuk,
trente vers do description très riche et très variée. Le lieu
enchanté, a happy place », qui s'y trouve décrit a mémeuc
caractère exact et individuel qui se retrouve rarement dans
rœuvre de Thomson: en même temps que la description revêt
parfois une largeur et une puissance d'évocation pittoresque
qui annoncent l'auteur des « Saisons ».
Monts cl vallées s'êlcndenl dans nnc confusion charmante :
Le troupeau broute et se disperse sur les pentes des collines,
Kl emplit tout le voisinage de ses bêlements :
Kl sur les sommets élevés de liantes forêts s'agitent verdoyante?'.
Dans un morceau moins important, pastorale où nous enten-
dons dialoguer les bergers Thirsis et David, et l'Ange Gabriel,
l'annonce de la naissance du Sauveur est saluée par les pas-
teurs comme devant transformer l'aspect de la nature :
L'année ne ramènera plus les horreurs hivernales;
Une immortelle verdure vêtira les monts et les vallées.
Et de suaves odeurs empliront les brises parfumées -.
Devenu étudiant et habitant d'hkiimbourg, Thomson n'a rien
perdu de son amour pour la campagne. Ce sentiment s'est au
contraire accru au contraste de la ville. La pièce de cent dix
vers qui a pour titre « D'une vie rustique » nous montre le
1. « And liills and vales in swect confusion he :
The nibbling flock strays o*cr thc rising hllls,
And ail around with blealing music (ills :
High on their fronts tall blooming forests nod.
2. • No more tlie year shall \vinlr\ liorrors bring.
Immorlal green shall clothe thc liills and vales
Aud odoroiis swccls shall load Ihe balmy gales.
PIÈCES JUVÉNILES. 487
poète blessé des laideurs et du bruit de la ville. Elle évoque
en traits précis et nets ces scènes de la vie des ctiamps où se
plaît 1(3 jeune homme. Les vingt premiers vers sont employés
à mettre en contraste le tumulte des villes enfumées et les
sons doux et charmants de la campagne.
Ces descriptions, il faut revenir sur ce point, ont souvent
un caractère exact, local, de chose vue et non pas seulement
d'impression générale vaguement cons(îrvée. On le vérifiera
par exemple dans la courte pièce n Le matin à la campagne ».
Chaque vers y apporte Técho d'une observation directe. Les
notations de sensations variées : vue, odeur et son s'y succè-
dent. Le berger qui y ligure n'est pas le mythologique et inco-
lore personnage de tant de pastorales. C'est le plaid écossais
qu'il jette sur ses épaules avant de faire le tour de son parc à
moutons; et, s'il doit plus tard « chanter », lui aussi, « les
louanges de quelque charmante bergère », il commence par
« remettre en place sur le talus de crlôture les mottes tombées
« pendant la nuit ».
Voilà la vraie et franche inspiration d où sortiront tant de
fraîches descriptions des a Saisons ». Le jeune poète se laisse
très rarement entraîner jusqu'aux hyperboles extravagantes ou
aux concetti qui forment la monnaie courante de la langue
(les bucoliques. Dans la (( Pastorale entre Thirsis et Corydon,
sur la mort de Damon », nous lisons bien :
(> ruisseaux qui ^rlissez, plcurciz au poiut de laisser à sec votre lil;
]^t»s Ilots de mes larmes rempliront abondamment '.
Mais de pareilles fautes de goût sont très rares dans ces
productions d'un enfant ou d'un très jeune homme. Si toutes
ces pièces restent assez médiocres, en dépit de quelques traits
(le description heureux, c'est par la teinte grise et monotone
de l'ensemble, et non par la recherche d'ornements criards.
L'inspiration ne vient pas au poète des pastorales artificielles
(Je l'école; mais de la nature avec laquelle il vit en commu-
nion intime, et du poète Ramsay pour qui son admiration
s'exprime dans la pièce intituh^e « Sur la Beauté - ».
1, * Ye glidiag brooks, o woep your channels dry,
My flowiug loari lliem fully sliall supply. «
i>. « Most sweetly eung in Alian Rami^ay's song. »
488 JAMES THOMSON.
Après la Nature, la Religion est le « motif » le plus fréquent
de ces pièces juvéniles. Plusieurs sont entièrement des mor-
ceaux religieux : « Hymne à la puissance divine », t Para-
phrase du psaume CIV m, a Pastorale sur la naissance de
notre Sauveur », « Fragment d'un poème sur les œuvres et
les merveilles de la Puissance Divine * ». Elles nous donnent
toutes l'impression d'un sentiment religieux ardent et sincère.
Le premier de ces morceaux, « Fflymne à la puissance divines
offre pour nous cet intérêt particulier d'être comme un t pre-
mier état » de cet Hymne dont Thomson fit plus tard le
magnifique couronnement de son poème. La mesure n'est pas
la mémo, le rythme de ces strophes à quatre vers, tétramétre
et trimètre iambiques à rimes alternées, produit un effet diffé-
rent de celui de la noble, grave et éloquente prière des € Sai-
sons ». Mais ridée générale est identique; c'est une imitation
du psaume de David ; c'est toute la nature appelée à célébrer
la gloire de Dieu. Et le mouvement général du morceau, cette
série d'apostrophes accumulées donne bien le même effet
général que le morceau plus étendu et seul devenu célèbre
dont nous avons ici plus que le germe *.
Notons en passant que dans une de ces pièces, et sans doute
une des plus anciennes, si nous en jugeons par la facture, le
« Fragnjent d'un poème sur les œuvres de la Puissance
divine », Thomson exprime ce désir, qui l'a plus tard et long-
temps hanté, d'étudier la nature en philosophe et en savant,
comme il la goûte et la peint en poète.
Même dans des pièces qui n'ont pas une inspiration pure-
ment religieuse, un vif sentiment de piété se trouve parfois
exprimé. Telle est la « Lamentation sur les misères de la vie ••
Le jeune poète y professe cette misanthropie et ce pessimisine
que, comme une crise de l'esprit, doit subir l'adolescence. Le
1. Donné par Thomson à llill, cl inséré par celui-ci dans le n* 46 de sod
Piaiii Dealer.
2. Tous les molifs de la première pièce se retrouvent sous une forme
plus riche on pins ample dans 1' « Hymne * des « Saisons •. Il en est un cepeD-
dant que le poète n'a pas conservé et qui mérite d'être noté. C'est le trait
par lequel il fait ingénieusement intervenir dans ce concert des créatures
un élément tout passif :
« Ye seas, in your ctorunl roar,
His sacre<i praise proclaim;
While the inactive slng^^ish shore
Reeclioes to the samc. »
PIÈCES JUVÉNILES. 489
morceau se termine par une strophe pleine de fof, par un
engagement pris de suivre la loi divine, et de traverser les
misères et les corruptions de la vie en tendant toujours vers
les hauteurs et vers la lumière.
Ces premières pièces font aussi une part à un élément d'in-
térêt que le poème des a Saisons d devait exclure presque
entièrement, c'est l'humour. — Le « panier », condamné par
les puritains moroses, trouve en James Thomson un défenseur
complaisant. Il consacre une courte pièce à cette parure
qui, « combinée avec le tartan, rend une jeune fille radieuse
comme une déesse ». — Dans le morceau On Beauty, il fait
de la divinité à laquelle sont consacrés ces vers une des-
cription détaillée, et il Torne elle aussi « d'un ample panier »
et d'un « brillant tartan ».
Plus heureuse dans cette veine de gaieté malicieuse est la
pièce dédiée à sa plus jeune sœur : a Lise se séparant de son
chat ». La rime est ici abandonnée et le morceau se poursuit
sur un ton moitié grave et moitié plaisant, avec les prosopo-
pées, les interrogations et les interjections voulues; elle con-
stitue un court échantillon d'un excellent style de parodie
souriante.
« Sur le Bonheur î> est une dissertation morale de cent
soixante vers, pieuse, froide et plate. Des réllexions sur la
vanité des plaisirs y sont développées en un langage terrible-
ment prosaïque. L'œuvre se termine par l'assurance exprimée
en vers bien pesants que le seul bonheur réel est celui que
Dieu réserve à ses élus. Deux passages seulement viennent
rompre la monotonie, et, pour tout dire, lennui de ce sermon.
Une image imprévue et qui tranche fort avec le ton du reste
compare l'homme, dans sa recherche d'un bonheur toujours
fuyant, à un épagneul qui poursuit sur l'eau un canard sau-
vage. Chaque fois qu'il croit l'avoir atteint, l'oiseau plonge et
disparait et laisse le chien à demi suffoqué par l'eau happée au
lieu de la proie *. — Quelques autres vers du même morceau,
où se reconnaissent des souvenirs de Spenser et de Milton, nous
montrent l'unique trace peut-être que contienne la poésie de
Thomson, avant 1748, d'un goût pour le merveilleux féerique.
Il en devait naturellement sentir l'attrait en sa qualité d'Écos-
i. Vers 54-61.
490 JAMES TnOMSON.
sais; il avait développé ce goût au commerce de Spenser;mais
il y avait soustrait toute sa production littéraire jusqu'au
nionient où il lui donna un si magnifique développement dans
le « Château d'Indolence ».
Ainsi quand la Lune lance son rayon d'argent
El verse sur la terre silencieuse un jour pâle,
Des cavernes slygiennes les fées s'enfuient rapides
Et sur la rive de quelque courant limpide
Qui sous le clair de lune réfléchit une lueur,
En rondes nocturnes elles se rangent pour leurs danses *.
II
Des renseignements précieux nous sont fournis par ces
mêmes pièces, si nous en comparons la langue et la versifica-
tion à celles de l'œuvre de la maturité du poète. Rien ne peut
aussi bien nous convaincre de la part qui revient à Tindustrie.
à Teffort prolongé, au métier appris, dans la poésie de Thom-
son. Deux de ces pièces : « Hymne à la Puissance divine ••
« Lamentation sur les misères de la vie », nous montrent le
jeune écrivain à la recherche des rythmes variés. Et de fait, à
en juger par ces exemples, il maniait avec une assez élégante
sûreté les tétramètres ou trimètres en strophes régulières
composées de vers brefs et rapides enfermant de courtes phrase?
souvent antithétiques -. Mais le vers habituellement employé
est le pentamètre ïambique, celui dont le poète fera plus tanl
son instrument constant, en lui donnant une forme personnelle
i. « Just se when Luna darts lier silver ray,
And peurs on silent earth a paler day :
Froin Slygian caves liic flitling fairies scud,
And on thc margent of some limpid flood,
Wliich by reflecled moonliglit darts a glance,
In midnight circles range themscives and dance. »
[(Jpon HappinesSj 88-93.)
2. Témoin cette strophe, la septième du morceau :
What's monev but refincd dust?
What's liononr but an empiy name?
And what is soft enticin^ lust,
But a consuming idie flame?
Yca, what is ail beneath tlic sky
But empliness and vanity?
PIÈCES JCVÉNILES. 491
ol (HMuinalc. (Quelle (litTéi'ciice cependaiil riilrc ce vers ri celui
(les « Saisons »! Dans toutes les i)ièces juvéniles saut' une, l'amu-
sant l)adina,ue adressé à sa sa^ur, les vers sont rimes, et nous
(lirons quel(|ue chose du car*actère de ces rimes. Dans toutes,
en dépit de quelques bonheurs d'expression, la forme reste
lourde et monotone, ou bien les efTorts pour variei* le mouve-
ment aboutissent aux plus gauches désarticulations de la
phrase.
A toiich of llis lo smokc tlie mouiitains inakcs '.
vou knew
«
Ilow as in ycars so hc in virlue grew *.
The way that to tins stalcly palace goes
Oï mvrtle trees lies 'Iwixt Iwo cven rows '.
La langue est parfois incorrecte ; Taccord entre le verbe et
son sujet est souvent défectueux :
Xor is Ihereby their fragrant stores consuined *.
Fanncd always by a cooling western gale
NVhicli in soft breezes through Ihc nieadows stray,
And steals the ripeneil fragrancies away '\
Thon Uke a curtain slretched •.
tlie full laden vales
Gives prospect of employmenl for the llelds'.
Les inexpériences et les maladresses prosodiques ne sont pas
rares non plus. C'est par exemple un ale.xandrin introduit par
inadvertance au milieu des pentamètres :
Wliich on the shrivelled gronnd they bounteonsly dislil *,
ou bien un pied formé d'une syllabe muette, même suivie
d'une voyelle :
Hère is peace, transporting joy, and love*.
That wilh inimitable art are dressed *^.
1. Psalin CIV Paraphrased^ v. 110. — i\ A Pastowl hetween Thirsis awl
Cori/don, 23, 24. — 3. On Beauty, 135, 136. — 4. Lines on Mnrlefield, 24. —
5. A Pastoral Entertainment ^ 22-23. — 6. Psalm CIV Parapfirased, 6. —
7. Ofa Country Life, 29, 30. — 8. Psaim C!V Parap/nased, 40. — 9. Ibid,,
39. — 10. On Renuty, vers la fin.
492 JAMES THOMSON.
De fréquentes élisions de voyelles dans le corps des mots con-
tribuent pour une bonne part à la dureté et à Tabsence d'har-
monie des vers : a gen'rous (ix), t od'rous » (x, iv), t nat'ral >
(vi), « grauTîes Tvi), « munn'ring », i am'rous n (Ofa Countrif
Lifp),
Enfin les rimes nous apportent de curieux renseignements
sur la prononciation du jeune poète et sur le son qu'il atta-
chait à certains mots ou à certaines combinaisons de lettres.
C'est, dans la première et la plus ancienne de ces pièces, la
rime de a frowns » et de « owns ». Dans la IV*^ nous trouvons
accouplés par la rime « east n et « drest ». Dans la V^'« rock *
et « oak », a inove » et « above », « praise » et « seas ». Dans
la VI'' a 6east » et <c waste », 3i, 5; a nesls » et « dressed •,
38, 9; « plays » et « day », 97, 8 ; « thee » et « die », v. 99, 100.
Dans la VIP a joys » et a outweighs »; « sky » rime une fois
avec a vanitv » et une autre fois avec « deitv ». Dans la VIII'
nous relevons a grass » et « face », « gone » et « son »: dans la
IX", « cause » et a was », a cares » et a fears », t verse » et
« fears », « verse » et (( hearse », « forbear » et « tear » subst.;
« rove » et « movc />; dans la X« « feast » rime une fois avec
« drest » et une fois avec a placed », a perfumes » avec
a blooms ». La XI'- nous donne a retreat » et « date •,
« abode v" et « god » ; la XII" <i nod » et « abode », « confound »
et (L wound » subst. ; « flew » et a dew », « boast » et « exhaust • ;
la XI1I« a blast » et a chaste », a fair » et « are »; la XIV
« farewell » et « feel », « beat » et 4 fate ».
Dans la pièce Ofa country Lïfe^ nous rencontrons * plough •
et « renew », 10, 20, « flee » pour « tly », subst., 55; « lot >,
rimant avec a remote», 107, i08.
Dans Upon Ifappiness^ « deny », « variety », 78, 9; « given ».
tt heaven », 80, 1; « remove », « above », 104, 5; « fair »,
a are », 140, 1 ; « view », « crew », li6, 7.
On voit à quel point la prononciation de Thomson était alors
imprégnée des particularités locales de TÉcosse, et quelle
énergie il lui fallut pour arriver à se faire une langue riche,
et cependant aisée, [)leine et harmonieuse où Ton a peine à
découvrir quelque trace de scotticisme *.
Enfin on peut relever dans ces premières œuvres quelques
1. Sur la prononciation du poêle, voir Appendice IV.
PIÈGES JUVÉNILES. 493
expressions ou quelques idées que le poète n*a pas dédaigné de
reprendre plus tard pour les introduire dans son grand poème.
Le verbe a flounce », qui parait être un de ses termes
favoris, et qu'il emploie plusieurs fois dans les a Saisons »,
ligure dans la Paraphrase du Psaume CIV ', et dans la pièce
ft Sur une vie rustique * ».
Moins heureux est Tusage qu'il fait du verbe a implore »
dans un vers qui rappelle nombre de passages des a Saisons »,
en exagérant ce que l'emploi du mot a parfois dans ce poème
d'un peu burlesque :
Les lions rompent le silence de la nuit de leur rugissemenl affreux
El implorent, de la bonté du ciel, leur proie nocturne '.
« A checkered scène )) de la pièce N^ X rappelle aussi une
expression employée dans les a Saisons » avec un effet brillant.
Nous trouvons dans la paraphrase du Psaume CIV cette
théorie des sources et du voyage des eaux souterraines que
Thomson devait développer longuement dans les premières
éditions de 1' a Automne », sauf à y ajouter plus tard une réfu-
tation de rhypothése *.
Enfin la pièce qui a pour titre Of a CoxoHry Life ren-
ferme comme un sommaire du poème des « Saisons ». Les
scf>nes caractéristiques des divers moments de Tannée y sont
rappelées en quelques phrases; 1' a Hiver » en particulier est
assez longuement développé et nous offre plusieurs traits dont
Thomson s'est souvenu plus tard ^
1. Vers 93.
2. Vers 65.
3. » They break nlghl's silence willi Iheir hideous roar,
And from kinil licaven llieir nighUy prey implore. »
{Psalm CIV, V. "7,78.)
i. « Tlirough secret tracts they up the mountnins creep. »
{Psahn CIV, 23.)
5. Celui-ci par exemple :
« The bleating flocks for want of food repine », v. 42 et suiv.
CHAPITRE II
PIÈCKS DIVERSES
I
Pièces commémoratives. — Sur la mort do sa mère.
Parmi les œuvres d'importance secondaire que Tiiomson a
produites en mc'îme temps qu*ii élaborait ses grands poèmes,
nous réunirons, pour les examiner à part, celles qu'il a consa-
crées à la mémoire d'êtres chers ou de morts illusti^s : ss\
mère, son ami Aikman, Newton, ou Talbot son protecteur.
On se rappelle que le jeune poète, presque aussitôt après
son arrivée à Londres, y avait appris la mort de sa mère '.
Buchan a publié, en 17îh2 -, une courte pièce que le jeune
homme avait écrite sous le coup de cette douloureuse nou-
velle. Thomson, par une pudeur filiale bien naturelle, n'a
pas fait figurer ce morceau dans le recueil de ses œuvrer.
Elle mérite cependant d'être rappelée et de fixer un moment
notre attention. Klle nous est une occasion de constater si,
dans Texpression d'une vive et poignante émotion, le poète
pouvait s^atîranchir des formes convenues et des ornements
artiliciels qui entachent son style aussitôt qu'il cesse de s'ap-
pliquer à la pure description. Eh bien! il faut avouer la
i. Voir biographie, p. iO.
2. « Ess(n/ on the Life of Thornson, etc. »»
PIÈCES DIVERSES. 495
conclusion qui s'impose : Thomson, alors même qu'il traduit
le sentiment le plus sincère et le plus profond, ne trouve pas
une forme littéraire où se révèlent la spontanéité, la simplicité
ou l'ardeur des vrais lyriques. Il y a une indéniable franchise
de sentiment dans plus d'un passage de cette pièce. On sent
comme il le dit « qu'une douleur réelle inspire son cœur
palpitant * » quand il rappelle les épreuves cruelles de sa
mère :
La ninrt a f«Miiir ses yeux toujours bai|^més île larmes,
Elle a enliii «lonué un séjour de paix à ee cœur lassé '.
Nous retrouvons la sensation d'un souvenir douloureux dans
le passage où il rappelle les adieux, sur le quai de Leith, de
cette mère qu'il ne devait plus revoir. — Mais ces émotions
revêtent le plus souvent une forme bien artilicielle, bien litté-
raire ou bien pompeuse. C'est ici une réminiscence de Shake-
speare que le poète adopte et développe comme pour un exer-
cice d'amplilicalion :
Elle ne ressent plus le sort désolé de la veuve.
Ni les cruelles épreuves que cache la pauvreté modeste,
Ni le fléau du tyran, ni h) mépris de Torf^Hieil opulent.
Ni tous ces autre< maux innnmhrahles de l'indigence^.
A côté des souvenirs d'école, les hyperboles et l'emphase de
récolier :
Uu'à cotl(^ nouvelle la jnie abandouiu* ses hosquels de rnses
Et (juc la douleur aux cris perçants désoh? ces heures néfastes '.
OU encore :
Puunjunj donc ai-je été, puissances divines, réservé à ceci?
I*ourqu<»i n'ai-je pas h ce moment même «lisparu dans l'ahîme im-
En^douli aussitôt par le flot im|)itoyal)le fmense?
VA h jamais enseveli dans une humide tombe ^'^
1. << True i^cnuine woe my throbbin^ breasl inspires. » (v. 'A.)
'2. ". And deatli lins shul hcr cver weepin^ eyes;
lias loil^ed at last in peace hcr weary i)rcast. » (8. 9.)
:^ « No more Ihe wi«io\\'s lonelv fate she feels,
The shock scvltc that modesl wanl conceals,
Th'oppres?or's smurjrc, lh(» srorn of xNcallhy pride,
And poverly's iinnundH'r'd ills beside. « (13-10.;
î. Vers 34, 3:;. — 5. Vers ît. 47.
496 JAMES THOMSON.
•
En opposition à ces taches, il nous faut noter Tordinaire
harmonie de la période qui se retrouve ici, malgré la rime,
comme dans les vers blancs du poète. Il faut signaler aussi
quelques traits auxquels se révèle l'observateur et le peintre
puissant de la nature :
Au milieu «le Téolal joyeux du rouge soleil *.
Et nous mêlions nos murmures au p;rondement des vagues*.
Parfois même une épithète pittoresque vient affirmer que
l'instinct du poète persiste sous la douleur du fils :
Je m'élançai désolé dans le navire aux lianes arrondis '.
II
Sur la mort d'Aikman.
De même caractère est la pièce beaucoup plus courte que
Thomson a consacrée à la mémoire de son ami, le peintre
Aikman. Les relations des deux jeunes gens avaient été des
plus cordiales *. Le chagrin causé au poète par la mort préma-
turée qui interrompait une carrière pleine de promesses et qui
brisait une chère amitié fut sans nul doute très profond. Les
vers où il l'exprime ne sont pas cependant de ceux où son
talent s'affirme. Il semble en avoir eu lui-même conscience.
Ce petit poème ne figure dans aucun des recueils publiés de
son vivant. Est-ce la forme adoptée qui l'a embarrassé et
alourdi? Toute la pirce nous laisserait le souvenir d'une bien
froide imitation du style de Pope, si les huit derniers vers ne
venaient racheter la pauvreté du reste. Ils sont nets, brillants
et concis comme les modèles imités. Comme eux aussi ils
expriment des pensées devenues banales. Mais à l'exposé de
1. «( Amid thc ruddy sun*s enliveuing blaze. » (25.)
2. • And mixed our miirmurs with the wavy roar. • (40.)
3. « Thcn, wild into Uie bulging vessel flung. » (42.)
4. Voir plus haut, Biographie, p. 98.
PIÈCES DIVERSES. 497
l'un de ces lieux communs éloquents où se plaisait Pope, ils
eyoutent le souvenir d'une douleur privée et cette pointe
d'émotion qui manque aux chatoyantes antithèses du maître.
-.\ inesun» que tombent ceux que nous aimons, nous mourons en
L'un après l'autre se rompent les liens de noire cœur; [partie.
Jusqu'à ce qu'enfin la vie détachée — argile qui respire
Kt no sent plus la douleur, soit heureuse de se dissoudre.
Malheureux celui «jui le dernier est frappé.
Dont los yeux ont pleuré tous ses amis couchés dans la tombe,
Uni, attardé sur la terre, s'est traîné d'une mort partielle à une autre;
Jusqu'à ce que mourant, il n'ait plus rien à perdre que le souffle *.
III
Poème sur la mort de sir Isaac Ne'wton.
Newton mourait le 20 mars 1727. Thomson, qui venait de
publier la seconde partie de son poème, et qui y avait confirmé
le succès de 1' a Hiver d, consacra au souvenir du grand
savant un poème de deux cent neuf vers. L'analyse des a Sai-
sons » nous a montré déjà que Tauteur avait conservé, de ses
études à l'Université d'Edimbourg, un goût très prononcé pour
les spéculations scientifiques. Son sentiment très vif des aspects
pittoresques de la nature s'accordait avec une curiosité active
des lois scientifiques et des causes profondes qui se cachent
sous les phénomènes apparents. Cette double raison le justi-
fiait donc quand ce à défaut », comme il le dit modestement,
a d'un autre poète », il prenait ce rôle de panégyriste du plus
illustre des savants de l'Angleterre et des temps modernes. Son
poème mérite de n'être pas oubHé parmi ses titres de gloire.
C'est, si nous ne nous trompons, un de ceux oii se trouve
exprimée le plus heureusement cette beauté, ditrércnte sans
i, « As thosc we love decay, we die in part,
Striug after string is severed from the heari;
Till loosened life al last — but breathing clay
Wilhoul one paa;^', is ^lad to fall away.
Unhappy he who latest feels the blow,
Whose eyes bave wept o'er every friend laid low,
Dragged liogering on from partial death to death;
Till dyiDg, ail he can resign is breath. •
3;î
498 JAMES THOMSON.
doute de celle qui frappe l'artiste, que le savant sait voit d
sentir dans les grands spectacles de la nature. Thomson apport*
à rénumération des principales découvertes de Newton une
chaleur d'enthousiasme qui lui permet d'échapper à la séche-
resse, tout en restant suffisamment précis. Il rappelle eu quel-
ques mots la grande loi de l'attraction ; il célèbre ce qu'offre
d'admirable la simplicité de cette conception qui explique la
mécanique céleste, « en affranchissant le monde des tourbillons
ou des sphères D dont Ta valent encombré d'aventureuses hypo-
thèses *. 11 oppose la pure grandeur de ce triomphe du génie
aux sanglantes et stériles victoires des plus fameux conqué-
rants. Puis il énumère les autres travaux et les découvertfô
de sir Isaac : ce sont les satellites nombreux qui entourent et
« égaient d les planètes lointaines, ce sont les mouvements de
la lune (c alors qu'elle s'efface et ne laisse plus apparaître
« qu'un faible croissant, ou bien quand elle grandit, et que
(( ses [)àles et vagues rayons inondent le ciel du déluge de lenr
<( douce lueur ». C/est le phénomène des marées rattaché à
Tatlniction de la lune. C'est le nombre inlini des étoiles sou-
mises aux lois de cette même pesanteur : a et celles que le
<( dùme brillant d'une nuit d'hiver verse à nos yeux, et celles
<( que la lunette va bien loin arracher au même abîme, celles
(( même qui dans descieux de plus en plus lointains ne brilleol
(( (jne pour les yeux de l'imagination - ». Il s'interrompt un
moment pour louer la magniticence divine qui, d'une seule
cause, a su produire de si magiques effets, et, dans un langa^
tout imprégné des souvenirs de Milton, il célèbre le mortel
qui a su lire dans les cnuvres le plan du Cre»ateur '.
Il nous montre ensuite le savant poursuivant la comète dans
sa longue courbe ellipti([ue « jusqu'à ce que le météore tlam-
(( boyant revienne briller au front de notre ciel du soir, et
a répandre la terreur sur les peuples tremblants ».
Puis, passant aux travaux de physique de Newton, il rappelle
1. l)<^Jà la premitTc édition de V » Klé - consacrait cinq vers ù un exp'J'
de 1,1 Uiéorie de la gravilalinn. Le passage plus lard êlendu occupa
aujourd'hui dans le poème les vers 08 à 10*).
2. Ver» 58-03.
3. - .... And, 0, beloved
or Heavcn! whose wcll pur^ed pcnetratiiig eye
The mystic veil transpierciu^, inly scanned
The rising, moving, wide-established frame. >
PIÈCKS DIVEUSES. 199
la théorie des ondes sonores; il s'arrête avec complaisance au
prisme magique qui décompose les rayons lumineux, et, avec
un enthousiasme et une joie d'artiste, caractérise chacune des
couleurs '. — Newton a aussi rendu des services à la chro-
nologie, et le poète nous rappelle que Til lustre astronome a
c remonté cet irrésistible cours du temps qui emporte toutes
( choses à Tocéan sans bornes de Téternité,... et qu'il y a, de
c distance en distance, élevé ses lumières pour guider Thisto-
c rien, égaré dans les ténèbres de ce voyage ^ ».
Enfin le panégyriste rappelle les vertus du savant : sa piété,
sa sérénité, sa modestie, sa bonté. Il voit dans Texistence d'une
telle âme la meilleure réfutation que Ton puisse opposer au
matérialisme. Il termine en espérant que l'esprit du grand
homme continuera â instruire et à corriger sa patrie, à ins-
pirer ses jeunes hommes « tandis que sa poussière sacrée dort
c avec ses rois et double la noblesse du lieu où ils reposent' ».
Jamais la langue de Thomson n'est meilleure que dans ce
court poème. Rien qui ressemble moins au catalogue abstrait
des travaux d'un homme de science. Moins abondantes sans
doute que dans les ce Saisons », les heureuses créations de
termes, les groupements expressifs de mots, les trouvailles for-
tunées du style s'y rencontrent assez souvent. Sans recherche
artificielle et sans effort pénible, les notations d'effets pitto-
resques de lumière et de couleur semblent tout naturellement
amenées par le sujet : « the pale shadowy light of the moon » *
— «[ a vellow waste of idle sands" » — « he took his ardent
tlight — Through, the bluo infinité ® » — « the clear concave
of a winter 's night" » — « To the forehead of our evening
sky — Heturned the blazing wonder ^ ». Mais le mérite
dominant de tout le morceau c'est la simplicité élégante et '
ferme du langage. A peine est-elle interrompue par un ou
deux passages de ton lyrique et un peu déclamatoire. Par-
tout ailleurs l'enthousiasme du poète s'exprime en une
langue sobre, sans rien de cette boursouflure que Ton reproche
i. Très dilTcrenlc est rattitiidc d'.inlres poètes en face des analyses de
la science Mr. Sliairp cite ce frairnient d'une lettre de Haydon à Words-
worth (1842) : « Don't yoii romcmber Keals proposiog ■ Confusion lo the
memory of Newton •, becausc lie destroyed the poelry of the rainbow
bv reducing it to a prism. »
'•2. 125-131. — 3. 208, 209. — 4. 48. — 5. 56. — 6. 57, 58. — 7. 59. —
8. 79, 80.
800 JAMES THOMSON.
parfois au langage des <k Saisons i». Il y a là tout à la fois,
par une heureuse et rare combinaison, la netteté d'exposition
d'une langue scientifique, la chaleur et Téclat d*une haute
poésie.
Le poème à la mémoire de Newton mérite donc d'être rangé
au nombre des œuvres où la poésie s'est mise avec le plus de
bonheur au service de la science. Voltaire ne pouvait choisir
un meilleur modèle pour une entreprise analogue, et sa lettre
à Mme du Châtelet est tantôt une imitation, tantôt une traduc-
tion du poème de Thomson.
IV
A Poem to the memory of the Right Honorable
The Lord Talbot, Late Chancellor of Great Britain.
Le poème que la mort du Lord Chancelier Talbot inspirait
en 1737 à Thomson devrait avoir une haute valeur si la sincé-
rité d'une reconnaissance émue et d'une profonde douleur
pouvait garantir la beauté de la forme. — Ici encore le poète
conserve le vers blanc dont il avait fait dans son grand poème
un si magistral emploi. Plusieurs passages de cette longue
pièce de quatre cents vers rappellent bien le style de Tauteur
des « Saisons » avec son ampleur oratoire et l'intensité de senti-
ment qui meut et soutient sa période. Mais aussi d'autres pages
sentent l'eflbrt d'une tâche poursuivie avec plus de résolution
que d'inspiration. — Le poète se propose de passer en revue le?
divers aspects du caractère de son noble patron, autant qu'il
est possible, comme il le dit, « de distinguer dans le diamant
<( chacun de ces rayons qui, bien qu'ils jettent mille feu.K trem-
a blants, répandent cependant une lumière étincelante dans
<( son unité * ».
1. • How froni Uie diamond single out cacli ray.
Thaï, Uioiigb they tremble wilti ten tUousand Unes,
EiTusc one poignant undivided light? • (11>13.)
Thomson ici lire parti d*unc comparaison déjà employée dans sa courte
pièce sur Aiiunan :
« View'd round and round, as lucid diamonds Ihrow
SliU as you lurn them. a rcvolving glow,
So did his mind rcHect with secret ray,
In varions virtues, Heaven's internai day. •
P4ÉCES DIVERSES. SOI
Et alors, après avoir célébré de façon générale les beaux
traits (lu caractère de son personnage, il croit devoir louer
tour à tour Talbot avocat, Talbot magistrat, Talbot membre du
parlement, Talbot ministre, Talbot patron des arts et des
lettres, Talbot homme privé, sans négliger de donner un sou-
venir à la table hospitalière du chancelier. Pour couronner
le tout, une vision un peu inattendue montre au poète Talbot
au ciel recevant la récompense de ses vertus. — A bien des
moments le pieux entiiousiasme du panégyriste faiblit; les
détails au moyen desquels le haut mérite du défunt est établi
ne soutiennent pas toujours la chaleur et la verve de Técrivain.
Son vers blanc, à la coupe très libre, devient alors facile-
ment lourd ou prosaïque. Il semble que le poète en ait lui-
même conscience et s'efforce de relever 1 -allure languissante
de son poème en y ajoutant Tattrait de digressions propres à
stimuler l'attention. Il donne donc une fois de plus expres-
sion à ses sentiments de gallophobie (84-86); ou bien il déve-
loppe des comparaisons étudiées et trop ingénieuses, comme
celle où il met en lumière la différence qui distingue les
diverses méthodes d'encouragement des lettres :
<c Cette onde bienfaisante, sous laquelle s'épanouit le monde
« des lettres, ce n'est pas le don bruyant d'un midi estival, dont
a le Ilot subit enlève aux racines mises à nu le peu de terre qui
<c s'y trouvait encore, et ne fait qu'achever la ruine des fleurs
ti rougissantes; non, c'est la rosée qui descend doucement le
n soir, trésor silencieux des printemps, qui, pendant toute la
a durée de la nuit, livre abondamment ses richesses; jusqu'à
K ce que, lorsque revient le matin, le monde rafraîchi soit tout
« parfum, beauté, joie, et chansons *. »
A ces jolies choses on préférerait quelques vers venus du
cœur, au moment, par exemple, où, pleurant officiellement la
mort du chancelier il se trouve mentionner le jeune Talbot,
son élève, son compagnon, son ami si tôt enlevé. «C'est le meil-
leur des lils! le meilleur des amis * », dit Thomson, — et il ne
s'arrête pas davantage.
Les vers qui terminent le poème en sont une des meilleures
parties. Il y a sans doute beaucoup de rhétorique dans cette
apostrophe à Talbot défunt. Mais par le nombre à la fois noble,
i. Vers 198-207. — 2. Vers 336, 337.
802 JAMES THOMSON.
varié et soutenu, par Téclat et l'harmonie du langage, cette
prosopopée n'est pas indigne des passages lyriques les plas
heureux des a Saisons ».
A Poem to the Memory of Mr. Ck>ngreve.
Il nous reste enfin à parler d'une pièce, « A la mémoire de
Goufi^reve », que les éditions modernes attribuent à Thomson.
Elle a été publiée pour la première fois en 1729, et fut réim-
primée en 1843 pour la a Percy Society » par Peter Cun-
ningham. Elle lui avait été signalée comme devant être de
Thornson par H. F. Gary, le traducteur de Dante.
On serait heureux de pouvoir confirmer cette attribution.
Le poème en lui-même fait honneur à son auteur. Il serait
d'autre part intéressant de noter ce dernier bonheur de Técri-
vain privilégié dont les débuts avaient été célébrés par Dryden.
à qui Pope avait dédié son Iliade, que Voltaire était venu
saluer comme Thomme de lettres le plus illustre de son pays,
et à qui un autre grand poète aurait dit, quelques jours apn?
sa mort, Tadieu suprême. Mais il faut bien convenir que les
raisons alléguées pour attacher le nom de Thomson à wttt'
production ne sont guère probantes. Mr. P. Cunningliam
adopte la supposition de Gary, en raison de sa vraisemblance
intrinsèque, et il la confirme par deux observations de fait.
A la fin du petit volume que forment ces cent cinquante
vers, l'éditeur donne une liste d'ouvrages par lui publiés. On
y voit figurer lV'i?i(er, Summer, A Poem on ihe Deaih of Sir
Isaac Newton^ et Britannia, — Get éditeur, Millan, était alors,
dit Gunningham, Téditeurde Thomson. — La première consta-
tation est peu significative. La seconde repose sur une erreur
matérielle. Millau n'était plus Téditeur de Thomson en 17tS>.
Sprhig, paru en 1728, était publié par Millar \ et Britannui
(janvier 1729) par Warner. — G'est donc uniquement dans
une étude des cai*actères de l'œuvre qu'il faut chercher les
éléments d'une opinion sur ce point d'histoire littéraire.
i. Voir Biograpliie, p. T6,
PIÈCKS DlVKUSl'lS. 503
Il serait trè.s vralï^cnihlable que Tiiuiuson eùl lait pour
Clongreve ce qu'il avait Tait avec succès deux ans auparavant
pour Newton. On pourrait en outre, dans ce poème écrit en
vers blancs, relever certains tours ciui sont bien dans la
manière de Thomson :
The (jrcatly yoocL those uni versai miiids *,
ou un début de paragraphe tel que celui-ci :
But slighting thèse ignoble namcs, thc muse
Pursues lier favorite son, and sees him now,
From tliis dini spot onlarged, triumphant soar,
Beyond thc walk ol'Time to betler worlds,
Where ail is new, ail wondrous, and ail blost! *
On pourrait aussi remarquer, comme cliez Thomson, des
réminiscences d'expressions toutes miltoniennes^. On pour-
rait même signaler certain passage où il semble que Ton
retrouve quelque chose des opinions très particulières de
Thomson sur la pluralité des mondes et sur les migrations
des âmes.
The unerring Hand...
That planted in Ihe soûl this powcrful liope,
This inlinite ambition of ncw lifc,
And endlcss joys, still rising, ever new *.
Mais ces ressemblances avec les œuvres authentiques sont
vagues et sont très peu nombreuses. Et d'autre part les objec-
tions abondent à la thèse de Cary et de P. Cunningham. Le
style du morceau, net et ferme et de bonne qualité, n'a rien
de cet éclat que, même au prix d'un peu d'emphase et de ten-
sion, la langue de Thomson à cette époque nous montre tou-
jours. La période n'y prend que rarement le développement
ample et sonore qui caractérise la phrase des a Saisons d. Mais
au contraire les vers secs, antithétiques, directement imités
de Pope, ces vers si rares dans la langue de Thomson, sont ici
relativement nombreux.
1. Vers 109. — 2. Vers 86-90.
3. « ResigD8 to folly and his mimic rout. • (v. 19.)
- Wilh laughter unreproved. • (2, 52.>Ktc.
\. 101-104.
504 JAMES THOMSON.
Thou^h laboured happy, and though stroDgrefîncd*.
each fair desi<ni
Wilh frccdom regular, correcUy greal,
A masicr's skilful daring*.
Induite motion ! source Stipreme of bliss.
Or Nvoe to man: our heavcn, or hell, below! ^
What Halifax approved, and Marlborough moums *.
lo mischicf prompt
Though impotent to wound : profuse of wealth
Vol friendless and unloved; vain, fluttering. false,
A vacant hcad, and an ungenerous heart '.
Ces derniers vers font partie de portraits qui visent évidem-
ment deux critiques contemporains : « fieree-eyed Asper ■ et
<( meaner Cenus ». M. Cunningham lui-même croit reconnaître
Jolm Dennis dans le premier *, et admet pour le second la
supposition qu'il s*agit de Aaron Hill '. Or, nous n'avons
aucune raison de croire à une pareille attaque de Thomson
contre Dennis ; mais nous savons que le poète a généreuse-
ment aidé de sa bourse et de son influence le critique vieilli.
Quant à la supposition que Thomson eût, en 1729, dirigé une
attaque violemment injurieuse contre Hill, son protecteur de
la veille et son ami, elle ne résiste pas à Texamen.
Il faudrait, il est vrai, une pareille invraisemblance pour
expliquer ce fait singulier que, ni le poète, ni après lui Mur-
doch et Millar n'aient inséré cette pièce dans les œuvres com-
plètes; et que nulle mention n'en paraisse dans sa correspon-
dance ni dans celle de ses amis.
1. 30. - 2. 32-34. — 3. 56, 57. — 4. 71. — 5. 82-83.
G. Il ne parait gut're douteux que le compliment s^applique à Dennis
«* poor, vicious, old -. Le « fierce-eyed Asper » rappelle clairement le
portrait qu'a fait Pope du critique :
«• Dut Appius reddens at each >vord you speak
And stores trcmendous. •
{Essat/ on CHticism.)
7. L'hypothèse est cependant beaucoup plus incertaine & notre avis.
IjCs insultes adressées h Cenus n'auraient guère d'application possible a
liill. Pope lui-mr?me, aux jours de sa querelle avec l'ami de Thomson, n'a
lancé contre lui aucune des accusations injurieuses qui sont ici amonce-
lées. Le " mépris de toute pensée sérieuse • semblerait le dernier reprocha
k Taire i\ Tanteur de tant de graves tragédies et de tant de projets diveri^
pour Tépuralion de la scène, ou pour l'approvisionnement de la marine
anglaibe, on pour l'extraction industrielle de l'huile du hôtre.
PIKCRS DIVERSES. iiOo
lUtMi lu' vioiil doih' rliil)lir do laron })nsiti\r la paternilé de
Tlioiiison, et dr tivs sérieuses cunsidéi'alions s'opiioseiit au
ooiilraire à l'hypothèse do Cary et do Clunniugham. Puisque
toute earrière est en cette circonstance ouverte aux supposi-
tions, nous serions plutôt tentés de croire qu(î la pièce eut
poui* auteur quelque poète du cercle de Thomson, peut-être
Mallet, et que l'auteur des (c Saisons », apportant à Tœuvre son
amicale collabomtion, y laissa ces traces, dont nous avons
nous-nième signalé quelques-unes, de sa manière et de ses
idées.
VI
Poèmes divers.
Les éditeurs de Thomson classent sous la dénomination de
«1 Miscellaneous poems » un grand nombre de morceaux d'im-
portance très inégale. Nous avons isolé et considéré à part les
pièces consacrées à la mémoire de grands hommes ou d'êtres
aimés. Parmi les morceaux qui restent *, une première divi-
sion s'impose. Trois au moins de ces courtes pièces devraient
figurer parmi les œuvres de jeunesse. Leur valeur littéraire est
faible, et Pintérèt le plus grand qu'elles puissent revêtir est de
nous fournir des indications, conformes à celles que nousavons
déjà recueillies, sur les débuts de la carrière poétique de
Thomson, sur les premiers UUonnements de sa langue et de sa
versification, et même sur les particularités de sa prononcia-
tion.
Ce sont des observations de détail qui nous permettent d'ap-
puyer sur une base solide l'avis ici exprimé. Toutes ces pièces
sont rimées, et l'examen de ces rimes détermine une division
assez nette. Si nous considérons quelques morceaux dont la
<Iate soit fixée, sans nul doute possible, à l'époque de la matu-
rité de Thomson, par exemple : On the report of a wooden
Bridge to be huilt al Westminster; To his Royal Highncss
the PHnce of Wales, on the Birth of his first child (1737) —
1. Ils sont au nombre de 28 dans VAldine Edition, ou de 29 si Ton y
comprend le poème Hn'tannia.
506 JAMES THOMSON.
OU bien la pièce sur miss Stanley morte en 1738, nous y obser-
vons une entière propriété des rimes. Dans cette dernière pièce
en particulier nous trouvons les rimes a tear » et « sincère •,
tt die » et a eye », contrairement à ce que nous ont montré les
pièces juvéniles. Mais dans A Paraphrase on the latterpart ofthe
Vr^'chaptev of saint Maiihew *,nous voyons ce même substantif
« tear »> rimer avec * care », « appears » avec le verbe « bears »
et a feeds » avec a spreads ». — Dans la chanson intitulée T»
Fortune^ que du reste Buchan, qui Ta publiée le premier,
déclare avoir été écrite dans la jeunesse du poète et seulement
remaniée plus tard, nous relevons les rimes a prove » et « love n.
« flown » et « gone », « proan » et a on ». C'est là une raison
suflisante pour que nous reconnaissions dans ces pièces quel-
ques-unes des productions de la jeunesse de l'écrivain *.
Une mention spéciale est due à la pièce très curieuse et trè>
intéressante qui a pour titre An Elegy upon James Therhuru,
In Chalto. Le morceau nous est parvenu dans un état impar-
fait, trois strophes sont incomplètes, et le sens général n'est pas
entièrement clair. Mais c'est la seule pièce de dialecte écossais
que nous possédions de Thomson, et elle est de nature à nous
faire regretter qu'il ne se soit pas abandonné plus souvent à
cette veine de facile et gaie fantaisie. Rien dans ses petites
pièces n'approche de l'allure chantante de cette élégie ironique.
Par la vivacité du tour, aussi bien que par la langue, elle
appelle le souvenir de Burns. Ce n'est pas faire de cette
esquisse inachevée un éloge immérité que de dire qu'elle pour-
1. Le fragment n'est pas sans valeur. U souffre de la comparaison que
ue pourra mauquer de faire le lecteur français avec le chœur d'.4/A<i/i-
et avec quelques lignes admirables où Bossuel nous donne aussi une para-
phrase du chapitre de saint Mathieu. {i>ennon sur la Providence.)
2. Ce n'est pas à dire <iue dans les autres morceaux la proDonriatiorï
soit loujt^urs parfaitement correcte. Mais les anomalies y sont rares ei
portent sur un nombre de mots fort restreint. • Blood • rime avec • good •
dans la pièce To the Prince of Wales on the birth of fus first born child.
Les deux sons longs de la voyelle u sont assez souvent confondus : • soli-
tude » et • good », • assume » et « bloom • riment dans VHymn ";i
Solitude; « sure » et - pure » dans To Serophina, • clioose • et • muse •
dans Stanziis to Lyttclton, etc. — Le mol « love «iqui joue un grand rôl«-
dans ces pièces, y est toujours accompagné d'une rime fausse pour n<'^
oreilles. C'est «« approve » [To Amandn in imitation of Catullus), • grove •
[On Mrs Mendez' Dirthda}/), • im prove • [Corne, dear Amanda), « prove •
{To Fortuné)^ • grove • (The Lover s Fate, To the Sightingale, To Myni\
• uiove » (Song. When lilooming Spring, etc.)
IMKCKS DIVERSES. TiOT
l'ait vUv alLriliuée au |)(>»'li' (rAyr^liirc (i'esl la iiirim; liardit'.sse
(Je plaisanterie; cVst la inèiiie allure Ibrteineiit rythmée du
vers; c'est aussi la niènie strophe prosodique dans laquelle se
développent plusieurs des pièces de Robert Burns '. Ne serait-
on pas tenté de croire cpie le grand lyrique, dont l'admiration
pour Thomson est bien connue, a trouvé quelque inspiration
dans cette élégie, si Ton ne savait qu'il a directement imité
l'élégie de Sempill que rappelle la pièce de Thomson -? On en
jugera en lisant de celle-ci le début et deux strophes caracté-
ristiques :
Xow, Chatte, yoii'ro a dreai'y place,
Pale sorrow broods on ilka face,
Therburn lias ruii lus race
And now, and now, ah me, alas î
The cari lies dcad.
The fumbling fellow, some folks say,
Should be jobbed on baith night and day,
Sho had withoul'en bel ter play,
Hcmained still,
Barren for ever and for aye,
Do what he will.
Therefore thoy say hc got some help
]n getting of the HHle whelp;
Bul passing that, it makcs me yelp.
But what remead?
Death lent him sic a cursed skelp,
That now he's dead.
1. Celte strophe est composée de trois vers tétramèlres, puis un Iri-
mètrc, un tctranièire et uu trimètre. Les quatre tétramèlres ont une seule
rime, les deux Irimètres rimenl ensemble. — Robert Fergusson el Allan
Ramsay avaient fait usage de cette strophe; Robert Sempill l'avait employée
avant eux.
2. Si bien que nous retrouvons certain trait à la fois chez les trois
poètes :
- But what remead?
Hab Samson's dead. •
(U. Sempill, The Piper of Kilbarchan.)
« Bul what remead
That now he*s dead. »
(Thomson.)
• Yet what remead?
Tarn Samson*8 dead. • «. o » ci \
(BuRKS, Tarn Samson's Elegy,)
808 JAMES THOMSON.
Le reste de ces œuvres légères nous montre, avec une cer-
taine diversité de sujets, plusieurs points communs. Toutes ces
petites pièces sont rimées; elles sont presque toutes à rimes
croisées. 11 y a là des sujets qui appellent l'allure grave du
pentamètre. Ce sont des morceaux de morale ou de description
de la nature, comme celui que Thomson adresse à Dodington :
« THomme Heureux », ou bien des pièces ironiques, de plai-
santes parodies telles que a L'incomparable Docteur sopori-
fique », ou la pièce a Sur le bruit qu'un pont de bois doit être
construit à Westminster », ou encore des pièces inspirées
par un sentiment élevé telles que les « Stances à Lytlelton i,
ou « rOde à la Harpe Éolienne », ou la pièce a Au Rossignol ».
Même alors le poète s'efforce d'introduire quelque variété dans
l'allure noble et facilement monotone du vers héroïque, en le
divisant en strophes et en y croisant les rimes. Mais toutes
les fois que le sujet s'y prête, et en particulier dans les nom-
breuses pièces (la plupart adressées à Amanda) où il prend
posture d'amoureux, il varie son rythme, a recours au létra-
mctre, croise ses rimes, ou combine dans la même strophe
les rimes alternées et les rimes plates. Voyez par exemple la
pièce (( A son Altesse Royale le Prince de Galles ».
Quant au fond, il n'est pas de nature à nous arrêter lonj:-
temps. Thomson n'est ni poète lyrique ni poète erotique. Sa
gloire ne serait en rien diminuée par la disparition de ces
courtes pièces peu connues et rarement attrayantes. Les disser-
tations morales de k l'Homme Heureux » sont d'une facture
aisée mais monotone et sans accent. Les poésies de circons-
tances ne valent guère mieux que ce qu'auraient pu produire
alors Cibber ou Eusden, les poètes-lauréats en fonction. Rien
de tout cela ne vaut la courte pièce de dialecte écossais dont
nous avons parlé plus haut. Les poésies amoureuses peuvent
nous fournir quelques renseignements peu certains sur l'his-
toire de la passion de Thomson pour Miss Young. Mais il n'y
faut chercher rien de ce feu, de cette éloquence, de cette grâce
ou de cette force qui se trouvent dans les moindres couplets
adressés par Burns à Tune des femmes qu'il a aimées. Faut-il
croire que la pureté même des sentiments exprimés par
Thomson se prêtait mal à l'inspiration enflammée de la grande
poésie erotique? Sans doute un amour qui se déclare même
chose que l'amitié (« Le Destin de l'amant ») se condamne à
PIÈGES DIVERSES. 501^
une éloquence tempérée. Mais surtout Thomson, la chose est
claire, n'a rien de ce qu'il faut pour ce genre de poésie. Il n'y
a pas en lui ce pouvoir de concentration qui met dans une
courte strophe ou dans un seul vers toute l'énergie d'une pas-
sion et toute la vie d'un cœur. Il n'y a pas non plus la grâce et
la légèreté de main qui, à défaut du grand ébranlement de l'âme,
donne un charme aux badinages de quelques poètes erotiques.
Ses madrigaux sont lourds, sans spontanéité, sans aisance. —
Voyez par exemple les a Vers en recevant une fleur de sa maî-
tresse » ou la pièce « A Myra » dont nous citerons une strophe :
Ah ! c'en est trop ! Je ne puis supporter
l'n rayon à la fois si doux et si perçant ;
Par pitié donc, ma belle bicn-aiince,
Détourne ces yeux capables de donner la mort! *
Encore est-ce là une des plus intéressantes parmi ces pièces
amoureuses. La première strophe, de facture médiocre, contient
un trait qui n'était pas banal. Avant de leur adresser le plat
madrigal de la fin, Thomson avait vu dans les yeux de son
Amanda des choses d'une complication assez moderne : l'azur
limpide du ciel en même temps que Tombrc pensive des bois *.
Une fois encore le poète touche à une source d'inspiration
qu'on croirait devoir lui être particulièrement favorable.
Écossais et tout nourri de Spenser, il devrait être un heureux
interprète du merveilleux, des fées et des esprits. Mais son
« Ode à la Harpe Éolienne i> reste une froide composition, sans
rien de la grâce vague et vaporeuse qu'il saura lui-même
exprimer dans le a Château d'Indolence »; sans rien non plus
do cette émotion mystérieuse que Collins fera vibrer dans ses
vers; à plus forte raison, sans rien de la puissante évocation
do ces êtres surnaturels et à demi inquiétants que nous donne
l'auteur de Tarn 0' Shanter. De toute cette collection de poèmes
divers, le mieux venu sans doute est cette page de fantaisie
1. '< Ah! Uis toc much! Icannot bcar
At once so soft, so keeu a ray :
In pity then, my lovely fair,
0 turn those killin;^ cyes away ! »
2. • 0 thou, whose tender serious cycs
Expressive speak tlie mind I love,
Ttie gentle azuré of Ibc skies,
The pensive shadows of the grove. •»
SiO JAMES TllOMSON.
joyeuse que Thomson adresse à son ami Murdoch. L' t Incom-
parable Docteur Soporifique )i> n'est pas seulement une boutade
amusante d'un humour parfois assez peu raffiné. Il y a un
effet littéraire d'ordre plus élevé dans l'accord exact de la
pensée et de la forme. Le début de la pièce surtout est d'une
harmonie assoupie qui indique un maître styliste et annonce
le « Cihàteau d'Indolence ».
Sweet, sleeky Doctor! dear pacifie soûl!
Still Ici Ihe involviiiji smoke around Ihee fiv,
And l>i'oa<i-looked duhiess seUlo irv thine eve.
Ah ! soft in down thèse dainty liiiibs repose
And in thc v<Ty lap ot* sluniber doze.
VII
« Britannia. »
Enfin nous devons, pour terminer cette revue des petits
poèmes de Thomson, mentionner à part Britannia. Nous avons
vu à quelle occasion l'œuvre fut produite, et dans quelles cir-
constances elle fut publiée *. Il faut se rappeler ces faits pour
juger avec plus d'indulgence ce pamphlet poétique. Thomson
n'a jamais rien écrit de plus déclamatoire, de couleurs plus
criardes ou de goût plus faux. Britannia, sur un rivage battu
des fiots, pleure la gloire ternie de ses fils, et ce sont ces plaintes
qui constituent tout le poème. Il ne mérite pas d'être distingué
de la masse des productions de cette nature où le patriotisme
anglais mélange à un apostolat du droit et de la liberté l'âpre
souci (le ses intérêts, et, tout en célébrant les bienfaits de la
paix, menace de toute sa colère les rivaux assez audacieux |)our
faire obstacle à son commerce -. Toute la partie litigieuse du
confiit qui régnait alors entre l'Angleterre et TEspagne, ces
droits, assurés par le traité d'Utrecht, dont arguaient les Espa-
gnols et que voulait respecter l'honnête bon sens de Walpole,
1. Voir plus haut, Vie de Thomson, p. "3.
2' « Let none escape
Who shaU but aim lo touch your glory Ihere. » (180, 181.)
PIÈCES DIVERSES. 5il
tout cela est passé sous silence. Mais avec une abondance
intarissable et une chaleur convaincue le poète proclame ces
deux principes dont la politique anglaise s'inspirera en plus
d'une autre occasion : L'empire de la mer appartient h la
Grande-Bretagne de droit divin et par droit de conquête; elle
ne doit pas permettre qu'on y porte la plus légère atteinte *. —
La grandeur de l'Angleterre est liée à la prospérité de son
commerce, et cela suffit pour légitimer toute action propre à
favoriser ce commerce *.
La forme artistique du poème a vieilli plus encore que l'ins-
pirfition qui Ta fait écrire. Les exclamations, les apostrophes,
les prosopopces et les hypotyposes s'y accumulent. Les compa-
raisons et les images se suivent sans prendre toujours le soin
de s'accorder entre elles ^ La langue est pénible, et alourdie
par un abus de l'inversion. La fable est d'une gaucherie naïve.
Après les quelques vers qui nous ont présenté la déesse, Bri-
tannia se répand en gémissements et en exposés historiques
fort longs jusqu'au moment où elle s'avise que sa présence
pourrait être utile au Parlement, qui s'appelle ici le sénat
auguste *. En vérité le seul trait qui nous semble intéressant
à noter dans ces trois cents vers, ce sont les quelques mots de
description par lesquels s'ouvre et se termine le poème.
i. - Tliis is your Riory : Ihis yoiir wisdoin; Ihis
The native power for wliicli \oii were designed
By fale. . * (191-193.)
« And wliat, my tlionglilless sons, shoiild flrc you more
Than wheii youp well carned empire of the deep
The least bepinning injurv reciives? *
(16C-16S.)
2. ...M Kxtend your rcign froiu slioro to shore,
Where'cr the wind your high liehests can blow;
For should Ihe sliding fabric once give wav », etc.
(209-247.)
3. ■ Le marchand anglais a été retenu par une force illégale, une force
qui s'évanonirait si Ton entendait ru^'ir le lioa britannique. Comment
(lonc!*orgueilleux Ibère ose-t-il éveiller la colère des maîtres de la mer? •
(4«-fil.;
i. '< Lo! now, my sons, the sons of freedom! nicet
In aw'fui senale; Ihither let us lly. •
.291-292.)
LIVRE III
^( LA LIBERTÉ * >
I
passages politiques des a Saisons d, ni les tirades de
inia » n'ont paru à Thomson un suffisant hommage de
à sa patrie. Il a consacre quatre ans de sa vie et un
al à celui qui produisit les « Saisons» au poème où il s'est
de célébrer la grandeur de l'Angleterre et la puissance
bres institutions. Ce poème n'est guère connu; depuis
ps il ne trouve plus de lecteurs. « J'ai essayé de lire « La
i » quand le poème parut; mais j'y ai bientôt renoncé.
e je n'ai jamais essayé de nouveau, je n'en hasarderai
;e ni critique \ » Cette boutade du Dr. Johnson ne doit
s doute être prise à la lettre. Lui-même a, dans une
rtie de sa « Vie de Thomson » donné les raisons de l'in-
le l'œuvre, en des termes qui ne permettent pas de
? qu'il ne l'ait pas lue. Et cependant cette dédaigneuse
lation a fourni à la plupart des critiques, lorsqu'ils ont
icuper de m La Liberté », une méthode et une opinion,
s-uns reconnaissent qu'ils n'ont pas lu ces trois mille
t soixante dix-sept vers. Ils ne se sont pas senti le courage
• une entreprise devant laquelle Johnson déclare avoir
:e Johnson dont la robuste vaillance a pu dépouiller,
?//. Ancient and modem Itahj comparée, — Greece. — Rome. —
- The Prospect.
iNSOX, Life of Thomson.
33
514 JAMES THOMSON.
apprécier et publier les œuvres de tant de poètes illustres un
jour, puis bientôt démodés, oubliés, à jamais ennuyeux!
D'autres critiques n'avouent pas leur défaillance, et parlent
avec assurance d*une œuvre qu'ils n'ont évidemment pa?
même parcourue *. Presque tous d'ailleurs sont d accord dans
leur jugement -, ou plutôt ils adoptent celui de Johnson. < La
Liberté » est, à les en croire, une gigantesque erreur; ce^l
l'œuvre dilTorme et sans valeur d'un poète dévoyé.
Et d'autre |)art il faut nous rappeler que Thomson attendait
de cet effort de son génie autant sinon plus d'honneur que de>
« Saisons t). C'est en pleine maturité de son talent qu'il a éla-
boré ce poème. Quelques-uns de ses contemporains, i>arrnl
ceux qui se piquaient de savoir et de goût, l'ont admiié avec
un enthousiasme débordant ^ On estimera peut-être qu'il
y a lieu de reviser le procès, ou plutôt de l'instruire. Le
jugement sommaire sous lequel il a succombé n'a jamais
étr entouré des garanties d'une critique loyale et conscien-
cieuse.
II
llàtons-nous de le dire, le lecteur le plus enclin à la bienveil-
lance, l'admirateur le plus dis|)Osé à relever dans les cinq
chants de u La Liberté » les traces du génie de Thomson, le
critique le plus désireux de réhabiliter une œuvre méconnue
ne sauraient demander |)Our ce poème une place au rang qui
appartient aux (c Saisons )>. Les défauts de l'œuvre sont nom-
1. Osl le cas, sans nul donic, de celui qui déclare n'avoir pas trouva
dans tout le poème un seul beau vers.
2. Nous ne disons pas tous, parce que le plus récent des biographes et
des critiques de Thomson. Mr. Lo^ic Hoberlson, a le courage de déclarer
qu'il voil dans l'œuvre si dérriée » un noble poème ». Mais son trarail de
crili(](ie et d'éditeur porte sur les <> Saisons » et le « ChAteaii •; non sur
<« la I^iberlê ».
.*{ - .... I look upon tins mi^lily work as the last stretched bla/e of our
expirin^ genius. It is the dyin^ elTort of despairing ... virtue, and will
stand, like one of those immortal pyramids, which carry thcir magnifi-
cence tlirough limes that wonder to see nolhing rouod tbem but uurom-
fortable désert » (Aaron llill to Thomson. February 1", !"35.} - U
lettre est publiée, avec date inexacte, par sir Harris Nicholas. — Hill revient
sur le sujet et renotiveile ses éloges dans une lettre du 20 mars 1"3fi.
« LA LIBERTÉ. » 51S
breux et ils sont terriblement apparents. Nous les noterons
sans détour; mais aussi nous signalerons les raisons pour
lesquelles le poème n*est pas toujours indigne de TefTort consi-
dérable qui Ta produit, ni de l'écrivain original et puissant qui
a ouvert des voies nouvelles à la poésie anglaise.
Les défauts tiennent au sujet, et tiennent aussi au traite-
ment qu'en a donné le poète. L'œuvre pèche à la fois par le
fond et par la forme. — La Liberté et le Patriotisme, tels sont
les <i motifs -» du poème. Il n'en est pas de plus nobles; i-1 n'en
est pas de plus propres à inspirer Témotion enflammée, le
coup de clairon retentissant d'une ode. Thomson lui-même en
a donné la preuve le jour oCi l'amour de la patrie lui dictait,
au milieu des platitudes de son « Alfred d, un chant national
immortel. La liberté a fait plus qu'échaufler le génie des poètes
inspirés. Elle a pu donner le grand souffle, le ton éclatant et
l'emportement enthousiaste à un génie fait de claire raison et
de froide ironie; elle a un jour transformé Voltaire en un poète
lyrique '. Mais tout autre est le cas lorsque l'écrivain se |)ro-
1. Dans de magistrales leçons récemment publiées, M. Brunetière apprécie
la valeur de ces thèmes, la liberté, lu patriotisme; et les oppose aux
auln'S motifs d'inspiration du po<'!:le lyri(|iie. Il les déclare très inférieur» A
plusieurs autres : Tamour, la nature, la mort. Ce n'est pas le lieu d'établir
une discussion complète de ce point. Mais nous ne pourrions souscrire
sans réserve & l'opinion du critii|ue. S'il était vrai que le lyrisme fAt un
autre nom de Tégoïsme poétique, et eût pour objet unique l'étalage fait
par le poète des sentiments d'un moi où se résume pour lui toute exis-
tence, il faudrait reconnaître que peut-être, en efTet, les façons de res-
sentir l'amour de la liberté ou l'amour de la patrie sont moins diverses
que les formes possibles du l'amour sexuel. Mais le postulat est contes-
taldc. Si, comme nous le croyons, une émotinn altruiste peut ^trc un
thème lyrique au.^si fécond qu'un sentiment égoïste, la valeur des diverses
sources d'inspiration sera cherchée d'abord dans la profondeur, et, pour
une part aus^i, dans la noblesse des sentiments qu'elles expriment. Jugés
à cette mesure le patriotisme et la liberté méritent d'être placés plus haut
que ne le fait M. Brunetière. ils seraient, avec la foi religieuse, qu'on
s'étonue de ne pas trouver mentionnée expressément par le critique, lus plus
grands de tous les thèmes lyriques. Notre histoire littéraire ne dément pas
cette opinion. Puisque .M. Brunetière fait état dans notre richi-sse lyrique
de Chateaubriand et de Bossuet, il serait juste de ne pas oublier notre
élo.:|ueDce politique, et, avec l'appoint qu'elle apporte, on trouverait sans
doute que notre littérature ne doit pas moins au patriotisme et à la
liberté qu'à l'amour ou aux considérations sur la mort. Dans notre poésie
proftrement dite, on peut opposer aux passages de Lamartine ou du Musset,
que cite l'auteur, les beaux vers du deuxième chant de Ckilde-Uarold ou
l'Iuvocation de La Coupe et les Lèvres. On peut estimer qu'il faut beau-
coup de poésies amoureuses pour /galer tulle pièce des Châtiments ou le
chant de la Marseillaise. Et surtout, on peut croire que, si M. Brunetière
316 JAMES THOMSON.
pose de nous exposer méthodiquement, à travers les chants
successifs d'un long poème, les mérites de la liberté et les
vertus de TAngleterre. 11 n'est pas alors de sincère conviction,
pas de richesse de langage qui puissent pallier la froideur d'un
pareil exposé. Le même sujet, qui pouvait inspirer une ode
émouvante, coninmnique au poème didactique plus de raideur
que de noblesse, et plus de lourdeur que d'éloquence. Malgré
des éclairs passagers, ces longues pages d'histoire, où sont
rap|>elés les événements les plus glorieux mais aussi les plus
connus des annales de l'humanité, ces dissertations où sont
prouvées, à grand renfort d'exemples et de mouvements ora-
toires, les fécondes vertus de la liberté, tout cela est cpndarané
en raison même du thème choisi, à rester inerte et glacé.
Thomson s'est cependant donné bien du mal pour vivitier
cette matière pesante. Il s'est ingénié à trouver des machines
poétiques tour à tour brillantes et grandioses. Ses efforts n'ont
guère été heureux. Il manie gauchement ces figures allégo-
riques. La Liberté, Hritannia, le Génie des mers qui sont
ses ce dramatis persona' ». A aucune d'elles il n*a su commu-
niquer le souflle de vie qui fait des allégories de Spenscr et de
Millon des êtres personnels, visibles et agissants. Il se perd
dans los récits, les Uévélations et les Visions, qui s'enchevê-
trent dans le poème. La Liberté, dès le début, est à ix»u
près identliièe avec le génie tutélaire de l'Angleterre; elle a le
(c front ceint du chêne britannique et la couronne navale sur-
« monte sa tête ' ». Kt cependant plus tard elle entre en con-
versation avec IhMtannia elle-même. Dans les interminables
narrations de la déesse Liberté, le lecteur doit, en dépit
d'une attention soutenue, revenir sur ses pas pour démêler ce
qui est dit par elle et ce qu'elle rapporte comme prononcé par
quckpic autre créature aussi incolore et aussi insubstantielle.
Souvent aussi la confusion s'établit entre les paroles de la
déesse (;t les spectacles offerts par cette singulière « Vision »
qui vient, à la façon des projections d'un conférencier moderne.
avait pris en considération la poésie anglaise aussi bien que la nôtre, son
jtifîcmeiit sur les vraies conditions du lyrisme et sur la valeur des dilTé-
renls th&mcs aurait été ntodifiée. Ksl-il un seul grand poète anglais, Je
Shakespeare à Tenuyson ou à Swinburnc, qui n*ait dû à la liberté, au
patriotisme quelques-uns de ses plus beaux chants?
1. Chant I, 20, 30.
« LA LIBERTÉ. » 517
peindre à nos yeux, au fur et à mesure, les événements
racontés *.
Cette pseudo-déesse Liberté, qui prononce presque tous
les vers du poème, ne fait qu'exprimer, par une combinaison
compliquée, les opinions du poète lui-même. Nulle part elle
ne prend une vie propre, et partout, interposée entre Técri-
vain et son lecteur, elle nuit à la force de paroles qui traver-
sent pour nous arriver d'inutiles intermédiaires. Le poète voit
en rêve la Liberté et celle-ci raconte Thistoire de la liberté
chez les hommes. Au milieu de son récit elle rapporte les dis-
cours que lui adresse le Génie de la MerV Et nous avons
alors des paroles que le poète nous donne comme les ayant
reçues de la Liberté qui les a reçues du Génie. Thomson
manque évidemment de cette puissance et de cette chaleur
communicative qui permet à Tauteur de la a Reine des Fées »
d'animer et de faire mouvoir, au milieu des incidents variés
et tumultueux du poème, sa troupe de personnages allégo-
riques. Ceux de Thomson ne croient pas plus eux-mêmes que
le poète n'y croit à leur mythologique existence. Us accumu-
lent les impropriétés de langage, ou plutôt ils disparaissent à
tout moment pour céder la parole à l'auteur. Est-ce la déesse
ou est-ce Thomson qui apostrophe en ces termes le vague per-
sonnage nommé Oppression? « Viens, sous quelque nom sacré
« que tu te caches, ô Oppression, viens! et réjouis-toi à la vue
« de ton œuvre ^ I » On comprend le mot a eastern d dans la
bouche du poète anglais, mais non pas dans celle de la déesse
qui parle des « bergers de l'orient* ». Certains passages où
sont célébrées avec une chaleur enthousiaste les beautés de la
liberté seraient fort bien placés dans la bouche de l'auteur,
mais, déclamés par la Liberté elle-même, ils produisent un
effet qui touche parfois au burlesque. Dire qu'à la chute du
monde romain la liberté et les arts sont remontés au ciel, c'est
une métaphore banale, mais quand c'est la déesse elle-même
qui parle, voyez ce que deviennent Tidée et Timtige : «c Alors
« je quittai la terre. Comme lorsque les tribus de l'air averties
« de l'approche de Thiver suivent les vents d'automne et se lais-
se sent emporter vers de plus chauds climats, ainsi, suivie des
1. Qiant 1, 476 el suiv. — 2. Chant IV, 407-440. — 3. Chant I, 123, 124.
— 4. Chant II, 3.
818 JAMES THOMSON.
é
c Arts et de tous les Génies du bien, je fendis les ténèbres qui
« s'épaississaient, et pris mon essor vers le ciel *. » Pouvons-
nous croire à ce voyage, ou nous figurer sans un sourire ce
vol de génies migrateurs? Et voilà le danger des allégories
maniées lourdement*.
Les protagonistes ne vivent guère, dans ce inonde d'ombres
incorporelles; et, s'ils se meuvent ou s'ils parlent, ils ne nous
offœnt qu'une imrodie de faction et du langage de la vie. Mais
que dire du peuple de comparses renconti'és au cours du
poème? Thomson avait montré dans les « Saisons » une louable
discrétion dans l'usage des personnifications. Ici au contraire'
il s'abandonne sans réagir à cette tendance des médiocres
écrivains de son temps. Il n'est plus une qualité morale, on
peut dire plus un nom abstrait qui ne fasse figure de person-
nage, et ne se présente coiffé d'une majuscule et flanqué d'une
épilhéte. « Feeble Justice » et « rash Revenge* », a aristo-
cratie Pride * », « Usury, the Villain* », « Luxury rapa-
cious*" », « Contention, the livid Fury ' », <r Rapine, barbarous
Force * », ce Scholastic Discord • », « cleric Pride *® », c holy
Slander** », a persecuting ZeaP' », « idiot Superstition" ».
(Ces liuit derniers fantoches et d'autres encore sont présentés
et flétris dans une seule page.) — n azure-mantled Science" *.
« Retirement » et « Independence, pointing to the shade '^ »,
« Rough Labour '^ », « manly Indignation *' », m fair-fac^
Deceit '* », « smooth crocodile Destruction '• », a courlly
Pride " », « soft-buzzing Slander '* », « avaricious Luxury" »,
« Rapine and Murder*^ », « desolating Famine** », « purple-
spotted Pestilence -^ », « conquering Freedom " », «t wliile
mantled Peace " », « fearful Indignation " », etc., etc.
Il est inutile sans doute d'accumuler plu.s d'exemples pour
montrer combien ce sujet didactique et abstrait convenait peu
au génie de Thomson.
Veut-on une autre preuve de cette faiblesse de conception,
i. Chant 11), 5(4-548.
2. On peut voir aiis<ii, au chant IV, le voyage île retour, v. lOi et sui^-
3. I, 193. — 4. III, ;H0. — 5. III, :I50. — 6. IIÏ, 352. — 7. IV, 33, 35. -
8. IV, 45. — 9. IV, 59. — 10. IV, (.2. — U. IV, Ci. — 12. IV, 66. — 13. IV.
76. — 14. IV, 102. - 15. IV, 528, 529. — 1(i. i\\ 552. — 17. IV, 551. -
18. IV, 606. - 19. IV, 609. — 20. IV, 010. — 21. IV, 619. — 22. IV, 621. -
23. IV, 714. — 24. IV, 717. — 25. IV, 719. - 20. IV, 7,30. — 27. IV, "32.
— 28. IV, 751.
i< LA LIBERTÉ. » 519
de cette impuissance à maîtriser et à diriger son sujet qui
apparaît sans cesse dans le poème? Nous avons parlé de cette
Vision qui fait apparaître sur un transparent imaginaire le^
scènes racontées par la diserte déesse. Thomson lui-même en
arrive à si bien confondre le récit et Tillustration pictoriale,
qu'il mêle, à la série des événements déroulés par la vision,
des choses telles que celles-ci.... « Je vois que Tesprit de la
a jeunesse n'est pas nourri au hasard d'aliments impurs, qu'il
« n'est plus trompé par la flatterie, ni gontlé d'orgueil par un
« jargon scolastique, mais que la lumière de la vérité l'emplit et
d ralimentc. Alors le rayon purifiant brille dans l'imagination
a et inonde le cœur, et les passions ressentent aussitôt la lumière
c féconde et la flamme active jusqu'à ce qu'une action morale,
a publique, honorable, couronne le tout \ » Voilà bien du gali-
matias pour annoncer l'avènement d'une réforme pédagogique
en Angleterre. Mais surtout quel singulier sujet de tableaux!
Et comment le peintre précis et énergique des « Saisons »
peut-il voir et prétend-il nous montrer des choses aussi impal-
pables?
De temps en t(»mps le poète éprouve lui-môme le besoin de
remettre les choses au point. Il avait oublié que tel ou tel per-
sonnage était supposé parler. Il s'en souvient tout à coup et
nous le rappelle. Rien de plus gauche que ces précautions :
lu that blest ish*, whcro (so \ve spirits inove)
Wilh one qiiick «'ITorl of my will I am *.
Hère, interrupling warm,
Wh«TC aro thev iu)\\1 (I oried) say, fruddess, whoi'e? *
Already havi? 1 giveii, wilh flying loiioh,
A hrokei) vIcmv ol* Ihis iiiy aniplcsl rei^'n *.
Ou (encore dans la bouche de la même déesse :
A little traco we how llicv rose "^
•
Pour traiter un sujet antipathique à son talent, le poète ne
pouvait trouver qu'une forme très imparfaite. La langue dans
laquelle se déroulent les longs récits de la dwsse estsingulîè-
1. V. 598-606. — 2. I, 362, 36.3. — 3. IL 392, 393. — i. III, 88, 89. —
n. IV, !33.
5:20 JAMES THOMSON.
rement lourde. Les amples périodes des « Saisons » offraient
parfois une luxuriante abondance de sons et une profusion de
couleurs qui étouffaient un peu la pensée. Mais ici c'est le pur
lieu coniniun moral qui sert de support aux pesantes drape-
ries du langage. La déclamation dès lors devient facilement
boursouflée et vide. I^ phrase est longue et lente, et sans ce
principe de vie qui organise le style chez les maîtres et dans
les cliets-d'œuvre. La période se traîne souvent sans lien de
continuité entre ses différentes parties. On croit qu'elle \'a
finir, mais point; elle se prolonge par des relatifs successifs,
par dos parenthèses ou des appositions languissantes. En voici
un exemple tel qu'on en rencontrerait presque à chaque page :
This lirni ivpiil)lio, that against the blast
(U'op[K)sition ix>se; that (like an uak
Nurseil ou Terocious Algidum, whose boughs
Slill slronger >hoot htMicalh the rigid axe),
By loss, by >laughler, from the stcel itself,
Kveii foroi' and spiril drew; smit wilh the calin,
Tlie dead serono of prosperous fortune, pined *.
Kiicore cette phrase lente et désarticulée est-elle après tout
complète et correcte. Mais il arrive à Técrivain de se laisser
emporter aux ondes successives d'un développement prolongé,
et d'oublier, au cours du voyage, le point d'où il était parti et
le terme qu'il se proposait d'atteindre. Il y a, pour ne citer
qu'un exemple, certaine période de trente-six vers, que les
textes coupent de points, parce que les imprimeurs ont pensé
qu'il en fallait mettre quelques-uns, mais où le mouvement
n'est nulle part interrompu. L'auteur y procède par voie de
suppositions : « Si le temps venait où.... », et il accumule si
bien les hypothèses, il les complique de tant de parenthèses et
de développements parasites que, lorsque nous atteignons
enfin le terme du paragraphe et un repos bien gagné, le
poète a omis d'opposer à ses suppositions aucune clause affir-
mative, et de clore logiquement sa période *.
Cette singulière inadvertance n'est pas coutumière à Tauteur
de a La Liberté d, mais les autres causes d'obscurité abondent, et
ce n'est pas un des moindres motifs de la défaveur du poème.
I. ni, 361-367. — 2. V. 316-351.
c< LA LIBERTÉ. » 521
3 principaux sont l'abus des inversions et celui des péri-
rases. La valeur poétique n^est donnée dans cette œuvre ni
:* la puissance d'imagination de Tauteur, comme dans les
;aisons d, ni par le charme d'une fantaisie exquiso, comme
is le « Château d'Indolence ». Pour emprcher le vers blanc de
réduire à une déclamation à peine rythmée, Thomson met en
ivre les ressources ordinaires de la poésie du x\uV siècle. Il
nne à sa phrase les constructions les plus tourmentées. A
ique pas nous nous trouvons en présence d'inversions for-
îs telles que celles-ci :
Who but tiicse far-t'anrd riiins to behohl.
Proofs «f a pcople whose iieroic aims
Snar'd far ahovc tlio littlr sclfish sphen*
Of douhtiiif; inodern lifc; who l)ut, innaïued
With classic zeal, th»»se consccratcd scènes
or ineii antl deeds to trace, iinhappy land î
Wouid trust tliv wilds, and cilles loosc of swav?*
lilors môme qu'elle porte sur une courte proposition, l'inver-
n produit fréquemment les effets les plus disgracieux :
Could, Tully, you your Tusculum belicve'?
And new ideas, from her fînishcd shapc,
Gharmed sculpture taking might improve her arl'*.
Deemed the declaiming rant of Greece and Rome,
Should public virtuc grow the public scoff*.
Ictte malheui*euse tendance à anoblir le langage au moyen
ces constructions anormales, aboutit à produire un style
n*est pas pour cela de la poésie, et qui n'a ni la clarté ni
^aleur musicale d'une prose libre d'allure,
/emploi répété de la périphrase a son origine dans ce même
ir d'élever le langage à la dignité poétique. Au lieu des
ressions directes et nettes des <c Saisons », nous rencontrons
circonlocutions qui souvent demandent une note explica-
I. Le renvoi n'est pas inutile pour nous faire comprendre que
the fountain he
Of public wisdom and of justice shut',
I, 110.116. — 2. I, 273. — 3. IV, 471, 472. - 4. V, 326, 327. - 5. IV,
992.
52:2 JAMES THOMSON.
signifie que Jacques II licencia le parlement. Alors méine
qu'elles sont plus facilement intelligibles, ces charades ne soDt
guère dignes du maître écrivain des « Saisons ».
« Que les bois de TAsie fournissent, sans culture, une toison
« végétale; et que, en vue d*une vie plus haute, le petit insecte-
« artisan construise sa tombe de soie. Que les rochers étonnés
(i déploient naissants et radieux les enfants du soleil aux teintes
« variées *.... »
L'imitation de Milton n'est pas moins apparente ici que dans
les (( Saisons », mais elle est moins heureuse. Elle porte prin-
cipalement Sur les passages de dialectique. Le poète n'a pas su
se faire, comme pour son poème descriptif, un langage à lui,
original alors même qu'il laisse voir l'influence d'un grand
modèle. Dans « La Liberté » l'imitation est parfois servile, elle
résultat est désastreux. C'est qu'aux transitions, aux artifices
de narration, aux figures de style et de pensée violentfô de
l'imitateur il manque cette foi à la vie de ses créatures, et cet
intérêt du sujet qui excusent dans le ce Paradis Perdu i» tant de
naïvetés. On en peut juger par cet exemple entre cent autres :
llcie, interposing I — Oh, Vîueen of men!
Hencath whose sceptre in esscntial rights
Eqiial Ihey live; thoiigh placed for commoii guod
Various, or in suhjeclion or command;
And thaï hv conimon choice : alas! Ihe scène.
Wilh virlue, freedoin and wilh glory brighl
Slrcams inlo blood, and darkens inlo woe *.
Quant aux défauts naturels de Thomson, ils se montrent ici
beaucoup plus nettement que dans les «c Saisons ». Nous savons
que bien des taches ont disparu de celles-ci, grâce aux retou-
ches de chaque édition nouvelle. Mais le public ne demanda
pas de rééditions de « La Liberté » et nous trouvons dans le
poème nombre de vers rocailleux et de déplaisantes asso-
nances :
'Tis ail one doserl, desolale, and grcy,
(irazed bv thc sullen buffalo alone '.
V
There, as incrcasing familles disclosed
Thc tcnder slale, l taughl an cqual sway *.
i. V, 9-14. — 2. III, 328334. — 3. 1, 135, 13«. - 4. Il, 7. 8.
V LA LIBERTÉ. » 523
A nobler noie, and bade Ihe banquet burn '.
Be Ihis Ihy praise. ihat thon and thou alone *. *-►
In the high thoughtless gaicly of game '.
And monk-dii-ecled cloister-seeking king *.
m
Et cependant il y a autre chose que des défauts dans ces
cinq chants qu'aucun rayon de popularité n'a jamais illuminés.
Les compliments de Hill font l'efTet de pures ironies quand il
loue « l'élégance, l'harmonie, l'énergie vivante, et l'exacte pro-
priété des termes. i& (Lettre du 17 février 1735.) Mais nous
pouvons nous associer à lui quand il considère a la grandeur
€ du plan, la noblesse, la profondeur, la richesse des senti-:
c ments ». Et nous trouvons encore après lui à relever dans
cette œuvre de réelles beautés dont il a peut-être été peu
frappé.
Après avoir consacré sa première œuvre à la nature, entre-
prendre un grand poème à la gloire de la Liberté et à celle de
l'Angleterre ce n'était pas une tentative médiocre. Nous savons
que le jeune poète y apportait autre chose que le savoir-faire
indifférent d'un rhéteur. C'est tout son être moral qui s'expri-
mait dans cette longue revue des événements humains, comme
son génie artistique s'était donné carrière dans la peinture de
la vie de la nature. Le plan adopté pour l'exécution n'était pas
moins ambitieux que la conception première. Il y a peu d'exa-
gération dans ce résumé que donne Hill du poème : ... a Tout
« ce que les hommes ont souffert, ont fait ou ont pensé à tra-
« vers toutes les révolutions des âges oubliés, votre muse...
« le rappelle, le rejoue, le fait revivre, jusqu'à ce que nous
« devenions contemporains de tous ces siècles d'action, jusqu'à
« ce que nous voyons et sentions les changements par lesquels
« ils ont brillé ou ont péri ' ». L'enthousiaste et amical critique
se trompe lorsqu'il déclare réalisé cet ample programme. Mais
n'y a-t-il pas quelque grandeur à l'avoir tenté?
1. II. 46. — 2, H, 251. — 3. III, 265. (Remorquer la valeur de « gaiety .,
trisyllabe). — i. IV, 727. — 5. Leltre du n février 1735.
524 JAMES THOMSON.
L^dée maîtresse du poème c'est que la liberté est dans les
communautés humaines la source de tous les biens, de toutes
les vertus et de tous les progrés. Et l'auteur se trouve ainsi
amené à retracer non seulement Thistoire des révolutions |»oli-
tiques de la Grèce, de Rome, de Tltalie et de la Grande-Bre-
tagne, mais aussi le tableau desarts, de la pensée philosophique
et de la civihsation dans ces pays. On comprend que, malgré
son étendue, le poème ne suffise pas à pareille tâche. Du moins
dans cette étude incomplète abondent les pensées généreuses,
les vues élevées et les nobles sentiments. En dépit d'une |)er-
sistante et insulaire étroitesse qui lui fait tout paraître inférieur
à son pays, qui lui fait comprendre Thistoire tout entière
comme une lente préparation de la grandeur de l'Angleterre et
de ses libres institutions, jamais écrivain n'a célébré avec plus
de chaleureuse conviction les gloires de la Liberté.
Il y a certes chez Tauteur une limitation du goût artistique,
une incapacité à com|)rendi'e certaines formes de la beauté,
qui nous frappe dans les riches développements où il apprécie
rœuvre des grands artistes de la Grèce, de l'Italie ou de la
France. 11 ne s'est pas affranchi des jugements qui, jusqu'à la
fin du XVII i** siècle, ont eu force de loi en ces matières. On cher-
cherait en vain dans ces pages une allusion à la beauté des
édifices gothiques; on n'y trouverait rien qui ressemble aux
quelques vers où Milton a dit l'émotion religieuse qu'il ressen-
tait sous les hautes voûtes aux vitraux mystiques *. Le temjè
était encore lointain où l'on devait voir dans l'art du moven
âge autre chose qu'une décadence barbare ou d'informes tenta-
tives vers un idéal nouveau :
<( Les Goths de tous les siècles n'ont fait que charger la terre
<c de lourds et [irétentieux monuments de honte '. n^
Et l'efTort si curieux des primitifs italiens vers un idéal de
beauté à la fois subtil et naïf est apprécié par notre poète en
ces termes :
« Indigente était la manière de ses premiers adeptes, stérile
« et sèche, s'écartant à peine du goût qui, pendant des siècles.
\. Il Pensei^osOt 155-166.
2. (( .... Goths of every âge
hâve only loaded earth
Wilh laboured monumenla of sbame. »
(II, 377-370.)
« LA LIBERTÉ. » 826
«L avait, dans les sombres cloîtres, effrayé le troupeau supersti-
( tieux * . »
Mais quand il vient à dépeindre et à juger Tart antique ou
celui de la Renaissance, Thomson montre un goût plus sûr et
une admiration éclairée. Il trouve aussitôt une forme plus
ferme et plus précise. Peu de passages sont mieux venus,
écrits avec plus d aisance et de verve que les pages où il décrit
les chefs-d'œuvre de l'art grec révélés à l'Italie de la Renais-
sance, ou ceux qu'ils ont inspirés à la sculpture et à la peinture
modernes. Dans une série de descriptions d'une sobriété élé-
gante il note d'un trait exact les caractères dominants de ces
morceaux fameux : l'PIercule Farnèse, le Gladiateur mourant,
TApollon du Belvédère, la Vénus de Médicis. Il accepte sans
doute docilement le jugement alors incontesté qui voit dans le
Laocoon le chef-d'œuvre de l'art antique ' ; mais, malgré cette
erreur de goût commune alors, ses descriptions laissent
deviner une sincérité d'impression et une ferveur d'admiration
que ne comportent pas au même degré les descriptions de
Byron plus brillantes, plus montées de ton et de couleur, plus
déclamatoires aussi ^.
On trouverait encore des exemples d'exposition didactique
élégante dans le passage où sont définis et distingués les diffé-
rents ordres de l'architecture grecque *. On pourrait noter
avec curiosité les vers où le poète oppose l'une à l'autre la
musique superficielle et sensuelle à une musique pathétique
et dramatique. 11 semble que le morceau se rapporte à une
querelle artistique moins éloignée de nous que la |)remière
moitié du xwiit^ siècle :
Tu sus ajouter au chant du poète une douce force.
A toi réloqucnte musique du cœur;
Non pas les vains arpèges qui, vides de tout sentiment, courent
Capricieux et confus, et charment les oreilles des oisifs,
Mais cette voix aux accents profonds et cette main savante
Qui savent faire vibrer à Tunisson Tâme mobile *.
1. IV, 220-223.
2. On voit que si Winckelman l'a exprimé avec une autorité particulière,
il ne lui était pas personnel.
3. Voir 111, !3i-24i.
4. II, 381 et suiv.
5. «« The sweet en forcer of Ibe poel's strain,
Thine Avas the meaning music of the heart,
526 JAMES THOMSON.
Aussi bien que renlhousiasme du dilettante, Fardeur patrio-
tique dicte à Tliomson plus d'une belle page. Nous avons eu
à rappeler quelques passages où ce sentiment donne seule-
ment naissance aux développements ampoulés et confus d'um?
rhétorique déclamatoire. Mais il en est d'autres aussi où,
malgré le défaut persistant d'une affabulation fâcheuse, le
poète trouve de retentissants et fiers accents. Telle est la i>age,
d'un mouvement soutenu et d'un bel élan, où il célèbre la
condition de ces rois constitutionnels de l'Angleterre qui,
c impuissants pour le mal, ont, pour faire le bien, un pouvoir
sans limites ' ». Dans toutes les parties du poème se rencon-
trent de ces vers sonores, pleins, heureusement balancés^, un
se reconnaît la main du maître ouvrier :
Though Conquesl o'er them clapped lier eaglc wings.
lier laurels wrealhed, and voked her snowv stceds
To Ihe triuniphal car *.
The Forum and comilia horrid grew
A scène of bartcrcd power, or reeking gore '.
Tout ce tableau rapide de THistoire de l'Angleterre que
contient le Vr chant mérite aussi d'être signalé. C'est un hors-
d'œuvre sans doute, et une amplification de rhétorique, mais
où ne manquent ni l'ardeur intime du sentiment, ni la fermet<^
de la forme. Il y aurait intérêt à comparer ce morceau aux
passages analogues de La IlenHadr. C'est le même ton et
« la même marche d'idées * » avec plus de souplesse et d'élé-
gance dans la langue de l'écrivain français, plus de feu et
d'enthousiasme chez le poète anglais.
Nous ne mentionnerons que pour mémoire d'autres mor-
ceaux où Thomson peut soutenir la comparaison avec plus
d'un écrivain fameux de son temps. La dernière partie de
l'oHivre nous le montre sous un aspect nouveau, celui du
Nol (hc vain trill, Ihal, void of passiou, riins
In giddy mazos, lickUiig idle cars;
But ihat deep-searching voice, and artfui hand
To wliich respondenl shakes tlie varied soûl. »
(U, 285.200:)
!. IV, 1147-1116. — ± ni, 1;)3-155. — 3. 111, 30", 398.
4. L*exprc98ion est de Urugiëre de Baranle {Thédtres étrangens), l. X, Vif
lie Thomson.
<( LA LIBERTÉ. » Sâ7
poète satirique. Sans doute il ne s'y trouve pas de méritt^s qui
mettent ces pages hors de pair. Ces attaques contre la richesse
oisive, contre le luxe insolent et sans goût; cette exposition
des plaisirs vains ou coupables où se dissipe Ja vie des heu-
reux de la fortune, le théâtre, le bal, le jeu; puis le tableau de
la ruine qui suit et venge ces desordres; l'abandon des flatteurs
et des parasites qui a la mlale venant secouer leur patron,
« s'enfuient comme une pluie de feuilles flétries et le laissent
« dépouillé * »; tout cela, comnje les déclamations sur la véna-
lité des gouvernants *, est le bien commun dont vivent les
nombreux satiriques de cette époque. Mais il faut aussi recon-
naître que, dans cette voie qui n'est pas la sienne, Thomson
apporte une énergie, un élan qui le font Tégal non pas sans
doute de Pope dont il n'a pas l'esprit scintillant ni la mor-
dante concision, mais au moins de Young.
Dans cette œuvre de prédilection où il voulait mettre le
meilleur de sa pensée, Thomson, on peut le croire, réservait
une place à ses doctrines philosophiques. Quand il passe en
revue les divers établissements des peuples gi-ecs et les foyers
de civilisation créés par la liberté, il s'arrête au nom de
Crotone, pour rappeler Pythagore et son enseignement. C'est
l'occasion d'un exposé nouveau de cette doctrine de la mélem-
|)sychose à laquelle notre poète montre un fervent attachement.
11 l'accepte, nous le savons, avec son corollaire nécessaire, le
végétarianisme '; et il la complète par sa conception d'un
mouvement sans cesse progressif. Ailleurs encore, il fait hon-
neur aux anciens Bretons d'une crovance à la transmission
perpétuelle d'une vie individuelle*. Il voit même dans cette
croyance ki fondement de leur courage, sans s'arrêter à cette
considération que la même doctrine religieuse n'a pas fait
naître l'héroïsme chez les peuples de l'Indoustan qui l'ont
conçue '.
<i La Liberté » nous donne encore l'indication d'une doctrine
métaphysique grandiose sur laquelle le poète fonde toute une
théorie scientifique et morale de la plus haute importance. A
propos de l'enseignement do Pythagore, il signale la première
1. V. «51-105. — 2. V, 20il-220. — 3. III, 32-70. — i. IV. 030-646.
:i. Sur rhypollièse que celle doclrine ail été enseif^nce par les druides,
et sur ses liens avec les doctrines du hralimnnisme, on connatl les pa^es
de Henri Martin (Histoire de France, t. I, p. 46, 47).
S28 JAMES THOMSON.
apparition de l'hypothèse de l'attraction, et avec une hardiesse
qui ne messied pas à un poète, 1 voit dans Famour le prin-
cipe essentiel de la mystérieuse force *. Il n'y a là qu'une indi-
cation très sommaire. Mais dans la dernière partie du poème.
il reprend la même conception pour lui donner encore plus
d'ampleur. L'amour, répandu et diffus dans l'immensité de
l'univers, pénètre toutes les créatures; il les associe dans sa
tendance à la vie; puis condensé et épuré il fait naître les f>as-
sions humaines successivement graduées dans l'ordre de leur
noblesse jusqu'à celle qui l'emporte sur toutes les autres : le
dévouement au bien public. £t unissant dans son audacieuse
hypothèse l'explication du monde physique et les phénomènes
les plus complexes de la morale et de la sociologie, il déclare
indispensable à rétablissement et à la prospérité d'une com-
munauté libre cette a gravitation morale * »,cet amour mutuel
des citoyens qui se confond avec l'amour de la chose publique.
Tout cela reste de la métaphysique de poète, plus encore, il
faut le dire, par le vague de la conception et la gratuité des
assertions que par la richesse et la beauté du langage. Mais au
moins l'exposé des théories scientifiques, astronomie de Pytha-
gore ou gravitation newtonienne, est-il fait de la main d'un
maître écrivain. Et pour le reste, si la philosophie de Thomson
est un très pâle reflet de quelques grands systèmes métaphy-
siques, encore faut-il porter au crédit de notre ïX)ète l'ambi-
tion d'avoir voulu donner à ces hautes spéculations une expres-
sion littéraire et la parure des vers.
C'est cependant un mérite dont la postérité ne lui a |)as su
plus de gré que les contemporains. Il faut que le malheureux
poème ait tenté bien peu de lecteurs pour qu'à une époque où
Ton note avec tant d'intérêt tous les antécédents scientifiques
ou littéraires de la théorie de l'évolution, on n'ait pas signalé
la conception embryonnaire qu'en donnait l'œuvre de Thomson.
On n'a pas davantage observé que le faiseur de vers avait,
comme les grands philosophes-poètes de l'antiquité, et comme
les penseurs les plus hardis de l'idéalisme moderne, proposé
de voir l'amour au fond de toutes les manifestations de cette
force universelle qui unit les molécules et qui cimente les
sociétés. Il est bien probable que ni Darwin ni Swedenboi^
l. ni, 43-47. — 2. V, 257.
« LA LIBERTÉ. » 529
OU Mr. Ravaisson n'ont soupçonné en l'auteur des a Saisons »
un ancêtre intellectuel *. Et néanmoins notre poète a droit à
plus et mieux que l'expression d'une surprise amusée. S'il n'a
pas fait preuve de puissance métaphysique pour s'être a[)pro-
prié quelques idées émises par le génie de l'antiquité', il a
montré du moins une vigoureuse indépendance d'esprit,
quand, très loin de Locke et de la philosophie à courtes vues
que Voltaire admirait tant dans l'Angleterre de ce temps, il
allait demander aux plus hardis penseurs de la Grèce les élé-
ments d'une doctrine digne de la nature et de la poésie, et
digne aussi des grandes vertus civiques célébrées dans son
poème.
Sur un autre point au contraire, il est permis de croire que
son influence directe s'est exercée, non sans puissance, sur
l'une des doctrines les plus célèbres du xviii" siècle. « La
Liberté » nous fournit avec plus de précision encore que les
a Saisons », un exposé de cette opinion que les premiers âges
de l'humanité correspondent à une période de pureté des
mœurs, de justice sociale et de paisible fraternité. A cet état
d'innocence des jeunes sociétés humaines correspond une ère
de parfaite liberté; avec le développement du bien-être et des
1. Faut-il noter cependant qu'Krasmiis Darwin, Taîeul du grand savant,
était poète; qu'il a formulé avec une singulière netteté la théorie ù
laquelle devait rester attaché ce nom de Darwin, et qu'il était admira-
teur convaincu de Thomson? Il a dû remarquer Tanalogio de la doctrine
ontologique exposée par Lucrèce au II» chant du De Satura Herum, et
des vues exprimées à plusieurs reprises pur Thomson. Le jeune Charles
a-t-il aurrsi connu cette similitude? Peut-on supposer que, grâce à l'auteur
de Zoonomia, le futur naturaliste ait re^-u du poète des « Saisons '> et de
« La Liberté » le germe d*idées qui auraient dormi dans son esprit jusqu'au
jour où l'étude des fails leur donna une puissance et une fécondité mer-
veilleuses? Peut-on croire enfin que Thomson ait été, pour une part très
modeste, un des collaborateurs de Darwin dans l'édification de la grande
théorie à laquelle aboutit la science du xix" siècle?
2. On sait que l'idée de révolution se rencontre dans Âristote (« Méta-
physique », liv. I, chap. iv), et dans le poème de Lucrèce. Quant & la doc-
trine de l'amour, force universelle, cause de tout mouvement et de toute
vie, Thomson la tenait certainement de la philosophie antique. Empé-
docle, disciple de Pythagore, Tavait formulée en expliquant par le jeu de
deux éléments hostiles toute activité des créatures : cpro;, principe de vie
et d*union, eptÇ, principe de désunion, de destruction et de mort. Notre
poète conserve le premier, et rejette le second. 11 écarte la conception
d'une création perpétuellement détruite et renouvelée, d'une évolution
circulaire. Il croit à un mouvement progressif, et grelTe ainsi sur la vieille
doctrine pythagoricienne une des théories chères au xviif siècle.
34
530 JAMES THOMSON.
désirs viennent les vices, les crimes et la tyrannie *. On recon-
naît ici ramère théorie du Discoui^s de J.-J. Rousseau sur les
efîeU de la civilisation. Rousseau ne l'a |>as créée de toutes
pièces; elle circule dans Tatmosphère intellectuelle du
XV m' siècle aussi bien que la théorie opposée de la perfectibi-
lité indéfinie de Tespèce humaine. Mais parmi les expressions
de cette doctrine qu'a pu rencontrer l'éloquent rhéteur, il est
permis de croire que celle que fournissent les poèmes de
Thomson ne lui est pas i-estée inconnue.
IV
Enfin le peintre de la nature ne saurait abdiquer entière-
ment dans aucune des œuvres de Thomson. Dans ce poème
patriotique, moral et philosophique se trouvent disi)ers«
d'heureux morceaux descriptifs qui valent d'être relevés et
signales, et qui méritent de n'être pas perdus dans le naufrage
de l'ensemble. Tels sont, en dépit d'allitérations déplaisantes,
ces quatre vers du premier chant :
(1 .... Dans les vallons étroits de TOmbrie, ou sur le sommet
« de ses brunes collines qui respirent la brise parfumée : sur
a la côte de Baies bordée de vignes; où une mer paisible, sur
« laquelle soufflent de doux zéphyrs, caresse le rivage d'un
« perpétuel baiser*.... »
Comme contraste avec cette riante évocation d'un i^aysage
ensoleillé et radieux, voici au deuxième chant le tableau vigou-
reux, dans ses teintes monotones, d'un pays de brumes et de
frimas :
<( La Samartie, qu'arrosent mille cours d'eau, terre morose
« de lacs et d'immenses marécages, de rochers, de torrents
« sonores, de sombres bruyères et de déserts farouches tout
« noirs de sapins bruyants. La nature y porte un front mena-
« çant. Et cependant [)arfois elle s'adoucit jusqu'à sourire; et
1. 11, l-2ti.
2. • In IJmbria's closing vales, or on thc brow
Of lier brown hills that breatbe the scented gale.
On Baiae's viny coast; where pcaceful seas,
Panned by kind zephvrs, cver kiss the shore. •
(I, 56-5tt.
« LA LIBERTÉ. » 531
: vite, au toucher des brises du midi, elle fait jaillir tout à
: coup du sol une herbe luxuriante et une prodigalité de
( fleurs*. »
Parfois aussi, au lieu d'une description directe, nous trou-
vons dans quelque comparaison une image pittoresque; et,
presque toujours, ce retour à la faculté maîtresse de Técrivain
îst Toccasion d'une phrase bien venue, de style ferme et
brillant.
<c 0 Grèce, dans ton langage plein, qui dit des pensées puis-
(( santés; qui tantôt se resserre comme un clair torrent, et
K tantôt s'épanche comme un fleuve large et majestueux, et
(( roule ses flots au cours onduleux d'un rythme harmo-
« nieux*.... d
« Ainsi par une pure soirée d'hiver, les étoiles s'illuminent
« successivement. D'abord, quelques-unes apparaissent faibles
a et isolées; mais quand leur troupe radieuse, innombrable et
<c touffue couvre de son éclat l'immensité, et que chacune
a répand sur les autres sa vibrante influence, alors un déluge
a de lumière palpite d'un pôle à l'autre, et là-haut les mondes
« se réjouissent et ici-bas les hommes^. y>
c Ainsi quand le berger assis, au sommet de la montagne,
« joue de la flûte à ses troupeaux et à ses chevreaux folâtres,
(( le soleil cependant, abaissé au-dessous de la verte surface
a de la terre, lance obliquement sur cette scène un dernier
« rayon : Courte est la splendeur qui dore la montagne, qui
<c se joue sur les troupeaux illuminés, et qui réjouit le pâtre;
a entraîné sans rémission vers les mondes de l'occident,
tf bientôt le père de toute lumière rappelle ce rayon *. »
1. Il, 514-522.
2. • In tby full language, speaking mighty thiDgs;
Like a clear torrent close, or else diffused
A broad majectic slreani, and rolling on
Through ail the winding harmony of sound. »
(II, 257-260.)
3. « .... As on a pure wintcr's eve.
Graduai, the slars efTulge; fainter, al first,
They, straggling rise; bul whcn Ihe radiant host.
In thick profusion poured, shine out immense,
Each casting vivid influence on each,
Froin pôle te rôle a gliltering déluge plays,
And worlds above rejoice, and men belo>^ . •
(V, 360-366.)
4. III, 320^2-.
S3â JAMES THOIISON.
Ailleurs nous rencontrons une énumération des aspects de
la nature que reproduisaient les peintres grecs; et Ton remar-
quera la précision rapide des traits qui évoquent à nos yeuv
cette série de tableaux :
« Là le nuage qu'illumine le soleil s'ouvre joyeusement; !»»>
« lointains fuyants et la montagne bleue se fondent avec Tair;
« le précipice menace, effrayant; et tout blanc, le torrent
« impétueux s'élance au pied du rocher; le soleil brille, trem-
« blant au loin sur la mer; la tempête écume, immense; la
« rafale irrésistible attriste le ciel, et du milieu des ténèbre?
« qu'il rend plus épaisses, Téclair déchiqueté tombe sur le
« chêne foudroyé *. »
Mais il est un passage bien plus important, car il vient
combler une lacune dans la série des grands aspects du
monde qu'a fixés la plume de Thomson. Nous avons remarqua
dans les a Saisons if> combien le poète, qui excelle à reproduin'
la grandeur et la mobile variété du ciel et de la mer, e^t sobn*
de descriptions de la montagne. L'Ecosse ne semble pas lui
avoir révélé la sublimité de ces scènes. Peut-être n'avait-il
connu que les collines des Lowlands; ou, s'il a vu les chaînes
des Higlîlands, aux aspects si nobles malgré leur méiliocn^
altitude, il n'en a pas ressenti, dans les années de sa jeunesse
qu'il vivait auprès d'elles, le charme imposant et austère. Il
fallut ses voyages sur le continent, et la vue des Alpes pour
lui révéler la beauté de ce monde des géants de la terre. L'es-
thétique de l'antiquité ne l'avait pas connue, nous l'avons dit
ailleurs -, et les modernes n'en ont eu, avant le xviii* siècle,
qu'une notion confuse et intermittente. Existe-t-il dans aucune
littérature antérieurement à la publication de « La Liberté • une
page où les divers aspects des paysages alpestres soient décrit^
comme dans les vers suivants? Le poète, ou La Liberté qui
t. • Thcre gaily broke the sun-illumined cloud;
Tlie lesseninp: prospect, and Uie mountain blue,
Vanished in air: Ihe preripice frowned, dire;
White, down the rock, Uie nisiiing torrent dasiied ;
The sun shone, Iremhiing, o*er Ihe distant main;
The tempest Toamed, immense : the driving storm
Snddenned the skirs, and, from the doubliog gloom,
On the scathed oak Uie raggcd lightaing fell. »
(H, 352-359.)
2. Voir p. -270 et suiv.
« LA LIBBRT&. » 833
parle en son nom, célèbre la terre classique des hommes
libres :
a Par moi rendues joyeuses leurs montagnes hérissées
«L savent plaire, plus que les plaines de la Gaule ou de lltalie.
c Et souvent, quand ils en sont depuis longtemps éloignés,
c ils languissent malades du désir de revoir les scènes de leurs
« Alpes; le torrent au cours sinueux et profond; la vallée qui
« étale sa beauté au milieu d'un amphithéâtre de montagnes.
c Là, sur ^l'aile des vapeurs, s'élève soudain la tempête; puis
c c'est le gai cortège des brumes qui montent d'étage en étage
« et dont les masses roulent et prennent des formes pittores-
« ques; le nuage rapide qui vient heurter une cime et, illu-
a miné du soleil, répand une brillante pluie de pierreries.
« C'est, suspendu au-dessus de rochers vertigineux, le frêne des
«c montagnes et le sapin solennel et sonore; le torrent qu'ali-
€ mente la neige, et dont les eaux blanches tourbillonnent et
« tombent jusqu'au clair lac bleu; et, dominant de bien haut
« toute cette scène variée, la montagne qui se perd dans le
« ciel, où brillent les glaces accumulées par les hivers succès-
<i sifs, et dont la cime léchant les nuages retient les neiges
Cl dont ils sont chargés *. »'
Le passage n'occupe que vingt vers de ce long poème, et
cependant son importance nous semble ne pouvoir être exa-
gérée. Les c Saisons i> nous ont fait connaître sous un double
aspect le talent de Thomson comme poète descriptif. Il y sait
peindre avec une force et un éclat uniques les scènes les plus
fomilières, disons les plus banales, de la vie de la nature. Il
enregistre en outre nombre d'aperçus exacts et de délicates
notations qui, étoufTés parfois sous l'ampleur sonore, sous
l'abondance un peu monotone, sous la noblesse parfois empha-
tique du langage, décèlent néanmoins la fmesse de sensations
d'un rare artiste. Mais ici, il se montre à nous comme faisant
entrer dans le domaine de la poésie un monde de formes et de
visions nouvelles, aussi sublime que le monde des étoiles et
que celui des flots, mais plus divers, d'une complexité plus
riche et plus pittoresque.
Rousseau qui semble avoir profondément subi, avec tout
son siècle, l'influence de Thomson, Rousseau dont les idées
1. IV, 344-332.
534 JAMES THOMSON.
morales et la doctrine sociologique se trouvent, nous Tavons
vu, indiquées sommairement dans plusieurs passages des c Sai-
sons D et de a La Liberté * i, Rousseau y aurait-il aussi trouvé le
modèle de ces descriptions des beautés de la montagne qui
demeurent une des meilleures parts de sa gloire littéraire? Â
coup sûr son sentiment artistique et son génie d'écrivain suffi-
sent pour expliquer ces passages de ses œuvres. Mais il est
aussi permis de penser que l'exemple de Thomson n'a pas
été sans influence. A tout le moins le poète anglais a-t-il pré-
cédé notre grand prosateur dans la perception ravie et dans
l'exposition éloquente de ces scènes. Il mérite par là encore
de figurer au nombre des grands interprètes de la nature,
puisqu'il est de ceux qui ont eu la gloire d'ajouter une cord»'
h. la lyre de la poésie moderne.
V
Le poème si dédaigné que nous étudions peut donc reven-
diquer l'honneur de marquer une date, et une date impor-
tante, dans l'histoire de la littérature. Il n'est que juste aussi
de noter que plus d'un écrivain illustre s'en est inspiré direc-
tement. Il est de toute évidence que l'idée-mère de l'œu^Te,
cette exposition poétique des observations faites par le voya-
geur dans les diverses parties de l'Europe, est celle-là même
qui donne naissance au « Voyageur d et au « Pèlerinage de
Childe-Harold d. Ce n'est pas là une ressemblance fortuite, et
les preuves de détail abondent qui montrent combien Gold-
smith et Byron ont connu et pratiqué « La Liberté • ». Ils en
1. Voir en particulier, sur les rapports de rhomme envers le corps
social, sur les devoirs de la paternilé, sur les verlus qui naisseut de la
liberlé, etc., la partie IH du poème, de i03 à 119. On a déjà en France
relevé la concordance frappante des idées développées par Rousseau avec
celles qu'a exprimées Thomson.
2. Goldsmith cite un passage de Liberhj :
« As at lier Isthmian games, a fading pomp
Round the proconsul's lent repeated rung »,
comme exemple des effets pathétiques auxquels peut atteindre la poésie.
(Murray's Goldsmith, t. Hl, p. 297.)
Le biographe de Goldsmith, Mr. Forster, pour établir roriginalité de
(« LA LIBERTÉ. » 535
ont allégç le plan de toute rafTabulation compliquée de
Thomson. Ils y ont apporté, Goldsmith une plus sobre et plus
élégante simplicité de langage, Byron plus de variété, plus
d'éloquence et plus de passion. Mais c'est le plan général de
l'œuvre de notre poète que tous deux reproduisent, et dans
les détails de l'exécution, dans la langue même qu'ils écri-
vent, on retrouve fréquemment le souvenir de ce poème que
Johnson ne pouvait pas lire. Pour nous borner à un petit
nombre d'exemples, le vers du « Voyageur » où Goldsmith
caractérise la France :
(lay sprighily land of inirlli and sorial ease,
reproduit sous une forme plus vive un vers de c La Liberté )o :
The lan«i wliero social pleasure lovos lo dwcll *.
Goldsmith a noté la hardiesse du paysan suisse qui dispute
aux neiges et aux précipices la maigre terre de ses cultures :
Or drives lus veiiUirous ph(»ughshare to Ihc stcep,
mais Thomson avait fait la remarque avant lui :
And prcss Iheir nillurc on rolirin^ snows *.
Et tout le passage où le voyageur dépeint et juge le peuple
suisse est manifestement imité du passage correspondant de
« La Liberté ' )o.
Dans le long poème de Byron les rapprochements à faire
sont nombreux. On connaît les vers où est décrit le bal de
Bruxelles si tragiquement interrompu par le canon de Napo-
léon *. Ne semble-t-il pas qu'ils nous fassent entendre un écho
de ces vers de Thomson :
And love and musir niell Iheir <<onls awav. "'
L'ODception du plan du u Voyageur », rappelle corlain passa^^e de la
correspondance de Thomson où ce plan est Iracé, et prouve tpie Gold-
smith n*a pu connaître cette lettre. Le biographe a seulement oublié que
Thomson a lui-même réalisé son projet, dans un poème que Goldsmith a
<:onnu. Mr. Forster est un de ces historiens de la littérature anglaise qui
n*ont pas lu « La Liberté ». (Forster's Goidsmilh, Bk. III. chap. x.)
1. V, 478. - 2. IV, 338. — 3. IV, 335-343. — 4. ChildeHarold's Pih
ftrimage, lïl, xxi, xxn. — 5. Liberty^ L 192.
536 JAMES TQONSON.
While sport alone thcir unambilious hearts
Possessed, thc siiddcn trumpet sounding hoarse
Bade silence o'cr Ihe bright assembly reign * ?
Les morceaux célèbres où Byron passe en revue les chefs-
d'œuvre de la sculpture grecque sont un souvenir de passages *
analogues de c La Liberté ». Nous nous contenterons d'indiquer
les ressemblances les plus frappantes :
The Gladialor
Supported on his shortened arm he leans,
Pronc, agonizing; with incumbent fate,
Ileavy déclines his head ; yet dark beneath
The suflering fealure sullen vengeance leurs,
Shame, indignation, unaccomplished rage *.
The Qiieen of Love arose, as from the deep
She sprung in ail the melting pomp of charms.
Basht'ul she bends
So turned each linib, so swclled with soflening art '
Thomson est frappé, dans le Laocooriy de ce triomphe de
lart qui enlève à l'image de la souffrance son horreur, et lui
communique la dignité du beau.
Such passion hère,
Such agonies, such bilterness of pain,
1. Uberly, III, 206-268.
2. /6û/., IV, 157-161. Comparez les vers de Byron :
« 1 see berore me the Gladiator lie :
He leans upon his hand — his maoly brow
Consents to dealh, but conquers agony,
And his droop'd head sinks gradually low.
Shall he expire
And uoavenged? »
{Childe-Haroldj IV, cxl, cxli.)
3. Liberty y IV, 173-183. La description que fait Byron de la Vcuus
de Médicis conserve les termes les plus caractéristiques de celle de
Thomson :
« The graceful bend, and the voluptuous swell. •
{Childe-Harold, IV, un.)
On notera que cependant l'image évoquée par Byron est plus réservée,
plus chaste, plus fidèle à Pesprit de Tœuvre antique. L'auteur de Childc-
Harold a observé ce quelque chose de matériel et d'un peu vulgaire que
nous avons autre part signalé comme se mêlant chez Thomson aux des-
criptions de la beauté féminine. « They prove the peculiar turn of thought,
and, if the tcrm may be allowed, the sexual imagination of the descrip*
tivepoet. • (Cité par Rob. Bell, dans son édition des œuvres poétiques de
Thomson, vol. I, p. 156.)
« LA LIBERTÉ. » 837
Secni so lo Ireinble Ihrough the tortureJ slone,
Thaï thc touchcd heart engrosses ail the view *.
po sec
Laocooirs torliirc-digniryiiig pain
A father's love and niorlars apony -.
r'oici TApollon du Belvédère :
Ail conquest-fliished, from prostratc Python, came
The quivercd God. In pracolul act he stands,
lïis arni extended with the slackened bow ^.
ci encore on peut croire que l'identité du modèle n'explique
i seule la ressemblance du tableau de Bvron :
Or view the Lord of the unerring bow,
The God of hfe, and poesy, and liglil
Ail radiant from his trinmph in the iight;
The shai't bas just bcen shot *.
■]t enfin, pour limiter ces comparaisons, nous signalerons
vers où Thomson décrit Venise avec un enthousiasme
iiis lyrique à peine que celui de Byron :
Xor be the Ihon Iriiimphanl state forgot;
Where, pushed from plundcred earth, a remnanl still
Inspired by me, throiigh the dark âges kept
Of my old Honian flanie some sparks alive :
The seeming God-built city! which my hand
Deep in the bosom lixcd of wondering seas.
Astonished mortals sailed, wilh pleasing awe,
Aroiind the sea-girt walls, by Neptune fenced.
And down the briny slreet; where on each hand,
Amazing seen amid unstable waves,
The splendid palace shines; and rising tides,
The green steps marking, niurmur at the door ■•.
To this fair Queen of Adria's slormy gulf,
The mart of nations ! long, obedient seas
Rolled ail the treasiire of the radiant East *.
. Liberty, IV, 189-192. — 2. ChiUle-IIarold, IV, clx. — 3. Liberty, IV,
165. — 4. Childe-Harold, IV, clxi.
. On remarquera dans les deux détails enregistrés par ce vers une
ation précise qui marque d'un trait juste et piltorcsque une description
peu vague par ailleurs. A ce seul coup de pinceau se révèle Fartiste
observateur sincère. 11 est regrettable que ces traits ne soient pas con-
gés dans les amplifications brillantes de Byron.
Liberty, IV, 293-307. Comparer Childe-Harold, chant IV, sir. i, ii,
, XIV, xvni.
538 JAMES THOMSON.
Nous avons rencontré déjà le nom d'Érasmus Darwin, et
nous avons dit qu'il avait évidemment connu Thomson. On la
généralement considéré comme un disciple de Pope, le plus
brillant et le plus fatigant des poètes qui aient fait scintiller
Tantithèse dans le distique rimé. Il faudrait dire, pour être
exact, qu'il a voulu ajouter au distique de Pope le nombre et le
mouvement soutenu de Thomson. Son style en effet présente
un mélange curieux de la manière des deux écrivains. Ia
période est le plus souvent prolongée à la façon de la phrase
des a Saisons d ou de a La Liberté i», et les distiques dont elle
est composée se terminent très souvent par un vers à effet,
précédé de la conjonction and, dans la plus pure manière de
Thomson.
Nous prenons dans Chambers Cyclopvedia les extraits donnés
du Docteur Darwin, et voici quelques-uns des vers qui termi-
nent les plirases :
And woo aiul win Iheir vogctable loves.
And j calons cowslips hang their tawny cups.
And deatli, and night, and chaos mingle ail !
And soars and shines, another and the same.
And trusts llie scalv monslers of the Nile.
And broke, cursed slaverv ! Ihc iron bands.
And sable nations tremble at the sound!
L'Invocation à la déesse de la Botanique se développe en
quatre paragraphes que cite le même recueil; voici comment
ils se terminent respectivement :
And hoverinp Cnpids aini Ihcir shafls unseen.
And Echo sonnds hcr sofl syniphonious shell.
And sofler slunibers steal her cares to resl.
And anns her zéphyrs willi the shaftsoflovc.
Cette imitation de la période et de Tun des maniérismes
caractéristiques de Thomson n est pas la seule ni la plus
importante preuve de l'influence de notre poète.
Un des poèmes singuliers qui composent Tlie Botanic
Garden, The Economy of Végétation est conçu sur un plan
qui, en dépit de la différence des sujets, ressemble singuliè-
rement à celui de a La Liberté ». Le début nous montre la
« LA LIBERTÉ. » 539
Déesse de la Botanique descendant sur la terre, et les quatre
parties du poème sont remplies d'un long discours prononcé
par elle comme a La Liberté » est formée du solennel soliloque
de la déesse Liberté.
On peut se demander si Thomson eût été très fier de recon-
naître un de ses imitateurs dans le poète prétentieux qui met-
tait tout Linnée en vers allégoriques, souvent bizarres et
parfois saugrenus. Ce n'est pas de cette façon qu'il lui était
arrivé à lui-même d'exposer dans ses poèmes les enseigne-
ments de la science. Mais il y a plus d'honneur pour ces
poèmes dans l'imitation qu'en ont faite parfois quelques-uns
des plus grands écrivains de notre siècle. On a retrouvé dans
Shelley et dans Keats l'écho de quelques-unes des strophes du
« Château d'Indolence ». On pourrait également trouver serti
dans les fragmentsd'« Hyperion » un passage de « La Liberté ». —
Quand dans l'Assemblée des Titans vaincus, Océanus se lève *,
le poète entend dans sa voix « le murmure des flots que sa
« langue, dans ses premiers efforts, imitait des sables couverts
a au loin d'écume ». L'idée est belle, simple à la fois et gran-
diose. Elle se trouvait déjà dans le poème de Thomson. C'est
du Génie des Mers que parle la déesse quand elle dit :
« Sa voix s'adresse à moi, semblable à la rauque rafale qui
« hurle autour des cavernes mêlée aux murmures des flots
« de la mer * ».
Lyttleton avait voulu publier de l'œuvre de son ami une
édition notablement réduite. Johnson s'indigne de cette muti-
lation, tout en déclarant qu'il n'a pu continuer la lecture du
poème complet. Lyttleton n'était pas mal inspiré. On ne peut
espérer, on peut à peine souhaiter pour a La Liberté » que
les lecteurs affrontent aujourd'hui plus qu'autrefois ses narra-
tions interminables et ses lieux communs sonores. Mais on
peut s'étonner que dans les éditions modernes, à côté des
« Saisons » et du « Château », on ne fasse pas au moins figurer
quelques extraits de ce grand poème dont toutes les parties ne
méritent pas le dédain et l'oubli qui les ont indistinctement
ensevelies.
1. Uyperion, Bk. U. — 2. Liberty, IV, 40i-406.
LIVRE IV
LE THÉÂTRE
CHAPITRE I
LES OEUVRES DRAMATIQUES. — « SOPHONISBE »
I
Thomson poète tragique ne montre guère ces qualités de
forte personnalité, d'indépendance et doriginalité qui s'affir-
ment dans les a Saisons » et même dans la conception d'une
œuvre telle que « La Liberté m. Le jour où il aborde la scène,
il se propose de donner satisfaction à toutes les exigences du
goût de ses contemporains. On sait ce qu'était devenu, au début
du xviii* siècle, le théâtre anglais. Après l'école de la Restaura-
tion, après le drame d'Otway et de Dryden qui avait conservé
quelque chose de la<( vis tragica Dde la grande époque, après la
comédie de ce groupe d'écrivains dont l'œuvre nous apparaît
comme une gerbe de fieurs brillantes et malsaines, toute origi-
nalité, toute puissance et toute faculté d'invention étaient taries.
L'heure était propice aux rhétoriciens, aux théoriciens de l'art.
La fin du xvn* siècle voit naître le règne des critiques *. Des
pédants, dont le plus illustre est Dennis, vont, dans l'Angleterre
de Shakespeare, tracer les règles du genre, fixer les lois du
i. Avec Rymer et ses Views of the Tmgedies of the last âges, publiées
en 1688.
542 iAMES THOMSON.
goût, diriger l'opinion, guider le travail des auteurs, et distri-
buer le succès, la popularité, la fortune. Ils enseignent ou
imposent les plus rigoureux préceptes de recelé classique.
Tous les poètes se soumettent : Rowe, dont la première œuvre
dramatique montrait une liberté relative, se conforme par la
suite aux canons orthodoxes. Congreve, après quelque résis-
tance, s'incline et écrit The Mourning Bride, Addison res-
pecte dans son Cato les règles classiques avec une absolue
déférence. Nous ne nous étonnerons pas de voir Thomson en
faire également la base de son esthétique dramatique. — En
quelques autres points encore nous pouvons observer un con-
traste entre Técole du xviir siècle et la précédente. Le drame
de la Restauration n'avait, presque à aucun degré, subi Tin-
lluence de l'antiquité. Il évitait de demander ses sujets à l'his-
toire ancienne. Des événements moins lointains se prêtaient
mieux à ces diatribes politiques dont s'alimentait la tragédie
de cette époque. Mais avec l'établissement des doctrines de
l'école classique, l'imitation de l'antiquité et celle de la France
remettent en faveur les sujets antiques *. A partir surtout du
succès de « Gaton », les tragédies qui ne mettent pas en scène
des (irecs ou des Romains seront à l'état de rares exceptions.
Voici qui nous explique comment, pour l'œuvre par laquelle
il allait tenter la carrière dramatique, Thomson fit choix de
l'histoire de Sophonisbe. Le sujet avait été traité bien des fois,
depuis que Giorgio Trissino avait fait jouer, vers 1514, dans la
grande salle de l'hôtel de ville de Vicence sa SofonishUy la pre-
mière tragédie régulière que le théâtre italien ait empruntée à
l'histoire. La pièce du Trissin, publiée en 1524, était traduite
en prose par Mellin de Sainct-Gelays et représentée à Bloisen
1554, puis la traduction en était publiée en 1559. Un notaire
royal de Lyon, Claude Mermet, faisait représenter en 1583 et
publiait en 1584 une traduction en vers. La même année était
représentée une tragédie de Mondot qui n'a pas été publiée. En
1596 Montchrestien, et en 1601, Montreux faisaient paraître des
iSophonishe qui, tout en suivant d'assez près la tragédie du
Trissin, n'en étaient pas de pures traductions. Marston donne
1. Sur la formation de l'école classique angraise, et, en particolier.
sur rinnuence exercée par dos dramalurges, de Corneille à Voltaire, on
trouvera de copieux détails dans Ward, Ènglisk Dramalic Literaturf,
vol. II, p. 454- n5.
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — « SOPQOiNISBE. » 843
aussi une a Sophonisbe )» à la scène anglaise en 1606, et David
Murray en feit le sujet d'un poème publié en 1611 *. — Plus
célèbre que toutes celles qui avaient jusqu'alors suivi l'œuvre
du Trissin est la Sophonisbe de Mairet jouée en 1629 et publiée
en 1635. C'est la première tragédie régulière de notre théâtre,
la première où soient observées les règles suivies par les
auteurs italiens. Elle est restée longtemps en faveur. Corneille
ne Ta pas fait entièrement oublier par l'œuvre du même nom
qui, représentée le 18 janvier 1663, fut publiée l'année sui-
vante. — Lee remettait de nouveau ce sujet sur la scène anglaise
en 1676. Lagrange-Chancel faisait jouer le 19 novembre 1715
à la Comédie-Française une Sophonisbe qui atteignit quatre
représentations ^.
On connaît l'histoire de la Carthaginoise telle que les
historiens anciens nous l'ont transmise '\ Sophonisbe, fille
d'Asdrubal, et femme de Syphax, roi de Numidie, respire la
haine des Romains. Elle a soulevé contre eux son mari. Celui-
ci est vaincu par Massinissa, roi de Massilie et allié des
Romains; la ville de Cyrthe, où Sophonisbe attend l'issue de
la lutte, est elle-même prise. La reine redoute plus que la mort
la servitude romaine. Elle implore Massinissa de lui éviter
cette honte suprême. Massinissa, qui l'a jadis aimée, sent
renaître son ancienne passion *. Il épouse Sophonisbe dont le
1. Le poème de cet ami de Draylon esl peu connu. Nous en citerons
uue strophe comme spécimen de la langue et du goût de Tauteur :
N Thus having written with a sigbing spirit,
Hee foulds those blacke ncwes in a snow-white sheet,
Uttering thèse spceches, to Ihe scroll; her merit
Deserv'd a better présent then this writ :
Tet shall she see so rare a Ihing in it,
Prom servitude and shame shall save her now.
And likewise me from a polluled vow.
(Slr. V.)
2. La pièce de Thomson, représentée en 1729 et publiée en 1730, n'esl
pas du reste la dernière de la série. Notre liste, si complète que nous ayons
essayé de la faire, omet sans doute encore quelques tragédies restées
ignorées, après que nous aurons mentionné la Sophonisbe de Voltaire,
représentée en 1769, et, dans notre siècle, celles de Dalban (1850) et
Parissot (1864).
3. Tite-Live, liv. XXX, chap. xii à xv. — Polybc, liv. XIV. — Appien, • His-
toire Punique », chap. x et suiv., et « Histoire espagnole •, cbap. xxxvii.
Halliwell, dans son édition de Marston, mentionne aussi Comclius Nepos
(m Viia Hannihalis\ Orosius et, parmi les modernes, sir W. Ra^icigh,
History of the World, Bk. V, et Langbaine, p. 551.
4. C'est Appien d*AIexandrie qui mentionne cette circonstance dont les
544 JAMES THOMSON.
premier mariage est annulé par la captivité de Syphax '. Les
Romains revendiquent néanmoins leur prisonnière, et Massi-
nissa, pour lui épargner l'humiliation à laquelle les vainqueurs
la réservent, lui envoie une coupe de poison.
Il n'est pas étonnant que tant d'écrivains aient été séduits
par un pareil thème. Il y a là autant de circonstances drama-
tiques, autant de péripéties pathétiques pour conduire à une
catastrophe émouvante, autant d'occasions à nobles et élo-
quentes harangues qu'en a pu jamais souhaiter poète tragique.
— Le personnage de Sophonisbe, tel qu'il nous apparaît dans
les historiens antiques, est dominé par un sentiment suprême :
lamour de Garthage et la haine des Romains. D'autre part les
fortunes diverses de sa vie, ce double mariage, cet état d'une
femme dont les deux maris sont vivants prêtent aux plus
romanesques complications. De là deux conceptions diverses
du caractôre de Théroïne et de la fable dramatique. Quelques
auteurs auront surtout en vue le drame des passions qui agi-
tent ces trois personnages : Sophonisbe, Syphax et Massinissa.
D'autres verront d'abord et presque uniquement Sophonisbe,
l'indomptable ennemie de Rome, l'héroïne au patriotisme
endammé. La première interprétation est celle du Trissin, de
Mairet et de Lee. La seconde est celle de Corneille. Cette hau-
taine grandeur de sentiments était faite pour lui plaire. Mais,
comme le poète vieilli croyait devoir mêler à toute action tra-
gique une forte dose de sentiment romanesque, il n'a pas con-
servé intacte la farouche Carthaginoise de Tlfê-Live. « Je lui
ai prêté », dit-il lui-même, ce un peu d'amour xf.
II
De ces deux conceptions ' c'est la dernière que choisit
Thomson. Il aborde la scène avec une double et très apparente
ailleurs de toutes les • Sophonisbes • ont youlu tirer parti. Sopbonisbe,
promise par Asdrubal à Massinissa, aurait été forcée par le sénat de
Garthage d'épouser Syphax.
\. ' Le mariage est rompu par le divorce, la mort, la captivité.... '
{Digeste, liv. XXIV, titre ii, l. Cité par Marty-Laveaux.)
2. Il y a du reste un troisième parti à tirer du thème fourni par le«
historiens. C'est de greffer sur leur récit toutes les inventioos imagiuablef.
sans plus de respect de la vérité historique que de la rroiseroblance
humaine. C'est ce qu'ont fait Marston, et, à un moindre degré, Lee.
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — « SOPHONISBE. » 845
préoccupation. Il veut exprimer, par la bouche de ses person-
nages, les sentiments les plus nobles et les plus héroïques.
Il veut aussi observer rigoureusement les principes de Técole
classique, en limitant le nombre de ses personnages, en rédui-
sant les circonstances extérieures de l'intrigue à une action
aussi simple qu'il se pourra. Ce sont bien les deux exigences
qu'impose alors le goût du public et celui des lettrés. On
demande moins aux dramaturges l'invention ou le mouvement
que l'adaptation ingénieuse de leur fable aux étroites condi-
tions prévues par la règle des unités. On attend d'eux, non pas
la profondeur psychologique ou la puissance créatrice, mais
la dignité soutenue et l'éloquence du langage ».
Thomson a connu la pièce italienne et au moins les deux
versions de Mairet et de Corneille *. Mais il a fait subir aux
données fournies par ces écrivains d'importantes modifications.
L'amour de Sophonisbe pour Massinissa est le sujet unique
des premières scènes de la tragédie de Mairet, et reste jusqu'à
la fin un des éléments importants du drame. Il passe chez le
poète anglais au second plan. C'est par une profession de sen-
timents patriotiques adressée par Sophonisbe à sa confidente
que s'ouvre la tragédie de Thomson. Cette circonstance d'un
amour de l'héroïne répondant à celui de Massinissa, notre
auteur ne le conserve qu'avec un embarras évident. Il y insiste
aussi peu que possible; il lui laisse un caractère si vague qu'on
peut toujours se demander s'il a voulu que le lecteur y ajoutât
foi A ses yeux évidemment cette faiblesse diminue la gran-
deur d'âme de l'héroïne. L'amour de Carthage, la haine du
nom romain, l'horreur de la servitude et le culte passionné
1. « The sure eign of the gênerai décline of an art is Ihe freqiien
occurrence, not of deformity, but of misplaccd beauty. In gênerai, Tra^
gedy 18 corrupled by éloquence; and Comedy by wit. » (Macaulay, Essaïf
on Machiavel,)
2. 11 est infiniment probable qu'il connut la pièce célèbre du Trissin.
Son voyage avec le jeune Talbot et son séjour en Italie lui rendaient
familiers les chefs-d'œuvre de la littérature italienne. Du reste, il a songé,
nous le verrons, à joindre à sa tragédie une partie lyrique. C'était bien à
Teiemple du Trissin, suivi par Saint-Gelais, Mcrmet et Montchrestien.
mais non pas par Mairet, qu'il faut reporter un pareil projet.
L'influence de Mairet, se fait sentir dans plusieurs détails. C'est dans sa
Sophonisbe que se rencontre une confidente du nom de Phœnissa. La
scène du début de la tragédie de Thomson, la conversation de Sophonisbe
avec ses femmes, en un lieu d'où l'on peut suivre la bataille, reproduit
exactement la donnée d'une scène de Mairet, acte II, se. 1.
846 JAMES THOMSON.
de la gloire voilà les sentiments dont le dramaturge veut pétrir
rame de sa Sophonisbe. Il est à cet égard plus cornélien que
Corncillo lui-même dont riiéroïne est amoureuse, au moins
autant qu'elle est patriote. Il est vrai que cet amour est de
nature particulière, et n*a pas pour effet d'amollir Tâmedela
Carthaginoise. La Sophonisbe française ne cède point à un
sentiment plus fort que la raison ou le devoir. Mais elle a au
[)Ius haut point cette fantasque et hautaine coquetterie que le
vieux Corneille prête aux femmes de ses dernières tragédies.
Elle n'aime pas Massinissa; mais elle aune rivale, et son hon-
neur soufflerait autant du triomphe de cette Eryxe que de la
ruine de Carthage ou de Thumiliation de la captivité ».
Thomson n'a pas conservé cette singulière et peu sympa-
thique conception du personnage. Il a également allégé la tra-
gédie de toute la complication romanesque dont l'avait agré-
mentétî Corneille. 11 a supprimé le personnage d'Eryxe, qui se
pose dans la tragédie française en face de Sophonisbe et qui
régale par Théroïsme des pensées, par la hauteur du langage
et par la même subtile application du ^ pun d'onore » aux
choses de l'amour — a Ce qui m'a plu », dit Thonjson lui-
même dans la Préface, « c'est la grande simplicité de raction
<( qui cependant présente plusieurs révolutions de la fortune i.
Et il s'est fait une loi de se borner strictement aux faits men-
tionnés par les historiens. Il limite à six le nombre des per-
sonnages, il compte pour l'intérêt de son drame moins surle
choc des événements extérieurs que sur les orages des cœurs
et les tumultes de la passion.
En renonçant ainsi à l'un des éléments du drame tel que
l'avaient compris Shakespeare et les grands dramaturges
anglais, notre poète sans doute faisait preuve de discernement.
11 se rendait justement compte de la limite de ses aptitudes et
de ses pouvoirs. Faire du drame un tableau fidèle de la vie
nous laisser pénétrer jusqu'à l'âme des personnages à travers
leurs actes, c'est le privilège des plus grands parmi les génies
dramatiques. Savoir même donner le mouvement aux figures
qui emplissent la scène, faire mouvoir et heurter les uns contre
les autres les individus ou les groupes d'un drame romanesque,
et, en dépit de prodigieuses invraisemblances ou des extrava-
1. Voir surtout acte V, 8c. i.
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — « SOPHONISBE. » S47
gances d'imaginations en délire, insuffler la vie à d'impossibles
créations, c'est Tart, inférieur sans doute, mais difficile à
acquérir, des dramaturges de second ordre dans les époques
de grande puissance dramatique. Sur un pareil terrain Thomson
n'aurait pu rivaliser ni avec Marston ni avec Lee.
Avait-il plutôt ce qu'il faut de subtile puissance d'analyse,
de pénétrante observation des replis cachés du cœur pour pou-
voir comme un Racine deviner les secrets des sentiments,
leurs mobiles mystérieux et leure répercussions lointaines?
Avait-il cette puissance de synthèse qui permet à notre grand
classique de ramasser ces observ^ations délicates ou profondes
et d'en former ces créatures générales auxquelles manquent
sans doute le trait individuel et la personnalité concrète, mais
non pas l'intensité de vie?
Un impartial examen de l'œuvre de Thomson ne permet
pas de répondre affirmativement à cette question. Il n'eut pas
plus le don du psychologue que le talent du dramaturge;
il ne sut ni faire mouvoir des groupes nombreux, ni créer
de vivants personnages. Si l'action de son drame est mortelle-
ment lente et froide, l'intérêt n'en est pas davantage soutenu
par une subtile analyse des cœurs ou par une fidèle et précise
représentation de leurs agitations. Sa tragédie ne nous offre
ni cohésion dans les caractères, ni logique, vérité ou vraisem-
blance dans le développement des passions.
Nous avons dit déjà de Sophonisbe qu'il est malaisé de savoir
s'il y a en elle quelque amour sincère pour Massinissa. Dans
sa première entrevue avec lui ', elle n'a dans la bouche que des
prières d'abord et ensuite des outrages. Pas un mot de passion,
pas un cri indigné pour protester contre le reproche de per
fidie que lui adresse son ancien amant. Quand elle-même à
son tour s'attache au souvenir du temps de leur amour, elle
semble le faire par un calcul de coquetterie plus que par un
émoi sincère. Dans l'acte suivant -, nouvelle scène de reproches
et d'injures quand la reine vient éveiller la jalousie de Massi-
nissa par ses prières en faveur de Syphax. Et lorsque, dans la
même scène, un revirement complet suit ce cri de Sophonisbe :
« Comment peux-tu me tuer ainsi? n rien ne nous permet de
comprendre pareil changement de ton ; rien ne nous fait savoir
i. Acte II, se. II. — 2. Acte III, se. iii.
548 JAMES THOMSON.
si c'est en efl'et le cri d'u» cœur blessé, ou une ruse habile. —
Le mariage est convenu, accompli et la reine explique à .^
confidente comment elle y a consenti uniquement par amour
pour Carthage *. Elle renouvelle les mêmes assurances à
Syphax *, et, même à l'agonie, ses pleurs et ses adieux vont à
sa patrie, à sa compagne plutôt qu'au mari, à l'amant qui se
désole devant elle. Sans aucun doute le poôte a voulu, au-
dessous des mâles vertus, montrer dans son héroïne quelque
passion plus féminime. Mais son intention est restée impuis-
sante. Il ne nous semble pas que jamais un cœur de femme
palpite sous le costume royal ou sous les voiles de denil de
Sophonisbo, reine, veuve, épouse ou captive. — Thomson
aurait ici pu s inspirer heureusement de l'exemple du Tnssin.
Le vieux poète avait conservé au personnage quelque chose
d'humain et de touchant. Le sacrifice de sa vie une fois fait, la
coupe de poison bue, Sophonisbe redevenait femme, avec les
touchants regrets de la vie, des choses terrestres et des chères
amitiés qu'avait exprimés l'Iphigénie grecque '. Rien de ceciMé
féminin, aimable et vivant n'est conserve par Thomson. Kn
dépit de l'assurance qui nous est donnée de son amour pour
Massinissa, la Sophonisbe qu'il nous montre est bien rhéroine
la plus dépouillée de fémininité que présente le théâtre.
Vas plus de clarté, ou, pour mieux dire, pas plus de vérité
dans le caractère de Massinissa. Le premier acte nous montre
en lui le parlait jeune héros de tragédie, moins l'amour. Vain-
queur de Syphax, il lui témoigne la plus courtoise comixis-
sion; il ne parait pas qu'il ait conservé souvenir d'une
ancienne llamme pour Sophonisbe, et, à la vue des transports
furieux de Syphax, il adresse une prière aux dieux pour leur
demander de ne jamais connaître les orages et les ravages des
passions *. A lacie suivant, avant même qu*il ait revu Sopho-
nisbe, nous sentons dans les protestations par lesquelles il
s'efYorce de rassurer Narva ' que cet amour n'est pas aussi
\. Aote IV, Fc. I. — 2. Acte IV, se. ii.
3. u Gara Incti cld Sole.... E tu dolce mia Terra.... E prego Iddio l'heia
uiorle poi — Ueclii pace e quiele a lutti voi. ■ — Puis viennent des adieux
à son père, à son frère, à sa sauir, h sa mère qui seraient plus ëmouYaot>
s'ils étaient moins prolongés. Le Trissin ne sait guère se borner oi s^
concentrer. Il é(!ril, comme Pasquier le disait de Marot, • beaucoup et
nnidcmcnt ».
4. Acte I, se. IV, V. — 5. Acte II, se. i.
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — « SOPHONISBB. » 349
complètement éteint qu'il le croyait lui-même. C'est bien là
une progression qui nous achemine vers Texplosion de passion
de l'acte III; mais rien ne Texplique, rien ne la justifie. Rien
ne s'est passé de nouveau depuis le moment où nous avons vu
Massinissa si calme en face de l'homme qui a été son rival
heureux. Bientôt il se trouve en présence de Sophonisbe *.
Elle n'a pour lui que des paroles de dédain; et nous sommes
très surpris d'entendre de quel ton il répond : « 0 Sophonisbe 1
a il n'est pas prudent de t'écouter ; j'ai mal connu mon cœur,
« lorsque je l'ai ainsi exposé î — je veux m'enfuir! ». La reine
s'est retirée, sûre d'avoir reconquis le cœur de son ancien
amant, et celui-ci cependant se félicite du péril bravé et sur-
monté. Il juge qu'il a fait preuve d'une stoïque force d'àme.
Au début de l'acte III l'amoureux Africain interroge sa pas-
sion et reconnaît peu à peu l'état de son cœur. Sans doute il
y a là une scène possible de fine et délicate analyse. Mais le
poète est resté inférieur à sa tâche. Nous ne sommes pas
en face d'une passion qui s'épanouisse par un développe-
ment spontané ou par suite d'influences visibles. Nous ne
croyons pas à l'amour de Massinissa — et il y a quelque chose
de presque comique dans l'émoi du personnage quand il se
demande : « Qu'est-ce que cela veut dire? — C'est l'amour,
« l'amour tout-puissant ^ » La constatation une fois faite, il
ouvre sans plus de résistance son cœur « au dieu rose et sou-
riant ' ». Dans la scène suivante il révèle à Narva l'état des
choses. Ce n'est pas là non plus que nous trouverons le secret
de cette transformation d'un Hippolyte en Oreste. « L'incendie
s'est répandu rapide », dit-il, et c'est le plus clair de ses
explications. Et aussitôt après il arrive au paroxysme de ces
passions de la tragédie héroïque, pour lesquelles il n'est pas
de déclamation assez ampoulée : a N'essaie pas de me
« détourner de mon amour.... Tes paroles pourraient apaiser
t les vents et leurs tourbillons.... Elles pourraient éteindre la
t flamme, mais non pas mon amour plus fort ^ » Rappelé
au sentiment du devoir, il trouve dans l'idée d'un mariage
immédiat avec Sophonisbe le moyen de concilier « l'amour et
l'honneur qui l'assiègent ». Mais quelques paroles de Narva
évoquent le souvenir de Syphax, de son rival heureux, aujour-
1. Acte II, se. II. — 2. Acte III, se. i. — 3. Ibid, — 4. Acte 111, se. ii.
S50 JAMES TUOMSON.
d'hui son prisonnier, et voilà cet amour frais éclos empoi-
sonné par les tortures de la plus féroce jalousie. Ces âmes flot-
tent et tournent au caprice du vent. La jalousie furieuse
succède à Tamour confiant, et fait place de nouveau à de
violents transports *. L'auteur a voulu de frappants contrastes,
il n'a pas su les rendre intelligibles ni acceptables.
III
A défaut d'une action entraînante, à défaut d'une psycho-
logie pénétrante et vraie, le succès peut être assuré à une tra-
gédie classique par d'autres qualités. L'exemple même du
vieux Corneille nous apprend que des personnages dont l'âme
est simplifiée jusqu'à un point que ne connaît pas la vie, dont
les sentiments sont raffinés et élevés au-dessus du niveau pos-
sible de l'humanité, dont l'attitude a pris quelque chose de
tendu, de conventionnel et de factice, peuvent cependant nous
offrir le spectacle le plus émouvant. Il y faut deux choses.
Il faut que le poète lui-même ait dans le cœur ou dans le
génie assez de flamme pour communiquer la vie à ces créa-
tures d'âme dépouillée et sommaire. Il faut aussi que ces
pei-sonnages d'une réalité relative, qui se meuvent dans une
atmosphère de sentiments, de passions et de pensées convenus,
s'expriment dans un langage assez beau pour être par lui-
même une source d'émotion esthétique, assez magnifique et
d'assez haute tenue pour nous faire accepter tout ce monde
de personnages et de sentiments montés à un diapason excep-
tionnel.
Thomson n'était pas Corneille. Le langage de ses héros n'a
1. • Tu triomphes, amour! Toute mon dme est amour — Et quand elle
se décide aveuglée à ne plus aimer — C'est alors que Tamour remporte
le triomphe suprême. -
Le personnage du reste explique lui-môme comment rameur doit »e
trouver dans une dme de héros (acte V, se. ii). L'idée semble empruntée
à Corneille, acte IV, se. m.
Ce n'est pas seulement en France, on le voit, que le bon sens et le bon
goût de Boileau peuvent trouver matière & raillerie :
« Et de quel droit se diraient-ils héros s'ils n'étaient point amoureux?
N'est-ce pas l'amour qui fait aujourd'hui la vertu héroïque? » (Dialogues
de Lucien f Platon et Diogéne.)
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — u SOPliONlSBE. » 651
ni la puissance, ni la noblesse, ni l*éloquence. La force est une
des qualités éminentes de son style dans les ce Saisons i^, mais
nous savons que là même elle a une tendance à devenir
eniphase. Sur la scène, et dans la bouche de pei'sonnages qui
ont à exprimer des passions violentes, elle se change en une
déclamation excessive et boursouflée. Aucun des personnages
n'est à Tabri de ce reproche. Sophonisbe parle une langue
uniformément enflée et emphatique. Dans ses dialogues avec
celui qui Taime et qu'elle est supposée aimer, elle a sans cesse
à la bouclie le défi et la menace *. Massinissa d'abord modéré,
sentencieux, exprimant des sentiments de piété % ou des
maximes de sage et banale pliilosophie, Massinissa devenu
tout à coup Tesclave de l'amour, de la jalousie ou de la haine
s'emporte à des extravagances de langage démesurées. S'il fait
une promesse à Sophonisbe, c'est en jurant a par les puis-
sances redoutées qui gouvernent les humains ' ». — a Son
a amour sera plus facile à calmer que les tourbillons du vent
« qui soulèvent le sable du désert ou que l'incendie des forets
a embrasées par la foudre *. » Au souvenir de Syphax il s'écrie
torturé par la jalousie : « Souvenir maudit! Voilà, voilà qui
« jelte àmon cœur un serpent.... Cette pensée est l'enfer ^ » A
la scène suivante cette jalousie s'exaspère encore, et TétoufTe'.
a II aurait tout pardonné à son rival, « de l'avoir chassé dans
« le désert pour y mourir de soif avec les dipsades ^ », tout
« .sauf « Toutrage impardonnable qu'il ne veut pas nommer' ».
Kt quand Lelius le menace d'arracher du lit nuptial la dange-
reuse ennemie de Rome, Massinissa répond dans un lan-
gage digne des héros les plus mélodramatiques de Marlowe,
de Mareton, de Dryden ou de Léo : « Ta rage pourrait plutôt
« arracher de sa sphère d'azur la lune lointaine ' ».
Quant au personnage de Syphax, il n'y a point à noter chez
i. Voir en particulier ucte II, se. ii, et acte III, se. m.
2. Kntre autres passages qiiclt|nes vers, acic I, se. iv, acte IH, se. m.
3. Acte II. se. II. — 4. Acte III, se. ii. — 5. Acte 111, se. ii. — 6. • Oh!
^rant me brenth! •
7. • And thirst witli Dipsads on tlie burning saud. • — C'est à Milton
que Thonison emprunte ce terme, souvenir sans doute de cette zoologie
fabuleuse où se plaisaient les écrivains de la Renaissance.
8. Acte m, se. III.
9. • As soon Iby rage migbl from yonder sphère
Tear yonder moon. •
(Acte IV, se. IV.)
552 JAMES THOMSON.
lui de soudains et inexplicables passages de la raison à une
sorte de paroxysme ardent. Celui-là est uniformément dans
un état de truculente exaspération. Dès la première scène où
il parait, c*est par les plus violentes injures qu'il répond aux
courtoises marques do pitié de son ennemi vainqueur. Et
bientôt sa colère ne trouve plus à s'exprimer qu'en exclama-
tions furieuses : a Tourments et torture!.... Confusion....
c Enfer * ! » Son opinion sur la femmes exprime en ces termes :
« inofîensive en apparence; mais au fond tout entière poison,
« serpents, tigres, furies, oui, tout entière 'i. c Je suis venu »,
dit-il à sa femme, « i>our te poignarder, et pour m abreuver
« du sang jaillissant de ton cœur' i».
Ce langage outré n'a pas même la tenue qui pourrait nous
le faire admettre comme une convention dramatique. On |»eut
concevoir une sorte de trans|X)sition du ton normal à celui
de personnages héroïques dont la voix serait plus sonore et
le verbe plus grandiloquent. On se fait à Tatmosphère s|)é-
ciale du théâtre de Marlowe ou de Marston et l'on cesse d'être
choqué de rentlure de leur style. Mais Thomson ne sait |»as
créer ainsi autour de ses personnages une atmosphère héroïque.
C'est par un effort imparfaitement dissimulé qu'il leur prête
ce langage extraordinaire. Nous avons conscience à tout
inouicnt que ces couleurs violentes sont destinées à nous faire
croire à l'extrême énergie des passions au lieu de trouver dan?
celles-ci leur explication et leur justification. Cette exaltation
du discours retombe souvent à plat, et, par exemple, à plu-
sieurs reprises, Massinissa bouleversé, i)artagé entre des solli-
citations opposées, s'interrompt pour se consulter en termes tels
que ceux-ci : a Voyons, réfléchissons un peu. Oui, c'est cela*! »
— a Voyons, pensons un moment — nonl non! non *î »
L'accent personnel manque à tous les personnages. Tous ont
la même faconde ronllante et la même énergie exubérante. Les
1. Acte l, se. IV.
2. Acte IV, se. II. C'est un trait qu*a relevé T. B., Fauteur du pamphlet
dont nous avons parlé dans la biographie, le premier critique qui se s<.il
occupé de la « Sophonisbe • de Thomson.
3. Acte IV, se. ii. Y a-t-il pure comcidonce, ou souvenir de ce passa)!^
de Lee : « Lau^h Nvhen thou art drunk with a Queen's blood •? {Sophun..
acte IV.)
4. - llold! — Let me think a while. — It shall be so! • (Acte V, se. n.
5. m Hold, let me think a mouienl. —No! no! no! - (Acte V, se. ii.)
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — « SOPOONISBE. >> 883
mêmes formules reviennent tour à tour dans la bouche de
chacun d'eux ^ Ils s'interpellent les uns les autres au moyen
de mêmes formes d'apostrophes naïvement énergiques: « Per-
nicious fair one M » — a Abject youth ^. » Parfois Tadjectif est
isolé en dépit de la grammaire: ce Away, thou cruel andungen-
erous, go M » — a Inhuman M » — Enfin la langue même de
Tauteur des a Saisons » ne se retrouve guère dans les vers
rocailleux de plus d'une scène *.
IV
Au milieu de ces scènes de violence à froid, de déclamations
et d'imprécations où l'on ne sent pas l'emportement de la pas-
sion sincère, on rencontre cependant quelques passages plus
dignes du grand poète dont le génie luttait en vain contre les
dinicultés d'un genre pour lequel il n^était pas fait. Quelques
passages, frappent et charment au milieu de ces dissonances
tapageuses; presque tous sont des passages descriptifs. Narva
décrit la captive aux charmes de laquelle Scipion a victorieu-
sement résisté, et dans ce portrait nous relevons une notation
délicate : «.... elle pleurait et rougissait, jeune, fraîche, écla-
a tante comme l'aurore. Et son œil était comme un coin du ciel
1. « Down, my heart! my SNvciling heart! - s'écrie Massinissa, acte UI,
se. m; et, à l'acte suivant. Sophoniabe à son tour :
« Impatient spirit, do\\a! » etc.
2. Acte III, se. II.
3. Acte in, se. III. Cette aménité est adressée par Sophonisbe à Massi-
uissa pour quelques paroles malsonnantes à Tcgard de Carthage.
4. Acte 111, se. m.
5. Acte IV, se. ii. — 11 faut tenir compte sans doute des usages de la
langue dramatique d'alors. On avait tant abusé de l'interjection que l'efTet
en devait être fort émoussé. Uowe, qui n'est pas .parmi les moins raison-
nables de l'école, a des vers entièrement formés de substantifs excla-
matifs :
• Distraction! Fury! Sorrow! Sliame! and Death. •
(The Fair Pénitent, acte IV, se. i.)
6. Tiu) Birch signale par exemple ceci :
• And then it was, that wlien the heroe hcard
That I to thce belong'd •, etc.
Les éditions suivantes changèrent «< That I n en • How 1 v.
5S4 JAMES THOMSON.
bleu qu'on voit trembler à travers le blanc pur d'un nuage ^ i
— Tous les actes, on le sait, se terminent par quelques vers
rimes. Le passage qui fmit l'acte III prend le développement
d'un air de bravoure. Massinissa y compare le calme rétabli
dans son âme par l'amour de Sophonisbe à l'apaisement des
flots irrités quand la jeune Vénus s'est élevée, a souri, a
montré sa beauté. Tout ce simile est vraiment beau, d'une
langue harmonieuse et sûre qui contraste avec les laborieux
efforts du dialogue. Il y a repos pour le lecteur, comme sans
doute aussi pour l'auteur, à ces quelques vers de description
où le poète parle en son nom, et ne s'impose plus la tâche
ingrate de fournir un langage aux sentiments forcenés de ^
personnages.
À l'imitation des tragédies antiques, la <r Sophonisbe » du
Trissin faisait une grande part au chœur. Les femmes cartha-
ginoises mêlent leur voix, leurs soupirs, leurs espérances ou
leurs lamentations à toute l'action de la tragédie. Les traduc-
teurs et les imitateurs du poète italien conservent cette donnée *;
mais on voit chez eux limportance du chœur diminuer gra-
duellement. Mairet enfin le supprime. Thomson a songé à le
faire intervenir de nouveau, avec infiniment de réserve du
1. « She wept and blush'd
YouDg, fresh and blooming like the raorn. An eyc
As when tbc blue sky trembles through a cloud
Of puresl white. •
2. Dans la traduclion en prose de Mellin de Sainct-Getays, ces chœur>
seuls «ont en vers. Dans le dialogue même la mesure est celle de Falexan
drin (quelquefois sans rimes) :
• 11 fait bon s'exempter de si cruelles mains
Mais non point par la mort; car la mort est le mal
Extrême et le dernier de tous les autres maux. -
^P. 174.)
Kn dehors du dialogue le chœur s'exprime en vers de sept 8yllat>es. et
une seule fois daus une combinaison de vers qui forme une s Iropbe gra-
cieuse :
•• Las! je me sens au cucur
Une si grande peur,
(^ue je ne scay que taire ou que parler;
Je me sens toute telle,
Comme la colombelic,
Qui sur son chef voit un aigle voler. »
(Première intermédie, p. 176.)
Mermet emploie aussi pour le lant^oge du chœur, ou, comme il le dit.
des • Dames ensemble •, le vers de sept syllabes. — Chez Montcbrestico.
il n'y a pas d'autre mesure que l'alexandrin.
LES ŒUVRES DRAMATIQUES. — <' SOPIIONISBE. » 555
>te. Le chant nuptial qui figure dans ses œuvres diverses
nine ayant été destiné à la tragédie de « Sophonisbe » devait y
e entendu à Tacte IV, au moment où le peuple se réjouit du
iriage de Massinissa et de Sophonisbe. C'est ce chant qui
vait apprendre à Lelius un mariage auquel il a peine à
)ire. Certes nous ne voulons pas exagérer Timportance du
)rceau. Il ne suffit pas à nous faire voir en Thomson un
(île lyrique. Mais cette pièce à Vénus et cet éloge du dieu de
rnour sont à coup sûr mieux venus que la plupart des
aides ampoulées des protagonistes.
Vu début de Facte V, on peut noter aussi un court et bril-
it passage où se retrouve la maestria du grand poète des-
ptif. Massinissa joyeux voit toute la nature s'associer à son
nlieur :
The breezy sprin^^
Slands loosely floating on thc mounlain-loi).
And deals Iut sweets arunnd.
blette comparaison des défauts et des beautés de la ti*agédie
it sans doute suffire à expliquer le peu de succès de l'œuvre,
sait cependant que Téchec en a été attribué à certain vers
irné en ridicule au moment de la représentation. Nous
)ns dit autre part avec quelle réserve il faut accepter ce
iiu fait de l'histoire littéraire. Mais nous ne pouvons ter-
ner notre étude de la a Sophonisbe » sans rappeler le seul
ssage qui en soit resté célèbre :
Oh!_Sophonisba, Sophonisba, oh!
S'ous n'entreprendrons pas de réhabiliter ce vers malheu-
IX. Il n'est que juste cependant d'affirmer que les contem-
rains de Thomson ne le trouvèrent pas, a prima facie »,
icule comme il nous apparaît aujourd'hui. Pour le rendre
)tesque, on le coupe en deux hémistiches symétriques. Il est
ir que c'est une trahison que ne prévoyait pas le poète. Sa
[îctuation indique un arrêt après la première et avant la der-
Te interjection. — Quant à ces interjections, elles sont mou-
le courante dans la langue dramatique pendant une longue
riode. Tliomson en use largement. Les « 0 Sophonisba! » ne
it pas à compter *. Parfois même un autre nom propre
. Voir, par ex., acte II, se. u, et acte Ul, se. m.
886 JAMES THOMSON.
exprimé deux fois et flanqué des deux interjections : c Oh!
Narva, Narva, oli M » reproduit exactement le mouvement de
rexclarnation plus célèbre de l'acte III. Mais n'oublions pas
que les exemples de formes semblables abondent dans le
théâtre depuis la Restauration. Le vers de Thomson se trouve
presque identiquement dans Lee :
« 0 Sophonisba, oh! » (Acte I, se. n.)
Et quel est le personnage tragique de toute cette période dont
le nom ne figure point au moins une fois précédé ou suivi de
rinévitable a oh » *?
Thomson et ses contemporains semblent du reste avoir trouvé
dans cette seule syllabe des beautés que nous n'y voyons plus.
Leurs acteurs sans doute savaient les y mettre. L'indication
scénique la fait quelquefois émettre simultanément par {plu-
sieurs personnages. — Mandane et Memnon dans la dernière
scène du Busiris de Young s'écrient à l'unisson :
a Oh! oh! »
C'est aussi par cette exclamation que se termine la plus
célèbre des trtgédies du xviir siècle, le Caton d'Addison '.
Voici le commentaire de Thomson lui-même sur cet éloquent
monosyllabe et sur la façon dont il Ta entendu interpréter par
Tacteur Booth : « In the last act in Cato... you would think he
« expired with the Oh ! that ends it * ».
Thomson est donc loin d'être le seul coupable, et ce n'est pas
à lui mais aussi bien à toute la race des dramaturges depuis
Dryden et Lee que s'adressait la parodie deCarey, faisant tenir
tout un vers dans cette unique et éloquente syllabe :
0 h 5!
1. Acte II, se. m. — Fielding relève ce vers en même temps que fauUv.
On a rapproché de ces passages de Thomson, une expression de Shake
speare lui-même : • 0 my motherî mother, 185. 0! ■ {Coriolanus, V, m!j
2. On aurail pu supposer que l'un d'eux au moins devait échapper à la
commune loi : VOroonoko de Southerne. Il n'en est rien.
• — Imoinda, oh! thy Oroonoko calls.
Imoi^da [coming to life].
— My Oroonoko! oh! 1 can't believe • etc.
(Oroonoko^ acte U, se. ui.)
3. • The besl may err, but you are good, and — oh! • (Dies,)
i. « Lettre à Cranstoun du 3 avril 1725. •
5. Chrononhotonthologos, vers flnal.
CHAPITRE II
« AGAMEMNON »
I
Pour le sujet de sa seconde tragédie, Thomson s'adresse à
une plus lointaine antiquité : des annales glorieuses de Home
il passe aux sombres légendes épiques de la Grèce. Après avoir
transporté sur la scène un chapitre de Tite-Live plein de dra-
matiques événements, il fait revivre la plus simple, à une seule
exception près *, des tragédies grecques, V « Agamemnon d
d'Elschyle.
Non pas d'ailleurs qu'il songe à en conserver la fruste gran-
deur. — Dans le drame d'Eschyle, les personnages ont une
attitude morale inflexible, immuable comme le masque des
acteurs qui les représentaient. Dès le début Clytemnestre est
décidée à tuer le roi, pour venger sa fille et pour échapper au
châtiment de l'adultère. Egisthe tend au meurtre d' Agamemnon
d'une volonté que rien ne combat; il y est poussé tout à la fois
par l'ambition, par l'amour et par le devoir qui lui commande
de venger son père. — Le poète anglais ne se contentera pas
d'une psychologie aussi sommaire. Ce qu'il poursuit, ce n'est
pas une restitution de la tragédie antique ; c'est le développe-
ment, sur le vieux sujet des malheurs et des crimes de la
1. • Les Suppliantes » sont, selon Texpression d'un historien delà litté-
rature grecque, un menreilleux cantique en rhonneur de l'hospitalité.
558 JAMES THOMSON.
famille de Pélops, dune tragédie conforme aux doctrines litté-
raires du xviir siècle.
Déjà rimitation qu'avait donnée Sénèque de V « Agamemnoii i
avait altéré la simplicité sculpturale des personnages d'Eschyle.
Dans la tragédie latine, le drame n*est pas uniquement conduil
par la fatalité vengeresse des crimes du passé. Clytemnestrea
des hésitations et des scrupules. Elle délibère avant de se
déterminer au meurtre. Et si, dans l'ensemble, l'œuvre de
Sénèque reste incomparablement inférieure au modèle grec en
force tragique et même en habileté scénique, elle marque
cependant un développement des ressources possibles du
drame, et un acheminement vers la riche analyse psycholo-
gique des théâtres modernes.
Mais Thomson ne se contente pas de cette altération. Il
ajoute aux éléments d'intérêt que présente la lutte des passions
dans le cœur de l'héroïne ceux qu'il tirera des péripéties
d'une intrigue développée au milieu des coups de théâtre '.
Nous voilà bien loin de Tantique Orestie. L' « Âgamemnon •
anglais est une tragédie psychologique par la complexité des
âmes qui y sont mises en jeu, et c'est un drame romanesque
par la variété des incidents qui mènent l'action.
On comprend quel principe de faiblesse devait contenir une
u'uvre ainsi composée. Entre les diverses conceptions possibles
l'auteur n'a pas voulu choisir. Toutes figurent à la fois dans sa
pièce composite; mais aucune n'est satisfaisante. Le souvenir,
évoqué dans un dialogue *, des crimes atroces de la famille des
Atrides ne remplace pas cette tragique émotion que fait peser
sur l'œuvre grecque l'action du destin implacable. Les machines
i. Il ne semble pas du reste avoir tiré grand parti directement de to
tragédie de Sénèque ni des traductions ou imitations nombreuses qu'en
avait donnée? le théâtre français. (Ch. Toutain en 1556 ou 1557 — F.-C
Duchat en i561 — Rolland Brisset en 1589 ou 1590 — Pierre Mathieu
en 1589 — Benoist Bauduyn en 1619 — P. Linage [en prose] en 1651 —
Michel de Marolles [en prose] en 1660 — Claude Boyer en 1680 — Pierre
Bnimoi en 1730.)
Peu de détails, en dehors du personnage de la nourrice, paraissent
empruntés à cette tragédie latine qui fournit & Racine la matière d'un
de ses vers les plus célèbres :
« Vicere nostra jam metus omnes mala. •
(Actus m, 685.)
• Gr&ce aux dieux, mon malheur passe mon espérance! •
{Andromaqu€f acte V, se. y.)
2. Acte II, se. VI.
« AGAMEMiNON. » 559
dramatiques les plus ingénieuses ne remplaceront pas ce
souffle d'horreur que répandent dans toute la trilogie d'Es-
chyle les Parques toujours présentes sinon toujours visibles.
Quant à la complexité introduite dans Tâme des personnages,
elle diminue leur majesté hiératique sans que Thomson ait su
y trouver l'occasion de grandes et belles créations dramati-
ques. Glytemnestre ramenée à des proportions plus humaines
n'est pas pour cela plus vraisemblable; elle est assurément
moins vivante. Après plusieurs années de trahison criminelle,
elle se sent bourrelée de remords en apprenant l'arrivée pro-
chaine d'Agamemnon. Les excuses qu'elle invoque sont
étranges. C'est, à l'en croire, la douleur et l'indignation inspi-
rées par le sacrifice de sa fille qui l'ont poussée à l'adultère.
Elle entend n'être criminelle que jusqu'à un certain point, et
veut tout avouer à Agamemnon. Elle s'emporte en violents
reproches contre Egistlie, puis elle lui propose de fuir, etiinit
par écouter sans trop de révolte la proposition qu'il lui fait
d'assassiner le roi. Quand, à la fin du second acte, le même
sujet occupe les deux amants, Glytemnestre supplie d'abord
son complice de renoncer à ce crime nouveau *. Mais quand
celui-ci lui rappelle l'accusation portée contre Agamemnon
d'avoir, sous les murs de Troie, aimé Chyséis et Briséis et plus
tard cette Gassandre qu'il ramène avec lui, l'épouse outragée
donne, au moins par prétention, son assentiment au projet
d'assassinat. Voilà une susceptibilité inattendue et un renver-
sement de sentiments peu expliqué. Est-elle au moins assurée
dans cette dernière résolution? Non, nous la retrouvons au
quatrième acte pénitente et timorée; elle croit devoir s'excuser
auprès de Mélisandre; mais elle le quitte pour avertir Egisthe
de l'imminence du danger qui les menace. Et quand, au début
de l'acte V, Egisthe expose nettement à la reine son projet,
elle s'indigne et se révolte, injurie son amant, déclare qu'elle
préviendra Agamemnon du forfait qui se prépare; puis il suffît
de lui parler de Gassandre pour que sa singulière jalousie
reparaisse; elle pleure et consent au meurtre. — G'est donc, à
1. Dans la tragédie de Sénèque, dont la psychologie est parfois très
naïve, Glytemnestre conçoit elle-même le projet de mettre à mort Aga-
memnon, puis elle se rend aux bons avis de sa nourrice, et elle déclare
à Egisthe qu'elle sent renaître en elle l'amour conjugal — ce qui ne Tem-
pêche pas du reste de consentir finalement au meurtre.
S60 JAMES THOMSON.
trois reprises différentes, la même succession non justifiée de
sentiments opposés, sans aucun élément nouveau d'intérêt.
C'est le spectacle trois fois présenté d'une même incohérence
inexplicable.
II n'y a pas plus d'unité dans le caractère d'Égisthe. A regard
d'Agamemnon tout au moins, il n'a pas d'hésitation. Mais
quels sont se^ sentiments envers Clytemnestre? Nous pouvons
concevoir, sans que jamais Eschyle nous donne à cet égard
d'indication, l'amour de ce loup pour c^tte louve. Mais quelle
singulière posture et quel singulier langage que celui du lils
de Thyeste dans les premières scènes de 1' « Agamemnon »
de Thomson! Il gémit, il soupire, il se plaint timidement
comme le plus galant et le plus doucereux de ces héros qu'a
raillés Boileau *.
C'est là qu'est la grande faute de goût de Thomsou. Il
n'a pas senti qu'il y avait incompatibilité entre les données
atroces du drame eschylien et les bienséances, les nuances, les
réserves et les délicatesses d'une tragédie moderne. On |)eulà
coup sûr trouver un noble sujet de drame dans les hésitations
et les déchirements d'une femme que sollicitent la passion,
l'intérêt et le devoir. Mais ces hésitations et ces scrupules
d'une îime moyenne et pondérée, on ne s'attend pas à les ren-
contrer dans cette famille de Pélops où Tantale et Atrée ser-
vent à leurs hôtes la chair de leurs enfants, où les parricides
et les incestes font reculer d'horreur le soleil, où les meurtres
vulgaires ne se comptent pas, sans parler du sanglant sacrifice
par lequel Agamemnon a prouvé son dévoûment à la cause des
Ctrers.
Le drame est rapetissé par cette introduction de ptissions
diverses. Il l'est plus encore par la conception d'une intrigue
compliquée, à péripéties imprévues et variées. Thomson a
imaginé l'incident romanesque de Mélisandre jeté sur une ile
déserte par ordre d'Kgisthc et recueilli bien des années apni's
par Agamemnon lui-même dans son voyage de retour. De
sorte qu'au lieu du roi confiant et heureux que nous montre le
1. - 0 more than lovely! 0 majestic fair one!
Since yoii Ihen know Ihe jealous force oflove,
Forgive ils lender fears, ils fond olTence;
OfTence I coiild not mean. » Etc.
(Acte I, se. m.)
« aCtAMEMNON. » 561
grec, nous voyons en face d'Égislhe un homme averti dont
oupçons se changent bientôt en certitude. C'est un duel de
et de savoir-faire qui s'engage entre les deux ennemis,
érét ne porte plus sur le drame intérieur des âmes et des
rs, mais sur les péripéties d'une lutte de palais. L'issue
est fixée ni par l'irrésistible volonté des dieux, ni par les
ilés de la passion. Si Égisthe remporte c'est parce que la
péte retarde de quelques heures l'arrivée des vaisseaux du
ussi bien Thomson ne fait-il qu'une faible part aux élé-
its qui donnent à l'antique tragédie son caractère. Le
ur disparaît presque entièrement, et dans la courte scène
il ligure * il n'apporte au drame aucun élément lyrique,
nobles strophes où, chez EIschyle, le chœur des vieillards
ens célèbre d'abord l'enthousiasme de la Grèce s'armant
r venger Ménélas, et puis les maux de la guerre font place
s la tragédie anglaise à un dialogue où le roi et son fidèle
is développent en style pompeux les bienfaits et les beautés
X paix, les mérites et l'utilité de la guerre. Le début si plein
avcur de r« Agamemnon » grec, le monologue du veilleur
ndant depuis des années, sur le toit du palais, le signal qui
annoncer la prise de Troie, cette scène d'une naïveté
ue, pouvait tenter le poète moderne. Il n'y a vu que l'occa-
d'un morceau descriptif traité avec soin; il n'a rien con-
é de ce qui en fait pour nous la couleur et le charme
laïque.
II
rares que soient les occasions où Thomson a fait passer
5 sa tragédie quelque chose de la farouche grandeur de son
lèle, il en est une cependant qu'il convient de signaler,
ant le palais où elle sait qu'un crime odieux va s'accomplir
>andre, dans le drame grec, est saisie d'horreur, a Ce palais »,
îlle, a exhale une odeur de mort, le sang y dégoutte » ; et
id le chœur répond : m Oui, le sang des victimes brûlées
Acte IV, 8c. III.
36
562 JAMES THOMSON.
sur Tautel )>, la prophétesse ajoute : c La vap>eur qui y règiu
est celle des tombeaux * u.
Thomson a fait perdre à ces paroles quelque chose de leur
tragique épouvante en y ajoutant un long et faible développe-
ment. Mais il a eu l'audace de reproduire l'idée qu'expriment
ces deux vers :
a Emportez-moi loin de ce palais ou plutôt de cet abattoir.'
« Il y règne une odeur de carnage, et l'on y sent une vapeur
« affreuse, comme peuvent en exhaler les sépulcres béanU». *
Malgré Tem phase inutile, et les mots nobles (carnage, sépulcre»
béants) qui sont la marque de l'écrivain et du temps, la tra-
duction conserve quelque chose du puissant réalisme et de
l'horreur presque physique évoquée par le passage d'Eschyle.
Cette intervention du sens de l'odorat en pareille occasion nous
éloigne singulièrement des conventions, des bienséances, delà
pointilleuse noblesse du théâtre classique au xvm* siècle. C*e5t
plus haut, c'est au théâtre de la Renaissance anglaise et au
génie de Shakespeare qu'il faut remonter pour trouver l'équi-
valent de cette association hardie d'une tragique émotion à une
hallucination d'un sens inférieur. Par delà les siècles, à tra-
vers les civilisations diverses et les révolutions de l'art,
Shakespeare rejoint Eschyle dans une même inspiration quand
lady Macbeth sent l'odeur ineffaçable du sang sur la petite
main que le crime a souillée *.
III
Les personnages de 1' a Agamemnon » anglais n'ont rien,
nous l'avons vu, de l'énergie brutale des héros du vieil Eschyle.
La tragédie anglaise se termine cependant comme l'autre dans
le sang et les imprécations furieuses. C'est une nécessité du
sujet choisi, ce nVst plus une conséquence naturelle du choc
des caractères. La langue reproduit les anachronismes, \e^
trahisons, et, on peut le dire, les contre sens de l'interpréta-
1. Kaaàvopa. 4>ô6ov ^6[loi rcvéouaiv at(iaTO«TTaYT,.
Xopôç. Ka\ 1CCÔ; toS' o'Cei Ou(iâT(i>v èçETT^wv.
KaTdcvSpa. "Ofxoio; àT(iô;, tûtm&p ix xiçou, icplicei.
(- Agamemnon -, p. 71.)
2. Macbeth, acte V, se. i. 56-58.
« AGAMEMNON. » 863
tion donnée par Thomson du drame eschylien. Le grand effort
de son style est vers la majesté. Tout le monde doit parler avec
noblesse; et ni dans les explosions de colère de Clytemnestre
ou d'Égisthe, ni dans les fureurs prophétiques de Cassandre,
les droits du beau langage ne sont oubliés. Voici en quels
termes le rois des rois, à son retour, salue sa femme : a 0 laisse-
« moi te presser sur mon cœur palpitant qui veut prendre son
« vol pour aller se confondre avec le tien * ». Dès la première
scène, Clytemnestre exprime, à grand renfort de prosopopées,
ses angoisses et ses regrets. Dans un passage de douze vers elle
apostrophe tour à tour les souvenirs de l'amour d'Ëgisthe,
« sirènes perfides », la nature qui a mis dans les âmes humaines
des forces opposées, et enfin la raison qui la torture. Les pro-
cédés familiers de la rhétorique sont mis en usage; mais sur-
tout l'inversion, la suspension et la répétition des termes ^ Et
enfin, dans cette recherche du style noble et du langage élégant
Thomson arrive parfois aux pires excès du mauvais goût pré-
tentieux. Cassandre prophétise l'assassinat prochain d'Aga-
memnon. Il sera frappé pendant son bain a et bientôt le sang
fera rougir l'eau innocente ' ».
En dépit de l'elfort de l'auteur, le style ne se maintient pas
toujours à cet état de noblesse soutenue. Cette tension continue
fatigue le lecteur et sans doute aussi l'écrivain. Quand elle se
relâche, le dialogue tombe à plat ; et le contraste avec le ton
général ajoute à la lamentable pauvreté des passages où le
poète n'est plus guindé sur le cothurne. Par exemple, la
confidente de Clytemnestre termine un passage de style
aussi prétentieux que le veut le goût du jour sur un ton de
bonhomie inattendu : <c Sure, 'tis too much, my queen * »; ou
bien elle interrompt une pompeuse énumération des torts
du malheureux Agamemnon par une parenthèse telle que
celle-ci : a But that apart ^ ».
La dernière scène du 1" acte fait paraître devant Clytem-
1. «0 let me pross thoe to my flutleriDg soiil;
That is on wiog to mix itself wilh Ihine. »
(Acte II, se. 1.)
2. Voir des exemples dans acte 1, se. i; acte II, se. ii; acte HI, se. ii;
acte IV, se. v; acte V, se. ii, se. viii.
3. • Soon will Ihe guillless waters blush with blood. »
(Aele V, se. m.)
4. Acte I, se. 1. — 5. Acte I, se. i.
564 JAMES THOMSON.
nestre un envoyé du roi. La scène est exactement celle du
premier acte de « l'Amphitryon » de Molière. Il est difficile
d'échapper à cette impression que le ton, l'allure générale du
style sont les mêmes dans la grave tragédie et dans Tirrévé-
rente comédie. Est-ce Clytemnestre et Talthybius que nous
entendons, ou n'est-ce pas Sosie?
Comment se porte le roi?
Madame, le roi se porte bien.
Son (XPur, impatient de conférer avec le vôtre,
M'envoie en avant avec ses plus chaleureux souhaiU
Ses plus chaleureux compliments.
A un seul rivage, à grand'peine nous avons touché
Non sans courir un danger.
Et pourquoi?
Madame, contraints
Par la pitié sacrée *.
C'est le même ton dans le dialogue; c'est le même récit
emphatique d'une tempête chez Talthybius comme d'une
bataille chez Sosie*; et pour compléter Tillusion, Talthybius
apporte aussi un riche cadeau d'Agamemnon à Clytemnestre.
I. • How fares Ihe king? »
« Madam, ihe king is well;
His hearl impatient to confer with yours,
Scnds me befbre him wilh ils warmesl wishes.
Us warmest gralulations.
This crown which circled once the royal brows
Of Hecuba, of Priam's lofly queen,
He prays you to accept ».
« There set it down. •
« Only al one, with much ado, we toach'd.
Net without risque. »
« And why? »
« Madam, compelled
By sacrcd pity. »
2. Il y a là dans la tragédie anglaise un souvenir de VAgamemnon de
Sénèque. Le récit delà tempête y ost le grand morceau de bravoure de li
pièce. Il y occupe cent cinquante vers (de 416 à 469).
1
« AGAMEMNON. » 565
IV
Il est évident que Thomson ne prend ni ne conserve sans
un effort pénible le ton de la tragédie. <i Agamemnon » nous
présente plus souvent que <c Sophonisbe » des réminiscences
qui ressemblent à des emprunts.
How art thou fallen ! to what dishonour fallen * !
est un souvenir direct de Milton. Ailleurs ce sont des mouve-
ments de phrase où se rencontrent les particularités, les pro-
cédés de style les plus connus du grand poète épique :
Still on my thoughts your strange delivery dwells.
By Agamemnon leH to aid the Queen
With faithful counsel, whilc hc warrM ai Troy :
And thus by Agamemnon to be savM,
Returning from that conquest! wondrous chance !
Or rather wondrous conduct of the gods !
By mortals, from their blindness, chance misnam'd «.
He comes ! he comes ! Ihe hapless victor cornes ^ !
s'écrie Clytemnestre en proie à la honte et à la crainte. C'est
un souvenir assez singulièrement employé de l'exclamation
joyeuse qui annonce l'arrivée de Bacchus dans l'ode célèbre
de Dryden.
Mais c'est principalement sur le maître du théâtre anglais
que s'appuie Thomson. Malheureusement il n'est donné à per-
sonne d'imiter cette langue si conforme à la vérité des carac-
tères et des situations que les personnages semblent n'en pou-
voir parler une autre, mais si riche en même temps de beauté
poétique, et toute chargée de puissance dramatique. Tantôt
c'est une énergique pensée de Shakespeare que Thomson
reproduit en l'afTaiblissant singulièrement :
He who the falhers's hearl
More lender has than mine, too lender has it ^.
1. Acte I, se. iv. — 2. Acte IH, se. i. — 3. Acte I, se. m.
4. Acle II, se. 11. — Cela ressemble un peu à une parodie des vers de
Macbeth :
« I dare do ail that may become a man ;
Who dares do more is none. •*
(Acte I, se. viif 46.)
866 JAMES THOMSON.
1 am not jealous ;
In me that passion and contcmpl were one ^
nous offre la transposition d'un passage célèbre d' € Othello i.
Ce sont les paroles du Maure dépouillées de tout ce que l'on
y sent frémir de fierté et de douloureuse angoisse *.
L'imitation est parfois plus heureuse. Dans la première
scène de l'acte III le récit fait par Mélisandre de son enléfe-
ment et de son abandon sur une ile déserte rappelle assez le
mouvement et le ton des narrations de style tempéré qui
marquent quelquefois un repos dans le drame de Shake-
speare.
Du reste ces réminiscences ou ces imitations directes sont
trop nombreuses pour que nous les relevions toutes. Nous
nous contenterons d'en signaler quelques-unes encore dans
les différentes parties de la tragédie.
L'emploi un peu étrange du pronom she comme substantif:
« Ill-fated she! — Who must forgive ' » est sans doute justifié
aux yeux de l'auteur par les exemples analogues de Shake-
speare *. m Cousin, I greet you well » nous fait entendre, avec
un à-propos contestable, une des formules de salutations ordi-
naires sur la scène de Shakespeare, a Thus filch away my
crown ^ », semble d'une énergie un peu brutale au milieu du
langage noble des personnages; c'est évidemment un sou-
venir d'un passage célèbre d' « Othello * ».
Dans la même scène, deux vers plus loin :
One timely dccd
Is wortli ton Ihousand \vords,
1. Agatnemnon, acte UI, se. ii (vers la fin).
2. « Thiuk\st Ihou Tld make a lifc of jealoiisiy,
To follow still ihe changes of llie moon
Witli fresh suspicions? No, to be once in douhl
Is once lo be resolved :
Aud on Ihc proof, there is no more but Ihis,
Away al once willi love or jealousy! •
3. Aganiemnon, acte I, se. iv.
Ai • Poor she. • (Lucrèce, 1674). « The cruellest she alive. • {Twel/lh
Night, acte I, se. v, 259.)
5. Acte ni, se. n.
6. « But he that filches from me my f^ood name. » {Othello, acte 111*
80. in, 139.)
« AGAMEMNON. » 567
est une leçon affaiblie du mot de Macbeth :
Words to the heat of deeds too cold breath gives *.
L'épisode de Mélisandre, la description de la grotte où vit le
naufragé, ses réflexions sur l'instinct de sociabilité des hommes,
tout cela rappelle certains passages de a Cymbeline ' » et de
€ Comme il vous plaira » où il semble que circule Tair pur et
libre des grandes solitudes. Avec une mélancolie moins
exquise, c'est bien un imitateur du Jaques de Shakespeare
qui s'exprime ainsi :
I was obliged
In faithless snares to seize, which truly griev'd me,
My sylvan fricnds, that ne'er till then had known,
And Iherefore dreaded less, the tyrant man.
Thus of Ihe great community of nature
A denizen 1 livcd '....
Oreste échappe à l'assassinat où périt son père comme
Fleance dans Macbeth ^ et lexclamation de lady Macbeth
se retrouve dans le mot d'Égisthe : « 0 nothing then is done * I u
Jusqu'à la fm les souvenirs du grand drame de Shakespeare
se pressent. Clytemnestre égarée voit, comme Macbeth, sa
victime apparaître à ses yeux :
In every eyc Ihere is a dagger '.
I cannot step,
Unlesâ I stccp my shivering feet in blood *.
Knfm dans la dernière scène, Égisthe se préparant à repous-
ser l'attaque du peuple révolté s'écrie, à peu près comme
.Nfacbeth :
We this important day
Will or with conquest crown, or bravely die '.
1. Macbethy acte II, ac. i, 61.
2. Cymbeline, acte III, se. vi ; acte IV, se. ii.
3. Cf. As You like It, acte II, se. i, de 22 à 63.
4. Ayamemnon, acte V, se. vu. Cf. Macbeth, acte III, se. ii, 4.
3. Agamemnon, acte V, se. viu.
6. Cf. Macbeth, acte in, se. iv, 13C, 137.
7. Cf. Macbeth, acte V, se. i, 20.
568 JAMES THOMSON.
Évidemment cette tragédie que les contemporains de Tautair
ont condamnée ne trouverait pas grâce aujourd'hui. Notre
connaissance des diverses littératui^Bs et la notion que nous
avons des exigences du drame nous rendraient plus sévères
que les spectateurs de Drury Lanê. Nous pourrions moins
qu'eux-mêmes nous intéresser à la représentation de la tra-
gédie sur la scène, et nous ne lisons plus cette œu\Te qui
trouva auprès d'eux un très honnête succès de librairie.
V
Et cependant, outre l'intérêt qu'elle présente, et sur lequel
nous reviendrons à propos d'une autre pièce, de manifeste!
un effort personnel de Thomson sur la scène anglaise, la pièce
ne manque ni de vers, ni de scènes- dignes d'un vrai poète.
Au milieu de cette végétation d'ïambes héroïques, secs et
monotones, on est de temps en temps charmé de rencontrer,
comme une fleur dans les chaumes, un vers de poète, harmo-
nieux et gracieux :
0 woods ! o fountains ! o delightful meads.
C'est le début, et ce n'est pas le seul vers heureux de la triste
cantilène, coupée par les gémissements du chœur, où
Cassandre salue la mort qui s'approche et dit adieu à ses
compagnes *. Également bien venu est le passage où Texcellent
Mélisandre développe le mot bien connu de Virgile :
Non ignara mali miseris succurrere disco. '
Il célèbre la douleur en des vers où la délicatesse de la pensée
et l'humaine pitié ne sont pas trop étouffées sous la pompe de
la déclamation :
Sweet source of every virlue,
Osacrcd sorrow! '...
Les vers fermes et vigoureusement lancés ne manquent pas
non plus dans les passages de très faible valeur dramatique
1. Acte IV, «c. III. — 2. Acte V, se. m. •
« AGAMEMNON. » . 869
OÙ, par la bouche de ses personnages, Thomson parle au
public des événements politiques du jour, attaque la vénalité
du parlement que dirige Walpole ou le choix fait par le sou-
verain de ministres sans probité '. La scène où le poète met en
présence Agamemnon et les deux enfants qu'il revoit avec tant
de joie, cette scène dont il n*a pas trouvé Tidée chez ses
devanciers, est tout entière heureuse *. Oreste y parle avec
l'ardeur modeste d'un jeune héros; Electre y montre un
mélange de tendresse et de fierté qui sied à la sœur dlphi-
génie.
Enfin, bien que trop rares à notre gré, les beaux vers des-
criptifs ne sont pas entièrement absents. Tantôt ils constituent
un hors-d'œuvre poétique comme dans cette dernière scène de
l'acte IV où Mélisandre décrit l'aspect de la ville sur laquelle
tombe la nuit et s'étend le silence :
The tempest falls ,
The weary winds sink, breathless.
Tantôt, plus intimement mêlés à la contexture du drame,
ils y font entendre un accent de sincérité et de réalité, comme
dans ce récit où Mélisandre, abandonné sur une ile déserte,
voit s'éloigner la barque qui l'a conduit à terre :
I never heanl
A Sound so dismal as their parting oars >.
1. Acte ni, se. I et II. — « I remember in Agamemnon the following
speech was greatly applauded :
> .... But the most fruitful source
Of every evil — 0 that I in thunder
Could Sound it o'er the list'ning world to kings —
Is delegating power te wicked hands. »
(Memoirs ofthe Life ùf David Garrick, by Thomas Davibs, vol. II, p. 32.)
2. Acte 11, se. m.
3. Acte III, se. I. — A propos de cette tragédie il convient de rappeler
une tentative qui fait honneur au poète. Son Agamemnon n'est pas suivi
de l'épilogue burlesque dont s'accompagnaient alors les tragédies. C'est le
seul exemple avec la • Sémiramis • de Sheridan, dit le critique du Quar-
terly Review (sept. 1812, p. 174).
CHAPITRE III
(( EDWARD AND ELEONORA »
I
Les sujets antiques des deux premières tragédies n'avaient
obtenu qu'un succès modeste. Thomson ne s obstina pas, et,
dès l'année suivante, il faisait jouer le drame d'Edivard and
Eleonora, conçu selon une formule très diflférente.
Non pas que le poète renonce aux doctrines de l'école clas-
sique. Il en respecte scrupuleusement les règles extérieures.
L'unité de temps, l'unité de lieu, l'unité d'action y sont aussi
rigoureusement observées que dans les deux premières pièces.
Mais le poète s'incline devant l'opinion du public qui trouve
trop aride et trop nue la tragédie classique d' « Agamemnon »;
il s'eflbrce d'introduire dans son œuvre nouvelle de nouveaux
éléments d'intérêt. Nous pouvons facilement imaginer quelle
influence il subit à ce moment, et de quel modèle il s'inspire.
Voltaire est depuis plusieurs années le maître de la scène
française. S'il a reçu de l'Angleterre une impression pro-
fonde et permanente, il exerce de son côté une action efficace
et très apparente sur les lettres et en particulier sur le thécltre
d'outre-Manche. C'est bien, nous allons le voir, sa formule de
la tragédie renouvelée et rajeunie que nous retrouvons dans
« pMouard et Éléonore ».
L'intrigue, sans être touffue ni compliquée, présente une
« EDWARD AND ELEONORA. » 57i
ingénieuse subtilité dont n'aurait que faire une tragédie fondée
sur un duel de passions. On connaît la légende apocryphe
d'après laquelle Éléonore de Gastille, femme d'Edouard, le
futur Edouard l", aurait, au péril de sa vie, sauvé son mari en
suçant le poison de la blessure dont il mourait * . Le sujet fournit
des scènes émouvantes et qui prêtent à ces « retournements »
de situation où les dramaturges ont de tout temps recherché
des effets frappants. Éléonore se désole quand Edouard semble
voué à une mort inévitable. Mais pendant le court intervalle
d'un entr'acte, et d'une syncope du blessé, une complète trans-
formation s'est opérée. L'acte suivant nous montre Edouard
rendu à la santé, et c'est lui qui se lamente à son tour en
voyant Éléonore en proie au mal dont elle Ta délivré. Ajoutez
à cette double scène les adieux du prince à ses amis, à sa
patrie, à ses rêves de gloire, et ceux de la jeune mère à ses
enfants. Les sources du pathétique coulent, on le voit, abon-
damment.
Où trouver en même temps une intrigue plus propre à
tenir en haleine Tintérèt et la curiosité de l'auditeur par l'im-
prévu des péripéties? Edouard a été blessé à mort, et c'est
Éléonore qui se trouve mourir de cette blessure. Mais un der-
viche est venu au camp du chef anglais, et lui apporte un
merveilleux contrepoison; si bien qu'après la miraculeuse
guérison d'Edouard, nous avons la guérison également mer-
veilleuse d'Éléonore.
Nous ne dirons point que Timitation de Voltaire explique
dans cette pièce les allusions politiques, comme elle peut
expliquer la recherche des effets pathétiques et des combinai-
sons ingénieuses de Tintrigue. Il est évident, pour ce qui
regarde a Edouard et Éléonore », que ces allusions sont l'objet
I. Quelques réserves que fasse l'histoire, la poésie el Tari ont, c'est leur
droit, retenu la touchaute légende. Tennyson fait une place a. Éléonore
dans la théorie des femmes héroïques et aimantes qu'il voit eu rêve
passer devant ses yeux :
• Or lier, who knew that Love can vanquish Death
Who kneeling, wiih qne arni about her king,
Drew forth the poison with hcrbalmy brcalh,
Swect as ncw buds in Spring. >
{A Dream of Fuir Womcn.)
Le sculpteur Thomas Woolner commença une carrière qui devait être
brillante en exposant à T « Academy », en 1843, un groupe représentant
EUonora suckinQ the Poison from the wound of Prince Edirard.
S73 JAMES THOMSON.
même de Tœuvre et expliquent le choix du sujet. Le héros de
la tragédie est un futur roi d'Angleterre. Dès la première
scène on nous fait savoir qu'il est l'objet de l'amour et de$
espérances du peuple. Le vieux roi, auquel on accorde par
bienséance quelques éloges, est la victime de conseillers indi-
gnes iL qui le retiennent captif dans de honteuses chaînes i.
a qui font marché de son honneur ».
A côté de ces attaques contre Walpole, le ministre détesté,
le public devait saisir aussi facilement les louanges adressées,
à propos d'Edouard, à Frédéric, prince de Galles. Peut-être il
est vrai, les spectateurs ne s'associaient-ils pas aussi cordiale-
ment à cette apologie. Quoiqu'on sût gré au prince de s'être
mis à la tète de l'opposition dirigée contre Georges II, contre
sa cour et contre son ministre, les bourgeois de Londres
n'étaient pas comme Thomson aveuglés par la reconnais-
sance ; ils jugaien t à sa valeur le piètre personnage '. Quoi qu'il
en soit, le poète paie en compliments enthousiastes sa dette de
gratitude. Gloster et Theald rivalisent d'éloges du jeune
prince. Ils soulignent, par opposition aux influences étran-
gères qui dictent la conduite des ministres (et il faut sous-
entendre aussi celle du roi), le caractère profondément national
que doit prendre la politique d'Édouard-Frédéric Le héros
lui-même prend soin d'affirmer ses vertueux et patriotiques
sentiments :
(( 0 ma patrie, il n'est rien que pour toi je ne sois prêt à
« souffrir V »
Et pour que ce patriotisme ne paraisse point suspect, il
s'accompagne, on ne sait trop à quel propos, d'une haine
vigoureuse pour la France, l'alliée qui hier combattait aui
côtés d'Edouard, la rivale contre laquelle Walpole ne mani-
feste pas assez de belliqueuse ardeur.
a France perfide! que désormais l'objet suprême de ma vie
a entière, que la passion de mon àme, soit de t'humilier,
« orgueilleuse nation! ' d
Une chose qui dans cette œuvre relève nettement de Voltaire
et de son esthétique dramatique, c'est le souci de la cou-
leur locale, aussi nouveau sur la scène anglaise du xvin" siècle
1. Voir noire Biographie de Thomson, p. 107. — 2. Acte II, se. i. —
3. Acte I, 8C. I.
« EDWARD AND ELEONORA. » 573
qu'il pouvait l*être sur la scène française. La tentative est
timide et reste fort gauche, mais elle est curieuse et mérite
d'être signalée. On ne trouverait guère dans les tragédies les
plus exotiques des poètes de cette époque la moindre préoccu-
•pation de mettre dans le langage des personnages quelque
reflet de leur race, ou de leurs mœurs. Les Égyptiens de
Btuiiris n'ont pas d'autre façon de s'exprimer que les Maures
de The Revenge, Le roi nègre à'Oroonoko parle une langue
aussi pompeuse et aussi noble qu'aucun monarque de tra-
gédie. Il n'en est plus tout à fait ainsi dans la pièce de
Thomsou. Sans doute nous ne trouverons rien d'asiatique ni
de musulman dans l'âme de Selim ni dans celle de Daraxa;
mais leur langage au moins prétend parfois nous rappeler les
brillantes images et les cérémonieuses périphrases qu'affectent
les langues de l'Orient. Voici, par exemple, en quels termes
Daraxa parle de Selim :
Selim! le roc de la foi, et le soleil de Thomme *.
Et quand elle parle d'Éléonore c'est : a Une rose laissant
c doucement retomber sa tête dans les vallées Sabéenncs,
c sous la rage meurtrière de l'ardente canicule * ».
Sélim de son côté parle, en bon musulman, de l'ange
farouche qui chasse devant lui les morts ^\ il emploie, pour
peindre l'état de son âme après sa réconciliation avec celle
qu'il aime, une richesse poétique d'images qui se propose évi-
demment d'être orientale :
« Cette réconciliation a calmé mon sein troublé, elle y a
« versé une tendre joie ; comme lorsque d'abord le printemps,
c sur le sommet adouci du Liban, dénoue ses tresses char-
« mantes et, du sommet du Garmel, répand ses trésors
« fleuris ^. »
Ce scrupule de couleur locale n'est pas poussé très loin. Le
sultan et sa ûancée n'ont rien d'oriental que dans le langage.
Encore ne restent-ils pas toujours fidèles à leur rôle. Le poète
a piqué çà et là quelques ornements appropriés. Le contraste
entre ces broderies surajoutées et la trame du style est parfois
1. Acte I, 8C. VI. — 2. Acte UI, se. iv. — 3. Acte IV, se. m. — 4. Acte V,
se 1.
K74 JAMES THOMSON.
singulier. Au début du V« acte, Selim, après reffusion lyrique
où il fait intervenir le Liban et le Carmel, le printemps ets«
fleurs, retombe brusquement à la plus fade banalité :
Il ne reste plus maintenant qu'à voirie prince.
Cette préoccupation assez nouvelle sur la scène anglaise
mérite cependant d'être retenue; quelque succès qui Tait accom-
pagnée. C'est un nouvel indice de cet effort du poète vers un
rajeunissement et un développement de la forme dramatique.
Cet indolent, qui faisait paraître deux tragédies à une année
d'intervalle, tentait vaillamment et parfois ingénieusement de
modifier sa manière. Après être remonté jusqu'au drame
archaïque de la Grèce, nous le voyons, avec Voltaire, prévoir
et annoncer une des trouvailles dont s'est piqué notre roman-
tisme moderne.
Voici encore un trait par lequel ces tragédies si oubliées, si
dédaignées, où Ton s'attend à ne trouver qu'une poncive imi-
tation des modèles du passé, devancent leur temps et annon-
cent l'avenir. C'est bien l'attitude d'un personnage tout
moderne, d'un héros du romantisme, que celle d*£dward,
quand, mêlant la nature aux émotions de son cœur, il la voit
à travers ses humeurs variables et la modifie au gré des chan-
gements de ses passions. — Rendu à la santé, à la vie, il goûte
la beauté de ce monde qu'il ne croyait plus revoir :
Salut à la terre plus fraîche, au jour plus brillant!
Une lassitude qui n'est pas sans charme pèse sur moi :
Comme la douce palpitation de la mer calmée.
Après im orage *.
Mais quand sa chère Éiéonore se meurt consumée par le mal
dont elle Ta sauvé, cette même nature qu'il associait à ses joies
devient pour lui un sujet d'horreur :
Soleil, je te hais, j'abhorre la himicro
Qui ne me montre plus Klt'onorc! 0 terre, tu as perdu
Avec Eiéonore toute joie, toute douceur, tout ce qui me n*ndail
Tes voies délicieuses '.
1. Acte III, se. II.
2. Acte IV, 8C. VI.
« EDWARD AND ELEONORA. » 575
II
Nous avons noté les influences dont la trace se retrouve dans
cette tragédie, et les caractères qui la recommandent à Tatten-
lion d'un historien des lettres anglaises. Que vaut-elle en elle-
même? Elle n'est pas aussi totalement dénuée de mouvement
que le sont beaucoup des tristes productions dramatiques de
cette époque. Mais i^ar quelles ressources d'une invraisem-
blance naïve l'action se développe ! Le poison merveilleux du
« Vieux de la Montagne » en est le ressort principal. Ce poison
qui produit un effet prompt et terrible, et qui cependant peut
être aspiré et transféré d'un patient à un autre; qui a même au
dernier moment » est entièrement aniiiilé par le puissant
remède de Selim ; ce poison, qui doit tuer tour à tour Edouard
et Kléonore et dont personne ne meurt, est digne d'un art dra-
matique tout enfantin. Moins original, mais non pas plus vrai-
semblable, est l'épisode de ce sultan chevaleresque qui s'intro-
duit sous un déguisement dans le champ des chrétiens pour y
sauver Éléonore et y revoir sa maîtresse. Si nous ajoutons que
le mouvement du drame est tout entier dans les faits extérieurs,
que la psychologie des personnages n'ofTre pas même cet effort
vers la complexité vivante et tragique que nous avons relevée
dans Agamemnon, nous pourrons dire que l'œuvre, sans vrai-
semblance dans l'action, sans richesse psychologique et sans
puissance de création dramatique ne vaut que par un petit
nombre descènes qui pouvaient fournir l'occasion d'éloquentes
ou de pathétiques tirades. C'est tout au plus, en fait de drame,
de l'art d'opéra. Or, à ce libretto médiocre le poète n'a ajouté
qu'une très médiocre musique. Les drames de Victor Hugo,
pour ne parler que du premier des dramaturges romantiques,
n'offrent pas plus de vraisemblance dans l'action, et pas beau-
coup plus d'humaine vérité dans les personnages; mais la
musique y est, le charme d'une langue sonore ou caressante, la
magie d'une atmosphère de poésie, et le chant lyrique propre
à faire oublier les pauvretés de l'intrigue et l'irréalité des
héros. — Ici rien de pareil. La langue est plus facile et
plus alerte que celle des deux premières tragédies. Peut-être
parce que l'œuvre a dû être produite plus vite, on y sent moins
576 JAMES THOMSON.
constamment reflbrt vers la noblesse et la |K)inpe du style.
Mais si nous évitons cette fois la déclamation boursouflée,
c'est pour trouver chez le poète une langue le plus sou-
vent terne et plate. Le vers blanc ainsi traité, sans J'em-
phase tragique et sans le chant poétique, devient quelque
chose de flasque et d'incolore. La teneur générale du dia-
logue est insipide et molle sauf dans les quelques occasions où
récrivain croit devoir plaquer sur sa toile aux tons effacés
quelques touches tapageuses, comme celles que nous avons
notées. Les effets d'intense émotion sont eux-mêmes rendus
souvent d'une façon peu digne de l'industrieux ouvrier que se
montre Imbituellement notre poète. Il se contentera d'une
série d'exclamations :
Misery! distraction!
0 love! o shame! o murder'd Elconora! *
Ou même d'un procédé plus simple encore. — Éléonore fait
valoir les motifs qui rendent la vie du prince plus utile que Ja
sienne. Elle en vient à nommer leurs enfants, et Edouard
exprime les sentiments qui le déchirent au moyen du monosyl-
labe pour lequel Thomson a une si fâcheuse partialité :
ELEONORA
Our children!
EDWARD
Oh!
ELE0X0R.V
Our young, our helpless....
EDW.VRD
Oh! «
Les passages de poétiques descriptions sont eux-mêmes
presque complètement absents. On en trouve un ou deux dans
les <( turqueries » de Selim. A peine pourrait-on citer encore
un tableau pittoresque de l'armée que fait en quelques mots
Theald au commencement du V« acte :
1 saw him parting from the hurried camp,
That liglitenM widc around him : burnish*d helms,
And glittcring spcars, and ardent longing soldiers *, etc.
1. Acte III, se. ii. — 2. Acte II, se. iv. — 3. Acte V, se. ii.
j
CHAPITRE IV
« ALFRED »
I
Nous avons dit, dans la biographie de Tljomson, quelle cir-
constance donna lieu à la production de cette œuvre drama-
tique. Le l*^' octobre 1740, Frédéric, prince de Galles, célébrait
le 4* anniversaire de son mariage et la naissance de sa fille.
Une fête magnifique réunissait à Cliefden les amis du prince et
de la princesse. On avait fait appfl à tout le savoir-faire des
jardiniers et des architectes. On demanda aux poètes de la
clientèle de Frédéric une œuvre qui ne fût pas trop grave, qui
ne demandât pas une trop longue élaboration, et qui permit
rintroduction des allusions et des divertissements propres à
charmer sans la fatiguer la noble compagnie. C'est ainsi
que Mallet et Thomson écrivirent en commun le Masque
d' <K Alfred ».
Cette forme dramatique convenait excellemment à une
pareille solennité. C'est aussi pour fournir aux plaisirs de
nobles auditeurs que Ben Jonson et que Milton avaient pro-
duit dans ce genre de radieux chefs-d'œuvre. Le masque est
une forme de la littérature théâtrale plus lyrique encore qu'elle
n'est dramatique. Le caractère, le relief et la vérité des per-
sonnages, la force des passions, le pathétique des situations ne
sont pas les objets visés par le poète. Son œuvre est avant
37
578 JAMBS THOMSON.
tout un prétexte à mise en scène somptueuse *. Son drame
peut se contenter d'êtres vagues et pâles, et d'une action toute
rudiinentaire. La fantaisie poétique et l'élan lyrique ont ici
plus de valeur que la vérité de l'observation et la profondeur
psychologique.
On peut se demander si la collaboration de Thomson et de
Mallet était propre à assurer le succès d'une œuvre de cette
nature. Thomson évidemment n'a pas les qualités du genre,
ou il ne les a pas encore à cette époque. Ni ses grands p/>éiûe?.
ni ses tragédies ne laissent deviner en lui les qualités de grâce
harmonieuse et de rêverie aérienne que révélera plus tanl le
a Château d'Indolence ». Il est trop fort, trop sincère et trop
solennel pour ce genre où les demi-tons valent plus que \ei
franches couleurs, les silhouettes fugitives plus que les figures
nettement accusées.
Mallet aurait eu plutôt quelques-unes des qualités requises.
Il manquait, il est vrai, de la première de toutes, la vive ima-
gination, le charme magique, le don de poésie. Mais il avait
quelques-unes des vertus de second plan : un sentiment artis-
tique curieux et non pas sans finesse, un style malléable qui se
prêtait aux adaptations les plus diverses, un instinct de ce i\\ï'\\
peut y avoir de poésie dans la simplicité du ton et dans le sur-
naturel introduit à dose modérée % enfin un savoir-faire agile
et une experte habileté de main. Celui-là du moins n'était |>as
dominé par une forme littéraire absolue. Il n'était pas, comme
Thomson l'était encore, prisonnier du style qu'il s'était fait, ni
contraint de |)rêter le même langage ample, sonore et uni-
formément majestueux à tous les personnages. Mais aussi il
devait, dans leur collaboration, porter la peine de ses qualités
un peu négatives. Au contact d'une force et d'un a tempéra-
ment », il passe aussitôt au rôle d'imitateur et de comparse.
Il lui a toujours fallu s'appuyer sur quelqu'un de plus grand
i. « \Ve moy doiibt if Ihe combim d gcnius of Ben Jonson, Inipo Jonw
and Lawes or Ferobroso bas be.en eqiiaJled by Ibe modem «/vc/ar/f of the
opéra.... On tbcsc cnterlaiuments Uirce to five thousand pounds wert
expanded, and, on more pulilic occasions, ton and Iwenty Ibousand. •
(D'IsHAKU, Cfiriosities of Liternlure. Masques^ p. 380-384.)
2. Ce sont bien les deux Iraiis à noter dans la célèbre ballade àt
William and Mart/aret, Elle conservait des superstitieuses légendes popu-
laires leur forme familière et leur mystérieuse poésie. Elle a mérité à f «
titre de figurer dans le « Recueil • de Porcy.
" ALFRED. » 879
et de plus robuste que lui. C'est à rimitation du génie popu-
laire qu'il a dû son meilleur succès. Sa satire On Verbal Cri-
ticism montre en lui un des meilleurs élrves de Pope. Les
di^itiques y abondent que l'on pourrait introduire dans la mar-
queterie de VEssay on Cnticism sans que la fraude fût aisée à
découvrir. Il suit Tétoile de Thomson dés que celle-ci monte au-
dessus de l'horizon ; VEixursion montre avec quel talent d'imi-
tateur il sait prendre le ton deson modèle. Thomson encore et
Milton sont sans cesse rappelés parles \ers d'Amifutor and
Theodora; et, à lire un de ses prologues burlesques, on peut
st^ demander s'il en est l'auteur, tant il sait re|>roduire l'esprit
enjoué, la plaisanterie facile et tous les procédés de Oarrick,
le maître du genre *. Il imite encore loi*squ'il aborde le genre
licencieux; il s'exerce à copier Prier dans les badinages gri-
vois de The Discovcry, The lieward, ou The ^tratagem. En
somme il s'est toujours montré habile imitateur, et n a jamais
su être lui-même. Rien d'étonnant si dans le travail qu'ils
durent faire en commun, linlluence de Thomson se retrouve
bien plutôt que celle de Mallel.
II
Le « Masque » n'a donc rien de la vaporeuse fantaisie que les
maîtres du genre ont mise dans les leurs, i>arce que le talent
de Thomson ne s'y prêtait point. Ce n'est pas une tragédie
puisque la pièce n'a (pie deux actes, et qu'elle fait une place
à d'autres a machines » que celles qui avaient droit de cité
dans le théâtre classitpie -. Mais au fond le ton est bien le
même, et les personnages sont identiques à ceux que nous ren-
controns dans les autres drames de Thomson ou de M.iUet.
Alfred et Kllruda, le comte de Devon et rKrmite ont tous le
langage retentissant et pompeux et les hauts cothurnes des
1. Tous deux s'associeront p'»s tani pour le l»roloj:uc de IhiUtnnia
(!*.".*■.), ndaplalion remaniée kV Alfred.
2. Non «en le ment on y voit évoquée la longue [«roccssion des rois suc-
cesseurs du héros, mais à plusieurs reprises des • esprits » vieillies mi
invi^ijbles se mêlent à l'action pour faire entendre la musi(iue ajoutée par
lecom])ositeur aux vers des deux amis.
580 JAMES THOMSON*
héros tragiques. A côté d'eux, il est vrai, quelques pa^-sans
jouent un rôle dont Timportance serait malséante dans une
vraie tragédie. Ils sont là sans doute pour marquer la diffé-
rence des genres. Peut-être aussi pour fournir l'occasion de
tirades patriotiques et libérales en associant le menu peuple à
la gloire de la couronne et de la patrie. Mais leur ton, plus
tempéré d'abord, ne tarde pas à s'élever au niveau de celui de
leurs interlocuteurs. — Bref, malgré de trop rares passages
où se reconnaît la main du poète de la nature, le « Masque
d'Alfred » n'échappe pas aux reproches que méritent alors
toutes les tragédies : langueur de l'action, pauvreté de la psy-
chologie, enflure et monotonie de la déclamation.
Ce sont là défauts, nous le savons, qui ne choquaient point
les spectateurs auxquels ces pièces étaient destinées. Ils pou-
vaient goûter sans arrière- pensée les artifices ingénieux des
poètes et des machinistes, les eflfets heureux de la musique
dont le rôle était fort important, les nombreuses allusions au
royal amphitryon, à ses ancêtres, à sa famille, à ses vertus, les
quelques vers descriptifs où Thomson a mis sa trace indé-
niable \ ou encore les détails d'archéologie pittoresque intro-
duits dans le drame, comme cette description qui nous montre
Tétendard magique des envahisseurs a tissé par les sœurs du
a roi danois, du cruel Ivar, au milieu de la nuit : alors que la
a lune livide, enveloppée de la pâle tempête, poursuivait fiéni-
(i blement, tandis qu'elles chantaient leur chant magique, sa
a course à travers les nues. Alors, dit-on, tous les démons
1. Ces vers par exemple de Pacte II, se. i :
«... Where yon oak
With wide aud dusky shade o'erhangs the stream
That ^lide3 in silence by, I took luy stand
What time the glow-worm Ihro' the dewy palh
First shot his twinkling flame ».
Ou ceux-ci dans lesquels le royal fugitif parle de ses enfants :
« ... 0, \\hal safe shade
Can skreen their opening blossom from Ihe storm
That beats severe on us? Not swceter buds
The primrose in tbe vale, nor sooner shrinks
Al winter's churlish blast. •
(Acte II, se. II.)
« de la destruction étaient présents et mêlaient à la trame
« ALFRED. » 581
€ leur puissance maudite; et toujours les sœurs chantaient :
« Répands, ô étendard, répands sur nos ennemis cette
« ruine M »
III
Ils pouvaient surtout, au milieu de reffervescence du senti-
ment national, au moment où se préparaient les expéditions
de Vernon et d'Anson, applaudir à Tex pression de ce patrio-
tisme ardent et violent qui emplit et soutient ces deux actes.
C'est lui qui, après tant de pages d'une rhétorique justement
oubliée, a inspiré les six strophes immortelles de « i?w/e, Bn-
tannia. » Le succès de ces vers fut immédiat et il fut prodi-
gieux. Dès les premières représentations d' a Alfred » la faveur
populaire s'attacha à ce chant. Les Anglais n'ont cessé depuis
de l'associer à toutes les manifestations de leur orgueil national.
Il restera, comme le dit Southey, a l'hymne politique de l'An-
€ gleterre aussi longtemps qu'elle saura maintenir sa puissance
« politique îd. Il mérite cette haute fortune. Au contraire de ce
qui s'est passé pour notre chant national, où l'élan de la
musique emporte des stances dont la violence déclamatoire
paraîtrait en elle-même bien froide, dans Thymne britannique
la musique fait un accompagnement grave et sobre aux
paroles. Et celles-ci, sans trop d'emphase, traduisent cette
fierté qu'inspire au peuple anglais sa glorieuse histoire. Tous
ses titres d'honneur sont rappelés l'un après l'autre : la
liberté politique d'abord qui, pendant tant de siècles, a fait
de l'Angleterre une si étrange anomalie parmi les nations de
l'Europe, puis la gloire militaire, la richesse due à l'agricul-
ture et au commerce, la splendeur d'une admirable littéra-
ture, la beauté même des femmes de l'île heureuse, et le cou-
1. « Wrought by Uie sisters of the Danish king,
Of furious Ivar, in a midoight hour :
While the sick moon, at llieir enchanted song
Wrapt in pale tempest, labonr'd through Ihe cloiids.
The Démons of destruction Ihen, Ihey say,
Were ail abroad, and mixing with Ihc woor
Their baleful powcr : the sisters ever sang :
— Shake, standard, shake thîs min on our foes! *
S83 JAMES THOMSON.
rage des hommes qui les protègent *. Après la mention de
chacune de ces gloires revient le fier refrain qui s'est gravé
dans le souvenir et dans le cœur de tout Anglais :
Règne, ô Britannia, règne sur les flots,
Jamais les Bretons ne seront esclaves.
N'est-ce pas une chose singulière que Ton ne puisse dire
avec certitude auquel des deux poètes revient l'honneur d'avoir
donné à TAngleterre son chant national *? — On sera tenté de
croire que peut-être il est dû à leur collaboration. C'est de
toutes les solutions de la difficulté la plus improl>able. Le mor-
ceau, du reste fort bref, est trop homogène, emporté d'un élan
trop soutenu pour qu'on y puisse supposer une double ori-
gine. Le seul renseignement de fait que nous ayons sur le
mode de travail des deux associés est la préface mise par Mallet
à l'œuvre refondue et amplifiée par lui en 1751. Il y dit que
les deux auteurs avaient une part nettement séparée dans
l'œuvre primitive '; — mais il ne dit pas auquel des deux
appartient l'ode fmale. Chacun des poètes a trouvé ses par-
tisans. Mr. Bolton Corney, l'un des éditeurs les plus saN'ants
et les plus scrupuleux de Thomson, Mr. Dinsdale qui a publié
en 1837 un recueil des « Ballades et Chansons » de Mallet,
Mr. Julien Marshall qui a consacré à cette question des recher-
ches minutieuses opinent en faveur de Mallet. Au contraire,
Robert Bell, l'auteur de l'une des meilleures biographies de
1. « Blessedislc! with matchless beauty crowned,
And manly hearts to quard the fair. »
2. Le doute s'étend également à la musique de ce chant. L'auteur en
est- il le grand Hândel ou le modeste Dr. Arne? On pourra lire sur cette
question un échange de notes, qui n'entraîne pas de conclusion déGni-
tive, entre MM. Chappell, J. Marshall, W. H. Huck, etc., dans Noies and
Queries {2"* séries, vol. IV. p. i.'î2 et 415; — 7"* séries, vol. H, p. 4, 132,
410, 490).
Handol reproduit la musique de POde dans son Occetsional Oratorio.
Aurail-il fait un emprunt à Arne?
Le Dr. Arne est le heau-frère de ce Thcophilus Cibber, sous le nom
duquel parut la première biographie de Thomson. Sa sœur, Suzanna
Maria, la seconde Mrs. T. Cibbers, était elle-même actrice et lettrée. Elle a
traduit en 17o2 une comédie de Poullain de Saint-Foix, iOracle,
3. • According to the présent arrangement of the fable, I ^as obliged
to reject a great deal of what [ had wrilten in the other; nor could 1
retain of my friend's part more than three or four speeches aod a part
of one song. «
a ALFRED. » S83
Thomson, Mr. Chappell, Tinterlocuteur de Mr. Marshall dans
la discussion insérée par Notes and Queries, et Mr. Logie
Robertson, le plus récent des critiques et des biographes de
Thomson, tiennent pour les titres de ce dernier. La plupart
des commentateurs et des critiques s'abstiennent de prendre
parti. Les arguments de fait qui ont été mis en avant sont en
effet peu concluants.
Mallet, disent les uns, déclare qu'il a conservé seulement
dans sa vereion remaniée du Masque, « trois ou quatre dis-
cours et une portion d'un chant » dus à son ami. Or, Rule
Britannia est une ode et non pas un chant, et Rule Britannia
ligure dans F a Alfred » de Mallet. Donc celui-ci en est Tauteur.
D ailleurs jamais personne, parmi les contemporains des deux
poètes, n a protesté contre la prétention de Mallet. — A quoi
Ton répond qu'il n'est pas sûr que celui-ci ait jamais émis
cette prétention ; que la distinction entre une a ode chantée m
et un a chant » est bien subtile et ne saurait être invoquée;
que Rule Britannia est précisément conservé en partie dans
l'œuvre nouvelle, comme le « chant » dont parle l'auteur de
la préface*. D'autre part on a relevé la publication, dans un
recueil de pièces diverses imprimé à Edimbourg du vivant de
Mallet, sous le titre de The Charmer, de l'ode Rule Britannia
avec les initiales J. T. pour désigner l'auteur. Le livre eut au
moins deux éditions. Mallet qui avait conservé des relations à
Edimbourg n'a jamais protesté contre cette attribution.
Tels sont les seuls renseignements de fait qui aient été
avancés. On voit que, s'ils établissent une présomption plutôt
favorable à Thomson, ils ne sont pas dénature à entraîner une
conviction absolue. Mais, en dehors des preuves directes qui
font défaut, il est d'autres considérations qui peuvent nous
permettre d'asseoir un jugement solidement fondé. Plusieurs
des biographes et des critiques de notre poète ont émis cette
i. Les trois strophes supprimées dans V Alfred de Mallet étaient rem-
placées par trois strophes nouvelles écrites par Bolingbroke. Mr. Chappel
fait remarquer que Mallet devait plus voloutiers abandonner aux rema-
niements du poète grand seigneur une production de Thomson qu^unc
des siennes propres.
Dans le même ordre de preuves négatives ou pourrait encore mentionner
ce fait qui n'a pas été signalé : Johnson, qui avait connu Thomson et
Mallet, donne dans son choix des œuvres de Mallet une odo tirée du masque
de Drilannia (c'est VAffred remani»^), et, malgré la vogue du Hitle Bri-
tannia, ce n*est pas là Todc qu'il cite.
584 JAMBS THOMSON.
opinion que les considérations extérieures militent en feveur
du grand poète contre Tadroit faiseur de vers. C'est aussi
notre conviction très arrêtée, mais au lieu d'une impression
subjective nous voudrions exposer les observations exactes qui
nous ont imposé cette opinion.
Et d'abord une comparaison des œuvres des deux écrivains
ne crée-t-elle pas déjà un titre sérieux à Thomson? Dans tout
ce qu'il a écrit se trouve la preuve d'un patriotisme sincère et
ardent jusqu'à l'emphase, d'un dévouement enthousiaste à la
liberté, d'une foi intolérante dans le droit de l'Angleterre
à l'empire de la mer. Il a consacré à ces idées des poèmes
entiei's : Britannia, Liberty; et, dans ses autres œuvres, c Les
Saisons )), a Poème à R. Walpole », « à Talbot », « Tragé-
dies )), il ne se lasse pas de les reproduire.
En regard de ces œuvres dont le sentiment national et
l'amour de la Liberté forment, à l'égal de l'amour de Ja
Nature, linspiration dominante, que nous offrent les écrits
accumulés par Mallet au cours d'une vie beaucoup plus longue?
Des satires, des poèmes descriptifs, des ballades sentimentales
ou des contes grivois, pièces de tons variés et de valeur fort
diverse, dans aucune desquelles nous ne rencontrons la trace
des sentiments qui emplissent l'âme de Thomson. Une fois
cependant il se i)ropose de louer une Société qui s'occupe d'ar-
racher au dénument et à la dépravation des hommes et des
enfants dont on fera des marins. Et ce sujet qui aurait ins-
piré à Thomson un enthousiasme peut-être sans grâce mais
à coup sûr fervent et éloquent, Mallet le développe sous une
forme narquoise et paradoxale. Son ami se serait indigné de
voir traiter, sur ce ton de persidage, des questions qui tou-
chaient à la puissance navale et à la grandeur de l'Angleterre.
Lui qui ne parle jamais du chêne qu'avec une sorte de respect,
parce qu'il y associe l'idée des navires qui porteront sur tous
les points du monde le drapeau, l'influence et la gloire de son
pays, il aurait peu goûté la plaisanterie de Mallet attribuant
à cet arbre comme destination suprême la potence de Tyburn '.
Que le dilettante sce|)tique, l'homme de lettres sans pudeur
1. Tf/burn : to the marine Society. (iKuvres de MaUct. — Il faudrait encore
noter ce prologue de Hritannia où un marin ivre vient amuser le public
de ses saillies grotesques. N'est-ce pas le digne début d'une pièce qui doit
se terminer au chant du Hule liritannial
« ALFRED. » 585
qui devait plus tard employer sa plume aux plus basses beso-
gnes politiques et, pour un salaire, réclamer et obtenir Texé-
cution d'un soldat malheureux, que Mallet ait pu donner à
son pays son chant national, ce serait en vérité une affligeante
ironie de la fortune. L'hypothèse est de celles contre lesquelles
Û faudrait protester si ^mème oh ne pouvait appuyer d'observa-
tions concluantes la réclamation élevée au nom de Thomson.
A prendre successivement les idées énoncées dans les six
strophes de Tode, il serait facile de montrer que chacune d'elles
a été maintes fois exprimée par Thomson dans ses autres
œuvres; mais nous nous attacherons seulement à relever les
similitudes d'expression où se révèle la main du môme ouvrier.
Les premiers vers énoncent une image, [celle de l'Ile de
Bretagne sortant des flots, et une idée, l'empire des mers provi-
dentiellement destiné à l'Angleterre. L'image et l'idée se trou-
vent déjà exprimées en des vers moins concis, mais où l'ana-
logie des. termes est frappante, dans un passage de Liberty
et un autre de Britannia (1727) :
When Britain first, at llcaveu's commaiid,
Arosc froin the azuro * main,
This was the charter of the laud.
And guardian angels sung Ihis slrain :
Riile, Britannia, rule the waves, etc. {Ode, f*-' strophe).
Since (hst the nishing flood,
l'rged by Ahiiighly power, this favoured' islc
Tiirncd flashing froin the continent aside *.
Ihis
The native power for which yoii were designcd
By iate, when fuie designed the firinest state
That e'er was seated on the subject sea'.
For this thèse rocks around your coast were thrown *.
La deuxième strophe proclame fièrement le bonheur de
l'Angleterre, seule libre au miUeu des nations asservies.
The nations not so blest as tliee,
Must in their turns to tyrants fall ;
While thou shalt flourish great and frec.
1. L^épilhëlc « azurc » est fréquente dans les ■ Saisons • (voir Summet\
82, 1223. — Auiumn, 885, 1215; Winter, 783, etc.) et se retrouve aussi plu-
sieurs fois dans ■ La Liberté • (Voir Brilain, 103, 465), etc.
2. Liberty, Britain, 460-462. — 3. Britannia, 191-194. — 4. Id., 199.
686 JAMES THOMSON.
La même idée se représente plus â*une fois. En voici la
forme dans a La Liberté » :
0 happy land î
Whcre reigns alone this justice of the freeî *
La troisième strophe rappelle les victoires de T Angleterre et
associe à ce souvenir Tirnage du chêne natal :
As thc loud blast that tears the skies
Serves but to root thy native oak.
C'est une association analogue que nous présentent ces deux
vers de Britannia :
For Uns, your oaks, peculiar hardened, shoot
Stronfî into stiirdy growth '.
La cinquième rappelle les sources de la grandeur de TAn-
gleterre, agriculture, commerce, suprématie maritime. Le der-
nier vers,
And eveiy shore it circles, thine,
doit être rapproché d'un vers de a TÉté » dont il reproduit une
expression caractéristique et où Ton peut sans témérité trouver
le germe du refrain célèbre de Tode :
llence rules thc circling deep, and awes the world '.
Enfin le deuxième vers du refrain :
Hritons neverwill be slaves,
n'ofTre-t-il pas une analogie remarquable avec ce vers du
« Château » :
Those wrctched men who will be slaves *?
Certainement ni la deuxième partie du poème, ni ce vers
n'étaient écrits en 1740. Il n'est que plus intéressant d'y voir,
comme par une contre-épreuve (les autres passages cités étant
1. Liberiy, Urilain, 515, 516. — 2. Brilannia^ 201, 202. — 3. Summer, 431.
— 4. Chant II, 303.
« ALFRED. » 587
tous antérieurs à TOde), l'attestation que c'est bien la main de
Thomson que nous trouvons dans Rule Britannia.
L'hommage rendu dans la dernière strophe à la beauté des
femmes anglaises, est un des lieux communs de la poésie de
notre auteur. Aux deux vers de TOde :
Blest isle î with matchless beauly crowned,
And manly hcarts to guard the fair,
on comparera, par exemple, ces deux vers de « La Liberté » :
Such the fair guardian of an isle that boasts
Profuse as vernal blooms, the fairest dames *.
Avons-nous tort de croire que ces rapprochements prouvent
la paternité de Thomson, qu'ils donnent aux impressions un
peu vagues des juges qui avaient cru à cette parenté une
démonstration solide, et qu'ils laissent défmitivement au poète
des <( Saisons » un honneur que méritait l'ardeur de son patrio -
tisme?
1. Liberty, Briiain, 473, 414.
CHAPITRE V
« TANCRED AND SIGISM13NDA »
I
Après la tentative avortée d' a Edouard et Éléonore », c'est
encore à un sujet moderne que songe Thomson pour sa pro-
chaine tragédie. Gomme il entend cette fols que sa pièce soit
jouée, il ne compte plus, pour soutenir l'intérêt, sur des allu-
sions propres à flatter les passions politiques du jour. Il ne se
contentera pas d'une intrigue aussi sommaire ni d'un dénoù-
ment aussi anodin. « Edouard et Éléonore » n'était, comme le
fait remarquer M. Tîrugière de Barante, qu'une héroïde dialo-
guée * . <( Tancrède et Sigismonde id sera une véritable tragédie
avec toute l'intensité de passion que comporte le genre, avec
une ciitastrophe finale pathétique et sanglante à souhait. Mais ce
que le poète conserve de sa tentative précédente, c'est un effort
pour donner à ses héros plus de vie individuelle par le choix
de personnages à demi historiques et d'une époque presque
moderne. C'est aussi l'action fixée dans les pays du soleil. Les
scènes y trouveront un cadre plus brillant; l'exubérante énergie
des passions et du langage en sera atténuée ou justifiée.
La combinaison des deux modèles dramatiques, l'application
des lois de la tragédie à un sujet conforme au goût de lil>erlé,
1. Théâtres étrangers. Théâtre anglais^ t. X. Vie de Thomson, p. 20.
« TANCRED AND SIGISMUNDA. >» 58»
de couleur et de niouveuicntdu théâtre national de TAngleterrc
réussit cette fois au poète. Nous savons que de son vivant cette
pièce eut plus de succès qu'aucune de ses tragédies anté-
rieures *. Plus longtemps aussi que les autres elle a conservé
une place sur la scène.
II
Le poète ne s'était pourtant pas mis en frais d'imagination
pour concevoir son sujet. Il l'avait pris à Gil Blas, où l'anec-
dote foi me un de ces récits qui, selon le procédé constant du
roman espagnol, viennent faire diversion à la fable principale
du roman. C'est la nouvelle qui forme le quatrième chapitre
du Livre IV sous ce titre : « Le Mariage de Vengeance - ». Les
noms sont presque tous changés. Là où le roman disait
Enrique, Thomson rétablit le personnage historique de Tan-
crède, et l'amante, lUanche dans le récit français, devient
Sigismonde '. Mais, en dépit de ces modifications et d'autres
semblables, l'auteur anglais a suivi exactement la fable du
romancier français. Il n'est pas un des événements de la tra-
1. L'édition de 1745 (in-8) fut tirée, nous disent les livres de Woodfall,
à SOOO exemplaires, plus 50 exemplaires de luxe. Elle a été suivie des
rééditions suivantes : 1752 (in-8), 176C (in-8), 1777 (in-8), 1792 (in-12), 1806
(in-12), « printi'd from theprompter*s book,with notes by Mrs. Inchbald. •
2. Le Sage lui-même emprunte les éléments de son récit à Thistoire,
qui relate la rivalité de Tancréde, petit-Iils de Roger II, et de sa tante
Constance. Mais il modifie profondément ces données et y ajoute force
incidents romanesques. Ils paraissent inspirés surtout par deux nouvelles
de Boccace : le Cœur Sanf/lant (• Décaméron •, 4" journée, f* nouvelle),
et la Princesse de Grenade (4" journée, 4* nouvelle).
Peut-être Thomson est-il lui-même Tauteur d'une traduction en projc
de la Nouvelle de Le Sage qui fut publiée sous ce titre : « Tancred, kinff
of Sicify, the history on wliich is founded the tragedy of Tanered and
Sigismunda. Loudon : Printed for John Seymour, in BuU-ÂIley, near George
Yard Lombard Street. • L'exemplaire du lirîfish Muséum porte celte men-
tion manuscrite : « by J. T. » et la date également manuscrite, 1745.
3. Le poète sans doute a repris lus noms d'une vieille tragédie jouée
en 1568, devant la reine Klizabeth à 1' • Innrr Temple •. Les cinq actes
de ce Tanered and Gismund étaient écrits par cinq personnages difTércnts.
L'auteur du 5* acte, Robert Wilmot, publie la pièce en 1592, la présentant
comme « ne^vly rcvised and polislied accorJing to the décorum of thèse
days ». Mr. Collier en conclut que, sous sa première forme, la tragédie
était rimée. (Voir Sai.ntsbury, Elizabethan LUeratwe^ P- ^1 ; — Collier,
Uist. Drnm. Poet,^ in, 13. — Cuaik, English Lilerahtre, I, 485.)
590 JAMES THOMSON.
gédie qui ne se trouve dans a Le Mariage de Vengeance •, et le
poèt(> a conservé tous les détails de Tintrigue fournis par son
rpodèle, sans en excepter les plus romanesques ni les plus
invraisemblables.
Nous n'irons pas jusqu'à dire, avec Brugière de Barante,
qu'il ait trouvé là sa pièce toute faite scène par scène. Le récîl
de Le Sage est long et confus. Les épisodes saillants s'y déta-
chent mal, et plus d'une circonstance dépourvue d'intérêt y
est développée avec prolixité. Thomson a dû rennanier consi-
dérablement cette matière un peu amorphe. Sans rien sacrifier
entièrement, mais en réduisant l'importance des détails acces-
soires, il a fait tenir tous les faits du récit dans les hmites
d'une tragédie régulière, et réservé le développement qui con-
venait aux scènes où se montre Tàme de ses personnages.
III
Ce travail d'adaptation au théAtre est incontestablement lait
avec adresse. L'action est, plus que dans aucune des autres
pièces de Thomson, claire, d'intérêt soutenu et dramatique-
ment gradué. C'est la plus scénique des tragédies du fioète.
Mais aucune dose d'habileté dans l'agencement de l'intrigue ne
peut tenir lieu de cette force tragique, de cette divination de
l'àme humaine et de cette puissance créatrice qui font défaut à
l'auteur. Sans doute on peut citer d'assez beaux morceaux dans
la pièce. Les vei's où SifTredi annonce la lin du vieux roi et
vante la sérénité de cette mort d'un juste sont d'une gravité
qui n'est pas sans noblesse *. Jl y a de l'ampleur, du mouve-
ment et du feu dans la tirade par laquelle Tancrède répond à
la révélation qui lui est faite de son origine royale, et à l'an-
nonce de son avènement au trône V La joie du peuple à la
pensée qu'une union des partis rivaux doit assurer au pays les
bienfaits d'une longue paix est exprimée dans un passage bien
venu, par un vieux baron dont le langage tour à tour pallié-
tiquc et pittoresque évoque à nos esprits la Sicile pastorale et
idyllique '. Les emportements de Tancrède, quand il reproclie
à Siffredi sa trahison, ont de l'éloquence et s'énoncent en une
I. Aclc I, se. II. — 2. Acte I, se. iv. — 3. Acte 11, se. iv.
« TANCRED AND SIGISMUNDA. » 891
langue où ne disparaît pas le souci du nombre et de Tharmonie
poétique. Le ministre répond en justifiant son audace et sa
déloyauté par la raison d'État; il se livre à la vengeance de son
maître, mais lui recommande ces intérêts sacrés de la patrîfe
auxquels il a lui-même sacrifié son ambition, sa fille, peut-être
sa vie *. La scène montre de la force et de la dignité. Elle est
une des meilleures de la tragédie. Klle serait bonne de tous
points si la fin n'en était gâtée par des exclamations violentes
et décousues et par cette rhétorique criarde où s'exprimait
aloi's la passion tragique. — Sigismonde à son tour, quand
elle s'est résolue à épouser Osmond pour se venger de l'imagi-
naire trahison de Tancrède, nous fait entendre l'accent d'une
douleur vraie et d'une souffrance déchirante. Et quand sa
confidente, pour la réconcilier avec sa destinée, oppose à
l'amant infidèle l'époux accompli qu'elle a choisi, Sigismonde
l'arrête d'un mot dont la subtile vérité psychologique et la
valeur dramatique feraient honneur à un maître de la scène :
Ne me parle pas d'Osmoiid, mais du perfide Tancrède.
IV
Ces détails heureux ne sauraient masquer les défauts évi-
dents de l'anivre. Tous ces personnages sont des mannequins
sans vie. Ils ne nous font pas illusion aux moments où ils
montrent le plus d'éloquence. Leur pénurie de sang, de souflle
et d'àme apparaît lamentablement dans l'intervalle des scènes
de bravoure. Tancrède a beau affirmer avec la dernière énergie
qu'il aime Sigismonde, nous ne trouvons pas en lui l'ardeur
de la passion vraie. Comment d'ailleurs, à considérer les faits
de l'intrigue, ce grand amour et cette hautaine fierté laissent-
ils le prince muet et complice quand Siffredi annonce fausse-
ment au peuple assemblé le mariag(î de Tancrède et de Cons-
tance? Comment Sigismonde, quelque outragée que soit sa
passion, se résout-elle si vite à accepter 1 époux que lui impose
son père? Comment la vertu et la poursuite d'un but noble-
rnent désintéressé peuvent-elles inspirer à Siffredi tant d ac-
1. Acle II| se. vin.
59â JAMES TUONSON.
lions (levant lesquelles Thonneur le plus Milgaire se soulève-
rait? Ce sont là des questions qu'il n'y aurait intérêt à pour-
suivre que si les personnages avaient à nos yeux l'apparence
d'êtres réels. Mais nous n'y pouvons voir que des fantochos
dont la pantomime accompagne le langage i^arfois éloquent que
le poète adresse à son public.
Ces invraisemblances et ces contradictions sont la parce
qu'elles étaient dans la nouvelle de Le Sage. Thomson les a
conservées parce qu'à défaut de cette puissance dramatique
dont il n'a pas le secret et qui place dans l'àme et le cœur des
personnages les véritables ressorts de l'action, il a été trop
heureux de trouver tout prêt, dans un agencement précis et
détaillé, l'enchevêtrement de faits, d'incidents, de complica-
tions et de catastrophes, qui devait alimenter ses cinq actes.
11 n'a songé à éliminer ni ce mystère de la naissance du
jeune prince auquel Siffredi met fin en lui annonçant qu'il est
roi; ni ce blanc-seing que le nouveau roi donne à sa maîtresse
en cadeau de fiançailles, et qui devient la cheville ouvrière de
l'intrigue; ni cette porte dérobée par laquelle, en amoureax
d'opéra-comique, le roi s*introduit, à Tinsu de tous, dans la
chambre de celle qu'il aime; ni ce geôlier complaisant qui livre
pour quelques heures au connétable la clef des champs et lui
permet de venir surprendre le roi dans la chambre de sa
femme. Et voilà comment il se fait que la tragédie la plus
jouable de Thomson, celle qui est le plus ingénieusement dis-
posée, celle qui montre le plus de mouvement scé^nique ne
renferme pas un seul caractère vivant ou vraisemblable, mais
roule tout entière sur les inventions romanesques ou extra-
vagantes des dramaturges et des romanciers espagnols '.
4. Le public français fit, lui aussi, bon accueil à la tragédie de Tboinsou.
La Place, l'auteur û*Annc de Ponthiett^ Pimitateur de Venise sauvée, trt-
duisit Tancred and Sigismunda^ et sa traduction parut dans le Mercurt
de France de janvier et février^ 1701. — En 1763, Sauria donnait sous
le titre de Itlanchc et Guiscard^ une imitation qui est presque une trt-
duclion. La pièce fut représentée à la Comédie-Française le 25 février.
La version française est d'ailleurs plus froide et plus anémiée que U tra-
gédie anglaise. Brugière de Barante,qui les compare, se prononce ainsi:
« T lomson a plus de naturel. L'alexandrin français est sans cesse pompeQS
et tendu. » {Vie de Thomson^ p. 32.) — Il ne fallait rien de moins qa'une
comparaison avec Saurin pour faire paraître aisé ou naturel le style deU
tragédie anglaise. La pièce a aussi été imitée en Italie. La tragédie de
,Zelinda^ qui obtint à Parme la couronne de lauriers en 1772, est une im'l**
tion fidèle de Tancred and Sigismunda.
i
CHAPITRE VI
<( CORIOLANUS »
I
La dernière œuvre de Thomson ne montre plus l'effort des
deux tragédies précédentes pour renouveler le drame classique
par le choix de personnages modernes ou par la recherche
d'une intrigue mouvementée. Le sujet de Goriolan offre tant
d'unité; il impose si évidemment une composition simple du
drame, que même l'exubérante imagination de Shakespeare a
conservé toute la sobre grandeur de cet épisode des annales
romaines. Thomson, plus encore que son illustre modèle, con-
dense et resserre l'action \ Il aboutit à une œuvre où se trou-
1. Entre le « Goriolan » de Shakespeare et celui de Thomson, on peut
Doter cehii de Nahum Taie qui, en 1682, remanie la tragédie du maître
en se préoccupant surtout d'y introduire des allusions aux événements
contemporains. (Voir Alex. Bkuame. Le public et les hommes de lettres an
XVIII* siècle, p. 151). Plus tard Dennis prend à son compte, avec quelques
modincations nouvelles, le môme • Invader of his Country ».
11 n*est pas à supposer que Thomson ait eu connaissance d'aucun des
• Goriolan • qu'avait produits la scène française, et dont l'un fut repré-
senté, dont deux autres furent publiés l'année même de sa mort.
Alex. Hardy, Coriolan^ tragédie représentée en 1607, publiée en 162B, in-8.
V. Ghevueau, Coriolan, — 1638, —
Ghapoton, Le Véintaôle CoHolan. — 1638,
L'abbé Abeille, Goriolan^ — 16*76, —
Chaligny des Plaines, Coriolan (jonc une seule fois), 1722, —
RiciiER, Coriolan (non représenté) —
Mauokr, Coriolan représenté en 1718, —
Postérieurement à Thomson, on connaît en Angleterre les
1638, in-4.
1638, in-4.
1676, in-12.
1748.
i(/.(?),in.8.
1751, in-8.
• Coriolan *
38
o9l JAMES THOMSON.
vent réalisêos les conditions les plus strictes de la tragédie
classique : un seul caractère important, une action sans com-
plication et sans péripéties imprévues, un seul fait qui déter-
mine tous les mouvements et toutes les paroles des person-
najj^es.
Kn suivant exactement les données de l'histoire, Shakespeare
avail produit un chef-d'œuvre où Ton admire également la
grandeur dramatique du héros, Tintensité de vie des nombreux
personnages qui concourent à l'action, l'évocation puissant*»
de cette Home républicaine, austère et dure, forte par la
simplicité et la pureté de ses mœurs, mais qui porte en elle
une grave cause de désordre et de décadence dans la division
de ses citoyens. Il semblerait que, guidé lui aussi par le récit
de l'histoire, Thomson ne pût éviter de marcher dans les
traces du grand poète qui avait fait sien ce sujet. Et cependant
les différences entre les deux tragédies sont profondes et por-
tent sur presque tous les points. Elles peuvent être intéres-
santes à noter parce qu'elles nous offrent une occasion d'ob-
server avec précision les divergences des deux écoles drama-
tiques.
Ce drame tout fait de l'épisode de Coriolan, avec la succes-
sion si nettement marquée de ses actes : la condamnation, la
trahison, la vengeance, le pardon, et enfin la mort, Thomson
le soumet aux étroites conditions de l'école dont il accepte les
règles. Si limitée et si fortement unifiée que soit la tragédie de
Shakespeare, cela ne suffit pas. Ce ne sont pas quelques mois
de la vie de Coriolan que nous devons voir se dérouler devant
nous, ce sont quelques heures à peine. Nous n'assisterons pas
à la succession des faits qu'enchaîne et qu'impose la fatalité
des lois qui président aux actions humaines; nous devon>
assister uniquement au dénouement d'une crise. Les Dennis et
autres ce l'égents du Parnasse », chez qui une arrogance intol^*-
rante sup[>léeà Tautorité du talent, ont déterminé les mesures
exactes auxquelles doit être conformée l'action de toute tra-
gédie. Comme beaucoup d'autres, Thomson s'incline docile-
ment. Mais, au sortir de ce lit de Procuste, le drame nous
ap[)araît singulièrement réduit. Rien n'a été conservé de ces
(le Slicridan (1764) ci de Kemble (1789), ceux de Duricr, de La Harpe tl
de Scjîur en France, celui de Collin en Allemagne, et deux tragédies cii
Italie.
« CORIOLANUS. » 595
scènes du premier acte de Shakespeare oCi nous voyons prise
sur le vif la vie mérne de la Rome antique, depuis les agita-
tions du Forum et les liassions des deux classes ennemies, jus-
qu'aux champs de bataille ou aux veillées du camp, jusqu'à ce
sanctuaire jalousement gardé du foyer où se montrent les
nobles femmes de la famille de Marcius. Nous ne perdons pas
seulement ainsi des scènes pittoresques, curieuses, valant par
elles-mêmes. T^e tort fait à l'œuvre dramatique est plus grave.
C'est la conception des caractères qui s'en trouve appauvrie et
faussée. Les scènes supprimées avaient deux raisons d'être.
Elles nous présentaient les faits dont la crise finale est Tinsé-
parable conséquence; elles nous faisaient connaître le carac-
tère et Vàme des divers pcreonnages. Elles sont remplacées
dans la tragédie de Thomson par des conversations où les faits
nous sont exposés et les caractères expliqués.
Or ne peut-on pas assurer qu'indépendamment de l'immense
ditférence qui sépare \v talent des deux écrivains, il y a ici,
dans le procédé d'exposition suivi par Thomson, une cause
manifeste d'infériorité? Sans doute un dramaturge mieux
doué de plus de puissance évocatrico et d'une langue plus élo-
quente aurait pu communiquer à ces premières scènes quelque
intérêt. Il aurait su y faire entrer une plus vivante et plus satis-
faisante description des personnages. Mais, dans les meilleures
conditions, ce sera toujours là une faron artificielle et glacée
de nous présenter les êtres dont les actes doivent nous occu-
per. Qui ne sent qu'ils prennent un autn^ relief et une autre
vie quand nous les connaissons pour les^ avoir vus agir et non
pas f>our avoir entendu des tiers parler d'eux? Si parfaite
que soit l'analyse que nous donnent les interlocuteurs, vau-
dra-t-elle jamais la connaissance immédiate d'un homme par
la vue de ses actes ou par l'audition d'un de ces mots qui,
jaillissant au choc des événements, éclairent les profondeurs
secrètes d'une Ame comme par la fulguration d'un éclair?
Et voici une autre conséquence de ce mode de présentation
du sujet. Shakespeare, en plaçant devant nous le personnage,
conçoit et voit, évoque à nos yeux et nous fait voir un être
complet, dans la complexité do son esprit et de son coi'ur, avec
la diversité des passions qui s'agitont en lui, dans l'union de
son Ame avec le corps qui la trahit à nos yeux. Mais le com-
parse qui, dans la tragédie classique, est chargé de nous faire
g96 JAMES THOMSON.
connaître le même personnage, ne saurait viser à une descrip-
tion qui reproduise? ces éléments multiples. Là ou le héros
décèle d'un mot, d'une exclamation, d'un geste * une des parti-
cularités de son caractère, il faudrait au narrateur une lente et
fastidieuse analyse pour nous donner connaissance de ce même
aspect d'une âme. Aussi le caractère nous est-il présenté
comme résumé tout entier dans une ou au plus dans deux
passions. A supposer un écrivain dramatique assez maître de
son art pour que les portraits ainsi tracés suffisent à poser
devant nous un personnage animé et vivant, cette vie sera
nécessairement celle d'une âme artificiellement simplifiée et
réduite. Quelques-uns y parviendront à force de talent. Même
alors le fond substantiel de réalité, qui se montre au-dessous
des abstractions du poète analyste, conserve quelque chose de
général et d'anonyme. Chez les plus grands parmi les écri-
vains du théâtre classique, il semble qu'il y ait en tous les
personnages un substratum commun et uniforme sur lequel
la floraison de telle ou telle passion vient seule déterminer les
difierences individuelles. Chez Shakespeare au contraire, il
n'est pas un personnage qui ne nous donne l'impression d'un
être un, indivisible, dont chaque parcelle porte, autant que
l'ensemble, la marque d'une originalité entière. Mais dans les
œuvres de dramaturges inférieurs, il ne restera pas même ce
minimum de réalité concrète. Les passions qu'on aura isolées
devant nous pour nous les faire connaître, comme les rouages
sortis de la boîte d'une horloge, on ne réussira pas à en faire
des êtres et à leur rendre l'apparence de la vie. Elles resteront
pour nous de vagues et insubstantielles abstractions. La
légende allemande connaît un personnage qui avait perdu son
ombre. Dans les tragédies de Thomson et des dramaturges
congénères la scène est peuplée d'ombres qui ont perdu leur
corps.
1. De moins tMicore parfois. I.a joie silencieuse et mouillée de larmes
de Vir^'iiia. au retour de son Corioian, nous en apprend plus qu'une
savante analyse ps\chologique :
• .... My gracions silence, hait!
Wouldst thou havc laugh'd had 1 corne cofHQ*d home,
That weep'st to sec me triumph? Ah, my dear,
Such eyes the widowa in Corioli wear,
Aud niother:!^ that lack sons. •
(Acte Jl, ce. 1. 192.)
« CORIOLANUS. » 897
Le cas des tragiques anglais du xviii' siècle est particulière-
ment intéressant parce qu'il y a chez eux connaissance des
deux conceptions dramatiques et admiration partagée entre les
chefs-d'œuvre des deux écoles. ïliomson par exemple entend
ajouter à la tragédie quelques-unes des beautés du théâtre de
la Renaissance. Il s'inspirera des modèles du xvp siècle pour
ajouter plus de richesse et de complexité aux caractères. Il
trouve même, et l'aventure est piquante, trop uniforme et trop
monotone le a Coriolan d de Shakespeare et il ajoute au sien
des nuances, des ombres, des oppositions de ton. Il a peut-être
aussi pensé qu'il y avait lieu de respecter certain précepte de
l'école, qui recommande de ne pas rendre trop noir le per-
sonnage principal, de ménager quelques points par où notre
sympathie se puisse prendre à lui. Il n'a pas senti que ce qui
donne à cette fière et farouche figure de Coriolan son carac-
tèi'e, son originalité, sa puissance dramatique, c'est, à partir
d'une certaine heure, reflacement total de tous les éléments qui
ont fait son être moral; c'est l'envahissement de toute son âme
par une obsédante passion : le ressentiment de l'orgueil blessé.
Dans l'exposition du drame, Shakespeare nous fait comprendre
de quelle force et de quelle qualité est cet orgueil. Lorsque
ensuite nous le voyons développé au point d'étoufler tout autre
sentiment, nous reconnaissons en cette végétation monstrueuse
un effet naturel et fatal. Quand enfin, dans la crise finale,
Coriolan s'impose une conduite contraire à l'impulsion de sa
passion, nous sentons que dans cette âme la maîtresse roue est
brisée. Il ne reste qu'un organisme détraqué. Cet homme n'a
plus rien à faire dans la vie après qu'il a anéanti l'unique
mobile de ses actions, et la mort qui le frappe est le seul
dénouement que comporte le drame.
II
Thomson n'a pas respecté sur ce point fondamental la gran-
diose et puissante unité du <( Coriolan » de Shakespeare. Il
veut donner à son héros des titres à notre sympathie. Il ne
veut pas que dans cette âme le premier plan soit uniquement
occupé par d'aussi vilains sentiments qu'une superbe intrai-
S98 JAMES THOMSON.
table et une colère sans scrupules. Et alors, outre Je patricien
outragé qui ne songe qu'à la vengeance, nous voyons ici tantôt
un justicier qui se donne mission, au nom des principes éter-
nels de la morale *, de punir un attentat criminel, tantôt un
tenant du droit international qui veut châtier en Romerodieux
agresseur de tous les peuples voisins *. Nous voilà loin de This-
toire et de Taltier patricien qu'elle nous fait connaître. Nous
nous en éloignons tant que le personnage finit par ressembler
fort à un contemporain du poète . Son Goriolan exprime à
l'occasion les sentiments d'un héros selon le cœur des philo-
sophes du xv!!!*" siècle. Il explique son ressentiment ou il
donne des gages de sa reconnaissance, au moyen d'aphorismes
humanitaires tels que celui-ci : a L'ingratitude est une tra-
hison envers l'humanité ' ». — Ce n'est pas l'humanité en
général que le Goriolan de Shakespeare avait sentie outragée
en lui. — Le farouche et dur soldat de l'histoire est devenu un
homme sensible. Quand il a opposé aux envoyés de Borne
un refus hautain, il se souvient des droits de Tamitié; va
embrasser tour à tour les amis auxquels il a fait si mauvais
accueil dans leur qualité d'ambassadeurs *. Il verse des larmes
quand sa femme joint ses supplications à celles de sa mère '.
Enfin il est très préoccupé de la a nature ». G'e^t le pouvoir de
la nature que Veturia vient tenter après l'échec d'une première
députation; et quand elle a enfin obtenu gain de cause, c'est à
la nature que Goriolan lui-même attribue sa défaite *.
Gette combinaison du personnage de fer que nous montre
l'histoire et de l'homme de sentiment qu'imagine Thomson ne
crée pas le relief et la complexité de la vie; il détruit toute
netteté de conception du caractère. Ge Goriolan n'est pas
à la fois, mais tour à tour, ce que l'histoire le montre et ce que .
1. Voir en particulier le récit de Titus (acte H, se. i), et le portrait de
Goriolan par Galesus (acte V, se. iv).
2. Kntre autres passages, les paroles de Coriolan (acte 111,. se. vi).
3. Acte ï, se. IV.
^' • So far my public character demands,
So far m y houour. New \vhat should forbid
The man and friend to be indulg'd a liltle? »
(Acte III, se. 111.)
5. « See thèse tcars! Thèse tears will tell Ihee > etc.
(Acte V, se. 1.)
^* « Thine is the triuuiph, nature! »
« CORIOLANUS. » 599
le goût du xviii'' siècle aurait pu désirer qu'il fût; et le lecteur
n'emporte qu'une idée confuse et incohérente de cette image
flottante dont l'auteur n'a pas su préciser les contours ni
accentuer les caractères dominants.
Est-il besoin de continuer cette étude et de passer en revue
les principaux personnages? Il serait trop facile et il serait
cruel de comparer aux créations de Shakespeare les exem-
plaires amendés qu'en a donnés Thomson. Son Aufidius a la
même incohérence que son Goriolan. L'auteur a répugné
à en faire un pur traître de mélodrame; il n'a pas voulu
cependant nous y montrer un héros de plus haute moralité
que Goriolan lui-même; et il n'a pas su fondre dans Tunité
de la vie les éléments hétérogènes qu'il a associés. Les per-
sonnages secondaires, dont quelques-uns donnent tant de
saveur et d'attrait au drame de Shakespeare, ont ici disparu.
Tel Ménénius, le patricien politique et bon enfant qui s'oppose
par un contraste si heureux, au caractère de Goriolan.
Telle cette Volumnia qui, sans avoir prononcé une parole,
nous laisse le souvenir d'une des plus délicieuses figures de
Shakespeare, et vaut plus que de longs commentaires des
historiens pour nous faire voir et nous faire comprendre la
vieille république aux mœurs austères et pures. Ou bien ils
ont perdu leur caractère, comme ce Gominius, le noble chef
et l'ami attristé de Goriolan, qui chez Thomson devient un
pompeux orateur et adresse à Marcius révolté un cours de
politique égalitaire sur les droits des plébéiens, <i couches pro-
fondes » où se recrute l'élite de la nation. Faut-il rappeler
enfin ce qu'il a fait de cette admirable Volumnia * dont Torgueil
peut seul égaler celui de Goriolan et dont la fière volonté
finit par fléchir la colère de son fils? Thomson nous la montre
à bout d'éloquence, tirant de ses vêtements un poignard et
menaçant de se tuer. G'est devant cet argument mélodrama-
tique et vulgaire que Goriolan renonce à sa vengeance.
II est plus juste de dire que si Thomson n'avait pas les dons
de riiistorien et du poète, s'il n a pas su, comme Shakespeare,
revoir des yeux de l'esprit et reconstituer devant nous une des
éix)ques de la Rome antique, s'il n'a pas su davantage donner
1. On remarque les changemenls de noms. Volumnia est, chez Shake-
speare, la luère, et chez Thoinson la femme de Goriolan. La mère preud ici
Je nom de Veturia.
600
JilMES THOMSON.
à ses personnages Tintensité de la vie parce qu'iJ n'avait ni le
don de divination de rhistorien, ni la puissance de création
du poète tragique, il n'est pas d'autre part responsable de
toutes les erreurs de goût ni des anachronismes moraux
que nous avons relevés. Il écrivait pour son temps, il s'est
inspiré des sentiments de son temps; et, telle qu'elle était, sa
tragédie a su plaire à ses contemporains. Près de vingt ans
plus lard, quand déjà la critique et le public montraient une
intelligence plus exacte du génie de Shakespeare, Sheridan
le père donnait au théâtre un « Coriolan * i» dans lequel il
croyait bien faire en mélangeant à doses à peu près égales la
pièce de Shakespeare et celle de Thomson.
1. Joué à Covenl-Garden en 1764, et publié sous ce tilre :
« Coriolanus : or ifie Roman matron, A Tragedy taken frora Shake-
spcar and Thomson, as it is acted ai the Thealre-Royal in Covent Gardeo :
to which is added Ihe order of the Ovation. London : Printed for
A. Miflar, in the Strand. MDCCLIV. »
Cette « adaptation » et celle de Kemble suffisent pendant longtemps au
public anglais, si bien, comme le fait remarquer Campbell^ que le Téri-
table u Coriolan » de Shakespeare n'a pas été joué entre 1660 et 1820.
CHAPITRE VII
CONCLUSION
On le voit, les six œuvres dramatiques de Thomson n'ajo
tent guère à sa renommée. Leur valeur propre est faible,
n'est pas surprenant qu'elles dorment au fond de ces abin
de Toubli où se sont successivement déposées tant de trag
dies aujourd'hui fossiles. Mais l'histoire littéraire ne peut
contenter de ce dédaigneux silence. Elle doit tenir compte
poète d'un effort intéressant, quel qu'en ait été le succès, po
introduire quelque chose de personnel et de nouveau dans
formules dramatiques de son temps.
A considérer les œuvres antérieures à Thomson, le théât;
au commencement du x\nV siècle, nous apparaît comme pa
tagé en deux écoles distinctes. L'immense succès du a Catoi
d'Addison avait donné le type de l'œuvre dramatique appr
priée au goût nouveau. La tragédie ainsi comprise correspo
bien à ce triomphe de l'esprit classique et de l'imitation de
France qui se manifestait d'autre part dans la poésie satiriq
et didactique et que consacre le génie de Pope. Le théâtre q
réclame cette forme du goût ne vaudra pas par l'intensité
la vie ni par le relief des caractères; il nous présentera
passion généralisée et comme sublimée; il se contentera d'i
minimum d'intrigue. Mais il recherchera les beaux vers et 1
maximes sonores; il s'ornera de nobles sentiments et d'u
éloquence élevée; enfin, sous le couvert d'une fable dram
tique empruntée à l'antiquité, il prodiguera les allusions ai
événements contemporains.
60â JAMES THOMSON.
Cette forme de la tragédie marquait une réaction contre le
goût qui avait régné jusqu'alors. L'école qui pouvait se
réclamer de la tradition nationale, les successeurs d'Otway,
de Lee et de Southerne, ceux qui prétendaient se rattacher par
ces intermédiaires à la grande* école de Tâge d'Élizabelh, ce»
écrivains avaient conservé de leurs modèles grands ou médio-
cres Temphase du style, la complication et Tinvraisemblance
de l'intrigue, la violence forcenée des passions. Il leur man-
quait seulement ce don de création et ce pouvoir de donner la
vie qui fait la grandeur du théâtre de Shakespeare, et qui
rachète plus d'un défaut chez les Ford et les Otway. Les deui
tendances se manifestent simultanément; la scène anglaise
voit paraître à la fois la grave tragédie de Congreve, The
Mourning Bride ' et le drame romanesque de Southerne,
Oroonoko *. Le grand succès de Cato ^ n'empêche pas la pro-
duction de tragédies à péripéties extraordinaires et à carac-
tères outrés tels que le Biisiris de Young *.
Thomson s'est proposé de réaliser au théâtre une concilia-
tion des deux écoles. Il a cru pouvoir éliminer de chacune ce
que blâmait le bon goût et en conserver ce qui faisait leur
valeur. Il se proposait d'observer les règles précises et exi-
geantes de l'école française : unités de temps et de lieu, choix
de sujets historiques et de personnages princiei's, exposition
du sujet par un récit, importance des discoui*s, absence de
toute action violente sur la scène. Mais il voulait assouplir le
cadre tro|3 inflexible de la tragédie classique; y faire une place,
IX côté du drame des passions, aux surprises, à l'attente, aux
émotions d*une intrigue ingénieusement nouée et déliée.
Sa tentative n'est donc pas sans analogie avec celle qu'essayait
Voltaire à la même époque. Gomme ce dernier, le poète anglais,
alors même qu'il prend pour sujets les faits les plus connus de
l'histoire, s'efforce d'ajouter à la gravité, à la réserve, à la
hauteur soutenue des pensées et du langage, plus d'impré\'U
et de variété dans l'action. Alors même qu'il prend pour sujet,
comme dans « Agamemnon d ou dans a Coriolan », un de ces
drames dont la fornie a été rigoureusement arrêtée par la tra-
dition et par Tautorité de grandes œuvres littéraires, il croit
devoir y introduire la diversité psychologique, l'émotion pathé-
1. 1697. — 2. 1696. — 3. 1713. — 4. 1719.
CONCLUSION. 603
tique ', et parfois Tattrait d'une afTabulation qui pique la
curiosité et soutienne l'attention. Mais cet élément d'intérêt
qu'apporte l'intrigue, il lui conserve un caractère modéré. Il
n'ajoute aux grands souvenirs de Rome ou de la Grèce, rien
qui ressemble aux imaginations extravagantes de la « Sopho-
nisbe » de Lee ou du a Busiris » de Young. A la belle ordon-
nance et à l'éloquence pompeuse de la tragédie classique il veut
ajouter une certaine dose d'imagination raisonnable et tempérée.
C'est de ce double effort que le loue Voltaire. Il y reconnaît une
préoccupation semblable à celle qui lui fait chercher en France
une forme rajeunie, plus vivante et plus attrayante de la tra-
gédie; et l'initiative de Thomson en Angleterre est secondée
par les traductions que donne ITill, l'ami du poète anglais,
des principales œuvres de Voltaire.
Les jugements sur l'opportunité ou sur la valeur propre de
ce principe dramatique seraient de peu d'intérêt. La tentative
a échoué plus complètement en Angleterre qu'en France. Les
contemporains ont fait à « Coriolan », comme à a Agamemnon »,
comme à a Sophonisbe » un succès d'estime ^ ; mais ils n'y ont
pas vu la révélation d'un art nouveau. Cette tragédie bâtarde
n'a pas fait souche. Il n'est pas à regretter que le drame
ultra-fantaisiste, aux violences furibondes n'ait pas survécu
à l'apparition d'œuvres sensées, composées et écrites avec
soin et avec mesure. Mais ce que notre auteur avait voulu
conserver de la force et de l'audace des vieux maîtres a
disparu avec le reste sous les railleries de Fielding et de
0. Prétendre que ces tragédies aient un caractère pathétique serait
autre chose. Nous avons au contraire quelque peine à imaginer, même en
faisant la part du jeu d^aclrices habiles, comment les malheurs de Sopho-
nisbe ou les anxiétés de Clytemneslre ont pu tirer des larmes aux spec-
tateurs de Drury-Lane. Johnson déjà notait à cet égard l'insuffisance de
notre poêle : • n ne semble pas, dit-il, qu'il ait eu beaucoup le sens
du pathétique ». Mais Pope était d'un autre avis : « Je n'ai vu jusqu'à
présent que trois actes de 1' « Âgamcmnon » de M. Thomson; mais on me
dit, et je le crois par ce que j'en ai vu, qu'il excelle dans le pathétique. •
(Lettre à Ilill.)
Johnson sans nul doute a raison. Mais Pope nous fait connaître Tinten-
lion de l'auteur et c'est ce que nous avons à noter ici.
1. Ce n'est pas en Angleterre seulement que Thomson est pris au
sérieux comme auteur tragique. Leasing le cite avec éloges dans la» Dra-
maturgie deUambourg»; il écrit une préface à une traduction allemande
des tragédies de Thomson (CiKuvres, édit. Hempel. XI, 1, p. 8!î3); il tra-
duit lui-même des fragments de • Tancrêde et Sigismonde • {ibid., XI, 2,
p. 319} et d' A Agamemnon » {ibid,, p. 516).
604
JAMES THOMSON.
Carey, et devant les exigences d'un bon sens plus rassis. La
forme sous laquelle la tragédie anglaise a prolongé pendant
le cours du xvni* siècle sa languissante existence a été plutôt
celle de la pure tragédie, comme nous la trouvons dans
r a Irène » de Johnson; et, de l'œuvre de Thomson, la posté-
rité n'a guère retenu que deux ou trois anecdotes suspectes,
un vers ridicule, et le glorieux chant patriotique éclos parmi
les froides platitudes d' a Alfred ».
LIVRE V
«
LE CHATEAU D'INDOLENCE
»
J
Ni la production intermittente de quelques tragédies, ni le
travail de revision et de remaniement des a Saisons » ne cons-
titue un bagage littéraire important pour la période de douze
années qui va de rachèvement de a La Liberté » à la mort du
poète. A partir de 1736, dans sa paisible demeure de Riclimond,
Thomson, renonçant aux visées ambitieuses pour jouir en
philosophe d'un peu de gloire et d'une aisance modeste,
s'abandonne à une oisiveté qui contraste avec l'énergique
activité des dix années précédentes. Pour les amis qui fai-
saient sa société ordinaire, cette nonchalance était un sujet
fréquent de railleries et de reproches. Plusieurs de ces cen-
seurs partageaient cependant le goût de notre poète pour le
fepos et pour les plaisirs du dilettantisme. 11 voulut riposter
à. des accusations qu'il ne croyait pas mériter seul, et s'amusa
vin jour à tracer en quelques strophes le portrait des compa-
gnons de son loisir. Ce sont ces légères esquisses qui sont
devenues « Le Château d'Indolence ». Cette aimable confes-
sion d'un paresseux s'est peu à peu développée au point de
Former une œuvre considérable. Pendant plus de dix ans,
l'auteur n'a cessé de la retoucher, de la perfectionner et de
l'accroître *. Il y a mis, à défaut du grand enthousiasme qui
i. • Afler fourtecn or fifteen years Ihe CasUe of Indolence cornes abroad
in a fortoight. » (Thomson à Palerson. avril 1748.)
606 JAMES THOMSON.
soutient son eflbrt dans le long labeur des c Saisons >, une élé-
gance souple et facile, une philosophie tour à tour élevée et
railleuse, et Tharmonie d'un art exquis. C'est ce poème qu'il
nous reste a étudier, cette épopée de l'Indolence chantée paruo
indolent. Nous y trouverons le témoignage extrêmement inté-
ressant de la transformation que cette époque a vue s'accom-
plir dans le goût littéraire, dans les motifs d'inspiration et
dans le credo artistique de l'auteur des « Saisons » et de c l^a
Liberté ».
Le poème comprend deux chants d'égale longueur. Le pre-
mier est occupé par la description du Château, du magicien
qui l'habile, de ses hôtes et de la vie qu'ils y mènent. 11 nous
présente la peinture des plaisirs de la paresse. Le second
chant apporte une contre-partie utile. Il nous fait connaître
le chevalier Travail, sa lutte contre Indolence, la vanité des
joies que l'enchanteur promet à ses dupes, et les maux qui se
cachent sous ces voluptés.
Après un court préambule, six strophes sont consacn^s à
nous décrire le ChîUeau et le site où il s'élève. Puis nous
entendons les chants du magicien, ses promesses et l'énumé-
ration des joies qu'il assure à ses adeptes *. Des nombreux audi-
teurs que sa voix attire, beaucoup se pressent pour entrer
dans le palais. Quelques-uns plus sages hésitent méfiants,
('eux qu'il peut atteindre et toucher perdent toute force et
deviennent ses prisonniers -. — Nous suivons dans le Château
la foule de ces hôtes nouveaux. Nous les voyons, sous la direc-
tion du gras et somnolent gardien de la porte, échanger leurs
vêtements pour des robes flottantes et de souples chaussures.
Ils vont boire à la fontaine d'Oubli qui jaillit au milieu de la
cour, et ils se dispersent dans la silencieuse étendue des jar-
dins, invités par le maître à vivre selon la devise du lieu :
Fais ce que veux ; ne prends point souci de ce que fait ton
voisin; mérite Ion bonheur en évitant de gêner les autres'.
Alors vient la peinture de ce séjour merveilleux où nul
bruit importun ne trouble la paix des hôtes, où les mets les
plus recherchés sollicitent leur appétit ou leur gourmandise,
où tons les raffinements de l'élégance et de la richesse s'unis-
sent pour assurer à leur paresse la demeure la plus luxueuse;
I. Strophes i\ à xx. — 2. x\ h xxiv. — 3. xxiv h xxxi.
« LE CHATEAU D'INDOLENCE. » 607
)ii les arts leur procurent des joies sans fatigue, où Tair même
ipporte une influence de langueur délicieuse avec les mur-
nures du vent, les sons de la harpe éolienne, et la claire
rhanson des eaux vives et des cascades *.
Le poète se range au nombre des mortels qui ont connu les
plaisirs du Château, et ce sommeil auquel Morpliée réserve
>es songes les plus agréables *, Il s'est amusé lui aussi du
5p<.»ctable offert dans le jardin par le globe magique, le miroir
le vanité. Il y a vu Tincessante et stérile agitation des hommes
ît la frivolité de leurs buts : amour du lucre, science, littéra-
ture, vie mondaine, politique et ces luttes de nations ce que
ies rois très chrétiens d précipitent les unes contre les autres -K
\ côté de lui il fait place, parmi les adeptes du magicien, à
Dlusieurs de ses amis : Paterson *, Armstrong, John Forbes,
jeorge Lyttelton (qui lui-même s'est chargé du portrait de
rhomson et Ta tracé avec une fine et affectueuse raillerie *),
mVin Facteur Quin et Murdoch «, le futur biographe de Tau-
eur. Murdoch est prêtre, et nombreux, dit malicieusement
'auteur, sont les gens de sa robe au Château d'Indolence.
S'ombreuse aussi la tribu des politiciens de cafés, et celle des
nondaines frivoles dont l'activité même n'est qu'une autre
orme de l'oisiveté \
Ce n'est pas, il en faut convenir, Thorreur et la répulsion
[u'inspire le séjour ainsi décrit. Les dernières strophes du
)remier chant viennent fort à propos nous rappeler qu'il ne
i'agit pas ici d'une apologie de la paresse. Toutes ces voluptés
ne sont que perfide illusion. Dès qu'ils ont passé l'âge des
charmes, les habitants de ce lieu de délices sont enfermés dans
un cachot souterrain et livrés aux démons et aux sorcières de
l'enfer. Armstrong, le médecin poète, s'est chargé de peindre
i. XXXI à XUII. — 2. XLIV U XLVIII. — 3. XLIX «\ LVI.
4. Peiil-ôtre, au lieu de Paterson, est-ce Collins qui est visé. Les détails
lonnès lui conviendraient également, et c'est lui que veut reconnaître
fr. \V. Moy, son biographe. Les présomptions qu'il énumère sont assez
agues et nous avons d'autre part Tafflrmation de Thomson lui-m(}me
;u'une « niche ■ est réservée à Paterson. Reste la supimsition que le por-
riiil ait pu s'appliquer aux deux personnages, et que le poète ait songé &
<>Ilin8 quand il traçait le portrait de ce « rAveur doux, alTectiieux et
■ensif sans tristesse, dont l'imagination bdlissait mille systèmes glorieux,
ont l'esprit enfantait mille projets grandioses destines à disparaître sans
Uis laisser de trace que les nuages qui passent. » (Sir. iaii-m\.'
5. Strophe lxviii. — 6. i.xvn et i.xix. — ". i.xix à lxxii.
608 JAMES THOMSON.
ces victimes d'Indolence. La Léthargie, l'Hydropisie, l'Hypo-
chondrie, la Fièvre Tierce, la Goutte et l'Apoplexie présentée
en quelques peintures vigoureuses nous apprennent combien
sont dangereuses les séductions complaisamment détaillées par
le poùme *.
Au début du deuxième chant l'auteur nous dit quels regrets
il éprouve à reconnaître la vanité des plaisirs du Chàteaa. 11
va chanter cependant le chevalier glorieux qui a chassé la
troupe vile des fidèles d'Indolence, et rappelé à la noblesse de
Taction quelques êtres généreux trompés par le magicien K
Dans le pays des Fées, Selvaggio, inculte, robuste et hardi,
s'est uni à la dame Pauvreté. Il leur est né un lils qui a pris
le nom de Chevalier des Arts et de l'Industrie. Sa jeunesse
s'est formée dans les jeux libres et sains de la forêt. Elle na
pas connu les soins de tendres parents. Mais Minerve et les
dieux qui protègent les champs se sont intéressés à ren&nt
Les neuf sœurs divines ont jeté sur lui un regard favorable'.
— Ainsi préparé, le Chevalier sort de ses forêts pour civiliser
le monde. Il voit fuir devant lui la paresse et la férocité, il
polit les nations, il fait naître les arts et les vertus. Il choisit
la Ikelagne pour sa terre de prédilection. Il y élève son ehef-
d œuvre dans une nation où règne la liberté, où l'industrie,
l'agriculture, les arts, la science, le commerce et la puissance
guerrière atteignent leur plus haut développement. Enfin, dans
une fcinio de la vallée de la Dee, prenant un repos bien gagné,
il se prépare à finir ses jours dans un bonheur paisible *.
Mais Indolence étend sa funeste influence. Les peuples
menacés font appel à la protection du vieux Chevalier. Il
monte à cheval, armé du filet du destin qu'ont tressé les Parques;
1. De lAxiii à Lxxvii. - On peiil comparer à ces allégories du « Château -
«les exemples antérieurs. Dans The Court of Dealh de Gay (fable XLVll}.
nous voyons les Uij:nbres ministres du monarque ': Fever, Goul, "*•
Sloiie, Consumplion, Plagiie, Intempérance. C'est ce dernier qui obtient le
prix projiosé. — Spenscr rencontre l'occasion d'une énumëration Jq
môme v:enre, mais il se contente d'une sobre indication :
- Tliere x\erc full manv moo like maladies
Whose namcs and nalures l note readen xvcll,
So mauy moe as ihore bc phantasies
In wavcrv nn émeus witt. »
«
{The FdPiy Quvenfi, Bk III, canto XII, str. \\\\.\
iî. Sir. IV. — 3. Sir. vu à xiv. — 4. xiv à xxix.
« LE CBATE&U D'INDOLENCE. » 609
et, accompagné de son barde, Philomelus, il se dirige vers la
demeure d'Archimago '. Ils trouvent le magicien à la porte de
son palais, attirant selon sa coutume les imprudents qui
prêtent l'oreille à ses chants. Archimago s'élance sur le Che-
valier; mais celui-ci évite l'étreinfe fatale, et jette le filet dans
lequel le sorcier se débat impuissant et vaincu '. Les démons
inférieurs du lieu poussent d'horribles clameurs. Le seigneur
Industrie attend qu'ils se soient tus. Puis il ordonne à son
barde de tenter un effort pour sauver ceux des prisonniers
dont l'Ame n'est pas entièrement empoisonnée. Philomelus
alors célèbre la raison, la piété, la dignité du travail, les joies
d'une vie active et pure '. — Plusieurs des bâtes du Château
se laissent convaincre, et itarmi eux le poi'le lui-même : « Nous
t quitti\mea joyeux ces bosquets criminels n. Mais les autres,
plus nombreux, injurient les importuns qui viennent troubler
leur jiaix '. Le Chevalier agite une baguette dont le pouvoir
détruit toutes les illusions de la magie, et la scène apparait
transformée. Ce Heu de délices n'est qu'une région affreuse,
oii grouillent d'odieux reptiles, où se voient les cadavres
d'êtres assassinés ou suicidés. Les cachots laissent écliappor
la horde des misérables cfu'ils contenaient, et ceux-là liéni^ssent
le Chevalier qui les fait jouir encore du a sourire de la
lumière » '. Ému de leur état, Industrie leur montre dans le
repentir la voie du salut eu cette vie ou dans l'autre. Il laisse
entrevoir même aux coupables endurcis la possibilité d'une
purification par la douleur '. Enfin il regagne sa retraite lais-
sant derrii're lui, avec une larme de pitié, les malliourcux qui
ont méprisé le salut et dont la destinée est indiquée dans les
cinq dernières strophesavec une énergie toute dantesque.
4. Lxiv b Lxvi. — Comp. un (la^Aiige dj inas<|iiu île Bek JoMios, Cyidliia :
- Uear AreU and Critcs. to y
ou l«0
WeBivethe eharfic, impose
what pains vou pio
The ioeurahle eut oIT, lljc rci
il reform. •
(AcW V,
610 JAMES TBOMSON.
II
Telle est la fable du poème. Mais l'œuvre est de celles où la
façon de louvrier vaut beaucoup plus que la matière tra>*aiilée.
C'est par les détails, par la richesse et l'élégance des orne-
ments, par le style et par la facture des vers que « le Château
d'Indolence » a mérité une place parmi les purs chefs-d'œuvre
de la poésie anglaise.
Le contraste est grand avec les a Saisons » où le fond au
contraire avait plus de valeur que la forme. Par bien d'autres
caractères les deux poèmes s'op|)osent. Le grand poème des-
criptif est plein de la réalité la plus concrète : c'est le inonde
des choses qui s'y montre à nous. Au contraire, rien de réel
dans Tallégorie i)rolongée qui forme le sujet du « Château
d'Indolence ». Ce môme écrivain, dont le génie poétique sem-
blait fait d'une observation complète et précise de la nature,
développe ici en un long apologue quelques idées morales.
Dans un monde idéal, au milieu d'une nature semblable aux
visions des rêves, il fait agir ou parler des personnages aussi
dépourvus d'humanité et de réalité objective que les héros de
romans de Chevalerie. Au lieu de la forte évocation des choses,
il fait jouer (levant nos yeux les fuyantes et capricieuses créa-
tions de la fantaisie. Au lieu des spéculations philosophiques
un peu ambitieuses de sa jeunesse, et de son lyrisme avoisi-
nant l'emphase, nous avons ici une œuvre toute en demi-teintes,
où le ton passe de la plaisanterie et de Thumour aux graves
levons morales, mais où toujours l'austérité du moraliste se
tempère d'un sourire fait à moitié d'ironie, à moitié d'indul-
gence.
L'opposition n'est pas moindre si nous considérons la forme
des deux œuvres. La langue forte, puissante, un peu tendue et
solennelle des <c Saisons » est remplacée par une langue
souple, dégagée, aux tons variés. Au lieu du vers blanc, c'est-
à-dire (le la plus simple des formes poétiques, le « («hàteau • nous
montre la strophe spensérienne, le plus savant et le plus com-
pliqué des rythmes qu'on ait jamais employés au développe-
ment d'un poème de quelque étendue.
« LE CHATEAU D'INDOLBNGB. » 611
La part ainsi faite à ces contrastes, nous ne serons pas sur-
pris de trouver aussi entre les deux œuvres maîtresses de Técri-
vain plus d'une ressemblance. En dépit des changements
apportés par les influences du milieu et par le cours des années,
la personnalité de Thomson était trop forte, son génie trop
robuste pour que nous ne retrouvions pas le poète des « Sai-
sons 1» sous l'auteur du poème allégorique.
Le souvenir de son enfance, de ses simples plaisirs, des
scènes rustiques où elle s'est écoulée ouvrait « 1' Hiver » ^ Il
reparait encore dans l'œuvre dernière. « Esprits qui protégez
c le sommeil des hommes,... faites revenirà la lumière l'aurore
c de la jeunesse, faites briller encore ces jours d'innocence, de
« naïveté, de sincérité qui ne connaissent point les soucis ni les
< voies épineuses de Tàge mùr! Quelle joie à revivre nos jeux
€ d'enfants, notre facile bonheur en cet âge où tout était source
« de plaisir : les bois, les montagne.s et les libres ruisseaux
« gazouillant dans leurs méandres M » — lia toujours au cœur
la même foi patriotique et le même amour de la liberté. L'âge
n'a pas refroidi ces sentiments. L'ironie un peu sceptique dont
plus d'une strophe du a Château r> porte la trace ne s'applique
jamais à eux. Ce que le poème contient de plus réel, de plus
humain, ce par quoi cette longue allégorie reste en con tact avec
des émotions sincères et directement éprouvées, c^ sont les
passages où vibre l'accent du patriote. Douze strophes du
Deuxième Chant sont consacrées à énumérer les sujets d'or-
gueil de l'Anglais ^ Pour le poète, la Bretagne est la terre des
hommes libres et brac^-es, en même temps qu'elle est la reine
des arts. Elle est la maîtresse du monde par le commerce et
par la guerre; sa littérature, ses universités, son agriculture *
sont également sans rivales ; sa puissance et sa gloire militaire
la placent au-dessus de toutes les nations *. Et de même sur
les grands sujets de la philosophie, le c Château d'Indolence ^
reproduit les pensées et les opinions de Tauteur des a Saisons ».
Cette doctrine de l'évolution des âmes qui marque l'effort de
Thomson vers les hautes spéculations de la métaphysique nous
la retrouvons encore dans plus d un passage du poème. « Depuis
c la matière insensible jusqu'aux séraphins radieux autour du
i. Winier, 6-i6. — 2. Caslle, I, xlviii. — 3. Canto U, xvii à xxviii. —
4. Canlo II, str. xix, str. xxv et suiv. — 5. Canto I. xxxii.
\
612 JAMES THOMSON.
« trône du Tout-Puissant, la vie s'élève toujours au-dessus de la
« vie ; elle monte sans cesse des degrés nouveaux pour arrivera
« la perfection, et au bonheur qui raccompagne *. » — Après
Texposé de la doctrine, voici Tapplication morale qu'en tire
l'auteur: « lléritiei-s deTéternité, vous qui êtes destinésàvous
« élever par d'innombrables états successifs,... pouvez-vous
a renoncera une fortune si sublime... pour rétrograder et vous
n rouler avec les brutes les plus viles dans la vase et l'or-
« dure *? »
Les croyances religieuses restent ici comme dans le poème
des jeunes années assez vagues. La notion du Dieu personnel
et providentiel se mêle à des expressions que ne désavouerait
pas le pur panthéisme : « Qu'est-ce que cette Perfection
« suprême, objet do notre adoration? sinon l'àme éternelle et
« toujours active, puissance intinie, lumière directrice du monde
<( grâce à laquelle le moindre atome vibre et toutes les planètes
a roulent, qui emplit et entoure l'univers, qui lui donne la
c( forme et le mouvement ^? » La doctrine exposée est, on le voit,
peu orthodoxe. Il semble bien que dans cette œuvre de longue
réflexion publiée peu de jours avant sa mort, le poète demeure
fidèle à cette croyance plus qu'à demi panthéistique dont Lyi-
telton avait prétendu combattre et cru détruire les princi|)es*.
D'autres traits de moindre im|)ortance peuvent être relevê>
dans t( le Château », qui confirment ou qui complètent les ren-
seignements fournis parlesœuvresantérieuressur le caractère,
sur les alToctions ou les aversions du poète. De nombreux i>as-
sages des « Saisons » étaient consacrés au souvenir d'amis
perdus. De même, dans sa description des songes heureux, au
premier cliant du « Château », il demande aux esprits amis de
l'homme de lui envoyer comme un bienfait et comme une pro-
tection la vision dos êtres aimés auxquels il a survécu :
a Pour une heure faites sortir de la tombe et rendez-nous ces
(( amis depuis longtemps perdus que pleure noire alîection, et
1. Cinlo II, sir. Lxviii. — 2. Canlo 11, str. i.xiii; voir aussi str. i.xxii. —
3. II, sir. \Lvn.
4. D'autres passages encore se rallnchent à un credo qui n*était pas
celui (le Lyttolton. La doolrine de IVWolulion des Ames conduit ThoinsoD
à celte notion d'un purgatoire qu*ont rejetée les églises protestantes. U
n'admet pas la pcrdilion défiuilive des criminels les plus endurcis; il croit
au rachat des faules par la pénilcuce. Voir 1, str. lu, str. lxxi. lxxii,
1.XXU1.
.« LB CHATEAU D'INDOLENCE. >» 613
« remplissez ainsi nos cœurs d'un pieux émoi, d'une douleur
« mêlée de joie ' ! » — Tliomson n'a pas oublié ces difficultés de
la vie d'un homme de lettres que sa jeunesse a connues. Jusqu'à
la fin même il a éprouvé combien sont précaires les avan-
tages assurés aux écrivains par la faveur des grands. Pour son
compte il est prêt à recevoir, comme Horatio, « avec une
c égale gratitude les horions et les aubaines de la fortune ' ^.
Car rien ne peut lui ravir ni la grâce et la beauté de la nature,
ni les pures joies de l'imagination, de la raison et de la vertu *.
Mais il déplore, pour les lettres, et pour l'honneur de TAngle-
terre, la condition misérable ou servile qui est faite au plus
grand nombre des écrivains, a Les arts... se développent lente-
€ ment à moins que... de puissants patrons ne viennent appeler
€ les Muses timides au chaud soleil d'une aisance sans tour-
€ ments, où nul souci grossier n'enchaîne le génie prêt à
€ s'élancer, où les aimables sœurs n'aient d'autre occupation que
« de plaire.... Mais aujourd'hui... nos patrons marchandent ce
« modeste salaire à tous, sauf à ceux qui leur polissent des vers
« pleins de flatterie. . . . Courage ! . . . toujours nous reste cet éternel
« patron, la Liberté *.... » — Il est vrai qu'à vouloir s'affranchir
de l'humiliante dépendance des patrons l'auteur peut ren-
contrer un autre ennemi, a Tout labeur obtient sa récom-
« pense.... Mais une race odieuse pille la ruche d'Aonie comme
€ les guêpes sauvages volent l'abeille laborieuse *. »
Les gens de loi paraissent être pour Thomson un objet de
haine plus sincère et plus constante. 11 les avait déjà malmenés
dans « l'Automne » et dans « l'Hiver » ®; il exprime de nouveau
son mépris ou sa rancune dans ce le Château ^, Parmi les car-
rières viles qu'énumère Archimago une place est faite à celle des
gens qui « rôdent par les cours de justice en quête de proie
« humaine ^ ». Et, dans la liste des aigrefins qui ruinent le pro-
digue, les robins figurent dans la plus fâcheuse compagnie :
« entremetteurs, hommes de loi, intendants, courtisans et syco-
c phantes ^ d.
Enfin de toutes ces indications où se révèle la personnalité
de l'écrivain, il en est une que nous ne saurions négliger.
Toute une moitié du poème est une apologie de l'indolence, et
i. I, XLVii. — 2. Uamlely ni,ii, 12. — 3. Canlo II, str. m.— 4. CasUe, 11,
XXII, xxiii. — 5. Canlo II, sir. ii. — 6. Autumn, 1287-1289; 1291-1294. Winter,
384-388. — 7. Canto 1, sir. xiii. — 8. Canlo I, str. li.
614 JâMBS THOMSON*
rindolence fut le péché favori du poète. Sans doute il a, dans
une seconde partie, voulu mettre ses lecteurs en garde contre
des séductions dont il parle en homme qui les a connues. lia
porté reffort consciencieux de son talent sur une apothéose de
Tactivité et du travail. Mais il est trop évident que la peinture
du mal Ta mieux inspiré que Téloge du remède. Les sa|^
leçons du deuxième chant ne suffisent pas à faire oublier les
délicieuses peintures du premier; les chants de Philomelas
restent inférieurs à ceux d'Archimago. Dans cette allégorie qui
se propose de flétrir l'indolence, le poète a dû ses meilleures
inspirations au souvenir des joies de l'indolence '. Il lui sera
beaucoup pardonné parce que sa nonchalance n'a jamais fait
tort qu'à lui-même, parce que son oisiveté n'a été ni égoïste ni
maussade % parce qu'il a vaillamment condamné son défout,
enfin parce que à ce défaut même nous devons plusieurs pages
exquises du poème.
III
L'homme demeure donc, dans cette œuvre dernière, tel, à
tout prendre, que nous l'ont montré les œuvres du début. Au
contraire Je poète a subi une transformation profonde. On le
pourrait conclure déjà des contrastes que nous avons notés
dans l'appareil extérieur des deux poèmes, les « Saisons i et
le « Château ». Un examen plus pénétrant de celui-ci nous fera
constater, dans le génie de l'écrivain, à côté d'un certain fond
1. L'excentrique philosophe lord Monboddo a remarqué avec quelte
supériorité Thomson parle du repos, du sommeil et des songes dans celle
œuvre, « Ihe finesl allegorical pocm in any language, and most coroplele.
according to my judgment, both in style and versification, and particul-
arly bcautiful upon Ihe subject of dreams •. (Aniient Melaphysics, vol. H»
chap. v : On Dreams, p. 273.)
2. Wordsworth, ce lutteur et cet infatigable ouvrier, lui a rendu celte
justice, et c'est sous le patronage de notre poète qu'il a placé le souveair
des quelques heures de nonchalance de sa laborieuse existence.
<( To lime thus spent add multitudes of hours
Pilfered away, by what the Bard who sang
Of the Enchanter Indolence hath called
• Good-natured lounging. •
{The Prélude, Bk. VI, p. 384.
« LE CHATEAU D'INDOLBNCE. » 615
permanent, une diversité d'aspects, une modification ou un
développement du génie poétique qui méritent de nous arrêter.
Et d abord l'auteur du a Château dlndolence d reste un
grand poète descriptif. Dans cette œuvre de rêves flottants et
de chimériques visions les exemples de peintures vraies, pré-
cises, aux couleurs arrêtées, aux traits nettement accusés ne
sont pas absents. Elles prouveraient, s'il en était besoin, que
cette puissance d'évocation du monde extérieur est bien le fond
ift comme le cœur du génie du poète.
Dès le début, avec la deuxième strophe, commence une des-
cription du château et du paysage qui l'entoure. Les <r Saisons »
ne renferment pas une peinture plus exacte du dessin ni plus
riche de tons. Elles ne nous donnent même nulle part un tableau
aussi précis, aussi individuel. Les grandes scènes de la vie de
la nature ne pouvaient en effet être rendues qu'en de larges
peintures de caractère général. Mais ici le poète imagine avec
une netteté de vision parfaite le lieu où va se dérouler son
poème et il le décrit avec une précision rigoureuse :
« Tout prés d'une rivière, dans un vallon profond qu'enfer-
« maient de toutes parts des collines boisées s'èlcvant les unes
tt au-dessus des autres, un puissant magicien vivait.... C'était,
a en vérité, un coin de terre délicieux. 11 y régnait une saison
« comme celle qui dure de mai à juin, à d(»mi parée par le prin-
« temps, à demi bronzée par l'été. Si bien qu'avec l'air on y
« respirait une langueur qui ne laissait à personne la force de
« travailler, ni même le désir de jouer.
<i Rien alentour que des images de repos : des bosquets pro-
« pices au sommeil séparés par de calmes pelouses; des par-
a terres de fleurs où les pavots répandaient une influence endor-
u mante, et des tapis de riante verdure où jamais on ne vit
« créature rampante. Et toujours d'innombrables et brillants
a ruisselets se jouaient et de tous côtés précipitaient leurs
a eaux étincelantes; et ces eaux coulant et frémissant dans les
« clairières ensoleillées faisaient entendre, bien qu'elles-mêmes
a fussent toujours en mouvement, un murmure qui portait
ne au sommeil.
« En même temps que le bruit léger des ruisseaux babillards,
tt on entendait les troupeaux mugir dans la vallée, et des col-
a lines lointaines arrivait le bêlement bruyant des moutons, et
« le son des flûtes des bergers oisifs; de temps en temps s'éle-
616 JAMES THOMSON.
« vait le doux et le triste chant de Philomèle ou la plainte des
a tourterelles dans la forêt profonde qui^ elle-même endormie,
n bruissait lorsque le vent passait en soupirant; la cigale
a chantait sans se lasser; et tous ces bruits confondus invi-
a taient tous les êtres à dormir.
d Au-dessus, occupant tout l'accès du vallon, une forêt se
« dressait noire, silencieuse, auguste. On n'y voyait passer
« que des formes vagues telles qu'en imaginent les rêves de
<t Toisiveté. Et, s'élevant sur les collines des deux côtés de la
a vallée, un bois de pins jetait une ombre épaisse; agité d un
« mouvement incessant, il faisait passer dans les veinés une
c crainte assoupie. Enfin, plus bas, là où la vallée serpentait et
« s'ouvrait, on entendait, on entendait à peine, le murmure des
« flots de la mer.
a Tel était le paysage... où Indolence (c'était le nom du
« magicien) habitait un château caché parmi les arbres qui
« Tentouraient de près et lui faisaient un berceau. Ils arrêtaient
« à moitié les rayons brillants de Phébus, et mêlaient en
« quelque sorte la nuit à la lumière du jour '.... i»
l. Canlo I, str. ii à v, et sir. vu.
Dire que l'auteur d'Alaslor se soit proposé d'imiter Thomson, ce sertit
if^norer quel flot de poésie jaillissait intarissable de l'dme de Sbelly. Mais
peut-être quand il décrivait la forêt et le ruisseau d'Alastor, quelques ver»
du « Château d'Indolence » chantaient-ils au fond de sa mémoire; ceux-ci
par exemple :
• Â sable, silent, solemn forest stood,
Whcrc nought but shadowy forms were seen to move
As Idiess fancied in her dreaming mood.
Meantime, unnumbered glittering streamlets played,
And hurled cveryvvhere their waters sheen;
That, as they bickered through the sunny glade.
Though restless slill thcmselves a lulling murmur madc.
u Mid cmbowering trees
That haïr shut out the benms of Phœbus brigbt.
And made a kind of checkered day and night. •
Et d'autre part le début du noble poème de Keats, Hyperion^ ne sonne-
t-ll pas comme un écho des vers de Thomson?
• Deep in the shady sadness of a vale
Par sunken from the healthy breath of morn,
Far from the fiery noon....
Sat gray-hair'd Saturn....
Forest on forest hung about his head. •
« LE CHATEAU O'iNDOLENGE. » 617
Il n'y a pas dans les tableaux si vrais et si précis de Ciowper
ou de Wordsworth un paysage qui nous apparaisse plus nette-
ment déterminé que ce vallon entouré de forêts où se blottit le
Château. Mais ce n'est pas le seul caractère auquel nous
reconnaissions ici le grand poète paysagiste. Cette description
si nette ne forme pas un dessin en grisaille. Comme dans les
« Saisons », la notation des couleurs vient compléter et enrichir
le tableau *. Et surtout ce paysage a une âme et une puissance
d'action sur nos âmes. Le poète pouvait se dispenser de nous
dire que c'est « une terre de somnolence ». Vingt traits de sa
description nous donnent cette impression. Elle résulte et du
silence solennel de la foret prochaine, et des bruits divers qui
se mêlent en une harmonie vague et pleine de langueur : mur-
mures des ruisseaux, bêlements des troupeaux lointains, chant
du rossignol et de la tourterelle, gémissement monotone des
grands sapins noirs qui se balancent et, au loin, grondement
assourdi de la mer. Il y a là, en quelques vers, treize notations
de sons qui tous concourent à un même effet '.
Une autre fois encore ce vallon nous est montré, mais le
point de vue est difîérent. Le poète le décrit au chant II tel
qu'il apparaît du haut des collines qui l'enserrent.
a Enfin elle apparut cette fatale vallée de joie au-dessus de
<t laquelle de hautes montagnes couronnées de bois élèvent
« leurs sommets.... Elle s'étendait large au-dessous des deux
« voyageurs comme une île verdoyante, partout égayée de jar-
« dins et de ruisseaux vagabonds et de bosquets touffus pour
€ ombrager les pelouses '. »
En dehore de ces deux passages l'œuvre nous offre un certain
nombre d'heureux et parfois d'admirables passages descriptifs.
Ils ont un caractère de sobriété et de puissance suggestive qui se
rencontre plus rarement (toules proportions gardées) dans les
« Saisons ». C'est souvent un seul mot qui suffit, ici pour faire
ressortir le trait dominant de l'objet ou de la scène, là pour
évoquer tout un paysage ou un aspect de la nature avec le
cortège d'impressions et d'émotions qui suit la perception vive
d'un pareil tableau. Dans le domaine d'Archimago les hommes
ne sèment ni ne labourent ; m quand elles sont bonnes à sou-
1. Voir Canto I, str. ii, v. 16; sir. m, v. 22 et 25; str. v, v. 39 et 42.
2. Sir. ui, V. 26, 27; iv, 28 à 38; v, 42, 43.
3. Caalo II, str. xxxvii.
618 JAMES THOMSON.
« mettre au lléau, ils ne conduisent pas à la grange les gerbes
€ dont Tanias branle au haut du chariot ^ :», L' « Automne • ne
contenait pas une description de la rentrée des moissons. 11
semble que Thomson ait à cœur de réparer cette omission. Il
revient sur ce tableau dans le deuxième chant : « Chargé d^
« biens de l'Automne, le char branlant rentrait à la ferme
« sous le doux éclat de l'étoile du soir, ou sous les rayons pal-
« sibles de la lune de septembre * ».
Chercherons-nous quelques autres exemples de ces traiU
rapides qui suggèrent toute une scène? Indolence prometàses
fidèles un long repos : « Les coqs chez moi ne vous appelleront
« pas au travail des champs de cette claire voix qui retentit de
« village en village » '. — Le poète célèbre la transformation
de la terre par Tagriculture et termine par ce vers où tiennent
de longues pei'spectives pleines d'air et de lumière : t Et des
n forets recouvrent le précipice d'une brune parure ou ondulent
n le long du rivage » *. — Le ciel, avec le mouvement qu'y met-
tent les jeux de la lumière ou les vents capricieux continue, ici
comme dans les « Saisons b, à charmer le poète. Il compare les
passions, qui, chez les hôtes du Château, agitent le cœur juste
assez pour y faire naître un sentiment plus vif de volupté, à
<i ces brises qui parcourent un ciel radieux et le rendent plus
« joyeux encore ^ ». — Les vêtements dont se couvrent les pen-
sionnaires dlndolence sont « lâches comme la molle brise qui
a se joue sur les collines et fait onduler les bois en été quand le
« Iront du soir se rembrunit • ». — Parmi les pures joies dont
la fortune ne |)eut le priver, l'auteur mentionne la vue de t ces
a fenêtres du ciel où l'aurore montre sa face radieuse » ', elles
promenades « par les bois et les prairies le soir, le long du
tt ruisseau vivant * ».
Très nombreux et très heureux sont les passages où
Thomson fait ainsi courir les eaux vives. Voici la naissance du
ruisseau et le début allègre de sa course : « Ainsi lorsque.
« parmi les fiers sommets sans vie des Alpes où, sous un ciel
u glacé, les neiges amoncelées gisent dans une torpeur hivernale,
n lorsque, au printemps, les rayons divins de Phébus viennent
« se jouer, ces amas de neige s'éveillent et se meuvent, et, du
1. Canlo I, sir. x. — 2. Canlo H, sir. xxvi. — 3. Canto I, sir. xiv, H8, 11*-
— 4. Canlo II, stp. xxvii, 243. — 5. Canlo 1» sir. xvi, 143, 144. — 6. Canlo U
8lr. XXVI, 229, 230. — 7. Gnoto II, sir. m, 21, 22. — 8. Canlo II, sir. m, 2*-
« LE CHATEAU D'INDOLBNCE. » 619
K haut des cimes, bondissent en misselets et fuient gazouillant
« joyeux par les vallées, tout heureux de leur vie nouvelle * ».
Philomélus y voit Temblème d'une vie active, saine et pure :
« Le ruisseau de montagne, aussi clair que le cristal, qui
€ s'avance en dansant gaiment, ne fait-il pas honte au marais
« putride? * » Dans les souvenirs des joies de son enfance, le
poète mentionne, avec les bois et les montagnes, « le dédale,
ce plein de gazouillis des libres ruisseaux d ^
Cette musique des eaux courantes, on peut dire qu'elle se
fait entendre dans tout le poème. Elle est invoquée par l'apôtre
du travail, et elle est un des charmes qui bercent et endor-
ment les hôtes du château : « Près des pavillons où nous dor-
c miens, des ruisseaux à la voix douce et cristalline couraient
* toujours, des eaux se précipitaient impétueuses, et les souf-
c fies de la brise soupiraient ou gémissaient * )>.
A côté de ces traits directement empruntés à la vue des
choses, en voici de diiïérents. Le château du magicien ofTre les
séductions de l'art. < Ici le pinceau, dans des salles vastes et
fL fraîches, faisait surgir devant les yeux, la riante floraison d'un
«c imysage de printemps, et là les teintes diaprées de Tautomnc
« brunissaient les murs : tantôt une noire tempête frappe l'œil
* étonné; tantôt un torrent brille comme l'éclair et s'élance
« d'une paroi abrupte; ailleurs le soleil se joue et palpite sur
* l'océan bleu, ou de sauvages montagnes élèvent jusqu'au ciel
t leur front sourcilleux. Toutes les scènes se retrouvent que le
« Lorrain a touchées légèrement de son doux coloris, et celles
c qu*a brossées le pinceau hardi de Rosa et celles qu'a dessinées
« le savant Poussin \ »
Enfin il nous restaà mentionner une description d'un genre
encore différent, où les éléments empruntés à la nature sont
modifiés par la fantaisie du poète. C'est au pays des fées et des
songes capricieux que Thomson a vu ce paysage :
au-dessous des rayons
De la lune estivale, panni les bois lointains,
Ou près de quelque cours d'eau tout argenté de cette lueur,
Le cortège des fées au corps délicat franchit un portique aérien ®.
1. Canto II, sir. lxiv. — 2. Canlo II, sir. xlix, 439, 440. — 3. Canto 1,
sir. xLvni, V. 430, 431. Voir encore Canlo I, sir. xxvu, 241, cl Canto I,
sir. xvni, 160, 161. — 4. Canto ï, sir. xun. — 5. Canlo I, sir. xxxvni. —
6. Canlo I, str. xx.
620 JAMES THOMSON.
Cette peinture des objets avec leur dessin précis, avec leur
couleur, avec la notation des sons qui se mêlent à leur vie n'est
pas la seule forme sous laquelle se manifeste dans a Le^iiàteaui
le pouvoir de représentation pittoresque de Thomson. De Toi-
semble du premier chant, et surtout des cinquante premières
strophes une impression se dégage subtile, puissante et d'une
rare qualité artistique. Les strophes, les vers, les mots con-
courent à faire naître comme une sensation physique de
repos, de langueur, de molle volupté. L'auteur dessine d'an
trait net et ferme un paysage de caractère parfaitement réel; il
y place des personnages dont plusieurs sont des portraits ao
caractère fortement accusé. Mais paysage et personnages sont
baignés d'une atmosphère vaporeuse qui estompe les contours
et fond les silhouettes, si bien qu'ils sont à la fois vrais de li
réalité de la nature et imaginaires comme les visions d'un
rêve. 11 faut, pour trouver des termes de comparaison à ce
pouvoir de suggestion du calme et de la paix, chercher dans
les œuvres des plus merveilleux virtuoses de la poésie
anglaise. On pensera tout d'abord au début d' t Hyperion i
et aux (( Mangeurs de Lotus ». La scène titanesque de Keats
est d'un effet plus intellectuel. Le silence y est exprimé par des
traits indirects ', et l'impression physique y est subordonnée
à une impression morale de tristesse accablée. — Dans le
poème de Tennyson, l'effet matériel est au contraire plus for-
tement accentué que chez Thomson. Le silence, au pays des
mangeurs de lotus, est presque absolu.
a Celui qui prenait une branche de la plante enchantée et
<t qui goûtait le fruit, pour lui la rumeur du flot semblait
« gémir et gronder sur des rivages lointains, et quand un de
« ses compagnons parlait, lui n'entendait qu'une voix faible
n comme les voix qui viennent de la tombe. ï
Les habitants de cette terre du rêve suivent des yeux t le
« ruisseau qui se précipite du haut de la falaise comme une
a fumée qui s'abaisse d, « la feuille jaune qui se détache et
« flotte et descend », « la pomme pleine de suc et trop mûre qui
« tombe dans le silence de la nuit d'automne ». lis observent
« les rides de la vague sur la plage, et les courbes délicates de
1. « The Naiad *niid lier reeds
Press'd her cold (loger doser to her lips.
(i LE CHATEAU D'iNDOLENGE. » 621
c l'écume crémeuse ». Mais toutes ces visions se succèdent et
se déroulent au milieu d'une nature muette. S'il est fait men-
tion de bruits, ce sont moins des sons que de vagues images
auditives comme ces « battements du cœur qui font entendre
c aux oreilles une musique », ou a celte délicieuse harmonie
ce qui retombe plus doucement que les pétales ne tombent des
c roses épanouies sur le gazon », ou « ces humides échos qui
« se répondent d'une caverne à une autre à travers les festons
« épais de la vigne ». L'art avec lequel Tennyson poursuit
cette évocation d'un monde de visions muettes et rend sen-
sible le silence est merveilleux. Ce sont tantôt des vers à la
résonance étouffée \ tantôt des répétitions qui produisent un
efifet voulu de monotonie, tantôt des interruptions du rythme
où la voix du poète semble mourir dans de courts vere tri-
métriques. Il semble qu'à la lecture d'une pareille pièce
un auditeur qui ne comprendrait pas le sens des mots doive
cependant ressentir cette impression de langueur assoupie,
de lassitude accablée des hommes et des choses qu'a voulu
évoquer le poète.
Le monde au milieu duquel vivent les hôtes du Château
d'Indolence est moins simple, et leur psychologie moins som-
maire. Tout bruit importun ou discordant est écarté de leur
domaine, mais l'air y est tout plein d'agréables mélodies. Leur
destinée n'est pas uniquement de rêver ou de dormir, et
le souhait des mangeurs de lotus n'est pas leur fait : a Donnez-
c nous un long repos ou la mort, la mort noire ou un loisir
« plein de songes * ». Les promenades parmi les bosquets, les
pelouses et les fleurs, le charme des mille voix des choses :
chants des oiseaux et des ruisseaux ou bruissement des forets,
aussi bien que les plaisirs de la table et les merveilles de l'art,
autant de distractions qui animent et diversifient Toisiveté au
Château. Il y a donc chez Thomson une moins saisissante évo-
cation du repos et du silence, mais d'autre part une plus^
grande variété d'effets. L'auteur ne dispose pas du vers à la
libre allure dont s'est servi Tennyson. Mais de la strophe
régulière qu'il emploie il a tiré le parti le plus heureux. Les
groupes de vers se succèdent, tour à tour lents et graves comme^
1. Par exemple celui-ci : « Why are we weigird upon with heaviness? »
(The Lotos EalerSj Choric song, 2.)
2. Choric song, 4.
« LE CHATEAU D*INDOLENCE. » 623
Pliilomelus, la transformation finale du séjour, autant de mor-
ceaux écrits de main de maître. Mais ce que nous ne trouvons
plus, c'est cet air lumineux et enchanté qui flotte à travers la
première partie et qui gagne notre foi aux merveilles de ce
conte. Le charme du début est rompu. Le chevalier des Arts
et de rindustrie est un personnage bien insubstantiel. L'allé-
gorie dans son cas n'est pas arrivée à prendre corps, et nous
ne pouvons croire douée de vie cette abstraction au nom
interminable. Comment nous intéresser à son combat avec le
méchant magicien? Thomson n'a pas ce naïf entliousiasme
|)Our les nobles joutes et les beaux coups de lance qui se com-
munique du poète au lecteur dans les récits de Chaucer ou de
Sf)enser. L'auteur du reste n'est guère entraîné lui-même par
l'illusion de sa fable. Il s'interrompt parfois pour nous parler
de la condition misérable faite au [)oète par les lois et par la
société, ou de la noblesse d'âme qu'a mise en lui la nature.
Prises à part, ces strophes * sont fort belles. Mais elles détrui-
sent l'illusion. C'en est fait des songes merveilleux et des
régions qu'habitent les magiciens perfides ou les chevaliers
libérateurs. C'est à un autre monde qu'appartiennent les écri-
vains besogneux, les grands seigneurs impertinents, les bour-
geois indifférents et les éditeurs indélicats.
Philomelus fait de louables efforts pour combattre l'effet
des chants par lesquels Indolence a ensorcelé ses victimes.
Son langage est toujours fort beau et parfois très éloquent. 11
semble qu'il ait lu les « Saisons d et se soit approprié la décla-
mation sonore des passages de ce poème où l'auteur expose ses
doctrines philosophiques". Mais les raisonnements et les objur-
gations ne peuvent offrir le charme des belles images et des
évocations poétiques. Toute l'éloquence du sermon de Philo-
melus ne vaut pas une des strophes qui chantaient les délice
du château et les séductions de la i^aresse.
L'inspiration du Château d'Indolence ne connaît donc pas
ces fiers coups d'aile qui élèvent le poète loin au-dessus des
1. Canto 11, sir. i, u, m, iv, xxiii.
2. « What is Uie adored Perfectionf say?
What but clenial oever-resling soûl
Who mis, surrounds nod agitâtes the whole. »
(Canlo II, str. xlvii.)
Comparez Spring, 848-854.
624 JAMES THOMSON.
petitesses et des misères sociales. Après avoir fourni un vol
gracieux, elle éprouve assez vite le besoin de reprendre terre.
Et cependant cette impuissance à planer dans les régions de
la grande poésie ne va pas sans quelque compensatiou. Son
épopée c'est dans les « Saisons » que Thomson nous la donnée.
Il a su montrer là assez de haute aspiration et une noblesse
d'exécution assez soutenue pour satisfaire les plus difficiles.
Mais son dernier poème, par cela même qu'il est moins solennel
et plus familier, nous révèle certains aspects nouveaux de
l'esprit et du génie de l'auteur; il complète heureusement
pour nous sa physionomie littéraire. Il y avait chez Thomson
un fond de gaîté joyeuse et non pas sans malice que laissent
deviner ses lettres intimes, mais non pas ses premières œuvres
poétiques. A peine un passage de V a Automne » de repas des
chasseurs) montre-t-il un essai de plaisanterie. Encore cette
page est-elle surtout une satire d allure, il faut le dire, un
peu lourde. Au contraire le « Château » abonde en traits où nous
voyons que le grand peintre de la nature, le solennel historio-
graphe de la liberté, le majestueux poète tragique avait aussi,
dans quelque coin de son génie, le don du sourire et des rnali-
cieu.ses ironies. C'est un des éléments qui concourent à donner
au ravissant poème sa tonalité dominante. L'auteur ne croit
pas lui-même à son conte, et il ne veut pas que nous le pre-
nions au sérieux. 11 raille quand il décrit les séductions de ce
séjour où il a passé de si douces heures, et je crois bien qu'il
sourit encore au moment où il décrit les horreurs funestes
de la paresse. Ces touches d'humour sont très légèrement
posées; elles ne risquent jamais de faire dégénérer l'œuvre au
vulgarisme d'un poème burlesque. Elles suffisent à nous
rajipeler que féerie, magiciens et chevaliers ne sont pas pour
nous faire illusion, et que nous n'avons pas à attendre ici les
récits toujours nobles et graves d'un Spenser.
Voici par exemple les salles du château, toutes tendues de
tapisseries. L'auteur nous en décrit les sujets et il en prend
occasion pour railler les fausses sentimentalités des élégies et
des bucoliques, au contraste de la franche et fraîche beauté de
la nature.
a Mainte douce histoire v était tissée.... Des amants inclinés
a l'un vers l'autre, dans un vallon solitaire, épanchaient avec
« abondance leur cœur délicieusement torturé; ou bien, expri-
« LE CHATEAU D'INDOLENCE. » 625
« mant leur passion par de tendres regards, ils enflaient la
t brise et enseignaient à Técho charmé à retentir de leur souf-
« France, tandis qu'autour d'eux les troupeaux, les bois et les
ce ruisseaux inspiraient le repos et la paix *. m
Les scènes contemplées dans le a globe magique d fournis-
sent une ample matière aux ironies du philosophe. Nous y
voyons l'avare à son bureau, entouré de ses registres, tout
rongé de soucis et de besoin, et voici que a de cette chenille
€ vile et sale sort en voltigeant l'héritier, prodigue éblouis-
t sant : il est tout éclat et gaîté; il est tout émaillé d'or, hôte
« sans cervelle de l'air d'un jour d'été * d.
A côté de ceux-ci, les savants a toujours dans leurs livres,
c tournant et retournant sans cesse la page : souvent ils sai-
« sissent la plume comme s'ils étaient inspirés et pleins des
a fureurs de Thespis; et alors ils écrivent et raturent de façon
« à nous toucher de compassion ' ».
La peinture des politiciens affairés, qui vient ensuite, n'est-
elle pas digne de la bonhomie narquoise de Goldsmith?
« Ils étaient réunis en de mystérieux conciliabules et en con-
c seils nocturnes; et tantôt ils se chuchotaient quelque chose
tt à l'oreille, tantôt un haussement d'épaules disait le poids de
a leur opinion; puis comme pour recueillir un surcroît de
t lumière, leurs yeux clignotants se fermaient*. »
Ces traits ne font pas défaut, on doit s'y attendre, aux por-
traits où l'auteur s'est amusé à peindre les amis qui ont avec
lui savouré les coupables plaisirs de Tindolence. Voici Paterson
et Armstrong unis (c pour une promenade silencieuse (d'un
« silence plein de profondeur, car ils ne parlaient jamais) ^ n.
A côté de ces taciturnes personnages, le jeune Forbcs repré-
sente au contraire le mouvement et la gaîte. Mais l'excès en
toute chose est fâcheux, et cette exubérance joyeuse devient un
fléau quand elle nuit au sommeil :
a De même qu'aux premiers joui*s de juin une mouche au
< corsage d'or bruni... entonne son chant au milieu des vastes
< salles, et d'abord berce doucement la foule des heureux dor-
< meurs,... mais ensuite, tourbillonnant autour de leurs lits,
« chasse, des sons profonds de sa trompe, leur doux som-
« meil •.... i>
{. Caoto 1, 8lr. XXXVI. — 2. Canlo 1, sir. li. — 3. Canlo 1, sir. lu. —
4. Canlo l, str. liv. — îi. Canlo I, str. lx, 532, 533. — 6. Canlo I, sir. lxiv.
40
636 JAMES TOOMSON.
Enfin, pour finir, rappelons une strophe où sont raillés avec
bonne humeur ces clercs que toutes les satires ont aimé à
charger," et Texcellent Murdoch qui avait persévéré avec plus
de constance que son ami, sinon avec une plus réelle vocation,
dans la voie qui conduit au ministère ecclésiastique :
a Très souvent notre sol était foulé par de saints pieds; de
« clercs on aurait pu observer grandToison. Dans la foule il
a en est un que je remarquai entre tous, un homme de Dieu,
« petit, rondelet, gras et onctueux. Il avait dans l'œil certain
tt scintillement fripon, et sa prunelle brillait d'un éclat humide
« qui n'avait rien de religieux quand une damoiselle bien prise
« venait à passer. SU était remarqué, le faucon rentrait dans
« sa mue et lout à coup se rappelait sa dévotion *. b
C'est là une note en poésie que nous entendrons chez un bien
petit nombre des contemporains de Thomson. L'esprit, chez
les poètes, se manifeste alors autrement. Il apparaît dans les
satires personnelles où Pope, avec une verve fort éloignée de
toute bonhomie, cingle ses ennemis de distiques cruels comme
des coups de fouet. On le trouve encore dans la |>arodie, soit
légère et gracieuse comme dans 1' « Enlèvement de la Boucle i,
soit prolongée et mordante' comme dans les satires de Martinus
Scriblerus ou dans le To}n Thumh de Fielding. Mais ces traits
de malice mêlée de bienveillance, cet esprit rehaussé par la
fantaisie poétique et par l'évocation pittoresque des objets',
ces caractères essentiels de l'humour dont Thomson nous a
fourni plusieurs exemples, il faudra descendre le cours du
siècle jusqu'à Goldsmith pour les retrouver.
IV
A considérer le <t C4hateau », non plus au point de vue dusujel
ou de l'inspiration qui anime Toeuvre, mais à celui de la forme,
du style et de la versification, le poème nous apparaît encort
comme un phénomène isolé, comme une anomalie saillante
1. Caiilo 1, sir. i.xix.
2. Nous relenons c«.rt élément de l'analyse ingénieuse el pénétrante «1^
M. Angellier. Et s'il n'est pas sûr que cette évocation des formes soit te
trait capital de l'humour, il semble bien qu'en eiïel elle accompagne tou-
jours les manirestations de cette forme d'esprit. (Voir A. Akgeixieh, Burâs)
o LE CHATEAU D INDOLENCE- >' 637
dans le panorama uniforme et terne de la littérature de ce
temps. Il marque un retour vers une forme que l'école clas-
sique ne goûtait pas et ne comprenait plus. Ces mêmes écri-
vains, qui voyaient seulement dans la nature un « assaison-
nement B aux t plats n que fournit l'étude de l'homme ',
estimaient aussi que la langue du xvi° siècle était une pure
curiosité archaïque. Ils ne trouvaient dans les rythmes divers
et riclies auxquels s'étaient plu les maîtres d'autrefois que
d'oiseux enfantillages et des casse-téte compliqués '. Mais
Thomson qui, pour l'œuvré de sa jeunesse, avait eu la glorieuse
originalité de croire que la description du monde pouvait èlre
un des grands thèmes de la poésie, Tliomson, dans l'œuvre de
ses dernières années, professe qu'il est aussi une noblesse et
une beauté de la forme. Il croit qu'indépendamment des idées
exprimées, le poète fait œuvre d'artiste par la création ou par
l'emploi des rythmes musicaux souples et variés, des vers
harmonieux et chantants, des rimes sonores et ingénieuses.
Il n'avait pas voulu, pour son grand poème, du distique de
Pope parce qu'il y trouvait un moule trop étroit, et parce que
son sujet pouvait se passer des agréments de la rime. Si, pour
l'œuvre de poétique fantaisie à laquelle il consacre ses der-
nières années, il repousse encore le distique rimé, c'est que
maintenant il le trouve trop sec, trop monotone, trop peu
musicaP. Eteniontant, au delà de Milton qui avait inspiré le
style des a Saisons », jusqu'à ce Spenser que Milton avait lui-
^. Voir pliia baiil, p. 373. n. I.
3. C'est hien l'opinion de l'âcole que JohnaoD exprimail un jour en
protestant contre les noiubreusuH imitnliona de la forme Je Spenser (|ue
te succès du « Clidteau d'Indolence « avait fait naitre. ^ Life is surely eiven
us for hiftber purpos&t tlinn lo Rather what oiir ancealors hâve wiseljr
throwti awav, and to leam uhat is of no value bul becaiise il bas been
forgotten. • (The Bambler, n° 121 . cité par Le-^uk SiErnEN. Hislonj of
EnglUk THoug/il in Ihe xvni'' Centura.)
3. Le dislicjue rimé n'eal pas, eo ihëse iiénérale, une forme ariisiiiine
musicale. La rime y scande cl y aouligue rûgu librement la pensée; elle
bit jouer les facettes de l'antithèse; elle ne se prâle Ruère un clinnt que
peuvent faire entendre dos vers à rimes croisées et A période prolongée.
Les maitrea du distique rimé, et tons les poètes de 1' • AiiKiistan aRe ■•
semblent, comme le fait remarquer Mr. r.osse, « avoir clé aUeinl* d'une
insensibilité de l'ouïe qui ne leur permutlait pas de saisir la rime, si elle
ne Tenait sonner 4 la Un île farrét suivant. . {Ufe of lirai/, p. 53.) Pope,
on le sait, n'avait pas d'oreille pour la musique. Et quand Voltaire lui
demandail pourquoi Millon n'avail pas rimé son ■ Paradis Terdu >, il
répondait avec une connancc suprême ; • Becausc he conlJ not •.
l
628 JAMES THOMSOiN.
même imité *, il déclare prendre pour maître l'auteur de t La
Reine des Fées d, pour modèles sa langue étofîée, riche etsavou-
reuse et sa strophe aux combinaisons savantes '.
On comprend aisément les raisons de ce choix. Ce que le
langage de Spenser avait d'archaïque et de lointain, son carac-
1. Par exemple dans ses vers sur la Passion, et dans le Pœm on a Fair
Infant dont la slrophe de 7 vers est une évidente imitation de la slaocc
de Spenser. Le début reproduit même l'harmonie parliculière et la savear
archaïque du modèle.
Du reste la familiarité de Thomson avec Miiton était de celles qui lais-
sent une trace inefîaçable. Les preuves en abondent dans ce poème où
Spenser est le modèle imité.
« As tliick as idie motes in suony ray. - (I, 254.)
« .... As Ihick and numberless
As the gay moles Ihat people the suubeams. *
(Il Penseroso.)
• Gares thot cat away the hcart - (I, 93) ressemble à un vers de
V Allegro :
« .... Ëver against ealing cares
Lap me in soft Lydian air. -^(435, 136.)
La description des tables toujours servies (I, sir. xxxiv) semble ins-
pirée d'une scène de Cornus (v. 668-674). Le joli vers qui dépeint les politi-
ciens de taverne :
« And on Iheir brow sat every nation's care •
est une amusante parodie d*un vers du Paradis Perdu :
Care
Sat on bis faded cheek, but under brows
Of dauntlcss courage. -
(Bk. I, 601-603.)
2. Un délai! montre bien à quel point Thomson a dépouillé le vieil
homme, en passant du vers blanc des « Saisons » à la strophe du « Château *.
Le désir de scander son langage en paragraphes nettement marqoés
explique, dans les u Soisous », ce retour régulier, à la On du paragraphe,
d*un vers emphatique (voir plus haut p. 463, 464.) Les strophes spensérienne)
terminées par un vers de 6 pieds semblent se prêter complaisammeot
aux effets de ce genre. Mais le besoin d'une division en paragraphes qai
tiennent lieu de strophes n'ayant ici aucune raison d*être, le poète évite au
contraire avec soin d'appuyer sur Talexandrin ; il se garde ainsi dlo-
Icrrompre la trame du récit. Dans tout le poème on peut difflcilemeot
relever quelques strophes (I, 99; II, 90, 108, 336) dont le vers final offre
celle sonorité grossie qui caractérise si souvent le dernier vers du para*
graphe dans les «> Saisons ». Parfois même le poète tire parti des douze
syllabes de ce dernier vers pour obtenir un effet fuyant et prolonger le
sens et le son de la strophe comme en de lointaines vibrations :
«• And music lent new gladness to the morning air. >»
(I, 318.)
• But wilh the clouds Ihey fled, and left no trace behind. •
(I, 531.)
« LE CHATEAU D'INDOLENCE. » 6M
1ère composite et artificiel convenaient à une œuvre de fan-
taisie idéale. Rien que par l'emploi qu'il en fait, Thomson place
bien loin des contemporains de Pope et de Swift les person-
nages et les événements de son conte merveilleux. — L'imita-
tion du reste est fort libre. Il serait difficile de donner une
grammaire très précise de ce style capricieux de « La Reine des
Fées » où l'on a retrouvé Timitation de Ghaucer, l'introduction
de termes et de tournures propres aux dialectes du nord de l'An-
gleterre, et de nombreux souvenirs classiques, tout cela fondu
par le poète dans le métal harmonieux et sonore d'une langue qui
n'est qu a lui. Thomson garde un petit nombre de constructions
anormales qui communiquent à son style une naïveté gracieuse.
Mais c'est surtout dans son vocabulaire qu'il imite le maître.
Presque tous les termes employés par lui, s'ils n'appartiennent
pas à la langue courante de son temps, sont empruntés au voca-
bulaire de « La Reine des Fées ». Les autres viennent de ce
Ghaucer qui en avait tant prêtés à Spenser O
Ce n'est pas, du reste, que les termes rendant nécessaire le
secours d'un glossaire soient fort nombreux dans le « Ghàteau ».
Plusieurs sont répétés fréquemment et non pas toujours en
raison de leur importance. Beaucoup sont formés par l'addition
du préfixe a y » : « yblent », « ymolten », « ypricked », « yfere »,
t yhung », (L yclad », a yclept », « yborn », « yspent ' ». Assez
souvent un honnête mot moderne prend l'apparence d'un
vocable gothique par la simple addition de la terminaison
c en » : d I passen ' » ; ou bien un mot de Spenser reçoit, grâce
au même appendice, un air d'antiquité plus authentique :
t depeinten * ». Ailleurs, au conti'aire, c'est en amputant le
mot d'une première syllabe que l'effet d'archaïsme est obtenu :
« 'plain » pour a complain ^ », «'noyance » pour « annoyance ® »,
«'witching » pour « bewitching ^ », etc.
Notons encore que ces termes vieillis, qui doivent donner à
l'ensemble du poème un air d'ancienne peinture aux teintes
fondues, dorées et idéalisées par le temps, l'auteur ne les dis-
tribue pas avec une scrupuleuse régularité. Il lui arrive d'ou-
1. Par exemple, au chant I, le mot • withoulen •.
2. C'est encore là un retour à Spenser qui emploie constamment celte
Byllabe adventice représentant Tancien préfixe anglo-saxon ge, Milton au
contraire s'en était servi très rarement et pas toujours correctement.
3. I, 504. — 4. I, 326. — 5. I, 33. - 6. I, 53. — 7. 1, 173.
630 JAMES THOMSON.
blier ce souci d archaïsme, et des passages assez longs se ren-
contrent où pas un mot ne s'écarte de la langue courante '.
Mais alors le poète s'aperçoit de son oubli, et vite il répand,
dans les strophes qui suivent, une poignée de vocables vieilli^.
Beaucoup plus significative que Timitation de la langue de
Spenser est rado])tion de sa forme prosodique. Cette stance
fameuse de a La Reine des Fées » est bien, si on la cornière à
l'instrument poétique de Pope, placée à un pôle opposé deTart.
Chez le poète du xviii* siècle, les vers se succèdent par cou-
ples rimes, nets, secs et brillants, mais uniformes et courts
d'haleine. Ils condensent en leurs vingt syllabes une somme par-
fois considérable d'observation sagace ou d'esprit; mais ils se
refusent aux dévelopi)ements abondants et variés. Celte forme
affinée par l'usage d'écrivains habiles,' excelle pour l'énoncé
d'aphorismes frappants ou d'ingénieuses remarques. C/est aussi
l'arme brillante, aiguë, rapide et légère du satiriste. Mais ce
n'est pas une langue faite pour exprimer les rêves libres et
capricieux d'une imagination de poète. Il semble que pour un
écrivain tel que Poj^e la poursuite des oppositions de pensée^
les plus piquantes, des antithèses les ]ilus brillantes s'accom-
pagne du soin d'éviter tout imprévu dans la façon même du
vers, et, pour tout dire, tout charme de la pure forme.
Quel contraste avec la langue poétique de Spenser! Ici les
complications et les difficultés abondent. La strophe de neuf
vers est d'une structure compliquée. Le premier vers rime
avec le troisième; le son terminal du deuxième est rappelé par
le quatrième, le cinquième et le septième; enfin la rime unit
le sixième, le huitième et le neuvième vers, ce dernier étant
toujours un alexandrin. Chaque strophe est donc un petit orga-
nisme poétique, et doit à la fois se fondre dans l'ensemble du
poème et vivre cependant d'une vie propre. Elle est presque
aussi complexe qu'un sonnet français; elle Test plus que le
sonnet anglais tel que l'ont pratiqué Shakespeare ou Milton.
Elle exige de l'écrivain un travail artistique poussé fort loin.
Est-elle une forme qui se prête aux longs récits? La réponse
est fournie par l'usage qu'en ont fait Spenser et Thomson, et.
après eux, bien des poètes parmi lesquels il suffira de rap-
1. Voir, par exemple, an clianl I les strophes xv à xx dans Icsquell***
• 'witching » pour u bewilching » est le seul terme qui offre trace à'if'
chalsme.
« LE CHATEAU D'INDOLEiNCE. » 631
1er Shclley *. C'est qu'en effet elle réunit des mérites divers,
le a assez de col lésion et de force organisée pour mettre
aque fois le lecteur en face d'une petite œuvre d'art. Elle
i pas assez de rigide unité pour s'isoler brusquement des
ophes voisines et briser le récit en une série de paragraphes
sunis. Elle a assez d'étendue pour permettre au développe-
ent quelque richesse et quelque abondance; elle n'en a pas
sez pour se prêter à la prolixité et la lâche diffusion. Dans
cadre de ses neuf vers elle est à la fois ferme et souple. La
(nsée de l'écrivain peut s'y poursuivre d'un seul élan, sans
ligueur et sans fatigue, pour se résumer ou pour s'ouvrir en
n épanouissement dernier dans l'alexandrin final. Elle peut
i contraire se diviser en une série de phrases d'étendue et de
•upes extrêmement variées -. Elle peut prendre tous les tons
toutes les allures : l'enthousiasme et le mouvement de l'ode,
marche grave du sonnet ou la course tour à tour rapide ou
lentie de la description et du récit.
Et cependant il est vrai qu'elle ne saurait convenir égale-
ent à tous les genres poétiques. Nous ne pouvons guère ima-
ner ni le « Paradis Perdu » ni les « Saisons » écrits dans cette
esure. 11 faut dans le vase délicat et finement ouvragé de la
rophe spensérienne verser une matière qui ne le fasse pas
dater. La sublime grandeur du thème de Milton, la robuste
;alité des sujets traités dans les a Saisons d ne laisseraient
is le loisir de goûter les beautés de ces rimes qui se croi-
;nt, se cherchent et s'appellent si ingénieusement. Il faut
ces formes d'un art raffiné des sujets moins grandioses ou
loins précis : les visions merveilleuses du pays des Fées, les
gigues rêveries lyriques de la « Révolte d'Islam », ou les fan-
lisies souriantes du a Château d'Indolence' d.
1. The Revoit of Islam, Adonais,
2. Elle a surtout une tendance à se fractionner en deux groupes dont
! premier est dominé par les vers rimant 1-3, et le deuxième par les
ers rimant 6-8-9. Mais entre ces deux groupes l'union est maialenue par
ts quatre vers monoriuies 2-4-5-7 qui chevauchent d'un groupe sur
lutre. Sur les caractères et sur la valeur poétique de la strophe speusé-
icDue, on peut consulter entre autres : Stockdale, Lectures on the trubj
minent EngL PœtSy p. 63, et Montoomehy, Lectures on Poetry, p. 107 et suiv.
3. Le grave Wordsworth lui-même a trouvé quelque chose de la fan-
liste gracieuse de Spenser et de Thomson le jour où il s'est amusé à
Tiiter le « Château ». Le portrait de Coleridge que renferment ces huit
trophes fait bonne flgure à côté des croquis où Thomson a crayonné ses
632 JAMES THOMSON.
On comprend que ces stances aient exercé leur séduction
sur un grand nombre d'écrivains, même parmi ceux dont le
génie était le plus différent de celui de Spenser*. Depuis la
mort du « poète des poètes » on peut relever une suite inin-
terrompue d'imitateurs de sa forme, même à des époques où
« La Reine des Fées » n'était guère comprise ni goûtée. Plu-
sieurs des contemporains avaient emprunté au grand pot-te
son procédé métrique : par exemple Drayton dans son gracieux
poème Nyniphidiay « La cour d^ Fées* ». Parmi les disciples
immédiats du maître les deux Fletcher sont surtout à noter,
bien que leur système prosodique ne suive pas fidèlement son
modèle*. Phineas Fletcher, on Ta remarqué avec justesse Sa
servi de transition entre le grand poète du début et le grand
poète de la fin de la «c Renaissance anglaise b. Milton en elTet,
dans quelques-unes de ses premières œuvres, imite le ton, le
langage et même le système de versification de « La Reine des
Fécs^ ». Mais voici un autre écrivain qu'on est plus étonné
d'entendre se réclamerdu grand poète platonicien. Prior publie
en 170(> une a Ode humblement dédiée à la Reine, sur le glo-
rieux succès des armes de Sa Majesté », et il la déclare écrite
en imitation du style de Spenser. L'imitation est fort libre.
Elle consiste d'abord dans l'emploi d'un petit nombre de
termes, une demi-douzaine environ *. Quant à la strophe, elle
ami?. (Voir • S/anzas Written in my pocket-copy of Thotnsoh's Castle Of
Indolence. Poeais foundel on llie afTections. •)
1. Goldsmilh, par exemple, rendant compte d*iine édition nouTeUe de
The Fairy Queen, dit : « Spenser's verses may one day corne to be con-
sidered Ihe standard of Englisli poetry •. (VoirFoHsxER^s Goldsmiihy p. lll.i
2. La strophe est de huit vers disposés en deux groupes formés chacun
de trois télramètres iambiques et d'un vers trimétrique. C'est dans le
jeu des rimes que l'imitation se fait phis directement sentir. Le système
de Drayton n'a, comme celui de Spenser, que trois rimes à la strophe,
et lie les deux parties de la strophe par une rime commune. Le thème
employé serait représenté par AAABCCCB.
3. Tous deux conservent Talexandriu final: mais Giles ne donne à sa
strophe que huit vers, et Phineas que sept. Le système de Spenser étant
représenté par la combinaison suivante des rimes : ABABBCBCC, celui
de (;ilcs Fletcher {Christ's Viclory and Tviumph) serait ABABBCCC, et
celui de Phineas {The Pittple Island) ABABCCC.
4. SAiMSBunv, Elizabethan Literaiure, p. 293.
5. Les souvenirs de Spenser sont nombreux dans les Early Poems. Le
fragment « sur la Passion k est écrit en strophes de sept vers dont le der-
nier est un alexandrin.
6. Ce n'est pas de quoi expliquer les craintes de Fauteur qui s'eicaae
de présenter à ses lectrices sa Muse en un costume démodé.
« LE CHATEAU D'INDOLENGE. » 633
est comme chez Spenser composée de pentamètres suivis d'un
alexandrin final, mais elle comprend dix vers au lieu de neuf,
et cinq rimes au lieu de trois. C'est assez dire que si Prior a
goûté la grâce et la splendeur poétique de Spenser, il a mal
compris la nature et mal apprécié la valeur de l'instrument
dont s'était servi le maître.
Une autre preuve de la faveur dont Spenser continuait à
jouir auprès de quelques-uns, au début du xvni« siècle, c'est
la publication faite en 1705 d'une édition de ses œuvres K
Bientôt après, des imitations se produisent plus fidèles que
celles qu'avait vues le xvir siècle. En 1730, c'est Gilbert West
avec son poème « Sur l'abus des voyages », et plus tard avec
Education j a Poem written m imitation of the style and man-
ne7*s of Spenser's Fairy Queen, C4es deux ouvrages repro-
duisent exactement la strophe du maître ^ Le résultat n'est pas
très heureux. C'est sans doute parce que les sujets se prêtaient
mal à l'usage de cette forme; c'est surtout que l'auteur avait
plus de bonne volonté que de chaleur d'imagination et de puis-
sance poétique.
D'une valeur très supérieure est le poème de trente-cinq
strophes que Shenstone publieen 1742. «La Maîtresse d'école »
ne vise pas à prendre rang parmi les productions des poètes
de haut vol. Mais les quelques formes de langage vieilli que
l'auteur imite de Spenser, donnent à l'œuvre quelque chose
d'adouci et de naïf. Les teintes un peu fanées du style s'accor-
dent bien avec l'héroïne qui nous est montrée en bonnet
blanc, en tablier bleu et en robe de bure. Et de la somptueuse
parure de la strophe spensérienne Shenstone tire, non sans
agrément, un effet de contraste avec la modestie du sujet.
Faut-il voir dans les poèmes de Gilbert West et de Shenstone
les exemples qui auraient décidé Thomson à tenter la môme
voie? Il suffit de nous rappeler que « le Château d'Indolence »
avait été commencé vers 1735, peut-être môme plus tôt. Il est
Vraisemblable que West et Shenstone ont eu connnaissance du
travail de Thomson, et peut-être reçu communication des
fragments à mesure qu'ils étaient achevés. C'est sans doute
i. Trois volumes chez Tonson. Une autre édilion sera publiée trente
ins plus tard par John Hughes.
2. L'effort est méritoire, car les poèmes avaient une certaine étendue
le premier comptait 522 vers et le second 828.
634 JAMES THOMSON.
l'exemple du « Château » qui les a engagés à rechercher un lan-
gage poétique autre que celui de Pope, une forme plus souple
et plus ample, un art plus curieux et plus riche '. Rappelons-
nous que de même l'apparition de V « Hiver » fut suivie de la
publication par plusieurs jeunes poètes d'œuvres descriptives
en vers blancs.
L'auteur des « Saisons », disciple fervent de Miiton, du
Mil ton du <l Paradils Perdu d, partageait l'opinion de son
maître sur la valeur de la poésie rimée. Nous voyons que,
sur ce point, ses vues se sont entièrement transformées. Le
contraste à cet égard entre les deux écrivains est curieuià
observer. Milton écrit ses premières oeuvres en vers rimes. 11
recherche les rythmes variés. Une strophe à trois rimes imitée
de Spenser et le sonnet sous ses formes les plus difficiles
l'attirent et le retiennent. Mais quand, après une longue inter-
ruption, il revient à la poésie, il n'a plus que dédain pour la
brillante parure des vers de sa jeunesse. « C'est l'invention
« d'un ûge barbare pour rehausser une substance misérable et
a un rythme boiteux », c'est « un agrément oiseux et sans véri-
table charme musical * ». — Thomson au contraire a débuté
par des vers non rimes. Il s'est ainsi séparé avec éclat de toute
l'école contemporaine. Mais après avoir ouvert une voie où
nombre d'écrivains le suiventbientôt, l'initiateur renonce lui-
même à la doctrine dont il a assuré le triomphe. Le poète qui
jadis avait remis en honneur le vers blanc fait alors revivre la
plus riche des formes qui aient jamais servi à des œuvres
poétiques de longue haleine.
1. Le succès du « Château • n'élait pas pour détourner les écrivains de
ces tentatives, et les poèmes « dans la manière de Speuser » aboodeot
désormais au point d'échaulTer la bile de Johnson. Rappelons, parmi k*
plus importants, The Progress of Envy^ de Robbrt Llotd, en 1*51 (30 stro-
phes de neur vers dont un alexandrin; système des rimes : ABABCDCDD):
The Minstrely de J. Bkattie, 1^« partie en 1771, reproduit fidèiemenl ^
lance spensérienne. Il en est de même de The Concubine, p^
W. J. MiciLB, 1766 (?)
2. Avertissement en tète du « Paradis Perdu ».
« LE CHÂTEAU D*INDOLENGE. » 633
Cette opposition dans la carrière fournie par les deux poètes
peut du reste être expliquée. Les œuvres de jeunesse de Milton
sont la dernière fleur épanouie de la Renaissance anglaise. Si
grave que s'y montre déjà le jeune puritain, il a partagé Ten-
thousiasine des poètes du grand siècle pour la nature et pour
l'art. La pureté morale et la noblesse des aspirations s'allient
chez lui au plaisir du beau, à la volupté des formes caressantes
et des séduisantes couleurs, des sons et des parfums enivrants,
comme dans son œuvre les pieuses invocations chrétiennes
sont associées aux souvenirs du paganisme. Mais quand, vieilli,
vaincu, irrité il écrit le a Paradis Perdu », il méprise les grâces
et les sourires de la Muse de sa jeunesse. 11 ne fait pas seule-
ment alors œuvre d'artiste, mais autant ou plus œuvre de
croyant et de partisan. C'est un chrétien qui célèbre la gloire
de Dieu, et c'est un puritain qui proteste, par l'austère subli-
mité de son sujet, contre l'art profane et corrompu de la cour
des Stuarts. Le souci des raffinements prosodiques lui paraît
indigne d'un pareil labeur. S'il doit parler un langage digne
de ses sujets, il en trouvera l'inspiration dans l'ardeur do sa
foi et dans le secours de son Dieu. Ses lèvres ont été touchées
du charbon ardent, il n'a cure des artifices de la prosodie ni
du cliquetis des rimes.
C'est un peu, toutes proportions gardées, dans une disposi-
tion d'esprit analogue, que Thomson écrivait les a Saisons ».
Il apporte à cette glorification du monde visible quelque chose
de Tardcur avec laquelle le poète chrétien chantait son Dieu.
La langue du a Paradis Perdu d n'est pas trop grave pour un
pareil sujet. Mais plus tard l'âge et l'expérience de la vie ont
diminué cette ferveur un peu solennelle. Son œuvre épique
est achevée, il prend pour le sujet de son œuvre dernière un
thème léger. Et d'autre part son goût littéraire s est affiné; il
est devenu plus sensible à des beautés qui semblent être de
pure forme. 11 comprend que le poète ne doit dédaigner aucune
des conditions qui séparent la langue des vers de la prose. 11
^oûte ce qu'il y a de beauté raffinée et délicate dans la maîtrise
d'un poète assez sûr de son instrument pour en tirer des effets
difficiles et une exquise mélodie. Voilà comment, après avoir
triomphalement restauré le vers blanc, il en vient à adopter
la strophe de Spenser avec ses riches combinaisons, avec l'har-
monie sonore de ses triples rimes.
636 JAMES THOMSON.
Thomson n'eut guère Je temps de jouir du succès de son
dernier poème. Mais l'avenir a justifié l'ambition qui lui inspi-
rait cette œuvre longuement et amoureusement élaborée. Le
poème des a Saisons » lui assure une place parmi les poètes
les plus populaires de l'Angleterre. Les sujets y sont de ceux
que tous comprennent et qui plaisent à tous *. La forme est
propre à flatter les goûts de la foule presque également par sa
beauté et par ses défauts. Mais « le Château d'Indolence i» le
range aussi parmi les poètes rares et délicats qui plaisent à un
public de choix, plus exigeant et plus sensible aux charmes de
l'art. C'est le grand honneur de Thomson d'appartenir ainsi
au groupe très peu nombreux des poètes complets, de ceux
qui s'adressent à la fois à la foule et à l'élite -. Et dans ce
groupe nous serons tentés de le placer très haut si nous son-
geons qu'il a deux fois fait preuve d'une vigoureuse et féconde
indépendance de génie. De ses deux chefs-d'œuvre l'un a
rétabli, dans un monde à l'horizon artificiellement borné, la
connaissance et l'admiration de la nature, l'autre a reven-
diqué contre un goût étroit et prosaïque les droits de l'art
et la beauté de la forme.
1. » I havc found Ihe book (les « Saisons») in the hands of shepherds in
the most remolc solitudes, who never saw another book sa^e their
Bible; and heard some of ils finest passages repeated by clowns. >
(J. More's Stn'cluresj ch. IV, p. 10.)
Le célèbre Paul Jones était, parait-il, un admirateur fervent des « Saisons •:
(Voir TucKBRMAN, Thoughts on ihe Poels, XI, p. 100). On peut croire qn'il
aurait peu goûté le « Château -.
Plus d'un enfant du peuple aura dû à Thomson une iaitiation aux
beautés de la nature et à celles de la poésie, comme la Maria d'Avrora
Leigh.
• Often loo
The pedlar slopped and
would toss her down
A Thomson's Scasons mulcted of the Spring. •
(Aurora Leigh. Third Book.)
2. Un groupe dans lequel il faudrait placer Chaucer, Spenser qni reTêl
des pures beautés de ses vers d'adorables contes, Shakespeare partout,
Milton selon les œuvres considérées, Gray pour son élégie, Wordsworth
pour les portions définitives de son œuvre, et Bums pour toute sa pro-
duction littéraire; mais où ne prendraient place ni Young dont Tem-
phase verbeuse reste toujours un peu vulgaire, ni Goldsmitb, Cowper ou
Crabbe qui n*ont pas eu l'amour des beaux rythmes, ni Byron qui vaut
plus par le mouvement et l'éloquence que par l'art achevé du vers, ni te
grand Shelley qui ne parle pas à la foule.
CONCLUSION
Nous avons terminé Texamen de cette œuvre considérable où,
durant vingt années, se sont accumulées, entre le puissant
poème du début et Texquise fantaisie de la fin, tant d'autres
productions submergées depuis dans Toubli.
Quelle que soit la valeur de ce bijou de prix, a le Château
d'Indolence », les a Saisons » demeurent cependant Tœuvre
capitale de Thomson. C'est de là qu'a jailli, non seulement
pour la littérature de l'Angleterre, mais pour toutes celles de
l'Europe, une source nouvelle et généreuse de sensations,
d'émotions et d'inspirations. Le culte ainsi restauré de la
beauté de la nature a fait naître depuis bien des travaux
subtils ou profonds. Mais le poème des a Saisons » reste le
tableau le plus fidèle et le plus riche où jamais aient été fixés
les mouvants aspects des choses, en même temps qu'il en est
le plus simple et, en un sens, le plus classique par ses grands
paitis et sa large exécution.
Si donc nous pouvions dire, en commençant cette étude,
que l'œuvre se détache comme un des points de repère dans
l'histoire des lettres anglaises, nous pouvons maintenant aller
plus loin et conclure qu'il n'est pas dans cette histoire d'évé-
nement plus important, plus fécond en conséquences heu-
reuses. L'apparition des ce Saisons y> marque la fin d'une
époque et l'avènement d'une ère nouvelle. Sans doute le cours
du siècle verra naître encore — et mourir — plus d'un poème
en imitation de Pope, mais l'école d'où relèvent de pareilles
JAMES THOMSON.
œuvres, cette école qui semblait être alors en pleine gloire et
en pleine puissance, est désormais condamnée. Elle est mor-
tellement atteinte parce que Télément nouveau qu'introduit le
poème de Thomson dans la littérature : Tinfluence directe,
franche et vivifiante de la nature, fait violemment apparaître
le caractère artificiel et mesquin d'une poésie qui vit seule-
ment de raisonnements et d'esprit et de souvenirs livresques.
Elle est en Angleterre plus gravement frappée qu ailleurs
parce que le retour à la nature y est en même temps le retour
à la tradition nationale. C'est pour avoir, malgré le goùl alors
dominant, malgré toutes les influences adverses, renoué cette
tradition que Thomson mérite d'être considéré comme un des
représentants éminents du génie de sa patrie.
Nous disons de sa patrie et non pas de sa race, et c'est peut-
être à la distinction de ces mots qu'il faut demander la solution
de questions souvent agitées. Il semble bien que celte idée de
race, dont ungrnnd écrivain voulait faire le pivot d'une histoire
de la littérature anglaise, ne se prête pas là mieux qu'ailleurs
à une explication des faits ni à la justification d'un système qui
s'appuierait sur elle. Y a-t-il une race anglaise? Non, sans doute,
puisqu'il n'est pas de peuple qui se soit formédu mélange de plus
d'éléments divers. De ces éléments en est-il un qui ait dominé
aupoinld'iniposer ses caractères à la masse? Rien à cela d'im-
possible, mais rien de plus incertain. L'ancienne opinion qui
supposait les Celtes de la Bretagne annihilés ou refoulés par les
envahisseurs Saxons est, on le sait, fortement battue en brèche
aujourd'hui. Les historiens penchent à ne voir dans les con-
quérants venus du continent qu'une colonie superposée à
l'élément autochtone,'et qui, loin de le détruire, n'a pas réussi
à le modifier radicalement '. Mais d'ailleurs, sans nous attarder
à ces obscures hypothèses, quel profit pourrions-nous tirer de
1. Voir sur ces questions :
Cu. .1. Kloon, Origins of Enf/liah liisiory;
Docteur (juest. Origines Cflticw;
HrxLKY, Critiques ami Adresses ^On sonie Fixed Points of Knglish Klhno-
locy);
Tiir)M. NiciiOLAs, The Pedigree of Ihe English Peoplei
Professeur Rhys, Celtir Hritain.
On peut lire en français un exposé des principales conclusions fournies
par ces travaux, dans l'Inlroduction ajoutée par M. AngeJlior à sa magis-
trale étude sur Burns, et aussi dans l'ouvrage de M. Jusseraud. Hit(('^^
littéraire du peuple anglais.
CONCLUSION. 639
l*idée de race dans notre étude de l'œuvre littéraire de Tliomson ?
Cet Écossais des « Borders » est-il plutôt de souche gaélique,
danoise ou saxonne? Oui le dira? Il est probable que ses origines
ethnologiques apparaîtraient, si nous pouvions les connaître,
fort différentes de celles de Spenser ou de Mil ton, les poètes
dont il est le plus voisin par Tesprit. Ils sont peut-être de races
très diverses; mais ils ont assurément une même patrie, non
pas seulement de par les géogra[)hies et Thistoire, mais aussi
de par les affmités de leurs génies. Toutes les diflicultés
auxquelles se heurte Thistorien quand il prétend rattacher
à une communauté de race les manifestations littéraires d'une
même langue s'effacent si nous substituons à cette idée celle
de nation et de patrie *. Elle est aussi claire que Tautre est
obscure, aussi précise que l'autre est vague. Elle remplace
un concept mal défini et mal connu, vide d'énergie et de vie,
par la réalité la plus certaine, la plus féconde, la plus sûrement
créatrice d'effets tangibles et durables. Une patrie n'est pas
seulement une portion délimitée de la surface du globe,
c'est aussi, c'est surtout, une somme d'aspirations et d'elforls
humains, de souvenirs partagés, d'amours et de haines com-
1. \\ est biea vrai quMl y a une liUéraliire des races là où les a^glnmé-
rations humaines ne sont pas arrivées h cet étal d'organisation supérieure
où apparaît la nation, la patrie. La rare peut être invoquée pour expli-
quer les caractères des poèmes des Indous, des Germains ou des Scandi-
naves. Mais M. Tainc veut retrouver encore cet élément dans les produc-
tions d'époques historiques d'où il a clé éliminé par la triture des invasions
et des conquêtes, par le mélange et la pênélration réciproque des courants
de population. C'est là qu'il nous devient impossible de le suivre. Un
peuple, c'est, pour lui, une race soumise a cerlaiues luodificalions par le
chmat et par le temps. Nous croyons que c'est un être moral formé de
très complexes élément?, déterminé par des influences tro|) variables,
trop subtiles et trop nombreuses pour qu'il soit possible de les isoler par
l'analyse. L'éloquent écrivain voit lus peuples issus d'une même race se
didéreucier comme des animau\ soumis à des conditions diverses de
climat et d'élevage. Nous serions plus lentes de comparer la formation
il'un peuple aux phénomènes qu'observe la chimie. C'est de la combinaison
même de certains éléments que résultent souvent les caractères propres
du corfis étudié; ils ne préexistaient pas à cette union. L'analyse ({ui dis-
socie ces tlémenls ne peut donc pas expliquer l'idiosyncrasie du composé.
Or c'est là la seule chose qui importe quand il s'agit, non pas de
molécules à peser, mais de réalités de l'ordre moral à connaître et à
juger.
(Ces lignes étaient écrites (piand nous avuns eu le plaisir de voir
exposer des conclusions analogues par un penseur et un écrivain dont
sont fiëres la science et les lettres françaises. (Klude de M. Houtmy sur le
livre de M. Jusserand dans la lirvue de Paris^ novembre 189D
640 MMES THOMSON.
muns. C'est de tout cela qu'est faite rame d'un peuple, diffé-
rente de celle d'un autre peuple, et c'est tout cela qu'exprime
la littérature d'une nation. Et, comme cette âme coliecUve
exerce à son tour une influence profonde sur chacun des
individus, nous concevons sans peine qu'entre des iruvres
fort diverses la communauté de patrie maintienne souvent
une analogie foncière. C'est un des effets où se manifesle
la solidarité qui unit les membres d'une même famille
humaine.
La thèse qui prétend retrouver l'empreinte de rorigiue
ethnologique dans chaque œuvre individuelle imagine la raa
comme quelque chose de permanent et d'irréductible en son
fond, malgré les modifications de surface que peuvent pro-
duire certaines influences perturbatrices *. L'âme d'un peuple
au contraire, cette grande entité qui se compose de l'union des
âmes individuelles, est chose changeante comme tout ce qui
vit et se développe. Étudiée à divers moments, elle peut nous
montrer tantôt des caractères permanents, tantôt de violents
contrastes. La France de Louis XIV et de Bossuet n'est-elle |)as
séparée par un vaste intervalle intellectuel et moral de la
France de François I" et de Rabelais, comme de celle de
Louis XV et de Voltaire? De même il s'opère, au xvn* siècle,
une révolution dans cette âme de l'Angleterre qu'exprime la
littérature aussi bien que dans le corps politique. La nation
accepte, sous les Stuarts restaurés, de renoncer à l'antique
liberté, sans même acheter de ce sacrifice, comme sous les
Tudors ou sous Cromwell, la grandeur de la patrie. La nation
renonce en même temps à ce qui avait fait l'originalité, la force
et la beauté de sa [)oésie; elle demande à un autre peuple un
idéal artistique et des modèles nouveaux. Elle imite la poésie
et le drame français, comme elle adopte la monarchie absolue
de la France. Mais cet abandon est passager. En dépit d'une
transformation qui semble radicale, l'âme anglaise conserve
au fond les aspirations et les croyances dont elle a vécu si
1. u Si difTcrents qu'ils soient, leur parenté n'est pas détruite: la satt-
vagerie, la culture et la greffe, les diiïérences du ciel et du sol, les acci-
dents heureux ou malheureux ont eu beau travaiUer, les grands traits de
la forme originelle ont subsisté, et Ton retrouve les deux ou trois linéi-
meuts principaux de l'empreinte primitive sous les empreintes secondaires
que le temps a posées par-dessus. » (Talne, Hisioù^ de la Liitévaturt
anglaise. Introduction, V.)
CONCLUSION. 641
longtemps. Elle renonce vite à cette mode importée du despo-
tisme, et bientôt aussi elle se sent inquiète et gênée sous ces
autres modes étrangères que lui imposent les littérateurs,
Car elle a dans le cœur cette fleur large et pure
L'amour mystérieux de Tanlique nature *.
Le malaise cesse le jour où une œuvre indépendante lui
montre ou lui rappelle où est sa voie, quelle est son aptitude,
quelles sont pour elle les sources d'inspiration vraiment
fécondes. Cette œuvre a été les m Saisons » ; et leur rôle nous
parait avoir une importance qu'on ne saurait exagérer parce
qu*elles ont fait revivre, avec la connaissance et l'amour de la
nature, un des éléments essentiels, un des plus caractéristiques
et des plus puissants qui contribuent à former le génie artis-
tique de r Angleterre.
i. VicTOB Hugo, Les Voix intérieures. Virgile.
41
APPENDICES
I
Lessing, Voltaire, Hill et Thomson.
Dans la leltre à Falkener qui forme la préface de Zaïre, Vollaire
parlait d*un ancien usage du théâtre anglais qu'il trouvait très fùcheux,
c^elui de terminer chaque acte par une comparaison en vers rimes. Il
Taisait honneur à Hill d'avoir été le premier à rompre avec cette pra-
tique de mauvais goût.
Lessing a pris très vivement Voltaire à partie à l'occasion de cette
préface K Ses critiques ne sont pas cependant exactes de tout point
pt 11 peut y avoir intérêt à contrôler son jugement.
« Il n'y a pas, dit-il, plus de trois inexactitudes dans ce passage,
et ce n'est guère pour M. de Voltaire. Les Anglais, depuis Shake-
speare et peut-être avant lui ', ont eu l'habitude de terminer leurs actes
écrits en vers non rlmés par une couple de lignes rimées : cela est
vrai ^. Mais il est absolument faux que ces lignes rimées ne renfcr-
i. tt Dramaturgie de Hambourg », XVI« soirée.
2. La restriction de Lessing est superflue. La plupart des vieux poêles
tragiques ont placé à la Un des acles ces appendices. La forme en est
liabituellement celle d'un chœur. Le premier exemple est fourni par la
première des tragédies anglaises, Gorboduc.
3. 11 n'est pas vrai cependant que cette habitude fût constante. Mar-
lowc ne la connaît pas (sauf deux vers à la fîn du choeur de Faiisius),
Toutes les pièces de Shakespeare n'ont pas ces vers rimes à la fin de
chaque acte. Ben Jonson ne s'astreint pas toujours à cette obligation.
■Dans le Poetaster, le dernier acte seul se termine par quelques distiques
rimes. Il n'y en a guère plus dans Edward II; au contraire Catiline et
Sejanus ont des chœurs ou des vers rimes à la fin de tous les actes.
L.'usage est de même variable chez Webster, Massinger et quelques
autres.
Le terme employé par Lessing : une couple de vers rimes, n'est guère
juste. Les cas sont 1res nombreux où le nombre des vers varie. Dans
Sejanuê, par exemple, le l*"' acte en a 6, le 2*" 2, le 3« 36, le 4« 5, le 5*" 2.
644 . APPENDICES.
massent et ne dussent renfermer que des comparaisons, et je ne
comprends pas que M. de Voltaire ait pu dire en face quelque chose de
pareil à un Anglais qu'il devait soupçonner d'avoir iu, lui aussi, le* .
poètes tragiques de son pays.
c( En second lieu, il est faux que Hill, dans sa traduction de Zain,
ait abandonné cet usa^e. A la vérité, il est presque incroyable qae
M. de Voltaire n'ait pas dû regarder la traduction de sa pièce plus
exactement que moi ou tout autre. Il faut pourtant bien que cela soit.
Car, aussi vrai qu'elle est écrite en vers blancs, chaque acte se ter-
mine par deux ou quatre li{;nes rimées. Sans doute elles ne contien-
nent pas de comparaison, mais, comme je l'ai dit, de toutes ces
conclusions rimées par lesquelles Shakespeare, Jonson, Dryden, Lee,
Olway, Rowe, et tous enfin terminent leurs actes, il y en a certaine-
ment cent contre cinq qui n'en renferment pas non plus. Qu'est-ce
que Hill a donc fait de particulier?
« Et quand il présenterait réellement cette exception que Voltaire loi
attribue, il serait encore faux, en troisième lieu, que son exemple ait
eu l'influence que Voltaire lui prête. A cette heure encore, il paraît en
Ani^Heterre autant, sinon plus, de drames qui présentent ce carac-
tère que de drames qui ne le présentent pas. Hill lui-même ne s'est
affranchi entièrement de Tancienne mode dans aucune des pièces
qu'il a faites depuis sa traduction de Zaïre.
Et qu'importe en On que nous entendions ou que nous n'entendions
pas des rimes pour terminer? Quand il y en a, peut-être donnent-
elles le signal de prendre les instruments; et quand ce signal vien-
drait de la pièce même, cela ne vaut-il pas mieux que de le donner à
l'aide d'un sifflet ou d'une clef? »
(Trad. de Suckau.)
Il y a en effet quelque chose d'inexact dans le passage incriminé: .
mais peut-être en peut-on trouver une autre explication que le pen-
chant naturel de Voltaire au mensonge, comme le laisse entendre
Lessing. L'inexactitude consiste en une exagération de faits réels. II
est très vrai que le goût du temps imposait alors au poète l'usage de
vrrs rimes à la fin des actes. Il est vrai également que a*s vers
roiifermaicnl, non pas nécessairement, mais très souvent, une com-
paraison. Où remonte cet usage? 11 y a eu des comparaisons depois
qu'il y a un style poétique; mais nous pouvons rattacher l'emploi -
complaisant, méthodique et formel de cette figure à l'époque de b
tragédie héroïque '. Le goût des comparaisons pompeuses, ctTusaj^'e
i. C'est, par exemple, un des ridicules auxquels s'attaque Buckingham
dans The liehearsal. Témoin ces deux passages:
(( Bavks. — So boar and sow, wlien any storm is nigh,
SnnfT up, and smell it gath'rinf^ in the sky;
Uoar l)eckons so\n to trot in chesnust groves,
And there consummale their unnoislied loves :
Pensive in niud they wallow ail alone,
And snorc and gruntle to cacb other's moan. »
APPENDICES. 645
erdiiner les actes par un air de bravoure se sont combinés et ont
lié naissance à ces passages rimes qui terminent les actes par une
paraison ou quelque autre effet brillant.
ît usage a dû frapper Voltaire. 11 le voyjait observer dans ce Cato
idison qui lui paraissait le chef-d'œuvre du thédlre anglais; il
ivait de nombreuses comparaisons rimées dans les trois tragédies
on ami Young; et nous avons vu que la Sopkonisbd de Thomson
onfornie à cette règle du théâtre. L'observation qu'il émet n'est
c pas aussi dénuée de fondement que le dit Lessing.
uel a été maintenant le rôle de Hill? 11 a renoncé à cet usage, non
emcnt dans sa traduction de Zaïre, mais presque entièrement
?i dans ses autres œuvres dramatiques. Dans ses quatre tragédies
prieures à Zara les actes se terminent par des vers rimes, mais'
point par des comparaisons K
ara marque bien un progrès dans la voie recommandée par
:aire. Tandis que les premières pièces de Ilill contenaient des mor-
jx rimes qui prenaient parfois un assez long développement ', les
y a là une parodie d'une comparaison de la Conquesl of Grenada :
» So two kind turlles, when a storm is nigh,
Look up and sec it gathering in the sky,
Each calls his mate to shelter in the grevés,
Leavin^, in miirmurs, their unûnish'd loves :
Perched on somc dropping branch, they sit alune,
And eue, and bearken to each othcr's moan. »
(Part. II).
i même aussi :
« CiiLORis. — As somc lall pine, NNhich wc on .¥Anti find
T*have slood the rage of many a boist'rons w ind,
Feeling without ttiat flames within do play,
Which would consume liis root and sap away ;
He spreads his woorsted arms unto the skies,
Silently gricves, ail pale, repines and dics :
So shrouded up, your briçht eye disappears.
Break forlh, bright scorching sun, and dry iny tears. »
(Acle II, se. m.)
t une imitation grotesque de ce passage :
(* As some Tair tulip, by a storm opprcst,
Shrinks up, and folds its silken arms to rest;
And bending to the blast, ail pale and dead,
Hears froni within the wind sing round ils hcad ;
So shrouded up yonr bcauty disappears;
Uuvcil, my love, and lay asidc your fears
The storm thaï caused your fright is past and gone. •
{Conq. of Grenada, part. 1.)
Les seules cxceplions seraient les comparaisons rimées qui se rencou-
t à la iin du -J" acle dans The Fatal Vnion ur Ihe Fall of Siam, 1716, et
5 Athe.lwold, 1731.
10 vers à la fin du 4" acte de AlhelwoUL
646 APPENDICES.
actes de Zara se terminent simplement par un distique. Or ce que
constate Voltaire ce n*est pas la disparition chez Hill de toate rime,
niais celle des vers d'un goût différent du reste de la pièce.
(f En troisième lieu, dit Lessing, il est faux que Fezemple de
Hill ait eu Tinfluencc que Voltaire lui attribue. » Le critique alle-
mand semble avoir mal compris les termes employés par Voltaire '.
La 2** lettre à Mr. Falkener était écrite trop peu de temps après la
représentation de Zara pour qu'on pût parler déjà d'une influence
exerôée par cette pièce sur le théâtre contemporain.
Mais que cette influence se soit en effet exercée plus tard, c'est ce
que nous sommes tout porté à croii*e. Les prédications de Hill en
faveur du naturel et de la simplicité, soit par ses articles du
Prompter, soit par ses conversations, soit aussi par l'exemple de
Zara n'ont sans doute pas été sans effet. Thomson lui-même en
fournit une preuve. Après sa Sophonisba qui était fidèle aux règles
blâmées par Voltaire, son Agamemnon ne nous montrera à la fin des
actes aucune comparaison, point de vers « d*un goût différent du
reste de la pièce », et même, sauf un cas douteux, point de rimes.
Il est vrai que plus tard, dans des pièces écrites à une époque où
l'influence de Hill et de Voltaire était moins directe, le poète est
revenu en partie à ses anciennes pratiques, et, sinon aux comparai-
sons, du moins aux passages rimes pour la fin des actes.
Pour ce qui est du jugement à porter sur ces morceaux de bra-
voure intercalés dans la tragédie, comment pourrait-on ne pas sous-
crire à la condamnation prononcée par Voltaire? Le simple distique
rimé ne donne pas lieu aux mêmes reproches. Mais croirons-nous
avec Lessing, qu'il ait pour raison d'être de servir de signal à l'or-
chestre?
(Vest en réalité un usage, alors devenu banal, dont il faudrait
rechercher l'origine et Tcxplication dans l'histoire du théâtre. Les
anciennes tragédies , depuis Govboduc avaient un chœur rim^
succédant à chaque acte ». Abandonné plus tard, le chœur a souvent
tenté de reprendre sa place sur la scène tragique. Marlowe y revient
dans FausluSf Ben Jonson dans CatUine, Milton, le grand apôtiv
du vers blanc, dans Samson Agonistes. Rien d'étonnant que, là
où il a disparu, il soit remplacé par un morceau d'allure un
peu semblable, d'un style qui s'écarte plus ou moins de celui de la
pièce, et où, par la bouche de l'un des personnages, le poète prenne
en réalité la parole pour terminer l'acte sur une pensée brillante ou
une comparaison ingénieuse. C'est cette transformation de l'ancien
chœur qui, par l'effet d'atténuations successives, en vient à ne plu*
olfrir que le simple distique rimé auquel Lessing cherche une invrai-
semblable raison d'être.
4. « Il a proscrit cet usage <• voulait dire : il va renoncé pour son
compte, et non pas : il Ta fait disparaître de la scène anglaise.
2. • Yen sliall be the Chorus and speak betwen the acts. • (BexJo^sox.
TheSilenl Woman,)
APPENDICES. 647
II
Thomson jugé par un confrère et un contemporain.
Épitre à Mr. Thomson sur la première édition de ses « Saisons »,
par SOMERVILLE.
V Tantôt brillant, tantôt obscurci, le soleil, un jour d*avril, lance
ou cache ses rayons capricieux; tantôt haut, tantôt bas, Taloueite
monte en chantant, ou bien retombe à terre et replie ses ailes; tantôt
unie, tantôt soulevée, la mer qui baigne nos rivages, sourit dans le
calme, ou rugit dans la tempête.
M Crois-moi, Thomson, ce n'est pas ainsi que j'écris, mêlant la sévé-
rité à la bienveillance, aigri par Fenvie ou par le dépit. Je ne voudrais
pas dépouiller ton front pour orner le mien; ce sont là des manœu-
vres inconnues à mon âme honnête. Je te lis comme doit lire un ami,
affligé quand tu échoues, ravi quand tu réussis. Pourquoi faut-il que
ta Muse, née si divinement belle, manque de ces soins journaliers de
la toilette qui complètent la beauté? Habille cette vierge joyeuse.
rehausse chaque grâce naturelle, et fais ressortir toutes les gloires de
ion visage. Artistement simple, élégamment nette, naturelle dans
ses paroles, aisée dans son attitude, la nymphe accomplie, parfaite.
couverte de ses plus beaux atours sera applaudie par les cours et
idmirée par les foules prosternées. Audacieux avec prudence, raidis
les rênes et, ferme sur ta selle, retiens ton coursier ardent. Tes
iéfauts sont peu nombreux, mais qui peut se vanter d*ètre parfait?
Les taches du soleil se perdent dans son éclat : cependant ces
lâches mêmes, efface-les d*un soin patient, et n'aie pas la faiblesse
répargner la moindre erreur. Bon et sage est le père qui condamne
la plus légère faute chez Tenfant qu'il aime. Lis beaucoup Philips,
Fidmire Milton plus encore; mais de leurs scories crtrais le ;;Mr
métal. Forger des mots nouveaux, ou en faire revivre d'anciens,
c'est chez les poètes du Sud chose dangereuse et hardie; mais rare-
ment, très rarement l'essai réussira, quand les mots seront frappés
au delà de la Tweed. Que le discernement préside à tout — et
bientôt tu seras la joie et l'orgueil de ton pays. La gent rimant et
Linlinnabulanl, qui, avec clochettes et chansons, conduit son Pégase
boiteux, apprendra de toi à s'élever d'un vol plus hardi, à dédaigner
les sentiers battus, et à parcourir les airs. Un génie si précieux, si
juste et si grand fixera dans File de Bretagne le séjour de la Muse, et
créera chez nous un nouveau Parnasse. Tous les bardes futurs tire-
ront de tes œuvres leurs règles, de tes œuvres qui s'élèver^t au-dessus
des lois trop étroites du critique, et qu'enrichissent des pierreries
brillantes et sans défaut. »
(The Works of the EwjiiiihPoets...j by Samcel Jou.nson, vol. XL, p. 22t.)
()48
APPENDICES.
111
Thompson et Garrick, ou l'Auteur et l'Acteur.
Comédie en un acte el en vers, mêlée de vaudevilles,
par MM. J.-A. Jacqceli?i et Ocrry,
représentée pour la première fois à Paris, sur le théâtre du VaudeTille,
le 23 janvier i8â2.
Une note des auteurs nous prévient qu*ils ont trouvé le sujet de
leur pièce dans un trait, de générosité de Facteur Quin rapporté pv
Laplace, au ô*' volume de ses Pièces intéressantes et peu connues, « Mais,
ajoutent-ils, nous substituons Garrick à Quin dont le nom prononcé
Couin serait désagréable pour des oreilles françaises. >»
Ce vaudeville poétique est devenu fort rare; la Bibliothèque »Nalio-
uale n*en a pas d'exemplaire. Voici l'analyse rapide de cette curiosilè
littéraire où les auteurs affirment une fois de plus le droit du théâtre
à interpréter très librement Thistoire.
Garrick se présente chez Thomson. Il est reçu par Fanny, la oièce
du poète, qu'il aime et veut épouser. La jeune fille lui fait conoaitre
les obstacles qui s'opposent à ce projet : le poète est pauvre- et ne
veut que des prétendants sans fortune; Garrick ne peut lut convenir.
Pour le moment du reste il est impossible de le voir; il dort après
une nuit de travail. Garrick se retire après une conversation dont oq
jugera le style par cette seule citation :
Oh oui! je vous conçois; son imniorlel génie
Lui valut cette nuit une noble insomnie.
Thomson entre. Il compose et se relit, et les vers que les auteurs
lui prêtent sont les meilleurs de la petite pièce :
La chaleur a vaincu les esprits et les corps;
L'Ame est sans volonté, les muscles sans ressorts.
L'homme, les animaux, la campagne épuisée
Vainement a la nuit demandent la rosée.
Sous un ciel suus nuage on voit de longs éclairs
Serpenter sur les monts et sillonner les airs.
Tout est morne, brûlant, tranquille, et la lumière
Kst seule en mouvement dans la nature entière.
Fanny s'efforce de faire comprendre à son oncle quel avantage il y
aurait pour lui à s'assurer Tappui de Garrick. Il ferait jouer ^^amemnoN
et procurerait quelques ressources au ménage fort dépourvu du
poète. Mais la fière dignité de Thomson n'est pas ébranlée. D'ailleurs
il compte sur les produits d'une nouvelle édition des « Saisons ».
Garrick se présente en « constable >•, c'est-à-dire en exempt. Il
réclame le paiement d'un billet passé par le poète et signé par uu
APPEiNDICES. 649
braire qui a fait faillite. Désespoir de Thomson qui ne peut payer.
« u coiislable » attendri lui prête la somme, et le poète promet d cter-
liser sa gloire au temple de mémoire.
La scène suivante ramène Garrick en peintre. Il se nomme
logarth. 11 vient implorer la permission de faire le portrait du grand
loiume. '< Je veux, dit-il :
Qu'on dise en vous voyant décorer mon salon :
Je connais cet auteur, c*est Tillustrc Thompson,
Le voilà, cest bien lui quand sa plume féconde
Traçait Coriolan, Tancrède et Sigismonde.... -
Le poète accorde la permission demandée; Garrick-Ilogarth exécute
le portrait et remporte, laissant en remerciement à Thomson surpris
et confus « Les Grâces » de TAlbane.
Ccst en directeur de thédlre que Garrick réparait ensuite. Il va
ouvrir une nouvelle salle, et offre une somme considérable pour
ÏAgamemnon. L'auteur s*excuse en assurant que la tragédie est pro-
mise à Garrick, mais le directeur se déclare assuré de Tassentiment
de celui-ci.
Enlin une dernière incarnation nous montre Garrick sous les traits
de inylord Spleen, i^ nouveau visiteur, Elcossais comme le poète,
expose qu'il a été sauvé par la lecture des « Saisons » d'un eimui <|ui le
poussait au suicide. Il vient apporter à son sauveur mille livres ster-
ling. Il propose aussi que tous trois dînent ensemble, et quand il se
dépouille de sa redingote, Thomson le reconnaît : « C'est Garrick! »
Gomment résister à tant de preuves d'amour pour la nit'ce et d'ad-
miration pour l'oncle? Le mariage est décidé et la pièce finie.
IV
La prononciation de Thomson.
Cette absence de scotlicisme dans la langue littéraire de Thomson
est d'autant plus digne d'attention que le poète conserva jusqu'à la
fin dr» sa vie quelque chose du vocabulaire et de l'accent de ses com-
patriotes que l'on entend au nord de la Tweed.
Un barbier-perruquier de Hichmond, William Taylor =^, racontait au
comte de Buchan que le poète avait conservé un accent écossais très
prononcé, et l'appelait toujours « \Vull )>.
Une autre anecdote confirme cette indication et mérite d'être rap-
!. Celui-là même qui étaitemployè dans la maison où Thomson s'appro-
visionnait de perruques. Nous savons qu'il y mettait son luxe, et que
Tune d*ellcs avait fort soufXert de la chaleur et de l'êuiotion du puèle à la
première représentatiou ù' Af/amemnon, Voir plus haut, p. 12^.
650
APPENDICES.
s uC
portée parce qu'elle témoigne de la fidélité du poète aux amiliés d
sa jeunesse aussi bien qu*au langage de sa terre natale.
Le Gis de ce docteur Gusthart qui avait été pour la mère de
Thomson un ami des jours d'épreuve, et pour James un patron delà
première heure, se présente un jour, à Richmond, chez le pot-te
devenu célèbre. Il ne dit pas son nom et attend qu'on le reconnaisse.
Thomson, faisant usage d'un scotticisme bien connu, s'éorie : «Troth.
sir, 1 cannot say I ken your countenance well. Let me therefore
crave your namc. » — Ajoutons que lorsqu'il eut appris le nom de
son visiteur, le poète ressentit une émotion qui lui mit des larme*
dans les yeux en lui laissant à peine la force de prononcer ces mots:
« Grand Dieu! vous êtes le fils démon cher ami, de mon ancien bien-
faiteur! » Et, se jetant dans les bras du jeune homme, il Tembrassa.
avec les témoignages de la joie la plus vive *.
1. « Vie de Thomson » par Shiels dans la collection des « Vies des
poètes » de Tu. Cibber {}fonthly Review, l. IX, p. 481).
FIN
BIBLIOGRAPHIE
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vec un commentaire inédit de B. de la Monnoyc. des remarques de
IM. Emm. Phelippes Bcaulieux, R. Dezcimeris, etc. Edition revue, annotée
t publiée par Prosper Blancliemain. Paris, Paul Daffi«<, Editeur, mimxci.xxui
lu Tome III : Soplumisba. Traf/cdie très ejcrUcnte tant pour Varyumpal
ue pour le ]ioly litni/fit/e el fjram sent emes dont elle est ornée '. représenter
t prononcée devant le îioy, en sa ville de Uloys. A Paris do rimprimorie de
licliard Brelon. rue SainlJacque?, à rEstrevissc, 1500.) (S. U. Marty
.avcaux doune pour date 13.')0 ul pour imprimeur Gilles Corroyer.)
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l'iifi Ir fleut.sfrt' qui l-ti i\^t aduenu, pour avoir este pro)ni.H* à un uuiry, et
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. Millar, in the Slrand, mdcclv, by M. F. Sheridau, wlio pays in Ihc
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Sopfionisfm (d'Afrikaanf^e^. Die, door de Min, geestigc Werkingen,
rcemde Vondcu, doorluchlige Aanslagen, en Schielijke Toevallen van druk
1 blijdschap, vermakelijk onder een verloonl. In ïwee Deelen begropen.
ieulijks uit' cl Franooysch door D. V. \\. vurlaalt. l'Amsterdam, Voor \. 1.
^hipper, in'l jaar mdciai in-iS" (2 vol.) (nombreuses gravures; architec-
Tt's el costumes curieux). (Bril. .Mus.)
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stice Mansfield, in April 1700: in the cause .Millar against Taylor^ for
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Strand. sidcgxxxvui. (Brit. Mus., 841 d. 33.)
Thomson (J.). — Alfred, a Masque. London, 1840. (Brit. Mus., 841. /155.)
— — Alfred the Great, a Drama for jâusic. Formerly coin*
posed by command of His Late Royal Highness the Prince of Wales, and
performed at Cliefdon, on the Birlhday of her Royal Highness the Priocefs
Augusta. The musical Part of this perfomance being then too short for an
Kvening's Kntertaimment of itself, the Drama is new wrilten, greatly
improved from Mr. Mallet's Play; and the Music (excepling Iwo or Ibree
things, which being parlicularly Favourites at Cliefdon, are relained by
Désire) new-Composed by Mr. Arne. London : Printed in the ycariDCCUB.
in-4 (priée one shilling). (Brit. Mus., 11775, C.)
Thomson (J.). — A manifesto of the Lord Protector of Ihe Common-
wealth of England, Scotland, Ireland, etc., published by consent aod
advice of his council. Whercio is shown the reasonableness of the cause
of this Republic against the déprédations of the Spaniards. A^'Hlt^n in
Latin by John .Millon, and first printed in 1655; now translaled ioto
Finglish. To which is added Britannia. a Poem-, by Mr. ThomsoD, ûkI
published in 1727. London, Printed for, and sold by A. Millar, al Bûcha-
nan*s Head, over-against St-Clcmenl's Church in Ihe Strand, MDCCixxvin
(price six pence). (Brit. Mus., E. 2029. 90.)
Thomson (J.). — Arcopagilica (Préface). Voir J. Miltox.
— — Urilannia. A poem writlen in the year 1719. Tbff
Third édition. London : Printed by N. Blandford for J. Millan, Bookseller
near Whitchall. mdccxxx. (Brit. .Mus., 992. h. 7).
Thomson (J.). — The Castle of Indolence : an allegorical PofW
wntten in imitation of Spenser, by James Thomson. London, printed for
A. Millar, over-against Catherine-Street, in the Strand, MoccxLvni, io^t
(pages 1-81.) (Brit. Mu?., 644. k. 16.)
Le môme ouvrage : 2nd Edition, London, 1748, in-8 (Brit. Mus., 11633.
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A. Millar at Buchanan's Head in the Strand. mdccxlix. Iq>8. (Brit. Mus.,
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commune omnium, S tulle nudabit animi conscientiam. (Phaedrus.)J London.
Printed for the author, and sold by A. Millar, over-against St-Clement*s
Church in the Strand. mdccxxxix, in-8. (Brit. Mus., 841. i. 16.)
Edward and Eieonora. A Tragedy as it was to be acted at the Theatre-
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J. Millan, and sold at his shop near the Horse-Guards, 1729 (price six-
pence). (Brit. Mus. 992.)
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P. Cunningham. (Percy Society, Early Ënglish Poetry. Vol. IX.) 18i2, in-8«.
Thoxnson (J.). — A Poemsacred to the Memory of Sir 1. Newton. London :
Printed for Mil'an, at Lock's Head in New-street; bctween Marybone street
and Piccadilly; and sold at his Shop near Whitehall. moccxxvii. (Priée
1 s.). N. B. Lalely published by Mr. Thomson. I. Winter, a Poem, the
4th edit. Priée 1 s. — II. Summer, a Poem. Price 1. s. 6. d. (Brit. Mus.,
643. 7;}. 14.)
Le môme ouvrage, Dublin, 1727, in-8^ (Brit. Mus. 11631. aa. 44.)
Le même ouvrage, the 3rd edit, J. Millan 1727, fol. (Brit. Mus. 11630. q. 33.)
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Talbot, Late Chancellor of Great Britain. London, 1737, in-4. Printed for
A. -Millar, at Buchanan^s Head, against Sl-Glement's Church in the Strand.
MDCCxxxvii (price 1 sh.). (BriL, Mus. 8i0. k. 3.)
Thomson (J.). — Substance of Ihc Speech of the Révérend Mr. Walker
at the General meeting of the County of Nottingham held at MansQeld on
Monday the 28th of Febr. 1780. to which is added Mr, Thomson's Préface
to a speech of Mr. John Miltonj for the liberty of unlicensed printing to
the Parliament of England, first published in the year 1644.
Printed and Distributed Gratis by the Society fur Constitutional informa»
tion. MDCCLxxx (Brit. Mus., F. 2101).
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Isaac AVm7o/i, and Dritannia, a Poem. London : Prinled for J. Millan.in Ihe
Slrand. Mbccwx. in-8 (comprend 5 parties dont chacune a une pa^inalion
indépendante. Suring tlie 2nd edit. Printed for Millan llâU. Price l/ô
(v. non numérotés). Swwiwer 3rd edit., Millau 1730 1/6 (1205 vers). Autumn
2nd cdil., Millan 1730 1/G (1275 vers). WhUer Millau 1730 1/6 (7^7 vers).
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the yeal* .Mur.cxxx. -1 Poem sacred to the Memory of Sir hnac Setrton in-
scrihed to the liiffht Honourable Sir Roh. Walpole (sans nom d'auteur ni
d'éditeur), lirilannia, a poem. (h.t tantas audetis toUere moles], etc. The
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ncar Whitehall, mdccxxx. (304 vers). Les trois ouvrages réuni? en uu volume.
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son, wilh \hc life of the Aulhor to which are Added Notes, lllu.slrations,
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J. French, Ilookham, Malhews and Bell, M. Folingsbv, F. Axlell, and F.
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iSpIcndide édition in-4.) (Brit. Mus., 041. 9. 15.)
Thomson (J.). — The Seasons; \vith Ihe Life of the Author. lo \\h'w\\
are added Hesiod, or the rise of Woman, aud the Ilermit, by Pamoll;
togelher with Henry and Emma, by Prior. A ucw édition in Iwo volume?.
(Vo!. I et partie de vol. 11.) Paris : Printed for Theophilus Barrois juuior.
Booksciler, guay Voltaire, n*» 3, 1803, in-16. (Brit. .Mus., 991. a. 37.)
Thomson (J.). — The Seasons, ediled, with notes, philosophical, clas-
sical, hislorical and biographical, by Aulhony Todd Thomson. M. D, F.L.S.
London : Prinled for Lonpmans, Brown, (Jreen and Longmans. 1847.
Thomson (J.). — The Seasons. Wilh Engraved Illustrations, from
î:li:Lln(,[{\iMlll':. (>()i
■ !'•-. _:n~ «Ira-.. 11 ' = ii \\"i'-nl... ami wiili lin: Lif.- i»l IIm- ,r.r,ii"i- l'\ l*..ti'ifK
M II :•<!• 'II. |),|). !•". H, S. <ii,i:.'iiiuiileil iii ii"!.'^ l.y liulloii «:unn.-; \'.^i\. .M. il. S. L.
'riiii''! ••«litioii. Loinloii : Lonjj;inar). Brown. (irt-cn aïKi Lonî-'innns. \ii'\'2.
.'L:i i>roriîi('ro. iMlilioii i-l «li; Isi2.,i
TllOmson J.;. — T/œ Stuismis nnd Ihr. Cnsflt^ af I/dlo/cnn*. \'a\\[va\
with Hif'^rajiliical notice, iulriilucliourf, noies, and a ^'ossary. ljy.l. Lotric
Molierlson, M. A. Oxford. \l llie Olarondon Press, 18'.»1.
Thomson (J.). — Tha Seasons and Ihc Oi.sfln of liuidenne. lÀliled hy
l\nt)crt Util. London, (iriTOn Holin and Co (sans date .
Thoxnson 'J.). — The Troffedy of Sop/tonisba. Acled at llie Thealre-
Hoyal in Drury-Lnne by lli3 Majesly's Servants. Loudon : Printed for
A. Millar, at Biichanan's Ilead, over-against Sl-CIement's Ciiuroli in llie
Strand. .mdxxxx, in-8. (Brit. Mns., 11175 /*.
Le même ouvraj,'e, même édit»Mir, même année, format in-12. (Brit. Mns.
ïiZ'o. f.)
Thomson (J.). — Sprimj. A t'ocm. [El nune omnis a^er, nnnc omnis
parliirit arbos, Nunc frondent silvae, nuncformosisffiiuus anniisj. (Vir^.).
l^ondon. Printley : and sold by A. Millar, at Bnclianan's Ilead overaf^ainsl.
Sl-CIcmenTs C.liurch in llie Strand: and (i. Stralian, at tlie (iolden Bail
in Cornhill, in-8, >iDccxxvin (|irit'o 1 s. (>. d.). (Brit. Mns., ilG2. A. .'U.)
Thomson {J.). — Sumwer. A Povm, |Jam clarus Occnltum Andromedae
l'ater — Ostendit l^ncm : Jam Procyon furit — Et Stella vcsani Lconis. —
Sole Dies referonle tircos. — Jam Paslor L'mbras cnm (iregc langnido, —
nivumque fesaus qua'ril, et liorridi — Dumela Sylvani : carelqnc — HIpa
xagis taciturna Venlis*. (Ilor..] London : Printed for J. Millan, at Locke's
Ilead in New-Slreet. near the upper End of the Hay-Market, wncr.xwn.
l»rice 1. 8. 0. d. in-8. (Brit. Mua., lir,2. //. 3tl.^
Thomson (J.). — Tancred and Sif/ismunda. A Tragedy. As il is acted
Jit Ibe Thealre-Boyal in Drury Lane, by His Majesty's Servants, London :
Printed for A. Millan, opposite Kalliarinc Slreet in llic Strand. mdc<;\lv.
in-8. (Brit. Mns., SiL d. 33.)
Thomson (J.). — W'iniei', A Pop.m. bi/ James 'fhotnson A. M. Jlapiduii
ï?ol — Nondum Hyemem contingit Eqnis. Jam praclerit aeslas (Virg.j-I
;GlaciaIis ilyems canos hirsuta Capillos. i;Ovid.).J London : Printed for
J. Millan, al Locke's Head,in Shug-Lanc, near liic Upper End of the Hay-
Markct; and Sold by J. Uoberls, in Warwiok-Lane, and N. Blandford, af
Ihe London-Gazctte, Charing-Cross. mim.cxxvi (priée one Shilling), in-folio.
.Brit. Mus., t;i3. m, 13.)
Thomson (J.). — \Vintei\ a Po'nn, a Hymn on the Sfa.^ons\ a Poem to
fhe Memory o/' Sir I. Scvlon; and Britannia^ a Poem. London : Printed
for J. Millan, Booksellcr near Whilehall (priée one shilling and six-pence).
MDCCxxx. (Brit. Mus., '.»'J2. //. 1.)
Thomson (J.). — Winter. A Poem. [Horrida cano Bruma gelu.j The
Second édition. London : printed by N. Blau'lford at Charing Cross, for
J. Millan, at Lockc*s Ilead in Shug Laiie, near the Hay-market, and the
next Bookseller to the IIorse-Guard.^. mdo^xxvi. Priée one Shilling, in-8.
Thomson (J.). — The Works ofMr. Thomson, Volume the second con-
tai ni ng Liberly, a Poem, in Five Parts : Sophonishe a Tragedy. London :
Printed for A. Millar, at Buchanan's Ilead. over against Saint-Clement's
Church in the Strand. Mhccxxxvi. (Brit. Mus., Cil. /. 14.)
Thomson (J.). — The Works of James Thomson with his lasl corrections
and improvemenis. London : Printed for A. Millar, and sold by T. Caddcll
in the Strand, MoccLXvni. (Brit. Mus., 11632. co',), (Correctious manuscrites
d'après Toriginal de Lord Lyltellon.)
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R. Clark, Bookseller in the Parliament-House. mocclxxii. (Brit. Mus., 11699.
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Mus., 1710, in-4.) (Traduct. anonyme en vers latins.)
Thomson (J.). — Traductions. // Hiccio rapifo e le Lodi de Seuton poemi
Infjlesi tradotti in versi Toscani dal Sîg, Andréa Bonducci Accademico Ftih
rentirw con altri nuovi componimenti. In Napoli, a spese di un amicodel
Tradiiltore. iMoccLX, iu-8.
Thomson ( J.). — Traductions. Les Saisons. Poème traduit de Panglait
(fe Thomfison. Paris, 1759, in-8. (Traduction en prose de Mme MarieJeaooe "
de Chàtillon Bontems.)
Thomson (J.). — Traductions. Ilerrn B. //. Brockes.., aus dem Englii'
chen iibcrsetzte Jahrcs-Zeiten des Uerrn Thomson zum Anhange des Irdiehtn
VergMilgens in Gott. Mit Kupfern. (Texte anglais et traduction allemande.)
Hambur«, 1745, in-8. (Brit. Mus. 11632. aaa. 47.)
Thomson (J.). — Traductions. Tempora fhomsoni in Latine versu reddils
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BIBLIOGRAPHIE. 669
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"Warton (J.). — Biographical Memoir of the Late 1\ev. Joseph Warton,
U D. to which are added a sélection from lus works; and a lilerarv corres-
p^ndence between eminent persons by the Uev. John Wools, A. M. late
rellow of New Collège, Oxford. 1806. (Brit. Mus., 133. e. 19.)
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1*he nfth édition corrected. London, 1806.
"Wliatley (R.). — ^ short history of a ten years negotiation between a
S^rime minister and À Private Gentleman. Printed for J. Millan, ncar Cha-
■*inK-Cross. — By the same author A Discourse on Fot*nication.
Wilson (John). — (Cristopher Nortli) Socles Ambrosianae. A new Edî-
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"Ward (Adolphus "William). — A History of English Dramalic Hier-
<iture to the death of Queen Anne^ London. Macmillan and Co. 1875.
"Wooda (H. T. W.). — The Reciprocal Influence of Enghsh and French
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ihe Seasons, etc.. at the commémoration of Thomson's Birth Day, held on
Monday, Sept. 22. 1800, by the Knights Compassion of the Cape written
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670
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for J. Dodsiey. hdccxcii.
Toung (E.). — The Sixtieth volume of the English Poets (S. John>.
édition de 1790); containing Ihe First Volume of Voiiiig.
The Siciy-first volume,., containing the second Volume of Younji.
The Si,rt y -second Volume... containing the lliird Volume of Youn::
TABLE DES MATIÈRES
PREMIERE PARTIE
VIE DE J. THOMSON
CHAPITRE I
L^ENFAlfCB KT L*ADOLESCBNCB
I. — L*œuvre et Tautcur. Utilité d'une biographie 1
II. — La famille. La naissance. Ednam. — Southdean. L'enTanco;
Téducation : le père, la mère, la Bible, la campagne (1700-1715).... 7
111 — Jedburgh. Le collège. Les études, les amitiés, les travaux;
premiers essais poétiques 15
IV. — Edimbourg. L'Université. La ville d'Edimbourg. — Mort de
Thomas Thomson. Mrs. Thomson à Edimbourg. — Les études à la
faculté des Arts. — La vie littéraire dans la capitale écossaise; les
• clubs ». Première publication de poésies de Thomson. — La
Faculté de Théologie (1715-1725) 20
V. — Études et plaisirs. — Projets d'avenir. Abandon de la carrière
ecclésiastique. Départ pour Londres (1725) 25
CHAPITRE II
LO.NbRES. — LES DÉBUTS D'i'X POÈTE. — l/ • IIIVEU •
I. — Date de l'arrivée à Londres. Les débuis du séjour. Désappoin-
tements. — Mort de Mrs. Thomson. — James précepteur à East
Barnet. Il écrit un poème sur l'hiver. — Il quitte la famille de lord
Binning. — Relations dans la capitale. — A la recherche d'un édi-
teur pour r « Hiver •. Le prix de vente du poème. (Mars 1725 à
mars 1726.) 36
H. — Publication de 1' « Hiver •. Le succès de Tœuvre. — - Premiers
patrons. Critiques favorables, et critiques hostiles. Relations et
amitiés nouvelles. — Embarras pécuniaires. — Thomson redevient
précepteur. Ses relations avec sir Spencer Compton. — Deuxième
édition de l' ■ Hiver .. (Mars 1726 à juin 1726.) 48
672 TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE ni
ACRàVEXBNT DES « SAISONS ». I^ PREMIÈRE TRAGÉOll
I. — Progrès d'un second poème. Correspondance avec Hill et arec
Mallet. — Thomson quitte V « Académie » de Mr. Watts. — Publi-
cation de r « Été n. Dédicace à Dodington. — Le « Poème à la
mémoire de Newton ». — <» Britannia. » Thomson et Robert Wal-
pole. (Juin 1726 à juin 1727 .) Gl
II. — Composition du « Printemps ». Le poète chez lady Hertford.
— Publication d'une troisième « Saison n. Un nouvel éditeur. —
Souscriptions au poème complet. — Activité littéraire. Publication
de « Britannia ». Les « Mélanges » de Ralph. Correspondance avec
Mallet. — Thomson écrit une tragédie, et 1' « Automne. » (Juin 1727
à février 1730.) i;
m. — Représentation de u Sophonisbe ». Le sort de la pièce. Publi-
cation du texte. — Première édition des a Saisons ». Les souscrip-
teurs. Rundle. — Thomson choisi pour précepteur et mentor du
jeune Talbot. (Fév. 1730 à fin de 1730.) Si
CHAPITRE IV
LE TOUR d'eUROPE. — RETOUR A LONDRES. — « LA LIBERTÉ. » — RICUMOSD
I. — Le (( tour d'Europe ». Départ pour Paris. Séjour dans la capi-
tale. Relations avec Voltaire. — Lettres à Dodington : projets de
travail; plan d'un nouveau poème. Sentiments des deux voyageurs;
espérances d'avenir. Les avantages de la pauvreté. — Le « Socrate «
de Thomson et le Socrate de Voltaire. — Départ pour Rome. Les
impressions du poète en Italie. — Retour en Angleterre. (Dec. 1730
à dêc. 1731 .) V
H. — Thomson à Londres, il commence « la Liberté ». — Mort de
C. Richard Talbot. — Ch. Talbot est nommé chancelier. Thomsou
devient secrétaire des Brefs. — Prospérité et générosité. Le vieux
Dennis. — Relations avec le prince de Galles. Correspondance
avec Hill; questions de théâtre. — Publication des premières par-
ties de « La Liberté ». — Dévouement de Thomson envers les mem-
bres de sa famille. — « La Liberté » complétée. Échec du poème.
— L'auteur et son éditeur. — Le deuxième volume des Œuvres. —
La « Pipe de tabac ». — Thomson se fixe à Richmond. Sa maison.
(Dec. 1731 à mai 1736.) «v.
CHAPITRE V
PROSPÉRITÉ ET REVERS. — TRAGÉDIES. — VIE A RICHMOKD. —
« LE CHATEAU D'L>'DOLEIfCE •
l. — Thomson prépare une nouvelle tragédie. — Il vient en aide à
SCS sœurs. — Mort du chancelier Tallx>t; le poète perd sa siné-
cure. — « Poème à la mémoire de Talbot. • — Pièces fugitives. —
Quin et l'aventure de la prison pour dette*». — Thomson franc-maçon.
— Représentation d' « Agamemnon ». Anecdotes. Publication du
texte. L'épilogue. (Mai 1736 à avril 1738.) U3
TABLE DES MATIÈRES. 673
II. — Préface pour VAreopagitica de Miltou. — La vie du poète à
Richmond. Ses amis. Lyttelton. Pension accordée par le Prince
de Galles. — Achèvement d*Edward and Eleonotv. La représenta-
lion de la tragédie est interdite. Publication du texte. Disparition
d'une censure. — Le masque d' «Alfred ». flti/e, Briiannia. (Avril 1738
à août 17i0 .) ; 12S
m. — Absence de productions nouvelles, llemaniement des • Sai-
sons «. Ofium cum dignitate. Les amitiés de Thomson. L'amour se
môle à sa vie. Uôves déçus. — Voyage à Hagley. Le domaine des
Lyttelton. — Importante édition des • Saisons • (1744). La collabo-
ration de Pope. (Août 1740 à juin 1743.) 137
IV. — Lyltelton aux aiïaircs. Thomson pourvu d'un poste colonial où
il se fuit suppléer. —Relations avec Richardson. Nouvelle tragédie.
Succès de Tancred and Sigistnunda. — La vie du poète à Kew-
foot-Lane. Nombreux amis. — Lyttelton et l'incrédulité religieuse
de Thomson. — Propositions de mariage. — Nouveaux séjours à
Hagley. Shenslone. Le jardin du poète. (Juin 1743 à décembre 1747.). 130
GIIAPITRK VI
LA MORT. — LE I>6V0LEMENT ET l'AFFECTION DES AXIS. — THOMSON EN ECOSSE.
THOMSON A l'Étranger
I. — DisgrAcc de Lyttelton. Thomson perd sa pension. — 11 achève
un poème important et une cinquième tragédie. >< Le Chilteau d'In-
dolence » publié. Les amis qui y Hi^urent. — Difficultés qui s'op-
posent à la représentation de Coriolanus,— La fin; maladie et
mort du poète. — Les funérailles, la succession. Douleur des amis.
(Décenibn» 17 47 à septembre 1748.) 1G:1
IL — Le zèle des amis survivants. Représentolion de Conolfinus.
Lyttelton et Quin. Adieux poétiques à Thomson. — Nouvelle édi-
tion des (lËuvres. Lvttelton éditeur. Murdoch. L'édition de 1762.
Monument à Westminster Abbey. — Buclian à Richmond en 1792.
— Les parents et les amis survivants. — Le « culte • de Thomson
en Écossiî, de 1780 à 1819 173
III. — Thomson à l'étranger. Son influence. Voltaire, Montesquieu.
BulTon, Rousseau, etc — Traductions en français, en allemand, etc. 191
CHAPITRE VU
LA PERSONNE ET LE CARACTÈRE DE THOMSOX
La description (|u'a donnée Johnson. Les portraits du poète. —
Jugements sur ses manières et ses moMirs. Shonstone, Jolinsoii,
Savage, elc; injustices de ces appréciations. — L'indolence de
Thoms(»n. Coniuicnt il faut l'entendre. — Son caractère. Son
inlluenoe remarquable sur tous ceux qui l'ont connu. La raison
de ce prestige. Le trait dominant de celte âme 200
43
674 TABLE DES MATIÈRES.
DEUXIÈME PARTIE
L'ŒUVRE
• • • • • ■
LIVRE I
« LES SAISON S »
CHAPITRE I
LE SENTIMENT DE LA NATUBE DANS LA POÉSIE ANGLAIS! AVANT THOMSON
I. — La raison d'ôlre de celte étude. — A quels noms elle doit s'at-
tacher 209
II. — Geoffrey Chaucer " o^
m. — W. Shakespeare 219
IV. — Edmund Spencer [ 224
V. — John Milton 229
VI. — John Dryden 237
VII. — Alcxander Pope 241
CHAPITRE H
LE SENTIMENT DE LA NATURE VERS 1125
I. H. — Désaccord en Ire les théories de l'école régnante et les aspi-
rations nouvelles qui se font jour dans la littérature et dans le
^'oiU public. — Le poôme de Thomson répond h ce retour aux
Iradilions de l'ancienne poésie 247
CHAPITRE III
LES OBJETS UÉCUITS. — LA NATURE DANS l'oEUVRE DE THO.ySON
I. — Le ciel 258
II. — La mer ' '] 265
III. — La montngne 270
IV. - Plaines, champs, landes, marais, etc 277
V. — Les cours d'eau 281
VI. — Forêts. Bois. Arbres 2S4
Vil. — Les fleurs 289
VIII. — Les animaux 29?»
IX. — L'homme 303
CHAPITRE IV
I.E POÈTE DKSCRIPTIF. — SA TECHNigiE
L — La description de Thomson s'applique à tous les aspects de la
nature; elle ne s'attache pas à des scènes particulières. Elle traduit
surtout les phénomènes de mouvement ^Id
IL ■— « Le rythme de l'appareil des sens » chez Thomson. — La vue.
Prédominance de la couleur sur la forme; de la teinte colorée sur
l'intensité lumineuse 3iy
TABLE DES MATIÈRES. 675
III. — L*ouïc. Importunée des observations de phénomèDes auditifs
dans • les Saisons • 329
IV. — L'odorat. Le toucher. Le goût 334
Y. — Les descriptioQs d'ensemble n'excluent pas chez Thomson la
perception de faits précis et d'observations subtiles 339
CHAPITRE V
LA PHILOSOPHIE DU P0KMB« — QUELLE CONCEPTIO.N IL FOUR.MT DU ai0>'DE
1. II — Les diverses interprétations de la nature. Essai de classifica-
tion. — L'anthropomorphisme grec et le mysticisme naturaliste de
rinde. — L'humanisation pathétique de la nature. — Le spiritua-
lisme, le panthéisme, le symbolisme 346
III. — La description de Thomson ne rentre dans aucune de ces caté-
gories. — Quel caractère elle présente. Quelle en est la valeur
esthétique 359
IV. — Cette poésie de la nature aboutit-elle au pessimisme ou à
l'optimisme? 368
CIIAIMTUE VI
LKS HORS-UNUIUVRE MÊLES AU POÈME DESCHIPTIK
I. — Les épisodes. — Damon etMusidora. — Origines. — Imitations.
Saint-Lambert et Delille. — Palémou et Lavinia. — Quelle est la
valeur de ces parties du poème 373
II-III. — Politique et patriotisme. — Morale. Sentiment et sentimcn-
lalilc 385
IV. V. —Philosophie. — Science 3î»:j
VI. — Jugements littéraires. — Esprit et humour 400
CHAPITRE VU
I..V L.VNOl E ET LK STYLE PANS - LES SAISO.NS •
I. — Lv vocabulaire U2
II. — La grammaire 42<i
III. - La langue poétique. Les ligures. Métonymies, périphrase, per-
hoiinitieation, etc 43n
IV. -- Lc:* vers des - Saisons •. La phrai?e et la période. — Liberté
j du mouvement. Hejets; coupes variées. Abus de certaines construc-
tions 4:;;*
• V. — Prosodie. Le mètre. Allitération et onomatopée. — Conclusion. . i08
LlVIiK II
PETITS POÈMES
CIIAPITIŒ 1
PIECES Jl VtMLES
I. II. — Lea hujets. Les oaraclcres et la valeur de ces morceaux. O
qie nous apprennent la langue et la vcrsitication du jeune poète.. iH.'»
670 TABLE DBS MATIÈRES.
CHAPITRE H
PIÈCES DIVERSES
1. V. — Pièces cooiméiuoratives. Sur la mort de sa mère. Sur la
mort d'Aikman. Sur la mort de Newton. Sur la mort du chancelier
Talbot. Poème à la mémoire dcCongreve; attribution douteuse... 49(
VI. VII. — - Poèmes divers. Britannia 50u
LIVRE III
• LA LIBERTÉ »
I. II. — Les jugements portés sur le poème. Procès à instruire. Le
sujet; (|uelle matière il offrait au poêle. Lourdeur de l'exécution.. .*)!3
III. IV. — Les mérites de l'œuvre. Grandeur du plan. Détails heu-
reux. — Nouvelle expression des doctrines métaphysiques de l'au-
teur. L'amour Torce unique de l'univers. Évolution des 6trcs dans
des vies successives. — La description. Une page importante. La
première peinture poétique d'un paysage de montagnes 52:i
V. — Les imitateurs de • La Liberté » , 534
LIVRE IV
LE TH ÉATRE
CHAPITRE I
« SOPHOMSBA »
1. 11. 111. - La tragédie en Angleterre au xvnr siècle. I^^a k Sopho-
nishc M de Thomson. Les origines : l'histoire, les pièces du Trissin.
de Meliiri de Saint-<iolais, de Co^ueilh^ Conception incohéreote et
faiblesse dramatique de la tra^'édie de Thomsou. Insuffîsanre de
la langue ;,;i
IV. V. — Quelques passades bien venu?. Uu vers malheureux et
célèbre; circonstances atlcnuAntes :/^
CHAPITRE II
« AOAMEMNOX »
I. — Thomt^on n'imite point Ksch>le ni Sônèque. Ses persouuages:
cnnlradielions ri obscurité ^:;7
II. 111. — L'énergie e>chylirnne une fois conservée. — Contraste
erihcles s<'ntinicnls uniformément excessifs, et la langue tour à
tour déclamatoire et plate. — Un passage de .Molière. Thaltybius
et Sosie ". :;*i|
IV. V. — Nombrcu<<*s réminiscences littéraires. — Quelques vers et
quebpies scènes sont dignes du grand poète descriptif. .MO
TAPiLK DES MATIÈRES. 677
chapitri: m
I. .1. — Tcnlativc de rajeunissement de la tragédie. L'iuniicnce de
VuUaire. Le pathétique; la couleur locale. •— Invraisemblan<!t^ de
) j fahir ; faiblesse du langage. b70
CHAPITRE IV
" ALrnED »
1. IV. — A quelle occasion le masque fut écrit. — La collaboration
lie Mallet et de Thomson. — La valeur de Toeuvre. — hule., firi-
hiinna. Quel e.sl Tauteur de ce chant ,'i77
CHAPITRE V
H TA.NCRED A:1D SIGISMUNDA »
I. IV. — Teulalîvo de conciliation des doux écoles dramatiques. Le
hujet est oQiprunté à Le Sage. Plus de qualités scéniques que dans
les œmres antérieures. Absence foncière de forme tragique i»SN
CHAPITRE VI
«• COniOLANUB »>
I. II — La pièce de Thomson comparée à celle do Shakcppcaro.
Inli«i('hlc de notre porte à la vérité historique et à la véritc drd-
iiiatiqiit* , Wy.\
CHAPITRK VII
<:ON«".LUSU»N
' > ijiî.i vijulu faire f h(»mson an thcAtre, et ce qu'il y a fait r.oi
LIViŒ \
• LE CHATEAU D'INDOLENCE'
I. ùue'i'ftti rir«;oiislaiic«'S ont s-uggéré le po<>uic. Le sujet. Ré^umo. ko",
!i. ruDliMï't'j (\c octlî œuvre avec « les Saisons >». — Il y a cepen-
fia-il .p:r.i(|uos cara(:lères coninuins. La ]>erBonualilé de l'autoiir,
'« llr qu'-'Iie a <lr rludirc préccdemuionl, ?c retrouve enrorc ici
ilaris \^.<, principaux thèmes inspirateurs (»ir»
III Per^islance «H renouvellemoiil du talont descriptif. Puip^an-o
:iif/fj:L'Sli.r dos dt'scîiplionï!. Comparaison de l'un des elTels avc«'
l'c.ix «ju '-ni obtenus Keats et Tennyson.-- Supériorité des cinqnanî»-
pretniî'ics sirophes. Les défaiits «lu reste. -- Nouveaux aspects du
t i!e-t 'le Thomson : gailé, humour «»i'
(>7>>
TAHLE bis hï^T •':>■■:-.
JV. V. -- La IV-rnin; tlii p-^i'rie. Siiii ori^-^ -'liUr '■ i • ;
Ml'.,:;. - Ai-'.liaïâmc^. - l.a slrofriie .sitr.k- :. r-i, • • , .
!.i lirjio. — I«n;)r»rlan»'o «lu c rîi,i».o.;iu • »liiî.- J i ;ir . i ■ .
r.: .1,1 ^p» r.K:,-i-BALE. — La placp cl le r'»lc «!•■ rh<>ms'i!i ..: .i^ ■ .i..-
'1 ' In litlcralupiî an^rl!ii>e
Ain.\Dic:rs. -- 1. Lessing, Voila iiv, l'iM et Tli'^ms«»ii. - {>. Yii« .
jii^i' pur lïM cofifpiîrj et nis contemporaiu. - 111. Tiir-i»:. i ^
«i:«.ne frariraisc. — IV. La f.Tononoialion iJc i'iioniso.i ,
HlUMOCKAHIilF
' ■j-.I.'iim.i. : .. -- Il M. I' . I. r.!lf>I> \Î<1». — ■; - !..
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