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Full text of "James Thomson, sa vie et ses óeuvres"

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JAMES  THOMSON 


SA   VIE  ET  SES  ŒUVRES 


JAMES  THOMSON 


SA  VIE  ET  SES  ŒUVRES 


TAU 


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LÉON     MOREL 


Doi'leur  es  lettres,  ^ 

Professeur  ag  l>ciie  Louis-le-Grand  el  au  lycé<»  Montaipn*. 


PARIS 

LIBRAIRIE  HACHETTE  ET  C* 

79,   BOULEVARD  SAINT-GERMAIN,   79 

I^ONDRES,    18,    KING    WILLIAM    STREET,    STUAM» 


1895 


1        ' 


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4   • 


**  • 


A    LA    CIIKUI-:   MKMOIKK 


l)K    MON    PÈUK 


LÉovAiin    MOMKL-LAMKI  IL 


A    M.   EiGÈvE   MAHTKL 


fKl.^CIPAI.    IlONOItAIRt     Dr     OOLl.EiiK     IlE     KO  T  LOC  Nlî  •  ^  1' H  -  M  I  H 


^W" 


JAMES  THOMSON 


PREMIÈRE  PARTIE 


VIE    DE    J.    THOMSON 


Dans  cette  luxuriante  foret  de  la  littérature  anglaise  où  six 
siècles  d'une  végétation   infatigable  ont  accumulé  les  puis- 
santes futaies  et  les  riches  sous-bois,  les  frondaisons  toulTucs 
et  les  précieuses  floraisons,  le   voyageur  courrait  risque  de 
s'égarer,  s'il  n'observait  comme  points  de  repère  certaines 
cimes  qui  font  saillie  au-dessus  de  Thorizon  des  verdures.  Les 
c  Saisons  "b  de  James  Thomson  sont  un  de  ces  sommets.  Tous 
les  critiques  s'accordent  à  les  signaler  comme  un  des  grands 
événements  littéraires  qui  jalonnent  Thistoire  de  la  poésie 
anglaise  de  Chaucer  à  Tcnnyson.  Et  cependant  on  a  pu  se 
demander  si  l'auteur  de  cette  œuvre  fut  un  écrivain  de  génie. 
On  a  pu  croire  que  le  poème  dut  son  importance  à  la  date  où 
il  parut,  et  que  son  originalité  tenait  tout  entière  dans  un 
désaccord  avec  le  milieu  où  il  a  surgi  ^ 

i.  Cest  le  pins  grand  des  succe^^senrs  directs  do  Thomson  qui  a  donné 
de  cette  opinion  Texprcssion  la  plus  catégorique  : 

•  Wonder  is  thc  natiirnl  product  of  Ignorance  :  and  as  tiio  soi!  was  in 
toch  good  condition  at  thc  lime  of  the  publication  oT  llic  Seasons,  llie 
crop  was  doubtle^is  abundant....  iJaving  shown  that  much  of  what  his 
biograpbcr  deemed  genuine  admiration  must  in  fact  hâve  beon  blind  won- 
derment  —  how  is  the  rest  lo  be  accounted  for?...  •  (Wohdswortii,  fJ-VAY/»/, 
gHppleni^nfary  to  the  Préface  lo  the  second  ctiition  of  the  pocms,  publishcd, 
wilb  an  additioual  volume,  under  thc  title  oï  Lyrical  liallads.) 

1 


s  UMBS  TH0H80N- 

Ge  sont  là  deax  questions  que  nous  nous  proposons  d'exa- 
miner dans  leur  étroite  union.  Nous  essaierons  de  faire  des 
c  Saisons  >  une  étude  plus  détaillée,  plus  précise  et  plus  appro- 
fondie qu'on  ne  l'a  jusqu'à  présent  tenté.  Nous  nous  attache- 
rons aussi  à  connaître  le  poète  lui-même.  Nous  chercherons, 
non  seulement  dans  l'analyse  de  son  œuvre  maltresse,  mais 
aussi  dans  celle  des  productions  très  diverses  qui  s'y  sont  ajou- 
tées, à  déterminer  les  caractères  et  l'étendue  de  son  talent.  Nous 
apporterons  les  témoignages  recueillis  au  cours  d'une  longue 
et  consciencieuse  enquête  à  l'appui  de  l'opinion  qui  voit  en  lui, 
malgré  d'évidentes  limitations  et  des  imperfections  très  appa-  - 
rentes,  un  des  grands  poètes  de  l'Angleterre. 


CHAPITRE  1 


L^BNFANCE   ET  l'aDOLESCENCE.    —   EN   ECOSSE 


I 


r 


Thomson  n'est  pas  un  de  ces  écrivains  dont  la  vie  est  étroi- 
tement liée  à  leur  production  artistique  ;  ce  ne  sont  point  d*or- 
dinaire  les  événements  de  son  existence  qui  lui  inspirent  ses 
vers;  il  ne  faut  pas  chercher  dans  ses  œuvres  le  rellet  mouvant 
des  passions  qui  l'ont  agité.  Nous  ne  renoncerons  pas  cepen- 
dant à  présenter  le  tableau  de  cette  vie.  Il  ne  semble  pas  qu'une 
étade  littéraire  puisse  se  passer  de  cette  préface.  Bien  des  années 
se  sont  écoulées  depuis  que  Sainte-Beuve  a  donné  à  la  critique 
une  méthode  et  une  direction  nouvelles,  bien  des  années  et 
aussi  bien  des  opinions  et  bien  des  modes,  bien  des  systèmes 
difîérents  du  sien.  Nous  entendons  autour  de  nous  discuter 
avec  autant  d'ardeur  que  jamais  les  bases  mêmes  de  toute  étude 
artistique.  Le  critique  est-il  un  juge  qui  distribue  l'éloge  ou  le 
blâme  après  avoir  comparé  l'œuvre  au  code  formel  et  absolu 
des  lois  consacrées?  Doit-il  au  contraire  se  borner  à  préciser  et 
à  expliquer  l'impression  qu'il  ressent  en  face  d'une  œuvre  d'art, 
à  essayer  d'en  pénétrer  l'intime  inspiration,  à  reconnaître  d'ail- 
leurs que  le  jugement  à  porter  reste  chose  d'ordre  subjectif 
autant  que  l'émotion  subie?  On  n'est  pas  plus  d'accord  à  la  fin 
de  ce  siècle  qu'on  n'eût  pu  l'être  en  1825  sur  ces  sujets  d'éter- 
nelles controverses.  Mais  une  chose  demeure  acquise  définiti- 


) 


4  JAMES  THOMSON. 

vement  de  la  révolution  introduite  par  Sainte-Beuve.  C'est  la 
nécessité  de  joindre  Tétude  de  l'homme  à  celle  de  l'œuvre.  Les 
divers  systèmes  de  philosophie  delà  littérature  qui  se  sont  pro- 
duits depuis  trois  quarts  de  siècle  ont  tous  apporté  de  nouvelles 
raisons  pour  justifier  le  procédé  employé  par  le  critique  avec 
une  si  pénétrante  et  si  féconde  sagacité.  Pour  les  écoles  qui  pro- 
fessent d'ambitieuses  prétentions  scientifiques,  Tétude  de  la  vie 
d'un  auteur,  la  notation  des  influences  qui  ont  agi  sur  lui,  des 
circonstances  au  milieu  desquelles  s'est  développe*  cet  échan- 
tillon de  la  plante  humaine,  la  recherche  môme  de  ses  antécé- 
dents de  famille  ou  de  race,  tout  cela  constitue  les  faits  qui 
fournissent  une  détermination  rigoureuse  de  cet  accident  qui 
est  l'œuvre  elle-même.  Quant  aux  critiques,  plus  nombreux 
aujourd'hui  qu'ils  n'étaient  il  y  a  peu  d'années,  qui  voient  beau- 
coup d'hypothèses  gratuites  dans  ces  prétendus  documents, 
beaucoup  de  vague  et  nuageuse  spéculation  dans  ces  méthodes 
à  Tapparence  scientilique,  s'ils  croient  que  le  génie  échappe 
aux  déterminations  trop  précises  par  cela  même  qu'il  est  le 
génie  ',  ils  s'attachent  d'autant  plus  à  connaître  ces  âmes  d'élite 
dont  ils  ne  prétendent  pas  exposer  dogmatiquement  l'origine 
et  la  formation,  mais  où  ils  trouvent  l'ultime  et  suffisante 
explication  des  œuvres  produites.  Enfin  la  critique  la  plus 
décidée  à  promener  sur  la  face  de  toutes  les  productions  lit- 
téraires le  niveau  de  lois  extérieures  et  supérieures,  celle-là 
même  reconnaît  que,  pour  bien  comprendre  avant  de  juger, 
il  faut  tenter  de  revivre  les  intentions,  les  elTorts  et  les  sen- 
timents de  l'auteur.  Nous  ne  pouvons  donc  plus  considérer 
une  œuvre  littéraire  comme  une  chose  qui  se  suffise  à  elle- 
même,  comme  une  fleur  à  laquelle  nul  ne  demande  sur  quelle 
tige  elle  s'est  épanouie.  Mais  nous  y  voyons  refflorescence 
d'une  àme  humaine,  c'est-à-dire,  s'il  en  faut  croire  le  poète 
critique,  du  plus  noble  objet  d'étude  que  puissent  se  proposer 
les  hommes*. 
Ces  raisons  générales  ne  sont  pas  les  seules  qui  justifient  ici 

■  i.  *>  M  ne  faut  (lissc<|iir»r  que  les  morts.  Cette  manière  de  chercher  à 
"ônvrir  le  ccrveuu  d'un  vivant  est  Tausse  et  mauvaise.  Dieu  seul  et  le  poOle 
saviMil  comment  nait  et  se  forme  la  pensée.  Les  hommes  ne  peuvent  ouvrir 
ce  fruit  divin  et  y  chercher  l*amundc.  •  (A.  i>b  Viony,  Journal  tVun 
poète,  p.  80,  IS33.) 

„  2.  ■  Tlic  proj^er  sludy  of  mankiud  is  man.  »  (Pope,  An  Essai/  on  Man, 
Ep.  II,  v.  2.;. 


^••  /.v 


l'bnfangb  et  l'adolescence.  8 

un  essai  de  reconstitution  de  la  vie  de  Thomson.  Cet  écrivain, 
dont  rinfluence  sur  notre  littérature  a  été  très  directe  et  très 
puissante,  n'a  fait  Tobjet  dans  notre  langue  que  de  deux  essais 
biographiques  très  courts  et  très  imparfaits  *.  Les  n  Memoirs» 
anglais  sont  au  contraire  nombreux.  On  ne  peut  pas  dire 
qu'aucun  d'eux  mérite  de  prendre  rang  dans  le  voisinage  de 
ces  biographies  remarquables  qui  sont  une  des  originililés  et 
un  des  honneurs  des  lettres  anglaises  *.  La  plupart  reprodui- 
sent, sans  les  contrôler,  des  anecdotes  suspectes  qui  sont  le 
■plus  clair  des  souvenirs  attachés  dans  Tesprit  du  public  à  la 

1.  Chpfs  fP œuvre  de^  thédti^s  étrangers  :  Théâtre  nnf/laiSy  l.  X  :  Vie  de 
Thomson^  par  P.-B.  (Brugière  de  Rarante).  —  Biographie  universelle  de 
MiCHACb  :  Vie  de  Thomson,  par  \V...r  (Walkenacr). 

3.  Les  principales  biof^raphics  anglaises  de  notre  poêle  sont  : 

f  Celle  de  Siiirls  {Cibber*s  Lices  of  Ihe  Poels^  Londres,  \T)o\,  Cette  vie  est, 
en  novi.'nibre  de  la  même  année,  reproduite  dans  la  Monihhj  lirvien-,  vol.  IX. 
Appcndix,  p.  481. 

i'  Celle  de  Murdocii,  en  têle  de  l'édition  des  OKuvres,  de  17()2. 

J»  Celle  de  S.  Joii?isoN  (Livea  of  the  PoeL),  nsi.  Ces  trois  aut«'urs  ont 
directement  connu  le  poète.  Johnson  a  eu  avec  lui  peu  de  relations;  mais 
il  a  reçu  des  renseignements  d'amis  intimes  de  Thomson. 

4*  Celle  de  G.  W'hight,  en  t^te  d'une  édition  des  <•  Saisons  -,  Londres,  1770. 

5«  Une  biographie  anonyme  en  tête  d'une  édition  \\q,^  (iF^ivres  publiée 
par  Clark  à  Edimbourg  en  1772.  Elle  ajoute  peu  de  chose  ù  la  biographie 
de  Munlocb. 

ff*  Un  Essai  de  Erskixe,  earl  of  BrcHAx  [On  th»?  Lires  of  Flefcher  of  Sal- 
toun^  and  of  the  poel  Thomson)^  1792. 

7'*  Celle  de  Robert  ilEROif,  en  tête  d'une  édition  des  «  Saisons  »  publiée  à 
Penh  en  1793. 

*•  Celle  de  Stockdale,  en  tôle  d'une  édition  des  «  Saisons  ^),  Londrijs,  1703. 
C'est   &  peu  près  la  reproduction  de  la  biographie  de  Murdoch. 

Arrivant  au  xix"  siècle,  nous  trouvons  : 

9**  La  vie  de  Thomson  dans  la  collection  des  poMes  d'ÀNUERSON. 

4<t  Celle  du  Uev.  Robert  Lu!idie,  de  Kelso.  en  1^30. 

/  /*L*ne  biographie,  plus  étendue  qu'aucune  des  précédentes,  de  Sir  IIahris 
Nicolas,  en  tt>te  de  l'édition  des  Œuvres  (AMinc  Kdition),  \^\\\\  rL'lle  bio- 
graphie est  encore  augmentée  dans  l'édition  de  ISU.  Mr.  Peter  Cunningliam 
y  ajoute  en  1862  des  notes  importantes. 

lî**  D'importantes  notes  d'ALLAK  Cunmnoiiam  h  la  biographie  de  Murdoch, 
1841. 

#^En  tête  de  l'édition  illustrée  des  «  Saisons  -.LS'^^.  la  biographie  deMur- 
doch  avec  des  notes  de  Boi.ton  Cornet  aussi  précieu'ïes  (lu'une  biographie 
nouvelle. 

14*  En  tête  d'une  édition  des  Œuvres  complûtes,  la  biographie  de  Mur- 
doch avec  des  notes  Iri^s  copieuses  de  Niciiols,  Londres,  18  i9. 

iS*  Celle  de  Robert  Bell,  en  tête  des  (F.uvres.  Londres,  185.7. 

f^  La  notice  biographique  de  J.  Logie  Robertson,  en  télc  d'une  remar- 
quable édition  des  «  Saisons  »  et  du  «  Chdleau  »  Clarcndon  Press  Séries), 
1891. 


6  JAMES  THOMSON. 

vie  de  Thomson.  Aucun  d'eux  ne  nous  laisse  une  idée  un  peu 
nette  de  ce  que  fut  riiomme  ;  ou  bien  de  son  caractère  et  de 
son  intelligence  ils  ont  reproduit  seulement  quelques  traits 
accidentels,  et,  les  exagérant  grossièrement,  ils  nous  ont 
donné  de  leur  personnage  une  caricature  plutôt  qu'un  portrait. 
Peut-être  faut-il  attribuer  à  cette  insuffisance  des  biographies 
une  ignorance  des  faits  littéraires  de  la  vie  de  Thomson  assez 
souvent  apparente  chez  les  critiques  anglais,  et  qui  fait  con- 
traste avec  la  sûreté  de  leurs  informations  en  ce  qui  concerne 
d'autres  grands  écrivains  du  xviii*^  siècle,  Swift,  par  exemple, 
ou  Pope,  Young,  Gray,  Johnson  ou  Cowper  *.  Nous  voudrions 
donc,  en  nous  aidant  des  travaux  accumulés  jusqu'à  ce  jour, 
essayer  de  faire  revivre  la  figure  peu  ou  mal  connue  de  Thomson . 
Le  récit  de  cette  vie  très  simple  évoquera  devant  nous  quelques 
scènes  de  la  société  littéraire  et  politique  d'un  passé  très  atta- 
chant, le  deuxième  quart  du  xv!!!*^  siècle.  A  tout  le  moins,  à 
défaut  des  péripéties  émouvantes  qui  donnent  un  intérêt  dra- 
matique à  la  biographie  de  quelques  grands  artistes,  elle  nous 
fournira  le  spectacle  profondément  sympathique  d'une  àme 
d'élite  chez  laquelle  la  conscience  de  sa  valeur  et  la  joie  du 
succès  n'ont  jamais  altéré  la  modestie,  la  bonté  ni  la  droiture 
natives. 


1.  Nous  aurons  occasion  de  relever  plusieurs  de  ces  erreurs.  Nous  noas 
contenterons  ici,  pour  justifier  notre  assertion,  d'en  signaler  une  seule. 
Un  des  plus  justement  estimés  parmi  les  modernes  historiens  de  la  litté- 
rature anglaise,  M.  Ed.  Gosse,  a  donné  récemment  à  la  collection  des 
English  Men  of  Lelters,  une  biographie  de  Gray.  On  y  peut  lire  (p.  50 
et  51)  ces  lignes  :  -  When  Gray  began  seriously  to  write,  in  1742,... 
Thomson...  had  practically  retreated  aircady  upon  his  laurels,  and  was 
presently  to  die,  wilhout  again  addressing  the  public  except  in  the  luckless 
tragedy  of  Sophonisba,  bequeathing  however  to  postcrity  the  trcasures  of 
his  Castle  of  Indolence  ». 

Pas  un  renseignement  de  ce  passage  qui  ne  soit  erroné. 

1*  Thomson  ne  s'est  pas  retiré  sur  ses  lauriers  en  1742,  puisqu'il  écrit 
ultérieurement  deux  tragédies  :  Tancred  and  Sigismunda,  et  Coriolanusj 
et  un  important  poème  :  The  Castle  of  Indolence. 

2"*  La  tragédie  de  Sophonista,  au  lieu  d'être  postérieure  à  17(2,  est  de 
1730. 

3«  The  Castle  of  Indolence  n*est  nullement  une  publication  posthume.  11 
parut  plus  de  trois  mois  avant  la  mort  du  poète. 


•  •• 

•  •  • 


L*ENFANGE  ET  L'aDOLESGENGE. 


II 


Les  efforts  que  Ton  peut  faire  pour  remonter  le  cours  des 
générations,  dans  la  ligne  des  ancêtres  paternels  de  notre 
auteur,  sont  très  vite  arrêtés.  Nous  connaissons  un  peu  son 
père,  nous  savons  quelles  furent  la  condition  sociale  et  la  rési- 
dence de  son  grand-père,  et  là  se  borne  notre  savoir.  Dans 
l'ombre  qui  nous  cache  au  delà  tout  le  passé,  à  peine  croyons- 
nous  apercevoir  quelques  vagues  silhouettes.  Peut-être  même 
n'ont-elles  d'autre  réalité  que  celle  que  leur  prête  notre  ima- 
gination. Leigh  Hunt  a  relevé,  dans  un  poème  macaronique  de 
Drumraond  de  Hawthornden,  le  nom  d'un  certain  Jamy  Tom- 
sonus  parmi  les  combattants  d'une  lutte  rustique,  et  il  se 
demande  si  ce  n'est  pas  là  un  ancêtre  du  poète  '.  Nous-même 
avons  noté,  dans  une  production  bien  ignorée  '  d'un  homme 
qui  s*est  trouvé  en  contact  avec  le  père  de  James,  la  mention 
de  trois  frères  du  nom  de  Thomson.  Ils  servaient  dans  l'armée 
presbytérienne,  et  furent  faits  prisonniers  à  la  bataille  de 
Bothwell-Bridge,  1679.  Peut-être  tenaient-ils  de  près  à  cet 
autre  Thomson  dont  le  zèle  religieux  devait  se  manifester  d'une 
manière  différente,  et  qui  fournit  un  pieux  ministre  à  cette 
même  Église  que  les  trois  frères  avaient  servie  les  armes  à 
la  main. 

Les  biographes  ne  sont  pas  mieux  informés  au  sujet  des 
ancêtres  maternels  du  poète.  Mais  ici  nous  avons  la  satis- 
faction de  pouvoir  compléter  les  brèves  indications  fournies 
jusqu'à  ce  jour.  Le  Révérend  J.  Mair,  ministre  de  la  paroisse 
de  Southdean,  avait  eu  l'obligeance  de  nous  fournir  copie 
d'une  lettre  adressée  en  1874  à  lord  Home  par  miss  Elizabeth 
Bell,  petite-nièce  et  dernière  survivante  de  la  famille  de 
Thomson.  La  vénérable  demoiselle  —  elle  avait  alors  quatre- 
vingt-neuf  ans  —  annonçait  à  son  correspondant  renvoi  de 
la  tabatière  authentique  du  poète,  et,  dans  ce  coffret  original, 
un  tableau  généalogique  dressé  par  elle  et  qui  prouve  la 

1.  Le  poème  a  pour  tilre  Polemo-Middinia.  —  Voir  Leigh  IIi'nt,  On  Wit 
and  Humour f  p.  51. 

2.  RiREWOOD,  r/ic  Histcry  of  the  Twenly-Seven  Gods  of  Linlilhgow,  p.  9. 


8 


JAMES  THOMSON. 


parenté  de  Thomson  avec  la  famille  des  Home.  Le  Révérend 
J.  Mair  a  bien  voulu  se  charger  de  demander  communica- 
tion de  cet  intéressent  document.  Le  présent  lord  Home  igno- 
rait Texistence  de  la  tabatière  et  de  son  contenu.  Mais  les 
recherches  qu'il  a  ordonnées  ont  fait  retrouver  les  deux  objets, 
et  nous  pouvons  considérer  comme  sérieusement  établie  la 
découverte  de  miss  Elizabeth  Bell  *.  La  mère  du  poète  appar- 
tenait à  la  famille  des  Home;  Thomson  avait  dans  les  veines 
quelques  gouttes  du  sang  de  la  plus  haute  noblesse  écossaise. 
Plusieurs  détails  de  sa  biographie  sont  expliqués  par  cette 
parenté.  Elle  établit  aussi  un  lien  entre  notre  poète  et  ce 
John  Home  dont  la  tragédie  de  Douglas  eut,  au  milieu  du 
xviu'"  siècle,  son  heure  d'éclatante  célébrité. 

Nous  savons  que  le  grand-père  du  poète  '  était  jardinier  au 
service  d'un  Mr.  Edmonston  '  à  Ednam,  ou  Ednim,  dans  le 
comté  de  lloxburgh.  H  n'est  pas  sans  intérêt  de  noter  ce 


1.  Voici  la  généalogie  établie  par  miss  Bell  grÂcc  à  Tytier  et  à  d'autres 
historiens,  grdce  au  l*ecra*je  de  Douglas,  et  grdce  aussi  à  des  sources  d'in- 
formations qu'elle  seule  pouvait  avoir  : 

Sir  Jnhu  Homo  of  Coldinpknou-A 
(fourth  in  descent  from  ihe  flrst  Baron  llome,  1  i73) 


Sir  James  Home 


William  Ilimio 
(of  Battcndcan) 


John  Home 


Mar/?aret  Home 
(marriod  Mr.  Trutler  of  Fouro,aulhor  of  the  sung 
PobcaNh  on  the  fJreen] 


Sir  Jamo.s  Home 


Sir  JamcA  Homo 

(  wlio  sucuei'di'd  his  rou<*in  as  third 

earl  of  Homo  lu  UiXi) 


Buatrix  Trotter 
(marriod  llev.  Mr.  Thomson. mini:$terof  Ednam) 


James  Thoniaou  Lizzio  Thomsou 

TiiR  POET  (married  Hev.  Rob.  Bell) 


llcT.  James  Bell 


Miss  ËliKabcth   Bell 


2.  Sou  prénom  était  probablement  Andrew.  Le  ser.ond  flls  de  Thomas 
Thomson  rcqut  le  nom  d'Alexander,  qui  était  celui  de  son  grand-père 
maternel.  Andrew,  le  nom  du  (ils  aîné,  était  sins  doute  celui  du  grand- 
père  paternel. 

3.  Fasti  Ecclesiœ  Scotianœ  by  Hew  Scott,  part.  II,  p.  460. 


l'enfance  et  l*adolescenge.  9 

détail.  D'autres  membres  de  la  famille  de  Thomson  ont  exercé 
le  même  métier*.  Peut-être,  soit  par  un  phénomène  de  trans- 
mission héréditaire,  soit  au  commerce  de  ces  proches  parents 
qui  vivaient  dans  l'observation  constante  et  intime  du  monde 
des  plantes,  peut-être  le  poète  doit-il  à  son  humble  aïeul  une 
part  de  son  génie,  celle  qui  est  faite  d'une  connaissance  fami- 
lière, et  d'une  prise  directe  et  sûre  des  choses  de  la  nature. 
Pour  le  fils,  Thomas,  qui  lui  était  né  en  KKkî,  le  modeste 
artisan  ambitionna  un  rang  social  plus  élevé.  Grâce  sans  doute 
à  Tappui  de  M.  Edmonston,  il  put  l'envoyer  à  l'université 
d'Edimbourg  où  le  jeune  homme  prit  en  1G86  le  grade  de 
maître  es  arts.  Cinq  ans  plus  tard,  le  17  juin  1691,  il  recevait 
la  licence  qui  lui  permettait  l'exercice  des  fondions  ecclésias- 
tiques, et,  le  12  juillet  1692,  il  était  appelé  à  Téglise  d'Ednam, 
dans  le  voisinage  de  Kelso  *.  On  peut  croire  qu'ici  encore  l'in- 
fluence de  M.  Edmonston  ne  fut  pas  étrangère  à  cette  nomina- 
tion qui  laissait  le  jeune  ministre  dans  le  village  où  il  était  né, 
où  vivaient  ses  parents.  Il  ne  tarda  pas  du  reste  à  se  créer  une 
nouvelle  famille.  Le  6  octobre  1693,  il  épousait  Beatrix,  une 
des  filles  de  M.  Alexander  Trotter  ',  propriétaire  du  petit 

1.  Sun  ODclc  et  son  cousin  Robert  Thomson  oal  été  jardiniers  à  Minto. 
Deux  de  ses  neveux,  Andrew  et  Gilbert  Thomson,  sont  venus  s'établir  & 
Richmond  dans  les  dernières  années  de  sa  vie;  Andrew  travaillait  au  jardin 
du  poète,  Gilbert  trouva  plus  tard  un  emploi  de  jardinier  à  Easl  Sheen, 
chez  un  Squire  Taylor.  (Rob.  Bell,  p.  8.) 

2.  Le  poste  était  inoccupé  depuis  la  Révolution  de  1688  qui  avait  chassé 
de  toutes  les  paroisses  les  ministres  épiscopaliens.  Voir  Thp  New  StaliS' 
tical  Account  of  Scolland  by  the  ministers  of  the  respective  parishcs, 
Yol.  m,  p.  41'J. 

3.  Le  nom  de  la  mère  de  James  est  donné  inexactement  par  Johnson,  et 
nous  insisterons  un  peu  sur  ce  point  qui  montre  avec  qu(.'ll»  légèreté  le 
docteur  traitait  parfois  ces  détails.  «  Sa  mêro,  dil-il,  se  nommait  Hume.  » 
L'erreur  avait  été  commise  par  M  urdoch,  dans  Tcdition  de  11G2.  (Kllc  était 
due,  ou  k  une  confusion  avec  le  nom  d'une  sœur  de  Mr.  Thomas  Thomson 
qui  épousa  d'abord  un  Mr.  Hume  et  en  secondes  noces  le  Révérend  Mr.  Ni- 
coljion,  ou  à  une  vague  notion  des  relations  avec  la  famille  llnmc.)  Murdoch 
avait  corrigé  cette  erreur  dans  la  seconde  édition  de  sa  biographie,  en 
1768.  Bien  plus,  Boswell,  chargé  par  Johnson  de  recueillir  des  renseigne- 
ments en  Ecosse  sur  Thomson,  apprend  d*un«^  sceur  du  po(!le,  Jean, 
femme  de  Rob.  Thomson,  directeur  de  l'école  de  grammaire  <le  i^nark,  le 
Tèritable  nom  de  l'aîeule  du  poète,  et  il  on  informe  aussitôt  le  biographe, 
non  sans  s'étonner  de  l'erreur  de  Murdoch.  (Lettre  de  Boswell  à  Johnson, 
Edimbourg,  18  juin  1178.)  Johnson  ne  tient  cependant  aucun  compte  de 
rindicalion  et  donne  le  nom  inexact  adopté  par  Murdoch  en  nr.2.  —  Plus 
tard,  Boswell,  après  avoir  blAmé  son  illustre  ami  d'une  aussi  llagrante 
négligence,  publia  lui-même  sa  prétendue  découverte,  en  1791. 


10  JAMES  THOMSON. 

domaine  de  Widehope  ou  Wideopen,  dans  la  paroisse  de  More- 
battle,  voisine  de  Kelso  et  d'Ëdnam.  L'union  fut  féconde  et  le 
registre  des  baptêmes  s'enrichit  successivement  des  noms  de 
Andrew,  1695,  Alexander,  1697,  Issobcl  (Isabelle),  1699,  et  enfin 
James,  jusqu'au  jour  où  une  autre  paroisse  reçut  le  bénéfice 
des  services  spirituels  du  révérend  Thomas  Thomson  (ou 
Thomsone,  comme  le  nom  était  parfois  écrit),  et  enregistra 
à  son  tour  le  périodique  accroissement  de  sa  famille  *. 

La  date  de  la  naissance  de  ce  quatrième  enfant,  James,  n'est 
pas  connue  avec  certitude.  Il  fut  baptisé  le  15  septembre  1700, 
et  la  plupart  des  biographes  acceptent  le  11  du  même  mois 
comme  date  de  sa  venue  au  monde.  Cependant  l'usage  de 
l'Église  presbytérienne  établissait  plutôt  un  intervalle  de  huit 
jours  entre  la  naissance  et  le  baptême.  Nous  croyons  donc  de 
préférence,  avec  Johnson  et  avec  M.  LogieRobertson,  que  James 
Thomson  naquit  le  7  septembre  *.  Le  séjour  de  l'enfanta  Ednam 
fut  de  bien  courte  durée;  il  compta  exactement  deux  mois. 
C'est  assez  cependant  pour  que  ce  petit  village,  isolé  dans  un 
coin  du  Roxburghshire,  en  dehors  des  grandes  voies  qui,  do 
Kelso,  se  dirigent  sur  Berwick  en  suivant  le  cours  de  la  Tweed, 
ou  bien  remontent  au  sud-ouest  vers  Edimbourg,  revête  à  nos 
yeux  l'intérêt  qui  s'attache  au  lieu  d'origine  d'un  homme 
illustre. 

Ednam  (pour  Edenham),  arrosé  par  l'Eden,  affluent  de  gauche 
de  la  Tweed,  est,  comme  une  grande  partie  du  comté  de 
Roxburgh,  une  région  pastorale.  Le  village  et  la  plaine  qui 
l'entoure  offrent  aux  yeux  une  scène  agréable  de  paix  un  peu 
monotone.  Un  poète,  qui  y  venait  chercher  le  souvenir  de 
Thomson,  nous  en  a  laissé  la  description  suivante  : 

a  Une  église  champêtre,  les  toits  de  quelques  chaumières 
«  épai'ses,  et,  de  leurs  foyers  isolés,  la  légère  fumée  bleue, 
«  tournant  silencieusement  dans  l'air  immobile,  s'élevait  et  se 

1.  Les  cinq  coranls  nés  à  Southdean  sont  un  fils  :  John,  et  quatre 
fliles  :  Jean,  Ëlizabcth,  Margnret  et  Mary. 

2.  Les  Parish  Records  d'Ëdnam  conservent  encore  Tinscriplion  de  ce 
baplrmc.  Les  Session  Records  soûl  muets  sur  la  date  de  la  naissance. 
C*est  Murdocli  qui  a,  le  premier,  indiqué  comme  date  le  11.  Son  témoi- 
gnante aurait  plus  de  valeur,  s'il  avait  aussi  mentionné  la  date  du  baptême. 
Le  Révérend  John  iMair,  ministre  de  Southdean,  que  nous  avons  consulté 
sur  ce  point,  nous  répond  :  «  I  would  say  that,  accordin<;  to  tho  usiial  prac- 
tice  of  our  l'resbyterian  church,  eight  days  are  far  more  likely  to  hâve 
elapsed  than  only  four  days  between  the  birlh  and  baptism  ». 


1 


L'BNFANGE  ET  L'ADOLESCENCE.  11 

t  perdait  dans  le  ciel  estival  ;  un  pont  rustique,  couvert  de 
c  mousse  et  coloré  par  les  saisons;  un  petit  ruisseau  de  fées 
c  qui  se  chante  à  lui-même  sa  chanson  ;  et  çà  et  là,  un  arbre 
c  vénérable  dans  la  beauté  de  son  feuillage;  tels  sont  les 
c  éléments,  les  seuls  éléments  dont  était  formé  ce  simple 
c  tableau'  ». 

La  grandeur  et  le  style  manquent  évidemment  à  ce  paysage. 
Mais  la  description  que  nous  en  venons  de  citer  est  incom- 
plète. Elle  ne  mentionne  pas  la  colline,  Ednam  Hill,  qui  abrite 
le  village  à  Test.  Et  surtout  elle  ne  signale  pas  cette  richesse 
d*eaux  vives  où  Thomson  lui-même  a  bien  vu  le  trait  dominant 
qui  donne  à  tout  ce  pays  de  pâturages  son  caractère  de  fraî- 
cheur souriante  : 

«Ces  vallées  fertiles...  qu'arrose  amoureusement  roainlc  rivière 
fraîche,  transparente  et  pleine,  la  Tweed  mon  fleuve  natal,  au  pur 
courant  entre  des  rives  pastorales...  '.  » 

Dans  le  groupe  des  chaumières  modestes  le  presbytère  ne  se 

distinguait  pas  par  son  luxe  ni  son  confort.  Un  écrivain  qui  a 

exploré  toute  la  Grande-Bretagne,  en  quête  d'anecdotes  sur  ses 

poètes  éminents,  a  eu  l'heureuse  fortune  de  trouver  à  Ednam 

une  bonne  femme  dont  la  mère  avait  habité  la  vieille  manse  et, 

sans  doute,  servi  la  famille  Thomson.  Elle  se  rappelait  quelles 

réponses  faisait  sa  mère  aux  visiteurs  qui  venaient  s'informer, 

et  nous  savons  par  elle  que  le  presbytère  était  une  misérable 

Gonslruction  en  torchis.  Au  fond  de  la  petite  pièce  qui  servait 

de  parloir  était  une  alcôve  fermée  d'un  rideau;  c'est  là  que 

naquit  James  Thomson  ^. 

On  comprend  que  le  jeune  ministre,  si  détaché  qu'il  pût  être 
des  biens  de  ce  monde,  ait  désiré  un  poste  moins  humble.  Deux 

1.  BlackvpowCs  Magazine.  Vol.  XXIX,  p.  127,  avec  la  signature  A,  qui 
représente  Mr.  David  Macbeth  Moir. 

2.  Autumn,  887-890. 

3.  W.  HowiTT,  Uimu-s  and  llaunts  of  the  mosl  Eminenl  Urilish  Poetf, 
p.  142. 

Disons  cependant  qu*une  tradition  s'est  conservée  dans  le  pays,  d'après 
laquelle  Mrs.  Thomson  se  serait  trouvée,  au  moment  de  la  naissance  de 
James,  à  Widehope,  près  do  ses  sœurs.  Le  Révérend  Mr.  John  Mair,  de 
Southdean,  est  enclin  k  accepter  l'hypothèse,  et  nul  plus  que  lui  ue  fait 
autorité  pour  tout  ce  qui  regarde  l'histoire  de  la  jeunesse  du  poète.  Il 
nous  semble  cependant  qu'eu  l'absence  de  témoignages  précis  et  directs» 
le  reoseiguement  reçu  par  Uowitt  pèse  d'un  poids  plus  grand. 


12  JAMES  TnOMSON. 

mois  après  la  naissance  de  James,  le  7  novembre  1700,  il  prê- 
chait son  sermon  d'adieu  dans  Tégiise  d*£dnam.  Les  paroisses 
de  Gastleton,  de  Morebattle  et  de  Southdcan  avaient  brigué 
Tavantage  de  l'avoir  pour  ministre.  Il  s'était  décidé  pour  cette 
dernière,  et,  traversant  d'un  bout  à  l'autre  le  comté  de  Roxburgh, 
il  alla  se  fixer  au  village  de  Southdean  ou  Soud'en.  Il  devait  y 
passer  le  reste  de  sa  vie,  y  voir  s'accroître  de  cinq  enfants  la 
famille  qu'il  y  amenait,  et  mourir  à  cinquante  ans  sans  avoir 
entrevu  la  gloire  réservée  à  son  nom,  et  sans  laisser  aux  siens 
d'autre  fortune  que  le  souvenir  de  ses  vertus. 

Ce  n'était  pas  en  effet  Topulence  que  la  paroisse  de  Southdean 
offrait  à  son  ministre.  Le  presbytère  était,  nous  dit  un  écrivain 
qui  l'a  vu,  un  petit  cottage  au  toit  de  chaume  *.  Les  appointe- 
ments demeuraient  sans  nul  doute  en  rapport  avec  la  modestie 
du  logement.  Soixante  livres  sterling  passaient  alors  pour  un 
traitement  très  sortable  à  offrir  au  pasteur  d'une  paroisse  écos- 
saise. Au  moins  le  pays  était-il  très  supérieur  en  beauté  pitto- 
resque à  la  vallée  de  TEden.  Southdean,  ou  la  vallée  du  sud 
de  la  forêt  jadis  célèbre  de  Jed,  est  une  paroisse  d'une  vaste 
étendue  et  d'une  grande  diversité  d'aspects.  Elle  est  arrosée  par 
le  cours  sinueux  delà  rivière  Jed  (autrefois  Ged);  elle  est  coupée 
de  collines,  et  terminée  au  sud  par  la  chaîne  imposante  des 
Cheviots  qui  sépare  l'Ecosse  de  l'Angleterre.  Le  Carter  Fell  qui 
domine  l'horizon  dans  cette  région  atteint  la  hauteur  de  1815 
pieds.  La  manse  était  heureusement  située  à  la  base  du 
Southdean  Law  qui  l'abritait.  Elle  était  précédée  d'un  jardin 
que  le  Jed  entourait  a  comme  une  ceinture  d'argent  »  ',  et 
d'où  l'œil  embrassait  toute  la  pittoresque  vallée  jusqu'au  C-arter 
Fell  dont  le  profil  se  découpait  nettement  sur  le  bleu  du  ciel, 
et  dont  les  pentes  couvertes  de  bruyères  s'empourpraient  au 
soleil  couchant.  Ce  spectacle  et  celui  des  violences  et  des  tem- 
pêtes de  la  mauvaise  saison  ont  souvent  arrêté  l'attention  de 
James.  Il  nous  dit  lui-rnénie  comment,  du  seuil  du  presbytère 
ou  de  la  fenêtre  du  petit  salon,  il  observait  le  torrent  gonflé,  ou 
voyait  se  former  la  tempête  dans  le  ciel  menaçant  du  soir.  L'in- 
fluence de  CCS  tableaux  fut  à  coup  sûr  considérable  sur  l'esprit 

i.  HoB.  CnAMBERS,  The  PiHurc  of  Scotland^  p.  87.  Cité  aussi  par  IIowitt, 
Uomex  and  Haunts^  etc.,  p.  144. 

2.  D';iprè8  la  description  communiquée  à  M.  Logic  llobcrlson  pur  le 
Dr.  John  .Mair. 


L^ENFANCE  ET  L'ADOLESCENGE.  13 

dn  jeune  Thomson,  à  Tâge  où  se  gravent  dans  1  aine  d'indélé- 
biles impressions.  Les  notations  précises  des  phénomènes  natu- 
rels ou  des  faits  de  la  vie  rurale  qui  se  présentent  en  si  grand 
nombre  dans  les  a  Saisons  »  et  surtout  dans  Te  Hiver  »*  sont 
manifestement  des  souvenirs  des  choses  vues  dans  la  vallée 
du  Jed.  Dès  que  l'enfant  fut  en  âge  de  recevoir  des  impressions 
d'ordre  plus  complexe,  il  subit  sans  doute  le  charme  des  sou- 
venirs du  passé  mêlés  partout  aux  beautés  naturelles  dans  cette 
région  des  «  Borders  »,  terre  d'exploits  et  de  chants  héroïques 
où  les  drames  de  l'histoire  sont,  dans  le  seul  comté  de  Rox- 
burgh,  rappelés  par  tant  d'édifices  ou  de  ruines  imposants  : 
Jedburgh,  Ferniehurst,  Dryburgh',  Kelso,  Floors  et  Melrose. 
Nous  aimerions  à  nous  rendre  compte  aussi  de  Tinfluencc 
exercée  sur  son  jeune  esprit  par  les  parents  qui  rélevaient. 
Malheureusement  les  renseignements  sont  sur  ce  point  assez 
maigres.  Thomas  Thomson  était  un  ministre  plein  de  zèle,  et  sans 
doute  un  prédicateur  de  talent,  puisque,  nous  l'avons  vu, plu- 
sieurs paroisses  avaient  désiré  se  l'attacher.  Mais  il  n'est  fjjuèi'e 
probable  qu'il  se  soit  élevé  à  une  indépendance  de  pensée  et  à 
un  souci  des  choses  littéraires  qui  n'avaient  guère  de  place  alors 
dans  l'esprit  du  clergé  presbytérien.  Pour  la  sévère  et  sombre 
religion  qui  depuis  deux  siècles  avait  pris  possession  de  Tàme 
écossaise,  toute  occupation  capable  de  détourner  les  esprits  de 
i'obsédante  pensée  du  salut  et  de  l'humaine  indignité  devenait 
ikcilement  suspecte.  La  poésie  paraissait  un  des  moyens  de 
séduction  de  l'Ennemi;  l'imagination  était  traitée  comme  une 
inquiétante  et  dangereuse  maladie  '.  Nous  n'avons  aucune 
raison  de  supposer  que  Thomas  Thomson  ait  pensé  sur  ce 
point  autrement  que  ses  confrères.  Son  horizon  intellectuel  ne 
s'étendait  guère  au  delà  de  ses  devoirs  pastoraux,  de  la  sèche 
et  scolastique  étude  du  dogme  dont  il  était  le  ministre,  l't  des 
conversations  de  ses  collègues.  Il  était  hautement  honoré  par 


I.  Voir  en  particulier  Winter,  de  5  à  14. 

S.  Drybiirgh  Abhey  est,  il  est  vrai,  silure  sur  la  rive  de  la  Tweed  qui 
appartient  au  comte  de  Berwick.  Mais  le  cours  seul  du  tleuvela  srparcdu 
Rosburfîhshire. 

3.  ■  For  a  long  period  aftcr  ScoUand  becamc  Britisli.  \ve  had  no  lilcra- 
ture....  Then  came  the  schisiiis  iii  our  National  Cliurclj,  and  tlie  iicrcer 
schisnis  in  our  Body  Potilic  :  Théologie  ink,  and  Jacobile  blood.  witli 
gall  cnough  in  bolh  cases,  seemed  to  bave  bloUed  oui  the  intellect  of 
the  coanlry.  •  (Carlyle,  Essay  on  Uurn:i.) 


14  JAMES  THOMSON. 

eux,  ce  qui  semble  l)ien  indiquer  qu'on  trouvait  en  lui  un  parfait 
presbytérien.  Quand  il  était  encore  à  Ednam,  le  presbytery, 
ou  conseil  des  ministres  d'un  certain  nombre  de  paroisses,  l'avait 
choisi  pour  clerc,  c'est-à-dire  pour  secrétaire  et  trésorier.  Nous 
trouvons  ce  renseignement  dans  le  volumineux  mémoire  apo- 
logétique d'un  maître  d'école  que  ce  conseil  presbytérial  avait 
frappé.  L'ouvrage  met  en  scène  le  digne  pasteur  et  rapporte 
tout  au  long  des  dialogues  où  il  figure  comme  interlocuteur  •. 
Ils  sont  de  bien  fastidieuse  lecture  et  n'éclairent  pas  d'une  vive 
lumière  la  psychologie  des  personnages.  Mais  ils  servent  à 
montrer  dans  quelle  atmosphère  de  soucis  étroits,  de  contro- 
verses pédantes  et  mesquines  et  d'intolérance  inquisitoriale 
vivait  comme  bien  d'autres  le  père  de  James.  Ce  n'est  pas  de  là 
évidemment  que  vint  au  jeune  homme  l'impulsion  première 
qui  tourna  son  esprit  vers  la  poésie. 

Sa  mère  au  contraire  (et  la  même  constatation  a  été  faita 
pour  plus  d'un  grand  écrivain),  sa  mère  était  douée  de  cest 
qualités  de  vive  sensibilité,  d'imagination  active  et  de  chaleur 
enthousiaste  qui  sont  comme  les  matières  premières  dont  esL 
faite  une  âme  de  poète.  <cSes  dons  naturels,  nous  dit  Murdoch, 
c  étaient  exceptionnels;  elle  possédait  toutes  les  vertus  sociales 
c  et  domestiques;  elle  avait  une  imagination  qui  par  sa  viva- 
c  cité  et  sa  chaleur  était  à  peine  inférieure  à  celle  de  son  fils, 
(c  et  qui  élevait  ses  exercices  de  dévotion  à  un  diapason  voisin 
«  de  l'enthousiasme.  »  Ces  qualités,  nous  le  verrons  bientôt, 
n'excluaient  pas  un  sens  pratique  et  une  fermeté  de  conduite 
tout  écossais.  Elles  n'avaient  pas  pour  effet  de  transformer 
Mrs.  Thomson  en  une  femme  savante  ni  en  une  femme  let- 
trée. Il  est  impossible  cependant  de  ne  pas  noter,  au  nombre 
des  influences  qui  ont  pu  contribuer  à  former  l'esprit  du 
poète,  celle  de  cette  mère  aimable,  d'esprit  enjoué  et  de  cœur 
ardent  à  qui  son  fils  a  rendu  plus  tard  un  hommage  de  recon- 
naissance éloquente. 

Comment  aussi  ne  pas  signaler,  parmi  les  influences  qui, 
dès  les  premières  années,  ont  pétri  et  façonné  l'âme  de  l'enfant, 
cette  Bible  où  sans  douteil  a  appris  à  lire,  et  qui  fut,  jusque  bien 
avant  dans  les  années  de  l'adolescence,  le  sujet  constant  de  ses 
lectures,  de  ses  méditations  et  de  ses  études?  Il  y  avait  dans  le 

1.  RiHKWoou's  Plea  before  ihe  Kirk,  p.  50,  52,  etc. 


L*ENFANGE  ET  L'ADOLESGENGB.  15 

livre  merveilleux  un  inépuisable  trésor  de  richesses  poétiques 
que  toute  la  sécheresse  du  culte  presbytérien  ne  parvenait  pas 
à  cacher.  Et  quand,  au  lieu  du  froid  enseignement  de  TÉglise,  la 
mère  de  James  commentait  le  texte  sacré  avec  son  ardente 
imagination  et  sa  sensibilité  exaltée,  la  Bible  alors  donnait  à 
Ten&nt,  avec  de  fortes  et  fécondes  émotions,  Téblouissante 
intuition  des  beautés  d'une  poésie  grandiose. 

A  défaut  d'anecdotes  précises  sur  les  première  années  de 

cette  vie,  un  écho  nous  a  été  transmis  par  un  critique  assez 

voisin  des  contemporains  du  poète  pour  que  ses  renseignements 

méritent  d*élre  recueillis,  a  L'attachement  du  poète  pour  la 

t  simplicité  des  champs  et  pour  le  charme  romanesque  de  la 

c  solitude  fut  précoce  et  remarquable.  Tandis  qu'il  était  encore 

«  tout  enfant,  on  le  voyait  souvent  s'écarter  de  ses  petits  com- 

*  pagnons,  et  ceux-ci  le  retrouvaient  parfois  errant  seul  parmi 

(  les  taillis  ou  les  buissons,  sur  le  bord  des  ruisseaux  ou  sur 

(les pentes  des  monts....  Ces  habitudes  de  flânerie  méditative 

(  lui  donnèrent  une  certaine  gaucherie  de  manières  qui  ne 

(  l'abandonna  jamais,  mais  il  leur  dut  un  commerce  avec  les 

(  choses  dans  leur  essence  et  dans  leurs  rapports,  qui  compen- 

(saitamplement  son  manque  d'aisance  par  une  rare  provision 

(  de  sentiment  et  de  savoir  ^  i» 


III 

James  reçut  sans  doute  à  l'école  de  Southdean  les  premiers 
éléments  d'une  éducation  solide,  telle  qu'en  pouvait  fournir 
déjà  un  village  écossais  des  Basses-Terres.  Il  semble  que,  dès 
ces  premières  années,  il  ait  montré  d'heureuses  dispositions. 
Son  père,  en  effet,  ne  se  contenta  pas  pour  lui  de  Tinstruction 
de  l'école  de  sa  paroisse,  et,  quand  l'enfant  eut  douze  ans,  il  fut 
envoyé  à  Jedburgh  pour  y  recevoir  ce  que  nous  appellerions  une 
éducation  d'  a  ordre  secondaire  ».  Dès  ce  début  du  xvnr  siècle 

1.  J.  MoRK*fl  Slrictures  on  Thomson's  Seasons,  chap.  vi,  p.  M'2.  L'ouvrage 
est  publié  k  Londres  en  1777. 

Ailan  Cunningham  donne  aussi  ce  détail  précis  :  ■  Dans  sa  jeunesse,  il 
trouvait  un  grand  charme  à  s'asseoir  sur  les  collines  voisines  des  source» 
du  Jed  el  à  y  voir  les  étoiles  apparaître  une  à  une,  les  nuages  s'amasser...  •. 
/•  Vie  de  Thomson  >,  p.  44.) 


16  JAMES  THOMSON. 

la  société  écossaise  montrait,  à  tous  ses  degrés,  un  zèle  ardent 
pour  rinstruction  populaire  *.  C'était  alors  un  trait  spécial  à  ce 
pays.  Nous  y  voyons  aujourd'hui  un  de  ses  plus  nobles  titres 
d'honneur,  et  l'une  des  causes  principales  du  merveilleux  épa- 
nouissement intellectuel  qui  a  fait  à  l'Ecosse  une  si  grande 
part  dans  l'histoire  de  la  pensée  anglaise  depuis  deux  siècles. 
En  dehors  de  la  région  des  Hautes-Terres,  l'instruction  pri- 
maire était  largement  assurée  aux  enfants  du  peuple;  l'ensei- 
gnement secondaire  était  accessible  à  ceux  d'entre  eux  que 
leur  intelligence  et  leurs  aptitudes  désignaient  pour  une  pre- 
mière sélection;   plus  tard,  et  dans  les  mêmes  conditions, 
l'accès  des  universités  leur  était  ouvert.  Mais  il  fallait  aux 
parents  et  aux  élèves  payer  parfois  de  beaucoup  de  résolution 
et  d'énergie  les  avantages  offerts  par  cette  libérale  et  démo- 
cratique organisation  de  l'enseignement.  Jedburgh  était  situé 
à  environ  huit  milles  de  Southdean.  Son  a  école  de  gram- 
maire »  n'avait  pas  d'internat.  Si  pittoresque  et  si  variée  que 
pût  être  la  route,  qui  suivait  le  cours  du  Jed  et  passait  au  pied 
des  ruines  de  Ferniehirst  Castle,  nous  avons  peine  à  imaginer 
le  studieux  bambin  parcourant  une  si  longue  distance  pour 
aller  étudier  son  rudiment.  Nous  devons  supposer  qu'il  rece- 
vait l'hospitalité  de  parents  ou  d'amis  qui  habitaient  à  une 
moindre  distance  de  Jedburgh.  Nous  savons  en  effet  qu'il  fit 
souvent  séjour  à  Minto,  où  son  oncle  était  jardinier,  à  Chesters, 
à  Ancrum,  à  Marlefield.  Cette  grammar-scliool  de  Jedburgh 
avait  obtenu  une  haute  réputation  dès  le  début  du  xvir  siècle  '. 
A  répoque  où  Thomson  y  vintcommencer  l'étude  des  langues 
anciennes,  elle  était  dirigée,  dit  Murdoch,  par  un  maître  de 
talent.  Quant  à  Tinstallation  matérielle,  elle  était  des  plus 
simples.  L'école  n'avait  même  pas  de  bâtiment  particulier. 
C'était  un  des  bas-côtés  de  l'église  qui  recevait  pendant  les 
heures  de  classe  maître  et  élèves  '.  —  Le  peu  que  nous  savons 


1.  Des  le  temps  de  Jobn  Knox  les  réfornialcurs  voulaient  consacrer  h 
l'inslruclion  populaire  une  partie  des  revenus  confisqués  au  clergé 
calliulique.  (NV.  Scott.  «  Hisl.  d'Irlcosse  »,  2*  série,  p.  17,  8.) 

2.  Tfn'  Scw  Stufislicai  Account  of  Scollami,  part.  I  :  Jt'dburgh. 

.  3.  .Vu  dire  du  Dr.  Somcrville  qui,  nommé  en  1715  miuislre  de  Jedburgh, 
y  retrouva  d'anciens  camarades  du  pdète.  —  Mr.  Lo^ie  Robcrtson  précise 
davantage  et  inditpie,  comme  consacrée  A  Técole,  la  seule  chapelle  de 
Sainl-.MarY.  Cela  est  d'aulant  plus  vraisemblable  que  le  magnifique  vais- 
seau de  Jedburgh  Abbey  a  13U  pieds  de  longueur. 


L'ENFANCE  ET  L'aDOLESCENCE.  17 

de  celte  période  de  la  vie  du  jeune  Thomson  ne  nous  montre 
pas  chez  lui  un  goût  très  vif  pour  Fétude  des  langues  mortes. 
«  Maudite  soit  la  Tour  de  Babel!  i»  disait-il  un  jour  à  demi- 
voix.  Le  maître  Ten tendit  et  lui  demanda  ce  qu'il  entendait  par 
là.  «  Sans  la  Tour  de  Babel,  répondit-il,  on  n'aurait  pas 
«  à  appi*endre  de  langues  *  I  d 

C'était  donner  de  lui  une  fôcheuse  idée  au  digne  professeur; 

et  nous  savons  qu'en  effet  celui-ci  ne  voyait  en  James  qu'un 

élève  fort  ordinaire.  Mais  cette  opinion  n'était  pas  celle  de  tous 

les  hommes  qui  connaissaient  l'enfant.  Mr.  Robert  Riccaltoun, 

un   des  amis  de  Thomas  Thomson,  exploitait  une  ferme  à 

E^arlshaugh,  dans  la  paroisse  de  Ilobkirk,  très  voisine  de  South- 

dean.  C'était  un  homme  jeune  (il  n'avait  que  neuf  ans  de  plus 

que  James),  qui  venait  de  recevoir  l'éducation  de  l'Université, 

et  qui  du  reste,  renonçant  à  sa  première  carrière,  entra  plus 

tard  dans  le  ministère  ecclésiastique  *.  Riccaltoun  avait  de 

bonne  heure  deviné  chez  le  jeune  James  une  intelligence  d'élite. 

Il  s'était  offert  à  surveiller  et  à  diriger  ses  études  dès  le  jour 

où  l'enfant  fut  envoyé  à  cette  école  de  Jedburgh  où  lui-même 

avait  été  élève.  Le  premier  en  date  des  biographes  de  Thomson, 

Shiels,  insiste  sur  ce  fait  que  Riccaltoun  (il  l'appelle  Hickerton) 

appréciait  le  talent  poétique  de  son  jeune  ami  et  croyait  pour 

lui  à  un  brillant  avenir,  alors  que  le  maître  de  l'école  ne 

voyait  en  son  élève  qu'un  esprit  au-dessous  de  la  moyenne'. 

L'intelligent  et  serviable  fermier  de  Earlshaugh  fit  partager  à 

d'autres  la  bonne  opinion  qu'il  avait  du  médiocre  écolier. 

Quelques-uns  des  personnages  marquants  du  pays,  sir  (lilbert 

Elliot  *,  de  Minto,  chez  qui  l'oncle  et  le  cousin  de  James  étaient 

jardiniei*s,  Mr.  Haliburton,  de  New-Mains,  qui  hal)itait  Dry- 

burgh  ',  et  sir  William  Bennel,  de  Chesters  dans  le  voisinage 

1.  Cité  par  Robert  Bell  d*après  les  manuscrits  laissés  par  le  Dr.  Soiner- 

ville. 

2.  II  devint,  en  1725,  Tannée  même  où  Thomson  qiiilta  lÉi^osse,  ministre 
de  la  parosse  do  Hobkirk  où  se  trouvait  sa  ferme  d'Karlsliaii^h. 

3.  Monlhbj  Revieii\  vol.  IX,  p.  481. 

4.  Le  Rrand-pèrc  de  lord  Minto. 

5.  C*est  là,  d'après  lord  Bnchau  qui  fut  le  propriétaire  du  domaine,  que 
Thomson  aurait  écrit  ses  premiers  vers.  Ainsi  s'cxpiiqucraienl  à  la  lettre 
les  mots  du  poète  : 

«  The  Tweed  (pure  parmi  stream 
Wiiose  pastoral  banks  first  heard  my  Doric  reed;.  » 

{Aulumn,  v.  889,  800.) 

6) 


18  JAMES  TnONSON. 

immédiat  de  Southdean,  encourageaient  les  efforts  du  jeune 
poète,  et  le  recevaient  chez  eux  avec  une  gracieuse  afTabilité, 
Quelques-uns  d'entre  eux  cultivaient  aussi  la  poésie.  Sir  Wil- 
liam Bennet  faisait  des  vers  et  recherchait  à  Edimbourg  h 
société  de  ces  gens  d'esprit  et  de  ces  poètes  dont  Allan  Ramsay 
était  le  plus  en  vue  *.  Quant  à  Riccaltoun,  ses  talents  poéti- 
ques étaient  d'ordre  vraiment  élevé  *.  Il  a  eu  le  grand  hon- 
neur de  fournir  à  Thomson,  non  seulement  des  avis  et  des 
encouragements  précieux,  mais  môme  le  modèle  ou  au  moins 
l'exemple  qui  a  décidé  le  poète  à  entreprendre  son  œuvre 
capitale. 

Nous  pouvons  donc  assez  bien  imaginer  quels  furent  les 
occupations,  les  plaisirs  et  les  travaux  de  James  pendant  ces 
trois  années.  D'une  part  cette  routine  do  l'école  à  laquelle  i 
apportait  peu  de  zèle  et  où  il  ne  réussissait  guère;  et,  d'autri 
part,  de  nombreuses  heures  données  avec  enthousiasme  à  Is 
production  de  poésies  variées.  Ses  camarades  et  son  maître  U 
jugeaient  peu  intelligent  puisqu'il  s'acquittait  moins  bien  qxu 
beaucoup  d'autres  des  exercices  où  s'alimentait  le  travail  d< 
l'école.  11  prenait  son  parti  sans  mauvaise  humeur  de  ces  opi- 
nions défavorables,  et  jouissait  à  plein  cœur  des  plaisirs  que 
lui  offrait  la  vie.  C'était  en  première  ligne  le  charme  des  lieux, 
de  toutes  ces  parties  du  Roxburghshire  qu'il  parcourait  suc- 
cessivement dans  ses  visites  à  ses  patrons  et  à  ses  amis,  de  ce 

1.  Sir  Gilbert  Klliol  Ht  au  moins  souche  de  poètes.  Le  troisième  baronet, 
un  autre  sir  Gilbert  KUiot  (1722-1177),  est  Tauteur  d'une  charmante  chan- 
son pastorale,  et  sa  sœur,  miss  Jane  Klliot,  a  laissé  une  ballade  patrio- 
tique. Tfie  Flowers  of  ihe  Forest,  t\u\  n'est  pas  oubliée.  (Voir  Chamber*g 
Cyclopœdia,  I,  713.) 

2.  Robert  Riccaltoun  (dont  le  nom  se  rencontro  sous  bien  des  formes 
variées,  Rickleton,  Rickerton,  etc.),  né  en  11)91,  mourut  le  17  septembre  1769. 
Deux  ans  après,  ses  (uuvres  furent  publiées  fi  Edimbourg  en  3  vol.  in-8. 
Ce  recueil  ne  renferme  pas  de  poésies;  c'eût  été  donner  un  caractère  trop 
léger  aux  productions  d'un  ministre  de  TÉglise  presbytéricnue. 

La  pièce  de  vers  qui  inspira  ii  Thomson  Tidée  de  son  premier  poème  a 
pour  titre  A  Winters  I)ay.  Mlle  parut  d'abord  anonymement  dans  un 
Miscdlany  de  Savage  en  1726.  et  fut  allribnéc  à  Mallct.  lOllo  fut  reproduite 
dans  le  Gcnileman^s  Magazine  eu  17  tO  (p.  2.jC)  sous  ce  titre  :  •  A  Winter's 
Day  written  by  a  Scotrh  clcrgyman,  corrccted  by  an  eminent  Hand  •.  Dans 
un  numôro  de  mai  18'i3  du  Gentleman  s  Muf/azine,  P.  Cunniugliam  reprend 
pour  son  compte  l'attribution  à  Mallet.  Mais  l'autorité  de  Thomson  lui- 
même  résout  la  question  sans  laisser  de  doute  :  «  Mr.  Riccaltoun's  Poem 
on  Winter,  which  l  still  bave,  llrst  put  the  design  into  my  head.  In  itarc 
some  maslerly  strokes  that  awakened  me  ».  (Lettre  au  Dr.  Cranstoun,  de 
septembre  172.'>.) 


l'enfance  et  l'adolescence.  19 

district  du  Teviotdale  si  riche  en  bois,  en  eaux  et  en  rochers, 
de  cette  vieille  et  pittoresque  petite  ville  de  Jedburgh  avec  ses 
ruines  dont  Tune  remonte  au  x*  siècle,  avec  son  imposante 
abbaye  et  son  château,  avec  les  souvenirs  évoqués  par  cette 
maison  restée  intacte  depuis  le  temps  où  Marie  Stuart  malade 
y  séjourna  '  ;  de  ce  Jedburgh  qui  plus  tard  faisait  sur  un  autre 
grand  poète  une  si  frappante  impression  :  «  Situation  char- 
t  mante  et  romantique;...  des  jardins  et  des  vergers  mêlés  aux 
€  maisons— de  vieilles  et  nobles  ruines  —  une  cathédrale  autre- 
«  fois  magnifique,  et  un  château  fort.  Toutes  les  villes  ont  dans 
•  cette  région  un  air  de  grandeur  antique  et  rude....  Le  Jed  est 
<  une  petite  rivière  pittoresque....  Nous  en  avons,  avec  quelques 
«  dames,  suivi  la  rive  en  amont  pour  voir  Love-lane,  et  Black- 
t  burn,  deux  sites  féeriques  *.  »  C'étaient  aussi  les  joies  de  la 
tiraille.  Il  les  goûtait  vivement,  et  nous  verrons  avec  quelle 
P^ine  il  put  se  décider  un  peu  plus  tard  à  s'éloigner  des  siens  '. 
C'étaient  enfin  les  satisfactions  de  sa  jeune  ambition  poétique, 
et  les  encouragements  flatteurs  des  patrons  auxquels  il  mon- 
trait ses  vers.  De  ces  premiers  essais  un  certain  nombre 
nous  sont  parvenus.  On  les  trouvera  étudiés  à  leur  place  dans 
l'œuvre  du  poète.  Ils  sont  intéressants  si  nous  y  cherchons, 
sous  les  inexpériences  d'un  écrivain  de  quatorze  ans,  et  sous 
les  réminiscences  classiques,  le  germe  des  qualités  que  mani- 
festera plus  tard  l'auteur.  En  eux-mêmes,  ils  sont  de  peu  de 
valeur.  On  eût  pu  craindre  que  l'indulgente  approbation  de 
Patrons  trop  bienveillants  ne  développât  chez  le  jeune  homme 
'ïne  vanité  dangereuse  pour  son  talent  même.  Heureusement 
*1  nnontrait,  dès  ce  moment,  une  sûreté  de  goût  plus  rare  que 
le  don  précoce  de  mettre  sur  pieds  quelques  vers.  Il  ôtait  pour 
'^'-méme  plus  sévère  qu'on  ne  l'était  autour  de  lui;  et,  le 
PJ^mier  jour  de  chaque  année  nouvelle,  il  brûlait  les  produc- 
^ons  de  l'année  écoulée.  La  cérémonie  s'accomplissait  avec 

L  The  New  Stalisiical  Account  of  Scotlami,  part  I  :  Jedburgh. 
S.BcRHS,  The  BoMer  Tour,  May  1187  (The  Works  of  Roi).  Burns,  with  his 
^fe.  by  Alian  Cunningham,  in  8  volumes,  London.  183i,  vol.  VIII). 

3.  Bieu  des  années  plus  tard,  quand  lui-uiôme  était  très  proche  de  sa  fin, 
voici  comment  il  parlait  d'eux  :  «  Puisque  nos  bons,  nos  tendres  parents 
n'oDt  pas  assez  longtemps  vécu  pour  recevoir  les  témoignages  de  celte 
extrême  reconnaissance  que  je  leur  devais  (et  rien  n'aurait  pu  me  causer 
»n  plaisir  égal  à  celui-là),  le  seul  retour  que  je  puisse  aujourd'hui  leur 
donner,  c'est  Taffection  envers  ceux  qu'ils  ont  laissés  derrière  eux....  » 
•Lettre  à  sa  sœur,  Mrs.  Thomson  de  Lanark,  du  4  oct.  1147.) 


20  JAMES  THOMSON. 

une  certaine  solennité.  Les  pièces  étaient  détruites  dans  l'ordre 
où  elles  avaient  été  composées;  et,  pour  faire  aux  poésies 
sacrifiées  de  poétiques  funérailles,  Tauteur  consignait  le  sou- 
venir de  chacune  d'elles  dans  une  pièce  humoristique  où  il 
énonçait  les  motifs  qui  justifiaient  l'éxecution  *. 


IV 


Le  moment  vînt  où  d'autres  études  appelaient  le  jeune  éco- 
lier. Le  révérend  Thomas  Thomson  destinait  son  fils  à  la 
carrière  qu'il  avait  embrassée  lui-même.  C'était,  de  fait,  la 
seule  qui  fût  ouverte  à  James,  s'il  ne  voulait  pas  redescendre 
à  ces  métiers  manuels  où  se  trouvaient  confinés  tant  d'autres 
membres  de  sa  famille.  Il  fallait  donc  dire  adieu  à  ses  parents, 
à  Southdean  et  à  Jedburgh,  aux  amis  et  aux  lieux  où  son  cœur 
s'était  attaché  pour  aller  faire  à  Edimbourg  le  long  apprentis- 
sage du  ministère  ecclésiastique.  En  1715  *,  il  partait  pour 
l'université.  Une  tradition,  qui  nous  a  été  rapportée  par  un 
successeur  de  Thomas  Thomson  à  Southdean  %  témoigne  du 

d.  Quelques-unes  de  ces  pièces  ont  échappé  h  l'autodaré  annuel  parce 
que  leurs  destinataires  les  onl  conservées.  La  plupart  ont  été  rappelées  à 
la  vie  dans  la  <-ircunstaucc  suivante  :  après  1726,  Thomson,  lié  d'amitié 
avec  le  jeune  lord  George  Graham,  fui  prié  par  lui  d'écrire  et  de  lui 
donner  ceux  de  ces  poèmes  de  son  enfance  dont  il  avait  pu  conserver  le 
souvenir.  II  s'exécuta  avec  bonne  humeur  et  avec  celte  ténacité  de  mémoire 
dont  un  poMe  fait  preuve  même  envers  les  plus  dédaignées  de  ses  pro- 
ductions. Une  petite-fille  de  ce  premier  possesseur,  miss  Graham,  lit  don  du 
recueil  à  lord  Buehan;  celui-ci  le  communiqua  à  Mr.  William  Goodhugh  qui 
inséra  plusieurs  de  ces  pièces  dans  The  Enf/lish  Gentleman  s  Library  ManuaL 

2.  Au  mois  de  mars,  dit  sir  Harris  Nicolas;  vers  la  tin  de  Tannée,  dit 
Mr.  Logie  Robertson.  —  Il  est  probable  cependant  que  la  date  ne  fut  pas 
postérieure  à  la  lin  d'août.  Dès  le  début  de  septembre  (1715)  l'insurrection 
jacobite  est  devenue  inquiétante.  La  chasse  de  Uraemar,  la  tentative  sur 
le  chdteau  d'Kdimbourg  ont  eu  lieu  déjà.  Le  Teviotdale  s'occupe  d'orga- 
niser la  résistance;  sir  William  Hennel  s\mit  au  duc  de  Roxburgh  pour 
lever  et  organiser  quatre  compagnies.  —  On  peut  croire  que  c'est  avant 
ces  troubles  que  le  jeune  Thomson  fut  envoyé  à  la  capitale.  (Voir  Walter 
Scott,  -  Uist.  d'Ecosse  •,  2=  série,  p.  84-103.) 

3.  Mr.  Hichmond.  L'anecdole  figure  d'abord  dans  le  •  Dictionnaire  bio- 
graphique des  l^^cossais  éuiinents  »  de  Charnbers.  (Nous  devons  à  la  vérité 
de  dire  que  cette  origine  ne  lui  constitue  pas  un  titre  indiscutable  d'au- 
thenticité.) C'est  lii  que  Ta  recueillie  IIowit  [Homes  and  Ilaunts)  qui  la  cite, 
p.  215. 


l'enfance  et  l'adolescence.  21 

chagrin  causé  à  Tenfant  par  cette  séparation.  Il  s'était  mis  en 
route,  voyageant  en  croupe  derrière  un  homme  du  pays  en 
qui  le  père  avait  toute  confiance,  et,  dans  cet  équipage,  il  était 
arrivé  à  la  ville.  Mais  bientôt,  incapable  de  se  faire  à  Tidée  de 
cette  vie  nouvelle,  il  avait  repris  la  route  récemment  parcourue. 
Il  était  bon  marcheur,  et  le  cavalier  sans  doute  avait  prolongé 
son  séjour  dans  la  ville,  si  bien  que  Tenfant  reparut  le  pre- 
mier au  village,  protestant  qu'il  pourrait  aussi  bien  étudier 
c  sur  les  coteaux  de  Southdean  *  »  qu'à  Edimbourg. 

Son  instinct  de  poète  ne  le  trompait  pas  entièrement.  Quels 

instructeurs  pouvaient  valoir  mieux  que  ces  maîtres  muets 

auxquels  un  autre  grand  poète  formé  par  eux  a  rendu  un 

reconnaissant  hommage! 

«Pour  le  jeune  homme  grandissant,  quelle  àme  se  for- 

<  mait,  quand  du  sommet  nu  de  quelque  hardi  promon- 
(  toire,  il  voyait  le  soleil  se  lever,  et  baigner  le  monde  de 
t  lumière.  Il  regardait;  Tocéan  et  la  terre,  la  solide  structure 

<  de  la  terre,  et  la  masse  liquide  de  l'océan,  s'étendaient  au- 
t  dessous  de  lui  dans  l'allégresse  et  la  joie  profonde.  Les 
t  nuages  étaient  touchés,  et  dans  leurs  faces  silencieuses  il 
*  lisait  un  amour  inexprimable.  Il  n'était  pas  besoin  de  son, 
^  ni  de  voix  pour  cette  joie;  son  esprit  buvait  le  spec- 
«  tacle  *.  D 

Mais  ces  maîtres  et  leur  enseignement,  admirablement  pro- 
pres sans  doute  à  former  l'âme  et  le  cœur  d'un  ministre  de 
''Évangile,  ne  fournissaient  pas  ces  connaissances  exactes 
qu'exigeaient  les  examens  de  l'université.  Thomas  Thomson 
passa  outre  à  TafTectueuse  et  poétique  protestation  de  son  fils, 


1.  «  Oa  the  braes  of  Soud'en  »,  dit  une  version,  •  on  the  baughs  of  Sudan  •, 
<lit  une  autre. 

2.  ....  For  the  growing  youth, 

What  80ul  was  bis,  when  from  the  naked  top 

Of  9omc  bold  beadland,  be  bebeld  Ihe  sun 

Rise  op,  and  batbc  tbe  worldin  llght.  He  looked  — 

Occan  and  eartb,  the  8oIid  frame  of  carth. 

And  Ocean*s  liqnid  ma^s,  benealb  him  lay 

In  gladness  and  deep  joy.  The  clouds  were  toucbed, 

And  in  tbeir  silent  faces   did  be  read 

Unutterable  love.  Sound  necded  none, 

Nor  any  voice  of  joy;  bis  spirit  drauk 

Tbe  spectacle.... 

(WORDSWORTII.) 


a  JAMES  THOMSON. 

et  James  dut  retourner  à  l'Université  avec  l'assurance  qu'il  y 
faudrait  rester. 

Edimbourg,  qui  paraît  au  touriste  une  des  villes  les  plus 
pittoresques  de  l'Europe,  frappait  l'enfant  d'une  tout  autre 
façon.  Ce  qu'il  y  voyait  d'abord,  c'étaient  ces  accumulations 
pressées  de  maisons  monstrueuses,  ces  a  lands  »  où  les  habita- 
tions s'élevaient  jusqu'à  une  hauteur  de  douze  étages;  c'étaient 
les  ruelles  étroites,  ces  «  wynds  »  et  a  closes  d  obscurs,  qui 
tournaient  et  dévalaient  entre  les  bâtisses  énormes.  Pour  cet 
enfant  des  grands  horizons  et  des  campagnes  baignées  de 
lumière,  le  séjour  de  «  auld  Reekie  »,  la  Vieille  Enfumée, 
devait  paraître  oppressant  et  lugubre,  comme  une  cage  sombre 
à  une  libre  alouette.  —  Les  descriptions  détaillées  de  la  vieille 
capitale  écossaise  ne  manquent  pas.  Un  récent  ouvrage  fran- 
çais *  a  consacré  plusieurs  pages  brillamment  colorées  à  l'as- 
pect général  de  la  ville,  et  aux  nombreux  monuments  qui 
bordent  la  rue  fameuse  de  lligh  Street,  comme  autant  de 
tombeaux  d'une  «  Via  sacra»  dont  chacun  enferme  un  fragment 
du  passé.  On  peut  se  reporter  à  ce  tableau  fait  de  main  de 
maître,  pour  se  figurer  l'Edimbourg  de  1715.  Il  faudrait  seu- 
lement imaginer  la  ville  un  peu  plus  étroite  et  plus  obstruée 
qu'elle  n'était  à  la  fin  du  siècle.  La  longue  voie  formée  par 
High  Street  et  la  Canongate  était  encore  coupée  en  deux  par 
la  a  Netherbow  Port  »  qui  fut  démolie  en  176i.  C'était  une 
porte  monumentale  qu'avaient  élevée  en  16CK)  les  partisans 
de  la  reine  Marie-Stuart.  Avec  ses  deux  étages,  ses  toui'S,  son 
faîte  crénelé,  sa  flèche  centrale,  au-dessus  d'une  porte  aux 
vantaux  ouvragés,  elle  occupait  toute  la  largeur  de  la  voie, 
immédiatement  au-dessus  de  «  Leith  Wynd  »  et  de  a  St-Mary's 
Wynd  ».  Un  guichet  de  la  tour  du  Sud  donnait  passage  aux 
piétons  *. 

Le  jeune  Thomson  était  moins  sensible  au  charme  de 
toutes  ces  lignes  et  de  toutes  ces  couleurs  combinées  de 
façon  capricieuse  et  hardie  qu'à  l'incommodité  de  tous  ces 
legs  du  passé.  Il  ne  soupçonnait  pas  qu'à  un  de  ses  parents 
ino^iberait  un  jour  la  tâche  de  faire  tomber  les  murs  entre 
lesquels  étoun*ait  Edimbourg,  et  l'honneur  de  créer  autour  de 


1.  Alg.  ANOELLiEn,  Robert  IturnSj  l.  1,  chap.  iv.  p.  174-180. 

2.  H.  Abxot,  The  Histonj  o.r  Ediiihurgh.  p.  23«.  238. 


L'ENFANCE  ET  L'aDOLESCENGB.  23 

la  vieille  et  pittoresque  forteresse  une  ville  nouvelle  largement 
ouverte  à  Tair  et  à  la  lumière  ^ 

Il  commençait  donc  à  suivre  les  études  de  l'Université,  souf- 
frant de  la  nostalgie  de  ses  chères  campagnes  du  Teviotdale. 
Mais  il  oublia  bientôt  ces  premières  amertumes  de  la  vie  :  il 
n'allait  pas  tarder  à  en  connaître  les  douloureuses  blessures. 
Quelques  mois  après  son  arrivée  à  Edimbourg,  en  février  1716, 
il  perdait  son  père  dans  des  circonstances  singulières  et  tra- 
giques. Nous  reproduisons  le  récit  de  l'événement  tel  que  Ta 
donné  le  Dr.  Somerville,  parce  qu'elles  n'ont  pas  été  sans 
influer  sur  la  destinée  de  James  Thomson.  Elles  jettent  d'ail- 
leurs une  lumière  imprévue  sur  certain  état  d'esprit  des  con- 
temporains écossais  de  ces  Anglais  dont  Montesquieu  et  Vol- 
taire admiraient  si  vivement  la  saine  et  libre  raison. 

«  La  croyance  aux  fantômes,  aux  sorcières,  aux  fées  était  si  géné- 
rale au  commencement  de  ce  siècle  qu'on  eût  considéré  comme 
hérétique  uq  prêtre  qui  aurait  mis  eu  doute  Texistence  de  ces  êtres, 
on  même  leur  intervention  directe  *.  Une  des  dernières  apparitions  de 
ces  agents  redoutables  eut  lieu  à  Woolie,  dans  la  paroisse  de  South- 
dean....  Mr.  Thomson,  le  père  du  poète,  consentit  à  essayer  de  con- 
jurer Tesprit  mauvais....  Mais  à  peine  avail-il  commencé  les  prières 
qu'une  boule  de  feu  vint  le  frapper  à  la  têle.  Saisi  de  frayeur,  il  ne  put 
prononcer  un  mot  de  plus.  On  le  transporta  chez  lui  où  il  languit 
<iuelque  temps  et  enfin  expira.  » 

H  avait  cinquante  ans,  et  apparemment,  une  vigoureuse 
s^té.  L'attaque  d'apoplexie  qui  l'a  terrassé  semble  à  notre 
^riosité  sceptique  pouvoir  s'expliquer  par  l'émotion  et  la 
frayeur  '.  L'honnête  pasteur  fut  enterré  dans  le  cimetière  de 
^  paroisse  où  des  soins  pieux  ont  restauré,  il  y  a  vingt-cinq 

f.Mary,  la  plus  jeune  sœur  de  Thomson,  avait  épousé  en  premières  noces 

William  Craig,  négociant  à  Edimbourg,  et  ensuite  un  certain  Mr.  Thomson. 

Son  fils,  James  Craig,  fut  architecte  et  ingénieur.  C'est  lui  qui  arrêta  le 

projet  d'agrandissement  et  d'assainissement  d'Kdimbourg,  et  qui  donna 

les  plans  de  la  Ville  Neuve. 

2.  «In  1678  his  Majesty's  advocate  could  prosecule,  PiTteen  impartial 
jurymen  convict,  and  the  suprême  judgcs  of  the  nation  condcmn  lo  tUe 
Haines,  ten  women  in  one  day,  for  having  had  carnal  copulation  with  the 
deril.  »  (Ar50t,  The  Uiaiory  of  Edinburgh,  p.  194.) 

3.  Oa  a  même  mis  en  doute  le  fait  qui  aurait  donne  naissance  à  la  lé- 
gende. Cependant  Taffirmation  de  Somerville  est  péremptoire,  et  trouve 
quelque  confirmation  dans  ce  fait  qu'on  démolit  à  Woolie  (ou  Wolflca)  une 
Diaisoo  parce  qu'elle  était  hantée. 


24  JAMES  THOMSON. 

ans,  sa  tombe  modeste/et  remplacé  par  une  plaque  de  bronze 
l'inscription  devenue  illisible  *. 

James  arriva  trop  tard  pour  recevoir  le  dernier  soupir  de  ce 
père  auquel  rattachait  une  affection  profonde.  Il  ressentit  un 
chagrin  violent  et  un  ébranlement  nerveux  qui  laissa  des 
traces  prolongées.  C'est  depuis  ce  temps-là  qu'il  manifesta,  au 
dire  de  son  intime  ami  Cranstoun,  une  crainte  superstitieuse 
des  êtres  surnaturels.  Il  ne  pouvait  rester  la  nuit  seul  et  sans 
lumière;  et  son  camarade  de  chambre  nous  rapporte  comment 
cette  faiblesse,  pour  nous  très  explicable,  offrait  à  ses  compa- 
gnons une  occasion  de  cruelles  moqueries  *. 

James  reprit  donc  avec  une  tristesse  nouvelle  sa  vie  d'études, 
et  sa  chambre  dans  une  sombre  ruelle  de  la  capitale.  Sa  mère 
ne  l'y  laissa  pas  longtemps  isolé.  Elle  hypothéqua  ses  droits  à 
la  propriété  de  Widehope,  réalisa  ainsi  une  certaine  somme, 
et  vint  avec  toute  sa  famille  s'établir  à  Edimbourg.  Elle  savait 
que  les  difficultés  '  de  la  vie  y  seraient  plus  grandes  qu'à 
la  campagne,  mais  elle  ne  voulait  pas  que  les  études  de  son 
fils  favori  fussent  suspendues.  Elle  réussit  en  effet,  à  force 
d'activité  et  d'économie,  à  faire  vivre  les  siens  avec  ses  modi- 
ques ressources.  Quelques  amis  de  son  mari  l'aidèrent  de  leurs 
avis,  peut-être  aussi  de  secours  plus  directs.  Murdoch  a 
signalé  en  particulier  le  dévounient  actif  de  Mr.  Gusthart,  et 
nous  savons  par  des  lettres  de  Thomson  lui-même  que,  dix 
ans  après  la  mort  de  leur  mère,  deux  sœurs  du  poète  trouvaient 
encore  chez  ce  vieil  ami  une  affectueuse  hospitalité  *. 

Quant  aux  études  de  la  Faculté  des  Arts,  qui   étaient  la 


1.  Ooodliugh  constatait  en  4827  que  Tinscription  était  ù  demi  cfTacée, 
En  1867,  les  Heritors  (propriétaires)  de  la  paroisse  ont  recouvert  le  moiiii- 
ment  d'une  plaque  de  cuivre  rappelant  que  Th.  Ttioinson  fui  le  père  de 
Tauteur  des  •  Saisons  >•. 

2.  Le  fait  est  rapporté  par  le  Dr.  Somerville  qui  le  tenait  de  John  Crans- 
loun,  le  frère  du  Dr.  Wil.  Cranstoun,  rinlime  ami  du  poète.  Johii  avait 
vécu  quelque  temps  à  Edimbourg,  partageant  avec  Thomson  la  même 
chambre. 

3.  Les  conditions  de  la  vie  passaient  pour  être  onéreuses  à  Edimbourg. 
Les  documeuts  du  temps  nous  apprennent  cependant  que  la  viande  s'y 
payait  en  moyenne  2  penre  2  farthings  la  livre;  qu'où  y  pouvait  acheter 
une  poule  pour  u  pence  et  une  paire  de  pigeous  pour  2  pence  2  farthings. 
(\'oir  11.  An.NOT,  The  Ui^tortj  of  Edinburqh.  Tableau  des  prix  des  provisions 
dé  1605  ù  1715.) 

4.  Lettre  à  Mr.  Ross,  du  6  nov.  1736.  Lettre  à  Mr.  Gavin  Hamilton, 
fév.  1737. 


L*ENFANCE  ET  L'ADOLESCENCE.*  25 

préface  obligée  des  études  religieuses,  elles  plaisaient  au 
jeune  homme  aussi  peu  que  renseignement  de  la  n  grammar 
school  »  auquel  elles  faisaient  suite.  Le  latin  restait  la  partie 
principale  des  programmes.  Le  grec  y  oœupait  aussi  une  place 
importante;  mais  la  langue  nationale  n'y  était  guère  consi- 
dérée comme  un  objet  d'étude.  Les  humanités  classiques 
avaient  autrefois  été  cultivées  en  Ecosse  avec  un  grand  éclat. 
Mais  au  commencement  du  xvni°  siècle  a  les  Écossais,  nous 
4L  dit  le  Dr.  Aikin,  avaient  perdu  leur  supériorité  en  latinité  et 
c  n'avaient  pas  encore  appris  l'anglais  »  ».  Thomson  suivait 
donc  le  cours  d'études  de  la  Faculté,  avec  une  assiduité  dont 
le  résultat  est  apparent  dans  sa  sûre  connaissance  des  langues 
et  des  littératures  anciennes,  mais  sans  ombre  d'enthousiasme. 
Ici  comme  à  Jedburgh  il  fait  à  ses  maîtres  et  à  ses  camarades 
l'effet  d'un  élève  médiocre  et  d'intelligence  assez  terne.  Il 
semble  se  porter  avec  plus  de  goût  vers  l'étude  des  sciences 
naturelles  qui  commence  à  ce  moment  même  à  prendre  une 
place  importante  dans  l'université.  Tandis  que  l'enseignement 
littéraire  y  demeurait  exclusivement  et  étroitement  attaché 
aux  langues  anciennes,  Edimbourg  s'ouvrait  plus  facilement 
que  les  universités  anglaises  à  l'influence  de  la  science  telle 
que  Newton  la  renouvelait  et  la  vivifiait.  On  s'y  livrait  avec 
ardeur  à  l'étude  des  mathématiques  et  des  sciences  naturelles. 
Le  programme  de  la  4"  année  du  a  curriculum  »  de  la  Faculté 
des  Arts  leur  est  presque  entièrement  consacré.  Une  école  de 
médecine  est  ajoutée  aux  Facultés  en  1710.  La  correspondance 
de  Thomson  pendant  ces  années,  mais  surtout  son  œuvre 
poétique,  attestent  l'intérêt  qu'il  trouvait  aux  grandes  spécu- 
lations scientifiques  appuyées  sur  l'observation  de  la  nature  *. 


Le  travail  ordonné  et  contrôlé  à  la  Faculté  n'absorbait  pas 
^n  entier,  ni  même  pour  la  meilleure  partie,  l'activité  de  son 
esprit .   Il   lisait  assidûment  ces  grands  écrivains   auxquels 

1.  Voir  aussi  Allan  Cunhinghah,  «  Vie  de  Thomson  »,  el  Jeffrey  dans  un 
article  de  la  Revue  d'Edimbourg,  t.  XVIII,  p.  80,  82. 

2.  Voir  plus  loin  sur  la  science  dans  le  poème  des  <i  Saisons  »,  deuxième 
partie,  liv.  1,  chap.  vi. 


S6  JAMES  THOMSON. 

TAcadémie  ne  reconnaissait  point  un  rang  parmi  les  classi- 
ques, et  c'est  de  ces  années  que  date  sa  familiarité  intime  avec 
les  œuvres  de  Spenser,  de  Shakespeare  et  de  Milton.  Il  n'était 
pas  le  seul  qui  éprouvât  le  besoin  d'élargir  ainsi  le  programme 
étriqué  de  l'Université.  Parmi  les  camarades  qui,  comme  lui, 
se  destinaient  au  ministère  ecclésiastique,  il  s'en  trouvait  plu- 
sieurs que  les  scrupules  de  l'église  presbytérienne  n'arrê- 
taient pas,  et  qui  cherchaient,  dans  les  œuvi'es  des  grands 
poètes  anglais,  un  aliment  à  ce  besoin  d'admiration  et  d*ea 
thousiasme  qui  agite  des  cœurs  de  vingt  ans. 

La  sévère  discipline  de  l'Église  ne  suffisait  plus  d'ailleurs  à 
réprimer  ces  aspirations  vers  le  beau,  vers  le  mouvement  et 
vers  les  séductions  de  l'art.  Des  sociétés  se  formaient  parmi 
les  jeunes  gens  d'Edimbourg  pour  professer  en  commun  ce 
goût  nouveau  de  la  poésie.  Les  poètes  commençaient  à  se  mon- 
trer, chaque  jour  plus  nombreux,  et,  parmi  eux,  un  au  moins, 
AUan  Ramsay,  a  mérité  de  conserver  une  place  élevée  dans 
rhistoiœ  de  la  littérature  écossaisse.  La  contagion  se  répand 
en  ce  moment  parmi  les  élèves  de  TUniversité,  parmi  les  can- 
didats au  sacerdoce,  parmi  les  ministres  même,  en  dépit  des 
anathèmes  de  l'Église.  En  1719,  cinq  jeunes  gens  publient 
ensemble  à  Edimbourg  cinq  traductions  de  TÉpître  à  Néron 
d'Horace  *.  Leurs  maîtres  durent  trouver  que  c'était  faire  un 
fâcheux  emploi  de  leur  talent  de  latinistes.  D'autres  produc- 
tions, de  nature  plus  variée,  font  leur  apparition  à  ce  moment. 
Plusieurs  ont  pour  auteurs  des  étudiants  de  la  Faculté  de  Théo- 
logie. Nous  savons  déjà  par  l'exemple  de  Riccaltoun,  nous 
verrons  encore  par  celui  d'autres  amis  de  James  :  Cranstoun, 
Wilson,  Murdoch,  etc.,  que  chaque  jour  se  glissent  dans  les 
rangs  du  clergé  presbytérien,  des  hommes  qui  prétendent 
allier  à  la  foi  religieuse  l'amour  des  lettres. 

Le  jeune  Thomson,  on  le  croira  sans  peine,  se  joignit  avec 
ardeur  à  ce  mouvement  nouveau.  Il  était  arrivé  à  Edimbourg 
précédé  de  quelque  réputation  *.  M.  William  Bennet  avait  sans 
doute  parlé  déjà  à  ses  amis  du  précoce  poète  dont  s'enorgueil- 
lissait la  vallée  du  Jed.  James  trouva  donc  facilement  accès  à 
ces  clubs  où  Ton  faisait  métier  de  poésie,  et  nous  savons  qu'il 


1.  J.  Ramsay,  Scotland  artd Scolsmen  in  thn  XVIll^'^  centunj^  p.  21. 

2.  Allaw  Comnciiam,  «  Vie  de  Thomson  »,  p.  xiv. 


l'enfance  et  l* adolescence.  il 

fit  partie  du  c  Grotesque  Club  x>  et  de  V  a  Athenian  Society  ». 
Nous  sommes  tentés  de  croire  que  la  première  de  ces  sociétés 
o'était  pas  composée  des  adeptes  les  plus  fervents  de  la  muse. 
Oo  devait  s*y  occuper  autant  de  c  charges  m  et  de  bruyantes 
gaités  que  de  strophes  et  de  rimes,  et  J.  Mitchell  nous  rapporte 
que  Thomson  y  passait  pour  un  lourdaud  ^  Le  témoignage  est 
suspect,  venant,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  d'un  adver- 
saire assez  violent.  Le  jeune  poète  avait  dans  le  caractère  un 
fonds  de  bonne  humeur  et  de  gaité  communicative  qu'attes- 
tent les  lettres  et  les  poésies  de  cette  période  de  sa  vie;  il  est 
possible  cependant  qu'il  n'ait  pas  fait  preuve  du  genre  d'hu- 
mour qui  était  en  vogue  au  Club  des  Grotesques.  La  Société 
Athénienne  a  laissé  plus  de  traces  de  son  activité  poétique. 
Elle  publia  sous  ce  titre  :  a  The  Edinburgh  Miscellany  x>,  un 
recueil  de  pièces  dues  à  ses  membres.  Les  principaux  collabo- 
rateurs semblent  avoir  été  J.  Mitchell,  Callander,  Symmer, 
David  Malloch  (Mallet),  Hamilton  of  Bangour,  Patrick  Mur- 
doch  ',  le  futur  biographe  de  notre  poète,  et  Thomson  lui- 
même.  Le  recueil  parut  vers  1718  '.  La  deuxième  édition,  qui 
est  de  1720,  renferme  trois  pièces,  signées  T.,  que  nous  devons 
attribuer  à  Thomson.  Elles  ont  pour  titres  :  a  On  a  Country 
Life  by  a  Student  of  the  University  »  ;  —  à  Upon  Happiness  »  ; 
—  «Verses  on  receiving  a  flower  from  his  Mistress  d  *.  Les  deux 
dernières  offrent  peu  d'intérêt.  L'une  est  un  madrigal  assez 
lourd,  et  l'autre  une  froide  épître  pleine  de  lieux  communs 
'^iigieux  et  moraux.  Mais  la  première  et  la  plus  importante 
nous  apprend  quelle  place  continuaient  à  occuper  dans  l'esprit 
du  jeune  poète,  après  plusieurs  années  de  séjour  à  la  ville,  les 
^ïeaux  pittoresques  de  la  campagne,  les  travaux  et  les  scènes 
de  la  vie  des  champs. 

James  cependant  était  arrivé  au  terme  des  études  de  la 
'^ultédes  Arts.  Il  ne  prit  pas,  comme  l'avait  fait  son  père,  le 

^'  •  A  duU  fellow  •,  dit-il  dans   une  IcUre  à  Kerr  que  cite  J.  Ramsay, 
*'^'W  and  Scotsmen,..,  p.  24. 

2.  Xous  retrouverons  la  plupart  de  ces  compagnons  do  jeunesse.  Hob. 
^fniiner  est  devenu  plus  tard  F.  R.  S.;  il  meurt  en  IIBS.  Nous  rencon- 
^'ong  son  nom  dans  la  dernière  lettre  qu'ait  écrite  Thomson  (à  Paterson, 
'^ril  1748).  Le  poète  s'y  félicite  de  voir  Symmer  renoncer  aux  dissipations, 
et  Tenir  s'établir  à  Hanâmersmilh,  à  mi-chemin  entre  Londres  et  Richmond. 

3.  Voir  The  Gentleman*s  Mayazine,  Sew  séries,  vol.  16,  p.  503  et  suiv. 
(article  de  .Mitrord). 

4.  Edinburgh  Miscellany,  2e  éd.,  vol.  1,  p.  193  à  191. 


28  JAMES   THOMSON. 

titre  do.  M.  A.  (Ma^nsler  Artiuiii).  Depuis  plusieurs  années     la 
Faculté    avait   négligé    ses    réunions    régulières;   les  grailes 
n'étaient  plus  accordés  que  comme  une  pure  formalité;    ils 
avaient  dès  lors  perdu  tout  prestige.  Le  nombre  des  étudiants 
consacrés  M.  A.  à  Edimbourg,  qui  était  en  1705  de  105,  dimi- 
nuera peu  à  peu,  à  partir  des  changements  introduits  en  1708 
dans  Torganisation  de  la  Faculté  des  Arts,  pour  tomber  enlin 
au  chiffre  de  3  en  1749.  Ainsi  s'explique  cette  absence  du  titre 
dans  laquelle  Johnson  paraît  voir  une  preuve  de  Findolence 
ou  de  l'incapacité  du  jeune  étudiant.  Devenu  en  1719  élève  de 
la  Faculté  de  Tliéologie,  Thomson  continua  le  genre  de  vie 
qu'il  menait  depuis  plusieurs  années,  partagé  entre  des  tr3-- 
vaux  académiques  où  il  n'apportait  qu*un  zèle  fort  tiède,  et  d^s 
occupations  irrégulières  qui  s'emparaient  chaque  jour  plus 
complètement  de  lui.  Un  certain  nombre  des  pièces  fugitives 
qui  datent  de  cette  époque  nous  sont  conservées;  on  les  trou- 
vera étudiées  à  leur  place  dans  Tœuvre  du  poète.  Elles  tradui- 
sent bien  la  diversité  des  influences  qui  se  partagent  l'esprit 
du  jeune  liomme.  A  côte  d'une  pièce  religieuse  :  A  Paraphrase 
of  Psalm  GIV,  c'est  une  pièce  sentimentale  sur  la  douleur  de> 
l'amant  séparé  de  sa  maîtresse  :  An  Elegy  on  Parting;  à  côtST 
d'un  morceau  inspiré  par  l'amour  de  la  campagne  :  The  Morn'in^ 
in  the  Country,  c'est  une  adresse  à  La  Beauté  ou  au  Vertugadin. 
La  première  lettre  de  Thomson  qui  nous  soit  restée  est  do- 
11  décembre  1720. 11  l'envoie  d'Kdimbourg  à  son  ami  Cranstoun 
qui,  ses  études  de  médecine  terminées,  s'est  établi  à  Ancrum. 
Ces  franches  effusions  avec  un  camarade  de  la  veille  conlir-^ 
ment  exactement  les  suppositions  que  d'autres  renseignements 
pouvaient  suggérer  sur  le  caractère  et  sur  les  goûts  de  nolr^ 
étudiant.  Son  amitié  s'y  exprime  en  accents  chaleureux.  l9 
constate  qu'il  fréquente  peu  «  le  beau  monde  »  d'Edimbourg^ 
11  se  plaint  avec  bonne  humeur  de  manquer  d'élégance,  d^ 
galanterie  et  d'argent;  mais  il  trouve  compensation  à  tout  dand 
l'affection  de  son  ami.  11  apostrophe  les  feunnes  avec  l'ardeur 
d'un  jouvenceau  et  d'un  poète,  et  leur  i*eproche  de  ne  pas 
réserver  toute  leur  admiration  au  génie.  Il  cite  Shakespeare  * 

i.  •  Wil  and  bcaïUy  thus  joined  would  be,  as  Shakespeare  bas  it,  makiog 
honey  a  eaucc  to  siigar.  »  —  C'est  une  adaplatioii  ingénieuse  du  mot  de 
Touchstono  :  «  For  boue^ty  couplcd  to  bcauty  is  lo  bave  honey  a  sauce  lo 
sugar  •.  (AU  is  Well  ihat  Ends  Well,  acte  11,  se.  m.) 


L'ENFANCE  ET  L'âUOLESCENCE.  29 

pour  expliquer  Taveuglement  des  belles,  et  termine  sur  la 
promesse  d'envoyer  bientôt  à  son  correspondant  un  poème 
manuscrit. 

Cranstoun,  paraît-il,  lui  avait  reproché  de  trop  tarder  à  lui 
communiquer  de  nouveaux  travaux  littéraires;  et  Thomson 
s'excuse  en  disant  :  «  Comment  pouvez- vous  attendre  mieux 
t  de  l'amphithéâtre  de  théologie  ou  d'une  Cave  à  deux  pence?  d 
-I  What  can  you  expect  from  the  Divinity  Hall,  or  a  Tipenny 
f  Ceir?  »  Et  plus  loin,  dans  la  même  lettre,  il  parle  des  gens  de 
sa  condition  comme  des  a  humbles  fils  de  Tipenny  d.  Il  y  a  là, 
en  même  temps  qu'un  souvenir  curieux  du  vieil  Edimbourg, 
un  détail  intéressant  sur  la  vie  de  notre  étudiant. 

Les  plaisirs  offerts  aux  jeunes  gens  n'étaient  pas  nombreux 
dans  la  capitale  écossaise.  La  liste  de  ceux  qui  restaient  acces- 
sibles aux  futurs  ministres  presbytériens  était  fort  réduite.  Les 
combats  de  coq,  introduits  en  1702,  les  bals  publics  dont  le 
premier  datait  de  1710  ',  le  théâtre  qu'alimentaient  surtout  les 
tours  de  force  d'une  acrobate  italienne,  la  signera  Violante, 
n'étaient  pas  des  distractions  abordables  aux  étudiants  en 
théologie.  Les  jeux  de  golf,  de  tennis,  le  tir  à  Tare  étaient 
passe-temps  de  «  gentlemen  i».  Pas  de  concerts;  la  première 
société  musicale  fut  fondée  en  1728  *.  Restaient  les  tavernes,  et 
nos  théologiens  les  fréquentaient  comme  tout  le  monde.  On  y 
allait  pour  traiter  d'affaires,  pour  boire  et  pour  jouer.  Celles 
"qui  avaient  le  plus  de  vogue  nous  paraîtraient  aujourd'hui  fort 
naisérables.  «  Elles  étaient  en  général  sales  et  lugubres'.  t>  Quant 
î^ux  établissements  ouverts  aux  bourses  modestes,  celaient 
^  Tipenny-Cells  où  se  débitait,  au  prix  de  deux  pence  la  pinte 
^ossaise,  une  bière  médiocre.  Nous  aimons  à  croire  que 
Thomson  n'y  cherchait  pas  les  plaisirs  du  jeu;  nous  pouvons 
P^ser  qu'il  n'en  sortait  pas  pour  se  livrer  aux  scènes  de  désordre 
®^  de  tapage  nocturne  qui  indignaient  les  pieux  magistrats  du 
Conseil  *.  Mais  nous  sommes  bien  obligés  d'admettre  que  le  lieu 

i.  Ils  étaient  soumis,  on  peut  le  croire,  à  une  étroite  surveillance.  Un 
arrêté  du  Conseil  de  1121  interdit  l'enseignement  public  ou  prive  de  la 
danse,  à  moins  de  licence  spéciale  accordée  par  le  Conseil. 

2.  HcGO  AarsOT,  The  History  of  Edinburgh,  p.  195,  366,  379,  381. 

3.  lluco  Arnot,  The  History  of  Edinburgh,  p.3o4. 

4.  •  The  Couneil  enacted  Ihat,  whercas  the  not  obli^ing  ail  persons  to 
repair  timeously  to  their  lodgings  at  night,  is  one  of  the  greatest  causes 
of  the  abounding  of  drunkenness,  uncleanness,  night-revellings,  and  other 


30  JAMES  THOMSON. 

n'est  pas  de  ceux  où  Ton  contracte  des  habitudes  de  sévère  dis- 
cipline et  de  parfaite  sobriété.  Supposons  du  moins  qu'autour 
des  tables  malpropres,  dans  les  sous-sols  obscurs  des  ruelles 
d'Edimbourg,  James  Thomson  et  les.  amis  qu'il  fréquentait  : 
Granstoun,  Pettie  *,  le  joyeux  Mass  John  *,  et  Malloch  '  s'eni* 
vraient  moins  de  bière  faible  que  de  gais  propos,  de  projets 
d'avenir  et  de  hautes  spéculations  sur  les  choses  de  la  science, 
de  la  philosophie  et  de  la  poésie. 

Nous  comprenons  toutefois  que  le   milieu  ait  semblé   à 
Thomson  peu  favorable  à  l'éclosion  des  idées  poétiques  qui  ger- 
maient en  lui.  Il  saisissait  avec  empressement  toutes  les  occa- 
sions de  quitter  Técole  et  la  ville  pour  retrouver  l'air,  la 
lumière  et  la  paix  des  campagnes.  La  résidence  de  son  ami 
Granstoun  à  Ancrum,  entre  Jedburgh  et  Selkirk,  fut  un  de  ses 
séjours  de  prédilection  pendant  les  périodes  de  vacances.  La 
((  manse  »,  où  sans  doute  le  jeune  médecin  habitait  avec  son 
père,  ministre  de  la  paroisse,  était  située  sur  les  bords  de  l'Aie. 
En  amont  du  bourg  on  remarque  sur  les  rives  rocheuses  une 
quinzaine  de  grottes  creusées  dans  des  parties  d'accès  difficile, 
et  qui  sans  doute  avaient  servi  de  lieu  de  refuge  aux  habitants, 
au  temps  des  guerres  du  Border.  James  avait  adopté  une  de 
ces  grottes,  la  plus  voisine  de  la  manse,  pour  y  rêver  et  y 
écrire.  Son  nom  s'y  voit,  dit-on,  sur  le  plafond,  gravé  peut-être 
de  sa  main;  et  elle  est  appelée  encore  a  Thomson's  cave  », 
la  grotte  de  Thomson  *. 

immoralilies  and  disorders,  bo(h  in  houses  and  upon  Ihe  slreeU,  and  is  a 
grcal  liinderance  to  sober  persons  in  Uieir  worshiping  of  God,  in  accret, 
and  in  their  familles,  therefore  they  prohibit  ail  persons  from  being  in 
laverns,  cellars,  etc.,  aftcr  len  at  night,  under  penalties,  at  Uie  dibcrclion 
of  Ihe  magislralcs,...  and  déclare  their  resolution  to  hold  «  two  courts  in 
the  week,  allenarly  for  cognoscing  and  puuishing  of  immoralilies,  such 
as  cnrsin.:*,  swcaring,  drunkcnness,  brcach  of  Ihe  Lord's  day  -,  etc.,  and 
to  «ive  informers  the  third  part  of  the  fines  as  their  rcward.  •  {Council 
register,  v.  36,  p.  862,  —  cité  par  Ar.not,  p.  193.) 

1.  Pathick  MiruDOCH,  D.  D.,  F.  R.  S.,  •  the  oily  man  of  God  »,  du  Château 
d'Indolence,  l'ami  fidèle  et  le  biographe  de  Thomson.  11  devint  un  mathé- 
maticien distingué,  et  mourut  à  I^oudres  le  12  novembre  1174. 

2.  Mass  Jour  ou  .Misjohn,  le  boute-en-train,  semble-t-ii,  de  cette  troupe 
de  jeunes  gens,  se  nommait  Gabriel  Wilson  et  devint  ministre  de  Maxton, 
du  pre8!)ytèri^  de  Selkirk. 

3.  Maixocu.  l'écrivain  gagé  de  Walpole,  l'éditeur  posthume  de  Boling- 
brokc,  trop  connu  pour  qu'il  soit  utile  de  présenter  sa  biographie.  Il 
changea  son  nom  en  celui  de  Mallet  comme  plus  euphonique. 

4.  Gooniiion,  Tfh>  English    Gmileman's  Hbrar;/  Mamiaf,  p.  256.  —  The 


l'enfance  et  l'adolescence.  31 

Le  jeune  poète  cependant  poursuivait  longuement  le  cours  de 
ses  études.  Devenu  en  1719  étudiant  en  théologie,  il  recevait  le 
2  novembre  1720  une  bourse  du  a  presbytery  »  de  Jedburgh  *. 
Les  livres  de  l'université  mentionnent  des  exercices  exécutés 
par  lui  en  février  1720,  février  1722  et  mai  1724.  Sa  bourse  est, 
le  !•' janvier  1724,  renouvelée  pour  une  année,  et  (réserve  qui 
paraît  montrer  qu'on  soupçonnait  l'aspirant  ministre  de  tié- 
deur), il  est  invité  à  envoyer  au  «  presbytère  »  des  certificats  de 
son  assiduité  à  suivre  le  cours  du  professeur  de  théologie. 

Le  moment  approchait  où  il  faudrait  prendre  un  parti. 
Thomson  pouvait  comme  Riccaltoun,  comme Cranstoun,  comme 
Murdoch  ou  Wilson  entrer  dans  la  carrière  ecclésiastique,  et 
se  réserver  d'en  rompre  la  routine  monotone,  en  continuant 
les  exercices  poétiques  de  ses  années  d'études.  Il  lui  aurait  fallu, 
pour  accepter  cette  disposition  de  sa  vie,  moins  de  vocation 
poétique  et  plus  de  goût  pour  le  ministère  religieux.  Mais  il  était 
poète;  le  fait  devenait  chaque  jour  plus  évident,  et  les  vers 
l'occupaient  chaque  jour  davantage.  Ce  n'était  pas  que  ses  pro- 
ductions rencontrassent  une  approbation  unanime.  Murdoch, 
près  de  quarante  ans  plus  tard,  parlait  encore  avec  amertume 
deces  critiques  d'Edimbourg  qui  n'avaient  pas  su  comprendre 
lo  génie  de  son  ami,  et  qui,  dans  ces  œuvres  de  jeunesse, 
n'apercevaient  que  des  défauts.  Thomson  ne  prenait  pas  si 
fort  à  cœur  ces  opinions  défavorables.  La  même  sûreté  de  goût 
^^  la  même  indépendance  de  jugement  qui  jadis  lui  faisaient,  à 
Southdean,  immoler  gaîment  ses  propres  œuvres  lui  permet- 
^^ent  aussi  d'apprécier  à  leur  valeur  les  critiques  favorables 
^û  hostiles.  Il  savait  écouler  les  avis  de  Riccaltoun  quand 
^'ui-ci  combattait  une  tendance  naturelle  à  l'emphase  '  ;  il 


"^  Statistical  Account,  etc.,  vol.  III,  p.  2i4.  —  La  groltc  est  devenue, 
P^  suite  d'ëboulemenls,  impossible  d'accès.  Le  Rèv.  John  Mair,  de 
^uthdean,  y  parviat,  non  sans  peine,  il  y  a  une  trentaine  d'années,  et 
^ostata  l'existence  des  initiales  J.  T. 

I.  ScoTT*8  f*af/i,  etc.,  part.  IV,  p.  519.  Le  renseignement  a  échappé  aux 
plus  récents  biographes.  Sir  Harris  Nicolas  arfirme  niéuie  que  Thomâon 
f^'obiiat  pas  de  bourse,  et  l'opinion  est  endossée  par  P.  Cunningham. 

1  Bien  des  années  après,  Riccaltoun  écrivant  à  un  ami  au  sujet  de 
poésies  d'un  Mr.  Muir,  d'Orwell,  qui  lui  avaient  été  soumises,  s'exprimait 
ainsi  :  <  I  hâve  looked  over  the  spécimen  you  sent  me  of  his  poelic 
laleoLs;  and,  had  I  the  same  opporluuitics,  I  wouid  treat  him  as  I  did 
Mr.  Thomsoo,  and  still  do  ail  my  friends  in  that  way;  viz.  to  discourage  to 
iie  utmost  of  iny  power  indulging  thaï  humour  where  it  requircs  more 


32  JAMES  THOMSON. 

savait  dcdaignoi*  sans  s'abaiulonnor  au  découragement  les  coii- 
dauinations   niiutelligentes  et    malveillantes   des   juges   dont 
parle  Murdoch.  Mais  il  semble  avoir  conclu  que,  malgré  les 
chaudes  approbations  de  quelques  amis,  son  talent  ne  trouve- 
rait pas  à  Edimbourg  la  considération  à  laquelle  il  devait  pré- 
tendre. La  capitale  écossaise  pouvait  assurer  une  renommée  de 
clocher  à  des  poètes  chantant,  comme  Allan  llamsay,  dans   le 
dialecte  local,  les  coutumes,  les  costumes,  les  menus  événe- 
ments de  la  ville  et  de  ses  environs.  C'était  autre  chose  cfue 
voulait  James  Thomson.  Il  entendait  exercer  sur  de  plus  vastes 
sujets  le  don  de  poésie  qu'il  sentait  en  lui.  Il  voulait  pour  ins- 
trument, non  pas  la  langue  du  spirituel  perruquier  devenu 
libraire,  du  poète  lauréat  du  club  des  Sans-Souci  \  mais  celle 
de  Spenser  et  de  Milton.  Et  il  tournait  vers  l'Angleterre  et  v^îrî 
Londres  ses  regards  et  ses   espérances.   Il  fallait  dès  Ion 
renoncer  à  la  carrière  pour  laquelle  il  allait  être  prêt.  Il  étSLÎt 
nous  pouvons  le  croire,  disposé  à  le  faire  sans  regrets.  C'ét^i-î-'' 
comme  le  dit  Murdoch,  le  choix  de  son  père  et  non  pas  le  si^^ 
qui  avait  orienté  sa  vie  vers  ce  but.  Il  n'avait  pas  hérité  d&    1 
foi  de  Thomas  Thomson.  L'Kglise  presbytérienne,  avec   s<^ 
dogme  austère  et  sombre,  avec  sa  discipline  inquiète  et  intol  ^ 
rante,  éloignait  le  jeune  homme  dont  le  cœur  s'ouvrait  confi 
à  tout  sentiment  de  large  humanité,  et  Tesprit  à  toute  influe 
de  joyeuse  et  enthousiaste  admiration.  Il  semble  même  qu^ 
vieille  cité  presbytérienne  n'ait  pas  réussi  à  fermer  ses  por** 
à  ce  vent  de  scepticisme  frondeur  qui  soufflait  de  TAngletef:^ 
L'esprit  des  Bolingbroke  et  des  apôtres  de  l'incrédulité  coi*^ 
mençait-il  à  recruter  des  adeptes  jusque  sur  les  bancs  de 
faculté  de  théologie?  On  le  croirait  assez  d'après  le  ton  de    ^^ 
deux  ou  trois  lettres  qui  ont  conservé  pour  nous,  comme      ^ 
fragments  d'un  miroir,  quelques  reflets  brisés  de  l'esprit       ^ 
James,  a  May  I  be  damned,  if....   »,  écrit  ce  jeune  lévite,      ^ 
début  de  sa  lettre  de  1720  à  Granstoun  ;  et,  cinq  ans  plus  ta.  ^^^ 
dans  une  lettre  au  même  ami,  il  demande  à  Mass  John,      ^^ 
joyeuse  mémoire,  comment  il  a  pu  «  traîner  avec  lui  un    ^^^ 


judgment  Uian  evcrybody  is  master  of  to  kccp  imagination  and  fancy'    to 
their  proper  province.  »  :LeUre  écrite  de  Hohkirk,  le  30  avril  1759.) 

1.  Tlic  Easy  Club  conTéra  celle  distinction  à  Allan  Ramsay  vers  1712.  // 
ii*y  avait  pas  longtemps  qu'il  avait  renoncé  à  son  premier  métier  de  per- 
ruquier. 


l'enfance  et  l*adolesgenge.        33 

m 

I  bagage  de  bonne  humeur  à  travers  les  sentiers  épineux  des 
c systèmes  et  de  la  théologie  scolastique  )>.  Enfin  notre  jeune 
homme  n'était  pas  dépourvu  d'ambition  mondaine  *,  et  nous 
savoosque  TËglise  écossaise  n'avait  à  oiTrir  à  ses  prêtres  qu'une 
position  fort  humble  *.  Pas  de  hiérarchie;  pas  de  riches  béné- 
fices comme  ceux  de  l'Église  anglicane,  et,  pour  l'acquisition 

•des postes  les  meilleurs,  le  choix  d'assemblées  près  desquelles 
Mectation  d'un  zèle  extrême  comptait  parfois  plus  que  le 
talent,  le  caractère  ou  la  vertu  modeste. 

Tels  étaient  donc  les  désirs  d'indépendance,  de  gloire  et  de 
fortune,  qui  flottaient  dans  l'àme  de  Thomson,  attendant  l'ac- 
cident, le  choc  léger  qui  les  ferait  cristalliser.  Il  ne  tarda  pas  à 
se  produire,  et  aussitôt,  de  toutes  ses  répugnances  pour  l'avenir 
Çui  lui  avait  été  préparé,  de  toutes  ses  aspirations  vers  un 
iutre  idéal  de  vie  naquit  la  résolution  de  quitter  TÉcosse. 

II  suivait  depuis  plus  d'une  année  le  cours  de  théologie  de 
^-  William  Hamilton  ',  quand  ce  maître  lui  fixa  comme  tâche 

.  ''ne  dissertation  explicative  d'un  psaume  *.  Le  jeune  homme 
'^t  son  travail  dans  la  grande  salle  de  la  faculté  de  théologie, 
'®  27  octobre  1724.  L'effet  produit  par  son  langage  coloré  et 

^*  •  There  is  another  life  aflcr  this,  which  dépends  as  to  its  happiness 
^n  oar  virtue,  as  this  for  Ihe  roost  parton  our  fortune.  >•  (Lettre  à  Crans- 
*^^n,  écrite  à  la  veille  du  départ  d'Edimbourg.) 

.  ^-  II  est  vrai  que  TÉglise  anglicane  avait  aussi  pour  quelques-uns  de  ses 
''^nibles  serviteurs  une  médiocre  générosité  :  40  livres  par  an,  c'était  le 
IJ^^^re,  à  Pallas,  du  père  de  Goldsmith,  le  modèle  de  Timmorlel  pasteur 
^*  >VakeOeld. 

^<  Le  Révérend  William  Hamilton,  ministre  de  Cramonl  en  lOOi.  fut 
'^^Qiiné  professeur  de  théologie  en  1709,  et  devint,  en  1730,  principal  du 
^^llège  de  Jacques  VI.   11  mourut  en    1733.  II  passait  pour   un   homme 

^iâlingué  pour  sa  piété,  son  savoir  et  sa  modération  •.  (Soott's  Fasti, 
•^*  67;  —  Sir  Alexander  Grant,  The  Slorff  of  the  UniversUy  of  Edinhurgh, 
^5^1.11,  p.  238.)  —  J.  Ramsay  of  Ochtertyre  dit  de  lui  •  qu'il  y  avait  une 
^^Dcérité,  une  bonté  et  une  veine  de  libéralité  daus  tout  ce  qu'il  disait  ou 
''^îsait  qui  lui  gagnait  le  cœur  de  ses  élèves,  et  leur  faisait  épouser 
^lialeureusement  ses  opinions  et  ses  sentiments  »  {Scotland  and  Scolsmen 
*»l  the  xviii'*  cenlury,  p.  228). 

4.  C'était  la  10*  section  du  psaume  CXIX.  Il  s*agissait  d  une  sorte  de 
Germon  sur  un  texte  indiqué.  Nous  n'avons  pas  à  supposer  un  moment 
^ueTbomson  ait  donné  à  la  place  une  pièce  de  vers.  C'est  ce  qu'ont  cru 
cependant  plusieurs  biographes.  Shiels  avance  même  que  ce  que  le  Hévé- 
^nd  professeur  bl&ma  principalement  fut  le  choix  de  vers  non  rimes;  il 
les  jugeait  indignes  d'un  pareil  sujet.  —  La  vérité  est  qu'une  confusion 
l'est  établie  entre  cette  homélie  sur  un  fragment  du  psaume  CXIX  et  la 
paraphrase  poétique  du  psaume  CIV,  dont  nous  avons  parlé  déjà  comme 
tvaol  été  écrite  par  Thomson  à  Edimbourg. 

3 


34  JAMES  THOMSON. 

magnifique  fut  tel  que  Tauditoire  éclata  en  applaudissemenli 
Mais  le  professeur  fut  plus  sévère.  Il  loua  le  talent  de  récri 
vain,  mais  il  en  déclara  remploi  inopportun.  Il  fit  observer  a 
jeune  poète  que  l'éclat  et  la  richesse  du  style  ne  sauraier 
remplacer  les  facultés  plus  modestes  grâce  auxquelles  u 
ministre  du  culte  met  la  parole  divine  à  la  portée  d'un 
humble  congrégation.  C'était  autre  chose  que  des  qualités  litU 
raires  qui  pouvaient  assurer  le  succès  dans  la  carrière  ecclé 
siastique.  L'autorité  personnelle,  la  bienveillance  et  la  larger 
d'esprit  de  M.  Hamilton  rendaient  l'avis  particulièremei 
significatif.  Thomson  ne  voulait  pas  renoncer  aux  lettres; 
renonça  à  la  carrière  ecclésiastique  *. 

Dès  ce  moment,  il  s'occupa  de  préparer  son  départ.  Que 
proposait-il  de  faire  à  Londres?  Nous  ne  le  savons  pas  exact 
ment.  Ses  lettres  renferment  quelques  vagues  allusions  a  3 
grand  projet  »  qu'il  nourrissait.  On  a  supposé  que  peut-èL 
il  songeait  à  entrer  dans  le  clergé  de  l'Église  anglicane.  Il 
nous  semble  pas  admissible  que  ce  projet  eût  pris  corps  ; 
moment  où  il  quittait  l'Ecosse.  Son  but  dernier  était  assui" 
ment  de  devenir  homme  de  lettres,  et  sans  doute  il  espéra 
qu'à  la  gloire  poétique  viendrait  s'ajouter  pour  lui,  comr 
pour  bien  d'autres,  quelqu'un  de  ces  bénéfices  laïques  do 
les  hommes  d'État  et  les  grands  seigneui's  disposaient.  Quai 
aux  ressources  à  se  procurer  immédiatement,  il  comptait  si 
sa  bonne  étoile  avec  cette  confiance  qui  soutenait  le  courag 
de  tant  d'Écossais  venant  chercher  fortune  à  Londres.  So 
ami  Mallet,  l'humble  fils  d'un  aubergiste  des  Highlands,  I 
«  janitor  »  du  High-School  d'Edimbourg,  n'était-il  pas  attach 
comme  précepteur  à  une  riche  et  puissante  famille'?  N'avait-i 
pas  lui-rnème  à  compter  sur  de  précieux  concours?  L'auditeu 
Benson  après  avoir  pris  connaissances  de  quelques-unes  de 
pièces  écrites  par  le  jeune  homme,  lui  prédisait  le  succès  e 
lui  promettait  son  appui.  Une  dame  de  qualité,  lady  Grizf 
Baillie,  parente  de  Mrs.  Thomson  et  poète  elle-même  ^  s'en 


1.  Mr.  William  Hamilton  ne  sut  pas  mauvais  gré  à  son  élève  de  cett 
décision.  Il  s'intéressa  à  la  carrière  du  jeune  poète,  et  nous  le  voyon 
figurer  parmi  les  souscripteurs  à  la  1"  édition  des  *  Saisons  •. 

2.  Le  duc  de  Monlrose  ayant  besoin  d'un  précepteur  pour  ses  fils  sVlai 
adressé  ou  collège  qui  lui  envoya  Mallet. 

3.  Klle  appartenait  à  cette  grande   famille  des  Home  h  laquelle,  nou 


l'enfance  et  l'adolescence.  38 

gageait  à  aider  James  à  Londres.  11  se  munit  en  outre  de  lettres 
de  recommandations,  Cranston  lui  en  donne  une  pour  un 
cousin  habitant  la  capitale  *,  et  une  autre  pour  un  Mr.  Elliot% 
frère  sans  doute  de  Sir  Gilbert  EUiot.  Thomson  en  sollicite  une 
aussi  d'un  Mr.  Golden,  et  se  plaint  avec  une  certaine  amertume 
de  l'indifférence  du  digne  homme  qui  se  borne  à  lui  offrir  ses 
souhaits  et  ses  prières.  Tous  les  préliminaires  du  voyage  sont 
enfin  terminés,  et  il  s'embarque  à  Leith,  par  une  nuit  agitée  ■* 
de  février  1725,  accompagné  jusqu'au  bateau  par  sa  mère.  Il 
emportait  pour  tout  bagage  beaucoup  d'espérances,  et  très  peu 
d'argent,  une  forte  dose  de  résolution,  quelques  fragments 
poétiques,  et  ses  lettres  de  recommandation  enfermées  dans 
un  mouchoir  noué. 


l'avons  dit  plus  haut,  la  mère  de  Thomson  se  rattachait  (voir,  p.  8,  note  1). 
^  Elle  estrauteur  d'une  chanson  pleine  de  saveur  et  qui  Tut  très  popu- 
laire. 

•  Were  na  m  y  Heart  licht  I  wad  dee.  • 

1^  petite  pièce  parut  cette  même  année  1725  dans  VOrpheus  Caledonius 

^l  fui  reproduite  par  A.  Ramsay  dans   The  Tea-Table  Miscedany,  Cette 

femme  d'esprit,  qu'on  aime  à  trouver  parmi  les  premiers  patrons  du  jeune 

Thomson,  était  aussi  une  femme  de  CŒur.  Elle  avait  dix-huit  ans  quand 

^^  père,  sir  Patrick  Home  de  Polwarth,  fut  compromis  dans  le  niouve- 

'^(nt  d'iosurrection  presbytérienne  auquel  s'est  attaché  le  nom  de  Jer- 

^^ood  qui  en  avait  été  le  promoteur  et  en  fut  la  victime.  La  jeune  fille. 

Pendant  un  temps  prolongé,  servit  de  messagère  à  son  père  qui  s'était 

caché  dans  un  souterrain  du  cimetière  de  Polwarth;  elle  lui  portait  de 

1^  nourriture,  lui  transmettait  les  avis  utiles,  et  lui  sauva  la  vie.  Plus 

|^f<l  elle  épousa  le  fils  de  ce  Baillie  de  Jerviswood,  Tami   malheureux 

1*^  sir  Patrick  Home.  Au   moment   où   nous   la    voyons  s'intéresser  à 

Jhonison  elle  dispose  d'une  influence  considérable.  Son  mari  est  membre 

^^ift  Chambre  des  Communes;  son  père  est  ou  va  devenir  lord  March- 
"ïûni. 

^*  La  lettre  à  Cranstoun  (Edimbourg,  février  1125),  telle  qu*on  la  lit  dans 
l'^dine  Edition  porte  :  n  Your  letter  to  my  cousin,  I  do  not  doubt,  will 
^  considerably  useful  to  me,  if  I  can  find  him  out  •.  11  faut  évidemment 
ure  •  your  v  au  lieu  de  •  my  cousin  ». 

3«  Probablement  le  Mr.  J.  Elliot  que  nous  voyons  figurer  parmi  les 
^uscripteurs  à  la  première  édition  des  «  Saisons  »,  entre  le  capitaine 
Wil.  EiJiot  et  Mrs.  Elliot. 

3.  «  But  ab!  that  night  —  that  torturiug  night  rcmains 

When 

And  mixed  our  murmurs  with  the  wavy  roar.  " 

{On  the  Dealh  of  his  Mother,) 


CHAPITRE  II 


LONDRES.    —    LKS   DÉBUTS   d'uN   POÈTE.    l'hIVER 


1 


Presque  tous  les  biographes  fixent  au  mois  de  mars  17 
l'époque  de  l'arrivée  de  Thomson  à  Londres  *.  Ils  n'ont  po 
cela  qu'un  seul  motif,  c  est  que  la  lettre  à  Cranstoun,  annonça 
l'embarquement  comme  prochain,  est  supposée  être  de  la  i 
de  février  ou  du  commencement  de  mars.  Or  c  est  là  u 
hypothèse  parfaitement  gratuite  :  la  lettre  peut  aussi  bien  et 
d'une  date  quelconque  de  février,  et  nous  croyons  qu'il  co 
vient  de  modifier  l'indication  des  biographies.  Le  docume 
positif  sur  lequel  doit  s  appuyer  toute  recherche  à  ce  suj" 
c'est  une  lettre  écrite  de  Londres  à  Cranstoun,  à  la  date  > 
3  avril.  Dès  les  premiers  mots  elle  nous  apprend  que  notre  \0] 
geur  a  déjà  écrit  une  fois  à  son  ami,  et  qu'il  en  a  reçu,  depi 
plusieurs  jours,  la  réponse  désirée.  Si  nous  songeons  au  tem 
que  prenait  alors  l'échange  des  correspondances  entre  Lo 
dres  et  un  village  écossais,  nous  conclurons  que  l'arrivée 
James  doit  être  notablement  antérieure  aii  5  avril.  D'aillei 


1.    Wri^lit   place    le   voyage    en   \''2\  (édil.  de   1770,   noie   viii).  Al 
Cunniu;;haui  le   fixe  au  mois  d'avril  1725  (Bioj^rapliie,  p.  xvi);  un  au 
biographe  à  l'iiutomne  de  la  môme  année.  L'erreur  dans  chacun   de 
cas  est  évidente.  C'est  uni(|ucment  entre  février  et  mars  «pic  nous  ave 
à  choisir. 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  37 

celte  rnéme  lettre  indique  plusieurs  démarches  faites  auprès  de 
diverses  personnes;  elle  nous  montre  le  jeune  homme  aux 
trois  quarts  découragé,  songeant  même  à  retourner  en  Ecosse. 
Evidemment  cela  suppose  un  séjour  à  Londres,  non  pas  de 
quelques  jours,  mais  de  quelques  semaines.   Nous  pouvons 
encore  rapprocher  les  dates  extrêmes  entre  lesquelles  doit  être 
placé  ce  voyage.  Thomson  raconte  à  son  ami,  dans  la  même 
lettre,  qu'il  a  assisté,  à   Drury-Lane,  à  une  représentation 
d'Orooiioko.  D'après  les  annales  du  théâtre,  cette  représenta- 
tion ne  peut  être  que  celle  du  lundi  1*'  mars.  Notre  voyageur 
mentionne  des  pièces  jouées  postérieurement,  mais  non  pas 
celles  qui  ont  été  représentés  le  25  et  le  27  lévrier.  Si  nous 
admettons,   comme   il  est  extrêmement  probable,   (ju'il  n'a 
guère  laissé  passer  de  jours  avant  de  se  rendre  au  théâtre, 
/ïous  sommes  amenés  à  conclure  qu'il  a  dû  arriver  à  Londres 
à  une  date  très  voisine  du  1"  mars  '. 

C'est  donc  dans  les  derniers  jours  de  février  1725  que 
James  Thomson  mit  le  pied  sur  le  sol  anglais  et  sur  le  pavé  de 
la  grande  ville  '.  Sa  première  visite  fut,  dit-on,  pour  Mallet 
qui  se  trouvait  habiter,  avec  la  famille  Montrose,  lïanover 
Square.  La  route  était  longue  et  Tatlention  de  notre  provincial 
était  sollicitée  par  mille  objets  nouveaux.  Les  monuments 
fameux  dans  le  voisinage  desquels  il  avait  abordé,  le  tumulte 
de  ces  quartiers  où  s  agitait  la  population  bruyante  et  bariolée 
du  port,  l'activité  de  la  Cité  où  battaitalors  comme  aujourd'hui 
le  cœur  de  l'Angleterre  commerçante,  puis  et  surtout  1  élé- 
gance elle  luxe,  inouïs  pour  un  Écossais,  de  ces  quartiers  de 
l'Ouest  où  il  cherchait  son  ami,  tout  cela  était  bien  fait  pour 
le  surprendre,  le  charmer  et  l'étourdir.  Un  pickpocket  plus 
habile  qu'heureux  lui  vola  le  paquet  de  lettres  qui  faisait  le 


1.  Mr.  E.  CuDinghamc,  dans  une  noie  inléressantc  à  laquelle  nous 
empruntons  la  dale  de  la  représentation  d'Orooîioko,  est  enclin  à  penser 
que  Tarrivée  de  Thomson  doit  être  placée  au  lundi  1"'  mars  {Notes  and 
QueHeSf  V  série,  vol.  VI,  p.  341).  Ce  jour  était  la  fOle.  de  saint  David, 
et,  dans  le  tumulte  des  réjouiSi^ancos  populaires  et  des  processions,  la 
mésaventure  qui  sifçnalela  première  promenade  de  notre  poète  à  Londres 
s'expliquerait  d'autant  mieux.  La  supposition  est  ingénieuse,  mais  il  est 
dirricile  de  croire  que,  malgn':  tout  son  désir  de  voir  enûn  un  théâtre  de 
la  capilale,  Thomson  ait  assisté  à  une  représentation,  le  jour  même  où  il 
débarquait  après  un  long  voyage. 

2.  Le  lieu  de  débarquement  était  Billingsgate,  d'après  Shiels  {Cibber's 
Livei),  ou  Wupping,  d'après  Buchan. 


38  JAMES  THOMSON. 

plus  clair  de  sa  fortune.  C'était  un  fâcheux  début.  Il  lui  fallut 
écrire  de  nouveau  en  Ecosse  pour  faire  remplacer  les  lettres 
perdues.  Nous  savons  que  Cranstounrecommençjasur  nouveaux 
frais  celle  qu'il  avait  adressée  à  Mr.  Elliot  de  Londres.  La  lettre 
du  3  avril  nous  apprend  que  Thomson  a  «  trouvé  d  le  cousin 
de  Granstoun,  et  qu'il  a  fait  plusieurs  visites.  Le  désastre  est 
donc  à  peu  près  réparé.  Il  laisse  cependant  encore  une  impres- 
sion désagréable  et  contribue  peut-être  à  inspirer  au  jeune 
homme  naguère  si  confiant  ses  réflexions  pessimistes  sur  la 
vanité  et  la  méchanceté  du  monde*.  Plus  tard,  il  n'en  conserva 
qu'un  souvenir  joyeux;  ses  amis  et  lui  s'égayeront  plus  d'une 
fois  en  rappelant  cette  première  expérience  des  mœurs  de  la 
capitale  ^. 

Nous  savons  avec  quel  empressement  il  a  voulu  connaître 
le  théâtre  dès  son  arrivée.  Le  3  avril  il  avait  déjà  fait  à  Drury- 
Lane  cinq  visites,  et,  s'il  c'en  est  tenu  là,  dit-il,  c'est  que  sa 
bourse  n  ne  marche  pas  de  pair  avec  ses  désirs  ».  11  a  vu  jouer 
Oroonoko,  Hamlety  A  Trip  to  ihe  Juhilee  et  Calo.  Il  est  évi- 
dent que  Londres,  ses  théâtres,  ses  acteurs  et  ses  actrices 
étaient  en  Ecosse  un  sujet  d'entretien  familier  des  deux  amis. 
Il  semble  que  Granstoun  ait  lui-même  demandé  ces  renseigne- 
ments que  ne  comportait  pas  la  première  lettre  de  Thomson  ; 
et  celui-ci  donne  des  détails  sur  les  pièces  (la  tragédie  lui  a 
causé  quelque  déception),  sur  les  acteurs  en  vogue  :  Booth, 
Wilks,  Gibber,  etc.,  sur  les  actrices  surtout  :  Mrs.  Oldlîeld, 
Mrs.  Porter,  Mrs.  Booth  dont  il  admire  le  jeu  et  plus  encore 
la  beauté  avec  un  enthousiasme  fort  expansif  ^ 

Quant  aux  objets  plus  sérieux  qui  occupent  James,  ils  tien- 
nent moins  de  place  dans  cette  lettre,  sans  doute  parce  que 
notre  voyageur  n'a  rien  d'heureux  à  apprendre  à  son  ami. 
Tout  le  monde  lui  dit  que  son  projet  (quel  qu'il  soit)  sera  pro- 
digieusement  difficile  à  réaliser.   11  se   propose  bravement 


1.  ■  The  more  1  see  of  ihc  vauily  and  wicUcdncss  of  tbc  Nvorld,  1  am 
more  inclined  to  the  sacred  orûcc.  • 

2.  ■  I  rcmembcr  havinp  heard  al  old  Strahan's  (Ihe  translater  of  the  six 
Ûrst  books  of  Iho  .^ilneid)  in  SuITolk  Street,  Johnson  and  Mallct  repealing 
Ihe  stopy  wilh  plee.  •  (Buciian,  Essay  on  Ihc  Lift*  of  Ihoimon^  p.  255.) 

3.  «  She  (Mrs.  Booth)..., dancos  so  dcliciously,  has  siich  meltin^^  lascivions 
motions,  air,  and  postures....  indeed  the  womcn  arc  frenerally  llio  hand- 
somesl  in  Ihe  house,  and  bettcr  nclors  than  the  men,  but  perhaps  their 
sex  préjudices  me  in  their  favour.  • 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  39 

d'essayer  encore,  et  s'en  fie  pour  le  résultat  à  la  Providence, 
n  croit  que  les  choses  sont  déterminées  nécessairement  par  la 
chaîne  des  événements,  mais  il  se  promet  de  lier  toujours  sa 
fertune  au  travail  et  à  Thonnêteté.  Enfm,  il  se  résigne  à  la 
pensée  de  poursuivre  et  d'achever  ses  études  de  théologie.  A 
défaut  de  mieux,  il  lui  faudra  peut-être  entrer  dans  le  minis- 
tère, et  il  prépare  son  ami  à  cette  évolution,  non  sans  prévoir 
ies  moqueries  qu'elle  lui  vaudra  *. 

11  nous  est  assez  facile  de  comprendre  à  quelles  difficultés 
devait  se  heurter  notre  jeune  Écossais.  De  toutes  les  parties  de 
'a  Grande-Bretagne  affluent  dans  la  capitale  tous  les  aven- 
turiers qui  attendent  la  fortune  de  leur  savoir-faire,  de  leur 
talent  ou  de  la  protection  de  quelque  patron.  Thomson  esta 
ce  moment  dans  toute  la  vigueur  de  ses  vingt-cinq  ans,  actif  et 
énergique  (en  dépit  de  la  réputation  d'indolence  qu'il  s'est  plus 
^rd  acquise),  grand  et  fort,  avec  cette  fraîcheur  de  teint  qui 
^ractérise  ses  compatriotes  et  une  physionomie  ouverte  qui  lui 
Bagne  facilement  les  sympathies.  Mais  il  faut  aussi  nous  le 
^présenter  à  Londres  comme  un  étranger  dont  le  langage 
'^éme  a  quelque  chose  d'emprunté  et  d'exotique.  Ces  nom- 
^^m  Écossais,  qu'il  compare  lui-même  à  des  vols  de  vautours 
^^baltant  sur  la  capitale  ',  parlent  un  anglais  appris  dans  les 
'^^te&,  une  langue  artificielle,  tendue  et  pompeuse,  que  les 
^ï^glais  ont  peine  à  comprendre  '.  Pour  arriver  à  percer  au 
'Milieu  de  cette  foule  de  gens  en  quête  de  places,  il  faudra 
^lliciter  beaucoup,  réveiller  fréquemment  le  bon  vouloir  des 
ï^trons  qui  ont  promis  leur  appui,  et  ce  sont  là  des  choses 
^ont  s'accommode  mal  la  délicatesse  un  peu  ficre  de  notre 
Poète.  H  faudra  surtout  s'armer  de  patience  pour  attendre 

i.  •  Ile  (Mr.  Elliul)  rcceivcd  we  affably  cnoiigh,  and  promised  me 
bis  assistance,  though  at  thc  samc  lime  ke  told  me,  which  evcryonc 
tells  me,  that  it  wiU  be  prodigiously  difncull  lo  succeed  in  Ibe  business 
yoii  kiiow  I  design.  However,  comc  what  will  come,  l  sball  make  an  efTorl, 
and  leave  Ihe  rcst  lo  Providence.  There  is,  I  am  persuaded,  a  necepsary 
fixed  chain  of  things,  and  I  hope  my  fortune,  whalevcr  il  be,  aball  be 
lioked  lo  diligence  and  lionesty....  Succeed  or  noi,  I  firmly  résolve  lo 
porsoe  divinity  as  tbe  only  thing  now  1  a  m  fil  for....  I  was  poing  lo  bid 
you  suppress  Ibal  rising  laugb,  bul  1  chcck  mysclf  scverely  again  for 
sulTering  such  an  nnbecoming  thoughl  of  you  lo  colcr  inlo  my  mind.  • 

2.  -  ScoUand  is  really  fruitful  of  surgeons;  Uicy  come  hcre  like  flocks 
of  vnltures  every  day.  •  (Lettre  à  Cransloun.  du  20  juillet  il'lo.) 

3.  J.  Ramsav,  Scofiand  and  Scotsmen  in  the\  viu"'  century,  vol.  I,  p.  2:>; 
Tol.  Il,  p.  543< 


40  JAMES   THOMSON. 

roccasion  fa\orable,  et  lï*tat  de  s(^s  linances  ne  lui  permet  pa: 
une  attente  trop  prolongée. 

L'affection  de  sa  mère  s'employait  cependant  à  lui  fourni 
les  moyens  de  poursuivre  sa  tentative.  Elle  voulait  vendre  s. 
part  de  la  propriété  de  Widehope  pour  lui  procurer  les  res^ 
sources  nécessaires.  C'est  un  dernier  trait  de  dévoûment  de  L^ 
noble  femme  que  les  biographes  n'ont  pas  relevé.  Au  moment 
même  où  cette  vente  allait  se  faire,  James  apprit  que  sa  mère 
était  morte,  le  10  mai  *,  dix  semaines  environ  après  leur  sépa- 
ration. Sa  douleur  fut  extrême,  et  la  trace  nous  en  est  restée 
dans  les  vers  qu'il  écrivit  à  ce  moment.  Il  énamère  les  vertus 
de  celle  à  qui  il  devait  la  meilleure  partie  de  ce  qu'il  y  avait 
dans  son  talent  et  dans  son  cœur  de  délicatesse  et  de  force.  11 
rappelle  avec  une  émotion  d'une  éloquente  sincérité  la  vie  de 
la  pauvre  veuve   toujours  en  pleurs,  toujours  en  lutte,  qui 
n  aura  connu  qu'au  ciel  le  repos  et  le  bonheur. 

Il  fallait  vivre  cependant,  et,  renonçant  aux  rêves  ambitieux 
qui  lavaient  conduit  à  Londres,  Thomson  était  prêt  à  accepter 
la  plus  modeste  situation.il  avait  jusqu'ici  reçu  l'hospitalité 
de  Mallet  et  du  duc  de  Montrose,  ou  vécu  de  ses  deniers  dans 
les  auberges  de  Londres.  Il  est  alors  hébergé  dans  la  famille 
de  lord  liinning,  gendre  de  lady  Grizel  Baillie  de  Jerviswood 
et,  par  conséquent,  allié  à  cette  famille  des  Home  à  laquelle 
Thomson   lui-même  se   rattachait  par  sa  mère  *.  Pour  s'y 
rendre  utile  il  se  chargea  de  l'étlucalion  du  jeune  Thomas, 
fils  aîné  de  lord  IMnning.  L'enfant  n'avait  que  cinq  ans,  et^ 
la  tâche  répondait  mal  aux  goûts  de  notre  poète.  Les  pro- 
messes de  concours  de   la   noble  dame  aboutissaient  à  un- 
médiocre  résultat.  Il  ne  semble  pas  même  que  le  cousin-pré- 
cepteur reçût  de  salaire.  Il  s'elTorça  pourtant  de  faire  boïi 
visage  à  la  fortune  sous  la  forme  peu  engageante  où  elle  se 
présentait.  Dans  une  lettre  à  son  ami  Cranstoun,  du  20  juillet 

1.  •  VVhen  I  came  up  herc  I  brou^'hl  very  liltle  money  along  with  me, 
expectinf^  some  more  upon  Uie  sclling  of  Widehope,  wliich  was  to  liave  lieen 
8oi(l  thut  day  my  motlier  Nvas  buricd.  •  (Lettre  à  Cranstoun,  du  mois  de 
septembre.) 

2.  Ctiarles,  lord  Binninp,  septième  comte  de  Uaddin^ton,  avait  épousé 
Rnchel.  seconde  Oile  cl  héritière  de  Geor|?c  Baillie  de  Jerviswood.  Lord 
Binniiifï  recevait  donc  chez  lui  un  parent  de  la  famille  de  sa  femme. 
Thomson  était  chez  lui  un  parent  pauvre  en  visite  plus  exactement  qu'un 
précepteur.  C'est  un  des  points  de  la  biographie  du  puète  sur  lesquels  la 
constatation  d'un  lien  avec  les  Home  jette  un  jour  nouveau. 


LES  DÉBITS  d'un  POÈTE.  41 

1725,  il  parle  de  ses  occupations  nouvelles.  Il  esta  EastBarnet, 
à  la  limite  du  comté  de  Hertford,  à  dix  milles  de  Londres,  et 
semble  assez  satisfait  de  se  retrouver  à  la  campagne.  11  men- 
tionne ses  déceptions  avec  une  philosophie  résignée,  et  compte 
revenir  à  ses  études  de  théologie.  Il  n'a  plus  comme  autrefois 
<  une  idée  méprisable  de  ce  qui  est  proche  et  une  idée  roma- 
inesque  de  ce  qui  est  étranger  ».  Il  recommande  au  frère  de 
son  ami  la  carrière  ecclésiastique  comme  «  honorable,  utile  et 
■  certaine  »,  et  regrette  d'en  avoir  autrefois  parlé  avec  trop  de 
dédain.  Pour  le  moment,  il  interrompt  de  temps  en  temps,  par 
on  voyage  à  Londres,  la  monotonie  du  séjour  de  East  Barnet. 
Du  reste  il  travaille,  et,  le  10  juillet,  envoie  à  son  ami  Mallet 
«ni  Hymne  sur  la  Solitude  »  composé  la  veille  pendant  une 
promenade  du  soir. 

La  troisième  lettre  de  Thomson  à  Cranstoun  est  du  mois  de 
septembre  *.  Il  est  toujours  à  East  Barnet,  fort  bien  traité  mais 
fort  peu  payé  dans  la  famille  de  lord  Binning.  Il  a  dû  faire  des 
dettes  pour  se  procurer  les  objets  les  plus  indispensables  : 
vêtements,  linge  *,  etc.  (il  n'ajoute  pas  visites  aux  théâtres, 
roais  il  parle  un  peu  plus  loin  du  plaisir  que  lui  ont  causé 
Miller  et  Cibber  dans  Love  makes  a  Man,  or  the  Fop's  For^ 
^^^)^  Les  créanciers  demandent  avec  insistance  à  être  rem- 
^ursés,  et  James  prie  Cranstoun  de  lui  prêter  une  somme  de 
<îouze  livres.  Widehope  va  être  vendu  et  il  pourra  prochaine- 
°ïcnt  s'acquitter  envers  son  ami.  Cette  première  partie  de  la 
tettredut  lui  coûter  à  écrire.  Sous  la  simplicité  vaillante  avec 
Quelle  il  expose  sa  situation,  il  nous  est  facile  de  lire  le  désen- 
chantement et  l'humiliation  dont  il  souffre.  Voilà  plus  de  six 
'^ois  qu'il  est  à  Londres.  Il  avait  voulu  fuir  la  médiocrité 
<J*une  carrière  telle  que  celle  de  son  ami,  et  le  voilà  réduit  à 
apprendre  à  lire  à  un  bambin  de  cinq  ans,  et  à  implorer,  pour 
wne  somme  misérable,  le  secours  du  modeste  docteur. 

i.  La  leUre  ne  porte  pas  de  date;  la  marque  de  la  poste  indique  qu'elle 

fat  écrite  à  East  Barnet.  Elle  fut  publiée  pour  la  première  fois  dars  le 

London  Magazine  de  novembre  1824,  p.  413,  à  la  suite  de  l'avis  suivant  : 

•  The  foliowing  very  ioteresting  letter  bas  bcen  recovcred  from  oblivion, 

oral  last  from  neglect,  by  our  friend  Ella,  and  the  public  >vill  no  doubt 

(haok  him  for  Ibe  deed 

2,  Ainsi  s'explique  le  fait  rapporté  par  Johnson  avec  une  apparence  de 
lédaio  contre  laquelle  Buchan  s'élève  indigné  :  -  His  lirst  want  was  a  pair 
)f  shoes  •  {l-ifc  of  Thomson). 


43  JANES  THOMSON. 

Mais,  d'autre  part,  la  deuxième  partie  de  sa  lettre 
montre  qu'en  dépit  de  ces  déboires,  cette  sorte  de  retra 
quelques  milles  de  Londres,  dans  un  pays  monotone  et  p 
sans  les  nécessités  d'un  travail  assidu,  ni  les  attractions 
plaisirs,  était  (il  ne  s'en  doutait  pas)  la  plus  précieuse  l'a 
que  pût  lui  assurer  la  fortune.  Car  dans  ce  loisir  fructueu 
Ëast  Barnet  il  mûrissait  l'œuvre  qui  allait,  du  premier  c 
faire  de  lui  un  des  grands  écrivains  de  son  temps.  Déjà  la  I 
à  Mallet,  du  10  juillet,  mentionnait  un  a  poème  »  queThoi 
soumettait  aux  observations  de  son  correspondant.  Il  s'agi 
très  probablement  de  1'  a  Hiver  »  .  Ici  l'œuvre  est  expressé 
indiquée.  Le  poète  se  propose  une  description  de  la  nî 
sous  son  costume  le  plus  lugubre.  Suivant  l'exemple  d 
par  Riccaltoun  dans  la  pièce  qu'il  admire  si  vivement,  i 
le  tableau  des  scènes  horribles  et  grandioses  que  présen 
dure  saison  :  inondations,  tempêtes,  etc.  L'hiver  est  pn 
cette  année,  et,  sans  parler  des  souvenirs  de  Southdean, 
sous  les  yeux  le  modèle  de  ses  peintures. 

Cependant  le  poème  se  développe .  Ces  description 
Thomson  voyait  d'abord  un  amusement  destiné  à  être  a 
donné  pour  tout  autre  sujet  qui  lui  viendrait  à  Fespril 
commence  à  penser  qu'elles  peuvent  se  grouper  et  s'orga 
en  une  œuvre  nouvelle  à  la  fois  par  le  sujet  et  par  la  forn 
pense  qu  elle  lui  permettra  d'affronter  le  jugement  de  ces 
tiques  et  de  ce  public  à  qui  il  demande  do  Taccueillir  p 
les  poètes  anglais.  Mais  il  faut  préparer  cette  publicatio 
faut  se  rapprocher  de  Londres  où  sont  les  éditeui's  qui  lai 
les  ouvrages,  les  critiques  dont  l'opinion  assure  le  succt 
les  patrons  qui  récompensent  le  mérite.  Thomson  dit 
adieu  à  ses  humbles  occupations  auprès  du  noble  bambi 
quitte  lord  G.  Binning.  Leurs  relations  restent  d'ail 
excellentes;  et,  deux  ans  plus  tard,  il  songera  à  lui  dédi 
poème  qui  doit  succéder  à  T  a  Hiver  m  ^  Il  partagea  son  te 

1.  »  This  coiintry  l  am  in  is  nol  very  cnlerlaininK;  no  variely,  bu 
of   Nvoods,    an  il   Ihcm  wc   liave  in  abnndancc;  but   wbcre  is   Ihe 
blreain?  Ibc  airy  inouiilain?  or  Uie  lian^iiif^'  rov.kl  • 

2.  «  ....  Bcinj;  only  a  présent  amiisuiiienl,  ilis  leu  toone  but  Idro|>  it  ' 
crveauollîcr  faiicy  cornes  across.  >»  (Lettre  ùCransloun,  de  septembre 

3.  QiicUpics-uns  des  renseignemenls  sur  TUom?un  qmj  Boswe 
fournir  à  Johnson  bii  venaient  de  sir  David  I)alryiu|)le,  plus  tan 
Hailes,  cousin  du  jeune  Tbomas,  rélève  de  Thomson. 


LES  DÉBUTS  D'UN  POÈTE.  43 

après  ce  départ  d'East  Barnet,  entre  Twyford  \  la  résidence 
d'été  de  Ja  famille  Montrose,  et  Londres.  11  y  trouvait  son  vieil 
ami,  Mâllet;  il  y  eut  bientôt  aussi  pour  ami  le  plus  jeune  des 
élèves  de  celui-ci,  lord  George  Graham.  Peut-être  est-ce  à  cette 
époque  qu^l  fréquenta  Hammersmith  et  la  taverne  où  la  tradi- 
tion prétend  qu'il  écrivit  une  partie  de  son  poème.  Entre  les  deux 
«  Mails  »,  en  fece  d'un  coude  de  la  Tamise  d'où  l'on  aperçoit 
un  paysage  étendu,  nu,  plat  et  auquel  l'hiver  donne  un  aspect 
de  désolation  lugubre,  subsiste  encore  un  petit  cabaret  qui 
prenait  jadis  le  titre  de  café.  Plus  modeste  aujourd'hui  l'en- 
%igne  qui  se  balance  au-dessus  de  la  porte,  dans  la  ruelle 
étroite  par  où  l'on  accède  à  l'établissement,  porte  seulement 
ce  nom  «  The  Doves  »,  les  Colombes.  <c  Thomson  s'y  rendait 
t  volontiers  quand  la  Tamise  était  gelée,  et  tout  le  pays  couvert 

•  de  neige.  Le  fait  est  bien  établi,  et  beaucoup  de  personnes 

*  viennent  visiter  l'endroit  i>,  disait  Faulkner  vers  1830  '.  La  tra- 

(lition  n'a  pas  disparu  depuis  lors.  Les  admirateurs  de  Thomson 

oes*y  rendent  plus  aussi  nombreux,  et  c'est  dommage,  car  ils 

trouveraient  là  quelques  restes  curieux  du  vieux  village  subur- 

^n.  La  taverne  des  Colombes,  comme  plusieurs  des  petites 

'liaisons  qui  bordent  le  fleuve,  date  au  moins  du  temps  de  la 

'^ine  Anne.  Il  n'est  pas  sûr  que  le  mobilier  soit  aussi  ancien. 

^pendant  la  patronne  de  l'établissement,  qui  sert  à  boire 

^^jourd'hui  plus  souvent  aux  terrassiers  du  voisinage  qu'à  des 

P^tes,  vous  montre  la  table  «  où  s'asseyait  le  grand  Thomson 

P^tir  écrire  les  Saisons  ».  La  tradition,  on  le  voit,  a  gagné  en 

Pï'écision  depuis  Faulkner.  La  brave  femme  a  même  entendu 

^ire  que  Thomson  habitait  la  maison  voisine.  Le  silence  de 

*^Hulkner  sur  cet  intéressant  renseignement  nous  fait  craindre 

^ue  la  tradition  ne  se  soit  enrichie  d'additions  apocryphes. 

Une  autre  indication,  dont  l'origine  est  diflicile  à  contrôler, 
'îous  dit  qu'il  vint  habiter  dans  la  maison  de  Millan  le  libraire, 
et  qu'il  y  acheva  le  poème  dans  une  chambre  au-dessus  de  la 
boutique  '. 

U  Dans  le  Hampshire,  entre  AVinchesler  el  Soulhampton. 

2.  An  Historical  and   Topoyraphical  Account  of  Fiilham;  includiny  the 
hamiet  of  Hammersmith,  by  T.  Faulkner,  p.  359. 

3.  •  T.  Park  lias  wriUen  on  Lis  copy  of  Ihe  1»»  édition  of  Spring,  now 
in  Mr.  Holton  Corney's  possession  :  John  Egerlon  lold  me  Ihat  he 
{Thomson;  lived  some  lime  with  MilIan.  J.  Egerlon,  llie  booksellcr,  was 
Millan'a   successor    at  Whi'ehall.    »    (P.  GossiNonAM,  Correspondence  of 


44  JAMES  THOMSON. 

En  quelque  lieu  que  ce  soit,  il  termine  le  poème  pendant  Pau 
tomne  de  1725.  Tout  en  poursuivant  son  travail,  il  s'est  crée 
peu  à  peu  des  relations  dans  la  société  de  la  capitale.  Avec 
Mr.  Elliot,  dont  James  lui-même  disait  à  Cranstoun  Taccuei 
cdmàble,  un  de  ses  premiers  protecteurs  fut  Mr.  Duncan  Forbes 
de  Cullôden  *,  le  «  Lord-Advocate  -»,  que  ses  fonctions  rete- 
naient alors  à  Londres,  auprès  du  Parlement.  Il  avait  vu  er 
Ecosse  quelques  poésies  de  son  compatriote.  Il  slntéresss 
chaudement  à  lui,  le  reçut  et  le  fît  connaître  à  plusieurs  des» 
amis,  grands  seigneurs  et  hommes  d'État,  écrivains  illustrei 
ou  artistes  en  vogue  :  le  duc  d'Argyle  ',  le  comte  de  Burlington 
sir  Robert  Walpole,  le  Dr.  Arbuthnot,  Pope,  Gay,  le  peinln 

Thomson  and  Mallet^  p.  vi.) —  Rob.  Hell  dit  de  son  côté:  «  Removing  fror 
Barnet  lo  the  house  of  Millan,  the  bookseller,  in  Charing-Cross,  he  com 
pleted  the  poem  in  Ihe  apartment  over  Ihe  shop  ».  Elle  biographe  ajout 
une  note  où  il  indique  la  maison  avec  une  précision  qui  semble  devo 
donner  confiance.  Malheureusement  rindication  est  inexacte  en  ce  qi 
concerne  Tadrcsse  de  Millan  à  ce  moment  et  la  valeur  de  tout  le  rense 
{^nement  s'en  trouve  diminuée  d'autant.  J.  Miilan,  que  les  biographe 
conToudent  souvent  avec  son  conTrère  A.  Millar,  n'habite  alors  ni  Wliit 
hall  ni  Charing-Cross,  mais,  comme  le  disent  les  ouvrages  sortis  de  S4 
magasin,  la  maison  de  Locke*s  Head,  dans  Shug-Lane,  près  de  Textrémî 
supérieure  de  Hay-Market.  Nous  le  trouvons  établi  dans  New  Street  < 
1727  (édit.  de  Siimmer),  à  Pall  Mail  en  172S,  et  près  de  Scollaud  Yar 
Whitehall,  vers  1730.  Il  ne  se  fixe  près  de  Charihg-Cross  que  plus  tard. 

i.  Cet  homme  d'Ktat  disliugué  était  né  en  1G85.  11  avait  débuté  ou  ba 
reau  d'Edimbourg  en  1709.  et  le  duc  d'Arygle  lui  avait  confié  l'admini 
tratiou  de  ses  biens.  Sa  carrière  au  barreau  fut  rapide  et  brillante.  Il  e 
nommé  ••  Dcputy-Advocate  ■  en  4716,  envoyé  au  Parlement  en  1722  et,  i 
1725,  devient  •  Lord-Advocate  ».  Dix  ans  plus  tard  il  occupe  une  des  haut 
fonctions  de  la  magistrature  écossaise  comme  Tun  des  «  Justicia 
Lords  •.  En  1737  enlin,  il  est  nommé  •  Président  of  the  court  of  session 
c'esl-îi-dire  principal  juge  pour  les  affaires  civiles.  U  rendit  en  cet 
qualité  de  précieux  services  pendant  rinsurrcclion  de  1745,  et  s'efforra 
calmer  l'animosité  de  partis  hostilos,  d'amener  la  paix  et  de  la  rend 
durable.  Il  mourut  on  1747  et  laissa  la  réputation  d'un  magistrat  intèg 
et  d'un  homme  d'État  habile.  Les  savants,  les  écrivains  et  les  artisl 
écossais  trouvaient  en  lui  un  protecteur  aussi  éclairé  que  bienveillant. 

2.  John,  duke  of  Argylc,  né  en  1G78,  hérite  eu   17U3  de  la  pairie  écc 
saise  de  son  père,  et  est  élevé  h  la  pairie  anglaise  en  1705.  11  servit  av 
distinction  sous  Marlburough,  fut  ambassadeur  en  Espagne,  et  devint 
des  orateurs  de  marque  du  Parlement,  ainsi  que  Va  rappelé  Pope  : 

a  Argyle  the  state's  whole  thunder  born   to  wield, 
And  shake  aiike  Ihe  senate  and  the  lield.  • 

Commandant  en  chef  des  troupes  écossaises,  il  réprima  avec  vigue 
et  avec  habileté  la  rébellion  de  1715.  Après  quelques  années  de  reirai 
il  mourut  en  1743.  Tous  les  poètes  du  temps  ont  vanté,  outre  ses  qu 
lités  de  guerrier,  de  diplom.-ile  et  d'homme  d'État,  son  goût  pour  1 
lettres  et  sa  bonne  grâce  parfaite. 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  45 

Âiiimann  '  avec  lequel  Thomson  se  lia  â*une  étroite  amitié. 
Mailet  l'introduisit  dans  une  société  moins  élégante  et  moins 
correcte:  celle  des  auteurs  qui  attendaient  encore  le  succès  et 
la  fortune.  Il  y  avait  bien  des  éléments  dans  ce  groupe  très 
mélangé.  Tout  n*y  était  pas  édifiant.  Mais  on  y  avait  de  l'es- 
prit, de  la  verve,  une  gaieté  facile;  et,  après  la  réclusion  d*East 
Barnet  ou  les  élégances  cérémonieuses  des  Montrose  ou  de 
Mr.  Forbes,  Thomson  retrouvait  sans  doute  avec  quelque 
plaisir  cette  société  un  peu  bohème.  Nous  le  voyons  lié  avec 
Richard  Savage,  le  prototype  d'une  classe  d'écrivains  nom- 
breux alors,  qui,  avec  quelque  talent,  peu  de  scrupule  et  beau- 
coup d'orgueil,  aspiraient  à  la  gloire  la  plus  haute,  mais,  en 
attendant,  mettaient  leur  plume  au  service  des  hommes  d'État 
ou  des  libraires  sans  regarder  de  trop  près  à  la  nature  des 
besognes  imposées.  Un  autre  personnage  curieux  du  groupe 
est  le  poète  Clio,  de  son  vrai  nom,  Martha  Fowkes  *.  Elle 
aimait  les  lettres,  et  les  hommes  de  lettres.  Ses  mœurs  étaient 
fort  légères  et  ses  bonnes  grâces  réparties  avec  une  libéralité 
cléplorable  entre  les  jeunes  poètes  du  jour.  Mais  elles  étaient 
réservées,  parait-il,  exclusivement  à  cette  portion  de  la  société 
londonienne  '.  Mailet  semble  en  ce  moment  être  en  fort  bons 
termes  avec  elle:  Elle  se  montre  au  moins  avec  tous  obligeante 
et  bon  camarade.  Dix  ans  plus  tard,   Aaron   Hill,   homme 
sérieux  et  de  vie  très  digne,  apprenait  avec  une  vive  douleur 
•a  mort  de  cette  Muse  de  Grub-Street  *. 

jNéea  Ecosse  en  4682,  se  destinait  au  barreau  et  montrait  un   goût 

^  vif  pour  la  peinture.  H  fut  élève  de  Médina,  et,  après  un  voyage  en 

Italie,  renonça   au   droit,  pour  8*adonner  entièrement   à  i'arl.   Le    duc 

<l'Argyle  le  patronnait  en  Ecosse,  et  de  nombreux  encouragements  l'ap- 

P^l^rent  à  Londres.  Il  y  peignit  les  portraits  du  duc,  celui  de  la  comtesse 

^c  Burlington,  de  lady  Grizell  Baiilie,  de  ces  mêmes  hauts  personnages 

^"i  favorisaient  les  débuts  de  Thomson.  Mais  il  fut  atteint  d'une  maladie 

^'»  après  de  longues  souffrances,  l'emporta  en  1731.  Nous  verrons  que 

jf^^^n.son  consacra  quelques  vers  à  son   souvenir.   Le   portrait   que   ilt 

^^^an  de  son  ami  date  de  cette  année  1725. 

ç.  ^  Klle  était  née  en  1690  et  mourut  en  1736.  Fille  d'un  officier,  le  major 
?^lKes,  elle  épousa  un  Mr.  Arnold  Sansom.  Curll  avait  public  d'elle  cer- 
'"^es  .  Épitres  à  Clio  »,  après  quoi  elle  prit  ce  nom  comme  pseudonyme, 
'^'4irà  ce  que,  sur  le  xîonscil  de  Mailet,  elle  Teilt  remplacé  par  celui  de 

•  M.  Bollon  Corney  (Aiherueum,  26  juil.  185U,  p.  78)  donne  une  liste 
'''"iblement  longue  des  écrivains  qu'elle  aurait  tour  à  tour  distingués  : 
^*VJ,Milchen,  Mailet,  Thomson^  Aaron  Hill,  Rich,  Savage,  Dyer.  Ce  der- 
^^^^  soupire  et  meurt  pour,  elle  dans  la  plupart  de  ses  petites  pièces. 
i, .  PoorC  oî  It  is  long  since  I  met  with  an  aflliction  more  sensible 


46  JAMES   THOMSON. 

Le  poiMiio  acliovt'»,  ce  fut  oiK'ore  roflicieiix  Mallct  qui  se 
chargea  de  tr'ouver  un  éditeur.  Il  se  iriit  en  campagne,  dit  un 
biographe,  par  une  journée  de  novembre,  et,  accompagné  d'un 
autre  ami  de  l'auteur,  s'en  fut  offrir  Touvrage  à  tous  les  libraires 
du  Strand  et  de  Fleet  Street.  Pas  plus  alors  que  depuis  on  ne 
trouvait  facilementacquéreur  pour  les  vers  d'un  poète  inconnu; 
et,  quand  enfln  on  eut  décidé  John  Millan  à  tenter  l'aventure, 
il  paya,  dit-on,  trois  livres  sterling,  soixante-quinze  francs, 
l'œuvre  sur  laquelle  Thomson  comptait  pour  forcer  les  portes 
de  la  renommée*. 

C'est  là  un  des  détails  les  plus  connus  de  la  vie  de  notre 
auteur.  Ce  prix  payé  pour  une  des  œuvres  maîtresses  de  la 
poésie  anglaise  est  devenu  un  des  documents  célèbres  de  l'his- 
toire anecdotique  des  écrivains  et  de  leurs  rapports  avec  les 
éditeurs.  Ni  le  libraire  qui  a  acheté  la  propriété  du  <c  Paradis 
Perdu  »  *,  ni  celui  à  qui  Savage  vendit  son  Wanderer^,  ni  celui 
à  qui  Johnson  abandonna  son  poème  satirique,  London  *,  ni 
les  Griffiths  et  les  Newbery  qui  exploitèrent  à  si  peu  de  frais  le 
talent  fertile  d'Olivier  Goldsmith,  aucun  de  ces  industriels  n'est 
arrivé  à  ce  taux  resté  fameux  des  trois  livres  payées  par  MillB^ 
pour r  «  Hiver».  C'est  un  a  record  »  que  Thonnéte  libraire  étB-- 
blissait  là  sans  s'en  douter.  —  Telle  est  l'opinion  généralement 
accréditée.  En  réalité  la  négociation  est  beaucoup  moins  remar- 
quable. Ce  chiffre  de  trois  livres  nous  vient  d'une  autorité 
très  suspecte,  car,  dans  la  note  où  il  figure,  le  renseignement 
est  accompagné  de  plusieurs  autres  dont  l'inexactitude  est 
manifeste  \  D'ailleurs  les  paroles  du  biographe  qui  a  la  respon- 


Uian  Ihc  inrormatioa  yoii  sent  mo  concerning  her.  »  'Hill'»  Works,  édil. 
1752,  leUre  du  23  juin' 1736.) 

1.  The   Scasons,  édit.  1770.  —   Life  by   Mufdoch  with  noies  by  WniGHT, 
^note  viii). 

2.  L'auteur  recevait  5  livres,  et  devait  en  recevoir  encore  5  après  la 
vente  de  1  300  exemplaires. 

3.  Savnge  vendit  la  propriété  de  ce  poème  pour  10  guinôesdontil  rendit 
2,  afin  que  les  deux  dernières  Teuilles  qui  avaient  été  imprimées  de  façon 
incorrecte  fussent  recommencées.  (Johnson's  Life  of  Savaye,) 

4.  Arlicté  par  Dodsicy  en  1738  pour  10  guinées.  Le  même  éditeur  don- 
nait, en  1740, 15  guinées  de  la  satire,  On  the  Vanity  of  Human  Wishes, 

r».  «  ThcPoem  onWinterwas  written  by  Mr. Thomson  inl72i,afewmonlh8 
arter  hid  coming  to  London.  Hc  had  no  fricnd  bere  but  Mr.  Mallel,  his 
scliooirellow;  'who,  with  an  intlmate  acquaintance,  >^'alked  one  day  in  the 
monlh  of  November  to  ail  the  booksellcrs  in  the  Strand  and  Fleet  Street 
lo  sell  the  copy  of  his  season  and  at  last  agreed  with  Mr.  Millar  (who  thea 


LES   DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  47 

sabililé  de  Tanecdote  ont  reçu  une  interprétation  précise 
qu'elles  ne  comportent  pas.  n  Le  libraire,  nous  dit-il,  ne  voulut 
«  avancer  que  trois  livres.  »  Cela  ne  signifie  pas  nécessairement 
qu'il  ait  acheté  le  poème  pour  cette  somme.  De  fait  nous  savons 
que  l'argent  reçu  de  Millan  pour  V  a  Hiver  »  n'a  en  rien  gêné 
l'auteur  quand  il  commença,  dès  1728,  à  recueillir  des  souscrip- 
tions pour  les  «  quatre  Saisons  ]>,  ni  quand  il  vendit  le  poème 
complet  à  Millar.  Cela  suffirait  à  montrer  que  le  premier  édi- 
teur n'avait  pas  acquis  un  droit  de  propriété.  Mais  nous  avons 
un  autre  document  qui  ne  laisse  guère  de  place  au  doute.  Un 
jugement  de  la  Cour  du  Banc  du  Roi,  qui  a  contribué  à  fixer* 
pour  longtemps  en  Angleterre  la  jurisprudence  en  matière  de 
propriété  littéraire,  est  intervenu,  en  1769,  à  la  requête  de 
Millar,  poursuivant  le  libraire  Taylor  pour  avoir  imprimé  les 
«  Saisons  ^  '.  Après  un  long  débat  qù  toutes  les  circonstances 
de  la  publication  des  diverses  parties  du  poème  furent  rappelées 
et  vérifiées,  les  juges  rendirent  une  sentence  qu'accompagnent 
entre  autres  les  considérants  suivants  :  «  James  Thomson  Esq. 
•afeit  d'abord  publier  et  imprimer  «  les  Saisons  y>  pour  son 

•  propre  usage  et  bénéfice  » a  Andrew  Millar  en  1729  acheta 

•  l'ouvrage,  pour  une  somme  importante,  à  James  Thomson, 

•  l'auteur  et  le  propriétaire*.  »  L'éditeur  de  l'intéressant  opus- 

l'^ed  in  a  lillle  shop  in  Fleet  Street),  and  the  chief  motive  with  him  was 
tliat  the  autor  was  his  countryinan  ;  for  aftcr  scveral  arguments  he  would 
idrance  no  more  than  three  pounds  for  it....  This  poem  sold  so  well  that 
Mr.  Millar  gave  Mr.  Thomson  fifty  pounds  forlbaton  Springand  incrcased 
thccopy  money  for  the  SummerandÂutiimu.  •  {The  Seasons...  ivilhLife..., 
hj  6.  WwoHT,  note  vm.) 

La  note  fourmille  d'erreurs.  Thomson  vient  à  Londres  et  écrit  V  «  Hiver  -  en 

1725  et  non  en  1724.  Le  poème  est  publié  par  Millan  et  non  par  Millar.  Ni 

i  un  ni  Tautre  de  ces  deux  éditeurs  n'habitait  alors  Fleet  Street. 

i.  Le  fameux  Dr.  Blackstone  était  conseil  du  plaignant. 

2.  Mr.  Justice  Willes,  appelé  le  premier  à  énoncer  son  opinion,  dit,  entre 

autres  choses  :  «  The  jury  hâve  found  this  spécial  verdict  :  They  say  Ibe 

work  is  an  original  composition  by  James  Thomson,   Esquirc...  at  flrst 

published  and  prinled  by  James  Thomson  for  his  own  use  and  bencfit  at 

several  times  between  the  beginningof  the  year  1727  and  1729,  the  same 

having  never  before  been  printed  elscwhere.  And  the  spécial  verdict  farth- 

er  find^,  Andrew  Millar,  the  plaintiiï,  in  ihe  year  1729,  purchascd  this 

work  called  Ihe  Seasons  for  a  valuable  considération,  of  James  Thomson 

the  authorand  proprietor,  to  him, his  heirs  and  assigns  for  ever  »...  {Speerhes 

and  arguments  of  the  Court  of  King*s  Bencb...  in  the  cause  Millar  against 

Taylor....  Printed  for  William  Coke,  Leith,  mdcclxxi.) 

Les    circonstances  de   fait  rappelées  par  ces   considérants   sont   loin 
d'être    toutes  exactes;  mais  il  est  évidemment  acquis  à  la  cause  que 


48  JAMES  THOMSON. 

cule  auquel  nous  empruntons  ces  citations  ajoute  lui-même  ( 
c*ést  sans  doute  un  écho  des  débats)  que  l'œuvre  rapporta 
l'auteur  environ  1 000  guinées  tandis  qu'il  en  restait  proprj 
taire,  et  avant  ^u'il  la  vendit  à  Millar  pour  160  livres'. 
L'anecdote  du  poème  payé  trois  livres  doit  donc,  bien  que 
biographie  de  Thomson  en  puisse  perdre  un  trait  piquant,  alh 
rejoindre  les  légendes  controuvées  qui,  mises  en  circulatio 
par  un  chroniqueur  Imaginatif,  puis  docilement  reproduitei 
finissent  par  obtenir  une  créance  à  laquelle  elles  n'ont  nul  droit 


11 


C'est  au  mois  de  mars  1726  que  parut  V  «  Hiver  ».  C'est  don 
cette  date  qui  marque  le  moment  capital  de  la  carrière  de  notr 
poète.  La  vie  lui  avait  été  jusque-là  ce  qu'elle  est  pour  tou 
les  hommes  qui  n'ont  à  compter  que  sur  eux-mêmes, 
avait  connu  «  les  rudes  épreuves  que  dissimule  l'indigène 
«  modeste,...  le  mépris  de  l'orgueil  opulent,  et  les  mille  autn 
«  maux  de  la  pauvreté  *  ».  Il  pouvait  cependant  songer  sans  trc 
d'amertume  à  cette  période  de  difficiles  débuts.  Elle  n'ava 
pas  été  trop  prolongée  :  il  était  à  Londres  depuis  un  an  exacte 
ment.  Elle  ne  lui  avait  pas  montré  la  société  uniquemej 
égoïste  et  impitoyable  aux  faibles  :  il  avait  rencontré  ch< 
beaucoup  une  courtoisie  bienveillante,  à  défaut  d'un  concou: 
très  efficace.  Il  avait  surtout  senti  à  ses  côtés  une  amitié  vai 
lante  et  active  qui  l'avait  encouragé,  soutenu,  guidé,  qui  ava 
aplani  pour  lui  les  obstacles,  en  mettant  au  service  de  se 
génie  un  utile  savoir-faire  pratique  '.  Il  n'avait  tenté,  poi 

Tbomson  n'avait  pas  vendu  à  Millar  son  droit  d€  propriété,  et  c'est  tout 
qu'il  nous  importe  de  relever. 

1.  •  The  author  of  the  Seasons  reaped  about  a  thousand  guineas  prc 
W'hile  the  work  was  his  own  property;  he  sold  it  in  1129  to  Millar  I 
160  pounds....  w  (Note  ajoutée  aux  considérants  de  l'opinion  de  sir  José 
Yates,  un  des  quatre  juges.) 

2.  The  shork  severe  Ihat  modest  wanl  conceals. 

The  oppressor's  scourge,  the  scorn  oT  wealthy  pride 
And  poverty's  unnumbered  ills  bcsidc. 

(On  Ihc  Death  of  his  Mother.) 

3.  Ce  qui  chez  Mallet  n'était  alorâ  qu'adresse  mondaine  et  entregent  < 
devenu  plus  lard  indélicatesse  et  absence  de  sens  moral.  Mais  si  Malli 


LES  DÉnuTS  d'un  poètk.  49 

s'assurer  la  fortune,  aucun  acte  dont  il  cûL  à  rougir,  et  n'avait 
rien  p.'hlu  de  ce  fonds  de  bonne  hunneur  égale,  de  sociabilité 
joypuse  et  indulgente  et  de  philosopliique  insouciance  qu'il 
avait  apportées  à  Londres.  11  avait  donc  cette  bonne  fortune 
d'avoir  traversé  les  premières  et  inévitables  épreuves  sans 
qu'elles  laissassent  en  lui  ni  souvenir  humilié,  ni  levain  de 
ïîiisanthropique  égoïsmc.  A  partir  du  mois  de  mars  1720,  il 
est  entré  dans  les  rangs  des  écrivains  en  renom;  il  rencontrera 
sans  doute  encore  des  difficultés  et  des  déboires;  mais  la  noto- 
riété lui  est  désormais  assurée,  en  attendant  la  gloire. 

Le  succès  du  poème  fut-il  immédiat?  C'est  encore  là  un  des 
points  sur  lesquels  une  légende  s'est  formée  qui  ne  résiste 
{îuèreaux  investigations  précises.  On  a  répété,  sur  la  foi  de  bio- 
graphes dont  Taffirmation  pouvait  être  facilement  contrôlée,  que 
i'  «  Hiver»  resta  longtemps  chez  l'éditeur  sans  être  ni  vendu, 
oi  lii,jusqu'à  ce  qu'un  homme  de  goût  en  eût  célébré  le  mérite 
dans  les  cercles  littéraires.   Mais  les  informations  sont  en 
désaccord  dès  qu'il  s'agit  de  déterminer  qui  fut  cet  homme  de 
goût.  Shiels  nomme  Whately,  et  Johnson  Whatley,  Warton  dit 
J-  Spence,  Goodhugh  dit  Mitchell  et  Dalloway  dit  Rundle  \ 
^'oilà  bien  des  critiques  empressés  à  assurer  le  succès  du 
poème;  ils  font  déjà  un  petit  public  à  eux  seuls.  Quant  au  grand 
public,  voici  ce  qu'en  dit  l'auteur  d'une  ancienne  biographie  de 
Thomson  :  «  Ce  qui  paraîtra  un  peu  surprenant,  c'est  que  les 
*  critiques  de  profession  furent  les  seules  personnes  qui  hési- 

^^^ain  minislériel,  exécuteur  testamentaire  de  Bolinglisokc  ou  éditeur 
|1*  ta  vie  du  grand  Marlborough,  mérile  de  sévères  repruclios,  il  est 
juste  de  porter  à  son  actif  ce  dévouement  afTectueux  pour  un  cumpalriole 
^'^pt  il  n*avait  alors  rien  à  attendre,  en  qui  plutôt  il  pouvait  voir  un  rival, 
^^iels  insiste  sur  ce  fait  que,  pendant  de  longues  années,  jamais  un  nuage 
^'^  Toilé  Tamilié  des  deux  poètes. 

*•  •  One  Mr.  Whately,  a  man  of  some  tasle  in  lelters.  »  (Shiels,  CiO- 
*-'■'*  Liots,) 

■  ^r.  Wlialley.  a  man  net  wholly  unknown.  •  fJouNSo.N.) 

*  The  Winter  lay  like  waste  pnper  at  the  publisher's  until  a  genlloman 
^^  lasle,  Mr.  Mitchell,  promulgated  ils  mcrils  inlo  Ihe  best  circles.  • 
^GoohBucH,  The  English  Gentleman' s  Library  Maîiual,  p.  294. . 

'  l^uring  Ihis  era  he  (Dr.  Rundle)  becaniK  more  known  to  the  republic  of 
jj^llersby  ihe  libéral  support  he  gave  lo  Thomson  upon  his  publishing  his 
^'nier.  •  (Leiiei's  of  the  laie  Thomas  Rundle,  with  .Memoirs,  by  James  Dal- 
*^^AT,  1189.) 

*^nOn  Warton  dit,  dans  son  Essay  on  the  Genius  ofPope,  que  le  poème  resta 
*^"glemp8  négligé  jusqu'à  ce  que  l'attention  du  public  fût  éveillée  par  la 
''"«Uiion  favorable  qu'en  fit  Spence  dans  son  Essay  on  the  Odyssey. 

4 


50  JAMES   THOMSON. 

((  tassi'iil  à  donner  leur  a[)prol)ation  »  '.  El  Murdoch,  le  con- 
temporain et  l'ami  de  l'auteur,  constate  que  a  le  ijoènie  fut 
«  universellement  admiré  dès  qu'il  Tut  lu  ». 

La  vérité  est  que  le  succès  l'ut  en  clïét  très  prompt.  Sans 
doute  les  exemplaires  ne  furent  pas  enlevés  dès  le  jour  de  Ja 
mise  en  vente,  comme  si  l'auteur  avait  été  déjà  célèbre.  Il 
fallut  que  le  public  fût  informé  de  la  valeur  de  Toeuvre,  et  du 
talent  de  ce  poète  nouveau  -.  Mais  nous  savons  que  les  avis  de 
ce  genre  se  répandirent  sans  retard.  L'honneur  que  nous  avons 
vu  réclamer  pour  chacun  des  personnages  nommés  plus  haut 
leur  revient  à  tous  collectivement.  Nous  ne  sommes  pas  sur- 
pris de  trouver  parmi  ces  admirateurs  de  la  première  heure 
A.  Mitchell,  compatriote  de  l'auteur,  et  homme  d'une  haute 
intelligence  ',  ni  Rundle,  esprit  d'une  rare  indépendance  en 
même  temps  que  fin  lettré  *.  Spence  *  s'était  fait  une  vocation 
de  découvrir  les  talents  ignorés.  11  avait  ainsi  prôné  et  patronné 
à  leurs  débuts  Dodsley,  le  domestique  devenu  homme  de 
lettres,  le  poète  aveugle  Blacklock,  Térudit  tailleur  l\ob.  HiU? 

1.  •  Wbat  wiil  appear  a  little  surprising,  the  proressed  crilics  werc  t\i^ 
only  persons  thaï  hesitalcd  lo  givc  Iheir  approbalion.  »  {The  Works  ^1 
Thotnsoiij  Edinb.,  1772.) 

2.  Il  n'en  a  pas  été  aulrement  d;i  premier  poème  importanl  de  Pope  ivt'i' 
mcinti  :  «  Pope's  Essay  on  Criticiâm  was  nol  sold  before  one  mootti  * 
(D'IsnAKLi,  Quarrrls  of  Anthors,  p.  280.) 

'.\.  Mitchell  fui  ambassadeur  à  Herlin,  et  sut  représenter  dignement  1^ 
diplomatie  an-zlaise  auprès  d'un  joueur  tel  que  le  Grand  Frédéric.  Les  lec- 
teurs des  études  de  .M.  le  duc  de  Broglic  sur  Thistoire  diplomatique  de  1^ 
France  au  xviii*  siècle,  connaissent  bien  A.  Mitchell  et  son  rôle  à  Berli''' 

4.  Thomas   Uundle  LL  D.  (1080-1743)  devint  en  1735  évoque  de  Derry, 
Comme  théologien  ses  opinions  étaient  suspectes  d'hétérodoxie.  Ses  dém^l^^ 
avec   l'évéque    de    Londres,    Edmond   Gibsou,  ont   beaucoup   occupé  '^ 
société  du  temps.  Ils  ont  été  l'occasion  du  poème  de  R.  Savagi',  The  PrO' 
f/ress  of  a  Divine.  Pope  disait  de  lui  dans  son  journal  :  «  Uundle  bas   û 
heart  »,  et  Swift  écrivait  : 

Malic  Rundle  bishop!  lie  for  shame! 
An  Arian  lo  usurp  the  name! 
(On  Dr,  Rundle,  bishop  of  Dervy.)  Swift,  vol.  IH,  p.  92. 

Rundlo,  très  répandu  dans  la  société  de  son  temps,  s*y  faisait  remarquer 
par  l'élégance  de  ses  manières  et  par  Téclat  de  sa  conversation.  Ses  lettres 
à  Mrs.  Sandys,  publiées  longtemps  après  sa  mort,  nous  montrent  bien  un 
appréciateur  éclairé  des  hommes  et  des  choses  du  monde  des  lettres. 

5.  Joseph  Spence  (1699-176S),  fellow  de  New-Collego,  Oxford,  en  1722,— 
professeur  de  poésie  à  Oxford  do  1728  à  i"3S,  —  Regius  Professer  d'histoire 
moderne,  1712.  L'  «  Essai  sur  la  traduction  d'Homère  >  de  Pope  parut  à  Lon* 
dres,  la  !'•  partie  en  juin  1726  et  la  2*  en  1727. 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  51 

et  d'autres  encore.  Quant  à  ce  Whately  ou  Whatley,  qui  est 
cité  plus  souvent  que  les  autres,  il  y  a  quelque  difficulté  à 
Hier  sa  personnalité.  On  a  supposé  qu'il  s'agissait  du  Rev. 
Robert  Whatley,  qui  devint  plus  tard  a  prebendary  of  York  ». 
Nous  trouvons  en  effet  parmi  les  souscripteurs  à  l'édition  de 
1730,  le  Rev.  Mr.  Whatley.  Il  est  cependant  un  Robert  Whatley 
qui  ne  semble  pas  être  le  même,  et  qui  pourrait  bien,  plutôt 
qu'un  membre  du  clergé,  être  visé  par  la  dédaigneuse  indica- 
tion de  Shiels  et  de  Johnson.  C'est  un  personnage  remuant  et 
intrigant,  dont  certain  opuscule  figure  parmi  les  brochures 
politiques  du  temps  *,  et  ressemble  fort,  il  faut  bien  le  dire,  à 
unetentative  de  chantage  à  l'adresse  de  Walpole.  Il  a  Millan 

•     pour  éditeur,  et  se  vante  de  ses  relations  d'amitié  avec  Mr.  Hill. 

I     Voilà  plusieurs  points  de  contact  possible  avec  Thomson. 

'  Mais  notre  embarras  est  surtout  grand  devant  l'affirmation 
très  positive  du  Rév.  Richard  Whately  D.  D.,  qui  revendique 
pour  son  oncle  Thomas  Whately,  auteur  d'un  traité  sur  l'art 
des  Jardins,  l'honneur  d'avoir  le  premier  (disons  un  des  pre- 
miers) appelé  l'attention  sur  l'œuvre  de  Thomson  *. 

11  n'est  plus  d'incertitude  ni  d'obscurité  quand  nous  en 
venons  à  un  cinquième  patron  du  poème  que  les  biographes 
nientionnent  moins,  mais  qui  seul  a  pour  lui  le  témoignage 
^e  Thomson. 

*•  A  short  Bistory  of  a  (en  years  negoiialion  belween  a  Prime  Minister 
and  a  Priiate  Gentleman.  Printedfor  J.  Millan,  near  Charing  Cross.  By  the 
*"lhor  of  A  Discourse  on  Fornication  (Robert  Whatley). 

Dans  le  même  volume  (Brit.  Mus.  E  2029)  sont  reliées  trois  letires  de 
"•Whatley  au  premier  minisire  (Rob.  Walpole),  où  Taiiteur  expos.i  lon- 
^einenl  ses  antécédents.  II  a  voyagé  auprès  des  cours  étrangères;  il  a  eu 
^honneur  de  connaître  le  roi;  il  a  été  l'ami  d*hommeslels  que  leTeu  comte 
^6  Pembroke,  sir  Isaac  Newton,  et  Mr.  Hill. 

2.«  Theearliest  writer,  webelieve,  on  thc  subjectfLandscape  Gardening) 
^38  my  uncle  Thomas  Whately.... The  French  poet  De  Lille  in  his  poem  of 
'Les Jardins  »  does  acknowledge  him  as  his  master.  Mr.  Whately  wasdistin- 
^uisbed  as  a  mao  of  taste  in  more  than  one  département.  Being  by  many 
fooked  up  to  with  déférence  in  such  matters,  it  was  he  who  flrst  brou«ht 
'nio  notice  Tbomson's  Scasons,  and  this  laid  the  fonndation  of  its  greal 
ropularity.  • 

Ce  Thomson  Whately  est  l'auteur  des  Observations  on  modem  Gardening 
(2*  édit.,  1770)  dont  parle  H.  Walpole  dans  une  lettre  adressée  de  Paris  à 
la  comlesse  d'Ossory  (Aug.  11»"  1771)  :  .  The  taste  for  English  ganloning 
makes  a  great  progress  bere,  not  owing,  alas!  to  mine,  but  to  Mr.  Wha- 
tcly's  book  which  bas  been  translated  -.  Il  est  connu  aussi  pour  ses  lie- 
marks  on  some  of  the  characters  of  Shakespeare  que  son  frère,  le  père  du 
Révérend  Richard  Whately,  publia  en  1785. 


52  JAMES   THOMSON. 

Miillet  avait  .sullicilé  iiour  rcriivre  de  son  ami  le  jiif,'eineii 
d'Aaroii  Ilill,  i)oète,  historien,  inventeur  et  critique,  au  totu 
honnne  fort   réi)andu  '.    Dès    le  5  avril,    Thomson   pouvo.i 
remercier  Hill  d'une  approbation  qui  était  pour  le  poème  \x\v 
promesse  de  succès.  Ce  tut  le  début  entre  les  deux  homii:ie. 
d'une  durable  amitié,  et  Toccasion  d'une  série  de  lettres  qu 
nous  sont  conservées.   La  reconnaissance   de  Thomson    s'} 
exprime  avec  un  excès  d'humilité,  avec  un  débordement  d'ad- 
miration et  de  flatteries  tout  à  fait  extraordinaires.  Johnson  osty 
à  ce  sujet,  très  sévère  pour  le  jeune  poète  ^  On  a  supposé  que 
les  conseils  de  Mallet  n'avaient  pas  été  étrangers  à  l'adoption 
de  ce  ton  d'enthousiasme  exubérant.  Hill,  qui  prodiguait  volon- 
tiers les  éloges,  et  qui  s'entendait  à  les  distribuer  avec  esprit  et 
avec  tact,  aimait  pour  son  compte  la  flatterie  même  exagérée 
et  brutale.    Reconnaissons  ici,   pour  atténuer   les   torts  de 
Thomson,  que  ses  hyperboles  ont  pour  objet,  non  pas  de  lui 
assurer  un  protecteur  utile,  mais  de  remercier  un  des  maî- 
tres de  la  littérature,  pour  un  appui  gratuitement  et  génère  ti" 
sèment  accordé.  Il  n'en  reste  pas  moins  quelque  chose  d'amct- 
sant  pour  nous  dans  le  ton  de  cette  correspondance,  quat^^^ 

m 

nous  comparons  au  rang  qu'elle  établissait  entre  les  deux  éc  mr^ 
vains  celui  que  la  postérité  leur  a  assigné.  On  en  jugera  i>^ 
ce  début  de  la  première  lettre. 


1.  Anron  Hill  est  rcslé  connu  surtout  par  ses  démêlés  avec  Pope, 
la  dignité  qiril  sut  conserver  devant  les  attaques  injustes  et  les  tergiv^ 
salions  misérables  de  l'auteur  de  la  Dtinciad.  C'était  un  écrivain  pi 
fique,  uu  esprit  chercheur  et  inventif,  un  homme  aimable,  serviable  et  gè- 
reux.  A  l'époque  où  commencent  ses   relations  avec  Thomson,  il  a 
écrit  lin  ouvrage  d'histoire  important  {A  histonj  of  the  Ottoman  Emp 
1"09),  des  tragédies,  des  potmes,  des  ■  essais  •  sur  la  fabrication  de  Vh\ 
de  hêtre,  sur  la  houille,  sur  le  vin,  etc.  Ses  œuvres  les  plus  récentes  sont 
tragédie,  -  Henri  V  •  (1723),  et  un  poème,  «  l'Éloile  du  Nord  •  (1725).  H  pu 
le  Plahi  Dealer  et  c'est  à  ce  litre  surtout  que  son  appui  est  précieux  i^    ^ 
un  jeune  auteur.  H  y  TiTa  paratlre  Tannée  suivante  la  ballade  célèbre?    < 
Mallet,  William  and  Margarct,  {The  Plain  Dealer,  u»  36,  14  juillet  ilZT    -) 
2.  •  Thomson  obtained  likewise  Ihe  notice  of  Aaron  Hill,  whoin,  b^^  i", 
friendless  and  indigent,  and   glad   of  kindness,   lie  courted   with   a^rer^ 
expression  of  servilc  adulation.  ••  (Life  of  Tfiomson.)  Il  serait  juste  d  ""op- 
poser à  ct.'lte  condamnation  rigoureuse  ce  qtie  le  docteur  dit  lui-mônaje  à 
un  autre  moment  :  -  To  charge  ail  unmerited  praise  with  tbc  giiil  t    of 
flaltery...   is   to  discover  great   ignorance  of  human   nature   ».  (Ii/<p  of 
Halifar.^ 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE. 


53 


<  Monsieur, 

•  J'ai  vu  la  lettre  que  vous  avez  écrite  à  mon  ami,  Mr.  Mallet, 
«samedi, et,  bien  que  je  ne  puisse  m'enorgueillir  de  l'honneur 
t  etdu  bonheur  de  votre  connaissance,  bien  que  je  doive  appro- 
«  cheravec  la  plus  extrême  déférence  et  la  plus  extrême  véné- 
«  ration  un  génie  aussi  éminent,  cependant  mon  cœur  débor- 
*dant  ne  peut  se  laisser  arrêter  aux  formes  ordinaires;  et  il 
«  faut  que  vous  me  permettiez  la  joie  d'épancher  mes  meil- 
•  leurs  remerciements...  *.  » 


reçut  ces  effusions  avec  une  gracieuse  condescendance. 
l^De  seconde  lettre  nous  montre  chez  Thomson  un  enthousiasme 
encore  accru,  et  confmant  à  l'extravagance  :  ...  oc  Tandis  que 
•je  médite  sur  vos  lignes  encourageantes,  j'oublie  pour  un 

•  nioment  l'égoïsme,  l'avilissement  et  la  cruauté  des  hommes, 

•  et  il  me  semble  je  suis  dans  la  société  d'êtres  meilleurs  et  de 

•plus  noble  essence*  ».  La  même  lettre  fait  allusion  à  une 

entrevue  proposée  par  Hill,  et  qui  eut  lieu  le  26  avril.  Le  len- 

^^naain  le  jeune  poète  remercie  dans  des  termes  où  sa  recon- 

'^^issance  perd  toute  notion  de  mesure  et  de  bon  sens  : 

t  Quand  je  songe  combien  je  fus  hier  vraiment  heureux  dans 

*  Votre  société,  il  m'est  impossible  d'empêcher  le  sentiment  de 

*  Ce  bonheur  de  s'épancher  au  dehors  dans  ces  remercie- 
nients....  Il  n'y  a  personne  qui  rende  la  nature  humaine  plus 
aimable  que  vous;  personne  en  même  temps  qui  rende  plus 
méprisable  la  plus  grande  partie  des  hommes  :  et,  quitter 
votre  compagnie  pour  se  mêler  au  troupeau  des  humains, 
c'est,  comme  Nabuchodonosor,  descendre  d'un  trône  pour 
paître  avec  les  brutes  des  champs...  \  j> 


1. 


To  Aaron  Hill  Esq. 


Sip, 


«  April  5,  1726. 


•  HavÎDg  seen  a  IcUer  you  wrolc  lo  my  friend  Mr.  Mallet,  on  Salurday 
^asl,  Ihough  I  cannot  boasl  Ihe  honoiir  and  happiness  of  your  acquainl- 
«oce,  aud  oiight  wilh  Ihe  utmost  dererence  and  vénération  lo  approach 
50  suprême  a  genius,  yet  my  fuU  hearl  is  not  lo  be  repressed  by  fopmali- 
*'es;  and  you  musl  allow  me  Uie  pleasure  of  pouring  forth  my  best  ackuow- 

'«dgmenls....  » 

2.  N  ...  Whiie  I  medilale  your  encouraging  Unes,  for  a  while  I  forget 
^he  selfishne.-s,  degeneracy,  and  cruelty  of  men,  and  scem  to  be  associaled 
*«th  better  and  more  exalted  beings (Lettre  du  18  avril  1726.) 

3.  •  When  I  reflect  how  truly  happy  I  was,  yeslerday,  ia  your  company 


o4  JAMES   THOMSON. 

Savaj^o  ('.'lait  présent  à  aAUi  réunion.  Tlioinson  crut  coiiis- 
tater  en  lui  un  res[)ect  niélé  de  crainte  en  lace  de  rimiu)sai  \L 
Aaron  Hill  ».  Ce  sont  là  des  sentiments  que  nous  nous  attrix- 
dions  peu  à  trouver  chez  le  personnage.  Son  front  n'était  pi.\s 
de  ceux  sur  lesquels  il  puisse  y  avoir  lieu  d'  (c  écraser  la  bosse 
du  respect  *».  Son  mutisme  a  du  être  mal  interprété  i>5."xr 
Thomson;  et  nous  sommes  plutôt  tentés  de  croire  qu'il  assista 
au  dialogue  en  auditeur  un  peu  narquois,  prompt  à  en  recueil  lir 
les  traits  les  plus  piquants  pour  en  amuser  peut-être  le  cerc:;le 
intime  de  Mr.  Pope  ». 

Nous  pouvons  supposer  que,  de  toutes  les  félicitations  qui 
accueillirent  le  poème,  aucune  ne  fut  plus  agréable  à  Tauteur 
que  celle  qui  lui  vint  de  son  premier  conseiller,  de  Tamical 
confident  de  ses  premiers  essais  et  de  ses  jeunes  espérances. 
((  Quand  Mr.  Riccaltoun  vit  pour  la  première  fois  Ta  Hiver  y>  de 
a  Mr.  Thomson,  chez  un  libraire  d'Edimbourg,  il  en  fut  vi vemen  t 
m  impressionné,  et,  après  avoir  lu  certains  vers,  il  laissa,  dans 
a  Texcés  de  son  admiration,  tomber  le  livre  de  ses  mains  *.  » 

Si  grand  et  si  prompt  qu'ait  pu  être  le  succès,  il  eût  été 


il  is  impossible  for  me  to  reslrain  my  sensé  of  il  from  breaking  oui  in  ^^ 
Ibis  acknowledgmeat....  Tbcre  is  iione  (bal  rcnders  human  nalure  m(p  ^^ 
amiable  tban  you;  and,  ai  tbe  same  lime,  none  tbat  renders  Ibe  gréais  ^ 
pari  of  il  more  conlemplible  :  and  lo  descend  from  your  company,  ac 
miuglc  wilb  tbe  berd  of  mankind,  is  like  Nebucbadnczzars  descendii 
from  a  tbrone,  lo  grazc  wilb  Ibe  beasts  of  tbe  tîeld....  »  (Lettre  du  27  avri 

1.  «  Il  gives  mu  un  addilional  pleasure  to  reflect  tiow  justly  please 
too,  Mr.  Savage  was.  Nolbing  is  to  me  a  slrouger  instance  of  tbe  unii 
provable  nalure  of  tbat  unbappy  créature  of  wbom  you  speak  bo  compa^ 
sionately,   Dolwitbstanding   of  Ibe  barbarous  provocation  be  bas   givi 
you,  tliau  bis  remaiuing  bieak  aud  williered,  under  tbe  influences  of  yo^ 
conversation....  •  (Mùme  lettre.) 

2.  Proidiion,  Correspondance, 

3.  •  Savage  was  of  greal  use  lo  Mr.  Pope,  in  bclping  him  lo  liltle  sL- 
ries,  and  idle  taies  of  many  pcrsons  whose  names  bad  long  since  been  fc 
golton,  bad  not  Mr.  Pope  menlioned  Ibem  in  bis  Dunciad.  ■  (Life  of 
Hill  in  Cibber's  Lives.) 

C'est  le  mùme  renseignement  que  le  Docteur  répète  en  langue  johm 
nienne  :  •  lie  was  considered  as  a  kind  of  confédérale  of  Mr.  Pope,  whc:^^ 
be  wa^  suspecled  of  supplying  wilb  privale  intelligence  and  secret  im^  *- 
denU;  so  tbat  tbe  ignominy  of  an  informer  was  addod  to  Ibo  terror  o  ^ 
salirisl  ».  (Joii.nson,  Life  of  H.  Saviujc.) 

4.  •  Wben  Mr.  Uickerlon  firsl  saw  Mr.  Tbomson's  Winter,  wbicb  v^' -^ 
in  a  book^^eller's  sbop  al  Edinburgb,  be  stood  amazcd  and  afler  be  lï^ 
rcad  tbe  lines  «juoted  below  (Induction  lo  Winter),  be  dropt  tbe  po*-5 
from  bis  band  in  tbe  ecbta^y  of  bis  admiration.  •  (Shikls,  Cibber's  Uf&     ^ 
Thomson.) 


LES  DÉBUTS   D*UN   POÈTE.  58 

surprenant  que  nulle  critique  ne  vînt  se  mêler  au  concert 
des  éloges.  Samuel  Johnson  disait  au  moment  où  allait  paraître 
son  premier  livre  :  «  Quelle  réception  je  dois  trouver  sur  le 
t  rivage,  je  l'ignore.  Je  ne  sais  si  je  verrai  sur  la  côte  une 
«Calypso  qui  m'appelle,  ou  un  Polyphème  qui  me  fasse 
I  obstacle.  Mais  si  c'est  Polyphème  qui  se  présente,  gare  à  son 
«œiP!»  —  Thomson,  nous  l'avons  vu,  a  rencontré  sur  le 
rivage  la  menue  monnaie  de  Calypso  ;  il  y  a  aussi  trouvé 
Polyphème.  Joseph  Mitchell  était  un  de  ses  anciens  cama- 
rades d'Université,  celui-là  même  qui  Testimait  un  pur  lour- 
[  daud.  Lui  aussi  était  poète,  et  lui  aussi  venait  chercher  la 
!  fortune  à  Londres.  Après  la  publication  de  1'  a  Hiver  »  i! 
adressa  à  l'auteur  son  jugement  sous  forme  de  distique  : 

«  Les  beautés  et  les  défauts  se  montrent  là  si  pressés  —  que 
<  je  ne  puis  voir  les  premières  tant  sont  proches  les  derniers  -.  » 
La  critique  ne  fut  pas  du  goût  de  Thomson,  malgré  la  part 
<l'éloges  qu'elle  impliquait;  et  il  répondit  par  ce  quatrain  : 

«Pourquoi  autre  chose  que  des  défauts,  insolent  Mitchell? 
«pourquoi  —  une  seule  beauté  se  montre-t-elle  à  ton  œil 
t  flétri?  —  Une  condamnation  pire  que  ta  damnation,  si  cela 
•  est  possible,  —  c'est  là  tout  ce  que  je  demande,  et  tout  ce  que 
«  je  veux  de  toi  '.  » 

/^  faut,  pour  apprécier  l'aménité  de  la  réponse,  savoir  que 
^^^hell  était  borgne.  Tout  ce  que  purent  obtenir  de  Thomson 
'^  instances  d'amis  communs,  ce  fut  qu'il  modifiât  l'adjectif 
^^•^nsant.  «  Blasted  »  devint  oc  blasting  d,  l'œil  flétri,  un  œil 
'^^rissant.  Décidément  Polyphème  n'avait  pas  à  se  louer  de 
'^  ''encontre. 
*^*Israèli  voit  ici  chez  notre  poète  la  preuve  d'une  irascibilité 
^^cule*.  Nous  ne  devons  pas  oublier  qu'il  s'agit  d'une  bou- 

^.  •    •  Whal  receplion  I  shall  meet  wilh  on   Ihe   shore,  I  know  net... 
pj^^lher  I  shall  find  upon  Ihe  coast  a  Calypso  that  will  court  or  a  Poly- 
p^ïïie  ibat  will  resist.  But  If  Polyphème  cornes,  hâve  at  his  eyel  »  (Cité 
**  FoRSTER,  Life  of  Goldsmith,  B.  JII,  ch.  i,  p.  129.) 

^*  Beauties  and  faulls  so  thick  lie  scattered  hère, 

Those  I  could  read,  if  thèse  were  not  po  near. 

(SiiiEi^,  Cibbers  Life  of  Thomson.) 

^.  Why  not  ail  faults,  injurions  Mitchell;  why 

Âppears  one  beauty  to  tby  blasted  eye? 
Damnation  worse  tban  thine,  if  worse  can  be 
Is  ail  I  ask,  and  ail  I  want  of  thee. 

4.  DISRAELI,  Literary  characlen,  CrUicism  of  friends^  p.  65. 


56  JAMES   THOMSON. 

tadc  à  Tadivsse  d'un  caniai-adi»  de  jeunos>(\  Les  plaisanteries 
éehangées  ne  sont  pas  du  plus  pur  atLicisine;  mais  celle  boLii'- 
rade  brutale  reste  dans  le  goût  des  méchants  tours  que  l'oii  se 
jouait  jadis  l'un  à  l'autre  au  ce  club  des  Grotesques  ».  Mitcliell 
lui-même  ne  garda  pas  rancune  au  poète,  et,  quelque  temps 
après,  il  s'eiïorçait  de  rendre  service  à  son  confrère,  a  pour 
réparer  ses  torts  envers  un  génie  excellent  »  •. 

Quant  à  Thomson,  il  avait  quelques  vigoureuses  antipathies, 
et  Mitchell  figure  en  bonne  place  dans  la  liste  des  gens  qu'il 
n'aimait  pas.  Une  de  ^es  lettres  à  Mallet  contient  <;es  mots  : 
«  Loin  de  défendre  ces  deux  vers  de  ma  traduction  ^  je  les 
«  condamne  aux  derniers  abîmes  du  Tophet  poétique  depuis 
«  longtemps  préparé  pour  Mitchell,  Morrice,  Rook,  Cooke, 
Beckingham,  et  un  long  etc.  ^  »  Et,  dans  une  autre  lettre  à 
Mallet  :  «  Ce  journal  Britannique  de  samedi  est  plus  mépri- 
a  sable  que  la  langue  ne  saurait  le  dire;  je  soupçonne  fort  ce* 
((  imbécile  de  Mitchell,  à  demi  foudroyé  des  dieux  *  ». 

1.  •  Id  one  of  his  leUers,  in  answor  lo  Ker's  (|iicslion  whether  he  w»-^ 
the  auUior  of  Winter,  he  (Mitchell)  says  il  was  wriUcn  by  Ibat  duli  fello"^^ 
Thomson,  who  had  loug  been  Ihc  sport  of  thcir  club.  He  says  that  tlm^ 
obligations  he  had  lattcrly  conferred  on  him  were  the  best  atonemeal  fc^î 
his  pétulance  lowards  un  excellent  genius.  •  (J.  Ramsay,  Scotland  an^^ 
Scohvten,  p.  24.) 

2.  Il  a  bien  raison  de  ne  pas  défendre  ces  deux  vers,  si,  comme  il  sembla 
ppobal)le,  ce  sont  ceux  par  lesquels  il  traduit  le  •  Me  vcro  primum  »  d^ 
Virjzilc.  On  en  jugera  par  le  début  : 

u  Me  may  the  Muses  my  suprême  delight  » 

Il  cite  ces  vers  ainsi  traduits  dvTns  sa  Préface  à  la  2"  édition  de  «  l'Hiver  ^ 
pour  montrer  que  le  dcvoùment  aux  œuvres  de  la  Nature  a  inspiré  ^ 
VirLMle  son  style  inimitable,  «  iuspired  the  rural  Virgil  to  write  so  inJm' 
itably  ». 

3.  «  Far  from  dcfending  thèse  two  lines  in  my  translation,  I  dama  thern 
lo  the  lowest  depth  of  the  poetical  Tophet  prepared  of  old  for  Mitchell* 
Morrice,  Uouk,  Cooke,  Beckingham,  and  a  long  etc.  »  (Lettre  à  Mallet,  du 
2  août  1726.) 

Le  «  long  etc.  «  est  en  partie  complété  par  une  autre  liste  moins 
connue.  Elle  se  trouve  dans  une  pièce  de  vers  fort  immodestes  dont 
Buchan  a  vu  l'original  écrit  de  la  main  de  Thomson  et  trouvé  dans  ses 
papiers  par  Andrew  .Mitchell.  L'exemplaire  de  .Milford,  au  British  Muséum, 
en  contient  une  copie  en  caractères  grecs.  Uue  énumération  de  poètes 
ennemis  de  Pope  et  de  l'auteur  y  ligure,  et  comprend  ces  noms  :  Ralph, 
Theobald,  Welsted,  Mitchell,  Cook. 

4.  •  That  Brilish  Jourual  of  Inst  Saturday  is  more  contemplihle  Ihan 
language  can  express;  1  suspect  that  Plnnet-blasted  fool  Mitchell.  *  (Lettre 
à  Mallet,  sans  date,  de  sept,  ou  oct.  1726.) 

Celte  anUpathie  est  du  reste  fort  naturelle  et  assez  louable.  Ce  Joseph 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  67 

Du  reste  les  critiques  d'un  petit  cercle  de  confrères  jaloux 
ne  nuisent  en  rien  au  succès  du  poème.  «  Tous  les  gens  de 
«  goût,  dit  Murdoch,  cherchaient  à  connaître  Tauteur,  et  plu- 
t  sieurs  nobles  dames  se  déclarèrent  ses  protectrices  :  la  com- 
«  tesse  de  Ilertford,  Miss  Drelincourt  (la  future  vicomtesse 
«Prinirose),  Mrs.  Stanley,  d'autres  encore.  »  Déjà  dans  la 
société  d'hommes  tels  que  Duncan  Forbes,  Aikman,  les  Graham 
et  les  Montrose,  Thomson  s'était  défait  des  manières  un  peu 
frustes,  du  langage  et  de  la  prononciation  exotiques  qu'il  avait 
apportés  d'Ecosse*.  Il  acquiert  dans  le  commerce  des  nobles 

^itchen  qui  a  laissé  une  Iragcdie  dont  la  paternité,  dil-on,  devrait  revenir 
ilobligeanl  Hill  (the  Fatal  Extravagoîice),  en  vint  à  être  connu  comme 
'  le  poète  de  Sir  Rohert  Walpole  •.  1!  n\y  avait  rien  de  natteur  ni  d'hono- 
nble  dans  ce  patronage  de  l'homme  d'Etat  que  Swift  appelait  :  «  Bob, 
lliepoefs  foe.  -  (An  EpUlle  to  Mr.  Gay,  1731.) 

Quant  aux  poètes  dont  les  noms  accompagnent  celui  de  Mitchell  dans 
les  deux  listes,  ils  appartiennent  &  la  même  classe  d'écrivains  de  peu  de 
^lenl  et  de  moins  d'honneur.  Ralph,  un  Américain  venu  à  Londres  avec 
Franklin,  en  1724,  était  apte  à  tout.  On  le  voit  journaliste,  polémiste, 
Pamphlétaire,  dramaturge,  poète  et  historien.  Partisan  déclaré  de  la  fac- 
Uoo  du  Prince  de  Galles,  Rob.  Walpole  l'achète  à  beaux  deniers.  II  ligure 
*u  premier  chant  de  la  Dunciad  : 

«  Silepce,  ye  Wolves,  while  Ralph  to  Cyntbia  howls 
And  makes  the  Night  hideous!  Answer  him,  ye  Owls.  » 

^ke  s  était  Imprudemment  attaqué  à  Pope  en  1725  dans  son  poème 
^^  *  la  Bataille  des  Poètes  >.  11  publie  en  1727  dans  le  Daily  Journal  une 
Wuciion  de  l'épisode  de  Thersite,  pour  montrer  les  bévues  de  Pope. 
^usgj  j^.^.ii  g^  place  dans  la  Dunciad.  11  vécut  pendant  vingt  ans  des  pro- 
Juils  (l'une  souscription,  qui  ne  fut  jamais  close,  en  vue  d'une  traduction 
°^  Piaule.  (Voir  Pkrby,  English  Uterature  in  the  xviu""  cent.,  p.  256.) 

^cliingham  avait  été  un  jeune  prodige  et  Tait  représenter  des  tragédies 

^^^nt  l'^ige  de  vingt  ans.  Il  a  aussi  écrit  un  poème  sacré  traduit  du  latin 

'^'ipin,  et  est  mort  à  trente  ans.  «  Beckingham  and  another  gentleman 

J"^*'ished  an  accountorthe  life  of  Savage  when  he  was  under  sentence  of 

''«Jlli  (1727).  «  (Joa.^soN,  Life  of  Savage.) 

.  "esaleel  Morris  est  l'auteur  de  satires  sur  les  traducteurs  d'Homère,  et 
^  ^ombreux  articles  dans  les  journaux  du  temps. 

•  Breval,  Bond,  Besaleel,  the  varlets  caught.  • 

{The  Dunciad,  B.  II,  v.  126.) 

Voir  aussi  dans  la  Dunciad  un  autre  trait  à  la  même  adresse,  B.  IIl, 
^-  l68. 

*.  •  Duncan  Forbes  is  supposed  to  hâve  aided  him  in  laming  his  lan- 
^^«ge  a  litlle  »  (Allan  Cunningham).  —  Forbes  était  en  effet  noté  pour 
^*^Xcellence  et  la  pureté  de  son  anglais.  C'était  chez  les  Écossais  qualité 
^^62  rare  pour  qu'elle  fût  signalée  quand  elle  se  présentait,  comme  chez 
Arbnthnot,  le  Dr.  Armstrong  ou  sir  Gilbert  Elliot,  le  fils  de  celui  que  nous 
»vons  vu  encourager  Thomson  enfant.  (Voir  J.  Ramsat,  Scotland  and  the 
Scotsmenj  etc.,  vol.  I,  p.  311,  364.) 


58  JAMES  THOMSON. 

personnages  qui  le  recherchent  et  le  patronnent  ces  Ta 
aisées  et  simples,  également  éloignées  de  Tindiscrétion  et 
servilité,  qui  lui  permettront,  sans  elTort  et  sans  gaucli 
pendant  tout  le  reste  de  sa  vie,  de  traiter  sur  un  pied  de 
laite  dignité  avec  tous,  depuis  les  écrivains  besogneux  jusqi 
princes  de  la  famille  royale.  De  ce  moment  aussi  dater 
relations  du  poète  avec  bon  nombre  d'hommes  que  nous 
contrerons  désormais  mêlés  à  sa  vie  :  Dodington,  qui  de 
un  (le  ses  plus  actifs  protecteurs  '  ;  Dyer,  le  peintre-poc 
Tauteur  de  Grongar  Hilt,  cette  œuvre  sœur  des  «  Saisons 
parva  licct  componere  magnis  *;  Tacteur  Quin,  peut- 
bien  que  Fautorité  du  renseignement  soit  douteuse  ^  ;  les  pi 
Young  *,  Hammond  %  \Vest°;  John  Forbes,  le  lîls  du  L 
Advocate ';  Robertson,  qui  nous  laissera  de  si  précieux 
seignements  sur  son  voisin  et  ami,  et  qui  nous  apprend 
ce  moment  le  poète  habite  Lancaster  Court  dans  le  Strai 

1.  «  Dodington  sent  his  services  to  Thomson  by  Dr.  Youn^  and  di 
to  see  him...  this  wait  Iiis  first  introduction  to  llial  acquaintar 
{Spence...,  by  Singer,  Mallrt,  p.  327.) 

2.  Thomson  fait  de  lui  une  mention  amicale  dans  une  lettre  ù  Mal 
18  juin.  —  John  Dyer,  né  probablement  la  même  année  que  Tho 
dans  les  montagnes  du  pays  de  Galles,  comme  notre  auteur  dans  cd 
rÉcosse,  fit  paraître  aussi  en  172G,  son  célèbre  Grongar  HUl  (sous 
d'ode  irréguliéredans  un  volume  de  Mélanges  de  Sava;?e).  I/œuvre  > 
reste  bien  inférieure  ai'-  Hiver  •»  mais  elle  proctdc  d«  la  même  inspir 
et  apporte  le  même  élément  nouveau  dans  la  poésie  anglaise. 

3.  «  About  this  timo,  I  believc,  commenced  the  friendship  hc 
Thomson  and  Quin.  >»  {The  Seasons  wilh  an  original  Life  of  Thomsi 
RoB.  llRRO.^  PerUi,  iVJ3.) 

4.  Mentionné  de  fat.'on  fort  irrévérencieuse  dans  une  lettre  à  Mal! 
âaoïH.  «  1  hâve  not  secn  thèse  rcdections  on  the  Dr.'s  <t  Installment 
hear  they  are  as  wretched  as  their  subject.  The  Dr.'s  very  buckrai 
run  short  ou  this   occasion;  his  alTected  sublimity  even   fails  him 
down  he  cornes  with  no  small  velocity.  • 

•6.  Hammond,  le  poêle  cléiziaque,  le  Tibulle  anglais,  était  écuyer  du  ] 
de  Galles.  Thomson  avait  pour  lui  une  vive  affection  qui  nous  a 
quelques  vers  émus  sur  le  jeune  poète  gentilhomuic,  mort  &  trente  a 

6.  Gilbert  West. 

7.  John  Forbes. 

8.  n  mourut  en  1791,  le  dernier  survivant  des  amis  du  poète.  On< 
jours  avant  sa  mort,  il  reçut  l.i  visite  d*un  •  reporter  »  intelligent, 
il  put  donner  avec  une  entière  lucidité  d'esprit,  et  une  grande  pré 
de  souvenirs,  des  renseignements  nombreux  et  inappréciables  ^ur 
de  Thomson,  dont  il  fut  Ta  mi  pendant  vingt-deux  ans,  le  voisin  à 
mond,  et  dont  il  faillit  devenir  le  beau-frère.  «  1  became  acqu 
wilh  Thomson  in  the  year  i72t)  when  he  published  his  poem  of  \\ 
Ho  livcd  opposite  to  me  in  Lancaster  Court,  in  the  Slrand....  •  (/ 
yîemoranda.,.y  dans  Goohuvcn  &  Librar g... ^  p.  27i.) 


LES  DÉBUTS  D'UN   POÈTE.  59 

d'autres  encore  recherchent  son  amitié.  Deux  mois  seulement 
se  sont  écoulés  depuis  la  publication  du  poème,  et  Thomson 
peut  écrire  à  Hill  :  «  Vous  m*avez  donné  la  gloire  ». 

Mais  cette  gloire  n'assurait  pas  au  jeune  poète  des  moyens 
d'existence.  L'  €  Hiver  »  avait  été  dédié  à  sir  Spencer  Gompton, 
«  Speaker  b  de  la  Chambre  des  Communes.  Mallet  avait  écrit 
cette  dédicace,  et  Tavait  libéralement  assaisonnée  de  l'ingré- 
dient qui  devait  rendre  le  plat  agréable.  Les  talents  et  les 
vertus  de  sir  Spencer  sont  pompeusement  célébrés  et  l'auteur 
lui  dit  en  plein  visage  :  «  Comme  le  berger  dans  sa  cabane 
«peut sentir  et  reconnaître  l'influence  du  soleil,  avec  une  gra- 
,  «  tilude  égale  à  celle  des  grands  dans  leurs  palais,  ainsi  peut-il 
i  «  mètre  permis  de  dire  combien  j'ai  conscience  de  ces  bienfaits, 
«qui  de  tant  de  vertus  puissantes  tombent  sur  cette  nation 
«dont ces  vertus  sont  l'ornement  »  \  L'auteur  était  donc  en 
droit  d'attendre  du  patron  qu'il  avait  choisi  quelque  substantiel 
témoignage  de  satisfaction.  Le  «  speaker  »  était  un  très  puis- 
sant personnage  ';  la  protection  de  Mrs.  Howard,  qui  le  fit  un 
jour  premier  ministre,  lui  permettait  sans  doute  d'intervenir 
^ns  la  distribution  des  places  et  des  sinécures.  Or,  c'étaient 
^à  les  récompenses  visées  alors  par  les  écrivains.  Ils  les  trou- 
vaient moins  humiliantes  et  moins  précaires  que  les  faveurs 
sollicitées  de  la  cour  par  les  gens  de  lettres  d'un  âge  antérieure 
Thomson  évidemment  avait,  depuis  son  arrivée  à  Londres, 

.  ^'  •  As  Ihe  shepherd  in  bis  cottage  may  feel  and  acknowledgc  ttie 
'QÛueace  of  ibe  sua,  with  as  lively  a  gratitude  as  Ihe  great  man  in  his 
P^^ce,  even  I  may  be  allowed  lo  publish  my  8cnse  of  those  blessings 
^lï'ch,  from  so  many  powerful  virlues  are  derived  to  Ihe  nalion  tbey 
«dora.  » 

-•  Ce  Wilmington  était  un  personnage  politique  auquel  peut  s\npiiHquer 
'*^  spiritueUe  dénnilion  que  Ton  connail  :  un  imbécile  longtemps  méconnu. 
^  njère  de  Pope  rappelait,  dit-on,  the  Proser,  et  Rob.  Walpole  résumait 
son  jugement  en  ces  termes  :  •  a^er  ail  he  was  a  poor  créature  >.  Mais  la 
laTeur  de  Mrs.  Howard  le  Ht  créer  en  1727  barou  Wilmiuglon,  et  comte 
^Q  1730.  (1  ne  fallut  pas  moins  que  son  élévation  au  poste  de  premier 
liinistre  en  1742,  pour  que  sa  nullité  devint  manifeste. 

3.  a  Ils  échangèrent  la  protection  de  la  Cour  pour  la   protection  des 
hommes  d'État,  et  celle-ci  fut  aussi  inévitable  que  l'autre.  Que  cette  pro- 
tection nouvelle  ait  été  plus  agréable,  plus  digne  que  l'autre,  cela  est  de 
^ule  évidence.   •   (Alex.   Beuame,  Le  Public  et  les  Hommes  de  lettres  en 
'^fiffleterre  au  xviii*  siècle^  p.  353.)  —  Depuis  l'avènement  de  Walpole  aux 
affaires,  Ja  protection  des  ministres  faisait  défaut  aux  écrivains,  aussi  bien 
qne  cJle  de  la  Cour.  C'est  ce  que  Thomson  et  les  aventuriers  aUirés  à 
Londres  vers  la  mémo  époque  n'avaient  pas  encore  eu  le  temps  de  con- 
stater. 


60  JAMES  THOMSON. 

espéré  pareille  aubaine.  En  choisissant  Thonime  politique  à 
qui  dédier  son  poème,  il  avait  cru  s'arrêter  à  celui  qui  pouvait 
le  plus  sûrement  lui  assurer  ce  rêve  de  plus  d'un  poète,  otium 
eu  m  dignitate. 

Rien  ne  vint;  et  la  déception  fut  très  grande.  Sir  Spencer 
resta  tout  à  fait  insensible  à  Thonneur  qui  lui  était  fait.  11  ne 
répondit  même  pas  aux  compliments  de  l'auteur  par  renvoi  de 
quelques  guinées.  Ceci  était  une  véritable  infraction  au  code 
des  usages  qui  régissaient  alors  les  relations  entre  écrivains  et 
grands  seigneurs*  ;  c'était  un  affront  qui  demandait  vengeance 
Hill  prit  vivement  fait  et  cause  pour  son  jeune  protégé.  Il  lu 
adressa  quelques  vers  où  le  manque  de  goût  et  de  tact  di 
a  speaker  »  était  signalé  à  l'indignation  publique.  Thomson  1 
remercie,  le  24  mai,  avec  les  formules  exubérantes  qui  conti 
nuent  à  remplir  cette  correspondance.  11  exprime  en  partiel 
lier  toute  l'admiration  que  lui  inspirent  les  vers  les  plus  frap 
pants  de  la  pièce.  L'auteur  de  V  a  Hiver  »  devait  faire  appel 
toute  sa  courtoisie  pour  s'extasier  devant  d'aussi  médiocre 
iraiUitions  des  distiques  et  des  antithèses  de  Pope  : 

a  Souriez  de  votre  espoir  évanoui  —  convaincu,  trop  tard,  - 
«  que  la  grandeur  ne  réside  pas  toujours  chez  les  grands*. 

a  Les  patrons  sont  les  grands  de  la  nature,  non  pas  ceux  c 
((  l'État;  —  et  le  génie  est  un  titre  que  ne  crée  pas  le  grai 
a  sceau.  —  Les  rois,  de  la  générosité  de  qui  découlent  les  pri 
«  cipaux  courants  de  la  richesse,  —  sont  pauvres  en  puissanc 
a  quand  ils  veulent  conférer  des  âmes  '.  » 

Une  fois  de  plus  il  fallut  accepter  pour  vivre  un  modes 
emploi.  Thomson  (juitta  son  logement  de  Lancaster  Court,  c 
dans  les  derniers  jours  de  mai,  entra  dans  T  a  Académie  »  < 
Mr.  Watts,  Little  Tower  Street.  Il  y  était  précepteur  d'un  jein 
homme  que  l'on  suppose  avoir  été  lord  George  Graliam, 


4.  «  Tickell  affinns  thit  (wiUi  Halifax)  no  dedication  wentiinrewarded 
(Johnson,  Lift*  nf  llalifac.)\o\v  aussi  A.  Beuame,  Le  Public  et  les  llomfh 
de  lettres,  p.  357. 

2.  Smile  al  yoiir  vanished  hope  —  convinccd,  too  late, 
Thaï  grcatness  dvvclls  noi,  always,  wilh  llie  greal. 

3.  Patrons  are  naturels  nobles,  not  Uie  stale*s; 
And  wil's  a  Lille  no  broad  seal  créâtes. 

Kings,  from  wliosebounty  weallh's  chief  currenls  flow, 
Are  poor  in  power,  whcn  they  would  soûls  beslow. 


LES  DEBUTS  d'un  POÂTE.  61 

du  duc  de  Montrose,  et  jusqu'alors  un  dea  élèves  de 
iprès  sa  correspondance  avec  Hill,  nous  pouvons 
r  que  ses  fonctions  lui  laissaient  beaucoup  de  loisirs, 
■s  six  mois  passés  à  Little  Tower  Street.  D'ailleurs 
t  là  qu'une  situation  toute  provisoire.  La  première 

V  «  Hiver  >  était  épuisée,  et  déjà  l'heureux  poète 
tien  préparer  une  seconde. 
s  de   Hill  avaient,  s'il  faut  en  croire  Johnson,  été 

par  quelques  journaux.  Sir  Spencer  Compton  s'émut 
icité  donnée  à  cette  afTaire.  Le  poème  et  le  poète  aux- 

ait  attaché  si  peu  d'importance  étaient  en  voie  de 
lèbres;  il  était  temps  de  faire  preuve  de  discerne- 
le  générosité.  On  apprit  donc  à  Thomson  que  le 
»  le  recevrait  volontiers.  L'entrevue  eut  lieu  dans  la 
u  i  juin,  et  le  poète  la  raconte  aussitât  à  Hill  avec 
imie  malicieuse.  Le  grand  homme  l'a  reçu  de  façon 
ins  doute  en  dissimulantdeson  mieux  son  embarras, 
it  quelques  questions  banales,  et  lui  a  donné  vingt 
C'était,  parait-il,  le  taux  ordinaire  auquel  se  payaient 
:es.  Le  a  speaker  »  n'avait  donc  pos  réparé  ses  torts 
[i  vraiment  libéral,  et  Thomson  no  conservait  pas  de 
sse  tardive  une  très  chaude  reconnaissance. 
)uva  cependant  fort  embari'assé.  La  seconde  édition 
itre  dans  jwu  de  jours.  Les  vers  de  Hill  devaient  y 
lOC  ceux  que  Mallet  avait  écrits  sous  la  même  inspi- 
était  pourtant  difficile  de  flétrir  publiquement  l'ab- 
;oùt  et  l'avarice  de  Complon  après  avoir  accepté  son 
'lusieurs  lettres  de  Tliumson  à  ses  deux  amis  nous 
eraux  |>éripétiesd'une  amusante  comédie.  H  voudrait 
ivvcr  ces  épitres  oii  de  chaleureux  éloges  consacrent 
s;  il  s'efToi-ce  de  décider  ses  deux  alliés  à  atténuer 
qiies,  ot  à  en  effacer  dos  reproches  qui  n'ont  plus  de 
Ire.  Mais  les  deux  poètes  n'entendent  pas  renoncer 
es  plus  mordants  de  leurs  satires;  ce  sont  les  mieux 
ceux  auxquels  ils  tiennent  le  plus.  Toulc  la  diplo- 
Ttiomson  menaçait  de  rester  impuissante  dans  cette 
icate.  Quand  il  croyait  avoir  dét.'idé  Mallot  ii  des  atté- 
nécessaires  et  faisait  valoir  cet  exemple  pour  peser 

a  Hill  du  4eL  du  7  juin. 


6i  JAMES  THOMSON. 

sur  llill  \  il  apprenait  au  contraire  que  Mallet  tenait  mord 
h  ses  apostrophes  indignées,  et,  plutôt  que  d'y  renoncer,  ] 
posait,  au  grand  émoi  de  notre  poète,  de  supprimer  le  t 
éloges  à  l'auteur  et  reproches  au  patron.  Puis,  c'était  Hill 
tour  à  tour  consentait  et  refusait,  si  bien  que  le  malheui 
Thomson  lui  adressait  une  dernière  et  pressante  demande  I 
jours  avant  le  tirage  de  l'édition  *. 

Enfin  le  poème  fut  publié  vers  la  fin  de  juin  ',  avec  les  c 
pièces.  Nous  ne  savons  pas  si  Mallet  avait  changé  quelquecl 
à  la  sienne*;  il  semble  que  llill  ait  consenti  à  quelques  rc 
ches  '.  Une  troisième  pièce  élogieuse  s'ajoutait  aux  deux  aul 
Elle  était  signée  du  nom  de  Mira  ^  C'était  le  pseudonyme  i 

1.  • ...  Asthc  case  dow  is,  one  of  your  infinité  delicacy  will  be  thc 
juUge,  whcthcr  il  will  be  proper  lo  priât  thèse  two  inimilablc  copi 
Verses  1  liave  from  you  and  Trom  Mr.  Mallet,  withoulsucli  litlle  altéra 

as  sh.ill  cUar  sir  Spencer  of  thc  bcst  satire  I  cver  read (Lettre  à 

du  7  juin  1726.) 

2.  Lettres  ù  llill  des  4,  7,  11  et  17  juin,  et  à  Mallet  du  13  juin. 

3.  En  un  format  in-oclavo,  tandis  que  la  première  édition  cla 
quarto.  Le  nom  de  Tauteur  n'y  est  plus  suivi  des  lettres  A.  M.  qui  se  v 
au  titre  de  Pédition  du  mois  de  mars,  bien  qu^^,  nous  le  savons,  Thc 
u*y  eût  point  de  droit.  Cette  édition  fut  l'objelf  dans  la  mOme  annc 
nouveaux  tirages  qui  portent,  comme  seule  différence,  des  pages  de 
uiodiflées  et  indiquant  la  3*  et  la  4»  édition. 

4.  To  Mr,  Thomson  on   his  publishiiif/   th'j  second  édition  of  kix 
cailed  Wintei'f  by  David  Mallocii.  Il  semble  que  ce  soit  la  dernière 
sion  où  Tami  de  Thomsou  ait  conservé  son  nom  patronymique.  Il  I 
la  m(}mc  année  (sept.  1720)  sous  le  nom  de  Malle I,  dans  la  liste  des 
criptcurs  au  Misccllani^  puijliû   par  Savage.  Mais,  dans  ses  relations 
SCS  amis,  le  nom  de  Mallet  était  depuis  quel(|ue  temps  adopté.  La 
de  Thomson,  du  10  juillet  1725,  commence  par  ces  mots  :  «  Deor  Ma 
et  se  lermine  par  ceux-ci  : 

Nor  by  a  morlal  scen,  save  he 
A  Mallet  or  a  Murdocli  be. 

Mr.  P.  Cunninghaui  (édil.  des  •  Vies  de  Johnson  •)  indique  à  tort  ce 
cément  comme  ayant  été  brusquement  elTeelué  vers  ce  moment.  Dan: 
lettre  à  Kcr,  de  septembre  172i,  Malloch  dit  :  «  .My  cousin  Paton  \ 
hâve  me  write  my  name  Mallet,  for  there  is  not  an  lilnglishman  Ihu 
pronounce  il  •.  —  Il  e^l  une  antre  raison  qu'il  ne  mentionne  pas  :  Mî 
se  prêtait  à  une  transformation  en  Moloch,  qui  déplaisait  à  notre  Kco 

r».  To  \fr.  Thomson  doithtiwj  to  what  patron  he  shou>d  addres^  his 
calUd  \Vinlef\  by  Aaron  Hill.  La  pi^cc  se  trouve  dans  le  Recuei 
poésies  do  IlilI  {Thc  Engliah  Poels  in  100  vol  ,  1822,  vol.  LX,  p.  40). 

G.  To  Mi',  Thomson  on   hia  blootninr/   Winlor^  by  Mira.  —  •  ....  I  b 
you  could  Nvilli  a  liltle  trouble,  make  Clio's  vérités  very  pretty —  lov 
(Thomson  à  Mallet,  13  juiu  1726.)  —  •  Her  name  (Glio)  bas  of  late  be 
l'ibusod  and  8candalise<l,  that  1  am  informed  she  bas  lately  changod 
t'.ial  of  Myra...  •  —  {The  Brilish  Journal,  Salurday,  2i  septembcr  172.î 


LES  DÉBUTS  D'UN  POÈTE.  63 

vellement  adopté,  sur  le  conseil  de  Mallet,  par  Martha  Fowkes 
dont  le  premier  nom  de  plume,  Clio,  était  devenu  trop  célèbre. 
Cest  Mallet  aussi  qui  avait  demandé  à  Tobligeant  bas-bleu 
cette  contribution  à  la  gloire  de  Thomson.  Il  avait  revu  et 
amélioré  les  vers. 

Celte  deuxième  édition  conserve  du  reste  la  dédicace  de 
Mallet  ',  et  les  lecteurs  devaient  être  surpris  du  contraste  que 
présentait  Tadresse  en  prose  au  speaker  et  les  épîtres  de  Hill 
et  (le  Mallet  où  il  était  question  de  lui.  Thomson  n'avait  pas 
ajouté  de  vers  à  sa  première  production  *;  mais  il  Tavait  fait 
précéder  d'une  préface  en  prose  qui  est  en  heureuse  opposition 
avec  le  ton  et  le  style  de  la  dédicace.  C'est  une  sorte  de  mani- 
feste poétique  où  l'auteur  fait  sa  profession  de  foi  avec  fierté, 
avec  indépendance,  avec  une  véritable  élévation  de  pensée.  Il 
revendique  les  droits  de  la  poésie  :  on  n'y  veut  voir  souvent 
qu'un  amusement  frivole,  il  y  montre  les  plus  nobles  plaisirs 
qui  aient  charmé  les  hommes  a  depuis  Moïse  jusqu'à  Milton  ». 
Il  s'élève  du  reste  contre  l'emploi  vil,  mercenaire  ou  puéril  qui 
est  trop  généralement  fait  alors  de  la  langue  des  vers.  La  poésie 
ue  restera  pas  dans  son  état  présent.  Le  retour  aux  sujets 
grands  et  graves  la  sauvera.  Rien  n'y  contribuera  plus  que 
'élude de  la  nature  trop  longtemps  négligée.  Et,  après  quel- 
ques compliments  aux  trois  confrères  qui  lui  ont  donné  un 
témoignage  poétique  de  leur  sympathie  et  de  leur  estime,  il 
termine  cette  page  de  noble  et  haute  critique,  en  annonçant 
son  projet  de  traiter  les  autres  a  Saisons  y>  '. 

^-  Elle  se  trouve  dans  les  5  premières  cdilions. 

-Elle  conlenail  187  vers.  Ce  nombre  restera  celui  des  cinq  premières 
'-^itious.  Plus  lard  le  chlfTre  s'élèvera  graduellement  jusqu'à  1  069. 

^*  «  Altbough  Ibere  may  seem  to  be  some  appearauce  of  reason  for  Ihe 

Posent  contempt  of  it,...  yet  that  any    man   shonid  seriously    déclare 

^^^inst  that  divine  art  is  really  amazing.  Il  is...  nfTronting  the  universal 

'*^te  of  maokind,  and  declaring  against  what  bas  clmrmcd  Ibc  listcning 

^^'Ofld  from  Moses  down  to  Millon....  That  Ihere  are  fréquent  and  noto- 

•^ous  abuses  of  poetry  is  true,...  let  bor  exchange  her  low,  vénal,  trining 

^Dfcjects  for  sucb  as  are  fair,  useful  and  magnilicent....  Notbiug  can  bave  a 

Mter  inQuence  towards  the  revival  of  poelry  than  the  choosing  of  great 

3Qd  serions  sabjects....  Pocts  and  roaders  of  poelry  should  rclurn  to  the 

iludy  of  Nature  loo  long  oeslected....  See  the  bcst  poels,  both  ancient  and 

/DoJern.  Whence  did  tbey  dérive  thcir  inspiration?  They  bave  been  pas- 

Jionnlely  fond  of  retirement  and  solitude  :  the  wild  romanlic  country  was 

tlicir  dclight....  » 


CHAPITRE  III 


ACHÈVEMENT   DES    <<   SAISONS    ».    —   LA   PREMIÈRE   TRAGÉDIE 


I 


Déjà  r  «  Été  D  était  sur  chantier.  Encouragé  par  le  succès  d© 
r  «  Hiver  »,  Tautcur  avait  avec  ardeur  entrepris  une  seconde 
«  Saison  ».  Il  en  pouvait  montrer  un  fragment  à  Hill  dès  1& 
11  juin,  et,  deux  jours  après,  disait  à  Mailet  :  et  Si  mon  début  de 
1'  «  Été  »  vous  plaît,  je  suis  sur  qu'il  est  bon.  J 'ai  écrit  plus  encore 
a  et  vous  enverrai  cela  ponctuellement  *.  »  —  Tout  le  reste  de 
cette  année  est  laborieusement  occupé.  Il  continue  à  faire  fonc- 
tion de  professeur  à  l'Académie  de  Little  Tower  Street;  il  tra- 
vaille avec  entrain  à  son  poème  *,  peut-être  en  même  temps  à 
quelque  traduction  ^.  Les  lettres  à  Hill  et  à  Mailet  nous  per- 
mettent de  suivre  assez  exactement  sa  vie  et  le  mouvement  de 
son   esprit  pendant  cette  période.  Il  continue  à  se  montrer 
envers  le  premier  extraordinairement  modeste  et  hyperboli- 
quement  louangeur.  Quand  le  grand  homme  voyage  en  Ecosse, 
Thomson  lui  écrit  :  «  Toutes  les  Muses  et  toutes  les  Vertus  lan- 
a  guissent  ici  en  attendant  votre  retour,  et  je  ne  trouve  d'adou- 


1.  «  If  my  bc;2inning  of  Summer  please  you,  I  am  sure  il  is  ffood.  Ihave 
wril  more  Nvliich  ru  scnd  you  in  due  lime.  •  (Lettre  à  Mailet,  du  17  juin  1726.) 

2.  •  In  Ihc  cncloscd  shoels  of  Summer,  I  raise  the  sun  to  nine  or  ten 
o'clock....  I  havc  written  a  good  deal  more....  •  (Lettre  h  Mallel,  du  2  août.) 

3.  -  You  triumph  over  us  translatord....  •  (Même  lettre.) 


ACHÈVEMENT  DES  «   SAISONS  ».  65 

f  cissement  à  mon  chagrin  que  dans  le  bonheur  de  mon  pays 
c  natal...  j>  *. 

Très  différent  est  le  ton  de  sa  correspondance  avec  Mallet. 
Sans  doute  il  loue  vivement  les  vers  de  son  ami,  et  pousse  la 
courtoisie  jusqu'à  se  déclarer  inférieur  à  lui  *  ;  mais  il  lui  adresse 
des  conseils  empreints  d'un  goût  excellent  ',  et  il  maintient 
avec  énergie,  contre  toutes  les  critiques,  le  plan  de  son  nou- 
veau poème  *.  Il  remercie  de  même  Aikman  qui  s'est  proposé 
de  corriger  amicalement  sa  façon  d'écrire,  mais  il  défend,  avec 
la  fermeté  du  génie  sûr  de  lui-même,  la  langue  qu'il  s'est  faite 
et  dont  il  entend  ne  pas  changer  *. 

Ces  lettres  à  Mallet,  de  juin  à  novembre  1726,  sont  d'un 
grand  intérêt.  Elles  portent  à  chaque  ligne  la  trace  des  préoc- 

1.  •  Erery  Muse,  every  Virtue,  hère,  languishes  for  yourreturn  :  to  me 
your  absence  would  be  much  severer,  if  my  partial  sympathy  in  the  hap- 
pioess  of  my  native  country  did  nol  alleviate  the  misfortune.... 

■  May  you  sooo  return  to  towo,  résume  the  Plaia-dealer,  and,  if  we  are 
not  defoted  to  destruction,  restore  the  great  dramatic  taste  by  that 
Iragedy,  part  of  which  1  had  the  honour  and  sublime  pleasure  of  hearing 
read,  by  the  finest  reader,  as  well  as  the  flnest  author,  io  England.  » 
(Uttre  à  Hill,  du  20  octobre  1726.) 

2.  -  Trust  me,  my  friend,  I  could  run  with  you  the  race  of  glory,  if 
Heaven  would  permit;  Irue  I  am  iaferior,  but  through  your  assistance  I 
niightbold  out.  »  (Lettre  de  septembre  ou  octobre.)  II  pourrait  bien  y  avoir 
<iuelqae  malice  sous  cette  extrême  modestie. 

3<  Nous  citerons  seulement  deux  exemples  de  ces  critiques.  Elles  serveat 
&  montrer  ce  quMl  y  a  de  soin  scrupuleux  dans  l'art  de  Thomson.  Sur  ce 
^«8  de  Mallet 

IIIumin*d  by  the  glow-worm's  mimic  day, 

il  remarque  :  «  Tbere  is  a  littleness  in  this  I  think,  that  does  not  suit  the 
^^^<^ioD.  I  would  change  it  for  the  moon  in  distress,  represcnted  with  as 
ooch  ghaslliness  as  possible,  to  some  such  purpose  as  this  : 

Hlumin'd  fainUy  by  the  fading  moon. 

pans  un  autre  passage.  Mallet  avait  écrit  •  brown  Night  •,  et  son  ami 
loi  conseille  de  remplacer  cette  épithète  qu'il  juge  bonne  pour  le  Soir 
(Evening  iu  her  brown  mantle  wrapt),  mais  non  pour  la  Nuit.  (Lettre  de 
septembre  ou  octobre  1726.) 

4.  M.  Logie  Robertson  suppose  avec  assez  de  vraisemblance  que  Mallet 
bUme  ce  plan  parce  qu'il  Ta  lui-même  adopté  pour  son  poème  The  Excur- 
sion. Thomson  lui  répond  très  simplement  qu'il  aurait  dû  exprimer  ses 
objections  plus  tôt  et  que  lui-même  ne  peut  remanier  maintenant  un 
travail  fort  avancé  déjà. 

5.  n  Mr.  Aikman  did  me  the  honour  of  a  visit  yesternight....  His  reflec- 
tions  ou  my  wriling  are  very  good;  but  he  does  not  in  them  regard  ibe 
tom  of  my  genius  enough;  should  1  alter  my  way  I  would  writc  poorly, 
I  mustchoose  what  appears  to  me  the  most  significant  cpithel,  or  I  cannol 
with  any  heart  proceed.  »  (Lettre  à  Mallet,  du  11  août  1126.) 


66  JAMES  THOMSON. 

cupations  littéraires,  des  lectures,  des  admirations  du  je 
écrivain.  Des  comparaisons  avec  Shakespeare  et  avec  Mi 
lui  sont  suggérées  par  les  vers  de  son  ami.  La  façon  m 
dont  il  mentionne  le  grand  poète  du  xvif  siècle  indique  qi 
place  il  lui  a  faite  dans  ses  affections  et  dans  son  enthousias 
c  This  equals  any  image  our  Milton  gave  us  of  the  evening 
Ici,  comme  dans  d'autres  passages  de  sa  correspondance, 
allusions  à  Cervantes  nous  permettent  de  conclure  que  c 
Quichotte  »  était  un  de  ses  livres  favoris.  Enfîn  ces  lettres  c 
tiennent  force  allusions  aux  événements  littéraires  du  jour, 
qu'il  annonce  à  Hill  la  publication  des  lettres  de  Pop 
Cromwell  *,soit  qu'il  signale  et  déplore  rabaissement  du  | 
public  et  le  succès  des  comédiens  italiens  ',  soit  qu'il  en 
tienne  Mallet  d'un  récent  ouvrage  de  Young  *  ou  de  la  dern 
attaque  dirigée  par  un  poète  contre  Waipole  '.  Une  seule  a 
sion  à  sa  vie  privée  nous  laisse  entendre  qu'il  ne  s'isole  paî 
la  vie  libre  et  peu  édifiante  de  ses  amis  •.  Évidemment  il  n 
croit  plus  aucune  vocation  pour  le  ministère  sacré. 

i.  Lettre  à  Mallet  du  11  aoûl  172C.  Les  vers  de  Mallet  auxquels  s*appl 
cet  éloge  sont  : 

«  Onward  she  cornes  with  silent  steps  aud  slow, 
In  her  brown  mantle  wrapl....  • 

LMmilation  de  Milton  est  en  efTet  évidente. 

2.  «  Notliing  lias  appcared  hère  since  your  departure,  unless  it  be  s 
mushroomisli  pamphlets,  beings  of  a  Summer's  night...  I  beg  Mr.  Pc 
pardon,  some  of  wh  «se  letters  to  .Mr.  Cromwell  were  surreptitiously  pri 
by  Curll;  and  yct,  Ihough  writ  careless  and  uncorrected,  full  of  wit 
gaiety.  »  (Lettre  du  20  octobre  1726.) 

3.  •  A  new  torrent  of  Italian  farces  is  lately  poured  io  upon  us. 
advcrtisement  which  now  lies  before  me...  is  such  a  maze  of  increc 
imperlintince,  and  promises  so  much  folly,  thut  it  is  to  be  presumed 
bouse  will  be  very  full,  and  that  too  with  persons  of  the  first  qualil 
(Même  lettre.) 

4.  •  I  hâve  not  secn  thèse  reflections  on  the  Dr.  *s  -  Inslallment  », 
hear  they  arc  as  wretched  as  their  subjccl.  The  Dr.  's  very  buckram 
run  short  on  this  occasion;  his  alTected  sublimity  even  fails  him,  and  d* 
be  cornes  with  no  small  velocily.  A  star  to  us,  a  cornet  to  the  foe.  »  (Le 
sans  date;  [septembre  ou  oct.  1726]  à  Mallel.j 

5.  «  Havc  you  heard  that  our  blockhead  Lauréate,  or  Lauréate  Blockli 
(c'était  Lawrence  Eusden)  bas  had  a  fling  at  Waipole  too?  He  had  be 
bribe  Ihem  to  silence.  •  (Môme  lettre.)  —  On  trouvera  sur  les  rapp 
de  Waipole  avec  les  écrivains  des  détails  très  circonstanciés  et  très  i 
dans  Alexandre  Bbuame,  le  Public  et  les  Hommes  de  lettres^  etc.,  p. 
et  suiv. 

6.  «  What  you  write  about  is  very  diverting.  She  can  make  you  s 
for  ail  that,  when  you  think  upon  her.  Perhaps  I  may  tell  you  in  my  i 


I 


ACHÈVEMENT  DES  «   SAISONS   ».  67 

De  la  lecture  de  cette  correspondance  on  reçoit  cette  impres- 
sion, que  les  histoires  littéraires  ont  fort  exagéré  la  misère  et 
l'indignité  de  la  vie  des  écrivains  à  cette  époque.  Il  en  est  peu, 
sans  doute,  qui,  comme  Pope,  trouvent  dans  leur  profession  la 
richesse;  mais  d'autres  temps  ont  réservé  aux  hommes  de  let- 
tres plus  d'épreuves  et  moins  de  considération  *.  Si  Thomson, 
n'ayant  d'autres  ressources  que  sa  plume,  traverse  quelques 
années  de  gêne,  quand  en  a-t-ii  été  autrement  des  poètes?  Le 
succès  s'imposant  de  prime  abord,  c'est  déjà  un  phénomène 
assez  rare.  Le  succès  d'argent  accompagnant  immédiatement 
I  la  notoriété  littéraire,  c'est  une  conjonction  de  faveurs  que  la 
Fortune  accorde  d'une  main  parcimonieuse  et  fort  capricieuse- 
ment '.  D'ailleurs,  il  y  avait  autre  chose  que  de  la  misère  et  de 
l'inconduite  dans  ce  groupe  de  jeunes  gens  qui  demandaient 
aux  lettres  la  gloire  et  la  richesse  et  ne  les  recevaient  qu'en 
de  bien  modiques  mesures.  Il  y  avait  aussi  des  qualités  de 
cœur, une  vivacité  d'affection  qui  apparaît  chez  ceux-là  mêmes 
dont  la  réputation  laisse  le  plus  à  désirer,  comme  Savage  ou 
Mallet'.  Ces  réunions,  où  tous  apportaient  du  talent  et  du 
savoir,  où  se  mêlaient  aux  littérateurs  des  artistes  comme  Dyer 
6t  Aikman,  étaient  sans  doute  l'occasion  de  conversations  éle- 

^betheror  notwe  design  to  consummate  our  unfinished  loves,  and  trans- 

'oîl  yoa  a  letter  I  received  yesterday (Lettre  à  Mallet,  septembre  ou 

octobre.) 

^8  termes  «  to  consummate  our  uafinished  loves  •  sont  un  souvenir 
^'un  amusant  passage  de  Tke  Hehearsal^  parodiant  une  tirade  de  •  La  Con- 
<|Qéle  de  Grenade  •  :  ce  souvenir  indique  suftisamment  que  les  amours 
^Qt  parle  ici  Thomson  n*ont  rien  de  platonique  : 

«  Boar  beckons  sow  to  trot  in  cbcsnut  groves, 
And  there  consummate  their  unfinished  loves.  • 

{The  Rehearsalj  fln  du  premier  acte.) 

!•  Dans  notre  siècle  même,  et  sans  sortir  de  rAnglelcrre,  qu'on  se  rap- 
pelle, à  côté  des  succès  de.  Scott,  de  Byron  ou  de  Moore,  robsciirité  où 
estaient  les  chefs-d'œuvre  de  Wordsworth  et  de  Keats,  ou  les  diflicultés 
i&atérielles  contre  lesquelles  se  débattait  Coleridge  alors  même  que  son 
talent  était  reconnu. 

2.  Quelque  trente-cinq  ans  plus  tard,  Goldsmith  se  plaindra  de  la  situa- 
tion faite  aux  gens  de  lettres  par  ses  contemporains,  et  y  opposera  la 
façon  dont  ils  étaient  traités  du  vivant  de  Young.  (Voy.  Forster's  Golds- 
mith, B.  II,  ch.  VII,  p.  120.) 

3.  Voyez  avec  quel  dévoûment  il  aide  aux  débuts  de  Thomson.  Il  sait 
même,  et  le  trait  est  plus  beau,  ne  pas  souffrir  du  succès  de  son  ami. 
Quant  à  Savage,  il  est  prodigne  d'effusions  reconnaissantes  envers  ceux 
chez  qui  il  a  trouvé  quelque  appui. 


68  JAMES   THOMSON. 

vées  où,  avec  la  vervr  de  leurs  \  iïi}^^t-ciiu]  ans.  Ions  ces  jeunes 
gens  aj^ilaienl  les  problèmes  les  plus  intéressants  de  la  cri- 
tique. Cela  nous  aiderait  à  comprendre  i)ourquoi  rinlluence 
littéraire  de  Thomson  s'est  exercée  principalement  sur  les 
poètes  qui  ont  vécu  dans  sa  société  innnédiate  :  Mallet,  Savage, 
Dyer,  Young,  Somerville,  Armstrong,  etc. 

Enfin  les  charmes  d'une  société  aimable  et  raffinée  n'étaient 
pas  inconnus  à  ces  pauvres  écrivains.  Us  n'étaient  pas  toujours 
dépenaillés  comme  les  représente  la  légende.  Nous  ne  devons  pas 
nous  figurer  Thomson  sans  souliers  et  Savage  en  guenilles.  Ils 
avaient  accès  auprès  de  Pope  dont  la  délicatesse  élégante  se 
serait  mal  accommodée  de  pareils  hôtes.  Ils  voyaient  dans  la 
maison    hospitalière   d'Aaron    Hill,    un    intérieur  charmant 
auquel  présidait  une  femme  distinguée  qui  s'intéressait  au^ 
lettres  et  était  elle-même  poète  *.  Par  la  suite,  il  est  vrai,  l^s 
choses  ont  changé.  Savage  est  devenu  l'incorrigible  et  vicieu^ 
bohème  que  l'on  sait;  Mallet  en  est  descendu  à  faire,  moyerf 
nant  rémunération,  d'assez  tristes  besognes  littéraires;  mais,    ^ 
l'époque  dont  nous  parlons,  il  faut  voir  Thomson  entou^^ 
d'une  pléiade  de  jeunes  hommes  confiants  dans  leur  talent,  ^^* 
riches  de  bonne  humeur  et  d'espoirs. 

L' a  Hiver  »  avait,  à  la  fin  de  cette  année  1726,  atteint  à  Londr^^* 
une  quatrième  édition,  sans  parler  d'une  édition  publiée  ^ 
Dublin  *  ;  a  l'Été  »  était  en  bonne  voie  d'achèvement, 
poète  pouvait  espérer  un  nouveau  succès  accompagné  de  pli 
solides  avantages  pécuniaires.  II  quitta  donc  l'a  Académie» 
Mr.  Watts  vers  les  derniers  jours  de  l'année,  à  l'époque  peu  t- 
être  où  Mallet  revenait  de  Twyford  à  Londres.  Il  avait  la  l^te 
pleine  de  projets.  Après  l'achèvement  de  1'  a  Été  »,  il  entendait 
compléter  le  poème  en  chantant  les  deux  autres  saisons.  I' 
voulut  se  consacrer  tout  entier  à  son  travail  littéraire. 

Millan  se  chargea  encore  de  la  publication  de  l' d  Été  ».  On  peut 
s'étonner  qu'après  le  succès  du  premier  poème,  Thomson  n'ait 
pas  obtenu  de  son  éditeur  de  brillantes  conditions  pour  le 

1.  Savnge  lui  a  adressé  des  vers  qui  figurent  dans  le  recueil  de  ses 
œuvres,  et  où  il  rend  hommage  au  lulent  de  son  aimable  confrère. 

2.  Format  in-12,  sans  doute  pour  eu  faciliter  rinlroduclion  en  Angleterre. 
«  lu  tliose  days,  and  iudeed  unlil  Ihe  Âct  ofUnion  was  passed,  Ihe  Eoglish 
wriler  hail  no  copyright  in  Ireland  :  it  being  a  part  of  the  independence 
of  Irisli  booksellcrs  to  sleal  froni  English  Aulhors.  »  (Forster*s  Goldsmith, 
p.  85.) 


ACHÈVEMENT  DES  «   SAISONS   ».  69 

second.  Johnson  dit  qu'il  en  reçut  peu  de  chose  de  plus  que 
pour  r  «  Hiver  j>  ;  Wright,  qui  a  mis  en  circulation  l'anecdote  des 
trois  livres  payées  pour  le  premier  poème,  indique  cinquante 
livres  pour  le  prix  du  second  *.  Il  est  vrai  qu'il  se  trompe  sur 
la  désignation  de  ce  second  poème,  et  croit  le  a  Printemps  »  an- 
térieure T  «  Été  ».  La  vérité,  nous  le  savons,  est  que  Thomson 
ne  se  dessaisissait  pas  plus  cette  fois  que  précédemment  de  la 
propriété  de  son  œuvre.  Il  n'a  pu  recevoir  de  Millan  qu'une 
avance  sur  le  produit  certain  de  la  vente.  Du  reste,  à  cette 
occasion  encore,  le  poète  entendait  s'assurer  un  autre  profit, 
en  faisant  choix  d'un  patron.  Il  voulut  dédier  le  poème  à  lord 
Binning.  Mais  celui-ci  déclina  cet  honneur,  dans  l'intérêt  même 
de  son  jeune  ami.  Il  lui  conseilla  de  s'adressera  un  personnage 
qui  fût  plus  en  mesure  de  lui  procurer  quelque  place  lucra- 
tive, et  suggéra  le  nom  de  Sir  George  Bubb  Dodington,  l'un 
des  lords  de  la  Trésorerie  '.  Les  sentiments  de  bienveillance  de 

<•  «This  poem  (Winter)  sold  so  well  that  Mr.  Miilar  gave  Mr.  ThomsoQ 
^0 1.  for  Ihat  oo  the  Spring,  and  increased  Ihecopy  money  for  Ihe  Summer 
•nd  Autumn.  .  (Édit.  de  mo,  Life  of  Thomson.) 

C'est  à  cette  •  Vie  »  que  Goodhugh  a  emprunté  bon  nombre  des  ren- 
seignements qui  sont  depuis  entrés  dans  la  plupart  des  biographies;  à 
^^iimencer  par  Tanecdote  des  3  livres  payées  pour  l'Hiver.  —  Nous  pou- 
^^hs  voir  ici  encore  combien  Wright  mérite  peu  de  confiance.  La  petite 
?^te  que  nous  venons  de  reproduire  renferme  trois  grosses  erreurs  :  c'est 
^lllàn  el  non  Miilar  qui  publie  les  deux  premières  Saisons.  La  2^  saison 
publiée  est  TÉlé  et  non  pas  le  Printemps.  Enfin  ce  n'est  pas  le  même  édi. 
^^urqui  a  publié  les  deux  dernières  Saisons. 

â.  Bubb  Dodington,  né  en  1691  el  héritier  d'une  grande  fortune,  devint 
^D  172i  un  des  lords  de  la  Trésorerie.  En  1737  il  se  range  parmi  lesadhé- 
^ots  du  prince  de  Galles  contre  le  roi,  et  Walpole  lui  fait  quitter  la  Tré- 
^rerie.  A  la  chute  du  grand  ministre,  il  devint  trésorier  de  la  Marine. 
Après  ravènement  de  George  III,  il  fut  un  des  confidents  de  lord  Bute,  et 
^Q  1761  fut  élevé  à  la  pairie  avec  le  titre  de  lord  Melcombe-Regis.  Il 
mourut  l'année  suivante.  Mêlé  très  activement  aux  luttes  politiques,  et 
très  répandu  d'autre  part  dans  la  société  littéraire,  son  nom  est  un  de 
ceux  qui  reparaissent  le  plus  souvent  dans  les  écrits  du  temps.  Il  est  loué 
par  Thomson,  par  Young;,  par  Bentley  qui  le  place  sur  le  même  rangqu'nn 
antre  protecteur  des  gens  de  lettres  :  Halifax;  Horace  Walpole  a  pour  lui 
quelque  bienveillance  (Royal  and  Noble  Authors,  vol.  IV).  —  D'autre  part 
Pope  et  Churchill  le  traitent  durement  (les  traits  lancés  contre  Duho  sont 
fréquents  dans  les  Satires  et  les  Épîtres  de  Pope).  Foote  le  met  en  scène 
dans  The  Patron,  sous  le  nom  de  sir  Thomas  Lofty.  Ilogarth  le  poursuit 
de  ses  satires  mordantes;  il  ne  tarit  point  en  caricatures  sur  l'embonpoint 
du  personnage,  sur  ses  vêtements  couverts  de  galons  et  de  broderies,  sur 
son  énorme  perruque  et  ses  vastes  manchettes  de  dentelle. 

Dodington  était  un  orateur  abondant,  brillant,  pompeux  et  de  mauvais 
goût.  Il  ne  se  contentait  pas  d'être  le  patron  des  gens  de  lettres,  mais 
lai-ménie  ambitionnait  la  renommée  littéraire.  •  Il  écrivit,  dit  Cumberland 


70  JAMES  THOMSOiN. 

cet  homrne  d'État,  qui  se  piquait  de  littérature,  n'étaient  pas 
douteux.  Il  avait,  après  la  publication  de  1*  «  Hiver  »,  fait  porter 
à  l'auteur  ses  compliments  par  le  Dr.  Young,  et  avait  exprimé 
le  désir  de  le  voir.  Ce  choix  fut  en  effet  plus  heureux  que 
celui  de  Sir  Spencer  Gompion.  Thomson  trouva  en  Dodington 
un  protecteur  et  un  ami;  nous  le  verrons  jouir  plus  d'une 
fois  de  l'hospitalité  à  la  fois  cordiale  et  fastueuse  d'Eastbury. 

L'  «  Été  »  parut  dans  la  première  partie  de  l'année  1727,  en  un 
format  in-8,  comme  celui  de  la  2'  édition  de  1'  «  Hiver  »,  et  fut 
mis  en  vente  au  pris  de  1  shilling  G  pence.  La  dédicace  égalait 
en  flagorneries  extravagantes  celle  que  Mallet  avait  écrite  pour 
Sir  Spencer,  ou  les  lettres  de  Thomson  à  Hill.  «  La  louange 
a  publique  célèbre  hautement  tint  de  vertus,  mais  la  postérité 
«  seule  leur  rendra  justice.  Puissiez-vous,  Monsieur,  vivre  de 
«  longs  jours  pour  ajouter  encore  à  l'état  de  votre  gloire  par 
«  vos  actions,  et  pour  être  par  elles  indiqué  aux  siècles  à  venir 
a  comme  le  Mécène  britannique!...  Si  ce  que  je  vous  présente 
«  ici  a  quelque  mérite  qui  obtienne  votre  approbation,  je  n'ai 
«  pas  d'inquiétude  sur  le  succès;  et,  si  l'œuvre  ne  réussit  pas 
a  à  arrêter  votre  attention,  je  l'abandonne  à  son  juste  sort  ',  i^ 

Cette  adresse  en  prose  disparut  après  la  seconde  édition,  et, 
comm3  la  première  dédicace  de  V  «  Hiver  »,  fut  remplacée  par  ur^ 
hommage  en  vers  inséré  dans  le  début  du  poème.  H  n'y  a  dm 
reste  pas  plus  de  discrétion  ni  de  vérités  dans  les  flatteries  poé  - 
tiques  que  dans  les  autres.  On  se  demande  si  le  jeune  Écossais 
ne  se  moque  pas  de  son  noble  patron  lorsqu'il  célèbre  son 
«  génie  et  sa  sagesse  »,  «  sa  gaieté  toujours  décente  »,  «  son 
honneur  sans  tache  »,  a  son  zèle  infatigable  pour  la  gloire 
a  de  la  Bretagne,  pour  la  liberté  et  pour  l'homme  »  '. 

de  petits  poèmes  avec  de  grands  cfTurts,  et  dos  lettres  travaillées  où  il 
moDtrt)  une  jjrande  élégance  de  style  et  une  cerlaine  étrangeté  d'expres- 
sion. •  —  On  a  de  lui  un  Jo-.irnal  qui  s'étend  de  1740  à  1761.  Il  a  pro- 
bablement collaboré  h  Tonvrago  historique  de  son  protégé  Ralph  : 
Englaml  durituj  the  reir/fis  of  William  ///,  Quren  Anne  and  King  George  I. 
On  Ta  aiissi  suppo«îé  rauteiir  d'une  Epistle  to  the  Right  Uonourahle  Sir 
Robcil  Walpole  (l>«  édit..  1720). 

i.  «  ....  The  genoral  voice  is  loud  in  the  praise  of  so  many  virtues,  though 
poslcritv  nlone  will  do  Ihem  justice.  But  may  you,  Sir,  live  long  to  ilhis- 
tralo  yoiir  own  famé  by  yourown  actions,  and  by  them  be  traasmitted 
to  future  time  as  the  Britisli  M«>cenasî...  If  what  1  berc  présent  you  has 
any  merit,  so  as  to  gain  your  approbation,  I  am  not  afraid  of  success; 
and  if  il  faits  of  yoiir  notice,  I  give  it  np  to  ils  just  fale.  • 

2.  Summer,  de  2)  à  31. 


ACHÈVEMENT  DE§  «  SAISONS   ».  71 

Le  mois  de  juin  1727  vit  paraître  une  des  œuvres  les  plus 
heureuses  qui  figurent  parmi  les  petits  poèmes  de  notre  auteur. 
Newton  était  mort  le  20  mars.  Thomson  qui,  dès  FUniversité, 
avait  acquis  le  goût  des  sciences  naturelles;  qui,  dans  son 
étude  prolongée  et  enthousiaste  de  la  nature,  avait  plusieurs 
fois  rencontré  les  explications  ingénieuses  ou  profondes,  et  les 
hardies  synthèses  de  Newton,  Thomson  écrivit  un  Poème  à  la 
mémoire  de  Tillustre  savant  *.  Nous  aurons  à  apprécier  plus 
tard  la  valeur  de  ce  travail.  Contentons-nous  ici  de  noter  Theu- 
reuse  rencontre  qui  unit  dans  une  œuvre  digne  de  Tun  et  de 
l'autre,  l'homme  de  science  qui  a  donné  aux  phénomènes  du 
monde  sensible  leur  plus  large  et  leur  plus  grandiose  explica- 
tion, et  le  poète  qui,  à  ce  moment  même,  en  donnait  la  plus 
vaste  et  la  plus  noble  traduction  artistique. 

Le  poème  parut  en  in-folio  chez  J.  Millan  V  II  était  dédié  au 
premier  ministre.  Nous  savons  que  Robert  Walpole  n'était 
guère  un  patron  des  poètes.  Il  n'avait  ni  instruction  étendue, 
ni  goût  artistique  ou  littéraire.  Son  bon  sens  robuste  mais  fort 
terre  à  terre  tenait  en  petite  estime  tout  ce  monde  des  écri- 
vains besogneux  tour  à  tour  humbles  ou  insolents,  mais 
presque  toujours  quémandeurs.  Sa  politique  ne  s'appuyait  pas 
sur  l'opinion  publique  tejle  que  pouvait  l'inspirer  ou  la  diriger 
la  foule  des  gens  de  lettres.  Attaqué  par  la  plupart  d'entre  eux, 
'1  opposait  à  ce  débordement  de  violences  et  d'outrages  une 
^nhomie  indifférente  ou  dédaigneuse.  Thomson,  nous  l'avons 
pu  voir  »,  avait  une  certaine  sympathie   pour  le  ministre 

^'  Pour  les  renseignements  scientifiques  très  [«récis  et  très  exacts  qui 
*« '■enconlrent  dans  le  poème,  il  fut  aidé  par  J.  (iray  Esq.,  F.  H.  S.,  l'au- 
^^ur  d'un  traité  sur  l'artillerie,  un  des  collaborateurs  aux  Philosophical 
^^ntardions  de  la  Société  Royale,  et  Tua  des  disciples  les  plus  éclairés  de 
'^philosophie  scientifique  de  Newton.  11  est  probable  aussi  que  Murdoch, 
'^  futur  biog^phe  de  notre  poète,  qui  devait  se  faire  un  nom  parmi  les 
<DaUiémalicieDS  de  son  temps,  a  contribué  à  donner  à  son  ami  la  connais- 
^oee  qu'il  montre  des  théories  newtoniennes. 
2.  La  même  année,  une  édition  en  était  publiée  à  Dublin. 
Un  des  vers  du  poème,  dit  Murdoch,  sort  d^épigraphe  aux  Dialogues 
publiés  par   le  comte  Algarotti  sous  ce   titre  :   //  Neutonianismo  per  le- 
Oame.  Algarotti  et  Thomson  ont  pu  se  connaître  chez  Pope,  où    lo   bril- 
lant Italien  fréquentait.  Mais  Tinformation  de  Murdoch  n'est  pas  exacte, 
la  première  édition  des  «  Dialogues  •,  publiée  à  Naples  en  1137,  avec  une 
dédicace  à  Fontenelle,  datée  de  Paris  1730,  porte  pour  seule  épigraphe 
ces  quelques  mots  de  Virgile,  X«  églogue  : 

—  Quœ  légat  ipsa  Lycoris. 
3.  Voir  p.  66,  note  5. 


72  JAMES  THOMSON. 

c  ennemi  des  poètes  »  *.  Peut-être  aussi  pensait-il  que  son  tra- 
vail, célébrant  une  gloire  nationale,  et  prêtant  la  parure  de  la 
poésie  à  Texposé  des  plus  hautes  découvertes  de  la  science, 
trouverait  grâce  auprès  de  Thomme  d'État  qui  traitait  avec 
tant  de  mépris  les  productions  inutiles  des  faiseurs  de  vers.  A 
coup  sûr  la  pensée  de  dédier  au  chef  du  gouvernement  ce 
poème  consacré  au  plus  grand  des  Anglais  était  fort  naturelle 
et  fort  louable.  Il  est  fâcheux  qu'elle  ait  inspiré  à  l'auteur  une 
dédicace  indigne  de  lui.  Le  ministre  y  est  comparé  au  Ciel  qui 
dispense  le  bonheur,  même  aux  mécontents  et  aux  ingrats  *. 
Il  ne  paraît  pas  que  Walpole  se  soit  montré  sensible  à  ce  pom- 
peux panégyrique.  Lorsque  plus  tard  le  poète  se  rangea  parmi 
les  adversaires  du  ministre,  il  ne  fut  gêné  par  le  souvenir 
d'aucun  bienfait  reçu.  Quant  à  la  malencontreuse  dédicace, 
elle  disparut  de  toutes  les  éditions  postérieures. 

Cette  hostilité,  à  laquelle  Thomson  se  trouva  conduit,  nous 
le  verrons,  par  ses  relations  avec  les  ennemis  politiques  de 
Walpole,  les  sentiments  et  les  opinions  du  poète  auraient  sans 
doute  suffi  quelque  jour  à  la  faire  naître.  La  fibre  patriotique 
était  chez  lui  très  sensible,  et  il  se  serait  tout  naturellement  allié 
à  ces  «  patriotes  d  '  que  liguait,  sous  couleur  de  fierté  natio- 
nale, une  commune  haine  du  a  ministre  de  la  Paix  i>.  L'opi- 
nion était  alors  vivement  surexcitée  contre  l'Espagne.  Cette 
nation  ne  prenait  point  son  parti  de  la  présence  des  Anglais  â 
Gibraltar  et  à  Minorque;  elle  prétendait  d'ailleurs  exiger  Tob- 
servation  de  certaines  clauses  du  traité  d'Utrecht  qui  gènaieni 
fort  le  commerce  britannique  *.  Il  n'en  fallait  pas  davantage 


1.  •  Bob,  Ihe  poet's  foe.  »  (Swift,  An  Epistle  to  Mr,  Gày,  1731  ;  vers  4.) 

2.  •  Though  you  are  enga^cd  in  the  highest  aod  most  active  scènes  of 
life...  evcn,  like  Heaven,  dispensing  happiness  to  the  discontented  aod 
ingratcful,...  you  are  not  less  attentive,  in  the  hour  of  leisure,  to  the  variety, 
beauty  and  magnificence  of  nature....  The  samc  comprehensive  geoius 
which  way  soever  it  looks  must  hâve  a  steady,  clear  and  unbounded 
prospect.  » 

3.  Le  mot  en  est  venu  h  désigner  les  adversaires  de  Walpole  et  de  la 
Cour.  Dans  le  langage  de  Thomson,  qui  remploie  souvent,  il  n*a  pas  cette 
acception.  Le  pol'te  rapplique  à  Walpole  lui-même. 

4.  Le  traité  permettait  à  un  navire  anglais  chaque  année  des  opérations 
commerciales  avec  les  colonies  sud-américaines.  C'était  une  infraction 
aux  principes  de  la  politique  espagnole  qui  voulait  conserverie  monopole 
du  commerce  de  ses  colonies.  Mais  les  Anglais  ne  voulaient  pas  se  con- 
tenter d'une  concession  aussi  restreinte;  et  il  y  avait  de  perpétuels  con- 
flits entre  les  Espagnols  qui  soufTraient  avec  peine  Toctroi  de  cette  faveur 


I  • 


ACHÈVEMENT  DES  «  SAISONS  ».  73 

pour  que  les  Anglais  se  considérassent  comme  outragés  et  pro- 
voqués. La  querelle  durait  depuis  longtemps,  lorsque,  en  1727, 
quelques  incidents  l'amenèrent  à  l'état  aigu  *.  Thomson  se  fit 
alors  récho  du  sentiment  national  en  écrivant  Britanniay  une 
de  ses  plus  faibles  productions.  Malgré  une  tirade  qui  célèbre 
les  bienfaits  de  la  paix,  le  poème  proclamait  avec  une  véhé- 
mence indignée  la  nécessité  de  venger  des  affronts  déshono- 
rants. Il  répondait  si  bien  à  l'état  des  esprits  que,  malgré  la 
pauvreté  de  la  conception  et  la  faiblesse  de  l'exécution,  il 
aurait  sans  doute  rencontré  un  vif  succès.  Thomson  cependant 
ne  le  fit  pas  paraître.  Peut-être,  au  moment  où  il  tournait  vers 
Robert  Walpole  ses  espérances  de  fortune,  jugeait-il  inoppor- 
tune l'expression  de  patriotiques  sentiments  qui  s'accordaient 
mal  avec  la  politique  du  «  Premier  ».  Le  poème  fut  donc 
publié  seulement  en  1729,  l'année  même  où  Thabile  et  patiente 
diplomatie  du  ministre  allait  amener  l'Espagne  à  signer  le 
traité  de  Séville. 


II 


Ces  pièces  de  circonstance  ne  faisaient  pas  perdre  de  vue  au 
poète  son  grand  travail.  Il  commença  le  «  Printemps  »  vers  le 
milieu  de  l'année  1727.  Il  n'eut  pas  à  chercherpoursavoir  à  qui 
dédier  cette  troisième  «  Saison  »  :  un  patron  s'était  présenté  et 
offert  de  lui-même.  La  comtesse  de  Hertford  était  à  la  fois  une 
P^ndedame  et  une  femme  lettrée  *.  Elle  invitait  chaque  année 


*QQ  seul  navire,  et  les  Anglais  qui  violaient  tous  les  jours  l'interdiction 
établie. 

'-  On  sait  que  le  retour  d'incidents  analogues,  amenant  une  nouvelle 

^^Plosion  d'anioiosilé  contre  l'Espagne,  fut,  en  1739,  l'occasion  de  la 

^°"lc  de  Walpole. 

*•  Prances  Thynne,  Glle  de  l'honorable  Henry  Thynne,  viscount  Wey- 
^Uth,  épousa  Algernon  Seymour,  comte  de  Hertford,  qui,  à  la  mort  de 

,  ^  père,  devint,  en  1748,  duc  de  Somerset.  Elle  fut  une  des  dames  de  la 
^^Oibre  de  la  reine  Caroline.  C'est  elle  qui,  dans  cette  même  année  1727, 
^^va  de  la  potence  le  malheureux  Rich.  Savage.  —  Elle  écrivait  sous  le  pseu- 
^Hyme  d'Eusebia.  On  trouve  la  plus  grande  partie  de  ses  œuvres  poétiques 

.^Is  Dr,  Walls's  MUeellanyy  et  dans  sa  correspondance.  Quelques-unes 
^  ses  lettres  se  rencontrent  aussi  dans  les  Miscellanies  de  Shenstone, 
*ï^i  lui  a  dédié  une  Ode  on  rural  élégance.  —  ■  Her  acquirements  in 


74  JAMES  THOMSON. 

quelque  écrivain  à  sa  résidence  de  Marlborough,  dans  le  Wilt- 
shire,  afin,  dit  Johnson,  «  de  lui  lire  les  vers  qu'elle  écrivait  el 
«  de  se  faire  aider  dans  ses  essais  poétiques  i».  C'est  Thomson 
qui  fut  honoré  de  cette  invitation  pour  Tété  de  1727.  Il  s€ 
montra  sans  nul  doute  heureux  de  cette  flatteuse  distinction. 
Les  campagnes  et  les  collines  du  Wiltshire  étaient  plus  propices 
que  les  vues  de  Londres  à  la  poursuite  de  son  travail.  Lad) 
Hertford  nous  a  laissé,  dans  de  bien  médiocres  petits  vers  ',  um 
liste  des  occupations,  promenades,  jeux,  flâneries,  causeriez 
gaies  ou  sérieuses  entre  lesquelles  se  partageait  le  temps  des 
hôtes  de  Marlborough.  Mais  Thomson,  s'ilcnfautcroire  Johnson 
aurait  montré  plus  d'empressement  à  boire  avec  le  comte  qu'è 
collaborer  aux  productions  versifiées  de  la  comtesse.  Et  le  bîa 
graphe  ajoute  que  lady  Hertford,  peu  satisfaite,  ne  renouveU 
pas  son  invitation.  Nous  avons  au  moins  la  preuve  que  U 
grande  dame  et  le  poète  ont  conservé  longtemps  après  d'ami- 
cales relations  V  Et  s'il  est  vrai  que  l'invité,  faisant  trop  volon 
tiers  honneur  à  la  joyeuse  hospitalité  du  comte,  ait  mal  second 
les  velléités  poétiques  de  son  hôtesse,  la  poésie  n'y  a  cependan 
rien  perdu.  Dès  le  commencement  de  l'année  1728,  le  poèm» 
du  «  Printemps  d  était  publié.  Il  avait  donc  été  achevé  vers  lafif 
de  1727,  et  une  grande  partie  en  avait  été  écrite  à  Marlbo- 


lilcralnre  were  varions,  and  hcr  reading,  particularly  ia  hislory,  appears 
lo  havc  becn  very  exlcnsive.  ■  [Prefatonj  memoir  to  her  correspondance, 
cdited  by  Mr.  W.  Bindley.)  Ou  peut  voir  un  portrait  de  lady  Hertford  dans 
Horace  Walfole,  Catalogue  of  Royal  and  Sable  Authors^  vol.  IV,  p.  239. 

1.  Mr.  Logie  Robertson  les  a  cités  dans  son  Introduction  aux  Dotes  sur 
le  «  Printemps  >». 

2.  Dans  une  lettre  à  sa  nièce,  lady  Pomrpet,  écrite  en  juin  1739,  lady 
Hertford  dit  :  -  I  hope  your  route  will  lead  you  to  thc  Fontaine  de  Vau- 
cluse....  Mr.  Thomson  told  me  lie  had  sccn  this  fountain  and  he  promised 
to  give  me  a  description  of  il  in  verse;  but  llie  promises  of  pocts  are  no' 
alwajs  lo  be.  depcnded  upon.  • 

En  1742,  elle  dit  h  un  de  ses  correspondants  :  ■  1  hâve  not  seen  Thomsoc 
almost  thèse  three  vears  •. 

En  1748,  elle  écrit,  le  13  mai,  a  lady  Luxborough  :  •  I  conclude  yoi 
will  rcad  Mr.  Thomson's  Castle  of  Indolence  :  il  is  after  Ihe  manner  o 
Spenser....  I  believe  the  Castle  will  aiïord  you  much  entertainraent....  • 

Enfin  ces  sentiments  amicaux  ne  s'éteignent  pas  &  la  mort  de  Thomson 
En  1748,  dans  une  lettre  à  la  même  lady  Luxborough,  elle  parle  di 
poète  qui  vient  de  mourir  et  de  Tlionneur  que  lui  rend  Shenstone  dans  soc 
poème  de  1'  «  Automne  •,  et  dans  le  parc  où  il  lui  consacre  une  urne.  Cinc 
ans  plus  lard,  elle  demande  ù  Shenstone  de  laisser  insérer  dans  la  collée 
tion  que  prépare  Dodsiey  •  Damon's  Bower  -,  une  élégie  en  Thonneur  de 
Tfiomson,  el  oITre  d'en  foamir  une  copie  si  l'auteur  a  perdu  Toriginal. 


ACHÈVEMENT  DES  ce  SAISONS  ».  7S 

rough  Castle  *.  L'auteur,  et  c'était  justice,  le  dédiait  à  la 
très  honorable  comtesse  de  Hertford.  a  Ce  poème  a  grandi 
€  sous  vos  auspices,  il  a  donc  un  droit  naturel  à  votre  patro- 
«  nage.  » 

À  cette  occasion  Thomson  quitta  son  premier  éditeur.  Peut- 
être  J.  Millan  n'offrait-il  pas  les  garanties  d'une  maison  très 
solide.  Nous  le  voyons  en  effet  changer  sans  cesse  d'adresse; 
de  1726  à  1730  nous  lui  connaissons  quatre  installations  suc- 
cessives, et  il  ne  s'en  tiendra  pas  là*.  Andrew  Millar,  un  des 
libraires  du  Strand,  qui  semble  avoir  été  à  Londres  l'éditeur 
préféré  des  écrivains  écossais,  fut  chargé  de  publier  le  a  Prin- 
temps »,  conjointement  avec  un  de  se»  confrères,  G.  Strahan  '. 
Le  nom  de  ce  dernier  ne  paraît  plus  sur  la  page  de  titre  d'au- 
cune autre  des  œuvres  de  Thomson;  mais  chez  Millar  le 
poète  trouva,  en  même  temps  qu'un  éditeur  actif  et  intelligent, 
un  ami  sûr  dont  le  dé voûment survécut  mémeà  la  mort  de  son 
auteur  favori  *. 

La  dédicace  en  prose,  plus  agréable  à  lire  que  celles  dont 
l'auteur  avait  fait  précéder  1'  a  Hiver  et  1'  «  Été  »,  fut  rem- 
placée, dès  la  deuxième  édition,  par  six  vers  placés  au  début  du 
poème*.  A  la  fin  de  l'in-octavo  (de  1727)  se  trouvent  des  proposi- 
tions pour  imprimer  par  souscriptions  les  quatre  a  Saisons  lo, 
avec  «  un  Hymne  sur  leur  cours  »,  le  «  Poème  à  la  mémoire 
de  Newton  »  et  un  «  Essai  sur  la  Poésie  descriptive  ».  Les 
souscriptions  devaient  être  adressées  à  l'auteur,  qui  habite 

1-  •  The  History  of  Willshire  •  enregistre,  dit  R.  Bell,  cette  tradition 
cooserrëe  dans  la  région,  que  Thomson  composa  une  partie  de  ses  •  Saï- 
s^ns  •  dans  le  voisinage  de  Mariborough  Castle.  Et  Stepîien  Duck,  le  poète- 
laboureur  du  Wiltshire,  contemporain  de  noire  auteur,  énonce  nettement 
««tle  affirmation  (Paems,  1737,  p.  212). 

2-  Voir  p.  43,  n.  3. 

3*  Aucun  des  biographes  n'a  remarqué  cette  présence  de  deux  éditeurs, 
Pjwr  le  •  Printemps  »,  comme  aussi,  nous  le  verrons,  pour  la  première 
Wilion  mise  en  vente  des  •  Saisons  ». 

*•  •  Mr.  Millar  was  always  at  hnnd  to  answer,  or  eveu  to  prevent,  his 
J«mands.  .  (McRDOCH.)  —  John  Nichols  {Anecdotes,  vol.  VI,  p.  41,  édit. 
<>«  1812)  le  mentionne  comme  le  ferme  patron  de  Thomson,  de  Fielding 
*'  <ic  beaucoup  d'autres  auteurs  éminents. 

^-  C'est-à-dire  la  !'•  édition  des  ■  Saisons  •  complètes.  Le  nombre  des 
J«^  est  de  408Î  dans  l'édition  de  1728,  et  de  i087  dans  l'édition  des 
•  Saisons  •  de  1730,  comme  dans  la  2*  édition  séparée  du  ■  Printemps  • 
^  ^^3|,  et  dans  l'édition  des  «  Saisons  •  de  1738.  Puis  le  poème  s'aug- 
J*Dte  d'une  centaine  de  vers  pour  les  deux  dernières  éditions  publiées 
^"  ▼ivant  de  Thomson  :  ii73  vers  en  1744  et  ii76  en  1746. 


76  JAMES  THOMSON. 

alors  au  Café  de  Smyrne,  dans  Pall-Mall;  à  ses  éditeurs 
G.  Strahan,  A.  Millar  et  J.  Millan;  ou  à  son  confrère  écossais 
Allan  Ramsay,  à  Edimbourg  '. 

Plusieurs  biographes  disent  que  Millar  paya  au  poét 
50  livres  pour  le  «  Printemps  »,  puis  que,  achetant  à  Miilai 
r  a  Hiver  »  et  le  a  Printemps  d,  et  plus  tard  V  a  Automne»  î 
Thomson,  il  devint  seul  propriétaire  des  diverses  parties  di 
poème.  Le  renseignement  qui  établit  ce  chiffre  de  50  livre 
provient  nous  l'avons  vu,  d'une  source  très  suspecte,  et  nom 
ne  savons  d'ailleurs  s'il  doit  s'appliquer  au  a  Printemps»  ci 
à  r  a  Été  »  *.  Il  est  en  tout  cas  certain  que  Millar  n'acquit  pas  d( 
droit  exclusif  sur  les  «  Saisons  »,  et  que  Millan  conserva,  con- 
curremment avec  lui,  ceux  qu'il  pouvait  avoir  '. 

Les  souscriptions  n'affluèrent  pas,  semble-t-il,  au  gré  deî 
désirs  ni  des  besoins  de  Thomson.  Le  public  était  deveni 
méfiant.  On  lui  avait  fait  des  appels  trop  fréquents,  et  bien  de! 
abus  s'étaient  produits  avec  ce  système  de  paiements  anticipés 
Il  arrivait  que  l'auteur,  après  avoir  touché  les  versements,  fi 
attendre  bien  longtemps,  sinon  toujours,  la  publication  pro 
mise.  Les  lecteurs  trop  souvent  dupés  menaçaient  de  fair 
grève.  Un  certain  nombre  de  personnes  s'étaient  mutuelle 
ment  engagées,  sous  peine  d'amende,  à  ne  jamais  favoriser  d 
souscription  *.  Thomson,  qui  se  rend  compte  de  la  défaveu 
justement  attachée  à  ce  système  de  publication ,  ne  fait  pa 
ses  propositions  sans  un  certain  embarras.  «  La  souscrif 

1.  «  Subscriptions  are  token  in  by  the  Author,  at  tbe  Smyrna  Coffe 
House,  in  PalI-.Mall;  and  by  G.  Strahan,  at  the  Golden  Hall  in  Cornhil 
A.  Millar,  at  Buchaoan's  Head  in  the  Strand;  J.  Millan  at  the  Blue  Ancht 
in  Pall-Mall,  and  by  A.  Rumsay,  atEdinburgh.  »  Brydges  assure  m^meqi 
Thomson  publia  ses  souscriptions  dès  1727.  (Censura  Literariay  art.  2 
p.  50.) 

2.  Le  premier  auteur  du  renseignement  paraît  être  Wright.  V( 
p.  69,  n.  1. 

3.  Nous  trouvons  en  effet,  parmi  les  éditions  que  nous  avons  pu  ex 
miner,  et  qui  sont  de  date  postérieure  à  Tacquisition  du  «  Printemps  *  p 
Millar  : 

Summer,  2«  édit.,  Millan,  4728;  Summer,  3e  édit.,  Millan,  1730;  Autun 
2»  édit.,  Millan,  1730;  Winler  wilh  llymn,  3*  édit.,  Millan,  1730;  Summ 
4"  édit.,  Millan,  1733;  Winter  wilh  Hymn,  Millan,  1734;  Britannia,  2* 
3-  édit..  Millan,  1730;  Poem  to  Newton,  4«  et  5"  édit.  (avec  Millar),  Millan,  17; 

4.  •  I  bave  heard  of  an  agreemcnt  among  some  of  our  modem  Got 
(who  by  the  bye  are  even  unworthy  of  thaï  name)  by  which  thcy  bii 
themselvcs  not  to  encourage  any  subscriptions  whatcver  under  a  certa 
penalty.  »  (Lettre  de  Thomson  à  Mallel,  sept.  1729.) 


ACHÈVEMENT  DES  «   SAISONS   ».  77 

ition,  dit-il,  agonise;  et  le  monde  semble  avoir  fini  par 
cvaJDcre  ce  monstre  aux  tètes  multiples  K  id  Sans  doute  le 
poète  a  la  satisfaction  de  voir  Télite  de  la  société  littéraire 
lui  apporter  son  concours.  Le  Dr.  Rundle  par  exemple  écrit 
à  son  amie  Mrs.  Sandys  :  a  J'ai  pris  la  liberté,  madame,  de 
I  vous  inscrire  parmi  les  souscripteurs  au  poème  de  Thom- 
(son.  Je  vous  en  demande  pardon;  mais,  connaissant  votre 
cgoût,  je  suis  assuré  de  ce  pardon....  Il  a  certainement  un 
i  génie....  *  »  Malheureusement  la  foule  ne  suit  guère  l'exemple 
que  lui  donnent  les  gens  du  meilleur  jugement,  et  les  res- 
sourœs  apportées  à  notre  écrivain  par  son  futur  poème  sont 
insuffisantes.  Il  lutte  contre  les  difficultés  avec  une  vaillance 
admirable,  et,  en  quelques  mois,  produit  une  somme  de  tra- 
vail \Taiment  extraordinaire.  Il  commence  V  a  Automne  »,  et 
poursuit  activement  l'achèvement  de  cette  dernière  a  Saison  ». 
En  attendant  le  poème  complet,  la  fin  de  Tannée  1728  voit 
paraître  une  2*  édition  de  1'  «  Été  ».  En  janvier  1729  il  publie 
ce  poème  de  a  Britannia  »  qu'il  avait  écrit  deux  ans  aupa- 
ravant. On  peut  croire  qu'il  a  maintenant  renoncé  à  rien 
obtenir  de  Walpole  et  n'est  plus  arrêté  par  les  mêmes  scru- 
pules qu'en  1727.  Cependant  l'ouvrage  est  publié  avec  des 
précautions  qui  semblent  indiquer  chez  l'auteur  le  désir  de 
ne  pas  être  compromis,  au  cas  où  l'œuvre  déplairait  au  tout- 
puissant  ministre  '. 

11  donne  quatre  pièces  à  un  volume  de  a  Mélanges  poétiques  » 
publié  par  James  Ralph  ^  Ce  sont  :  une  paraphrase  de  la  fin  du 

1-  •  For  subscriplion  is  dow  at  its  last  gasp,  and  tbe  world  seems  lo 
bave  got  the  betler  of  that  many-headed  monster.  • 

^-  •  To  rerresh  you,  Madam,  wilh  chit-chat  more  agreeable  than  this, 
I  bave  taken  the  liberty  to  put  you  into  the  list  of  subscribers  for  Thom- 
song  Poems  for  which  1  beg  your  pardon;  but  I  know  your  taste,  and 
Ani  sure  you  will  give  it  me...  [suit  un  éloge  abondant  du  poète...].  He 
^cerlainly  a  genius...  [et  Rundle  expose  à  sa  correspondante  le  plan  des 
•  Saisons  »].  (Lettres  de  Rundle  à  Mrs.  Sandys,  lettre  XIV,  mars  1129.) 

3-  L'édition  originale  est  publiée  par  T.  Warner,  in  Paternosler  Row, 
^s  nom  d'auteur  ni  dédicace.  La  page  du  titre  porte  que  l'ouvrage  fut 
^il  en  1119.  Dans  d'autres  éditions  la  date   indiquée  est  1127.  Voir  par 

^  Mttnifesto  of  the  Lord  Proteclor.,,  written  in  Latin  by  J.  Miltoi»...  now 
i.'^nslaied  into  English.  To  which  is  added  Briiannia,  a  Pocm;  by  Mr. 
^'^OiHON,  first  published  ia  1727.  London,  Millar,  1733. 
w^»  «  Miscfillaneous  PoemSj  by  several  liands  :  particularly  the  D...  of 
p  "-n,  Sir  Samuel  Garth,  Dean  S...,  Mr.  John  Hughes,  Mr.  Thomson,  Mrs. 
^*'*r-  •  Publish'd  by,  Mr.  Ralph...  Loudon  MDCCXXIX. 


78  JAMES  THOMSON. 

sixième  chapitre  de  saint  Mathieu  ',  une  courte  plaisanter 
sur  son  ami  Murdoch  *,  quelques  vers  adressés  à  Dodingtc 
sous  ce  titre  «  l'Homme  heureux  »  %  et  un  «  Hymne  à  la  Sol 
tude  »  *.  Une  lettre  du  29  septembre  nous  apporte  de  préciet 
renseignements  sur  sa  vie  à  ce  moment.  II  est,  et  pour  u 
séjour  assez  prolongé,  Thôte  de  Dodington  à  Eastbury  dans 
Dorsetshire.  Le  maître  du  logis  s'est  absenté,  appelé  à  Londn 
par  ses  devoirs  d'homme  politique;  il  a  laissé  son  invité  dai 
la  société  du  Rev.  G.  Stubbs,  pauvre  poète  et  pasteur  fo 
pauvre  '.  Thomson  donne  à  entendre  à  Mallet,  son  correspoi 
dant,  qu'il  entrevoit  le  terme  de  cette  période  de  laborieu; 
activité.  U  pourra  bientôt  a  suspendre  sa  harpe  aux  saules  » 
n  se  plaint  de  l'indiiTérence  du  public,  et  propose  une  grè 
des  auteurs.  Le  projet  d'ailleurs  est  dépourvu  d'héroïsm 
puisqu'au  moment  où  il  le  met  en  avant,  le  poète  compi 
pour  une  époque  prochaine,  sur  des  ressources  qui  lui  assui 
ront  a  cette  divine  liberté,  cette  vie  indépendante  qu'aime 
les  Muses  ».  La  fm  de  la  lettre  est  consacrée  à  des  questio 
d'ordre  plus  intime.  Mallet  est  encore  le  confident  à  q 
Thomson  révèle  l'état  de  son  cœur,  a  Je  suis  réellement  amoi 
«  reux  d'une  de  vos  belles  voisines;  vous  savez  qui  je  vei 
«  dire.  »  Nous  l'ignorons,  quant  à  nous,  entièrement;  maisnoi 
ne  sommes  point  tenté  de  croire  à  une  passion  bien  profond 
Au  moins  la  mention  de  ces  amours  à  fleur  de  cœur  inspin 
t-elle  au  poète  des  pensées  délicates  et  charmantes,  a  Avoir  toi 
«  jours  quelque  idée  secrète  et  chère  à  laquelle  on  puisse  à  toi 


1.  P.  341  du  recueil. 

2.  •  The  Incomparable  Sopori fie  Doc tov  »,  p.  343. 

3.  •  The  Happy  Man  »,  p.  345.  Dodington  étail  le  patron  et,  dit-on, 
collaborateur  de  Ralph.  Voir  p.  69,  n.  2. 

A.  •  A  ttymn  on  Solitude  •,  p.  346.  C^est  l'exécution  plus  achevée  d'ui 
pièce  écrite  quatre  ans  auparavant.  Voir  la  lettre  à  Mallet  du  10  ju 
let  1725. 

Millan  fit  paraître,  cette  même  année,  un  poème  anonyme  à  la  mémoi 
de  Confçreve  que  l'on  a  attribué  h  Thomson.  Cette  paternité  n*est  p 
prouvée.  On  trouvera  la  question  examinée  dans  une  autre  partie  de  c 
ouvrage. 

5.  "  Poor  Stubbs  kept  me  alive.  He  toils  hère  in   two  parishes  for  40 
a  year;  had  I  paper  I  would  rail  for  a  page  more  at  it.  »  Le  Révérer 
George  Stubbs  était  un  des  famlHers  de  Dodiugton  à  Eastbury.  Thomsc 
fait  encore  mention  de  lui  dans  une  lettre  à  Dodington,  octobre  1731. 

6.  «  It  shall  not  be  long  thus,  and  soon  will  I  hang  up  my  harp  upon  tl 
willows.  • 


AGHËYEMENT  DES  «  SAISONS  ».  79 

c moment  revenir,  au  milieu  du  tumulte  et  des  sottises  du 
c  monde,  et  qui  ne  manque  jamais  de  faire  naître  en  nous 
I  rémotion  la  plus  exquise,  c'est  là  un  Art  du  Bonheur  dont 
c  la  Fortune  ne  saurait  nous  dépouiller  *.  y> 

Il  avait  en  vérité  le  droit  de  songer  au  repos,  car  en  même 
temps  qu'il  assurait,  en  écrivant  V  «  Automne  i),  la  fin  de  sa 
grande  œuvre,  il  se  préparait  à  demander  au  théâtre  une  autre 
gloire  et,  si  possible,  des  ressources  plus  prochaines  et  moins 
précaires.  Il  suivait  en  cela  l'exemple  d'un  grand  nombre  de  ses 
contemporains.  Young,  Hill,  Mallet,  Mitchell-Polyphème,  pour 
ne  parler  que  de  ceux  avec  qui  Thomson  se  trouve  en  rela- 
tions directes  et  fréquentes,  ont  fait  jouer  des  tragédies.  Ce 
n'est  pas  que  le  génie  dramatique  fût  alors  abondamment 
répandu.  Il  n'est  pas  d'époque  où  le  théâtre  anglais  se  montre 
plus  pauvre  que  durant  cette  longue  période  qui  s'étend  des 
drames  d'Otway  aux  comédies  de  Sheridan.  Mais  au  moins 
l'art  dramatique  offrait-il  aux  auteurs  de  sérieux  avantages. 
Le  profit  qu'ils  en  tirent  est,  au  xvni°  siècle,  notablement 
supérieur  à  ce  qu'il  était  à  la  fin  du  xvii^  '.  Il  est  et  il  restera 
longtemps  encore  plus  élevé  que  celui  des  autres  labeurs 
poétiques  '.  Pour  ces  derniers  en  effet  les  patrons  ont  cessé  de 


!•  •  To  turn  my  eyes  a  softer  way,  I  am  reaily  touched  wilh  a  fair 
Deigbbour  of  yours  —  you  know  who...  Lay  your  hand  upon  a  kindred 
beart,  and  despise  me  not.  I  know  not  ^hat  il  is,  but  she  dwells  upon  my 
tboughl,  in  a  mingled  seDUment  which  is  the  sweetest,  Ihc  most  intima- 
tely  pleasing  the  soûl  can  receiye,  and  wliich  1  could  wish  never  to  want 
towards  some  dear  object  or  other.  To  hâve  always  some  secret  darling 
idea,  lo  Mihich  one  can  still  hâve  recourse  amidst  the  noise  and  nonsense 
of  the  world,  and  which  never  Taiis  lo  touch  us  in  the  most  exquisite 
inaooer,  is  an  Art  of  Happiness  Ihat  Fortune  cannot  deprive  us  of....  » 

Il  M  une  curieuse  ressemblance  de  fond  et  même  de  tour  entre  cette 
Pensée  et  celle  qu'exprime  Mme  de  Sta£l  :  «  Le  cœur  a  besoin  de 
Quelque  idée  merveilleuse  qui  le  calme  et  le  délivre  des  incertitudes  et 
<Ics  lerreurs  sans  nombre ,  que  Timagination  fait  naître...  »  (Cilé  par 
A-  SoREL,  Mme  de  Staël,  p.  48.) 

^'  '  Old  Jacob  Tonson  purchased  the  copy  right  of  Venice  Prcserved  for 
^S  poQQds.  «  (Davies,  Dramalic  Miscellanies,  t.  III,  p.  150.)  —  Les  libraires 
^^Doent  aux  contemporains  de  Thomson  environ  iOO  livres  pour  ce  droit 
^^  publication.  (Voir,  au  sujet  du  bénéfice  des  auteurs  dramatiques, 
^  Beuame,  le  Public  et  les  Hommes  de  lellrex,  p.  386.) 

^;  Tandis  que  Johnson  recevait  100  livres  de  son  éditeur  pour  le  nianu- 
J^rit  à'Irene,  il  vendait  pour  15  livres  son  poème  Upon  the  Vanity  of 
°j^»ian  Wishes,  On  sait  quel  prix  modique  Goldsmilh  recevait  de  ses 
«'Perses  productions;  sa  comédie  She  Sloops  to  Conquei'  lui  valut  au  con- 
''^»'e  de  300  &  400  livres. 


80  JAMES  THOMSON. 

payer  généreusement,  et  le  public  ne  donne  pas  encore  de 
rémunération  satisfaisante.  Une  gloire  fructueuse  comme  celle 
de  Pope  est  chose  extraordinaire  et  toute  exceptionnelle.  Au 
théâtre,  au  contraire,  outre  la  vente  du  droit  de  publication, 
les  trois  soirées  réservées  au  bénéfice  de  Fauteur  lui  laissent 
presque  toujours  une  somme  fort  raisonnable,  et,  si  la  pièce 
rencontre  un  franc  succès,  elle  peut  apporter  la  fortune  au 
poète.  On  connaît  le  mot  qui  courait  alors  sur  le  célèbre 
Beggar's  Opéra  joué  le  29  janvier  1828,  avec  un  succès  qui 
a  rendit  Gay  riche  et  Rich  gai  ». 


III 

L'annonce  de  la  tragédie  de  Sophonisha  éveilla  l'attention 
de  tout  le  public  lettré.  Les  répétitions  en  furent  suivies  par  la 
société  la  plus  élégante,  et  la  pièce  fut  jouée  au  théâtre  royal 
de  Drury-Lane,  le  28  février  1730,  devant  un  auditoire  si  nom- 
breux que  beaucoup  de  «  gentlemen  i>  furent  obligés  de  se 
placer  dans  la  galerie  supérieure  *. 

C'est  une  notion  très  généralement  répandue  que  la  pre- 
mière tragédie  de  Thomson  échoua  entièrement;  c'est  aussi 
une  anecdote  reproduite  par  la  plupart  des  biographes  que 
l'échec,  préparé  par  la  faiblesse  de  la  pièce,  fut  déterminé  par 
une  parodie  burlesque  d'un  vers  malheureux. 

Oh!  Sophonisha,  Sophonisha,  oh! 

aurait  provoqué  cette  exclamation  d'un  loustic  du  parterre  : 

Oh!  Jemmy  Thomson,  Jemmy  Thomson,  oh! 

L'examen  attentif  des  faits  nous  oblige  à  faire  d'expresses 
réserves  sur  le  premier  point,  et  à  nier  l'influence  sur  le  sort 
de  la  tragédie  du  célèbre  bon  mot. 

On  peut  considérer  a  Sophonisbe  »  comme  ayant  obtenu  ut* 
succès  fort  honnête.  La  tragédie  eut  dix  représentations  '.  Le^ 

1.  Voir  en  particulier  les  biographie  de  Shiels  et  de  Bell. 

2.  La  3',  la  C"  et  la  9*  eurent  lieu  au  bénéfice  de  Fauteur. 


ACHÈVEMENT  DES  «  SAISONS  ».  81 

èces  malheureuses  n'arrivaient  pas  à  pareil  total  ';  et  qua- 
rze  représentations,  comme  pour  le  Mustapha  de  Mallet, 
lient  un  résultat  tout  à  fait  brillant.  Le  droit  de  publication 
t  acheté  par  Millar  137  livres  10  schellings  '.  Le  prix  ordi- 
ire  pour  les  tragédies  qu'on  jugeait  valoir  la  peine  d'être 
ibliées était  100  livres'.  L'éditeur  n'eut  pas  à  regretter  l'af- 
ire:  il  avait  tiré,  avant  la  fin  de  l'année,  quatre  éditions  *. 
oilà  des  faits  qui  suffiraient  à  indiquer  autre  chose  qu'un 
iteux  échec;  il  y  en  a  d'autres  encore  qui  sont  moins  connus. 
a  correspondance  de  Rundle  relate  les  applaudissements  de 
auditoire,  et  le  même  témoignage  nous  est  fourni  par  un 
nnemi  de  Thomson.  Une  brochure,  dans  laquelle  une  attaque 
iolente  est  dirigée  contre  l'auteur  et  la  pièce  *,  reconnaît  le 
uccèsbruyantetpersistantdelaccSophonisbe»  :  a  Cette  tragédie 
a  été  recommandée  au  monde  par  une  foule  de  Patrons....  Il 
est  vrai  qu'elle  parut  plaire  à  certaines  personnes;  elle  avait 
des  partisans  nombreux  dans  la  salle  :  des  Écossais  aux  mains 
harmonieuses  et  aux  pieds  joyeux  attestaient  que  c'était  là  une 
vraie  fille  du  Génie  •.  »  Et  vers  la  fin  de  cette  longue  diatribe 


1.  VIrene  de  Johnson  s'éteignit  après  la  9*. 

3-  GooDnucn,  The  English  GentlemarCs  Library  Manual,  p.  29i. 

3.  C'estTora  Davics  (Life  of  Garrick,  vol.  I,  p.  148)  qui  fait  connaître  ce 

rix-courant. 

^' •  In  1130    four  éditions    of  Sophonisba,  a  Tragedy,  as  it    is  now 

<^cdat  ihe  Theatre-Royal  in  Drury  lane.  by  Mr.  Thomson,  were  printed 

y  Bowyer.   A   small    number  >^'ere    printed    iD-4''    on  large    paper.  » 

•  NiCHOLs,  Anecdotes  of  Bowyer,  édit.  1812,  vol.  I,  p.  436.) 

^'ACritidsin  of  Ihe  New  Sophonisba,,,,  MDCCXXX,  L'auteur  anonyme 

^^  évidemment  un  confrère.  l\  fait  à  plusieurs  reprises  menlion  d'une 

]Médie  du  Timoleon  qui  fut  jouée  à  Drury-Lane  un  mois  avant  •  Sopho- 

i^be  •.  Il  établit  entre  les  deux  pièces  une  comparaison  qui  est  tout  à 

ivaola^e  de  la  première,  et  accuse  Thomson  d'avoir  manifesté,  pendant 

^  représentation  de   cette   tragédie,    une  jalousie  inconvenante.   On  a 

apposé  que  l'auteur  du  pamphlet  était  un  ami  de  Benjamin  Martyr,  le 

^^  de  Timoleon.  Nous  admettrions  môme  volontiers  qu'il  faisait  avec 

'luis:!  une  seule  et  même  personne.  11  se  donne,  au  cours  de  ses  aigres 

^marques,  le  pseudonyme  burlesque  de  Tim  Birch,  qui,  si  on  le  compare 

,^QJamin  Martyr,  a  bien  avec  ce  nom  quelque  air  do  parenté.  •  1  pro- 

'■^d  not  to  appear  in  the  Pit  till  the  author's  4">  benefit  Night  when 

*ïpecl  for  my  Service  a  Ticket  directed  for  me  Tim  Birch  at  Richard's 

^^e  House,  Temple  Bar.  • 

^-  •  The  Tragedy  has  been  recommended  to  the  World  by  a  crowded 

■iFonage....  'Tis  irue  the  Thing  seemed  to  please  somc  Pensons;  Ihere 

^  a  numerous  Party  in  the  House,  Scolchmen  with  tuneful  Hands  and 

'^''17  Peet,  atlestcd   it  to  be  a  truc  Uarn  of  Wit....  1  don  t  expect  the 

^nour  of  being  answer'd  by  Uie  Âuthor  or  any  of  his  admirers...<  l  was 

6 


Si  JAMES  THOMSON. 

Fauteur  conclut  avec  mélancolie  :  c  Je  ne  m'attends  pas 
«  ce  que  le  poète  ni  ses  admirateurs  me  fassent  Thonne 
(t  d'une  réponse....  J'ai  appris  que  le  droit  de  publication  a  i 
«  vendu,...  je  ri%  pense  pas  que  les  fautes  empêchent  la  ver 
c  de  la  tragédie,  i» 

La  note  exacte,  qui  nous  fait  connaître  l'impression  du  pub! 
éclairé  de  1730,  nous  est  donnée  par  le  Dr.  Rundle.  c  Je  vo 
«  envoie  a  Sophonisbe  »,  écrit-il  à  Mrs.  Sandys.  C'est,  à  m< 
a  sens,  une  distraction  raisonnable  à  laquelle  la  vertu  ell 
ce  même  peut  accorder  quelques  larmes  d'approbation....  ] 
a  sujet  est  mauvais;  sa  seule  justification,  c'est  qu'il  est  vn 
«  Le  style  est  incomparable,  mais  le  plaisir  qu'il  procure  n'i 
c  pas  de  cette  qualité  populaire  qui  remplit  les  théâtres  d'à 
«  diteurs  nombreux  *.  d 

La  parodie  célèbre  que  Cibber  et  Johnson  attribuent  à  ' 
plaisant  du  parterre  n'eut  donc  pas  sur  les  destinées  de  la  pié 
l'influence  fatale  qu'ont  supposée  les  biographes.  La  rais 
pourrait  bien  en  être  qu'elle  ne  fut  pas  improvisée  et  lanc 
aux  échos  de  la  salle,  au  milieu  des  éclats  de  rire  des  speci 
teurs,  comme  la  légende  s'en  est  établie.  Nous  doutons  fort  q 
les  contemporains  de  Thomson  l'aient  connue  aussi  général 
ment  que  nous.  C'est  Johnson  qui  l'a  rendue  célèbre.  No 
venons  de  voir  que  la  pièce  ne  tomba  aucunement  après  J 
premières  représentations.  Nous  ajouterons  que  le  vers  maie 
contreux  se  retrouve  non  seulement  dans  les  quatre  éditions  ( 
«  Sophonisbe  »  qui  parurent  en  4730,  mais  encore  dans  Téditit 
des  œuvres  complètes  de  1738  ^  Ce  n'est  qu'après  cette  da 
que  le  vers  fut  changé  en  cet  autre  : 

0  Sophonisba,  I  am  wholly  thine! 

informée!  the  first  Night  that  the  CÔpy  was  sold  for  100  pounds....  I  do 
Uiink  the  fauUs  will  be  any  hindrance  to  tho  sale.  • 

1.  «  1  send  you  SophonisfjOy  which  I  think  a  reasonable  eatertainiiK 
becoming  virtue  herself  to  behold  with  tears  of  approbation....  1 
story  is  a  bad  one,  and  ils  being  true  is  the  only  justification  of  it.  T 
writing  is  incomparable,  though  the  pleasure  it  atfords  is  not  of  that  pi 
ular  kind  which  can  draw  crowded  audiences....  When  it  was  acU 
however,  (he  sentiments  of  virtue  and  honour  were  universally  felt  w 
pleasurc;  and  the  audience  was  hurried,  by  the  divine  eothusiasm 
nature,  to  honour,  by  the  praise  of  their  hands,  those  moral  beaut 
which  they  can  not  forbear  loving....  »  (Rundlb.  Lettert  to  Mr$,  Sand, 
16  mars  1129-1730,  p.  105.) 

2.  On  est  étonné  de  voir  que  Terreur  commune  sur  cd  point  soit  pi 


ACHÈVBMENT  DES  «  SAISONS  ».  83 

Est-il  vraisemblable  que  Tauteur  eût  obstinément  conservé 
un  vers  devenu  ridicule?  N'est-il  pas  plus  probable  que  la 
parodie  eut  un  succès  limité  à  un  cercle  étroit?  Elle  se  trouve 
dans  la  c  Critique  »  du  prétendu  Tim  Birch.  Passant  en  revue 
ce  qu'il  appelle  ironiquement  c  les  beautés  de  pensée  et  de 
style  >,  il  annonce  le  vers  comme  «  a  fine  Epanodos,  in  imita- 
lion  of  Farnaby  *  »,  et  inscrit  au-dessous  sa  propre  imitation  : 
cOh!  Jemmy  Thomson,  Jemmy  Thomson,  oh!  t>  Mais  pas  une 
allusion  à  la  popularité  de  cette  parodie;  rien  qui  fasse  supposer 
qu'elle  ne  provienne  pas,  aussi  bien  que  toutes  les  autres 
ironies  ici  dirigées  contre  Thomson,  du  propre  cru  de  Tim 
Birch.  Telle  nous  semble  bien  être  en  effet  l'origine  de  cette 
amusante  plaisanterie.  Elle  ne  fut  connue  d'abord  que  des  lec- 
teurs, sans  doute  assez  peu  nombreux,  de  la  ce  Critique  ».  C'est 
là  que  Fielding  l'a  recueillie ',  et  après  lui  Cibber  et  Johnson. 
De  ces  lazzis  fameux  qui  sont  restés  attachés  au  souvenir  de 
certaines  pièces,  il  est  deux  catégories.  Les  uns,  authentiques, 
ont  entraîné  ou  accompagné  la  chute  de  l'œuvre;  les  autres 
plus  nombreux  ont  été  sans  effet  sur  les  représentations,  parce 
Qu'ils  ont  été  imaginés  après  coup.  C'est  à  cette  catégorie, 
croyons-nous,  qu'appartient  celui  qui  a  immortalisé  un  mauvais 
vers  de  c  Sophonisbe  ». 

La  reine  avait  manifesté  un  intérêt  spécial  pour  cette 
première  œuvre  dramatique  du  poète.  Ce  fut  donc  à  elle 
^tt'il  la  dédia.  Dans  quelques  mots  de  préface  il  reconnaît 
*vec  modestie  les  fautes  de  ce  début  ',  et  renvoie  aux  inter- 

^^  même  par  un  historien   aussi  prudent  et  aussi  exact  que  Allan 

p^oningham  :  •  The  line  was  amended  in  the  second  édition  »,  dit-il 

(p.  88). 

'•  Probablement  Thomas  Farnaby,  Tauteur  d'un  Systema  Gramma- 
''*^*«w  (1641). 

^*  Dans  son  amusante  tragédie  burlesque  The  Tragedy  of  Tragédies; 
^^  'Af  Life  and  Death  of  Tom  Thumb  the  Great,  publiée  aussi  en  1130.  Le 
PJ^cédé  suivi  est  exactement  celui  de  Tim  Birch.  Le  vers  de  ■  Sophonisbe  » 

^  cité  comme  imité  de  cet  admirable  modèle  de  Tom  Thumb  : 

Oh!  Huncamunca,  Huncamunca,  oh! 

^  ^  n'est  pas  la  dernière  plaisanterie  qu*ait  inspirée  le  malheureux  vers; 

^^8  le  verrons  dans  notre  étude  de  la  tragédie  de  Thomson. 
1^  ^*  Cette  préface  contient  la  traduction  d'un  passage  •  from  the  celé- 
j^^^ted  Monsieur  Racine  ».  C'est  ce  fragment  de  la  préface  de  Bérénice  (et 
^^n  pas  d'Iphigénie,  comme  dit  Brugière  de  Barante)  où  le  dramaturge 

^^Dçais  justifie  les  règles  de  la  simplicité  d'action  et  de  Tunilé  de  temps. 


84  JAMES  THOMSON. 

prêtes,  Wilks,  et  surtout  Mrs.  Oldfleld  *,  le  mérite  du  succès 
Johnson  rapporte,  sur  Tautorité  de  Savage,  que  le  prologu 
de  la  tragédie  fut  écrit,  pour  la  première  partie,  par  Pope,  e 
pour  la  deuxième,  par  Mallet.  Le  fait  serait  intéressant,  car 
témoignerait  d'une  faveur  tout  exceptionnelle.  Pope  était  soi 
vent  sollicité  de  rendre  pareils  services 

4  Les  souhaits  modestes  d'un  autre  poète  se  bornent  à  a 
c  trois  points  :  —  mon  amitié,  un  prologue  et  dix  livres  '.  > 

1.  Mrs.  Oldfield  occupe  une  place  importante  dans  la  chronique  Ihê 
traie  et  littéraire  de  ce  temps.  Elle  se  posait  en  protectrice  du  mérî 
infortuné  (Savage  fut  plus  d'une  fois  son  obligé  et  lui  a  adressé  une  ode 
elle  avait  des  prétentions  au  f^oAt  et  au  talent  de  parole.  Pope 
Taimait  pas,  et  dans  son  «  Art  of  Sinking  »  tourne  en  ridicule  une  façon 
parler  qu'il  désigne  sous  le  nom  d'Olddeldismos,  imprimé  en  caractèi 
grecs.  Voltaire  semble  avoir  apprécié  son  talent  dramatique  et  meotion 
dans  l'Épi trc  dédicatoire  de  Zdire 

•  Votre  Ohifleld  et  sa  devancière.  • 

Le  rôle  de  Sophonisbe  fut  sa  dernière  création,  et,  disent  les  annales 
théâtre,  la  cause  immédiate  de  sa  mort. 

•  The  pari  of  Sophonisba,  a  Tragedy  (by  Mr.  Thomson,  famed  for  ma. 
excellent  Poems)  was  repiited  the  cause  of  her  Dealh;  for,  in  her  Exe< 
lion,  she  went  beyond  Wonder,  to  Astonishment!  From  that  Time  I" 
Decay  came  slowly  on  and  ncver  left  her  till  it  conducled  her  to  V 
eternal  Rest,  the  23'<*  of  Oclober  1730....  Oh!  that  we  might  bave  anoth 
from  her  ashcs  I  ■  (Chetwood,  Ilistory  of  the  Stage,  p.  202.) 

2.  La  liste  des  inlerprctes  est  celle-ci  :  .Massinissa,  Mr.  Wilks;  Syph£ 
Mr.  Mills;  Narva,  Mr.  Roberls;  Scipio,  Mr.  Williams;  Lœlius,  Mr.  Brid^ 
water;  Sophonisba,  Mrs.  Oldfield;  Phœnissa.  Mrs.  lloberts. 

Les  chroniques  du  tbéiltro  enregistrent  quelques  anecdotes  se  rapporta 
&  ces  représentations  de  Sophonisba. 

La  biographie  de  Shiels  (Cibber's  Lives)  prétend  que  Thomson  s*éta 
placé,  pour  suivre  la  représentation,  dans  la  galerie  supérieure,  mais  qu 
dans  l'état  de  surexcitation  où  il  se  trouvait,  il  ne  pouvait  s'empêcher  c 
déclamer  les  rôles  en  même  temps  que  les  acteurs,  et  d'annoncer  h 
scènes  a  venir.  —  Nous  verrons  plus  loin  que  ce  racontar  peu  vraisen 
blahle  est  rapporté,  par  d'autres  autorités,  à  la  représentation  d'autn 
pièces.  Voici  une  anecdote  moins  connue  et  plus  authentique  : 

a  When  Thomson's  Sophonisba  was  read  to  the  actors,  Cibber  laid  h 
hand  upon  Scipio,  a  characler  which,  though  it  appears  only  in  the  la 
act,  is  of  grent  dignity  and  importance.  For  two  nights  successivel 
Cibber  was  as  much  exploded  as  any  had  actor  coiild  be.  Williams,  l 
désire  of  Wilks,  made  himself  masler  of  the  part,  but  he,  marchic 
slowly,  in  great  mililary  distinction,  from  Ihc  upper  part  of  the  stag 
and  wcaring  the  same  dress  as  Cibber,  was  mislaken  for  him  and  m 
with  repeated  hisses  joined  to  the  music  of  catc&ls,  but  as  soon  as  tl 
audience  were  undeceivcd,  they  converted  their  groans  and  hisses  to  loc 
and  long  continued  applausc.  ».  (T.  Davies,  Misceltanies,  vol.  111,  p.  263 

3.  «  Three  things  another's  modest  wishes  bound, 
My  friendship,  and  a  prologue,  and  ten  pounds.  » 

(Epistle  to  Arbuthnotj  vers  47,  48.) 


AGBËVEMENT  DES  «  SAISONS  ».  85 

Il  s'était  fait  une  règle  de  répondre  par  un  refus,  et  nous  le 
voyons  agir  de  la  même  façon  envers  Mallet,  envers  Thomson 
et  envers  Hill.  Celui-ci  Tavait  prié  de  lui  fournir  un  prologue 
pour  sa  tragédie  d*Athelwdld  et  reçut  cette  réponse  : 

i ...  Tous  les  poètes  mes  amis  ont  reçu  ma  parole  d'honneur 
que  je  n'ai  jamais  consenti  à  en  écrire  un  ; ...  et,  cet  hiver  même 
Mr.  Thomson  et  Mr.  Mallet  m'excusent  au  sujet  de  leurs  tra- 
gédies qui  vont  paraître  cette  saison-ci  ou  la  prochaine  '.  > 

Sans  doute  une  affirmation  de  Pope  n'entraîne  pas  nécessai- 
rement notre  conviction.  Ici  même,  malgré  la  netteté  de  ses 
dires,  nous  pouvons  constater  qu'il  ne  respecte  pas  scrupuleu- 
sement la  vérité.  On  connaît  en  effet  de  lui  au  moins  un  pro- 
logue pour  le  Cato  d'Addison,  un  autre  pour  une  pièce  jouée 
en  1733  au  bénéfice  du  vieux  Dennis,  et  un  épilogue  pour  la 
^ane  Shore  de  Rowe.  Mais  la  véracité  de  Savage  est  peut-être 
plus  encore  sujette  à  caution,  et  les  circonstances  donnent  un 
caractère  de  vraisemblance  au  démenti  de  Pope.  Il  est  extrê- 
mement probable  que  le  Prologue  fut  écrit  en  entier  par 
Mallet. 

Vers  le  milieu  de  cette  même  année  1730,  parut  enfin  le 
poème  complet  des  «  Saisons  »  *.  L'auteur  avait  achevé  la  der- 


^'  ■ ....  Kvery  poelical  friand  I  hâve  bas  my  word  1  ncver  wouîd,  and 
^y  leavc  to  take  the  same  refusais  I  made  him  ill  if  ever  I  wrole  one  for 
^olher;  and  this  very  winter  .Mr.  Thomson  and  Mr.  .Mallet  excuse  me, 
J^bose  tragédies  eilher  are  to  appear  this  season  or  Ihe  next.  »  (Pope  à 
"''U9»ept.  1731.) 

^tragédie  de  Mallet  dont  il  s*agit  est  Eurydice^  jouée  en  1731«  qui  est 

'Qcntiouri^Q  dans  la  correspondance  de  Thomson  avec  Mallet,  le  20  sept.  1739. 

f^^t^  Hill,  qui  faisait  beaucoup  moins  de  façons  que  Pope,  envoya  à  l*au- 

or  ^^Eurydice  un  prologue  pour  sa  pièce,  avant  que  celui-ci  lui  en  eût 

"Jl**^  demande.  (The  \york$  of  Hill,  édil.  1734,  p.  95.) 

''Gitans  auparavant,  Pope  opposait  déjà  pareil  refus  aux  sollicitations 
^  .^^*  confrères.  Fenlon,  son  collaborateur  a  ses  traductions  d'Homère, 
s'ex  ^^  pouvoir  lui  demander  un  service  de  ce  genre,  et  le  grand  homme 
g^^^sa  en  lui  disant  :  •  I  bave  actually  refused  doing  it  for  the  Duke  of 

2  ^'^ngham's  play  •.  (Lettre  de  Pope  à  Fenton,  du  18  sept.  1722.) 
:^ti    *^rès  probablement  au  mois  de  juin,  comme  nous  l'apprend  cette  indi- 
li^  ^^  :  "  I  bave  a  copy  of  the  1730  édition  wilb  the  four  bathers.  It  bas 
^*^llowing  interesting  entry  in  the  fly- 

Manniug,  in  Notes  and  Queriet, 


)Q^*^llowing  interesting  entry  in  the  fly-leaf  :  -  Jac*  Thomson  Alex®  Pope 

t  ^^  dédît,  mense  Junio,  1730.  •  (G.  R.  \ 

^^rie,  vol.  XI,  p.  434.) 

'   »^  numérotation  de  cette  édition  princcps  donne  pour  1'  «  Été  •  1205  vers 

^*^  our  r  •  Automne  »  1275.  C'est  une  erreur  de  Timpression.  Deux  vers  de 

Été  •  ont  reçu  le  nombre  725;  et  dans  V  -  Automne  •  il  n*y  aen  réalité  que 

«rs  entre  les  numéros  70  et  80.  (Voir  &  ce  sujet  le  Ubleau  dressé  par 


86  JâMBS  TffOMSON. 

nière  partie  qui  en  restât  à  écrire,  V  «c  Automne  »,  et  Tavait 
dédiée  en  quelques  vers  incorporés  dans  l'œuvre,  au  Très 
Honorable  Arthur  Onslow  \  le  speaker  qui  avait  remplacé  sir 
Spenser  Compton.  C]!onformément  à  l'engagement  pris  dans 
les  c  propositions  i>  par  lesquelles  il  avait  sollicité  des  sous- 
criptions, Thomson  avait  ajouté  à  l'œuvre  un  «  Hymne  à  la 
gloire  de  Dieu  i>.  U  avait  aussi  revu  les  parties  antérieurement 
publiées,  en  y  faisant  des  additions  importantes  \  Les  sous- 
cripteurs n'avaient  pas  à  se  plaindre;  ils  n'avaient  pas  trop 
longtemps  attendu,  et  recevaient  pour  leur  guinée  un  fort 
b^u  volume  in-quarto,  avec  quatre  gravures  de  Kent,  conte- 
nant, outre  les  c  Saisons  »  et  1'  «  Hymne  »,  le  «  Poème  sur 
Newton  »,  «c  Britannia  »  et,  en  appendice,  quatre  petites  pièces  * 
de  vers  *. 

Peut-être  l'auteur  était-il  moins  satisfait  du  public;  le  pro- 
duit des  souscriptions  ne  devait  pas  laisser  un  bénéfice  très 

Mr.  BoItoD  Corney  dans  son  édition  des  -  Saisons  »  de  1842,  et  les  commu- 
nications de  MM.  F.  Cunningham  et  Cook  dans  Notes  and  Queries,  4*  série, 
vol.  XI,  p.  419  et  530,  et  vol.  XU,  p.  58.) 

1.  C'est,  dans  les  annales  du  Parlement  anglfiis,  le  speaker  qui  a  le  plus 
longtemps  occupé  ces  fonctions.  Appelé  au  fauteuil  en  1128,  il  y  siégea  jus- 
qu'au 18  mars  1161.  Les  Communes  lui  votèrent  alors  d^unanimes  remercie- 
ments, en  priant  la  Couronne  de  lui  accorder  une  pension  annuelle  de 
3000  livres. 

Les  compliments  du  poète  à  ce  nouveau  patron  sont  heureusement  jus- 
tiOés.  Onslow  jouissait  d'une  réputation  d'homme  d*Ëtat  intègre,  de  pré- 
sident impartial,  de  jurisconsulte  savant,  et  en  même  temps  d'homme  de 
goût,  ami  des  lettres.  Young  lui  a  dédié  le  premier  livre  de  ses  Nighi 
Thoughls^  et  Richardson  a  trouvé  en  lui  un  patron  zélé. 

2.  On  en  jugera  par  ces  chifTres  : 

.  L'  «  Hiver  »  avait  405  vers  dans  la  première  édition  et  181  dans  rin-4  de 
4130.  L'  •  Été  •  passait  de  1146  vers  à  1205. Le  «  Printemps»  recevait  une 
faible  addition  de  5  vers  (1081  au  lieu  de  1082)  correspondant  &  l'insertion 
de  la  dédicace  à  lad  y  Hertford. 

Quant  à  r  •  Automne  •  et  à  T  «  Hymne  »  qui  paraissent  pour  la  première  fois, 
ils  comptent  le  premier  1275  vqts  et  l'autre  121. 

3.  Tandis  que  ni  les  «Saisons»,  ni  le  «  Poème  »  à  la  mémoire  de  Newton 
ne  portent  de  nom  d*éditeurs,  Britannia  est  donné  comme  une  2«  édition, 
imprimée  pour  J.  Millan,  et  a  une  pagination  spéciale. 

Les  exemplaires  de  cette  édition  princeps  des  «  Saisons  •  sont  devenus 
extrêmement  rares.  La  bibliothèque  du  British  Muséum  n*en  a  pas.  La 
bibliothèque  de  l'Université  d'Edimbourg  en  possède  un  qui  est  en  parfait 
état  de  conservation.  U  lui  a  été  donné  par  lord  Buchan,  le  biographe  de 
notre  poète.  Lord  Buchan  Pavait  reçu  de  son  père  qui  avait  été  Tun  des 
souscripteurs  à  la  première  édition.  C'est  cet  exemplaire  même  qu'un  jour 
l'enthousiaste  biographe  et  admirateur  de  Thomson  couronna  de  lauriers 
à  Ëdnam  dans  une  cérémonie  pompeuse  de  gloriflcation  du  poète  sur 
laquelle  nous  donnerons  quelques  détails. 


ACHÈVEMENT  DES  «   SAISONS  ».  87 

considérable  après  le  paiement  des  frais  de  cette  luxueuse 
publication.  386  souscripteurs  avaient  demandé  454  exem- 
plaires*. Dodington  en  prenait  20;  John  Conduitt,  le  neveu  de 
Newton,  en  prenait  10;  le  «  provost  »  d'Edimbourg,  10;  Bur- 
lington, 5;  Forbes,  5;  Pope,  3;  et  Mrs.  Martha  Blount,  1; 
Walpole  et  lady  Walpole,  3;  lord  et  lady  Hertford,  3;  sir 
Spencer  Compton,  devenu  comte  de  Wilmington,  figure  dans 
la  liste  pour  un  seul  exemplaire*. 

Bientôt  après  cette  publication  privilégiée,  une  édition  plus 
modeste  est  mise  en  vente  par  Millan  et  Millar.  Elle  est  de 
format  in-8«  et  composée  d'exemplaires  de  la  deuxième  édition 
du  «  Printemps  »,  d'une  troisième  édition  de  V  v.  Été  ï),  d'une 
édition  nouvelle  de  1'  a  Hiver  »,  et  d'une  impression  particu- 
lière de  r  «  Automne  »  et  de  1'  a  Hymne  »  3.  L' d  Automne  »  est 
mis  en  vente  séparément  par  Millan,  au  prix  de  un  schelling 
(première  édition  de  cette  c  Saison  »  isolée),  pour  les  lecteurs 
qui,  possédant  déjà  les  autres  parties,  veulent  compléter  le 
poème. 
C'est  un  exemplaire  de  l'édition  in-quarto  que  Rundle  avait 


1.  Lowndes  dit   «  environ  360  •,  confondant  évidemment  le  nombre 
d'exemplaires  souscrits  avec  le  nombre  des  souscripteurs. 

2.  Voici  les  noms  les  plus  intéressants  à  extraire  de  cette  longue  liste  : 
William   Aikman;  Dr.  Arbutlinot;  Karl  of  Uuchan;  Lord  Bolingbroke; 

Sir  William  fiennet  of  Grubbat,  Bar*;  Mrs.  Martha  Blount;  Karl  of  Chester- 
field;  John  Conduitt,  Ësq.,  10 B.  (c'est-à-dire  10  exemplaires);  The  Hon.  Sir 
John  Clark,  Ban,  3  B.;  The  Hon.  Ëdw.  Carteret;  Thomas  Cragie,  6B.; 
Dr.  William  CranstouD;The  Righl  Hon.  George  Dodington,  Esq.,  2U  B.  ;  The 
Hon.  Hugh  Dalrymphe  Esq.:  Mrs.  Anne  Drelincourt;  University  Library, 
Edinburgh;  Capt.  William  Elliot;  Mrs.  J.  Elliot;  Mr.  Elliot;  The  Right  Hou. 
Duncan  Forbes,  Esq.,  5  B.;  Duke  of  Gordon;  xMrs.  Gray;  Earl  of  Harlford; 
Gountess  of  Hartford,  2  B.;  Mr.  Gavin  Hamilton,  4  B.;  Wil.  Hamilton,  Esq.; 
Mr.  John  Rer,  King's  Collège,  Aberdeen  ;  The  Righl  Hon.  Patrick  Lindsay, 
Esq.,  Lord  Provost  of  Edinburgh,  iO  B.  ;  Sir  Wilfrid  Lawson,  Bar,  2  B.; 
The  Hon.  Worlley  Mouniague  É)sq.  ;  David  Mitchell,  Esq.,  4  B.;Audrew 
Mitchell,  Esq.;  Mr.  Mallet;  Mr.  Patrick  Murdoch;  Mr.  John  Murdoch;The 
Right  lion.  Arthur Onslow, Esq.; The  Hon.  Mrs.  Onslow;  Mri«.  Oldlicld;  Earl 
of  Peterborough ;  The  Right  Hon.  Wil.  Pulleney;  Thomas  Pelham,  Esq.; 
Alcxander  Pope,  Esq.,  3  B.;  The  ReV»  Mr.  Pitt;  The  Rev.  Dr.  Riindle; 
Mr.  Allan  Ramsay;  Wil.  Somerville;  Mrs.  Stanley;  Richard  Savage  Esq.; 
Mrs.  Sandys;  The  Rev»  Mr.  Spence;  Lord  Viscount  Tyrconnel;  Charles 
Talbot,  Jun.  Esq. ;  Mr.  John  Thomson,  4  B.;  Thomas  Tickell  Ksq.;  Earl  of 
Wilmington;  The  Right  Hon.  Sir  Robert  Walpole;  The  Right  Hon.  Lady 
Walpole,  2  B.;  HisExcellency  Horace  Walpole,  Esq.;TheRev'»Mr.  Whatley; 
The  Rev'  Dr.  Edward  Young. 

3.  Il  en  résulte  que,  tandis  que  le  «  Printemps  o  n'a  point  de  pagination 
numérotée,  chacune  des  deux  autres  parties  a  sa  pagination  spéciale. 


88  JAMES  THOMSON. 

ofTert  à  son  amie  Mrs.  San dys  quand  il  lui  écrivait,  le  16  juillet  : 
«  Je  me  suis  permis  de  vous  envoyer  comme  présent  les  c  Sai- 
c  sons  i>  de  Mr.  Thomson,  un  ouvrage  où  la  raison  et  Timagi- 
«  nation  inspirent  autant  de  beautés  Tune  que  Tautre  '  >.  Mais 
Tadmiration  et  le  dévoûment  de  Rundle  ne  s'en  tenaient  pas 
à  des  compliments.  Il  avait  présenté  son  protégé  à  sir  Charles 
Talbot,  alors  solicitor-general ,  et  Tavait  recommandé  pour 
servir  de  «  travelling  tutor  3»  au  fils  aîné  de  Sir  Charles.  C'était 
alors  un  usage  très  général,  et  qui  s'est  conservé  longtemps 
après,  que  les  jeunes  gens  de  l'aristocratie  anglaise  allassent 
parfaire  leur  éducation  par  un  voyage  sur  le  continent.  Lee  Tour 
d'Europe  »  (ou  simplement  le  «  tour  i))  était  une  institution 
consacrée,  à  l'égal  du  séjour  à  l'Université.  Le  jeune  homme 
était  accompagné  d'un  «  tutor  »,  moins  précepteur  que  mentor, 
qui  veillait  sur  lui,  et  faisait  en  sorte  que  le  voyageur  trouvât, 
dans  la  gaie  capitale  de  la  France  ou  dans  les  villes  italiennes, 
non  pas  seulement  les  plaisirs  qu'elles  offraient  aux  étrangers, 
mais  aussi  une  solide  instruction,  la  familiarité  des  langues', 
le  perfectionnement  des  manières  et  du  goût,  et  tout  ce  que 
comporte  de  précieuse  culture  pour  l'esprit  la  connaissance 
des  c  hommes  et  des  cités  ».  Le  choix  de  ce  «  travelling  tutor  » 
portait,  selon  les  familles,  sur  un  homme  d'Église  ou  sur  un 
homme  de  lettres.  C'est  à  Thomson  que  Sir  Charles  Talbot 
confia  la  mission  d'accompagner  son  fils  '. 

La  décision  avait  été  prise  (les  biographes  ne  Font  pas 
remarqué)  plus  d'une  année  avant  qu'elle  fût  mise  à  exécu- 
tion. Dans  une  lettre  à  Mallet  du  20  septembre  1729,  le  poète 
annonce  une  prochaine  modification  de  sa  situation;  il  va 
«  suspendre  sa  harpe  aux  saules  »  *.  Il  n'est  pas  douteux  qu'il 
ne  fasse  allusion  aux  arrangements  pris  avec  sir  Charles  pour 

1.  Lettres  de  Rundle  à  Mrs.  Barbara  Sandys,  lettre  XVI. 

2.  A  aucune  époque  plus  que  durant  le  xvin<^  siècle,  la  connaissance  du 
français  n'a  été  considérée  en  Angleterre  comme  le  complément  indispen- 
sable d'une  bonne  éducation.  Pour  les  jeunes  geusqui  ne  pouvaient  s^ofTrir 
«  le  tour  d'Europe  »,  on  cherchait  des  moyens  moins  dispendieux.  Le 
8  octobre  1728  paraissait^  Londres  le  1"  numéro  d'un  journal,  The Flying 
Pùst  or  Weekly  Medley,  destiné  à  faciliter  l'élude  du  français. 

3.  C'est  ainsi  que  Hill  avait  servi  de  travelling  tutor  à  sir  William  Went- 
worth  pendant  un  tour  d'Europe  qui  dura  près  de  trois  ans; et  que  Mallet, 
après  avoir  quitté  la  famille  de  Monlrosc,  passa  plusieurs  étés  à  visiter  le 
continent  avec  un  fils  de  Mr.  Knight  de  GosOeld. 

4.  Voir  p.  78 


AGBËVfiMENT  DES  «  SAISONS  ». 


89 


Tannée  suivante.  Et  c'est  pour  terminer  avant  son  départ  les 
œuvres  entreprises  que  Thomson,  en  quelques  mois,  achève 
sa  tragédie  et  livre  à  l'imprimeur  la  dernière  partie  de  son 
grand  poème.  Son  labeur  de  cinq  années  était  couronné  de 
succès  :  il  avait  acquis  d'honorables  et  précieuses  amitiés,  et 
la  renommée  littéraire.  Quant  à  la  fortune,  il  pouvait  Tespérer 
de  la  protection  puissante  de  Talbot,  appelé  à  occuper  bientôt 
une  des  plus  hautes  charges  de  l'Ëtat. 

Le  nouveau  précepteur  se  prépara  donc  à  ce  voyage  avec 
une  satisfiaction  que  nous  pouvons  imaginer.  Il  allait  réaliser 
QQ  de  ses  plus  vifs  désirs.  II  allait  connaître  l'indépendance, 
la  vie  affranchie  des  misérables  soucis  de  la  pauvreté,  affran- 
chie même  de  la  nécessité  du  travail.  Pas  d'autre  occupation, 
dans  cette  existence  toute  nouvelle,  que  de  charmer  ses  regards 
de  beautés  sans  cesse  renouvelées  et  d'enrichir  son  esprit 
d'observations  infiniment  variées.  Le  jeune  Talbot  était  pour 
lui  un  compagnon  et  un  ami.  Il  avait  vingt  ans;  un  mentor 
de  trente  ans  était  plutôt  fait  pour  s'associer  aux  gaités  de  son 
élève  que  pour  les  réprimer.  Tout  le  monde  trouvait  son 
compte  aux  dispositions  prises.  Sir  Charles  savait  qu'il  confiait 
son  fils  à  un  honnête  homme,  en  même  temps  qu'à  un  esprit 
d'élite.  Charles  Richard  Talbot  appréciait  chez  son  précepteur 
une  bonté  éprouvée  et  une  bonne  humeur  communicative. 
Enfin  Thomson  se  promettait  les  plus  vives  jouissances  de 
cette  expédition  où  une  ample  moisson  d'observations  allaient 
s'offrir  aux  deux  hommes  qu'il  portait  en  lui  :  l'artiste  épris 
des  formes  et   des  couleurs  de  la  nature,  et  le  philosophe 
moraliste  curieux  des  problèmes  sociaux. 


CHAPITRE  IV 

LE   TOUR   d'eUROPE.    —   RETOUR   A   LONDRES 
«    LA   UBERTÉ    ».    —   RIGHMOND 


I 


Nos  deux  voyageurs  partirent  vers  la  fin  de  Tannée  1730 
avec  rintention  de  passer  l'hiver  à  Paris.  Les  seuls  renseigne- 
ments directs  que  nous  ayons  sur  ce  séjour,  et,  du  reste,  sur 
tout  le  voyage,  nous  sont  donnés  par  trois  lettres  de  Thomson 
àDodington  *.  La  première  est  datée  du  27  décembre  (nou- 
veau style).  Elle  nous  apprend  que  les  jeunes  Anglais  sont 
arrivés  depuis  peu  de  temps  à  Paris.  Nous  y  trouvons  aussi  la 
preuve  que,  dès  son  arrivée,  Thomson  s*est  mis  en  relations 
directes  avec  Voltaire.  C'est  un  fait  qui  a  échappé  aux  biogra- 
phes et  aux  annotateurs,  et  sur  lequel  nous  insisterons,  en 
citant  les  passages  de  la  lettre  qui  l'établissent. 

«  Le  Brutus  de  M.  de  Voltaire  vient  d'être  joué  sept  ou  huit^ 
a  fois  avec  succès  et  se  joue  encore  *....  Voltaire  se  propose^» 
«  dans  sa  préface,  de  se  lancer  dans  la  critique;  et  Dieu  ai^ 
tt  pitié  des  pauvres  comparaisons  qui  terminent  les  actes  d^ 


1.  Pelles  ont  été  imprimées  pour  la  première  fois  dans  les  Anecdotes  <le 
Seward.  Voir  vol.  V,  p.  137. 

2.  n  fut  joué  16  fois. 


LE  TOUR  D'EUROPE.  91 

L  nos  pièces  anglaises  !  car  il  semble  que  ce  soient  là  de  fort 
L  dignes  objets  de  sa  française  indignation  '....  i> 

Or,  la  préface  de  Brutus  ne  renferme  aucune  allusion  à  ce 
x>Lnt  particulier  de  critique.  Ce  n'est  que  plus  tard,  quand  il 
[>ubiie  la  deuxième  édition  de  Zaîre^  que  Voltaire  énonce,  dans  sa 
ieuxième  Épitre  dédicatoire  à  Mr.  Falkner  %  sa  désapprobation 
d*un  usage  alors  constant  chez  les  poètes  tragiques  de  TÂngle- 
lerre.  Thomson  connaît  donc,  au  mois  de  décembre  1730,  des 
opinions  que  l'écrivain  français  ne  devait  pas  rendre  publiques 
avant  plusieurs  années.  Comment  douter  qu'il  les  ait  recueil- 
lies de  là  bouche  même  de  Voltaire?  Dans  le  ton  ironique  avec 
lequel  il  parle  de  reproches  auxquels  son  unique  tragédie 
l'exposait  autant  que  personne,  il  semble  que  nous  retrouvions 
récho  des  conversations  du  brillant  auteur  de  Brutus  avec 
le  poète  anglais,  tout  empressé  de  venir  l'entretenir  de  sa 
récente  c  Sophonisbe  ». 

Ils  s'étaient  du  reste  connus  en  Angleterre,  avant  que 
Thomson  eût  encore  abordé  la  scène.  Voltaire  lui-même  nous 
l'apprend  '.  Il  était  arrivé  à  Londres,  en  mai  1726  *,  au 
moment  même  où  le  succès  de  1'  «  Hiver  »  commençait  à  en 
rendre  l'auteur  célèbre.  Curieux  de  connaître  toutes  les  illus- 
trations britanniques,  il  désira  sans  doute  rencontrer  le  jeune 
poète  écossais.  Les  occasions  ne  lui  manquaient  pas.  Venu  en 
Angleterre  comme  l'hôte  de  Bolingbroke,  le  chef  du  parti  tory, 

1.  c  Paris,  December  27,  N.-S.  1730. 

I         •  M.  de  Voltaire^s  Brutus  bas  been  acted  hère  seven  or  eight  limes  with 

I  ^pplause,  and  still  continues  to  be  acted....  Voltaire,  in  his  préface,  designs 
to  hâve  a  stroke  at  criticism;  and  Lord  hâve  mercy  on  the  poor  similes  al 
tbe  eDd  of  the  acts  in  our  English  plays,  for  thèse  seem  to  be  very  worlhy 
objecU  of  his  Frencb  indignation....  » 

2>E?erard  Falkner  ou  Faulkner  avait  connu  Voltaire  à  Paris  et  celui-ci 
troQva  chez  lui,  &  Wandsworlh,  près  de  Londres,  Thospitalité  la  plus  gra- 

[  ^^^^^  pendant  une  grande  partie  de  son  séjour  en  Angleterre.  —  La 
|oHune  de  cet  ancien  négociant  fait  Fadmlration  de  Voltaire  (voir  lettre 
■^•Thiériot  du  !•'  sept.  1735).  •  Notre  Falkener  »,  comme  rappelle  Voltaire, 
fut  nommé  ambassadeur  à  Constant inople,  fut  anobli,  devint  secrétaire  du 
Jjjcde  Cumberland  et  Tun  des  Postmasters-General.  Il  épousa  en  1747  une 

f      ""*  <ïa  général  Churchill,  et  mourut  à  Bath  le  16  novembre  1758. 

\  j  ^^^  *^50,  Lyttelton  avait* envoyé  un  exemplaire  d'une  édition  nouvelle 
««8  OBOvres  de  Thomson  à  Voltaire,  et  celui-ci  dit  en  répondant  :  «  1  was 
^u%ted  with  the  author  when  I  was  in  England  ». 

*•  Probablement  le  rS  du  mois,  selon  les  ingénieuses  conjectures  de 

iT"*^.  Churton  CoUins,  dont  le  travail,  très  nourri  et  très  intéressant,  sur 
^joor  de  Voltaire  en  Angleterre,  nous  a  beaucoup  servi 


92  JAMES  THOMSON. 

il  voulut  s'assurer  sans  retard  une  amitié  puissante  dans  le 
parti  politique  opposé.  Il  s'adressa  à  Bubb  Dodington  pour  qui 
Horace  Walpole  Taîné,  alors  ambassadeur  à  Paris,  lui  avait 
donné  une  lettre  de  recommandation.  Il  profita  plus  d'une  fois 
de  la  libérale  hospttalité  d'Eastbury.  C'est  là  qu'il  se  lia  avec 
Young  d'une  amitié  durable.  Il  s'y  trouvait  en  1727  et  y  ren- 
contra très  probablement  Thomson  •  qui,  cette  même  année, 
dédiait  l'  a  Été  d  à  Dodington. 

La  maison  de  Pope  à  Twickenham,  près  de  Richmond,  est 
encore  une  de  celles  où  Voltaire  et  Thomson  purent  se  trouver 
réunis.  Dès  le  mois  d'avril  4724,  Pope  exprimait  son  admira- 
tion pour  la  Henriade  ',  et  il  semble  qu'une  correspondance 
se  soit  dès  lors  engagée  entre  les  poètes  •.  Voltaire  alla  rendre 
visite  à  son  illustre  confrère  dès  qu'il  fut  en  Angleterre,  et 
plusieurs  récits  nous  ont  été  transmis  de  l'entrevue  de  ces  deux 
royautés  littéraires.  Il  est  vrai  que,  dans  ce  cas,  comme  pour 
plus  d'un  autre  événement  historique,  les  trois  comptes  rendus 
diffèrent  totalement  *.  Voltaire  en  tout  cas  resta  un  visiteur 
assez  assidu  de  Pope  *,  et  eut  plus  d'une  occasion  de  voir 
chez  celui-ci  l'auteur  des  a  Saisons  ». 

Chez  lord  Chesterfield,  dont  il  trouvait  l'ordinaire  trop  cher. 


1.  C'est  aussi  la  supposition  à  laquelle  s'arrête  Tauteur  d'un  volumineux 
ouvrage  »ur  le  séjour  de  Voltaire  en  Angleterre,  VoUaire's  Visil  to  England, 
i726-1729,  by  Archibald  Ballantyne,  London,  1893. 

2.  Lettre  à  Bolingbroke,  du  9  avril  1724. 

3.  Lettre  de  Pope  à  Carye,  du  25  décembre  1725. 

4.  Owen  RufThead,  le  premier  biographe  de  Pope,  dit  que  celui-ci  retint 
à  dîner  son  illustre  visiteur,  et  que  la  conversation  de  Voltaire  fut  à  ce 
point  inconvenante  que  la  mère  de  son  hôte  dut  quitter  la  table  (Ruffhbad, 
Life  of  Pope,  in-4,  p.  156).  C'est  la  version  qu'a  adoptée  et  répandue  Johnson 
dans  sa  vie  de  Pope. 

Goldsmith  rapporte  qu'à  la  vue  de  Pope,  si  chétif  et  malingre,  Voltaire 
éprouva  un  sentiment  de  compassion,  qui  se  changea  en  admiration  quand 
le  poète  anglais  se  mit  à  parler. 

Enfin  un  troisième  historiographe,  Duvernet,  nous  dit  que  les  deux 
grands  hommes  n'arrivaient  guère  à  se  comprendre.  (Cité  par  M.  Ghurton 
Collins.)  C'est  à  coup  sûr  le  plus  vraisemblable  des  trois  récits.  Voltaire 
tout  nouvellement  arrivé  en  Angleterre  n'en  pouvait  encore  parler  la 
langue  que  très  imparraitemenl;  et  quant  à  Pope,  c'est  Voltaire  lui-même 
qui  nous  dit  «  qu'il  pouvait  à  peine  lire  le  français,  et  n'en  parlait  pas  un 
mot  u.  (Cité  par  Mr.  Churton  Collins.) 

5.  Faisant  de  Thospiialité  reçue  le  plus  odieux  usage,  s'il  faut  croire, 
comme  le  rapporte  RulThead,  qu'il  rendait  compte  au  parti  whig  des  ren- 
seignements que  pouvait  lui  laisser  surpendre  l'amitié  confiante  de  Boling- 
broke  et  de  Pope. 


LB  TOUR  D*EUROPE.  93 

et  pour  qui  Thomson  a  poétiquement  exprimé  une  vive 
admiration  ;  chez  Mrs.  Conduitl  * ,  cette  nièce  du  grand 
Newton,  de  qui  Voltaire  apprit  l'anecdote,  devenue  grâce  à  lui 
fiimeuse,  de  la  pomme  tombant  d'un  arbre  et  faisant  jaillir 
dans  l'esprit  du  savant  la  pensée  de  son  immortelle  hypothèse; 
dans  les  théâtres  où  Voltaire  fréquentait  assidûment,  parce 
qu'il  y  trouvait  une  excellente  façon  d'étudier  la  langue  *; 
dans  presque  tous  les  lieux  où  l'infatigable  Français  portait 
sa  curiosité,  son  avidité  d'apprendre,  son  esprit  étincelant  et 
ses  audacieuses  galanteries,  il  fut  exposé  à  rencontrer  le  jeune 
poète  dont  les  productions  successives  appelaient  et  retenaient 
l'attention  de  toute  la  société  élégante  et  lettrée  '. 

Cette  lettre  de  décembre  1730  nous  montre  qu'au  milieu  des 
plaisirs  de  Paris,  Thomson  mûrit  le  projet  de  nouveaux  tra- 
vaux poétiques.  Il  entretient  Dodington  du  plan  d'un  poème 
où  11  décrirait  les  pays  qu'il  allait  visiter,  en  y  ajoutant  des 

1.  Elle  a  prouvé  son  iniérôl  et  son  eslime  pour  Thomson  en  souscrivant 
poor  dix  exemplaires  à  la  publication  des  v.  Saisons  ». 

2.  •  This  noted  author  (Voltaire),  about  twenty  years  past,  resided  in 

London.  His  acquainlance  wilh  Ihe  Lauréate  brouglit  him  frequcnlly  to 

Ibe  Théâtre,  where  (he  confess'd)  he  improved   in  the  English   ortho- 

grapby  more  in  a  week,  than  he  sbould  otherwise  hâve  done  by  labour'd 

stndy  in  a  montli.  1  furnish'd  him  every  evening  with  the  Play  oT  the 

Night,  vehich  be  took  with  him  inlo  the  Orchestra  (his  accustomed  seat)  : 

in  four  or  five  months,  he  not  only  convers'd  in  élégant  Elnglish,  but 

wrote  it  with  exact  propriety.  »  (Chetwood,  A  gênerai  histoty  of  the  stage, 

London,  1149,  p.  46.) 

Ses  progrès  furent  en  effet  singulièrement  rapides  :  il  publiait  dans 
l'hiver  de  1127  deux  «  Essays  »  en  anglais  :  An  Essay  upon  the  civil  wai^s  in 
France.  An  Essay  upon  Epie  Poetry.  —  Il  devint  même  poêle  anglais, 
témoin  cette  petite  pièce  adressée  à  Molly  Lepei,  femme  de  lord  Harvey  : 

Harvey,  would  you  know  the  passsion 

You  hâve  kindied  in  my  breasi? 
Trifling  is  the  inclination 

That  by  words  can  be  express'd. 

In  my  silence  see  the  lover 

True  love  is  best  by  silence  known  ; 
In  my  eyes  youMl  best  discover 

Ail  the  power  of  your  own. 

Vingt  ans  plus  tard,  il  avait  conservé  de  cette  langue  une  connais- 
sance assez  sûre  pour  pouvoir  répondre  dans  un  anglais  très  honnête  à  ses 
correspondants  d'outre-Manche. 

3.  Cette  période  du  séjour  de  Voltaire  (mai  1726  à  février  1729)  est  celle 
de  la  plus  active  production  littéraire  de  Thomson  :  elle  embrasse  la  publi- 
cation de  -  THivep  »,  de  •  TÉté  »,  du  «  Printemps  »,  du  •  Poème  à  la  mémoire 
de  Newton  •  et  de  «  Brilannia  ». 


94  JAMES   TflOMSON. 

observations  morales  sur  les  gouvernements  et  les  peuples  *. 
C'est  ce  projet  que  réalisa  plus  tard  le  poème  Liberty^  et 
l'esprit  qui  devait  Tinspirer  est  résumé  tout  entier  dans  cette 
courte  phrase  de  la  lettre  :  a  I  shall  return  no  worse  English- 
«  man  than  I  came  away  d. 

Le  jeune  Talbot  était  en  parfaite  union  de  sentiments  avec 
son  (L  tutor  ».  Tous  deux  avaient  au  même  point  la  conscience 
de  la  supériorité  de  l'Angleterre,  et  le  mépris  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  britannique.  Cette  disposition  d'esprit  pouvait  être, 
pour  nos  voyageurs,  une  inépuisable  source  d'intimes  satisfac- 
tions; mais  elle  les  préparait  mal  à  comprendre  et  à  juger 
exactement  les  hommes  et  les  institutions  qu'ils  se  proposaient 
d'étudier.  «  Le  fils  aîné  de  sir  Charles  Talbot  »,  écrivait 
Rundle  à  la  fin  de  janvier,  «  est  à  Paris,  et  s'y  comporte 
t  comme  on  pourrait  le  souhaiter.  Son  rude  amour  anglais  de 
c  la  liberté  dédaigne  cet  esclavage  brodé  qui  brille  à  cette  cour 
«  frivole.  Il  hait  les  chaînes,  même  celles  qui  sont  en  or  '.  » 

L'automne  de  l'année  1731  trouve  encore  nos  pèlerins 
à  Paris;  mais  ils  se  préparent  à  poursuivre  leur  route.  Ils  ont 
épuisé  les  plaisirs  et  les  curiosités  de  la  grande  ville,  et  se  sont 
rendus  maîtres  de  la  langue;  ils  vont  se  diriger  vers  l'Italie. 
c  II  me  tarde  »,  écrit  Thomson  à  Dodington,  le  24  octobre,  c  de 
c  voir  les  champs  où  Virgile  butinait  son  miel  immortel,  et 
«  de  fouler  ce  sol  où  les  hommes  ont  pensé,  ont  agi  avec  tant 
«  de  grandeur  '.  » 

1.  tt  ....  There  are  scarce  any  travellers  to  be  met  with  who  hâve  given  a 
landscape  of  Ihe  counlries  through  which  Ihey  bave  trayelled,  tbat  bave 
secn  (as  y  ou  express  it)  with  the  Muses'  eye....  It  seems  to  me  tbat  such  a 
poetical  landscape  of  coun tries  mixed  with  moral  observations  on  their 
government  and  people,  would  not  be  an  ill-judged  undertaking.  • 

On  est  tenté  de  croire  que  Pidée  du  poème  descriptif  vient  bien  du  génie 
môme  de  Thomson,  et  que  celle  du  poème  philosophique  et  prédicant  lui 
est  inspirée  par  le  goût  de  son  public  d'Angleterre,  peut-être  aussi  par  les 
conseils  de  Voltaire.  Ce  dernier,  parlant  de  Thomson  en  1750,  louait  sur- 
tout en  lui  un  poêle  vraiment  philosophe,  et  ajoutait  :  «  I  think,  withont 
a  good  stock  of  such  philosophy,  a  poet  is  just  above  a  fiddler,  who 
amuses  our  ears,  but  does  not  go  to  our  soûls  •  (Voltaire  &  Lyttelton, 
Paris,  17  mai  1750).  (PiiiLLiMonB's  Memoirs  and  correspondance  of  lord  Lyt- 
ieltony  vol.  I,  p.  323.) 

2.  «  His  (sir  G.  Talbol's)  eldest  son  is  at  Paris,  and  behaves  as  onc 
wishes  be  should  behave.  His  rough  English  love  for  liberty  disdains  the 
embroidered  slavery  that  glitters  in  that  trifling  court.  He  hâtes  chains  even 
golden  oncs.  »  (Lettres  à  Mrs.  Sandys.  Lettre  XXI,  30  janvier  1730-1731.) 

3.  «  I  long  to  see  the  fields  wherc  Virgil  gathered  his  immortal  boney, 


LE  TOUR  D'EUROPE.  95 

Cette  lettre  nous  apprend  aussi  que  le  bien-être  et  la  prospé- 
rite  actuels  ne  font  pas  perdre  de  vue  au  poète  voyageur  la 
pensée  de  l'avenir.  Il  se  préoccupe  des  ressources  qui  pourront 
lui  assurer  l'indépendance  et  la  paix  de  l'esprit.  Il  espère  tou- 
jours obtenir  du  gouvernement  de  son  pays  quelque  poste 
lucratif,  et  il  veut  employer  son  voyage  à  s'y  préparer.  «  Mon 
t  ambition  est  de  pouvoir  servir  mon  pays  d'une  façon  active 
t  aussi  bien  que  d'une  façon  contemplative  ^  -b  Dodington  a 
exprimé,  dans  une  lettre  précédente,  cette  pensée  que  le  poète 
doit  vivre  uniquement  pour  son  art,  et  planer  au-dessus  des 
intérêts  matériels.  C'est  une  opinion  à  coup  sûr  flatteuse,  et 
Thomson  fait  mine  d'en  approuver  le  principe.  Mais  aussitôt 
après  il  développe  avec  une  ardeur  amusante,  et  non  sans 
esprit,  les  objections  du  prosaïque  bon  sens  qui  s'obstine  à 
survivre  dans  son  âme  de  poète.  «  Le  Parnasse!  on  ne  le 
«gravit  pas,  non  plus  qu'aucune  montagne  mortelle,  pour 
«  s'y  fixer  à  jamais  sur  un  sommet  stérile.  Non,  c'est  quelque 
«  chère  petite  retraite,  plus  bas,  dans  un  vallon,  qui  permet 
«  de  goûter  dans  tout  son  charme  la  beauté  du  spectacle.  » 
Et  ne  voulant  pas  prendre  directement  à  partie  son  noble  cor- 
respondant, il  s'élève  avec  indignation  contre  les  théories 
odieuses  d'un  ami  absent,  Iç  Dr.  Cheyne.  «  Le  grand  et  gros 
<  docteur  de  Bath  me  disait  qu'il  convient  de  maintenir  les 
t  poètes  dans  la  pauvreté,  pour  aviver  leur  génie,  comme  on 
«  crève  les  yeux  aux  oiseaux  pour  les  faire  mieux  chanter.  Mais 
*  assurément  ils  chantent  mieux  encore  au  milieu  des  bois 
«  touffus,  quand  le  printemps  épanoui  fleurit  autour  d'eux  *.  » 

^nd  tread  the  same  groufid  where  men  bave  thought  and  acted  so  greaUy.  » 

(Lettre  da  24  octobre  1731.) 
i.  •  But  not  to  travel  entirely  like  a  poet,  I  résolve  not  to  neglect  thc 

oiore  prpsaic  advantages  of  it,  for  it  is  no  Ies9  my  ambition  to  be  capable 

of  serving  my  coiintry  in  an  active  than  in  a  comtemplative  way.  »  (Même 

lettre.) 

2.  «  What  yon  observe,  conceming  the  pursuit  of  poetry...  is  certainly 

ju8t....  A  true  genius,  like  light,  must  be  bcaming  forth,  as  a  false  one  is 

an  incurable  disease.  One  would  not,  however,  climb  Parnassus,  any 

more  than  your  mortal  hills,  to  fix  for  ever  on  the  barren  top.  No  :  it  is 

some  little  dear  retirement  in  the  vale  below  that  gives  the  right  relish, 

of  the  prospect....  The  great  fat  Doctor  of  Bath,  told  me  that  poels  should 

be  kept  poor,  the  more  to  animate  their  genius.  This  is  like  the  cruel 

costom  of .  putUng  a  bird's  êye  ont,  that  it  may  sing  the  swceter;  but, 

surely,    they  sing  sweetest  amidst  the  luxuriant  woods,  whilst  the  full 

spring  blooms  around  them.  •  (Même  lettre.) 

Goldsmith,   un   des  poètes  &  qui  la  fortune  s'est  plu  à  appliquer  la 


96  JAMES  THOMSON. 

La  cruelle  doctrine  de  Cheyne  trouvait  bien  cependant 
quelque  confirmation  dans  le  cas  de  Thomson.  Depuis  dix  mois 
qu'il  a  quitté  l'Angleterre  et  n*a  plus  à  s'occuper  de  nid  ou  de 
pâture,  il  n'a  rien  écrit.  Aussi  annonce-t-il  à  Dodlngton  son 
intention  de  se  remettre  au  travail  pendant  les  loisirs  de  ce 
voyage.  Dodington  demandait  un  poème  épique  et  suggérait  le 
sujet  de  Timoléon.  Thomson  écarte  la  proposition  avec  un  tact 
très  judicieux,  mais  il  s'engage  à  entreprendre  une  nouvelle 
tragédie. 

Nous  sommes  assez  tentés  de  croire  que  ce  projet  dramatique 
est  c^lui  qui  déjà  l'occupait  à  Londres,  plus  d'un  an  aupara- 
vant, et  qu'il  avait  alors  espéré  réaliser  pour  l'hiver  de  1731  *. 
Il  se  pourrait  bien  que  ce  fût  cette  même  tragédie  de  «  So- 
crate  d  dont  Rundle  lui  avait  inspiré  l'idée,  et  que  plus  tard 
d'autres  amis,  Mr.  Pitt  (le  futur  lord  Chatham),  Mr.  Lyttelton  et 
Gilbert  West  lui  conseillèrent  d'abandonner.  Cette  supposition 
faciliterait  la  solution  d'une  petite  énigme  assez  piquante  qui 
n'a  arrêté  l'attention  ni  des  biographes  de  Thomson,  ni  de  ceux 
de  Voltaire.  Dans  le  théâtre  de  celui-ci  figure  un  a  Socrate  d, 
«  ouvrage  dramatique  traduit  de  l'anglais  de  feu  Mr.  Thomson, 
«  par  feu  Mr.  Fatema  ».  N'est-il  pas  fort  probable  que  si  Vol- 
taire, désirant  éviter  la  responsabilité  des  hardiesses  satiriques 
de  son  Socrate,  a  imaginé  de  l'attribuer  à  James  Thomson,  c'est 
que  celui-ci  lavait  en  effet  entretenu,  pendant  ce  séjour  à  Paris, 
d'un  projet  de  tragédie  sur  ce  sujet?  La  préface  de  a  Mr.  Fatema, 
traducteur  d  reproduit  quelques  idées  générales  sur  le  théâtre, 
qui  n'ont  guère  de  rapport  avec  la  pièce  qu'elles  précèdent, 
mais  qui  sont  en  conformité  parfaite  avec  les  vues  qui  recom- 
mandaient le  sujet  de  Socrate  à  Rundle  et  à  Thomson  *. 


méthode  du  docteur  Cbeyne  et  des  oiseleurs,  Goldsmitli  semble  avoir 
voulu  réruter  cet  aphorisme  cruel  dans  ce  passage  de  son  Animaied 
Nature  où  il  développe  en  quelques  mots  gracieux  la  mOme  idée  que 
Thomson  vient  d'indiquer  : 

«  The  music  of  cvcry  bird  in  captivity  produces  no  very  pleasing  sensa- 
tions :  it  is  but  the  mirth  of  a  little  animal  insensible  o?  ils  unfortunate 
situation.  It  is  the  landscape,  the  grove,  the  golden  break  of  day,  the 
contest  upon  the  hawthorn,  the  fluttering  from  branch  to  branch,  ihe 
soaring  in  the  air,  and  the  answering  of  its  youug,  that  gives  the  bird's 
song  its  true  relish.  »  (Cité  par  Forbtbr,  Goldsmith,  p.  195.) 

\.  Comme  il  semble  ressortir  du  mot  de  Pope  cité  plus  haut.  Voir  p.  85, 
n.  1. 

2.  «  On  a  dit  dans  un  livre,  et  répété  dans  un  autre,  qu'il  est  impossible 


LE  TOUR  D'EUROPE.  97 

C'est  à  la  fin  d'octobre  ou  au  commencement  de  novembre 
que  Talbot  et  son  précepteur  quittèrent  Paris  pour  le  midi  de  la 
France  et  Tltalie.  Nous  pouvons  noter  leur  passage  à  Lyon,  où 
ils  rencontrèrent  Spence,  un  des  premiers  critiques  favorables 
des  t  Saisons  »  *.  Puis  ils  descendent  le  Rhône,  s'arrêtent  à  Avi- 
gnon, et  vont  voir  la  fontaine  de  Vaucluse.  Le  poète  conserva 
de  ce  spectable  une  impression  profonde;  il  en  entretenait 
lady  Hertford,  à  son  retour  en  Angleterre,  et  lui  en  avait 
promis  une  description  en  vers  '. 
A  la  fin  de  novembre,  ils  sont  à  Rome.  Le  voyage  s'est 
.  effectué  rapidement,  vu  la  saison.  Peut-être  la  fatigue  expli- 
que-l-elle  une  mauvaise  humeur  très  apparente  dans  la  der- 
nière lettre  que  Thomson  adresse  à  Dodington.  «  Mon  enthou- 
t  siasme  au  sujet  des  voyages  se  calme  très  rapidement.  On 
(  peut  imaginer  de  belles  choses  en  lisant  les  auteurs  anciens, 
t  mais  voyager  c'est  dissiper  cette  vision  '.  »  Il  n'hésite  pas  à 
écrire  qu'il  ne  comprend  point  la  fureur  qui  pousse  les  gens  à 
faire  tant  de  chemin  pour  contempler  des  statues  qu'on  pour- 
rait se  procurer  chez  soi  à  peu  de  frais.  Il  ne  sent,  dit-il,  aucun 
goût  pour  ce  plaisir  des  archéologues  qui  consiste  à  flairer  de 
vieilles  pierres  moisies.  Il  ne  se  préoccupe,  dans  ce  qu'il  voit, 
que  des  matériaux  à  faire  entrer  dans  son  futur  poème  *.  Quant 
à  la  ppomesse  de  reprendre  son  labeur  poétique,  il  n'a  pas 
^ïïimencé  à  la  réaliser  depuis  qu'il  est  à  Rome.  «  Si  vous  me 
*  demandiez  des  nouvelles  de  ma  Muse,  tout  ce  que  je  pourrais 

411'un  homme  simplement  vertueux,  sans  intrigue,  sans  passions  puisse 
Pl^'re  sur  la  scène.  C'est  une  injure  k  faire  au  genre  tiumain  :  elle  ne 
P^utélre  plus  fortement  repoussée  que  par  la  pièce  de  feu  M.  Thomson....  » 
(A  Amsterdam,  1755.) 
i.  Voir  p.  49,  50. 

^  •  I  hope  your  roule  will  lead  you  to  thc  Fontaine  de  Vaucluse  ... 

^f.  Thomson  told  me  he  had  seen  this  fountain  and  he  promised  to  give 

me  a  description  of  it  in  verse;  but  the  promises  of  poels  are  not  always 

lo  be  depended  upon.  «  (Lettre  de  lady  Hertford  à  sa  nièce  lady  Pomfret, 

JQin  1139.  Citée  par  Allan  Cnnningham,  «  Vie  de  Thomson  »,  p.  xxv.) 

3.  Rome,  November  28,  1731. 

• ....  That  enthosiasm  which  I  had  upon  me,  with  regard  to  travelling, 
goes  off,  I  find,  very  fast.  One  may  imagine  line  things  in  reading  ancient 
authors;  but  to  travel  is  to  dissipate  that  vision....  » 

4.  «  ....  For  my  part,  I,  who  hâve  no  taste  for  smclling  to  an  old  musty 
stone,  look  upon  thcse  countries  with  an  eye  to  poetry,  in  regard  that 
the  sisters  reflect  light  and  images  to  one  another.  - 

7 


98  JAMES   THOMSON. 

(n  VOUS  dire,  c'est  qu'elle  n'a  pas,  je  crois,  traversé  la  Manche 
«  avec  moi.  »  Elle  a  dû  rester,  ajoute-t-il,  parmi  les  bois 
d'Eastbury  *.  Il  en  avait  reçu  cependant  au  moins  une  courte 
visite,  car  la  mort  de  son  ami,  le  peintre  Aikman,  survenue 
en  juin  1731,  lui  avait  inspire  quelques  vers  émus  qui  méri- 
tent de  n'être  pas  oubliés  *. 

Il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  les  boutades  d'un  voyayeur 
de  mauvaise  humeur.  L'Italie  et  Rome  ont  inspiré  à  Thomson 
autre  chose  que  des  réflexions  chagrines  et  des  désillusions. 
Dans  la  première  partie  de  Liberty,  il  enregistre  sans  doute 
son  souvenir  vindicatif  des  auberges  incommodes  et  mal- 
propres de  ce  pays  ^,  mais  les  preuves  abondent  aussi  dans 
le  poème  de  l'admiration  profonde,  chaleureuse  et  féconda 
qu'il  ressentit  en  face  de  tant  de  chefs-d'œuvre  et  de  grands; 
souvenirs  *. 

Ce  séjour  à  Rome  fut,  pour  quelque  raison  que  nous  igno- 


1.  «  ....  Should  you  inquire  arter  my  Muse,  ail  I  can  answer  is,  that 
I  believe  she  did  nul  cross  Ihe  Channel  with  me.  (L'idée  rappelle  le  mot 
d'un  autre  poêle  voyageur  :  «  My  heart  untravelVd  foodly  lurns  to  thee  >.) 
[  know  not  whether  your  gardener  al  Easlbnry  has  hcard  any  ihin:?  of 
ber  among  the  woods  tbere;  she  bas  nol  thou^bt  fil  to  visit  me  wbile  1 
bave  beeo  in  tbis  once  poelic  land,  nor  do  1  Teel  Ibc  least  présage  that 
she  will.  » 

2.  Ces  quarante-deux  vers  ne  furent  pas  publiés  du  vivant  de  Pauleur. 
Les  huit  derniers  furent  imprimés  dans  rédilion  des  œuvres  de  1750.  Ils 
avaient  sans  aucun  doute  été  communiqués  par  Lyllellon,  car  le  manu- 
scrit s'en  trouve  encore  dans  les  archives  de  la  famille  à  Hagley  (Phillimore, 
Life  of  Lord  Lytlelton^  vol.  I,  p.  312).  La  pièce  entière  était  en  la  posses- 
sion du  comte  de  Buchan  et  fut  publiée  par  lui  en  1792  (Essays  on  the 
lives  and  vmtinus  of  Flelcher  of  Saltoun  and  Uie  poet  Thomson..,  with 
some  pièces  of  Thomson's  never  published). 

Le  beau  portrait  de  Thomson  qui  figure  en  léle  du  !•'  vol.  de  l'édition 
des  œuvres  de  1762  est  gravé  d*après  une  peinture  d'Aikman  conservée  k 
Hagley. 

3.  Tbere,  buxom  Plenly  never  lurns  ber  born  ; 
The  grâce  and  virtue  of  exterior  life. 

No  clean  convenience  reigns;  c'en  sleep  itself, 
Least  délicate  of  powers,  reluctant,  tbere, 
Lays  on  the  bed  impure  bis  heavy  head. 
{Ancient  and  Modem  Italy  comparedf  being  the  First  Part  of  Liberty^ 
v.  175-180.) 

4.  Parmi  les  amis  d'Angleterre  qui  entretiennent  une  correspondance 
avec  Thomson  pendant  son  absence,  la  lettre  du  28  nov.  nous  apprend 
qu'il  faut  compter  lord  Binning.  Nous  savons  aussi  par  Johnson  que  Pope 
envoya  au  voyageur  une  épitre,  dont  il  employa  du  reste  plus  lard  quel- 
ques vers  pour  sa  célèbre  épftre  à  Arbuthnot. 


LE  TOUR  D'EUROPE.  99 

rons,  brusquement  interrompu.  Thomson,  nous  le  savons,  se 
proposait,  en  quittant  Paris,  d'écrire  à  Rome  au  moins  une 
partie  d'une  tragédie.  Dans  sa  lettre  à  Dodington,  du  28  no- 
vembre, il  ne  parle  aucunement  de  retour;  et  cependant,  son 
élève  et  lui  étaient  revenus  à  Londres  avant  la  fin  de  décembre. 
La  famille  et  les  amis  de  Talbot  se  trouvaient  réunis  à  Ashdown 
Park,  sans  doute  pour  les  fêtes  de  la  fin  de  Tannée,  etRundle 
écrivit  :  «....  Toutes  les  neuf  Muses  sont  arrivés  ici  avec 
«Mr.  Thomson,  l'esprit  et  la  vivacité  avec  Billy  (William, 
«  Earl  Talbot),  et  la  sagesse,  mais  après  avoir  laissé  derrière 
«  elle  ses  façons  solennelles,  avec  le  Soliciter  *  ». 


II 


Murdoch  nous  dit  que  Thomson  fut,  dès  ce  retour  à  Lon- 
dres, pourvu  par  son  patron  d'une  lucrative  sinécure.  Les 
choses  n'allèrent  pas  si  vite.  Talbot  n'était  pas  encore  Chance- 
lier, et  n'avait  pas  la  disposition  des  emplois  qui  pouvaient  le 
mieux  convenir  à  son  poète,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  n'entraî- 
naient aucune  fonction  active.  Le  «  tutor  »  continua  donc, 
selon  toutes  probabilités,  à  vivre  auprès  de  son  élève,  dans 
l'agréable  hospitalité  de  Talbot.  Il  eut  ainsi  tout  loisir  d'écrire 
ce  poème  dont  il  avait  conçu  la  pensée  pendant  son  voyage,  et 
qu'il  avait  mis  sur  le  métier  aussitôt  après,  s'il  en  faut  croire 
ces  vers  du  début  : 
a  J'étais  couché  pensif,  tout  ardent  encore  du  souvenir  de 

«  ces  promenades  sacrées  —  où,  à  chaque  pas,  l'imagination 

«  s'enflamme  *.  d 
Le  progrès  du  travail  fut  cependant  très  lent.  L'année  1732 

et  la  plus  grande  partie  de  1733  s'étaient  écoulées  sans  que  la 


i.  rt  AshdowD  Park,  Friday  morniDg,  1731. 

M  ....  AU  tlie  nine  Muses  came  hère  with  Mr.  Thomson,  wil  and  sprightli- 
ness  wilh  Billy  (William,  earl  Talbot),  and  wisdom  (though  she  left  her 
solemn  state  behind  her),  wilh  the  Solicitor....  »  (Rundic  k  Mrs.  Sandys, 
leUre  XXV.) 

2.  Musing,  I  lay;  warm  from  the  sacred  walks, 

Where  at  each  slep  imagination  burns. 

[Liberty,  Part.  I.  v.  15,  16.) 


100  JAMES  THOMSON. 

première  partie  du  poème  fût  achevée  *,  quand  Thomson  eut, 
le  27  septembre  1733,  la  douleur  de  perdre  son  jeune  ami, 
Charles  Richard  Talbot.  Il  écrivit,  pour  le  début  de  Liberty, 
quelques  vers  où  il  rappelait,  avec  émotion  et  avec  simplicité, 
les  vertus  et  les  dons  du  jeune  homme,  Tamitié  qui  les  avait 
unis,  et  les  communes  pensées  qui  faisaient  du  poème  «c  leur 
sujet  aimé  y>  '. 

Deux  mois  après  la  mort  de  son  fils,  Talbot  devenait  Lord 
Chancelier,  et  Tun  de  ses  premiers  actes  fut  d'assurer  à 
Thomson  un  titre  qui  comportait  un  traitement  fort  honnête 
sans  fonctions  assujettissantes.  Le  nouveau  secrétaire  des  Brefs 
de  la  Chancellerie  avait  donc,  sur  ce  point,  réalisé  son  vœu. 
Les  trois  cents  livres  que  lui  valait  sa  charge  suffisaient  à  lui 
garantir  l'aisance,  l'indépendance  et  la  dignité  qu'il  n'en  sépa- 
rait pas. 

On  est  heureux  de  voir  quel  usage  fait  le  poète  de  l'influence 
qu'il  doit  à  son  talent,  à  ses  hautes  amitiés,  à  sa  nouvelle 
situation  sociale.  A  son  retour  à  Londres,  au  milieu  de 
décembre  1732,  après  avoir  passé  l'été  et  partie  de  l'au- 
tomne à  la  campagne  ^,  il  s'occupe  activement  d'une  leuvre 

1.  Notons  aussi,  de  celle  année  1733,  une  nouvelle  édilion  de  Britannia 
à  laquelle  Thomson  dul  se  prt^ler  volonliers,  car  son  nom  el  son  poème 
s'y  Irouvaienl  unis  aux  souvenirs  de  Crornsvell  el  de  Milton  : 

«  A  manifeslo  of  Ihe  Lord  Pvotector  of  the  Commonu^alth  of  Enqland, 
Scolland,  ïrelandy  etc.,  publishcd  by  consent  and  ad  vice  or  his  council. 
Wherein  is  showu  the  reasonableness  of  the  cause  of  Ihis  Republic 
against  the  déprédations  of  tho  Spaniards.  Written  in  Latin  by  John 
Milton,  and  ilrst  printed  in  1655,  now  translated  inlo  English. 

(Puis  une  citation  de  7  vers  de  Britannia.) 

■  To  which  is  added  Britan?iia,  a  Poeni,  by  Mr.  Thomson,  first  published 
in  1727. 

m  London;  Printed  for  and  sold  by  Â.  Millar,  al  Buchanan's  Head,  over- 
against  SI  Clcmenl's  Church  in  the  Strand,  1733  (in-ia*^)  :  Price  six  Pence.  » 

2.  Ah!  lillle  thought  she  (the  Muse)  her  retiirning  verse 
Should  sing  our  darliug  subject  to  thy  Shado. 

{Liherh/j  Part.  I,  v.  4,  5.) 

Après  les  treize  premiers  vers  consacrés  à  la  mémoire  de  Charles  Talbot, 
le  poète  avait  voulu  d'abord  ajouter  un  assez  long  développement  de 
froids  lieux  communs.  U  y  renoni^a  très  justement  pour  les  remplacer 
par  une  courte  transition  de  deux  vers.  La  religion  ni  la  philosophie 
n'avaient  rien  à  }:agner  à  ces  maximes  banales,  cl  Tèloge  de  Talbot  en 
était  alourdi  el  alfaibli.  —  Thomson  cite  ces  vers  deux  ans  plus  tard  dans 
une  lettre  à  Granstoun,  du  20  ocl.  1735. 

3.  Soit  chez  Talbot  à  Ashdown  Park,  soit  t  Eastbury,  bien  que  Dodington 
fût  alors  en  Irlande. 


«  LA  LIBERTÉ  ».  101 

de  charité.  C'était  une  représentation  au  bénéfice  du  vieux 
Dennis  tombé  dans  un  profond  dénûment.  Thomson  mul- 
tiplie les  démarches.  Peut-être  est-ce  son  intervention  qui 
décide  Pope,  en  dépit  d'anciennes  rancunes  et  d'une  longue 
hostilité,  à  fournir  un  prologue  pour  cette  représentation  *. 
Savage  de  son  côté  offre  au  vieux  critique  le  concours  de  ses 
vers  pour  remercier  les  confrères  qui  lui  venaient  généreuse- 

1.  •  This  dreadful  satirist  Dennis  will  confess 

Foe  lo  his  pride,  but  friend  to  his  distress  », 

dit  Pope  lui-même  dans  son  épttre  à  Arbuthnot  (vers  370).  Mais  la  généro- 
sité dont  il  se  targue  cache  une  dernière  attaque  contre  son  vieil  ennemi. 
Le  Prologud  est  d'une  ironie  que  les  circonstances  font  paraître  cruelle 
et  lâche. 

«  How  chonged  from  him  vrho  made  the  boxes  groan, 
And  shook  the  stage  with  Thunders  ail  his  own! 

If  there's  a  Critic  of  distinguish'd  rage; 
If  there's  a  Senior,  who  conlemns  this  âge; 
Let  him  to-night  his  just  assistance  lend, 
And  bc  the  Critic's,  Briton's,  Old  Man's  friend.  » 

^r.  Leslie  Stephen  (fAfe  of  Pope,  p.  44)  dit  qu'à  ce  moment  le  misérable 
l^enois  était  hors  d'état  de  comprendre  cette  petite  perfidie.  Le  trait  n'en 
^cait  pas  plus  beau.  Mais  il  ne  semble  pas  que  le  vieux  poète  fût  arrivé 
^  Çe  point  d'afîdiblissement  intellectuel,  si  nous  en  jugeons  par  les  vers 
^iii^auts  que  publia  le  Gentleman's  Magazine  (année  1733,  p.  756)  : 

*  To  Mr.  Thomson  on  his  gênerons  Concern  for  Mr.  Dennis's  last  Benefit. 

•  "While  I  reflect  thee  o'er,  methinks  I  Gnd 
Thy  varions  Secuons  in  their  author's  mind! 
Spring  in  thy  flowery  fancy  spreads  her  hues, 
And  like  thy  soft  compassion  sheds  her  dews; 
Summer^s  hot  strength  on  thy  expression  glows, 
And  o*er  thy  pages  a  beamy  ripencss  throws. 
Autumh's  rich  fruits  th'  instructed  readcr  gains, 
Who  tastes  the  mcaning  purpose  of  thy  strains. 
Winter,.,  but  that  no  semblance  take  from  theel 
That  hoary  seasons's  type  was  drawn  from  me.... 
Sbatter'd  by  time's  bleak  storms,  I  with'  ring  lay, 
Leafless  and  whitening,  in  a  cold  decay, 
Yet  shall  my  propless  Ivy....  pale  and  bent 
Bless  the  short  sunshine  which  thy  pity  lent.  » 

J.  D. 

Peut-être  aussi  sout-ce  là  les  vers  dont  parle  D'Israêli  comme  ayant  été 
écrits  par  Savage  au  nom  de  Dennis  {Calamilies  of  Auihors,  p.  55).  Ils  ne 
figurent  pas  cependant  parmi  les  œuvres  de  Savage  données  par  Johnson. 
D'après  D'Israâli,  Dennis  aurait  au  moins  conservé  jusqu'au  bout  cette 
humeur  atrabilaire  et  celte  brutalité  de  langage  qui  l'avaient  caractérisé. 
Après  avoir  lu  les  vers  du  confrère  charitable  qui  parlait  en  son  nom,  il  se 
serait  écrié  :  «  They  could  be  no  one  but  that  fool  Savage's!  » 


103  JAMES  TOOMSON. 

ment  en  aide.  —  Ces  efforts  réussirent;  la  représentation  eul 
lieu  au  théâtre  de  Haymarket,  et  les  acteurs  abandonnèrent  ai: 
bénéficiaire  tout  le  profit  de  la  soirée.  Le  vieux  Dennis  ne  jouil 
pas  longtemps  de  ce  rayon  réconfortant  de  sympathie  et  de 
confraternité.  Il  mourut,  quelques  jours  après,  le  G  jan- 
vier 17Î34. 

Voilà  donc  Thomson  devenu  à  son  tour  un  personnage 
influent,  une  autorité  en  matière  de  lettres,  un  protecteur  poui 
les  écrivains  qui  réclament  un  appui.  La  pauvreté  ne  Favail 
pas  laissé  aigri  ;  la  prospérité  ne  le  trouva  pas  égoïste  ni  jaloux. 
Dennis  ne  fut  pas  le  seul  qui  reçut  des  preuves  de  sa  bonté 
cordiale  et  de  sa  simple  et  serviable  bienveillance.  Un  jeune 
Écossais,  son  compatriote  du  Roxburghshire,  John  Armstrong, 
après  des  études  de  médecine  faites  à  Edimbourg,  était  réciîm- 
ment  venu,  dans  un  de  ces  a  vols  de  vautours  »  dont  parlai! 
un  jour  Thomson  ',  s'établir  à  Londres.  Le  jeune  docteur 
était  poète.  11  avait  écrit,  lui  aussi,  en  1725,  un  poème  sui 
r  «  Hiver  »,  et  il  en  soumit  le  manuscrit  aux  écrivains  en  vue  : 
Thomson,  Mallet,  Hill  et  Young.  Mallet  promit  d'imprimer  h 
pièce,  et  n'en  fit  rien.  Thomson  ft^licita  son  nouveau  confrère, 
l'encouragea,  et  se  lia  avec  lui  d'une  amitié  que  la  mort  seule 
devait  rompre  '. 

A  son  tour  Hill  en  venait  à  solliciter  l'appui  de  son  ancien 
protégé.  Dans  une  lettre  du  10  novembre  1733,  il  exprimait 
son  regret  de  n'avoir  pu  depuis  longtemps  causer  avec  lui  ;  il 
lui  envoyait  sa  tragédie  de  Zara,  et  le  priait  d'assurer  à  la  pièce 
la  protection  de  Dodington  ^  Thomson  promit  avec  empres- 
sement de  satisfaire  ce  désir*.  Sa  réponse  nous  apprend  aussi 
qu'il  compte  venir  se  fixer  bientôt  à  Londres  pour  Thiver, 
qu'il  est  en  relations  familières  avec  Pope,  que  tous  deux  se 
promettent  de  passer  plusieurs  soirées  heureuses  dans  la  com- 


i.  Voir  siiprù,  p.  30. 

2.  John  Armstrong  élait  nû  en  170D  h  Casllcton,  el  Tut  reçu  M.  D.  en  173^. 
Sa  carrR're  de  médecin  à  Londres  fut  assez  prospore,  mais  il  ne  renonça 
pas  à  la  poésie;  et  Tamitii';  de  Thomson  y  fut  sans  doute  pour  quchpic 
chose.  Ses  poèmes  T/te  (JEconomy  of  hvfi^  \T\1.  et  The  Art  of  pre.ferviuff 
hcalfhf  Mki,  reflètent  l'inllueDce  de  l'auleiir  des  «  Saisons  -.  Nous  verrons 
qu'il  contribua  au  •  Ch.ltcau  d'indolence  -  les  ipiatre  strophes  qui  ter- 
minent le  premier  chnnt. 

3.  Tfie  Works  of  the  iatc  Xwxoy  Hill,  London,  Hu»,  lettre  du  10  nov.,  1733. 

4.  Lettre  du  18  décembre  1733. 


«  LA  LIBERTÉ  ».  403 

pagnie  de  Hill.  La  lettre  contient,  bien  entendu,  force  éloges 
de  la  nouvelle  tragédie.  Il  est  difficile  de  ne  pas  demeurer  en 
reste  de  compliments  avec  un  correspondant  tel  que  Hill;  mais 
Thomson  fait  de  son  mieux.  Zara  n'est  qu'une  traduction  de 
Zaire\  il  déclare  nettement  qu'il  met  la  pièce  anglaise  fort  au- 
dessus  de  l'original  ^  Les  changements  apportés  par  Hill  au 
texte  français  ne  sont  pas  cependant  de  nature  à  expliquer 
l'enthousiasme  de  Thomson.  Ce  que  Voltaire  loue  dans  Zara^ 
c'est  justement  la  fidélité  et  la  simplicité  de  la  traduction.  Du 
reste,  en  flatteur  habile,  notre  poète,  pour  relever  la  saveur  de 
ses  éloges,  y  mêle  un  grain  détritique.  Dans  la  première  scène 
de  Zara^  il  est  question  de  la  politesse  galante  de  la  France 
«  où  les  hommes  adorent  leurs  femmes  d.  Au  nom  de  son 
expérience  de  voyageur,  Thomson  s'inscrit  en  faux  contre 
cette  assertion,  et  propose  de  remplacer  «  leurs  femmes  »  par 
•  les  belles  »  *.  Ce  ne  sont  pas  des  réserves  de  cette  nature  qui 


^•«  You  hâve  heighteoed  it  with  inore  imaginalion,  but  such  a  chaslised 
<>ne,  as  accords  perfeclly  well  wilh  Ihe  nobler  fervency  of  Ihe  heart.  The 
senlimenls  and  reHeclions,  too,  rise  ia  the  translation,  and  glow  slronger 
^  ^aW  as  the  touches  of  the  poelical  pencil.  ÂIIow  me  lo  say,  Ihat,  in 
^*ïese  respects,  1  deeply  feel  the  différence  belween  Mr.  Voltaire  and  Mr. 

Voltaire  aurait  eu  mauvaise  grâce  à  se  plaindre  de  Tétrange  préférence 
^e  Thomson,  car  lui-même  a  plus  d*une  fois  exprimé  à  l'égard  du  poète 
^Qglais  des  jugements  aussi  peu  sincères  et  aussi  iuju8ti6ables. 

Après  avoir  reçu  de  Saurin  Blanche  et  Guiscard^  traduction  ou  adapta- 
t'en  d'une  tragédie  de  Thomson,  il  lui  écrit  : 

*  Vous  avez  fait,  Monsieur,  bien  de  Thouneur  à  ce  Thomson (Lettre 

<*a  28  février  1764.) 

Quant  à  Saint- Lambert,  l'imitateur  de  Thomson,  Voltaire  le  déclare  & 
plusieurs  reprises  plus  grand  poète  que  son  modèle  : 

•  Je  m'en  rapporte...  à  l'illustre  auteur  des  Saisons,  si  supérieur  à 
Thomson  et  à  son  sujet....  »  (Epttre  dédicatoire  [de  la  tragédie  de  Don 
fèdre]  à  M.  d'Alembert.) 

■  Vous  oc  ressemblez  pas  à  celui  qui,...  en  dernier  lieu,  a  mandé  que 
le  poème  français  des  Saisons  est  inférieur  au  poème  anglais  de  Thomson. 
S'il  m'appartenait  de  décider,  je  donnerais  sans  difOcullé  la  préférence  & 
M.  de  Saint-Lambert....  »  (Lettre  à  M.  Dupont,  Fernay,  7  juin  1769.) 

Frédéric  H  s'est  avisé  aussi  de  faire  de  la  poésie  descriptive  et  Voltaire 
ne  le  trouve  pas  inférieur  à  Thomson  :  •  Le  Printemps  est  dans  un  tout 
autre  goût  :  c'est  un  tableau  de  Claude  Lorrain.  Il  y  a  un  poète  anglais, 
homme  de  mérite,  nommé  Thomson,  qui  a  fait  les  quatre  Saisons  dans  ce 
goût  là....  U  semble  que  le  même  Dieu  vous  ait  inspirés  tous  deux.  »  (Lettre 
d'avril  1738.) 

2.  •  Where  men  adore  their  wives.  »  The  two  last  words  I  would 
change  inlo  —  the  fair.  —  I  imagine  you  smiling  at  my  important  criti- 
cism,  and  ready  lo  reply  —  that  though  the  présent  Frcnch  are  not  famous 


104  JAMBS  THOMSON. 

pourront  diminuer  ]a  satisfaction  de  Hill  à  se  ypir  applaudi 
par  l'auteur  universellement  admiré  des  a  Saisons  ». 

Thomson  n'oublie  pas  non  plus  les  membres  de  sa  famille 
Il  considère  que  la  seule  manière  dont  il  puisse  manifester  s 
reconnaissance  et  son  affection  pour  son  père  et  pour  sa  nièr 
est  de  se  faire  le  soutien  de  leurs  autres  enfants  '.  Il  fait  veni 
auprès  de  lui  son  jeune  frère  John,  et  l'emploiera,  aussi  long 
temps  qu'il  le  pourra,  comme  secrétaire  et  copiste. 

L'année  1734  est  tout  entière  consacrée  au  poème  entrepri 
dès  le  début  de  1732.  Il  apparaît  assez  clairement,  par  la  com 
position  même  de  l'œuvre  dans  son  état  actuel,  que  le  plan 
dû  s'étendre  et  se  modifier  à  mesure  que  le  poète  avançai 
dans  sa  tâche.  C'est  ainsi  que  le  début  nous  place  au  miliei 
du  sujet,  et  que  la  seconde  partie  est  consacrée  à  une  revu 
d'événements  antérieurs  qui  formerait  plus  naturellemen 
un  début.  Aussi  n'est-ce  pas  avant  le  commencement  d 
Tannée  1735*  que  parut  le  premier  chant.  Mais  le  deuxièm 
et  le  troisième  suivirent  de  près,  et  furent  publiés  dans  1; 


for  adoring  Iheir  wives,  yet  Ihose  in  Ihe  good  old  unrefined  days  of  St 
Lewis  might....  • 

Daos  SCS  critiques  de  ZarUy  Thomson  ue  souffle  mot  d'une  innovatioi 
qui  valut  à  HilI  les  chaleureuses  félicitations  de  Voltaire  :  •  Le  traducleu 
de  Zaïre  est  le  premier  qui  ait  osé  maintenir  les  droits  de  la  nature  contr 
uu  goiUsi  éloigné  d'elle  »,  dit-il,  en  parlant  de  la  coutume  de  Gnir  chaqu 
acte  par  -  des  vers  d'un  goût  diiïérent  du  reste  de  la  pièce  et  renfer 
mant  nécessairement  une  comparaison  ».  (Deuxième  lettre  à  Mr.  Fal 
kener.) 

Cette  remarque  de  Voltaire  a  fourni  à  Lcssiug  l'occasion  d'une  violent 
attaque  contre  le  dramaturge  français  {Dramaturgie  de  Hambourg^  XVlc$oi 
rée).  Le  critique  allemand,  très  sévère  pour  los  erreurs  qu'il  relève  clie 
Voltaire,  en  commet  lui-même  plus  d'une  au  sujet  du  théâtre  anglais.  Voii 
à  la  fin  de  cette  étude,  Appendice  L 

1.  «  As  our  good  and  tendcr-hearted  parents  did  not  live  to  recoiv 
any  material  testimouies  of  ihat  highest  human  gratitude  I  owed  theu 
than  which  uothing  could  hâve  given  me  equal  pleasure,  Ihe  only  retur 
I  can  make  them  uow,  is  by  kindness  to  those  they  left  behind.  »  (Lettr 
de  Thomson  à  Mrs.  Thomson,  sa  sœur,  du  4  octobre  1147.) 

2.  •  Ancicnt  and  Modem  Itabj  comparcdy  being  Ihc  Firat  Part  ( 
Liberty^  a  Poem  by  Mr.  Thomson  »,  London,  Millar,  1735.  Formt 
in-quarto.  Lowndes  et  sir  Harris  Nicolas  adoptent  de  préférence  le  mille 
sime  1734.  Ce  dernier  précise  même  au  point  d'indiquer  comme  date  1 
27  décembre.  C'est  sans  doute  la  difTèrence  de  Tancien  et  du  nouvea 
style.  Les    livres  de   rimprimcur  Woodfall   donnent  comme   date   pou 

Pachèvcment  du  tirage  de  la  première  partie  le  8  janvier  113^.  Les  2* et  ^ 

parties  sont  du  1"  février  et  12  mars. 


-  «  LA  LIBERTÉ  ».  105 

première  moitié  de  la  même  année  ^  Le  succès  fut  loin  de 
répondre  au  labeur  du  poète.  Le  public,  qui  avait  fait  si  bon 
accueil  aux  «  Saisons  ]>,  se  trouva  désappointé  devant  cette  œuvre 
si  différente.  Nous  voyons  le  chiffre  du  tirage  baisser  pour 
chacune  des  parties  à  mesure  qu'elles  paraissent.  La  première 
avait  été  imprimée  à  3000  exemplaires,  plus  250  exemplaires 
de  luxe;  la  deuxième  et  la  troisième  le  sont  à. 2000,  plus  250; 
et  le  tirage  tombera  à  1250  pour  les  quatrième  et  cinquième 
parties  *. 

Ce  dut  être  une  vive  déception  pour  Thomson  qui  fondait  de 
grands  espoirs  sur  «  La  Liberté  » .  Il  appréciait  ce  sujet  historique 
et  philosophique  plus  que  les  descriptions  de  son  premier 
poème,  et  avait  peine  à  comprendre  que  le  public  fût  d'un  avis 
si  différent.  A  cette  blessure  inattendue  de  son  amour-propre, 
vint  se  joindre  un  chagrin  pénible.  John,  le  frère  qu'il  avait 
appelé  auprès  de  lui  vers  la  fin  de  1733,  souffrait,  depuis  le 
printemps,  d'une  grave  affection  des  poumons.  Le  médecin 
recommandait  d'essayer  les  effets  d'un  retour  à  l'air  natal, 
Thomson  le  renvoya  en  Ecosse  au  mois  d'août  1735.  Il  s'occupe 
avec  sollicitude  de  son  bien-être.  Il  le  loge  à  Chesters,  chez 
leur  tante,  Mrs.  Turnbull,  parce  qu'il  juge  l'excellente  femme 
plus  capable  d'adoucir  les  souffrances  du  malade  que  le  cousin 
^avid,  établi  à  Minto,  qui  offre  aussi  de  le  recevoir.  Il  le  recom- 
mande à  son  ami,  le  Dr.  Cranstoun  ;  lui  a  donné  un  peu  d'argent 
et  promet  de  lui  en  envoyer  davantage  aussitôt  qu'il  sera  besoin. 
^  lettre  remise  à  Cranstoun  par  John  Thomson  nous  a  été  con- 
^''vée.  Le  poète  y  constate  l'état  satisfaisant  de  ses  ressources 
^tuelles,  grâce  à  la  place  que  lui  a  value  la  protection  du 
Chancelier;   mais  nous  le  voyons  manifester  déjà  quelque 
''îquiétude  pour  l'avenir.  Une  sotte  enquête  menace  de  révéler 
l'entière  inutilité  d'un  certain  nombre  de  fonctions  près  les 
Cours  de  justice;  et  le  Secrétaire  des  Brefs  risque  fort  de  voir 
son  office  supprimé.  On  lui  promet,  il  est  vrai,  quelque  com- 
pensation ;  mais  passer  de  la  jouissance  à  un  espoir  est,  dit-il, 
une  fort  mauvaise  affaire'.  Il  envoie  en  même  temps  à  son  ami 

i.  Greece,  being  the  Second  Part  of  Liberty,  etc. 
Home,  being  the  Third  Part  of  Liberty^  etc. 

2.  W'oodfairs  Ledger  dans  Notes  and  Queries,  4»  série,  vol.  XI,  p.  419. 

3.  «  Should  you  inquire  into  my  circumslances  :  they  blossomed  pretty 
uell  of  late,  the  Chancellor  having  given  me  the  ofOce  of  secretary  of  the 


106  JAMES  TDOMSON. 

les  trois  premières  parties  de  a  La  Liberté  »  puisqu*  a  il  s'aven- 
«  ture  encore  sur  les  pentes  stériles,  mais  pleines  de  charme,  du 
«  Parnasse  d.  Il  a  aussi  chargé  son  messager  de  quelques-uns 
des  ouvrages  qui  viennent  de  paraître  à  Londres.  L'un  est  le 
deuxième  volume  des  a  Mélanges  »  de  Pope,  celui  qui  renferme 
TEssai  sur  Thomme.  —  Un  autre  est  cette  correspondance  de 
Pope  a  que  Tinfàme  Curll  vient  d'imprimer  frauduleusement». 
Thomson,  il  est  vrai,  s'étonne  de  la  colère  inspirée  au  poète  par 
cette  publication  de  lettres  qui  lui  font  le  plus  grand  honneur. 
Nous  saisissons  là  sur  le  vif  une  preuve  intéressante  du  succès 
des  manœuvres  compliquées  et  tortueuses  par  lesquelles  Pope 
avait  fait  paraître  le  recueil,  tout  en  protestant  contre  la  publi- 
cation et  en  accusant  de  vol  l'éditeur  à  qui  lui-même  avait  com- 
muniqué la  copie  *.  —  Un  troisième  ouvrage  a  pour  auteur  un 
homme  dont  le  nom  paraît  ici  pour  la  première  fois  dans  la 
correspondance  de  notre  auteur,  mais  qui  sera  bientôt  intime- 
ment mêlé  à  sa  vie.  C'est  George  Lyttelton,  dont  les  a  Lettres 
Persanes  »  sont  recommandées  à  Cranstoun,  comme  étant 
«  joliment  tournées  »  '. 

Thomson  est  alors  revenu  à  Londres,  à  son  logement  de  Lan- 
caster-Court.  Mais  il  a  passé  au  moins  une  partie  de  Tété  chez 
Dodington,  à  Eastbury.  C'est  ce  que  nous  apprend  une  lettre  à 
Hill,  du  23  août  1735.  Elle  est  entièrement  consacrée  à  des 
considérations  sur  l'état  du  théâtre  anglais.  C'est  là  un  sujet 
qui  ne  cesse  de  préoccuper  notre  poète  depuis  sa  première 
tentative  dramatique,  ou  plutôt,  depuis  sa  première  arrivée  à 

Bricrs  under  him  :  but  Ihe  bli^hl  of  an  idie  iaquiry  into  the  fées  and 
ofiiccs  of  the  courts  of  justice,  which  arose  of  late,  seems  to  threaten  its 
destruction.  la  tbat  case  I  am  made  to  hopo  amends  :  to  bc  reduced, 
however,  froni  enjoyment  to  hope,  will  be  but  an  awkward  arTair....  » 
(Lettre  du  7  août  1735.) 

\.  ■  His  (Pope's)  letlers  were  piratically  printed  by  the  infamous  Curll. 
Though  Mr.  Pope  be  much  concerned  at  thoir  being  printed,  yet  are  Ihey 
full  of  wit,  humour,  good  sensé,  and  inrliat  is  bcst  of  ail,  a  good  hcart.  • 
Les  circonstances  aujourd'hui  bleu  connues  de  cette  publication  sont 
exposées  en  détail  par  D'israoli  (A  narrative  of  the  extraordinanj  transac- 
tions respecting  the  publication  of  Pope's  Letlers),  et,  dans  la  Préface  des 
(ouvres  de  Pope,  par  Elwin. 

2.  •  One  Mr.  Lyttelton,  a  young  gentleman,  and  membcr  of  parliament. 
wrote  the  Pcrsian  Leiters.  Thny  are  reckoned  prcllily  donc.  »  Inutile  de 
dire  que  ces  lettres  sont  une  imitation  de  celles  de  Montesquieu.  Lyttelton 
connaissait  bien  la  France  et  la  littérature  française.  Sa  première  œuvre, 
épttre  en  vers  au  Dr.  Ayscough,  fut  publiée  pendant  qu'il  était  à  Paris 
pour  son  voyage  du  «  grand  tour  »  en  1728. 


«  LA  LIBEBTi  ».  107 

Londres.  Il  félicite  l'auteur  de  Zara  de  ses  efforts  heureux  pour 
ramener  sur  la  scène  Taction  et  la  vie,  et  des  idées  que  vien- 
nent d'énoncer  les  derniers  «  Prompters  »  sur  le  rôle  social  et 
moral  du  théâtre,  sur  l'abaissement  du  goût  public,  sur  la 
fausse  déclamation  et  sur  le  jeu  dépourvu  de  naturel  des 
acteurs  anglais. 

John  Thomson  était  mort  peu  de  temps  après  son  retour  en 
Ecosse.  Cranstoun  en  informa  son  ami,  et  nous  avons  la  réponse 
de  ce  dernier.  Elle  est  écrite  à  Londres,  et  datée  du  20  octobre 
1735.  Le  début  en  est  grave  et  triste,  sans  trahir  cette  véhé- 
mence de  douleur  qui  suit  un  malheur  imprévu.  James  prend 
à  sa  charge  les  frais  occasionnés  par  la  maladie  et  la  mort  de 
son  frère,  et  règle  le  partage  à  faire,  entre  deux  cousins,  du 
pauvre  héritage  laissé  par  John.  Le  poète  est  retourné  à  East- 
bury  et  n'en  est  revenu  que  depuis  peu  de  temps. 

Le  commencement  de  l'année  1736  vit  paraître  les  dernières 
parties  de  «  La  Liberté  i>  '.  Le  poème  ainsi  complété  est  dédié  à 
Frédéric,  prince  de  Galles,  que  Thomson  remercie  de  la  bien- 
veillante condescension  et  de  la  générosité  avec  lesquelles  il  a 
daigné  prendre  l'œuvre  sous  sa  protection.  Les  termes  de  cette 
dédicace  paraissent  très  sobres  si  nous  nous  rappelons  ceux  qui 
célébffiient,  en  tête  des  «  Saisons»,  les  vertus  de  personnages 
moins  haut  placés.  Faut-il  supposer  que  Thomson  éprouvât 
quelque  honte  à  flatter  un  si  indigne  patron?  Sans  doute  Fré- 
déric était  un  triste  sire.  Robert  Walpole,  en  dépit  de  sa  scep- 
tique indulgence,  ne  pouvait  parler  de  lui  sans  un  torrent  d'in- 
vectives *.  S'il  se  posait  en  patriote  et  en  patron  des  lettres, 
c'est  parce  que  ces  rôles  le  mettaient  en  contraste  et  en  conflit 
^vec  le  père  qu'il  haïssait.  Tout  cela  est  vrai,  mais  assurément 
Thomson  n'était  pas  à  ce  moment  plus  clairvoyant  que  les  nom- 
breux (  patriotes  »  à  qui  Bolingbroke  montrait  en  Frédéric 
On  héros  de  vertu  et  l'espoir  de  l'Angleterre.  Le  poète  était 
sincèrement  et  honnêtement  reconnaissant  de  Tintérêt  affable 
que  Frédéric  lui  témoignait.  Ces  rapports  de  bienveillance  et 

1.  Bntain^  being  the  Fourth  Part  ot  Liberty,  a  Poem  by  Mr.  Thomson, 

Undon,  Millar,  1736. 

The  Prospect,  being  Ihe  Fiflh  Part  ot  Liberty,  a  Poem  by  Mr.  Tliomson, 

LoDdon,  Millar,  1736. 

5 
Woodrall  avait  achevé  d'imprimer  le  13  janvier  et  le  29  janvier  173^. 

2.  Voir  CBURTOif  CoLUfis,  Bolingbroke,  p.  201. 


108  JAMES  THOMSON. 

de  cordialité  n'ont  du  reste  pas  moins  servi  le  prince  ( 
l'écrivain.  Ils  sont  un  des  rares  titres  de  l'auguste  personn 
à  l'estime  de  la  postérité;  ils  ont  inspiré  quelques-unes 
dépositions  favorables  qui  peuvent  être  opposées  à  tant 
charges  accablantes  '. 

Nous  ne  savons  pas  exactement  quelle  influence  put  assu 
à  l'auteur  de  <c  La  Liberté  »  ce  haut  patronage.  Plusieurs  h 
graphes  désignent  Mr.  Lyttelton.  Mais  nous  avons  vu  qu'au  m 
d'août  1735  Thomson  parle  de  lui  comme  d'un  étranger*.  N( 
avons  du  reste  l'assurance  formelle  du  biographe  de  Lyttel 
que  l'amitié  des  deux  hommes  ne  date  que  de  1738  ».  Il  n( 


i.  Les  satires,  les  épigrammes  et  les  injures  versiflées  à  l'adresse 
Frédéric  ne  se  comptent  pas.  La  plus  connue,  sinon  la  plus  mécha 
est  peut-être  ce  projet  d*épitaphe  : 

«  Hère  lies  Fred, 

Who  was  alive,  and  is  dead. 

Had  it  been  his  father, 

I  had  much  rather. 

Had  it  been  his  brother 

Still  better  than  another. 

Had  it  been  his  sister, 

No  one  would  hâve  ntissed  her. 

Had  il  been  the  whole  génération, 

Still  better  for  the  nation. 

But  silice  'tis  only  Fred 

Who  Nvas  alive,  and  is  dead, 

There's  no  more  to  be  said.  » 

Beaucoup  plus  rares  ont  élé,  après  la  mort  du  prince,  les  tributs  de  res| 
et  d'attachement.  En  voici   un   cependant    où  se  trouve    rappelée 
amitié  pour  Thomson  : 

On  the  Death  of  Frederick,  prince  of  Wales,  March  20,  1751. 

By  Thomas  Warton. 

VI*  et  dernière  strophe  : 

«  IIow  to  the  few  with  sparks  ethcreal  stored, 

He  never  barr'd  his  castle's  génial  gatc, 

But  bade  sweet  Thomson  share  the  fricndly  board, 

Soothing  with  verse  divine  the  toi)  of  stale. 

Henco  fired,  the  bard  forsook  the  flowery  plain, 

And  decked  the  régal  mask  and  tried  the  tragic  strain.  » 

2.  Voir  p.  106,  n»  2. 

3.  «  The  carlier  éditions  of  the  Seasons,  Apamemnon,  Sophonisba 
Liberty  were  published  before  .Mr.  Thomson  was  pcrsonnally  acquai 
with  Mr.  Lyttelton.  ■  (Phillimoh e's  Afewotr*,...  of  G.  Lord  Lyttelton,  p.' 
Or  Agamemnon  est  de  1738. 

11  est  vra:  que,  d'après  Murdoch,  Lyttelton  aurait  recommandé  Tau 


«  LA  LIBERTÉ  ».  109 

ible  donc  plus  probable  que  Dodington,  qui  avait  été,  avant 
telton,  un  des  secrétaires  du  prince  de  Galles  ',  lui  présenta 
ni  recommanda  le  poète. 

)uoi  qu'il  en  soit,  le  nom  de  l'héritier  du  trône  ne  garantit 
mt  le  poème  complet  d'un  insuccès  que  présageait  la  froi- 
IV  des  lecteurs  pour  les  premières  parties.  Le  zèle  des  cri- 
iies  amis,  qui  avait  ouvert  les  yeux  du  public  aux  beautés 
s  «  Saisons  i>,  n'eut  plus  cette  fois  la  même  vertu.  C'est  en 
in  que  Hill  professe  pour  le  nouveau  poème  une  admiration 
thousiaste.  On  se  refuse  à  acheter  l'ouvrage  malgré  «  la 
grandeur  de  la  conception,...  la  noblesse,  la  profondeur  et 
la  richesse  des  sentiments;  la  force,  l'élégance,  l'harmonie, 
l'énergie  vivante,  et  l'exacte  propriété  de  l'expression  •  ».  Le 
braire  a  eu  beau  restreindre  le  tirage,  il  ne  peut  écouler  le 
vre.  Thomson  eut  alors  la  générosité  d'annuler  le  traité  de 
ente  déjà  conclu.  Le  passage  d'une  lettre  à  Hill  où  il  men- 
onne  son  échec  et  son  haut  fait,  avec  une  bonne  grâce  sou- 
iante,  est  un  des  plus  heureux  de  sa  correspondance. 
«  ....  Je  vous  avoue  que  je  trouve  une  juste  fierté,  un  grand 
plaisir  et  la  plus  agréable  des  récompenses  dans  la  bonne 
opinion  que  vous  avez  de  mon  poème.  A  ce  propos,  permettez- 
moi  de  remarquer  que,  si  les  poètes  sont  depuis  longtemps 
habitués  à  ne  guère  tirer  de  leurs  travaux  que  ce  bénéfice 
Vraiment  spirituel,  je  soupçonne  fort  d'autre  part  que  les 
libraires  n'ont  aucune  sorte  de  goût  pour  ce  genre  de  rému- 
nération. Je  songe  donc  (bien  que  les  mânes  de  maint  auteur 
errent  encore  sans  vengeance)  à  annuler  le  traité  que  j'ai 
conclu  avec  mon  éditeur.  Sinon,  il  se  trouverait  perdre  une 


prince  avant  d'être  lié  personnellement  avec  lui.  Mais  il  serait  surpre- 
nd que  ce  service  rendu  n'eût  pas  amené  une  rencontre  des  deux 
niTnes  avant  plusieurs  années,  alors  surtout  quMls  avaient  divers  amis 
(nmuQs.  Lyttelton  était  lié  d'amitié  avec  Pope  au  moins  depuis  4728. 
1*  Lyttelton  avait  pris  cette  fonction  après  la  démission  de  Mr.  James 
'iliam,  le  16  août  1737. 

^*  •  1  do  not  know  a  pleasure  I  should  enjoy  with  more  pride  than  tbat 
•exerting  the  critic  on  your  poem;  in  considering  it  first,  witb  a  view 

the  vastness  of  its  conception,  in  the  gênerai  plan;  secondly,  to  the 
^ndeur,  the  depth,  the  unleaning,  self-su pported  richness  of  the  senti- 
-nts,  and  thirdly,  to  the  strength,  the  élégance,  the  mùsic,  the  compre- 
Dsi?e  living  energy,  and  close  propriety  of  your  expression.  I  look  upon 

'S  mighty  work  as  the  last  stretched  blaze  of  our  expiring-genius 

Bllre  du  17  février  1735.  The  Works  of  A  Hill,  p.  277.) 


110  JAMES  THOMSON. 

somme  considérable  pour  le  papier,  l'impression  et  la  pub 
cation  de  «  La  Liberté  »  '. 

Et  le  poète  mit  à  exécution  sa  chevaleresque  intention  ( 
dépit  des  remontrances  de  Plill  qui  déclarait  qu'un  pareil  ac 
de  générosité  demeurerait  célèbre  et  rendrait  éternelle  la  bon 
de  la  nation  qui  négligeait  ce  poème  sublime. 

La  résignation  de  Thomson  s'explique  sans  doute  par  VéU 
prospère  de  sa  situation  à  ce  moment.  Nous  voyons,  dans  1( 
lettres  de  Flill,  quel  important  personnage  est  devenu  a 
auteur  qui,  peu  d'années  auparavant,  regardait  l'obligeant  cr 
tique  comme  une  si  auguste  puissance.  Tous  deux  s'accorder 
à  médire  de  la  scène  anglaise,  et  à  condamner  le  goût  d 
public,  des  auteurs,  et  des  acteurs.  Tous  deux  cherchent  u 
remède  au  mal.  Thomson  propose  de  faire  du  théâtre  une  ins 
titution  publique.  Il  trouve  absurde  que  l'école  où  se  former 
les  mœurs  puisse  être  la  propriété  de  particuliers  *.  Hill  sonç 
à  un  moyen  moins  radical,  et  voudrait  voir  établir  une  Ac5 
demie  tragique.  11  se  déclare  prêt  à  courir  seul  les  risque 
pécuniaires  de  l'entreprise,  pourvu  seulement  qu'il  obtienr 
lappui  moral  de  quelques  grands  personnages;  et  il  demanc 
à  Thomson,  dont  il  connaît  les  hautes  relations,  si  le  proj< 
pourrait  recevoir  le  patronage  du  prince  de  Galles  '.  I 
prince  refusa  l'appui  sollicité,  et  Hill  abandonna  son  proje 


1.  •  I  will  avow  that  I  am  justly  proud  of,  charroed  with,  and  me 
agrecably  rewarded  by  your  ^ood  opinion  of  my  poem.  Allow  me  hei 
by  tlie  bye,  lo  remark  Ihat,  though  poels  hâve  been  long  used  to  tl 
trniy  spiritual  and  almost  only  émolument  arising  from  their  works,  > 
I  doubt  much  if  booksellers  bave  any  sort  of  relish  for  il  :  I  thiuk,  Ihei 
fore  (notwithstanding  tbat  tlic  gbosts  of  many  autbors  walk  unrevenget 
of  annuUing  the  bargain  I  made  with  mine,  who  would  else  be  a  con* 
derablc  loser  by  the  paper,  printing,  and  publication  of  Liberty.  »  (LetI 
à  Hill  du  11  mai  173ti.) 

2.  •  Was  there  ever  an  equal  absurdity  beard  of,  among  a  civiliz 
people?  tbat  such  an  important  public  diversion,  tbe  scbool  wbich  fori 
the  manners  of  tbe  âge,  should  be  made  tbe  property  of  private  pt 
sons....  »  (Lettre  à  Ilill  du  23  aoûL  1735.) 

3.  •  I  could  hasard  tbe  expense  of  a  trial,  without  any  subscription 
otbcr  support  Ihaii  the  counteuance  of  a  dozcn  or  two  of  untaxod  enco 
ragers,  properly  chosen,  great  names....  »  (Lettre  de  Ilill  à  Thomson 
5  sept.  1135),  citée  par  T.  Davies,  Life  of  Garrick^  t.  I,  p.  143. 

11  y  avait  plusieurs  années  que  l'idée  préoccupait  Hill,  ce  fécond  faise 
de  projets.  H  entretient  longuement  un  Mr.  B.  de  cette  institution  d'i 
•  Conservatoire  »  dans  une  lettre  du  31  aoiU  1733.  {The  Works  of  Hn 
p.  494.) 


<c   LA  LIBERTÉ  ».  111 

fort  heureusement,  car  il  est  probable  que  sa  ruine  en  eût  été 
hâtée  de  plusieurs  années. 

La  question  des  droits  et  des  intérêts  des  auteurs  est  aussi 
une  de  celles  qui  tiennent  une  grande  place  dans  cette  corres- 
pondance. Dans  une  lettre  du  20  mai  1736,  Hill,  répondant  à 
son  ami,  s'exprime  ainsi  :  «  Plût  à  Dieu  que  vos  vœux  fussent 
I  réalisés  quand  vous  souhaitez  qu'au  lieu  du  patronage  de 
I  l'État,  nous  eussions  seulement  quelque  bon  acte  du  Par- 
flement  pour  assurer  aux  auteurs  la  propriété  de  leurs 
I  œuvres  *  ».  Thomson  a,  sans  le  savoir,  fait  plus  que  personne 
pour  assurer  cette  équitable  solution  d'une  question  longtemps 
pendante.  C'est  le  conflit  de  deux  libraires  au  sujet  de  la  publi- 
cation des  fi  Saisons  d  qui  a  provoqué,  nous  l'avons  dit,  une 
décision  judiciaire  par  laquelle  fut  fixé  pour  une  longue 
période  le  règlement  des  droits  de  propriété  littéraire  ^. 

Une  nouvelle  édition  de  «  La  Liberté  »  est  cependant 
imprimée.  Elle  est  de  format  in-octavo,  et,  ajoutée  au  texte  de 
«  Sophonisbe  »  et  de  Britannia,  forme  un  deuxième  volume 
dest  Œuvres  »,  pour  accompagner  l'édition  in  octavo  des  «  Sai- 
sons i  de  1730.  Du  reste  l'échec  de  sa  dernière  production  n'a 
point  diminué  la  gloire  de  l'auteur  des  «  Saisons  ».  Peut-être 
même  le  public,  qui  trouvait  formidablement  sérieux  le  sujet 
du  poème  et  les  développements  de  ces  cinq  longs  chants, 
accorda-t-il  plus  d'estime  que  jamais  à  l'auteur.  Il  s'abstenait 
d'acheter  «  La  Liberté  »,  mais  sentait  grandir  son  admiration 
pour  le  poète  qui,  après  avoir  chanté  la  nature,  donnait  aux 
hommes  de  si  graves  et  si  nobles  leçons  d'histoire  et  de  science 
sociale.  La  mention  de  son  nom  dans  les  revues  et  les  maga- 
zines est  accompagnée  des  éloges  les  plus  vifs.  Des  pièces  de 
vers  lui  sont  adressées  comme  à  un  des  maîtres  de  la 
poésie  '.  A  peine  faudrait-il  citer,  à  titre  d'exception,  la  plai- 


1.  •  Would  to  God  you  were  in  the  riglit  in  thaï  part  of  your  lelter 
which  wishes,  in  lieu  of  state  palronage  in  favour  of  learning,  that  we 
had  only  some  good  act  of  parliament  for  securing  to  aulhord  the  pro- 
perly  of  their  owd  works.  ■ 

2.  Voir  p.  47. 

3.  Dans  le  GenilemarCa  Magazine  (août  1736),  nous  trouvons  une  pièce 
de  52  vers  signée  Astrophil.  Les  louanges  y  sont  chaleureuses  : 

•  Restorer  of  the  poets  sinking  name!  » 

•  ....  Wisdom*s  raost  conspicuous  son!  • 
«  0  Britain^s  happier  Orpbeus!  > 


112  JAMES  THOMSON. 

santerie  très  irré vendeuse  d'Isaac  Hawkins  Browne.  Ce 
après  la  publication  de  ce  La  Liberté  d  que  parurent  les  airi' 
santés  et  spirituelles  parodies  de  a  La  Pipe  de  Tabac  i».  M< 
Thomson  qui,  dit-on,  riposta  par  quelques  vers  irrités 
aurait  pu  prendre  avec  bonne  humeur  son  parti  d'une  m«^2 
venture  qui  atteignait  en  même  temps  que  lui  non  seulenac 
des  écrivains  comme  Colley  Cibber,  Ambrose  Philips  et  Youlï 
mais  aussi  des  maîtres  tels  que  Pope  et  Swift  *. 

Si  ces  railleries  venaient  aviver  la  blessure  de  son  amox 
propre,  le  poète  avait  d'autre  part  reçu  une  marque  d'est  î 
et  de  respect  qui  put  adoucir  Tamertune  de  sa  déception, 
"mois  de  mai  1736  une  société  se  formait  à  Londres  pour  «  T I 
couragement  de  la  Science  ».  Le  président  en  était  le  duc 
Richmond,  et  la  liste  des  membres  du  premier  comité  < 
direction  comprend,  parmi   plusieurs  -représentants  de 

—  Quel  est  Fauteur?  Il  se  donne  comme  malheureux, 

«  Of  friend  and  ev^ry  pleasing  hope  forlorn  », 

et  comme  né  sur  les  bords  de  la  Tamise. 

Un  autre  numéro  du  même  recueil  et  de  la  même  année  publie  la  pi^<^ 
de  ■  Mr.  Thompson  >  (sic)  :  •  Corne,  gentle  god  of  soft  désire  »  avec  n^ 
réponse  en  quatre  strophes  correspondantes  de  Mr.  Blythe.  Notons  que 
se  trouve  une  version  du  petit  poème  erotique  de  Thomson  plus  complu 
que  celle  que  donna  sir  Harris  Nicolas  dans  PÂldine  Édition. 

Peter  Cunninghan  et  Rob.  Bell  ajoutent  la  2*  strophe  —  «  d'après  t 
manuscrit  •  —  ignorant  qu'elle  avait  été  imprimée  du  vivant  de  l'auteu 

Plus  important  que  le  témoignage  de  Blythe  est  celui  de  Somerville  Q 
adressait  une  Kpitre  en  vers  k  Mr.  Thomson  u  sur  la  première  édition  < 
ses  Saisons  ».  C'est  l'appréciation  la  plus  complète  qui  nous  soit  transniî- 
de  toutes  celles  qu'ont  pu  formuler  les  contemporains.  On  en  trouve^ 
plus  loin  la  traduction  (Appendice  II},  et  Ton  verra  que  bon  nombre  à.* 
éloges  et  des  reproches  que  notre  critique  distribue  aujourd'hui  àl'œuv 
avaient  été  énoncés  déjà  au  lendemain  de  l'apparition  du  poème. 

1.  Voir  Chambers's  CyclopxdiUy  t.  I,  p.  599.  —  Nous  n'avons  pu  du  rcs 
trouver  aucune  trace  de  ces  vers,  et  ignorons  quelle  est  l'autorité  <■ 
renseignement. 

2.  Il  est  vrai  que  Thomson  est  du  nombre  des  poètes  dont  la  manière 
le  style  sont  le  plus  plaisamment  raillés.  Il  était  moins  facile  de  tourn' 
en  charge  la  façon  d'écrire  de  Pope  ou  celle  de  Swift. 

«  0  thou,  matured  by  glad  Hcsperian  suns, 
Tobacco,  fountain  pure  of  limpid  truth, 
That  looks  the  very  soûl  »,  etc. 

C'est  bien  la  solennité  de  ton  que  Thomson  applique  à  peu  près  à  toi 
sujet  et  qui  faisait  dire  à  Johnson  qu'il  aurait  parlé  poétiquement  d'ui 
chandelle. 


«  LA   LIBERTE  ».  113 

ooblesse-et  quelques  illustrations  des  lettres  et  des  sciences,  le 
nom  de  James  Thomson,  esquire  *. 

C'est  vers  cette  époque  aussi  qu'il  songe  à  faire  un  établisse- 
ment plus  satisfaisant,  et  à  prendre  maison.  Jusque-là  nous 
l'avons  vu  partager  son  temps  entre  les  résidences  d'été  de  ses 
nobles  amis  :  Hertford,  Binning,  Talbot,  Dodington,  et  un 
modeste  appartement  au-dessus  d'un  café  de  Lancaster-Court  *. 
Au  mois  de  mai  1736  il  s'établit,  à  Richmond,  dans  une  simple 
mais  agréable  petite  maison  à  un  seul  étage  de  Kew-fool-Lane, 
d'où  la  vue  embrassait  la  Tamise,  et,  au  delà  de  ce  premier 
plan,  un  paysage  étendu  et  riant.  Derrière  le  cottage  se  trou- 
vait un  joli  Jardin.  Thomson  prit  plaisir  à  orner  cette  résidence* 
où  il  devait  passer  le  reste  de  sa  vie.  Il  avait  rapporté  d'Italie 
et  de  France  de  nombreuses  et  belles  gravures  et  quelques  des- 
sins de  maîtres  qui  trouvèrent  leur  place  sur  les  murs  de  sa 
nouvelle  maison.   C'est   là   qu'est  le  luxe  principal  de  cet 
<  humble  toit  »  '.  Le  mobilier  des  trois  chambres  à  coucher, 
du  salon,  de  la  salle  à  manger  et  du  bureau  est  très  simple. 
Mais  le  catalogue  dressé,  après  la  mort   du  poète,  men- 
tionne 83  tableaux  ou  gravures  suspendus  aux  murs,  outre  un 
gntnd  carton-portefeuille  rempli  de  cartes,  de  dessins  et 
d'estampes  *.  Les  gravures  sont  de  vieux  maîtres  italiens, 
flnelques-unes  aussi   d'artistes  français  :   Audran,  Le   Bas, 
Lépicié,  etc.  Dix  dessins  attribués  à  Castelli  reproduisent  les 
chefs-d'œuvre  de  la  sculpture  antique  :  la  Vénus  de  Médicis, 
le  Gladiateur  Combattant,  et  le  Gladiateur  Mourant,  Persée  et 
Andromède,  Apollon,  Antinous,  Méléagre,  Laocoon,  l'Hercule 
l'arnèse.  La  bibliothèque  comprend  514  volumes,  principale- 
'ûentdes  classiques  anglais  et  étrangers  *.  C'est  un  total  fort 
modeste;  mais  Johnson  et  Goldsmith  n'en  eurent  pas  davan- 
*^e.  La  cave  renfermait  un  choix  assez  varié  de  vins  et  de 

*•  NiCHOLs,  Anecdotes,  t.  II,  p.  93. 

-•  l'indication  d'un  aulre  domicile  à  Londres  nous  est  fournie  par 
'^^^  Pio/zi,  mais  sans  que  nous  piii8>ion8  contrôler  la  valeur  du  rensei- 
jî'^tînïenl  :  •  So,  charniing  Thomson  writes  from  his  lodffings  at  a  mil- 
'•^«'"s  JQ  eond  Slreel...  ».  (Gilé  par  E.-F.  Rimbault,  Sotes  and  Queries, 
**  série,  vol.  XI.  p.  493.) 

^-  •  My  humble  roof  •  {Winter,  547). 
.  *•  Voir  les   Culloden   PaperSy  et  aussi  Notes  and  Queries,  mars  4855  et 
'"ï'ier  1862. 

.  ^'  Peu  de  curiosités  bibliographiques.  A  noter  cependant  un  Décaméron 
^^  1583  (Venise,  A"  édit.). 

8 


-  '  1 


114 


JAMES  THOMSON. 


bières.  Le  jardin  était  l'objet  de  soins  particuliers.  Le  poète  ût 
venir,  pour  diriger  chez  lui  «  Tif  et  le  chèvrefeuille  i,  un  de 
ses  cousins  d'Ecosse,  Andrew. 

Peut-être  Thomson  était-il  attiré  à  Richmond  par  le  voisi- 
nage de  Pope.  De  Kew-foot-Lane  à  la  célèbre  villa  de  Twick- 
enham  il  n'y  avait  que  la  distance  d'une  facile  promenade. 
Nous  voyons  au  moins,  par  la  lettre  à  Hill,  du  mois  de  mai, 
qu'il  est  alors  en  commerce  de  visites  familières  avec  l'illustre 
poète.  Il  promet  à  son  correspondant,  si  celui-ci  vient  le  voir, 
de  lui  faire  passer  une  soirée  avec  Mr.  Pope  et  avec^  ce  pauvre 
Mr.  Savage  »,  s'il  est  possible  de  mettre  la  main  sur  leur  capri- 
cieux et  erratique  ami  ^ 


i.  «  Having  been  tantalized  lately  by  seeing  you  at  a  distance.  1  wish 
you  would  be  so  guod  as  to  make  me  amends  some  evcning,  and  let  me 
know  of  it  a   few  days  before.  Mr.  Pope  was  the  other  day  enquîring 
kiudly  aflcr  you  :  1  slioiild  be  glad  we  couid  al  tbe  same  lime  engage 
him.  Poor  Mr.  Savage  woulii  bc  happy  to  pass  an  cvening  wilh  you;  bis 
heart  burns  towards  you  willi  Ihc  elernal  Pire  of  gratitude  :  but  bow  to 
find  binif  requires  more  intelligence  Iban  is  allowed  to  morlals.... 
-  P.  S,  Please  to  direct  to  me  in  Kew  Lane,  Richmond....  » 
Hill,  dans  sa  réponse,  relève  la  preuve-  de  bonté  que  donne  Thomsor^ 
dans  sa  fa(;on  de  parler  •  de  ce  pauvre  Mr.  Savage  ».  (Hili/s  irorAcf,  vol.  I  ^ 
p.  237. 


CHAPITRE  V 


PROSPÉRITÉS  ET  REVERS.  —  LES  TRAGÉDIES.  —  VIE  A  RICHMOND 

LE   CHATEAU   D*INDOLENCE 


I 


L'échec  de  son  grand  poème  ne  décourage  pas  Thomson. 
Nous  le  trouvons  activement  occupé,  cette  même  année,  à  ime 
œuvre  nouvelle.  Mais  c'est  au  théâtre  qu'il  revient  cette  fois. 
Le  public  a  demandé  une  nouvelle  édition  de  cette  «  Sopho- 
nisbe  1»  »  qui,  dès  la  première  année,  avait  atteint  plusieurs 
Citions  '.  Peut-être  trouvait-il  là  quelque  encouragement  à 
'^'ïterde  nouveau  la  fortune.  «  Je  sue  sang  et  eau  »,  écrit-il  à 
^n  ami  Ross,  «  pour  vous  achever  une  tragédie  pour  cet 
'^^^er^  »  II, s'agit  d*Agamemnon  commencé,  selon  toute  pro- 
*^ilité,  depuis  assez  longtemps,  et  dont  le  poète  poursuit  alors 
^^*ec  ardeur  l'achèvement.  La  tragédie  fut  assez  promptement 

1-  Imprimée   par  Woodfall,  et  portée  sur  son  registre  à   la   date  du 

^  mars  1*73-.  Les  éditions  de  1730  avaient  élé  imprimées  par  Bowyer. 

II  esl  utile  de  noter  que  le  nombre  des  exemplaires  de  ce  lira^^e  est  bien 
laible  :  200.  On  est  tenté  de  croire  que  le  poète  les  a  fait  tirer  pour  son 
propre  compte. 

2.  Voir  p.  81,  n.  4.  . 

3.  •  I  am  wbipping  aod  spurring  to  finish  a  Iragedy  for  you  lliis  winter, 
but  am  still  at  some  distance  from  thc  goal,  which  inakes  me  fcar  being 
distanced.  •  (Lettre  &  Ross,  du  6  nov.  1136.)  Les  derniers  mois  cités  font 
allusion  aux  tragédies  en  projet  de  Hill  et  de  Mallet. 


116  JAMES  THOMSON. 

terminée;  nous  verrons  qu'elle  n'en  fut  pas  pour  cela  plus    "^ 
jouée. 

Cette  même  lettre  à  Ross  nous  montre  Thomson  s'occupa 
avec  sollicitude  du  sort  de  deux  de  ses  sœurs,  Jean  et  Ëli 
beth.  Elles  reçoivent  à  Edimbourg  l'hospitalité  du  Révéra 
Mr.  Gusthart,  et  veulent  s'assurer  un  gagne-pain.  On  leur  a  c  ^ 
seillé  de  s'établir  comme  modistes.  Les  dames  d'Edimbourg- 
se  contentent  plus,  paraît-il,  de  draper  sur  leur  tète  le  pft 
national  que  Thomson  jeune  homme  admirait  si  vivement*, 
dépit  de  l'opposition  des  conservateurs  et  de  celle  des  poètfe  f 
on  les  voit  de  plus  en  plus  adopter  les  coiffures  en  vogimc 
Londres  ou  à  Paris.    Déjà  la  ville   écossaise  comptait   ti 
modiste  depuis  1720;  le  moment  semble  être  bien  choisi  poi 
fonder  une  nouvelle  maison  de  ce  genre.  Thomson  approuve 
projet.  Le  grave  auteur  des  «  Saisons  b  et  de  a  la  Liberté  »  a  p 
acquérir  quelque  savoir  et  quelque  goût  en  pareille  matière 
s'il  est  vrai,  comme  nous  le  dit  Mrs.  Piozzi,  qu'il  ait  habité  au 
dessus  d'une  modiste  de  Rond  Street  '.  Il  ne  se  contente  pascl 
conseils,  mais  prie  son  ami  d'avancer  à  ses  sœurs  douze  livre 
sterling,  et  se  propose  de  leur  envoyer  lui-même  de  temps  e 
temps  des  marchandises.  Trois  mois  plus  tard  il  s'adressa: 
pour  lui  servir  de  banquier,  à  Mr.  Gavin  Halmiton,  et  le  prî 

1.  «  The  milliner's  business  was  liardly  known  in  Scoliand  before  II 
bepiniiinj^  oT  tliis  cei)lury;  in  1753  llicre  wcre  only  lîvc  or  six  in  Kdii"^ 
bur<:h«  oi.Iy  one  in  1720,  says  n  Laiiy  Sirah  Bnicc  » 

«  EvHpy  iady  in  on  undre^s  wor^  a  pl.iid  whcn  she  went  abroad,  sniu 
limes  of  Ci'luiir,  scarlel,  criinson,  etc.,  more  commoaly  tarlan  ;  some  we 
siik,  oUiers  woollen  lined  willi  silk,  somme  plain  worsled.  •  (U.  ARNr~i 
Ilislorf/  of  Edinhurnh^  vol.  II.  p.  S6.) 

2.  All.m  Hamsay,  dans  ses  poèmes,  proteste  contre  les  tentatives  fait 
pour  8ub>litner  au  plaid  une  êcli.ir;ie. 

Thomson  lui-même  voyait  daus  le  tartan  une  des  séductions  des  fcmir* 
d'Ecosse. 

«  NouRht  pives  onr  sox  such  terrible  alnrms, 
As  when  the  hoop  uud  t.iria?)  boih  combine 
To  mukc  a  virgin  like  a  goddess  shine  », 

dit-il  d.THS  une  de  ses  poésies  do  jeunesse,  «   On  the  Hoop  »,  et  quan' 
dans  une  autre  pièce,  il  peint  la  déesse  de  la  beauté,  il  nous  montre  cfi' 

«  Around  her  shoulders,  danRliuR  on  lier  throne, 
A  bright  Tarlana  rarcles'^ly  was  tlirown, 
Whisîh  bas  alrcady  \vnn  immorlai  pniisc, 
Musl  sweetly  sung  in  AUan  Ramsay's  lays.   '> 

{On  Ueauty.) 

3.  Voir  p.  US,  n.  2. 


PROSPÉRITÉS  ET  REVERS.  117 

de  payer  à  Jean  et  à  Élizabeth  moitié  des  seize  livres  qu'il  a 
l'intention  de  leur  allouer  chaque  année  *. 

Ace  moment,  «  Agamemnon  »,  reçu  à  Drury-Lane,  et  soumis 
à  la  censure  du  Lord-Chambellan  avant  le  12  janvier  1737,  est 
prêt  pour  la  représentation.  L'auteur  espère  voir  jouer  sa 
pièce  dans  moins  de  trois  semaines,  et  s'occupe  de  la  publica- 
tion du  texte,  qu'il  songe  à  faire  imprimer  à  son  propre 
compte  *.  Mais  des  difficultés  soulevées  par  le  directeur  du 
théâtre  devaient   retarder  la  représentation  de   plus  d'une 
année.  Et  à  ce  même  moment,  qu'il  pensait  devoir  être  celui 
d'un  succès  littéraire  accompagné  de  fructueux  bénéfices,  un 
malheur  imprévu  vint  le  frapper  à  la  fois  dans  ses  intérêts  et 
dans  sa  reconnaissante  affection.  Le  lord  chancelier  Talbot 
mourut  le  11  février.  Thomson  perdait,  en  même  temps  qu'un 
&n)i  et  un  patron  généreux,  la  position  qui  lui  assurait  une 
modeste  aisance.  —  Le  nouveau  chancelier,  lord  Hardwicke, 
laissa,  dit-on,  la  place  vacante  pendant  quelque  temps,  atten- 
dant que  lancien  titulaire  la  demandât.  Le  poète  ne  fit  pas 
cette  démarche,  et  la  sinécure  fut  attribuée  à  un  autre  bénéfi- 
ciaire. Murdoch  explique  cette  réserve  ou  cette  inertie  de 
Thomson  par  le  découragement  où  l'avait  mis  la  mort  de  Talbot, 
®^  par  une  grande  insouciance  des  intérêts  matériels  ^  Il  ajoute 

^*  Ces  deux  sœurs  du  poète  se  sont  plus  tard  mariées.  Jean  épousa 
^^^  TlioinsoD  qui  dirigea  une  école  à  Lanarok.  Elle  survécut  bien  des 
^'^Qéesà  son  frère  et  c'est  elle  qui  en  1718  commuoiqua  à  Bos\\eU  des 
^^nseiifnemeals  sur  la  vie  de  James, 
élizabeth  (la  Lizzy  des  pièces  juvéniles)  semble  avoir  été  colle  de  ses 

J^urHque  le  poète  préférait.  Elle  épousa  le  Rev.  Robert  Bell,  ministre  du 

^^■^aihaveo,  et  eut  deux  (ils,  le  Dr.  Jnmes  Bell, qui  devint  ministre  de  Culd- 
^^(!am,  et  Thomas  Bell  qui  fut  négociant  à  la  Jamaïque.  Elle  mourut  un 

^^  Ou  deux  avant  Thomson. 

îiiomson  avait  encore  une  troisième  sœur,  Mary,  que  nous  retrouverons 

^'^  peu  plus  lard. 

2.  Ces  n-nseiguemeals  nous  sont  fournis  par  une  lettre  à  Ross  du 
*^ janvier  1737  et  une  aulre  à  Mr.  Gavin  Hamilton,  de  février.  La  pre- 
mière es>i  d*un  Ion  particulièrement  enjoué.  Thomson  y  invile  à  venir  & 
Londres  cet  hiver  son  ami  que  menace,  parait-il,  la  terrible  institution 
^u  •  Creepy  >.  C*est  cet  escabeau  de  pénitence  où  les  pécheurs  atteints 
^eg  sévérités  de  la  •  kirk-session  »  faisaient  amende  honorable  de  leur  faute 
^t  recevaient  l'admonestulion  publique  du  minisire  et  des  elders.  h  What 
>vill  become  of  you,  if  you  don't  couie  up?  I  am  arraid  the  Creepy  and  you 
^ill  bccome  acquainted....  >  (Mr.  Angeilier  a  donné  d*ubondarils  détails 
sur  cette  institution  disciplinaire  de  la  société  presbytérienne  d'Ecosse, 
dans  son  beau  travail  sur  Burns,  voir  p.  82.) 

3.  •  Thomson  >,  dit  Brugiêre  de  Barante,  «  parlait  souvent  du  projet 


118  JAMES   THOMSON. 

que  CL'lto  néu:ligeii«*e  fut  vivement  blàinée  par  tous  les  amis  de 
James.  .lolmsoii  cherche  l'explication  de  cette  conduite  soil  dans 
la  timidité  du  poète,  soit  dans  son  or^j^ueil,  soit  dans  a  quelque 
autre  motif  aussi  peu  louable  peut-être  »,  sans  expliquer  plus 
clairement  ce  qu'il  veut  faire  entendre.  Qu'ant  à  Buchan  et  aux 
admirateurs  qui  se  sont  donné  mission  de  défendre  en  toute 
circonstance  la  mémoire  du  poète  écossais,  ils  louent  le  senti- 
ment de  légitime  fierté  auquel  il  obéit  ici  ^  —  Nous  savons,  par 
la  lettre  à  Cranstoun  du  7  août  1735  *,  que  cette  place  Thomson 
avait  été  menacé  de  la  perdre  aussitôt  après  Tavoir  occupée. 
L'enquête  faite  pendant  qu'il  était  titulaire  avait  dû  établir 
nettement  que  les  droits  de  justice  sur  lesquels  le  «  Secré- 
taire des  Brefs  »  prélevait  ses  honoraires  pouvaient  aisément 
être  diminués  ou  supprimés.  Il  lui  était  donc  plus  difficile 
qu'à  un  autre  de  prendre  le  rôle  de  postulant  pour  cet  office 
à  moitié  condamné.  D'ailleurs,  la  sinécure  qui  lui  assurait 
un  revenu  de  trois  cents  livres  était,  à  son  jugement,  le  légi- 
time salaire  d'un  talent  reconnu  qui  avait  illustré  le  pays.  Il 
n'avait  rien  fait  pour  démériter.  11  pouvait  donc  s'attendre  à 
ce  qu'on  le  maintînt  en  possession  de  la  place  sans  qu'il  eût  à 
la  demander  ^  Une  intéressante  pièce  de  vers  insérée  dans  le 
Genlle})iaii's  Magazine  en  décembre  1736  nous  montre  que  les 
amis  de  Tliomson  le  croyaient  fort  capable  de  renoncer  à  une 
place  lucrative,  par  un  sentiment  d'honncte  fierté.  Elle  con- 
tient clairement  une  allusion  à  une  offre  faite  et  noblement 
refusée  : 
a  Oui,   Slaughter,  dans  ces  traits  je  vois   une  âme,   — 


qu'il  avait  de  se  peindre  dans  un  conlc  oriental  qu'il  aurait  intitulé  : 
L'Homme  qui  aime  la  pauvreté.  •  (l'iV  de  Thomson.)  Le  renseignement  est 
emprunté  à  Johnson. 

i.  Bucbau  déborde  dMndignalion  toutes  les  fuis  qu*il  parle  de  Johnson. 
•  The  memory  of  Thomson  lias  bcen  prophanely  touched  by  Ihe  rude 
hands  or  thc  pedantic  Samuel  Johnson,  whose  famé  and  réputation  indi- 
cates  the  décline  of  taste  in  this  country.  »  Plus  loin  il  parle  de  «  that 
vulgar  m.ilevolen<îe  which  pives  a  race  to  the  works  of  thc  savage  bio^ra- 
pher  •.  \EiiIof/f/  of  Thomson  defivered,..  on  Ednam  UUL,.  on  the  52"*  of 
September  1791.) 

2.  Voir  p.  105,  n.  3. 

3.  Hardwickc  aurait  eu  d'autant  meilleure  grâce  à  prendre  à  cœur  Pin- 
Icrét  de  Thomson  dans  cette  circonstance  que  lui-même  était  quelque 
peu  poète.  On  peut  voir  dans  le  recueil  des  œuvres  de  Lytlelton,  un 
impromptu  ajouté  par  lui  à  une  pièce  de  celui-ci  (Johnson's  PoetSy  vol.  64, 
p.  328). 


PROSPÉRITÉS   ET   REVERS.  119 

<  Qui  dédaigne  de  faire  un  mensonge  même  pour  gagner  une 
«  place  '.  • 

Nous  pouvons  avec  confiance  estimer  que  dans  toute  cette 
aflaire  le  poète  agit  avec  un  désintéressement  et  une  dignité  qui 
i'hoDorent.  Le  trait  fôtit  penser  à  la  conduite  d*un  autre  écri- 
vain dont  la  célébrité  n'est  pas  moindre  et  envers  qui  la  vie  fut 
plus  cruelle.  Goldsmith,  au  milieu  des  humiliations  et  de  la 
poignante  détresse  d'une  carrière  de  «  Grub-street  hack  i, 
refusait  avec  indignation  l'offre  qui  lui  était  faite  d'une  aisance 
assurée  s'il  consentait  à  mettre  sa  plume  au  service  d'un  parti 
politique  *.  L'indignation  mêlée  de  pitié  que  ressentit  l'émis- 
saire de  Sandwich,  en  face  d'une  aussi  impudente  indépen- 
dance, est  l'équivalent  exact  de  la  surprise  et  des  reproches  des 
amis  de  Thomson. 

Le  poète  avait  un  devoir  à  remplir  envers  la  famille  qui 
venait  d'être  ainsi  frappée,  envers  le  protecteur  dont  l'amitié 
généreuse  avait  tant  fait  pour  lui.  Il  n'y  faillit  point,  et,  dès  le 
raois  de  juin,  il  dédiait  au  fils  du  chancelier  un  «  Poème  »  à  la 
niêmoire  de  lord  Talbot  *.  Il  y  expose  avec  une  chaleureuse 
éloquence,  que  viennent  rarement  gâter  quelques  éclats  décla- 
Hîatoires,  les  vertus  de  Talbot,  et  les  qualités  déployées  par 
*ui  dans  toutes  les  positions  où  il  fut  appelé.  A  cet  éloge  ému 
^^  chancelier,  il  joint  celui  de  l'intime  ami  de  Talbot,  Thomas 
fiundle,  et  proteste  courageusement  contre  les  haines  injustes 
^^i  l'ont  exilé  à  Derry.  Indépendamment  du  mérite  poétique 


^  •  "  On  Mr.  Thomson's  Picture  drawn  hy  Mr.  Slaughler,  ivilh  the  Figure 
**  Liberty  in  his  lland^  as  descnbed  by  him  in  his  Poem  on  thaï  subject.  » 

(.  What  paint  can  do,  I  own,'thy  skill  has  wrougbt, 
From  lincs  slruck  likeness,  and  from  colours  thought. 

Yes,  Slaughtcr,  in  thèse  lines  a  soûl  I  trace 
That  scorns  a  falsehood  ev'n  to  gain  a  place.  • 


G.  W. 

L'auteur  est  sans  doute  Gilbert  West,  LL.  D.  neveu  de  sir  Richard 
7^ple,  parent  de  G.  Lyltelton  et  de  William  Pilt.  Il  publia  en  1139  une 
imitation  de  Spenser  qu*ont  louée  Gray  et  Walpole. 

2.  Forstbr's  Goldsiniih^  Bk.  III,  chap.  xvin. 

3.  L'impression  est  portée  sur  le  registre  de  Woodfall  à  la  date  du 
16  Juin.  Le  tirage  est  de  1  000  exemplaires,  plus  156  exemplaires  de 
luxe.  L'éditeur  est  Millar.  L'ouvrage,  de  format  in-quarto,  est  vendu 
1  shilling. 


120  JAMES  THOMSON. 

par  lequel  cette  pièce  mérite  de  survivre,  elle  a  pour  nous  cet 
intérêt  de  nous  montrer  le  génie  de  Thomson  consacré  à  un 
ami  disparu,  et  à  un  ami  persécuté.  Johnson,  qui  s'était 
montré  sévère  pour  les  humbles  dédicaces  des  premières 
publications,  n'aurait  pas  dû  passer  sous  silence  celte  œuvre 
de  la  maturité  du  poète  qui  ne  fait  pas  moins  d'honneur  à  son 
caractère  qu'à  son  talent. 

Quelques  mois  plus  tard,  en  août  1737,  le  Genileinans 
Magazine  insérait  deux  courtes  pièces.  L'une  a  pour  occasion 
un  projet  de  construction  d'un  pont  de  bois  à  Westminster. 
Le  poète  y  évoque  le  «  Fleuve  Tamise  »,  et  le  fait  gémir,  en  vers 
héroï-comiques,  sur  l'ingratitude  des  Anglais  qui  vont  désho- 
norer ses  flots  d'une  construction  misérable  payée  par  les 
produits  d'une  loterie,  c'est-à-dire  par  les  dépouilles  des  pau- 
vres *.  —  L'autre  est  une  «  Ode  au  Prince  de  Galles  »,  à  l'occa- 
sion de  la  naissance  de  son  premier  enfant.  La  pièce  est  d'un 
beau  mouvement  et  devait  plaire  au  prince,  aussi  bien  par 
quelques  flatteries  adroites  que  par  de  vives  attaques  contre 
les  directeurs  de  la  politique  du  pays  '. 

Cependant  la  satisfaction  de  Frédéric  ne  se  manifesta  point 
par  le  témoignage  qui  eût  le  mieux  convenu  au  poète,  l'octroi 
d'une  fonction  ou  d'une  pension.  Privé  du  revenu  qui  le  faisait 
vivre,  il  dut  se  trouver  pendant  quelques  mois  dans  un  état  de 
fortune  précaire.  C'est  à  ce  moment  que  les  biographes  ont 
placé  une  anecdote  bien  connue.  Thomson  est  arrêté  pour  une 
dette  d'environ  soixante-dix  livres  sterling.  Il  voit  entrer  dans 
sa  chambre  de  la  a  spunging  house  »  un  personnage  grand  et 
fort  au  visage  énergique,  aux  yeux  vifs  et  perçants  '.  C'est- 
l'acteur  Quin  qui  vient  faire  visite  au  poète,  et  de  sa  voijci 
chaude  et  forte  exprime  le  désir  de  se  lier  avec  lui  d'amitié. 
Pour  ne  pas  perdre  de  temps,  il  s'invite  à  souper.  Grand 
embarras  du  prisonnier  qui  n'a  ni  argent  ni  crédit;  mais  Tac— 

1.  •  On  Ihe  lieportof  a  Wooden  Bridge  to  be  buitt  al  Westminster  •  {Th^ 
Gentleman's  Magazine^  Âugiist  l'37,  p.  511).  —  Le  morceau  n'est  pas  suivi 
de  nom  d'auienr.  Il  a  (if^ur^  duns  les  poèmes  de  Dodsiey,  1748. 

2.  -  To  Uix  Royal  Wghness  the  l*rince  of  Wales^  an  Ode,  by  Mr. 
Thomson  •  (Seplember),  p.  569.  —  La  nai-^^tance  de  la  princesse  Augusta 
est  du  31  juillet  \TM,  —  Le  dernier  vers  esl  ainM*  libellé  : 

•  "Wlien  Fr— e  insulls,  and  Sp— n  shall  rob  no  more.  » 

3.  Voir  un  portrait  de  Quin  dans  Davies,  Life  of  Garrick,  I,  p.  ISS. 


PROSPÉRITÉS  ET  REVERS.  121 

teur  le  rassure.  Il  a  jugé  que  le  lieu  ne  se  prétait  pas  à  la  pré- 
paration d'un  dîner  suffisamment  soigné;  le  repas  va  être 
apporté  d'un  cabaret  voisin.  Comme  entrée  de  jeu  Texcentrique 
visiteur  fait  d'abord  paraître  une  demi-douzaine  de  bouteilles 
de  vin  *.  On  soupe,  et,  sans  doute,  gaiment.  Le  convive  était 
fort  aimable,  et  Thomson  n'était  pas  insensible  aux  charmes 
de  quelques  bouteilles.  A  la  fin  du  repas  Quin  prend  la  parole  : 
1 11  est  temps,  Jemmy  Thomson,  de  régler  nos  comptes  ».  Et, 
pour  mettre  fin  à  Tétonnement  de  son  hôte,  il  poursuit  : 
t  Monsieur,  le  plaisir  que  j'ai  éprouvé  à  la  lecture  de  vos 
f  ouvrages  m'a  constitué  votre  débiteur  pour  une  somme  que 
«je  ne  puis  estimer  à  moins  de  cent  livres.  Je  tiens  à  pro- 
t  filer  de  cette  occasion  pour  m'acquitter.  d  11  place  alors  sur 
la  table  un  billet  de  cette  valeur,  et  se  retire  sans  attendre 
que  le  prisonnier  ébahi  lui  ait  fait  aucune  réponse. 

Quelle  créance  mérite  l'anecdote?  Il  est  assez  difficile  d'en 
décider.  Reproduite  depuis  longtemps  dans  toutes  les  biogra- 
phies de  Thomson  et  dans  celles  de  Quin,  elle  ne  présente  pas 
cependant  d'incontestables  titres  d'authenticité.  Johnson  est  le 
premier  qui  l'ait  accueillie,  et  nous  savons  qu'il  faut  un  peu 
nous  méfier  des  renseignements  fournis  par  lui,  même  quand 
i*  est  plus  affirmatif  qu'ici  '.  La  biographie  de  Shiels  et  celle 
deMurdoch  sont  muettes  sur  ce  point  ^  Sans  doute  l'aventure 
n'est  pas  de  prime  abord  invraisemblable.  Nombreux  sont  les 
^rivains  contemporains  de  Thomson  qui,  comme  Fielding, 
^Hins  ou  Johnson  lui-même,  ont  connu  la  prison  pour  dettes. 
Mais  Murdoch  s'exprime,  sur  cette  période  de  la  vie  de  son 
^^h  dans  des  termes  qui  excluent  la  possibilité  de  cette  arres- 
'^^ion.  €  Le  poète,  dit-il,  ne  se  laissa  pas  décourager  par  la 

'•  •  Quin  était  un  grand  buveur.  IL  se  faisait  souvent  le  plaisir  d'amener 
P^u  à  peu  les  imprudents  qui  s'attablaient  avec  lui  à  un  état  d'ivresse 
J^^nîplèle.  •  {Records  of  my  Life,  by  the  late  J.  Taylor  esq.,  London,  1842, 
2  ^ol.  in-8.  Vol.  M  chap.  vi,  p.  75.) 

2.  •  Quin  18  reported  lo  havc  delivered  Thomson....  »  (Joh.^son's  Life  of 
''^mson.) 

De  même  aussi  un  témoin  intime  de  la  vie  de  James,  Robertson,  apporte 
^0  témoignage  qui  laisse  place  au  do  ite  :  •  1  bclieve  the  anecdote  of 
QiJio  and  Thomson  was  Irue  •.  (Park's  Memoranda,) 

3.  Jl  est  vrai  que,  dans  les  biographies  publiées  sous  sa  direction,  Theo- 
philus  Cibber  n'aurait  pas  volontiers  admis  une  anecdote  aussi  Hatteuse 
pour  Qaio.  11  y  avait  entre  eux  peu  d'amitié,  ils  ife  battirent  en  duel  en 
n39.  (Voir  The  Thespian  Diçlionary,  art.  Quin,) 


132  JAMES  TnOMSON. 

«  perte  de  son  protecteur,  et  ne  changea  rien  à  son  genre 
«  vie  qui  était  simple,  mais  aisé  et  élégant.  Mr.  Millar  é 
Cl  toujours  là  pour  prévenir  môme  ses  demandes,  et  il  a\ 
«  en  outre  de  riches  amis  qui  seraient  d'eux-mêmes  int 
«  venus  s'il  en  avait  été  besoin  '.  » 

Les  témoignages  directs  sont  donc  contradictoires,  mais 
silence  de  Shiels  et  la  négation  formelle  de  Murdoch  n 
semblent  avoir  plus  de  poids  que  Taffirmation  un  peu  hésita 
de  Johnson  et  de  Robertson.  Quant  aux  circonstances  ex 
rieures,  elles  tendent  assurément  plutôt  à  faire  rejeter  lar 
dote.  Il  est  inadmisible  que  Quin  et  Thomson  ne  se  soient 
connus  plus  tôt.  Le  célèbre  acteur  avait,  en  1735,  quitte 
théâtre  de  Rich  pour  entrer  à  Drury-Lane  *.  C'est  lui 
était  chargé  du  rôle  principal  dans  c  Agamemnon  d,  et  la  pi 
était  presque  prête  pour  la  représentation  dès  le  début 
Tannée  1737  '.  Comment  l'acteur  et  l'auteur  n'auraient-ils 
été  par  là  mis  en  contact?  Au  total,  l'historiette  n'est  d 
aucunement  certaine,  et  de  sérieux  témoignages  la  démenti 
Si  elle  repose  sur  un  fait  véridique,  elle  nous  est  assuréir 
parvenue  avec  l'addition  de  détails  inexacts.  Ce  qui  du  m( 
n'est  pas  douteux,  c'est  que  Quin  et  Thomson  ont  été 
d'une  amitié  dont  nous  ne  pouvons  préciser  l'origine,  n 
qui  fut  étroite  et  dura  jusqu'à  la  mort  du  poète  *. 


1.  •  Yet  could  iiot  bis  ^euius  be  depresscd,  or  his  temper  hurl,  by 
reverse  of  fortune.  He  resnmed  with  time  his  iisual  chearfulness, 
Dever  abated  ooe  a-  licle  in  his  way  of  livinf^;  which,  though  simple, 
génial  and  élégant....  Mr.  Miliar  was  always  at  hand,  to  answer,  or  < 
to  prevent,  his  demands;  and  he  had  a  friend  or  two  besides,  w 
hearts,  he  koew,  wero  nol  contracted  by  Ihc  ample  fortunes  they 
acquired;  who  would  of  themselvc»  interpose,  if  they  saw  any  occa 
for  it.  »  (MuKnocii,  An  account  of  the  Life  of  James  Thomson.) 

2.  T.  Davies,  Dramatic  Miscellanies^  p.   82. 

3.  Voir  p.  115. 

4.  James  Quin,  plus  dgé  que  Thomson  de  sept  ans,  était  un  homme 
le  commerce  ne  devait  avoir  rieu  de  banal.  A  cette  époque,  les  avent 
abondent  dans  sa  vie,  et  elles  y  ont  commencé  de  très  bonne  heure, 
père,  riche  avocat,  avait  épousé  une  veuve.  Après  la  naissance  de  Ja 
un  premier  mari  de  la  fausse  veuve  reparut.  Les  choses  s'arrange 
sans  scandale  et  la  seule  victime  du  malentendu  fut  l'enfant  qui  en 
tait  l'embarrassant  témoignage.  Déclaré  incapable  d*horiter  de  la  for 
de  son  père,  Quin  chercha  fortune  sur  les  planches.  De  Dublin  où 
ses  premières  armes,  il  vint  à  Londres,  se  fit  remarquer  par  son  taie 
aussi  par  la  vivacité  de  son  humeur.  Il  quitta  Drury-Lane  après  avoii 
en  duel  un  de  ses  camarades.  Attaqué  par  Aaron  Hill  dans  la  camp. 


PROSPÉRITÉS  ET   REVERS.  123 

Le  13 septembre  1737,  le  «  Daily  Advertiser  »  informait  ses 
lecteurs  que  quatre  jours  auparavant  James  Thomson,  Esq., 
l'auteur  des  a  Saisons  »,  avait,  en  compagnie  du  Dr.  Armstrong, 
été  reçu  franc-maçon;  Richard  Savage,  Esq.,  officiait  comme 

maître*. 

La  représentation  si  longtemps  retardée  d'  (n  Agamemnon  d  eut 
enfînIieu,àDrury-Lane,  Ie6avrill738.  L'auteur  avait  consenti, 
pour  en  finir  avec  les  difficultés  soulevées  par  les  directeurs, 
à  abréger  la  pièce*,  notamment  en  pratiquant  des  coupures 
dans  les  longs  discours  où  Faction  risquait  de  s'enliser.  Ce 
n'est  pas  du  reste,  s'il  en  faut  croire  Davles,  la  seule  preuve 
(le  bonne  humeur  et  de  résignation  facile  qu'il  eut  à  donner  au 
cours  des  répétitions.  Sa  façon  de  lire  le  manuscrit  avait  causé 
chez  les  acteurs  un  tel  accès  d'hilarité  qu'il  dut  prier  le  direc- 
teur de  continuer  à  sa  place  cette  lecture,  «  car,  ajouta-t-il,  si 
*  je  sais  écrire  une  tragédie,  je  vois  bien  que  je  ne  sais  pas  la 
*lire'».  Quin  jouait  le  rôle  d'Agamemnon,  et  Colley  Cibber 
celui  de  Melisander  *;  Mrs.  Porter  faisait  Clytemnestre  '  et 


*nic  menait  le  critique 'en  1735  contre  le  faux   goût  des   tragédiens,   il 
fêpond  aux  criii(|ues  du  •  Prompter  •  par  des  voies  de  fait. 

L'&necdote  du  secours  apporté  par  l*acleuran  poète  prisonnier  a  fourni 
le  sujet  d'une  pièce  française  dont  on  trouvera  le  résumé  à  la  fin  de  cet 
<>"mge  (Appendice  III). 

*•  «A  scrap  from  the  Daily  Advertiser  of  Tuesday,  Sept.  13,  1737,  pre- 
serred  in  a  volume  of  Masonic  Collections,  by  Dr.  Rawlinson  (now  Bodl. 
^S*  Rawl.  G  136),  informs  us  that,  on  the  preceding  Friday,  James 
Tbomson,  esq.,  autbor  of  The  Seasons,  Dr.  Armstrong,  and  others,  were 
^dmitied  free  and  accepted  Masons  at  Old  Mans  Coffee  House,  Charing- 
^ross,  on  which  occasion  Richard  Savage,  esq.,  son  of  the  laie  Karl 
"•vers,  officiated  as  Master.  • 

(Note  de  W.  D.  Macray,  dans  Notes  and  Quevies,  2"  série,  n«  7,  p.  132.) 
.  ^'  *■  Mr.  Thomson  submitted  to  bave  this  play  considerably  shorlened 
"^  ^he  action,  as  soroc  parts  were  too  long,  others  unnecessary  in  whIch 
°<>^  the  cbaracter  but  the  poet  spoke.  •   (Shiels,  Cibber*s  Lives.) 

^*  •  Davies  tells  us  that  when  Thomson  was  reading  this  play  in  the 
green-rooiD^  he  pronounced  the  Unes  wilh  so  strong  a  Scotch  accent  that 
^^^  actors  could  nol  restrain  their  laughter;  upon  which  the  poet  turncd 
^^^he  manager,  and  handing  ovcr  the  play  to  him,  begged  him  to  go  on 
^ith  the  reading,  «  for,  he  added.  though  I  can  write  a  tragedy,  I  fînd 
'  cannot  read  one.  »  (Bbll,  note  à  Pépilogue  (VAgamemnon^  p.  248.) 

^.  Avec  son  ordinaire  insuccès,  s'il  en  faut  croire  les  souvenirs  de 
^à^ks,  «  Colley  affected  a  stately  magnificent  trcad  ;...  bis  wholc  behaviour 
^Mstarchly  studicd.  •  (Davibs,  Dramatic  MisceUanies,  t.  I,  p.  23.) 

3.  Davies  parle,  à  propos  d'une  autre  pièce,  de  la  dignité  et  de  la  grâce 
incomparables  de  cette  actrice  dans  les  rôles  de  reines.  «  The  dignity  and 


124  JAMES  THOMSON. 

Mrs.  Cibber  Cassandre  '.  Pope  avait  chaleureusement  encou- 
ragé le  poète  pendant  l'élaboration  de  la  tragédie;  il  Tavait  aide 
à  écarter  les  obstacles  ;  il  avait  écrit  deux  lettres  aux  directeurs 
du  théâtre,  pour  les  décider  à  faire  enfin  jouer  cette  pièce  qui, 
depuis  janvier  1737,  était  reçue  et  étudiée.  Il  lui  donna  une 
nouvelle  preuve  d'amitié  en  assistant  à  la  première  représen 
tation  '.  Thomson  avait  lieu  d'être  fier  d'une  pareille  faveur 
car  à  cette  époque  Pope  fuyait  les  occasions  de  se  montrer  er 
public.  A  son  entrée  dans  la  salle,  le  traducteur  d'Homère  fu 
salué  par  les  applaudissements  des  spectateurs. 

Quant  à  la  pièce,  Johnson  déclare  qu'elle  fut  écoutée  san 
plaisir  ',  et  il  raconte,  à  propos  de  l'attitude  de  l'auteur  pen 
dant  la  représentation,  deux  anecdotes  qui  se  sont  retrouvée 
depuis  dans  toutes  les  biographies.  L'auteur  devait,  après  1 
spectacle,  souper  avec  quelques  amis;  il  arriva  fort  en  relarc 
L'émotion  et  l'anxiété  l'avaient  mis  dans  un  tel  état  de  tran: 
piration  que  sa  perruque  en  avait  été  gravement  endommagé 
Il  avait  dû  la  faire  refriser  chez  le  perruquier.  Le  détail  para 
fort  exact;  il  est  donné  pas  Davies  ^  aussi  bien  que  par  Johnsoi 
et  s'accorde  avec  ce  que  nous  savons  de  la  coquetterie  ( 
Thomson  en  matière  de  perruques.  C'était  le  seul  article  de  i 
toilette  pour  lequel  il  montrât  quelque  sollicitude.  Il  avait  dei 
fournisseurs  :  Lauder  à  Richmond  et  Taylor  dans  Grave 
Street,  à  Londres;  et  chacun  d'eux  l'approvisionnait  de  modèl 
dilTéreiits  pour  les  diverses  circonstances.  L'employé  de  Laud 
qui  nous  a  transmis  ces  détails  dit  qu'il  a  vu  chez  son  maît 
jusqu'à  douze  perruques  appartenant  à  Thomson,  et  toutes 
grosses  que  nulle  autre  personne  n'aurait  pu  les  porter 

grâce  of  a  queen   were  ncver,  perliaps,  more    happily  set  oCT  than 
Mrs.  Porter.  »  {Dram.  Mi>cel.,  1,  p.  206.) 

1.  La  jeune  femme  de  Thoopliilu*)  Cibber  valait  surtout  par  le  naturel 
le  pathétique  de  son  jeu.  Qnin  disait  d'elle  k  Garrick  en  1744  au  Cifé 
Bedford  :  «  Never  tell  me,  Mr.  Garrick;  tlint  womnn  lias  a  hnart,  aud  can 
anylhin^  where  passion  is  required  ».  (Davirs,  Dram.  Miscel.,  I,  p.  21. 

2.  Sliicls,  CiBKEH*s  Lives, 

3.  K  It  was  endured  but  not  favoured.  »  {Life  of  Thomson.) 
i.  Life  of  Garrick,  t.  Il,  p.  33. 

5.  Le  comte  de  Buchan  reçut,  en  1791,  ces  révélations  d'un  nommé  W 
liam  Taylor,  ancien  emplové  de  Lauder  à  Richmond.  Hllles  ont  été  publia 
d'abord  dans  The  Weckiy  Entertainer^  journal  qui  paraissait  à  Sherbori 
dans  le  Dorselshire,  puis  dans  le  Table- Dook  de  llorie.  Voici,  dans  le  te 
même,  les  renseigncmeuts  de  ce  spécialiste  :  «  Thomson  always  worea  w 
and  was  very  extravagant  about  them.  I  hâve  seen  a  dozen  at  a  tii 


PROSPÉRITÉS   ET   REVERS.  125 

Voilà  qui  nous  explique  à  la  fois  redet  produit  par  la  double 
influence  de  rémotion  et  du  poids  de  la  coilTure,  et  le  désir 
de  l'auteur  de  soumettre  sa  coilTure  au  fer  de  Taylor,  dùt-il 
fiaire  attendre  ses  amis.  Cette  extravagance  à  propos  de  per- 
ruques nous  étonne  aujourd'hui.  Autre  temps,  autres  prodi- 
galités. C'était  là  que  Thomson  mettait  son  luxe  et  sa  vanité, 
comme  Goldsmith  les  placera  plus  tard  dans  ses  culottes  de 
salin  cramoisi  et  sa  roquelaure  écarlate  *.  Les  poètes  du 
xix*^  siècle  connaîtront  de  plus  ruineuses  extravagances. 

L'autre  anecdote  est  plus  sujette  à  caution.  L'auteur,  dit 
Johnson,  était  à  ce  point  excité  que,  de  la  galerie  où  il  avait 
pris  place,  il  ne  pouvait  s*empécher  d'accompagner  à  haute 
voix  L-s  acteurs,  jusqu'au  moment  où  un  avis  amical  Teut  rap- 
pelé à  la  réserve  qui  convenait.  Johnson  emprunte  le  détail, 
presque  avec  les  mêmes  termes,  à  la  biographie  de  Shiels  %• 
mais  là,  c'est  à  la  représentation  de  a  Sophonisbe  »  qu'il  est 
rapporté.  Il  faut  convenir  qu'il  y  gagne  en  vraisemblance.  En 
1738,  Tlîomson  ne  devait  plus  être  exposé  à  d*aussi  juvéniles 
angoisses,  et  nous  avons  peine  à  nous  le  figurer  assistant  à  la 
représentation  du  haut  du  a  paradis  ». 

Les  deux  biographes  sont  en  désaccord  plus  complet  au  sujet 
de  l'accueil  fait  à  1'  a  Agamemnon  ».  Johnson  dit  que  la  tra- 
gédie échoua.  Shiels  assure  que,  «  bien  que  jouée  seulementen 
•^vril,elle  fut  représentée  pendant  plusieurs  soirées  de  suite, 
•  au  milieu  des  applaudissements*  ».  La  vérité  sans  doute  nous 
est  donnée  par  l'opinion  intermédiaire  de  T.  Davies.  Le  public. 


>i3nRin{(  up  in  my  mAster's  shop,  and  ail  of  them  so  big  Ihat  nohody 
c'»e  would  wear  them.  I  suppose  his  sweatiii^ç  to  ^uch  a  degree  made  liim 
^•^e  go  many,  for  I  hâve  known  him  spoil  a  new  one  oniy  in  wulking 
from  London....  Lauder  mnde  his  majors  aid  hobs,  and  a  person  of  Ihe 
Wme  of  Taylor,  in  Cravcn-Slreet  in  ihe  Slrand,  made  his  tie-wigs.  An 
®x<'ellcnl  ciistomer  he  wa»  to  bolh.  » 

^'  KoHSTBH*s  Goldsmith^  B.  III,  ciiapt.  ix. 

^*  '  Al  the  Orst  performance  (of  Sophouisbn)  he  placed  himscif  in  ihe 
"ppep-^llery  to  sce  withoul  bcing  knowii;  but  could  nol  help  rcpeating 
j|**î  parts  with  the  players  and  would  somctimes  whisper  to  himscif: 
^ow  sm!h  a  scène  is  to  opcn.  »  (Shiels,  Cibrer^s  Livet.) 

1^"  ivste  Johnson  n'est  pas  très  afnrmnlif.  «  If  I  remember  right...  -, 
P'^'il,  avant  de  coûter  l'anecdote,  et,  de  fait,  il  ne  se  souvenait  pas  tou- 
J®"»"»  cxacfcment. 

.^  •  Though  not  brnught  on  the  stage  till  the  monlh  of  April,  it  con- 
tinued  to  be  acted  with  applause  for  several  nighls.  •  (Shiels,  Cibber's 


126  JAMES  THOMSON. 

selon  lui,  ne  prit  pas  grand  plaisir  à  Faction  du  drame,  mais 
accueillit  par  de  vifs  applaudissements  les  allusions  politiqu 
prodiguées  dans  la  pièce  *. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la  tragédie  tint  raffiche  ass 
longtemps  pour  que  Tauteur  pût  bénéficier  des  trois  représe 
tations  dont  le  produit  lui  revenait  de  droit  :  la  3',  la  G"^  et 
{)•.  Elle  se  jouait  encore  le  24  avril*.  Le  prince  de  Galles  doni 
au  poète  une  marque  particulière  d'intérêt  :  ce  fut  sur  s( 
ordre  que  la  1°  représentation  eut  lieu.  Peu  de  semaines  aprc 
deux  éditions  de  la  pièce  avaient  paru.  La  première,  inscri 
par  Woodfall  à  la  date  du  24  avril^  étail  tirée  à  3000  exen 
plaires,  plus  100  exemplaires  de  luxe  ;  la  deuxième,  quatre  jou 
plus  tard,  à  1500  exemplaires.  On  comprend  que  Murdoch  ; 
pu  dire  qu'  c  Agamemnon  »  rapporta  à  l'auteur  une  gros 
somme. 

Le  prologue,  prononcé  par  Quin,  avait  été  écrit  par  Maliel 
Il  contenait,  à  la  fin,  l'expression  de  quelques  vagues  seni 
ments  politiques  et  une  allusion  fort  inotîensive  à  la  censui 
La  censure  se  vengea  en  exigeant  la  suppression  des  demie 
vers  *. 

L'épilogue  imprimé  ne  porte  pas  de  nom  d'auteur;  il  ( 
donc  probablement  de  la  main  de  Thomson.  Il  n'est  pas  ser 

1.  Davies  cite  comme  exemple  de  ces  allusions  les  vers  suivants  : 

•  —  But  thft  most  fruiiriil  source 

Of  every  evil  —  0  thaï  1  in  thunder 

Could  Sound  il  o'er  the  list'ning  world  to  king.**, 

Is  delegating  power  to  wickcd  bands.  » 

{Life  of  Gni-rick,  vol.  II,  p.  32.) 
2:  Voir  plus  bas,  n.  i. 

.'<.  -  By  Ihe  aulhor  of  Eurydice  »,  dit  l'édition. 

4.  Après  avoir  affirmé   les  intentions   hautement  morales  de  l'aiil 

d*  «  Agamemnon  »,  le  prologue  disait  : 

t 

•  As  such  our  fair  nltempt,  we  hope  to  see 

Our  judges  —  hère  al  Icast  —  from  influence  free; 
One  place, —  unbiass'd  yet  by  party-rage,  — 
Wliere  only  honour  votes,  —  the  Brilisli  stage. 
We  ask  for  justice,  for  indulgence  sue  : 
Our  lasl  best  licenrc  musl  proceed  from  you.  • 

Le  London  Oaibj  Post  du  24  avril  IT^H  contenait  la  note  suivaD 
signalée  par  P.  Cunningham  (Percy  Sociely)  :  -  To-morro\v  morning, 
9  o'clock,  will  be  pnblishod,  price  1  s.  6  d.,  Agamemnon,  a  tragedy,  as 
is  uow  acting  M'ith  greal  applanse,  elc.  • 

•  .V.  U.  Thj  lines  in  i\w  prologue  not  ailowod  by  the  liccnser  to  be  spoli 
are  priutcd  and  distinguished  by  inverted  connnas.  » 


PROSPÉRITÉS  ET  REVERS.  137 

blable  à  celui  qui  fut  dit,  à  la  première  représentation,  par 
Mrs.  Cibber.  L'auditoire  ayant,  de  ce  premier  épilogue,  approuvé 
les  six  vers  du  début  et  blâmé  ce  qui  suivait,  le  début  seul  fut 
conservé.  Dix-huit  vers  nouveaux  remplacèrent  ceux  qui 
avaient  été  condamnés.  Le  public  y  est  félicité  de  sa  sévérité; 
le  poète  se  déclare  heureux  de  ce  réveil  du  goût;  cette  condam- 
nation est  pour  lui  un  triomphe;  ces  sifflets  l'ont  enchanté  *. 
Voilà  un  assez  obscur  amphigouri.  —  On  a  supposé  que  les 
vers  désapprouvés  renfermaient  quelques-unes  de  ces  plaisan- 
teries inconvenantes  dont  le  théâtre  faisait,  depuis  la  Restaura- 
tion, l'ordinaire  assaisonnement  des  épilogues.  Mais  ici  une 
pareille  pratique  aurait  été  en  singulier  désaccord  avec  les  ver- 
tueuses professions  de  foi  du  prologue.  Nous  n'en  pouvons 
donc  attribuer  la  responsabilité  à  Thomson  ni  à  Mallet.  Peut- 
être  les  acteurs  eux-mêmes  ont-ils  cru  devoir  se  conformer  à 
l'usage,  et  servir  au  public  quelques  distractions  moins  aus- 
tères que  les  tragiques  émotions  d'  a  Agamemnon  ».  Les  répu- 
gnances du  poète  n'étaient  pas  pour  les  arrêter.  Les  rapports 
de  Thomson  avec  la  troupe  de  Drury-Lane  (Quin  excepté) 
n'étaient  pas  des  meilleurs  '.  Cibber  pourrait  donc  bien  être 
l'auteur  de  ce  premier  épilogue  qui  semblait,  de  parti  pris, 
opposer  aux  opinions  de  Thomson  la  coutume  du  théâtre,  et 
appeler  le  public  à  décider.  Le  jugement  prononcé  donnait 
gain  de  cause  à  l'auteur,  et  l'on  comprend  alors  que  celui-ci, 
i^prenant  la  plume  pour  remplacer  le  malencontreux  épilogue, 
^  soit  félicité  d'un  échec  qui  était  pour  lui-même  un  succès  '. 

*•  •  Thus  he  began  —  and  yon  approv'd  Ihe  straio; 

Till  Uie  next  couplet  sunk  to  light  and  vain. 
You  check'd  hiin  there.  — To  you,  to  reason  jiist, 
He  owns  he.  triamph*d  in  your  kind  dis^usl. 
Cliarm'd  by  your  frown,  by  your  displeasure  graced. 
He  hails  the  rising  virtue  of  your  lasle.  - 

*•  Voir  plus  loin,  p.  !28,  n.  3. 

'^-  •  Dur  bard,  to  modem  épilogue  a  foe, 

Thinks  such  mean  mirlh  hul  deadens  generous  woe.  • 

Ainsi  commence  le  deuxième  épilogue.  On  reconnaît  ici  les  idées  fami- 
''^'■«s  à  Thomson  etàHIlL  idées  auxquelles  l'inHuence  de  Voltaire  ifestsans 
aoute  pas  étrangère.  La  nouvelle  école  tragique,  se  fondant  sur  l'exemple 
"'^ '«  scène  française,  avait,  depuis  Addison  jusqu  a  Thomson  et  Yuung, 
^''^ssé  le  comique  du  drame  tragique.  C'était  par  une  conséquence  toute 
•^^lurelle  des  mêmes  idées,  que  l'auteur  tï Agamemnon  voulait  le  faire 
^'sparaltre  aussi  de  ces  appendices  que  l'iisa^îc  ajoutait  aux  tragédies. 
'  ^^  Mit,  dit  Lessing,  combien  Thomsou  s'eat  révolté  contre  cet  usage 


128  JAMES  TQOMSON. 


II 


Dès  avant  la  représentation  d*Âgamemnon,  Thomson  aval 
sur  le  métier  une  nouvelle  tragédie.  Le  sujet  lui  en  avait  et 
proposé  par  Mrs.  Sandys,  Tamie  de  Rundle.  Il  en  avait  arrêt 
toute  la  division  en  actes  et  en  scènes,  mais  en  avait  remis 
plus  tard  *  Tachèvement.  C'était  ce  même  drame  d' a  Edouard  < 
Èléonore  d  dont  Pope  parle  dans  une  lettre  à  HilU  du  8  décembi 
1738  *.  Deux  actes  seulement  en  étaient  écrits  à  ce  momen 
Une  autre  lettre  de  Pope,  à  la  date  du  12  février  1739,  noi 
apprend  que  la  pièce  est  complétée;  mais  que  le  poète,  méco 
tent  des  procédés  du  directeur  de  Drury-Lane,  s'est  décidé 
porter  sa  tragédie  à  Covent-Garden.  Les  rôles  de  femmes 
trouveraient  de  meilleures  interprètes,  et  c'est  d'elles  qi 
dépendra  le  succès  de  la  pièce  '. 

En  attendant  la  représentation  et  la  publication  d' a  Edouard 
les  annonces  des  éditeurs  mentionnent,  pendant  cette  ann 
1738,  quelques  autres  publications  portant  le  nom  de  Thomso 
Le  6  juin,  Woodfall  achevait  d'imprimer  pour  Millar  une  éc 


de  secouer  los  grelots  de  la  folie  derrière  les  pas  de  Melpomëne.  •  {D. 
maturgie  de  Hambourg^  tradiict.  de  Suckau,  p.  38.) 

Sur  le»  uiânions  exprimées  par  Lessing  sur  Voltaire  et  sur  Tlioms* 
voir  h  la  fin  de  cet  ouvrage.  Appendice  1. 

4.  •  My  Triend  Thomson,  ihe  poel,  is  bringing  another  untow^ 
heroine  on  the  >tage,  and  lias  dererred  writing  on  the  subjecl  you  ch« 
for  liim,  Ihoiigh  hc  ha<i  the  whole  scheme  drawn  into  acts  and  scènes 
His  présent  story  is  Agamemnon...  Perhnps  Ihe  dclicacy  of  the  snbjf 
and  tlie  jiidgmcnt  reqiiired  in  saying  buUi  truths,  Vhose  boldness  sho 
nol  mako  them  deucnerate  into  oITensiveness,  dtiterred  him....  •»  (Run 
h  Mrs.  S.iQ.lys,  lettre  XXVII,  p.  189.) 

2.  •  I  hâve  been  coufirmed  by  Mr.  Thomson  as  to  the  retardmcnt  of 
play,  of  which  he  has  wrillcn  but  Iwo  acts....  »  —  Hill  écrivait  à  Ma. 
le  9  décembre  :  «  ....  Uavlni;  lieard  tbat  ncithcr  yours  nor  Mr.  Thom^c 
were  cxpeclcd  to  be  ready  lill  toward  Ihe  end  of  the  season,  1  propo 
thatCœ^r  shniibl  be  brought  on  in  January.  »  (I1ill*s  Works,  vol.  Il,  p.  ' 

3.  -  Mr.  Thomson,  aftor  many  shamcful  tricks  from  the  manager 
determinod  to  a'H  his  play  at  the  olher  théâtre  where  the  advanlage 
ns    to  tho   women,  and  the  success  of  his   will  dépend  upon  them..* 
(Pope  à  Hiil.) 

Et  de  mcnic  Hill,  dans  sa  réponse  :  «  If  Mr.  Thomson's  new  Trngedy 
to  dépend  on  h'S  women  perrormers,  he  has  cerlninly  judued  \vA\  in  > 
choice  of  the  C«>veDl-Garden  théâtre.  »  (Hili/s  Works,  vol.  Il,  p.  67.) 

Sir  Harris  Nicholas  rapporte  la  mention  des  lettres  de  Pope  à  la  tragéi 


PROSPÉRITÉS   ET   REVERS.  1^9 

tion  (les  (Kuvres  '  qui  ajoute  au  contenu  de  l'édition  de  ilM)  la 
tragédie  d'  «  A*^'aniernnon  ».  CVest  du  reste  la  seule  dilTérence. 
Le  nombre  de  vers  des  a  Saisons  »  reste  le  même  que  dans  les 
éditions  de  17:30  *. 

Millar  publiait  encore  cette  année  une  édition  de  1'  «  Areopa- 
gitica»  de  Milton,  avec  une  préface  de  six  pajj;es,  d'un  autre 
auteur  ^  Cet  autre  auteur  était  Thomson  \  11  dut  éprouver  une 
\ive  satisfaction  à  s'associer  ainsi  à  l'hommage  rendu  au  grand 
Milton,  le  maître  à  l'école  duquel  s'est  formé  son  génie,  et 
l'éloquent  avocat  de  ces  doctrines  libérales  auxquelles  l'auteur 
i^Libertij  était  profondément  dévoué. 

On  a  relevé  dans  les  correspondances  -de  quelques  hommes 
de  lettres  de  cette  époque  deux  mentions  de  Thomson  qui  nous 
apportent  quelques  renseignements  sur  ses  amitiés,  sur  ses 
occupations,  sur  son  genre  de  vie.  Cave,  le  directeur  du  Gentle- 
wwn's  Magazine,  envoyait  le  12  août  1738  ce  court  billet  au 
Dr.  Birch  *  :  «  Le  jour  fixé  reste  mardi.  Je  crois  que  nous  visi- 

^'Agamemnon  (Biographie  de  rAIdine  édition^.  Cesi  une  inadvertance 
usez  singulière,  puisque  les  dates  qu'il  cite  lui-môme  les  placent  plusieurs 
iDois  après  la  représentation  de  cette  tragédie. 

*•  Le  format  est  in-8  comme  celui  de  la  2*  êdit.  (1730),  et  celui  du  2*  vol., 
qui  forme  l'édition  de  1136.  De  l'édition  de  1738,  Woodfall  imprima 
^  ^00  exemplaires  du  premier  volume,  et  1  500  du  deuxième. 

^'  Dans  ces  deux  éditions  la  seule  dilTérence  porte  sur  une  addition  de 
^▼ers  que,  dans  1'  •  Hiver  •,  l'édition  in-8  ajoute  au  texte  de  rin-4.  C'est  le 
^«ffre  de  l'in-S,  187,  que  donne  pour  cette  •  saison  •  l'édition  de  1138. 

3*  •  Âreopagitica,  a  Speech  of  Mr.  John  Milton,  for  the  liberty  of  unli- 
cens'd  Printing,  to  the  Parliameotof  England.  First  published  in  the  year 
'SU.  With  a  Préface  by  anolher  Hand.  • 

1*008  les  biographes  qui  mentionnent]  cette  publication  :  sir  Harris 
^'cholas,  Rob.  Bell,  Mr.  Logie  Robertson  la  rapportent  à  l'année  1740. 
C'est  une  erreur,  comme  le  prouve  le  titre  de  la  brochure.  Voir  notre 
bibliographie. 

^'  Nous  ne  voyons  pas  que  Thomson  l'ait  reconnu  de  son  vivant,  mais 
^tte  attribution,  outre  les  preuves  intrinsèques,  est  établie  par  le  titre 
suivant  d'une  publication  postérieure  : 

*  Substance  of  the  speech  of  the  Rev.  Mr.  Walker,  at  the  gênerai  Meet- 
'°S  of  the  County  of  Nottingham  held  at  Mansfield  on  Monday  the  28^^ 
^^  Pebruary  1180,  to  which  is  added  Mr.  Thomson's  Préface  to  a  speech 
®'Mr.  John  Milton,  for  the  liberty  of  unliccnsed  printing,  etc.  • 

''Printed  and  distributed  gratis  by  the  Society  for  Constitutional  Infor- 
'«'alion.  MDCCLXXX.  • 

S-  Cave  était  le  fils  d'un  savetier.  Il  devint  libraire,  et  célèbre  pour  deux 
^sons.  Il  a  créé  le  Gentleman's  Magazine^  et  il  fut  à  la  fois  réJiteurJde 
Mnton  et  son  aini,  comme  Millar  l'était  de  Thomson. 

Thomas  Birch,  d'une  famille  de  quakers,  devint  ministre  a  iglicin.  11 
Pistait  Gare  dans  la  publication  du  Gentkman's  Magazine \  il  a  lii<sé  de 

9 


130  JAMES   THOMSON. 

«  loroiis  nianMiiont,  (;l  que  nous  reviendrons  dîner  à  Piiclirnond. 
((  Ferais-je  bien  de  prévenir  Mr.  Thomson  que  nous  serons  à 
a  telle  auberge  de  Uiclimond  vers  midi,  son  heure  habituelle  de 
<(  lever?  *  »  Notre  poète,  en  elTet,  s'est  de  plus  en  plus  abandonné 
à  une  indolence  qu'il  décorait  volontiers  du  nom  de  rêverie 
philosophique  ou  poétique.  Il   est  devenu  physiquement  et 
moralement  très  différent  du  jeune  Écossais  énergique  et  dur  à 
la  fatigue  que  nous  avons  connu.  La  note  de  Cave  s'ajoute  à 
Tanecdole  de  la  perruque  pour  constater  cet  alourdissemeat. 
Rien  de  plus  significatif  à  cet  égard  qu'une  comparaison  des 
deux  portraits  de  l'édition  de  1762.  Le  Thomson  qu'a  peint 
Aikman  en  1725,  jeune,  bien  découplé,  de  physionomie  éveillée 
et  d'agréable  visage  se  retrouve  à  peine  dans  les  traits  épaissis 
de  ce  personnage  à  double  menton  que  représente  le  portrait 
de  Kent;  les  yeux  seuls  y  rappellent  le  Thomson  des  jeunes 
années.  La  paix  et  le  loisir  de  Richmond  et  les  grasses  matinées 
n'ont  pas  peu  contribué  à  cette  transformation. 

Le  mois  suivant  Richard  Savage  écrivait  à  ce  même  Dr.  Bircl'^  * 
«  . .  .J'espère  que  vous  ne  vous  désappointerez  pas.  Le  Dr.  Arnns- 
a  trong,  Mr.  Thomson  et  moi  devons  être  de  la  partie  *.  »    I^ 

nombreux  ouvrages  de  littérature  et  d'histoire,  et  fut,  de  1752  à  17^5, 
secrétaire  de  la  Société  Royale.  C'est  de  lui  que  Johnson  disait  :  •  He  ti^^ 
more  anecdotes  than  any  man  »,  mais  dont  le  grand  critique  apprécia-'^ 
moins  les  écrits  :  «  Tom  BircU  is  as  brisk  as  a  bee  in  conversation,  but 
DO  sooncr  does  hc  takc  a  pen  in  his  hand,  than  it  becomes  a  torpédo  to 
him  and  bcnunibs  ail  his  faculties  •.  (Boswbll's  Johnson,  chap.  iv,  anoé^ 
1143.) 

L'opinion  d'Horace  Walpole  était  encore  plus  sévère  :  «  A  worthygood, 
natured  soûl,  fui!  of  indiistry  and  aclivity,  and  running  about  like  s 
young  dog  in  quest  of  anvthing  new  or  old,  and  with  no  parts,  taste  or 
judgment  ». 

De  nombreuses  lettres  échangées  par  lui  avec  divers  personnages  figu- 
rent dans  les  Anecdotes  Littéraires  de  Nichols,  vol.  I,  p.  585,  637,  —H, 
507,  —  III,  258,  —  V,  40,  43,  53,  282,  290. 

1.  «  We  still  agrée  on  Tuesday,  and  I  think  we  shall  see  Claremonl,... 
and  thcn  corne  to  dîne  to  Richmond.  Had  I  best  scnd  Mr.  Thomson  word 
that  we  shall  be  at  such  an  inn  at  Richmond  by  noon,  his  hour  of  rising?  » 

Cette  information  de  Cave  est  confirmée  par  Robertson,  voisin  et  ami 
de  noire  poète,  dans  sa  conversation  avec  .Mr.  Park  :  «  I  hear  he  kept 
very  late  hours?  •  —  «  No,  sir  —  very  early.  He  was  always  up  at  sunri.se, 
but  then  be  had  never  bcen  in  bcd.  •  —  On  comprend  alors  que  Cave  et 
ses  autres  visiteurs  pussent  le  trouver  au  lit  à  midi. 

2 I  beg  you  will  not  disappoint  us.  Dr.  Armstrong  and  .Mr.  Thomson 

and  myself  will  be  of  Ihc  party....  »  (Lettre  de  Savage  au  Dr.  Birch,  sep- 
tembre 1738.)  Elle  est  citée  par  P.  Cunningham,  Percy  Society,  voL  IX. 
Poem  to  the  Memory  of  Congreve;  elle  est  par  lui  extraite  des  volumineux 


PROSPÉRITÉS  ET  REVERS.  131 

s'agissait  d'aller  à  Chiswick  visiter  la  maison  et  les  jardins  du 
comte  de  Burlington. 

Tel  qu'il  était,  en  dépit  de  cette  nonchalance  qui  s'aggrave 
chaque  jour,  notre  poète  continuait  à  plaire  à  nombre  de  gens. 
Il  conservait  ses  vieux  amis;  sans  en  excepter,  nous  le  voyons, 
cet  incorrigible  bohème,  Dick  Savage.  Il  en  faisait  aussi  de 
nouveaux  et  non  seulement  dans  le  monde  des  lettres,  mais 
dans  la  haute  société  politique  et  dans  l'aristocratie.  George,  le 
futur  lord  Lyttelton,  dont  nous  avons  rencontré  le  nom  dans 
la  correspondance  de  Thomson  en  17.'Î5  *,  va  se  montrer,  pen- 
dant les  dix  dernières  années  de  la  vie  du  poète,  son  ami  le 
plus  affectueux  et  le  plus  dévoué.  C'est  à  l'année  1738  que  Phil- 
limore,  le  biographe  de  Lyttelton,  fait  remonter  cette  amitié. 
Toutes  les  «  vies  de  Thomson  »,  il  est  vrai,  reproduisent  la 
date  fournie  par  Johnson,  1737  V  Ce  qui  est  au  moins  cer- 
tain, c'est  que  l'intérêt  du  prince  de  Galles  se  manifesta  sous 
la  forme  de  substantielles  faveurs,  peu  après  que  Lyttelton  fut 
devenu  secrétaire  de  Frédéric  '.  Bientôt  même  le  nouveau 
secrétaire  présenta  au  prince  le  poète  patriote  qui  lui  avait 
dédié  Liberty^  et  Frédéric  accorda  à  l'écrivain  une  pension 
annuelle  de  cent  livres  *.  Si  modeste  que  fût  la  somme,  elle 
venait  fort  à  propos  assurera  Thomson  des  ressources  moins 
incertaines  que  les  gains  de  sa  plume.  Johnson  et  les  bio- 
^phes  qui  l'ont  suivi,  rapportent  à  cette  entrevue  une  repartie 
spirituelle  qui  aurait  déterminé  l'acte  de  générosité  du  prince. 
Interrogé  sur  sa  situation  de  fortune,  l'écrivain  aurait  répondu 
que  ses  affaires  étaient  a  dans  un  état  plus  que  jamais  poé- 
tique »  •.  Le  mot  était  joli,  et  n'est  pas  invraisemblable,  bien 
que  la  conversation  de  James  nous  apparaisse  d'ordinaire 

manuscrits  laissés  par  Birch  et  qui  se  trouvent  à  la  bibliothèque  du  Brit- 
ish  Muséum  (Birch  MSS,  4318,  art.  46.) 

1.  Voir  p.  106,  n.  2. 

2.  •  Thomsan  had  published  the  earliest  éditions  of  the  Seasons,  Aga- 
memnon,  Sophonisba  and  Liberty  before  he  was  acquaiuded  with 
Mr.  Lyttelton.  »  (Phillimore's  Memoir  of  Lord  Lytlelton^  vol.  1,  p.  285.) 

3.  En  1137,  quand  Pelbam  eut  renoncé  à  ce  poste. 

4.  On  voit  souvent  associer  les  noms  de  Thomson,  Mallet  et  West 
comme  ayant  été  en  môme  temps,  et  sur  la  recommandation  de  Lyttelton, 
l'objet  de  pareilles  faveurs.  En  réalité,  Thomson  jouispail  d'une  pension, 
Undis  que  Mallet  reçut  plus  tard  (Phillimoro  dit  en  1742  [vol.  1,  p.  113])  le 
poste  de  secrétaire  adjoint  avec  des  appointements  de  deux  cents  livres. 

5.  •   In   a   more  poetical  posture   then  formerly.  •   (Johnson,    Ufe  of 
Thomson.) 


132  JAMES  THOMSON. 

comme  marquée  par  une  lente  et  négligente  bonhomie  pluW 
que  par  de  brillantes  ripostes.  Mais  nous  devons  noter  qu 
Phillimore  donne  positivement  le  mot  comme  ayant  été  adresj 
à  Lyttelton  \  et  non  pas  à  l'imposant  personnage  qu'était  l'hi 
ritier  du  trône. 

Le  poète  ne  pouvait  faire  moins,  pour  reconnaître  la  libt 
ralité  de  Frédéric,  que  d'introduire  dans  l'œuvre  qu'il  élabc 
rait  à  ce  moment  des  allusions  ilatteuses.  Le  sujet  y  prêtait 
le  héros,  dans  a  Edouard  et  Éléonore  »,  est  l'héritier  pré 
somptif  de  la  couronne  d'Angleterre;  son  avènement  au  trôr 
est  ardemment  souliailé  par  la  nation  ;  le  prince  a  pour  ennem 
les  conseillers  incapables  ou  perfides  du  vieux  roi.  L'applicatic 
de  cette  situation  au  temps  présent  était  trop  facile  :  dans  so 
désir  de  faire  sa  cour  à  Frédéric,  Thomson  dépassa  la  mesur 
Aussi  ne  pouvons-nous  èlre  surpris  que  la  représentation  c 
la  pièce  ait  été  interdite.  Une  loi  de  1737  soumettait  les  œuvn 
dramatiques  à  une  censure  préalable*.  Le  gouvernement,  qi 
avait  déjà  fait  usage  de  cette  arme  ',  s'en  servit,  une  seconc 
fois,  contre  le  protégé  du  prince  de  Galles.  Johnson  et  Mui 
doch  s'étonnent  de  cette  rigueur.  Il  est  cependant  diffici 
d'imaginer  un  cas  où  elle  eût  pu  être  mieux  justifiée.  Les  pai 
sages  que  le  poète  comptait  faire  applaudir  au  public  n'étaiei 
pas  seulement  des  tirades  pleines  de  l'éloge  de  Frédéric 
c'étaient  aussi  des  attaques  directes  et  violentes  contre  li 
ministres  et  contre  la  politique  de  la  cour  *. 

Le  coup  dut  être  désagréablement  ressenti  par  le  poète  q_ 
comptait  sur  le  prolit  de  la  représentation.  Il  chercha,  c 
Johnson,  une  compensation  en  publiant  par  souscription 

1.  Phillimore's  Memoir  of  Lyttelton,  p.  2X3-287.  Au  lieu  de  «  poslur*: 
le  texte  donné  par  Pliillimore  dit  •  state  ».  La  substitution  du  prenn 
de  ces  muls  au  second  serait  bien  danf%  le  goût  de  Johnson. 

2.  Le  «  Sta^'e  act  »  fut  provoqué,  dit  Murdoch,  par  certaines  pasquinaL< 
dont  le  ministère  avait  eu  à  soulTrir. 

3.  Pour  interdire  une  tragédie  de  Brooke,  Gustavus  Vasa. 

4.  On  en  jugera  par  ces  deux  échantillons  : 

Tis  a  inuch  more  pious  oHice, 
To  save  your  falher's  old  and  broken  years, 
His  mild  and  easy  temper,  frora  the  snares 
Of  low,  corrupt,  insinuating  traitors. 

Uas«  not  the  Royal  hcir  ajuster  claim 
To  share  his  father's  inmost  heart  and  counsels 
Than  aliens  to  his  inlerest,  those,  who  make 
A  property,  a  markct  of  his  honour? 


PROSPÉRITÉS  ET   REVERS.  133 

» 

texte  de  sa  tragédie.  C'est  ainsi  qu'avait  procédé  Brooke,  et 
cette  première  victime  du  a  Stage  act  »  avait  exploité  sa  mésa- 
yenture  en  lui  faisant  produire  mille  livres*.  Mais,  bien  que 
les  deux  pièces  fussent  écrites  sous  une  même  inspiration  et 
s'attaquassent  aux  mêmes  adversaires,  celle  de  Thomson  ne 
rencontra  pas  la  même  faveur  ni  les  mêmes  encouragements. 
Il  est  probable  que  l'effet  à  tirer  de  la  persécution  avait  été 
épuisé  par  le  premier  martyre. 

La  pièce  imprimée  était  dédiée  à  la  princesse  de  Galles, 
dans  des  termes  qui  soulignaient  nettement  l'intention  du 
poète  de    rapporter   au   temps    présent   bon    nombre    des 
réflexions  émises  par  les  personnages.  Le  Prologue  et  l'Épi- 
logue sont  écrits  par  «  un  ami  ».  Le  prologue  est  de  ton 
sérieux,  conformément  aux  principes  de  Thomson.  Au  con- 
traire l'épilogue,  assez  lestement  tourné  du  reste,  revient  au 
genre  badin  que  le  poète  avait  paru  blâmer,  à  l'occasion  de 
^'^gamemnon,   V   a   ami    »   devait  être    Mallet,  qui    avait 
''endu  déjà  de  semblables  services  à  Thomson,  et  pour  qui 
^lui-ci  venait  d'écrire,  peu  de  mois  auparavant,  le  prologue 
^6  Mustapha  *.  Le  volume,  de  format  in-8,  était  imprimé 
pour  l'auteur,  et  vendu  par  Millar.  L'épigraphe  de  la  page  du 
^'tre  prenait  soin  d'établir  que  le  public,  aussi  bien  que  le 
poète,  était  volé. par  la  décision  du  censeur.  Cette  ingénieuse 
^aptation  d'un  vers  de  Phèdre  n'eut  pas  raison  de  la  froideur 
<iu  public'. 

1-  Grâce  auxquelles  il  alla  s'établir  à  Twickenham  dans  une  maison 
Pi'oche  de  celle  de  Pope.  11  est  en  conséquence  probable  qu'il  se  lia  avec 
^bomson,  son  voisin,  son  coreligionnaire  politique  et  son  compagnon  de 
Persécution. 

1  Joué  à  Drury-Lane  le  13  février  1739,  avec  un  assez  vif  succès.  Dans 
^e  prologue,  Thomson  développe  son  thème  favori  de  l'influence  morali- 
^Irice  du  théâtre. 

3.  «  Edward  and  Eleonora,  a  Tragedy.  As  it  was  to  hâve  been  acted  at 
^bc  Thcatre-Royal  in  Covent-Garden  by  Mr.  Thomson. 

«  Suspicione  si  quis  errabit  sua, 

Et  rapiet  ad  se  quod  crit  commune  omnium, 

Stulte  nudabit  animi  conscientiam. 

{Phsedrus,) 

London.  Printed  for  the  author;  and  sold  by  A.  Millar,  etc.  MDCCXXXIX.  • 
Nous  pouvons  supposer  cependant  que  la  vente  fut  plus  satisfaisante 
^ue  ne  le  ferait  supposer  le   récit  des  biographes,  car  la  môme  année 
noe  édition,  de  format  in-12,  était  imprimée  à  Dublin  (voir  notre  biblio- 
graphie). 
Une  autre  édition  parut  à  Dublin,  éditée  par  G.  Risk,  en  1751. 


434  JAMES  THOMSON. 

A  cette  interdiction  d*  a  Edouard  et  Éléonore  ii>  *  se  rattacl 
une  anecdote  bien  connue  qui  mérite  de  figurer  dans  un  cl 
chapitres  gais  de  l'histoire  de  la  censure.  Mr.  Paterson,  i 
ami  de  Thomson  que  nous  retrouverons  plus  tard,  rend 
au  poète  le  service  de  recopier  ses  manuscrits.  Lui-mèi 
avait  des  prétentions  au  talent  dramatique,  et  il  présents 
l'examen  de  la  censure  une  tragédie  d'Armi7iius.  Mais 
lecteur  n'eut  pas  plutôt  reconnu  l'écriture  du  manusc 
d'  e  Edouard  et  Éléonore  n  que,  croyant  avoir  affaire  à  u 
nouvelle  œuvre  de  Tliomson,  il  s'écria  :  a  Emportez-moi  cela, 
et,  de  confiance,  refusa  la  permission  de  jouer  *. 

Les  écrivains  ministériels  apportaient  parfois  de  la  gaiLé 
défaut  d'esprit,  dans  leur  défense  de  l'administration  et 
cette  censure  dont  les  foudres  suivaient  des  voies  si  cap: 
cieuses,  Johnson  dit  qu'en  réponse  aux  protestations  du  pubJ 
contre  la  mesure  qui  avait  atteint  l'auteur  d'  a  Edouard  »,  c 
fit  courir  ce  mot  :  «  Mi'.  Thomson  a  pris  une  Liberté  qui  n'^ 
<i  agréable  à  Britannia  dans  aucune  Saison  ^  d. 

Cette  tragédie  redoutable  aux  puissances  était  la  troisicii: 
œuvre  dramatique  du  poète.  Aussi  le  voyons-nous  trail 
comme  un  des  maîtres,  ou  au  moins  comme  un  des  ouvrier 
experts,  de  la  scène  de  ce  temps.  Savage  que  le  zèle  de  s( 
amis,  et  en  particulier  de  Pope,  avait  expédié  en  provinc( 
loin  du  théâtre  de  ses  sottises  et  de  ses  misères,  voulait  reven 
de  Bristol  ou  de  Swansea  à  Londres  pour  y  faire  jouer  ur 
tragédie  écrite  dans  son  salutaire  exil.  Pope  s'efforce  de 
dissuader  de  ce  retour,  et  lui  conseille  plutôt  d'envoyer  se 


1.  La  pièce,  du  reste,  a  élé  plus  lard  jouce  cl  rejouée.  Le  texte  en  avait, 
est  vrai,  été  reiuunié  par  un  certain  Thomas  Huit,  qui  publia,  en  1775, 
version  amendée  en  la  faisant  précéder  de  ces  observations  :  «  Miss  Bar 
hinted  a  wisli  to  restore  this  play  :  a  désire  to  oblige  this  excelle 
actress....  as  well  as  an  ardour  to  be  thc  means  of  producing  to  an  audieu 
another  work  of  our  amiable  and  élégant  Thomson,  induced  the  prest 
Editor  to  undertake  an  altération.  Thc  omission  of  too  prolix  passai 
reudcred  somc  additions  indispensably  neccssary.  » 

C'est  ce  texte  retouché  qui  ligure  dans  VEdward  and  Eleonora  • 
BritM  Théâtre  da  Bell,  1797,  vol.  XXU. 

2.  L*anccdote  est  donnée  par  Murdoch,  ce  qui  lui  confère  quelq 
caractère  d'authenticité. 

Paterson  publia  lui  aussi  sa  tragédie,  et  la  dédia  au  duc  de  Cumbe 
land. 

3.  «  Mr.  Thomson  had  takeu  a  Liberty  which  was  not  agreeable  to  Britann 
in  any  Season,  • 


PROSPÉRITÉS   ET   REVEKS.  133 

manuscrit  à  Mr.  Thoiuson  ou  à  Mr.  Mallet  qui  se  chargeront 
de  mettre  le  travail  au  point  pour  la  scène  *. 

C'est  encore  une  œuvre  dramatique  qui  marque  la  prochaine 
contribution  de  notre  poète  aux  lettres  anglaises.  Le  1"  août 
1710,  le  prince  de  Galles  donnait  une  fête,  à  sa  magnifique 
résidence  de  Ciifîden  %  pour  célébrera  la  fois  Tanniversaire 
de  l'avènement  du  roi  George  P%  et  celui  de  la  naissance  de  sa 
propre  fille,  la  princesse  Augusta^.  Le  prince  était  grand  ama- 
teur de  théâtre  *.  Il  commanda  à  ses  poètes,  Thomson  et  Mallet, 
'in  drame  pour  la  circonstance.  Un  théâtre  avait  été  dressé  dans 
le  jardin,  et  toute  la  charpente  en  disparaissait  sous  les  plantes 
et  les  guirlandes  de  fleurs.  On  y  joua  quelques  scènes  des  pan- 
tomimes de  Rich  et  deux  masques  :  a  Le  Jugement  de  Paris  », 
et  f  Alfred  ».  Ce  dernier  était  Tœuvre  due  à  la  collaboration 
des  deux  poètes.   Ils  avaient  fait  en  sorte  d'y  ménager  les 
occasions  d  allusions  flatteuses  et  de  courtisanesques  compli- 
ments au  prince  et  à  sa  famille.  Quant  à  Taction  et  à  la  force 
dramatique  on  n'avait  pas  jugé  que  ce  fussent  qualités  utiles 
pour  la  circonstance  '.  L'œuvre,  soutenue  par  une  riche  mise 
®n  scène,  par  le  jeu  de  Quin  ^  et  par  la  musique  du  Dr.  Arne, 
P^Ut-être  même  du  grand  Hiindel  ',  plut  à  l'auditoire  auquel 


i.  Jou!(sox,  Life  of  Savage  f  p.  343,  344.  —  Savage  rejeta  du  reste  la  pro- 
'^5ilion  avec  indignation. 

.   ^.  C'était  ce  palais,  bdli  par  Villiers,  duc  de  Buckingham,  sur  les  bords 
^  la  Tamise,  dont  parle  Pope  : 

•  Gallant  and  gay,  in  Clivcden's  proiid  alcovc, 
The  bower  of  wanton  Shpcwsbury  and  love.  • 

(Épitre  111,  &  Allen  lord  Bathurst,  v.  307,  308.) 

3.  La  future  duchesse  de  Brunswick. 

4.  11  donnait,  à  Leicester-House,  sa  résidence  de  Londres,  des  repré- 
sentations où  ses  enfants  étaient  les  acteurs.  Ainsi  Tannée  précédente 
^vail-on  joué  Caton.  Le  prince  George,  le  futur  (îleorge  111,  y  jouait  le 
principal  rôle  et  y  débitait  un  prologue  où  Pou  avait  introduit  des  allu- 
mions aux(|uelles  n'avait  pu  songer  Addison. 

5.  Hill  à  qui  les  deux  amis  avaient  soumis  leur  projet  de  Masque  fait 
^ette  critique  judicieuse  :  •  ....  The  bu>incss  will,  I  fear,  be  thought  too 
ihin  for  the  occasion  ;....itianguii»hes  for  wantof  action....  »  (Lettre  à  Mallet, 
Uill's  Works,  p.  147.)  —  Les  auteurs  eurent  le  bon  sens  de  reconnoitre  la 
Justesse  du  reproche.  (Voir  Hill  à  Mallet,  le  13  janvier  HU.  Hill's  Works^ 

p.  152.) 

G.  GrAce  à  Tinfluence  de  Thomson  et  de  Lytieltou,  Quin  était  devenu 

lacteur  favori  du  Prince  de  Galles.  {The  Thespian  Diclionanj,  arL  Quin.) 

■  7.  On  ne  sait  en    elTel  exactement  si   la   musique  de  Rulej  Brilannia 

doit  être  attribuée  À  Arne  ou  à  Handel.  On  peut  voir  à  ce  sujet  les  notes 


136  JAMES  THOMSON. 

elle  était  destinée.  Le  Prince  en  ordonna  pour  le  lendemain 
une  seconde  représentation  '.  Le  grand  public,  à  qui  elle  fut 
soumise  quelques  années  plus  tard,  sous  diiïérentes  formes,  u^ 
semble  pas  lui  avoir  ftut  mauvais  accueil  *.  Mais  pour  nous, 
qui  ne  savons  plus  goûter  les  cbarmes  par  lesquels  elle  a  pu  ^^ 
recommander  aux  contemporains,  la  pièce  ne  mériterait  p^^ 
d'être  sauvée  de  l'oubli,  si  elle  ne  contenait  le  chant  famec^^ 
Rule  Briiannui,  On  trouvera,  exposés  dans  une  autre  part  ^^ 
de  cette  étude,  les   motifs  pour  lesquels  nous  attribuons       ^ 
Thomson,  plutôt  qu'à  son  collaborateur,  la  paternité  de  cet 
ode  qui  assure  à  son  auteur  un  rang  parmi  les  poètes  lyriques 


échangées  dans  Noies  and  Queries  par  Mr.  Cliappelet  Mr.  Juliao  Marshal 
(.V.  and  Q.,  T  série,  vol.  II,  p.  132,  p.  410;  vol.  IV,  p.  152.) 

Les  deux  adversaires  négligent  dans  leur  argumentation  un  point  qi 
serait  important.  Ils  s'occupcut  des  éditions  de  1151  et  1753,  et  de  la  ini 
sique  écrite  pour  cette  adaptation.  Or  le  titre  de  la  publication  de  1153  d 
formellement  que  toute  la  musique  en  est  nouvelle  sauf  deux  ou  tro 
airs  que  le  public  avait  d6s  Torigine  adoptes  (voir  notre  bibliugr.).  Iles 
infiniment  probable  que  celui  de  liule,  Britannia  était  du  nombre, 
la  question  se  ramène  à  savoir  quel  est,  de  Arne  et  de  H&ndel,  celui  qi 
put  composer  la  musique  d'Alfred,  non  pas  en  1751,  mais  en  1740. 

1.  11  est  rendu  compte  de  la  fête  et  des  deux  représentations  dans  f  ^ 
London  Daily  Post  and  General  Adverliser  du  2  et  du  5  août  1740- 
Thomson  y  est  seul  indiqué  comme  auteur. 

2.  En  {"ii'ô,  Alfred  îiii  transformé  eu  opéra  par  le  Dr.  Arne  pour  la  scèae 
de  Covcnt-Cîarden,  et,  la  même  année,  en  un  «  drame  musical  •  pour  la 
scène  de  Drury-Lane  (M.  Cliappel,  Notea  and  Queries,  26  novembre  1886). 
Après  la  mort  de  Thomson,  Mallet  voulut  tirer  parti  de  Tœuvre  commune, 
et  fit  jouer  le  manque,  considérablemeut  modifié,  à  Drury-Lane,  en  n51| 
«  avec  grand  succès  »,  dit  Shiels  qui  écrit  très  pou  temps  après  la  repré- 
sentation. 11  est  vrai  que  la  liibliot/rapfiia  Dramalica  dit  au  contraire 
(1812)  :  «  thougli  exccllently  performed,  it  was  not  very  successfui  •.  Le 
prologue  était  écrit  par  le  comte  de  Cork.  Bolingbroke  avait  fourni 
pour  le  clianl  llule  lirilannia  trois  strophes  nouvelles  qu*a  reproduites 
Davies  dans  sa  Vie  de  Garrick  (vol.  II,  p.  38,  39).  Johnson  raconte  (Vie  de 
Thomson)  que  Mallet  décida  Garrick  à  recevoir  et  à  jouer  le  masque,  eo 
lui  promettant  •  de  réserver  une  [liche  pour  le  Roscius  du  siècle  •  dans 
cette  biographie  du  duc  de  Marlborough  qu'il  était  toujours  à  la  veille 
de  publier  et  qu*il  ne  semble  pas  avoir  jumais  commencée.  —  Enfin, 
en  1773,  Garrick  fit  subir  à  la  pièce  une  dernière  transformation  et  la  joua 
comme  tragédie. 

3.  Alfred  fut  publié  en  1740  par  Millar,  en  un  format  in-R.  En  1751, 
1753  et  1754  paraissent  des  éditions  du  texte  remanié  par  Mallet,  et 
en  1773  l'édition  de  Garrick.  Dans  Pintervalle  le  texte  original  avait 
reparu  dans  la  belle  édition  des  œuvres  de  Thomson  que  donnèrent,  en 
1762,  Murdoch  et  Millar.  Nous  n'avons  pu  vérifier  quel  est  le  texte  repro- 
duit par  l'édition  publiée  en  1781. 

Dans  la  correspondance  de  IJill,  trois  lettres  adressées  à  Mallet  se  rap- 
portent au  masque  d'Alfred,  L'officieux  critique  y  olTre  des  conseils,  et  y 


VIE  A  RICHMOND.  137 


III 


A  partir  de  ce  moment,  et  pendant  quelques  années,  les  ren- 
seignements se  font  très  rares  sur  la  vie  de  notre  poète.  Cinq 
ans  s'écoulent  avant  qu'il  produise  une  œuvre  nouvelle.  Il  est 
loin  pourtant  de  rester  inactif  :  il  procède  à  une  revision  du 
texte  des  «  Saisons  »  qui  changera  et  augmentera  considéra- 
blement le  poème;  il  élabore  lentement  l'œuvre  exquise  de  ses 
dernières  années,  a  le  Château  d'Indolence».  Sa  vie  se  partage 
entre  ce  double  a  labeur  d'amour  »,  et  le  commerce  des  amis 
nombreux  qui  vivent  auprès  de  lui,  comme  Pope,  Hammond, 
Robertson,  Gray,  Hill,  plus  tard  Collins,  de  ceux  qui  viennent 
le  voir,  comme  Millar,  Quin,  West,  Armstrong,  etc.,  ou  qu'il 
'^•"a  visiter  dans  leurs  somptueuses  résidences,  comme  Lyttelton, 
lordCobham,  le  duc  et  la  duchesse  de  Queensberry  '.  Dans  le 
^'che  et  riant  pays  qui  lui  offrait  de  nombreuses  et  agréables 
promenades  *,  dans  la  petite  maison  où  il  avait  réuni  ses  livres 

^Qggère  des  modiO cations.  Les  termes  de  ces  lettres  sembleraient  les 
placer  ayant  la  représentation,  mais  les  dates  données  les  font  postérieures 
{foiTliUl's  Works  p.  147, 452  et  181).  11  faut  supposer  que  les  dates  attribuées 
P^  l'éditeur  sont  inexactes.  La  première  de  ces  lettres  est  manifeste- 
ment antérieure  à  la  représentation  (voir  plus  haut,  p.  135, n.  5),  et  fut  écrite 
^Q 1740,  non  pas  en  1741.  La  deuxième,  dans  laquelle  Hill  se  félicite  de 
^oir  que  ses  critiques  aient  été  prises  en  bonne  part,  peut  être  de  la  date 
marquée,  13  janvier  1741.  Mais  la  troisième,  qui  propose  des  changements 
€0  Toe  soit  de  la  représentation,  soit  de  la  publication  du  masque,  ne 
peut  pas  être  du  21  décembre  1741,  et  doit  aussi  être  rapportée  à  l'année  1740. 

1-  Ils  habitaient  Uam-House,  tout  près  de  Richmond  et  de  Kew.  Cest  là 
ja'iU  donnaient  une  si  amicale  hospitalité  à  Gay.  Sur  la  résidence  et  ses 
Wtes,  Lcigh  Hunt  a  écrit  une  page  pleine  de  son  hiimour  habituel  {Table 
'o'*»  p.  216,  217). 

^-  Il  se  plaint  que  Richmond  ne  soit  pas  assez  rural,  et  va  chercher  h. 
quelque  distance  -Ihe  muses  of  Ihe  great  simple  country,  not  Ihe  little 
fine-Iady  muses  of  Richmond  Hill  ..  (Lettre  à  Lyttelton,  du  14  juillet  1743.) 
il  profitait  des  ombrages  magnifiques  et  des  pittoresques  solitudes  de 
*"chinond  Park,  grâce  à  Lyttelton  qui  lui  avait  fait  obtenir  une  clef  du 
P**^-  H  semble  que  Brentford  ait  été  une  des  localités  où  le  portaient  ses 
P^jonienades,  non  pas  cependant  qu'il  goûtât  beaucoup  l'aspect  do  celte 
^"l^si  nous  en  jugeons  par  la  mention  qu'il  en  fait  dans  la  dernière 
strophe  du  .  Château  d'Indolence  .  : 

•  Evcn  80  through  Brentford  town,  a  town  of  mud, 
A  herd  of  bristly  swine  is  pricked  along  •. 

Peut-être  y  avait-il  là  quelque  taverne  qu'il  honorait  de  sa  faveur.  Une 
'•édition  locale,  qui  persistait  encore  en  1824,  rapportait  en  effet,  que» 


138  JAMES  THOMSON. 

préférés  et  les  gravures  qui  lui  rappelaient  les  chefs-d'œu^ 
admirés  jadis  en  Italie,  il  goûtait  tout  le  charme  d'une  ex 
tence  modeste,  mais  affranchie  de  soucis.  Assuré  du  lenc 
main,  revenu  des  désirs  ambitieux  de  sa  jeunesse,  entouré 
nombreuses  sympathies  et  de  quelques  chères  amitiés,  sa 
n'était-elle  pas  celle  que  tout  poète,  depuis  Horace,  s'est  pi 
posée  comme  un  idéal  rarement  réalisé? 

Un  élément  d'émotion  et  de  passion  vint  du  reste  s'y  mt 
qui  l'empêche  de  trop  rappeler  la  banalité  béate  d'une  existe: 
de  bourgeois  retiré,  ou  la  sécheresse  et  la  futilité  d'un  diletl 
tisme  égoïste.  Dans  une  des  familles  qu'il  fréquentait  à  Ri 
mond,  il  rencontra  une  jeune  fille  à  laquelle  il  voua  i 
affection  délicate  et  profonde.  Miss  Élizabeth  \oung  é 
d'origine  écossaise;  son  père,  le  capitaine  Gilbert  You 
appartenait  à  une  famille  de  Gully  liill  ou  Goolie  Hill,  dan 
Dumfriesshire  *.  Une  sœur  de  la  jeune  femme  avait  épc 
Robertson,  l'ami  de  jeunesse  de  Thomson,  et  son  voisi 
Richmond  conmie  il  Tavait  été  jadis  à  Lancaster-Court  *. 
occasions  de  voir  et  de  connaître  miss  Élizabeth  Young  deva 
par  là  même  être  fréquentes  pour  le  poète.  Leurs  relati 
ont  commencé  de  bonne  heure,  et,  de  bonne  heure  au 
Thomson  y  apporta  une  galanterie  qui  l'achemina  plus  tai 
la  passion.  C'est  pour  miss  Young  qu'il  écrivait  les  pie 
assez  nombreuses  dans  le  recueil  de  ses  œuvres,  qui  por 


dans  un  cabaret  de  Bentrord,  Thomson  faisait  de  fréquentes  visite! 
récitait  ses  vers  aux  habitués  de  la  maison.  (Voir  une  note  de  M.  C.-U.  \ 
dans  Sûtes  and  Queries,  6«  série,  vol.  Il,  p.  447.) 

Du  reste  il  trouvait  à  Richmond  même  une  taverne  hospitalièn 
causer  et  boire  avec  quelque  compagnon  ami  de  la  bouteille  et  eni 
des  cérémonies.  Uobertson,  coniirmant  la  rumeur  publique,  se  rapp 
que  Thomson  se  réunissait  volontiers  avec  •  Parsou  Cromor  •  et  d'ai 
compagnons  de  bouteille  à  Old  Orange  Tree,  dans  Kew-Lanc.  Lt 
Hobart,  rexcellente  Temme  qui  gouvernait  la  maison  du  poète,  v< 
toujours  avec  inquiétude  partir  son  maître  lorsque  Quin  l'emme 
parce  que  l'heure  du  retour  et  d'autres  signes  apparents  diéaient  trop 
les  deux  amis  n'avaient  pas  conservé  dans  leur  séance  à  la  taverne  t 
la  sobriété  désirable.  (Voir  p.  i2\,  n.  1.) 

1.  •  Amanda,  the  young  lady  of  Goolie  Hill,  lived  with  her  mothei 
the  banks  of  the  Nith,  in  a  secluded  vallcy.  She  was  of  a  good  family 
bad  Utile  wealth.  m  (Allam  Clnninuhasi,  Memoir  of  Thonison,  p.  xxxu.' 

2.  En  1726,  au  début  même  de  la  carrière  du  poète.  Peu  après,  Rol>i>r 
partit  pour  les  Indes  Orientales;  mais  à  son  retour  Tamitié  des  i 
jeunes  gens  devint  plus  étroite  que  jamais,  et  Uobertson  vint  se  log 
Richmond  tout  auprès  de  Thomson. 


VIE   A    HIGHMOiNI).  139 

le  nom  dAnKDidu  ».  Dès  Je  mois  de  lévrier  ITi'O,  et  avant 
qu'Use  t'ùt  install»'»  dans  sa  maison  de  Kew-Lane,  iJ  donnait  au 
Gentleinan's  Mcvjazine  une  courte  pièce  dont  la  dernière 
strophe  renferme  le  nom  d\\ manda.  Deux  lettres  adressées  à 
Mrs.  Kobertson  en  1742  %  et  une  lettre  directement  adressée  à 
miss  Young  en  1743  ^  nous  montrent  que  les  années  n'ont  fait 
qu'enraciner  TafTection  de  Thomson.  Cette  dernière  lettre  sur- 
tout exprime,  en  des  termes  d'une  évidente  sincérité,  une  de 
ces  passions  qui  tiennent  aux  fibres  profondes  du  cœur  ^  Il  y 

1.  Il  y  en  a  dix  environ.  Quatre  ont  été  publiées  d'abord  dans  VEssay 
du  comte  Buchan.  Elles  ont  pour  titres  : 

Vmîs  addressed  lo  Amanda.  ■  Ah!  urged  loo'Iate!  from  beauly's  bondage 

free  »,  etc. 

Tothesame  (en  lui  envoyant  un  exemplaire  des  «  Saisons  »).  •  Accept,  dear 

nymph,  this  tribute  due  •,  etc.  (Peut-ôtre  public  d'abord  par  Foulis  of 

Glasgow.) 
To  Fortune.  «  For  ever,  Fortune,  wilt  thou  prove  ■,  etc. 
To  .Vyra  (c'est-à-dire  à  Amanda).  «  0  thou,  whose  teoder  serions  eyes  », 

etc. 

Ces  derniers  vers  se  trouvent  à  la  fin  d'une  lettre  adressée  par  Thomson, 
le  jour  de  Noël  1142,  à  Mrs.  Robertson  qui  se  trouvait  à  Bath  avec  miss 
^oung,  sa  sœur. 

Deux  ont  été  imprimées  pour  la  première  fois  dans  l'AIdine  édition,  par 
Sir  Harris  Nicholas.  qui  les  tenait  de  lord  William  Henry  Lyttellon  : 

To  Amanda,  •  Come,  dear  Amanda,  quit  the  town  >,  etc. 

*lJft  petite  pi^ce  :  «  Uniess  wilh  my  Amanda  blesscd  »,  etc. 

^^ncaparu  d'abord  dans  Honb's  Table-Book,  d'après  un  manuscrit  trouvé 
^Ds  les  papiers  de  Mr.  Chaucer  Ogle  :  «  Sweet  Tyrant  Love,  but  hear  me 
now .,  etc. 

^ne  autre  dans  la  vie  de  Lyttelton  par  Phillimore  (vol.  I,  p.  310). 

Stries  to  Amanda  in  imitation  of  Tibullus.  «  Come,  heallng  God,  Apollo, 
^ine  and  aid  »,  etc.  C'est  une  imitation  très  libre  de  la  pièce  latine  :  *  lluc 
^*»  €t  tenerae  morbos  expelle  puellx  •,  etc. 

^  plus  ancienne  est  celle  que  publiait  le  Gentleman's  Magazine  de 
*^36,  p.  103  :  H  Come,  gentle  god  of  soft  désire  »,  etc. 

Peul-étre  enfin  faut-il  aussi  rapporter  à  Amanda,  bien  qu'elle  n'y  soit 
^  nommée,  la  pièce  qui  a  pour  titre  : 

Tfie  Lover's  fate.  ■  Hard  is  the  fate  of  him  who  loves  »,  etc. 

2.  Elles  sont  du  27  novembre  et  du  25  décembre  1742.  Sir  llarris  Nicholas 
"^^  donne  dans  son  Memoir  of  Thomson  qu'un  fragment  de  l'une  d'elles, 
°^*i8  elles  se  trouvent  en  entier  dans  VEssay  de  Buchan,  et  dans  la  bio- 
K^phic  écrite  par  II.  lleron.  La  première  est  une  des  plus  joliment  tour- 
nées des  lettres  du  poète.  La  seconde  est  très  gaie  et  commence  ainsi  : 
'  1  belicve  1  am  in  love  with  some  one  or  ail  of  you  ». 

I*  Datée  du  29  août  1143,  et  écrite  à  Hagley,  chez  Lyttellon. 

.^*  •  ....  Whrrever  1  am,  and  however  employed,  I  never  cease  to  think 
®^  "*y  loveliest  miss  Young.  You  are  part  of  my  being;  you  mix  with  ail 
°*y  Ihoughts....  Yes,  I  love  you  to  that  degree  as  must  inspire  inlo  the 


140  JAMES  THOMSON. 

annonce  son  projet  d'adresser  à  la  jeune  fille  dès  qu'elle  si 
de  retour  une  proposition  formelle  de  mariage,  et  il  mon 
une  certaine  confiance  de  voir  sa  demande  agréée.  Le  marii 
n'eut  cependant  pas  lieu.  Il  semble  bien  que  ce  soit  la  jei 
femme  qui,  après  plusieurs  années  d'une  amitié  où  se  mè 
quelque  coquetterie,  ait  mis  fin  au  rêve  longtemps  can 
du  poète.  Elle  n'était  pas  riche,  et  sa  mère,  femme  gross 
et  vulgaire,  si  nous  en  croyons  un  témoin  bien  placé  p 
juger,  s'opposait  avec  violence  à  cette  union.  «  C'est  o 
t  s'écriait-elle  un  jour,  tu  voudrais  épouser  Thomson?  Il 
t  des  ballades,  et  tu  iras  les  chanter  dans  les  rues  *  !  »  Miss  Yo 
devint  la  femme  de  l'amiral  Campbell,  et  Thomson  ne  se  c 
sola  point.  Cet  amour  d'automne  avait  eu  chez  lui  l'arc 
d'une  première  passion.  La  ruine  lui  en  laissait  au  cœu 
douloureuse  mélancolie  d'une  déception  que  la  vie  ne  pou 
plus  désormais  rt^parer.  William  Robertson  va  jusqu'à 
qu'après  cette  blessure  inguérissable  il  prit  la  vie  en  dégoi 
Au  moins  est-il  certain  qu'il  traîna  dès  lors  avec  lui  un  s 
venir  attristé  qui  ne  s'effaça  jamais. 

Nous  serions  curieux  de  savoir  au  juste  ce  que  fut  c 
femme  qui  traversa  la  vie  du  poète  pour  y  mêler  un  pei 
charme  et  beaucoup  de  douleur.  Mais  1  amour  de  Thomsor 
discret.  Aucun  des  premiers  biographes  ne  mentionne  m 
lepisode.  Les  quelques  vers  adressés  à  Amanda  ne  renfeni 
guère  d'indication  précise  sur  la  personne  de  celle  qui  les 
pirait.  Ils  tendent  cependant  à  confirmer  cette  apprcciatioi 
vieux  Roberlson  :  a  C'était  une  femme  belle  et  sensée  »,  e 


coldesl  brcasl  a  mutiial  passion....  *  Le  vieux  Robertson  ne  se  tron 
pas,  quand  il  disait  cinquante  ans  plus  lard  :  ■  Poor  Thomson  was  d< 
rately  in  love  wiUi  lier  ■. 

1.  •  Accord iug  lo  Ihe  account  of  Mrs.  Robertson,  Ihe  second  wife  o 
William  Robertson,  surpj'on  at  Kiehniond,  wbo  was  ber  intimate  fi 
for  a  numbcr  of  years,  miss  Young  was  not  a  slriking  beauly,  but  a  ge 
mannered,  eleganl-minded  woman,  wortby  of  Ihe  love  of  a  man  of 
and  virtue....  lier  molher  was  a  coarsp,  vulgar  woman....  She  consi 
opposed  Ihe  poet's  prelcnsions  lo  Amanda,  saying  lo  ber  one  day,  •  W 
would  you  marry  Thomson?  He  will  make  ballads,  and  you  will 
tbem!  »  (John  Ramsay  of  Ochtehtyre,  i^cotlanci  and  Scotsmen  in  the  i8*^ 
iury,  p.  23.) 

2.  «  I  was  in  Ihe  room  with  him  when  he  died....  lie  seemed  lo  n 
be  désirons  nol  lo  live,  and  I  had  reason  lo  tbink  thaï  my  sisler-ir 
was  the  occasion  of  Ibis.  He  could  not  bear  Ibc  Ihougbts  of  her  being 
ried  lo  auother.  »  (Parkk's  Memoranda,) 


VIE  A  RIGHMOND.  141 

jugement  très  favorable  qu'a  porté  cet  autre  témoin,  Mrs.  Ro- 
i)ertson,  dont  l'opinion  était  si  sévère  à  l'égard  de  la  mère  : 
c  Miss  Young  n'était  pas  d'une  beauté  frappante,  mais  elle 
r    <  avait  la  distinction  des  manières  et  l'élégance  de  l'esprit  ;  elle 
était  digne  de  l'amour  d'un  homme  de  goût  et  de  vertu  d. 

A  interroger  les  vers  à  Âmanda,  nous  apprenons  que  l'amie 
du  poète  était  personne  grave  *.  Elle  n'encourageait  guère  les 
effusions  brûlantes;  et  Thomson,  qui  se  plaint  de  trouver  en 
elle  trop  de  sagesse  ',  croit  devoir  attester  plusieurs  fois  que 
c'est  l'âme  qu'il  aime  en  elle  '.  Enfin  elle  paraît  avoir  été 
personne  fort  «  pratique  ».  C'est  sans  doute  parce  qu'elle  avait 
peu  de  penchant  aux  idées  romanesques  qu'elle  accueillit  avec 
quelque  faveur  les  hommages  de  James.  En  dépit  de  sa  gloire, 
Vauteur  des  c  Saisons  i»  était,  en  1743,  un  peu  mûr  pour  un 
rôle  de  jeune  premier.  L'auréole  poétique  ceignait  chez  lui  le 
Iront  d'un  barbon.  L'esprit  rassis  de  miss  Young  lui  avait  fait 
apprécier  le  rare  talent  et  l'exquise  bonté  qui  se  cachaient  sous 
la  bonhomie  et  sous  la  personne  un  peu  alourdie  de  Thomson. 
Cette  même  tournure  d'esprit  lui  fit  peser  exactement  les  avan- 
tages et  les  inconvénients  du  mariage  proposé.  Il  nous  faut 
bien  supposer  que  la  modeste  situation  du  faiseur  de  ballades 
ftit  le  véritable  obstacle  à  leur  union.  N'est-ce  pas  ce  que 
Thoinson  lui-même  laisse  entrevoir  dans  une  pièce  peu  remar- 


^'       •  0  thou,  whose  tender  serious  cyes 
Expressive  speak  the  mipd  1  love.  » 

{To  Myra.) 

^'       «  Her  whose  goodness  is  my  bane  :  » 

(Sweet  Tyrant  Love.) 

^'       •  Tis  nol  for  comraon  charms  I  sigh, 
For  what  the  vulgar  beauly  caU; 
Tis  not  a  cheek,  a  lip,  an  eye; 
Bat  'tis  the  souI  that  lights  them  ail.  » 

{Sweet  Tyrant  Love.) 

^deseription  la  plus  précise  est  ceUe  qui  se  trouve  dans  quelques  vers 
^°  '  Printemps  •  : 

«  And  thou«  Amanda,  corne,  pride  of  my  song! 
Formed  by  the  grâces,  loveliness  itself  ! 
Come  with  those  downcast  eyes,  sedate  and  sweet, 
Thèse  looks  demurc,  that  deeply  pierce  the  soûl, 
Where,  with  the  light  of  Uioughtfiil  reason  mixed, 
Shines  lively  fancv;  and  the  feeling  heart.  - 

(Spring,  t.  483-8.) 


142  JAMES  THOMSON. 

quée  des  biographes?  a  Mais  nous,  frivoles  esclaves  de  l'intérêt 
c  et  de  l'orgueil.  —  Nous  n'osons  être  heureux,  de  peur  que  la 
a  langue  des  envieux  ne  nous  blâme.  Et  voilà  pourquoi  je  pleure 
«  inutilement  ma  fiancée!  —  0  déplore  avec  moi,  doux  oiseau, 
«  ma  flamme  malheureuse*.  » 

Mais,  avant  cette  catastrophe  du  drame  de  sa  vie,  Tliomson 
semble  au  contraire  puiser  dans  son  amour  et  dans  Tespoir 
dont  il  se  berce,  une  verve  et  une  gaîté  qui  ne  lui  sont  pas 
ordinaires.  Nous  avons  parlé  plus  haut  de  ses  deux  lettres  à 
Mrs.  Uoberlson.  Du  mois  de  décembre  1742  est  également  datée 
une  épitre  humoristique  adressée  a  à  un  ami  en  voyage  >  '• 
Dans  cette  plaisanterie,  un  peu  longuement  poursuivie,  Buff, 
un  chien  d'expérience,  écrit  à  Marquis,  son  ami,  jeune  roquet 
qui  s'est  mis  en  route  pour  a  voir  le  monde  ».  Il  est  bien  diffi- 
cile d'extraire  de  cette  charade  quelque  renseignement  biogra- 
phique. Elle  nous  apprend  que  Marquis  a  habité  Richmond, 
qu'il  est  gros  %  qu'il  accompagne  à  une  ville  d'eaux  deui 
dames  bien  connues  de  Thomson,  évidemment  Mrs.  Roberlson 
et  sa  sœur  *.  Il  est  question  d'un  ami  commun,  «  that  wret- 
ched  animal  Scrub  ï),  qui  a  tous  les  talents  voulus  pour 
réussir  en  cour,  et  Bufl*  ajoute,  pensant  à  ce  qui  manquait  à 
Thomson  :  <l  Un  mot  à  votre  oreille  :  Je  voudrais  bien  qu'un 
«  certain  bipède  de  mes  amis  eût  un  peu  de  ce  zèle  empressé*  » 
Un  autre  passage  nous  laisse  entendre  en  termes  d'un  cynisme 
qui  sans  doute  est  ici  de  circonstance,  que  les  deux  amis  son 


1.  «  Bill  we,  vain  slaves  of  inlerest  and  of  pride, 

Darc  not  be  blest,  lest  cnvious  longues  shonid  blâme  : 
And  hcncc,  in  vain,  I  languisli  for  my  bride! 

0  mourn  with  me,  sweel  bird,  my  hopeless  fiame.  • 

'(To  the  NightingaU.) 

2.  «  To  a  friend,  ou  his  Travels  »,  datée  du  7  décembre  1742.  Kilo  a  cl 
publiée  par  Buchan. 

3.  «  ]  w'ill....  concludc  by  wishing  Ibat  tbc  waters  and  exercice  ma 
bring  down  yonr  fat  sides.  ■ 

4.  «  Pray  lick  for  me,  you  happy  dog  you,  the  banda  of  the  fair  ladi« 
you  bave  ihe  honour  to  attend.  I  remembcr  to  bave  had  that  happineJ 
once,  when  one  who  shall  be  namcless  looked  with  an  envious  eye  upC 
me.  « 

Il  est  fort  probable  que  Marquis  n*esl  autre  que  Roberlson  accompagna' 
sa  femme  et  Ba  belle-sœur  &  Batb.  -  the  great  smart  of  scandai  •• 

5.  ■  A  Word  in  your  car.  —  1  wish  a  certain  two-legged  ft'iend  of  mil 
had  a  littlc  of  his  assiduity.  » 


VIE   A    RICllMOND.  143 

peu  satisfaits   tles   Tarons   hautaines  de  certains  habitants  de 
Richmond  *. 

En  174:i,  le  poète  est  occupé,  nous  l'avons  dit,  à  un  travail 
considérable  de  développement  et  de  refonte  des  a  Saisons». 
C'est  alors  sans  doute  qu'il  y  fait  une  place,  dans  quelques 
vers  émus  et  charmants  *,  à  cette  Amanda  dont  la  pensée, 
dit-il,  se  joint  pour  lui  à  toute  occupation.  Peut-être  aussi 
songe-t-il  à  tenter  de  nouveau  la  fortune  au  théâtre.  Certain 
passage  de  la  correspondance  de  Hill  pourrait  bien  se  rap- 
porter à  cette  tragédie  de  «  Socrate  »  dont  le  projet  hantait 
depuis  tant  d'années  la  pensée  de  Thomson  *.  Au  mois  de  juin 
de  cette  année,  il  n'a  pas  encore  vu  Hagley,  la  résidence  de 
Lyttelton.  Son  noble  ami,  qui  s'est  marié  depuis  peu  de  temps, 
insiste  vivement  pour  que  la  visite  longtemps  promise  ne  soit 
pas  retardée  davantage.  Thomson  promet  d'aller,  à  l'automne, 
passer  quelques  semaines  dans  ce  lieu  qu'il  désire  voir  a  plus 
qu'aucun  autre  au  monde  »,  et  où  il  trouvera  a  les  Muses  de 
la  grande  et  simple  nature  ».  Il  espère  qu'il  pourra  montrer 
alors  à  son  hôte  plus  d'un  Chant  des  Saisons  prêt  pour  l'édi- 
tion nouvelle  qu'il  prépare  *. 

L'engagement  fut  exactement  tenu  et  le  poète  se  rendit  dans 
te  Worcestershire  à  la  fin  du  mois  d'août,  à  ce  moment  de 
l'année  qui  lui  offrait  l'aspect  de  la  nature  qu'il  préférait  à  tout 
autre. 

Ce  séjour  à  Hagley  lui  causa  la  plus  vive  satisfaction.  Son 
enthousiasme  pour  le  lieu,  pour  ses  hôtes,  pour  la  vie  qu'il  y 
"ïène  s'exprime  longuement  dans  une  lettre  à  miss  Young,  du 
29  août.  Nous  la  traduisons  en  entier  parce  qu'elle  est  intéres- 
sante à  divers  titres  :  elle  nous  initie  aux  goûts  intimes  du 

^-  •  For  me,  il  is  always  a  maxim 

To  bonour  hnmble  worth;  and,  scorning  stale, 
P—  on  the  proud  inhospitable  gâte. 

^Of  which  reason  I  go  scattering  my  waler  every  where  about  Richmond.  • 

2-  Summer,  v.  1401  et  siiiv. 

^-  Hill  écrivait  à  Mallet,  le  24  mai  1743  :  «  You  werc  asking  what  I  think 
^ .  the  subject  of  Socrates  for  a  tragedy....  the  pbilosophical  ray  is  loo 
^*^t  for  the  clash  of  passions  :  this  objection  that  lay  against  Cato  will 
*^f  cqually  bad  against  Socrates.  »  (Ujll's  Works,  vol.  II,  p.  210.) 

Estce  Thomson  qui  reprenait  son  projet  d'il  y  a  douze  ans,  ou  Mallet 
^wi  songeait  k  exploiter  pour  son  compte  le  sujet  abandonné  par  son  ami? 

^'  Lettre  à  Lyttelton  du  U  juillet  1143. 


144  JAMES  THOMSON. 

poète  et  nous  fait  connaître  ses  rêves  d'avenir;  elle  nous  donr 
la  note  exacte  de  ses  rapports  avec  le  meilleur  de  ses  amis,  < 
avec  la  femme  qu'il  aime;  enfin  elle  nous  présente  un  exce 
lent  spécimen  du  tour  ordinaire  de  ses  lettres. 

«  Hagley,  29  août,  1743. 

«  Après  un  fâcheux  voyage  en  diligence,  voyage  désagréabl 
«  en  lui-même,  et  bien  plus  encore  en  ce  qu'il  m'éloignait  d 
«  vous,  me  voici  dans  le  lieu  et  dans  la  société  les  plus  agréable 
a  du  monde.  Le  parc,  où  nous  passons  une  grande  partie  di 
t  notre  temps,  est  parfaitement  délicieux,  et  tout  à  fait  enchan 
«  teur.  Il  consiste  en  plusieurs  petites  collines  couvertes  d< 
t  beaux  bois,  et  s'élevant  doucement  les  unes  au-dessus  de 
«  autres.  De  là  on  jouit  de  différents  points  de  vue  magnifiques 
<  grandioses  et  étendus.  Mais  ce  qui  me  charme  le  plus  danser 
c  lieu,  ce  sont  ses  douces  retraites  abritées,  et  particuliéremen 
c  un  vallon  sinueux  qui  en  parcourt  tout  le  milieu.  Audessuî 
«  croissent  des  bois  épais;  au  fond  coule  gaiment  un  ruisseai 
«  qui,  tantôt  jaillissant  des  rochers  moussus,  tantôt  tombant  ei 
a  cascades,  et  tantôt  s'étendant  en  une  nappe  longue  et  calme 
«  offre  la  scène  la  plus  naturelle  et  la  plus  charmante  qu'oi 
«  puisse  imaginer.  La  source  est  formée  de  plusieurs  jolis  ruis 
a  selets  qui  murmurent  entre  les  racines  des  chênes;  et  c'est  1 
c  que  se  trouve  un  siège  bien  isolé,  le  plus  beau  que  puissesou 
a  haiter  le  cœur  d'un  amoureux.  C'est  là  que  je  viens  souven 
«  m'asseoir,etqu  avec  un  mélange  doux  et  exquis  de  plaisir  et  d 
«  peine  je  pense  à  vous  '.  Mais  que  parlé-je  de  m'asseoir  en  celt 
a  retraite  pour  penser  à  vous?  en  quelque  lieu  que  je  sois,  ^ 
((  quelque  chose  qui  m'occupe,  je  ne  cesse  jamais  de  penser 
((  mon  aimable  miss  Young.  Vous  êtes  partie  de  mon  être;  vou 
«  vous  mêlez  à  toutes  mes  pensées,  même  les  plus  studieuse: 


1.  Après  la  mort  du  poète,  Lyltelton  fit  élever  en  ce  point  un  petit  éd 
culc  selon  le  goût  du  temps,  avec  cette  inscription  : 

«  Ingenio  immortali  Jacobi  Thomson,  viri  boni,  œdiculam  hanc  in  seces< 
quam  vivns  dilexit  post  mortem  cjus  constructam  dicat  dedicatqi 
G.  Lyttelton.  »  (Voir  The  Gentlemun*s  Magazine,  1845.  A  review  on  11 
Memoirs  and  correspondencn  of  Lyltelton  compiled  by  Phillimore.) 

Au  sujet  de  ce  petit  monument  nous  trouvons  cette  note  dans  la  colle 
lion  des  poètes  de  Chalmer  :  «  A  very  handsome  and  well-fînished  buil< 
ing,  in  an  octogonal  Une  •. 


VIB  A   RICHMOND.  148 

et,  au  lieu  de  les  troubler,  vous  y  ajoutez  plus  d'harmonie 
et  de  vigueur.  Ah!  dites-moi  si  je  vous  dérobe  de  temps  en 
temps  une  pensée  tendre.  C'est  une  faveur  à  laquelle  me  donne 
droit  la  sincérité  de  mon  amour.  Oui,  je  vous  aime  à  un 
point  qui  ne  saurait  manquer  d'inspirer  au  cœur  le  plus  froid 
une  passion  réciproque.  Veillez  donc  sur  votre  cœur,  car 
vous  aurez  peine  à  le  défendre  contre  ma  tendresse.  —  La 
société  n'est  pas  ici  indigne  du  séjour.  Elle  est  aimable, 
animée, agréable.  Il  ne  se  produit  rien  qui  ne  tende  à  amuser 
l'imagination  ou  à  améliorer  l'esprit  ou  le  cœur.  Voilà  vrai- 
ment la  vie  heureuse  :  l'union  de  la  retraite  et  d'une  société 
choisie.  Cela  nous  donne  l'idée  de  ce  que  l'âge  patriarcal  ou 
l'âge  d'or  était,  ce  dit-on,  alors  que  chaque  famille  était  en 
elle-même  un  petit  état  gouverné  par  les  douces  lois  de  la  rai- 
son, de  la  bonté  et  de  lafTection.  N'imaginez  pas  cependant 
que  je  sois  féru  de  la  folie  des  champs  au  point  de  ne  pas 
croire  heureux  en  tous  lieux  ceux  qui  ont  en  eux-mêmes  ce 
qui  assure  le  bonheur....  Avec  tous  mes  transports  au  sujet 
de  la  campagne,  j'aimerais  mieux  vivre  avec  vous  dans  le  coin 
le  plus  londonesque  de  Londres,  que  sans  vous  dans  la  plus 
i)elle  retraite  champêtre  et  dans  tout  le  charme  de  la  plus 
^éable  société.  Vous  remplissez  si  entièrement  mon  esprit 
d'idées  de  beauté,  vous  satisfaites  si  parfaitement  mon  âme 
du  charme  le  plus  pur  et  le  plus  sincère,  que  je  ne  sentirais 
^ère  le  besoin  d'aucune  autre  chose.  Mais  cependant  une 
^'ie  passée  à  la  campagne  avec  vous,  et  de  temps  en  temps 
^imée  par  le  contraste  de  la  ville,  voilà  quel  est  le  vœu  de  mon 
^ur.  Puisse  le  Ciel  m'accorder  cette  insigne  faveur,  et  je  serai 
^  plus  heureux  des  hommes,  d'autant  plus  heureux  que  la 
P^session  de  votre  personne  m'excitera  à  mériter  mon 
bonheur  par  tout  ce  qui  est  vertueux  et  bien....  Je  ne  suis 
P^  extravagant  au  point  d'espérer  recevoir  de  vos  nouvelles 
de  votre  main,  mais  je  compte  en  recevoir  par  le  moyen  de 
^otre  ami.  Pensez  avec  amitié  et  avec  tendresse  à  celui  qui 
^t  à  vous  avec  une  amitié  et  une  tendresse  inexprimables. 

«  James  Thomson.  » 

Le  séjour  à  Hagley  resserra  l'amitié  de  Ly  ttelton  et  du  poète, 
y^ition  nouvelle  des  t  Saisons  »  contient  un  chaleureux 
^'oge  de  la  résidence  où  Thomson  avait  reçu  un  si  gracieux 

iO 


146  JAMES  THOMSON. 

accueil  ',  et  le  noble  possesseur  de  Hagtey  se  montra  vive 
touché  de  ce  poétique  hommage  qui  associait  leur  amitié 
gloire  du  poème*. 

Cette  édition  longuement  préparée  parut  en  juin  1744. 
une  des  plus  importantes  parmi  les  éditions  successive! 
a  Saisons  »,  puisque  c'est  celle  qui  enregistre  les  plus  i 
breuses  modifications  au  texte  antérieur.  Le  «  Printemps 
87  vers  de  plus  qu*en  1738,  V  «  Été  »  gagne  590  vers,  V  ( 
tomne  »  106,  et  V  a  Hiver  d  282.  L'  «  Hymne  »  final  seul  esl 
iégèreiiient  écourté  ^.  C'était  un  total  de  plus  de  mille  ven 
le  poète  ajoutait  à  l'ancien  texte.  Thomson  reçut  pour  ce 
vail  une  illustre  collaboration.  Pope  se  prêta  à  revoir  n 
tieusement  tout  le  poème,  indiquant  des  critiques,  prop( 
des  modillcations  dont  les  unes  portent  sur  un  mot  pu  n 
sur  une  terminaison,  et  les  autres  sur  des  passages  quel 
fois  fort  étendus.  C'est  une  preuve  curieuse  de  la  merveil 
souplesse  de  Pope  que  la  façon  dont  il  s'identifie  avec  le  g 
avec  la  façon  d'écrire  et  de  développer  de  fauteur  des  «  Saisc 
Nous  ne  sommes  pas  étonnés  de  le  voir  corriger  les  dur 
les  imperfections  prosodiques  où  pouvait  être  blessée 
oreille  délic<itc  *,  et  les  hardiesses  parfois  singulières 
style  que  devait  désapprouver  sa  méticuleuse  correcti 
Mais  quelle  surprise  de  voir  le  maître  du  distique  rimé  é 


1.  •  Thèse  are  Ihe  sacred  fceliiig  of  Uiy  hearl, 
0  Lytlellon,  the  frieiid!  » 

(Spj'in;/,  904-962.) 

2.  Il  écrivail  de  iJa^Iey  à  Doddridpe,  le  27  aoiil  1745  :  «  If  any  buf 
sliould,  at  any  timu,  oall  yoii  to  Wm  part  of  En^Iand,  I  hope  you  > 
lel  us  sec  you  hcre,  aiid  show  you  Ihe  park,  >vhich  \vc  are  as  proud 
Lord  Col)ham  of  Slowe,  es[»ccially  siuc<'  Ihe  honour  Mr.  Thomson  has 
il  in  the  ncw  cdilion  of  his  Soa>*onâ.  •  (Philumoke's  Memoir  of  Lyll 
vol.  I,  p.  :J48.' 

Lord  Cobham  était  l'oncle  nialernel  de  (i.   Lyitelton.  Thomson  a 
célébré  le  ■  parudise  of  Slowe  •  {Autunin^  1042). 

3.  Sprinij  1113  vers,  au   lieu   de   1087;  Summer  1790.  au  lieu  de 
Auluntn  IJTo,  au  lieu  de  1209;  Winlev  1U09  au  lieu  de  787;  Uymn  il 
lieu  de  121. 

•4.  Par  exemple,  dès  les  premiers  vers  du  •  Printemps  •,  il  corrige  «  k 
the  lime  »,  «  the  plovers  theirs  »  en  «  knows  his  time  »,  •  the  pi' 
whcn  •. 

5.  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  il  remplace  ••  worthlcss  of  our  foot 
•  unworthv  of  thv  foot  «.  {Sprlng^  v.  401  de  l'edil.  de  1738,  et  503  du  i 
définitif.) 


VIE  A  RICUMOND.  147 

:  abondance  de  très  heureux  vers  blancs  *;  de  voir  Técri- 
I  qui  avait  fait  son  domaine  de  la  satire  et  de  la  psycho- 
i  morale,  rivaliser  avec  le  chantre  de  la  nature  *;  de 
ver  étroitement  fondus  dans  l'œuvre  de  Thomson  plusieurs 
âges  descriptifs  très  bien  venus  de  ce  même  poète  qui 
essait  pour  la  pure  description  un  si  parfait  dédain  '.  Et 


A  coup  silr  il  comprenait  le  caractère  particulier  du  vers  blanc  quand 
[Tait  ces  vers  de  Thomsoo  : 

«  The  human  mind 
lias  iost  that  Harmony  ineffable  » 

(Spring,  327,  328.) 
!  remplaçait  par  : 

•  Now  the  disleinper'd  mind 
Uas  Iost  that  concord  of  hannonious  powers.  » 

^s  preuves  abondent,  dans  ces  corrections,  qu'il  n'avait  pas,  pour  le 
<le  Shakespeare  et  de  Millon,  le  dédain  qu'il  affichait  parfois,  comme 
)ur  où.  Voltaire  lui  demandant  pourquoi   Milton  n'avait  pas  rimé  le 
ira(li<t  Perdu  »,  il  répondait  :  «  Because  he  couid  not  •. 
Thomson  avait  écrit  {Spring,  v.  417  de  l'édit.  de  173S)  : 

•  The  forest  running  round,  the  rising  spire  », 

ope  substitue  : 

«  The  forest  darkcning  round,  the  glittering  spire.  » 

^correction  a  été  adoptée.  Elle  ajoute  très  heureusement  deux  nota- 
sdeiïets  lumineux. 

U  jolie  comparaison  qui  semble  si  bien  faire  corps  avec  tout  le  reste 
épisode  de  Lavinia,  dans  1'  •  Automne  »,  est  de  Pope  : 

H  As  in  the  hollow  breast  of  Apennine 
A  myrtle  rises....  • 

(Autumn,  209  et  suir.) 

^st  parfois  plus  thomsooien  que  Thomson  lui-môme.  Voici  quelle  était, 
9  le  texte  de  1738,  l'explication  du  déluge  : 

-  When  the  disparting  Orb  of  E!arth,  that  arch'd 
Th'  imprison'd  Deep  around,  impetuous  rush'd 
With  ruin  inconceivable,  at  once 
Into  the  gulph,  and  o'er  the  highest  Hills.  * 

{Spring,  357,  éd.  1738.) 

^pe  propose  de  remplacer  cela  par  ces  vers,  qui  ont  à  un  bi^u  nuiic 
'•"é  l'énergie  riche  et  sonore  des  grandes  descriplious  des  •  Saisons  •»  : 

....  •  Deep-cleft  dispnrting  orb,  that  arch'd 
The  rarefy'd  Abyss,  whose  searching  stenms 
Expansive  sought  a  vent,  impetuous  rush'd 
With  universal  lapsc,  into  the  gulph, 
And  o'er  the  high-pil'd  hills  of  fractur'd  earth 
Wide  dashed  »,  etc.. 


148  JAMES  THOMSON. 

cependant  rien  n'est  moins  douteux  que  cette  collaboration. 
Le  Rév.  J.  Mitford  acheta  un  jour  pour  un  schelling  et  demi 
un  volume  des  Œuvres  de  Thomson  dont  les  marges  conte- 
naient de  nombreuses  corrections  manuscrites.  C'était  un 
exemplaire  du  premier  volume  de  Tédition  de  1738,  et  les 
annotations  étaient  toutes  de  la  main  de  Pope  ou  de  celles  de 
Thomson.  Le  précieux  exemplaire  est  aujourd'hui  à  la  Biblio- 
thèque du  Musée  Britannique,  et  nous  y  pouvons  suivre  minu- 
tieusement le  travail  des  deux  amis  *.  Nous  y  voyons  les  pro- 
positions de  Pope,  quelquefois  efîacées,  puis  rétablies  par 
Thomson  ;  parfois  aussi  défmitivement  éliminées  ',  mais  beau- 

ou  par  ceux-ci  (car  il  expose  deux  versions  différentes)  : 

«  Deep-clefl  disparting  orb,  that  arch*d 
The  ccniral  walcrs  round,  impctuous  rushed 
With  universal  lapse  into  the  gulph, 
Wide-dashed  •,  etc. 

Parfois  même  il    trouve  des  vers  d'inspiration  vraiment  miltonieone. 
Thomson  avait  écrit  (Winler,  v.  137,  éd.  1738)  : 

<i  Through  the  loud  Night,  that  bids  the  Waves  arise  », 

et  Pope  remplace  ces  expressions  peu  précises  et  banales  par  : 

u  Thro*  the  biack  Night  that  slts  immense  around.  » 

i.  L'écriture  élégante  et  menue  de  Pope  y  est  aussi  nettement  recon- 
naissable  que  l'écriture  ample  et  ferme  de  Thomson.  Mr.  P.  Cunningham 
avait  énoncé  quelques  doutes  sur  cette  attribution  à  Pope  et  croyait  recon- 
naître récriture  de  Lyttellon.  MM.  Combe  et  Ellis,  de  la  Bibliothèque  d" 
Musée  Britannique,  ont  étubli,  par  une  comparaison  avec  d'autres  maou- 
scrils,  que  les  notes  sont,  sans  le  moindre  doute,  de  la  main  de  Pope. 

Les  notes  de  Thomson  sont  écrites  tantôt  à  l'encre  et  tantôt  au  crayon» 
celles  de  Pope  toujours  à  l'encre.  Et  l'on  est  surpris  de  trouver,  adhérant 
encore  au  papier,  des  traces  de  la  poudre  mélalliqne  dont  l'auteur  de  1^ 
«  Dunciade  •  se  servait  pour  sécher  son  encre  pendant  ce  travail  d'obligeant^ 
confraternité. 

L'exemplaire  qui  avait  été  acheté  par  Mitford  1  sh.  6  d.  (un  franc  soixante 
quinze  centimes)  fut,  à  sa  mort,  adjugé  au  prix  de  46  livres  (1  150  franco)' 
Il  figure  au  catalogue  du  British  Muséum  avec  cette  cote  :  C.  28.  e. 

2.  Thomson  déclare  en  différents  endroits  qu'il  préfère,  dans  un  jardii^f 
un  peu  de  désordre  naturel  à  un  excès  de  régularité.  Il  avait  écrit  : 

•  Dewy  bright 
And  in  yon  mingled  wilderness  of  flowers.  • 

{Spriug,  v.  486,  éd.  1738.) 

Pope  voudrait  que  ce  jardin  ressemblât  plus  au  sien  et  remplace  par  : 

«  In  that  wild 
Or  those  mingled  beds  of  cboicer  flowers.  * 


VIE  A  RIGHMOND.  149 

up  plus  souvent  conservées.  Rien  ne  saurait  donner  une 
ée  plus  fistvorable  des  deux  poètes  que  l'étude  attentive  du 
*lume  dû  à  cette  union  de  leur  génie.  Pope  y  apporte  un 
ns  critique  aiguisé,  précis  mais  non  pas  mesquin  ni  tatillon  ; 
est  sincère  sans  risquer  de  blesser  par  un  excès  de  sévérité; 
surtout,  nous  l'avons  dit,  il  se  pénètre  de  l'esprit  du  poète 
du  poème  avec  une  entière  bonne  foi.  S'il  est  impossible 
ail  cesse  entièrement  d'être  lui-même  *,  il  s'efforce  cepen- 
ant,  sans  jalousie  et  sans  parti  pris,  d'améliorer  l'œuvre.  Il 
rrive  à  y  insérer  sa  marqueterie  avec  [un  tel  succès  qu'il  est 
)rt  difficile  de  la  distinguer  parmi  les  vers  de  Thomson. 
lelui-ci  de  son  côté  accepte  toutes  les  critiques  fondées,  avec 
ne  simplicité  virile.  Il  reste  assez  modeste  pour  savoir  pro- 
iler  des  avis  utiles,  même  quand  ils  impliquent  un  blâme  *. 
^t  d'autre  part  il  conserve  l'entière  indépendance  de  son  juge- 


lais  Thomson  tienl  bon  el  biffe  les  plates-bandes  de  fleurs  rares. 
Ailleurs,  le  texte  du  poème  portait  (Autumn,  v.  395,  éd.  1748)  : 

«  Of  the  worst  monster  ever  howled  the  waste  n. 

«  verbe  était  peu  satisfaisant  et  Pope  le  remplaçait  par  «  trod  ».  Thomson 

*ouve  le  terme  vague  et  peu  propre  à  suggérer  une  image;  il  s'arrête  & 

roamed  '«qui  est  resté  la  leçon  déflnitive. 

^•11  a,  par  exemple,  introduit  dans  les  «  Saisons  •  quelques-uns  des  vers 

antithèses  ou  à  scintillement  de  mots  qui  s'y  trouvent.  Dans  l'épisode  de 

avinla, 

«  Thou  wilt  add  that  bliss 
That  dearest  bliss,  the  power  of  blessing  thee  » 

{Aulumn,  V.  293) 
l  de  Pope. 

'•  II  $<upprime  par  exemple,  conformément  à  Tavis  de  Pope,  des  passages 
^nrs  ou  de  construction  pénible  tels  que  celui-ci  : 

«  But  yonder  breathing  prospect  bids  the  Muse 
Throw  ail  her  beauty  forth,  that  daubing  ail 
Will  be  to  what  I  gaze  :  for  who  can  paint 

Like  Nature?  • 

(Spring,  v.  427,  éd.  1738) 
'1  garde  seulement  : 

•  Behold,  yon  breathing  prospect  bids  the  muse 
Throw  ail  her  beauty  forth.  But  who  can  paint  »,  etc. 

'  est  vrai  que  le  reproche  d'obscurité  ne  le  touche  pas  toujours  autant, 
ïi'a  pas  consenti  à  sacrifier,  malgré  l'avis  de  Pope,  ces  trois  vers  de 
'  Automne  »  : 

«  And,  stretching  street  on  street.  by  thousands  drew, 
From  twining  woody  haunts,  or  the  tough  yew 
To  bows  strong-straining,  her  aspiring  sons.  > 

(115-417.) 


loO  JAMES  TnOMSON. 

ment  en  face  d'un  confrère  pins  famenx.  Il  n'hésite  pas  à 
aflirmer  Jes  droits  de  son  génie  dans  les  cas  où  la' critique  de 
Pope  lui  paraît  affaiblir  l'image  ou  la  pensée  que  lui-même 
a  voulu  exprimer. 

Cette  édition  des  a  Saisons  »  était  publiée  par  Millar  au  mois 
de  juin  1744.  Woodfall  en  avait  imprimé  1  500  exemplaires. 
Le  mois  suivant,  dans  le  même  format  in-8,  Millar  publiait 
une  nouvelle  édition  du  premier  volume  des  Œuvres  *,  et, 
au  mois  d'août,  une  réimpression  en  un  seul  volume  d'à  Aga- 
memnon  d  et  d'  a  Edouard  et  Éléonore  »  *. 


IV 


Enfin,  durant  cette  année  1744,  Mr.  Lyttelton  arriva  aux 
affaires,  dans  Tadministration  qui  succéda  à  celle  de  Rob. 
Walpole,  et  devint   un   des  lords   de    la  Trésorerie.  Il  fit 
aussitôt  profiter  son  ami  de  son  influence,  et  lui  assura,  dans 
l'administration  des  douanes,  la  place  de  Suin^eyor-General 
of  the  Leeward  Islands.  Cette  direction  des  douanes  des  Iles 
Sous-le-Vent  pouvait  beureusement  s'exercer  de   loin.  Ou. 
plutôt  le  titulaire  ne  dirigeait  rien  et  se  contentait  d'envoyer 
un  substitut  auquel  il  abandonnait  partie  des  émoluments. 
Thomson  fit  choix  de  William  Paterson,  l'ami  obligeant  qu* 
avait  recopié  son  manuscrit  d'  «  Edouard  ».  Il  lui  restait  encore, 
après  avoir  payé  son  lieutenant,  un  revenu  de  trois  cents  livres. 
Avec  les  cent  livres  de  pension  du  prince  de  Galles,  notre 
poète  se  trouvait  donc  pourvu,  indépendamment  du  produit 
éventuel  de  ses  travaux  littéraires,  d'une  large  aisance. 

Dans  un  des  recueils  de  correspondances  de  ce  temps,  nous 
relevons  une  mention  de  Thomson  qui  paraît  avoir  échappe 
à  ses  biographes.  Elle  offre  cet  intérêt  de  nous  le  montrer  en 
relations  d'amitié  avec  un  des  plus  illustres  parmi  ses  con- 
temporains. Richardson,  après  la  publication  de  «  Paméla  h 
en  1740,  et  celle  de  la  suite  qu'il  crut  devoir  y  ajouter  un  an 
plus  tard,  était  déjà  un  personnage  célèbre,  quand  HiU  le 

1.  Tirage  à  1500  exemplaires.  L'année  suivauto,  tirage  supplémentaire 
de  500  exemplaires.  (Woodfall's  Ledger,  26  juin  1745.) 

2.  Tirage  à  250  exemplaires.  (Woodfall's  Ledger,  26  août  1744.) 


VIE  A  RIGHMOND.  151 

hargeait,  le  24  juillet  1744,  de  remerciments  et  d'amitiés 
our  Thomson  *.  Notre  poète  ne  se  doutait  guère  que  le  digne 
jmraerçant  qui  venait,  sur  le  tard,  d'écrire  ce  récit  familier 
touchant,  inaugurait  une  forme  d'art  nouvelle  et  apportait 
solution  du  grave  problème  alors  posé  devant  les  écrivains 
les  critiques.  La  première  moitié  du  xviii'  siècle  s'était 
îoulée  sans  avoir  vu  naître  une  école  dramatique  nouvelle. 
e  public  continuait  à  demander  aux  poètes  les  plaisirs  que  la 
êne  anglaise  avait  su  lui  assurer  dans  la  longue  période  qui 
i,  presque  sans  interruption,  de  Marlowe  à  Otway.  Et  les 
)ètes,  pour  satisfaire  ce  désir,  continuaient  à  alimenter  le 
léàtre  de  tragédies  sans  vie,  qu'ils  avaient  élaborées  sans 
ithousiasmeetsans  foi,  que  les  auditeurs  écoutaient  sans  émo- 
)nni  plaisir.  Cette  antinomie  entre  les  aspirations  du  public 
l'impuissance  d'un  genre  épuisé  pouvait  se  prolonger  long- 
fnps.  Comment  rajeunir  et  raviver  la  tragédie?  Home  devait 
ns  quelques  années  la  faire  briller  d'un  nouvel  et  fugitif 
lat;  mais  la  vraie  solution  était  apportée  par  Richardson.  Le 
man  mettrait  fm  à  la  longue  agonie  de  la  tragédie  en  la 
ant  définitivement.  Et  il  la  remplaçait  par  la  forme  d'art  la 
us  souple,  la  plus  plastique,  la  plus  propre  à  se  transformer 
on  les  variations  du  goût,  des  milieux  et  des  temps, 
rhomson,  pas  plus  sans  doute  que  Richardson  lui-même, 
voyait  aussi  loin  dans  l'avenir.  Il  persistait  à  croire  qu'une 
nne  tragédie  ne  demandait  qu'une  application  conscien- 
use  des  règles  du  genre,  avec  ce  que  le  talent  de  chaque 
eur  pouvait  communiquer  de  noblesse  ou  de  grâce  au  lan-. 
je  des  personnages  mis  en  scène.  Ses  tentatives  de  rénova- 
1  n'allaient  pas  au  delà  d'une  imitation  des  hardiesses  de 
taire.  L'œuvre  qu'il  achevait  en  1744  emprunta,  comme 
Idouard  et  Éléonore  »,  son  sujet  aux  temps  modernes,  et 
I  pas  à  l'antiquité  classique  *.  Cette  quatrième  tragédie  fut 

•  ....  To  the  author  of  Ihc  Seasons  will  you  be  so  good  as  to  relurn 
tbanks  for  his  rememberiog  an  old  friond  who,  Ihough  he  had  still 

I  forgotlen  on,  would  notwithslanding  Ihat,  havc  yearly  Iraced  him 
id  wilh  new  delight  from  Spring  qiiite  down  to  Winter.  •  (Hîll  à 
lardsoD,  July  24,  1744.) 

II  a  élé  fourni  à  Thomson  par  un  épisode  de  Gil  Dlas, \iy,  IV,chap.iv: 
Mariage  par  vengeance  ». 

I  revanche,  la  tragédie  anglaise  a  été  imitée,  ou  plutôt  traduite  en 
ce,  par  Saurin,  et  représentée  le  2o  septembre  1763  sous  le  titre  de 


152  JAMES  TnOMSON. 

jouée  à  Drury-Lane  on  mars  1745.  Il  ne  s'agissait  plus  cette 
fois  de  l'œuvre  d'un  auteur  ignoré  ou  d'un  homme  de  lettres 
besogneux.  La  tragédie  se  présentait  au  public  avec  les  plus 
nobles  répondants.  Lyttelton  et  son  cousin,  Mr.  Pitt,  avaient 
suivi  les  répétitions  avec  une  extrême  assiduité,  donnant  aux 
acteurs  des  conseils  que  ceux-ci  écoutaient  avec  respect  et 
suivaient  avec  confiance*.  Ce  n'pst  pas,  pour  la  mémoire  de 
Thomson,  un  médiocre  honneur  que  ces  preuves  d'amitié  du 
futur  lord  Ghatham.  Le  grand  orateur  était  un  fin  lettré  dont 
le  jugement  s'appuyait  sur  un  savoir  étendu  et  solide*.  Gar- 
rick  jouait  le  rôle  de  Tancrède'.  Le  prince  de  Galles  accepta 
la  Dédicace,  en  sa  qualité  de  «  protecteur  de  tous  les  arts 
et  de  toutes  les  sciences  et,  en  particulier,  des  œuvres  drama- 
tiques *  ».  Le  succès  fut  beaucoup  plus  complet  que  pour 
aucune  des  autres  tentatives  faites  par  l'auteur  à  la  scèa©- 
L'œuvre  fut  chaudement  applaudie,  comme  l'atteste  Walpol^» 
un  des  critiques  les  plus  malveillants  de  Thomson  *.  Woodf3.n 
imprima  pour  Millar  5000  exemplaires,  plus  50  exemplaiï*^ 
de  luxe  °.  La  faveur  rencontrée  par  cette  tragédie  auprès  du 
public  anglais  persista  pendant  de  longues  années.  Nomt>re 
d'éditions  en  paraissent  sans  épuiser  la  vogue  dont  elle  est 

Blanche  et  Guiscard.  La  traduction  avait  été  publiée  d'abord  dans  le  Me' 
cure  de  janvier  et  de  février  1761. 

1.  «  Those  preat  persons  (Pitt  and  Lyttelton)  had  taken  npon  IhemseW^^^ 
the  patronage  of  Thomson's  Tancred  and  Sigismunda;  under  their  direc-^" 
tion  and  induencc,  it  was  acted  at  Drury-Lane.  »  (Davibs,  Life  of  Garriek^ 
vol.  1,  p.  78.) 

«  Tlie  two  great  statesmen,  Pitt  and  Lyttelton,  attended  the  rehearsal  o 
Tancred  and  Sigismunda  with  great  assiduity;  they  had  a  sincère  value 
for  the  amiable  author.  Their  instructions  were  heard  by  the  players  with 
great  respect,  and  embraced  with  implicit  confidence.  The  play  was  well 
acted  in  ali  its  parts.  • 

2.  On  rapporte  de  lui  qu'il  pouvait  également  éclipser  Gibbon  dans  une 
conversation,  battre  les  humanistes  les  plus  experts  dans  une  traduction 
improvisée,  et,  à  un  souper  shakespearien,  «  parler  Shakespeare  -  de  façon 
à  humilier  tous  les  assistants,  y  compris  Porson  lui-même. 

Sa  prédilection  pour  le  théâtre  datait  de  loin.  A  treize  ans  il  avait  écrit 
une  tragédie.  (Voir  The  Life  and  Letters  ofLord  Macaulay  by  G.  Trbvbltak, 
Macaulay's  Diary,  July  17,  1856.) 

3.  Les  autres  rôles  étaient  tenus  par  Sherridan  et  Delane,  Mrs.  Cibber  et 
Miss  Budgell. 

4.  Ce  sont  les  termes  employés  par  Thomson  dans  la  dédicace. 

5.  «  The  town  flocks  to  a  new  play  of  Thomson's  called  Tancred  and 
Sigismunda;  it  is  verv  dull.  •  (Horace  Walpole  à  H.  Mann,  29  mars  1745. 
Lettre  167.) 

e.  WoodfalFslLedger,  March  25,  1745. 


VIE  A  RICHMOND. 


153 


l'objet*.  Murdoch,  en  1762,  Clark,  en  1772,  Johnson,  en  1781, 
constatent  ce  succès  persistant  %  dont  la  traduction  de  Saurin 
est  à  l'étranger  une  flatteuse  consécration  '. 

L'accaeil  fait  à  sa  tragédie,  la  popularité  toujours  croissante 
des  c  Saisons  »,  l'amitié  active  de  Lyttelton,  chez  qui  il  passe 
encore  Tété  de  1745,  apportent  au  cœur  meurtri  du  poète  les 
consolations  ou  les  distractiqps  qu'il  peut  recevoir.  A  Tusage, 
sa  demeure  à  demi  rustique  n'a  rien  perdu  du  charme  qu'il  y 
avait  trouvé  en  quittant  l'appartement  sans  gaîté  d'une  étroite 
et  bruyante  rue  de  Londres,  a  La  solitude  et  la  nature  me 
«  plaisent  tous  les  jours  davantage  »,  dit-il  dans  une  lettre  à  son 
ami  Paterson  *.  Et  il  conseille  au  voyageur,  qui  est  allé  si  loin 
chercher  un  emploi  lucratif,  d'amasser,  avant  le  retour,  un 
pécule  suffisant  pour  pouvoir  jouir,  dans  quelque  agréable 
retraite,  d'une  vie  vraiment  heureuse,  telle  que  celle  du  vieil- 
lard de  Corycus  *.  Et  c'est  ainsi  que  s'écoulent  ses  dernières 
années,  entre  les  charmes  d'un  genre  de  vie  qui  réalisait 
tous  ses  vœux,  l'exécution  de  travaux  littéraires  auxquels  il 
peut  se  consacrer  sans  hâte  et  sans  fièvre,  la  mélancolie  de 
^tte  passion  qui  avait  cru  fixer  le  bonheur  et  l'avait  vu  fuir 
^ns  retour,  et  la  chaude  sympathie  d'amis  anciens  et  nou- 

.  ^.  Édition  in-8  en  1752;  in-8  en  1766;  in-12  en  1768;  in-8  en  1777;  édi- 
^*<^n  in-12  en  1812,  imprimée  d*après  le  •  prompl-book  •. 

.  3-  •  It  continues  to  draw  crowded  houses  »  (Murdoch).  Mêmes  expres- 
sions dans  la  biographie  de  l'édition  de  darke.  «  It  slill  keeps  ils  turn 
^pon  the  stage.  •  (Johnson.) 

3.  Voltaire  accueillit  avec  beaucoup  de  mauvaise  humeur  cette  invasion 
^cla scène  française  par  une  pièce  d'origine  anglaise.  Évidemment  il  ne 
^oyait  pas  dans  la  tragédie  un  article  d'importation  qu'on  pût  admettre 
^  Paris.  Récrit  à  M.  Damilaville,  le  26  février  176i  :  a  ....J'ai  lu  Blanche. 
^0Q8  prenons  donc  à  présent  nos  tragédies  chez  les  Anglais?  Quand 
l^reodrons-Dous  ce  qu'ils  ont  de  bon?  » 

£t  au  traducteur  lui-même,  deux  jours  plus  tard  : 

•  Vous  ayez  fait,  Monsieur,  bien  de  l'honneur  à  ce  Thomson.  Je  l'ai 
connu,  il    y    a  quelques    années.  S'il  avait    su   être    plus    intéressant 
dans  ses  autres  pièces  et  moins  déclamateur,  il  aurait  réformé  le  théâtre 
anglais  que  Gilles  Shakespeare  a  fait  naître  et  a  gâté....  •  (A  M.  Saurin, 
28  fév.  1764.) 

4.  Du  mois  d'avril  1748;  et  probablement  du  milieu  du  mois,  selon  la 
conjecture  de  R.  Héron,  puisqu'il  y  est  question  du  siège  de  Maastricht, 
où  1  armée  française  ouvrit  son  feu  dans  les  premiers  jours  du  mois. 

5.  Le  dernier  paragraphe  de  la  lettre  contient  ce  passage  :  <«  May  your 
bealth...  still  continue,  till  you  hâve  scraped  together  enough  to  return 
home  and  live  in  some  snug  corner,  as  happy  as  the  Corycius  senex,  in 
Virgil's  fourth  Géorgie,  whom  I  recommend  both  to  you  and  myself  as  a 
perfect  model  of  the  truest  happy  life  ». 


184  JAMES  THOMSON. 

veaux.  CoUins  mérite  parmi  ceux-ci  une  mention  spéciale. 
Entre  ces  deux  hommes  à  bien  des  égards  différents  :  le  poète 
délicat,  exquis,  un  peu  précieux  et  frêle  des«i  Églogues  »  et  des 
tt  Odesi>,etle  chantre  abondant  et  robuste  de  la  a  Nature  i»,  une 
vive  amitié  s'établit,  dont  Collins  devait  donner  plus  tard  un 
témoignage  touchant.  Très  différent  était,  parmi  les  visiteurs 
de  Kew-Lane,  le  Dr.  de  la  Cîour,  prêtre  et  poète  irlandais,  que 
ses  excentricités  avaient  fait  surnommer  en  Irlande  tfie  mad 
parson.  Il  avait  pour  Thomson  une  enthousiaste  admiration 
qu'il  a  exprimée  en  vers.  Il  venait  souvent  le  voir,  et  se  mon- 
trait prêt  à  lui  tenir  tête,  selon  l'humeur  du  moment,  soit 
dans  une  conversation  littéraire,  soit  en  face  d'une  bouteille 
de  porto  * . 

Dans  la  lettre  à  Paterson  déjà  citée,  la  dernière  lettre  de 
Thomson  que  nous  connaissions,  le  poète  fait  mention  d'un 
assez  grand  nombre  de  ces  amis  de  toutes  classes  et  de  toutes 
sortes  dont  il  a  su  gagner  et  retenir  laffection.  Ce  sont  des 
hommes  politiques  élevés  aux  grandes  fonctions  de  TÉtat 
comme  Pitt  et  Lytteiton  ou  comme  Mitchell  qui  vient  d'être 
envoyé  aux  Communes  par  le  comté  d'Aberdeen.  C'est,  à  côté 
d'eux,  Tacteur  Quin  pour  lequel  son  amitié  ne  diminue  pas 
quand  la  gloire  d'un  jeune  rival  vient  faire  pâlir  la  popularité 
du  tragédien.  Ce  sont  des  gens  de  lettres  comme  Gilbert  West  * 

1.  De  la  Cour  avait  publié  en  1733  un  recueil  de  pièces  dont  la  plus 
importante  avait  pour  titre  The  Prospect  of  Poelry.  il  y  adressait  de  vifs 
ëloj^cs  à  l'auteur  des  •  Saisons  -.  Le  comte  de  Buchan  a  publié,  comme  étant 
de  Thomson,  un  morceau  poétique  adressé  au  docteur  de  la  Cour,  sur  son 
Prospect  of  Poctry.  Les  vers  fif^urent  dans  les  recueils  des  œuvres 
diverses  de  Thomson.  Mais  Cave,  l'éditeur  du  Gentieman's  Magazine,  avait 
d'avance  nié  cette  attribution.  Le  morceau,  dit-il,  lui  avait  été  adressé 
en  1136,  avec  la  signature  J.  Thomson.  Il  ne  l'avait  pas  accepté,  car  il 
s'était  aperçu  que  les  vers  avaient  été  déjà  publiés  en  1734  dans  un  recueil 
mensuel,  et  parce  que  d'ailleurs  Thnmson  lui  avait  afûrmé  n'eu  être  pas 
lauteur.  Le  morceau  a  bien  en  elTet  le  caractère  d'un  pastiche  et  presque 
d'un  centon  des  vers  des  «  Saisons  ». 

Malgré  ses  excentricités  et  ses  habitudes  d'intempérance,  De  la  Cour 
vécut  jusqu'à  soixante-douze  ans.  —  C'est  Robertson  qui  nous  dit  qu'il 
comptait  parmi  les  amis  les  plus  chers  de  Thomson,  dans  les  dernières 
aunées  de  la  vie  de  celui-ci. 

2.  (Hiberl  West,  après  avoir  quitté  l'armée,  s'était  fait  un  nom  parmi 
les  thi'ologicnà  par  ses  •  Observations  sur  la  Résurrection  ».  —  11  habi- 
tait ù  Wickham,  dans  le  Kent,  une  charmante  résidence  où  Lytteiton  et 
Pill  allaient  souvent  le  voir.  C'est  là,  dit-on,  que  ce  dernier  contracta  son 
goût  pour  l'art  des  jardins,  et  Lytteiton  son  goût  pour  les  controverseti 
théologiques. 


VIE   A    RICllMOND.  loo 

etMalIet  ',  des  ecclésiastiques  tels  que  son  vieux  eaniarade 
Miirdocli  ou  AVarrender.  La  lettre  mentionne  également  le 
Iir.  Arnislrong,  qui  se  lait  en  ce  moment  sa  place  paruji  les 
plus  célèbres  particiensdu  jour  et  Andrew  Millar,  depuis  vingt 
ans  l'éditeur  et  l'ami  du  poète.  La  mention  de  chacun  de  ces 
noms  est  accompagnée  de  quelques  mots  où  se  montrent 
l'attachement  et  Testime  de  Thomson.   «   Mitchell  est  à  la 

•  Chambre. . . .  J 'espère  qu'il  arrivera  bientôt  à  autre  chose  *,  per- 
t  sonne  ne  le  mérite  mieux  que  lui  :  la  vraie  amitié  et  Thuma- 
«  nilé  habitent  son  cœur.  »  —  a  Pierre  Murdoch  a  bon  espoir 
«  d'un  nouveau  bénéfice  dans  le  SufTolk.  Il  y  prendra  femme, s'y 
«  terrera  et  sera  heureux.»  —  a  Le  bon,  l'obligeant  Millar  va 
«  comme  d'ordinaire.  »  —  a  Le  Docteur(Armstrong)  voit  croître 

•  saclientèle,  mais  non  pas  décroître  sa  misanthropie.  Il  est  vrai 

•  qu'il  y  aune  certaine  misanthropie  qui  ne  manque  ni  d'huma- 
«  nité  ni  de  charme,  c'est  celle  de  Jaques  dans  la  comédie'.  » 

De  tous  ces  amis  cependant,  c'est  Lytleltonqui,  pendant  ces 
dernières  années,  occupe  la  plus  grande  place  dans  les  aflfec- 
Uons  et  dans  la  vie  de  Thomson.  Il  reçoit  chaque  année  le 
Poète  à  Hagley  et  l'y  garde  plusieurs  semaines  *;  il  va  lui- 
'^ème  s'installer  à  Kew-Lane  pour  y  faire  des  séjours  pro- 
longés. Une  de  ses  lettres  à  Thomson,  datée  du  21  mai  1747, 
*^ous  fournit  d'intéressantes  indications  sur  les  relations  des 

1.  Les  relations  de  Thomson  avec  Mallet  semblent  avoir  perdu  à  un 

Certain  moment  quelque  chose  de  leur  cordiale  intimité.  Dans  les  lettres 

t^nbiiées  par  P.  Cunningham  pour  la  Philobiblon   Society,  il  en  est  une, 

^alée  du  9  août  1745,  où  notre  poète  s'excuse  de  ne  pas  toujours  observer 

^es  règles  extérieures  de  l'amitié.  Il  demande  à  son  vieux  camarade  de  ne 

pas  le  juger  d*après  son  apparente  né^'ligence.  11  vient  d'apprendre,  en 

rencontrant  par   hasard  des  domestiques  de  Mallet,  que  la  famille    de 

celui-ci  s*est  augmentée  tout  dernièrement. 

La  même  lettre  nous  fait  connaître  un  trait  assez  amusant  de  l'ordi- 
naire négligence  du  poète.  Il  avait  loué  un  livre  (Hackluyts  Rock  of 
Voyages)  sans  du  reste  connaître  les  termes  de  la  location.  Mnllet  Tavait 
engigé  à  renvoyer  le  livre  chez  Millar.  Thomson  avait  omis  de  le  faire, 
et  se  trouvait  devoir  12  schcllings.  Il  estima  qu'il  valait  mieux  ajouter 
quelque  chose  à  la  somme  et  devenir  propriétaire  de  l'ouvrage. 

2.  Il  devint  en  effet  ministre  d'Angleterre  à  Berlin. 

3.  «  Though  the  Doctor  increases  in  business,  he  does  not  decrease  in 
spleen,  but  ihere  is  a  certain  kind  of  spleen  Ihat  is  both  humane  and 
agreeable,  like  Jacques  [sic)  in  the  play.  • 

4.  Ces  voyages  ont  lieu  à  Tété  de  1743,  à  l'automne  de  1146  et  1747. 
Un  autre  était  convenu  pour  l'année  1748.  —  Shenstone  confirme  ces 
indications  dans  une  note  manuscrite  tracée  sur  son  exemplaire  des 
«  Saisons  ». 


156  JAMES  THOMSON. 

deux  amis.  Le  poète,  nous  l'avons  dit,  aimait  à  se  promei 
dans  Tadmirable  parc  de  Richmond.  Lytteltôn,  qui  en  av 
une  clef,  l'avait  mise  à  sa  disposition;  puis,  il  s'était  vu  a 
traint  par  les  plaintes  des  jardiniers  et  par  la  demande  de 
duchesse  de  Bridgewater,  à  reprendre  la  clef  pour  la  donne 
la  noble  dame.  Thomson  proteste  vainement,  se  croyant,  dit 
les  mêmes  droits  que  les  rossignols  à  jouir  de  ces  beaux  j 
dins.  Lytteltôn  lui  fait  entendre  raison  et  le  console  dans 
termes  les  plus  affectueux  *.  11  lui  donne  en  même  temps  n 
dez-vous  pour  l'emmener,  quelques  jours  plus  tard,  en  cha 
de  poste,  faire  une  visite  à  Mrs.  Stanley.  Un  autre  passi 
exprime  des  remercîments  pour  le  rhum  envoyé  par  Thoms 
(et  sans  doute  reçu  par  celui-ci  de  Paterson).  Il  annonce 
retour  l'arrivée  prochaine  à  Kew-Lane  d'un  cadeau  de  vin 
Bordeaux. 

Mais  ces  rapports  de  cordialité  simple  et  enjouée  savai 
aussi  être  élevés  et  graves.  Lytteltôn  qui  s'était  montré  dans 
jeunesse  irréligieux,  comme  le  demandait  alors  le  bon  toi 
avait  trouvé  son  chemin  de  Damas,  grâce  à  Gilbert  West,  et  £ 
c  Observations  sur  la  Résurrection  »  ^.  Avec  la  ferveur  d 
néophyte,  il  s'efforçait  de  ramener  à  la  foi  chrétienne  Thoins 
qui,  depuis  bien  des  années,  s'était  arrêté  à  la  religiosité  s( 
timentale  d'une  philosophie  assez  vague.  Lytteltôn,  faisant  al 
sion  à  la  perte  de  sa  jeune  femme  *,  écrivait  à  son  ami  :  «  M 
«  refuge  et  ma  consolation,  c'est  la  philosophie  —  la  philo! 
c  phie  chrétienne  dont  je  désire  ardemment  vous  voir  deve 
«  comme  moi  un  adepte....  Je  vous  ai  envoyé  une  brochure  î 


1.  Lyttellon  à  Thomson,  lettre  du  21  mai  1147.  (Dans  Piiillimo 
Memoirs,  vol.  I,  p.  131.) 

2.  Il  avait  imité  les  Lettres  persanes  (Letters  from  a  Persian  in  Lon 
to  his  Friend  at  Ispahan)  en  conservant  non  seulement  le  cadre  de  Mon 
quicu,  mais  aussi  la  liberté  des  peintures,  et  l'audacieuse  raillerie 
choses  religieuses. 

3. Gilbert  West  who,  you  say,  first  led  yourway  to  trulh.  ■  (Le 

de  Pelham  à  Lytteltoo,  du  il  juillet  1141,  dans  PHiLLi3iORB*s3femotr.«  of  ï 
tel  ton,) 

4.  Le  19  janvier  1147.  Il  avait  épousé  Lucy,  fille  de  Hugh  Fortes 
Esq.,  de  Filleigh,  comté  de  De  von,  en  juin  174*2.  Il  avait  à  cette  occas 
reçu  de  Chesterfleld  une  lettre  de  félicitations  (Balh,  19  juin)  où  n 
relevons  le  passage  suivant  :  «  To  wish  you  joy  were  frivolous,  iha 
certain  and  présent,  but  whenever  that  does  décline,...  mayall  ils  swt 
nées  turn  to  strength,  or,  as  Thompson  {sic)  say  s,  may  il  mellow  i 
friendship.  »  (Phillimore*s  Memoirs  of  Lytteltôn,) 


YIB  A  RICHMOND.  187 

c  un  sujet  qui  y  touche  et  dont  nous  avons  autrefois  causé.  Je 
t'ai  écrite  à  Kew-Lane  Tannée  dernière,  et  Tai  écrite  particu- 
I  lièrementen  vue  de  répondre  à  vos  doutes.  Vous  y  avez  donc 
c  un  double  droit.  Je  prie  Dieu  que  le  traité  vous  paraisse  aussi 
€  convaincant  qu'à  moi-même  et  qu'il  vous  amène  à  la  foi  du 
I  chrétien,  vous  qui  en  avez  le  cœur  *.  i&  C'est  donc  pour  l'édi- 
fication de  notre  poète  que  Ly ttelton  écrivit  ces  a  Observations 
sur  la  conversion  et  l'apostolat  de  saint  Paul  ]»  dont  Johnson 
tait  un  chaleureux  éloge,  et  où  il  voit  une  irréfutable  apologie 
du  christianisme  >.  Lyttelton  était  persuadé  que  sa  dialectique 
avait  eu  raison  de  l'incrédulité  de  Thomson.  Dans  une  lettre 
écrite  peu  de  jours  après  la  mort  du  poète,  il  unit  de  façon  assez 
touchante  le  souvenir  de  sa  femme  et  celui  de  son  ami  :  «i  II 
(  aimait  ma  Lucie,  et  il  était  aimé  d'elle.  J'espère,  plein  de 
(  confiance  en  la  bonté  divine,  qu'ils  sont  maintenant  réunis 

<  dans  une  vie  beaucoup  plus  heureuse  '.  d  Et  dans  une  autre 
lettre  de  la  même  année,  il  s'exprime  ainsi  :  a  Thomson,  je  le 

*  crois  sincèrement,  est  mort  en  chrétien.  S'il  avait  vécu  plus 

<  longtemps,  je  ne  doute  pas  qu'il  n*eût  ouvertement  déclaré 

<  sa  foi,  car  le  courage  ne  lui  manquait  pas  pour  faire  ce  qu'il 

<  croyait  être  bien.  Son  esprit  avait  été  fort  embarrassé  de 

<  doutes  que  mon  livre  sur  saint  Paul  (j'ai  le  bonheur  de  le 

<  croire)  avait  entièrement  dissipés.  Il  me  l'a  dit  lui-même,  et 
^  l'a,  dans  sa  maladie,  déclaré  à  d'autres.  —  Quant  au  cœur 

*  d'un  chrétien,  il  l'avait  toujours  eu  à  un  degré  de  perfection 

*  qu'ont  atteint  peu  d'hommes,  à  ma  connaissance  \...  t^ 

^'  Philu3iorb*s  Memoirs  and  Correspondence  of  LytlelloUy  vol.  I,  p.  307. 
^'  ioHNsofi,  Life  of  Lyttelton. 
3-  «  Hagley,  September  30'^  1748. 

* ....  God's  wiil  be  done!  It  bas  pleascd  bis  Providence  to  arflict  me 
iately  with  a  new  atroke  in  tbe  sudden  death  of  poor  Mr.  Tbomson,  one  of 
l^e  £est  and  most  beloved  of  my  friends.  He  loved  my  Lucy  too,  and  was 
l^^^d  by  ber.  I  bope  and  trust  in  Ibe  Divine  goodness  Ibat  tbey  are  now 
^^ether  in  a  much  bappier  slale.  Tbat  is  my  consolation  :  tbat  is  my 
^^Pport....  »  (Lettre  au  Dr.  Doddridge,  dans  Philumore's  Memoirs  and 
^f^espondence,  etc.,  vol.  I,  p.  407.) 

^.  •  London,  November  tbe  7'^. 
I  *  •...  Tbomson,  I  bope  and  believe,  died  a  Cbristian.  Had  be  lived  longer 
^on't  doubt  but  be  would  bave  openly  profest  bis  faitb;  for  be  wanied 
^^  courage  in  wbat  be  tbougbt  rigbt,  but  bis  mind  bad  been  mucb  per- 
^^^xed  witb  doubts,  wbicb  1  bave  tbe  pleasure  to  tbink  my  book  on 
^.^  Paul  bad  almost  entirely  removed.  He  told  me  so  bimself,  and  in  bis 
^\ckoess  deciared  so  to  otbers.  Tbis  is  my  best  consolation  in  tbe  loss  of 
^im,  for  as  to  tbe  beart  of  a  Cbristian,  he  always  bad  tiiat  in  a  degree  of 


188  JAMES  THOMSON. 

Nous  ne  saurons  vraisemblablement  jamais  ni  quelle  part  la 
politesse  et  l'amitié  purent  avoir  à  l'assentiment  donné  par  le 
poète  aux  démonstrations  du  noble  théologien,  ni  à  quel  point 
TalTection  en  même  temps  que  la  vanité  ont  pu  influer  sur 
Topinion  qu'exprime  Lyttelton  au  sujet  du  résultat  de  son  pro- 
sélytisme. 

Là  ne  se  bornait  pas  la  sollicitude  de  Lyttelton.  il  se  préoc- 
cupait du  bonheur  de  son  ami  dans  ce  monde  aussi  bien  que 
dans  l'autre.  Une  des  lettres  de  Thomson  *  répond  à  la  propo- 
sition d'un  mariage.  Le  poète  s'est  donné  le  temps  de  réfléchir, 
et  il  se  décide  à  refuser.  11  est  plein  d'estime  pour  les  «  bonnes 
et  dignes  qualités  »  de  la  personne  dont  on  lui  parle,  mais 
«  elle  ne  fait  pas  son  caprice  *  ».  Et  il  est,  dit-il,  d'âge  trop 
avancé  pour  vouloir  se  marier,  s'il  ne  se  sent  ranimé  et,  pour 
ainsi  dire,  rajeuni  par  une  grande  flamme  d'imagination*. 
Aussi  conclut-il  que,  placé  entre  les  exigences  de  sa  raison  et 
celles  de  son  imagination,  il  restera  sans  doute  à  jamais  exclu 
du  saint  état  de  mariage  *.  Il  fait  une  discrète  allusion  à 
miss  Young,  sans  donner,  comme  motif  réel  de  son  refus,  le 
souvenir  encore  si  vif  du  drame  de  sa  vie.  Mais  il  est  poui 
nous  apparent  que  c'est  la  pensée  de  cet  amour  malheurea^ 
qui  communique  à  toute  la  lettre  sa  teinte  de  mélancolie. 

Au  moins  désire-t-elle  voir  son  jeune  ami  en  agirautreraen  t 
Il  faut  du  reste  convenir  que,  pour  l'engager  à  se  remarier,  i 
a  recours  à  d'assez  étranges  arguments.  Lyttelton,  tout  attrist 
de  la  mort  de  sa  chère  Lucy,  dit  qu'il  ne  pourra  jamais  apporte 
dans  une  seconde  union  un  pareil  amour.  Tant  mieux,  réponi 
Tliomson,  car  vous  ne  risquerez  plus,  si  vous  perdez  auss 
celle-là,  d'éprouver  une  si  grande  douleur.  Quant  à  prétendre 

perfection  beyond  niost  inen  1  liave  known (Lettre  à  Doddridge  dan 

Puillimoke's -Wtv/î';//'*,  (.'le,  vol.  I,  p.  409.) 

1.  Kew-Lane,  Dcccniber  14,  174".  (Piiillimohe's  Memoirs  and  Correspon 
dence,  vol.  I,  p.  307.)  La  proposition  a  été  transmise  par  ce  Mr.  Gr.iy,  d 
Richmond,  dont  le  nom  revient  plusieurs  fois  dans  les  lettres  do  ces  der 
nières  années.  «  Mr.  Grav  discliarged  liis  commission  faithfully,  and  witi 
very  décent  grnvity.  « 

2.  «  As  I  lold  you  before,  she  does  not  pique  my  imagination....  T 
strike  one's  fancy  is  Ihc  same  in  love  thaicharity  is  in  religion.  • 

3.  «  I  am  too  niuch  advaiiced  in  life  to  venture  to  marry,  without  fee 
inR  niyself  invigurated,  and  made  as  it  wcre  young  again,  with  a  groa 
flame  of  imagination.  * 

4.  «  What  betwixl  judgment  and  fancy,  I  shall  run  a  grcat  risk  of  neve 
entering  inlo  Ihe  lioly  state.  » 


VIE   A    iUCIIMONU.  ir>l» 

ijuun  no  piiissi'  pas  aimer  deux  l'ois,  c'est  niie  a>.^erliuii  «  con- 
'laiiiinV  pai"  la  pliilosophic  '  «. 

kiiis  une  lettre  antérieure  de  moins  de  trois  mois,  et 
aJresséti,  de  llagley,  à  sa  sœur,  Mrs.  Thomson,  (!(»  Lanark  *, 
Thomson  s'était  expliqué  déjà  sur  le  même  sujet.  H  ne  s'est 
point  marié  plus  tôt,  dit-il,  à  cause  de  la  nature  précaire  et 
variable  de  ses  ressources.  Et  si  elles  se  trouvent  alors  fort 
améliorées,  il  se  sent  trop  avancé  dans  la  vie  pour  tenter  une 
entreprise  aussi  juvénile  ^ 

1.  •  If  yoii  canDOl  again  love  so  cxquisitely  as  you  hâve  donc,  so  much 
tbct)elter;  you  will  not  ihen  risque  bcing  so  misérable.  To  say  tliat  orie 
cannol  love  Iwice.  is  utterly  unphilosopbical.  •  —  La  lo^^ique  de  Thomson 
parait  avoir  convaincu  Lyttelton,  car,  après  avoir  calmé  sa  douleur  en 
rexprimanl  dans  les  strophes  do  sa  Alonody,  il  se  remaria. 

-•  C'est  Ji^an  Thomson  qui  venait  depuis  puu  d'épouser  Mr.  Thomson, 
iosliintcur  à  Lanark. 
^'  •  Ha>:lcy,  in  Worceslershire,  Oclober  Ihe  V*",  1747. 
■•.-.  .\ly  circunistances  bave  hitberlo  been  so  varinble  and  uncertain,  in 
'his  fluctuating  world,  as  lo  induce  me  to  keep  from  enga^ing  in  such  a 
^ttlc;  and  now,  though  tbey  arc  more  setlled....  I  bcgin  lo  Ihink  myseir 
^0  far  advanced  in  life  for  such  youlbful  uudertakings.  » 

Nous  ne  pouvons  cependant  passer  sous  silence  une  autre  explication 
W  n  été  proposée  de  cette  persistance  avec  laquelle  Thomson  repousse  les 
"i^ilations  de  ses  amis  désireux  de  le  voir  prendre  femme. 

^'  Taylor  s'exprime  comme  suit  dans  le  xv*  chapitre  de  ses  souvenirs 
^^'•corf/j  ofmy  Life,  London,  183'J)  : 

•  Mr.  G.  Chalmers  wbosc  industry,  research    and    learning  are  well 

*^nown,  told  me  the  following  remarkable  fact  on  which  bc  assured  me  I 

]^î:!ht  confldenlly  dépend.   He    bad   beard   that  an    old   bousekeepcr  of 

/homson's  was  alive  aud  still  resided  at  Richmond....   He  wenL...  Shc 

"^formed  him  that  Thomson  bad  been  actually  married  in  early  life,  but 

y\^^  his  wifc...   was  so  litlle  calculated  to   be  inlroduced   to  bis  great 

^''■«nds,  or  indeed  bis  friends  in  gênerai,  that  be  bad  kcpt  lier  in  a  state  of 

J^l^scurily  for  many  years,  and  wben  at  last  ho...  requircd  lier  to  couie  and 

^^0  wilh  him  at  Richmond,  bc  still  kepl  ber  in  Ihe  same  sccluded  state, 

^  'bat  she  appeared  to  be  only  one  of  Ihe  old  domestics  of  the  family..., 

^  lengtb  she  asked  bis  permission  to  go  for  a  fcw  weeks  to  visit  lier 

relations  in  IbcNorth;...  but  \vben  in  London  she  was  tliere  taken  ill  and 

"^  îi  short  time  died.  The  news  were  immediately  conveyed  to  Thomson 

^^^o  ordered  a  décent  funeral,  and  she  was  buried,  as  the  old  housekeeper 

'*^id,  in  the  cburchyard  of  old  Marylebonc  Church.  • 

*  Mr.  Chalmers  immediately  went  and  examined  the  church  rt?gisler, 
^*Uere  he  found  the  following  entry  :  «  Died,  .Mary  Thomson,  a  slrariger.  m 
^  ^^us  we  find  that  the  letter  from  Thomson  to  his  sisleraboul  bis  not  having 
'^^rried  is  faliacious.  » 

fest-il  besoin  de  faire  remarquer  Tinvraiscmblance  de  cette  histoire?  Il 
^^Udrait  que  le  secret  do  Thomson  eût  été  bien  gardé  pour  que  nul  do 
^^s  amis  n*eût  soupçonné  la  vérité,  et  que  Lyttelton  insistât  pour  le 
^^cider  à  se  marier.  —  La  seule  présomption  de  vérité  qu'on  pourrait 
invoquer  co  faveur  du  récit  de  Taylor  ou  de  Chalmers,  c'est  la  constata- 


160  JAMES  THOMSON. 

Le  début  de  la  iiièine  lettre  contient  une  allusion  émue  aux 
parents  perdus.  Tant  d'années  écoulées  n'ont  fait  oublier  à 
notre  poète  ni  leur  chère  alïection,  ni  la  reconnaissance  qu'il 
leur  doit.  Il  donne  aussi  un  souvenir  attendri  à  Élizabeth  ',sa 
sœur  préférée,  Tassocié  de  Jean  dans  l'entreprise  pour  laquelle 
il  les  avait,  en  1737,  aidées  de  ses  conseils  et  de  son  argent'. 
Elle  avait  épousé  un  Mr.  Bell  qui,  après  la  mort  de  sa  femme, 
avait  conservé  d'affectueuses  relations  avec  les  Thomson.  Jean 
et  James  engagent  leur  beau-frère  à  se  remarier  '.  —  La  fin  de 
la  lettre  laisse  entendre  que  le  poète  a  quelque  intention  d'aller 
faire  un  voyage  dans  son  pays  natal.  Il  ne  Ta  pas  revu  depuis 
son  départ  en  1725. 

Cette  lettre,  avons-nous  dit,  fut  écrite  pendant  un  séjour  à 
Hagley  dans  Tété  de  Tannée  1747  *.  La  date  exacte  de  l'arrivée 
du  poète  chez  Lyttelton  nous  est  fournie  par  la  lettre  d'un  de  ses 
confrères.  Shenstone  écrivait  le  20  septembre  :  «  Comme  je  reve- 
«  nais  de  l'église,  dimanche  dernier,  qui  vins-je  à  rencontrer 
a  dans  une  chaise  à  deux  chevaux  attelés  en  file,  sinon  ce  barde 
a  et  cet  excellent  ami,  Mr.  Thomson?  Je  le  complirtientai  sut 
c  sa  venue  dans  le  pays  et  le  priai  d'accompagner  Mr.  Lyttelloi^ 
c  aux  Leasowes  ^  Il  m'assura  qu'il  le  ferait  avec  infiniment  d^ 
a  plaisir  et  nous  nous  séparâmes.  »  Cette  visite  eut  lieu  en  effet 5 

Uon  de  l'inscriplion  au  registre  de  Marylebone-Church.  Mais  celte  pré^ 
tendue  vérification  est  entièrt^mcnt  fausse,  comme  l'établit  la  note  su>' 
vante  :  •  ....  I  hâve  examined  Ihe  regisler  of  Marylebone  parish  durin^ 
tlie  whole   of  Thomson's  présence   al  Richmond...  Only  one    Thomson 
(Anne)  is  menlioned,  iinder  date  October  17i5;  no  mention  of  her  bein^ 
a  stranper  »....  —  W.  T.  Lynn-Blackhealh.  {\otes  and  Quenes,  6*  série, 
vol.  IV,  p.  46.) 

1.  •  Would  to  God  poorLizzy  had  lived  longer...  that  I  might  bave  had 
the  pleasure  of  seeing  once  more  a  sisler,  who  so  truly  deserved  my 
esleem  and  my  love.  » 

2.  Voir  p.  116. 

3.  Mr.  Bell  suivit  le  conseil. 

4.  Thomson  y  rencontra  Pitt,  qui  était  aussi  un  des  hôtes  de  Hagley  & 
ce  moment.  C'est  ce  que  nous  apprend  la  correspondance  de  Lyttelton. 
(Lettre  à  George  Grenville,  sept.  n47.) 

5.  C'était  le  domaine  à  rembellissement  duquel  Shenstone  consacra  plu- 
sieurs années  et  toute  sa  fortune.  Il  Pavait  acheté  en  1145,  et  devait  être, 
au  moment  de  cette  visite  de  Thomson,  dans  toute  la  fièvre  et  l'enthou- 
siasme des  premières  transformations  qu'il  y  avait  opérées.  H  y  avait 
ménagé  des  surprises,  des  points  de  vue,  des  accidents  pittoresques,  des 
chutes  d'eau  et  jusqu'à  des  paysages  sauvages.  On  peut  lire  une  descrip- 
tion minutieuse  de  toutes  ces  merveilles  dans  le  premier  des  deux  volumes 
consacrés  &  Shenstone  dans  la  Collection  des  poètes  de  Dell. 


VIE  A  RICIIMOND.  161 

enstone  en  voulut  perpétuer  le  souvenir.  Il  plaça  une 
iption  commémorative  dans  celle  des  parties  de  son 
re  parc  pour  laquelle  Thomson  avait  manifesté  le  plus 
liration  '. 

int  à  l'auteur  des  «i  Saisons  i»,  très  épris,  lui  aussi,  de  son 
i  de  Kew-Lane,  il  avait  le  bon  goût  de  n'y  pas  rechercher 
fTets  extraordinaires.  Il  laissait  aux  grands  parcs  des 
igton,  des  Cobham  ',  des  Ly ttelton  et  des  Shenstone  leurs 
ges  compliqués  et  truqués.  Il  n'était  pas  tenté  d'imiter 
3rveilles  de  la  «  grotte  »  où  Pope  avait  accumulé  coquilles 
ailles.  Il  estimait  sans  doute  que  la  nature  s'entend  mieux 
i  main  des  hommes  à  l'agencement  de  sites  pittoresques. 

e  coin  préféré  de  ThomBon  était  une  petite  vallée  qui  portait  le 
e  «  Virgirs  Grove  ».  A  rentrée  se  dressait  un  obélisque  avec  cette 
)tioD  : 

«  P.  Virgilio  Maroni 
Lapis  iste  cum  luco  sacer  esto.  • 

édicace  à  Thomson  était  : 

«  Celeberrimo  Poets 
lacobo  Thomson, 
Prope  fontes  illi  non  fastiditos 
G.  S. 
Sedem  banc  ornavit. 

Quœ  tibi,  qus  tali  reddam  pro  carminé  dona? 
Nam  neque  me  tantum  venientis  sibilus  austri, 
Nec  percussa  juvant  fluctu  tam  littora,  nec  quœ 
Saxosas  inter  decurrunt  flumina  valles.  • 

istone  a  fait  plus  d*une  allusion  à  Thomson^  à  sa  visite,  à  son  admi- 
des  Leasowes,  et  au  siège  consacré  à  l'auteur  des  «  Saisons  •. 

•  Say  Thomson  hère  was  wont  to  rest, 
For  him  yon  vemal  seat  I  drest 

Ah  !  never  to  return  ! 
In  place  of  wit,  and  melling  strain 
And  social  mirlh,  it  now  remains 

To  weep  beside  his  urn.  » 

{Pastoral  ode,  to  R.  Ly  ttelton.) 

ncore,  dans  une  ode  adressée  à  Wil.  Lyttcllon  : 

«  He  is  gone,  whose  montai  strain 
Could  wit  and  mirth  refine.  » 

owe,  «  the  fair  majestic  paradise  of  Stowe  n  {Autumn,  v.  1042),  avait 
posé  par  sir  Richard  Temple,  plus  tard  Lord  Cobham.  Les  arbres 
nt  plantés  en  lignes  régulières,  les  allées  et  les  pelouses  tracées  en 
droites,  à  la  française,  et  «  buttoned  up  •,  comme  dit  H.  Walpole» 
temples  and  statues  •• 

il 


162 


JAMES  THOMSON. 


Son  sentiment  profond  de  la  beauté  simple  des  choses  s'accom- 
modait mal  du  luxe  des  ornements  architecturaux,  et  de  ce 
style  sentimental  qui  sévissait  jusque  sur  les  jardiniers.  Il  ne 
demandait  à  son  lopin  de  terre  que  ce  qu'on  peut  réclamer 
d'un  honnête  jardin  :  de  l'ombre  et  des  fleurs.  Mais  il  l'aimait 
dans  sa  fraîche  modestie.  Il  le  faisait  soigner  par  un  de  ses 
cousins;  il  s'en  occupait  lui-même  avec  passion  ';  il  en  ava.it 
doublé  l'étendue  en  y  ajoutant  deux  champs  voisins  '.  11   ^' 
vivait,  on  peut  le  dire,  à  toute  heure  du  jour,  puisque  ^^ 
maison,  haute  d'un  unique  étage,  était  entièrement  entourée  ^3t 
comme  pénétrée  partout  de  plantes  et  de  verdures  '.  Il  cuit- ^' 
vait  toutes  ces  fleurs  d'Angleterre  dont  il  a  décrit  les  charm 
dans  des  pages  parfumées  de  senteurs  et  comme  mouillées 
rosée  *.  Il  demandait  en  outre  à  Paterson  de  lui  envoyer  qui 
ques  semences  de  fleurs  des  Antilles  qui  pourraient  au  moi 
s'épanouir  l'été  sous  le  ciel  du  Nord,  ou  vivre,  à  force 
précautions,  dans  une  serre  chaude. 


1 


1.  «  I  am  such  a  genuine  lover  of  gardening.  •  (Lettre  à  Patersc 
avril  1748.) 

2.  Voir  môme  lettre. 

3.  Voir  Leioh  Hujjt,  A  Jar  of  Honey^  p.  173. 

4.  Spring,  vers  528  à  551.  Mais  il  a  dans  bien  d'autres  passades  déi 
les  fleurs  de  nos  climats.  Voir  plus  loin,  2*  partie,  La  Natui'e  dans  Vœvr 
de  Thomson.  Les  Fleurs, 


Vf 


CHAPITRE  VI 

LA   MORT 

DÉVOUEMENT    ET    AFFECTION    DES    AMIS.    —    APpÈS    LA    MORT 

THOMSON   EN   ECOSSE.    —   THOMSON   A   l'éTRANGER 


I 


Cette  lettre  à  Paterson  que  nous  avons  déjà  plusieurs  fois 

nientionnée,  cette  longue  lettre  toute  enjouée  et  pleine  d'un 

bavardage  de  bonne  humeur,  Thomson  l'écrivait  au  lendemain 

du  jour  où  il  venait  de  recevoir,  comme  aurait  dit  Voltaire, 

^ne  nouvelle  taloche  de  la  fortune*.  Le  récit  de  sa  mésaventure 

y  tient  beaucoup  moins  de  place  que  le  souci  de  son  jardin. 

Son  ami  Lyttelton  était  depuis  quelque  temps  en  complète 

disgrâce  auprès  du  prince  de  Galles  *.  Celui-ci  avait  d'abord 

continué  à  payer  au  protégé  de  son  ancien  secrétaire  la 

Pension  qu'il  lui  avait  allouée.  La  dédicace  que  Thomson  lui 

*vait  faite  en  1745  de  son  9.  Tancrède  »  a  pu  contribuer  à 

prolonger  la  générosité  du  royal  personnage.  Mais  on  ne  pou- 

*•  UUpc  à  M.  Thiériot,  1*  sept.  1735. 

^'  Leurs  relations  s'étaient  refroidies  depuis  la  chute  de  Walpolo  en 
*^^^>  Us  avaient  adopté  des  partis  dilTérents  dans  la  lutte  d'inHuences 
^^  <li visait  le  cabinet  formé  sous  la  présidence  de  l'incapable  Wilmington 
Jl^Spenser  Compton  auquel  avait  été  dédié  1'  •  Hiver  »).  Quand  enfîn  Pelham 
\^^^  complètement  emporté  sur  Carteret,  et  que  celui-ci  se  fut  vu  forcé 
^^  Ruiiter  les  sceaux  malgré  l'appui  du  roi  et  celui  du  prince,  Lyttelton 
^^^n.  dans  la  -  Broad  Bottom  administration  »,  et  Frédéric  lui  retira  son 
^^  de  secrétaire. 


164  JAMES  THOMSON. 

vait  s'attendre  à  voir  durer  longtemps  cette  libéralité  chez  un 
prince  que  Tamour  désintéressé  des  lettres  n'avait  jamais  ins- 
piré, et  que  tourmentaient  sans  cesse  des  besoins  d'argent'.  II 
eût  au  moins  fallu  faire  un  choix  entre  son  amitié  et  celle  de 
Lyttelton.  Ni  Thomson,  ni  West,  ni  même  Mallet  ne  songèrent 
à  pareille  lâcheté.  L'orage  éclata  donc;  tous  trois  furent  frappés, 
en  un  même  jour  de  la  fin  de  1747  ou  du  commencement  de 
1748,  et  Thomson  se  trouva  rayé  de  la  liste  des  pensions  du 
prince  de  Galles  *. 

Notre  poète  se  consola  en  «  creusant  de  nouveau  cette  mine 
«  d'inépuisables  trésors  que  nous  portons  en  nous,  que  ne  peut 
c  détruire  la  rouille  du  temps,  et  que  les  voleurs  ne  sauraient 
c  violer  ni  piller'  t>  ;  il  se  remit  au  travail.  Depuis  1745,  aucune 
œuvre  nouvelle  n'avait  été  par  lui  produite.  Il  avait  seulement 
publié,  en  mai  1746,  une  nouvelle  édition  des  «  Saisons  i»,  la 
dernière  qu'il  lui  ait  été  permis  de  revoir  et  de  retoucher*. 

1.  On  sait  que  ce  fui  une  des  causes  les  plus  actives  du  désaccord  cotre 
le  prince  héritier  et  le  peu  libéral  George  II.  Le  fils  se  plaignait  amère- 
ment de  la  lésinerio  du  père.  Dès  1734,  il  avait  songé  à  exposer  au  Parle- 
ment ses  griefs.  En  1131,  ses. amis  appuient  une  notion  de  Pulteney  ten- 
dant à  prier  le  roi  d'élever  la  part  faite  au  prince  de  Galles  sur  la  liste 
civile,  et  de  la  porter  de  60  à  100  000  livres.  C'est  à  partir  de  ce  moment 
que  l'aversion  de  George  pour  son  fils  devint  invincible. 

2.  Le  prince  semble  avoir  eu  quelque  honte  de  cette  misérable  façon 
d'atteindre  Lyttelton  dans  la  personne  de  ses  amis.  Il  laissa  entendre  que 
peut-être  rendrait-il  un  jour  au  poète  avec  intérêt  ce  qu'il  lui  reprenait. 
Ce  n'était  qu'une  hypocrisie  de  plus,  et  Thomson  ne  s'y  trompait  pas. 
«  Yet  1  hâve  hopes  given  me  of  having  it  restored  with  interest  some 
lime  or  other.  Oh,  that  «  some  time  or  other  »  is  a  great  deceiver!  » 
(Lettre  à  Paterson.) 

On  voit,  en  tout  cas,  combien  est  inexacte  l'assertion  de  Phîllimore  et  de 
nombreux  biographes  qui  font  coïncider  la  perte  de  la  pension  avec  la 
rupture  entre  Lyttelton  et  Frederick. 

3.  tt  Thèse  are  the  treasures  dug  from  an  inexhaustible  mine  in  our  own 
breasts,  which,  likc  those  in  the  kingdom  of  heaven,  Uie  rust  of  time 
cannot  corrupt,  nor  thieves  break  through  and  steal.  I  must  leam  to  work 
this  mine  a  iittle  more,  being  struck  ofT  from  a  certain  hundred  pounds  a 
year  which  you  know  Ihad....  »  (Lettre  à  Paterson.) 

4.  Elle  fut  publiée  par  Millar,  en  un  format  in-12.  Woodfall  en  imprima 
(9  mai  1410)  4  000  exemplaires.  L'édition  précédente  avait  été  tirée, 
deux  ans  auparavant,  au  même  nombre.  On  voit  à  ces  réimpressions  suc- 
cessives que  la  popularité  du  poème  ne  cessait  de  s'étendre  et  de  s'af- 
firmer. 

Les  modifications  apportées  à  cette  édition  définitive  ne  sont  pas  très 
importantes.  Le  •  Printemps  •  a  3  vers  de  plus  qu'en  1144,1'  •  Été  «  en  gagne  9, 
r  «  Automne  »  en  perd  2, 1'  •  Hiver»  et  1'  •  Hymne  •  conservent  le  même 
nombre.  Mais  à  coup  sûr  c'est  bien  lu  pour  nous  le  texte  ne  varieiur  des 
«  Saisons  •.  Pendant  longtemps  cependant,  à  partir  de  l'édition  publiée 


LA    MORT.  165 

Au  commencement  de  1718  il  est  prêt  à  donner  au  public  une 
trafîédie  nouvelle  et  un  important  poème. 

Le  «  Château  d'Indolence  »  parut  vers  le  mois  de  mai.  Il  y 

avait,  au  dire  de  Fauteur  lui-même,  quatorze  ou  quinze  ans 

que  l'œuvre  était  sur  le  métier*.  Thomson  s'était,  au  début, 

proposé  de  railler,  dans  quelques  strophes  légères,  ses  amis 

et  lui-même  d'une  indolence  qu'on  lui  reprochait  et  qu'il 

croyait  aussi  bien  voir  en  eux.  Mais  peu  à  peu  l'œuvre  s'était 

développée   au    point  de  devenir  le  poème  charmant  que 

publiait  Millar*.  Les  conditions  dans  lesquelles  il  avait  été 

conçu  devaient  y  assurer  une  place  à  maint  détail  de  la  vie  du 

poète,  à  mainte  allusion  à  son  caractère  et  à  ses  habitudes. 

Thomson,  en  effet,  y  a  élevé  une  galerie  où  plusieurs  de  ses 

amis  et  lui-même  ont  (comme  il  le  dit)  leur  niche.  Le  premier 

?ui  soit  décrit,  parmi  les  hôtes  du  château,  ce  personnage 

d'aspect  particulièrement  grave,  pensif,  mais  non  pas  triste, 

Qui,  en  regardant  les  nuages,  bâtissait  mille  systèmes  glo- 

''ieux,  concevait  mille  grandes  idées  et  les  laissait  fuir  avec 

1^  nuées  sans  laisser  plus  de  traces  que  celles-ci,  c'était 

'^atersoh  '.  Le  taciturne  et  mélancolique  promeneur  de  la 

^^fophe  suivante  est  Armstrong  •.  Le  misérable  dont  la  rudesse 

^t  la  saleté  déshonoraient  le  château,  c'est,  dit-on,  un  certain 

^litaire  excentrique  du  nom  de  Welby  ',  que,  du  reste,  nous 

^^  voyons  nulle  part  figurer  parmi  les  familiers  de  Thomson. 

.  ^hn  Forbes  est  cet  adolescent  joyeux  que  le  hasard  amène  un 

J^Ur  dans  les  salles  enchantées,  et  dont  la  bruyante  et  commu- 

^^calive  gaîté  dissipe  en  partie  le  charme  qui  pèse  sur  les 

Prisonniers  •.  Cet  autre  dont  le  sentiment  aiguisé  savait  recon- 

*^^r  Murdocb  et  Millar  en  1762,  les  éditions  successives  reproduisirent  le 
J^^te  de  1144,  jusqu'à  ce  que  Mr.  Bolton  Corney  eût  signalé  les  divergences 

^%  deux  éditions  {The  Gentleman*s  Magazine,  1845,  t.  I,  p.  145). 
^  l)*Israeli,  rinfaligable  curieux,  avait  déjà  observé  cette  inadvertance  des 
^ dateurs  modernes. 

^  i.  -  Now  that  1  am  prating  of  myself,  know  that,  after  fourteen  or  flf- 
^«n  years,  the  CasUe  of  Indolence  cornes  abroad  in  a  fortnight.  It  wiU 
^^rtainly  travel  as  far  as  Barbadoes.  You  bave  an  apartment  in  it  as  a 
^ight  pensioner;  which,  you  may  remembcr,  I  fitted  up  for  you  duriag 
^lir  deligbtrul  party  at  North  Haw  -....  (i-ettre  à  Palerson,  avril  1748.) 

2.  En  un  format  in-4.  La  même  année  parut  une  2*  édit.  de  format  in-8. 

3.  The  Castle  of  Indolence,  canlo  I,  strophes  lvii,  lviii,  lix. 

4.  strophe  lx. 

5.  Strophe  lxi. 

6.  Canto  ly  strophes  uui,  lxiii  et  lxiv. 


166  JAMBS  THOMSON. 

naître  toute  valeur  parce  qu'il  les  avait  toutes  en  lui,  et  qui 
ne  consentait  pas  à  se  laisser  enfermer  dans  le  palais  délicieux 
du  magicien,  c'est  Lyttelton*.  Quin  se  reconnaît  dansTEsope 
(le  Glodius  Esopus)  de  son  siècle,  le  dormeur  qui,  appelé  par 
la  gloire,  se  relevait  comme  un  géant  qu'on  éveille,  et,  prenant 
possession  de  la  scène,  savait  tour  à  tour  ébranler  les  ccBurs 
et  convaincre  la  raison  V  Et  nous  reconnaissons  surtout  ce 
barde  <t  plus  gras  qu'il  ne  sied  à  un  barde;  qui,  ne  connaissant 
€  ni  l'envie,  ni  l'intrigue,  ni  l'âpre  soif  du  gain,  a  consacré 
«  toujours  ses  chants  spontanés  à  la  vertu  et  à  la  nature,  et  sut 
c  renoncer  au  monde  avec  un  dédain  tranquille.  Il  riait  sans 
«  soucis  dans  sa  confortable  maisonnette;  il  y  buvait  sans 
€  soucis,  au  milieu  d'un  cercle  joyeux;...  il  se  décidait  ave< 
c  peine  à  écrire  ses  doux  chants,  et  n'aimait  pas  à  les  réciter'. 
C'est  Thomson  lui-même  qui,  dans  le  premier  vers,  nous  prt 
sente  sa  personne  avec  une  spirituelle  bonhomie,  et  c'est  Lyl 
telton  qui  s'est  chargé  de  finir  la  strophe.  Nous  connaissor 
maintenant  assez  bien  l'original  pour  pouvoir  constater  1 
ressemblance  du  portrait. 

L'homme  de  Dieu  petit,  replet,  gras  et  onctueux  c'es 
Murdoch,  chez  qui  Thomson  s'est  plu  bien  des  fois  à  railler  1 
mélange  de  convoitises  très  mondaines  avec  une  expressio 
de  pieuse  Immilité*.  Une  autre  strophe,  qui  ne  paraît  pas  dan 
la  première  édition,  montrait,  sous  les  traits  d'une  nympli 
contre  laquelle  les  charmes  du  magicien  restent  impuissant 
la  femme  de  Lyltelton. 

Il  n'est  pas  sûr  que  le  poème  ait  rencontré  dès  son  appar 
tion  tout  le  succès  qu'il  méritait.  La  forme  en  est  si  diflféren 
du  vers  de  Pope  que  l'on  ne  sentit  pas  d'abord  tout  ce  qi 
supposait  d'art  aciievé  ce  gracieux  badinage.  Un  connaisse) 
aussi  délicat  que  Gray  pouvait  lire  ce  chef-d'œuvre  exqu 
sans  en  comprendre  la  valeur  ^  Et  cependant  l'influence  s 
les  poètes  fut  prompte,  et  elle  fut  considérable.  Au  lend 

1.  G.  I,   LXV,    LXVI. 

2.  G.  I.  Lxvii. 

3.  G.  1,  i.xviii. 

4.  G.  I,  Lxix. 

5.  Dans  une  leUre  au  Dr.  Wharton  du  5  juin  1748,  il  parle  des  nouveaui 
qu'il  Tient  de  lire,  et,  après  avoir  copieusement  exprimé  son  admirati 
pour  le  Méchant  de  Gresset  et  pour  lus  jolis  badinages  de  Tauteur  Tra 
çais,  voici  ce  qu'il  trouve  à  dire  du  poème  dont  vient  de  s'enrichir  la  lit! 


LA    MORT.  167 

main  même  de  la  mort  de  Pope,  en  plein  régne  du  distique 
rimi',  aux  effets  brillants  mais  secs  et  monotones,  on  vit 
paraître,  avec  Gilbert  West  et  Sbenstone  d'abord,  puis  avec 
un  grand  nombre  d'autres  écrivains,  des  imitations  de  ce 
mètre  savant  et  riche  de  Spenser  que  Thomson  avait  remis  en 
honneur*. 

Quant  à  la  tragédie  de  ce  Goriolan  »,  elle  était  terminée  depuis 

la  première  partie  de  Tannée  1747.  L'auteur  en  entretenait 

Mallet,  le  31  mars  de  cette  année  ^  Les  difficultés  qui  se  sont 

opposées  à  la  représentation,  avaient  pour  cause  la  rivalité  des 

deux  acteurs  de  Drury-Lane.  Thomson  voulait  réserver  à  Quin 

le  rôle  de  Goriolan.  Garrick  ne  voulait  pas  se  contenter  du  rôle 

de  Tullus  Âufidius,  ou,  du  moins,  n'avait  aucune  hâte  de 

voir  jouer  une  pièce  dans  laquelle  il  ne  devait  paraître  qu'au 

I      second  plan.  Gomme  à  cette  époque  même  (la  fin  de  mars  1747) 

Garrick  devenait  un  des  deux  directeurs  du  théâtre  ',  Thomson 

^t  Quin  se  heurtaient  désormais  à  un  obstacle  insurmontable. 

Le  poète  revient  sur  ce  sujet,  une  année  plus  tard,  dans  sa 

lettre  à  Paterson  :  «  Goriolan  n'a  pas  encore  paru  sur  la  scène, 

<  à  cause  de  la  mesquine  et  misérable  jalousie  de  Tullus  envers 

<  celui  qui  seul  peut  jouer  Goriolan.  De  fait,  le  premier  a,  pour 
t  cette  saison,  entièrement  chassé  l'autre  de  la  scène,  comme  un 
•  géant  en  colère  *.  Montrons  donc  encore  un  peu  de  patience, 

'^^ure  anglaise  :  •  There  is  aUo  a  poem  lalely  published  by  Thomson, 
^lled-thc  Castle  or  Indolence,  wilb  some  good  stanzas  in  il.  »  (La  Ictlre 
•8  trouve  dans  Touvrage  de  Mason  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Cray.) 
^'  Voir  sur  ce  point  plus  de  détails  dans  l'élude  que  nous  consacrons 
P'"»»  loin  au  •  ChAteau  v. 

^'  •  I  will  désire  you  as  a  friend  to  read   •  Coriolanus  ».  Tho'  pretly 
^^th  indifferenl  whether  ever  he  appear  upon  Ihe  slage  or  no,  yct  I  am 
^''from  being  so  with  regard  to  his  haviu;;  yoiir  approbation....  » 
^  (VlH*  et  dernière  lettre  de  Thomson  à  Mallet,  dans  la  série  publiée  par 
*  Cunningham  pour  la  Philobiblon  Society.) 

^'  Mr.  Lacy,  le  possesseur  du  brevel,  lui  en  avait  cédé  la  moitié  pour 
!!^c  somme  de  8  000  livres,  ce  qui  parut  alors  un  prix  très  modéré.  (V. 
^*  Davies.  Ufe  ofGairick,  v.  I,  p.  103.) 

^*  Cette  inimillé  des  deux  acteurs  n'est  pas  pour  nous  surprendre.  Quin 
^^&itélé,  pendant  plusieurs  années,  le  premier  acteur  de  la  scène  anglaise, 
r*^  deux  grands  ttiéàlres  de  Londres  se  le  disputaient.  Quand  Fleetwood 
^^i  eut  ofTert,  pour  l'attirer  à  Drury-Lane,  des  appointements  de  500  livres 
^an,  rénormité  de  cette  .somme  fit  scandale,  et  Rich,  le  directeur  de 
^▼ent  Garden,  laissait  en  mau^^réant  partir  son  premier  sujet,  et  décla- 
^t  qu'aucun  acteur  ne  valait  plus  de  300  livres.  —  C'est  cette  suprô- 
tfiatie  que  le  succès  d'un  acteur  nouveau  venait  mettre  en  danger.  Gar- 
rick débute  à  Londres  en  1741,  et  la  faveur  du  public  s'attache  aussitôt  & 


168  JAMES  THOMSON. 

c  mon  cher  Paterson;  montrons  même  de  la  gaieté;  tout  s' 
c  rangera  un  jour;  en  tout  cas  tout  finira  un  jour  —  au  mo 
c  ici-bas*....  ]> 

La  fin  était  plus  prochaine  qu*il  ne  le  supposait  en  écriv 
ces  mots.  Il  ne  devait  plus  vivre  assez  longtemps  pour  \ 
jouer  son  a  Coriolan  i»,  ni  même  pour  goûter  encore  une  foi! 
charme  de  cette  saison  d'automne  qu*il  préférait  à  toute  au 
Il  avait  toujours  été,  dit  Murdoch,  médiocre  cavalier.  La  ro 
de  Londres  à  Richmond,  sillonnée  sans  cesse  de  nombr 
voyageurs,  parmi  lesquels  les  imprudents  et  les  maladroits 
manquaient  pas,  lui  semblait  particulièrement  dangereuse 
préférait  donc,  quand  il  le  pouvait,  faire  le  trajet  à  pied 
était  heureux  en  pareille  circonstance  de  rencontrer  quelqi 
de  connaissance  avec  qui  cheminer  en  causant.  Il  s'arré 
quand  venait  la  fatigue,  et  parfois  dînait  à  mi-chemin, 
demeure  de  Mallet,  à  Strand-on-the-Green,  sur  les  bordj 
fleuve;  Tauberge  de  la  Colombe,  à  Hammersmith,  où  son 
venir  s'est  perpétué,  étaient  quelques-unes  de  ses  stat 

lui.  C'est  toute  une  révolution  qu'il  apporte  au  théâtre,  en  faisant 
céder  le  naturel  et  le  pathétique  au  jeu  guindé,  à  la  déclamation  te 
des  vieux  acteurs.  •  If  the  young  fellow  is  right,  disait  Quin,  1  an< 
rest  of  the  players  hâve  been  ail  wrong.  •  —  Us  avaient  tort  en  effet, 
public  le  leur  (It  sentir  tous  les  jours  davantage,  à  mesure  que  Tau 
de  Garrick  s^afnrmait. 

1.  •  Coriolanufl  bas  not  yet  appeared  on  the  stage,  from  the  little, 
jealousy  of  Tulhis  towards  him  who  alone  can  act  Coriolanus.  In 
the  first  bas  entirely  jockcyod  the  last  oiï  the  stage,  for  this  season,  1 
giant  in  bis  wrath.  Lcl  us  bave  a  liltle  more  patience,  Paterson;  na 
us  be  cbeerful;  at  last  ail  will  be  wcll,  al  last  ail  wiU  be  over,  —  t 
mean....  * 

Il  faut  ajouter  que  si  Garrick  a  eu  de?  torts  en  cette  circonstance 
a  réparés  noblement.  Après  la  mort  de  Quin  il  écrivit  une  poétique 
taphe  où  les  mérites  et  le  talent  de  son  ancien  rival  sont  loyale 
reconnus.  Nous  la  reproduisons  d'autant  plus  volontiers  qu'elle  se 
bien  renTermer  une  allusion  à  Tanccdote  célèbre  de  Quin  venant  dél 
Thomson  : 

a  That  tongue  >vhich  set  the  table  on  a  roar, 
And  charm'd  the  public  ear,  is  no  more! 
Clos'd  are  those  eyes,  the  harbingers  of  wit 
Which  spoke,  before  the  tongue,  what  Shakespeare  writ; 
Cold  are  those  hands,  which,  living,  were  stretched  forth 
At  friendship's  call  te  succour  modcst  worth. 
Herc  lies  James  Quin!  deign  readcr  to  be  taught 
(Whate'er  thy  strength  of  body,  force  of  Ihought, 
In  naturels  happiest  mould  however  cast), 
To  this  complexion  thou  must  come  at  last.  v 
(Cité  par  Ed.  Gosse,  Eighteenth  Cenlury  Literature,  p.  229.) 


LA  MORT.  169 

ordinaires.  Il  était  ainsi  parti  seul,  un  soir  d'été.  Arrivé  à 
Hamroersmith,  et  accablé  de  fatigue  et  de  chaleur,  il  commit 
l'imprudence  de  prendre  une  barque  pour  se  faire  conduire 
jusqu'à  Kew.  Mais  Tair  frais  du  soir  le  saisit.  La  marche  qui 
lui  restait  à  fournir,  du  bord  du  fleuve  jusqu'à  sa  maison,  ne 
suffît  pas  à  dissiper  l'influence  funeste  de  ce  refroidissement, 
et,  le  lendemain,  il  était  atteint  d'une  forte  fièvre.  Un  traite- 
ment approprié  semblait  avoir  assuré  la  guérison,  quand  une 
imprudence  du  malade,  qui  s'exposa  prématurément  à  l'air 
d'une  soirée  fraîche,  amena  une  rechute,  et  bientôt  son  état  ne 
laissa  plus  d'espoir.  Ses  amis,  Mr.  Mitchell,  Mr.  Reid  ',  le  doc- 
teur Armstrong  qui  lui  avait  donné  ses  soins  dès  le  début  de  la 
maladie,  accoururent  de  Londres  en  toute  hâte.  Leurs  efforts 
furent  inutiles  •.  Le  samedi  27  août  1748,  vers  quatre  heures 
du  matin,  le  poète  expirait  entre  les  bras  de  Robertson,  l'ami 
de  son  adolescence,  le  beau-frère  de  miss  Young.  Il  avait  qua- 
rante-huit ans  moins  quelques  jours. 

Mitchell  se  chargea  de  faire  rendre  à  la  dépouille  de  son 
ami  les  derniers  devoirs,  et  de  veiller  aux  intérêts  de  ses  héri- 
tiers. Le  jour  même  de  la  mort  du  poète,  il  écrivait  au  Révérend 
Mr.  Gusthart  ',  le  plus  ancien  sans  doute  des  amis  de  Thomson, 

1*  Andrew  Reid,  Écossais,  comme  son  nom  ^indique,  était  de  très  longue 
<l^le  on  ami  de  Thomson  et  de  Murdoch.  U  a  écrit,  comme  Murdoch, 
quelques  ouvrages  de  mathématiques,  et  publié  pour  Lyttelton  V  •  Histoire 
d'Henri  II  .. 

2-  U  maladie  est  décrite  par  Mitchell  comme  une  fièvre  tierce  trans- 
^rmée  ensuite  en  fièvre  continue  (Lettre  au  Révérend  Mr.  Guslhart,  du 
27  aoùl). 

Aroisirong,  en  sa  qualité  de  médecin,  parle  du  mal  avec  plus  de  détail. 
*  i^oor  Thomson  died  last  Saturday  morning  of  a  fever,  which  at  first 
'Ppeared  to  be  an  intermittent;  but  in  a  short  time  it  degcueraled  from 
^/ever,  which  I  hoped  would  do  him  a  great  pièce  of  service  by  scouring 
'Habils,  into  the  low,  nervous,  malignant  one  which  soon  proved  fatal 
*^  iïim,  as  it  bas  lo  many.  •  (To  Murdoch,  London,  August  30.) 


'^^z  elles. 

^.I^onison  avait  reçu  à  Richmond,  peu  de  temps  avant  sa  mort,  la 
^^'le  d'un  autre  fils  de  Texcellent  homme.  Le  jeune  étranger  s'était  pré- 
^té  sans  d'abord  se  faire  connaître.  Quand  le  poète  sut  qui  il  avait 
•  ^^^nt  lui,  il  le  serra  dans  ses  bras,  et  exprima  sa  reconnaissance  pour 
.  .  bienfaiteur  et  l'ami  de  ses  jeunes  années,  avec  une  émotion  qui  lui 
^^^it  verser  des  larmes,  et  qui  amenait  naturellement  sur  ses  lèvres  ces 
P  ^^s  écossais  qu'il  avait  depuis  si  longtemps  cessé  d'entendre.  (Shiels,  dans 
^'•^iR's  Lives.) 


>-^ 1  -■*- 


'  ■'  'm 


170  JAMES  THOMSON. 

et  à  Patrick  Murdoch.  Son  court  billet  à  celui-ci  se  termine 
par  ces  mots  :  «  Ce  dernier  coup  m*a  presque  anéanti  *  ï. 
L'expression  d'une  aussi  vive  et  aussi  sincère  douleur  se 
retrouve  dans  toutes  les  lettres  qu'échangent  en  cette  circon- 
stance ces  hommes  qu'avait  unis  une  commune  aiîectioD 
pour  le  poète,  t  Ce  coup,  dit  Armstrong,  nous  laisse  un  vide 
c  affreux.  La  perte  d'un  ami  si  charmant  change,  au  moins  pour 
«t  un  certain  temps,  quelques-unes  des  scènes  les  plus  ravis- 
ât santés  de  l'Angleterre,  en  une  solitude  désolée.  Il  se  passera 
«  longtemps  avant  que  je  puisse  revoir  Richmond  sans  une  poi- 
t  gnante  douleur  *.  »  —  «  Rien,  écrit  Murdoch  à  J.  Forbes, 
«t  ne  m'a  jamais  dans  la  vie  frappé  et  affligé  autant  que  cette 
«  nouvelle....  Mon  premier  souci,  quand  j'eus  repris  quelque 
c  sang-froid,  fut  la  douleur  et  la  désolation  que  ressentirait 
«  votre  cœur  aimant*.  »  Et  quelques  jours  plus  tard  :  «  Hélas! 
a  que  puis-jedire,  moi  qui  ai  besoin  de  consolations  autant  que 
«  personne?  Nous  avons  perdu,  mon  cher  Forbes,  l'ami  ancien, 
a  éprouvé,  aimable,  ouvert,  notrebon  Thomson,...  le  dépositaire 
«  le  plus  fidèle  de  nos  pensées  intimes,  le  conseiller  toujours 


1  H  RichmoDd,  in  Surrey,  Satarday  S7  Auf?. 

«  My  dear  P.  » 

•  Our  dear  friend  Thomson  died  Ihis  morning  about  four  o'clock,  aflef 
a  very  short  illncss....  1  am  hère  to  see  the  last  duties  fairly  paid.  1  ^^ 
almosl  sunk  wilh  Ihis  last  stroke. 

•  Yours  aiïectionately,  » 

A.  M.  > 

2.  •  This  blow  makes  a  hideous  gap,  and  the  loss  of  such  an  agreeable 
friend  turns  some  of  the  sweelesl  scènes  in  England  into  a  somethiniï 
waste  and  desolate,  at  least  for  the  tiine;  it  will  be  so  for  a  Jong  lii"* 
wilh  me,  for  1  question  whether  I  shall  ever  bc  able  to  see  Richmond 
again  wilhout  sorrow  and  mortification.  »  (Armstrong  à  Murdoch. 
London,  30  août.) 

3.  «  Naiton,  2"*  September. 

«  My  dearest  J.  • 

•  You  wiU  hâve  the  most  unwelcome  news  of  the  death  of  our  dear 
'riend.  I  received  it  only  ihis  morning,  and  must  own  that  nolhing  »«* 
Hfe  bas  ever  more  shocked  and  aiïecled  me;  il  makes  such  a  gap,  ^ 
the  Dr.  in  bis  letter  to  me  calls  it,  in  the  circle  of  our.  acquaiulance  a» 
nolhing  can  repair;  yet  we  must  bear  this  and  everything  else  in  hfe  tilï 
>^e  ourselves  are  released.  My  first  concern,  dear  F.,  after  I  was  able  10 
recolJect  myself  from  Ihe  shock,  was  the  pain  and  misery  it  must  give 
yo""*  affectionate  heart,  and  which  nolhing  but  lime  can  alieviatc....  • 
(Murdoch  to  John  Forbes.) 


LA  MORT.  171 

nsé,  toujours  plein  de  sympathie*.  »  Andrew  Millar  venait 
lire  en  Ecosse  un  agréable  voyage  quand  il  reçut  la  nou- 
î.  «  ...Je  ne  puis  plus  agir  ni  penser,  écrit-il,  car,  le 
ar  même  de  mon  retour,  on  a  enterré  notre  cher  ami 
lomson.  A  quel  point  cela  a  détruit  toute  ma  joie,  vous  le 
ntez  mieux  que  personne,  vous  qui  le  connaissiez  bien  et 
viez combien  je  l'aimais'.  »  Un  mois  plus  tard,  George Lyt- 
)n  s'exprimait  ainsi  sur  le  même  sujet  :  «  Il  a  plu  à  la  Pro- 
dence  de  m'affliger  récemment  d*un  nouveau  coup  par  la 
ort  soudaine  de  ce  pauvre  Mr.  Thomson.  C'était  un  des  meil- 
urs  et  des  plus  aimés  parmi  mes  amis^  n  Et  Shenstone  qui 
connaissait  que  depuis  peu  de  temps  le  poète  défunt,  se 


«  Ipswich,  3*^**  Septembor,  1718. 

•  My  dearest  Forbes. 

Uthotigh  I  wrote  you  but  two  posts  ago,  I  cannot  let  pass  any  opportu- 
of  conversing  with  you,  now  1  know  you  to  be  oppressed  wilh  Uie 
est  melancholy,  and  in  need  of  ail  the  consolation  your  friends  can 

•  But,  alas!  what  can  I  say?  who  niyself  as  much  stand  in  need  of  a 
'orter.  We  bave  lost,  my  dear  Forbes,  our  old,  tried,  amiable,  open, 
hunest-hearted  Thomson,  whom  we  hâve  never  parted  from  but 
illingly,  and  never  met,  but  with  fresh  transport;  whoui  we  found 

thc  same  delightful  companion,  the  most  faithrul  depository  of  our 
>st  thou^hts,  and  the  same  sensible  sympatiiizing  adviser....  » 

u  10<i>  Suptember,  1748.  » 

•  Dear  Sir, 

thank  God  we  ail  arrived  safe  hère,  after  a  most  agreeablc  journey. 
ever  since  1  bave  never  bcen  able  to  act  or  think,  for  that  very 
inp  our  dear  frlend  Thomson  was  buried.  How  il  dampt  ail  my  joy, 
who  knew  him  well  and  how  I  loved  him  can  best  feel.  1  rcally  was 
ibie  to  Write  you,  and  if  thc  enclosed  had  not  come  last  night,  I 
tion  if  I  should  now.  » 

^Ir.  Mitcheil  spent  the  evening  with  me,  we  remembered  you  kindly 
ill  PurvivîDg  friends.  Poor  Mr.  Lyttelton  is  iu  great  grief,  as  indeed 
n  bis  friends,  and  even  those  that  did  not  know  him;  but  1  can  add 
ng  to  thc  enclosed,  and  thereforc  shall  leave  that  melancholy  subject 
,  but  to  him  full  of  joy,  on  which  account  we  ought  to  submit.  > 

(Andrew  Millar  to  John  Forbes.) 

Jtcs  ces  lettres,  Mitcheil  à  Miirdoch,  Ârmstrong  à  Murdoch,  Murdoch 
illar  à  J.  Forbes,  ont  été  publiées  en  1815  dans  les  CuUoden  Papers. 

•  ....  It  bas  plcased  his  providence  to  afnict  me  lately  with  a  ncw 
e  in  thc  sudden  dealh  of  poor  Mr.  Thomson,  oue  of  the  best  and 
beloved  of  my  friends.  He  loved  my  Lucy  too,  and  was  loved  by 
I  hope  and  trust  in  the  Divine  Goodness  that  they  are  now  together 
mnch  happier  state  :  that  is  my  consolation,  that  is  my  support.  • 
ttelton  à  Doddridge,  30  septembre  1748.)  Puillimoke's  Memoirs^  vol.  I. 
I. 


173  JAMES  THOMSON. 

déclarait  aussi  péniblement  frappé  que  si  leur  affection  Tun 
pour  Tautre  eût  été  vieille  de  bien  des  années  *. 

Quelles  plus  belles  funérailles  auraient  pu  faire  au  mort  ainsi 
pleuré  des  pompes  fastueuses?  Ses  restes  furent  portés,  pai 
une  calme  et  mélancolique  soirée  de  la  fin  d'août  ',  le  long  des 
chemins  ombragés  qu'il  avait  si  souvent  parcourus,  jusqu'au 
sommet  de  la  colline  de  Richmond.  Quelques  amis  les  sui- 
vaient :  Robertson,  Quin,  Mallet,  sans  doute  aussi  Mitchell  et 
Ârmstrong  '.  Le  corps  fut  déposé  dans  le  cimetière  qui  entoure 
réglisc  paroissiale,  et  d'où  la  vue  embrassait  alors  un  vaste  et 
riant  panorama  que  le  poète  a  un  jour  décrit  avec  enthou- 
siasme *.  L'antique  église  de  Sainte-Marie-Madeleine  ne  se  voit 
plus  aujourd'hui,  comme  la  voyait  Collins,  du  milieu  de  la 
Tamise;  trop  de  maisons  se  sont  entassées  autour  d'elle.  Et  les 
amirateurs  de  Thomson  qui  pénètrent  dans  le  vieux  cimetière 
humide  et  triste,  cherchent  en  vain,  parmi  les  dalles  moisies  et 
disjointes,  la  pierre  funéraire  du  poète.  Dans  des  travaux  de 
réparation  et  d'agrandissement  de  l'église,  un  mur  a  été  cens 
truit  en  partie  au-dessus  de  sa  tombe  *.  Mais  l'auteur  des  «  Sai 
sons  ]>  n'a  pas  besoin,  lui  non  plus,  a  du  labeur  d'un  siècle  & 
pierres  accumulées  ».  a  II  s'est  bâti  un  monument  »,  comrn 
disait  Milton,  son  maître,  parlant  du  plus  grand  des  poètes 
c  dans  notre  admiration  ^  »  qui  ne  finira  pas,  et  aussi  dans  l's 
fection  de  ses  amis  qui  fut  durable  et  pieusement  active. 

4.  «  Poor  Mr.  Thomson,  Mr.  Pitt  tells  me,  is  dead.  He  was  to  hâve  be^ 
al  Hagley  this  week,  and  Ihen  I  should  probably  bave  seen  him  hcre. 
it  is  I  \vill  erect  an  urn  in  Virgifs  Grove  to  bis  memory.  I  was  really 
much  shocked  lo  hear  of  bis  death  as  if  I  had  known  him  and  loved  h. 
a  number  of  years.  God  knows  I  leun  on  a  very  few  friends,  and  if  llv 
drop  me,  I  become  a  wretch«d  mi9antbrof)e.  »  (Lettre  du  3  septembre  17ii 

2.  Le  20. 

3.  Le  renseignement  nous  vient  de  Robertson  (Parkb's  Memoranda)^  ^ 
nomme  Quin  cl  Mallet  et  a  oublié  le  nom  d'un  quatrième  ami  présera 
ces  simples  funérailles.  A  coup  sûr  Mitchell  était  là,  et  il  est  bien  i^ 
bable  que  Âmstrong  était  aussi  du  pieux  cortège. 

4.  S«wwîer,  1408-1445. 

5.  Le  comte  de  Buchan  dit  que  le  poète  fut  enterré  dans  VéglUe, 
dessous  du  point  où  furent  ensuite  établis  les  fonts  baptismaux.  11  sein 
qu'il  ait  dû  être  exactement  renseigné;  cependant  les  indications     < 
nous  donnons  nous  ont  été  fournies  directement  par  Mr.  Procter,  Tt'* 
du  révérend  canon  Procter,  curé  de  Saint-Mary  Magdalene. 

6.  •  An  Epilaph  on  the  admirable  Dramatic  Poet,  W.  Shakespear.  »  i^^ 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.  173 


II 

Lyttelton  et  Mitchell  s'occupèrent  des  soins  de  sa  succession. 
Le  25  octobre  1748,  ils  étaient  déclarés  administrateurs  au  nom 
de  Mary  Craig  '.  La  vente  de  la  petite  maison  de  Kew-Lane 
et  de  tout  ce  qu'elle  contenait  eut  lieu  le  lundi  15  mai  1749,  et 
rapporta  quelques  centaines  de  livres  *.  Ils  se  crurent  surtout 

1.  •  Extracted  from  the  Régis try  of  the  Prérogative  Court  of  Ganter bury. 
-  Oclober  1748.  James  Thompson  (bîc).  On  the  twenty  fifth  day  admôn 
of  ail  and  singular  the  good.s  chattles  and  crédits  of  James  Thompson 
late  of  Richmond  in  the  county  of  Surry  t)atchelor  deceased  was  granted 
to  Ihe  Hon^*  George  Lyttleton  (sic)  Esq'*  and  Andrew  Mitchell  Esq^  the 
Uwfuil  attorneys  of  Mary  Craig  formerly  Thompson  (wife  of  William 
Craig)  the  firal  and  lawfull  sister  and  next  of  kin  of  the  said  deceased  for 
the  use  and  benefît  of  the  said  Mary  Craig  now  residing  at  Edinburgh 
heJQg  flrst  sworn  duly  to  administer. 

Charles  Dyneley,  etc.  Deputy  Registers.  » 

2.  La  vente  de  la  maison  et  du  mobilier,  le  produit  des  représentations 
Et  de  la  publication  de  «  Coriolan  •  laissèrent  aux  deux  sœurs  du  poète  après 
Nement  des  dettes  de  la  succession,  une  somme  assez  élevée.  L'héri- 
sse était  fort  utile  à  Tune  d'elles.  Mr.  Craig,  le  mari  de  Mary,  nt  de  mau- 
^(ises  affaires,  et  en  vint  à  accepter  l'humble  situation  de  massier  de  la 
'Orporation  des  marchands  d'Edimbourg. 

Le  catalogue  de  la  vente  des  biens  et  effets  de  Thomson  existe  encore 
^oir  }iotes  and  Queries,  17  mars  1835  et  février  1862).  Les  Culloden 
^opers  en  avaient  donné  d'intéressants  extraits.  Nous  avons  plus  haut 
*^i'lé  de  la  bibliothèque  et  des  gravures  (voir  p.  113).  Le  mobilier  propre- 
ment dit  était  fort  simple;  le  tout  en  est  estimé  à  une  valeur  de  66  livres, 
'  schellings.  Parmi  les  objets  énumérés  figurent  une  épée  à  poignée  d'ar- 
^nt  et  une  épée  de  deuil.  La  cave  contenait  un  certain  nombre  de  bou- 
illes de  bourgogne,  de  porto,  de  bock,  de  madère  et  de  vin  du  Rhin, 
^  Il  bière  d'Edimbourg  et  de  Dunbar.  11  n'est  pas  fait  mention  de 
^•ritneux. 

«'obn  Forbes  acheta  le  «  Shakespeare  »  de  TheobaldJ'*  Histoire  »  de  Raleigh, 
*  Oceana  •  de  Harrington,  et  d'autres  ouvrages  qui  sont  restés  dans  la 
bliolhèque  de  Culloden  House.  Les  gravures  et  les  dessins  furent  acquis 
i*  Mr.  Gray,  un  marchand  de  comestibles,  dit  Robertson,  mais  plus  pro- 
viennent le  Mr.  Gray  qui  devint  recteur  de  Marischal  Collège  Aberdeen. 
'ant  à  la  maison,  elle  fut  achetée  par  Mr.  George  Ross,  un  ami  du 
(ite,  qui  devint  plus  tard  membre  du  Parlement.  Elle  appartint  ensuite 
^Ti.  Boscawen,  veuve  de  l'amiral,  qui,  fervente  admiratrice  de  Thomson, 
Q^orça  de  conserver  son  souvenir  dans  la  maison  où  il  avait  vécu.  Elle 
tlaura,  dans  une  partie  retirée  du  jardin,  le  pavillon  où  Thomson  avait 
né  à  rêver  ou  à  écrire.  Elle  en  orna  les  murs  de  tablettes  et  d'inscrip* 
ns  appropriées;  elle  y  dressa  un  buste  du  poète  avec  cette  inscription  : 

Hère  Thomson  sung 
The  Seasons,  and  their  change. 

xis  ce  kiosque  elle  plaça  la  petite  table  sur  laquelle  le  poète  avait 


174  JAMES  THOMSON. 

des  devoirs  envers  la  gloire  de  leur  ami^  et  firent  le  nécessaire 
pour  assurer  la  représentation  de  la  tragédie  qui  depuis  si 
longtemps  était  prête  pour  la  scène.  Ils  retirèrent  la  pièce 


disait-on,  écrit  la  plupart  des  vers  de  ses  dernières  années.  La  principale 
des  inscriptions  était  celle-ci  : 

«  Within  this  pleasing  retirement, 

allured  by  the  music  of  the  nightingale 

which  warbled  in  soft  unison, 

to  the  melody  of  his  souI, 

in  analTected  checrrulness, 

and  génial,  though  simple  élégance, 

lived 

James  Thomson! 

Sensibly  alive  to  ail  the  beauUes  of  nature, 

He  painted  Iheir  images  as  they  rose  in  review; 

and  poiired  the  whole  profusion  of  them 

into  his  inimitable 

Seasoks ! 

Warmed  with  intense  dévotion 

to  the  Sovereign  of  the  Universe, 

its  flame  glowed  through  ail  his  compositions. 

Animatcd  with  unbounded  benevolence, 

with  the  tenderest  social  sensibility, 

he  never  gave  one  moments  pain, 

to  an  y  of  his  fellow-crcatures; 

save,  only,  by  his  death, 

which  happened  at  this  place, 

on  the 

27  '"  day  of  August,  1748.  • 

L'année  même  où  mourut  Mrs.  Doscawen,  en  1805,  un  voyageur  am^^^' 
cain,  visitait  la  maison  de  Kew  Lane  et  le  pavillon  où  avait  écrit  ThoiD?^*|'' 
(A  Journal  of  Travels  in  Englandy  Holland  and  ScoUand  in  the  years  iSO  '> 
t806,  by  Benjamin  Sillimen,  2  vol.,  New- York,  1810.  Compte  rendu  dan»  '* 
Quarterly  Review,  vol.  XV,  p.  558.)  —  Cbalmers  avait  reçu  de  la  goo^*^' 
nanle  du  poète  quehiues  objets  qui  lui  avaient  appartenu  :  une  tabl^ 
déjeuner,  des  salières  d'un  modèle  suranné,  etc.  (VoirTAYLOR*s/?ecorrf*,  c*f'* 
clmp.  XV.)  11  faisait  boire  son  ami  J.  Taylor  dans  un  verre  où  avait^  ** 
l'auteur  (les  «  Saisons  -;  en  foi  de  quoi  Taylor  lui  adressait  une  petite  pi^^ 
rimèe  dont  voici  le  tilre  et  la  première  strophe  (il  y  en  a  quatre)  : 

«  To  George  Chalmers  Esq.^  the  Possessor  of  a  Table  and  Wine- 
Glasses  which  ôelonged  to  Thomson  the  Poet 

Friend  Chalmers,  'tis  a  noble  treat 
At  Thomson's  hallowed  board  to  meet, 

The  bard  of  nalure's  sphère, 
The  bard  whom,  long  as  âges  roU, 
And   nature  animâtes  the  whole, 

Taste,  virtue  will  révère.  ■ 

Une  chaise  fat  aussi  conservée  et  figura,  nous  le  verrons  plus  loin,  ààns 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTIOiN  DES  AMIS.  175 

que  les  directeurs  de  Drury-Lane  mettaient  tant  de  mauvais 
vouloir  à  faire  paraître,  et,  le  13  janvier  1749,  «  Coriolan  » 
était  joué  à  Covent-Garden.  Quin  remplissait,  comme  l'avait 
désiré  l'auteur,  le  rôle  principal.  Il  vint,  vêtu  de  noir,  selon 
Tantique  usage,  dire  le  «  Prologue  »  qu  avait  écrit  Lyttelton  '. 

une  cérémonie  tenue  à  Ednam,  quarante  ans  après  la  mort  du  poète 
(voir  p.  !89). 

Après    Mrs.  Boscawen,  lord    Falmouth   devint  propriétaire    du   petit 
domaine,  mais  il  le  vendit  presque  aussitôt  au  comte  de  Shaftesbury. 

La  maison  existe  encore  aujourd'hui,  mais  elle  a  subi  entre  les  mains 

de  ses  propriétaires  successifs  une  transformation  qui  rappelle  celle  que 

Lyttelton  voulait  imposer  aux  poèmes  de  son  ami.  Les  murs  extérieurs 

n'en  ont  pas  été  démolis,  mais  ils  ont  été  considérablement  surélevés,  et 

englobés  dans  une  construction  beaucoup  plus  vaste;  le  toit  ayant,  bien 

entendu,  disparu.  Quand  Howitt  visita  le  lieu,  ce  qui  avait  été  la  maison 

du  poète  formait  le  grand  vestibule  de  la  demeure  de  Lord  Shaftesbury 

(Howitt's  Homes  and  Haunts,  p.  218-228).  Le  côté  gauche  de  ce  vestibule 

correspondait  à  l'emplacement  de  la  pièce  où  Thomson  se  tenait  le  plus 

souvent.  On  y  voyait  encore  la  table  d'acajou  qui  lui  avait  appartenu,  et 

sifr  laquelle  Mrs.  Boscawcn  avait  fait  incruster  une  banderole  de  bois 

blanc  portant  en  lettres  noires  cette  inscription  :  «  On  this  table  James 

Thomson  constantly  wrote.  It  was  therefore  purchased  of  bis  servant, 

who  aiso  gave  the  brass  hooks,  on  which  bis  bat  and  cane  v^ere  hung  in 

this  silting  room.  F.  B.  • 

Le  sixième  puis  le  septième  comtes  de  Shaftesbury  et,  après  celui-ci,  la 
comtesse  douairière  occupèrent  la  maison.  Cette  dernière  y  mourut,  à 
l'ige  de  93  ans,  vers  la  fin  de  l'année  1866.  La  propriété  est  aujourd'hui 
devenue  «  the  Royal  Richmond  Hospital  ».  Lu  kiosque  a  disparu;  on  a 
conservé  seulement  quelques  carreaux  émaillés. 

i'Nous  en  citons  les  vers  qui  peuvent  concourir  à  fixer  les  traits  du 
caractère  de  Thomson  : 

c  1  come  not  hère  your  candour  to  implore 

For  scènes,  whose  author  is,  alas!  no  more. 

No  party  bis  benevolence  confin'd. 

No  sect  —  alike  it  flow*d  to  ail  mankind. 

He  lov'd  his  friends  (forgive  this  gushing  tear  : 

Alas!  I  feel  I  am  no  actor  hère) 

He  lov'd  his  friends  with  such  a  warmth  of  heart, 

So  clear  of  interest,  so  dcvoid  of  art, 

Such  gênerons  friendship,  such  unshaken  zeal, 

No  words  can  speak  it  ;  but  our  tears  may  tell. 

0  candid  truth,  o  faith  without  a  stain, 

0  manners  gently  firm,  and  nobly  plein, 

0  sympathizing  love  of  olhers'  bliss, 

Where  will  you  find  another  breast  lilvC  his? 

Such  was  the  man,  the  poet  well  you  know  : 

For  his  chaste  Muse  employ'd  her  heaven-taughtljre 
None  but  the  noblest  passions  to  inspire, 
Not  one  immoral,  one  corrupted  thought, 
One  Une,  which  dying  he  could  wish  to  blot. 


176  JAMES  THOMSON. 

Les  vers  étaient  beaux,  parce  que  la  douleur  qu'ils  exp 
maient  était  sincère.  L'acteur  les  prononça  avec  tant  d'émoti 
qu'il  dut  s'interrompre  quelques  moments,  suffoqué  par 
véritables  larmes. 

Shiels,  le  futur  biographe  ',  publiait  dès  avant  cette  rep 
sentation  une  ode  à  la  mémoire  du  maître  qui  venait  de  dis] 
raître  *.  Un  autre  et  plus  célèbre  poète,  Gollins,  disait  à  s 
tour  en  1749  la  douleur  de  ceux  qui  avaient  aimé  Thomsc 
Pour  lui,  comme  pour  Lyttelton,  la  profondeur  de  l'émoti 
fournit  une  inspiration  heureuse,  et  son  c  Ode  élégiaque  s 
la  Mort  de  Mr.  Thomson  ib  est  restée  un  de  ses  purs  che: 
d'oeuvre  '.  Il  était  venu  s'établir  à  Richmond  pour  s'y  trou\ 

1.  C'était  un  ouvrier  typoj^raphe  qui,  sans  éducation  première,  s'est  éU 
au  niveau  de  bon  nombre  d'écrivains  et  de  poètes  de  son  temps.  II  av 
conçu  pour  Thomson  une  admiration  enthousiaste,  et  s'elTorçait  d'imi 
son  style.  De  même  qu'il  fut  le  premier  à  lui  adresser  an  poétique  adi 
il  a  été  aussi  son  premier  biographe. 

2.  Musidorus  :  a  Poem  sacred  to  the  Memory  of  Mr.  James  Thomson. 

«I  Dignum  laude  virum 
Musa  vetat  mori.  > 

(Hor.) 

«  London  :  Printed  for  Griiïiths,  at  the  Dunciad  in  Ladgate  Street  (prie 
one  shilling).  » 

La  date  est  indiquée  par  cette  note  au  bas  de  la  page  45  :  •  Coriolan 
a  Tragcdy  written  by  Mr.  Thomson,  which  is  expected  to  be  acted  tl 
season.  » 

Le  poème  débute  ainsi  : 

«  From  lighter  Slrains,  to  sîng  the  Tragic  Thème, 
Awake,  my  Muse!  while  Nature  lends  her  aid, 
Inspires  my  bosom,  animâtes  Ihe  lay, 
And  calls  forth  fancy  from  her  airy  seat 
To  wing  the  sacred  flighl....  » 

Puis  l'auteur  passe  en  revue  Ief«  diverses  œuvres  de  Thomson,  et  en  vi4 
à  décrire  le  caractère  du  poète  défunt  (p.  16)  : 

-  Never  did  Envy  slain  bis  noble  breast; 

.    .    . Ile  never  knew 

The  idle  pomp  of  life,  nor  meanly  grasp'd 
At  pa«cant  greatness;  nor  with  eager  eye, 
Pursu'd  the  glare  of  wealth 

Le  portrait  se  poursuit  ainsi,  très  consciencieux  et  très  complet,  d'^ 
bliant  pas  de  mentionner  que  Thomson  était,  à  uhe  table.d'amis,  un  ti 
joyeux  convive. 

3.  Qui  ne  connaît  ces  strophes  d'une  harmonieuse  mélancolie?  Le  tbëc 
principal  sur  lequel  se  déroulent  les  variations  de  ce  flûtiste  exquis  (}■ 
fut  Gollins,  c'est  l'union  et  comme  la  solidarité  du  poète  pleuré  avec 
nature  au  milieu  de  laquelle  il  vécut,  qu'il  chanta  et  où  il  dort  l'étero 


DÉVOUBMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.  177 

dans  lé  voisinage  de  Thomson  ;  il  quitta  cette  résidence  après 
la  mort  de  son  ami.  Elle  lui  était  devenue,  disait-il,  odieuse. 
Murdoch  s'est  plaint  que  les  confrères  du  grand  poète  aient 
négligé,  à  la  seule  exception  de  Collins,  de  lui  faire  de  poéti- 
ques adieux.  Il  oublie  le  Musidorus  de  Shiels  et  l'hommage 
rendu  par  plus  d'un  autre  écrivain.  Mendez,  un  des  amis  du 
cercle  de  Thomson  à  Richmond,  est  sans  doute  l'auteur  d'une 
poétique  épitaphequ'a  publiée  Johnson  *.  Shenstone  consacrait 
plusieurs  strophes  à  l'auteur  des  c  Saisons  »  dans  deux  pièces 
de  vers  dont  l'une  au  moins  est  de  Tannée  1748  '.  Et  pendant 

ummeil.  Aucun  trait  ne  s'y  rapporte  au  caractère  de  Thomme.  Mais 
ThomsoD  n'aurait  pu  souhaiter  un  autre  chaut  funèbre  que  cette  petite 
pièce  où,  par  une  inspiration  du  cœur  autant  que  du  génie,  Collins  a  uni 
dans  l'expression  de  sa  douleur  tout  ce  qu'avait  chéri  le  poète  disparu  et 
tout  ce  qu'il  a  chanté  :  les  amis  auxquels  il  donnait  sans  compter  le  meil- 
lear  de  sa  vie,  la  nature  dont  il  est  resté  le  chantre  suprême  et  comme  le 
poète-lauréat,  et  même  ces  créatures  auxquelles  ont  foi  l'imagination 
populaire  et  celle  des  poètes,  ces  génies  et  ces  fées  à  qui  l'auteur  du 
'Cbâleau  d'Indolence  •  avait Tun  des  premiers  rendu  leur  place  dans  la 
littérature  de  son  pays. 
1.  •  Epitaph  on  Mr.  Thomson. 

•  Otbers  to  marble  may  their  glory  owe, 
And  boast  those  honours  Sculpture  can  bestow; 
Short-liv'd  renown!  that  every  moment  must 
Siuk  with  its  emblem,  and  consume  to  dust! 
But  Thomson  needs  no  artist  to  engrave, 
From  dumb  oblivion  no  device  to  save; 
Such  Yulgar  aids  let  names  inferior  ask; 
Nature  for  him  assumes  herself  the  task  ; 
The  Seasona  are  bis  monuments  of  famé, 
With  them  to  flourish,  as  from  them  it  came.  > 

(Jobusor's  LiveXy  etc.,  Thomson*s  Works;  vol.  lv,  p.  185.) 

^*  Nous  avons  cité  déjà  (voir  p.  161,  n.  1.)  une  strophe  consacrée  à  Thomson 
dans  1\  Ode  Pastorale  •  adressée  à  l'honorable  sir  Richard  Lvttelton.  Dans 
I  ^  Vers  adressés  vers  la  fln  de  l'année  1748  à  William  Lyttelton  esq. 
^  treize  dernières  strophes  sont  consacrées  au  souvenir  du  poète  des 
*  Saisons  »;  la  première  étant  : 

«  Though  Thomson,  sweet  descriptive  bard! 

Inspiring  Autumn  sung; 
Yet  how  should  we  the  months  regard, 
.  That  stopp'd  bis  flowing  tongue?  > 

^^  **  dernière  : 

•  But  no  kind  suns  will  bid  me  share, 

Once  more,  bis  social  hour; 
Ah  Spring!  thou  never  canst  repair 

This  loss  to  Damon's  bower.  • 

p  ^ous  apprenons  de  ces  vers  que  les  relations  d'amitié  de  Thomson  avec 
^rge  Lyttelton  s'étendaient  au  père  et  au  frère  de  celui-ci. 
^  peut  s'étonner  que  Mallet,  le  compagnon  et  l'ami  depuis  trente  ans 


iO 


178  JAMES  THOMSON. 

les  années  qui  suivirent,  nombreux  ont  été  les  hommages 
rendus  par  les  poètes  à  Thomson  \  jusqu'au  jour  où  sa  gloire 

le  poète  disert  et  facile,  ne  prenne  point  part  à  ce  concert  de  poétiques 
lamentations.  Peut-être  pouvons-nous,  malgré  le  silence  des  biographes 
sur  ce  point,  rapporter  au  souvenir  de  Thomson  certaine  «Ode  funéraire* 
qui  imite  le  rythme  de  Tode  célèbre  de  Dryden,  et  dont  quelques  parties 
conviendraient  heureusement  h  Tauteur  des  «  Saisons  »  ;  témoin  cette  fin 
de  la  dernière  strophe  : 

«  God  is  just. 

And  man  most  happy,  when  he  dies  ! 

Uis  winter  past, 

Fair  spring  at  last 
Receives  him  on  her  flowery  shore; 

Where  Pleasure's  rose 

Imraortal  blows. 
And  sin  and  sorrow  are  no  more.  > 

(JoHivso.Vs  Poets,  vol.  63,  p.  150,  i51.) 

1.  VoiiM  quelques-uns  au  moins  de  ces  hommages  de  la  Muse  anglaise. 

En  1163  paraissait  «  Genius  and  Valour,  a  Scotch  Pastoral  »,  Becket,  1/6. 
Un  passage  nous  montre  les  quatre  Saisons  apparaissant  à  Thoaison  et 
rinvitant,  comme  les  trois  déesses  du  mont  Ida,  à  décerner  à  l'une  d'elles 
la  palme  de  la  beauté.  Nous  nous  bornerons  à  citer  quelques  vers  : 

«  First  Spring  addresses  the  libéral  boy. 
Her  naked  charms,  like  Venus,  to  disclose, 
Spring  from  her  bosom  threw  the  shadowing  rose: 
BarM  the  pure  snow  that  feeds  the  lover's  fire, 
The  breast  that  Ihrilis  wilh  exquisite  désire; 
ÂssumM  the  tender  smile,  the  melting  eye, 
The  brealh  fuvonian,  and  the  yielding  sigh; 
One  beauteons  hand  a  wilding's  blossom  grac'd, 
And  one  cnfulded  half  her  zoneless  waist.  » 
(Voir  sur  cette  pièce  The  Monthbj  Review,  vol.  28,  p.  398.) 

En  1713  est  publiée  •  A  poetical  Epistle  to  Christopher  Anstey  Esq.,  on 
ihe  Englibh  poets,  chieHy  those  vvho  hâve  wrilten  in  Blank  verse,  in-4. 
Wilkie.  •  On  y  lit  sur  Thomson  : 

•  ....  Next  Thomson  came, 
Hc,  curions  bard,  examin'd  every  drop 
That  glistens  on  the  lliorn;  each  leaf  survey'd 
Which  Autumn  from  the  rustling  fores t  shakes, 
And  mark'd  ils  shape,  and  trac'd  in  the  rude  wind 
Us  eddying  motion  :  Nature  in  his  hand 
A  pencil,  dip'd  in  her  own  colours,  plac'd, 
Wilh  which  the  ever  fuilhful  copyist  drew 
Each  feature  in  proportion  just.  Had  Art 
But  soflen'd  the  hard  Unes,  and  mellow'd  down 
The  glaring  tints,  not  Mincio's  self  would  roll 
A  prouder  stream  than  Caledonian  Tweed.  » 

(Voir  The  Monthly  Review,  vol.  48,  p.  147, 148.) 

La  même  revue  nous  fournit  un  extrait  des  -  Poems,  by  the  Author  of 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.  179 

a  été  proclamée  par  quelques-uns  des  plus  grands. parmi  les 

The  Sentimental  Sailor  »  in-4,  Dilly,  publiés  en  1774.  Ce  sont  quarante  vers 
dont  nous  citons  les  premiers  seulement  : 

•  To  usher  in  Ihe  smiling  years, 
Naturels  gentlc  bard  appearsl 
Descriptive  Thomsoo!  on  thy  head 
Every  Muse  sweel  influence  shed.  » 

(Monthly  Review,  vol.  51,  p.  342.) 

Datée  de  Kelso,  septembre  1788,  est  la  pièce  suivante  où  se  reflète  clai- 
rement rinfluence  de  TOde  de  CoUins  : 

Eden  Streams  : 
To  the  Memory  of  Thomson. 

By  Dr.  Trottkr. 

Te  youlhs  that  haunt  the  Tiviot's  side, 

Or  sport  along  the  silver  Tweed, 
What  vales  delight,  what  fates  divide, 

What  charms  awake  my  Jamie's  reed! 
'    To  Eltrick  braes  perhaps  he*s  fled, 

'Midst  foresl  flowers  bis  laurel  beams; 
Or  haply  stretch'd  by  sylvan  Jed, 

He  pipes  no  more  by  Eden*s  streams. 

To  Leader  haughs  1*11  gladly  stray, 

If  chance  he  roves  through  Cowdenknows, 
Though  sweet  their  broom,  and  haughs  so  gay, 

ril  lead  him  back  where  Kden  flows. 
Or  like  the  maid  on  Yarrow's  si<Ie, 

ru  seek  my  love  in  frantic  druams; 
Her*s  was  the  Yarrow's  early  pride. 

And  mine  the  boast  of  Eden*s  streams. 

Then  mourn,  thou  dear  deserled  flood, 

Go  murmur  to  thy  banks  along, 
And  sigh,  soft  Echo  of  the  wood, 

For  thou  no  more  shalt  hear  his  song. 
Those  sweets  are  fled  that  loiter'd  hère, 

The  seasons's  face  in  sorrow  seems; 
Those  notes  he  warbled  smoolh  and  clear 

Are  heard  no  more  on  Eden*s  streams. 

Yct  soft  in  thèse  neglected  shades, 

That  nurs*d  the  Poet  of  the  year, 
Shall  Fancy,  Icd  by  sylvan  maids, 

And  meek-eyed  memory,  shed  the  tear; 
While  glides  that  wave  wilh  willows  crown'd, 

Beueath  pale  Cynthia's  evening  bcams, 
Gay  youth  and  geuii,  hoverint?  round, 

Shall  deck  his  lover  on  Eden's  streams.  • 

Nous  avons  tronvé  cette  pièce  dans  un  recueil  de  Thomsoniana  formé 
par   un  érudit  d'Edimbourg,  Mr.  James  Maidment;  aucune  indication  ne 


180  JAMES  THOMSON. 

maîtres  de  Tâge  nouveau,  par  Wordsworth  et  par  Bums  *. 
Pendant  que  se  jouait  «  Coriolan  d  qui  atteignit  le  chiffre  de 


nous  fait  savoir  de  quel  journal  ou  de  quelle  revue  le  morceau  est  extrait 
Dans  les  Poèmes  de  Langhorne,  les  Fables  of  Flora  dédiés  &  la  comtesse 

de  Hcrlford  contiennent  une  pièce  où  figure  le  poète  des  «  Saisons».  Cest 

la  dixième  fable,  «The  Wilding  and  the  Broom  >. 
L*auteur  y  évoque  Hamiltoo  (of  Bungour)  et  ThomsoD. 

u  And  oh!  that  he  whose  gentle  breast 

In  nature's  softest  mould  was  made, 
Who  left  lier  smiling  work  imprest 

In  characters  that  caoDot  fade; 
That  he  might  leave  his  lowly  shrine, 

Though  softer  there  the  Seasuns  fall  — 
They  corne,  the  sons  of  verse  divine, 

They  corne  to  fancy^s  magie  call.  >. 

Et  ce  sont  en  eiïet  Thomson  et  Ilamilton  qui  célèbrent  et  qui  comP^ 
rcnt  les  mérites  du  sauvageon  couvert  de  fruits,  et  du  brillant  mais  inu^'*7 
genêt,  dans  un  langage  qui  se  propose  d'imiter  celui  des  deux  poètes.  (Von 
Johnso.n's  Poets,  Laughorne,  vol.  LXXI,  p.  347.) 

L'abbaye  de  Dryburgh,  que  Thomson  enfant  avait  bien  connue,  était' 
résidence  des  comtes  de  Buchan,  et,  vers  la  fin  du  xviue  siècle,  avait,  so^^ 
le  goût  du  temps,  son  temple  des  Muses.  Une  inscription  en  vers  y  »* 
consacrée  à  Thomson  le  10  novembre  1191,  et  plus  tard  imprimée  ^*- 
frais  de  Buchan,  le  biographe  de  notre  poète.  L'auteur  était  le  Rév.  J(>^ 
Richmond,  ministre  de  cette  paroisse  de  Southdean  où  s^élait  écoulée  T*^ 
fance  du  poète.  Nous  n'en  donnerons  qu'un  bref  échantillon  : 

«  0  pensive  Autumn!  how  1  grieve 
Thy  sorrowinp  face  to  see! 
\ViiL>n  ian^iiid  suns  are  laking  leave 
or  every  droopiug  tree.  ■ 

l.  Nous  ne  rappellerons  pas  les  vers  où  Burns  revendique  fièremeut  pc7 
rÉcosse  la  gloire  d'avoir  donné  naissance  &  Thomson.  Ils  sont  plus  faci  ^ 
a  trouver  que  ceux  des  poètes  ignorés  que  nous  venons  de  citer.  Ils  fur*^ 
composés  pour  une  de  ces  commémorations  annuelles  de  la  naissance  * 
poète  dont  nous  parlerons,  et  qui  furent  l'occasion  de  véritables  voIudus 
de  vers  à  la  mémoire  de  Tauteur  des  «  Saisons  ». 

L'hommage  rendu  par  Wordsworth  se  trouve  surtout  dans  l'influer"» 
indéniable,  mal^Té  tant  d'oppositions,  du  vieux  poète  sur  son  grand  s  *- 
cesseur.  Wordsworth  a  rarement  fait  mention  expresse  de  Thomson, 
une  fois  au  moins,  ce  fut  pour  l'attaquer  violemment.  L'injustice  et  P  ^ 
reur  du  critique  peuvent  être  pardonnes  au  poète  qui  a,  dans  quelii  ^ 
vers  toucliauts,  réuni  le  souvenir  de  Collins  et  celui  de  Thomson;  et  ci  < 
dans  une  fantaisie  très  heureuse,  imitant  exactement  la  manière  et. 
style  de  l'auteur  du  •  Château  >,  a,  comme  lui,  enchâssé  dans  quel<|Li< 
strophes  spcusérieunes  le  portrait  de  deux  de  ses  amis.  —  Voir  •  Poe  ni 
written  in  youlh  :  Rcmcmbrance  of  Collin^j  composée  upon  the  Thamei 
near  Richmond  »  ;  cl  ■  Poems  founded  on  the  AlTections  :  Stanzas  vcrt/i^ 
on  my  pocket'Copy  of  Thomson' s  Castle  of  Indolence  •. 

Nous  no  songeons  pas  à  relever  tout  ce  qu'on  pourrait  trouver  d^a/iu- 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.  181 

if  représentations,  Millar  publiait  le  texte  de  la  tragédie,  et 
lonçait  en  même  temps  une  édition  dss  œuvres  complètes 
maître  en  trois  volumes  *.  Lyttelton  de  son  côté  poussait 
\  loin  son  zèle  d'ami  soucieux  de  la  bonne  renommée  du 
te.  Thomson  lui  avait,  parait-il,  confié  la  mission  de  revoir 
ore  ce  texte  des  c  Saisons  i>  qu'il  avait  lui-même  si  souvent 
i  laborieusement  remanié.  L'exécuteur  testamentaire  publia 


s  à  Thomson  dans  la  poésie  de  notre  siècle.  Nous  nous  bornerons  -è 
r  deax  morceaux. 

Maidment  a  trouvé  dans  une  publication  dont  il  ne  nous  donne  pas 
itre,  et  à  la  date  de  janvier  1819,  ces  quelques  vers  :  On  a  French 
-pièce,  ornamented  with  Thompson^s  Bu^t  and  Lyre, 

•  To  teach  old  Time  an  equal  pace 

Should  be  the  artistes  care; 
But  every  Season  speeds  his  race, 

If  Thompson*s  lyre  is  there. 
Fond  workman  !  —  humbler  minstrelsy 

Might  regulale  thy  chime  — 
The  Bard  of  immortality 

Need  take  no  note  of  Time.  » 

ans  le  parc  de  Bichmond,  sur  le  sommet  d^me  colline  qui  domine  le 
rs  de  la  Tamise,  un  êcriteau  est  lixé  sur  un  arbre,  et  l'on  y  lit  ces 

•  TO  THB  MEMORY  OF  THOMSON 

•  Ye  who  from  London's  smoke  and  turmoil  fly 
To  seek  a  purer  air  and  brighter  sky, 
Think  of  thc  bard  who  dwelt  in  yonder  dell, 
Who  sang  so  swcetly  what  he  loved  so  well  ; 
Think,  as  ye  gaze  on  thèse  luxurious  bowers, 
Hère  Thomson  loved  Ihe  sunshine  and  the  flowers  : 
He  who  couid  paint,  in  ail  their  varied  forms, 
Âpril's  young  bloom,  December's  dreary  slorms. 
By  yon  fairstream  which  calmly  glides  along, 
Pure  as  his  life  and  lovely  as  his  song, 
There  oft  he  roved.  In  yonder  churchyard  lies 
AU  of  the  deathless  bard  that  ever  dies; 
For  hère  his  gentle  spirit  lingers  still. 
In  yon  sweet  vale,  on  Ihis  enchanled  hill, 
Flinging  a  holier  interest  o'er  the  grove, 
Stirring  the  heart  to  poetry  and  love, 
Bidding  us  prizo  the  favourile  scènes  he  trod, 
And  View  in  Naturels  beauties  Naturels  God.  • 

»us  ne  savons  ni  qui  écrivit  les  vers  ni  qui  les  a  placés  là.  Un  corres- 
lant  les  communiquait,  le  15  août  1864,  au  Ladies*  Own  Journal,  et 
andait  s'ils  avaient  été  écrits  par  le  •  présent  Poète-Lauréat  ».  A  coup 
ils  n'en  ont  guère  l'apparence. 

Édil.  in-8  de  1749.  Une  édition  irlandaise,  de  format  in-12,  paraissait 
lème  année. 


182  JAMES  THOMSON. 

en  4750  une  édition  *  des  œuvres  où  plusieurs  corrections  de 
détail  étaient  apportées  au  texte  de  Tauteur.  Mais  il  prenait 
plus  au  sérieux  sa  mission.  Il  prépara  plus  tard  une  édi- 
tion d'où  le  poème  serait  sorti  à  peu  près  méconnais- 
sable. L'  <t  Hymne  ^  devait  disparaître,  et  quelques-uns  des 
vers  de  cette  magnifique  prière,  non  pas  tous,  auraient  trouvé 
place  en  différentes  parties  de  l'ouvrage.  Tout  ce  qui,  dans 
la  philosophie  du  poète,  pouvait  paraître  suspect  à  Texi- 
geante  orthodoxie  de  l'éditeur  était  modifié  ou  supprimé.  Cer- 
tains vers  étaient  transposés;  tout  ce  qui  semblait  à  Lyttelton 
ou  dur  ou  obscur,  ou  d'une  correction  grammaticale  insuffi- 
sante était  consciencieusement  rectifié  sinon  élagué.  Les 
changements  de  termes  étaient  extrêmement  copieux.  Heu- 
reusement ce  beau  dessein  ne  se  réalisa  point,  et  Thomson 
n'eut  pas  à  souff'rir  de  cet  étrange  abus  de  confiance  ■.  L'oppo- 
sition aussi  sensée  qu'énergique  de  Murdoch  eut  raison  du  zèle 
intempestif  de  Lyttelton.  Quant  à  celui-ci,  il  s'était  donné 
quelque  satisfaction  en  faisant  paraître  une  version  de  c  La 

1.  Suivie  d*une  nouvelle  édition  en  1752  (puis  d*une  3*  en  1758).  LyUelton 
à  Doddridge  pour  lui  annoncer  renvoi  d'un  exemplaire  de  cette  édition  : 

«  Ilill  Stroct,  March  S2,  1750. 

«  By  the  Northampton  coach  of  ncxt  week,  I  shall  send  Mrs.  Doddridge 
a  new,  compleat  and  correct  édition  of  Mr.  Tliomson's  works  made  under 
my  care,  which  1  beg  Ihe  favoiir  of  lier  to  accept....  You  will  find  thi? 
édition  much  préférable  to  any  of  Ihe  former,  though  not  entirely  free 
from  false  prints.  (îreat  corrections  hâve  been  niadc  in  the  diction  and 
many  redundancies  hâve  been  cul  o£f....  so  that  upou  the  wholc  I  am  per- 
suaded  you  will  thinU  Mr.  Thomson  a  rauch  belter  poet,  if  you  take  the 
trouble  to  read  over  his  works  in  their  présent  form,  than  you  ever 
thought  him  before....  »  (Phillimore's  Memoirs  of  Lyttelton,  vol.  I,  p.  322.) 
—  Voici  quelles  sont  les  principales  modilications  apportées  an  texte  de 
1746  par  Tcdilion  de  Lyttelton  :  la  dédicace,  Tavant-propos  et  87  Ters  de 
I'«  Automne  •  sont  supprimés.  Ces  vers  sont  rétablis  avec  des  variations 
comme  un  appendice  au  poème  sous  ce  titre  :  •  The  Return  from  the 
Fox-chascj  a  burlesque  poem  in  the  manner  of  Mr.  Phillips  •  (vol.  Il, 
p.  239).  On  voit  que  Lyttelton  ne  goûtait  pas  le  mélange  du  plaisant  au 
sévère.  —  Quant  à  la  Liberté  elle  perdait  1400  vers!  Deux  strophes  sont 
supprimées  dans  le  «  Château  d*lndoIence  »,  Chant  I,  str.  LV  et  LVL 

2.  La  bibliothèque  de  Haf^iey  conserve  l'exemplaire  iuterfolié  sur  lequel 
Lyttelton  avait  exécuté  son  travail  de  remaniement. 

La  bibliothèque  du  Musée  Britannique  possède  un  exemplaire  de  Tédit. 
de  1758  sur  lequel  des  notes  manuscrites  reproduisent  les  corrections  pré- 
parées par  Lyttelton.  (Brit.  Mus.,  11632,  c.  57.)  On  y  lit  cette  indication  : 
•  The  copy  now  in  the  possession  of  the  présent  lord  Lyttelton.  It  was 
givcn  to  lord  Spencer  by  Matthew  Montagu  Esq.  who  found  it  among 
the  books  of  Mrs.  Montagu.  • 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.        183 

Liberté  »  où,  grâce  à  une  manipulation  énergique,  le  nombre 
des  chants  était  ramené  de  cinq  à  trois'.  Le  mal  était  moins 
grave,  et  sans  doute  Murdoch  eût  consenti  à  sacrifier  <k  La 
Liberté  d  s'il  avait  fallu  payer  ce  prix  pour  sauver  les  <t  Sai- 
sons '  >. 

Il  ne  rendit  pas  seulement  à  Thomson  ce  service  d*empêcher 
une  mutilation  de  son  œuvre.  Lui-même  publia  en  1762,  avec 
Andrew  Millar,  une  magnifîque  édition  des  œuvres  complètes, 
en  deux  beaux  volumes  in-4,  ornés  de  portraits  du  poète,  de 
nombreuses  gravures  illustrant  les  poèmes  ou  les  œuvres  dra- 
matiques, et  précédés  d'une  biographie.  Le  texte  était  celui  de 
'a  petite  édition  de  1752  '.  Murdoch  avait,  ici  encore,  opposé 
UDe  énergique  résistance  aux  tentatives  de  Lyttelton  pour 
corriger  l'œuvre  du  poète  *.  L'ouvrage  était  publié  par  sous- 

^  i-  L'édition  ftit  publiée  par  A.  Millar.  Dans  une  préface  au  lecteur, 
Tèditear  dit  à  propos  de  Liberty  :  «  The  author  was  sensible  of  ils  being 
^  long.  It  bas  been  therefore  considorably  shortened,  by  reducing  the 
fi^e  parts  into  ihree.  • 

U  première  partie  a  pour  titre  Ancient  and  Modem  Italy  compared, 
^1  contient  485  vers;  la  deuxième,  Greece^  a  443  vers,  et  la  troisième, 
^nlain^  en  a  985. 

2;  Lytlelton  a  rendu  à  son  ami  un  hommage  plus  acceptable  dans  ses 
'Dialogues  des  morts  >,  tout  en  continuant  à  faire  ses  réserves  sur  les  défauts 
^^ou  l'a  empêché  d'élaguer.  Dans  le  Dialogue  in  Elysium  between  Boileau 
^  i*ope,  nous  lisons  : 

"Boileau. —  Who  is  the  poet  that  arrived  soon  after  you  in  Elysium, 
^bom  1  saw  Spenser  lead  in  and  présent  to  Virgil,  as  the  author  of  a 
P^ni  resembling  the  Georgics?  On  bis  head  was  a  garland  of  the  several 
uoweri  that  blow  in  each  season,  with  cvergreens  intermixed. 

I^ope.  —  Tour  description  points  out  Thomson.  He  painted  nature  exactly 
*°^  with  great  slrenglh  of  pencil.  His  imagination  was  rich,  extensive 
^^^  sublime  :  bis  diction  bold  and  glowing,  but  sometimes  obscure  and 
^^cted.  Nor  did  he  always  know  when  to  stop  or  what  to  reject 

^'  Celle-ci  reproduisait  le  texte  de  1744,  sans  les  uiodiûcations  qu'y  fit 

'moteur  pour  l'édition  de  1746.  (Voir  plus  haut,  p.  164,  n.  4.) 

,  ^-  Le  Rév.  John  WooU  a  publié,  dans  sa  biographie  de  Joseph  Warton, 

^  lettre  où  ce  modèle  des  éditeurs  oppose  son  refus  formel  de  concours 

^^  entreprises  projetées  par  Lyttelton  sur  le  poème  de  leur  ami.  Nous 

^  extrayons  les  passages  saillants  : 

From  Dr.  Murdoch  to  Mr.  Millar  (sans  date). 

«  Dear  sir, 

^*  With  regard  to  the  altérations  proposed  to  be  made  in  Mr.  Thomson's 
r^^sons,  having  now  fully  considered  that  matter,  and  seen  how  few  and 
'^Considérable  his  own  last  corrections  were,  1  am  confirmed  in  my  fîrst 
opinion  —  so  much,  that  I  shall  retract  most  of  my  concessions,  and  even 
^oïDe  of  the  altérations  which  I  thought  I  had  made  for  the  better.  In  a 
^ord,  I  can  bave  no  hand  in  any  édition  that  is  much  difTerent  from  the 


i84  JAMES  THOMSON. 

cription.  Le  roi  figurait  en  tête  de  la  liste  pour  une  somme 
de  cent  livres.  Après  lui  venaient  la  Reine  et  la  princesse 
douairière  de  Galles,  cette  veuve  de  Frédéric,  à  qui  Thomson 
avait  dédié  une  de  ses  tragédies.  Parmi  les  noms  qui  suivent 
ceux  de  la  famille  royale,  se  trouvent,  mêlés  aux  amis  survi- 
vants du  poète,  plusieurs  des  représentants  de  l'aristocratie  et 
quelques-unes  des  célébrités  des  lettres.  Ce  sont  par  exemple  • 
le  docteur  Akenside,  le  docteur  Armstrong,  le  comte  de  Bute, 
Madame  Bontems,  James  Boswell,  le  docteur  Blair,  James  Craig, 
sir  David  Dalrymple,  J.  Forbes  of  Culloden,  David  Garrick, 
John  Gray (deux  exemplaires),  le  Dr.  Gusthart,  Andrew  Mitchell, 
envoyé  extraordinaire  en  Prusse  (deux  exemplaires),  le  Très 
Honorable  Onslow,  le  duc  de  Queensbery  (cinq  exemplaires), 
Quin,  Mrs.  W.  Robertson,  G.  Lewis  Scott,  Mr.  Jos.  Spence. 
Mr.  Jos.  Warton,  Mr.  Thomas  Warton,  John  Wilkes  Esq. 
Le  produit  de  cette  belle  publication  '  était  destiné  à  assure 

small  one  of  1752....  It  is  pity  indeed  that  Mr.  T.  aided  by  niy  lord  1 
did  not  correct  and  aller  many  things  himself;  but  as  Ihat  went  no  furi^ 
er  than  a  bare  intentioD,  it  is  too  laie  lo  think  of  it  now,  and  we  c£ 
only  say  •  ËmcDdaturus,  si  licuisset,  oral  »....  What  if  aftcr  aU  some 
my  Lord*s  altérations  should  provc  bad?...  this  would  produce  aseco^ 
edilion  and  then  a  tliird,  which  woiild  end  in  a  total  contempt 
Mr.  Thomson's  works,  or  in  a  restitution  of  thein  from  the  copies  pi^ 
lishcd  by  himself  (and  with  so  much  délibération  and  care,  tUut  his  printç 
were  lir'd  to  death,  as  you  well  remember.)  —  Spring  (I.  65)  ended  vw'i 
«  greatly  independent  liv*d.  •  He,  in  some  intemperate  Ot  of  zeal  turn'd  it  if 

■  scorn'd 
AH  the  vile  stores  corruption  can  beslow.  » 

in  the  stile  of  a  party-pamphlelcer....  I  bave  Iherefore  altered  it  trd 
the  subscription  édition. 

«  ....  As  to  the  Ilymn,  if  a  word  or  two  are  allcr'd  it  needs  give  his  Lo' 
ship  no  pain,  if  it  is  compar'd  wilh  that  of  Mil  ton.  There  are  not  in  it  ^ 
two  lines  so  bad,  for  the  numbers  and  sensé,  as 

a  Moou  that  now  meets  (sic)  the  orient  Sun,  now  fly'st 
Wilh  the  flxt  Stars,  fixtin  their  orb  that  flyes.  • 

and  the  theolop:y  of  it,  allowance  made  for  poelic  expression,  is  orthodo 
....  As  to  Mr.  Th.*s  diction,  of  which  my  Lord's  acquaintances  so  mu< 
complain,  I  would  recommend  to  thèse  gentlemen  to  read  Milton  wil 
care,  and  the  greatest  part  of  that  objection  would  vanish....  Certain  il  i 
that  Mr.  Thomson\s  languagc  bas  been  well-received  by  the  publicl 
excepting  Ihose  my  Lord  spcaks  of,  who  are  more  disposed  to  find  blem 
ishes  than  capable  of  feeling  beauties....  His  numbers  and  manners  bav 
been  adopted  by  good  authurs,  and,  since  he  began  lo  write,  our  poetr 

is  become  more  nervous  and  rich {Bioffraphical  memoir  of  the  late  Rei 

Joseph  Warton,  p.  252,  lettre  XXXL) 
1.  Une  nouvelle  édition  en  fut  publiée  en  1768  par  les  mêmes  édi 


DÉVOUEMENT   ET   AFFECTION    DES    AMIS.  183 

au  poète,  quatorze  ans  après  sa  mort,  un  monument  digne  de 
lui  et  digne  de  l'Angleterre.  Un  cénotaphe  lui  fut  élevé  dans 
l'Abbaye  de  Westminster;  et,  si  l'œuvre  d'art  est  à  peine 
médiocre,  l'honneur  est  grand  pour  Thomson  de  figurer,  à 
côté  de  Shakespeare,  dans  le  «  Coin  des  Poètes  *  ». 

Rien  dans  l'église  de  Richmoud  ne  disait  quel  mort  illustre 
elle  abritait  quand,  en  1792,  le  comte  de  Buchan  fit  placer 
une  plaque  de  cuivre  contre  le  mur  nord-ouest  de  St.  Mary 
Magdalene,  au-dessus  du  point  où  se  trouvaient  les  restes 
du  poète.  On  y  peut  lire  encore  l'inscription  qui  y  fut  alors 
gravée. 

teurs.  Le  format  de  cette  dernière  est  in-8.  Murdoch  y  corrige  quelques 
erreurs  de  la  biographie  de  1762. 

Eotre  la  mort  du  poète  et  la  publication  de  ses  œuvres  complètes  en 
i168  nous  avons  la  série  suivante  des  éditions  de  ses  œuvres,  qui  nous 
niODtre  combien  le  génie  de  Thomson  prend  possession  de  la  faveur 
publique  : 

i749.  Œuvres  complètes  (Millar),  3  vol.  in-8. 

1750.  CEuvres  complètes  (Millar),  4  vol.  in-12. 

nso.  Œuvres  complètes  (Millar),  in-8  (Brit.  Mus.,  11631  c). 

1752.  Œuvres  complètes  (Millar),  4  vol.  in-12  (Lowndes  parle  d'une  édi- 
tion in-18  de  la  même  année). 

1758.  Saisons  (London),  in-8  (Brit.  Mus.,  11631.  b.  43). 

1158.  Saisons  (Dublin),  in-16  (Brit.  Mus.,  11632.  a.  36). 

n60(?).  Saisons  (Dublin),  in-12  (Brit.  Mus.,  Ii65.  6.  40). 

n61.  Saisons  (Dublin),  in-8  (Brit.  Mus.,  11G32.  a,  37).. 

1762.  Œuvres  complètes,  in-4. 

1166.  Saisons,  in-12  (Brit.  Mus.,  11633.  aaa.  45). 

1768.  Œuvres  complètes,  in-12  (Brit.  Mus.,  11632.  6.  50). 

^  Tannée  suivante,  nouvelle  édition  des  «  Saisons  •  publiée  à  Glasgow 
^69,  iD.12  (Brit.  Mus.,  238.  a.  39),  avec  la  biographie  de  l'auteur  et  l'Ode  de 
Collins;  et,  en  1770,  l'édition  avec  biographie,  illustrations  et  notes  de 
Wright,  London,  in-8  (Brit.  Mus.,  991.  a.  35). 

1'  Le  monument  est  placé  entre  celui  de  Shakespeare  et  celui  de  Rowe. 
Jl^  été  composé  par  Rob.  Adam  et  exécuté  par  H.  Spang,  et  leur  fait  peu 
^'honneur.  La  composition  est  prétentieuse,  l'exécution  lourde  et  mat- 
'^^ile.  Thomson,  en  costume  antique,  est  assis,  le  bras  gauche  appuyé  sur 
^°  piédestal;  il  tient  de  la  main  droite  un  livre  et  le  bonnet  phrygien. 
^J""  le  piédestal  un  bas-relief  représente  les  saisons,  et  un  amorino  montre 
^uoe  main  le  bas-relief  en  même  temps  que  de  l'autre  il  offre  une  palme 
^^  poète.  Sur  le  piédestal  cette  inscription  : 

James  Tiiomsor. 
iEtatis  48.  Obiit  27  August  1748. 

^^  cei  fers  extraits  de  1'  «  Été  »  : 

•  Tutor'd  by  thee,  sweet  poetry  cxalts 
Her  voice  to  âges;  and  informs  the  page 
With  music,  image,  sentiment  and  thought, 
Never  to  die  !  • 


186  JAMES  THOMSON. 

In  the  earth,  below  this  tablet, 

arc  the  rem  ai  n  s  of 

James  Thomson 

Author  of  the  beau ti fui  Poems  entituled 

«  The  Seasons  >,  the  <  Gastle  of  Indolence  >  etc. 

who  died  al  Richmond 

on  the  27  th  of  August 

and  was  buricd 

on  the  29  Ih  0.  S.  1748. 

The  Earl  of  Buchan, 

unwilling  that 

so  good  a  Man,  and  sweet  a  Poet 

should  bc  without  a  mémorial, 

has  denoted  the  place  of  his  interment, 

for  the  satisfaction  of  his  Admirers, 

in  the  year  of  our  Lord 

M.  DCC.  XGII. 

Si  ces  admirateurs  étaient  alors  nombreux  les  ami 
avaient  connu  le  poète  étaient  devenus  bien  rares.  I 
sœurs,  Jean  était  morte  en  1781  \  et  Mary  en  1790  • 

1.  «  At  Lanark,  Mrs.  Thomson,  wife  of  Mr.  Robert  Thomson,  and  s 
Mr.  James  Thomson,  author  of  the  Seasons  »,  etc.  Cette  coupure  de  j 
recueillie  par  Mr.  Maidment  ne  donne  pas  la  date  de  ce  décès  qu 
trouvons  dans  la  biographie  de  sir  Harri»  Nicolas  :  le  3  septembr 

C'est  cette  Jean  Thomson  que  Boswell  vit  en  1777  et  qui  lui  c 
niqua  des  renseignements  sur  sou  frère.  Boswell  plaça  comme 
chez  son  mari,  à  Lanark,  deux  de  ses  neveux.  Elle  avait  eu  un  fils  1 
qui  étudia  la  médecine  à  Edimbourg  et  mourut  jeune,  et  deux  HIU 
l'une,  Elisabeth,  était  née  avant  la  mort  de  Thomson,  et  Tautre,  l 
épousa  Mr.  Thomas  Prentice  de  Jerviswood. 

2.  -  Death.  At  Edinburgh,  Mrs.  Mary  Thomson,  widow  of  Mr.  \ 
Craig,  mcrchant  in  Ediuburgh,  and  sister  of  the  author  of  the  S* 
She  was  interred  in  the  Grey  Friars  Churchyard,  on  the  22'"  (bci 
birth-day  of  lier  brother)  beaide  the  remains  of  the  mother  of  Thon 
{The  Scots  Magazine,  MDCCXC,  vol.  III,  p.  466.  Edinburgh.  Prin 
Murray  and  Cochrane.) 

La  même  annonce  se  trouve  dans  VEdhiburgh  Courant  qui  fixe 
en  septembre.  —  L'indication  des  deux  journaux  est  incomplète 
la  mort  de  Mr.  Craig,  Mary  avait  épousé  un  Mr.  Mihie,  meunier. 

Le  nis  de  Mary  Thomson,  James  Craig,  Tarchitecte  qui  fit  le  pla 
nouvelle  ville  d'Edimbourg,  mourut  en  1795. 

Enfin  Elisabeth,  la  Lizzie  des  lettres  de  Thomson,  morte  eu  174' 
eut  deux  fils  :  l'un,  le  docteur  James  Bell,  ministre  de  Coldstream,prép 
édition  variorum  des  œuvres  de  son  oncle,  était  en  relations  avec  '. 
en  1791,  et  lui  donna  ce  renseignement  que,  an  dire  de  Mrs.  Thom* 
Lanark,  on  avait  trouvé  dans  les  papiers  laissés  par  le  poète  à  sa  i 
canevas  d'un  beau  poème.  L'autre  11  Is,  Thomas  Bell,  était  négoc 
mourut  à  la  Jamaïque. 

James  Bell  eut  une  fille  qui  vivait  encore,  il  y  a  peu  d'années.  * 


DÉVCHJEMENT  ET  AFFEGTIOM  DES  AMIS.  187 

cousin  cependant,  Robert  Thomson,  celui  qui,  jardinier  comme 
son  père,  à  Minto,  avait  connu  Thomson  enfant,  vivait  encore 
au  commencement  de  ce  siècle,  et  mourut  en  janvier  1802  *. 

Quant  aux  amis  que  le  poète  avait  eus  pendant  quelque 
temps  pour  compagnons  dans  le  voyage  de  la  vie,  de  tous 
ceux  qui  s'étaient  avancés  plus  loin  que  lui  pas  un  seul  ne  res- 
tait sur  la  route.  Hill  était  mort  en  1750,  la  duchesse  de 
Somerset  en  1754,  Gilbert  West  en  1756,  Collins  en  1759, 
Dodington  en  1761,  Robert  Symmer  et  Shenstone  en  1763, 
Young  et  Mallet  en  1765,  Millar,  Riccaltoun  et  Gray  en  1769, 
John  Forbes  en  1772,  Lyttelton  en  1773,  Murdoch  en  1774. 
George  Lewis  Scot  pouvait  se  croire  le  dernier,  quand,  en  1777, 
un  critique,  admirateur  de  Thomson,  lui  dédiait  un  «c  Essay  i» 
sur  les  «  Saisons  ij,  comme  «  au  seul  survivant  de  cette  société 
<  dont  le  poète  était  Tun  des  membres  les  plus  aimables  '  j>. 
Cependant,  lorsqu'il  mourut,  en  1780,  il  laissait  encore  derrière 
lui  le  docteur  De  La  Cour  que  ses  habitudes  d'intempérance  ne 
condamnèrent  pas  à  une  fin   prématurée,    puisqu'il   vécut 
jusqu'en  1781,  George  Ross  et  enfin  Robertson,  deux  des  amis 
qui  avaient  assisté  aux  derniers  moments  de  Thomson,  et  qui 
moururent,  le  premier  en  1786,  l'autre  en  1791. 

La  disparition  de  ces  derniers  témoins  de  sa  vie  ne  laissait 
pas  sans  fidèles  la  mémoire  du  poète.  Dans  cette  Ecosse  qu'il 
avait  illustrée,  et  qui  toujours  a  eu  le  culte  de  ses  grands 
hommes,  une  sorte  de  religion  s'était  établie  en  l'honneur  de 
Thomson,  avec  ses  dévots,  ses  ministres  et  ses  rites.  En  1770, 
wue  société  d'Edimbourg,  «  the  Knights  Companions  of  the 
Cape  »,  célébra  solennellement  la  date  anniversaire  de  la 
naissance  du  poète.  Le  samedi  22  septembre,  un  Festival 

^n  1876,  on  plaça  dans  la  nouvelle  église  paroissiale  de  Soulhdean,  un 

vitrail    en    Thonneur   de  Thornson,    le    Rév.  John  Mair  reçut  la  sous- 

<^ription  de  Miss  Bell,  petite-nièce  du  poète,  alors  âgée  de  quatre-vingt- 

<*eux  ans. 
1.  tt  Ai  Broughton,  at  a  very  advanced  âge,  Robert  Thomson,  a  cousin 

ofour  immortal  Scottish  Bard,  the  aulhor  of  the  Seasons  »,  etc. 

(Date  manuscrite  de  Mr.  Maidment  :  January  1802);  —  pas  d*indication  de 
provenance;  il  est  probable  que  la  coupure  était  fournie  comme  les  pré- 
cédentes par  un  numéro  du  Scots  Magazine, 

2.  •  Strictures  Crilical  and  Sentimental  on  Thomson' s  Seasons,  etc.,  by 
J.  More.  London  MDCCLXXVII.  »  L'ouvrage  est  dédié  à  «  George  Lewis 
Scot  Esq.,  onc  of  His  Majesty's  Commissioners  of  Excise,  as  a  friend  of 
the  aulhor  of  the  Seasons,  and  the  sole  Surviver  of  that...  society  of 
vrhich  our  Aulhor  was  one  of  the  most  amiable  members....  • 


188  JAMES  THOMSON. 

musical  réunissait  les  membres  de  la  société.  Une  sorte 
d'oratorio  avait  été  écrit  pour  la  circonstance  et  mis  en 
musique  par  Mr.  Smeiton.  Les  récitatifs,  les  airs,  les  duos,  les 
chœurs  se  succèdent,  rappelant  les  œuvres,  le  talent  et  la 
gloire  du  a  barde  »,  avec  ce  refrain,  que  tous  les  adeplos 
chantaient  à  l'unisson  dans  le  chœur  fînal  : 

Raise  lo  Thomson,  raise  the  lay, 
Ilail  with  joy  his  natal  day! 
Ilail  thc  happy,  happy  morn  ! 
Whcn  great  Naturels  Bard  was  bom  *. 

Le  programme  de  la  cérémonie  était  complété  par  une  dis- 
sertation de  l'un  des  membres  sur  les  poèmes  de  Thomson , 
et  par  l'exécution  de  tous  les  chants,  qui  se  trouvent  dans  les 
œuvres  du  poète,  adaptés  à  une  musique  écossaise  par 
Mr.  Smeiton. 

Dix  ans  plus  tard,  les  mêmes  chevaliers  se  réunissent  dans 
leur  hall.  La  salle  était  décorée  de  fleurs  et  d'une  lyre  qu'en- 
touraient le  laurier,  la  gerbe  de  blé  et  la  faucille.  La  fête  com- 
prenait deux  parties  :  dans  la  première  on  récita  une  invoca- 
tion aux  Muses  et  aux  amis  du  génie,  on  lut  un  poème  du  Dr. 
Langhorne,  «  la  lutte  des  Saisons  i»,  et  les  vers  de  Lyttelton 
sur  le  mérite  de  Thomson  comme  auteur  dramatique.  Dans  la 
deuxième,  on   récita  un  passage  des  quatre  Saisons,  chacun 
étant  suivi  d'un  chant  qui  s'y  rapportait;  puis  le  lecteur  rap- 
pela le  patriotisme  de  Thomson,  et  l'on  chanta  en  chœur 
Rule  Britannia,  Après  quoi  la  compagnie  «  nombreuse  et 
choisie  »  soupa  et  but  à  la  mémoire  de  Thomson  et  de  ses 
amis. 

En  1790,  la  même  pieuse  célébration  réunit  les  chevaliers. 
Le  cérémonial  suivi  esta  peu  près  le  même.  Mr.  Woods  récite 
un  poème  de  sa  composition  '.  Un  des  compagnons,  avant 

1.  Toute  cette  cnthousiasle  poésie  nous  est  conservée  sous  la  forme 
d'une  brochure  de  14  pages  :  •  A  musical  entertainment  performed  by 
a  Society  of  Gentlemen  in  Ëdinburgh,  upoo  the  anniversary  of  the 
Birth-Day  of  James  Thomson,  author  of  the  Seasons,  etc.  Septembre  22, 
M,  DOC,  LXX.  »  (14  pages  sans  nom  d'auleur,  d'éditeur,  ni  de  lieu  de  publi- 
cation.) 

2.  «  Occasional  poem  on  the  Birth-Day  of  Thomson,  Celebrated  at  Cape- 
Hall,  on  Wednesday  sept.  22  "'  1790.  Written  and  recited  by  Mr.  Woods.  • 
(3  pages  petit  in-8.)  ^  La  pièce  est  aussi  publiée  par  le  Scolt  MagazinCy 
vol.  52,  p.  504,  oct.  1790. 


I 


DÉVOUEMENT  ET  AFFECTION  DES  AMIS.        189 

d'arriver  à  la  réunion,  avait  assisté  à  Tenterrement  de  Mary, 
la  dernière  sœur  de  Thomson. 

Indépendamment  de  cette  célébration  décennale  à  Edim- 
bourg, tous  les  ans  l'anniversaire  du  22  septembre  réunissait 
au  village  d'Ednam  les  admirateurs  du  poète.  La  cérémonie 
eut  en  1791  un  éclat  particulier.  Elle  fut  présidée  par  lord 
Buchan.  L'excentrique  grand  seigneur  prononça  un  pompeux 
éloge  de  Thomson,  puis  il  couronna  de  laurier  le  buste  de 
l'écrivain  et  un  exemplaire  de  l'édition  princeps  des  «  Saisons  »  * . 
C'est  à  l'occasion  de  cette  solennité  que  Burns  avait  écrit,  sur 
la  demande  de  Buchan,  son  adresse  aux  mânes  m  du  barde 
d'Ednam  »  *.  —  Mr.  Gilbert  Eliot  avait  obligeamment  prêté, 
pour  servir  de  siège  au  président,  la  chaise  sur  laquelle  le 
poète  avait  travaillé  à  1'  «  Hiver  »  '.  —  En  1796,  la  solennité 
eut  encore  un  éclat  exceptionnel.  Lord  Buchan  choisit  cette  date 

\.  Le  discours  figure  dans  V  «  Essay  »  publié  Tannée  suivante  par  le  comte 

sur  la  vie  de  Thomson.  On  peut  le  lire  aussi  dans  les  Illustrations  de 

Mchols,    vol.    VI,  p.  404,  dans  le   GentUman^s  Magazine,  vol.  LXI,  p.p. 

1019-1083,  et  dans  une  note  supplémentaire  du  Ttiomson,  de  R.  Brll.  — 

•A  couple  of  casts  from  Thomson*s  statue,  in  Westminster  Abbey,  bave 

been  sent  to  the  Earl  of  Buchan   by  Mr.  Coutts,  who   generously  olTured 

tbe  mould  also,  that  they  might  be   uniques;  but  lord   Buchan   chose 

rather  that  casts  should  be  multiplied  for  Ihe  gratification  of  ihe  laste  and 

patriotism  of  the  public.  »   (Edinburgh  Journal  de  la  fin  de  sept.  1790.) 

—  On  voit  que  Robert  Bell  &  tort  de  relever  ce  qu'il  appelle  une  erreur  de 

sir  Barris  Nicholas,  et  de  déclarer  que  Buchan  couronna  non  pas  un  buste 

mais  un  exemplaire  des  œuvres.  La  vérilé  est  que  le  lyrisme  du  comte 

s'exerça  tout  à  la  fois  devant  le  moulage  envoyé  par  M.  Coutts  et  devant 

un   exemplaire   de  Tédition  de  1730.  Cet   exemplaire  se    trouve    encore 

aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  de  Tuniversité  d'Ediml>ourg.  Il  porte  à  la 

première  page  cette  inscription  de  la  main  du  comte  :  «  This  copy  of  the 

Seasons  was  given  to  Henry  David,  Earl  of  Buchan,  by  Andrew  Millar,  as 

from  Ihe  author,  and  was  covered  with  Ivy  by  David   Stewarl,  Earl  of 

Buchan,  on   Ednam  Hilj,  september  22  "'  1791  ». 

2.  La  lettre  où  le  poète  envoie  ses  quelques  strophes  à  Buchan  et 
regrette  de  ne  pouvoir,  retenu  qu'il  est  par  la  moisson,  assister  au  cou- 
ronnement du  buste,  est  de  1791.  Il  est  singulier  que  les  Chamburs  la 
reproduisent  avec  la  date  (september)  1790. 

3.  Ce  fauteuil  est  encore  conservé  au  musée  de  Kelso.  C'est  un  siège 
canné  de  solide  construction.  Une  plaque  de  cuivre  y  a  été  fixée,  disant 
que  ce  fut  le  fauteuil  de  Thomson,  et  quMl  a  été  donné  au  musée  par  la 
famille  de  W.  Ker  Esq.  Avant  Ker,  Ar  William  Bennct  (of  Grubbat) 
paraît  avoir  été  le  possesseur  de  celte  relique. 

L'authenticité  de  son  origine  a  été  mise  en  doute,  mais  non  pas  con- 
trouvée.  On  a  même  remarqué  sur  l'un  des  pieds  les  traces  d'un  commen- 
cement de  combustion,  et  l'on  s'est  rappelé  qu'une  tradition  rapportait 
que  Thonison  avait  un  jour  failli  être  brûlé  vif  pour  s'être  endormi  sur 
un  siège  placé  trop  près  du  foyer. 


190  JAMES  THOMSON. 

pour  consacrer  à  la  mémoire  de  Robert  Burns  une  urne 
marbre  qui  fut  placée  dans  le  c  Chapter-House  »  de  Drybur^ 
auprès  du  buste  de  Thomson. 

La  date  du  centenaire  fut  pour  les  chevaliers  compagne 
de  la  c[  Cape  »  l'occasion  d'une  fête  plus  pompeuse  encc 
que  les  précédentes.  Dans  la  grande  salle  d'un  hôtel  d'Edii 
bourg,  richement  ornée  de  Heurs,  de  lauriers,  de  gerbes  et 
faucilles,  une  très  nombreuse  assistance  s'assit  à  la  table  < 
banquet  ^  A  l'une  des  extrémités  avait  été  placé  le  portn 
original  de  Thomson,  en  face  du  président  du  club  (c  theSo^ 
reign  n)  qui  portait  sur  la  poitrine,  retenue  autour  du  o 
par  un  ruban,  une  miniature  du  poète  ^  Un  «  temple  » 
feuillages  avait  été  dressé  dans  la  salle,  et,  au  milieu,  un  bus 
de  Thomson  était  entouré  de  nombreuses  lumières.  Après 
repas,  lecture  et  chants  de  fragments  variés  des  œuvres  < 
maître.  Mr.  Woods,  Tinfatigable  ordonnateur  de  la  fête  en  18 
comme  en  1790  et  en  1780,*avait  ajouté  une  pièce  nouvelk 
celles  que  le  même  anniversaire  lui  avait  inspirées  '. 

La  société  des  Chevaliers  annonçait  alors  son  intention 
célébrer  également  en  1810  la  date  du  22  septembre.  Il  n'( 
guère  douteux  que  cette  intention  ait  été  réalisée.  L'anniv( 
saire  de  la  naissance  de  Thomson  se  trouvait  coïncider  av 
celui  de  la  victoire  remportée  par  Wallace  à  Stirling-brid^ 
La  gloire  du  grand  patriote  et  celle  du  grand  poète  fure 
associées  dans  les  fêtes  célébrées  en  1714.  Le  comte  de  Buch 
inaugura  la  statue  colossale  de  Wallace,  dont  le  piédestal  po 
tait  ce  simple  vers  de  1'  a  Automne  »  :  a  Great  Patriot  Her 
Ill-requited  Chief!  »  Aussitôt  après,  il  se  rendit  à  Ednam  po 
assister  au  dîner  annuel  en  l'honneur  du  poète.  Après  ave 


1.  Quatre-vingts  personnes,  disent  les  journaux  locaux. 

2.  Ce  portrait,  san?  doute  une  copie  de  celui  de  Slau^liter,  fut, 
22  sept.  1818,  donn<^  par  lord  Buchao  au  club  d*Ednam.  Il  est  anjourd'h 
la  propriété  du  Hcv.  John  Burlei^h,  ministre  d'hldnam,  qui  a  bi 
voulu  nous  en  communiquer  la  description  :  «  The  picture  is  oval;  t 
poet  is  wearin^  a  red  cap;  haa  dark  eyebrows;  do  hair  seen;  fa 
shavcn;  hrown  coat  ». 

3.  L*  Edinhurgh  Evening  Courant  et  le  Cnledonian  Mercury  do 
ncnt  d'abondants  détails  sur  cette  fùte.  —  L'élucubratlon  poétique  * 
Mr.  Woods  fut  im|>rimée  :  «  Verses  inlrodunlory  to  Ihe  Récitation  of  pa 
Mages  front  the  Seasons,,.  at  the  commémoration  of  Thomsotï's  Birth  D.\ 
held  on  Mondaf/y  sept.  22.  1800  »  (Kdinburgh.  Printed  by  Geo.  Reid  ar 
Go.  Opposite  Magdaleno  Chapel,  Cow^ate),  petit  in-S  de  3  pages.  . 


APRÈS  LA   MORT.  191 

bu  «le  toast  du  jour  i»,  on  écouta  une  ode  écrite  pour  la  cir- 
constance par  George  Noble  de  Jedburgh  ;  et  le  trésorier  du 
comité  formé  pour  Térection  d'un  monument  commémoratif 
de  la  naissance  de  Thomson  fit  son  rapport  ^  Ce  ne  fut  pas 
cependant  avant  le  24  novembre  1819  que  la  première  pierre 
fut  posée.  Le  plan  du  monument  avait  été  dressé  par  Mr.  Wil- 
liam Elliot  de  Kelso.  Il  devait  consister  en  un  obélisque  de  cin- 
quante pieds  de  hauteur.  Toutes  les  loges  maçonniques  des 
environs  s'étaient  réunies,  et  marchèrent  de  Kelso  à  Ednam  en 
uo  cortège  précédé  d'une  fanfare  '. 


III 

Cet  enthousiasme,  qui  n'allait  pas  sans  quelque  exubérance 
un  peu  puérile,  s'est  aujourd'hui  calmé.  La  commémoration 
annuelle  du  22  septembre  cessa  après  cette  année  1819.  Sans 
doute  i'Ëcosse  est  toujours  fière  du  poète  né  à  Ëdnam  ;  sans 
doute  aussi  son  œuvre  continue  à  faire  partie  de  ce  petit 
nombre  de  livres  qui  ont  le  privilège  de  charmer  les  lecteurs 
de  tout  âge  et  de  toutes  conditions.  On  pourrait  encore  aujour- 
d'hui comme  au  temps  de  Coleridge  trouver,  dans  la  chaumière 
d'un  paysan  écossais,  à  côté  de  la  vieille  bible,  un  exemplaire 
^tigué  et  maintes  fois  corné  des  a  Saisons  ^  ».  Mais  il  est  pro- 

i-  II  y  constate  que,  sur  les  300  livres  souscrites,  150  seulement  ont  été 
l^ersées,  bien  que  la  souscription  soit  ouverte  depuis  plusieurs  années;  et 
il  ajoute  qu'il  a  bien  du  mal  à  faire  rentrer  le  reste.  Voilà  lexplicalion  du 
long  retard  apporté  à  l'érection  du  monument. 

2.  La  première  pierre  fut  posée  par  le  Right  Worshipful  Masler,  John 
HuUierford,  de  la  loge  St  Jean  à  Kelso.  Nous  savons  que  James  Thomson 
i^ait  été  reçu  maçon  dans  une  assemblée  que  présidait  Richard  Savage 
Nr  p.  123). 

James  Craig,  l'architecte  mort  en  1795,  avait  eu  auparavant  le  projet 
<lelever  un  monument  à  la  mémoire  de  son  oncle.  Il  lui  aurait  donné  la 
forme  d'un  pilier;  il  s'était  même  adressé  au  poète  Beattie  pour  lui 
demander  une  inscription  latine.  Beattie  repondit  qu'il  trouverait  ridicule 
de  célébrer  en  latin  la  gloire  d'un  poète  anglais. 

L'obélisque,  construit  sur  la  colline  d'Ëdnam.  à  peu  près  à  mi-chemin 
entre  ce  village  et  Kelso,  fait  plus  d'honneur  à  la  piété  des  admirateurs  du 
poète  qu*au  talent  de  l'architecte. 

3.  •  Coleridge,  on  seeing  a  little  shabby  soiled  copy  of  Thomson's 
Seasons  lying  on  the  window-seat  of  an  obscure  counlry  ale-housc, 
ezclatmed  :  •  That  is  true  famé!  »  {Memoirs  of  Coleridge,  by  \V.  Hazlitt, 
Édit.  1867,  I,  p.  65.) 


192  JAMES  THOMSON. 

bable  que,  de  l'autre  côté  du  livre  saint,  un  tout  petit  volume 
ferait  pendant  aux  a  Saisons  »,  un  recueil  de  vers  moins 
grandioses,  moins  épiques,  mais  plus  variés  et  plus  vibrants 
de  vie  et  de  passion  :  les  poésies  de  Robert  Burns  *.  La  popu- 
larité de  Thomson  dans  sa  patrie  a  souffert  de  cette  concur- 
rence redoutable.  Nous  ne  pouvons  être  surpris  que  les  chants 
du  poète-paysan  aillent  plus  droit  au  cœur  des  hommes  du 
peuple  que  les  nobles  périodes  et  les' calmes  descriptions  des 
c  Saisons  i».  Le  poète  national  de  l'Ecosse,  celui  dont  le  nom, 
le  souvenir,  Timage  et  les  œuvres  sont  à  tout  moment  rappelés 
au  voyageur  au  nord  de  la  Tweed,  c'est  Burns. -Il  y  a  un  peu 
d'injustice  et  d'engouement  dans  cette  préférence.  On  peut 
supposer  que,  même  au  pays  où  se  parle  la  langue  dans 
laquelle  écrivait  le  «  barde  de  l'Ayrshire  »,  le  jour  viendra  où 
l'on  se  rappellera  que  Thomson,  moins  bouillant,  moins  ner- 
veux, moins  lyrique,  moins  passionné  et  moins  divers,  a 
cependant  un  génie  plus  large  et  plus  fécond.  Il  est  peu  d'œu- 
vres  qui  aient  eu  sur  la  littérature  de  l'Angleterre  une 
influence  plus  puissante  que  les  c  Saisons  »  ;  il  n'en  est  pas 
peut-être  qui  en  ait  eu  à  l'étranger  uhe  aussi  grande. 

Dès  1750  Voltaire  rendait  hommage  au  talent  du  poète  qu'il 
avait  connu  vingt  ans  auparavant  ^,  et  ce  sincère  jugement 


1.  Burns  lui-môme  a  du  reste  exprimé  plus  d'une  fois  son  admiration 
pour  Thomson,  en  dehors  delà  pièce  qu'il  lui  a  consacrée  (voir  p.  189  etn.  2). 
Il  le  cite  parmi  ses  auteurs  favoris  dans  une  lettre  à  Mr.  John  Murdoch 
(Lochlea,  15^»  January,  1783),  et  aussi  dans  une  phrase  de  son  Commun- 
place  Book  (August  1784).  Il  le  nomme  dans  The  Vision  comme  un 
maître  inimitable  : 

Thon  canst  not  learn,  nor  can  I  show 
To  paint  with  Thomson's  landscape  glow. 

L'addition  à  sa  bibliothèque  de  jeune  paysan  des  œuvres  de  Thomsou 
en  1775,  marque  un  des  événements  notables  dans  le  développement  de 
son  talent  poétique.  Les  citations  empruntées  à  notre  poète  sont  fré- 
quentes dans  sa  correspondance  et  dans  ses  œuvres.  Voir  par  ex.  The 
Farewell,  qui  a  pour  épigraphe  neuf  vers  d'Edward  and  Eleonora\  la  pre- 
mière lettre  à  Mrs.  Dunlop,  1786  ;  la  lettre  autobiographique  au  docteur 
Moore  ;  le  Commonplace  Book  à  la  date  du  14  juin  1788;  etc. 

La  poésie  de  Burns  est  toute  pleine  de  ressouvenirs  des  «  Saisons  •.  Un 
très  grand  nombre  en  ont  été  relevés  dans  l'édition  annotée  de  Thomson 
de  Mr.  Logie  Robertson. 

2.  Voltaire  &  Lyltelton  (pour  accuser  réception  d'un  exemplaire  de  Tèdi- 


APRÈS   LA    MORT.  193 

fait  oublier  les  opinions  dédaigneuses  émises  à  d'autres  occa- 

lion  des  œuvres  de  Thomsou,  que  lui  euvoyait  LyUelton),  Paris,  17  mai  1750. 
La  lettre  est  donnée  in  extenso  dans  le  Monoir  de  Phillimore,  vol.  I, 
p.  323,  et  dans  le  Genlleman's  Magazine,  1845,  New  Séries,  vol.  24,  p.  443. 
Nous  la  reproduisons  presque  in  extenso  comme  un  document  intéressant. 
On  y  voit  commeDt  Voltaire  écrivait  en  anglais  vingt  ans  après  son  court 
séjour  dans  ce  pays  : 

«  A  Pari»,  17«»»  May,  1750.  N.  S. 

•  Sir,  You  was  beneficent  to  Mr.  Thomson,  when  he  lived,  and  you  is  se  to 
me  in  favouring  me  with  his  works.  I  wasacquainted  with  the  author  when 
1  stayed  in  England.  I  discovered  in  him  a  great  gcnius,  and  a  great  sim- 
plicity.  I  liked  in  him  the  poet  and  the  true  philosopher,  I  mean  the  lover 
of  maokind.  I  think  that  without  a  good  stock  of  such  a  philosophy  a 
pœt  is  just  above  a  fidler,  who  amuses  our  cars  and  canuot  go  to  our 
soal. 

«  I  am  notsurprised  your  nation  has  done  more  justice  to  Mr.  Thomson's 
Seasons  than  to  his  dramatic  performances.  There  is  one  kind  of  poetry 
ofwhich  the  judicious  readers  and  the  men  of  taste  are  the  proper  Judges; 
there  is  another  that  dépends  upon  the  vulgar,  great  or  small;  tragedy 
and  comedy  are  of  thèse  last  species.  They  must  be  suited  to  the  turn  of 
miod  and  to  the  ability  of  the  multitude  and  proportioned  to  their  taste  : 
your  nation  two  hundred  years  since,  is  used  to  a  wild  scène,  to  a  crowd 
of  tumultuous  events,  to  an  emphatical  poetry  mixed  with  low  and 
comical  expressions,  to  murthers,  to  a  lively  représentation  of  hloody 
deeds,  toa  kind  of  horrour  which  scems  often  barbarous  and  childish,  ail 
fruits  which  never  sullied  the  Greek,  the  Roman  or  the  French  stage. 
^o<))  give  me  leave  to  say,  that  the  taâte  of  your  politest  countrymen 
^iffers  not  much  in  point  of  tragedy  from  the  taste  of  the  mob  at  bear- 
?*rdens.  Tis  truc  we  hâve  too  much  of  words  if  you  hâve  too  much  of 
^(^tioD,  and  perhaps  the  perfection  of  this  art  should  consist  in  a  due  mix- 
ture of  the  French  taste  and  English  energy.  Mr.  Addison,  who  would 
hâve  reached  to  that  pitch  of  perfection  had  he  succeeded  in  theamorous 
P^H  of  his  tragedy  as  well  as  in  the  part  of  Cato,  warned  often  your  nation 
^Dst  the  corrupted  taste  of  the  stage,  and  since  he  could  not  reform 
^^  genius  of  the  country,  I  am  afraid  the  contagions  distemper  is  past 
curing. 

*  Mr.  Thomson's  tragédies  seem  to  mo  wisely  intricated,  and  elegantly 

^^t;  they  want  perhaps  some  fire,  and  it  may  be  that  his  heroes  are  nei- 

Iher  inoving  nor  busy  enough,  but  taking  him  ail  in  ail,  methinks  he  has  the 

^hestclaim  to  the  greatest  esteem;  your  friendship,  Sir,  is  a  great  vonch- 

**fer  for  his  merit... 

«  Your  most  obedient  servant, 

•  Voltaire.  » 

La  correspondance  et  les  œuvres  de  Voltaire  renferment  un  assez  grand 
nombre  d'antres  allusions  à  Thomson.  Dans  une  lettre  du  28  février  1764, 
on  lit  :  -  Je  Tai  connu,  il  y  a  quelque  quarante  ans.  S'il  avait  su  être  un 
peu  plus  intéressant  dans  ses  pièces  et  un  peu  moins  déclamatoire,  il  aurait 
réformé  le  théâtre  anglais  que  Gilles  Shakespeare  a  fait  naître  et  a  cor- 
rompu. »  (Œuvres,  XLIII,  p.  140.) 

Aillenrs  il  apprécie  le  choix  fait  par  Thomson  du  sujet  de  son  grand 
poème,  et  juge  que  ce  thème  convenait  peu  à  un  Écossais  : 

«  They  sadly  gather  their  inferior,  insipid  apples,  while  vre  see  under 

13 


194  JAMES  THOMSON. 

sions  pour  liât  1er  tel  ou  tel  correspondant*.  —  Montesquieu, 
après  son  voyage;  en  Angletei-re,  entourait  son  «  château 
gothique  »  «  de  bois  charmants  »  où  il  élevait  des  souveni  l'S 
en  l'honneur  de  Théocrite  et  de  Virgile,  de  Thomson,  de 
Shenstone  et  de  Gessner  *.  —  L'influence  du  poète  anglais  sur 
notre  grand  <(  descripteur  »  français  n'est  guère  douteuse,  et 

our  Windows  a  huudred  boys  and  giris  dancing  round  the  cars  whîch 
they  hâve  loaded  witli  delicious  grapes.  Thomson  did  not  dare  to  touch 
this  siibject.  •  (Œuvres,  XLVI,  350.)  On  est  tenté  de  croire  qu'il  av&U 
mal  lu  ou  se  souvenait  peu,  car  les  •  Saisons  »  parlent  de  la  vendange 
dans  le  Midi. 

Tout  cela  était  connu  déjà.  Mais  dans  un  ouvrage  tout  récent  {Vc^i- 
iairé's  Visit  to  England^  London  1893)  Mr.  Ballantyne  a  donné  la  tra- 
duction de  lettres  manuscrites  de  Voltaire  qui  n'ont  pas  encore  été 
publiées  et  où  se  trouvent  d'autres  mentions  de  Thomson.  Ecrivant  à  ui^ 
Mr.  George  Keate,  il  dit  :  a  ....  If  Addison  could  hâve  put  more  waros  ^1^ 
into  his  Cato,  he  would  hâve  been  the  wriler  for  me.  You  still  hâve  ^ 
Thomson  whose  verses  are  not  amiss,  but  his  is  an  iced  genius....  »  (Brî^^* 
Mus.,  Add.  Mss.,  30991.  /*.  15.  —  Ballantyne,  p.  279.) 

Au  même  correspondant  Voltaire  écrivait,  le  17  mai  1768,  une  lettre  ^° 
français  dont  la  traduction  renferme  ce  passage  :  «i ....  At  last,  Sir,  I  ha"^^ 
rcceived  and  read  the  beautiful  verses  (on  Ferney)....  It  seems  to  me  tl»^^ 
your  verses  are  a  good  dcal  in  the  taste  of  Thomson,  but  1  think  yO>i 
are  much  superior  to  him  in  the  amenity  which  you  diffuse  over  0^' 
your  writings....  »  (Brit.  Mus.,  Add.  Mss.,  30991.  /*.  42.  —  Ballaittypi^/ 
p.  283,  4.) 

Nous  relevons  dans  le  même  ouvrage  une  très  heureuse  citation  de 
Thomson  faite  par  Voltaire  en  réponse  à  Boswell  qui  lui  adressait  une  de 
ses  questions  saugrenues  :  *(  I  asked  him  if  he  could  give  me  any  notion 
of  the  situation  of  our  ideas  which  we  hâve  totally  forgotten  at  the  lime, 
yet  shall  afterwards  recoUeet.  Ile  paused,  meditated  a  little,  and  acknow- 
ledged  his  ignorance  in  the  spirit  of  a  philosophical  poet,  by  repeating 
as  a  vcry  happy  allusion  a  passage  in  Thomson's  Seasons  :  «  Ave,  said 
he,  where  sicep  the  winds  when  it  is  calm  ?  »  (Extrait  du  London  Maya- 
zine  d'avril  1783,  et  de  l'un  des  soixante-dix  -  Essays  »  qu'y  publia  Boswell 
de  1777  à  1783.) 

1.  Voir  plus  haut,  p.  153,  n.  3. 

2.  D'IsRAEu,  Curiosities  of  Literature  :  Domestie  Life  of  a  poet  :  Shen- 
atone  vindicated^  p.  414. 

Nous  ignorons  de  quelle  nature  était  le  monument  consacré  &  Thomson, 
dans  les  jardins  de  la  Brèdc.  Une  inscription  y  était  sans  nul  doute  jointe, 
et  peut-être,  pour  plus  de  couleur  locale,  était-elle  rédigée  dans  la  langue 
de  Thomson  ainsi  que  celle  qui  concerne  Shenstone,  et  où  Montesquieu  se 
révèle  à  nous  comme  poète  anglais.  Il  loue  l'auteur  de  la  School-mistrest 
d'avoir  déployé  dans  ses  écrits  •  a  mind  natural  »  et  d'avoir  dans  son 
domaine  des  Leasowes  «  laid  Arcadian  greens  rural  ». 

Le  séjour  de  Montesquieu  eu  Angleterre  se  place  en  1729-30-31.  Le  voya- 
geur se  trouvait  donc  à  Londres  au  moment  où  la  publication  du  poème 
complet  des  «  Saisons  »  mettait  Thomson  en  pleine  évidence.  Montesquieu 
a-t-il  directement  connu  le  poète  écossais?  Nous  n'avons  rien  rencontré 
qui  nous  éclaire  sur  ce  point. 


APRES  LA   MORT.  195 

si  les  ressemblances  générales  sont  frappantes  entre  la  poésie 
de  Thomson  et  la  c  poésie  )»  de  BufTon,  il  y  a  là  plus  qu'une 
parenté  de  génies.  L'écrivain  français  aurait-il  conçu  cette 
entreprise  grandiose  d'une  description  à  la  fois  scientifique 
et  noblement  littéraire  du  monde  des  choses  et  des  êtres 
vivants,  s'il  n'y  avait  été  encouragé  par  le  succès  du  grand 
poème  descriptif  anglais  *?  —  Quant  à  Rousseau,  on  ne 
saurait  exagérer  la  part  qu'a  prise    l'œuvre   de   Thomson 
dans  le  développement  de  son  génie  ou  au  moins  dans  l'in- 
spiration de  son  œuvre  littéraire.  S'il  n'y  avait  là  qu'une 
simple  coïncidenee,  elle  serait  la  plus  extraordinaire  qu'on 
puisse  relever  dans  l'histoire  des  lettres.  Nous  verrons  dans 
l'élude  de  l'œuvre  de  Thomson   que  celui-ci  a  donné  au 
inonde,  trente  ans  avant  Jean-Jacques,  et  avec  les  différences 
de  forme  qui  sont  la  marque  du  génie  de  chacun,  la  con- 
naissance et  le  goût  des  choses  de  la  nature,  la  perception 
des  beautés  du  monde   extérieur  révélées  jusque  dans  les 
phénomènes  les  plus  vulgaires,  la  philosophie  sociale  dont 
Rousseau  devait  tirer  de  si  brillants  effets  oratoires,  la  sen- 
timentalité tantôt  noble  et  tantôt  factice  ou  puérile,  qui  va 
devenir  comme  le  cachet  propre  de  la  littérature  du  XYin*"  siècle, 
ïa  prédication  morale,  et  cette  religiosité  éloquente  et  vague 
qui  alimentera  le  spiritualisme  du  siècle  '.  N'est-ce  pas  dire 
que  l'œuvre  de  Thomson  annonçait  tout  ce  qui  chez  Rous- 
seau a  constitué  le  corps  de  doctrines,  d*enseignement  et 
d'idées  de  sa  poésie,  de  sa  politique,  de  sa  morale  et  de  sa 
philosophie'? 


1.  Quand  les  trois  premiers  volumes  de  V Histoire  naturelle  panirenl,  en 
174!),  le  poème  des  «  Saisons  »  n*avait  pas  oncoru  été  traduit  en  français. 
Mais  on  sait  que  de  bonne  heure  BufTon  s'était  familiarisé  avec  la  langue 
anglaise.  Quelques-uns  de  ses  premiers  travaux  sont  des  traductions  d'ou- 
vrages scientifiques  publiés  en  Angleterre. 

2.  Voir  infra,  deuxième  partie. 

3.  Aussi  les  jugements  portés  sur  Thomson  sont-ils  très  généralement 
favorables  ou  hostiles  au  poète  anglais  selon  que  celui  qui  les  exprime, 
procède  ou  non  de  l'influence  de  Rousseau.  Pour  prendre  un  petit  nombre 
d'exemples,  Grimm  s'exprime  ainsi  :  «  ....  Je  ne  dirai  qu'un  mot  des 
Saisons  de  Thomson  comparées  asix  Géorgiques  de  Virgile;  c'est  que 
la  mase  de  Thomson  ressemble  à  Notre-Dame  de  Lorette,  et  la  Muse  de 
Virgile  à  Vénus  :  Tune  est  riche  et  couverte  de  diamants,  l'autre  est 
belle,  nue  et  n'a  qu'un  simple  bracelet.  Virgile  est  un  modèle  de  bon  goût; 
Thomson  serait  tout  propre  à  corrompre  celui  d'un  jeune  homme.  »  (Cor- 


196  JAMES  THOMSON. 

Soit  directement,  soit  par  Tintermédiaire  de  Rousseau 
Thomson  a  donc  exercé  sur  la  littérature  française  un 
influence  considérable.  Mais  outre  cette  action  générale  Toeuvi 
du  poète  anglais  a  provoqué  un  grand  nombre  d'imitatior 
formelles  et  conscientes  quoiqu'elles  ne  soient  pas  toujoui 
avouées.  Il  suffira  de  rappeler  les  Saisons  de  Léonard  *  ;  U 
Saisons  jadis  fameuses  de  Saint-Lambert,  où  Voltaire  voya 
une  des  œuvres  maîtresses  de  la  poésie  moderne  *;  les  Mois  c 
Roucher  '  ;  les  Fastes  de  Lemierre  *  ;  les  diverses  œuvres  c 
Delille  a  copieusement  mis  à  contribution  le  poète  anglais  :  l^ 


respondance  de  Grimm  ;  cité  dans  le  Quarterly  Review,  vol.  IX,  p.  lli 
Au  contraire,  Mme  de  Staël  admire  dans  les  «  Saisons  »  jusqu'aux  lies 

communs  de  morale  et  aux  intermèdes  sentimentaux  : 
«  Les  vers  de  Thomson  me  touchent  plus  que  les  sonnets  de  Pétrarque- 

{De  la  Littérature^  préface  de  la  2»  édition.) 
«  Est-il  une  plus  délicieuse  peinture  de  Tamour  dans  le  mariage  que  1 

vers  qui  terminent  le  premier  Chant  de  Thomson  sur  le  Printemps?  »  {l 

la  Littérature,  chap.  xv.) 
Et  Mme  Roland,  dans  sa  prison,  cite  de  mémoire  des  vers  des  Saison 
Quant  à  Chateaubriand,  qui  aurait  dû  coûter  la  magnificence  et  la  pom| 

des  descriptions  de  Thomson,  il  le  juge  de  façon  bien  sèche  et  bien  étroit 

11  l'associe  à  Pope  comme  ayant  concouru  à  la  même  œuvre  : 

•  Ainsi  repoussée  en  France,  la  Musc  des  champs  se  réfugia  en  Angl 
terre....  En  ne  peignant  plus  que  la  vraie  nature,  elle  voulut  tout  peindre.. 
Thomson  môme  dans  son  chant  de  l'Hiver,  si  supérieur  aux  trois  autre 
a  des  détails  d^une  mortelle  longueur.  Telle  fut  la  seconde  époque  de 
poésie  descriptive. 

•  D'Angleterre  elle  revint  en  France  avec  les  ouvrages  de  Pope  et  duchantr 
des  Saisons....  »  {Génie  du  Christianisme,  liv.  IV,  chap.  m.) 

1.  Né  en  1744,  mort  en  1*783. 

«  Léonard,  dit  Saintc-Ueuve,  est  un  diminutif  de  Thomson  et  de  Col 
lins.  •  {Portraits  littéraires.) 

2.  Né  en  1716,  mort  en  1763.  Les  «  Saisons  »  parurent  en  1769,  et  euren 
la  même  année  deux  éditions,  l'une  iu-8,  l'autre  in-12.  Malgré  renlliou 
siasme  de  Voltaire  qui  disait  avec  assurance  :  «  C'est  le  seul  ouvrage  d 
notre  siècle  qui  passera  à  la  postérité  »,  et,  dans  sa  Lettre  à  V Académie 
mars  1772  :  u  Le  Poème  des  Saisons  et  les  Géorgiques  (de  Delille)  sont  le 
deux  meilleurs  poèmes  qui  aient  honoré  la  France  depuis  PArt  Poétique  » 
les  éditions  suivantes  se  succèdent  à  d'assez  longs  intervalles  (1782  in-8 
1783  in-12,  1795  in-18,  2  vol.;  puis  1822).  jusqu'à  ce  que  le  poème  si  vanl 
tombe  dans  Toubli  ou  dans  le  dédain.  Qui  sonpe  aujourd'hui,  en  dehor 
des  historiens  curieux,  ou  des  critiques  de  Thomson,  à  relire  ce  lon| 
poème  dans  lequel  Mme  du  DelTand,  Voltaire  et  Sainte-Beuve,  ont  à  eu: 
trois  relevé  jusqu'à  onze  bons  vers?  (Sur  Saint-Lambert,  voir  les  corrcs 
pondnnces  de  (irimm.  de  Mme  de  Deffand  et  dllorace  Walpole;  Villemaio 
Littérature  du  XVlll^  siècle:  Saiiile-Beuvo,  Causeries  du  lundi,  t.  XI.) 

3.  Rouclicr  (1745-1 704)  fait  paraître  son  poème  des  Mois  en  1779.  On  cun 
nait  le  mot  de  Rivarol  :  «  C'est  le  plus  beau  naufrage  poétique  du  sii-clc  - 

4.  Les  Fastes  de  Lemierre  sont  de  la  même  année  que  les  Mois  de  Roucher 


APRàS  LA  MORT.  197 

JardinSy  V Homme  des  Champs^  les  Trois  Règnes  de  la  Nature  ^  ; 
les  Saisons  du  cardinal  de  Bernis  %  etc. 

Plusieurs  traductions  des  c  Saisons  i»  ont  aussi  été  faites 
eo  France.  Dès  1759,  Mme  Marie-Jeanne  de  Chatillon-Bon- 
tems  publiait  la  première  '.  Puis  viennent  celles  de  Deleuze, 
1801  *,  de  Poullin  (en  vers),  1802  ',  et  de  Fremin  de  Beau- 

1.  Le$  Jardins f  1782.  —  L* Homme  des  Champs,  1800.  —  Les  trois  Régnes 
de  la  Nature,  1809.  —  Nous  aurons  plus  d'une  fois,  pour  Delille  comme 
pour  Saint-Lambert,  à  rapprocher  rimitation  française  du  modèle,  quand 
nous  étudierons  Tœuvre  de  Thomson. 

L'ambition  de  Delille  était  de  prendre  rang  à  côté  de  Saint-Lambert,  de 
Pope  et  de  Thomson.  Il  croyait  son  vœu  modeste  et  d'avance  exaucé.  Il 
était  réalisé  dans  les  jardins  de  la  princesse  Gzartoryska  : 

•  Mes  vœux  sont  exaucés  :  du  sein  de  leur  repos 
Un  essaim  glorieux  de  belles,  de  héros, 
Qui,  successeurs  polis  des  Sarmates  sauvages. 
De  l'antique  Vistule  honorent  les  rivages, 
Auprès  de  Saint-Lambert,  de  Pope,  de  Thomson, 
Offre  dans  ses  jardins  une  place  &  mon  nom.  u 

(V Homme  des  Champs,  chap.  xi,  p.  199.) 

La  postérité  n*a  pas  ratifié  ce  classement.  La  petite  urne  qu'elle  a  con- 
sacrée à  Delille  se  trouverait  proche  peut-ôtro  du  monument  de  Pope, 
m&is  à  on  autre  coin  du  jardin  que  celui  où  se  rencontrent  les  «  souvenirs  • 
<l6  Thomson  et  des  poètes  qui  ont  vu,  connu,  senti  et  fidèlement  peint  la 
nature. 

2-  Le  cardinal  de  Bernis,  1715-1794.  (Voir  Causeries  du  lundi,  t.  VIII.) 

3*  Cette  première  édition  (Paris,  format  in-8)  est  suivie,  dit  la  Nouvelle 
biographie  générale,  de  plus  de  dix  autres  éditions. 

A  la  no  de  la  liste  des  souscripteurs  de  Tédition  de  1762,  parmi  lesquels 
figure  Mme  Bontems,  Murdoch  adresse  au  traducteur  un  très  gracieux 
^mpiiiugQi  sur  son  travail  •  equally  faithful  and  élégant  ». 

Mme  Bontcmps  ne  s'en  est  pas  tenue  à  cette  traduction  et  publia  en 
^ '69  les  Saisons,  poème  (fondé  sur  celui  de  Thomson),  Amsterdam,  in-12. 

*•  Delcuze,  les  SaUons,  1801-1806,  in-S. 

J-  -ï-  Poullin,  les  Saisons,  Paris,  1802,  2  vol.  in-8. 

l^n  critique  anglais  déclare  ce  travail  supérieur  à  l'original  {Edinburgh 
^^,  January,  1806).  Il  énumère  les  défauts  du  poème  anglais,  et  les 
'fouve  heureusement  corrigés  par  le  traducteur.  A  peine  blAme-t-il  quel- 
ques passages  on  Técrivain  français  «  a  écrasé  sous  son  pied  quelques-uns 
^^  l^etils  bijoux  inestimables  qu'il  a  trouvés  sur  son  chemin  -.  Par 
^^^mple,  dans  sa  description  de  la  beauté  des  femmes  anglaises,  Thomson 

• ....  The  parting  lip 
Like  the  red  rose-bud  moist  with  morning  dew 
Breathing  delight.  • 

*  jolis  vers  sont  imparfaitement  rendus  par 

«  Les  lys  et  les  roses 
Ensemble  confondus  sur  vos  lèvres  mi-closes.  • 


À 


198  JAMES  THOMSON. 

mont  ^  Enfin,  nous  devons  mentionner,  parmi  les  hommage 
rendus  à  Thomson  par  les  écrivains  français,  une  petite  comédi 
jouée  à  Paris  en  1822,  dont  notre  poète  est  le  personnage  prir 
cipal  *. 

L'influence  exercée  par  le  poème  dans  les  autres  pays  cf 
aussi  très  grande.  Elle  s'exerce  sur  des  œuvres  indépendanU 
telles  que  les  «  Idylles  i>  de  Gessner  ',  et  sur  toutes  les  produc 
tions  où  s'affirme  le  retour  du  goût  à  la  nature.  Klopstock  ef 
un  fervent  admirateur  de  notre  poète  et  de  son  style  imité  d 
Milton.  Fr.  Schlegel  constate  que  Thomson  est  le  prototyp 
de  tous  les  poètes  descriptifs  du  continent.  Cette  influence  s 
manifeste  enfm  par  un  grand  nombre  de  traductions  dan 
presque  toutes  les  langues  de  l'Europe  ^ 

Les  traits  énergiques  dont  Thomson  décrit  Forage  et  la  foudre  : 

«  The  clouds 
Pour  a  whole  flood,  and  yet,  its  flame  unquench*d 
The  unconquerabie  lightning  struggles  through  » 

sont  bien  afTaiblis  dans  la  traduction  : 

«  Tandis  que  les  éclairs,  à  travers  Thorizon, 
Du  pôle  à  réquateur  voient  en  tourbillons.  » 

Dans  la  peinture  de  Tamour  des  oiseaux,  le  dernier  vers  de  Thomso 
tout  frissonnant  de  vie, 

«  And  shivcr  every  feather  wilh  désire  >, 

est  rendu  par  une  plate  banalité  : 

-  Et  parler  de  Tamour  le  plus  tendre  langage.  • 

1.  Né  en  i744,  mort  en  4820.  Etait  membre  du  corps  législatif  de  Te 
pire  quand  parut  sa  traduction  (Paris,  in-8,  1806).  11  avait  collaboré  à 
traduction  d'Ossian  donnée  par  Le  Tourneur  en  1176. 

Ajoutons, pour  compléter  la  liste  de  ces  traductions, que  le  «Château 
été  traduit  par  Lemierre  d'Argy  (Paris,  1814,  in- 12);  que  la  Blanc/ie 
Guiscard   de   Saurin,   1763,  n'était  qu'une   traduction    de    Tancred   a 
Sigismunda,    et  que    Brugiëre    de   Barante  a  donné  à  la  collection  c 
théâtres  étrangers  une  traduction  d^Edward  and  Eleonora. 

La  librairie  française  a  d'ailleurs  plusieurs  fois  publié  le  texte  angl 
des  •  Saisons  ».  Voir  notre  bibliographie. 

2.  Voir  p.  120, 121,  et  Appendice  IL 

3.  Publiées  en  1758-62. 

4.  Voici  la  liste  de  celles  que  nous  avons  pu  relever. 
En  Allemagne  traductions  des  Saisons  par  : 

B  -H.  Brockes,  Hambourg,  1745,  in-8. 

(D'aprfes  une  note  de  «  Brevis  »,  Notes  and  Queriesy  3*  série,  vol.  1 
p.  203,  cette  traduction  ne  suivait  pas  le  texte  des  dernières  éditic 
publiées;  le  Printemps  par  ex.  était  traduit  d'après  le  texte  de  1731.) 

Pulte,  1758. 


I  APRÈS   LA    MORT.  199 

I         J.-F.  von  Palthen,  Hostuck,  1"CG,  in-4. 

Schubert,  1789. 
!  Harries,  Allona,  1796,  in-8. 

Sollau,  Braunschweip,  1803,  in-8. 

Rosenzweig,  Hamburg,  1825,  in-8. 

firuckbraen,  1824. 

U  traduction  de  Rosenzweig  est  en  vers  hexamètres. 

LessiDg  s'est  à  plusieurs  reprises  occupé  de  Thomson.  II  en  a  écrit  une 

biographie  où  il  développe  et  délaye  la  «  Vie  »  de  la  collection  de  Cibber. 

Notons  en  passant  quMl  confond  ce  Cibber  (Theophilus),  avec  son  père 

Colley  Cibber,  et  lui  attribue  les  Lives  and  Characters  of  the  most  emin- 

fnt  actors  and  adresses.  Voir  dans  les  Œuvres  de  Lessing,  Ëdit.  Hempel, 

Tol.  XI  (1),  p.  235-250.  Dans  le  même  volume,  à  la  page  853,  on  trouvera 
one  préface  de  Lessing  à  une  traduction  des  Tragédies  de  Thomson.  Le 
critique  allemand  a  écrit  des  fragments  d'une  traduction  de  Tancred  and 
Sigimunda  (XI,  (2),  p.  516)  et  de  VAgamemnon  [ibid,,  p.  519). 

Ajoutons  qu'une  édition  annotée  du  texte  anglais  des  «  Saisons  •  avait  paru 
eo  Allemagne  dès  1758  (G.  Herrmann,  Leipzig,  in-8),  et  que  le  poème  a 
fourni  la  matière  d'un  opéra  en  quatre  actes  dont  le  libretto  fut  publié  à 
Berlin  en  1822  :  Die  Jareszeiten  nach  Thomson,  p.  44. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  le  plus  noble  monument  élevé  par  l'AIIe- 
magne  à  la  gloire  de  Thomson  est  l'oratorio  de  Haydn  sur  les  «  Saisons  •? 

En  Italie,  V  «  Éloge  de  Newton  •  avait  été  traduit  dès  1760  (Naples,  Bon- 
<lucci).—  L'  •  Été  >  est  traduit  en  1817  (Modène,  in-8).  Le  «  Printemps  •  en 
IS20  (Bologne,  in-4,  anonyme).  —  Le  «  Château  d'Indolence  •,  en  1826 
(Naples,  Mathias),  —  et  enfin  la  3«  partie  de  a  La  Liberté  »  :  Rome,  est  tra- 
<lQite  en  1867  par  A.  Castelfranco  (Trieste,  in-8). 

U  Hollande  nous  donne  une  traduction  du  Livret  qui  accompagne  la 
musique  de  Haydn  {De  Jaargetijden,  Amsterdam,  1803),  et  une  «  Sopho- 
nisbe  •  (voir  notre* bibliographie). 

"  Sophonisbe  •  est  aussi  traduite  en  russe  (1786,  in-8). 

Un  traducteur  danois,  P.  Foersom,  fait  paraître  à  Copenhague  le  «  Prin- 
^ntps  »  en  1807  et  1'  «  Hiver  »  en  1812. 

Enfin  une  autre  langue  vivante  s'enrichit  d'une  traduction  de  Thomson, 
^^st  le  romalque,  dans  lequel  Petrides  donne  en  1817  la  traduction  d'une 
P*rtieder.Été.. 

^  langues  mortes  ont  aussi  apporté  leur  tribut  d'hommages  à  ce 
P^me  moderne.  V  «  Hymne  »  final  était  traduit  en  latin  par  un  anonyme  en 
i775(in-4),  et  toutes  les  «  Saisons  »  rendues  en  vers  latins  par  R.-T.  Brown- 
^ell  en  1795  (Londres,  in-8).  Un  Français,  Favières,  «  conseiller  au  parle- 
^^nt  >,  est  rauleor  d'un  poème  •  Fer,  carmen  pentametrum  »,  que  la 
Bibliothèque  Nationale  n'a  pu  nous  fournir.  Nous  ne  savons  si  c'est  là 
^(icore  une  traduction  du  poème  anglais. 

Enfin  il  nous  reste  à  noter  une  traduction  hébraïque  de  L.  Lévy  (Berlin, 
*842). 


.» 


CHAPITRE  Vil 


LA   PERSONNE   ET   LE   CARACTÈRE  DE   THOMSON 


Le  poète  dont  nous  avons  ainsi  observé  la  vie  année  par 
année  nous  est  maintenant  assez  sûrement  connu  pour  que 
nous  puissions  apprécier  à  leur  vcdeur  les  jugements  divers 
qui  ont  été  exprimés  sur  sa  personne.  Johnson  ne  lui  était  pas 
bienveillant.  Le  double  défaut  chez  Thomson  d'être  Écossais 
et  d*être  libéral  suffirait  évidemment  à  expliquer  un  peu  de 
prévention  chez  le  biographe.  Et  malheureusement  le  portrait 
tracé  par  lui  avait  toute  chance  de  déterminer  l'image  qui  se 
graverait  dans  Tesprit  du  public.  Nous  savons  qu'il  y  a  lieu  de 
rectifier  sur  plus  d'un  point  les  indications  du  Docteur. 

Il  n'a  pu  connaître  Thomson  que  quand  ce  dernier  appro  - 
chait  de  la  quarantaine;  mais,  même  en  tenant  compte  de  ce 
fait,  la  peinture  qu'il  nous  donne  est  en  contradiction  avec  ce 
que  nous  montrent  les  renseignements  directs,  c  II  était, 
dit-il,  de  physionomie  épaisse;  son  visage  était  grossier, 
sans  animation  et  sans  aucun  attrait  ^  i»  On  l'a  cru  sur  parole; 
et,  complétant  ces  premières  indications,  on  s'est  figuré 
Thomson  comme  petit',  gros,  laid  et  gauche.  En  réalité  il 
était  grand;  Johnson  du  reste  Ta  noté.  Cet  embonpoint  que 
Thomson  lui-même  a  raillé  avec  une  bonne  grâce  spirituelle 
pouvait  convenir  peu  à  un  barde.  Le  pauvre  Collins,  maigre, 

1.  «  Thomson  was  of  stature  above  the  mîddle  size,  and  •  more  fat 
than  bard  beseems  •,  of  a  dull  countenance,  and  a  grosa,  unonimated, 
uninviting  appearance.  > 

2.  «  The  heayy,  silent  little  man  »,  dit  de  lui  M.  Ed.  Gosse  dans  un  por- 
trait d'ailleurs  hienveiWàni  {Eighteenth  Cenlury  Literature,  p.  227). 


LA  PERSOiNNE  ET   LE  CARACTÈRE   DE  THOMSON.  201 

paie,  et  sur  qui  s'était  posée  déjà  l'ombre  d'un  mal  terrible, 
avait  sans  doute,  mieux  que  notre  Écossais  robuste  et  épanoui, 
le  physique  de  l'emploi.  Mais  nous  pouvons  être  assurés  que 
celle  corpulence  n'était  pas  exagérée  ni  grotesque.  Il  suffit  de 
nous  rappeler  qu'aux  approches  de  la  cinquantaine  Thomson 
prenait  encore  plaisir  à  franchira  pied  les  seize  kilomètres  qui 
le  conduisaient  de  Londres  à  Richmond.  —  Quant  à  son  visage 
et  à  sa  physionomie,  nous  les  jugerons  plutôt  par  les  témoi- 
gnages des  peintres  qui  ont  fixé  ses  traits  que  par  les  souve- 
nirs de  Samuel  Johnson.  Le  portrait  d'Aikman  >,  représentant 
le  poète  à  25  ans,  nous  met  en  présence  d'un  visage  ouvert, 
expressif,  souriant  et  cependant  correct  de  lignes.   Onze  ans 
plus  tard,  un  peintre  du  nom  de  Slaughter  fixe  sur  la  toile 
les  traits  de  Thomson  arrivé  à  la  maturité',  et  ce  double  carac- 
tère s'y  retrouve  encore  d'une  régularité  qui  n'exclut  pas  la 
vie  ni  la  chaleur.  Enfin  le  portrait  de  Paton,  peint  dans  les 
dernières  années  de  la  vie  »,  nous  montre  à  coup  sûr  Técrivain 
vieilli  et  alourdi.  Les  traits  sont  devenus  plus  forts;  le  nez  et 

1*  Cest  celui  qui  est  encore  conservé  à  Hagley  et  que  Pitt  déclarait 

être* beastly  like  >.  Une  note,  signée  Ann  Forbes,  qui  est  jointe  à  l'exem- 

Pl^re  de  Tédition  princeps  des  «  Saisons  •,  à  la  Bibliothèque  de  TUnivcrsité 

d'Edimbourg,  se  rapporte  à  une  esquisse  faite  par  Aikman  •  vers  1720  ». 

Cest  presque  certainement  une  erreur  pour  1725.  Le  portrait  a  été  gravé 

eo  iiGi  par  Basire  pour  la  grande  édition  de  1762. 

^  2*  Il  se  trouve  à  Dryburgh  Abbey,  la  résidence  des  Buchan,  et  porte  à 

l'enTers  de  la  toile  cette  inscription  de  la  main  du  comte  :  «  Procured 

for  (he  Earl  of  Buchan  by  bis  friend,  Richard  Cooper,  Esq.,  engraver. 

^oQsoQ  and  bis  friends,  Dr.  Armstrong,  Peter  Murdoch,  etc.,  used  to 

l'^quent  Old  Slaughter's  Coffee  House,  London,  and   his  portrait  was 

P&inled  at  that  time  by  Slaughter,  a  kinsman  of  old  Slaughter. 

Buchan.  • 
«  Dec.  3,  1812.  » 

.1^  Gentlemuri's  Magazine  de  décembre  1736  publiait  une  pièce  ,'de  vers 
•Ignée  G.  W.  (Gilbert  Wesl)  avec  ce  titre  : 

*  On  Mr.  Thomson*s  picture  drawn  by  Mr.  Slaughter,  with  the  figure 
P'I'iberty  in  his  Hand,  aa  describ'd  by  him  in  his  Poem  on  that  sub- 
Jttt.  »...  Un  des  vers  relève  ainsi  l'exactitude  de  la  ressemblance  : 

«  Correct,  tho*  free,  and  réguler  tho'  warm  •. 

3-  £n  1746.  Il  a  été  gravé  en  1761  par  Basire  pour  Tédition  de  1762.  Il  a 
^  donné  en  1858  à  la  National  Portrait  Gallery  par  miss  Bell,  de  Spring- 
^f  la  petile-niéce  du  poète. 

Mentionnons  encore  parmi  les  portraits  connus  de  Thomson  la  minia- 
^1^  d*Ednam  (voir  p.  190  et  n.  2)  qui  est  peut-être  une  réduction  du 
***>leau  de  Slaughter,  et  celui  qui  fut  exécuté  en  1791  par  William  Berry, 
^  que  mentionne  une  note  manuscrite  dans  Texem plaire  des  «  Saisons  » 
^onné  par  Bachan  à  la  Bibliothèque  de  rUniversité  d'Edimbourg. 


202  JAMES  THOMSON. 

les  lèvres  se  sont  épaissis;  le  menton,  que  coupait  gracieuse- 
ment une  fossette,  est  devenu  un  double  menton.  Mais  même 
alors,  sous  un  front  large  et  haut,  les  yeux  ont  conservé  une 
beauté  de  forme  et  un  éclat  qui  suffiraient  à  sauver  ce  visage 
de  la  laideur  ou  de  la  banalité. 

La  même  prévention  injuste  se  retrouve  dans  quelques-uns 
des  jugements  portés  sur  les  façons  de  vivre  et  sur  les  mœurs 
de  Thomson.  Shenstone,  ce  campagnard  plein  d'affectation  et 
de  prétentions  à  Télégance,  jugeait  très  vulgaires  les  manières 
et  l'apparence  de  l'ami  des  Lyttelton  et  des  Pitt  *.  Ces  manières 
étaient  seulement  franches  et  simples,  et  nous  pouvons  sup- 
poser que  c'était  un  des  charmes  que  trouvaient  à  la  société 
du  poète  les  grands  seigneurs  qui  cultivaient  son  amitié.  Quant 
à  son  aspect  et  à  sa  mise,  il  parait  bien  quà  la  fm  de  sa  vie, 
après  la  ruine  de  son  rêve  d'amour,  il  les  ait  négligés,  au 
risque  d'être  sévèrement  jugé  par  les  raffinés  du  genre  de 
Shenstone  ou  d'Horace  Walpole.  Mais  ni  la  dignité,  ni  la 
simple  aisance  qui  lui  étaient  naturelles  ne  disparaissent  sous 
ces  deliors  inélégants.  La  vérité  nous  est  donnée  par  cette 
appréciation  du  vieux  Robertson  :  a  Thomson  n'était  ni  un 
petit-maître  ni  un  rustre*  ». 

Johnson  a  eu  le  tort  d'accueillir  un  témoignage  très  suspect, 
et  de  se  faire  trop  légèrement  le  complice  de  quelques  accusa^ 
tions  injurieuses.  Savage  lui  avait  raconté  qu'une  dame,  après 
avoir  lu  les  a  Saisons  »,  concluait  que  le  poète  devait  être  «  un 
<K  grand  amoureux,  un  grand  nageur,  un  homme  d'une  rigou- 
«  reuse  frugalité  ».  Or,  ajoutait  l'affreux  bohème  qui  a  si  sou- 
vent imposé  à  Johnson,  Thomson  n'a  jamais  connu  dans 

1.  A  la  (in  d'un  exemplaire  des  œuvres  de  Thomson  se  trouve  cette  note 
manuscrite  de  la  main  de  Shenstone  :  «  Mr.  Thomson  was  at  the  Lea- 
sovves....  lie  had  nothing  of  the  gentleman  in  his  person  or  address;  but 
he  made  amends  for  this  deHciency  by  his  reHned  sensé,  spirited  expres- 
sions, and  manner  of  speaking  nol  unhke  his  friend  Quin.  •  (Voir  The 
London  Gentleman's  Mag.y  March  1823,  p.  226.) 

2.  «  Thomson  was  neither  a  petit-matlre  nor  a  boor;  he  had  sioiplicity 
without  rudeness,  and  a  cullivaled  manner  wilhout  being  courtly.  > 
(Pabk's  Memoranda.)  — 11  semble  même  n'avoir  pas  en  tout  point  dédaigné 
les  élégances  mièvres  qui  étaient  alors  de  mode.  \\  avait  trois  cachets 
qu'a  possédés  son  neveu,  James  Craig,  et  dont  les  empreintes  se  trouvent 
jointes  à  l'exemplaire  donné  par  Buchan,  à  la  Bibliothèque  de  l'Université 
d'Edimbourg.  L'un  reproduit  ses  initiales  au  milieu  d'une  couronne  de 
fleurs,  un  autre  représente  trois  flèches,  et  le  dernier  flgure  Cnpidon 
lançant  un  trait. 


1 


LA  PERSONNE  ET  LE  CARACTÈRE  DE  THOMSON.  203 

.mour  que  le  plaisir  des  sens,  il  ne  s*est  peut-être  pas  mis 
le  seule  fois  dans  Teau  froide,  et  il  ne  s'est  jamais  privé 
aucun  des  plaisirs  qui  se  sont  présentés  à  sa  portée.  La 
îcherche  d'une  méchante  antithèse  a  poussé  ce  jour-là 
ichard  Savage  à  une  méchante  action.  L'ami  qui  l'avait  sou- 
mu  et  protégé  de  sa  bourse,  de  son  talent  et  du  prestige  de 
Dn  honneur  aurait  dû  rester  pour  lui  à  l'abri  d'aussi  ridi- 
ules  accusations  ^  Nous  en  retiendrons  tout  au  plus  que 
lOtre  poète  aimait  à  vider  avec  ses  amis  les  bouteilles  qu'il 
vait  laissées  vieillir  dans  sa  cave.  On  sait  que  la  sobriété 
l'était  pas  vertu  courante,  parmi  les  gens  de  lettres,  ni  du 
tste  dans  aucune  classe  de  la  société  anglaise,  au  xvm*  siècle, 
ohnson  qui,  lui  du  moins,  avait  le  droit  de  juger  ce  défaut, 
s'eD  offusquait  moins  quand  il  le  rencontrait  chez  ses  meil- 
eurs  amis,  comme  Boswell  ou  Goldsmith.  Mais  jamais  du 
•este,  chez  Thomson,  ce  travers  n'est  devenu  rien  de  semblable 
ui  vice  qui  a  contribué  à  dégrader  ce  même  Savage.  Nous 
savons  d'autre  part  ce  qu'il  faut  penser  du  reproche  de  n'avoir 
^nnu  que  l'amour  grossier.  La  correspondance  du  poète  avec 
^iss  Young,  les  vers  consacrés  à  son  Amanda,  l'incurable 
blessure  que  lui  a  laissée  l'issue  malheureuse  de  son  amour, 
^ut  cela  nous  a  appris  de  quelle  passion  élevée  et  puissante 
^  battu  le  cœur  de  Thomson  '.  On  dit  cependant  que  dans  ses 
propos  avec  ses  compagnons  ordinaires,  il  lui  arrivait  de 
l'exprimer  sur  le  sujet  des  femmes  et  de  l'amour,  avec  autant 
le  liberté  qu'aucun  autre  assistant.  Le  fait  est  possible.  Moins 
encore  que  la  sobriété,  la  décence  du  langage  ne  caractérisait 
es  contemporains  de  Swift,  de  Pope  et  de  Voltaire*.  Ce  qui 
^nporte  davantage,  c'est  que,  au  contraire  de  ces  trois  écri- 
'^ns,  les  plus  grands  parmi  ceux  qu'a  pu  connaître  Thomson, 


!•  N'a-t-il  pa8  voulu  simplement  «  faire  poser  •  le  trop  confiant  Johnson? 
lui  est  arrivé  dans  ses  œuvres  de  mentionner  Thomson,  et  il  le  fait  en 
^  termes  qui  témoignent  d'une  estime  reconnaissante  : 

«  And,  Thomson,  in  this  praise  thy  merit  see  : 
The  longue  that  praises  merit,  praises  thce.  • 

{The  Wanderery  canto  1,  v.  327,  328.) 

2.  Voir  p.  138  et  suiv. 

3.  •  The  bachelor  society  of  ihat  day,  not  only  Wycherleys  and  Crom- 
ells,  but  the  more  virtuous  society  of  Addison  and  his  friends  was  not 
markable  for  anyexalted  tone  abont  women.  •  (Lesub  Stephen,  Life  of 
}pe,  chap.  IV,  p.  100.) 


204  JAMES  THOMSON. 

jamais  il  n'abaissa  son  talent  à  l'expression  de  pensées  viles 
ou  d^images  libertines.  Johnson  enfin  a-t-il  cru  à  cette  horreur 
du  poète  pour  l'eau  froide?  On  sait  pour  quelles  raisons  toutes 
personnelles  le  Docteur  ne  devait  trouver  rien  d'invraisem- 
blable à  pareille  accusation.  Ce  qui  est  vrai  c'est  que  jamais 
Thomson  n'a  eu  le  souci  de  l'élégance  ni  de  la  richesse  des 
vêtements.  Nous  avons  noté  déjà  qu'à  la  fin  de  sa  vie  cette 
insouciance  s'aggrava  considérablement. 

C'était  une  des  manifestations  de  ce  qui  fut  le  gros  défaut  de 
sa  nature  :  une  indolence  à  laquelle  il  s'abandonna  de  plus  en 
plus,  à  mesure  que  les  années  pesaient  plus  lourdement  sur 
lui.  Encore  faut-il  bien  faire  la  part  de  l'exagération  et  de  la 
fantaisie  dans  tout  ce  qu'on  a  dit  à  ce  sujet.  A  lire  certaines 
anecdotes  et  certains  jugements,  on  se  représenterait  Thomson 
comme  c  une  tonne  de  chair  »,  moins  capable  d'ailleurs  de 
mouvement  et  d'activité  que  sir  John  FalstalT.  Lui  est-il  arrivé 
de  manger,  sur  l'espalier,  la  moitié  vermeille  d'une  pèche, 
sans  retirer  ses  mains  de  ses  poches*?  Cela  prouverait  sans 
doute  que  chez  ses  amis,  dans  les  jardins  d'Eastbury  ou  de 
Hagley,  il  était  à  l'occasion  capable  d'une  gaminerie.  Cela 
prouverait  encore  qu'il  était  moins  fm  gourmet  que  nous  ne 
l'aurions  cru.  Le  poète  qui  a  si  bien  parlé  des  fruits  n'a  jamais 
dû  les  manger  si  mal  '.  Mais  ne  serait-il  pas  absurde  de  pré- 
tendre trouver  dans  une  pareille  anecdote,  fût-elle  véridique, 
un  trait  de  caractère? 

Il  est  plus  certain  qu'il  aimait  à  rester  tard  au  lit.  Lui  qui 
avait  vu  dans  sa  jeunesse  tant  d'admirables  levers  de  soleil, 
qui  nous  a  laissé  de  ce  spectacle  de  radieux  tableaux,  et  qui  ne 
ménage  pas  aux  paresseux  attardés  sur  l'oreiller  les  objurga- 
tions indignées',  il  avait  fmi,  dit-on,  par  adopter  midi  pour 

1.  Nous  ne  savons  quelle  est  Torigine  de  ce  pittoresque  «  document  ».  Il 
nous  est  fourni  par  un  écrivain  américain  qui  raccompagne  d'autres 
preuves  également  probantes  de  la  paresse  de  Thomson  : 

«  He  was  once  seen  to  bite  out  the  sunny  side  of  a  peach  with  bis 
hands  in  bis  pockets.  A  lover  of  music,  be  did  not  fatigue  himself  with 
blowing  a  flûte  or  flourishing  a  fîddie-bow,  but  kept  an  iEolian  harp  in 
bis  window,  and  listened  to  Ibc  nigbtingale....  »  (T.  Tucurman,  Thoughts 
on  the  Poets,  New-York,  1846,  p.  96.) 

2.  Il  note  précisément  cette  enveloppe,  très  ricbe  de  couleur,  mais 
très  désagréable  au  contact  qui  protège  le  fruit  :  •  tbe  downy  peach  • 
{Aulumn^  v.  676). 

3.  Spring,  v.  241  et  suiv.;  Summer,  v.  67  et  suiv. 


LA  PERSONNE  ET  LE  CARACTÈRE  DE  THOMSON.     205 

rheure  de  son  lever  '.  Il  avait  tort  évidemment.  Mais,  n'oublions 
pas  qu'il  travaillait  volontiers  la  nuit  et  se  couchait  souvent  au 
petit  jour.  En  somme,  ce  détail  si  souvent  rapporté  prouve  une 
distribution  peu  raisonnable  de  son  temps,  plutôt  qu'un  sacrifice 
de  ce  temps  à  Toisiveté.  L'indolence  de  Thomson  a  consisté 
dans  une  réelle  aversion  pour  le  mouvement,  les  déplacements, 
les  aventures  de  route  et  d'auberges,  mais  surtout  pour  cette 
agitation  égoïste  et  fiévreuse  qui  poursuit  la  richesse  et  les 
biens  du  monde.  Il  a  un  jour  ainsi  perdu,  par  dédaigneuse 
nonchalance,  la  charge  dont  il  vivait.  Il  ne  semble  pas  qu^il 
s'en  soit  jamais  repenti.  La  fortune  ne  lui  paraissait  pas  valoir 
un  effort  pour  l'atteindre.  Mais  cet  indolent  à  qui,  pour  une 
lettre  à  rédiger,  la  plume  était  lourde  <k  comme  rame  en 
galère  i»  fut  un  écrivain  singulièrement  actif  et  très  fécond. 
Jusqu'à  son  dernier  jour,  il  a  repris,  limé,  développé  son  poème 
des  c  Saisons  ».  L'œuvre  de  la  fin  de  sa  vie,  <k  le  Château 
d'Indolence  »,  se  déroule  dans  une  forme  artistique  où  les 
difficultés  techniques  sont  à  plaisir  accumulées.  Enfin  sa  vie 
n*a  pas  été  longue,  et  l'œuvre  qu'il  a  fournie  suffirait  à  la  répu- 
tation de  plus  d'un  laborieux.  Elle  n'est  pas  inférieure  au  chiffre 
considérable  de  20  000  vers. 

Nous  pouvons  donc  négliger,  sans  plus  nous  y  arrêter,  les 
attaques  de  critiques  malveillants  *,  le  reportage  posthume  de 
bavards  peu  scrupuleux  %  ou  certaines  petites  anecdotes  scan- 

^'  Lettre  de  Cave  à  Birch,  citée  plus  haut  (voir  p.  130,  n.  i.) 

I)>ns  les  Memoranda  de  Park  nous  lisons  : 

'  Park.  I  hear  he  kept  very  late  hours? 

RoBBRTsoK.  No,  sir,  Tery  early  :  he  was  always  up  at  sunrise,  but  then 
^^  hftd  never  been  in  bed.  > 

2>  *  He  (Johnson)  allovved  high  praise  to  Tliomson  as  a  poet;  but  when 
one  of  the  company  said  he  was  aiso  a  very  good  man,  our  moralist  con- 
^sted  this  witii  great  warmth,  accusing  him  of  great  sensuality  and 
licenliousness  of  manners.  •  (Boswell's  Johîison^  Mai  1768.) 

De  son  côté  Boswell,  parlant  en  son  propre  nom,  s'exprime  ainsi  dans 
^*  Vie  de  Johnson  »  :  «  My  own  notion  is  that  Thomson  was  a  much  coarser 
lian  Ihan  his  friends  are  willing  to  allow  ». 

3.  John  Taylor,  qui  nous  a  transmis,  en  l'imputant  à  Chalmers,  Thistoirc 
cootrouvée  du  mariage  secret  de  Thomson,  met  en  scène  un  autre  pcrson- 
Qftge  pour  lui  attribuer  un  jugement  très  malveillant  sur  notre  poète  : 

•  Tiie  character  of  his  (Thomson's)  works  and  the  conduct  of  his  life 
werc  cssentially  différent....  My  friend  Mr.  Donaldson  who  resided  at 
Richmond  when  Thomson  lived  at  the  same  place,  and  was  very  intimate 
wilh  him....  assured  me  Ihat  when  once  in  company  with  Thomson, 
and  several  gentlemen  were  speaking  of  the  fair  sex  in  a  sensual  manner, 
Thomson  expressed  his  admiration  of  them  in  more  beastly  tcrms  than 


206  JAMES  THOMSON. 

daleuses  qui,  pour  la  vraisemblance  et  pour  rattlcisme,  soi 
dignes  de  Pigault-Lebrun  ou  de  Paul  de  Kock  '.  La  vie  c 
Thomson  et  son  œuvre,  où  ne  se  trouve  pas  «  un  seul  vei 
qu'en  mourant  il  voulût  efîacer  '  d,  sont  le  véritable  commeu 
taire  et  l'éclatante  justification  de  ce  jugement  que  nous  on 
laissé  ses  amis  :  a  II  fut,  à  tous  égards,  un  gentleman  ^  i». 

Il  fut  plus  et  mieux  encore.  Il  fut  un  homme  d'un  granc 
cœur.  Sous  des  dehors  dont  la  simplicité  a  pu  tromper  quel 
ques  a  snobs  i»,  il  y  avait  chez  lui  un  fond  d'extrême  sensibi- 
lité *  et  de  bonté  exquise.  Jamais  homme  n'a  eu  moins  d'en 
nemis.  Jamais  homme  n'a  eu  plus  d'amis,  ni  de  plus  divers,  d 
de  plus  inaltérablement  dévoués.  C'est  le  fait  le  plus  frappant 
qui  se  détache  de  l'histoire  de  sa  vie  que  cette  séductior 
exercée  sans  artifice,  sans  coquetterie  ou  besoin  de  plaire,  pai 
la  seule  et  involontaire  influence  d'une  nature  droite,  aimanti 
et  sincère,  sur  tous  ceux  qui  Tont  approché.  Qu'on  se  rappela 
les  éléments  hétérogènes  qui  ont  composé  le  groupe  de  se 
amis.  La  liste  en  va  de  Richard  Savage,  le  che^^lier  d'indus 
trie  paresseux,  menteur  et  fanfaron,  qu'il  aimait  sans  dou^ 

any  of  Ihe  company,  and  such  as,  though  I  well  remember»  I  do  n 
think  ppoper  to  préserve....  »  {Records  of  my  Life  hy  the  Laie  John  TatlC 
vol.  I,  chap.  XV,  p.  185.) 

1.  •  I  hâve  heard  or  read  an  anecdote  of  hia  conduct  while  living 
the  family  of  Lord  Binning  given  as  characterislic  of  his  sensibihty  a3 
iodoleuce.  A  young  lady  of  the  family  had  attracted  his  passionate  ada 
ration.  The  ceiling  was  slight;  the  lover  contrived  to  bore  a  holc  throuj 
which  lie  could  enjoy  a  bird's  eye  view  of  wlial  pnsscd  in  his  luistres: 
chamber.  One  evening  slie  aud  her  maid  were  alarmed  by  the  loud  suo 
of  a  person  asieep.  The  peeping-hole  was  discovered,  and  the  inhum 
Abigail,  by  upplying  the  candie  to  the  orifice,  roiised  the  poor  lover  ve 
abruptiy  perhaps  from  a  dream  of  happiness.  »  (Robert  Hbhon,  The  Si 
sons  with  a  Life,  etc.,  Perth,  179.'i,  p.  9  et  siiiv.) 

2.  C'est  la  traduction  donnée  par  de  Baraute  du  vers  célèbre  de  Lyttelto 
•  One  line,  which  dying  he  could  wish  lo  blot  •  [Prologue  to  Coriolanu 

3.  a  Lord  ChalhaiD,  Lord  Temple,  Lord  Lyttclton,  Sir  Andrew  Mitchi 
Dr.  Armstrong,  Mr.  Gray,  of  Kichmoud  Hill,  aud  the  oily  man  of  God 
hâve  oftcn  had  the  pleasure  to  hear  on  the  subject  of  Thomson.  AU  of  tlx 
agreed  in  the  testimony  of  his  being  a  gentleman  at  ail  points.  -  (D.  S.  Ea 
OF  BucHAN,  Essays  on  the  Lices  etc.,  p.  2." 5.) 

4.  Les  preuves  les  plus  sérieuses  nous  en  sont  données  par  ces  passa;: 
de  ses  lettres  et  de  ses  œuvres  où  s'exprime  la  vraie,  la  bonne  sensibili 
celle  qui  s'émeut  du  malheur  des  êtres  chers,  et  qui  se  traduit  par  d 
actes.  Nous  pouvons  noter  en  outre  combien  vivement  le  poète  ressent 
les  émotions  d'ordre  esthétique  :  -  Thomson  was  so  oppressed  by  a  i^s 
sage  in  Virgil  or  Milton  when  he  attempted  to  read,  that  his  voice  siiz 
in  ill-articulated  sounds  from  the  bottom  of  his  heart.  »  (D'Israbli,  Litf 
ary  Characters  :  Enthusiasm,  p.  H2.) 


LA  PERSONNE  ET  LE  CARACTÈRE  DE  THOMSON.  207 

pour  ce  qu'il  aurait  pu  être  plutôt  que  pour  ce  qu'il  était,  jus- 
qu'aux noms  les  plus  illustres  et  les  plus  respectés  de  la 
société  de  son  temps.  Il  semble  qu'il  désarme  les  jalousies  les 
plus  inquiètes.  Il  gagne  sans  effort  la  bienveillance  des  poètes 
ses  confrères.  Pope  le  traite  sur  un  pied  d'intime  familiarité  *, 
collabore  à  son  œuvre  avec  zèle  et  avec  bonne  foi,  et  n'a  pas  à 
soD  adresse  une  seule  épigramme.  Des  hommes  que  séparait 
une  hostilité  violente  se  trouvent  rapprochés  dans  une  com- 
mune amitié  pour  lui  :  Pope  et  Hill,  par  exemple,  ou  Hill  et 
Quin.  Il  trouvait  tout  naturel  de  solliciter  de  Pope  un  secours 
pour  le  vieux  Dennis;  et  il  l'obtenait.  Il  s'est  fait  de  nouveaux 
amis  jusqu'à  la  fin  de  ses  jours,  et  ces  derniers  venus  n'ont  pas 
été  les  moins  chers  ni  les  moins  dévoués  :  témoin  Lyttelton  et 
Goliins.  Mais  il  n'a  jamais  perdu  que  par  la  mort  ceux  qu'il 
s'était  attachés». 

Voilà  le  caractère  dominant  de  cette  âme,  tel  qu'il  ressort  de 
toute  la  vie  que  nous  avons  racontée.  James  Thomson,  avec 
son  accent  provincial,  sa  mise  négligée  et  sa  bonhomie  noncha- 
lante, sans  le  charme  des  dehors,  et  sans  la  fascination  de  l'es- 
prit,  a  exercé,  sur  un  grand  nombre  d'hommes  distingués  et 
sur  quelques  hommes  supérieurs,  l'influence  qui  peut  rayonner 
d*une  âme  d'élite.  C'est  à  sa  bonté  simple  et  large  qu'il  dut 
^tte  puissance,  et  avec  elle  les  meilleures  joies  de  sa  vie. 

N*avions-nous  pas  raison  d'annoncer  que  sa  biographie,  à 
défaut  d'aventures  pathétiques  ou  de  piquantes  curiosités 
psychologiques,  placerait  cependant  devant  nous  un  spectacle 
^i  a  bien  son  intérêt  et  sa  beauté? 


1*  Il  lui  avait  envoyé,  pendant  le  voyage  de  Thomson  en  France  el  en 
'^ie  une  épttre  versinée.  C'était  un  rare  privilège.  Mais  il  n'a  pas  inséré 
^ctle  pièce  dans  ses  œuvres  et  en  a  transporté  une  partie  dans  sa  célèbre 
^Pilre  à  Arbulhuot. 

*  Park.  Pope,  as  1  hâve  heard,  used  olten  to  visit  Thomson? 

HicBARDso?(.  Yes,  frequently.  Pope  bas  sometimes  said  :  Thomson,  Dl 
^ftlk  to  the  end  of  your  garden,  and  then  set  ofT  to  the  end  of  Kew- 
^oot-lane  and  back.  Pope,  Sir,  courted  Thomson,  and  Thomson  was  always 
'dmitted  to  Pope,  whether  he  had  conipauy  or  not....  *  (Park*s  Mémo- 

2.  11  n'a  jamais  manqué  de  leur  donner  dans  ses  œuvres  une  place 
^^\  les  fait  participera  son  immortalité  :  témoin  Aikman,  Hammond,  miss 
Stanley,  Talbot  et  Rundle. 


DEUXIÈME    PARTIE 


LE   POÈTE 


Introduction.  —  Exposition. 

Les  véritables  événements  de  la  vie  de  Thomson,  ce  sont  les 
uvres  que  nous  allons  maintenant  étudier.  Ce  modeste  a  été 
n  révolutionnaire.  Cette  âme  simple,  sans  complications  ni 
étours,  a  donné  aux  lettres  anglaises  une  production  touffue, 
Tune  extrême  variété.  Nous  nous  proposons  de  l'examiner  en 
létail.  Nous  insisterons  d'abord  et  plus  particulièrement,  sur 
le  poème  original  et  puissant  des  années  de  jeunesse,  qui  a 
consacré  la  gloire  de  l'écrivain.  Lui-même  a  bien  senti  qu'il 
ivait  mis  là  le  meilleur  de  son  génie.  Nous  nous  arrêterons 
^ussi  sur  le  poème  délicieux  de  ses  dernières  années,  où  se 
"évèle  un  talent  assoupli,  mûri  et  affiné.  Mais  nous  ne  passe- 
rons pas  sous  silence  les  œuvres  qui  séparent- ces  deux  florai- 
^ns  extrêmes.  Sur  la  même  tige,  pendant  ce  long  intervalle,  se 
^nt  ouvertes  successivement  quelques  fleurs  pâles  et  frêles; 
^'autres,  larges  et  nourries  d'une  sève  généreuse,  ont  manqué 
^^  cette  subtile  harmonie,  de  cette  eurythmie  qui  fait  la 
^auté,  et  qui  signale  les  fleurs  parfaites  et  les  chefs-d'œuvre. 
'Ous  rechercherons  dans  les  petits  poèmes,  et  jusque  dans 
^  vers  de  l'adolescent,  les  traces  ou  les  promesses  du  génie  qui 
inspiré  les  «  Saisons  i»  et  le  a  Château  d'Indolence  i».  Et,  dans 
énorme  poème  de  «  La  Liberté  i»,  dans  les  six  pièces  données 
U  théâtre,  nous  étudierons  les  aspects  nouveaux  que  peut  pré- 
^nter  le  talent  du  poète,  en  même  temps  que  nous  constate- 
Ons  les  causes  pour  lesquelles,  dans  cette  voie,  cet  effort 
obuste  et  vaillant  était  voué  à  l'insuccès. 

14 


LIVRE   I 


« 


LES    SAISONS 


)) 


CHAPITRE  I 

LE   SENTIMENT   DE  LA   NATURE  DANS   LA   POÉSIE   ANGLAISE 

AVANT    «    LES   SAISONS    » 


I 

lia  raison  d'ôtre  de  cette  étude.  —  A  cpiels  noms 

elle  doit  s'attacher. 

Thomson,  disions-nous,  a  été  en  poésie  un  révolutionnaire, 
un  de  ces  initiateurs  qui  provoquent  —  ou,  selon  d'autres, 
qui  attestent  et  qui  consacrent  une  modification  du  goût,  un 
changement  de  direction  dans  la  marche  de  Tart.  Et  d'autre 
part,  il  est  d'une  vérité  banale  de  dire  qu'en  ramenant  la 
nature  dans  la  poésie  il  n'a  fait  que  suivre  l'inspiration  cons- 
tante du  génie  anglais.  Nous  aurons  à  préciser  ces  deux  affir- 
inations,  à  montrer  comment  elles  s'accordent  et  se  com- 
plètent. Pour  cela,  après  avoir  rappelé  brièvement  quelle  a  été 
1  importance,  dans  l'histoire  de  la  littérature  anglaise,  du  sen- 
^ment  de  la  nature  ;  après  avoir  exposé  ce  qu'il  était  devenu 
^ers  le  début  du  xvin<*  siècle  ;  après  avoir  ainsi  placé  le  poème 
^6  Thomson  dans  son  cadre  naturel,  dans  le  milieu  où  il  s'est 
Produit,  nous  apprécierons  l'œuvre  elle-même.  Nous  verrons 
^^ors  comment  elle  se  rattache  à  la  tradition  nationale  et 


212  JAHES  TflOHSON. 

comment  elle  s'en  éloigne;  par  où  elle  se  sépare  de  l'école  lit- 
téraire au  milieu  de  laquelle  elle  a.  surgi,  et  par  quels  points 
au  contraire  elle  s'y  relie. 

La  tâche  serait  longue  s'il  nous  fallait  poursuivre  noire 
recherche  dans  tout  ce  qui  eut  un  nom  et  une  valeur  durant 
les  trois  siècles  qu'avait  déjà  vécu  la  littérature  moderne  de 
l'Angleterre  lorsque  Thomson  y  vint  (ixer  sa  place.  Mais,  si 
l'étude  des  talents  d'arrière-plan  est,  au  même  titre  que  œlle 
des  génies  dominateurs,  la  tâche  de  l'histoire  et  de  l'éruditioD, 
il  n'en  va  plus  nécessairement  ainsi  de  la  critique  littéraire  ou 
artistique.  Pour  qui  veut  établir  la  filiation  d'un  individu  avec 
les  ancêtres  de  qui  procède  son  génie,  ce  n'est  pas  dans  [es 
masses  confuses  des  esprits  moyens  qu'il  convient  de  chercher. 
Dans  la  vie  de  l'art,  ce  qui  est  médiocre  est  sans  valeur;  ce 
qui  est  grand  existe  seul.  Cequiesti)anal  est  stérile  et  disparaît; 
seules  les  œuvres  hors  ligne  sont  fécondes,  et  leur  vie  se  prolonge 
dans  les  œuvres  nouvelles  qu'elles  inspirent.  C'est  là,  nous  pou- 
vons le  noter,  une  des  graves  objections  qui  s'élèvent  contre  cer- 
taine conception,  fort  en  faveur  aujourd'hui,  du  mouvement 
et  de  la  progression  dans  la  littérature.  Le  terme  d'évolution 
emprunté  aux  sciences  naturelles  etappliqué  aux  choses  litté- 
raires risque  fort  de  ny  être  qu'une  décevante  métaphore.  Koos 
en  pouvons  faire  ici  une  double  constatation.  —  Dans  lemonde 
des  organismes  solidaires,  il  n'y  a  pas  de  solution  de  continuité. 
Cha<iue  être  est  étroitement  déterminé  par  ses  ancêtres  directs; 
etleurinHuence  est  d'autant  plus  puissante  qu'ils  sont  plus  voi- 
sins de  lui  dans  le  temps.  Dans  le  monde  des  esprits  et  des  arts, 
au  contraire,  l'être  de  génie  peut  s'isoler  violemment  et  irapê-  ! 
rieusement  des  productions  qui  l'ont  précédé.  Un  Chaucer,  un 
Shakespeare,  un  Molière,  un  Gœlhe  donneront  aux  lettres  une  | 
œuvre  où  la  part  de  ce  qui  est  antérieurement  acquis  et  par 
eux  hérité  compte,  au  jugement  de  l'esthétique,  pour  bien 
peu,  à  cûté  de  ce  qui  est  l'apport  de  leur  génie  propre.  —  En 
second  lieu,  dans  l'évolution  des  organismes,  les  individus 
pèsent  d'un  faible  poids.  Les  divergences  qui,  chez  l'un  d'eux, 
peuvent  être  le  point  de  départ  d'une  évolution  nouvelle  appa- 
raissent comme  partielles  et  de  peu  d'importance.  Il  faol 
l'accumulation  de  circonstances  favorables  pour  qu'elles  devien- 
nent un  clément  actif  de  modification  de  l'espèce.  Et,  à  sup- 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     213 

poser  même  un  individu  doué  d'un  caractère  particulier  forte-  . 
ment  accusé,  son  influence  isolée  sur  les  générations  suivantes 
iras'afTaiblissant  de  plus  en  plus  et  finira  par  s'éteindre.  Au 
contraire,  un  grand  esprit  ou  un  chef-d'œuvre  se  distinguent 
vivement  dans  le  milieu  où  ils  paraissent,  soit  qu'ils  tranchent 
parle  contraste  d'une  originalité  vigoureuse,  soient  qu'ils  élè- 
vent à  une  puissance  suprême  les  caractères  déjà  manifestés 
par  d'autres.  Et  non  seulement  ils  se  placent  hors  de  pair, 
mais  leur  action  peut  s'exercer  sans  diminution  d'efl'et  à  tra- 
vers les  siècles.  Elle  peut  échauffer,  à  des  centaines  ou  des 
milliers  d'années  d'intervalle,  une  âme  congénère  qui  demeure 
insensible  aux  influences  ambiantes.  Thomson  rêvant  au  «  Ghàr 
teau  d'Indolence  »  oublie  tout  ce  qui  occupe  ses  contemporains 
pour  suivre  les  tableaux  lumineux  et  la  riche  musique  de 
Spenser;  Ghénier  écrivant  ses  pures  idylles  n'entend  point  ce 
que  produit  autour  de  lui  la  littérature  de  son  siècle  :  son 
oreille  est  pleine  des  accents  de  cette  voix  grave  et  merveilleu- 
sement mélodieuse  dont  lui  parle  la  poésie  grecque  *. 

Pour  savoir  quel  rôle  a  joué  le  monde  des  choses  dans  la  lit- 
térature anglaise,  nous  consulterons  donc  seulement  les  plus 
grands  parmi  les  maîtres,  assurés  que,  si  même  la  réponse 
fournie  par  leurs  œuvres  pouvait  n'être  pas  d'accord  avec  celle 
que  donneraient  les  productions  moins  célèbres,  n,ous  connaî- 
trions néanmoins  véritablement,  avec  l'esprit  des  œuvres 
d'élite,  l'esprit  même,  l'esprit  vivant  et  fécond  de  cette 
littérature. 

Les  grands  poètes  anglais  ont  eu  cette  intuition  d'une 
parenté  des  génies  à  travers  les  âges,  et  nous  pouvons  leur 
iemander  la  liste  de  ces  noms  qui  résument  l'originalité,  la 


1.  Oo  entend  de  reste  que  nous  ne  présentons  pas  ici  une  réfutation 
le  la  théorie  de  M.  Brunetière.  Sa  doctrine  de  l'évolution  considère  les 
enres,  non  les  individus.  Toute  la  science  et  toute  l'éloquence  dont  il 
appuie  peut  laisser  subsister  bien  des  doutes.  Le  Darwinisme,  vidant  de 
)ute  réalité  le  concept  du  genre,  ne  connaît  que  les  individus  :  il  peut 
arattre  singulier  que  la  critique  artistique  s'appuie  sur  le  Darwinisme 
our  faire  du  genre  l'objet  essentiel  de  son  étude.  Ce  n'est  pas  le  lieu 
'entrer  dans  pareille  discussion.  Mais  les  disciples  sont  tentés  de  donner 
jx  idées  du  maître  une  extension  qu'il  n'a  pas  demandée  pour  elles.  Ce 
>nl  ces  conséquences  injustifiées  que  nous  avons  en  vue.  Entre  le  monde 
es  choses  littéraires  et  celui  des  êtres  organisés  M.  Brunetière  a  montré 
irtaines  analogies  possibles;  il  n'est  pas  inutile  de  signaler  aussi  des 
ppositions  et  des  contrastes  certains. 


214  JAMES  THOMSON. 

puissance  el  la  beauté  des  lettres  anglaises,  et  Milton  »,  écrit 
Dryden,  «  lut  le  lils  poétique  de  Spenser;...  car  nous  avons 
a  nos  descendants  en  ligne  directe  et  nos  clans,  aussi  bien  que 
c  d'autres  familles.  Spenser  laisse  entendre  plus  d'une  fois 
«  que  rame  de  Ghaucer  avait  été  transfusée  en  lui,  et  qu'il 
a  avait  été  engendré  par  le  vieux  poète  mort  depuis  deux 
«  cents  ans  *.  »  —  Pope  ajoute  avec  justice  un  nom  à  cette 
liste  :  «  Il  est  facile  de  retracer  le  cours  général  de  notre 
«  littérature  :  Ghaucer,  Spenser,  Milton  et  Dryden  en  sont 
«  les  principaux  points  de  repère*  ».  Nous  aurons  complété 
rénumération,  si  nous  y  joignons  le  nom  de  Pope  lui-même, 
représentant  éminent  d'une  école  importante;  si  surtout  nous 
y  inscrivons  celui  du  plus  illustre  de  tous,  de  ce  Shakespeare 
que  Dryden  et  Pope  admiraient  Tun  et  l'autre.  S'ils  omettent 
son  nom,  c'est  sans  doute  parce  qu'ils  le  trouvent  trop  grand 
pour  être  rattaché  même  à  une  telle  famille.  Aucun  critiqixe 
n'a  pu  nous  apprendre  quel  fut  le  père  du  génie  de  Shakes- 
peare; aucun  poète  n'a  émis  la  prétention  d'être  son  descer*' 
dant  ou  son  héritier. 


II 

GeofCrey  Chaucer. 

Le  sentiment  de  la  nature  se  montre,  très  vif  et 
précis,  chez  le  plus  vieux  des  grands  poètes  de  l'Angletenr^» 
chez  ce  Ghaucer  dont  l'œuvre  clôt  une  longue  période  litt^^" 
raire  et  ouvre  l'ère  moderne  de  la  poésie.  Ses  sujets  ont  è^  "^ 
ceux  de  ses  contemporains,  ceux  des  siècles  antérieurs.  Il  ^ 
traduit  nos  trouvères,  et,  grâce  à  lui,  s'est  déroulé  dans  ^^ 
langue  des  Anglais  le  Roman  de  la  Rose,  avec  la  longue  théor  i^ 
de  ses  pâles  et  froides  allégories .  Il  a  fait  son  œuv^^ 
capitale  d'éléments  où  se  retrouvent  toutes  les  inspirations  ^^ 

1.  •  Milton  was  Ihe  poeticnl  son  of  Speascr,...  for  we  bave  our  line^i 
descents  and  clans,  as  well  as  other  families.  Spenser  more  than  once 
insinuâtes  that  Ihe  souI  of  Ghaucer  was  transfused  into  hls  body,  and 
that  he  was  be  go  tien  by  him  two  hundred  years   after  bis  decease.  • 
(Préface  to  Fables.) 

2.  •  It  is  easy  to  trace  the  gênerai  course  of  our  literature  :  Ghaucer, 
Spenser,  Milton  and  Dryden  are  Ihe  chief  landmarks.  » 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE   DANS   LA   POÉSIE  ANGLAISE.     215 

toutes  les  aspirations  du  moyen  âge,  depuis  le  noble  idéal 
chevaleresque  el  religieux  des  romans  jusqu'au  réalisme 
cynique  des  fabliaux.  Mais  à  ces  matériaux  que  le  long 
labeur  des  siècles  passés  avait  infructueusement  maniés  et 
brassés,  il  sut  ajouter  Fart,  grâce  auquel  ces  éléments  confus 
s'organisèrent  et  prirent  vie.  Aux  œuvres  diffuses,  amorphes, 
sans  discipline,  sans  unité,  sans  charpente  intérieure  et  sans 
harmonie  avec  la  réalité,  il  fit  succéder  un  poème  concis  dans 
son  large  cadre,  fortement  uni  dans  sa  variété,  partout  mer- 
veilleusement plein  de  mouvement  et  de  vérité.  Et  c'est  ainsi 
que,  8*il  n'a  pas  atteint  la  tragique  et  sublime  grandeur  de 
Dante,  il  a,  plus  complètement  que  Tauteur  de  la  «  Divine 
Comédie  >,  donné  une  expression  artistique  à  cet  effort  de 
plusieurs  siècles  qui  mepaçait  de  ne  laisser  derrière  lui  qu'im- 
puissance et  stérilité. 

Le  même  don  de  sympathie  vibrante  et  de  précision  dans 
'observation,  qui  lui  permet  de  comprendre  les  hommes  au 
nilieu  desquels  il  vit  et  de  les  faire  passer  dans  ses  poèmes,  si 
'ivement  crayonnés,  si  vrais  et  si  vivants,  le  même  don 
^(^aucer  l'applique  à  l'observation  de  la  nature.  Là  aussi  il 
^mplace  les  indications  vagues  et  banales  qui  se  rencontrent 
^ns  les  poèmes  d'autrefois  par  la  notation  franche  et  fortement 
foncée  d'impressions  qu'il  a  directement  ressenties. 
Les  exemples  à  citer  seraient  aussi  nombreux  que  les  pages 
^  poète,  car  il  décrit  volontiers  tout  et  à  tout  propos.  Ce  qu'il 
Surtout  au  cœur  cependant,  c'est  Tamour  des  choses  de  la 
mpagne.  Il  en  retrace  avec  complaisance  les  aspects,  même 
5  plus  simples  et  les  plus  ordinaires.  Son  œuvre  est  remplie 
s  êtres,  des  formes,  des  sons  et  des  parfums  de  la  nature 
stique.  Les  pèlerins  des  «  Récits  de  Cantorbéry  i»  cheminent 
aiment  sur  une  route  anglaise,  au  milieu  des  champs  et  des 
iines,  à  travers  les  villages  et  les  bourgs  de  la  vieille  Angle- 
're.  Tout  le  poème  est  baigné  de  grand  air  et  de  lumière,  et 
rtout  la  nature  fait  un  chaud  et  solide  fond  de  tableau  à  la 
valcade  bigarrée.  C'est  un  des  caractères  par  lesquels  le 
ème  se  sépare  le  plus  profondément  de  son  modèle  italien, 
.ndis  que  les  égoïstes  causeurs  du  «  Décaméron  i»  sont,  par 
poète  aussi  bien  que  par  leur  propre  décision,  isolés  du  reste 
i  monde,  tandis  qu'ils  ne  vivent  qu'une  existence  toute  men- 
te, les  personnages  de  Chaucer  doivent  en  partie  leur  relief 


216  JAMES  THOMSON. 

et  leur  vérité  dramatique  au  contact  toujours  senti  de  la  nature 
ambiante  ^ 

Aucune  recherche,  d'ailleurs,  aucune  afifectation  dans  ce 
rappel  du  monde  extérieur.  Les  effets  qui  reviennent  le  plus 
souvent  sont  ceux-là  mêmes  qui  depuis  longtemps  approvi- 
sionnaient les  trouvères  de  fades  lieux  communs  :  la  margue- 
rite et  la  rose,  le  chant  des  oiseaux,  la  fraîcheur  du  matin  et 
la  beauté  du  printemps.  Mais  la  différence  est  grande  entre  ces 
images  pâles,  estompées  et  sans  relief,  purs  exercices  de  vir- 
tuoses où  se  révèle  bien  rarement  un  détail  précU  de  chose 
vue,  et  les  tableaux  solidement  peints  de  Chaucer  où,  dans  un 
contour  précis  et  ferme,  les  objets  se  détachent  vivement,  déga- 
geant une  impression  nette  et  vigoureuse  parce  qu'ils  repro- 
duisent une  sensation  sincère  et  forte. 

Qu'on  se  rappelle,  entre  mille  traits  analogues,  cette  brève 
notation  d'une  aurore  : 

a   L'alouette  affairée,  messagère  du  jour,  —  salue  de  sa 

■ 

«  chanson  le  gris  matin,  —  et  Tardent  Phébus  s'élève  si 

a  radieux  —  que  tout  l'orient  rit  à  sa  vue,  —  et  de  ses  rayons 

a  il  sèche  dans  les  bosquets  toutes  les  gouttes  argentées  des 

a  feuilles  '.  t^ 

1.  Les  exemples  abondent.  On  connaît  surtout  le  début  du  Prologue. 
Voici  un  passage  plus  intéressant  encore  : 

•  Our  hoste  sey  wel  that  the  bryghte  sonne 

The  ark  of  his  artificial  day  hatli  ronne 

The  fourthc  part,  and  halfan  houre,  and  more; 

And  though  he  were  not  depe  expert  in  lore, 

He  wisle  it  was  the  cightetethe  day 

Of  April,  that  is  messager  to  May; 

And  sey  wel  that  the  shadwe  of  euery  tree 

Was  as  in  lengthe  the  same  quantitce 

That  was  Ihe  body  erect  that  caused  it. 

And  therfor  hy  the  shadwe  he  took  his  wit 

That  Phebus,  which  that  shoon  so  clere  and  bryghte, 

Oegrces  was  fyiie  and  fourty  clombe  on  hyghte.  • 

{Introduction  to  the  Man  ofLaw  's  Prologue.) 

2.  «  The  bisy  larke,  messager  of  daye, 
Saluëth  in  hirsong  Iho  morwegraye; 
And  fyry  Phebus  ryselh  up  so  brighte, 
That  ail  the  orient  laugheth  of  the  sighte, 
And  with  his  stremes  dryeth  in  Ihc  groves 
The  silver  dropes,  hanging  on  the  levés.  » 

{The  Knightes  Taie,  633-638,  Clarendon  Press  edit.) 

(Nous  ne  gardons  pas  cependant  la  leçon  de  celle  édition  qui  donne  au 
quatrième  vers  •  lighte  •,  moins  satisfaisant  que  •  sighte  ».] 


IMBNT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     317 

lette  description  d'une  forêt  au  renouveau  : 
grands  chênes  s'y  élevaient  —  sous  lesquels  le  gazon  de 
e  si  vive  —  avait  fraîchement  poussé,  et  chaque  arbre 
;sait  à  huit  ou  neuf  pieds  de  ses  voisins  —  et  déployait 
arges  branches,  chargées  de  feuilles  nouvelles,  —  qui, 
ouies,  masquaient  l'éclat  du  soleil,  —  quelques-unes 
rouges,  et  d'autres  d'un  vert  clair  et  gai  *  »• 
1  manifestement  là,  dans  la  minutie  de  l'observation  et 
justesse  de  touche  de  la  peinture,  quelque  chose  que 
en  âge  n'avait  pas  connu,  pas  même  dans  les  vers  gra- 
trop  parés  et  trop  spirituels,  du  rondeau  célèbre  de 
5  d'Orléans. 

cette  précision  aiguë  de  la  vision  qui  sauve  de  la  mono- 
es  descriptions  si  fréquentes  d'oiseaux,  d'arbres  et  de 
Dans  une  forêt,  Ghaucer  donne  à  chaque  arbre  sa 
lomie  propre.  De  chaque  oiseau  il  connaît  et  il  note  le 
Taspect,  le  mouvement  particulier  *.  Il  voit  tous  les 
des  objets,  et  en  même  temps  il  sympathise  avec  toutes 
lifestations  de  la  vie  des  choses.  Voyez  ce  que  lui  suggère 
3rse  de  printemps  : 
ind  les  douces  ondées  de  la  pluie  tombent  mollement, — 

«  In  A\'hich  were  oakis  gretc,  strcight  as  a  line, 
Uuder  Ihe  which  Uie  grass,  so  freshe  of  hew, 
Was  Dcwly  sprong,  and  an  eight  fote  or  nine 
Every  Ire  wel  fro  his  fellow  grew, 
W'ith  braunchis  brode,  ladin  with  levis  new, 
Thaï  sprongin  oui  agen  Uie  soone  shene, 
Some  very  red,  and  somc  a  glad  li^ht  grene.  » 

{The  Flour  and  Ihe  Leafe,) 

*  There  sat  1  down  among  ihe  faire  flouris 
And  saw  Ihe  birdes  tripping  out  of  Iher  bowris, 
There  as  Ihey  restid*  hem  Iiad  al  nighl, 
They  were  so  joyful  of  the  day'  is  lyghl, 
They  began  of  Mayc  for  to  done  hunouris. 

They  condin  wel  that  service  ail  by  rôle. 
And  there  was  many  a  fui  lovely  noie, 
Some  songin  loude  as  they  had  yplained, 
And  some  iu  olher  manir  Vdice  yfained 
And  some  songin  al  out  wilh  Ihe  fui  Ihrole. 

They  proynid*  hem  and  madin  'hem  right  gay, 

And  daunsidin,  and  Icplin  on  Ihe  spray, 

And  evirmore  were  two  and  two  in  fere  •,  etc. 

;e  passage  a  été  cité  et  traduit  par  M.  Taine,  Liltér,  angl,,  vol. 
lap.  III. 


218  JAMES  THOMSON. 

c  que  le  sol  bien  souvent  —  exhale  de  bienfaisantes  vapeurs, 
«  —  et  que  chaque  plaine  se  pare  richement  —  d'une  fraîche 
«  verdure;  que  les  petites  fleurs  —  éclosent  çà  et  là  dans  les 
t  champs  et  les  prairies,  —  si  bonnes  et  si  bienfaisantes  sont 
t  ces  ondées,  —  qu'elles  renouvellent  ce  qui  était  vieux  et 
t  mort  —  pendant  l'hiver  ;  et,  de  toutes  les  semences,  —  sor- 
t  tent  les  plantes  ;  si  bien  que  chacun  —  se  sent,  à  la  venue 
t  delà  saison   nouvelle,  tout  joyeux  et  léger  \  > 

Et  cependant  ces  descriptions  directes  ne  sont  pas  tout  ce 
qui  révèle  chez  Ghaucer  le  sentiment  et  l'amour  de  la  nature. 
Son  style  emprunte  à  tout  moment  au  souvenir  de  la  vie  des 
plantes  et  des  oiseaux  des  notes  qui  lui  communiquent  une 
fraîcheur  et  une  animation  exquises.  Tantôt  c'est  une  compa- 
raison prolongée  comme  celle  de  Cressid  avouant  son  amour: 

c  Tel  le  jeune  rossignol  timide  qui  s'arrête  d'abord  quand  il 
€  commençait  à  chanter,  —  parce  qu'il  entend  la  voix  d'un 
«  berger,  —  ou  le  bruit  de  quelqu*un  agitant  les  haies,  —  et 
«  qui,  rassuré,  déploie  sa  voix  *.  » 

Plus  souvent  encore,  c'est  une  indication  rapide  telle  que 
celle  qui  complète  la  description  du  costume  d'un  jeune 
écuyer  :  «  tout  brodé,  comme  une  prairie  pleine  de  fraîches 
«  fleurs  blanches  et  rouges  '  ». 


1.  «  Wlien  sliouris  sole  of  raio  descendid  sofl, 
Causing  tlie  ground,  fele  limes  and  oft, 

Up  for  to  give  many  a  wholesome  air, 
And  cvery  plain  was  yrlothid  faire 

Wilh  newe  grene,  and  makilh  smale  flours 
To  springen  hère  and  there  in  field  and  mede. 
Se  very  gode  aod  wholesome  be  the  shours, 
That  tliey  renewin  Ihat  was  old  and  dede 
In  winter  time,  nnd  out  of  every  sede 
Springeth  ttie  Jierbe,  so  thaï  evcry  wight 
Of  Ihis  seson  venilh  richt  glud  and  lighl....  » 

{Troilus,  cité  par  Taine,  vol.  I,  p.  i87.) 

2.  •  And  as  the  newe  aba^hcd  nightingale 
That  slinteth  lirst  whan  she  begionelh  singe, 
Whan  that  she  heareth  an  y  heerdes  laie, 

Or  in  the  hedges  any  wight  stcaringe, 
And  after  siker  doeth  her  voice  outringe.  » 

(Ttx>nus  and  Creséid,  liv.  III,  m-l8i.) 

3.  •  Embroudcd  was  he,  as  il  were  a  mede 
Al  fui  of  fresshe  floures,  whyte  and  rede.  » 

(r.  C.  The  Prologue,  89,  90.) 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE.     319 

Ainsi,  la  nature,  directement  sentie,  et  rappelée  avec  un 
ntarissable  plaisir,  figure  partout  dans  Tœuvre  du  père  de  la 
oé8ie  anglaise.  Elle  ne  s'y  montre  pas,  il  est  vrai,  sous  ses 
spects  exceptionnels,  ni  avec  ses  spectacles  imposants  ou 
randioses.  C'est  la  nature  aimable  et  riante,  telle  qu'elle 
ouscharme  dans  la  jeune  saison  et  dans  les  matinées  radieuses, 
'est  bien  celle  qui  convient  à  une  littérature  jeune  elle-même, 
aiciie  et  pleine  de  promesses  comme  une  aurore.  Dans  ces 
miniers  chefs-d'œuvre  nous  ne  trouvons  pas  seulement  le 
>u venir,  mais  comme  la  sensation  même  de  la  campagne  au 
'intemps.  On  pourrait  appliquer  au  poète  le  vers  par  lequel 
résume  le  portrait'  du  jeune  seigneur  :  a  il  avait  toute  la  fraî- 
leur  du  mois  de  mai  *  ».  —  «  A  lire  Chaucer  »,  dit  M.  Lowell, 
poète-critique  américain,  a  il  semble  qu'on  marche,  au  lever 
du  soleil,  sur  le  gazon  couvert  de  rosée.  » 


III 


Shakespeare. 

>i  Chaucer  a  le  don  de  création  dramatique,  son  poème  est 
rendant  avant  tout  narratif,  et  la  description  des  choses  y 
nt  facilement  prendre  place.  Il  pourrait  n'en  être  pas  de 
me  d'un  pur  dramaturge.  On  connaît  de  grands  tragiques 
it  les  personnages,  merveilleusement  analysés  et  fouillés, 
ent  dans  un  monde  de  passions  et  de  pensées  qui  s'isole  de 
matière  et  ignore  les  réalités  extérieures.  Tout  autre  est  le 
actère  du  théâtre  de  Shakespeare.  S'il  n'était  pas  d'abord  le 
s  grand  des  poètes  dramatiques,  on  pourrait  voir  en  lui  le 
s  grand  des  poètes  descriptifs,  parce  qu'il  n'en  est  pas  un 
,  avec  une  plus  admirable  puissance,  fasse  paraître  à  nos 
IX  les  objets  du  monde  sensible,  pas  un  qui  ait  plus  con- 
nment  ni  plus  intimement  mêlé  à  toute  son  œuvre  les 
DUS,  les  sensations  et  les  impressions  de  la  nature. 
1  serait  oiseux  d'insister  sur  ce  dernier  point  :  ce  serait  la 
gue  môme  de  Shakespeare  qu'il  faudrait  étudier.  Qui  ne 

«  He  was  as  fresh  as  is  Ihe  monlh  of  May.  » 

(/6t(/.,  V.  92.) 


220  JAMES  THOMSON. 

sait  que  ce  style  est  fait  de  métaphores,  embryonnaires  ou 
pleinement  écloses,  pour  lesquelles  le  poète  puise  avec  une  pro- 
digieuse variété,  avec  une  originalité  et  un  bonheur  merveil- 
leux dans  le  réservoir  des  formes,  des  couleurs  ou  des  sons  du 
monde  matériel?  Il  n'est  pas  une  idée  ou  un  sentiment,  semble- 
t-il,  qu'il  ne  traduise,  ou  au  moins  dont  il  ne  colore  ou  ne  for- 
tifie l'expression  par  une  image.  Il  aurait  épuisé  ce  pouvoir 
d'expression  des  choses  si  un  pareil  trésor  ne  défiait  la  prodi- 
galité la  plus  folle.  «  Shakespeare  a  possédé  plus  qu'aucun 
«  poète  le  pouvoir  de  faire  servir  la  nature  à  ses  besoins 
«  d'expression.  Sa  Muse  impériale  jongle  avec  la  création 
t  comme  avec  une  marotte  qui  passe  d'une  main  à  l'autre; 
a  il  remploie  à  revêtir  d'une  forme  sensible  la  plus  capricieuse 
«  pensée  qui  vienne  flotter  sur  son  esprit  *.  > 

Ce  serait  un  dessein  plus  réalisable  de  relever  les  tableaux 
insérés  par  le  poète  au  milieu  de  ses  drames,  ou  les  coups  de 
pinceau  par  lesquels  il  lui  arrive  sans  cesse,  au  milieu  de  ses 
dialogues  rapides  et  emportés  par  l'action,  d'évoquer  à  nos 
yeux  un  objet,  une  scène,  un  vaste  ensemble  mème^  perçus 
aussitôt  avec  la  netteté  aiguë  et  l'éblouissante  clarté  queféclair 
projette  sur  un  paysage.* 

Les  poèmes  de  jeunesse  sont  là  pour  nous  dire  avec  quelle 
puissance  et  quel  a  gusto  t)  Shakespeare  se  laisserait  aller  au 
plaisir  de  décrire,  si  son  génie  dramatique  n'avait  impérieuse- 
ment écarté  la  tentation.  Les  mythologiques  amours  de  c  Vénus 
et  Adonis  »  ont  pour  cadre  un  paysage  tout  anglais,  richement 
et  complaisamment  peint,  et  tout  rempli  des  notations  précises 
delà  vie  rustique.  Mais  le  dramaturge  nous  présente  rarement 
une  description  prolongée.  Encore  ces  tableaux  ne  sont-ils 
jamais  des  hors-d'œuvre;  ils  ont  toujours  une  valeur  drama- 
tique. Est-il  besoin  de  rappeler  ces  fragments  qui  figurent 
dans  toutes  les  anthologies,  qui  tous  y  brillent  comme  d'in- 
comparables morceaux  de  bravoure,  et  qui  tous  cependant 
ont  perdu  quelque  chose  de  leur  éclat  et  de  leur  beauté  comn^e 
un  fragment  isolé  de  la  mosaïque  dont  les  valeurs  voisines 

1.  -  Shakespeare  possesses  the  power  of  subordinaling  nature  for  l»^ 
purposes  of  expression,  beyond  ail  poets.  His  impérial  muse  tosses  Uie 
création  like  a  bawble  from  hand  to  hand,  and  uses  it  to  embody  any 
caprice  of  thought  that  is  uppermost  in  his  mind.  »  (Ehbrson,  Essaya  • 
Nature,) 


SNTINBNT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     321 

aplétaîent  la  sienne?  Qui  n'a  devant  les  yeux  la  mer  en 
eur  telle  que  la  contemplent  avec  effroi  Desdémone  et  les 
nitiens  sur  la  côte  de  Chypre  »,  ou  telle  que  nous  Tenten- 
is  siffler  et  mugir  autour  du  vaisseau  de  Périclès  *  ?  Le  rêve 
Clarence  '  nous  montre  le  paysage  mystérieux  de  l'abime 
^  autant  d'émouvante  précision  qu'Edgar  en  apporte  à 
crire  la  mer  vue  du  haut  de  la  falaise  vertigineuse  de 
•uvres  \  La  forêt  de  c  Comme  il  vous  Plaira  d,  ou  la  sauvage 
:raite  de  Belarius  dans  c  Gymbeline  i»  ont  pour  nous  une 
istence  aussi  réelle,  un  caractère  aussi  fortement  imprimé 
r  notre  imagination  que  ces  prés  et  ces  jardins  de  la  cam- 
$nie  anglaise  dont  la  fraîche  vision  reparait,  à  toutes  les 
riodes  de  la  carrière  du  poète,  dans  des  pièces  telles  que 
Peines  d'amour  perdues  i^,  «  Les  Joyeuses  Commères  de 
indsor  i»  et  le  t  Conte  d'Hiver  ^, 

El  quant  à  ces  brèves  évocations  où  l'on  ne  sait  s'il  faut  plus 
mirer  la  magie  avec  laquelle  la  perception  d'une  chose  réelle 
>us  est  suggérée  ou  l'effet  dramatiq  ue  tiré  par  le  maître  de  cette 
^nce  des  choses,  est-il  une  seule  de  ses  trente-sept  pièces 
ti  n'en  fournisse  plusieurs  exemples?  Il  n'avait  pas  besoin  de 
cors  le  peintre  qui  savait  fixer  ainsi  en  quelques  mots  la 
sne  de  c  Roméo  et  Juliette  d  au  pays  des  nuits  tièdes  et 
mineuses  : 

<  Ange  brillant,  tu  es  —  radieuse  comme  cette  nuit,  et  ton 
éclat  égale  —  celui  d'un  de  ces  messagers  ailés  du  ciel,  — 
que  les  hommes  contemplent  étonnés...  —  quand  il  passe 
sur  les  lents  nuages  —  et  vogue  au  sein  de  l'air  **.  » 
«  Demoiselle,  je  le  jure  par  cette  lune  bénie  —  qui  de  là- 
haut  argenté  la  tête  de  tous  les  arbres  de  ce  verger  ^  t^ 


.  Othello,  acte  II,  se.  i. 

.  PericleSf  acte  III,  se.  i. 

.  The  Traqedy  of  King  Richard  III,  acte  I,  se.  iv. 

.  King  Lear,  acte  IV,  se.  vi. 

.  Romeo  and  Juliet,  acte  II,  se.  ii,  ▼.  26-32. 

'il  en  faut  croire  un  bon  juge,  Shakespeare,  seul  avec  Wordsworth,  a 

é  aussi  un  elTet  merveiUeux  du  soleil  sur  les  sapins  dans  ces  vers  de 

hard  II  : 

«  But  when,  from  under  this  terrestrial  bail, 
He  Ares  the  proud  tops  of  the  eastern  pines.  m 

Toir  Rusiiif,  The  Stones  of  Venice,  I,  p.  240,  241.. 
).  Romeo  andJuUetj  acte  II,  se.  ii,  v.  107,  108. 


222  JAMES  THOMSON. 

Ailleurs,  il  fait  tenir  dans  deux  vers  une  évocation  du  lieu, 
de  rheure,  des  froides  nuits  du  Nord,  et  de  ses  &mes  à  Timagi- 
nation  inquiète  et  sombre  : 

a  Que  s'est-il  donc  passé  —  pour  que  tu  viennes,  corps  sans 
t  vie,  comme  autrefois  tout  vêtu  d'acier,  —  revisiter  la  terre 
«  sous  les  pâles  rayons  de  la  lune  '  ?  i» 

Dans  les  tragédies  où  l'action  marche  du  pas  le  plus  emporté, 
les  images  gracieuses  ou  sinistres  se  rencontrent  à  chaque 
scène.  Trois  vers  de  c  Coriolan  i»  nous  font  connaître  Valeria, 
et,  du  même  coup,  par  une  série  de  vibrations  qui  vont  jus- 
qu'au fond  de  nos  esprits,  ils  éveillent  l'idée  de  la  vieille  Rome 
républicaine,  violente  et  dure,  mais  grave  et  de  mœurs  aus- 
tères : 

((  C'est  la  lune  de  Rome,  chaste  comme  le  glaçon  —  que  le 
«  gel  a  fait  de  la  neige  la  plus  pure  —  et  qu'il  a  suspendu  au 
€  fronton  du  temple  de  Diane*.  >  Et  dans  la  plus  sobre  et  la 
plus  concise  des  tragédies,  dans  ce  Macbeth  où  la  tourmente 
des  passions  et  des  événements  semble  ne  pouvoir  laisser 
aucune  place  à  l'observation  des  choses,  on  sait  quel  délicieux 
«  repos  1»  est  fourni  par  la  description  du  château  d'Inver- 
ness  ',  et  quelle  horreur  ajoute  au  drame  humain  la  violence 
déchaînée  de  la  tempête  *. 

Tout  cela  est  depuis  longtemps  établi;  nous  nous  reproche- 
rions d'y  insister  davantage.  La  nature,  elle  est  partout  dans 
l'œuvre  de  Shakespeare,  non  pas  comme  un  ornement  acces- 
soire, mais  comme  un  des  éléments  essentiels  de  son  système 
dramatique.  Dans  les  tragédies  où  les  passions  se  heurtent,  et 
où  l'humanité  grandie  emplit  la  scène,  une  part  est  faîte  au 
monde  matériel,  soit  que  la  vision  en  vienne,  comme  un 
accompagnement  harmonique,  ajouter  à  l'intensité  de  l'émo- 
tion (a  le  Roi  Lear  »,  <c  Macbeth  »,  a  Pericles  »,  etc.);  soit 
qu'elle  pose,  en  face  de  ce  monde  mobile  et  désordonné  des 
âmes,  l'antithèsee  de  la  nature  calme  et  bonne  (c  Gymbeline  », 
«  la  Tempête»,  a  le  Conte  d'hiver  »).  Et  il  en  est  encore  ainsi 
dans  ces  comédies  où  le  poète  semble  se  laisser  entraîner  par 

1.  Uamlety  Prince  of  Denmark^  acte  I,  se.  iv,  v.  51-53. 

2.  CoriolanuSf  acle  V,  se.  m,  v.  65-67. 

3.  MacffCth,  acte  I,  se.  vi.  —  Sir  Joshua  Reynolds  signalait  aux  jeunes 
peintres  l'heureux  eiïet  de  cette  scène  paisible  et  gracieuse  au  milieu  des 
violences  forcenées  du  drame.  {The  Eighlh  Discourse.) 

4.  Macbeth^  acte  II,  se.  ui,  y.  4C-53. 


SENTIMENT  DE  LA   NATURE   DANS   LA    POÉSIE   ANGLAISE.      223 

la  plus  capricieuse  fantaisie.  Jamais  en  réalité  nous  ne  per- 
dons terre  entièrement.  Les  joutes  d'esprit  de  ((  Peines  d'amour 
perdues  »  mettent  aux  prises  des  personnages  quintessenciés 
et  précieux,  dans  un  milieu  très  réel  de  prairies  et  de  bois 
où  croissent  les  pâquerettes  mi-parties  et  les  violettes  bleues, 
où  chante  Talouette  joyeuse  et  le  coucou  moqueur;  où  les 
jeunes  filles  font  sécher  leurs  jupes  d'été  *  ;  où  résonnent  les 
chants  rustiques  de  vrais  et  simples  paysans.  A  l'action  com- 
pliquée et  fabuleuse  du  «  Marchand  de  Venise  y>  se  mêlent  des 
scènes  à  la  fois  délicieuses  et  d'une  surprenante  valeur  de  réa- 
lisme '.  Les  petits  êtres  surnaturels  du   c  Songe  d'une  Nuit 
d'Été  >  sont  en  commerce  si  intime  avec  les  plantes  et  les  fleurs 
de  la  campagne  anglaise  que  nous  sommes  prêts  à  voir  en  eux 
lesgénieset  l'âme  même  de  ces  bijoux  vivants  *.  Dans  les  comé- 
dies aussi  bien  que  dans  les  drames  la  nature  est  utile  et  néces- 
saire au  poète.  S'il  ne  nous  y  emporte  pas  en  plein  pays  des 
songes  vaporeux,  ce  n'est  pas  seulement  parce  que  mille  traits 
d'une  observation  psychologique  exacte  nous  rappellent  au  sen- 
Ument  de  la  réalité,  c'est  aussi  parce  que  le  milieu  dans  lequel 
Se  meuvent  ces  êtres  de  fantaisie  est  toujours  le  monde  réel. 
Et  de  fait,  n'est-elle  pas  bornée  et  incomplète  la  psycho- 
logie qui  ignore  l'importance  dans  la  formation  d'une  âme  de 
<^es  mille  influences  des  choses  qui  sans  cesse,  et  même  dans 
1^  conditions  de  vie  les  plus  factices,  nous  pénètrent  et  nous 
Modèlent?  Shakespeare  n'isole  jamais  quant  à  lui  ces  deux 
termes  de  l'étude  du  poète,  l'âme  humaine,  le  monde.  Il  semble 
'^ême  que,  pour  lui,  ces  sensations  fournies  par  les  forces 
f  Oibiantes  forment  les  premières  assises  et  le  fond  de  notre  être 
^^tellectuel.  Ce  sont  elles  qui  remontent  à  la  surface  quand 
'^  autres  influences  s'aflaiblissent.  Ophélie  privée  de  raison 
^hante  les  fleurs  des  champs  et  des  bois  *,  le  vieux  Lear  se 
^Uvre  de  fleurs  sauvages  %  Falstaff  mourant  joue  avec  des 
^^urs  et  parle  des  prés  verts  ®. 

i.  Love*s  Labour's  Loêty  acte  V,  bc.  ii,  v.  904  et  suiv. 
^.  The  Merchant  of  Veniœ,  acte  V,  se.  i,  v.  54  et  suiv. 
3.  A  Midsummer  NighVs  Dreum^  acte  II,  se.  i,  v.  8  et  suiv. 
I.  HamM,  Prince  of  Benmark,  acte  IV,  se.  v. 

5.  •  NatureV  above  art  in  that  respect.  » 

(King  Lear,  acte  IV,  se.  vi,  v.  86.) 

«.  The  Life  of  King  Henry  F,  acte  II,  se.  m,  v.  17.  —  Sur  le  rôle  de  la 


224  JAMES  THOMSON. 


IV 


Edmuzid  Spenser. 

A  côté  du  grand  peintre  de  l'humanité,  voici,  dans  le  glorieux 
épanouissement  de  la  Renaissance  anglaise,  un  poète  bien  dif- 
férent. Nous  ne  chercherons  pas  chez  lui  cet  équilibre  du  pou- 
voir d'observer  et  de  Timagination  inventive  qui  fait  de  Sha- 
kespeare un  phénomène  unique.  Spenser  ne  prend  à  la  réalité 
sensible  que  les  éléments  de  ses  créations  idéales.  Pour  ali- 
menter chez  lui  un  intarissable  bouillonnement  de  visions  et 
d'images,  il  suffira  des  souvenirs  de  l'antiquité  classique  et 
d'un  minimum  de  formes  et  de  couleurs.  Son  œuvre  dous 
transporte  dans  un  autre  monde  que  celui  qui  nous  entoure,  et 
que  Shakespeare  a  dépeint.  Sous  la  magie  de  ses  vers,  lui- 
même  a  pris  soin  de  nous  dire  ce  qui  se  trouve.  Ce  n'est  <  que 
a  l'illusion  d'une  peinture,  —  et  nul  de  ceux  qui  respirent  l'air 
«  de  la  vie  ne  sait  —  où  se  trouve  cet  heureux  pays  des  Fées 
a  —  que  je  célèbre  tant  et  ne  montre  nulle  part  >  ». 

Entendons  par  là  qu'il  ne  le  fixe  en  aucun  point  de  la  terre 
Mais  il  ne  se  lasse  pas  de  nous  le  montrer.  Les  descriptions  d€ 
paysages  se  pressent  dans  son  poème  aussi  nombreuses  qu< 
celles  des  êtres  animés  *;  il  ne  s'y  arrête  pas  avec  une  moindr 


nature  daus  le  théAtrc  de  Shakespeare,  M.  de  Laprade  a  écrit  quelque 
lignes,  où  sans  doute  le  sujet  n'est  pas  creusé  profondément  et  où  man 
queut  los  «  documents  ».  Mais  la  sym|)athie  et  Tadmiration  de  l'auteu 
lui  dictent  d'éloquentes  et  péuêtrantes  observations  qui  sont  un  honneu 
pour  la  critique  fran^*aise.  Voir  la  préface  aux  Symphonies,  p.  14,  13. 

1.  «  Uight  well  I  wote,  most  miphty  Soveraine, 

That  ail  this  famous  antique  history 
Of  some  th'  abundance  of  an  ydie  braine 
Will  judged  be,  and  painted  forgery, 


Sith  Done  that  brcatheth  liviug  aire  does  know 

Where  is  that  happy  land  of  Faery, 

NVhich  I  so  much  doe  vaunt,  yet  no  where  show.  » 

(The  Faerie  Queene,  Bk.  U,  i.) 

2.  ti  A  chaque  détour  d'allée,  à  chaque  changement  du  jour,  une  stance. 
un  mot  fait  entrer  un  paysage  ou  une  apparition.  «  (Tainb,  Histoire  de  l(^ 
Littérature  anglaise^  t.  1,  liv.  II,  chap.  i.) 


>ENTIMBNT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     235 

mplaisance;  il  n'y  déploie  pas  une  moindre  richesse  de 
loris.  Sans  doute  ce  n*est  pas  le  monde  réel.  Peut-être  le 
)ète  a-t-il  voulu  se  garder  d'une  dissonance  possible,  en  évi- 
Ht  de  placer,  au  milieu  des  scènes  et  des  formes  qui  nous 
)nt  familières,  la  foule  hétérogène  et  brillante  de  ses  person- 
ages  :  dieux  païens  et  satyres,  chevaliers  et  allégories  du 
noyen  âge,  enchanteurs  et  nobles  dames  des  poèmes  italiens, 
îéants  et  fées  des  légendes  populaires.  Nulle  surprise  donc-  si 
lous  trouvons  à  la  t  nature  »  de  Spenser  le  même  caractère 
le  fantaisie  audacieuse.  Il  remplace  volontiers  les  forces  du 
nonde  matériel  par  les  poétiques  entités  de  l'antique  mytho- 
ogie.  Il  aime  mieux  reproduire  ou  imaginer  un  mythe  que 
loier  exactement  les  phénomènes  visibles.  Une  pluie  d'orage 
îst  déversée  par  Jupiter  irrité  sur  le  sein  de  sa  maîtresse  *.  Aux 
'ris  d'effroi  poussés  par  une  vertueuse  héroïne,  les  étoiles 
se  fondent  et  tombent  comme  des  larmes.  Phébus,  pour  fuir 
on  spectacle  révoltant,  recouvre  d'un  nuage  épais  son  visage 
rougissant  et  se  cache  de  pure  honte  *. 

Et  cependant,  de  même  que  tous  les  habitants  du  ce  Pays 
Féerique  »  ne  restent  pas  à  l'état  de  vagues  chimères,  parce 
^lu'ils  ont  reçu  le  don  de  vie,. qui  les  dispense  de  la  vraisem- 
blance, de  même  aussi  les  paysages  parmi  lesquels  la  fantaisie 
du  poète  les  promène  conservent  avec  la  nature  quelques 
points  de  contact.  De  tous  les  phénomènes  du  monde  sensible, 

1'  ft  The  day  with  cloudcs  was  suddcine  ovcrcast. 

And  angry  Jove  aa  hideous  storme  of  raine 
Did  pourc  into  his  Lcmans  lap  so  fast, 
That  everie  wight  to  shrowd  it  did  conslrain.  n 

(The  Faerie  Queene,  Bk.  I,  canto  I,  str.  vi.) 

ï^eul-être,  il  est  vrai,  avons-nous  aiïaire  ici  à  Virgile  plus  encore  qu'à 
^penser.  Le  poète  anglais  s'esl  cvidcmmcnt  souvenu  des  u  Géorgitjues  »  : 

«  Tum  pater  omnipotens  fecundis  imbribus  œtber 
Conjugis  io  gremium  lœtœ  descendil^  et  omnes 
Magnus  alit,  magno  commixtus  corpore,  fœtus.  » 

(Géorgiques,  liv.  Il,  v.  323.) 

^*  «  The  pitteous  maydcn,  carefull,  comfortlessc, 


....  with  loud  plaintes  importuneth  the  skyes, 
That  molten  starres  doe  drop  like  weeping  eycs; 
And  Pbœbus,  nying  so  most  sbamefuU  sight, 
His  blushing  face  in  foggy  cloud  implycs, 
And  hydes  for  shame.  » 

[The  Faerie  Queene^  Bk.  I,  canto  VI,  str.  vi  ) 

15 


226  JAMES  THOMSON. 

le  poète  s'est  attaché  à  celui  qui,  par  son  caractère  infinimeot 
variable,  se  prête  au.^^  jeux  capricieux  de  ses  créations,  et  dont 
la  magie  propre  défie  les  plus  merveilleuses  visions  de  Tart. 
Spenser  ne  nous  donne  guère  de  paysages  aux  formes  arrêtées, 
aux  couleurs  franches  et  vraies;  mais  il  a  fait  sien  le  monde  de 
la  lumière.  Le  soleil  ruisselle  dans  son  poème,  dore  et  fait 
briller  tous  ces  groupes  chatoyants  qui  s'y  meuvent.  Et  ce  n'est 
pas  seulement  du  grand  éclat  lumineux  qu'est  frappé  l'artiste. 
Il  observe  et  enregistre  les  effets  les  plus  subtils  de  la  lumière 
réiléchie  et  brisée.  On  peut  se  demander  si  jamais  poète  avant 
lui  a  fixé  dans  ses  vers  les  délicatesses  du  clair-obscur.  <  Le 
«  jeune  chevalier  ne  se  laissa  pas  arrêter,  mais  pénétra  dans  la 
«  sombre  caverne,  —  et  regarda.  Son  armure  brillante  produi- 
«  sait  —  une  faible  lumière  sombre,  très  semblable  à  l'ombre, 
a  —  et  il  put  voir  distinctement  le  monstre  affreux  '.  » 

Un  pareil  sens  de  la  lumière,  si  vif  et  si  juste,  contribue 
puissamment,  on  ne  l'a  pas  assez  remarqué,  à  cette  illusion 

1.  «  But,  full  of  Pire  and  greedy  hardiment, 

The  youlhfull  knighl  would  not  for  ought  bc  staide; 
But  forlh  unto  the  darksome  hole  he  went. 
And  lookcd  iu.  His  glislering  armor  made 
A  litlle  glooming  li^ht,  much  like  a  shade; 
By  Nvhich  he  saw  the  ugly  monsler  plaine.  » 

{The  Faerie  Queene,  Bk.  I,  canto  I,  str.  xn'.) 

Leigh  Ilunt  (hnaf/ination  and  Fancy)  a  remarqué  la  prédilection  du  poète 
pour  ces  eiïets  savants  de  lumière.  On  pourrait  citer  encore  cette  caverne 
de  Mammon  qui  n'est  éclairée  que  par  les  vagues  reflets  de  Ter  qui  en 
forme  les  murs,  le  sol  et  la  voûte  : 

«  Both  roofe,  and  floore,  and  walls,  were  ail  of  gold, 
But  overgrowne  with  dust  and  old  decay. 
And  hid  in  darkenes,  that  none  could  behold 
The  hew  thereoT;  for  vew  of  cherefull  day 
Did  never  in  Ihal  house  it  selfe  display, 
But  a  faint  shadow  of  unccrtein  lighl  : 
Such  as  a  lamp,  whose  life  does  fade  away, 
Or  as  the  Moone,  cloathed  with  clowdy  night, 
Does  show  to  him  that  walkes  in  feare  and  sad  aOright.  » 
{The  Faerie  Qneene^  Bk.  II,  canto  VII,  str.  xxix.) 

Au  premier  de  ces  exemples  on  peut  opposer  cet  autre  cfTet  d'une  armure 

réfléchissant  l'éclat  du  plein  soleil  : 

.  .  .    ,   ■       - 

«  One  in  hright  armes  embattciled  full  stroDg 
That,  as  the  Sunny  beamcs  do  glauQce  and  gl^de 
Upon  the  trcmbling  wave,  so  shincd  bright, 
And  round  about  him  threw  forlh  sparkling  fire, 
That  secmd  him  to  cnflame  on  every  side.  » 

{The  Faerie  Queene,  Bk.  II,  canto  V,  str.  u.) 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE.     327 

\  vérité  que  revêtent  les  invraisemblables  créatures  de  la 
Reine  des  Fées  ».  Or  cette  vérité-là  peut  suffire.  Réunissez 
s  architectures  les  pins  artificielles,  les  groupements  d'arbres, 
e  collines  et  de  nappes  d'eau  les  plus  factices,  les  anachro- 
ismes  les  plus  criants  de  costumes  et  de  personnages,  le  riche 
nveloppement  de  la  lumière  atténuera  tous  les  disparates  et, 
ur  une  toile  de  Claude,  donnera  à  des  scènes  imaginaires  un 
cachet  de  sincérité  et  de  vraisemblance.  C'est  au  même  titre 
lue  Spenser  peut  être  considéré  comme  un  grand  paysagiste. 
Par  un  autre  point  encore  cet  enfant  de  Londres,  ce  poète 
de  cour,  touche  à  la  nature.  S'il  ne  nous  a  pas  donné  la  pein- 
ture fidèle  des  grandes  scènes  du  monde  visible,  des  grands 
personnages  de  la  réalité  extérieure,  jamais  poète  n'a  fait  plus 
large  place  à  toutes  ces  choses  gracieuses,  douces  et  souriantes 
qui  charment  également  les  dieux  païens  et  les  villageois,  et 
qui  peuvent  être  mêlées,  sans  qu'il  soit  besoin  de  les  modifier, 
aux  rêveries  les  plus  idéales.  C'est  à  tout  le  poème  de  la 
«  Heine  des  Fées  b  que  nous  pouvons  appliquer  ce  qu'il  dit 
lui-même  du  <(  Bosquet  de  Bonheur  ^  »  :  «  Les  oiseaux  et  les 
«  voix,  les  instruments,  les  murmures  du  vent  et  de  l'eau,  tout 
«  y  forme  harmonie  ».  Avec  quelle  profusion  aussi  les  ileurs  y 
croissent!  Non  pas  la  fleur  symbolique  du  moyen  âge,  mais 
celles  qu'il  a  vues  en  effet  dans  les  campagnes  d'Angleterre, 
et  sur  les  bords  de  la  Mulla.  Elles  parsèment  ces  clairières 
ï^ondées  de  lumière,  où  se  déroulent  ses  nobles  visions;  elles 
^^  sont  pas  moins  nombreuses  sur  l'épais  tapis  des  forêts; 
-^les  tombent  en  pluie  et  se  mêlent  aux  cheveux  des  jeunes 
^lles  qui  fuient  sous  la  ramée*;  elles  parfument  l'eau  où  se 
^^igne  Chrysogone  3;  Vénus  les  répand  à  pleines  mains  sur  la 
[^ï^taine  où  Adonis  rafraîchit  ses  membres  fatigués  *  ;  et,  quand 
Occasion  s'en  offre,  le  poète  réunit  en  une  gerbe  brillante 
^Ule  fleurs  qu'il  se  plaît  à  décrire  ou  à  nommer  l'une  après 

1.  •  For  ail  ihat  pleasing  is  to  living  eare 

Was  theo  consorled  in  onc  harmonee; 
Birds,  voices,  instruments,  windes,  waters,  ail  a(;ree  : 

•  The  joyous  birdes,  shrouded  in  chearefull  sliade 
Their  notes  unto  the  voice  altempred  sweet.  • 
{The  Faerie  QueenCy  Bk.  II,  canto  Xll,  str.  lxx,  lxxi.) 

^.  The  Faerie  Queene,  Bk.  II,  canto  111,  str.  xxx. 
^.  Ibid,,  Bk.  m,  canto  VI,  str.  vi. 
^-  Ibid.f  Bk.  111,  canto  i,  str.  xxivi. 


228  JAMES  THOMSON. 

l'autre  :  «  Apportez  ici  l'œillet  et  la  pourpre  ancolie,  -—  avec 
«  des  giroflées  ; — apportez  des  grenadins  et  ces  œillets-giroflées 
<K  —  que  portent  les  amants;  —  jonchez  le  sol  de  narcisses,  — 
c  et  de  primevères,  et  de  boutons  d'or,  et  de  lis  aimés  :  —  la 
«  jolie  pensée  —  et  la  tleur  des  chevaliers  —  rivaliseront  avec 
€  la  belle  fleur-de-délices  »  ». 

Ce  n'est  pas  de  la  «  Reine  des  Fées  »  que  vient  ce  passage. 
Si  nous  comparons  à  la  grande  allégorie  épique  les  autres 
œuvres  du  poète,  nous  remarquerons  que  dans  les  poèmes 
secondaires  Tinfluence  de  la  nature  est  plus  directe  et  plus 
vive.  La  part  faite  aux  choses  inanimées  est  en  proportion  de 
l'intensité  d'émotion  qui  anime  ces  dilTérentes  pièces.  Dans  le 
a  Calendrier  du  Berger  »  où,  sous  une  fable  bucolique  et 
allégorique,  Spenser  exprime  souvent  des  sentiments  ou  des 
opinions  qui  lui  tiennent  fortement  au  cœur,  nous  trouvons 
plus  d'une  fois  des  notations  très  exactes  de  choses  rustiques*. 

1.  «  Bring  hethcr  thc  Pincke  and  purple  CuUambine, 

With  GelliUowres; 
Bring  Coronation»,  and  Sops  in  Wine, 

Worue  of  J*araiuoures  : 
Slrowc  me  the  groiind  witli  Daiïadowndillies, 
And  Cowdlips,  and  Kingcups,  and  loved  Lillies  : 

Thc  prctie  Pawnce. 

And  the  Clievisaunce, 
Shall  match  with  thc  fayre  flowrc  Délice.  » 

[The  Shepheard's  Calendet"  :  April.) 

2.  Voir  par  exemple  cette  description  des  arbres  en  hiver  : 

■  You  naked  troes,  whose  shady  leaves  are  lost, 

Whereiu  the  byrds  \vere  wont  to  build  their  bowre, 

And  nuw  are  clolhd  with  mosse  and  huary  frost, 

Insted  of  bloosmes,  whcrewith  your  buds  did  flowre.  « 

(Januafy.) 
•  FaJed  oak 

Whose  body  is  sere,  whuse  branches  broke, 

Whose  naked  arms  stretch  unto  the  Ore.  » 

(Feôruary.) 
Ou,  dans  la  deuxième  Kglogue: 

"  My  rat^^cd  rontes  al!  siiiver  and  shakc, 

As  docn  high  Towcrs  in  au  earthqnake, 

They  wont  in  the  wind  wagge  their  wrigle  tayles» 

Perke  as  a  Peacock;  but  now  it  avales.  » 

{Fehruary.) 

•  Seest  howe  brag  yond  Bullocke  bearcs, 

So  smirke,  so  smoothe,  bis  pricked  eares? 

His  bornes  bene  as  broade  as  Bainebowe  bent, 

Ilis  dewelap  as  lythc  as  lasse  of  Kent.  •  (fd.) 


MENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.  229 

comment  le  poète  rappelle  d'une  touche  sobre  et 
te  la  Mulla  sur  les  bords  de  laquelle  il  a  devisé  avec 
i,  dans  Colin  Clouts  corne  home  again.  Les  pièces 
ées  au  souvenir  de  Philip  Sidney  renferment  (sauf 
re  Astropîiel,  la  plus  froide  de  toutes)  de  nombreux 
escriptifs.  Quelques-uns  des  oc  Sonnets  j>  sont  de  purs 
ic  *,  et  Tun  d'eux  au  moins  traduit  comme  l'obsession 
ensation  ^  Enfm  dans  le  morceau  le  plus  lyrique  de 
ivre,  dans  cet  admirable  Epitlialamium  où  il  sonne 
s  fanfare  de  son  amour  heureux,  on  sent  un  ravisse- 
refond  dans  la  beauté  de  Tunivei^s.  La  nature  y  fournit 

de  ce  refrain  qui  sans  cesse  vient  associer  au  bonheur 
3  les  bois  et  leurs  échos  sonores. 


Milton. 

ipit  de  la  chronologie,  Milton  est  un  contemporain  de 
)eare  et  de  Spenser;  il  complète  avec  eux  la  glorieuse 
poétique  de  la  Renaissance  anglaise.  Il  appartient  & 
e  privilégiée  par  l'union  do  ces  deux  caractères  :  la 
de  la  pensée  et  la  recherche  passionnée  du  beau.  Il  a, 
son  maître,  une  foi  religieuse  intense  et  un  haut  idéal 
il  croit  que  le  don  de  poésie  a  été  mis  en  lui  pour  le 

exemple  le  sonnet  XIX  :  «  The  merry  Cuckow,  messenger  of 
,etc. 

«  Comming  to  kissc  her  lyps  (such  grâce  I  found), 
Me  seemd,  I  smelt  a  gardin  of  sweet  flowres, 
That  dainly  odoura  from  lliem  tlircw  around, 
For  damzels  fll  to  decke  tbeir  lovers  bowres. 
Her  lips  did  smcli  lyke  uiito  Ihe  Gillyflowers; 
Her  ruddy  cheekes,  lyke  unto  Roses  red; 
Her  snowy  browes,  lyke  budded  Bellamourcs; 
Her  lovely  eyes,  likc  Pincks  but  newly  spred; 
Her  goodly  bosomef  like  a  Strawberry  bed; 
Her  neck,  lyke  to  a  buncli  of  Cullambynes; 
Her  brest,  lyke  Lillyes,  ère  Ihcyr  leaves  bc  shed; 
Her  nipples,  like  yong  blossomed  Je^scmynes; 

Such  fragrant  flowurs  doe  give  inost  odorous  smcU; 

But  her  sweet  odour  did  them  ail  excell.  • 

(Sonnet  LXIV.) 


230  JAMES  TQOMSON. 

service  de  ses  convictions  *.  Et  comme  chez  Spenser  aussi, 
cette  aspiration  vers  un  but  élevé,  cette  sorte  d'apostolat  poé- 
tique est  associée  chez  Milton  à  un  sentiment  très  vif  de  la 
beauté  sous  toutes  ses  formes.  Dans  ses  œuvres  de  jeunesse 
nous  retrouvons  tous  les  motifs  inspirateurs  du  poète  que 
nous  venons  d'étudier  :  Téclat  radieux  de  l'antiquité  païenne, 
la  noblesse  morale  du  platonisme  et  de  la  foi  chrétienne,  la 
soif  d'idéal  et  le  charme  naïf  des  poèmes  chevaleresques  ou 
des  légendes  populaires.  Mais  il  y  ajoute  quelque  chose.  Si 
ces  premières  productions,  VAUegro^  le  PenserosOy  Cornus, 
Lycidas,  etc.,  méritent  d'être  considérés  comme  les  chefs- 
d'œuvre  les  plus  achevés  de  la  poésie  de  la  Renaissance, 
en  dehors  du  théâtre,  c'est  que  Milton  y  manifeste,  à  un  plus 
haut  degré  que  Spenser,  une  ferme  étreinte  de  la  réalité,  uo 
sentiment  large  et  profond  de  la  nature. 

E^t-il    besoin   de   rappeler  que  VAUegro  et  le  Penseroso 
énumèrent  avec  une  complaisance  ravie  les  spectacles,  \^ 
travaux  et  les  plaisirs  de  la  campagne?  Malgré  l'opinion  des 
critiques  à  qui  ces  tableaux  ont  paru  manquer  d'exactitude, 
est-il  rien  de  plus  justement  vu  et  noté  que  la  plupart  de  ces 
traits  descriptifs?  Sans  doute  l'imagination  seule  du  poète  a 
entendu  l'alouette  lui  chanter  à  la  fenêtre  une  joyeuse  aubade*. 
Mais  ce  sont  bien  des  impressions  directes  que  ce  bruit  «  du 
a  faucheur  qui  aiguise  sa  faucille'  »,ou  la  vue  de  «c  ces  meules 
c  fauves  qui  s'élèvent  dans  la  prairie  *  »,  de  a  cette  cheminée  de 
«c  chaumière  dont  la  fumée  monte  entre  deux  vieux  chênes*  h 
de  a  cette  lune  voyageuse  qui  semble  se  baisser  pour  franchir 
c  un  nuage  floconneux  ^  d,  de  <(  cette  petite  pluie  qui,  du  bord 
a  du  toit  laisse  tomber  à  intervalles  réguliers  ses  gouttes  sur  les 
a  feuilles  qui  bruissent'  ».  Les  scènes  merveilleuses  de  Corf^^^ 
se  déroulent  au  milieu  de  paysages  qui  ont  à  la  fois  l'éclat  des 
tableaux  de  Spenser  et  le  charme  pénétrant  des  champs  et  des 
bois  véritables.  Ce  sont  des  vallées  aux  broderies  de  violettes, 

4.  •  Milton  bas  acknowledgcd  to  me,  thaï  Spenser  vraa  bis  original»  * 
(Dryden,  Préface  to  Fables,) 

Dans  VAreopagitica  Millon  lui-môme  exprime  en  ces  termes  son  jug^' 
ment  8ur  Spenser  et  aa  conviction  que  le  poète  a  une  mission  morale  : 
«  the  sage  and  serions  Spenser,  whom  I  dare  be  known  to  tbink  a  bellcr 
teacher  that  Scotus  or  Aquinas.  » 

2.  VAUegro,  v.  46.  —  3.  Ibid.,  v.  66.  —  4.  Mid.,  v.  90.  —  5.  Ibid.,  ▼•  81» 
82.  —  6.  //  Penseroso,  v.  71,  72.  -  7.  îbid,,  v.  127-130. 


SENTIMENT   DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     231 

u'emplissent  la  voix  d'Écho,  la  douce  nymphe,  et  les  tristes 
hants d'amour  du  rossignol* ;  une  forêt  de  sombres  pins  dont 
es  cimes  noires  s'agitent  et  secouent  sur  le  voyageur  égaré 
'horreur  et  la  menace*;  des  clairières  où,  sur  le  bord  du 
ruisseau  à  la  surface  légèrement  ridée,  les  nymphes  des  bois 
ornées  de  parures  de  pâquerettes  célèbrent  leurs  veillées 
joyeuses  3;  des  âables  jaunes  où  dansent  les  fées  légères  et  les 
gracieux  lutins  %  des  sources  entourées  de  fragiles  roseaux*, 
des  rives  que  tapissent  les  primevères  à  la  tête  de  velours  •. 

Lycidas  commence  par  une  apostrophe  à  ces  plantes 
symboliques  :  le  laurier,  le  myrte,  le  lierre;  il  se  termine 
par  la  mention  de  bois  et  de  prairies.  Et  dans  le  poème  lui- 
même  que  de  souvenirs  des  choses  de  la  nature,  depuis  Ténu- 
raération  célèbre  des  fleurs  dont  le  poète  veut  joncher  la  tombe 
de  son  ami  %  jusqu'à  ces  nombreux  traits  de  description  qui 
tantôt  reproduisent  la  perception  précise  d'une  délicate  obser- 
vation, et  tantôt  évoquent  d'une  poétique  hnage,  plus  éloquent'e 
et  plus  suggestive  qu'une  longue  énumération  de  détails,  quel- 
qu'une des  apparences  familières  de  la  nature.  Est-il  rien  de 
plus  rustique  ou  de  plus  fidèle  que  ces  vers  où  nous  entendons 
k  bourdon  du  taon  sous  la  chaleur  étouffante  de  midi"?  que 
ceux  où  nous  voyons  s'allonger,  au  soleil  du  soir,  l'ombre  des 
collines'?  que  ceux  où  sont  dépeintes  ces  vallées  profondes 
que  hantent  les  faibles  murmures  des  ombres,  des  vents  capri- 
cieux et  des  ruisseaux  jaillissants,  et  dont  le  frais  repli  reçoit 
rarement  le  regard  de  l'étoile  néfaste  *°?  Et  d'autre  part  la  poésie 
'ïioderne  a-t-elle  jamais  retrouvé  plus  heureusement  le  don  de 
'réation  de  ces  mythes  à  la  fois  gracieux  et  merveilleusement 
Pittoresques  où  se  plaisait  la  poésie  des  Grecs?  Qu'on  se  rap- 
^lle  ces  «  prés  élevés  qui  apparaissent  lorsque  commencent 
à  s'ouvrir  les  paupières  de  l'Aurore  *^  »,  ou  «c  le  calme  matin 
s'éloignant  avec  ses  sandales  grises  *^  ». 

1.  Cornus,  V.  230-235.  —  2.  Ibid.,  v.  36-38.  —  3.  Ibid.,  120,  121.  —  4,  Ibid., 
117,  118.  --  5.  Ibid.,  V.  890,  891.  —  6.  Ibid.,  v.  898.  —  7.  Lycidas,  v.  142- 
0.  —  8.  Ibid,  V.  28.  —  9.  Ibid,,  v.  190.  —  10.  Ibid.,  v.  136,  138.  — 
.  Ibid.,  V.  28. 

12.  Lycidas.,  v.  187.  — Macaulay  a  1res  justement  note  ce  caractère  des 
emières  œuvres  de  Millon  que  dous  essayons  ici  de  préciser  :  •  Neitber 
icocritus  nor  Ariosto  had  a  flner  or  a  more  healthrul  scn^e  of  Ihe  plea- 
ntness  of  external  objects,  or  loved  bettcr  to  luxuriatc  amidst  sunbeams 
id  Qowers,  the  songs  of  ni^htiogales»  the  jiiice  of  summer  fruit?,  and 
le  coolness  of  shady  fountains.  »  {Essay  on  Milton.) 


332  JAMES  THOMSON. 

Trente  années  séparent  ces  premières  productions  del'œum 
épique  à  laquelle  est  attachée  surtout  la  gloire  de  Milton,  trente 
années  de  passions  ardentes,  de  haines  sans  mesure,  d'&pres 
luttes  aboutissant  à  une  défaite  sans  espoir.  Que  reste-t-il 
de  la  vive  et  lumineuse  imagination  qui  inspira  V Allegro  et 
Cornus  chez  le  polémiste  qui  pendant  vingt  ans  a  rédigé, 
argumenté  et  bataillé  en  pesantes  périodes  latines?  A  coup 
sûr  le  changement  est  profond  du  jeune  homme  pour  qui  tout 
spectacle  de  la  nature  était  une  joie  et  provoquait  un  chant, 
au  vieillard  aigri,  souffrant  et  aveugle  qui  dictait  le  c  Paradis 
Perdu.  »  Mais  cette  fêle  des  sens,  dont  il  avait  joui  si  pleine- 
ment, lui  avait  laissé  un  souvenir  trop  vivant  pour  que  la 
nature  fût  exclue  du  poème  qu'enfantait  son  génie  assoinbri 
et  en  même  temps  grandi.  Ce  n'est  pas  seulement  le  souvenir 
des  lectures,  c'est  aussi  celui  des  visions  d'autrefois  qui,  selon 
le  mot  délicat  et  poétique  de  Hallam,  «  venait  éclairer  sa  route 
c  sombre  et  solitaire  comme  la  lune  sortant  des  nuages  »  '.  Sans 
doute  les  paysages  qu'il  donne  pour  cadre  aux  scènes  de  son 
poème  surhumain  ne  sont  point  des  copies  de  la  Nature.  Ni  le 
Ciel  dont  le  sol  brille  comme  une  mer  de  jaspe',  que  traver- 
sent les  flots  d'ambre  du  fleuve  de  la  Félicité,  où  croissent 
l'amaranthe  et  les  fleurs  élyséennes  '  ;  ni  l'Eden  fortuné 
qu'entourent  d'infranchissables  murailles*,  où  d'une  source 
de  saphir,  s  échappent  des  ruisseaux  de  nectar  qui  coulent 
sur  un  lit  de  perles  et  de  sables  d'or%  pour  arroser  l'arbre  de 
vie  et  des  roses  sans  épines  ^;  ni  ce  monde  sans  couleur  et  sans 
forme  où  régnent  rAntiijue  Nuit  et  le  Chaos  et  qu'emplit  la 
lutte  sans  lîn  des  éléments  \  rien  de  tout  cela  n'appelle  des 
peintures  du  monde  réel.  Et  cependant  la  vision  de  ce  monde 
est  toujoui-s  présente  à  ces  yeux  de  l'àme  que  le  poète  demande 
à  la  lumière  divine  ^  En  quelque  région  merveilleuse  qu'il  pl^^ 
les  héros  de  son  poème,  lui-même  ne  renonce  pas  à  parcourir 
les  séjours  favoris  des  muses  :  claires  fontaines,  bosquets 
ombreux  ou  colline  ensoleillée*;  il  s'y  nourrit  de  pensées  et 

i.  •  The  rcmembrance  of  carly  reading  came  on  bis  dark  and  lonely  P^^"* 
like  llie  nioon  emer^çiiiff  froiii  Ihe  clomis.  »  {Introduction  to  Ihe  Litertït'^''^ 
Of  Europe  in  t /te   /J»",  t6^^  and  /7*^  rcnturirs. 

2.  Paradise  Lost,  Bk.  Ul,  v.  302-364.  —  3.  Ihid.,  v.  353,  359.  —  4.  /'«'«•i 
Bk.  IV,  V.  175  et  suiv.  —  5.  Ihid,,  v.  237-240.  —  6.  ifctrf.,  v.  2i6.—  7.  /*'«•' 
Bk.  n,  V.  890  et  suiv.  —  8.  Ibid.,  Bk.  Hl,  v.  53.  —  9.  ïbid,,  r.  27-2». 


STIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE.     233 

ouvenirs  qui  font  naître  en  lui  les  vers  harmonieux*.  Et 
grâce  à  cette  communion  persistante  avec  la  idéalité  qu'il 
ve,  pour  le  développement  de  son  œuvre  mystique,  une 
ue  toujours  éclatante,  pleine  et  ferme,  et  toujours  poé- 
e,  là  même  où  la  pensée  semblerait  ne  pouvoir  revêtir 
ine  forme  abstraite  et  froide.  Chaque  page,  presque  chaque 
évoque  devant  nous  quelque  image  du  monde  extérieur; 
lut  c'est  une  comparaison  hardie  et  frappante,  comme  celle 
>atan  déchu  mais  non  pas  entièrement  dépouillé  de  tout 
l  et  de  toute  beauté,  avec  le  soleil  voilé  au  matin  par  les 
nés  de  l'horizon  *;  comme  celle  aussi,  parmi  tant  d'autres, 
anges  frappés,  mais  non  pas  domptés,  avec  les  chênes  et 
sapins  foudroyés  qui  s'élèvent  flétris  sur  la  lande  '.  Sou- 
;  encore,  c'est  une  personnification,  qui,  plus  sûrement 
me  description  directe,  éveille  en  nous  l'écho  de  sensations 
3  souvenirs,  a  Voilà  que  l'Aurore,  faisant  sur  l'horizon  rose 
l'Est  ses  premiers  pas,  a  parsemé  la  terre  de  perles  étince- 
lles *.  »  —  a  La  Terre,  aclievée  par  la  main  du  Créateur, 
unit  charmante,  dans  son  riche  costume  *  »,  etc.  —  Et  enfin 
r)(l  le  poète  nous  peint  expressément  quelqu'un  des  grands 
cls  de  la  nature  qui  peuvent  trouver  place  dans  son 
re,  un  de  ceux  en  particulier  où  l'effet  est  dû  plus  aux 
de  la  lumière  qu'à  l'harmonie  des  formes,  il  atteint  une 
sance  descriptive  qui  n'a  jamais  été  dépassée.  Il  suffira  de 
fêler  ces  vers  dans  lesquels  Adam  éveille  sa  compagne  et 
ite  à  venir  goûter  avec  lui  les  grâces  du  matin  *,  ou  ceux 
1  lesquels  est  décrite  la  tombée  progressive  de  la  nuit  depuis 
)arition  d'Hespérus  jusqu'à  la  venue  de  la  Lune  qui  jette 
a  terre  son  manteau  d'argent  \ 

rapide  que  soit  cette  étude  du  sentiment  de  la  nature 
Milton,  elle  ne  saurait  négliger  un  des  traits  qui  carac- 
ent  toute  son  œuvre  :  «  Milton  d,  disait  Coleridge,  «c  fut, 
nme  poète,  plus  musicien  que  peintre.  »  il  entendait  par  là 
ses  descriptions  doivent  leur  charme  et  leur  puissance  à 
monie  et  à  la  magie  des  sons  plus  qu'à  la  fidélité  des  lignes 
îs  couleurs  ®.  Le  mot  resterait  encore  exact  si  nous  lui 


aradis'!  Losl,  v.  37,  38.  —  2.  Ibid.,  BU.  I,  v.  594-596.  —  3.  Ibid.,  v.  612-615. 
Ibid.,  Bk.  V,  V.  1.  —  5.  Ibid.,  Bk.  VII,  v.  501,  502.  —  6.  Ibid.,  Bk.  V,  v. 
suiv.  —  "7.  Ibid.,  Bk.  IV,  v.  598-609. 
lilton  était  musicien,  cl  Gis  d'un  musicien  —  comme  Pindare  ravail 


234  JAMES  THOMSON. 

doiinions  une  autre  interprétation.  Mil  ton  a  noté  plus  fréquem- 
ment, plus  cotnpiaisamment  et  plus  heureusement  qu'aucun 
poète,  sauf  Shakespeare,  les  sons  de  la  nature.  Et  ce  n*est  pas  là 
un  caractère  particulier  des  œuvres  écrites  quand  «  les  ailes 
c  de  la  Nuit  eurent  étendu  sur  ses  yeux  leur  ombre  épaisse  i. 
Déjà  les  premiers  poèmes  témoignaient  de  cette  perception 
délicate  des  bruits  qui  donne  à  ses  paysages  tant  d'animation 
et  de  vérité.  VAUegro  ne  renferme  pas  moins  de  vingt-trois 
notations  de  sons,  et  le  Peiiseroso  en  renferme  vingt.  L'air 
que  respirent  les  personnages  de  Cornus  est  animé  de  mille 
sons  divers,  chants  des  oiseaux,  murmures  des  bois  et  des 
ruisseaux,  voix  aériennes,  ou  bruyantes  orgies  de  la  troupe 
impure  de  Cornus.  Déjà  V  a  Ode  sur  la  Naissance  du  Christ  » 
renfermait  en  grand  nombre  des  effets  de  cette  nature,  et  quel- 
ques-uns d'une  délicatesse  extrême  :  «  Les  vents  ravis  etmuets 
«  baisèrent  doucement  les  eaux,  annonçant  à  voix  basse  des 
«  joies  nouvelles  à  TOcéiin  paisible  *  ».  Et  les  poèmes  des  der- 
nières années  abondent  à  leur  tour  en  notations  de  sons  dont 
quelques-unes  sont  restées  célèbres,  comme  cette  comparaison 
des  anges  déchus  qui,  se  levant  tous  ensemble  dans  lePandé- 
monium,  font  entendre  un  bruit  semblable  au  grondement  loin- 
tain du  tonnerre  *,  ou  ce  vers  de  sonorité  merveilleuse  qui 
nous  fait  entendre  Tappel  de  Satan  résonnant  dans  les  abîmes 
de  Tenfer  ^  Il  serait  exact  de  dire  que  Milton  est  le  poète  du 
son,  de  la  musique  des  choses,  comme  Spenser  est  par  excel- 
lence le  poète  de  la  lumière. 

Un  dernier  caractère  nous  reste  à  signaler  par  lequel 
Milton  dépasse  et  Chaucer  et  Spenser,  et,  avec  ce  Shakespeare 
aux  mille  âmes  qui  a  tout  compris,  tout  senti  et  tout  expriiw^» 
devance  notre  poésie  moderne  dans  son  interprétation  de  1* 
nature.  Le  monde  n'est  pas  seulement  pour  lui  un  panorama 
aux  spectacles  merveilleux,  une  source  de  beauté  et  de  joies. 
Il  y  voit  une  force  en  contraste  avec  l'humanité;  un  enseign^- 


élé,  dit-on.  —  Daate,  le  poêle  h  qui  l'on  a  le  plus  souvent  comparé  Mil^oo» 
était  lui  aussi  musicien.  (Voir  De  Vulgari  Eloquio.) 

1.  On  Ihe  Moming  of  ChrisVs  NativUyy  str.  v. 

2.  Paradise  Lost,' Qk  H,  v.  476,  477. 

3.  «  He  called  so  loud  thaï  ail  the  hollow  dcep 
or  hcU  reàounded.  - 

{Paradise  Lost,  Bk.  I,  v.  314,  315.) 


HTIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     235 

t,  une  influence  bonne  et  salutaire  pour  nos  passions; 
moitié  de  la  création  qu'il  tend  à  associer  étroitement  à 
autre  partie  qui  est  le  monde  des  âmes.  On  peut  suivre 
les  œuvres  poétiques  de  sa  jeunesse  le  développement 
ette  conception  du  rôle  des  choses  et  de  l'harmonie  de 
vers.  Déjà  VAllegro  et  le  Penseroso  unissent  V  a  état 
le  j>  qu'ils  expriment  aux  spectacles  de  la  nature.  Le  plaisir 
promet  à  ses  fidèles  Euphrosyne,  la  fille  de  Zéphyr  et 
Aurore,  c'est  avant  tout  la  jouissance  des  formes  et  dos 
eurs  des  choses,  l'éclat  radieux  du  soleil,  les  sons  et  les 
ums  de  la  campagne  '.  £t  de  même,  au  premier  rang  des 
que  la  divine  Mélancolie  assure  à  ceux  qui  la  suivent,  le 
c  place  la  contemplation  de  la  nature  sous  ses  aspects  de 
trantc  et  délicieuse  tristesse.  Ilnouspeintavec  ravissement 
larme  des  belles  nuits  où,  au-dessus  du  chêne  familier, 
hia  arrête  son  attelage  de  dragons,  où  le  rosignol,  c  si 
)dieux  et  si  mélancolique  d,  emplit  de  son  chant  les  bois 
icieux,  où  la  lune  semble  errer  comme  un  voyageur  égaré 
>  les  plaines  du  ciel,  où  le  son  lent  et  grave  d'une  cloche 
aine  apporte  une  note  si  triste  et  si  émue  sur  le  rivage  de 
er  sans  bornes  *. 

!  Cornus  nous  présente  la  même  union  des  réalités  maté- 
es à  nos  plaisirs  et  à  nos  tristesses.  Comus  associe  aux 
de  la  volupté  le  chœur  des  astres  qui  dans  leur  ronde 
le  entraînent  les  mois  et  les  années,  et  les  mers  dont 
agues  dansent  en  suivant  le  mouvement  de  la  lune,  et  les 
!s  jaunes  ou  les  sources  mystérieuses  que  hantent  les 
et  les  dryades  '.  Et,  d'autre  part,  la  jeune  fille  invoque  le 
irs  des  choses  bonnes  et  pures.  Perdue  dans  la  forêt  dan- 
ise  elle  fait  appel  à  Echo,  la  douce  nymphe  *;  un  nuage 
le  vers  elle  pour  la  guider  sa  frange  d'argent  '.  La  nature 
;e  une  saine  et  vivifiante  influence  qui  s'oppose  aux  malé- 
du  magicien.  La  pure  divinité  qui  seule  peut  briser  le 
oir  du  fils  de  Circé,  c'est  la  nymphe  d'une  rivière.  Et 
,  dans  Tépilogue  lyrique  qui  termine  le  Masque,  l'Esprit 
proposer  à  la  Vertu,  comme  récompense  suprême,  la 
contemplation  des  magnificences  de  l'univers. 


*  Allegro,  passim.  —  2.  //  Penseroso^  v.  56-16.  —  3.  Comus,  v.  112-121. 
'bid.,  V.  230  et  suiv.  —  5.  Ibid.,  v.  221-225. 


236  JAMBS  THOMSON. 

Lycidas  associe  plus  directement  encore  la  nature  à  une 
émotion  humaine,  a  Les  saules  et  les  verts  buissons  de  coudrier 
c  n'agiteront  plus  gaiement  leurs  feuilles  aux  doux  chants  de 
c  Lycidas  ^  »  Mais  c'est  la  nature  aussi  qui  console  Tami  laissé 
seul.  Il  arrache  aux  lauriers,  aux  myrtes  sombres,  au  lierre 
toujours  vert  leurs  feuilles  et  leurs  dures  baies  pour  honorer 
Lycidas.  Il  veut  que  sur  cette  tombe  les  vallées  jettent  leurs 
clochettes  et  les  mille  couleurs  de  leurs  petites  fleurs;  il 
invite  les  ravins  profonds  à  y  répandre  Témail  de  ces  jolis 
yeux  qui,  sur  le  gazon  vert,  boivent  les  pluies  délicieuses  *. 
Et  quand  sa  foi  religieuse  lui  montre,  dans  la  bonté  de  Dieu 
et  dans  le  bonheur  de  Tami  perdu,  la  vraie  consolation  de 
sa  douleur,  il  rêve  que  les  vertus  de  Lycidas  lui  auront  mérité 
cette  récompense  de  devenir  le  «c  génie  »  des  rives  où  il  est 
mort\ 

Enfin  les  traits  de  ce  genre  ne  sont  pas  absents  non  plus  du 
grand  poème  plus  <(  objectif  »  cependant  que  ceux  dont  nous 
venons  de  parler.  La  nature  a  une  sympathie  pour  rhomme 
dans  le  a  Paradis  Perdu  ».  Au  spectacle  de  la  faute,  a  la  Terre 
«  frémit  jusque  dans  ses  entrailles,  —  et  la  Nature  fit  entendre 
a  un  gémissement;  —  le  ciel  s'assombrit,  et,  murmurant  dans 
c  le  tonnerre,  pleura —  quelques  tristes  larmes  quand  le  péché 
«  de  rhomme  fut  commis  *  ». 


1.  Lycidas,  v.  37-i4.  —  Ce  irest  pas  sur  cp  point  même  que  nous  fondons 
le  titre  de  Millon  à  uuc  originalilé  parmi  les  poêles  descriptifs.  La  nature 
attristée  par  le  deuil  qui  emplit  l'âme  de  récrivain,  c'est  un  des  li«"^ 
communs  les  plus  anciens  et  ]e^^  plus  constants  de  la  poésie.  On  le  trou- 
verait à  toutes  les  époques  et  dans  toutes  les  littératures  depuis  ranliquit^ 
jusqu'aux  poètes  contemporains.  Et,  dans  la  longue  liste  des  pièces  &  '^ 
fois  descriptives  et  élégiaques,  il  faudrait  réserver  une  place  d'honneur, 
entre  certains  morceaux  de  Spencer  et  de  Milton,  à  ceux  de  Ben  Jonson. 
Dans  le  Sad  Shepherd^  quelques  passages  inspirés  de  Théocrite  etdeBio" 
sont  au  nombre  des  vers  les  plus  exquis  de  ce  genre,  qui  est  du  dumai"^ 
public  de  la  poésie. 

2.  Lycidas  y  v.  134  et  suiv. 

3.  Ibid.,  v.  182-185. 

•  Earth  trembled  from  lier  entrails,  as  again 
In  pangs,  and  Nature  gave  a  second  groan.  > 

4.  «  Sky  lowercd,  and,  mullering  thundcr,  some  sad  drops 
Wept  at  complctiou  of  Ihc  mortal  sin.  » 

{Paradise  Lost,  Bk.  IX,  v.  1000-1003.) 


(T  DE  LA  NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     237 


VI 


Dryden. 

vait  pu  traverser  vingt  ans  de  polémique  et  rester 
fut  une  fortune  unique.  Ce  que  les  successeurs  de 
ce  et  de  Spenser,  ce  que  Ben  Jonson  et  son  groupe 
iservé  de  la  grande  inspiration  poétique  avait  sombré 
)urmente  politique  eut  pris  fin. 
reste,  avant  la  révolution,  les  signes  de  décadence 
iiifestes.  L'école  littéraire  qui  fleurit  pendant  le  règne 
I"  est  loin  d'être  sans  valeur;  mais  elle  nous  appa- 
3  une  continuation  diminuée  et  afîaiblie  de  la  poésie 
^'Jizabeth.  Les  dramaturges  ont  acquis  une  remar- 
mce  de  la  scène,  et  cette  habileté  de  main  qu'assure 
3  expérience.  Ils  ont  conservé  le  don  lyrique  de  leurs 
urs,  ils  l'ont  même  développé  et  affiné  plus  que 
ait  les  maîtres,  à  l'exception  de  Shakespeare  et  de 
1  *.  Mais  la  puissance  dramatique  a  baissé.  Ces  dér- 
ives d'une  grande  école  ne  montrent  plus  ni  la  sûreté 
ion,  ni  la  vigoureuse  étreinte  de  la  réalité  qui  sont 
la  puissance  tragique  de  Shakespeare  et  de  ses  con- 
s.  Et  de  même,  la  poésie,  en  dehors  du  théâtre,  a 
juelques-unes  des  qualités  des  grands  poètes  dis- 
langue colorée  et  éclatante,  l'imagination  prodigue, 
)ontanée  et  chantante.  Mais  là  encore  la  fatigue  et  le 
rahissent,  dans  une  fidélité  moins  exacte  à  la  vérité 
,  dans  un  moindre  souci  et  un  moindre  pouvoir  de 
3  traduire  la  nature.  Le  monde  extérieur  n'est  certes 
de  cette  poésie;  mais  il  n'en  est  plus  l'intarissable 
I.  Les  images  qu'il  suggère  ne  sont  plus  aussi 
exactitude  n'en  est  plus  aussi  sûre;  leur  rôle  est  de 
us  subordonné  et  effacé.  Pas  un,  il  est  vrai,  de  ces 

mt  et  Flelchep,  Middleton,  Webster,  elc,  Mp.  Sainlsbury  a 
ite  des  pluH  remarquables  parmi  ces  arielles  souvent  déli- 
zahethan  litevature,  p.  313.)  Avec  les  derniers  dramaturges  de 
Massinger,  Ford,  elc.  (mais  à  l'exception  de  Shirley),  ce  don 
de  musique  légué  par  les  maîtres  est  épuisé,  quels  que  soient 
bauts  mérites  de  plusieurs  de  ces  écrivains. 


238  JAMES  THOMSON. 

poètes  Cavaliers  chez  qui  nous  ne  retrouvions  quelques  bril- 
lants souvenirs  de  Tadmiration  de  la  Renaissance  pour  la 
beauté  des  choses.  Mais  il  est  rare  que,  dans  ces  passages,  un 
trait  de  faux  goût,  une  infidélité  de  peinture  ne  viennent  nous 
rappeler  le  caractère  artificiel  que  tendent  à  prendre  ces  des- 
criptions *.  Celui  même  des  poètes  a  carolingiens  »  qui  est  le 
plus  imprégné  de  Tinfluence  des  champs,  Robert  Herrick,  ne 
voit  qu'une  portion  bien  limitée  des  apparences  diverses  delà 


1.  Voici,  par  exemple,  une  description  de  Gilcs  Fletcher  : 

•  Tlie  flowers-de-luce,  and  Ihe  round  sparks  of  dew 
Tiiat  hung  upon  their  azuré  leaves  did  shcw 
Like  Iwinkling  stars  that  sparkle  in  the  evening  bluc.  • 

(ChrisCs  Victory  and  Triumph.) 

11  y  a  une  observation  délicate,  et  faite  pour  charmer  un  impressio:*- 
nisle,  dans  cette  notation  de  la  couleur  particulière  du  feuiUage  du  ii^.  U 
est  vrai  que,  soit  pauvreté  de  la  langue,  soit  désir  d^appuycr  sur  Tobser- 
vation,  le  mol  •  azuré  •  exagère  le  caractère  signalé.  Mais  surtout  nous 
cessons  entièrement  d'avoir  à  faire  à  une  sensation  vraie,  sincèremeol 
rendue,  quand  ces  gouttes  de  rosée  sur  les  feuilles  du  lis  sont  comparées 
à  des  étoiles  élincclant  sur  le  bleu  sombre  du  ciel. 

Voici  de  Phiueas  Flechler  le  début  d'une  peinture  du  matin  : 

«  The  early  morn  lets  ont  the  peeping  day. 
And  strew'd  his  path  with  golden  marigolds.  - 

{T/te  Purple  Island.) 

Les  vers  sont  gracieux,  et  ingénieux  à  Texcès;  mais  les  détails  accu- 
mules dans  ces  deux  vers  n'ont  pas  cette  précison  et  celte  vérité  qui  f*'^ 
le  charme  de  tant  de  descriptions  analogues  chez  les  grands  poètes  tl^^' 
criptifs. 

11  serait  facile  de  multiplier  de  pareils  exemples;  mais  il  serait  de  toute 
injustice  de  ne  pas  signaler,  en  dépit  de  ce  mélange  d'une  verve  moinsi 
spontanée  et  d'un  goClt  moins  sûr,  de  très  heureux  passages  descriptifs 
chez  plus  d'un  de  ces  poètes.  Les  «  Pastorales  »  de  William  Browne  mani- 
festent un  vif  amour  de  la  campagne.  On  trouverait  chez  Wil.  Drummond* 
chez  Uabington,  chez  Herbert,  chez  Chamberlayne  ou  Waller,  maint  petit 
tableau  qui  mériterait  d'être  cité  à.  côté  de  la  description  gracieuse  d 
fraîche  du  printemps  que  donne  Carew  : 

•  Now  Ihal  the  winters  gone  »,  etc., 

ou  de  ces  vers  de  Vaughan  adressés  à  ce  qui  fut  jadis  un  arbre  : 

(i  Sure  thou  didsl  flourish  once,  and  maoy  springs, 
Many  briglil  mornings,  much  dew,  many  showers, 

Passed  o'er  thy  hcad:  many  lighl  hcarts  and  wings 
Wliich  now  are  doad,  logded  in  thy  living  towers. 

And  still  a  new  succession  sings  and  (lies, 

Fresh  groves  grow  up,  and  their  grcen  branches  shoot 

Towards  the  old  and  still  enduring  skies, 

While  the  low  violet  thrives  al  their  root.  »  Etc. 


SENTIMENT   DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE.     239 

îe  de  la  terre.  Et  encore,  dans  ce  monde  gracieux  des  fleurs 
.ont  le  poète  des  roses  a  fait  son  domaine  *,  une  préciosité 
avante  et  la  préoccupation  de  lefTet  littéraire  nuisent  trop 
ouvent  au  charme  de  pièces  exquises  d'ailleurs  -. 

Mais  après  la  révolution,  après  la  longue  et  brutale  com- 
)ression  des  républicains,  après  le  régime  de  rude  austérité 
le5  puritains,  la  réaction  est  complète  contre  les  souvenirs,  les 
admirations  et  les  aspirations  d  autrefois.  La  société  de  la 
tleslauration  n'avait  cure  de  l'idéal,  ni  d'un  art  aux  nobles 
?t  hautes  jouissances.  Elle  vivait  pour  le  plaisir,  pour  les  ran- 
cunes politiques  et  pour  les  haines  religieuses.  La  poésie  se 
nnt  à  son  niveau.  Un  théâtre  sans  profondeur  et  sans  vérité 
vint  lui  fournir,  avec  une  mise  en  scène  somptueuse  et  une 
déclamation  sonore,  des  plaisirs  faciles  et  vulgaires.  Et  d'autre 
part  une  forme  poétique  nouvelle  apparut,  qui,  renonçant  aux 
rt'ves  d'antan,  aux  brillantes  chimères  et  aux  essors  audacieux, 
ï'evètaitdu  langage  des  vers  des  satires  haineuses  ou  des  dis- 

1.  •  Were  1  lo  give  thee  baptisme,  I  woM  chuso 

To  christen  Ihee,  the  Bride,  Ihe  Bashfull  Muse, 

Or  Muse  of  Roses.  » 

(Hesperides.  To  his  Muse.) 

«•  Il  faul  bien  justifier  ce  que  ces  remarques  comportent  de  critique  : 

«  Besides,  the  childhood  of  the  day  has  kept 
Against  you  corne,  some  orient  pearls  unwept  : 

Come,  and  receive  Ihem  while  the  lighl 

Hangs  on  the  dew-locks  of  the  night  : 

And  Titan  on  the  easlern  hi!l 

Retires  himselfe,  or  else  stands  still 
Till  you  corne  forth.  - 

Ce  n*est  pas  le  moins  charmant  des  passages  descriptifs  qui  abondent 
)ns  ce  chef-d'œuvre  exquis  :  Corinna^s  ffoing  a  Maying.  Mais  n'est-il  pas 
*ai  que  la  nature  y  joue  un  rôle  de  fantaisie?  Le  poète  erotique  est  sans 
^ute  ici  parfait;  le  poète  descriptif,  au  contraire,  cesse  d*ôtre  sincère  quand 
nous  montre  faurore,  les  plantes,  la  rosée,  le  dieu  du  soleil  lui-môme 
«servis  au  caprice  de  Tindolentc  Corinne. 

Ou  encore,  on  peut  regretter  la  présence  dans  Técrin  de  ces  bijoux  prc- 
eux,  de  plus  d'une  pièce  trop  ingénieuse,  où  la  virtuosité  de  Tartiste 
ilègueau  second  plan  la  nature  k\\\\  lui  fournit  un  sujet.  11  ne  se  contente 
is  de  chanter  les  fleurs;  il  veut  aussi  nous  apprendre  pourquoi  les  roses 
)nt  ronges,  les  lis  blancs,  on  les  primroses  vertes.  Los  pièces  un  peu 
laniérécs,  sentant  la  poudre  et  le  fard,  où  il  nons  fournit  ainsi  les  •  causes 
es  choses  •  ne  valent  pas  un  vers,  un  mot  d'émolion  simple  comme 
1  en  sait  aussi  trouver  : 

•  Foilow  me  weeping  to  my  turfe,  and  there 
Lel  fall  a  primrose,  and  with  il  a  teare.  » 

.  {ToPeriUa.) 


310  JAMES  THOMSON. 

eussions  politiques  et  religieuses.  Peut-être  eût*ce  été  l*aboù- 
tissemcnt  naturel  du  mouvement  que  nous  avons  plus  haut 
noté.  La  pensée,  sous  la  forme  de  raisonnements  et  d'exposés 
didactiques,  tendait  à  passer  de  plus  en  plus  au  premier  plan. 
Le  poème  descriptif  par  excellence  de  la  période  qui  prêche 
la  révolution,  c*est  le  Coopevs  HUl  de  Denham.  Les  digres- 
sions sentimentales  y  occupent  autant  de  place  que  la  peinture 
des  choses,  et  la  réflexion  morale  y  est  une  plus  puissante 
source  d'inspiration  que  la  jouissance  des  beautés  naturelles. 
Quoi  qu'il  en  soit,  avec  la  Restauration  la  transformatioA  est 
consommée.  Dans  la  littérature  qui  règne  alors,  Milton  est 
isolé,  comme  une  étoile  lointaine  *.  Il  vit  des  inspirations  et 
des  souvenirs  d'une  ère  close;  il  écrit  pour  un  âge  à  venir.  • 
L'Angleterre  est  fatiguée  de  l'exubérante  production  à  laquelle 
sa  poésie  a  fourni  pendant  plus  d'un  demi-siècle.  L'exemple 
de  la  France  était  là  pour  montrer  qu'une  forme  littéraire  où 
l'imagination  prévaut  moins  que  la  raison  peut  avoir  aussi  sa 
beauté.  i)lus  sévère  et  plus  froide.  Un  grand  écrivain  parut  à 
point  pour  donner  satisfaction  au  goût  nouveau  ;  et  le  génie  de 
Dryden  consacra,  pour  une  période  prolongée,  l'hégémonie  de 
l'esprit  classique  en  Angleterre. 

Dire  quelles  hautes  et  puissantes  qualités  Dryden  manifeste 
dans  son  œuvre  immonse,  ce  n'est  pas  notre  tâche.  Ce  qu'il 
nous  faut  constater  c'est  que  parmi  ces  qualités  ne  figure  pas 
le  don  d'évocation  du  monde  matériel.  Le  poète  est  trop  voisin 
des  grands  peintres  de  la  Renaissance  pour  qu'on  ne  retrouve 
jamais  chez  lui  quelque  reflet  de  leur  foyer.  Il  s'élève  parfois 
d'un   coup  d'aile  au-dessus  des   misères  scolastiques  de  ses 
sujets.  Une  image  éclatante ,  une  comparaison  bien  venue 
nous  donnent  alors  comme  un  écho  de  la  poésie  des  maîtres, 
et  ouvrent  quelques  échappées  sur  la  grande  scène  de  la 
nature.  Mais  on  sent  trop  qu'il  y  a  là  des  souvenirs  littéraires 
plutôt  que  des  observations  directes;  ce  n'est  pas  dans  les 
champs  ou  les  bois,  c'est  dans  les  vers  des  poètes  que  Dryden 
a  connu  le  monde.  Ces  passages  forment  du  reste  de  rares 
exceptions  *.  Discuter,  prouver  et  surtout  réfuter,  telle  est  l^ 

1.  «  llis  soûl  was  like  a  star  and  dvvelt  apart.  » 

{Word8UX}rth.) 

2.  .M.  Taine  en  a  relevé  <iuelquos-uns,  comme  ces  quatre  vers  charmant^ 
du  Prologue  &  la  seconde  duchesse  d'York  \0n  her  Return  from  Scoiland]    ' 


MENT  DE  LA   NATURE  DANS  LA  POÉSIE  ANGLAISE.     241 

î  de  Dryden,  Il  y  suffit  d'éloquence,  d'ironie,  de  pas- 
1  n'est  pas  besoin  d'y  réserver  une  place  aux  scènes  du 
matériel.  Et  ce  monde,  en  effet,  il  l'ignore  le  plus  sou- 
u  bien  il  lui  arrive  de  le  profaner.  Le  Léman  et  les 
ont  pour  lui  une  mare  et  une  muraille  *.  La  nature 
iitc  de  son  œuvre  parce  qu'il  ne  la  sent  ni  ne  l'aime. 
.  jolie  pièce  qu'il  adresse  à  son  cousin  John  Driden,  il 
[1  sans  agrément,  l'éloge  de  la  vie  d'un  gentilhomme 
nard  ;  mais  de  ces  hautes  jouissances  que  peuvent 
les  spectacles  de  la  nature,  il  n'est  pas  une  fois  ques- 
y  eùt-il  pas  d'autre  raison  que  celle-là,  Dryden  est,  par 
sensibilité  à  la  beauté  des  choses,  l'inlidèle  disciple  de 
espeare  dont  il  a  sans  cesse  le  portrait  devant  les  yeux, 
il  implore  la  bénédiction  avant  d'écrire,  il  n'est  pas 
Mit  inférieur  au  maître;  il  est,  quoi  qu'il  en  dise,  d'une 
ice  ". 


VII 


Pope. 

ij  Dryden,  après  son  œuvre  puissante,  mais  inégale  et 
,  tour  à  tour  brillante  d'une  vive  flamme,  puis  assom- 
fulijjfineusc,  il  reste  un  progrès  à  faire  à  l'école  clas- 
n  Angleterre.  Il  lui  faut  acquérir  le  don  de  mesure  et 
t;  il   lui  faut  assouplir  et  tremper  plus  finement  le 


!r  tlie  weeping  heaveiis  becomc  serene  »   (v.  26  el  suiv.).  On  eu 
ajouler  quelques   autres,   pas   beaucoup,  sauf   dans  les    Fables 
n  and  Arcite,  Bk.  I,  v.  170;  Bk.  Il,  v.  SU;  Bk.  III,  v.  123,  elc),  mais 
}l  le  vieux  Chauccr  et  non  pas  Dryden  qui  nous  charme. 

•  But  satire  wiil  hâve  room  where'er  1  wrilc.  » 

(Ta  Sir  (iodfrtn/  Knellery  v.  Oi.) 

<(  Whal  Ihough  your  native  keunel  still  be  small, 
Bounded  betwixt  a  pnddie  and  a  wall.  » 

ijhc  llind  and  the  Vanthcr,  v.  204,  205.) 

•  Shakespeare,  thy  pift,  I  place  before  my  sij,'ht; 
Wilh  awe  1  ask  his  blessing  ère  1  ^v^ite; 
With  révérence  look  on  his  majcstic  face; 

Proud  to  be  Icss,  but  of  his  godlike  race.  • 

{To  Sir  Godfrey  Kneller.) 

16 


242  JAMES  THOMSON. 

solide  métal  dont  était  faite  la  langue  de  Dryden.  Cette  transfor 
mation  qui,  toutes  proportions  gardées,  n*est  pas  sans  analogie 
avec  la  progression  par  laquelle  chez  nous  au  style  deCk)meille 
succéda  celui  de  Racine,  fut  la  tâche  et  fut  l'œuvre  de  Pope. 

On  sait  quelles  merveilleuses  aptitudes  révélait  dès  renfance 
le  futur  héritier  de  Dryden,  Il  bégayait  en  vers,  comme  ill'a 
dit  lui-même,  et  telle  était  sa  complète  possession  de  toutes  les 
ressources  de  l'art,  qu'avant  l'âge  d'homme  il  avait  produit, 
avec  r  «  Essai  sur  la  Critique  »,  un  chef-d'œuvre  dans  un  genre 
qui  semble  réservé  au  talent  mûri  par  les  années  et  nourri  par 
Texpérience.  Il  ne  lui  a  même  manqué  ni  l'exacte  perception, 
ni  le  talent  de  description  des  choses.  Il  faut  à  cet  égard  dis- 
tinguer dans  sa  carrière  littéraire  trois  périodes  distinctes. 
L'énorme  labeur  qui  correspond  à  ses  traductions  d'Homère 
remplit  ici  le  même  rôle  qu'a  joué  dans  la  vie  de  Milton  la 
période  d'agitations  politiques.  Nous  nous  trou vons,  après  cet 
intervalle  prolongé,  en  face  d'un  poète  différent  de  celui  que 
nous  avions  auparavant  connu.  Or,  les  œuvres  de  la  première 
période  font  seules  une  place  au  sentiment  de  la  nature.  Les 
imitations  de  Chaucer,  les  «  Pastorales  »,  la  <i  Forêt  de  Wind- 
sor »,  etc.,  nous  laissent  comprendre  que  le  poète  aurait  pu  être 
un  peintre  du  monde  matériel.  Gardons-nous,  du  reste,  de 
rien  exaj^érer.  Un  critique  éminent  exprimait  dans  une  étude 
récente  cette  opinion  que  le  premier  Pope  annonçait  des  qua- 
lités de  rare  et  précieuse  essence  qui  ont  été  plus  tard  et  sans 
compensation  faussées  ou  détruites  '.  Nous  pensons  au  con- 
traire que  la  vériUible  puissance  de  Pope,  le  plein  épanouisse- 
ment de  son  génie  se  trouvent  dans  les  épîtres,  les  satires  (y 
compris  la  Dunciad)  et  les  /issafjs  de  ses  dernières  années. 
Qucl(|iic  jugement  qu'on  puisse  porter  sur  le  genre,  le  poètey 
règne  sans  rival.  Il  n  aurait  jamais  ligure  que  dans  un  rang 
modeste  parmi  les  poètes  d'imagination,  de  passion,  de  lyrisme. 
Et  de  même  aussi  ses  peintures  du  monde  matériel,  précieuses 
à  noter  dans  les  premières  (cuvres,  parce  qu'elles  ne  se  retrou- 
vent plus  dans  les  dernières,  n'ont  pas  pour  effet  de  l'égaler 
aux  grands  poètes  de  la  nature. 

1.  «  Le  premier  Popo  est  tout  lyrique,  d'une  fantaisie  ailée  et  hardie, 
d'une  passion  vive  et  charmante,.-  il  nous  semble,  apercevoir  en  lui  un 
poète  en  puissance  bien  autrement  grand  que  celui  que  nous  connais' 
sons.  »  (Em.  Montéout,  Heures  de  lecture  d'un  critique,  p.  85,  86.) 


SENTIXBNT   DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE.     243 

Dans  bon  nombre  de  ces  poèmes  de  jeunesse,  il  voit  surtout 
!  monde  à  travers  les  œuvres  qu'il  imite  ou  traduit.  Les 
nages  qu'il  nous  en  donne  sont  un  reflet  indirect.  Si  dans  «t  le 
emple  de  la  Renommée  »,  dans  a  January  et  May  d,  dans  <l  la 
erame  de  Bath  »  nous  retrouvons  quelque  chose  de  cette 
)yeuse  ivresse  que  les  splendeurs  de  la  terre  inspirent  à 
haucer,  nous  sentons  bien  que  nous  le  devons  à  la  sève  puis- 
intc  du  vieux  conteur,  plutôt  qu'à  une  sympathie  de  génie  de 
)n  traducteur  *.  Parmi  les  nombreux  souvenirs  de  Virgile  qui, 
isérés  dans  les  a  Pastorales  »,  en  font  presque  d'ingénieux 
întons,  beaucoup  sont  descriptifs.  Leur  charme  nous  vient 
u  poète  latin,  quand  le  traducteur  ne  les  a  pas  gûtés  par  le 
lélange  d'un  faux  goût  qui  n'a  rien  de  virgilien.  La  pluie 
conde  et  joyeuse  deviendra  par  exemple,  grâce  à  une  très 
ïgjîre  modification  verbale,  les  larmes  silencieuses  de  Jupiter 
î  joignant  au  deuil  de  la  nature  ^  Et  quand  nous  rencontrons 
n  vers  de  Spencer  transporté  de  toutes  pièces  dans  V  «  Été  », 
se  détache  du  reste  par  une  franchise  d'allure  et  une  netteté 
image  qui  font  ressortir  le  caractère  artificiel  de  ces  petits 
oèmes  '. 

Mais  la  part  ainsi  faite  à  l'imitation  et  même  au  goût  maniéré 
un  très  jeune  écrivain,  il  faut  reconnaître  dans  quelques-uns 
aces  vers  descriptifs  de  Pope  une  fine  précision  qui  n'a  rien 
e  banal.  S'il  y  a  des  réminiscences,  elles  sont  très  heureuse- 
lent  appropriées,  fondues  et  confondues  dans  Tesprit  et  dans 
i  langue  du  poète  quand  il  nous  parle  de  a  brises  printanières 


i.  Par  exemple  dans  ce  passage  où  la  notation  de  quelques  faits  ualu- 
Is  Sert  à  Chaucer,  et  à  son  traducteur,  à  exprimer  plus  de  vraie  passion 
le  M.  Montogut  ne  réussit  à  nous  en  montrer  dans  tout  le  poème 
*  IK'ioîse  et  Abéiard  >  : 

•  Awake,  my  love,  disclose  tliy  radiant  eyes; 
Arise,  my  wife,  my  boauleous  lady»  rise! 
Hear  how  the  doves  with  pensive  notes  complain, 
And  in  soft  murmurs  tell  the  troes  their  pain  : 
The  wiriter's  past;  the  ciouds  and  tempcst  fly; 
The  sun  adorns  the  tields,  and  brightcns  ail  tJie  sky.  » 

[January  and  May^  v.  525,  530.) 

2.  «Jupiter  et  lîcto  descondet  plurimus  imbri  »  («  Kglof;ue  Vil  •,  v.  60) 
soient  chez  Pope  :  «  And  Jove  consented  in  a  silent  shower.  »  (Summer, 

3-  «  The  woods  shall  answer  and  their  ccho  ring.  • 

[Summer,  v.  16.) 


244  JAMES  THOMSON. 

a  qui  se  jouent  parmi  les  osiers  tremblants  i»  *,  quand  il  nous 
montre  «  entre  des  rives  pastorales,  la  Tamise  d'argent  — sur 
a  les  eaux  de  laquelle  dansent  les  rayons  du  soleil,  —  et  où  les 
9.  aunes  verdoyants  forment  une  ombre  frémissante  *  >. 

La  a  Forêt  de  Windsor  »  fournissait  au  poète  une  admirable 
occasion  de  développer  librement  ce  qu'il  y  avait  en  lui  de 
sens  de  la  beauté  des  choses  et  de  talent  descriptif.  Le  poème 
était  écrit  au  milieu  même  des  scènes  grandioses  ou  gracieuses 
qu'il  se  propose  de  peindre;  l'auteur  en  était  à  cet  âge  où  l'in- 
fluence de  la  nature  fait  le  plus  facilement  vibrer  une  ànie  de 
poète.  L'œuvre  cependant  ne  donne,  comme  les  précédentes, 
que  la  promesse  d'un  talent  de  peintre;  elle  manifeste  le  même 
pouvoir,  limité  de  sa  nature,  et  volontairement  comprimé  dans 
son  effet.  On  a  souvent  cité  la  description  du  faisan  blessé  par 
le  plomb  du  chasseur  \  Elle  est  en  effet  le  meilleur  spécimen 
qui  puisse  être  donné  de  Thabileté  de  Pope  dans  ce  genre.  H 
voit  avec  exactitude  les  aspects  superficiels  *;  il  n'a  pas  la 
sympathie  profonde  qui  sent  au-dessous  de  ces  apparences  la 
vie  intime.  Mais,  au  service  de  son  observation  un  peu  étroite 
et  sèche,  il  a  une  admirable  maîtrise  d'expression.  Ce  passage 
de  huit  vers  est  le  plus  important  de  ceux  où  Pope  s'arrête  à 
décrire  des  scènes  naturelles.  Il  en  est  d'autres  qui  ne  sont  pas 
sans  bonheur  : 

a  Ici,  en  pleine  lumière,  les  plaines  rousses  s'étendent;^ 
a  là  voilés  do  bruine  s'élèvent  les  monts  bleuâtres,  —  et  la 
a  lande  sauvage  elle-mênie  étale  les  tons  empourprés  de  ses 
«  bruyères  \  » 

a  Souvent  les  vanneaux  criards  sont  atteints  du  plomb  mortel 

1.  «  Let  vernal  airs  throu^'li  Irembling  osiers  play.  » 

{SprinQy  V.  5.) 

2.  «  Along  Ihc  silver  Thame, 

Wherc  dancing  sunbeams  on  llic  walers  played, 
And  verdanl  aldcrs  formed  a  (iiiivcring  sliade.  > 

(Swmwer,  v.  3,  *.) 

3.  Wi/uUor  Foresf^  v.  ill  et  sniv. 

4.  n  avait  |)endant  quelque  temps  étudié  la  peinture,  et  dut  peuU'lrc '^ 
cette  circonstance  la  minutieuse  justesse  d'observation  dont  témoifî»^'^ 
parfois  ses  «ouvres. 

n.  ••  Hcre  in  fui!  light  (he  russet  plains  exlend  : 

Tliere,  Mrapt  in  clouds  the  bliieisb  hills  ascend. 
Kven  the  wild  lieath  displays  her  purple  dyes.  • 

{Windsor  Forest,  v.  23.) 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  DANS  LA   POÉSIE  ANGLAISE-     245 

t  —  alors  que  de  leur  vol  agile  ils  tournoient  en  effleurant  les 
ibruvères  '.  » 

«  Au  printemps  quand  les  fraîches  vapeurs  se  traînent  sur 
t  la  prairie,  —  le  pêcheur  prend  son  poste  sous  l'ombrage  fré- 
t  missant  '.  » 

«  Dans  le  miroir  (du  Loddon)  le  berger  étonne  voit  souvent 
«—  les  monts  renversés  et  le  ciel  reflété;  —  Teau  lui  montre 
«un  paysage  de  bois  suspendus,  —  et  dans  Tonde  mobile 
«  tremblent  des  arbres  absents  '.  » 

Au  total,  cependant,  ce  qui  frappe  le  plus  dans  ce  poème 
descriptif,  c'est  la  faible  part  faite  à  la  description.  Ici,  bien 
plus  encore  que  dans  le  Coopers  Hill  de  Denham,  dont  nous 
pariions  plus  haut,  les  scènes  et  les  objets  naturels  ne  sont 
qu'un  prétexte  commode  et  un  cadre  sans  cesse  oublié  pour 
des  choses  très  différentes  :  personnifications  et  ressouvenirs 
d'une  mythologie  inanimée,  développements  historiques  ou 
moraux,  et  patriotiques  apostrophes. 

Eh  bien  !  cette  portion  si  modeste  à  laquelle  est  réduit  le 
monde  des  formes,  des  couleurs  et  des  sons,  ce  minimum  de 
description  introduit  dans  les  premières  œuvres.  Pope  mûri 
et  en  pleine  possession  de  son  talent  le  regarde  comme  un 
péché  de  jeunesse.  Ce  n'est  pas,  comme  paraît  le  croire  le  cri- 
tique dont  nous  avons  cité  l'opinion,  parce  que  ses  facultés 
poétiques  ont  subi  une  transformation.  Ne  le  voyons-nous  pas, 
après  1738,  collaborer  avec  complaisance,  avec  plaisir  et  quel- 
quefois avec  un  remarquable  succès  au  grand  poème  où 
Thomson  décrit  la  nature  sous  tous  ses  aspects  *?  S'il  fallait 
choisir  quelques  exemples  particulièrement  significatifs  du 
talent  de  peintre  de  Pope,  ce  serait  peut-être  dans  ces  notes 

1-  •  on,  as  ia  airy  rings  they  skim  Ihe  healh, 

The  clamerons  lapwings  fecl  Uie  leadcn  death  :  • 

(Windsor  Forest,  v.  131,  132.) 

2-  «  In  génial  spring,  bencath  the  quivering  shade, 
Wherecooling  vapeurs  brealhe  along  Uic  niead, 
The  paUent  Hsher  takes  his  sileot  stand.  • 

(Mit/..   V.  133-137.) 

3'  •  Ort  in  her  glass  Ihe  musini?  shepherd  spics 

The  he.idlongineiinlains  and  the  dQvvnvvard  skies, 
The  watery  laudscape  ef  the  pendent  woods, 
And  absent  trocs  that  tremble  in  the  floods.  > 

(Ibid,,  V.  211-214.) 

*•  Voir  plus  haut,  p.  146. 


246  JAMES  THOMSON. 

proposées  à  Thomson  qu'il  conviendrait  de  les  prendre.  Mais 
s*il  veut  bien  ainsi  concourir  à  l'œuvre  d'un  confrère,  il  a, 
pour  son  compte,  résolument  éliminé  cet  élément  des  poèmes 
de  sa  dernière  manière.  Il  ne  parle  que  pour  s'en  excuser,  et 
en  plaidant  les  circonstances  atténuantes,  de  cette  époque  où, 
dans  ses  vers,  a  la  pure  description  tenait  lieu  de  pensée  '  i. 
Il  est  tout  fier  de  s'être  élevé  à  une  conception  plus  raisonnable 
du  rôle  du  poète.  Il  revendique  le  mérite  a  de  ne  pas  s'être 
9.  attardé  dans  le  labyrinthe  de  Timagination,  mais  d'avoir  mis 
c  ses  chants  au  service  de  la  morale  *  ».  C'est  encore  la  même 
idée,  vue  sous  un  autre  angle  qu'il  exprime  par  cet  aphorisme  : 
c  La  nature  doit  céder  à  Tart  '  ».  Enfin,  la  doctrine  qu'ap- 
pliquaient ses  œuvres,  le  poète  la  prêchait  autour  de  lui. 
Voici  la  formule  qu'en  a  recueillie  un  critique  enthousiaste  : 
c  Mr.  Pope  était  d'avis  que  la  poésie  descriptive  est  une  com- 
c  position  aussi  absurde  qu'un  repas  où  l'on  ne  servirait  que 
«  des  sauces  *  ». 

1.  hpitre  &  ArbulhDot,  v.  148. 

2.  Ëpitre  à  Arbuthnot,  v.  336-341.  a  But  stooped  to  truth  and  moralized 
his  song  »,  est  une  imitation  du  vers  qui  terraiDe  la  première  strophe  de 
la  «  Reine  des  Fées  »  : 

«  Ficrie  wars  and  faithful  loves  shall  moralize  roy  song.  » 

3.  «  Nature  must  give  way  to  art.  » 

4.  «  Pope,  it  seems,  was  of  opinion  Ihat  descriptive  poetry  is  a  compo- 
sition as  absurd  as  a  feast  made  up  of  sauces  »  (An  Èssay  on  the  GeniuM 
and  WrUings  of  Pope,  by  Joseph  Warton),  p.  40-48,  the  5''  edil.,  Lond. 
1806. 


CHAPITRE  II 

LE    SENTIMENT  DE   LA   NATURE   DANS   LA   LITTÉRATURE 
ET    DANS   LA   SOCIÉTÉ   ANGLAISES   VERS    1725 


I 


Nous  avons  atteint  avec  Pope  Tapogée  de  cette  révolution 
ui  de  la  poésie  a  peu  à  peu  chassé  la  fougue,  Timagination,  la 
►assion  et  le  sentiment  de  la  nature,  pour  y  faire  régner  la 
aison  et  le  raisonnement,  les  calmes  exposés  didactiques,  ou 
as  aigres  personnalités  de  la  satire.  En  lui  se  sont  trouvés  unis 
•u  degré  le  plus  éminent  les  caractères  essentiels  de  Técole 
lassique.  S'il  est  vrai  qu'aucun  poète,  sauf  peut-être  notre  Boi- 
âau,  n'a  plus  complètement  ignoré  dans  son  œuvre  le  monde 
les  choses.  Pope,  au  service  des  idées  personnelles  sincères  ou 
empruntées  qu'il  exprime,  au  service  de  ses  doctrines  de  phi- 
osophie  morale  et  sentimentale,  de  ses  acerbes  jugements  de 
ïritique  ou  de  ses  rancunes  forcenées  de  poète,  a  déployé  un 
aient  de  style,  une  verve,  une  variété  de  ressources,  un  brio 
rexécution  qui  le  placent  comme  artiste  fort  au-dessus  de 
'écrivain  français.  L'éclatante  valeur  de  son  œuvre  allait-elle 
lonner  une  consécration  définitive  à  l'évolution  commencée 
ivec  la  Restauration?  Allait-elle  rendre  permanente  et  irrémé- 
liable  cette  déviation  du  génie  national  de  l'Angleterre?  A  ne 
voir  que  l'apparence  des  choses,  qui  ne  l'aurait  cru?  Au 
moment  où  Thomson  arrive  à  Londres,  la  tète  pleine  de 
visions  et  de  vers,  la  suprématie  littéraire  de  Pope  est  hors  de 


1 


2i8  JAMES  THOMSON. 


contcstalion.  Ceux-là  mêmes  qu'une  hostilité  violente  sépare 
de  lui  n'osent  guère  s'attaquer  à  son  mérite  littéraire.  11  ne 
faut  pas  cherclier  parmi  les  écrivains  qui  gravitent  autour  de 
lui  un  désir  d'airranchissement,  ni  une  velléité  d'indépendance. 
L'imitation  est  la  loi  de  l'école,  et  Pope  lui-même  est  le  maître 
que  tous  imitent.  —  Et  cependant  quelque  chose  proteste,  dans 
le  sentiment  public,  contre  la  sécheresssede  cette  littérature. 
Le  génie  national  n'est  en  réalité  ni  étouffé,  ni  transformé. 
L'arbre  est  violemment  tordu,  mais  d'un  effort  puissant  il  tend 
à  se  redresser.  Les  preuves  nous  en  apparaissent  en  grand 
nombre  dans  le  goût  tout  nouveau  que  manifeste  la  société  let- 
trée pour  les  chants  et  les  ballades  populaires  *,  dans  le  retour 
de  la  faveur  publique  aux  maîtres  de  la  Renaissance,  et  surtout 
dans  une  extraordinaire  poussée  d'admiration  pour  le  grand 
poète  de  la  nature,  pour  le  grand  psychologue  doublé  d'un 
grand  peintre  qui  fut  Shakespeare. 

Dryden,  on  le  sait,  avait  tour  à  tour  déprécié  puis  loué 
celui  qu'il  appelait  son  maître;  il  en  avait  fait  pour  la  scène 
des  imitations  qui  étaient  à  la  fois  une  offense  et  un  hommage. 
Steele,  dans  plusieurs  articles  du  Tattler  et  du  Spectator, 
avait  appelé  l'attention  sur  Spencer  *.  Addison  avait  vanté  les 


1.  Ce  n'est  pas  à  (lin>  (|ue  celle  littérature  populaire  n'ait  été  goûtée 
d*aurun  des  écrivains  de  la  f^énération  aDtérieurc.  Dryden,  en  dépit  àt 
tendances  d'école,  appréciait  l'onerpie  et  la  franchise  spontanée  de  ces 
petits  po^me9  (voir  Spectator,  n»  85,  Thursday,  June  7,  1711).  Mais  ce 
qui  était  chez  lui  exception  un  peu  singulière  devient,  chez  les  écrivains 
du  xvnic  siècle,  chose  familière,  surtout  après  Tintervention  d'Addison. 
Rowe  se  fait  remarquer  parmi  ces  chauds  admirateurs  des  vieux  chants 
populaires.  C'est  très  justement  que  sa  Jane  Shore  a  fourni  la  devise  du 
premier  volume   de  la  première  collection  publiée  d'anciennes  Ballades. 

2.  n  réussit  du  reste  h  tel  point  que  le  retour  de  faveur  au  «  poète  des 
poètes  »  ne  s'arrêtera  plus.  —  Tonson  publie  eu  1715  une  édition  de  Spenser 
en  trois  volumes.  Les  imitations  directes  deviennent  alors  de  plus  en  plus 
nombreuses.  Déjà  Prior  avait,  en  1706,  public  une  ode  où  il  emprunte  la 
stance  et  le  style  de  Spenser.  G.  West  se  sert  de  la  même  forme  pour  s* 
pièce  On  the  Ahuse  of  Travelling  (1739).  Après  Texemple  plus  célèbre 
donné  par  Thomson  dans  sou  «  Châleau  d'indolence  »,  les  imitations  foison- 
nent :  Lloyd,  The  Progress  of  Envg;  Shenslone,  The  Schoolmislress;  Wil- 
liam Julius  Mickle,  The  Concubine ;Bcàilïe,  The  Minstrel;  et  d'autres  moins 
connus,  tels  que  William  Thompson  ou  WJlkie.  —  «  Il  has  been  fashion- 
able  of  late  to  imitate  Spencer  »,  écrit  Warton.  Et  Samuel  Johnson 
proteste  contre  cet  eni^ouement  :  «  Life  is  surely  p:iven  us  for  highcr  pur- 
poses  thau  to  gather  what  our  ancestors  bave  wisely  thrown  away,  and  lo 
iearu  whnt  is  of  no  value  but  because  it  has  been  forgotten.  «  (The  Ram- 
bler, nM21.) 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  VERS   1725.  249 

beautés  héroïques  ou  naïves  des  vieilles  ballades  *,  et  s'était 
fait  le  héraut  de  la  gloire  de  Milton.  Enfin,  après  les  innombra- 
bles profanations  commises  par  les  dramaturges  de  la  Restaura- 
tion sur  les  œuvres  de  Shakespeare,  Rowe  publiait,  en  1790,  la 
première  édition  critique,  et  Pope  lui-même  donnait  en  1725 
une  somptueuse  édition.  Il  y  professe  une  admiration  profonde 
pour  son  auteur.  Sans  doute  ses  éloges  ne  sont  pas  toujours 
judicieux,  et  il  y  mêle  des  critiques  où  se  manifeste  une  évi- 
iente  étroitesse  de  goût.  Mais  de  ces  hommages  incomplets, 
^omme  de  tout  cet  ensemble  de  faits,  ressort  pour  nous  une 
constatation  importante.  Contrairement  aux  préceptes  et  à  la 
Pratique  de  la  génération  précédente,  les  contemporains  de 
Pope  et  Pope  lui-même  reviennent  au  commerce  et  au  respect 
le  Shakespeare  et  des  grands  artistes  de  la  Renaissance.  Dès 
ors,  et  pour  une  période  prolongée,  on  verra  s'établir  parallè- 
euienten  Angleterre  deux  courants  du  goût  et  de  la  critique. 
^  productions  littéraires  continueront  à  s'inspirer  des  pré- 
eptes  consacrés  par  la  mode,  par  le  goût  convenu  du  jour  et  par 
exemple  de  Pope.  Mais,  au-dessous  de  cette  apparence,  tous, 
t  Pope  lui-même  (nous  venons  de  le  rappeler),  ont  une  intime 
Irniration  pour  les  chefs-d'œuvre  d'une  école  toute  opposée  à 
îlle  qui  prévaut.  Ces  deux  courants  ne  pourront  continuer 
ngtemps  à  couler  l'un  au-dessus  de  l'autre  sans  quô  peu  à 
m  leurs  eaux  se  confondent.  Ces  œuvres,  que  l'on  croit 
ortes  et  auxquelles  on  ne  marchande  pas  les  louanges  parce 
Ton  les  juge  sans  effet  possible  sur  la  fortune  des  productions 
centes,  doivent  finir  par  modifier  profondément  celles-ci.  A 
ut  le  moins,  et  dès  à  présent,  les  contemporains  de  Pope 
nt  préparés  à  l'avènement  d'une  poésie  entièrement  différente 

la  sienne.  On  pourrait  a  priori  prédire  que,  si  les  hommea 
!  font  pas  défaut  aux  circonstances,  cette  nouvelle  évolution 

produira.  L'école  classique  d'alors  si  confiante,  si  con- 
incue  de  sa  supériorité,  si  riche,  il  faut  bien  le  dire,  en 
lents,  ne  saurait  suffire  aux  besoins  d'une  société  qui  goûte 

même  temps  qu'elle  Spenser,  Shakespeare  et  Milton. 


.  Le  Spectator  contient  en  particulier  une  critique  pleine  d'admira- 
n  de  Chevy  Chace  dans  ses  numéros  70  (21  mai  1711),  74  (25  mai), 
de  la  ballade  des  «  Enfants  perdus  au  Bois  »  dans  son  numéro  85 
uin  1711). 


à 


2o0  JAMES  THOMSON. 


II 


Quelqu*un  des  poètes  anglais  en  possession  de  la  faveur 
publique  pouvait-il  être  l'initiateur  de  ce  retour  à  Timagination 
et  à  la  nature?  Ni  Swift  dont  le  génie  puissant  se  mani- 
feste ailleurs  que  dans  la  poésie  ;  ni  Steele  qui  depuis  1723 
avait  quitté  Londres,  et  dont  la  muse  d'ailleurs,  pas  plus 
que  celle  de  Gay  qui  prépare  ses  a  Fables  i,  n'a  rien  des 
fières  audaces  des  novateurs  ;  ni  les  talents  de  second  plan, 
namby-pambij  Philipps  *,  ou  son  frère  John,  ni  Tickell  ou 
Somerville,  ne  pouvaient  devenir  ce  vase  d'élection  où  serait 
recueilli  Tichor  précieux,  l'inspiration  des  maîtres  d'autrefois 
et  de  la  poésie  généreuse.  Le  plus  vigoureux  de  tous  ces  talents, 
celui  de  Young  ne  vit  pas,  il  est  vrai,  de  pure  imitation.  Le  futur 
auteur  des  a  Nuits  »  a  l'honneur  de  donner  dans  ses  satires 
l'exemple  d'une  forme  littéraire  bien  personnelle.  Cependant 
c'est  là  si  peu  une  tentative  contraire  au  courant  régnant  que 
Pope  lui-même  adoptera  bientôt  cette  forme.  II  y  voit  avec 
raison  le  terme  naturel  de  cette  transformation  qui  avait 
chaque  jour  davantage  fait  de  la  langue  chantée  d'autrefois 
un  idiome  surtout  propre  à  la  critique  et  à  la  dialectique. 

Ainsi  la  poésie  de  l'Angleterre  semble  incapable  de  se  rafraî- 
chir et  de  se  raviver  aux  sources  où  s'étaient  alimentés  les  vieux 
maîtres.  Mais  au  nord  de  la  Tweed  s'étend  un  pays  très  dis- 
tinct, longtemps  indifférent  ou  hostile,  associé  depuis  peu  de 
temps  par  l'union  politique,  au  fond  original,  peu  assimilable, 
et  méfiant  à  l'égard  des  influences  venant  d'Angleterre.  La 
littérature  polie,  j'allais  dire  lettrée,  de  l'Ecosse  n'a  jamais  été 
bien  intense.  Quelques  poètes  —  souvent  des  gentilshommes 
et  une  fois  un  roi  —  ont,  à  l'exemple  des  poètes  français,  puis 
de  Chaucer,  puis  des  écrivains  de  l'âge  d'Ëlizabeth,  donné  à 
leur  rude  patrie  quelque  chose  du  lustre  que  pouvaient  lui 
ajouter  d'élégantes  productions  poétiques.  La  révolution  reli- 
gieuse vient  à  la  fois  diminuer  en  haut  l'importance  de  ce  mou- 

1.  Le  •  Cidre  »  de  John  Philipps  vise  bien  h,  imiler  le  slyle  et  la  manière 
de  Millon;  mais  l'effet  produit  n'a  rien  de  miitonien. 


t 


SENTIMENT   DE   LA    NATl'HE   VERS    172:;.  251 

vement  littéraire,  et  tarir  en  bas  la  soiirctî  autreineiil  abon- 
dante d'où  avaient  jailli  en  grand  nombre  les  ballades,    les 
chants  d'amour  on  de  guerre  du  menu  peuple.  II  est  curieux 
de  comparer  à  cet  égard  les  elTets  opposés  produits  dans  les 
deux  pays  par  un  même  événement  moral  et  social.  La  Réforme, 
établie  en  Angleterre  par  la  couronne  et  dirigée  dans  son  évo- 
lution par  Taristocratie,  conserve  tout  ce  côté  artistique  par 
lequel  le  catholicisme  s'adresse  aux  imaginations  pour  arriver 
au  cœur  et  à  la  foi.  Le  protestantisme  anglais  ne  sera  pas  un 
obstacle  aux  aspirations  de  la  Renaissance  vers   les  pures 
voluptés  du  Beau.  Elle  échauffera  même  d'une  flamme  inté- 
rieure plus  intense  quelques-uns  des  plus  nobles  parmi  ces 
poètes  :  Spenser  et  Milton  sont  de  pieux  et  sincères  puritains, 
î-     Au  contraire  en  Ecosse,  le  mouvement  vient  d'en  bas,  des 
masses  populaires;  et  la  religion  nouvelle  en  reçoit  un  carac- 
tère sombre,   farouche,   démocratiquement  jaloux  de  toute 
supériorité,  de  tout  luxe  et  de  toute  élégance.  Cette  opposition 
d'effets  est  accrue  encore  par  une  autre  différence.  La  révolu- 
tion religieuse  imposée  d'un   côté  par  la  main  de  fer  des 
Tudor   s'accomplit  sans    convulsions    sociales.   En    Ecosse, 
d'autre  part,  elle  ne  s'achève  qu'au  prix  de  luttes  sanglantes. 
Aussi  tout  ce  qui  appartient  au  vieux  dogme  catholique,  tout 
ce  qu'a  voulu  conserver  le  protestantisme  modéré  des  épis- 
^paliens  est-il  un  objet  de  haine  et  d'horreur  pour  le  presby- 
térianisme victorieux.  L'art  et  la  poésie  deviennent  aux  yeux 
des  sectaires  autant  d'embûches   du  démon.   La  littérature 
^ubit  une  complète  et  longue  éclipse,  a  L'encre  théologique,  et 
^  le  sang  jacobite,  mélangés  l'un  et  l'autre  d'une  forte  dose  de 
^  fiel,  semblaient  avoir  anéanti  toute  l'intelligence  du  pays  *.  » 
Cet  état  de  choses  prend  fin,  dans  le   premier  quart  du 
Xvm*  siècle,  avec  l'apaisement  des  passions  religieuses,  avec 
l'échange  plus  fréquent  de  produits  et  d'idées  entre  les  deux 
parties  de  la  grande  lie.  A  la  suite  de  l'Acte  d'Union,  les  rela- 
tions avec  l'Angleterre  et  avec  Londres  deviennent  beaucoup 


1.  •  Théo  came  the  scliisms  in  our  National  Church,  and  the  fiercer 
schisms  in  our  Body  Poiitic  :  Théologie  ink,  and  Jacobite  blood,  with 
gall  enough  in  both  cases,  seemed  lo  hâve  blotted  out  Ihe  intellect  of 
Ihe  country.  *  (Carlylb,  Essay  on  Bums.  Critical  Essays,  vol.  II,  p.  26.) 
On  peut  lire  aussi  sur  le  même  sujet  quelques  lignes  intéressanlcs  da 
Mr.  Shairp  {On  the  poetic  interprétation  of  Sature^  p.  186). 


3o2  JAMES  THOMSON. 

plus  fréquentes.  Les  rapports  commerciaux  entre  les  deux  pays 
se  développent.  Les  Écossais  des  classes  aisées  prennent  l'ha- 
bitude de  visiter  Londres,  malgré  les  diflîcultés  et  les  longueurs 
du  voyage  qui  se  Taisait  alors  à  cheval.  Il  était  impossible  que 
les  idées  ne  circulassent  pas  en  môme  temps  que  les  marchan- 
dises et  les  voyageurs.  Le  premier  effet  est  de  déterminer  dans 
les  villes  d'Ecosse  un  désir  d'affranchissement,  une  révolte 
contre  laustère  et  tyrannique  autorité  de  l'Église.  Les  tavernes 
et  les  clubs  d'Edimbourg  forment  de  nombreux  foyers  de  libre 
discussion   et  de   pensée   indépendante.    L'activité  littéraire 
devient  une  des  formes  de  la  protestation  contre  l'étouffante 
compression  du  presbytérianisme.  L'université  d'Edimbourg, 
jusqu'alors  pur  séminaire  pour  la  préparation  des  ministres, 
voit  s'éveiller  chez  un  grand  nombre  de  ses  jeunes  étudiants 
une  curiosité  artistique,  une  recherche  et  un  amour  du  beau 
qui  font  tort  aux  études  théologiques  *.  Et  bientôt,  en  Ecosse 
mémo,  des  auteurs  se  révèlent  qui  donnent  satisfaction  à  ces 
besoins  nouveaux  de  l'âme  écossaise. 

On  voit  dans  quelles  conditions  différentes  se  trouvent  les 
écrivains  des  deux  pays.  Tandis  que  l'école  anglaise,  lassée 
et  comme  épuisée,  après  le  foisonnement  de  poètes  et  la 
débauclie  d'imagination  de  la  Renaissance,  en  est  venue  avec 
Pope  à  une  doctrine  de  scepticisme  et  de  négation  railleuse 
à  l'égard  des  hautes  et  ficres  inspirations  de  la  poésie,  l'esprit 
littéraire  au  contraire  est,  en  Ecosse,  presque  entièrement  neuf. 
Après  une  longue  léthargie,  il  revient  à  la  vie,  avec  les  inexpé- 
riences et  les  curiosités,  avec  la  simple  et  fraîche  sincérité  de 
la  jeunesse.  Les  maîtres  que  connaîtra  cette  école,  ce  seront, 
avec  les  grands  poètes  de  Tantiquité,  Shakespeare,  Spenser  et 
Milton  plutôt  qu'Addison  ou  Pope  *.  Et  comment  oublierions- 
nous,  d'autre  part,  que,  si  la  littérature  anglaise  d'alors  est 
essentiellement  urbaine,  les  écrivains  écossais  sont  en  contact 
intime  avec  la  nature,  vivent  au  milieu  de  paysages  gran- 
dioses ou  souriants,  d'une  infinie  variété  et  d'un  charme 
puissant? 

Il  y  a  donc  là,  dans  une  terre  longtemps  laissée  en  friche, 

1.  Voir  plus  haut,  première  partie,  p.  20. 

2.  «  Thomson  was  educated  in  Scolland,  where  the  new  style,  we 
believehad  notyet  bccome  Tamiliar.  •  [The  Edinhurgh  Review,  vol.  18,  p.  182 
[Jeffrey?]) 


SENTIMENT  DE  LA  NATURE  VEHS  illo-  233 

jondante  réserve  de  poésie  et  de  talent.  C'est  de  cette 
de  montagnes  que  viendra  pour  l'Angleterre,  comme 
plus  tard  viendra  des  Alpes  pour  la  France,  le  souffle 
t  faire  reverdir  dans  les  lettres  la  passion  et  l'imagina- 
1  naturel  et  la  poésie  de  la  nature.  Le  génie  de  cette 
ure  naissante  de  TÉcosse  ne  prend  pas  immédiatement 
:nce  de  lui-même.  Mais  de  toutes  parts  on  voit  dans  les 
rcs  qui  se  produisent,  un  caractère  commun;  c'est, 
le  indépendance  relative  de  la  forme,  un  retour  à  Tobser- 
des  choses  et  à  la  description.  Nous  le  trouvons  dans 
nts  rustiques  de  Francis  Sempill  ';  dans  le  recueil  de 
anciennes  et  modernes  de  James  Watson  -qui  donne 
sse  rimmortel  et  pathétique  Auld  Lang  Sijne;  dans  les 
s  de  William  Hamillon  ^  et  les  pastorales  de  Robert 
>rd  *.  Nous  le  suivons  dans  l'œuvre  abondante  et  très 
J'AUan  Ramsay,  où  se  trouvent  un  don  lyrique  souvent 
une  riche  veine  d'humour,  une  Une  et  gracieuse  puis- 
dc  pinceau,  une  sincère  sympathie  avec  la  nature  et 
es  de  la  campagne,  toutes  ces  qualités  dont  l'union  a 
Genile  Shepherd  un  des  chefs-d'œuvre,  sinon  le  chef- 
•e  même,  de  la  poésie  pastorale.  Nous  le  trouvons  encore 
i  pièce  si  délicate  et  si  simple  d'une  grande  dame,  lady 
Baillie',  dont  Thomson  était  quelque  peu  parent;  comme 

Sempill,  iairds  of  Rcnfrewshire,  forinciil  une  dynastio  de  pointes 
il.  Robert  Sempill  (lo^o-lOCO)  eut  Tinvcnteur  d'une  strophe  qui  a 
ide  fortune.  Elle  a  rourni  ù  Allan  Ramsay,  à  Fergusson  et  h  Burns 
une  favori.  —  Le  (ils,  Francis  (06.  cu^ca  1683)  est  un  des  écrivains 

le  plus  heureusement  exprimé  (Mugyie  Laude»*,  Fy,  let  us  a*  io 
al  >,  etc..)  le  charme  de  ces  êuiolions  simples  et  tendrus  que  Ton 

propres  à  la  calme  vie  des  champs.  Go  lui  a  attribué  la  ballade  de 
ng  Lync,  sous  la  forme  où  elle  parut  dans  le  Kecueil  de  Watson. 
hoice  Collection  of  Comic  and  Serious  Scots  Poems^  bot  h  Aucient 
(iern,  publié  en  1700,  1709  et  1711.  Oulre  la  plus  ancienne  ver- 
inue  de  Auld  Lang  Syne,  le  recueil  contenait  la  ballade  de  //(ir- 
,  si  fort  admirée  par  <iray,  par  Percy,  par  W.  Scott.  Lauleur  en 
dy  Wardlaw,  qui  mourut  en  1727. 

en  170i,  collaborateur  du  Tea-Tahle  Mncellany  de  Ramsay,  il  est 
de  la  ballade  connue  The  Uracs  of  Yarrow. 

!oro  un  collaborateur  de  Hamsay.  Mourut  en  1733,  h  Tàge  de 
nq  ans.  Ses  pièces,  principalement  T/te  Bush  oboon  Traquair  et 
\e,  montrent  l'inspiration  et  le  juste  sentiment  de  la  poésie  paslo- 

r  plus  haut,  première  partie,  p.  33.  Sa  jolie  chanson  :  «  Wore  na 
t  licht  1  wad  dee  -  parut  en  17*25  dans  VOrpheus  Caledonius  et 
'ée  par  Ramsay  dans  son  Tea-Tabte  ML^cellany, 


2o-4  JAMES   THOMSON. 

dans  celles  do  C(?s  amis,  lUccaltoun  ',  Armslrong  ^  qui,  avant 
lui  ou  en  uunne  temps  que  lui,  ont  entendu  le  même  appel  de 
la  poésie,  ont  fait  pour  s'élever  jusqu'au  but  indiqué  le  miMne 
effort  vaillant,  limité  chez  eux  par  un  génie  inférieur,  knta 
salix  quatitum  pallenli  cedit  oticx  ^. 

Tel  est  donc  le  milieu  dans  lequel  s'est  formé  le  talent  de 
Thomson,  telles  sont  les  influences  ambiantes  qui  ont  pu  en 
orienter  la  direction.  Ajoutons-y  cet  heureux  accident  qui  lui 
fit  choisir,  contrairement  à  l'exemple  de  Ramsay  et  des  autres, 
l'anglais,  de  préférence  au  dialecte  écossais,  et  nous  aurons 
déterminé  tous  les  éléments  qui  concourent  à  expliquer  sa 
grande  fortune  poétique,  tous,  à  l'exception  de  ce  quelque 
chose  qui  résiste  aux  analyses  du  creuset,  et  qui  est  le  génie 
lui-même.  Nous  savons  maintenant  comment  expliquer  ce 
fait  au  premier  abord  surprenant  :  le  succès  immédiat  d'une 
œuvre  qui  semble  en  opposition  absolue  avec  les  tendances, 
les  habitudes  d'esprit,  le  goût  confirmé  de  la  société  qui  U^ 
fait  si  bon  accueil.  Thomson  est  venu  à  point  pour  donner 
satisfaction  à  ce  sentiment  et  à  cet  amour  de  la  Nature  qi^ii 
persistaient  dans  l'âme  et  dans  le  cœur  de  l'Angleterre,  alors 
même  qu'ils  se  trahissaient  le  moins  dans  les  œuvres  consB- 
crées  et  en  quelque  sorte  officielles  des  littérateurs  en  renom- 
Et  cependant  on  ne  saurait  trop  insister,  si  l'on  veut  com- 
prendre la  valeur  profondément  originale  de  l'œuvre  nouvel  le» 
sur  le   violent  contraste  qu'elle  oppose  aux  productions  de 
la  poésie  anglaise  contemporaine.  L'école  classique  et  Pope 
n'avaient  voulu  voir  dans  le  monde  que  l'homme,  et  rhomnie 
abstrait,  force  intelligente  bien  plutôt  que  principe  d'action 
ou  que  matière  aux  dramatiques  orages  des  passions.  Le  poème 
de  Thomson,  au  contraire,  faisait  simplement  de  Thomnie 
un  des  détails  pittoresques  du  tableau.  Les  écrivains  en  vogue 
avaient  exclu  toute  perception  de  la  Nature  de  ce  monde  fac- 
tice où  ils  s'étaient  renfermés.  Avec  les  «  Saisons  »  un  grand 
coup  de  vent  vient  ouvrir  les  fenêtres  soigneusement  fermées. 
Il  fait  entrer  à  Ilots,  dans  le  salon  élégant  où  devise  la  muse 

1.  Nous  avons  plus  haut  parlé  de  Riccaltouu  (voir  prem.  partie,  p.  17,  i^^ 
et  nous  avons  dit  que  sa  description  d'une  scène  d'hiver  daos  le  Teviotdal^ 
avait  (^veilli'î  le  j^énie  <le  Thomson  au  sentiment  de  son  propre  pouvoir. 

2.  II  avait  écrit  son  Wiittrr  en  même  temps  que  Thomson  élaborait  1*^ 
sien.  (Voir  prem.  partie,  p.  18,  n.  2.) 

3.  ViHGiLE,  •  Ëglogue  V  »,  v.  16. 


SEiNTIMBNT   DE  LA  NATURE  VERS  1725.  2^)S 

mondaine  de  Pope,  l'air  vif  et  la  pleine  lumière,  la  libre  vue 
des  choses  extérieures,  et  jusqu'aux  sons  rustiques  et  aux  sen- 
teurs des  champs. 

Il  est  difficile  de  supposer  que  le  jeune  Écossais  n'eût  pas 
conscience  de  Taudace  de  sa  tentative.  Soit  estime  sincère 
pour  l'école  régnante,  soit  concession  politique  aux  puissances 
du  jour,  il  s'efforce  de  faire  une  part  dans  son  œuvre  révolu- 
tionnaire à  ces  goûts  du  public  auxquels  il  semble  que  son 
^uvre  ait  pour  objet  de  rompre  en  visière.  En  réalité  ses  inno- 
'ations  ne  sont  pas  d'un  destructeur.  Il  rend  une  importance 
prépondérante  à  un  élément  de  poésie  que  son  siècle  avait 
élaissé;  mais  il  reste  assez  homme  de  son  temps  pour  garder 
•ur  place,  au  milieu  de  ses  peintures,  à  ces  développements 
-  philosophie  sententieuse  et  sentimentale  que  ses  contempo- 
»-ins  prisaient  fort.  Il  croit  utile,  lui  aussi,  de  mêler  à  ses  des- 
'iptions  quelques  épisodes  moraux  ou  pathétiques,  et  sans 
énoncer  jamais  à  certain  fonds  d'irréductible  originalité,  il 
efTorce,  avec  une  déférence  modeste,  d'y  allier  plus  d'une 
)ncession  aux  doctrines  littéraires  en  cours.  Il  est  curieux  à 
ît  égard  de  le  voir,  dans  chacune  des  a  Saisons  »  qui  parais- 
nt  successivement,  ou,  plus  tard,  dans  les  éditions  nouvelles, 
crifier  de  plus  en  plus  au  goût  régnant,  allonger  ses  tirades 
j  philosophie  ou  d'histoire,  ajouter  de  nouveaux  épisodes.  Le 
rnier  de  ses  éditeurs,  Mr.  Logie  Robertson,  a  très  justement 
5malé  ces  apports  successifs  des   influences  exercées  sur 
lomson  à  mesure  que  se  prolonge  son  séjour  à  Londres, 
lis  il  semble  avoir  singulièrement  exagéré  l'importance  de 
3  modilications.  Il  nous  paraît,  quant  à  nous,  qu'à  étudier  le 
veloppementdu  poème,  on  doive  être  avant  tout  frappé  d'une 
ose  :  c'est  la  persistance  chez  l'auteur  d'une  individualité 
Juste.  Elle  forme  la  charpente  solide  de  Toeuvre  à  la  fin 
nme  au  début;  elle  se  laisse  couvrir  mais  non  pas  cacher 
is  les  ornements  disparates  qu'impose  la  mode  du  temps, 
lous  est  aujourd'hui  difficile  de  dire  laquelle  des  deux  par- 
5  si  diverses  de  son  poème  a  le  plus  contribué  au  succès. 
Drdsworth  avait  évidemment  tort  de  croire  que  les  lecteurs 
lors  eussent  été  surtout  frappés  et  charmés  par  les  épisodes  * . 

.  Second  Préface  to  Ihe  Lyrical  liallads.  —  Nous  pouvons  noter  que  le 
s  connu  de  ces  épisodes,  le  bain  de  Musidora,  ne  figure  pas  dans  la 
mière  édition  de  l*  «  Eté  ». 


2S6  JAMES  THOMSON. 

Les  nombreux  poètes  qui  aussitôt  après   le  triomphe   des 
a  Saisons  »  voulurent  s'inspirer  de  l'œuvre  nouvelle,  en  imi- 
tèrent plus  la  richesse  descriptive  que  Tambition  philoso- 
phique ou  les  narrations.  La  vérité  sans  doute  est  que  le  poème 
plut  précisément  parce  qu'il  flattait  à  la  fois  le  goût  de  nou- 
veauté et  rattachement  aux  choses  établies,  qu'il  rétablissait 
dans  leurs  droits  la  Nature  et  les  maîtres  d'autrefois,  sans 
bannir  expressément  la  poésie  discursive  ni  les  écrivains  qui 
y  déployaient  un  si  rare  talent. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  postérité,  moins  éclectique,  fait  un 
départ  très  net  entre  ces  deux  portions  de  l'œuvre.  Par  Tune, 
Thomson  est  un  initiateur,  un  chef  d'école  original  et  puis- 
sant, dans  la  glorieuse  histoire  de  la  poésie  anglaise.  Par 
l'autre  il  prend  rang,  non  pas  même  le  premier  rang,  parmi 
les  hommes  de  lettres  qui  ont  versifié,  au  cours  du  dix- 
huitième  siècle,  quelques  lieux  communs  de  politi(}ue  huma- 
nitaire, de  banale  philosophie  et  de  sensibilité  larmoyante 
et  superficielle.  Nous  distinguerons  nettement  ces  éléments 
si  divers.  Nous  étudierons  d'abord  et  principalement  ce  qui 
appartient  en  propre  au  poète,  les  traits  d'observation  et 
de  description  par  lesquels  vaut  le  poème.  Puis  nous  isole- 
rons, pour  les  examiner  à  part,  tous  ces  hors-d'œuvre,  pas- 
sages de  déclamation  oratoire  ou  récits  romanesques,  qu'i^ 
introduit  non  pas  toujours  sans  violence,  au  milieu  de  ses 
tableaux  de  la  Nature. 


CHAPITRE  III 


LES   OBJETS   DÉCRITS.    —   LA   NATURE   DANS   l'oEUVRE 

DE   THOMSON 


C'était  la  première  fois  qu'un  poète  prenait  la  Nature  pour 
sujet  d'une  œuvre  de  longue  haleine.  On  peut  être  tenté  d'ob- 
J^ter  le  De  Naiiira  Rerum.  Mais   ce  poème  n*est  pas  une 
Peinture  du  monde.  Lucrèce  est  trop  préoccupa  d'enseigne- 
'^ent  philosophique  pour  s'attarder  beaucoup  à  la  pure  des- 
^''iption.  Le  souvenir  de  quelques  traits  merveilleusement 
Pï*écis  et  vigoureux  qui  sont  dans  toutes  les  mémoires,  ne  doit 
P^  guider  notre  jugement  sur  Tensemble.  Lucrèce  ne  voit 
^uèrele  côté  pittoresque  des  choses,  a  II  dissèque  et  analyse  la 
'^^ture  D,  dit  M.  de  Laprade,  «  plutôt  qu'il  ne  la  décrit  ^  »  Au 
^n traire,  avec  le  poème  de  Thomson,  c'est  la  série  complète 
*^s  tableaux  de  l'univers  qui  doit  passer  devant  nos  yeux. 
^*  bien  que  pour  étudier  son  œuvre,  nous  pouvons  dresser 
^  priori  le  catalogue  des  aspects  et  des  phénomènes  variés  que 
Pï'ésente  la  vie  du  monde,  et  chercher  quelle  interprétation  et 
^^elle  i>einture  il  nous  a  données  de  chacun.  Nous  commence- 
rons par  les  plus  grands,  par  ces  trois  objets  dont  l'immensité 
n'exclut  pas  une  sorte  d'unité  individuelle  :  le  ciel,  la  mer, 
ies  montagnes. 

l.  Le  Sentiment  de  la  Sature  avant  le  Christianisme,  p.  180  et  auiv.  On 
trouvera  aussi  Texposc  de  considèralious  analogues  dans  Touvrage  de 
.Shairp,  On  the  Poetic  Interprétation  of  Sature,  chap.  x,  p.  147  et  suiv. 


17 


288  JAMES  THOMSON. 


I 
Le  Ciel. 

Le  premier  est  celui  qui  exerce  sur  Thomson  le  plus  puissant 
attrait.  Il  ne  Toublie  dans  aucun  de  ses  paysages.  Il  le  suit 
sous  ses  aspects  toujours  changeants  et  infiniment  variés.  U 
observe  et  il  note  dans  cette  mobilité  même  un  des  caractères 
et  une  des  beautés  de  ce  fond  splendide  sur  lequel  se  dôtach^ 
toute  scène.  On  a  signalé  déjà  la  valeur  de  ses  ciels;  nous  avons 
à  indiquer  ici  quelle  richesse  de  coloris,  quelle  subtile  percep- 
tion d^effets  merveilleusement  divers  justifient   Téloge.  K*^ 
réunissant  les  passages  épars  dans  les  différents  chants,  nou  ^ 
trouvons  ime  suite  de  tableaux  où  sont  notés  et  décrits  tota- 
les états  successifs  du  ciel  aux  diverses  heures  du  jour  et  dar»^ 
les  conditions  changeantes  de  Tatmosphère. 

Quel  poète  n'a  pas  chanté  l'aurore?  Mais  après  tant  de  ma  ^■ 

très  qui  (m  ont  laissé  d'éclatantes  ou  de  gracieuses  peinture  === 

Thomson  mérite  d'être  placé  hors  de  pair  pour  la  précision,  ï- 

justesse  et  surtout  la  riche  diversité  de  ses  descriptions.  TantcS 

toute  la  vision  est  suggérée  par  un  seul  mot  :  «  Aussitôt  qij^- 

«  le  matin  tremble  au  ciel,  et  peu  à  peu  déploie  l'immen^ 

«  clarté  du  jour  *  ...)>;  ou  encore  dans  le  même  chant  :  *  L-- 

«  longue  nuit  s'achève  et  le  matin  brille  serein  dans  tout  l'éclat 

a  de  sa  beauté  humide  *  ».  Tantôt,  au  contraire,  une  descrip 

tion  minutieuse  nous  fait  assister  au  développement  graduel  d^ 

cette  scène  grandiose  :  «  L'Aurore  aux  doux  yeux  apparaît.  Tau  - 

«  rore,  mère  des  rosées,  qui  d'abord  brille  faiblement  à  Torien 

«  diapré,  jusqu'à  ce  que  la  lueur  grandissante  s'étende  au  loif 

«  sur  le  ciel,  et  que,  devant  l'éclat  de  sa  face,  les  blancs  nuages 

a  se  dispersent  et  fuient.  D'un  pas  précipité  la  brune  nuit  se= 

«  retire.  Le  jeune  jour  envahit  l'espace,  et  découvre  tout^ 

«  l'immense  perspective  des  plaines  »,  etc.  ^  —  Combien  dilfé^ 

rente  l'aube  qui  met  lin  à  une  nuit  d'hiver  a  quand  l'aurore^ 

«  se  levant  tard  sur  le  monde  engourdi,  soulève  son  <eil  pâl€^ 

«  et  sans  joie  *  ». 

i.  AulwHiij  V.   151.  —  2.  Mîrf.,  V.  llGi).   —  3.    Sutnmer,  v.   47-53.   — 
4.  \Vinter,  v.  745,  756. 


I 

'  LES   OBJKTS    DKCIUTS.  :2y9 

I 

Après  le  tableau  de  si  riclie  coloris  où  U'  poète  nous  a 
montré  l'aurore  d'un  jour  d  été,  sa  palette  a  des  tons  plus 
éclatants  encore  pour  décrire  l'apparition  du  soleil  lui-même 
et  cette  pompe  vraiment  royale,  selon  le  mot  des  Grecs*,  au 
milieu  de  laquelle  il  s'élève. 

«  Mais  là-bas  à  Torient  s'approche  joyeux  le  puissant  roi  du 
«  jour.  Le  nuage  diminué,  l'azur  flamboyant,  le  front  de  la 
«  montagne  qui  s'illumine  d'or  lluide,  annoncent  gaîment  sa 
«  venue.  Et  voilà  que  soudain,  entièrement  révélé,  rasant  la 

*  terre  brillante  de  rosée  et  l'air  qui  se  colore,  il  apparaît  dans 

*  sa  majesté  infinie;  il  verse  le  jour  brillant,  les  rayons  d'or 

*  qui  se  jouent  sur  les  rochers,  sur  les  collines,  les  tours  et  les 

*  cours  d'eau  sinueux,  et  lui-même  étincelant  s'élève  à  l'ho- 

*  rizon  lointain  ^  »  Voyez,  d'autre  part,  quelles  teintes  sobres 
^t  fines  dans  ce  tableau  d'un  matin  de  printemps  :  «  Alors  l'air 

*  redevenu  libre  échappe  à  l'oppression  du  froid,  mais,  plein 

*  de  vie,  plein  d'une  âme  vivifiante,  il  élève  au  plus  haut  du 

*  ciel  les  nuages  légers,  il  les  étend  minces,  floconneux  et 
^  blancs  sur  toute  la  voûte  céleste  ^  » 

Suivons  la  marche  du  soleil.  Voici  le  grand  jour  :  «  Mainte- 

*  nant  flamboyant  au  ciel,  le  soleil  puissant  fond  dans  l'air 

*  iimpide  les  nuages  hauts  élevés  et  les  brumes  du  matin  qui 
^  planaient  autour  des  collines  en  bandes  mi-parties,  jusqu'à 

*  Ce  qu'enfin,  tout  entière  dévoilée,  la  face  de  la  Nature 
^  brille  depuis  l'immense  cercle  où  la  terre  semble  s'unir  à 

*  la  sphère  inclinée  du  ciel  *  ».  Et  voici  la  même  heure  quand 
^^Utomne  a  tout  empreint  de  sa  beauté  plus  grave  :  a  Le  jour, 

^  répandu  à  flots  sur  le  ciel  et  sur  la  terre,  s'échauffe  et 
^  grandit;  splendeur  infinie!  il  revêt  au  loin  tous  les  êtres. 
^  Ciombien  calme  est  la  brise!  à  peine  un  souffle  entraîne-t-il 

1.  Ba(nXev<7iç. 

^.  Summery  y.  81-90.  —  En  face  du  même  spectacle,  Dyer,  le  coDlempo- 
^ÎD  de  Thomson,  notait  aussi  des  effets  précis  de  lumière  et  de  couleur. 
^yer,  on  te  sait,  était  peintre  avant  d'être  poète.  Mais  combien  est  plus 
^Dtiple  et  moins  gâtée  de  mythologie  la  description  des  ••  Saisons  ». 

•  Half  his  beams  Âpollo   sheds 
On  the  yellow  mounlain  heads! 
Gilds  the  fleeces  of  the  flocks, 
And  glitters  on  the  broken  rocks  !  » 

(Grongar  HilL) 

3.  Spring,  ▼.  27-31.  —  4.  Summer,  v.  199-204. 


260  JAMES  THOMSON. 

c  sur  la  plaine  les  fils  délicats  des  rosées  évaporées!  Combien 
c  est  clair  le  ciel  sans  nuage!  Quelle  teinte  profonde  il  prend 
«  d'un  bleu  particulier!  Comme  la  voûte  céleste  s'enfle 
«  immense!  Combien,  du  baut  de  son  trône  d'azur,  le  soleil 
«  rayonne  joyeusement!  Combien  est  calme  au-dessous  la 
«  terre  par  lui  dorée  '  !  » 

Enfin  après  ces  tableaux  nuancés  où  le  poète  fait  preuve 
d'une  si  délicate  perception  des  jeux  subtils  de  la  lumière, 
voici  ceux  où  il  se  montre  capable  de  rendre  les  splendeurs 
royales  de  midi  :  «  le  soleil,  de  son  trône  au  zénith,  ébranle 
«  et  disperse  les  nuages,  et  lance  jusque  dans  les  profondeurs 
c  des  abîmes  une  indolente  langueur*.  »  Notons  la  gradation 
qui  sépare  de  cette  brève  indication  d'un  midi  de  printemps, 
celle  qui  retrace  Tccrasante  puissance  du  soleil  d*élé  :  «  C'est 
«  la  pleine  ardeur  de  midi,  et  verticalement  le  soleil  lance  sur 
«  nos  tètes  ses  rayons  violents.  Sur  le  ciel  et  la  terre,  aussi 
«  loin  que  peut  errer  le  regard,  tout  est  submergé  par  Téblouis- 
«  sant  déluge;  tout  d'un  pôle  à  Tautre  se  perd  dans  un  llam- 
«  boiement  indistinct  '.  »  Il  n'y  a  plus  au  delà  que  le  soleil 
tyrannicpie  et  le  ciel  écrasant  des  tropiques.  <(  Voyez  comme 
<f  le  soleil  aux  ravons  étincelants  s'élève  sans  aurore  et  chasse 
a  aussitôt  du  ciel  le  bref  crépuscule;  voyez  de  quelle  llamine 
a  anlente,  joyeux  et  cruel  il  se  répand  dans  l'air  éblouis- 
«  sant^  » 

Les  ciels  d'après-midi  sont  nombreux  et  se  retrouvent  dans 
plusieurs  des  a  Saisons  »  :  «  Affranchi  de  l'éclat  ardent  de  l'été 
ce  (|ui  séloigne,  un  azur  plus  serein  qu'anime  une  lumière 
a  d'or,  embrasse  jusqu'à  l'horizon  le  monde  joyeux.  Des  soleils 
«  tempérés  s'élèvent  et  lancent  des  rayons  cléments,  et  sou- 
«  vent,  à  travers  les  nuées  transparentes,  ils  versent  un  calme 
<c  délicieux...  jusqu'à  ce  que  l'air  ébranlé  s'agite  et  que  souffle 
a  la  brise.  Alors  le  manteau  floconneux  du  ciel  se  déchire;  les 
a  nues  volent  dispersées;  et  tantôt  le  soleil  tout  à  coup  brille 
<(  et  dore  la  plaine  illuminée,  tantôt  les  ombres  noires  courent 
a  sur  la  terrée  »  —  a  Cependant,  jetant  sur  tout  une  ombre 
«  légère,  un  calme  sobre  suspend  dans  l'air  les  nuages  flocon- 
ci  neux.  La  moindre  ondulation  de  l'air  s'arrête  tremblante, 


1.  Autnrmu  liiOS-1217.  —   2.  Sprinr/,  4i2-4ii.  —  3.  Sumtner,  432436.- 
4.  Ibi(L,  0.io-«48.  —  o.  Aulumn.  2o-39. 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  S61 

ne  sachant  où  diriger  le  doux  courant,  tandis  que,  tout  illu- 
minés, les  nuages  à  la  frange  humide  boivent  le  soleil,  et 
de  leur  voile  transparent  laissent  arriver  au  monde  paisible, 
sa  force  adoucie  ^  »  —  Toute  autre  est  rinfluence  du  soleil 
l'aspect  du  ciel  aux  mêmes  heures  de  Thiver  :  a  Suspendu 
à  l'extrême  bord  du  ciel,  le  soleil  verse  à  peine  dans  l'air 
un  jour  attristé.  Faible  est  son  éclat,  et  ses  rayons  impuis- 
sants ont  peine  à  franchir  en  longues  lignes  horizontales 
Tair  épais;  tandis  que  lui-même,  vêtu  des  nuées  de  la 
tempête,  faible,  pâle  et  large,  il  longe  au  sud  le  bord  du 
ciel,  pour  descendre  bientôt  et  abandonner  le  monde  abattu 
à  une  longue  nuit*,  n 

Ia  journée  s'achève;  voici  le  soir,  puis  la  nuit  dans  un  ciel 
été  :  <t  Le  soleil  a  perdu  sa  violence;  son  globe  abaissé  ne 
lance  plus  qu*une  chaleur  vivifiante  et  un  éclat  joyeux;  ses 
rayons  variés  colorent  les  nuages,  ces  vêtements  magni- 
fiques du  ciel  qui,  sans  cesse  mobiles,  prennent  des  formes 
rjittoresques,  où  Timagination  poursuit  des  rêves  sans  som- 
neil  '.  »  —  a  Le  soleil  chemine  près  de  l'horizon,  et  s'élargit 
graduellement  à  la  lin  du  jour.  Les  nuages  changeants,  gai- 
nent assemblés,  riche  et  pompeux  cortège,  entourent  de 
oute  leur  gloire  son  trône  au  couchant.  L'air,  la  terre  et 
océan  sourient  dans  leur  immensité.  Et  bientôt  comme  si 
?s  chevaux  fatigués  de  son  char  avaient  hâte  de  retrouver 
;elon  la  fable  grecque)  la  demeure  d'Amphitrite  et  les  soins 
e  ses  nymphes,  il  plonge  son  globe;  le  voilà  à  moitié 
nrnergé  :  puis,  un  croissant  d'or  lance  un  dernier  brillant 
ivon,  et  l'astre  disparaît  tout  entier*.  »  —  a  Annoncé  là- 
as  ï^ar  les  nuées  qui  lentement  se  sont  éteintes,  le  sobre 
-épuscule,  adoucissant  tout  Téther,  prend  sa  place  accou- 
imée  au  milieu  des  airs,  avec  les  milliers  d'ombres  qu'il 
)mmande.  Il  lance  sur  la  terre  celle-ci  d'abord;  puis  une 
jtre  de  teinte  plus  profonde  se  glisse  doucement  derrière 
le,  et  une  autre  plus  profonde  encore,  dont  le  cercle  suc- 
îdant  aux  précédents,  s'ajoute  à  eux  pour  recouvrir  la  sur- 
,ce  des  choses  ^  »  Enfm  règne  la  nuit  :  <l  Sur  les  pas  du 
,i*épuscule  suit  rapide  la  Nuit;  non  pas  dans  sa  robe  d'hiver 


Autumn,   901-963.   —  2.  Winter,  44-51.  —  3.   Sunimer,   1311-1376.   — 
bid.,  1620-1629.  —  5.  Ihid,,  1641-1654. 


962  JAMES  THOMSON. 

«  (l'un  épais  et  noir  tissu,  mais  négligemment  drapée  d'un 
«  manteau  brun.  Un  rayon  faible  et  décevant,  réfléchi  par  les 
«  surfaces  indistinctes  des  choses,  envoie  à  l'œil  qui  fait  effort 
c  une  image  incertaine....  Et  bientôt  la  vue  fatiguée  se  toum.^ 
c  vers  le  ciel.  Amenant  doucement  les  heures  silencieuses  d^ 
c  l'amour,  Vénus  charmante  brille  de  son  pur  éclat,  et  quari.  ^ 
t  elle  s'est  levée  propice,  du  moment  où  la  lumière  du  joi 
c  s'est  évanouie  jusqu'à  ce  qu'elle  jaillisse  de  nouveau,  Véni: 
«  règne  sans  rivale,  la  plus  belle  parmi  ces  lampes  de  la  nui 
«  Tandis  que  mon  œil  ravi  s'enivre  de  cet  éclat  tremblant, 
t  légers  éclairs  traversent  le  ciel,  ou  jaillissent  sur  l'horizon  &^ 
«  formes  capricieuses....  Parmi  les  sphères  radieuses  qui  no- 
«  seulement  ornent,  qui  animent  le  ciel,  soleils  vivifiants  d'ai__ 
«  très  mondes,  des  profondeurs  terrifiantes  de  l'espace  revierr 
€  dans  sa  course  précipitée  la  comète  qui  s'approche  du  soleil 
«  et  quand  elle  disparait  sous  l'ombre  de  la  terre,  sa  quei 
«  effrayante  se  projette  sur  le  ciel  *.  d  —  Comparons  une  nu^  -i 
d'automne  :  «  Le  soleil  couchant  met  fin  à  la  brève  journé^^ 
«  le  soir  humide  glissant  sur  le  ciel  jette  sur  le  sol,  pendainf 
«  sa  froide  marche,  les  vapeurs  condens(îes  en  brouillards..  -. 
«  Puis  la  lune,  dans  toute  la  plénitude  de  son  globe,  appât- 
«  raissant  h  travers  les  nuages  rompus,  montre  sa  large  fac£? 
«  dans  l'orienl    empourpré.  Tournée   tout  entière   vers   le 
«  soleil,  son  disque  tacheté  (oii  la  lunette  des  astronomes  nous 
«  fait  voir  des  montaj^nes  qui  s'élèvent,  de  sombres  vallées 
a  qui  s'abaissent,  et  de  profonds  abîmes),  son  disque  nous 
a  renvoie  Téclat  du  soleil  sans  sa  flamme,  et  verse  un  jour 
«  plus  doux.  Tantôt  elle  semble  se  baisser  au  milieu  du  nuage 
«  qui  passe,  tantôt  elle  vogue  majestueuse  au  plus  haut  de 
«  l'azur  sans  tache.  Le  pâle  déluge  flotte  au  loin;  il  s'épanche 
«  doucement  sur  la  montagne  voisine  du  ciel,  et  jusqu'à  la 
«  vallée  pleine  d'ombre;  les  rochers  et  les  eaux  réfléchissent 
«  cette  lueur  frissonnante;  l'air  tout  entier  blanchit  sous  ce 
«  flot  immense  de  lumi('ro  argentée  qui  entoure  le  monde  de 
«  son  éclat  tremblant.  Mais  quand,  à  demi  eflkcée  du  ciel,  sa 
«  lumière  affaiblie  laisse  les  feux  des  étoiles  brûler  d'un  éclat 
«  plus  perçant  à  travers  les  profondeurs  célestes,  ou  quand 
«  son  globe  amorti,  presque  éteint,  se  montre,  et  se  montre  à 

1.  Suinmei',  1f>S4-l710. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  263 

[l'une  blancheur  pale  et  sans  rayonnement,  souvent, 
e  saison,  silencieusement  au  nord  des  lueurs  météo- 
jail lissent.  D'abord  elles  couvrent  la  région  inférieure 
,  puis  toutes  ensemble  convergent  soudain  vers  le 
t  du  firmament,  et  aussitôt  retombent  toutes  ensemble 
^monter  aussi  rapidement;  elles  se  mêlent,  s'arrêtent, 
lent  et  se  raniment,  emplissant  l'air  d'un  dédale 
ux  *.  » 

oici  la  nuit  d'hiver  :  a  Quand  du  ciel  livide  le  soleil 
1,  souillé  de  mainte  tache  qui  erre  mobile  sur  son 
l'éclat  terni,  des  bandes  rouges  et  ardentes  com- 
)t  autour  de  lui  à  s'embraser.  Les  nuages  chancelants 
ent  incertains  et  hésitants,  comme  s'ils  ne  savaient 
à  quel  maître  obéir;  tandis  que  la  lune  s'élève  len- 
,  pâle  à  l'orient  plombé,  et  porte  un  cercle  blême 
de  ses  cornes  émoussées.  Vues  à  travers  l'air  trouble 
,  les  étoiles  sans  éclat  émettent  un  rayon  frissonnant; 
►  ent  semblent  s'élancer  à  travers  l'obscurité,  laissant 
e  elles  une  longue  lueur  blancliAtre  '.  »  —  Et  quand, 
de  la  saison  rigoureuse,  le  froid  s'est  emparé  du 
la  sphère  du  ciel  tout  entière  révélée,  déployant  à  la 
s  mondes  infinis,  brille  d'un  éclat  intense,  et,  d'un 
l'autre,  elle  scintille,  voûte  formée  d'étoiles  éblouis- 

s  heures  et  les  saisons  ne  sont  pas  seules  capables 
)rmer  ce  ciel  aux  aspect  mobiles.  Nous  ne  pouvons 

relever  tous  les  passages  où  Thomson  en  a  noté 
ipparence  pittoresque.  A  l'approche  de  l'orage  il  se 
3  nuées.  «  Le  vent  du  sud  se  répand,  échaufTe  l'air 
îe,  et  sur  le  ciel  vide  son  souffle  forme  les  grosses 
3utes  gonflées  d'averses  printanièrcs.  D'abord  on  voit 

une  grise  volute  qui  fait  à  peine  une  tache  sur  le 
lis  rapidement,  en  amas  accumulés,  les  nuées  épaisses 
înt  le  ciel  chargé  ;  elles  se  mêlent  profondes,  et  une 
té  opaque  couvre  tout  l'horizon... .  Peu  à  peu  la  brise 
ce  à  un  calme  absolu  \...  n  Et  quand  la  pluie  ainsi 

a  pris  fin,  a  dans  le  ciel  du  couchant  le  soleil 


/i,   1082-1114.  —    L>.    Winler,  118-129.   -  3.   Ibid.,   738-741.  — 
H3-I55. 


264  JAMES   THOMSON. 

((  qui  6'al»aisr>(*  re[>îu*;ul   radieux  au  milieu  des  rougeurs  des 
a  nuages  divisés  que  ses  rayons  égaient  de  changeantes  cou- 
c  leurs  *  ».  Le  pinceau  du  poète  se  charge  de  teintes  plus 
violentes  pour  nous  montrer  un  ciel  d'été  où  va  éclater  la  tem- 
pête.  ((  S'accumulant  lentement  au-dessus  du   bois  devenu 
«  livide,   une  obscurité  éti'ange   s'amoncelle,   et   grandit,  et 
«  prend  possession  du  ciel  entier  qu'emplissent  les  vapeurs 
a  funestes  exhalées  des  couches  secrètes  où  dorment  les  miné- 
«  raux.  Le  nitre,  le  soufre,  le  gaz  ardent  du  gras  bitume,  se 
«  répandent  dans  l'air,  et  leurs  amas  aux  nuances  variées  où 
«  se  cache  la  flamme  souillent  le  ciel  -....  »  —  L'horreur  de 
l'orage  dont  la  description  suit  les  vers  que  nous  venons  de 
traduire,  rend  plus  radieux  le  retour  du  soleil  et  l'affranchis- 
sement du  ciel  :  a  A  mesure  que  de  la  face  du  ciel  les  nuages 
a  dispersés  s'éloignent  tumultueusement,  la  voûte  immense 
c  s'enfle  plus  sublime,  et  sur  le  monde  elle  étend  unazu* 
«  plus  pur.  La  nature  après  l'orage  brille  d'une  fraîcheu*^ 
«  nouvelle;  à  travers  l'air  plus  léger  un  éclat  plus  vif,  u^ 
a  calme  plus  limpide  tremblent  et  se  répandent.  Et  cependaa*'^ 
«  comme  signe  du  danger  passé,  une  brillante  robe  de  joi-^ 
«  que  rehausse  l'abondance  des  jaunes  rayons  recouvre  \^^ 
«  champs;  la  nature  ranimée  sourit  '.  » 

Il  faudrait,  pour  ne  rien  oublier,  reproduire  aussi  la  descrip^ 
tion  de  Tarc-en-ciel  après  la  pluie  de  printemps  *,  celle  d'u 
ciel  polaire  '',  celle  d'un  ciel  africain  embrasé  par  le  simoun,  o 
d'un  ciel  bouleversé  par  le  typhon  *;  d'autres  passages  encor 
Au  total  le  poème  ne  renferme  pas  moins  de  vingt-six  descrip 
lions  des  aspects  du  ciel.  Nous  venons  de  voir  de  quelle  valeu 
ils  sont.  Aucun  poète,  sans  excepter  Wordsworth  qui  pendan 
soixante  ans  a  promené  sur  la  nature  l'objectif  de  son  observa^** 
tion  patiente,  sincère  et  enthousiaste,  aucun  poète  a-t-il  réussie 
à  transcrire  aussi  vivement,  avec  une  plus  grande  magie  des^ 
mots,  ces  mille  aspects  ondoyants  du  ciel,  des  nuages  et  dés- 
astres ?  Nous  ne  sommes  pas  surpris  qu'un  autre  poète,  un  de 
ceux  aussi  que  l'inconstante  splendeur  du  ciel  et  de  la  lumière 
attiraient  plus  que  tout  autre  objet,  le  peintre  ïurner,  ait  par- 
fois voulu  joindre  son  génie  à  celui  de  Thomson,  et  fixer  sur 


1.  Sprhiff,  188-100.  —   2.  Sumnier,  UOaiMl.  —  3.   Ibid.,  1223-1232.   — 
4.  Sprinr/,  203-206.  —5.  Winter,  859-864.  —  6.  Smwwc/-,  961-992. 


LES   OnJETS   DÉCRITS.  ^65 

sa  toile  l^s  ouleiirs  et  les  l'ayoïis  qui  vibrent  dans  les  vev^  des 
«Saisons  »  '.  S'il  est  vrai,  comme  le  pensait  Ampère,  qu'on  ne 
doive  pas  juger  un  poète  avant  de  connaître  son  soleil,  Thomson 
peut  hardiment  solliciter  ce  jugement-. 


: 


II 


La  Mer. 


On  peut  à  bon  droit  s'étonner  que,  dans  cette  œuvre  où  le  ciel 
est  si  curieusement  et  amoureusement  peint,  on  rencontre  peu 
de  descriptions  de  la  mer.  Le  poète  écossais  a  bien  le  sentiment 
Que  ce  qui  fait  le  caractère  particulier  de  sa  terre  natale,  ce  qui 
inexpliqué  tous  les  traits,  ce  qui  la  rend  si  diflférente  de  toute 
*utre  région  montagneuse,  c'est  la  présence  continuelle  de  la 
'ïier  souriante  ou  formidable,  qui  bat  les  côtes,  pénètre  de 
toutes  parts  dans  les  terres  par  ses  a  firtlis  »  et  ses  ((  lochs  »,  et 
^^mble  prolongée  au  cœur  même  du  pays  par  les  lacs  qu'elle 
alimente  et  qui  reproduisent  ses  grâces  et  ses  colères.  Ne 
devrait-on  pas  s'attendre  à  voir  (!hez  lui,  comme  chez  Théo- 
^rite,  la  mer  partout  présente  dans  une  poésie  toute  insu- 
laire '?  Thomson  est  loin  cependant  de  lui  donner  pareille 
importance.  Dans  sa  description  de  TÉcosse,  il  note  d'un  trait 
^pide  la  proximité  de  ce  puissant  voisin  ;  mais  rien  ici  qui  sup- 
l)Ose  ni  qui  évoque  une  vision  directe  :  «  Voici  la  Galédonie  et 
«  ses  hautes  montagnes.  Elles  sont,  grâce  à  la  mer  onduleuse, 


1.  •  Turner  emprunte  au  •  Printemps  •  de  Thomson  Le  lac  Buttermere 
(effet  de  pluie),  National  Gallcry,  n»  460.  »  (Cuesneau,  la  Peinture  anglaise, 
p.  133.) 

Une  autre  peinture  de  Turner,  n"  492  de  la  Galerie  Nationale,  a  pour 
titre  Frosty  Morning,  et  pour  thème  ce  vers  : 

-  The  rigid  hoar  frost  melts  before  his  beam.  » 

(Aulumn,  1159.) 

2.  •  On  ne  comprend  pas  bien  le  coloris  d'un  poète,  si  Ton  ne  connaît 
son  soleil.  -  (J.-J.  Ampère,  cité  par  Mérimée  recevant  Ampère  à  l'Aca- 
démie.) 

3.  «  Dans  celte  poésie  insulaire,  on  aperçoit  sans  cesse  la  mer  à  Tho- 
rizon.  »  (J.-J.  Ampère,  la  Poésie  grecque  en  Grèce,  chap.  ii.) 


266  JAMES  THOMSON. 

«  enveloppées  d'un  air  vif  et  subtil  qui  aiguise  les  âmes  ^...  » 
Et  c'est  tout.  Pas  un  mot  pour  décrire  ces  prodigieuses  scènes 
de  la  côte  d'Ecosse,  où,  dans  les  tempêtes  terribles  de  la  racr 
du  Nord  ou  de  TAtlantiquo,  les  vagues  livrent  de  si  furieux 
assauts  aux  falaises  de  granit.  Pas  un  souvenir  de  ces  aspects 
tour  à  tour  charmants  et  grandioses  de  la  côte  occidentale,  0(1 
les  Hébrides  étendent,  le  long  d'un  rivage  merveilleusement 
découpé,  leurs  îles  aux  formes  capricieuses,  et  les  curieux 
défilés  de  leurs  détroits,  et  leurs  montagnes  qui  semblent 
surgir  de  la  mer,  et  les  mille  accidents  pittoresques  de  ce  rivage 
fameux. 

Ailleurs,  il  est  vrai,  il  arrive  au  poète  de  mentionner  cesiles 
écossaises.  C'est  pour  y  noter  la  multitude  des  oiseaux  qui  y 
vivent.  Le  caractère  de  cette  région  est  fixé  brièvement  en  deux 
traits.  «  Là  où  Tocéan  du  Nord,  en  vastes  tourbillons,  bouil- 
c  lonne  autour  des  îles  nues  et  tristes  de  la  lointaine  Thulé,  là 
«  où  la  houle  de  TAtlantique  se  déverse  parmi  les  Hébrides 
«  orageuses  *....  » 

A  défaut  de  peintures  précises,  savamment  développées, 
comme  celles  qui  nous  ont  été  données  du  ciel,  les  «  Saisons  • 
offrent  cependant  quelques  scènes  où  ce  puissant  acteur  joue 
son  rôle.  Toutes,  sauf  une  ou  deux  exceptions,  sont  des  scènes 
de  bouleversement  et  de  tempêtes.  «  Au  milieu  de  l'hiver  sau- 
«  vage,  je  voudrais  me  retirer  entre  la  forêt  gémissante  et  le 
«  rivage  battu  par  l'infinie  multitude  des  flots,  dans  un  séjour 
«  rustique,  abrité,  solitaire  '.  »  Voilà  la  seule  occasion  où  le 
poète  exprime  le  désir  d'avoir  la  mer  pour  voisine,  et  voici  les 
seules  où  elle  lui  offre  un  spectacle  qui  le  charme  :  «  Aux 
«  splendeurs  du  soleil  couchant,  l'air,  la  terre  et  l'océan  sou- 
«  rient  dans  leur  immensité*  ».  —  «  L'océan  amer,  vu  du 
«  sommet  de  quelque  promontoire  aigu,  réfléchit,  toujours 
«  mobile,  jusqu'aux  limites  extrêmes  de  l'horizon  bleuâtre,  un 
«  rayon  flottant  ^  »  La  beauté  de?  la  peinture  est  hors  de  doute, 
mais  on  voit  que,  même  dans  ces  deux  exemples,  le  poète  est 
surtout  frappé  du  caractère  violent  ou  mélancolique  de  la  mer. 
Le  soleil  n'évoque  pas  sur  ses  flots  Timpression  de  joie  qu'il 
sait   répandre  sur  le   désert  ^  La   mer  plissée  de  sourires, 


1.  Atthimn,  8x0-x83.     -   2.   M/rf.,   862-865.   —    3.    Winier,   425-42».  - 
4.  Summe,\  1623-1621.  —  :\.  Ihifi.^  167-170.  -6.  Iht'd.,  163. 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  267 

.>i)5iOjxov  ytXxajxx  *,  la  mer  qu'une  agitation  légère  couvre  de 
aille  fleurs,  la  mer  bienfaisante  qui  nourrit  ou  enrichit  les 
lommes,  et  qui  rapproche  les  nations,  Thomson  ne  voit  guère 
es  aspects.  Il  s'attache  de  préférence  à  dépeindre  les  colères 
e  l'océan  déchaîné  :  «  C'est  surtout  sur  la  mer  dont  les  vagues 
flexibles  obéissent  à  la  tempête,  que  la  fureur  du  vent  gran- 
dit. Sur  Tocéan  redouté  que  creusent  de  longues  ondula- 
tions, sous  la  ligne  de  feu  qui  entoure  le  globe,  le  typhon 
tournoyant,  lancé  d'un  bout  de  l'horizon  à  l'autre,  épuisant 
toute  la  rage  de  tout  le  ciel,  le  typhon  règne  et  la  trombe 
impitoyable.  Dans  le  ciel  d'une  sérénité  trompeuse,  la  tem- 
pête couve,  condensée  dans  un  petit  nuage  qui  fait  une  tache 
sur  l'azur.  Igooré  de  tous,  sauf  du  marin  expérimenté,  le 
signe  précurseur  plane,  ardent  et  cruel,  ou  bien  sur  le  front 
de  quelque  promontoire  il  amasse  ses  forces.  Le  démon  pro- 
duit d'abord  un  calme  trompeur,  puis  il  lance  une  brise 
légère  pour  tenter  le  navire  à  déployer  ses  voiles.  Et  alors 
tout  à  coup  s'abat  sur  la  mer  une  masse  confuse  de  vents 
mugissants,  de  flammes  et  de  flots  en  torrents  '.  » 
Ce  sont  surtout  les  préliminaires  de  la  tempête  qui  l'ont 
1  arrêté.  Il  dépeint  avec  plus  de  détail  et  d'insistance  les 
erreurs  d'une  tempête  sur  les  mers  d'Europe  :  «  L'océan, 
sous  une  pression  inégale,  se  soulève  d'un  mouvement  rompu 
et  désordonné....  Alors  d'une  explosion  soudaine  la  tempête 
se  déchaîne  et  lance  comme  un  torrent  toute  la  masse  de 
l'eau   bouleversée.    Sur    la   mer   impuissante   cette   force 
iérienne  s'abat,'  et  la  violence  du  vent  creuse  jusqu'à  son 
it  l'océan  décoloré.  Et  pendant  toute  la  durée  de  cette  nuit 
loire  dont  l'aile  immense  recouvre  Thorizon  ',  l'onde  fouettée 
lans  cette  lutte  terrible  se  couvre  d'écume;  le  sommet  de  ses 
nille  vagues  semble  s'embraser. 

'<  I..es  flots,  énormes  comme  des  montagnes,  s'élèvent  en  un 
iésordreaff'reux  jusqu'au  ciel,  pour  éclater  l'un  après  l'autre, 


u»  îioç  at6f,p  xal  ta/OirTepo:  Tcvoal, 
Koraftâv  xe  iCTjvai  tcovtîwv  tî  xvi|xsTri>v 
ivr,piO{iov  Y^Xa^iia,  7ra|i;xf,T(i>p  te  yf,, 
xa\  Tov  iravisT/jV  x*ix)ov  t,).îo*j  xaXtô. 

•Eschyle^  •  Promcthée  ».'. 
Sumtner,  980-996. 

Le  vers  anglais,  fort  beau,  est  dà  à  nue   suggestion    de    Pope    qui 
•"élre  8*C8t  souvenu  de  Miilon.  Voir  plus  liant,  p.  147  et  n.  2. 


268  JAMES  THOMSON. 

«  et,  avec  un  fracas  formidable,  retomber  en  chaos.  Les  navire 
«  à  1  ancre  sont  chassés  de  leur  station  et  fuient  éperdus,  au^ 
«  rapides  que  les  vents,  sur  le  désert  hurlant  des  eaux  irré- 
«  sistibles.  Tantôt  ils  escaladent  gémissants  la  vague  gonflée, 
«  tantôt  ils  se  précipitent  au  fond  des  retraites  cachées  de 
«  Tabîme,  et  entendent  tonner  les  ilôts  au-dessus  d*eux.  Puis 
«  ils  remontent,  et,  poussés  par  le  souffle  de  tous  les  vents 
«  réunis,  ils  volent  vers  des  côtes  lointaines,  —  à  moins  qu'un 
«  rocher  aigu  ou  quelque  barre  perfide  ne  les  arrête,  les  brise 
«  et  les  disperse  en  fragments  flottant  épars  *.  » 

On  voit  que,  si  Thomson  a  borné  son  observation  à  un  des 
aspects  de  la  mer,  au  moins  a-t-il  su  le  peindre  avec  une  sin- 
gulière puissance.  11  s*est  attaqué  à  une  vision  plus  grandiose 
encore,  et  en  quelques  vers  comparables  aux  plus  sublimes 
tableaux  de  Milton,  il  a  évoqué  le  spectacle  du  cataclysme 
diluvien  : 

<(  A  une  époque  lointaine  et  obscure,  un  déluge  survint.  Le 
«  globe  qui  recouvrait  de  ses  voûtes  les  eaux  centrales  s'ou\Til 
«  en  crevasses  profondes,  et,  partout  brisé,  s'écroula  dans 
«  Tabîme.  Sur  les  montagnes  immenses  formées  par  les  débris 
a  de  la  terre,  les  eaux  passèrent  en  vagues  énormes,  jusqu'à 
«  ce  que,  du  centre  jusqu'aux  nuages  qui  se  déversaient  en 
a  torrents,  rien  n'apparut  plus  autour  du  globe  que  les  flots 
(L  tunmltueux  d'un  océan  sans  rivage  *.  » 

En  contraste  avec  ces  descriptions  où  le  peintre  a  surtout 
vu  le  mouvement  et  la  violence  de  la  mer,  en  voici  d'autres 
qui  l'ont  frappé  par  un  caractère  d'immobilité  non  inoins 
efl'rayante.  Il  nous  montre  l'exilé  russe  errant  dans  sa  prison 
de  déserts  sans  limites,  a  Rien  ne  frappe  ses  regards  que  la 
«  neige  couvrant  le  sol  et  chargeant  lourdement  les  arbres,  et 
«  des  fleuves  solidifiés  qui,  à  travers  Timmense  solitude,  éten- 
«  dent  jusqu'à  la  mer  leurs  horreurs  glacées'.  »  Il  les  suit 
jusque-là  et,  dans  les  mers  polaires,  nous  montre  «  des  mon- 
«  tagnes  de  glace  entassées  énormes  sur  des  montagnes.  Le 
«  marin  frissonnant  les  aperçoit  de  loin  informes  et  blanches, 
«  comme  une  atmosphère  de  nuages.  Parfois,  surplombant  les 
«  flots,  des  cimes  se  dressent  menaçantes  au-dessus  d'autres 
«  cimes;  ou  bien  s'écroulant  avec  un  bruit  terrible,  comme  si 

\.  Winter,  148-174.  —  i>.  Sprim/,  308-3i:3.  —3.   Winter,  801-805. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  S69 

«  le  chaos  s'emparait  de  nouveau  du  monde,  elles  entr'ouvrent 
«  au  loin  la  mer  et  ébranlent  le  pôle  solide.  L'océan  Jui-mème 
«  ne  peut  se  défendre  de  la  puissance  furieuse  qui  enchaîne 
«  la  nature,  mais,  saisi  au  milieu  des  colères  de  sa  tempête, 
«  par  le  froid  irrésistible,  il  est,  jusqu'à  une  profondeur  de 
t  maintes  toises,  enchaîné,  incapable  désormais  de  rugir,  — 
«  désert  lugubre,  hérissé  de  vagues  rocheuses,  inhospitalier  à 
«  toute  joie  et  à  toute  vie  *...  » 

Gomme  si  ces  tableaux  d'un  monde  mystérieux  et  effrayant 
exerçaient  sur  lui  un  attrait  particulier,  le  poète  revient  encore 
à  ces  paysage  polaires  pour  nous  y  montrer  l'effet  du  dégel  : 
Ces  mers  mornes  qui  entourent  Tàpre  pôle  ne  vont  plus 
souffrir  les  entraves  du  nord  puissant;  mais,  éveillant  tous 
leurs  Ilots,  elles  se  soulèvent  irrésistibles.  Ecoutez!  le  gron- 
dement se  prolonge  ;  il  s'étend  sans  arrêt  à  travers  les  glaces 
qui  se  fendent.  Puis  tout  à  coup  elles  éclatent,  et  dressent 
jusqu'aux  nues  mille  montagnes  formées  de  leurs  amas. 
Malheur  à  la  barque  chargée  de  misérables  pleins  d'effroi 
qui,  ballottée  parmi  ces  fragments  flottants,  jette  l'ancre  à 
l'abri  d'une  île  de  glace,  quand  la  nuit  accable  la  mer  et  rend 
cette  horreur  plus  horrible!  Quelle  force  humaine  peut 
résister  aux  maux  qui  s'unissent  pour  les  assiéger?  La  faim 
qui  leur  ronge  le  cœur,  une  lassitude  impuissante,  le  rugis- 
sement des  vents  et  des  vagues,  le  fracas  des  glaces  qui 
s'écroulent,  cessant  un  moment  pour  se  renouveler  avec 
plus  de  rage  et  de  bruit,  et  mugissant  au  loin  dans  d'ef- 
frayants échos  *.  » 

La  mer  de  Thomson  ne  vaut  pas  son  ciel.  Elle  n'est  pas 
ariée  comme  nous  la  montre  la  nature;  le  poète  ne  la  voit  que 
ous  son  aspect  terrible.  Dans  ces  descriptions,  il  y  a  plus 
l'emphase  que  le  sujet  lui-même  ne  l'exige;  le  peintre  s'y 
neutre  à  nous  observateur  moins  délicat  et  artiste  moins  sin- 
cère que  nous  ne  l'avions  vu  dans  ses  premiers  tableaux.  Mais 
a  part  ainsi  faite  aux  lacunes  et  aux  défauts,  ne  serait-il  pas 
)iseux  de  signaler  la  puissance  de  langage,  la  maîtrise  robuste 
ivec  laquelle  le  jeune  poète  luttait  contre  les  plus  grandioses 
;t  les  plus  terrifiants  spectacles  de  la  nature  et  en  fixait  des 
mages  d'une  beauté  saisissante?  De  tous  les  poètes  qui  depuis 

1.  Winter,  006-019.  —  2.  Ibifi.,  007-1043. 


270  JAMES  THOMSON. 

ont  voulu  peindre  les  colères  de  rocéan,  il  n'en  est  guère  en 
Angleterre,  sans  excepter  Byron,  qui  ne  se  soient  souvenus  de 
l'auteur  des  «  Saisons  ))  et  ne  lui  aient  emprunté  quelques-uns 
de  Ieui*s  effets;  il  n'en  est  pas  qui  Talent  surpassé  en  tragique 
grandeur.  Quand  Hugh  Miller,  un  savant  qui  fut,  lui  aussi,  un 
peintre  puissant,  voulut  d'un  trait  évoquer  l'aspect  de  la  terre 
à  l'une  des  lointaines  époques  géologiques,  il  crut  ne  pouvoir 
mieux  l'aire  que  d'emprunter  à  Thomson  un  vers  magnifique  : 

A  shoreless  Oceaa  tumbles  round  the  globe  *. 


III 


La  Montagne. 

Plus  rares  encore  et  plus  brèves  sont  les  descriptions  de 
montagnes;  mais  nous  n'en  éprouverons  pas  la  même  sur- 
prise. La  perception  d'une  beauté  dans  les  spectacles  que  pré- 
sentent les  régions  montagneuses  est  une  des  acquisitions  non 
seulement  de  la  littérature  mais  de  l'àme  modernes.  Avec  la 
riche  complexité  et  la  profonde  analyse  du  drame,  elle  con- 
stitue les  principaux  accroissements  ajoutés  par  l'esprit  humain 
au  patrimoine  poétique  légué  par  l'antiquité.  La  Grèce  elle- 
méirie,  cette  terre  d'élection  de  l'art,  a  produit  sa  moisson  de 
chefs-d'œuvre  au  pied  de  monts  majestueux,  sans  rien  soup- 
çonner des  émouvantes  impressions  qu'ils  pouvaient  fournir, 
a  Les  influences  cliarmantes  des  douces  brises,  des  ruisseaux 
n  sonores,  des  couverts  ombreux,  des  lits  de  violettes,  ou  de 
a  l'ombrage  des  platanes,  les  écrivains  païens  les  ont  ressenties, 
«  peut  être  plus  noblement  que  nous;  mais  ils  n'ont  rien  trouvé, 
(L  que  la  frayeur,  sur  la  montagne  nue,  ou  dans  la  gorge  mysté- 
(L  rieuse  ^  »  La  constatation  ainsi  faite  par  M.  Ruskin  est  insuf- 
fisante. L'àme  grecque  n'était  pas  ouverte  uniquement  aux 

1.  Sprifig,  31î>. 

2.  •  The  picasant  influences  of  sofl  winds,  and  ringing  slreamlets,  and 
shady  co verts,  of  thc  violet  couch  and  paiin-tree  shade,  tliey  (Ihe  Uealhen 
writers)  received,  perhaps  in  a  more  noble  way  than  we;  but  Ihey  fourni 
nol  anything,  exccpl  feur,  upon  Uic  bare  mountain,  or  in  Ibe  ghostly 
glen.  ■  {Kusum,  Modem  Painlers,  11,  vol.  I,  p.  42.) 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  271 

essions  modérées  et  douces.  Sa  poésie  fourmille  de  vers 
iiontrent  combien  elle  ressentait  vivement  Témotion  du 
nie  et  de  l'infinie  grandeur  en  face  de  spectacles  tels  que 
du  firmament  et  de  la  mer.  Mais  si  nous  nous  sommes 
ués  à  unir  ces  deux  termes,  la  mer,  la  montagne,  comme 
manifestations  diverses  d'un  même  caractère  des  forces 
elles,  il  n'en  était  pas  ainsi  des  Grecs.  Leur  admiration 
attachée  uniquement  à  l'océan.  Cette  mer  sur  les  rivages 
juelle  se  développe  leur  civilisation,  ce  tcovtoç,  ce  a  grand 
in  »  qui  réunit  les  membres  épars  de  la  glorieuse  famille, 
une  puissance  formidable  qu'ils  ont  en  quelque  degré 
liée.  C'est  un  inconnu  auquel  ils  ont  en  partie  arraché 
lecret.  C'est  une  force  qui,  dans  ses  déchaînements  les 
:;fTrayants,  manifeste  encore  cette  unité  qui  plaît  à  leur 

épris  d'ordre  et  d'harmonie.  Quant  aux  montagnes,  ils 
l(Mit  n'y  voir  que  les  etïets  de  forces  désordonnées.  Pour 
nylhologie  et  pour  leur  poésie,  ce  sont  ou  bien  les  instru- 
>  de  lutte  ou  de  supplice  d'êtres  monstrueux,  ou  bien  le 
'  inaccessible,  jamais  visité,  jamais  décrit,  des  puissances 
ieui'es.  Ne  peut -on  pas  exprimer  une  surprise  et  un 
:  en  pensant  que  lorsque  Eschyle  enchaîne  au  flanc  des 
;  son  Prométhée,  il  ne  tente  aucune  description  de  cette 
3  affreuse  avec  laquelle  étaient  dignes  de  lutter  sa  langue 
mte  et  ses  a  mots  de  six  coudées  »? 

Latins,  élèves  et  imitateurs,  ne  verront  pas  ce  qui  a 
pé  à  leurs  maîtres.  Leur  sentiment  de  la  mer  est  plus  res- 
et  plus  étroit.  Moins  familiers  avec  elle,  ils  n'en  connais- 
juère  les  grâces  et  les  caresses.  Pour  Lucrèce,  pour 
e,  pour  Virgile,  elle  est  surtout  perfide,  violente,  objet 
»i.  Lorsque  Catulle  note  en  elle,  même  sous  l'orage,  le 
le  et  les  sourires  de  ses  couleurs  changeantes,  on  peut  se 
ider  s'il  fait  autre  chose  que  reproduire  une  impression 
le  '.  —  Quant  aux  montagnes,  à  plus  forte  raison  doivent 

«  Hic,  qualis  flatu  placiduin  mare  matutino 
norrificaos  Zephyrus  proclivas  incilat  undus 
Aurora  exorionle  vagi  sub  limina  solis, 
Quœ  tarde  priuium  démenti  flamine  pulsœ, 
Proceduni  leni  resonanl  plangore  cachinni. 
Post  vento  crescenle  magis  magis  increbescunt 
Purpureaqiie  procul  nantes  a  luce  refuIgcDt.  • 

(Catulle,  LXIV,  269-215.) 


â73  JAMES  THOMSON. 

elles  conserver  leur  caractère  de  mystère  et  de  terreur.  Une 
fois  seulement  Virgile  leur  consacre  un  trait  tfe  descriptkm 
qui  même  s  accompagne  d'une  sympathie  bien  nouvelle,  i  le 
vieil  Apennin  qui  rugit  de  tous  ses  chênes  et  qui  soulève  avec 
exaltation  jusqu'au  ciel  ses  sommets  blancs  do  neige  *  ».  Mais 
l'opinion  esthétique  de  cette  littérature  et  de  cette  société  est 
exprimée  par  Quintilien  :  oi  La  beauté  est  le  privilège  des 
a  pays  qui  s'étendent  près  de  la  mer,  plats  et  agréables  *  i. 

La  Renaissance  n'a  pas  comblé  la  lacune  laissée  par  l'anti- 
quité, non  pas  même  avec  Shakespeare.  Sans  doute  il  fait 
passer  quelquefois  dans  ses  drames  l'impression  physique  des 
régions  montagneuses.  On  sent,  dans  certaines  scènes  de 
Cymbeline,  l'air  aigu,  le  grave  silence  des  monts.  Mais  il  n'a 
nulle  part  porté  sur  celte  partie  du  monde  matériel  son 
extraordinaire  pouvoir  d'observer  et  de  décrire.  M.  Ruskinse 
félicite,  dans  une  page  curieuse,  de  cette  ignorance  du  maître; 
il  y  voit  une  dispensation  de  la  Providence  ^. 

A  coup  sûr  nous  ne  demanderons  pas  aux  modernes  littéra- 
tures classiques  la  révélation  de  ce  domaine  encore  inexploré. 
Elles  ferment  les  yeux  même  aux  tableaux  qui  depuis  plus  de 
vingt  siècles  avaient  provoqné  sans  la  lasser  Tadmiration  des 
hommes  *.  A  peine  un  mot  vient-il  de  temps  en  temps,  chez 
les  plus  Imaginatifs  des  écrivains  de  notre  grand  siècle,  laisser 
entendre  que  Ton  pouvait  voir  dans  les  montagnes  autre  chose 
que  de  gênantes  et  laides  murailles  *.  Il  n'en  va  pas  autrement 
chez  les  auteurs  anglais.  Le  sage  Evelyn  devenait  épigramma- 

1.  «  Quantus  Athos,  aut  qiiautiis  H)ryx,  aul  ipsc.  coruscis 
Cum  frémit  iiicibiis,  quantiis,  gaiidet(|iie  nivali 
Verlicese  atlolleni»  paler  Aponniniis  ad  auras.  • 

C«  Enéide  -,  XH,  099-701,  éd.  Beiioist.) 

2.  «  SpecJes  maritimis,  plani?,  anuruis.  •  (Cité  par  Shâirp,  On  the  Inter- 
prétation of  Sature,  chap.  x,  p.  \  Wl.) 

3.  -  So  far  as  nature  had  any  influence  over  Ihc  early  Iraininft  of  Ihi» 
man,  il  was  cssentini  to  his  pcrfcctness  tlint  the  nature  ï^hnnld  be  quiet..** 
Shakespeare  eould  be  allowed  no  niounlains.  -  [Modem  Painters^  vol.  IV, 
part  o,  ch.  xx,  p.  372  et  auiv.) 

4.  •  Quelle  que  soit  la  liante  valeur  morale  de  notre  liltirature  classi- 
que.... elle  exclut  trop  la  nature  visible,...  tout  le  domaine  de  Timagina- 
tion,  pour  constiluer  une  véritable  poésie,  pour  être  rien  de  plus  qu'une 
éloquente  et  sublime  prose.  •  (De  Laphade,  le  Sentiment  de  la  Nature  avant 
le  Christianisme,  p.  -410. 

5.  Comme  Pexclamation  de  Mme  de  Sévignc  sur  •>  les  alTreuses  beautés  > 
des  montagnes. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  273 

tique  pour  noter  que  «  la  Nature  a  balayé  et  amoncelé  dans 
I  les  Alpes  tous  les  décombres  de  la  terre,  alin  de  former  et  de 
ï  nettoyer  les  plaines  de  la  Lombardie  *  ».  Le  poète  Blackmore 
ttlest  pas  moins  énergique  dans  sa  réprobation  d'une  erreur 
manifeste  du  Créateur  :  «  Les  montagnes,...  ce  fardeau  encom- 
ibrant  qui  déshonore  la  terre*  ».  Fleming,  né  dans  un  pays  de 
montagnes,  s'efTorce  de  justifier  le  Créateur  et  de  leur  trouver 
une  finalité  :  «  Klles  offrent  »,  dit-il,  a  un  refuge  aux  bêtes 
I  sauvages'  ».  Addison  se  contente  de  résumer  ainsi  ses  impres- 
sions, après  son  passage  dans  la  partie  la  plus  admirable  de 
l'Europe  :  a  Je  viens  d'arriver  à  Cenève,  par  un  bien  ennuyeux 
'  voy»ige  à  travers  les  Alpes.  J'y  suis  resté  pendant  plusieurs 
ï  jours  à  grelotter  au  miliou  des  neiges  perpétuelles.  J'ai  la  tète 
ï  encore  étourdie  de  montagnes  et  de  précipices,  et  vous  ne 
'  pouvez  imaginer  combien  me  fait  plaisir  la  vue  d'une  plaine*.  » 

Très  différente  fut  en  somme  Tattitude  de  Thomson  en  face 
les  monts.  Quand  il  aura  vu  les  grandes  Alpes  (c^r  il  doit  lui 
•ussi  les  franchir),  il  en  rapportera  quelques  impressions 
grandioses.  Nous  les  retrouverons  dans  <(  La  Liberté  »  où 
lies  sont  un  des  lambeaux  de  pourpre,  purpurei  panni,  du 
rave  poème.  Il  lui  arrivera  alors  de  s'écrier  au  sujet  de  son 
onfrère  Glover  :  «  Lui,  écrire  un  poème  épique!  11  n'a  jamais 

vu  de  montagne*!  »  A  l'époque  où  il  écrit  les  a  Saisons  »,  il 
l'a  pas  encore  ressenti  le  grand  coup  de  surprise  et  d'admi- 
ation  que  donne  un  panorama  de  hautes  montagnes.  Mais, 
*il  n*a  eu  sous  les  yeux  que  les  effets  à  échelle  réduite  de  ses 

i.  •  Nature  has  swept  up  Ihe  rubhisli  of  ihe  earth  in  the  ÂIps  to  form 
nd  clear  the  plains  of  Lombard  y.  »  (Cité  dans  Chambehs's  Cffclop/ediaj 
ûl.  I,  p.  460.) 

2 -  the  hills 

That  earth 's  dishonour  and  encumbering  load.  - 

(Ulackmorb.  The  Création.) 

3.  «  ....  In  the  seventeenth  centiiry,  one  of  the  niost  enlightencd  of  the  reli- 
ous  mon  of  his  day  (Fleming),  himself  a  native  of  ;i  niountain  country, 
sting  about  for  soiue  reason  to  cxplain  to  himself  the  existeuce  of  mon- 
ins,  can  light  upon  this  reason  only  :  they  are  inhabiled  by  the 
lasls.  •  (Ri'SKiN,  Modem  Painters,  vol.  IV,  part,  v,  chap.  vu,  p.  94.) 

4.  «  I  am  just  arrived  at  Geneva,  by  a  vcry  troiiblesome  journey  over 
e  Âlps,  where  I  hâve  been  for  some  days  togelher  shivering  among  the 
ernal  snows.  My  head  is  stiU  giddy  >vith  mountains  and  preiûpices,  and 
>u  cau't  imagine  how  much  I  am  plcasied  with  the  sight  of  a  plaiu.  • 

5.  -  Hc  Write  ao  epic  poem,  who  nevcr  saw  a  mountain  !  »  (Cité  dans 
iAMBEns*s  Ctjchp,rdia  of  Eufflish  Lileralure,  vol.  I,  p.  682.) 


374  JAMES  THOM&ON. 

monts  d'Ecosse,  au  moins  n'est-il  pas  resté  insensible  à  leur 
caractère  et  à  leur  charme.  Il  lui  arrive  rarement  d'en  évoquer 
la  vision  devant  nous  par  une  description  directe.  C'est  tou- 
jours à  propos  d'un  phénomène  ou  d'une  apparence  secondaires 
qu'il   en  fait  mention.  Â  la  fonte  des  neige-s  on  voit  €  les 
«  monts  élever  vers  le  ciel  leurs  têtes  verdoyantes  *  )>.  a  Après 
«  l'orage,  le  premier  rayon  du  soleil  va  frapper  la  montagne  qui 
«  s'illumine  '.  »  —  Et  de  même  à  Taurore  «  le  rocher  humide, 
((  le  sommet  brumeux  de  la  montagne  surgissent  à  nos  yeux  et 
«  s'éclairent  de  la  lueur  matinale'  ».  —  Au  lever  du  soleil  «le 
«  nuage  disparaît,  l'azur  s'enflamme,  le  front  de  la  montagne 
<(  s'illumine  d'or  fluide*  ».  —  Le  dernier  rayon  du  soleil  cou- 
chant s'attarde  sur  le  mont  *;  et  la  lune  verse  son  pâle  déluge 
qui  flotte  au  loin  et  se  répand  doucement  sur  la  montagne 
voisine  du  ciel  *.  Dans  les  paysages  d'hiver  nous  voyons  la 
montagne  tactietée  par  l'elTet  du  dégel  '.  —  Les  détails  pitto- 
resques des  hautes  régions  sont  parfois  indiqués  d'une  touche 
ferme  et  sûre.  C'est  a  le  précipice  abrupt  qui  projette  l'horreur 
«  sur  l'onde  noire  du  torrent'  »,  ou  qui  ofl're  un  inaccessible 
abri  à  l'aire  de  l'oiseau  de  proie  *  ;  ou  bien  encore  l'avalanche 
«  qui  roule  d'abîme  en  abîme,  avec  un  bruit  de  tonnerre,  ses 
«  montagnes  de  neige  '°  ».  —  Quelquefois  aussi  le  poète  trace  au 
tond  de  son  tableau,  d'un  trait  rapide,  le  profil  d'une  chaîne 
éloignée,  (c  Le  paysage  rompu  s'élevant  peu  à  peu,  se  hérisse 
«  en  collines  escarpées,  et  au-dessus,  les  monts  de  Cambrie< 
tf  comme  de  lointains  nuages  qui  bordent  l'horizon  bleu,  s'élè- 
<(  vent  sombres  " .  »  Et  quand  le  poète  note  en  quelques  mots  le 
caractère  des  gi'andes  chaînes  qui  forment  l'ossature  du  cx)D- 
tinent  européen  il  trouve  des  traits  précis  et  heureusement 
suggestifs  :  «  Tonte  cette  région,  de  montagnes  farouches  que 
((  les  Alpes  étincelantes,  que  les  Apennins  où  ondulent  l^ 
((  forêts,  que  les  Pyrénées  lancent  comme  des  branches  prodi- 
a  gieuses  jusque  dans  les  pays  lointains  '^...  » 

Rien  de  tout  cela  ne  constitue  la  description  directe  d'une 
montagne.  Une  fois  cependant  le  poète  a  revu  et  nous  * 
montré  le  rocher  qui  terminait  la  vallée  du  Jed,  ce  Carte»" 

1.  S/ning,  vers  17.  —  2.  Ihid.,  v.  190,  l!)l.  —  3.  Swnmer,  v.  54.  55.  -^ 
h.  Ihid.,  V.  83,  84.  —  5.  Ihid..  1691,  1692.  —  6.  Aututnn,  1098,  10^^' 
~  7.  Winter,  994.  --%  8.  Summer,  163,  464.  —  9.  Spring,  452,  453.  " 
10.  Winter,  416-448.  —  11.  Spring,  958-961.  —  12.  Winter,  389-392. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  375 

ell  qui  pendant  ses  jeunes  années  était  pour  lui  «c  la  mon- 

igne  ».  Et,  chose  singulière,   cette  description  (bien  som- 

laire  du  reste)  n'est  introduite  que  pour  constater  la  dispari- 

on  de  l'objet  qu'elle  peint  :  «  La  montagne  hérissée,  énorme 

etsublime,  qui,...  entre  les  royaumes  ennemis,  élève  la  haute 

et  longue  muraille  de  ses  rochers,  la  montiigne  ne  remplit 

plus  la  scène  de  ses  aspects  grandioses  et  variés;  mais  dans 

la  nuit  des  vapeurs  qui  s'amassent,  elle  disparaît  au  regard 

étonné  *.  »  —  La  seule  autre  description  un  peu  prolongée 

ue  renferme  le  poème  est  celle  d'une  région  que  le  poète  n'a 

ueque  par  l'imagination  et  à  travers  les  récils  des  voyageurs; 

e  sont  les  monts  de  l'Abyssinie  '. 

Et  cependant  à  défaut  de  descriptions  i)rolongées,  nous 
rouvons  dans  les  «  Saisons  »  de  nombreuses  traces  de  ce 
entiment  si  naturel  cliez  un  fils  de  l'Ecosse  et  qu'exprimait 
e  dernier  passage  cité  :  la  montagne  est  un  des  traits  les  plus 
mportants  du  décor  de  la  nature.  Proche  ou  lointaine,  elle 
l'est  jamais  absente  des  paysages  de  Thomson.  Nous  venons 
le  voir  comment  elle  s'associe  aux  divers  jeux  de  lumière  où 
>e  plaisent  les  pinceaux  de  notre  peintre.  Un  effet  moins  banal, 
lui  porte  plus  sûrement  la  marque  d'un  souvenir  de  choses 
senties,  c'est  l'évocation  des  voix  de  la  montagne.  L'habitant 
les  vallées  et  des  plaines  se  blase  sur  le  spectacle  de  ces 
nasses  uniformément  imposantes.  Mais  les  bruits  qui  par  inter- 
iiitlences  lui  sont  envoyés  par  ces  géants  inmiobiles  contri- 
buent surtout  à  leur  donner  le  caractère  d'acteurs  importants 
ians  le  grand  drame  de  la  nature.  Lorsque  la  tempête  menace, 
^n  des  présages  qui  frappent  le  poète,  c'est  a  au  milieu  du 
"  silence  de  la  nature,  le  bruit  sourd  qui,  des  montagnes,  roule 
^  sur  la  terre  grondante,  trouble  l'eau  du  fleuve,  et,  sans  un 

*  souffle  de  vent,  agite  les  feuilles  de  la  forêt  ^  ».  —  a  Par  les 
^  bois,  par  les  landes  marécageuses  soupire  le  triste  génie  de 

*  l'orage;  là-haut,  parmi  les  rochers  disjoints  et  branlants, 

*  parmi  les  solitudes  des  montagnes  aux  sommets  fracassés,  les 

*  ruisseaux  bruyants  et  les  cavernes  font  entendre,  comme  un 
^  présage,  un  rauque gémissement  dont  l'écho  se  prolonge  *....  » 
""  «  Des  montagnes,  couvertes  de  forêts  bruissantes,  une  voix 


*•  Autumn,   7H-717.  —  2.  S 
'•  H'm/er,  66-71. 


Summer,   "47-78i.  —  3.   Ibid.,    1116-1120.  — 


â76  JAMES  THOMSON. 

«L  sort  et,  d'un  accent  solennel,  invite  le  monde  à  se  pré- 
a  parer  *.  » 

De  la  montagne  vient  le  présage;  c'est  elle  aussi  qui  prépare 
l'orage  et  le  lance  sur  la  plaine,  m  Le  cercle  des  montagnes 
«  battu  des  vents  enferme  leur  masse  tourbillonnante  et  la 
«  précipite  comme  un  torrent  dans  la  vallée  *.  ^  C'est  d'elle 
enfin  que  viennent  les  torrents  et  les  ruisseaux  qui  formeront 
les  fleuves  :  a  La  rivière,  grossie  de  maint  torrent,  irrésistible, 
a  mugissante  et  terrible,  descend  des  montagnes  sauvages  et 
a  des  solitudes  que  peuplent  les  mousses,  et  bondit  parmi  les 
tt  rochers  abrupts,  avec  un  bruit  retentissant'.  » 

On  le  voit,  Thomson  est  loin  de  négliger  dans  ses  tableaux 
du  monde  la  montagne.  Il  la  mêle  presque  à  toutes  ses  des- 
criptions. Et  ses  montagnes  ne  sont  pas  celles  qui  découpaient 
sur  les  fonds  de  toile  des  peintres  du  paysage  classique  leur 
silhouette  banale  et  sans  vérité.  A  plus  d'un  trait  nous  recon- 
naissons qu'il  a  vécu  dans  leur  voisinage,  qu'il  a  éprouvé  les 
impressions  diverses  de  leurs  aspects  changeants.  Il  a  senti 
leur  beauté;  il  s'élève  par  là  au-dessus  de  la  capacité  esthé- 
tique de  ses  contemporains  et  des  siècles  passés.  Mais  il  n'a 
pas  abordé  de  front,  au  moins  dans  les  «  Saisons  »,  la  tache  de 
retracer  avec  précision  les  caractères  de  ces  paysages  gran- 
dioses; il  n'a  pas  eu  sur  ce  point  l'audace  qui  fait  les  grands 
explorateurs;  et,  comme  la  page  où  il  a  plus  tard  comblé 
cette  lacune,  est  restée  inconnue  au  milieu  d'un  poème  oublié, 
on  peut  dire  que  Thomson  a  laissé  à  d'autres,  parfois  moins 
bien  doués  pour  cette  œuvre,  le  mérite  d'ouvrir  à  la  littéra- 
ture et  à  lesprit  humain  ce  domaine  nouveau.  Les  pages 
révélatrices  de  Gray  et  de  Rousseau,  les  brillantes  ou  éloquentes 
peintures  de  Byron,  de  Shelley,  de  Wordsworth  et  de  Coleridge, 
ou  de  notre  Lamartine  ne  doivent  pas  cependant  nous  faire 
oublier  qu'avant  eux  Thomson  avait  connu  la  beauté  des 
montagnes,  et  leur  avait  fait  une  place  sur  la  scène  du  monde. 

1.   Winter,  1;>1,  152.  —2.  Auttnnn,  3i>2-32i.  —  3.  U'm/er,  94-99. 


^ 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  277 


IV 


Plaines,  champs,  prairies,  landes,  marais,  etc. 

Sans  doute  ces  aspects  que  nous  avons  étudiés,  et  dans  les- 
quels la  nature  se  montre  sublime  et  surhumaine,  sont  ceux 
qui  sollicitent  le  plus  justement  reffort  d'un  grand  artiste.  Ils 
ne  sont  pas  peut-être  ceux  dont  Tinterprétation  nous  révèle  le 
plus  sûrement  chez  récrivain  un  sentiment  pénétrant  et  sûr 
du  monde  visible.  Il  faut  plus  de  délicatesse  de  perception  et 
une  sensibilité  plus  fine  pour  goûter  et  pour  traduire  le 
charme  d'une  scène  simple  et  familière,  d'un  panorama  sans 
accidents  grandioses,  d'un  paysage  de  plaine.  C'est  la  pensée 
qui  se  dégage  des  vers  où  Sainte-Beuve,  observateur  à  coup 
sûr  capable  de  tout  comprendre,  déclare  choisir  pour  son 
domaine  les  aspects  les  moins  imposants  de  la  nature  : 

«  Laissons  Chateaubriand 

ne  rien  demander 

Que  d'entendre  la  foudre  en  longs  éclats  gronder, 

Ou  mugir  le  lion  dans  les  forêts  suixîrbes. 

Bien;  il  faut  Taigle  aux  monls,  le  géant  à  Tabime, 

Au  sublime  spectacle  un  spectateur  sublime. 

Moi,  j'aime  à  cheminer  et  je  reste  plus  bas. 

Quoi!  des  rocs,  des  forêts,  des  fleuves?  Oh!  non  pas, 

Mais  bien  moins;  mais  un  champ,  un  peu  d'eau  qui  murmure, 

Un  vent  frais  agitant  une  frêle  ramure; 

L'étang  sous  labruyère  avec  le  jonc  qui  dort.  • 

Thomson  qui,  nous  l'avons  vu,  a  montré,  dans  la  descrip- 
on  de  quelques-uns  des  grands  tableaux,  une  admirable 
maestria,  Thomson  est  aussi  le  peintre  épris  des  simples 
sautés  de  la  terre,  des  grandes  plaines  couvertes  de  gazon,  ou 
es  champs  de  blé  ondulant  au  souffle  du  vent.  Il  connaît  et  il 
îtrace  le  charme  de  ces  paysages,  dont  l'uniformité  a  aussi  sa 
randeur.  Il  les  a  vus  et  il  nous  les  montre  sous  tous  leurs 
spects,  aux  difiërentcs  heures  du  jour  et  aux  différentes  sai- 
Dns.  Les  descriptions  qu'il  nous  en  donne  ont  une  franche 
aveur  et  un  véritable  parfum  rustique  : 

t  Oh!  loin  de  la  ville  enfumée,...  errer  par  les  champs 


278  JAMES  THOMSON. 

«  mouillés  de  rosée  où  tout  est  fraîcheur!  et,  des  buissons 
a  courbés,  faire  jaillir  les  gouttes  tremblantes,  à  mesure  que 
a  j'avance  dans  le  vert  dédale  des  haies  de  chèvrefeuille!  sentir 
«  Todeur  des  établesî  gravir  quelque  éminence  et  de  lavoir 
c  la  campagne,  aussi  loin  que  Tœil  peut  atteindre,  épanouie 
«  comme  sous  une  pluie  de  fleurs  mêlées,  blanches  et 
«  rouges*.  » 

Évidemment  ce  sont  là  des  tableaux  qui  l'attirent  plus  que 
les  violences  superbes  de  la  mer  ou  Tccrasante  grandeur  des 
montagnes.  Il  y  revient  avec  une  complaisance  manifeste.  C'est 
devant  une  de  ces  scènes  au  charme  discret,  qui  plaisent  sans 
étonner,  qu'il  veut  parler  d'amour  à  la  femme  aimée,  t  Viens 
«  et  promenons-nous  longtemps  en  ce  lieu  où  la  brise  nous 
«  arrive  après  avoir  franchi  ce   champ  de  fèves  en  fleur. 
«  L'Arabie  n'a  pas  de  plus  suave  parfum....  Viens  et  que  ton 
a  pied  ne  dédaigne  pas  la  prairie,  toute  couverte  d'une  fraiclie 
ft  verdure  et  de  Heurs  innombrables,  parure  spontanée  de  la 
((  Nature*.  »  —  Ets'adressantencoreàson  Amanda  :  «  Parcour- 
a  rons-nous  la  prairie  souiiante?  ou  bien  nous  promènerons- 
cc  nous  au  hasard  dans  lesciiampsoù  ondulent  les  moissons**'» 
S'il  finit  par  proposer  à  son  amie  une  ascension  modeste*, 
c'est  pour  lui  faire  admirer,  du  haut  de  la  colline  de  Richinond, 
un   riche   panorama   a   de  collines,   de  vallées,  de  bois,  de 
a  champs,  de  clochers,  de  villes  brillantes  et  de  cours  d'eau 
(c  dorés,  jusqu'au  point  où  l'inmiense  paysage  se  perd  dans  la 
«  brume'  ».  —  Dans  cette  description  même, ni  l'amoureux, ni 
le  peintre  ne  font  entièrement  disparaître  le  fils  des  champs, 
élevé  parmi  les  rudes  laboureurs.  La  pensée  des  richesses  pro- 
mises s'associe  pour  lui,  devant  ce  paysage  d'été,  au  charme 
des  couleurs  chaudes  ou  riantes,  comme  elle  s'associait  au 
ravissement  de  la  campagne  couverte  de  fleurs  au  printemps*. 

4.  Spring,  v.  100-110.  —  2.  //////..  iOl-oOi.  —  3.  Sitmmer,  1403-1400. 

4.  Un  (les  premiers  comuientateiirs  et  critiques  des  •  Saisons  •.  J.  Morei^ 
fait  ceUe  remarque  que  jamais  Tliomson  no  décrit  une  scène  un  peu  vaste 
sans  avoir  an  préalable  amené  le  spcclateurou  le  lecteur  jusqu'à  un  point 
élevé.  (Voir  More's  Striclures,  et  The  MonUibj  Heview,  vol.  58  (année  H^' 
p.  286,  287.) 

5.  Sunnner,  1406-1444. 

Ci.  u  Tlie  raptured  eye 

Hurries  from  joy  to  joy,  and,  hid  bineatli 
The  fair  profusion,  yullow  Au  tu  m  n  spies.  » 

(Spring,  110-112.) 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  279 

aux  moissons  mûries,  orgueil  el  joie  du  cultivateur, 
les  contemple  et  les  montre  avec  un  inépuisable 
'oici,  au  début  de  T  a  Automne  »,  de  vastes  champs  de 
e  soleil  inonde  de  sa  lumière,  et  sur  lesquels  un  nuage 
î  jette  une  ombre  mobile.  «  La  scène,  gaiment  chan- 
,  est  bien  faite  pour  dilater  le  cœur.  Partout,  aussi 
ue  Tœil  peut  atteindre,  il  rencontre  les  flots  sans 
1  d'une  mer  d'épis  *.  »  —  Les  vagues  de  cette  mer  Vïn- 
:  plus  que  celles  de  Tocéan.  Elles  ont  aussi  leurs  orages 
oète  décrit  comme  il  avait  décrit  leur  lourd  sommeil 
Ac\ir  de  midi.  «  Dabord  un  murmure étoufTé  parcourt 
imps  de  blé  qui  doucement  s'inclinent.  Mais  quand  la 
te  aérienne  s'est  abattue  bruyamment  sur  le  monde,... 
?  nu  à  la  rage  du  vent,  le  champ  se  creuse  en  longues 
5  qui  courent  et  roulent  dans  cette  mer  d'épis.  Les 
bien  que  flexibles,  ne  p'=îuvent  échapper  à  la  violence 
tourmente;  elles  sont  arrachées  ou  vidées  de  leurs 
s  2.  „ 

Lableaux  de  la  tei're  féconde  et  cultivée,  il  convient  de 
uelques-unes  des  grandes  scènes  de  la  vie  des  campa- 
poète  n'a  eu  garde  de  les  oublier.  Ses  descriptions  de 
DU  '  et  de  la  moisson  *,  pleines  de  détails  d'une  exquise 

procédant  d'une  belle  allure  simple  et  franche,  sont 
eaux  célèbres. 
;s  champs  ne  revêtent  qu'un  moment  ces  parures  que 

les  grandes  lierbes  et  les  jaunes  épis.  Nous  les  voyons 
ind  la  prairie  roussûlre  s'empreint  d'une  mélancolie 
.  pas  sans  charme  pour  le  promeneur  solitaire  et 
ou  quand  la  saison  des  humides  brouillards  alourdit 
s,  confond  les  couleurs  et  attriste  la  nature  ^.  Puis 
ver  qui  étend  sur  vmk  son  âpre  empire,  et  bientôt  «  la 
tièrc  de  la  terre,  cachée  sous  une  enveloppe  épaisse  et 
,  n'est  qu'un  désert  éblouissant  et  confus,  où  toutes  les 
s  de  l'homme  sont  ensevelies  "  d. 
maisons  »  nous  transportent  quelquefois  loin  des  scènes 
éfjfions.  Le  poète  sait  d'une  touche  puissante  et  large 
vaut  nous  les  immenses  savanes  de  l'Amérique  *  ou 

/m,   37-42.    —    2.    Mi//.,    :n4-:i30.    —    ;i.   Summev,    352-370.    — 
,151-106.  —5.  MiW..  1»70,  \rA.  —fi.  M/V/..  1081-10X7.  —  7.  W'inter, 
8.  Summer,  O'.i0-r.U2. 


280  JAMES  THOMSON. 

Je  (lés(Tt  africain  ^  Mais  c'est  dans  la  description  des  scènes 
intimes  de  la  nature  anj^laise,  tempérée  et  discrète,  qu'il  trouve 
ses  plus  heureuses  inspirations.  Son  âme  rencontre  une  émo- 
tion à  chacun  des  petits  événements  de  la  vie  des  champs,  et 
l'on  pourrait  multiplier  les  exemples  d'observations  délicate- 
ment notées  et  rendues  avec  une  fine  précision.  Ce  sont,  par 
exemple,  ces  signes  précurseurs  de  la  lin  de  l'hiver  qu'il  a 
surpris  quelque  pâle  matin  :  <(  L'année  tremble  encore  incer- 
«  taine,  et  souvent,  vers  le  soir,  l'Hiver  envoie  de  nouveau 
«  sa  bise  glacée....  Le  butor  sait  à  peine  si  la  saison  est  venue 
«  011  il  peut  plonger  son  bec  sous  l'eau  et  agiter  le  marais 
«  sonore;  à  peine  les  pluviers  savent-ils  s'ils  peuvent  se 
€  répandre  sur  la  lande  et  lancer  leurs  notes  sauvages  à  la 
«  solitude  attentive  '.  »  C'est,  devant  l'étang  que  recouvre  un 
vert  manteau,   l'observation  des  millions  d'insectes  qui  se 
cachent  dans  cette  verdure  flottante  '.  N'est-ce  [)as  l'œil  d'un 
peintre  qui,  dansée  paysage  d  autonme, a  noté  ces  tons  effacés 
grâce  auxquels  l'influence  dominante  est  si  fortement  accusée: 
«  Sur  les  champs  labourés  que  la  charrue  vient  de  laisser 
tt  humides,  les  troupeaux  à  la  toison  sans  couleur  se  disper- 
a  sent  *  »?  —  Et  dans  ce  tableau  de  la  plaine  vue  le  soir,  au 
aruv  de  l'hiver,  les  phénomènes  observés  n'évoquent-ils  pas 
plus  que  la  perception,  mais  presque  la  sensation  d'une  nuit 
brillante  et  glacée?  ce  La  terre  gelée  résonne  fortement,  et  sa 
c  surface  duirie  réfléchit  et  double  chaque  son,  quand  le  chien 
«  du  village  aboie  vigilant  pour  écarter  le  rôdeur  nocturne, 
a  quand  la  génisse  beugle,  quand  la  brise  ondule  et  apporte 
«  le  bruit  de  la  cascade  lointaine,  et  que  sous  le  pas  presse  du 
«  voyageur,  la  plaine  sonore  vibre  au  loin  *.  ]» 

Il  est  sansdouteinutile  de  multiplier  ces  exemples.  Thomson, 
on  le  voit,  aimait  la  nature  dans  ses  aspects  les  plus  familiers 
et  les  plus  simples.  Il  sentait,  comme  l'a  enseigné  depuis  un 
penseur  qui  fut  un  poète,  que  les  étoiles  brillent  la  nuit  sur 
une  landt'  brune  et  banale  avec  autant  de  magnificence  qu'elles 
en  ont  versé  jamais  sur  la  campagne  romaine,  ou  sur  les 
déserts  peuplés  de  marbres  de  l'Egypte  ^  II  a  su  trouver  par- 

1.  Swnmet\  «Gl-S:";.  —  2.  Sprhtg,  48-25.  —  3.  Summcr,  303-305.  - 
4.  WintPr,  63-Jî:i.  —  l).  Ihiti.,  732-738. 

6.  •  We  exa^Keratc  llie  praises  of  local  seenery.  In  every  landscape.  Ihc 
point  of  astoniBhment  is  lliu  meeting  of  tlie  sky  and  the  earth,  and  tbAt 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  281 

tout  la  beauté  dont  aucune  œuvre  de  la  nature  n'est  privée.  Il 
nous  a  montré  celle  des  champs  cultivés  et  des  prairies  plates, 
ceJle  des  landes  incultes  et  des  marais  brumeux. 


V 


Les  Cours  d'eau. 

Kn  bon  paysagiste,  Tauttmr  des  <c  Saisons  »  sait  quel  parti 
eut  être  tiré  pour  Tordonnance  d*un  tableau,  d'une  surface 
*iuide,  réfléchissant  le  ton  du  ciel  et  celui  des  verdures  et 
oiînant  à  l'ensemble  la  tenue  et  rharrnonic.  Mais  peut-être 
invient-ii  plutôt  de  ne  pas  établir  pareille  assimilation.  Si  les 
ïisseaux  se  rencontrent  fréquemment  dans  les  descriptions 
'  Thomson  ce  n'est  pas  refTot  d'une  banale  recette  d'atelier. 
>n  àme  s'est  éveillée  à  l'observation  de  la  nature  dans  un 
strict  où  Tabondance  des  eaux  vives  est  le  caractère  dominant 
i  paysage.  Et  d'autre  part,  Taptilude  propre  de  son  génie 
scriptif  devait  le  porter  d  goûter  tout  particulièrement,  dans 
5  choses  visibles,  ces  éléments  de  vie  et  de  mouvement,  dont 
mobilité  anime  la  surface  terrestre,  comme  celle  des  nuages 
ime  le  ciel.  Aussi  le  ruisseau  l'intéresse-t-il  sous  tous  ses 
)ects,  et  trouve-t-il  une  place  dans  presque  toutes  les  scènes 
:n.semble.  Nous  le  voyons  naître  «  dans  la  fraîche  grotte 
apissée  de  chèvrefeuille,  et  toute  mouillée  de  la  rosée  de 
sources  toujours  jaillissantes  *  ».  Nous  le  voyons  couler  pai- 
le  a  entre  des  berges  aux  riches  herbages  '  »,  ou  «  parcourir 
n  jasant  le  bois  aux  mille  voix,  tantôt  s'irritant  au-dessus 
l'un  rocher,  tantôt  se  mouvant  à  peine  pour  traverser  l'étang 
;ouvert  de  roseaux  ;  ici  se  précipitant  en  un  brusque  torrent, 
t  là  s' étalant  doucement  en  une  plaine  limpide  ^  ».  Un  peu 
is  loin,  quelques  vei^  brillants  nous  font  voir  et  entendre 
e  de  ces  cascades  qu'offrent  en  si  grand  nombre  les  paysages 

een  from  Ihe  first  hillock  as  well  as  from  tlie  top  of  tlie  Allrglianies 
'  .stars  at  niglit  sloop  ovcr    the  brownost,  homeliest  common  wilh  ail 

spiritual  ma^Qificeuce  th.it  llicy  «-lied  on  thc  Campagna.  or  on  the 
•ble  déserts  of  Ep\pt.  -  ;EMEh^ON,  Eftsaj/s.  second  séries;  Nature,) 

Summery  461,  2.  —  2.  Ibid.,  X'Vi.  —  3.'  Ihid.,  480-484. 


iSi  .    JAMES  THOMSON. 

écossais  *.  —  Voici  le  moment  d'aller  pécher  la  truite,  t  Main- 
a  tenant  que  le  premier  et  trouble  torrent  des  ruisseauK  grossis 
a  par  les  pluies  du  printemps  s'est  écoulé,  que  sur  leur  lit  coloré 
a  par  les  mousses  descend  Fécume  blanchissante  de  leurs  flots, 
«  maintenant  que  Teau  encore  brune  et  sombre  favorise  la  ruse 
a  du  pécheur'.  »  Le  poète  a  vu  aussi  :  «  le  ruisseau  capricieux 
a  et  sauvage  qui  dans  un  vallon  où  croissent  les  coudriers  tombe 
tt  avec  un  bruit  rauque  de  rocher  en  rocher  '  i».  —  Il  a  vu  les 
terreui-s  de  Tinondation  :  «  le  déluge  ne  cesse  de  s'accroître; 
a  les  ciiamps  disparaissent  noyés  et  nivelés  sous  le  flot  impur. 
«  Kii  peu  de  temps  les  fossés  s'emplissent,  les  prairies  sont 
n  inondées.  Du  haut  des  montagnes,  d'innombrables  ruisseaux 
«  se  précipitent  rouges  et  mugissants,  et  soulèvent  la  rivière 
ft  bien  au-dessus  de  son  lit.  Alors  le  Ilot  tumultueux  renverse 
a  et  roule  pèle-mèle  bœufs,  moutons,  moissons,  chaumières  et 
a  villageois;  tout  ce  que  le  vent  avait  épargné,  rafTreuse  inon- 
«  dation  le  ruine  en  un  moment  *.  »  —  L'  «  Hiver  i>  nous  fournit 
encore  une  magistrale  description  d'un  cours  d'eau  et  des 
camctères  opposés  qui  marquent  successivement  son  cours  : 
a  La  rivière,  grossie  de  maint  torrent,  et  charriant  péle-méle 
((  les  ruines  de  ses  rives,  linit  par  répandre  au  loin,  hors  de 
«  son  lit,  ses  Ilots  gonllés  et  rapides  :  irrésistible,  rugissant  et 
«  elTrayante  elle  descend  des  montagnes  sauvages  et  des  vallons 
a  déserts,  et  se  précipite  parmi  les  rochers  abrupts,  avec  un 
«  fracas  retentissant.  Puis  sur  la  vallée  sablonneuse  elle  s'étale 
m  lentement,  calme,  paresseuse  et  muette;  jusqu'à  ce  que  de 
iL  nouveau,  n^sserrée  entre  deux  hauteurs  rapprochées,  elle 
«  s'élance  dans  le  détilé,  où  les  rochers  et  les  bois  surplombent 
(L  son  courant  bourbeux;  et  là,  d'une  force  triplée,  là,  rapide 
a  et  profonde,  elle  bout,  tournoie,  écume  et  passe  comme  un 
<(  tonnerre  *.  »  Mais   l'hiver  finit  par  enchaîner  toute  c«tte 
violence  :  a  Vers  le  soir  une  bise  glacée,  venant  de  différents 
(k  points,  souffle  sur  le  marais  et  le  couvre  d'une  pellicule 
«  bleuâtre;  elle  arrête,  au  milieu  de  sa  course,  le  ruisseau 
«  frémissant.  La  glace  détachée,  charriée  par  le  courant  et  à 
a  demi  dissoute  pendant  le  jour,  ne  fait  plus  entendre  aucun 
«L  bruit,  mais  se  soude  à  la  rive  couverte  de  roseaux,  ou 


1.  Summct\  590-r.06.     -  2.  Sprhig,  ;n8-383.  —  3.  Auttnnn,  610-612.  - 
4.  Ihid.j  331-342.  —  5.  Winter,  9i-105. 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  283 

s'amasse  autour  de  quelque  pierre  pointue  et   forme  un 

pavage  de  cristal  que  le  souffle  de  Tair  cimente  solidement, 

jusqu'à  ce  qu'enfin,  prise  d'une  rive  à  Tautre,  la  rivière 

emprisonnée  gronde  sous  la  glace  *.  »  Et  quand,  après  la 

uit  écoulée,  le  poète  nous  montre  Tœuvre  de  la  gelée,  nous 

oyons  <c  la  cascade  muette  dont  le  torrent  impuissant  semble, 

el  semble  seulement,  rugir;  le  glaçon  suspendu,  le  travail 

délicat  du  gel,  où  apparaissent  des  teintes  fugitives,  et 

d'imaginaires  figures;  le  ruisseau  figé  dont  le  fianc  de  la 

montagne  versait  le  flot  abor^dant  et  qui,  au  matin,  n'est 

plus  qu'une  traînée  livide  réfléchissant  une  froide  lueur  '  ». 

Indépendamment  de  ces  descriptions  détaillées,  combien 

observations  délicates  pourraient  être  relevées,  comme  celle 

e  «  cette  vapeur  qui  monte,  au  matin,  au-dessus  du  cours 

d'eau  bleuâtre  *  »,  ou  celle  des  jeux  de  la  lumière  sur  l'eau 

ouvante*;  ou  la  note  terne  et  sombre  que  met  la  rivière 

iiueuse  au  milieu  de  l'éblouissante  blancheur  de  la  neige  ^. 

Enfin  le  poète  nous  parle  aussi  des  fleuves  d'autres  conti- 

ints  que  le  nôtre  :  le  Nil  auquel  il  consacre  dix-neuf  vers  •; 

Niger,  le  Méinam  et  l'Indus  ',  et  ces  fleuves  monstrueux  du 

>uveau  Monde,  l'Orénoque,  l'Oi'elIana,  la  Plata  «  dont  les 

Ilots  pressés  roulent  fièrement  vers  la  mer.  La  mer  vaincue, 

refoulée  par  ce  choc,  cède  à  la  pression  de  cette  masse  liquide 

versée  par  une  moitié  du  globe;  et  Tocéan  tremble  pour  son 

vert  domaine  *.  » 

Il  est  des  occasions  où  l'emphase  est  moins  admissible  que 
tis  une  description  du  conflit  de  ces  masses  prodigieuses, 
js  ce  n'est  pas  dans  ces  traits  d'une  rhétorique  habile  qu'il 
it  chercher  le  meilleur  du  talent  de  Thomson.  C'est  dans  les 
tations  vives,  pittoresques,  véridiques  et  si  nombreuses  des 
irs  d'eau  d'Angleterre,  qui  donnent  aux  «  Saisons  »  quelque 
3se  de  la  fraîcheur  de  ses  vallées  natales  de  la  Tweed  ou  du 
I. 


.  \Vintei\  720-731.  —  2.  lOùi.,  •;48-7:>3.  --  3.  Summer,  5(>.  —  I.  Mm/.,  89-90. 
-162.  —  5.  Winter.  234,  23r..  —  6.  Summer.  803-82^ .  -  7.  Ibûl.,  H22-831. 
<.  Ifjid.,  832-859. 


284  JAMES  THOMSON. 


VI 


Forêts,  bois,  arbres. 

<c  0  vallons  et  bois  sauvages  ! . . .  Dans  cette  tombe  repose  votre 
druide.  »  C'est  ainsi  que  se  termine  Tode  touchante  inspirée  à 
CoUins  par  la  mort  de  son  ami.  Thomson,  en  effet,  mérite 
d'être  appelé  le  poète  des  bois  s'il  suffit  de  constater  que,  de 
toutes  les  scènes  naturelles,  il  n  en  est  pas  qu'il  ait  paru  plus 
aimer,  ni  dont  le  souveuir  apparaisse  plus  souvent  dans  ses 
vers.  Il  n'est  pas  une  des  «  Saisons  »  où  les  forêts  ne  soient 
maintes  fois  mentionnées.  Évidemment  les  scènes  de  son 
enfance,  les  restes  majestueux  d'une  ancienne  opulence  dont 
se  paraît  encore  «  la  vallée  sylvestre  du  Jed  *  »,  lui  ont  laissé  au 
cœur  l'amour  des  bois  *.  Et  cependant  il  faut  bien  noter  qu'il 
ne  nous  en  donne  pas  de  descriptions  expresses,  à  mettre  à 
côté  de  ses  a  ciels  »  ou  de  ses  «  ruisseaux  ».  Jamais  il  ne  fiait 
poser  devant  lui  la  forêt  comme  un  modèle  isolé.  Elle  figure 
toujours  dans  l'ensemble  de  ses  tableaux,  comme  liée  aux 
autres  manifesUitions  de  la  vie  de  la  nature. 

Du  reste  les  traits  rapides  où  il  en  évoque  l'image  suffisent  à 
nous  laire  sentir  combien  il  en  subit  profondément  le  charme. 
Il  la  célèbre  conmie  une  des  beautés  de  sa  patrie,  a  la  Calé- 
«  donie  aux  forêts  hautes,  robustes,  incultes,  immenses,  planttîes 
«  par  la  main  de  la  nature'  ».  —  Il  en  connaît  et  en  comprend 
tous  les  aspects.  Quand  la  verdure  printanière  s'étend  succes- 
sivement de  la  prairie  humide  à  la  montagne  flétrie,  il  nous 
montre  l'œuvre  de  la  force  vivifiante  complétée  au  moment  où 
«  la  forêt  épanouie  expose  aux  soupirs  de  la  brise  la  pleine  luxu- 
<c  riance  de  ses  frondaisons,  alors  que  les  daims  traversent  les 
«  fourrés  épais  qui  bruissent,  et  que  les  oiseaux  chantent  invi- 


4.  Autiir/niy  801. 

2.  Mr.  Hugh  Halibiirton  a  fait  paraître  (Good  Wovds,  July  1893)  un 
article  auquel  il  donne  ce  titre  :  •  James  Thomson,  a  poet  of  Uie  wootls  •• 
Cette  éluiJo  note  et  explique  rattachement  du  poète  pour  les  bois.  K'^* 
réunit  un  certain  nombre  d'exemples  des  vers  où  cet  attachement 
s'exprime.  Klle  ne  donne  pas  une  appréciation  critique  du  pouvoir  àt 
Thomson  comme  peintre  de  ces  scènes  naturelles. 

3.  Autumn,  883-885. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  385 

t  sibles  *  ».  Il  ne  se  lasse  pas  de  noter  au  printemps  ces  voix  de 
a  forêt  :  murmure  du  vent,  babillage  du  ruisseau,  ou  cbant 
les  oiseaux  '.  Et  de  même  à  l'automne,  il  remarque  la  riche 
>eautédes  feuillages  multicolores  :  ci  Conduisez-moi  dans  les 
avenues  larges  et  vastes  de  Stowe.  Je  veux,  ô  Pitt,  m'y  asseoir 
sous  les  pentes  ombragées,  et  tandis  que  je  jouirai  du 
bonheur  de  ton  entretien,  surprendre  les  derniers  sourires 
de  Tautomne  illuminant  les  bois  jaunis  ^.  b 
11  n  en  connaît  pas  moins  les  aspects  imposants  ou  terribles. 
!'est  là  que  se  révèlent  les  présages  de  la  tempête,  soit  à  l'au- 
)mne,  quand,  sous  la  chaleur  étoutTante,  «  les  bois  laissent  à 
peine  deviner  un  mouvement  sur  leurs  cimes  qui  frisson- 
nent ^  D,  soit  en  hiver  quand  a  dans  les  forêts  soupire  le  triste 
génie  de  l'orage  °  i>,  et  que  «  des  montagnes  où  bruissent  les 
forêts,  vient  une  voix  dont  l'accent  solennel  invite  le  monde 
à  se  préparer^  b.  Et  quand  la  tempête  «  se  précipite  impé- 
tueuse sur  la  terre  qui  résonne,  la  forêt,  ébranlée  jusqu'en 
ses  racines,  se  penche  et  répand  une  averse  de  feuilles  bruis- 
santes '  yt.  —  Plus  énergique  encore  est  la  description,  quand 
liver  vient  ajouter  son  horreur  à  la  scène.  Alors  a  quand 
la  tempête  déchaînée  fait  rage,  les  (ils  robustes  de  la  mon- 
tagne se  courbent  jusqu'au  niveau  des  rochers  qu'ils  abri- 
tent,... la  forêt  enracinée  se  creuse  en  vagues  profondes,  et 
secouée,  répand  tout  ce  qui  reste  encore  de  sa  parure  flétrie  ; 
ses  membres  gigantesques  sont  par  la  fureur  acharnée  du 
vent  arrachés  et  jetés  épai's  sur  le  sol  '  ».  —  Le  poète  a  vu 
ssi  la  forêt  sous  la  neige,  mais  il  n'a  pas  décrit  le  merveil- 
IX  spectacle.  D'un  seul  mot  il  note  d  la  forêt  inclinée  sous 
'amoncellement  des  flocons  ®  ». 

[|  revient  au  contraire  souvent  et  abondamment  aux 
)ects  riants  des  bois.  Si  une  pluie  de  printemps  verse  sa  fraî- 
3ur  à  la  terre,  «  l'ondée  glisse  et  c'est  à  peine  si  le  bruit  des 
gouttes  est  entendu  de  ceux  qui  se  promènent  dans  les  allées 
le  la  forêt,  sous  labri  des  feuilles  serrées  et  innombrables  *®  ». 
Plus  précieuse  est  cette  protection  quand  l'été  a  établi  sur 
monde  son  empire  brûlant.  «  Alors  je  fuis  à  l'abri  des 

.  Spring,  90-94.  —  2.  Ibid,,  497-201.  —  3.  Autumji,  4048-1053.  — 
bid.,  313-64.  —  5.  Winier,  66,  67.  —  6.  lùid,,  151,  152,  —  7.  Autwnn,  319- 
.  —  8.  Winter,  175-184.  —  Voir  aussi  /6iV/.,  75,  76.  —  9.  Ibid,,  754.  — 
Spring,  176-178. 


âHt>  JAMES  TIIOMSÛK. 

«  futaies  où  à  peine  un  rayon  de  soleil  vient  s*êgarer  dans 
«  Tombre.  Là  sur  le  gazon  d'un  vert  sombre,  près  de  la  berge 
«  de  quelque  ruisseau  enchanté  qui  roule  sur  son  lit  de  pierre 
<(  et  baigne  les  racines  d'un  chêne,  je  m'étends  à  Taise'.  » 

Hien  de  plus  sincère  que  (*es  descriptions.  Rien  de  plusvéri- 
tabietnent  scMiti  que  ce  charme  de  Tombre  et  de  la  fraîcheur. 
Dans  r  a  Été  »  le  porte  ne  se  lasse  pas  de  l'exprimer.  «  Trois 
«  fois  heureux  c^lui  qui,  sur  le  versant  abrité  d'une  montagne 
«  pittoresque  couroimée  de  bois,  se  couche  sous  l'abri  de 
n  l'ombre  épaisse'.  »  —  «  Salut,  ombrages!  salut,  taillis  et 
«  bosquets!...  Votre  ombre  est  à  notre  cœur  délicieuse  comme 
a  l'est  au  cerf  blessé  la  fontaine  jaillissante  ou  la  rivière  qui 
«  coule  à  pleins  bords  et  baigne  ses  flancs  haletants....  Vous 
a  vei*sez  dans  nos  veines  fraîcheur,  plaisir  et  repos;  le  cœur 
u  alors  bat  joyeux;  l'œil  et  l'oreille  détendus  et  ranimés 
«  n^prennent  leur  oflice;  les  nerfs  retrouvent  leur  force,  et  la 
«  vie  court  rapide  dans  les  membres  plus  légers  *.  i  —  Et 
plus  loin  encore  :  «  Puissé-je  m'asseoir  à  la  lisière  du  bois 
«  mouillé  de  rosée,  à  la  pleine  fraîcheur  de  l'air  humide!  là, 
0  sur  ce  rocher  creusé,  de  forme  étrange  et  frust(»,  qui  m'offre 
tt  un  large  siège  tapissé  de  mousse»  et  qu'abrite  un  ombrage 
«  lleuri  *!...  » 

Si  complaisaminent  que  notre  épicurien  revienne  à  ce 
charme  sensuel  de  l'ombre  et  de  la  fraîcheur,  il  n'en  est  pas 
pour  cela  moins  sensil^Ie  à  l'impression  profonde  et  caractéris- 
ti(|ue  do  la  beauté  dos  forêts.  Il  en  a  éprouvé  la  mélancolie 
pénétrante?,  et  nous  la  montre  subie  également  par  le  jeune 
homme  amoureux,  par  le  sage  et  le  philosophe,  et  par  l'artiste 
occupé  des  aspects  extérieui's  des  choses.  «  L'amant  inquiet  fuit 
«  sous  ces  ombres  travei'sées  de  lueurs,  dans  cette  obscurité 
«  sympathique  à  sonàme,oii  des  arbres  suspendent  pittoresque- 
«  ment  au-dessus  tle  la  cascade  leur  ombrage  brun  *.  »  —  <  J^ 
«  veux  m'enfoncer  dans  la  nuit  profonde  de  ce  bois  aux  arbres 
«  sauvages  et  puissants,  (|ui,  formant  haut  dans  l'air  un 
a  chœur  sylvestre,  agite  ses  cimes  au-dessus  de  la  montagne.  A 
«  chaque  pas  que  je  fais,  solennelles  et  lentes  les  ombres  lom- 
«  bent  plus   noires  et  je  me  sens  entouré  d'une  obscurité 

1.   Spi'ing,   U-13.   —   '2.    Summer,    458-400.     -   3.   Ibid.,   469-419.  -  On 
peut  V4»ir  encore  IbUi..  1C5-1«9.  --  4.  Ihif/.,   622-027.  --   5.   Spring.  1«24- 

102-;. 


LES  OIUETS  dk«:kits.  HHl 

«  aujiuste  et  anxieuse.  Là  est  la  retraite  de  la  iruMlitation  '.  » 
—  C'est  surtout  à  l'automne  que  les  paysages  sylvestres  revê- 
tent ce  caractère  de  mélancolie.  Ni  1  aspect  riant  dont  les  pare 
leîfuleil,  ni  les  tons  splendides  que  prodigue  dans  les  l'euillages 
la  palette  de  la  nature  ne  lui  laissent  oublier  que  cet  éclat 
précède  de  peu  de  temps  les  tristesses  de  l'hiver.  «  Voyez  les 
mille  couleurs  des  bois  qui  se  flétrissent;  leurs  teintes  de 
plus  en  plus  foncées  brunissent  Ja  campagne  à  Tentour;  ils 
forment  un  ombrage  épais,  sombre  et  brun,  où  se  rencon- 
trent toutes  les  nuances,  depuis  un  vert  pâle  et  fugitif, 
jusqu'à  un  noir  de  suie.  Et  maintenant,  d  une  voix  murmu- 
rante, ils  attirent  la  muse  solitaire,  dans  leurs  allées  jon- 
chées de  feuilles  *.  »  —  <(  Voici  que  les  feuilles,  tombant 
sans  cesse  avec  bruit  du  bocage  cm  deuil,  font  tressaillir  les 
promeneurs  studieux  et  dans  l'air  agité  tournoient  lente- 
ment. Mais  si  une  brise  plus  rapide  vient  à  gémir  parmi  les 
rameaux,  le  déluge  de  feuilles  se  dévei*se,  masquant  le  ciel, 
jusqu'à  ce  que,  étouffées  sous  Tépais  tapis  que  leur  fait  cette 
triste  averse,  les  avenues  de  la  forêt,  à  chaque  vent  qui 
s'élève,  roulent  au  loin  cet  amas  tlétri  et  fassent  entendre 
^  un  sifflement  lugubre '.  d 

Enfin,  sans  s'arrêter,  là  non  plus,  à  des  descriptions  précises 
^t  détaillées,  le  poète  a  enregistré  les  caractères  par  lesquels  se 
distingue  la  végétation  des  tropiques  violente  et  inépuisable 
Comme  les  forces  naturelles  qui  l'alimentent  :  «  Forêts  majes- 
^  tueuses  où  éclatent  toutes  les  vigueurs  du  vert,  et  dont  les 
^  assises  superposées  ondulent  sur  les  montagnes,  ou  s'étalent 
^  énormes  jusqu'à  l'horizon  lointain;  immensité  sans  limites 
a  d'ombre  épaisse.  Là  des  arbres  élevés,  inconnus  aux  poètes 
«  d'autrefois,  des  géants,  nobles  fils  d'une  chaleur  puissante 
«  et  des  eaux  que  déversent  les  nues,  dressent  vers  le  ciel  leurs 
«  troncs  épineux,  et  loin  autour  d'eux  répandent,  au  milieu 
f  du  jour,  l'obscurité  '.  » 

1.  Summety  516-522.  —  2.  Autumn,  930-955.  —  3.  Ibid.,  989-997. 

4.  Summer,  649-657. 

D*autre9  descriptions  ont  été  données  depuis  de  ces  forêts  vierges  de 
PAmérique,  étranges,  mystérieuses,  redoutables.  Aux  vers  de  Thomson 
on  comparera  avec  intérêt  ceux  où  un  poète  contemporain  peint  le  spec- 
tacle offert  par  cette  terre  inconnue  au  regard  étonne  du  conquistador  : 

•  Elle  poussait  au  ciel  des  végétaux  énormes; 
Ses  nopals,  ses  cactus  et  ses  bois  résineux, 


288  JAMES  THOMSON. 

Thomson  voit  la  forêt;  il  voit  rarement  les  arbres.  Cestlà 
un  trait  assez  général  de  son  observation  qui  s'attache  plus 
volontiers  aux  ensembles  qu'au  détail.  Les  peintures  d'arbres 
isolés  sont  clairsemées  dans  son  poème  ;  et  encore  convien- 
drait-il peu  d'employer  ici  le  mot  de  peintures.  Lorsqu'il  lui 
arrive  de  mentionner  un  arbre  d'essence  déterminée,  l'épithète 
destinée  à  placer  devant  nos  yeux  l'image  de  l'objet  est  souvent 
vague  et  banale.  L'adjectif  a  lofty  »,  élevé,  attribué  tantôt  à 
Torme  S  tantôt  au  sapin  ',  n'éveille  guère  de  représentation 
précise.  C'est  un  caractère  moral  qui  lui  fournit  le  qualificatif 
dont  il  accompagne  d'ordinaire  la  mention  du  chêne  :  t  le 
chêne  solennel  '  »,  dit-il,  et,  à  plusieurs  reprises  «  le  chêne 
vénérable  *  ».  Parfois  cependant  une  observation  plus  profonde 
le  fait  pénétrer  jusqu'à  un  de  ces  caractères  essentiels  dont  la 
seule  mention  groupe  autour  du  mot  toute  une  série  de  sensa- 
tions, et  évoque  l'image  de  l'objet  lui-même  avec  sa  forme  indi- 
viduelle, avec  l'impression  qu'il  peut  communiquer  à  rame. 
«  Salut,  ombrages!  sapins  élevés,  chênes  vénérables,  frênes 
«  sauvages  qui  bruissez  au-dessus  du  précipice  ^  »  Une  simple 
indication  presque  négative  peut  avoir  cette  valeur  de  sugges- 
tion, et  deux  vers  nous  rendront  éloquemment  l'impression 
émouvante  des  grandes  colonnades  de  sapins  :  c  Sur  le  rocher, 
«  le  sapin  qu'agite  à  peine  une  légère  ondulation  emplit  l'ombre 
<L  brune  d'une  crainte  religieuse  ®.  » 

Dans  ces  exemples  même  ce  que  le  poète  a  noté,  c'est  l'attitude, 
c'est  rhabitat,  c'est  iniMue  la  puissance  émotive  du  frêne  ou  du 
sapin,  ce  ne  sont  pas  les  caractères  particuliers  de  l'un  des 
individus  de  l'espèce.  Nous  n'avons  pas  à  nous  en  étonner. 
C'est  un  tableau  de  la  nature  qu'a  prétendu  nous  donner  le 
poète.  Son  cadre  n'a  guère  de  place  pour  la  représentation  des 


Ses  nocturnes  forrls,  pleines  d'étranges  formes, 
Tordaient  paisiblement  d'inextricables  nœuds.  • 

(Sully-Pridhomme,  Stances  et  Poèmes.  L'Amérique.) 

1.  Par  exemple,  dans  Summer,  766.  —  2.  Ibid.j  469.  —  3.  Spring,  9^5. 
—  4.  Ibid.,  066;  Summer,  46U.  —5.  lôid.,  471. 

6.  Hi/mn,  43,  4  S.  La  même  impression  se  retrouvera  dans  «  le  CliiUcau 
d'Indolence  ». 

«  A  wood 

Of  blackening  pines  aye  waNving  to  and  fro 
Sent  forlh  a  sleepy  horror  througli  the  blood.  • 

(Canlo  I,  sir.  v,  4143.) 


LBS  OBJETS  DÉCRITS.  289 

détails  individuels.  D'autres  poètes  après  lui  s'attacheront  au 
contraire  à  ces  peintures  d'objets  déterminés  et  précis.  Les 
arbres  leur  fourniront  un  des  termes  favoris  de  ces  descrip- 
tions. Ne  demandons  pas  à  Thomson  l'équivalent  des  pièces 
superbes  consacrées  par  Cowper  *  ou  par  Wordsworth  *  à  quel- 
ques arbres  aimés,  ni  les  notations,  relevées  si  complaisam- 
nient  par  la  poésie  de  notre  siècle,  d'accidents  pittoresques  et 
d'anomalies  frappantes  '.  Mais  reconnaissons  que  par  le  grand 
nombre  et  la  sincérité  de  ces  brèves  descriptions  de  forêts,  par 
^  amour  qu'il  leur  a  porté,  il  mérite  le  nom  que  lui  a  donné 
Gollins;  il  est  vraiment  le  poète  des  vallons  et  des  bois  d'An- 
gleterre. 


VII 
Les  Fleurs. 

De  tous  les  objets  naturels  voici  sans  doute  celui  qui  a  le 
''us  souvent  été  mis  à  contribution  par  les  poètes.  Lescompa- 
^isons  empruntées  au  monde  des  fleurs  sont  un  des  lieux 
^mmuns  qui  alimentent  toutes  les  écoles  et  tous  les  genres, 
homson  y  a  recours  comme  les  autres,  et  quelques-unes  des 
nages  qui  lui  sont  ainsi  fournies  sont  pleines  de  grâce  et  de 
liarme.  Rappelons  seulement  l'héroïne  de  l'idylle  qui  occupe 

i.  Voir  enire  autres  ceUe  vigoureuse  esquisse,  Yavdley  Oak^  que  le  poète 
*a  pas  reprise  connue  taut  d'autres  de  ses  pièces  pour  Tachever  au  risque 
«î  rémoiisser. 

1.  YtiU'-trees  (Poems  of  the  Imagination),  The  Thorn  (i^id.),  et  nombre 
a  portraits  insérés  dans  les  poèmes. 

o.  Voyez  par  exemple  combien  une  description  de  Shelley,  se  rapportant 
u  même  speclable  que  vient  de  nous  présenter  Thomson,  est  de  préci- 
ioQ  plus  ai^'uë:  comment  elle  éveille  Tidce  d'un  certain  arbre  et  non  pns 
u  type  de  l'espèce  : 

<  A  pine 

Rock-rooted,  stretched  athwart  tlie  vacuncy 
Its  swinging  boughs.  • 

(SiiELLEY,  Alastor.) 

Tennysou   fournirait  en    grand    nombre    de   pittoresques  descriptions 

arbres  bien  individuels.  Par  exemple  : 

A  troc 

Was  haïr  disrooted  from  his  place  and  sloop'd 

To  drcnch  his  dark  locks  in  the  gurgling  wave 

Mid-channel.  » 

{The  Princess,  IV.) 

19 


290  J\MES  TUÛMSON. 

une  partie  de  V  m  Automne  »  :  c  Plus  fraîche  était  sa  beauté  que 

a  la  rose  matinale  aux  pétales  mouillés  de  rosée  ;  elle  étaitpureet 

<(  sans  tache  comme  le  lis  ou  comme  la  neige  des  montagnes.... 

c  De  même  que  dans  un  creux  vallon  de  l'Apennin,  à  Tabri 

c  d'un  cercle  de  montagnes,  un  myrte  croit,  loin  des  yeux  des 

41  hommes,  et,  dans  la  solitude,  exhale  ses  parfums  délicieux. 

«  ainsi  fleurissait  épanouie,  sans  que  nul  œil  la  vit,  la  douc^^ 

«  Lavinia  *.  )>  Et  lorsque  Palémon,  le  jeune  seigneur,  déclarp 

son  amour  à  Thumble  glaneuse,  rien  de  plus  attendu  qu'une 

nouvelle  comparaison  du  même  genre.  Si  elle  peut  paraître 

longue  et  trop  complaisamment  soutenue,  n'oublions  pas  que 

cette  rhétorique  fleurie  n'est  pas  sans  convenance  dans  la  bouche 

du  galant  Palémon,  amoureux  et  agriculteur  :  «  Seule  fleur  qui 

«  survives  de  la  plante  où  s'est  nourrie  ma  fortune,  où,  dis-le- 

«  moi,  dans  quel  désert  caché  as-tu  bu  la  splendeur  du  ciel 

a  ravi,  pour  t'épanouir  en  une  telle  beauté,  malgré  le  vent 

a  glacé,  malgré  la  pluie  meurtrière  de  la  pauvreté  qui  àpre- 

a  ment  et  cruellement  ont  battu  tes  jeunes  années?  oh  !  laisse- 

(L  moi  te  transplanter  dans  un  sol  plus  riche,  où  le  soleil  el 

a  les  ondées  du  printemps  répandent  leur  plus  chaude,  leur 

a  plus  généreuse  influence;  et  sois  de  mon  jardin  l'orgueil  et 

a  la  joie  '  !  » 

Mais  ce  n'est  pas  le  poète  descriptif  que  nous  montrent  ces 
comparaisons.  Quelle  place  fait  Thomson  aux  fleurs  dans  ses 
tableaux  du  monde  extérieur?  11  a  observé  l'exquise  richesse 
dont  se  pare  la  terre  quand  le  printemps  a  répandu  à  pleines 
mains  les  couleurs  délicates  ou  brillantes  :  <(  Partant  de  la 


1.  Autumiiy  192-21 4.  Notons  que  les  huit  vers  où  se  trouve  la  conipa- 
raisou  avec  le  myrle,  «  As  in  the  hoUow...  she  went  »,  sont  dus  à  Pops* 
Us  sont  proposés  par  lui  et  acceptés  par  Thomson  pour  remplacer  ces 
quatre  vers  de  Tcditioa  de  1738  : 

«  Recluse  auiong  the  Woods;  if  City-Dames 

Will  deign  their  Faith.  Aud  Ihus  she  went  compcird 

By  stroDg  Necessity,  wilh  as  serene, 

And  pleas'd  a  Look  as  Patience  can  put  on.  • 

La  seule  modification  apportée  par  Thomson  aux  vers  proposés  par 
Pope  a  été  de  remplacer  le  •  far  from  Human  Eyes  »  de  la  note  manus- 
crite par  un  singulier. 

Pope  s'est-il  souvenu,  en  écrivant  ces  vers,  de  ceux  de  Racine: 

«  Tel  en  un  secret  vallon  •,  etc.? 

(Atfialie,  acte  11) 
2.  Autumn,  271-281. 


LES   OBJKTS   DÉCHUS.  1>9I 

»<  prairit*  IniTiiido  |iuiii"  s"(''l('V(.'i'  JLi.s(|irâ  la  nioiilaf^ne  llétrie, 
"  <ou.s  If  souille  (le  la  brist»,  court  la  vive  verdure  ',  et  Tn'il 
•'  charmé  la  voit  «grandir  et  devenir  i)lus  intense.  Puis  l'aubé- 
«  piiie  blanchit;  et,  sur  les  bosquets  où  regorge  la  sève,  les 
«  bourgeons  éclatent,  et  peu  à  peu  s'épanouissent....  Bientôt, 
•<  paré  de  toutes  les  riches  couleurs  du  printemps,...  le  jardin 
«  brille,  et  emplit  lair  entier  de  ses  parfums  prodigués;...  le 
«  promeneur  qui  monte  parmi  les  haies  de  chèvrefeuille... 
H  voit  au  loin  la  plaine  immense  épanouie  comme  sous  une 
«  pluie  de  fleurs  mêlées  blanches  et  rouges  *.  » 

Les  fleurs  ne  sont  jamais  absentes  des  coins  de  paysages 

dans  lesquels  notre  poète  promène  sa  rêverie  nonchalante  ou 

cherche  un  repos  voluptueux,  a  Quand  le  soleil,  du  zénith  où 

«  il  trône,  frappe  et  disperse  les  nuages,  et  verse  jusqu'au 

^  fond  des  abîmes  une  langueur  indolente,  alors  cherche  une 

**  retraite  où  se  pressent  les  sureaux  en  fleur,  où  sans  culture 

^  le  muguet  abonde  et  répande  son  haleine  embaumée,  où  les 

*'  coucous  penchent  leur  tète  humide  de  rosée,  où  les  violettes 

*'  d'un  bleu  sombre  se  cachent  avec  tous  les  humbles  enfants 

^  des  ombrages  ^  »  —  Et  de  même  les  retraites  qu'il  rêve 

r>our  fuir  en  été  Tardeur  du  soleil  sont  des  cavernes  tapissées 

*le  chèvrefeuille*,  ou  bien,  «  sur  le  bord  d'un  ruisseau,  une 

**  ample  couche  garnie  de  mousse  sous  un  ombrage  fleuri,  où 

^^   pénètre  rabeillc  diligente  pour  faire  son  butin  du  nectar 

*«  pris  au  chèvrefeuille  embaumé  '  ». 

Il  lui  arrive  du  reste  d'aller  plus  loin  que  cette  observation 
^superficielle  et  toute  égoïste.  11  voit  alors  dans  les  fleurs  autre 
«;hose  que  des  notes  brillantes  dans  Torchestre  des  couleurs, 
ou  qu'une  des  sources  de  plaisir  qui  charment  ses  sens.  Quand 
la  chaleur  de  Tété  accable  la  nature,  il  a  une  compassion  atten- 
«Irie  pour  ces  créatures  exquises  et  frêles,  et  il  distingue  dans 
len^iemble  de  la  scène  le  rôle  joué  par  un  des  personnages  de 

1.  .Mussel  connaissait-il  le  vers  de  Thomson? 

-  Sur  le  flanc  des  coteaux  déjà  court  le  ^azon  » 

{A  la  Mi'CanhtiP,) 

2.  Sprinff,  86-110.  —  3.  MiJ.,  442-449.  —  4.  Summer,  461. 

Ti.  Summer^  622-628.  —  En  dépit  du  nom  anglais  «  honey-suckle  w,  des 
obBervateara  dignes  de  foi  assurent  que  Tabeillc  ne  butine  pas  sur  le 
olièTrefeuilIe.  (Voir  J.  Buhiows,  Pepacton.  Saiure  and  ihe  Poets,  p.  113.) 

S'il  en  est  ainsi,  Thomson  8*c8t  trompé  en  nombreuse  compagnie. 


39â  JAMES  THOMSON. 

ce  petit  inonde  :  ec  Qui  peut  voir  sans  pitié  la  tribu  des  fleurs 
a  qui,  semées  par  Taurore,  perdent,  sous  le  brûlant  rayon, 
a  leur  beauté  fraîche  éelose?...  Seul  le  tournesol  altier  referme 
«  tristement  au  coucher  du  soleil  sa  jaune  corolle,  et  languit 
a  aussi  longtemps  que  dure  la  nuit;  mais  quand  reparait  Tastre 
«  brûlant,  il  tourne  vers  les  rayons  son  sein  énamouré  *.  i 

On  a  pu  remarquer  le  caractère  un  peu  vague  et  général  de 
ces  notations,  sauf  celle  que  nous  venons  en  dernier  lieu  de 
rappeler.  Peintre  de  vastes  scènes,  Thomson  ici  encore  s'ar- 
rête peu  aux  détails  pour  leur  valeur  propre.  Dans  tous  les 
exemples  que  nous  avons  jusqu'ici  traduits,  les  fleurs  appa- 
raissent comme  traits  accessoires;  elles  n'appellent  pas  de  des- 
cription précise  et  détaillée.  Mais  une  fois  au  moins  le  poète  a 
voulu  montrer  que  son  pinceau,  habile  à  peindre  les  grandes 
scènes  de  la  nature,  pouvait  aussi  rendre  justice  aux  beautés 
les  plus  menues  de  la  création.  Par  une  heureuse  rencontre 
c'est  dans  un  des  passages  où  sa  personnalité  apparaît  le  plus 
directement,  c'est  en  compagnie  de  la  femme  aimée  qu'il 
décrit  les  fleurs  de  la  campagne  anglaise. 

((  Viens,  Amanda,  viens,  et  tandis  que  Mai  aux  pieds  rosés 
((  s'avance  rougissante,  allons  ensemble  fouler  le  gazon  humide 
«  du  malin  et  cueillir  dans  leur  première  fraîcheur  les  fleursà 
«  peine  écloses  ;  nous  en  ornerons  les  tresses  de  tes  cheveux, 
a  et  ton  sein  charmant  qui  les  rend  plus  charmantes. 

((  Vois  comme  ce  vallon  sinueux  déploie  ses  riches  trésors 
a  sur  les  rives  du  ruisseau  qui  l'arrose.  Vois  le  narcisse  boire 
a  l'eau  cachée  qui  sourd  à  peine  à  travers  l'herbe  haute  et 
«  luxuriante,  ou,  de  sa  ravissante  profusion,  orner  la  berge 
«  humide.  Suivons  longuement  ce  chemin  où  la  brise  nous 
a  arrive  d'un  vaste  champ  de  fèves  en  fleur.  L'Arabie  n'a 
a  point  de  parfum  plus  enivrant...  Que  ton  pied  ne  dédaigne 
«  pas  non  plus  le  pré  plein  d'une  fraîche  verdure  et  de  fleurs 
«  sans  nombre....  C'est  là  que  les  essaims  d'abeilles  bourdon- 
ci  nantes  se  livrent  à  leur  doux  labeur...  ou  bien  souvent, 
«  d'une  aile  plus  hardie,  elles  s'élèvent  jusqu'à  la  pourpre 
a  bruyère,  jusqu'aux  régions  où  croît  le  thym  sauvage,  pour 
«  s'y  charger  d'un  jaune  et  riche  butin.... 

<(  Mais  tout  près  de  nous,  le  long  de  ces  haies  rougissantes 

1.  Summer,  212-219. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  393 

OÙ  brille  la  rosée,  dans  ce  champ  où  les  fleurs  se  mêlent  en 
liberté,  le  Printemps  aux  mains  de  fée  déploie  toutes  ses 
beautés.  Il  sème  d'abord  le  perce-neige  et  le  crocus,  lar 
pâquerette,  le  coucou,  la  violette  d'un  bleu  sombre  et  les 
teintes  infiniment  variées  de  la  grande  primevère,  puis  la 
jaune  giroflée  aux  taches  de  rouille,  et  le  violier  prodigue 
([ui  parfume  tout  le  jardin.  Des  douces  ailes  des  brises 
printanières  tombentencore  les  anémones,  les  oreilles  d'ours 
dont  une  poussière  brillante  recouvre  les  pétales  de  velours  ; 
et  la  renoncule  à  la  rondo  corolle  d'un  rouge  éclatant.  Puis 
vient  la  tribu  des  tulipes  dont  la  beauté  se  plaît  aux  vains 
caprices  :  passant  d'une  famille  à  une  autre,  selon  le  vol  du 
pollen  fécondant,  les  couleurs  se  répandent  variées;...  aucune 
fleur  n'est  absente  de  toutes  celles  qui  tour  à  tour  éclosent, 
depuis  le  premier  bouton  du  Printemps  jusqu'aux  fleurs 
musquées  de  l'Été.  Voici  les  jacintlies,  du  plus  pur  blanc 
virginal,  qui  se  penchent  très  bas  et  dont  le  sein  rougit;  les 
jonquilles  au  puissant  arôme;  le  beau  narcisse  qui,  comme 
au  temps  de  la  fable,  s'incline  toujours  au-dessus  de  la  fon- 
taine, et  les  œillets,  ceux-ci  larges  et  rouges,  ceux-là  gaie- 
ment mouchetés;  et  de  tous  les  buissons  tombe  la  rose  de 
Damas.  Leur  nombre  est  infini;  infinis  leurs  délicatesses  et 
leurs  parfums;  les  mots  ne  sauraient  peindre  leurs  teintes 
superposées;  elles  sont  l'haleine  de  la  Natui'e  et  son  éclat 
éternel  *.  d 

Quel  jugement  porter  sur  cette  page?  M.  Ruskin,  je  le  crains, 
ipprécierait  sévèrement.  11  y  trouverait  peu  de  cette  imagina- 
on  qui  pénètre  sous  les  apparences  et  va  jusqu'à  la  vie  pro- 
nde  des  choses.  Ces  fleui's  sont  de  bien  humble  essence  si 
DUS  les  opposons  à  ces  joyaux  vivants  de  Milton  ou  de  Shake- 
)eare  que  le  grand  critique  a  comparés  avec  une  ingénieuse 
ïbtilité  '.  Elles  n'ont  pas  la  noble  tristesse,  ni  l'âme  altière  et 


\.Spfinr/,  488-554. 

'2.  Ri:sKi!«,  Modem  Painlcis,  part  111,  section  2,  cliapter  m. 

Cest  une  des  pages  bien  connues  du  célèbre  esthéticien.  Il  prétend  y 

iposerdeux  sortes  d'imagination.  L'une  prête  aux  choses  iugénieuscmeut 

:ul-ètre,  à  coup  sûr  faussement,  des  qualités  humaines.  C'est  la  fantaisie, 

Fancy  •,  la  grande  pourvoyeuse  de  l'ernîur  pathétique,  ■  Pathetic  fal- 

cy  •.  L'autre,  ï  «  Imagination  •,  voit  le  -  C(i:ur  et  la  nature  intime  des 

loses  »  ;  elle  est  la  plus  haute  puissance  intellectuelle  de  l'homme.  (On 

cuvera  quelques  mots  de  critique  solide  et  fine  de  cette  théorie,  dans 


294  JAMES  THOMSON. 

pathétique  des  fleurs  qui  jonchent  la  tombe  de  Lycidas  ou  de 
celles  que  Perdita  voudrait  offrir  à  ses  hôtes  *.  Et  cependanl 

une  noie  du  beau  travail  de  M.  Angellier  sur  Burns,  2"  vol.,  p.  374. 
3*15.)  —  Le  plus  important  des  exemples  choisis  par  Ruskin  à  Tappoi  de 
sa  doctrine,  c'est  une  comparaison  de  ces  deux  catalogues  de  flean  que 
fournissent  «  Lycidas  •  et  le  «  Conte  d'Hiver  •.  Le  critique  y  oppose  les 
observations  de  pure  «  imagination  pénétrative  -  de  Shakespeare,  à 
celles  de  Millon  où  se  mêlent  à  doses  à  peu  près  égales  V  •  imagina- 
tion »  et  la  "  fantaisie  ». 

1.  Les  deux  passages  avaient  été  comparés  avant  Ruskin  par  Uazlilt 
et  par  Leigh  Uunt.  —  Nous  pensons  qu'il  ne  sera  pas  inutile  d'en  donner 
ici  la  traduction.  Nous  y  avons  fait  allusion  déjà  dans  des  pages  précé- 
dentes. Ils  serviront  mieux  que  de  longues  dissertations  à  montrer  de 
quelle  façon  diverse  de  grands  artistes  peuvent  interpréter  les  méme^ 
sujets.  Enfin  on  y  trouvera  quelques  traits  dont  Thomson  s*est  protMble- 
ment  souvenu. 

-  Apportez  la  hâtive  primevère  qui  meurt  négligée. 
La  renoncule  aux  touiïes  pressées  et  le  pAle  jasmin, 
L'œillet  blanc  et  la  pensée  tachetée  de  noir, 
La  violette  au  sombre  éclat, 

La  rose  musquée  et  le  chèvrefeuille  à  la  riche  parure, 
Avec  les  frêles  coucous  dont  la  tète  s'incline  pensive. 
Et  toutes  les  fleurs  qui  portent  une  triste  broderie. 
Faites  répandre  à  l'amaranthe  toute  sa  beauté, 
Et  que  les  narcisses  emplissent  toutes  leurs  coupes  de  larmes. 
Pour  joncher  le  cercueil  où  Lycidas  gît  sous  les  lauriers.  - 

(MiLTO.N,  Lf/cùlas,  li2-15i.} 

•  pEKDiTA.  —  Doiine-nioi  ces  fleurs,  Dorcas.  Dignes  seigneurs. 
Voici  pour  vous  du  roscmarin  et  de  la  rue;  ce  sont  des  fleurs 
Oui  conscrvcnl  tout  l'hiver  leur  forme  et  'eur  parfum. 

Mofisieur,  l'année  se  fait  vieille,  [nais>ainv 

L'Eté  n'est  pas  encore  mort,  nous  n'en  sommes  pas  encore  a  li 
De  l'Hiver  tremblant,  les  plus  belles  fleurs  de  la  saison 
Sont  nos  œillets,  et  les  giroflées  mi-parties. 

Voici  des  fleurs  pour  vous  ; 

La  chaude  lavande,  la  menthe,  la  saui;e.  la  marjolaiue. 

Le  souci,  qui  se  couche  avec  le  soleil. 

Et  avec  lui  se  lève  pleurant  :  ce  sont  les  fleurs 

Du  plein  Été,  celles,  je  pense,  qui  .se  donnent 

Aux  hommes  d'Age  moyen. 

Je  voudrais  avoir  quelques-unes  des  fleurs  du  printemps 

Convenables  à  votre  heure  de  la  vie,  et  à  la  vôtre,  et  à  la  y^^^'*^' 

Vous  qui  portez  encore  sur  vos  rameaux  inviolés 

La  fleur  de  votre  virginité  :  0  Proserpiue  î 

Il  me  faudrait  ces  fleurs  que  ta  main  elTrayée 

Laissa  tomber  du  char  de  Pluton  :  les  narcisses, 

Qui  nous  viennent  avant  que  n'ose  Thirondelle 

S'aventurer,  et  qui  charment  de  leur  beauté 

Les  vents  de  Mar.^:  les  violettes  sombres, 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  2v)S 

ir  qu'elles  n'ont  pas  la  même  richesse  de  vie  ni  la  même 
ce  émotive,  ce  n'est  pas  les  condamner.  L'ami  de 
voit  la  nature  à  travers  le  trouble  et  les  larmes  d'une 
douleur.  L'émotion  qu'il  prête  à  ses  fleurs  est  celle  qui 
)0n  cœur.  Et  de  môme  Perdita,  nommant  les  fleurs  des- 
servir de  symboles  à  quelques  destinées  humaines,  les 
['une  vie  analogue  à  la  nôtre.  Il  y  a  dans  les  deux  cas 
oureuse  vérité  dramatique,  mais  non  pas  cette  vérité 
Live  qui  seule  préoccupe  Thomson.  Ne  demandons  pas 
îurs  une  psychologie  ambitieuse  qui  n'y  serait  point  de 
ais  notons  dans  son  riche  tableau  un  chatoyant  éclat 
3ur,  une  exquise  fidélité  d'observation,  une  admiration 
et  chaleureuse.  Un  jeune  botaniste  voulut,  après  avoir 
I  les  vei's  de  Thomson  où  sont  mentionnées  la  primevère 
eu  la  y  comparer  les  fleurs  vivantes.  11  fut  alors  à  tel 
larmé  qu'il  s'adonna  lui-même  à  la  poésie,  débuta  par 
tation  d'un  passage  du  maître,  et  eut  son  jour  d'écla- 
Dtoriété.  Voilà  un  témoignage  qui  en  vaut  bien  un 
Ce  n'est  pas  un  mince  honneur  pour  les  fleurs  de 
m  que  d'avoir  éveillé  une  vocation  poétique  K 


VIII 

Les  Animaux. 

bien  que  les  plantes,  les  animaux  ont  leur  rôle  dans 
Ts  spectacles  de  la  nature.  Thomson  n'a  'garde  d'ou- 
iis  ces  humbles  enfants  de  la  terre  dont  la  vie  demeure 

Inis  plus  douces  que  les  paupières  des  yeux  de  Junon. 

Mus  douces  que  l'haleine  de  Vénus;  les  pdles  coucous 

»ui  meurent  sans  hymen  avant  de  conlcmjiler 

*h«>bu'*  radieux  et  puissant  —  mal  trop  fréquent 

kux  jeunes  lilk-s;  les  hautes  et  hardies  primevères,  et 

.a  couronne  impériale;  les  lis  de  toutes  sortes 

it  avec  eux  le  glaïeul!  Que  ne  les  ai-je 

*our  vous  en  faire  des  Ruirinndes,  et  vous,  mon  doux  ami, 

*our  vous  en  couvrir  et  vous  en  joncher  !  » 

{Winlers  Taie,  acle  IV,  se  iv,  13-129.) 

oèle  est  Kbenezer  Eiiioll.  le  Poêle  Libre-Echangiste,  «  thc  Corn- 
mer  ".  L'anecdote  nous  est  fournie  par  Iîe.nhy  .Mobi.ry,  Of  Englhh 
p  ifi  the  Reiffti  of  Victoria,  p.  2.)M. 


<1 


396  JAMES  THOMSON. 

liée  étroitement  à  elle  et  en  reflète  toutes  les  modifications. 
Nombreux  sont  les  vers  qui  mettent  en  scène  ces  acteurs 
modestes  que  le  poète  connaît  familièrement,  et  qu'il  étudie 
avec  amour  :  les  oiseaux  d'abord  ;  puis  tous  les  hôtes  domes- 
tiques ou  sauvages  de  la  ferme,  des  champs  et  des  bois;  les 
habitants  des  eaux;  et  jusqu'aux  insectes,  même  les  plus 
repoussants.  —  Quelquefois,  entraîné  par  sa  sympathie  pour 
ces  frères  muets,  il  s'abandonne  à  de  longs  développemente; 
ce  sont  alors  des  sortes  de  monographies  poétiques  qu'il  nous 
présente.  Mais  le  plus  souvent  il  associe  toutes  ces  existences 
aux  manifestations  des  grandes  forces  de  la  nature.  Il  nous  en 
entretient  parce  qu'elles  ont  leur  place  dans  le  concert  des 
valeurs  qui  font  l'harmonie  caractéristique  de  chaque  saison 
et  de  chaque  région.  Il  voit  encore  en  eux  des  a  témoins» 
intéressants  et  pittoresques  des  changements  effectués  dans 
l'apparence  visible  des  choses  par  les  phases  successives  de  la 
vie  de  la  terre.  —  On  peut  ainsi  diviser  en  trois  groupes  ses 
observations  et  ses  descriptions  des  êtres  animés,  autres  que 
l'homme. 

Dans  le  premier  groupe  se  rangent  les  développements  célè- 
bres sur  les  amours  des  oiseaux  ',  leurs  nids*,  leurs  mœurs'; 
sur  le  touchant  héroïsme  que  savent  montrer  les  mères  pour 
protéger  leurs  petits  *  ;  sur  la  douleur  du  rossignol  dont  le 
nid  a  été  pillé  %  sur  la  leçon  de  vol  ®.  Ce  sont  des  pages 
entières  du  poème  qu'il  faudrait  traduire  pour  faire  connaître 
—  bien  imparfaitement  —  ces  tableaux  gracieux  ou  touchants. 
C'est  encore  un  épisode  fameux,  trop  long  et  trop  familière- 
ment connu  pour  que  nous  le  rapportions  ici,  que  celui  du 
rouge-gorge  venant  avec  un  mélange  de  timidité  mutine  et  de 
hardie  confiance  chercher  jusque  auprès  des  tables  les  miettes 
du  repas  \  Après  les  descriptions  des  «  mariages  »  des  oiseaux  ', 
vient  dans  le  a  Printemps  »  un  développement  sur  les  amours 
des  brutes  et  même  des  monstres  marins;  et  celui-ci,  par  con- 
traste avec  les  tableaux  précédents,  fait  valoir  la  souplesse  et 


1.  Spring,  613-633.  —  2.  ïhid.,  635-660.  —  3.  Ibid.,  661-685.  —  4.  /'A 
r,87-700.  —  î).  Ihid.,  116-726.  —  6.  Ihid.,  728-753. 

7.  Winlcr,  245-256.  —  On  peut  s'otonner  qu'un  autre  poète,  un  aulre 
umi  des  oiseaux,  Michelet,  qui  savait  Tanglais,  ait  écrit  ces  mots  :  •  Com- 
ment se  fait-il  qu'aucun  poète  n'ait  chanté  le  rouge-gorge?  •  (L'Oiseau-) 

8.  •  Connubial  leagues  -,  Sprinf/,  630. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  297 

puissance  variée  du  pinceau  du  maître  '.  Du  même  ton  rude 
sombre  est  ce  passage  de  V  a  Hiver  d  qui  nous  montre  les 
ips  chassés  par  la  neige  de  leurs  repaires  et  descendant 
sqiie  dans  les  plaines,  en  troupes  nombreuses,  «  osseux,  mai- 
es et  farouches  »,  pour  attaquer  les  troupeaux  et  les  hommes, 
i  parfois  pour  chercher  dans  les  cimetières  une  horrible 
tiire  2.  —  Il  faudrait  mentionner  encore  les  vers,  souvent  fort 
aux,  toujours  fidèles  et  imprégnés  d'une  sincère  émotion,  où 
poète  suit  les  pauvres  bètes  harcelées  et  tuées  pour  le  plaisir 
Liel  de  rhomme.  Les  traits  d'observation  pénétrante  abon- 
ni dans  ces  descriptions  de  la  perdrix  %  du  lièvre  *,  du 
rf'  ou  du  renard*.  11  ne  faudrait  oublier,  pour  tout  rap- 
ler,  ni  les  hirondelles  ',  ni  les  cigognes  voyageuses  %  ni  ces 
Tiades  d*oiseaux  qui  peuplent  les  Hébrides  ®.  —  a  La 
ise  »,  selon  les  paroles  du  poète,  «  ne  dédaigne  pas  non 
)Ius  les  tribus  bourdonnantes  des  créatures  menues  de  Tété. 
Olles  vivent  dans  ses  chants  et  vibrent  parmi  ses  vers  *°.  » 
uteur  en  effet  sait  quel  rôle  important  est  dévolu  à  ces 
?s  minuscules.  Il  nous  parle  d'eux  longuement,  soit  pour 
istater  le  mal  qu'ils  peuvent  faire  au  laboureur  ",  soit  pour 
js  signaler  leur  beauté,  nous  faire  assister  à  leur  éclosion, 
montrer  leur  vie,  leurs  dangers,  leurs  ennemis  *^  Historien 
martial  il  énumère  et  évoque  devant  nous  aussi  bien  les 
tus  et  le  charmant  labeur  de  labeille  *\  que  la  cruauté  et  la 
fie  meurtrière  de  Taraignée  **. 

liomson  est  un  observateur  trop  exact  pour  ne  pas  remar- 

îr  cette  harmonie  qui,  en  chaque  climat,  donne  à  la  faune 

lieu  un  caractère  nettement  approprié  aux  aspects  visibles 

pays.  Un  grand  nombre  de  ses  mentions  dïîtres  vivants 

pour  effet  de  compléter  et  de  préciser  le  caractère  de  ses 

sages  en  les  animant  par  la  présence  des  êtres  gracieux  ou 

ribles,  redoutables  ou  bienfaisants  à  Thomme,  que  la  nature 

placés.  S'agit-il  de  nous  transporter  sous  le  ciel  brûlant  de 

(uatcur*?  le  poète  nous  y  montre  <c  ces  oiseaux  au  plumage 

datant  qui,  sous  les  hauts  ombrages  des  cours  d'eau  sinueux, 


Spring,  1S8-829.  —  2.  \Vintc)\  38l>-4li.  —  3.  Aitlumn,  300-378.  — 
rt/Vi.,  4Ôl-i25.  —  5.  IhiiL,  426-457.  —  (J.  IbUI.,  470-402.  -  7.  Mirf., 
8i8.  —  8.  Ibid.,  840-861.  —  0.  Mi'//.,  862-870.  —  10.  Suminer,  236-238. 
1.  Spring,  119-13:*).  —  12.  Sununer,  241-266,  et  281-317.  —  13.  ^pring, 
•51».  —  14.  Summer,  267-2>J0. 


398  JAMES  THOMSOX. 

((  brillent  comme  des  fleurs  animées  '  ».  Dans  ces  solitudes  i  où 
«  ne  se  voient  que  les  troupeaux  sauvages  qui  ne  connaissent 
«  point  récurie  d'un  maître  *  »,  nous  apercevons,  t  à  demi 
c  caché  dans  l'herbe  épaisse,  et  semblable  à  un  cèdre  abattu, 
«  le  crocodile  enveloppé  d'écaillés  verdàtres  *  ».  De  l'eau  de  ces 
fleuves  prodigieux  émerge  la  tète  monstrueuse  de  l'hippopo- 
tame *,  et,    dans  l'épaisseur  des  forêts  sombres,   l'éléphant 
énorme  s'appuie  contre  un  arbre  séculaire  '.  —  Cette  nature 
est  cruelle  autant  qu'elle  est  puissante  ou  vivement  colorée, 
et  le  peintre  n'oublie  ni  ces  fauves  ni  ces  serpents  qui  semblent 
avoir  en  eux  quelque  chose  de  l'ardeur  meurtrière  dont  le 
soleil  accable  ces  régions  *.  Le  désert  et  ses  tempêtes  ne  nous 
sont  pas  décrits  sans  que  sur  l'immense  étendue  nous  voyons 
le  chameau,  «  ce  fils  du  désert,  sobre  et  patient  '  ».  —  Et  la 
peinture  même  de  la  mer  déchaînée  reçoit  un  complément 
d'horreur  quand  le  poète  nous  montre  le  requin  suivant  le 
négrier,  «  attiré  par  l'odeur  des  multitudes  pressées,  de  la 
a  maladie  et  de  la  mort  »,  jusqu'au  moment  où,   parmi  les 
victimes  du  naufrage,  (c  il  s'enivre  de  carnage,  broyant  les 
a  membres  et  rougissant  la  mer  de  sang  '  ». 

Nous  savons  qu'à  une  autre  extrémité  du  monde  le  poète  a 
voulu  évoquer  devant  nous  les  scènes  non  moins  grandioses 
des  paysages  septentrionaux.  Là  encore,  au  milieu  des  neiges 
et  des  glaces,  la  vie  palpite,  et  nous  voyons  dans  le  poème 
tous  ces  êtres  que  la  nature  a  enveloppés  d'une  fourrure  pro- 
tectrice :  les  hermines,  les  martres  et  cent  autres  animaux 
aux  pelages  précieux.  Puis  ce  sont  les  élans  serrés  en  trou- 
peaux épais,  et,  sons  les  forêts  de  sapins,  l'ours  informe,  occu- 
pant hideux  de  ces  ombres  ^.  Ou  bien,  au  contraire,  près  de> 
sauvages  tribus  humaines  qui  parcourent  ces  régions  déso- 
ir»es,  nous  trouvons  le  renne  docile  qui  fournit  aux  Lapons 
«  leurs  tentes,  leurs  vêlements  et  leurs  couches;  toute  leur 


i.  Summer,  733-138.  —  2.  //>/</..  70i.  —  3.  Ibifl.,  "06-708.  —  4.  Ihi'l- 
70«i.71o.   ~   -i.   M/^/.,  710-721.   —  T..   Jbid.,   890-938.  —  7. /Airf.,  965-«fH. 

8.  Ibid.j  i013-i02îi.  —  Il  y  a  dans  ces  quelques  vers  une  singulière  pui*- 
ftanoe.  On  peiil  les  comparer  aux  pièces  les  plus  heureuses  où  des  poète> 
ont  depuis  tenté  de  nous  faire  pénétrer  jusqu'à  IMme  obscure  qui  meui 
ces  forces  effrayantes.  Après  avoir  connu  le  requin  de  Thomson  on  csi 
moins  tenté  do  trouver  une  note  poétique  nouvelle  dans  des  pièces  telle; 
que  If  Heqnin  de  Lcoonte  de  Lisle. 

9.  Wintev.  8C9-833. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  299 

inple  richesse,  et  leurs  aliments,  et  la  boisson  dont  ils 
égaient  '  ». 

ème  souci  quand  il  s'agit  des  climats  tempérés  et  de  cette 
jre  anglaise  à  laquelle  le  poète  s  attache  surtout.  Dans  ces 
nés  abondamment  arrosées  les  troupeaux  nonchalants 
nent  un  des  éléments  indispensables  de  la  scène,  a  Quelques 
Hufs  ruminent  couchés,  d'autres,  plongés  à  mi-corps  dans  le 
curant,  baissent  la  tète  pour  boire  et  chaque  fois  laissent  sur 
eau  des  rides  circulaires*.  »  —  Les  insectes  animent  de  leur 
lissement  incessant  les  champs,  les  clairières,  les  cours 
lu,  les  malsons  ';  les  abeilles  bourdonnent  affairées  sur  les 
teaux  couverts  de  bruyère  *.  Quant  aux  forêts,  nombreux 
t  les  passages  qui  nous  en  montrent  les  habitants  :  oiseaux 
nleurs  ou  «  daims  qui  traversent  avec  bruit  les  fourrés  *  ». 
'our  de  Thabitation  du  fermier  ce  la  génisse  beugle  et 
cniande  sa  ration  i»,  tandis  que  nous  voyons  à  la  ferme  tous 
Ilotes  de  la  basse-cour,  et  le  chien  de  garde  «  paresseuse- 
lent  couché  ^  i». 

e  poète  se  montre  plus  original,  et  son  observation  est  plus 
étrante  dans  les  descriptions  du  troisième  groupe.  Elles 
t  très  fréquentes.  La  présence  de  ces  créatures  animées  qui, 
3  passivement  et  plus  complètement  que  Thomme,  subis- 
:  TeiTet  de  chaque  changement  du  monde  matériel,  donne 
euvre  une  vie  qui  fait  appel  à  notre  sympathie  ;  elle  con- 
tre les  notations  diverses  de  la  description,  et  contribue  à 
pression  d'ensemble  qui  se  dégage  du  tableau, 
es  premiers  vers  du  a  Printemps  j>  fournissent  un  des 
mples  les  mieux  marqués  :  «  L'année  incertaine  balance 
itre  rhiver  et  la  saison  plus  douce,...  si  bien  que  le  butor  a 
eine  à  savoir  si  le  temps  est  venu  pour  lui  de  gagner  le 
larais  que  son  bec,  plongé  dans  la  vase,  fait  trembler  et 
isonner;  et,  du  rivage,  les  pluviers  hésitent  à  se  disperser 
xr  les  bruyères,  et  à  crier  leur  note  aigur»  aux  solitudes 
lencieuses  ".  »  —  De  tous  les  traits  qui  concourent  à  tra- 
re  cette  impression  de  joie  que  le  poète  veut  associer  à  la 
cription  de  la  jeune  saison,  il  n'en  est  pas  de  plus  frappants 
cette  page  exquise  où  il  nous  fait  entendre  le  concert  des 

WiniPr,   851-833.    —    2.    Stwimer,   480-493.    —    3.    Ibitl.,    211-331.   — 
V'W/i//,  307-514.    —  5.   Ihid.,  93.  —  0.  Sitmhier,    220-23i}.  —  7.  Sprin^f^ 


300  JAMES  THOMSON. 

oiseaux  ' .  Ses  vers  sont  animés  alors,  selon  son  vœu,  par  cl  Tâme 
(le  la  mélodie  »  ;  ils  reflètent  avec  un  rare  bonheur  cet  hymne 
d  allégresse  de  la  nature  dont  le  poète  nous  montre  chaque 
«  choriste  »  avec  sa  physionomie  propre  et  sa  place  exacte. 

<(  Du  sol  s'élève  Talouette  à  la  voix  perçante  et  forte,  la  nies- 
«  sagère  de  Taurore;  et,  avant  que  les  ombres  se  soient  dis- 
«  persées,  elle  chante  bien  haut  parmi  les  nuages  blanchis- 
«  sants,  pour  éveiller  dans  les  nids  le  petit  peuple  des  chanteurs. 
m  Chaque  taillis  épais,  chaque  arbre  sauvage,  chaque  buisson 
a  courbé  par  le  poids  des  gouttes  de  rosée  au-dessus  de  la  tète 
4L  des  timides  chanteurs  qui  Thabitent,  tous  répandent  à  flots 
a  rharmonie.  La  grive  et  Talouette  des  bois,  dominant  le  bruit 
«  des  musiciens  qui  rivalisent,  égrènent  les  chants  les  plus 
ce  longs  et  les  notes  les  plus  charmantes;  Philomèle  les  laisse 
«  s'(»n  donner  à  co'ur  joie,  sachant  bien  que  sa  nuit  dépassera 
<(  leur  jour.  Le  merle  siffle  sur  le  buisson  épineux;  le  bou- 
<c  vreuil  mélodieux  répond  du  bosquet;  les  linottes,  répandues 
((  à  pi-ofusion  sur  les  genêts  en  fleur,  ne  restent  i)as  silen- 
ce cieuses.  Kt  dans  Tombre  fraîche  des  feuilles  nouvellement 
il  écloses,  d'innombrables  chanteurs  ajoutent  leurs  modula- 
«  lions  ravissantes.  Le  geai,  la  corneille,  le  choucas,  toutes  les 
«  rauqnes  voix  qui  entendues  seules  sont  discordantes,  font 
«  leur  part  dans  le  concert  général;  tandis  que  sur  Tensemble, 
«  le  ramier  fait  courir  son  mélancolique  murmure  '.  » 

Les  animaux  serviront  encore  au  poète  à  rendre  cette  impres- 
sion d'attente  <*onliante  et  de  joie  que  dégagent  les  choses  à 
rapproche  d'une  pluie  i>rintanière,  a  Les  bœufs  et  les  moutons 
((  laissent  retomber  de  leur  bouche  les  tiges  desséchées,  et 
((  d'une  muette  prière,  leurs  yeux  attendent  la  chute  de  cette 
«  ondée  qui  va  tout  reverdir.  Dans  une  courte  et  silencieuse 
«  interruption,  les  hôtes  emplumés  de  l'air  lissent  leurs  aile:?,- 
«  ils  attendent  le  signal  prochain  pour  faire  éclater  leur 
«  chd'ur  ^  »  Ktquiind  la  pluie  est  venue,  a  les  bois  s'épanouis- 
((  sent;  tout  leur  orchestre  s'éveille  et  se  mêle,  en  un  simple? 
<(  concert,  au  babillage  des  ruisseaux,  aux  bêlements  lointainï" 
«  qui  viennent  des  collines,  aux  profonds  mugissements  q'J*' 
«  des  vallées,  leur  répondent  *  ». 


i.  Spring,  l'Ai  cl   siiiv.    —  2.    Ihid.,    :i8l»-C12.  —   3.    Mirf.,    166-167. 
4.  Ibid,,  11)7-200. 


LES  OBJETS   DÉCRITS.  301 

Ist-ce  une  matinée  d'été  qui  nous  est  décrite?  Voici  Tun  des 
lils  qui  éveillent  le  plus  sûrement  une  impression  semblable 
Aie  qu'a  éprouvée  l'observateur  :  «  Du  champ  de  blé  aux 
iges  élevées,  le  lièvre  s'élance  avec  des  bonds  bizarres, 
undis  que,  le  long  de  la  clairière,  les  daims  sauvages  courent 
igers,  et  se  retournent  souvent  pour  regarder  surpris  le 
iromeneur  matinal  '.  »  —  Kt  quand  vient  l'heure  de  midi, 
i  corneille,  le  freux  et  la  pie  regagnent  paresseusement  les 
leiix  chênes  gris,  et,  dans  les  rameaux  épais,  ils  se  per- 
hent,  protégés  pendant  Theure  brûlante....  Au  pied  de 
arbre,  les  oiseaux  de  la  basse-cour  se  réunissent  lassés,  et 
ans  un  coin  de  cette  ombre  pleine  de  bourdonnements,  le 
bien  de  garde  se  couche,  à  côté  du  lévrier  oisif,  et  s'étend 
ngourdi  *  ».  —  En  dehors  des  coins  ainsi  abrités,  la  tyrannie 
soleil  accable  toute  la  nature.  «  A  peine  une  cigale  chante 
ans  toute  la  prairie  silencieuse'  ».  Et  cette  oppression  des 
•ses  et  des  êtres  vivants  est  rendue  plus  saisissante  par 
)l)Osition  de  la  seule  créature  qui  n'en  subisse  pas  l'influence 
iguissante  : 

Loin  du  rocher  sur  le  noir  sommet  duquel  il  a  fixé  son 
ire,  l'aigle  s'élève  et  plane  d'une  aile  hardie  dans  les  flots 
e  lumière;  et,  livrant  sa  poitrine  au  flamboiement  des 
ayons,  il  s'approche  du  soleil.  Mais  tous  les  oiseaux  chan- 
2urs,  frappés  par  l'ardeur  cruelle,  languissent  pèle-mele 
u  plus  épais  des  buissons,  ou,  d'un  bosquet  à  l'autre, 
changent  avec  peine  quelques  notes  vite  interrompues, 
eul  le  ramier  roucoule  dans  la  forêt  sa  plainte  triste  et 
auquc  *.  » 

.es  oiseaux  aussi  serviront  à  peindre  à  l'âme  plus  qu'aux 
IX  la  mélancolie  del'  a  Automne»,  a  Dans  le  bosquet  attristé, 
i  bûcheron  entend  à  peine  une  mélodie  mourante  encou- 
ager  son  labeur.  C'est  quelque  chanteur  privé  de  sa  com- 
pagne qui,  de  loin  en  loin,  en  faibles  accents,  répand  sa 
»lainte  dans  les  fauves  taillis;  tandis  que,  pressés  les  uns 
ontrc  les  autres,  grives,  linottes,  alouettes,  tous  les  simples 
nusiciens  dont  les  chants  naïfs  emplissaient  naguère  ces 
rnbrages  de  leur  harmonie,  n'ayant  plus  maintenant  en 


Summer,  57-60.  —  2.  Ibid.,  224-233.  —  3.  Ibid  ,  4ift,  441.  —  4.  /6ie/.. 
616. 


30^  JAMES  THOMSON.  I 

a  eux  rinspiration  mélodieuse,  sont  perchés  frissonnants  sur  ■ 
u  Tarbre  mort,  troupe  muette  et  triste  *.  d  I 

Le  ciel  s'assombrit,  l'orage  fond  sur  les  campagnes.  «  Les  I 
«  tribus  aériennes  descendent  rapides  vers  les  vallées  pro-  I 
((  fondes;  le  corbeau,  ami  des  tempêtes,  ose  à  peine  fendre  J 
«  de  son  aile  Tobscurité  incertaine.  Les  bestiaux  immobiles,  1 
«  Tôpouvante  dans  les  yeux,  regardent  le  ciel  menaçant'.  »  1 
Et  s'il  s'agit  d'une  tempête  d'hiver,  a  la  génisse  tourne  vers  le  1 
a  ciel  ses  naseaux  élargis,  et  aspire  le  vent  chargé  d'orage'  ». 
«  Mais  surtout  les  tribus  emplumées  des  hôtes  de  l'air  annon- 
ce cent  la  tourniente  prochaine.  Fuyant  loin  des  dunes  où, 
«  tout  le  jour,  elles  ont  cherché  une  maigre  pAture,  une 
ce  bande  noire  de  corneilles  criardes  s'efforce,  d'un  vol  fatigué. 
«  d'atteindre  l'épais  abri  du  bois.  Du  bosquet  le  hibou  triste 
ce  fait  entendre  sa  plainte  monotone.  Le  cormoran,  de  la  sur- 
«  face  de  l'eau,  s'élève  en  tournoyant  jusqu'au  haut  des  airs  et 
«  cric  en  passant  au-dessus  des  terres.  Le  héron  plane  et  pousse 
«  sa  note  stridente;  et  d'une  aile  hardie,  les  oiseaux  de  mer 
«  tourbillonnent  et  fendent  les  nuages  épais  *.  » 

Dans  la  désolation  que  présente  le  paysage  d'hiver  un  sur- 
croît de  tristesse  est  ajouté  par  a  le  bœuf  laboureur  qui  épuisé 
<(  s'arrête  tout  couvert  de  neige  »  et  par  ec  les  oiseaux  du  ciel 
((  qui,  domptés  par  la  saison  cruelle,  viennent  en  foule  autour 
a  (le  Taire  où  Ton  bat  le  blé  ^  )).  —  «  Des  solitudes  stériles 
a  sortent  alors  leurs  fauves  habitants.  I^  lièvre...  ose  s'ap- 
«  procher  des  jardins.  Les  moutons  bêlants  regardent  le  ciel 
«  lugubre  puis  la  terre  étincelante;...  alors,  tristes  et  dispersés, 
a  ils  fouillent  la  neige  amoncelée  pour  y  chercher  une  herbe 
«  flétrie®.  » 

Thomson,  on  le  voit,  n'est  pas  de  ces  peintres  dont  los 
paysages  restent  privés  de  mouvement  et  de  vie.  Ses  descrip- 
tions sont  complétées  par  le  souvenir  toujours  présent  des 
êtres  qui  y  mettent  l'animation  et  le  bruit;  qui  y  ajoutent 
par  là  même  un  surcroît  de  vérité.  Les  oiseaux  lui  fournissent 
le  plus  grand  nombre  de  ces  détails;  et  c'est  là  encore  une 
preuve  d'observation  exacte.  Ils  sont  bien  en  effet,  parmi  les 
hôtes  des  champs  et  des  bois,  ceux  dont  le  rôle  s'impose  le 

1.  Aulumn,  972-980.  —  2.  Summer,  1121-1125.  —  3.  U'iw/cr,  132,  i:^^. 
—  4.  lhid,y  137-147.  Voir  aussi  80-89.  —  l'y.  Ihid,,  240-245.  —  6.  Ibid.^ 
256-5^64. 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  303 

lus  fortement  à  l'attention.  Mais  ce  n'est  pas  aux  ei  Saisons  i» 
ue  l'on  appliquerait  cette  fine  remarque  d'un  critique  :  a  Chez 
la  plupart  des  poètes,  si  on  tuait  les  oiseaux,  la  nature  res- 
terait dépeuplée*  ».  Thomson  a  vu,  à  leur  place,  et  avec 
importance  du  rôle  assigné  par  la  nature  à  chacun  d'eux, 
ius  les  êtres  qui  peuplent  les  campagnes  d'Angleterre.  La  vie 
3urmille  dans  son  poème  comme  dans  la  nature. 


IX 

L'Homme. 

Nous  avons  eu  à  remarquer  déjà  comment  chez  Thomson  à 
observation  des  choses  s'unit  toujours  la  pensée  des  intérêts 
imains.  Ses  descriptions  ne  sont  pas  celles  d'un  dilettante  ou 
un  pur  artiste.  11  a  vu  de  trop  près  la  vie  des  champs;  il  a 
op  intimement  partagé  les  travaux,  les  joies,  les  espérances 
i  les  craintes  des  laboureurs  pour  séparer  comme  des  éléments 
jtérogènes  la  beauté  des  choses  et  leur  utilité.  Est-ce  un  mal 
une  infériorité  comme  le  prétendent  certains  théoriciens  de 
rt  *?N©us  sommes  disposés  à  croire  plutôt  que  le  poète  y  a 
gné  quelques-unes  de  ses  plus  précieuses  qualités  :  cette 
icérité  absolue  qui  distingue  son  œuvre  de  tant  d'autres  mor- 
aux descriptifs  éclos  au  cours  du  xviii*  siècle,  et  la  profonde 
nipathie  qui  donne  à  ses  peintures  tant  de  force  et  de  péné- 
ition.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  que  nous  avons  ici  à  noter  c'est 
le  l'homme  est  toujoui-s  présent  dans  les  observations  du 
ète.  Ajoutons  qu'il  s'agit  souvent  d'une  présence  virtuelle, 

.  Auo.  Â.NGELLiKR,  Uurns,  vol.  II.  p.  33 i. 

I.  Emerson  a  exprimé  cette  opinion  dans  quelques-unes  de  ces  formules 
ppantes,  magistrales  et  dogmatiques  dont  il  est  coutumier. 
îuskin,  dont  les  aphorismes  sibyllins  et  les  jugements  en  apparence 
personnels  reflètent  souvent,  dans  les  premières  œuvres,  Tinspiration 
penseur  américain,  Ruskin  à  son  tour  avait  protesté  contre  l'union 
oite  do  la  nature  avec  les  «  afTaires  ou  les  afTections  des  hommes  ». 
is  dans  une  des  curieuses  notes  d*une  édition  récente  où  il  critique, 
culc  et  corrige  ses  opinions  de  jeunesse,  il  revient  sur  ce  point  pour 
naler  une  modification  de  ses  sentiments  :  •  As  I  hâve  grown  older, 
)  aspects  of  nature  conducive  to  human  life  hâve  become  hourly  more 
ir  to  me;  and  I  had  rather  now  see  a  brown  harvest  field  than  the 
ghtest  Aurora  Borealis  ».  {Modem  Pointers,  édit.  de  4888.  Vol.  1,  p.  8i.) 


i 


304  JAMES  THOMSON. 

Tliomson  nous  rappelle  quelle  est  l'influence  des  choses  ou  des 
phénomènes  qu'il  décrit  sur  la  fortune  et  sur  la  vie  des  êtres 
humains  ;  mais  iJ  nous  montre  assez  rarement,  au  milieu  des 
divers  paysages,  l'acteur  humain  qui  y  a  légitimement  sa 
place.  Il  reste  en  cela  de  son  temps.  C'est  par  exemple  chose 
jjien  moderne  que  la  perception  d'une  beauté,  d'une  valeur 
esthétique  dans  le  paysan,  dans  la  simple  noblesse  de  son  tra- 
vail, dans  l'harmonie  de  sa  vie,  de  ses  attitudes  et  de  son  être 
avec  la  terre  à  laquelle  mille  liens  l'unissent.  Le  xviii*  siècle  n'a 
eu  ni  son  Wordsworth,  ni  son  G.  Sand,  ni  son  Millet.  —  Mais 
si  peu  nombreuses  que  soient  chez  Thomson  les  descriptions 
pittoresques  d'êtres  humains,  c'est  dans  son  poème  cependant 
que  l'on  pourrait  le  mieux  trouver  la  promesse  de  cette  inspi- 
ration qui  devait  fournir  à  l'art  de  notre  siècle  quelques-unes 
de  ses  œuvres  les  plus  fortes  et  les  plus  originales. 

Les  premiers  vers  du  a  Printemps  i>  nous  offrent  quelques 
uns  des  meilleurs  exemples  que  nous  ayons  à  citer  : 

((  Le  laboureur  impatient  voit  avec  joie  la  nature  s'adoucir. 
«  Il  fait  sortir  de  Tétable  ses  bœufs  vigoureux,  et  les  annèneau 
«  champ  où  la  charrue  polie  git  dans  le  sillon  que  la  gelée 
a  n'étreint  plus.  Docilement  ils  acceptent  le  joug  que  le  maître 
a  fixe  sur  leurs  épaules,  et  ils  commencent  leur  tâche  égayée 
((  par  la  simple  chanson  de  lalouetle  qui  s'élève.  Et  le  labou- 
«  reur,  pcs^uit  sur  le  soc  brillant,  se  penche,  enlève  la  terre 
((  qui  s'iittaclie  au  vcrsoir,  dirige  tout  le  travail,  et  rejette  la 
a  glèbe  sur  le  côté  du  sillon.  » 

a  Dans  les  champs  voisins  le  semeur  blanc  s'avance  d'un  pas 
«  large  et  régulier,  et  jette  à  pleines  mains  la  graine  au  sein 
et  fidèle  de  la  terre.  Puis  la  herse  grinçante  suit  et  termine  le 
a  travail  '.  » 

1.  Spi'ing,  34-47.  —  Uu  éditeur  a  cru  trouver  dans  ce  tableau  du  labouf' 
une  imilalion  lilléraire  des  écrivains  du  Midi,  une  description  faite  •  ^^ 
chic  -.  Kn  réalité  l'emploi  de  l»œufs  pour  le  Ia))our  durait  encore  eu 
Kcosse  à  la  (in  du  xvnr  siècle  (voir  Bihks,  The  Lea-rig),  C'est  sur  le  in<jf 
•  shoulder  -  que  pourrait  plutôt  porter  le  reproche  d'Inexaclitude.  ^' 
c'est  une  métonymie,  l'épaule  pour  la  tête,  elle  est  fâcheuse  dans  un  tablea'* 
si  précis  et  si  juste. 

«  Le  semeur  blanc  »  avait  passé  longtemps  sans  remarque.  Mr.  Keightl'-> 
a  donné  dans  Noien  and  Queries  une  intéressante  observation  à  ce  sujçj 
(4«  série,  vol.  H,  p.  :UU).  Eu  Ecosse  cl  en  Irlande,  dit-il,  le  semeur  av>» 
un  drap  de  lit  fixé  autour  du  cou  pour  porter  une  quantité  considérai)'® 
de  graines. 

Un  autre  correspondant  (même  vol.,  p.  470)  explique  autrement  l'ép'* 


LES  OBJETS  DÉCRITS.  305 

Notre  paysan  est  moins  exactement  observé  quand,  en 
rmes  un  peu  ambitieux  et  gonflés,  le  poète  le  montre,  à  Tap- 
oche  d'une  pluie  bienfaisante,  «  parcourant,  en  maître,  la 
nature  joyeuse  ;  de  pieuses  louanges  dans  sa  pensée,  et  dans 
ses  regards  une  vive  gratitude  *  ».  —  Plus  loin  c'est  un  vil- 
Jieois  de  convention,  un  villageois  de  trumeaux  et  de  berge- 
lesqui  nous  est  peint  stupéfait  à  la  vue  de  Tarc-en-ciel  et 
iirant  après  Tobjet  brillant  qui  fuit  devant  lui  *.  —  Il  y  a 
)iiis  de  fantaisie  dans  l'indication  du  a  berger  assis  au  haut  de 
a  montagne,  sur  l'herbe  épaisse  »,  mais  le  poète  ne  s'arrête 
sa  décrire  ce  personnage,  pittoresque  cependant  en  Ecosse 
is  encore  qu'ailleurs;  il  réserve  l'efTort  de  sa  peinture  pour 
troupeau  ^. 

^lème  sobriété  dans  1'  a  Été  »  quand  le  berger  vient  à  être 
ntionné.  Les  renseignements  qui  nous  sont  donnés  sur  son 
npte  ne  sont  guère  propres  à  évoquer^  devant  nos  yeux 
e  image,  a  Éveillé  par  le  coq,  le  berger  vite  habillé,  quitte 
a  cabane  moussue  où  habite  avec  lui  la  paix,  et  fait  sortir  un 
i  un  du  parc  la  foule  des  moutons  *.  »  —  C'est  encore  le  trou- 
au  qui  seul  est  décrit  lorsque  le  berger  le  ramène  au  milieu 
jour  \  —  Le  tableau  de  la  fenaison  nous  met  au  contraire 
présence  de  travailleurs  bien  observés.  Ici  les  traits  d'une 
?oription  toute  réaliste  se  mêlent  à  la  phraséologie  vague  et 
ivenue  de  l'époque  :  «  Maintenant  le  village  entier  se  répand 
sur  la  prairie  pleine  de  gaité;  voici  le  jeune  paysan,  bruni 
jarson  travail  au  grand  soleil,  sain  et  robuste;  puis,  épa- 
nouie comme  la  rose  d'été  qui  s'ouvre  au  soleil  vainqueur, 
a  jeune  lille  aux  vives  couleurs,  demi-nue,  laissant  voir 
les  formes  pleines  et  palpitantes,  et  dont  les  joues  brûlent 
le  ses  grâces  ardentes.  Les  vieillards  courbés  sont  eux- 
nêmes  présents;  et  de  leurs  petites  mains  des  enfants  traî- 
lent  le  long  râteau,  ou  bien,  accablés  sous  leur  charge 
embaumée,  il  roulent  sans  danger  au  milieu  du  foin  trop 
ourd  pour  eux.  L'herbe  fauchée  laisse  échapper  au  loin  ses 

le  rie  Thomson.  Le  grain  chaulé  avanl  les  semailles  Iais.se  échapper  une 
flsière  dé  chaux  que  le  venl  rejeUu  en  parlie  sur  le  semeur.  L'explica- 
on  parail  phis  simple  et  rimngc  ainsi  produite  est  plus  satisraisanlc 
œil.  En  tout  cas.  il  est  apparent  que  le  poète  a  enregistré  lu  l'observa- 
1  d'uu  fait  bien  réel. 

.  Spriny,  lOl'-lIl.— 2.  Ibid.,  211-2ir>.  —  3,  IfiUl,,  83I-8iO.    -  \.  Snmnwr, 
m.  —  5.  Ibid.,  220. 

20 


î^0()  JAMES   THOMSON. 

<(  graines;  tandis  que  tous  avaiirant  sur  une  longue  ligne, on 
((  parcourant  en  tournant  la  prairie,  étalent  au  soleil  leur 
«  moisson  parfumée....  A  un  autre  moment  ils  promènent  1^^ 
((  râteau  sur  le  sol  qui  reparaît  alors  vert,  et  poussent  le  long 
«  du  champ  la  vague  sombre;  derrière  eux  les  meules  rousses 
a  s'élèvent  nombreuses  en  gaie  succession;  et  d'un  vallon  à 
«  un  autre,  éveillant  la  brise,  résonnent  les  voix  confondue> 
a  du  travail  heureux,  de  Taniour,  et  d'une  camaraderip 
«  joyeuse  *.  » 

Quelques  traits  pourraient  être  aussi  relevés  dans  le  tableau 
si  plein  d'éclat,  de  mouvement  et  de  relief  de  la  baignade  et  de 
la  tonte  des  moutons.  On  y  entend  les  cris  des  hommes,  des 
jeunes  garçons  et  des  chiens  qui  poussent  dans  le  ruisseau  le 
troupeau  effaré.  On  y  voit  le  paysan  impatient  saisir  un  des 
moutons  rebelles  et  le  jeter  dans  Peau.  On  y  entend  les  bergers 
aiguiser  leui*s  ciseaux  sonores.  On  y  voit  la  ménagère  attendre  le  , 
trésor  des  blanches  toisons.  Auprès  d'elle  toutes  les  jeunes  lilles 
en  gais  costumes  entourent  le  trône  de  celle  qu'elles  ont  choisie 
pour  reine.  Tout  le  monde  est  joyeux  et  la  tdche  se  poursuit 
activement.  Les  uns  mêlent  et  agitent  le  goudron  fondu,  d'au- 
tres se  tiennent  prêts  à  imprimer  sur  le  flanc  haletant  de 
l'animal  la  marque  du  maître;  quelques-uns  entraînent  un 
mouton  récalcitrant;  enfin  (et  le  détail  est  digne  de  ThéO" 
crite  ou  d'un  bas-relief  antique)  un  jeune  gargon  tout  fier  de  s^ 
force  maintient  par  ses  cornes  recourbées  le  bélierindigné  '. 

Plusieurs  fois  encore  le  berger  figure  dans  les  tableaux  di* 
r  ((  Kté  »,  mais  toujours  avec  la  plus  brève  indication.  Ici  nou^ 
le  voyons  dormir  sans  souci  au  milieu  de  son  troupeau,  étend^, 
sur  le  gazon  moelleux,  un  bi'as  autour  de  la  tète;  à  côté  de  l^** 
sa  besace  garnie  (le  saines  provisions,  et,  de  l'autre  côté,  la  ho^' 
lette,  son  sceptre,  et  le  chien  vigilant  \  Plus  tard,  après  avo*^ 
sûrement  enfermé  son  troupeau  dans  le  parc,  il  regagne  gaîme^ 
sa  demeure,  et  de  temps  en  temps  soulage  du  poids  de  son  se^^ 
plein  à  déborder  la  laitière  aux  joues  vermeilles.  —  Enfin     ^ 
deux  reprises  le  poète  mentionne  les  plaisirs  du  bain;  chaq*^^ 
fois  il  s'arrête  à  noter  les  motifs  de  nu  qui  se  présentent  à  s^^ 
observation.  Il  voit  dans  les  eaux  du  Niger  «  les  jeunes  fill^^ 
«  d'Afrique  aux  formes  pleines  baigner  leurs  membres    ^ 

1.  Summer,  351-370.  —  2.  IbUi.,  311 -ill.  —  3.  //;«/.,  493-497. 


LES  OBJETS  dk«:rits.  307 

•<  jai.s  '  )).  Il  .suit  sur  la  surface  d'une  rivirre  d'An^lelerre  les 
liiouveinents  du  nageur;  il  voit  sortir  de  leau  ses  tresses 
noires  et  ses  joues  vermeilles;  il  a  noté  (remarque  plus  pré- 
cise) le  souffle  bref  qui  s'échappe  de  ses  lèvres  à  chaque 
brassée;  il  a  été  charmé  du  reflet  de  luuiière  humide  que  ren- 
voient ses  flancs  luisants  -. 

L'«  Automne  )>  àson  tour  offre  quelques  descriptions  des  tra- 
vaux et  des  plaisirs  rustiques.  «  Aussitôt  que  le  matin  tremble 

•  au  ciel...  devant  le  champ  mûri  la  troupe  des  moissonneurs 

•  se  déploie  en  bon  ordre.  Chacun  s'est  placé  auprès  de  la 
^  jeune  fille  qu*il  aime,  pour  se  charger  des  plus  dures  fati- 
^  gués,  et  pour  adoucir  par  mille  services  affectueux  le  labeui- 

•  de  l'amie.  Les  travailleurs  se  baissent  et  les  gerbes  épaisses 

•  se  forment,  et  dans  les  rangs  courent  les  causeries,  les 

•  médisances,  les  plaisanteries  du  village,  distraction  inoffen- 

•  sive  qui  trompe  la  longue  tâche,  et  fait  passer  sans  souf- 

•  france   les  heures  brûlantes.   Le  maître  s'avance  derrière 

•  eux,  dresse  les  meules,  et,  embrassant  toute  la  scène  d'un 

•  regard  satisfait,  sent  la  joie  gonfler  son  coîur.  Plus  loin  les 

•  glaneuses  se  répandent,  et  ramassent  çà  et  là,  épi  par  épi, 

•  leur  pauvre  moisson  ^  » 

La  chasse  n'est  pas  au  poète  une  occasion  de  nous  décrire  le 
chasseur  comme  les  chiens  ou  le  gibier.  Mais  il  s'est  amusé  à 
placer  devant  nous  avec  de  copieux  détails  la  scène  du  repas 
^ui  termine  la  journée.  Nous  entendons  les  récits  des  chas- 
^urs;  la  modestie  n'en  est  pas  le  trait  caractéristique.  Nous 
soyons  même  les  provisioTis  énormes  sous  lesquelles  gémit  la 
^ble;  les  jeux  auxquels  on  se  livre,  une  fois  l'appétit  satis- 
^*^t,  et  la  galanterie  robuste  avec  laquelle  on  arrête  au  passage 
'^  servante  peu  farouche.  Nous  voyons  surtout,  au  dernier  acte 
^^  la  pièce,  les  convives  un  à  un  vaincus  roulant  sous  la  table 
jusqu'à  ce  que,  resté  seul  en  face  des  bouteilles  vides,  «   le 

*  'Ministre  à  la  panse  énorme,  grave  et  profond,  dont  la  redin- 
^  ^ote  noire  recouvre  un  goufre  que  la  boisson  ne  peut  remplir, 

*  ^e  retire,  laissant  là  ses  ouailles  qui  gisent  à  terre,  et,  rumi- 

*  ^aint  de  tristes  réflexions,  déplore  la  faiblesse  d'un  siècle 
^  dégénéré  *  n. 

#    ^-   Summei\  823,  821.    -   2.   lOid..   424i-l2:.«i.  —3.   Au(umVy  l.M-IOG.  — 
'   '*^UL.  4y8-560. 


308  JAMES  THOMSON. 

La  récolte  des  noisettes,  celle  des  fruits  du  verger,  la  ven- 
dange sont  énumérées  sans  aucun  trait  descriptif  qui  nous 
montre  les  villageois  occupés  à  ces  tâches.  Mais  le  poète  a  con- 
servé le  souvenir  d'une  vision  qui  Ta  frappé  sur  les  collines  de 
Southdean  ;  et  quand  il  énumère  les  effets  produits  par  un 
épais  brouillard  d'automne,  il  n'oublie  pas  ce  le  berger  qui, 
a  perdu  sur  la  lande,  marche  à  grands  pas  et  parait  gigan- 
«  tesque  *  d.  —  Enfin  toute  la  population  du  village  nous  est 
montrée  à  l'occasion  des  fêtes  qui  célèbrent  Tachèvement  des 
travaux  de  Tannée.  Nous  voyons  le  jeune  homme  danser,  et, 
sous  les  circonlocutions  du  narrateur,  nous  reconnaissons  le 
n  réel  y>  écossais;  la  a  belle  d  du  village  est  là  «  déployant 
a  tous  ses  charmes,  jeune,  accorte  et  vive,  riche  d'une  simple 
a  beauté;  elle  lance  à  tel  ou  tel  un  regard  significatif;  et  quand 
«  le  sourire  de  ses  yeux  porte  un  encouragement,  les  bâtons 
«  s'entrechoquent,  ou  les  lutteurs  s'étreignent  avec  une  force 
«  redoublée  *  ». 

Ce  sont  aussi  dans  V  a  Hiver  »  les  jeux  des  paysans,  qui  four- 
nissent à  Thomson  l'occasion  de  quelques  vers  de  description. 
Auprès  du  feu  les  gens  a  se  répètent  quelque  histoire  bien 
«  connue  de  lutin,  jusqu'à  ce  que  tous  sentent  courir  en  eux 
a  un  frisson  de  terreur:  ou  bien  dans  la  salle  sonore  ils  se 
«  livrent  à  leui-s  rustiques  ébats;  une  simple  gaîté  les  anime; 
a  on  entend  les  éclats  bruyants  d'un  rire  sincère,  le  baiser 
«  furtivement  dérobé  à  la  jeune  fille  qui,  observant  le  galant 
«  du  coin  de  l'œil,  a  eu  soin  de  se  laisser  surprendre,  ou  a 
a  feint  de  dormir;  puis  ce  sont  les  sauts,  les  claques,  les 
«  bousculades,  et  la  danse  qui  suit  la  mesure  d'une  simple? 
a  musique  '  ». 

1.  ««  Beyond  the  life 

Objccls  appear;  and  wildcred  o'er  the  waste 
The  shcpiierd  slalks  giganlic  »,  etc. 

{Aulumn,  725-727.) 

WordsworUi  a  vu  ceUe  môme  apparition.  On  peut  se  demander  si  loi^- 
qu'il  Ta  décrite,  il  ne  s'est  pas  aussi  souvenu  des  Ter»  de  Thomson  : 

<(  Ânglinf;  I  went,  or  trod  the  trackless  hills 
By  mists  funrildered^  suddenly  mine  eyes 
Hâve  glauced  upon  him  distant  a  few  steps, 
In  sizo  a  giant,  slalking  through  thick  Tog.  » 

{The  Prélude,  Bk.  VIII.) 

2.  ÀHlwnn,  1222-1230.  —  3.  Winter,  r)17-r,2H. 


LES  OBJETS  DÉCRITS. 


309 


Il  est  toute  une  série  de  personnages  humains  que  nous  avons 
lassés  sous  silence.  Ce  sont  les  acteurs  des  petits  drames  que 
3  poète  mêle,  sous  forme  d'épisodes  narratifs,  à  ses  descrip- 
lons  du  monde.  Cette  partie  de  l'œuvre  fera  pour  nous  l'objet 
'une  étude  spéciale.  Les  personnages  qui  y  figurent  n'ont  que 
lire  ici.  Ce  sont  villageois  et  bergères  aux  costumes  de  satin, 
ux  gestes  et  aux  attitudes  élégamment  maniérés,  comme  ceux 
es  scènes  rustiques  de  Boucher  ou  de  Lancret  *.  Mais  au  con- 
raire  les  passages  que  avons  rencontrés  au  cours  de  ce  cha- 
pitre nous  ont  plus  d'une  fois  mis  en  présence  de  vrais  paysans, 
us  dans  la  justesse  de  leurs  mouvements,  dans  leur  harmonie 
vec  le  milieu  naturel,  intéressants  par  eux-mêmes,  et  peints 
idèlement.  C'était  là,  on  le  reconnaîtra,  une  donnée  bien  nou- 
elle  alors  et  dont  l'art  pas  plus  que  la  littérature  ne  fournirait 
^ère  d'exemples  dans  ces  premières  années  du  xviir  siècle. 


1.  Voir  par  exemple  les  Quatre  Saisons  de  ce  peintre  (Musée  du  Louvre, 
i"  462,  463,  464,  465).  Les  personnages  de  quelques-unes  de  ces  jolies 
cènes  sont  peut-être  gens  de  ville  ou  de  châteaux.  Mais  la  diiïérence 
est  pas  facile  à  tracer  entre  les  citadins  et  les  campagnards. 


CIl.VrMTKE   IV 


m:  I'Okik  i)i:scuii>iiF.  —  sa  tkchmqle 


Apivs  ce  résumé  de  l'œuvre  descriptive  de  Thomson,  nous 
pouvons  abordei'  les  deux,  questions  que  comporte  pareiU<î 
élude.  Nous  rechercherons  d'abord  les  procédés  de  son  arl. 
Nous  nous  d(in](uiderons  ensuite  quelle  conception  le  poètf 
s'est  faite  de  ce  monde  extérieur  dont  il  a  été  Tinterprèle. 
(Test  donc  la  technique  du  poème  des  a  Saisons  »,  et  sa  philo- 
sophie' ([ue  nous  nous  proposons  d'étudier  successivement.  i 


l'nt;  i)remière  conslatalion  s'impose.  Elle  ressort  du  pl**^ 
même  et  du  sujet  du   poème.   L'auteur  a  voulu   peindre  ^^ 
nature  sous  lous  ses  aspects,  en  tous  les  lieux  et  par  toutes  i^^ 
saisons.  11  s'est  dès  lors  interdit  le  choix  entre  les  scènes  ^^ 
rélimination  de  celles  ([ui  pourraient  paraître  moins  intér^^' 
santés  ou  moins  artistiques.  Il  n'est  pas  de  ces  peintres  dont  ^^ 
cadre  enserre  une  combinaison  soigneusement  agencée  d'é^^' 
menls  pittoresques;  il  n'est  pas  de  c€ux  non  plus  qui  s'adO^' 
nent  à  lobservalion  et  à  la  reproduction  de  certains  aspe^ 
du  monde  à  l'exclusion  des  autres.  C'est  toute  la  nature  (g  ^* 
son  poème  doit  passer  en  revue.  A  peine  peut-il  s'arrêter  p^  ^*r 
longuement  à  certaines  scènes  parce  qu'elles  sont  agréable^^  * 


contempler;  mais  il  n'omettra  pas  un  spectacle  parce  qu'il 
atrreux,  ou  triste  ou  monotone.  Et  en  effet,  au  même  ti^''"^ 


LE  POÈTE   DESCRIPTIF.   —  SA   TECHNIQUE.  311 

il  décrit  les  grâces  du  printemps  ou  les  splendeurs  de 
ilonine,  il  dépeint  les  terreurs  de  la  tempête,  les  mornes 
tcsses  des  solitudes  glacées  ou  des  déserts  brûlés,  et  jus- 
aux  effets  qui  paraissent  le  moins  se  prêter  à  une  interpré- 
uii  artistique  :  la  chute  persistante  et  monotone  d'une 
rse  de  pluie  ou  de  neige,  ou  la  vision  confuse  d'un  paysage 
i  noient  les  brouillards.  —  Est-ce  là  pour  le  poème  une 
idilion  de  force  ou  de  faiblesse?  C'est  en  tout  cas  une  néces- 
''■  qui  s'imposait.  Et  si  parfois  l'intérêt  faiblit  devant  telle  ou 
e  description,  ce  parti  pris  de  tout  voir  et  de  tout  peindre 
leux  avantages  notables.  Il  fait  l'unité  du  poème;  il  l'em- 
:lie  de  se  désagréger  en  une  série  de  petits  tableaux  indé- 
idants  et  disparates;  il  établit,  sous  la  diversité  des  aspects, 
»ennanence  de  celte  force  toujoui*s  renouvelée,  la  «  Nature  », 
1  est  le  héros  mémo  du  poème.  Et  d'autre  part  il  est  la 
uve  d'une  sympathie  profonde  pour  ce  monde  des  choses 
ibies,  où  d'autres  peintres  ont  pu  choisir  des  tableaux 
jIcs  ou  riants,  mais  dont  toutes  les  manifestations  parais- 
it  à  l'auteur  des  a  Saisons  »  dignes  d'intérêt.  Or,  et  c'est  là 
point  sur  lequel  nous  aurons  à  revenir,  c€tte  sympathie  est 
condition  même  du  pouvoir  d'interprétation  de  l'artiste, 
.e  degré  de  beauté  que  nous  pouvons  observer  dans  les 
hoses  visibles  est  en  raison  de  l'amour  que  nous  pouvons 
?ur  porter  '.  » 

I  y  a  lieu  de  distinguer  entre  cette-  apparente  indifférence 
Thomson  au  choix  des  sujets,  et  l'incapacité  de  certains 
rits  à  s'élever  au  delà  de  la  sèche  reproduction  de  scènes 
ourvues  de  vie  et  de  beauté.  L'observation  de  Crabbe,  par 
rnple,  s'arrête,  avec  une  préférence  niarquée,  à  des  choses 
tes  et  ternes  qu'il  reproduit  d'un  crayon  admirablement 
L-t  et  sur,  mais  dur  et  sans  souplesse.  Thomson  au  contraire 
•orte  dans  ses  descriptions  des  scènes  les  plus  nues  ou  des 
nomènes  les  moins  pittoresques  une  largeur  de  touche  et 
î  sincère  symjmthie  qui  sauvent  ces  parties  de  son  œuvre  de 
échoFesse  et  de  la  monotonie.  Une  averse  de  pluie  n'est  pas 
ir  lui  un  accident  banal  qui  voile  le  paysage  et  l'attriste; 
l  un  épisode  du  long  drame  que  déroule  la  vie  de  la  nature. 

-  The  «logree  or  heaiily  we  eau  sec,  in  visible  things,  dépends  on  Uie 
wc  can  bear  them.  •  iKuski.n,  Modem  Pointers,  vol.  Il,  spolion  lU.  Of 
lieauty.  note  de  la  p.  230  dans  l'édition  de  1888). 


M^2  JAMES   THOMSON. 

II  nr  la  dri'i'it  pas,  sans  [)lacer  (Fabord  devant  nous  les  pre- 
siij4('S  qui  raunouceiit;  il  nous  montre  dans  la  nature  et  chez 
les  êtres  humains  cette  attenle  joyeuse  qui  précède  une  pluie 
de  printemps,  ou  cette  angoisse  inquiète  que  font  naître  les 
menaces  d'un  orage  d'été.  La  vue  du  phénomène  ne  va  pas  non 
plus  sans  une  indication  de  ses  suites  heureuses  ou  néfastes. 
Derrière  la  pluie  qui  tombe  le  poète  nous  fait  entrevoir  la  terre 
fécondée,  réjouie,  parée  de  teintes  brillantes,  ou  au  contraire 
les  ravages  et  les  tristesses  de  Tinondation.  Cette  sympathie  est 
bien,  comme  le  dit  lluskin,  une  condition  de  fidélité  chez 
Tartiste;  et  Grabbe,  malgré  la  précision  aiguë  de  son  obser\'a- 
tion,  est  moins  vrai  que  Thomson.  L'air,  en  effet,  ne  circule  pas 
dans  ses  tableaux  sèchement  exacts.  Sous  la  touche  impecca- 
blement sincère  et  juste  de  son  pinceau,  on  ne  sent  pas  battre 
la  vie  profonde  des  choses.  Il  y  a,  entre  son  art  et  celui  du 
poète  des  «  Saisons  »,  la  différence  d'une  image  photogra- 
phique à  une  esquisse  colorée  et  vibrante.  Sa  description  n'ou- 
blie rien  de  ce  qui  s'est  trouvé  devant  Tobjectif  et  elle  n'altère 
aucune  forme.  Mais  elle  les  présente  toutes  comme  autant  de 
silhouettes  découpées  et  sans  relief.  Elle  ne  rend  pas  cette 
harmonie  des  tons  dans  l'air  ambiant  qui  fait  Tunité  et  qui  fait 
la  beauté  d'un  paysage.  Elle  ne  nous  fait  pas  pénétrer  jusqu'à 
cette  force  que  les  formes  révèlent  et  dont  notre  àme  s'émeut*- 
C'est  ce  quelque  chose  de  caché  que  voit  surtout  Thomson;  sa 
desci'iption  large  et  un  peu  vague  nous  en  donne  l'impression 
toujours  présente. 


1.  Qu'on  lise,  par  exemple,  la  description  d'AIdborough  {The  VillaH^' 
Bk.  I,  V.  03-78;  ou  The  Ihrough,  Letlcr  I).  Nous  en  détacherons  quatre 
vers  très  caractéristique?  ^  notre  avis  de  la  force  et  de  l'insuftisance  u^ 
Crabbe.  U  parle  des  rives  de  TAld  : 

•  Hère  samphirc-banks  and  sallwort  bound  Ihc  flood, 
There  slakes  and  sea-weeds  >vithering  on  the  mud; 
And  liigher  up  a  ridge  of  ail  things  base, 
Which  some  strong  tide  bas  rolled  upon  the  place.  » 

Tout  cela  est  d'une  extrême  justesse  do  notation,  mais  ce  n'est  pas  ^" 
par  l'œil  d'un  artiste.  L'observateur  a  regardé  de  trop  près  cette  accujn»- 
iation  de  débris  jetés  sur  le  sable  par  la  marée;  il  n'y  a  trouvé  que  d'iuu- 
tiics  et  répugnantes  épaves.  Un  peintre  y  aurait  vu  surtout  une  note  pl"^ 
vive,  une  ligue  de  tons  intéressants  au  milieu  des  surfaces  grises  et  déco- 
lorées de  la  plage.  Un  poète  plus  vibrant  y  aurait  senti  l'action  de  l«  "\^' 
lointaine,  mais  rappelée  par  ces  témoins  de  ses  agitations  et  de  sa  p^'^' 
aance. 


LE  POÈTB  DESCRIPTIF.   —  SA  TECHNIQUE.  313 

Ce  projet  de  peindre  toutes  les  scènes  de  la  vie  du  monde 
entraine  encore  une  autre  conséquence.  Le  poète  se  trouve 
conduit  à  supprimer  presque  entièrement  toute  part  faite  à  la 
description  de  scènes  particulières,  de  tableaux  déterminés, 
localisés,  individuels.  Ce  n'est  pas  tel  rocher,  telle  forêt  ou  tel 
coin  de  paysage  qu'il  se  propose  de  placer  devant  nos  yeux; 
c'est  le  rocher,  la  forêt,  le  champ  de  blé  ou  le  vallon.  Sans 
doute  les  images  générales  qu'il  trace  sont  faites  du  souvenir 
d'observations  précises;  mais  sa  préoccupation  est  d'atténuer 
ce  qu'il  pourrait  y  avoir  de  personnel  et  d'  «  égotiste  d  dans 
ces  visions .    Nous    retrouvons   bien ,    en    particulier   dans 
1'  <  Hiver  »,  un  certain  nombre  de  notations  de  détails  où  se 
révèle  le  souvenir  des  paysages  écossais  et  de  la  vallée  du  Jed. 
Mais  rien  dans  le  poème  ne  souligne  ce  caractère  de  reproduc- 
tion exacte;  et  en  dehors  de  ces  détails  clairsemés,  le  poème 
ne  nous  présente  jamais  l'image  de  quelque  scène  entrée  tout 
d'un  bloc  dans  l'esprit  de  l'auteur  et  reparaissant  dans  ses  des- 
^i*iptions.  Le  panorama  de  la  Terrace  de  Uichmond  peut  à 
P^ine  être  considéré  comme  un   paysage  *.  En  tout  cas  les 
'^rsqui  le  rappellent  produisent  une  impression  totale  d'im- 
'^ensité  par  une  énumération  de  noms  propres  et  de  détails  du 
^bleau  plus  que  par  des  traits  descriptifs.  La  mention  des 
hàteaux  de  Dodington  '  ou  de  Lyttelton  '  appelle  quelques 
Pithètes  de  louange  banale,  mais  non  pas  une  description. 

Rien  ne  fait  mieux  ressortir  ce  caractère  du  poème  de 
homson  qu'une  comparaison  avec  l'œuvre  de  Cowper.  Les 
^intures  de  celui-ci  ont  une  physionomie  de  choses  vues  avec 
récision,  et  reproduites  avec  l'exactitude  minutieuse  de  por- 
:*aits.  Ce  qu'il  nous  montre  ce  n'est  pas  une  des  grandes  appa- 
ences  du  monde;  c'est  tel  coin  de  paysage  familier  que  sa 
lurae  retrace  amoureusement.  Ce  sont  les  champs  au  milieu 
esquels  s'écoule  sa  vie,  les  rives  de  l'Ouse  avec  les  chau- 
liêres,  les  haies,  la  tour  carrée,  les  bosquets  et  les  villages 
ui  forment  les  traits  du  simple  tableau  tous  les  jours  déployé 
evant  lui  *  ;  c'est  le  jardin  auquel  il  consacre  un  labeur  plein 
e  charme  %  ou  le  pont  qui,  sous  sa  fenêtre,  franchit  la  rivière 
;onflée  •.  Rien  dans  son  œuvre  descriptive  ne  dépasse  en 

1.  Summer,  1408-1441.  —  2.  Aulumti,  G54-G82.  —  3.  Ihid.,  10iM033.  — 
^  Lelter  lo  Lady  Hesketh,  April  17,  1786;  The  Task,  Bks.  I,  VI.  —  5.  The 
rask,  Bk.  III.  —  6.  Ihid.,  Uk.  IV. 


314  JAMES  THOMSON.  1 

valeur  poétique  les  vers  consacrés  à  quelque  détail  mille  fois  I 
vu  par  lui  comme  ces  maisons  de  paysans  si  heureusement  I 
décrites  au  premier  livre  de  <(  la  Tâche  *  »,  ou  ce  chêne  de  I 
Yardley  auquel  il  doit  une  de  ses  plus  Hères  et  de  ses  pi  us  puis-  i 
santés  inspirations. 

Pour  bien  des  lecteurs  et  pour  plus  d'un  critique,  il  y  a  là 
une  limitation  fâcheuse  du  génie  de  Thomson.  Il  n'a  pas  moins    | 
de  puissance  descriptive  queCowper;  il  a  une  intelligence  plus 
large,  un  sentiment  plus  profond  de  la  force  intérieure  qui 
anime  l'univers.  Mais  son  œuvre  n'a  que  dans  de  rares  passages 
ce  caractère  de  charme  intime  qui  s'associe  au  souvenir  des 
petits  tableaux  si  précis  et  si  achevés  de  Cowper.  C'est  que, 
dans  sa  tendance  à  généraliser,  il  ne  conserve  des  scènes  parti- 
culières que  l'impression  produite  par  elles,  et  c'est  cette 
seule  impression  qu'il  s'attache  à  traduire.  C'est  bien  l'idéal 
classique  qui  l'inspire  ici.  Cette  élimination  de  l'individuel,  du 
particulier,  cette  généralisation  noble  et  froide  sont  également 
les  préoccupations  du   paysage   classique  en  peinture.  U 
sobriété  laborieuse,  la  noblesse  conventionnelle  que  recom- 
mande l'enseignement  de  l'école,  n'étaient  pas  alors  près  de 
disparaître.  Nombre  d'années  après  la  mort  de  Thomson,  sir 
.loshua  lleynolds,  un  génie  tout  fait  de  sincérité  et  d'exacte 
observation,  [)rèchera  aux  étudiants  de  l'Académie  Royale  les 
mêmes  doctrines  esthétiques  que  son  ami  le  docteur  Johnson 
aurait  pu  enseigner  aux  écrivains  *. 

La  doctrine  est  d'ailleurs,  pour  ce  qui  concerne  la  descrip- 
tion de  la  nature,  moins  funeste  à  la  littérature  qu'à  la  pein- 
ture. Si  généraux  que  soient  les  éléments  du  tableau  dans 
l'esprit  de  l'artiste,  il  faut  bien  que  l'exécution  les  précise.  Kt 
ici,  la  recherche  d'une  grandeur  et  d'une  noblesse  ambitieuses 

1.  The  Task,  Bk.  I,  •  The  peasjuit's  nest  ». 

2.  Voir  en  particulier  le  troisième  Discours  {W  décembre  1170).  Le  suj»^^ 
on  est  le  développement  de  cet  aphorisme  :  •  The  whole  beauly  and  gran- 
deur of  the  art  consists,  in  my  opinion,  in  being  able  to  gel  above  al' 
singular  Tornis,  local  cnstoms,  partieularities,  and  détails  of  evcry  kind.  - 
On  ne  saurait  mieux  prouver  <]ue  par  l'exemple  de  Reynolds  combien  la 
pratique  et  les  opinion:*  théoriques  peuvent  ditfêrer.  Ce  contempteur  de 
1  accident,  du  particulier  est  un  ^rand  peintre  pour  avoir  admirablement 
lixè  sur  ses  toiles  le  caractère  individuel  et  par  conséquent  la  vie  de  ses 
modèles.  11  proclamait,  au  nom  de  ses  instincts  d'artiste,  et  en  contradic- 
tion avec  ses  doctrines  esthétiques,  (îainsborough  supérieur  comme  paysa- 
giste à  Richard  WilA^on. 


LE  POÈTE  DESCIUPTIF.   —  SA  TECHNIQUE.  315 

outit  à  une  invraisemblable  combinaison  d'éléments  hétéro- 
nes,  d'architectures  conventionnelles,  d'arbres  artificiels  et 
généraux  n  auxquels  on  ne  saurait  attacher  le  caractère  ni  le 
•m  d'aucune  essence.  Le  poète  est  plus  libre  dans  cette 
ivre  de  simplification,  ou  de  «  sacrilices  »,  selon  le  mot  d'un 
nos  plus  récents  esthéticiens  *.  Il  peut  se  contenter  de  nous 
re  l'impression  qu'il  a  subie  et  s'arrêter  à  un  minimum  de 
scriplion  des  objets .  C'est  ainsi  que  procède  souvent 
lomson.  Mais  ne  cherchons  pas  chez  lui  cette  notation  pitto- 
?(iue  de  tous  les  détails  précis  d'un  ensemble  qui  deviendra 
I  des  camctèrss  du  moderne  paysage  littéraire. 
Kst-il  certain  au  reste  que  les  œuvres  où  nous  constatons  ce 
Jci  de  la  précision  pittoresque  aient  ajouté  à  l'art  une  con- 
ête  importante?  Le  poète,  l'écrivain  peut-il  se  proposer  de 
tier  avec  le  peintre  dans  la  description  exacte  d'un  site  ou 
ine  scène?  Sans  doute  on  trouverait  des  pages  bien  connues 
s  lettres  de  Gray,  par  exemple,  des  poèmes  de  Cowper  ou  de 
ordsvorth,  des  œuvres  de  Jean -Jacques  ou  de  Victor  Hugo 
i  laissent  cette  impression  d'un  tableau  évoqué  avec  la  nette 
icision  de  ses  lignes  et  de  ses  couleurs.  Mais  n'y  a-t-il  iKis  là 
e  forte  dose  d'illusion?  Les  moyens  dont  dispose  l'écrivain 
lui  permettent  pas  de  tenter  l'œuvre  du  peintre.  — 
us  ne  songeons  pas  à  reprendre  à  notre  tour  l'étude  de  ce 
X  commun  vieux  comme  la  critique  et  auquel  les  pratiques 
es  ambitions  de  certains  écrivains  rendent  périodiquement 
intérêt  d'actualité  ^  Nous  nous  contenterons  de  rappeler 
IX  considérations  qui  paraissent  décisives.  L'effet  d'un  pay- 
e  est  produit  par  cette  harmonie  qui  résulte  de  la  vue 
ultanée  d'un  ensemble.  11  n'y  a  pas  simplement  une  accu- 
lation  d'effets  indépendants  qui  s'ajoutent  les  uns  aux 
res;  le  tout  ne  vaut  pas  l'effet  du  ciel,  plus  celui  de  cette 

-  La  nature  est  toujours  ropieuse,  luxuriaute  et  touiïue.  L'artiste  8>n 
L  à  Tcssentiely  il  a  Tesprit  de  dioix,  il  a  l'esprit  de  sacrifice.  •  (V.  Ciibh- 
Ez,  CArl  et  la  Salure,  fierue  des  Deux  Mondes,  {''*  juillet  1891,  p.  24.) 
.  Delacroix  pour  exprimer  la  même  idée  avait  recours  au  même  terme. 
mal  d'iilug.  Delacroix.  lievue  des  Deux  Mondes,  août  1894.) 
C*esl  là  un  des  sujets  qui  ne  s'épuisent  jamais,  comme  le  prouve  l'étude 
ourrie  et  si  forte  de  M.  Cberbulicz  à  laquelle  nous  avons  fait  allusion. 
s  avons  plaisir  encore  à  citer  quelques  analyses  tr6s  fines  et  très  judi- 
ses  d'uu  autre  écrivain,  romancier  lui  aussi  doublé  d'un  critique, 
i^aul  fiour^ct.  Voir  dans  les  Nouveau.r  Essais  de  Psychologie  conlem- 
\ine  l'étude  sur  Leconte  de  Lisic. 


316  .AMES  THOMSON. 

masse  d'arbres,  plus  celui  de  cette  nappe  d'eau,  et  celui  de 
cette  chaumière.  Mais  la  valeur  de  chacun  de  ces  éléments  est 
modifiée  par  le  jeu  des  lignes,  des  masses  et  des  tons  de  tous 
les  autres;  la  valeur  de  Tensemble  est  due  à  la  combinaison  de 
tous  les  détails;  Timpression  produite  par  la  scène  a  pour  con- 
dition la  perception  simultanée  des  diverses  parties.  Or,  c'est 
là  une  condition  que  ne  peut  réaliser  la  description  littéraire. 
Il  lui  est  impossible  de  placer  sous  nos  yeux  plusieurs  objets  à 
la  fois.  Elle  ne  peut  que  solliciter  en  nous  un  effort  de  mémoire 
et  d'imagination  qui  réunisse  et  combine  des  images  successi- 
vement évoquées.  Mais  alors  le  lecteur  devient  le  très  actif 
collaborateur  de  Técrivain.  Il  y  aurait  chimère  pour  celui-ci  à 
prétendre  déterminer  rigoureusement  ce  travail  de  recons- 
truction auquel  se  livre  chacun  des  lecteurs.  —  En  second  lieu, 
comment  ne  serait-on  pas  frappé  de  l'impuissance  du  langage 
à  exprimer  tous  les  détails  des  formes  et  toutes  les  nuancesdes    | 
couleurs?  «  Notre  langue  )>,  dit  Mérimée,  a  et  aucune  autre  que 
a  je  sache,  ne  peut  décrire  avec  exactitude  les  qualités  d'une 
«  œuvre  d'art.  Ellecstasscz  riche  pour  distinguer  les  couleurs: 
«  mais  entre  deux  nuances  qui  ont  un  nom  combien  y  en  a-t-il» 
a  appréciables  aux  yeux,  qu'il  est  absolument  impossible  de 
((  déterminer  par  des  mots  '  î  »  Et  en  effet,  la  langue  littéraire 
permanente  n'enrej^istre  guère  qu'un  nom,  accompagné  par- 
fois de  synonymes  plus  ou  moins  métaphoriques,  pour  chaque 
couleur  du  prisme,  et  pour  un  petit  nombre  de  couleurs  inter- 
médiaires. Cela  lui  suffit,  mais  cela  répond  mal  à  Finlinieel 
subtile  variété   des  nuances  que  la  nature  et  la  palette  du 
peintre  peuvent  prodiguer  -, 
Ce  n'est  pas  à  dire  que  l'on  puisse  nier  la  beauté  de  certains 

1.  Xoticp  sur  Stt'nd/tal, 

2.  Cela  ne  suflît  pas  non  plus  h  ces  arts  inférieurs  qui  servent  les  caprice> 
de  la  mode  dans  les  vêtements  des  femmes.  Dans  la  lanf^ue  spéciale  qui 
s'y  réfère,  chaque  saison  am(.me  rôclosion  de  termes,  parfois  ingénieux  ft 
exacts,  pour  noter  certaines  nuances  ou  certaines  combinaisons  nouvell<^' 
.Mais  il  est  ïi  remarquer  que  très  rarement  ces  termes  entrent  dans  le  cou- 
rant de  la  langue  fj;énérale.  Ils  durent  une  saison,  «  a  season's  glitter'*  * 
{Summei\  v.  34S),  sont  vite  remplaces  et  oubliés  au  profit  des  Tocables  nou- 
veaux correspondant  h.  d'autres  objets.  II  semble  que  la  langue  se  rcfu»*' 
à  adopter  ces  termes  qui  enregistrent  de  trop  particulières  observation^ 
de  couleur,  et  quand  un  retour  du  même  besoin  se  produit,  après  quel- 
ques années,  c'est  d'ordinaire  un  mot  nouveau  qui  remplit  le  même  oriice- 
La  destinée  de  ces  mots  est  d'être  capricieux  et  éphémères  comme  ce> 
variations  du  goût  pour  le  service  desi]uellcs  ils  ont  vécu  un  jour. 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  317 

laysages  littéraires.  On  prétend  seulement  que  TelTet  en  est 
rés  différent  de  celui  d'une  peinture.  Le  talent  de  Técrivain 
l'a  pas  consisté  à  reproduire  tous  les  traits  de  la  scène  qu'il  a 
evant  les  yeux  *.  Il  a  su,  par  quelques  indications  choisies, 
lous  communiquer  l'impression  qu'il  a  sentie,  et  provoquer 
ans  notre  imagination  Tapparition  d'un  tableau  plus  ou  moins 
récis,  et  de  fidélité  fort  variable.  C'est  une  nécessité  de  l'art  à 
iquelle  n'échappe  aucun  des  écrivains  qui  se  sont  le  plus 
iqués  de  puissance  graphique  de  description.  Les  tableaux:  aux 
étails  accumulés  où  se  plaisent  par  exemple  Victor  Hugo  ou 
I.  Zola  ne  sauraient  jamais  nous  faire  voir  une  scène  pour 
ous  inconnue.  Mais  ils  produisent  par  l'accumulation  de  traits 
articuliers  un  certain  état  affectif  de  Tàme;  ils  concourent  à 
3US  communiquer  une  impression  et  une  émotion,  à  la  suite 
îsquelles  notre  imagination  crée  eJle-méme  un  tableau.  Rien 
î  garantit  qu'il  soit  semblable  à  celui  que  le  maître  avait 
ivant  les  yeux,  mais  nous  avons  l'iJlusion  qu'il  n'y  en  a  qu'un 
ul.  En  résumé  les  procédés  des  deux  arts  peuvent  se  distin- 
ler  ainsi  :  le  peintre  met  devant  nous  une  image  de  la  chose 
e  pour  que  cette  image  provoque  en  nous  l'impression  qu'il 
*essentieen  face  de  la  réalité.  L'écrivain  nous  communique, 
r  les  ressources  spéciales  à  son  art,  l'impression  qu'il  a 
bie  et  nous  invite  à  imaginer  aloi's  les  apparences  visibles, 
i  la  lui  ont  fournie. 

rhomson  a  le  sentiment  très  net  de  cette  impuissance  de 
langue  à  placer  devant  nos  yeux  l'image  des  scènes  com- 
xes,  des  masses  aux  contours  arrêtés,  ou  des  étendues  colo- 
s.  a  Qui  peut  peindre  comme  la  nature?  dit-il.  L'imagina- 
ion  peut-elle,  dans  ses  œuvres  les  plus  brillantes,  montrer 
es  nuances  comparables  à  celles  des  choses? Sait-elle  les  mê- 
3r,  les  fondre  l'une  dans  Tautre  avec  cette  habileté  suprême 
[ue  manifeste  chaque  fleur  qui  s'épanouit?  Et  si  l'imagination 
uccombe  impuissante  sous  cette  tâche  charmante,  hélas! 
[ue  fera  le  langage?  où  trouver  des  mots  teints  de  nuances  si 


.  Crabbe  lui-môme,  le  plus  minutieusement  exact  des  peintres  poètes, 
bbe,  qui  revendiquait  pour  son  art  les  droits  et  les' prérogatives  de  la 
ilure,  écrit  : 

•  A  part  I  paint  —  let  Fancy  form  tlie  rest.  • 

{The  Uorough,  Letter  I,  v.  6.) 


318  JAMES  THOMSON. 

flc  diverses  *?  »  —  Mais  il  a  aussi  compris  en  quoi  consiste  U 
supériorité  de  récrivain.  11  a  pour  lui  la  durée.  S'il  ne  peut, 
comme  le  peintre,  combiner  divers  éléments  en  vue  d'une  per- 
ception unique,  il  peut,  au  contraire  de  celui-ci,  noter  la  succes- 
sion des  apparences  et  suivre  dans  ses  incessantes  modifications, 
l'aspect  de  la  nature.  L'objet  même  du  poème  des  <i  Saisons» 
c'est  celte  série  de  transformations  qui  entraine  le  monde  des 
choses  il  travers  les  diverses  heures  de  la  journée  et  les  diffé- 
rentes saisons  de  l'année.  Voilà  pourquoi  les  tableaux  qui  repré- 
sentent quelqu'un  des  phénomènes  météorologiques  ont  une  si 
grande  importance  dans  l'œuvre  de  Thomson.  Les  «  Saisons)» 
ne  nous  laissent  guère  le  souvenir  de  tel  ou  tel  coin  de  pay- 
sage nettement  indiqué;  mais  elles  sont  toutes  pleines  des  agi- 
tations de  l'atmosphère,  des  visions  mobiles  qui  animent, 
diversifient  et  renouvellent  sans  cesse  l'aspect  des  choses. 
Aucun  poète  n'a  su  plus  puissamment  nous  faire  voir  ou 
entendre  la  chute  apaisante  et  bénie  d'une  ondée  de  printemps, 
le  fracas  d'un  orage  d'été,  la  tombée  silencieuse,  prolongée, 
monotone  de  la  neige,  les  splendeurs  progressives  d'un  lever 
de  soleil,  les  épouvantes  de  la  tempête  ou  de  l'inondation,  ou 
même,  par  contraste  avec  le  mouvement  qui  est  la  vie  nor- 
male des  choses,  l'engourdissement  que  l'hiver  jette  sur  la 
nature  avec  son  linceul  de  neige  et  de  glace. 

Ce  sont  tous  les  tableaux  rappelés  dans  une  autre  partie  de 
notre  étude  qu'il  faudrait  citer  ici  de  nouveau,  s'il  était  besoin 
de  justifier  notre  remarque.  On  n'a  pas  oublié  ce  paysage 
d'automne  où  volent  au  ciel  les  nuages  dispersés  dont  les 
ombres  courent  sur  le  sol  -.  C'est  le  mouvement  des  épis  qui 
fournit  le  trait  caractéristique  du  champ  de  blé  '.  Les  orages 
doivent  leur  efTel  à  Taccumulalion  des  phénomènes  successils 

\,  Spring^  'irt7-'i7.ï. 

2.  Voir  plus  haiil,  p.  '8.  u  "  3. 

3.  Voir  plus*  haut.  [>.  219.  —  Celte  notation  d'une  ondulation  qui  ^^ 
propage  et  se  perd  au  loin  nous  montre  un  des  efl'els  par  où  le  langagi^ 
dépas<ac  les  moyens  d'expression  de  la  peinture.  «  Ce  qui  nous  aide  i^ 
plus  à  apprécier  la  profondeur  d'un  rliamp  de  blé  ou  d*avoine.  c'esl 
i'exlinction  graduelle  des  mouvements  que  nous  y  percevons.  Si  IranquiH*' 
que  soit  Tair,  les  premières  rangées  d'épis  ne  nous  apparaissent  jamais 
absolument  immobiles;  à  mesure  que  nous  portons  plus  loin  notre  regard' 
le  mouvement  échappe  à  notre  percepUon,  et  le  repos  des  derniers  pla"^ 
nous  avertit  de  leur  éloignement.  La  peinture  fait  reposer  et  dormir  se> 
premiers  plans  comme  ses  fonds.  •  (Chkhri  i.ihz.  loc.  cil,,  p.  18.) 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  319 

îs  par  l'observateur  *.  La  verdure  du  printemps  n'appa- 
pas  ici  comme  chez  tant  d'autres,  par  une  soudaine  éclosion 
ie;  nous  la  voyons  naître  d'abord  aux  lieux  les  plus  pro- 
!s  et  se  répandre  de  là  jusqu'aux  flancs  ternes  et  flétris 
monts  •.  Au  spectacle  du  monde  noyé  et  comme  engourdi 
5  l'éblouissant  soleil  de  midi,  le  poète  est  frappé  du  rayon- 
lent  de  la  lumière,  de  la  vibration  de  l'ai  r,  du  reflet  mou- 
tque  renvoient  les  surfaces  liquides  '.  La  chute  de  la  nuit 
inspire  Theureuse  image  du  soir  jetant  l'une  après  l'autre 
la  terre  ses  ombres  qui  s'accumulent  *.  Et  quand  l'hiver 
venu  suspendre,  semble-t-il,  toute  vie  et  tout  mouvement 
:ours  d'eau,  le  poète  entend  sous  la  couche  de  glace,  l'onde 
tinuer  à  couler  en  grondant  *. 

artout,  on  le  voit,  le  même  procédé  de  description  se 
ouve.  Les  phénomènes  de  mouvement  interviennent  jusque 
s  la  fixation  d'effets  où  il  semble  que  le  repos  et  l'immobi- 
donnent  la  note  dominante.  Partout,  comme  le  poète  le 
lui-même,  €  la  vision  passe  rapide  devant  le  regard  créa- 
de  rimagination  *  ». 


II 


i  critique  moderne  se  pique  de  précision  scientifique. 
'S  même  qu'elle  entend  rester  purement  subjective  dans 
îonclusions  à  formuler,  elle  aime  à  s'appuyer  sur  des  ana- 
3  et  à  fournir  ses  a  documents  ».  Sainte-Beuve  Tavait 
chie  de  fécondes  et  délicates  observations  psychologiques, 
raine  y  a  ajouté  de  hautes  conceptions  moitié  historiques 
noitié  philosophiques,  et,  tout  en  recommandant  Tétude 
îise  des  faits,  a  proposé  de  hardies,  peut-être  de  hâtives 

Summer,  i  103-1168.  —  2.  Sprinff,  80,  87.  —  3.  Vuir  p.  "7,  n"  2;  et  38, 

2.  _  4.  Voir  p.  80,  n"  2. 

Voir  p.  118.  n«  1.  Cowpcra  vu  et  nolé  la  mOmc  sctnc;  il  y  a  été  Trappe 

eiïet  de  mort  et  de  silence  : 

«  On  Ihe  flood, 
Induraled  and  (Ix'd,  the  snowy  weigiit 
Lies  undissolved;  wliile  silently  bcnoaUu 
And  unpcrceived,  the  current  sleals  awav.  • 

(The  Task\  Hk.  V.) 

"Sprint/ ^  4*17.  4r»S. 


330  JAMES  THOaiSON. 

conclusions.  La  tendance  est  aujourd'hui  de  mêler  à  ces  études 
d'ordre  éminemment  intellectuel  des  observations  à  demi  phy- 
siologiques. Sans  parler  des  notations  de  détail  qu'ont  pu  pro- 
voquer ces  préoccupations  nouvelles,  elles  ont  inspiré  des 
ouvrages  importants  qui  conserveront  une  place  dans  l'his- 
toire des  théories  sur  l'art  poétique,  et,  par  exemple,  les  Essaie 
de  critique  scientifique  de  M.  Hennequin  et  l'étude  de  M.  L 
Mabilleau  sur  Victor  Hugo. 

Quelque  illusion  complaisante  est  pardonnable  aux  auteurs 
de  procédés  inédits  d'étude  et  d'analyse.  Nous  ne  croyons  pas 
cependant  que  les  formules  nouvelles  soient  appelées  à  résoudre 
un  problème  jusqu'à  présent   insoluble.   Elles  n'auront  pas 
trouvé  le  secret  du  génie  d'un  poète  parce  qu'elles  auront  lait 
«  la  décomposition  de  ses  divers  éléments  b,  de  a  l'ensemble 
d  des  origines  et  des  conditions  de  la  faculté  créatrice...  qu'il 
a  a  portée  dans  le  domaine  de  l'imagination  poétique  *  ».  Mais, 
alTrancliie  d'une  ambitieuse  et  irréalisable  visée,  la  méthode 
est  légitime,  et  l'exemple  des  ouvrages  cités  montre  qu'elle 
peut  être  féconde  en    résultats  intéressants.   Il  est  incon- 
testable que,  selon  le  mot  de  Taine,  il  est  pour  chacun  de  nous 
un  «  rythme  spécial  de  l'appareil  des  sens  »  auquel  tient  notre 
connaissance  de   Tunivers.  Il  est  juste,  il  est  nécessaire  que, 
dans  l'étude  approfondie  d'un  artiste,  nous  nous  demandions 
quel  a  été  l'instrument  de  sa  perception  des  choses,  quels  sens 
ont  joué  chez  lui  lo  rôle  le  plus  actif,  quels  caractères  distin- 
guent en  (M)nséqucncc  ses  images  du  monde  de  celles  qu'en  ont 
données  d'autres  observateurs.  Disons-le  dès  à  présent,  pour 
compléter  notre  pensée  sur  ce  point,  les  renseignements,  par- 
fois curieux,  qui  peuvent  nous   être  ainsi  fournis  ne  nous 
apprendront  rien  sur  le  fond  même  de  ce  qui  est  le  génie;  ils 
ne  nous  fourniront  pas   mémo  un  critérium  nouveau  pour 
classer  les  talents.  Sainte-Beuve»  avait  depuis  longtemps  noté 
que  la  poésie  de  V.  Hugo  ne  connaît  que  deux  sensations,  celle 
de  la  vue  et  celle  de  l'ouïe-.  M.  Mabilleau  a,  par  une  analyse 
singulièrement  vigoureuse  et  serrée,  montré  combien,  chez  le 
même  poète,  les  perceptions  visuelles  sont  limitées  à  un  étroit 
domaine.  Hugo  n'en  demeure  pas  moins,  après  comme  avant 


i,  Victor  JiugOy  par  Léopold  Mabiu.kai,  p.  06. 
2.  Portraits  littéraires.  Itcmardin  de  St-Pierre. 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  3î2i 

observations,  un  des  artistes  les  plus  prodigieux  qui  aient 
it  en  vers.  —  Southey  nous  apprend  que  Wordsworth 
ait  pas  le  sens  de  l'odorat,  et  le  peintre  Ilaydon  qu'il 
ait  pas  celui  de  la  forme  *.  Nous  ne  conclurons  pas  qu'il 
pour  ce  motif  inférieur  à  Thomson  chez  qui,  nous  Talions 
itrer,  «  le  rythme  spécial  de  l'appareil  des  sens  »  mettait  en 
une  organisation  remarquablement  riche  et  ouverte  à 
es  les  influences  de  la  nature. 

es  les  premiers  pas  dans  cette  recherche,  nous  avons  cepen- 
t  à  noter  chez  notre  poète  une  lacune,  sinon  dans  son 
voir  d'observation,  au  moins  dans  ses  procédés  de  traduc- 
i.  Les  objets  sont  surtout  révélés  à  notre  vue  imr  leur 
Tie  et  par  leur  couleur.  Selon  la  prédominance  de  l'une  ou  de 
itre  de  ces  apparences  dans  le  fait  de  perception  ou  dans 
iboration  artistique  de  l'image,  nous  aurons  des  modes  de 
résentation  qui  varieront  par  d'infinis  degrés  chez  les 
ïrenls  artistes,  depuis  la  fixation  rigoureuse  des  contours 
z  des  peintres  qui  poursuivent  quelques-uns  des  effets  de 
tatuaire,  sans  disposer  des  ressources  de  cet  art,  jusqu'à 
combinaisons  indéterminées  de  taches  lumineuses  où  finit 
aboutir  la  technique  d'un  peintre  tel  que  Turner.  Or, 
:  Thomson  ce  second  mode  de  représentation  l'emporte 
blement  sur  l'autre.  Nous  ne  trouverons  dans  les  c  Sai- 
;  »  aucune  de  ces  visions  nettes  et  éclatantes  qui  déta- 
jt  vigoureusement  sur  le  fond  une  silhouette  fortement 
ée.  Les  objets,  nous  Tavons  vu,  se  montrent  surtout  au 
e  comme  partie  d'un  vaste  tableau,  et  lors  même  qu'il  les 
rve  séparément,  ils  lui  apparaissent  toujours  comme 
irs,  mobiles  et  changeants;  c'est  là  une  condition  qui 
ut  la  notation  précise  de  formes  arrêtées.  Ce  qui  le  frappe 
;  la  montagne  c'est  la  coloration  des  pentes,  blanches 
id  la  neige  les  recouvre,  tachées  de  gris  quand  le  dégel  a 
niencé  son  œuvre,  flétries  plus  tard  jusqu'à  ce  que  peu 
u  le  printemps  y  fasse  courir  la  verdure,  ou  bleues  lors- 
Iles  sont  aperçues  dans  le  lointain.  Il  ne  s'arrête  pas  à  la 
le  du  rocher,  mais  il  note  le  rayon  de  soleil  qui  vient  à 
ore  en  frapper  le  sommet,  ou  qui  s'y  attarde  le  soir  quand 
irface  du  sol  est  envahie  par  l'ombre.  Il  observe  les  colo- 

The  Englinh  Poels^  by  James  Rissell  Lowëli.,  p.  240. 

21 


3ââ  JAMES  TnOMSON. 

rations  variées  de  la  forêt;  il  voitd*un  arbre  ses  mouvemeDls; 
il  ne  déterminera  son  port  et  son  caractère  que  par  de  vague 
épitbètes  morales.  Il  n'a  pas  la  vision  plastique;  ses  images 
des  choses  sont  celles  d'un  coloriste  *. 

Ce  terme  lui-même  demande  à  être  expliqué.  Quand  ondil 
d'un  poète  tel  que  Victor  Hugo  que  sa  langue  est  éminemment 
colorée,  qu'il  prodigue  la  couleur,  etc.,  on  est  exposé  à  une 
contusion  qu'ont  fortement  signalée  les  analyses  de  M.  Mabil- 
leau  *.  On  ne  trouvera  pas  chez  Hugo  une  notation  fréquente 
des  couleurs,  ni  l'observation  de  tons  variés  ou  riches  ou  rares. 
Ce  qui  revient  sans  cesst*  dans  ses  images,  c'est  l'opposition 
d'ombres  vigoureuses  avec  d'intenses  lumières.  Ses  puissantes 
antithèses  ne  se  lassent  pas  d'accoler  à  un  objet  sombre  ou  noir, 
un  autre  objet  blanc  ou  radieux.  Il  ne  semble  pas  qu'il  puisse 
mentionner  un  de  ces  effets  sans  qu'aussitôt  s'impose  à  son 
imajîination  la  vision  d'un  objet  contrasté  '.  Les  gradations  de 
la  lumière  et  de  l'ombre  sont  infinies;  ellespeuvent  suflireàla 


1.  Vcul'On  par  uue.xeinplc  préciser  ces  différences?  Dans  «rÉlé  •Thomson 
a  noté  Icd  •  nuages  qui  sans  cesse  changeant  revêtent  des  formes  pittores- 
ques, rêve  de  l'iiuagination  éveillée  ».  (Summet\  I373-1376.)  Voici  ce  qu' 
dcvjout.  dans  la  bouclio  d'un  personnage  de  Shakespeare,  cette  indicAtios 
abstraite  : 

-  Parfois  nous  voyons  un  nuage  qui  ressemble  à  un  dragon, 
Une  vapeur  quelqueTois  a  l'aspect  d'un  ours  ou  d'un  lion, 
D'une  citadelle  cerclée  de  tours,  d'un  rocher  menaçant, 
b'unc  moiitaune  à  la  cime  fourchue,  ou  d'un  bleu  promontoire 
Portant  des  arbres  ({ui  s'aizitent  et  s'inclinent  et  nous  trompent. 
Tu  aj»  vu  ces  apparences;  c'est  la  fêle  et  la  pompe  du  sombre  soir.  • 

{Antoni/  and  Cleopatra^  IV,  xiv,  i-8.) 

■ 

'1.  Victor  lliiffo,  chap.  n,  p.  10:J-liU. 

'^.  Dans  un  petit  nombre  de  pn«;es  de  la  Léqendc  îles  SiVr/«,  la  pièce  T" 
a  pour  titre  La  i'omvtt'  nous  l'oiirnirait  à  elle  seule  ces  exemples  : 

»  Ne  (|uestionnez  poitit  sur  son  itinéraire 
Ce  fantôme  de  nuit  et  de  clarlc  vêtu.  • 

-  Lai8>ez  ces  yeux  de  fîaminp  à  ce  masque  de  Vombre% 
Ne  fixez  pas  sur  eux  vos  yeux;  et  ce  manteau 
De  lm*ur  o{\  s'abrite  \n\  snîuhrt.-  incognito, 
Ne  le  soulevez  pas,  »  etc. 

n  ....  Donnant  aux  algèbres 
[/ordre  de  prendre  un  peu  de  lumière  aux  idnèbits,  » 

•  Les  yeux  d'une  lumière  invisihlr  [loyés.  • 

•  Soudain,  un  soir,  on  vit  la  nuit  noirr.  et  superbe 
A  l'heure  où  sous  le  grand  suaire  tout  se  tait. 
Blêmir  confusément,  puis  hlanvhir.  » 


LE   POÈTE   DESCRIPTIF.  SA    TEClLNlorE.  'Mi:\ 

production  rieheinont  variée  d'un  peintre  tri  (jne  lienii)ran<lt. 
Mais  la  langue  ne  peut  même  tenter  de  i-endre  ces  subtils  j)lié- 
noniènes;  ell(î  ne  fournit  qu'un  petit  nombre  de  mots  corres- 
pondant aux  notes  extrêmes  et  brutales  de  et^te  gamme  aux 
mille  valeurs,  ('/est  une  des  causes  pour  lesquelles,  en  dépit 
de  l'admirable  habileté  avec  laquelle  le  rythme  est  soutenu  ou 
varié,  la  poésie  de  Victor  Hugo  comporte  pour  certains  lec- 
teurs une  impression  de  monotonie  et  de  fatigue.  Du  reste,  et 
c'est  là  ce  que  nous  avons  à  retenir,  là  même  où  cette  opposi- 
tion d  une  tache  sombre  et  d'un  éclat  brillant  produit  l'elTet  lo 
plus  heureux,  c'est,  chez  le  poète  français,  la  lumière  et  non 
pas  la  couleur  qui  nous  frappe  et  nous  éblouit. 

11  n'en  est  pas  ainsi  de  Thomson.  Le  développement  de  son 
poème  rappelle  sans  doute  plus  d'une  fois  à  enregistrer  des 
apparences   de   pure   intensité   lumineuse.    Nous   avons  dit 
combien  ses  descriptions  de  levers  et  de  couchers  de  soleil  s(mt 
justes  et  sont  belles;  nous  avons  remarqué  son  aptitude  à 
'ïoter  les  effets  les  plus  puissants  ou  les  plus  délicats  des  phé- 
'ïomènes  de  lumière.  Il  est  épris  de  cette  beauté  éclatante  ou 
Subtile.  Il  s'abandonne  à   un  enthousiasme  lyrique  lorsqu'il 
apostrophe  la  «  lumière,  source  de   toute  joie....   émanation 
^  divine;  robe  radieuse  de  la  nature  »,  ou  le  «  soleil,  àme  des 
*  mondes,  dont  l'éclat  révèle  le  Créateur  *  ».   Mais  dans  ces 
descriptions  même  son  mode  d'observation  se  distingue  en 
deux  points  de  celui  du  poète  français  que  nous  avons  pris 
Pour  terme  de  comparaison.  Il  note  la  valeur  d'une  lumière 
^n  la  distinguant  d'un  degré  différent  de  lumière,  plutôt  que 
par  le  contraste  tranchant  de  l'ombre;  et  il  ne  sépare  guère 
l'observation  des  phénomènes  lumineux  de  celle  des  opposi- 
tions de  couleurs.  Dans  les  autres  passages,  c'est  à-dire  dans 
les  plus  nombreuses  de  ses  descriptions,  il  note  de  préférence 
la  coloration  des  objets.  L'  «Été»,  par  exemple  (et  nous  choisis- 
sons cet  exemple  comme  le  plus  significatif),  l'  «  Kté  »  renferme 
quinze  notations  d'effets  purement  lumineux,  contre  vingt-sept 
indications  de  couleurs  V 

1.  Summer,  90-96.  Le  mouvement  se  prolonge  jusqu'au  vers  17 'i. 

2.  On  peut  comparer  à  celte  proportion  les  chitTrcs  suivants  : 

Dans  Le  Satyre  {Légende  des  Siècles)  78  effets  de  lumière,  pour  iil  elFels 
de  couleur  (dont  moitié,  portant  sur  la  notation  de  blanc  et  de  noir,  devraicnl 
peut-être  plus  justement  figurer  dans  le  premier  groupe). 

Dans  Les  Pauvres  Gptis,  3A  efTels  de  lumièro,  et  7  notations  de  cou- 


324  JAMES  THOMSON. 

Les  couleurs,  par  elles-mêmes  et  indépendamment  des  sur- 
faces qu'elles  recouvrent,  ont  pour  notre  poète  un  charme, 
une  beauté,  une  expression  particulière  à  chacune.  Lorsqu'O 
mentionne,  dans  son  poème  «  sur  la  Mort  de  Newton  »,  les 
teintes  diverses  produites  par  la  décomposition  du  prisme,  les 
épithètes  qu'il  attache  à  la  plupart  des  nuances  suggèrent  une 
impression  de  plaisir  ou  d  émotion  sympathique  :  «  le  roup 
ardent,  Torangé  fauve,  le  jaune  délicieux,  le  vert  qui  reposeet 
rafraîchit,  le  pur  bleu,  le  sombre  indigo  de  teinte  plus  triste, 
le  violet  peu  distinct  '  ».  D'ailleurs  ce  sont  les  tons  francs  de 
la  gamme  qui,  dans  ses  descriptions,  apparaissent  presque 
seuls.  Peu  de  notations  de  nuances  exceptionnelles,  pas  de 
termes  recherchés  et  curieux.  Mais  seulement  quelques  mots 
très  simples  correspondant  aux  trois  ou  quatre  couleurs  les 
plus  généralement  répandues  dans  la  nature  :  le  bleu  du  ciel 
et  des  eaux;  le  jaune  des  champs  mûris,  des  feuillages  d'au- 
tomne et  des  surfaces  que  dore  le  soleil;  le  rouge  dont  s'ein- 
pourpront  les  nuages  du  couchant,  et  le  vert  qui  revêt  le  sol. 
C'est  avec  ce  clavier  peu  étendu  que  le  poète  devra  lutter 
contre  la  merveilleuse  magie  des  couleurs  de  la  nature.  Aussi 
ne  vise-t-il  pas  à  faire  traduire  par  sa  plume  l'exacte  nuance 
des  objets.  Ici  encore,  comme  lorsqu'il  s'agit  de  peindre  Fen- 
semble  d'une  scène,  il  évoque  en  nous  une  impression  analogue 
à  celle  qu'il  a  ressentie.  Notre  esprit  se  chargera  d'imaginer  la 
coloration  spéciale  qui  a  donné  à  l'objet  son  caractère  et  à 
l'àme  du  poète  son  émotion.  Nous  avons  vu  combien  sont 
nombreuses  et  variées  les  descriptions  du  ciel  dans  les  t  Sai- 
sons r>.  Toute  la  couleur  en  est  fournie  par  trois  mots  :  blue. 
azuré,  ccruletoi.   Encore  l'emploi  qui  en  est  fait  ne  corres- 
pond-il pas  à  des  nuances  distinguées  Tune  de  l'autre  avec 
précision.  Et  cependant  qui  ne  sent,  gnVce  à  la  diversité  de 
l'impression  qui  accompagne  chaque  peinture,  les  tonalités 
différentes  de  ce  ciel   de  printemps,   léger,  lumineux,  tout 
baigné  des  blancheurs  des  nuées  *;  de  ce  ciel  d'été  embrasé, 
tout  rempli  d'or  fluide,  qui  fond  et  absorbe  les  nuages,  <'t 
étend  l'azur  sans  tache  de  son  dôme  jusqu'aux  bords  extrêmes 

leurs.  Dans  les  340  premiers  vers  de  Jocehjn^  16  notations  de  lumière  el 
il  de  couleurs. 

1.  A  Poem  on  ihe  Death  of  Sir  Jsaac  Newton,  102-111. 

2.  Sprinff,  30,  31.  Voir  plus  haul,  p.  2119. 


LE   POÈTE   DESCRIPTIF.    —   SA   TKCHNIQCE:.  3-2o 

de  l'horizon  ^;  de  ce  ciel  d'autuiimc  (jui,  dans  U\  calme  de 
ralmosphère,  tantôt  se  couvre  de  flocons  légers  et  tantôt  brille 
pur,  joyeux,  teinté  d'un  bleu  si  profond  et  si  particulier? 

Le  jaune  vient  souvent  jeter  une  note  claire  ou  chaude  ou 
brillante  dans  les  tableaux  du  poète.  Il  apparaît  partout  où  le 
soleil  pose  ses  tons  dorés;  il  est  la  caractéristique  de  Tau- 
tomne;  il  pailleté  de  reflets  éclatants  les  tons  plus  sobres  du 
paysage  quand  le  peintre  note  les  pétales  de  la  jaune  giroflée, 
<iu  tournesol,  ou  des  genêts  brillants  ^  Il  est  la  richesse  et  la 
joie  de  la  nature;  et  s'il  arrive  à  notre  poète  de  souligner  avec 
une  inépuisable  complaisance  ce  ton  qui  est  celui  de  Ter,  il 
peut  affirmer,  lui  aussi,  que  ce  n'est  pas  par  amour  des  gui- 
nées,  mais  des  boutons  d'or,  des  genêts  et  des  blés  mûrs  '. 

Le  vert  a  un  autre  rôle,  moins  actif,  reposant  et  apaisant. 
Le  poète  en  observe  toutes  les  teintes  dégradées  dans  les 
niasses  ombreuses  des  bois  ;  il  en  signale  avec  allégresse 
^*apparition,  soit  au  printemps  quand  le  souffle  vivifiant  fond 
les  neiges  et  de  toute  part  découvre  les  pelouses  de  gazon, 
Soit,  en  été,  lorsque  les  hautes  herbes  sèches  ont  été  coupées 
et  que  le  râteau  des  faneurs  rend  visible  la  surface  toujours 
Verte  du  sol.  Son  enthousiasme  s'épanche  une  fois  en  une  apos- 
trophe qui  a  presque  l'accent  d'un  hymne  :  k  Des  couleui's 
^  variées  se  répandent  au  printemps  sur  la  terre,  mais  toi  sur- 
^  tout,  vert  joyeux  I  toi  qui  fais  à  la  Nature  souriante  un  uni- 
«  versel  vêtement!  Mélange  d'ombre  et  de  lumière,  où  la  vue 
K  se  repose,  et,  goûtant  une  joie  toujours  nouvelle,  prend  une 
K  force  ravivée  *.  » 

A  vouloir  faire  le  compte  exact  des  indications  de  couleurs 
que  fournissent  les  «  Saisons  )>,  nous  trouverions  pour  l'Au- 
tomne, celle  où  l'on  peut  s'attendre  à  rencontrer  la  plus  grande 
variété  de  tons,  les  résultats  suivants  :  le  jaune  (yellow,  gold) 
est  mentionné  huit  fois;  —  le  bleu  (blue,  azuré,  cerulean); 
le  vert;  le  rouge  (red,  purple),  et  le  noir,  six  fois;  —  le  blanc, 

1.  Summer,  499-204.  AiUumn,  1208-1217.  Voir  p.  259. 

2.  Aulumn,  957-963  el  1215. 

3.  •  Welike  gold  becauâe  il  iâ  of  a  prclty  aod  pcrmaneni  yellow;  and 
not  Uie  yellow  colour  because  il  is  likc  gold.  I  overwork  Ihe  epilliet  •  gold- 
en •  în  niosl  of  Qiy  descriptions;  nol  because  I  like  guineus,  bul  because 
I  like  buUercupaand  broom.  •  (Ruskik,  Modem  Painlers^  vol.  I,  noie  p.  20» 
de  l'édit.  de  1888.) 

4.  Spring,  82,  85. 


3:26  JAMES  THOMSON. 

cinq  fois;  —  les  tons  neutres  dérivés  du  rouge  et  du  jaune 
(brown,  russet,  tawny),  huit  fois;  —  et  le  gris  une  fois.  Mais, 
à  dire  vrai,  on  ne  peut  guère  faire  état  de  pareils  relevé».  Il 
est  tel  effet  incontestablement  dû  à  révocation  d'une  couleur, 
que  les  vers  expriment  sans  un  mot  qui  nomme  directement 
cette  couleur.  C'est  le  cas,  par  exemple,  du  passage  où  nous 
voyons  le  lièvre  se  cacher  parmi  les  objets  dont  la  nuance  est 
semblable  à  celle  de  sa  fourrure  :  «  la  lande  pierreuse,  le 
<c  chaume  du  champ  crevassé,  les  chardons  de  la  pelouse,  les 
«  buissons  touffus  des  genêts,  la  fougère  flétrie,  les  sillons 
«  exposés  à  l'ardeur  brûlante  du  soleil,  ou  la  rive  sableuse  au 
>  «  bas  de  laquelle  coule  un  torrent  »  ».  C'est  le  cas  encore  de  telle 
description  toute  en  tons  neutres  et  eflacés  qui  peut  cependant 
figurer  parmi  les  plus  heureuses,  et,  en  un  certain  sens,  les 
plus  colorées  du  poème  :  «  S'élevant  lente  et  blême,  sur  le  ciel 
«  plombé  de  l'orient,  la  lune  porte  un  cercle  blafard  autour  de 
«  ses  pointes  émoussées  *.  » 

On  peut  croire  que  Thomson  n'attachait  pas  à  cette  notation 
précise  des  nuances  des  objets  l'importance  que  les  descrip- 
tions littéraires  modernes  y  ont  attribuée.  Nous  le  voyons,  par 
(îxemple,  dans  un  des  remaniements  de  son  texte,  remplacer 
par  dix  vers,  où  ne  se  trouve  pas  une  seule  indication  de  cou- 
leur, cinq  vers  des  éditions  antérieures  qui  en  contenaient 
trois  ^  Il  sacrifie  sans  regret  la  mention  de  la  mer  verte  ou  du 
ciel  bleu.  Il  est  rare  qu'il  accolle  à  un  nom  une  simple  et 
banale  épithète  de  nature  rappelant  la  coloration  de  l'objet. 
S'il  parle  du  bleu  du  ciel  c'est  pour  en  remarquer  la  qualité 
particulière  à  telle  saison  ou  telle  heure  du  jour,  ou  pour  rap- 
peler le  fond  sur  lequel  se  détache  w\\  autre  objet  qu'il  décrit. 
Quant  à  mettre  directement  sous  nos  yeux  une  teinte  subtile  et 
complexe,  ou  à  reproduire  pour  l'esprit  cet  orchestre  de 
valeurs  et  de  tons  qui  chante  dans  un  paysage,  il  ne  croit  pas 


1.  Auliwin,  404-409. 

2.  Winfer,  123,  124. 

3.  Les  vers  7^)4  à  76i  du  «  Printemps  »  ont  pris  la  place  du  passage  sui* 
varit  : 

H  Higli  from  Ihe  snmmil  of  a  crafi^y  cli(T 

tliing  o*or  tlic  green  sea,  grudgin^  at  ils  base, 

Tlie  royal  eagle  draws  liis  young,  rcsoived 

Tu  try  them  at  the  sud.  Strong-pounced,  and  bright 

As  hnrnished  day,  they  up  Ihe  blue  sky  >vind.  • 


LB  POÈTB  DESCRIPTIF.  —  SA   TECHNIQUE.  327 

che  possible,  et  il  ne  la  tente  point  *.  Est-il  certain  que  les 
oristes  i»  les  mieux  doués  y  puissent  réussir?  Les  descrip- 
1  (le  la  langue  peuvent-elles  jamais  placer  sous  nos  yeux  les 
surs  d'une  scène  ou  d*un  tableau,  ou  Texacte  nuance  d'un 
)ariiculier?  Voyons  comment  y  réussit  tel  peintre-poète  : 

«  L'ensemble  éblouissant  de  ces  vives  couleurs.... 

Où  le  jaune-citron,  l'orangé,  Tinearnat, 

Le  lilas,  l'outremer,  Tazur  et  le  grenat. 

Tous  les  Ions  violents,  toutes  les  note!  franches 

Eclatent  au  milieu  des  grandes  masses  blanches  ^.  » 

s  vers  peuvent-ils  nous  suggérer  une  image  de  la  moindre 
té?  la  réalisation  du  tableau  ainsi  esquissé  ne  peut-elle  pas 

on  ami  ut  son  élève,  Savage,  a  <^lé  plus  audacieux.  Les  «  Saisons  « 
ferment  pas  une  observation  de  couleur  aussi  compliquée  que  celle-ci  : 

-  Tberc  blue-vciPd  vcIIonv,  tliro  *  a  sky  serene, 
lu  s>velling  mixture  foruis  a  floating  green; 
Slrcaked  tiiro*  white  clouds  a  mild  vermilion  shines, 
And  the  breeze  freshens,  as  llie  beat  déclines.  » 

{The  Urtm/p/rr,  Canio  V,  v.  23:^236.) 

i  LES  Bbeton,  Œuvres  poétiques  :  le  Pardon  de  Sainte- Anne-la-Pnlud, 
il  d'une  scène  dont  le  peintre  s'i'st  plus  d'une  fois  inspiré  et  en  par- 
r  pour  une  de  ses  toiles  les  plus  impurlautes  :  /<?  Pardon  de  Kergoat. 
IVnumcration  des  couleurs  par  l'écrivain  ne  reproduit  guère  TelTet 
Il  par  le  peintre. 

lutre  exemple  nous  est  fourni  pur  le  petit  poème  Gronyar-lliU^  celte 
ion  des  •>  Saisons  »  qui,  par  une  si  curieuse  coïncidence,  paraissait 
jes  mois  avant  V  »  Hiver  ».  L'auteur,  i)>er,  était,  comme  notre  Jules 
I,  un  peintre  doublé  d'un  poète.  L'oMivre  commence  par  une  invo- 
à  la  nymphe  qui  colore  la  nature.  Mais  tout  le  coloris  de  Técrivain 
uit  à  des  effets  tels  que  celui-ci  : 

«  Below  me  trecs  unnumbered  rise, 
Beautiful  in  varions  dves  : 
The  gloomy  pine,  the  poplar  blue, 
The  yellow  bcech,  the  sable  yew , 


And  beyond  a  long  and  levcl  la\N  n. 
On  Nvhich  a  dark  hill.  steep  and  hi^h, 
Holds  and  charms  the  wunderinf:  eve.  » 

a  une  incontestable  fermeté  d'observation  dans  la  description;  mais 
ire  des  effets  de  couleurs?  Us  ne  sont  pas  plus  complexes  que  chez 
son  et  ils  sont  moins  justes.  L'œil  exercé  de  l'observateur  a  noté 
ileur  un  peu  bleutée  dans  \o.  vert  du  peuplier,  un  peu  jaunâtre  dans 
du  h'Mre:  et  alors  exagérant  cette  exacte  Dotation,  ne  voyant  plus  la 

dominante  mais  seulement  Telément  de  distinction  qui  s'y  mêle,  il 
'e  bleu  Tun  de  ces  arbres  et  l'autre  jaune.  N'est-ce  pas  ainsi  que  se 
nt  expliquer  ces  étrangetés  de  coloration  qui,  dans  certaines  pein- 

découcertent  les  profanes? 


328  JAMES  THOMSON. 

produire  aussi  bien  un  barbouillage  cru  et  déplaisant  qu*UDe 
peinture  d'harmonie  éclatante  comme  le  tableau  qu'avait  vu 
Jules  Breton? 

L'écrivain  peut-il  mieux  réussir  à  rendre  TelTet  d'une  nuaoœ 
spéciale,  rare  et  subtile?  Le  vocabulaire  de  la  langue  s'y  prête 
mal,  mais  une  ressource  y  peut  suppléer,  c'est  la  comparaisoD 
avec  un  autre  objet  de  nuance  semblable  et  déjà  connu.  C'est 
le  procédé  dont  se  sont  servis  ceux  des  poètes  de  notre  siècle 
qui  ont  visé  surtoift  à  ces  effets  de  couleur.  Excellent  s'il 
reste  discret,  il  ne  tarde  pas,  entre  les  mains  d'un  virtuose  trop 
habile,  à  devenir  la  raison  même  et  la  fin  de  la  description. 
Notre  attention  se  porte  alors  sur  l'ingénieux  rapprochement  de 
l'auteur,  plus  que  sur  l'objet  qu'il  s'agissait  de  peindre.  Plus 
la  comparaison  est  habile,  c'est-à-dire  imprévue  et  cependant 
exacte,  plus  grande  est  notre  admiration  de  l'artiste,  mais  plus 
faible  aussi  Timpression  provoquée  en  nous  par  Timagination 
de  l'objet  lui-même  qui  a  fourni  l'occasion  de  ces  variations 
brillantes.  Il  nous  semble  que  tel  est  bien  le  caractère  de  la 
plupart  de  ces  pièces  de  Théophile  Gautier,  auxquelles  con- 
viendrait mal  le  nom  de  description,  et  où  le  poète-peintre  a 
voulu  fixer  les  teintes  les  plus  délicates  par  une  série  de 
comparaisons  accumulées  *. 

1.  Par  exemple  dans  la  St/mphonie  en  blanc  majeur  : 

a  De  ces  femmes  il  en  est  une 
Blanche  comme  le  clair  Je  lune 


Sur  les  glaciers  dans  les  cieux  froids. 

Sou  sein,  neige  moulée  en  globe, 
Contre  les  camélias  blaucs 
Kt  le  blanc  satin  de  sa  robe, 
Soutient  des  combats  insolents. 

De  quel  mica  de  neige  vierge, 
De  quelle  moelle  de  roseau, 
De  quelle  hostie  et  de  quel  cierge 
A-t-on  fait  le  blanc  de  !»a  peau?  » 

{Emaux  et  Camées.) 

Comment  ne  souscrirait-on  pas  au  jugement  de  Henri  Heine  : 

«  Les  poètes  vont  vainement  à  la  chasse  des  métaphores  pour  décrira  ^' 

peau  blanche.  Théophile  Gautier  lui-môme  n'en  est  pas  capable.  •  'i?o?'"'" 

ce,'0.  VÉléphant  lilanc.) 
Réussira-t-il  mieux  à  préciser  la  nuance  de  beaux  yeux? 

•  Ses  yeux,  où  le  ciel  se  reflèle, 
Mêlent  à  leur  azur  amer 


LE  POÈTE   DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  339 

>n  peut  goûter,  comme  ils  le  méritent  justement,  les  tours 
force  de  ces  coloristes  du  vers.  Mais  les  simples  et  larges 
hètes  des  poètes  qui  peignent  à  la  façon  de  Thomson  suffi- 
t  pour  mettre  en  jeu  chez  le  lecteur  l'imagination  créatrice, 
leur  banalité  même  a  cet  avantage  de  ne  rien  enlever  à 
ipression  générale  que  le  poète  a  voulu  faire  naître  par 
isemble  des  traits  de  sa  description  et  par  le  rythme  de  son 
le. 


III 


ncapable  de  lutter  avec  la  peinture  pour  la  représentation 
>  formes  ou  des  couleurs,  le  langage  peut,  en  revanche,  faire 
pel  au  concours  de  tous  les  sens  autres  que  la  vue.  Il  peut 
îttre  en  jeu  dans  notre  imagination  le  pouvoir  de  représenter, 
ssi  bien  que  des  lignes  ou  des  surfaces  colorées,  des  sons^ 
3  odeurs,  et  môme  des  impressions  de  goût  ou  de  toucher. 
Les  sensations  auditives  n'accompagnent  pas  aussi  constam- 
'nt  que  les  sensations  visuelles  notre  perception  des  choses. 
Plains  objets  s'adressent  à  la  vue  seule;  avec  d'autres,  il 
Tfit  souvent  d'un  faible  éloignement  pour  que  le  bruit 
eigne  et  que,  demeurant  visibles,  ils  paraissent  muets.  Mais 
'S  la  représentation  du  monde  que  peut  nous  donner  récri- 
ra, il  est  permis  de  croire  que  Timportance  relative  de  ces 
X  ordres  de  phénomènes  est  différente. 
'il  est  vrai  que  les  formes  et  les  couleui^s  aient  avec  notre 
i  (le  profondes  et  mystérieuses  affinités;  s'il  est  vrai  que, 

Qu*étoile  une  humide  paillette 
Les  teiiited  glauques  de  la  mer. 

Comme  dans  Teau  bleue  cl  profonde, 
Où  dort  plus  d'un  trésor  coulé, 
On  y  découvre  à  travers  Tonde 
La  coupe  du  roi  de  Tliulé.  » 

{Émaii.r  et  Camées.  Cxruici  Oculi.) 

.  pour  finir,  ces  quatre  vers  de  la  pièce  A  utie  rohc  rose  : 

«t  Est-ce  A  la  rouf^eur  de  l'aurore. 
A  la  coquille  de  Venus. 
Au  botiion  de  sein  près  d  eclore. 
Que  sont  pris  ces  tous  inconnus?  > 

{Émaux  et  Camées,) 


330  JAMES  THOMSON. 

grâce  à  elles,  la  description  bien  indirecte  de  récrivain  puisse 
éveiller  dans  notre  esprit  et  dans  notre  cœur  mille  échos 
endormis,  ce  sont  cependant  plus  encore  les  sons  de  la  nature 
(|ui  contribuent  à  donner  aux  choses  un  caractère  d'êtres 
animés,  à  y  révéler,  ou  à  nous  y  faire  imaginer,  les  manifesta- 
tions d'une  vie  accessible  à  notre  connaissance  et  à  nos  svm- 

• 

pathies.  Et  surtout,  c'est  dans  Tordre  des  phénomènes  auditifs 
que  récrivain  peut  le  plus  sûrement  trouver  des  éléments  de 
description  conformes  à  la  nature,  à  la  portée,  aux  aptitudesde 
rinstrument  artistique  dont  il  dispose.  La  phrase,  la  strophe, 
le  vei's,  le  uïot,  autant  de  formes  diverses  de  sons.  Le  poète, 
récrivain  ne  peut  «  peindre  »,  selon  la  métaphore  banale  de  la 
langue,  qu'au  moyen  de  sons.  Il  est  bien  vrai  que,  dans  leur 
emploi  artistique,  les  éléments  du  langage  ne  sont  pas  dépures 
notations  absti*aites.  Autour  des  mots  flotte  une  atmosphère  de 
sensations  suj^^gérées  qui  soutiennent,  amplilient,  afûnent, 
diversiiient  à  Tinllni  l'impression  produite  par  le  sens  immédiat 
(les  termes.  N'est-il  pas  évident  cependant  que,  de  toutes  les 
sensations,  le  langage  excelle  à  traduire  et  à  évoquer  celles  de 
l'ouïe?  Les  images  de  vision  et  les  images  auditives  s'unissent 
dans  le  procédé  de  (K»scription  de  la  plupart  des  écrivains  '. 
L'importance  relative  des  unes  et  des  autres  varie  selon  le 
tenipéranicnt  de  chaque  artiste.  Mais  on  peut,  semble-t-il. 
trouver  eonfornio  aux  conditions  rationnelles  de  l'art  une  pré- 
dominance (les  elVels  auditifs.  Quand  il  arrive  que  Tun  de  c&i 
ordres  de  sensations  soit,  par  tel  ou  tel  |>oète,  nettement  sacrifié 
et  subordonné  à  l'autre,  il  semble  que  de  ces  deux  violences: 
ramener  à  un  effet  de  bruit  une  perception  de  la  vue,  ou  à  une 
sensation  visuelle  la  perception  d'un  son,  notre  esprit  accepte 
plus  facilement  la  première  que  la  seconde.  Quand  Milton,chez 
qui,  nous  le  savons,  les  images  sont  plutôt  musicales  que  pit- 
toresques, écrit  : 

|j'  s(»lril  c^l  ptnir  iin»i  ^uIIlb^c 
Kl  sil«Mici<;u.\  r(>inino  la  luno  ^, 

I.  Le  InriKaKC  m(':inc.  cette  porsie  fossile,  comme  dit  Emerson,  n*cst-ii 
pas  fait  d(*  métaphores  t\uï  transportent  nos  sensations  siiccessivemeot 
dans  1rs  diverses  catcjzones  de  phénomènes? 

>'.  •  The  sun  to  mo  is  dark 

And  silent  a^  the  moon.  • 

^Samwn  AtjonisUs,  v.  8",  M.) 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.   -—  SA   TECHNIQUE.  331 

ifiision  des  deux  impressions  ne  nous  choque  pas.  Mais 
l  Victor  Hugo,  un  halluciné  de  la  vision,  voit  un  bruit 
i  silence,  Timpérieuse  puissance  du  maître  ne  suffit  pas 
irsù  nous  faire  accepter  une  assimilation  impossible. 

«  Et  c'était  le  clairon  de  rabime.... 

Je  le  considérais  dans  les  vapeurs  funèbres 

Comme  on  verrait  se  taire  un  coq  dans  les  ténèbres 

«  ....ce  clairon  qui  se  tait  dans  la  nuit 

Et  qu'emplit  le  sommeil  formidable  du  bruits  » 

1  notations  de  sons  prédominent  chez  Thomson;  et  rien 
pins  naturel  puisque,  selon  une  observation  qui  s'est  déjà 
d'une  fois  imposée  à  nous,  ce  sont  les  phénomènes  de 
renient  et  de  vie,  plutôt  que  les  apparences  définitives  et 
uablesqui  le  frappent  et  qu'il  s'attache  à  reproduire.  Dans 
liver  »  où  nous  avons  relevé  quarante-deux  indications  de 
ère  ou  de  couleur,  les  notations  de  sons  s'élèvent  au 
jre  de  soixante-deux  *.  Le  poète,  on  le  sent,  n'est  sourd  à 
ne  de  ces  mille  voix  par  lesquelles  se  manifeste  la  vie  des 
is.  11  a  l'oreille  extrêmement  sensible  aux  inlinies  modula- 
de  ces  bruits.  H  sait  quelle  est  l'action  sur  notre  àme  de 
simple  et  puissante  musique  de  la  nature,  et  son  poème 
en  fait  entendre  l'éternel  accompagnement, 
ur  traduire  les  effets  sonores  qui  s'imposent  à  l'attention 
is  superficielle  :  la  voix  de  hi  mer,  le  gémissement  du  vent, 
ondementdu  torrent  ou  de  la  cascade,  le  vers  de  Thomson 
e  ou  s'apaise  avec  une  merveilleuse  souplesse,  et  de  ces 
omènes  si  connus  il  nous  donne  une  représentation  égale- 
.  e.xacte  et  poétique.  Voyez,  par  exemple  (autant  qu'une 
iction  peut  viser  à  rendre  im  effet  dû  comme  ici  à  la  sono- 

égende  des  Siècles,  vol.  IV,  La  Trompette  du  Jugement, 

'oici  quelques  points  de  comparaison  :  dans  J^s  Pauvres  Gens  de 

»  Hcoo,  43  notalious  de  lumière  et  couleur  (36  +  7)  pour  20  notations 

1.  Dans  Le  Soti/re,  lOo  nolation.-*  du  premier  ordre  (78  -f-  27)  contre  27 

:ond. 

s  les  3(0  premiers  vers  de  Jorclyn^  27  impressions  visuelles,  et  20 

ssions  auditives. 

.ut,  bien  entendu,  traiter  ces  documents  avec  la  prudente  réserve 

nvient  à  la  plupart  des  données  statistiques.  Le  relevé  fait  dans  d'au- 

•uvres  pourrait  modifier  considérablement  la  prop:)rtiou.  C'est  une 

ice  générale  que  nous  avons  prétendu  indiquer. 


33â  JAMES  THOMSON. 

rit('*  même  du  texte),  cette  description  d'un  orage  de  tonnerre: 
a  Partout  règne  une  peur  inquiète  et  une  morne  stupeur.  Tout 
a  à  coup  à  Tœil  ébloui  la  lueur  rapide  apparaît,  loin  au  sud, 
u.  déchirant  la  nue;  et,  suivant  plus  lentement,  d'une  explo- 
«  sion  qui  emplit  Fair,  le  tonnerre  élève  sa  voix  terrible.  C'est 
«  d'abord  à  la  limite  de  l'horizon  que  se  fait  entendre  le 
«  grondement  auguste  de  lorage;  mais,  à  mesure  qu'il  se 
«  rapproche,  et  livre  aux  vents  les  roulements  de  son  formi- 
a  dable  refrain,  les  éclairs  tracent  une  plus  large  courbe  de 
a  l'eu,  le  fracas  devient  plus  assourdissant,  jusqu'à  ce  que  sur 
c  le  ciel  se  déploie  une  vaste  nappe  de  flamme  livide,  qui  se 
«  referme  et  s'ouvre  plus  immense,  se  referme  de  nouveau  et 
«  s'ouvre  énorme,  enveloppant  tout  le  ciel  de  son  flamboie- 
a  ment.  Et  toujours  suit  le  rugissement  plus  bruyant  et  main- 
«  tenant  déchaîné;  il  grandit,  il  devient  plus  profond,  elles 
«  éclats  se  mêlent  en  un  horrible  fracas  qui  secoue  le  ciel  et  | 
a  la  terre  *.  » 

Il  est  difficile  de  ne  pas  penser  que  Byron  s'est  rappelé  celte 
page  magnilique  en  décrivant  au  troisième  chant  de  ClMe- 
Harold  '  un  onige  dans  les  Alpes.  Il  ajoute  à  la  scène  des  Irait* 
qui  la  placent  en  un  point  précis;  les  montagnes  dont  il  faillô 
fond  de  son  tableau,  et  le  lac  du  premier  plan  sont  des  élé- 
ments qui  viennent  accroître  relTet;  mais,  en  dépit  d'une  exa- 
géralion  qui  n'échappe  pas  à  Temphase,  Byron  n'a  point  ici 
surpassé  la  puissance  descriptive  de  l'auteur  des  t  Saisons». 

Rappelons  encore,  parmi  tous  les  exemples  que  l'on  pourrait 
citer,  la  tempête  en  mer  décrite  dans  1'  «  Hiver  ».  Le  poète  y 
accumule  les  évocations  de  sons  penjants  ou  graves,  et  la  lecture 
de  ses  vers  laisse  à  l'esprit  l'impression  d'un  tumulte  assour- 
dissanl  et  confus.  Rien  n'est  oublié  des  bruits  précurseurs,  d* 
l(»scris  des  oiseaux,  ni  cette  voix  mvstérieuse  et  solennelle  qui 
vient  des  montagnes  et  que  Virgile  avait  aussi  entendue  '.  Pi^'^ 
vient  le  fracas  des  Ilots  soulevés  et  précipités  les  uns  sur  1^ 
autres,  ou  foueltés  jusqu'à  se  couvrir  d'écume,  et  le  hurlement 

\.  Sutntner,  M-28-1H3.  —  2.  Strophes  xoii,  xc.iii. 

:i,  «  ...  Vi'nlis  siirgentibus  aiit  TreU  ponli 

Incipiiint  af^itata  liimescero,  cl  aridiis  allia 
MoDtil)us  audiri  fragor;  aut  rcsonanlia  longe 
Litlora  niisceri,  cl  nemorum  inrrebresccre  tiiiirmur.  - 

(Géorgigues^  liv.  1,  356-359.) 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA   TECHNIQUE.  333 

Ht,  et  tous  les  éléments  de  désordre  qui  concourent  à 
'  cette  scène  de  chaos  effrayant. 

:  un  autre  aspect  du  talent  du  poète  qui  nous  apparaît 
nous  constatons  avec  quelle  fine  exactitude  il  perçoit  et 

un  grand  nombre  de  faits  plus  délicats.  Il  saisit  et  il 
rappelle  des  bruits  peu  éclatants,  mais  non  pas  peu 
sifs,  grâce  auxquels  nous  entendons  circuler  Tair  dans 
leaux.  C'est  le  gémissement  des  bois  courbés  par  le  vent; 
)ruissement  des  forêts  sur  les  montagnes  ;  ou  le  murmure 
jjours  émane  des  champs  de  blé,  sauf  pendant  le  calme 

de  certaines  journées  d'automne.  Ce  sont  les  chants  ou 
is  infiniment  variés  des  oiseaux,  tous  notés  avec  une 
16  précision.  Un  passage  déjà  cité  du  a  Printemps  »  nous 
itendre  le  chant  du  rossignol  qui  parait  à  Thomson, 
3  à  Milton,  également  exquis  et  mélancolique,  la  note 

du  coucou,  la  voix  aiguë  et  bruyante  de  l'alouette,  les 
nnélodies  de  la  grive  et  de  l'alouette  des  bois,  le  siffle- 
lu  merle,  les  notes  gravement  suaves  du  bouvreuil,  les 
grès  et  discordants  de  la  corneille  ou  du  geai,  le  triste 
ure  du  ramier  *.  Ailleurs  c'est  Tappel  bruyant  du  butor 
:ris  sauvages  des  pluviers  *;  ailleurs  encore  les  clameurs 
îux,  le  hululement  du  hibou,  les  cris  aigres  et  perçants 
tnoran  et  du  héroa'. 

oète  remarque  aussi  la  valeur  particulière  que  prennent 
ns  famihers  dans  des  circonstances  exceptionnelles.  Il  a 
!s  modifications  apportées  aux  voix  ordinaires  des  choses 
gelée  de  l'hiver  :  les  cours  d'eau  font  entendre  un  mur- 
plus  rauque  sous  le  froid  qui  les  étreint,  et  les  glaçons 
3sent  sur  la  surface  du  courant;  la  terre  glacée  retentit 
)nore  sous  les  pas  du  marcheur.  Enfin,  et  c'est  encore 
çon  de  signaler  Timportance  des  sons  dans  la  nature, 
î  le  frappe  plus  que  le  silence  succédant  au  bruit  habituel, 
iieurs  fois  il  a  noté  les  effets  imposants  de  ce  calme  inac- 
né. C'est,  au  milieu  des  ardeurs  du  jour,  la  prairie 
î  dont  le  silence  est  encore  souligné  par  le  cri  d'un 

*;  c'est  le  silence  de  la  nature  apeurée  à  l'approche  de 
:^;  c'est,  dans  une  claire  nuit  de  printemps,  le  rossignol 


fing,  515-612.  —  2.  Ibid.,  20-2:i.  —  3.   Winter,  H0-U7.  —  4.  Sitm- 
;,  44".  —  5.  /6trf.,   1110. 


3:^4  J\Mt:S   THOMSON. 

«jui  MTst*  st's  l'IiMiils  À  la  nature  ravie  et  ï-ileiieieuse  \  Ou  bi^ii 
encore  le  i)oèle  note  le  contraste  d'un  mouvement  apparent 
avec  un  silence  qui  le  ilc-ment,  et  il  tire  un  heureux  ellVtdela 
peinture  de  cette  cascade  gelée  et  nuiette  dont  les  eaux  enchai- 
nées  semblent  —  et  semblent  seulement  — rugir  -. 

Nous  avons  tenu  à  souligner  cette  importance  dans  les  des- 
criptions de  Thomson  des  phénomènes  auditifs.  En  même 
temps  (jue  nous  y  voyons  une  confirmation  du  caractère 
général  que  nous  attribuons  au  poème,  celui  d'un  tableau  delà 
vi(î  de  la  nature,  elle  est  le  témoignage  d*unc  riche  et  délicate 
organisation  d'artiste.  Quel  que  soit  le  parti  qu'il  saura  tirer 
plus  tiu-d  de  ses  impressions,  on  peut  dire  que  1  obsen*aleor 
sensible  à  de  subtiles  influences  des  sons  naturels  montre  un 
plus  rare  pouvoir  de  perception  que  celui  auquel  les  sensa- 
tions visuelles  s'imposent  de  préférence.  L'influence  des  voi.\ 
des  choses  s'exerce  en  nous  de  façon  plus  discrète  et  plus 
intime.  Il  faut  un  travail  d'analyse  plus  délié  pour  les  isoler 
lans  ralllux  des  perceptions  qui  nous  enveloppent,  ou  au 
contraire  pour  leur  rendre  dans  l'œuvre  poétique  la  place 
ju'elles  ont  dans  la  nature.  Il  convenait  donc  de  signalerici 
un  des  traits  principaux  qui  donnent  au  génie  descriptif  de 
Thomson  sa  valeur. 


( 


i 


IV 

(.le  n'est   plus,  pourrait-on  dire,  de  description  qu'il  s*agi* 
quand  nous  en  venons  au  rôle  des  autres  sens.  Les  éniotious 
qu'ils   nous  fournissent  ne   sont  pas  d'ordre  esthétique.  L^ 
satislaclions  du  palais  n'ont  rien  de  comnmn  avecles  joies di> 
Beau  ;  nijns  dire  quelle  est  l'odeur  d'un  objet  ou  quelle  réaction 
il  offre  an  loucher,  ce  n'est  pas  nous  en  donner  une  ima?^ 
artisti(iu<*.  Kt  cependant  on  ne  saurait  omettre  Tétude  de  c^ 
sens  inlérieurs,  si  l'on  veut  exactement  connaître  et  le  cara^^" 
tère  d'une  u'uvre  descriptive,  et  la  richesse  ou  la  délicatesse 
de  l'instrument  d'observation  du  poète. 

a  Dans  Paul  ci  Virginie  d,  dit  Sainte-Beuve,  «  les  odeurs  ^^ 

2.  \\  inter,  "48,  74U.  •  Tiimulluous  silence  Tor  ail  Sound  -,  dit  en  fa<'^ 
d  iiiiL'  scène  analogue  le  poêle  essayisle  américain  Thoreau. 


LE   POÈTE  DESCRIPTIF.   —  SA  TECHNIQUE.  3^^ 

mêlent  à  propos  aux  couleurs,  signe  de  délicatesse  et  de  sen- 
sibilité qu'on  ne  trouve  guère,  ce  me  semble,  chez  un  poète 
moderne  le  plus  prodigue  d'éclat  *.  »  Chez  Thomson  aussi  les 
stations  d'odeurs  sont  fréquentes,  et  comme  chez  Bernardin 
e  Saint-Pierre,  elles  témoignent  de  cette  sensibilité  aux 
nlluences  des  choses  que  signale  la  critique.  Mais  elles  ont 
lans  le  poème  des  «  Saisons  d  une  importance  plus  grande.  Il 
le  s'agit  plus  ici  des  senteurs  inconnues  d'une  terre  lointaine, 
^sont  les  parfums  associés  à  des  choses  familières;  ce  sont 
les  impressions  maintes  fois  ressenties  que  le  poète  nous 
•appelle.  Et  si  ces  traits  ne  peuvent  directement  concourir  à 
lôlerminer  l'image  des  choses  décrites,  qui  ne  sait  au  moins 
îombien  est  grande  la  part  de  ces  sensations  dans  l'impression 
lui  se  dégage  de  certaines  scènes?  Nous  nous  trouvons  ramenés 
ùnsi  à  l'observation  fondamentale  de  ces  pages.  C'est  l'impres- 
>ion  suggérée  par  les  choses,  et  non  pas  leur  image  directe, 
lue  l'écrivain  vise  à  reproduire;  et,  parce  que  les  sensations 
ïe  l'odorat  peuvent  jouer  un  rôle  important  dans  cette  impres- 
sion, la  notation  de  ces  effets  lui  est  d'un  précieux  concours. 
-fi  souvenir  du  parfum  exquis  ou  pénétrant  qui  s'érhappc 
'un  pré  fraîchement  fauché  ou  d'un  champ  de  fèves  en  fleurs 
^'oillera  avec  une  puissance  singulière  le  souvenir  dos  objets; 
^  ^ans  notre  esprit,  vibrant  sous  le  choc  de  cette  vive  sensa- 
^^y  l'image  de  l'objet  apparaîtra,  plus  précise  et  plus  forte 
^'aucune  description  formelle  n'aurait  pu  l'évoquer.  Thomson 
^it  la  fine  sensibilité  qui  s'ébranle  à  ces  subtiles  influences 
^  odeurs;  il  avait  aussi,  grâce  à  son  instinct  d'artiste,  ce  sen- 
tent que  son  œuvre  en  devait  être  imprégnée  comme  lîi 
^Ure  elle-même.  «  Où  trouver  des  mots...  dont  la  puissance, 
^"oisine  de  la  vie,  parfume  mes  vers  de  ces  fines  essences,  de 
^es  souffles  embaumés,  qui,  sans  s'épuiser  jamais,  ne  cessent 
4e  se  répandre  autour  de  nous*?  »  Aussi  les  indications  de  ce 
^re  abondent-elles  dans  les  «  Saisons  ».  Hien  ne  contribue 
^s  à  donner  au  poème  son  caractère  de  sincérité,  à  quelques- 
'es  des  scènes  qu'il  retrace  leur  physionomie  de  choses  vues 
aimées.  Nous  avions  noté,  dans  un  autre  passage,  que 
^omson  nous  montre  rarement  un  coin  découpé  du  pano- 
tna  réel  de  la  nature.  F]n  revanche,  dans  ses  scènes  un  peu 

*.  Porlrai/s  li/lêraires,  vol.  H,  p.  129.  —  2.  Sprinf/.  iVi-ilS. 


33G  JAMES  THOMSON. 

^n''ru'rali's  el  va^nics,  cVsl  hien  une  almosphrre  iwlJe  qui  cir- 
oule.  Nous  entendons  Jes  murmures  d'un  vent  qui  n'a  rien  de 
mythologique;  noiis  en  sentons  la  caresse  ou  le  choc  brutal; 
et  il  nous  arrive,  connue  dans  les  campagnes  de  nos  pays,cliarçé 
de  douces,  de  vivifiantes  ou  d'enivrantes  senteui-s.  Évidemment 
c'est  un  des  traits  de  la  nature  rustique  par  où  se  communique 
le  plus  directement  à  notre  poète  cette  jouissance  épicurienne 
que  nous  avons  signalée  déjà.  Il  goûte  les  plus  simples  de  ces 
sensations;  et,  sorti  de  la  ville,  il  aspire  avec  délices,  non  pas 
seulement  Todeur  des  églantiers  de  la  haie,  mais  aussi  celle 
des  vacheries  •.  Il  mentionne  au  premier  rang  des  caractères 
de  la  nature  au  printemps  ces  parfums  prodigués  dans  l'air 
entier  -.  Il  note  Texquise  odeur  du  muguet  ',  le  parfum  pro- 
digue de  la  giroflée  *  ou  la  senteur  pénétrante  des  jon- 
quilles %  etc.  Il  s'enivre  avec  les  moissonneurs  de  la  capiteuse 
odeur  des  foins  *;  et,  en  dépit  de  ses  plaintes  sur  Timpuissance 
du  langage  ",  il  rend  avec  force  la  sensation  délicieuse  que  lui 
a  fait  éprouver  une  de  ces  simples  senteurs  des  champs  :  «  Pro- 
a  menons-nous  longtemps  dans  ce  chemin  où  la  brise  qui  vient 
<(  à  nous  passe  sur  ce  champ  de  fèves  en  fleurs.  L'Arabie  f^ 
i(  peut  s'enorgueillir  de  parfums  plus  enivrants  que  celui  qui, 
«  ai)portc  par  chaque  souffle  de  Tair,  pénètre  nos  sens  et  ra>il 
«  notre  Ame  *.  » 

Nous  avons  voulu  reproduire  ce  passage  pour  montrer  que 
si,  dans  la  description  de  la  nature  que  nous  donnent  les 
«  Saisons  »,  les  sensations  de  l'odorat  ont  un  rôle  important* 
<'o  n'est  pas  seulement  par  le  nombre  des  passages  qui  les  enre- 
gistrent, c'est  autant,  sinon  plus,  par  l'intensité  de  Timpression 
subie  et  reproduite  par  le  poète  *. 

I.  Sprinf/,  105,  106.  —  2.  Ibid.,  y7,  98.  —  3.  Ibid,,  446,  447.  ■- 
4.  Ibitf.,  533.  --  r>.  Iffid.,  547,  iiiS.  —  C.  Summer,  359,  360-545.  -" 
7.  ^prinf/,  474- 1"8. 

S.  Sprintf,  4y'ï-;)00.  Nous  trouvons  chez  un  contemporaia  de  Thomso*'- 
^fui  niinait  et  qui  connaissait  lui  aussi  la  campagne,  un  souvenir  decett^ 
nuMiic  impression  exquise  : 

-  At  Ihc  close  of  day 
Whon  tlic  hean-flower  and  hay 
Breatird  odours  in  evcry  wind, 
Love  enliven'd  Ihe  veins 
Of  the  damsels  and  swains.  « 
(Gay,  vol.  I,  p.  267,  The  Coquette  Mother  and  herdaughter,  à  Sons) 

U.  Le  «  Printemps  •  fournirait  14  et  V*  Kté  •  16  indications  d'odeurs.Sin^"* 
reprenons  le  terme  de  comparaison  cité  précédemment,  nous  trouvons 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.   —  SA   TECHNIQUE.  3S7 

Il  est  également  vrai  que  la  langue  de  Thomson  éveille  plus 
d'une  fois  l'imagination  de  sensations  tactiles.  Non  pas  qu'il  se 
propose  jamais  d'insister  dans  sa  description  sur  ces  efîets  de 
reliefs,  de  succession  de  plans  solides  qui  sont  le  domaine  de 
la  sculpture.  Son  art  est  trop  général  pour  rechercher  cette 
précision  matérielle,  et  cette  solidité  marmoréenne  que  certains 
poètes  ont  atteintes  dans  leurs  images  ^  Mais  cette  vive  sensi- 
bilité à  l'action  des  choses  qui  lui  fait  enregistrer  si  souvent 
des  sensations  de  l'odorat,  se  révèle  aussi  dans  nombre  de 
termes  auxquels  s'associe  une  impression  de  tact.  Les  adjectifs 
smooih  et  surtout  soft  reparaissent  très  fréquemment  dans 
les  d  Saisons  ».  Leur  valeur  est  tantôt  matérielle  et  tantôt 
morale.  Dans  ce  dernier  cas  encore  elle  manifeste  la  tendance 
du  poète  à  comparer  volontiers  diverses  qualités  des  choses 
aux  caractères  d'une  surface  polie,  moelleuse,  agréable  au  tou- 
cher. Dans  cette  transposition  de  perceptions  d'un  sens  à  un 
autre  qui  alimente  le  vocabulaire  de  toutes  les  langues,  les 
préférences  d'un  écrivain  pour  certains  termes  permettent  de 
conclure  à  la  vivacité  de  certaines  impressions  sur  son  Ame. 
Thomson  a  une  prédilection  marquée  pour  le  mot  mellow, 
ïï  l'emploie  à  traduire  des  qualités  très  diverses,  depuis  la 
"ialurilé  des  fruits  »  ou  le  moelleux  d'un  vieux  vin  ',  jusqu'à 
^  6clat  tamisé  d'un  corps  de  femme  vu  dans  l'eau  *,  ou  au  chant 
'^^^icieux  et  grave  du  bouvreuil  *.  Or  c'est  toujours  une  sensa- 
^on  tactile  qui  se  retrouve  au  fond  de  toutes  ces  valeurs  méta- 
phoriques. On  pourrait  noter  la  même  valeur  d'association 
^'ïs  plusieurs  des  épithètes  fréquemment  employées  par  le 
^^te.  C'est  un  des  secrets  de  la  force  et  du  pouvoir  suggestif 
^  Ses  adjectifs.  Entre  cent  exemples  contentons-nous  encore 
'  citer  «  1  éclat  intense  et  aigu  )>  dont  il  voit  briller  les  étoiles 
'^ïi  ciel  d'hiver  *,  ou  cette  a  froide  lueur  »  du  ruisseau  gelé 
^i  réfléchit  les  rayons  du  matin  ^ 

*^8  Le  Satyre   de   V.  Hujio  5    indications  de   celte   nature  contre   105 

-ntions  de  phénomènes    visuels  et  27   évocations  do  sons.   Dans    les 

^■*    premiers  vers  de  Joceh/n,  une  seule  indication  d'odeur.  Mais  encore 

^^   fois   il  faut  se  garder   d'exagérer  l'importance   de   pareils  relevés. 

^uires  morceaux  ou  d'autres  passages  pourraiont  donner  des  propor- 

^Hs  variables. 

'^.  Aucun  peut-être  plus  que  Keals.  Voir  Ode  lo  a  Grecian  Uni,  ou  ces 

»Ure8  d'une  noble  et  divine  statuaire  du  début  (Vllt/periott. 

Si.  Summer,  302.  —  3,  AiUumn,  "îOj.  —  4.  Summer,  1324.  —    u.   Spririff 

^.  —  6.  Winler,  740.  —  7.  lùid.,  7î>3. 

00 


338  JAMES  TUOBiSON. 

Enfin  la  plus  superficielle  lecture  du  poème  fera  remarquer 
le  grand  nombre  de  passages  qui  notent  une  impression  de 
plaisir  tout  physique  et  sensuel.  Les  mots  cooly  gelid^  fresh, 
hinnid  reviennent  sans  cesse,  parce  que  Técrivain  ne  se  lasse 
pas  de  mentionner  les  jouissances  dues  à  la  fraîcheur  des  bois 
et  des  eaux.  11  n'y  a  pas  dans  V  a  Été  »  moins  de  dix-huit 
traits  qui  rappellent  ces  sensations. 

Los  sensations  du  goût  ne  sauraient  être  absentes  de  rœu\Te 
de  notre  épicurien.  S'il  passe  en  revue  les  fruits,  il  n'en  note 
pas  seulement  les  couleurs,  mais  l'indication  de  leur  goût 
trouve  place  dans  ses  vers.  Il  n'oublie  ni  la  saveur  intense  des 
fruits  des  tropiques  *,  ni  la  vertu  piquante  du  citron  *,  ni  la 
chair  rafraîchissante  du  tamarin  '.  A  plus  forte  raison  s'arrête- 
t-il  aux  qualités  des  fruits  de  nos  climats.  Il  énumère  dans  le 
verger  d'automne  :  la  poire  juteuse*,  et  les  pommes,  t  Dans 
«  leur  froide  pulpe  réside  une  essence  diverse,  fraîche,  exquise, 
u  acide,  (lui  préjiare  pour  la  langue  altérée  le  cidre  piquant'....! 
11  ne  mentionne  de  la  pèche  ou  de  la  prune  que  leur  aspect  et 
leur  couleur;  mais  il  rappelle  le  goût  succulent  de  la  ligue*. 
La  saveur  des  raisins  ne   l'arrête  pas;  il  n'y  a  là  qu'un  vin 
inachevé;  mais  quand  le  travail  des  hommes  est  venu  compléter 
rd.uivre  de  la  terre  et  du  soleil,  avec  quelle  savante  précision 
il  distln^^ue  le  «  bordeaux  moelleux  »,  a  le  bourgogne  au  riche 
<«t  mûr  bouquet  »  et  a   le  Champagne  vif  et  gai  »M  Rien 
n'égale  cependant  l'enthousiasme  qui  l'inspire  au  souvenir  du 
goût  délicieux  de  certain  fruit  exotique;  il  n'est  plus  alors 
d'hyperbole  (pii  semble  excessive  à  son  lyrisme  :  «  Ananas 
K  délicieux,  orgueil  iUi  monde  végétal,  toi  qui  dépasses  tout  ce 
((  (jue  les  poètes  ont  imaginé  dans  leurs  rêves  d'un  âge  d'or;  vite, 
«  laisse-moi  te  dépouiller  de  ta  robe  épaisse,  mettre  à  nu  tes 
(c  trésors  d'ambroisie  et  prendre  place  au  banquet  de  Jupiter*!  • 

C'est  aussi  le  souvenir  d'un  banquet  qui  nous  vient  à  l'esprit 
après  cette  étude  où  nous  avons  vu  combien  Thomson  a  subi 
tortement  ou  délicatcMiient  toutes  les  influences  des  chose:* 
naturelles  et  les  a  toutes  reproduites.  A  lui,  comme  au  pro- 


1.  Suinmer,  05X.  —  2.  Ibid.,  604.  --  3.  MiV/.,  667,  668.  —  4.  Autufnfif 
631.  —  5.  IhuL,  6U-613.  —  6.  Ibid.,  616-619.  —  7.  Ibid.,  703-T06. 
—  8.  Sumtnpt;  685. 


LE   POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  339 

7imon  dans  la  pièce  de  Shakespeare,  peuvent  s'adresser 
ts  :  a  Les  cinq  sens  voient  en  toi  leur  patron,...  Toreille, 
\  t,  le  toucher  et  Todorat  se  lèvent  de  ta  table  charniés  i^  '. 


V 


nson,  nous  le  savons,  s'attache  surtout  à  décrire  les 
les  plus  simples,  les  aspects  les  plus  connus  de  la 
.  C'est  une  des  raisons  sans  doute  qui  lui  ont  assuré  une 
.rite  si  prompte,  si  grande  et  si  universelle.  Quand  la  lit- 
*e  et  la  société  étaient  peu  familières  avec  le  monde  des 
,  le  poème  des  «  Saisons  »  tut  accessible  aux  lecteurs  sans 
d'eux  une  initiation  préalable.  Il  n'en  est  pas  besoin  pour 
le  plaisir  que  peuvent  donner  les  descriptions  fidèles  et 
euses  d'un  orage,  d'un  champ  de  blé  ou  d'une  prairie, 
averse  de  pluie  ou  de  neige,  d'un  ciel  brillant  ou  nua- 
ou  d'un  torrent  —  schématique. 

t  peut-être  pour  la  même  raison  qu'à  cette  popularité  suc- 
ujourd'hui  un  respect  qui  est  un  peu  fait  d'oubli  et  d'igno- 
()n  admet  que  Thomson  excelle  à  rendre  ces  phénomènes 
c|uotidlenne  banalité  dont  est  tissée  la  vie  de  la  nature,  et 
oit  volontiers  qu'il  n'y  a  pas  autre  chose  dans  son  poème, 
poésie  moderne  vit  d'autres  recherches  et  d*autres  effets. 
t  les  apparences  exceptionnelles,  les  notations  subtiles,  les 
faits  jusqu'alors  inaperçus  qui  témoignent  de  la  puissance 
rvation  de  Tartiste.  —  Kst-il  bien  certain  cju'il  y  ait  là 
ent  une  conquête  de  la  poésie  de  notre  siècle?  On  nous 
îltra  d'en  douter,  et  de  revendiquer  pour  Thomson  ce 
»  aujourd'hui  si  prist*\  Aussi  bien,  quand  nous  avons 
é  Texquise  et  riche  sensibilité  de  ses  organes,  n'avons- 
jas  fait  pressentir,  et  du  reste  prouvé  par  quelques-uns 
emples  cités,  que  son  œuvre  enregistre  en  grand  nombre 
tails  ou  rares,  ou  fugitifs,  ou  d'une  délicatesse  ténue  qui 

»  Hail  lo  thee,  worUiy  Timon 

The  fivc  liest  sensés 

Ackiiowleilpe  Winfi  Iheir  patron;  and  corne  freely 
To  gratulalc  tliy  plenteoiis  boeoui  :  Ih'ear, 
Taste.  touch  and  smell,  pleased  from  Uiy  table  rise.  • 

(Timon  of  Athens,  act.  I,  se.  ii,  128-132.) 


340  JAMES  TnOMSON. 

échapperait  à  une  attention  superficielle  et  qui  dénote  à  la 
fois  l'observateur,  Tartisle  et  le  familier  de  la  nature? 

C'est  un  côté  du  talent  de  notre  poète  qui  n'a  guère  été  mis 
en  lumière.  La  raison  de  cette  injustice  est  très  apparente.  Ces 
traits  délicats  sont  notés  par  Thomson  avec  une  sincérité,  oo 
pourrait  dire  avec  une  naïveté  absolues.  Nos  modernes  littéra- 
teurs soignent  et  sertissent  avec  un  soin  jaloux  tout  eiîet  inédit 
qu'ils  ont  eu  la  bonne  fortune  de  découvrir.  Il  n'y  a  au  con- 
traire chez  Thomson  aucune  préoccupation  de  souligner  et  de 
mettre  en  valeur  ces  éléments  de  pittoresque.  Ils  disparaissent 
presque,  emportes  au  courant  de  son  ample  période  et  de  ses 
larges  descriptions.  Mentionnés  seulement  comme  appoint  en 
vue  d'effets  plus  vastes,  ils  sont  souvent  cachés  sous  le  vête- 
ment somptueux  et  un  peu  raide  de  son  style.  Et  cependant  on 
se  ferait  une  idée  incomplète  et  inexacte  de  son  génie  si  l'on 
négligeait  ces  indications  rapides.  Dans  toutes  les  parties  de 
Tcouvre  elles  viennent  nous  montrer  le  don  d'observation 
miimtieuse  et  serrée,  l'aptitude  à  noter  certains  traits  pittores- 
ques parmi  les  mille  éléments  qui  concourent  à  Teffet  d'en- 
semble. 

Nous  avons  cité  déjà  les  vers  charmants  où  le  poète  décrit 
une  promenade  à  la  campagne  par  une  matinée  de  printemps. 
11  va  là  un  détail  singulièrement  précis,  et  bien  fait  pour 
mettre  dans  les  vers  quelque  chose  de  la  fraîcheur  délicieuse 
de  l'heure.  C'est  celui  qui  nous  montre  le  promeneur  courbant 
les  buissons  de  la  haie  qui,  on  se  redressant,  font  jaillir  les 
gouttes  tremblantes  de  la  rosée  '.  —  Il  note  un  peu  plus  loin 
le  calme  parfait  de  l'air  :  ce  On  n'entend  pas  un  souflle  frémir 
a  parmi  les  bois,  ou  faire  tourner  avec  leur  bruissement  coutu- 
«  mier,  les  feuilles  aux  mille  scintillements  du  tremble  élevé  •  »• 
—  Jamais  poète  n'a  rendu  avec  plus  de  sobriété,  ni  d'éclat,  ni 
plus  de  line  justesse  la  magique  transformation  de  la  terre 
quand,  après  une  longue  pluie,  un  rayon  perce  les  nuages  ' 
«  Le  rayon  rapide  frappe  la  montagne  qui  s'illumine,  il  glissa 
a  sous  la  forêt,  il  tremble  sur  les  eaux,  et,  dans  une  brume 
a  jaune  qui  fume  au  loin  sur  la  plaine  immense,  il  met  une 
«  flamme  sur  toutes  ces  pierreries  de  la  rosée  dont  les  myriades 
«  étincellent  '  ».  —  a  Sur  la  terre  saturée  la  nuit  calme  jette  une 

1.  Spriuff,  103-105.  —  2.  //>/(/.,  m:'),  136,  —  3.  lôid.,  191-195. 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SX  TECHNIQUE.  341 

ombre  adoucie  *.  »  —  Nous  avons  parlé  déjà  de  ce  ruisseau  de 
internps,  où  (l  après  que  le  premier  et  trouble  torrent  grossi 
par  les  pluies  printanières  s'est  écoulé,  l'écume  blanche 
descend  sur  l'eau  brune  que  colorent  çà  et  là  les  mousses 
du  fond  *  ».  —  La  scène  de  la  pêche  fournirait  plus  d'un  trait 
bre  et  délicatement  noté,  comme  celui  de  la  surface  de 
nde  où  une  ride  vient  trahir  la  crainte  du  poisson  qui  s'est 
ntenté  de  toucher  Tappàt'.  —  Le  poète  a  vu  encore  dans  le 
ste  panorama  que  le  regard  embrasse  de  la  colline  de  Uich- 
3nd,  le  fleuve  dont  la  surface  apparaît  au  loin  moirée  *.  — 
,  pour  emprunter  un  dernier  trait  à  cette  première  partie  du 
ème,  rappelons  cette  description  des  manœuvres  de  l'oiseau 
près  de  la  femelle  :  «  ...  frappé,  il  se  retire  confus,  puis  il  se 
•approche  encore;  tourne  amoureusement  et  déploie  ses  ailes 
achetées;  pas  une  de  ses  plumes  qui  ne  frémisse  de  désir*  ». 
L.'  «  Été  »  nous  fournira  également  presque  à  chaque  page 
elqu'une  de  ces  notes  vives  et  pittoresques.  Le  poète  en  quête 
in  frais  abri  remarque  la  coloration  plus  foncée  de  l'herbe 
'S  du  ruisseau  *.  —  A  la  naissance  du  jour,  il  aperçoit  <c  les 
ours  d'eau  fumants  qui  brillent  bleus  à  travers  le  crépus- 
ule  ».  —  Il  voit  la  mer  a  jusqu'à  l'extrême  limite  de  Thorizon 

Sprint/,    216,    217.   —    2.   Itid.,   378-38->.  —   3.   y6i</.,    426,    42".    — 
W.,  521,  522. 

Sprinff,  626-629.  —  Il  va  là  un  effet  que  plus  d'une  fois  Ronsard  s  est 
chc  à  rendre  : 

•  Voyez,  de  çà  de  là,  d'une  frétillante  aile, 
Voleter  par  les  bois  les  amoureux  oiseaux.  • 

{Amours  de  Mafie,  VI.) 

«  Tout  ainsi  les  colombcllcs 
Trémoussant  un  peu  des  ailes 
Havemcnt  se  vont  baisant.  » 

{Ode  VI.) 
«  L'alouetlc 

Trémoussant  d'une  aile  menue.  » 

{Gaietés,  l.) 

tpc  vieux  poète  n'approche  pas  cependant  de  l'exacte,  vive  et  presque 
elle  description  de  Thomson  : 

«  In  fond  rotation  spread  the  spottcd  Nvinfç, 
And  shiver  every  fealher  with  désire.  •> 

premier  vers  pourrait  être  d'ailleurs  un  souvenir  de  cet  hexamètre 
.  Vanière  : 

««  Sa»pe  solum  verrons  penna  pendente  rotatur.  • 

Summcr,  11. 


34â  JAMES  THOMSON. 

a  bleu  refléter  l'éclat  flottant  et  toujours  mobile  du  soleiP  ».  - 
Le  berger  assoupi  par  la  chaleur  «  s'étend,  les  yeux  à  demi 
«  fermés,  sous  Tonibre  flottante  des  saules  gris  *  ».  —  Le  tableau 
de  la  fenaison  nous  montre  la  bande  des  travailleurs  quand 
u  ils  étendent  au  soleil  leur  moisson  qui  répand  à  Tentour  un 
«  parfum  rustique  et  rafraîchissant  »,  ou  que  de  leurs  ràteaax 
a  ils  poussent  la  vague  fauve  du  foin  sous  laquelle  le  sol  de  la 
«  prairie  reparaît  verdoyant  ^  ».  —  «  Le  faucheur  accablé  se 
<t  couche  en  se  recouvrant  d'un  tas  de  foin  humide,  parfumé 
«  de  fleurs  *.  »  Nous  avons  déjà  parlé  de  ce  tableau  achevéqui 
nous   montre  le  troupeau  dans  la  prairie  près  du  ruisseau, 
au   milieu  d'un  jour  d'été.  «  Sur  la  rive  herbeuse  quelques- 
a  uns  des  bœufs  ruminent  couchés;  d'autres  debout  ont  la 
a  moitié  du  corps  dans  l'eau,  et  souvent  ils  se  baissent  et  boi- 
«  vent,  et  la  surface  se  ride  en  larges  cercles  '.  »  Dans  les 
signes  précurseurs  de  la  tempête,  le  poète  a  noté  «  le  son 
«  assourdi  qui,  venant  de  la  montagne,  roule  sur  la  terre  qui 
a  murmure,  trouble  les  eaux,  et,  sans  un  souffle  de  vent, 
<c  agite  les  feuilles  de  la  forêt  •  ».  —  Après  la  pluie  et  l'orage 
qui  ont  efi"rayé  les  créatures  et  qui  ont  rafraîchi  la  terre  et 
les  plantes,  on  entend  a  le  beuglement  des  vaches  et  les  bél^ 

1.  SumniPr,  lt>7-109.    -  2.  Ihid.,  285,  286. 

3.  Ibid..  303-366. 

Quelques  lignes  de  J.  Burrouglis,  Inexact  et  enthousiaste  observateur 
américain,  ofTrent  le  meilleur  commentaire  du  |>assage.  Il  a  lui  aussi 
•înregislrô  ce  «létail  tout  arif^lais.  •  From  my  ouUook  (on  Ihe  slopes  of 
Uelwellyn),  the  hay-makers  appeared  to  be  slowly  and  laboriously  roHïQK 
up  a  grcat  slieet  of  dark-brown  paper,  uucovering  beneatb  it  one  of  the 
most  fresh  and  vivid  green.  The  mown  grass  is  so  long  in  curing  in  Ihi^ 
country,  Ihat  the  new  blades  spring  benoath  it,  and  a  second  crop  is 
Nvell  under  way  before  the  old  is  carried.  •  (In  Wordsworfh*s  Couniry. 
rresh  Fields.  p.  21"».) 

1^  précision  de  la  remarque  a  frappe  Saint-Lambert  et  il  a  voulu  I» 
conserver.  Il  est  vrai  qu'il  la  gâte  en  subtiluant  le  champ  moissonné  au 
pré  fauché,  et  en  faisant  intervenir  des  moutons  bêtement  surpris;  mai:) 
que  ne  gàtc-t-il  pas?  Après  avoir  dit  de  son  agriculteur  : 

•  Il  apprendra  cet  art  de  choisir  les  engrais, 
(^e  grand  art  qu'à  Townshend  a  révélé  Gérés  -, 


il  lui  recommande  d'apprendre 

«  A  contraindre  les  champs  depuis  peu  moissonnés 
D'offrir  une  herbe  tendre  aux  troupeaux  étonnés.  • 

[Automne,  p.  112.) 

4.  Sitmmcr,  444,  44:>.  —  5.  Ibid.,  48»i-i8«.<.  —  «.  Ibid,.  1117-1120. 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  SA  TECHNIQUE.  343 

ments  nombreux  des  moutons  qui,  afTairés,  broutent  les 
trèfles  de  la  vallée  *  ».  —  Et  dans  cette  <t  Saison  »  encore 
lentionnons  <i  sur  le  champ  couvert  de  chardons  la  pluie 
blanchissante  de  duvet  végétal  qui,  lorsque  la  brise  s'élève, 
flotte  capricieusement  *  ». 

L'  d  Automne  »  est  la  moins  heureuse  des  quatre  parties  du 
oème.  C'est  la  dernière  venue.  Le  labeur  de  l'écrivain  y  res- 
;mble  parfois  à  l'accomplissement  d'une  tâche.  Nous  y  retrou- 
ons cependant  en  aussi  grand  nombre  qu'ailleurs  ces  traits 
e  pénétrante  observation  qui  nous  occupent.  Le  poète,  Tar- 
ste  sincère  pei*siste,  et  se  révèle  sous  les  amplifications  un  peu 
)urdes  de  ce  dernier  chant. 

On  se  rappelle  ce  passage  où  le  lièvre  nous  était  montré 
lierchant  à  se  dissimuler  dans  les  terrains  ou  parmi  les  plantes 
vec  la  couleur  desquels  sa  robe  peut  se  confondre.  Aussitôt 
près  l'animal  nous  est  décrit  lui-même  :  «  tapi  ;  les  oreilles 
repliées,  explorant  l'horizon  de  ces  yeux  saillants  que  lui  a 
donnés  la  nature,  et  qui  jamais  ne  dorment;  la  tète  couchée 
entre  ses  pieds  velus,  tout  prêt  à  bondir  et  à  fuir'  ».  —  Voici 
3  verger  en  automne  :  «  obéissant  à  la  brise  et  au  soleil  qui 
les  frappe,  les  fruits  quittent  les  branches  lourdement  char- 
gées, en  une  continue  et  molle  chute  de  choses  mûres  ».  — 
^t  quand  viennent  «  les  nuits  plus  fraîches,  les  pommes  tom- 
bent nombreuses,  secouées   et   répandues  sur   le   verger 
qu'elles  rougissent  par  la  main  vigoureuse  de  la  saison  ^  ». 

-  Dans  un  autre  climat  notre  voyageur  a  vu  les  vignes  prêtes 
)our  la  vendange,  a  les  raisins  s'aperçoivent  à  demi  entre  les 
:  feuilles;  quelques  grappes  flamboient  ardentes,  d'autres 
:  brillent  transparentes,  et  la  saison  de  pleine  maturité  souflle 
i  sur  les  grains  gonflés  une  blanche  pellicule  de  vivante 
ï  rosée  *  ».  —  Il  faudrait  tout  citer  de  lu  description  du  brouil- 
ard;  rappelons  seulement  ((  la  rivière,  indistinctement  aperçue, 
(  qui  semble,  morne  et  lente,  rouler  la  vague  de  brumes  *  ». 

—  Suivons  avec  le  poète  un  sentier  de  forêt  en  cette  saison 
nélancolique  :  «  chaque  fois  que  le  vent  gémit  parmi  les  bran- 
i  ches,  un  déluge  de  feuilles  tombe  sur  le  sol,  jusqu'à  ce 
f  qu'enfin  les  sentiers  tapissés  et  étouff'és  par  cette  triste  pluie 


{.  Summer,   i23t,  1235.  —  2.  //m/.,    1058-1600.  —  3.   AutuMti,   410-414. 
^.  Ibid.,  629-640.  —  5.  /6îV/.,  690-903.  —  6.  Ibid.,  719,  120. 


344  JAMES  THOMSOiN. 

«  roulent,  à  cliaque  souflle  qui  s'élève,  des  monceaux  flétris, 
«  et  s'emplissent  d'un  sifflement  lugubre*  ».  —  L'automne 
a  aussi  ses  aspects  riants,  et  Tobservateur  y  a  noté  «  la  mon- 
a  tagne  brillante  qui  tout  entière  s^anime  de  mille  ruisseaux 
«  jaillissants  d  ^  —  Et,  pour  prendre  aussi  un  exemple  aux 
dernières  pages  de  ce  chant,  rappelons  cette  pure  et  calme 
journée  :  a  II  n'y  a  de  brise  que  ce  qu'il  en  faut  pour  élever 
<(  du  sol  les  tils  ténus  de  rosée  évaporée  '  ».  M.  Logie  Robertsou 
se  porte  garant  de  la  délicatesse  et  de  Texactitude  de  Tobser- 
vation.  «  Par  ces  tranquilles  matinées  d'automne,  dit-il,  quand 
«  un  de  ces  lils  légers  vous  touche  le  visage,  on  est  tenté  de 
a  croire  qu'il  va  pleuvoir,  mais  le  ciel  est  partout  bleu  et  enso- 
«  Icillé,  et  nul  vent  ne  peut  chasser  la  rosée  des  lourds  épis 
«  de  blé  *.  » 

L'  ((  Hiver  »  contient  une  admirable  description  de  la  tem- 
pête. Parmi  les  signes  précurseurs  du  grandiose  phénomène, 
le  pocile  a  noté  de  bien  subtils  et  de  bien  menus  détails  :  «  Vues 
a  à  travers  lair trouble  et  agité,  les  étoiles  émoussées  émettent 
«  un  rayon  frissonnant;  et  dans  la  chaumière  où  la  ménagère 
«  pensive,  toute  à  sa  laborieuse  veillée,  allonge  le  lîl  de  lin,  les 
((  souffles  brefs  du  vent,  qui  au  dehors  soulèvent  les  feuilles 
«  flétries  en  rapides  tourbillons,  font  couler  la  chandelle  et 
((  pétiller  la  llamiuedu  foyer  ^)).  —  Quand  la  tempête  l'ègnesur 
le  monde  bouleversé,  «  les  nuages  fuient  sur  le  ciel,  confusé- 
«  ment  mêlés  aux  étoiles  qui  glissent  rapides  ®  ».  —  Sur  la  terre 
uniforiaêinent  recouverte  par  la  neige,  avec  quelle  netteté  se 
détachent  les  objets  qui  seuls  tranchent  sur  Tuniverselle  blan- 
cheur :  «  le  cours  d'eau  sinueux  sur  lequel  fondent  les 
a  flocons"  »  ou  «  les  hôtes  fauves  qui  fuient  les  déserts  où  ils  ne 
((  trouvent  plus  de  nourriture  *•  ».  —  Là  où  la  neige,  accumulée 
dans  un  étroit  vallon,  l'a  comblé  et  s'élève  en  une  éclatante 
colline,  le  poète  a  vu  au  sommet  le  blanc  «  panache  qui  monte 
a  et  tournoie  '•*  »  cjuand  le  vent  emporte  cette  poussière  de  neige. 
—  ((  La  bise  glacée,  qui  souflle  tour  à  tour  des  divers  points  de 
((  l'horizon,  dépose  sur  le  marais  une  pellicule  bleuâtre,  et 
iL  arrête  au  milieu  de  son  cours  le  ruisseau  jaseur  *°.  »  —  La 

1.  Aulinnn,  t»9;j-în)7.  —  2.  Ihid.,  'i\\^,  "îcifi.  —  3.  IbiiL,  1211,  1212.  - 
4.  Thnmson  *s  Works  (Glarendon  Press  Séries),  noie  p.  343.  —  5.  \Vintn\ 
130-136.  —  6.  Uni.,  ir,,  1%.  —  7.  IhhL,  23i-2:U).  —  8.  Ibid,,  256,  257.  — 
».  M/V/.,  273-275.  —  10.  tbid.,  723-720. 


LE  POÈTE  DESCRIPTIF.  —  ^A  TECHNIQUE. 


348 


€  gelée  affine  et  rend  plus  blanche  la  neige  *  ».  —  Et  quand 
le  dégel  se  produit  n  les  montagnes  brillent  tachetées  *  ». 

Combien  d'autres  exemples  on  pourrait  ajouter  à  ceux-là! 
Quand  l'attention  s'est  une  fois  portée  sur  ce  caractère  des  des- 
criptions de  Thomson,  on  demeure  surpris  qu'il  n'ait  pas  été 
plus  souvent  et  plus  fortement  signalé.  Aucun  poète  peut-être 
n'a  plus  souvent  enregistré  de  ces  vives  notations  des  choses. 
Aucun  non  plus  (et  ici  la  traduction  est  bien  insuffisante  pour 
mettre  les  preuves  sous  les  yeux  du  lecteur)  n'a  reproduit  ces 
délicates  observations  par  de  plus  heureuses  trouvailles  de 
langage. 


1.  \Vin(er,  "53.  —  2.  Ibid.,  1)91. 


CHAPITRE  V 

LE    POÈTE   DESCRIPTIF.    —   LA   PHILOSOPHIE    DU    POÈMR 
QUELLE   CONCEPTION    IL  FOURNIT   DU    MONDE 


1 


Des  observations  teJles  que  celles  qu'ont  présentées  les  cha- 
pitres précédents  ne  sauraient  être  le  terme  de  l'étude  d'une 
œuvre  comme  les  a  Saisons  ».  Thomson  est  un  des  poètes 
dont  le  souvenir  vient  à  l'esprit  dès  que  nous  pensons  à  la 
description  littéraire  de  la  nature;  il  est  vraiment  dans  ce 
domaine  un  de  ces  «  représentative  men  »  dont  parle  Emerson. 
Nous  avons  à  nous  demander  quelle  conception  il  s'est  faite 
de  cet  univers  matériel;  comment  il  s'en  est  expliqué  l'être: 
quelles  actions  il  lui  a  reconnues  sur  l'âme  des  hommes;  quelle 
interprétation  en  un  mot  il  nous  a  laissée  de  ce  monde  des 
choses  auquel  sVst  appliqué  Teftort  d'observation  et  de  pensée 
de  sa  vie  entière. 

Cette  recherche  gagnera  plus  de  sûreté  à  la  fois  et  plus  d'in- 
térêt à  s'appuyer  sur  une  comparaison  avec  les  autres  témoi- 
gnages qu'ont  portés  sur  la  nature  les  grands  poètes  descrip- 
tifs. Quelles  réponses  fournit  l'histoire  de  la  poésie  à  cette 
question  des  rapports  qui  unissent  le  monde  des  choses  et 
l'âme  humaine?  C'est  une  enquêta»  qui  a  plus  d'une  fois  occupé 
la  critique  moderne.  Elle  a  voulu  dresser  une  sorte  de  cata- 
logue raisonné  des  poètes  descriptifs.  Trois  de  ces  tentatives 


LA   PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  847 

classification  méritent  surtout  d'être  retenues,  pour  la 
ience  étendue  qu'elles  supposent,  pour  la  sympathie  pro- 
nde  qu'elles  révèlent  avec  le  monde  des  choses;  pour  la 
gueur  d'étreinte  grâce  à  laquelle  ces  faits  ondoyants  et 
obiles  de  l'art  ont  été  rangés,  disciplinés,  soumis  sans  vio- 
nce  qui  les  dénature,  à  une  hiérarchie  de  vérité  et  de  beauté. 
.  Gebhart,  dans  un  travail  sur  le  sentiment  de  la  Nature 
ins  l'antiquité,  arrête  un  cadre  à  la  fois  simple  et  souple 
ins  lequel  peuvent  prendre  place  tous  les  interprètes  de 
inivers  matériel  '.  Mr.  J.  C.  Shairp,  avec  une  extrême 
^ondance  de  souvenirs  et  d'aperçus  ingénieux,  dresse  une 
lumération  beaucoup  plus  longue  et  un  peu  confuse  *,  Enfin 
ins  un  travail  récent,  un  critique  français  ajoutant  aux 
Dnnées  de  M.  Shairp  Tidée  directrice  qui  n'apparaissait  pas 
>sez  nettement  dans  le  catalogue  du  théoricien  anglais,  a 
assé  dans  une  liste  de  solide  ordonnance,  les  divers  modes 
î  représentation  poétique  de  l'univers  ^.  Nous  ne  nous  con- 
nterons  pas  d'adopter  Tun  de  ces  tableaux,  parce  que,  vu 
î  l'angle  particulier  que  suppose  notre  étude,  aucun  ne 
)us  a  semblé  répondre  à  toutes  les  données  du  problème, 
ais  c'est  un  agréable  devoir  que  de  reconnaître  quelles 
)ligations  nous  avons  à  chacun  d'eux.  C'est  en  partie  en 


l.  M.  Gebhart  {Du  sentiment  de  la  Nature  dans  Vantiquité)  divise  les 
êtes  descripUra  en  trois  familles  correspondant  à  la  triple  division  des 
itëmes  philo8ophi(iue8  professée  par  l'école  historique  de  Cousin  :  poètes 
isualistes,  poètes  spiritualistes,  poèteif  mystiques  cl  panthéistes.  Le  cadre 
,  en  effet  assez  large  pour  qu'on  y  puisse  faire  entrer  tout  mode  d'in- 
'prétation  du  monde,  bien  que  l'auteur  u'ait  pas  eu  lui-même  le  souci 
les  noter  et  de  les  y  placer  tous.  Mais  on  peut  regretter  que  le  prin- 
)e  de  distinction  soit  ainsi  arrôtf!  en  dehors  des  faits  auxquels  il  doit 
ppliquer,  et  transporté  tout  entier  d'un  ordre  de  pensées  à  un  autre. 
l.  On  the  Poetk  Interprétation  of  Sature,  Les  divisions  établies  par 
uteur  sont  au  nombre  de  huit.  (7e<«t  dire  que  son  analyse*  des  formes 
œrscs  de  la  poésie  descriptive  est  poursuivie  avec  patience  et  avec 
fueur.  Mais  il  fait  également  porter  son  étude  sur  les  modes  de  repré- 
itation  des  choses  et  sur  remploi  qu'ont  fait  de  la  Nature  certains 
êtes.  Si  bien  qu'on  est  surpris  de  voir  consacrer  un  chapitre  «ux  écri- 
ins  qui,  comme  Walter  Scott,  se  sont  intéressés  au  monde  visible,  en 
ison  des  souvenirs  historiques  associt^s.  Évidemment  c'est  lÀ  un  ordre  de 
nsidérations  qui  n'a  rien  à  voir  ni  avec  la  conception  philosophique  ni 
ec  la  reproduction  artistique  des  choses. 

).  M.  A.  A.NGELLiEH,  Étudc  sur  liums,  t.  II.  chap.  IV.  m.  L'auteur 
ide  sa  classification  sur  le  degré  de  pénétration  grâce  auquel  le  poète 
it  lire,  sous  les  apparences,  le  caractère  intime  et  la  nature  vraie  des 
oses.  Nous  aurons  à  dire  quelles  objections  soulève  ce  critérium. 


348  JAMES  THOMSON. 

profitant  des  distinctions  et  des  rapports  qu'ils  ont  notés,  c*est 
en  nous  appuyant  sur  eux  que  nous  essaierons  à  notre  tour 
de  dire  comment  les  poètes,  et  parmi  eux  comment  Thomson, 
ont  compris  les  relations  du  monde  matériel  avec  le  monde 
de  l'esprit. 

Ce  sont  là,  de  toute  évidence,  les  deux  éléments  qui  se 
retrouvent  dans  toute  perception  et  dans  toute  représentation 
des  choses.  Notre  connaissance  de  Tunivers  est  une  relation 
établie  entre  ces  deux  réalités  :  notre  àme,  et  les  forces  exlé- 
rieurt's  qui  l'afTectent.  Mais  ces  deux  éléments  peuvent  se 
combiner  dans  des  proportions  très  variables.  C'est  là  que 
nous  prendrons  le  princiiDC  très  simple  d'une  classification 
qui  est  assurée  de  ne  laisser  échapper  aucun  des  modes  de 
représentation,  aucune  des  interprétations  du  monde  matériel. 
Toute  poésie  de  la  nature  peut  être  considérée  en  raison  de 
la  confusion  ou  de  la  distinction  qu'elle  suppose  entre  le 
monde  ot  l'âme,  ou,  pour  employer  une  autre  formule,  en 
raison  de  la  plus  ou  moins  grande  part  d'humanité  qu'elle 
voit  dans  les  choses. 


II 

Celles  de  ces  conceptions  qui  nous  paraissent  les  plus  sim- 
ples ne  sont  pas   celles  qu'a  d'abord    conçues  l'esprit  des 
hommes.  Ni  les  enfants  ni  les  races  jeunes  ne  distinguent  for- 
tein(;nt  la  diversité  de  ces  deux  moitiés  de  l'univers.  Les  pr^' 
mièrcs  poésies  les  confondent,  et  miMent  à  toute  réalité  maté- 
rielliî  une  intelli^^enco  et  une  sensibilité  humaines.  Le  résulta^ 
sera  divers  selon  l'aptitude  et  la  forme  d'esprit  des  races.  Pou^ 
l'âmt^  j^n-ecque,  avide  de  clarté  et  de  simplicité,  amoureuse  d** 
la  beauté  plastique,  toute  fière  de  l'harmonieux  épanouisse- 
ment de  rétro  humain  libre  et  fort  dans  une  nature  modén**^ 
et  propice,  le  problème  est  vite  résolu.  Tout  objet  enferme  ufï 
être  divin,  et  tout  être  divin  est  semblable  à  un  homme,  l^ 
Grèce  ignore  toute  réalité  extérieure  que  n'explique  pas  cet 
anthropomorphisme  à  la  fois  gracieux  et  grossier.  Il  n'y  ^ 
pour  elle  de  beauté,  il  n'y  a  de  réalité  que  dans  des  êtres  sem- 
blables à  ses  hommes  et  à  ses  femmes.  «  Un  arbre  n'est  qu^ 


LA  PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  349 

lois  à  brûler,  s'il  n'est  humanisé;  c'est  ce  que  les  Grecs 
avaient  bien  quand  ils  faisaient  palpiter  sous  son  écorce  les 
eins  étroitement  pressés  des  nymphes  qui  s'y  cachaient; 
[uand  ils  entendaient  dans  le  ramage  des  rivières  des  forêts 
0  bavardage  dos  dieux  *.  d 

V  un  autre  pôle  de  la  civilisation  et  de  l'esprit  humain; 
is  cet  Orient  où  les  forces  brutales  du  monde  pèsent  si 
irdement  sur  l'homme,  et  où  l'humaine  personnalité  a  peine 
prendre  conscience  d'elle-même,  la  conception  sera  difîé- 
ite.  La  poésie  de  l'Inde  place  dans  le  monde  extérieur  l'être 
la  puissance,  et  veut  noyer  l'unie  humaine  dans  la  vie  des 
oses.  En  réalité  elle  aboutit  à  peupler  la  nature  de  forces  à 
fois  confuses  et  violentes,  d'êtres  démesurés,  enfantés  par 
5  rêves  inquiets  et  vagues.  Complète  est  l'opposition  entre 
s  productions  et  les  divines  entités  aux  formes  précises  et 
rmonieuses  qui  animent  la  nature  et  la  poésie  des  Grecs, 
cependant  la  tendance  est  au  fond  la  même.  Dans  les  deux 
ces  se  retrouve  la  même  impuissance  à  isoler  les  deux  termes 
Hs.  Les  Hellènes  imposent  à  la  nature  un  caractère  humain 
rnple  et  lumineux,  comme  l'Orient  indien  projette  sur  Tuni- 
rs  les  visions  monstrueuses  et  complexes  de  ses  âmes  sub- 
tîs,  compliquées,  sans  personnalité  vigoureuse  K  —  L'anthro- 


0  A  tree*â  mère  tirewooil,  unless  humanised, 

Which  well  the  Greeks  knew  when  thcy  stirred  ils  bark 

Wilh  close-pressed  bosoms  of  subsiding  nymphs, 

And  made  the  foresl-rivers  garrulous 

With  babble  or  gods.  » 

(Elizabeth  B.  Browmxo,  Attrora  Leigh^  o'"  Bk.) 

:^  Vers  ne  rappellent-ils  pas  ceux  d*un  poète  plus  proche  du  paganisme 
'^'^-abeth  Browning? 

«  Escoute,  Bûcheron,  arreste  un  peu  le  bras  : 
Ce  ne  sont  pas  dus  bois  que  tu  jettes  A-bas; 
Ne  vois-tu  pas  le  sang  lequel  dégoûte  à  force 
Des  Nympbes  qui  vivaient  dessous  la  dure  cscorce?  - 
(Ronsard,  Contre  les  Bûcherons  de  la  Foresl  de  Gastine.) 

Mr.  Shairp  parait  avoir  noté  cette  analogie  sons  les  différences.  W 
^  présentes  à  l'esprit  les  deux  grandes  civilisations  aryennes,  celle  de 
^  et  celle  de  la  Grèce,  en  écrivant  :  «  When  the  Aryan  family  had 
^ed  tbeir  mythologising  era,  and,  owing  to  the  weakness  of  their 
^^cting  powers  and  the  slrength  of  untutored  imagination,  were 
^ing  the  appearances  of  earth  and  sky  inlo  tbeir  hiérarchies  of  gods, 
'^e  and  Imagination  were  face  to  face,  and  werc  ail  in  ail.  »  (On  the 
«c  Interprétation  of  Nature^  p.  24.) 


3S0  JAMES  THOMSON.  ] 

pomorphismo  grec  a  vécu.  La  poésie  moderne  n'y  revient] 
parfois  que  par  un  dilettantisme  érudil.  Il  n'était  pas  la  meil- 
leure part  du  patrimoine  artistique  du  noble  peuple.  Il  sacri- 1 
liait  la  nature  à  Thomme.  En  dépit  de  ses  mythes  charmants,  ' 
en  dépit  de  ses  contes  radieux,  de  cet  Olympe  dont  le  cnlte 
échappe  à  la  loi  de  l'abandon  fmal,  il  a  fermé  les  yeux  à  toute 
une  moitié  des  clioses  et  ne  nous  a  laissé  du  monde  qu'une 
conception  mesquine  et  faussée  *.  L'effort  de  Tesprit  indiens 
trouvé  au  contraire  un  renouveau  dans  notre  moderne  poésie. 
Shelloy,  comme  on  l'a  remarqué,  est  un  Indou  d'Occident*. 
Avec  une  autre  puissance  artistique  sans  doute  que  celle  des 
vieux  poètes  d'Asie,  il  nous  montre  la  résurrection  d'un  étal 
d'àme  primitif  des  Orientaux.  Il  a,  lui  aussi,  identiflé  son 
être  avec  les  existences  matérielles  qui  nous  entourent.  Il  a 
vouhi  vivre  de  la  vie  des  choses,  connaître  et  traduire  les 
élémentaires  sensations  des  forces  naturelles;  se  faire  tour  à 
tour  oiseau,  (leur  ou  nuage.  Le  résultat  —  qui  le  nierait? - 
a  été  Tune  des  plus  merveilleuses  œuvres  poétiques  qu'aucune 
littérature  ait  produites.  Mais  quand  on  prétend  faire  de  cette 
conception  le  terme  d'une  évolution,  l'aboutissement,  l'épa- 
nouissemc^nt  suprême  de  la  poésie  descriptive,  il  nous  semble 


1.  •>  Le  uioiule  fui  pour  Homère  la  srène  taulôt  agitée,  tan  loi  paisible, 
de  riniiiianiu.'.  (l'esl  à  l'homme  que  le  poète  s'intéresse  dans  TimmeDM 
univer-î.  Ce  u'csl  f>as  la  Nature  en  elle-même  qu'il  dépeint,  mais  la  Nature 
ûKiî^s'ant  .-iur  riiomm*'  et  l'homme  sur  la  Nature.  •  (Gkbiiart.  loc,  àt., 
p.  .')(»,  .*»7.) 

•  LJsing  Nature  as  a  backpround  or  setting  to  humaa  action  and 

émotion....  is  frc<iuent  in  thc  Uiad  and  cspccially  in  the  Odyssey-  ■ 
(Siiaihp,  On  tfir  Portic  Interprétation  of  Nature^  II.) 

Mr.  Huskin  indique  avec  précision  les  limites  assez  étroites  entre  les- 
quelles se  donne  carrière  dans  les  poèmes  homériques  l'observation  do 
monde  [Modem  Painters.  vol.  111,  chap.  xiii);  et  Schiller  va  jusqu'à  nier 
que  le  vieil  at'de  ail  eu  plus  de  sentiment  pour  la  nature  qae  pour  le  vête* 
ment  ou  le  bouclier  qu'il  décrivait  avec  un  égal  plaisir.  (Cité  par  Shairp 
loc.  cii.^  chap.  X,  p.  14G.) 

Kcoutons  enfin  sur  ce  sujet  l'opinion  de  M.  de  Laprade  :  «  La  Grèce  et 
Tanlliropomorphisme  onl  détruit  le  sentiment  de  la  Nature....  Le  fle»^* 
et  l'arbre,  pour  t^lre  déiliés  sous  forme  humaine,  ont  dû.  être  privés  de 
leur  caractère  d'arbre  et  de  fleuve.  Quand  leur  nom  mythologique  sera 
effacé,  quand  leur  eftigie  humaine  sera  brisée,  ils  resteront  quelque  chose 
sans  vie  et  sans  nom  ({ui  n'aura  plus  de  sif^nification  poétique  pour  I^^ 
peuples.  •  [Le  Sentiment  de  la  Nature  avant  le  Christianisme,  p.  310-312.) 

2.  On  peut  citer,  parmi  les  critiques  français  qui  ont  relevé  cette  an*" 
logie,  M.  G.  Sarrazin,  la  Benaissancc  de  la  Poésie  anglaise,  p.  45;  et  sur- 
tout M.  A.  Chcvrillon,  Dans  Vlnde,  p.  171,  172. 


LA   PHILOSOPHIE  DU   POËME.  351 

l'on  méconnaît  le  passé.  Le  mysticisme  naturaliste  de  Shelley 
3US  ramène  au  plus  ancien  mode  de  représentatiop  du  monde. 

Cette  conception  extrême  est  exceptionnelle.  En  voici  une 
X  contraire  qui  est  fréquente.  Le  poète  sait  qu'il  y  a  en  dehors 
B  rhomme  une  réalité  indépendante  de  lui  et  d'essence  très 
iiïérente.  Mais  il  croit  à  un  lieu  de  subordination  entre  ces 
très  inférieurs  et  l'àme  humaine.  Il  se  refuse  à  admettre  que 
1  nature  puisse  ignorer  le  drame  auquel  elle  fournit  un  cadre 
t  un  fond  de  scène.  Il  veut  trouver  une  vie  et  une  sympathie 
ans  la  matière.  Et,  non  pas  sans  doute  à  titre  permanent 
omme  dans  le  polythéisme  mythologique  des  Grecs,  mais 
ccidentellement  et  pour  faire  écho  à  ses  passions  et  à  ses 
motions,  il  voit  dans  l'univers  des  souffrances  ou  des  joies, 
es  ravissements  ou  des  plaisirs  semblables  aux  siens.  Ce  sera 
i  fa«:on  d'être,  en  face  de  la  nature,  des  écoles  et  des  époques 
ù  la  personnalité  de  Fhomme  prend  un  développement 
xcessif.  Ce  sera  un  des  traits  caractéristiques  de  ce  qu'il  nous 
lut  appeler,  faute  de  terme  plus  précis,  la  poésie  romantique*, 
[ais,  à  des  degrés  divers,  cette  tendance  à  colorer  les  choses 
es  reflets  qu'y  jettent  nos  sentiments  se  trouve  toujours 
ccompagner  l'expression  d'émotions  vives  et  profondes  K 

1.  Telle  est  bien  raltitude  de  Chateaubriand  en  face  de  la  nature.  Jamais 
ne  s'oublie  devant  elle.  Quand  il  Tobserve  et  la  décrit  c'est  pour  noter 
3  rapports  de  cette  grande  chose  avec  cette  autre  grandeur  :  l'Ame  de 
hateaubriand  ;  de  même  que  «  s'il  médite  sur  la  destinée  des  empires 
isparus  c'est  pour  découvrir  le  rapport  surprenant  de  la  ruine  des  plus 
randes  choses  et  de  l'inévitable  anéantissement  de  sa  personne  ».  (A.  Sorel, 
^rne  de  Staël,  p.  122,  123.) 

C'est  aussi  la  même  émotion  égoïste  et  théâtrale  que  manifesteront  ses 
isciples  :  Byron,  Lamartine,  de  Vigny,  etc.  Pour  trouver  des  exemples  de 
ette  déformation  dramatique  de  l'univers,  il  suffirait  d'ouvrir  au  hasard 
iurs  œuvres.  Le  noble  et  pur  poète  dont  nous  avons  plus  haut  repro- 
uit  quelques  vers  nous  fournira  une  unique  citation  : 

•  I watched  the  sun 

On  lurid  morns  or  monslrous  afternoons 

(Likc  some  Druidic  idol's  fiery  brass 

With  fixed  unflickering  outline  of  dead  beat, 

Prom  which  the  blood  of  wretches  pent  inside 

Seems  oozing  to  incarnadine  the  air) 

Push  ont  through  fog  with  his  dilated  disk. 

And  startle  the  slant  roofs  and  chimney  pots 

With  splashes  ot  Tierce  colour.  • 

(ËLiz.  B.  Bhowmno,  Aurora  Leigh,  Bk.  III.) 

2.  Bacon  a  été  si  frappé  de  cette  perversion  de  la  réalité  qu'il  y  voit  le 


3Sâ  JAMES  THOMSON. 

L'îime  alors  déborde  au  dehors  et  s'associe  violemment  la 
nature  *.  Le  lyrisme,  dans  tous  les  temps,  a  vu  les  choses  I 
travers  une  passion  qui  les  altère,  et  lors  même  qu'il  s'est 
elTorcé  de  les  distinguer  de  l'être  humain,  il  n'a  pu  jamaisqtt 
leur  prêter  des  sentiments  calqués  sur  les  nôtres.  En  toot 
temps  les  hommes  ont  cru  trouver  dans  le  monde  visible  nn 
accompajçnement  harmonieux  de  leurs  joies  ou  de  leurs  dou- 
leurs. Les  dramaturges  depuis  Sophocle  et  Euripide  %  et 
toute  la  longue  lignée  des  poètes  élégiaques  jusqu'à  Shelley  'ou 
Tennyson  ont  ol)servé  ou  ont  imaginé  dans  la  nature  une 
sympathie  avec  les  afîections  des  cœurs  humains.  Les  mêmes 
efîels  nous  paraissent  tour  à  tour  sombres  ou  riants  selon 
l'émotion  de  notre  àme.  Les  poètes  inviteront  successivement 
la  nature  à  prendre  le  deuil  quand  ils  pleurent,  et  à  se  parer 
de  ses  plus  brillantes  beautés  quand  ils  sont  heureux.  Quelle 
littérature  n'a  pas  eu,  après  les  vieux  poètes  siciliens  etafH« 


carucU're  essentit*!  de  la  poésie  :  •  Poetry  accommodâtes  Uic  «ihowsoî 
things  lo  Ihe  desires  of  tlie  mind.  -  (Cité  par  Emerson,  Poetry  and  Imaii- 
notion.) 

\.  La  poésie  n'est  pas  le  seul  des  arts  qui  soumette  la  nature  à  ces  défor- 
mations. M.  Ed.  Rod  trouve  dans  V Invocation  de  la  Nature  de  Berlioz  l»" 
mrme  c.iractèr<;  de  sensibilité  passionnée  que  dans  les  œuvres  littéraire^ 
do  SOS  contemporains  [Henry  licyle,  p.  95).  Les  arti.stes  qui  semblenî 
nstrrints  par  Ic^  <'(»nditions  de  leur  art  à  une  plus  exacte  fidélité  s'abao* 
donncrU  parTois  à  ces  délires  de  l'imagination.  Ruskin  admire  fort,  (lan< 
r«iMi\Te  de  Turncr.  le  J.ison  du  Liher  Studiontm,  Après  avoir  noté  TetTet 
puissant  du  dra}î»»n  «  upheavinj^  a  single  coil  -,  il  remarque  avec  enlhoH- 
siasm»»  que  le  peintre.  •  pour  s'assurer  de  nous,  pour  nous  forcer,  mêiDC 
malgré  nous,  à  i«;  suivre,  a  fendu,  ouvert  et  tordu  les  troncs  des  arbrr^ 
en  télcs  cl  en  corps,  et  a  répandu  dans  tout  ce  qui  nous  entoure  une  énergie 
•  dragoncsque  •.  {Madeni  l'aniters,  II,  u.  p.  84,  85.)  —  On  trouverait  tian"' 
plus  d'une  plancha  de  1'  «  Enfer  •  de  (i.  Doré  le  même  caractère. 

2.  •  LesTrar.hiniennes  »,  vers  M'i;  <■  Electre  ■,vers  10";  •  Hercule  furieux  • 
vers  781,  olc  Voir  (iKiniAUT,  fht.  sentiment  de  ta  Nature^  etc.,  p.  TO,  "î<. 

:i.  Il  n'est  pas  toujours  en  effet  le  poêle  que  nous  signalions  plus  haut- 
Si  l'effort  pour  perdre  sa  personnalité  dans  les  choses  est  ce  qui  domioi' 
et  nous  frappe  en  lui,  dans  bien  des  «iuvres  cependant  sa  personnalil»* 
h'afliruie,  au  point  m»^me  parfois  d'asservir  le  monde  à  sa  passion.  A  »* 
mort  d'Adonais 

•  Morning  sougbt 

lier  easlern  walch-to>ver,  and  her  haïr  unbound, 
Wet  >Nill)  the  lears  which  sliould  adorn  the  ground, 
Dimm'd  the  aerial  eyes  Ihat  kindle  the  day  : 
Afar  the  melanoholy  Ihunder  moan'd, 
Pale  Océan  in  unquiet  slumber  lay, 

And  the  wild  vvinds  llew  round,  sobbing  in  thcir  dîsma>.  * 

{AdonaiSj  XIV.)* 


IT 


li' 


LA  PHILOSOPHIE  DU  POÈME.  353 

çile  leur  imitateur,  ses  «  jeunes  victimes  »  pleurées  par  les 
rs,  les  sources  et  les  dryades?  Quelle  muse  erotique  ou 
iique  n'a  pas  fait  de  la  joie  des  choses  le  cadre  rayonnant 
bonheur  humain*?  —  Alors  même  que  la  poésie  oppose, 
louloureusement,  et  là  orgueilleusement,  l'homme  à  la 
ire,  pour  constater  la  fragilité  ou  la  grandeur  morale  de 
,  rimmobilité  et  Tinlinie  puissance  de  l'autre,  elle  anime 
ours  de  sentiments  semblables  aux  nôtres  cet  objet  de  son 
liration  ou  de  sa  haine  *.  Il  n'y  a  au  fond  pas  plus  de  pué- 
humanisation  dans  les  adjurations  de  Lamartine  invitant 
ic,  les  rochers,  les  grottes  et  les  forêts  à  conserver  le  sou- 
ir  de  ses  amours,  que  dans  la  résignation  mélancolique 
lympio  %  ou  dans  les  apostrophes  révoltées  de  Vigny  s'in- 

Ce  -  motif  »  joyeux  est  moinâ  fréquent  du  reste  que  l'autre.  ^Est-ce 
3  que  nous  éprouvons  moins  le  besoin  de  faire  partager  notre  allé- 
se  aux  choses  que  celui  de  nous  soulager  sur  elles  d'une  partie  de 
louleurs?)  L'Anacréon  anglais,  H.  Herrick^estde  ceux  qui  en  ont  tiré  les 
heureux  effets.  Voyez  la  pièce  où  il  invite  les  fleurs  à  célébrer  le  retour 
iantê  de  sa  maîtresse  : 

«  Droop,  droop  no  more,  or  hang  tho  hend, 

Ye  roses  almost  wilhercd; 
New  strength  and  newer  purple  get, 

Each  hère  declining  violet.  • 

{Hesperides.  On  Julia's  Recovery.) 

»  Je  roule  avec  dédain,  sans  voir  et  sans  entendre, 

A  côté  des  fourmis  les  populations, 

Je  ne  distingue  pas  leur  terrier  de  leur  cendre, 

J'ignore,  en  les  portant,  les  noms  des  nations. 

On  me  dit  une  mère  et  je  suis  une  tombe. 

Mon  hiver  prend  vos  morts  comme  son  hécatombe, 

Mon  printemps  ne  sent  pas  vos  adorations. 

C'est  là  ce  que  me  dit  sa  voix  triste  et  superbe, 
Et  dans  mon  cœur  alors  je  la  hais;  et  je  vois 
Notre  sang  dans  son  onde,  et  nos  morts  dans  son  herbe, 
Nourrissant  de  leurs  sucs  la  racine  des  bois.  » 

(Alfred  dk  Vigny,  La  Maison  du  Berger,) 

C'est  aussi  Tattilude  de  Ronsard,  et  Tune  des  formes  par  lesquelles 
trime  cette  mélancolie  où  Sainle-Ucuve  a  relevé  autant  d'insouciance 
le  tristesse.  {Le  xvr  siècle,  p.  "6,  note  i.)  Le  critique  cependant  n'a  pas 
c  morceau  peut-t'tre  où  ce  sentiment  apparaît  le  plus  poétiquement  : 

•  Rochers,  bien  que  soyez  dgcz 

De  trois  mil  ans,  vous  ne  changez 

Jamais  uy  d'estat  ny  de  forme  : 

Mais  toujours  ma  jeunesse  fuit, 

Et  la  vieillesse  qui  me  suit. 

De  jeune  en  vieillard  me  transforme.  » 

l'ode  se  continue,  prolongeant  l'antithèse  et  apostrophant  tour  à  tour  : 

23 


354  JAMES  THOMSON. 

(lignant  que  la  Nature  demeure  sereine  en  face  des  éphémères 
et  douloureuses  destinées  humaines. 

Dautres  esprits  s'élèvent  au-dessus  de  cette  conceptioD 
égoïste  et,  à  la  bi<*u  considérer,  mesquine  et  frivole.  Ils  ne  veu- 
lent pas  voir  dans  Tunivers  immense  un  simple  miroir  où  se 
contemple  Thumaine  vanité  *.  Ils  ne  s'indignent  \)as  non  pios 
que  les  choses,  poursuivant  leur  impassible  destinée,  restenl 
étranj^ères  et  insensibles  à  nus  passions.  Ils  reconnaissent  et 
îiflirment  la  distinction  absolue  des  deux  mondes;  et  à  lespril 
de  riioimne,  ils  opposent  Tesprit  qui  soutient  et  régit  le  monde 
matériel,  lumx  conceptions  peuvent  satisfaire  ce  besoin  d'établir 
un  intervalle  bien  tranché  entre  Tunivers  et  Thomine.  Lune 
est  inspirée  par  un  spiritualisme  profond,  Tautre  par  un  amour 
intense  de  la  nature. 

La  |»rernit're  est  celle  qui  observe  avant  tout  dans  la  nature 
ruMivre  d'un  Dieu  personnel,  dont  la  volonté  toute-puissante» 
créé  les  choses,  <lont  la  Providence  les  conserve  et  les  gou- 
verne. I/univers  vaulaloi'sà  nos  yeux  comme  témoignage  de  la 
grandeur  de  son  auteur.  C'est  la  tliéorie  qui  ressort  de  toute  la 
poésie  (le  la  lUble.  Le  monde  y  est  a  comme  une  salle  extérieure 
u  où  se  laissi*  parfois  apercevoir  le  souverain  mystérieux  qui 
«  hahih*  au  delà  -  ».  C(»tte  vue  des  choses  ne  laisse  aucun  rôlea 

«.  \hn>  ••,  «  Anlivs  •  cl  •  Urules  '.  (O/^'.v,  XXIII  :  ■  (Juand  je  suis  vint'l  i'" 
trcnli*  iiioi^  •,  clo 

Viclnr  Flu^'o  iTailleur^  a  p.irfoi;?,  un  fane  tlii  mystère  et  d(*B  Irisli'SsCS ''' 
la  naliire.  une  altitude  plus  virile  et  plus  tièrc  (|ue  celle  dM)lym|>io  ' 

••   Le  riel  est  trouble.  ob?iMir,  niNslérieux;  qu*imporlc? 
Rien  de  jusle  ne  frjppe  en  vain  à  celle  porte. 
I.a  plainte  e>t  un  vain  cri,  le  mal  est  un  mot  creux, 
.l'ai  reni[»li  nnui  di^vuir,  c'est  lion,  je  souffre  heureux.  » 

(L'Année  terrible.) 

1.  "  ï  now  aftirm  of  Nature  and  of  Trutli, 

Whoui  I  liave  served,  thaï  their  Divinity 
Itevolts,  olTendod  al  the  \\a\s  uf  men. 
IMiilosophtM's.  wliotliou^h  the   hunian  soûl 
|{e  of  a  lliousand  faculties  composcd, 
And  twier  ton  thousand  inlerests,  do  yet  prize 
This  «oui,  and  the  iran>cendent  universe 
.No  mort'  tlian  as  a  mirror  thnt  reHeots 
To  proud  Scir-!ove  lier  own  intellijjence.  « 

Ce  sont  Ci'>  vers  de  Wordsworlh  «|nc  Kuskin  a  choisis  pour  épigW'^ 
«le  sou  hrau  livre  Modnn  Puintcrs. 
2.  Kxprcssion  do  .Mr.  Shairp. 


LA   PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  355 

î  obsen'ation  complaisante,  à  une  description  de  la  nature. 

détails  dès  lors  et  les  formes  précises  importent  moins  que 
vastes  ensembles  et  les  grands  mouvements.  C'est  dans  le 
nerre  ou  dans  le  mugissement  de  la  tempête  plutôt  que 
is  le  murmure  du  ruisseau-  que  s'entend  la  voix  du  Tout- 
issant  *.  L'immensité  du  désert  ou  de  la  mer  parle  de  lui 
s  éloquemment  que  la  source  ou  la  fleur  '.  Mais  jamais  la 
lire  n'est  par  elle-même  un  objet  digne  de  la  contemplation 
1  hommes.  —  Cet  état  d'unie  qui  subordonne  si  radicalement 
Tionde  visible  au  pur  esprit  n'est  pas  propice  à  l'art.  Il  est  le 
me  qui,  dans  la  civilisation  musulmane,  aboutit  à  éliminer 
ite  représentation  directe  des  choses.  Et  si  le  lyrisme  biblique 
iferme  en  grand  nombre  des  peintures  merveilleusement 
ictes  dans  leur  concision,  on  peut  dire  cependant  que  la 
escription  »  du  Livre  saint  ne  compte  pas  parmi  les  notables 
erprétations  de  la  nature,  parce  qu'il  y  manque  le  sens  d'une 
indeur  indépendante  dans  le  monde  des  choses,  et  une  sym- 
thie  pour  ces  existences  inférieures. 
Parmi  les  poètes  modernes  il  en  est  beaucoup  qui  ont  ainsi 

dans  l'observation  des  créatures  l'occasion  d'un  hvmne 
donation  au  Créateur.  Mais  chez  eux  également  nous  pou- 
ls noter  combien  la  préoccupation  exclusive  de  cette  dépen- 
icedu  monde  nuit  à  l'interprétation  artistique.  Chez  Cowper, 
>lus  religieux  des  écrivains  qui  nous  aient  donné  d'abondantes 
icriptions,  la  poésie  de  la  nature  ne  s'élève  jamais  au-dessus 
n  niveau  familier,  moyen,  presque  médiocre.  On  sent  que 
n'est  pas  là  que  jaillissent  pour  lïime  du  poète  les  sources 
Jt'ondes  d'émotion.  On  a  pu  se  demander  si  l'auteur  de  ces 
•Icaux  aimables  et  exacts  eut  réellement  au  cœur  l'amour  de 
nature  -. 

juand  cet  amour  au  contraire  est  puissant,  le  besoin  d'idéa- 
ilion  auquel  il  s'associe  d'habitude  aboutit  à  une  autre  con- 
Hion.  C'est  dans  le  monde  lui-même  que  le  penseur  place 

•  «  La  voix  du  Seigneur  a  tonné   dans  sa  vertu  et   sa  magnificence. 
)t  elle  (pli  hrise  les  cèdres,  cVst  elle  qui  éteint  Ui^  flammes,  c'est  elle 
ébranle  les  déserts.  »  (Psaume  XXVIII.) 

.  •  l)ieu  est  admirable  dans  les  hautes  mers  »  (Mirabilis  in  altis 
niuus).  (Psaume  XCIl.) 

.  -  Keble  does  nol  believe  iu  Cowper's  love  of  nature,  aud  opp"'ses  Ihc 
borate  Evening,  in  the  IV  "*  Book  of  IheTask,  to  Bnrns^s  pastoral  cliant 
Uainiy  Davie,  •  (Siiaihp,  On  the  Poetic  Interpret.^  cbap.  xiii.) 


3S6  JAMES  TROIISON. 

alors  le  principe  de  vie  et  de  grandeur.  Il  aboutit  au  panthéisme 
naturaliste.  Son  enthousiasme,  refusant  également  de  sabo^ 
donner  Tunivers  à  l'homme  et  de  le  sacrifier  à  Dieu,  élève  le 
monde  lui-même  à  la  suprême  dignité.  Cette  déification  se  pro- 
duit quelquefois  à  Tinsu  du  poète.  Elle  peut  être  en  contradic- 
tion avec  les  croyances  philosophiques  ou  religieuses  qu'il  pro- 
fesse. Elle  se  superpose  aux  négations  matérialistes  de  Lucrèce, 
comme  à  la  foi  chrétienne  de  Wordsworth.  C'est  elle  qui, 
depuis  ce  dernier,  est  demeurée  la  conception  fondamentale  de 
la  poésie  descriptive.  Elle  a  consacré  l'importance  extraordi- 
naire donnée  à  1  étude  et  à  la  représentation  des  choses  dans 
nos  littératures.  Ellejustifie  toute  l'admiration  et  tous  les  trans- 
ports des  modernes  peintres  de  l'univers.  Elle  ouvre  en  même 
temps  au  poète  philosophe  un  champ  illimité  de  recherches  et 
de  découvertes.  Cette  réalité  unique  et  divine  qui,  «  diffuse 
a  parmi  les  choses,  a  son  séjour  dans  la  lumière  des  soleils  cou- 
«  chants,  dans  le  cercle  de  locéan,  dans  l'air  vivant,  et  dans  le 
a  ciel  hleu  *  )>,  sollicite  de  Thonime  un  eflbrt  pour  la  pénétrer, 
la  fixer  et  la  comprendre.  «  Ne  pouvons-nous  pas  espérer... 
a  que  nous  y  gagnerons  un  pouvoir  nouveau  de  communier 
<(  avec  le  monde  invisible  d'entendre  le  courant  puissant 
((  des  choses  qui  tendent  à  leurs  fins  parler,  pour  l'éléva- 
(c  tion  de  notre  pensée,  d'une  voix  claire  et  sonore?*  •  Et 
la  tâche  du  poète  est  alors  de  prêter  l'oreille  à  cette  voix 
mystérieuse,  de  pénétrer  jusqu'à  la  réalité  qui  se  cache  sous 


1.  •  And  1  hâve  fell 

A  présence  thaï  dislurbs  me  wilh  Ihe  joy 
or  olevated  Ihoughls;  a  sensé  subh'me 
Of  someUiinp  far  more  deeply  interfused, 
Whose  dwelling  is  the  lighl  of  setting  suns, 
Aud  thc  ronnd  océan,  and  the  living  air. 
And  Uie  hhie  sky,  and  in  the  mind  of  man; 
A  motion  and  a  spirit  thaï  impels 
Ali  thinking  things,  al!  objects  of  ail  thought, 
And  roUs  through  ail  things.  - 
(WoRDswoHTii,  Lines  composed  a  few  miles  above  Tintern  Abhey. 

2.  •  ....  And  may  it  net  be  hoped.... 
....  Ihat  \\e  hcreby,  should  gain 

Fresh  powcr  to  commune  wilh  the  invisible  world. 
And  hear  the  mighty  stream  of  tendency 
Uttering,  for  élévation  of  oiir  thought, 
A  ciear  sonorous  voice?  »  etc. 

(Wordsworth,  The  Excursion,  Bk.  ÎX.) 


LA  PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  3S1 

apparences  :  «  de  voir  sous  la  robe  flottante  la  ferme 
t  sul]3tance  *  b.  Les  descriptions  de  la  nature  nous  paraîtront 
>elles,  en  raison  de  la  puissance  avec  laquelle  elles  auront 
ttteint  et  révélé  une  partie  de  la  vie  profonde  des  choses.  Et 
î'est  pour  avoir  fourni  plus  .que  nul  autre  ces  observations 
livinatrices  que  Wordsworth  méritera  d'être  considéré  comme 
e  plus  grand  des  interprètes  du  monde  sensible. 

La  doctrine  est  hardie.  Elle  est  propre  assurément  à 
rehausser  Tàme  de  l'artiste  et  à  grandir  par  là  même  le  carac- 
tère et  la  beauté  de  son  œuvre.  Mais  elle  est  difficilement  con- 
siliableavec  Torthodoxie  chrétienne.  Aussi  voyons-nous  plu- 
sieurs disciples  de  Wordsworth  s'efforcer  de  conserver  de 
l'enseignement  du  maître  la  haute  conception  quMl  apportait 
lu  monde,  sans  cependant  accepter  sa  déification  de  la  nature 
par  le  panthéisme.  Le  monde  alors  est  un  signe,  un  intermé- 
liaire  entre  l'homme  et  une  réalité  supérieure  qui  lui  parle  par 
toutes  les  apparences  matérielles  *.  Quelle  est  celte  réalité?  On 
sent  bien,  malgré  les  précautions  prises  pour  éviter  une  con- 
3lusion  métaphysique,  que  les  uns  la  trouveraient  dans  un 

i.  •  He  is  the  poet,  and  shall  draw  witli  love  and  terror,  who  sees, 
Ihrough  tlie  flowing  vesl»  thc  firm  nature  and  can  déclare  il.  »  {Eurr^os, 
The  Poe  t.) 

3.  «  Poctry  is  the  perpétuai  endcavour  to  express  the  spirit  of  the 
Ihing,  to  pass  the  hrnte  body,  and  scarch  tlic  life  and  reason  which  cause 
it  to  cxist.  *>  (Kmekso^t,  Poelnj  ami  Imagination.) 

«  The  poet  did  not  stop  at  the  colour  or  the  form,  but  read  their  mean- 
ing.  •  (Emersom,  The  Poet,) 

Les  écrivains  sacrés  ont  parfois  émis  des  pensées  qui  sont  singulière- 
ment voisines  de  cette  conception  :  *  Ce  qui  est  invisible  en  Dieu,  se  voit 
et  se  comprend  par  ce  qui  a  été  créé  dans  le  monde.  »  (Saint  Paal,  Ad 
Hom.j  I,  20.)  —  •  Per  similitudinem  sensibih'uui  rerum  in  divina  Scriptura 
'es  spirituales  nobis  dcscril>uutur.  »  (Saint  Thomas  d'Aquin,  3*  p.,  q.  IX, 
\,  IV,  in  c,  art.)  C'est  le  point  de  départ  de  la  science  religieuse  du  sym- 
bolisme. .Mgr  de  la  Bouillerie,  qui  nous  fournit  ces  deux  citations,  a  voulu 
endre  quelque  faveur  à  cette  science  où  s'est  complu  le  moyen  Age.  II 
lanifestc  Tespoir  (Le  Symbolisme  de  la  \ature,  p.  11)  que  les  enseigne- 
nents  du  symbolisme  s'ajouteront  utilement  à  l'observation  et  à  Tamour 
e  la  nature.  Mais  Timpression  produite  par  son  livre,  c'est  qu'il  n'y  a 
icn  de  commun  entre  la  contemplation  artistique  et  cette  étude  hagio» 
;raphique  des  choses.  Le  symbolisme  sacré  voit  dans  l'univers  ane  sorte 
l'immense  blason.  Les  sens  attachés  aux  signes  leur  sont  attribués  p^ir 
m  enseignement  extérieur  qui  tient  faiblement  compte  de  leurs  caractères 
lalurels.  Et  le  monde  réel,  objet  d'étude  et  d'émotion  esthétique,  dispa- 
raît sous  la  végétation  extraordinairement  toulTue  des  symboles  que  la 
iltératurc  sacrée  y  a  peu  à  peu  accumulés. 


358  JAMES  THOMSON. 

Dieu-providence  extérieur  et  supérieur  à  la  nature,  les  autres 
dans  une  force  immanente  animant  les  corps  célestes  et  se 
manifestant  aussi  dans  la  moindre  créature.  Mais  les  poètes  de 
ce  groupe  s'attachent  seulement  à  affirmer  que  ce  monde 
visible  est  un  symbole  d*une  réalité  distincte  et  qu'il  y  a  pour 
rhomme  d'innombrables  et  précieuses  leçons  à  recueillir  de 
l'observation  des  choses. 

a  II  n'est  pas  une  fleur  du  Printemps,  de  celles  qui  raeu- 
a  rent  avant  juin,  qui  n'ait  l'orgueil  d'être  alliée  par  sa  fin 
«  et  son  symbole,  par  son  sens  et  par  son  harmonie,  avec 
«  le  monde  spirituel  qui  s'étend  au  delà  des  limites  de  cel 
«  espace  et  de  ce  temps  auxquels  nous  sommes  enchaînés. 
<L  Qu'à  cette  fleur  les  poètes  donnent  une  voix  avec  un  sens 
«  humain;  sinon  ils  n'ont  pas  su  lire  la  pensée  *.  i» 

Cette  doctrine  très  haute  et  très  noble  réserve  cependant 
encore  à  la  création  un  rôle  subordonné.  Si  les  choses  ont  sur 
nous  un  tel  pouvoir  d'éducation;  si  nous  pouvons  lire  en  elles 
la  réponse  aux  grandes  questions  que  se  pose  notre  raison, 
comment  échapper  à  cette  conclusion  (ju'elles  sont  faites  pour 
nous,  qu'elles  ont  leur  finalité  dans  leur  influence  sur  nos  Ames 
et  dans  les  enseignements  qu'elles  nous  apportent?  Et,  par  un 
long  délour,  nous  sommes  ainsi  ramenés  à  cette  même  concep- 
tion dont  la  doctrine  avait  voulu  s'écarter.  La  nature  nous  est 
ici  encore  présentée  comme  subordonnée  à  l'homme,  et  comme 
teinte  du  reflet  de  nos  âmes.  —  Au  total  donc,  aucun  des  sys- 
tèmes i:)roposés  pour  déterminer  les  rapports  qui  unissent  les 
choses  matérielles  et  resj^rit,  n'échappe  à  ce  dilemme  :  ou 
subordonner  absolument,  quoi  qu'il  en  puisse  coûter  à  l'art, 
le  monde  physique  à  une  existence  spirituelle  et  supérieure,  ou 
y  introduire,  par  une  inconsciente  supercherie,  un  élément 
spirituel  qui  ne  peut  être  autre  chose  que  notre  âme. 


J.  «...   Tlicrc's  Mot  a  llower  of  Spring 

Tliat  dios  orc  Jiinc,  bulvaunlâ  ilselfallicd 
By  is>?iie  and  symbol.  by  significancc 
And  correspondeiice.  lo  Ihat  spirit-world 
Outsidc  llic  limits  of  our  space  and  Umc, 
Wherclo  we  are  boiind.  —  Let  poels  givc  it  voicc 
Wilh  liiiman  rneanings.  —  else  Ihey  miss  Uie  thoiight.  " 
(Kliz.  B.  Bmowmm;.  Ainora  Leiyhf  Bk.  V.) 


LA  PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  359 


III 


Mais  est-il  donc  indispensable  que  le  poète  s'arrête  à  Tune  de 
'es  explications  métaphysiques  de  l'univers?  Demande-t-on  au 
Peintre  d'avoir  une  opinion  sur  ces  questions  transcendantes? 
Le  monde  des  apparences  qu'atteint  nos  sens  ne  suffit-il  pas  à 
ilimenter  notre  soif  de  beauté?  Thomson  l'a  pensé,  et  dans  son 
poème  consacré  à  la  Nature,  nous  trouvons  partout  la  trace 
l'une  admiration  émue,  mais  nulle  part  l'influence  des  doc- 
trines que  nous  venons  de  passer  en  revue.  Reconnaissons  que 
ce  n'est  pas  là  le  jugement  qu'ont  porté  tous  les  critiques.  On 
a,  au  contraire,  relevé  dans  le  poème  tantôt  la  preuve  d'une 
foi  spiritualisle  et  chrétienne,  et  tantôt  celle  d'un  panthéisme 
l>iju  déguisé.  Les  deux  affirmations  sont  également  fondées,  et 
leur  opposition  doit  nous  mettre  en  garde  contre  la  valeur  de 
ces  constatations.  Sans  doute  quelques  passages  des  «  Saisons  » 
et  de  l'Hymne  final  ont  un  accent  nettement  religieux,  comme 
d'autres  professent  la  croyance  à  une  force  intérieure  qui  ani- 
merait et  expliquerait  le  monde.  Mais  ces  morceaux  sont  des 
amplifications  ajoutées  au  tableau  de  la  nature  et  ne  font  pas 
corps  avec  lui.  Les  doctrines,  du  reste  contradictoires,  qu'ils 
énoncent  ne  pénètrent  ni  ne  colorentMes  faits  rapportés  par  le 
poète  de  son  observation  des  choses.  On  pourrait  retrancher 
de  l'œuvre  tous  ces  passages.  On  aurait  fait  disparaître  quel- 
ques riches  déclamations  et  plusieurs  beaux  vers.  Mais  on 
n'aurait  pas  atteint  le  poème  dans  ce  qu'il  a  d'essentiel,  de 
sincère  et  de  vraiment  caractéristique.  Thomson  a  mêlé  à  ses 
descriptions  quelques  développements  d'un  thème  courant. 
Mais  il  serait  également  inexact  de  voir  en  lui  comme  en 
Jlowper,  un  de  ces  poètes  chez  qui  la  pensée  de  la  Providence 
Jomine  toute  observation  des  créatures,  ou  de  le  mettre  au 
lonibre  de  ces  penseurs  qui,  comme  Wordsworth,  ont  mêlé  à 
/amour  des  choses  un  mystique  besoin  d'élévation  et  de  divi- 
nisation de  la  nature.  Rien  en  lui  ne  vient  altérer  ou  contreba- 
lancer l'admiration  du  monde  sensible.  L'étude  approfondie  de 
lœuvre  nous  le  dirait,  si  du  reste  nous  ne  le  savions  d'autre 
Ijart.  A  l'époque  où  il  écrivait  cette  magnifique  prière  qui  clôt 
le  poème,  il  avait  perdu  la  foi  chrétienne.  Le  déisme  auquel 


360  JAMES  THOMSON. 

semble  s'être  alors  arrêté  son  esprit  était  de  nature  fort  incer- 
taine et  vague,  puisqu'il  flotte  entre  la  notion  d'un  Dieu  provi- 
dentiel et  celle  d'une  substance  infinie  inhérente  aux  choses 
elles-mêmes.  Mais  il  n'avait  pas  besoin  de  préciser  rigoureuse- 
ment ses  idées  sur  ces  questions  de  haute  philosophie  pour 
goûter,  de  toutes  les  forces  de  sa  faculté  d  émotion,  les  beautés 
de  l'univers. 

II  faut  entendre  cependant  qu'il  n'en  subit  pas  le  charme 
avec  le  passif  abandon  qui  suffit  à  une  jouissance  épicurienne. 
C'haucer  par  exemple  s'enivre  des  joies  du  printemps,  du  jeune 
soleil,  de  la  verdure  nouvelle  et  des  fleurs  fraîches  écloses, 
avec  une  naïve  et  superficielle  sensualité.  Thomson  a  de  plus 
le  sentiment  que  la  nature  est  un  tout  grandiose.  Il  ne  sait  pas 
quelle  en  est  l'ultime  substance.  Mais  il  sent  que  chacun  des 
phénomènes  est  étroitement  lié  à  d'autres;  qu'il  y  a  là  unesérie 
de  faits  enchaînés  dont  aucun  ne  peut  sans  violence  être  abso- 
lument isolé.  Il  croit  à  une  vie  du  monde  avec  son  développe- 
ment nécessaire.  Il  associe  chaque  fait  présent  à  ceux  qui  Font 
précédé  et  à  ceux  qui  le  suivront.  A  son  observation  de  l'uni- 
vers il  ne  mêle  pas,  comme  de  brillantes  broderies  à  un  tissu, 
les  spéculations  métaphysiques;  mais  il  a  quelque  chose  de  la 
méthode  du  savant  qui  reconnaît  dans  chaque  phénomène  un 
anneau  d'une  chaîne. 

Cette  façon  de  considérer  la  nature  n'a  pas  toujours  trouvé 
faveur  en  notre  siècle.  Klle  manque  d'héroïsme  et  de  pathétique'. 
Voir  les  choses  exactement,  reproduire  fidèlement  leur  carac- 
tère et  l'émotion  qu'elles  suggèrent,  cela  paraît  à  certaine  esthé- 
tique une  plate  attitude  en  face  du  monde.  Nous  voulons  que 
cette  contemplation  fasse  naître  chez  le  poète  autre  chose 
qu'une  jouissance  d'artiste.  Il  faut  qu'elle  ébranle  toute  son 
âme,  et  il  n'est  pas  mal  qu'elle  la  bouleverse.  Il  faut  que  les 
choses  qu'il  voit  posent  en  face  de  lui  le  torturant  problème 
des  choses  invisibles.  Il  faut  qu'il  oit  l'angoisse  de  l'au-delà, 
et  (]u'il  nous  fournisse  une  réponse  aux  questions  qui  nous 


1.  «  Ces  riMlisles  onl  pliitôl  la  sensation  que  le  senlimentde  la  nature. - 
(Gedhart,  p.  U-iO.) 

•  Thu8,  Thomson's  Scasons  uud  the  best  parts  of  many  old  an<l 
many  new  poets  are  simply  enumerations  bya  person  who  felt  thecomnn»" 
sights  and  soiinds,  without  any  attempt  to  draw  a  moral  or  affî^  ' 
mcaning.  •  (EvKHso.f.  Poctry  and  Imagination.) 


Lk  PHILOSOPHIE  DU    POÈME.  361 

obsèdent»  Nous  lui  demandons  de  plonger,  comme  le  héros 
le  la  ballade,  loin  au-dessous  de  la  claire  surface,  pour 
lous  rapporter  du  fond  de  Tabîme  la  coupe  royale,  le  savoir 
ibsolu. 

Loin  de  nous  la  pensée  de  protester  contre  ces  exigences,  ni 
^ntre  la  haute  idée  qu'a  pu  se  faire  la  poésie  de  sa  mission  et 
le  son  pouvoir.  Si  elle  a  été  le  jouet  d'illusions,  nous  leur 
levons  plusieurs  des  plus  fiéres  inspirations  et  des  plus  purs 
îhefe-d  œuvre  des  littératures  modernes.  Mais  nous  demandons 
s'il  n'y  a  pas  quelque  injustice  à  condamner  les  poètes  qui  se 
placent  en  face  de  la  nature  comme  le  peintre  en  face  d'un  site 
iéterminé,  pour  l'observer  avec  leurs  sens,  avec  leur  faculté 
l'admiration,  avec  toute  leur  sensibilité,  mais  non  pas  pour  y 
chercher  occasion  aux  révélations  d'une  faculté  transcendante. 
La  perception  et  l'intelligence  des  formes,  des  couleurs  ou  des 
>ons,  et  la  reproduction  de  ces  sensations  en  une  image  propre 
i  éveiller  chez  d'autres  l'émotion  qui  l'a  suggérée  ne  peuvent- 
îlles  pas  suffire  aussi  à  l'efîort  artistique  de  l'écrivain*?  Pour 
ivoir  le  droit  de  dénoncer  la  médiocrité  et  l'insulUsance  de  ce 
rôle  du  poète,  il  faudrait  prouver  que  les  théories  plus  ambi- 
ieuses  soient  en  possession  certaine  de  la  vérité.  La  tache  ne 
>erait  pas  aisée. 

II  semble  bien  qu'elles  ne  fassent  point  autre  chose  que  verser 
Jans  le  monde  une  partie  de  l'humanité  que  seule  elles  connais- 
sent directement.  Et  c'est  ce  quelque  chose  d'humain  qu'elles 
retrouvent  avec  ravissement,  qu'elles  découvrent  avec  un  res- 
pect étonné,  qu'elles  proclament  supérieur  et  divin.  A  tous  les 
d^rés,  cette  humanisation  de  la  réalité  est  légitime,  si  nous 
reconnaissons  qu'elle  est  purement  lyrique  et  dramatique  *.  A 


1.  Demandons  un  exemple  au  plus  ^rand  des  dramalurp^es,  et  un  autre 
i  l'un  des  plus  parfaits  poètes  lyriques. 

Shakespeare  qui  fait  un  très  grand,  très  puiiisaut  et  très  légitime  usage 
le  cette  transformation  des  choses,  la  présente  hien  comme  subjective, 
-ar  c'est  par  là  qu'elle  prend  une  valeur  dramatique  : 

•  Methought  the  billows  spoke  and  told  me  of  it, 
The  winds  did  sing  it  to  me,  and  the  thunder, 
Thnt  deep  and  drcadfui  organ-pipe,  pronounced 
The  name  of  Prosper  :  it  did  hass  my  trespass.  » 

{The  Tempest,  art.  III,  se.  m,  96-99.) 

Kt  Burns,  dont  le  bon  sens  robuste   répugne  à  asservir  Tunivcrs  aux 


862  JAMES  THOMSON.  I 

aucun  degré  elle  n'a  le  droit  de  s'imposer  comme  une  révéla-  W- 
lion  de  l'absolue  vérité.  Les  distinctions  que  Ton  s'est  efforcé  ■ 
d'établir  entre  l'imagination,  mère  de  mensonges,  et  l'imagiDi"  S 
tion,  source  de  savoir  certain,  sont  aussi  fragiles  qu'ingénieuses.  I 
Leigh  Hunt  ',  Kmerson  *  et  Uuskin  '  se  sont  évertués  à  séparer  I 
comme  choses  entièrement  diverses  deux  pouvoirs  différente  1 
d'imaginer  sous  les  noms  de  a  iancy  »  et  d'  «  imagination».  1 
Uuskin  insiste,  avec  son  éloquente  dialectique,  sur  le  danger  1 
de  a  Terreur  pathétique  d,  de  celle  qui  nous  fait  voir  dans  les  I 
choses  des  caractères  que  nous  leur  prêtons  gratuitement;  I 
tandis  que  «   l'imagination   pénétrative  n  saisit  vraiment  la   | 
nature  intime  et  la  profonde  réalité.  M.  Angeliier  a  montré  1 
avec  une  rigueur  qui  nous  paraît  irréfutable,  l'inanité  de  ces 
distinctions  *.  On  est  étonné  dès  lors  qu'il  s'arrête  lui-même  à   I 
une  doctrine  peu  dilTérente  de  celle  de  Ruskin.  Sur  quoi  peut- 
on  fonder  philosophiquement  ou  scientifiquement  cette  pré- 
tendue clairvoyance  d'un  poète-prophète  tel  que  Wordsworth"? 
Où  est  le  critérium  qui  permettra  de  savoir  quand  il  a  vraiment 
extrait  des  clioses  une  partie  de  leur  réalité,  quand  au  con- 
traire il  y  a  lu  le  reflet  de  son  ùme?  Quand  et  comment  saurons- 
nous  jamais  s'il  y  a  sous  les  apparences  qui  nous  affectent  un 
quelque  chose  analogue  à  notre  être  spirituel?  Et  surtout  à 
quelles  erreurs  ne  nous  exposons-nous  pas  si  nous  prétendons 
traduire  dans  le  langage  de  nos  émotions  et  de  nos  pensées  les 
signes  par  où  se  manifestent  à  nous  ces  existences  extérieures*.' 
Cette  psychologie  des  êtres  inférieurs  restera,  dit-on,  toujours 
un  peu  vague;  mais  elle  se  fait  lentement,  a  Pour  quelques- 
ce  uns,  comme  dans  l'alouette  de  Shelley  et  le  rossignol  de  Keals, 
u  elle  semble  presque  achevée  ^  )>  Gomment  le  croirions-nous'? 

caprices  de  sa  passion,  choisil  au  moins  dans  les  spectacles  de  la  naliir- 
ceiix  où  il  trouve  une  apparente  (onformitê  avec  rétat  de  son  âme  : 

•  Corne.  Winler,  wiUi  Ihiuo  angry  Iîon>I, 

And,  raping,  bend  thc  nnkedtree; 
Thy  frlooni  will  sooUie  my  cheerless  soûl, 

Wlien  Nature  ail  is  sad  like  me.  - 

{yîecnie^s  Ee.) 

i.  Imaf/inalhn  and  Fann/,  The  Works  of  Leigh  Htm,  vol.  III. 
2.  H.  \V.  Kmemsox,  Voclnj  and  lunufinnlion.  Lrllers  and  Social  AiM$. 
'A.  Modem  PainferSy  partie  III.  section  II,  chap.  m  :  Of  Imagination  pcne- 
Iralire, 

4.  Etude  sur  Hoh,  Burns,  vol.  il.  note  p.   374,  315. 

5.  76t(/.,  p.  374. 


LA   PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  363 

î  peut-il  y  avoir  dans  cette  prétendue  connaissance  qui 
t  rapport  de  notre  imagination?  L'alouette  est-elle  vrai- 
cet  «  esprit  joyeux  »,  cette  a  gaîté  sans  corps  »  qui  plane 
uito  dans  Tode  de  Shelley?  Symbole  et  emblème  d'une 
•aillante  qui  tend  vers  les  hauteurs,  tous  l'admettront 
tiers.  Mais  nous  faut-il  croire  que  ce  cliant  allègre  ou  ce 
(lacieux  révèlent  les  «  pensées  exquises  »  de  cette  petite 
Un  oiseau  moins  bien  doué  sera-t-il  donc  nécessairement 
triste?  On  oublie  que  Talouette  emprisonnée  dans  une 
étroite  fait  entendre  la  même  chanson  joyeuse  *.  Vous 
z,  ô  poète,  que  lorsque  a  de  son  cœur  débordent  les 
odics  intarissables  »  ce  sont  a  les  champs,  les  vagues  ou 
montagnes;  les  formes  du  ciel  ou  de  la  plaine,  l'amour  de 
sfpurs  et  l'ignorance  de  la  douleur  rt  qui  l'inspirent  '.  Il 
ns  doute  plus  vrai  qu'elle  pense  aux  mille  dangers  qui 
nacent  elle  et  les  siens,  et  au  pauvre  nid  posé  sur  le  sol 
ibri  ni  défense  '.  —  Le  rossignol  de  Keats  a  dont  l'âme 
•anche  en  une  extase  de  bonlieur  »  *  est-il  plus  vrai  que 
de  Milton,  a  si  mélodieux  et  si  mélancolique  *  »?  —  Le 

est-ce  pas  l'observation  de  La  Fontaine  sur  Talouelte  •  qui  chante 
quoique  près  du  tombeau  »? 

•  Whal  objects  are  tlie  founlains 

(»f  Ihy  hoppy  slrain? 
Whal  flelds,  or  waves,  or  mountains? 
Whal  shapes  of  sky  or  plain  1 
What  love  of  tliine  own  \i\ud1  wliat  ijçnorance  of  pain?  » 

(SiiELLEY,  To  a  Skf/lark^  sir.  xv.) 

issct  chez  qui,  au  milieu  des  plus  lyriques  envolées,  le  bon  sens  et 
sentiment  de  la  vérité  ne  perdent  jamais  entièrement  leurs  droits, 
it  être  oppose  à  Shelley  : 

((  Quand  j'ai  traversé  la  vallée, 
Un  oiseau  chaulait  sur  son  nid. 
Ses  petits,  sa  chère  couvée, 
Venaient  de  mourir  dans  la  nuit, 
Cependant  il  chantait  Taurore.  • 

{La  Nuit  d'AoAl,) 

■  Now  more  than  evcr  seems  il  rich  to  die, 
To  cease  upon  the  midni^ht  wilh  no  pain, 
While  thou  art  pourinj;  forth  thy  soûl  abroad 
In  such  an  ccstasvî  » 

(Ode  to  a  Siffhtingale.) 

•  Sweet  bird  Ihat  shunn'st  the  noise  of  folly, 
Mosl  musical,  most  uielancholy!  • 

(//  Pensci'iJSO,  6l-rt2.) 

lia  erreurs  des  poêles  qui  ont  proposé  une  explication  de  cette  pré- 


364  JAMKS  THOMSON. 

hibou  même,  a  triste  oiseau  le  hibou  *  b,  est-il  condamné  à  la 
désolation  qu*ont  notée  chez  lui  tous  les  poètes  ',  sauf  un  seul? 
Et  Shakespeare  n'a-t-il  pas  raison  contre  tous  les  autres* 
quand  il  croit  que  son  hululement  monotone  est  pour  Toiseau 
un  chant  d'amour  et  de  joie  tout  aussi  bien  que  la  diane  alerte 
de  Talouette  ou  Texquise  mélodie  du  rossignol  '? 

Quoi  que  nous  puissions  faire,  runivers,si  nous  tentons  de 
rinterpnHer,  sera  toujours,  selon  l'expression  môme  qu'a 
laissée  un  jour  échapper  l'un  des  tenants  du  symbolisme  du 
monde,  une  «  cxternisation  de  notre  âme  »  *.  Le  constater  ce 
n'est  pas  diminuer  ni  déflorer  la  poésie.  Alore  même  que  ses 

tendue  mélancolie  du  rossignol  {teste  Virgile),  on  peut  lire  une  pa^te 
intéressante  de  BrRROUCHs,  Fresh  Fields;  A  liunt  for  the  Sightingalf, 
p.  117-118. 

1.  Li  Fontaine,  XI,  ix. 

2.  Sans  excepter  Thomson  : 

«  Assiduous  in  his  hower  the  wailing  owl 

Plies  liis  sad  song.  >* 

(Winter,  113,  14i.) 

3.  -  Then  niglitly  sings  the  stariug  owl, 

Tu-whit  ; 
Tii-Nvho,  a  nierry  note, 
While  greasy  Juan  dolh  keci  the  pot.  - 

{Love\s  Lnhour*s  Lont,  acte  V,  ac.  ii,  92'-u0.) 

4.  -  The  univerr^e  is  the  externization  of  the  soûl.  »  (E1merso?c.  Es$a;i>' 
Second  Séries  :  The  Po<7J 

Kt  c'est  aussi  la  pensée  qu'exprime  en  beaux  vers  cet  ami  de  Wonl?- 
worth,  ce  po«'t>:  et  ce  penseur.  Coleridge,  dont  l'art  et  dont  la  philosoplii«: 
sont  restés  si  indépendants  : 

«  And  hark!  the  nightingule  hegins  its  song. 
«  Most  muiiical,  most  melancholy  »  bird! 
A  melancholy  bird?  0  idie  thought! 
In  nature  there  is  nothing  melancholy. 
—  But  some  night-NvandVing  man,  whose  heart  was  pierced 
With  the  remembrance  of  a  grievous  wrong. 
Or  slow  distemper,  or  neglectiMl  love, 
(And  so,  poor  wrotch!  Pilled  ail  things  with  himscir, 
And  made  ail  gentle  soumis  tell  back  the  talc 
or  his  own  sorrow?)  he  and  such  as  he 
First  named  lliose  notes  a  melancholy  slrain.  - 

(OiLKuiDJiE,  The  Niffhiingale.) 

Toute  cette  partie  de  notrn  travail  était  terminée  qnand  nous  avoDii  ren- 
contré des  vues  semblables  exprimées  avec  force  par  un  ■  essayist  ■  am»> 
ricain  qui  a  consacré  aux  oiseaux  des  années  d'observation  et  plusicur<' 
volumes.  «  Did  Shelley  interpret  the  song  of  the  skylark»  or  Kea'.s  that  of 
the  nightingale?  They  interprcled  their  own  wild,  yearning  hearlP.  • 
(Joiix  BuRiiOLfiiis,  l't'pfn'ton.  .V//////V  timl  the  Vnets^  p.  154.) 


LA  PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  365 

èves  de  divination  et  de  révélation  ne  trouveraient  plus  que 
cepticisme,  elle  continuera  à  puiser  à  pleines  mains  dans  le 
résor  des  formes  et  des  apparences  matérielles;  elle  en  fera 
Dujours  le  vêtement  de  sa  pensée,  comme  les  langues  en  font 
1  matière  infiniment  souple  et  ductile  de  leurs  signes.  Et  si  les 
toètes  persévèrent,  au  milieu  d'un  âge  incrédule,  dans  leur 
postulat,  leur  ambition  ou  leurs  chimères,  Tadmiration  ne 
essera  pas  de  suivre  leurs  menteuses  et  dramatiques  visions. 
)n  continuera,  selon  les  variations  du  goût  (puisqu'il  est  là 
lussi  des  modes),  à  s'éprendre  de  cette  puissanteou  pathétique 
lumanisation  des  choses  qui  se  retrouve  tour  à  tour  dans 
'égoisme  orgueilleux  d'un  Chateaubriand  ou  d'un  Byron, 
îomme  dans  l'apparent  efifacement  d'un  Shelley;  dans  la  fra- 
ernelle  confiance  de  Lamartine  ou  de  Hugo  *,  comme  dans  les 
•èvoltes  de  Vigny  ;  dans  le  déisme  de  Rousseau  ou  de  Laprade 
îomme  dans  le  panthéisme  de  Wordsworth. 

Mais  l'art  n'est  pas  nécessairement  lié  à  ces  conceptions  où 
lant  d'imagination  se  donne  carrière.  Il  peut  y  avoir  une  beauté 
dans  une  poésie  qui  ressente  pour  les  choses  une  sympathie 
ï>ans  subtilité  et  qui  en  donne  une  reproduction  docile,  a  Encore 
<(  aujourd'hui,  sous  tant  de  raisonnements  accumulés,  la 
«  nature  sympathique  persiste.  Notre  corps  se  redresse  à  la 
«  vue  d'un  noble  chêne  ;  notre  main  décrit  une  ligne  sinueuse 
K  à  l'aspect  d'une  eau  ployante  et  penchée;  notre  passe  mesure 
ï  sur  le  rythme  d'un  air  que  nous  entendons;  les  sons  nous 
c  pénètrent,  et  retentissent  en  passions  au  plus  profond  de 
(  notre  cœur;  le  monde  extérieur  trouve  encore  son  écho  en 
:  nous-mêmes,  et  notre  vieille  âme,  entourée  et  façonnée  par 
[  la  grande  âme  naturelle,  palpite  comme  autrefois  sous  son 
:  contact  et  sous  son  efl*ort*.  »  C'est  la  beauté  née  de  cette 
ïarmonie  qui  se  trouve  dans  le  poème  de  Thomson.  Elle 
emble  aujourd'hui  un  peu  effacée  et  pâlie.  Elle  pourrait  bien 
etrouver  un  jour  plus  d'éclat,  alors  que  d'autres  gloires, 
nain  tenant  plus  brillantes,  se  seront  ternies.  Elle  n'a  rien  à 

1.  «  La  plaine  brille,  heureuse  et  pure, 

Le  bois  jase,  Therbe  fleurit.... 
HomDie  !  Ne  crains  rien  !  La  nature 
Sait  le  grand  secret,  et  sourit.  » 

(Ij:s  Hayons  et  les  Ombres.  Spectacle  rassurant,) 

2.  IL  Taire,  La  Fontaine  et  ses  Fables^  chap.  ii,  l'Expression,  p.  306,  301. 


366  JAMES  THOMSON. 

craindre  de  Tesprit  de  science,  de  précision  et  de  vérité,  avec 
lequel  il  est  dangereux,  même  à  la  poésie,  d'entrer  en  lutte. 
Le  monde  qu'atteignent  directement  nos  sens,  et  la  passion 
humaine  dans  des  cœurs  humains,  voilà  le  véritable  objet  de 
Tétude  de  l'artiste.  C'est  là  son  domaine,  et  là  seulement  il  est 
assuré  de  ne  pas  perdre  pied. 

«  La  beauté  cV>l  la  vérité:  la  vérité  c'est  la  beauté,  voilà  tout  ce  qu«» 
Vous  savez  sur  la  teri-e.  el  tout  ce  que  vous  avez  besoin  de  savoir  •  ». 

Ce  n'est  pas  sans  doute  tout  ce  que  nous  aspirons  à  savoir. 
Malgré  le  conseil  du  poète,  l'humanité  ne  cessera  pas  do  faire 
effort  pour  ajouter  aux  plaisirs  du  beau  les  joies  plus  chère- 
ment acquises  et  plus  austères  de  la  connaissance.  Et  si  cet 
effort  des  philosophes  est  condamné  à  un  éternel  insuccès, 
l'art  trouvera  son  compte  dans  les  doutes,  les  échecs,  les  dou- 
loureux désespoirs  de  cette  lutte,  plus  encore  que  dans  les  pré- 
tendues révélations  d'une  divination  imaginaire. 

Voici  une  conque  marine.  Il  y  a  pour  notre  œil  une  caresse 
et  un  charme  dans  la  ligne  élégante  de  ses  spires,  dans  le 
rose  exquis  et  les  délicates  teintes  opalines  de  sa  nacre.  C'est 
la  joui.^ance  ingénue  et  sans  sophistication  que   ressent  en 
face  de  la  nature  un  observateur  naif.  Elle  peut  s'associer 
aux  émotions  graves  et  hautes  que  suggère  la  pensée  de  ces 
deux    immensités,  la   mer   et    le   temps,  qu'a  traversées  le 
gracieux  objet.  C  est  l'impression  de  beauté  que  s'efforce  de 
traduire,  avec  ses  retentissements  profonds  dans  notre  àtne, 
une  poésie  descriptive  sincère  et  simple,  telle  que  celle  de 
Thomson. 

Wordsworth  ne  se  contente  pas  d'impressions  aussi  directes, 
et  il  met  dans  ce  coquillage  une  vie,  un  souvenir,  une  âme,  un 
enseignement. 

«  J*ai  vu 
l'n  iMifaiil  curieux,  qui.  habitant  une  ré^'ion 
De  l'intérieur  des  liTre»»,  apfdiffuait  à  son  oreille 
Ij's  volutes  il'une  roquill»'  aux  lévii's  f>olies  : 
Kt  abjrs.  dans  un  nuirï  >ilcn«.e.  son  âme  même 


1.  -  Beauly  is  trutti,  Irulh  heauty.  —  thaï  is  ail 

Ve  knoNv  on  eartli.  and  ail  ve  nced  to  know.  ■ 

Keats,  Ode  on  a  Grecian  Um.) 


LA   PHILOSOPHIE  DU   POÈME.  367 

Kooutait  ardemment;  et  hicutùt  sa  (i^nire 
S'éclaira  d'une  joie;  car  du  Ibnd  venaient  se  faire  entendre 
Des  murmures,  dans  lesquels  cette  chose  enseignait,  et  disail 
l'iio  lUYstérieuse  union  avec  son  océan  natal  *.  » 

Cette  idéalisation  et  ce  symbolisme  sont-ils  la  condition  d'une 
haute  interprétation  artistique  de  la  nature?  Y  a-t-il  moins  de 
l)eaulé  ou  moins  de  profondeur  dans  les  vers  où  un  autre 
poète  dépouille  Thumble  coquille  de  toute  chimérique  puis- 
sance, et  mélancoliquement,  dépouille  aussi  TAme  humaine  de 
ce  qu'il  voit  en  elle  d'espoirs  chimériques? 

€  Cette  conque  vide  qui  dejMiis  nond)re  d'années 
Est  restée  sur  <le  poudreux  rayons,  approchez-la  de  votre  oreille. 
Et  elle  parle  de  la  mer  orageuse  où  elle  est  née;  nous  entendons  alors 

Le  faihle  et  lointain  murmure  des  flots  (jui  se  brisent. 

Nous  entendons  la  mer.  La  mer?  C'est  le  sang 
De  no^  propres  veines,  impétueux  et  tout  proche  [craintes], 

(\c  sont  les  pulsations  dont  les  battements  suivent  nos  espoirs  et  nos 

El  le  mode  toujours  chauf^eant  de  nos  sentiments. 

Et  dans  mon  ccrur  j'i'utends,  comme  dans  cr«tt(î  ct)quille, 
I^e  murmure  d'un  monde  au  delà  de  la  tondu». 
Distinct,  distinct,  si  faihb*  (^l  si  lointain  quil  soit, 

Ifonnnr  crédule!  c<'l  écho  n'fsl  jxis  nmins  trompeur  (pie  Taulre,  — 
(l'est  la  rumeur  des  instincts  terrestres;  et  nous  aspirons 

[con<jue*.  •] 
A  un   UKUide  aussi  imaginaire  que  la  mer  entendue  dans  la 

1.  *  ....  I  hâve  seen 

A  curions  cliihl,  wiio  dwell  upon  a  Iracl 
Of  inland  Riound,  applyin^  to  his  car 
The  convolutions  of  a  smooth-lippcil  sliell; 
To  which,  in  silonce  hushed,  his  very  soûl 
Listeiicd  inlensely;  aiid  his  countcnance  soon 
Hri^hlencd  wilh  joy;  for  from  wilhiu  wcre  heard 
Murmurings,  wliereby  llie  monilor  expressed 
Myslerious  union  wilh  ils  native  sea.  - 

Mr.  Stedman,  <|ui  cite  ces  vcrsi  et  le  sonnet  de  Lee-ilamilton  [The  Salure 
ntifl  Klernenls  of  Porlrtj,  \).  2ut;,  -iOI),  fait  rrnianiuer  que  Wordsworth  y  a 
paraplirasé  quehpies  vers  plus  fermes  de  Landor  {(icUr)  : 

«  But  I  hâve  sinuous  shclls  of  peurly  hue; 


Siiake  one  and  il  asNakens,  theu  ap[»iy 

Ils  polished  lips  to  >our  attentive  enr, 

And  il  remembers  ils  anguàl  abodes. 

And  murniurs  as  ihe  océan  uiurmurs  Ihere.  »> 

2  <«  The  hollow  sea-shell  which  for  vears  hath  slood 

On  duslN  slielves,  when  held  against  Ihe  ear. 


368  JAMES  THOMSON< 


IV 


Cette  tristesse  pathétique  n'est  pas  la  note  que  rende  sous  le 
doigt  du  critique  le  poème  des  a  Saisons  ».  En  le  constatant 
nous  sommes  amenés  à  dire  quelques  mots  d'un  caractère 
d'après  lequel  on  a  quelquefois  groupé  les  écrivains,  indépen- 
damment des  formes  de  leur  art  ou  des  pensées  directrices  qui 
guident  leur  observation.  On  a  voulu  distinguer  les  poètes  en 
raison  de  leur  pessimisme  ou  de  leur  optimisme.  Nous  ne  pou- 
vons trouver  là  un  caractère  fondamental  de  classement.  11 
exprime  en  effet  un  état   tout  subjectif  de  Tàme  de  récri- 
vain  puisque  la  Nature  si  diversement  interprétée  est  la  même 
pour  tous;  et,  en  tout  cas,  cet  état  est  extérieur  et  postérieure 
l'effort  d'observation  et  de  traduction  de  l'artiste.  Mais  il  ne 
sera  pas  hors  de  propos  de  dire  ici,  pour  terminer  cette  partie 
de  notre  étude,  à  laquelle  des  deux  familles  d'esprits  se  rat- 
tache Thomson.  Il  y  a  lieu  d'abord  à  dissiper  une  confusion 
qui  se  mêle  souvent  à  cette  question.  Nous  n'appellerons  pas 
un  poète  pessimiste  parce  qu'il  a  fréquemment  exprimé  des 
sentiments  douloureux.  Nous  réserverons  ce  nom  au  penseur 
qui,  de  l'observation  du  monde  et  de  la  vie,  tire  une  conclu- 
sion de  négation,  de  mépris,  de  tristesse,  de  désespoir  ou  de 
révolte.  C'est  peut-être  pour  n'avoir  pas  établi  cette  distinc- 
tion, (]ue  les  critiques  ont  parfois  cru  et  enseigné  que  le  pessi- 
misme seul  est  poétique.  Il  est  trop  vrai  que  la  tristesse  et  la 
douleur  fournissent  à  l'écrivain  une  inspiration  plus  variée  e 
plus  puissante  que  la  gaîté  et  le  bonheur.  «  Les  plus  déses- 


Proclaims  itsstormy  parent;  and  \ve  hear 
The  faint  far  murmiir  of  the  breaking  flood, 
Wc  hear  the  sea.  The  sea?  It  is  the  blood 
In  our  own  veins,  impeluous  and  Dear, 
And  puises  keeping  pace  with  hope  and  fear 
And  with  our  feclings'  cver-shifting  mood. 

Lo!  in  my  heart  I  hear,  as  in  a  shell, 

The  murmur  of  a  world  beyond  the  grave. 
Distinct,  distinct,  though  faint  and  far  it  be. 

Thou  fool!  Ihis  écho  is  a  cheat  as  well, 

The  hum  of  earthly  instincts;  and  we  crave 
A  world  unreal  as  the  shell-heard  sea.  » 

(EtOENB  Lee-Hamilton,  Sonnets  of  the  Wingless  llours.) 


LA  PHILOSOPHIB  DU   POÈME.  369 

)érés  sont  les  chants  les  plus  beaux  ^  i»  Il  est  vrai  surtout  que 
tre  sympathie  est  émue  par  les  premiers  de  ces  sentiments 
is  que  par  les  seconds.  Notre  àme  semble  s'ouvrir  plus 
ontiers  à  la  souffrance  qu*à  la  joie  d'autrui.  Nous  nous  asso- 
ns  plus  facilement  aux  plaintes  douloureuses  d'  «  In  Memo- 
11  »  qu'au  chant  d'allégresse  de  V  «  Epithalamium  »;  Shelley 
is  émeut  plus  profondément  dans  la  tristesse  d'  «  Adonaïsi» 
î  dans  les  extases  d'  «  Epipsychidion  *  »;  et,  depuis  Aris- 
\  la  haute  poésie  dramatique  sait  qu'elle  est  vouée  aux 
;^iques  souffrances  et  aux  larmes .  Mais  cette  puissance 
cprimer  une  douleur  en  vers  émouvants  ne  s'associe  pas 
cssairement  à  une  conception  pessimiste  de  la  vie  et  de  la 
ition.  Quelques-uns  des  chants  les  plus  déchirants  nous 
t  venus  drames  chrétiennes  pleines  d'espérance,  ou  de 
nés  esprits  que  ne  trouble  pas  la  pensée  de  l'humaine 
jrance.  Le  poète  philosophe  que  nous  avons  cité  plus  d'une 
,  Emerson,  n'a  pas  de  pièce  plus  achevée,  plus  émue  et  en 
ne  temps  plus  exquise  de  forme  que  sa  «  Threnody  »,  sur 
iiort  de  son  fils  bien-aimé,  de  son  «  hyarinthine  boy  ^  ».  Il 
1  demeure  pas  moins  le  plus  convaincu  et  le  plus  éloquent 
:eux  qui  ont  cru  que  le  monde  est  bien  fait  et  que  la  vie  est 
ne;  que  le  poète  doit  être  joyeux;  qu'il  a  pour  mission  de 
andre  sur  l'univers  un  esprit  de  gaîté  et  d'allégresse,  et 
il  reçoit  des  choses  une  inspiration  de  bonheur  confiant. 


«  Le  Printemps  fait  encore  du  [)rintemps  dans  notre  âme, 

Ouand  soixante  ans  sont  passés  ; 
L'amour  réveille  ce  co'ur  palpitant 

Et  nous  ne  sommes  jamais  vieux. 


A.  DE  Musset,  La  Suit  de  Mai. 

Nous  voulons  parler  de  cette  fm  radieuse  du  poème  : 

Emilv 

A  ship  is  tloatiog  in  tlic  harbour  now  <*,  etc. 

f>eiiit  ou  qui  imagine  le  ravissement  de  Tamour  heureux. 
Voir  îi  ce  sujet  Stedmam,  The  Nature  of  Poetnj,  p.  267. 
haute  et  pure  philosophie  de  cette  belle  pièce  est  résumée  dans  ces 

• 

«  SayioK  •'  What  is  excellent, 

As  God  lives  is  permanent; 

Hearts  are  dust,  hearts*  loves  remaiii, 

Hearfs  love  will  meet  thee  again.  » 

24 


370  JAMES  THOMSON. 

Au-dessus  des  glaciers  de  Thiver, 

Je  vois  récUit  de  Tété, 
Kt,  à  travers  Tanias  accuuuilé  di*s  tourbillons  de  neige, 

Lt's  chauds  boutons  de  roses  c|ui  se  cachent  au-dessous  '.  » 

Cesl  bien  renseignement  que  donne  la  nature  à  ceux  qui 
l'ont  aimée  passionnément,  à  ceux  qui  Tont  observée  d'une 
vue  directe,  sans  Kintermédiaire  des  systèmes  ou  des  croyances. 
C'est  l'impression  qui  se  dégage  du  tableau  qu'en  a  tracé 
Thomson.  11  s'est  longuement  enivré  des  mille  beautés  de 
l'univers;  il  s'y  est  plongé  avec  ravissement,  comme  ce  faneur 
qu'il  nous  montre  couché  sur  la  prairie  et  tout  recouvert 
d'herbe  Fraîche,  de  fleurs  et  de  parfums.  Comment  de  toutes 
ces  beautés,  dont  chacune  est  une  joie,  pourrait-on  extraire 
cette  essence  :  —  la  tristesse?  Non  les  choses  en  elles-mêmes 
sont  une  source  d'inépuisables  et  de  pures  voluptés.  Il  n'y  a 
d'amertume  en  elles  que  celle  qu'y  verse  notre  passion  on 
notre  inquiétude.  Elles  ne  sauraient  être  rendues  complices  de 
notre  égoïsme  ni  de  notre  présomptueuse  ignorance  *.  Leur 
vie  d'ailleurs  ne  nous  apprend-elle  pas  que  les  troubles,  1rs 

1.  •  Springstill  makei^  Spring  in  thc  mind, 

When  sixly  yoarg  are  told; 
Love  Nvakes  ancw  this  throbbin^  heart, 
And  we  are  never  oUi. 

Over  the  w in  1er  placiers, 

I  see  tlie  summer  glow. 
And  througli  the  wild-piled  snowdrift, 

Ttie  wann  rosebuds  below.  » 

[The  World-Soul.) 

Le  plus  cloquent  des  ap<Mres  du  pcssiinisuie.  Schopenhauer,  nVt-il  pas 
dit  lui  môme  :  «  Le  malaise  des  soucis  et  dos  passions  est  apaisé  par  un 
simple  regard  jeté  sur  Tunivers;  le  torrent  des  passions,  Torage  des  désirs 
et  des  craintes,  le  tourment  de  la  volonté,  tout  est  aussitôt  calmé  d*iinc 
façon  merveilleuse.  •  {/>/>  Welt  als  Wiiie  und  Vorstellung^  cité  par  Ribol. 
p.  99  <le  son  étude  sur  Schopeuhauer.) 

2.  Le  groupe  des  poêles  naturalistes  de  l'Amérique  :  Emerson,  Thoreau 
Whillier,  Lowell,  etc.,  olTre  ce  caractère  de  n'avoir  jamais  cédé  à  cette 
tendance.  Un  critique  français  la  remarqué  avec  justesse  :  •  Aucun  d'eux 
n'a  jamais  eu  le  tort  d'amollir  iVune  en  faisant  de  la  nature  la  complice  de 
ses  passions,  fécho  de  ses  douleurs....  Sur  ce  point  ils  se  dégagent  du 
groupe  des  grands  peintres  du  paysage  idéal  :  Bernardiu  de  Saint -Pierre, 
Cowper,  Chateaubriand,  Wordsworlh,  Byron.  Lamartine,  G.  Sand,  sortis 
de  l'école  de  Rousseau  qui  lui-même,  selon  Lowell,  dérive  à  son  insu 
de  Thomson,  ce  poète  incomplet  mais  sincère,  le  premier  qui  essaya  de 
rendre  avec  des  mots  ce  qu'avaient  fait  avec  des  lignes  et  des  couleurs 
Salvator  Rosa  et  Le  Poussin.  •  (Benfzon,  Le  Snturalisme  aux  Étals^l'nis. 
Revue  des  Deux  Mondes,  i5  sept.  1887.) 


LA   PHILOSOPHIE   DU   POÈME.  371 

violences  et  le  désordre  ne  sont  qu'un  accident  passager;  que 
ce  qui  paraît  lassitude  ou  épuisement  n'est  que  repos  et  prépa- 
i*ation  d'une  énergie  nouvelle;  qu'il  n'y  a  pas  de  mort,  mais 
seulement  une  transformation  de  la  vie?  C'est  la  leçon  qu'y  a 
lue  Thomson;  et  il  letend  à  tous  les  modes  de  l'existence 
quand  il  termine  son  tableau  du  monde  par  ces  paroles  de 
confiante  espérance  : 

«  Los  leinpéles  de  l'hiver  passeront  rapidement, 

VA  un  él»»rnel  printemps  (;nvelop|»era  toute  la  création  '.  » 

Pour  une  autre  raison  encore  il  est  éloigné  d'une  interpréta- 
tion pessimiste.  S'il  ne  verse  pas  dans  l'illusion  qui  consiste  à 
confondre  l'une  dans  l'autre  les  deux  moitiés  du  monde,  il 
associe  cependant  toujours  la  pensée  de  l'homme,  de  ses  tra- 
vaux, de  ses  intérêts  à  la  contemplation  de  l'univers.  Et  c'est 
là  une  préoccupation  qui  exclut  une  conclusion  découragée. 
Pour  Tobservateur  qui  voit  les  choses  du  haut  d'un  dillettan- 
tisme  dédaigneux,  le  contraste  entre  le  monde  et  l'homme 
peut  faire  ressortir  la  faiblesse  et  l'impuissance  de  celui-ci;  et 
le  poète,  le  voyant  écrasé  sous  des  forces  inconscientes  et  bru- 
tales, prend  en  pitié  la  vie  et  l'acteur  impuissant  qui  s'y  agite 
une  heure.  Mais  tel  n'est  pas  le  sentiment  qu'inspire  à  Thomson 
l'univers.  Il  y  voit  le  champ  fécond  de  l'activité  des  hommes; 
il  sait  que  leur  labeur  trouve  dans  les  choses  une  aide,  un  con- 
cours assuré,  et  comme  une  sympathie  inconsciente.  Il  sait 
qu'il  y  a  harmonie  étroite  entre  l'être  humain  et  cette  nature 
où  il  vit,  dont  il  vit  et  qui  le  fait  ce  qu'il  est.  Sa  poésie  est  uti- 
litaire, si  l'on  entend  par  là  que  le  souvenir  de  l'influence  des 
choses  sur  les  intérêts  humains  y  est  toujours  présent.  —  Dans 
le  beau  traité  d'esthétique  auquel  nous  avons  tant  de  fois  déjà 
fait  allusion,  Ruskin  jeune  s'élevait  avec  véhémence  contre 
celte  conception  mesquine  et  stérile  qui  mêle  à  la  contempla- 

1.  Winler,  i068,  1069.—  Il  y  a  cependant  un  passage  des  Saisons  où  Fou 
pourrait  être  tenté  de  voir  une  interprétation  pessimiste  de  la  vie  et  du 
monde.  Le  poète  vient  de  <lécrire  et  de  célébrer  TAge  d'or.  Il  lui  Tant  bien, 
quand  il  y  compare  le  temps  actuel,  constater  une  décadence,  et  il  parle 
de  •  nos  djîes  de  fer  »,  de  -  cette  lie  de  la  vie  •.  {Spririff^  271,  307.) 

Mai»  ce  n'esl  pas  dans  ce  passage  qu'il  faut  lire  la  pensée  de  rccrivain. 
Il  n*y  a  là  que  le  développement  d'un  lieu  commun  et  la  transition  établie 
par  le  poète  entre  deux  beaux  morceaux  descriptifs  :  celui  de  lu  nature 
à  l'âge  d'or  et  celui  du  Déluge. 


373  JAMES  THOMSON. 

tien  du  Beau  l'humiliante  préoccupation  de  l'Utile.  Mais 
lluskin  vieilli,  relisant  les  pensées  qu'il  avait  autrefois  énon- 
cées, les  corrige  dans  ce  qu'elles  avaient  d'exclusif  et  d'absolu  : 
«  A  mesure  que  j'avance  en  âge  les  aspects  de  la  nature  qui 
a  intéressent  la  vie  des  hommes  me  deviennent  chaque  jour 
c  plus  chers;  et  j'aime  mieux  aujourd'hui  voir  un  champ  de 
«  brune  moisson  que  la  plus  brillante  Aurore  boréale  *  i>.... 
«  la  jeunesse  sympathise  plutôt  avec  la  joie,  la  plénitude  et  la 
«  magnificence  des  choses,  et  les  cheveux  blanc  avec  ce  qu'il 
«  y  a  en  elles  d'achèvement,  de  satisfaction  et  de  repos  '.  » 

Ces  sincères  et  profondes  paroles  du  grand  esthéticien 
sont  une  réponse  à  bien  des  reproches  et  à  bien  des  dédains 
que  l'on  a  opposés  au  poème  des  a  Saisons  ».  Nous  ne  pouvons 
mieux  clore  qu'en  les  citant  l'étude  où  nous  avons  tenté  de 
déterminer  les  caractères  de  Thomson  poète  descriptif,  et  de 
montrer  en  lui  un  observateur  et  un  peintre  d'une  franchise 
rigoureuse,  d'une  simplicité  qui  n'exclut  ni  la  pénétration  du 
regard,  ni  la  variété  des  impressions,  ni  l'émotion  de  Tàme; 
un  artiste  qui  aima  la  nature  d'un  vif  amour  sans  éprouver  le 
besoin  d'y  ajouter  des  caractères  ambitieux  et  incertains;  un 
homme  enfin  qui,  de  cette  contemplation  charmée,  a  fait  passer 
dans  son  œuvre  l'influence  apaisante  et  heureuse  qu'il  a 
trouvée  dans  les  choses  '. 


1.  •  As  I  hâve  grown  older,  tlic  aspects  of  nature  conducivc  to  human 
life  hâve  bccome  hourly  more  dear  to  me;  and  I  had  rather  now  see  a 
brown  harvest  field  than  Ihe  brightest  Aurore  Borealis.  »  (Modern  Pain- 
terSt  C'd.  de  1888,  vol.  I,  note  de  la  p.  84.  > 

2.  •  ...  The  youth  sympathizing  more  with  the  gladness,  fulness,  and 
magnificence  of  things,  and  the  grey  hairs  wilh  their  compleliou,  suffi- 
cieocy  and  repose.  •  (MOme  volume,  p.  92.) 

3.  Tel  est  bien  renseignement  qu'a  su  trouver  dans  Fœuvre  de  Thooison, 
un  des  phis  fermes  esprits  du  xvin*  siècle  et  l'une  des  plus  louchantes 
victimes  de  la  révolution.  Mme  Roland,  dans  la  prison  qu'elle  ne  devait 
quitter  que  pour  l'échafaud,  se  rappelait  et  citait  de  mémoire  quelques 
vers  des  •  Saisons  ».  Ils  lui   apportaient,  comme  aurait  pu  le  faire  la 

nature  elle-même,  un  réconfort  et  une  influence  apaisante.  «  Ces  vers 

de  Thomson  •,  écrit-elle,  «  que  je  ne  répète  jamais  sans  attendrisse- 
ment : 

•  IMeasM  was  I,  in  m  y  cheerful  morn  of  life, 
When  murs'd  by  careless  solitude  I  liy'd, 
And  sung  of  nature  with  unceasing  joy, 
Pleas'd  was  I  wandering  through  your  rough  domain, 
Through  the  pure  virgiu-snows,  myself  as  pure,  etc.  • 

[Mémoires  de  Mme  Roland.) 


CHAPITRE  VI 


LES  HORS-D  CEUVne  MfiLËS  AU  POËHE  DESCRIPTIF 


lies  Épisode B. 

L'admiration  que  mérile  le  génie  descriptif  de  Tlioinson  ne 
doit  pas  fermer  nos  yeux  aux  défauts  du  poème.  Le  premier 
et  le  plus  grave  est  l'abus  même  de  la  description.  Si  variés  que 
soient  les  tableaux  qui  se  succèdent  au  coure  de  ces  quatre 
chants,  l'intérêt  se  fatigue  un  peu  à  suivre  le  panorama  longue- 
ment déroulé  devant  nous.  11  y  manque  le  sujet  principal 
auquel  se  puissent  prendre  notre  émotion  et  notre  sympathie  : 
l'être  humain.  Il  y  a  bien  quelque  part  de  vérité  dans  les  juge- 
ments sévères  qu'ont  portés  Pope  sur  une  poésie  purement 
descriptive  i  semblable  k  un  repas  où  l'on  ne  servirait  que  des 
sauces  '  »,  et  Switt  sur  les  n  Saisons  »  a  dont  il  ne  raffole  pas, 


t.  Le  mol  est  rapporté  par  Warlon  dans  eod  Esiay  on  Ihe  Geniu 
Wrilingt  of  Popt  (1156.1783). 
Comparez  ces  autres  expressioni  ds  l'opinioD  de  Pope  : 

■  Who  could  lake  oITence, 
While  pore  descriplion  held  the  place  ot  aenseî  - 

{EpislU  lo  Arbuihnot,  147,  ItS.) 
•  Be  OQe  poeL'g  praise 
Thnt  nol  in  faney's  maie  lie  wandered  Iodr, 
But  stoopeil  to  (ruih  nod  momllzed  hia  sang.  ■ 

(»irf.,  33W*0.) 


374  JAMES  THOMSON. 

«  parce  que  tout  y  est  description  et  qu'il  n'y  a  pas  d'action  *  i. 
—  Thomson  paraît  avoir  eu  le  sentiment  de  ce  défaut.  Il  n'a 
pas  mêlé  intimement  l'intérêt  humain  au  poème;  c'eût  été  en 
détruire  Toriginalité  profonde;  et  du  reste  son  génie,  nous 
aurons  à  le  prouver,  n'était  ni  lyrique  ni  dramatique.  Mais  il  a 
juxtaposé  à  ses  tableaux  de  la  nature  un  grand  nombre  de 
hors-d'œuvre  divers  :  épisodes  narratifs ,  développements 
philosophiques,  historiques,  scientifiques  ou  moraux.  C'est 
une  partie  de  son  œuvre  qui  compte  aujourd'hui  pour  bien  peu 
dans  l'estime  que  nous  nous  faisons  de  son  talent.  Elle  occupe 
cependant  une  portion  importante  du  poème,  et  les  contemix)- 
rains  ne  Tont  pas  considérée  comme  moins  intéressante  ni 
moins  belle  que  le  reste.  Nous  ne  croirons  pas  avec  Words- 
worth  que  ce  soit  là,  et  surtout  dans  les  Épisodes,  que  le  public 
du  temps  ait  vu  le  principal  mérite  des  <(  Saisons  »  *.  Mais  il 
est  vrai  que  le  poète,  qui  imposait  aux  goûts  de  ce  public  une 
si  étrange  violence  par  le  choix  et  par  le  traitement  de  son 
sujet  principal,  dut  rechercher  les  moyens  de  satisfaire,  dans 
les  passages  accessoires,  les  habitudes  d'esprit  et  les  préfé- 
rences consacrées  de  ses  lecteurs. 

Un  de  ces  moyens  était  l'introduction,  au  milieu  des  descrip- 
tions, de  petits  récits  romanesques  insérés,  avec  plus  ou  moins 
de  bonheur,  dans  la  trame  du  poème.  Nous  verrons  qu'ils  ont 
été  une  des  choses  qui  ont  le  plus  charmé  les  admirateurs  et 
les  imitateurs  français  des  «  Saisons  i>.  La  répartition  dans  le 
poème  en  est  fort  irrégulière.  Ni  le  printemps  ni  l'hiver  n'en 
contiennent;  Télé  en  fournit  deux,  et  l'automne  un  seul  '. 


1.  «  Ouc  Thomson,  a  Scolcliman,  lias  succeeded  the  best  in  that  way 
(l)Iank  verse),  in  Tour  poems  he  lias  writ  on  Uic  four  seasons  :  yet  I  ani 
not  ovur  fond  of  thew,  becnuse  they  are  ail  description,  and  nolhing  is 
doinj:.  •  (Leller  io  Sir  Ch.  Wogan.  Jiily  1132.) 

'2.  Woniiswoimi,  Essuf/  supplemetitari/  io  the  Préface  lo  Ihc  Second  Edi- 
tion of  the  Lyrivat  Bnllnds. 

'A.  Cette  répartition  parait  à  Saint-Lauiberl  manquer  d'équilibre.  Cha- 
cune de  SL'S  Saison<^  a  un  épisode.  Pour  le  Printemps  ce  sont  les  amour» 
de  Lindor  et  Glict>re;  soixante-cinq  vers  nous  racontent  comment  un 
Jeune  homme  au^'Uiente  les  richesses  de  son  jardin  pour  plaire  à  •  uuo 
jeune  beauté  ».  S'il  fallait  choisir  un  titre  à  ce  récit  d'une  sinj<ulière  puéri- 
lité, ce  stM-ait  •  Lindor  et  Tilicère,  ou  le  jardinier  par  amour  -. 

Dans  riliver  le  récit  est  moins  simple.  Cent  vers  nous  disent  Taveu- 
ture  extravagante  d'un  chasseur  de  chamois  qui  voit  une  avalanche  recou- 
vrir la  maison  où  sa  femme  l'attend.  Fou  de  douleur,  il  veut  de  sa  bêclio 
percer  ramoncellemcnt  des  neiges  et  des  glaces  : 


LES  iiOHS-[)'(i:rv[it:  mêlks  au  porme  desckii'tik.     în5 

Le  |)reiiiier  de  ceux  qui  li;^ui't;iil  dans  VvAr  re[)roduit  en  cin- 
(luanle  V(U\s  une  aiieedole  ijien  comme  poui'  avoir  été  eiire- 
gisti'ée  dans  la  correspondance  de  I*ope  *.  Klle  paraît  avoir  été 
d'abord  traitée  par  (lay  dans  une  de  ses  lettres  -.  —  Deux 
jeunes  gens  se  réfugient  sous  un  arbre  pendant  un  orage,  et  la 
jeune  lille  est  foudroyée  entre  les  bras  de  son  auiant.  —  Ni 
Pope  lïi  Thomson  n'ont  conservé  la  parfaite  simplicité  du  récit 
de  Gay.  Le  début  du  poète  a  bien  quelques  vers  élégants  et 
gracieux  : 

«  Elle  avait  la  douce  beauté  de  l'aurore  en  sa  (leur 
Et  lui  réolat  radieux  du  jour  épanoui  ^.  » 

L'amour  des  deux  jeunes  gens  est  peint  en  quelques  traits 
parfois  délicats,  et  non  pas  toujours  sans  énergie  : 

€  Chacuu  voyait  dans  sou  «unie  un  autre  et  plus  cher  soi-même 
Et  trouvait  le  suprême  bonheur  dans  un  pouvoir  nouveau 
De  donner  de  la  joie  *.  > 

«  Leur  vie  se  passait  au  milieu 
Des  champs,  et  tout  le  jour  leur  cœur   s'épanchait  eu   causeries. 

[sauraient  faire  entendre  5.  » 
Ou  bien  ils  soupiraient  et  leurs  reganls  disaient  ce  que  les  mots  ne 

•  Courbé  sur  les  glaçons  qu'il  baigne  de  ses  pleurs, 


Le  malheureux  époux  fatigué,  harassé, 
Poursuit  un  mois  entier  son  ouvrage  insensé.  » 

Il  a  perdu  tout  espoir  quand  le  retour  de  la  belle  saison,  faisant  fondre 
«  les  glaçons  entassés  »,  lui  rend  sa  maison  et  sa  femme  intactes  l*une 
et  Tautre. 

1.  Lettre  de  Pope  ù  lady  Mary  Monlagu,  i*'  sept.  1717.  Mr.  Logie 
Hohertson  suppo:<e  que  c  est  là  que  Tliomaon  a  trouvé  Panecdote,  et  rap- 
pelle qu'une  partie  des  lettres  de  Pope  fui  publiée  eu  172G.  Mais  cette 
édition  de  Curll  de  1726  ne  contenait  que  les  lettres  de  jeunesse  de  Pope 
â  Cromwcll. 

2.  La  partie  de  la  lettre  de  Gay  qui  contient  ce  récit  a  été  publiée  par 
Thackeray  dans  ses  Englhh  Humourhts ;  Prior^  Gay  and  Pope. 

'A.  «  Ilers  the  mild  lustre  of  the  blooming  morn. 

And  his  llie  radiance  of  the  risen  day.  •• 

(Summer,  H7o,  1176.) 

4.  •  Each  was  to  eacli  a  dearer  self, 
Supremely  happy  in  the  awaUencd  power 
Of  givjng  joy.  -' 

[Sum.,  1183-1185.1 

5.  •  Tliey  lived 

The  rural  day,  and  lalked  the  flowing  heart, 
Or  sîghed  and  looUed  unutlerable  things.  » 

\^Sum,,  1186-1188). 


376  JAMES  TUOMSOiN. 

Mais  d'autre  part  les  vers  ne  manquent  pas  où  se  retrouve  la 
phraséologie  convenue  et  emphatique  du  temps.  La  jeune  fille 
éprouve  des  pressentiments  qui  ne  nous  émeuvent  guère  : 

<  Sa  peur  croissait  et  ébranlait 
Son  èlre  presque  jusqu'à  la  détruire  *.  » 

Céladon  regarde  son  amante  épouvantée 

c  Comme  les  anges  regardent 
Les  saints  qui  se  meurent*  », 

et  il  l'apostrophe  à  grand  renfort  d'abstractions  personnifiées: 

«  Ne  crains  rien,  disait-il, 
Douce  iimoce'nce!  ô  toi  qui  es  étrangère  au  péché, 
Aux  orages  de  la  conscience  '  !  > 

«  C'est  assurément  une  protection  que  d'être  ainsi  près  de  liù, 
hV'treindre  la  perleclion  *  !  •  [et,  comnoe  je  le  fais. 

Plus  important  est  l'épisode  de  Damon  et  Musidora,  non  pas 
Seulement  par  le  développement  qu'il  prend  dans  le  poème, 
mais  par  la  popularité  qu'il  a  aussitôt  acquise  et  par  la  célé- 
brité qui  s'y  est  attachée.  —  Le  jeune  Damon  aime  Musidora, 
ignore  que  son  amour  est  payé  de  retour,  et  se  plaint,  dans  le 
coin  le  plus  secret  d'un  bois,  de  la  cruauté  de  sa  maîtresse.  La 
jeune  femme  vient  se  baigner  à  cet  endroit  même.  Damon, 
muet  de  surprise,  assiste  à  ime  scène  dont  aucun  détail  ne  lui 


1.  «Il  ^Tcw,  and  shook 
lier  framc  ne-ar  dissolution.  » 

Summei\  1200,  i201.) 

2.  «  As  an  gels  look 
On  dvin^  saints.  • 

{Sum.,  1202,  1203.) 
:\.  •  Fear  not  -,  he  said, 

-  Swcet  innocence!  tliou  stranger  to  oiïence 
And  inward  storui!  - 

(Sam.,  1204-1206.) 

'*.  «  Tis  safety  to  be  near  tliee,  sure,  and  tlius 

To  clasp  perfection  î  n 

(.Sum.,  1213,  1214.) 

I/anecdote  fournit  le  sujet  d'une  idylle  de  Léonard  :  «  L'Orage  ou 
Ni«e  cl  Silvandre  ».  [Poésies  paslorales,  liv.  I,  IdyJle  huitième.)  Mai» 
le  poète  français  supprime  toute  complication  dramatique,  et  fait  périr 
les  deux  amants  du  mOme  coup  de  foudre. 


LES  hors-d'œuvre  mklés  au  poème  DESCMIPTIF.     '577 

éeliapï)0,  ni  ne  nous  tH'lia[)i)t\  Il  s(î  d^'cide  à  fuir,  ri  jolie  sur  la 
rive  un  billet  où  il  invile  sa  bergère  à  se  baigner  en  paix  :  il  va 
laii'e  le  guet  et  écarter  les  promeneurs  importuns.  Musidora 
est  plus  sensible  à  la  réserve  qui  Ta  t'ait  fuir,  qu'à  rindiscré- 
tioii  qui  lavait  d'abord  fait  rester;  et,  sur  Técorce  d'un  bètre, 
elle  trace,  avec  «  la  plume  sylvestre  des  amants  rustiques  », 
quelques  mots  de  remerciements,  d'aveu  et  de  promesses  peu 
réservées. 

Tel  est  le  sujet  de  ce  tableau  où  se  mêlent  de  façon  piquante 
l'inspiration  voluptueuse  du  paganisme  et  répicurisme  peu 
délicat  du  x\nii'  siècle,  Je  culte  bardi  de  la  beauté  impériale  et 
nue,  et  une  phraséologie  à  la  fois  vertueuse  et  sensuelle.  On  a 
signalé,  comme  modèle  imité  par  le  poète,  une  scène  du 
«  Gentle  Shepherd  »  de  Ramsay  *.  La  ressemblance  n'est  pas 
très  grande.  G*est  bien  plutôt  le  souvenir  de  la  Grèce  qui  hante 
l'esprit  de  Thomson.  C'est  surtout  le  souvenir  du  poète  qui,  au 
XVI*  siècle,  reproduisait  le  plus  merveilleusement  l'admiration 
haute  et  purifiante  de  l'âme  grecque  pour  la  beauté.  C'est  la 
scène  de  Sir  Guyon  et  des  deux  baigneuses  dans  le  jardin 
d'Acrasia  *  qui  a  directement  inspiré  l'épisode.  Mais  l'auteur 
des  «  Saisons  »  n'a  pas  cette  suprême  distinction,  ce  grand 
style  qui  rendent  les  nudités  de  Spenser  aussi  nobles  qu'un 
marbre  grec.  Il  y  a  là  une  forme  d'art  dont  Ja  tradition  est 
perdue  depuis  Milton,  et  que  le  xviii'  siècle  ne  retrouvera  pas. 
Thomson  est  de  son  temps,  pour  tout  ce  qui  n'est  pas  le  senti- 
ment de  la  nature.  Ces  souvenirs  de  la  Grèce  et  de  la  Renais- 
sance qui  remplissent  le  tableau  du  bain  de  Musidora,  le  poète 
les  interprète  avec  la  fidélité  qu'on  pourrait  attendre  d'un  Clo- 
<lion  traduisant  Praxitèle. 

L'influence  des  souvenirs  d'Homère  et  de  Spenser  était  plus 
frappante  encore  dans  la  forme  qu'avait  d'abord  revêtue  l'épi- 
sode. 11  ne  figurait  pas  dans  la  première  édition  de  1'  «  Été  ». 
C'est  dans  l'édition  des  «  Saisons  »  de  1730  qu'il  fait  son  appa- 
rition. Mais  alors  le  héros  est  un  philosophe  morose,  un 
a  stoïque  »  réfractaire  a  l'amour.  11  assiste  invisible  au  bain 
non  pas  d'une  seule,  mais  de  trois  nymphes.  Ia  vue  de  tant 

1.  Dans  la  deuxième  scène  de  Pacte  I  du  poème,  une  paysanne  propose 
à  une  autre  d*allcr  se  baigner,  cl  celle-ci  hésite  de  crainte  que  •  leurs 
bergers  •  ne  les  surprennent. 

2.  The  Faerie  Queene,  Bk.  Il,  canlo  XII,  str.  lxiii  et  seq. 


;^78  JAMES  THOMSON. 

(le  charmes  «  met  en  fuite  sa  rude  philosophie  ».  Le  voilà  tout 
d'un  coup  <(  humanisé  »  (tout  au  contraire  d'Actéon  qui,  dans 
une  aventure  analogue,  avait  perdu  son  humanité),  et  ii 
s'éprend  de  Musidora.  Le  choix  faisait  honneur  à  un  ex-philo- 
sophe; c'est  elle  qui,  dans  le  trouhlant  trio,  représentait  la 
Minerve  du  groupe  grec  *. 

On  peut  se  demander  si  celte  version  plus  grossière  et  plus 
fruste  n'était  pas  à  tout  prendre  moins  choquante  que  cette 
seconde  forme  sous  laquelle  le  poète  croyait  assurément  enno- 
blir et  épurer  son  récit.  L'histoire  de  ce  farouche  misogyne 
dont  les  théories  sur  le  mariage  et  Tamour  sont  réfutées  par  de 
si  singuliers  arguments  est  d'une  sensualité  naïve.  Mais  que 
dirons-nous  de  cette  héroïne  qu'une  réserve  timide  et  une 
virginale  fierté  empêchent  de  laisser  deviner  son  amour,  et 
qui,  vite  rassurée  quand  elle  sait  que  l'indiscret  est  Dainon, 
trace  à  son  adresse  ces  mots  :  «  Mon  bien  aimé,...  toi  que  la 
<i  fortune  a  trop  favorisé,  mais  que  l'amour,  hélas!  ne  favori:>o 
«  pas  moins,  reste  comme  aujourd'hui  discret;  le  jour  viendra 
a  peut-être  où  tu  n'auras  plus  à  t'enfuir  '  ». 

Telle  qu'elle  nous  est  présentée  depuis  l'édition  de  1744, 
riiistoriette  eut  le  don  de  plaire  aux  contemporains,  et,  des 
deux  côtés  de  la  Manche,  à  ce  public  qui  demandait  aux  poètes 
de  lui  servir  à  doses  égales  de  vertueux  préceptes  et  de  hardies 
peintures.  Le  pieux  Lyttelton  n'y  voit  rien  à  blâmer  '.  On 
serait  même  tenté  de  supposer  que  son  influence  n  a  pas  été 


1.  La  version  première  donnait  une  cxacle  conlre-parlie  du  jugement 
de  Paris  :  Saccharissa  y  représentait  Junon,  Auioret  Vénus  et  Musidora 
Minerve.  Dix-sept  vers  et  deux  demi-vers  ont  été  conservés  dans  le 
second  tableau;  il  en  est  dans  le  nombre  qui  rappellent  leur  premij^n' 
de^tinaliou  : 

•  Nor  Paris  panted  stronger,  wben  aside 
Tbe  rival  goddesses  Ibe  veil  divine 
Cast  uncoiifined.  > 

I.e  premier  de  ces  vers  a  été  plus  tard  modifié  et  répond  à  deux  ver> 
do  la  version  définitive.) 
INirmi  les  vers  sacrifiés,  on  peut  regretter  d'beurcux  traits  descriptifs: 

«  The  brook  raii  babbling  by;  and  sighin^  wcak, 
The  brecze  among  the  bending  willows  play'd.  • 

2.  Summer,  1307-1370. 

3.  11  est  vrai  qu'il  avait  lui-même  débuté  dans  les  lettres  par  une  tra- 
duction des  Lettres  persanes.  Mais  nous  savons  combien  plus  tard  il  était 
devenu  moral  pour  lui-même  et  pour  les  autres.  (Voir  plus  haut,  p.  15r*.) 


LES  HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS   AU   POÈME  DESCRIPTIF.      379 

étrangère  à  la  transformation  qu'a  subie  l*épisode  entre  l'édi- 
tion de  1738  et  celle  de  1744.  —  Damon  et  Musidora  inspirent 
le  motif  principal  au  gi-aveur  qui  illustre  V  n  Été  »  dans  l'édi- 
tion de  1738  *.  C'est  le  nom  de  rhéroïne  qui  fournit  le  titre  du 
premier  poème  consacré  à  la  gloire  de  Thomson  *.  Enfin,  et  ce 
n'est  pas  le  moindre  des  hommages  rendus  au  poète,  Gainsbo- 
rough  y  trouve  le  sujet  d'un  de  ses  tableaux  '. 

Kn  France,  Saint-Lambert  reprend  l'épisode,  l'amplifie  et  le 
délaie  en  deux  cent  cinquante  vers.  Nous  n'avons  plus  seule- 
ment un  amant,  mais  deux.  Damon  est  un  jeune  seigneur 
libertin, 

€  ComMé  dans  h*s  cités  des  faveurs  de  rainour  ». 

Lucas  est  un  vrai  berger, 

«  Des  troupeaux  de  Damon,  le  jeune  et  beau  pasteur  ». 

Nous  voyons  figurer  dans  le  récit  non  seulement  Lise,  la  Musi- 
dora du  poème  anglais,  mais  aussi  son  père,  sa  mère,  le 
((  ministre  sacré  »  de  la  paroisse  et  la  foule  des  villageois. 
L'épisode  du  bain  est  traité  d'une  touche  brutale.  II  ne  s'agit 
plus  d'un  accident  fortuit,  mais  d'une  surprise  préméditée. 
Damon,  qui  du  reste  connaît  l'amour  de  la  baigneuse  pour  a  le 
jeune  et  beau  pasteur  »,  assiste  au  bain  et,  quand  la  jeune  fille 
se  prépare  à  reprendre  ses  vêtements, 

€  Damon  vol(»,  il  sVlance  et  Lise  est  dans  ses  bras  ». 

Ilatons-nous  de  dire  qu'il  arrête  là  sa  galante  entreprise.  Les 
supplications  et  les  larmes  de  sa  victime  le  touchent, 

«  Ouoiqu'infecté  des  nuours  d'un  monde  corrompu  ». 

1.  Par  une  inadvertance  ou  une  infidélité  assez  Ringulières,  l'arlisto. 
W.  Kent,  fait  figurer  quatre  nymphes.  Et  c'est  la  méuie  gravure  ognindiu 
ipie  reproduit  fcdition  in-4  de  1762.  alors  que  le  texte  ne  fait  plus  men- 
tion que  d'une  baigneuse. 

2.  •  Muxidorits:  A  Poein  sacred  to  the  Meoiorv  of  .Mr.  James  Tliomson.  • 
1749.  L*auteur,  nous  l'avons  dit  autre  part,  est  Sliiels. 

Un  autre  admirateur  a  eu  la  fantaisie  de  représenter  —  en  de  bien 
mauvais  vers  —  Thomson  lui-même,  la  poiume  à  la  main,  invité  à  choisir 
cuire  les  quatre  Saisons.  Le  tableau  des  coquetteries  de  Spring  est  parti- 
culièrement vif.  (Voir  The  Monthlij  lievieiv,  vol.  28,  p.  398.)  Voir  plus  haut, 
p.  17.^. 

3.  «  Musidora  balbing  lier  feet.  >>  (Vernon  Collection.)  National  Gal- 
lery,  308. 


380  JAMES  TBOMSON. 

Il  répare  généreusement  sa  faute,  donne  une  ferme  à  Lucas, 
marie  les  deux  amants  <i  dans  deux  jours  »,  et  fait  les  frais  du 
repas  de  noces  où  il  traite  tout  le  village.  Tout  le  monde  est 
ému,  tout  le  monde  est  heureux,  toutes  les  vertus  trouvent 
leur  récompense, 

<  Et  Damon  tour  à  tour  recevait  dans  ses  bras 
Polémon  et  sa  fille,  et  la  mère  et  Lucas  >. 

Delille  a  tiré  de  Tépisode  un  tout  autre  parti.  Il  l'introduit 
au  chant  III  de  son  poème  des  «  Trois  Règnes  »,  —  à  l'occa- 
sion des  propriétés  et  des  usages  de  Teau  !  Il  invoque  le  sou- 
venir  du  poète  anglais, 

•  et,  rival  des  Thomsons, 

Osons  par  un  récit  égayer  mes  leçons  ». 

Puis,  sans  dire  autrement  jusqu'à  quel  point  il  est  redevable  à 
iion   prédécesseur,  il  traduit  entièrement  et  fidèlement  l'épi- 
sode. Son  travail  est  du  reste  un  modèle  de  traduction  facile, 
harmonieuse,  exacte  et  complète.  Sans  presque  dépasser  le 
nombre  de  vers  de  l'original,  l'habile  versificateur  reproduit 
en  distiques  élégants  tous  les  détails  du  récit.  A  peine  omet-il 
parfois  un  trait,  comme  celui  de  ce  vers  anacréontique  auquel 
le  galant  abbé  n'a  pas  dû  renoncer  sans  un  regret,  et  qui  nous 
montre  Musidora  «  conduite  au  bain  par  les  amours  rieurs  *  ». 
On  sent  que  la  traduction  a  été  pour  son  auteur  «  a  labour  of 
love  ».  Avec  quel  plaisir  il  a  cherché  et  trouvé  l'équivalent 
français  de  si  ingénieuses  périphrases  et  de  si  voluptueuse 
peintures  : 

€  déjà  f>ii  helle  main 

Sur  ses  jambes  d'albâtre  a  replié  la  soie  '.  » 

Peut-on  dire  plus  noblement  qu'une  demoiselle  ôte  ses  bas?  — 
La  description  un  peu  vive  des  trésors  révélés  à  l'indiscret 
berger  et  complaisamment  détaillés  au  lecteur  n'est  pas  pour 

1.  -  For  lo!  conducted  by  tlie  laughing  loves.  » 

{Summer,  4288.) 

:i.  «  from  the  snowy  leg 

And  slender  fool,  Ihe  inverled  silk  she  drew.  n 

{Sumjner,  4308,  1309.) 


LES  HORS-D'ŒUVRE   MÊLÉS   AU   POÈME   DESCRIPTIF.      381 

>ucher  le  traducteur.  Mais,  sans  l'avoir  cherché  sans  doute, 
is  donne  une  peinture  un  peu  atténuée.  Son  coloris  est 
s  chaud,  son  modelé  a  moins  de  l'eliei'.  Il  semble  voir 
urceau  de  Rubens  transcrit  par  Fragonard  *. 
:  Automne  »  renferme  aussi  un  long  épisode.  La  description 
moisson  est  suivie  d'un  récit  fondé  sur  Timmorlelle 
î  de  Kuth  et  Booz  '.  Le  portrait  de  la  jeune  Lavinia,  pauvre, 
et  vertueuse,  renferme  de  jolies  choses  gracieuses  et 
is  assez  banales^;  d'autres  au  contraire  qui  sont  un  peu 
lurnées  et  précieuses  *;  et  une  comparaison  poétique 
3  célèbre  : 

Il  en  jugera  si  Ton  compare  au  lexlc  anglais  des  passages  tels  que 
:i  : 

K  Jadis  le  beau  pasteur  de  Troie 

Dans  son  cœur  palpitant  ressentit  moins  de  joie.  » 

..•..•     ••..••..•     .... 

(I  Ce  sein  éblouissant  dont  le  double  contour 

Palpite  de  santé,  de  jeunesse  et  d'amour: 

(^es  deux  globes  charmants  qu'avec  grâce  compose 

Un  frais  amas  de  lis  que  surmonte  la  rose!  » 

"  Ahî  Ihen,  nol  Paris  on  llic  piny  top, 
Of  Ida  panted  stronger  »».... 

[Summer,  {'MA,  130;».) 

-  And,  Ihrough  the  parti ng  rol^,  tlie  alleruate  breast, 
With  youth  wild-throbbing,  on  thc  lawless  gaze 
In  full  luxuriance  rose.  » 

l-il  aussi  signaler  un  léger  contresens  du  traducteur? 

a  A  travers  le  cristal  tel  brille  un  jeune  lis  », 

e  pas  une  idée  très   satisraisaiite.  Delille  n'a  pas  vu  que  le  terme 

is  «  lily  »  désignait  ici  le  <<  water  lily  •  le  nénuphar. 

}unnt  aux  noms,  ils  sont  par  Thomson  empruntés  à  deux  poèmes  de 

u^ntemporain  Weisled  :  «  Palœmon  and  Cœlia  ».  •  Cleon  and  LAvi- 

.  (Vide  NicnOLS,  Lilernni  Anecdotes^  vol.  IX,  p.  3i.) 

non  figure  aussi  dans   Tidylle  que  Léonard  appelle   UÉté  (iPamon 

iphné;  Poésies  pastorales.  Livre  deuxième),  mais  il  n'y  a  pas  d*autrc 

niblance  avec  l'épisode  de  Thomson. 

*nr  exemple  : 

•  Like  the  gay  birds  that  sung  them   to  repose, 
Content  and  careless  oT  to-morro\v's  fare. 
Her  forni  \\as  frcshcr  than  the  morning  rose 
Whun  the  dew  wets  its  leaves,  unstained  and  pure 
As  is  the  lily  or  the  mountain  snow.  » 

{Autumn,  190-1Î>1.) 

«  The  modest  virtues  mingled  in  her  eyes, 

Still  on  the  ground  dejected.  darting  ail 

Tlieir  humid  beams  into  the  blooming  flowers.  » 

(193-197.) 


38â  JAMES  THOMSON. 

<  Comme  dans  un  vallon,  au  sein  de  TApenniii, 

A  l'abri  d'un  cercle  de  montagnes, 

Un  myrte  croit,  loin  de  tout  regard  humain. 

Et  répand  dans  cette  solitude  ses  parfums  délicieux. 

Ainsi  s'épanouissait,  Heur  que  nul  ne  voyait, 

La  douce  Lavinia  K  » 

Ce  joli  passage  est  une  des  plus  heureuses  additions  faites 
par  Pope  au  texte  de  son  ami,  et  Thomson  accepte  les  six 
vers  sans  y  rien  modifier.  Le  début  de  Tidylle  en  est  la  partie 
la  plus  heureuse.  Thomson  y  montre  qu'à  ses  qualités  d'énergie 
et  de  touche  vigoureuse  il  sait  aussi  joindre  la  délicatesse  et 
la  grâce.  Pope  y  manifeste  une  fois  de  plus  la  merveilleuse 
aisance  avec  laquelle  il  sait  se  mettre  à  l'unisson  d'un  talent 
original  et  d'une  inspiration  très  éloignée  de  la  sienne.  Quant 
aux  vers  où  se  développe  le  récit  proprement  dit,  ils  offrent 
peu  d'intérêt.  On  y  trouve  plus  d'un  trait  de  goût  contestable, 
comme  cette  fin  du  discours  par  lequel  Palémon  offre  à  la 
jolie  glaneuse  ses  biens,  son  cœur  et  sa  main. 

«  Les  champs,  le  maître,  tout,  belle  jeune  fille,  est  à  toi, 

Si  aux  bienfaits  nombreux  que  ta  maison 

M'a  prodigués  tu  veux  ajouter  ce  bien, 

Le  plus  précieux  de  tous,  le  pouvoir  de  le  combler  de  bienfaits  *.  » 

1.  •  As  io  the  hoUow  breaet  of  Apennine 
Beneath  tbc  shclter  oT  encircliug  hills, 
A  luyplle  rises  far  frora  human  eye, 

And  brcathes  its  balmy  fragrance  o'er  the  wild. 
Se  flourished  blooming  and  unseen  by  ail 
The  sweet  Lavinia.  • 

•  209-214.) 

On  a  remarqué  que  la  botanique  de  Pope  laisse  à  désirer.  Virgile  avait 
plus  exactement  noté  Thabitat  du  myrte  :  «  amantes  littoru  myrtes  •. 

2.  Autumny  290-293.  Le  trait,  tel  qu'il  est,  appartient  à  Pope.  L'idée  en 
était  en  germe  dans  le  texte  de  Thomson  (édit.  de  1738),  mais  mal  et  lour- 
dement développée  : 

«  Wilh  barvest  shining  ail  thèse  Fields  are  Ihine; 
And  if  m  y  wisbes  may  présume  so  far, 
Their  master  too,  who  Ihen  indeed  were  blest 
To  make  the  daughter  of  Acaslo  so.  • 

Nulle  surprise  que  la  correction  de  Pope  ait  été  adoptée  avec  empresse- 
ment. Quelques  vers  plus  haut,  Pope  avait  voulu  supprimer  un  elTet  d'an- 
tithèse un  peu  analogue,  mais  cette  fois  Thomson  regimbe  et  conserve  son 
vers  et  sa  pointe  : 

•  And  is  when  unadorned  adorned  the  most.  • 

(▼.  206.) 


LES   HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.      383 

L'invraisemblance  de  la  fable  est  naive.  La  pauvre  glaneuse 
dont  la  vue  inspire  dès  l'abord  à  Palémon  un  violent  amour, 
lui  parait  ressembler  au  vieil  Acasto,  son  bienfaiteur,  dont  il 
recherche  depuis  longtemps  la  fille,  et  il  se  trouve  que  Lavinia 
est  cette  fille  même.  Les  sentiments  sont  d'une  psychologie 
toute  sommaire. 

«  Il  la  vil  charmante,  mais  il  ne  vit  pas  la  moitié 
Des  charmes  que  sa  vue  modestement  haissée  tenait  cachés; 
A  ce  moment  même  l'amour  et  un  chaste  désir 
Naquirent  dans  son  sein  *.  » 

Cet  amour,  de  naissance  si  subite,  s'exprime  en  exclama- 
tions, en  interrogations  et  en  interjections  continues  :  «  Quel 
dommage  qu'une  beauté  si  délicate....  soit  destinée  aux  rudes 
embrassements  de  quelque  rustre  grossier  M  —  0  vœu 
romanesque,  je  voudrais  qu'elle  fût  sa  fille*!  —  Es-tu  donc  la 
fille  laissée  par  Acasto  *?  —  0  toi,  plus  douce  que  le  prin- 
temps '  !  —  II  te  sied  mal,  oh  î  il  sied  mal  à  la  fille  d' Acasto  ^  ï),elc. 

Saint-Lambert  n'a  pas  conservé  l'épisode  ';  peut-être  l'ori- 
gine biblique  lui  en  déplaisait  elle.  Mais  le  récit  est  resté 
longtemps  populaire  en  Angleterre.  Goldsmith  le  faisait 
figurer  parmi  ses  extraits  choisis  des  beautés  de  la  Littérature 
anglaise  *  ;  et  un  poète  provincial  y  prenait  la  matière  d'un 
long  poème  en  deux  chants  *.  Nous  ne  recommandons  à  per- 

1.  Autumn,  229-232.  —  2.  Ibid.y  231-241.  —  3.  Ibid.,  251.  —4.  Ibid.,  265. 
—  5.  Ibid,,  210.  —  6.  Ibid,,  282. 

7.  l\  lui  en  Tautun  cependant  pour  rAutomne.  Il  reprend  le  premier  épi- 
sode de  Summer^  le  dépouille  du  tout  ce  qui  en  faisait  la  raison  d'être,  et  le 
réduit  à  la  plus  insignifiante  anecdote.  Cinquante  vers  nous  apprennent 
que  la  naïve  Rosette  et  le  jeune  Lubin  s'aiment,  qu'un  orage  les  effraie, 
qu'ils  veulent  rentrer  chez  eux,  rencontrent  sur  leur  chemin  un  tombeau, 
et  en  profitent  pour  jurer  de  s'aimer  toujours. 

8.  «  Sélection  of  the  Beauties  of  English  Literature.  »  L'hommage  ainsi 
rendu  à  l'auteur  des  Saisons  est  d'ailleurs  fort  diminue  par  cette  remarque 
dont  Goldsmith  fait  précéder  le  morceau  :  «  Mr.  Thomson,  though  in 
gênerai  a  verbose  and  afTccted  poet,  has  told  this  story  with  unusual  sim- 
plicity.  It  is  rather  given  hère  for  being  mucb  esteemed  by  the  public, 
than  by  the  éditer.  •  {Murray's  Goldsmith,  vol.  lU,  p.  438.) 

9.  «  Palemon  and  Lavinia,  A  Letjendary  Taie.  In  two  Parts.  Enlarged 
from  a  story  in  Thomson's  Seasons,  by  David  Mountfort,  Prompter  of  the 
Theatre-Royal.  Edinburgh.  »  1183. 

L'ouvrage  est  devenu  très  rare.  L'exemplaire  du  Brilish  Muséum  est 
incomplet.  Le  poème  est  écrit  en  strophes  de  quatre  pentamètres  A  rimes 
alternées.  La  première  partie  contient  LVII1  strophes,  la  seconde  doit  avoir 


t384  JAMES  THOMSON. 

sonne  la  lecture  de  Fœuvre  de  Mountford.  Nous  reconnaissons 
même  que  sous  la  forme  beaucoup  plus  brève  où  il  parait 
dans  les  a  Saisons  »,  le  récit  n'est  ]>as  un  chef-d'œuvre. 
Thomson,  avec  la  collaboration  de  Pope,  ne  nous  a  pas  donné 
une  version  nouvelle  à  comparer  au  simple  et  pénétrant  récit 
de  la  Bible.  Son  imitation  est  bien  pâle  à  côté  de  la  sobre 
esquisse  où  Hugo  a  fixé  le  charme  grave  de  Pidylle  juive  *. 

Au  total,  on  le  voit,  ces  passages  ne  sont  pas  de  ceux  qui 
ajoutent  beaucoup  à  la  gloire  du  poète.  Ils  viennent  moins  de 
lui-même  et  de  l'inspiration  de  son  vrai  génie,  que  de  son 
temps  et  des  influences  qui  Tentourent.  Il  n'a  ni  le  talent  de 
narration  alerte  et  souple,  ni  le  don  dramatique  qui  aurait  pu 
insuffler  la  vie  aux  personnages  de  ces  petites  scènes.  Et  cepen- 
dant, même  dans  ces   hors-d'œuvre,  se  retrouvent  encore 
quelques  traces  de   la  personnalité  vigoureuse   du  maître. 
Dans  l'ampleur  et  la  sonorité  du  vers  d'abord.  Et  puis,  pour 
ce  qui  regarde  le  plus  important  de  ces  épisodes,  dans  une 
manière  à  tout  prendre  plus  large,  plus  robuste  et  plus  saine, 
qui  tranche  au  milieu  des  œuvres  de  ce  temps.  Le  tableau  de 
genre  du  bain  de  Musidora  —  le  souvenir  le  plus  saillant  que 
laisse  la  lecture  de  ces  passages  narratifs  —  peut  avec  avan- 
tage être  comparé  aux  scènes  analogues  où  se  complaisent  la 
littéi-ature  et  Tart  du  xviu"  siècle.  Pour  la  morale  comme 
pour  l'art,  la  sensualité  un  peu  grossière  des  peintures  de 
Thomson  vaut  mieux  que  les  mièvres  élégances  de  Prior,  de 
Parny  ou  de  Dorât,  ou  que  la  licence  à  froid  de  Swift,  de 
Montesquieu  ou  de  Voltaire.  Il  y  a  dans  son  fait  une  teinte  de 
réalisme  peu  délicat,  mais  il  n'y  a  pas  de  libertinage.  Et  c'est 
peut-être  un  mérite  que  d'avoir  rappelé,  à  Tépoque  où  flori.s- 
sait  IJoucher,  les  droits  et  la  beauté  du  naturel,  fût-il  même 
un  peu  cru. 


à  peu  près  la  môme  élendne.  à  en  juger  par  le  développement  aUeint  par 
le  récit  à  la  slrophc  L,  la  dernière  qui  figure  dans  l'exemplaire  de  la  grande 
Bibliollièque  de  Londres. 

1.  La  Létjende  des  Siècles,  Hooz  endonni.  —  A.  Chénier  semble  avoir  eii 
la  pensée  de  Irailer  le  même  thème,  témoin  ce  >ifi'  fragment  dMdylle  qu'il 
imite  •  des  vers  de  Thomson  en  faveur  des  pauvres  glaneuses  •, 


LES  IIORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME   DESCRIPTIF.       38S 


II 


Patriotisme  et  Politique. 

y  a  dans  les  «  Saisons  »  bien  d'autres  développements 
sites  que  les  Épisodes.  Ceux-ci  étaient,  au  moins  par 
jue  lien  fragile,  rattachés  au  poème  descriptif.  Nombre 
très  morceaux  *  ont  pour  seule  raison  d'être  le  désir  du 
2  d'entretenir  ses  lecteurs  des  sujets  qui  occupaient  alors 
i^prits,  ou  de  faire  une  place  —  au  second  plan  et  der- 
!  la  Nature  —  à  un  nouveau  personnage,  James  Thomson 
Qùme.  Nous  passerons  rapidement  en  revue  les  passages 
lous  sont  ainsi  révélés  les  pensées  de  son  esprit  et  les 
:ions  de  son  cœur,  les  jugements  de  son  goût  aussi  bien 
es  témoignages  de  sa  science  ou  les  traits  de  son  esprit, 
patriotisme  est  une  des  sources  d'inspiration  qui  vien- 
Ic  plus  souvent  alimenter  ces  effusions  du  poète.  Il  avait 
rté  d'Ecosse  une  foi  nationale  sincère,  et  il  y  mêlait, 
le  savons,  quelque  secret  espoir  que  la  politique  le 
lirait,  comme  plus  d'un  écrivain  avant  lui,  à  la  richesse 
^  honneurs.  Aussi  sommes-nous  tentés  de  lui  savoir  gré 
qu'il  n'ait  pas  plus  souvent  encore  abandonné  le  sujet 
e  de  son  poème  pour  adresser  à  ([ui  de  droit  les  tirades 
i  patriotisme  quelquefois  éloquent  et  souvent  déclama- 

3casion  en  est  d'ordinaire  l'éloge  de  quelqu'un  de  ces 
n'S  d'État  du  parti  whig  auxquels  il  était  attaché  par  ses 
'tions  non  moins  que  par  ses  ambitions  ou  sa  reconnais- 
Nous  voyons  apparaître  successivement  au  milieu  des 
iix  de  la  nature  (comme,  dans  les  parcs  alors  célè- 
chaque  tournant  de  chemin  était  orné  d'une  colonne, 
urne  ou  d'un  terme),  les  portraits  de  ces  hommes 
;s,  de  renommée  fort  inégale,  auxquels  le  poète  assigne 

lelqucs  clntrres  préciseront  l'importance  relative  de  ces  deux  élé- 
rournis  par  le  poème.  Dans  Tlliver,  qui  ne  renferme  pas  d'épisodes, 
G  vers,  37o,  soit  plus  d'un  tiers,  sont  consacrés  à  ces  dêveloppe- 
riccessoiriîs.  Le  nombre  en  serait  dans  le  «  Printemps  •  de  500  vers, 
!;,  soit  près  d'une  moilié;  dans  V  «  Kté  -  de  073,  sur  1805;  et  dans 
omne  •  àe  0i8,  sur  13T3. 

or 


386  JAMES  THOMSON. 

d'uniformes  et  sublimes  vertus   :    Dodinglon  ",    Onslow  , 
Argyle  3,  Forbes*,  Lyttelton*,  Pitt®,  Cobham  ",  Wilmington* 
ou  Ciiesterfield  •.  —  Nous  n'avons  guère  de  renseignements 
utiles  à  recueillir  de  ces  extraits.  Cen*estpas  dans  les  louanges 
extravagantes  adressées  à  des  Dodington  ou  à  des  Wilmington 
que  rhistoire  cherchera  des  documents  sur  les  hommes  d'État 
du  xviu'  siècle.  Mais  ce  qui  peut  frapper  dans  ces  panégyriques, 
c'est  l'insistance  avec  laquelle  l'auteur  célèbre  chez  ses  héros 
leur  amour  de  la  liberté,  leur  déypuement  à  la  patrie,  et  aussi 
(car  la  plupart  appartiennent  à  l'opposition)  aux  doctrines  du 
parti  whig.  Le  terme  patHot  revient  sans  cesse  dans  Ténumé- 
ration  des  vertus  de  ces  politiques.  Le  mot  n'a  pas  alors  la 
même  valeur  qu'aujourd'hui.   Les  «  patriots  »   ce  sont  les 
partisans  des  droits  de  la  nation,  en  contraste  avec  les  servi- 
teurs trop  zélés  du  roi  *". 

Mais  le  patriotisme,  avec  le  sens  que  nous  attachons  à  ce 
mol,  est  également  présent  dans  ces  effusions  de  Thomson. 
Le  poète  ressent  et  exprime  fortement  l'orgueil  national  de  ses 
concitoyens  et  de  ses  contemporains.  Il  a  le  patriotisme  local 
de  l'Écossais.  11  énonce  avec  fierté  les  beautés  de  son  pays  de 
lacs,  de  forêts  et  de  montagnes  ;  il  en  résume  l'histoire  avec 
enthousiasme  **.  Mais  il  a  surtout  le  patriotisme  britannique. 
A  maintes  reprises  il  exprime  l'orgueil  que  lui  inspire  la  gran- 
deur de  sa  patrie,  et  qui  ne  va  pas  sans  une  bonne  part  de 
dédain  ou  de  haine  pour  les  rivaux  de  l'Angleterre".  11  demande 
qu'un  honmie  d'Klat  se  lève,  digne  de  présider  aux  détestinées 
de  la  patrie  et  qui  ne  souffre  plus  celte  humiliation  de  laisser 
les  bateaux  hollandais  pêcher  dans  les  baies  et  les  estuaires 
anglais  *^î  Ce  sont  parfois  des  occasions  inattendues  qui  font 
jailUr  ces  hymnes  à  la  gloire  de  la  Liberté  ou  de  la  constitu- 


1.  Summer,  21-31  —  2.  Autumn.  0-22.  —  3.  Ibid.,  929-943.  --  4.  Ibid.,  944- 
949.—  5.  %m.9,  903-961.—  0.  Auiumti,  1048-1069.  —  ".  /6/V/.,  10-0-1081. 
—  8.  Wifiter,  17-40.  —  9.  Ihid.,  6:)6-690. 

10.  C'est  le  sens  que  le  mot  conservait  encore  dans  la  langue  de  Burke 
lorsque  le  grand  orateur  représentait  radniinistration  de  Pitt  (1166)  comme 
formée  d'éléments  hétérogènes  :  a  patriots  and  courtiers,  King's  frieiids 
an  d  republioans,  whigs  nnd  tories,  trcacherous  friends  and  open  en- 
cmies,  etc.  »  (Cité  par  A.  T.  Thomson,  p.  332.) 

U.  Autitmn,  878-909. 

12.  L'ennemi  Gaulois  reçoit,  bien  entendu,  la  plus  forte  part  de  ces  traits. 
Voir  par  exemple  :  Summer,  428-430,  et  Autuinn,  107.5-1017. 

13.  Su  m  mer,  428-430. 


LES   HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS   AU   POÈMB  DESCRIPTIF.      387 

lion  britannique.  La  description  des  splendeurs  de  la  nature 
«1UX  tropiques  appelle,  par  exemple,  dans  son  esprit  et  sous  sa 
plume,  le  contraste  de  la  glorieuse  liberté  de  l'Angleterre  ^ 
Ailleurs  le  poète  ne  peut  observer  le  tableau  d'un  troupeau  de 
moutons  que  tondent  les  bergers,  sans  célrbrer  avec  un  trans- 
port lyrique  cette  liberté  politique  à  laquelle  l'Angleterre  doit 
d'être  la  plus  riche,  la  plus  heureuse  et  la  plus  puissante 
des  nations  '.  —  Voilà  un  des  éléments  de  vie  et  d'intérêt  du 
poùrne  pour  les  lecteurs  à  quiMl  s'adressait.  Le  patriotisme  de 
Thomson  n  était  pas  moins  sincère  que  son  amour  de  la  nature. 
L'auteur  avait  le  droit  d'inscrire  dans  son  œuvre  cette  fière 
déclaration  que  «  la  muse....,  toutes  les  fois  que  la  pensée  de 
((  la  patrie  envahit  son  cœur,  prend  un  ton  plus  hardi  et  tente 
m  de  mêler  à  la  flamme  du  poète  la  flamme  du  patriote  ^  ». 


III 


Morale.  —  Sentiment  et  Sentimentalité. 

Le  caractère  par  lequel  Tiiomson  appartient  le  plus  com- 
plètement à  son  temps,  c'est,  avec  le  goût  de  la  prédication 
morale,  une  sensibilité  qui  s'épanche  complaisamment  en 
toute  occasion  et  sur  tout  objet.  Nous  savons  que  ce  sont  là  des 
traits  qui  se  retrouvent  à  peu  près  dans  toute  la  littérature  du 
xviii^  siècle.  Pas  un  écrivain  qui  n'y  prêche  et  ne  prodigue  les 
maximes  vertueuses.  Les  plus  éloquents  sont  peut-être  ceux 
que  leur  vie  prépare  le  moins  à  ce  sacerdoce,  comme  Pope  ou 
Diderot.  Et  quelles  sont  les  œuvres  littéraires  de  ce  temps  où 
ne  s'aflirme,  ne  s'attendrisse  et  ne  larmoie  la  chaude  bonté, 
l'humanité  pitoyable  d'auteurs  qui  s'appellent  parfois  Sterne 
ou  .Ïean-Jacques  Rousseau?  Thomson  n'a  pas  inauguré  la  pré- 
dication moraliste.  Sans  parler  d'Addison  et  de  Steele,  les 
satires  de  Young  avaient  avant  lui  fait  une  grande  place  à  cette 
inspiration.  Mais  nous  verrons  qu'il  a  contribué,  pour  une 
part  très  notable,  à  établir  ce  règne  du  sentiment  et  de  la  sen- 
timentalité qui  est  demeuré  un  des  caractères  essentiels  du 
siècle. 

1.  .Swmmer,  860-881  et  seq.  —  2.  Spring,  830-8i8.  —  3.  Auiutnn,  i8-22. 


388  JAMES  THOMSON. 

Toutes  les  occasions  lui  sont  bonnes  pour  adressera  ses  lec- 
tcui*s  quelque  vertueux  conseil.  La  scène  des  glaneuses,  vers 
le  début  der  a  Automne*  »,  et  plus  loin  le  tableau  d'une  inon- 
dation *,  lui  fournissent  prétexte  pour  une  invitation  à  la  cha- 
rité. Le  souvenir  du  bonheur  et  de  Tinnocence  de  l'âge  d'or 
l'amène  à  décrire  les  vices  des  sociétés  modernes  et  les  maux 
qu'ils  entraînent  '.  La  misère  des  pauvres  gens  en  hiver 
appelle   ses  protestations  contre  l'indifférence  des  hommes 
((  orgueilleux  et  livrés  à  la  dissipation  ^  dont  le  plaisir  est  fait 
pour  une  si  grande  part  de  la  souffrance  d'autrui  *.  Et,  dans 
un  passage  de  réelle  émotion  malgré  la  langue  un  peu  décla- 
matoire, il  salue  les  hommes  qui  se  sont  voués  à  la  réforme 
des  prisons,  à  Tabolition  d'une  des  plus  criantes  misères  de  la 
société  de  ce  temps*.  —  Parmi  les  hautes  objurgations  se 
glissent   aussi  quelques    conseils   familiers    et  d'ordre  plus 
modeste.  De  même  que  le  poète  flétrit  l'égoïsme  des  riches  en 
accents  dont  se  souviendront  Goldsmith  et  Rousseau,  il  imite, 
avec  moins  de  finesse  et  de  grâce,  les  sermons  laïques  d "Ad- 
dison  sur  la  pratique  des  petites  vertus  d'intérieur.  Il  s'indigne 
par  exemple  contre  les  paresseux  qui  peuvent  préférer  leur  lit 
aux  plaisirs  réserves  au  promeneur  matinal   •.  Et  c'est  un 
nouvel  exemple  à  citer,  moins  tragique  que  celui  de  Sterne  et 
de  Jean-Jacques,  du  désaccord  qui  peut  régner  entre  l'ensei- 
gnement et  la  pratique  chez  un  moraliste.  —  A  propos  delà 
chasse,  il  s'élève  contre  la  participation  des  femmes  à  ce  jeu 
cruel,  et  trace  un  programme  des  occupations,  des  talents, de 
la  toilette  même  qui  conviennent  «  aux  beautés  anglaises  '  ï. 

Cette  chaleur  d'affection  que  nous  a  fait  connaître  la  vie  de 
Thomson,  son  poème  en  reproduit  plus  d'une  fois  la  trace. 
Rien  de  plus  significatif  que  la  différence  entre  les  éloges, 
glacés  malgré  leurs  hyperboles,  qu'il  adresse  aux  honunes 
d'Ktatou  aux  grands  ])ersonnages  dont  il  recherche  l'appui,  et 
ceux  où  il  parle  des  amis  qu'il  s'est  faits.  On  peut  comparer 
les  louanges  oflicielles  et  rémunérées  de  lady  Herttord  S  de 
Dodington  ou  de  Wilmington,  à  celles  où  il  célèbre  Argyle,  le 
grand  seigneur  écossais,  qui  a  généreusement  favorisé  ses 
débuts,  ou  Lyttelton,  «  l'ami  »  %  ou  Forbes,  le  patron  des 

1.  Autumn,  169-176.  —  ii.  IbùL,  350.  —3.  î^prirnj,  271-307.—  4.  W'inler. 
322-358.  —  5.  lhi(L,  359-388.  —  (>.  Summer,  07-80.  —  7.  Autumn,  570-600. 
—  8.  i>pring,  début.  —  i).  Ihid.,  905-961. 


LES  nORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME   DESCRIPTIF.       389 

premiers  jours,  le  père  d'un  camarade  tendrement  aimé*.  Il  y 
a  surtout  un  accent  de  profonde  émotion  dans  les  vers  con- 
sacrés à  des  amis  perdus.  Tels  ceux  où  il  rend  un  honnnage 
de  regret  affectueux  à  James  llammond,  l'orgueil  de  la  petite 
société  d'écrivains  et  d'hommes  du  monde  où  Ta  connu 
Thomson*.  Ces  quelques  vers  des  a  Saisons  »  feront  plus  sans 
doute  pour  assurer  au  gentilhonnne-poète  une  part  d'innnorta- 
lité  que  ses  froides  Élégies  amoureuses.  Tel  aussi  le  passage 
où  il  pleure  la  mort  de  la  jeune  Stanley  enlevée  à  dix-huit  ans 
à  Taffection  de  sa  mère  et  à  de  chères  amitiés  ^ 

Voilà  le  sentiment  juste,  ému  sans  extravagance,  sorti  du 
cœur  et  s'adressant  au  cœur.  Il  est  digne  de  l'homme  que  nous 
avons  appris  à  connaître;  il  est  en  harmonie  avec  cette  mélan- 
colie attendrie  que  l'influence  de  la  nature  communique,  à 
certaines  heures,  même  à  l'observation  la  plus  résolument 
optimiste.  Thomson  l'a  noté  dans  une  des  pages  de  «  l'Au- 
tomne ».  Il  vient  de  décrire  le  spectacle  d'une  douceur 
navrante  qu'offre  l'année  à  son  déclin  :  les  feuilles  qui  tombent 
lentement  en  cercles  capricieux,  ou  que  le  vent  agite  et  fait 
tomber  en  pluie,  ou  qui  tapissent  les  allées  de  la  forêt  et  font 
entendre  un  sifflement  lugubre  quand  le  vent  soulève  et  trans- 
porte leurs  amas  flétris.  Plus  de  fleurs,  les  derniers  fruits 
tombent  et  tout  prend  un  aspect  désolé  qui  fait  frissonner 
lame.  «  La  voici!  la  voici!  —  Avec  chaque  brise  arrive  l'in-- 
«t  fluence  de  la  Mélancolie  philosophique!  Son  approche  est 
(n  annonci^e  par  une  larme  qui  jaillit  soudain,  par  le  feu  des 
«  joues...  et  les  battements  du  C(eur....  Mille  idées  et  mille  pas- 
«  sions  se  pressent  devant  Tesprit  —  la  piété,...  l'amour  de  la 
a  Nature,  de  toute  la  nature  et  surtout  de  la  race  humaine;  le 
<(  grand  et  ambitieux  désir  de  rendre  les  hommes  heureux;  le 
«  soupir  pour  le  mérite  soutirant  perdu  dans  l'obscurité  *.  » 

Retenons  ce  mot,  a  l'amour  de  la  Nature,  de  toute  la  nature  ». 
C'est  par  là  que  le  sentiment  va  prendre  un  développement 
excessif  et  mal  dirigé,  et  verser  dans  la  sentimentalité. 

Thomson  ne  se  lasse  pas  de  s'apitoyer  sur  les  souffrances  des 

1.  Aufamn,9kWdi\i.  —  2.  Winter,  iiSo-r,"!. 

;>.  Summe)\  oG4-384.  Le  poète  avait  en  outre  composé  uue  épilaphe  ilc 
vingt-quatre  vera  pour  rappeler  les  jeunes  vertus  de  Miss  Stanley  oi  la 
douleur  de  sa  mère. 

-i.  Autttmn^  lOOi-iOiiO. 


390  JAMES  THOMSON« 

animaux.  Pourquoi  cette  souffrance  d'êtres  inoffensi£s?  Vingt 
fois  il  se  pose  cette  question  douloureuse.  Il  s'élève  contre  la 
cruauté  de  l'homme  qui  sacrifie  leur  vie  à  ses  besoins  ou  à  ses 
plaisire*.  Il  regrette  cet  âge  d'or  où  n'était  pas  né  le  goût  de 
la  chair  et  du  sang  ^.  Cette  cruauté  le  révolte  d'autant  plus 
qu'elle  s'aggrave  d'une  noire  ingratitude.  Nos  victimes  ne  sont 
pas  seulement  inofTensives  ;  elles  sont  nos  serviteurs  et  nos 
amis.  Et  alors,  avec  une  conviction  qui  atténue  le  ridicule  de 
l'argumentation  et  des  hyperboles,  le  poète  flétrit  Thomme 
plus  cruel  que  le  loup,  car  celui-ci  <k  n'a  pas  bu  le  lait  de  la 
victime  qu'il  entraîne  bêlante,  il  ne  s'est  pas  vêtu  de  sa  chaude 
toison  ^  ]».  Du  reste  la  compassion  de  Thomson  n'attend  pas 
pour  s'émouvoir  la  catastrophe  causée  par  le  couteau  du  bou- 
cher. Il  s'apitoie  sur  le  sort  des  bestiaux  exposés  à  Forage.  Il 
ne  peut  se  défendre  de  prêter  à  ces  humbles  frères  des  atti- 
tudes et  des  expressions  tout  humaines.  A  l'approche  de  la 
tempête  b(eufs  et  moutons  «  élèvent  vers  le  ciel  menaçant  de 
«  suppliants  regards  *  j>.  Au  milieu  de  l'hiver,  le  poète  a  vu  les 

1.  Spring,  369,  370.  —  2.  Jbùf.,  237. 

3.  Ibid.,  339-370. 

Dclille  a  repris  ce  thème.  Il  flétrit  la  chasse,  et  cette  •  lâche  victoire  sur 
d'impuissantes  victimes  ».  l\  invite  les  chasseurs  à  s'adresser  de  préfé- 
rence  aux  fauves.  {L Homme  des  Champs,)  Mais  il  a  compris  combien  l'excès 
peut  ici  devenir  puérU,  et  il  semble  bien  qu'il  ait  en  vue  le  paragraphe 
de  TliomsoQ.  quand  il  écrit  : 

<i  Pourtant,  quelque  intérêt  que  m'iospireut  vos  maux, 
Je  n'irai  point,  rival  du  vieillard  de  Samos, 
Répéter  aux  humains  sa  plainte  attendrissante. 
Je  ne  m'écrirai  point  d'une  voix  gémissante  : 
>  CruelSf  que  vous  ont  fait  rinnocente  brebis, 


Que  vous  a  fait  Toiseau 

Que  vous  a  fait  le  bo3uf  ?  >* 

[Malheur  et  Pitié.  Ch.  I,  p.  15,  Itt.) 

Uoucher  n'a  pas  les  nu^mcs  réserves,  ni  le  même  sentiment  du  ridicule. 
Il  traduit  Thomson  (sans  le  dire)  dans  uue  langue  plus  médiocre. 

«  Arrête,  homme  vorace,  arrête  :  ta  furie. 

Des  Tigres,  des  Lions  passe  la  barbarie. 

Jamais  ces  animaux  dans  le  sang  élevés 

Du  lait  de  la  Brebis  ne  furent  abreuvés; 

llfl  ne  furent  jamais  revêtus  de  sa  laine. 

Le  Bœuf  pour  les  nourrir  fécondc-t-il  la  plaine? 

C'est  pour  toi  que,  sans  fiel,  docile  à  Taiguillon, 

Il  creuse  sous  le  joug  un  paisible  sillon.  » 

[Lea  }fois.  Vol.  I,  chant  I,  p.  15,  16.) 
i.  Summei\  112  i,  1125. 


LES   HORS-D'ŒUVRE   MÊLÉS   AU   POÈME   DESCRIPTIF.       391 

moutons  «  contempler  tour  à  tour  le  ciel  lugubre  et  la  terre 
<(  brillante  avec  des  regards  de  désespoir  muet  *  ».  Cette  sym- 
pathie qui  s'aCnige  des  rigueurs  de  la  nalure  garde,  à  plus 
forte  raison,  pour  toutes  les  victimes  de  Tégoïsme  humain,  de 
la  pitié  et  des  vers.  Quelques-uns  sont  touchants  et  bien  venus, 
comme  ceux  où  «  sa  muse  pleure  sans  honte  ses  frères  des 
«  bosquets  »,  «  les  jolis  prisonniers  que  Fhomme  enferme  dans 
c  une  cage  étroite  pour  satisfaire  un  cruel  caprice,  ou  dont  il 
«  pille  le  nid,  insoucieux  de  la  douleur  qu'il  cause  '  ».  Mais  les 
traits  sont  au  contraire,  trop  souvent,  de  goût  douteux.  Le 
poète  s'élève  contre  la  pratique  inhumaine  d'enfumer  les 
abeilles  pour  prendre  le  miel  des  ruches,  et  il  nous  montre 
«  ce  peuple  heureux  dans  ses  cellules  de  cire,  occupé  des  tra- 
«  vaux  de  lacommmunauté,  faisant  des  projets  de  tempérance 
«  pour  rhiver  et  la  disette,  et  se  réjouissant  de  voir  amassées 
«  les  amples  provisions,  quand  soudain  monte  la  noire  fumée 
a  étouffante  qui  suffoque  par  milliers  ces  insectes  délicats 
c(  habitués  à  de  plus  douces  odeurs  ^  ». 

I^  chasse,  on  le  comprend,  est  Tobjct  de  sa  réprobation 
violente.  Pour  nous  attendrir  plus  sûrement  il  nous  montre 
successivement  les  souffrances  de  chacun  des  animaux.  11  nous 
intéresse,  après  Pope,  au  spectacle  du  faisan  atteint  par  le 
plomb.  Sa  description  moins  curieusement  pittoresque  et  pré- 
cise est  plus  émue  et  plus  touchante  ^  Il  ne  voit  pas  seulement 
Toiseau  et  son  plumage  éclatant,  mais  la  somme  de  bonheur 
que  représentait  cette  [petite  vie,  et  la  couvée,  ses  alarmes,  son 
épouvante.  Le  lièvre  est  à  son  tour  Tobjet  d'une  description 
dont  nous  avons  noté  ailleui's  l'extrême  et  délicate  justesse. 
Klle  se  termine  par  quelques  vers  indignés  sur  «  cette  folie 
a  tumultueuse  et  cette  joie  discordante  de  la  foule  confuse  des 
«  chiens,  des  chevaux  et  des  chasseurs,  tous  triomphants  d'une 
«  faible  et  innocente  créature  qui  ne  sait  que  fuir  ^  ». 

Le  cerf  est  le  sujet  du  troisième  tableau  dans  cette  descrip- 

1.  Winler,  261-263.  —  2.  Sprint,  713-72*;.  —  3.  Autumn,  1172-1200. 

4.  Autwnn,  360-378.  —  PopeJ  Windsor  h'oresi,  v.  il  1-119.  Thomson 
n'a  conservé  ni  le  ■  whirrin^  •  du  vol  de  Foiscau,  ni  le  «  panting  beats 
Ihe  ground  »,  ni  le  «  scaiiel-circled  eyes  -.  .Mais  il  adopte  l'épiUièle 
-  Iriumphant  •  par  laquelle  Pope  caractérise  d'un  mot  le  spectacle  superbe 
de  l'oiseau  traversant  Tair:  et  <«  varied  plumes  »  dans  1*  k  Automne  »  est 
un  souvenir  de  -  varying  dycs  •  de  Winfhor  Fores^t. 

5.  Aulumn,  400-i2i>. 


39â  JAMBS  THOMSON. 

tion  de  là  chasse.  Le  peintre  et  le  moraliste  avaient  ici  un  pré- 
décesseur illustre.  Nous  ne  nous  étonnons  pas  de  trouver  dans 
les  vers  de  Thomson  plus  d'un  souvenir  d*une  scène  célèbre 
de  Shakespeare  \  C'est  à  lui  que  notre  poète  emprunte  Tépi- 
thèle  a  sobbing*  ï>,  et  «  mark  his  side  with  gore  '  i,  et  Tidi'e 
de  la  dernière  souffrance  du  pauvre  animal  que  fuient  ses 
frères  égoïstes,  et  ce  vers  qui  est  presque  de  toutes  pi«'ces 
emprunté  au  grand  dramaturge  : 

€  Tlic  bifî  round  lears  nin  down  his  dappled  face  *.  » 

Les  soulTrances  même  des  bêles  de  proie  éveillent  chez  le 
poète  quelque  sympathie.  Après  avoir  engagé  les  chasseurs  à 
tourner  leur  ardeur  contre  le  lion,  Je  loup,  le  sanglier  ou  le 
renard,  (c  le  nocturne  voleur  »,  il  constate  l'héroïsme  du 
bandit  qui,  a  forcé  et  dur  à  tuer,  se  laisse  sans  une  plainte 
«  déchiier  par  cent  gueules  impitoyables  *  ».  C'est  là  une  note 
très  moderne  que  ne  connaissait  guère  la  poésie  antérieure  à 
notrcî  siècle.  Le  renard  de  Thomson  n'est  pas  indigne  d'être 
mentionjic  à  coté  du  loup  de  Vigny,  qui 

«  Sans  diiifincr  savoir  comnuMit  il  a  péri, 

Refermant  si's  grands  yeux,  meurt  sans  jelcr  un  cri  •.  » 

Cela  suftirait  sans  doute  à  montrer  que  c'est  bien  à  Thomson 
que  revient  l'honneur  d'avoir,  le  premier  depuis  Shakespeare, 
témoigné  une  sympathie  pour  les  soulîrances  des  animaux  et 
prononcé  un  plaidoyer  ému  en  défense  de  leur  faiblesse  et  de 
leur  droit  à  la  vie.  C'est  une  injustice  que  d'attibuer  à  Gowper 
et  à  Biirns  le  mérite  d(î  cette  compassion  et  de  ce  rappel  à 
l'humanité  ". 


1.  .l.v  You  tikfi  //,  acte  II,  se.  i,  du  vers  21  à  la  On  de  la  scène. 

2.  •  The  sobliiuK  deer  -,  v.  00. 

'.\.  •  llnve  Iheir  round  liaunches  pored  •,  v.  25. 

».  "  And  llie  big  round  tears 

Goursed  one  another  do\Mi  his  innocent  nosc.  • 

(Vers  39,  40.) 
:>.  Autumn,  190-192. 
0.  Iji  Mort  tlu  Loup.  Poésies  diverses. 

'.  M.  Angellier,  si  exnrioment  informé  d'ordinaire,  a  commis  cette 
injustice.  {Esxai  sur  liurns,  vol.  11,  p.  350,  351.)  —  I^  mérite  de  Bums 
ne  soufTrira  pas  d'ailleurs  do  cette  réparation  faite  à  un  écrivain  qu'il 
aimait.  Chez  le  poi*te  paysan  le  sentiment  ne  tourne  jamais  à  la  sensi- 


LES   HORS-D'ŒUVRE  MÊLES   AU   POÈME  DESCRIPTIF.       393 

Mais  notre  poète  ne  s'arrête  pas  là,  et  sa  protection,  bien 
plus  bas  dans  Téchelle,  descend  jusqu'aux  créatures  les  plus 
humbles,  les  plus  méprisées.  S'il  parle  de  la  pêche,  il  con- 
damne l'emploi  de  l'appât  vivant.  ((Que  sur  ton  hame(;on  le  ver 
((  torturé  n'agite  pas  ses  anneaux  dans  une  douleur  convul- 
ii  sive*.  Ti  Ici  encore  le  souvenir  de  Shakespeare  s'impose  à 
nous.  Il  avait  déjà  —  et  peut-être  avant  Thomson  était-il  le 
seul  parmi  lt»s  poètes  de  l'Occident  —  pensé  et  dit  que  l'homme 
n'a  pas  le  droit  d'infliger  la  souffrance  à  la  moindre  créature. 

Lit  pauvre  insecte  que  nous  écrasons  sous  le  pied. 

Éprouve  dans  la  souffrance  de  son  corps  une  agonie  aussi  cruelle 

Que  celle  du  géant  qui  meurt  *. 

11  est  vrai  que,  par  une  inconséquence  assez  commune, 
Thomson  n'étend  guère  au  poisson  la  pitié  que  lui  inspire  le 
ver.  Il  a  bien  un  mot  de  compassion  pour  oi  le  misérable  faible, 
a  inerte  et  sans  plainte,  de  la  poitrine  duquel  il  faut  arracher 
d  l'hameçon  »;  mais  sa  nature  d'Écossais  et  de  pécheur  l'em- 
porte; il  prône  et  recommande  la  pèche  —  à  condition  de  n'em- 
ployer que  des  mouches  artificielles  ^ 

blerie.  11  s'y  mêle  presque  toujours  uu  ^rain  d*ironie  ou  de  malice  qui 
le  sauve  de  la  puérilité,  et  lui  permet  d'étendre,  en  demeurant  touchant 
et  sincère,  sa  pitié  jusqu'au  «  pauvre  vieux  Nicholas  >*.  —  Burns  a  trouvé 
l'exacte  mesure  dans  cette  expression  de  la  sympathie  de  Thomme  pour 
les  créatures  inférieures.  C'est  l'émotion  sobre  d'une  tristesse  à  demi 
souriante,  qui  reste  à  égale  distance  des  attendrissements  larmoyants  de 
Thomson,  et  de  la  rhétorique  déclamatoire  de  Victor  Hugo  dans  des 
pièces  comme  VAne,  le  Cochon^  etc. 

1.  Spring,  387,  388. 

2.  Mensure  for  measure,  acte  111,  se.  i,  vers  70-81. 

•  And  Ihe  poor  beetle  that  \ve  tread  upon. 
In  corporal  sulTeraDce  finds  a  pang  as  great 
As  when  a  giant  dies.  » 

3.  Sprinfjy  390,  391.  Il  pourrait  bien  y  avoir  là  un  souvenir  de  (îay,  dont 
les  Rural  Sports  présentent  avec  le  poème  de  Thomson  des  affinités  qui 
n'ont  pas  été  suffisamment  remarquées. 

«  Around  the  steci,  no  torlur'd  worm  shall  twine. 
No  blood  of  living  inscct  stain  my  line. 
Let  me,  less  cruel,  cast  the  feather'd  liook 

Aod  with  the  fur-wrouglit  fly  delude  the  prcy.  » 

[Rural  Sports,  Canlo  I,  v.  *205-270.) 

Cette  subtile  distinction,  cette  sensibihté  qui  s'exalte  en  faveur  du  ver, 
et  ne  s'émeut  pas  pour  le  poisson,  avait  attire  h  Gay  une  boutade  de  Swift 


394  JAMES  THOMSON. 

L'auteur  des  a  Saisons  i>  a  donc  une  part  et  une  part  impor- 
tanteau  retour  du  sentiment  dans  la  poésie,  et  à  rétablissement 
aussi  de  cette  forme  d'affectation  qui,  sous  le  nom  de  sensibi- 
lité, va  sévir  pendant  près  d'un  siècle  sur  la  littérature  de 
l'Europe.  Faudra-t-il  de  ce  chef  le  condamner?  Il  semble  qu'on 
doive  lui  tenir  compte  d'une  réelle  sincérité  qui  perc^  sous  les 
exagérations  d'une  rhétorique  parfois  emphatique.  C'est,  au 
demeurant,  un  noble  rôle  qu'il  assigne  à  la  Muse,  quand  il  l'in- 
vite à  prendre  courageusement  la  défense  des  petits,  des  fai- 
bles, des  victimes  impuissantes  et  muettes,  de  tous  les  êtres 
qu'il  nomme  ses  frères  parce  qu'ils  ont  comme  lui  le  pouvoir 
de  sentir,  d'aimer  et  de  souffrir.  S'il  l'applique,  ce  beau  nom, 
aux  oiseaux  chez  qui  les  poètes  se  sont  plu  à  constater  une 
commune  mission  de  chants  *,  nous  savons  que  son  cœur 
l'étend  à  tout  ce  qui  a  vie.  Thomson  annonce  et  prépare  ici 
l'un  des  plus  nobles  a  motifs  d  inspirateurs  de  la  poésie 
moderne,  celui  qui  a  dicté  tant  de  beaux  vers  non  seulement  à 
Cowper  et  à  Burns,  mais  aussi  à  Goleridge  et  à  Wordsworth  * 
et  que  Shelley  a  ainsi  formulé  : 

«  Terre,  océan,  air,  fraternité  chérie. 


N'esl-il  pas  vrai  que  jamais  je  n'ai  sciemment  blessé 

Xi  un  oiseau  brillant,  ni  un  insecte,  ni  un  iuofTcnsif  animal, 

Mais  que  toujours  j'ai  aimé  ces  éti*es,  mes  frères  '?  » 

Sans  doute  cette  sympathie  étendue  à  tant  de  choses  peut 
devenir  puérile.  Chez  plus  d'un  «  le  sentiment  b  va  cesser  d'être 

que  Lei^h  Hunt  fuit  figurer  dans  ses  conversations  de  Pope  et  de  Swifl  : 
«  Mr.  Gay,  vous  êtes  le  seul  pécheur  que  je  connaisse  qui  ait  une  idée 
dans  la  tête;  et  de  toutes  vos  idées,  c'est  la  seule  qui  ne  mérite  pas  que 
vous  l'ayez.  •  (Voir  Lbioh  Hum,  Table  Talk.) 

\.  •  Be  not  the  muse  asliamed,  hère  to  bemoan 

lier  brothers  of  the  jçrovc.  » 

(Spring,  101,102.! 

2.  I*ar  exemple  dans  the  Taie  of  Ihc  Ancient  Mariner,  dans  HarlUap 
Wrll  et  dans  The  v^hite  Doe  of  liaveior. 

l\.  •  Karth,  océan,  air,  beloved  brotherhood  ! 


ir  no  briglit  bird,  insecl  or  gentle  Iteast 
I  consciously  hâve  iuJurecJ.  but  still  loved 
And  cherished  thcse  my  kindred....  • 

{Alasior,) 


LES  iiors-d'œl'vrk  mklks  Ai:  POÈME  des«:hiptif.     3î)o 

mie  émotion,  pour  lu^  reslur  qu'un»'  juniniace.  Mais  celloîilleiMa- 
tion  iiu''me  u«î  vaul-eiio  pas  mieux  encore  que  l'allectation  d'une 
insensibilité  où  beaucoup  croient  prouver  une  force  et  une 
supériorité  *  ?  La  raison  avait  eu  son  long  règne.  On  avait  vu 
les  plus  grands  penseurs,  en  France,  en  arriver,  par  d'ingé- 
nieuses déductions,  à  nier  chez  les  animaux  toute  l'acuité  de 
sentir.  Les  philosophes  anglais  fondaient  volontiers  leur  morale 
ou  leur  politique  sur  régoïsme  ou  sur  les  pires  instincts,  ceux- 
là  seuls  leur  semblant  partie  essentielle  de  Tàme  humaine.  Ce 
n'est  pas  une  gloire  méprisable  pour  Thomson  que  d'avoir,  un 
des  premiers,  rappelé  les  droits  du  sentiment  et  protesté  contre 
une  véritable  mutilation  de  la  nature  humaine.  Nous  avons 
connu  depuis  un  autre  goût  et  une  autre  attitude  de  grandes 
écoles  littéraires.  C'est  peut-être  pour  nous  une  raison  de  voir 
avec  plus  d'indulgence  Témotion  et  même  la  sensiblerie  de 
Thomson  et  des  écrivains  qui  l'ont  suivi.  On  peut  trouver  leur 
puérilité  moins  déplaisante  et  moins  contraire  à  la  vérité  de 
Tàme  humaine  que  l'irritante  et  orgueilleuse  sécheresse  de 
certaines  écoles  très  modernes. 


IV 


Philosophie. 

Nous  avons  dit  que,  dans  les  a  Saisons  »,  la  représentation 
poétique  du  monde  ne  procède  d'aucun  système  religieux  ou 
philosophique.  Il  n*est  pas  moins  vrai  cependant  que  le  poème 
renferme  l'exposé  d'opinions  doctrinales  auxquelles  Tauteur 
attachait  assurément  une  grande  importance.  Il  était,  depuis 
l'université,  resté  enthousiaste  des  hautes  spéculations  de  la 
pensée.  Les  problèmes  de  la  métaphysique  se  posaient  devant 
lui  non  seulement  à  l'occasion  de  ces  réflexions  morales  dont 
nous  parlions  dans  les  pages  précédentes,  mais  aussi  comme 
le  terme  de  sa  longue  observation  de  l'univers  matériel.  Il  nous 
a  dit  lui-même  quel  charme  il  trouvait  à  poursuivre,  avec  quel- 
ques amis,  la  solution  de  ces  grandes  questions.  Durant  les 

1.  On  peut  lire  sur  ce  sujet  une  page  spirituelle  de  Olivek  Wekdell 
Holmes,  dans  The  Poet  ni  the  Breakfast-Table,  V,  p.  12D,  120. 


396  JAMES  THOMSON. 

loisirs  des  soirées  d'hiver^  on  se  demandait,  dans  la  petite 
maison  de  Kew-foot  Lane,  a  si  la  structure  immense  de  Funi- 
vers  fut  tardivement  évoquée  du  monde  de  la  Nuit,  ou  si  elle 
jaillit  éternelle  de  Téternel  Esprit;  quelle  est  sa  vie,  quels  sont 
ses  lois,  son  dévclo[)poment  et  sa  fin  '  ».  Thomson  célèbre  avec 
chaleur  les  beautés  et  les  joies  de  la  philosophie  :  elle  défendiez 
hommes  éclairés  de  Tesclavage  des  superstitions,  de  la  t  foi 
mystique  »  et  de  «  Tétonnement  aveugle  »;  elle  leur  assure  les 
jouissances  divines  du  savoir  *.  Et,  apostrophant  la  noble  science 
elle-même,  la  «  Philosophie  sereine,....  source  jaillissante  de 
vérité  »,  il  termine  V  «  Été  »  par  une  longue  énumération  des 
bienfaits  dus  à  ces  eiïorts  de  l'esprit  vers  le  vrai  absolu,  aux- 
quels il  rattache  toute  science,  toute  civilisation  et  tout  pro- 
grès '. 

(Juelle  est  donc  la  doctrine  du  poète?  Il  n'est  pas  très  facile 
de  lier  à  un  système  nettement  précisé  les  nombreuses  expres- 
sions qu'il  donne  successivement  à  sa  pensée.  Les  professions 
de  foi  panthéiste  abondent  :  «  Quel  est  cet  esprit  puissant...'? 
«  Quel  est-il,  sinon  Dieu,  qui,  esprit  partout  présent,  énergie 
«  incessante,  pénètre,  dirige,  supporte  et  meut  le  monde 
«  entier*?  »  —  «  La  Maison  remonte  jusqu'à  Celui,  Essence  pro- 
<i  ductrice  du  monde,  qui  seul  possède  l'être  *.  »  —  «  En  toi, 
<ï  Printemps  charmant,  et  dans  tes  douces  scènes,  on  voit  le 
«  Dieu  souriant^.  »  —  Le  début  de  PHvmne  final  est  aussi 
très  explicite  :  «  C)  père  Tout-puissant,  toutes  ces  saisons, 
a.  dans  leurs  changements,  ne  sont  que  le  Dieu  manifesté 
<i  divei*sement.  Tu  remplis  l'année  dans  ses  révolutions.  C'est 
<(  ta  beauté  qui  s'avance  dans  le  Printemps  charmant,  c'est 
«  ta  tendresse  et  ton  amour  ",  etc....  »  On  comprend  que  des 
affirmations  aussi  catégoriques  de  la  doctrine  aient  paru  con- 
traires à  l'orthodoxie  :  que  Lyttelton  ait  voulu  atténuer  la 
netteté  de  ces  professions  de  foi  »*;   que  Gibbon   et  Dugald- 

1.   Winter,  375-:i:S.  —  *->.  Siwtmer,  1711-1729. 

3.  Sununf*!',  1730-!s0*>.  —  Ce  caractère  de  \)oè{e  philosophe  est  un  «le 
ceux  que  signale  Vnllairc  chez  Thomson  dans  sa  lettre  à  LyUelton  : 
«  Mr.  Thomson  was  a  tnie  philosophical  ))Oet....  I  think  without  a  K'ood 
stock  of  such  philosophv,  a  poet  is  jusi  above  a  fiddler  who  amuses  our 
eurs  but  docs  not  ^o  lo  our  soul$.  •  (Lettre  du  17  mai  1750  n.  st.) 

i.  Sprint/,  8iS-8«:i.  -  "..  Sum7ner,  1 740-17 ts.  -6.  Spring,  860,  861.  — 
7.  Ili/inft,  1-20. 

8.  1!  proposait  de  supprimer  T-  Hymne  -.  d'en  conserver  seulement  quoi- 
ques  vers  et  de  les  verger  daus  le  corps  du  poème. 


LES   IIORS-D'ŒUVRE   MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.       397 

:ewart  *  aient  signalé  les  a  Saisons  »  parmi  les  œuvres 
ii'inspii'e  la  philosophie  panthéiste.  Mais  on  peut  d'ftutre  part 
pposer  aux  extraits  cités  plus  haut  bien  des  passages  qu'il 
?rait  malaisé  de  concilier  avec  eux.  Le  poète  de  la  Nature  en 
ait  venu  à  cette  conception  —  demeurée  sans  doute  assez 
ijïue  en  son  esprit  —  que  le  monde  est  un  être,  que  toutes 
s  créatures  participent  de  la  vie  universelle,  que  Tesprit  ou 
:  génie  humain  est  un  reflet  ou  une  manifestation  de  l'Être 
niversel  -,  que  l'univers  visible  ou  moral  et  Tesprit  divin  sont 
idissolublement  liés  et  n*ont  qu'une  même  existence.  Mais, 
)it  persistance  presque  inconsciente  de  Tancienne  foi  reli- 
ieuse  et  des  enseignements  de  Técole,  soit  concession  prudente 
jx  doctrin(;s  orthodoxes,  notre  panthéiste  môle  à  ces  vues 
lus  d'une  invocation  au  Dieu  personnel  et  providentiel  des 
)iritualistes  et  des  chrétiens  : 

«  Comment  oserai-je  essayer  de  le  chanter,  lui  qui  est  la 
Lumière  même....  dont  un  seul  sourire,  à  l'aurore  du  temps,  a 
rempli  d'une  clarté  débordante  toutes  ces  lampes  du  ciel  ^?  » 
-  <ic  Père  de  la  Lumière  et  de  la  Vie  î  Toi  qui  es  le  Bien  suprême, 
ô  apprends-moi  ce  qui  est  bien....  Sauve-moi  de  la  folie,  de 
la  vanité  et  du  vice*....  » 

Parfois  aussi  les  deux  conceptions  se  mêlent  dans  un  même 
issage.  Dans  a  la  complexe  nmltitude  des  merveilles  inces- 
mtes  »  la  philosophie,  dit-il,  lui  permet  <c  de  concevoir  jus- 
tement rÈtre  unique,  celui  qui  n'eut  qu'à  dire  un  mot  pour 
que  toute  la  nature  alors  s'animât^  ».  —  Le  «  Printemps  » 
aussi  un  passage  dont  le  début  est  de  pur  panthéisme,  et  la 
n  d'un  irréprochable  déisme  :  (c  Salut,  source  de  l'être!  Ame 
universelle  de  la  terre  et   du  ciel,  Présence  Essentielle, 
saUitî...  toi  qui  de  ta  main  de  maître  as  touché  l'Univers 
immense  et  Tas  rendu  parfait....  A  ton  ordre  le  soleil  du 
printemps  éveille  la  sève  engourdie**....  »  —   Du   même 


1.  Dissertation  préliminaire,  servant  cJe  prérace  à  la  première  édition  de 
>  Encyclopédie  Britannique  »,  p.  147. 

2.  Winter,   594-397.  Aussi  A    Poem  (o  ihe  Memory  of  the  Lord  Talbot^ 
-23;  et  On  the  dealh  of  Mr.  Aihnan,  H,  12. 

3.  Summer,  175-191. 

».   Winter,  216-222.  C'est  ce  passage  que  cite,  dans  une  lettre  drama- 
|ue,  une  des  femmes  que  Burns  a  aimées  et  fait  souffrir.  On  trouvera 
tle  lettre  traduite  dans  le  travail  de  M.  Angellier,  t.  I,  p.  346. 
5.  Snmmer,  17S:)-1788.  —  6.  Sprbiff,  555-570. 


398  JAMES  THOMSON. 

double  caractère  étaient  ces  vers  des  premières  éditions  qni 
ont  disparu  aprôs  1738.  L'exemplaire  de  Mitford  nous  les 
montre  barrôs  et  condamnés.  Mitford  suppose  que  c*est  à  cause 
de  leur  saveur  de  panthéisme.  En  réalité  si  quelques  termes  se 
prêtent  à  cette  interprétation,  le  passage  semble  au  total  sug- 
gérer plutôt  ridée  d'une  Providence  personnelle  et  indépen- 
dante de  la  Nature  :  a  Le  soleil  et  la  lune...  sont  un  rayon  de 
«  lui.  Un  signe  de  sa  tête  produit  le  calme.  C'est  sa  colère 
a  qui  s'exhale  dans  la  tempête,...  le  Tonnerre  est  sa  voix, 
a  et  le  rouge  Éclair  Tépée  rapide  de  sa  justice.   *» 

A  cette  conception  d'un  panthéisme  un  peu  flottant,  Thomson 
ajoute  une  idée  qui  lui  est  chère.  La  doctrine  pythagoricienne 
a  pour  lui  un  attrait  puissant.  Elle  est  en  parfait  accord  avec 
cette  aversion  —  théorique  —  pour  la  nourriture  animale  que 
nous  relevions  dans  un  chapitre  précédent.  Elle  donne  en 
outi'e  satisfaction  à  ce  désir  de  croire  à  une  vie  au  delà  de  la 
tombe,  à  ce  vague  besoin  de  spiritualité  mystique  qui  sunil 
souvent  à  la  perte  de  la  foi  religieuse. 

((  Il  suffit  que  nous  ayons  touché  légèrement  ces  nombres 
«  du  sage  de  Samos.  Le  ciel...  nous  a,  dans  sa  volonté  parfai- 
a  tement  sage,  fixés  en  un  état  qui  ne  doit  pas  encore  s  élever 
a  à  la  pure  perfection.  Et  qui  sait  comment,  s'élevant  à  une 
«  vie  plus  haute,  réchelle  vitale  monte  do  degré  en  degré  *?  » 

Les  rêves  de  notre  poète  imaginent,  en  même  temps  qu'une 
transmutation  des  Ames  d'un  être  vivant  à  un  autre,  un  trans- 
port ou  une  résurrection  dans  des  mondes  successifs.  Il  veut, 
a  entraîné  par  l'espérance  dans  les  obscures  régions  de 
a  l'avenir,  prévoir,  grâce  à  la  feneur  de  sa  pensée,  ces  scènes 
a  de  bonheur  et  de  splendeur  où  l'esprit,  dans  un  développe- 
«  ment  sans  terme  et  une  ascension  infinie,  s'élève  d'une  con- 
<r  dition  à  une  autre  et  d'un  monde  à  un  monde  nouveau  '  ». 

C'est  une  doctrine  à  laquelle  il  revient  volontiers,  même  en 
dehors  de  son  grand  poème.  Dans  son  beau  morceau  sur  la 
mort  de  Newton,  il  exprime  l'hypothèse,  et  suppose  que  son 
héros  erre  parmi  ces  mondes  dont  il  a  pénétré  les  secrets  *.  — 
Plusieurs  années  après,  nous  le  trouvons  encore  attaché  au 
même  dogme.  Il  écrit  à  son  ami  Cranstoun,  en  réponse  à  une 


1.  Dans  rédilion  de  1138.  de  805  à  820. 

2.  Spritif/,  310-377.  —  3.  Wintcr,  C03-608.  —  4.  Vers  187  et  19 i. 


LES   «ORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.       399 

lettre  où  celui-ci  lui  a  appris  la  mort  de  son  frère,  John 
Thomson  :  a  ...  Une  chose  dont  je  suis  assuré,  c'est  que  la  vie 
«  à  venir  vaudra  mieux  que  celle-ci,  et  ainsi  de  suite  à  travers 
a  rinlinie  succession  des  états  futurs.  Chacun  s'élève  au-dessus 
«  des  précédents,  et  tous  manifestent  éternellement  Tinfinie 
*i  bonté.  Mais  tout  cela  tient  à  un  sy.stème  qui  ne  convient  pas 
«  peut-être  au  milieu  dans  lequel  vous  vivez,  et  qu'il  serait 
«  trop  long  d'expliquer  dans  une  lettre  *....  » 

Au  moment  où  il  écrivait  ces  lignes,  il  travaillait  à  son 
grand  poème  de  a  La  Liberté  »,  et  il  y  réserve  une  place  à  une 
nouvelle  exposition  de  sa  doctrine  favorite.  La  troisième 
l^artie  du  poème  contient  en  eiïet  une  digression  assez  inat- 
tendue où  lauteur  exprime  une  fois  de  plus  son  admiration  de 
Pythagore  et  de  sa  philo.sophie.  Après  avoir  rappelé  les 
recherches  astronomiques  du  sage,  il  ajoute  :  n  Instruit  par  ce 
«  spectacle,  il  se  forme  une  noble  idée  du  Dieu  qui  donne  à 
<(  tout  le  mouvement  (;t  la  forme....  Il  enseigne  que  la  flamme 
a  inextinguible  de  la  vie  passe  tour  à  tour  de  la  brute  à 
<(  rhomme  et  de  Thonime  à  la  brute  en  un  cvde  éternel.... 
a  Doctrine  de  vérité  parfaite,  si  le  maître  avait  vu  que  cette 
tf  chaîne  de  la  vie  monte  toujours  :  s'il  avait  vu,  non  pas  un 
u  cercle  uniforme,  mais  un  ensemble  qui  toujoure  s'élève  '.  » 

Voilà  la  partie  originale  des  opinions  de  Thomson.  Mais  cette 
doctrine  de  poète,  il  Texpose  en  poète.  Nous  savons  de  quel 
enthousiasme  elle  l'inspire;  mais  il  ne  nous  a  pas  dit  sur  quels 
arguments  il  appuie  sa  croyance.  Quant  à  son  panthéisme,  il 
n'avait  pas,  comme  sa  foi  à  la  métempsycose,  le  caractère 
d'un  paradoxe  piquant.  C'était  la  doctrine  métaphysique  de 
Pope,  celle  au  moins  que  lui  avait  dictée  Shaftesbury  ^  Si  elle 
se  montre  plus  arrêtée,  plus  chaleureuse  surtout  chez  Thomson, 

1.  Lettre  du  20  oct.  1135. 

•2.  Liberty,  pari  111,  32-70. 

.1.  TlioinsoD  a  d'ailleurs  liii-mt^me  exprime  sun  respect  el  son  admiratiou 
pour  Ai^hlcy  Cooper,  3«  comte  de  Shaftesbury.  Voir  Winler,  1551-1*15;).  — 
Le  panthëii^me  de  Sliaftesbury  ou  de  Pope  n'est  pas  du  reste  une  doctrine 
•hoirie  pour  ses  mérites  propres.  C'est  surtout  une  dos  formules  par  oiï 
l'exprime  chez  eux  le  sentiment  d*une  harmonie  parfaite  dans  la  création: 
r*est  l'optimisme  qui  se  retrouve  sous  cette  forme  métaphysique. 

Ouant  aux  vers  de  Pope  qui  énoncent  la  doctrine,  ils  sont  nombreux 
lin  ri  s  VEssaf/  on  Alan,  Contentons-nous  de  rappeler  ce  distique  : 

«  AU  are  but  parts  of  onc  stupendous  whole, 
Whose  body  Nature  is,  and  God  the  soûl.  • 


400  JAMES  THOMSON. 

c'est  que  toute  poésie  de  Tunivers  a  une  tendance  à  voir  dans 
la  divinité  Tàme  dos  choses  *.  Ce  genre  évidemment  sacxîoni- 
mode,  mieux  tjue  la  poésie  didactique*  ou  moi*ale,  d  un  sys- 
tème qui  aboutit  à  Tapothéose  de  la  nature.  Lauteur  des 
<i  Saisons  ))  cependant  n'a  pas  trouvé  d'inspiration  très  lïeu- 
reuse  dans  cette  doctrine  demeurée  en  son  esprit  incertaine  et 
nuageuse.  La  poésie  philosophique  n'est  pas  son  fait.  Il  n'y  a 
pas  dans  sa  langue  cette  ferveur  contenue  qui  a  permis  à 
Dryden,  par  un  phénomène  presque  unique,  de  traiter  en 
{?rand  poète  des  thèses  de  philosophie  ou  de  politique. 

ïhomson  est  plus  heureux  dans  les  vers  de  sentiment  pure- 
ment religieux.  Quand,  oublieux  des  subtilités  métaphysiques 
où  il  lui  arrive  d(^  se  perdre,  il  se  laisse  entraîner  à  une  effusion 
de  piété,  pour  adorer  la  puissance  suprême,  force  immanente  et 
essence  unique,  ou  au  contraire  Dieu  créateur  et  Providence 
tutélaire,  alors  il  trouve  des  accents  d'une  éloquence  enflammée 
qui  ne  sont  pas  indignes  de  Milton.  Tels  sont  quelques-uns  des 
passages  rappelés  plus  haut  *.  Tel  est  surtout  cet  «  Hymne  » 
qui  tout  à  la  fois  résume  le  tableau  de  la  nature  et  fait  de  la 
Création  entière  un  clidîur  magnifique  de  joie  reconnaissante. 

Ici  sans  doute  il  convient  de  mentionner  les  quelques  ana- 
lyses psychologi(|ues  qui  se  rencontrent  dans  le  poème.  Il  ne 
s'agit  pas  d'une  étude  des  passions  traitée  à  la  façon  des  dra- 
maturges. La  seule  part  faite  par  les  a  Saisons  »  à  cette  forme 
d'ai't,  nous  l'avons  rencontrée  dans  les  épisodes,  et  nous  avons 
dû  noter  alors  de  (luelle  faible  valeur  sont  ces  peintures  de 
l'amour.  Mais  dans  d'autres  parties  de  l'œuvre  se  montre  une 
tentative  d'analyse  scientiliquc  de  passions,  méthodiquement 
poursuivie  et  exposée  '.  C'est,  dans  le  a  Printemps  »,  la  pein- 
ture de  l'amour  naissant,  l'étude  des  manifestations  diverses 

1.  Ce  n'est  pas  seuleinenl  Virgile  qui  nous  on  fournirait  la  preuve  : 

«  Spiritus  intud  alit,  tolamque  infusa  per  artus, 
Mens  agitai  mole  m,  et  maixno  se  corpore  miscet  •  ; 

le  pins  clirélicn  des  poètes,  Gowpcr.  a  orrit  : 

«  Tliere  livcs  and  works 

A  pou!  in  al!  tiiings,  and  tliat  soûl  is  God.  • 

2.  Sumtner,  175-191,  17.S2-178S;  IVj//^'/-,  216-222:  .S;;W/i«;,  555-570. 

3.  Un  passage  de  V  •  Kté  »  expose  môme  et  la  méthode,  et  Tobjet.  cl 
les  limites  de  lu  science  qui  étudie  les  phénomènes  de  l'esprit.  {Suttiihi. 
1782-1789.) 


LES  HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.       4U1 

(le  ce  sentiment  et  des  transformations  qu'il  peut  subir.  Nous 
voyons  exposé  Tamourchez  la  jeune  fille  *,  puis  chez  le  jeune 
homme  —  avec  force  recommandations  morales  à  Tun  et  à 
lautre  sur  les  dangers  qui  les  menacent  *.  Alors  viennent  les 
maux  et  les  tourments  de  l'amour,  les  souffrances  de  Tamant 
séparé  de  sa  maîtresse  ^.  Puis  les  déviations  de  Tamour;  la 
jalousie  *,  a  cette  peste  qui  teint  tout  en  jaune  *  ».  Enfin  un 
tableau  des  félicités  de  Tamour  honnête,  du  mariage  et  de  la 
famille  •. 

Nous  n  arrivons  guère  à  goûter  les  passages  que  ces  thèmes 
ont  inspirés  au  poète.  Sa  langue  y  parait  trop  souvent  bour- 
souflée. Sa  large  et  sonore  période  ne  se  prête  pas  heureuse- 
ment à  l'analvse  des  Unes  et  délicates  nuances  de  la  vie  du 
cœur.  Dans  la  peinture  des  transports  violents  il  arrive  vite  à 
l'hyperbole  déraisonnable.  S'il  s'agit  de  famant  que  torture 
Tabsence  de  celle  qu'il  aime,  «  son  Ame  ravie  vole  bien  loin  jus- 
ci  qu'au  sein  imaginaire  de  sa  belle,  ne  laissant  derrière  elle 
1  que  l'image  d'un  amant  immobile  '  )>. 

Hyperbole  et  banalité,  tels  nous  paraissent  être  aujourd'hui 
les  deux  caractères  principaux  de  ces  observations  et  de  ces 
descriptions.  S'il  fallait  y  chercher  une  trace  du  temjiéi'ament 
individuel  du  poète,  peut-être  pourrait-on  la  trouver  dans  la 
conception  qu'il  s'est  faite  de  l'amour  chez  les  jeunes  filles. 
Nous  savons,  par  sa  vie,  qu'il  a  su  comprendre  l'amour  sous 
une  forme  très  pure  et  très  haute  ^  Mais  quand  il  peint  les 
émotions  d'une  jeune  fille  qui  aime,  si  touchante  et  si  chaste 
qu'il  veuille  la  figurer,  ses  descriptions  ont  quelque  chose  de 
lourdement  appuyé,  de  sensuel  et  d'indélicat. 

«  Les  désirs  soulèvent  son  sein  en  palpitations  violentes; 
«  un  désordre  délicieux  envahit  ses  veines,  et  toute  son  àme 
a  qui  s'abandonne  est  amour.  Son  amant  détourne  ses  yeux 
«  de  ce  regard  ardent,  tout  plein  lui-même  des  chers  et 
a  puissants  transports,  et  pâmé  de  langueur  ^  » 

1.  Sprint/,  962-981.  —  2.  Ihid.,  982-99i.  —  3.  Ibid.,  095-i0'72.  —   4.  Ihid., 
1014-1111.  —  5.  -  The  yellow  tinpein}jç  plaque  -  (M/V/.,  1082).  —  «i.  Ihid., 
1 112-1173.  —  1.  Ibid.,  1019-1021.  Voir  encore  1091-1095. 
s.  Il  a  su  aussi  dire  quelle  est  la  noblesse  morale  de  ce  sentiment  : 
-  That  noble  wish,  tbal  never-cloyed  désire, 
Wbicli,  seltish  joy  disdaining,  sccks  alone 
To  bless  the  dearer  object  of  its  (lame.  - 

{Ibid.,  290-293.^ 
0.   lôid.y  967-972. 

2G 


402  JAMES  THOMSON. 

«  Un  parfum  puissant,  exquis  comme  Thaleine  de  Mai 
a  quand,  après  s'être  épandue  sur  les  violettes,  elle  arrive  à  la 
«  bergère  pâmée  d*amour,  qui  doucement  entend  son  berger 
Cl  haletant  s'approcher  pour  se  glisser  dans  ses  bras  *.  » 

Nous  avons  relevé  plus  haut  la  teinte  do  sensualité  un  peu 
grossière  qui  se  mêle  aux  peintures  de  femmes  qu  a  tracées 
Thomson  *.  C'est  le  même  caractère  qui  reparait  ici.  II  ne 
mérite  pas  un  blâme  très  sévère .  Rappelons-nous  quelle 
licence  moins  franche,  moins  naturelle  et  moins  inofleiisive 
autorisaient  les  mœurs  (*t  les  exemples  de  ce  temps.  Nous 
comprendrons  que  les  contemporains  de  Thomson  n  aient  wi 
dans  son  poème  rien  que  la  plus  rigide  moralité.  Longtemps 
apivs  sa  mort  c'était  un  grand  écrivain  français  et  une  femme 
qui  admirait  à  la  fois  la  pureté  de  l'enseignement  et  la  beauté 
poétique  des  peintures  de  l'amour  dans  les  t  Saisons  ».  t  Les 
vers  de  Thomson  me  touchent  plus  que  les  sonnets  de  Pétrar- 
que ^  »,  (lisait  Mme  de  Sta('l.  Et  dans  une  autre  partie  du  même 
ouvrage  :  ce  Esl-il  une  ])his  délicieuse  peinture  de  Tamour  dans 
((  le  mariage  que  les  vers  (|ui  terminent  le  premier  chant  de 
a  Thomson  sur  le  Printemps  *?  » 


1.  Anittmn^  oVô-VAH. 

'2.  Nous  avons  parlé  du  bain  de  Musidora  et  des  peinturi^s  iadiscrèle> 
du  poùte.  Dans  lo  même  clianl,  voici  : 

«  ttie  ruddy  maid 

Ilalf  nakud  ewellin^  on  the  si^lit.  • 

(Summer,  355,  356.  ■ 
VA  dans  rAutomne  : 

«  Her  every  cliarin  abroad,  llic  village  toast 
Yonnp,  buxom,  warm.  in  native  beauty  rich, 
Darls  not  unmeaning  looks.  • 

(Autumn,  1226-1228.) 

Ses  statues  de  bronze  n'ont  pas  moin?  que  les  marbres  qui  ngureaU<:â 
jounts  lllles  d'Auf-leterre  ce  caracbTO  de  beaulê  pleine,  é]mnouie.  un  peu 
maté  ri  elle  : 

•  Mis  brothor  Niger  too,  and  ail  llie  floods 
In  whicli  the  full-formed  inaids  of  Afric  lave 
Tlieir  jelty  limbs.  - 

{Summer,  822-824.) 

'^.  !>('  la  LU it' rature,  préface  de  la  2"  édition. 

^.  Ihiff..  clinp.  XV.  •  De  rima^inalion  des  Anglais  ». 


LES   HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.      403 


V 

Science. 

es  sciences  naturelles,  non  moins  que  la  philosophie, 
ient  eu  pour  Thomson  un  attrait  qui  survécut  à  ses  années 
nivei*sité.  Sa  poésie  y  a  plus  d'une  fois  trouvé  une  inspira- 
{  heureuse.  Le  poème  sur  la  mort  de  Newton  montre  avec 
1  succès  son  vers  et  sa  langue  se  prêtaient  à  Texposé  des 
ndes  hypothèses  de  la  science.  Les  a  Saisons  »  renferment 
nombreux  passages  où  l'auteur  mêle  à  ses  descriptions  pit- 
.^sques  le  souci  d'une  explication  scientifique.  Non  pas  du 
te  que  le  poète  oublie  son  véritable  rôle  et  se  place,  pour 
erver  la  nature,  au  point  de  vue  qui  convient  au  savant, 
explications  et  les  investigations  de  la  science  ne  viennent 
plus  que  les  spéculations  de  la  métaphysique  troubler  sa 
re  vision  des  choses.  C'est  en  artiste  et  en  poète  qu'il  con- 
iple  le  monde.  L'intérêt  qu'il  prend  aux  réponses  fournies 
la  science  vient  s'ajouter  ch(;z  lui  à  l'observation  directe 
apparences,  sans  dénaturer  l'émotion  qu'il  éprouve  ni 
pression  qu'il  nous  en  donne.  Tout  au  plus  pourrait-on 
îver  quelques  rares  passages  où  une  confusion  s'est  établie 
!'e  les  deux  personnages,  et  où  le  pseudo-savant  vient  faire 
.  au  poète.  Il  lui  arrive  par  exemple,  dans  un  accès  de  for- 
te curiosité,  de  prononcer  tel  souhait  où  l'artiste  eût  dû 
r  une  profanation.  Il  voudrait  pénétrer  le  secret  de  la  for- 
tion  des  sources,  et  s'écrie  :  «  O  génie  de  la  science,...  mets 
nu  la  montagne;  révèle  sa  structure  secrète  aux  yeux 
tonnés!  arrache  aux  Alpes  leur  fardeau  de  sapins;  arrache 
u  Taurus  l'énorme  et  encombrant  vêtement  de  ses  bois 
(Treux  ^...  » 

iiutilede  dire  que  ces  notions  scicMitifiques  ne  sont  pas  tou- 
rs telles  que  le  savoir  moderne  les  puisse  accepter.  Klles 
roduisent  les  connaissances  d'alors  telles  que  pouvait  les 
Drasser  un  esprit  avisé,  volontiers  hardi  dans  ces  matières, 
L'ptant  d'enthousiasme  les  hypothèses  des  derniers  arrivés 

Autumn,  *'l)  78 'i. 


404  JAMES  TBOMSON. 

el  des  plus  entreprenants  parmi  les  chercheurs.  Les  difiérentes 
découvertes  de  Newton  dans  le  domaine  des  sciences  naturelles 
sont  rappelées  on  plusieurs  passages  des  «  Saisons  »,  indépen- 
damment du  brillant  exposé  qui  en  est  fait  dans  le  poème  con- 
sacré à  rillustre  savant.  S'il  y  a  là  même  une  part  aujourd'hui 
condamnée,  à  plus  forte  raison  les  erreurs  se  rencontrent-elles 
dans  les  occasions  où  Técrivain  ne  s'appuie  pas  sur  la  haute 
autorité  d'un  Newtoïi.  Dès  le  début  du  a  Printemps  »  lauteur, 
après  tant  d'autres  poètes  —  et  il  ne  devait  pas  être  le  dernier, 
—  fait  du  mois  de  Mai  le  temps  des  roses.  Il  croit  que  le  c  mil- 
dew  »  est  causé  par  le  brouillard  *.  II  explique  la  formation  des 
saisons  par  une  pure  fiction  poétique  *.  Il  répète,  après  Vir- 
gile, que  le  taon  vit  en  troupes  *.  Il  enregistre  la  commune 
erreur  que  les  oiseaux  brillants  des  tropiques  ne  puissent  être 
d'aussi  ravissants  chanteurs  que  les  oiseaux  de  nos  climats  *. 
Ses  explications  de  la  formation  des  orages  et  de  la  nature  de 
la  foudre  ont  le  tort  de  venir  quelque  vingt  ans  avant  les  tra- 
vaux de  Franklin  *.  Il  ne  devait  pas  lui-même  croire  avec 
beaucoup  de  conviction  que  la  peste  soit  due  à  l'influence  des 
étoiles®.  Il  s'est  trompé  en  supposant  que  c'était  le  mâle  du  ver 
luisant  qui  avait  le  pouvoir  phosphorescent  que  l'on  sait  ";  ce 
que.  les  naturalistes  de  son  temps  prenaient  pour  une  lanterne, 
ceux  du  nôtre  y  voient  un  phare,  le  phare  de  Héro.  Les  hiron- 
delles ne  sont  pas  engourdies  pendant  l'hiver  •,  et  sa  sympathie 
pour  les  jolis  oiseaux  aurait  été  accrue  s'il  avait  mieux  connu 
leurs  mœurs.  Pour  aucune  de  ces  erreurs  on  ne  songera  à  lui 
tenir  rigueur.  Pour  quelques  autres  on  est  tenté  de  se  féliciter 
qu'il  se  soit  trompé.  N'est-ce  pas  une  heureuse  fiction  qui  lui 
fait  supposer  que  le  soleil,  dont  Newton  vient  do  décomposer 
les  rayons,  forme  et  colore  directeujent  les  diverses  pierres  pré- 
cieuses dans  les  profondeurs  de  la  terre  '?  le  tournesol,  nous 

t.  Spring,  Utl.  —  2.  Ibid.,  310  et  suiv. 
:\.  Summer,  41»8,  iOO.  Cf.  Virgile  : 

"  Plurimus  Albiirnum  volilans.  oui  nomoQ  asiio 
Homanum  csU  (Iraii  n'struui  vertêro  vocantes.  • 

(«  r,(>orîziqi]cs  -,  liv.  UI,  v.  147,  148.) 

i.  Summo'y  138-740.  Sur  ce  siijcl  on  lira  avec  intérêt  quelques  pa^'es 
charmantes  de  J.  Bunnouoiis,  EiujUsh  and  American  song-birds,  in  Fre^ffi 
Fields,  p.  159. 

5.  Summet\  lÛOo-lOir,.  —  (J.  //>«/.,  [Oi)\.  —  7.  Ihid.,  1683.  —  8.  Autumn. 
836-847.—  9.  Summev,  liO-l.-iîï. 


LES  IIORS-D'ŒUVRB  MÊLÉS   AU   POÈME   DESCRIPTIF.       405 

assure-t-on,  ne  suit  aucunement  les  mouvements  du  soleil.  Les 
poètes  continueront,  je  le  crains,  toutes  les  fois  qu'ils  le  juge- 
ront à  propos,  de  lui  faire  a  tourner  vers  Tastre  son  sein  éna- 
mouré *  ».  A  défaut  d'une  explication  plus  certaine  des  fonctions 
de  la  comète,  il  ne  nous  déplaît  pas  de  rêver  avec  Thomson  que 
ce  sont  tt  des  soleils  alimentant  la  vie  de  mondes  lointains  '  ». 
Et  s'il  a  tort  de  penser  que  les  fils  de  la  Vierge  soient  une  con- 
densation de  la  rosée  ',  qui  voudrait  détruire  cette  erreur  pour  se 
rappeler  que  ces  lils  chers  aux  poètes  sont  le  produit  et  le 
moyen  de  locomotion  de  je  ne  sais  quelle  araignée? 

Parfois  aussi  Tauteur  des  a  Saisons  »  fait  plus  qu'enregis- 
trer les  croyances  de  son  temps.  11  affirme  que  les  diverses  pla- 
nètes sont  habitées  ^  Elles  sont  les  séjours  de  nos  âmes  dans 
leurs  transmigrations  successives.  C'est  un  rêve  pour  lequel  le 
poète  n'a  pas  à  solliciter  l'indulgence.  Mais  il  a  voulu  aussi,  dans 
un  ordre  de  faits  où  le  contrôle  est  moins  impraticable,  écha- 
fauder  sa  petite  théorie  scientilique.  La  chose  n'a  pas  été  sans 
l'entraîner  dans  d'assez  singulières  aventures.  L'  <t  Automne  b 
nous  présente  une  étude  et  une  explication  des  sources  \  Les 
sept  premiers  vers  du  passage  contiennent  un  exposé  conforme 
aux  données  de  la  science.  Puis  vient  l'énoncé  d'une  autre 
hypothèse;  treize  vers  sont  employés  à  la  présenter,  et  vingt- 
six  autres  à  la  réfuter.  La  complication  s'explique  ainsi  :  l'au- 
teur adopte  dans  la  leçon  définitive  la  théorie  que  dans  les 
premières  éditions  il  déiîlaniit  insuflisante,  et  il  réfute  alors 
abondamment  celle  qui  l'avait  d'abord  séduit.  La  tâche  était 
pour  le  poète  de  conserver  dans  ses  vers  les  deux  théories 
alternativement  déclarées  vraies  et  fausses,  et  d'y  ajouter  une 
réfutation  d'abord  inutile.  Il  faut  avouer  qu'il  s'est  mal  tiré  de 
l'embarras  où  il  s'est  mis. 

Une  autre  tentative  assez  ambitieuse  est  celle  qui  nous 
explique  le  phénomène  de  la  congélation.  Thomson,  selon  la 
doctrine  alors  courante,  la  croit  produite  par  «  des  myriades 
K  de  petits  sels  crochus,  ou  bien  en  forme  de  doubles  coins,  et 
«  répandus  à  l'infini  dans  l'eau,  la  terre  et  l'éther  ^  ».  C'est  une 
hypothèse  qui  avait  chance  de  lui  plaire.  Il  est  apparent  qu'il 
aime  ces  théories  qui  mettent  l'esprit  en  présence  de  nombres 


1.  Summer,  210,  211.  —  '2.  Jbid.,   1123-112'.).  —  3.  Autumn,   1211,  1212. 
—  4.  Winter,  104-106.  —  o.  Autumn,  "ï30.«3o.  —  6.  \Vintet\  718-:20. 


406  JAMES  TUOMSOiN. 

inlinis  et  de  prodigieuses  grandeurs.  Celte  idée  d'une  multi- 
tude de  cristaux  invisibles  emplissant  l'univers  avait  séduit 
son  imagination,  comme  Tidée  du  voyage  mystérieux  des 
gouttes  d*eau  de  la  mer  aux  montagnes  à  travers  les  sombres 
immensités  des  roches,  l 'ne  fois  au  moins  la  ménie  tendance 
de  son  esprit  le  sert  plus  heureusement.  Il  y  a  comme  une  vue 
prophétique  des  enseignements  les  plus  récents  de  la  scienre 
dans  les  vers  où  il  célèbre  la  prodigieuse  fécondité  de  la  nature 
et  rinépuisable  multitude  des  organismes  infiniment  petits. 
a  Au-dessous  des  insectes,  par  d'inlinis  degrés,  quelles  espèces 
<c  innombrables  descendent  et  finissent  par  échapper  même  à  la 
«  vision  du  microscope!  La  vie  fourmille  dans  toute  la  nature; 
«  c'est  une  masse  merveilleuse  d'êtres  vivants  ou  datonies 
((  organisés  qui  n'attendent  que  le  souffle  de  vie  '....  » 

Voilà  comment  le  grand  poème  descriptif  donnait  en  même 
temps  quelque  satisfaction  à  ce  besoin  de  savoir,  à  cet  amour 
passionné  du  vrai  qui  est  un  des  titres  d'honneur  du 
xvnr  siècle.  Les  parties  des  a  Saisons  »  que  nous  venons  de 
rappeler  devaient  avoir  pour  les  contemporains  de  Thomson 
une  valeur  et  un  intérêt  qu'il  nous  est  assurément  diflicile 
aujourd'hui  d'imaginer  fidèlement. 


VI 
Jugements  littéraires. 

Nous  aurons  enfin  achevé  de  passer  en  revue  les  principaux 
éléments  d'intérêt  ajoutés  par  le  poète  à  ses  descriptions  de  la 
nature,  si  nous  signalons  les  jugements  qu'il  a  portés  sur 
quelques  grands  écrivains,  et  les  rares  passages  où  sa  muse, 
d'habitude  grave  et  un  peu  guindée,  se  détend  et  s'abandonne 
aux  saillies  de  l'esprit  ou  de  l'humour. 

Thomson  est  très  sobre  d'appréciations  sur  les  poétesses  con- 
tomj)orains.  Il  faudrait  excepter  le  passage  où  il  parle  de  James 
Hammond.  Mais,  on  a  pu  le  voir  par  ce  que  nous  en  avons  dit, 
c'est  en  ami  bien  plus  qu'en  critique  littéraire  que  Thomson 
s'est  exprimé  dans  cette  occasion.  Sur  Voung  *  ou  Gay  ',  quel- 

1.  Summer,  287-2ÎM.  —  2.  Autumn.  M^'.  —  3.  Siwtmcr,  4423. 


LES   HORS-D'ŒUVRB  MÊLÉS   AU   POÈME  DESCRIPTIF.       407 

ques  mots  de  respect  ou  d  affection  qui  font  à  peine  allusion  au 
mérite  littéraire  de  ces  poètes.  Pope  n'est  pas  beaucoup  mieux 
partagé.  Il  y  a  cependant  un  accent  de  franche  et  vive  émotion 
dans  le  vers  où  Thomson  prie  pour  le  retour  à  la  santé  de  son 
illustre  ami  >.  Et  celui-ci,  quelque  exigeant  qu'il  fût  en  fait  de 
compliments,  dut  savourer  avec  plaisir  la  double  flatterie  qui 
termine  un  autre  passage  consacré  à  son  éloge  : 

Car  bien  que  son  Homère  ne  chante  pas  avec  plus  d'harmonie, 
Sa  vie  cependant  est  de  ses  chants  le  plus  digne  d'amour  *. 

Dans  les  deux  tableaux  où  le  poète  énumère  les  illustrations 
de  l'Angleterre  ou  celles  de  lantiquité,  plusieurs  jugements 
littéraires  se  rencontrent.  Les  seuls  qui  offrent  pour  nous 
quelque  intérêt  sont  ceux  qui  se  rapportent  aux  poètes  anglais. 
Voici  Topinion  de  Thomson  sur  Shakespeare  : 

Pour  le  bon  sens  élevé, 

Pour  rimagination  créatrice,  et  ])our  la  pénétration  aigu<' 
Dans  les  replis  secrets  du  cœur  humain, 
Shakesi)eare,  le  poète  sans  art,  n'est-il  pas  Torgueil  de  TAngle- 

[terre  et  de  la  nature  '? 

L'auteur  des  «  Saisons  »  reprend,  on  le  voit,  Tépithète  appli- 
quée déjà  par  Milton  au  gi'and  dramaturge.  1!  s'écoulera  bien 
des  années  encore  avant  que  la  critique  sache  découvrir  tout 
ce  qu'il  y  a  de  raffinement  et  d'  a  art  »  dans  Tart  de  Shakes- 
peare. 

Milton,  voilà  vraiment  le  maître  et  le  modèle  de  Thomson. 
Les  vers  qui  lui  sont  consacrés  débordent  d'admiration  : 

Toutes  les  muses  nobles  ou  aimables 

Des  âges  classiques  ne  se  retrouvent-elles  pas  dans  ton  Milton? 
Son  génie  est  universel  comme  son  sujet, 
Etonnant  comme  le  chaos,  beau  comme  l'éclat 
De  FKden  en  tleur,  sublime  comme  b»  ciel  *. 

4.  Summer,  14;*7.  —  2.  Winter,  550-554. 

3.  Summer,  1563-1560. 

«  U  not  wild  Shakeitpeare  Ihine  and  Nature's  boast?  n 

Milton  avait  dit  : 

«  Sweetest  Sbakespeare,  fancy's  child  ; 
Warble  bis  native  wood-noles  wild.  » 

{L\illegro,  p.  133,134.) 

4.  Summer,  1367-1571. 


408  JAMES  THOMSON. 

Et,  dans  un  autre  chant,  si  le  poète  rappelle  les  gloires  de  la 
Grèce,  à  coté  a  du  grand  Homère,  au  vol  audacieux,  père  de 
la  poésie  »,  il  voit  a  égal  à  lui,  le  poète  de  Bretagne;  ils  mar- 
ie client  la  main  dans  la  main,  tous  deux  aveugles,  et  s'avancent 
a  droit  vers  le  sommet  du  mont  glorieux  '  ». 

Si  Milton  est  le  poète  qui  s'impose  d'abord  à  son  admiratiou. 
nous  pouvons  croire  que  Spenser  Tut  celui  qu'il  aimait  au- 
dessus  de  tous .  C'est  au  grave  et  majestueux  auteur  du  <t  Paradis 
Perdu  X»  qu'il  demande  le  secret  d'une  versification  lière,  pom- 
peuse, digne  de  ce  sujet,  Dieu  révélé  dans  ses  créations,  qui 
était  à  peine  moins  sublime  que  le  drame  de  la  Genèse.  Mais 
nous  savons  par  maintes  circonstances,  et  surtout  par  le  c  Châ- 
teau d'Indolence  »,  cette  œuvre  des  longs  loisirs  si  amoureuse- 
ment caressée  pendant  quinze  ans,  que  Thomson  faisait  ses 
délices  du  «  poète  des  poètes  »  *.  Il  le  nomme,  dans  les  «  Sai- 
sons »,  à  côté  de  Shakespeare  et  de  Milton.  Son  jugement, 
exprimé  en  trois  vers,  implique  l'appréciation  la  plus  juste  du 
talent  du  ^rand  conteur. 

Lo  doux  et  charmant  Spenser,  fils  de  la  Fantaisie, 
Dont  le  poème,  comme  un  lleuve  abondant,  coulait 
Parmi  tous  les  labyrinthes  du  pays  enchanté  ^. 

Thotnson  n'oublie  pas  non  plus  le  vieux  maître  de  Spenser. 
Son  esprit  ouvert  et  si  franc  d'allure  ne  pouvait  manquer  d'être 
charmé  par  le  poète  à  l'inimitable  sincérité. 

Sage  rieur, 
(^haucer,  dont  les  vers  naturels,  tableau  tldùle  des  mœurs. 
I]t  riches  en  utiles  leçons,  brillent  à  travers  ce  nuage  gothique 
(Jue  le  temps  et  la  lanj^ue  jetaient  sur  ton  génie  *. 

C'est  une  question  de  théorie  littéraire,  à  laquelle  s'est  inté- 
ressé Thomson,  que  celle  de  la  nature  de  l'esprit  et  de  l'hu- 
mour. Il  nous  a  donné  sa  définition  de  ces  deux  mots. 


1.  Winter,  :\:\^-oM\. 

2.  «(  He  is  tlie  eldest  t)orn  of  Spencer,  and  lie  lias  often  conressed  Ihat 
if  lie  had  anyUiin^  excellent  in  poetry.  he  uwed  il  to  the  inspiration  ht 
first  received  from  reading  Ihe  Fairy  Oueen  iu  llie  very  early  part  of  his 
life.  »  (Cibber's  Life  of  Thomson.\ 

3.  Summer,  1:m3-1:j75.  —  i.  Ihid.,  i:i70- 1:379. 


LES  HORS-D'ŒUVRE  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.       409 

Quand,  après  les  sérieuses  pensées  de  la  philosophie. 

Nous  chercherions  quelque  soulagement,  nous  lerions  se  jouer 

[devant  nous  les  formes 
De  la  fantaisie  capricieuse,  nous  composerions  sans  cesse 
Os  tableaux  rapides,  ce  cortège  rassemblé 
D'idées  fugitives  qui  n'ont  jamais  été  jointes, 
Et  par  lesquelles  Tesprit  alerte  excite  une  sui-prise  joyeuse, 
Ou  [)ar  lesquelles  liiumour,  peintre    des   sottises,  lui-même 

[restant  toujours  grave, 
Provoque  un  rire  qui  ébranle  profondément  tous  les  nerfs  *. 

Rien  de  surprenant  à  rencontrer  dans  les  a  Saisons  »  cette 
analyse  d'une  faculté  qui  du  reste  a  peu  de  part  aux  inspira- 
tions ordinaires  du  poète.  L'esprit  n'est-il  pas  une  des  qualités 
souveraines  de  la  poésie  du  xviir-  siècle?  Tout  ce  que  les  dra- 
maturges de  la  Restauration  avaient  dépensé  de  verve,  de 
traits  piquants,  de  saillies  ingénieuses  et  risibles,  les  poètes  du 
siècle  l'ont  retrouvé.  L'héritière  directe  de  la  comédie  du 
xvir  siècle,  c'est  la  poésie  satirique  et  légère.  A  côté  de  Steele 
et  d'Addison  dont  la  gaité  prend  la  forme  de  l'humour  plutôt 
encore  que  celle  de  lesprit,  c'est  Pope  qui  est  le  véritable  suc- 
cesseur de  Congreve.  Autour  de  lui  tout  le  monde  a  de  Tes- 
prit;  esprit  morose,  amer,  parfois  féroce  chez  Swift,  esprit 
frondeur,  impertinent  et  immoral  chez  Gay,  esprit  moral  et 
moralisant  chez  le  Young  des  <k  Satires  »  et  même  un  peu  plus 
tard  dans  les  mélancolies  apprêtées  des  a  Nuits  ». 

Or  Tesprit  ne  serait-il  pas  à  peu  près  l'opposé  de  l'imagi- 
nation qui  fait  vraiment  le  poète?  Le  trait  spirituel  supix)se 
toujours  une  comparaison.  La  comparaison  développée,  ou  au 
contraire  résumée  dans  un  seul  terme  métaphorique,  c'est  le 
mode  d'expression  fondamental  de  la  poésie.  Mais  quelle 
difîérence entre  ces  deux  genres  de  comparaison! 

L'esprit  rapproche  deux  termes  en  raison  de  rapports  inat- 
tendus et  peu  probables.  L'imagination  poétique  au  contraire 
les  unit  en  constatant  entre  eux  une  harmonie  intime  et  pro- 
fonde. L'esprit  voit  les  choses  par  leurs  côtés  exceptionnels, 

i.  Winter,  609-()l6.  —  La  délinition  développée  par  Thomson  est  celle 
qu'avait  donnée  Locke  :  «  Wit  consisls...  in  th«  aflflemblage  of  ideas;  and 
putting  thèse  togclher  with  quickness  and  variety,  wherein  can  be 
founri  any  ressemblance  or  congruily  ».  (On  the  Uuman  Understanditig, 
Bk.  II,  chap.  n.)  —  C'esl  aussi  la  théorie  q«*a  exposée  Dugald-Slewart. 
[Eléments  of  the  Philosopha  of  the  Uuman  Mind,  sect.  IV,  p.  302.) 


410  JAMES  THOMSON. 

extérieurs  et  peu  importants.  Le  poète  les  voit  en  ce  qu'elles 
ont  d'essentiel.  Le  trait  d'esprit  sera  d'autant  plus  piquant 
qu'il  mettra  en  lumière  un  caractère  plus  imprévu  de  Tobjel 
visé.  L'image  poétique  est  d'autant  plus  belle  qu'elle  nous  fait 
mieux  pénétrer  jusqu'au  fond  permanent  de  l'être  ou  de  la 
chose.  Voilà  sans  doute  pourauoi  les  écrivains  si  spirituels  de 
l'école  de  Pope  sont  si  peu  poètes.  Voilà  pourquoi  Thomson, 
qui  avait  retrouvé  une  des  sources  vives  de  la  vraie  poésie, 
montre  peu  d'esprit.  11  n'est  pas  sans  doute  au  même  point 
que  son  maître,  le  grand  Milton,  dépourvu  de  tout  sentiment 
d'humour.  Mais,  comme  lui,  il  se  laisse  aller  à  la  recherclie 
d'effets  d'un  goût  très  contestable.  Ses  antithèses  à  Tinstarde 
Pope  sont  quelquefois  assez  heureuses,  témoin  celle  que  nous 
venons  de  citer  au  sujet  de  Pope  lui-même  *.  Plus  souvent 
cependant  ces  effets  sont  d'une  lourdeur  banale,  exprimant  par 
une  froide  répétition  de  termes  une  assimilation  peu  natu- 
relle. On  en  a  pu  lire  plus  haut  quelques  exemples. 

La  fantaisie,  qui  rapproche  deux  termes  en  apparence  fort 
éloignés,  est  assez  heureuse  dans  ce  vers,  qui,  au  milieu  des 
fêtes  mondaines,  signale 

...  insecte  brillant  dans  tout  son  éclat  de  l'élé, 
Le  petit  inaitre  qui  voltige  léger,  et  étend  ses  ailes  poudreuses  *. 

Kllc  est  plus  audacieuse  dans  l'exemple  suivant,  mais  un  sou- 
rire du  poète  atténue  l'emphase  de  l'hyperbole.  Il  s'adresse 

aux  jeunes  tilles  : 

Dans  le  berceau 
Où  flotte  le  cbèvivfeuille,  et  où  les  roses  font  un  lit, 
X'allez  pas,  (piand  le  soir  tire  ses  rideaux  de  pourpre, 
Vous  lier  pour  quebjiies  douces  minutes  à  rhomme  trompeur  \ 

Mais  le  plus  souvent  cette  fantaisie  n'aboutit  qu'à  des  pointes 
recherchées,  à  des  con(!etti  du  genre  de  ceux-ci  : 

Cueillons  dans  leur  fraîcheur 
Des  lleurs  à  pein»' écloses.  pour  en  orner  les  tresses  de  tes  cheveux, 
Et  ton  sein  aimé  qui  ajoute  à  leur  parfum  *, 

I.  Voir  p.  40T.  —  2.  \Vinler,  (U3-G4o.  —  3.  Sfiring,  978-981. 
4.  Spring^  490-492.  Tlioinson  était  très  satisfait  de  la  gentillesse  qu'avait 
trouvée  là  son  esprit.  11  y  revient  encore  dans  une  petite  pièce  adressée 
à  Âmanda. 

•  Unlees  to  deck  lier  swceter  breast, 
In  vain  I  rear  the  breathin^  flower.  ■ 


LES  nORS-D'ŒUVRB  MÊLÉS  AU   POÈME  DESCRIPTIF.       411 

OU,  dans  le  même  chant,  cette  idée  reprise  par  Thomson  aux 
poètes  de  la  Renaissance  qui  n'en  avaient  que  trop  usé  : 

...  gontlc  la  brise 
De  soupirs  incessants,  et  le  ruisseau  de  larmes  ', 

ou  telle  métaphore  qui  se  poursuit  à  travers  dix  vers  avec  une 
insistance  excessive  :  Palémon  voit  dans  la  jeune  Lavinia  la 
seule  fleur  survivante  de  la  racine  qui  jadis  nourrissait  sa  for- 
tune; il  énumère  les  influences  atmosphériques  sous  lesquelles 
cette  fleur  s'est  développée;  il  veut  la  transplanter  dans  un  sol 
plus  généreux  et  en  faire  l'orgueil  de  son  jardin  *. 

L'esprit  et  la  fantaisie  n'ont  donc  apporté  à  notre  poète 
qu'une  inspiration  intermittente  et  non  pas  toujours  propice. 
Son  poème  renferme  un  épisode  franchement  humoristique. 
C'est  la  scène  du  repas  des  chasseurs  dans  I'  «  Automne  d.  Il  y 
a  là  une  description  d*un  naturel  et  d'une  gaité  parfaits.  Le 
ton  est  bien  celui  du  poème  héroï-comique.  L'emphase  en  est 
d'une  drôlerie  amusante.  Rien  n'est  oublié  des  traits  qui  peu- 
vent rendre  la  scène  plus  vivante  et  plus  bruyante.  Nous 
entendons  les  récits  merveilleux  et  les  vantardises  audacieuses 
autour  de  la  table  chargée  d'un  rôti  monstrueux,  et  les  jeux 
retentissants,  et  la  galanterie  éléphantine  des  buveurs  qui 
arrêtent  au  passage  la  fille  d'auberge  peu  farouche,  et  les 
explosions  de  gaité  des  convives  déjà  gagnés  par  l'ivresse, 
auxquelles  les  chiens  répondent  du  chenil.  La  scène  fmale  nous 
montre,  sous  la  table,  au  milieu  des  verres  et  des  pipes  brisés, 
les  victimes  de  cette  lutte  héroïque,  tous  vaincus,  a  sauf 
«  quelque  pasteur  à  la  panse  énorme,  qui,  s'éloignant  de  ses 
«  ouailles  prosternées,  rentre  chez  lui  et  gémit  de  la  faiblesse 
«  de  ce  temps  '  ». 

!.  Sj>nng,  1030,  1031.  —  2.  Autumn,  2H-28I.  —  3.  lbi(L,  492-5(;9. 


CHAPITRE  VII 


LES    «    SAISONS    ».    —   LA   LANGUE    ET    LE    STYLE 


L'œuvre  poétique  de  Thomson  nous  paraît  donc  formée  de 
deux  éléments  très  divers.  Par  Tun  d'eux,  la  description  du 
monde  sensible,  Tauteur  se  montre  à  nous  comme  un  génie 
original  et  novateur.  Par  Tautre,  récrivain  se  rattache  étroite- 
ment à  son  temps  et  en  reflète  les  pensées,  les  préoccupations 
et  les  goûts.  C'est  à  une  même  constatation  que  nous  con- 
duira l'étude  qu'il  nous  reste  à  faire  des  a  Saisons  »  au  point 
de  vue  de  la  forme.  Nous  relèverons  ce  qui  appartient  en 
propie  à  Thomson  et  ce  qui  lui  est  inspiré  par  les  influences 
alors  régnantes,  en  analysant  la  langue  du  poète  dans  son 
vocabulaire,  dans  sa  grammaire,  dans  les  figures  de  sa  langue 
poétique,  dans  le  rythme  général  et  dans  les  particularités 
j)rosodiques  de  son  vers. 


I 


Le  Vocabulaire. 


La  rt'cherche  de  l'originalité  dans  les  termes  est  un  des 
caractères  qui  frappent  immédiatement  le  lecteur  des  *  Sai- 
sons ».  Aucun  poète,  depuis  Milton,  n'avait  à  pareil  point 
éprouvé  le  besoin  de  créer  des  mots.  Ce  besoin  en  effet  ne 
s'associe  guère  aux  tendances  de  l'école  classique.  Un  écrivain 
peut  être  tenté  de  forger  un  terme   nouveau  quand  il  s'agit 


LES    <'    SAISONS    ■>.   —   LA    LANGUE   ET   LE   STYLE.  413 

pour  lui  crexprimer  une  sensation  inédite,  de  peindre  un  objet 
au  caractère  fortement  individuel,  de  traduire  la  nuance  net- 
tement déterminée  d'une  pensée.  Mais  l'école  classique  aspire 
surtout  à  l'expression  du  général.  Elle  ne  se  heurtera  guère  à 
cette  difficultc)  qu'oppose  la  langue  à  la  notation  d'elTets  excep- 
tionnels et  de  caractères  strictement  particuliers.  Le  talent 
d'un  écrivain  tel  que  Pope  s'applique  à  combiner  ingénieuse- 
ment les  mots  de  la  langue;  il  n'a  nul  besoin  d'en  façonner  de 
nouveaux,  et  considère  volontiers  tout  néologisme  comme  une 
hérésie  condamnable  *. 

Thomson  au  contraire  avait  des  choses  nouvelles  à  dire,  des 
observations  et  des  impressions  à  enregistrer  qui  n'avaient  pas 
encore  reçu  d'expression  dans  la  littérature  de  son  pays.  Il 
ne  se  fit  pas  scrupule  d'étendre  considérablement  le  vocabu- 
laire dont  se  servaient  ses  contemporains.  Du  reste  il  n'était 
pas  besoin  pour  cela  de  faire  violence  à  la  langue.  L'anglais 
offre  à  l'esprit  d'invention  de  l'écrivain  d'inépuisables  res- 
sources. La  faculté  de  réunir  dans  des  combinaisons  nouvelles 
les  termes  du  vocabulaire  courant,  permet  une  création  indé- 
tinie  de  mots.  Ils  pourront  avoir  une  valeur  particulière  très 
précise,  et  seront  cependant  immédiatement  compris.  C'est 
que  les  combinaisons  qui  les  ont  produits  suivent  des  lois 
consacrées  par  l'usage  constant  du  langage.  Ces  nouveaux 
venus  ne  paraîtront  pas  des  étrangers  ni  des  intrus,  car  ils 
sont  formés  d'éléments  connus  combinés  selon  des  formules 
connues. 

Thomson  sait  quelles  ressources  offre  au  poète  ce  caractère  de 
la  langue  anglaise.  11  admire  volontiers,  chez  les  maîtres  ou 
chez  ses  amis,  les  épithètes  complexes  *.  Il  résiste  aux  efforts 

1.  •  Be  not  thc  first  by  whom  the  new  are  tried.  - 

{Essaij  on  Crilicism,  H,  13o.) 

Rien  de  plus  caractérislique  à  cet  égard  que  les  observation»  de  Popj 
hii-méme  sur  les  épithètes  composées  chez  Homère  (préface  à  la  traduc- 
tion de  «  riliade  -).  •>  Whcnevcr  they  eau  be  expressed  in  a  single  word  as 
in  a  compound  one,  the  course  to  Îjc  taken  is  obvions.  Some...  may  havc 
justice  donc  tbem  by  circumlocution  ;  as  the  epithet  eîvjaî^u/.Xoc  to  a  moun- 
taîD,  would  appear  little  or  ridiculous  translatcd  literally  «  leaf-shaking  », 
but  alTords  a  majestic  idea  in  the  periphrasis  :  Tlie  lofty  mountain 
shakes  his  waving  woods.  » 

2.  •  Let  me  mention  the  comprehensive  compound  epithet  :  all-shun- 
ned.  *  (Lettre  à  Mallet  au  sujet  du  poème  de  celui-ci,  The  Excursion, 
M  aoiU  1726.) 


414  JAMES  TBOMSON. 

des  critiques  auprès  desquels  ces  néologismes  n'ont  pas  trouvé 
grâce  \  et,  dans  tout  son  poème,  il  prodigue  les  termes  com- 
posas nouveaux. 

Toutes  les  variétés  de  combinaisons  auxquelles  se  prêtent  ie 
vocabulaire  et  la  grammaire  de  l'anglais  peuvent  être  relevées 
dans  les  «  Saisons  i».  Les  substantifs  composés  d'abord.  Quel- 
ques-uns sont  d'un  usage  banal,  et  du  reste  le  caractère  de 
combinaison  y  apparaît  peu,  le  premier  terme  ayant  autant  la 
valeur  d'un  adjectif  que  celle  d'un  élément  actif  dans  la  for- 
mation d'un  terme  nouveau  :  m  insect-tribes  -,  forest-walks  \ 
tulip-ract'  *  »,  etc.  —  Quelquefois,  le  groupement  moins  banal 
comporte  un  sens  plus  complexe  :  «  the  barvest-treasures  *  », 
pour  «  les  trésors  des  moissons  »  ;  <k  reaper-train  ^  »,  pour  t  la 
ligne  des  moissonneurs  »  ;  «  torrent-softness  '  »,  pour  t  unr 
douceur  qui  a  la  force  d'un  torrent  d. 

Puis  viennent  les  épithètes.  Le  premier  terme  est  souvent 
un  nom.  Le  deuxième  alors  peut  être  un  adjectif  :  a  blood- 
happy  '*',  the  plume-dark  air  •  »,  etc.  Plus  fréquemment  ce 
deuxième  terme  est  un  participe  passé  :  «  sage-instructed  eye  '". 
tlower-enwovcn  bowers  *',  love-enlivened  cheeks  '^,  mind-illu- 
mined  face  '%  blood-[)ollutcd  fur  **,  tower-encircled  head  *\art 
irnagination-tlushed  *®,  rhymc-unfettered  verse  *%  vapour-bur- 
dtMied  air  *\  sca-girt  roign  ''',  sea-encircled  globe  *®,  leaf-strewn 
walks  -',  stench-involvod  ",  toil-strung  youth  *'  »,  etc.  —  Au 
lieu  du  participe  passé  souvent  nous  trouvons  un  participe  pré- 
sent :  «  world-revivingsun -^,  heart-oxpandingview",  life-reli- 
ning  soûl  -",  romp-loving  miss  ^",  love-breatbing  lips  ",  care- 
eluding  art  *\  joy-rosounding  llelds  '°,  Nature's  all-refining 

i.  Dans  la  un>me  letlre  à  propos  d'observations  suri'  •  Hiver  »  faites  par 
leur  ami  commun,  le  peintre  Aikman  :  -  Should  I  aller  mv  wav.  I  would 
wrilc  poorls  :  l  musl  rlioose  whal  appenrs  lo  me  Ihe  most  signillcaol 
epilluît.  or  1  cannol  willi  any  Iiearl  jirooed.  • 

Dans  l'exempliiire  de  MiiroriJ,  au  vers  485  de  Spring^  Pope  proposait  deux 
correolions  pour  remplacer  «  dew y-l)rij?hl  -.C'étaient  «  briglit  with  dc\\  ■. 
on  «  in  that  wiid  ».  Thomson  maintient  sou  adjectif  composé. 

2.  Sprintf,  OU.  —3.  M/V/..  1".   —   t.  //;/>/.,  nSîS.  —   5.  Autitmn,  i217.  ■ 
G.   Ihid.,    i2:i.  —  1.  Spriinj,  ïiSi.   --   8.  Autumn.   45t».   —  9.    /6irf.,    809,  - 

10.  Sprinff,  200.  —  11.  Ihid.,  lOiiS.     -  12.  IbhL,  108o.  —  13.  Ihid..  IIH.  - 

11.  Autùmn,  84.  —  la.    Ihid.,  114.   —   10.  Ihid.,   140.   —  i7.  îbid,,  liiN.  - 
18.  Ihid.,  829.  —  19.  //>/>/.,  814.  —   20.  ihid.,  920.  —  21.  Ibid.^   9b5.  —  2i. 
Ihid.,   1200.    —  23.  U'id..    1223.  —    2i.    Sprinij.  .il.  —  25.    AuUiwn.    ;o.  - 
21».  Ihid.,  89.    ~  27.  lh\d.,  :i28.   —  28.    îbd..  .-.93.  —  29.    76«</.,    605.  ~     3n. 
Ihid.,  62ri. 


LBS  «  SAISONS  ».   —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         418 

hand  ',  all-enlivening  trade'  »,  etc.  Au  demeurant,  il  n'y  a 
vraiment  dans  ces  formes  qu'une  inversion  du  régime.  Le  com- 
posé, dans  ce  cas,  a  pour  eiTet  principal  de  transformer  le 
participe  présent  en  une  épithète. 

Dans  un  autre  modèle  de  combinaisons,  le  premier  terme 
est  un  adjectif  :  c  bitter-breathing  frost  ',  the  deep-loaded 
bougli  *,  cruel-seeming  winds  *,  modest-seeming  eye  ",  heavy- 
loaded  groves  \  sole-sitting  *  »,  etc.  —  Dans  plusieurs  de 
ces  exemples,  on  le  voit,  Tadjectif  a  une  valeur  d'adverbe. 
C*est  là  un  des  traits  familiers  du  style  des  a  Saisons  »,  Nous 
en  avons,  au  courant  de  la  plume,  relevé  dans  V  «  Automne  » 
vingt-six  exemples,  et  trente-quatre  dans  le  a  Printemps  ».  Cette 
même  transformation  de  l'adjectif  en  adverbe  dans  un  com- 
posé se  rencontre  d'ailleurs  autre  part  que  dans  les  épithetes  : 

Fricndship  fuU-exerts  lier  soltesl  power  •. 

There  throw,  nice-judging,  ihe  delusive  lly  *". 

A  serener  blue....  wide  invests 
The  happy  world  *'. 

Thèse  unhappy  partners  of  your  kind 
Wide-hover  round  you  like  the  fowls  of  heaven  **.^ 

Whcn  strict  inquirin^:.  lie  fi*om  herself  found  *^. 

Dans  d'autres  cas,  le  premier  terme  de  l'épi thète  composée 
est  un  véritable  adverbe.  La  combinaison  alors  a  pour  effet 
ou  de  rendre  plus  intime  l'union  de  l'adjectif  et  de  son  déter- 
minatif  :  «  ever-dripping  fogs  **,  wcll-dissembled  fly  '*  »;  ou 
d'établir  entre  les  deux  termes  un  rapport  tel  que  celui  qui 
d'habitude  joint  l'adverbe  seulement  au  verbe  : 

Thv  loftv  dôme 

*  « 

Far-splendid  seizes  on  the  ravished  eye  **. 


1.  Aulutnn,  634.  —  2.  Ibi(L,  92i.  —  3.  Ib'uL,  02.  —  4.  Ifmi.,  030.  — 5.  Sprinif 
136.  —  6.  /6iV/.,  989.  —  7.  Winter,  S03. 

8.  Sprhiffj  723.  Wordaworth  s'esl-il  souvenu  de  l'épilhèle? 

"  Lodv  of  tlie  mere. 
Sole-sitting  by  the  shores  of  old  romance  ». 

{Poems  on  the  Naming  of  Places,  IV.) 

9.  Spring,  1119.—  10.  Ibid.,  407.—  11.  Autumn,  27.  —  12.  Ihid.,  1*3.  — 
13.  /6iV/.,  253.  —  14.  /6iW.,  812.  —  15.  Spring,  383.  —  10.  Autnmn,  060,  001. 


416  JAMES  THOMSON. 

Un  des  modèles  de  combinaison  les  plus  connus  est  celui 
des  épithètes  qui  aiTectent  la  forme  de  participes  passés,  en 
ajoutant  la  terminaison  a  ed  i»  au  groupe  formé  par  une 
épithète  et  un  nom.  Malgré  la  condamnation  prononcée  par 
Johnson,  ce  sont  là  des  composés,  parfaitement  conformes ao 
génie  de  la  langue  ^  Ils  ont  fourni  à  tous  les  grands  poètes 
anglais  quelques-unes  de  leurs  expressions  les  plus  frappantes 
et  les  plus  célèbres  -.  Dans  les  deux  Chants  où  nous  avons 
pris  les  exemples  précédents,  nous  trouverions  à  noter  : 
(L  rocky-channelled  maze  %  rosy-footed  May  *,  innumerous- 
coloured  scène  %  young-eyed  health  •,  rosy-bosomed  Spring  ', 
various-blossomed  Spring  *,  sweet-beamed  suns  •,  keen-aired 
mountains  *^,  the  lusty-handed  year  ",  mellow-tasted  bur- 
gundy  *-,  many-coloured  woods  ",  dewy-skirted  ciouds  ", 
low-thoughted  vice  *^  dusky-mantled  lawn  *•,  the  moon  full- 
orbed  *^  ». 

Dans  quelques-uns  de  ces  composés,  l'adjectif  qui  précède 
le  participe  ne  lui  est  uni  par  aucun  rapport  de  subordination 
logique.  Il  ne  fait  qu'énoncerun  deuxième  caractère  de  Tobjet: 
a  white-empurpled  shower  '%  wide-dejected  waste  *•  >,  etc. 
—  Enfin  la  combinaison  est  parfois  plus  hardie.  Le  poète 
rencontre  une  association  de  termes  qui,  d'un  trait,  lui  parait 
nolei*  avec  précision  un  effet  intéressant,  et  il  s'y  arrête  en 
dépit  de  la  difficulté  de  justifier  logiquement  la  formation  du 
composé.  C'est  le  cas  d'expressions  telles  que  :  «  In  world- 
rejoicing  state  *°  »,  pour  a  the  state  of  one  in  whom  the  world 
rejoices  »,  ou   telles  que  l'épithéte  pittoresque  de  ce  vers  : 

Aiul  whih^niii^'  down  (hoir  inossy-tinclured  slream 
l)<'sccnds  the  billow  l'oain  -', 

1.  JoiiNsox,  lÀ/'e  of  (iray.  C'est  à  propos  du  terme  «  honied  w  euiploxé 
par  Gr.iy  (juc  le  Doclciir  réprouve  celle  transformation  d*un  subsUintif  en 
un  participe  passée  apparent.  Dans  l'édition  de  Gray  par  Milford,  oo  pL-iit 
lire,  p.  17,  une  répoiiHe  de  lord  (iren ville  aux  objections  de  Jolinfon. 

2.  On  en  trouvera  une  série  d'exemples  relevés  chez  les  auteurs  les  pli!> 
variés,  depuis  Shakespeare  jusqu'à  Tennyson,  dans  ëarlk.  The  Philoioff^i 
of  tht»  Knfflish  TonQUP.,  ;*.  fiO". 

a.  Spriwj,  400.  --  V.  Ihid.,  488.  —  o.  Ihid.,  ImO.—  fi.  Ibid,,  892.  —  7.  Ihid,, 
lOOî).  —  8."  Autiimn,  "^.  —  9.  Ihid.,  29.  —  10.  Ihid.,  434.—  14.  Ihid,^  6S9.  - 
12.  Ihid.,  70:».  --  1:î.  Vdd..  950.  —  14.  ïhid.,  961.  —  15.  JbUL,  968.  - 
16.  Ibid,,  1088.  —  17.  Ihid.,  1089.  —  18.  ^prinu,  109.  —  19.  Ibid,,  118.  - 
20.  Summer,  IIC.  —   21.   Spi-ing,  380,  381. 


LES  «   SAISONS  ».   —  LA   LANGUE  ET  LE  STYLE.         417 

t  récuine  emportée  blanche  sur  le  ruisseau  coloré  par  les 
mousses  ». 

Dans  tous  ces  exemples,  il  y  a  plus  d'une  heureuse  trou  - 
vaille.  Ce  <k  mossy-tinctured  stream  »  n'éveille-t-il  pas,mieux 
qu'une  longue  description,  Timage  de  ce  ruisseau  aux  eaux 
vertes  et  au  lit  moussu  que  les  pluies  d'orage  vont  changer  en 
un  torrent  trouble  et  sombre?  «  Young-eyed  healtli  *,  rosy- 
bosomed  spring  *,  meek-eyed  morn  '»,  etc.,  sont  de  charmantes 
épithètes  dont  le  trait  discret  suffit  à  revêtir  une  notion  abs- 
traite d'une  forme  animée  et  vivante.  La  valeur  graphique 
de  l'épithèteest  manifeste  dans  les  composés  tels  que  a  flower- 
enwoven  bowers  *,  (a  strain)  faint-warbled  *,  sweet-beamed 
suns  •,  ou  the  green-appearing  ground  '  ».  Souvent  l'emploi, 
comme  premier  terme  de  la  combinaison,  d'un  adjectif  pris 
adverbialement  donne  à  l'expression  une  force  concise  qu'un 
autre  procédé  atteindrait  difficilement  :  a  (the  turkey)  loud- 
threatening  reddens  *,  the  heifer  balmy-breathing  ^,  the  hol- 
low-whispering  breeze,  '°,  bitter-breathing  frost  **,  voices 
deep-sounding  ",  mazy-running  brook  "  »,  etc. 

Mais  il  faut  bien  reconnaître  que  toutes  les  combinaisons 
ne  sont  pas  également  heureuses.  Celles  qui  mettent  en  jeu 
des  termes  d'origine  latine  prennent  facilement  une  allure 
forcée  et  gauche.  C'est  surtout  aux  mots  germaniques  que  le 
procédé  germanique  de  composition  a  chance  de  s'adapter 

i.  Souvenir  de  Shakespeare  : 

•  Sliil  quiring  to  the  yoiiog-eycd  cherubius  -. 

(Aferc/i.  of  Vewicf,  V,  62.) 

2.  Spring,  1009.  —  Milton  avait  dit  : 

•  The  Grâces,  and  the  rosy-bosoui'd  iJours.  -  ^ 

{Cornus,  V.  984.) 

Quel  est  des  deux  celui  que  s'est  rappelé  Gray? 

•  Loî  whcre  the  rosy-bosomed  Hours.  • 

{Ode  on  the  Spring.) 

3.  Summer,  47.  Encore  une  épilhètc  composée  de  Milton.  (Earlb,  §  607.) 
Le  même  auteur  relève  chez  Keats  : 

•  Whereat,  methought,  the  lidless-eyed  train 
or  plaoets  ail  were  in  the  blue  again.  » 

(ËARLE,  §  608.) 

4.  Spring,  1058.  —  5.  Ibid.,  586.  —  6.  Autumn,  28,  29.  —  7.  Summer, 
365.  —  8.  Spring,  782.  —  9.  Ibid.,  806.  —  10.  Ibid,,  918.  —  11.  Auiumn,  62. 
—  12.  Ibid,,  1036.  Cf.  Pope  :  •  The  hoarse-resounding  main.  -  (The  lUad, 
203.)  —  13.  Summer,  373. 

27 


418  JAMES  THOMSON. 

avec  succès.  On  sent  ce  qu'il  y  a  de  lourd  et  de  guindé  dans 
des  ibrmes  comme  m  frequent-pausing  *,  secret-winding  \ 
niind-illumined  face  %  et  surtout  sage  instructed  eye  *,  ou 
art-imagination-flushed  ''  d.  Le  nombre  seul  de  ces  formes 
suffirait  à  donner  au  style  du  poète  un  caractère  artificiel;  et 
ce  défaut  est  aggravé  par  la  répétition  complaisante  des  mêmes 
combinaisons.  Nous  citions  tout  à  l'beure  «  mazy-runniog 
brook  *  »,  de  V  a  Été  »;  le  a  Printemps  »  nous  fournit  t  the 
mazy-runnig  clefts'  »  et  T  a  Automne  »  mazy-running  clefls'. 

—  The  many-twinkling  leaves  •  »  est  charmant;  mais  dans  le 
môme  chant  vient  a  many-bleating  flocks  'V  ©^  dans  V  «  Au- 
tomne »  many-coloured  woods  '*  d.  Dans  le  seul  t  Printemps  » 
nous  avons  :  a  the  well-used  plough  ",  well-showered  ",  the 
well-dissembled  lly  **.  »  Dans  V  a  Automne»,  à  moins  décent 
vers  d'intervalle,  wide-projected  heaps  **,  et  wide-refracted 
ray  '^.  —  All-surrounding  heaven  ",  du  n  Printemps  »,  est  rap- 
pelé par  ces  deux  expressions  de  V  «  Automne  »  :  Naturels  ail- 
refining  hand  **,  et  all-enlivening  trade  *•.  —  Seagirt  reign'* 
est,  dans  V  a  Automne  »,  bientôt  suivi  de  sea-encircled  globe  ". 

—  Never-cloyed  désire  ",  et  ever  changing  views  "  >,  du 
«  Printemps  »,  sont  rappelés  comme  par  un  écho  dans  «  ever- 
dripping  fogs  "  ». 

Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  quel  parti  Thomson 
a  su  tirer  de  ces  combinaisons  grâce  auxquelles  il  a  étendu, 
enrichi  et  varié  le  vocabulaire  descriptif  de  la  langue.  Ils 
nous  apprennent  aussi  comment  le  poète  a  abusé  de  cette 
ressource,  et  comment,  dans  sa  création  excessive  de  termes 

I.  Sprhitj,  943.  -  2.  Ibid,,  1058.  —  3.  7/yw/.,  i!41.  —  4.  Ibid.^  209.  - 
:\.  Autuînn,  140.  —  6.  Swntnery  373.  —  1.  Spring,  576. —  8.  Aulumn^  816. 

9.  Spriîig,  136.  (iray  a  RoiUé  Tadjeclir  et  l'a  emprunté.  En  parlant  de 
danseurs  :  -  Glance  llicir  many-twinkling  feet.  •  {The  Procréas  of  Poesy, 
I,  3,  V.  34.) 

;0.  Sprinff,  834. 

II.  Aulumn,  O.'W).  -  Aussi  est-ce  un  des  traits  qu'a  relevés  Isaac  Hà\^' 
kins  Browne  dans  sou  amusante  parodie  du  style  de  Thomson  : 

« forth  issue  clouds, 

Thought-thrillinK)  thirst-inciling  clouds  around, 
And  many-mining  fires.  • 

(A  Pipe  of  Tobacco.) 

12.  Spring,  33.  —  13.  MiV/.,  186.  —  14.  ////</.,  383.  —  15.  Auiumn,  638.  - 
16.  ibui.,  722.  —  17.  Spring,  30.  —  18.  Atitumn,  634.  —  19.  tbid.,  869.  - 
20.  Ibid  ,  874.  —  21.  Ihid.,  926.  —  22.  Spring,  290.  —23.  Ibid.,  297.  — 
24.  Aulumn,  812. 


LES  «  SAlSOiNS   ».   —  LA   LANGUE  ET  LE  STYLE.         419 

complexes,  il  a  mérité  le  reproche  de  lourdeur  et  de  mono- 
tonie. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  ces  épithètes  composées  qu'il 
manifeste  un  attachement  complaisant  à  certains  mots  ou  à 
certains  tours  d'expression.  Il  serait  très  long  de  relever  tous 
les  termes  qui,  en  eux-mêmes  frappants  et  justes,  perdent 
leur  valeur  par  une  répétition  indiscrète  et  fmissent  par  cho- 
quer d'autant  plus  qu'ils  sont  en  eux-mêmes  plus  vigoureux 
et  saillants.  «  Thick  »  *,  au  sens  de  a  nombreux  »,  revient  sans 
cesse,  <K  Tumble*,  convolved  ^,  appalled*,  invest*,  detruded*, 
fréquent  ^  »,  adjectif  ou  adverbe,  au  sens  de  «  nombreux  », 
«  flounce  ^,  Sound  et  resound  ^  »,  et  surtout  le  verbe  empha- 
tique <K  demand  *^  »  sont  parmi  les  expressions  favorites  dont 
l'auteur  use  et  abuse. 

Toutes  ces  expressions,  on  peut  le  remarquer,  sont,  à  l'excep- 
tion d'une  seule,  d'origine  latine.  L'emploi  complaisant  de 
pareils  termes  est  en  effet  un  des  caractères  marquants  du 
style  de  notre  poète.  Quand  il  s'agit  de  mots  français  depuis 
longtemps  entrés  dans  le  vocabulaire  de  la  langue  et  dans 
l'usage  du  peuple,  rien  de  plus  naturel  ni  de  plus  légitime  que 
l'emploi  de  pareils  termes.  Quelques-uns  peuvent  prendre, 
en  dépit  d'une  opinion  fort  répandue  parmi  les  grammai- 
riens anglais,  autant  de  force  ou  de  précision  pittoresque  que 
les  termes  proprement  saxons.  Si  Thomson  a  tort  sans  doute 
d'abuser  du  verbe  «  demand  »,  il  a  raison  de  trouver  ce 
mot  énergique  plus  que  pas  un  de  ses  synonymes  germani- 
ques '^  Mais  le  poète  cède  aussi  trop  souvent  à  la  tentation  de 

1 .  Comme  dans  ce  passage  de  V  u  Été  »  : 

«  The  russet  hay-cock  rises  Ihick  behind.  » 

{Summer,  367.) 

2.  Spring,  823;  Winler,  99,  341,  etc. 

3.  Spring^  836;  Summer,  343;  Aulumn,  1183,  et  des  formes  très  voisines 
dans  Winlei',  278  et  639. 

4.  Summer,  305;  Winter,  352;  voir  aussi  lUd.,  118. 

5.  Autumn,  27  et  880. 

6.  Spring,  569;  se  retrouve  dans  la  forme  »  protrudes  »  de  Aulumn,  1311. 

7.  Spring,  940;  Summer,  1049;  Winter,  6,  128,  621. 

8.  Spring,  823;  Summer,  367;  Winter,  788. 

9.  Summer,  281,  369,  596,  471  ;  AuUimn,  319,  103^  etc. 

10.  Spring,  168,672,730;  Swmmtfr,  927,  1021,  1851;  Autumn,  358;  Winlei-, 
314,  528. 

11.  Le  sens  énergique  du  verbe  a  demand  •  est  mis  en  lumière  par 


420  JAMES  THOMSON. 

former  directement  du  latin  des  mots  savants.  L'effet  est  rare- 
ment heureux.  Ces  vocables  nouveaux  ont  presque  toujours 
quelque  chose  de  prétentieux  et  de  pédantesque.  Ils  consenenl 
au  milieu  des  autres  Tair  d'étrangers  et  d'intrus.  C'est  que 
les  mots,  et  surtout  les  mots  de  la  langue  poétique,  ne  sont 
pas  de  simples  signes  algébriques  correspondant,  avec  une 
exacte  et  froide  précision,  à  telle  ou  telle  notion.  Ils  portent 
en  eux,  soit  isolément,  soit  par  les  combinaisons  dans  les- 
quelles l'écrivain  les  groupe,  un  pouvoir  de  suggestion  qui 
fait  leur  valeur  poétique.  Ils  évoquent  une  image,  une  sensa- 
tion, et  parfois,  comme  dernier  retentissement  dans  les  pro- 
fondeurs de  notre  être,  une  émotion.  Mais  il  est  rare  qu'un 
terme  nouveau  ait  cette  puissance  d'association.  Il  n'y  a  pas 
en  lui  cette  sève  dont  sont  gonflés  les  mots  qui  participent 
depuis  longtemps  à  la  vie  du  langage.  Ceux-là  seuls,  par 
l'usage  qu'en  ont  fait  plusieurs  générations  et  des  écrivains  de 
génie,  ont  pris  une  valeur  à  la  fois  précise  et  variée,  riche  de 
nuances  immédiatement  reconnues.  Pour  les  termes  d'une 
langue  comme  pour  les  arbres  d'une  forêt,  c'est  d'une  longue 
vie  en  commun  et  d'influences  mutuelles  que  résultent  le 
caractère  propre  de  chacun  en  même  temps  que  l'harmonie 
de  l'ensemble.  Le  nouveau  venu,  violemment  implanté  en 
plein  développement,  a  peu  de  chances  d'adaptation  et  de 
survie.  Les  néologismes  latins  de  Thomson  sont  trop  souvent 
dénués  des  qualités  qui  pourraient  leur  faire  prendre  racine 
dans  la  langue.  Leur  sens  n'est  pas  facilement  apparent.  11 
faut  le  chercher  dans  une  langue  savante  dont  tous  les  lec- 
teurs n'ont  pas  la  clef.  Alors  même  que  la  valeur  du  radical 
latin  est  connue,  lein  ot  ne  porte  pas  toujours  en  lui-même  la 
détermination  exacte  de  la  nuance  de  sens  visée  par  l'écrivain. 


l'anecdote  suivante  que  raconte  M.  Boiitiuy  dans  une  de  8es  savantes 
éludes  sur  la  Couslitution  des  Etats-Unis  :  *  Un  peu  après  1730...  les 
rapports...  étaient  fort  aigres  entre  les  deux  nations;  le  président  Jackson 
alla  même  jusqu'à  proposer  au  congrès  des  mesures  d'un  caractère 
extrême.  Sur  ces  entrefaites,  une  dépêche  française  parvint  &  la  Maison- 
Blanche.  Elle  commençait  par  ces  mots  :  «  Le  gouvernement  français 
demande...  ».  qu'un  secrétaire  ignorant  traduisit  tout  uniment  par  :  The 
Fi^ench  government  demanda.  Le  président  Jackson  no  savait  pas  notre 
langue.  A  peine  eut-il  entendu  cette  phrase  qu'il  se  récria  :  •  Si  le  gou- 
vernement français  ose  demand  quoi  que  ce  soit  aux  Étals-Unis,  il 
n'obtiendra  rien....  »>  {Études  de  droit  constilutionnel^  France,  Angleterre, 
États-Unis,  par  E.  Boutmy,  Paris,  Pion,  1883,  p.  87-89.) 


LES  «   SAISONS    ».   —  LA   LANGUE  ET  LE  STYLE.         4âi 

De  fait,  bien  loin  que  ce  terme  apporte  à  la  phrase  son  appoint 
de  force  ou  d'éclat,  il  ne  sera  compris  que  grâce  au  contexte. 
Quelques  exemples  permettront  de  préciser  ces  observations  : 

The  torpid  sap,  lietruded  to  the  root 
By  winlry  winds  *. 

Les  lettrés  seuls  entendront  ce  participe,  et  à  ceux-là  même 
l'expression  paraîtra  inutilement  pompeuse.  La  langue  a  bien 
une  forme  a  protrude  »  (et  l'emploi  qu'en  a  fait  le  poète  dans  un 
passage  de  V  «  Automne  »,  risque  de  rester  obscur*).  Mais  quand, 
du  même  radical,  il  veut  former  un  dérivé  nouveau,  il  ne  voit 
pas  que  ce  radical  n'a  pas  en  anglais  de  valeur  propre,  qu'il  ne 
vit  pas  de  la  vie  du  langage,  qu'il  ne  peut  se  prêter  aux  modi- 
fications que  subissent  aisément  des  termes  vraiment  anglais, 
et  que,  pour  bien  des  lecteurs,  même  pour  ceux  qui  connais- 
sent l'adjectif  «  protruding  d,  le  mot  «  detruded  »,  restera  affecté 
et  quelque  peu  mystérieux  '. 

Le  même  désir  d'ajouter  à  son  style  les  ornements  d'une  élé- 
gance académique  et  savante  explique  l'usage  des  termes  cités 
plus  haut,  et  de  nombre  d'autres  tels  que  c  sequacious*,  con- 
junctive  *,  ensanguined  *,  vacant  '  au  sens  de  «  inoccupé  »,  etc. 
La  même  cause  fait  comprendre  le  rôle  attribué  à  certains 
termes  abstraits  tels  que  perfection^  ou  oppression^;  et  le 
transport  à  la  langue  poétique  de  mots  qui  conviennent  mieux 
au  langage  du  raisonnement,  de  la  logique  et  des  sciences  : 


1.  Spring,  567,  568. 

2.  -  When  young  Spring  protrudes  the  bursling  gems.  •  Auiumn,  131i. 

3.  On   pourrait    répeter  les    mômes   observations    au   sujet  du  verbe 
u  educe  »,  Hymm,  114,  ou  du  substantif  •  inspecl  •.  Autumn,  1134. 

4.  Summery  1713. 

5.  //yid.,  1777. 

6.  Spring,  338;  Wintery  823.  Aulumn  a  aussi  u  sanguine  •  dans  un  sens 
analogue,  v.  1120. 

7.  Summer^  232.  Le  terme  reparaîtra  dans  le  Castle  of  Indolence  : 

8.  «....Perfection  brcathes 
Wbile  o*cr  the  turgent  Hlm  the  living  dew.  » 

{Autumtïy  692,  693.) 

9.  «  And  infant  hands 

Trail  the  long  rake,  or,  with  the  fragrant  load 
O'ercharged,  amid  the  kind  oppression  roU.  • 

(Summer,  358-360.) 


42à  JAMES  THOMSON. 

While  1  deduce 
From  Ihc  first  note  the  hoUow  cuckoo  sings 
The  symphony  of  spring  *. 

Manifestement  les  épithètes  d'origne  latine  ont  pour  lui  un 
attrait  particulier.  L'apparition  fréquente  de  ces  termes  : 
«  pungent  *  »,  a  crude  •  »,  «  observant  *  »,  «  inflated  '  », 
n  bounteous  ^  »,  «  amorous  ^  »,  etc.,  donne  à  son  style  une 
coloration  bien  particulière.  —  Parfois  aussi  Thomson  rend  au 
terme  latin  un  sens  primitif  qu'il  avait  perdu  dans  l'usage  cou- 
rant de  la  langue.  Ainsi  <k  sordid  ^  »  au  sens  matériel  ;  «  gêne- 
rons '  »  dans  un  passage  où  le  mot  parait  signifier  «  digne 
d'une  noble  race  »;  «  varied  '°  »  et  «  inverted  "  »  pour 
«  changé  »;  «  officions  *'  »  au  sens  de  «  dutiful  »,  t  thy  pic- 
tured  life  "  »,  pour  «  the  picture  of  thy  life  »,  «  dôme  **  »  au 
sens  de  «  maison  »,  «  demeure  »,  etc. 

Ces  termes  latins  doivent  souvent  leur  obscurité  à  ce  que 
l'écrivain  leur  attribue  une  valeur  à  lat]uelle  sans  doute  se  prèle 
le  radical,  mais  que  le  lecteur  doit  deviner.  Ainsi,  «  the  altemate 
Twins  *'  »  pour  <(  les  deux  Gémeaux  »;  a  unessential  gloom  *•  », 


1.  Spring^  577-580.  Pope  avail  dit  de  môme  : 

«  Shall  I  deduce  m  y  rhymes 
From  Ihe  dire  nalion  in  ils  early  limes?  » 

2.  SpvifKjy  130.  —  3.  I/Ad,  Ul.  —   4.  Summcr,  46.  —  5.  U'in/er,  166.  - 
0.  Summer,  679.  —  7.  Spring,  786.  —  8.  Summer,  386. 

9.  •  To  hold  a  gênerons  nndiminished  slate.  » 

(Autumny  902.) 

10.  Winler,  1. 

11.  •  And  fierce  Aqnarius  stains  the  inverled  year.  » 

{Winter,  43.) 

C*esl  un  mol  traduit  d'Horace  et  plus  d*une  fois  reproduit  par  d*autres 
poètes  anglais  : 

•  Simul  Inversum  contrislat  Aquarius  annum.  » 

(•  Satire  l .,  v.  36.) 
Dry  de  n  Tavail  imité  ainsi  : 

•  And  winter  storms  iuverl  llic  year.  • 

(.4  Song  to  a  Fair  Young  Lady  going  oui  of  Town  in  tfuf  Spring.) 

El  Cowper  dira  encore  : 

«  Oh!  Win  1er!  rnler  ot  Ihe  inverled  year.  • 

12.  Winter,  311.  Le  mot  se  retrouve  avec  la  même  valeur  dans  la  pièce 
To  the  Memonj  of  Lord  Talbot,  v.  296. 

13.  Winter,  1029.  —  14.  Spring,  6i9.  —  lo.  Summer,  43.—  16.  lùid,,  9'i. 


LES   «   SAISONS  >K  —  L\   LANGUE  ET  LE  STYLE.         423 

pour  a  une  obscurité  qui  cache  les  objets  »  ;  «  collected  *  »  pour 
accumulé;  a  amusive  *  »,  «  qui  se  joue  au  hasard,  sans  direc- 
tion i>;  «  disastered  '  »,  «  malheureux,  soumis  à  Tinfluence 
d'astres  défavorables  »;  <k  unequal  times  *  »,  «  un  temps  qui 
n'est  plus  digne  des  héros  dont  il  s*agit  »;  «  luculent  '^  »  pour 
«  translucide  »;  «  Ceres  void  of  pain  *  »,  pour  a  des  moissons 
recueillies  sans  labeur  »;  «  tempest  '  »  employé  comme  verbe; 
a  inform  '  »  au  sens  de  <k  animer  »,  etc. 

C'en  est  assez  pour  montrer  quel  est  le  défaut  de  la  plupart 
de  ces  néologismes.  Ils  ne  sont  pas  de  ces  mots  «  que  l'on  trans- 
plante dans  ses  pages  avec  la  terre  adhérant  encore  aux  racines  ; 
de  ces  mots  si  vrais,  si  frais  et  si  naturels,  qu'ils  semblent  s'épa- 
nouir comme  les  bourgeons  à  l'approche  du  printemps  '».  Kt 
cependant  cet  effort  pour  étendre,  enrichir  et  renouveler  le 
vocabulaire  de  l'anglais  par  des  emprunts  faits  au  latin,  il  serait 
absurde  de  le  condamner  de  parti-pris.  Si  Thomson  y  a  porté 
quelque  abus,  il  y  a  parfois  rencontré  plein  succès.  Tous  les 
poètes  anglais  ont  aussi  puisé  à  cette  source  quand  ils  ont 
voulu  donner  à  leur  langue  la  majesté  et  la  tenue  qui  convien- 
nent à  l'expression  de  pensées  hautes  et  nobles.  C'est  le  cas, 
pour  citer  un  petit  nombre  d'exemples,  deMilton  *°,  d'Élizabeth 
Browning  *',  et  même  de  ce  Wordsworth  qui  voulait  exclure 

1.  Summer,  143-460.—  2.  /6irf.,  1660.-3.  \Vintei\  279.  —  4.  Ibid.,  472. 
—  5.  Wintery  710.  —  6.  lôid.,  863. 

7.  •  Tempes!  the  loosened  brine  <•  (Winter,  tOlb).  C'est  une  imitation  de 
MiUon  :  •  Tempest  the  Océan  »>.  (Paradise  J^st,  Bk.  VII,  412.) 

8.  Summer,  143,  460.  Wordsworlh  s'csl-il  souvenu  de  cet  usagj  du 
verbe? 

■  How  the  immortal  soûl  wilh  god-like  power 
Informs,  croates....  » 

(The  Prélude,  Bk  IV.) 

9.  «He  would  bc  a  poel...  who  nailed  words  to  Iheir  primitive  sensés,..* 
transptanted  Ihem  to  his  page  with  carth  adhering  to  their  roots;  whose 
words  were  so  true  and  fresh  and  natural,  that  they  would  appear  to 
expand  like  Ihe  buds  at  the  approach  of  Spring....  -  (Henry  THORBAr, 
Essays,  Walking.) 

10.  Comment  songer  à  citer  des  exemples?  Tout  le  style  du  «  Paradis 
Perdu  »  est  imprégné  de  latin.  Rap;)elons  plutôt  quel  usage  Shakespeare 
sait  faire  de  néologismes  latins  : 

u  ....No,  this  my  liand  will  rather 
The  mullitudinous  seas  incarnadiue.  » 

{Macbeth,  acte  II,  se.  ii,  61,  62.) 

11.  What  1  do 

I  do  votitient,  not  obedient.  » 

[A  Dramn  of  Ej'ife,  p.  19.) 


424  JAMBS  THOMSON. 

du  vers  des  poètes  tout  ce  qui  n'appartient  pas  à  la  langue  II 
plus  familière  *. 

Les  innovations  de  Thomson  dans  l'emploi  des  termes  d'ori- 
gine saxonne  sont  beaucoup  plus  rares.  Dans  ces  libertés 
prises  avec  la  langue,  le  poète  ne  fait  d'ailleurs  le  plus  souvent 
que  suivre  un  exemple  donné  par  Milton,  le  nnaître  dont  Fin- 
lluence  profonde  apparaît  partout  dans  les  €  Saisons  i.  Si 
Thomson  emploie  le  mot  <l  frolic  »  comme  adjectif  :  t  th€ 
shapes  of  frolic  fancy  *  d,  Milton  avait  dit  avant  lui  c  Ripe 
and  frolic  of  his  full  grown  âge  '  ».  —  «  Freaked  *  »,  du  même 
chant,  est  un  mot  fort  rare,  mais  Milton  en  avait  fait  usage  ^ 
—  a  Uncouth  •  d  pour  a  inaccoutumé  »  rend  au  terme  son  sens 
naturel  dont  s*écarte  un  peu  l'acception  moderne. 

Il  semble  bien  que  le  mot  a  green  »  employé  comme  verbe 
appartienne  en  propre  à  Thomson.  Il  en  est  évidemment  très 
satisfait  et  l'emploie  au  moins  trois  fois^. 

Relevons  enfin,  pour  terminer  ces  obsen^ations  sur  le  voca- 
bulaire du  poète,  combien  y  sont  rares  les  traces  d'une  origine 
écossaise.  L'œuvre  a  été  revue  tant  de  fois  que  presque  toutes 

•  ....So  \vc 
Sprang  very  beautcous  from  Uie  créant  word.  » 

(A  Dratna  of  Exile,  p.  40.) 
<«  For  this  loss  it  did  préfigure.  <• 

{The  Lost  Bower,  p.  231.) 
Kl  d'aulreB  passages. 

1.  Voici  quelques  exemples  empruntés  à  un  seul  ouvrage  du  grand 
poùte  : 

«  ....When  Ihe  moruing  forms 
Of  Nature  were  collalcrally  attached 
To  every  scheme  of  holiday  delight.  » 

{The  Prélude,  Bk.  II.) 
u  ....  In  this  timc 
Of  dereliction  aud  dismay.  • 

{Ibid.,  Bk.  II,  p.  368.) 

•  Trinily's  loquacious  ciock.  • 

(/6tU,  Bk.  III.) 
(•  ....Immense 

Is  the  recess,  the  circumambient  world 
Magnificent.  • 

(/6ic/.,  Bk.  VIII,  p.  395.) 

Dans  une  petite  pièce  qui  compte  parmi  les  plus  simples  de  son  œuvre, 
on  trouve  »  an  incommunicable  sieep  •,  et  l'adjectif,  au  sens  de  •  avec 
lequel  on  ne  peut  entrer  en  communication  •,  est  placé  par  le  poète  dans 
la  bouche  d'une  pauvre  femme  du  Cumberland.  {The  Affliction  ofMargaret 
in  Poems  founded  on  the  Affections.) 

2.  U't/i/er,  611,  612.  —  3.  Cornus,  59.  —  4.  ^yinter,  814.  —  5.  Lycidas, 
144.  —  6.  Summer,  1070.  —  7.  Spring,  320;  Autumnf  664,  1160. 


LES  «  SAISONS  »>.  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    425 

ces  marques  de  provincialisme  en  ont  été  effacées,  alors  que 
les  pièces  de  jeunesse,  qui  nous  ont  été  transmises  intactes, 
renferment,  nous  le  verrons,  un  grand  nombre  de  scotticismes. 
Ceux  qui  ont  survécu  aux  remaniements  successifs  des  a  Sai- 
sons »  sont  en  bien  petit  nombre. 

<   And  shook  to  notes 
Of  native  music,  the  respondent  dance  *  • 

est  un  peu  étrange  et  obscur.  Mr.  Logie  Robertson  l'explique 
heureusement  en  le  rapprochant  de  ce  vers  de  Burns  : 

«  ni  laugh,  an'  sing,  an'  shake  my  leg*.  • 

Le  même  éditeur  nous  fournit  l'explication  d'un  passage 
embarrassant  : 

«  A  stronger  glow  sits  on  the  livelycheek 
Of  riiddy  (ire  ^  », 

et  nous  apprend  que  dans  les  campagnes  écossaises,  les  jam- 
bages de  la  cheminée  s'appellent  «  the  cheeks  o'  the  fire  *  ». 

€  In  ils  mid  career 
Arrcsts  the  bickering  stream  •  » 

nous  présente  un  terme  dont  l'emploie  moderne  est  différent 
de  celui  qu'en  fait  le  poète.  Le  sens  primitif  indiqué  par  Skeat, 
«  to  keep  pecking  »,  et  conservé  en  Ecosse  semble  bien  subsister 
dans  l'exemple  de  Thomson  •. 


\.  Winler,  627,  8.  —  2.  Second  EpisUe  to  lavraik,  —  3.  Winter,  ^09,  "îlO. 
—  4.  Clarendon  Press  édition,  p.  384.  —  5.  Winter,  124,  125. 
6.  Comme  aussi  dans  l'emploi  qu'en  fait  Tennyson  : 

•  (I)  sparkie  out  among  Ibe  fern 
To  bicker  down  a  valley.  » 

{The  Bi-ook.) 

•  To  bicker  (dit  le  dictionnaire  de  Murray)  expresses  the  noise  occasioncd 
by  successive  strokes,  or  by  any  rapid  motion.  • 

«  Frae  thatched  eaves  the  icicles  dépend 
In  glitl*  ring  show,  an'  the  once  bick'  ring  stream, 
ImprisonM  by  the  ice,  low-growling,  runs 
Below  the  crystal  pavement.  » 

(Davidso!i's  Seasons,  p.  156.) 


426  JAMES  THOMSON. 

Enfin  Mr.  Logie  Robertson  signale  aussi  un  sens  particulière- 
ment écossais  du  mot  «  friends  »  ennployé  pour  c  relatives  i 
dans  deux  passages  de  V  ce  Hiver  ». 

Thomson,  pour  nous  résumer,  apporte  jusque  dans  le  choix 
des  mots  de  sa  langue,  Tindépendance  aventureuse  qui  fait  de 
lui  une  figure  si  originale  dans  la  société  littéraire  anglaise  do 
xviiF  siècle.  Chez  les  maîtres  de  ce  temps  le  vocabulaire  était 
comme  à  plaisir  réduit,  le  néologisme  était  volontiers  jugé 
téméraire  et  inutile,  le  goût  semblait  consister  à  chercher  Teffei 
dans  les  combinaisons  ingénieuses  de  mots  très  simples  plutôt 
que  dans  la  variété  ou  Téclat  des  termes  eux-mêmes.  Thomson 
au  contraire  recherche  les  mots  à  efTets,  s'efTorce  d'étendre  sou 
clavier  et  de  varier  ses  notes.  Il  lui  parait  que  jamais  il  ne 
versera  dans  son  style  assez  de  termes  éclatants  et  colorés.  11 
prend  au  fond  de  la  langue,  aux  œuvres  des  vieux  maîtres  et  en 
particulier  à  Spenscr  leur  riche  vocabulaire  germanique.  Il 
emprunte  à  Milton  un  grand  nombre  de  termes  latins,  et,  à 
l'exemple  du  grand  poète,  il  introduit  lui-même  complaisain- 
ment  des  mots  tirés  de  la  langue  savante.  Mais  pour  avoir 
manqué  de  mesure  dans  cette  latinisation  de  son  vocabulaire, 
il  s'est  exposé  à  ce  qu'on  méconnût  tout  ce  qu'il  a  montré  de 
richesse  de  bon  aloi.  Les  termes  trop  souvent  lourds  et  sans 
naturel  qu'il  façonne  pour  exprimer  sa  pensée  ont,  pour  une 
part  notable,  contribué  à  donner  à  son  style  un  caractère  tendu, 
artificiel  et  parfois  boursouflé. 


11 
La  Grammaire  des  a  Saisons  >». 

Incorrections;  anacoluthes.  —  Les  premières  observations 
qu'appelle  ce  sujet,  celles  qui  concernent  le  respect  des  lois  de 

Biirns  donne    seiilcmenl  au  mot  le  sens  de  «  courir  ». 

<«  Auld  Ayr  ran  by  before  me, 
And  bickered  lo  Ihe  seas.  > 

(Dans  la  pièce  qui  co.nmence  par  <«  Tliough  cruel  Fate  should  bid  us 
f>art  »,  in  Commonplace  liooK\  1784.) 

Voir  aussi  l'emploi  de  -  bicker  -,  -  une  courte  course  •,  dans  Death  and 
f>r.  Hornbook,  » 


LES   <«    SAISONS   ».   —  LA  LANGUE  ET    LE  STYLE.  427 

la  langue,  seront  fort  brèves.  Les  incorrections  formelles  sont 
rares  dans  le  poème.  Les  remaniements  fréquents  du  texte 
pour  les  éditions  successives  ont  fait  disparaître  presque  toutes 
les  taches  dues  à  la  hâte  ou  à  Tinexpérience  du  jeune  porte. 
Quelques-unes  cependant  ont  traversé  toutes  les  réimpressions. 
Ce  sont  surtout  de  ces  constructions  incohérentes,  les  anaco- 
luthes de  la  rhétorique,  où  une  partie  de  la  phrase  demeure 
comme  suspendue  en  Tair  sans  être  rattachée  par  aucun  lien 
grammatical  au?;  termes  de  la  proposition. 

O'er  the  boughs 

Danc'mg  about,  still  at  the  giddy  verge 
Thcir  résolu  lion  fails  *. 

Or,  twniing  Ikence  Ihy  vieiv,  thèse  graver  thoughls 
The  Muscs  charm  *. 

f  Even  présent  »  %  au  début  d'une  longue  période,  ne  se  rap- 
porte à  aucun  substantif  ou  pronom  exprimé  dans  la  phrase, 
mais,  justifié  par  une  ellipse  hardie  du  sujet  et  du  verbe,  l'ad- 
jectif se  rapporte  au  «  jeune  homme»  dont  il  a  éti*  question 
au  paragraphe  précédent. 

Cette  construction  plaît  à  Tauteur;  il  la  répète  quelques  vers 
plus  loin  au  début  d'un  passage  qui  s'oppose  au  précédent  *, 
et  plus  loin  encore  dans  un  mouvement  de  phrase  différent  : 

While,  home  away 

On  swelliog  thought,  his  waflcd  spiril  Aies  *. 

Quelques  autres  exemples  de  ces  formes  de  phrases  brisées 
peuvent  s'expliquer,  si  l'on  y  veut  voir  des  sortes  de  «  cas 
absolus  D  analogues  à  l'ablatif  absolu  des  Latins,  ou  au  datif 
absolu  de  l'ancien  anglais,  remplacé  plus  tard  par  un  nomi- 
natif absolu  •.  C'est  là  en  effet  une  construction  que  recherche 
volontiers  Thomson.  Peut-être  v  devons-nous  voir  un  effet  de 
rinfluence  de  Milton;  mais  cette  forme  devait  par  elle-même 
plaire  au  poète  pour  le  caractère  de  noblesse  et  d'élévation 
qu'elle  contribuait  à  donner  à  son  style. 


I.  Spring,  739-14L  -  2.  Ibici,,  931-932.  —  3.  Ibid.,  993.  —  4.  Ibid.,  1003. 
—  5.  Ibîd.,  1018-1019. 
6.  Voir  R.  Morris,  UUtorical  oultines  of  English  accidencCy  ^  102. 


428  JAMES  THOMSON. 

Ile  now  shut  up 

Within  his  iron  cave  *. 

Dashed  down  and  scattercd  by  the  tearing  \vind*s 
Assiduous  fury  ils  gigantic  limbs  '. 

Le  seul  a  Printemps  d  renferme  une  quinzaine  d'exemplesde 
cette  construction  peu  commune  en  anglais. 

Dans  d'autres  tournures,  difficiles  à  analyser,  une  ellip» 
peut  rendre  compte  de  Tapparenté  incohérence  de  la  phrase: 

Arabia  cannot  boast 

A  fullcr  gale  of  joy  than,  libéral,  Ihence 
Breathes  through  the  sensé  '. 

Le  lecteur  supplée  volontiers,  après  «  than  »,  les  mots  c  thaï 
which  ». 

Mais  quelquefois,  au  contraire,  il  parait  bien  que  le  poète, 
dans  son  ample  période,  perde  de  vue  l'exacte  relation  des 
termes  entre  eux. 

Or  can  il  mix  them  with  that  matchless  skill, 
And  lose  them  in  cach  other,  (is  appears 
In  every  bud  that  blows  *1 

a  As  »  continue  très  correctement  la  phrase  après  c  and  lose 
them  in  each  other  »,  mais  il  ne  s'ajuste  plus  avec  rexpression 
précédente. 

But  corne,  ye  gênerons  minds,  in  whose  wide  thought 
Of  ail  his  \vorks,  créative  Bounty  burns 
Wilh  warmesl  beam,  and,  on  your  open  front 
And  libéral  eye,  sils  ^.... 

La  construction  est  confuse  et  rebelle  à  l'analyse.  «  Warmest... 
of  ail  his  Works  »  n'offre  guère  de  sens,  et  ql  your  »  tient  la 
place  du  relatif  a  whose  »  qu'exigerait  la  grammaire. 


1.  Spring^  li2, 143.  —  Une  correction  postérieure  a  remplacé  he  par  and. 
La  phrase  semble  alors  moins  heurtée,  mais  elle  est  plus  obscure.  — 
MilloD,  en  pareil  cas,  emploierait,  à  Timitation  du  latin,  une  forme  objet 
tive  :  «  me  overthrown  »,  <«  us  dispossessed  •,  >  him  destroyed  •,  •  in( 
of  thèse  nor  skilled,  uor  sludious  •.  {Pamd.  Lost,  Bk.  IX,  41,  42.) 

2.  Winter^  183,  184.  —  On  peut  voir  encore  en  fait  d'exemples  :  Spring 
^»04,  750,  751  ;  Summer,  348-351  ;  Aulumn,  245,  246,  856-860;  Winier,  968,  elc 

3.  Spring,  499-501.  -  4.  /6/d.,  470472.  —  5.  Ibid.,  877-880. 


LES    <'    SAISONS    •'.    —    LA    LANGLE   HT    LE   STYLE.  4-J9 

larcrsii^n^.  —  L'inversicjii  est  une  des  |)arti('ularilés  {^q-ain- 
inalieales  qui  s'iiui)oseutà  toute  étude  de  la  laiif,aied'uii  poète. 
L'usaj^e  qui  en  a  été  fait  par  les  dilTérentes  écoles  est  très  divers, 
selon  ridée  qu'elles  se  sont  t'orniée  de  ce  que  doit  être  la 
langue  de  la  poésie.  Ni  Téclat  des  images,  ni  la  parure  des 
métaphores,  ni  l'intensité  de  la  pensée  ou  de  l'émotion  ne  lui 
appartiennent  en  propre  à  cette  langue.  Il  semble  que  le 
rythme  seul  la  distingue  essentiellement  de  la  prose,  mais 
que  cela  suffise.  Les  poètes  de  recelé  classique,  en  Angleterre 
aussi  bien  qu*en  France,  ont  cependant  tenu  à  marquernette- 
ment  une  autre  différence.  Indépendamment  de  la  forme  que 
donne  à  la  pensée  le  rythme,  c'est-à-dire  le  moyen  d'expression 
spécial  de  Tart  poétique,  ils  ont  voulu  introduire  entre  les  deux 
langues  une  différence  de  grammaire  en  faisant  un  très  fré- 
quent usage  de  l'inversion. 

On  sait  combien  est  constant  chez  Pope  ce  renversement  de 
l'ordre  normal  des  termes.  Rien  ne  contribue  plus  à  donner 
au  style  du  brillant  écrivain  ce  caractère  artificiel  et  apprêté 
qui,  en  dépit  de  beaucoup  d'art  et  d'esprit,  ne  tarde  pas  à  causer 
une  impression  de  fatigue.  Thomson  ne  s'est  pas  affranchi 
sur  ce  point  de  l'usage  de  son  temps.  Mais  chez  lui  ces 
constructions  sont  notablement  moins  fréquentes  que  chez 
Pope  '. 

Au  reste  le  nombre  de  ces  tournures  n'est  pas  la  chose  qu'il 
importe  de  noter.  Les  inversions  qui  se  rencontrent  dans  les 
t  Saisons  »  peuvent  se  diviser  en  trois  groupes  :  celles  qui 
servent  à  exprimer  une  supposition,  —  celles  qui  expriment  un 
impératif  ou  un  optatif  ou  une  interrogation,  —  celles  enfin  où 
le  renversement  de  l'ordre  normal  n'apporte  à  la  phrase  aucun 
sens  particulier. 

Les  exemples  de  l'inversion  hypothétique  ne  nous  arrêteront 
pas.  Des  formes  telles  que  «  Should  she  seem  *  »,  a  should 
I  turn  5  »,  «  was  every  longue  silent  *  »  sont  conformes  à  l'usage 
constant  de  la  langue.  Leur  répétition  complaisante  dans  le 


1.  Nous  releyoDS  dans  les  vers  de  VEssat/  on  Man  40  inversions  bien 
caractérisées  (en  négligeant  celles  qui  sonl  peu  frappantes).  Dans  les 
300  premiers  vers  de  Winfery  le  nombre  des  inversions  est  de  20. 
Encore  est-ce  là  une  très  forte  proportion,  si  nous  considérons  Fensemblo 
du  poème.  L'  «  Hiver  >*  entier  ne  donne  que  60  inversions  sur  1069  vers. 

2.  Spring,  623.  —  3.  Ibid.,  165.  —  4.  Summer,  185,  186. 


430  JAMES  THOMSON. 

poème  est  la  seule  chose  qui  mérite  d'être  signalée.  —  La 
construction  est  plus  remarquable  lorsqu'elle  porte  sur  un 
temps  simple  du  verbe,  en  l'absence  de  tout  auxiliaire. 

Thought  fond  man 

Of  Ihese». 

Mais  ces  exemples  sont  rares. 

De  l'inversion  par  laquelle  un  sens  impératif  ou  optatif  est 
exprimé,  nous  aurons  peu  de  chose  à  dire.  Elle  est  légitime. 
Klle  est  conforme  à  l'usage  ancien  de  la  langue.  Elle  conxienl 
au  style  de  la  poésie  où  l'appareil  commode  mais  inélégant 
des  auxiliaires  ne  va  pas  sans  quelque  lourdeur.  Tout  au  plus 
pourrions-nous  remarquer  Teffet  peu  agréable  que  produit 
la  répétition  trop  fréquente  de  ces  formes  :  «  Be  thèse  m? 
thèmes  *  »  --  a  Be  my  retreat  '  »  —  «  To  me  be  Natures 
volume  broad  displayed  »  *. 

Mais  le  cas  est  différent  lorsque  l'inversion  s'applique  à  un 
verbe  non  auxiliaire,  pour  exprimer  soit  un  impératif,  soit  une 
interrogation.  La  construction  est  alore  beaucoup  plus  frap- 
pante, et  selon  l'emploi  qui  en  est  fait,  sera  tantôt  brèveel 
alerte  : 

Pass  some  few  ycars  •'* 

In  what  région....  sleep  you  when  'tis  calm?« 

tantôt  au  contraire  gauche  et  obscure  : 

And  livcs  the  man  whose  universal  eve 

lias  swept  al  once  the  iinbounded  scheme  of  things?  "^ 

Ce  sont  surtout  les  inversions  du  troisième  groupe  qui 
retiennent  Tatlention;  elles  forment  un  des  traits  essentiels  du 
style  des  a  Saisons  ».  Contrairement  au  génie  de  la  langue, 
Thomson  place  volontiers  le  déterminatif  après  le  terme  déter- 
miné, répithèle  après  le  substantif,  le  complément  avant  le 
verbe  ou  l'adjectif,  l'adverbe  après  le  verbe  :  c  on  churchvards 

m 

\.  Wiiiler,  348,  349.  —  2.  Itid.,  3.  —  3.  Ibid.,  426.  —  4.  Summer,  19^ 

5.  Winler,  1029.  Cf.  Wordsworlh  : 

•  Pass  we  from  enlerlainments.  • 

{The  Prélude,  Bk.  Vil,  p.  392.) 

6.  Winler,  117.  —  1.  Summer,  329,  330. 


LES  «   SAISONS   >>.   —  LA   LANGUE   ET   LE  STYLE-         431 

drear'  d,  «  the  quire  celestial  *  »,  etc.  Très  souvent  ces  inver- 
sions de  répilhète  ont  pour  motif  un  désir  d'éviter  la  répéti- 
tion d'une  construction  précédente,  et  de  balancer  deux 
expressions  symétriques  en  y  introduisant  quelque  variété  : 

If  some  sharp  rock 

Or  shoal  insidious'. 

Heaven-born  trulh 

And  mcdilation  fair  *. 

Joyless  rains  obscure  *. 

Tbe  brawling  brook 

And  cave  presageful  •.  —  Etc. 

Nous  voyons  le  complément  précéder  Tadject  if  dans  des  formes 
telles  que  : 

and  of  watery  weallh 

FulP. 

of  unequal  bounds 

Impatient  *.  —  Etc. 

OU  précéder  le  verbe  : 

And  to  the  quire  celestial  Thee  resound  ^. 

The  downy  orchard,  and  the  melting  pulp 
Of  mellow  fruit  the  nameless  nations  feed 
Of  evanescent  insects  *o. 

The  fading  many-coloured  woods 

Shade  deepening  over  shade,  the  country  round 
Imbrown  ". 

i.  Winter,  AiO. 

2.  Summer,  190.  Voir  encore  entre  autres  exemples  :  Auiumn,  407,  408, 
433;  Winter  127,  693,  C94;  etc. 

3.  Winter,  172,3.  —  4.  Ibid.,  1059,  1060.  —  5.  Ibid.,  73.  Exemples  analo- 
gues :  Autumn,  134,445;  543;  etc.  —  6.  Winter,  70.  Voir  aussi  Autumn,  871, 
872.  —  7.  Auiumn,  886,  887.  —  8.  Ibid,  903,  904.  —  9.  Sttmmer,  190.  — 
10.  Ibid.,  301-303. 

11.  Auiumn,  950-952;  ou  bien  encore  Auiumn,  961-963;  Winter,  52,  53; 
Jbid.,  507;  Ibid.y  400.  Une  inversion  du  régime  -  Thee  •  {Auiumn,  9U- 
947)  : 

•  Thee,  Forbes,  too,  whom 

Thee  Iruly  generous,  and  in  thy  silence  great, 

Tby  country  fecls  •,  etc. 

rappelle  fort  une  expression  de  Milton  : 

Thee  another  flood, 

Of  tears  and  sorrow  a  flood  thee  aiso  drowned,  • 

{Paradise  Losi,  Bk.  XI,  754,  755.) 


43:2  JAMES  THOMSON. 

L  attribut  est  aussi  placé  avant  le  verbe  : 

Flcd  is  tlie  blasted  verdure  of  the  fleld  •. 

Books  are  but  formai  duiness,  tedious  friends  *. 

Rent  is  ihc  (leecy  manllc  of  the  sky  '. 

Là  encore  l'usage  trop  fréquent  de  ces  formes  les  rend 
remarquables,  bien  plutôt  que  la  violence  qu'elles  font  à  la 
langue.  Mais  ce  qui  est  plus  caractéristique  de  la  manière  de 
Thomson,  c'est  l'inversion  qui  place  le  sujet  après  le  verbe 
sans  que  la  raison  en  soit  d'indiquer  interrogation,  supposi- 
tion, ordre  ni  souhait. 

Nous  parlions  tout  à  l'heure  d'une  comparaison  qui  nous 
montrait,  dans  un  môme  nombre  de  vers,  une  moindre  propor- 
tion de  tournures  inversives  chez  Thomson  que  chez  Pope*. 
Mais  si  nous  comparions  uniquement  les  inversions  du  sujet, 
nous  trouverions  dans  ces  mêmes  passages  que  Pope  en  pré- 
sente seulement  trois  contre  trente-sept  inversions  du  régime, 
tandis  qu'il  y  en  a  onze  sur  les  vingt  inversions  relevées  dans 
les  trois  cents  vers  de  Thomson.  Or  ces  formes,  moins  fré- 
quentes dans  le  style  des  écrivains,  comme  dans  l'usage  courant 
de  la  langue,  donnent  aux  inversions  dans  le  style  de  notre 
poète  une  importance  que  leur  nombre  seul  ne  justifierait  pas. 
11  a  une  prédilection  marquée  pour  des  mouvements  de  phrase 
tels  que  ceux-ci  : 

Looked  oui  Ihc  joyous  Spring  *. 

Looks  out  Ihe  joyless  sun  ®. 

Pleased  hâve  l....  ''. 

Resouiids  the  livinj,'  surface  of  the  ground  •. 

Paint  are  his  gleams  and  inefTectual  shoot 
Ilis  struggling  rays  ^. 

Sighs  the  sad  genius  ofthe  coining  storm  *^. 

Gathered  play 

The  swallow  people  **. 


i.  Autumn,  998.  —  2.  Spring,  1015.  —  3.  Aulumn,  36.  —  4.  Voir  plus 
haut,  p,  429,  note  1.-5.  Winier,  16.  —  6.  Autumn,  1028.  —  7.  Winier, 
7;  lôid.,  10.  —  8.  Ibid.,  281.  —  9.  lùid,,  46,  47.  —  10.  Ibid.,  67.  —  H.  Au- 
tumn, 837,  838. 


LES  «  SAISONS  ».  ~  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    433 

And  swcUed  thc  pomp  of  peace  their  faithful  toil, 
As  from  Iheir  own  clear  norlh  in  radiant  streams 
Bright  over  Europe  bursts  ihe  Boréal  morn  *. 

Where  creeping  waters  ooze, 

Where  marshes  stagnale,  and  where  rivers  wind, 
(Uusler  the  rolling  fogs  ^ 

.  .  .  Vanish  Ihe  woods  '. 

Hard  by  thèse  shores,  where  scarce  his  freezing  stream 
Rolls  the  wild  Oby,  live  the  last  of  inen  *. 

C'est  donc  par  leur  nombre  à  la  fois  et  par  le  relief  qui  les 
impose  à  notre  attention  que  ces  formes  de  langage  deviennent 
un  des  traits  les  plus  importants  du  style  et  de  la  manière  de 
Thomson. 

Il  convient  aussi  de  mentionner  certaines  phrases  qui  ne 
sont  pas  toujours  inversives,  où  Fauteur  affecte  un  mouvement 
haletant,  une  construction  désarticulée  dont  l'effet  est  plus  sin- 
gulier qu'agréable.  Elles  se  rencontrent  surtout  dans  les  apos- 
trophes —  fréquentes  chez  notre  poète —  et  consistent  à  placer 
le  terme  vocatif  entre  deux  mots  qui  ne  peuvent  être  isolés 
sans  violence  : 

May  my  song  softcn,  as  thy  daughters  I, 
Britannia,  bail  ^. 

Oh  !  lose  me  in  the  green  delightful  walks 
Of,  Dodington,  thy  seat  ^. 

You,  gallant  Vernon,  saw 

you  pitying  saw"'.... 

ou  ces  exemples  un  peu  différents  mais  non  moins  étranges  : 

Among  the  bending  willows,  falsely  lie 
Of  Musidora's  cruelty  complained  *. 

The  melting  pulp 

Of  mellow  fruit  the  nameless  nations  feed 
Of  evanescent  insects  •. 


\.  Autumn,  907-909.  —  2.  Ibid.,  1085-1087.  —  3.  Ibid,,  719. 

4.  Win/tfr,  936,  937.  Un  antre  exemple  significatif  dans  le  même  chant, 
951-954. 

5.  Summer,  1580, 1581.  —  6.  Aulumn,  654,  655.  —  7.  Summer,  1041,  1042. 
—  8.  lind.,  1275,  1276.  —  9.  Jbid.,  301-303. 

28 


434  JAMES  THOMSON. 

Ces  interruptions  inattendues  de  la  coiistruction  sont  une 
des  causes  de  l'obscurité  qui  parfois  arrête  le  lecteur  des 
ce  Saisons  »  : 

A  peopic  Savage  Irom  rcmotest  lime, 

A  huge  neglected  empire,  one  vast  niind, 

By  heavcn  inspirée!,  from  Gothic  darkness  calledi. 

devient  fort  clair  si  Ton  rétablit  Tordre  normal  des  membre? 
de  la  proposition  *. 

Ellipses.  ~  Nous  avons  vu  que  plusieurs  des  inversions  coutu- 
iniéi-es  de  Thomson  sont  accompagnées  d'une  ellipse.  Les  cons- 
tructions elliptiques  sont  en  effet  aussi  une  des  tournures  favo- 
rites du  poète.  C'est  un  des  procédés  par  lesquels  la  langue  des 
vers  visait  alors  à  se  distinguer  de  la  prose.  L'auteur  des  «  Sai- 
sons »  le  devait  adopter  d'autant  plus  facilement  que  ces  cous- 
tructions  lui  étaient  recommandées  par  l'usage  qu'en  a  fait 
Milton.  L'influence  du  maître  explique  en  particulier  pourquoi 
dans  le  poème  de  Thomson,  comme  dans  le  n  Paradis  Perdu  i. 
nous  trouvons  assez  souvent  un  nom  employé  sans  article,  dans 
des  occasions  où  le  sens  appellerait  ce  signe  de  détermination  : 

falling  fasl 

Wilh  wiKi  inlVacled  course  and  lessened  roar"*. 

Ihe  halle wed  car 

Uf  poet,  swcUing  lo  seraphic  slraiii  *. 

gaze 

At  early  passcngcr  •'.... 

Plus  rarement  un  verbe  est  employé  sans  sujet  exprimé 
Behoves  vou  then  lo  ply  vour  (Inest  art  ®. 

Dans  des  cas  plus  nombreux  le  verbe  substantif  est  omis  : 

Repealed  lliis,  lill  deop  thc  well-washed  fleeeo 
lias  drunk  tlie  flood  ".... 


1.  Winler,  952-954. 

2.  "  One  vasl  miud,  inspired  by  lleaven,  calied  Trom  froUiic  darkness  a 
people  savage  from  remotesl  time,  a  huge  neglecled  empire.  * 

3.  Summcr,  604.  —  4.  MiV/.,   ,'162.  563.   —  ;i.  Ibid.,  59,  00.  —  6.  Spri/t', 
424.  —  7.  Snmmer,  384,  3s:;. 


LES  «   SAISONS   ».  —   LA   LANGUE  ET  LE  STYLE.         435 

Quatre  phrases  successives  de  V  «  Automne  »  procèdent  par 
exclamations  sans  verbes,  sur  ce  modèle  : 

The  radianl  sun  how  gay  *  ! 

Ces  constructions  elliptiques  deviennent  facilement  obscures  : 

Whosc  spolless  swains  ne'er  knew 

Iiijurious  deed:  nor.  blasled  by  the  brcath 

or  l'aithlcss  lovo,  Iheir  blooming  daughters  woe  *. 

Archaïsmes,  —  Pronoms;  adjectifs.  — La  tendance  à  faire 
emploi  de  formes  presque  abandonnées,  mais  conformes  à  lan- 
cien  usage  de  la  langue  et  des  écrivains,  celte  tendance  bien  natu- 
rel le  chez  un  disciple  fervent  de  Spenser  explique  plusieurs  des 
particularités  qui  frappent  le  lecteur  des  «  Saisons».  Le  poète 
conserve  plus  d'une  fois  au  pronom  personnel  la  valeur  réflé- 
chie qu'il  avait  jadis.  Il  n'est  pas  douteux  que  la  forme  moderne 
plus  claire  ne  soit  bien  lourde  pour  la  langue  des  vers.  Nombre 
d'autres  écrivains  anglais  après  Thomson  continueront  à  éviter 
les  pronoms  réfléchis  : 

And  ycllow  load  theni  wilh  Ihe  luscious  spoil  ^. 
Wlio  to  the  crowded  cottage  hies  him  fast  *.  —  Etc. 

La  forme  archaïque  m  ye  »  est  assez  fréquemment  employée 
par  Thomson  dans  les  apostrophes  : 

Ve,  ashcs  wild  '  ! 

Lend  me  your  song,  ye  nightingàlcs  ^  î 
What  is  this  mighty  brealh,  ye  ciirious,  say  ^. 

Du  reste  la  distinction  entre  les  deux  formes  n'est  pas  absolue  ; 
le  poète  les  emploie  en  même  temps  Tune  et  l'autre  dans  un 
même  passage,  tantôt  avec  valeur  de  vocatif  et  tantôt  avec 
valeur  de  sujet  : 

hul  you,  ye  flocks, 

What  hâve  ye  done?yo  [)caceful  people,  what, 
To  ineril  death?  you,  who  havc  given  us  milk  '/ 

1.    Autumn,  1213-1217.   —   2.    Winfer,  S8S,   8St>.   ~   3.    Sprinff,  oii.   — 
Siiiii'tfer,  1120.  -  'J.  Ihid..  171.  —  G.  Spn'nff,  375.  —  7.  I/jid,\  848.  —  8. 


436  JAMES  THOMSON. 

Nous  pouvons  encore  signaler  un  archaïsme  dans  l'emploi 
très  fréquent  de  l'adjectif  avec  valeur  adverbiale.  Sans  doute  il 
n'y  a  là  rien  que  de  conforme  au  génie  de  la  langue.  Bien  que 
le  purisme  des  grammairiens  demande  aujourd'hui  qu'une 
terminaison  spéciale  marque  la  différence  entre  l'adjectif  et 
l'adverbe,  la  langue  populaire,  en  négligeant  cette  distinclioo, 
reste  fidèle  à  l'usage  du  vieil  anglais  *.  La  langue  du  peuple  est 
souvent  aussi  celle  de  la  poésie;  rien  de  plus  légitime  que  l'em- 
ploi fait  par  Thomson  de  formes  telles  que  : 

Tlien,  sliding  soft,  Ihey  drop  *. 

Loud  shrieks  the  soaring  hern  '. 

*Tis  by  thy  secret  strong  attractive  force  *.  —  Etc. 

Mais  il  n'en  est  plus  de  même  quand  le  poète  attribue  une  valeur 
adverbiale  à  des  adjectifs  français  ou  latins.  Et  ce  sont  ceux-là 
surtout  qu'il  se  plaît  à  transformer  ainsi.  Il  n'a  pas  senti  que 
ces  mots,  sauf  ceux  qui  se  sont  intimement  fondus  dans  la 
langue,  n'ont  pas  la  plasticité  des  termes  qui  appartiennent  au 
fond  môme  de  l'idiome  national.  Ils  ne  se  prêtent  pas  toujours 
à  ces  transpositions  de  valeur  que  les  mots  germaniques  subis- 
sent facilement.  «  Swift  »  prendra  sans  difticulté  le  sens  de 
«  swiftiy  ».  Il  ne  s'en  suit  pas  que  son  synonyme  «  instanta- 
neous  »  puisse  s'employer  pour  «  instantaneously  t^  : 

The  rapid  radiancc  instantaiicous  slrikes 

Th'illuniined  mountaiu  ^. 

•  ■ 

When  o'er  this  world,  by  cquinoctial  rains 
Floodod  immense,  looks  ont  the  joyless  sun  *. 

Ai'dent  crowd 
Hritannia^s  sons  lo  hear  her  plcaded  cause  '. 

The  central  walers  impeluous  rush'd  •. 

and  ofl  the  swain 

On  sonir  impatient  seizinj^,  hurls  them  in  •. 

for  every  land  Iheir  life 

lias  flowcd  profuse  *". 

1.  Voir  Eari.e.  The  Philology  of  the  Engllsh  Tongue,  §§  431,  432. 

1.  Autumn,  o57.  —  3.  \Vintei\  Uf».  —  4.  Summer,  97.  —  5»  Spring,  191, 
192.  —  0.  Summer,  1026,  1027.  —  7.  Winter,  680.  —  8.  Spring,  310.  - 
fl.  Summer,  371»,  3«0.  —  10.  Aulumn,  905.  906. 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         437 

the  Icaf 

Incessant  rustlcs  *. 

Wliat  pity,  Gobham,  thon  thy  verdaiit  files 

Of  ordered  trees  shouldst  herc  inglorioiis  range  *. 

Au  moins,  dans  ces  exemples,  qu'il  serait  aisé  de  multiplier, 
remploi  adverbial  des  adjectifs  est-il  facilité  par  cette  circons- 
tance que  le  mot  pourrait  à  la  rigueur  être  interprété  comme 
une  épithéte.  Mais  quand  cette  atténuation  vient  à  manquer, 
alors  l'attribution  arbitraire  d'un  sens  adverbial  à  des  adjectifs 
d'origine  latine  est  presque  toujours  une  pénible  violence  faite 
à  la  langue  : 

'lis  copions  blest  '. 

Iligh-seen  the  Seasons  lead,  in  sprightly  dance 
Uarmonious  knit,  the  rosy-lingered  Ilours  ^ 

They  sportive  wheel,  or  sailing  down  the  stream 
Are  snalched  immédiate  by  Ihe  qnick-eyed  trout  '. 

Graduai  from  thèse  what  luiinerous  kinds  descend  •. 

Tis  raging  noon  ;  and  vertical  the  sun 
Darts  on  the  head  direct  his  forceful  rays  '. 

Ihose  aromatic  gales 

That  inexhaustive  flow  continuai  round  *. 

Lavish  fed  •. 

Toutes  les  pages  du  poème  offrent  des  exemples  de  ces 
formes  de  langage  dont  l'abus  communique  au  style  de  Thomson 
un  caractère  à  la  fois  apprêté  et  monotone. 

Les  latinismes  de  syntaxe  sont  beaucoup  moins  nombreux 
qu'on  ne  le  pourrait  croire  quand  on  songe  à  l'influence  exercée 
sur  le  poète  par  le  style  de  Milton.  Nous  devons  signaler  cepen- 
dant des  formes  telles  que  : 

Thv  Works...  would.... 
/ Thec  resound  *". 

4     Autumn.  990,  991.  -  2.  Ihid.,   1013,  1014.  —  3.  Spring,  338.  —  4. 
sLmer^i^i^'  -  ^'  ^'^'^-  ^52,  953.  -  li.  Ibid.,  287.  -  7.  Ibid.,  432,  433.  - 

^'^^niiimn    498.  —  Il  faudrait  encore  signaler,  parmi  les  traces  d»ar- 
h         P^   remploi  d'une  forme  de  participe  passé  aujourd'hui  hors  d'usage. 
C'   Tfe  mot  «  shook  -,  pour  •  shaken  ..  Il  se  rencontre  trois  fois  rien  que 
dans  «""l'Automne  »  :  25,  330,  548. 
10.  Summer,  iSi-ivu. 


438  JAMES  THOMSON. 

C'est,  au  delà  de  Milton,  Virgile  lui-même  qui  nous  est  ici 
rappelé  par  le  choix  du  verbe,  en  même  temps  que  la  construc- 
tion est  un  hardi  latinisme. 

Mais  c'est  bien  Milton  qui  a  fourni  le  modèle  de  cette  forme 
de  phrase  : 

Meanliiiio  Ihis  l'airer  nymph  than  ever  hlcst 
Arcadian  strcani  *.... 

dans  laquelle  Tadjectif  précédé  d*un  adjectif  déterminatif  esl, 
contrairement  à  la  grammaire  de  l'anglais,  séparé  de  son  com- 
plément. 

En  résumé  la  grammaire  de  Thomson,  comme  son  vocabu- 
laire, nous  montre  une  indépendance  et  un  désir  d'originalité 
par  où  le  poète  se  distingue  des  écrivains  de  son  temps.  Mais 
dans  les  formes  de  sa  phrase,  comme  dans  le  choix  de  ses  mots, 
il  pousse  à  l'excès  la  recherche  des  effets  de  force  et  de 
noblesse;  et  la  répétition  abusive  de  constructions  favoriles 
doime  parfois  à  sa  langue  une  incontestable  monotonie  et  un 
caractère  regrettable  d'artifice  et  de  déclamation. 


III 


La  langue  poétique. 

Ilypallage  et  métonymie.  —  Si,  de  la  grammaire  de  notre 
poète,  nous  passons  à  sa  rhétorique,  nous  trouverons  là 
encore  plus  d'une  occasion  de  comparer  le  style  qu'il  s'est  fait 
avec  celui  des  écrivains  de  son  temps.  L'école  de  Pope  n'avait 
guère  de  faveur  pour  ces  audacieuses  figures  qui,  dans  le  style 
des  grands  poètes  Imaginatifs,  font  violence  à  la  langue  etafiir- 
ment  la  supériorité  du  génie  sur  les  lois  de  l'usage.  Il  est  dou- 
teux que  toute  Toeuvre  de  Pope  renferme  un  seul  exemple 
d'hypallage  comme  ce  vers  où  Thomson  reproduit  une  expres- 
sion célèbre  de  Virgile  : 

The  dark  wayfariuf^  stranger  brcalhlcss  toils  *. 


1.  Summer,  1247,  1248. 

2.  Winter,  177.  Cf.  Virgile  :  •  Ibaul  obscuri  sola  sub  nocle  ». 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    439 

Moins  frappantes,  mais  de  même  nature  sont  les  figures  de 
ces  vers  : 

Tlu»  \veU-earinM|  treasiircs  ol'  Ihe  paint'ul  year '. 

inoiinlains.... 

Kreathing  Ihe  soûl  aciitc  '. 

Le  lecteur  des  «Saisons  »  ne  larde  pas  à  remarquer  le  retour 
livquent  de  cette  l'orme  de  métonymie  qui  consiste  à  employer 
un  terme  abstrait  avec  un  sens  concret.  Ce  n'était  assurément 
pas  là  une  hardiesse  nouvelle  dans  la  poésie  anglaise.  Tous  les 
poètes  y  ont  eu  recours,  et  le  plus  grand  d'entre  eux  en  a  pro- 
digué les  exemples  les  plus  saisissants  '.  Mais  chez  Popt»  et  les 
écrivains  de  son  école,  nous  ne  trouvons  plus  guère  que  des 
métonymies  banales,  trop  eftacées  par  l'usage  pour  avoir  con- 
servé aucune  valeur  propre.  Dans  les  plus  mouvementées  des 
œuvres  du  maître,  dans  celles  où  le  feu  de  la  passion  doit  le 
|)lus  facilement  provoquer  l'apparition  de  traits  hardis,  nous 
rencontrons  à  peine  quelques  figures  telles  que  celle-ci  :  a  Là, 
«  nulles  saintes  images  d'argent,  léguées  par  des  avares  à  leur 
c(  lit  de  mort  —  ne  tentaient,  présents  insuffisants,  de  suborner 
«  la  colère  des  dieux  *  ». 

Il  est  aussi  chez  Thomson  nombre  de  termes  abstraits  dont 
remploi  dans  un  sens  figuré  appartient  au  vocabulaire  courant 
des  poètes.  Mais  il  en  est  d'autres  au  contraire  où  l'écrivain  a  mis 
l'empreinte  vigoureuse  de  sa  personnalité  et  de  sa  maîtrise  de 
la  langue  '*. 

«  Les  jeunes  oiseaux...  brisent  leur  fragile  esclavage  *  »,  pour 


1.  Autumti^  344.  —  2.  Aulumn^  K81. 

:\.  «  Divine  perfection  of  a  woman.  »>  [Kin;/  Richard  III,  acte  I,  se.  ii,  15./ 

«  Brin^  in  Uie  admiration.  «>  {AlTs  W'eily  etc.,  acte  ÏJ,  se.  i,  01.) 

«<  0  fair  affliction,  peace!  •  {King  John,  acte  III,  se.  iv,  36.) 

"  Yea,  joy.  »  [i*  Heurt/  l]\  acte  IL  se.  iv.  52.) 

.'  Untlirifiy  loveliness.  «  {Sonnet  JV).  —  Etc..  etc. 

».  -  No  silver  saints,  by  dying  miscrs  fciven, 

Herd  bribed  ttie  raf^e  of  ill  requiled  heaven; 
Bill  sucii  plain  roofs  as  pietv  could  raise....  • 

\Elo\sa  ta  Abelard,  137-139.) 

V).  Par  exempte  :  Sprint/,  930;  Summer,  1459;  Summer,  1214. 

6.  •  ...  The  callow  young.... 

Tbeir  brittle  bondage  break.  » 

{Summer^  671.) 


440  JAMES  THOMSON. 

«  la  coquille  qui  les  enferme  »;  —  c  la  perfection  *  >  pour  c  la 
a  chaleur  qui  mûrit  les  raisins  »  sont  des  formes  de  langage  assez 
audacieuses  déjà.  En  voici  de  plus  hardies  :  Dans  un  paysage 
des  tropiques  le  poète  nous  montre  le  serpent  qui,  près  d'une 
source,  est  venu  rouler  ses  anneaux  «  et  quand  dardant  une 
m  langue  menaçante  —  ouvrant  ses  mâchoires  meurtrières,  le 
a  monstre  plisse  —  sa  crête  ardente,  toute  autre  soif  épouvantée 
«  —  s'enfuit  *  ».  Quelques  vers  plus  loin  nous  avons  encore  : 
<i  Les  moutons  tremblants  —  se  pressent  autour  du  bei^er  qui 
c  les  garde;  les  bestiaux  plus  nobles  —  ....  entendent  avec  hor- 
«  reur  —  cette  rage  qui  s'approche  '.  »  —  a  Les  troupeaux  — 
«  laissent  retomber  les  brindilles  sèches,  et  avec  une  muette 
c  prière  regardent  —  la  verdure  qui  tombe  *  »  (pour  «  la  pluie 
qui  fem  reverdir  la  terre  »).  Voici  à  peu  d'intervalle  une  autre 
et  non  moins  audacieuse  métonymie  :  «  et  toujours  les  nuages 
«  bienfaisants  ■—  déversaient  une  grasse  abondance  *  ». 

L'accent  d'énergie  que  ces  figures  donnent  au  style  de 
Thomson  est  malheureusement  affaibli  par  l'usage  abusif  qu'il 
lui  arrive  d'en  faire.  Il  a  pour  quelques-unes  une  prédilection 
qui  ne  se  lasse  point.  Dans  moins  de  cent  vers  nous  trouvons 
trois  fois  le  mot  a  fate  »  au  sens  de  «  mort  ]>  ou  de  «  cause  de 
mort  »  :  a  Les  horribles  mâchoires  du  requin  armées  d'une 
«  triple  mort  ^  »  —  a  L'air  (d'une  ville  ravagée  par  la  peste)  est 

1.  Perfection  breathes 

White  o*er  the  lurgent  film  (he  living  dew. 

{Autumn,  692-69  L) 

2.  ...  Wliile  wilh  Ihrcalening  longue 
And  dealhful  jaws  erect,  the  monster  curis 
His  naming  crcst,  ail  other  thirst  appaUed 

Or  shivering  Aies,  or  checked  at  dislance  stands 
Nor  dares  approach. 

(Summer,  903-907.) 

3.  Wilh  horror  hear 

The  coming  rage. 

{Summcr,  928-932.) 

4.  ....  Herds  and  flocks 
Drop  Ihe  dry  sprig,  and  mute-imploring  eye 
The  falling  verdure. 

{Spring,  161-163.) 

5.  ...  And  slill  Ihe  gracious  clouds 
Dropt  fatness  down. 

{Spring,  260,  261 .) 

6.  His  jaws  horrifie  armed  wilh  threefoid  fate. 

(Summer^  1013.) 


LES   ^«    SAISONS    ».   —   LA    LA.NfJiK    KT    LK   STYLK.  441 

plein  (U*  iiH)i"t  '  »,  —  ((  Là-has,  dans  ('«Miiia^uî  liinosle,  une  ()l)^^- 
«  curité  i'Oii^ràtiv,  un  arsenal  dr  nior'l  —  feï'rnentenl  -.  » 

Périphrnuc.  —  Les  (H'rivainsde  l'école  classique  évitent,  uous 
le  (lisioiLs  plus  haut,  les  audaces  qui  font  violence  à  la  langue. 
Ils  poussent  plus  loin  la  timidité  lorsqu'ils  reculent  devant 
remploi  d'un  terme  qui,  traduisant  exactement  Tidée,  leur 
parait  manquer  de  noblesse.  La  périphrase  est  la  ligure  favorite 
de  ces  écrivains;  la  littérature  du  xviip  siècle  l'a  cultivée  avec 
prédilection.  Il  faut  bien  entendre  que  l'abus  seul  de  cette 
forme  d'e.xpression  est  condamnable.  Il  y  a  un  emploi  de  la 
périphrase  que  le  goût  le  plus  sévère  reconnaît  légitime,  et 
dont  tous  les  grands  poètes  fourniraient  des  exemples.  Quand 
Hippolyte  désigne  Phèdre  sous  cette  forme  indirecte  et  com- 
pliquée : 

La  iillc  de  Minos  el  de  Pasiphaé  -'. 

Racine  n'a  pas  eu  seulement  pour  objet  de  réunir  des  mots 
harmonieux  et  sonores  *.  Le  vei*s  nous  rappelle  de  quelle  mère 
infâme  est  née  Phèdre  ;  il  exprime  la  haine  et  le  mépris  d'Ilip- 
polyte  pour  l'étrangère;  il  prépare  et  il  annonce  les  révélations 
de  la  scène  m. 

Mais  quand  la  périphrase  n'a  pas  d'eflet  analogue;  quand,  ne 
nous  apprenant  rien,  ou  rien  d'important  sur  l'objet  qu'elle 
désigne,  elle  vise  uniquement  à  nous  faire  admirer  chez  l'au- 
teur une  habileté  à  trouver  des  équivalents;  quand  elle  devient 
un  futile  jeu  d'esprit  pour  l'écrivain  qui  s'eftbrce  de  dire  ce  qu'il 
doit  dire  par  le  moyen  le  plus  détourné,  et  pour  le  lecteur  dont 
la  tâche  est  de  deviner  l'énigme  proposée,  alors  en  effet  la  péri- 
phrase mérite  la  défaveur  et  le  mépris  qui  l'ont  frappée. 

Il  faut  bien  avouer  que  l'œuvre  de  Thomson  renferme  plu- 
sieurs exemples  dignes  d'être  rangés  dans  cette  catégorie.  Ce 

i.  The  wide  enliycniiig  air  is  full  of  fate. 

{Summery  1084.) 

2.  In  yon  l>alerul  cloud 

A  reddcning  gloon,  a  magazine  of  fale 
Ferment. 

{Sumrner,  1111-1113.) 

3.  Phèdre,  acte  T.,  bc.  i. 

4.  C'est  sans  doute  par  pure  boutade  que  Ttiéophile  Gauthier  ne  voyait 
dans  ce  vers  que  la  musique  des  sons,  et,  fie  ce  seul  chef,  le  déclarait^ 
dit-on,  le  plus  t>eau  vers  qu'ait  écrit  Racine. 


443  JAMES  TUOMSON. 

souri  du  style  noble,  qui  obsède  Técole  classique  en  Angleterre 
comme  en  France,  inspire  à  notre  poète  des  détours  fâcheux 
pour  dire  des  choses  très  simples. 

Dans  seize  vers  du  «  Printemps  d  il  parle  des  insectes  nuisibles 
à  lagriculture,  et  c'est  à  peine  si  le  mot  a  insect  »  est  une  fois 
mentionné  *.  Le  sujet  peut  paraître  bien  humble,  et  lauteur 
croit  élever  son  style  au  moyen  de  circonlocutions  compli- 
quées :  «  C'est  une  faible  race,  et  pourtant  ce  sont  souvent  les 
<(  fils  sacrés  de  la  vengeance  *  ».  Et  comme  le  vague  de  ces  dési- 
gnations rend  difficile  l'emploi  de  pronoms  se  rapportant  aux 
mêmes  objets,  le  poète  acccumule  les  périphrases  :  «  rennemi 
caché  »  »,  a  la  gent  engourdie  par  le  froid  *  ».  Ce  dernier 
exemple  rappelle  une  forme  banale  que  Thomson  reproduit  très 
souvent.  La  môme  <c  Saison  »  nous  la  montre  encore  dans  «  la 
gent  emplumée  '^  »,  a  la  gent  à  nageoires  *  »,  «  la  gent  au  plu- 
mage brillant  ^  »,  a  les  douces  tribus  ®  ».  S'il  s'agit  de  jeunes 
oiseaux  ce  n'est  plus  ((  la  gent  »,  mais  la  «  jeunesse  emplu- 
mée '•*  »  —  Le  berger  des  Hébrides  a  récolte  sa  nourriture  ovaire 
—  (c  ou...  amoncelle  —  le  plumage,  qui  s'élève  élastique,  pour 
(i  former  le  lit  —  du  luxe  *°  ».  —  Quel  est  le  serpent  que  désigne 
cette  périphrase  de  1'  «  Été  »  :  «  Le  petit  ministre  de  mort  qui  se 
<(  cache  dans  un  étroit  espace  —  et  dont  le  venin  concentré  par 
a  un  soleil  brûlant  répand  dans  les  veines  un  éclair  rapide  *'?  » 
Nous  avons  moins  d'incertitude  sur  l'objet  dont  il  s'agit  quand 
Musidora  a  de  sa  jambe  de  neige  —  et  de  son  pied  menu  tire 
la  soie  retournée  '*  ». 

Tout  cela  est  peu  digne  du  génie  d'un  poète  tel  que  Thomson. 
11  va  cependant  plus  loin  encore.  Dans  ce  passage  du  «  Prin- 
temps »  où  il  célèbre  les  charmes  de  la  pêche  et  nous  fait  de  cet 
art  un  cours  didactique,  pas  un  nom  de  poisson  n'est  men- 
tionné; le  seul  qui  soit  particulièrement  désigné  se  reconnaît  à 
cette  périphrase  «  le  monanjue  du  ruisseau  "  ».  Mais  le  poète 
nous  parle  a  des  i)etites  naïades  '*  »  qu'il  s'agit  de  décider  à 
mordre,  et  il  recommande  au  pécheur  de  rejeter  à  l'eau  comme 
trop  jeune  «  le  bébé  tacheté  *^  ».  Quant  à  l'arme  du  pêclieur. 


1.  Spring,  119-135.  —  2.  Ibid.,  123,  124.—  3.  Ibid.,  128.—  i.làid.,  131.  5. 
Ibid.,  164.  —  6.  Ibid.,  394.  —  7.  Ibid..  616.  —  8.  Jbid.,  710.  —  9.  !bid., 
728.  —  10.  ^M^wmn, 875-878.  — 11. SMmmer, 907-909.  —12.  Ibid,,  1308,  1300. 
—  13.  Spring,  423.  -  14.  Ibid.,  402. 

15.  Spring,  421.  —  Delille  n'appeHe-t-il  pas  quelque  part  le  veau  «  un  foldtre 


LES  «  SAISONS  )».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    443 

c'est  «  la  ligne  ilottante  arrachée  au  coursier  blanchi  '  ».  La  pluie 
même  a,  paraît-il,  besoin  d'être  désignée  par  une  circonlocu- 
tion; c'est  elle  qu*il  nous  faut  reconnaître  dans  «  ralimentsem- 
((  blable  au  lait  -  ». 

N'allons  pas  cependant  juger  notre  auteur  sur  ces  déplo- 
rables erreurs.  Il  serait  à  peine  plus  injuste  de  voir  un  échan- 
tillon du  style  habituel  de  Lamartine  ou  de  Vigny  dans 
certaines  périphrases  extraordinaires  qu'on  peut  relever  dans 
leurs  œuvres  ^  Aux  exemples  d'expressions  tourmentées  et 
i>izarres  que  nous  avons  citées,  on  en  pourrait  opposer  beau- 
<:oup  d'autres  où  Thomson  sait  faire  usage  du  terme  propre. 
Quand  il  ne  cède  pas  à  l'inlluence  du  goût  régnant,  c'est  dans 
une  langue  simple,  directe  et  franche  qu'il  décrit  les  scènes 
modestes  de  la  vie  des  champs.  Il  observe  dans  la  basse-cour 
u  la  poule  vigilante  —  qui  appelle  autour  d'elle  toute  sa 
<(  gazouillante    famille,    —    que   nourrit    et   défend    le   coq 

eufanl  »?  Notons  que  toul  ce  pa3sa;j:e  sur  la  pèche  ne  figure  pas  dans  les 
premières  éditions.  11  est  ajouté  après  1738,  quand  la  manière  d'écrire  du 
porte  a  subi  quelque  modification. 

1.  Snatched  from  the  hoary  steed  tlie  floating  line. 

{Sprtnff^  383.) 

Pope  s'était  contenté  <le  dire  :  •  Slight  Unes  of  hair  surprise  the  Tinny 
pri?y  ■  {The  Râpe  of  the  Lock.) 

■2.  And  while  Ihe  milky  nutriment  distils. 

[^Spring.  183.) 

:i.  Celle  entre  autres  qui  désigne  ainsi  les  poules  : 

<i  Kt  les  oiseaux  privés,  dont  le  chant  entendu 
Avertit  Thommc  à  jeun  du  fruit  qu'ils  ont  perdu.  '» 

(La  Chute  cTun  Ange.) 

A.  de  Vigny,  »i  plein  de  raillerie  pour  ces  préjugés  littéraires  qu'ofTus- 
«(liait  le  mouchoir  d'Othello,  imagine  lui-même,  pour  parler  d'une  chemise, 
titi  bien  ingénieuses  périphrases  : 

«  Dolorida  n'u  plus  que  ce  voile  incertain, 
Le  premier  que  revêt  le  pudique  matin, 
Et  le  dernier  rempart  que,  dans  sa  nuit  folâtre, 
L'amour  ose  enlever  d'une  main  idolâtre.  «> 

{Livre  Moderne.  Dolorida.) 

Si  Delille  avait  eu  à  parler  du  quadrille  des  lanciers,  Taurait-il  fait  en 
tonnes  plus  alambiqués  que  ceux-ci? 

<«  Le  signal  est  donné,  l'archet  frémit  encore, 

Elancez-vous,  liez  ces  pas  nouveaux 
Que  l'Anglais  inventa,  nœuds  chers  à  Terpsichore, 
Qui  d'une  noble  chaîne  imitent  les  anneaux.  - 

[Livre  Moderne,  Le  Bat.) 


444  JAMES  THOMSON. 

«  intrépide  *  ».  Tous  les  hôtes  de  la  ferme  sont  ainsi  décrits  et 
nommés  sans  fausse  honte  :  le  canard  aussi  bien  que  le  cygne, 
le  dindon  à  côté  du  paon  ou  du  pigeon  *.  Les  pages  du  poème 
sont  pleines  de  descriptions  aussi  éloignées  que  possible  de 
cette  langue  contournée,  molle  et  vague  que  produit  l'abus  des 
périphrases.  Qu'on  se  rappelle  cette  scène  de  V  «  Été  »  qui  nous 
montre  tous  les  animaux  accablés  par  Tardeur  du  soleil,  depuis 
«  la  corneille,  le  freux  et  la  pie  qui  se  dirigent  d'un  vol  pares- 
«  seux  vers  les  chênes  devenus  gris  »  jusqu'au  chien  de  la 
ferme  qui  a  dort  étendu  tout  au  long  jusqu'à  ce  que,  éveillé 
«  par  une  guêpe,  il  la  iiappe  brusquement  '  ». 

A  lire  le  poème  nous  ne  pouvons  nous  défendre  aujourd'hui 
de  remarquer  surtout  ces  passages  où  l'écrivain  semble,  selon 
le  mot  de  Pascal,  s'ingénier  a  à  masquer  la  nature  et  à  la 
déguiser  ».  Mais  si  nous  replaçons  les  a  Saisons  d  au  temps  où 
elles  ont  été  écrites,  nous  saurons  gré  au  poète  de  s'être  sou- 
vent affranchi  du  mauvais  goût  régnant.  Nous  remarquerons 
alors  davantage  tant  de  descriptions  d'une  langue  si  simple  et 
d'une  saveur  si  franche,  comme  la  baignade  et  la  tonte  des 
moutons  *,  comme  la  fenaison  ^  ou  la  moisson  **,  comme  tant 
d'autres  scènes  où  Thomson  écrit  avec  son  instinct  naturel 
et  que  ne  gâtent  pas  de  fâcheuses  élégances. 

Personnilicalion  et  allégorie,  —  Au  même  degré  peut-être 
que  la  périphrase,  la  personnification  est  considérée  comme 
un   des  procédés  caractéristiques  de  la  poésie  classique  au 
xvni«  siècle.  Pour  ce  qui  est  de  l'Angleterre,  il  y  a  là  quelque 
injustice.   L'école  ne  mérite  pas  tout  entière  de    porter  la 
responsabilité  d'un  travers  qui  sans  doute  a  sévi  sur  beau- 
coup. Les  maîtres  du  commencement  du  siècle  sont,  plus 
qu'on  ne  serait  tenté  de  le  croire,  exempts  de  cette  affecta- 
tion. Pope  en  use  assez  peu.  Non  seulement  dans  ses  poèmes 
de  discussion  rimée,  épîtres  ou  satires,  mais  même  dans  sci^ 
œuvres  descriptives  ou  pathétiques,  il  est  sobre  de  ces  effets 
ambitieux  ^  Plus  rares  encore,  on  le  croira  sans  peine,  sont 

\.  Spring,  771-773.  —  2.  Ibid.,  7G5-787.  —  3.  Summer,  224-236.  —  i. 
/6iV/.,  370-400.  —  5.  Jbid.,  352-369.  —  6.  Autumn,  151-169. 

7.  Pas  une  seule  personDification  dans  les  ({uatre  Pastorales  des  -  Sai- 
sons »,  sauf  ces  métaphores  banales  d'arbres  qui  versent  des  larmes 
d*ambre,  on  de  fleurs  qui  s^associcnl  &  un  deuil  mortel.  —  Deux  person- 
niflcations  bien  caractérisées  dans  Héloïse  el  Abélard  (v.  163-170  et  v.  299). 
—  Il  y  en  a  nn  plus  grand  nombre  dans  lu  ■  Forêt  de  Windsor  •  ;  mai* 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    445 

Swift  ces  audaces  poétiques.  Dans  ses  vers  nets,  tran- 
its  et  froids,  nous  ne  pourrions  guère  relever  que  lattri- 
on  de  majuscules  aux  noms  de  certaines  abstractions, 
'emploi  d'expressions  tellement  effacées  et  ternies  par 
ige  qu'elles  ne  conservent  plus  couleur  de  personnifica- 

*.  —  On  peut  être  tenté  de  voir  en  Young  un  des  poètes 
ont  consacré  le  triomphe  de  cette  figure.  Qui  n'a  présent 
»sprit  ce  début  de  la  première  des  a  Nuits  »  où,  en  vers 
)res  et  magnifiques,  l'auteur  évoque  devant  nous  comme 
mt  de  personnages  imposants  et  muets  le  Sommeil,  la 
t  et  le  Silence  primordial?  Mais  on  aurait  tort  de  conclure 
,'e  passage  au  reste  du  poème.  Dans  les  parties  même  où  il 
once  à  sa  prédication  rimée,  et  où  sa  pesante  dialectique 
se  quelque  repos  au  malheureux  Lorenzo;  dans  ces  pas- 
es  célèbres  où  il  s'élève  à  une  haute  et  riche  poésie,  il  fait 
îment  usage  de  la  personnification  -. 
i  nous  en  venons  aux  a  poetie  minores  »,  l'importance  de 

formes  de  style  s'accroît  beimcoup.  Garth  y  a  volontiers 
ours.  On  en  peut  trouver  plusieurs  exemples  accumulés 
is  quelques  vers  de  l'Épilogue  du  a  Caton  »  d'Addison.  — 
:hard  Savage  en  fournil  des  spécimens  de  caractère  plus 
usé.  Son  a  Wanderer  »  nous  offre  plusieurs  personnifica- 
îs  prolongées  et  poussées  à  fond.  L'une  d'elles,  celle  du 

une  n'a  de  caractère  nouveau  ni  saillant.  —  •  L'Enlèyement  de  la 
icle  «  au  coulraire  en  reufcnnc  d'originales,  qui  sont  un  des  éléments 
umour  du  joli  poème.  Voir  au  chaut  IV,  ces  personnages  qui  s'appel- 
l  -  la  Migraine  •,  •  TÂlTectation  »,  etc. 

-  Let  Love  with  Folly  and  Pride 

More  fit  associâtes  Hnd!  - 

iOdc  to  WiHlom.) 

■  Why  on  that  brow  dwell  sorrow  and  dismay 
Where  Loves  were  wont  to  sport,  and  Suiiles  to  play?  > 

(-■1  Town  Eclogue,) 

)uand  par  hasard  la  Muse  un  peu  prosaïque  du  Doyen  onfunte  une 
'itable  persounification,  c'est  avec  une  intention  burlesque  : 

-  Discrétion  !  tu  u'as  jamais  été  Tamic  de  l'amour. 
...  Discrétion  maudite,  la  faute  était  toute  à  toi.... 
Vénus,  dis  a  ton  père  de  préparer  ses  carreaux,  et  de  faire 
Rentrer  la  Discrétion  dans  les  ténèbres  infernales.  • 

To  Love,  Vers  trouvés  dans  le  pupitre  de  miss  Vanhonirigh  après  sa 
>rt.) 

2.  Un  des  rares  exemples  h  citer  s^appliquerait  &  une  allégorie  des 
atre  saisons. 


446  JAMES  THOMSON. 

Suicide,  poursuivie  durant  cinquante  vers  *,  fait  penser  à  quel- 
ques-unes des  évocations  de  Collins,  un  des  maîtres  du  genre. 
Enfin  pour  citer  encore  un  nom,  le  poème  si  curieux  de  Dyer, 
qui,  publié  la  même  année  que  r«  Hiver  »,en  reproduit  à  une 
échelle  très  réduite  les  caractères  principaux,  Grongar  Hill 
commence  et  se  termine  par  des  personnifications. 

Nous  voyons  donc  que  cette  fijîure  n'a  pas  encore  pris,  chez 
les  contemporains  de  Thomson,  la  prépondérance  abusive 
qu'on  lui  connaîtra  plus  tard.  L'auteur  des  c  Saisons  »  en  cette 
matière  imite  plutôt  les  petits  écrivains  que  les  grands.  Il 
recherche  trop  volontiei*s  dans  celte  création  d'êtres  vides  de 
réalité  une  ressource  facile  du  style  poétique.  Ses  personnifica- 
tions valent  celles  de  tous  les  héros  de  la  Dunciad  quand  il 
nous  montre  «  la  chaumière  couverte  de  mousse  où,  avec  le 
«  berger,  habite  la  Paix  *  »,  ou  quand  il  énumère  les  passion> 
qui,  depuis  la  lin  de  l'àgc  d'or,  ont  envahi  le  cœur  de  l'homme: 
«  la  colère  frénétique  —  ou  bien,  pâle  et  silencieuse,  la  basse 
«  envie  que  dessèche  la  vue  du  bonheur  d'autrui,  la  i)€ur 
«  etfaréc  '  »,  etc.  Les  images  de  ce  genre  sont  innombrables  dans 
le  poème.  Les  meilleures  sont  celles  qui  sont  employées  avec 
une  intention  ironique  :  «  Alors  la  Faim  rassasiée  ordonne  à  sa 
«  sfeur  la  Soif —  de  faire  paraître  le  bol  énorme  *  ». 

Comme  tous  ses  contemporains  d'ailleurs,  Thomson  emploie 
coniplaisamment  l'apostrophe,  et  c'est  l'occasion  de  nom- 
breuses transformations  d'êtres  de  raison  en  pseudo-person- 
nages. <K  0  chaleur  qui  accables  tous  les  êtres,  suspends  ta 
«  rage  *.  »  —  a  Salut,  ombrages,  fourrés,  sapins,  chênes*», etc. 
—  «  Soufllcz,  brises  fécondantes,...  ô  vous,  rosées...  et  vous, 
«  ondées...  et  toi,  soleil,  qui  rends  la  vie  au  monde  ".  »  —  a  Et 
«  toi  surtout,  ô  vert  joyeux,  toi  qui  partout  es  la  parure  de  la 
a  Nature  souriante  *.  »  —  a  Où  es-tu.  Gelée?  •  »  -—  «  Et  loi, 
«  délicieux  ananas,  toi,  l'orgueil  du  monde  végétal...  vite  je 
«  veux  te  dépouiller  de  la  tunique  aux  écailles  tôufîues,  pour 
a  dégager  ton  trésor  d'ambroisie,  et  m'asseoir  à  la  table  de 
u  Jupiter!  *°  » 


1.  Thr  Wandrrcr,  caïUo  H,  19l-2r)0.  On  peut  voir  encore  dans  le  pre- 
mier cliant  du  même  poème  une  louf^ue  allégorie  de  l'Industrie  (170-2%). 

2.  Sumtner,  64.  -  3.  Sf,rin{f.  280-306.  —  4.  Autunnu  512,  513.  — 
5.  Suitnner,  iTti.  —  6.  Sunifiirr,  MVJ.  —  7.  Sprintj.  49-.52.  —  8.  Ihid.,  S2,  83 
—  9.   \Yinifit\  714.  —  10.  Sumhter,  68:>-08'i. 


LES  «   SAISONS   ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         447 

Les  personnifications,  on  le  voit,  sont  abondantes;  elles 
portent  sur  les  objets  les  plus  divers;  elles  sont  souvent  d'une 
entière  banalité  *.  Mais  parfois  il  arrive  à  Thomson  de  descendre 
au  niveau  des  plus  pauvres  versificateui's'  C'est  par  exemple 
quand,  au  pâle  olympe  de  ces  divinités  de  baudruche  auxquelles 
tant  de  poètes  ont  adressé  leurs  honunages,  il  s*avise  d  ajouter 
rinspiration  elle-même,  a  Viens,  ô  Insiûration,  de  cet  hermi- 
tt  tage  où  les  mortels  te  découvrent  rarement;  et  que  mon  ima- 
«  gination  ose,  à  tes  yeux  sérieux,  fixes  et  ravis  qui  parcourent 
a  la  voûte  du  ciel,  dérober  un  regard,  un  de  ces  regards  qui 
«  créent  un  poète  -.  »  —  Imaginer,  pour  lui  demander  l'Inspira- 
tion, une  déesse  de  l'Inspiration,  c'est  bien  du  triple  galima- 
tias. Disons,  pour  atténuer  la  responsabilité  de  Thomson,  qu'il 
eut  un  complice.  C'est  de  Mallet  qu'était  venue  d'abord  cette 
ingénieuse  idée  '.  D'autre  part  on  voudra  mettre  à  l'actif  d(^ 
notre  poète  une  petite  révolution  dans  les  usages  typographi- 
ques d'alors.  11  use  beaucoup  moins  que  ses  contemporains 
de  majuscules  et  d'italiques  *.  Ses  allégoriques  ligures  y 
gagnent  de  passer  un  peu  plus  inaperçues.  Sachons-lui  gré 
d'avoir  paru  quelque  peu  honteux  de  ces  produits  de  son  feu 
poétique. 

Il  est  au  moins  un  sujet  de  représentation  symbolique  que 
Ton  serait  surpris  de  ne  pas  rencontrer  dans  le  poème;  ce 
sont  les  saisons  elles-mêmes.  Il  y  a  là  matière  à  des  allégo- 
ries tout  indiquées;  la  peinture  et  la  sculpture  les  ont  prodi- 
guées. Chacune  des  parties  de  l'œuvre,  en  effet,  commence  par 
une  description  du  mythologique  personnage  à  qui  le  chant 
doit  être  consacré.  On  a  vu  dans  ces  allégories  une  concession 
au  goût  du  temps,  et  l'on  n'a  pas  eu  tort.  Mais  nous  pensons 
(ju'il  ne  faut  pas  accepter  sans  réserve  le  jugement  porté  par 
M.  Guillaume  Guizot  :  «  Son  a  Printemps  »  est  un  personnage 


1.    Isaac   Browne    n'a  pas    manqué,    dans    sa  spirituelle  parodie,  de 
'élever  cet  abus  de  l'invocation  et  de  la  personnification. 

*  0  thou.... 

Tnbacco,  Tuuntain  pure  of  limpid  trulh. 

Toach  llie  myaterious  lips  thaï  chant  thy  praise.  - 

{The  Pipe  of  Tobacro.) 
2.  Sunwtcr,  iV). 

:i.  •  1  thank  you  hcartily  for  your  hint  about  personiziug  of  Inspira- 
ion  ;  il  strikes  me.  •  (Thomson  à  Mallet,  11  ao^t  i72G.) 
i.  Nichols  en  a  justement  fait  la  remarque.  ^Préface  ù  l'édition  de  Tegg.) 


448  JAMES  THOMSON. 

a  inytliologique  tel  qu'on  en  peint  alors  sur  les  trumeaux.  Ce 
d  n'est  que  le  reflet  d'une  œuvre  d'art  »  ■.  Ce  serait  apprécier 
inexactement  le  caractère  des  quatre  allégories  de  Thomson 
que  d'y  voir  une  imitation  des  œuvres  des  peintres.  Notons 
d'abord  que  ces  descriptions  sont  bien  brèves  :  quatre  vers 
pour  le  Printemps,  trois  pour  l'Été,  deux  et  demi  pour  l'Au- 
tomne, deux  pour  l'Hiver.  Il  faudrait  plus  de  mots  pour 
résumer  la  représentation  fournie  par  un  peintre.  Elles  sonl 
très  brèves  et  sont  très  vagues.  Nous  comprendrions  mieux  qœ 
l'on  comparât  à  des  tableaux  les  allégories  que  Gray  et  Collins 
ont  mises  en  œuvre,  poursuivant  la  description  jusque  dans 
les  derniers  détails,  et  plaçant  devant  nos  yeux  une  image  com- 
plète, arrêtée  dans  ses  lignes.  Opposons  aux  deux  lignes  où 
l'auteur  des  a  Saisons  »  figure  l'Hiver  les  portraits  détaillés 
que  donne  Cowper  *  ou  même  Shelley,  et  nous  nous  assure- 
rons que  Thomson  ne  s'est  pas  proposé  de  lutter  avec  le  pin- 
ceau des  décorateurs  de  trumeaux.  H  a  compris  qu'il  y  aurait 
discordance  entre  la  nature  telle  qu'il  la  voyait  et  l'aimait,  et 
ces  factices  personnifications.  H  a  senti  que  ses  fraîches  et  sin- 
cères peintures  des  choses  de  la  campagne  ne  devaient  point 
partager  l'attention  avec  les  imaginaires  personnages  qui  ont 
traîné  à  travers  tant  de  poèmes  et  sur  tant  de  toiles  leurs 
grâces  banales  et  leurs  emblèmes  défraîchis. 

C'est  donc  une  impression  plutôt  qu'un  portrait  que  ses 
descriptions  visent  à  donner,  a  Viens,  Printemps  char- 
a  niant,  viens,  Saison  des  cieux  cléments;  —  et  du  sein  de 
a  ce  nuage  qui  s'abaisse,  —  tandis  que  partout  s'éveillent  les 
a  chants,  caché  dans  une  pluie  —  de  roses,  descends  sur  nos 
u  plaines  ^.  »  Aucun  artiste  ne  se  chargerait  de  donner  une 
forme  visible  à  cette  nuageuse  divinité.  Mais  les  vers  du  poète 
sont  une  évocation  du  printemps,  de  ses  tiédeurs,  de  ses  mélo- 
dies joyeuses,  de  ses  senteurs  et  de  sa  parure  de  fleurs.  Peu 
nous  importe  que  la  ligure  elle-même  soii  si  vaguement  des- 
sinée qu'un  critique  ait  pu  se  demander  quel  en  est  le  sexe  *. 

1.  Lor.ou?  professées  au  Collège  de  France,  mai  1886. 

2.  né  Task,  Bk.  IV,  120. 
;i.  SpritKjf  1-4. 

4.  Wilson  (Christopher  North).  Voir  lilackwootTs  Magazine^  t.  XXVlll, 
p.  872.  Il  est  vrai  que  Tembarras  du  critique  est  aggravé  par  une  étrange 
inadvertance.  H  a  lu  au  6*  vers  de  V  •  Été  »  :  •  The  turoing  Springavertsbis 
hlusliful  face  •.  En  réalité  le  texte  porte  •  her  blushful  face  ».  Ici  comme 


LES   «   SAISONS  ».  —  LA  LAiNGUE  ET  LE  STYLE.         449 

Ce  brillant  prélude  avec  sa  flottante  allégorie  éveille  en  quel- 
ques traits  heureux  les  impressions  de  beauté,  de  richesse  et 
de  joie  qu'a  voulu  suggérer  le  poète.  On  peut  douter  qu'une 
ligure  plus  arrêtée  y  eût  aussi  bien  réussi. 

En  dépit  de  Topinion  de  Hazlitt  *  qui  reproche  à  cette  figure 
du  Printemps  son  insuffisance,  nous  ne  sommes  pas  loin 
de  croire  que  ces  personniQcations  imparfaites  sont  les  meil- 
leures. Rien  n'est  plus  dangereux  que  ces  allégories  précises  et 
minutieuses  qui  multiplient  les  concordances  entre  la  notion 
abstraite  et  la  représentation  matérielle  qui  en  est  imaginée. 
Des  écrivains  de  talent  et  de  goût  arrivent,  dans  cette  voie, 
aux  plus  puériles  et  aux  plus  étranges  abus  *,  En  tout  état  de 
cause,  ces  rébus  compliqués  s'accordent-ils  avec  la  véritable 
inspiration  poétique?  Notre  admiration  doit-elle  faire  grand 
cas  de  l'adresse  avec  laquelle  le  poète  introduit  dans  le  cadre 
de  son  allégorie  les  attributs  divers  qu'un  peintre  ingénieux 
peut  prêter  à  l'idéal  personnage?  Il  y  a  là  un  danger  que  Gray 
lui-même,  cet  artiste  consommé,  n'a  pas  toujours  évité.  Ses  per- 
sonnifications contribuent  à  donner  à  son  œuvre  un  caractère 
un  peu  pédantesque  et  comme  l'odeur  de  la  lampe.  CoUins  est 
à  cet  égard  plus  heureux.  Il  y  a  chez  le  jeune  poète  une  puis- 
sance d'évocation  qui  s'impose  au  lecteur.  Ce  sont  de  véri- 
tables hallucinations  que  ces  visions  de  la  Peur,  du  Danger,  de 
la  Gaîté,  ou  de  la  Pitié,  qui  travei*sent  l'esprit  de  Collins  et 

« 

que  ses  vers  ont  fixées.  Mais  c'est  peut-être  au  germe  de  folie, 
qui  se  cachait  dans  le  génie  du  malheureux  poète,  que  ses 
créations  ont  dû  d'écliapper  à  la  froideur  et  au  caractère  fac- 
tice de  tant  d'autres  allégories. 


dans  tous  les  autres  passages.  Thomson  personuilîo  le  Printemps  sous 
les  iraits  d'une  jeune  fille,  «  llie  rosy-bosomed  Sprin^ç  •.  (Spnng,  4009.) 
—  -  Consenting  Spring  —  Sheds  her  own  rosy  garlands....  •  {Spr,,  1168.i 
i,  .5'*  Lecture  on  Eiif/Hs/i  Poelry  {Ulachvood's  Magazine,  vol.  11,  p.  t>8l.) 
2.  Nos  poètes  français  du  xviii*  siècle,  et  d'autres  encore,  pourraient 
fournir  des  exemples  significatifs.  En  voici  un  qui  a  pour  auteur  Con- 
^reve,  un  poète  homme  de  goût  : 

•  And  lo!  Sileuce  himself  is  hère. 


Behold  the  révérend  shade. 

An  ancient  sigh  he  aits  upon 

Whose  memory  of  sound  is  long  sincc  gonc, 

And  purposely  annihilated  for  his  throne.  • 

(Ode  on  Singing  of  Mrs,  Arabella  llunt.) 

29 


450  JAMES  THOMSON. 

Évidemment  Thomson  n'a  pas  de  goût  pour  ces  personnifi- 
cations soutenues.  Ses  peintures  de  chacune  des  Saisons  restent 
sommaires  et  indistinctes  comme  celle  que  nous  avons  citée;  et 
quand,  en  dehors  du  prélude  de  chaque  chant,  il  fait  reparaître 
une  de  ces  mythologiques  figures,  c'est  toujours,  sauf  une 
exception,  en  un  trait  rapide  qui  éveille  une  impression,  mais 
n'a  pas  le  caractère  d'un  portrait.  C'est  aussi  de  cette  manière 
que  procédait  Milton.  On  pourrait  avec  Intérêt  comparer  aux 
allégories  de  la  «  Reine  des  Fées  »  celles  du  «  Paradis  Perdu», 
opposer  le  portrait  de  Duessa  *,  d'un  si  vigoureux  relief, 
avec  la  figure  de  la  Mort  au  Livre  II  du  «  Paradis  Perdu  •  -. 
La  description  de  Milton  laisse  à  l'épouvantable  gardienne  de 
l'enfer  une  mystérieuse  obscurité,  quelque  chose  d'indistinct 
dans  l'horreur  qui  lui  assure  plus  de  grandeur  et  plus  d'artis- 
tique beauté  que  n'en  a  la  peinture  de  Spenser,  arrêtée  et  pré- 
cise au  point  d'en  être  révoltante.  Qu'on  se  rappelle  encore  cet 
admirable  passage  du  Livre  IV  qui  décrit  la  venue  du  soir  et 
se  termine  en  faisant  paraître  <(  la  lune  qui  se  lève  d'abord 
a  dans  une  majesté  que  cachent  en  partie  les  nuages,  mais 
a  bientôt,  révélant  sa  royauté,  déploie  sa  lumière  sans  rivale  et 
«  sur  l'obscurité  jette  son  manteau  d'argent  '  ».  —  Voilà  le 
modèle  a  sans  rival  )d  de  la  personnification  mêlée  à  la  vision 
réelle  des  choses.  Bien  des  écrivains  ont  imité  ce  morceau 
célèbre.  Ils  n'ont  pas  toujours  compris  que  le  charme  en  réside 
dans  le  caractère  imparfait,  volontairement  inachevé  de  la 
comparaison  avec  un  être  humain.  Ni  Collins  avec  la  ferveur 
de  son  imagination  enflammée  ni  Gray  avec  le  souci  de  raison 
et  de  logique  qu'il  conserve  dans  ses  plus  grandes  hardiesses 
lyriques,  n'auraient  pu  s'accommoder  de  ces  inconséquences  : 
une  reine  qui  dévoile  sa  lumière,  un  manteau  jeté  sur  l'obscu- 
rité. Savage  croit  améliorer  le  passage  en  serrant  la  personni- 
fication *.  Cette  double  nature  de  l'image  est  précisément  ce 
qui  en  fait  la  beauté.  Nous  admirons  la  comparaison  de  l'astre 
radieux  à  une  reine  et  à  la  déesse  de  Virgile  —  «  vera  incessu 


1.  Odes  io  Fear,  to  Mercy,  to  Simplicity;  The  Passions j  etc. 

2.  Paradise  Losl,  Bk.  II,  048-606. 

3.  Paradise  Lost,  Bk.  IV,  598-000. 

4.  •  Orient,  llie  Queen  of  Niglils  emits  lier  dawii 
And  throws  unseen  her  mantlc  o*er  Uie  lawn.  » 

(The  Wanderer,  canto  HT,  13,  14.) 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    461 

patuit  ))  — ,  mais  nous  voulons  qu'en  même  temps  le  poète  con- 
serve (levant  les  yeux  de  notre  imagination  les  apparences 
réelles  du  spectacle  qu'il  décrit.  Aucun  portrait  de  reine  ou  de 
déesse  ne  saurait  égaler  les  splendeurs  d'une  nuit  d'été. 

A  un  degré  plus  modeste,  les  allégories  consacrées  par 
Thomson  aux  quatre  Saisons,  ont  aussi  ce  mérite  de  con- 
server l'équilibre  qui  convient  entre  la  vérité  de  la  nature  et  la 
convention  d'une  représentation  symbolique.  Une  fois  seule- 
ment il  prolonge  et  précise  la  personnification. 

«  Sur  son  trône,  dans  un  palais  de  glace  azurée,  c'est  ici  que 
a  l'Hiver  tient  sa  triste  cour;  et,  dans  les  vastes  salles  s'entend 
«  toujours  le  tumulte  bruyant  des  tempêtes  furieuses.  C'est  là 
(L  que  le  tyran  farouche  prépare  ses  fureurs;  qu'il  arme  ses 
((  vents  du  gel  irrésistible,  qu'il  façonne  la  grêle  cruelle,  et  qu'il 
«  amoncelle  les  neiges  dont  il  accable  maintenant  la  moitié  du 
a  globe  *.  ))  L'image  est  vigoureuse  et  Tassimilation  suivie  avec 
rigueur.  Mais  ce  monarque  ennuyé  et  farouche,  dans  son 
arsenal  de  grêles  et  de  neiges,  ne  nous  donne  pas  la  vraie 
poésie  de  l'hiver.  Nous  la  trouverons  bien  plutôt  dans  les  vers 
où  le  poète  a  peint  la  nature  accablée  sous  l'influence  du  froid 
et  des  tempêtes,  et  revêtue  d'une  tristesse  ou  d'une  horreur 
qui  ont  encore  leur  beauté. 

Enfm,  au-dessous  des  allégories  soutenues,  au-dessous  aussi 
des  personnifications  incomplètes  dont  nous  venons  de  parler, 
il  est  des  formes  de  description  où  une  comparaison  avec  un 
être  vivant  est  à  peine  suggérée.  L'objet  est  peint  avec  son 
caractère  véritable,  mais  dans  l'image  intervient  un  mot  qui 
exprime  l'état  ou  l'action  d'un  être  humain.  Ces  personnifica- 
tions embryonnaires  sont  vraiment  la  langue  courante  de  la 
poésie-.  Elles  naissent  spontanément  sous  la  plume  des  grands 
écrivains.  Elles  sont  la  forme  que  prend  naturellement  le  lan- 
gage sous  l'influence  d'une  vive  émotion.  Elles  ont  puissam- 
ment le  don  de  nous  communiquer  l'impression  ressentie  par 
le  poète.  Dans  toutes  les  littératures  les  maîtres  les  ont  prodi- 
guées. Elles  forment  quelques-uns  des  traits  les  plus  souvent 
cités  des  œuvres  les  plus  célèbres.  —  Lorsque  dans  un 
immortel  duo  d'amour  un  personnage  de  Shakespeare  dit  : 
c(  Combien   doucement  la  lumière  de  la  lune  dort  sur  ce 

i,  Winter,  894-901. 


ioi  JAMES  THOMSON. 

tertre  '  »,  la  personnification  suggérée  par  ce  verbe  est  si 
elTacée  que  l'esprit  ne  s'y  arrête  pas,  et  cependant  quelles 
vibrations  prolongées  cette  simple  note  éveille  dans  notre  âraeî 
Quand  le  roi  Lear  défie  la  tempête  :  «  Soufffez,  vents,  jusqu'à 
faire  éclater  «  vos  joues!  *  »  n'entendons-nous  pas  l'énergie 
violente  du  vieux  roi  dans  cette  personnification  rapide?  —  La 
poésie  des  anciens  est  pleine  d'efîets  de  cette  nature.  C'est  chez 
ceux  des  écrivains  modernes  qui  se  sont  le  plus  abondamment 
abreuvés  aux  sources  antiques  que  l'on  en  pourrait  relever  les 
plus  heureux  exemples  '. 

Thomson  en  fournirait  un  grand  nombre.  Si  quelques-uns 
reproduisent  des  alliances  devenues  banales  *,  si  quelques 
autres  trahissent  trop  directement  l'imitation  des  grands 
modèles  classiques  ^  beaucoup  au  contraire  sont  bien  person- 
nels et  sont  charmants,  évej^ent  d'un  seul  mot  une  vive 

1.  •  How  swcet  Uie  moonliglit  sleeps  upon  thîs  bank.  >» 

(The  Merchant  o/"  Venice,  V.  54.) 

■2.  •  Blow,  winds,  and  crack  your  clieeks!  > 

(King  Lear,  acte  UI,  se.  ii,  1.) 

3.  Pour  nous  borner  à  deux  citations  empruntées  à  des  poètes  trt-> 
divers,  n'y  a-t-il  pas  comme  un  subtil  parfum  de  la  poésie  grecque  dan? 
ces  vers  de  Milton  et  de  Coleridge  : 

«  Tlius  sang  tlic  uncouth  swain  to  the  oaks  and  riUs 
Whiie  the  still  moru  went  out  with  sandals  gray.  » 

(Lycidasy  186,  181.) 

u  And  Win  ter,  slumbering  in  the  open  air, 
Wears  on  his  smih'ng  face  a  drcam  of  Spring.  » 

{\Vork  withoui  kope.) 

4.  •  Tlic  grcy-grown  oaks  ~  Titat  the  calm  village  in  thcir  verdant 
arms  —  Sheltering  embrace»  •  (Suinmer,  225-227.) 

«  (The  lively  diamond)  Dares  as  it  sparkies  on  the  fair  oné*8  breast  — 
With  vain  ambition  emulate  lier  eyes.  •  (Ibid.,  145,  146.) 

«  Softer  gales  at  >vhose  kind  touch....  —  The  mountains  lift  Iheir  green 
heads  to  the  sky.  »  [Spring,  15  et  17.) 

•  Smiling  Nature.  •  (!bid.,  83.)  —  •  The  sighing  gales.  •  (Mirf.,  93.) 

•  The  North-East  spends  his  rage.  •  {Ibid.^  142.) 

-  Even  mountains,  vales  —  And  forests  seem,  impalienl,  to  demaud  — 
The  promiscd  sweetness.  »  (/6/V/.,  lô'-ifi'j.) 
Et  d'autres  passages. 

5.  tt  The  rosy-footed  May  —  Steals  blushing  on.  » 

(Spring,  488,  489.) 

H  Of  bloom  ethereal  the  light-footed  dews.  >» 

{Suminer^  123.) 
«  The  rosy-bosomed  Spring.  » 

(Spring,  1009.)  Etc. 


LES  «   SAISONS   ».   —  LA   LANGUE  ET  LE  STYLE.         453 

impression,  éclairent  et  colorent  Tample  période  du  poète  et 
piquent  rà  et  là  une  fleur  brillante  au  milieu  de  ses  vers  un 
peu  graves  et  raides.  Voici  le  matin.  Un  seul  mot  lui  prête  une 
vague  ligure  humaine,  et  suffit  à  nous  communiquer  Timpres- 
sion  de  douceur  sereine  d'une  matinée  d'été  :  «  L'aube  aux 
«  doux  yeux  paraît,  mère  des  rosées  *  ».  —  Par  un  eflfet  analogue 
le  poète  exprimera  le  sentiment  de  morne  oppression  d'un 
paysage  hivernal  :  «  Et  toujours  il  gèle,  jusqu'à  ce  que  le 
((  matin  se  levant  tard  sur  le  monde  accablé  soulève  son  («il  pâle 
u  et  sans  joie  ^  d.  —  La  a  nuit  sombre  »  n'est  pas  une  personni- 
fication ;  mais  quand  le  poète  nous  dit  qu'elle  a  se  retire  d'un 
pas  a  précipité  »,  à  l'idée  de  l'obscurité  qui  se  dissipe  se  mêle 
daiïs  notre  esprit  celle  d'un  marcheur  qui  hâte  le  pas  ^.  —  Com- 
bieïi  de  termes  descriptifs  faudrait-il  pour  placer  devant  nos 
yeux,  aussi  heureusement  que  le  fait  une  simple  épithète 
morale,  la  splendeur  du  soleil  levant?  «  Mais  voici  venir  joyeux 
«  à  l'orient  le  puissant  roi  du  jour  *.  »  —  Les  cours  d'eau  ont 
été  bien  des  fois  comparés  à  des  êtres  humains.  La  comparaison 
chez  Thomson  est  sobre,  et  elle  est  particulièrement  bien  venue 
dans  ce  passage  de  1'  a  Été  »  qui  nous  montre  la  nature  hale- 
tante sous  l'ardeur  du  soleil  :  a  Les  ruisseaux  même  semblent 
«  de  loin  languissants,  —  ou  bien  on  croirait  qu'ils  se  précipi- 
te tent  impatients  à  travers  la  clairière  découverte  —  pour 
H  gagner  l'abri  du  bois  \  »  —  Un  simple  vers  du  «  Printemps  » 
nous  fait  comprendre  avec  quel  bonheur  un  trait  de  personni- 
fication rapide  peut  compléter  une  description  des  apparences 
visibles  :  «  Humide,  brillant  et  vert  tout  le  paysage  rit  au  loin  •  ». 
Les  nuages  et  les  aspects  du  ciel  sont  pour  notre  poète  l'occasion 
de  plusieurs  de  ces  expressions  qui  suggèrent  sans  emphase 
la  présence  d'une  vie  et  d'un  sentiment  dans  les  choses  :  a  Les 
41  nuages  abaissés  vers  le  sol  cachent  le  noble  visage  du  jour  "  ». 

i.  Summer,  47. 

2.  \Mntei\  "U-7i3.  —  A  comparer,  chez  un  de  nos  poètes  : 

't  Lorsque  la  froide  pluie  enlin  s'en  est  allée, 
El  <iue  le  ricl  gaioiont  ouvre  son  bel  œil  bleu.  '> 

(Tu.  GAi.TiEn,  Paysayes.) 

:i.  Même  elTcl  plus  bref  encore  dans  Coleridge  : 

u  Al  one  slride  cornes  tli<*  dark.  » 

{The  Ancienl  Mariner.) 

4.  Summer,  8!,  82.  -  5.  M/W.,  iiT-ino.  -  G.  Spring,  196.  —  7.  WltUery 
«0,  81. 


454  JAMES  THOMSON. 

Il  y  a  même  un  degré  d'humanisation  plus  marqué,  propre  à 
faire  songer  à  Shelley,  le  magicien  qui  a  répandu  partout  la 
vie  parmi  les  êtres  de  la  nature,  dans  des  expressions  telles  que 
celles-ci  :  a  Les  nuages  chancelants  —  hésitent  comme  pris  de 
«  vertige,  et  ne  sachant  pas  —  à  quel  maître  obéir  *  ».  — t  Les 
«  nuages  mêlés  —  aux  étoiles  qui  glissent  rapides,  fuient  sur  le 
«  ciel.  —  Toute  la  nature  chancelle  *.  »  —  «  Les  nuées  fati- 
cc  guées  se  réunissent  lentement  et  s*amassent  en  ténèbres 
«  massives  '.  d 

Mais  il  n'y  a  guère  dans  ces  expressions  que  le  degré  de  per- 
sonnification impliqué  dans  toute  métaphore  qui  institue  com- 
paraison avec  un  être  humain.  Pour  les  personnifications  pro- 
prement dites,  nous  avons  vu  que  si  quelques-unes  chez  notre 
auteur  sont  poétiques  et  brillantes  —  celles  en  particulier  qui 
conservent  un  caractère  flottant  et  indéterminé,  —  beaucoup 
au  contraire  ne  s'élèvent  pas  au-dessus  du  niveau  de  ces  figures 
insignifiantes,  ornements  factices  et  d'usage  banal  qui  emplis- 
sent le  magasin  d'accessoires  de  la  poésie  du  xviir  siècle. 
Notons,  pour  terminer  cette  partie  de  notre  étude  par  un  éloge 
accompagné  de  moins  de  restrictions,  que  Thomson  ne  mêle 
pas  la  mythologie  à  ses  descriptions.  Les  signes  du  Zodiaque 
figurent  dans  son  poème,  et  C/ette  astronomie  fabuleuse  est 
pour  nous  dénuée  de  tout  intérêt.  Mais  rien  n'était  alors  plus 
naturel  ni  plus  familier  aux  lecteurs  *.  Quant  à  ces  dieux  que 
peintres,  graveurs  et  poètes  faisaient  couramment  descendre 
du  ciel  pour  les  mêler  aux  scènes  de  la  vie  rustique,  Thomson 
n'a  pas  de  place  pour  eux  dans  ses  paysages.  Il  a  compris 
l'absurdité  de  ces  cacophonies  contre  lesquelles  Reynolds 
élèvera  plus  tard  la  protestation  de  son  robuste  bon  sens  *.  Les 

1.  Winter,  121-123.  —  2.  Ibid.y  195-197.  —  3.  Winler,  202,  203. 

4.  a  Le  Soleil  sorl  du  Bélier,  et  le  Taureau  brillant  le  reçoit  »  {Printemps^ 
20,  2").  —  •  Quaad  les  Gémeaux  cessent  d'être  embrasés  et  que  le  Cancer 
rougit.  »  {Ét^,  43.)  «  Qiiaud  la  Vierge  brillante  nous  donne  les  jours 
splendides  et  que  la  Balance  pèse  Tannée  daus  ses  plateaux  équilibrés.  • 
(Automne,  28.)  •  Maintenant  que  rArcIier-Cenlaure  cède  au  Capricorne 
Tempire  désolé  du  ciel.  »  {Hiver,  41.)  C'étaient  là  façons  de  parler  ordî* 
naires  et  aussitôt  comprises.  Le  sobre  Pope  les  employait  aussi  : 

•  Now  Cancer  glows  wilh  Phœbus'  fier  y  car.  * 

[Windsor  Foi^st,  147.) 

•  Now  bright  Arcturus  glads  llie  teeming  grain.  » 

(Autumn,  72.) 

5.  Sir  J.  Reynolds,  The  Fowteenth  Discourse,  t.  I[,  p.  90,  91. 


LES  «  SAISONS  ».  —   LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    455 

c  Saisons  Jt  du  poète  anglais  ne  renferment  rien  que  nous 
puissions  comparer  à  ces  vers  où  Saint-Lambert,  son  imitateur 
français,  fait  intervenir  de  façon  si  saugrenue  une  des  déesses 
païennes  : 

Il  apprendra  cel  art  de  choisir  les  engrais. 
Ce  grand  art  qu'à  Townsliend  a  révélé  Cérès  '. 


IV 


Ije  phrase  et  la  période  poétiques. 

Opposition  avec  la  langue  de  Pope,  La  liberté  ramenée  dans 
le  style.  —  L'étude  de  la  grammaire  et  des  procédés  de  rhéto- 
rique de  Thomson  ne  nous  a  pas  fait  constater  chez  lui  Tindé- 
pendance  audacieuse  qui  se  manifestait  dans  le  choix  de  son 
sujet  et  dans  le  plan  de  son  poème.  Nous  allons  au  contraire 
retrouver  un  même  affranchissement  des  influences  régnantes 
et  une  même  initiative  féconde,  en  étudiant  les  formes  de  sa 
phrase  et  de  sa  période  poétiques.  Alors  que  le  poème  s'élabo- 
rait, le  prestige  souverain  de  Pope  semblait  avoir  donné 
Texemple  et  le  précepte  de  ce  qui  devait  être  à  titre  défmitif  la 
langue  de  la  poésie.  L'œuvre  presque  entière  du  maître  est 
écrite  en  distiques  rimes.  A  force  de  condensation,  d'efforts 
successifs  vers  une  netteté  toujours  plus  brillante  et  plus  inci- 
sive, l'école  était  arrivée  à  la  perfection  de  cette  forme  d'art. 
La  phrase  brève,  rapide  et  frappante  est,  il  est  vrai,  saccadée, 
monotone,  étriquée.  C'est  une  pierre  taillée  avec  une  irrépro- 
chable habileté;  mais  de  ses  vives  arêtes  et  de  ses  facettes  bril- 
lantes il  ne  jaillit  qu'un  éclat  sans  chaleur.  Toute  phrase  ren- 
ferme au  moins  un  trait.  La  pensée  procède  par  un  perpétuel 
balancement  d'antithèses.  Antithèse  entre  les  deux  vei*s  du 
distique  ou  les  deux  hémistiches  du  vers  ;  parfois  aussi  entre 
les  diverses  épithètes  appliquées  à  un  même  terme,  ou  entre 
les  différents  termes  d'une  énumération.  Tout  le  talent  d'un 
écrivain  comme  Pope  ne  peut  sauver  de  la  monotonie  et  de  la 

4.  L* Automne. 


456  JAMES  THOMSON. 

froideur  une  langue  ainsi  faite  de  procédés  et  d'effets  extérieurs, 
toute  artificielle  et  convenue. 

Thomson  n'y  chercha  pas  son  modèle.  Il  comprit  que  les 
ingénieux  distiques  de  Pope  pouvaient  convenir  pour  exprimer 
les  pointes  spirituelles  du  critique  ou  les  traits  mordants  du 
satiriste;  mais  que  ce  n'était  pas  là  une  forme  poétique  dont 
pût  s'accommoder  la  description  inflniment  variée  des  spec- 
tacles du  monde.  La  symphonie  de  la  nature  ne  pouvait  se 
jouer  sur  le  grêle  instrument  où  Pope  montrait  sa  virtuosité.  Il 
fallait  au  poète  des  «  Saisons  »  un  autre  vers  qu'au  poète  des 
salons  et  des  cénacles  littéraires.  C'est  à  Milton  que  Thomson 
demanda  le  modèle  d'une  langue  ample  et  souple,  riche  et 
majestueuse,  capable  aussi  de  grâce  et  d'intimité.  Jamais  notre 
poète  n'a  hésité  sur  ce  point.  Son  propre  génie  et  son  admira- 
tion pour  Milton  lui  fournissaient  dès  le  début  la  forme  d'ex- 
pression qui  seule  pouvait  s'adapter  à  son  sujet.  La  première 
édition  de  1'  a  Hiver  Dnous  montre  Tauteur  en  pleine  posses- 
sion de  son  style,  avec  tous  les  caractères  par  où  il  se  distingue 
si  fortement  de  la  langue  alors  en  usage  :  vers  blanc,  variété 
des  coupes,  période  volontiers  large  et  nombreuse,  régularité  du 
rytlime,  élévation  soutenue  du  ton,  qui,  en  quelques  occasions, 
fait  place  à  une  fraîche  simplicité,  qui,  plus  souvent,  s'exagère 
jusqu'à  devenir  tendue  et  emphatique.  Ici  encore  c'est  bien  une 
révokition  qu'opère  Thomson,  et  elle  a  pour  mot  d'ordre  la 
liberté  ramenée  dans  la  langue  poétique. 

La  suppression  de  la  rime  est  dans  cette  voie  le  premier  pas 
et  le  plus  important.  Elle  est  une  des  conditions  qui  permet- 
tront l'assouplissement  du  rythme  poétique  par  l'usage  des 
coupes  variées,  du  rejet  et  de  Tenjambement.  On  pourrait  ciler 
sans  doute  des  poètes  chez  qui  le  vers  non  rimé  s'associe  au 
groupement  par  distiques,  ou  tout  au  moins  conser\'e  dans  les 
périodes  plus  prolongées,  des  divisions  de  sens  correspondant 
à  la  division  des  vers.  Le  vers  blanc  de  Marlowe  et  des  pre- 
mières œuvres  dramatiques  de  Shakespeare  est  un  exemple  bien 
connu.  Mais  Thomson,  comme  pour  accentuer  son  opposition 
à  la  forme  en  vogue,  a  voulu  tirer  du  vers  sans  rime  tout  ce 
qu'il  comporte  de  liberté  dans  l'allure  de  la  phrase  et  dans  la 
coupe  des  vers. 

Les  1170  vers  du  a  Printemps  »  renferment  135  phrases  dont 
la  fin  coïncide  avec  la  lin  d'un  vers,  et  1013  qui,  au  contraire,  se 


LES  «   SAISONS  ».  —  LA   LANGUE   ET   LE  STYLE.         487 

terminent  dans  le  corps  du  vers.  C'est  pour  les  premières  une 
proportion  de  9/7.  Dans  V  «  Essai  sur  THomme  d  de  Pope,  les 
294  vers  de  la  «  Première  Épître  »  contiennent  85  phrases  qui 
se  terminent  avec  le  vers,  et  7  qui  prennent  fin  au  milieu  d'un 
vers  *.  C'est  une  porportion  de  85/7. 

Cette  liberté  dans  la  coupe  reste  un  des  caractères  du  style  de 
Thomson  même  lorsque  nous  le  comparons  aux  écrivains  qui 
ont  plus  ou  moins  imité  la  langue  des  a  Saisons  ».  Dans  le 
a  Dernier  Jour  »  de  Young  la  division  des  vers  et  des  phrases 
est  aussi  régulière  que  chez  Pope.  Dans  les  «  Nuits  »,  posté- 
rieures aux  «  Saisons  »  et  qui  en  reflètent  l'influence,  il  y  a  un 
peu  plus  de  souplesse;  mais  un  calcul  analogue  à  celui  que 
nous  établissions  plus  haut  donnerait  pour  les  chutes  de  phrase 
à  la  fin  du  vers  une  proportion  moyenne  de  56/7  '.  —  Shcn- 
stone  est  un  des  écrivains  sur  qui  s'est  exercée  fortement  l'ac- 
tion de  l'auteur  des  «  Saisons  ».  Dans  son  a  Poème  à  Lyttelton 
sur  la  mort  de  Thomson  »,  et  dans  les  510  vers  de  son  «  Juge- 
ment d'Hercule  »,  il  n'y  a  pas  une  phrase  dont  la  fin  ne 
coïncide  avec  la  fin  d'un  vers  ^ 

Cette  forme  poétique,  si  opposée  à  la  formule  alors  consa- 
crée, n'est  pas  du  reste  une servile imitation  du  vers  de  Milton. 
Thomson  s'est  fait  une  manière  qui  est  bien  à  lui.  On  sera 
rarement  tenté  de  confondre  une  de  ses  périodes,  soit  avec 
celles  du  grand  poète  qui  fut  son  maître,  soit  avec  celles 
des  écrivains  nombreux  auxquels  il  a  lui-même  servi  de 
modèle. 

Son  style  n'a  pas  le  caractère  semi-archaïque  ni  la  teinte  de 
pédantisme  du  style  de  Milton.  Sans  doute  il  y  fait  abus  des 
mots  latins.  Mais  ce  défaut  chez  lui  ne  saurait  être  comparé  à 
Teffort  de  Milton  pour  latiniser  à  outrance  son  langage.  Le 
poète  du  <L  Paradis  Perdu  »,  faisant  violence  au  génie  de  l'an- 
glais, recherche  avec  complaisance  des  constructions  toutes 


1.  Kncore  sur  ces  sept  exemples  n'y  en  a-t-il  que  deux  qui  constituent 
véritablement  un  rejet  (v.  07,  08  et  241,  242;. 

Dans  une  œuvre  d'une  autre  période,  les  108  vers  du  «  Messie  »  donne- 
raient ane  propoilion  bien  plus  forte  encore.  Une  seule  phrase,  sur  33,  se 
termine  autrement  qu'à  la  fin  du  vers.  Ce  serait  une  proportion  de  224/7. 

2.  Dans  The  Last  Day,  1'*  Bk.,  51  fins  de  phrases  normales  contre 
\  rejets,  proportion  91/7.  Dans  les  300  premiers  vers  de  la  IX"  Nuit 
«<>  phrases  du  premier  type  contre  13  de  l'autre. 

3.  U  est  vrai  que  ces  poèmes  sont  rimes. 


488  JAMES  THOMSON. 

latines  et  verse  dans  sa  langue  tout  le  vocabulaire  de  la  langue 
savante,  si  bien  que  ce  maître  de  Tanglaîs  nous  fait  souvent 
refîet  d'un  homme  qui  aurait  pensé  en  latin.  Mais  Thomson  n'a 
pas  non  plus  cette  naïveté  sublime  qui  chez  Milton  fait  com- 
pensation à  l'intervention  un  peu  pédantesque  d'un  humaniste 
trop  savant  *.  Il  n'a  pas  ces  répétitions  ou  ces  gaucheries  que 
le  grand  poète  a  dédaigné  d'effacer,  dont  la  simplicité  repose 
parfois  de  l'effort  et  de  la  tension  d'une  partie  du  poème.  Les 
a  Saisons  i>  ne  nous  laissent  pas  cette  impression  de  spontanéité 
qui  se  dégage  du  a  Paradis  Perdu  d  malgré  tant  d'érudition  et 
tant  de  latin.  Tliomson  ne  pourrait,  comme  son  maître,  parlerde 
r  «  inspiration  facile  qui  vient  à  ses  chants  improvisés  *  ».  Le 
résultat  de  ce  travail  infatigable  par  lequel  notre  poète  a  ron, 
corrigé,  poli  et  développé  son  œuvre  pendant  plus  de  vingt  ans, 
c'est  une  phrase  poétique  remarquablement  riche  et  variée, 
mais  où  l'effort  et  la  manière  se  sentent  très  souvent. 

La  variété,  que  nous  signalons  comme  un  de  ces  caractères, 
n'est  pas  une  qualité  que  l'on  s'accorde  toujours  à  constater 
chez  lui.  Il  l'a  recherchée  cependant  ',  et  il  ne  serait  pas  juste 
de  la  lui  dénier  entièrement.  Des  formes  diverses  que  revél  sa 
phmse,  le  lecteur  conserve  surtout  le  souvenir  de  la  période 
large  et  nombreuse  à  laquelle  on  a  attaché  son  nom.  Mais  la 
«t  période  Ihomsonienne  »  n'est  pas  l'unique  moule  où  se  fonde 
la  pensée  du  poète.  Qu'on  relise  les  pages  où  il  s'attache  à  la 
description  de  scènes  familières.  On  y  trouvera  plus  d'une  fois 
un  style  simple,  une  phrase  brève  et  dégagée,  qui  font  con- 
traste avec  la  pompe  ou  les  effets  déclamatoires  de  tant  d'autres 


1.  Voir,  par  exemple,  les  quarante-sept  premiers  vers  du  livre  IX  du 
•  Paradis  Perdu  »,  cette  sorte  de  préface  apologétique  où  le  poète  justifie 
le  choix  de  son  sujet  et  la  nature  de  son  inspiration,  et  exprime  sa 
crainte  de  ne  pas  trouver  un  style  digne  de  sa  tentative. 

2.  •  If  answerable  style  I  can  oblain 

Of  my  celestial  patroness,  who  deigns 
Her  niglitly  Visitation  uniniplor'd. 
And  dictâtes  to  me  slumbViug,  or  inspires 
Kasy  my  unpremedilated  verse.  » 

Paradise  Lost,  Bk.  IX,  20-24.) 

3.  Oh!  pour 

The  mazy-runniug  soui  of  melody 
Into  my  varied  verse. 

Spnng,  575.517.) 


LS8  ^  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         459 

• 

passages  *.  C'est  bien  aussi  du  Thomson,  et  du  meilleur,  que 
ces  morceaux  :  la  construction  des  nids  -,  la  description  de  la 
basse-cour  ',  les  effets  produits  à  la  ferme  par  Taccablante  cha- 
leur de  midi  ^  ou  le  repos  du  berger  et  de  son  troupeau  ^  ;  ou 
J'épisode  célèbre  du  rouge-gorge  *,  —  pour  rappeler  seulement 
quelques-uns  des  plus  connus  parmi  les  passages  familiers  et 
d'une  grâce  facile. 

Le  contraste  de  phrases  brèves  et  d'amples  périodes  est  quel- 
quefois pour  Thomson  l'occasion  d'effets  heureux.  Dans  la  des- 
cription d'un  paysage  d'automne  noyé  par  la  pluie,  une  phrase 
sobre  d'un  seul  vers,  «  Bientôt  les  fossés  s'emplissent  et  les 
«  prairies  sont  noyées  »,  est  suivie  d'une  période  de  sept  vers 
qui  doit  à  cette  opposition  une  partie  de  sa  valeur  descriptive  ^. 
—  Il  va  certainement  un  contraste  voulu  entre  les  courtes 
phrases  par  lesquelles  un  passage  de  1'  a  Été  »  célèbre  la 
beauté  et  les  bienfaits  du  soleil,  et  l'ample  développement  de 
dix  vers  où,  aussitôt  après,  se  déroule  une  apostrophe  au 
Créateur*. 

Le  poète  du  reste  a,  pour  cette  phrase  oratoire  large  et  sou- 
tenue, une  évidente  prédilection.  C'est  dans  l'habileté  avec 
laquelle  il  manie  cette  forme  de  style  complexe,  aux  séductions 
dangereuses,  que  réside  un  de  ces  principaux  mérites  comme 
écrivain.  Les  exemples  de  périodes  pleines  sans  redondance, 
riches  sans  lourdeur  et  prolongées  sans  obscurité  pourraient 
être  multipliés.  Contentons-nous  d'en  citer  comme  type  cette 
phrase  de  1'  «  Automne  t>  qui  se  déroule  en  trente-deux  vers  et 
qui,  sans  fatigue  et  sans  monotonie,  grâce  à  la  clarté  de  la 
construction  et  aux  heureuses  variations  du  mouvement,  con- 
duit le  lecteur,  par  une  progression  soutenue,  jusqu'au  vers 
qui  résume  et  clôt  la  période  •. 

1.  Des  phrases  telles  que  celles-ci  sont  nombreuses,  mais  elles  sont  un 
peu  êtoufTées  sous  les  grandes  pt^riodes  : 

MoisL  bri^ht.  (md  green.  the.landscape  laughs  uroimd. 

{Spring,  19»».) 
Tis  silence  ail 

And  pieasiug  expectation. 

{Ibid.,  irtO,  161.) 

2.  Ibid.,  630-659.  —  3.  Ibid.,  763-787.  —  4.  Summer,  220-240.  -  Ji.  Ibid.. 
480-503.  —  6.  Winter,  245-256.  —  7.  Auiumn,  336-343.       8.  Ibid,,  160-184. 

9.  And  bade  him  be  llie  lord  of  ail  below. 

{Atttumn,  63-95.) 


460  JAMES  THOMSON. 

Nous  insistons  sur  ces  considérations  parce  qu'il  y  a  là  une 
face  du  talent  de  Thomson  qui  n'a  pas  toujours  été  appréciée 
à  sa  réelle  valeur.  L'auteur  des  «  Saisons  »  est  un  artisan  de 
vers  d'une  extrême  habileté.  Il  peut  à  cet  égard  soutenir  li 
comparaison  avec  les  plus  grands  parmi  les  poètes  an^ 
dont  les  sujets  et  la  forme  présentent  quelque  analogie  a>"ec 
son  (puvre,  avec  Milton  et  avec  Wordsworth.  Ses  périodes  ne 
vont  pas  se  perdre  dans  cette  obscurité  où  s'égare  parfois  h 
phrase  luxuriante  de  Milton.  Elles  ne  sont  pas,  comme  il 
ariive  à  celles  du  maître,  surchargées  d'incidentes;  on  ne  les 
voit  pas  faire  effort  pour  dérouler  avec  peine  leurs  replis  mul- 
tiples. Et  d'autre  part  les  vers  de  Thomson  conservent  toujours 
dans  l'ensemble  une  harmonie  du  nombre  et  une  résonance 
musicale  que  n'offrent  plus  ceux  de  Wordsworth  dans  bien  des 
passages  prosaïques.  Cette  aptitude  à  revêtir  d'une  forme  riche 
et  poétique  toute  pensée  et  la  description  du  moindre  objet 
<.'st  celle  à  laquelle  Johnson  faisait  sans  doute  allusion,  quand 
il  déclarait  que  Thomson  voyait  en  toute  chose  de  la  poésie'. 

Il  n'y  a  pas  lieu  du  reste  à  tirer  de  cette  comparaison  des 
conclusions  exagérées.  Thomson  n'est  assurément  pas  un  plus 
grand  poète  que  Milton  ou  que  Wordsworth.  Peut-être  même 
est-il  juste  de  dire  que,  si  sa  facture  est  parfois  supérieure  à 
celle  de  ces  deux  maîtres,  c'est  parce  que  chez  lui  Tinspii-alion 
artistique  est  moins  puissante  et  moins  spontanée.  On  sent,  à 
la  lecture  du  «  Paradis  Perdu  d,  qu'il  y  a  conformité,  simulta- 
néité parfaites  dans  l'élaboration  de  la  pensée  et  du  langa<:e 
qui  l'exprime.  On  sent,  à  lire  a  l'Excursion» ou  «  le  Prélude», 
que  la  pensée  de  Tauteur  est  toute  lixée  sur  les  idées  à  traduire 
ou  sur  les  scènes  à  retracer.  Son  austère  probité  d'écrivain 
exprime  de  la  faron  la  plus  directe  et  la  plus  simple  l'image  ou 
ridée  qui  le  hante.  —  Limpression  produite  par  les  «  Saisons  * 
n'est  pas  toujours  analogue  à  celle-là.  Le  procédé  de  compo- 
sition poétique  en  parait  souvent  moins  sincère.  Au  lieu  que 
le  fond  et  la  forme  soient  indissolublement  liés  comme  chez 
Milton;  au  lieu  que  la  langue  et  le  vers  paraissent  absolument 
subordonnés  au  fond  comme  chez  Wordsworth,  il  semble  que 
chez  Thomson  la  forme  égale  en  importance  la  pensée  dans  les 
préoccupations  et  dans  le  travail  de  Tartiste.  On  est  tenté  de 

1.  Voir  Boswell's  Life  of  Johnson,  11  avril  m6. 


LES  «   SAISONS   ».   —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         461 

ire  que  la  musique  de  la  phrase  préexiste  dans  son  esprit. 
)t  elle  qui  sollicite  la  pensée,  et  celle-ci  vient,  non  pas. 
jours  sans  effort,  remplir  le  moule.  On  peut  aloi^s  en  arriver 
3gretter  les  longueurs,  les  obscurités  et  les  gaucheries  de 
ton,  ou  la  simplicité  prosaïque  de  Wordsworth. 
lette  façon  de  composer  de  Thomson,  ce  n'est  pas  seulement 
î  impression  générale  laissée  par  la  lecture  de  son  poème 

la  révrle;  on  en  peut  noter  quelques  indices  très  précis. 
1  est  un  certain  nombre  de  modèles  de  phrases  qui  revieu- 
U  sans  cesse  dans  les  «  Saisons  id.  C'est  un  cadre  tout  fait 

doit  se  placer  tant  bien  que  mal  la  pensée.  Le  poète  a, 
•  exemple,  une  prédilection  spéciale  pour  une  construction 
is  laquelle  un  déterminatif  du  sujet  termine  la  phrase.  Tantôt 
sujet  lui-même  est  à  peu  de  distance  de  ce  déterminatif, 
tôt  au  contraire  (et  c'est  alors  surtout  que  le  mouvement 
la  période  est  caractéristique),  le  sujet  est  placé  au  début. 

But  yondcr  cornes  tlic  poworfui  kinj^  of  dav 
hejoicirnj  in  thceast,  The  lessening  cloiid, 

The  kindling  azure 

his  ncar  approaoh 

Betoken  glad  K 

Ile  sheds  Ihe  shilling  day,  thaï  huniished  plays 

On  rocks,  and  hills,  and  towcrs,  and  wandering  slrcanis 

ïliyh  gleamhifj  from  a  far  *. 

.  .  .  her  dreadful  Ihundcr  hcnce 
Rides  o*cr  Ihe  waves  aublime  '. 

away  they  fly 

Affectionate  ♦. 

Tins  onc  glad  oflice  more,  and  now  dissolves 
Parental  love  al  once,  now  needlcsa  grown  ^. 

In  Ihe  pond 

The  finely  checkered  duck  bcibrc  her  train 
Rows  gairuloita.  The  stately  sailing  swan 

Bears  forward  ficicc  ^. 

The  house  dog,  wilh  the  vacanl  greyhoiind  lies 
Out-siretched  and  siecpy  '. 

And,  lixing  in  the  wrelch  his  cruel  fangs, 
Strikes  backward.  grimUj  plcascd  '. 

Summer,  81-85.  —  2.  Ibid.,  88-90.  —  3.  Ifnd,,  428-429.  —  4.  Spring. 
676.  —  5.  Jbid,,  731,  732.  —  6.  /6irf.,  775-780.  —  7.  Snmmc).,  •J32,  233. 
.  Ibid,,  277,  278. 


462  JAMES  THOMSON. 

Ce  complément  ainsi  rejeté  à  la  fm  de  la  phrase  prend  pa 
lois  un  développement  considérable. 

The  food  of  man 

While  yet  lie  lived  in  innocence,  and  told 
A  lengtli  of  golden  years,  unfleshed  in  blood, 
A  stranycr  to  the  savage  arts  of  life, 

The  hrd,  and  not  the  tyrant  of  the  world  *. 

The  mountain  brow 

Where  sils  Ihe  shepherd  on  the  grassy  turf, 
Inhaling  healthful  the  descending  sun  ^. 

Where  gloomily  retired 

The  villain  spider  lives,  cunning  and  fiei^ce. 
Mixture  abhorred  ='/ 

Ce  déterminatif  du  sujet  vient  dans  d'autres  cas  se  place 
début  de  la  phrase.  La  suspension  de  sens  ainsi  obtenue, 
qu'à  ce  que  paraisse  le  sujet  reporté  quelquefois  à  la  fm,  es 
des  effets  le  plus  fréquemment  recherchés  par  le  poète. 

Hence  al  eve, 

^teamcil  eager  froni  the  red  horizon  round, 
Wilh  the  (\orce  rage  of  winler  deep  au/fused, 
An  icy  gale,  ol't  shifting,  o'er  the  pool 
Hrealhes  a  blue  film  *. 

Projrcted  hugc  and  horrid  o'er  the  surgc 
Alps  frown  on  Alps  ■*. 

While,  full  of  death^  and  fierce  wilh  lenfold  frost, 
The  long  long  night,  incumbent  o'er  their  heads, 
Falls  horrible  *. 

Subdued 

The  frost  résolves  into  a  Irickling  thaw. 
Spolfed  the  mountains  shinto  ''. 

C'est  surtout  au  commencement  des  paragraphes  que 
raît  cet  artifice  de  style.  Il  y  a  là  comme  un  moyen  d'à 
l'attention  du  lecteur  par  cette  suspension  du  sens.  Mais 
l'abus  du  procédé  en  émousse  l'effet.  Il  semble  que  ce  s 
propre  verve  et  sa  a  muse  haletante  *  »,  que  le  poète  épi 
Je  besoin  de  stimuler  pour  un  effort  vigoureux.  Les  exei 

\.  Spring,  235-240.  —  2.  Ibid.,  831-833.  —3.  Jbid.,  268-270.  —4.  V 
720-124.  —  5.  Ibid,,  909,  910.  —  6.  Ibid,,  923-925.  —  7.  /6irf.,  989-î 
8.  -  My  panling  muse  »  {Spring,  573). 


LES  «   SAISONS  ».   —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.         463 

suivent  sont  tous  des  débuts  de  paragraphes;  tous  sont 
'untés  au  même  chant  ;  et  ite  ne  sont  qu'un  choix  parmi 
(ju'on  y  pourrait  citer. 

Ry  wintry  famine  rouaed,  from  ail  Ihe  tract 
Of  horrid  niountains  which  thc  shiniiig  Alps 
And  wavy  Apennines  and  Pyrénées 
liranch  out  slupendous  into  distant  lands, 
Cruel  as  ileath  and  hungry  as  the  grave, 
Bnrning  for  blood,  bony,  and  gaunt,  and  grim, 
Assembling  wolves  in  raging  troops  descend  *. 

Among  those  hilly  régions,  ^vhere  embraced 
In  peaceful  vales  the  happy  Grisons  dwell, 
Oft,  rushing  sudden  from  thc  loaded  cliffs, 
Mountains  of  snow  their  gathering  terrors  roll  '. 

There,  tlirough  the  prison  of  unbounded  wilds, 
Hnrred  hy  thc  hand  of  Sature  from  escape, 
Wide  roanis  the  Russian  exile  ^. 

St il l  pressing  on,  beyond  Tornea's  lake, 
And  Hecla  flaming  through  a  wasle  of  snow, 
And  farthesl  Greenland,  to  the  pôle  itself, 
Wherc,  failing  graduai,  lii'e  ai  length  goes  ont, 
Thc  musc  cxpands  lier  solilary  flight  ♦. 

Thcnce  winding  eastward  to  the  Tartar's  coasl 
Shc  sweeps  thc  bowling  margin  of  the  main  *\ 

Muttering,  thc  winds  at  cve  with  blunted  point 
hlow  hoUow-blustcring  from  the  south.  Subdued 
The  frost  résolves  into  a  trickling  thaw  •. 

Wide  oVr  the  spacious  régions  of  tiie  north, 
That  see  Bootcs  urgc  bis  tardy  wain, 
A  boistcrous  race,  by  frosty  Caurus  pierced, 
Who  littlc  plcasurc  know  and  fear  no  pain, 
Prolific  swarm  '. 

And,  half  enlivencd  by  tiie  distant  sun 
(That  rears  and  ripcns  man  as  well  as  plants), 
Herc  human  nature  wears  its  rudest  form. 
Deep  from  thc  picrcing  scason  sunk  in  caves, 
llere  bydull  (ires  and  with  unjoyous  cbcer 
They  waste  the  tedious  gloom  •. 

is  ce  sont  les  fins  de  paragraphes  qui,  plus  encore  peut- 
ue  les  débuts,  font  apparaître  dans  le  style  de  Thomson 

inter,  389-395.  —  2.  lùid,,  414-417.  —  3.  Jtid.,  799-801.  —  4.  Itid., 
.  —  5.  lùid.,  902,  903.  —  0.  Jbid.,  988-990.  —  7.  Ibid,,  834-838.  — 
.,  938-943. 


464  JAMES  THOMSON. 

un  procédé  coutumier,  une  a  manière  "ty  une  forme  de  langage 
qui  préi»xiste  à  la  pensée  et  lui  est  imposée.  Après  ces  périodes 
prolongées  où  il  se  plaît  à  étaler  ses  développements,  il  semble 
vouloir  fermer  et  boucler  son  paragraphe,  li  fait  alors  appela 
une  plirase  concise,  d'une  seule  proposition,  qui,  en  un  vere 
sonore  amené  par  une  conjonction,  vient  clore  le  passage.  Au 
début  du  <(  Printemps  d,  six  paragraphes  de  suite  (du  qua- 
trième au  neuvième),  se  terminent  ainsi  par  une  phrase  à  effet 
qui  occupe  ou  la  fin  du  vers  ou  plutôt  encore  le  vers  entier  : 

Tlic  harrow  follows  harsli,  and  shuls  Ihe  scène  *. 
And  sing  thcir  wild  notes  lo  Ihe  listening  wasle  *. 
And  bc  the  cxhausdess  granary  of  a  world  ^i  etc. 

Dans  toutes  les  parties  du  poème  se  retrouve  l'emploi  de  ces 
vers  retentissants  à  la  fin  des  alinéas,  et  presque  toujours  ils 
reproduisent  un  même  modèle  de  construction. 

And  pour  untoiling  harvesl  o'er  Ihe  land  *. 

And  mark  his  beauteous  chequered  sides  with  gore  *. 

And  lay  the  meddling  sensés  ail  aside  *. 

And  murinur  hoarser  at  the  fixing  frost  ^. 

Parfois,  un  déterininatif  est  introduit  entre  la  conjonction  et 
le  verbe  : 

And  chcoricss  drown  the  crude  unripencd  year  •. 
\m\,  once  rojoicin^',  nevcr  know  them  more  •. 
And  in  unbounded  commerce  mixed  Ihe  world  *». 
And  in  loose  fragments  lling  Ihem  floaiing  round  **. 

Un  degré  d'emphase  plus  accentué  est  fourni  par  un  type 
de  vers  terminal  où  le  sujet  suit  immédiatement  la  conjonc- 
tion : 

An«l  Egypl  joys  benealh  the  spreading  wave  **. 
And  Océan  trembles  for  his  green  domain  '5. 
And  Mecca  saddcns  at  the  long  delay  *♦. 
And  Thule  bellows  through  her  utmost  isles  *". 
And  the  sky  saddens  with  the  gathered  storm  ". 

1.  Spring,  47.  —  2.  Ibid.,  25.  —  3.  Itid.^  70.  —  4.  Summet\  82i.  -- 
5.  Auttimn,  ij7.  —  6.  Winter,  208.  —  7.  Jbid.,  713.  —  8.  Spring^  141.  — 
9.  Ibid.,  753.  —  10.  Summer,  1012.  —  11.  Winter,  174.  —  12.  Summei, 
821.  --  13.  Ibid.,  859.  —  14.  Ibid.,  979.  —  15.  Ibid.,  1168.  —  16.  Winter.iî^, 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.  46S 
La  similitude  des  phrases  ne  se  borne  pas  à  l'uniformité  des 
luîtes;  elle  s'étend  (larrois  â  la  période  entière.  On  peut, 
onime  exemple,  noter  deux  paragraphes  de  1'  «  Hiver  »  qui 
ie  suivent  immédiatement  '.  Tous  deux  ont  même  nombre 
le  vers;  fous  deux  commencent  par  une  phrase  d'un  demi- vers, 
suivie  d'une  phrase  d'un  vers  et  demi  : 

lluiia  uproar  lonls  it  wiAc.  Tiic  clouds  commixcd 
Wilh  star?  swilt-^liilin);  swecp  along  the  sky. 
As  ycl  'tis  mldniglit  ilccp,  The  wcory  clouJs 
Slotv-ineeting,  mjii{;lc  inlo  nolid  gloom. 

Et  tous  deux  se  terminent  par  un  septième  vers  qui  se 
di'taclie,  isolé  du  reste,  dans  le  mouvement  de  la  période. 

Mais  lors  mrme  que  l'impression  de  monotonie  n'est  pas 
accrue  par  cet  exact  parallélisme  des  plirases,  cette  chute  sur 
un  vers  retentissant,  de  modèle  si  uniforme,  est  un  procédé 
dont  le  poète  a  l'ait  un  regrettable  abus.  Au  cours  du  para- 
graphe nous  prévoyons  et  attendons  l'effet  saillant  réservé  pour 
la  fin.  Kt  ce  vefs  sonore  qui  vient  signaler  le  terme  d'un  déve- 
loppement, nous  fait  un  peu  l'effet  de  ce  «  han  !  »  final  qu'a  noté 
maître  Itabelais  che^  l'ouvrier  (|ui  achève  un  travail  fatigant. 

Ces  défauts  très  apparents  du  style  de  Thomson  ne  doivent 
pas  nous  faire  oublier  les  précieuses  conquêtes  que  lui  dut  la 
langue  de  la  poésie.  .Nous  avons  rappelé  comment  il  y  avait 
ramené  la  liberté  du  rythme.  Il  nous  reste  à  dire  quels  effets  il 
a  BU  tirer  de  cette  coupe  plus  souple  et  plus  variée  des  vers. 
Kpuiser  cette  étude,  ce  serait  analyser  chacune  des  phrases  du 
poème.  Nous  nous  bornerons  à  quelques  indications  sur  les 
formes  les  pluscaralêristlques. 

Tous  les  effets  de  cette  niture  peuvent  se  ramener  à  deux 
types,  selon  qu'ils  sont  dus  à  la  continuité  du  sens  d'un  vers 
au  suivant,  ou  à  l'arrêt  de  la  phrase  avant  la  lin  d'un  vers,  — 
Le  premier  effet  à  attendre  d'un  prolongement  de  la  phrase 
par  enjambemeni,  c'est  l'itnpresssion  d'un  mouvement  rapide. 
C'est  bien  l'effet  que  se  proposent  des  vers  tels  que  ceux-ci  : 

Lf  iid  me  j'Oiir  soiiff,  ye  1%'hliiigiiU'--:  ;  oh  pour 
The  maij-ninniiig  soûl  of  melorlv 
Into  mv  varieii  verse  '. 

1.  Winler,  ISD-aOB.  —  2.  Sprint,,  '^ri-â',1. 


466  JAMES  THOMSON. 

Now  'tis  nought 

But  resticss  hurry  through  llie  busy  air 
Beat  by  unniiinhered  wings.  The  swallow  swecpi» 
The  slimy  pool,  to  huild  his  hanging  house 
Inleiit». 

The  surging  air 

Roceives  the  plumy  bunlen  '. 

And  neighing,  on  Ihe  aërial  summit  lakes 

The  exciling  gale  ;  thin,  deep-descending,  clcaves 

The  headlong  torrents  foaming  down  the  hills  '. 

At  lirst  the  groves  are  scarcely  scen  to  stir 
Their  tremhling  tops  *. 

Throw  the  broad  ditch  behind  you;  o'er  Ihe  hedp* 
Iligh  bound  resistless  '. 

Then,  down  at  once 

Precipilant  descends  a  ininglcd  mass 

Of  roaring  winds  and  flame  and  rushing  floods  "î. 

not  a  brcath 

Is  hcard  lo  qiiiver  through  the  closing  woods. 
Or  rustling  lurn  Ihe  many-twinkling  leaveîî 
Of  aspen  tall  '. 

Ilow  in  his  mid  career,  the  spaniel,  struck 
Stiff  by  the  lainted  gale,  with  open  noso 
Out-stretched  *.... 

Througli  the  hushed  air  the  ^vhitening  shower  desceiui-. 
At  first  thin-wavering;  till  at  last  the  flakcs 
Fall  broad  and  wide  and  fast,  dimming  the  day 
With  a  «Mjntinual  flow  «. 

S'agit-il,  au  contraire,  de  communiquer  une  impressio 
lenteur  ou  de  majesté,  ou  simplement  de  donner  à  un  te 


\,  Spriny,  Goi-65o. 

2.  Ibid,  743,  746.  —  Ces   deux    hémistiches,  d'un   elTet  charmant, 
a  opposer  aux  critiques  qui  n'ont  pas  su  voir  ce  que  le  vers  de  Tho 
peut  prendre,  à  roccasion,  de  grAce  légère.  Ce  n*e8t  pas  seulement 
rejet,    mais  aussi    le  rythme  balancé   de  la   phrase,   et  jusqu'aux 
labiales  des  derniers  mots,  qui  donnent  à  cette  courte  phrase  une  v 
d'expression  parfaite. 

3.  Sprinff,  814-816.  —  4.  AtUnmn,  313,  314.  —  o.  /AiV/,  475,  4"; 
6.  Summer,  904-906.  —  7.  Spring,  lo.'J.   156.  —  8.  AtUumn^  363-365. 

9.  Winler^  229-232.  —  L'effet  de  rapiiiité  produit  dans  ces  beaux 
descriptifs  par  les  deux  rejets  et  par  l'accumulation  des  conjonction 
encore  accru  par  le  contraste  du  début,  lent  et  hésitant  comme  les 
miers  flocons  de  neige. 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  LANGUE  ET  LE  STYLE.    467 

valeur  exceptionnelle?  La  fin  de  la  phrase  occupe  alors  le 
menceinent  d'un  vers  : 

The  sooty  hulk 

SloiM-  '(l  sliiggish  ou  '. 

and,  wilderM  o'er  tiie  waste 

The  shepherd  stalks  ^'iganlic  *. 

*Tis  silence  ail 

And  pleasinf^'  expeclation  ^. 

how  calm  below 

The  gilded  earth  *  ! 

And  last,  while  haply  n'cv  the  sliaded  sun 
Passes  a  cJoud,  he,  desperate.  lakes  the  death 
With  sullcn  plunge  ^. 

Eveu  where  Un»  madness  of  the  straitened  slreani 
Turns  in  hlack  eddies  round  •. 

With  quickenetl  step 

Hrown  nighl  reliivs.  Young  day  pours  in  apace  '. 

The  prei'i])ice  abrupt; 

Projecting  horror  on  th(î  bhickeuiMl  llood 
Softens  at  thv  rolurn  '. 

Till,  wakeneil  i)y  the  wasp 

They  starting  snap  ^. 

:»flet  très  marqué  de  ce  dernier  exemple  se  retrouve  dans 
:res  fins  de  phrases  en  r(?jet  où  deux  monosyllabes  sont 
l'és  par  un  mot  plus  long  : 

Through  sublerranean  cells 

Where  searching  sunheauis  sraree  eau  find  a  way 
Karlh  aniniated  hiNives  "^. 

and  irom  lus  sides 

The  troublous  inseets  lashes  with  bis  tail, 
Relurning  slill  *'. 

A  thousand  shapes  or  glide  athwart  the  dusk 
Or  stalk  luajeslic  on  '-. 

3  exemples  ne  nous  ont  pas  montré  le  type  le  plus  accen- 
le  rejet,  celui  qui  renvoie  au  début  d'un  vers  suivant  le 

lutumn,  126.  127.  —  2.  IfAd.,  720,  727.  —  3.  Spring,  160,  161.  — 
lumn.  1216.  1217.  —  5.  Spring,  i28-430.  —  6.  laid,,  817,  818.  — 
nmer.  51,  .•;2.  —  8.  Ihid.,  163-165.  —  9.  Ibid.,  235,  236.  -  10.  Ihid., 
6.  —  11.  /6*W..  '»8«-493.  —  12.  fhid..  539,  ;mO. 


468  JAMES  THOMSON. 

mot  qui  termine  la  phrase.  C'est  là  un  procédé  un  peu  violent. 
Les  a  Saisons  d  en  olTrent  quelques  applications,  mais  en  nombre 
fort  restreint  : 

Near  the  dire  cell  the  dreadless  wandcrer  oft 
Passes  * . 

Prone  to  the  lowost  valc  the  aêrial  Irilwîs 
Descend  *. 

As  if  Iheir  con scions  ravage  shunned  the  Hf^ht 
Ashanied  '. 


V 
Prosodie. 

Si  de  la  langue  de  Thomson  nous  faisons  une  étude,  non 
plus  littéraire  mais  purement  prosodique,  nous  remarquerons 
que  la  versilication  des  «  Saisons  j>  est  extrêmement  régulière. 
Le  vers  héroïque  y  déroule  ses  ïambes  avec  un  rythme  égal 
que  viennent  rompre  assez  rarement  quelques  infractions  à  la 
forme  normale.  Seul  le  premier  pied  est  souvent  autre  chose 
(lu'un  ïambe.  C'est  là,  on  le  sait,  une  licence  fréquente  du  vers 
ïambique  anglais.  L'auteur  y  a  recours,  soit  qu'il  veuille  placer 
en  vedette  un  mot  important  (monosyllabe,  ou  polj'syllabe 
accentué  sur  la  première);  soit  qu'au  début  d'une  phrase  il 
entende  marquer  fortement  le  départ  d'une  période  nouvelle: 
soit  enfin  qu'il  cherche  seulement  à  varier  lallure  de  ses  vers, 
à  éviter  la  monotonie  d'une  répétition  ininterrompue  du 
rythme.  On  remarquera,  dans  les  exemples  que  nous  alleu? 
donner  et  qui  correspondent  à  ces  trois  effets,  que  le  pied  par 
lequel  Thomson  remplace  l'ïambe  au  début  du  vers  est  presque 
toujours  un  trochée. 

I"  Terme  emphatique  au  début  du  vers  : 

Ik'.al  hy  the  boundless  niiilliliide  of  waves  *. 
Hoiiscd  at  the  inspirinfj  Ihoughl  "•. 

who  to  arnis 

Tnrned  the  luxurioiis  ponip  he  could  nol  cure  •. 


I.  Sumwtr,  '2r^,  2:4.  —  2.  Sumtner,  1121,  1122.  —  3.  .411/11171»,  389,  3M. 
—  \,  Wititer,   i28.  —  .■;.  /6/>/.,  430.  —  6.  IbUl.,  i94,  495. 


LES   <'    SAISONS    ".    —    LA    PROSODIK.  U)9 

'Irrini-  al.iriii>  tllr  luT.l-^t  '. 

l'riith  llir  >i)['\  ioIm'  ul'  iiiiltl  |)t'i>ii<,'isiuii  wt'.us  -'. 

Uk'  liollow-soiimlin}^'  plaiii 

Sliakt's  IVoni  alar  •. 

2"  Syllabe  accentuée  au  début  des  paragraphes  : 

Now,  wheii  llic  cheerless  empire  of  Ihe  sky  *. 

Nalure!  fjreal  [Kirent  '! 

Father  of  lif^ht  and  life  «  ! 

Hard  by  thèse  shores,  where  scarce  his  freezin|T  stream  "'. 

Muttering,  the  winds  at  eve,  with  bhinted  point  •. 

Thèse,  as  they  change,  Alniighty  lather,  thèse  '. 

Nature,  attend  î  join  every  hving  soûl  *". 

3°  Premier  pied  anormal  pour  introduire  de  la  variété  dans 
le  rvthme  : 

m 

Renders  Ihe  savage  wilderness  more  wild  *^ 
Thinking  o'er  ail  the  bitterness  of  death  **. 
Into  the  horrors  of  the  gloomy  jail  *'. 

Tous  ces  exemples  sauf  deux  sont  empruntés  à  T  a  Hiver  ». 
Sur  les  1 080  vers  de  ce  chant,  il  en  est  180  qui  commencent 
par  une  syllabe  accentuée.  C'est  une  proportion  d'un  sixième, 
fort  semblable  à  ce  que  donnerait  Texamen  de  la  même  parti- 
cularité chez  les  divers  contemporains  de  Thomson  **. 

La  substitution  d'une  autre  combinaison  à  Tïambe  est  beau- 
coup plus  rare  aux  autres  pieds.  Une  scansion  exacte  des  300 
premiers  vers  de  V  «  Kté  •>  nous  fournit  les  résultats  suivants  : 


1.  Winter,  649.  —  2.  Ibid.,  C83.  —  3.  Ibid.,  "38,  "39.  —  4.  Ibid.,  41.  — 
5.  M/rf.,  106.  —  6.  Ibid,,  217.  —  1.  Ibid..  936.  —  8.  fbid.,  988.  —  9.  Ihjmn.  \. 

—  10.  Jbid.,  31.  —  11.  Winter,  296.  —  12.  Ibid.,  307.  —  13.  Ibid.,  361. 

14.  Sommerville  [T/te  Chacc]  1/6.  —  Savage  {The  Unstard,  et  «livers  frajç- 
incnU)  1/7.  —  Blair  (passim),  1/6.  —  Youiig  {Satires  et  \ighi  Thowjhts)  1/9. 

—  La  proportion  est  plus  faible  dans  The  Hermit  de  Parnell  :  1/13.  —  Chez 
Pope  la  fréquence  de  cette  licence  varie;  elle  va  en  augmentant  des  pre- 
mières œuvres  aux  dernières  :  The  Messiah  1,15,  Eloisa  1. 10.  ïiape  of  the 
Lork  (fragments)  1/7.  —  Essay  on  Man  (/jaww)  1.6. 

Pour  prendn;  un  terme  de  comparaison  dilTérent,  on  peut  noter,  grâce 
au  relevé  fait  par  M.  Ucljame  dans  son  édition  de  Enoch  Arden,  une  pro- 
portion de  1/3,  dans  le  petit  chef-d'œuvre  de  Tennyson. 


470  JAMES  THOMSON. 

07  trochées  au  !««•  pied  »  ;  2  au  2^  «;  3  au  3«  *;  6  au  ♦«  *;  —  il  pp 
rhiqucs  au  l'-'^^;  1  au  2«  *;  36  au  3® ';  Il  au  4«  •;  —  8  spondée* 
au  l'*^;  \  au  2*^  *. 

Ce  sont  donc,  après  les  trochées  au  premier  pied,  les  pyrrhi- 
ques  au  troisième  qui  forment  Tanomalie  la  plus  fréquente. 
L'explication  du  fait  nous  sera  fournie  par  l'étude  des  césures 
dans  les  vers  de  Thomson. 

Ces  300  premiers  vers  de  V  «  Été  «  nous  montrent  : 
21  césures  après  le  1*^'  pied;  95  après  le  2^;  72  après  lé 3*^. 

Ce  sont  là  les  seules  véritables  césures; 

16  coupes  après  le  t«;  107  coupes  au  milieu  d'un  pied  *•. 

Enfin  ce  dernier  chiffre  se  décomposerait  ainsi  : 

Coupes  dans  le  !«••  pied,  2  »*  ;  dans  le  '2«,  9  **;  dans  le  3«,  7»;  - 
dans  le  t^  '20  »»;  dans  le  5<^,  2  «*. 

On  voit  combien  est  considérable  la  proportion  des  coupes 
au  troisième  pied,  divisant  les  vers  en  deux  hémistiches  égaux, 
à  la  façon  de  la  césure  normale  de  l'alexandrin  classique  fran- 

1.  Vers  2,  6,  13,  14,  18,  24,  30,  38,  45,  55,  56,  63,  67,  74,  76,  78,  93,  103, 
113,  115,  117,  126,  130,  131,  133,  137,  144,  155,  156,  159,  163,  165,  166,  168, 
169,  170,  172,  180,  184,  188,  197,  200,  205,  207,  213,  215,  217,  218,  219,  220. 
222,  226,  227,  228,  229,  238,  241,  243,  247,  250,  263,  270.  273,  274,  287,  291. 
296,  297. 

2.  Vers  51,  232. 

3.  Vers  92,  110,  179. 

4.  Vers  34,  99,  124,  258,  261,  269. 

5.  Vers  16,  39,  40,  50,  57,  63,  148,  152,  190,  193,  231. 

6.  Vers  82. 

7.  Vers  24,  27,  46,  48,  69,  73,  83,  109,  111,  114,  119,  124,  130,  139,  144, 
150,  154,  157,  158,  162,  164,  167,  181,  197,  206,  225,  231,  233,  239,  242,  253, 
2.'^4,  204,  283,  284,  300. 

8.  Vers  45,  103,  128,  186,  195,  209,  216,  221,  235,  238,  245. 

9.  Âutaol  qu'il  est  possible  d^arpiroier  la  présence  d'un  spondée  dans  un 
versianibiqne.  Il  suffit  d'une  accentuation  plus  forte  donnée  dans  le  débit 
à  la  deuxième  syllabe  pour  que  le  pied  ait  le  rythme  de  l'ïambe. 

10.  Le  total  dépasserait  le  nombre  des  vers.  Il  y  a  des  vers  en  effet  où 
se  trouvent  plusieurs  coupes  nettement  indiquées. 

11.  Vers  45,  168. 

12.  Vers  8,  30,  31,  58,  104,  185,  194,  232,  272. 

13.  Vers  5,  13,  19,  72,  79,  103,  108,  117,  133,  144.  148,  158,  160,  169.  190, 
192,219,222,  248,  303. 

14.  Vers  98,  205. 


LES  «   SAISONS   ».   —  LA   PROSODIE.  471 

çais.  La  plupart  des  pyrrhiques  au  troisième  pied,  et  une  forte 
proportion  des  pyrrhiques  au  quatrième  pied  coïncident  avec 
la  présence  d'une  coupe  au  même  pied.  C'est  cette  circonstance 
qui  explique  l'interruption  apparente  du  rythme  *.  L'arrêt 
placé  entre  les  deux  syllabes  communique  à  l'une  d'elles  une 
valeur  légèrement  emphatique. 

Un  grand  nombre  de  ces  césures  ou  de  ces  coupes  (trente 
environ  dans  les  300  vers  sur  lesquels  s'est  portée  notre  obser- 
vation) se  produisent  après  une  syllabe  terminale  muette.  Par 
exemple  : 

Shot  on    I    surround   |   ing  heaven,    |    —  lo  steal   |    one  look  *. 
On  rocks,    |    and  hills,     |    and  lowers,    |     —  and  wand    |    ering 

[slreams  '. 
Froni  thee   |    Ihc  sap   |    phire  —  sol   |    id  e   |   ther  takes  ♦. 

Ce  ne  sont  pas  là  cependant  de  véritables  césures  féminines. 
Les  syllabes  hypermétriques,  soit  à  la  césure,  soit  en  lin  de 
vers,  sont  une  anomalie  extrêmement  rare  dans  les  «  Saisons  »  ^. 
Les  exemples  que  nous  venons  de  citer  nous  ont  montré  des 
syllabes  non  pas  atones,  mais  muettes  ". 

La  terminaison  ed  qui  souvent,  en  poésie  compte  pour  une 
syllabe,  alors  surtout  qu'elle  s'applique  à  un  verbe  dont  l'infi- 
nitif a  un  e  fmal,  est  généralement  traitée  par  Thomson  comme 
syllabe  muette.  Au  risque  d'une  certaine  dureté  de  son,  il  la 

i.  Dans  les  âO  premiers  vers  cilés  plus  haut  comme  ayant  un  pyrrhiquc 
au  3«  pied,  nous  n'en  trouvons  que  3  (46,  114  et  144)  où  ce  3«  pied  ne  porte 
pas  la  césure. 

2.  Vers  18. 

3.  Vers  89. 

4.  Ver»  149. 

o.  Voici  cependant  un  exemple  : 

•  Alive  I  his  eve  |  ry  look,  |  his  eve  |  ry  fea  |  turc.  » 

(Autumrif  269.) 

Aikin  voit  là  un  vers  trochalque.  Ce  serait  Tisoler  bien  plus  violemment 
au  milieu  du  rythme  si  nettement  marqué  des  vers  de  Thomson. 

6.  L>  final  en  elTet  n'est  jamais  compté,  sauf  après  /  ou  r  précédés 
d'une  consonne  : 

•  Modest  I  and  sim  |  pie,  in  |  the  pomp  j  of  wealtli.  - 

{Summer,  410.) 

•  Stands  mant  |  led  o'er  j  with  green,  |  invi  I  sible  - 

{Winter,  304.) 

«  As  with  i  a  chain  I  indis  I  solu  |  ble  bound.  » 

(Siimmer^  98.) 


472  JAMES  TUOMSON. 

néglige  presque  toujours  dans  la  mesure  de  ses  vers  '.  Du  reste 
il  use  d'une  grande  liberté  dans  sa  façon  d'élider  les  voyelles 
non  accentuées.  Ve  de  l'article  «  the  »  disparait  toujoui^ 
devant  une  voyelle.  La  même  voyelle,  non  accentuée,  s*élide 
très  souvent  dans  le  corps  des  mots  :  heaven  ou  heavens  ', 
clustering%  wanderer  *.  flutttTing',  muttering  *,  quickenings 
gênerons  %  gênerai  •,  shelfering  *®,  boisterous*',  etc.  D'autres 
voyelles  encore  subissent  la  syncope  :  av-a-rice  ",  barb- 
a-rous  *%  etc.  A  plus  forte  raison  la  voyelle  qui  en  avoisine  une 
autre  et  peut  former  diphtongue  avec  elle  :  radiance  **,  gra- 
duai *\  influence  *°,  impetuoies  ".  Ow  suivi  de  er  absorbe  l'e: 
towers  *%  sliower  ",  flower  ",  flowery  ",  follower  ".  Quelque- 
fois c'est  Vo  lui-même  qui  s'atténue  au  point  de  ne  plus 
compter  dans  la  mesure  et  de  former  synérèse  avec  la  syllabe 
suivante  : 

And  in    |   dire  ech    |   ocs  bel    |    lowing  round    |    the  main  *^. 

And  watch   |   them  strict  :    |   for,  from    |    the  bel    |    lowing  east  **. 

The  bil    |    lowy  tcni   |    pest  whelms  '*. 

L'  «  y  »  d'une  terminaison  atone  s'élide  quelquefois  devant 
une  voyelle  suivante  : 

In  ma    |    ny  a  vain    |    attempt.    |  llow  sinks   |    hissoni"! 

Parfois  au  contraire  le  poète  fait  compter  comme  syllabe  atone 
une  terminaison  dont  la  voyelle  est  habituellement  muette  : 

JUank  in   |    tlie  lead    |    en  ooi    |   oured  east,    |    the  nioon  -". 

Au  sujet  des  cas  si  nombreux  de  voyelles  qui  ne  comptent 
pas  dans  la  scansion  (hi  vers,  on  peut  se  demander  si  le  poète 

1.  Dans  les  vers  de  Sumtnev  que  nous  avons  analysés  la  finale  est  muettf 
dans  «  chaslisod,  •  25,  «  sublimed  »,  110.  •>  abhorrcd  >  270,  •  ensnared  •. 
27o,  •  pleased  •.  '278,  «  unnumbercd  »,  300. 

2.  Sumtner,  18,  110,  291,  etc.  —  3.  Ihid.,  20").  —  \.  Ibid.,  273.  —  5. /<»»V/.. 
2"8.  —  G.  Wintcr,  088.  —  7.  Summn\  105.  —  8.  Ibid.,  138.  9.  /6i</.,  187.  - 
10.  Ihid.,  226.—  11.  Winfer,  830.  —  12.  Ihid.,  '#89. 

13.  Spririff,  710,  etc.  Dans  les  premiers  vers  du  même  chaut  on  relève- 
rait :  <«  neighb-oï/r-ing  »,44;  «  rxiib-^-ranl  »»,  7i;«  gran-a-ry  »»,  76;  «i  lib-<*- 
ral  »,  229;  etc. 

14.  Summer,  148.  —  15.  IbUL,  281.  —  16.  Ibifi.,  210.  —  17.  Spi-tn^,  310. - 
18.  Summer,  89.  —  19.  lôid..  127.  —  20.  //>/>/.,  128.  —  21.  Ihid.,  212.  — 
22.  Ibid.,  216.  —  23.  Winter,  1013.  —  2i.  Ibid.,  208.  —  25.  Ibid.,  273.  - 
26.  Ibid.,  288.  —  27.  Ibid.,  12i. 


LES   «   SAISONS  ».  —  LA   PROSODIE.  .     47» 

entendait  leur  conserver  une  valeur  atténuée  ou  bien  les  élidér 
frahchement.  La  réponse  ne  nous  semble  pas  douteuse.  Jamais 
Thomson  n'a  songé  à  cette  moderne  théorie  qui  admet  le 
mélange  dans  le  rythme  ïambique  de  pieds  trisyllabiques. 
L'exemplaire  de  Mitford,  avec  ses  annotations  manuscrites, 
nous  fournit  à  cet  égard  des  indications  décisives. 

Ni  Thomson  ni  Pope  ne  suppriment  toujours,  dans  leur  ortho- 
graphe du  mot,  la  voyelle  qui  s'élide  pour  l'oreille;  mais  ils 
prennent  ce  soin  assez  souvent  pour  nous  donner  la  preuve 
que  le  mot  se  présente  bien  à  leur  esprit  sous  cette  forme.  Ils 
suppriment  généralement  1'  «  e  x)  de  l'article  quand  il  doit 
disparaître  devant  une  voyelle. 

«  Th'  exoner'd  »  du  texte  est  par  Pope  changé  en  a  Th'  acquit- 
ted  *  ».  Dans  un  autre  cas  la  note  de  Pope  donne  <t  the  »  qui 
est  remplacé  par  «  th'  »  quand  le  poète  a  fixé  son  choix,  pour 
le  mot  suivant,  sur  a  amusing  *  ». 

Si  <(  barbarous  »  %  «  billowy  »  •,  a  reddening  »  %  et  beaucoup 
d'autres  termes  analogues  conservent  orthographe  de  trisyllabes 
alors  qu'ils  ont  une  valeur  de  dysyllabes,  d'autre  part  nous 
lisons  a  roughning^  »,  «  towr-encircled  "  »,  a  ev'n  •  »,  etc. 

Allitération  et  onomatopée,  —  L'adoption  d'une  forme  poé- 
tique imitée  de  la  France  n'a  jamais  fait  entièrement  oublier, 
dans  la  littérature  anglaise,  le  procédé  de  l'ancienne  poésie 
anglo-saxonne,  l'allitération.  Elle  reprend  surtout  une  partie  de 
son  importance  première  dans  le  vers  blanc.  Elle  y  conserve 
une  place  à  des  effets  analogues  à  ceux  que  produit  la  rime. 
Quelques-uns  des  maîtres  du  vers  non  rimé  en  ont  fait  un 
très  heureux  usage.  Chez  Thomson  cependant,  elle  ne  joue  pas 
un  rôle  important.  On  peut  dire  que,  sauf  une  exception  que 
nous  aurons  à  signaler,  il  a  fait  bon  marché  de  cet  ornement. 

1.  Édition  de  1738,  Sprhif/,  v.  100.  Kdilion  définitive,  v.  T6'2. 

2.  «  And  to  the  Curious  ^ives  (the)  th'  amusing  scènes  ». 

3.  Spring,  716  (édit.  de  1738). 

4.  Autumn,  341  (édit.  de  1738). 
0.  Summer,  834  (édit.  de  1738). 
t).  Spring,  597  (édit.  de  1738;. 

7.  Note  de  Pope  au  v.  20  de  Summer. 

8.  Aulumn^  1107  (édit.  de  1738).  —  Il  arrive  à  Thomson  de  corriger 
Torthographe  de  Pope.  Celui-ci  proposait  «  Ail  etbcr  sadd'ning  •;  Tautcur 
des  «  Saisons  »  accepte  rhômistiche,  mais  en  modifie  Torthographe  : 
«  AU  elher  sadening  »,  (vers  1076  de  rédilion  de  17:58). 


474  JAMES  THOMSON. 

Avant  de  commencer  cette  étude,  il  ne  sera  pas  inutile  de 
préciser  ce  qu*il  faut  entendre  par  le  mot  lui-même.  Il  y  a  en 
effet  plusieurs  sortes  d'allitérations.  L'une  résulte  de  la  ren- 
contre fortuite  d'un  même  son  de  consonne  au  commence- 
ment de  plusieurs  mots  du  même  vers,  sans  qu'il  en  résulte 
aucun  effet  littéraire.  C'est  là  d'ordinaire  une  négligence  et  un 
défaut  de  style,  et  non  pas  un  procédé  poétique.  La  véritable 
allitération  est  une  ressource  volontairement  employée  par 
l'écrivain  en  vue  de  certains  effets  que  nous  pouvons  déter- 
miner. Tantôt  elle  a  pour  objet  de  flatter  l'oreille,  comme  le 
fait  la  rime,  en  lui  procurant  ce  plaisir  qui  naît  du  retour  du 
même  son.  Tantôt,  comme  la  rime  encore,  elle  marque  d'un 
trait  plus  accentué  certains  mots,  et  les  fait  ressortir  plus  vive- 
ment. Tantôt  enfin  elle  vise  à  rapprocher  l'un  de  l'autre;  s'ils 
se  trouvent  séparés  dans  la  contexture  de  la  phrase,  des  termes 
qu'unit  un  rap[x>rt  de  sens,  ou  à  les  joindre  plus  étroitement 
s'ils  sont  voisins.  C'est  à  c^s  trois  effets  que  se  reconnaît  la 
véritable  allitération.  Outre  l'effet  sonore  qu'elle  apporte  à 
l'oreille,  elle  ajoute  aux  mots  une  valeur  nouvelle  par  le  seul 
fait  de  la  ressemblance  qu'elle  établit  ou  qu'elle  signale  entre 
eux.  Quand  enfin  la  répétition  des  sons  concourt  à  produire 
une  certaine  harmonie  du  vers,  en  rapport  avec  la  nature  des 
pensées,  alors  nous  dépassons  l'allitération  proprement  dite; 
nous  rencontrons  une  des  formes  de  l'harmonie  imitative. 

Les  allitérations  inutiles  et  involontaires  ne  nous  retiendront 
paLa.  Elles  ne  méritent  d'être  signalées  que  comme  indices  d'un 
défaut  de  fini  dans  l'œuvre,  d'un  certain  manque  de  délicatesse 
d'organe  chez  l'auteur.  La  consonne  S  présente  à  cet  égard  en 
anglais  un  danger  constant.  Elle  constitue  trois  des  flexions 
les  plus  importantes  de  la  langue,  et  joue  un  rôle  dans  la  com- 
position d'un  grand  nombre  de  termes.  Il  faut  à  récrivain  un 
soin  minutieux  et  une  fine  sensibilité  de  l'oreille  pour  éviter  le 
retour  trop  fréquent  du  son  sifflant.  Thomson  n'y  a  pas  toujours 
réussi.  Les  «  Saisons  »  nous  offrent  assez  souvent  des  vers  tels 
que  ceux-ci  : 

Sound  slopt  the  watcrs;  no  snlphurous  glooms 
Swellod  in  llie  sky  and  sent  tho  lightning  forlh  '. 

Clieored  l>y  thn  simple  son^  an<l  soaring  lark  '. 
1.  Spring,  32n,  327.  —  2.  Ihid.,  40. 


LES  "   SAISONS   ».  —  LA   PROSODIE.  478 

The  iiiounlain  thunders,  and  ils  sturtiy  sons 
Stoop  *. 

With  stars  swift-gliding,  sweep  along  the  sky  *. 

s  une  seule  page  du  même  chant  nous  relevons  ces  trois 
où  Vs  siffle  comme  le  vent  d'hiver  dans  les  branches 
ies  : 

Strikcs  bis  sad  eye,  but  déserts  losl  in  snow  '. 
Pair  (Tmines  spotlcss  as  tbe  snows  they  press  *. 
Slow-paced,  and  sourer  as  tbe  storms  increase  '. 

jrément  c'est  là,  de  beaucoup,  la  consonne  que  le  poète 
ligue  le  plus,  sans  conscience  de  TefTet  désagréable  que 
iuit  cette  répétition  abusive.  Mais  à  un  moindre  degré, 
itres  sons  pourraient  donner  lieu  à  une  observation  ana- 
le.  Les  exemples  ne  manquent  pas  dans  le  poème  de  vers 
que  ceux-ci  : 

ïbeir  reindeer  forni  their  ricbes  •. 

Througb  buds  and  bark  inlo  tbe  blackened  core  '. 

(k'bold,  yon  breathing  prospect  bids  tlie  Muse  • 

Where  Ibe  breeze  blows  from  yon  extended  field 
Of  blossom  'd  beans.  Arabia  cannot  boast  •.... 

bids  bis  driving  sleets 

Heforni  thc  day  deligbtless  ^^. 

n  il  arrive  quelquefois  à  cet  habile  et  soigneux  écrivain  de 
jer  échapper  des  vers  d'une  singulière  dureté,  comme 
li-ci  où  ne  se  rencontrent  pas  moins  de  dix  sons  de  den- 
s  : 

Joylcss  and  dcad  a  wide  dejected  waste  '^ 

ans  certains  cas  au  contraire  la  répétition  du  même  son 
ial    produit   un   eflet   heureux.   Thomson   semble   avoir 

Winter,  170.  —  2.  Ibid.,  195.  —3.  Ibid.,  802.  —  4.  Ibid.j  812.  a.  Ibid,, 

—  6.  Ibid.,  851.  —  7.  Sfuing,    122.  —  8.  Ibid.,  466.  —  9.  Ibid.,  498, 

—  10.  Ibid,,  20,  21. 

.  Spring,  118.  —  C'est  deux  de  plus  que  dans  ce  vers  de  Voltaire,  sans 
e  le  plus  riche  en  dentales  de  notre  poésie  : 

o  Tout  art  t'est  étranger,  combattre  est  ton  partage.  » 

(Brutus,  acte  1,  se.  ii.) 


476  JAMES  THOMSON. 

recherché  ragrément  de  cette  impression  toute  physique  dans 
les  premiers  chants  de  son  poème  plus  que  dans  les  derniers. 
Les  exemples  d'allitération  purement  musicale  sont  plus  nom- 
breux dans  r  a  Hiver  »  et  dans  V  «  Été  »  que  dans  le  «  Prin- 
temps »  et  r  a  Automne.  »  Le  son  de  la  lettre  f  lui  plaît  parti- 
culièrement et  il  recherche  les  groupements  de  mots  qui  le 
font  entendre. 

Deniaiid  their  fatcd  food.  The  fearful  flocks  '. 
Slill  fondly  l'onning  in  the  farthest  verge  *. 
From  stifled  Cairo's  lillh  and  fetid  lîelds  '. 
To  thc  l'air  forms  of  Fancy's  fleeting  train  *. 
The  Ihert  profane  if  aught  profane  in  love  '\ 
Recovering,  swifl  she  flew  to  find  those  robes  *: 
And  on  tlie  flood  tiie  dancing  feather  floats  ^. 
And  in  loose  fragments  fling  them  floaling  round  •. 

At  lirst  thin-wavering;  till  at  last  the  flakes 
Fall  broad  and  wide  and  fast,  dimming  the  day 
With  a  continuons  fall.  The  cherished  lield$  •... 

Nor  can  the  bull  his  awful  front  défend  *^. 
The  i^^aming  i'ury  falls  ;  and  in  one  gulf 


Fri«*ii(ls,  fainilies  and  fortune  headlong  sink  **. 
Fur  siglit  too  Ihie,  Ihc  ethereal  nitre  (lies  '*. 

Mais  au  total,  on  peut  dire  que,  sauf  cette  prédilection 
remarquable  pour  le  son  de  Vf,  Thomson  recherche  peu  Teffet 
purement  sensible  de  ces  répétitions.  Il  n'est  pas  de  ces  écri- 
vains qui,  comme  llolophernes,  y  voient  «  une  preuve  de 
facilité  '^  y> 

L'allitération  peut  avoir  un  rôle  plus  utile.  Elle  permet 
d'atteindre  les  mots  importants  du  vers,  et,  en  quelque  point 
qu'ils  se  trouvent  placés,  de  les  éclairer  d'un  rayon  brillant. 
C'est  un  eflet  dont  tous  les  grands  poètes  fourniraient  des 

1.  Smnmer,  928.  —  2.  Ihui.,  OU.  —  3.  lOid.,  1056.  —  4.  Ibid.  —  5.  Ibùi., 
1336.  —  G.  Ifjtd.,  13fi0.  -  7.  Winier,  131.  —  8.  Ibid,,  174.  —  9.  Ibid.. 
230-232.  —  10.  Ibid.,  400.  —  11.  Ibid.,  r»3o-637.  —  12.  Ibid.,  694. 

13.      •  1  will  EomethiDg  afTecl  the  lelter,  for  il  argues  facililie  ». 

{Love' s  Labour' $  Loaity  acte  IV.  se.  ii,  53.) 


LES  «   SAISONS  >y.  —  L\  PROSODIB.  477 

iples,  et  qui  se  rencontre  très  souvent  dans  les  proverbes 
jlaires  '.  Il  est  obtenu  par  Thomson  dans  des  passages  tels 
les  suivants  : 

wheii  Nature  idl 

Is  bloomin;/  and  bcncvolcnt  —  like  Ihce  *. 

tatal  to  tlie  frostv  tribc  3. 

hursls  his  blind  wav  *. 

V 

tiio  passions  ail 

Hâve  biirst  their  boiinds  ^. 

Ov  in  dead  silence  waslcs  tbe  weeping  bours  *. 

Wide  dasbed  tbe  waves  ',  etc. 

tbe  llntterinj,'  winj,' 

Ami  sbrilicr  sound  déclare  extrême  distress  *. 

• 

ces  notes  sont  assez  rares  chez  notre  poète.  Il  est  permis 
e  regretter.  On  aimerait  à  voir  plus  souvent,  dans  ses 
les  et  majestueuses  périodes,  les  mots  essentiels  se  déta- 

vivement  et  faire  entendre  la  sonorité  musicale  de  l'alli- 
:ion.  Il  est  vrai  que  ce  regret  porter-ait  sur  le  fond  même 
ir  le  caractère  esssentiel  du  stvlc  de  Thomson.  Ce  stvle 

surtout  par  Tensemblc  de  la  phrase.  Le  mot  importe  moins 
•  sa  qualité  propre  que  pour  ce  qu'il  ajoute  à  Teffet  total 
e  période.  Quand  le  poète  veut  donner  à  quelques  termes 

valeur  exceptionnelle,  il  a  recours  à  ces  constructions 
niales  que  nous  avons  étudiées  et  qui  isolent  énergique- 
t  certains  mots  soit  au  début,  soit  à  la  fin  de  la  phrase, 
lis  si  Thomson  n'emploie  guère  Tallitération  pour  déta- 

de  Tensemble  quelques  mots  lumineux,  il  lui  demande 
ent  Teffet  tout  opposé  qu'elle  peut  aussi  fournir.  Appli- 

à  des  termes  imi)ortants  qui  sont  séparés  les  uns  des 
2s,  elle  les  op[)ose  entre  eux  et  au  reste  de  la  phrase;  elle 
end  plus  brillants  et  plus  expressifs.  Mais  si  elle  porte  sur 
ermes  qui  se  suivent  et  qu'unisse  dans  la  phrase  un  rap- 

étroit,  elle  les  fond  en  un  groupe  compact,  peut  sans 

r^ar  exemple  celui  que  cile  sir  Nalhaniel  dans  la   scène  où  Holo- 
lus  dépUiie  son  talent  pour  rallit(*ratioD  : 

'<  M  an  y  can  brook  tlie  weathpr,  tliat  love  uot  thc  wind.  »> 

Lové's  Labour'jt  I^st,  acte  IV,  se.  ii,  34.) 

^pring,  0,  10.  —  3.  M/V.,  131.  —  4.  //><>/.,  22".  —  5.  Ibid.,  277,  278. 
Ifjd.,  205.  —  7.  Ibid.,  313.  —  8.  Siutwier,  278,  279. 


478  JAMES  THOMSON. 

doute  détacher  ce  groupe  dans  l'ensemble  de  la  phrase,  mais 
tend  à  diminuer  la  valeur  de  chacun  des  termes  pris  à  part. 
C*est  bien  FetTet  des  nombreux  exemples  où  le  poète  associe 
par  une  même  consonne  initiale  Tépithète  et  le  substantif.  La 
première  partie  du  «  Printemps  »  nous  donnerait  ces  exemples  : 

a  Bright  Bull  »,  27;  a  vivid  verdure  »,  87;  «  gay  green  i,82; 
«  bent  bush  )>,10i;  «  boundless  blush  »,  109;  «  baleful  blast  i. 
ll();  ((  sacred  sons  »,  124;  «  plumy  people  »,  164;  c  bus) 
bill  »,  <(  134;  fancy  fired  »,  182;  «  rapid  radiance  »,  191: 
«  silent  search  »,  225;  a  secret  stores  »,  234;  «  horrid  heart  •. 
2()4;  «  perfect  peace  »,  266;  <c  winding  wiles  »,  302;  c  high- 
piled  hills  »,  312;  «  social  sweetness  »,321  ;  «  drooping  days  », 
3Î33;  «  fair  form  »,  Xj3;  «  peaceful  people  »,  358;  t  high 
heaven  »,  373;  «c  wisest  will  »,  374;  «  pure  perfection  »,  385: 
«  bleeding  breast  »,  390;  «  harsh  pain  and  horror  »,  392: 
a  woodlands  warbling  »,  399;  «  shelving  shore  »,  414;  «  lislless 
languor  »,  444;  «  fresh-blooming  flowers  »,  491;  c  blossomed 
beans  »,  499;  (c  unbounded  beauty  »,  506;  «  blushing  borders 
briglit  »,  520;  et  fabled  fountain  »,  549;  «  wintry  winds  »,  508: 
«  varied  verse  »,  377;  <(  bush  bending  »,  594,  5;  c  coy  qui- 
rislers  »,  595;  «  melancholy  murmur  »,  612,  etc. 

A  ces  quarante  exemples  pourraient  être  ajoutés  ceux  qui 
réunissent  un  verbe  et  l'adverbe  qui  s'y  rapporte  :  t  scarce 
staining  »,  147;  «  successive  stole  »,  249;  c  soft  sighed  »,  207; 
((  Sound  slept  »,  326;  a  dwindled  down  »,  33;^;  a  poured  out 
profusely  »,  586,  etc. 

L'influence  particuUère  de  rallitèration  dans  ces  réunions 
de  termes  peut,  selon  les  cas,  varier  de  degré.  Un  des  exem- 
ples les  plus  frappants  de  l'atténuation  de  valeur  de  chacun 
des  mots  dans  le  groupement  ainsi  obtenu  est  fourni  par  le 
vri's  célèbre  de  Campbell  : 

Like  anp'ls*  visils  few  and  far  betweeu  *. 

(Test  là,  on  le  sait,  une  altération  peu  logique  d'un  vei-s  de 
lUair  : 

iii  visils, 

Likc  tlios«'  of  anj;ols,  sluut  and  far  belweon  ^. 

1.  The  Pleasurrs  of  llopt\  [mit  II. 

2.  Ttw  Grave.  —  l/iilée  première  parnîl.  dit  !'«  Knoyclopédie  littéraire  ^ 
de  Chambers.  appartenir  à  John   Norris  ; 


LES  «  SAISONS  ».  —  LA  PROSODIB.  479 

€  Short  B  avait  un  sens,  et  «  few  »  n'en  a  pas.  Mais  ce  dernier 
mot  fait  allitération.  L'oreille  y  trouve  son  compte  et  les  termes 
<  few  and  ikr  »  sont  si  bien  unis  dans  le  vers  que  l'esprit  se 
contente  du  sens  total  qu'ils  fournissent.  Voilà  en  prenant  un 
exemple  extrême,  la  raison  d'être  et  l'effet  de  cet  accouple- 
ment si  fréquent  chez  ïhomson  de  termes  qli'unit  un  rapport 
de  sens  et  que  l'allitération  vient  rapprocher  plus  étroitement. 

Enfin  nous  avons  dit  que  la  répétition,  dans  plusieurs  mots, 
d'un  même  son  initial  a  parfois  un  autre  objet  encore.  Non 
seulement  elle  flatte  l'oreille  d'une  impression  agréable,  mais 
elle  peut  accompagner  le  sens  d'une  notation  sonore  appro- 
priée. Cet  accompagnement  musical  peut  figurer  directement 
un  son  qu'il  s'agit  de  décrire;  c'est  la  pure  onomatopée.  11  peut 
aussi,  en  raison  de  cette  sympathie  qui  existe  entre  certains 
sons  et  certaines  modifications  de  notre  sensibilité,  contribuer 
à  rendre  plus  vive  la  peinture  que  le  poète  veut  placer  derant 
nos  yeux. 

Nous  avons  signalé  l'abus  que  fait  Thomson  des  consonnes 
sifflantes.  Il  est  clair  que  la  critique  ne  s'adresserait  pas  à  uu 
vers  comme  celui  oii  le  poète  nous  fait  entendre  le  sifllemcnt 
du  vent  précurseur  de  l'orage  : 

Sighs  Ihe  »a<i  )fciiiiis  ofiliu  oumin^  storiii  <, 

La  réunion  de  plusieurs  mots  commençant  par  une  même 
labiale  est  d'un  effet  peu  agréable  dans  des  exemples  tels  que 
a  before  whose  baleful  blast  >  »  ;  mais  elle  concourt  heureuse- 
ment à  l'impression  que  veut  produire  le  poète  dans  ces  vers 
où  il  décrit  les  efforts  des  élans  qui  luttent  contre  la  neige  et 
brament  lamentablement  : 

As  wcak  againsi  thc  mouiitaiii  heops  llipy  push 
Their  bcalin);  breast  in  vain,  and  pîteous  bray  '. 

Ces  effets  d'harmonie  imitative,  sans  être  rares  dans  les  «  Sai- 
sons B  n'y  sont  pas  prodigués  avec  l'affectation  qui,  chez,  cer- 
tains écrivains,  les  rend  insupportables  et  fait  de  ta  poésie  un 

■  llow  fading  ar«  tbe  joys  vt  dote  ii|>un  ! 
Like  anf^el  vlbïIb  i<liort  and  tiriplil.  • 
1,  Wiiiln:  61.  —  2.  ^prittf/,  116.  —  3.  Winki;  823,  H2i. 


480  JAMES  THOMSON. 

amusement  puéril.  On  conserve  dans  la  mémoire  un 
grand  nombre  de  vers  où  Thomson,  soit  par  la  seule  allitéra- 
tion, soit  en  y  ajoutant  rassouance,  obtient  d'heureux  effets  de 
musique  imitative  : 

In  fond  rotation  spread  the  spoitcd  wiag  *. 

Al  last  the  roused  up  river  pours  along 
Resislless,  roaring;  dreadful  down  it  cornes 
From  the  rude  mountain  and  Ihe  mossy  wild, 
Tumhling  throngh  rocks  abrupt,  and  sounding  far  -. 

Avec  d'autres  sonorités  la  même  consonne  r  nous  fera 
entendre  le  ruisseau  qui  bruit  contre  un  obstacle  : 

An  icy  gale,  oft  shifting,  o'er  the  pool 
Hreathes  a  bluc  film,  and  in  its  mid  carcer 
Arrests  the  bickering  slrcani  3. 

Ou  bien,  combinée  avec  des  sifflantes,  et  avec  le  son  assourdi 
du  w\  elle  reproduit  le  bruit  des  tourbillons  de  feuilles  mortes 
qui  roulent  et  se  froissent  : 

Tho  forost  walks  al  overy  rising  gale 

I{oU  widc  the  withercd  waste,  and  whistle  hleak  ♦. 

L'accumulation  des  consonnes  liquides  augmente  Timpres- 
sien  de  calme  solennel  de  la  scène  évoquée  : 

whilc  rising  slow, 

Blank,  in  tho  leaden  ooloui>?d  cast,  the  moon  ',  etc. 

Les  labiales  et  les  gutturales  contribuent  à  donner  au  vers 
quelque  chose  de  heurté  et  de  précipité  quand  le  poète  nous 
montre  les  loups 

hurning  for  blood,  bony,  and  gaunl  and  grim  •. 

La  sonorité  étouffée  du  w  est  employée  pour  décrire  le  mou- 
vement silencieux  des  ailes  : 

and  thcir  self  taught  wiugs 

Winnow  the  waving  élément  '^. 

1.  Sprififf,   62S.  —  2.    Winter,   UCOH.  —  3.  Ihid,,  "23-725.  —  4.  Autum, 
096-997.  —  5.  Winter.  123.  —  6.  Ibid.,  393.  —  7.  Spnng,  746,  747. 


LES  «   SAISONS   ».  — -  CONCLUSION.  481 

Enfin  on  pourrait  citer  dans  le  poème  plus  d'un  exemple 
'onomatopée  qui  n'emprunte  pas  le  concours  de  rallitéra- 
ion  : 

FoHows  thc  loospiied  aj;gravated  roar. 
Eiilarging,  dcepeniiig,  miiigling,  peal  on  peal 
Crushed  horrible,  coiivulsing  heaven  and  earth  *. 

They  llouncc  and  iumblc  in  unwieldy  joy  *. 

Whilc  Irom  their  labourin^  breasts  a  hollow  moan 
Proccedingruns  low-bellowing  round  the  hiils  ^. 

Mais  il  y  a  une  harmonie  plus  subtile  que  celle  qui  repro- 
luit  ou  suggère  directement  certains  sons.  C'est  celle  qui,  par 
a  résonance  générale  du  langage  et  par  le  rythme  de  la 
ihrase,  produit  TetTet  musical  propre  à  ajouter  une  force  et 
ine  beauté  nouvelles  à  la  pensée  du  poète.  Nous  touchons  ici 
.  l'un  des  dons  intimes,  à  Tun  des  pouvoirs  les  plus  difficiles 

analyser  du  génie  poétique.  Les  a  Saisons  »  nous  offrent  d'un 
out  à  l'autre  d'admirables  exemples  de  cet  accord  étroit  entre 
i  nature  des  scènes  décrites  et  la  couleur  musicale  de  la 
ingue.  Il  n'y  a  guère  lieu  de  citer  des  exemples.  Tout  le 
oéme  révèle  ce  sentiment  profond  d'une  harmonie  entre  les 
3ns  de  la  phrase  poétique  et  le  tableau  ou  Témotion  que  la 
ingue  traduit  *.  Mr.  Bain  a  raison  de  citer  le  poème  de 
homson,  entre  certaines  scènes  du  «  Paradis  Perdu  »  et  cette 
etite  merveille  de  poésie  descriptive  :  «  Les  Mangeurs  de 
otus  D  de  ïennyson,  comme  exemple  d'un  accord  parfait 
ntre  le  sens  et  la  musique  des  mots  *. 

Conclusion.  —  Arrivés  au  terme  de  cette  étude  des  «  Saisons  » 
l  convient  que  nous  en  résumions  les  principales  conclusions 

Thomson  est  bien,  grâce  à  son  premier  poème,  le  restaura- 
eur  dans  la  littérature  anglaise  du  sentiment  de  la  nature. 
LU  milieu  d'une  école  aux  tendances  tout  opposées,  rompant 
udacieusement  avec  une  esthétique  consacrée,  s'élevant  d'un 
ssor  puissant  au-dessus  des  vagues  aspirations  de  quclques- 

1.  Summer,  1141-1143.  —  2.  Spring,  823.  —  3.  Summer,  o04,  505. 

i.  Mr.  Bain  cependant  cite  particulièrement  les  quatre  vers  du  •  Prin- 
cmps  •.  Nous  les  avons  notés  déjà  pour  en  relever  la  valeur  expressive 
p.  349). 

5.  EuffUsh  Composition  and  ïihetoriCf  p.  210. 

31 


482  JAMES  THOMSON. 

uns  et  des  tentatives  incertaines  d'un  petit  nombre,  il  a  reven- 
diqué pour  le  monde  matériel  une  place  au  premier  rang 
parmi  les  objets  do  l'art  et  de  la  poésie. 

A  cette  tâche  il  a  porté  d'éminentes  qualités  d'artiste.  Soo 
talent  de  description  le  fait  Tégal  des  plus  grands  j^armi  b 
maîtres.  Sa  vision  des  choses  est  large  et  embrasse  d'oixliuaire 
l'ensemble  des  scènes.  Mais  à  ses  tableaux  de  vastes  spectacles, 
se  mêlent  nombre  d'observations  de  détail,  délicates  et  pré- 
cises. Il  s'attache  surtout  à  peindre  les  masses;  mais  ses  des- 
criptions révèlent  toujours  une  organisation  d'observateur  et 
d'artiste  singulièrement  riche  et  souple. 

Son  interprétation  de  la  nature  n'offre  pas,  il  est  vrai,  Tin- 
tensité  d'éclat  ni  le  pathétique  intérêt  qui  s'attachent  à  celles 
d'autres  écrivains.  Elle  n'est  pas  dramatique  comme  celles  des 
nombreux  poètes  qui  voient  les  choses  à  travei's  les  émotions 
et  les  passions  humaines.  Elle  n'est  pas  philosophique  et  pro- 
fonde (!omme  celle  de  Wordsworth.  Elle  n'est  pas  lyrique  et 
créatrice  de  vie  comme  celle  de  Shelley.  Mais  elle  esl  la  pliii 
complète,  la  plus  sincère  et  la  plus  vraie  parmi  celles  «jui  ouï 
visé  seulement  à  reproduire  fidèlement  et  directement  la 
beauté  qui  émane  des  mille  aspects  du  monde  sensible. 

Pour  son  œuvre  originale  il  s'est  fait  une  forme  à  peine 
moins  indépendante  du  goût  alors  régnant.  Son  vers  et  sa 
langue  ramènent  dans  la  poésie  la  liberté,  l'ampleur  et  le 
grand  style  qui  y  étaient  devenus  aussi  étrangei's  que  la  con- 
naissance du  monde  matériel.  Mais  cette  forme  éloquente  et 
somptueuse  reste  troj)  uniformément  oratoire,  pomi^euse  et 
tendue.  Les  quelques  occasions  où  le  ton  s'abaisse  n'inlluenl 
pas  assez  sur  l'impression  générale.  Et  sous  cette  envel(>|)i)e 
ti'op  riche  et  trop  raide  risquent  de  disparaître  mille  délail^ 
gracieux  et  familiers  qu'il  en  faut  dégager  pour  apprécier 
justement  le  génie  de  l'écrivain. 

Par  lui-même  le  fond  de  l'cruvre  reste  digne  de  toute  adnii- 
ration.  En  dépit  des  elVets  nouveaux  plus  subtils  et  plus  ambi- 
tieux que  les  poètes  ont  depuis  tirés  de  l'observation  d»^ 
(îhoses,  les  peintures  de  Thomson  gardent  leur  beauté  pour 
les  lecteurs  de  toutes  les  classes.  Mais  pour  rendre  justice  ;i 
l'écrivain  il  faut  un  peu  de  critique  et  d'histoire;  il  faut  le 
comparer  à  ses  prédécesseurs  et  à  ses  contemporains.  Sa 
langue,  pleine  de  hautes  qualités,  manque  de  soupière  et  de 


LES   «   SAISONS   •>.  —   CONCLUSION. 


483 


simplicité.  Elle  emploie  trop  souvent,  pour  traduire  des  obser- 
vations directes  et  franches,  une  forme  où  se  sentent  Tartifice 
et  la  manière.  Et  voilà  comment  ce  poème  des  a  Saisons  d  qui 
marque  une  des  dates  glorieuses  de  Thistoire  des  lettres,  qui 
a  donné  le  signal  et  le  mot  d'ordre  d'une  révolution  destinée 
à  renouveler  la  littérature  de  l'Europe,  n'est  pas  au  nombre 
des  chefs-d'œuvre  complets,  parce  qu'il  n'a  pas  réalisé  l'har- 
monie absolue  du  fond  et  de  la  forme. 


LIVRE    II 


PETITS     POÈMES 


CHAPITRE  I 


PIÈCES    JUVÉNILES 


Les  éditeurs  de  Thomson  ont  recueilli  un  certain  nombre 
des  pièces  où  s'exerçait  son  jeune  talent.  Ce  sont  ces  premiers 
vers,  on  s'en  souvient,  qui  inspiraient  à  quelques  hommes  de 
goût  tels  que  sir  William  Bennett  et  Riccaltoun,  la  pensée 
que  le  jeune  auteur  avait  en  lui  Tétoffe  d'un  poète  de  valeur  *. 
Nous  y  trouverons  donc  l'intérêt  qui  s'attache  aux  promesses 
d'un  génie  en  voie  de  formation.  Nous  y  observerons  la  pre- 
mière floraison  de  ce  talent  dont  nous  avons  étudié  le  plein 
épanouissement. 

On  sait  que  le  jeune  Thomson,  avec  une  rare  modestie, 
détruisait  ces  productions  imparfaites  ».  Quinze  seulement  ont 
survécu  à  l'autodafé  annuel,  et  l'on  y  peut  joindre  les  trois 
morceaux  publiés  en  1720  dans  VEdinburgh  Miscellany. 

La  première  constatation  que  suggèrent  ces  pièces,  c'est, 
chez  leur  auteur,  un  vif  amour  des  choses  de  la  campagne,  un 
don  d'observation  rapide  et  précise,  et  un  réel  pouvoir  de 

i.  Voir  plus  haut,  p.  17. 
2.  Voir  plus  haut,  p.  19. 


486  JAMES  THOMSON. 

description.  Douze  au  moins,  sur  les  dix-huit,  nous  offrenl 
dos  peintures  de  spectacles  naturels.  Quelques-unes  sont 
entièrement  consacrées  à  cet  objet,  comme  la  pièce  sur  le  mois 
de  mai,  ou  celle  qui  a  pour  titre  «  Le  matin  à  la  campagne  i. 
Mais  alors  même  que  le  sujet  principal  est  différent,  on  sent 
que  rame  et  les  yeux  du  poète  sont  pleins  d'images  et  de 
visions  de  la  nature,  qui,  à  la  première  occasion,  viennent  » 
condenser  dans  ses  vers.  Le  morceau,  par  exemple,  qu'il  inti- 
tule ((  Sur  la  Beauté  »  renferme,  après  un  court  préambuk, 
trente  vers  do  description  très  riche  et  très  variée.  Le  lieu 
enchanté,  a  happy  place  »,  qui  s'y  trouve  décrit  a  mémeuc 
caractère  exact  et  individuel  qui  se  retrouve  rarement  dans 
rœuvre  de  Thomson:  en  même  temps  que  la  description  revêt 
parfois  une  largeur  et  une  puissance  d'évocation  pittoresque 
qui  annoncent  l'auteur  des  «  Saisons  ». 

Monts  cl  vallées  s'êlcndenl  dans  nnc  confusion  charmante  : 
Le  troupeau  broute  et  se  disperse  sur  les  pentes  des  collines, 
Kl  emplit  tout  le  voisinage  de  ses  bêlements  : 
Kl  sur  les  sommets  élevés  de  liantes  forêts  s'agitent  verdoyante?'. 

Dans  un  morceau  moins  important,  pastorale  où  nous  enten- 
dons dialoguer  les  bergers  Thirsis  et  David,  et  l'Ange  Gabriel, 
l'annonce  de  la  naissance  du  Sauveur  est  saluée  par  les  pas- 
teurs comme  devant  transformer  l'aspect  de  la  nature  : 

L'année  ne  ramènera  plus  les  horreurs  hivernales; 
Une  immortelle  verdure  vêtira  les  monts  et  les  vallées. 
Et  de  suaves  odeurs  empliront  les  brises  parfumées  -. 

Devenu  étudiant  et  habitant  d'hkiimbourg,  Thomson  n'a  rien 
perdu  de  son  amour  pour  la  campagne.  Ce  sentiment  s'est  au 
contraire  accru  au  contraste  de  la  ville.  La  pièce  de  cent  dix 
vers  qui  a  pour  titre  «  D'une  vie  rustique  »  nous  montre  le 


1.  «  And  liills  and  vales  in  swect  confusion  he  : 
The  nibbling  flock  strays  o*cr  thc  rising  hllls, 
And  ail  around  with  blealing  music  (ills  : 
High  on  their  fronts  tall  blooming  forests  nod. 

2.  •  No  more  tlie  year  shall  \vinlr\  liorrors  bring. 


Immorlal  green  shall  clothe  thc  liills  and  vales 
Aud  odoroiis  swccls  shall  load  Ihe  balmy  gales. 


PIÈCES  JUVÉNILES.  487 

poète  blessé  des  laideurs  et  du  bruit  de  la  ville.  Elle  évoque 
en  traits  précis  et  nets  ces  scènes  de  la  vie  des  ctiamps  où  se 
plaît  1(3  jeune  homme.  Les  vingt  premiers  vers  sont  employés 
à  mettre  en  contraste  le  tumulte  des  villes  enfumées  et  les 
sons  doux  et  charmants  de  la  campagne. 

Ces  descriptions,  il  faut  revenir  sur  ce  point,  ont  souvent 
un  caractère  exact,  local,  de  chose  vue  et  non  pas  seulement 
d'impression  générale  vaguement  cons(îrvée.  On  le  vérifiera 
par  exemple  dans  la  courte  pièce  n  Le  matin  à  la  campagne  ». 
Chaque  vers  y  apporte  Técho  d'une  observation  directe.  Les 
notations  de  sensations  variées  :  vue,  odeur  et  son  s'y  succè- 
dent. Le  berger  qui  y  ligure  n'est  pas  le  mythologique  et  inco- 
lore personnage  de  tant  de  pastorales.  C'est  le  plaid  écossais 
qu'il  jette  sur  ses  épaules  avant  de  faire  le  tour  de  son  parc  à 
moutons;  et,  s'il  doit  plus  tard  «  chanter  »,  lui  aussi,  «  les 
louanges  de  quelque  charmante  bergère  »,  il  commence  par 
«  remettre  en  place  sur  le  talus  de  crlôture  les  mottes  tombées 
«  pendant  la  nuit  ». 

Voilà  la  vraie  et  franche  inspiration  d  où  sortiront  tant  de 
fraîches  descriptions  des  a  Saisons  ».  Le  jeune  poète  se  laisse 
très  rarement  entraîner  jusqu'aux  hyperboles  extravagantes  ou 
aux  concetti  qui  forment  la  monnaie  courante  de  la  langue 
(les  bucoliques.  Dans  la  ((  Pastorale  entre  Thirsis  et  Corydon, 
sur  la  mort  de  Damon  »,  nous  lisons  bien  : 

(>  ruisseaux  qui  ^rlissez,  plcurciz  au  poiut  de  laisser  à  sec  votre  lil; 
]^t»s  Ilots  de  mes  larmes  rempliront  abondamment  '. 

Mais  de  pareilles  fautes  de  goût  sont  très  rares  dans  ces 
productions  d'un  enfant  ou  d'un  très  jeune  homme.  Si  toutes 
ces  pièces  restent  assez  médiocres,  en  dépit  de  quelques  traits 
(le  description  heureux,  c'est  par  la  teinte  grise  et  monotone 
de  l'ensemble,  et  non  par  la  recherche  d'ornements  criards. 
L'inspiration  ne  vient  pas  au  poète  des  pastorales  artificielles 
(Je  l'école;  mais  de  la  nature  avec  laquelle  il  vit  en  commu- 
nion intime,  et  du  poète  Ramsay  pour  qui  son  admiration 
s'exprime  dans  la  pièce  intituh^e  «  Sur  la  Beauté  -  ». 

1,  *  Ye  glidiag  brooks,  o  woep  your  channels  dry, 

My  flowiug  loari  lliem  fully  sliall  supply.  « 

i>.  «  Most  sweetly  eung  in  Alian  Rami^ay's  song.  » 


488  JAMES  THOMSON. 

Après  la  Nature,  la  Religion  est  le  «  motif  »  le  plus  fréquent 
de  ces  pièces  juvéniles.  Plusieurs  sont  entièrement  des  mor- 
ceaux religieux  :  «  Hymne  à  la  puissance  divine  »,  t  Para- 
phrase du  psaume  CIV  m,  a  Pastorale  sur  la  naissance  de 
notre  Sauveur  »,  «  Fragment  d'un  poème  sur  les  œuvres  et 
les  merveilles  de  la  Puissance  Divine  *  ».  Elles  nous  donnent 
toutes  l'impression  d'un  sentiment  religieux  ardent  et  sincère. 
Le  premier  de  ces  morceaux,  «  Fflymne  à  la  puissance  divines 
offre  pour  nous  cet  intérêt  particulier  d'être  comme  un  t  pre- 
mier état  »  de  cet   Hymne  dont  Thomson  fit  plus  tard  le 
magnifique  couronnement  de  son  poème.  La  mesure  n'est  pas 
la  mémo,  le  rythme  de  ces  strophes  à  quatre  vers,  tétramétre 
et  trimètre  iambiques  à  rimes  alternées,  produit  un  effet  diffé- 
rent de  celui  de  la  noble,  grave  et  éloquente  prière  des  €  Sai- 
sons ».  Mais  ridée  générale  est  identique;  c'est  une  imitation 
du  psaume  de  David  ;  c'est  toute  la  nature  appelée  à  célébrer 
la  gloire  de  Dieu.  Et  le  mouvement  général  du  morceau,  cette 
série  d'apostrophes  accumulées  donne  bien   le  même  effet 
général  que  le  morceau  plus  étendu  et  seul  devenu  célèbre 
dont  nous  avons  ici  plus  que  le  germe  *. 

Notons  en  passant  que  dans  une  de  ces  pièces,  et  sans  doute 
une  des  plus  anciennes,  si  nous  en  jugeons  par  la  facture,  le 
«  Fragnjent  d'un  poème  sur  les  œuvres  de  la  Puissance 
divine  »,  Thomson  exprime  ce  désir,  qui  l'a  plus  tard  et  long- 
temps hanté,  d'étudier  la  nature  en  philosophe  et  en  savant, 
comme  il  la  goûte  et  la  peint  en  poète. 

Même  dans  des  pièces  qui  n'ont  pas  une  inspiration  pure- 
ment religieuse,  un  vif  sentiment  de  piété  se  trouve  parfois 
exprimé.  Telle  est  la  «  Lamentation  sur  les  misères  de  la  vie  •• 
Le  jeune  poète  y  professe  cette  misanthropie  et  ce  pessimisine 
que,  comme  une  crise  de  l'esprit,  doit  subir  l'adolescence.  Le 

1.  Donné  par  Thomson  à  llill,  cl  inséré  par  celui-ci  dans  le  n*  46  de  sod 
Piaiii  Dealer. 

2.  Tous  les  molifs  de  la  première  pièce  se  retrouvent  sous  une  forme 
plus  riche  on  pins  ample  dans  1'  «  Hymne  *  des  «  Saisons  •.  Il  en  est  un  cepeD- 
dant  que  le  poète  n'a  pas  conservé  et  qui  mérite  d'être  noté.  C'est  le  trait 
par  lequel  il  fait  ingénieusement  intervenir  dans  ce  concert  des  créatures 
un  élément  tout  passif  : 

«  Ye  seas,  in  your  ctorunl  roar, 

His  sacre<i  praise  proclaim; 
While  the  inactive  slng^^ish  shore 

Reeclioes  to  the  samc.  » 


PIÈCES  JUVÉNILES.  489 

morceau  se  termine  par  une  strophe  pleine  de  fof,  par  un 
engagement  pris  de  suivre  la  loi  divine,  et  de  traverser  les 
misères  et  les  corruptions  de  la  vie  en  tendant  toujours  vers 
les  hauteurs  et  vers  la  lumière. 

Ces  premières  pièces  font  aussi  une  part  à  un  élément  d'in- 
térêt que  le  poème  des  a  Saisons  d  devait  exclure  presque 
entièrement,  c'est  l'humour.  —  Le  «  panier  »,  condamné  par 
les  puritains  moroses,  trouve  en  James  Thomson  un  défenseur 
complaisant.  Il  consacre  une  courte  pièce  à  cette  parure 
qui,  «  combinée  avec  le  tartan,  rend  une  jeune  fille  radieuse 
comme  une  déesse  ».  —  Dans  le  morceau  On  Beauty,  il  fait 
de  la  divinité  à  laquelle  sont  consacrés  ces  vers  une  des- 
cription détaillée,  et  il  Torne  elle  aussi  «  d'un  ample  panier  » 
et  d'un  «  brillant  tartan  ». 

Plus  heureuse  dans  cette  veine  de  gaieté  malicieuse  est  la 
pièce  dédiée  à  sa  plus  jeune  sœur  :  a  Lise  se  séparant  de  son 
chat  ».  La  rime  est  ici  abandonnée  et  le  morceau  se  poursuit 
sur  un  ton  moitié  grave  et  moitié  plaisant,  avec  les  prosopo- 
pées,  les  interrogations  et  les  interjections  voulues;  elle  con- 
stitue un  court  échantillon  d'un  excellent  style  de  parodie 
souriante. 

«  Sur  le  Bonheur  î>  est  une  dissertation  morale  de  cent 
soixante  vers,  pieuse,  froide  et  plate.  Des  réllexions  sur  la 
vanité  des  plaisirs  y  sont  développées  en  un  langage  terrible- 
ment prosaïque.  L'œuvre  se  termine  par  l'assurance  exprimée 
en  vers  bien  pesants  que  le  seul  bonheur  réel  est  celui  que 
Dieu  réserve  à  ses  élus.  Deux  passages  seulement  viennent 
rompre  la  monotonie,  et,  pour  tout  dire,  lennui  de  ce  sermon. 
Une  image  imprévue  et  qui  tranche  fort  avec  le  ton  du  reste 
compare  l'homme,  dans  sa  recherche  d'un  bonheur  toujours 
fuyant,  à  un  épagneul  qui  poursuit  sur  l'eau  un  canard  sau- 
vage. Chaque  fois  qu'il  croit  l'avoir  atteint,  l'oiseau  plonge  et 
disparait  et  laisse  le  chien  à  demi  suffoqué  par  l'eau  happée  au 
lieu  de  la  proie  *.  —  Quelques  autres  vers  du  même  morceau, 
où  se  reconnaissent  des  souvenirs  de  Spenser  et  de  Milton,  nous 
montrent  l'unique  trace  peut-être  que  contienne  la  poésie  de 
Thomson,  avant  1748,  d'un  goût  pour  le  merveilleux  féerique. 
Il  en  devait  naturellement  sentir  l'attrait  en  sa  qualité  d'Écos- 

i.  Vers  54-61. 


490  JAMES  TnOMSON. 

sais;  il  avait  développé  ce  goût  au  commerce  de  Spenser;mais 
il  y  avait  soustrait  toute  sa  production  littéraire  jusqu'au 
nionient  où  il  lui  donna  un  si  magnifique  développement  dans 
le  «  Château  d'Indolence  ». 

Ainsi  quand  la  Lune  lance  son  rayon  d'argent 

El  verse  sur  la  terre  silencieuse  un  jour  pâle, 

Des  cavernes  slygiennes  les  fées  s'enfuient  rapides 

Et  sur  la  rive  de  quelque  courant  limpide 

Qui  sous  le  clair  de  lune  réfléchit  une  lueur, 

En  rondes  nocturnes  elles  se  rangent  pour  leurs  danses  *. 


II 


Des  renseignements  précieux  nous  sont  fournis  par  ces 
mêmes  pièces,  si  nous  en  comparons  la  langue  et  la  versifica- 
tion à  celles  de  l'œuvre  de  la  maturité  du  poète.  Rien  ne  peut 
aussi  bien  nous  convaincre  de  la  part  qui  revient  à  Tindustrie. 
à  Teffort  prolongé,  au  métier  appris,  dans  la  poésie  de  Thom- 
son. Deux  de  ces  pièces  :  «  Hymne  à  la  Puissance  divine  •• 
«  Lamentation  sur  les  misères  de  la  vie  »,  nous  montrent  le 
jeune  écrivain  à  la  recherche  des  rythmes  variés.  Et  de  fait,  à 
en  juger  par  ces  exemples,  il  maniait  avec  une  assez  élégante 
sûreté  les  tétramètres  ou  trimètres  en  strophes  régulières 
composées  de  vers  brefs  et  rapides  enfermant  de  courtes  phrase? 
souvent  antithétiques  -.  Mais  le  vers  habituellement  employé 
est  le  pentamètre  ïambique,  celui  dont  le  poète  fera  plus  tanl 
son  instrument  constant,  en  lui  donnant  une  forme  personnelle 

i.  «  Just  se  when  Luna  darts  lier  silver  ray, 

And  peurs  on  silent  earth  a  paler  day  : 
Froin  Slygian  caves  liic  flitling  fairies  scud, 
And  on  thc  margent  of  some  limpid  flood, 
Wliich  by  reflecled  moonliglit  darts  a  glance, 
In  midnight  circles  range  themscives  and  dance.  » 

[(Jpon  HappinesSj  88-93.) 

2.  Témoin  cette  strophe,  la  septième  du  morceau  : 

What's  monev  but  refincd  dust? 

What's  liononr  but  an  empiy  name? 
And  what  is  soft  enticin^  lust, 

But  a  consuming  idie  flame? 
Yca,  what  is  ail  beneath  tlic  sky 

But  empliness  and  vanity? 


PIÈCES   JCVÉNILES.  491 

ol  (HMuinalc.  (Quelle  (litTéi'ciice  cependaiil  riilrc  ce  vers  ri  celui 
(les  «  Saisons  »!  Dans  toutes  les  i)ièces  juvéniles  saut' une,  l'amu- 
sant l)adina,ue  adressé  à  sa  sa^ur,  les  vers  sont  rimes,  et  nous 
(lirons  quel(|ue  chose  du  car*actère  de  ces  rimes.  Dans  toutes, 
en  dépit  de  quelques  bonheurs  d'expression,  la  forme  reste 
lourde  et  monotone,  ou  bien  les  efTorts  pour  variei*  le  mouve- 
ment aboutissent  aux  plus  gauches  désarticulations  de  la 
phrase. 

A  toiich  of  llis  lo  smokc  tlie  mouiitains  inakcs  '. 
vou  knew 

« 

Ilow  as  in  ycars  so  hc  in  virlue  grew  *. 

The  way  that  to  tins  stalcly  palace  goes 
Oï  mvrtle  trees  lies  'Iwixt  Iwo  cven  rows  '. 

La  langue  est  parfois  incorrecte  ;  Taccord  entre  le  verbe  et 
son  sujet  est  souvent  défectueux  : 

Xor  is  Ihereby  their  fragrant  stores  consuined  *. 

Fanncd  always  by  a  cooling  western  gale 

NVhicli  in  soft  breezes  through  Ihc  nieadows  stray, 

And  steals  the  ripeneil  fragrancies  away  '\ 

Thon  Uke  a  curtain  slretched  •. 

tlie  full  laden  vales 

Gives  prospect  of  employmenl  for  the  llelds'. 

Les  inexpériences  et  les  maladresses  prosodiques  ne  sont  pas 
rares  non  plus.  C'est  par  exemple  un  ale.xandrin  introduit  par 
inadvertance  au  milieu  des  pentamètres  : 

Wliich  on  the  shrivelled  gronnd  they  bounteonsly  dislil  *, 

ou  bien  un  pied  formé  d'une  syllabe  muette,  même  suivie 
d'une  voyelle  : 

Hère  is  peace,  transporting  joy,  and  love*. 
That  wilh  inimitable  art  are  dressed  *^. 


1.  Psalin  CIV  Paraphrased^  v.  110.  —  i\  A  Pastowl  hetween  Thirsis  awl 
Cori/don,  23,  24.  —  3.  On  Beauty,  135,  136.  —  4.  Lines  on  Mnrlefield,  24.  — 
5.  A  Pastoral  Entertainment ^  22-23.  —  6.  Psalm  CIV  Parapfirased,  6.  — 
7.  Ofa  Country  Life,  29,  30.  —  8.  Psaim  C!V  Parap/nased,  40.  —  9.  Ibid,, 
39.  —  10.  On  Renuty,  vers  la  fin. 


492  JAMES  THOMSON. 

De  fréquentes  élisions  de  voyelles  dans  le  corps  des  mots  con- 
tribuent pour  une  bonne  part  à  la  dureté  et  à  Tabsence  d'har- 
monie des  vers  :  a  gen'rous  (ix),  t  od'rous  »  (x,  iv),  t  nat'ral  > 
(vi),  «  grauTîes Tvi),  «  munn'ring  »,  i  am'rous  n  (Ofa  Countrif 
Lifp), 

Enfin  les  rimes  nous  apportent  de  curieux  renseignements 
sur  la  prononciation  du  jeune  poète  et  sur  le  son  qu'il  atta- 
chait à  certains  mots  ou  à  certaines  combinaisons  de  lettres. 
C'est,  dans  la  première  et  la  plus  ancienne  de  ces  pièces,  la 
rime  de  a  frowns  »  et  de  «  owns  ».  Dans  la  IV*^  nous  trouvons 
accouplés  par  la  rime  «  east  n  et  «  drest  ».  Dans  la  V^'«  rock  * 
et  «  oak  »,  a  inove  »  et  «  above  »,  «  praise  »  et  «  seas  ».  Dans 
la  VI''  a  6east  »  et  <c  waste  »,  3i,  5;  a  nesls  »  et  «  dressed  •, 
38,  9;  «  plays  »  et  «  day  »,  97, 8  ;  «  thee  »  et  «  die  »,  v.  99, 100. 
Dans  la  VIP  a  joys  »  et  a  outweighs  »;  «  sky  »  rime  une  fois 
avec  a  vanitv  »  et  une  autre  fois  avec  «  deitv  ».  Dans  la  VIII' 
nous  relevons  a  grass  »  et  «  face  »,  «  gone  »  et  «  son  »:  dans  la 
IX",  «  cause  »  et  a  was  »,  a  cares  »  et  a  fears  »,  t  verse  »  et 
«  fears  »,  «  verse  »  et  ((  hearse  »,  «  forbear  »  et  «  tear  »  subst.; 
«  rove  »  et  «  movc  />;  dans  la  X«  «  feast  »  rime  une  fois  avec 
«  drest  »  et  une  fois  avec  a  placed  »,  a  perfumes  »  avec 
a  blooms  ».  La  XI'-  nous  donne  a  retreat  »  et  «  date  •, 
«  abode  v"  et  «  god  »  ;  la  XII"  <i  nod  »  et  «  abode  »,  «  confound  » 
et  (L  wound  »  subst.  ;  «  flew  »  et  a  dew  »,  «  boast  »  et  «  exhaust  •  ; 
la  XI1I«  a  blast  »  et  a  chaste  »,  a  fair  »  et  «  are  »;  la  XIV 
«  farewell  »  et  «  feel  »,  «  beat  »  et  4  fate  ». 

Dans  la  pièce  Ofa  country  Lïfe^  nous  rencontrons  *  plough  • 
et  «  renew  »,  10,  20,  «  flee  »  pour  «  tly  »,  subst.,  55;  «  lot  >, 
rimant  avec  a  remote»,  107,  i08. 

Dans  Upon  Ifappiness^  «  deny  »,  «  variety  »,  78,  9;  «  given  ». 
tt  heaven  »,  80,  1;  «  remove  »,  «  above  »,  104,  5;  «  fair  », 
a  are  »,  140,  1  ;  «  view  »,  «  crew  »,  li6,  7. 

On  voit  à  quel  point  la  prononciation  de  Thomson  était  alors 
imprégnée  des  particularités  locales  de  TÉcosse,  et  quelle 
énergie  il  lui  fallut  pour  arriver  à  se  faire  une  langue  riche, 
et  cependant  aisée,  [)leine  et  harmonieuse  où  Ton  a  peine  à 
découvrir  quelque  trace  de  scotticisme  *. 

Enfin  on  peut  relever  dans  ces  premières  œuvres  quelques 

1.  Sur  la  prononciation  du  poêle,  voir  Appendice  IV. 


PIÈGES  JUVÉNILES.  493 

expressions  ou  quelques  idées  que  le  poète  n*a  pas  dédaigné  de 
reprendre  plus  tard  pour  les  introduire  dans  son  grand  poème. 

Le  verbe  a  flounce  »,  qui  parait  être  un  de  ses  termes 
favoris,  et  qu'il  emploie  plusieurs  fois  dans  les  a  Saisons  », 
ligure  dans  la  Paraphrase  du  Psaume  CIV  ',  et  dans  la  pièce 
ft  Sur  une  vie  rustique  *  ». 

Moins  heureux  est  Tusage  qu'il  fait  du  verbe  a  implore  » 
dans  un  vers  qui  rappelle  nombre  de  passages  des  a  Saisons  », 
en  exagérant  ce  que  l'emploi  du  mot  a  parfois  dans  ce  poème 
d'un  peu  burlesque  : 

Les  lions  rompent  le  silence  de  la  nuit  de  leur  rugissemenl  affreux 
El  implorent,  de  la  bonté  du  ciel,  leur  proie  nocturne  '. 

«  A  checkered  scène  ))  de  la  pièce  N^  X  rappelle  aussi  une 
expression  employée  dans  les  a  Saisons  »  avec  un  effet  brillant. 
Nous  trouvons  dans  la  paraphrase  du  Psaume  CIV  cette 
théorie  des  sources  et  du  voyage  des  eaux  souterraines  que 
Thomson  devait  développer  longuement  dans  les  premières 
éditions  de  1'  a  Automne  »,  sauf  à  y  ajouter  plus  tard  une  réfu- 
tation de  rhypothése  *. 

Enfin  la  pièce  qui  a  pour  titre  Of  a  CoxoHry  Life  ren- 
ferme comme  un  sommaire  du  poème  des  «  Saisons  ».  Les 
scf>nes  caractéristiques  des  divers  moments  de  Tannée  y  sont 
rappelées  en  quelques  phrases;  1'  a  Hiver  »  en  particulier  est 
assez  longuement  développé  et  nous  offre  plusieurs  traits  dont 
Thomson  s'est  souvenu  plus  tard  ^ 


1.  Vers  93. 

2.  Vers  65. 

3.  »  They  break  nlghl's  silence  willi  Iheir  hideous  roar, 
And  from  kinil  licaven  llieir  nighUy  prey  implore.  » 

{Psalm  CIV,  V.  "7,78.) 

i.  «  Tlirough  secret  tracts  they  up  the  mountnins  creep.  » 

{Psahn  CIV,  23.) 
5.  Celui-ci  par  exemple  : 

«  The  bleating  flocks  for  want  of  food  repine  »,  v.  42  et  suiv. 


CHAPITRE  II 


PIÈCKS     DIVERSES 


I 

Pièces   commémoratives.    —   Sur  la  mort   do   sa  mère. 

Parmi  les  œuvres  d'importance  secondaire  que  Tiiomson  a 
produites  en  mc'îme  temps  qu*ii  élaborait  ses  grands  poèmes, 
nous  réunirons,  pour  les  examiner  à  part,  celles  qu'il  a  consa- 
crées à  la  mémoire  d'êtres  chers  ou  de  morts  illusti^s  :  ss\ 
mère,  son  ami  Aikman,  Newton,  ou  Talbot  son  protecteur. 

On  se  rappelle  que  le  jeune  poète,  presque  aussitôt  après 
son  arrivée  à  Londres,  y  avait  appris  la  mort  de  sa  mère  '. 
Buchan  a  publié,  en  17îh2  -,  une  courte  pièce  que  le  jeune 
homme  avait  écrite  sous  le  coup  de  cette  douloureuse  nou- 
velle. Thomson,  par  une  pudeur  filiale  bien  naturelle,  n'a 
pas  fait  figurer  ce  morceau  dans  le  recueil  de  ses  œuvrer. 
Elle  mérite  cependant  d'être  rappelée  et  de  fixer  un  moment 
notre  attention.  Klle  nous  est  une  occasion  de  constater  si, 
dans  Texpression  d'une  vive  et  poignante  émotion,  le  poète 
pouvait  s^atîranchir  des  formes  convenues  et  des  ornements 
artiliciels  qui  entachent  son  style  aussitôt  qu'il  cesse  de  s'ap- 
pliquer à  la  pure  description.  Eh   bien!  il  faut  avouer  la 


i.  Voir  biographie,  p.  iO. 

2.  «  Ess(n/  on  the  Life  of  Thornson,  etc.  »» 


PIÈCES   DIVERSES.  495 

conclusion  qui  s'impose  :  Thomson,  alors  même  qu'il  traduit 
le  sentiment  le  plus  sincère  et  le  plus  profond,  ne  trouve  pas 
une  forme  littéraire  où  se  révèlent  la  spontanéité,  la  simplicité 
ou  l'ardeur  des  vrais  lyriques.  Il  y  a  une  indéniable  franchise 
de  sentiment  dans  plus  d'un  passage  de  cette  pièce.  On  sent 
comme  il  le  dit  «  qu'une  douleur  réelle  inspire  son  cœur 
palpitant  *  »  quand  il  rappelle  les  épreuves  cruelles  de  sa 
mère  : 

La  ninrt  a  f«Miiir  ses  yeux  toujours  bai|^més  île  larmes, 
Elle  a  enliii  «lonué  un  séjour  de  paix  à  ee  cœur  lassé  '. 

Nous  retrouvons  la  sensation  d'un  souvenir  douloureux  dans 
le  passage  où  il  rappelle  les  adieux,  sur  le  quai  de  Leith,  de 
cette  mère  qu'il  ne  devait  plus  revoir.  —  Mais  ces  émotions 
revêtent  le  plus  souvent  une  forme  bien  artilicielle,  bien  litté- 
raire ou  bien  pompeuse.  C'est  ici  une  réminiscence  de  Shake- 
speare que  le  poète  adopte  et  développe  comme  pour  un  exer- 
cice d'amplilicalion  : 

Elle  ne  ressent  plus  le  sort  désolé  de  la  veuve. 
Ni  les  cruelles  épreuves  que  cache  la  pauvreté  modeste, 
Ni  le  fléau  du  tyran,  ni  h)  mépris  de  Torf^Hieil  opulent. 
Ni  tous  ces  autre<  maux  innnmhrahles  de  l'indigence^. 

A  côté  des  souvenirs  d'école,  les  hyperboles  et  l'emphase  de 
récolier  : 

Uu'à  cotl(^  nouvelle  la  jnie  abandouiu*  ses  hosquels  de  rnses 
Et  (juc  la  douleur  aux  cris  perçants  désoh?  ces  heures  néfastes  '. 

OU  encore  : 

Puunjunj  donc  ai-je  été,  puissances  divines,  réservé  à  ceci? 
I*ourqu<»i  n'ai-je  pas  h  ce  moment  même  «lisparu  dans  l'ahîme  im- 
En^douli  aussitôt  par  le  flot  im|)itoyal)le  fmense? 

VA  h  jamais  enseveli  dans  une  humide  tombe  ^'^ 

1.  <<  True  i^cnuine  woe  my  throbbin^  breasl  inspires.  »  (v.  'A.) 

'2.  ".  And  deatli  lins  shul  hcr  cver  weepin^  eyes; 

lias  loil^ed  at  last  in  peace  hcr  weary  i)rcast.  »  (8.  9.) 

:^  «  No  more  Ihe  wi«io\\'s  lonelv  fate  she  feels, 

The  shock  scvltc  that  modesl  wanl  conceals, 
Th'oppres?or's  smurjrc,  lh(»  srorn  of  xNcallhy  pride, 
And  poverly's  iinnundH'r'd  ills  beside.  «  (13-10.; 

î.  Vers  34,  3:;.  —  5.  Vers  ît.  47. 


496  JAMES  THOMSON. 

• 

En  opposition  à  ces  taches,  il  nous  faut  noter  Tordinaire 
harmonie  de  la  période  qui  se  retrouve  ici,  malgré  la  rime, 
comme  dans  les  vers  blancs  du  poète.  Il  faut  signaler  aussi 
quelques  traits  auxquels  se  révèle  l'observateur  et  le  peintre 
puissant  de  la  nature  : 

Au  milieu  «le  Téolal  joyeux  du  rouge  soleil  *. 

Et  nous  mêlions  nos  murmures  au  p;rondement  des  vagues*. 

Parfois  même  une  épithète  pittoresque  vient  affirmer  que 
l'instinct  du  poète  persiste  sous  la  douleur  du  fils  : 

Je  m'élançai  désolé  dans  le  navire  aux  lianes  arrondis  '. 


II 


Sur  la  mort  d'Aikman. 

De  même  caractère  est  la  pièce  beaucoup  plus  courte  que 
Thomson  a  consacrée  à  la  mémoire  de  son  ami,  le  peintre 
Aikman.  Les  relations  des  deux  jeunes  gens  avaient  été  des 
plus  cordiales  *.  Le  chagrin  causé  au  poète  par  la  mort  préma- 
turée qui  interrompait  une  carrière  pleine  de  promesses  et  qui 
brisait  une  chère  amitié  fut  sans  nul  doute  très  profond.  Les 
vers  où  il  l'exprime  ne  sont  pas  cependant  de  ceux  où  son 
talent  s'affirme.  Il  semble  en  avoir  eu  lui-même  conscience. 
Ce  petit  poème  ne  figure  dans  aucun  des  recueils  publiés  de 
son  vivant.  Est-ce  la  forme  adoptée  qui  l'a  embarrassé  et 
alourdi?  Toute  la  pirce  nous  laisserait  le  souvenir  d'une  bien 
froide  imitation  du  style  de  Pope,  si  les  huit  derniers  vers  ne 
venaient  racheter  la  pauvreté  du  reste.  Ils  sont  nets,  brillants 
et  concis  comme  les  modèles  imités.  Comme  eux  aussi  ils 
expriment  des  pensées  devenues  banales.  Mais  à  l'exposé  de 

1.  «(  Amid  thc  ruddy  sun*s  enliveuing  blaze.  »  (25.) 

2.  •  And  mixed  our  miirmurs  with  the  wavy  roar.  •  (40.) 

3.  «  Thcn,  wild  into  Uie  bulging  vessel  flung.  »  (42.) 

4.  Voir  plus  haut,  Biographie,  p.  98. 


PIÈCES   DIVERSES.  497 

l'un  de  ces  lieux  communs  éloquents  où  se  plaisait  Pope,  ils 
eyoutent  le  souvenir  d'une  douleur  privée  et  cette  pointe 
d'émotion  qui  manque  aux  chatoyantes  antithèses  du  maître. 

-.\  inesun»  que  tombent  ceux  que  nous  aimons,  nous  mourons  en 

L'un  après  l'autre  se  rompent  les  liens  de  noire  cœur;  [partie. 

Jusqu'à  ce  qu'enfin  la  vie  détachée  —  argile  qui  respire 

Kt  no  sent  plus  la  douleur,  soit  heureuse  de  se  dissoudre. 

Malheureux  celui  «jui  le  dernier  est  frappé. 

Dont  los  yeux  ont  pleuré  tous  ses  amis  couchés  dans  la  tombe, 

Uni,  attardé  sur  la  terre,  s'est  traîné  d'une  mort  partielle  à  une  autre; 

Jusqu'à  ce  que  mourant,  il  n'ait  plus  rien  à  perdre  que  le  souffle  *. 


III 
Poème  sur  la  mort  de  sir  Isaac  Ne'wton. 

Newton  mourait  le  20  mars  1727.  Thomson,  qui  venait  de 
publier  la  seconde  partie  de  son  poème,  et  qui  y  avait  confirmé 
le  succès  de  1'  a  Hiver  d,  consacra  au  souvenir  du  grand 
savant  un  poème  de  deux  cent  neuf  vers.  L'analyse  des  a  Sai- 
sons »  nous  a  montré  déjà  que  Tauteur  avait  conservé,  de  ses 
études  à  l'Université  d'Edimbourg,  un  goût  très  prononcé  pour 
les  spéculations  scientifiques.  Son  sentiment  très  vif  des  aspects 
pittoresques  de  la  nature  s'accordait  avec  une  curiosité  active 
des  lois  scientifiques  et  des  causes  profondes  qui  se  cachent 
sous  les  phénomènes  apparents.  Cette  double  raison  le  justi- 
fiait donc  quand  ce  à  défaut  »,  comme  il  le  dit  modestement, 
a  d'un  autre  poète  »,  il  prenait  ce  rôle  de  panégyriste  du  plus 
illustre  des  savants  de  l'Angleterre  et  des  temps  modernes.  Son 
poème  mérite  de  n'être  pas  oubHé  parmi  ses  titres  de  gloire. 
C'est,  si  nous  ne  nous  trompons,  un  de  ceux  oii  se  trouve 
exprimée  le  plus  heureusement  cette  beauté,  ditrércnte  sans 

i,  «  As  thosc  we  love  decay,  we  die  in  part, 

Striug  after  string  is  severed  from  the  heari; 
Till  loosened  life  al  last  —  but  breathing  clay 
Wilhoul  one  paa;^',  is  ^lad  to  fall  away. 
Unhappy  he  who  latest  feels  the  blow, 
Whose  eyes  bave  wept  o'er  every  friend  laid  low, 
Dragged  liogering  on  from  partial  death  to  death; 
Till  dyiDg,  ail  he  can  resign  is  breath.  • 

3;î 


498  JAMES  THOMSON. 

doute  de  celle  qui  frappe  l'artiste,  que  le  savant  sait  voit  d 
sentir  dans  les  grands  spectacles  de  la  nature.  Thomson  apport* 
à  rénumération  des  principales  découvertes  de  Newton  une 
chaleur  d'enthousiasme  qui  lui  permet  d'échapper  à  la  séche- 
resse, tout  en  restant  suffisamment  précis.  Il  rappelle  eu  quel- 
ques mots  la  grande  loi  de  l'attraction  ;  il  célèbre  ce  qu'offre 
d'admirable  la  simplicité  de  cette  conception  qui  explique  la 
mécanique  céleste,  «  en  affranchissant  le  monde  des  tourbillons 
ou  des  sphères  D  dont  Ta  valent  encombré  d'aventureuses  hypo- 
thèses *.  11  oppose  la  pure  grandeur  de  ce  triomphe  du  génie 
aux  sanglantes  et  stériles  victoires  des  plus  fameux  conqué- 
rants. Puis  il  énumère  les  autres  travaux  et  les  découvertfô 
de  sir  Isaac  :  ce  sont  les  satellites  nombreux  qui  entourent  et 
«  égaient  d  les  planètes  lointaines,  ce  sont  les  mouvements  de 
la  lune  (c  alors  qu'elle  s'efface  et  ne  laisse  plus  apparaître 
«  qu'un  faible  croissant,  ou  bien  quand  elle  grandit,  et  que 
((  ses  [)àles  et  vagues  rayons  inondent  le  ciel  du  déluge  de  lenr 
<(  douce  lueur  ».  C/est  le  phénomène  des  marées  rattaché  à 
Tatlniction  de  la  lune.  C'est  le  nombre  inlini  des  étoiles  sou- 
mises aux  lois  de  cette  même  pesanteur  :  a  et  celles  que  le 
<(  dùme  brillant  d'une  nuit  d'hiver  verse  à  nos  yeux,  et  celles 
<(  que  la  lunette  va  bien  loin  arracher  au  même  abîme,  celles 
((  même  qui  dans  descieux  de  plus  en  plus  lointains  ne  brilleol 
((  (jne  pour  les  yeux  de  l'imagination  -  ».  Il  s'interrompt  un 
moment  pour  louer  la  magniticence  divine  qui,  d'une  seule 
cause,  a  su  produire  de  si  magiques  effets,  et,  dans  un  langa^ 
tout  imprégné  des  souvenirs  de  Milton,  il  célèbre  le  mortel 
qui  a  su  lire  dans  les  cnuvres  le  plan  du  Cre»ateur  '. 

Il  nous  montre  ensuite  le  savant  poursuivant  la  comète  dans 
sa  longue  courbe  ellipti([ue  «  jusqu'à  ce  que  le  météore  tlam- 
((  boyant  revienne  briller  au  front  de  notre  ciel  du  soir,  et 
a  répandre  la  terreur  sur  les  peuples  tremblants  ». 

Puis,  passant  aux  travaux  de  physique  de  Newton,  il  rappelle 

1.  l)<^Jà  la  premitTc  édition  de  V  »  Klé  -  consacrait  cinq  vers  ù  un  exp'J' 
de  1,1  Uiéorie  de  la  gravilalinn.  Le  passage  plus  lard  êlendu  occupa 
aujourd'hui  dans  le  poème  les  vers  08  à  10*). 

2.  Ver»  58-03. 

3.  -  ....  And,  0,  beloved 

or  Heavcn!  whose  wcll  pur^ed  pcnetratiiig  eye 
The  mystic  veil  transpierciu^,  inly  scanned 
The  rising,  moving,  wide-established  frame.  > 


PIÈCKS   DIVEUSES.  199 

la  théorie  des  ondes  sonores;  il  s'arrête  avec  complaisance  au 
prisme  magique  qui  décompose  les  rayons  lumineux,  et,  avec 
un  enthousiasme  et  une  joie  d'artiste,  caractérise  chacune  des 
couleurs  '.  —  Newton  a  aussi  rendu  des  services  à  la  chro- 
nologie, et  le  poète  nous  rappelle  que  Til lustre  astronome  a 
c  remonté  cet  irrésistible  cours  du  temps  qui  emporte  toutes 
(  choses  à  Tocéan  sans  bornes  de  Téternité,...  et  qu'il  y  a,  de 
c  distance  en  distance,  élevé  ses  lumières  pour  guider  Thisto- 
c  rien,  égaré  dans  les  ténèbres  de  ce  voyage  ^  ». 

Enfin  le  panégyriste  rappelle  les  vertus  du  savant  :  sa  piété, 
sa  sérénité,  sa  modestie,  sa  bonté.  Il  voit  dans  Texistence  d'une 
telle  âme  la  meilleure  réfutation  que  Ton  puisse  opposer  au 
matérialisme.  Il  termine  en  espérant  que  l'esprit  du  grand 
homme  continuera  â  instruire  et  à  corriger  sa  patrie,  à  ins- 
pirer ses  jeunes  hommes  «  tandis  que  sa  poussière  sacrée  dort 
c  avec  ses  rois  et  double  la  noblesse  du  lieu  où  ils  reposent'  ». 

Jamais  la  langue  de  Thomson  n'est  meilleure  que  dans  ce 
court  poème.  Rien  qui  ressemble  moins  au  catalogue  abstrait 
des  travaux  d'un  homme  de  science.  Moins  abondantes  sans 
doute  que  dans  les  ce  Saisons  »,  les  heureuses  créations  de 
termes,  les  groupements  expressifs  de  mots,  les  trouvailles  for- 
tunées du  style  s'y  rencontrent  assez  souvent.  Sans  recherche 
artificielle  et  sans  effort  pénible,  les  notations  d'effets  pitto- 
resques de  lumière  et  de  couleur  semblent  tout  naturellement 
amenées  par  le  sujet  :  «  the  pale  shadowy  light  of  the  moon  »  * 
—  «[  a  vellow  waste  of  idle  sands"  »  —  «  he  took  his  ardent 
tlight  —  Through,  the  bluo  infinité  ®  »  —  «  the  clear  concave 
of  a  winter  's  night"  »  —  «  To  the  forehead  of  our  evening 
sky  —  Heturned  the  blazing  wonder  ^  ».  Mais  le  mérite 
dominant  de  tout  le  morceau  c'est  la  simplicité  élégante  et  ' 
ferme  du  langage.  A  peine  est-elle  interrompue  par  un  ou 
deux  passages  de  ton  lyrique  et  un  peu  déclamatoire.  Par- 
tout ailleurs  l'enthousiasme  du  poète  s'exprime  en  une 
langue  sobre,  sans  rien  de  cette  boursouflure  que  Ton  reproche 

i.  Très  dilTcrenlc  est  rattitiidc  d'.inlres  poètes  en  face  des  analyses  de 
la  science  Mr.  Sliairp  cite  ce  frairnient  d'une  lettre  de  Haydon  à  Words- 
worth  (1842)  :  «  Don't  yoii  romcmber  Keals  proposiog  ■  Confusion  lo  the 
memory  of  Newton  •,  becausc  lie  destroyed  the  poelry  of  the  rainbow 
bv  reducing  it  to  a  prism.  » 

'•2.  125-131.  —  3.  208,  209.  —  4.  48.  —  5.  56.  —  6.  57,  58.  —  7.  59.  — 
8.  79,  80. 


800  JAMES  THOMSON. 

parfois  au  langage  des  <k  Saisons  i».  Il  y  a  là  tout  à  la  fois, 
par  une  heureuse  et  rare  combinaison,  la  netteté  d'exposition 
d'une  langue  scientifique,  la  chaleur  et  Téclat  d*une  haute 
poésie. 

Le  poème  à  la  mémoire  de  Newton  mérite  donc  d'être  rangé 
au  nombre  des  œuvres  où  la  poésie  s'est  mise  avec  le  plus  de 
bonheur  au  service  de  la  science.  Voltaire  ne  pouvait  choisir 
un  meilleur  modèle  pour  une  entreprise  analogue,  et  sa  lettre 
à  Mme  du  Châtelet  est  tantôt  une  imitation,  tantôt  une  traduc- 
tion du  poème  de  Thomson. 


IV 

A  Poem  to  the  memory  of  the  Right  Honorable 
The  Lord  Talbot,  Late  Chancellor  of  Great  Britain. 

Le  poème  que  la  mort  du  Lord  Chancelier  Talbot  inspirait 
en  1737  à  Thomson  devrait  avoir  une  haute  valeur  si  la  sincé- 
rité d'une  reconnaissance  émue  et  d'une  profonde  douleur 
pouvait  garantir  la  beauté  de  la  forme.  —  Ici  encore  le  poète 
conserve  le  vers  blanc  dont  il  avait  fait  dans  son  grand  poème 
un  si  magistral  emploi.  Plusieurs  passages  de  cette  longue 
pièce  de  quatre  cents  vers  rappellent  bien  le  style  de  Tauteur 
des  «  Saisons  »  avec  son  ampleur  oratoire  et  l'intensité  de  senti- 
ment qui  meut  et  soutient  sa  période.  Mais  aussi  d'autres  pages 
sentent  l'eflbrt  d'une  tâche  poursuivie  avec  plus  de  résolution 
que  d'inspiration.  —  Le  poète  se  propose  de  passer  en  revue  le? 
divers  aspects  du  caractère  de  son  noble  patron,  autant  qu'il 
est  possible,  comme  il  le  dit,  «  de  distinguer  dans  le  diamant 
<(  chacun  de  ces  rayons  qui,  bien  qu'ils  jettent  mille  feu.K  trem- 
a  blants,  répandent  cependant  une  lumière  étincelante  dans 
<(  son  unité  *  ». 

1.  •  How  froni  Uie  diamond  single  out  cacli  ray. 

Thaï,  Uioiigb  they  tremble  wilti  ten  tUousand  Unes, 
EiTusc  one  poignant  undivided  light?  •  (11>13.) 

Thomson  ici  lire  parti  d*unc  comparaison  déjà  employée  dans  sa  courte 
pièce  sur  Aiiunan  : 

«  View'd  round  and  round,  as  lucid  diamonds  Ihrow 
SliU  as  you  lurn  them.  a  rcvolving  glow, 
So  did  his  mind  rcHect  with  secret  ray, 
In  varions  virtues,  Heaven's  internai  day.  • 


P4ÉCES  DIVERSES.  SOI 

Et  alors,  après  avoir  célébré  de  façon  générale  les  beaux 
traits  (lu  caractère  de  son  personnage,  il  croit  devoir  louer 
tour  à  tour  Talbot  avocat,  Talbot  magistrat,  Talbot  membre  du 
parlement,  Talbot  ministre,  Talbot  patron  des  arts  et  des 
lettres,  Talbot  homme  privé,  sans  négliger  de  donner  un  sou- 
venir à  la  table  hospitalière  du  chancelier.  Pour  couronner 
le  tout,  une  vision  un  peu  inattendue  montre  au  poète  Talbot 
au  ciel  recevant  la  récompense  de  ses  vertus.  —  A  bien  des 
moments  le  pieux  entiiousiasme  du  panégyriste  faiblit;  les 
détails  au  moyen  desquels  le  haut  mérite  du  défunt  est  établi 
ne  soutiennent  pas  toujours  la  chaleur  et  la  verve  de  Técrivain. 
Son  vers  blanc,  à  la  coupe  très  libre,  devient  alors  facile- 
ment lourd  ou  prosaïque.  Il  semble  que  le  poète  en  ait  lui- 
même  conscience  et  s'efforce  de  relever  1 -allure  languissante 
de  son  poème  en  y  ajoutant  Tattrait  de  digressions  propres  à 
stimuler  l'attention.  Il  donne  donc  une  fois  de  plus  expres- 
sion à  ses  sentiments  de  gallophobie  (84-86);  ou  bien  il  déve- 
loppe des  comparaisons  étudiées  et  trop  ingénieuses,  comme 
celle  où  il  met  en  lumière  la  différence  qui  distingue  les 
diverses  méthodes  d'encouragement  des  lettres  : 

<c  Cette  onde  bienfaisante,  sous  laquelle  s'épanouit  le  monde 
«  des  lettres,  ce  n'est  pas  le  don  bruyant  d'un  midi  estival,  dont 
a  le  Ilot  subit  enlève  aux  racines  mises  à  nu  le  peu  de  terre  qui 
<c  s'y  trouvait  encore,  et  ne  fait  qu'achever  la  ruine  des  fleurs 
ti  rougissantes;  non,  c'est  la  rosée  qui  descend  doucement  le 
n  soir,  trésor  silencieux  des  printemps,  qui,  pendant  toute  la 
a  durée  de  la  nuit,  livre  abondamment  ses  richesses;  jusqu'à 
K  ce  que,  lorsque  revient  le  matin,  le  monde  rafraîchi  soit  tout 
«  parfum,  beauté,  joie,  et  chansons  *.  » 

A  ces  jolies  choses  on  préférerait  quelques  vers  venus  du 
cœur,  au  moment,  par  exemple,  où,  pleurant  officiellement  la 
mort  du  chancelier  il  se  trouve  mentionner  le  jeune  Talbot, 
son  élève,  son  compagnon,  son  ami  si  tôt  enlevé.  «C'est  le  meil- 
leur des  lils!  le  meilleur  des  amis  *  »,  dit  Thomson,  —  et  il  ne 
s'arrête  pas  davantage. 

Les  vers  qui  terminent  le  poème  en  sont  une  des  meilleures 
parties.  Il  y  a  sans  doute  beaucoup  de  rhétorique  dans  cette 
apostrophe  à  Talbot  défunt.  Mais  par  le  nombre  à  la  fois  noble, 

i.  Vers  198-207.  —  2.  Vers  336,  337. 


802  JAMES  THOMSON. 

varié  et  soutenu,  par  Téclat  et  l'harmonie  du  langage,  cette 
prosopopée  n'est  pas  indigne  des  passages  lyriques  les  plas 
heureux  des  a  Saisons  ». 


A  Poem  to  the  Memory  of  Mr.  Ck>ngreve. 

Il  nous  reste  enfin  à  parler  d'une  pièce,  «  A  la  mémoire  de 
Goufi^reve  »,  que  les  éditions  modernes  attribuent  à  Thomson. 
Elle  a  été  publiée  pour  la  première  fois  en  1729,  et  fut  réim- 
primée en  1843  pour  la  a  Percy  Society  »  par  Peter  Cun- 
ningham.  Elle  lui  avait  été  signalée  comme  devant  être  de 
Thornson  par  H.  F.  Gary,  le  traducteur  de  Dante. 

On  serait  heureux  de  pouvoir  confirmer  cette  attribution. 
Le  poème  en  lui-même  fait  honneur  à  son  auteur.  Il  serait 
d'autre  part  intéressant  de  noter  ce  dernier  bonheur  de  Técri- 
vain  privilégié  dont  les  débuts  avaient  été  célébrés  par  Dryden. 
à  qui  Pope  avait  dédié  son  Iliade,  que  Voltaire  était  venu 
saluer  comme  Thomme  de  lettres  le  plus  illustre  de  son  pays, 
et  à  qui  un  autre  grand  poète  aurait  dit,  quelques  jours  apn? 
sa  mort,  Tadieu  suprême.  Mais  il  faut  bien  convenir  que  les 
raisons  alléguées  pour  attacher  le  nom  de  Thomson  à  wttt' 
production   ne  sont  guère   probantes.  Mr.   P.   Cunningliam 
adopte  la  supposition  de  Gary,  en  raison  de  sa  vraisemblance 
intrinsèque,  et  il  la  confirme  par  deux  observations  de  fait. 
A  la  fin  du  petit  volume  que  forment  ces  cent  cinquante 
vers,  l'éditeur  donne  une  liste  d'ouvrages  par  lui  publiés.  On 
y  voit  figurer  lV'i?i(er,  Summer,  A  Poem  on  ihe  Deaih  of  Sir 
Isaac  Newton^  et  Britannia,  —  Get  éditeur,  Millan,  était  alors, 
dit  Gunningham,  Téditeurde  Thomson.  —  La  première  consta- 
tation est  peu  significative.  La  seconde  repose  sur  une  erreur 
matérielle.  Millau  n'était  plus  Téditeur  de  Thomson  en  17tS>. 
Sprhig,  paru  en  1728,  était  publié  par  Millar  \  et  Britannui 
(janvier  1729)  par  Warner.  —  G'est  donc  uniquement  dans 
une  étude  des  cai*actères  de  l'œuvre  qu'il  faut  chercher  les 
éléments  d'une  opinion  sur  ce  point  d'histoire  littéraire. 

i.  Voir  Biograpliie,  p.  T6, 


PIÈCKS    DlVKUSl'lS.  503 

Il  serait  trè.s  vralï^cnihlable  que  Tiiuiuson  eùl  lait  pour 
Clongreve  ce  qu'il  avait  Tait  avec  succès  deux  ans  auparavant 
pour  Newton.  On  pourrait  en  outre,  dans  ce  poème  écrit  en 
vers  blancs,  relever  certains  tours  ciui  sont  bien  dans  la 
manière  de  Thomson  : 

The  (jrcatly  yoocL  those  uni  versai  miiids  *, 
ou  un  début  de  paragraphe  tel  que  celui-ci  : 

But  slighting  thèse  ignoble  namcs,  thc  muse 
Pursues  lier  favorite  son,  and  sees  him  now, 
From  tliis  dini  spot  onlarged,  triumphant  soar, 
Beyond  thc  walk  ol'Time  to  betler  worlds, 
Where  ail  is  new,  ail  wondrous,  and  ail  blost!  * 

On  pourrait  aussi  remarquer,  comme  cliez  Thomson,  des 
réminiscences  d'expressions  toutes  miltoniennes^.  On  pour- 
rait même  signaler  certain  passage  où  il  semble  que  Ton 
retrouve  quelque  chose  des  opinions  très  particulières  de 
Thomson  sur  la  pluralité  des  mondes  et  sur  les  migrations 
des  âmes. 

The  unerring  Hand... 

That  planted  in  Ihe  soûl  this  powcrful  liope, 

This  inlinite  ambition  of  ncw  lifc, 

And  endlcss  joys,  still  rising,  ever  new  *. 

Mais  ces  ressemblances  avec  les  œuvres  authentiques  sont 
vagues  et  sont  très  peu  nombreuses.  Et  d'autre  part  les  objec- 
tions abondent  à  la  thèse  de  Cary  et  de  P.  Cunningham.  Le 
style  du  morceau,  net  et  ferme  et  de  bonne  qualité,  n'a  rien 
de  cet  éclat  que,  même  au  prix  d'un  peu  d'emphase  et  de  ten- 
sion, la  langue  de  Thomson  à  cette  époque  nous  montre  tou- 
jours. La  période  n'y  prend  que  rarement  le  développement 
ample  et  sonore  qui  caractérise  la  phrase  des  a  Saisons  d.  Mais 
au  contraire  les  vers  secs,  antithétiques,  directement  imités 
de  Pope,  ces  vers  si  rares  dans  la  langue  de  Thomson,  sont  ici 
relativement  nombreux. 

1.  Vers  109.  —  2.  Vers  86-90. 

3.  «  ResigD8  to  folly  and  his  mimic  rout.  •  (v.  19.) 

-  Wilh  laughter  unreproved.  •  (2,  52.>Ktc. 

\.  101-104. 


504  JAMES  THOMSON. 

Thou^h  laboured  happy,  and  though  stroDgrefîncd*. 

each  fair  desi<ni 

Wilh  frccdom  regular,  correcUy  greal, 
A  masicr's  skilful  daring*. 

Induite  motion  !  source  Stipreme  of  bliss. 

Or  Nvoe  to  man:  our  heavcn,  or  hell,  below!  ^ 

What  Halifax  approved,  and  Marlborough  moums  *. 

lo  mischicf  prompt 

Though  impotent  to  wound  :  profuse  of  wealth 
Vol  friendless  and  unloved;  vain,  fluttering.  false, 
A  vacant  hcad,  and  an  ungenerous  heart  '. 

Ces  derniers  vers  font  partie  de  portraits  qui  visent  évidem- 
ment deux  critiques  contemporains  :  «  fieree-eyed  Asper  ■  et 
<(  meaner  Cenus  ».  M.  Cunningham  lui-même  croit  reconnaître 
Jolm  Dennis  dans  le  premier  *,  et  admet  pour  le  second  la 
supposition  qu'il  s*agit  de  Aaron  Hill  '.  Or,  nous  n'avons 
aucune  raison  de  croire  à  une  pareille  attaque  de  Thomson 
contre  Dennis  ;  mais  nous  savons  que  le  poète  a  généreuse- 
ment aidé  de  sa  bourse  et  de  son  influence  le  critique  vieilli. 
Quant  à  la  supposition  que  Thomson  eût,  en  1729,  dirigé  une 
attaque  violemment  injurieuse  contre  Hill,  son  protecteur  de 
la  veille  et  son  ami,  elle  ne  résiste  pas  à  Texamen. 

Il  faudrait,  il  est  vrai,  une  pareille  invraisemblance  pour 
expliquer  ce  fait  singulier  que,  ni  le  poète,  ni  après  lui  Mur- 
doch  et  Millar  n'aient  inséré  cette  pièce  dans  les  œuvres  com- 
plètes; et  que  nulle  mention  n'en  paraisse  dans  sa  correspon- 
dance ni  dans  celle  de  ses  amis. 


1.  30.    -  2.  32-34.  —  3.  56,  57.  —  4.  71.  —  5.  82-83. 

G.  Il  ne  parait  gut're  douteux  que  le  compliment  s^applique  à  Dennis 
«*  poor,  vicious,  old  -.  Le  «  fierce-eyed  Asper  »  rappelle  clairement  le 
portrait  qu'a  fait  Pope  du  critique  : 

«•  Dut  Appius  reddens  at  each  >vord  you  speak 
And  stores  trcmendous.  • 

{Essat/  on  CHticism.) 

7.  L'hypothèse  est  cependant  beaucoup  plus  incertaine  &  notre  avis. 
IjCs  insultes  adressées  h  Cenus  n'auraient  guère  d'application  possible  a 
liill.  Pope  lui-mr?me,  aux  jours  de  sa  querelle  avec  l'ami  de  Thomson,  n'a 
lancé  contre  lui  aucune  des  accusations  injurieuses  qui  sont  ici  amonce- 
lées. Le  "  mépris  de  toute  pensée  sérieuse  •  semblerait  le  dernier  reprocha 
k  Taire  i\  Tanteur  de  tant  de  graves  tragédies  et  de  tant  de  projets  diveri^ 
pour  Tépuralion  de  la  scène,  ou  pour  l'approvisionnement  de  la  marine 
anglaibe,  on  pour  l'extraction  industrielle  de  l'huile  du  hôtre. 


PIKCRS    DIVERSES.  iiOo 

lUtMi  lu'  vioiil  doih'  rliil)lir  do  laron  })nsiti\r  la  paternilé  de 
Tlioiiison,  et  dr  tivs  sérieuses  cunsidéi'alions  s'opiioseiit  au 
ooiilraire  à  l'hypothèse  do  Cary  et  do  Clunniugham.  Puisque 
toute  earrière  est  en  cette  circonstance  ouverte  aux  supposi- 
tions, nous  serions  plutôt  tentés  de  croire  qu(î  la  pièce  eut 
poui*  auteur  quelque  poète  du  cercle  de  Thomson,  peut-être 
Mallet,  et  que  l'auteur  des  (c  Saisons  »,  apportant  à  Tœuvre  son 
amicale  collabomtion,  y  laissa  ces  traces,  dont  nous  avons 
nous-nième  signalé  quelques-unes,  de  sa  manière  et  de  ses 
idées. 


VI 
Poèmes  divers. 

Les  éditeurs  de  Thomson  classent  sous  la  dénomination  de 
«1  Miscellaneous  poems  »  un  grand  nombre  de  morceaux  d'im- 
portance très  inégale.  Nous  avons  isolé  et  considéré  à  part  les 
pièces  consacrées  à  la  mémoire  de  grands  hommes  ou  d'êtres 
aimés.  Parmi  les  morceaux  qui  restent  *,  une  première  divi- 
sion s'impose.  Trois  au  moins  de  ces  courtes  pièces  devraient 
figurer  parmi  les  œuvres  de  jeunesse.  Leur  valeur  littéraire  est 
faible,  et  Pintérèt  le  plus  grand  qu'elles  puissent  revêtir  est  de 
nous  fournir  des  indications,  conformes  à  celles  que  nousavons 
déjà  recueillies,  sur  les  débuts  de  la  carrière  poétique  de 
Thomson,  sur  les  premiers  UUonnements  de  sa  langue  et  de  sa 
versification,  et  même  sur  les  particularités  de  sa  prononcia- 
tion. 

Ce  sont  des  observations  de  détail  qui  nous  permettent  d'ap- 
puyer sur  une  base  solide  l'avis  ici  exprimé.  Toutes  ces  pièces 
sont  rimées,  et  l'examen  de  ces  rimes  détermine  une  division 
assez  nette.  Si  nous  considérons  quelques  morceaux  dont  la 
<Iate  soit  fixée,  sans  nul  doute  possible,  à  l'époque  de  la  matu- 
rité de  Thomson,  par  exemple  :  On  the  report  of  a  wooden 
Bridge  to  be  huilt  al  Westminster;  To  his  Royal  Highncss 
the  PHnce  of  Wales,  on  the  Birth  of  his  first  child  (1737)  — 

1.  Ils  sont  au  nombre  de  28  dans  VAldine  Edition,  ou  de  29  si  Ton  y 
comprend  le  poème  Hn'tannia. 


506  JAMES  THOMSON. 

OU  bien  la  pièce  sur  miss  Stanley  morte  en  1738,  nous  y  obser- 
vons une  entière  propriété  des  rimes.  Dans  cette  dernière  pièce 
en  particulier  nous  trouvons  les  rimes  a  tear  »  et  «  sincère  •, 
tt  die  »  et  a  eye  »,  contrairement  à  ce  que  nous  ont  montré  les 
pièces  juvéniles.  Mais  dans  A  Paraphrase  on  the  latterpart  ofthe 
Vr^'chaptev  of  saint  Maiihew  *,nous  voyons  ce  même  substantif 
«  tear  »>  rimer  avec  *  care  »,  «  appears  »  avec  le  verbe  «  bears  » 
et  a  feeds  »  avec  a  spreads  ».  —  Dans  la  chanson  intitulée  T» 
Fortune^  que  du  reste  Buchan,  qui  Ta  publiée  le  premier, 
déclare  avoir  été  écrite  dans  la  jeunesse  du  poète  et  seulement 
remaniée  plus  tard,  nous  relevons  les  rimes  a  prove  »  et  «  love  n. 
«  flown  »  et  «  gone  »,  «  proan  »  et  a  on  ».  C'est  là  une  raison 
suflisante  pour  que  nous  reconnaissions  dans  ces  pièces  quel- 
ques-unes des  productions  de  la  jeunesse  de  l'écrivain  *. 

Une  mention  spéciale  est  due  à  la  pièce  très  curieuse  et  trè> 
intéressante  qui  a  pour  titre  An  Elegy  upon  James  Therhuru, 
In  Chalto.  Le  morceau  nous  est  parvenu  dans  un  état  impar- 
fait, trois  strophes  sont  incomplètes,  et  le  sens  général  n'est  pas 
entièrement  clair.  Mais  c'est  la  seule  pièce  de  dialecte  écossais 
que  nous  possédions  de  Thomson,  et  elle  est  de  nature  à  nous 
faire  regretter  qu'il  ne  se  soit  pas  abandonné  plus  souvent  à 
cette  veine  de  facile  et  gaie  fantaisie.  Rien  dans  ses  petites 
pièces  n'approche  de  l'allure  chantante  de  cette  élégie  ironique. 
Par  la  vivacité  du  tour,  aussi  bien  que  par  la  langue,  elle 
appelle  le  souvenir  de  Burns.  Ce  n'est  pas  faire  de  cette 
esquisse  inachevée  un  éloge  immérité  que  de  dire  qu'elle  pour- 


1.  Le  fragment  n'est  pas  sans  valeur.  U  souffre  de  la  comparaison  que 
ue  pourra  mauquer  de  faire  le  lecteur  français  avec  le  chœur  d'.4/A<i/i- 
et  avec  quelques  lignes  admirables  où  Bossuel  nous  donne  aussi  une  para- 
phrase du  chapitre  de  saint  Mathieu.  {i>ennon  sur  la  Providence.) 

2.  Ce  n'est  pas  à  dire  <iue  dans  les  autres  morceaux  la  proDonriatiorï 
soit  loujt^urs  parfaitement  correcte.  Mais  les  anomalies  y  sont  rares  ei 
portent  sur  un  nombre  de  mots  fort  restreint.  •  Blood  •  rime  avec  •  good  • 
dans  la  pièce  To  the  Prince  of  Wales  on  the  birth  of  fus  first  born  child. 
Les  deux  sons  longs  de  la  voyelle  u  sont  assez  souvent  confondus  :  •  soli- 
tude »  et  •  good  »,  •  assume  »  et  «  bloom  •  riment  dans  VHymn  ";i 
Solitude;  «  sure  »  et  -  pure  »  dans  To  Serophina,  •  clioose  •  et  •  muse  • 
dans  Stanziis  to  Lyttclton,  etc.  —  Le  mol  «  love  «iqui  joue  un  grand  rôl«- 
dans  ces  pièces,  y  est  toujours  accompagné  d'une  rime  fausse  pour  n<'^ 
oreilles.  C'est  ««  approve  »  [To  Amandn  in  imitation  of  Catullus),  •  grove  • 
[On  Mrs  Mendez'  Dirthda}/),  •  im prove  •  [Corne,  dear  Amanda),  «  prove  • 
{To  Fortuné)^  •  grove  •  (The  Lover  s  Fate,  To  the  Sightingale,  To  Myni\ 
•  uiove  »  (Song.  When  lilooming  Spring,  etc.) 


IMKCKS    DIVERSES.  TiOT 

l'ait  vUv  alLriliuée  au  |)(>»'li'  (rAyr^liirc  (i'esl  la  iiirim;  liardit'.sse 
(Je  plaisanterie;  cVst  la  inèiiie  allure  Ibrteineiit  rythmée  du 
vers;  c'est  aussi  la  niènie  strophe  prosodique  dans  laquelle  se 
développent  plusieurs  des  pièces  de  Robert  Burns  '.  Ne  serait- 
on  pas  tenté  de  croire  cpie  le  grand  lyrique,  dont  l'admiration 
pour  Thomson  est  bien  connue,  a  trouvé  quelque  inspiration 
dans  cette  élégie,  si  Ton  ne  savait  qu'il  a  directement  imité 
l'élégie  de  Sempill  que  rappelle  la  pièce  de  Thomson  -?  On  en 
jugera  en  lisant  de  celle-ci  le  début  et  deux  strophes  caracté- 
ristiques : 

Xow,  Chatte,  yoii'ro  a  dreai'y  place, 
Pale  sorrow  broods  on  ilka  face, 
Therburn  lias  ruii  lus  race 


And  now,  and  now,  ah  me,  alas  î 
The  cari  lies  dcad. 

The  fumbling  fellow,  some  folks  say, 
Should  be  jobbed  on  baith  night  and  day, 
Sho  had  withoul'en  bel  ter  play, 

Hcmained  still, 
Barren  for  ever  and  for  aye, 

Do  what  he  will. 

Therefore  thoy  say  hc  got  some  help 

]n  getting  of  the  HHle  whelp; 

Bul  passing  that,  it  makcs  me  yelp. 

But  what  remead? 
Death  lent  him  sic  a  cursed  skelp, 

That  now  he's  dead. 

1.  Celte  strophe  est  composée  de  trois  vers  tétramèlres,  puis  un  Iri- 
mètrc,  un  tctranièire  et  uu  trimètre.  Les  quatre  tétramèlres  ont  une  seule 
rime,  les  deux  Irimètres  rimenl  ensemble.  —  Robert  Fergusson  el  Allan 
Ramsay  avaient  fait  usage  de  cette  strophe;  Robert  Sempill  l'avait  employée 
avant  eux. 

2.  Si   bien  que  nous   retrouvons  certain   trait  à  la  fois  chez  les  trois 

poètes  : 

-  But  what  remead? 


Hab  Samson's  dead.  • 

(U.  Sempill,  The  Piper  of  Kilbarchan.) 

«  Bul  what  remead 


That  now  he*s  dead.  » 

(Thomson.) 
•  Yet  what  remead? 


Tarn  Samson*8  dead.  •  «.       o  »    ci       \ 

(BuRKS,  Tarn  Samson's  Elegy,) 


808  JAMES  THOMSON. 

Le  reste  de  ces  œuvres  légères  nous  montre,  avec  une  cer- 
taine diversité  de  sujets,  plusieurs  points  communs.  Toutes  ces 
petites  pièces  sont  rimées;  elles  sont  presque  toutes  à  rimes 
croisées.  11  y  a  là  des  sujets  qui  appellent  l'allure  grave  du 
pentamètre.  Ce  sont  des  morceaux  de  morale  ou  de  description 
de  la  nature,  comme  celui  que  Thomson  adresse  à  Dodington  : 
«  THomme  Heureux  »,  ou  bien  des  pièces  ironiques,  de  plai- 
santes parodies  telles  que  a  L'incomparable  Docteur  sopori- 
fique »,  ou  la  pièce  a  Sur  le  bruit  qu'un  pont  de  bois  doit  être 
construit  à  Westminster  »,  ou  encore  des  pièces  inspirées 
par  un  sentiment  élevé  telles  que  les  «  Stances  à  Lytlelton  i, 
ou  «  rOde  à  la  Harpe  Éolienne  »,  ou  la  pièce  a  Au  Rossignol  ». 
Même  alors  le  poète  s'efforce  d'introduire  quelque  variété  dans 
l'allure  noble  et  facilement  monotone  du  vers  héroïque,  en  le 
divisant  en  strophes  et  en  y  croisant  les  rimes.  Mais  toutes 
les  fois  que  le  sujet  s'y  prête,  et  en  particulier  dans  les  nom- 
breuses pièces  (la  plupart  adressées  à  Amanda)  où  il  prend 
posture  d'amoureux,  il  varie  son  rythme,  a  recours  au  létra- 
mctre,  croise  ses  rimes,  ou  combine  dans  la  même  strophe 
les  rimes  alternées  et  les  rimes  plates.  Voyez  par  exemple  la 
pièce  ((  A  son  Altesse  Royale  le  Prince  de  Galles  ». 

Quant  au  fond,  il  n'est  pas  de  nature  à  nous  arrêter  lonj:- 
temps.  Thomson  n'est  ni  poète  lyrique  ni  poète  erotique.  Sa 
gloire  ne  serait  en  rien  diminuée  par  la  disparition  de  ces 
courtes  pièces  peu  connues  et  rarement  attrayantes.  Les  disser- 
tations morales  de  k  l'Homme  Heureux  »  sont  d'une  facture 
aisée  mais  monotone  et  sans  accent.  Les  poésies  de  circons- 
tances ne  valent  guère  mieux  que  ce  qu'auraient  pu  produire 
alors  Cibber  ou  Eusden,  les  poètes-lauréats  en  fonction.  Rien 
de  tout  cela  ne  vaut  la  courte  pièce  de  dialecte  écossais  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut.  Les  poésies  amoureuses  peuvent 
nous  fournir  quelques  renseignements  peu  certains  sur  l'his- 
toire de  la  passion  de  Thomson  pour  Miss  Young.  Mais  il  n'y 
faut  chercher  rien  de  ce  feu,  de  cette  éloquence,  de  cette  grâce 
ou  de  cette  force  qui  se  trouvent  dans  les  moindres  couplets 
adressés  par  Burns  à  Tune  des  femmes  qu'il  a  aimées.  Faut-il 
croire  que  la  pureté  même  des  sentiments  exprimés  par 
Thomson  se  prêtait  mal  à  l'inspiration  enflammée  de  la  grande 
poésie  erotique?  Sans  doute  un  amour  qui  se  déclare  même 
chose  que  l'amitié  («  Le  Destin  de  l'amant  »)  se  condamne  à 


PIÈGES   DIVERSES.  501^ 

une  éloquence  tempérée.  Mais  surtout  Thomson,  la  chose  est 
claire,  n'a  rien  de  ce  qu'il  faut  pour  ce  genre  de  poésie.  Il  n'y 
a  pas  en  lui  ce  pouvoir  de  concentration  qui  met  dans  une 
courte  strophe  ou  dans  un  seul  vers  toute  l'énergie  d'une  pas- 
sion et  toute  la  vie  d'un  cœur.  Il  n'y  a  pas  non  plus  la  grâce  et 
la  légèreté  de  main  qui,  à  défaut  du  grand  ébranlement  de  l'âme, 
donne  un  charme  aux  badinages  de  quelques  poètes  erotiques. 
Ses  madrigaux  sont  lourds,  sans  spontanéité,  sans  aisance.  — 
Voyez  par  exemple  les  a  Vers  en  recevant  une  fleur  de  sa  maî- 
tresse »  ou  la  pièce  «  A  Myra  »  dont  nous  citerons  une  strophe  : 

Ah  !  c'en  est  trop  !  Je  ne  puis  supporter 

l'n  rayon  à  la  fois  si  doux  et  si  perçant  ; 

Par  pitié  donc,  ma  belle  bicn-aiince, 

Détourne  ces  yeux  capables  de  donner  la  mort!  * 

Encore  est-ce  là  une  des  plus  intéressantes  parmi  ces  pièces 
amoureuses.  La  première  strophe,  de  facture  médiocre,  contient 
un  trait  qui  n'était  pas  banal.  Avant  de  leur  adresser  le  plat 
madrigal  de  la  fin,  Thomson  avait  vu  dans  les  yeux  de  son 
Amanda  des  choses  d'une  complication  assez  moderne  :  l'azur 
limpide  du  ciel  en  même  temps  que  Tombrc  pensive  des  bois  *. 

Une  fois  encore  le  poète  touche  à  une  source  d'inspiration 
qu'on  croirait  devoir  lui  être  particulièrement  favorable. 
Écossais  et  tout  nourri  de  Spenser,  il  devrait  être  un  heureux 
interprète  du  merveilleux,  des  fées  et  des  esprits.  Mais  son 
«  Ode  à  la  Harpe  Éolienne  i>  reste  une  froide  composition,  sans 
rien  de  la  grâce  vague  et  vaporeuse  qu'il  saura  lui-même 
exprimer  dans  le  a  Château  d'Indolence  »;  sans  rien  non  plus 
do  cette  émotion  mystérieuse  que  Collins  fera  vibrer  dans  ses 
vers;  à  plus  forte  raison,  sans  rien  de  la  puissante  évocation 
do  ces  êtres  surnaturels  et  à  demi  inquiétants  que  nous  donne 
l'auteur  de  Tarn  0'  Shanter.  De  toute  cette  collection  de  poèmes 
divers,  le  mieux  venu  sans  doute  est  cette  page  de  fantaisie 

1.  '<  Ah!  Uis  toc  much!  Icannot  bcar 

At  once  so  soft,  so  keeu  a  ray  : 
In  pity  then,  my  lovely  fair, 
0  turn  those  killin;^  cyes  away  !  » 

2.  •  0  thou,  whose  tender  serious  cycs 

Expressive  speak  tlie  mind  I  love, 
Ttie  gentle  azuré  of  Ibc  skies, 
The  pensive  shadows  of  the  grove.  •» 


SiO  JAMES  TllOMSON. 

joyeuse  que  Thomson  adresse  à  son  ami  Murdoch.  L' t  Incom- 
parable Docteur  Soporifique  )i>  n'est  pas  seulement  une  boutade 
amusante  d'un  humour  parfois  assez  peu  raffiné.  Il  y  a  un 
effet  littéraire  d'ordre  plus  élevé  dans  l'accord  exact  de  la 
pensée  et  de  la  forme.  Le  début  de  la  pièce  surtout  est  d'une 
harmonie  assoupie  qui  indique  un  maître  styliste  et  annonce 
le  «  Cihàteau  d'Indolence  ». 

Sweet,  sleeky  Doctor!  dear  pacifie  soûl! 


Still  Ici  Ihe  involviiiji  smoke  around  Ihee  fiv, 
And  l>i'oa<i-looked  duhiess  seUlo  irv  thine  eve. 
Ah  !  soft  in  down  thèse  dainty  liiiibs  repose 
And  in  thc  v<Ty  lap  ot*  sluniber  doze. 


VII 

«  Britannia.  » 

Enfin   nous  devons,  pour  terminer  cette  revue  des  petits 
poèmes  de  Thomson,  mentionner  à  part  Britannia.  Nous  avons 
vu  à  quelle  occasion  l'œuvre  fut  produite,  et  dans  quelles  cir- 
constances elle  fut  publiée  *.  Il  faut  se  rappeler  ces  faits  pour 
juger  avec  plus  d'indulgence  ce  pamphlet  poétique.  Thomson 
n'a  jamais  rien  écrit  de  plus  déclamatoire,  de  couleurs  plus 
criardes  ou  de  goût  plus  faux.  Britannia,  sur  un  rivage  battu 
des  fiots,  pleure  la  gloire  ternie  de  ses  fils,  et  ce  sont  ces  plaintes 
qui  constituent  tout  le  poème.  Il  ne  mérite  pas  d'être  distingué 
de  la  masse  des  productions  de  cette  nature  où  le  patriotisme 
anglais  mélange  à  un  apostolat  du  droit  et  de  la  liberté  l'âpre 
souci  (le  ses  intérêts,  et,  tout  en  célébrant  les  bienfaits  de  la 
paix,  menace  de  toute  sa  colère  les  rivaux  assez  audacieux  |)our 
faire  obstacle  à  son  commerce  -.  Toute  la  partie  litigieuse  du 
confiit  qui  régnait  alors  entre  l'Angleterre  et  TEspagne,  ces 
droits,  assurés  par  le  traité  d'Utrecht,  dont  arguaient  les  Espa- 
gnols et  que  voulait  respecter  l'honnête  bon  sens  de  Walpole, 

1.  Voir  plus  haut,  Vie  de  Thomson,  p.  "3. 

2'  «  Let  none  escape 

Who  shaU  but  aim  lo  touch  your  glory  Ihere.  »  (180, 181.) 


PIÈCES  DIVERSES.  5il 

tout  cela  est  passé  sous  silence.  Mais  avec  une  abondance 
intarissable  et  une  chaleur  convaincue  le  poète  proclame  ces 
deux  principes  dont  la  politique  anglaise  s'inspirera  en  plus 
d'une  autre  occasion  :  L'empire  de  la  mer  appartient  h  la 
Grande-Bretagne  de  droit  divin  et  par  droit  de  conquête;  elle 
ne  doit  pas  permettre  qu'on  y  porte  la  plus  légère  atteinte  *.  — 
La  grandeur  de  l'Angleterre  est  liée  à  la  prospérité  de  son 
commerce,  et  cela  suffit  pour  légitimer  toute  action  propre  à 
favoriser  ce  commerce  *. 

La  forme  artistique  du  poème  a  vieilli  plus  encore  que  l'ins- 
pirfition  qui  Ta  fait  écrire.  Les  exclamations,  les  apostrophes, 
les  prosopopces  et  les  hypotyposes  s'y  accumulent.  Les  compa- 
raisons et  les  images  se  suivent  sans  prendre  toujours  le  soin 
de  s'accorder  entre  elles  ^  La  langue  est  pénible,  et  alourdie 
par  un  abus  de  l'inversion.  La  fable  est  d'une  gaucherie  naïve. 
Après  les  quelques  vers  qui  nous  ont  présenté  la  déesse,  Bri- 
tannia  se  répand  en  gémissements  et  en  exposés  historiques 
fort  longs  jusqu'au  moment  où  elle  s'avise  que  sa  présence 
pourrait  être  utile  au  Parlement,  qui  s'appelle  ici  le  sénat 
auguste  *.  En  vérité  le  seul  trait  qui  nous  semble  intéressant 
à  noter  dans  ces  trois  cents  vers,  ce  sont  les  quelques  mots  de 
description  par  lesquels  s'ouvre  et  se  termine  le  poème. 

i.         -  Tliis  is  your  Riory  :  Ihis  yoiir  wisdoin;  Ihis 

The  native  power  for  wliicli  \oii  were  designed 

By  fale.  .  *  (191-193.) 

«  And  wliat,  my  tlionglilless  sons,  shoiild  flrc  you  more 
Than  wheii  youp  well  carned  empire  of  the  deep 
The  least  bepinning  injurv  reciives?  * 

(16C-16S.) 

2.  ...M  Kxtend  your  rcign  froiu  slioro  to  shore, 
Where'cr  the  wind  your  high  liehests  can  blow; 
For  should  Ihe  sliding  fabric  once  give  wav  »,  etc. 

(209-247.) 

3.  ■  Le  marchand  anglais  a  été  retenu  par  une  force  illégale,  une  force 
qui  s'évanonirait  si  Ton  entendait  ru^'ir  le  lioa  britannique.  Comment 
(lonc!*orgueilleux  Ibère  ose-t-il  éveiller  la  colère  des  maîtres  de  la  mer?  • 
(4«-fil.; 

i.        '<  Lo!  now,  my  sons,  the  sons  of  freedom!  nicet 
In  aw'fui  senale;  Ihither  let  us  lly.  • 

.291-292.) 


LIVRE  III 


^(    LA    LIBERTÉ  *     > 


I 


passages  politiques  des  a  Saisons  d,  ni  les  tirades  de 
inia  »  n'ont  paru  à  Thomson  un  suffisant  hommage  de 

à  sa  patrie.  Il  a  consacre  quatre  ans  de  sa  vie  et  un 
al  à  celui  qui  produisit  les  «  Saisons»  au  poème  où  il  s'est 
de  célébrer  la  grandeur  de  l'Angleterre  et  la  puissance 
bres  institutions.  Ce  poème  n'est  guère  connu;  depuis 
ps  il  ne  trouve  plus  de  lecteurs.  «  J'ai  essayé  de  lire  «  La 
i  »  quand  le  poème  parut;  mais  j'y  ai  bientôt  renoncé. 
e  je  n'ai  jamais  essayé  de  nouveau,  je  n'en  hasarderai 
;e  ni  critique  \  »  Cette  boutade  du  Dr.  Johnson  ne  doit 
s  doute  être  prise  à  la  lettre.  Lui-même  a,  dans  une 
rtie  de  sa  «  Vie  de  Thomson  »  donné  les  raisons  de  l'in- 
le  l'œuvre,  en  des  termes  qui  ne  permettent  pas  de 
?  qu'il  ne  l'ait  pas  lue.  Et  cependant  cette  dédaigneuse 
lation  a  fourni  à  la  plupart  des  critiques,  lorsqu'ils  ont 
icuper  de  m  La  Liberté  »,  une  méthode  et  une  opinion, 
s-uns  reconnaissent  qu'ils  n'ont  pas  lu  ces  trois  mille 
t  soixante  dix-sept  vers.  Ils  ne  se  sont  pas  senti  le  courage 
•  une  entreprise  devant  laquelle  Johnson  déclare  avoir 
:e  Johnson  dont  la  robuste  vaillance  a  pu  dépouiller, 

?//.  Ancient  and  modem  Itahj  comparée,  —  Greece.  —  Rome.  — 

-  The  Prospect. 

iNSOX,  Life  of  Thomson. 

33 


514  JAMES  THOMSON. 

apprécier  et  publier  les  œuvres  de  tant  de  poètes  illustres  un 
jour,  puis  bientôt  démodés,  oubliés,  à  jamais  ennuyeux! 
D'autres  critiques  n'avouent  pas  leur  défaillance,  et  parlent 
avec  assurance  d*une  œuvre  qu'ils  n'ont  évidemment  pa? 
même  parcourue  *.  Presque  tous  d'ailleurs  sont  d  accord  dans 
leur  jugement  -,  ou  plutôt  ils  adoptent  celui  de  Johnson.  <  La 
Liberté  »  est,  à  les  en  croire,  une  gigantesque  erreur;  ce^l 
l'œuvre  dilTorme  et  sans  valeur  d'un  poète  dévoyé. 

Et  d'autre  |)art  il  faut  nous  rappeler  que  Thomson  attendait 
de  cet  effort  de  son  génie  autant  sinon  plus  d'honneur  que  de> 
«  Saisons  t).  C'est  en  pleine  maturité  de  son  talent  qu'il  a  éla- 
boré ce  poème.  Quelques-uns  de  ses  contemporains,  i>arrnl 
ceux  qui  se  piquaient  de  savoir  et  de  goût,  l'ont  admiié  avec 
un  enthousiasme  débordant  ^  On  estimera  peut-être  qu'il 
y  a  lieu  de  reviser  le  procès,  ou  plutôt  de  l'instruire.  Le 
jugement  sommaire  sous  lequel  il  a  succombé  n'a  jamais 
étr  entouré  des  garanties  d'une  critique  loyale  et  conscien- 
cieuse. 


II 


llàtons-nous  de  le  dire,  le  lecteur  le  plus  enclin  à  la  bienveil- 
lance, l'admirateur  le  plus  dis|)Osé  à  relever  dans  les  cinq 
chants  de  u  La  Liberté  »  les  traces  du  génie  de  Thomson,  le 
critique  le  plus  désireux  de  réhabiliter  une  œuvre  méconnue 
ne  sauraient  demander  |)Our  ce  poème  une  place  au  rang  qui 
appartient  aux  (c  Saisons  )>.  Les  défauts  de  l'œuvre  sont  nom- 

1.  Osl  le  cas,  sans  nul  donic,  de  celui  qui  déclare  n'avoir  pas  trouva 
dans  tout  le  poème  un  seul  beau  vers. 

2.  Nous  ne  disons  pas  tous,  parce  que  le  plus  récent  des  biographes  et 
des  critiques  de  Thomson.  Mr.  Lo^ic  Hoberlson,  a  le  courage  de  déclarer 
qu'il  voil  dans  l'œuvre  si  dérriée  »  un  noble  poème  ».  Mais  son  trarail  de 
crili(](ie  et  d'éditeur  porte  sur  les  <>  Saisons  »  et  le  «  ChAteaii  •;  non  sur 
<«  la  I^iberlê  ». 

.*{  -  ....  I  look  upon  tins  mi^lily  work  as  the  last  stretched  bla/e  of  our 
expirin^  genius.  It  is  the  dyin^  elTort  of  despairing  ...  virtue,  and  will 
stand,  like  one  of  those  immortal  pyramids,  which  carry  thcir  magnifi- 
cence tlirough  limes  that  wonder  to  see  nolhing  rouod  tbem  but  uurom- 

fortable  désert »   (Aaron  llill  to  Thomson.  February   1",  !"35.}   -  U 

lettre  est  publiée,  avec  date  inexacte,  par  sir  Harris  Nicholas.  —  Hill  revient 
sur  le  sujet  et  renotiveile  ses  éloges  dans  une  lettre  du  20  mars  1"3fi. 


«   LA   LIBERTÉ.   »  51S 

breux  et  ils  sont  terriblement  apparents.  Nous  les  noterons 
sans  détour;  mais  aussi  nous  signalerons  les  raisons  pour 
lesquelles  le  poème  n*est  pas  toujours  indigne  de  TefTort  consi- 
dérable qui  Ta  produit,  ni  de  l'écrivain  original  et  puissant  qui 
a  ouvert  des  voies  nouvelles  à  la  poésie  anglaise. 

Les  défauts  tiennent  au  sujet,  et  tiennent  aussi  au  traite- 
ment qu'en  a  donné  le  poète.  L'œuvre  pèche  à  la  fois  par  le 
fond  et  par  la  forme.  —  La  Liberté  et  le  Patriotisme,  tels  sont 
les  <i  motifs  -»  du  poème.  Il  n'en  est  pas  de  plus  nobles;  i-1  n'en 
est  pas  de  plus  propres  à  inspirer  Témotion  enflammée,  le 
coup  de  clairon  retentissant  d'une  ode.  Thomson  lui-même  en 
a  donné  la  preuve  le  jour  oCi  l'amour  de  la  patrie  lui  dictait, 
au  milieu  des  platitudes  de  son  «  Alfred  d,  un  chant  national 
immortel.  La  liberté  a  fait  plus  qu'échaufler  le  génie  des  poètes 
inspirés.  Elle  a  pu  donner  le  grand  souffle,  le  ton  éclatant  et 
l'emportement  enthousiaste  à  un  génie  fait  de  claire  raison  et 
de  froide  ironie;  elle  a  un  jour  transformé  Voltaire  en  un  poète 
lyrique  '.  Mais  tout  autre  est  le  cas  lorsque  l'écrivain  se  |)ro- 

1.  Dans  de  magistrales  leçons  récemment  publiées,  M.  Brunetière  apprécie 
la  valeur  de  ces  thèmes,  la  liberté,  lu  patriotisme;  et  les  oppose  aux 
auln'S  motifs  d'inspiration  du  po<'!:le  lyri(|iie.  Il  les  déclare  très  inférieur»  A 
plusieurs  autres  :  Tamour,  la  nature,  la  mort.  Ce  n'est  pas  le  lieu  d'établir 
une  discussion  complète  de  ce  point.  Mais  nous  ne  pourrions  souscrire 
sans  réserve  &  l'opinion  du  critii|ue.  S'il  était  vrai  que  le  lyrisme  fAt  un 
autre  nom  de  Tégoïsme  poétique,  et  eût  pour  objet  unique  l'étalage  fait 
par  le  poète  des  sentiments  d'un  moi  où  se  résume  pour  lui  toute  exis- 
tence, il  faudrait  reconnaître  que  peut-être,  en  efTet,  les  façons  de  res- 
sentir l'amour  de  la  liberté  ou  l'amour  de  la  patrie  sont  moins  diverses 
que  les  formes  possibles  du  l'amour  sexuel.  Mais  le  postulat  est  contes- 
taldc.  Si,  comme  nous  le  croyons,  une  émotinn  altruiste  peut  ^trc  un 
thème  lyrique  au.^si  fécond  qu'un  sentiment  égoïste,  la  valeur  des  diverses 
sources  d'inspiration  sera  cherchée  d'abord  dans  la  profondeur,  et,  pour 
une  part  aus^i,  dans  la  noblesse  des  sentiments  qu'elles  expriment.  Jugés 
à  cette  mesure  le  patriotisme  et  la  liberté  méritent  d'être  placés  plus  haut 
que  ne  le  fait  M.  Brunetière.  ils  seraient,  avec  la  foi  religieuse,  qu'on 
s'étonue  de  ne  pas  trouver  mentionnée  expressément  par  le  critique,  lus  plus 
grands  de  tous  les  thèmes  lyriques.  Notre  histoire  littéraire  ne  dément  pas 
cette  opinion.  Puisque  .M.  Brunetière  fait  état  dans  notre  richi-sse  lyrique 
de  Chateaubriand  et  de  Bossuet,  il  serait  juste  de  ne  pas  oublier  notre 
élo.:|ueDce  politique,  et,  avec  l'appoint  qu'elle  apporte,  on  trouverait  sans 
doute  que  notre  littérature  ne  doit  pas  moins  au  patriotisme  et  à  la 
liberté  qu'à  l'amour  ou  aux  considérations  sur  la  mort.  Dans  notre  poésie 
proftrement  dite,  on  peut  opposer  aux  passages  de  Lamartine  ou  du  Musset, 
que  cite  l'auteur,  les  beaux  vers  du  deuxième  chant  de  Ckilde-Uarold  ou 
l'Iuvocation  de  La  Coupe  et  les  Lèvres.  On  peut  estimer  qu'il  faut  beau- 
coup de  poésies  amoureuses  pour  /galer  tulle  pièce  des  Châtiments  ou  le 
chant  de  la  Marseillaise.  Et  surtout,  on  peut  croire  que,  si  M.  Brunetière 


316  JAMES  THOMSON. 

pose  de  nous  exposer  méthodiquement,  à  travers  les  chants 
successifs  d'un  long  poème,  les  mérites  de  la  liberté  et  les 
vertus  de  TAngleterre.  11  n'est  pas  alors  de  sincère  conviction, 
pas  de  richesse  de  langage  qui  puissent  pallier  la  froideur  d'un 
pareil  exposé.  Le  même  sujet,  qui  pouvait  inspirer  une  ode 
émouvante,  coninmnique  au  poème  didactique  plus  de  raideur 
que  de  noblesse,  et  plus  de  lourdeur  que  d'éloquence.  Malgré 
des  éclairs  passagers,  ces  longues  pages  d'histoire,  où  sont 
rap|>elés  les  événements  les  plus  glorieux  mais  aussi  les  plus 
connus  des  annales  de  l'humanité,  ces  dissertations  où  sont 
prouvées,  à  grand  renfort  d'exemples  et  de  mouvements  ora- 
toires, les  fécondes  vertus  de  la  liberté,  tout  cela  est  cpndarané 
en  raison  même  du  thème  choisi,  à  rester  inerte  et  glacé. 

Thomson  s'est  cependant  donné  bien  du  mal  pour  vivitier 
cette  matière  pesante.  Il  s'est  ingénié  à  trouver  des  machines 
poétiques  tour  à  tour  brillantes  et  grandioses.  Ses  efforts  n'ont 
guère  été  heureux.  Il  manie  gauchement  ces  figures  allégo- 
riques. La  Liberté,  Hritannia,  le  Génie  des  mers  qui  sont 
ses  ce  dramatis  persona'  ».  A  aucune  d'elles  il  n*a  su  commu- 
niquer le  souflle  de  vie  qui  fait  des  allégories  de  Spenscr  et  de 
Millon  des  êtres  personnels,  visibles  et  agissants.  Il  se  perd 
dans  los  récits,  les  Uévélations  et  les  Visions,  qui  s'enchevê- 
trent dans  le  poème.  La  Liberté,  dès  le  début,  est  à  ix»u 
près  identliièe  avec  le  génie  tutélaire  de  l'Angleterre;  elle  a  le 
(c  front  ceint  du  chêne  britannique  et  la  couronne  navale  sur- 
«  monte  sa  tête  '  ».  Kt  cependant  plus  tard  elle  entre  en  con- 
versation avec  IhMtannia  elle-même.  Dans  les  interminables 
narrations  de  la  déesse  Liberté,  le  lecteur  doit,  en  dépit 
d'une  attention  soutenue,  revenir  sur  ses  pas  pour  démêler  ce 
qui  est  dit  par  elle  et  ce  qu'elle  rapporte  comme  prononcé  par 
quckpic  autre  créature  aussi  incolore  et  aussi  insubstantielle. 
Souvent  aussi  la  confusion  s'établit  entre  les  paroles  de  la 
déesse  (;t  les  spectacles  offerts  par  cette  singulière  «  Vision  » 
qui  vient,  à  la  façon  des  projections  d'un  conférencier  moderne. 


avait  pris  en  considération  la  poésie  anglaise  aussi  bien  que  la  nôtre,  son 
jtifîcmeiit  sur  les  vraies  conditions  du  lyrisme  et  sur  la  valeur  des  dilTé- 
renls  th&mcs  aurait  été  ntodifiée.  Ksl-il  un  seul  grand  poète  anglais,  Je 
Shakespeare  à  Tenuyson  ou  à  Swinburnc,  qui  n*ait  dû  à  la  liberté,  au 
patriotisme  quelques-uns  de  ses  plus  beaux  chants? 
1.  Chant  I,  20,  30. 


«   LA   LIBERTÉ.   »  517 

peindre  à  nos  yeux,  au  fur  et  à  mesure,  les  événements 
racontés  *. 

Cette  pseudo-déesse  Liberté,  qui  prononce  presque  tous 
les  vers  du  poème,  ne  fait  qu'exprimer,  par  une  combinaison 
compliquée,  les  opinions  du  poète  lui-même.  Nulle  part  elle 
ne  prend  une  vie  propre,  et  partout,  interposée  entre  Técri- 
vain  et  son  lecteur,  elle  nuit  à  la  force  de  paroles  qui  traver- 
sent pour  nous  arriver  d'inutiles  intermédiaires.  Le  poète  voit 
en  rêve  la  Liberté  et  celle-ci  raconte  Thistoire  de  la  liberté 
chez  les  hommes.  Au  milieu  de  son  récit  elle  rapporte  les  dis- 
cours que  lui  adresse  le  Génie  de  la  MerV  Et  nous  avons 
alors  des  paroles  que  le  poète  nous  donne  comme  les  ayant 
reçues  de  la  Liberté  qui  les  a  reçues  du  Génie.  Thomson 
manque  évidemment  de  cette  puissance  et  de  cette  chaleur 
communicative  qui  permet  à  Tauteur  de  la  a  Reine  des  Fées  » 
d'animer  et  de  faire  mouvoir,  au  milieu  des  incidents  variés 
et  tumultueux  du  poème,  sa  troupe  de  personnages  allégo- 
riques. Ceux  de  Thomson  ne  croient  pas  plus  eux-mêmes  que 
le  poète  n'y  croit  à  leur  mythologique  existence.  Us  accumu- 
lent les  impropriétés  de  langage,  ou  plutôt  ils  disparaissent  à 
tout  moment  pour  céder  la  parole  à  l'auteur.  Est-ce  la  déesse 
ou  est-ce  Thomson  qui  apostrophe  en  ces  termes  le  vague  per- 
sonnage nommé  Oppression?  «  Viens,  sous  quelque  nom  sacré 
«  que  tu  te  caches,  ô  Oppression,  viens!  et  réjouis-toi  à  la  vue 
«  de  ton  œuvre  ^  I  »  On  comprend  le  mot  a  eastern  d  dans  la 
bouche  du  poète  anglais,  mais  non  pas  dans  celle  de  la  déesse 
qui  parle  des  «  bergers  de  l'orient*  ».  Certains  passages  où 
sont  célébrées  avec  une  chaleur  enthousiaste  les  beautés  de  la 
liberté  seraient  fort  bien  placés  dans  la  bouche  de  l'auteur, 
mais,  déclamés  par  la  Liberté  elle-même,  ils  produisent  un 
effet  qui  touche  parfois  au  burlesque.  Dire  qu'à  la  chute  du 
monde  romain  la  liberté  et  les  arts  sont  remontés  au  ciel,  c'est 
une  métaphore  banale,  mais  quand  c'est  la  déesse  elle-même 
qui  parle,  voyez  ce  que  deviennent  Tidée  et  Timtige  :  «c  Alors 
«  je  quittai  la  terre.  Comme  lorsque  les  tribus  de  l'air  averties 
«  de  l'approche  de  Thiver  suivent  les  vents  d'automne  et  se  lais- 
se sent  emporter  vers  de  plus  chauds  climats,  ainsi,  suivie  des 


1.  Qiant  1,  476  el  suiv.  —  2.  Chant  IV,  407-440.  —  3.  Chant  I,  123,  124. 
—  4.  Chant  II,  3. 


818  JAMES  THOMSON. 

é 

c  Arts  et  de  tous  les  Génies  du  bien,  je  fendis  les  ténèbres  qui 
«  s'épaississaient,  et  pris  mon  essor  vers  le  ciel  *.  »  Pouvons- 
nous  croire  à  ce  voyage,  ou  nous  figurer  sans  un  sourire  ce 
vol  de  génies  migrateurs?  Et  voilà  le  danger  des  allégories 
maniées  lourdement*. 

Les  protagonistes  ne  vivent  guère,  dans  ce  inonde  d'ombres 
incorporelles;  et,  s'ils  se  meuvent  ou  s'ils  parlent,  ils  ne  nous 
offœnt  qu'une  imrodie  de  faction  et  du  langage  de  la  vie.  Mais 
que  dire  du  peuple  de  comparses  renconti'és  au  cours  du 
poème?  Thomson  avait  montré  dans  les  «  Saisons  »  une  louable 
discrétion  dans  l'usage  des  personnifications.  Ici  au  contraire' 
il  s'abandonne  sans  réagir  à  cette  tendance  des  médiocres 
écrivains  de  son  temps.  Il  n'est  plus  une  qualité  morale,  on 
peut  dire  plus  un  nom  abstrait  qui  ne  fasse  figure  de  person- 
nage, et  ne  se  présente  coiffé  d'une  majuscule  et  flanqué  d'une 
épilhéte.  «  Feeble  Justice  »  et  «  rash  Revenge*  »,  a  aristo- 
cratie Pride  *  »,  «  Usury,  the  Villain*  »,  «  Luxury  rapa- 
cious*"  »,  «  Contention,  the  livid  Fury  '  »,  <r  Rapine,  barbarous 
Force  *  »,  ce  Scholastic  Discord  •  »,  «  cleric  Pride  *®  »,  c  holy 
Slander**  »,  a  persecuting  ZeaP'  »,  «  idiot  Superstition"  ». 
(Ces  liuit  derniers  fantoches  et  d'autres  encore  sont  présentés 
et  flétris  dans  une  seule  page.)  —  n  azure-mantled  Science"  *. 
«  Retirement  »  et  «  Independence,  pointing  to  the  shade  '^  », 
«  Rough  Labour  '^  »,  «  manly  Indignation  *'  »,  m  fair-fac^ 
Deceit  '*  »,  «  smooth  crocodile  Destruction  '•  »,  a  courlly 
Pride  "  »,  «  soft-buzzing  Slander '*  »,  «  avaricious  Luxury"  », 
«  Rapine  and  Murder*^  »,  «  desolating  Famine**  »,  «  purple- 
spotted  Pestilence  -^  »,  «  conquering  Freedom  "  »,  «t  wliile 
mantled  Peace  "  »,  «  fearful  Indignation  "  »,  etc.,  etc. 

Il  est  inutile  sans  doute  d'accumuler  plu.s  d'exemples  pour 
montrer  combien  ce  sujet  didactique  et  abstrait  convenait  peu 
au  génie  de  Thomson. 

Veut-on  une  autre  preuve  de  cette  faiblesse  de  conception, 

i.  Chant  11),  5(4-548. 

2.  On  peut  voir  aiis<ii,  au  chant  IV,  le  voyage  île  retour,  v.  lOi  et  sui^- 

3.  I,  193.  —  4.  III,  ;H0.  —  5.  III,  :I50.  —  6.  IIÏ,  352.  —  7.  IV,  33,  35.  - 
8.  IV,  45.  —  9.  IV,  59.  —  10.  IV,  (.2.  —  U.  IV,  Ci.  —  12.  IV,  66.  —  13.  IV. 
76.  —  14.  IV,  102.  -  15.  IV,  528,  529.  —  1(i.  i\\  552.  —  17.  IV,  551.  - 
18.  IV,  606.  -  19.  IV,  609.  —  20.  IV,  010.  —  21.  IV,  619.  —  22.  IV,  621.  - 
23.  IV,  714.  —  24.  IV,  717.  —  25.  IV,  719.  -  20.  IV,  7,30.  —  27.  IV,  "32. 
—  28.  IV,  751. 


i<   LA   LIBERTÉ.   »  519 

de  cette  impuissance  à  maîtriser  et  à  diriger  son  sujet  qui 
apparaît  sans  cesse  dans  le  poème?  Nous  avons  parlé  de  cette 
Vision  qui  fait  apparaître  sur  un  transparent  imaginaire  le^ 
scènes  racontées  par  la  diserte  déesse.  Thomson  lui-même  en 
arrive  à  si  bien  confondre  le  récit  et  Tillustration  pictoriale, 
qu'il  mêle,  à  la  série  des  événements  déroulés  par  la  vision, 
des  choses  telles  que  celles-ci....  «  Je  vois  que  Tesprit  de  la 
a  jeunesse  n'est  pas  nourri  au  hasard  d'aliments  impurs,  qu'il 
«  n'est  plus  trompé  par  la  flatterie,  ni  gontlé  d'orgueil  par  un 
«  jargon  scolastique,  mais  que  la  lumière  de  la  vérité  l'emplit  et 
d  ralimentc.  Alors  le  rayon  purifiant  brille  dans  l'imagination 
a  et  inonde  le  cœur,  et  les  passions  ressentent  aussitôt  la  lumière 
c  féconde  et  la  flamme  active  jusqu'à  ce  qu'une  action  morale, 
a  publique,  honorable,  couronne  le  tout  \  »  Voilà  bien  du  gali- 
matias pour  annoncer  l'avènement  d'une  réforme  pédagogique 
en  Angleterre.  Mais  surtout  quel  singulier  sujet  de  tableaux! 
Et  comment  le  peintre  précis  et  énergique  des  «  Saisons  » 
peut-il  voir  et  prétend-il  nous  montrer  des  choses  aussi  impal- 
pables? 

De  temps  en  t(»mps  le  poète  éprouve  lui-môme  le  besoin  de 
remettre  les  choses  au  point.  Il  avait  oublié  que  tel  ou  tel  per- 
sonnage était  supposé  parler.  Il  s'en  souvient  tout  à  coup  et 
nous  le  rappelle.  Rien  de  plus  gauche  que  ces  précautions  : 

lu  that  blest  ish*,  whcro  (so  \ve  spirits  inove) 
Wilh  one  qiiick  «'ITorl  of  my  will  I  am  *. 

Hère,  interrupling  warm, 

Wh«TC  aro  thev  iu)\\1  (I  oried)  say,  fruddess,  whoi'e?  * 

Already  havi?  1  giveii,  wilh  flying  loiioh, 
A  hrokei)  vIcmv  ol*  Ihis  iiiy  aniplcsl  rei^'n  *. 

Ou  (encore  dans  la  bouche  de  la  même  déesse  : 
A  little  traco  we  how  llicv  rose  "^ 

• 

Pour  traiter  un  sujet  antipathique  à  son  talent,  le  poète  ne 
pouvait  trouver  qu'une  forme  très  imparfaite.  La  langue  dans 
laquelle  se  déroulent  les  longs  récits  de  la  dwsse  estsingulîè- 


1.  V.  598-606.  —  2.  I,  362,  36.3.  —  3.  IL  392,  393.  —  i.  III,  88,  89.  — 
n.  IV,  !33. 


5:20  JAMES  THOMSON. 

rement  lourde.  Les  amples  périodes  des  «  Saisons  »  offraient 
parfois  une  luxuriante  abondance  de  sons  et  une  profusion  de 
couleurs  qui  étouffaient  un  peu  la  pensée.  Mais  ici  c'est  le  pur 
lieu  coniniun  moral  qui  sert  de  support  aux  pesantes  drape- 
ries du  langage.  La  déclamation  dès  lors  devient  facilement 
boursouflée  et  vide.  I^  phrase  est  longue  et  lente,  et  sans  ce 
principe  de  vie  qui  organise  le  style  chez  les  maîtres  et  dans 
les  cliets-d'œuvre.  La  période  se  traîne  souvent  sans  lien  de 
continuité  entre  ses  différentes  parties.  On  croit  qu'elle  \'a 
finir,  mais  point;  elle  se  prolonge  par  des  relatifs  successifs, 
par  dos  parenthèses  ou  des  appositions  languissantes.  En  voici 
un  exemple  tel  qu'on  en  rencontrerait  presque  à  chaque  page  : 

This  lirni  ivpiil)lio,  that  against  the  blast 
(U'op[K)sition  ix>se;  that  (like  an  uak 
Nurseil  ou  Terocious  Algidum,  whose  boughs 
Slill  slronger  >hoot  htMicalh  the  rigid  axe), 
By  loss,  by  >laughler,  from  the  stcel  itself, 
Kveii  foroi'  and  spiril  drew;  smit  wilh  the  calin, 
Tlie  dead  serono  of  prosperous  fortune,  pined  *. 

Kiicore  cette  phrase  lente  et  désarticulée  est-elle  après  tout 
complète  et  correcte.  Mais  il  arrive  à  Técrivain  de  se  laisser 
emporter  aux  ondes  successives  d'un  développement  prolongé, 
et  d'oublier,  au  cours  du  voyage,  le  point  d'où  il  était  parti  et 
le  terme  qu'il  se  proposait  d'atteindre.  Il  y  a,  pour  ne  citer 
qu'un  exemple,  certaine  période  de  trente-six  vers,  que  les 
textes  coupent  de  points,  parce  que  les  imprimeurs  ont  pensé 
qu'il  en  fallait  mettre  quelques-uns,  mais  où  le  mouvement 
n'est  nulle  part  interrompu.  L'auteur  y  procède  par  voie  de 
suppositions  :  «  Si  le  temps  venait  où....  »,  et  il  accumule  si 
bien  les  hypothèses,  il  les  complique  de  tant  de  parenthèses  et 
de  développements  parasites  que,  lorsque  nous  atteignons 
enfin  le  terme  du  paragraphe  et  un  repos  bien  gagné,  le 
poète  a  omis  d'opposer  à  ses  suppositions  aucune  clause  affir- 
mative, et  de  clore  logiquement  sa  période  *. 

Cette  singulière  inadvertance  n'est  pas  coutumière  à  Tauteur 
de  a  La  Liberté  d,  mais  les  autres  causes  d'obscurité  abondent,  et 
ce  n'est  pas  un  des  moindres  motifs  de  la  défaveur  du  poème. 

I.  ni,  361-367.  —  2.  V.  316-351. 


c<  LA  LIBERTÉ.   »  521 

3  principaux  sont  l'abus  des  inversions  et  celui  des  péri- 
rases.  La  valeur  poétique  n^est  donnée  dans  cette  œuvre  ni 
:*  la  puissance  d'imagination  de  Tauteur,  comme  dans  les 
;aisons  d,  ni  par  le  charme  d'une  fantaisie  exquiso,  comme 
is  le  «  Château  d'Indolence  ».  Pour  emprcher  le  vers  blanc  de 
réduire  à  une  déclamation  à  peine  rythmée,  Thomson  met  en 
ivre  les  ressources  ordinaires  de  la  poésie  du  x\uV  siècle.  Il 
nne  à  sa  phrase  les  constructions  les  plus  tourmentées.  A 
ique  pas  nous  nous  trouvons  en  présence  d'inversions  for- 
îs  telles  que  celles-ci  : 

Who  but  tiicse  far-t'anrd  riiins  to  behohl. 
Proofs  «f  a  pcople  whose  iieroic  aims 
Snar'd  far  ahovc  tlio  littlr  sclfish  sphen* 
Of  douhtiiif;  inodern  lifc;  who  l)ut,  innaïued 
With  classic  zeal,  th»»se  consccratcd  scènes 
or  ineii  antl  deeds  to  trace,  iinhappy  land  î 
Wouid  trust  tliv  wilds,  and  cilles  loosc  of  swav?* 

lilors  môme  qu'elle  porte  sur  une  courte  proposition,  l'inver- 
n  produit  fréquemment  les  effets  les  plus  disgracieux  : 

Could,  Tully,  you  your  Tusculum  belicve'? 

And  new  ideas,  from  her  fînishcd  shapc, 
Gharmed  sculpture  taking  might  improve  her  arl'*. 

Deemed  the  declaiming  rant  of  Greece  and  Rome, 
Should  public  virtuc  grow  the  public  scoff*. 

Ictte  malheui*euse  tendance  à  anoblir  le  langage  au  moyen 
ces  constructions  anormales,  aboutit  à  produire  un  style 

n*est  pas  pour  cela  de  la  poésie,  et  qui  n'a  ni  la  clarté  ni 
^aleur  musicale  d'une  prose  libre  d'allure, 
/emploi  répété  de  la  périphrase  a  son  origine  dans  ce  même 
ir  d'élever  le  langage  à  la  dignité  poétique.  Au  lieu  des 
ressions  directes  et  nettes  des  <c  Saisons  »,  nous  rencontrons 

circonlocutions  qui  souvent  demandent  une  note  explica- 
I.  Le  renvoi  n'est  pas  inutile  pour  nous  faire  comprendre  que 

the  fountain  he 

Of  public  wisdom  and  of  justice  shut', 

I,  110.116.  —  2.  I,  273.  —  3.   IV,  471,  472.  -  4.  V,  326,  327.  -  5.  IV, 
992. 


52:2  JAMES  THOMSON. 

signifie  que  Jacques  II  licencia  le  parlement.  Alors  méine 
qu'elles  sont  plus  facilement  intelligibles,  ces  charades  ne  soDt 
guère  dignes  du  maître  écrivain  des  «  Saisons  ». 

«  Que  les  bois  de  TAsie  fournissent,  sans  culture,  une  toison 
«  végétale;  et  que,  en  vue  d*une  vie  plus  haute,  le  petit  insecte- 
«  artisan  construise  sa  tombe  de  soie.  Que  les  rochers  étonnés 
(i  déploient  naissants  et  radieux  les  enfants  du  soleil  aux  teintes 
«  variées  *....  » 

L'imitation  de  Milton  n'est  pas  moins  apparente  ici  que  dans 
les  ((  Saisons  »,  mais  elle  est  moins  heureuse.  Elle  porte  prin- 
cipalement Sur  les  passages  de  dialectique.  Le  poète  n'a  pas  su 
se  faire,  comme  pour  son  poème  descriptif,  un  langage  à  lui, 
original  alors  même  qu'il  laisse  voir  l'influence  d'un  grand 
modèle.  Dans  «  La  Liberté  »  l'imitation  est  parfois  servile,  elle 
résultat  est  désastreux.  C'est  qu'aux  transitions,  aux  artifices 
de  narration,  aux  figures  de  style  et  de  pensée  violentfô  de 
l'imitateur  il  manque  cette  foi  à  la  vie  de  ses  créatures,  et  cet 
intérêt  du  sujet  qui  excusent  dans  le  ce  Paradis  Perdu  i»  tant  de 
naïvetés.  On  en  peut  juger  par  cet  exemple  entre  cent  autres  : 

llcie,  interposing  I  —  Oh,  Vîueen  of  men! 

Hencath  whose  sceptre  in  esscntial  rights 

Eqiial  Ihey  live;  thoiigh  placed  for  commoii  guod 

Various,  or  in  suhjeclion  or  command; 

And  thaï  hv  conimon  choice  :  alas!  Ihe  scène. 

Wilh  virlue,  freedoin  and  wilh  glory  brighl 

Slrcams  inlo  blood,  and  darkens  inlo  woe  *. 

Quant  aux  défauts  naturels  de  Thomson,  ils  se  montrent  ici 
beaucoup  plus  nettement  que  dans  les  «c  Saisons  ».  Nous  savons 
que  bien  des  taches  ont  disparu  de  celles-ci,  grâce  aux  retou- 
ches de  chaque  édition  nouvelle.  Mais  le  public  ne  demanda 
pas  de  rééditions  de  «  La  Liberté  »  et  nous  trouvons  dans  le 
poème  nombre  de  vers  rocailleux  et  de  déplaisantes  asso- 
nances : 

'Tis  ail  one  doserl,  desolale,  and  grcy, 
(irazed  bv  thc  sullen  buffalo  alone  '. 

V 

There,  as  incrcasing  familles  disclosed 
Thc  tcnder  slale,  l  taughl  an  cqual  sway  *. 

i.  V,  9-14.  —  2.  III,  328334.  —  3.  1,  135,  13«.  -  4.  Il,  7.  8. 


V   LA   LIBERTÉ.   »  523 

A  nobler  noie,  and  bade  Ihe  banquet  burn  '. 

Be  Ihis  Ihy  praise.  ihat  thon  and  thou  alone  *.  *-► 

In  the  high  thoughtless  gaicly  of  game  '. 

And  monk-dii-ecled  cloister-seeking  king  *. 


m 


Et  cependant  il  y  a  autre  chose  que  des  défauts  dans  ces 
cinq  chants  qu'aucun  rayon  de  popularité  n'a  jamais  illuminés. 
Les  compliments  de  Hill  font  l'efTet  de  pures  ironies  quand  il 
loue  «  l'élégance,  l'harmonie,  l'énergie  vivante,  et  l'exacte  pro- 
priété des  termes.  i&  (Lettre  du  17  février  1735.)  Mais  nous 
pouvons  nous  associer  à  lui  quand  il  considère  a  la  grandeur 
€  du  plan,  la  noblesse,  la  profondeur,  la  richesse  des  senti-: 
c  ments  ».  Et  nous  trouvons  encore  après  lui  à  relever  dans 
cette  œuvre  de  réelles  beautés  dont  il  a  peut-être  été  peu 
frappé. 

Après  avoir  consacré  sa  première  œuvre  à  la  nature,  entre- 
prendre un  grand  poème  à  la  gloire  de  la  Liberté  et  à  celle  de 
l'Angleterre  ce  n'était  pas  une  tentative  médiocre.  Nous  savons 
que  le  jeune  poète  y  apportait  autre  chose  que  le  savoir-faire 
indifférent  d'un  rhéteur.  C'est  tout  son  être  moral  qui  s'expri- 
mait dans  cette  longue  revue  des  événements  humains,  comme 
son  génie  artistique  s'était  donné  carrière  dans  la  peinture  de 
la  vie  de  la  nature.  Le  plan  adopté  pour  l'exécution  n'était  pas 
moins  ambitieux  que  la  conception  première.  Il  y  a  peu  d'exa- 
gération dans  ce  résumé  que  donne  Hill  du  poème  :  ...  a  Tout 
«  ce  que  les  hommes  ont  souffert,  ont  fait  ou  ont  pensé  à  tra- 
«  vers  toutes  les  révolutions  des  âges  oubliés,  votre  muse... 
«  le  rappelle,  le  rejoue,  le  fait  revivre,  jusqu'à  ce  que  nous 
«  devenions  contemporains  de  tous  ces  siècles  d'action,  jusqu'à 
«  ce  que  nous  voyons  et  sentions  les  changements  par  lesquels 
«  ils  ont  brillé  ou  ont  péri  '  ».  L'enthousiaste  et  amical  critique 
se  trompe  lorsqu'il  déclare  réalisé  cet  ample  programme.  Mais 
n'y  a-t-il  pas  quelque  grandeur  à  l'avoir  tenté? 


1.  II.  46.  —  2,  H,  251.  —  3.  III,  265.  (Remorquer  la  valeur  de  «  gaiety  ., 
trisyllabe).  —  i.  IV,  727.  —  5.  Leltre  du  n  février  1735. 


524  JAMES  THOMSON. 

L^dée  maîtresse  du  poème  c'est  que  la  liberté  est  dans  les 
communautés  humaines  la  source  de  tous  les  biens,  de  toutes 
les  vertus  et  de  tous  les  progrés.  Et  l'auteur  se  trouve  ainsi 
amené  à  retracer  non  seulement  Thistoire  des  révolutions  |»oli- 
tiques  de  la  Grèce,  de  Rome,  de  Tltalie  et  de  la  Grande-Bre- 
tagne, mais  aussi  le  tableau  desarts,  de  la  pensée  philosophique 
et  de  la  civihsation  dans  ces  pays.  On  comprend  que,  malgré 
son  étendue,  le  poème  ne  suffise  pas  à  pareille  tâche.  Du  moins 
dans  cette  étude  incomplète  abondent  les  pensées  généreuses, 
les  vues  élevées  et  les  nobles  sentiments.  En  dépit  d'une  |)er- 
sistante  et  insulaire  étroitesse  qui  lui  fait  tout  paraître  inférieur 
à  son  pays,  qui  lui  fait  comprendre  Thistoire  tout  entière 
comme  une  lente  préparation  de  la  grandeur  de  l'Angleterre  et 
de  ses  libres  institutions,  jamais  écrivain  n'a  célébré  avec  plus 
de  chaleureuse  conviction  les  gloires  de  la  Liberté. 

Il  y  a  certes  chez  Tauteur  une  limitation  du  goût  artistique, 
une  incapacité  à  com|)rendi'e  certaines  formes  de  la  beauté, 
qui  nous  frappe  dans  les  riches  développements  où  il  apprécie 
rœuvre  des  grands  artistes  de  la  Grèce,  de  l'Italie  ou  de  la 
France.  11  ne  s'est  pas  affranchi  des  jugements  qui,  jusqu'à  la 
fin  du  XVII i**  siècle,  ont  eu  force  de  loi  en  ces  matières.  On  cher- 
cherait en  vain  dans  ces  pages  une  allusion  à  la  beauté  des 
édifices  gothiques;  on  n'y  trouverait  rien  qui  ressemble  aux 
quelques  vers  où  Milton  a  dit  l'émotion  religieuse  qu'il  ressen- 
tait sous  les  hautes  voûtes  aux  vitraux  mystiques  *.  Le  temjè 
était  encore  lointain  où  l'on  devait  voir  dans  l'art  du  moven 
âge  autre  chose  qu'une  décadence  barbare  ou  d'informes  tenta- 
tives vers  un  idéal  nouveau  : 

<(  Les  Goths  de  tous  les  siècles  n'ont  fait  que  charger  la  terre 
<c  de  lourds  et  [irétentieux  monuments  de  honte  '.  n^ 

Et  l'efTort  si  curieux  des  primitifs  italiens  vers  un  idéal  de 
beauté  à  la  fois  subtil  et  naïf  est  apprécié  par  notre  poète  en 
ces  termes  : 

«  Indigente  était  la  manière  de  ses  premiers  adeptes,  stérile 
«  et  sèche,  s'écartant  à  peine  du  goût  qui,  pendant  des  siècles. 


\.  Il  Pensei^osOt  155-166. 

2.  ((  ....  Goths  of  every  âge 

hâve  only  loaded  earth 

Wilh  laboured  monumenla  of  sbame.  » 

(II,  377-370.) 


«   LA  LIBERTÉ.   »  826 

«L  avait,  dans  les  sombres  cloîtres,  effrayé  le  troupeau  supersti- 
(  tieux  * .  » 

Mais  quand  il  vient  à  dépeindre  et  à  juger  Tart  antique  ou 
celui  de  la  Renaissance,  Thomson  montre  un  goût  plus  sûr  et 
une  admiration  éclairée.  Il  trouve  aussitôt  une  forme  plus 
ferme  et  plus  précise.  Peu  de  passages  sont  mieux  venus, 
écrits  avec  plus  d  aisance  et  de  verve  que  les  pages  où  il  décrit 
les  chefs-d'œuvre  de  l'art  grec  révélés  à  l'Italie  de  la  Renais- 
sance, ou  ceux  qu'ils  ont  inspirés  à  la  sculpture  et  à  la  peinture 
modernes.  Dans  une  série  de  descriptions  d'une  sobriété  élé- 
gante il  note  d'un  trait  exact  les  caractères  dominants  de  ces 
morceaux  fameux  :  l'PIercule  Farnèse,  le  Gladiateur  mourant, 
TApollon  du  Belvédère,  la  Vénus  de  Médicis.  Il  accepte  sans 
doute  docilement  le  jugement  alors  incontesté  qui  voit  dans  le 
Laocoon  le  chef-d'œuvre  de  l'art  antique  '  ;  mais,  malgré  cette 
erreur  de  goût  commune  alors,  ses  descriptions  laissent 
deviner  une  sincérité  d'impression  et  une  ferveur  d'admiration 
que  ne  comportent  pas  au  même  degré  les  descriptions  de 
Byron  plus  brillantes,  plus  montées  de  ton  et  de  couleur,  plus 
déclamatoires  aussi  ^. 

On  trouverait  encore  des  exemples  d'exposition  didactique 
élégante  dans  le  passage  où  sont  définis  et  distingués  les  diffé- 
rents ordres  de  l'architecture  grecque  *.  On  pourrait  noter 
avec  curiosité  les  vers  où  le  poète  oppose  l'une  à  l'autre  la 
musique  superficielle  et  sensuelle  à  une  musique  pathétique 
et  dramatique.  11  semble  que  le  morceau  se  rapporte  à  une 
querelle  artistique  moins  éloignée  de  nous  que  la  |)remière 
moitié  du  xwiit^  siècle  : 

Tu  sus  ajouter  au  chant  du  poète  une  douce  force. 

A  toi  réloqucnte  musique  du  cœur; 

Non  pas  les  vains  arpèges  qui,  vides  de  tout  sentiment,  courent 

Capricieux  et  confus,  et  charment  les  oreilles  des  oisifs, 

Mais  cette  voix  aux  accents  profonds  et  cette  main  savante 

Qui  savent  faire  vibrer  à  Tunisson  Tâme  mobile  *. 

1.  IV,  220-223. 

2.  On  voit  que  si  Winckelman  l'a  exprimé  avec  une  autorité  particulière, 
il  ne  lui  était  pas  personnel. 

3.  Voir  111,  !3i-24i. 

4.  II,  381  et  suiv. 

5.  ««  The  sweet  en  forcer  of  Ibe  poel's  strain, 
Thine  Avas  the  meaning  music  of  the  heart, 


526  JAMES  THOMSON. 

Aussi  bien  que  renlhousiasme  du  dilettante,  Fardeur  patrio- 
tique dicte  à  Tliomson  plus  d'une  belle  page.  Nous  avons  eu 
à  rappeler  quelques  passages  où  ce  sentiment  donne  seule- 
ment naissance  aux  développements  ampoulés  et  confus  d'um? 
rhétorique  déclamatoire.  Mais  il  en  est  d'autres  aussi  où, 
malgré  le  défaut  persistant  d'une  affabulation  fâcheuse,  le 
poète  trouve  de  retentissants  et  fiers  accents.  Telle  est  la  i>age, 
d'un  mouvement  soutenu  et  d'un  bel  élan,  où  il  célèbre  la 
condition  de  ces  rois  constitutionnels  de  l'Angleterre  qui, 
c  impuissants  pour  le  mal,  ont,  pour  faire  le  bien,  un  pouvoir 
sans  limites  '  ».  Dans  toutes  les  parties  du  poème  se  rencon- 
trent de  ces  vers  sonores,  pleins,  heureusement  balancés^,  un 
se  reconnaît  la  main  du  maître  ouvrier  : 

Though  Conquesl  o'er  them  clapped  lier  eaglc  wings. 
lier  laurels  wrealhed,  and  voked  her  snowv  stceds 
To  Ihe  triuniphal  car  *. 

The  Forum  and  comilia  horrid  grew 

A  scène  of  bartcrcd  power,  or  reeking  gore  '. 

Tout  ce  tableau  rapide  de  THistoire  de  l'Angleterre  que 
contient  le  Vr  chant  mérite  aussi  d'être  signalé.  C'est  un  hors- 
d'œuvre  sans  doute,  et  une  amplification  de  rhétorique,  mais 
où  ne  manquent  ni  l'ardeur  intime  du  sentiment,  ni  la  fermet<^ 
de  la  forme.  Il  y  aurait  intérêt  à  comparer  ce  morceau  aux 
passages  analogues  de  La  IlenHadr.  C'est  le  même  ton  et 
«  la  même  marche  d'idées  *  »  avec  plus  de  souplesse  et  d'élé- 
gance dans  la  langue  de  l'écrivain  français,  plus  de  feu  et 
d'enthousiasme  chez  le  poète  anglais. 

Nous  ne  mentionnerons  que  pour  mémoire  d'autres  mor- 
ceaux où  Thomson  peut  soutenir  la  comparaison  avec  plus 
d'un  écrivain  fameux  de  son  temps.  La  dernière  partie  de 
l'oHivre  nous  le  montre  sous  un  aspect  nouveau,  celui  du 


Nol  (hc  vain  trill,  Ihal,  void  of  passiou,  riins 
In  giddy  mazos,  lickUiig  idle  cars; 
But  ihat  deep-searching  voice,  and  artfui  hand 
To  wliich  respondenl  shakes  tlie  varied  soûl.  » 

(U,  285.200:) 

!.  IV,  1147-1116.  —  ±  ni,  1;)3-155.  —  3.  111,  30",  398. 
4.  L*exprc98ion  est  de  Urugiëre  de  Baranle  {Thédtres  étrangens),  l.  X,  Vif 
lie  Thomson. 


<(   LA  LIBERTÉ.   »  Sâ7 

poète  satirique.  Sans  doute  il  ne  s'y  trouve  pas  de  méritt^s  qui 
mettent  ces  pages  hors  de  pair.  Ces  attaques  contre  la  richesse 
oisive,  contre  le  luxe  insolent  et  sans  goût;  cette  exposition 
des  plaisirs  vains  ou  coupables  où  se  dissipe  Ja  vie  des  heu- 
reux de  la  fortune,  le  théâtre,  le  bal,  le  jeu;  puis  le  tableau  de 
la  ruine  qui  suit  et  venge  ces  desordres;  l'abandon  des  flatteurs 
et  des  parasites  qui  a  la  mlale  venant  secouer  leur  patron, 
«  s'enfuient  comme  une  pluie  de  feuilles  flétries  et  le  laissent 
«  dépouillé  *  »;  tout  cela,  comnje  les  déclamations  sur  la  véna- 
lité des  gouvernants  *,  est  le  bien  commun  dont  vivent  les 
nombreux  satiriques  de  cette  époque.  Mais  il  faut  aussi  recon- 
naître que,  dans  cette  voie  qui  n'est  pas  la  sienne,  Thomson 
apporte  une  énergie,  un  élan  qui  le  font  Tégal  non  pas  sans 
doute  de  Pope  dont  il  n'a  pas  l'esprit  scintillant  ni  la  mor- 
dante concision,  mais  au  moins  de  Young. 

Dans  cette  œuvre  de  prédilection  où  il  voulait  mettre  le 
meilleur  de  sa  pensée,  Thomson,  on  peut  le  croire,  réservait 
une  place  à  ses  doctrines  philosophiques.  Quand  il  passe  en 
revue  les  divers  établissements  des  peuples  gi-ecs  et  les  foyers 
de  civilisation  créés  par  la  liberté,  il  s'arrête  au  nom  de 
Crotone,  pour  rappeler  Pythagore  et  son  enseignement.  C'est 
l'occasion  d'un  exposé  nouveau  de  cette  doctrine  de  la  mélem- 
|)sychose  à  laquelle  notre  poète  montre  un  fervent  attachement. 
11  l'accepte,  nous  le  savons,  avec  son  corollaire  nécessaire,  le 
végétarianisme  ';  et  il  la  complète  par  sa  conception  d'un 
mouvement  sans  cesse  progressif.  Ailleurs  encore,  il  fait  hon- 
neur aux  anciens  Bretons  d'une  crovance  à  la  transmission 
perpétuelle  d'une  vie  individuelle*.  Il  voit  même  dans  cette 
croyance  ki  fondement  de  leur  courage,  sans  s'arrêter  à  cette 
considération  que  la  même  doctrine  religieuse  n'a  pas  fait 
naître  l'héroïsme  chez  les  peuples  de  l'Indoustan  qui  l'ont 
conçue  '. 

<i  La  Liberté  »  nous  donne  encore  l'indication  d'une  doctrine 
métaphysique  grandiose  sur  laquelle  le  poète  fonde  toute  une 
théorie  scientifique  et  morale  de  la  plus  haute  importance.  A 
propos  de  l'enseignement  do  Pythagore,  il  signale  la  première 

1.  V.  «51-105.  —  2.  V,  20il-220.  —  3.  III,  32-70.  —  i.  IV.  030-646. 

:i.  Sur  rhypollièse  que  celle  doclrine  ail  été  enseif^nce  par  les  druides, 
et  sur  ses  liens  avec  les  doctrines  du  hralimnnisme,  on  connatl  les  pa^es 
de  Henri  Martin  (Histoire  de  France,  t.  I,  p.  46,  47). 


S28  JAMES   THOMSON. 

apparition  de  l'hypothèse  de  l'attraction,  et  avec  une  hardiesse 
qui  ne  messied  pas  à  un  poète,  1  voit  dans  Famour  le  prin- 
cipe essentiel  de  la  mystérieuse  force  *.  Il  n'y  a  là  qu'une  indi- 
cation très  sommaire.  Mais  dans  la  dernière  partie  du  poème. 
il  reprend  la  même  conception  pour  lui  donner  encore  plus 
d'ampleur.  L'amour,  répandu  et  diffus  dans  l'immensité  de 
l'univers,  pénètre  toutes  les  créatures;  il  les  associe  dans  sa 
tendance  à  la  vie;  puis  condensé  et  épuré  il  fait  naître  les  f>as- 
sions  humaines  successivement  graduées  dans  l'ordre  de  leur 
noblesse  jusqu'à  celle  qui  l'emporte  sur  toutes  les  autres  :  le 
dévouement  au  bien  public.  £t  unissant  dans  son  audacieuse 
hypothèse  l'explication  du  monde  physique  et  les  phénomènes 
les  plus  complexes  de  la  morale  et  de  la  sociologie,  il  déclare 
indispensable  à  rétablissement  et  à  la  prospérité  d'une  com- 
munauté libre  cette  a  gravitation  morale  *  »,cet  amour  mutuel 
des  citoyens  qui  se  confond  avec  l'amour  de  la  chose  publique. 

Tout  cela  reste  de  la  métaphysique  de  poète,  plus  encore,  il 
faut  le  dire,  par  le  vague  de  la  conception  et  la  gratuité  des 
assertions  que  par  la  richesse  et  la  beauté  du  langage.  Mais  au 
moins  l'exposé  des  théories  scientifiques,  astronomie  de  Pytha- 
gore  ou  gravitation  newtonienne,  est-il  fait  de  la  main  d'un 
maître  écrivain.  Et  pour  le  reste,  si  la  philosophie  de  Thomson 
est  un  très  pâle  reflet  de  quelques  grands  systèmes  métaphy- 
siques, encore  faut-il  porter  au  crédit  de  notre  ïX)ète  l'ambi- 
tion d'avoir  voulu  donner  à  ces  hautes  spéculations  une  expres- 
sion littéraire  et  la  parure  des  vers. 

C'est  cependant  un  mérite  dont  la  postérité  ne  lui  a  |)as  su 
plus  de  gré  que  les  contemporains.  Il  faut  que  le  malheureux 
poème  ait  tenté  bien  peu  de  lecteurs  pour  qu'à  une  époque  où 
Ton  note  avec  tant  d'intérêt  tous  les  antécédents  scientifiques 
ou  littéraires  de  la  théorie  de  l'évolution,  on  n'ait  pas  signalé 
la  conception  embryonnaire  qu'en  donnait  l'œuvre  de  Thomson. 
On  n'a  pas  davantage  observé  que  le  faiseur  de  vers  avait, 
comme  les  grands  philosophes-poètes  de  l'antiquité,  et  comme 
les  penseurs  les  plus  hardis  de  l'idéalisme  moderne,  proposé 
de  voir  l'amour  au  fond  de  toutes  les  manifestations  de  cette 
force  universelle  qui  unit  les  molécules  et  qui  cimente  les 
sociétés.  Il  est  bien  probable  que  ni  Darwin  ni  Swedenboi^ 

l.  ni,  43-47.  —  2.  V,  257. 


«   LA  LIBERTÉ.   »  529 

OU  Mr.  Ravaisson  n'ont  soupçonné  en  l'auteur  des  a  Saisons  » 
un  ancêtre  intellectuel  *.  Et  néanmoins  notre  poète  a  droit  à 
plus  et  mieux  que  l'expression  d'une  surprise  amusée.  S'il  n'a 
pas  fait  preuve  de  puissance  métaphysique  pour  s'être  a[)pro- 
prié  quelques  idées  émises  par  le  génie  de  l'antiquité',  il  a 
montré  du  moins  une  vigoureuse  indépendance  d'esprit, 
quand,  très  loin  de  Locke  et  de  la  philosophie  à  courtes  vues 
que  Voltaire  admirait  tant  dans  l'Angleterre  de  ce  temps,  il 
allait  demander  aux  plus  hardis  penseurs  de  la  Grèce  les  élé- 
ments d'une  doctrine  digne  de  la  nature  et  de  la  poésie,  et 
digne  aussi  des  grandes  vertus  civiques  célébrées  dans  son 
poème. 

Sur  un  autre  point  au  contraire,  il  est  permis  de  croire  que 
son  influence  directe  s'est  exercée,  non  sans  puissance,  sur 
l'une  des  doctrines  les  plus  célèbres  du  xviii"  siècle.  «  La 
Liberté  »  nous  fournit  avec  plus  de  précision  encore  que  les 
a  Saisons  »,  un  exposé  de  cette  opinion  que  les  premiers  âges 
de  l'humanité  correspondent  à  une  période  de  pureté  des 
mœurs,  de  justice  sociale  et  de  paisible  fraternité.  A  cet  état 
d'innocence  des  jeunes  sociétés  humaines  correspond  une  ère 
de  parfaite  liberté;  avec  le  développement  du  bien-être  et  des 


1.  Faut-il  noter  cependant  qu'Krasmiis  Darwin,  Taîeul  du  grand  savant, 
était  poète;  qu'il  a  formulé  avec  une  singulière  netteté  la  théorie  ù 
laquelle  devait  rester  attaché  ce  nom  de  Darwin,  et  qu'il  était  admira- 
teur convaincu  de  Thomson?  Il  a  dû  remarquer  Tanalogio  de  la  doctrine 
ontologique  exposée  par  Lucrèce  au  II»  chant  du  De  Satura  Herum,  et 
des  vues  exprimées  à  plusieurs  reprises  pur  Thomson.  Le  jeune  Charles 
a-t-il  aurrsi  connu  cette  similitude?  Peut-on  supposer  que,  grâce  à  l'auteur 
de  Zoonomia,  le  futur  naturaliste  ait  re^-u  du  poète  des  «  Saisons  '>  et  de 
«  La  Liberté  »  le  germe  d*idées  qui  auraient  dormi  dans  son  esprit  jusqu'au 
jour  où  l'étude  des  fails  leur  donna  une  puissance  et  une  fécondité  mer- 
veilleuses? Peut-on  croire  enfin  que  Thomson  ait  été,  pour  une  part  très 
modeste,  un  des  collaborateurs  de  Darwin  dans  l'édification  de  la  grande 
théorie  à  laquelle  aboutit  la  science  du  xix"  siècle? 

2.  On  sait  que  l'idée  de  révolution  se  rencontre  dans  Âristote  («  Méta- 
physique »,  liv.  I,  chap.  iv),  et  dans  le  poème  de  Lucrèce.  Quant  &  la  doc- 
trine de  l'amour,  force  universelle,  cause  de  tout  mouvement  et  de  toute 
vie,  Thomson  la  tenait  certainement  de  la  philosophie  antique.  Empé- 
docle,  disciple  de  Pythagore,  Tavait  formulée  en  expliquant  par  le  jeu  de 
deux  éléments  hostiles  toute  activité  des  créatures  :  cpro;,  principe  de  vie 
et  d*union,  eptÇ,  principe  de  désunion,  de  destruction  et  de  mort.  Notre 
poète  conserve  le  premier,  et  rejette  le  second.  11  écarte  la  conception 
d'une  création  perpétuellement  détruite  et  renouvelée,  d'une  évolution 
circulaire.  Il  croit  à  un  mouvement  progressif,  et  grelTe  ainsi  sur  la  vieille 
doctrine  pythagoricienne  une  des  théories  chères  au  xviif  siècle. 

34 


530  JAMES  THOMSON. 

désirs  viennent  les  vices,  les  crimes  et  la  tyrannie  *.  On  recon- 
naît ici  ramère  théorie  du  Discoui^s  de  J.-J.  Rousseau  sur  les 
efîeU  de  la  civilisation.  Rousseau  ne  l'a  |>as  créée  de  toutes 
pièces;  elle  circule  dans  Tatmosphère  intellectuelle  du 
XV m'  siècle  aussi  bien  que  la  théorie  opposée  de  la  perfectibi- 
lité indéfinie  de  Tespèce  humaine.  Mais  parmi  les  expressions 
de  cette  doctrine  qu'a  pu  rencontrer  l'éloquent  rhéteur,  il  est 
permis  de  croire  que  celle  que  fournissent  les  poèmes  de 
Thomson  ne  lui  est  pas  i-estée  inconnue. 


IV 


Enfin  le  peintre  de  la  nature  ne  saurait  abdiquer  entière- 
ment dans  aucune  des  œuvres  de  Thomson.  Dans  ce  poème 
patriotique,  moral  et  philosophique  se  trouvent  disi)ers« 
d'heureux  morceaux  descriptifs  qui  valent  d'être  relevés  et 
signales,  et  qui  méritent  de  n'être  pas  perdus  dans  le  naufrage 
de  l'ensemble.  Tels  sont,  en  dépit  d'allitérations  déplaisantes, 
ces  quatre  vers  du  premier  chant  : 

(1  ....  Dans  les  vallons  étroits  de  TOmbrie,  ou  sur  le  sommet 
«  de  ses  brunes  collines  qui  respirent  la  brise  parfumée  :  sur 
a  la  côte  de  Baies  bordée  de  vignes;  où  une  mer  paisible,  sur 
«  laquelle  soufflent  de  doux  zéphyrs,  caresse  le  rivage  d'un 
«  perpétuel  baiser*....  » 

Comme  contraste  avec  cette  riante  évocation  d'un  i^aysage 
ensoleillé  et  radieux,  voici  au  deuxième  chant  le  tableau  vigou- 
reux, dans  ses  teintes  monotones,  d'un  pays  de  brumes  et  de 
frimas  : 

<(  La  Samartie,  qu'arrosent  mille  cours  d'eau,  terre  morose 
«  de  lacs  et  d'immenses  marécages,  de  rochers,  de  torrents 
«  sonores,  de  sombres  bruyères  et  de  déserts  farouches  tout 
«  noirs  de  sapins  bruyants.  La  nature  y  porte  un  front  mena- 
«  çant.  Et  cependant  [)arfois  elle  s'adoucit  jusqu'à  sourire;  et 

1.  11,  l-2ti. 

2.  •  In  IJmbria's  closing  vales,  or  on  thc  brow 

Of  lier  brown  hills  that  breatbe  the  scented  gale. 
On  Baiae's  viny  coast;  where  pcaceful  seas, 
Panned  by  kind  zephvrs,  cver  kiss  the  shore.  • 

(I,  56-5tt. 


«   LA  LIBERTÉ.   »  531 

:  vite,  au  toucher  des  brises  du  midi,  elle  fait  jaillir  tout  à 
:  coup  du  sol  une  herbe  luxuriante  et  une  prodigalité  de 
(  fleurs*.  » 

Parfois  aussi,  au  lieu  d'une  description  directe,  nous  trou- 
vons dans  quelque  comparaison  une  image  pittoresque;  et, 
presque  toujours,  ce  retour  à  la  faculté  maîtresse  de  Técrivain 
îst  Toccasion  d'une  phrase  bien  venue,  de  style  ferme  et 
brillant. 

<c  0  Grèce,  dans  ton  langage  plein,  qui  dit  des  pensées  puis- 
((  santés;  qui  tantôt  se  resserre  comme  un  clair  torrent,  et 
K  tantôt  s'épanche  comme  un  fleuve  large  et  majestueux,  et 
((  roule  ses  flots  au  cours  onduleux  d'un  rythme  harmo- 
«  nieux*....  d 

«  Ainsi  par  une  pure  soirée  d'hiver,  les  étoiles  s'illuminent 
«  successivement.  D'abord,  quelques-unes  apparaissent  faibles 
a  et  isolées;  mais  quand  leur  troupe  radieuse,  innombrable  et 
<c  touffue  couvre  de  son  éclat  l'immensité,  et  que  chacune 
a  répand  sur  les  autres  sa  vibrante  influence,  alors  un  déluge 
a  de  lumière  palpite  d'un  pôle  à  l'autre,  et  là-haut  les  mondes 
«  se  réjouissent  et  ici-bas  les  hommes^.  y> 

c  Ainsi  quand  le  berger  assis,  au  sommet  de  la  montagne, 
«  joue  de  la  flûte  à  ses  troupeaux  et  à  ses  chevreaux  folâtres, 
((  le  soleil  cependant,  abaissé  au-dessous  de  la  verte  surface 
a  de  la  terre,  lance  obliquement  sur  cette  scène  un  dernier 
«  rayon  :  Courte  est  la  splendeur  qui  dore  la  montagne,  qui 
<c  se  joue  sur  les  troupeaux  illuminés,  et  qui  réjouit  le  pâtre; 
a  entraîné  sans  rémission  vers  les  mondes  de  l'occident, 
tf  bientôt  le  père  de  toute  lumière  rappelle  ce  rayon  *.  » 

1.  Il,  514-522. 

2.  •  In  tby  full  language,  speaking  mighty  thiDgs; 
Like  a  clear  torrent  close,  or  else  diffused 

A  broad  majectic  slreani,  and  rolling  on 
Through  ail  the  winding  harmony  of  sound.  » 

(II,  257-260.) 

3.  «  ....  As  on  a  pure  wintcr's  eve. 
Graduai,  the  slars  efTulge;  fainter,  al  first, 
They,  straggling  rise;  bul  whcn  Ihe  radiant  host. 
In  thick  profusion  poured,  shine  out  immense, 
Each  casting  vivid  influence  on  each, 

Froin  pôle  te  rôle  a  gliltering  déluge  plays, 
And  worlds  above  rejoice,  and  men  belo>^ .  • 

(V,  360-366.) 

4.  III,  320^2-. 


S3â  JAMES  THOIISON. 

Ailleurs  nous  rencontrons  une  énumération  des  aspects  de 
la  nature  que  reproduisaient  les  peintres  grecs;  et  Ton  remar- 
quera la  précision  rapide  des  traits  qui  évoquent  à  nos  yeuv 
cette  série  de  tableaux  : 

«  Là  le  nuage  qu'illumine  le  soleil  s'ouvre  joyeusement;  !»»> 
«  lointains  fuyants  et  la  montagne  bleue  se  fondent  avec  Tair; 
«  le  précipice  menace,  effrayant;  et  tout  blanc,  le  torrent 
«  impétueux  s'élance  au  pied  du  rocher;  le  soleil  brille,  trem- 
«  blant  au  loin  sur  la  mer;  la  tempête  écume,  immense;  la 
«  rafale  irrésistible  attriste  le  ciel,  et  du  milieu  des  ténèbre? 
«  qu'il  rend  plus  épaisses,  Téclair  déchiqueté  tombe  sur  le 
«  chêne  foudroyé  *.  » 

Mais  il  est  un  passage  bien  plus  important,  car  il  vient 
combler  une  lacune  dans  la  série  des  grands  aspects  du 
monde  qu'a  fixés  la  plume  de  Thomson.  Nous  avons  remarqua 
dans  les  a  Saisons  if>  combien  le  poète,  qui  excelle  à  reproduin' 
la  grandeur  et  la  mobile  variété  du  ciel  et  de  la  mer,  e^t  sobn* 
de  descriptions  de  la  montagne.  L'Ecosse  ne  semble  pas  lui 
avoir  révélé  la  sublimité  de  ces  scènes.  Peut-être  n'avait-il 
connu  que  les  collines  des  Lowlands;  ou,  s'il  a  vu  les  chaînes 
des  Higlîlands,  aux  aspects  si  nobles  malgré  leur  méiliocn^ 
altitude,  il  n'en  a  pas  ressenti,  dans  les  années  de  sa  jeunesse 
qu'il  vivait  auprès  d'elles,  le  charme  imposant  et  austère.  Il 
fallut  ses  voyages  sur  le  continent,  et  la  vue  des  Alpes  pour 
lui  révéler  la  beauté  de  ce  monde  des  géants  de  la  terre.  L'es- 
thétique de  l'antiquité  ne  l'avait  pas  connue,  nous  l'avons  dit 
ailleurs  -,  et  les  modernes  n'en  ont  eu,  avant  le  xviii*  siècle, 
qu'une  notion  confuse  et  intermittente.  Existe-t-il  dans  aucune 
littérature  antérieurement  à  la  publication  de  «  La  Liberté  •  une 
page  où  les  divers  aspects  des  paysages  alpestres  soient  décrit^ 
comme  dans  les  vers  suivants?  Le  poète,  ou  La  Liberté  qui 


t.  •  Thcre  gaily  broke  the  sun-illumined  cloud; 

Tlie  lesseninp:  prospect,  and  Uie  mountain  blue, 
Vanished  in  air:  Ihe  preripice  frowned,  dire; 
White,  down  the  rock,  Uie  nisiiing  torrent  dasiied ; 
The  sun  shone,  Iremhiing,  o*er  Ihe  distant  main; 
The  tempest  Toamed,  immense  :  the  driving  storm 
Snddenned  the  skirs,  and,  from  the  doubliog  gloom, 
On  the  scathed  oak  Uie  raggcd  lightaing  fell.  » 

(H,  352-359.) 

2.  Voir  p.  -270  et  suiv. 


«  LA  LIBBRT&.   »  833 

parle  en  son  nom,  célèbre  la  terre  classique  des  hommes 
libres  : 

a  Par  moi  rendues  joyeuses  leurs  montagnes  hérissées 
«L  savent  plaire,  plus  que  les  plaines  de  la  Gaule  ou  de  lltalie. 
c  Et  souvent,  quand  ils  en  sont  depuis  longtemps  éloignés, 
c  ils  languissent  malades  du  désir  de  revoir  les  scènes  de  leurs 
«  Alpes;  le  torrent  au  cours  sinueux  et  profond;  la  vallée  qui 
«  étale  sa  beauté  au  milieu  d'un  amphithéâtre  de  montagnes. 
c  Là,  sur  ^l'aile  des  vapeurs,  s'élève  soudain  la  tempête;  puis 
c  c'est  le  gai  cortège  des  brumes  qui  montent  d'étage  en  étage 
«  et  dont  les  masses  roulent  et  prennent  des  formes  pittores- 
«  ques;  le  nuage  rapide  qui  vient  heurter  une  cime  et,  illu- 
a  miné  du  soleil,  répand  une  brillante  pluie  de  pierreries. 
«  C'est,  suspendu  au-dessus  de  rochers  vertigineux,  le  frêne  des 
«c  montagnes  et  le  sapin  solennel  et  sonore;  le  torrent  qu'ali- 
€  mente  la  neige,  et  dont  les  eaux  blanches  tourbillonnent  et 
«  tombent  jusqu'au  clair  lac  bleu;  et,  dominant  de  bien  haut 
«  toute  cette  scène  variée,  la  montagne  qui  se  perd  dans  le 
«  ciel,  où  brillent  les  glaces  accumulées  par  les  hivers  succès- 
<i  sifs,  et  dont  la  cime  léchant  les  nuages  retient  les  neiges 
Cl  dont  ils  sont  chargés  *.  »' 

Le  passage  n'occupe  que  vingt  vers  de  ce  long  poème,  et 
cependant  son  importance  nous  semble  ne  pouvoir  être  exa- 
gérée. Les  c  Saisons  i>  nous  ont  fait  connaître  sous  un  double 
aspect  le  talent  de  Thomson  comme  poète  descriptif.  Il  y  sait 
peindre  avec  une  force  et  un  éclat  uniques  les  scènes  les  plus 
fomilières,  disons  les  plus  banales,  de  la  vie  de  la  nature.  Il 
enregistre  en  outre  nombre  d'aperçus  exacts  et  de  délicates 
notations  qui,  étoufTés  parfois  sous  l'ampleur  sonore,  sous 
l'abondance  un  peu  monotone,  sous  la  noblesse  parfois  empha- 
tique du  langage,  décèlent  néanmoins  la  fmesse  de  sensations 
d'un  rare  artiste.  Mais  ici,  il  se  montre  à  nous  comme  faisant 
entrer  dans  le  domaine  de  la  poésie  un  monde  de  formes  et  de 
visions  nouvelles,  aussi  sublime  que  le  monde  des  étoiles  et 
que  celui  des  flots,  mais  plus  divers,  d'une  complexité  plus 
riche  et  plus  pittoresque. 

Rousseau  qui  semble  avoir  profondément  subi,  avec  tout 
son  siècle,  l'influence  de  Thomson,  Rousseau  dont  les  idées 

1.  IV,  344-332. 


534  JAMES  THOMSON. 

morales  et  la  doctrine  sociologique  se  trouvent,  nous  Tavons 
vu,  indiquées  sommairement  dans  plusieurs  passages  des  c  Sai- 
sons D  et  de  a  La  Liberté  *  i,  Rousseau  y  aurait-il  aussi  trouvé  le 
modèle  de  ces  descriptions  des  beautés  de  la  montagne  qui 
demeurent  une  des  meilleures  parts  de  sa  gloire  littéraire?  Â 
coup  sûr  son  sentiment  artistique  et  son  génie  d'écrivain  suffi- 
sent pour  expliquer  ces  passages  de  ses  œuvres.  Mais  il  est 
aussi  permis  de  penser  que  l'exemple  de  Thomson  n'a  pas 
été  sans  influence.  A  tout  le  moins  le  poète  anglais  a-t-il  pré- 
cédé notre  grand  prosateur  dans  la  perception  ravie  et  dans 
l'exposition  éloquente  de  ces  scènes.  Il  mérite  par  là  encore 
de  figurer  au  nombre  des  grands  interprètes  de  la  nature, 
puisqu'il  est  de  ceux  qui  ont  eu  la  gloire  d'ajouter  une  cord»' 
h.  la  lyre  de  la  poésie  moderne. 


V 

Le  poème  si  dédaigné  que  nous  étudions  peut  donc  reven- 
diquer l'honneur  de  marquer  une  date,  et  une  date  impor- 
tante, dans  l'histoire  de  la  littérature.  Il  n'est  que  juste  aussi 
de  noter  que  plus  d'un  écrivain  illustre  s'en  est  inspiré  direc- 
tement. Il  est  de  toute  évidence  que  l'idée-mère  de  l'œu^Te, 
cette  exposition  poétique  des  observations  faites  par  le  voya- 
geur dans  les  diverses  parties  de  l'Europe,  est  celle-là  même 
qui  donne  naissance  au  «  Voyageur  d  et  au  «  Pèlerinage  de 
Childe-Harold  d.  Ce  n'est  pas  là  une  ressemblance  fortuite,  et 
les  preuves  de  détail  abondent  qui  montrent  combien  Gold- 
smith  et  Byron  ont  connu  et  pratiqué  «  La  Liberté  •  ».  Ils  en 

1.  Voir  en  particulier,  sur  les  rapports  de  rhomme  envers  le  corps 
social,  sur  les  devoirs  de  la  paternilé,  sur  les  verlus  qui  naisseut  de  la 
liberlé,  etc.,  la  partie  IH  du  poème,  de  i03  à  119.  On  a  déjà  en  France 
relevé  la  concordance  frappante  des  idées  développées  par  Rousseau  avec 
celles  qu'a  exprimées  Thomson. 

2.  Goldsmith  cite  un  passage  de  Liberhj  : 

«  As  at  lier  Isthmian  games,  a  fading  pomp 

Round  the  proconsul's  lent  repeated  rung  », 

comme  exemple  des  effets  pathétiques  auxquels  peut  atteindre  la  poésie. 
(Murray's  Goldsmith,  t.  Hl,  p.  297.) 
Le  biographe  de  Goldsmith,  Mr.  Forster,  pour  établir  roriginalité  de 


(«   LA   LIBERTÉ.   »  535 

ont  allégç  le  plan  de  toute  rafTabulation  compliquée  de 
Thomson.  Ils  y  ont  apporté,  Goldsmith  une  plus  sobre  et  plus 
élégante  simplicité  de  langage,  Byron  plus  de  variété,  plus 
d'éloquence  et  plus  de  passion.  Mais  c'est  le  plan  général  de 
l'œuvre  de  notre  poète  que  tous  deux  reproduisent,  et  dans 
les  détails  de  l'exécution,  dans  la  langue  même  qu'ils  écri- 
vent, on  retrouve  fréquemment  le  souvenir  de  ce  poème  que 
Johnson  ne  pouvait  pas  lire.  Pour  nous  borner  à  un  petit 
nombre  d'exemples,  le  vers  du  «  Voyageur  »  où  Goldsmith 
caractérise  la  France  : 

(lay  sprighily  land  of  inirlli  and  sorial  ease, 

reproduit  sous  une  forme  plus  vive  un  vers  de  c  La  Liberté  )o  : 

The  lan«i  wliero  social  pleasure  lovos  lo  dwcll  *. 

Goldsmith  a  noté  la  hardiesse  du  paysan  suisse  qui  dispute 
aux  neiges  et  aux  précipices  la  maigre  terre  de  ses  cultures  : 

Or  drives  lus  veiiUirous  ph(»ughshare  to  Ihc  stcep, 

mais  Thomson  avait  fait  la  remarque  avant  lui  : 

And  prcss  Iheir  nillurc  on  rolirin^  snows  *. 

Et  tout  le  passage  où  le  voyageur  dépeint  et  juge  le  peuple 
suisse  est  manifestement  imité  du  passage  correspondant  de 
«  La  Liberté  '  )o. 

Dans  le  long  poème  de  Byron  les  rapprochements  à  faire 
sont  nombreux.  On  connaît  les  vers  où  est  décrit  le  bal  de 
Bruxelles  si  tragiquement  interrompu  par  le  canon  de  Napo- 
léon *.  Ne  semble-t-il  pas  qu'ils  nous  fassent  entendre  un  écho 
de  ces  vers  de  Thomson  : 

And  love  and  musir  niell  Iheir  <<onls  awav.  "' 


L'ODception  du  plan  du  u  Voyageur  »,  rappelle  corlain  passa^^e  de  la 
correspondance  de  Thomson  où  ce  plan  est  Iracé,  et  prouve  tpie  Gold- 
smith n*a  pu  connaître  cette  lettre.  Le  biographe  a  seulement  oublié  que 
Thomson  a  lui-même  réalisé  son  projet,  dans  un  poème  que  Goldsmith  a 
<:onnu.  Mr.  Forster  est  un  de  ces  historiens  de  la  littérature  anglaise  qui 
n*ont  pas  lu  «  La  Liberté  ».  (Forster's  Goidsmilh,  Bk.  III.  chap.  x.) 

1.  V,  478.  -   2.  IV,  338.  —  3.   IV,  335-343.  —  4.  ChildeHarold's   Pih 
ftrimage,  lïl,  xxi,  xxn.  —  5.  Liberty^  L  192. 


536  JAMES  TQONSON. 

While  sport  alone  thcir  unambilious  hearts 
Possessed,  thc  siiddcn  trumpet  sounding  hoarse 
Bade  silence  o'cr  Ihe  bright  assembly  reign  *  ? 

Les  morceaux  célèbres  où  Byron  passe  en  revue  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  sculpture  grecque  sont  un  souvenir  de  passages   * 
analogues  de  c  La  Liberté  ».  Nous  nous  contenterons  d'indiquer 
les  ressemblances  les  plus  frappantes  : 


The  Gladialor 

Supported  on  his  shortened  arm  he  leans, 
Pronc,  agonizing;  with  incumbent  fate, 
Ileavy  déclines  his  head  ;  yet  dark  beneath 
The  suflering  fealure  sullen  vengeance  leurs, 
Shame,  indignation,  unaccomplished  rage  *. 

The  Qiieen  of  Love  arose,  as  from  the  deep 
She  sprung  in  ail  the  melting  pomp  of  charms. 

Basht'ul  she  bends 

So  turned  each  linib,  so  swclled  with  soflening  art  ' 

Thomson  est  frappé,  dans  le  Laocooriy  de  ce  triomphe  de 
lart  qui  enlève  à  l'image  de  la  souffrance  son  horreur,  et  lui 
communique  la  dignité  du  beau. 

Such  passion  hère, 

Such  agonies,  such  bilterness  of  pain, 

1.  Uberly,  III,  206-268. 

2.  /6û/.,  IV,  157-161.  Comparez  les  vers  de  Byron  : 

«  1  see  berore  me  the  Gladiator  lie  : 
He  leans  upon  his  hand  —  his  maoly  brow 
Consents  to  dealh,  but  conquers  agony, 
And  his  droop'd  head  sinks  gradually  low. 

Shall  he  expire 

And  uoavenged?  » 

{Childe-Haroldj  IV,  cxl,  cxli.) 

3.  Liberty  y  IV,  173-183.  La  description  que  fait  Byron  de  la  Vcuus 
de  Médicis  conserve  les  termes  les  plus  caractéristiques  de  celle  de 
Thomson  : 

«  The  graceful  bend,  and  the  voluptuous  swell.  • 

{Childe-Harold,  IV,  un.) 

On  notera  que  cependant  l'image  évoquée  par  Byron  est  plus  réservée, 
plus  chaste,  plus  fidèle  à  Pesprit  de  Tœuvre  antique.  L'auteur  de  Childc- 
Harold  a  observé  ce  quelque  chose  de  matériel  et  d'un  peu  vulgaire  que 
nous  avons  autre  part  signalé  comme  se  mêlant  chez  Thomson  aux  des- 
criptions de  la  beauté  féminine.  «  They  prove  the  peculiar  turn  of  thought, 
and,  if  the  tcrm  may  be  allowed,  the  sexual  imagination  of  the  descrip* 
tivepoet.  •  (Cité  par  Rob.  Bell,  dans  son  édition  des  œuvres  poétiques  de 
Thomson,  vol.  I,  p.  156.) 


«   LA   LIBERTÉ.   »  837 

Secni  so  lo  Ireinble  Ihrough  the  tortureJ  slone, 
Thaï  thc  touchcd  heart  engrosses  ail  the  view  *. 

po  sec 

Laocooirs  torliirc-digniryiiig  pain 
A  father's  love  and  niorlars  apony  -. 

r'oici  TApollon  du  Belvédère  : 

Ail  conquest-fliished,  from  prostratc  Python,  came 
The  quivercd  God.  In  pracolul  act  he  stands, 
lïis  arni  extended  with  the  slackened  bow  ^. 

ci  encore  on  peut  croire  que  l'identité  du  modèle  n'explique 
i  seule  la  ressemblance  du  tableau  de  Bvron  : 

Or  view  the  Lord  of  the  unerring  bow, 
The  God  of  hfe,  and  poesy,  and  liglil 
Ail  radiant  from  his  trinmph  in  the  iight; 
The  shai't  bas  just  bcen  shot  *. 

■]t  enfin,  pour  limiter  ces  comparaisons,  nous  signalerons 
vers  où  Thomson  décrit  Venise  avec  un  enthousiasme 
iiis  lyrique  à  peine  que  celui  de  Byron  : 

Xor  be  the  Ihon  Iriiimphanl  state  forgot; 

Where,  pushed  from  plundcred  earth,  a  remnanl  still 

Inspired  by  me,  throiigh  the  dark  âges  kept 

Of  my  old  Honian  flanie  some  sparks  alive  : 

The  seeming  God-built  city!  which  my  hand 

Deep  in  the  bosom  lixcd  of  wondering  seas. 

Astonished  mortals  sailed,  wilh  pleasing  awe, 

Aroiind  the  sea-girt  walls,  by  Neptune  fenced. 

And  down  the  briny  slreet;  where  on  each  hand, 

Amazing  seen  amid  unstable  waves, 

The  splendid  palace  shines;  and  rising  tides, 

The  green  steps  marking,  niurmur  at  the  door  ■•. 

To  this  fair  Queen  of  Adria's  slormy  gulf, 

The  mart  of  nations  !  long,  obedient  seas 

Rolled  ail  the  treasiire  of  the  radiant  East  *. 

.  Liberty,  IV,  189-192.  —  2.   ChiUle-IIarold,  IV,  clx.  —  3.  Liberty,  IV, 
165.  —  4.  Childe-Harold,  IV,  clxi. 

.  On  remarquera  dans  les  deux  détails  enregistrés  par  ce  vers  une 
ation  précise  qui  marque  d'un  trait  juste  et  piltorcsque  une  description 
peu  vague  par  ailleurs.  A  ce  seul  coup  de  pinceau  se  révèle  Fartiste 
observateur  sincère.  11  est  regrettable  que  ces  traits  ne  soient  pas  con- 
gés dans  les  amplifications  brillantes  de  Byron. 

Liberty,  IV,  293-307.  Comparer  Childe-Harold,  chant  IV,   sir.  i,  ii, 
,  XIV,  xvni. 


538  JAMES  THOMSON. 

Nous  avons  rencontré  déjà  le  nom  d'Érasmus  Darwin,  et 
nous  avons  dit  qu'il  avait  évidemment  connu  Thomson.  On  la 
généralement  considéré  comme  un  disciple  de  Pope,  le  plus 
brillant  et  le  plus  fatigant  des  poètes  qui  aient  fait  scintiller 
Tantithèse  dans  le  distique  rimé.  Il  faudrait  dire,  pour  être 
exact,  qu'il  a  voulu  ajouter  au  distique  de  Pope  le  nombre  et  le 
mouvement  soutenu  de  Thomson.  Son  style  en  effet  présente 
un  mélange  curieux  de  la  manière  des  deux  écrivains.  Ia 
période  est  le  plus  souvent  prolongée  à  la  façon  de  la  phrase 
des  a  Saisons  d  ou  de  a  La  Liberté  i»,  et  les  distiques  dont  elle 
est  composée  se  terminent  très  souvent  par  un  vers  à  effet, 
précédé  de  la  conjonction  and,  dans  la  plus  pure  manière  de 
Thomson. 

Nous  prenons  dans  Chambers  Cyclopvedia  les  extraits  donnés 
du  Docteur  Darwin,  et  voici  quelques-uns  des  vers  qui  termi- 
nent les  plirases  : 

And  woo  aiul  win  Iheir  vogctable  loves. 
And  j calons  cowslips  hang  their  tawny  cups. 
And  deatli,  and  night,  and  chaos  mingle  ail  ! 
And  soars  and  shines,  another  and  the  same. 
And  trusts  llie  scalv  monslers  of  the  Nile. 
And  broke,  cursed  slaverv  !  Ihc  iron  bands. 
And  sable  nations  tremble  at  the  sound! 

L'Invocation  à  la  déesse  de  la  Botanique  se  développe  en 
quatre  paragraphes  que  cite  le  même  recueil;  voici  comment 
ils  se  terminent  respectivement  : 

And  hoverinp  Cnpids  aini  Ihcir  shafls  unseen. 
And  Echo  sonnds  hcr  sofl  syniphonious  shell. 
And  sofler  slunibers  steal  her  cares  to  resl. 
And  anns  her  zéphyrs  willi  the  shaftsoflovc. 

Cette  imitation  de  la  période  et  de  Tun  des  maniérismes 
caractéristiques  de  Thomson  n  est  pas  la  seule  ni  la  plus 
importante  preuve  de  l'influence  de  notre  poète. 

Un  des  poèmes  singuliers  qui  composent  Tlie  Botanic 
Garden,  The  Economy  of  Végétation  est  conçu  sur  un  plan 
qui,  en  dépit  de  la  différence  des  sujets,  ressemble  singuliè- 
rement à  celui  de  a  La  Liberté  ».  Le  début  nous  montre  la 


«   LA  LIBERTÉ.   »  539 

Déesse  de  la  Botanique  descendant  sur  la  terre,  et  les  quatre 
parties  du  poème  sont  remplies  d'un  long  discours  prononcé 
par  elle  comme  a  La  Liberté  »  est  formée  du  solennel  soliloque 
de  la  déesse  Liberté. 

On  peut  se  demander  si  Thomson  eût  été  très  fier  de  recon- 
naître un  de  ses  imitateurs  dans  le  poète  prétentieux  qui  met- 
tait tout  Linnée  en  vers  allégoriques,  souvent  bizarres  et 
parfois  saugrenus.  Ce  n'est  pas  de  cette  façon  qu'il  lui  était 
arrivé  à  lui-même  d'exposer  dans  ses  poèmes  les  enseigne- 
ments de  la  science.  Mais  il  y  a  plus  d'honneur  pour  ces 
poèmes  dans  l'imitation  qu'en  ont  faite  parfois  quelques-uns 
des  plus  grands  écrivains  de  notre  siècle.  On  a  retrouvé  dans 
Shelley  et  dans  Keats  l'écho  de  quelques-unes  des  strophes  du 
«  Château  d'Indolence  ».  On  pourrait  également  trouver  serti 
dans  les  fragmentsd'«  Hyperion  »  un  passage  de  «  La  Liberté  ».  — 
Quand  dans  l'Assemblée  des  Titans  vaincus,  Océanus  se  lève  *, 
le  poète  entend  dans  sa  voix  «  le  murmure  des  flots  que  sa 
«  langue,  dans  ses  premiers  efforts,  imitait  des  sables  couverts 
a  au  loin  d'écume  ».  L'idée  est  belle,  simple  à  la  fois  et  gran- 
diose. Elle  se  trouvait  déjà  dans  le  poème  de  Thomson.  C'est 
du  Génie  des  Mers  que  parle  la  déesse  quand  elle  dit  : 
«  Sa  voix  s'adresse  à  moi,  semblable  à  la  rauque  rafale  qui 
«  hurle  autour  des  cavernes  mêlée  aux  murmures  des  flots 
«  de  la  mer  *  ». 

Lyttleton  avait  voulu  publier  de  l'œuvre  de  son  ami  une 
édition  notablement  réduite.  Johnson  s'indigne  de  cette  muti- 
lation, tout  en  déclarant  qu'il  n'a  pu  continuer  la  lecture  du 
poème  complet.  Lyttleton  n'était  pas  mal  inspiré.  On  ne  peut 
espérer,  on  peut  à  peine  souhaiter  pour  a  La  Liberté  »  que 
les  lecteurs  affrontent  aujourd'hui  plus  qu'autrefois  ses  narra- 
tions interminables  et  ses  lieux  communs  sonores.  Mais  on 
peut  s'étonner  que  dans  les  éditions  modernes,  à  côté  des 
«  Saisons  »  et  du  «  Château  »,  on  ne  fasse  pas  au  moins  figurer 
quelques  extraits  de  ce  grand  poème  dont  toutes  les  parties  ne 
méritent  pas  le  dédain  et  l'oubli  qui  les  ont  indistinctement 
ensevelies. 

1.  Uyperion,  Bk.  U.  —  2.  Liberty,  IV,  40i-406. 


LIVRE  IV 


LE     THÉÂTRE 


CHAPITRE  I 


LES    OEUVRES   DRAMATIQUES.    —    «    SOPHONISBE    » 


I 


Thomson  poète  tragique  ne  montre  guère  ces  qualités  de 
forte  personnalité,  d'indépendance  et  doriginalité  qui  s'affir- 
ment dans  les  a  Saisons  »  et  même  dans  la  conception  d'une 
œuvre  telle  que  «  La  Liberté  m.  Le  jour  où  il  aborde  la  scène, 
il  se  propose  de  donner  satisfaction  à  toutes  les  exigences  du 
goût  de  ses  contemporains.  On  sait  ce  qu'était  devenu,  au  début 
du  xviii*  siècle,  le  théâtre  anglais.  Après  l'école  de  la  Restaura- 
tion, après  le  drame  d'Otway  et  de  Dryden  qui  avait  conservé 
quelque  chose  de  la<(  vis  tragica  Dde  la  grande  époque,  après  la 
comédie  de  ce  groupe  d'écrivains  dont  l'œuvre  nous  apparaît 
comme  une  gerbe  de  fieurs  brillantes  et  malsaines,  toute  origi- 
nalité, toute  puissance  et  toute  faculté  d'invention  étaient  taries. 
L'heure  était  propice  aux  rhétoriciens,  aux  théoriciens  de  l'art. 
La  fin  du  xvn*  siècle  voit  naître  le  règne  des  critiques  *.  Des 
pédants,  dont  le  plus  illustre  est  Dennis,  vont,  dans  l'Angleterre 
de  Shakespeare,  tracer  les  règles  du  genre,  fixer  les  lois  du 


i.  Avec  Rymer  et  ses  Views  of  the  Tmgedies  of  the  last  âges,  publiées 
en  1688. 


542  iAMES  THOMSON. 

goût,  diriger  l'opinion,  guider  le  travail  des  auteurs,  et  distri- 
buer le  succès,  la  popularité,  la  fortune.  Ils  enseignent  ou 
imposent  les  plus  rigoureux  préceptes  de  recelé  classique. 
Tous  les  poètes  se  soumettent  :  Rowe,  dont  la  première  œuvre 
dramatique  montrait  une  liberté  relative,  se  conforme  par  la 
suite  aux  canons  orthodoxes.  Congreve,  après  quelque  résis- 
tance, s'incline  et  écrit  The  Mourning  Bride,  Addison  res- 
pecte dans  son  Cato  les  règles  classiques  avec  une  absolue 
déférence.  Nous  ne  nous  étonnerons  pas  de  voir  Thomson  en 
faire  également  la  base  de  son  esthétique  dramatique.  —  En 
quelques  autres  points  encore  nous  pouvons  observer  un  con- 
traste entre  Técole  du  xviir  siècle  et  la  précédente.  Le  drame 
de  la  Restauration  n'avait,  presque  à  aucun  degré,  subi  Tin- 
lluence  de  l'antiquité.  Il  évitait  de  demander  ses  sujets  à  l'his- 
toire ancienne.  Des  événements  moins  lointains  se  prêtaient 
mieux  à  ces  diatribes  politiques  dont  s'alimentait  la  tragédie 
de  cette  époque.  Mais  avec  l'établissement  des  doctrines  de 
l'école  classique,  l'imitation  de  l'antiquité  et  celle  de  la  France 
remettent  en  faveur  les  sujets  antiques  *.  A  partir  surtout  du 
succès  de  «  Gaton  »,  les  tragédies  qui  ne  mettent  pas  en  scène 
des  (irecs  ou  des  Romains  seront  à  l'état  de  rares  exceptions. 
Voici  qui  nous  explique  comment,  pour  l'œuvre  par  laquelle 
il  allait  tenter  la  carrière  dramatique,  Thomson  fit  choix  de 
l'histoire  de  Sophonisbe.  Le  sujet  avait  été  traité  bien  des  fois, 
depuis  que  Giorgio  Trissino  avait  fait  jouer,  vers  1514,  dans  la 
grande  salle  de  l'hôtel  de  ville  de  Vicence  sa  SofonishUy  la  pre- 
mière tragédie  régulière  que  le  théâtre  italien  ait  empruntée  à 
l'histoire.  La  pièce  du  Trissin,  publiée  en  1524,  était  traduite 
en  prose  par  Mellin  de  Sainct-Gelays  et  représentée  à  Bloisen 
1554,  puis  la  traduction  en  était  publiée  en  1559.  Un  notaire 
royal  de  Lyon,  Claude  Mermet,  faisait  représenter  en  1583  et 
publiait  en  1584  une  traduction  en  vers.  La  même  année  était 
représentée  une  tragédie  de  Mondot  qui  n'a  pas  été  publiée.  En 
1596  Montchrestien,  et  en  1601,  Montreux faisaient  paraître  des 
iSophonishe  qui,  tout  en  suivant  d'assez  près  la  tragédie  du 
Trissin,  n'en  étaient  pas  de  pures  traductions.  Marston  donne 

1.  Sur  la  formation  de  l'école  classique  angraise,  et,  en  particolier. 
sur  rinnuence  exercée  par  dos  dramalurges,  de  Corneille  à  Voltaire,  on 
trouvera  de  copieux  détails  dans  Ward,  Ènglisk  Dramalic  Literaturf, 
vol.  II,  p.  454- n5. 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.  —  «   SOPQOiNISBE.   »        843 

aussi  une  a  Sophonisbe  )»  à  la  scène  anglaise  en  1606,  et  David 
Murray  en  feit  le  sujet  d'un  poème  publié  en  1611  *.  —  Plus 
célèbre  que  toutes  celles  qui  avaient  jusqu'alors  suivi  l'œuvre 
du  Trissin  est  la  Sophonisbe  de  Mairet  jouée  en  1629  et  publiée 
en  1635.  C'est  la  première  tragédie  régulière  de  notre  théâtre, 
la  première  où  soient  observées  les  règles  suivies  par  les 
auteurs  italiens.  Elle  est  restée  longtemps  en  faveur.  Corneille 
ne  Ta  pas  fait  entièrement  oublier  par  l'œuvre  du  même  nom 
qui,  représentée  le  18  janvier  1663,  fut  publiée  l'année  sui- 
vante. —  Lee  remettait  de  nouveau  ce  sujet  sur  la  scène  anglaise 
en  1676.  Lagrange-Chancel  faisait  jouer  le  19  novembre  1715 
à  la  Comédie-Française  une  Sophonisbe  qui  atteignit  quatre 
représentations  ^. 

On  connaît  l'histoire  de  la  Carthaginoise  telle  que  les 
historiens  anciens  nous  l'ont  transmise  '\  Sophonisbe,  fille 
d'Asdrubal,  et  femme  de  Syphax,  roi  de  Numidie,  respire  la 
haine  des  Romains.  Elle  a  soulevé  contre  eux  son  mari.  Celui- 
ci  est  vaincu  par  Massinissa,  roi  de  Massilie  et  allié  des 
Romains;  la  ville  de  Cyrthe,  où  Sophonisbe  attend  l'issue  de 
la  lutte,  est  elle-même  prise.  La  reine  redoute  plus  que  la  mort 
la  servitude  romaine.  Elle  implore  Massinissa  de  lui  éviter 
cette  honte  suprême.  Massinissa,  qui  l'a  jadis  aimée,  sent 
renaître  son  ancienne  passion  *.  Il  épouse  Sophonisbe  dont  le 

1.  Le  poème  de  cet  ami  de  Draylon  esl  peu  connu.  Nous  en  citerons 
uue  strophe  comme  spécimen  de  la  langue  et  du  goût  de  Tauteur  : 

N  Thus  having  written  with  a  sigbing  spirit, 

Hee  foulds  those  blacke  ncwes  in  a  snow-white  sheet, 

Uttering  thèse  spceches,  to  Ihe  scroll;  her  merit 

Deserv'd  a  better  présent  then  this  writ  : 

Tet  shall  she  see  so  rare  a  Ihing  in  it, 

Prom  servitude  and  shame  shall  save  her  now. 

And  likewise  me  from  a  polluled  vow. 

(Slr.  V.) 

2.  La  pièce  de  Thomson,  représentée  en  1729  et  publiée  en  1730,  n'esl 
pas  du  reste  la  dernière  de  la  série.  Notre  liste,  si  complète  que  nous  ayons 
essayé  de  la  faire,  omet  sans  doute  encore  quelques  tragédies  restées 
ignorées,  après  que  nous  aurons  mentionné  la  Sophonisbe  de  Voltaire, 
représentée  en  1769,  et,  dans  notre  siècle,  celles  de  Dalban  (1850)  et 
Parissot  (1864). 

3.  Tite-Live,  liv.  XXX,  chap.  xii  à  xv.  —  Polybc,  liv.  XIV.  — Appien,  •  His- 
toire Punique  »,  chap.  x  et  suiv.,  et  «  Histoire  espagnole  •,  cbap.  xxxvii. 
Halliwell,  dans  son  édition  de  Marston,  mentionne  aussi  Comclius  Nepos 
(m  Viia  Hannihalis\  Orosius  et,  parmi  les  modernes,  sir  W.  Ra^icigh, 
History  of  the  World,  Bk.  V,  et  Langbaine,  p.  551. 

4.  C'est  Appien  d*AIexandrie  qui  mentionne  cette  circonstance  dont  les 


544  JAMES  THOMSON. 

premier  mariage  est  annulé  par  la  captivité  de  Syphax  '.  Les 
Romains  revendiquent  néanmoins  leur  prisonnière,  et  Massi- 
nissa,  pour  lui  épargner  l'humiliation  à  laquelle  les  vainqueurs 
la  réservent,  lui  envoie  une  coupe  de  poison. 

Il  n'est  pas  étonnant  que  tant  d'écrivains  aient  été  séduits 
par  un  pareil  thème.  Il  y  a  là  autant  de  circonstances  drama- 
tiques, autant  de  péripéties  pathétiques  pour  conduire  à  une 
catastrophe  émouvante,  autant  d'occasions  à  nobles  et  élo- 
quentes harangues  qu'en  a  pu  jamais  souhaiter  poète  tragique. 
—  Le  personnage  de  Sophonisbe,  tel  qu'il  nous  apparaît  dans 
les  historiens  antiques,  est  dominé  par  un  sentiment  suprême  : 
lamour  de  Garthage  et  la  haine  des  Romains.  D'autre  part  les 
fortunes  diverses  de  sa  vie,  ce  double  mariage,  cet  état  d'une 
femme  dont  les  deux  maris  sont  vivants  prêtent  aux  plus 
romanesques  complications.  De  là  deux  conceptions  diverses 
du  caractôre  de  Théroïne  et  de  la  fable  dramatique.  Quelques 
auteurs  auront  surtout  en  vue  le  drame  des  passions  qui  agi- 
tent ces  trois  personnages  :  Sophonisbe,  Syphax  et  Massinissa. 
D'autres  verront  d'abord  et  presque  uniquement  Sophonisbe, 
l'indomptable  ennemie   de  Rome,   l'héroïne   au   patriotisme 
endammé.  La  première  interprétation  est  celle  du  Trissin,  de 
Mairet  et  de  Lee.  La  seconde  est  celle  de  Corneille.  Cette  hau- 
taine grandeur  de  sentiments  était  faite  pour  lui  plaire.  Mais, 
comme  le  poète  vieilli  croyait  devoir  mêler  à  toute  action  tra- 
gique une  forte  dose  de  sentiment  romanesque,  il  n'a  pas  con- 
servé intacte  la  farouche  Carthaginoise  de  Tlfê-Live.  «  Je  lui 
ai  prêté  »,  dit-il  lui-même,  ce  un  peu  d'amour  xf. 


II 

De  ces  deux  conceptions  '  c'est  la  dernière  que  choisit 
Thomson.  Il  aborde  la  scène  avec  une  double  et  très  apparente 

ailleurs  de  toutes  les  •  Sophonisbes  •  ont  youlu  tirer  parti.  Sopbonisbe, 
promise  par  Asdrubal  à  Massinissa,  aurait  été  forcée  par  le  sénat  de 
Garthage  d'épouser  Syphax. 

\.  '  Le  mariage  est  rompu  par  le  divorce,  la  mort,  la  captivité....  ' 
{Digeste,  liv.  XXIV,  titre  ii,  l.  Cité  par  Marty-Laveaux.) 

2.  Il  y  a  du  reste  un  troisième  parti  à  tirer  du  thème  fourni  par  le« 
historiens.  C'est  de  greffer  sur  leur  récit  toutes  les  inventioos  imagiuablef. 
sans  plus  de  respect  de  la  vérité  historique  que  de  la  rroiseroblance 
humaine.  C'est  ce  qu'ont  fait  Marston,  et,  à  un  moindre  degré,  Lee. 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.  —  «   SOPHONISBE.   »       845 

préoccupation.  Il  veut  exprimer,  par  la  bouche  de  ses  person- 
nages, les  sentiments  les  plus  nobles  et  les  plus  héroïques. 
Il  veut  aussi  observer  rigoureusement  les  principes  de  Técole 
classique,  en  limitant  le  nombre  de  ses  personnages,  en  rédui- 
sant les  circonstances  extérieures  de  l'intrigue  à  une  action 
aussi  simple  qu'il  se  pourra.  Ce  sont  bien  les  deux  exigences 
qu'impose  alors  le  goût  du  public  et  celui  des  lettrés.  On 
demande  moins  aux  dramaturges  l'invention  ou  le  mouvement 
que  l'adaptation  ingénieuse  de  leur  fable  aux  étroites  condi- 
tions prévues  par  la  règle  des  unités.  On  attend  d'eux,  non  pas 
la  profondeur  psychologique  ou  la  puissance  créatrice,  mais 
la  dignité  soutenue  et  l'éloquence  du  langage  ». 

Thomson  a  connu  la  pièce  italienne  et  au  moins  les  deux 
versions  de  Mairet  et  de  Corneille  *.  Mais  il  a  fait  subir  aux 
données  fournies  par  ces  écrivains  d'importantes  modifications. 
L'amour  de  Sophonisbe  pour  Massinissa  est  le  sujet  unique 
des  premières  scènes  de  la  tragédie  de  Mairet,  et  reste  jusqu'à 
la  fin  un  des  éléments  importants  du  drame.  Il  passe  chez  le 
poète  anglais  au  second  plan.  C'est  par  une  profession  de  sen- 
timents patriotiques  adressée  par  Sophonisbe  à  sa  confidente 
que  s'ouvre  la  tragédie  de  Thomson.  Cette  circonstance  d'un 
amour  de  l'héroïne  répondant  à  celui  de  Massinissa,  notre 
auteur  ne  le  conserve  qu'avec  un  embarras  évident.  Il  y  insiste 
aussi  peu  que  possible;  il  lui  laisse  un  caractère  si  vague  qu'on 
peut  toujours  se  demander  s'il  a  voulu  que  le  lecteur  y  ajoutât 
foi  A  ses  yeux  évidemment  cette  faiblesse  diminue  la  gran- 
deur d'âme  de  l'héroïne.  L'amour  de  Carthage,  la  haine  du 
nom  romain,  l'horreur  de  la  servitude  et  le  culte  passionné 

1.  «  The  sure  eign  of  the  gênerai  décline  of  an  art  is  Ihe  freqiien 
occurrence,  not  of  deformity,  but  of  misplaccd  beauty.  In  gênerai,  Tra^ 
gedy  18  corrupled  by  éloquence;  and  Comedy  by  wit.  »  (Macaulay,  Essaïf 
on  Machiavel,) 

2. 11  est  infiniment  probable  qu'il  connut  la  pièce  célèbre  du  Trissin. 
Son  voyage  avec  le  jeune  Talbot  et  son  séjour  en  Italie  lui  rendaient 
familiers  les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  italienne.  Du  reste,  il  a  songé, 
nous  le  verrons,  à  joindre  à  sa  tragédie  une  partie  lyrique.  C'était  bien  à 
Teiemple  du  Trissin,  suivi  par  Saint-Gelais,  Mcrmet  et  Montchrestien. 
mais  non  pas  par  Mairet,  qu'il  faut  reporter  un  pareil  projet. 

L'influence  de  Mairet,  se  fait  sentir  dans  plusieurs  détails.  C'est  dans  sa 
Sophonisbe  que  se  rencontre  une  confidente  du  nom  de  Phœnissa.  La 
scène  du  début  de  la  tragédie  de  Thomson,  la  conversation  de  Sophonisbe 
avec  ses  femmes,  en  un  lieu  d'où  l'on  peut  suivre  la  bataille,  reproduit 
exactement  la  donnée  d'une  scène  de  Mairet,  acte  II,  se.  1. 


846  JAMES  THOMSON. 

de  la  gloire  voilà  les  sentiments  dont  le  dramaturge  veut  pétrir 
rame  de  sa  Sophonisbe.  Il  est  à  cet  égard  plus  cornélien  que 
Corncillo  lui-même  dont  riiéroïne  est  amoureuse,  au  moins 
autant  qu'elle  est  patriote.  Il  est  vrai  que  cet  amour  est  de 
nature  particulière,  et  n*a  pas  pour  effet  d'amollir  Tâmedela 
Carthaginoise.  La  Sophonisbe  française  ne  cède  point  à  un 
sentiment  plus  fort  que  la  raison  ou  le  devoir.  Mais  elle  a  au 
[)Ius  haut  point  cette  fantasque  et  hautaine  coquetterie  que  le 
vieux  Corneille  prête  aux  femmes  de  ses  dernières  tragédies. 
Elle  n'aime  pas  Massinissa;  mais  elle  aune  rivale,  et  son  hon- 
neur soufflerait  autant  du  triomphe  de  cette  Eryxe  que  de  la 
ruine  de  Carthage  ou  de  Thumiliation  de  la  captivité  ». 

Thomson  n'a  pas  conservé  cette  singulière  et  peu  sympa- 
thique conception  du  personnage.  Il  a  également  allégé  la  tra- 
gédie de  toute  la  complication  romanesque  dont  l'avait  agré- 
mentétî  Corneille.  11  a  supprimé  le  personnage  d'Eryxe,  qui  se 
pose  dans  la  tragédie  française  en  face  de  Sophonisbe  et  qui 
régale  par  Théroïsme  des  pensées,  par  la  hauteur  du  langage 
et  par  la  même  subtile  application  du  ^  pun  d'onore  »  aux 
choses  de  l'amour  —  a  Ce  qui  m'a  plu  »,  dit  Thonjson  lui- 
même  dans  la  Préface,  «  c'est  la  grande  simplicité  de  raction 
<(  qui  cependant  présente  plusieurs  révolutions  de  la  fortune  i. 
Et  il  s'est  fait  une  loi  de  se  borner  strictement  aux  faits  men- 
tionnés par  les  historiens.  Il  limite  à  six  le  nombre  des  per- 
sonnages, il  compte  pour  l'intérêt  de  son  drame  moins  surle 
choc  des  événements  extérieurs  que  sur  les  orages  des  cœurs 
et  les  tumultes  de  la  passion. 

En  renonçant  ainsi  à  l'un  des  éléments  du  drame  tel  que 
l'avaient  compris  Shakespeare  et  les  grands  dramaturges 
anglais,  notre  poète  sans  doute  faisait  preuve  de  discernement. 
11  se  rendait  justement  compte  de  la  limite  de  ses  aptitudes  et 
de  ses  pouvoirs.  Faire  du  drame  un  tableau  fidèle  de  la  vie 
nous  laisser  pénétrer  jusqu'à  l'âme  des  personnages  à  travers 
leurs  actes,  c'est  le  privilège  des  plus  grands  parmi  les  génies 
dramatiques.  Savoir  même  donner  le  mouvement  aux  figures 
qui  emplissent  la  scène,  faire  mouvoir  et  heurter  les  uns  contre 
les  autres  les  individus  ou  les  groupes  d'un  drame  romanesque, 
et,  en  dépit  de  prodigieuses  invraisemblances  ou  des  extrava- 

1.  Voir  surtout  acte  V,  8c.  i. 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.  —   «   SOPHONISBE.   »        S47 

gances  d'imaginations  en  délire,  insuffler  la  vie  à  d'impossibles 
créations,  c'est  Tart,  inférieur  sans  doute,  mais  difficile  à 
acquérir,  des  dramaturges  de  second  ordre  dans  les  époques 
de  grande  puissance  dramatique.  Sur  un  pareil  terrain  Thomson 
n'aurait  pu  rivaliser  ni  avec  Marston  ni  avec  Lee. 

Avait-il  plutôt  ce  qu'il  faut  de  subtile  puissance  d'analyse, 
de  pénétrante  observation  des  replis  cachés  du  cœur  pour  pou- 
voir comme  un  Racine  deviner  les  secrets  des  sentiments, 
leurs  mobiles  mystérieux  et  leure  répercussions  lointaines? 
Avait-il  cette  puissance  de  synthèse  qui  permet  à  notre  grand 
classique  de  ramasser  ces  observ^ations  délicates  ou  profondes 
et  d'en  former  ces  créatures  générales  auxquelles  manquent 
sans  doute  le  trait  individuel  et  la  personnalité  concrète,  mais 
non  pas  l'intensité  de  vie? 

Un  impartial  examen  de  l'œuvre  de  Thomson  ne  permet 
pas  de  répondre  affirmativement  à  cette  question.  Il  n'eut  pas 
plus  le  don  du  psychologue  que  le  talent  du  dramaturge; 
il  ne  sut  ni  faire  mouvoir  des  groupes  nombreux,  ni  créer 
de  vivants  personnages.  Si  l'action  de  son  drame  est  mortelle- 
ment lente  et  froide,  l'intérêt  n'en  est  pas  davantage  soutenu 
par  une  subtile  analyse  des  cœurs  ou  par  une  fidèle  et  précise 
représentation  de  leurs  agitations.  Sa  tragédie  ne  nous  offre 
ni  cohésion  dans  les  caractères,  ni  logique,  vérité  ou  vraisem- 
blance dans  le  développement  des  passions. 

Nous  avons  dit  déjà  de  Sophonisbe  qu'il  est  malaisé  de  savoir 
s'il  y  a  en  elle  quelque  amour  sincère  pour  Massinissa.  Dans 
sa  première  entrevue  avec  lui  ',  elle  n'a  dans  la  bouche  que  des 
prières  d'abord  et  ensuite  des  outrages.  Pas  un  mot  de  passion, 
pas  un  cri  indigné  pour  protester  contre  le  reproche  de  per 
fidie  que  lui  adresse  son  ancien  amant.  Quand  elle-même  à 
son  tour  s'attache  au  souvenir  du  temps  de  leur  amour,  elle 
semble  le  faire  par  un  calcul  de  coquetterie  plus  que  par  un 
émoi  sincère.  Dans  l'acte  suivant  -,  nouvelle  scène  de  reproches 
et  d'injures  quand  la  reine  vient  éveiller  la  jalousie  de  Massi- 
nissa par  ses  prières  en  faveur  de  Syphax.  Et  lorsque,  dans  la 
même  scène,  un  revirement  complet  suit  ce  cri  de  Sophonisbe  : 
«  Comment  peux-tu  me  tuer  ainsi?  n  rien  ne  nous  permet  de 
comprendre  pareil  changement  de  ton  ;  rien  ne  nous  fait  savoir 

i.  Acte  II,  se.  II.  —  2.  Acte  III,  se.  iii. 


548  JAMES  THOMSON. 

si  c'est  en  efl'et  le  cri  d'u»  cœur  blessé,  ou  une  ruse  habile.  — 
Le  mariage  est  convenu,  accompli  et  la  reine  explique  à  .^ 
confidente  comment  elle  y  a  consenti  uniquement  par  amour 
pour  Carthage  *.   Elle  renouvelle  les   mêmes  assurances  à 
Syphax  *,  et,  même  à  l'agonie,  ses  pleurs  et  ses  adieux  vont  à 
sa  patrie,  à  sa  compagne  plutôt  qu'au  mari,  à  l'amant  qui  se 
désole  devant  elle.  Sans  aucun  doute  le  poôte  a  voulu,  au- 
dessous  des  mâles  vertus,  montrer  dans  son  héroïne  quelque 
passion  plus  féminime.  Mais  son  intention  est  restée  impuis- 
sante. Il  ne  nous  semble  pas  que  jamais  un  cœur  de  femme 
palpite  sous  le  costume  royal  ou  sous  les  voiles  de  denil  de 
Sophonisbo,  reine,   veuve,  épouse  ou  captive.  —   Thomson 
aurait  ici  pu  s  inspirer  heureusement  de  l'exemple  du  Tnssin. 
Le  vieux  poète  avait  conservé  au  personnage  quelque  chose 
d'humain  et  de  touchant.  Le  sacrifice  de  sa  vie  une  fois  fait,  la 
coupe  de  poison  bue,  Sophonisbe  redevenait  femme,  avec  les 
touchants  regrets  de  la  vie,  des  choses  terrestres  et  des  chères 
amitiés  qu'avait  exprimés  l'Iphigénie  grecque  '.  Rien  de  ceciMé 
féminin,  aimable  et  vivant  n'est  conserve  par  Thomson.  Kn 
dépit  de  l'assurance  qui  nous  est  donnée  de  son  amour  pour 
Massinissa,  la  Sophonisbe  qu'il  nous  montre  est  bien  rhéroine 
la  plus  dépouillée  de  fémininité  que  présente  le  théâtre. 

Vas  plus  de  clarté,  ou,  pour  mieux  dire,  pas  plus  de  vérité 
dans  le  caractère  de  Massinissa.  Le  premier  acte  nous  montre 
en  lui  le  parlait  jeune  héros  de  tragédie,  moins  l'amour.  Vain- 
queur de  Syphax,  il  lui  témoigne  la  plus  courtoise  comixis- 
sion;  il  ne  parait  pas  qu'il  ait  conservé  souvenir  d'une 
ancienne  llamme  pour  Sophonisbe,  et,  à  la  vue  des  transports 
furieux  de  Syphax,  il  adresse  une  prière  aux  dieux  pour  leur 
demander  de  ne  jamais  connaître  les  orages  et  les  ravages  des 
passions  *.  A  lacie  suivant,  avant  même  qu*il  ait  revu  Sopho- 
nisbe, nous  sentons  dans  les  protestations  par  lesquelles  il 
s'efYorce  de  rassurer  Narva  '  que  cet  amour  n'est  pas  aussi 

\.  Aote  IV,  Fc.  I.  —  2.  Acte  IV,  se.  ii. 

3.  u  Gara  Incti  cld  Sole....  E  tu  dolce  mia  Terra....  E  prego  Iddio  l'heia 
uiorle  poi  —  Ueclii  pace  e  quiele  a  lutti  voi.  ■  —  Puis  viennent  des  adieux 
à  son  père,  à  son  frère,  à  sa  sauir,  h  sa  mère  qui  seraient  plus  ëmouYaot> 
s'ils  étaient  moins  prolongés.  Le  Trissin  ne  sait  guère  se  borner  oi  s^ 
concentrer.  Il  é(!ril,  comme  Pasquier  le  disait  de  Marot,  •  beaucoup  et 
nnidcmcnt  ». 

4.  Acte  I,  se.  IV,  V.  —  5.  Acte  II,  se.  i. 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.  —  «   SOPHONISBB.   »        349 

complètement  éteint  qu'il  le  croyait  lui-même.  C'est  bien  là 
une  progression  qui  nous  achemine  vers  Texplosion  de  passion 
de  l'acte  III;  mais  rien  ne  Texplique,  rien  ne  la  justifie.  Rien 
ne  s'est  passé  de  nouveau  depuis  le  moment  où  nous  avons  vu 
Massinissa  si  calme  en  face  de  l'homme  qui  a  été  son  rival 
heureux.  Bientôt  il  se  trouve  en  présence  de  Sophonisbe  *. 
Elle  n'a  pour  lui  que  des  paroles  de  dédain;  et  nous  sommes 
très  surpris  d'entendre  de  quel  ton  il  répond  :  «  0  Sophonisbe  1 
a  il  n'est  pas  prudent  de  t'écouter  ;  j'ai  mal  connu  mon  cœur, 
«  lorsque  je  l'ai  ainsi  exposé î  — je  veux  m'enfuir!  ».  La  reine 
s'est  retirée,  sûre  d'avoir  reconquis  le  cœur  de  son  ancien 
amant,  et  celui-ci  cependant  se  félicite  du  péril  bravé  et  sur- 
monté. Il  juge  qu'il  a  fait  preuve  d'une  stoïque  force  d'àme. 

Au  début  de  l'acte  III  l'amoureux  Africain  interroge  sa  pas- 
sion et  reconnaît  peu  à  peu  l'état  de  son  cœur.  Sans  doute  il 
y  a  là  une  scène  possible  de  fine  et  délicate  analyse.  Mais  le 
poète  est  resté  inférieur  à  sa  tâche.  Nous  ne  sommes  pas 
en  face  d'une  passion  qui  s'épanouisse  par  un  développe- 
ment spontané  ou  par  suite  d'influences  visibles.  Nous  ne 
croyons  pas  à  l'amour  de  Massinissa  —  et  il  y  a  quelque  chose 
de  presque  comique  dans  l'émoi  du  personnage  quand  il  se 
demande  :  «  Qu'est-ce  que  cela  veut  dire?  —  C'est  l'amour, 
«  l'amour  tout-puissant  ^  »  La  constatation  une  fois  faite,  il 
ouvre  sans  plus  de  résistance  son  cœur  «  au  dieu  rose  et  sou- 
riant '  ».  Dans  la  scène  suivante  il  révèle  à  Narva  l'état  des 
choses.  Ce  n'est  pas  là  non  plus  que  nous  trouverons  le  secret 
de  cette  transformation  d'un  Hippolyte  en  Oreste.  «  L'incendie 
s'est  répandu  rapide  »,  dit-il,  et  c'est  le  plus  clair  de  ses 
explications.  Et  aussitôt  après  il  arrive  au  paroxysme  de  ces 
passions  de  la  tragédie  héroïque,  pour  lesquelles  il  n'est  pas 
de  déclamation  assez  ampoulée  :  a  N'essaie  pas  de  me 
«  détourner  de  mon  amour....  Tes  paroles  pourraient  apaiser 
t  les  vents  et  leurs  tourbillons....  Elles  pourraient  éteindre  la 
t  flamme,  mais  non  pas  mon  amour  plus  fort  ^  »  Rappelé 
au  sentiment  du  devoir,  il  trouve  dans  l'idée  d'un  mariage 
immédiat  avec  Sophonisbe  le  moyen  de  concilier  «  l'amour  et 
l'honneur  qui  l'assiègent  ».  Mais  quelques  paroles  de  Narva 
évoquent  le  souvenir  de  Syphax,  de  son  rival  heureux,  aujour- 

1.  Acte  II,  se.  II.  —  2.  Acte  III,  se.  i.  —  3.  Ibid,  —  4.  Acte  111,  se.  ii. 


S50  JAMES  TUOMSON. 

d'hui  son  prisonnier,  et  voilà  cet  amour  frais  éclos  empoi- 
sonné par  les  tortures  de  la  plus  féroce  jalousie.  Ces  âmes  flot- 
tent et  tournent  au  caprice  du  vent.  La  jalousie  furieuse 
succède  à  Tamour  confiant,  et  fait  place  de  nouveau  à  de 
violents  transports  *.  L'auteur  a  voulu  de  frappants  contrastes, 
il  n'a  pas  su  les  rendre  intelligibles  ni  acceptables. 


III 


A  défaut  d'une  action  entraînante,  à  défaut  d'une  psycho- 
logie pénétrante  et  vraie,  le  succès  peut  être  assuré  à  une  tra- 
gédie classique  par  d'autres  qualités.  L'exemple  même  du 
vieux  Corneille  nous  apprend  que  des  personnages  dont  l'âme 
est  simplifiée  jusqu'à  un  point  que  ne  connaît  pas  la  vie,  dont 
les  sentiments  sont  raffinés  et  élevés  au-dessus  du  niveau  pos- 
sible de  l'humanité,  dont  l'attitude  a  pris  quelque  chose  de 
tendu,  de  conventionnel  et  de  factice,  peuvent  cependant  nous 
offrir  le  spectacle  le  plus  émouvant.  Il  y  faut  deux  choses. 
Il  faut  que  le  poète  lui-même  ait  dans  le  cœur  ou  dans  le 
génie  assez  de  flamme  pour  communiquer  la  vie  à  ces  créa- 
tures d'âme  dépouillée  et  sommaire.  Il  faut  aussi  que  ces 
pei-sonnages  d'une  réalité  relative,  qui  se  meuvent  dans  une 
atmosphère  de  sentiments,  de  passions  et  de  pensées  convenus, 
s'expriment  dans  un  langage  assez  beau  pour  être  par  lui- 
même  une  source  d'émotion  esthétique,  assez  magnifique  et 
d'assez  haute  tenue  pour  nous  faire  accepter  tout  ce  monde 
de  personnages  et  de  sentiments  montés  à  un  diapason  excep- 
tionnel. 

Thomson  n'était  pas  Corneille.  Le  langage  de  ses  héros  n'a 


1.  •  Tu  triomphes,  amour!  Toute  mon  dme  est  amour  —  Et  quand  elle 
se  décide  aveuglée  à  ne  plus  aimer  —  C'est  alors  que  Tamour  remporte 
le  triomphe  suprême.  - 

Le  personnage  du  reste  explique  lui-môme  comment  rameur  doit  »e 
trouver  dans  une  dme  de  héros  (acte  V,  se.  ii).  L'idée  semble  empruntée 
à  Corneille,  acte  IV,  se.  m. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  France,  on  le  voit,  que  le  bon  sens  et  le  bon 
goût  de  Boileau  peuvent  trouver  matière  &  raillerie  : 

«  Et  de  quel  droit  se  diraient-ils  héros  s'ils  n'étaient  point  amoureux? 
N'est-ce  pas  l'amour  qui  fait  aujourd'hui  la  vertu  héroïque?  »  (Dialogues 
de  Lucien  f  Platon  et  Diogéne.) 


LES  ŒUVRES   DRAMATIQUES.   —  u   SOPliONlSBE.   »        651 

ni  la  puissance,  ni  la  noblesse,  ni  l*éloquence.  La  force  est  une 
des  qualités  éminentes  de  son  style  dans  les  ce  Saisons  i^,  mais 
nous  savons  que  là  même  elle  a  une  tendance  à  devenir 
eniphase.  Sur  la  scène,  et  dans  la  bouche  de  pei'sonnages  qui 
ont  à  exprimer  des  passions  violentes,  elle  se  change  en  une 
déclamation  excessive  et  boursouflée.  Aucun  des  personnages 
n'est  à  Tabri  de  ce  reproche.  Sophonisbe  parle  une  langue 
uniformément  enflée  et  emphatique.  Dans  ses  dialogues  avec 
celui  qui  Taime  et  qu'elle  est  supposée  aimer,  elle  a  sans  cesse 
à  la  bouclie  le  défi  et  la  menace  *.  Massinissa  d'abord  modéré, 
sentencieux,  exprimant  des  sentiments  de  piété  %  ou  des 
maximes  de  sage  et  banale  pliilosophie,  Massinissa  devenu 
tout  à  coup  Tesclave  de  l'amour,  de  la  jalousie  ou  de  la  haine 
s'emporte  à  des  extravagances  de  langage  démesurées.  S'il  fait 
une  promesse  à  Sophonisbe,  c'est  en  jurant  a  par  les  puis- 
sances redoutées  qui  gouvernent  les  humains  '  ».  —  a  Son 
a  amour  sera  plus  facile  à  calmer  que  les  tourbillons  du  vent 
«  qui  soulèvent  le  sable  du  désert  ou  que  l'incendie  des  forets 
a  embrasées  par  la  foudre  *.  »  Au  souvenir  de  Syphax  il  s'écrie 
torturé  par  la  jalousie  :  «  Souvenir  maudit!  Voilà,  voilà  qui 
«  jelte  àmon  cœur  un  serpent....  Cette  pensée  est  l'enfer  ^  »  A 
la  scène  suivante  cette  jalousie  s'exaspère  encore,  et  TétoufTe'. 
a  II  aurait  tout  pardonné  à  son  rival,  «  de  l'avoir  chassé  dans 
«  le  désert  pour  y  mourir  de  soif  avec  les  dipsades  ^  »,  tout 
«  .sauf  «  Toutrage  impardonnable  qu'il  ne  veut  pas  nommer'  ». 
Kt  quand  Lelius  le  menace  d'arracher  du  lit  nuptial  la  dange- 
reuse ennemie  de  Rome,  Massinissa  répond  dans  un  lan- 
gage digne  des  héros  les  plus  mélodramatiques  de  Marlowe, 
de  Mareton,  de  Dryden  ou  de  Léo  :  «  Ta  rage  pourrait  plutôt 
«  arracher  de  sa  sphère  d'azur  la  lune  lointaine  '  ». 
Quant  au  personnage  de  Syphax,  il  n'y  a  point  à  noter  chez 

i.  Voir  en  particulier  ucte  II,  se.  ii,  et  acte  III,  se.  m. 

2.  Kntre  autres  passages  qiiclt|nes  vers,  acic  I,  se.  iv,  acte  IH,  se.  m. 

3.  Acte  II.  se.  II.  —  4.  Acte  III,  se.  ii.  —  5.  Acte  111,  se.  ii.  —  6.  •  Oh! 
^rant  me  brenth!  • 

7.  •  And  thirst  witli  Dipsads  on  tlie  burning  saud.  •  —  C'est  à  Milton 
que  Thonison  emprunte  ce  terme,  souvenir  sans  doute  de  cette  zoologie 
fabuleuse  où  se  plaisaient  les  écrivains  de  la  Renaissance. 

8.  Acte  m,  se.  III. 

9.  •  As  soon  Iby  rage  migbl  from  yonder  sphère 
Tear  yonder  moon.  • 

(Acte  IV,  se.  IV.) 


552  JAMES  THOMSON. 

lui  de  soudains  et  inexplicables  passages  de  la  raison  à  une 
sorte  de  paroxysme  ardent.  Celui-là  est  uniformément  dans 
un  état  de  truculente  exaspération.  Dès  la  première  scène  où 
il  parait,  c*est  par  les  plus  violentes  injures  qu'il  répond  aux 
courtoises  marques  do  pitié  de  son  ennemi  vainqueur.  Et 
bientôt  sa  colère  ne  trouve  plus  à  s'exprimer  qu'en  exclama- 
tions furieuses  :  a  Tourments  et  torture!....  Confusion.... 
c  Enfer  *  !  »  Son  opinion  sur  la  femmes  exprime  en  ces  termes  : 
«  inofîensive  en  apparence;  mais  au  fond  tout  entière  poison, 
«  serpents,  tigres,  furies,  oui,  tout  entière 'i.  c  Je  suis  venu  », 
dit-il  à  sa  femme,  «  i>our  te  poignarder,  et  pour  m  abreuver 
«  du  sang  jaillissant  de  ton  cœur'  i». 

Ce  langage  outré  n'a  pas  même  la  tenue  qui  pourrait  nous 
le  faire  admettre  comme  une  convention  dramatique.  On  |»eut 
concevoir  une  sorte  de  trans|X)sition  du  ton  normal  à  celui 
de  personnages  héroïques  dont  la  voix  serait  plus  sonore  et 
le  verbe  plus  grandiloquent.  On  se  fait  à  Tatmosphère  s|)é- 
ciale  du  théâtre  de  Marlowe  ou  de  Marston  et  l'on  cesse  d'être 
choqué  de  rentlure  de  leur  style.  Mais  Thomson  ne  sait  |»as 
créer  ainsi  autour  de  ses  personnages  une  atmosphère  héroïque. 
C'est  par  un  effort  imparfaitement  dissimulé  qu'il  leur  prête 
ce  langage  extraordinaire.  Nous  avons  conscience  à  tout 
inouicnt  que  ces  couleurs  violentes  sont  destinées  à  nous  faire 
croire  à  l'extrême  énergie  des  passions  au  lieu  de  trouver  dan? 
celles-ci  leur  explication  et  leur  justification.  Cette  exaltation 
du  discours  retombe  souvent  à  plat,  et,  par  exemple,  à  plu- 
sieurs reprises,  Massinissa  bouleversé,  i)artagé  entre  des  solli- 
citations opposées,  s'interrompt  pour  se  consulter  en  termes  tels 
que  ceux-ci  :  a  Voyons,  réfléchissons  un  peu.  Oui,  c'est  cela*!  » 
—  a  Voyons,  pensons  un  moment  —  nonl  non!  non  *î  » 

L'accent  personnel  manque  à  tous  les  personnages.  Tous  ont 
la  même  faconde  ronllante  et  la  même  énergie  exubérante.  Les 


1.  Acte  l,  se.  IV. 

2.  Acte  IV,  se.  II.  C'est  un  trait  qu*a  relevé  T.  B.,  Fauteur  du  pamphlet 
dont  nous  avons  parlé  dans  la  biographie,  le  premier  critique  qui  se  s<.il 
occupé  de  la  «  Sophonisbe  •  de  Thomson. 

3.  Acte  IV,  se.  ii.  Y  a-t-il  pure  comcidonce,  ou  souvenir  de  ce  passa)!^ 
de  Lee  :  «  Lau^h  Nvhen  thou  art  drunk  with  a  Queen's  blood  •?  {Sophun.. 
acte  IV.) 

4.  -  llold!  —  Let  me  think  a  while.  —  It  shall  be  so!  •  (Acte  V,  se.  n. 

5.  m  Hold,  let  me  think  a  mouienl.  —No!  no!  no!  -  (Acte V,  se.  ii.) 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.  —  «   SOPOONISBE.   >>        883 

mêmes  formules  reviennent  tour  à  tour  dans  la  bouche  de 
chacun  d'eux  ^  Ils  s'interpellent  les  uns  les  autres  au  moyen 
de  mêmes  formes  d'apostrophes  naïvement  énergiques:  «  Per- 
nicious  fair  one  M  »  —  a  Abject  youth  ^.  »  Parfois  Tadjectif  est 
isolé  en  dépit  de  la  grammaire:  ce  Away,  thou  cruel  andungen- 
erous,  go  M  »  —  a  Inhuman  M  »  —  Enfin  la  langue  même  de 
Tauteur  des  a  Saisons  »  ne  se  retrouve  guère  dans  les  vers 
rocailleux  de  plus  d'une  scène  *. 


IV 


Au  milieu  de  ces  scènes  de  violence  à  froid,  de  déclamations 
et  d'imprécations  où  l'on  ne  sent  pas  l'emportement  de  la  pas- 
sion sincère,  on  rencontre  cependant  quelques  passages  plus 
dignes  du  grand  poète  dont  le  génie  luttait  en  vain  contre  les 
dinicultés  d'un  genre  pour  lequel  il  n^était  pas  fait.  Quelques 
passages,  frappent  et  charment  au  milieu  de  ces  dissonances 
tapageuses;  presque  tous  sont  des  passages  descriptifs.  Narva 
décrit  la  captive  aux  charmes  de  laquelle  Scipion  a  victorieu- 
sement résisté,  et  dans  ce  portrait  nous  relevons  une  notation 
délicate  :  «....  elle  pleurait  et  rougissait,  jeune,  fraîche,  écla- 
a  tante  comme  l'aurore.  Et  son  œil  était  comme  un  coin  du  ciel 


1.  «  Down,  my  heart!  my  SNvciling  heart!  -  s'écrie  Massinissa,  acte  UI, 
se.  m;  et,  à  l'acte  suivant.  Sophoniabe  à  son  tour  : 

«  Impatient  spirit,  do\\a!  »  etc. 

2.  Acte  III,  se.  II. 

3.  Acte  in,  se.  III.  Cette  aménité  est  adressée  par  Sophonisbe  à  Massi- 
uissa  pour  quelques  paroles  malsonnantes  à  Tcgard  de  Carthage. 

4.  Acte  111,  se.  m. 

5.  Acte  IV,  se.  ii.  —  11  faut  tenir  compte  sans  doute  des  usages  de  la 
langue  dramatique  d'alors.  On  avait  tant  abusé  de  l'interjection  que  l'efTet 
en  devait  être  fort  émoussé.  Uowe,  qui  n'est  pas  .parmi  les  moins  raison- 
nables de  l'école,  a  des  vers  entièrement  formés  de  substantifs  excla- 
matifs  : 

•  Distraction!  Fury!  Sorrow!  Sliame!  and  Death.  • 

(The  Fair  Pénitent,  acte  IV,  se.  i.) 

6.  Tiu)  Birch  signale  par  exemple  ceci  : 

•  And  then  it  was,  that  wlien  the  heroe  hcard 
That  I  to  thce  belong'd  •,  etc. 

Les  éditions  suivantes  changèrent  «<  That  I  n  en  •  How  1  v. 


5S4  JAMES  THOMSON. 

bleu  qu'on  voit  trembler  à  travers  le  blanc  pur  d'un  nuage  ^  i 
—  Tous  les  actes,  on  le  sait,  se  terminent  par  quelques  vers 
rimes.  Le  passage  qui  fmit  l'acte  III  prend  le  développement 
d'un  air  de  bravoure.  Massinissa  y  compare  le  calme  rétabli 
dans  son  âme  par  l'amour  de  Sophonisbe  à  l'apaisement  des 
flots  irrités  quand  la  jeune  Vénus  s'est  élevée,  a  souri,  a 
montré  sa  beauté.  Tout  ce  simile  est  vraiment  beau,  d'une 
langue  harmonieuse  et  sûre  qui  contraste  avec  les  laborieux 
efforts  du  dialogue.  Il  y  a  repos  pour  le  lecteur,  comme  sans 
doute  aussi  pour  l'auteur,  à  ces  quelques  vers  de  description 
où  le  poète  parle  en  son  nom,  et  ne  s'impose  plus  la  tâche 
ingrate  de  fournir  un  langage  aux  sentiments  forcenés  de  ^ 
personnages. 

À  l'imitation  des  tragédies  antiques,  la  <r  Sophonisbe  »  du 
Trissin  faisait  une  grande  part  au  chœur.  Les  femmes  cartha- 
ginoises mêlent  leur  voix,  leurs  soupirs,  leurs  espérances  ou 
leurs  lamentations  à  toute  l'action  de  la  tragédie.  Les  traduc- 
teurs et  les  imitateurs  du  poète  italien  conservent  cette  donnée  *; 
mais  on  voit  chez  eux  limportance  du  chœur  diminuer  gra- 
duellement. Mairet  enfin  le  supprime.  Thomson  a  songé  à  le 
faire  intervenir  de  nouveau,  avec  infiniment  de  réserve  du 

1.  «  She  wept  and  blush'd 

YouDg,  fresh  and  blooming  like  the  raorn.  An  eyc 
As  when  tbc  blue  sky  trembles  through  a  cloud 
Of  puresl  white.  • 

2.  Dans  la  traduclion  en  prose  de  Mellin  de  Sainct-Getays,  ces  chœur> 
seuls  «ont  en  vers.  Dans  le  dialogue  même  la  mesure  est  celle  de  Falexan 
drin  (quelquefois  sans  rimes)  : 

•  11  fait  bon  s'exempter  de  si  cruelles  mains 
Mais  non  point  par  la  mort;  car  la  mort  est  le  mal 
Extrême  et  le  dernier  de  tous  les  autres  maux.  - 

^P.  174.) 

Kn  dehors  du  dialogue  le  chœur  s'exprime  en  vers  de  sept  8yllat>es.  et 
une  seule  fois  daus  une  combinaison  de  vers  qui  forme  une  s Iropbe  gra- 
cieuse : 

••  Las!  je  me  sens  au  cucur 

Une  si  grande  peur, 
(^ue  je  ne  scay  que  taire  ou  que  parler; 
Je  me  sens  toute  telle, 
Comme  la  colombelic, 
Qui  sur  son  chef  voit  un  aigle  voler.  » 

(Première  intermédie,  p.  176.) 

Mermet  emploie  aussi  pour  le  lant^oge  du  chœur,  ou,  comme  il  le  dit. 
des  •  Dames  ensemble  •,  le  vers  de  sept  syllabes.  —  Chez  Montcbrestico. 
il  n'y  a  pas  d'autre  mesure  que  l'alexandrin. 


LES  ŒUVRES  DRAMATIQUES.   —  <'   SOPIIONISBE.   »        555 

>te.  Le  chant  nuptial  qui  figure  dans  ses  œuvres  diverses 
nine  ayant  été  destiné  à  la  tragédie  de  «  Sophonisbe  »  devait  y 
e  entendu  à  Tacte  IV,  au  moment  où  le  peuple  se  réjouit  du 
iriage  de  Massinissa  et  de  Sophonisbe.  C'est  ce  chant  qui 
vait  apprendre  à  Lelius  un  mariage  auquel  il  a  peine  à 
)ire.  Certes  nous  ne  voulons  pas  exagérer  Timportance  du 
)rceau.  Il  ne  suffit  pas  à  nous  faire  voir  en  Thomson  un 
(île  lyrique.  Mais  cette  pièce  à  Vénus  et  cet  éloge  du  dieu  de 
rnour  sont  à  coup  sûr  mieux  venus  que  la  plupart  des 
aides  ampoulées  des  protagonistes. 

Vu  début  de  Facte  V,  on  peut  noter  aussi  un  court  et  bril- 
it  passage  où  se  retrouve  la  maestria  du  grand  poète  des- 
ptif.  Massinissa  joyeux  voit  toute  la  nature  s'associer  à  son 
nlieur  : 

The  breezy  sprin^^ 

Slands  loosely  floating  on  thc  mounlain-loi). 
And  deals  Iut  sweets  arunnd. 

blette  comparaison  des  défauts  et  des  beautés  de  la  ti*agédie 
it  sans  doute  suffire  à  expliquer  le  peu  de  succès  de  l'œuvre, 
sait  cependant  que  Téchec  en  a  été  attribué  à  certain  vers 
irné  en  ridicule  au  moment  de  la  représentation.  Nous 
)ns  dit  autre  part  avec  quelle  réserve  il  faut  accepter  ce 
iiu  fait  de  l'histoire  littéraire.  Mais  nous  ne  pouvons  ter- 
ner  notre  étude  de  la  a  Sophonisbe  »  sans  rappeler  le  seul 
ssage  qui  en  soit  resté  célèbre  : 

Oh!_Sophonisba,  Sophonisba,  oh! 

S'ous  n'entreprendrons  pas  de  réhabiliter  ce  vers  malheu- 
IX.  Il  n'est  que  juste  cependant  d'affirmer  que  les  contem- 
rains  de  Thomson  ne  le  trouvèrent  pas,  a  prima  facie  », 
icule  comme  il  nous  apparaît  aujourd'hui.  Pour  le  rendre 
)tesque,  on  le  coupe  en  deux  hémistiches  symétriques.  Il  est 
ir  que  c'est  une  trahison  que  ne  prévoyait  pas  le  poète.  Sa 
[îctuation  indique  un  arrêt  après  la  première  et  avant  la  der- 
Te  interjection.  —  Quant  à  ces  interjections,  elles  sont  mou- 
le courante  dans  la  langue  dramatique  pendant  une  longue 
riode.  Tliomson  en  use  largement.  Les  «  0  Sophonisba!  »  ne 
it  pas  à  compter  *.  Parfois  même  un  autre  nom  propre 

.  Voir,  par  ex.,  acte  II,  se.  u,  et  acte  Ul,  se.  m. 


886  JAMES  THOMSON. 

exprimé  deux  fois  et  flanqué  des  deux  interjections  :  c  Oh! 
Narva,  Narva,  oli  M  »  reproduit  exactement  le  mouvement  de 
rexclarnation  plus  célèbre  de  l'acte  III.  Mais  n'oublions  pas 
que  les  exemples  de  formes  semblables  abondent  dans  le 
théâtre  depuis  la  Restauration.  Le  vers  de  Thomson  se  trouve 
presque  identiquement  dans  Lee  : 

«  0  Sophonisba,  oh!  »  (Acte  I,  se.  n.) 

Et  quel  est  le  personnage  tragique  de  toute  cette  période  dont 
le  nom  ne  figure  point  au  moins  une  fois  précédé  ou  suivi  de 
rinévitable  a  oh  »  *? 

Thomson  et  ses  contemporains  semblent  du  reste  avoir  trouvé 
dans  cette  seule  syllabe  des  beautés  que  nous  n'y  voyons  plus. 
Leurs  acteurs  sans  doute  savaient  les  y  mettre.  L'indication 
scénique  la  fait  quelquefois  émettre  simultanément  par  {plu- 
sieurs personnages.  —  Mandane  et  Memnon  dans  la  dernière 
scène  du  Busiris  de  Young  s'écrient  à  l'unisson  : 


a  Oh! oh!  » 


C'est  aussi  par  cette  exclamation  que  se  termine  la  plus 
célèbre  des  trtgédies  du  xviir  siècle,  le  Caton  d'Addison '. 
Voici  le  commentaire  de  Thomson  lui-même  sur  cet  éloquent 
monosyllabe  et  sur  la  façon  dont  il  Ta  entendu  interpréter  par 
Tacteur  Booth  :  «  In  the  last  act  in  Cato...  you  would  think  he 
«  expired  with  the  Oh  !  that  ends  it  *  ». 

Thomson  est  donc  loin  d'être  le  seul  coupable,  et  ce  n'est  pas 
à  lui  mais  aussi  bien  à  toute  la  race  des  dramaturges  depuis 
Dryden  et  Lee  que  s'adressait  la  parodie  deCarey,  faisant  tenir 
tout  un  vers  dans  cette  unique  et  éloquente  syllabe  : 

0 h  5! 

1.  Acte  II,  se.  m.  —  Fielding  relève  ce  vers  en  même  temps  que  fauUv. 
On  a  rapproché  de  ces  passages  de  Thomson,  une  expression  de  Shake 
speare  lui-même  :  •  0  my  motherî  mother,  185.  0!  ■  {Coriolanus,  V,  m!j 

2.  On  aurail  pu  supposer  que  l'un  d'eux  au  moins  devait  échapper  à  la 
commune  loi  :  VOroonoko  de  Southerne.  Il  n'en  est  rien. 

•  —  Imoinda,  oh!  thy  Oroonoko  calls. 

Imoi^da  [coming  to  life]. 
—  My  Oroonoko!  oh!  1  can't  believe  •  etc. 

(Oroonoko^  acte  U,  se.  ui.) 

3.  •  The  besl  may  err,  but  you  are  good,  and  —  oh!  •  (Dies,) 
i.  «  Lettre  à  Cranstoun  du  3  avril  1725.  • 

5.  Chrononhotonthologos,  vers  flnal. 


CHAPITRE  II 


«      AGAMEMNON     » 


I 


Pour  le  sujet  de  sa  seconde  tragédie,  Thomson  s'adresse  à 
une  plus  lointaine  antiquité  :  des  annales  glorieuses  de  Home 
il  passe  aux  sombres  légendes  épiques  de  la  Grèce.  Après  avoir 
transporté  sur  la  scène  un  chapitre  de  Tite-Live  plein  de  dra- 
matiques événements,  il  fait  revivre  la  plus  simple,  à  une  seule 
exception  près  *,  des  tragédies  grecques,  V  «  Agamemnon  d 
d'Elschyle. 

Non  pas  d'ailleurs  qu'il  songe  à  en  conserver  la  fruste  gran- 
deur. —  Dans  le  drame  d'Eschyle,  les  personnages  ont  une 
attitude  morale  inflexible,  immuable  comme  le  masque  des 
acteurs  qui  les  représentaient.  Dès  le  début  Clytemnestre  est 
décidée  à  tuer  le  roi,  pour  venger  sa  fille  et  pour  échapper  au 
châtiment  de  l'adultère.  Egisthe  tend  au  meurtre  d' Agamemnon 
d'une  volonté  que  rien  ne  combat;  il  y  est  poussé  tout  à  la  fois 
par  l'ambition,  par  l'amour  et  par  le  devoir  qui  lui  commande 
de  venger  son  père.  —  Le  poète  anglais  ne  se  contentera  pas 
d'une  psychologie  aussi  sommaire.  Ce  qu'il  poursuit,  ce  n'est 
pas  une  restitution  de  la  tragédie  antique  ;  c'est  le  développe- 
ment, sur  le  vieux  sujet  des  malheurs  et  des  crimes  de  la 


1.  •  Les  Suppliantes  »  sont,  selon  Texpression  d'un  historien  delà  litté- 
rature grecque,  un  menreilleux  cantique  en  rhonneur  de  l'hospitalité. 


558  JAMES  THOMSON. 

famille  de  Pélops,  dune  tragédie  conforme  aux  doctrines  litté- 
raires du  xviir  siècle. 

Déjà  rimitation  qu'avait  donnée  Sénèque  de  V  «  Agamemnoii  i 
avait  altéré  la  simplicité  sculpturale  des  personnages  d'Eschyle. 
Dans  la  tragédie  latine,  le  drame  n*est  pas  uniquement  conduil 
par  la  fatalité  vengeresse  des  crimes  du  passé.  Clytemnestrea 
des  hésitations  et  des  scrupules.  Elle  délibère  avant  de  se 
déterminer  au  meurtre.  Et  si,  dans  l'ensemble,  l'œuvre  de 
Sénèque  reste  incomparablement  inférieure  au  modèle  grec  en 
force  tragique  et  même  en  habileté  scénique,  elle  marque 
cependant  un  développement  des  ressources  possibles  du 
drame,  et  un  acheminement  vers  la  riche  analyse  psycholo- 
gique des  théâtres  modernes. 

Mais  Thomson  ne  se  contente  pas  de  cette  altération.  Il 
ajoute  aux  éléments  d'intérêt  que  présente  la  lutte  des  passions 
dans  le  cœur  de  l'héroïne  ceux  qu'il  tirera  des  péripéties 
d'une  intrigue  développée  au  milieu  des  coups  de  théâtre  '. 
Nous  voilà  bien  loin  de  Tantique  Orestie.  L'  «  Âgamemnon  • 
anglais  est  une  tragédie  psychologique  par  la  complexité  des 
âmes  qui  y  sont  mises  en  jeu,  et  c'est  un  drame  romanesque 
par  la  variété  des  incidents  qui  mènent  l'action. 

On  comprend  quel  principe  de  faiblesse  devait  contenir  une 
u'uvre  ainsi  composée.  Entre  les  diverses  conceptions  possibles 
l'auteur  n'a  pas  voulu  choisir.  Toutes  figurent  à  la  fois  dans  sa 
pièce  composite;  mais  aucune  n'est  satisfaisante.  Le  souvenir, 
évoqué  dans  un  dialogue  *,  des  crimes  atroces  de  la  famille  des 
Atrides  ne  remplace  pas  cette  tragique  émotion  que  fait  peser 
sur  l'œuvre  grecque  l'action  du  destin  implacable.  Les  machines 

i.  Il  ne  semble  pas  du  reste  avoir  tiré  grand  parti  directement  de  to 
tragédie  de  Sénèque  ni  des  traductions  ou  imitations  nombreuses  qu'en 
avait  donnée?  le  théâtre  français.  (Ch.  Toutain  en  1556  ou  1557  —  F.-C 
Duchat  en  i561  —  Rolland  Brisset  en  1589  ou  1590  —  Pierre  Mathieu 
en  1589  —  Benoist  Bauduyn  en  1619  —  P.  Linage  [en  prose]  en  1651  — 
Michel  de  Marolles  [en  prose]  en  1660  —  Claude  Boyer  en  1680  —  Pierre 
Bnimoi  en  1730.) 

Peu  de  détails,  en  dehors  du  personnage  de  la  nourrice,  paraissent 
empruntés  à  cette  tragédie  latine  qui  fournit  &  Racine  la  matière  d'un 
de  ses  vers  les  plus  célèbres  : 

«  Vicere  nostra  jam  metus  omnes  mala.  • 

(Actus  m,  685.) 

•  Gr&ce  aux  dieux,  mon  malheur  passe  mon  espérance!  • 

{Andromaqu€f  acte  V,  se.  y.) 
2.  Acte  II,  se.  VI. 


«   AGAMEMiNON.   »  559 

dramatiques  les  plus  ingénieuses  ne  remplaceront  pas  ce 
souffle  d'horreur  que  répandent  dans  toute  la  trilogie  d'Es- 
chyle les  Parques  toujours  présentes  sinon  toujours  visibles. 
Quant  à  la  complexité  introduite  dans  Tâme  des  personnages, 
elle  diminue  leur  majesté  hiératique  sans  que  Thomson  ait  su 
y  trouver  l'occasion  de  grandes  et  belles  créations  dramati- 
ques. Glytemnestre  ramenée  à  des  proportions  plus  humaines 
n'est  pas  pour  cela  plus  vraisemblable;  elle  est  assurément 
moins  vivante.  Après  plusieurs  années  de  trahison  criminelle, 
elle  se  sent  bourrelée  de  remords  en  apprenant  l'arrivée  pro- 
chaine d'Agamemnon.  Les  excuses  qu'elle  invoque  sont 
étranges.  C'est,  à  l'en  croire,  la  douleur  et  l'indignation  inspi- 
rées par  le  sacrifice  de  sa  fille  qui  l'ont  poussée  à  l'adultère. 
Elle  entend  n'être  criminelle  que  jusqu'à  un  certain  point,  et 
veut  tout  avouer  à  Agamemnon.  Elle  s'emporte  en  violents 
reproches  contre  Egistlie,  puis  elle  lui  propose  de  fuir,  etiinit 
par  écouter  sans  trop  de  révolte  la  proposition  qu'il  lui  fait 
d'assassiner  le  roi.  Quand,  à  la  fin  du  second  acte,  le  même 
sujet  occupe  les  deux  amants,  Glytemnestre  supplie  d'abord 
son  complice  de  renoncer  à  ce  crime  nouveau  *.  Mais  quand 
celui-ci  lui  rappelle  l'accusation  portée  contre  Agamemnon 
d'avoir,  sous  les  murs  de  Troie,  aimé  Chyséis  et  Briséis  et  plus 
tard  cette  Gassandre  qu'il  ramène  avec  lui,  l'épouse  outragée 
donne,  au  moins  par  prétention,  son  assentiment  au  projet 
d'assassinat.  Voilà  une  susceptibilité  inattendue  et  un  renver- 
sement de  sentiments  peu  expliqué.  Est-elle  au  moins  assurée 
dans  cette  dernière  résolution?  Non,  nous  la  retrouvons  au 
quatrième  acte  pénitente  et  timorée;  elle  croit  devoir  s'excuser 
auprès  de  Mélisandre;  mais  elle  le  quitte  pour  avertir  Egisthe 
de  l'imminence  du  danger  qui  les  menace.  Et  quand,  au  début 
de  l'acte  V,  Egisthe  expose  nettement  à  la  reine  son  projet, 
elle  s'indigne  et  se  révolte,  injurie  son  amant,  déclare  qu'elle 
préviendra  Agamemnon  du  forfait  qui  se  prépare;  puis  il  suffît 
de  lui  parler  de  Gassandre  pour  que  sa  singulière  jalousie 
reparaisse;  elle  pleure  et  consent  au  meurtre.  —  G'est  donc,  à 


1.  Dans  la  tragédie  de  Sénèque,  dont  la  psychologie  est  parfois  très 
naïve,  Glytemnestre  conçoit  elle-même  le  projet  de  mettre  à  mort  Aga- 
memnon, puis  elle  se  rend  aux  bons  avis  de  sa  nourrice,  et  elle  déclare 
à  Egisthe  qu'elle  sent  renaître  en  elle  l'amour  conjugal  —  ce  qui  ne  Tem- 
pêche  pas  du  reste  de  consentir  finalement  au  meurtre. 


S60  JAMES  THOMSON. 

trois  reprises  différentes,  la  même  succession  non  justifiée  de 
sentiments  opposés,  sans  aucun  élément  nouveau  d'intérêt. 
C'est  le  spectacle  trois  fois  présenté  d'une  même  incohérence 
inexplicable. 

II  n'y  a  pas  plus  d'unité  dans  le  caractère  d'Égisthe.  A  regard 
d'Agamemnon  tout  au  moins,  il  n'a  pas  d'hésitation.  Mais 
quels  sont  se^  sentiments  envers  Clytemnestre?  Nous  pouvons 
concevoir,  sans  que  jamais  Eschyle  nous  donne  à  cet  égard 
d'indication,  l'amour  de  ce  loup  pour  c^tte  louve.  Mais  quelle 
singulière  posture  et  quel  singulier  langage  que  celui  du  lils 
de  Thyeste  dans  les  premières  scènes  de  1'  «  Agamemnon  » 
de  Thomson!  Il  gémit,  il  soupire,  il  se  plaint  timidement 
comme  le  plus  galant  et  le  plus  doucereux  de  ces  héros  qu'a 
raillés  Boileau  *. 

C'est  là  qu'est  la  grande  faute  de  goût  de  Thomsou.  Il 
n'a  pas  senti  qu'il  y  avait  incompatibilité  entre  les  données 
atroces  du  drame  eschylien  et  les  bienséances,  les  nuances,  les 
réserves  et  les  délicatesses  d'une  tragédie  moderne.  On  |)eulà 
coup  sûr  trouver  un  noble  sujet  de  drame  dans  les  hésitations 
et  les  déchirements  d'une  femme  que  sollicitent  la  passion, 
l'intérêt  et  le  devoir.  Mais  ces  hésitations  et  ces  scrupules 
d'une  îime  moyenne  et  pondérée,  on  ne  s'attend  pas  à  les  ren- 
contrer dans  cette  famille  de  Pélops  où  Tantale  et  Atrée  ser- 
vent à  leurs  hôtes  la  chair  de  leurs  enfants,  où  les  parricides 
et  les  incestes  font  reculer  d'horreur  le  soleil,  où  les  meurtres 
vulgaires  ne  se  comptent  pas,  sans  parler  du  sanglant  sacrifice 
par  lequel  Agamemnon  a  prouvé  son  dévoûment  à  la  cause  des 
Ctrers. 

Le  drame  est  rapetissé  par  cette  introduction  de  ptissions 
diverses.  Il  l'est  plus  encore  par  la  conception  d'une  intrigue 
compliquée,  à  péripéties  imprévues  et  variées.  Thomson  a 
imaginé  l'incident  romanesque  de  Mélisandre  jeté  sur  une  ile 
déserte  par  ordre  d'Kgisthc  et  recueilli  bien  des  années  apni's 
par  Agamemnon  lui-même  dans  son  voyage  de  retour.  De 
sorte  qu'au  lieu  du  roi  confiant  et  heureux  que  nous  montre  le 


1.  -  0  more  than  lovely!  0  majestic  fair  one! 

Since  yoii  Ihen  know  Ihe  jealous  force  oflove, 
Forgive  ils  lender  fears,  ils  fond  olTence; 
OfTence  I  coiild  not  mean.  »  Etc. 

(Acte  I,  se.  m.) 


«  aCtAMEMNON.  »  561 

grec,  nous  voyons  en  face  d'Égislhe  un  homme  averti  dont 
oupçons  se  changent  bientôt  en  certitude.  C'est  un  duel  de 

et  de  savoir-faire  qui  s'engage  entre  les  deux  ennemis, 
érét  ne  porte  plus  sur  le  drame  intérieur  des  âmes  et  des 
rs,  mais  sur  les  péripéties  d'une  lutte  de  palais.  L'issue 

est  fixée  ni  par  l'irrésistible  volonté  des  dieux,  ni  par  les 
ilés  de  la  passion.  Si  Égisthe  remporte  c'est  parce  que  la 
péte  retarde  de  quelques  heures  l'arrivée  des  vaisseaux  du 

ussi  bien  Thomson  ne  fait-il  qu'une  faible  part  aux  élé- 
its  qui  donnent  à  l'antique  tragédie  son  caractère.  Le 
ur  disparaît  presque  entièrement,  et  dans  la  courte  scène 
il  ligure  *  il  n'apporte  au  drame  aucun  élément  lyrique, 
nobles  strophes  où,  chez  EIschyle,  le  chœur  des  vieillards 
ens  célèbre  d'abord  l'enthousiasme  de  la  Grèce  s'armant 
r  venger  Ménélas,  et  puis  les  maux  de  la  guerre  font  place 
s  la  tragédie  anglaise  à  un  dialogue  où  le  roi  et  son  fidèle 
is  développent  en  style  pompeux  les  bienfaits  et  les  beautés 
X  paix,  les  mérites  et  l'utilité  de  la  guerre.  Le  début  si  plein 
avcur  de  r«  Agamemnon  »  grec,  le  monologue  du  veilleur 
ndant  depuis  des  années,  sur  le  toit  du  palais,  le  signal  qui 

annoncer  la  prise  de  Troie,  cette  scène  d'une  naïveté 
ue,  pouvait  tenter  le  poète  moderne.  Il  n'y  a  vu  que  l'occa- 

d'un  morceau  descriptif  traité  avec  soin;  il  n'a  rien  con- 
é  de  ce  qui  en  fait  pour  nous  la  couleur  et  le  charme 
laïque. 


II 


rares  que  soient  les  occasions  où  Thomson  a  fait  passer 
5  sa  tragédie  quelque  chose  de  la  farouche  grandeur  de  son 
lèle,  il  en  est  une  cependant  qu'il  convient  de  signaler, 
ant  le  palais  où  elle  sait  qu'un  crime  odieux  va  s'accomplir 
>andre,  dans  le  drame  grec,  est  saisie  d'horreur,  a  Ce  palais  », 
îlle,  a  exhale  une  odeur  de  mort,  le  sang  y  dégoutte  »  ;  et 
id  le  chœur  répond  :  m  Oui,  le  sang  des  victimes  brûlées 

Acte  IV,  8c.  III. 

36 


562  JAMES  THOMSON. 

sur  Tautel  )>,  la  prophétesse  ajoute  :  c  La  vap>eur  qui  y  règiu 
est  celle  des  tombeaux  *  u. 

Thomson  a  fait  perdre  à  ces  paroles  quelque  chose  de  leur 
tragique  épouvante  en  y  ajoutant  un  long  et  faible  développe- 
ment. Mais  il  a  eu  l'audace  de  reproduire  l'idée  qu'expriment 
ces  deux  vers  : 

a  Emportez-moi  loin  de  ce  palais  ou  plutôt  de  cet  abattoir.' 
«  Il  y  règne  une  odeur  de  carnage,  et  l'on  y  sent  une  vapeur 
«  affreuse,  comme  peuvent  en  exhaler  les  sépulcres  béanU».  * 
Malgré  Tem  phase  inutile,  et  les  mots  nobles  (carnage,  sépulcre» 
béants)  qui  sont  la  marque  de  l'écrivain  et  du  temps,  la  tra- 
duction conserve  quelque  chose  du  puissant  réalisme  et  de 
l'horreur  presque  physique  évoquée  par  le  passage  d'Eschyle. 
Cette  intervention  du  sens  de  l'odorat  en  pareille  occasion  nous 
éloigne  singulièrement  des  conventions,  des  bienséances,  delà 
pointilleuse  noblesse  du  théâtre  classique  au  xvm*  siècle.  C*e5t 
plus  haut,  c'est  au  théâtre  de  la  Renaissance  anglaise  et  au 
génie  de  Shakespeare  qu'il  faut  remonter  pour  trouver  l'équi- 
valent de  cette  association  hardie  d'une  tragique  émotion  à  une 
hallucination  d'un  sens  inférieur.  Par  delà  les  siècles,  à  tra- 
vers   les   civilisations  diverses  et  les  révolutions  de  l'art, 
Shakespeare  rejoint  Eschyle  dans  une  même  inspiration  quand 
lady  Macbeth   sent  l'odeur  ineffaçable  du  sang  sur  la  petite 
main  que  le  crime  a  souillée  *. 


III 


Les  personnages  de  1'  a  Agamemnon  »  anglais  n'ont  rien, 
nous  l'avons  vu,  de  l'énergie  brutale  des  héros  du  vieil  Eschyle. 
La  tragédie  anglaise  se  termine  cependant  comme  l'autre  dans 
le  sang  et  les  imprécations  furieuses.  C'est  une  nécessité  du 
sujet  choisi,  ce  nVst  plus  une  conséquence  naturelle  du  choc 
des  caractères.  La  langue  reproduit  les  anachronismes,  \e^ 
trahisons,  et,  on  peut  le  dire,  les  contre  sens  de  l'interpréta- 

1.  Kaaàvopa.  4>ô6ov  ^6[loi  rcvéouaiv  at(iaTO«TTaYT,. 
Xopôç.         Ka\  1CCÔ;  toS'  o'Cei  Ou(iâT(i>v  èçETT^wv. 
KaTdcvSpa.  "Ofxoio;  àT(iô;,  tûtm&p  ix  xiçou,  icplicei. 

(-  Agamemnon  -,  p.  71.) 

2.  Macbeth,  acte  V,  se.  i.  56-58. 


«   AGAMEMNON.   »  863 

tion  donnée  par  Thomson  du  drame  eschylien.  Le  grand  effort 
de  son  style  est  vers  la  majesté.  Tout  le  monde  doit  parler  avec 
noblesse;  et  ni  dans  les  explosions  de  colère  de  Clytemnestre 
ou  d'Égisthe,  ni  dans  les  fureurs  prophétiques  de  Cassandre, 
les  droits  du  beau  langage  ne  sont  oubliés.  Voici  en  quels 
termes  le  rois  des  rois,  à  son  retour,  salue  sa  femme  :  a  0  laisse- 
«  moi  te  presser  sur  mon  cœur  palpitant  qui  veut  prendre  son 
«  vol  pour  aller  se  confondre  avec  le  tien  *  ».  Dès  la  première 
scène,  Clytemnestre  exprime,  à  grand  renfort  de  prosopopées, 
ses  angoisses  et  ses  regrets.  Dans  un  passage  de  douze  vers  elle 
apostrophe  tour  à  tour  les  souvenirs  de  l'amour  d'Ëgisthe, 
«  sirènes  perfides  »,  la  nature  qui  a  mis  dans  les  âmes  humaines 
des  forces  opposées,  et  enfin  la  raison  qui  la  torture.  Les  pro- 
cédés familiers  de  la  rhétorique  sont  mis  en  usage;  mais  sur- 
tout l'inversion,  la  suspension  et  la  répétition  des  termes  ^  Et 
enfin,  dans  cette  recherche  du  style  noble  et  du  langage  élégant 
Thomson  arrive  parfois  aux  pires  excès  du  mauvais  goût  pré- 
tentieux. Cassandre  prophétise  l'assassinat  prochain  d'Aga- 
memnon.  Il  sera  frappé  pendant  son  bain  a  et  bientôt  le  sang 
fera  rougir  l'eau  innocente  '  ». 

En  dépit  de  l'elfort  de  l'auteur,  le  style  ne  se  maintient  pas 
toujours  à  cet  état  de  noblesse  soutenue.  Cette  tension  continue 
fatigue  le  lecteur  et  sans  doute  aussi  l'écrivain.  Quand  elle  se 
relâche,  le  dialogue  tombe  à  plat  ;  et  le  contraste  avec  le  ton 
général  ajoute  à  la  lamentable  pauvreté  des  passages  où  le 
poète  n'est  plus  guindé  sur  le  cothurne.  Par  exemple,  la 
confidente  de  Clytemnestre  termine  un  passage  de  style 
aussi  prétentieux  que  le  veut  le  goût  du  jour  sur  un  ton  de 
bonhomie  inattendu  :  <c  Sure,  'tis  too  much,  my  queen  *  »;  ou 
bien  elle  interrompt  une  pompeuse  énumération  des  torts 
du  malheureux  Agamemnon  par  une  parenthèse  telle  que 
celle-ci  :  a  But  that  apart  ^  ». 

La  dernière  scène  du  1"  acte  fait  paraître  devant  Clytem- 

1.  «0  let  me  pross  thoe  to  my  flutleriDg  soiil; 
That  is  on  wiog  to  mix  itself  wilh  Ihine.  » 

(Acte  II,  se.  1.) 

2.  Voir  des  exemples  dans  acte  1,  se.  i;  acte  II,  se.  ii;  acte  HI,  se.  ii; 
acte  IV,  se.  v;  acte  V,  se.  ii,  se.  viii. 

3.  •  Soon  will  Ihe  guillless  waters  blush  with  blood.  » 

(Aele  V,  se.  m.) 

4.  Acte  I,  se.  1.  —  5.  Acte  I,  se.  i. 


564  JAMES  THOMSON. 

nestre  un  envoyé  du  roi.  La  scène  est  exactement  celle  du 
premier  acte  de  «  l'Amphitryon  »  de  Molière.  Il  est  difficile 
d'échapper  à  cette  impression  que  le  ton,  l'allure  générale  du 
style  sont  les  mêmes  dans  la  grave  tragédie  et  dans  Tirrévé- 
rente  comédie.  Est-ce  Clytemnestre  et  Talthybius  que  nous 
entendons,  ou  n'est-ce  pas  Sosie? 

Comment  se  porte  le  roi? 

Madame,  le  roi  se  porte  bien. 


Son  (XPur,  impatient  de  conférer  avec  le  vôtre, 
M'envoie  en  avant  avec  ses  plus  chaleureux  souhaiU 
Ses  plus  chaleureux  compliments. 

A  un  seul  rivage,  à  grand'peine  nous  avons  touché 
Non  sans  courir  un  danger. 

Et  pourquoi? 

Madame,  contraints 

Par  la  pitié  sacrée  *. 

C'est  le  même  ton  dans  le  dialogue;  c'est  le  même  récit 
emphatique  d'une  tempête  chez  Talthybius  comme  d'une 
bataille  chez  Sosie*;  et  pour  compléter  Tillusion,  Talthybius 
apporte  aussi  un  riche  cadeau  d'Agamemnon  à  Clytemnestre. 

I.  •  How  fares  Ihe  king?  » 

«  Madam,  ihe  king  is  well; 


His  hearl  impatient  to  confer  with  yours, 
Scnds  me  befbre  him  wilh  ils  warmesl  wishes. 
Us  warmest  gralulations. 

This  crown  which  circled  once  the  royal  brows 
Of  Hecuba,  of  Priam's  lofly  queen, 
He  prays  you  to  accept  ». 

«  There  set  it  down.  • 

«  Only  al  one,  with  much  ado,  we  toach'd. 

Net  without  risque.  » 

«  And  why?  » 

«  Madam,  compelled 
By  sacrcd  pity.  » 

2.  Il  y  a  là  dans  la  tragédie  anglaise  un  souvenir  de  VAgamemnon  de 
Sénèque.  Le  récit  delà  tempête  y  ost  le  grand  morceau  de  bravoure  de  li 
pièce.  Il  y  occupe  cent  cinquante  vers  (de  416  à  469). 


1 


«   AGAMEMNON.   »  565 


IV 

Il  est  évident  que  Thomson  ne  prend  ni  ne  conserve  sans 
un  effort  pénible  le  ton  de  la  tragédie.  <i  Agamemnon  »  nous 
présente  plus  souvent  que  <c  Sophonisbe  »  des  réminiscences 
qui  ressemblent  à  des  emprunts. 

How  art  thou  fallen  !  to  what  dishonour  fallen  *  ! 

est  un  souvenir  direct  de  Milton.  Ailleurs  ce  sont  des  mouve- 
ments de  phrase  où  se  rencontrent  les  particularités,  les  pro- 
cédés de  style  les  plus  connus  du  grand  poète  épique  : 

Still  on  my  thoughts  your  strange  delivery  dwells. 

By  Agamemnon  leH  to  aid  the  Queen 

With  faithful  counsel,  whilc  hc  warrM  ai  Troy  : 

And  thus  by  Agamemnon  to  be  savM, 

Returning  from  that  conquest!  wondrous  chance  ! 

Or  rather  wondrous  conduct  of  the  gods  ! 

By  mortals,  from  their  blindness,  chance  misnam'd  «. 

He  comes  !  he  comes  !  Ihe  hapless  victor  cornes  ^  ! 

s'écrie  Clytemnestre  en  proie  à  la  honte  et  à  la  crainte.  C'est 
un  souvenir  assez  singulièrement  employé  de  l'exclamation 
joyeuse  qui  annonce  l'arrivée  de  Bacchus  dans  l'ode  célèbre 
de  Dryden. 

Mais  c'est  principalement  sur  le  maître  du  théâtre  anglais 
que  s'appuie  Thomson.  Malheureusement  il  n'est  donné  à  per- 
sonne d'imiter  cette  langue  si  conforme  à  la  vérité  des  carac- 
tères et  des  situations  que  les  personnages  semblent  n'en  pou- 
voir parler  une  autre,  mais  si  riche  en  même  temps  de  beauté 
poétique,  et  toute  chargée  de  puissance  dramatique.  Tantôt 
c'est  une  énergique  pensée  de  Shakespeare  que  Thomson 
reproduit  en  l'afTaiblissant  singulièrement  : 

He  who  the  falhers's  hearl 
More  lender  has  than  mine,  too  lender  has  it  ^. 

1.  Acte  I,  se.  iv.  —  2.  Acte  IH,  se.  i.  —  3.  Acte  I,  se.  m. 
4.  Acle  II,  se.  11.  —  Cela  ressemble  un  peu  à  une  parodie  des  vers  de 
Macbeth  : 

«  I  dare  do  ail  that  may  become  a  man  ; 
Who  dares  do  more  is  none.  •* 

(Acte  I,  se.  viif  46.) 


866  JAMES  THOMSON. 

1  am  not  jealous  ; 

In  me  that  passion  and  contcmpl  were  one  ^ 

nous  offre  la  transposition  d'un  passage  célèbre  d'  €  Othello  i. 
Ce  sont  les  paroles  du  Maure  dépouillées  de  tout  ce  que  l'on 
y  sent  frémir  de  fierté  et  de  douloureuse  angoisse  *. 

L'imitation  est  parfois  plus  heureuse.  Dans  la  première 
scène  de  l'acte  III  le  récit  fait  par  Mélisandre  de  son  enléfe- 
ment  et  de  son  abandon  sur  une  ile  déserte  rappelle  assez  le 
mouvement  et  le  ton  des  narrations  de  style  tempéré  qui 
marquent  quelquefois  un  repos  dans  le  drame  de  Shake- 
speare. 

Du  reste  ces  réminiscences  ou  ces  imitations  directes  sont 
trop  nombreuses  pour  que  nous  les  relevions  toutes.  Nous 
nous  contenterons  d'en  signaler  quelques-unes  encore  dans 
les  différentes  parties  de  la  tragédie. 

L'emploi  un  peu  étrange  du  pronom  she  comme  substantif: 
«  Ill-fated  she!  —  Who  must  forgive  '  »  est  sans  doute  justifié 
aux  yeux  de  l'auteur  par  les  exemples  analogues  de  Shake- 
speare *.  m  Cousin,  I  greet  you  well  »  nous  fait  entendre,  avec 
un  à-propos  contestable,  une  des  formules  de  salutations  ordi- 
naires sur  la  scène  de  Shakespeare,  a  Thus  filch  away  my 
crown  ^  »,  semble  d'une  énergie  un  peu  brutale  au  milieu  du 
langage  noble  des  personnages;  c'est  évidemment  un  sou- 
venir d'un  passage  célèbre  d'  «  Othello  *  ». 

Dans  la  même  scène,  deux  vers  plus  loin  : 

One  timely  dccd 

Is  wortli  ton  Ihousand  \vords, 

1.  Agatnemnon,  acte  UI,  se.  ii  (vers  la  fin). 

2.  «  Thiuk\st  Ihou  Tld  make  a  lifc  of  jealoiisiy, 
To  follow  still  ihe  changes  of  llie  moon 

Witli  fresh  suspicions?  No,  to  be  once  in  douhl 
Is  once  lo  be  resolved  : 


Aud  on  Ihc  proof,  there  is  no  more  but  Ihis, 
Away  al  once  willi  love  or  jealousy!  • 

3.  Aganiemnon,  acte  I,  se.  iv. 

Ai  •  Poor  she.  •  (Lucrèce,  1674).  «  The  cruellest  she  alive.  •  {Twel/lh 
Night,  acte  I,  se.  v,  259.) 

5.  Acte  ni,  se.  n. 

6.  «  But  he  that  filches  from  me  my  f^ood  name.  »  {Othello,  acte  111* 
80.  in,  139.) 


«   AGAMEMNON.   »  567 

est  une  leçon  affaiblie  du  mot  de  Macbeth  : 

Words  to  the  heat  of  deeds  too  cold  breath  gives  *. 

L'épisode  de  Mélisandre,  la  description  de  la  grotte  où  vit  le 
naufragé,  ses  réflexions  sur  l'instinct  de  sociabilité  des  hommes, 
tout  cela  rappelle  certains  passages  de  a  Cymbeline  '  »  et  de 
€  Comme  il  vous  plaira  »  où  il  semble  que  circule  Tair  pur  et 
libre  des  grandes  solitudes.  Avec  une  mélancolie  moins 
exquise,  c'est  bien  un  imitateur  du  Jaques  de  Shakespeare 
qui  s'exprime  ainsi  : 

I  was  obliged 

In  faithless  snares  to  seize,  which  truly  griev'd  me, 
My  sylvan  fricnds,  that  ne'er  till  then  had  known, 
And  Iherefore  dreaded  less,  the  tyrant  man. 


Thus  of  Ihe  great  community  of  nature 
A  denizen  1  livcd  '.... 

Oreste  échappe  à  l'assassinat  où  périt  son  père  comme 
Fleance  dans  Macbeth ^  et  lexclamation  de  lady  Macbeth 
se  retrouve  dans  le  mot  d'Égisthe  :  «  0  nothing  then  is  done  *  I  u 
Jusqu'à  la  fm  les  souvenirs  du  grand  drame  de  Shakespeare 
se  pressent.  Clytemnestre  égarée  voit,  comme  Macbeth,  sa 
victime  apparaître  à  ses  yeux  : 

In  every  eyc  Ihere  is  a  dagger  '. 

I  cannot  step, 

Unlesâ  I  stccp  my  shivering  feet  in  blood  *. 

Knfm  dans  la  dernière  scène,  Égisthe  se  préparant  à  repous- 
ser l'attaque  du  peuple  révolté  s'écrie,  à  peu  près  comme 
.Nfacbeth  : 

We  this  important  day 

Will  or  with  conquest  crown,  or  bravely  die  '. 

1.  Macbethy  acte  II,  ac.  i,  61. 

2.  Cymbeline,  acte  III,  se.  vi  ;  acte  IV,  se.  ii. 

3.  Cf.  As  You  like  It,  acte  II,  se.  i,  de  22  à  63. 

4.  Ayamemnon,  acte  V,  se.  vu.  Cf.  Macbeth,  acte  III,  se.  ii,  4. 
3.  Agamemnon,  acte  V,  se.  viu. 

6.  Cf.  Macbeth,  acte  in,  se.  iv,  13C,  137. 

7.  Cf.  Macbeth,  acte  V,  se.  i,  20. 


568  JAMES  THOMSON. 

Évidemment  cette  tragédie  que  les  contemporains  de  Tautair 
ont  condamnée  ne  trouverait  pas  grâce  aujourd'hui.  Notre 
connaissance  des  diverses  littératui^Bs  et  la  notion  que  nous 
avons  des  exigences  du  drame  nous  rendraient  plus  sévères 
que  les  spectateurs  de  Drury  Lanê.  Nous  pourrions  moins 
qu'eux-mêmes  nous  intéresser  à  la  représentation  de  la  tra- 
gédie sur  la  scène,  et  nous  ne  lisons  plus  cette  œu\Te  qui 
trouva  auprès  d'eux  un  très  honnête  succès  de  librairie. 


V 


Et  cependant,  outre  l'intérêt  qu'elle  présente,  et  sur  lequel 
nous  reviendrons  à  propos  d'une  autre  pièce,  de  manifeste! 
un  effort  personnel  de  Thomson  sur  la  scène  anglaise,  la  pièce 
ne  manque  ni  de  vers,  ni  de  scènes-  dignes  d'un  vrai  poète. 
Au  milieu  de  cette  végétation  d'ïambes  héroïques,  secs  et 
monotones,  on  est  de  temps  en  temps  charmé  de  rencontrer, 
comme  une  fleur  dans  les  chaumes,  un  vers  de  poète,  harmo- 
nieux et  gracieux  : 

0  woods  !  o  fountains  !  o  delightful  meads. 

C'est  le  début,  et  ce  n'est  pas  le  seul  vers  heureux  de  la  triste 
cantilène,  coupée  par  les  gémissements  du  chœur,  où 
Cassandre  salue  la  mort  qui  s'approche  et  dit  adieu  à  ses 
compagnes  *.  Également  bien  venu  est  le  passage  où  Texcellent 
Mélisandre  développe  le  mot  bien  connu  de  Virgile  : 

Non  ignara  mali  miseris  succurrere  disco.    ' 

Il  célèbre  la  douleur  en  des  vers  où  la  délicatesse  de  la  pensée 
et  l'humaine  pitié  ne  sont  pas  trop  étouffées  sous  la  pompe  de 
la  déclamation  : 

Sweet  source  of  every  virlue, 

Osacrcd  sorrow!  '... 

Les  vers  fermes  et  vigoureusement  lancés  ne  manquent  pas 
non  plus  dans  les  passages  de  très  faible  valeur  dramatique 

1.  Acte  IV,  «c.  III.  —  2.  Acte  V,  se.  m.  • 


«   AGAMEMNON.   »  .  869 

OÙ,  par  la  bouche  de  ses  personnages,  Thomson  parle  au 
public  des  événements  politiques  du  jour,  attaque  la  vénalité 
du  parlement  que  dirige  Walpole  ou  le  choix  fait  par  le  sou- 
verain de  ministres  sans  probité  '.  La  scène  où  le  poète  met  en 
présence  Agamemnon  et  les  deux  enfants  qu'il  revoit  avec  tant 
de  joie,  cette  scène  dont  il  n*a  pas  trouvé  Tidée  chez  ses 
devanciers,  est  tout  entière  heureuse  *.  Oreste  y  parle  avec 
l'ardeur  modeste  d'un  jeune  héros;  Electre  y  montre  un 
mélange  de  tendresse  et  de  fierté  qui  sied  à  la  sœur  dlphi- 
génie. 

Enfin,  bien  que  trop  rares  à  notre  gré,  les  beaux  vers  des- 
criptifs ne  sont  pas  entièrement  absents.  Tantôt  ils  constituent 
un  hors-d'œuvre  poétique  comme  dans  cette  dernière  scène  de 
l'acte  IV  où  Mélisandre  décrit  l'aspect  de  la  ville  sur  laquelle 
tombe  la  nuit  et  s'étend  le  silence  : 

The  tempest  falls , 

The  weary  winds  sink,  breathless. 

Tantôt,  plus  intimement  mêlés  à  la  contexture  du  drame, 
ils  y  font  entendre  un  accent  de  sincérité  et  de  réalité,  comme 
dans  ce  récit  où  Mélisandre,  abandonné  sur  une  ile  déserte, 
voit  s'éloigner  la  barque  qui  l'a  conduit  à  terre  : 

I  never  heanl 

A  Sound  so  dismal  as  their  parting  oars  >. 


1.  Acte  ni,  se.  I  et  II.  —  «  I  remember  in  Agamemnon  the  following 
speech  was  greatly  applauded  : 

>  ....  But  the  most  fruitful  source 
Of  every  evil  —  0  that  I  in  thunder 
Could  Sound  it  o'er  the  list'ning  world  to  kings  — 
Is  delegating  power  te  wicked  hands.  » 

(Memoirs  ofthe  Life  ùf  David  Garrick,  by  Thomas  Davibs,  vol.  II,  p.  32.) 

2.  Acte  11,  se.  m. 

3.  Acte  III,  se.  I.  —  A  propos  de  cette  tragédie  il  convient  de  rappeler 
une  tentative  qui  fait  honneur  au  poète.  Son  Agamemnon  n'est  pas  suivi 
de  l'épilogue  burlesque  dont  s'accompagnaient  alors  les  tragédies.  C'est  le 
seul  exemple  avec  la  •  Sémiramis  •  de  Sheridan,  dit  le  critique  du  Quar- 
terly  Review  (sept.  1812,  p.  174). 


CHAPITRE  III 


((    EDWARD   AND   ELEONORA    » 


I 


Les  sujets  antiques  des  deux  premières  tragédies  n'avaient 
obtenu  qu'un  succès  modeste.  Thomson  ne  s  obstina  pas,  et, 
dès  l'année  suivante,  il  faisait  jouer  le  drame  d'Edivard  and 
Eleonora,  conçu  selon  une  formule  très  diflférente. 

Non  pas  que  le  poète  renonce  aux  doctrines  de  l'école  clas- 
sique. Il  en  respecte  scrupuleusement  les  règles  extérieures. 
L'unité  de  temps,  l'unité  de  lieu,  l'unité  d'action  y  sont  aussi 
rigoureusement  observées  que  dans  les  deux  premières  pièces. 
Mais  le  poète  s'incline  devant  l'opinion  du  public  qui  trouve 
trop  aride  et  trop  nue  la  tragédie  classique  d'  «  Agamemnon  »; 
il  s'eflbrce  d'introduire  dans  son  œuvre  nouvelle  de  nouveaux 
éléments  d'intérêt.  Nous  pouvons  facilement  imaginer  quelle 
influence  il  subit  à  ce  moment,  et  de  quel  modèle  il  s'inspire. 
Voltaire  est  depuis  plusieurs  années  le  maître  de  la  scène 
française.  S'il  a  reçu  de  l'Angleterre  une  impression  pro- 
fonde et  permanente,  il  exerce  de  son  côté  une  action  efficace 
et  très  apparente  sur  les  lettres  et  en  particulier  sur  le  thécltre 
d'outre-Manche.  C'est  bien,  nous  allons  le  voir,  sa  formule  de 
la  tragédie  renouvelée  et  rajeunie  que  nous  retrouvons  dans 
«  pMouard  et  Éléonore  ». 

L'intrigue,  sans  être  touffue  ni  compliquée,  présente  une 


«  EDWARD  AND  ELEONORA.  »  57i 

ingénieuse  subtilité  dont  n'aurait  que  faire  une  tragédie  fondée 
sur  un  duel  de  passions.  On  connaît  la  légende  apocryphe 
d'après  laquelle  Éléonore  de  Gastille,  femme  d'Edouard,  le 
futur  Edouard  l",  aurait,  au  péril  de  sa  vie,  sauvé  son  mari  en 
suçant  le  poison  de  la  blessure  dont  il  mourait  * .  Le  sujet  fournit 
des  scènes  émouvantes  et  qui  prêtent  à  ces  «  retournements  » 
de  situation  où  les  dramaturges  ont  de  tout  temps  recherché 
des  effets  frappants.  Éléonore  se  désole  quand  Edouard  semble 
voué  à  une  mort  inévitable.  Mais  pendant  le  court  intervalle 
d'un  entr'acte,  et  d'une  syncope  du  blessé,  une  complète  trans- 
formation s'est  opérée.  L'acte  suivant  nous  montre  Edouard 
rendu  à  la  santé,  et  c'est  lui  qui  se  lamente  à  son  tour  en 
voyant  Éléonore  en  proie  au  mal  dont  elle  Ta  délivré.  Ajoutez 
à  cette  double  scène  les  adieux  du  prince  à  ses  amis,  à  sa 
patrie,  à  ses  rêves  de  gloire,  et  ceux  de  la  jeune  mère  à  ses 
enfants.  Les  sources  du  pathétique  coulent,  on  le  voit,  abon- 
damment. 

Où  trouver  en  même  temps  une  intrigue  plus  propre  à 
tenir  en  haleine  Tintérèt  et  la  curiosité  de  l'auditeur  par  l'im- 
prévu des  péripéties?  Edouard  a  été  blessé  à  mort,  et  c'est 
Éléonore  qui  se  trouve  mourir  de  cette  blessure.  Mais  un  der- 
viche est  venu  au  camp  du  chef  anglais,  et  lui  apporte  un 
merveilleux  contrepoison;  si  bien  qu'après  la  miraculeuse 
guérison  d'Edouard,  nous  avons  la  guérison  également  mer- 
veilleuse d'Éléonore. 

Nous  ne  dirons  point  que  Timitation  de  Voltaire  explique 
dans  cette  pièce  les  allusions  politiques,  comme  elle  peut 
expliquer  la  recherche  des  effets  pathétiques  et  des  combinai- 
sons ingénieuses  de  Tintrigue.  Il  est  évident,  pour  ce  qui 
regarde  a  Edouard  et  Éléonore  »,  que  ces  allusions  sont  l'objet 

I.  Quelques  réserves  que  fasse  l'histoire,  la  poésie  el  Tari  ont,  c'est  leur 
droit,  retenu  la  touchaute  légende.  Tennyson  fait  une  place  a.  Éléonore 
dans  la  théorie  des  femmes  héroïques  et  aimantes  qu'il  voit  eu  rêve 
passer  devant  ses  yeux  : 

•  Or  lier,  who  knew  that  Love  can  vanquish  Death 
Who  kneeling,  wiih  qne  arni  about  her  king, 

Drew  forth  the  poison  with  hcrbalmy  brcalh, 
Swect  as  ncw  buds  in  Spring.  > 

{A  Dream  of  Fuir  Womcn.) 

Le  sculpteur  Thomas  Woolner  commença  une  carrière  qui  devait  être 
brillante  en  exposant  à  T  «  Academy  »,  en  1843,  un  groupe  représentant 
EUonora  suckinQ  the  Poison  from  the  wound  of  Prince  Edirard. 


S73  JAMES  THOMSON. 

même  de  Tœuvre  et  expliquent  le  choix  du  sujet.  Le  héros  de 
la  tragédie  est  un  futur  roi  d'Angleterre.  Dès  la  première 
scène  on  nous  fait  savoir  qu'il  est  l'objet  de  l'amour  et  de$ 
espérances  du  peuple.  Le  vieux  roi,  auquel  on  accorde  par 
bienséance  quelques  éloges,  est  la  victime  de  conseillers  indi- 
gnes iL  qui  le  retiennent  captif  dans  de  honteuses  chaînes  i. 
a  qui  font  marché  de  son  honneur  ». 

A  côté  de  ces  attaques  contre  Walpole,  le  ministre  détesté, 
le  public  devait  saisir  aussi  facilement  les  louanges  adressées, 
à  propos  d'Edouard,  à  Frédéric,  prince  de  Galles.  Peut-être  il 
est  vrai,  les  spectateurs  ne  s'associaient-ils  pas  aussi  cordiale- 
ment à  cette  apologie.  Quoiqu'on  sût  gré  au  prince  de  s'être 
mis  à  la  tète  de  l'opposition  dirigée  contre  Georges  II,  contre 
sa  cour  et  contre  son  ministre,  les  bourgeois  de  Londres 
n'étaient  pas  comme  Thomson  aveuglés  par  la  reconnais- 
sance ;  ils  jugaien  t  à  sa  valeur  le  piètre  personnage  '.  Quoi  qu'il 
en  soit,  le  poète  paie  en  compliments  enthousiastes  sa  dette  de 
gratitude.  Gloster  et  Theald  rivalisent  d'éloges  du  jeune 
prince.  Ils  soulignent,  par  opposition  aux  influences  étran- 
gères qui  dictent  la  conduite  des  ministres  (et  il  faut  sous- 
entendre  aussi  celle  du  roi),  le  caractère  profondément  national 
que  doit  prendre  la  politique  d'Édouard-Frédéric  Le  héros 
lui-même  prend  soin  d'affirmer  ses  vertueux  et  patriotiques 
sentiments  : 

((  0  ma  patrie,  il  n'est  rien  que  pour  toi  je  ne  sois  prêt  à 
«  souffrir  V  » 

Et  pour  que  ce  patriotisme  ne  paraisse  point  suspect,  il 
s'accompagne,  on  ne  sait  trop  à  quel  propos,  d'une  haine 
vigoureuse  pour  la  France,  l'alliée  qui  hier  combattait  aui 
côtés  d'Edouard,  la  rivale  contre  laquelle  Walpole  ne  mani- 
feste pas  assez  de  belliqueuse  ardeur. 

a  France  perfide!  que  désormais  l'objet  suprême  de  ma  vie 
a  entière,  que  la  passion  de  mon  àme,  soit  de  t'humilier, 
«  orgueilleuse  nation!  '  d 

Une  chose  qui  dans  cette  œuvre  relève  nettement  de  Voltaire 
et  de  son  esthétique  dramatique,  c'est  le  souci  de  la  cou- 
leur locale,  aussi  nouveau  sur  la  scène  anglaise  du  xvin"  siècle 


1.  Voir  noire  Biographie  de  Thomson,  p.  107.  —  2.  Acte  II,  se.  i.  — 
3.  Acte  I,  8C.  I. 


«   EDWARD  AND   ELEONORA.   »  573 

qu'il  pouvait  l*être  sur  la  scène  française.  La  tentative  est 
timide  et  reste  fort  gauche,  mais  elle  est  curieuse  et  mérite 
d'être  signalée.  On  ne  trouverait  guère  dans  les  tragédies  les 
plus  exotiques  des  poètes  de  cette  époque  la  moindre  préoccu- 
•pation  de  mettre  dans  le  langage  des  personnages  quelque 
reflet  de  leur  race,  ou  de  leurs  mœurs.  Les  Égyptiens  de 
Btuiiris  n'ont  pas  d'autre  façon  de  s'exprimer  que  les  Maures 
de  The  Revenge,  Le  roi  nègre  à'Oroonoko  parle  une  langue 
aussi  pompeuse  et  aussi  noble  qu'aucun  monarque  de  tra- 
gédie. Il  n'en  est  plus  tout  à  fait  ainsi  dans  la  pièce  de 
Thomsou.  Sans  doute  nous  ne  trouverons  rien  d'asiatique  ni 
de  musulman  dans  l'âme  de  Selim  ni  dans  celle  de  Daraxa; 
mais  leur  langage  au  moins  prétend  parfois  nous  rappeler  les 
brillantes  images  et  les  cérémonieuses  périphrases  qu'affectent 
les  langues  de  l'Orient.  Voici,  par  exemple,  en  quels  termes 
Daraxa  parle  de  Selim  : 

Selim!  le  roc  de  la  foi,  et  le  soleil  de  Thomme  *. 

Et  quand  elle  parle  d'Éléonore  c'est  :  a  Une  rose  laissant 
c  doucement  retomber  sa  tête  dans  les  vallées  Sabéenncs, 
c  sous  la  rage  meurtrière  de  l'ardente  canicule  *  ». 

Sélim  de  son  côté  parle,  en  bon  musulman,  de  l'ange 
farouche  qui  chasse  devant  lui  les  morts  ^\  il  emploie,  pour 
peindre  l'état  de  son  âme  après  sa  réconciliation  avec  celle 
qu'il  aime,  une  richesse  poétique  d'images  qui  se  propose  évi- 
demment d'être  orientale  : 

«  Cette  réconciliation  a  calmé  mon  sein  troublé,  elle  y  a 
«  versé  une  tendre  joie  ;  comme  lorsque  d'abord  le  printemps, 
c  sur  le  sommet  adouci  du  Liban,  dénoue  ses  tresses  char- 
«  mantes  et,  du  sommet  du  Garmel,  répand  ses  trésors 
«  fleuris  ^.  » 

Ce  scrupule  de  couleur  locale  n'est  pas  poussé  très  loin.  Le 
sultan  et  sa  ûancée  n'ont  rien  d'oriental  que  dans  le  langage. 
Encore  ne  restent-ils  pas  toujours  fidèles  à  leur  rôle.  Le  poète 
a  piqué  çà  et  là  quelques  ornements  appropriés.  Le  contraste 
entre  ces  broderies  surajoutées  et  la  trame  du  style  est  parfois 


1.  Acte  I,  8C.  VI.  —  2.  Acte  UI,  se.  iv.  —  3.  Acte  IV,  se.  m.  —  4.  Acte  V, 
se  1. 


K74  JAMES  THOMSON. 

singulier.  Au  début  du  V«  acte,  Selim,  après  reffusion  lyrique 
où  il  fait  intervenir  le  Liban  et  le  Carmel,  le  printemps  ets« 
fleurs,  retombe  brusquement  à  la  plus  fade  banalité  : 

Il  ne  reste  plus  maintenant  qu'à  voirie  prince. 

Cette  préoccupation  assez  nouvelle  sur  la  scène  anglaise 
mérite  cependant  d'être  retenue;  quelque  succès  qui  Tait  accom- 
pagnée. C'est  un  nouvel  indice  de  cet  effort  du  poète  vers  un 
rajeunissement  et  un  développement  de  la  forme  dramatique. 
Cet  indolent,  qui  faisait  paraître  deux  tragédies  à  une  année 
d'intervalle,  tentait  vaillamment  et  parfois  ingénieusement  de 
modifier  sa  manière.  Après  être  remonté  jusqu'au  drame 
archaïque  de  la  Grèce,  nous  le  voyons,  avec  Voltaire,  prévoir 
et  annoncer  une  des  trouvailles  dont  s'est  piqué  notre  roman- 
tisme moderne. 

Voici  encore  un  trait  par  lequel  ces  tragédies  si  oubliées,  si 
dédaignées,  où  Ton  s'attend  à  ne  trouver  qu'une  poncive  imi- 
tation des  modèles  du  passé,  devancent  leur  temps  et  annon- 
cent l'avenir.  C'est  bien  l'attitude  d'un  personnage  tout 
moderne,  d'un  héros  du  romantisme,  que  celle  d*£dward, 
quand,  mêlant  la  nature  aux  émotions  de  son  cœur,  il  la  voit 
à  travers  ses  humeurs  variables  et  la  modifie  au  gré  des  chan- 
gements de  ses  passions.  —  Rendu  à  la  santé,  à  la  vie,  il  goûte 
la  beauté  de  ce  monde  qu'il  ne  croyait  plus  revoir  : 

Salut  à  la  terre  plus  fraîche,  au  jour  plus  brillant! 
Une  lassitude  qui  n'est  pas  sans  charme  pèse  sur  moi  : 
Comme  la  douce  palpitation  de  la  mer  calmée. 
Après  im  orage  *. 

Mais  quand  sa  chère  Éiéonore  se  meurt  consumée  par  le  mal 
dont  elle  Ta  sauvé,  cette  même  nature  qu'il  associait  à  ses  joies 
devient  pour  lui  un  sujet  d'horreur  : 

Soleil,  je  te  hais,  j'abhorre  la  himicro 

Qui  ne  me  montre  plus  Klt'onorc!  0  terre,  tu  as  perdu 

Avec  Eiéonore  toute  joie,  toute  douceur,  tout  ce  qui  me  n*ndail 

Tes  voies  délicieuses  '. 


1.  Acte  III,  se.  II. 

2.  Acte  IV,  8C.  VI. 


«   EDWARD   AND   ELEONORA.    »  575 


II 


Nous  avons  noté  les  influences  dont  la  trace  se  retrouve  dans 
cette  tragédie,  et  les  caractères  qui  la  recommandent  à  Tatten- 
lion  d'un  historien  des  lettres  anglaises.  Que  vaut-elle  en  elle- 
même?  Elle  n'est  pas  aussi  totalement  dénuée  de  mouvement 
que  le  sont  beaucoup  des  tristes  productions  dramatiques  de 
cette  époque.  Mais  i^ar  quelles  ressources  d'une  invraisem- 
blance naïve  l'action  se  développe  !  Le  poison  merveilleux  du 
«  Vieux  de  la  Montagne  »  en  est  le  ressort  principal.  Ce  poison 
qui  produit  un  effet  prompt  et  terrible,  et  qui  cependant  peut 
être  aspiré  et  transféré  d'un  patient  à  un  autre;  qui  a  même  au 
dernier  moment  »  est  entièrement  aniiiilé  par  le  puissant 
remède  de  Selim  ;  ce  poison,  qui  doit  tuer  tour  à  tour  Edouard 
et  Kléonore  et  dont  personne  ne  meurt,  est  digne  d'un  art  dra- 
matique tout  enfantin.  Moins  original,  mais  non  pas  plus  vrai- 
semblable, est  l'épisode  de  ce  sultan  chevaleresque  qui  s'intro- 
duit sous  un  déguisement  dans  le  champ  des  chrétiens  pour  y 
sauver  Éléonore  et  y  revoir  sa  maîtresse.  Si  nous  ajoutons  que 
le  mouvement  du  drame  est  tout  entier  dans  les  faits  extérieurs, 
que  la  psychologie  des  personnages  n'ofTre  pas  même  cet  effort 
vers  la  complexité  vivante  et  tragique  que  nous  avons  relevée 
dans  Agamemnon,  nous  pourrons  dire  que  l'œuvre,  sans  vrai- 
semblance dans  l'action,  sans  richesse  psychologique  et  sans 
puissance  de  création  dramatique  ne  vaut  que  par  un  petit 
nombre  descènes  qui  pouvaient  fournir  l'occasion  d'éloquentes 
ou  de  pathétiques  tirades.  C'est  tout  au  plus,  en  fait  de  drame, 
de  l'art  d'opéra.  Or,  à  ce  libretto  médiocre  le  poète  n'a  ajouté 
qu'une  très  médiocre  musique.  Les  drames  de  Victor  Hugo, 
pour  ne  parler  que  du  premier  des  dramaturges  romantiques, 
n'offrent  pas  plus  de  vraisemblance  dans  l'action,  et  pas  beau- 
coup plus  d'humaine  vérité  dans  les  personnages;  mais  la 
musique  y  est,  le  charme  d'une  langue  sonore  ou  caressante,  la 
magie  d'une  atmosphère  de  poésie,  et  le  chant  lyrique  propre 
à  faire  oublier  les  pauvretés  de  l'intrigue  et  l'irréalité  des 
héros.  —  Ici  rien  de  pareil.  La  langue  est  plus  facile  et 
plus  alerte  que  celle  des  deux  premières  tragédies.  Peut-être 
parce  que  l'œuvre  a  dû  être  produite  plus  vite,  on  y  sent  moins 


576  JAMES  THOMSON. 

constamment  reflbrt  vers  la  noblesse  et  la  |K)inpe  du  style. 
Mais  si  nous  évitons  cette  fois  la  déclamation  boursouflée, 
c'est  pour  trouver  chez  le  poète  une  langue  le  plus  sou- 
vent terne  et  plate.  Le  vers  blanc  ainsi  traité,  sans  J'em- 
phase  tragique  et  sans  le  chant  poétique,  devient  quelque 
chose  de  flasque  et  d'incolore.  La  teneur  générale  du  dia- 
logue est  insipide  et  molle  sauf  dans  les  quelques  occasions  où 
récrivain  croit  devoir  plaquer  sur  sa  toile  aux  tons  effacés 
quelques  touches  tapageuses,  comme  celles  que  nous  avons 
notées.  Les  effets  d'intense  émotion  sont  eux-mêmes  rendus 
souvent  d'une  façon  peu  digne  de  l'industrieux  ouvrier  que  se 
montre  Imbituellement  notre  poète.  Il  se  contentera  d'une 
série  d'exclamations  : 

Misery!  distraction! 

0  love!  o  shame!  o  murder'd  Elconora!  * 

Ou  même  d'un  procédé  plus  simple  encore.  —  Éléonore  fait 
valoir  les  motifs  qui  rendent  la  vie  du  prince  plus  utile  que  Ja 
sienne.  Elle  en  vient  à  nommer  leurs  enfants,  et  Edouard 
exprime  les  sentiments  qui  le  déchirent  au  moyen  du  monosyl- 
labe pour  lequel  Thomson  a  une  si  fâcheuse  partialité  : 

ELEONORA 

Our  children! 

EDWARD 

Oh! 

ELE0X0R.V 

Our  young,  our  helpless.... 

EDW.VRD 

Oh!  « 

Les  passages  de  poétiques  descriptions  sont  eux-mêmes 
presque  complètement  absents.  On  en  trouve  un  ou  deux  dans 
les  <(  turqueries  »  de  Selim.  A  peine  pourrait-on  citer  encore 
un  tableau  pittoresque  de  l'armée  que  fait  en  quelques  mots 
Theald  au  commencement  du  V«  acte  : 

1  saw  him  parting  from  the  hurried  camp, 

That  liglitenM  widc  around  him  :  burnish*d  helms, 

And  glittcring  spcars,  and  ardent  longing  soldiers  *,  etc. 


1.  Acte  III,  se.  ii.  —  2.  Acte  II,  se.  iv.  —  3.  Acte  V,  se.  ii. 


j 


CHAPITRE  IV 


«    ALFRED    » 


I 


Nous  avons  dit,  dans  la  biographie  de  Tljomson,  quelle  cir- 
constance donna  lieu  à  la  production  de  cette  œuvre  drama- 
tique. Le  l*^'  octobre  1740,  Frédéric,  prince  de  Galles,  célébrait 
le  4*  anniversaire  de  son  mariage  et  la  naissance  de  sa  fille. 
Une  fête  magnifique  réunissait  à  Cliefden  les  amis  du  prince  et 
de  la  princesse.  On  avait  fait  appfl  à  tout  le  savoir-faire  des 
jardiniers  et  des  architectes.  On  demanda  aux  poètes  de  la 
clientèle  de  Frédéric  une  œuvre  qui  ne  fût  pas  trop  grave,  qui 
ne  demandât  pas  une  trop  longue  élaboration,  et  qui  permit 
rintroduction  des  allusions  et  des  divertissements  propres  à 
charmer  sans  la  fatiguer  la  noble  compagnie.  C'est  ainsi 
que  Mallet  et  Thomson  écrivirent  en  commun  le  Masque 
d'  <K  Alfred  ». 

Cette  forme  dramatique  convenait  excellemment  à  une 
pareille  solennité.  C'est  aussi  pour  fournir  aux  plaisirs  de 
nobles  auditeurs  que  Ben  Jonson  et  que  Milton  avaient  pro- 
duit dans  ce  genre  de  radieux  chefs-d'œuvre.  Le  masque  est 
une  forme  de  la  littérature  théâtrale  plus  lyrique  encore  qu'elle 
n'est  dramatique.  Le  caractère,  le  relief  et  la  vérité  des  per- 
sonnages, la  force  des  passions,  le  pathétique  des  situations  ne 
sont  pas  les  objets  visés  par  le  poète.  Son  œuvre  est  avant 

37 


578  JAMBS  THOMSON. 

tout  un  prétexte  à  mise  en  scène  somptueuse  *.  Son  drame 
peut  se  contenter  d'êtres  vagues  et  pâles,  et  d'une  action  toute 
rudiinentaire.  La  fantaisie  poétique  et  l'élan  lyrique  ont  ici 
plus  de  valeur  que  la  vérité  de  l'observation  et  la  profondeur 
psychologique. 

On  peut  se  demander  si  la  collaboration  de  Thomson  et  de 
Mallet  était  propre  à  assurer  le  succès  d'une  œuvre  de  cette 
nature.  Thomson  évidemment  n'a  pas  les  qualités  du  genre, 
ou  il  ne  les  a  pas  encore  à  cette  époque.  Ni  ses  grands  p/>éiûe?. 
ni  ses  tragédies  ne  laissent  deviner  en  lui  les  qualités  de  grâce 
harmonieuse  et  de  rêverie  aérienne  que  révélera  plus  tanl  le 
a  Château  d'Indolence  ».  Il  est  trop  fort,  trop  sincère  et  trop 
solennel  pour  ce  genre  où  les  demi-tons  valent  plus  que  \ei 
franches  couleurs,  les  silhouettes  fugitives  plus  que  les  figures 
nettement  accusées. 

Mallet  aurait  eu  plutôt  quelques-unes  des  qualités  requises. 
Il  manquait,  il  est  vrai,  de  la  première  de  toutes,  la  vive  ima- 
gination, le  charme  magique,  le  don  de  poésie.  Mais  il  avait 
quelques-unes  des  vertus  de  second  plan  :  un  sentiment  artis- 
tique curieux  et  non  pas  sans  finesse,  un  style  malléable  qui  se 
prêtait  aux  adaptations  les  plus  diverses,  un  instinct  de  ce  i\\ï'\\ 
peut  y  avoir  de  poésie  dans  la  simplicité  du  ton  et  dans  le  sur- 
naturel introduit  à  dose  modérée  %  enfin  un  savoir-faire  agile 
et  une  experte  habileté  de  main.  Celui-là  du  moins  n'était  |>as 
dominé  par  une  forme  littéraire  absolue.  Il  n'était  pas,  comme 
Thomson  l'était  encore,  prisonnier  du  style  qu'il  s'était  fait,  ni 
contraint  de  |)rêter  le  même  langage  ample,  sonore  et  uni- 
formément majestueux  à  tous  les  personnages.  Mais  aussi  il 
devait,  dans  leur  collaboration,  porter  la  peine  de  ses  qualités 
un  peu  négatives.  Au  contact  d'une  force  et  d'un  a  tempéra- 
ment »,  il  passe  aussitôt  au  rôle  d'imitateur  et  de  comparse. 
Il  lui  a  toujours  fallu  s'appuyer  sur  quelqu'un  de  plus  grand 


i.  «  \Ve  moy  doiibt  if  Ihe  combim  d  gcnius  of  Ben  Jonson,  Inipo  Jonw 
and  Lawes  or  Ferobroso  bas  be.en  eqiiaJled  by  Ibe  modem  «/vc/ar/f  of  the 
opéra....  On  tbcsc  cnterlaiuments  Uirce  to  five  thousand  pounds  wert 
expanded,  and,  on  more  pulilic  occasions,  ton  and  Iwenty  Ibousand.  • 
(D'IsHAKU,  Cfiriosities  of  Liternlure.  Masques^  p.  380-384.) 

2.  Ce  sont  bien  les  deux  Iraiis  à  noter  dans  la  célèbre  ballade  àt 
William  and  Mart/aret,  Elle  conservait  des  superstitieuses  légendes  popu- 
laires leur  forme  familière  et  leur  mystérieuse  poésie.  Elle  a  mérité  à  f « 
titre  de  figurer  dans  le  «  Recueil  •  de  Porcy. 


"    ALFRED.   »  879 

et  de  plus  robuste  que  lui.  C'est  à  rimitation  du  génie  popu- 
laire qu'il  a  dû  son  meilleur  succès.  Sa  satire  On  Verbal  Cri- 
ticism  montre  en  lui  un  des  meilleurs  élrves  de  Pope.  Les 
di^itiques  y  abondent  que  l'on  pourrait  introduire  dans  la  mar- 
queterie de  VEssay  on  Cnticism  sans  que  la  fraude  fût  aisée  à 
découvrir.  Il  suit  Tétoile  de  Thomson  dés  que  celle-ci  monte  au- 
dessus  de  l'horizon  ;  VEixursion  montre  avec  quel  talent  d'imi- 
tateur il  sait  prendre  le  ton  deson  modèle.  Thomson  encore  et 
Milton  sont  sans  cesse  rappelés  parles  \ers  d'Amifutor  and 
Theodora;  et,  à  lire  un  de  ses  prologues  burlesques,  on  peut 
st^  demander  s'il  en  est  l'auteur,  tant  il  sait  re|>roduire  l'esprit 
enjoué,  la  plaisanterie  facile  et  tous  les  procédés  de  Oarrick, 
le  maître  du  genre  *.  Il  imite  encore  loi*squ'il  aborde  le  genre 
licencieux;  il  s'exerce  à  copier  Prier  dans  les  badinages  gri- 
vois de  The  Discovcry,  The  lieward,  ou  The  ^tratagem.  En 
somme  il  s'est  toujours  montré  habile  imitateur,  et  n  a  jamais 
su  être  lui-même.  Rien  d'étonnant  si  dans  le  travail  qu'ils 
durent  faire  en  commun,  linlluence  de  Thomson  se  retrouve 
bien  plutôt  que  celle  de  Mallel. 


II 


Le  «  Masque  »  n'a  donc  rien  de  la  vaporeuse  fantaisie  que  les 
maîtres  du  genre  ont  mise  dans  les  leurs,  i>arce  que  le  talent 
de  Thomson  ne  s'y  prêtait  point.  Ce  n'est  pas  une  tragédie 
puisque  la  pièce  n'a  (pie  deux  actes,  et  qu'elle  fait  une  place 
à  d'autres  a  machines  »  que  celles  qui  avaient  droit  de  cité 
dans  le  théâtre  classitpie  -.  Mais  au  fond  le  ton  est  bien  le 
même,  et  les  personnages  sont  identiques  à  ceux  que  nous  ren- 
controns dans  les  autres  drames  de  Thomson  ou  de  M.iUet. 
Alfred  et  Kllruda,  le  comte  de  Devon  et  rKrmite  ont  tous  le 
langage  retentissant  et  pompeux  et  les  hauts  cothurnes  des 


1.  Tous  deux  s'associeront  p'»s  tani  pour  le  l»roloj:uc  de  IhiUtnnia 
(!*.".*■.),  ndaplalion  remaniée  kV Alfred. 

2.  Non  «en  le  ment  on  y  voit  évoquée  la  longue  [«roccssion  des  rois  suc- 
cesseurs du  héros,  mais  à  plusieurs  reprises  des  •  esprits  »  vieillies  mi 
invi^ijbles  se  mêlent  à  l'action  pour  faire  entendre  la  musi(iue  ajoutée  par 
lecom])ositeur  aux  vers  des  deux  amis. 


580  JAMES  THOMSON* 

héros  tragiques.  A  côté  d'eux,  il  est  vrai,  quelques  pa^-sans 
jouent  un  rôle  dont  Timportance  serait  malséante  dans  une 
vraie  tragédie.  Ils  sont  là  sans  doute  pour  marquer  la  diffé- 
rence des  genres.  Peut-être  aussi  pour  fournir  l'occasion  de 
tirades  patriotiques  et  libérales  en  associant  le  menu  peuple  à 
la  gloire  de  la  couronne  et  de  la  patrie.  Mais  leur  ton,  plus 
tempéré  d'abord,  ne  tarde  pas  à  s'élever  au  niveau  de  celui  de 
leurs  interlocuteurs.  —  Bref,  malgré  de  trop  rares  passages 
où  se  reconnaît  la  main  du  poète  de  la  nature,  le  «  Masque 
d'Alfred  »  n'échappe  pas  aux  reproches  que  méritent  alors 
toutes  les  tragédies  :  langueur  de  l'action,  pauvreté  de  la  psy- 
chologie, enflure  et  monotonie  de  la  déclamation. 

Ce  sont  là  défauts,  nous  le  savons,  qui  ne  choquaient  point 
les  spectateurs  auxquels  ces  pièces  étaient  destinées.  Ils  pou- 
vaient goûter  sans  arrière- pensée  les  artifices  ingénieux  des 
poètes  et  des  machinistes,  les  eflfets  heureux  de  la  musique 
dont  le  rôle  était  fort  important,  les  nombreuses  allusions  au 
royal  amphitryon,  à  ses  ancêtres,  à  sa  famille,  à  ses  vertus,  les 
quelques  vers  descriptifs  où  Thomson  a  mis  sa  trace  indé- 
niable \  ou  encore  les  détails  d'archéologie  pittoresque  intro- 
duits dans  le  drame,  comme  cette  description  qui  nous  montre 
Tétendard  magique  des  envahisseurs  a  tissé  par  les  sœurs  du 
a  roi  danois,  du  cruel  Ivar,  au  milieu  de  la  nuit  :  alors  que  la 
a  lune  livide,  enveloppée  de  la  pâle  tempête,  poursuivait  fiéni- 
(i  blement,  tandis  qu'elles  chantaient  leur  chant  magique,  sa 
a  course  à  travers  les  nues.  Alors,  dit-on,  tous  les  démons 

1.  Ces  vers  par  exemple  de  Pacte  II,  se.  i  : 

«...  Where  yon  oak 
With  wide  aud  dusky  shade  o'erhangs  the  stream 
That  ^lide3  in  silence  by,  I  took  luy  stand 
What  time  the  glow-worm  Ihro'  the  dewy  palh 
First  shot  his  twinkling  flame  ». 

Ou  ceux-ci  dans  lesquels  le  royal  fugitif  parle  de  ses  enfants  : 

«  ...  0,  \\hal  safe  shade 
Can  skreen  their  opening  blossom  from  Ihe  storm 
That  beats  severe  on  us?  Not  swceter  buds 
The  primrose  in  tbe  vale,  nor  sooner  shrinks 
Al  winter's  churlish  blast.  • 

(Acte  II,  se.  II.) 

«  de  la  destruction  étaient  présents  et  mêlaient  à  la  trame 


«   ALFRED.   »  581 

€  leur  puissance  maudite;  et  toujours  les  sœurs  chantaient  : 
«  Répands,  ô  étendard,  répands  sur  nos  ennemis  cette 
«  ruine  M  » 


III 


Ils  pouvaient  surtout,  au  milieu  de  reffervescence  du  senti- 
ment national,  au  moment  où  se  préparaient  les  expéditions 
de  Vernon  et  d'Anson,  applaudir  à  Tex pression  de  ce  patrio- 
tisme ardent  et  violent  qui  emplit  et  soutient  ces  deux  actes. 
C'est  lui  qui,  après  tant  de  pages  d'une  rhétorique  justement 
oubliée,  a  inspiré  les  six  strophes  immortelles  de  «  i?w/e,  Bn- 
tannia.  »  Le  succès  de  ces  vers  fut  immédiat  et  il  fut  prodi- 
gieux. Dès  les  premières  représentations  d'  a  Alfred  »  la  faveur 
populaire  s'attacha  à  ce  chant.  Les  Anglais  n'ont  cessé  depuis 
de  l'associer  à  toutes  les  manifestations  de  leur  orgueil  national. 
Il  restera,  comme  le  dit  Southey,  a  l'hymne  politique  de  l'An- 
€  gleterre  aussi  longtemps  qu'elle  saura  maintenir  sa  puissance 
«  politique  îd.  Il  mérite  cette  haute  fortune.  Au  contraire  de  ce 
qui  s'est  passé  pour  notre  chant  national,  où  l'élan  de  la 
musique  emporte  des  stances  dont  la  violence  déclamatoire 
paraîtrait  en  elle-même  bien  froide,  dans  Thymne  britannique 
la  musique  fait  un  accompagnement  grave  et  sobre  aux 
paroles.  Et  celles-ci,  sans  trop  d'emphase,  traduisent  cette 
fierté  qu'inspire  au  peuple  anglais  sa  glorieuse  histoire.  Tous 
ses  titres  d'honneur  sont  rappelés  l'un  après  l'autre  :  la 
liberté  politique  d'abord  qui,  pendant  tant  de  siècles,  a  fait 
de  l'Angleterre  une  si  étrange  anomalie  parmi  les  nations  de 
l'Europe,  puis  la  gloire  militaire,  la  richesse  due  à  l'agricul- 
ture et  au  commerce,  la  splendeur  d'une  admirable  littéra- 
ture, la  beauté  même  des  femmes  de  l'île  heureuse,  et  le  cou- 


1.  «  Wrought  by  Uie  sisters  of  the  Danish  king, 

Of  furious  Ivar,  in  a  midoight  hour  : 
While  the  sick  moon,  at  llieir  enchanted  song 
Wrapt  in  pale  tempest,  labonr'd  through  Ihe  cloiids. 
The  Démons  of  destruction  Ihen,  Ihey  say, 
Were  ail  abroad,  and  mixing  with  Ihc  woor 
Their  baleful  powcr  :  the  sisters  ever  sang  : 
—  Shake,  standard,  shake  thîs  min  on  our  foes!  * 


S83  JAMES  THOMSON. 

rage  des  hommes  qui  les  protègent  *.  Après  la  mention  de 
chacune  de  ces  gloires  revient  le  fier  refrain  qui  s'est  gravé 
dans  le  souvenir  et  dans  le  cœur  de  tout  Anglais  : 

Règne,  ô  Britannia,  règne  sur  les  flots, 
Jamais  les  Bretons  ne  seront  esclaves. 

N'est-ce  pas  une  chose  singulière  que  Ton  ne  puisse  dire 
avec  certitude  auquel  des  deux  poètes  revient  l'honneur  d'avoir 
donné  à  TAngleterre  son  chant  national  *?  —  On  sera  tenté  de 
croire  que  peut-être  il  est  dû  à  leur  collaboration.  C'est  de 
toutes  les  solutions  de  la  difficulté  la  plus  improl>able.  Le  mor- 
ceau, du  reste  fort  bref,  est  trop  homogène,  emporté  d'un  élan 
trop  soutenu  pour  qu'on  y  puisse  supposer  une  double  ori- 
gine. Le  seul  renseignement  de  fait  que  nous  ayons  sur  le 
mode  de  travail  des  deux  associés  est  la  préface  mise  par  Mallet 
à  l'œuvre  refondue  et  amplifiée  par  lui  en  1751.  Il  y  dit  que 
les  deux  auteurs  avaient  une  part  nettement  séparée  dans 
l'œuvre  primitive  ';  —  mais  il  ne  dit  pas  auquel  des  deux 
appartient  l'ode  fmale.  Chacun  des  poètes  a  trouvé  ses  par- 
tisans. Mr.  Bolton  Corney,  l'un  des  éditeurs  les  plus  saN'ants 
et  les  plus  scrupuleux  de  Thomson,  Mr.  Dinsdale  qui  a  publié 
en  1837  un  recueil  des  «  Ballades  et  Chansons  »  de  Mallet, 
Mr.  Julien  Marshall  qui  a  consacré  à  cette  question  des  recher- 
ches minutieuses  opinent  en  faveur  de  Mallet.  Au  contraire, 
Robert  Bell,  l'auteur  de  l'une  des  meilleures  biographies  de 

1.  «  Blessedislc!  with  matchless  beauty  crowned, 

And  manly  hearts  to  quard  the  fair.  » 

2.  Le  doute  s'étend  également  à  la  musique  de  ce  chant.  L'auteur  en 
est- il  le  grand  Hândel  ou  le  modeste  Dr.  Arne?  On  pourra  lire  sur  cette 
question  un  échange  de  notes,  qui  n'entraîne  pas  de  conclusion  déGni- 
tive,  entre  MM.  Chappell,  J.  Marshall,  W.  H.  Huck,  etc.,  dans  Noies  and 
Queries  {2"*  séries,  vol.  IV.  p.  i.'î2  et  415;  —  7"*  séries,  vol.  H,  p.  4,  132, 
410,  490). 

Handol  reproduit  la  musique  de  POde  dans  son  Occetsional  Oratorio. 
Aurail-il  fait  un  emprunt  à  Arne? 

Le  Dr.  Arne  est  le  heau-frère  de  ce  Thcophilus  Cibber,  sous  le  nom 
duquel  parut  la  première  biographie  de  Thomson.  Sa  sœur,  Suzanna 
Maria,  la  seconde  Mrs.  T.  Cibbers,  était  elle-même  actrice  et  lettrée.  Elle  a 
traduit  en  17o2  une  comédie  de  Poullain  de  Saint-Foix,  iOracle, 

3.  •  According  to  the  présent  arrangement  of  the  fable,  I  ^as  obliged 
to  reject  a  great  deal  of  what  [  had  wrilten  in  the  other;  nor  could  1 
retain  of  my  friend's  part  more  than  three  or  four  speeches  aod  a  part 
of  one  song.  « 


a   ALFRED.   »  S83 

Thomson,  Mr.  Chappell,  Tinterlocuteur  de  Mr.  Marshall  dans 
la  discussion  insérée  par  Notes  and  Queries,  et  Mr.  Logie 
Robertson,  le  plus  récent  des  critiques  et  des  biographes  de 
Thomson,  tiennent  pour  les  titres  de  ce  dernier.  La  plupart 
des  commentateurs  et  des  critiques  s'abstiennent  de  prendre 
parti.  Les  arguments  de  fait  qui  ont  été  mis  en  avant  sont  en 
effet  peu  concluants. 

Mallet,  disent  les  uns,  déclare  qu'il  a  conservé  seulement 
dans  sa  vereion  remaniée  du  Masque,  «  trois  ou  quatre  dis- 
cours et  une  portion  d'un  chant  »  dus  à  son  ami.  Or,  Rule 
Britannia  est  une  ode  et  non  pas  un  chant,  et  Rule  Britannia 
ligure  dans  F  a  Alfred  »  de  Mallet.  Donc  celui-ci  en  est  Tauteur. 
D  ailleurs  jamais  personne,  parmi  les  contemporains  des  deux 
poètes,  n  a  protesté  contre  la  prétention  de  Mallet.  —  A  quoi 
Ton  répond  qu'il  n'est  pas  sûr  que  celui-ci  ait  jamais  émis 
cette  prétention  ;  que  la  distinction  entre  une  a  ode  chantée  m 
et  un  a  chant  »  est  bien  subtile  et  ne  saurait  être  invoquée; 
que  Rule  Britannia  est  précisément  conservé  en  partie  dans 
l'œuvre  nouvelle,  comme  le  «  chant  »  dont  parle  l'auteur  de 
la  préface*.  D'autre  part  on  a  relevé  la  publication,  dans  un 
recueil  de  pièces  diverses  imprimé  à  Edimbourg  du  vivant  de 
Mallet,  sous  le  titre  de  The  Charmer,  de  l'ode  Rule  Britannia 
avec  les  initiales  J.  T.  pour  désigner  l'auteur.  Le  livre  eut  au 
moins  deux  éditions.  Mallet  qui  avait  conservé  des  relations  à 
Edimbourg  n'a  jamais  protesté  contre  cette  attribution. 

Tels  sont  les  seuls  renseignements  de  fait  qui  aient  été 
avancés.  On  voit  que,  s'ils  établissent  une  présomption  plutôt 
favorable  à  Thomson,  ils  ne  sont  pas  dénature  à  entraîner  une 
conviction  absolue.  Mais,  en  dehors  des  preuves  directes  qui 
font  défaut,  il  est  d'autres  considérations  qui  peuvent  nous 
permettre  d'asseoir  un  jugement  solidement  fondé.  Plusieurs 
des  biographes  et  des  critiques  de  notre  poète  ont  émis  cette 

i.  Les  trois  strophes  supprimées  dans  V Alfred  de  Mallet  étaient  rem- 
placées par  trois  strophes  nouvelles  écrites  par  Bolingbroke.  Mr.  Chappel 
fait  remarquer  que  Mallet  devait  plus  voloutiers  abandonner  aux  rema- 
niements du  poète  grand  seigneur  une  production  de  Thomson  qu^unc 
des  siennes  propres. 

Dans  le  même  ordre  de  preuves  négatives  ou  pourrait  encore  mentionner 
ce  fait  qui  n'a  pas  été  signalé  :  Johnson,  qui  avait  connu  Thomson  et 
Mallet,  donne  dans  son  choix  des  œuvres  de  Mallet  une  odo  tirée  du  masque 
de  Drilannia  (c'est  VAffred  remani»^),  et,  malgré  la  vogue  du  Hitle  Bri- 
tannia, ce  n*est  pas  là  Todc  qu'il  cite. 


584  JAMBS  THOMSON. 

opinion  que  les  considérations  extérieures  militent  en  feveur 
du  grand  poète  contre  Tadroit  faiseur  de  vers.  C'est  aussi 
notre  conviction  très  arrêtée,  mais  au  lieu  d'une  impression 
subjective  nous  voudrions  exposer  les  observations  exactes  qui 
nous  ont  imposé  cette  opinion. 

Et  d'abord  une  comparaison  des  œuvres  des  deux  écrivains 
ne  crée-t-elle  pas  déjà  un  titre  sérieux  à  Thomson?  Dans  tout 
ce  qu'il  a  écrit  se  trouve  la  preuve  d'un  patriotisme  sincère  et 
ardent  jusqu'à  l'emphase,  d'un  dévouement  enthousiaste  à  la 
liberté,  d'une  foi  intolérante  dans  le  droit  de  l'Angleterre 
à  l'empire  de  la  mer.  Il  a  consacré  à  ces  idées  des  poèmes 
entiei's  :  Britannia,  Liberty;  et,  dans  ses  autres  œuvres,  c  Les 
Saisons  )),  a  Poème  à  R.  Walpole  »,  «  à  Talbot  »,  «  Tragé- 
dies )),  il  ne  se  lasse  pas  de  les  reproduire. 

En  regard  de  ces  œuvres  dont  le  sentiment  national  et 
l'amour  de  la  Liberté  forment,  à  l'égal  de  l'amour  de  Ja 
Nature,  linspiration  dominante,  que  nous  offrent  les  écrits 
accumulés  par  Mallet  au  cours  d'une  vie  beaucoup  plus  longue? 
Des  satires,  des  poèmes  descriptifs,  des  ballades  sentimentales 
ou  des  contes  grivois,  pièces  de  tons  variés  et  de  valeur  fort 
diverse,  dans  aucune  desquelles  nous  ne  rencontrons  la  trace 
des  sentiments  qui  emplissent  l'âme  de  Thomson.  Une  fois 
cependant  il  se  i)ropose  de  louer  une  Société  qui  s'occupe  d'ar- 
racher au  dénument  et  à  la  dépravation  des  hommes  et  des 
enfants  dont  on  fera  des  marins.  Et  ce  sujet  qui  aurait  ins- 
piré à  Thomson  un  enthousiasme  peut-être  sans  grâce  mais 
à  coup  sûr  fervent  et  éloquent,  Mallet  le  développe  sous  une 
forme  narquoise  et  paradoxale.  Son  ami  se  serait  indigné  de 
voir  traiter,  sur  ce  ton  de  persidage,  des  questions  qui  tou- 
chaient à  la  puissance  navale  et  à  la  grandeur  de  l'Angleterre. 
Lui  qui  ne  parle  jamais  du  chêne  qu'avec  une  sorte  de  respect, 
parce  qu'il  y  associe  l'idée  des  navires  qui  porteront  sur  tous 
les  points  du  monde  le  drapeau,  l'influence  et  la  gloire  de  son 
pays,  il  aurait  peu  goûté  la  plaisanterie  de  Mallet  attribuant 
à  cet  arbre  comme  destination  suprême  la  potence  de  Tyburn  '. 
Que  le  dilettante  sce|)tique,  l'homme  de  lettres  sans  pudeur 

1.  Tf/burn  :  to  the  marine  Society.  (iKuvres  de  MaUct.  —  Il  faudrait  encore 
noter  ce  prologue  de  Hritannia  où  un  marin  ivre  vient  amuser  le  public 
de  ses  saillies  grotesques.  N'est-ce  pas  le  digne  début  d'une  pièce  qui  doit 
se  terminer  au  chant  du  Hule  liritannial 


«   ALFRED.   »  585 

qui  devait  plus  tard  employer  sa  plume  aux  plus  basses  beso- 
gnes politiques  et,  pour  un  salaire,  réclamer  et  obtenir  Texé- 
cution  d'un  soldat  malheureux,  que  Mallet  ait  pu  donner  à 
son  pays  son  chant  national,  ce  serait  en  vérité  une  affligeante 
ironie  de  la  fortune.  L'hypothèse  est  de  celles  contre  lesquelles 
Û  faudrait  protester  si  ^mème  oh  ne  pouvait  appuyer  d'observa- 
tions concluantes  la  réclamation  élevée  au  nom  de  Thomson. 

A  prendre  successivement  les  idées  énoncées  dans  les  six 
strophes  de  Tode,  il  serait  facile  de  montrer  que  chacune  d'elles 
a  été  maintes  fois  exprimée  par  Thomson  dans  ses  autres 
œuvres;  mais  nous  nous  attacherons  seulement  à  relever  les 
similitudes  d'expression  où  se  révèle  la  main  du  môme  ouvrier. 

Les  premiers  vers  énoncent  une  image,  [celle  de  l'Ile  de 
Bretagne  sortant  des  flots,  et  une  idée,  l'empire  des  mers  provi- 
dentiellement destiné  à  l'Angleterre.  L'image  et  l'idée  se  trou- 
vent déjà  exprimées  en  des  vers  moins  concis,  mais  où  l'ana- 
logie des.  termes  est  frappante,  dans  un  passage  de  Liberty 
et  un  autre  de  Britannia  (1727)  : 

When  Britain  first,  at  llcaveu's  commaiid, 

Arosc  froin  the  azuro  *  main, 
This  was  the  charter  of  the  laud. 

And  guardian  angels  sung  Ihis  slrain  : 
Riile,  Britannia,  rule  the  waves,  etc.  {Ode,  f*-'  strophe). 

Since  (hst  the  nishing  flood, 

l'rged  by  Ahiiighly  power,  this  favoured'  islc 
Tiirncd  flashing  froin  the  continent  aside  *. 

Ihis 

The  native  power  for  which  yoii  were  designcd 
By  iate,  when  fuie  designed  the  firinest  state 
That  e'er  was  seated  on  the  subject  sea'. 

For  this  thèse  rocks  around  your  coast  were  thrown  *. 

La  deuxième  strophe  proclame  fièrement  le  bonheur  de 
l'Angleterre,  seule  libre  au  miUeu  des  nations  asservies. 

The  nations  not  so  blest  as  tliee, 

Must  in  their  turns  to  tyrants  fall  ; 
While  thou  shalt  flourish  great  and  frec. 

1.  L^épilhëlc  «  azurc  »  est  fréquente  dans  les  ■  Saisons  •  (voir  Summet\ 
82,  1223.  —  Auiumn,  885,  1215;  Winter,  783,  etc.)  et  se  retrouve  aussi  plu- 
sieurs fois  dans  ■  La  Liberté  •  (Voir  Brilain,  103,  465),  etc. 

2.  Liberty,  Britain,  460-462.  —  3.  Britannia,  191-194.  —  4.  Id.,  199. 


686  JAMES  THOMSON. 

La  même  idée  se  représente  plus  â*une  fois.  En  voici  la 
forme  dans  a  La  Liberté  »  : 

0  happy  land  î 

Whcre  reigns  alone  this  justice  of  the  freeî  * 

La  troisième  strophe  rappelle  les  victoires  de  T Angleterre  et 
associe  à  ce  souvenir  Tirnage  du  chêne  natal  : 

As  thc  loud  blast  that  tears  the  skies 
Serves  but  to  root  thy  native  oak. 

C'est  une  association  analogue  que  nous  présentent  ces  deux 
vers  de  Britannia  : 

For  Uns,  your  oaks,  peculiar  hardened,  shoot 
Stronfî  into  stiirdy  growth  '. 

La  cinquième  rappelle  les  sources  de  la  grandeur  de  TAn- 
gleterre,  agriculture,  commerce,  suprématie  maritime.  Le  der- 
nier vers, 

And  eveiy  shore  it  circles,  thine, 

doit  être  rapproché  d'un  vers  de  a  TÉté  »  dont  il  reproduit  une 
expression  caractéristique  et  où  Ton  peut  sans  témérité  trouver 
le  germe  du  refrain  célèbre  de  Tode  : 

llence  rules  thc  circling  deep,  and  awes  the  world  '. 
Enfin  le  deuxième  vers  du  refrain  : 
Hritons  neverwill  be  slaves, 

n'ofTre-t-il  pas  une  analogie  remarquable  avec  ce  vers  du 
«  Château  »  : 

Those  wrctched  men  who  will  be  slaves  *? 

Certainement  ni  la  deuxième  partie  du  poème,  ni  ce  vers 
n'étaient  écrits  en  1740.  Il  n'est  que  plus  intéressant  d'y  voir, 
comme  par  une  contre-épreuve  (les  autres  passages  cités  étant 

1.  Liberiy,  Urilain,  515,  516.  —  2.  Brilannia^  201,  202.  —  3.  Summer,  431. 
—  4.  Chant  II,  303. 


«   ALFRED.   »  587 

tous  antérieurs  à  TOde),  l'attestation  que  c'est  bien  la  main  de 
Thomson  que  nous  trouvons  dans  Rule  Britannia. 

L'hommage  rendu  dans  la  dernière  strophe  à  la  beauté  des 
femmes  anglaises,  est  un  des  lieux  communs  de  la  poésie  de 
notre  auteur.  Aux  deux  vers  de  TOde  : 

Blest  isle  î  with  matchless  beauly  crowned, 
And  manly  hcarts  to  guard  the  fair, 

on  comparera,  par  exemple,  ces  deux  vers  de  «  La  Liberté  »  : 

Such  the  fair  guardian  of  an  isle  that  boasts 
Profuse  as  vernal  blooms,  the  fairest  dames  *. 

Avons-nous  tort  de  croire  que  ces  rapprochements  prouvent 
la  paternité  de  Thomson,  qu'ils  donnent  aux  impressions  un 
peu  vagues  des  juges  qui  avaient  cru  à  cette  parenté  une 
démonstration  solide,  et  qu'ils  laissent  défmitivement  au  poète 
des  <(  Saisons  »  un  honneur  que  méritait  l'ardeur  de  son  patrio  - 
tisme? 

1.  Liberty,  Briiain,  473,  414. 


CHAPITRE  V 


«    TANCRED    AND    SIGISM13NDA    » 


I 


Après  la  tentative  avortée  d'  a  Edouard  et  Éléonore  »,  c'est 
encore  à  un  sujet  moderne  que  songe  Thomson  pour  sa  pro- 
chaine tragédie.  Gomme  il  entend  cette  fols  que  sa  pièce  soit 
jouée,  il  ne  compte  plus,  pour  soutenir  l'intérêt,  sur  des  allu- 
sions propres  à  flatter  les  passions  politiques  du  jour.  Il  ne  se 
contentera  pas  d'une  intrigue  aussi  sommaire  ni  d'un  dénoù- 
ment  aussi  anodin.  «  Edouard  et  Éléonore  »  n'était,  comme  le 
fait  remarquer  M.  Tîrugière  de  Barante,  qu'une  héroïde  dialo- 
guée  * .  <(  Tancrède  et  Sigismonde  id  sera  une  véritable  tragédie 
avec  toute  l'intensité  de  passion  que  comporte  le  genre,  avec 
une  ciitastrophe  finale  pathétique  et  sanglante  à  souhait.  Mais  ce 
que  le  poète  conserve  de  sa  tentative  précédente,  c'est  un  effort 
pour  donner  à  ses  héros  plus  de  vie  individuelle  par  le  choix 
de  personnages  à  demi  historiques  et  d'une  époque  presque 
moderne.  C'est  aussi  l'action  fixée  dans  les  pays  du  soleil.  Les 
scènes  y  trouveront  un  cadre  plus  brillant;  l'exubérante  énergie 
des  passions  et  du  langage  en  sera  atténuée  ou  justifiée. 

La  combinaison  des  deux  modèles  dramatiques,  l'application 
des  lois  de  la  tragédie  à  un  sujet  conforme  au  goût  de  lil>erlé, 

1.  Théâtres  étrangers.  Théâtre  anglais^  t.  X.  Vie  de  Thomson,  p.  20. 


«  TANCRED   AND   SIGISMUNDA.    >»  58» 

de  couleur  et  de  niouveuicntdu  théâtre  national  de  TAngleterrc 
réussit  cette  fois  au  poète.  Nous  savons  que  de  son  vivant  cette 
pièce  eut  plus  de  succès  qu'aucune  de  ses  tragédies  anté- 
rieures *.  Plus  longtemps  aussi  que  les  autres  elle  a  conservé 
une  place  sur  la  scène. 


II 


Le  poète  ne  s'était  pourtant  pas  mis  en  frais  d'imagination 
pour  concevoir  son  sujet.  Il  l'avait  pris  à  Gil  Blas,  où  l'anec- 
dote foi  me  un  de  ces  récits  qui,  selon  le  procédé  constant  du 
roman  espagnol,  viennent  faire  diversion  à  la  fable  principale 
du  roman.  C'est  la  nouvelle  qui  forme  le  quatrième  chapitre 
du  Livre  IV  sous  ce  titre  :  «  Le  Mariage  de  Vengeance  -  ».  Les 
noms  sont  presque  tous  changés.  Là  où  le  roman  disait 
Enrique,  Thomson  rétablit  le  personnage  historique  de  Tan- 
crède,  et  l'amante,  lUanche  dans  le  récit  français,  devient 
Sigismonde  '.  Mais,  en  dépit  de  ces  modifications  et  d'autres 
semblables,  l'auteur  anglais  a  suivi  exactement  la  fable  du 
romancier  français.  Il  n'est  pas  un  des  événements  de  la  tra- 

1.  L'édition  de  1745  (in-8)  fut  tirée,  nous  disent  les  livres  de  Woodfall, 
à  SOOO  exemplaires,  plus  50  exemplaires  de  luxe.  Elle  a  été  suivie  des 
rééditions  suivantes  :  1752  (in-8),  176C  (in-8),  1777  (in-8),  1792  (in-12),  1806 
(in-12),  «  printi'd  from  theprompter*s  book,with  notes  by  Mrs.  Inchbald.  • 

2.  Le  Sage  lui-même  emprunte  les  éléments  de  son  récit  à  Thistoire, 
qui  relate  la  rivalité  de  Tancréde,  petit-Iils  de  Roger  II,  et  de  sa  tante 
Constance.  Mais  il  modifie  profondément  ces  données  et  y  ajoute  force 
incidents  romanesques.  Ils  paraissent  inspirés  surtout  par  deux  nouvelles 
de  Boccace  :  le  Cœur  Sanf/lant  (•  Décaméron  •,  4"  journée,  f*  nouvelle), 
et  la  Princesse  de  Grenade  (4"  journée,  4*  nouvelle). 

Peut-être  Thomson  est-il  lui-même  Tauteur  d'une  traduction  en  projc 
de  la  Nouvelle  de  Le  Sage  qui  fut  publiée  sous  ce  titre  :  «  Tancred,  kinff 
of  Sicify,  the  history  on  wliich  is  founded  the  tragedy  of  Tanered  and 
Sigismunda.  Loudon  :  Printed  for  John  Seymour,  in  BuU-ÂIley,  near  George 
Yard  Lombard  Street.  •  L'exemplaire  du  lirîfish  Muséum  porte  celte  men- 
tion manuscrite  :  «  by  J.  T.  »  et  la  date  également  manuscrite,  1745. 

3.  Le  poète  sans  doute  a  repris  lus  noms  d'une  vieille  tragédie  jouée 
en  1568,  devant  la  reine  Klizabeth  à  1'  •  Innrr  Temple  •.  Les  cinq  actes 
de  ce  Tanered  and  Gismund  étaient  écrits  par  cinq  personnages  difTércnts. 
L'auteur  du  5*  acte,  Robert  Wilmot,  publie  la  pièce  en  1592,  la  présentant 
comme  «  ne^vly  rcvised  and  polislied  accorJing  to  the  décorum  of  thèse 
days  ».  Mr.  Collier  en  conclut  que,  sous  sa  première  forme,  la  tragédie 
était  rimée.  (Voir  Sai.ntsbury,  Elizabethan  LUeratwe^  P-  ^1  ;  —  Collier, 
Uist.  Drnm.  Poet,^  in,  13.  —  Cuaik,  English  Lilerahtre,  I,  485.) 


590  JAMES  THOMSON. 

gédie  qui  ne  se  trouve  dans  a  Le  Mariage  de  Vengeance  •,  et  le 
poèt(>  a  conservé  tous  les  détails  de  Tintrigue  fournis  par  son 
rpodèle,  sans  en  excepter  les  plus  romanesques  ni  les  plus 
invraisemblables. 

Nous  n'irons  pas  jusqu'à  dire,  avec  Brugière  de  Barante, 
qu'il  ait  trouvé  là  sa  pièce  toute  faite  scène  par  scène.  Le  récîl 
de  Le  Sage  est  long  et  confus.  Les  épisodes  saillants  s'y  déta- 
chent mal,  et  plus  d'une  circonstance  dépourvue  d'intérêt  y 
est  développée  avec  prolixité.  Thomson  a  dû  rennanier  consi- 
dérablement cette  matière  un  peu  amorphe.  Sans  rien  sacrifier 
entièrement,  mais  en  réduisant  l'importance  des  détails  acces- 
soires, il  a  fait  tenir  tous  les  faits  du  récit  dans  les  hmites 
d'une  tragédie  régulière,  et  réservé  le  développement  qui  con- 
venait aux  scènes  où  se  montre  Tàme  de  ses  personnages. 


III 

Ce  travail  d'adaptation  au  théAtre  est  incontestablement  lait 
avec  adresse.  L'action  est,  plus  que  dans  aucune  des  autres 
pièces  de  Thomson,  claire,  d'intérêt  soutenu  et  dramatique- 
ment gradué.  C'est  la  plus  scénique  des  tragédies  du  fioète. 
Mais  aucune  dose  d'habileté  dans  l'agencement  de  l'intrigue  ne 
peut  tenir  lieu  de  cette  force  tragique,  de  cette  divination  de 
l'àme  humaine  et  de  cette  puissance  créatrice  qui  font  défaut  à 
l'auteur.  Sans  doute  on  peut  citer  d'assez  beaux  morceaux  dans 
la  pièce.  Les  vei's  où  SifTredi  annonce  la  lin  du  vieux  roi  et 
vante  la  sérénité  de  cette  mort  d'un  juste  sont  d'une  gravité 
qui  n'est  pas  sans  noblesse  *.  Jl  y  a  de  l'ampleur,  du  mouve- 
ment et  du  feu  dans  la  tirade  par  laquelle  Tancrède  répond  à 
la  révélation  qui  lui  est  faite  de  son  origine  royale,  et  à  l'an- 
nonce de  son  avènement  au  trône  V  La  joie  du  peuple  à  la 
pensée  qu'une  union  des  partis  rivaux  doit  assurer  au  pays  les 
bienfaits  d'une  longue  paix  est  exprimée  dans  un  passage  bien 
venu,  par  un  vieux  baron  dont  le  langage  tour  à  tour  pallié- 
tiquc  et  pittoresque  évoque  à  nos  esprits  la  Sicile  pastorale  et 
idyllique  '.  Les  emportements  de  Tancrède,  quand  il  reproclie 
à  Siffredi  sa  trahison,  ont  de  l'éloquence  et  s'énoncent  en  une 

I.  Aclc  I,  se.  II.  —  2.  Acte  I,  se.  iv.  —  3.  Acte  11,  se.  iv. 


«  TANCRED   AND   SIGISMUNDA.    »  891 

langue  où  ne  disparaît  pas  le  souci  du  nombre  et  de  Tharmonie 
poétique.  Le  ministre  répond  en  justifiant  son  audace  et  sa 
déloyauté  par  la  raison  d'État;  il  se  livre  à  la  vengeance  de  son 
maître,  mais  lui  recommande  ces  intérêts  sacrés  de  la  patrîfe 
auxquels  il  a  lui-même  sacrifié  son  ambition,  sa  fille,  peut-être 
sa  vie  *.  La  scène  montre  de  la  force  et  de  la  dignité.  Elle  est 
une  des  meilleures  de  la  tragédie.  Klle  serait  bonne  de  tous 
points  si  la  fin  n'en  était  gâtée  par  des  exclamations  violentes 
et  décousues  et  par  cette  rhétorique  criarde  où  s'exprimait 
aloi's  la  passion  tragique.  —  Sigismonde  à  son  tour,  quand 
elle  s'est  résolue  à  épouser  Osmond  pour  se  venger  de  l'imagi- 
naire trahison  de  Tancrède,  nous  fait  entendre  l'accent  d'une 
douleur  vraie  et  d'une  souffrance  déchirante.  Et  quand  sa 
confidente,  pour  la  réconcilier  avec  sa  destinée,  oppose  à 
l'amant  infidèle  l'époux  accompli  qu'elle  a  choisi,  Sigismonde 
l'arrête  d'un  mot  dont  la  subtile  vérité  psychologique  et  la 
valeur  dramatique  feraient  honneur  à  un  maître  de  la  scène  : 

Ne  me  parle  pas  d'Osmoiid,  mais  du  perfide  Tancrède. 


IV 


Ces  détails  heureux  ne  sauraient  masquer  les  défauts  évi- 
dents de  l'anivre.  Tous  ces  personnages  sont  des  mannequins 
sans  vie.  Ils  ne  nous  font  pas  illusion  aux  moments  où  ils 
montrent  le  plus  d'éloquence.  Leur  pénurie  de  sang,  de  souflle 
et  d'àme  apparaît  lamentablement  dans  l'intervalle  des  scènes 
de  bravoure.  Tancrède  a  beau  affirmer  avec  la  dernière  énergie 
qu'il  aime  Sigismonde,  nous  ne  trouvons  pas  en  lui  l'ardeur 
de  la  passion  vraie.  Comment  d'ailleurs,  à  considérer  les  faits 
de  l'intrigue,  ce  grand  amour  et  cette  hautaine  fierté  laissent- 
ils  le  prince  muet  et  complice  quand  Siffredi  annonce  fausse- 
ment au  peuple  assemblé  le  mariag(î  de  Tancrède  et  de  Cons- 
tance? Comment  Sigismonde,  quelque  outragée  que  soit  sa 
passion,  se  résout-elle  si  vite  à  accepter  1  époux  que  lui  impose 
son  père?  Comment  la  vertu  et  la  poursuite  d'un  but  noble- 
rnent  désintéressé  peuvent-elles  inspirer  à  Siffredi  tant  d  ac- 

1.  Acle  II|  se.  vin. 


59â  JAMES  TUONSON. 

lions  (levant  lesquelles  Thonneur  le  plus  Milgaire  se  soulève- 
rait? Ce  sont  là  des  questions  qu'il  n'y  aurait  intérêt  à  pour- 
suivre que  si  les  personnages  avaient  à  nos  yeux  l'apparence 
d'êtres  réels.  Mais  nous  n'y  pouvons  voir  que  des  fantochos 
dont  la  pantomime  accompagne  le  langage  i^arfois  éloquent  que 
le  poète  adresse  à  son  public. 

Ces  invraisemblances  et  ces  contradictions  sont  la  parce 
qu'elles  étaient  dans  la  nouvelle  de  Le  Sage.  Thomson  les  a 
conservées  parce  qu'à  défaut  de  cette  puissance  dramatique 
dont  il  n'a  pas  le  secret  et  qui  place  dans  l'àme  et  le  cœur  des 
personnages  les  véritables  ressorts  de  l'action,  il  a  été  trop 
heureux  de  trouver  tout  prêt,  dans  un  agencement  précis  et 
détaillé,  l'enchevêtrement  de  faits,  d'incidents,  de  complica- 
tions et  de  catastrophes,  qui  devait  alimenter  ses  cinq  actes. 

11  n'a  songé  à  éliminer  ni  ce  mystère  de  la  naissance  du 
jeune  prince  auquel  Siffredi  met  fin  en  lui  annonçant  qu'il  est 
roi;  ni  ce  blanc-seing  que  le  nouveau  roi  donne  à  sa  maîtresse 
en  cadeau  de  fiançailles,  et  qui  devient  la  cheville  ouvrière  de 
l'intrigue;  ni  cette  porte  dérobée  par  laquelle,  en  amoureax 
d'opéra-comique,  le  roi  s*introduit,  à  Tinsu  de  tous,  dans  la 
chambre  de  celle  qu'il  aime;  ni  ce  geôlier  complaisant  qui  livre 
pour  quelques  heures  au  connétable  la  clef  des  champs  et  lui 
permet  de  venir  surprendre  le  roi  dans  la  chambre  de  sa 
femme.  Et  voilà  comment  il  se  fait  que  la  tragédie  la  plus 
jouable  de  Thomson,  celle  qui  est  le  plus  ingénieusement  dis- 
posée, celle  qui  montre  le  plus  de  mouvement  scé^nique  ne 
renferme  pas  un  seul  caractère  vivant  ou  vraisemblable,  mais 
roule  tout  entière  sur  les  inventions  romanesques  ou  extra- 
vagantes des  dramaturges  et  des  romanciers  espagnols  '. 

4.  Le  public  français  fit,  lui  aussi,  bon  accueil  à  la  tragédie  de  Tboinsou. 
La  Place,  l'auteur  û*Annc  de  Ponthiett^  Pimitateur  de  Venise  sauvée,  trt- 
duisit  Tancred  and  Sigismunda^  et  sa  traduction  parut  dans  le  Mercurt 
de  France  de  janvier  et  février^  1701.  —  En  1763,  Sauria  donnait  sous 
le  titre  de  Itlanchc  et  Guiscard^  une  imitation  qui  est  presque  une  trt- 
duclion.  La  pièce  fut  représentée  à  la  Comédie-Française  le  25  février. 
La  version  française  est  d'ailleurs  plus  froide  et  plus  anémiée  que  U  tra- 
gédie anglaise.  Brugière  de  Barante,qui  les  compare,  se  prononce  ainsi: 
«  T  lomson  a  plus  de  naturel.  L'alexandrin  français  est  sans  cesse  pompeQS 
et  tendu.  »  {Vie  de  Thomson^  p.  32.)  —  Il  ne  fallait  rien  de  moins  qa'une 
comparaison  avec  Saurin  pour  faire  paraître  aisé  ou  naturel  le  style  deU 
tragédie  anglaise.  La  pièce  a  aussi  été  imitée  en  Italie.  La  tragédie  de 
,Zelinda^  qui  obtint  à  Parme  la  couronne  de  lauriers  en  1772,  est  une  im'l** 
tion  fidèle  de  Tancred  and  Sigismunda. 


i 


CHAPITRE  VI 


<(      CORIOLANUS     » 


I 


La  dernière  œuvre  de  Thomson  ne  montre  plus  l'effort  des 
deux  tragédies  précédentes  pour  renouveler  le  drame  classique 
par  le  choix  de  personnages  modernes  ou  par  la  recherche 
d'une  intrigue  mouvementée.  Le  sujet  de  Goriolan  offre  tant 
d'unité;  il  impose  si  évidemment  une  composition  simple  du 
drame,  que  même  l'exubérante  imagination  de  Shakespeare  a 
conservé  toute  la  sobre  grandeur  de  cet  épisode  des  annales 
romaines.  Thomson,  plus  encore  que  son  illustre  modèle,  con- 
dense et  resserre  l'action  \  Il  aboutit  à  une  œuvre  où  se  trou- 


1.  Entre  le  «  Goriolan  »  de  Shakespeare  et  celui  de  Thomson,  on  peut 
Doter  cehii  de  Nahum  Taie  qui,  en  1682,  remanie  la  tragédie  du  maître 
en  se  préoccupant  surtout  d'y  introduire  des  allusions  aux  événements 
contemporains.  (Voir  Alex.  Bkuame.  Le  public  et  les  hommes  de  lettres  an 
XVIII*  siècle,  p.  151).  Plus  tard  Dennis  prend  à  son  compte,  avec  quelques 
modincations  nouvelles,  le  môme  •  Invader  of  his  Country  ». 

11  n*est  pas  à  supposer  que  Thomson  ait  eu  connaissance  d'aucun  des 
•  Goriolan  •  qu'avait  produits  la  scène  française,  et  dont  l'un  fut  repré- 
senté, dont  deux  autres  furent  publiés  l'année  même  de  sa  mort. 

Alex.  Hardy,  Coriolan^  tragédie  représentée  en  1607,  publiée  en  162B,  in-8. 


V.  Ghevueau,  Coriolan,  —  1638,  — 

Ghapoton,  Le  Véintaôle  CoHolan.  —  1638, 

L'abbé  Abeille,  Goriolan^  —  16*76,  — 

Chaligny  des  Plaines,  Coriolan  (jonc  une  seule  fois),  1722,  — 

RiciiER,  Coriolan  (non  représenté)  — 

Mauokr,  Coriolan  représenté  en  1718,  — 

Postérieurement  à  Thomson,  on  connaît  en  Angleterre  les 


1638,  in-4. 
1638, in-4. 
1676,  in-12. 
1748. 

i(/.(?),in.8. 
1751,  in-8. 

•  Coriolan  * 

38 


o9l  JAMES  THOMSON. 

vent  réalisêos  les  conditions  les  plus  strictes  de  la  tragédie 
classique  :  un  seul  caractère  important,  une  action  sans  com- 
plication et  sans  péripéties  imprévues,  un  seul  fait  qui  déter- 
mine tous  les  mouvements  et  toutes  les  paroles  des  person- 
najj^es. 

Kn  suivant  exactement  les  données  de  l'histoire,  Shakespeare 
avail   produit  un  chef-d'œuvre  où  Ton  admire  également  la 
grandeur  dramatique  du  héros,  Tintensité  de  vie  des  nombreux 
personnages  qui  concourent  à  l'action,  l'évocation  puissant*» 
de  cette  Home  républicaine,  austère  et  dure,  forte  par  la 
simplicité  et  la  pureté  de  ses  mœurs,  mais  qui  porte  en  elle 
une  grave  cause  de  désordre  et  de  décadence  dans  la  division 
de  ses  citoyens.  Il  semblerait  que,  guidé  lui  aussi  par  le  récit 
de  l'histoire,  Thomson  ne  pût  éviter  de  marcher  dans  les 
traces  du  grand  poète  qui  avait  fait  sien  ce  sujet.  Et  cependant 
les  différences  entre  les  deux  tragédies  sont  profondes  et  por- 
tent sur  presque  tous  les  points.  Elles  peuvent  être  intéres- 
santes à  noter  parce  qu'elles  nous  offrent  une  occasion  d'ob- 
server avec  précision  les  divergences  des  deux  écoles  drama- 
tiques. 

Ce  drame  tout  fait  de  l'épisode  de  Coriolan,  avec  la  succes- 
sion si  nettement  marquée  de  ses  actes  :  la  condamnation,  la 
trahison,  la  vengeance,  le  pardon,  et  enfin  la  mort,  Thomson 
le  soumet  aux  étroites  conditions  de  l'école  dont  il  accepte  les 
règles.  Si  limitée  et  si  fortement  unifiée  que  soit  la  tragédie  de 
Shakespeare,  cela  ne  suffit  pas.  Ce  ne  sont  pas  quelques  mois 
de  la  vie  de  Coriolan  que  nous  devons  voir  se  dérouler  devant 
nous,  ce  sont  quelques  heures  à  peine.  Nous  n'assisterons  pas 
à  la  succession  des  faits  qu'enchaîne  et  qu'impose  la  fatalité 
des   lois  qui   président  aux  actions  humaines;  nous  devon> 
assister  uniquement  au  dénouement  d'une  crise.  Les  Dennis  et 
autres  ce  l'égents  du  Parnasse  »,  chez  qui  une  arrogance  intol^*- 
rante  sup[>léeà  Tautorité  du  talent,  ont  déterminé  les  mesures 
exactes  auxquelles  doit  être  conformée  l'action  de  toute  tra- 
gédie. Comme  beaucoup  d'autres,  Thomson  s'incline  docile- 
ment.  Mais,  au  sortir  de  ce  lit  de  Procuste,  le  drame  nous 
ap[)araît  singulièrement  réduit.  Rien  n'a  été  conservé  de  ces 

(le  Slicridan  (1764)  ci  de  Kemble  (1789),  ceux  de  Duricr,  de  La  Harpe  tl 
de  Scjîur  en  France,  celui  de  Collin  en  Allemagne,  et  deux  tragédies  cii 
Italie. 


«  CORIOLANUS.   »  595 

scènes  du  premier  acte  de  Shakespeare  oCi  nous  voyons  prise 
sur  le  vif  la  vie  mérne  de  la  Rome  antique,  depuis  les  agita- 
tions du  Forum  et  les  liassions  des  deux  classes  ennemies,  jus- 
qu'aux champs  de  bataille  ou  aux  veillées  du  camp,  jusqu'à  ce 
sanctuaire  jalousement  gardé  du  foyer  où  se  montrent  les 
nobles  femmes  de  la  famille  de  Marcius.  Nous  ne  perdons  pas 
seulement  ainsi  des  scènes  pittoresques,  curieuses,  valant  par 
elles-mêmes.  T^e  tort  fait  à  l'œuvre  dramatique  est  plus  grave. 
C'est  la  conception  des  caractères  qui  s'en  trouve  appauvrie  et 
faussée.  Les  scènes  supprimées  avaient  deux  raisons  d'être. 
Elles  nous  présentaient  les  faits  dont  la  crise  finale  est  Tinsé- 
parable  conséquence;  elles  nous  faisaient  connaître  le  carac- 
tère et  Vàme  des  divers  pcreonnages.  Elles  sont  remplacées 
dans  la  tragédie  de  Thomson  par  des  conversations  où  les  faits 
nous  sont  exposés  et  les  caractères  expliqués. 

Or  ne  peut-on  pas  assurer  qu'indépendamment  de  l'immense 
ditférence  qui  sépare  \v  talent  des  deux  écrivains,  il  y  a  ici, 
dans  le  procédé  d'exposition  suivi  par  Thomson,  une  cause 
manifeste  d'infériorité?  Sans  doute  un  dramaturge  mieux 
doué  de  plus  de  puissance  évocatrico  et  d'une  langue  plus  élo- 
quente aurait  pu  communiquer  à  ces  premières  scènes  quelque 
intérêt.  Il  aurait  su  y  faire  entrer  une  plus  vivante  et  plus  satis- 
faisante description  des  personnages.  Mais,  dans  les  meilleures 
conditions,  ce  sera  toujours  là  une  faron  artificielle  et  glacée 
de  nous  présenter  les  êtres  dont  les  actes  doivent  nous  occu- 
per. Qui  ne  sent  qu'ils  prennent  un  autn^  relief  et  une  autre 
vie  quand  nous  les  connaissons  pour  les^  avoir  vus  agir  et  non 
pas  f>our  avoir  entendu  des  tiers  parler  d'eux?  Si  parfaite 
que  soit  l'analyse  que  nous  donnent  les  interlocuteurs,  vau- 
dra-t-elle  jamais  la  connaissance  immédiate  d'un  homme  par 
la  vue  de  ses  actes  ou  par  l'audition  d'un  de  ces  mots  qui, 
jaillissant  au  choc  des  événements,  éclairent  les  profondeurs 
secrètes  d'une  Ame  comme  par  la  fulguration  d'un  éclair? 

Et  voici  une  autre  conséquence  de  ce  mode  de  présentation 
du  sujet.  Shakespeare,  en  plaçant  devant  nous  le  personnage, 
conçoit  et  voit,  évoque  à  nos  yeux  et  nous  fait  voir  un  être 
complet,  dans  la  complexité  do  son  esprit  et  de  son  coi'ur,  avec 
la  diversité  des  passions  qui  s'agitont  en  lui,  dans  l'union  de 
son  Ame  avec  le  corps  qui  la  trahit  à  nos  yeux.  Mais  le  com- 
parse qui,  dans  la  tragédie  classique,  est  chargé  de  nous  faire 


g96  JAMES  THOMSON. 

connaître  le  même  personnage,  ne  saurait  viser  à  une  descrip- 
tion qui  reproduise?  ces  éléments  multiples.  Là  ou  le  héros 
décèle  d'un  mot,  d'une  exclamation,  d'un  geste  *  une  des  parti- 
cularités de  son  caractère,  il  faudrait  au  narrateur  une  lente  et 
fastidieuse  analyse  pour  nous  donner  connaissance  de  ce  même 
aspect  d'une  âme.  Aussi  le  caractère  nous  est-il  présenté 
comme  résumé  tout  entier  dans  une  ou  au  plus  dans  deux 
passions.  A  supposer  un  écrivain  dramatique  assez  maître  de 
son  art  pour  que  les  portraits  ainsi  tracés  suffisent  à  poser 
devant  nous  un  personnage  animé  et  vivant,  cette  vie  sera 
nécessairement  celle  d'une  âme  artificiellement  simplifiée  et 
réduite.  Quelques-uns  y  parviendront  à  force  de  talent.  Même 
alors  le  fond  substantiel  de  réalité,  qui  se  montre  au-dessous 
des  abstractions  du  poète  analyste,  conserve  quelque  chose  de 
général  et  d'anonyme.  Chez  les  plus  grands  parmi  les  écri- 
vains du  théâtre  classique,  il  semble  qu'il  y  ait  en  tous  les 
personnages  un  substratum  commun  et  uniforme  sur  lequel 
la  floraison  de  telle  ou  telle  passion  vient  seule  déterminer  les 
difierences  individuelles.  Chez  Shakespeare  au  contraire,  il 
n'est  pas  un  personnage  qui  ne  nous  donne  l'impression  d'un 
être  un,  indivisible,  dont  chaque  parcelle  porte,  autant  que 
l'ensemble,  la  marque  d'une  originalité  entière.  Mais  dans  les 
œuvres  de  dramaturges  inférieurs,  il  ne  restera  pas  même  ce 
minimum  de  réalité  concrète.  Les  passions  qu'on  aura  isolées 
devant  nous  pour  nous  les  faire  connaître,  comme  les  rouages 
sortis  de  la  boîte  d'une  horloge,  on  ne  réussira  pas  à  en  faire 
des  êtres  et  à  leur  rendre  l'apparence  de  la  vie.  Elles  resteront 
pour  nous  de  vagues  et  insubstantielles  abstractions.  La 
légende  allemande  connaît  un  personnage  qui  avait  perdu  son 
ombre.  Dans  les  tragédies  de  Thomson  et  des  dramaturges 
congénères  la  scène  est  peuplée  d'ombres  qui  ont  perdu  leur 
corps. 

1.  De  moins  tMicore  parfois.  I.a  joie  silencieuse  et  mouillée  de  larmes 
de  Vir^'iiia.  au  retour  de  son  Corioian,  nous  en  apprend  plus  qu'une 
savante  analyse  ps\chologique  : 

•  ....  My  gracions  silence,  hait! 
Wouldst  thou  havc  laugh'd  had  1  corne  cofHQ*d  home, 
That  weep'st  to  sec  me  triumph?  Ah,  my  dear, 
Such  eyes  the  widowa  in  Corioli  wear, 
Aud  niother:!^  that  lack  sons.  • 

(Acte  Jl,  ce.  1.  192.) 


«   CORIOLANUS.   »  897 

Le  cas  des  tragiques  anglais  du  xviii'  siècle  est  particulière- 
ment intéressant  parce  qu'il  y  a  chez  eux  connaissance  des 
deux  conceptions  dramatiques  et  admiration  partagée  entre  les 
chefs-d'œuvre  des  deux  écoles.  ïliomson  par  exemple  entend 
ajouter  à  la  tragédie  quelques-unes  des  beautés  du  théâtre  de 
la  Renaissance.  Il  s'inspirera  des  modèles  du  xvp  siècle  pour 
ajouter  plus  de  richesse  et  de  complexité  aux  caractères.  Il 
trouve  même,  et  l'aventure  est  piquante,  trop  uniforme  et  trop 
monotone  le  a  Coriolan  d  de  Shakespeare  et  il  ajoute  au  sien 
des  nuances,  des  ombres,  des  oppositions  de  ton.  Il  a  peut-être 
aussi  pensé  qu'il  y  avait  lieu  de  respecter  certain  précepte  de 
l'école,  qui  recommande  de  ne  pas  rendre  trop  noir  le  per- 
sonnage principal,  de  ménager  quelques  points  par  où  notre 
sympathie  se  puisse  prendre  à  lui.  Il  n'a  pas  senti  que  ce  qui 
donne  à  cette  fière  et  farouche  figure  de  Coriolan  son  carac- 
tèi'e,  son  originalité,  sa  puissance  dramatique,  c'est,  à  partir 
d'une  certaine  heure,  reflacement  total  de  tous  les  éléments  qui 
ont  fait  son  être  moral;  c'est  l'envahissement  de  toute  son  âme 
par  une  obsédante  passion  :  le  ressentiment  de  l'orgueil  blessé. 
Dans  l'exposition  du  drame,  Shakespeare  nous  fait  comprendre 
de  quelle  force  et  de  quelle  qualité  est  cet  orgueil.  Lorsque 
ensuite  nous  le  voyons  développé  au  point  d'étoufler  tout  autre 
sentiment,  nous  reconnaissons  en  cette  végétation  monstrueuse 
un  effet  naturel  et  fatal.  Quand  enfin,  dans  la  crise  finale, 
Coriolan  s'impose  une  conduite  contraire  à  l'impulsion  de  sa 
passion,  nous  sentons  que  dans  cette  âme  la  maîtresse  roue  est 
brisée.  Il  ne  reste  qu'un  organisme  détraqué.  Cet  homme  n'a 
plus  rien  à  faire  dans  la  vie  après  qu'il  a  anéanti  l'unique 
mobile  de  ses  actions,  et  la  mort  qui  le  frappe  est  le  seul 
dénouement  que  comporte  le  drame. 


II 


Thomson  n'a  pas  respecté  sur  ce  point  fondamental  la  gran- 
diose et  puissante  unité  du  <(  Coriolan  »  de  Shakespeare.  Il 
veut  donner  à  son  héros  des  titres  à  notre  sympathie.  Il  ne 
veut  pas  que  dans  cette  âme  le  premier  plan  soit  uniquement 
occupé  par  d'aussi  vilains  sentiments  qu'une  superbe  intrai- 


S98  JAMES  THOMSON. 

table  et  une  colère  sans  scrupules.  Et  alors,  outre  Je  patricien 
outragé  qui  ne  songe  qu'à  la  vengeance,  nous  voyons  ici  tantôt 
un  justicier  qui  se  donne  mission,  au  nom  des  principes  éter- 
nels de  la  morale  *,  de  punir  un  attentat  criminel,  tantôt  un 
tenant  du  droit  international  qui  veut  châtier  en  Romerodieux 
agresseur  de  tous  les  peuples  voisins  *.  Nous  voilà  loin  de  This- 
toire  et  de  Taltier  patricien  qu'elle  nous  fait  connaître.  Nous 
nous  en  éloignons  tant  que  le  personnage  finit  par  ressembler 
fort  à  un  contemporain  du  poète .  Son  Goriolan  exprime  à 
l'occasion  les  sentiments  d'un  héros  selon  le  cœur  des  philo- 
sophes du  xv!!!*"  siècle.  Il  explique  son  ressentiment  ou  il 
donne  des  gages  de  sa  reconnaissance,  au  moyen  d'aphorismes 
humanitaires  tels  que  celui-ci  :  a  L'ingratitude  est  une  tra- 
hison envers  l'humanité  '  ».  —  Ce  n'est  pas  l'humanité  en 
général  que  le  Goriolan  de  Shakespeare  avait  sentie  outragée 
en  lui.  —  Le  farouche  et  dur  soldat  de  l'histoire  est  devenu  un 
homme  sensible.  Quand  il  a  opposé  aux  envoyés  de  Borne 
un  refus  hautain,  il  se  souvient  des  droits  de  Tamitié;  va 
embrasser  tour  à  tour  les  amis  auxquels  il  a  fait  si  mauvais 
accueil  dans  leur  qualité  d'ambassadeurs  *.  Il  verse  des  larmes 
quand  sa  femme  joint  ses  supplications  à  celles  de  sa  mère  '. 
Enfin  il  est  très  préoccupé  de  la  a  nature  ».  G'e^t  le  pouvoir  de 
la  nature  que  Veturia  vient  tenter  après  l'échec  d'une  première 
députation;  et  quand  elle  a  enfin  obtenu  gain  de  cause,  c'est  à 
la  nature  que  Goriolan  lui-même  attribue  sa  défaite  *. 

Gette  combinaison  du  personnage  de  fer  que  nous  montre 
l'histoire  et  de  l'homme  de  sentiment  qu'imagine  Thomson  ne 
crée  pas  le  relief  et  la  complexité  de  la  vie;  il  détruit  toute 
netteté  de  conception  du  caractère.  Ge  Goriolan  n'est  pas 
à  la  fois,  mais  tour  à  tour,  ce  que  l'histoire  le  montre  et  ce  que . 


1.  Voir  en  particulier  le  récit  de  Titus  (acte  H,  se.  i),  et  le  portrait  de 
Goriolan  par  Galesus  (acte  V,  se.  iv). 

2.  Kntre  autres  passages,  les  paroles  de  Coriolan  (acte  111,.  se.  vi). 

3.  Acte  ï,  se.  IV. 

^'  •  So  far  my  public  character  demands, 

So  far  m  y  houour.  New  \vhat  should  forbid 
The  man  and  friend  to  be  indulg'd  a  liltle?  » 

(Acte  III,  se.  111.) 

5.  «  See  thèse  tcars!  Thèse  tears  will  tell  Ihee  >  etc. 

(Acte  V,  se.  1.) 
^*  «  Thine  is  the  triuuiph,  nature!  » 


«   CORIOLANUS.   »  599 

le  goût  du  xviii''  siècle  aurait  pu  désirer  qu'il  fût;  et  le  lecteur 
n'emporte  qu'une  idée  confuse  et  incohérente  de  cette  image 
flottante  dont  l'auteur  n'a  pas  su  préciser  les  contours  ni 
accentuer  les  caractères  dominants. 

Est-il  besoin  de  continuer  cette  étude  et  de  passer  en  revue 
les  principaux  personnages?  Il  serait  trop  facile  et  il  serait 
cruel  de  comparer  aux  créations  de  Shakespeare  les  exem- 
plaires amendés  qu'en  a  donnés  Thomson.  Son  Aufidius  a  la 
même  incohérence  que  son   Goriolan.  L'auteur  a  répugné 
à  en  faire  un  pur  traître  de  mélodrame;  il  n'a  pas  voulu 
cependant  nous  y  montrer  un  héros  de  plus  haute  moralité 
que  Goriolan  lui-même;  et  il  n'a  pas  su  fondre  dans  Tunité 
de  la  vie  les  éléments  hétérogènes  qu'il  a  associés.  Les  per- 
sonnages secondaires,   dont  quelques-uns   donnent  tant  de 
saveur  et  d'attrait  au  drame  de  Shakespeare,  ont  ici  disparu. 
Tel  Ménénius,  le  patricien  politique  et  bon  enfant  qui  s'oppose 
par   un    contraste    si    heureux,  au    caractère  de   Goriolan. 
Telle  cette  Volumnia  qui,  sans  avoir  prononcé  une  parole, 
nous  laisse  le  souvenir  d'une  des  plus  délicieuses  figures  de 
Shakespeare,  et  vaut  plus  que  de  longs  commentaires  des 
historiens  pour  nous  faire  voir  et  nous  faire  comprendre  la 
vieille  république  aux  mœurs  austères  et  pures.  Ou  bien  ils 
ont  perdu  leur  caractère,  comme  ce  Gominius,  le  noble  chef 
et  l'ami  attristé  de  Goriolan,  qui  chez  Thomson  devient  un 
pompeux  orateur  et  adresse  à  Marcius  révolté  un  cours  de 
politique  égalitaire  sur  les  droits  des  plébéiens,  <i  couches  pro- 
fondes »  où  se  recrute  l'élite  de  la  nation.  Faut-il  rappeler 
enfin  ce  qu'il  a  fait  de  cette  admirable  Volumnia  *  dont  Torgueil 
peut   seul  égaler  celui  de  Goriolan  et  dont  la  fière  volonté 
finit  par  fléchir  la  colère  de  son  fils?  Thomson  nous  la  montre 
à  bout  d'éloquence,  tirant  de  ses  vêtements  un  poignard  et 
menaçant  de  se  tuer.  G'est  devant  cet  argument  mélodrama- 
tique et  vulgaire  que  Goriolan  renonce  à  sa  vengeance. 

II  est  plus  juste  de  dire  que  si  Thomson  n'avait  pas  les  dons 
de  riiistorien  et  du  poète,  s'il  n  a  pas  su,  comme  Shakespeare, 
revoir  des  yeux  de  l'esprit  et  reconstituer  devant  nous  une  des 
éix)ques  de  la  Rome  antique,  s'il  n'a  pas  su  davantage  donner 

1.  On  remarque  les  changemenls  de  noms.  Volumnia  est,  chez  Shake- 
speare, la  luère,  et  chez  Thoinson  la  femme  de  Goriolan.  La  mère  preud  ici 
Je  nom  de  Veturia. 


600 


JilMES  THOMSON. 


à  ses  personnages  Tintensité  de  la  vie  parce  qu'iJ  n'avait  ni  le 
don  de  divination  de  rhistorien,  ni  la  puissance  de  création 
du  poète  tragique,  il  n'est  pas  d'autre  part  responsable  de 
toutes  les  erreurs  de  goût  ni  des  anachronismes  moraux 
que  nous  avons  relevés.  Il  écrivait  pour  son  temps,  il  s'est 
inspiré  des  sentiments  de  son  temps;  et,  telle  qu'elle  était,  sa 
tragédie  a  su  plaire  à  ses  contemporains.  Près  de  vingt  ans 
plus  lard,  quand  déjà  la  critique  et  le  public  montraient  une 
intelligence  plus  exacte  du  génie  de  Shakespeare,  Sheridan 
le  père  donnait  au  théâtre  un  «  Coriolan  *  i»  dans  lequel  il 
croyait  bien  faire  en  mélangeant  à  doses  à  peu  près  égales  la 
pièce  de  Shakespeare  et  celle  de  Thomson. 


1.  Joué  à  Covenl-Garden  en  1764,  et  publié  sous  ce  tilre  : 
«   Coriolanus  :  or  ifie  Roman  matron,  A  Tragedy   taken  frora  Shake- 
spcar  and  Thomson,  as  it  is  acted  ai  the  Thealre-Royal  in  Covent  Gardeo  : 
to   which    is   added    Ihe   order   of  the   Ovation.  London   :   Printed  for 
A.  Miflar,  in  the  Strand.  MDCCLIV.  » 

Cette  «  adaptation  »  et  celle  de  Kemble  suffisent  pendant  longtemps  au 
public  anglais,  si  bien,  comme  le  fait  remarquer  Campbell^  que  le  Téri- 
table  u  Coriolan  »  de  Shakespeare  n'a  pas  été  joué  entre  1660  et  1820. 


CHAPITRE  VII 


CONCLUSION 


On  le  voit,  les  six  œuvres  dramatiques  de  Thomson  n'ajo 
tent  guère  à  sa  renommée.  Leur  valeur  propre  est  faible, 
n'est  pas  surprenant  qu'elles  dorment  au  fond  de  ces  abin 
de  Toubli  où  se  sont  successivement  déposées  tant  de  trag 
dies  aujourd'hui  fossiles.  Mais  l'histoire  littéraire  ne  peut 
contenter  de  ce  dédaigneux  silence.  Elle  doit  tenir  compte 
poète  d'un  effort  intéressant,  quel  qu'en  ait  été  le  succès,  po 
introduire  quelque  chose  de  personnel  et  de  nouveau  dans 
formules  dramatiques  de  son  temps. 

A  considérer  les  œuvres  antérieures  à  Thomson,  le  théât; 
au  commencement  du  x\nV  siècle,  nous  apparaît  comme  pa 
tagé  en  deux  écoles  distinctes.  L'immense  succès  du  a  Catoi 
d'Addison  avait  donné  le  type  de  l'œuvre  dramatique  appr 
priée  au  goût  nouveau.  La  tragédie  ainsi  comprise  correspo 
bien  à  ce  triomphe  de  l'esprit  classique  et  de  l'imitation  de 
France  qui  se  manifestait  d'autre  part  dans  la  poésie  satiriq 
et  didactique  et  que  consacre  le  génie  de  Pope.  Le  théâtre  q 
réclame  cette  forme  du  goût  ne  vaudra  pas  par  l'intensité 
la  vie  ni  par  le  relief  des  caractères;  il  nous  présentera 
passion  généralisée  et  comme  sublimée;  il  se  contentera  d'i 
minimum  d'intrigue.  Mais  il  recherchera  les  beaux  vers  et  1 
maximes  sonores;  il  s'ornera  de  nobles  sentiments  et  d'u 
éloquence  élevée;  enfin,  sous  le  couvert  d'une  fable  dram 
tique  empruntée  à  l'antiquité,  il  prodiguera  les  allusions  ai 
événements  contemporains. 


60â  JAMES  THOMSON. 

Cette  forme  de  la  tragédie  marquait  une  réaction  contre  le 
goût  qui  avait  régné  jusqu'alors.  L'école  qui  pouvait  se 
réclamer  de  la  tradition  nationale,  les  successeurs  d'Otway, 
de  Lee  et  de  Southerne,  ceux  qui  prétendaient  se  rattacher  par 
ces  intermédiaires  à  la  grande* école  de  Tâge  d'Élizabelh,  ce» 
écrivains  avaient  conservé  de  leurs  modèles  grands  ou  médio- 
cres Temphase  du  style,  la  complication  et  Tinvraisemblance 
de  l'intrigue,  la  violence  forcenée  des  passions.  Il  leur  man- 
quait seulement  ce  don  de  création  et  ce  pouvoir  de  donner  la 
vie  qui  fait  la  grandeur  du  théâtre  de  Shakespeare,  et  qui 
rachète  plus  d'un  défaut  chez  les  Ford  et  les  Otway.  Les  deui 
tendances  se  manifestent  simultanément;  la  scène  anglaise 
voit  paraître  à  la  fois  la  grave  tragédie  de  Congreve,  The 
Mourning  Bride  '  et  le  drame  romanesque  de  Southerne, 
Oroonoko  *.  Le  grand  succès  de  Cato  ^  n'empêche  pas  la  pro- 
duction de  tragédies  à  péripéties  extraordinaires  et  à  carac- 
tères outrés  tels  que  le  Biisiris  de  Young  *. 

Thomson  s'est  proposé  de  réaliser  au  théâtre  une  concilia- 
tion des  deux  écoles.  Il  a  cru  pouvoir  éliminer  de  chacune  ce 
que  blâmait  le  bon  goût  et  en  conserver  ce  qui  faisait  leur 
valeur.  Il  se  proposait  d'observer  les  règles  précises  et  exi- 
geantes de  l'école  française  :  unités  de  temps  et  de  lieu,  choix 
de  sujets  historiques  et  de  personnages  princiei's,  exposition 
du  sujet  par  un  récit,  importance  des  discoui*s,  absence  de 
toute  action  violente  sur  la  scène.  Mais  il  voulait  assouplir  le 
cadre  tro|3  inflexible  de  la  tragédie  classique;  y  faire  une  place, 
IX  côté  du  drame  des  passions,  aux  surprises,  à  l'attente,  aux 
émotions  d*une  intrigue  ingénieusement  nouée  et  déliée. 

Sa  tentative  n'est  donc  pas  sans  analogie  avec  celle  qu'essayait 
Voltaire  à  la  même  époque.  Gomme  ce  dernier,  le  poète  anglais, 
alors  même  qu'il  prend  pour  sujets  les  faits  les  plus  connus  de 
l'histoire,  s'efforce  d'ajouter  à  la  gravité,  à  la  réserve,  à  la 
hauteur  soutenue  des  pensées  et  du  langage,  plus  d'impré\'U 
et  de  variété  dans  l'action.  Alors  même  qu'il  prend  pour  sujet, 
comme  dans  «  Agamemnon  d  ou  dans  a  Coriolan  »,  un  de  ces 
drames  dont  la  fornie  a  été  rigoureusement  arrêtée  par  la  tra- 
dition et  par  Tautorité  de  grandes  œuvres  littéraires,  il  croit 
devoir  y  introduire  la  diversité  psychologique,  l'émotion  pathé- 

1.  1697.  —  2.  1696.  —  3.  1713.  —  4.  1719. 


CONCLUSION.  603 

tique  ',  et  parfois  Tattrait  d'une  afTabulation  qui  pique  la 
curiosité  et  soutienne  l'attention.  Mais  cet  élément  d'intérêt 
qu'apporte  l'intrigue,  il  lui  conserve  un  caractère  modéré.  Il 
n'ajoute  aux  grands  souvenirs  de  Rome  ou  de  la  Grèce,  rien 
qui  ressemble  aux  imaginations  extravagantes  de  la  «  Sopho- 
nisbe  »  de  Lee  ou  du  a  Busiris  »  de  Young.  A  la  belle  ordon- 
nance et  à  l'éloquence  pompeuse  de  la  tragédie  classique  il  veut 
ajouter  une  certaine  dose  d'imagination  raisonnable  et  tempérée. 
C'est  de  ce  double  effort  que  le  loue  Voltaire.  Il  y  reconnaît  une 
préoccupation  semblable  à  celle  qui  lui  fait  chercher  en  France 
une  forme  rajeunie,  plus  vivante  et  plus  attrayante  de  la  tra- 
gédie; et  l'initiative  de  Thomson  en  Angleterre  est  secondée 
par  les  traductions  que  donne  ITill,  l'ami  du  poète  anglais, 
des  principales  œuvres  de  Voltaire. 

Les  jugements  sur  l'opportunité  ou  sur  la  valeur  propre  de 
ce  principe  dramatique  seraient  de  peu  d'intérêt.  La  tentative 
a  échoué  plus  complètement  en  Angleterre  qu'en  France.  Les 
contemporains  ont  fait  à  «  Coriolan  »,  comme  à  a  Agamemnon  », 
comme  à  a  Sophonisbe  »  un  succès  d'estime  ^  ;  mais  ils  n'y  ont 
pas  vu  la  révélation  d'un  art  nouveau.  Cette  tragédie  bâtarde 
n'a  pas  fait  souche.  Il  n'est  pas  à  regretter  que  le  drame 
ultra-fantaisiste,  aux  violences  furibondes  n'ait  pas  survécu 
à  l'apparition  d'œuvres  sensées,  composées  et  écrites  avec 
soin  et  avec  mesure.  Mais  ce  que  notre  auteur  avait  voulu 
conserver  de  la  force  et  de  l'audace  des  vieux  maîtres  a 
disparu  avec  le  reste  sous  les  railleries  de  Fielding  et  de 

0.  Prétendre  que  ces  tragédies  aient  un  caractère  pathétique  serait 
autre  chose.  Nous  avons  au  contraire  quelque  peine  à  imaginer,  même  en 
faisant  la  part  du  jeu  d^aclrices  habiles,  comment  les  malheurs  de  Sopho- 
nisbe ou  les  anxiétés  de  Clytemneslre  ont  pu  tirer  des  larmes  aux  spec- 
tateurs de  Drury-Lane.  Johnson  déjà  notait  à  cet  égard  l'insuffisance  de 
notre  poêle  :  •  n  ne  semble  pas,  dit-il,  qu'il  ait  eu  beaucoup  le  sens 
du  pathétique  ».  Mais  Pope  était  d'un  autre  avis  :  «  Je  n'ai  vu  jusqu'à 
présent  que  trois  actes  de  1'  «  Âgamcmnon  »  de  M.  Thomson;  mais  on  me 
dit,  et  je  le  crois  par  ce  que  j'en  ai  vu,  qu'il  excelle  dans  le  pathétique.  • 
(Lettre  à  Ilill.) 

Johnson  sans  nul  doute  a  raison.  Mais  Pope  nous  fait  connaître  Tinten- 
lion  de  l'auteur  et  c'est  ce  que  nous  avons  à  noter  ici. 

1.  Ce  n'est  pas  en  Angleterre  seulement  que  Thomson  est  pris  au 
sérieux  comme  auteur  tragique.  Leasing  le  cite  avec  éloges  dans  la»  Dra- 
maturgie deUambourg»;  il  écrit  une  préface  à  une  traduction  allemande 
des  tragédies  de  Thomson  (CiKuvres,  édit.  Hempel.  XI,  1,  p.  8!î3);  il  tra- 
duit lui-même  des  fragments  de  •  Tancrêde  et  Sigismonde  •  {ibid.,  XI,  2, 
p.  319}  et  d'  A  Agamemnon  »  {ibid,,  p.  516). 


604 


JAMES  THOMSON. 


Carey,  et  devant  les  exigences  d'un  bon  sens  plus  rassis.  La 
forme  sous  laquelle  la  tragédie  anglaise  a  prolongé  pendant 
le  cours  du  xvni*  siècle  sa  languissante  existence  a  été  plutôt 
celle  de  la  pure  tragédie,  comme  nous  la  trouvons  dans 
r  a  Irène  »  de  Johnson;  et,  de  l'œuvre  de  Thomson,  la  posté- 
rité n'a  guère  retenu  que  deux  ou  trois  anecdotes  suspectes, 
un  vers  ridicule,  et  le  glorieux  chant  patriotique  éclos  parmi 
les  froides  platitudes  d'  a  Alfred  ». 


LIVRE   V 


« 


LE    CHATEAU    D'INDOLENCE 


» 


J 


Ni  la  production  intermittente  de  quelques  tragédies,  ni  le 
travail  de  revision  et  de  remaniement  des  a  Saisons  »  ne  cons- 
titue un  bagage  littéraire  important  pour  la  période  de  douze 
années  qui  va  de  rachèvement  de  a  La  Liberté  »  à  la  mort  du 
poète.  A  partir  de  1736,  dans  sa  paisible  demeure  de  Riclimond, 
Thomson,  renonçant  aux  visées  ambitieuses  pour  jouir  en 
philosophe   d'un   peu  de    gloire  et  d'une  aisance  modeste, 
s'abandonne  à  une  oisiveté  qui  contraste  avec   l'énergique 
activité  des  dix  années  précédentes.  Pour  les  amis  qui  fai- 
saient sa  société  ordinaire,  cette  nonchalance  était  un  sujet 
fréquent  de  railleries  et  de  reproches.  Plusieurs  de  ces  cen- 
seurs partageaient  cependant  le  goût  de  notre  poète  pour  le 
fepos  et  pour  les  plaisirs  du  dilettantisme.  11  voulut  riposter 
à.  des  accusations  qu'il  ne  croyait  pas  mériter  seul,  et  s'amusa 
vin  jour  à  tracer  en  quelques  strophes  le  portrait  des  compa- 
gnons de  son  loisir.  Ce  sont  ces  légères  esquisses  qui  sont 
devenues  «  Le  Château  d'Indolence  ».  Cette  aimable  confes- 
sion d'un  paresseux  s'est  peu  à  peu  développée  au  point  de 
Former  une  œuvre  considérable.  Pendant  plus  de  dix  ans, 
l'auteur  n'a  cessé  de  la  retoucher,  de  la  perfectionner  et  de 
l'accroître  *.  Il  y  a  mis,  à  défaut  du  grand  enthousiasme  qui 


i.  •  Afler  fourtecn  or  fifteen  years  Ihe  CasUe  of  Indolence  cornes  abroad 
in  a  fortoight.  »  (Thomson  à  Palerson.  avril  1748.) 


606  JAMES  THOMSON. 

soutient  son  eflbrt  dans  le  long  labeur  des  c  Saisons  >,  une  élé- 
gance souple  et  facile,  une  philosophie  tour  à  tour  élevée  et 
railleuse,  et  Tharmonie  d'un  art  exquis.  C'est  ce  poème  qu'il 
nous  reste  a  étudier,  cette  épopée  de  l'Indolence  chantée paruo 
indolent.  Nous  y  trouverons  le  témoignage  extrêmement  inté- 
ressant de  la  transformation  que  cette  époque  a  vue  s'accom- 
plir dans  le  goût  littéraire,  dans  les  motifs  d'inspiration  et 
dans  le  credo  artistique  de  l'auteur  des  «  Saisons  »  et  de  c  l^a 
Liberté  ». 

Le  poème  comprend  deux  chants  d'égale  longueur.  Le  pre- 
mier est  occupé  par  la  description  du  Château,  du  magicien 
qui  l'habile,  de  ses  hôtes  et  de  la  vie  qu'ils  y  mènent.  11  nous 
présente  la  peinture  des  plaisirs  de  la  paresse.  Le  second 
chant  apporte  une  contre-partie  utile.  Il  nous  fait  connaître 
le  chevalier  Travail,  sa  lutte  contre  Indolence,  la  vanité  des 
joies  que  l'enchanteur  promet  à  ses  dupes,  et  les  maux  qui  se 
cachent  sous  ces  voluptés. 

Après  un  court  préambule,  six  strophes  sont  consacn^s  à 
nous  décrire  le  ChîUeau  et  le  site  où  il  s'élève.  Puis  nous 
entendons  les  chants  du  magicien,  ses  promesses  et  l'énumé- 
ration  des  joies  qu'il  assure  à  ses  adeptes  *.  Des  nombreux  audi- 
teurs que  sa  voix  attire,  beaucoup  se  pressent  pour  entrer 
dans  le  palais.  Quelques-uns  plus  sages  hésitent  méfiants, 
('eux  qu'il  peut  atteindre  et  toucher  perdent  toute  force  et 
deviennent  ses  prisonniers  -.  —  Nous  suivons  dans  le  Château 
la  foule  de  ces  hôtes  nouveaux.  Nous  les  voyons,  sous  la  direc- 
tion du  gras  et  somnolent  gardien  de  la  porte,  échanger  leurs 
vêtements  pour  des  robes  flottantes  et  de  souples  chaussures. 
Ils  vont  boire  à  la  fontaine  d'Oubli  qui  jaillit  au  milieu  de  la 
cour,  et  ils  se  dispersent  dans  la  silencieuse  étendue  des  jar- 
dins, invités  par  le  maître  à  vivre  selon  la  devise  du  lieu  : 
Fais  ce  que  veux  ;  ne  prends  point  souci  de  ce  que  fait  ton 
voisin;  mérite  Ion  bonheur  en  évitant  de  gêner  les  autres'. 

Alors  vient  la  peinture  de  ce  séjour  merveilleux  où  nul 
bruit  importun  ne  trouble  la  paix  des  hôtes,  où  les  mets  les 
plus  recherchés  sollicitent  leur  appétit  ou  leur  gourmandise, 
où  tons  les  raffinements  de  l'élégance  et  de  la  richesse  s'unis- 
sent pour  assurer  à  leur  paresse  la  demeure  la  plus  luxueuse; 

I.  Strophes  i\  à  xx.  —  2.  x\  h  xxiv.  —  3.  xxiv  h  xxxi. 


«  LE  CHATEAU   D'INDOLENCE.   »  607 

)ii  les  arts  leur  procurent  des  joies  sans  fatigue,  où  Tair  même 
ipporte  une  influence  de  langueur  délicieuse  avec  les  mur- 
nures  du  vent,  les  sons  de  la  harpe  éolienne,  et  la  claire 
rhanson  des  eaux  vives  et  des  cascades  *. 

Le  poète  se  range  au  nombre  des  mortels  qui  ont  connu  les 
plaisirs  du  Château,  et  ce  sommeil  auquel  Morpliée  réserve 
>es  songes  les  plus  agréables  *,  Il  s'est  amusé  lui  aussi  du 
5p<.»ctable  offert  dans  le  jardin  par  le  globe  magique,  le  miroir 
le  vanité.  Il  y  a  vu  Tincessante  et  stérile  agitation  des  hommes 
ît  la  frivolité  de  leurs  buts  :  amour  du  lucre,  science,  littéra- 
ture, vie  mondaine,  politique  et  ces  luttes  de  nations  ce  que 
ies  rois  très  chrétiens  d  précipitent  les  unes  contre  les  autres  -K 
\  côté  de  lui  il  fait  place,  parmi  les  adeptes  du  magicien,  à 
Dlusieurs  de  ses  amis  :  Paterson  *,  Armstrong,  John  Forbes, 
jeorge  Lyttelton  (qui  lui-même  s'est  chargé  du  portrait  de 
rhomson  et  Ta  tracé  avec  une  fine  et  affectueuse  raillerie  *), 
mVin  Facteur  Quin  et  Murdoch  «,  le  futur  biographe  de  Tau- 
eur.  Murdoch  est  prêtre,  et  nombreux,  dit  malicieusement 
'auteur,  sont  les  gens  de  sa  robe  au  Château  d'Indolence. 
S'ombreuse  aussi  la  tribu  des  politiciens  de  cafés,  et  celle  des 
nondaines  frivoles  dont  l'activité  même  n'est  qu'une  autre 
orme  de  l'oisiveté  \ 

Ce  n'est  pas,  il  en  faut  convenir,  Thorreur  et  la  répulsion 
[u'inspire  le  séjour  ainsi  décrit.  Les  dernières  strophes  du 
)remier  chant  viennent  fort  à  propos  nous  rappeler  qu'il  ne 
i'agit  pas  ici  d'une  apologie  de  la  paresse.  Toutes  ces  voluptés 
ne  sont  que  perfide  illusion.  Dès  qu'ils  ont  passé  l'âge  des 
charmes,  les  habitants  de  ce  lieu  de  délices  sont  enfermés  dans 
un  cachot  souterrain  et  livrés  aux  démons  et  aux  sorcières  de 
l'enfer.  Armstrong,  le  médecin  poète,  s'est  chargé  de  peindre 

i.   XXXI  à  XUII.  —  2.  XLIV   U  XLVIII.  —  3.  XLIX   «\   LVI. 

4.  Peiil-ôtre,  au  lieu  de  Paterson,  est-ce  Collins  qui  est  visé.  Les  détails 
lonnès  lui  conviendraient  également,  et  c'est  lui  que  veut  reconnaître 
fr.  \V.  Moy,  son  biographe.  Les  présomptions  qu'il  énumère  sont  assez 
agues  et  nous  avons  d'autre  part  Tafflrmation  de  Thomson  lui-m(}me 
;u'une  «  niche  ■  est  réservée  à  Paterson.  Reste  la  supimsition  que  le  por- 
riiil  ait  pu  s'appliquer  aux  deux  personnages,  et  que  le  poète  ait  songé  & 
<>Ilin8  quand  il  traçait  le  portrait  de  ce  «  rAveur  doux,  alTectiieux  et 
■ensif  sans  tristesse,  dont  l'imagination  bdlissait  mille  systèmes  glorieux, 
ont  l'esprit  enfantait  mille  projets  grandioses  destines  à  disparaître  sans 
Uis  laisser  de  trace  que  les  nuages  qui  passent.  »  (Sir.  iaii-m\.' 

5.  Strophe  lxviii.  —  6.  i.xvn  et  i.xix.  —  ".  i.xix  à  lxxii. 


608  JAMES  THOMSON. 

ces  victimes  d'Indolence.  La  Léthargie,  l'Hydropisie,  l'Hypo- 
chondrie,  la  Fièvre  Tierce,  la  Goutte  et  l'Apoplexie  présentée 
en  quelques  peintures  vigoureuses  nous  apprennent  combien 
sont  dangereuses  les  séductions  complaisamment  détaillées  par 
le  poùme  *. 

Au  début  du  deuxième  chant  l'auteur  nous  dit  quels  regrets 
il  éprouve  à  reconnaître  la  vanité  des  plaisirs  du  Chàteaa.  11 
va  chanter  cependant  le  chevalier  glorieux  qui  a  chassé  la 
troupe  vile  des  fidèles  d'Indolence,  et  rappelé  à  la  noblesse  de 
Taction  quelques  êtres  généreux  trompés  par  le  magicien  K 

Dans  le  pays  des  Fées,  Selvaggio,  inculte,  robuste  et  hardi, 
s'est  uni  à  la  dame  Pauvreté.  Il  leur  est  né  un  lils  qui  a  pris 
le  nom  de  Chevalier  des  Arts  et  de  l'Industrie.  Sa  jeunesse 
s'est  formée  dans  les  jeux  libres  et  sains  de  la  forêt.  Elle  na 
pas  connu  les  soins  de  tendres  parents.  Mais  Minerve  et  les 
dieux  qui  protègent  les  champs  se  sont  intéressés  à  ren&nt 
Les  neuf  sœurs  divines  ont  jeté  sur  lui  un  regard  favorable'. 
—  Ainsi  préparé,  le  Chevalier  sort  de  ses  forêts  pour  civiliser 
le  monde.  Il  voit  fuir  devant  lui  la  paresse  et  la  férocité,  il 
polit  les  nations,  il  fait  naître  les  arts  et  les  vertus.  Il  choisit 
la  Ikelagne  pour  sa  terre  de  prédilection.  Il  y  élève  son  ehef- 
d  œuvre  dans  une  nation  où  règne  la  liberté,  où  l'industrie, 
l'agriculture,  les  arts,  la  science,  le  commerce  et  la  puissance 
guerrière  atteignent  leur  plus  haut  développement.  Enfin,  dans 
une  fcinio  de  la  vallée  de  la  Dee,  prenant  un  repos  bien  gagné, 
il  se  prépare  à  finir  ses  jours  dans  un  bonheur  paisible  *. 

Mais  Indolence  étend  sa  funeste  influence.  Les  peuples 
menacés  font  appel  à  la  protection  du  vieux  Chevalier.  Il 
monte  à  cheval,  armé  du  filet  du  destin  qu'ont  tressé  les  Parques; 

1.  De  lAxiii  à  Lxxvii.  -  On  peiil  comparer  à  ces  allégories  du  «  Château - 
«les  exemples  antérieurs.  Dans  The  Court  of  Dealh  de  Gay  (fable  XLVll}. 
nous  voyons  les  Uij:nbres  ministres  du  monarque  ':  Fever,  Goul,  "*• 
Sloiie,  Consumplion,  Plagiie,  Intempérance.  C'est  ce  dernier  qui  obtient  le 
prix  projiosé.  —  Spenscr  rencontre  l'occasion  d'une  énumëration  Jq 
môme  v:enre,  mais  il  se  contente  d'une  sobre  indication  : 

-  Tliere  x\erc  full  manv  moo  like  maladies 
Whose  namcs  and  nalures  l  note  readen  xvcll, 
So  mauy  moe  as  ihore  bc  phantasies 
In  wavcrv  nn  émeus  witt.  » 

« 

{The  FdPiy  Quvenfi,  Bk  III,  canto  XII,  str.  \\\\.\ 
iî.  Sir.  IV.  —  3.  Sir.  vu  à  xiv.  —  4.  xiv  à  xxix. 


«  LE  CBATE&U  D'INDOLENCE.  »  609 

et,  accompagné  de  son  barde,  Philomelus,  il  se  dirige  vers  la 
demeure  d'Archimago  '.  Ils  trouvent  le  magicien  à  la  porte  de 
son  palais,  attirant  selon  sa  coutume  les  imprudents  qui 
prêtent  l'oreille  à  ses  chants.  Archimago  s'élance  sur  le  Che- 
valier; mais  celui-ci  évite  l'étreinfe  fatale,  et  jette  le  filet  dans 
lequel  le  sorcier  se  débat  impuissant  et  vaincu  '.  Les  démons 
inférieurs  du  lieu  poussent  d'horribles  clameurs.  Le  seigneur 
Industrie  attend  qu'ils  se  soient  tus.  Puis  il  ordonne  à  son 
barde  de  tenter  un  effort  pour  sauver  ceux  des  prisonniers 
dont  l'Ame  n'est  pas  entièrement  empoisonnée.  Philomelus 
alors  célèbre  la  raison,  la  piété,  la  dignité  du  travail,  les  joies 
d'une  vie  active  et  pure  '.  —  Plusieurs  des  bâtes  du  Château 
se  laissent  convaincre,  et  itarmi  eux  le  poi'le  lui-même  :  «  Nous 
t  quitti\mea  joyeux  ces  bosquets  criminels  n.  Mais  les  autres, 
plus  nombreux,  injurient  les  importuns  qui  viennent  troubler 
leur  jiaix  '.  Le  Chevalier  agite  une  baguette  dont  le  pouvoir 
détruit  toutes  les  illusions  de  la  magie,  et  la  scène  apparait 
transformée.  Ce  Heu  de  délices  n'est  qu'une  région  affreuse, 
oii  grouillent  d'odieux  reptiles,  où  se  voient  les  cadavres 
d'êtres  assassinés  ou  suicidés.  Les  cachots  laissent  écliappor 
la  horde  des  misérables  cfu'ils  contenaient,  et  ceux-là  liéni^ssent 
le  Chevalier  qui  les  fait  jouir  encore  du  a  sourire  de  la 
lumière  »  '.  Ému  de  leur  état,  Industrie  leur  montre  dans  le 
repentir  la  voie  du  salut  eu  cette  vie  ou  dans  l'autre.  Il  laisse 
entrevoir  même  aux  coupables  endurcis  la  possibilité  d'une 
purification  par  la  douleur  '.  Enfin  il  regagne  sa  retraite  lais- 
sant derrii're  lui,  avec  une  larme  de  pitié,  les  malliourcux  qui 
ont  méprisé  le  salut  et  dont  la  destinée  est  indiquée  dans  les 
cinq  dernières  strophesavec  une  énergie  toute  dantesque. 

4.  Lxiv  b  Lxvi. —  Comp.  un  (la^Aiige  dj  inas<|iiu  île  Bek  JoMios,  Cyidliia  : 


-  Uear  AreU  and  Critcs.  to  y 

ou  l«0 

WeBivethe  eharfic,  impose 

what  pains  vou  pio 

The  ioeurahle  eut  oIT,  lljc  rci 

il  reform.  • 

(AcW  V, 

610  JAMES  TBOMSON. 


II 


Telle  est  la  fable  du  poème.  Mais  l'œuvre  est  de  celles  où  la 
façon  de  louvrier  vaut  beaucoup  plus  que  la  matière  tra>*aiilée. 
C'est  par  les  détails,  par  la  richesse  et  l'élégance  des  orne- 
ments, par  le  style  et  par  la  facture  des  vers  que  «  le  Château 
d'Indolence  »  a  mérité  une  place  parmi  les  purs  chefs-d'œuvre 
de  la  poésie  anglaise. 

Le  contraste  est  grand  avec  les  a  Saisons  »  où  le  fond  au 
contraire  avait  plus  de  valeur  que  la  forme.  Par  bien  d'autres 
caractères  les  deux  poèmes  s'op|)osent.  Le  grand  poème  des- 
criptif est  plein  de  la  réalité  la  plus  concrète  :  c'est  le  inonde 
des  choses  qui  s'y  montre  à  nous.  Au  contraire,  rien  de  réel 
dans  Tallégorie  i)rolongée  qui  forme  le  sujet  du   «  Château 
d'Indolence  ».  Ce  môme  écrivain,  dont  le  génie  poétique  sem- 
blait fait  d'une  observation  complète  et  précise  de  la  nature, 
développe  ici  en  un  long  apologue  quelques   idées  morales. 
Dans  un  monde  idéal,  au  milieu  d'une  nature  semblable  aux 
visions  des  rêves,  il  fait  agir  ou  parler  des  personnages  aussi 
dépourvus  d'humanité  et  de  réalité  objective  que  les  héros  de 
romans  de  Chevalerie.  Au  lieu  de  la  forte  évocation  des  choses, 
il  fait  jouer  (levant  nos  yeux  les  fuyantes  et  capricieuses  créa- 
tions de  la  fantaisie.  Au  lieu  des  spéculations  philosophiques 
un  peu  ambitieuses  de  sa  jeunesse,  et  de  son  lyrisme  avoisi- 
nant  l'emphase,  nous  avons  ici  une  œuvre  toute  en  demi-teintes, 
où  le  ton  passe  de  la  plaisanterie  et  de  Thumour  aux  graves 
levons  morales,  mais  où  toujours  l'austérité  du  moraliste  se 
tempère  d'un  sourire  fait  à  moitié  d'ironie,  à  moitié  d'indul- 
gence. 

L'opposition  n'est  pas  moindre  si  nous  considérons  la  forme 
des  deux  œuvres.  La  langue  forte,  puissante,  un  peu  tendue  et 
solennelle  des  <c  Saisons  »  est  remplacée  par  une  langue 
souple,  dégagée,  aux  tons  variés.  Au  lieu  du  vers  blanc,  c'est- 
à-dire  (le  la  plus  simple  des  formes  poétiques,  le  «  («hàteau  •  nous 
montre  la  strophe  spensérienne,  le  plus  savant  et  le  plus  com- 
pliqué des  rythmes  qu'on  ait  jamais  employés  au  développe- 
ment d'un  poème  de  quelque  étendue. 


«   LE  CHATEAU   D'INDOLBNGB.   »  611 

La  part  ainsi  faite  à  ces  contrastes,  nous  ne  serons  pas  sur- 
pris de  trouver  aussi  entre  les  deux  œuvres  maîtresses  de  Técri- 
vain  plus  d'une  ressemblance.  En  dépit  des  changements 
apportés  par  les  influences  du  milieu  et  par  le  cours  des  années, 
la  personnalité  de  Thomson  était  trop  forte,  son  génie  trop 
robuste  pour  que  nous  ne  retrouvions  pas  le  poète  des  «  Sai- 
sons 1»  sous  l'auteur  du  poème  allégorique. 

Le  souvenir  de  son  enfance,  de  ses  simples  plaisirs,  des 
scènes  rustiques  où  elle  s'est  écoulée  ouvrait  «  1'  Hiver  »  ^  Il 
reparait  encore  dans  l'œuvre  dernière.  «  Esprits  qui  protégez 
c  le  sommeil  des  hommes,...  faites  revenirà  la  lumière  l'aurore 
c  de  la  jeunesse,  faites  briller  encore  ces  jours  d'innocence,  de 
«  naïveté,  de  sincérité  qui  ne  connaissent  point  les  soucis  ni  les 
<  voies  épineuses  de  Tàge  mùr!  Quelle  joie  à  revivre  nos  jeux 
€  d'enfants,  notre  facile  bonheur  en  cet  âge  où  tout  était  source 
«  de  plaisir  :  les  bois,  les  montagne.s  et  les  libres  ruisseaux 
«  gazouillant  dans  leurs  méandres  M  »  —  lia  toujours  au  cœur 
la  même  foi  patriotique  et  le  même  amour  de  la  liberté.  L'âge 
n'a  pas  refroidi  ces  sentiments.  L'ironie  un  peu  sceptique  dont 
plus  d'une  strophe  du  a  Château  r>  porte  la  trace  ne  s'applique 
jamais  à  eux.  Ce  que  le  poème  contient  de  plus  réel,  de  plus 
humain,  ce  par  quoi  cette  longue  allégorie  reste  en  con  tact  avec 
des  émotions  sincères  et  directement  éprouvées,  c^  sont  les 
passages  où  vibre  l'accent  du  patriote.  Douze  strophes  du 
Deuxième  Chant  sont  consacrées  à  énumérer  les  sujets  d'or- 
gueil de  l'Anglais  ^  Pour  le  poète,  la  Bretagne  est  la  terre  des 
hommes  libres  et  brac^-es,  en  même  temps  qu'elle  est  la  reine 
des  arts.  Elle  est  la  maîtresse  du  monde  par  le  commerce  et 
par  la  guerre;  sa  littérature,  ses  universités,  son  agriculture  * 
sont  également  sans  rivales  ;  sa  puissance  et  sa  gloire  militaire 
la  placent  au-dessus  de  toutes  les  nations  *.  Et  de  même  sur 
les  grands  sujets  de  la  philosophie,  le  c  Château  d'Indolence  ^ 
reproduit  les  pensées  et  les  opinions  de  Tauteur  des  a  Saisons  ». 
Cette  doctrine  de  l'évolution  des  âmes  qui  marque  l'effort  de 
Thomson  vers  les  hautes  spéculations  de  la  métaphysique  nous 
la  retrouvons  encore  dans  plus  d  un  passage  du  poème.  «  Depuis 
c  la  matière  insensible  jusqu'aux  séraphins  radieux  autour  du 


i.   Winier,  6-i6.  —  2.  Caslle,  I,  xlviii.  —  3.  Canto  U,  xvii  à  xxviii.  — 
4.  Canlo  II,  str.  xix,  str.  xxv  et  suiv.  —  5.  Canto  I.  xxxii. 


\ 


612  JAMES  THOMSON. 

«  trône  du  Tout-Puissant,  la  vie  s'élève  toujours  au-dessus  de  la 
«  vie  ;  elle  monte  sans  cesse  des  degrés  nouveaux  pour  arrivera 
«  la  perfection,  et  au  bonheur  qui  raccompagne  *.  »  —  Après 
Texposé  de  la  doctrine,  voici  Tapplication  morale  qu'en  tire 
l'auteur:  «  lléritiei-s  deTéternité,  vous  qui  êtes  destinésàvous 
«  élever  par  d'innombrables  états  successifs,...  pouvez-vous 
a  renoncera  une  fortune  si  sublime...  pour  rétrograder  et  vous 
n  rouler  avec  les  brutes  les  plus  viles  dans  la  vase  et  l'or- 
«  dure  *?  » 

Les  croyances  religieuses  restent  ici  comme  dans  le  poème 
des  jeunes  années  assez  vagues.  La  notion  du  Dieu  personnel 
et  providentiel  se  mêle  à  des  expressions  que  ne  désavouerait 
pas  le  pur  panthéisme  :  «  Qu'est-ce  que  cette  Perfection 
«  suprême,  objet  do  notre  adoration?  sinon  l'àme  éternelle  et 
«  toujours  active,  puissance  intinie,  lumière  directrice  du  monde 
<(  grâce  à  laquelle  le  moindre  atome  vibre  et  toutes  les  planètes 
a  roulent,  qui  emplit  et  entoure  l'univers,  qui  lui  donne  la 
c(  forme  et  le  mouvement  ^?  »  La  doctrine  exposée  est,  on  le  voit, 
peu  orthodoxe.  Il  semble  bien  que  dans  cette  œuvre  de  longue 
réflexion  publiée  peu  de  jours  avant  sa  mort,  le  poète  demeure 
fidèle  à  cette  croyance  plus  qu'à  demi  panthéistique  dont  Lyi- 
telton  avait  prétendu  combattre  et  cru  détruire  les  princi|)es*. 

D'autres  traits  de  moindre  im|)ortance  peuvent  être  relevê> 
dans  t(  le  Château  »,  qui  confirment  ou  qui  complètent  les  ren- 
seignements fournis  parlesœuvresantérieuressur  le  caractère, 
sur  les  alToctions  ou  les  aversions  du  poète.  De  nombreux  i>as- 
sages  des  «  Saisons  »  étaient  consacrés  au  souvenir  d'amis 
perdus.  De  même,  dans  sa  description  des  songes  heureux,  au 
premier  cliant  du  «  Château  »,  il  demande  aux  esprits  amis  de 
l'homme  de  lui  envoyer  comme  un  bienfait  et  comme  une  pro- 
tection la  vision  dos  êtres  aimés  auxquels  il  a  survécu  : 
a  Pour  une  heure  faites  sortir  de  la  tombe  et  rendez-nous  ces 
((  amis  depuis  longtemps  perdus  que  pleure  noire  alîection,  et 

1.  Cinlo  II,  sir.  Lxviii.  —  2.  Canlo  11,  str.  i.xiii;  voir  aussi  str.  i.xxii.  — 
3.  II,  sir.  \Lvn. 

4.  D'autres  passages  encore  se  rallnchent  à  un  credo  qui  n*était  pas 
celui  (le  Lyttolton.  La  doolrine  de  IVWolulion  des  Ames  conduit  ThoinsoD 
à  celte  notion  d'un  purgatoire  qu*ont  rejetée  les  églises  protestantes. U 
n'admet  pas  la  pcrdilion  défiuilive  des  criminels  les  plus  endurcis;  il  croit 
au  rachat  des  faules  par  la  pénilcuce.  Voir  1,  str.  lu,  str.  lxxi.   lxxii, 

1.XXU1. 


.«   LB  CHATEAU   D'INDOLENCE.   >»  613 

«  remplissez  ainsi  nos  cœurs  d'un  pieux  émoi,  d'une  douleur 
«  mêlée  de  joie  '  !  »  —  Tliomson  n'a  pas  oublié  ces  difficultés  de 
la  vie  d'un  homme  de  lettres  que  sa  jeunesse  a  connues.  Jusqu'à 
la  fin  même  il  a  éprouvé  combien  sont  précaires  les  avan- 
tages assurés  aux  écrivains  par  la  faveur  des  grands.  Pour  son 
compte  il  est  prêt  à  recevoir,  comme  Horatio,  «  avec  une 
c  égale  gratitude  les  horions  et  les  aubaines  de  la  fortune  '  ^. 
Car  rien  ne  peut  lui  ravir  ni  la  grâce  et  la  beauté  de  la  nature, 
ni  les  pures  joies  de  l'imagination,  de  la  raison  et  de  la  vertu  *. 
Mais  il  déplore,  pour  les  lettres,  et  pour  l'honneur  de  TAngle- 
terre,  la  condition  misérable  ou  servile  qui  est  faite  au  plus 
grand  nombre  des  écrivains,  a  Les  arts...  se  développent  lente- 
€  ment  à  moins  que...  de  puissants  patrons  ne  viennent  appeler 
€  les  Muses  timides  au  chaud  soleil  d'une  aisance  sans  tour- 
€  ments,  où  nul  souci  grossier  n'enchaîne  le  génie  prêt  à 
€  s'élancer,  où  les  aimables  sœurs  n'aient  d'autre  occupation  que 
«  de  plaire....  Mais  aujourd'hui...  nos  patrons  marchandent  ce 
«  modeste  salaire  à  tous,  sauf  à  ceux  qui  leur  polissent  des  vers 
«  pleins  de  flatterie. . . .  Courage  ! . . .  toujours  nous  reste  cet  éternel 
«  patron,  la  Liberté  *....  »  —  Il  est  vrai  qu'à  vouloir  s'affranchir 
de  l'humiliante  dépendance  des  patrons  l'auteur  peut  ren- 
contrer un  autre  ennemi,  a  Tout  labeur  obtient  sa  récom- 
«  pense....  Mais  une  race  odieuse  pille  la  ruche  d'Aonie comme 
€  les  guêpes  sauvages  volent  l'abeille  laborieuse  *.  » 

Les  gens  de  loi  paraissent  être  pour  Thomson  un  objet  de 
haine  plus  sincère  et  plus  constante.  11  les  avait  déjà  malmenés 
dans  «  l'Automne  »  et  dans  «  l'Hiver  »  ®;  il  exprime  de  nouveau 
son  mépris  ou  sa  rancune  dans  ce  le  Château  ^,  Parmi  les  car- 
rières viles  qu'énumère  Archimago  une  place  est  faite  à  celle  des 
gens  qui  «  rôdent  par  les  cours  de  justice  en  quête  de  proie 
«  humaine  ^  ».  Et,  dans  la  liste  des  aigrefins  qui  ruinent  le  pro- 
digue, les  robins  figurent  dans  la  plus  fâcheuse  compagnie  : 
«  entremetteurs,  hommes  de  loi,  intendants,  courtisans  et  syco- 
c  phantes  ^  d. 

Enfin  de  toutes  ces  indications  où  se  révèle  la  personnalité 
de  l'écrivain,  il  en  est  une  que  nous  ne  saurions  négliger. 
Toute  une  moitié  du  poème  est  une  apologie  de  l'indolence,  et 

i.  I,  XLVii.  —  2.  Uamlely  ni,ii,  12.  —  3.  Canlo  II,  str.  m.—  4.  CasUe,  11, 
XXII,  xxiii.  —  5.  Canlo  II,  sir.  ii.  —  6.  Autumn,  1287-1289;  1291-1294.  Winter, 
384-388.  —  7.  Canto  1,  sir.  xiii.  —  8.  Canlo  I,  str.  li. 


614  JâMBS  THOMSON* 

rindolence  fut  le  péché  favori  du  poète.  Sans  doute  il  a,  dans 
une  seconde  partie,  voulu  mettre  ses  lecteurs  en  garde  contre 
des  séductions  dont  il  parle  en  homme  qui  les  a  connues.  lia 
porté  reffort  consciencieux  de  son  talent  sur  une  apothéose  de 
Tactivité  et  du  travail.  Mais  il  est  trop  évident  que  la  peinture 
du  mal  Ta  mieux  inspiré  que  Téloge  du  remède.  Les  sa|^ 
leçons  du  deuxième  chant  ne  suffisent  pas  à  faire  oublier  les 
délicieuses  peintures  du  premier;  les  chants  de  Philomelas 
restent  inférieurs  à  ceux  d'Archimago.  Dans  cette  allégorie  qui 
se  propose  de  flétrir  l'indolence,  le  poète  a  dû  ses  meilleures 
inspirations  au  souvenir  des  joies  de  l'indolence  '.  Il  lui  sera 
beaucoup  pardonné  parce  que  sa  nonchalance  n'a  jamais  fait 
tort  qu'à  lui-même,  parce  que  son  oisiveté  n'a  été  ni  égoïste  ni 
maussade  %  parce  qu'il  a  vaillamment  condamné  son  défout, 
enfin  parce  que  à  ce  défaut  même  nous  devons  plusieurs  pages 
exquises  du  poème. 


III 


L'homme  demeure  donc,  dans  cette  œuvre  dernière,  tel,  à 
tout  prendre,  que  nous  l'ont  montré  les  œuvres  du  début.  Au 
contraire  Je  poète  a  subi  une  transformation  profonde.  On  le 
pourrait  conclure  déjà  des  contrastes  que  nous  avons  notés 
dans  l'appareil  extérieur  des  deux  poèmes,  les  «  Saisons  i  et 
le  «  Château  ».  Un  examen  plus  pénétrant  de  celui-ci  nous  fera 
constater,  dans  le  génie  de  l'écrivain,  à  côté  d'un  certain  fond 


1.  L'excentrique  philosophe  lord  Monboddo  a  remarqué  avec  quelte 
supériorité  Thomson  parle  du  repos,  du  sommeil  et  des  songes  dans  celle 
œuvre,  «  Ihe  finesl  allegorical  pocm  in  any  language,  and  most  coroplele. 
according  to  my  judgment,  both  in  style  and  versification,  and  particul- 
arly  bcautiful  upon  Ihe  subject  of  dreams  •.  (Aniient  Melaphysics,  vol.  H» 
chap.  v  :  On  Dreams,  p.  273.) 

2.  Wordsworth,  ce  lutteur  et  cet  infatigable  ouvrier,  lui  a  rendu  celte 
justice,  et  c'est  sous  le  patronage  de  notre  poète  qu'il  a  placé  le  souveair 
des  quelques  heures  de  nonchalance  de  sa  laborieuse  existence. 

<(  To  lime  thus  spent  add  multitudes  of  hours 
Pilfered  away,  by  what  the  Bard  who  sang 
Of  the  Enchanter  Indolence  hath  called 
•  Good-natured  lounging.  • 

{The  Prélude,  Bk.  VI,  p.  384. 


«  LE  CHATEAU   D'INDOLBNCE.   »  615 

permanent,  une  diversité  d'aspects,  une  modification  ou  un 
développement  du  génie  poétique  qui  méritent  de  nous  arrêter. 

Et  d  abord  l'auteur  du  a  Château  dlndolence  d  reste  un 
grand  poète  descriptif.  Dans  cette  œuvre  de  rêves  flottants  et 
de  chimériques  visions  les  exemples  de  peintures  vraies,  pré- 
cises, aux  couleurs  arrêtées,  aux  traits  nettement  accusés  ne 
sont  pas  absents.  Elles  prouveraient,  s'il  en  était  besoin,  que 
cette  puissance  d'évocation  du  monde  extérieur  est  bien  le  fond 
ift  comme  le  cœur  du  génie  du  poète. 

Dès  le  début,  avec  la  deuxième  strophe,  commence  une  des- 
cription du  château  et  du  paysage  qui  l'entoure.  Les  <r  Saisons  » 
ne  renferment  pas  une  peinture  plus  exacte  du  dessin  ni  plus 
riche  de  tons.  Elles  ne  nous  donnent  même  nulle  part  un  tableau 
aussi  précis,  aussi  individuel.  Les  grandes  scènes  de  la  vie  de 
la  nature  ne  pouvaient  en  effet  être  rendues  qu'en  de  larges 
peintures  de  caractère  général.  Mais  ici  le  poète  imagine  avec 
une  netteté  de  vision  parfaite  le  lieu  où  va  se  dérouler  son 
poème  et  il  le  décrit  avec  une  précision  rigoureuse  : 

«  Tout  prés  d'une  rivière,  dans  un  vallon  profond  qu'enfer- 
«  maient  de  toutes  parts  des  collines  boisées  s'èlcvant  les  unes 
tt  au-dessus  des  autres,  un  puissant  magicien  vivait....  C'était, 
a  en  vérité,  un  coin  de  terre  délicieux.  11  y  régnait  une  saison 
«  comme  celle  qui  dure  de  mai  à  juin,  à  d(»mi  parée  par  le  prin- 
«  temps,  à  demi  bronzée  par  l'été.  Si  bien  qu'avec  l'air  on  y 
«  respirait  une  langueur  qui  ne  laissait  à  personne  la  force  de 
«  travailler,  ni  même  le  désir  de  jouer. 

<i  Rien  alentour  que  des  images  de  repos  :  des  bosquets  pro- 
«  pices  au  sommeil  séparés  par  de  calmes  pelouses;  des  par- 
a  terres  de  fleurs  où  les  pavots  répandaient  une  influence  endor- 
u  mante,  et  des  tapis  de  riante  verdure  où  jamais  on  ne  vit 
«  créature  rampante.  Et  toujours  d'innombrables  et  brillants 
a  ruisselets  se  jouaient  et  de  tous  côtés  précipitaient  leurs 
a  eaux  étincelantes;  et  ces  eaux  coulant  et  frémissant  dans  les 
«  clairières  ensoleillées  faisaient  entendre,  bien  qu'elles-mêmes 
a  fussent  toujours  en  mouvement,  un  murmure  qui  portait 
ne  au  sommeil. 

«  En  même  temps  que  le  bruit  léger  des  ruisseaux  babillards, 
tt  on  entendait  les  troupeaux  mugir  dans  la  vallée,  et  des  col- 
a  lines  lointaines  arrivait  le  bêlement  bruyant  des  moutons,  et 
«  le  son  des  flûtes  des  bergers  oisifs;  de  temps  en  temps  s'éle- 


616  JAMES  THOMSON. 

«  vait  le  doux  et  le  triste  chant  de  Philomèle  ou  la  plainte  des 
a  tourterelles  dans  la  forêt  profonde  qui^  elle-même  endormie, 
n  bruissait  lorsque  le  vent  passait  en  soupirant;  la  cigale 
a  chantait  sans  se  lasser;  et  tous  ces  bruits  confondus  invi- 
a  taient  tous  les  êtres  à  dormir. 

d  Au-dessus,  occupant  tout  l'accès  du  vallon,  une  forêt  se 
«  dressait  noire,  silencieuse,  auguste.  On  n'y  voyait  passer 
«  que  des  formes  vagues  telles  qu'en  imaginent  les  rêves  de 
<t  Toisiveté.  Et,  s'élevant  sur  les  collines  des  deux  côtés  de  la 
a  vallée,  un  bois  de  pins  jetait  une  ombre  épaisse;  agité  d un 
«  mouvement  incessant,  il  faisait  passer  dans  les  veinés  une 
c  crainte  assoupie.  Enfin,  plus  bas,  là  où  la  vallée  serpentait  et 
«  s'ouvrait,  on  entendait,  on  entendait  à  peine,  le  murmure  des 
«  flots  de  la  mer. 

a  Tel  était  le  paysage...  où  Indolence  (c'était  le  nom  du 
«  magicien)  habitait  un  château  caché  parmi  les  arbres  qui 
«  Tentouraient  de  près  et  lui  faisaient  un  berceau.  Ils  arrêtaient 
«  à  moitié  les  rayons  brillants  de  Phébus,  et  mêlaient  en 
«  quelque  sorte  la  nuit  à  la  lumière  du  jour  '....  i» 

l.  Canlo  I,  str.  ii  à  v,  et  sir.  vu. 

Dire  que  l'auteur  d'Alaslor  se  soit  proposé  d'imiter  Thomson,  ce  sertit 
if^norer  quel  flot  de  poésie  jaillissait  intarissable  de  l'dme  de  Sbelly.  Mais 
peut-être  quand  il  décrivait  la  forêt  et  le  ruisseau  d'Alastor,  quelques  ver» 
du  «  Château  d'Indolence  »  chantaient-ils  au  fond  de  sa  mémoire; ceux-ci 
par  exemple  : 

•  Â  sable,  silent,  solemn  forest  stood, 

Whcrc  nought  but  shadowy  forms  were  seen  to  move 
As  Idiess  fancied  in  her  dreaming  mood. 

Meantime,  unnumbered  glittering  streamlets  played, 
And  hurled  cveryvvhere  their  waters  sheen; 
That,  as  they  bickered  through  the  sunny  glade. 
Though  restless  slill  thcmselves  a  lulling  murmur  madc. 

u  Mid  cmbowering  trees 

That  haïr  shut  out  the  benms  of  Phœbus  brigbt. 
And  made  a  kind  of  checkered  day  and  night.  • 

Et  d'autre  part  le  début  du  noble  poème  de  Keats,  Hyperion^  ne  sonne- 
t-ll  pas  comme  un  écho  des  vers  de  Thomson? 

•  Deep  in  the  shady  sadness  of  a  vale 

Par  sunken  from  the  healthy  breath  of  morn, 

Far  from  the  fiery  noon.... 

Sat  gray-hair'd  Saturn.... 

Forest  on  forest  hung  about  his  head.  • 


«  LE  CHATEAU  O'iNDOLENGE.   »  617 

Il  n'y  a  pas  dans  les  tableaux  si  vrais  et  si  précis  de  Ciowper 
ou  de  Wordsworth  un  paysage  qui  nous  apparaisse  plus  nette- 
ment déterminé  que  ce  vallon  entouré  de  forêts  où  se  blottit  le 
Château.  Mais  ce  n'est  pas  le  seul  caractère  auquel  nous 
reconnaissions  ici  le  grand  poète  paysagiste.  Cette  description 
si  nette  ne  forme  pas  un  dessin  en  grisaille.  Comme  dans  les 
«  Saisons  »,  la  notation  des  couleurs  vient  compléter  et  enrichir 
le  tableau  *.  Et  surtout  ce  paysage  a  une  âme  et  une  puissance 
d'action  sur  nos  âmes.  Le  poète  pouvait  se  dispenser  de  nous 
dire  que  c'est  «  une  terre  de  somnolence  ».  Vingt  traits  de  sa 
description  nous  donnent  cette  impression.  Elle  résulte  et  du 
silence  solennel  de  la  foret  prochaine,  et  des  bruits  divers  qui 
se  mêlent  en  une  harmonie  vague  et  pleine  de  langueur  :  mur- 
mures des  ruisseaux,  bêlements  des  troupeaux  lointains,  chant 
du  rossignol  et  de  la  tourterelle,  gémissement  monotone  des 
grands  sapins  noirs  qui  se  balancent  et,  au  loin,  grondement 
assourdi  de  la  mer.  Il  y  a  là,  en  quelques  vers,  treize  notations 
de  sons  qui  tous  concourent  à  un  même  effet  '. 

Une  autre  fois  encore  ce  vallon  nous  est  montré,  mais  le 
point  de  vue  est  difîérent.  Le  poète  le  décrit  au  chant  II  tel 
qu'il  apparaît  du  haut  des  collines  qui  l'enserrent. 

a  Enfin  elle  apparut  cette  fatale  vallée  de  joie  au-dessus  de 
<t  laquelle  de  hautes  montagnes  couronnées  de  bois  élèvent 
«  leurs  sommets....  Elle  s'étendait  large  au-dessous  des  deux 
«  voyageurs  comme  une  île  verdoyante,  partout  égayée  de  jar- 
«  dins  et  de  ruisseaux  vagabonds  et  de  bosquets  touffus  pour 
€  ombrager  les  pelouses  '.  » 

En  dehore  de  ces  deux  passages  l'œuvre  nous  offre  un  certain 
nombre  d'heureux  et  parfois  d'admirables  passages  descriptifs. 
Ils  ont  un  caractère  de  sobriété  et  de  puissance  suggestive  qui  se 
rencontre  plus  rarement  (toules  proportions  gardées)  dans  les 
«  Saisons  ».  C'est  souvent  un  seul  mot  qui  suffit,  ici  pour  faire 
ressortir  le  trait  dominant  de  l'objet  ou  de  la  scène,  là  pour 
évoquer  tout  un  paysage  ou  un  aspect  de  la  nature  avec  le 
cortège  d'impressions  et  d'émotions  qui  suit  la  perception  vive 
d'un  pareil  tableau.  Dans  le  domaine  d'Archimago  les  hommes 
ne  sèment  ni  ne  labourent  ;  m  quand  elles  sont  bonnes  à  sou- 

1.  Voir  Canto  I,  str.  ii,  v.  16;  sir.  m,  v.  22  et  25;  str.  v,  v.  39  et  42. 

2.  Sir.  ui,  V.  26,  27;  iv,  28  à  38;  v,  42,  43. 

3.  Caalo  II,  str.  xxxvii. 


618  JAMES  THOMSON. 

«  mettre  au  lléau,  ils  ne  conduisent  pas  à  la  grange  les  gerbes 
€  dont  Tanias  branle  au  haut  du  chariot  ^  :»,  L'  «  Automne  •  ne 
contenait  pas  une  description  de  la  rentrée  des  moissons.  11 
semble  que  Thomson  ait  à  cœur  de  réparer  cette  omission.  Il 
revient  sur  ce  tableau  dans  le  deuxième  chant  :  «  Chargé  d^ 
«  biens  de  l'Automne,  le  char  branlant  rentrait  à  la  ferme 
«  sous  le  doux  éclat  de  l'étoile  du  soir,  ou  sous  les  rayons  pal- 
«  sibles  de  la  lune  de  septembre  *  ». 

Chercherons-nous  quelques  autres  exemples  de  ces  traiU 
rapides  qui  suggèrent  toute  une  scène?  Indolence  prometàses 
fidèles  un  long  repos  :  «  Les  coqs  chez  moi  ne  vous  appelleront 
«  pas  au  travail  des  champs  de  cette  claire  voix  qui  retentit  de 
«  village  en  village  »  '.  —  Le  poète  célèbre  la  transformation 
de  la  terre  par  Tagriculture  et  termine  par  ce  vers  où  tiennent 
de  longues  pei'spectives  pleines  d'air  et  de  lumière  :  t  Et  des 
n  forets  recouvrent  le  précipice  d'une  brune  parure  ou  ondulent 
n  le  long  du  rivage  »  *.  —  Le  ciel,  avec  le  mouvement  qu'y  met- 
tent les  jeux  de  la  lumière  ou  les  vents  capricieux  continue,  ici 
comme  dans  les  «  Saisons  b,  à  charmer  le  poète.  Il  compare  les 
passions,  qui,  chez  les  hôtes  du  Château,  agitent  le  cœur  juste 
assez  pour  y  faire  naître  un  sentiment  plus  vif  de  volupté,  à 
<i  ces  brises  qui  parcourent  un  ciel  radieux  et  le  rendent  plus 
«  joyeux  encore  ^  ».  —  Les  vêtements  dont  se  couvrent  les  pen- 
sionnaires dlndolence  sont  «  lâches  comme  la  molle  brise  qui 
a  se  joue  sur  les  collines  et  fait  onduler  les  bois  en  été  quand  le 
«  Iront  du  soir  se  rembrunit  •  ».  —  Parmi  les  pures  joies  dont 
la  fortune  ne  |)eut  le  priver,  l'auteur  mentionne  la  vue  de  t  ces 
a  fenêtres  du  ciel  où  l'aurore  montre  sa  face  radieuse  »  ',  elles 
promenades  «  par  les  bois  et  les  prairies  le  soir,  le  long  du 
tt  ruisseau  vivant  *  ». 

Très  nombreux  et  très  heureux  sont  les  passages  où 
Thomson  fait  ainsi  courir  les  eaux  vives.  Voici  la  naissance  du 
ruisseau  et  le  début  allègre  de  sa  course  :  «  Ainsi  lorsque. 
«  parmi  les  fiers  sommets  sans  vie  des  Alpes  où,  sous  un  ciel 
u  glacé,  les  neiges  amoncelées  gisent  dans  une  torpeur  hivernale, 
n  lorsque,  au  printemps,  les  rayons  divins  de  Phébus  viennent 
«  se  jouer,  ces  amas  de  neige  s'éveillent  et  se  meuvent,  et,  du 

1.  Canlo  I,  sir.  x.  —  2.  Canlo  H,  sir.  xxvi.  —  3.  Canto  I,  sir.  xiv,  H8, 11*- 
—  4.  Canlo  II,  stp.  xxvii,  243.  —  5.  Canlo  1»  sir.  xvi,  143,  144.  —  6.  Canlo  U 
8lr.  XXVI,  229,  230.  —  7.  Gnoto  II,  sir.  m,  21,  22.  —  8.  Canlo  II,  sir.  m,  2*- 


«  LE  CHATEAU   D'INDOLBNCE.   »  619 

K  haut  des  cimes,  bondissent  en  misselets  et  fuient  gazouillant 
«  joyeux  par  les  vallées,  tout  heureux  de  leur  vie  nouvelle  *  ». 
Philomélus  y  voit  Temblème  d'une  vie  active,  saine  et  pure  : 
«  Le  ruisseau  de  montagne,  aussi  clair  que  le  cristal,  qui 
€  s'avance  en  dansant  gaiment,  ne  fait-il  pas  honte  au  marais 
«  putride?  *  »  Dans  les  souvenirs  des  joies  de  son  enfance,  le 
poète  mentionne,  avec  les  bois  et  les  montagnes,  «  le  dédale, 
ce  plein  de  gazouillis  des  libres  ruisseaux  d  ^ 

Cette  musique  des  eaux  courantes,  on  peut  dire  qu'elle  se 
fait  entendre  dans  tout  le  poème.  Elle  est  invoquée  par  l'apôtre 
du  travail,  et  elle  est  un  des  charmes  qui  bercent  et  endor- 
ment les  hôtes  du  château  :  «  Près  des  pavillons  où  nous  dor- 
c  miens,  des  ruisseaux  à  la  voix  douce  et  cristalline  couraient 

*  toujours,  des  eaux  se  précipitaient  impétueuses,  et  les  souf- 
c  fies  de  la  brise  soupiraient  ou  gémissaient  *  )>. 

A  côté  de  ces  traits  directement  empruntés  à  la  vue  des 
choses,  en  voici  de  diiïérents.  Le  château  du  magicien  ofTre  les 
séductions  de  l'art.  <  Ici  le  pinceau,  dans  des  salles  vastes  et 
fL  fraîches,  faisait  surgir  devant  les  yeux,  la  riante  floraison  d'un 
«c  imysage  de  printemps,  et  là  les  teintes  diaprées  de  Tautomnc 
«  brunissaient  les  murs  :  tantôt  une  noire  tempête  frappe  l'œil 

*  étonné;  tantôt  un  torrent  brille  comme  l'éclair  et  s'élance 
«  d'une  paroi  abrupte;  ailleurs  le  soleil  se  joue  et  palpite  sur 

*  l'océan  bleu,  ou  de  sauvages  montagnes  élèvent  jusqu'au  ciel 
t  leur  front  sourcilleux.  Toutes  les  scènes  se  retrouvent  que  le 
«  Lorrain  a  touchées  légèrement  de  son  doux  coloris,  et  celles 
c  qu*a  brossées  le  pinceau  hardi  de  Rosa  et  celles  qu'a  dessinées 
«  le  savant  Poussin  \  » 

Enfin  il  nous  restaà  mentionner  une  description  d'un  genre 
encore  différent,  où  les  éléments  empruntés  à  la  nature  sont 
modifiés  par  la  fantaisie  du  poète.  C'est  au  pays  des  fées  et  des 
songes  capricieux  que  Thomson  a  vu  ce  paysage  : 

au-dessous  des  rayons 

De  la  lune  estivale,  panni  les  bois  lointains, 

Ou  près  de  quelque  cours  d'eau  tout  argenté  de  cette  lueur, 

Le  cortège  des  fées  au  corps  délicat  franchit  un  portique  aérien  ®. 

1.  Canto  II,  sir.  lxiv.  —  2.  Canlo  II,  sir.  xlix,  439,  440.  —  3.  Canto  1, 
sir.  xLvni,  V.  430,  431.  Voir  encore  Canlo  I,  sir.  xxvu,  241,  cl  Canto  I, 
sir.  xvni,  160,  161.  —  4.  Canto  ï,  sir.  xun.  —  5.  Canlo  I,  sir.  xxxvni.  — 
6.  Canlo  I,  str.  xx. 


620  JAMES  THOMSON. 

Cette  peinture  des  objets  avec  leur  dessin  précis,  avec  leur 
couleur,  avec  la  notation  des  sons  qui  se  mêlent  à  leur  vie  n'est 
pas  la  seule  forme  sous  laquelle  se  manifeste  dans  a  Le^iiàteaui 
le  pouvoir  de  représentation  pittoresque  de  Thomson.  De  Toi- 
semble  du  premier  chant,  et  surtout  des  cinquante  premières 
strophes  une  impression  se  dégage  subtile,  puissante  et  d'une 
rare  qualité  artistique.  Les  strophes,  les  vers,  les  mots  con- 
courent à  faire  naître  comme  une  sensation  physique  de 
repos,  de  langueur,  de  molle  volupté.  L'auteur  dessine  d'an 
trait  net  et  ferme  un  paysage  de  caractère  parfaitement  réel;  il 
y  place  des  personnages  dont  plusieurs  sont  des  portraits  ao 
caractère  fortement  accusé.  Mais  paysage  et  personnages  sont 
baignés  d'une  atmosphère  vaporeuse  qui  estompe  les  contours 
et  fond  les  silhouettes,  si  bien  qu'ils  sont  à  la  fois  vrais  de  li 
réalité  de  la  nature  et  imaginaires  comme  les  visions  d'un 
rêve.  11  faut,  pour  trouver  des  termes  de  comparaison  à  ce 
pouvoir  de  suggestion  du  calme  et  de  la  paix,  chercher  dans 
les  œuvres  des  plus  merveilleux  virtuoses  de  la  poésie 
anglaise.  On  pensera  tout  d'abord  au  début  d' t  Hyperion  i 
et  aux  ((  Mangeurs  de  Lotus  ».  La  scène  titanesque  de  Keats 
est  d'un  effet  plus  intellectuel.  Le  silence  y  est  exprimé  par  des 
traits  indirects  ',  et  l'impression  physique  y  est  subordonnée 
à  une  impression  morale  de  tristesse  accablée.  —  Dans  le 
poème  de  Tennyson,  l'effet  matériel  est  au  contraire  plus  for- 
tement accentué  que  chez  Thomson.  Le  silence,  au  pays  des 
mangeurs  de  lotus,  est  presque  absolu. 

a  Celui  qui  prenait  une  branche  de  la  plante  enchantée  et 
<t  qui  goûtait  le  fruit,  pour  lui  la  rumeur  du  flot  semblait 
«  gémir  et  gronder  sur  des  rivages  lointains,  et  quand  un  de 
«  ses  compagnons  parlait,  lui  n'entendait  qu'une  voix  faible 
n  comme  les  voix  qui  viennent  de  la  tombe.  ï 

Les  habitants  de  cette  terre  du  rêve  suivent  des  yeux  t  le 
«  ruisseau  qui  se  précipite  du  haut  de  la  falaise  comme  une 
a  fumée  qui  s'abaisse  d,  «  la  feuille  jaune  qui  se  détache  et 
«  flotte  et  descend  »,  «  la  pomme  pleine  de  suc  et  trop  mûre  qui 
«  tombe  dans  le  silence  de  la  nuit  d'automne  ».  lis  observent 
«  les  rides  de  la  vague  sur  la  plage,  et  les  courbes  délicates  de 


1.  «  The  Naiad  *niid  lier  reeds 

Press'd  her  cold  (loger  doser  to  her  lips. 


(i   LE  CHATEAU   D'iNDOLENGE.   »  621 

c  l'écume  crémeuse  ».  Mais  toutes  ces  visions  se  succèdent  et 
se  déroulent  au  milieu  d'une  nature  muette.  S'il  est  fait  men- 
tion de  bruits,  ce  sont  moins  des  sons  que  de  vagues  images 
auditives  comme  ces  «  battements  du  cœur  qui  font  entendre 
c  aux  oreilles  une  musique  »,  ou  a  celte  délicieuse  harmonie 
ce  qui  retombe  plus  doucement  que  les  pétales  ne  tombent  des 
c  roses  épanouies  sur  le  gazon  »,  ou  «  ces  humides  échos  qui 
«  se  répondent  d'une  caverne  à  une  autre  à  travers  les  festons 
«  épais  de  la  vigne  ».  L'art  avec  lequel  Tennyson  poursuit 
cette  évocation  d'un  monde  de  visions  muettes  et  rend  sen- 
sible le  silence  est  merveilleux.  Ce  sont  tantôt  des  vers  à  la 
résonance  étouffée  \  tantôt  des  répétitions  qui  produisent  un 
efifet  voulu  de  monotonie,  tantôt  des  interruptions  du  rythme 
où  la  voix  du  poète  semble  mourir  dans  de  courts  vere  tri- 
métriques.  Il  semble  qu'à  la  lecture  d'une  pareille  pièce 
un  auditeur  qui  ne  comprendrait  pas  le  sens  des  mots  doive 
cependant  ressentir  cette  impression  de  langueur  assoupie, 
de  lassitude  accablée  des  hommes  et  des  choses  qu'a  voulu 
évoquer  le  poète. 

Le  monde  au  milieu  duquel  vivent  les  hôtes  du  Château 
d'Indolence  est  moins  simple,  et  leur  psychologie  moins  som- 
maire. Tout  bruit  importun  ou  discordant  est  écarté  de  leur 
domaine,  mais  l'air  y  est  tout  plein  d'agréables  mélodies.  Leur 
destinée  n'est  pas  uniquement  de  rêver  ou  de  dormir,  et 
le  souhait  des  mangeurs  de  lotus  n'est  pas  leur  fait  :  a  Donnez- 
c  nous  un  long  repos  ou  la  mort,  la  mort  noire  ou  un  loisir 
«  plein  de  songes  *  ».  Les  promenades  parmi  les  bosquets,  les 
pelouses  et  les  fleurs,  le  charme  des  mille  voix  des  choses  : 
chants  des  oiseaux  et  des  ruisseaux  ou  bruissement  des  forets, 
aussi  bien  que  les  plaisirs  de  la  table  et  les  merveilles  de  l'art, 
autant  de  distractions  qui  animent  et  diversifient  Toisiveté  au 
Château.  Il  y  a  donc  chez  Thomson  une  moins  saisissante  évo- 
cation du  repos  et  du  silence,  mais  d'autre  part  une  plus^ 
grande  variété  d'effets.  L'auteur  ne  dispose  pas  du  vers  à  la 
libre  allure  dont  s'est  servi  Tennyson.  Mais  de  la  strophe 
régulière  qu'il  emploie  il  a  tiré  le  parti  le  plus  heureux.  Les 
groupes  de  vers  se  succèdent,  tour  à  tour  lents  et  graves  comme^ 

1.  Par  exemple  celui-ci  :  «  Why  are  we  weigird  upon  with  heaviness?  » 
(The  Lotos  EalerSj  Choric  song,  2.) 

2.  Choric  song,  4. 


«   LE  CHATEAU   D*INDOLENCE.   »  623 

Pliilomelus,  la  transformation  finale  du  séjour,  autant  de  mor- 
ceaux écrits  de  main  de  maître.  Mais  ce  que  nous  ne  trouvons 
plus,  c'est  cet  air  lumineux  et  enchanté  qui  flotte  à  travers  la 
première  partie  et  qui  gagne  notre  foi  aux  merveilles  de  ce 
conte.  Le  charme  du  début  est  rompu.  Le  chevalier  des  Arts 
et  de  rindustrie  est  un  personnage  bien  insubstantiel.  L'allé- 
gorie dans  son  cas  n'est  pas  arrivée  à  prendre  corps,  et  nous 
ne  pouvons  croire  douée  de  vie  cette  abstraction  au  nom 
interminable.  Comment  nous  intéresser  à  son  combat  avec  le 
méchant  magicien?  Thomson  n'a  pas  ce  naïf  entliousiasme 
|)Our  les  nobles  joutes  et  les  beaux  coups  de  lance  qui  se  com- 
munique du  poète  au  lecteur  dans  les  récits  de  Chaucer  ou  de 
Sf)enser.  L'auteur  du  reste  n'est  guère  entraîné  lui-même  par 
l'illusion  de  sa  fable.  Il  s'interrompt  parfois  pour  nous  parler 
de  la  condition  misérable  faite  au  [)oète  par  les  lois  et  par  la 
société,  ou  de  la  noblesse  d'âme  qu'a  mise  en  lui  la  nature. 
Prises  à  part,  ces  strophes  *  sont  fort  belles.  Mais  elles  détrui- 
sent l'illusion.  C'en  est  fait  des  songes  merveilleux  et  des 
régions  qu'habitent  les  magiciens  perfides  ou  les  chevaliers 
libérateurs.  C'est  à  un  autre  monde  qu'appartiennent  les  écri- 
vains besogneux,  les  grands  seigneurs  impertinents,  les  bour- 
geois indifférents  et  les  éditeurs  indélicats. 

Philomelus  fait  de  louables  efforts  pour  combattre  l'effet 
des  chants  par  lesquels  Indolence  a  ensorcelé  ses  victimes. 
Son  langage  est  toujours  fort  beau  et  parfois  très  éloquent.  11 
semble  qu'il  ait  lu  les  «  Saisons  d  et  se  soit  approprié  la  décla- 
mation sonore  des  passages  de  ce  poème  où  l'auteur  expose  ses 
doctrines  philosophiques".  Mais  les  raisonnements  et  les  objur- 
gations ne  peuvent  offrir  le  charme  des  belles  images  et  des 
évocations  poétiques.  Toute  l'éloquence  du  sermon  de  Philo- 
melus ne  vaut  pas  une  des  strophes  qui  chantaient  les  délice 
du  château  et  les  séductions  de  la  i^aresse. 

L'inspiration  du  Château  d'Indolence  ne  connaît  donc  pas 
ces  fiers  coups  d'aile  qui  élèvent  le  poète  loin  au-dessus  des 

1.  Canto  11,  sir.  i,  u,  m,  iv,  xxiii. 

2.  «  What  is  Uie  adored  Perfectionf  say? 
What  but  clenial  oever-resling  soûl 


Who  mis,  surrounds  nod  agitâtes  the  whole.  » 

(Canlo  II,  str.  xlvii.) 
Comparez  Spring,  848-854. 


624  JAMES  THOMSON. 

petitesses  et  des  misères  sociales.  Après  avoir  fourni  un  vol 
gracieux,  elle  éprouve  assez  vite  le  besoin  de  reprendre  terre. 
Et  cependant  cette  impuissance  à  planer  dans  les  régions  de 
la  grande  poésie  ne  va  pas  sans  quelque  compensatiou.  Son 
épopée  c'est  dans  les  «  Saisons  »  que  Thomson  nous  la  donnée. 
Il  a  su  montrer  là  assez  de  haute  aspiration  et  une  noblesse 
d'exécution  assez  soutenue  pour  satisfaire  les  plus  difficiles. 
Mais  son  dernier  poème,  par  cela  même  qu'il  est  moins  solennel 
et  plus  familier,  nous  révèle  certains  aspects  nouveaux  de 
l'esprit  et  du  génie  de  l'auteur;  il  complète  heureusement 
pour  nous  sa  physionomie  littéraire.  Il  y  avait  chez  Thomson 
un  fond  de  gaîté  joyeuse  et  non  pas  sans  malice  que  laissent 
deviner  ses  lettres  intimes,  mais  non  pas  ses  premières  œuvres 
poétiques.  A  peine  un  passage  de  V  a  Automne  »  de  repas  des 
chasseurs)  montre-t-il  un  essai  de  plaisanterie.  Encore  cette 
page  est-elle  surtout  une  satire  d  allure,  il  faut  le  dire,  un 
peu  lourde.  Au  contraire  le  «  Château  »  abonde  en  traits  où  nous 
voyons  que  le  grand  peintre  de  la  nature,  le  solennel  historio- 
graphe de  la  liberté,  le  majestueux  poète  tragique  avait  aussi, 
dans  quelque  coin  de  son  génie,  le  don  du  sourire  et  des  rnali- 
cieu.ses  ironies.  C'est  un  des  éléments  qui  concourent  à  donner 
au  ravissant  poème  sa  tonalité  dominante.  L'auteur  ne  croit 
pas  lui-même  à  son  conte,  et  il  ne  veut  pas  que  nous  le  pre- 
nions au  sérieux.  11  raille  quand  il  décrit  les  séductions  de  ce 
séjour  où  il  a  passé  de  si  douces  heures,  et  je  crois  bien  qu'il 
sourit  encore  au  moment  où  il  décrit  les  horreurs  funestes 
de  la  paresse.  Ces  touches  d'humour  sont  très  légèrement 
posées;  elles  ne  risquent  jamais  de  faire  dégénérer  l'œuvre  au 
vulgarisme  d'un  poème  burlesque.  Elles  suffisent  à  nous 
rajipeler  que  féerie,  magiciens  et  chevaliers  ne  sont  pas  pour 
nous  faire  illusion,  et  que  nous  n'avons  pas  à  attendre  ici  les 
récits  toujours  nobles  et  graves  d'un  Spenser. 

Voici  par  exemple  les  salles  du  château,  toutes  tendues  de 
tapisseries.  L'auteur  nous  en  décrit  les  sujets  et  il  en  prend 
occasion  pour  railler  les  fausses  sentimentalités  des  élégies  et 
des  bucoliques,  au  contraste  de  la  franche  et  fraîche  beauté  de 
la  nature. 

a  Mainte  douce  histoire  v  était  tissée....  Des  amants  inclinés 
a  l'un  vers  l'autre,  dans  un  vallon  solitaire,  épanchaient  avec 
«  abondance  leur  cœur  délicieusement  torturé;  ou  bien,  expri- 


«   LE  CHATEAU   D'INDOLENCE.   »  625 

«  mant  leur  passion  par  de  tendres  regards,  ils  enflaient  la 
t  brise  et  enseignaient  à  Técho  charmé  à  retentir  de  leur  souf- 
«  France,  tandis  qu'autour  d'eux  les  troupeaux,  les  bois  et  les 
ce  ruisseaux  inspiraient  le  repos  et  la  paix  *.  m 

Les  scènes  contemplées  dans  le  a  globe  magique  d  fournis- 
sent une  ample  matière  aux  ironies  du  philosophe.  Nous  y 
voyons  l'avare  à  son  bureau,  entouré  de  ses  registres,  tout 
rongé  de  soucis  et  de  besoin,  et  voici  que  a  de  cette  chenille 
€  vile  et  sale  sort  en  voltigeant  l'héritier,  prodigue  éblouis- 
t  sant  :  il  est  tout  éclat  et  gaîté;  il  est  tout  émaillé  d'or,  hôte 
«  sans  cervelle  de  l'air  d'un  jour  d'été  *  d. 

A  côté  de  ceux-ci,  les  savants  a  toujours  dans  leurs  livres, 
c  tournant  et  retournant  sans  cesse  la  page  :  souvent  ils  sai- 
«  sissent  la  plume  comme  s'ils  étaient  inspirés  et  pleins  des 
a  fureurs  de  Thespis;  et  alors  ils  écrivent  et  raturent  de  façon 
«  à  nous  toucher  de  compassion  '  ». 

La  peinture  des  politiciens  affairés,  qui  vient  ensuite,  n'est- 
elle  pas  digne  de  la  bonhomie  narquoise  de  Goldsmith? 

«  Ils  étaient  réunis  en  de  mystérieux  conciliabules  et  en  con- 
c  seils  nocturnes;  et  tantôt  ils  se  chuchotaient  quelque  chose 
tt  à  l'oreille,  tantôt  un  haussement  d'épaules  disait  le  poids  de 
a  leur  opinion;  puis  comme  pour  recueillir  un  surcroît  de 
t  lumière,  leurs  yeux  clignotants  se  fermaient*.  » 

Ces  traits  ne  font  pas  défaut,  on  doit  s'y  attendre,  aux  por- 
traits où  l'auteur  s'est  amusé  à  peindre  les  amis  qui  ont  avec 
lui  savouré  les  coupables  plaisirs  de  Tindolence.  Voici  Paterson 
et  Armstrong  unis  (c  pour  une  promenade  silencieuse  (d'un 
«  silence  plein  de  profondeur,  car  ils  ne  parlaient  jamais)  ^  n. 
A  côté  de  ces  taciturnes  personnages,  le  jeune  Forbcs  repré- 
sente au  contraire  le  mouvement  et  la  gaîte.  Mais  l'excès  en 
toute  chose  est  fâcheux,  et  cette  exubérance  joyeuse  devient  un 
fléau  quand  elle  nuit  au  sommeil  : 

a  De  même  qu'aux  premiers  joui*s  de  juin  une  mouche  au 

<  corsage  d'or  bruni...  entonne  son  chant  au  milieu  des  vastes 

<  salles,  et  d'abord  berce  doucement  la  foule  des  heureux  dor- 

<  meurs,...  mais  ensuite,  tourbillonnant  autour  de  leurs  lits, 
«  chasse,  des  sons  profonds  de  sa  trompe,  leur  doux  som- 
«  meil  •....  i> 

{.  Caoto  1,  8lr.  XXXVI.  —  2.  Canlo  1,  sir.  li.  —  3.  Canlo  1,  sir.  lu.  — 
4.  Canlo  l,  str.  liv.  —  îi.  Canlo  I,  str.  lx,  532,  533.  —  6.  Canlo  I,  sir.  lxiv. 

40 


636  JAMES  TOOMSON. 

Enfin,  pour  finir,  rappelons  une  strophe  où  sont  raillés  avec 
bonne  humeur  ces  clercs  que  toutes  les  satires  ont  aimé  à 
charger,"  et  Texcellent  Murdoch  qui  avait  persévéré  avec  plus 
de  constance  que  son  ami,  sinon  avec  une  plus  réelle  vocation, 
dans  la  voie  qui  conduit  au  ministère  ecclésiastique  : 

a  Très  souvent  notre  sol  était  foulé  par  de  saints  pieds;  de 
«  clercs  on  aurait  pu  observer  grandToison.  Dans  la  foule  il 
a  en  est  un  que  je  remarquai  entre  tous,  un  homme  de  Dieu, 
«  petit,  rondelet,  gras  et  onctueux.  Il  avait  dans  l'œil  certain 
tt  scintillement  fripon,  et  sa  prunelle  brillait  d'un  éclat  humide 
«  qui  n'avait  rien  de  religieux  quand  une  damoiselle  bien  prise 
«  venait  à  passer.  SU  était  remarqué,  le  faucon  rentrait  dans 
«  sa  mue  et  lout  à  coup  se  rappelait  sa  dévotion  *.  b 

C'est  là  une  note  en  poésie  que  nous  entendrons  chez  un  bien 
petit  nombre  des  contemporains  de  Thomson.  L'esprit,  chez 
les  poètes,  se  manifeste  alors  autrement.  Il  apparaît  dans  les 
satires  personnelles  où  Pope,  avec  une  verve  fort  éloignée  de 
toute  bonhomie,  cingle  ses  ennemis  de  distiques  cruels  comme 
des  coups  de  fouet.  On  le  trouve  encore  dans  la  |>arodie,  soit 
légère  et  gracieuse  comme  dans  1'  «  Enlèvement  de  la  Boucle  i, 
soit  prolongée  et  mordante' comme  dans  les  satires  de  Martinus 
Scriblerus  ou  dans  le  To}n  Thumh  de  Fielding.  Mais  ces  traits 
de  malice  mêlée  de  bienveillance,  cet  esprit  rehaussé  par  la 
fantaisie  poétique  et  par  l'évocation  pittoresque  des  objets', 
ces  caractères  essentiels  de  l'humour  dont  Thomson  nous  a 
fourni  plusieurs  exemples,  il  faudra  descendre  le  cours  du 
siècle  jusqu'à  Goldsmith  pour  les  retrouver. 


IV 


A  considérer  le  <t  C4hateau  »,  non  plus  au  point  de  vue  dusujel 
ou  de  l'inspiration  qui  anime  Toeuvre,  mais  à  celui  de  la  forme, 
du  style  et  de  la  versification,  le  poème  nous  apparaît  encort 
comme  un  phénomène  isolé,  comme  une  anomalie  saillante 

1.  Caiilo  1,  sir.  i.xix. 

2.  Nous  relenons  c«.rt  élément  de  l'analyse  ingénieuse  el  pénétrante  «1^ 
M.  Angellier.  Et  s'il  n'est  pas  sûr  que  cette  évocation  des  formes  soit  te 
trait  capital  de  l'humour,  il  semble  bien  qu'en  eiïel  elle  accompagne  tou- 
jours les  manirestations  de  cette  forme  d'esprit.  (Voir  A.  Akgeixieh,  Burâs) 


o  LE  CHATEAU  D  INDOLENCE-   >'  637 

dans  le  panorama  uniforme  et  terne  de  la  littérature  de  ce 
temps.  Il  marque  un  retour  vers  une  forme  que  l'école  clas- 
sique ne  goûtait  pas  et  ne  comprenait  plus.  Ces  mêmes  écri- 
vains, qui  voyaient  seulement  dans  la  nature  un  «  assaison- 
nement B  aux  t  plats  n  que  fournit  l'étude  de  l'homme  ', 
estimaient  aussi  que  la  langue  du  xvi°  siècle  était  une  pure 
curiosité  archaïque.  Ils  ne  trouvaient  dans  les  rythmes  divers 
et  riclies  auxquels  s'étaient  plu  les  maîtres  d'autrefois  que 
d'oiseux  enfantillages  et  des  casse-téte  compliqués  '.  Mais 
Thomson  qui,  pour  l'œuvré  de  sa  jeunesse,  avait  eu  la  glorieuse 
originalité  de  croire  que  la  description  du  monde  pouvait  èlre 
un  des  grands  thèmes  de  la  poésie,  Tliomson,  dans  l'œuvre  de 
ses  dernières  années,  professe  qu'il  est  aussi  une  noblesse  et 
une  beauté  de  la  forme.  Il  croit  qu'indépendamment  des  idées 
exprimées,  le  poète  fait  œuvre  d'artiste  par  la  création  ou  par 
l'emploi  des  rythmes  musicaux  souples  et  variés,  des  vers 
harmonieux  et  chantants,  des  rimes  sonores  et  ingénieuses. 
Il  n'avait  pas  voulu,  pour  son  grand  poème,  du  distique  de 
Pope  parce  qu'il  y  trouvait  un  moule  trop  étroit,  et  parce  que 
son  sujet  pouvait  se  passer  des  agréments  de  la  rime.  Si,  pour 
l'œuvre  de  poétique  fantaisie  à  laquelle  il  consacre  ses  der- 
nières années,  il  repousse  encore  le  distique  rimé,  c'est  que 
maintenant  il  le  trouve  trop  sec,  trop  monotone,  trop  peu 
musicaP.  Eteniontant,  au  delà  de  Milton  qui  avait  inspiré  le 
style  des  a  Saisons  »,  jusqu'à  ce  Spenser  que  Milton  avait  lui- 

^.  Voir  pliia  baiil,  p.  373.  n.  I. 

3.  C'est  hien  l'opinion  de  l'âcole  que  JohnaoD  exprimail  un  jour  en 
protestant  contre  les  noiubreusuH  imitnliona  de  la  forme  Je  Spenser  (|ue 
te  succès  du  «  Clidteau  d'Indolence  «  avait  fait  naitre.  ^  Life  is  surely  eiven 
us  for  hiftber  purpos&t  tlinn  lo  Rather  what  oiir  ancealors  hâve  wiseljr 
throwti  awav,  and  to  leam  uhat  is  of  no  value  bul  becaiise  il  bas  been 
forgotten.  •  (The  Bambler,  n°  121 .  cité  par  Le-^uk  SiErnEN.  Hislonj  of 
EnglUk  THoug/il  in  Ihe  xvni''  Centura.) 

3.  Le  dislicjue  rimé  n'eal  pas,  eo  ihëse  iiénérale,  une  forme  ariisiiiine 
musicale.  La  rime  y  scande  cl  y  aouligue  rûgu librement  la  pensée;  elle 
bit  jouer  les  facettes  de  l'antithèse;  elle  ne  se  prâle  Ruère  un  clinnt  que 
peuvent  faire  entendre  dos  vers  à  rimes  croisées  et  A  période  prolongée. 
Les  maitrea  du  distique  rimé,  et  tons  les  poètes  de  1'  •  AiiKiistan  aRe  ■• 
semblent,  comme  le  fait  remarquer  Mr.  r.osse,  «  avoir  clé  aUeinl*  d'une 
insensibilité  de  l'ouïe  qui  ne  leur  permutlait  pas  de  saisir  la  rime,  si  elle 
ne  Tenait  sonner  4  la  Un  île  farrét  suivant.  .  {Ufe  of  lirai/,  p.  53.)  Pope, 
on  le  sait,  n'avait  pas  d'oreille  pour  la  musique.  Et  quand  Voltaire  lui 
demandail  pourquoi  Millon  n'avail  pas  rimé  son  ■  Paradis  Terdu  >,  il 
répondait  avec  une  connancc  suprême  ;  •  Becausc  he  conlJ  not  •. 


l 


628  JAMES  THOMSOiN. 

même  imité  *,  il  déclare  prendre  pour  maître  l'auteur  de  t  La 
Reine  des  Fées  d,  pour  modèles  sa  langue  étofîée,  riche  etsavou- 
reuse  et  sa  strophe  aux  combinaisons  savantes  '. 

On  comprend  aisément  les  raisons  de  ce  choix.  Ce  que  le 
langage  de  Spenser  avait  d'archaïque  et  de  lointain,  son  carac- 

1.  Par  exemple  dans  ses  vers  sur  la  Passion,  et  dans  le  Pœm  on  a  Fair 
Infant  dont  la  slrophe  de  7  vers  est  une  évidente  imitation  de  la  slaocc 
de  Spenser.  Le  début  reproduit  même  l'harmonie  parliculière  et  la  savear 
archaïque  du  modèle. 

Du  reste  la  familiarité  de  Thomson  avec  Miiton  était  de  celles  qui  lais- 
sent une  trace  inefîaçable.  Les  preuves  en  abondent  dans  ce  poème  où 
Spenser  est  le  modèle  imité. 

«  As  tliick  as  idie  motes  in  suony  ray.  -  (I,  254.) 

«  ....  As  Ihick  and  numberless 
As  the  gay  moles  Ihat  people  the  suubeams.  * 

(Il  Penseroso.) 

•  Gares  thot  cat  away  the  hcart  -  (I,  93)  ressemble  à  un  vers  de 
V Allegro  : 

«  ....  Ëver  against  ealing  cares 
Lap  me  in  soft  Lydian  air.  -^(435,  136.) 

La  description  des  tables  toujours  servies  (I,  sir.  xxxiv)  semble  ins- 
pirée d'une  scène  de  Cornus  (v.  668-674).  Le  joli  vers  qui  dépeint  les  politi- 
ciens de  taverne  : 

«  And  on  Iheir  brow  sat  every  nation's  care  • 

est  une  amusante  parodie  d*un  vers  du  Paradis  Perdu  : 

Care 

Sat  on  bis  faded  cheek,  but  under  brows 
Of  dauntlcss  courage.  - 

(Bk.  I,  601-603.) 

2.  Un  délai!  montre  bien  à  quel  point  Thomson  a  dépouillé  le  vieil 
homme,  en  passant  du  vers  blanc  des  «  Saisons  »  à  la  strophe  du  «  Château  *. 
Le  désir  de  scander  son  langage  en  paragraphes  nettement  marqoés 
explique,  dans  les  u  Soisous  »,  ce  retour  régulier,  à  la  On  du  paragraphe, 
d*un  vers  emphatique  (voir  plus  haut  p.  463, 464.)  Les  strophes  spensérienne) 
terminées  par  un  vers  de  6  pieds  semblent  se  prêter  complaisammeot 
aux  effets  de  ce  genre.  Mais  le  besoin  d'une  division  en  paragraphes  qai 
tiennent  lieu  de  strophes  n'ayant  ici  aucune  raison  d*être,  le  poète  évite  au 
contraire  avec  soin  d'appuyer  sur  Talexandrin  ;  il  se  garde  ainsi  dlo- 
Icrrompre  la  trame  du  récit.  Dans  tout  le  poème  on  peut  difflcilemeot 
relever  quelques  strophes  (I,  99;  II,  90,  108,  336)  dont  le  vers  final  offre 
celle  sonorité  grossie  qui  caractérise  si  souvent  le  dernier  vers  du  para* 
graphe  dans  les  «>  Saisons  ».  Parfois  même  le  poète  tire  parti  des  douze 
syllabes  de  ce  dernier  vers  pour  obtenir  un  effet  fuyant  et  prolonger  le 
sens  et  le  son  de  la  strophe  comme  en  de  lointaines  vibrations  : 

«•  And  music  lent  new  gladness  to  the  morning  air.  >» 

(I,  318.) 

•  But  wilh  the  clouds  Ihey  fled,  and  left  no  trace  behind.  • 

(I,  531.) 


«  LE  CHATEAU   D'INDOLENCE.    »  6M 

1ère  composite  et  artificiel  convenaient  à  une  œuvre  de  fan- 
taisie idéale.  Rien  que  par  l'emploi  qu'il  en  fait,  Thomson  place 
bien  loin  des  contemporains  de  Pope  et  de  Swift  les  person- 
nages et  les  événements  de  son  conte  merveilleux.  —  L'imita- 
tion du  reste  est  fort  libre.  Il  serait  difficile  de  donner  une 
grammaire  très  précise  de  ce  style  capricieux  de  «  La  Reine  des 
Fées  »  où  l'on  a  retrouvé  Timitation  de  Ghaucer,  l'introduction 
de  termes  et  de  tournures  propres  aux  dialectes  du  nord  de  l'An- 
gleterre, et  de  nombreux  souvenirs  classiques,  tout  cela  fondu 
par  le  poète  dans  le  métal  harmonieux  et  sonore  d'une  langue  qui 
n'est  qu  a  lui.  Thomson  garde  un  petit  nombre  de  constructions 
anormales  qui  communiquent  à  son  style  une  naïveté  gracieuse. 
Mais  c'est  surtout  dans  son  vocabulaire  qu'il  imite  le  maître. 
Presque  tous  les  termes  employés  par  lui,  s'ils  n'appartiennent 
pas  à  la  langue  courante  de  son  temps,  sont  empruntés  au  voca- 
bulaire de  «  La  Reine  des  Fées  ».  Les  autres  viennent  de  ce 
Ghaucer  qui  en  avait  tant  prêtés  à  Spenser  O 

Ce  n'est  pas,  du  reste,  que  les  termes  rendant  nécessaire  le 
secours  d'un  glossaire  soient  fort  nombreux  dans  le  «  Ghàteau  ». 
Plusieurs  sont  répétés  fréquemment  et  non  pas  toujours  en 
raison  de  leur  importance.  Beaucoup  sont  formés  par  l'addition 
du  préfixe  a  y  »  :  «  yblent  »,  «  ymolten  »,  «  ypricked  »,  «  yfere  », 
t  yhung  »,  (L  yclad  »,  a  yclept  »,  «  yborn  »,  «  yspent  '  ».  Assez 
souvent  un  honnête  mot  moderne  prend  l'apparence  d'un 
vocable  gothique  par  la  simple  addition  de  la  terminaison 
c  en  »  :  d  I  passen  '  »  ;  ou  bien  un  mot  de  Spenser  reçoit,  grâce 
au  même  appendice,  un  air  d'antiquité  plus  authentique  : 
t  depeinten  *  ».  Ailleurs,  au  conti'aire,  c'est  en  amputant  le 
mot  d'une  première  syllabe  que  l'effet  d'archaïsme  est  obtenu  : 
«  'plain  »  pour  a  complain  ^  »,  «'noyance  »  pour  «  annoyance  ®  », 
«'witching  »  pour  «  bewitching  ^  »,  etc. 

Notons  encore  que  ces  termes  vieillis,  qui  doivent  donner  à 
l'ensemble  du  poème  un  air  d'ancienne  peinture  aux  teintes 
fondues,  dorées  et  idéalisées  par  le  temps,  l'auteur  ne  les  dis- 
tribue pas  avec  une  scrupuleuse  régularité. Il  lui  arrive  d'ou- 


1.  Par  exemple,  au  chant  I,  le  mot  •  withoulen  •. 

2.  C'est  encore  là  un  retour  à  Spenser  qui  emploie  constamment  celte 
Byllabe  adventice  représentant  Tancien  préfixe  anglo-saxon  ge,  Milton  au 
contraire  s'en  était  servi  très  rarement  et  pas  toujours  correctement. 

3.  I,  504.  —  4.  I,  326.  —  5.  I,  33.   -  6.  I,  53.  —  7.  1,  173. 


630  JAMES  THOMSON. 

blier  ce  souci  d  archaïsme,  et  des  passages  assez  longs  se  ren- 
contrent où  pas  un  mot  ne  s'écarte  de  la  langue  courante  '. 
Mais  alors  le  poète  s'aperçoit  de  son  oubli,  et  vite  il  répand, 
dans  les  strophes  qui  suivent,  une  poignée  de  vocables  vieilli^. 

Beaucoup  plus  significative  que  Timitation  de  la  langue  de 
Spenser  est  rado])tion  de  sa  forme  prosodique.  Cette  stance 
fameuse  de  a  La  Reine  des  Fées  »  est  bien,  si  on  la  cornière  à 
l'instrument  poétique  de  Pope,  placée  à  un  pôle  opposé  deTart. 
Chez  le  poète  du  xviii*  siècle,  les  vers  se  succèdent  par  cou- 
ples rimes,  nets,  secs  et  brillants,  mais  uniformes  et  courts 
d'haleine.  Ils  condensent  en  leurs  vingt  syllabes  une  somme  par- 
fois considérable  d'observation  sagace  ou  d'esprit;  mais  ils  se 
refusent  aux  dévelopi)ements  abondants  et  variés.  Celte  forme 
affinée  par  l'usage  d'écrivains  habiles,' excelle  pour  l'énoncé 
d'aphorismes  frappants  ou  d'ingénieuses  remarques.  C/est  aussi 
l'arme  brillante,  aiguë,  rapide  et  légère  du  satiriste.  Mais  ce 
n'est  pas  une  langue  faite  pour  exprimer  les  rêves  libres  et 
capricieux  d'une  imagination  de  poète.  Il  semble  que  pour  un 
écrivain  tel  que  Poj^e  la  poursuite  des  oppositions  de  pensée^ 
les  plus  piquantes,  des  antithèses  les  ]ilus  brillantes  s'accom- 
pagne du  soin  d'éviter  tout  imprévu  dans  la  façon  même  du 
vers,  et,  pour  tout  dire,  tout  charme  de  la  pure  forme. 

Quel  contraste  avec  la  langue  poétique  de  Spenser!  Ici  les 
complications  et  les  difficultés  abondent.  La  strophe  de  neuf 
vers  est  d'une  structure  compliquée.  Le  premier  vers  rime 
avec  le  troisième;  le  son  terminal  du  deuxième  est  rappelé  par 
le  quatrième,  le  cinquième  et  le  septième;  enfin  la  rime  unit 
le  sixième,  le  huitième  et  le  neuvième  vers,  ce  dernier  étant 
toujours  un  alexandrin.  Chaque  strophe  est  donc  un  petit  orga- 
nisme poétique,  et  doit  à  la  fois  se  fondre  dans  l'ensemble  du 
poème  et  vivre  cependant  d'une  vie  propre.  Elle  est  presque 
aussi  complexe  qu'un  sonnet  français;  elle  Test  plus  que  le 
sonnet  anglais  tel  que  l'ont  pratiqué  Shakespeare  ou  Milton. 
Elle  exige  de  l'écrivain  un  travail  artistique  poussé  fort  loin. 

Est-elle  une  forme  qui  se  prête  aux  longs  récits?  La  réponse 
est  fournie  par  l'usage  qu'en  ont  fait  Spenser  et  Thomson,  et. 
après  eux,  bien  des  poètes  parmi  lesquels  il  suffira  de  rap- 

1.  Voir,  par  exemple,  an  clianl  I  les  strophes  xv  à  xx  dans  Icsquell*** 
•  'witching  »  pour  u  bewilching  »  est  le  seul  terme  qui  offre  trace  à'if' 
chalsme. 


«   LE  CHATEAU    D'INDOLEiNCE.    »  631 

1er  Shclley  *.  C'est  qu'en  effet  elle  réunit  des  mérites  divers, 
le  a  assez  de  col  lésion  et  de  force  organisée  pour  mettre 
aque  fois  le  lecteur  en  face  d'une  petite  œuvre  d'art.  Elle 
i   pas  assez  de  rigide  unité  pour  s'isoler  brusquement  des 

ophes  voisines  et  briser  le  récit  en  une  série  de  paragraphes 
sunis.  Elle  a  assez  d'étendue  pour  permettre  au  développe- 
ent  quelque  richesse  et  quelque  abondance;  elle  n'en  a  pas 
sez  pour  se  prêter  à  la  prolixité  et  la  lâche  diffusion.  Dans 

cadre  de  ses  neuf  vers  elle  est  à  la  fois  ferme  et  souple.  La 
(nsée  de  l'écrivain  peut  s'y  poursuivre  d'un  seul  élan,  sans 
ligueur  et  sans  fatigue,  pour  se  résumer  ou  pour  s'ouvrir  en 
n  épanouissement  dernier  dans  l'alexandrin  final.  Elle  peut 
i  contraire  se  diviser  en  une  série  de  phrases  d'étendue  et  de 
•upes  extrêmement  variées  -.  Elle  peut  prendre  tous  les  tons 

toutes  les  allures  :  l'enthousiasme  et  le  mouvement  de  l'ode, 

marche  grave  du  sonnet  ou  la  course  tour  à  tour  rapide  ou 
lentie  de  la  description  et  du  récit. 

Et  cependant  il  est  vrai  qu'elle  ne  saurait  convenir  égale- 
ent  à  tous  les  genres  poétiques.  Nous  ne  pouvons  guère  ima- 
ner  ni  le  «  Paradis  Perdu  »  ni  les  «  Saisons  »  écrits  dans  cette 
esure.  11  faut  dans  le  vase  délicat  et  finement  ouvragé  de  la 
rophe  spensérienne  verser  une  matière  qui  ne  le  fasse  pas 
dater.  La  sublime  grandeur  du  thème  de  Milton,  la  robuste 
;alité  des  sujets  traités  dans  les  a  Saisons  d  ne  laisseraient 
is  le  loisir  de  goûter  les  beautés  de  ces  rimes  qui  se  croi- 
;nt,  se  cherchent  et  s'appellent  si  ingénieusement.  Il  faut 

ces  formes  d'un  art  raffiné  des  sujets  moins  grandioses  ou 
loins  précis  :  les  visions  merveilleuses  du  pays  des  Fées,  les 
gigues  rêveries  lyriques  de  la  «  Révolte  d'Islam  »,  ou  les  fan- 
lisies  souriantes  du  a  Château  d'Indolence'  d. 


1.  The  Revoit  of  Islam,  Adonais, 

2.  Elle  a  surtout  une  tendance  à  se  fractionner  en  deux  groupes  dont 
!  premier  est  dominé  par  les  vers  rimant  1-3,  et  le  deuxième  par  les 
ers  rimant  6-8-9.  Mais  entre  ces  deux  groupes  l'union  est  maialenue  par 
ts  quatre  vers  monoriuies  2-4-5-7  qui  chevauchent  d'un  groupe  sur 
lutre.  Sur  les  caractères  et  sur  la  valeur  poétique  de  la  strophe  speusé- 
icDue,  on  peut  consulter  entre  autres  :  Stockdale,  Lectures  on  the  trubj 
minent  EngL  PœtSy  p.  63,  et  Montoomehy,  Lectures  on  Poetry,  p.  107  et  suiv. 

3.  Le  grave  Wordsworth  lui-même  a  trouvé  quelque  chose  de  la  fan- 
liste  gracieuse  de  Spenser  et  de  Thomson  le  jour  où  il  s'est  amusé  à 
Tiiter  le  «  Château  ».  Le  portrait  de  Coleridge  que  renferment  ces  huit 
trophes  fait  bonne  flgure  à  côté  des  croquis  où  Thomson  a  crayonné  ses 


632  JAMES  THOMSON. 

On  comprend  que  ces  stances  aient  exercé  leur  séduction 
sur  un  grand  nombre  d'écrivains,  même  parmi  ceux  dont  le 
génie  était  le  plus  différent  de  celui  de  Spenser*.  Depuis  la 
mort  du  «  poète  des  poètes  »  on  peut  relever  une  suite  inin- 
terrompue d'imitateurs  de  sa  forme,  même  à  des  époques  où 
«  La  Reine  des  Fées  »  n'était  guère  comprise  ni  goûtée.  Plu- 
sieurs des  contemporains  avaient  emprunté  au  grand  pot-te 
son  procédé  métrique  :  par  exemple  Drayton  dans  son  gracieux 
poème  Nyniphidiay  «  La  cour  d^  Fées*  ».  Parmi  les  disciples 
immédiats  du  maître  les  deux  Fletcher  sont  surtout  à  noter, 
bien  que  leur  système  prosodique  ne  suive  pas  fidèlement  son 
modèle*.  Phineas  Fletcher,  on  Ta  remarqué  avec  justesse  Sa 
servi  de  transition  entre  le  grand  poète  du  début  et  le  grand 
poète  de  la  fin  de  la  «c  Renaissance  anglaise  b.  Milton  en  elTet, 
dans  quelques-unes  de  ses  premières  œuvres,  imite  le  ton,  le 
langage  et  même  le  système  de  versification  de  «  La  Reine  des 
Fécs^  ».  Mais  voici  un  autre  écrivain  qu'on  est  plus  étonné 
d'entendre  se  réclamerdu  grand  poète  platonicien.  Prior  publie 
en  170(>  une  a  Ode  humblement  dédiée  à  la  Reine,  sur  le  glo- 
rieux succès  des  armes  de  Sa  Majesté  »,  et  il  la  déclare  écrite 
en  imitation  du  style  de  Spenser.  L'imitation  est  fort  libre. 
Elle  consiste  d'abord  dans  l'emploi  d'un  petit  nombre  de 
termes,  une  demi-douzaine  environ  *.  Quant  à  la  strophe,  elle 

ami?.  (Voir  •  S/anzas  Written  in   my  pocket-copy  of  Thotnsoh's  Castle  Of 
Indolence.  Poeais  foundel  on  llie  afTections.  •) 

1.  Goldsmilh,  par  exemple,  rendant  compte  d*iine  édition  nouTeUe  de 
The  Fairy  Queen,  dit  :  «  Spenser's  verses  may  one  day  corne  to  be  con- 
sidered  Ihe  standard  of  Englisli  poetry  •.  (VoirFoHsxER^s  Goldsmiihy  p.  lll.i 

2.  La  strophe  est  de  huit  vers  disposés  en  deux  groupes  formés  chacun 
de  trois  télramètres  iambiques  et  d'un  vers  trimétrique.  C'est  dans  le 
jeu  des  rimes  que  l'imitation  se  fait  phis  directement  sentir.  Le  système 
de  Drayton  n'a,  comme  celui  de  Spenser,  que  trois  rimes  à  la  strophe, 
et  lie  les  deux  parties  de  la  strophe  par  une  rime  commune.  Le  thème 
employé  serait  représenté  par  AAABCCCB. 

3.  Tous  deux  conservent  Talexandriu  final:  mais  Giles  ne  donne  à  sa 
strophe  que  huit  vers,  et  Phineas  que  sept.  Le  système  de  Spenser  étant 
représenté  par  la  combinaison  suivante  des  rimes  :  ABABBCBCC,  celui 
de  (;ilcs  Fletcher  {Christ's  Viclory  and  Tviumph)  serait  ABABBCCC,  et 
celui  de  Phineas  {The  Pittple  Island)  ABABCCC. 

4.  SAiMSBunv,  Elizabethan  Literaiure,  p.  293. 

5.  Les  souvenirs  de  Spenser  sont  nombreux  dans  les  Early  Poems.  Le 
fragment  «  sur  la  Passion  k  est  écrit  en  strophes  de  sept  vers  dont  le  der- 
nier est  un  alexandrin. 

6.  Ce  n'est  pas  de  quoi  expliquer  les  craintes  de  Fauteur  qui  s'eicaae 
de  présenter  à  ses  lectrices  sa  Muse  en  un  costume  démodé. 


«  LE  CHATEAU   D'INDOLENGE.   »  633 

est  comme  chez  Spenser  composée  de  pentamètres  suivis  d'un 
alexandrin  final,  mais  elle  comprend  dix  vers  au  lieu  de  neuf, 
et  cinq  rimes  au  lieu  de  trois.  C'est  assez  dire  que  si  Prior  a 
goûté  la  grâce  et  la  splendeur  poétique  de  Spenser,  il  a  mal 
compris  la  nature  et  mal  apprécié  la  valeur  de  l'instrument 
dont  s'était  servi  le  maître. 

Une  autre  preuve  de  la  faveur  dont  Spenser  continuait  à 
jouir  auprès  de  quelques-uns,  au  début  du  xvni«  siècle,  c'est 
la  publication  faite  en  1705  d'une  édition  de  ses  œuvres  K 
Bientôt  après,  des  imitations  se  produisent  plus  fidèles  que 
celles  qu'avait  vues  le  xvir  siècle.  En  1730,  c'est  Gilbert  West 
avec  son  poème  «  Sur  l'abus  des  voyages  »,  et  plus  tard  avec 
Education j  a  Poem  written  m  imitation  of  the  style  and  man- 
ne7*s  of  Spenser's  Fairy  Queen,  C4es  deux  ouvrages  repro- 
duisent exactement  la  strophe  du  maître  ^  Le  résultat  n'est  pas 
très  heureux.  C'est  sans  doute  parce  que  les  sujets  se  prêtaient 
mal  à  l'usage  de  cette  forme;  c'est  surtout  que  l'auteur  avait 
plus  de  bonne  volonté  que  de  chaleur  d'imagination  et  de  puis- 
sance poétique. 

D'une  valeur  très  supérieure  est  le  poème  de  trente-cinq 
strophes  que  Shenstone  publieen  1742.  «La  Maîtresse  d'école  » 
ne  vise  pas  à  prendre  rang  parmi  les  productions  des  poètes 
de  haut  vol.  Mais  les  quelques  formes  de  langage  vieilli  que 
l'auteur  imite  de  Spenser,  donnent  à  l'œuvre  quelque  chose 
d'adouci  et  de  naïf.  Les  teintes  un  peu  fanées  du  style  s'accor- 
dent bien  avec  l'héroïne  qui  nous  est  montrée  en  bonnet 
blanc,  en  tablier  bleu  et  en  robe  de  bure.  Et  de  la  somptueuse 
parure  de  la  strophe  spensérienne  Shenstone  tire,  non  sans 
agrément,  un  effet  de  contraste  avec  la  modestie  du  sujet. 

Faut-il  voir  dans  les  poèmes  de  Gilbert  West  et  de  Shenstone 
les  exemples  qui  auraient  décidé  Thomson  à  tenter  la  môme 
voie?  Il  suffit  de  nous  rappeler  que  «  le  Château  d'Indolence  » 
avait  été  commencé  vers  1735,  peut-être  môme  plus  tôt.  Il  est 
Vraisemblable  que  West  et  Shenstone  ont  eu  connnaissance  du 
travail  de  Thomson,  et  peut-être  reçu  communication  des 
fragments  à  mesure  qu'ils  étaient  achevés.  C'est  sans  doute 

i.  Trois  volumes  chez  Tonson.  Une  autre  édilion  sera  publiée   trente 
ins  plus  tard  par  John  Hughes. 

2.  L'effort  est  méritoire,  car  les  poèmes  avaient  une  certaine  étendue 
le  premier  comptait  522  vers  et  le  second  828. 


634  JAMES  THOMSON. 

l'exemple  du  «  Château  »  qui  les  a  engagés  à  rechercher  un  lan- 
gage poétique  autre  que  celui  de  Pope,  une  forme  plus  souple 
et  plus  ample,  un  art  plus  curieux  et  plus  riche  '.  Rappelons- 
nous  que  de  même  l'apparition  de  V  «  Hiver  »  fut  suivie  de  la 
publication  par  plusieurs  jeunes  poètes  d'œuvres  descriptives 
en  vers  blancs. 


L'auteur  des  «  Saisons  »,  disciple  fervent  de  Miiton,  du 
Mil  ton  du  <l  Paradils  Perdu  d,  partageait  l'opinion  de  son 
maître  sur  la  valeur  de  la  poésie  rimée.  Nous  voyons  que, 
sur  ce  point,  ses  vues  se  sont  entièrement  transformées.  Le 
contraste  à  cet  égard  entre  les  deux  écrivains  est  curieuià 
observer.  Milton  écrit  ses  premières  oeuvres  en  vers  rimes.  11 
recherche  les  rythmes  variés.  Une  strophe  à  trois  rimes  imitée 
de  Spenser  et  le  sonnet  sous  ses  formes  les  plus  difficiles 
l'attirent  et  le  retiennent.  Mais  quand,  après  une  longue  inter- 
ruption, il  revient  à  la  poésie,  il  n'a  plus  que  dédain  pour  la 
brillante  parure  des  vers  de  sa  jeunesse.  «  C'est  l'invention 
«  d'un  ûge  barbare  pour  rehausser  une  substance  misérable  et 
a  un  rythme  boiteux  »,  c'est  «  un  agrément  oiseux  et  sans  véri- 
table charme  musical  *  ».  —  Thomson  au  contraire  a  débuté 
par  des  vers  non  rimes.  Il  s'est  ainsi  séparé  avec  éclat  de  toute 
l'école  contemporaine.  Mais  après  avoir  ouvert  une  voie  où 
nombre  d'écrivains  le  suiventbientôt,  l'initiateur  renonce  lui- 
même  à  la  doctrine  dont  il  a  assuré  le  triomphe.  Le  poète  qui 
jadis  avait  remis  en  honneur  le  vers  blanc  fait  alors  revivre  la 
plus  riche  des  formes  qui  aient  jamais  servi  à  des  œuvres 
poétiques  de  longue  haleine. 


1.  Le  succès  du  «  Château  •  n'élait  pas  pour  détourner  les  écrivains  de 
ces  tentatives,  et  les  poèmes  «  dans  la  manière  de  Speuser  »  aboodeot 
désormais  au  point  d'échaulTer  la  bile  de  Johnson.  Rappelons,  parmi  k* 
plus  importants,  The  Progress  of  Envy^  de  Robbrt  Llotd,  en  1*51  (30  stro- 
phes de  neur  vers  dont  un  alexandrin;  système  des  rimes  :  ABABCDCDD): 
The  Minstrely  de  J.  Bkattie,  1^«  partie  en  1771,  reproduit  fidèiemenl  ^ 
lance  spensérienne.  Il  en  est  de  même  de  The  Concubine,  p^ 
W.  J.  MiciLB,  1766  (?) 

2.  Avertissement  en  tète  du  «  Paradis  Perdu  ». 


«   LE  CHÂTEAU   D*INDOLENGE.   »  633 

Cette  opposition  dans  la  carrière  fournie  par  les  deux  poètes 
peut  du  reste  être  expliquée.  Les  œuvres  de  jeunesse  de  Milton 
sont  la  dernière  fleur  épanouie  de  la  Renaissance  anglaise.  Si 
grave  que  s'y  montre  déjà  le  jeune  puritain,  il  a  partagé  Ten- 
thousiasine  des  poètes  du  grand  siècle  pour  la  nature  et  pour 
l'art.  La  pureté  morale  et  la  noblesse  des  aspirations  s'allient 
chez  lui  au  plaisir  du  beau,  à  la  volupté  des  formes  caressantes 
et  des  séduisantes  couleurs,  des  sons  et  des  parfums  enivrants, 
comme  dans  son  œuvre  les  pieuses  invocations  chrétiennes 
sont  associées  aux  souvenirs  du  paganisme.  Mais  quand,  vieilli, 
vaincu,  irrité  il  écrit  le  a  Paradis  Perdu  »,  il  méprise  les  grâces 
et  les  sourires  de  la  Muse  de  sa  jeunesse.  11  ne  fait  pas  seule- 
ment alors  œuvre  d'artiste,  mais  autant  ou  plus  œuvre  de 
croyant  et  de  partisan.  C'est  un  chrétien  qui  célèbre  la  gloire 
de  Dieu,  et  c'est  un  puritain  qui  proteste,  par  l'austère  subli- 
mité de  son  sujet,  contre  l'art  profane  et  corrompu  de  la  cour 
des  Stuarts.  Le  souci  des  raffinements  prosodiques  lui  paraît 
indigne  d'un  pareil  labeur.  S'il  doit  parler  un  langage  digne 
de  ses  sujets,  il  en  trouvera  l'inspiration  dans  l'ardeur  do  sa 
foi  et  dans  le  secours  de  son  Dieu.  Ses  lèvres  ont  été  touchées 
du  charbon  ardent,  il  n'a  cure  des  artifices  de  la  prosodie  ni 
du  cliquetis  des  rimes. 

C'est  un  peu,  toutes  proportions  gardées,  dans  une  disposi- 
tion d'esprit  analogue,  que  Thomson  écrivait  les  a  Saisons  ». 
Il  apporte  à  cette  glorification  du  monde  visible  quelque  chose 
de  Tardcur  avec  laquelle  le  poète  chrétien  chantait  son  Dieu. 
La  langue  du  a  Paradis  Perdu  d  n'est  pas  trop  grave  pour  un 
pareil  sujet.  Mais  plus  tard  l'âge  et  l'expérience  de  la  vie  ont 
diminué  cette  ferveur  un  peu  solennelle.  Son  œuvre  épique 
est  achevée,  il  prend  pour  le  sujet  de  son  œuvre  dernière  un 
thème  léger.  Et  d'autre  part  son  goût  littéraire  s  est  affiné;  il 
est  devenu  plus  sensible  à  des  beautés  qui  semblent  être  de 
pure  forme.  11  comprend  que  le  poète  ne  doit  dédaigner  aucune 
des  conditions  qui  séparent  la  langue  des  vers  de  la  prose.  11 
^oûte  ce  qu'il  y  a  de  beauté  raffinée  et  délicate  dans  la  maîtrise 
d'un  poète  assez  sûr  de  son  instrument  pour  en  tirer  des  effets 
difficiles  et  une  exquise  mélodie.  Voilà  comment,  après  avoir 
triomphalement  restauré  le  vers  blanc,  il  en  vient  à  adopter 
la  strophe  de  Spenser  avec  ses  riches  combinaisons,  avec  l'har- 
monie sonore  de  ses  triples  rimes. 


636  JAMES  THOMSON. 

Thomson  n'eut  guère  Je  temps  de  jouir  du  succès  de  son 
dernier  poème.  Mais  l'avenir  a  justifié  l'ambition  qui  lui  inspi- 
rait cette  œuvre  longuement  et  amoureusement  élaborée.  Le 
poème  des  a  Saisons  »  lui  assure  une  place  parmi  les  poètes 
les  plus  populaires  de  l'Angleterre.  Les  sujets  y  sont  de  ceux 
que  tous  comprennent  et  qui  plaisent  à  tous  *.  La  forme  est 
propre  à  flatter  les  goûts  de  la  foule  presque  également  par  sa 
beauté  et  par  ses  défauts.  Mais  «  le  Château  d'Indolence  i»  le 
range  aussi  parmi  les  poètes  rares  et  délicats  qui  plaisent  à  un 
public  de  choix,  plus  exigeant  et  plus  sensible  aux  charmes  de 
l'art.  C'est  le  grand  honneur  de  Thomson  d'appartenir  ainsi 
au  groupe  très  peu  nombreux  des  poètes  complets,  de  ceux 
qui  s'adressent  à  la  fois  à  la  foule  et  à  l'élite  -.  Et  dans  ce 
groupe  nous  serons  tentés  de  le  placer  très  haut  si  nous  son- 
geons qu'il  a  deux  fois  fait  preuve  d'une  vigoureuse  et  féconde 
indépendance  de  génie.  De  ses  deux  chefs-d'œuvre  l'un  a 
rétabli,  dans  un  monde  à  l'horizon  artificiellement  borné,  la 
connaissance  et  l'admiration  de  la  nature,  l'autre  a  reven- 
diqué contre  un  goût  étroit  et  prosaïque  les  droits  de  l'art 
et  la  beauté  de  la  forme. 


1.  »  I  havc  found  Ihe  book  (les  «  Saisons»)  in  the  hands  of  shepherds  in 
the  most  remolc  solitudes,  who  never  saw  another  book  sa^e  their 
Bible;  and  heard  some  of  ils  finest  passages  repeated  by  clowns.  > 
(J.  More's  Stn'cluresj  ch.  IV,  p.  10.) 

Le  célèbre  Paul  Jones  était,  parait-il,  un  admirateur  fervent  des  «  Saisons  •: 
(Voir  TucKBRMAN,  Thoughts  on  ihe  Poels,  XI,  p.  100).  On  peut  croire  qn'il 
aurait  peu  goûté  le  «  Château  -. 

Plus  d'un  enfant  du  peuple  aura  dû  à  Thomson  une  iaitiation  aux 
beautés  de  la  nature  et  à  celles  de  la  poésie,  comme  la  Maria  d'Avrora 
Leigh. 

•  Often  loo 

The  pedlar  slopped  and 

would  toss  her  down 

A  Thomson's  Scasons  mulcted  of  the  Spring.  • 

(Aurora  Leigh.  Third  Book.) 

2.  Un  groupe  dans  lequel  il  faudrait  placer  Chaucer,  Spenser  qni  reTêl 
des  pures  beautés  de  ses  vers  d'adorables  contes,  Shakespeare  partout, 
Milton  selon  les  œuvres  considérées,  Gray  pour  son  élégie,  Wordsworth 
pour  les  portions  définitives  de  son  œuvre,  et  Bums  pour  toute  sa  pro- 
duction littéraire;  mais  où  ne  prendraient  place  ni  Young  dont  Tem- 
phase  verbeuse  reste  toujours  un  peu  vulgaire,  ni  Goldsmitb,  Cowper  ou 
Crabbe  qui  n*ont  pas  eu  l'amour  des  beaux  rythmes,  ni  Byron  qui  vaut 
plus  par  le  mouvement  et  l'éloquence  que  par  l'art  achevé  du  vers,  ni  te 
grand  Shelley  qui  ne  parle  pas  à  la  foule. 


CONCLUSION 


Nous  avons  terminé  Texamen  de  cette  œuvre  considérable  où, 
durant  vingt  années,  se  sont  accumulées,  entre  le  puissant 
poème  du  début  et  Texquise  fantaisie  de  la  fin,  tant  d'autres 
productions  submergées  depuis  dans  Toubli. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  ce  bijou  de  prix,  a  le  Château 
d'Indolence  »,  les  a  Saisons  »  demeurent  cependant  Tœuvre 
capitale  de  Thomson.  C'est  de  là  qu'a  jailli,  non  seulement 
pour  la  littérature  de  l'Angleterre,  mais  pour  toutes  celles  de 
l'Europe,  une  source  nouvelle  et  généreuse  de  sensations, 
d'émotions  et  d'inspirations.  Le  culte  ainsi  restauré  de  la 
beauté  de  la  nature  a  fait  naître  depuis  bien  des  travaux 
subtils  ou  profonds.  Mais  le  poème  des  a  Saisons  »  reste  le 
tableau  le  plus  fidèle  et  le  plus  riche  où  jamais  aient  été  fixés 
les  mouvants  aspects  des  choses,  en  même  temps  qu'il  en  est 
le  plus  simple  et,  en  un  sens,  le  plus  classique  par  ses  grands 
paitis  et  sa  large  exécution. 

Si  donc  nous  pouvions  dire,  en  commençant  cette  étude, 
que  l'œuvre  se  détache  comme  un  des  points  de  repère  dans 
l'histoire  des  lettres  anglaises,  nous  pouvons  maintenant  aller 
plus  loin  et  conclure  qu'il  n'est  pas  dans  cette  histoire  d'évé- 
nement plus  important,  plus  fécond  en  conséquences  heu- 
reuses. L'apparition  des  ce  Saisons  y>  marque  la  fin  d'une 
époque  et  l'avènement  d'une  ère  nouvelle.  Sans  doute  le  cours 
du  siècle  verra  naître  encore  —  et  mourir  —  plus  d'un  poème 
en  imitation  de  Pope,  mais  l'école  d'où  relèvent  de  pareilles 


JAMES  THOMSON. 

œuvres,  cette  école  qui  semblait  être  alors  en  pleine  gloire  et 
en  pleine  puissance,  est  désormais  condamnée.  Elle  est  mor- 
tellement atteinte  parce  que  Télément  nouveau  qu'introduit  le 
poème  de  Thomson  dans  la  littérature  :  Tinfluence  directe, 
franche  et  vivifiante  de  la  nature,  fait  violemment  apparaître 
le  caractère  artificiel  et  mesquin  d'une  poésie  qui  vit  seule- 
ment de  raisonnements  et  d'esprit  et  de  souvenirs  livresques. 
Elle  est  en  Angleterre  plus  gravement  frappée  qu  ailleurs 
parce  que  le  retour  à  la  nature  y  est  en  même  temps  le  retour 
à  la  tradition  nationale.  C'est  pour  avoir,  malgré  le  goùl  alors 
dominant,  malgré  toutes  les  influences  adverses,  renoué  cette 
tradition  que  Thomson  mérite  d'être  considéré  comme  un  des 
représentants  éminents  du  génie  de  sa  patrie. 

Nous  disons  de  sa  patrie  et  non  pas  de  sa  race,  et  c'est  peut- 
être  à  la  distinction  de  ces  mots  qu'il  faut  demander  la  solution 
de  questions  souvent  agitées.  Il  semble  bien  que  celte  idée  de 
race,  dont  ungrnnd  écrivain  voulait  faire  le  pivot  d'une  histoire 
de  la  littérature  anglaise,  ne  se  prête  pas  là  mieux  qu'ailleurs 
à  une  explication  des  faits  ni  à  la  justification  d'un  système  qui 
s'appuierait  sur  elle.  Y  a-t-il  une  race  anglaise?  Non,  sans  doute, 
puisqu'il  n'est  pas  de  peuple  qui  se  soit  formédu  mélange  de  plus 
d'éléments  divers.  De  ces  éléments  en  est-il  un  qui  ait  dominé 
aupoinld'iniposer  ses  caractères  à  la  masse?  Rien  à  cela  d'im- 
possible, mais  rien  de  plus  incertain.  L'ancienne  opinion  qui 
supposait  les  Celtes  de  la  Bretagne  annihilés  ou  refoulés  par  les 
envahisseurs  Saxons  est,  on  le  sait,  fortement  battue  en  brèche 
aujourd'hui.  Les  historiens  penchent  à  ne  voir  dans  les  con- 
quérants venus  du  continent  qu'une  colonie  superposée  à 
l'élément  autochtone,'et  qui,  loin  de  le  détruire,  n'a  pas  réussi 
à  le  modifier  radicalement  '.  Mais  d'ailleurs,  sans  nous  attarder 
à  ces  obscures  hypothèses,  quel  profit  pourrions-nous  tirer  de 

1.  Voir  sur  ces  questions  : 

Cu.  .1.  Kloon,  Origins  of  Enf/liah  liisiory; 

Docteur  (juest.  Origines  Cflticw; 

HrxLKY,  Critiques  ami  Adresses  ^On  sonie  Fixed  Points  of  Knglish  Klhno- 
locy); 

Tiir)M.  NiciiOLAs,  The  Pedigree  of  Ihe  English  Peoplei 

Professeur  Rhys,  Celtir  Hritain. 

On  peut  lire  en  français  un  exposé  des  principales  conclusions  fournies 
par  ces  travaux,  dans  l'Inlroduction  ajoutée  par  M.  AngeJlior  à  sa  magis- 
trale étude  sur  Burns,  et  aussi  dans  l'ouvrage  de  M.  Jusseraud.  Hit(('^^ 
littéraire  du  peuple  anglais. 


CONCLUSION.  639 

l*idée  de  race  dans  notre  étude  de  l'œuvre  littéraire  de  Tliomson  ? 
Cet  Écossais  des  «  Borders  »  est-il  plutôt  de  souche  gaélique, 
danoise  ou  saxonne?  Oui  le  dira?  Il  est  probable  que  ses  origines 
ethnologiques  apparaîtraient,  si  nous  pouvions  les  connaître, 
fort  différentes  de  celles  de  Spenser  ou  de  Mil  ton,  les  poètes 
dont  il  est  le  plus  voisin  par  Tesprit.  Ils  sont  peut-être  de  races 
très  diverses;  mais  ils  ont  assurément  une  même  patrie,  non 
pas  seulement  de  par  les  géogra[)hies  et  Thistoire,  mais  aussi 
de  par  les  affmités  de  leurs  génies.  Toutes  les  diflicultés 
auxquelles  se  heurte  Thistorien  quand  il  prétend  rattacher 
à  une  communauté  de  race  les  manifestations  littéraires  d'une 
même  langue  s'effacent  si  nous  substituons  à  cette  idée  celle 
de  nation  et  de  patrie  *.  Elle  est  aussi  claire  que  Tautre  est 
obscure,  aussi  précise  que  l'autre  est  vague.  Elle  remplace 
un  concept  mal  défini  et  mal  connu,  vide  d'énergie  et  de  vie, 
par  la  réalité  la  plus  certaine,  la  plus  féconde,  la  plus  sûrement 
créatrice  d'effets  tangibles  et  durables.  Une  patrie  n'est  pas 
seulement  une  portion  délimitée  de  la  surface  du  globe, 
c'est  aussi,  c'est  surtout,  une  somme  d'aspirations  et  d'elforls 
humains,  de  souvenirs  partagés,  d'amours  et  de  haines  com- 

1.  \\  est  biea  vrai  quMl  y  a  une  liUéraliire  des  races  là  où  les  a^glnmé- 
rations  humaines  ne  sont  pas  arrivées  h  cet  étal  d'organisation  supérieure 
où  apparaît  la  nation,  la  patrie.  La  rare  peut  être  invoquée  pour  expli- 
quer les  caractères  des  poèmes  des  Indous,  des  Germains  ou  des  Scandi- 
naves. Mais  M.  Tainc  veut  retrouver  encore  cet  élément  dans  les  produc- 
tions d'époques  historiques  d'où  il  a  clé  éliminé  par  la  triture  des  invasions 
et  des  conquêtes,  par  le  mélange  et  la  pênélration  réciproque  des  courants 
de  population.  C'est  là  qu'il  nous  devient  impossible  de  le  suivre.  Un 
peuple,  c'est,  pour  lui,  une  race  soumise  a  cerlaiues  luodificalions  par  le 
chmat  et  par  le  temps.  Nous  croyons  que  c'est  un  être  moral  formé  de 
très  complexes  élément?,  déterminé  par  des  influences  tro|)  variables, 
trop  subtiles  et  trop  nombreuses  pour  qu'il  soit  possible  de  les  isoler  par 
l'analyse.  L'éloquent  écrivain  voit  lus  peuples  issus  d'une  même  race  se 
didéreucier  comme  des  animau\  soumis  à  des  conditions  diverses  de 
climat  et  d'élevage.  Nous  serions  plus  lentes  de  comparer  la  formation 
il'un  peuple  aux  phénomènes  qu'observe  la  chimie.  C'est  de  la  combinaison 
même  de  certains  éléments  que  résultent  souvent  les  caractères  propres 
du  corfis  étudié;  ils  ne  préexistaient  pas  à  cette  union.  L'analyse  ({ui  dis- 
socie ces  tlémenls  ne  peut  donc  pas  expliquer  l'idiosyncrasie  du  composé. 
Or  c'est  là  la  seule  chose  qui  importe  quand  il  s'agit,  non  pas  de 
molécules  à  peser,  mais  de  réalités  de  l'ordre  moral  à  connaître  et  à 
juger. 

(Ces  lignes  étaient  écrites  (piand  nous  avuns  eu  le  plaisir  de  voir 
exposer  des  conclusions  analogues  par  un  penseur  et  un  écrivain  dont 
sont  fiëres  la  science  et  les  lettres  françaises.  (Klude  de  M.  Houtmy  sur  le 
livre  de  M.  Jusserand  dans  la  lirvue  de  Paris^  novembre  189D 


640  MMES  THOMSON. 

muns.  C'est  de  tout  cela  qu'est  faite  rame  d'un  peuple,  diffé- 
rente de  celle  d'un  autre  peuple,  et  c'est  tout  cela  qu'exprime 
la  littérature  d'une  nation.  Et,  comme  cette  âme  coliecUve 
exerce  à  son  tour  une  influence  profonde  sur  chacun  des 
individus,  nous  concevons  sans  peine  qu'entre  des  iruvres 
fort  diverses  la  communauté  de  patrie  maintienne  souvent 
une  analogie  foncière.  C'est  un  des  effets  où  se  manifesle 
la  solidarité  qui  unit  les  membres  d'une  même  famille 
humaine. 

La  thèse  qui  prétend  retrouver  l'empreinte  de  rorigiue 
ethnologique  dans  chaque  œuvre  individuelle  imagine  la  raa 
comme  quelque  chose  de  permanent  et  d'irréductible  en  son 
fond,  malgré  les  modifications  de  surface  que  peuvent  pro- 
duire certaines  influences  perturbatrices  *.  L'âme  d'un  peuple 
au  contraire,  cette  grande  entité  qui  se  compose  de  l'union  des 
âmes  individuelles,  est  chose  changeante  comme  tout  ce  qui 
vit  et  se  développe.  Étudiée  à  divers  moments,  elle  peut  nous 
montrer  tantôt  des  caractères  permanents,  tantôt  de  violents 
contrastes.  La  France  de  Louis  XIV  et  de  Bossuet  n'est-elle  |)as 
séparée  par  un  vaste  intervalle  intellectuel  et  moral  de  la 
France  de  François  I"  et  de  Rabelais,  comme  de  celle  de 
Louis  XV  et  de  Voltaire?  De  même  il  s'opère,  au  xvn*  siècle, 
une  révolution  dans  cette  âme  de  l'Angleterre  qu'exprime  la 
littérature  aussi  bien  que  dans  le  corps  politique.  La  nation 
accepte,  sous  les  Stuarts  restaurés,  de  renoncer  à  l'antique 
liberté,  sans  même  acheter  de  ce  sacrifice,  comme  sous  les 
Tudors  ou  sous  Cromwell,  la  grandeur  de  la  patrie.  La  nation 
renonce  en  même  temps  à  ce  qui  avait  fait  l'originalité,  la  force 
et  la  beauté  de  sa  [)oésie;  elle  demande  à  un  autre  peuple  un 
idéal  artistique  et  des  modèles  nouveaux.  Elle  imite  la  poésie 
et  le  drame  français,  comme  elle  adopte  la  monarchie  absolue 
de  la  France.  Mais  cet  abandon  est  passager.  En  dépit  d'une 
transformation  qui  semble  radicale,  l'âme  anglaise  conserve 
au  fond  les  aspirations  et  les  croyances  dont  elle  a  vécu  si 

1.  u  Si  difTcrents  qu'ils  soient,  leur  parenté  n'est  pas  détruite:  la  satt- 
vagerie,  la  culture  et  la  greffe,  les  diiïérences  du  ciel  et  du  sol,  les  acci- 
dents heureux  ou  malheureux  ont  eu  beau  travaiUer,  les  grands  traits  de 
la  forme  originelle  ont  subsisté,  et  Ton  retrouve  les  deux  ou  trois  linéi- 
meuts  principaux  de  l'empreinte  primitive  sous  les  empreintes  secondaires 
que  le  temps  a  posées  par-dessus.  »  (Talne,  Hisioù^  de  la  Liitévaturt 
anglaise.  Introduction,  V.) 


CONCLUSION.  641 

longtemps.  Elle  renonce  vite  à  cette  mode  importée  du  despo- 
tisme, et  bientôt  aussi  elle  se  sent  inquiète  et  gênée  sous  ces 
autres  modes  étrangères  que  lui  imposent  les  littérateurs, 

Car  elle  a  dans  le  cœur  cette  fleur  large  et  pure 
L'amour  mystérieux  de  Tanlique  nature  *. 

Le  malaise  cesse  le  jour  où  une  œuvre  indépendante  lui 
montre  ou  lui  rappelle  où  est  sa  voie,  quelle  est  son  aptitude, 
quelles  sont  pour  elle  les  sources  d'inspiration  vraiment 
fécondes.  Cette  œuvre  a  été  les  m  Saisons  »  ;  et  leur  rôle  nous 
parait  avoir  une  importance  qu'on  ne  saurait  exagérer  parce 
qu*elles  ont  fait  revivre,  avec  la  connaissance  et  l'amour  de  la 
nature,  un  des  éléments  essentiels,  un  des  plus  caractéristiques 
et  des  plus  puissants  qui  contribuent  à  former  le  génie  artis- 
tique de  r Angleterre. 

i.  VicTOB  Hugo,  Les  Voix  intérieures.  Virgile. 


41 


APPENDICES 


I 

Lessing,  Voltaire,  Hill  et  Thomson. 

Dans  la  leltre  à  Falkener  qui  forme  la  préface  de  Zaïre,  Vollaire 
parlait  d*un  ancien  usage  du  théâtre  anglais  qu'il  trouvait  très  fùcheux, 
c^elui  de  terminer  chaque  acte  par  une  comparaison  en  vers  rimes.  Il 
Taisait  honneur  à  Hill  d'avoir  été  le  premier  à  rompre  avec  cette  pra- 
tique de  mauvais  goût. 

Lessing  a  pris  très  vivement  Voltaire  à  partie  à  l'occasion  de  cette 
préface  K  Ses  critiques  ne  sont  pas  cependant  exactes  de  tout  point 
pt  11  peut  y  avoir  intérêt  à  contrôler  son  jugement. 

«  Il  n'y  a  pas,  dit-il,  plus  de  trois  inexactitudes  dans  ce  passage, 
et  ce  n'est  guère  pour  M.  de  Voltaire.  Les  Anglais,  depuis  Shake- 
speare et  peut-être  avant  lui  ',  ont  eu  l'habitude  de  terminer  leurs  actes 
écrits  en  vers  non  rlmés  par  une  couple  de  lignes  rimées  :  cela  est 
vrai  ^.  Mais  il  est  absolument  faux  que  ces  lignes  rimées  ne  renfcr- 

i.  tt  Dramaturgie  de  Hambourg  »,  XVI«  soirée. 

2.  La  restriction  de  Lessing  est  superflue.  La  plupart  des  vieux  poêles 
tragiques  ont  placé  à  la  Un  des  acles  ces  appendices.  La  forme  en  est 
liabituellement  celle  d'un  chœur.  Le  premier  exemple  est  fourni  par  la 
première  des  tragédies  anglaises,  Gorboduc. 

3.  11  n'est  pas  vrai  cependant  que  cette  habitude  fût  constante.  Mar- 
lowc  ne  la  connaît  pas  (sauf  deux  vers  à  la  fîn  du  choeur  de  Faiisius), 
Toutes  les  pièces  de  Shakespeare  n'ont  pas  ces  vers  rimes  à  la  fin  de 
chaque  acte.  Ben  Jonson  ne  s'astreint  pas  toujours  à  cette  obligation. 
■Dans  le  Poetaster,  le  dernier  acte  seul  se  termine  par  quelques  distiques 
rimes.  Il  n'y  en  a  guère  plus  dans  Edward  II;  au  contraire  Catiline  et 
Sejanus  ont  des  chœurs  ou  des  vers  rimes  à  la  fin  de  tous  les  actes. 
L.'usage  est  de  même  variable  chez  Webster,  Massinger  et  quelques 
autres. 

Le  terme  employé  par  Lessing  :  une  couple  de  vers  rimes,  n'est  guère 
juste.  Les  cas  sont  1res  nombreux  où  le  nombre  des  vers  varie.  Dans 
Sejanuê,  par  exemple,  le  l*"'  acte  en  a  6,  le  2*"  2,  le  3«  36,  le  4«  5,  le  5*"  2. 


644  .       APPENDICES. 

massent  et  ne  dussent  renfermer  que  des   comparaisons,  et  je  ne 
comprends  pas  que  M.  de  Voltaire  ait  pu  dire  en  face  quelque  chose  de 
pareil  à  un  Anglais  qu'il  devait  soupçonner  d'avoir  iu,  lui  aussi,  le*  . 
poètes  tragiques  de  son  pays. 

c(  En  second  lieu,  il  est  faux  que  Hill,  dans  sa  traduction  de  Zain, 
ait  abandonné  cet  usa^e.  A  la  vérité,  il  est  presque  incroyable  qae 
M.  de  Voltaire  n'ait  pas  dû  regarder  la  traduction  de  sa  pièce  plus 
exactement  que  moi  ou  tout  autre.  Il  faut  pourtant  bien  que  cela  soit. 
Car,  aussi  vrai  qu'elle  est  écrite  en  vers  blancs,  chaque  acte  se  ter- 
mine par  deux  ou  quatre  li{;nes  rimées.  Sans  doute  elles  ne  contien- 
nent pas  de  comparaison,  mais,  comme  je  l'ai  dit,  de  toutes  ces 
conclusions  rimées  par  lesquelles  Shakespeare,  Jonson,  Dryden,  Lee, 
Olway,  Rowe,  et  tous  enfin  terminent  leurs  actes,  il  y  en  a  certaine- 
ment cent  contre  cinq  qui  n'en  renferment  pas  non  plus.  Qu'est-ce 
que  Hill  a  donc  fait  de  particulier? 

«  Et  quand  il  présenterait  réellement  cette  exception  que  Voltaire  loi 
attribue,  il  serait  encore  faux,  en  troisième  lieu,  que  son  exemple  ait 
eu  l'influence  que  Voltaire  lui  prête.  A  cette  heure  encore,  il  paraît  en 
Ani^Heterre  autant,  sinon  plus,  de  drames  qui  présentent  ce  carac- 
tère que  de  drames  qui  ne  le  présentent  pas.  Hill  lui-même  ne  s'est 
affranchi  entièrement  de  Tancienne  mode  dans  aucune  des  pièces 
qu'il  a  faites  depuis  sa  traduction  de  Zaïre. 

Et  qu'importe  en  On  que  nous  entendions  ou  que  nous  n'entendions 
pas  des  rimes  pour  terminer?  Quand  il  y  en  a,  peut-être  donnent- 
elles  le  signal  de  prendre  les  instruments;  et  quand  ce  signal  vien- 
drait de  la  pièce  même,  cela  ne  vaut-il  pas  mieux  que  de  le  donner  à 
l'aide  d'un  sifflet  ou  d'une  clef?  » 

(Trad.  de  Suckau.) 

Il  y  a  en  effet  quelque  chose  d'inexact  dans  le  passage  incriminé:  . 
mais  peut-être  en  peut-on  trouver  une  autre  explication  que  le  pen- 
chant naturel  de  Voltaire  au  mensonge,  comme  le  laisse  entendre 
Lessing.  L'inexactitude  consiste  en  une  exagération  de  faits  réels.  II 
est  très  vrai  que  le  goût  du  temps  imposait  alors  au  poète  l'usage  de 
vrrs  rimes  à  la  fin  des  actes.  Il  est  vrai  également  que  a*s  vers 
roiifermaicnl,  non  pas  nécessairement,  mais  très  souvent,  une  com- 
paraison. Où  remonte  cet  usage?  11  y  a  eu  des  comparaisons  depois 
qu'il  y  a  un  style  poétique;  mais  nous  pouvons  rattacher  l'emploi  - 
complaisant,  méthodique  et  formel  de  cette  figure  à  l'époque  de  b 
tragédie  héroïque  '.  Le  goût  des  comparaisons  pompeuses,  ctTusaj^'e 

i.  C'est,  par  exemple,  un  des  ridicules  auxquels  s'attaque  Buckingham 
dans  The  liehearsal.  Témoin  ces  deux  passages: 

((  Bavks.  —  So  boar  and  sow,  wlien  any  storm  is  nigh, 

SnnfT  up,  and  smell  it  gath'rinf^  in  the  sky; 

Uoar  l)eckons  so\n  to  trot  in  chesnust  groves, 

And  there  consummale  their  unnoislied  loves  : 

Pensive  in  niud  they  wallow  ail  alone, 

And  snorc  and  gruntle  to  cacb  other's  moan.  » 


APPENDICES.  645 

erdiiner  les  actes  par  un  air  de  bravoure  se  sont  combinés  et  ont 
lié  naissance  à  ces  passages  rimes  qui  terminent  les  actes  par  une 
paraison  ou  quelque  autre  effet  brillant. 

ît  usage  a  dû  frapper  Voltaire.  11  le  voyjait  observer  dans  ce  Cato 
idison  qui  lui  paraissait  le  chef-d'œuvre  du  thédlre  anglais;  il 
ivait  de  nombreuses  comparaisons  rimées  dans  les  trois  tragédies 
on  ami  Young;  et  nous  avons  vu  que  la  Sopkonisbd  de  Thomson 
onfornie  à  cette  règle  du  théâtre.  L'observation  qu'il  émet  n'est 
c  pas  aussi  dénuée  de  fondement  que  le  dit  Lessing. 

uel  a  été  maintenant  le  rôle  de  Hill?  11  a  renoncé  à  cet  usage,  non 
emcnt  dans  sa  traduction  de  Zaïre,  mais  presque  entièrement 
?i  dans  ses  autres  œuvres  dramatiques.  Dans  ses  quatre  tragédies 
prieures  à  Zara  les  actes  se  terminent  par  des  vers  rimes,  mais' 
point  par  des  comparaisons  K 

ara  marque  bien  un  progrès  dans  la  voie  recommandée  par 
:aire.  Tandis  que  les  premières  pièces  de  Ilill  contenaient  des  mor- 
jx  rimes  qui  prenaient  parfois  un  assez  long  développement  ',  les 

y  a  là  une  parodie  d'une  comparaison  de  la  Conquesl  of  Grenada  : 

»  So  two  kind  turlles,  when  a  storm  is  nigh, 
Look  up  and  sec  it  gathering  in  the  sky, 
Each  calls  his  mate  to  shelter  in  the  grevés, 
Leavin^,  in  miirmurs,  their  unûnish'd  loves  : 
Perched  on  somc  dropping  branch,  they  sit  alune, 
And  eue,  and  bearken  to  each  othcr's  moan.  » 

(Part.  II). 
i  même  aussi  : 

«  CiiLORis.  —  As  somc  lall  pine,  NNhich  wc  on  .¥Anti  find 
T*have  slood  the  rage  of  many  a  boist'rons  w  ind, 
Feeling  without  ttiat  flames  within  do  play, 
Which  would  consume  liis  root  and  sap  away  ; 
He  spreads  his  woorsted  arms  unto  the  skies, 
Silently  gricves,  ail  pale,  repines  and  dics  : 
So  shrouded  up,  your  briçht  eye  disappears. 
Break  forlh,  bright  scorching  sun,  and  dry  iny  tears.  » 

(Acle  II,  se.  m.) 
t  une  imitation  grotesque  de  ce  passage  : 

(*  As  some  Tair  tulip,  by  a  storm  opprcst, 
Shrinks  up,  and  folds  its  silken  arms  to  rest; 
And  bending  to  the  blast,  ail  pale  and  dead, 
Hears  froni  within  the  wind  sing  round  ils  hcad  ; 
So  shrouded  up  yonr  bcauty  disappears; 
Uuvcil,  my  love,  and  lay  asidc  your  fears 
The  storm  thaï  caused  your  fright  is  past  and  gone.  • 

{Conq.  of  Grenada,  part.  1.) 

Les  seules  cxceplions  seraient  les  comparaisons  rimées  qui  se  rencou- 
t  à  la  iin  du  -J"  acle  dans  The  Fatal  Vnion  ur  Ihe  Fall  of  Siam,  1716,  et 
5  Athe.lwold,  1731. 
10  vers  à  la  fin  du  4"  acte  de  AlhelwoUL 


646  APPENDICES. 

actes  de  Zara  se  terminent  simplement  par  un  distique.  Or  ce  que 
constate  Voltaire  ce  n*est  pas  la  disparition  chez  Hill  de  toate  rime, 
niais  celle  des  vers  d'un  goût  différent  du  reste  de  la  pièce. 

(f  En  troisième  lieu,  dit  Lessing,  il  est  faux  que  Fezemple  de 
Hill  ait  eu  Tinfluencc  que  Voltaire  lui  attribue.  »  Le  critique  alle- 
mand semble  avoir  mal  compris  les  termes  employés  par  Voltaire  '. 
La  2**  lettre  à  Mr.  Falkener  était  écrite  trop  peu  de  temps  après  la 
représentation  de  Zara  pour  qu'on  pût  parler  déjà  d'une  influence 
exerôée  par  cette  pièce  sur  le  théâtre  contemporain. 

Mais  que  cette  influence  se  soit  en  effet  exercée  plus  tard,  c'est  ce 
que  nous  sommes  tout  porté  à  croii*e.  Les  prédications  de  Hill  en 
faveur  du  naturel  et  de  la  simplicité,  soit  par  ses  articles  du 
Prompter,  soit  par  ses  conversations,  soit  aussi  par  l'exemple  de 
Zara  n'ont  sans  doute  pas  été  sans  effet.  Thomson  lui-même  en 
fournit  une  preuve.  Après  sa  Sophonisba  qui  était  fidèle  aux  règles 
blâmées  par  Voltaire,  son  Agamemnon  ne  nous  montrera  à  la  fin  des 
actes  aucune  comparaison,  point  de  vers  «  d*un  goût  différent  du 
reste  de  la  pièce  »,  et  même,  sauf  un  cas  douteux,  point  de  rimes. 

Il  est  vrai  que  plus  tard,  dans  des  pièces  écrites  à  une  époque  où 
l'influence  de  Hill  et  de  Voltaire  était  moins  directe,  le  poète  est 
revenu  en  partie  à  ses  anciennes  pratiques,  et,  sinon  aux  comparai- 
sons, du  moins  aux  passages  rimes  pour  la  fin  des  actes. 

Pour  ce  qui  est  du  jugement  à  porter  sur  ces  morceaux  de  bra- 
voure intercalés  dans  la  tragédie,  comment  pourrait-on  ne  pas  sous- 
crire à  la  condamnation  prononcée  par  Voltaire?  Le  simple  distique 
rimé  ne  donne  pas  lieu  aux  mêmes  reproches.  Mais  croirons-nous 
avec  Lessing,  qu'il  ait  pour  raison  d'être  de  servir  de  signal  à  l'or- 
chestre? 

(Vest  en  réalité  un  usage,  alors  devenu  banal,  dont  il  faudrait 
rechercher  l'origine  et  Tcxplication  dans  l'histoire  du  théâtre.  Les 
anciennes  tragédies ,  depuis  Govboduc  avaient  un  chœur  rim^ 
succédant  à  chaque  acte  ».  Abandonné  plus  tard,  le  chœur  a  souvent 
tenté  de  reprendre  sa  place  sur  la  scène  tragique.  Marlowe  y  revient 
dans  FausluSf  Ben  Jonson  dans  CatUine,  Milton,  le  grand  apôtiv 
du  vers  blanc,  dans  Samson  Agonistes.  Rien  d'étonnant  que,  là 
où  il  a  disparu,  il  soit  remplacé  par  un  morceau  d'allure  un 
peu  semblable,  d'un  style  qui  s'écarte  plus  ou  moins  de  celui  de  la 
pièce,  et  où,  par  la  bouche  de  l'un  des  personnages,  le  poète  prenne 
en  réalité  la  parole  pour  terminer  l'acte  sur  une  pensée  brillante  ou 
une  comparaison  ingénieuse.  C'est  cette  transformation  de  l'ancien 
chœur  qui,  par  l'effet  d'atténuations  successives,  en  vient  à  ne  plu* 
olfrir  que  le  simple  distique  rimé  auquel  Lessing  cherche  une  invrai- 
semblable raison  d'être. 

4.  «  Il  a  proscrit  cet  usage  <•  voulait  dire  :  il  va  renoncé  pour  son 
compte,  et  non  pas  :  il  Ta  fait  disparaître  de  la  scène  anglaise. 

2.  •  Yen  sliall  be  the  Chorus  and  speak  betwen  the  acts.  •  (BexJo^sox. 
TheSilenl  Woman,) 


APPENDICES.  647 


II 

Thomson  jugé   par  un    confrère    et   un    contemporain. 
Épitre  à  Mr.  Thomson  sur  la  première  édition  de  ses  «  Saisons  », 

par  SOMERVILLE. 

V  Tantôt  brillant,  tantôt  obscurci,  le  soleil,  un  jour  d*avril,  lance 
ou  cache  ses  rayons  capricieux;  tantôt  haut,  tantôt  bas,  Taloueite 
monte  en  chantant,  ou  bien  retombe  à  terre  et  replie  ses  ailes;  tantôt 
unie,  tantôt  soulevée,  la  mer  qui  baigne  nos  rivages,  sourit  dans  le 
calme,  ou  rugit  dans  la  tempête. 

M  Crois-moi,  Thomson,  ce  n'est  pas  ainsi  que  j'écris,  mêlant  la  sévé- 
rité à  la  bienveillance,  aigri  par  Fenvie  ou  par  le  dépit.  Je  ne  voudrais 
pas  dépouiller  ton  front  pour  orner  le  mien;  ce  sont  là  des  manœu- 
vres inconnues  à  mon  âme  honnête.  Je  te  lis  comme  doit  lire  un  ami, 
affligé  quand  tu  échoues,  ravi  quand  tu  réussis.  Pourquoi  faut-il  que 
ta  Muse,  née  si  divinement  belle,  manque  de  ces  soins  journaliers  de 
la  toilette  qui  complètent  la  beauté?  Habille  cette  vierge  joyeuse. 
rehausse  chaque  grâce  naturelle,  et  fais  ressortir  toutes  les  gloires  de 
ion  visage.  Artistement  simple,  élégamment  nette,  naturelle  dans 
ses  paroles,  aisée  dans  son  attitude,  la  nymphe  accomplie,  parfaite. 
couverte  de  ses  plus  beaux  atours  sera  applaudie  par  les  cours  et 
idmirée  par  les  foules  prosternées.  Audacieux  avec  prudence,  raidis 
les  rênes  et,  ferme  sur  ta  selle,  retiens  ton  coursier  ardent.  Tes 
iéfauts  sont  peu  nombreux,  mais  qui  peut  se  vanter  d*ètre  parfait? 
Les  taches  du  soleil  se  perdent  dans  son  éclat  :  cependant  ces 
lâches  mêmes,  efface-les  d*un  soin  patient,  et  n'aie  pas  la  faiblesse 
répargner  la  moindre  erreur.  Bon  et  sage  est  le  père  qui  condamne 
la  plus  légère  faute  chez  Tenfant  qu'il  aime.  Lis  beaucoup  Philips, 
Fidmire  Milton  plus  encore;  mais  de  leurs  scories  crtrais  le  ;;Mr 
métal.  Forger  des  mots  nouveaux,  ou  en  faire  revivre  d'anciens, 
c'est  chez  les  poètes  du  Sud  chose  dangereuse  et  hardie;  mais  rare- 
ment, très  rarement  l'essai  réussira,  quand  les  mots  seront  frappés 
au  delà  de  la  Tweed.  Que  le  discernement  préside  à  tout  —  et 
bientôt  tu  seras  la  joie  et  l'orgueil  de  ton  pays.  La  gent  rimant  et 
Linlinnabulanl,  qui,  avec  clochettes  et  chansons,  conduit  son  Pégase 
boiteux,  apprendra  de  toi  à  s'élever  d'un  vol  plus  hardi,  à  dédaigner 
les  sentiers  battus,  et  à  parcourir  les  airs.  Un  génie  si  précieux,  si 
juste  et  si  grand  fixera  dans  File  de  Bretagne  le  séjour  de  la  Muse,  et 
créera  chez  nous  un  nouveau  Parnasse.  Tous  les  bardes  futurs  tire- 
ront de  tes  œuvres  leurs  règles,  de  tes  œuvres  qui  s'élèver^t  au-dessus 
des  lois  trop  étroites  du  critique,  et  qu'enrichissent  des  pierreries 
brillantes  et  sans  défaut.  » 
(The  Works  of  the  EwjiiiihPoets...j  by  Samcel  Jou.nson,  vol.  XL,  p.  22t.) 


()48 


APPENDICES. 


111 


Thompson  et  Garrick,  ou  l'Auteur  et  l'Acteur. 

Comédie  en  un  acte  el  en  vers,  mêlée  de  vaudevilles, 
par  MM.  J.-A.  Jacqceli?i  et  Ocrry, 
représentée  pour  la  première  fois  à  Paris,  sur  le  théâtre  du  VaudeTille, 

le  23  janvier  i8â2. 


Une  note  des  auteurs  nous  prévient  qu*ils  ont  trouvé  le  sujet  de 
leur  pièce  dans  un  trait,  de  générosité  de  Facteur  Quin  rapporté  pv 
Laplace,  au  ô*'  volume  de  ses  Pièces  intéressantes  et  peu  connues,  «  Mais, 
ajoutent-ils,  nous  substituons  Garrick  à  Quin  dont  le  nom  prononcé 
Couin  serait  désagréable  pour  des  oreilles  françaises.  >» 

Ce  vaudeville  poétique  est  devenu  fort  rare;  la  Bibliothèque  »Nalio- 
uale  n*en  a  pas  d'exemplaire.  Voici  l'analyse  rapide  de  cette  curiosilè 
littéraire  où  les  auteurs  affirment  une  fois  de  plus  le  droit  du  théâtre 
à  interpréter  très  librement  Thistoire. 

Garrick  se  présente  chez  Thomson.  Il  est  reçu  par  Fanny,  la  oièce 
du  poète,  qu'il  aime  et  veut  épouser.  La  jeune  fille  lui  fait  conoaitre 
les  obstacles  qui  s'opposent  à  ce  projet  :  le  poète  est  pauvre-  et  ne 
veut  que  des  prétendants  sans  fortune;  Garrick  ne  peut  lut  convenir. 
Pour  le  moment  du  reste  il  est  impossible  de  le  voir;  il  dort  après 
une  nuit  de  travail.  Garrick  se  retire  après  une  conversation  dont  oq 
jugera  le  style  par  cette  seule  citation  : 

Oh  oui!  je  vous  conçois;  son  imniorlel  génie 
Lui  valut  cette  nuit  une  noble  insomnie. 

Thomson  entre.  Il  compose  et  se  relit,  et  les  vers  que  les  auteurs 
lui  prêtent  sont  les  meilleurs  de  la  petite  pièce  : 

La  chaleur  a  vaincu  les  esprits  et  les  corps; 
L'Ame  est  sans  volonté,  les  muscles  sans  ressorts. 
L'homme,  les  animaux,  la  campagne  épuisée 
Vainement  a  la  nuit  demandent  la  rosée. 
Sous  un  ciel  suus  nuage  on  voit  de  longs  éclairs 
Serpenter  sur  les  monts  et  sillonner  les  airs. 


Tout  est  morne,  brûlant,  tranquille,  et  la  lumière 
Kst  seule  en  mouvement  dans  la  nature  entière. 

Fanny  s'efforce  de  faire  comprendre  à  son  oncle  quel  avantage  il  y 
aurait  pour  lui  à  s'assurer  Tappui  de  Garrick.  Il  ferait  jouer  ^^amemnoN 
et  procurerait  quelques  ressources  au  ménage  fort  dépourvu  du 
poète.  Mais  la  fière  dignité  de  Thomson  n'est  pas  ébranlée.  D'ailleurs 
il  compte  sur  les  produits  d'une  nouvelle  édition  des  «  Saisons  ». 

Garrick  se  présente  en  «  constable  >•,  c'est-à-dire  en  exempt.  Il 
réclame  le  paiement  d'un  billet  passé  par  le  poète  et  signé  par  uu 


APPEiNDICES.  649 

braire  qui  a  fait  faillite.  Désespoir  de  Thomson  qui  ne  peut  payer. 
«  u  coiislable  »  attendri  lui  prête  la  somme,  et  le  poète  promet  d  cter- 
liser  sa  gloire  au  temple  de  mémoire. 

La  scène  suivante  ramène  Garrick  en  peintre.  Il  se  nomme 
logarth.  11  vient  implorer  la  permission  de  faire  le  portrait  du  grand 
loiume.  '<  Je  veux,  dit-il  : 

Qu'on  dise  en  vous  voyant  décorer  mon  salon  : 
Je  connais  cet  auteur,  c*est  Tillustrc  Thompson, 
Le  voilà,  cest  bien  lui  quand  sa  plume  féconde 
Traçait  Coriolan,  Tancrède  et  Sigismonde....  - 

Le  poète  accorde  la  permission  demandée;  Garrick-Ilogarth  exécute 
le  portrait  et  remporte,  laissant  en  remerciement  à  Thomson  surpris 
et  confus  «  Les  Grâces  »  de  TAlbane. 

Ccst  en  directeur  de  thédlre  que  Garrick  réparait  ensuite.  Il  va 
ouvrir  une  nouvelle  salle,  et  offre  une  somme  considérable  pour 
ÏAgamemnon.  L'auteur  s*excuse  en  assurant  que  la  tragédie  est  pro- 
mise à  Garrick,  mais  le  directeur  se  déclare  assuré  de  Tassentiment 
de  celui-ci. 

Enlin  une  dernière  incarnation  nous  montre  Garrick  sous  les  traits 
de  inylord  Spleen,  i^  nouveau  visiteur,  Elcossais  comme  le  poète, 
expose  qu'il  a  été  sauvé  par  la  lecture  des  «  Saisons  »  d'un  eimui  <|ui  le 
poussait  au  suicide.  Il  vient  apporter  à  son  sauveur  mille  livres  ster- 
ling. Il  propose  aussi  que  tous  trois  dînent  ensemble,  et  quand  il  se 
dépouille  de  sa  redingote,  Thomson  le  reconnaît  :  «  C'est  Garrick!  » 
Gomment  résister  à  tant  de  preuves  d'amour  pour  la  nit'ce  et  d'ad- 
miration pour  l'oncle?  Le  mariage  est  décidé  et  la  pièce  finie. 


IV 
La  prononciation  de  Thomson. 

Cette  absence  de  scotlicisme  dans  la  langue  littéraire  de  Thomson 
est  d'autant  plus  digne  d'attention  que  le  poète  conserva  jusqu'à  la 
fin  dr»  sa  vie  quelque  chose  du  vocabulaire  et  de  l'accent  de  ses  com- 
patriotes que  l'on  entend  au  nord  de  la  Tweed. 

Un  barbier-perruquier  de  Hichmond,  William  Taylor  =^,  racontait  au 
comte  de  Buchan  que  le  poète  avait  conservé  un  accent  écossais  très 
prononcé,  et  l'appelait  toujours  «  \Vull  )>. 

Une  autre  anecdote  confirme  cette  indication  et  mérite  d'être  rap- 

!.  Celui-là  même  qui  étaitemployè  dans  la  maison  où  Thomson  s'appro- 
visionnait de  perruques.  Nous  savons  qu'il  y  mettait  son  luxe,  et  que 
Tune  d*ellcs  avait  fort  soufXert  de  la  chaleur  et  de  l'êuiotion  du  puèle  à  la 
première  représentatiou  ù' Af/amemnon,  Voir  plus  haut,  p.  12^. 


650 


APPENDICES. 


s  uC 


portée  parce  qu'elle  témoigne  de  la  fidélité  du  poète  aux  amiliés  d 
sa  jeunesse  aussi  bien  qu*au  langage  de  sa  terre  natale. 

Le  Gis  de  ce  docteur  Gusthart  qui  avait  été  pour  la  mère  de 
Thomson  un  ami  des  jours  d'épreuve,  et  pour  James  un  patron  delà 
première  heure,  se  présente  un  jour,  à  Richmond,  chez  le  pot-te 
devenu  célèbre.  Il  ne  dit  pas  son  nom  et  attend  qu'on  le  reconnaisse. 
Thomson,  faisant  usage  d'un  scotticisme  bien  connu,  s'éorie  :  «Troth. 
sir,  1  cannot  say  I  ken  your  countenance  well.  Let  me  therefore 
crave  your  namc.  »  —  Ajoutons  que  lorsqu'il  eut  appris  le  nom  de 
son  visiteur,  le  poète  ressentit  une  émotion  qui  lui  mit  des  larme* 
dans  les  yeux  en  lui  laissant  à  peine  la  force  de  prononcer  ces  mots: 
«  Grand  Dieu!  vous  êtes  le  fils  démon  cher  ami,  de  mon  ancien  bien- 
faiteur! »  Et,  se  jetant  dans  les  bras  du  jeune  homme,  il  Tembrassa. 
avec  les  témoignages  de  la  joie  la  plus  vive  *. 


1.  «  Vie  de  Thomson  »  par   Shiels  dans  la  collection  des  «  Vies  des 
poètes  »  de  Tu.  Cibber  {}fonthly  Review,  l.  IX,  p.  481). 


FIN 


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tfty  years.  With  Notes,  Antient,  Modei^n^  Foreign,  Domestic,  Serions,  Comic, 
forai,  MetTy,  Historical,  and  Geographical ,  containing  many  theatrical 
Inecdotes;  also  several  Pièces  of  Poetry,  never  before  published.  Collected 
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D 

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Davies  (Thomas).  —  Ihamatic  Miscellanies  :  \  consisting  ùf\  CriHcai 
observations  |  on  several  \  Plays  of  Shakespeare  :  |  with  a  \  revietpofhitp'^*' 
ripai  characters,  |  and  those  of  i^arious  eminenl  writers  \  as  represetdtd  \  h 
Mr,  Garrick,  |  and  other  celebrated  comedians,  \  with  \  anecdotes  of  Drûmahe 
poets^  actors^  etc..  |  by  Thomas  Davies,  !  author  of  Memoirs  of  the  Ufe 
of  I  David  Garrick,Esq.,  [  in  three  volumes.  —  Dublin,  Printed  forS.Pric«» 
H.  Whiteston,  W.  Wilson,  II.  MoncrielTe,  L.  White,  |  R.  Marchl>ank,I 
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nus  sit  curia  propter  abstincntiam].  (CiceroproQ.  Roscio  Couiœdo),  Lon- 

n,  Printcd  for  theAuthor,  and  sold  at  his  sbop  in  Great  Russell-Strcel, 

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rable  John,  Earl  of  Corke  and  Otrery.  To  which  is  added  À  Poem  to  Mr. 

omson   on  his  Seasons,  The  flfth  édition,  Corke.  Printed  for  T.  Lord, 

okseller,  at  his  circulating  Library  under  tbe  Exchange  CofTee-House, 

Btle  Street,  mdcclxx  (Brit.  Mus.,  11632,  aaa,  15). 

Delille.  —  Œuvres  précédées  d'une  notice  sur  sa  vie  et  ses  ouvrages, 

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assics). 

D'Israël!  (Isaac).—  Cunosities  of  Literature  (London,  RouUedgc  and 

tns). 

D'Israël!  (Isaac).  —  Literary  character  of  men  of  Genius  drawn  from 

?ii'  own  feelings  and  confessions  (The  Chandos  Classics). 

Dodlngton  (?).  —  An  Epistle  to  the  Right  Ilonourable  sir  Robert  Wal- 

le,  The  second  édition  London,  Printed  for  J.  Walthoc,  over  againsi 

8  Royal-Exchange  in  Cornhill,  1626.  Prix  6  d.  (Brit.  Mus.,  613  m,  13.) 

Dryden  (G.).  —  Poetical  Works,  edited  wilh  a  memoir,  revised  tcxt 

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iwton  Gilliver,  at  Homer*s  Ilead  in  Fleet  street,  mdccxl,  Price  1  s.  (Brit. 

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tigia  •]  (Cic,  de  Leg.,  lib.  11,  c.  i:).London,|)rinted  by  J.  Tilling,  Cbelsea: 
fop  T.  Egerton;  T.  Payne,  Beckel  and  Porter;  J.  Hatchard;  J.  Aslierae; 
Nichols  son,  and  Bentley;  and  Sherwood,  Nclly,  and  Jones  (Bril.  Mas., 
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A  guide  ta  the  formation  of  a  library  of  sélect  Literature^  accompaniedinift 
origimd  notices^  biographical  and  critical,  of  Authors  and  Books.  London, 
1827.  (Bril.  Mus.,  618  (L  20.) 

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v'ith  aérerai  omincnt  lilerary  characters.  To  u:hich  are  added,  Memcin^ 
his  Life  and  Wrilings^  by  \V.  Mason,  M.  A.  London,  printed  for  F.  Caw» 
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r  R.  A.  Davenport.  Esq.)  (Bril.  .Mus.,  11G03.  aa.  4.) 
Hill  (Aaron).  —  The  Works  of  the  late  Aaron  Hill,  Esq.;  tu  four 
fumes  consisting  of  Letters  on  Vanous  subjects,  and  of  original  PoemSy 
*ral  and  Facetious,  with  an  Essay  on  the  Art  of  Acting.  The  second  Kdil. 
ndon  :  Prinled  for  ihe  benefit  of  the  family.  mddccliiv.  (sic)  (Brit. 
18.  83.  6.  3.) 

The  History  on  vhich  lï  founded  the  Tragedy  of  Tancrcd  and  Sigis- 
4nda.  [«  Taught  heuce,  ye  Parents  who  from  nature  stray,  |  And  the 
eat  Ties  of  social  Life  betray;  |  Ne*  er  with  your  Children  act  a  Tyrant's 
rt;  i  Tis  yours  to  Guide,  not  Violate  the  Heart.  »]  London  :  Printed  for 
tin  Seymour,  in  Ball-Alley,  near  George-Yard,  Lombard  St.  n.  d.  (30  pages 
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rit.  Mus.  162. /i.  66). 

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>el8,  illustrative  of  those  Orst  requisites  of  their  art;  with  markings  of 
e  wrilers,  critical  notices  of  the  writers,  and  an  Essay  in  answer  lo  the 
lestion  «  What  is  poctry?  »  A  new  édition.  London,  Smith,  Elder  and 
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tacteur,  comédie  en  un  acte  cl  en  vers,  mêlée  de  yandevilles.  Représentée, 
pour  la  première  fois,  A  Paris,  sur  le  Théâtre  du  Vaudeville,  le23janvier!Sî2. 
Prix,  1  fr.  50  c;  Paris,  chez  Fa^es,  libraire,  éditeur  de  pièces  de  Ihéélw. . 
Boulevard  St-Martin,  n'  29.  vis-à-vis  la  rue  de  Lancry.  De  rimpriracrie 
de  Nouzon,  rue  de  Cléry,  u»  9. 1822,  in-8.  (Brit.  Mus.  11738.  g.  23). 

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J.  Murray.  1854,  in-8. 

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Reing  an  Exact  and  Irue  Account  ofa  famous  Plea  betvixt  the  Toirn  Cm- 
vil  of  Ihe  said  Rurgh,  and  Mr.  Kirkwood  Schoolmaster  Ihere.  [Séria  œiili 
jocis]  Kdioburgh,  Printed  in  Ihe  year  mdccxi.  (Bril.  Mus.  1182.  c.  38.) 

Kirkwood.  —  Plea  before  the  Kirk.  (The  Ad  vocales'  Library,  Edin- 
burf^h.) 


La  Bouillerie  (Mgr  de).  —  Le  Symbolisme  de  la  Nature.  2  vol.  P»"»» 
V.  Palmé,  1819. 

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Lee  (Nathaniel).  —  A  collection  of  the  bcst  English  Plays,  chosen  ost 
of  ail  the  bcpt  authors.  London,  printed  for  the  company  of  Booksellet»* 
Vol.  XIII.  Sophonisba  :  or  UannibaVs  overth'ow.  A  tragedy  written  bf 
Nathaniel  Lee.  London,  Printed  for  T.  Johnson  mdccxix.  (Bibl.  nation  ïk- 
1999). 

Léonard.  —  Poésies  Pastorales,  A  Genève  el  à  Paris,  chez  Lejay,  librtiff. 

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icrs.  aux  armes  de  la  Ville,  mdc.  xxxv.  avec  privilège  du  Roy.  in-i.  (Bibl. 
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econd  Pilier  de  la  Grand*salle,  au  Grand  César.  »idci,x.  Avec  privilège  du 
loy.    Tome    I.  Agamemuwn.) 

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vec  un  commentaire  inédit  de  B.  de  la  Monnoyc.  des  remarques  de 
IM.  Emm.  Phelippes  Bcaulieux,  R.  Dezcimeris,  etc.  Edition  revue, annotée 
t  publiée  par  Prosper  Blancliemain.  Paris,  Paul  Daffi«<,  Editeur,  mimxci.xxui 
lu  Tome  III  :  Soplumisba.  Traf/cdie  très  ejcrUcnte  tant  pour  Varyumpal 
ue  pour  le  ]ioly  litni/fit/e  el  fjram  sent  emes  dont  elle  est  ornée '.  représenter 
t  prononcée  devant  le  îioy,  en  sa  ville  de  Uloys.  A  Paris  do  rimprimorie  de 
licliard  Brelon.  rue  SainlJacque?,  à  rEstrevissc,  1500.)  (S.  U.  Marty 
.avcaux  doune  pour  date  13.')0  ul  pour  imprimeur  Gilles  Corroyer.) 

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l'iifi  Ir  fleut.sfrt'  qui  l-ti  i\^t  aduenu,  pour  avoir  este  pro)ni.H*  à  un  uuiry,  et 


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delivered  al  the  Royal  Institution  in  1830  and  1831,  Loudon,  LoDgmao, 
Rceds,  Orme,  Brown,  Grecn  and  Longmans.  1833.  (Brit.  Mus.  1966.  9. 1^) 

The  Monthly  Rcview.  Volumes  IX,  XIV,  XXVI,  XXVUI,  XLVIII,  U.  LYII, 
LVilI,  LXI,  LXIil,  LXV,  LXXVII,  LXXXI  —  Sew  Séries,  vol.  LIX. 

Hore  (J.).  —  Strict ures  Critical  and  Sentimental  on  Thomson^s  Se<uo*fi 
irith  Hints  and  Observations  on  Collatéral  subjects.  In-8.  London.  Richardw» 
and  Urquhart,  mdcclxxvii.  (Brit.  Mus.,  79.  d,  7.) 

Horley  (Henry).  —  Of  English  Lilerature  in  the  t^gn  of  Victoria' 
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parts.  Enlarged  from  a  story  in  Thomson's  Seasons.  by  David  Mountfort» 
Prompter  of  the  Theatre-Royal,  Edinburgh.  Edinburgh  :  Printed  for  Ihc 
Author,  by  Macfarquhar  and  Elliot.  MDCCLXXxni.  (Brit.  Mus.,  11632.  e.^\-) 

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1611,  in-8.  (Brit.  Mus.,  C.  39  b.  37.) 

Musical  Entertainment  {A),  performed  by  a  society  of  Gentlemen  in  Edin- 
burghy  Upon  the  Anniversary  of  the  Birth-Vay  of  James  Thomson^  Autkor 
of  the  Sentons ^eic.  September  22  .M,Dr.c,Lxx.  (14  pages.) 


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—  <i  Dignum  laude  virum  Musa  vetat  uxori.  »  (Horace)  Londoo  :  Prinled 
for  R.  GrifTiths,  at  the  Dunciad  in  I^udgate  street.  (Priceone  shilling.) 

[La  date  est  indiquée  par  une  note  de  la  page  15.  <«  Coriolanus,  a  Tra- 
gedy  written  by  Mr.  Thomson  which  is  expected  lo  be  acted  this  season.  » 
—  L'auteur  est  Shiels].  (Brit.  Mus.,  1455.  t.  12.) 


NicholB  (John).  —  Illustrations  of  ihe  Liierary  hislory  of  the  xvin*" 
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Nichols  (John).  —  Biographical  and  Literary  Anecdotes  of  William 
Bowyerj  Prinler  F,  S,  A.  and  of  many  of  his  learned  friends.  Containing 
%n  incidenlal  view  of  the  Progress  and  advancement  of  literature  in  this 
kingdom  from  the  beginning  of  the  présent  century  to  the  end  of  the  year 
■DCCLxxvii,  by  John  Nichols,  his  apprenlice,  partner  and  successor.  London, 
printed  by  and  for  the  Author,  mdcclxxxii  (Brit.  Mus.  2035.  e.) 

Nichols.  —  Biographie  de  Thomson.  (Voir  Thomson,  Poetical  and  dra- 
matic  Works.) 

Notes  andQueries.  Série  1,  vol.  VII,  X,  XI,  XH.  —  Série  2,  ï,  IV,  VIII, — 
Séries,  1,  V,  IX,  XI. -Série  4,  II,  III,  VI,  VII,  IX,  XI,  XIL  —  Série  5,  VII. 
X.  —Série  6,  II,  IV,  V.  —  Série  7,  II,  yi. 


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1790,  vol.  XLVl,  XLVII,  XLVIII,  XLVIV,  L  et  LI.) 

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or  thc  Aulhor;  Nvith  rcQiarks  on  his  profcssional  character,  etc..  Ii>  Heori 
William  Becolicy.  In  Iwo  volumes.  New  and  Improved  édition.  Lnmlon. 
Henry,  (J.  Bolin,  York  Street,  Covent-Garden,  1852. 

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lord  Buchan.  (Bril.  Mus.,  G.  28,  c.) 

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Ronsard  (P.  de).  —  Œuvres  poétiques,  Paris,  Delloye-Garnier,  I8il. 

Roucher.  —  Les  Mois,  Poème  on  douze  chants  [Per  duodeiia  régit  mun- 
dum  Sol  aureus  astra].  A  Paris,  de  l'imprimerie  de  Quillau,  imprimeur  de 
S.  X,  R.  Monseigneur  le  prince  de  Gondé,  rue  de  Fouare,  à  l'Annonciation. 
MDCcLxxix.  (Bibl.  nat..  Inventaire,  )>.  9,  COI.) 

Roive.~Poff?/î5(TheEnglishPoets...byS.Johnson.Lond.l790.vol.XXXVII.i 

Rundle  (T.).  —  Lellers  of  the  Late  Thomas  Rundle,  ll.d,  LorJ  Bisbop 
nf  Derry  in  Ireland,  to  .Mrs.  Barbara  Sandys,  of  Miserdco,  Gloceslershirc. 
wilh  Introductory.  Momoirs,  by  James  Daîlaway,  M.  A.  of  Trinily  Collej-'e, 
Oxford.  In  two  volumes,  Gloccster  :  printed  by  11.  Raikes;  for  P.  Cadell,  in 
thc  Strand.  London,  mdcclxxxix.  (Brit.  Mus.,  93,  c.  2.) 

Ruskin  (John).  —  Modem  Painters,  London,  Smitli,  Eldcr.  ami  C-, 
■)  volumes,  18.'>0. 

Ruskin  (J.).  —  Modem  Painters.  Vol.  II,  re-arrangcd  in  tN\o  volume?, 
nnd  revised  by  the  Aulhor  (tbird  édition).  London,  George  Allan.  1888. 

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ères  poétiques.  —  Tableau  de  la  littérature  au  xvi'  siècle. 

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agréables  à  l'Iiomme  vertueux  ot  champêtre,  et  lui  rappeler  quelqnef^^'* 
ses  devoirs  et  ses  plaisirs.  »  Wieland],  nouvelle  édition  à  Paris  chez  Hi^so'» 
librairp,  (|uai  des  Auguslins.  mocci.xxxv. 

Saurin.  —  Blanche  et  Guiscard,  Tragédie  Représentée  pour  la  P"^ 
mièrc  fois  par  les  Gomédiens  Français  ordinaires  du  roi,  le  25  sept-  HW. 
Nouvelle  édit.  revue  et  corrigée.  A  Paris,  chez  la  Vve  Ducbesne,  rue 
St  Jacques,  mdcclxxii.  (Bib.  n.iL  Yth.  2000.) 

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resent  lime.  KdinburKh,  William  Paterson.  Loiuloii.  John  Uussell  Srailh, 
Dcci'.i.xvi  (K(Jinl).  Univers,  library). 

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nris,  Fiirne,  Pa^rnerre,  Pcrrolin,  Mnccn.xii. 

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f  thi*  preftenl  and  two  preceding  centuries  adorncd  wilh  sculptures, 
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Shelley  (P.  B.).  —  Poeticat  Works  The  Chandos  Classics).  London.  F. 
/arne  and  Co. 

Sheridan  (T).  —  Cor iol anus  :  or  the  lioman  matron.  A  Tragedy  taken 
'om  Sliakcspear  and  Thomson,  as  il  i?  actedat  IheTheatre-Iîoyal  in  Covrut- 
ardt-n;  lo  which  is  added  the  order  of  the  ovaliou.  London  :  printcd  for 
.  Millar,   in  the  Slrand,  mdcclv,  by  M.  F.  Sheridau,  wlio  pays   in    Ihc 

lvcrtis»'mcnt  il  was  first  acted  in  Dublin.  (Hrit.  Mus..  (iW.  i.  17.) 

Shiels.  —  Voir  Musidorna. 

Singer  S.  W.).  —  Voir  .1.  Spenck. 

Smolett. —  Tlie  Adventures  of  Ferdinand  Cuunt  Fathom,  by  Ihe  auth«}r 
r  Hodcrick  Bandom,  in  two  volumes.  London,  Prinlud,  for  \V.  Johnson, 
l  IheJiolden  Bail  in  SI  Paul's  Churchyard.  miiccliu.  (Bril.  Mus,  126i:i.  b.) 

Sopfionisfm  (d'Afrikaanf^e^.  Die,  door  de  Min,  geestigc  Werkingen, 
rcemde  Vondcu,  doorluchlige  Aanslagen,  en  Schielijke  Toevallen  van  druk 
1  blijdschap,  vermakelijk  onder  een  verloonl.  In  ïwee  Deelen  begropen. 
ieulijks  uit'  cl  Franooysch  door  D.  V.  \\.  vurlaalt.  l'Amsterdam,  Voor  \.  1. 
^hipper,  in'l  jaar  mdciai  in-iS"  (2  vol.)  (nombreuses  gravures;  architec- 
Tt's  el  costumes  curieux).  (Bril.  .Mus.) 

Spectator  {The).  A  New  édition...  by  Henry  Morley,  London,  Uoutledgeand 
>ns  S.  d. 

^peeches  and  Arguments  of  the  Judfjes  of  ihe  Court  ofKinffs  lienrh^  vi/. 
\  Justice  Willes,  Mr.  Justice  Aston,  Sir  Joseph  Yates  and  Lord  Chief 
stice  Mansfield,  in  April  1700:  in  the  cause  .Millar  against  Taylor^  for 
'niing  Thomson's  Seasons.  Prinled  for  William  Coke,  Bookseller  in 
ith,  in  the  year  MDcr.Lxxi.    Bril.  Mus.,  700.  a.  5.) 

Spence  (Joseph).  —  Anecdotes^  obi^ervations  and  Characters  of  liooks 
U  Men.  Collected  Irom  the  conversation  of  Mr.  Po|>e,  and  other  emincut 
•'sons  of  Ihis  lime.  Wilh  Notes  and  a  Life  of  the  aulhor  by  S.\.\ilki. 
kllkk  Sinokh,  F.  S.  A.,  second  l'dit.  London.  John,  Hussell  Smith,  Soho 
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^taël  (.Mme  de).  —  De  l'Allemaync.  —  De  la  Littérature. 
*>tntixtical  aceount  of  Scoltand  {The  Sew),  by  Ihe  Ministcrs  of  the  rer'pect- 
'  r>aï*i^hes,  under  the  superinterideuce  of  a  commitee  of  Ihe  Society  for 
[i  bencfit  of  Ihe  Sons  and  Danghters  of  the  Clergy.  Vol.  HL  (Roxburgh- 
<îl)les-Selkirk.)  William  Blackwood  and  Sons.  Kdinburgh  and  London, 
*'.r.cxi.v  (Kdinb.  Univ.  Lihrary). 

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Uoyal  in  Drury-Lane,  by  His  Majesty's  Servants,  by  Mr.  Thomson. 
London.  Printed  for  and  sold  by  A.  Millar,  al  Buclianan*s  Head  in  the 
Strand.  sidcgxxxvui.  (Brit.  Mus.,  841  d.  33.) 

Thomson  (J.).  —  Alfred,  a  Masque.  London,  1840.  (Brit.  Mus.,  841. /155.) 

—  —  Alfred  the  Great,  a  Drama  for  jâusic.  Formerly  coin* 
posed  by  command  of  His  Late  Royal  Highness  the  Prince  of  Wales,  and 
performed  at  Cliefdon,  on  the  Birlhday  of  her  Royal  Highness  the  Priocefs 
Augusta.  The  musical  Part  of  this  perfomance  being  then  too  short  for  an 
Kvening's  Kntertaimment  of  itself,  the  Drama  is  new  wrilten,  greatly 
improved  from  Mr.  Mallet's  Play;  and  the  Music  (excepling  Iwo  or  Ibree 
things,  which  being  parlicularly  Favourites  at  Cliefdon,  are  relained  by 
Désire)  new-Composed  by  Mr.  Arne.  London  :  Printed  in  the  ycariDCCUB. 
in-4  (priée  one  shilling).  (Brit.  Mus.,  11775,  C.) 

Thomson  (J.).  —  A  manifesto  of  the  Lord  Protector  of  Ihe  Common- 
wealth  of  England,  Scotland,  Ireland,  etc.,  published  by  consent  aod 
advice  of  his  council.  Whercio  is  shown  the  reasonableness  of  the  cause 
of  this  Republic  against  the  déprédations  of  the  Spaniards.  A^'Hlt^n  in 
Latin  by  John  .Millon,  and  first  printed  in  1655;  now  translaled  ioto 
Finglish.  To  which  is  added  Britannia.  a  Poem-,  by  Mr.  ThomsoD,  ûkI 
published  in  1727.  London,  Printed  for,  and  sold  by  A.  Millar,  al  Bûcha- 
nan*s  Head,  over-against  St-Clcmenl's  Church  in  Ihe  Strand,  MDCCixxvin 
(price  six  pence).  (Brit.  Mus.,  E.  2029.  90.) 

Thomson  (J.).  —  Arcopagilica  (Préface).  Voir  J.  Miltox. 

—  —  Urilannia.  A  poem  writlen  in  the  year  1719.  Tbff 
Third  édition.  London  :  Printed  by  N.  Blandford  for  J.  Millan,  Bookseller 
near  Whitchall.  mdccxxx.  (Brit.  .Mus.,  992.  h.  7). 

Thomson  (J.).  —  The  Castle  of  Indolence  :  an  allegorical  PofW 
wntten  in  imitation  of  Spenser,  by  James  Thomson.  London,  printed  for 
A.  Millar,  over-against  Catherine-Street,  in  the  Strand,  MoccxLvni,  io^t 
(pages  1-81.)  (Brit.  Mu?.,  644.  k.  16.) 

Le  môme  ouvrage  :  2nd  Edition,  London,  1748,  in-8  (Brit.  Mus.,  11633. 
c.  44). 

Thomson  (J.).  —  Coriolanus,  a  Tragedy.  As  il  is  acled  at  the  Théâtre- 


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A.  Millar  at  Buchanan's  Head  in  the  Strand.  mdccxlix.  Iq>8.  (Brit.  Mus., 
11765.  f.) 

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Dublin,  1149  in-12.  (Brit.  Mus.,  H7U.  aaa,  4.) 

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been  acted  at  the  Theatre-Royal  in  CoventGarden,  by  Mr.  Thomson. 
LondoQ,  n39,  in-S.  [Suspicione  si  quis  errabit  suây  Et  rapiet  ad  se  quod  erit 
commune  omnium,  S  tulle  nudabit  animi  conscientiam.  (Phaedrus.)J  London. 
Printed  for  the  author,  and  sold  by  A.  Millar,  over-against  St-Clement*s 
Church  in  the  Strand.  mdccxxxix,  in-8.  (Brit.  Mus.,  841.  i.  16.) 

Edward  and  Eieonora.  A  Tragedy  as  it  was  to  be  acted  at  the  Theatre- 
Royal  in  Covent-Garden.  By  Mr.  Thomson.  [Suspicione  si  quis...]  Dublin  : 
Printed  by  S.  Powell,  for  G.  Faulkner,  in  Ëssez  St.  mdccxxxix,  in-i2.  (Brit. 
Mus  ,  H174,  aaa.  2i.) 

Thoxnson  (J.).  —  Edward  and  Eleoriora.  Altered  and  adapted  to  the 
sUge  by  P.  Hull.  London  1775,  in-8.  (Voir  Hull)  (Brit.  Mus.  162.  h.  66). 

Thomson  (J.).  —  Antient  and  Modem  Italy  compared  :  being  the  First 
Part  of  Liberty,  a  Poem.  London  :  Printed  for.  A.  Millar,  over-against. 
St-Clement*s  Church  in  the  Strand.  mdccxxxv  (price  1)  (Brit.  Mus.,  840. 
k.  3). 

Greece:  being  the  Second  Part  of  Liberty,  a  Poem.  1735. 

Home  :  being  the  third  Part  of  Liberty,  a  Poem.  1735,  1  sh. 

Britain  :  being  the  Fourlh  Part  of  Liberty,  a  Poem,  1736,  1/6. 

The  Prospect  :  being  the  Fifth  Part  of  Liberty,  a  Poem,  1736. 

Thoxnson  (J.).  —  Miscellaneous  Poems,  by  several  Bnnds  :  particularly 
rhe  D...  of  W...  n,  Sir  Samuel  Garth,  Dean  S  — ,  Mr.  John  Hugher,  Mr. 
Thomson,  Mrs.  C...  r.  Publish'd  by  Mr.  Ralph.  London  :  Printed  by 
Ackers,  for  W.  Meadows  at  the  Angel  in  Cornhill  ;  J.  Balley  at  the  Dove,etc., 
HDCCXxix  (Brit.  Mus.,  992.  b.  30).    * 

Thomson  (J.)  {1).  —  A  Poem  to  the  Memory  of  Mr.  Congreve.  Inscribed 
to  Her  Grâce,  Henrietta,  Dulchess  of  Marlborough.  London  :  Printed  for 
J.  Millan,  and  sold  at  his  shop  near  the  Horse-Guards,  1729  (price  six- 
pence).  (Brit.  Mus.  992.) 

—  A  Poem  to  the  Memory  of  Mr.  Congreve.  With  a  préface  and  notes  by 
P.  Cunningham.  (Percy  Society,  Early  Ënglish  Poetry.  Vol.  IX.)  18i2,  in-8«. 

Thoxnson  (J.).  —  A  Poemsacred  to  the  Memory  of  Sir  1.  Newton.  London  : 
Printed  for  Mil'an,  at  Lock's  Head  in  New-street;  bctween  Marybone  street 
and  Piccadilly;  and  sold  at  his  Shop  near  Whitehall.  moccxxvii.  (Priée 
1  s.).  N.  B.  Lalely  published  by  Mr.  Thomson.  I.  Winter,  a  Poem,  the 
4th  edit.  Priée  1  s.  —  II.  Summer,  a  Poem.  Price  1.  s.  6.  d.  (Brit.  Mus., 
643.  7;}.  14.) 

Le  môme  ouvrage,  Dublin,  1727,  in-8^  (Brit.  Mus.  11631.  aa.  44.) 

Le  même  ouvrage,  the  3rd  edit,  J.  Millan  1727,  fol.  (Brit.  Mus.  11630.  q.  33.) 

Thomson  {J.).  —  A  Poem  to  the  Memory  of  the  Ri  g  ht  Honourable  the  Lord 
Talbot,  Late  Chancellor  of  Great  Britain.  London,  1737,  in-4.  Printed  for 
A. -Millar,  at  Buchanan^s  Head,  against  Sl-Glement's  Church  in  the  Strand. 
MDCCxxxvii  (price  1  sh.).  (BriL,  Mus.  8i0.  k.  3.) 

Thomson  (J.).  —  Substance  of  Ihc  Speech  of  the  Révérend  Mr.  Walker 
at  the  General  meeting  of  the  County  of  Nottingham  held  at  MansQeld  on 
Monday  the  28th  of  Febr.  1780.  to  which  is  added  Mr,  Thomson's  Préface 
to  a  speech  of  Mr.  John  Miltonj  for  the  liberty  of  unlicensed  printing  to 
the  Parliament  of  England,  first  published  in  the  year  1644. 

Printed  and  Distributed  Gratis  by  the  Society  fur  Constitutional  informa» 
tion.  MDCCLxxx  (Brit.  Mus.,  F.  2101). 


i 


(566  BIBLIOGKAPUIE. 

Thomson  (J.)-  —  Worh.  Volume  the  Second  eonlaining  Liherbf,  a 
Pnem,  in  Fi  ve  Paris  :  Sophonisha,  a  Tra^edy.  London  :  Prinled  for  A.  Millar.al 
Uiiclianan's  llead,  over-agaînst  Sl-Ciemenrs  Church  in  the  Strand.  mwxxwti 
{{rit.  Mu?.  641.  /.  14). 

Thomson  (J.;.  —  The  Seasons,  a  Ilytnn,  a  Poem  lo  ifie  Memurf/  ofSin 
Isaac  AVm7o/i,  and  Dritannia,  a  Poem.  London  :  Prinled  for  J.  Millan.in  Ihe 
Slrand.  Mbccwx.  in-8  (comprend  5  parties  dont  chacune  a  une  pa^inalion 
indépendante.  Suring  tlie  2nd  edit.  Printed  for  Millan  llâU.  Price  l/ô 
(v.  non  numérotés).  Swwiwer  3rd  edit.,  Millau  1730  1/6  (1205  vers).  Autumn 
2nd  cdil.,  Millan  1730  1/G  (1275  vers).  WhUer  Millau  1730  1/6  (7^7  vers). 
.1  ilijmTi  (the  3rdedit.),  i^oem  lo  Sewlouy  Urilannia.  (Brit.  Mus.,  1465.  f.  3T.) 

Thomson  (J.).  —  The  Seasons,  by  Mr.  Thomson,  Loudoa  :  Printe»!  in 
the  yeal*  .Mur.cxxx.  -1  Poem  sacred  to  the  Memory  of  Sir  hnac  Setrton  in- 
scrihed  to  the  liiffht  Honourable  Sir  Roh.  Walpole  (sans  nom  d'auteur  ni 
d'éditeur),  lirilannia,  a  poem.  (h.t  tantas  audetis  toUere  moles],  etc.  The 
second  édition  corrected.  London  :  prinled  for  John  Millan.  hookseller 
ncar  Whitehall,  mdccxxx.  (304  vers).  Les  trois  ouvrages  réuni?  en  uu  volume. 
(Kdinb.  l'niversity  Library.) 

Thomson  (J.).  —  The  four  Sensons  and  other  poems.  London  :  Printed 
for  J.  Millan,  near  S«olland-Yard,  While  bail;  and  A.  .Millar,  in  the  Straoïl. 
MDCcxxxv.  {Sprinff  et  Autumm  sont  en  réalité  de  la  2'  edit.,  1730.  SuinHier 
est  la  4«  édit.,  1735,  Winter  et  les  autres  poèmes  sont  de  ledit,  de  1134.) 
(Brit.  Mus.,  11630.  bôb.  13.) 

Thomson  (J.).  —  The  Srn^tons.  Paris  :  Printed  for  F.  Louis,  Sl-Sévcrin 
Street,  n"  110.  1800  (petit  in-8,  252  p.;  imprimé  par  Egron). 

Thomson  (J.).  —  Les  Saisons  de  Jacques  Thomson.  Nouvelle  édition. 
Clermont,  de  l'imprimerie  de  Pierre  Landriot,  4835  (Bibl.  nal..  Y). 

Thomson  (J.).  —  The  Seasons,  a  Poem,  London,  Whitlaker.  IHUmoin- 
Imv.uscs  not«?s  manuscrites),  by  D.  Williams.  (îoU.  Dir.  John  Cant.  autbor 
of  the  u  Lessons  of  English  Literatureand  Composition  ».  (Brit.  .Mus..  1163:^. 
hh.  i7.) 

Thomson  (J.).  —  The  Seasons,  in  Four  liookii,  By  the  late  James  Thom- 
son, wilh  \hc  life  of  the  Aulhor  to  which  are  Added  Notes,  lllu.slrations, 
and  a  complote  In<lex,  by  George  Wright  Esq.  London.  Printed  for 
J.  French,  Ilookham,  Malhews  and  Bell,  M.  Folingsbv,  F.  Axlell,  and  F. 
Street.  (1770.  Brit.  Mus..  991.  a.  ."lo.) 

Thomson  (J.;.  —  The  Seasons  bij  James  Thomson:  wilh  bis  Life,  an 
Index  and  (Jlossary,  a  dedication  lo  the  Earl  of  Biichan,  and  Notes  to  Ibe 
Seasons,  by  Percival  Slockdale.  London,  Prinled  for  A.  Hamilton.  Gray's 
Inn  Gale,  Holboru,  1793.  (Brit.  Mus..  082.  e.  22.) 

Thomson  (J.).  —  The  Seasons,  a  new  édition,  together  wilh  an  ori- 
j^'innl  Life  of  the  Aulhor,  aud  a  Crilical  Essay  on  the  Seasons  by  Robert 
Hcron.  Perlh  :  Prinled  by  Morison  Junior  for  Morison  aud  Son,  Booksellers. 
>iDi:r\rni  (Brit.  Mus.,  14«'>'i  k.  19. 

Thomson  { J.).  —  The  Seasotis.   Parma  :  printed  by  Bodoni.  mdccxciv. 
iSpIcndide  édition  in-4.)  (Brit.  Mus.,  041.  9.  15.) 

Thomson  (J.).  —  The  Seasons;  \vith  Ihe  Life  of  the  Author.  lo  \\h'w\\ 
are  added  Hesiod,  or  the  rise  of  Woman,  aud  the  Ilermit,  by  Pamoll; 
togelher  with  Henry  and  Emma,  by  Prior.  A  ucw  édition  in  Iwo  volume?. 
(Vo!.  I  et  partie  de  vol.  11.)  Paris  :  Printed  for  Theophilus  Barrois  juuior. 
Booksciler,  guay  Voltaire,  n*»  3,  1803,  in-16.  (Brit.  .Mus.,  991.  a.  37.) 

Thomson  (J.). —  The  Seasons,  ediled,  with  notes,  philosophical,  clas- 
sical,  hislorical  and  biographical,  by  Aulhony  Todd  Thomson.  M. D,  F.L.S. 
London  :  Prinled  for  Lonpmans,  Brown,  (Jreen  and  Longmans.  1847. 

Thomson  (J.).   —   The  Seasons.  Wilh   Engraved   Illustrations,  from 


î:li:Lln(,[{\iMlll':.  (>()i 

■  !'•-. _:n~  «Ira-..  11  '  =  ii  \\"i'-nl...  ami  wiili  lin:  Lif.-  i»l  IIm-  ,r.r,ii"i-  l'\  l*..ti'ifK 
M  II  :•<!•  'II.  |),|).  !•".  H,  S.  <ii,i:.'iiiuiileil  iii  ii"!.'^  l.y  liulloii  «:unn.-;  \'.^i\.  .M.  il.  S.  L. 
'riiii''!  ••«litioii.  Loinloii  :  Lonjj;inar).  Brown.  (irt-cn  aïKi  Lonî-'innns.  \ii'\'2. 
.'L:i  i>roriîi('ro.  iMlilioii  i-l  «li;  Isi2.,i 

TllOmson  J.;.  —  T/œ  Stuismis  nnd  Ihr.  Cnsflt^  af  I/dlo/cnn*.  \'a\\[va\ 
with  Hif'^rajiliical  notice,  iulriilucliourf,  noies,  and  a  ^'ossary.  ljy.l.  Lotric 
Molierlson,  M.  A.  Oxford.  \l  llie  Olarondon  Press,  18'.»1. 

Thomson  (J.).  —  Tha  Seasons  and  Ihc  Oi.sfln  of  liuidenne.  lÀliled  hy 
l\nt)crt  Util.  London,  (iriTOn  Holin  and  Co  (sans  date  . 

Thoxnson  'J.).  —  The  Troffedy  of  Sop/tonisba.  Acled  at  llie  Thealre- 
Hoyal  in  Drury-Lnne  by  lli3  Majesly's  Servants.  Loudon  :  Printed  for 
A.  Millar,  at  Biichanan's  Ilead,  over-against  Sl-CIement's  Ciiuroli  in  llie 
Strand.  .mdxxxx,  in-8.  (Brit.  Mns.,  11175  /*. 

Le  même  ouvraj,'e,  même  édit»Mir,  même  année,  format  in-12.  (Brit.  Mns. 
ïiZ'o.  f.) 

Thomson  (J.).  —  Sprimj.  A  t'ocm.  [El  nune  omnis  a^er,  nnnc  omnis 
parliirit  arbos,  Nunc  frondent  silvae,  nuncformosisffiiuus  anniisj.  (Vir^.). 
l^ondon.  Printley  :  and  sold  by  A.  Millar,  at  Bnclianan's  Ilead  overaf^ainsl. 
Sl-CIcmenTs  C.liurch  in  llie  Strand:  and  (i.  Stralian,  at  tlie  (iolden  Bail 
in  Cornhill,  in-8,  >iDccxxvin  (|irit'o  1  s.  (>.  d.).  (Brit.  Mns.,  ilG2.  A.  .'U.) 

Thomson  {J.).  —  Sumwer.  A  Povm,  |Jam  clarus  Occnltum  Andromedae 
l'ater  —  Ostendit  l^ncm  :  Jam  Procyon  furit —  Et  Stella  vcsani  Lconis.  — 
Sole  Dies  referonle  tircos.  —  Jam  Paslor  L'mbras  cnm  (iregc  langnido,  — 
nivumque  fesaus  qua'ril,  et  liorridi  —  Dumela  Sylvani  :  carelqnc  —  HIpa 
xagis  taciturna  Venlis*.  (Ilor..]  London  :  Printed  for  J.  Millan,  at  Locke's 
Ilead  in  New-Slreet.  near  the  upper  End  of  the  Hay-Market,  wncr.xwn. 
l»rice  1.  8.  0.  d.  in-8.  (Brit.  Mua.,  lir,2.  //.  3tl.^ 

Thomson  (J.).  —  Tancred  and  Sif/ismunda.  A  Tragedy.  As  il  is  acted 
Jit  Ibe  Thealre-Boyal  in  Drury  Lane,  by  His  Majesty's  Servants,  London  : 
Printed  for  A.  Millan,  opposite  Kalliarinc  Slreet  in  llic  Strand.  mdc<;\lv. 
in-8.  (Brit.  Mns.,  SiL  d.  33.) 

Thomson  (J.).  —  W'iniei',  A  Pop.m.  bi/  James  'fhotnson  A.  M.  Jlapiduii 
ï?ol  —  Nondum  Hyemem  contingit  Eqnis.  Jam  praclerit  aeslas  (Virg.j-I 
;GlaciaIis  ilyems  canos  hirsuta  Capillos.  i;Ovid.).J  London  :  Printed  for 
J.  Millan,  al  Locke's  Head,in  Shug-Lanc,  near  liic  Upper  End  of  the  Hay- 
Markct;  and  Sold  by  J.  Uoberls,  in  Warwiok-Lane,  and  N.  Blandford,  af 
Ihe  London-Gazctte,  Charing-Cross.  mim.cxxvi  (priée  one  Shilling),  in-folio. 
.Brit.  Mus.,  t;i3.  m,  13.) 

Thomson  (J.).  —  \Vintei\  a  Po'nn,  a  Hymn  on  the  Sfa.^ons\  a  Poem  to 
fhe  Memory  o/'  Sir  I.  Scvlon;  and  Britannia^  a  Poem.  London  :  Printed 
for  J.  Millan,  Booksellcr  near  Whilehall  (priée  one  shilling  and  six-pence). 
MDCCxxx.  (Brit.  Mus.,  '.»'J2.  //.  1.) 

Thomson  (J.).  —  Winter.  A  Poem.  [Horrida  cano  Bruma  gelu.j  The 
Second  édition.  London  :  printed  by  N.  Blau'lford  at  Charing  Cross,  for 
J.  Millan,  at  Lockc*s  Ilead  in  Shug  Laiie,  near  the  Hay-market,  and  the 
next  Bookseller  to  the  IIorse-Guard.^.  mdo^xxvi.  Priée  one  Shilling,  in-8. 

Thomson  (J.).  —  The  Works  ofMr.  Thomson,  Volume  the  second  con- 
tai ni  ng  Liberly,  a  Poem,  in  Five  Parts  :  Sophonishe  a  Tragedy.  London  : 
Printed  for  A.  Millar,  at  Buchanan's  Ilead.  over  against  Saint-Clement's 
Church  in  the  Strand.  Mhccxxxvi.  (Brit.  Mus.,  Cil.  /.  14.) 

Thomson  (J.).  —  The  Works  of  James  Thomson  with  his  lasl  corrections 
and  improvemenis.  London  :  Printed  for  A.  Millar,  and  sold  by  T.  Caddcll 
in  the  Strand,  MoccLXvni.  (Brit.  Mus.,  11632.  co',),  (Correctious  manuscrites 
d'après  Toriginal  de  Lord  Lyltellon.) 

Thomson  i  J.).  —  The  Works  of  Mr.  Thomson,  London,  1738,  in-8.  (Le 


668  BIBLIOGRAPHIE. 

premier  volume  seul.  Interfolié,  avec  de  nombreuses  Dotes  manuscriles  de 
ThomsoD  et  de  Pope.)  (Brit.  Mus.,  c.  28.  e.) 

Thomson  (J.)- —  The  Works  of  James  Thomson  wiih  his  last  corrections 
and  improvements.  To  wliich  is  pretUed  a  new  acconnl  of  his  Life;  wjtb 
a  criticiâra  on  his  writings.  lu  Four  Volumes.  Edinburgh  :  Printed  for 
R.  Clark,  Bookseller  in  the  Parliament-House.  mocclxxii.  (Brit.  Mus.,  11699. 
aa.  34.) 

Thomson  (J.).  —  Works,  wilh  a  Préface,  Biogiaphical  Noies  and  appen- 
dices by  Nichols.  Londoo.  William  Tegg  and  Ce,  1849.  (Brit.  Mus.,  11609.6. 
37.) 

Thomson  (J.).  —  Poetical  and  Dramalic  Works.  With  Life  by  Murdocb 
aod  notes  by  J.  Nichols.  London,  Tegg,  1848,  in-8.  Du  même  ouvrage  A 
New  Edition",  1860. 

Thomson  (J.).  —  Poetical  Works,  With  Life,  critical  Dissertation,  aad 
Rxplanatory   notes,  by  the   Rev.  Georges   Gilfillan.   Edinburgh  :  James 

NicllOl.  MDCCCUII. 

Thomson  (J.).  —  Poetical  Works  \Tvfo  volumes).  With  Mentoir  of 
Thomson  by  Sir  Harris  Nicolas,  and  notes  by  P.  Cunningham.  Londoa« 
Bell  and  Daldy.  1860.  (Reproduction  du  texte  de  PAldine  Edition  et  du 
«  Memoir  »  donné  par  H.  Nicolas  en  1831  et  1847.) 

Thomson  (J.).  —  Poetical  Works,  Edited  with  a  memoir  by  Robert 
Bell.  London.  Charles  Criffin  and  Co.  (Sans  date.) 

Thomson  (J.).  —Traductions.  LaEstate.  Modena,  1817,  in-8.  Anonyme. 
En  vers  italiens.  (Brit.  Mus.,  T.  2265.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions  La  Primavera  di  G,  Thomson.  Bologoir 
1820,  in-4.  Anonyme.  En  vers  italiens.  (Rrit.  Mus.,  11683.  66.  46.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  La  Uberta.  Poema....  Parle  III,  Romt. 
Libéra  versione  poetica  di  A.  Castelfranco.  Trieste,  1867  in-8.  (Brit.  Mus., 
11633. /.  32.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  Hymnus  anni  iempestatum  deo.  (Bril. 
Mus.,  1710,  in-4.)  (Traduct.  anonyme  en  vers  latins.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  //  Hiccio  rapifo  e  le  Lodi  de  Seuton  poemi 
Infjlesi  tradotti  in  versi  Toscani  dal  Sîg,  Andréa  Bonducci  Accademico  Ftih 
rentirw  con  altri  nuovi  componimenti.  In  Napoli,  a  spese  di  un  amicodel 
Tradiiltore.  iMoccLX,  iu-8. 

Thomson  ( J.).  —  Traductions.  Les  Saisons.  Poème  traduit  de  Panglait 
(fe  Thomfison.  Paris,  1759,  in-8.  (Traduction  en  prose  de  Mme  MarieJeaooe       " 
de  Chàtillon  Bontems.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  Ilerrn  B.  //.  Brockes..,  aus  dem  Englii' 
chen  iibcrsetzte  Jahrcs-Zeiten  des  Uerrn  Thomson  zum  Anhange  des  Irdiehtn 
VergMilgens  in  Gott.  Mit  Kupfern.  (Texte  anglais  et  traduction  allemande.) 
Hambur«,  1745,  in-8.  (Brit.  Mus.  11632.  aaa.  47.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  Tempora  fhomsoni  in  Latine versu  reddils 
a  H.  C,  hrownell.  Londino,  1795  (?),  in-8.  (Brit.  Mus.  11633.  66.  45.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  Foraaret  af  J.  Thomson  ovei'sat  af  P' 
Foersom.  Kiobenhaven.  1887,  in-12.  (Brit.  Mus.  1467.  a.  7.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  Vinteren  af  J.  Thomson  oversat  af  P. 
Foersom.  Kiobenhaven,  1812,  in-t2.  (Brit.  Mus.  1467.  a.  13.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions.  De  Jaargceijden  naar  Th.,  in  Muziek 
gcbsachl  dvor  Haydn.  (Le  livret  seul),  Amsterdam,  1803  in-8.  (Bril.  Mus., 
11874.  e.) 

Thomson  (J.).  —  l'raductious.  Les  Saisons  traduites  en  vers  français 
par.I.  Poiilin.  Paris,  1802.  (Texte  anglais  et  traduction.) 

Thomson  (J.).  —  Traductions,  il  castello  delVozio;  pœma..,  in  versù 
itatiano...  da  T.  J.  .Malhias.  Napoli,  182(»,  in-8. 


BIBLIOGRAPHIE.  669 

Tlioinson  (J.)-  —  Traductions.  UeTpioo'j  etSoiiotr,9'.;  xai  irpoiaffiç  îrpo; 
To-jç  vcovç  xoy;  Ib>v«tc,  etc.  (Traduction  en  vers  romaïques  d'une  portion 
(le  V  m  Été  »,  par  P.  Pelrides),  1817,  iD-8. 

Thoreau  (H.)*  -"  Essays  and  other  wtHlings]  ediled  witli  a  prefatory 
Dote,  by  Will  H.  Dircks.  London  :  Walter  Scott  (n.  d.)< 

Trevelyan  (G.  O.).  —  Voir  T.  B.  Macaulay. 

Trissin  (Le).  —  La  Sofonisba,  Tragedia  di  M.  Giorgio  Trissino,  Di  nuovo 
con  somma  diligenza  corretta,  et  ristampata.  In  Vinegia,  Presso  Altobello 
Salicato.    |    molxxii.  (Bibl.  Nat.  Yd.'  5699-5705.) 

Tuckerman  (T.).  —  Thoughts  on  thePoets,  New- York,  1846.  (Bril.  Mus. 
12205.  g.  16.) 


V 

Villemain.  —  Tableau  de  la  littérature  au  xviir  siècle.  Paris,  Didier  et 
C^  1864.  4  vol. 

Voltaire.  —  Œuvres  poétiques.  Théâtre.  Correspondance.  Dictionnaire 
philosophique  (art.  GoiU). 


W 

"Walkenaer.  —  Vie  de  Thomson,  dans  la  Bibliographie  universelle  de 
Alicbaud. 

"Walpole  iTS,OTaiCé).  —  Letters.  Edited  by  P.  Cunningham.  London,  1857. 

"Walpole  (H.).  —  Letters,  Selected  aud  edited  by  Charles  Duke  Yongc, 
M.  A.  With  Portraits  and  Illustrations.  London,  Swan  Sonnenschein  and 
Oo.  Paternoster  Square,  1891. 

"Warton  (J.).  —  Biographical  Memoir  of  the  Late  1\ev.  Joseph  Warton, 
U  D.  to  which  are  added  a  sélection  from  lus  works;  and  a  lilerarv  corres- 
p^ndence  between  eminent  persons  by  the  Uev.  John  Wools,  A.  M.  late 
rellow  of  New  Collège,  Oxford.  1806.  (Brit.  Mus.,  133.  e.  19.) 

Warton  (Jos.).  —  'An  Essay  on  the  Genius  and  Writinffs  of  Pope,  D.  1). 
1*he  nfth  édition  corrected.  London,  1806. 

"Wliatley  (R.).  —  ^  short  history  of  a  ten  years  negotiation  between  a 
S^rime  minister  and  À  Private  Gentleman.  Printed  for  J.  Millan,  ncar  Cha- 
■*inK-Cross.  —  By  the  same  author  A  Discourse  on  Fot*nication. 

Wilson  (John).  —  (Cristopher  Nortli)  Socles  Ambrosianae.  A  new  Edî- 
Cion  in  four  volumes.  William  Blackwood  and  Sons.  Rdinburgh  aud  London. 

"Ward  (Adolphus  "William).  —  A  History  of  English  Dramalic  Hier- 
<iture  to  the  death  of  Queen  Anne^  London.  Macmillan  and  Co.  1875. 

"Wooda  (H.  T.  W.).  —  The  Reciprocal  Influence  of  Enghsh  and  French 
Litepàture  in  the  Eighteenth  Ce.ntury.  London  and  Cambridge  :  Macmillan 
«nd  Co,  1870. 

Woods.  —  Occasional  Poetn  on  the  Birth-Day  of  Thomson.  Celebrated 
at  Cape-Hall,  on  Wednesday,  sepL  22nd.  1790.  \Vritlen  and  rccited  by 
Mr.  Woods  (3  pages). 

Woods.  —  Verses.  In/roduc/ory  to  the  Recitation  of  Passages  from 
ihe  Seasons,  etc..  at  the  commémoration  of  Thomson's  Birth  Day,  held  on 
Monday,  Sept.  22.  1800,  by  the  Knights  Compassion  of  the  Cape  written 
and  Spoken  by  Mr.  Woods.  Edinburgh:  Printed  by  <îeo.  Reidand  Co.  Oppo- 
site Magdalane  Chapcl,  Cowgate  (3  pages). 

Wool  (J.).  —  Voir  Jos.  Wartox. 

IVright  (G.).  —  Voir  Thomson,  The  Seasons. 


670 


BIBLIOGRAPHIE. 


Toung  (E.).  —  Busins,  king  of  EfjypL  A  Tragedy.  London.  Pnr  I 
for  T.  Johnson,  mdccxix,  in-8.  (A  collection  of  llie  best  Englivli  pi , 
Vol.  XIII.)  (Bibl.  Nat.  Yk.  1999-2800.) 

Toung  (E.).  —  The  Works  of  the  AiUhor  of  the  Sight'Thouffht^.  Hrin 
for  J.  Dodsiey.  hdccxcii. 

Toung  (E.).  —  The  Sixtieth  volume  of  the  English  Poets  (S.  John>. 
édition  de  1790);  containing  Ihe  First  Volume  of  Voiiiig. 

The  Siciy-first  volume,.,  containing  the  second  Volume  of  Younji. 

The  Si,rt  y -second  Volume...  containing  the  lliird  Volume  of  Youn:: 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PREMIERE   PARTIE 

VIE  DE  J.  THOMSON 
CHAPITRE  I 

L^ENFAlfCB    KT    L*ADOLESCBNCB 

I.  —  L*œuvre  et  Tautcur.  Utilité  d'une  biographie 1 

II.  —  La  famille.  La  naissance.  Ednam.  —  Southdean.  L'enTanco; 
Téducation  :  le  père,  la  mère,  la  Bible,  la  campagne  (1700-1715)....        7 

111  —  Jedburgh.  Le  collège.  Les  études,  les  amitiés,  les  travaux; 
premiers  essais  poétiques 15 

IV.  —  Edimbourg.  L'Université.  La  ville  d'Edimbourg.  —  Mort  de 
Thomas  Thomson.  Mrs.  Thomson  à  Edimbourg.  —  Les  études  à  la 
faculté  des  Arts.  —  La  vie  littéraire  dans  la  capitale  écossaise;  les 
•  clubs  ».  Première  publication  de  poésies  de  Thomson.  —  La 
Faculté  de  Théologie  (1715-1725) 20 

V.  —  Études  et  plaisirs.  —  Projets  d'avenir.  Abandon  de  la  carrière 
ecclésiastique.  Départ  pour  Londres  (1725) 25 

CHAPITRE  II 

LO.NbRES.  —    LES    DÉBUTS  D'i'X   POÈTE.    —   l/    •    IIIVEU    • 

I.  —  Date  de  l'arrivée  à  Londres.  Les  débuis  du  séjour.  Désappoin- 
tements. —  Mort  de  Mrs.  Thomson.  —  James  précepteur  à  East 
Barnet.  Il  écrit  un  poème  sur  l'hiver.  —  Il  quitte  la  famille  de  lord 
Binning.  —  Relations  dans  la  capitale.  —  A  la  recherche  d'un  édi- 
teur pour  r  «  Hiver  •.  Le  prix  de  vente  du  poème.  (Mars  1725  à 
mars  1726.) 36 

H.  —  Publication  de  1'  «  Hiver  •.  Le  succès  de  Tœuvre.  — -  Premiers 
patrons.  Critiques  favorables,  et  critiques  hostiles.  Relations  et 
amitiés  nouvelles.  —  Embarras  pécuniaires.  —  Thomson  redevient 
précepteur.  Ses  relations  avec  sir  Spencer  Compton.  —  Deuxième 
édition  de  l'  ■  Hiver  ..  (Mars  1726  à  juin  1726.) 48 


672  TABLE  DES   MATIÈRES. 

CHAPITRE   ni 

ACRàVEXBNT  DES   «   SAISONS    ».    I^    PREMIÈRE   TRAGÉOll 

I.  —  Progrès  d'un  second  poème.  Correspondance  avec  Hill  et  arec 
Mallet.  —  Thomson  quitte  V  «  Académie  »  de  Mr.  Watts.  —  Publi- 
cation de  r  «  Été  n.  Dédicace  à  Dodington.  —  Le  «  Poème  à  la 
mémoire  de  Newton  ».  —  <»  Britannia.  »  Thomson  et  Robert  Wal- 
pole.  (Juin  1726  à  juin  1727 .) Gl 

II.  —  Composition  du  «  Printemps  ».  Le  poète  chez  lady  Hertford. 

—  Publication  d'une  troisième  «  Saison  n.  Un  nouvel  éditeur.  — 
Souscriptions  au  poème  complet.  —  Activité  littéraire.  Publication 
de  «  Britannia  ».  Les  «  Mélanges  »  de  Ralph.  Correspondance  avec 
Mallet.  —  Thomson  écrit  une  tragédie,  et  1'  «  Automne.  »  (Juin  1727 

à  février  1730.) i; 

m.  —  Représentation  de  u  Sophonisbe  ».  Le  sort  de  la  pièce.  Publi- 
cation du  texte.  —  Première  édition  des  a  Saisons  ».  Les  souscrip- 
teurs. Rundle.  —  Thomson  choisi  pour  précepteur  et  mentor  du 
jeune  Talbot.  (Fév.  1730  à  fin  de  1730.) Si 

CHAPITRE  IV 

LE  TOUR   d'eUROPE.  —  RETOUR  A   LONDRES.  —  «  LA   LIBERTÉ.    »  —   RICUMOSD 

I.  —  Le  ((  tour  d'Europe  ».  Départ  pour  Paris.  Séjour  dans  la  capi- 
tale. Relations  avec  Voltaire.  —  Lettres  à  Dodington  :  projets  de 
travail;  plan  d'un  nouveau  poème.  Sentiments  des  deux  voyageurs; 
espérances  d'avenir.  Les  avantages  de  la  pauvreté.  —  Le  «  Socrate  « 
de  Thomson  et  le  Socrate  de  Voltaire.  —  Départ  pour  Rome.  Les 
impressions  du  poète  en  Italie.  —  Retour  en  Angleterre.  (Dec.  1730 
à  dêc.  1731 .) V 

H.  —  Thomson  à  Londres,  il  commence  «  la  Liberté  ».  —  Mort  de 
C.  Richard  Talbot.  —  Ch.  Talbot  est  nommé  chancelier.  Thomsou 
devient  secrétaire  des  Brefs.  —  Prospérité  et  générosité.  Le  vieux 
Dennis.  —  Relations  avec  le  prince  de  Galles.  Correspondance 
avec  Hill;  questions  de  théâtre.  —  Publication  des  premières  par- 
ties de  «  La  Liberté  ».  —  Dévouement  de  Thomson  envers  les  mem- 
bres de  sa  famille.  —  «  La  Liberté  »  complétée.  Échec  du   poème. 

—  L'auteur  et  son  éditeur.  — Le  deuxième  volume  des  Œuvres.  — 
La  «  Pipe  de  tabac  ».  —  Thomson  se  fixe  à  Richmond.  Sa  maison. 
(Dec.  1731  à  mai  1736.) «v. 

CHAPITRE  V 

PROSPÉRITÉ   ET  REVERS.   —  TRAGÉDIES.   —  VIE  A   RICHMOKD.    — 

«  LE  CHATEAU  D'L>'DOLEIfCE  • 

l.  —  Thomson  prépare  une  nouvelle  tragédie.  —  Il  vient  en  aide  à 
SCS  sœurs.  —  Mort  du  chancelier  Tallx>t;  le  poète  perd  sa  siné- 
cure. —  «  Poème  à  la  mémoire  de  Talbot.  •  —  Pièces  fugitives.  — 
Quin  et  l'aventure  de  la  prison  pour  dette*».  —  Thomson  franc-maçon. 

—  Représentation  d'  «  Agamemnon  ».  Anecdotes.  Publication   du 
texte.  L'épilogue.  (Mai  1736  à  avril  1738.) U3 


TABLE  DES  MATIÈRES.  673 

II.  —  Préface  pour  VAreopagitica  de  Miltou.  —  La  vie  du  poète  à 
Richmond.  Ses  amis.  Lyttelton.  Pension  accordée  par  le  Prince 
de  Galles.  —  Achèvement  d*Edward  and  Eleonotv.  La  représenta- 
lion  de  la  tragédie  est  interdite.  Publication  du  texte.  Disparition 
d'une  censure.  —  Le  masque  d'  «Alfred  ».  flti/e,  Briiannia.  (Avril  1738 
à  août  17i0 .) ; 12S 

m.  —  Absence  de  productions  nouvelles,  llemaniement  des  •  Sai- 
sons «.  Ofium  cum  dignitate.  Les  amitiés  de  Thomson.  L'amour  se 
môle  à  sa  vie.  Uôves  déçus.  —  Voyage  à  Hagley.  Le  domaine  des 
Lyttelton.  —  Importante  édition  des  •  Saisons  •  (1744).  La  collabo- 
ration de  Pope.  (Août  1740   à  juin  1743.) 137 

IV.  —  Lyltelton  aux  aiïaircs.  Thomson  pourvu  d'un  poste  colonial  où 
il  se  fuit  suppléer.  —Relations  avec  Richardson.  Nouvelle  tragédie. 
Succès  de  Tancred  and  Sigistnunda.  —  La  vie  du  poète  à  Kew- 
foot-Lane.  Nombreux  amis.  —  Lyttelton  et  l'incrédulité  religieuse 
de  Thomson.  —  Propositions  de  mariage.  —  Nouveaux  séjours  à 
Hagley.  Shenslone.  Le  jardin  du  poète.  (Juin  1743  à  décembre  1747.).    130 


GIIAPITRK  VI 

LA   MORT.    —    LE   I>6V0LEMENT  ET    l'AFFECTION  DES  AXIS.   —  THOMSON  EN  ECOSSE. 

THOMSON  A  l'Étranger 

I.  —  DisgrAcc  de  Lyttelton.  Thomson  perd  sa  pension.  — 11  achève 
un  poème  important  et  une  cinquième  tragédie.  ><  Le  Chilteau  d'In- 
dolence »  publié.  Les  amis  qui  y  Hi^urent.  —  Difficultés  qui  s'op- 
posent à  la  représentation  de  Coriolanus,—  La  fin;  maladie  et 
mort  du  poète.  —  Les  funérailles,  la  succession.  Douleur  des  amis. 
(Décenibn»  17 47  à  septembre  1748.) 1G:1 

IL  —  Le  zèle  des  amis  survivants.  Représentolion  de  Conolfinus. 
Lyttelton  et  Quin.  Adieux  poétiques  à  Thomson.  —  Nouvelle  édi- 
tion des  (lËuvres.  Lvttelton  éditeur.  Murdoch.  L'édition  de  1762. 
Monument  à  Westminster  Abbey.  —  Buclian  à  Richmond  en  1792. 
—  Les  parents  et  les  amis  survivants.  —  Le  «  culte  •  de  Thomson 
en  Écossiî,  de  1780  à  1819 173 

III.  —  Thomson  à  l'étranger.  Son  influence.  Voltaire,  Montesquieu. 
BulTon,  Rousseau,  etc  —  Traductions  en  français,  en  allemand,  etc.    191 


CHAPITRE  VU 

LA  PERSONNE  ET  LE  CARACTÈRE  DE  THOMSOX 

La  description  (|u'a  donnée  Johnson.  Les  portraits  du  poète.  — 
Jugements  sur  ses  manières  et  ses  moMirs.  Shonstone,  Jolinsoii, 
Savage,  elc;  injustices  de  ces  appréciations.  —  L'indolence  de 
Thoms(»n.  Coniuicnt  il  faut  l'entendre.  —  Son  caractère.  Son 
inlluenoe  remarquable  sur  tous  ceux  qui  l'ont  connu.  La  raison 
de  ce  prestige.  Le  trait  dominant  de  celte  âme 200 


43 


674  TABLE  DES  MATIÈRES. 

DEUXIÈME  PARTIE 

L'ŒUVRE 

•  •    •    •      •    ■ 

LIVRE  I 

«   LES   SAISON  S  » 

CHAPITRE  I 

LE   SENTIMENT  DE  LA  NATUBE   DANS  LA   POÉSIE  ANGLAIS!    AVANT  THOMSON 

I.  —  La  raison  d'ôlre  de  celte  étude.  —  A  quels  noms  elle  doit  s'at- 
tacher      209 

II.  —  Geoffrey  Chaucer "    o^ 

m.  — W.   Shakespeare 219 

IV.  —  Edmund  Spencer [    224 

V.  —  John  Milton 229 

VI.  —  John  Dryden 237 

VII.  —  Alcxander  Pope 241 

CHAPITRE  H 

LE   SENTIMENT  DE   LA   NATURE   VERS   1125 

I.  H.  —  Désaccord  en  Ire  les  théories  de  l'école  régnante  et  les  aspi- 
rations nouvelles  qui  se  font  jour  dans  la  littérature  et  dans  le 
^'oiU  public.  —  Le  poôme  de  Thomson  répond  h  ce  retour  aux 
Iradilions  de  l'ancienne  poésie 247 

CHAPITRE  III 

LES  OBJETS  UÉCUITS.  —  LA  NATURE  DANS  l'oEUVRE     DE   THO.ySON 

I.  —  Le  ciel 258 

II.  —  La  mer '   ']    265 

III.  —  La  montngne 270 

IV.  -  Plaines,  champs,  landes,  marais,  etc 277 

V.  —  Les  cours  d'eau 281 

VI.  —  Forêts.  Bois.  Arbres 2S4 

Vil.  —  Les   fleurs 289 

VIII.  —  Les  animaux 29?» 

IX.  —  L'homme 303 

CHAPITRE  IV 

I.E   POÈTE   DKSCRIPTIF.   —  SA  TECHNigiE 

L  —  La  description  de  Thomson  s'applique  à  tous  les  aspects  de  la 
nature;  elle  ne  s'attache  pas  à  des  scènes  particulières.  Elle  traduit 
surtout  les  phénomènes  de  mouvement ^Id 

IL  ■—  «  Le  rythme  de  l'appareil  des  sens  »  chez  Thomson.  —  La  vue. 
Prédominance  de  la  couleur  sur  la  forme;  de  la  teinte  colorée  sur 
l'intensité  lumineuse 3iy 


TABLE  DES  MATIÈRES.  675 

III.  —  L*ouïc.  Importunée  des  observations  de  phénomèDes  auditifs 
dans  •  les  Saisons  • 329 

IV.  —  L'odorat.  Le  toucher.  Le  goût 334 

Y.  —  Les  descriptioQs  d'ensemble  n'excluent  pas  chez  Thomson  la 

perception  de  faits  précis  et  d'observations  subtiles 339 

CHAPITRE  V 

LA   PHILOSOPHIE   DU   P0KMB«  —    QUELLE   CONCEPTIO.N   IL  FOUR.MT  DU  ai0>'DE 

1.  II  —  Les  diverses  interprétations  de  la  nature.  Essai  de  classifica- 
tion. —  L'anthropomorphisme  grec  et  le  mysticisme  naturaliste  de 
rinde.  —  L'humanisation  pathétique  de  la  nature.  —  Le  spiritua- 
lisme, le  panthéisme,  le  symbolisme 346 

III.  —  La  description  de  Thomson  ne  rentre  dans  aucune  de  ces  caté- 
gories. —  Quel  caractère  elle  présente.  Quelle  en  est  la  valeur 
esthétique 359 

IV.  —  Cette  poésie  de  la  nature  aboutit-elle  au  pessimisme  ou  à 
l'optimisme? 368 

CIIAIMTUE  VI 

LKS   HORS-UNUIUVRE    MÊLES   AU   POÈME    DESCHIPTIK 

I.  —  Les  épisodes.  —  Damon  etMusidora.  — Origines.  —  Imitations. 
Saint-Lambert  et  Delille.  —  Palémou  et  Lavinia.  —  Quelle  est  la 
valeur  de  ces  parties  du  poème 373 

II-III.  —  Politique  et  patriotisme.  —  Morale.  Sentiment  et  sentimcn- 
lalilc 385 

IV.  V.  —Philosophie.  —  Science 3î»:j 

VI.  —  Jugements  littéraires.  —  Esprit  et  humour 400 

CHAPITRE  VU 

I..V   L.VNOl  E    ET   LK   STYLE    PANS    -    LES   SAISO.NS    • 

I.  —  Lv  vocabulaire U2 

II.  —  La  grammaire 42<i 

III.  -  La  langue  poétique.  Les  ligures.  Métonymies,  périphrase,  per- 
hoiinitieation,  etc 43n 

IV.  --  Lc:*  vers  des  -  Saisons  •.  La  phrai?e  et  la  période.  —  Liberté 
j          du  mouvement.  Hejets;  coupes  variées.  Abus  de  certaines  construc- 
tions     4:;;* 

•      V.  —  Prosodie.  Le  mètre.  Allitération  et  onomatopée.  —  Conclusion. .     i08 


LlVIiK  II 

PETITS    POÈMES 

CIIAPITIΠ 1 

PIECES  Jl  VtMLES 

I.  II.  —  Lea  hujets.  Les  oaraclcres  et  la  valeur  de  ces  morceaux.  O 
qie  nous  apprennent  la  langue  et  la  vcrsitication  du  jeune  poète..     iH.'» 


670  TABLE  DBS  MATIÈRES. 

CHAPITRE  H 

PIÈCES    DIVERSES 

1.  V.  —  Pièces  cooiméiuoratives.  Sur  la  mort  de  sa  mère.  Sur  la 
mort  d'Aikman.  Sur  la  mort  de  Newton.  Sur  la  mort  du  chancelier 
Talbot.  Poème  à  la  mémoire  dcCongreve;  attribution  douteuse...    49( 

VI.  VII.  — -  Poèmes  divers.  Britannia 50u 

LIVRE  III 

•    LA    LIBERTÉ    » 

I.  II.  —  Les  jugements  portés  sur  le  poème.  Procès  à  instruire.  Le 
sujet;  (|uelle  matière  il  offrait  au  poêle.  Lourdeur  de  l'exécution..    .*)!3 

III.  IV.  —  Les  mérites  de  l'œuvre.  Grandeur  du  plan.  Détails  heu- 
reux. —  Nouvelle  expression  des  doctrines  métaphysiques  de  l'au- 
teur. L'amour  Torce  unique  de  l'univers.  Évolution  des  6trcs  dans 
des  vies  successives.  —  La  description.  Une  page  importante.  La 
première  peinture  poétique  d'un  paysage  de  montagnes 52:i 

V.  —  Les  imitateurs  de  •  La  Liberté  » , 534 

LIVRE  IV 

LE    TH  ÉATRE 

CHAPITRE  I 

«    SOPHOMSBA   » 

1.  11.  111.  -  La  tragédie  en  Angleterre  au  xvnr  siècle.  I^^a  k  Sopho- 
nishc  M  de  Thomson.  Les  origines  :  l'histoire,  les  pièces  du  Trissin. 
de  Meliiri  de  Saint-<iolais,  de  Co^ueilh^  Conception  incohéreote  et 
faiblesse  dramatique  de  la  tra^'édie  de  Thomsou.  Insuffîsanre  de 
la  langue ;,;i 

IV.  V.  —  Quelques  passades  bien  venu?.  Uu  vers  malheureux  et 
célèbre;  circonstances  atlcnuAntes :/^ 

CHAPITRE  II 

«    AOAMEMNOX    » 

I.  —  Thomt^on  n'imite  point  Ksch>le  ni  Sônèque.  Ses  persouuages: 
cnnlradielions  ri  obscurité ^:;7 

II.  111.  —  L'énergie  e>chylirnne  une  fois  conservée.  —  Contraste 
erihcles  s<'ntinicnls  uniformément  excessifs,  et  la  langue  tour  à 
tour  déclamatoire  et  plate.  —  Un  passage  de  .Molière.  Thaltybius 

et  Sosie ". :;*i| 

IV.  V.  —  Nombrcu<<*s  réminiscences  littéraires.  —  Quelques  vers  et 
quebpies  scènes  sont  dignes  du  grand  poète  descriptif. .MO 


TAPiLK   DES   MATIÈRES.  677 

chapitri:  m 

I.  .1.  —  Tcnlativc  de  rajeunissement  de  la  tragédie.  L'iuniicnce  de 
VuUaire.  Le  pathétique;  la  couleur  locale.  •—  Invraisemblan<!t^  de 
) j  fahir  ;  faiblesse  du  langage. b70 

CHAPITRE  IV 
"  ALrnED  » 

1.  IV.  —  A  quelle  occasion  le  masque  fut  écrit.  —  La  collaboration 
lie  Mallet  et  de  Thomson.  —  La  valeur  de  Toeuvre.  —  hule.,  firi- 
hiinna.  Quel  e.sl  Tauteur  de  ce  chant ,'i77 

CHAPITRE  V 

H  TA.NCRED   A:1D   SIGISMUNDA   » 

I.  IV.  —  Teulalîvo  de  conciliation  des  doux  écoles  dramatiques.  Le 
hujet  est  oQiprunté  à  Le  Sage.  Plus  de  qualités  scéniques  que  dans 
les  œmres  antérieures.  Absence  foncière  de  forme  tragique i»SN 

CHAPITRE  VI 

«•     COniOLANUB     »> 

I.  II  —  La  pièce  de  Thomson  comparée  à  celle  do  Shakcppcaro. 
Inli«i('hlc  de  notre  porte  à  la  vérité  historique  et  à  la  véritc  drd- 
iiiatiqiit* , Wy.\ 

CHAPITRK  VII 

<:ON«".LUSU»N 

' >  ijiî.i  vijulu  faire  f h(»mson  an  thcAtre,  et  ce  qu'il  y  a  fait r.oi 

LIViΠ  \ 

•     LE     CHATEAU     D'INDOLENCE' 

I.        ùue'i'ftti  rir«;oiislaiic«'S  ont  s-uggéré  le  po<>uic.  Le  sujet.  Ré^umo.     ko", 
!i.       ruDliMï't'j  (\c  octlî  œuvre  avec  «  les  Saisons  >».  —  Il  y  a  cepen- 
fia-il  .p:r.i(|uos  cara(:lères  coninuins.  La  ]>erBonualilé  de  l'autoiir, 
'«  llr  qu'-'Iie  a  <lr  rludirc   préccdemuionl,  ?c  retrouve  enrorc  ici 

ilaris  \^.<,  principaux  thèmes  inspirateurs (»ir» 

III  Per^islance  «H  renouvellemoiil  du  talont  descriptif.  Puip^an-o 
:iif/fj:L'Sli.r  dos  dt'scîiplionï!.  Comparaison  de  l'un  des  elTels  avc«' 
l'c.ix  «ju  '-ni  obtenus  Keats  et  Tennyson.-- Supériorité  des  cinqnanî»- 
pretniî'ics  sirophes.  Les  défaiits  «lu  reste.  --  Nouveaux  aspects  du 
t  i!e-t  'le  Thomson  :  gailé,  humour «»i' 


(>7>> 


TAHLE  bis  hï^T •':>■■:-. 


JV.  V.    --  La  IV-rnin;  tlii  p-^i'rie.  Siiii  ori^-^  -'liUr  '■   i  •  ; 
Ml'.,:;.    -  Ai-'.liaïâmc^.     -  l.a  slrofriie  .sitr.k-     :.  r-i,  •  •    ,   . 

!.i  lirjio.  —  I«n;)r»rlan»'o  «lu  c  rîi,i».o.;iu  •  »liiî.-  J  i  ;ir  .  i     ■     . 

r.:  .1,1  ^p»  r.K:,-i-BALE.  —  La  placp  cl  le  r'»lc  «!•■  rh<>ms'i!i  ..:  .i^  ■  .i..- 
'1  '  In  litlcralupiî  an^rl!ii>e 

Ain.\Dic:rs.  --  1.  Lessing,  Voila iiv,  l'iM  et  Tli'^ms«»ii.  -  {>.  Yii«  . 
jii^i'  pur  lïM  cofifpiîrj  et  nis  contemporaiu.  -  111.  Tiir-i»:.  i  ^ 
«i:«.ne  frariraisc.  —  IV.  La  f.Tononoialion  iJc   i'iioniso.i , 


HlUMOCKAHIilF 


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