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-3.2-1.50
PGIGM^&3
BX 9459 .C3 C56
Coquerel, Athanase, 1820-
1875.
Jean Calas et sa famille
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in 2010 with funding from
Universityof Ottawa
littp://www.arcliive.org/details/jeancalasetsaf1858coqu
lîAN CALAS
ET SA FAMILLE
DE SDYE 1:T BOUCHET, nil'KI.MEUJiS
2, PLACE 1>U l'ANTIlKOX.
■^ ' MAR 7 191
ET SA FAMILLE
ÉTUDE HISTORIQUE D'APRÈS LES DOCUMENTS ORIGINAUX
JEAN CALA»^^,,
SUIVIE
DES DÉPÊCHES
DU C*'' DE SAINT-FLORENTIN, MINISTRE SECRÉTAIRE d'ÉTÂT
ET d'autres fonctionnaires PUBr,ICS,
ET DES LETTRES
de la soeur A.-J. FRAISSE, de la VISITATION,
A MADEMOISELLE ANNE CALAS
V
ATHANASE COQUKREL FILS
PASTEUR SlFFRiGAiNT DE I/ÉGI.ISE IIÉFORMÉE DE PARIS
PARIS
JOËL GHEllBULIEZ, EDITEUU
10, KL'E DE LA MONNAIE, 10
A GENEVE, MÊME MAISON
1858
L'auteur se réserve tous droits de traduction et de reproduction.
PRKFAC
On peut se demander s'il est nécessaire, s'il est h
propos, de revenir, après on siècle presque révolu, sur
le procès de Jean Galas, un obscur marchand de Tou-
louse? Son crime ou son innocence, l'erreur judiciaire ou
le juste arrêt qui l'envoya à F échafaud, n'est-ce pas
un de ces faits isolés, une de ces questions toutes par-
ticulières qui peuvent occuper quelques jours l'atten-
tion du public, mais auxquelles le temps ne laisse guère
qu'un intérêt très-secondaire et de pure curiosité ?
Et si, au contraire, ce condamné a encore des cham-
pions dévoués et des adversaires ardents; si, de part et
d'autre, on se passionne, aujourd'hui même, à ce dou-
loureux sujet, n'y a-t-il pas un tort et peut-être un
danger à évoquer sans nécessité des souvenirs encore
brûlants ?
Quant à la première de ces questions, les faits ré-
pondent. Nous aurons à juger plusieurs publications tout
à fait récentes , destinées à prouver le crime de Ca-
las et nous croyons savoir que d'autres encore se pré-
parent. L'opinion publique, sous l'influence de la réac-
tion ultra-catholique de notre temps, se prononce de
plus en plus pour les juges et contre la victime. A
VI PRÉFACE
Toulouse/j des passions locales n'ont jamais cessé de
donner à ce débat, sans cesse repris, un caractère
d'amertume. A Paris, les journaux V Univers et le Cor-
respondant se sont empressés de communiquer k leurs
lecteurs la nouvelle justification des arrêts du Parlement
et des Capitouls.
On va jusqu'à prétendre que le rôle de Voltaire dans
ce procès dont il a fait l'entretien de l'Europe entière,
bien loin d'être glorieux pour lui , n'est qu'un exem-
ple de sa légèreté et de sa mauvaise foi, et ne vaut pas
mieux que ses sarcasmes contre le christianisme ou ses
écrits licencieux.
De ces attaques nombreuses et réitérées, il est ré-
sulté une impression générale d'incertitude. Pour bien
des esprits, la question est devenue douteuse et elle
exige un plus ample informé.
Il nous paraît convenable de répondre à ce désir,
et le moment est propice. Evidemment on a repris inté-
rêt à ce procès; les écrits que nous citerons le prou-
vent. 11 existe d'ailleurs , sur cette affaire et sur les
hommes qu'elle met en scène, des renseignements iné-
dits, importants etnombreux, dont l'usage, indiscret jus-
qu'à nos jours, n'a plus d'inconvénients. Quelques-unes
de ces pièces se trouvaient entre mes mains, et j'ai été
amené peu à peu à en réunir d'autres. J'ai voulu ne
laisser échapper aucun rayon de lumière et ne rien dire
que sur preuves authentiques. Je crois donc devoir,avant
tout, rendre un compte précis des sources où j'ai puisé
et des garanties de suffisante information que peut offrir
ce travail.
C'est de la famille même du condamné qu'étaient ve-
nus jusqu'à moi les premiers documents. La plus jeune
des filles de Jean Galas est morte à Paris sous la Res-
tauration, veuve du pasteur Duvoisin, chapelain de l'Am-
bassade de Hollande à Paris.
PREFACE VII
Elle avait remis ses papiers de famille au dernier suc-
cesseur de son mari, M. Marron, qui était devenu pasteur
de l'Eglise réformée de Paris quand le culte protestant
fut -réorganisé par le premier consul. M. Marron laissa
ces documents à mon oncle Charles Goquerel, auteur de
V Histoire des Eglises du Désert, où le malheur des Calas
est raconté. C'est de lui-même que je les tiens, et il m'a
plus d'une fois recommandé défaire paraître les Lettres
adressées par la Sœur A.-J. Fraisse à i/'"*' Duvoisin,
si jamais ce grand procès, considéré longtemps comme
définitivement jugé et gagné, occupait de nouveau l'at-
tention. Peu de semaines avant sa mort, en m'indiquant
ses dernières volontés au sujet des papiers qu'il me
léguait, il me fit promettre de publier un jour cette
correspondance.
Quand je vis reparaître, il y atrois ans, le nom de Ca-
las dans des brochures et des journaux hostiles à sa mé-
moire, je compris que le moment venait de payer cette
dette, sacrée pour moi. Je croyais m'en acquitter en me
faisant simplement l'éditeur des Lettres de la religieuse.
J'étais vivement exhorté à les publier par un ou deux
excellents juges qui les avaient lues et qui se trouvaient
sous le charme de cette parole à la fois naïve, touchante
et spirituelle, de ces sentiments pieux, si équitables et
si élevés. Je pensais qu'il suffirait de mettre une courte
notice en tête de cette correspondance et je m'occupai
d'en réunir les matériaux.
Ce fut alors que je découvris, à ma grande surprise, que
la question avait été débattue plus récemment que je ne
le savais et presque toujours dans un sens hostile aux
Calas. Je rencontrai des assertions étranges à contrôler,
des calomnies à confondre, des méprises funestes à dé-
mêler.
Je ne crains nullement d'avouer qu'en lisant des ré-
cits inexacts, de maladroites défenses, il y eutunmoment
VIII PUE FA CE
OÙ moi-même j'hésitai, où je sentis que ma conviction
manquait de base. Dès lors, je n'avais qu'un parti à
prendre, celui de l'examen le plus sérieux et le plus
détaillé. Quel qu'en fût le résultat, j'aurais cru devoir
publier les lettres de la sœur Anne-Julie, comme un
exemple édifiant de tolérance et d'impartialité, comme
une œuvre touchante et digne d'être conservée. Déplus,
il y avait, en tout cas, à signaler l'extrême ignorance des
juges de Toulouse, imaginant de bonne foi que le meur-
tre des enfants par leurs pères, pour cause de conversion
au catholicisme, était recommandé et pratiqué parmi
les protestants. Quant aux Galas, pour peu que leur in-
nocence m'eût paru douteuse, le rôle de leur défenseur
ne me convenait en rien.
Il fallut donc essayer celui de juge d'instruction, ou
plutôt de simple narrateur, et je ne l'eus pas longtemps
entrepris que je vis clairement combien les modernes ac-
cusateurs avaient méconnu ou altéré les faits les mieux
prouvés. D'un autre côté, il faut bien le reconnaître, les
défenseurs de Galas ont souvent mal servi sa mémoire;
la plupart des écrits qui le réhabilitent sont entachés de
partialité; ceux de Voltaire pèchent quelquefois par
la légèreté, et les Mémoires des trois avocats de Paris
par la déclamation; les livres de Gourt de Gebelin, de
d'Aldeguier et autres sont rarement exempts de passion,
et l'on regrette chez presque tous le manque de précision,
d'exactitude et de critique.
Au milieu de ce chaos, où se choquaient pêle-mêle une
centaine d'écrits pour ou contre, il y avait un seul parti
cl prendre: ne consulter les auteurs modernes, les avo-
cats et Voltaire le premier, qu'à litre de renseignements,
lire les pièces originales et ne juger que sur des témoi-
gnages contemporains, solidement établis.
Dès lors, c'est aux Archives Impériales qu'il fallait
surtout recourir. Il s'y trouve des documents de ti-ois
ordres différents et d'une importance décisive. C'est
d'abord le procès, qui n'existe tout entier cpie Ik (1).
Lorsque le Grand Conseil cassa les sentences rendues à
Toulouse en première instance par les Capitouls, et en
appel par le Parlement, i' ordonna nue des copies cer-
tifiées de tonte la procédure seraient envoyées aux nou-
veaux juges. Malgré la mauvaise grâce et les délais con-
sidérables qu'y mit le Parlement, il finit par obéir, et tous
ces documents, vérifiés sous ses yeux, furent transmis
par lui-même au tribunal des Maîtres des Requêtes. On
y joignit plus tard les pièces non moins importantes que
produisirentles Calas pour obtenir la sentence du Conseil
et enfin tous les actes de la dernière information, faite k
Paris par Dupleix de Bacquencourt.
Il était nécessaire, une fois familiarisé avec toute cette
procédure, d'aller h Toulouse pour pouvoir comparer
avec la collection Parisienne celle qu'on y garde dans
les archives du Palais-de- Justice. Elle *se compose des
originaux, tandis que celle de Paris ne contient que des
copies, mais certifiées parles mêmes autorités. D'un autre
côté, elle est beaucoup moins complète, et cela sous un
double rapport. La collection de la procédure toulousaine
a été longtemps égarée à l'époque de la Révolution, et
quelques feuilles n'ont pas été retrouvées ou se sont
perdues plus tard (2). De plus, elle ne comprend natu-
rellement que la double information des Capitouls et du
(1) Scclioii judiciiiire 8. 2009
(2) Il y a cependant à Toulor.se quelques pièces accessoires qu'on
ne possède pas à Paris et dont je me «uis empressé de prendre con-
naissance. Ce sont : la Consultation demandée par le Procureur du Roi
Charles Lagane à un théologien de l'ordre de Saint-Dominique, le
Père Bougis, (voir p. 170); trois arrêtés rendus contre le procureur
Duroux fils, et un autre, prononcé dans l'affaire de l'assesseur Monyer
(p. 13 1); enfin un arrêt très-long et Irès-circonslancié qui établit,
après le supplice de Calas, les droits des créanciers de sa succession;
el quelques autres documenls sur ce règlement d'intérêts.
X PREFACE
Parlement ; celle de Paris seule a pu se grossir des pièces
du troisième et du quatrième procès devant le Grand
Conseil et devant les Maîtres des Requêtes. Or, nous
montrerons que devant les deux tribunaux de Toulouse
le procès fat conduit de telle sorte qu'il ne parvint à
eux que des témoignages tous défavorables (sauf un seul),
et que les dépositions, les arguments, les faits justifica-
tifs, tout ce qui pouvait servir les accusés ne parut que
devant les juges de Versailles et de Paris. Aussi n'y a-t-il
rien d'étonnant h ce que la plupart des personnes qui
ont vu seulement les pièces toulousaines croient les
Calas coupables ; si ces mêmes personnes lisaient les
documents moins volumineux et tout différents des,
deux dernières instructions, elles porteraient peut-être
un jugement tout opposé. Il n'appartient qu'à des esprits
éminents et très-exercés, comme l'ancien Procureur-
Général de Toulouse, aujourd'hui conseiller à la Gourde
Cassation, M. P^ougoulm, de découvrir, dans les pièces
mêmes sur lesquelles Calas a été condamné à Toulouse,
la pleine certitude de son innocence.
Une seconde série de renseignements d'une haute
valeur se trouve à Paris aux Archives Impériales ; ce sont
les minutes des dépêches dictées de 1761 à 1766 par le
comtede Saint-Florentin, secrétaire d'Etat (1). Nous don-
nons, à la suite de notre travail, un choix de ses lettres,
et nous en citerons beaucoup d'autres, soit dans le cours
même de notre discussion, soit dans les notes placées k
la fin du volume. On y verra que ce ministre dirigea
secrètement et approuva tout ce qui eut lieu.
Nous publions en même temps plusieurs lettres adres-
sées de Toulouse à M. de Saint-Florentin par les juges
de Calas ou par d'autres personnages influents de l'épo-
que, et qui se trouvent dans une autre section de ces
(1) Dépôches du Secrétaridl (série E. 85'22 cl suiv.)
PRÉFACE XI
raêmesArchives(l). Placées ainsi en regard les unes des
autres, les nouvelles que reçoit le ministre et les instruc-
tions qu'il donne s'éclairent mutuellement d'une vive
lumière et fournissent de précieux éléments au juge-
ment qu'il s'agit d'établir.
Ces quatre séries officielles, dont trois à Paris et une
à Toulouse, sont complétées par une suite de douze
pièces qui émanent de M. de Saint-Priest, intendant
du Languedoc, en résidence à Montpellier. J'en dois
la communication à M. Benoît, professeur à la Faculté
de médecine, qui a eu l'extrême obligeance de répondre
à ma demande en copiant lui-même ces dépêches sur les
originaux, avec une exactitude rigoureuse jusqu'à, en
respecter l'orthographe vieillie. C'est, du reste, une ga-
rantie de précision et de correction que nous avons tenu
à donner partout où nous avons pu (2).
J'ai reçu de mon ami M. Charles Read divers docu-
ments recueillis par la Société d'Histoire du Protestan-
tisme français et d'autres qu'il a rassemblés lui-même.
Je citerai parmi les premiers quelques lettres inédites,
provenant de l'ancienne collection Lajariette k Nantes,
et copiées dans cette ville par M. le pasteur Vaurigaud;
parmi les derniers, plusieurs actes de l'état civil relevés
par M. Read, à l'Hôtel-de- Ville de Paris, sur les regis-
tres de la chapelle de l'ambassadeur de Hollande et
ceux du cimetière des protestants avant la Révolution.
Après les dépôts publics , il fallait consulter les pa-
piers de famille. Avec les Calas un jeune homme, Gau-
l3ert Lavaysse, avait été impliqué dans ce terrible pro-
cès, du 13 octobre 1761 au 9 mars 1765. Une de ses
sœurs, qui épousa l'écrivain La Beaumelle, avait réuni
(i) Section historique I8i8. Dossier de 19 pièces.
(2) Archives de hi Préfecture de l'Hérault, (Liasse série G, n^ 2 7 9,
Dossier: Affaire Calas,)
XII PRÉFACE
en trois volumes iii-8° une coUection très-intéressante
de pièces relatives à cette alTaire, contenant des mé-
moires imprimés, des lettres inédites, des articles de
journaux copiés par elle et jusqu'aux épigrammes, aux
petits vers de l'époque. Un pareil recueil, employé avec
discrétion et critique, était un trésor inappréciable. Ces
volumes étaient au château de Lavelanet (Haute-Ga-
ronne) en la possession de M'"^Gleizes, néedeCallarelli,
petite-nièce deGaubert Lavaysse et de M*"'' de La Beau-
melle. Malgré les scrupules et l'hésitation bien natu-
relle qu'éprouvait M'"'' Gleizes à se séparer de ces pré-
cieux volumes, elle m'a fait l'honneur de me les en-
voyer à Paris et de les laisser longtemps entre mes
mains. Je ne puis trop lui en témoigner ici ma respec-
tueuse gratitude.
La Beaumelle prit une part active k la défense de la
famille accusée. Il s'était même procuré une copie léga-
lisée de la plupart des actes de la procédure toulou-
saine. Un autre membre de sa famille, son neveu, M. Mau-
rice Angliviel, ancien bibliothécaire au dépôt de la Ma-
rine, héritier de tous ses manuscrits , a bien voulu me
les faire connaître et me fournir, en outre, nombre de
renseignements utiles.
M. Léonce Destremx, arrière-neveu de Gazeing, qui
partagea un moment la captivité des Calas , a retrouvé
au château de Saint-Christol trois lettres de M""" Calas
et de sa fdle Nanette, qu'il a bien voulu m'envoyer. Je
dois également à M. Charles Meynier, de Nîmes, deux
lettres de Jean Calas.
».
A la Bibliothèque du Louvre, j'ai reçu les plus gra-
cieux encouragements de M. Barbier, qui porte avec dis-
tinction un nom illustré par son père dans la science bi-
bliographique et qui m'a initié, non-seulement aux
richesses du dépôt public :qui lui est conhé, mais encore
à d'autres qui lui appartiemienl en propre. La bibliolhè-
PRliFACE . XI !I
que considérable et toute spéciale réunie par M. Beuchoî,
son beau-père, et qui lui a servi pour son édition de
Voltaire, m'a été ouverte, ainsi que les notes manuscrites
qu'il a laissées. J'y ai trouvé, soit en indications, soit en
livres, des ressources que j'avais cherchées vainement
partout ailleurs.
Il ne suffisait pas d'explorer les diverses Bibliothèques
de Paris; j'ai visité en 1850 celle de Genève, dont le
directeur, feu M. Privât, était d'une famille alliée à celle
des Calas et s'est empressé de faciliter et d'éclairer mes
recherches. Plus tard M. Gaberel, ancien pasteur, au-
teur d'une Histoire de V Eglise de Genève^ d'un ouvrage
intitulé Voltaire et les Genevois, etc. , a pris la peine de
copier dans le dépôt de l'Etat civil, quelques rensei-
gnements qui m'étaient nécessaires.
J'ai trouvé aussi à Londres, dans le Briiish Muséum,
quelques notes utiles.
Mais nulle part à l'étranger je n'ai reçu autant de se-
cours qu'en Hollande, où un ancien et vénérable ami de
ma famille, M. L. G. Luzac, Curateur de V Université
de Leyde et ancien ministre de l'instruction publique,
a bien voulu mettre à contribution pour ce travail sa
vaste bibliothèque, me coîumuniquer deux lettres inédi-
tes de Voltaire, ainsi que d'autres pièces tirées de sa ri-
che collection d'autographes, et enfin faire prendre à la
Haye des informations et des copies dans les Archives
de l'État.
On peut juger, d'après ces détails, qu'il n'aurait pas
été difficile de publier tout un volume de documents
sur les Calas et leur procès. J'ai cru que cette surabon-
dance de preuves nuirait à leur cause et que ma tache
devait être d'éviter au lecteur le travail et les longueurs
d'un examen si minutieux, en le faisant d'avance, et en
mettant au jour, avec le résultat de ces investigations,
l'élite des pièces justificatives.
XIV ^ PRÉFACE
J'ai cru devoir aussi dresser sous le titre de Bibliographie
la liste la plus complète qu'il m'a été possible, des im-
primésquiont paru en diverses langues sur l'affaire Calas.
Cette liste est plus que triple de celle qu'a donnée
M. Beuchot. Je ne prétends nullement affuMner qu'elle
soit complète, surtout pour les publications en langue
allemande, anglaise ou hollandaise ; mais j'ose dire que
je n'ai rien épargné pour la compléter.
Ces nombreux écrits, je dois le faire remarquer, ou se
répètent les uns les autres, ou n'embrassent qu'un côté
du sujet. D'autres encore en font une véritable lé-
gende, embellie partout de détails fabuleux et semée d'a-
necdotes à effet. On n'avait pas encore essayé de con-
trôler au moyen des manuscrits les renseignements
qu'ils contiennent, pour résumer, dans un récit détaillé,
tout ce qu'ils ont de certain.
Bientôt, en puisant k ces sources diverses, la parfaite
innocence des Calas et l'erreur déplorable où sont
tombés leurs juges devinrent évidentes pour moi.
C'est aux Archives, parmi les actes du quadruple procès,
que cette vérité m'est apparue dans tout son éclat, et
depuis, à chaque pas, ce travail m'en a fourni des preu-
ves nouvelles. Je me suis appliqué à en rendre compte
avec une sincérité absolue, sans m'étayer de ces ar-
guments faibles, qui ne font jamais que compromettre
les forts, sans taire ce qu'il y avait à faire valoir con-
tre ma propre opinion, et en faisant la part, aussi exacte
que j'ai pu, du bien et du mal.
Ainsi, l'on a fait du Capitoul David un traître de mélo-
drame. Je l'ai peint, non d'après des conjectures, mais
par ses propres lettres, par celles du ministre son ins-
tigateur, son complice et plus tard son juge. Louis Calas
a été représenté par Court de Gebelin et d'autres comme
dénaturé et lâche à un degré vraiment monstrueux. J'ai
fait voir par les faits, qu'il était sans cesse flottant, mai-
PRÉFACE XV
trisé par ses amis et surtout cupide. Je n'ai voulu faire
ni de Calas ni de sa veuve un type idéal et accompli ; je
les donne tels qu'ils se montrent. L'histoire, et surtout
([uand elle est biographique et individuelle, doit se gar-
der d(3 ces enthousiasmes mal fondés qui couronnent
un héros d'une auréole trop sainte pour son front et le
transfigurent au lieu de le peindre. Les protestants ne
doivent canoniser personne, pas même un martyr.
Ce dernier mot m'amène h dire à quel point de vue
religieux je me suis placé. Il est essentiel de le déclarer.
On aurait tort de chercher ici, ou d'y redouter, ni un
plaidoyer ni un pamphlet, pour ou contre le catholicisme,
pour ou contre Voltaire ou l'Église réformée de France.
C'est un simple chapitre d'histoire, et rien de plus. Il
est vrai que dans cette histoire l'Église romaine, celle
du Désert et l'école de Voltaire, sont toutes trois en ac-
tion. J'ai rendu justice à chacune selon mes lumières,
et avec une intention d'équité très-sérieuse et très-sou-
tenue.
J'ai blâmé sans hésiter les préventions populaires des
catholiques de Toulouse, leur étrange ignorance au su-
jet des protestants, l'intervention de l'Église, de ses ri-
tes et de ses corporations dans un procès où la religion
avait trop de part. Mais quand j'ai rencontré sur mon
chemin la vénérable et touchante figure de la vieille Vi-
sitandine, c'est avec respect et sympathie que j'ai fait
connaître- ses sentiments si élevés, ses actes si délicats;
la reconnaissant, malgré son caractère conventuel que
je suis Irès-loin d'aimer, comme une bonne chrétienne,
marquée du double sceau de la vraie charité et d'une
piété sincère. Et en disant ces choses comme je les sens,
chaleureusement et avec franchise, je n'ai nulleintention
de faire l'éloge ni même l'apologie des couvents; je rem-
plis simplement le devoir d'un honnête homme en pré-
sence de ce qui est moralement bon et beau.
XVI PKI: FACE
Quant à Voltaire, ai-je besoin de dire que l'éclat pro-
digieux de ses talents ne voile en rien à mes yeux ce
qu'il y eut de coupable dans la légèreté ignorante, la
mauvaise foi, le cynisme impie avec lesquels il a parlé
des choses les plus saintes et outragé à plaisir toute foi
et toute pudeur? Personne ne déplore plus que moi l'é-
ternelle confusion que faisait sans cesse cet ancien élève
des Jésuites, entre des abus détestables qu'il avait mille
fois raison de dénoncer, decombattre à outrance, et les
vérités religieuses ou morales qu'il enveloppait dans les
mêmes dérisions. Il est le plus coupable de ces grands
écrivains français qui ont abusé de l'esprit pour tout rail-
ler, tout flétrir; sous ce rapport, le mal qu'il a fait à la
France est incalculable. Mais quelque énormes que
soient ses torts (et je les tiens pour tels) , je dois dire bien
haut, que ses efforts infatigables en faveur de la famille
Calas, sans lesquels l'heure de la réhabilitation n'aurait
jamais sonné pour eux, furent un exemple admirable de
dévouement à l'humanité, à la tolérance et à la justice.
C'est par de pareils actes de gouvernement moral qu'on
fait avancer le monde, et au milieu de ses chefs-d'œuvre,
il a eu raison de dire en songeant aux Calas et h d'autres :
J'ai fait un peu de bien ; c'est mon meilleur ouvrage.
Voltaire a régné sur son siècle, et souvent pour le
pervertir; mais quand il s'est servi de son immense
pouvoir pour propager de grands et immortels prin-
cipes, qui lui venaient, à son insu, de l'Évangile; quand,
non content de les avoir proclamés, il les a pratiqués
lui-même et les a fait pratiquer autour et au-dessus de
lui, une profonde reconnaissance lui est due. La lui re-
fuser serait à mes yeux une preuve d'étroitesse ingrate
et inique.
Si j'aime les luimbles vertus de la religieuse, si je loue
le zèle humain de l'incrédule, je n'ai pas moins le droit
PKÉFACE XVII
de faire admirer chez Galas un héroïsme dont la simplicilô
iicdoil pas faire méconnaître lagrandeur ; chez sa veuve, la
fermeié d'àme des matrones antiques, profondément péné-
trée et attendrie par la loi chrétienne; chez Paul Rabaut et
dans la part hardie qu'il prit à cette tragique histoire, l'in-
trépide dévouement d'un champion de l'Évangile qui, sous
le coup d'une condamnation à mort, continue cinquante
ans, sans orgueil ni faiblesse, son périlleux ministère, ne
s'irrite jamais contre ses persécuteurs, et n'a qu'un seul
jour de colère dans sa vie, celui oii l'Église qu'il sert est
accusée d'un fanatisme atroce et dénaturé. Sous l'ignoble
règne de Louis XV, de pareils hommes sont l'honneur de
leur pays, en même temps que la gloire de leur commu-
nion. Héritier de leur foi, j'ai été heureux de leur ren-
dre hommage; mais j'ai résisté à l'entraînement de mon
admiration.
En résumé, j'ai cherché dans ce livre k traiter cha-
cun selon ce qui lui est dû, avec une justice qui a pu
quelquefois être sévère, mais qui n'est jamais malveil-
lante. La règle de mon travail a ét.^' cette maxime excel-
lente, citée souvent et rarement pratiquée : Suum cuique.
A TH. Cf.
INTRODUCTION
INTRODUCTION
COUP D'ŒIL
L'HISTOIRE RELIGIEUSE DE TOULOUSE ^'^
Non alibi in hœreses armnntiir severiùs bges... qua
fit ut una inter Galliœ urbes immunis sit hœreticâ
labe, nemine in eivem admisso cujus inspecta sit apoS'
tolica fides,
G. B. de Gramond,
Premier Président au Parlement de Toulouse.
(Hist. Galliœ. lib. 30. — 1G43.)
Nulle part les lois ne sont années de plus de ri-
gueur contre l'iie're'sie ; d'où résulte que, seule entre
les villes de France, Toulouse est pure delà souillure
hérétique, nul n'y étant admis à la bourgeoisie si sa
foi catholique est suspecte.
Dans La dernière moitié du dix-huitième siècle , il n'y
a pas encore cent ans accomplis, la population presque
entière d'une grande ville de France et ses magistrats de
tout ordre, ont été convaincus que Jean Galas avait étran-
glé un de ses fils pour Tempêcher d'entrer dans l'Eglise
(i) I. Annales (inédiles) des Capitouls (Aux archives de l:i
ville). — II, Histoire de rigilance, esclave, prêtre et réformateur
1
2 COUP D OEIL
Romaine, et qu'en commettant ce crime atroce, il n'a-
vait fait qu'obéir à une loi établie parmi les protestants,
ouvertement promulguée par Calvin dans son Institution
Chrétienne, et régulièrement observée au sein de l'Eglise
Réformée. Galas est mort victime de cette monstrueuse
erreur, qui, chez presque tous, était sincère et qui
non-seulement fut admise, publiée, afifichée, plaidée,
prêchée, accueillie à cette époque par les tribunaux et
par le Parlement lui-même, mais qui, aujourd'hui encore,
est considérée à Toulouse comme une vérité par un grand
nombre de personnes de toutes les classes et vient d'être
soutenue de nouveau par plusieurs écrivains (1).
Nous ne croyons nullement avoir à réfuter une opi-
nion si absurde et qui suppose une si profonde igno-
rance de l'histoire ; mais il nous paraît indispensable de
rappeler les principaux antécédents religieux d'une ville
où des préventions aussi singulières existent encore, et
où elles ont causé en d'autres temps les plus grands mal-
heurs. C'est, d'ailleurs, une histoire tout exceptionnelle que
celle d'une ville française, contre laquelle trois croisades
ont été non-seulement prêchées, mais exécutées, et qui a
vu naître dans son sein les confréries de pénitents et l'in-
quisition elle-même. Il est impossible de juger l'état
des esprits à Toulouse avant la Révolution française,
des Fi/rénécs an cinquième siècle, par Napoléon Peyrat, i \ol. iu- 1 2.
— m. Histoire et Doctrine des Cathares ou Albigeois, par M. Cli.
Sclimidl, 2 vol. 8°. — IV. Les Toulousaines, par Court de Gé-
belin, i vol. in- 12. — V. Histoire de Toulouse, par d'Aldeguier,
4 vol. 8°. — VI. Histoire des Institutions religieuses, j)olitiques,
judiciaires et littéraires de la ville de Toulouse, par le chevalier du
Mège, 4 vol. 8°. — VII. Histoire du Languedoc, par Dom Claude de
Vie et Dom Vayssette, continuée par le chevalier du Mège, lO
vol. 8°. — VllI. Biograpliie Toulousaine, par une société de gens
de lettres, 2 vol. 8°.
(i) Voir notre chapitre XIV, Histoire de VOjjinian publique en
France au sujet des Calas.
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 3
d'après les sentiments et les idées qui régnaient ail-
leurs.
Cette capitale du Languedoc fut de très-bonne heure et
par excellence, une ville lettrée, spirituelle, savante, où
la pensée était indépendante, la parole hardie, la chan-
son souvent caustique et incisive (1).
On ne saurait dire quand a commencé, dans ses murs,
la lutte des croyances. La France méridionale a toujours
été un foyer d'opposition au catholicisme, un champ de
bataille où l'hérésie et l'orthodoxie de Rome n'ont jamais
cessé d'être en présence. L'antique civilisation gréco-ro-
maine y avait de profondes mcines(2), dont les derniers
vestiges ne sont pas encore effacés. Quand l'autorité du
clergé catholique, acceptée par la race germaine, s'établit
en France, elle trouva, dans le Midi, l'esprit public, beau-
coup plus éclairé et plus vivant que dans le Nord, très-
peu disposé à subir le joug, et toujours enclin à s'en
affranchir. Aussi, toute une série de sectes sans cesse re-
naissantes 5^ parut successivement.
On a remarqué que Vigilance, ce prêtre du cinquième
siècle qui peut être considéré comme le premier des
Réformateurs, et qui s'éleva contre les honneurs exces-
sifs rendus aux saints et aux reliques, contre le célibat
et les jeûnes, était né à Galagoris ou Galigurris dans
(i)Dans deux de ses ouvrages, Augustin Thierry a constaté la
prééminence intellectuelle où s'était élevée cette ville dès l'époque
romaine et qu'elle sut augmenter sous les Yisigoths : « Toulouse, avec
ses consuls auxquels on donnait vulgairement le nom plus ancien
de Capituuls, fut l'une des cités municipales qui eurent le plus de
grandeur et d'éclat. » (Tableau, de Vancienne France municipale.)
« La cour des rois Yisigoths à Toulouse, centre de la politique
de tout l'Occident, intermédiaire entre la Cour impériale elles royau-
mes germaniques, égalait en politesse et surpassait peut-être en di-
gnité celle de Constantiuople. » {Lettres sur V Histoire de France, 1. 6.)
(2) Martial, Ausone, Sidoine Apollinaire la désignent comme la
cité PaUadienne. Saint Jérôme l'appelle la Rome de la Garonne.
U COUP d'oeil
le pays de Cominges, près de Cazères (Haute -Garonne.)
O crime, s'écrie saint Jérôme dans ses lettres contre
Vigilance, des Evêques sont les complices de sa scélératesse !
C'est surtout l'Evêque de Toulouse, Exsupère, qu'il atta-
quait ainsi ; ce fut lui qu'il accusa ailleurs d'acquiescer
aux fureurs de ce prêtre dans son propre diocèse (1). Ces
vives agressions, il faut le dire, eurent un plein succès.
Exsupère se prononça contre Vigilance et ses réformes ;
il fut canonisé après sa mort, et ses reliques, jointes à
celles de saint Sernin, sont peut-être aujourd'hui celles
que Toulouse entoure de la plus profonde vénération.
Deux siècles plus tard, Sérénus, évêque de Marseille,
brisa les images que le peuple adorait. Au cinquième et au
sixième siècle, l'Arianisme fut dans l'Aquitaine, la religion
dominante et ne cessa de prévaloir dans la Narbonnaise,
même après la conversion au catholicisme du roi Réca-
rède. Toulouse devint ensuite le foyer principal de l'héré-
sie Cathare ou Manichéenne, qui reçut dans le midi de la
Franco son nom géographique d'Albigeoise. Vers 1022, plu-
sieurs adeptes de cette doctrine y furent punis du dernier
supplice ; ainsi commença cette longue liste d'hérétiques
mis à mort dans Toulouse, qui ne fut close qu'au bout de
sept siècles et demi, en l'année 1762, par le nom de cinq
victimes dont la dernière fut Jean Calas.
Au douzième siècle, les prédications anti-catholiques
de Pierre de Bruis et de son disciple Henri eurent un
grand succès dans le pays environnant, sinon dans la
ville même, où prévalait le Catharisme, et fondèrent une
secte qui, sans tomber dans les erreurs dualistes des Ca-
thares, attaquait l'Eglise romaine au nom de la Bible
seule. Saint Bernard a raconté lui-même que, venant
en 11/|7 avec le cardinal d'Ostie, légat d'Eugène H I, com-
battre ces sectes, il trouva hostiles i\ l'Eglise un certain
(0 -'^^l Riparium.
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 5
nombre de seigneurs qui n'appartenaient à aucune
d'entre elles, et Alphonse, comte de Toulouse, â leur tête.
Bientôt s'organisa dans cette ville riche et puissante
une véritable révolte contre Uorae (1). Des bourgeois, arri-
vés à l'opulence par le commerce et l'industrie, riva-
lisaient avec les seigneurs, étaient poètes comme eux, et
comme eux se faisaient bâtir, dans l'intérieur de la cité,
des châteaux flanqués de tours. Lorsque, vers 1170, naquit
à Lyon l'Eglise vaudoise, elle se propagea rapidement
dans le midi de la France et attira ceux que choquait le
dualisme oriental des Albigeois. Déjà, en 1163, les Héré-
llques de Toulouse préoccupaient très-sérieusement le
concile de Tours. Un peu plus tard, Pierre Morand, l'un
des principaux bourgeois de la ville, tenait dans sa mai-
son ou plutôt dans son chàteau-fort des réunions de
culte, et le peuple enthousiaste le surnommait Jean CE-
vangéiisle.
En 1177, le comte Raymond V se déclara pour l'Eglise
Uomaine et demanda des secours contre l'hérésie au
pape, aux rois de France et d'Angleterre. La lutte s'établit
entre le comte de Toulouse et le vicomte de Eéziers,
et, en 1181, le cardinal Henri, évêque d'Albano, prêcha une
première croisade, non en Terre-Sainte, mais dans l'inté-
rieur de la France, non contre d'infidèles Sarrasins, mais
contre des hérétiques français et chrétiens. «Le centre de
l'Église catharedans le Midi était Toulouse, «dit le dernier
(i) Il suffit de citer, comme exemple des poésies anti-romoines
qu'on cliantail en Languedoc, un Sirvente du troubadour Guillaume
de ligueras, cité dans le Cours de M. Villemain sur la Littérature du
Moyen Aje (VI* leçon). C'est une longue imprécation en vingt stro-
phes, de douze vers chacune, dont dix-huit commencent par le mol
Koma. Les fameux sonnets de Pétrarque n'offrent ni plus de violence
dans l'invective, ni une haine plus méprisante, ni des accusations
plus terribles d'irréligion et d'immoralité.
1.
6 COUP d'obil
historien de cette église, M. le professeur Ch. Schmidt de
Strasbourg. Le comte Raymond VI devint, non pas comme
son père, un des persécuteurs, mais au contraire un des
chefs delà secte. En 1208, Innocent III fit prêcher la se-
conde croisade; Simon de Montfortla commandait, et bien-
tôt Toulouse fut mise en interdit. En 12 13, les prélats assem-
blés en concile à Lavaur écrivaient au Pape : « Si la perfide
ville de Toulouse n'est pas retranchée de l'hydre de l'hé-
résie dont elle est le membre le plus putride, il est à
craindre que le venin du monstre n'infecte de nouveau
les lieux circonvoisins déjà purifiés... Nous vous prions
donc en toute humilité que cette cité perverse, dont les
crimes égalent ceux de Sodome et de Gomorrhe, soit radi-
calement exterminée, comme elle le mérite {débita cxter-
minio radicibus cjoplantctur) , avec toutes les ordures et les
souillures qui se sont accumulées sous le ventre gonflé de
venin de la vipère. »
La ville se rendit en 121Zi. Cependant l'année suivante,
Philippe-Auguste envoya son fils Louis avec une armée
contre « les restes des hérétiques toulousains. » Le pape,
au concile de Latran, où Raymond VI et son fils se pré-
sentèrent en personne (1215), donna à Simon deMontfort
leurs fiefs, la ville et le comté de Toulouse, le duché de
Narbonne, les vicomtes de Garcassonne et de Béziers. Un
tel acte ne pouvait être que le signal d'une nouvelle
guerre ; en 1216, Toulouse, assiégée et incendiée par Si-
mon, délivrée par Raymond VI, assiégée de nouveau, res-
pira un instant à la mort de Montfort, qui fut tué sous ses
murs. Elle se vit encore assiégée quarante-cinq jours, mais
inutilement, parle prince Louisqui, plus tard, devenu roi,
fit proclamer à Paris, en parlement, une troisième croisade
(122G). Saint Antoine de Padoue, venu pour convertir
les hérétiques, en fit brûler un grand nombre; enfin, en
1229, le comte Raymond VII fit amende honorable à Notre-
Dame de Paris et Toulouse se rendit.
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 7
Ainsi finit la croisade. Elle eut des résultats politiques
importants, mais manqua son but. « L'hérésie, dit
« M. Cil. Schmidt, subsista dans le Languedoc aussi
« puissante, aussi fortement enracinée dans l'esprit du
« peuple, » et il ajoute avec raison que « l'indignation pro-
duite par les horreurs de la guerre, la ruine du pays
l'anéantissement de l'indépendance nationale et reli-
gieuse, la destruction de la vie joyeuse et poétique
du Midi et de ses traditions chevaleresques, cette indi-
gnation amère et profonde, communiqua à l'hérésie de
nouvelles forces. »
Les bourgeois et les Capitouls, leurs chefs électifs,
restèrent hérétiques de cœur.
Nulle part cependant le catholicisme ne s'organisa plus
vigoureusement pour la lutte défensive et offensive. Pen-
dant l'époque des croisades, Toulouse avait vu naître les
confréries de pénitents. Ce fut entre les années 1209 et
1212 qu'un intime ami de saint Dominique, le fameux
troubadour Foulques de Marseille, devenu moine, puis
Evêque de Toulouse, créa la première de ces associations
qui ne furent imitées en Italie par saint Bonaventure
qu'en 1270. Nous trouverons quatre de ces confréries
àToulouse, au moment de la catastrophe des Calas, et
nous verrons la plus ancienne de toutes y prendre une
grande et funeste part. Cette institution qui eut un
instant, pendant la Ligue, une action redoutable sur l'es-
prit public en France, existe encore en Italie, et ses
membres y sont vulgairement appelés Sacconl, du sac où
ils s'enveloppent. On sait que les pénitents sont des laïques,
soumis à une organisation et une discipline qui ont quel-
que chose de militaire. Chaque confrérie a ses chefs, son
lieu de réunion, sa bannière et son costume. Ce que ce
costume a de plus remarquable, c'est la cagoule, percée
de deux trous pour les yeux, qui enveloppe toute la tête
et teur permet de tout voir sans être vus et reconnus de
8 COUP d'oeil
personne. Il ne faut pas oublier que leur fondateur les
avait armés d'une sorte de sabre ou coutelas porté en
bandoulière par-dessus le sac et destiné à la guerre sainte
contre les hérétiques. Il fallut renoncer plus tard à ces
armes, trop dangereuses entre des mains invisibles.
Toute redoutable que fût cette institution, elle ne parut
nullement suffire à consolider le catholicisme et à extir-
per l'hérésie.
Dès 1212, saint Dominique, établi à Toulouse avec ses
premiers compagnons, y avait jeté les fondements de son
Ordre des frères Prêcheurs, qui, au moment de sa mort,
arrivée en 1221, comptait déjà plus de 60 couvents, et qui
en 1233, fut chargé par le pape Grégoire IX du Saint-
Office de l'Inquisition (1).
Raymond VII fut un prince sans énergie; il laissa l'in-
quisition brûler vifs les Cathares, et même exhumer des
cadavres d'hérétiques pour les jeter sur le bûcher. Tan-
(i) Saint Louis protégea ce tribunal, qui fut confirmé par Phi-
lippe le Hardi, lors de la réunion du comté de Toulouse à la cou-
ronne, et par Philippe le Bel en 130 3.
En 1 3 3 1 , le Parlement conféra le titre de Cour Royale au tri-
bunaldu Saint-Office de Toulouse, et depuis, le chef de ce corps porta
le nom d'Inquisiteur en tout le royaume de France, spécialement dé-
puté par le Saint-Siège apostolique et par l'autorité Royale. Char-
les VII lui donna de plus le titre de Conseiller du Roi.
Les rois et les gouverneurs du Languedoc n'entraient pas dans
la ville sans prêter entre les mains de ce redoutable personnage le
serment de conserver la foietrinquisilion. Ce fut, selon les temps, le
provincial des dominicains ou leur général, ou le pape lui-même, qui
élut cet inquisiteur. Depuis le seizième siècle, ce furent les moines
de Saint-Dominique qui le nommèrent à la pluralité des voix, mais
déjà son autorité avait reçu quelques atteintes. L'élection dut être
confirmée par le roi et enregistrée au Parlement. On soumit l'inqui-
siteur à l'appel comme d'abus deVant le Parlement, lorsque celte cour
siégea définitivement à Toulouse; on lui donna même des adjoints
choisis dans ce corps. Quoique confirmé encore par François V en
15 40, son pouvoir ne cessa de décliner. Enfin, un archevêque de Tou-
louse, Charles de Monlchal, jaloux d'une juridiction étrangère à la
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 9
tôt, vivement sollicité par les Gapitouls et intimidé par
le peuple, il chassait les inquisiteurs ; tantôt, réprimandé
par le Pape, il leur abandonnait la ville. En 12Zi2, six
d'entre eux y furent assassinés. Les Dominicains eux-mê-
mes demandèrent alors à Innocent IV d'être déchar-
gés de leur office. Il refusa. Le château de Montégut
était l'asile des Albigeois ; Raymond le prit, et les inqui-
siteurs brûlèrent vifs, sans procès, deux cents prison-
niers. Dès lors le triomphe du catholicisme fut assuré,
quoiqu'il ait mis encore un demi-siècle à s'affermir. Après
Piaymond, son gendre Alphonse de France devint comte
de Toulouse, et l'antique nationahté, à la fois romaine et
hérétique du Midi, s'affaiblit peu à peu. Réuni plus tard à
la couronne de France, le comté de Toulouse fut en proie,
depuis ce moment, à des persécutions plus soutenues.
Une recrudescence du Gatharisme à la fin du douzième
siècle eut le sort qu'on pouvait en attendre. Philippe le
Bel vint à Toulouse en 130Zi pour en triompher.
Mais l'ennemi vaincu ne faisait que changer de nature.
Les Vaudois se multipliaient de plus en plus, et ce fut
sienne, la fit abolir par arrêt du conseil sous le règne de Louis XIV
en 1645.
Alalgré celle abolition, le titre d'Inquisiteur, désormais sans au-
torité, mais non sans prestige, subsista à Toulouse jusqu'en 17 06.
C'était encore la Congrégation du Saint-Office qui nommait et le
roi confirmait son choix. Le père Antoine Massoulié fut le dernier
à porter le titre d'inquisiteur , mais on montre encore la maison
où siégeait le tribunal et qui avait élé donnée à saint Dominique pour
y établir son ordre. Cette maison est actuellement la propriété et la
demeure des jésuites. Elle portait ces deux inscriptions : Domusin-
qnisitionis. — Unus Deus, una fîdes. Au-dessus de la porte étaient
peints à fresque, à droite et à gauche d'un crucifix, les deux princi-
paux saints de l'Ordre, le fondateur et saint Pierre martyr. (On peut
consulter sur cet inquisiteur mes Lettres sur les Beaux- Jrts en Ita-
lie, p. 12). Toute celle décoration est détruite, mais ou envoit encore
les traces. M. du Mège en adonné une représentation à peu près exacte
dans son Hiitolrc des Iiislitutions de Toulouse, t. 4, p. 4 80.
10 cour d'oeil
contre eux que les fils de Dominique luttèrent pendant
deux siècles.
Enfin arriva la Réformation. Un des premiers martyrs
protestants de France fut Jean de Caturce, licencié en
droit, brûlé vif à Toulouse. Pendant trente ans, un grand
nombre de huguenots y furent mis à mort, sans que l'E-
glise Réformée cessât de s'accroître; le parlement, le
clergé et une partie de la population sévissaient en toute
occasion, mais en vain. L'édit de janvier interrompit
ces persécutions et autorisa le culte réformé; quel-
ques-uns des Gapitouls en charge à ce moment étaient
favorables au protestantisme. Ils firent bâtir, en dehors
de la porte de Villeneuve, un temple qui pouvait contenir
huit mille personnes et qui se trouva encore trop petit.
Cette tolérance publique irrita d'autant plus les adver-
saires de la Réforme.
En 1562, dix ans avant la Saint-Barthélémy parisienne,
Toulouse eut la sienne (1). Des protestants ensevelissaient
une femme ; quelques catholiques prétendirent qu'elle
était de leur Eglise, attaquèrent le cortège funèbre et s'em-
parèrent du cadavre. Une rixe violente eut lieu. Un prêtre
sonna le tocsin. La population catholique se jeta sur les
réformés, beaucoup moins nombreux, et la grande majo-
rité du Parlement prit hautement parti contre eux. Il fit le
tour delà ville, en robes rouges, ordonnant aux catholiques,
de la part du roi, de courre sus aux réformés, les enga-
geant i\ adopter une croix blanche comme signe de rallie-
ment et à marquer leurs maisons. Ainsi organisée, la guerre
civile devint affreuse ; les protestants se retranchèrent
dans l'hôtel de ville, où ils avaient quelques pièces de ca-
non; pour les en déloger, on mit le feu aux maisons con-
tiguës, et le Parlement défendit sous peine de mort d'é-
(i) On verra plus lard que le second anniversaire séculaire de ce
massacre coïncida avec les malheurs des Calas, el eut sur leur sorl
une fatale influence.
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 11
teindre Fincendie ; mais les assiégés abattirent à coups de
canon ces maisons enflammées. Alors Fourquevaux, gou-
verneur de Narbonne, fut envoyé, l'olivier à la main, leur
proposer deux articles de paix : ils sortiraient tous de
l'hôtel de ville, en y laissant leurs armes et munitions, et,
à cette condition, ils se retireraient en liberté où bon leur
semblerait. Ne pouvant tenir plus longtemps dans leur
asile, ils se résignèrent à prendre ce parti, et le jour de
Pentecôte, ils sortirent tous, sans armes, pendant l'heure
des vêpres, espérant éviter ainsi la fureur du peuple ,
qui déjà avait massacré tous ceux des protestants qu'il
avait pu saisir. Mais leur retraite ne pouvait être ignorée.
Des cris menaçants éclatèrent de tous côtés ; la foule
qui remplissait les églises en sortit précipitamment et
massacra sans pitié les huguenots désarmés. Les his-
toriens portent de trois à cinq mille le nombre des vic-
times.
Loin de sévir contre les assassins, le Parlement fit met-
tre à mort ceux qui leur avaient échappé. Le cruel Mont-
luc arriva à temps pour en voir quelque chose, et dit dans
ses Mémoires (t. 2, p. 73) : « Je ne vis jamais tant de têtes
voler. » Le parlement s'épura lui-même en destituant vingt-
deux conseillers suspects, et ce fut à grand'peine que le
premier président de Masencal, soupçonné de tolérance,
garda sa charge. Par le même motif, tous les Gapitouls de
l'année 1562 furent déposés, leurs enfants dégradés de
noblesse, leurs biens confisqués, et cet arrêt inscrit sur
une plaque de marbre au Capitole. Ce massacre délivra
Toulouse de l'hérésie qui depuis ce moment, sans être
entièrement extirpée, n'y subsista plus qu'à l'état de
minorité très-faible, toujours persécutée et détestée.
Alors seulement le catholicisme fut définitivement
triomphant dans cette cité, si longtemps et si opiniâtre-
ment hérétique. Les rares protestants de Toulouse, quand
ils osèrent y reparaître, se trouvèrent seuls héritiers de
12 COUP d'oeil
toutes les haines accumulées contre ces Ariens, ces Catha-
res, ces Albigeois, ces Vaudois, ces Huguenots, qui avaient
si longtemps rempli le pays de leur hérésie bonne ou
mauvaise, contre lesquels n'avaient suffi ni trois croisa-
des, ni les pénitents, ni l'inquisition , et qu'avait détruits
enfin le seul remède qui puisse prévaloir contre une foi
religieuse, l'extermination. Aussi le Parlement institua à
perpétuité une fête annuelle dite de la Délivrance, qui
avait lieu le 17 mai, anniversaire du massacre. Il décida
que les arrêts qu'il venait de rendre seraient lus au
peuple chaque année, et que des processions auraient
lieu ensuite pour rendre grâces à Dieu. En 156/j, on
obtint du Pape Pie IV une bulle par laquelle il autorisa
cette solennité religieuse, qui devait durer deux jours,
et y attacha des indulgences et des bénédictions spé-
ciales (1).
Dès lors, la procession annuelle, où les quatre confré-
ries ne manquaient pas de figurer avec leurs bannières,
ainsi que toutes les autorités et tous les corps de métier,
réchauffa périodiquement la haine populaire contre les
protestants. Les châsses de quarante saints étaient portées
en grande pompe des cryptes de Saint-Sernin à la cathé-
drale (2). Les huit Capitouls, en robes d'écarlate à chape-
rons d'hermine, portaient le dais du Saint-Sacrement,
précédés de leurs quatre assesseurs, tenant des cierges
( 1 ) Vollaire appelle celle fêle la procession annuelle où Von
remercie Dieu de quatre mille assassinats. (A ArgenldA y lO déc. 17 67.)
(2) C'est, dit-on, au culle rendu à ces reliques célèbres que Tou-
louse dut le surnom de la Sainte qu'elle a longtemps porte.
Aussi, les fameuses cryptes ou martyria où l'on conserve les corps
saints, ont reçu les deux inscriptions suivantes :
Iltc sunt vigiles (jui custodiunt tirbeyn.
u Ici sont les gardiens qui veillent sur la ville. »
Non est in toto sanctior orbelocta.
Voici comment celle dernière a été traduite pat* un poêle
SUR l'histoire religieuse de TOULOUSE. 13
t\ la main. Dès le 18 juin de la même année, et depuis à
maintes reprises, mais toujours en vain, le gouverne-
ment interdit cette fête cruelle.
La Révocation de Fédit de Nantes fut reçue à Toulouse
avec enthousiasme, et réveilla le souvenir néfaste du mas-
sacre.
A cette époque, l'administration municipale fit orner
riiôtel-de-ville de peintures à fresque par Pierre Rivais.
Une de ces fresques rappelait la Révocation de Tédit de
Nantes : Louis XIV y tenait d'une main Fépée nue, de
l'autre le crucifix. A ses côtés, des soldats démolissaient
des temples et plantaient la croix sur leurs ruines. Au
fond, d'autres soldats forçaient des protestants à s'age-
nouiller devant des images.
Le second tableau représentait le massacre de 1562.
On y voyait des protestants sans armes, arrêtés avec
leurs femmes et leurs enfants aux portes de la ville, au
moment où ils fuyaient, et assassinés par des soldats et
des bourgeois. Quelques-uns étaient précipités du haut
des remparts. Des femmes, portant leurs enfants dans
leurs bras, imploraient en vain les meurtriers (1).
de la ville, Goudelin, lors de l'entrée de Louis XIII à Toulouse :
De l'hérésie en vain gronde l'affreux tonnerre,
Et Tolose vous dit avec la vérité :
Sire, il n'est point de lieu plus sacré sur la terre.
11 existe encore, dans celle même église de Saint-Scrnin, etj'y aivu
un monument ignoble des haines ecclésiastiques. Sous une des stalles
en bois sculpté qui entourent le chœur, est une image qu'on ne peut
voir qu'en relevant le siège, comme le font les chanoines lorsqu'ils
chantent debout. On y a représenté quelques personnages groupés
devant une chaire qu'occupe un pourceau, et au-dessous sont
sculptés ces mots :
CALVIN
PORC rr.ESCIIANT,
(0 Ces fresques onl disparu avec les murs qu'elles décoi-iiienl. De-
2
IZi COUP d'oeil
En 1762, on prépara toutes choses pour célébrer, avec
une pompe inusitée, le second anniversaire séculaire du
massacre des huguenots. Les Gapitouls de cette année,
dans leur compte rendu annuel, s'expriment en ces ter-
mes : « Témoins et interprètes delà religion de tous les or-
dres de cette ville, nous avons tâché défaire célébrer avec
toute la magnificence possible l'année séculaire de la déli-
vrance. Notre premier soin a été, comme vous le savez,
Messieurs, d'imiter la piété de nos pères et de demander
à notre Saint-Père une bulle conforme à celle que Pie iV
avait accordée au corps de la ville (1). »
En effet. Clément Xtll, par une bulle expresse, renou-
vela et étendit à huit jours entiers les privilèges reli-
gieux, accordés par Pie IV pour deux jours seulement.
Les réjouissances publiques furent magnifiques. Un feu
d'artifice fort admiré termina la fête. On voyait au som-
met du principal décor, une figure de la Religion tenant
la croix d'une main, et de l'autre un calice surmonté de
l'hostie.
Un luxe jusque-là inouï distingua la procession sécu-
laire ; des étoffes de soie et d'or avaient été depuis long-
temps commandées à Lyon pour orner les reposoirs et
revêtir les officiants.
Au milieu d'une population si passionnée, dans une
ville où les guerres civiles avaient laissé de si vivants
souvenirs et dont les magistrats se faisaient une gloire de
la persécution, ces manifestations d'une joie cruelle, ces
puis, on en eut honte. M. du Mège après avoir vaguement et rapi-
dement décrit la plus importante, celle du massacre de 1562, con-
teste l'existence de la première, ou du moins prétend qu'elle n'était
pas à l'Hôtel-de-Ville. Nous croyons qu'il a tort ; mais ce qu'il
en dit lui-mèmj suffit. {Hist. des Inst., t. 4, p. 292.)
(i) Nous rendons volontiers aux Gapitouls ce témoignage qu'on
ne trouve dans la délibération citée plus haut aucune parole de
haine ou de provocation contre les protestants.
SUR L HISTOIRE RELIGIEUSE DE TOULOUSE. 15
provocations à l'intolérance ne pouvaient rester sans ré-
sultats (1).
En effet, à Toulouse, Tannée 1762 fut occupée tout
entière par trois procès pour cause de religion, celui du
pasteur Uochette et des frères Grenier, exécutés en fé-
vrier, celui de Galas, roué le 10 mars, et enfin celui de
Sirven,qui n'échappa que par la fuite à la mort.
Jean Galas, sa femme, son fils, Lavaysse leur ami, et
la servante attendaient leur arrêt, tous cinq sous le
poids d'une accusation capitale, au moment où le Parle-
ment fit exécuter François Rocliette et les trois gentils-
hommes verriers qui avaient entrepris de l'arracher
aux cavaliers de la Maréchaussée. Le 19 février, sur la
place du Petit-Salin, le dernier des pasteurs martyrs, âgé
seulement de vingt-six ans, fut pendu portant sur la poi-
trine un écriteau avec ces mots : Ministre de la B. P. R. En
montant à l'échelle du gibet, 11 chanta le verset des mar-
tyrs liuguenots :
La voici, l'heureuse journée
Qui répond à notre désir !
Louons Dieu qui nous l'a donnée ;
Faisons-en tout noire plaisir.
Grand Dieu, c'est à toi que je crie;
Garde ton Oint, et le soutiens !
Grand Dieu, c'est toi seul que je prie :
Bénis ton peuple et le maintiens !
(f?. cxvni , 12.
Les trois gentilshommes furent décapités; le plus jeune
se couvrit le visage de ses deux mains pendant le sup-
( l) On a prétendu que cette coïncidence n'avait eu aucune in-
fluence sur les dispositions du peuple à l'égard de Calas, parce que
son supplice eut lieu le 10 mars, deux mois avant la procession.
Mais est-il possible de croire que cette attente d'une fête double-
16 COUP d'oeil
plice de ses frères; mais quand le bourreau vint à lui,
et lui offrit encore une fois la vie s'il voulait se con- j
vertir, il répondit tranquillement : Fais ton devoir, et mit "
sa tête sur le billot.
Ces exécutions où plusieurs protestants périssaient à la
fois n'avaient donc rien d'inoui à Toulouse. 11 faudra
s'en souvenir en royant cinq accusés se défendre contre
les soupçons de toute la ville, sous la plus odieuse des
imputations, celle d'un parricide inspiré par le fana-
tisme.
Toute cette longue guerre contre l'hérésie a laissé chez
ce [)euple, essentiellement partisan de la tradition et fier
de son passé, des impressions hostiles que rien n'a pu
changer; j'ai constaté la parfaite exactitude de ce mot d'un
biographe de Calas : « La majeure partie de ses conci-
toyens conservèrent toujours contre sa mémoire des pré-
ventions que le temps n'a pas effacées. (1) »
Il faut bien le reconnaître, depuis les cruautés atroces
de la croisade contre les Albigeois jusqu'au hideux mas-
sacre du général Ramel en 1815 par les Verdets, l'histoire- J
de Toulouse offre maint exemple du degré d'empor '
tement et de frénésie que peuvent atteindre les passions
religieuses ou politiques chez un peuple mobile, plein ,
d'imagination et d'ardeur. Voltaire n'a eu que trop raison .
de dire, avec toute la vivacité de son style : « Il semble
qu'il y ait dans le Languedoc une furie infernale, amenée
autrefois par les inquisiteurs à la suite de Simon de
Montfort ; et depuis ce temps, elle secoue quelquefois
son flambeau. »
ment séculaire, ces apprêts inusités, commandés un an à l'avance,
cl enfin les faveurs signalées du Saint-Siège, ne firent aucune im-
pression sur ce peuple ardent qui allait célébrer avec plus d'éclat
que jamais sa. délivrance de l'hérésie et le triomphe de son Eglise^
D'ailleurs les faits prouvent le contraire.
(0 Biographie Toulousaine,
SUR L HISTOIRE RELIGIEUSE DE TOULOUSE. 17
Hâtons-nous de le dire, malg-rc la persistance des pré-
jugés populaires, ce flambeau est éteint. Nous sommes
convaincu qu'il ne se rallumera jamais ; et c'est à re-
gret que nous avons dû rappeler des souvenirs néfastes,
Mais il nous a paru indispensable de montrer ce qu'était,
en 1762, l'esprit du peuple toulousain, avant de raconter
le drame sanglant où ce peuple a joué un grand rôle.
2.
CHAPITRE PREMIER.
L'ARRESTATION.
Civùim nrdor praia jubentiuvi.
(Hoj:. m, 3> 2.)
11 arrive quelquefois qu'un malheur imprévu fait tom-
ber ses victimes, en un seul instant, de la plus paisible sé-
curité dans un long enchaînement de douleurs et de pé-
rils. Plus tard il paraît étrange de se rappeler, après tant
de maux, l'heureuse tranquillité de vie, les circonstan-
ces vulgaires et journalières, au n^lieu desquelles on a
20 l'arrestation.
été frappé. On a quelque peine à se persuader que des
instants si calmes, si doux, aient précédé immédiatement
des temps si cruels ; il est triste, il est presque etTrayaut
de songer qu'au moment où l'on y touchait, rien encore
ne les faisait pressentir.
C'est sous cette impression involontaire que se trouvent
ceux qui connaissent l'histoire de Galas et de sa famille,
lorsqu'ils remontent à la date funeste du 13 octo-
bre 1762.
Cette journée, qui commença tous leurs malheurs, al-
lait s'achever au milieu des occupations habituelles du
négoce. La boutique d'indiennes de Jean Calas fut fer-
mée ti l'heure accoutumée, celle du souper de la famille.
La Grand' Rue des Filettiers (1), alors la plus commer-
çante de Toulouse, ne cessa d'être animée par le mouve-
ment et les causeries des marchands et de leurs commis
occupés à tout mettre en ordre pour la nuit, ou assis en
plein air, devant leur porte , par groupes inégaux. Ce
(i) On écrit aujourd'hui F/^a^/ers. Les Calas liahitaient la maison
n° 16, qui porte aujourd'hui le n" 50. La gravure placée en tête de
ce chapitre est une réduction d'un dessin que fit faire en 1835 un
professeur de la Faculté des sciences de Toulouse, aujourd'hui mem-
hre de l'Institut et professeur à Paris. La maison, à celte époque,
était encore telle que les Calas l'avaient habitée. La boutique con-
tlguë à l'allée, et qui porte le nom de Lafond, était celle de Calas;
l'autre, celle du tailleur Bou. L'allée, fort longue, aboutit à une petite
cour, dont elle était séparée autrefois par une porte basse qui
n'existe plus. \\ suffît d'avoir vu les lieux pour comprendre qu'où
aurait dû visiter avec le plus grand soin celte allée et celle cour,
lorsqu'eut lieu l'arrestation des prévenus.
Aujourd'hui la façade de la maison a subi de grands changements :
à chaque étage une troisième fenêtre a été percée, dans rintcrvallc
des deux autres; le mur de briques soutenues par des soliveaux a été
enduit de plâtre; un pilastre aéléfiguréàchaqrie extrémité, au-dessus
de la frise qui surmonte les boutiques et qui est décorée aux deux
L*ARRESTATION. 21
soii'-là, il y avait nombreuse compagnie devant la])ou-
liqiie de la demoiselle Brandelac (1), k quelques pas de
celle des Galas. Plusieurs témoins passèrent devant la
maison sans y rien apercevoir d'extraordinaire, sans en-
tendre aucun bruit suspect. L'an d'eux (2) se promenant à
la fraîcheur du soir, se trouvait là k huit heures et demie,
puis à neuf heures et quart, et il atteste que tout était en-
core silencieux. Ce fut seulement h neuf heures et demie
ou peu après, qu'il entendit chez les Calas des cris de dé-
sespoir. Ces mêmes cris furent entendus par quatorze
personnes occupées dans les maisons voisines ou qui se
reposaient au dehors, et toutes s'accordent sur le
moment fatal, sinon sur les paroles qu'elles avaient pu
distinguer. La plupart déclarent que l'on criait : Ah!
mon Dieu ! et diflerent seulement sur ce qu'elles ouïrent
de plus. Au bruit, la servante de M"'® Calas, Jeanne
Viguier, ouvrit la fenêtre du premier étage, échan-
gea quelques questions avec d'autres femmes, rentra, et
bientôt reparut à la porte en criant : a C'en est fait! il est
mort (3)!)) ou plus exactement et en patois : Ah! moun
bouts d'un ornement en pomme de pin, le tout également en plâtre.
Les deux boutiques n'en font plus qu'une.
II ne reste de l'ancienne façade qu'une seule chose, le dessus
(le la porte d'entrée. C'est, me dit-on, ce qu'on appelle en termes
de l'art, une archivolte en accolade jyédiculée. Cet ornement ver-
moulu est en bois d'une extrême vétusté et remonte à une époque
antérieure aux Galas, de plusieurs siècles. Immédiatement au-dessus
est sculpté un écusson qui porte en trois lettres gothiques le nom
du Christ : i i) ê (Jésus Hominum Salvator ou ^XxxiôiJhesus).
(1) Témoins Gourdin et D"* Marseillan.
(2) Le François. La déposition d'Arnaul Sortal confirme cette
dernière.
(3) Témoin : Marie Rey, servante de Ducassou.
22 l'arrestation.
Dioul Van tuât (1) ! Peud'instanls après, on vit sortir en
courant un jeune homme étranger à la maison, vêtu d'un
habit gris, portant veste et culottes rouges, un tricorne
bordé d'or et l'épée au côté. Un autre jeune homme, bien
connu du voisinage, Pierre, le troisième fds de M. Ca-
las, sortit aussi à deux reprises et revint d'abord avec
Gorsse, le garçon ou élève du chirurgien Gamoire, puis
avec M. Gazeing, négociant comme son père et leur plus
intime ami, puis enfin avec un homme de loi, le sieur
Glausade (2).
Les voisins accoururent de tous côtés. Avant l'arrivée
de Gorsse, un ami des jeunes Galas, Antoine Delpech,
fils d'un négociant catholique, entra dans la boutique :
lAIarc-Antoine, l'aîné des enfants de Galas, y était étendu
sans vie, la tête supportée par des ballots; son père, -ap-
puyé sur le comptoir (3), se désespérait. Par moments,
dit la servante dans sa déposition, « il se jetait partout, »
et sa mère (( moins éplorée {k) , ') penchée sur le ca-
davre, s'efl'orçait en vain de lui faire avaler un cordial
et en mouillait ses tempes. Delpech a déclaré qu'il crut
d'abord à un duel. Il pensa que Marc- Antoine, (( qui fai-
sait bien des armes, » avait eu alTaire avec quelqu'un.
((Je le tâtonnai, dit-il, sur l'estomac et autres parties
de son corps que je trouvai froides , mais sans blessu-
res (5). «Gorsse, l'élève chirurgien, survinten ce moment
(0 Témoin : Demoiselle Campagnac.
(2) Voir sur ces allées et venues les Mémoires de Lavayssc, cl la
déclaration de Pierre.
(8) Lettre de M"« Calas.
(4) Témoin: Brun.
(5) La déposition de Brun (12* témoin), qui était aussi entré dans
la n)aison, atteste le même fait.
l'arrestation. 23
et examina le corps; (( ayant porté la main sm* le cœur,
il le trouva , dit-il, froid sur toutes ses parties et sans
palpitation. ))
Ces témoignages, qui confirment ce que déclarèrent les
membres de la famille sont importants ; puisque tout le
cadavre et le cœur même étaient froids à neuf heures et
demie ou quelques minutes après, les cris que l'on venait
d'entendre k l'instant ne pouvaient être ceux du défunt;
personne n'ignore qu'il faut quelque temps pour qu'un
corps humain perde sa chaleur.
Du reste, Gorsse déclara que le défunt avait péri, pendu
ou étranglé.
Clausade (1) , l'homme de loi, voyant l'inutilité des se-
cours, conseilla à la famille d'avertir la police « pour
constater la mort de ce jeune homme et obtenir la per-
mission de le faire enterrer. » Lavaysse, le jeune homme
en habit gris, qui venait de rentrer, s'offrit encore pour
cette mission, et courut avec Clausade chercher M'Mo-
nier, assesseur des Capitouls, et leur greffier, Savanier.
Quand ils revinrent, unefoule agitée se pressait autour de
la maison ; quarante soldats du Guet en gardaient la porte,
et l'un des Capitouls, David de Beaudrigue, y était déjà.
L'assesseur et le greffier furent reconnus, et on les laissa
entrer ; mais Lavaysse qui les suivait fut repoussé par les
soldats; en vain il insista, disant qu'il était l'ami de la
maison et qu'il en venait. Il s'écria alors qu'il y avait
soupe le soir même. A ce mot, on comprit qu'il pouvait
être nécessaire de l'entendre ou même de s'assurer de
lui. Il entra, et, dès ce moment, son sort fut lié h celui
(0 Lav, 1 «l 3«
2U l'arrestation.
des Calas; il partagea pendant quatre années leurs an-
goisses, leurs humiliations et leurs dangers.
David de Beaudrigue avait été éveillé dans son premier
sommeil. Au premier mot que lui dirent deux personnes
du quartier qui l'avertirent chez lui, il accourut avec le
Guet, fit appeler un médecin et deux chirurgiens. Il
commença par faire arrêter Pierre Galas qui était resté au-
près du corps, attendant la police, tandis que ses pa-
rents s'étaient retirés dans leur chambre, à l'étage su-
périeur.
Pendant ce temps la foule qui se pressait aux portes se
livrait à d'ardents commentaires sur cette sinistre énigme :
des cris confus entendus de tout le quartier et le corps ina-
nimé d'un jeune homme de vingt-huit ans trouvé au milieu
des siens. Ges commentaires, loin d'être charitables, s'en-
flammaient de toute la chaleur des haines de religion en-
core si vivaces à cette époque dans tout le Midi, et h
Toulouse plus que partout ailleurs. Les Galas étaient pro-
testants, et bien connus pour tels ; une mort si imprévue
et si étrange arrivée au milieu d'eux devait paraître un
crime à ceux qui regardaient un protestant comme capa-
ble de tout; on n'hésita pas à croire, à dire qu'ils avaient
assassiné leur fils. Mais pourquoi? quel motif donner
il ce meurtre épouvantable, commis par un frère, un
père et une mère? Le fanatisme n'alla pas chercher
bien loin ses motifs ; il les trouva en lui-même : ces Hu-
guenots, s'écria-t-on, ont tué leur fils pour l'empêcher
de se faire catholique. Gette hideuse accusation fut lan-
cée du sein de la foule. On n'a jamais pu savoir par
quelle voix ni sur quelles preuves. Elle fut avidement re-
çue et répétée, devenant de plus en plus certaine, de bou-
che en bouche. Personne ne l'adopta plus vite ni plus com-
l'arrestation. 25
plétement que le Gapitoul David . Ce cri anonyme lui
parut la voix de la vérité. Ce soupçon fut pour lui un trait
de lumière (1).
David omit de décrire et ne prit pas môme la peine
d'examiner l'état des lieux, au lieu de faire visiter les
endroits de la maison où des assassins auraient pu se
cacher, comme le long corridor qui conduit de la rue
h la cour ; il oublia de constater si ceux qu'il accusait
d'avoir étranglé un jeune homme dans la force de l'âge
avaient les habits en désordre et les marques d'une
lutte sur leur personne ; il omit de s'assurer si l'on trou-
verait dans la chambre du prétendu martyr des livres
catholiques ou des objets de piété; il ne conserva pas
même les papiers trouvés dans les poches des vêtements
et qu'on déclara plus tard être des vers et chansons
obscènes. En un mot, sans accomplir une seule des
formalités que la loi exigeait, David monta k la cham-
bre de M. et de M™' Calas, leur ordonna de le suivre
à l'Hôtel-de- Ville, fit porter sur un brancard le corps
de Marc Antoine et son habit qu'on avait trouvé plié sur
le comptoir; et arrêta, avec les Calas, toutes les per-
sonnes qu'il trouva dans la maison, leur servante, le
jeune Lavaysse et Cazeing, leur ami, qui n'était arrivé
chez eux qu'à la nouvelle de la catastrophe. Un des dé-
( 1 ) Si David avait mieux connu les lois qu'il était chargé d'appliquer,
il aurait pu se souvenir de ce texte très-précis et plein de sagesse,
qui lui prescrivait une conduite tout opposée à celle qu'il a tenue :
FancB voces populi non siint audiendœ; nec enim vocibus eorum
credi opportet, quandô aut noxiutn crimine absolvi aut innocentem
condemnari desiderant. (L. 12. G. depœnis, lib. 9. tit. xxvn.) «Les
vains bruits de la foule ne doivent point être écoutés ; il ne faut
en croire les voix du peuple, ni quand elles veulent absoudre un
criminel, ni quand elles demandent la condamnation d'un inno-
cent, »
26 l'arrestation.
fenseurs de la famille Calas ( 1) releva plus tard le torl ir-
réparable que leur fit cette arrestation si précipitée.
Il est possible, disons mieux, il est probable qu'un exa-
men attentif des lieux eût prouvé immédiatement le sui-
cide. Les preuves les plus évidentes ont été perdues
sans ressource. L'arrestation d'ailleurs était illégale.
Elle ne pouvait avoir lieu sans mandat qu'en cas de fla-
grant délit ou de clameur publique. Ce dernier mot ne
signifiait nullement l'opinion du premier venu sur les
causes d'un décès, mais le cas où l'on crie dans la rue
après quelqu'un qui s'enfuit. Il n'y avait rien de pareil
dans l'espèce.
Bien loin d'imaginer le sort qui les attendait, les pa-
rents du défunt, absorbés dans leur deuil, croyaient être
conduits k l'Hôtel-de- Ville pour rendre compte des cir-
constances d'un suicide. Pierre Calas eut soin de mettre
une chandelle allumée dans le corridor pour retrouver
de la lumière quand ils reviendraient se coucher ; mais
David, en souriant de sa simplicité, fit éteindre le flam-
beau, et leur dit qu'//5 n'y reviendraient pas de sitôt (2).
Us n'y sont jamais revenus. C'était ce qu'il voulait dire.
(j) Voici ce qu'écrivit à ce sujet un magistrat plein de sagesse et
d'autorité, M. de La Salle, conseiller au Parlement de Toulouse :
« Le moins que les accusés puissent prétendre lorsque, comme
dans ce cas, le juge a négligé de vérifier les faits qui pourraient ser-
vir à leur justification, c'est que tous ces faits soient regardés comme
constatés ; car serait-il juste que la mauvaise disposition, l'impérilie
ou la négligence du juge leur ravît leur défense naturelle? Or, si l'on
regarde comme constants les faits que les Capitouls négligèrent de
vérifier et dont la vérification n'est plus possible, il en résultera un
corps de preuve, une démonstration supérieure à tout ce qu'il
pourrait y avoir de contraire dans l'informalion, que M.-A. Calas n'a
pas été mis à mort par ses parents, «
(2) Décl. de P. C.
l'arrestation. 27
C/psl comme accusés dumemire de leur fds, de leur
frère, qu'il les arrêtait, enveloppant dans le même soup-
çon, sans aucune preuve, la servante, Lavaysse et Gazeing.
A l'égard de ce dernier, il y a même dans l'informe
procès-verbal du Gapitoul (1) un trait caractéristique :
(( Nous avons fait conduire à V hôtel de ville les S'" Ca-
las père et fils, la Derd^^ Calas mère (2), la file de ser-
vice diidit Calas, le sieur Lavaise et un espèce d'abbé, qui
se sont trouvés dans lamaison. n C'est Gazeing qu'il dé-
signe comme m?i espèce d'abbé. Pourquoi? Gazeing était un
fabricant d' étoiles dites mignonnettes, qui employait plu-
sieurs centaines d'ouvriers ou d'ouvrières ; ce n'était
nullement un inconnu. On a prétendu plus tard (3) que
David lui-même le connaissait bien, mais voulut le faire
])asser pour un ministredu Saint-Evangile, instigateur ou
auteur du meurtre, et cette idée s'accorderait avec ce que
pensaient et disaient alors au sujet des pasteurs protes-
tants les catholiques exagérés de Toulouse (k) . H nous sem-
ble cependantassez probable que David, ici comme en bien
d'autres cas, a été coupable d'une précipitation insensée
plutôt que de mauvaise foi. Il fallait pousser bien loin la
violence et la légèreté pour traîner un homme à tra-
vers les rues comme accusé d'un assassinat aussi horri-
ble, sans même lui avoir demandé son nom, et pour dé-
(i) Voii- le texte de ce procès-verbal, note i", à la lin du volume.
(2) Rappelons une fois pour toutes que jusqu'à la Révolution le
nom de Madame était réservé aux femmes des nobles, et qu'une
bourgeoise, même mariée, n'avait droit qu'au titre de demoiselle.
(3)E. de B. 2.
(4) Voir plus bas la lettre du Président du Puget à M, de Saint-
Florentin. (Corr. de S'-Fl. Lettre 17), et dans notre chapitre mv,
les citations que le chevalier du Mège emprunte à l'abbé Majfi.
28 l'arrestation.
signer ensuite sur un acte légal un manufacturier par
cette singulière épithète, un espèce d'abbé. En vain un
collègue de David, le Capitoul Liste Bribes, arrivé sur ces
entrefaites, l'engageait à être plus calme et h procéder
avec une rigueur moins impatiente : Je prends tout sur
moi, répondit-il. — Cest ici, disait-il k tout moment,
la cause de la religion. Il est évident qu'une crédulité
passionnée et haineuse l'aveuglait.
Le funèbre cortège des magistrats et des accusés, en-
tourés de quarante gardes, et précédés par le cadavre
que l'on portait sur un brancard, traversa les rues pour
se rendre kl'Hôtel-de- Ville.
On doit sentir combien une arrestation opérée avec
lant d'éclat répandit au sein d'une population déjà
hostile, le bruit du meurtre imputé aux Calas. On les crut
non-seulement coupables, mais convaincus.
Nous citerons plus loin (ch. vu) la déposition d'une
femme, Barthélemye Arnaud, qui donne une idée des
propos tenus dans la foule sur le passage de ce cortège
lugubre; elle prouve l'effet que ce spectacle produisit
sur les esprits.
On déposa le corps au Capitole, dans la chambre de la
Gêne, c'est-ci-dire de la torture. Les accusés furent en-
fermés et interrogés séparément. Calas et son fils furent
mis dans des cachots sans fenêtres (1), les deux fem-
mes dans des prisons moins obscures ; on envoya La-
( 1 ) « Là existait encore il y a 3 0 ans (écrivait M. du Mége, en 1 8 4 6 )
une prison affreuse, et les cachots que l'on avait si bien nommés
rinfernet. C'est là que le Capitoul Maudinelli, le Viguier PorUil, le
fameux avocat Teronde et une foule d'autres personnes impliquées à
tort ou à raison dans la conspiration de 15 62, attendirent l'heure
du supplice. Ce fut là aussi que, dans le siècle dernier, Jean Calas
L ARRESTATION. 29
vaysse dans le logement de l'enseigne du Guet, nommé
Poisson.
Ce fut alors seulement, et dans l'Hôtel-de- Ville, que
David dressa son étrange procès-verbal, tandis que
la loi la plus formelle (1) et le simple bon sens lui
ordonnaient d'écrire sur place et sans désemparer.
C'est là aussi que fut rédigé le procès-verbal du médecin
Latour, et des chirurgiens Peyronnet et Lamarque qui,
après avoir prêté serment entre les mains de David,
examinèrent le corps de Marc- Antoine. Selon leur cer-
tificat qui a été publié (2) , le cadavre était a encore un
peu chaud, sans aucune blessure, mais avec une mar-
que livide au col, de l'étendue d'environ demi-pouce, en
forme de cercle qui se perdait sur le derrière dans les
cheveux, divisée en deux branches sur chaque côté du
col... ce qui nous a fait juger qu'il a été pendu encore
vivant par lui-même ou par d'autres. »
David ne laissa pas même de gardes sur les lieux, et
ne songea pas à saisir les instruments de mort par les-
quels Marc-Antoine avait péri (3).
lut jeté, accusé d'avoir fait donner la mort à son fils. » (Histoire des
Institutions de Toulouse, t. 4, p. 29 6.)
(1) Ordonnance de 167 0, ti* 4. art, i :
« Les juges dresseront, sur le champ et sans déplacer , procès-verbal
de l'état auquel seront trouvées les personnes blessées ou le corps
mort ; ensemble du lieu où le délit aura été commis, et de tout ce
qui peut servir pour la décharge ou la conviction, »
(2) A la suite du 3' Mémoire d'Elie de Beaumont.
(3) L'art 2, titre 4 de l'Ordonnance de 167 0 prescrivait aux juges
de faire transporter au greffe « les armes, meubles et bardes, qui
pourront servir à la preuve et feront ensuite partie du procès. »
Malgré cette loi, la corde et le billot qui avaient servi au suicide
ne furent portés au greffe que plus tard.
3.
30 l'arrestation.
Si les prévenus étaient innocents, on ne peut nier
qu'ils tombaient entre les mains d'un magistrat peu
éclairé, car David était plus qu'un officier de police
chargé de les arrêter, il était un de leurs juges.
CHAPITRE 11,
DAVID DE BEAUDRIGUE
ET LE CAPITOULAT.
«... Hodiè tamen ex aliis judicibus usurpatam, nesei»
quomodo jurididtonem prceter jus exercem communi
cerle nostrorum omnium, et quasi fatali malo. Nam
qui fieri potest ut lii jtis dicant, qui juris elementa nun-
quam cognoveruntP Creantnr ad id munus quotannis
octo viri ex quitus vix unum et alterum reperias, qui
non imperitus, expers rudisque sit, nullam juris scien-
tiam vel rerum experientiam habens,
CoRAs(l). [Op. f. 1603. t. II. p. 648.]
Aujourd'hui ils (les Capitouls) exercent, je ne sais
comment, une juridiction illégale usurpée sur d'autres
juges, au préjudice commun et pour ainsi dire
fatal de tous nos concitoyens. Car comment peut-il
se faii'e que ceux-là rendent la justice, qui n'en
ont jamais connu les éléments? Tous les ans on
crée Capitouls huit hommes parmi lesquels on en
trouverait a peine un ou deux qui ne soient incapa-
bles, ignorants, sans culture, n'ayant aucune scienc»
du droit ni même aucune expérience des choses.
Il nous semble nécessaire de faire connaître, avant
tout, ce personnage et l'autoritéqu'il exerçait à Toulouse.
(i) Ce célèbre jurisconsulle, né à Toulouse en i 5 13, devint pro-
testant et fut mis à mort comme tel en 1572, Nous n'avons pas be-
soin, sans doute, de faire remarquer que sa foi religieuse ne put
avoir d'influence sur l'opinion qu'il exprime, au sujet du capitoulat;
on sait d'ailleurs que, jusqu'au massacre de I56'i, celle dignité fui
souvent donnée à des huguenots.
32 DAVID DE BEAUDRIGUE
François - Raymond David de Beaudrigue n'était
point un scélérat, quoiqu'on l'ait représenté comme
tel sur bien des théâtres, en France, en Hollande et en
Allemagne (1). C'était un homme naturellement violent,
très-actif, ayant des talents réels, comme l'a dit Court de
Gebelin(2), a pour exercer la basse police qui n'exige
que de l'autorité, » Irès-habile (3) h prendre sur le fait,
avec une rapidité et une précision irrésistibles, les mai-
sons de jeux clandestines. Mais ses qualités même et
l'impétuosité de son caractère a qui l'embarquaient sans
réflexion dans les démarches les plus fausses » le rendaient
incapable des fonctions calmes et sereines de l'impassible
justice. C'était un de ces hommes dangereux qu'une police
habile sait utiliser en les dominant, mais à qui le sanc-
tuaire des lois devrait être rigoureusement interdit. Mal-
heureusement, àcetleépoque, ce n'étaient pas là deux do-
maines distincts, et le vague de ses attributions fournis-
sait au fougueux Capitoul mille occasions d'en dépasser
les limites. Il était gonflé de son importance au point de
s'attirer sans cesse des mortifications qu'il eût pu éviter
en se tenant k sa place. En voici un exemple assez sin-
gulier. Il trouva mauvais que les affiches de théâtre ne
portassent aucune mention des Capitouls, et fit ajouter,
au-dessous de l'autorisation d'usage, ces mots : Et par
permission de MM. les Capitouls, Là-dessus récla-
mation de ceux qui jusqu'alors avaient seuls brillé en
tête des affiches toulousaines ; conflit de pouvoirs ; dé-
(i)\o[v ians la. Bibliographie, les drames on tragédies indiqués
sous les n"' 58, 59,61, 63, 65, 66, 93, 101, 102,
(2) Les Toulousaincsï
(3) Histoire du Languedoc.
ET LE CAPITOULAT. 33
noncialion au minisire secrétaire d'Etat; et le tout finit
par une lettre de ce dernier où il blâme l'ambitieux
David, et met fm h l'orgueilleuse innovation qu'il s'était
permise (1).
Un autre esclandre où il paraît avoir eu l'avantage,
quoique évidemment il eut tort, précéda de peu l'affreuse
histoire des Galas. La Beaumelle (2) que David avait sur-
pris et arrêté dans une maison où l'on jouait (chez la
marquise de Fontenelles) , se défendit par de vives récla-
mations. David en fut blessé et se vengea par un affront
impardonnable. Il fit désarmer son adversaire en plein
jour dans la rue, comme n'étant pas noble et n'ayant
pas droit de porter l'épée. La Beaumelle prouva qu'il
avait reçu des lettres de noblesse en Danemark, où il
avait résidé quelques années. En tout cas, à cette époque
où une multitude de roturiers portaient l'épée sans même
avoir de prétexte à donner, l'acte brutal du Capitoul ne
valait pas mieux dans le fond que dans la forme.
J'ai cité à dessein ces deuxfaits, parcequ'ils sont com-
plètement étrangers aux Galas, et font connaître le plus
acharné de leurs ennemis sans préjuger en rien leur
procès.
Nous avons d'ailleurs, pour connaître David, deux
sortes de témoignages, également irrécusables, ses pro-
pres lettres au comte de Saint-Florentin (3), que nous
(1) Archives Impériales, — Dépôclies du Secrétariat.
(2) Bien connu par ses démêlés avec Voltaire, son édition des let-
tres de M""' de Mainlenon et beaucoup d'autres écrits, dont le der-
nier, publié par sa famille en 18 5 5, est une fie de Mauperiids.^oMS
aurons à raconter la part qu'il prit à l'affaire Calas, et qui est à peu
près ignorée.
(3)LouisPlielippeaux, comte de Saint-Florentin, né en I70 5,mort
34 DAVID DE BEAUDRIGUE
avons copiées sur les originaux aux Archives impéria-
les (1) et celles que lui écrivit le Ministre (2). Les pre-
mières décèlent en lui un zèle aveugle pour le service de
l'Etat, non sans un vif désird'en être récompensé, ce qu'il
demande sans cesse. Son fanatisme catholique est celui
d'un agent subalterne, aux yeux duquel désobéir au Roi
ou aux Gapitouls, ne pas croire au Pape ou blasphémer
contre Dieu, c'est commettre un seul et même péché,
le péché irrémissible de la rébellion. Un protestant pour
lui est un ennemi de l'Etat, de l'Eglise, de Dieu même,
et par conséquent un protestant est capable de tous les
crimes.
Sa présomption, sa parfaite satisfaction de lui-même,
éclatent dans une lettre où il rend compte de l'arrestation
que nous venons de raconter après lui. Il ne se contente
pas de faire preuve de zèle : « Je suis cette procédure avec
vigueur et je ne perds pas un moment pour y donner
toutes les suites qu'exige une affaire de pareille nature. »
Il se vante d'avoir jusque-là bien rempli sa charge, «quoi-
que le chef du Consistoire soit absent et que je le repré-
sente par ma charge ; néanmoins mon expérience ne m'a
pas laissé douter de procéder ainsi que je l'ay fait. »
Nous le verrons dans cette même correspondance se
en 1777, fut ministre cinquante-deux ans. Ses débauches, ses flat-
teries, sa conduite perfide et cruelle à l'égard des protestants qu'il
ne cessa de persécuter, sont les seuls traits caractéristiques de ce
ministre de Louis XV, plus véritablement roi que lui, et qui admi-
nistra la France pendant un demi-siècle avec un pouvoir à peu près
absolu. M. de Barante, dans la vie de Saint-Priest, a tracé un tableau
effrayant de ce qu'était l'administration française au XVIIl* siècle.
(i) Voir plus bas : Correspondance du comte de Sainl-lloren-
tin, lettres i, 8, 18, 16, 22.
(2) Ihid. lettres 6, 19.
ET LE CAPITOULAT. 35
plaindre au ministre de ce que ses collègues ne secon-
dent pas son zèle. On frémit en l'entendant promettre
de redoubler son zèle et son attention pour contenir le
bon 07'dre. On sait ce qu'il entend par là.
Quant aux lettres du Ministre, elles sont peut-être
plus significatives encore. Il écrit, le 25 octobre 1764, ^
l'intendant du Languedoc, M. de Saint-Priest :
« Il y a longtemps que je m'aperçois qu'en général le ca-
ractère trop entreprenant de ce Capitoul le porte à vouloir
s'emparer de toute l'autorité au préjudice de ses confrères. Je
lui écris pour lui en marquer tout mon mécontentement (1). »
Il s'agit non des Calas, mais d'une troisième affaire
oii David laissa percer les défauts de son caractère.
Il suffira d'en indiquer une quatrième qui fut la der-
nière ; il fut révoqué à l'occasion d'un fait qui donne
lieu encore à bien des difficultés dans tous les pays ca-
(1) Voici celle letlre qui porle dans la lable, à la fin d'un des vo-
lumes manuscrils des dépêches du Secrétariat, le lilre très-exact de
semonse ;
A M. DAVID DE BEAUDRIGUE
Même date.
« 11 me revient, M. depuis assez longtemps desplainles contre vous.
Je sais qu'elles sont fondées, que vous affectez en toute occasion
sur les autres Capitouls une supériorité que vous n'avez point, et
que vous cherchez à vous emparer seul d'une autorité qui vous est
commune avec eux. Vous venez d'en donner de nouvelles preuves
à l'occasion de la vacance de la place d'Enseigne du guet de la
ville, et je ne peux différer plus longtemps à vous marquer mon
mécontentement d'une pareille conduite. A l'égard de la nomina-
tion que vous avez faite du S' Bonneau fils, la Roi l'a entièrement
désapprouvée. S. M. a cassé la délibération qui la contient, et s'est
déterminée à nommer un autre sujet par une ordonnance que j'en-
voye à M. de St-Priest qui vous fera connaître les intentions de
S. M. à ce sujet. »
36 DAVID DE BEAUDRIGUE
tlioliques, la sépulture refusée à des protestants (1).
Nous aimons mieux ne pas croire à un Mémoire
manuscrit que nous avons entre les mains et d'après le-
quel David aurait été coupable de concussion. Cette
pièce est de la Beaumelle ; nous n'en ferons usage que
comme venant d'un ennemi, et pouvant être suspecte
pour cause d'animosité personnelle (2).
(i)Lalellre suivante du minisire à M. de Bonvepos, Procureur-
Général au Parlement, qui intercédait en sa faveur, achève de
le faire connaître. Elle prouve bien que l'affaire des deux Anglais
morts à Toulouse fut moins la cause que le prétexte de la destitu-
tion de David, Cette lettre est datée du lendemain de la réhabilitation
de Galas, et M. de Saint-Florentin, très-peu satisfait de ce grand
acte de justice, laisse deviner, plutôt qu'il ne l'avoue, la véritable
cause du châtiment infligé au Capitoul.
10 mars 176S.
« J'ai reçu. M., la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire
en faveur du Sr, David. Ce qui est arrivé en dernier lieu à cause de
l'inhumation de deux Anglais décédés à Toulouse n'est pas le seul
motif qui ait déterminé le Roi à ordonner sa destitution. 11 était
revenu à S. M. beaucoup d'autres plaintes très-graves contre ce Ca-
pitoul. Elles ont été approfondies, et comme ce n'est qu'en grande
connaissance de cause que S. M. a prononcé contre lui, ce serait
inutilement qu'on lui proposerait de révoquer sa décision. »
(2) Ce Mémoire s'appuie sur des faits qu'il serait peut-être en-
core possible de vérifier ; nous citerons par ce motif, sans en garantir
les assertions le passage où est résumée la carrière publique de David.
« Autrefois poursuivi criminellement par le Procureur-Général,
échappé au fouet et aux galères à force de protections achetées, flétri
pourtant par un arrêt à'nnc admonition qiialiftce sur Vim^nreXé et l'in-
décente gestion de sa charge, depuis mille fois réprimé et toujours
inutilement par les commandants de la province, condamné par feu
M. de Thomond à la privation de ses fonctions de police à l'égard
d'un bourgeois dont il avait assassiné le fils, chargé dans une infor-
mation par une créature de ses amies de l'avoir corrompue par argent
donné avant, pendant et après la procédure, pour déposer contre un
citoyen, enfin chassé par arrêt du Conseil du 12 février 176 5, de la
place de Capitoul perpétuel, et bridé par le môme arrêt dans ses fonc-
tion de Capitoul triennal, sous le prétexte énoncé que la ville n'a
ET LE CAPITOULA.T. 37
Voici, en tout cas, un exemple, sinon de sa mauvaise
foi, au moins delà tyrannie qu'il exerçait.
Les deux demoiselles Calas, leur frère Louis, quelques
autres rares amis, se concertaient sur ce qu'on pouvait
tenter pour la défense des prisonniers. Ils eurent lieu de
croire que, pour cacher l'irrégularité de quelque acte
légal omis d'abord et suppléé après coup, David l'avait
antidaté et peut-être même y avait ajouté un mot im-
portant. Ils firent présenter par leur procureur une re-
quête d'inscription en faux. Cette démarche, qui du reste
ne nous paraît point justifiée par les pièces, irrita pro-
fondément le Capitoul ; il eut le crédit de faire con-
damner le procureur Duroux, coupable d'avoir instru-
menté contre lui, à lui faire des excuses solennelles et à
trois mois de suspension (1). Cette vengeance épouvanta
les gens de loi à tel point que nous verrons la famille
Calas chercher en vain, dans le cours du procès, un
procureur qui voulût agir pour elle.
Il nous reste ci expliquer la nature des pouvoirs éten-
dus que David exerçait à Toulouse.
Tandis qu'ailleurs les conseillers municipaux por-
taient le titre d'Echevins, Toulouse qui se vantait de
conserver les traditions romaines, nommait les siens Ca-
pitouls(2),et sa maison de ville porte encore le titre fas-
tueux de Capitule. Il était dit, dans la légende du patron
relire aucun fruit de sonadminislralion, mais réellement pour le pu-
nir d'une concussion exercée envers un Anglais protestant auquel il
avait vendu très-chèrement l'ordonnance toujours gratuite d'inhu-
mation. »
(i) Voir sa 5' lettre au comte de Saint-Florentin (Gorr. 1. 2 3.)
(2) Un des principaux acteurs dans le drame sanglant des Calas, le
plus zélé complice de David, le procureur du roi, Charles La-
gane, a écrit (avant de devenir Capitoul lui-même) un Discours con-
u
38 DAVID DE BEAUDRIGUE
de la ville, saint Sernin ou Saturnin, qu'il fut jugé au
Capitole de Toulouse par les magistrats romains ; et l'on
tenait à conserver ce nom qui rappelait ci la fois Rome
païenne et la légende catholique. Les Gapitouls n'é-
taient pas seulement chargés de l'administration et de
la police municipales ; ils avaient « haute et basse justice
dans la ville et son gardiage ou territoire. » Des docu-
ments d'époques très-diverses, telles que les paroles
de Coras au seizième siècle, citées en tête de ce cha-
pitre, et le Discours de Charles Lagane au dix-hui-
tième, signalent les usurpations de pouvoir, l'outre-
cuidance et le peu de capacité judiciaire de ces étranges
magistrats.
Les titres officiels qu'ils s'attribuaient étaient-ceux-ci :
(( Gapitouls, Gouverneurs de la ville de Toulouse, chefs
« des nobles, juges des causes civiles, criminelles, et de
(( la police et voyerie, en ladite ville, et gardiage d'i-
« celle. ))
Les Gapitouls étaient au nombre de huit, et ce corps
s'appelait Consistoire ;m\ à' QwivQ^iw était Chef du Con-
sistoire. En 1761, c'était Jean-Pierre-Bertrand Faget,
avocat, que nous verrons seconder David dans ses excès
tenant Vlùstoire dea jeux Floraux et celle de Dame Clémence. Il
prouve que le Ulre légal et ancien des Gapitouls était celui de
Consules Tolosœ, et qu'on les appela Capitulares parce qu'ils
formaient un chapitre, Capitulunî. En patois roman, ils étaient appe-
lés Senhors de Capitols, c'est-à-dire Messieurs du Chapitre. C'est ce
terme de Capitols qui, généralement admis et mal traduit, donna
lieu au changement de Capitulum en Capitolium. Ce dernier mot
est encore inscrit au-dessous du fronton de i'Hôtel-de-Ville.
Dans ce môme Discours, Charles Lagane accusait ses futurs col-
l(!?nes d'un orgueil ridicule; à l'en croire, ils regardaient la magis-
iraïuii' dont ils étaient revêtus « comme la plus éminente de l'Europe
(n. ioo\ »
ET LE CAPITOULAT. 39
de zèle. Il y avait ordinairem ent deux ou trois Capitouls
titulaires, c'est-à-dire ayant acheté leurs charges. La
ville leur payait 1,200 livres pour l'inlérèt annuel de
leur argent. Sauf pour ces derniers, les fonctions de Ca-
pitoul étaient temporaires et électives (1).
David était Gapitoul titulaire; il avait même obtenu en
1752 un arrêt du Conseil qui l'autorisait à remplir les
fonctions du Capitoulat en l'absence de ses collègues.
Selon le Mémoire inédit de La Beauraelle, cette ordon-
nance excita de grandes jalousies et ne fut enregistrée
ni au Sénéchal ni au Parlement.
On conçoit que ce privilège et l'inamovibilité augmen-
tèrent de beaucoup son importance, son orgueil, et lui
donnèrent le moyen de parler et d'agir en maître dans
les rues de Toulouse.
Il ne nous reste plus, pour exposer cette organisation
qui, comme on le voit, n'était pas seulement municipale,
qu'à faire mention des assesseurs des Capitouls , collè-
gues qu'ils s'adjoignaient eux-mêmes comme officiers de
justice et police, mais qu'ils pouvaient toujours desti-
tuer et tenaient entièrement dans leur dépendance. Nous
enverrons un, M" Monyer, pour avoir témoigné de la pi-
tié aux Calas, tomber dans la disgrâce de ses collègues
ou plutôt de ses maîtres, et renoncer malgré lui à pren-
dre part au procès.
(i) Tous les ans, les huit Capitouls sortants présentaient chacun
trois candidats à un corps électoral formé des anciens Capitouls
et des représentants de tous les corps d'état, de l'Université et du
Parlement. Sur les vingt-quatre noms présentés ainsi par le Consis-
toire sortant, cette assemblée en choisissait huit qui étaient soumis à
l'approbation royale, et s'ils n'étaient nobles, le devenaient de droit,
et recevaient du roi leurs armoiries en même temps que la confir-
mation de leur dignité.
llO DAVID DE BEAUDRIGUE ET LE CAPITOULAT.
Le Capitole de Toulouse possède encore ses annales,
énormes volumes de parchemins où chaque Consistoire,
avant de sortir de charge, rendait compte de sa gestion.
C'est un fait extrêmement remarquable que dans le récit
de 1762, il ne soit fait aucune mention du supplice
de Jean Calas, et que cette année 1761 où les Capitouls
le firent arrêter avec sa famille et commirent, dans l'ins-
truction delà cause, une multitude de fautes, par ignorance
des lois, précipitation et parti pris, cette année 1761 est
demeurée en blanc dans le volume où elle devait être
racontée. Les feuillets de parchemin qui devaient por-
ter ce déplorable récit existent, mais sont demeurés
muets, et leur silence se joint à la voix de l'histoire pour
accuser ce tribunal inepte et odieux (1). Ces juges ini-
ques semblent ainsi joindre leur propre suflrage à ceux
de leurs adversaires et de la postérité pour se condamner
eux-mêmes.
Tel fut le tribunal dont David était l'âme et qui allait
prononcer sur la vie et l'honneur des cinq détenus de
l'Hôtel-de- Ville. Avant de raconter la procédure ins-
truite contre eux, il est nécessaire de les faire mieux
connaître eux-mêmes.
(i) Voir la note II, à la fin du volume.
CHAPITRE III.
LA FAMILLE CALAS.
In lioc lanto, tam atroci, lain singulari vtale/irio,
ijitod lia rnro cxlilit, itt si fjiiando audiium ait, por-
tenti ac prodigii simiU numeretur, quibus tandem
te argumenlis accusalorcm censés uti oporlere? Nunne
et audaciam ejus qui in crimen vocelur, tingidarem
ostendere, et mores feros, immanemque nalicratn^.
CiCKRo pro. Rose. Amer., n. 13.
Vous qui portez une accusation si énorme , si
atroce, si lior.s de l'ordinaire, qui s'est présentée si
rarement qu'on dut la compter au nombre des évé-
nements prodigieux et hors nature, si jamais on en
ouït parler , quels sont enfin les arguments dont
vous pensez a'ous servir? Ne faudra-t-il pas nous
montrer en celui que vous accuser, d'un tel crime, et
une aiulace singulière, et des mœurs sauvages, et
une âme dénaturée ?
Le 14 octobre au matin, maître Faget assembla les
Capilouls et rendit en consistoire l'ordonnance d'écrou.
Jean Calas, sa femme et son fils Pierre, le jeune La-
vaysse et même la servante, quoiqu'elle tïit catholique,
étaient accusés d'avoir étranglé Marc- Antoine par fana-
tisiue protestant, et pour prévenii- par le meurtre sa con-
version au catholicisme. Cazeing fut renvoyé.
Il y a toujours une forte présomption, contre une im-
putation aussi abominable, si l'on prouve que le prévenu
A.
Zl2 LA FAMILLE CALAS.
a im passé sans reproche, des habitudes douces et pures.
Mais cette preuve devient bien phis certaine encore lors-
qu'il s'agit de pkisieurs accusés. Il n'est pas impossible,
sans doute, qu'on découvre lui scélérat en un homme qui
s'était acquis une estime imméritée. Mais cela est incroya-
ble pour cinq personnes k la fois, surtout quand elles
diffèrent d'âge et de position, quand deux d'entre elles ne
sont pas du même sang, quand une autre appartient aune
Eglise rivale, et quand toutes sont inattaquables dans
leur vie antérieure. Nous montrerons qu'on s'est épuisé
en efforts pour leur inventer des crimes ou au moins
leur prêter des menaces coupables, sans avoir pu donner
le moindre fondement h ces calomnies. Leur conduite
et leur caractère à tous sont demeurés sans tache.
Né en 1698 h La Cabarède, près de Castres, il y avait
quarante ans que Jean Calas était venu s'établir à Tou-
louse, comme marchand d'indiennes. C'était un de ces
hommes simples , laborieux et intègres, qui se créent
lentement une fortune bornée mais irréprochable, et dont
la religieuse droiture, la vertu sans éclat, étaient l'hon-
neur des vieilles familles de bourgeois protestants. Si
plus tard, en face de l'épreuve, au jour du martyre, il se
se trouva k la hauteur de sa cruelle destinée, c'est qu'une
piété ferme et un sentiment inflexible du devoir l'avaient
préparé k tout.
Son caractère était aussi doux que grave. Un jeune
homme élevé chez lui attesta plus tard qu'en quatre an-
nées, il ne l'avait pas vu une seule fois en colère (1).
(l) « J'altesie devant Dieu que j'ai demeuré pendant quatre ans à
Toulouse, cliez les sieur et dame Calas, que je u'ai jamais vu une fa-
mille plus unie, ni un père plus tendre, et que dans l'espace de qua-
tre années il ne s'est pas mis une seule fois en colère ; que si j'ai
LA FAMILLE CALAS. h'à
L'avocat Sudre, dans son premier Mémoire, demanda
l'autorisation de prouver que peu d'heures avant la mort
de M arc- Antoine , à six heures du soir, une demoiselle
étant venue pour acheter une étoffe, Calas père envoya,
en lui parlant très-tendrement , ce même Marc-Antoine
chercher à l'étage supérieur la pièce d'étoffe que l'on
demandait. La demoiselle ne fut pas interrogée et M*' Su-
dre ne fut point admis à prouver le fait.
Après avoir lu avec soin les interrogatoires et les con-
frontations de Jean Galas, on reste convaincu que son
esprit était solide sans être brillant , sa volonté con-
sciencieuse et très-arrêtée. La conduite et les prétentions
de deux de ses fils, Marc-Antoine et Louis, lui donnè-
rent souvent des soucis. Dans ses rapports quelquefois
pénibles avec eux, on le voit toujours doux et paternel,
mais inflexible dans sa résolution de rester seul maî-
tre de ses affaires, où le pain et l'honneur de la famille
étaient engagés. On le voit aussi s'opposer invariable-
iment, soit aux dépenses exagérées, soit aux entreprises
( commerciales où ces jeunes gens veulent se lancer im-
; prudemment. Honneur et fermeté, mais sans aucune ru-
desse, voilà en deux mots le caractère de Galas.
Il est nécessaire de remarquer que ce père, accusé
d'avoir étranglé par fanatisme son propre fils, était au
contraire, dans ses relations avec les catholiques, d'une
I facilité de mœurs et d'une tolérance assez rares alors. A
cet égard les preuves abondent ; il était si bien connu
sous ce rapport, qu'en 1735, un catholique nommé Bona-
quelques sentiments d'honneur, de droiture et de modération, je les
dois à l'éducation que j'ai reçue chez lui. A Genève, 6 juillet 17 62.
Signé J. Calvet, caissier des postes de Suisse, d'Allemagne et d'I-
talie. " (L'original de cette pièce est aux Archives Impériales.)
/l^ LA FAMILLE CALAS.
fous, juge de Ferrières et d'Espérausses, voulant placer
ses deux filles dans le couvent des Religieuses de Notre-
Dame à Toulouse, les confia à Calas, chez qui elles logè-
rent d'abord. Plus tard, des maladies fréquentes obligè-
rent l'aînée cl sortir de ce couvent. Ce fut encore chez les
époux Galas qu'elle passa plusieurs mois, à diverses repri-
ses. Devenue plus tard la femme de J. Boutade, maire de
Gastelnau-de-Brassac, elle attesta ces faits, ainsi que sa
sœur, dans deux certificats authentiques (1), et M'"' Bou-
tade y déclare que, « tandis qu'elle demeurait chez les
sieur et dame Galas, elle y a rempli ses devoirs de catho-
licité, et fait sespâques, en l'année 1757 ; que le dit Ga-
las la faisait accompagner dans toutes les églises par
des personnes de confiance. ))
Nous retrouverons la même modération dans sa con-
duite envers Louis, celui de ses fils qui était devenu ca-
tholique, et plus encore envers la servante, qui l'avait
aidé dans cet acte si pénible à ses parents.
11 n'est pas étonnant qu'une telle conduite eût valu à
Galas le respect et même l'affection des catholiques
sensés. Aussi n'était-ilpas seulement en relations d'amitié
avec ses coreligionnaires. Les papiers de famille , les
dépositions du procès nous le montrent en rapports ha-
bituels avec des personnes des deux cultes et quelque-
fois même avec des prêtres.
Parmi les protestants, le marchand de Toulouse était
(i) Arch. Tmp. — Le juge Ronafous a donné lui-même une al-
teslaliou loule conforme. D'aulrcs témoins nombreux, nolammenl
IIoulès-Lagarriguc et son fils, ont déposé dans le môme sens. Tous
CCS ceriincats qui exislonl encore aux Arcliives, ne furent profluils,
comme toutes les pièces ou dépositions à décharge, que plus lard,
devant le Grand Conseil et les Maîtres des Requêtes.
LA FAMILLE CALAS. Zl5
plus considéré encore, et quoiqu'il ne jouit que d'une
fortune très-limitée, nous le voyons, dans les châteaux du
Languedoc, admis k la table des seigneurs (1) , dont quel-
ques-uns le traitaient en ami et dont plusieurs étaient
ses alliés par son mariage.
Il avait épousé à Paris, en 1731, une femme qui lui
était supérieure par l'étendue de l^esprit, et qui était di-
gne de lui par sa force d'âme et l'élévation de son ca-
ractère. Anne-Rose Gabibel était Anglaise de naissance,
mais Française de race. Elle appartenait k ces familles de
huguenots que Louis XIV contraignit h l'exil, après les
avoir ruinées. Sa grand'mère était une La Garde-Mon-
lesquieu. Le marquis de Montesquieu, ainsi que les Po-
lastron-Lahillère, étaient ses cousins issus de germains,
et elle était parente de quelques autres familles nobles du
Languedoc et de plusieurs officiers supérieurs, chevaliers
de Saint-Louis. Ses amis s'en souvinrent pour elle, lors-
qu'il fallut intéresser h elle le public et le gouvernement,
lorsqu'elle portait en prison le deuil de son fds suicidé et
de son mari exécuté à mort, étant elle-même, ainsi qu'un
autre de ses fils, sous le poids d'une accusation capitale.
Mais dans sa boutique de la rue des Filatiers, elle ne
songeait guère à ses ancêtres, et si elle eut tout le cou-
rage des nobles d'autrefois, elle n'eut rien de leur vanité.
Quand Voltaire la connut, elle lui inspira de l'étonne-
mentet du respect, par son énergie calme, par la dignité
de son caractère et une vigueur d'intelligence que rien
n'avait pu abattre. Deux ans après la réhabilitation de Jean
Calas, Voltaire écrivait encore à l'avocat Elle de Beau-
mont, au sujet de Sirven : « Je vous avertis que vous ne
(i)Arch, Imp,
llQ LA FAMILLE CALAS.
trouverez peut-être pas dans ce malheureux père de fa-
mille la même présence d'esprit, la même force, les
mêmes ressources qu'on admirait dans M"^ Calas (1). »
Devant les juges, ses réponses et ses confrontations
sont plus remarquables encore que celles de son mari,
parce qu'elle discerne avec plus de pénétration et de pré-
sence d'esprit les pièges qu'on lui tend, proteste avec
plus de résolution contre les témoignages faux ou mal
intentionnés, et trouve, dans son cœur de mère, un degré
d'assurance que rien n'égale. On leur répète sans cesse
à tous deux que leur fds Marc- Antoine allait abjurer,
qu'on en est sûr, que cela est prouvé. Jean Calas ne
cesse de répondre qu'il n'en a jamais entendu parler que
de la bouche de ses juges et après la mort de son fds.
M*"* Calas déclare hardiment que cela ne peut être, que
son fds était dans des sentiments tout contraires, qu'elle
était sûre de lui : // ri aurait pas usé de dissimulation
avec moi, dit-elle (2). On sent dans toutes ses paro-
les le cœur ému de la mère qui a trop connu, trop
aimé ce fds si malheureux et si coupable, pour le lais-
ser accuser après sa mort de ce qui serait à ses yeux
un tort de plus. Était-ce donc une fanatique hugue-
note que cette simple et noble mère de famille? Loin de
là. Elle eut part k tout ce que fit son mari pour les de-
moiselles Bonafous, pour leur servante, coupable d'avoir
entraîné un de ses fds à abjurer, pour ce fds lui-même.
(i) Lettre du 20 mars 17 67. — Les adversaires des Calas ne peu-
vent préieudrc qu'ici Voltaire veut tromper l'opinion publique. Il
écrit, deux ans après la réhabililaliou du roué, une lettre toute con-
denlielle à uu homme qui connaissait beaucoup mieux que lui celle
dont il parlait.
(2) Arch. Imp. — Confrontations de la D"* Calas.
LÀ FAMILLE CALAS. tll
Tout ce qui lui est particulier à l'égard de ce fils , c'est
ce qu'écrit un ami de la famille nommé Griolet:
qu'il (( a vu plus d'une fois les yeux de M"" Calas se
remplir de larmes, toutes les fois qu'elle le voyait passer
devant la maison où il n'entrait plus (1). » Elle en a
donné elle-même le motif dans les termes les plus tou-
chants (2) : (( L'accusée répond qu'il esi vrai que sa sen-
sibilité se réveillait toutes les fois qu'elle voyait passer
Louis Galas, son fils, attendu que depuis quelque temps ^
Une la reconnaissait plus pour sa mère. ))
M""* Calas, plus jeune de dix-huit ans que son mari,
en avait environ quarante-cinq lors de la mort de son
fils aîné.
Leur famille se'composait de six enfants, Marc-Antoine,
Jean-Pierre , Louis, Anne-Rose, Anne et Jean-Louis-
Donat, et d'une servante catholique, âgée de quarante-
cinq ans environ, Jeanne Viguier (3). C'est à dessein que
je rapproche ainsi de ses maîtres cette fille dévouée, à
qui vingt-cinq ans de services {k) et une estime méritée
avaient donné des privilèges, dont elle ne crut pas abu-
ser en convertissant un des enfants de la maison (5).
(1) Arch. Imp. Lettre de Griolet.
(2) Ib, Confr. de la D"« Calas.
(3) On l'appelait Viguière, suivant l'usage romain, qui s'est per-
pétué dans le patois languedocien, de donner à une fille le nom de
son père avec une désinence féminine. On nomme Viguière la fille
de Viguier, comme autrefois la fille de Marcus TuUius était une
Tullia.
(4) Décl. de Louis.
(5) On lui demanda dans le cours du procès comment elle a pu
rester vingt-quatre ans chez des personnes d'une religion opposée à la
sienne. Il fallait donc que les protestants n'eussent point de do-
mestiques, puisqu'une déclaration du roi leur ordonnait de n'en
us LA FAMILLE CALAS.
Il est inconcevable qu'on ait cru fanatiques jusqu'au
parricide, des gens qui gardaient cliez eux et ne cessaient
de traiter presque à l'égal d'un membre de leur pro-
pre famille, la servante qui, à leur insu et contre leur
volonté expresse, avait travaillé et réussi à convertir leur
fds. Ce qui, peut-être, est plus étrange encore, c'est de
voir cette même servante paraître devant quatre juridic-
tions successives, sous l'absurde accusation d'avoir as-
sassiné le frère aîné pour empêcher ou punir le môme acte
qu'elle avait elle-même fait accomplir par le cadet. Elle
partagea tous les périls de sa maîtresse, lui resta invio-
lablement attachée jusqu'ti son dernier jour et rendit en-
core un témoignage légal à la vérité en 1767. Par cette
conduite réciproque de la domestique envers ses maî-
tres et de ses maîtres envers elle, par son dévouement
à toute épreuve, par la liberté extrême que lui avaient
valu ses excellents services, Viguière appartient à une
classe de domestiques dont on retrouve encore, et sur-
tout dans nos provinces méridionales, quelques rares
exemples.
Elle était, du reste, une catholique très-fervente. Des
certificats de ses confesseurs sont au procès (1) et prou-
vent qu'elle se confessait et communiait fréquemment.
Au dire de Louis Calas (2), elle entendait la messe tous
les jours et recevait la communion deux fois par se-
maine. Elle a persévéré toute sa vie dans ces habi-
tudes de piété. On a remarqué avec raison que si elle
avoir que de catholiques ? Viguière répondit que ii'atjani jamais
été gênée en rien, elle s'est bien trouvée de la cundition.
(1) Arcli. Imp.
(2) Décl. de L.-C.
LA FAMILLE CALAS. Z|9
s'était obstinée par un faux point d'honneur k se parju-
rer sans cesse en déclarant ses maîtres innocents, elle
n'eût pas manqué de l'avouer tôt ou tard au confession-
nal ; et sans aucun doute la communion lui aurait été re-
fusée. Il n'en fut jamais rien. Supposera-t-on que ses di-
vers confesseurs, à Toulouse et à Paris , aient commis
des sacrilèges dans Fintérèt des Galas, en laissant com-
munier toutes les semaines une fille qui se serait parju-
rée plus de cinquante fois par dévouement pour des hé-
rétiques? (1)
Pour revenir de ces chimères à la réalité, disons sim-
plement, à l'honneur de Viguière, que l'horreur du ca-
chot, la menace sans cesse réitérée de la torture et
de la mort, les souffrances qu'elle endura pendant qua-
tre mois qu'elle eut les fers aux pieds, les promesses de
pardon et de récompense, rien ne put la décider à accu-
ser ses maîtres pour se sauver elle-même. Elle était di-
gne d'eux.
Nous ne pouvons en dire autant de tous leurs fds.
Marc-Antoine, l'aîné, dont le corps mort fut porté à l'Hô-
tel-de-Ville le 13 octobre 1761. était né le 5 novembre
1732, et par conséquent mourut âgé de 28 à 29 ans. Par
ambition, par goût pour les études et îes professions libé-
rales, il voulut embrasser une autre carrière que celle
du commerce. Il aimaii ies lettres, et se croyait, non
sans raison, quelque talen oratoire. 11 avait étudié
en droit et fut reçu bachelier par bénéfice d'âge le 18
mai 1759. Un sieur Vidal le prépara pour soutenir les
(0 A chaque inieirogaloîic, recolemcnt et confrontation, les ac«
cusés prêtaient sermcnl de dire Ja vérité. On peut se figurer com-
bien de fois ce serment fut répété dans ce procès quatre fois jugé.
5
50 LA FAMILLE CALAS.
actes nécessaires à la licence. Mais, au moment de pren-
dre le titre d'avocat, il se vit arrêté par mi obstacle in-
vincible qui le força malgré lui à se renfermer dans la
boutique de son père et à l'aider dans ses occupations.
Pour être reçu avocat, un certificat de catholicité était
indispensable. Quelquefois les pièces de ce genre étaient
données par complaisance et sans examen. Dix-huit mois
avant son suicide, M arc- Antoine était allé demander un
certificat de catholicité à l'abbé Boyer, curé de la cathé-
drale et de la paroisse qu'habitaient les Galas. Au moment
où le curé allait donner à Marc- Antoine l'acte qu'il sollici-
tait, son domestique (1) le prévint que ce jeune homme
était protestant. Le curé, ainsi averti, refusa le certificat,
et exigea pour condition une attestation signée d'un prêtra
auquel Marc-Antoine se serait confessé et qui répon-
dît de sa bonne foi (2). Ce refus jeta le jeune homme
dans un amer chagrin. Tous ses rêves s'écroulaient
devant la nécessité d'un acte qu'il ne voulait pas ac-
complir.
Un jour qu'il était debout devant la boutique, il vit
passer M^ Beaux, son condisciple, qui revenait du palais
oùil avait été reçu, àl'instant même, avocat au Parlement.
Beaux lui demanda : « Quand veux-tu en faire autant? )>
Il répondit que c'était impossible « parce qu'il ne voulait
faire aucun acte de catholicité (3). » Profondément affligé
de se voir ainsi fermer la carrière qu'il avait rêvée,
Marc-Antoine chercha en vain quelle autre profession il
(1) Sudre, 1.
(2) Déclaration du curé de Saint-Ëlienne.
(3) Arcli. Imp. — Dép. de. M* Beaux, inlerpellé par huissier à la
requête des Calas.
LA FAMILLE CALAS. 61
pourrait adopter. Toutes lui étaient interdites par quel-
que Déclaration du Roi (1).
11 essaya enfin, non sans une vive répugnance, de se
tourner vers le commerce qu'il avait le tort de dédaigner,
mais qui était sa seule ressource. Il allait s'associer avec
im marchand d'Alais, lorsque l'impossibilité de fournira
temps un cautionnement de 6,000 livres lui en fit man-
quer l'occasion. Il voulut devenir l'associé en titre de son
père, qui n'y consentit point, quoique depuis quatre ans il
l'eût initié à toutes ses affaires et se fît partout repré-
senter par lui, le regardant, dit-il, comme unsecond lui-
même (2).
L'intérêt de toute sa famille lui interdisait absolument
de donner des pouvoirs trop étendus à un fils qui n'avait
aucune aptitude pour le négoce et chez qui des goûts
dangereux de jeu et d'oisiveté se développaient toujours
davantage. En effet, irrité contrôle présent et sans es-
pérance pour l'avenir, ce malheureux jeune homme de-
(l) On peut voir dans le Fieux Cévenol de Rabaut Saint-Elienne
(notesdu ch. 3) la longue liste des professions interdites aux protestants
par Louis XIV. Le commerce seulleur restait, parce qu'ilcsl impossi-
ble, môme au despote le plus absolu, d'empêcberune classe quelcon-
que de ses sujets de vendre et d'acheter. Il fallait se faire caiholi-
que pour devenir avocat (Déclaration du Roi du il juillet 1685;
Arrêt du conseil du 5 novembre 168 5 ; Déclaration du Roi du 17 no-
vembre 1 687); — Procureur (Décl, du 1 5 juin 1682); — clercdepro-
cureur (Décl. du lo juillet 168 5); — huissier, sergent, archer, re-
cors (Décl, du 15 juin 16 82); — imprimeur, libraire, orfèvre, méde-
cin (Arrêt du conseil du 9 juillet 168 5;) — (Décl. du 6 août 168 5); —
chirurgien, apothicaire et épicier (Edit du 15 septembre 1685); —
domestique d'un protestant (Décl. du 1 1 janv. i 686); — apprenti chez
un protestant (Sentence de la police de Paris, I62i). En 17 48, à
Ganges, la femme Fesquet fut condamnée à 3,000 livres d'amende
pour avoir exercé l'état de sage-femme sans être catholique.
(2) Arch. Imp. — Inlerr.
5'i LA FAMILLE CALAS.
vint joueur; les témoins nous le dépeignent passant au
jeu de paume ou de billard tous les moments dont il pou-
vait disposer. Non-seulement il y était presque toujours
l'après-midi des dimanches et fêtes, mais il y retournait
chaque jour après le souper de famille. Il y jouait, pour
un homme de sa condition, assezgros jeu, jusqu'à y per-
dre quelquefois, dit un témoin, 6 fr. , 12 fr. et môme un
louis. Le jour môme de sa mort s'était passé presque
entièrement au billard et au jeu de paume. Un autre té-
moin (1) l'a vu jusque vers sept heures dans l'établisse-
ment des Quatre-Billards. Il est certain que, dans cette
même journée, son père l'avait chargé de changer des
écus contre des louis, qu'il n'en rendit pas cjmpte, et que
cet argent n'a point été retrouvé. Nous avons dit qu'il
portait dans ses poches au moment de sa mort (2) des
vers et des chansons obscènes.
Cette mauvaise conduite ne l'empêchait point d'être,
seul de sa famdle, enclin au fanatisme. Sa religion était
sombre comme son caractère. Un prêtre a déclaré l'avoir
entendu soutenir qu'on ne pouvait être sauvé dans l'E-
glise romaine, et que tout catholique était éternellement
damné (3). Aussi mon trait-il souvent uneirritation amère
au sujet de la conversion de son frère Louis. Nous en
citerons un exemple attesté parle chanoine Azimond, et il
seraitfacile d'en indiquer bien d'autres, a Je l'ai entendu,
écrivit plus tard à M^^^ Anne Galas, le négociant Grio-
let (/i), se fâcher du changement de religion de monsieur
votre frère Louis. )) Louis lui-même rapporte que lorsqu'il
(0 Malhey. — Arch. Imp.
(2) Procès-verbal de David, elc.
(3) Arch. Imp.
(4)/6.
LA FAMILLE CALAS. 63
s'informa auprès de son frère, le 12 octobre, du paiement
de son trimestre de pension, Marc-Antoine lui répondit
brusquement: « Ce ne sont pns mes affaires ; vous n'avez
qu'à faire comme vous pourrez. » Le 8 janvier 1761, il
écrivait à Gazeing-, à propos de Donat pour lequel on de-
mandait de l'argent : « Je parlerai à mon père pour lui,
quoique nous soyons dans une circonstance critique,
puisque nous ressentons beaucoup la misère du temps ;
et de l'autre côté, notre déserteur nous tracasse. Il veut
faire contribuer et il agit par la force ; ceci soit entre
nous (1). »
«Le père, très-bon, dit le témoin Alquier (2), faisait
souvent la guerre à Marc- Antoine sur son caractère som-
bre et mélancolique qui le rendait triste et taciturne,
et l'empêchait de prendre part aux amusements inno-
cents que l'on faisait dans la maison. 11 paraissait tou-
jours rempli de tout autre objet que de ceux qui fai-
saient la matière de la conversation, étant la plupart du
temps assis seul à l'écart pendant que les autres s'amu-
saient. » Le chagrin violent de voir la carrière se fermer
pour lui au moment d'y entrer, le dégoiit continuel des
occupations auxquelles il se voyait contraint, son amour-
propre blessé et son humeur morose lui donnèrent l'idée
dusuicide.il était fort adonné à la lecture, et relisait sou-
vent dans Plutarque et dans Montaigne ce qu'ils ont
dit pour excuser ou louer le suicide (3). Il aimait les
beaux morcefiux et les déclamait avec plaisir, et avait
eu du succès comme acteur dans la représentation de
(i; E. de B. i.
(a) Arch. Imp.
(3) Confront. de M'»^ Calas.
6/l LA FAMILLE CALAS.
quelques tragédies que les jeunes gens de Toulouse or-
ganisèrent alors. C'était le temps où l'exemple de Voltaire
avait mis partout en vogue les théâtres de société. Mais
on ne remarqua que plus tard quels étaient les rôles où
Marc-Antoine avait brillé, les vers qu'il aimait à redire.
Un témoin hostile h sa famille, P.-J. Mirepoix, dépose
qu'il témoignait beaucoup de ferveur en jouant le rôle de
Polyeucte, surtout dans la scène IIP du V^ acte. Ce témoin,
qui paraîtpeu intelligent, s'imagine voir dans cette ferveur
la preuve d'un certain penchant pour le catholicisme, parce
que cette scène contient une allusion à la Messe ; il serait
facile de répliquer en montrant dans ce rôle d'iconoclaste
bien des traits qui pouvaient plaire à un huguenot pas-
sionné; tout ce qu'on y dit des persécutions de l'Empereur
Décie pouvait, aussi bien que VEsther de Racine, don-
ner lieu à mainte allusion au sort des réformés de
France. Il faut remarquer enfin que la scène où l'on
admirait Marc- Antoine est celle où Polyeucte s'obstine à
demander la mort malgré les instances de Pauline et
de Félix. — Un autre témoin, Jean Capoulac, l'a entendu
répétant une scène de Polyeucte avec le S"" Juvenel ,son ami
(qui était catholique). Marc-Antoine était Polyeucte, et
Juvenel, « l'idolâtre, son beau-père. Ledit Calas avait le
cœur si navré du rôle qu'il récitait, qu'il paraissait en
verser des larmes. )) Antoine Delpech rapporte qu'il avait
réellement les larmes aux yeux en déclamant. D'autres
témoins ont observé l'effet qu'il produisait en récitant les
stances de Polyeucte. On sait que l'idée qui y domine
est aussi celle de la mort, au-devant de laquelle le héros
va courir, qu'il invoque de tous ses vœux et qu'il ap-
pelle V heureux trépas que f attends.
C'est dans le même esprit que Marc-Antoine débitait
LA FAMILLE CALAS. 55
souvent avec emphase une uiaiivaise traduction du mo-
nologue de Hamlel sur la mort et quelques fragments
du Sidney de Gresset, quisonlla glorification du suicide :
« Qu'auriez-vous fail vous-même? Aux ennuis concUmné,
Accablé du fardeau d'une tristesse extrême.
Réduit au sort affreux d'être à charge à moi-même,
J'épargne aux yeux d'autrui l'objet fastidieux
D'homme ennuyé partout, et partout ennuyeux...
J'étais lassé de vivre et je brise ma chaîne...
Ma funeste existence est un poids qui m'accable...
Ce n'est point seulement insensibilité,
Dégoût de l'univers à qui le sort me lie;
C'est ennui de moi-même, et haine de ma vie;
C'est un brûlant désir d'anéantissement.
Je les ai combattus, mais inutilement ;
Cette haine, attachée aux restes de mon être,
A pris un ascendant dont je ne suis plus mattre;
Mon cœur, mes sens flétris, ma funeste raison.
Tout me dit d'abréger le temps de ma prison.
Faut-il donc sans honneur attendre la vieillesse.
Traînant pour tout destin les regrets, la faiblesse ;
Pour objet éternel l'affreuse vérité,
Et pour tout sentiment l'ennui d'avoir été?
C'est au stupide, au lâche, à plier sous la peine,
A ramper, à vieillir sous le poids de sa chaîne ;
Mais vous en conviendrez, quand on sait rélléchir,
Malheureux sans remède, on doit savoir finir.
D'ailleurs, que suis-je au monde? Une faible partie
Peut bien, sans nuire au tout, en être désunie :
A la société je ne fais aucun tort;
Tout ira comme avant ma naissance et ma mort.
(Âct. I, Se. ?. — Act. II, Se. 6. Voir aussi Act. III, Se. 1.)
Ces vers, que Marc- Antoine se plaisait à répéter (1),
lui offraient bien des points de comparaison avec la si-
(1) Lav. 2, etc.
56 LA FAMILLE CALAS.
tuatioiîoiiil languissait. Peut-être, ce mot alors fameux,
WL bridant désir cV anéantissement^ était présent à sa
pensée, lorsqu'un instant avant son suicide, il répondit
à Jeanne Viguier, qui l'engageait à venir se chaulTer :
(( Je brûle. » Mais quelle fatale erreur il a commise, s'il
s'est appliqué ce vers mensonger : Tout ira comme
avant ma naissance et ma mort! Sans doute, il ne se se-
rait pas tué s'il avait prévu à quelle fui horrible il con-
damnait son père, et quels longs malheurs il attirait
sur tous les siens; tant il est impossible de n'être cou-
pable qu'envers soi-même!
Le temps n'était pas encore venu où le suicide devint
une mode littéraire et où les malheurs, imaginaires ou
coupables, d'un Werther et d'un René bouleversèrent les
esprits faibles. Mais les maladies du cœur humain chan-
gent de nom plutôt que de nature; elles se trouvent au
fond les mêmes à toutes les époques, et il ne faut pas
trop s'élonner «qu'un jeune homme sans état et sans
espérance, végétant plein d'ambition k côté du comp-
toir paternel (1), ') tombât de l'orgueil froissé dans le
désespoir. Un écrivain moderne, M. Hue, prétend sé-
rieusement que la mélancolie de Marc- Antoine est une
invention de Voltaire. 11 n'a donc pas lu l'art. 7 du Mo-
nitoire, où les accusateurs des Galas disent eux-mêmes
qu'il était triste et mélancoliqne et cherchent à expli-
quer cet état moral par la peur qu'il avait d'être tué par
ses parents? Cette humeur noire, constatée ainsi par l'ac-
cusation elle-même dans un des premiers actes du procès
et dans le plus hostile de tous, a été confirmée d'ailleurs
par une foule de témoignages. Pierre, interrogé si, pen-
(0 Ch, Coquerel, E'jlises du Désert,
LA FAMILLE CALAS. 57
dant le souper qui précéda sa mort, soii frère était rê-
veur, répondit naïvement : « Pas plus que de coutume. »
Il aurait eu un intérêt évident à répondre tout le con-
traire, mais le mot est d'autant plus significatif.
Peu de jours avant sa déplorable fin, il dit à un de
ses amis nommé Ghallier, avocat au parlement, qu'il avait
un nouveau projet : aller à Genève, étudier pour le saint
ministère et revenir se consacrer au service des Églises
Réformées de France. Mais Challier répondit « que tout
métier qui faisait pendre son homme ne valait rien (1). »
En efl"et, dans le moment même où ils parlaient, le
pasteur François Rochette étai t en prison et attendait le
supplice. Marc- Antoine était de ceux qui aiment mieux
en finir par le suicide que lutter et souffrir, et il est per-
mis de n'ajouter aucune foi à sa vocation pour le saint
ministère. A ce mot de son ami, il se leva et sortit, en
disant : (( Eh bien ! je pense à une autre chose , que
j'exécuterai. » Il tint parole.
Son frère, Jean-Pierre, nous arrêtera peu, quoiqu'il
ait eu sa large part des souffrances de la famille. C'est lui
surtout que David regardait comme l'assassin ; il était
évident, en effet, qu'un homme de vingt-huit ans
ne pouvait avoir été étranglé par un vieillard : « Cest
toi, )) lui répétait le Capitoul, a c'est foi qui as tué ton
frère, )) Nous verrons que, par suite de ces soupçons,
il eut matériellement à souffrir, plus que sa mère, ses
frères et ses sœurs. Mais c'est une grande et commune
erreur de croire qu'à elle seule la souffrance est ce qui
intéresse le plus; par elle-même, elle ne peut exciter que
(i) Voir plusloinle texte complet de celle déposition de M* Clial-
lier. au ch. VII : Les Calas devant le Parlement,
58 LA FAMILLE CALAS.
la pitié; ce qui .attendrit, ce qui émeut, ce qui est digne
d'attendrir et d'émouvoir, c'est la souffrance héroïque-
ment supportée. Ce fils de martyr n'était pas d'une na-
ture énergique. Médiocre d'esprit et nul de caractère,
il n'a rien de grand, ni de bien touchant. A peine lui re-
procherons-nous d'avoir abjuré par peur dans le cou-
vent où il fut enfermé; il n'y gagna rien, s'enfuit dès
qu'il put et se hâta de rétracter sa prétendue conversion.
Dans toute sa conduite et dans ses réponses devant les
tribunaux, s'il y a peu ci blâmer, il n'y a rien h louer.
Louis, le troisième fils des Galas, doit nous arrêter
plus longtemps : son rôle dans toute cette histoire est
loin d'être honorable. Il prit souvent la défense de ses
parents, mais sans suite et sans courage. Un juge qui ne
peut être suspect à personne, la sœur Anne-Julie Fraisse,
qui montra tant d'estime à la famille Calas, n'avait mau-
vaise opinion que d'un seul de ses membres, celui qui,
étant devenu catholique, avait le plus de titres à son
intérêt. H vint souvent voir sa sœur au couvent et il était
bien connu de la vénérable Visitandine. Elle parle de
lui avec une défiance et un dédain qui seraient plus
marqués encore, si elle ne s'adressait k sa propre
sœur (1). Sa cupidité précoce n'est que trop avouée et
malheureusement lout est suspect dans sa carrière, depuis
les étranges circonstances de sa conversion au catholi-
(i) Voir la b^ lettre de la sœur Fraisse: « Je profile du départ de
M" votre frère, qui dit devoir partir demain par la Mesagerie. Je dis
qui dit ; la confiance ne dépend point desoy; vous savés que je
n'en ay pas de reste, et vous avés bien voulu avoir la bonté de me
le passer. >> Dans la lettre suivante elle dit de lui : M' votre frère
en qui, vous sates, ie n'ay jamais eu confiance ; etc., etc.
Court de Gebelin (dans les Toulousaines) l'accuse d'avoir paru
en habit vert dans les rues de Toulouse après la mort de son père;
LA FAMILLE CALAS. 59
cisme en 1759, jusqu'au certificat d'excellent jacobin
que Barrère lui décerna du haut de la tribune de la Con-
vention en 1792. La longue série des pièces imprimées
qui parurent dans celte affaire s'ouvre par une Déclara-
tiondu sieur Louis Calas (1), datée du 2 décembre 1761,
qu'il fit suivre quelques semaines plus tard d'un Mémoire
justificatif pour le sieur Louis Calas, de Toulouse (2).
Lui-même dans ces pièces ne se peint nullement en beau.
C'est une sorte de confession qui aurait plus de prix si,
sous l'humiliation des aveux, on sentait se relever la di-
gnité morale et le repentir. Son histoire commence par
des contestations d'argent avec son père.
Tout nous démontre que Calas, par la juste considéra-
tion dont il jouissait, et sa femme par ses relations de
parenté, occupaient un rang fort modeste sans doute,
mais fort au-dessus de leur très-faible fortune et de leur
situation de marchands en boutique. Leurs enfants avaient
reçu une éducation supérieure à celle des jeunes gens de
la même classe; on a vu que Marc- Antoine avait étudié
pour devenir avocat; il est évident que ce dernier et Louis
avaient de hautes prétentions que leur père eut raison
de ne pas satisfaire. Tantôt tous deux lui demandaient
quelques milliers de francs pour s'établir, et c'était plus
qu'il ne pouvait leur donner ; tantôt ils voulaient, l'un ou
l'autre, un habit de couleur claire. Comme l'a remarqué
si le fait est vrai, ce n'est pas que Louis fût insensible à uti si tef^
rible malheur, c'est que le fils du roué n'aura pas osé porter son
deuil. — Mais une preuve très-plausible de la fausseté de cette anec-
dote, c'est qu'avant la mort de sou père, il devait déjà être en deuil
de Marc- Antoine.
(1) Bibliogr. n" i.
(2) Bibliogr. n" 8.
60 LA FAMILLE CALAS.
Arthur Young, dans son Voyage en France, à cette époque
où la noblesse perdait chaque jour de son prestige et où
le luxe des vêtements devenait la distinction suprême, les
habits noirs ou gris étaient le signe d'une position infé-
rieure, et quiconque avait de l'argent à mettre sur soi,
comme on disait alors, portait l'habit ou tout au moins la
veste et la culotte de couleurs vives et tranchées. Aussi
voyons-nous sans cesse reparaître dans les exigences de
Louis ou de Marc- Antoine la demande d'un habit plus
éclatant. Leur père leur en donna de tout pareils, en drap
bleu, avec des boutons de métal, circonstance qui a,
comme on le verra, son importance au procès. Ces pué-
rils griefs, ces vanités et ces impatiences de jeune homme
donnèrent lieu plus d'une fois à des discussions entre
les fds et le père.
Depuis la Révocation, les enfants d'un protestant
étaient armés contre lui, par les édits royaux, d'incroya-
bles privilèges, pourvu qu'ils se fissent catholiques, et ils
lepouvaient légalement dès l'âge de sept ans. Lorsqu'ils
réclamaient une pension alimentaire, le taux en était ar-
bitrairement établi par les autorités catholiques (1).
On répondra que des enfants ignoraient tous ces avan-
tages. Mais trop souvent, presque toujours, il se trou-
vait auprès d'eux des gens très-disposés à les en
instruire. La loi, nous l'avons vu (2), interdisait aux
protestants d'avoir chez eux des domestiques de leur
(i) La déclaralioii du roi du i7 juin 1681 donnait aux enfauls
de parents protestants, dès l'âge de sept ans, le triple droit d'abju-
rer, de quitter la maison paternelle et de réclamer de leurs parents
une pension,
(2) Dccl. du roi du ii janvier 1686, sous peine d'amende pour
le maître et des galères pour le domestique.
LA FAMILLE CALAS. 61
culte, et il arrivait sans cesse que des serviteurs ca-
tholiques, dirigés par leurs confesseurs,- venaient à bout
de séduire les enfants confiés à leurs soins. Ce fut le cas
de Louis Galas, que Viguière avait vu naître ; ni lui ni
elle ne l'ont nié; mais ce qu'ils ne disent pas, ce que
le père et surtout la mère ont déclaré devant la justice
maintes fois avec une grande chaleur (1), c'est qu'en
toute cette affaire Louis, très-jeune alors (2), fut dirigé
par leurs plus proches voisins, autrefois leurs amis, le
perruquier Durand, sa femme et l'abbé Durand, leur fils,
que Jean Galas appelle so)i mortel ennemi, et enfin
l'abbéBenaben, ami de ce dernier. Ge sont eux, dit-il, qui
ont fait faire par Louis ses placets au ministre,ce sont eux
qui l'empêchèrent d'accepter la place qu'on lui avait pro-
curée à Nîmes. Il se plaint que les Durand lui ont fait
tout le mal qu'ils ont pu directement et indirectement.
La femme Durand a pleinement avoué qu'elle dirigeait
Louis, puisqu'elle a déposé elle-même que, u lors de
sa conversion, elle fut obligée de le faire changer trois
fois de suite de maison, crainte qu'on ne l'enlevât. »
L'abbé se plaint dans sa déposition qu'à ce moment les
sieurs Galas cessèrent de se faire raser par son père. Il est
facile de s'apercevoir que Jean Galas ne fut très-irrité
que contre cette famille et non contre Louis. Marc-
Antoine lui-même, plus sévère à F égard de son frère, a dit
(i)lnlerr. et Confr. de J. Calas et de la demoiselle Calas,
(2) Je n'ai pu trouver la date précise de la conversion de Louis, Mais
comme rarchevêque François de Crussol-d'Uzès-d'Amboise mourut
en 17 58, cette alTaire où il intervint datait de quatre ans au moins,
à la fin de 1761, et Louis ne pouvait avoir, au plus, que vingt ans.
D'après d'Aldéguier, il n'en avait pas encore dix-huit (note 7).
Ailleurs, le même écrivain lui en donne environ dix-neuf.
6
6â LA FAMILLE CALAS.
un jour qu'il le plaignait parce qu'il savait qu'on le lui
avait fait faire. Enfin, le soin que prirent les Du-
rand de cacher Louis h ses parents prouve combien ils
craignaient leur influence sur le nouveau converti (1).
Il est impossible de nier que, sous cette impulsion
étrangère, le jeune Louis n'ait mêlé aux tendances ca-
tholiques qu'il avait reçues de la vieille servante, des
vues très-positives et très-intéressées. Sa conversion
ne fut pas le premier ni le seul chagrin qu'il donna à ses
parents. Il dit lui-même de soii abjuration (2) : « Je la
conduisis de concert avec d'autres projets sur mon éla-
blissement ; mon père fut presque aussitôt instruit de
l'un que de l'autre. » Et ailleurs (p. 7) : (( C'est la der-
nière chose qu'il apprit, après tous les sujets de tracas-
serie que je lui donnai pour mes intérêts. » Voici com-
ment il a raconté la découverte de son secret et la part
qu'y prit Marc-Antoiné :
Pénétré des sentiments de ma nouvelle religion, mon zèle
trop ardent me porta a méditer un projet dont mon père eut
très lieu d'être fâché : j'osai adresser un Placet, sans l'en aver-
tir, à M" l'Intendant, dans lequel je lui demandais sans sujet, de
m'obtenir du Roi des ordres pour me séquestrer, ensemble
avec mes sœurs et mon frère Jean-Louis-Donat. Je laissai im-
prudemment tomber de ma poche cet écrit téméraire." Marc-
Antoine mon frère s'en saisit. C'était un jour que j'étois dans
(i) Cet abbé Durand mourut, an mois d'octobre 17 63, d'une fièvre
maligne qui l'emporta en sept jours. La sœur A.-J. Fraisse en ra-
contant à M'"' Calas, pour qu'elle en fasse part à son frère Louis, la mort
de cet ennemi de sa famille, ajoute ces mots bien certainement ironi-
ques : Il est mort en saint comme il avait vécu. La religieuse se re-
pentit aussitôt de celte ironie malséante et l'effaça. Mais il est très-
facile de lire les mois qu'elle a barrés,
(2) Mém. juslif,, p, 4,
LA FAMILLE CALAS. 63
le magazin de mon père : j'essuyai de la part de mon raallieu-
reux frère, sur cette entreprise, des reproches amers, et surtou t
contre mon inexpérience et mon ingratitude envers un père qui
ne me refusait rien pour mon avancement.
Honteux de ces reproches mérités, il n'osa pas aflVon-
ter la douleur de sa mère et la juste indignation d'un père
si cruellement offensé. Il s'enfuit chez ses amis Durand,
et se ménagea des intelligences avec Viguière, qui lui
donnait des nouvelles de sa famille et même lui porta de
l'argent (1). Il se tint caché pendant quelque temps chez
les dames Larroqtie et Peyre. Delà il négociait avec son
père. La conversion d'un protestant était encore à cette
époque un mérite dont chacun se faisait gloire et qui
pouvait devenir avantageux. Un Conseiller au Parlement,
M. de La Mothe, à qui l'on lit honneur de celte abjura-
tion, se chargea d'aller l'annoncer à la famille. Jean Ca-
las, éclairé par la découverte du placet, ne pouvait que
s'y attendre et ne devait pas regretter la présence dange-
reuse d'un fds qui avait voulu se venger de quelques re-
fus, en lui faisant enlever ses quatre enfants mineurs.
De pareilles demandes avaient toujoiu's chance d'être
écoutées. Le père répondit froidement au Conseiller de
La Mothe, par ces paroles aussi simples que dignes :
(( J'approuve la conversion de mon fds, si elle est sin-
(( cère. Prétendre de gêner les consciences ne sert ja-
« mais qu'à faire de parfaits hypocrites qui finissent par
(( n'avoir aucune religion (2). »
Il est remarquable que les Galas, lorsqu'on les accusa
plus tard d'avoir persécuté Louis, qui ne rentra jamais
(i) Confronlalion de Jeanne Viguier.
(2) Déclaration de Louis Calas,
6Zl LA FAMILLE CALAS.
chez eux, demandèrent toujours en vain qu'on fît citer
M. de La Mothe, pour rendre compte de ce qu'il avait vu
et entendu. Ce témoignage, trop favorable, fut systéma-
tiquement écarté; c'eût été un scandale aux yeux des
juges qu'un membre du Parlement parut, dans cette
cause , comme témoin h décharge.
La négociation entre Louis et son père , toujours par
intermédiaires, se prolongea. Calas lui envoya tous ses
effets, et lui fit faire l'habit qu'il demandait, pareil à
celui de son frère aîné. I\Iais il voulait avec raison éloi-
gner son fds des Durand, et il lui avait trouvé une place
à Nîmes chez un catholique, fabricant de bas. Louis, sou-
tenu par ses conseillers, refusa obstinément de quitter
Toulouse, probablement parce qu'il voulait la victoire en-
tière (1). Il l'eut. Il attendit patiemment le retour de
l'Archevêque, absent. M. de Crussol, alors Arche-
vêque de Toulouse, manda chez lui Calas et arrangea
r affaire. Il va sans dire que ce fut en obligeant le père
huguenot à céder au fds converti. Louis fut placé k
Toulouse. Son père paya /jOO livres pour son apprentis-
sage et 600 pour des dettes contractées sans son consen-
tement. Cette dernière libéralité prévint un ordre du
Ministre qui la commandait. Mais le jeune homme ne se
tint pas pour content. Après le Conseiller et l'Archevê-
que, il lui restait le Ministre à exploiter contre son père.
(0 Le prétexte qu'il en donnalui fut sans doute suggéré ; en tout
cas, il est caractéristique. « Ne me croyant pas encore assez affermi
dans la nouvelle Foi que je venais d'embrasser, je craignis le danger,
pour ma persévérance, d'aller dans une Ville que personne n'ignore
être malheureusement infectée, pour la plus grande partie, de l'Er-
reur que je venais de quitter. » Je suis convaincu que celte phrase
n'est pas de Louis, et ce style me semble trahir, même en ce moment
où il défend sa famille, quelqu'un de ses conseillers ecclésiastiques.
LA FAMILLE CALAS. 65
Malgré sa bonne volonté , dit-il dans ses tristes aveux,
je ne cessai de lui faire de nouvelles demandes. J'eus même
la témérité de lui écrire une lettre pleine de menaces, que s'il
ne me faisait pas une pension suflisante et relative à mes be-
soins, je m'adresserais aux puissances pour l'y contraindre.
L'effet le plus prompt suivit de près cette menace : je présentai
un placet au ministre, au sujet de ma pension ; demande que
mon père improuvait moins que la route que ma trop grande
précaution m'avait fait prendre, et, nonobstant ma précipitation,
il consentit à régler cette pension avec un négociant, ancien
Capitoul de cette ville. Mon père n'insistait que sur la dureté
des temps et la médiocrité de sa fortune. Il fut enfin conclu
que la somme annuelle de 100 livres me serait adjugée pour
mon entretien.
Nous verrons plus tard que le placet de ce fils avide
et ingrat laissa des traces funestes dans l'esprit du
tout-puissant ministre. Sans doute, ces diverses sommes
paraîtraient fort insignifiantes aujourd'hui; mais, à
cette époque et surtout dans les provinces les plus éloi-
gnées de Paris, l'argent était rare. Nous verrons d'ail-
leurs des preuves trop positives de la gêne où se trouvait
Galas (1). Il donnait ainsi au désertPAiràQ la famille plus
qu à aucun de ses frèœs. Il déclara (dans ses confronta-
tions) que, depuis cette époque, il lui avait envoyé de
l'argent à diverses reprises, en sus des sommes con-
venues, par l'intermédiaire de M. de La Motlie.
Ces arrangements définitifs amenèrent le père et le
fils à se revoir. L'entrevue se passa chez un négociant,
l'ancien Capitoul Borel, et en sa présence. Calas
(0 M. Calas, dit le témoin Alexandre Fabre, n'a p« payer 50
ivres échues de la pension de son fils Louis, « malgré menace de
lui envoyer la garnison.»
6.
66 LA FAMILLE CALAS.
embrassa tendrement son fils et lui dit : « Pourvu que tu
continues de te bien conduire et d'être sage, je ferai pour
toi plus que tu ne penses (1). »
Dès lors, toute relation directe cessa entre Louis et
sa famille, à l'exception des réclamations qu'il trouvait
moyen de faire parvenir à son père, dès qu'un des quar-
tiers de sa pension était en retard. 11 en avait parlé en-
core à Marc- Antoine, le 12 octobre, veille de sa mort.
Afin de rendre moins invraisemblable le meurtre du
fils aîné, on a accusé les Calas de cruauté envers Louis;
il importe par conséquent de se rendre un compte exact
de leur conduite envers ce fils devenu catholique ; nous
citerons à ce sujet la déposition très-positive d'un cha-
noine, ami de la maison, l'abbé Azimond, que Louis
avait envoyé ci son père en décembre 1760, pour lui de-
mander des fonds, afin d'établir un magasin en s' asso-
ciant avec un sieur Bordes. Le père répondit qu'il n'avait
point d'argent comptant, mais qu'il consentirait k donner,
pour 3,000 fr. en argent, 10,000 fr. en marchandises; que,
du reste, il ne lui conseillait pas de s'établir encore, comme
étant trop jeune. Il ajouta « qu'il désirait fort son avance-
ment et qu'il ne l'aimait pas moins, quoiqu'il eût changé
de religion (2). » Et comme Marc-Antoine, qui était pré-
sent, s'opposait à ce que son père fît un don aussi consi-
dérable à Louis, en lui rappelant avec emportement les
torts de son frère et son abjuration, le sieur Jean Calas,
dit l'abbé Azimond, fut obligé de lui imposer silence.
Cette violente opposition n'empêcha pas le père de per-
sévérer dans son ofi"re en faveur de Louis. (( 11 m'en parla,
(0 Défi., p. 5 ; //>/■(/., p. 5; Mém. jiisl. , p. 6.
(2) Arcli, Inip. voir aussi Méni. jiislif. , ibid.
LA FAMILLE CALAS. 67
ajoute le chanoine, avec tout l'amour qu'un père peut
avoir pour ses enfants, et de toute sa famille qu'il aimait
tendrement. Je n'ai connu en lui que des sentiments
d'honneur et de probité. »
Loin d'être des fanatiques implacables et dénaturés,
ses parents n'avaient donc pas cessé un seul instant de le
chérir, et un prêtre impartial nous les montre encore prêts
à venir en aide k leur fds, selon la mesure de leurs
moyens, dans une entreprise qu'ils ne lui conseillent
point, et malgré la colère et les efforts de son frère aîné.
11 est absolument faux qu'ils aient renié ou chassé
Louis, pour le punir d'avoir abjuré ; ce furent au con-
traire ses conseillers catholiques qui le tinrent soigneu-
sement éloigné d'une maison oii ils craignaient qu'on
n'agît sur sa conscience et sur spn cœur, pour le rame-
ner à la foi protestante. Nous aurions pu supposer, et
même conclure de divers indices, qu'il en fut ainsi ;
mais un prêtre qui devait le savoir mieux que personne,
l'abbé de Gontezat, le déclare formellement, dans sa
violente brochure contre Paul Rabaut (1); il est certain
que la séparation de Louis d'avec ses parents avait été
ordonnée par ses protecteurs.
Il résulte d'ailleurs de la déclaration du roi, citée
plus haut, que c'était une règle^établie, un usage généra-
lement pratiqué, de ne jamais laisser retourner chez leurs
parents un fds ou une fille qui avaient abjuré, de peur
qu'ils ne fussent tentés de revenir au protestantisme.
Plus tard, dans tout le cours de cette malheureuse
histoire, nous verrons Louis Calas agissant tantôt pour
ses parents, dont il prit hautement le parti, tantôt aux
(I) Observai ious, Ole, \). 7. Voir Bibhogr. , n" l'i.
68 LA FAMILLE CALAS.
dépens de sa famille et en faveur de l'Eglise à laquelle il
s'était uni, mais, toujours et partout, cherchant à se pro-
curer de l'argent par des moyens plus hardis que dé-
licats.
Donat, le plus jeune des quatre frères, le dernier en-
fant de la famille, était apprenti dans une maison de com-
merce à Nîmes, lors du malheur qui frappa tous les siens.
On lui donna le conseil de fuir à l'étranger, pour éviter
d'être enveloppé dans des dangers qu'il était trop jeune
pour affronter utilement. Cette disparition parut suspecte
et l'on ne manqua pas d'y chercher un nouveau crime.
(( A la démence de ces calomnies, écrivit plus tard le
jeune Donat, on ajouta celle de dire que mon père m'a-
vait assassiné. J'étais alors très-loin de ma famille et je
fus obligé d'envoyer un certificat de vie (1). » Agé alors
de quinze ans, et fort joli de figure, ce fut cet enfant
que Voltaire fit venir pour l'interroger et dont les ré-
ponses naïves et les larmes gagnèrent à sa famille le pro-
tecteur puissant qui leur fit rendre justice.
Nous n'avons rien que d'honorable à dire des deux de-
moiselles Calas. Le 13 octobre, elles étaient à Séchabois;
c'était la maison de campagne d'un négociant, intime
ami de leur famille, Teissier. L'accusation a voulu voir
dans cette circonstance une preuve de la résolution prise
})ar les parents d'assassiner leur fils amé. Il serait naturel
en elfet que, voulant commettre un crime aussi épouvan-
table, ils eussent éloigné leurs filles, ne fût-ce que par
prudence. Interrogée à ce sujet (2), M"' Calas répondit
(i) Lettre à 1* Archevêque de Toulouse, p. 23. Noir Bibliogra-
phie, n" 19.
(a) Arch. Imp. — Interr. de laD"* Calas.
LA FAMILLE CALAS. 69
simplement que ce séjour de ses filles au sein de la fa-
mille Teissier avait lieu tous les ans. Comme l'année
précédente, leur frère Pierre (1) les avait conduites k
Séchabois ; comme l'année précédente aussi, leur père
et leur mère devaient aller plus tard y passer quelque
temps avec elles et les en ramener (2) .
Ces deux jeunes filles se ressemblaient, ou plutôt res-
semblaient cl leur mère, comme du reste, tous ses
enfants. Mais rien n'était également réparti entre elles ;
beauté, grâce, intelligence, la cadette avait tout en
partage.
L'aînée des sœurs, nommée Anne-Rose comme sa
mère, était une personne fort ordinaire ; il n'y a pas,
dans tous nos documents un mot à relever qui lui soit
personnel. Elle mourut sans avoir été mariée.
Il en est tout autrement d'Anne, laplus jeune, qu'on ap-
pelait familièrement Nanette (3) , et qui devint plus tard la
femme du pasteur Duvoisin. Grimm décrit avec enthou-
siasme ses traits charmants, sa grâce touchante et naïve.
Un juge beaucoup plus sévère rendit souvent l'hom-
mage le plus chaleureux et le plus impartial à son ca-
ractère élevé, à sa conduite dirigée par le tact le plus
délicat. La sœur Anne- Julie Fraisse, dont elle fut l'é-
lève, en vertu d'une lettre de cachet, au couvent des Vi-
(i) Voir aussi Mém. juslif. de Louis, p. lo.
(2) M^ Sudre demanda, dans son deuxième Mémoire, Taulori-
salionde prouver que Calas avait invité un bourgeois de ses amis à
aller avec lui, sa femme et sa jeunesse, passer le dimanche chez Teis-
sier. Ce fait justificatif ne fut pas plus examiné que les autres.
(3) Nous ferons souvent de môme, pour éviter toute confusion avec
sa mère, sa sœur, et la religieuse de la Visitation qui portaient
toutes le même nom.
70 LA FAMILLE CALAS.
sitandiiies, devint son amie, tout en se désolant sans
cesse de n'avoir pu réussir à la convertir. Nous pu-
blions plus loin la correspondance spirituelle et touchante
de cette religieuse, déjà avancée en âge, avec la fille du
martyr protestant et la femme du pasteur. Cette cor-
respondance dura douze ans, et la mort seule l'inter-
rompit. On y verra à quel point Nanette avait gagné
le cœur des religieuses et surtout de sa directrice, per-
sonne aussi remarquable par sa vive intelligence que par
sa pieuse charité, et qui devint un champion courageux
et zélé des Galas, défendant par sentiment de justice et
de bonté, ces protestants dentelle déplorait la perdition
éternelle, et travaillant ainsi à la même œuvre que Vol-
taire, dont le nom lui était en abomination.
C'est un honneur pour la cause des Calas que d'avoir
ainsi enrôlé dans un même combat, en faveur d'une
famille protestante persécutée, les encyclopédistes à Pa-
ris et les Visitandines à Toulouse. Nous verrons agir à la
fois pour la veuve et les orphelins de Calas, Voltaire, du
fond de son château de Ferney, la sœur Anne-Julie,
de son monastère de la Visitation, et Paul Fiabaut, du
Désert.
CHAPITRE IV
LES FAITS.
Arrivée de Lavaysse, — Récit de M^e Calas. — Men-
songe des accusés. — Lettres de M*" Charrière.
Prssimvm navKjue cl jiericulosmn rsl cjucv\qvam de
suspicione judicare.
C'est chose de'testaWe et périlleuse que de con-
damner quelqu'un sur des pre'somptions.
[Capiiulaires de Charleviagne.)
Un seul des personnages de ce drame lugubre, une
seule des victimes reste à connaître, c'est l'homme à
l'habit gris, c'est le porte-épée, comme l'appellent les
marchandes de la rue des Filatiers, François-Alexandre-
Gaubert Lavaysse. Né à Toulouse le 2k octobre ITM,
il n'avait pas vingt ans accomplis.
Sa famille avait été anoblie et occupait une position
considérable. C'était le troisième fils de M. David La-
vaysse, un des avocats les plus connus du Midi. « Il
existe encore, dit l'historien du Languedoc (1), un grand
(l) Dom Vaysselle, ou plulôl son conlinualeur.
72 LES FAITS.
nombre de mémoires de sa main, et l'on y remarque une
connaissance parfaite de l'un et de l'autre droit, une
dialectique entraînante, et quelquefois une éloquence peu
commune. )> Le même auteur ajoute que souvent ses
amis l'avaient engagé à acheter une charge déconseiller
au Parlement ; il avait préféré continuer sa profession.
Ajoutons, cependant, que cet homme de talent manqua
complètement d'énergie dans le malheur et s'attira les
vives réprimandes de Voltaire pour s'être laissé abattre
par le coup qui atteignit son fils, et n'avoir osé d'abord le
défendrequ'en secret. Il étaitprotestant, ainsi que tous ses
enfants, quoiqu'il eût été élevé par les jésuites, auxquels
il ne craignit pas de confier ses fils. Ils étaient tous en rè-
gle avec l'autorité, ayant fait pour la forme les actes de
catholicité qu'on avait exigés d'eux. M. et M""" Lavaysse,
qui était une demoiselle Faure, de Castres, habitaient en
été un domaine qu'ils possédaient à Garaman, et où le chef
de la famille était né en 1695. Ils avaient eu un grand
nombre d'enfants, dontsix leur restaient. Leur fille aînée,
M'"*" Sénovert, femme d'un avocat, était mère d'une
nombreuse famille qui se trouvait également à Garaman.
Après avoir travaillé deux ans chez un négociant de Tou-
louse, qui au bout de ce temps ferma sa maison, le jeune
Gauberi désira entrer dans la marine commerciale, et son
père l'avait envoyé à Bordeaux pour y recevoir des le-
çons de pilotage et d'anglais, et pour passer quelque
temps chez un armateur. Vers la fin de ces études spécia-
les, David Lavaysse apprit que son beau-frère, le sieur
Faure, établi au cap Français (Saint-Domingue), venait
d'être chargé par testament de gérer les alfaires d'un
dos plus riches négociants de la colonie, nommé Magnon,
et pouvait créer dans ce pays à son neveu une car-
LES FAITS. 73
rière lucrative et honorable. Il résolut d'envoyer
Gaubert auprès de son oncle, dès qu'il aurait ter-
miné son cours de pilotage. Tous ces faits sont prou-
vés, et l'on peut voir aux Archives Impériales les cer-
tificats originaux, l*» du père Lagorrée, préfet du col-
lège des Jésuites, où Gaubert avait étudié depuis l'âge de
huit ans jusqu'à seize (1) ; 2^* des chefs de la maison Du-
clos, de Toulouse, chez lesquels il avait été placé ; 3° de
six de leurs employés ; k° et 5° de ses professeurs d'an-
glais et d'hydrographie à Bordeaux ; 6*^ de l'armateur
Fesquet, chez lequel il avait travaillé seize mois ; 7°, 8°, 9'
de deux prêtres de Bordeaux, et du curé de la paroisse
où il avait vécu. Dans cette longue série de témoignages
qui le prend tout enfant et se termine à quelques jours
de la date fatale, tout le présente comme fort doux de ca-
ractère, droit et honnête. Il était naturel qu'avant de
l'envoyer à Saint-Domingue pour plusieurs années, ses
parents voulussent le revoir. Ce fut le but de son funeste
voyage.
Son départ de Bordeaux avait été retardé, faute d'ar-
gent, pendant quelques jours. Il en avait passé trois
à Montauban ; on ne l'attendait point à jour fixe, ce qui
d'ailleurs n'était guère possible à la façon dont on voya-
geait alors. Il arriva à Toulouse dans la soirée du 12,
et trouva fermée la maison de ville de son père ; on
était à la campagne. Il se rendit alors chez Cazeing,
auquel il portait des lettres et qui était aussi lié avec ses
parents qu'avec les Galas. Cet ami de sa famille lui offrit
un souper et une chambre. Le lendemain, une forte pluie
l'empêcha de sortir jusqu'à midi. Dès qu'elle cessa, il se
(0 Lav. 1.
Ik LES FAITS.
mit en quête d'un cheval de louage pour se rendre à Ca-
raman et n'en trouva point, à cause des vendanges, qui h
ce moment de l'année sont l'occupation générale de tout
le pays.
Vers quatre heures, en passant devant la boutique des
Calas, il y vit des femmes de Garaman. Il entra aussitôt
dans cette maison dont il connaissait les maîtres, de-
manda à ces paysannes des nouvelles de sa famille, et
conta son embarras. Pierrj Galas s'offrit à l'aider dans
ses recherches et le père l'invita k souper. Il accepta cette
politesse que plus tard ce même Galas, en mourant sur
la roue, regrettait aiuèrerasnt de lui avoir faite, parce
qu'elle l'enveloppa dans tous les malheurs de ses hôtes.
Toutes les circonstances qui précèdent ont été démontrées
au procès, et il reste k expliquer pourquoi une famille
qui aurait formé l'horrible résolution de se défaire d'un
de ses membres, inviterait un étranger à prendre part à
ce meurtre qu'il n'aurait aucun motif de commettre.
(iaubert et Pierre Galas coururent la ville ensemble,
cherchant un cheval sans en trouver; vers sept heures,
ils accompagnèrent les étrangères venues de Garaman
jusqu'à l'auberge d'oii elles devaient partir pour retour-
ner chez elles le même soir ; Lavaysse alla ensuite pré-
venir Gazeing son hôte qu'il soupait chez les Galas, et
revint partager ce repas, qui fut pour longtemps son
dernier moment de liberté et de sécurité.
On est saisi d'horreur en songeant que ce doux et bon
jeune homme était, dans l'imagination atroce des accusa-
teurs, un bourreau mandé de Bordeaux par les protestants
de Toulouse, pour l'exécution de Marc-Antoine. (( On le
dit le mcrificateur de sa religion, c'est-à-dire honoré de
l'emploi horrible d'étrangler ceux qui font mine de se
LES FAITS. 75
convertir (1). » Quelques-uns ajoutaient cette circons-
tance aggravante, qu'il devait être ministre du Saint-
Evangile, le tout fondé sur ces deux motifs qu'il était
inconnu et qu'on le vit sortir le premier et en courant
de la maison des Galas, pour aller chercher le chirur-
gien Gamoire. On le prit pour un assassin qui s'enfuit,
et quand on le vit rentrer trois fois de suite (2) , quand
enfin il força la consigne des soldats du guet pour pé-
nétrer dans cette demeure d'oiiil allait sortir prisonnier,
on ne daigna pas remarquer que ce n'est pas ainsi qu'un
meurtrier se cache ou s'échappe.
Que s'était-il donc passé dans l'intervalle? Quelle
était la scène de mort qui s'était accomplie dans celte
maison et dont le cadavre muet du fils aîné était l'uni-
que mais irréfragable preuve ? Il est temps de le dire,
mais au lieu de le raconter, nous reproduirons le récit
qu'en fit M'"^ Galas elle-même. G'est une lettre adressée
soit au négociant Debrus, soit à l'avocat de Végobre,
qui tous deux avaient connu les Galas à Toulouse, et
reçu chez eux l'hospitalité. Il est impossible de douter de
l'authenticité de cette lettre ; Voltaire, dans le temps
où il cherchait à s'assurer de la vérité sur cette affaire,
demanda un récit des faits écrit par la mère de Marc-
Antoine, par la veuve du supplicié. Quand cette lettre
lui fut communiquée, il fut frappé de cette narration
naïve, exempte de toute déclamation, et la publia aussi-
tôt. Il crut avec raison que la parfaite sincérité de l'é-
(1) Lettre de Couder. Voir Bihliogr., n''2i.
(2) La première, après être allé chez Gamoire, qui était sorti;
la seconde, après avoir trouvé Cazeing ; la troisième, en ramenant
Monyer et Savanicr.
76 LES FAITS,
crivain, cette douleur de mère maîtrisée et contenue avec
effort, ne perdraient rien de leur éloquence à la familia-
rité des détails, à l'incorrection de quelques idiotismes
de province (1), àl'étrangeté de quelques phrases pen-
sées en patois du Languedoc, avant d'être écrites en
français, comme il arrive encore, dans le midi de la
France, à certaines personnes.
« Yoici exactement le détail de notre malheureuse atlair»*,
tout comme elle s'est passée au vrai :
« Le 13 octobre 1761, jour infortuné pour nous, M. Goberl
La Vaisse, arrivé de Bordeaux où il avait resté quelque temps,
pour voir ses parents, qui étaient pour lors a leur campagne,
et cherchant un cheval de louage pour les y aller joindre, sur
les quatre a cinq heures du soir, vint à la maison ; et mon mari
lui dit que puisqu'il ne partait pas, s'il voulait souper avec
nous, il nous ferait plaisir ; a quoi le jeune homme consentit ;
et il monta me voir dans ma chambre, d'où, contre mon or-
dinaire, je n'étais pas sortie. Le premier compliment fait, il ww
dit : « Je soupe avec vous, votre mari m'en a prié. » Je lui en
témoignai ma satisfaction, et le quittai quelques moments pour
aller donner des ordres à ma servante. En conséquence, je lus
aussi trouver mon iils aine que je trouvai assis tout seul dans
la boutique, et fort rêveur, pour le prier d'aller acheter du
fromage de Roquefort; il était ordinairement le pourvoyeur
pour cela, parce qu'il s'y connaissait mieux que les autres. Je
lui dis donc : « Tiens, va acheter du fromage de Roquefort; voilà
« de l'argent pour cela, et tu rendras le reste à ton père (2); »
et je retourne dans ma chambre joindre le jeune homme (pie j'y
Cl) Fenussiers pour loueurs de chevaux , faire lumière ^ avoir
resté f etc.
(•2) On remarquera combien celle recoramandalion cl ce rapide
portrait de Marc-Anloine s'accordent avec tout ce que nous avons dil
de lui.
LES FAITS. 77
avais laissé. Mais peu d'instants après, il me quitta, disant
qu'il voulait retourner chez les fenassiers voir s'il y avait
«pielque cheval d'arrivé, voulant absolument partir le lende-
main pour la campagne de son père, et il sortit.
'( Lorsque mon fils aîné eut fait l'emplette du fromage,
l'heure du souper arrivée (i), tout le monde se rendit pour se
mettre a table, et nous nous y plaçâmes. Durant le souper qui
ne fut pas fort long, on s'entretint de choses indifférentes, et
entre autres des antiquités de l'Hôtel-de-Ville, et mon cadet
(Pierre) voulut en citer quelques-unes, et son frère le reprit,
parce qu'il ne le racontait pas bien, ni juste.
'( Lorsque nous fûmes au dessert, ce malheureux enfant, je
veux dire mon iils aîné, se leva de table, comme c'était sa
coutume, et passa a la cuisine. La servante (2) lui dit : « Avez-
'( vous froid, Monsieur l'aîné? Chauffez-vous. » Il lui répondit :
'. Bien au contraire, je brûle ; »> et sortit.
«< iVous restâmes encore quelques momentsâ table, après quoi
nous passâmes dans cette chambre que vous connaissez, et où
vous avez couché, M. La Vaisse, mon mari, mon fils et moi;
les deux premiers se mirent sur le sopha, mon cadet sur un
fauteuil, et moi sur une chaise, et là nous fîmes la conver-
sation tous ensemble. Mon Iils cadet s'endormit, et environ sur
les neul heures trois quarts a dix heures M. La Vaisse prit
congé de nous, et nous réveillâmes mon cadet pour aller ac-
compagner ledit La Vaisse, lui remettant le flambeau à la main
pour aller lui faire lumière, et ils descendirent ensemble.
<( Mais lorsqu'ils furent en bas, l'instant d'après, nous en-
tendîmes des cris d'allarme, sans distinguer ce que l'on di-
sait, auxquels mon mari accourut, et moi je demeurai trem-
blante sur la galerie, n'osant descendre, et ne sachant ce que
ce pouvait être.
(1) Sur les sept heures
(2) La cuisine étaii auprès de la salle à manger, au premier
étiig'\
7.
78 LES FAITS.
« Cependant, ne voyant personne venir, je me déterminai de
descendre, ce que je lis; mais je trouvai au bas de l'escalier
M. LaVaisse, a qui je demandai avec précipitation qu'est-ce
qu'il y avait ? Il me répondit qu'il me suppliait de remonter,
que je le saurais; et il me fit tant d'instances que je remontai
avec lui dans ma chambre. Sans doute que c'était pour m'é-
pargnerla douleur de voir mon fils dans cet état, et il redes-
cendit. Mais l'incertitude où j'étais, était un état trop violent
pour pouvoir y rester long-temps ; j'appelle donc ma servante,
et lui dis : « Jeannette, allez voir ce qu'il y a là-bas; je ne sais
pas ce que c'est, je suis toute tremblante; » et je lui mis la
chandelle à la main et elle descendit ; mais ne la voyant point
remonter pour me rendre compte, je descendis moi-même.
Mais, grand Dieu ! quelle fut ma douleur et ma surprise, lors-
que je vis ce cher fils étendu à terre ! Cependant je ne le crus
pas mort, et je courus chercher de l'eau de la Reine d'Hongrie,
croyant qu'il se trouvait mal ; et comme l'espérance est ce qui
vous quitte le dernier, je lui donnai tous les secours qu'il m'é-
tait possible pour le rappeler a la vie, ne pouvant me persua-
der qu'il fût mort.
« Nous nous en flattions tous, puisque l'on avait été cher-
cher le chirurgien, et qu'il était auprès de moi, sans que je
l'eusse vu ni aperçu, que lorsqu'il me dit qu'il était inutile de
lui rien faire de plus, qu'il était mort. Je lui soutins alors que
cela ne se pouvait pas, et je le priai de redoubler ses atten-
tions, et de l'examiner plus exactement, ce qu'il fit inutilement;
cela n'était que trop vrai. Et pendant tout ce temps-là mon
mari était appuyé sur un comptoir à se désespérer ; de sorte
quo mon cœur était déchiré entre le déplorable spectacle de
mon fils mort, et la crainte de perdre ce cher mari, de sa dou-
leur à laquelle il se livrait tout entier sans entendre aucune
consolation ; et ce fut dans cet état que la justice nous trouva,
lorsqu'elle nous arrêta dans notre chambre, où on nous avait
lait remonter.
« Yoilà l'affaire tout comme elle sVst passée mot à mot ; et
LtS FAITS.
je prie Dieu, qui connaît notre innocence, de me punir éter-
nellement, si j'ai augmenté ni diminué d'un iota, et si je n'ai
dit la pure vérité en toutes ces circonstances j je suis prête à
sceller de mon sang cette vérité (1 ), >>
Comment ne pas être ému de ce langage aussi ferme
que touchant ? Comment ne pas y reconnaître une mère
en qui la douleur, que son récit renouvelle, est dominée
par le désir de réhabiliter le mari qu'elle pleure et de sau-
ver du déshonneur les tristes restes de sa famille? N'est-
ce pas un trait de vérité frappant que ce mot, à propos du
chirurgien : « Il était auprès de moi, sans que je l'eusse
vu ni aperçu, que lorsqu'il me dit qu'il était inutile de lui
rien faire de plus; qu'il était mort. » Et après ce mot fatal,
quelle vérité dans sa naïve réponse: a Je luisoutins alors
que cela ne se pouvait pas ! )> Dans un autre endroit, c'est
bien une mère de famille qui se peint elle-même, le coeur
déchiré entre son fds mort et l'inquiétude que lui causait
le désespoir de son mari ; le père ne voyait plus que le
fils qu'il venait de perdre ; elle songeait à tous deux,
(i) Nous empruntons cette signature à la lettre de M"* Calât à
la Beaumelle que nous donnons plus loin (note vu, à la fin du vo-
lume}. L'original appartient à M. Maurice Angliviel.
80 LES FAITS.
même dans l'horrem- du premier moment ; elle le dit,
sans s'apercevoir qu'elle prouve sa force d'âme.
Aussi sommes-nous entièrement, sur cette lettre, de
l'opinion qu'exprimait Voltaire avec tant de chaleur lors-
qu'il écrivait au marquis d'Argence de Dirac (à propos
de Fréron qui avait réfuté ses arguments en faveur des
Calas) :
« Si cet homme avait lu la lettre que M""* Calas écrivit, delà
retraite où elle était mourante et dont on la tira avec tant do
peine ; s'il avait vu la candeur, la douleur, la résignation qu'elle
mettait dans le récit du meurtre de son fils et de son mari, et
cette vérité irrésistible avec laquelle elle prenait Dieu h témoin
de son innocence... etc. (1)»
A ce récit, où l'énergie du caractère de M*"^ Calas se
laisse entrevoir à travers ses larmes et les contient,
ajoutons les faits que nous fournissent les interroga-
toires et nos documents.
Quand Lavaysse était rentré pour le souper, avec
Pierre Calas, qui l'avait aidé dans ses recherches, ce
dernier tira après lui la porte de la maison et elle se
ferma par son propre poids. Cette circonstance, où l'on
a vu la préméditation d'un crime, était fort simple; il
était d'usage chez les Calas, comme en général chez les
marchands de la ville, de fermer la maison pendant les
repas.
Les deux jeunes gens montèrent dans la chambre de
M*"^ Calas ; elle y était avec son mari et son fds aîné, que
Lavaysse décrit, enfoncé dans son fauteuil, la tête ap-
puyée sur une main, et ne faisant aucmie attention à
(0 Voir Bibliographie, n° iC.
LES FAITS. 81
eux. A table Marc-Antoine mangea peu, but plusieurs
verres devin, et au dessert se leva et sortit, suivant son
habitude.
Deux heures environ s'écoulèrent ; M™*' Calas, qui avait
pris lui ouvrage de broderie, travaillait en causant avec
son mari et Lavaysse. Quand ce dernier voulut se retirer,
il se trouva que Pierre s'était endormi ; on fut obligé de
le réveiller, mais il en eut honte et ne voulut pas en con-
venir ; tous le plaisantèrent ; on rit aux éclats et l'on
se sépara gaîment; dernier éclair de joie! Déjà la mort
était dans la maison. Ils allaient le savoir.
11 était entre neuf heures et demie et dix heures. La-
vaysse descendit, accompagné par Pierre, et fit le pre-
mier une remarque très-naturelle qui amena la décou-
verte du cadavre : la porte qui faisait communiquer le
corridor avec la boutique était ouverte. Etait-ce une né-
gligence de la servante, ou quelqu'un s'était-il introduit
dans le magasin ? Pierre y entra pour s'en assurer. Son
ami le suivit, et tous deux, saisis d'horreur, poussèrent
des cris d'effroi en trouvant Marc- Antoine pendu h la
porte intérieure qui faisait communiquer la boutique avec
une arrière-boutique qu'on appelait le magasin. En tra-
vers et sur les deux battants de cette porte ouverte,
Marc-Antoine avait posé un de ces billots ou billes, gros
bâtons ronds, aplatis h un bout, avec lesquels on serrait
les ballots d'étoffes. C'est à ce billot qu'il s'était pendu
avec une corde à double nœud coulant. Il était en man-
ches de chemise. On remarqua plus tard que ses cheveux
n'étaient point en désordre, ni ses vêlements froissés.
Les agents de la justice trouvèrent son habit de drap gris
et sa veste de nankin posés sur le comptoir et plies avec
soin, étrange détail qui prouve bien, non-seulement une
82 LES FAITS.
mort volontaire, mais cette froide détermination avec
laquelle on exécute un suicide auquel on a longtemps
songé. Pierre prit la main de son frère ; ce mouvement
fit balancer le cadavre, aussitôt les deux jeunes gens
épouvantés coururent appeler au secours.
A ces cris, le malheureux père descendit précipitam-
ment en robe de chambre ; ni l'un ni l'autre des deux
amis n'avait eu le temps ou la présence d'esprit de cou-
per la corde. Galas court au cadavre et le saisit dans ses
bras ; le corps étant soulevé ainsi, le billot roula à terre.
Aussitôt il coucha son fds sur le plancher, et ôta la
corde en élargissant le nœud coulant ; en même temps il
criait à Pierre : « Au nom de Dieu, cours chez Camoire
(un chirurgien voisin) ; peut-être mon pauvre fils n'est
pas tout à fait mort. )>
A cet ordre Pierre et Lavaysse sortirent en courant.
Le premier revint presque immédiatement avec Gorsse,
élève du chirurgien Camoire. Il trouva sa mère penchée
sur Marc- Antoine, lui frottant les tempes et s'efforçant
en vain de lui faire avaler un spiritueux. La bouche
se refermait d'elle-même comme par un ressort. Gorsse
s'aperçut immédiatement qu'il était trop tard ; il ôta la
cravate, vit la marque de la corde autour du cou et dé-
clara que Marc-Antoine était mort étranglé ou pendu.
Pierre en ce moment perdit la tête. Il sortit éperdu
pour aller ^ dit-il plus tard, demander conseil partout (1).
Il ne savait ce qu'il faisait, et son père le rappela en lui
disant : a Ne va pas répandre le bruit que ton frère
(0 « 11 alla aux Quatre-Billards demander en pleurant au Lil-
lardier si Marc-Anloinc avait eu querelle avec quelqu'un » (Arch.
Imp.)
LES FAITS. 83
s'est défait lui-même ; sauve au moins Flioiineur de la
misérable famille. »
Ce conseil de dissimulation eut des suites funestes,
mais n'était pas sans motifs ; la législation du temps sur
le suicide était barbare et hideuse. Elle avait pour point
de départ la loi romaine : Homicida sut imepultm ab-
jieiatur, loi qui emportait la confiscation de tous les biens
au profit de l'empereur. Le temps avait ajouté aux ri-
gueurs de cette ordonnance; on faisait le procès au cada-
vre comme on l'aurait fait àun vivant.En cas de condam-
nation, le corps, absolument nu, était traîné à travers les
rues sur une claie, le visage contre terre, aux huées de
la populace, qui souvent le souillait de boue ou le
meurtrissait c\ coups de pierres. Puis, ce corps était sus-
pendu au gibet, et les biens du mort, s'il en laissait, con-
fisqués au profit du Roi.
Cette épouvantable idée devait faire frémir un père;
d'ailleurs l'infamie publique de cette exécution dés-
honorait toute une famille; elle aurait couvert d'igno-
minie l'avenir des frères et des sœurs du suicidé. Jean
Calas voulut épargner ces horreurs à tous ses enfants, et
à la dépouille de son malheureux fds ces hideux outra-
ges. Il ne pouvait prévoir que ce mauvais conseil, donné
par lui à Pierre, était son propre arrêt de mort et de-
vait les exposer tous au dernier supplice. Terrible
exemple du mal que peut faire le mensonge, même
le plus innocent ! Il n'est personne peut-être qui n'eût
commis, en toute sûreté de conscience, cette faute
si naturelle. On ne se persuade pas assez que dire
la vérité c'est tout remettre à Dieu, tandis que mentir
par précaution c'est s'ériger soi-même en Providence ;
Providence d'autant plus impuissante qu'elle s'appuie
8/1 LES FAITS.
sur ce qui n'est pas. Un seul mot de mensonge, plus
excusable que tout autre, dicté par les intentions les
plus excellentes et les plus cruelles circonstances, a
suffi pour précipiter toute cette famille et son ami dans
un abîme de maux.
Pierre promit d'obéir, courut chez Cazeing, y retrouva
Lavaysse et lui demanda instamment de nier le suicide
de son frère ; Lavaysse eut le malheur d'y consentir.
(( Je croyais, dit-il ensuite, je croyais alors, pouvoir et de-
voir le promettre. » Aussi déclarèrent-ils tous trois
qu'ils avaient trouvé Marc-Antoine sans vie, sur le plan-
cher du magasin, comme le virent les Gapitouls elles té-
moins. C'était la vérité, quant aux deux femmes. C'était
faux, quant au père, quant à son fds Pierre et à Lavaysse,
qui tous trois l'avaient vu pendu.
Cettedissimulation est d'autant plus coupable, qu'inter-
rogés suivant l'usage sous la foi du serment, dès leur arri-
vée à l'Hôtel-de- Ville, ils persistèrent dans leur assertion
qui devenait ainsi un parjure. Jamais, au reste, imposture
ne fut plus maladroite, elle n'expliquait rien, et il fut fa-
cile aux Capitouls de s'assurer non-seulement que Marc-
Antoine était mort étranglé ou pendu, mais que ses pa-
rents devaient en savoir plus qu'ils n'en disaient.
« D'un autre côté ce mensonge, comme le remarque Tavocal
(le Calas (1), était sans gravité devant la loi, sinon aux yeux
de la morale religieuse. Il ne se produisit que dans un inter-
rogatoire qui est nul de plein droit : 1° parce qu'il ne fut
requis par personne ; 2* parce qu'il n'y avait encore ni accusés
ni procès. N'étant ni prévenus ni accusés et ne prévoyant pas
(i) Sndre, i oi "j.
LES FAITS. 85
qu'ils dussent l'être, ils durent tourner, s'il était possible,
toutes leurs pensées à sauver l'honneur du défunt (1). »
Voltaire essayait avec plus de chaleur encore de justi-
fier la dissimulation des Galas ; il rappelait la déclara-
tion de Pierre (p. 13) :
'( Mon père, dans l'excès de sa douleur, me dit : Ne \li pas
répandre le bruit que ton frère s'est défait lui-même ; sauve
au moins l'honneur de ta misérable famille. » Il est essentiel,
ajoute Voltaire, de rapporter ces paroles ; il l'est de faire voir
que le mensonge en ce cas est une piété paternelle ; que nul
homme n'est obligé de s'accuser soi-même, ni d'accuser son
fils; que l'on n'est point censé faire un faux serment quand,
après avoir prêté serment en justice, on n'avoue pas d'abord
ce qu'on avoue ensuite ; que jamais on n'a fait un crime a un
accusé de ne pas faire au premier moment les aveux nécessai-
res ; qu'enfin les Galas n'ont fait que ce qu'ils ont dû faire. Ils
ont commencé par vouloir défendre la mémoire du mort et ils
ont fini par se défendre eux-mêmes. Il n'y a dans ce procédé
rien que de naturel et d'équitable (2). »
Dès qu'ils se virent accusés, tous dirent la vérité, et
l'on aurait dû comprendre que cette fois ils étaient sin-
cères, parce qu'ils répondaient de même, quoiqu'ils fus-
sent enfermés séparément, sans aucune commtmication
entre eux. Leur première assertion avait pu être concer-
tée, puisqu' alors ils étaient libres ; leur aveu ne pouvait
être que vrai, ptiisqu'il était identique (3) de la part des
(1) Sudre, 2»
(2) A Damilaville, ociobro.
(S) Us différèrent en un seul point. On demanda à Calas par qui
8
86 LES FAITS.
trois hommes, sans possibilité de s'entendre ou de con-
naître même les réponses de leurs coaccusés. Malgré cette
preuve sans réplique, on ne voulut voir dans leui* décla-
ration qu'un deuxième système de défense, aussi faux que
le premier, ou plutôt un pas vers l'aveu du crime. Ils re-
connaissaient maintenant que Marc-Antoine était mort
pendu; on crut qu'ils finiraient par convenir qu'ils l'a-
vaient pendu eux-mêmes.
Lavaysse raconte (1) qu'à l'Hôtel-de- Ville, après les in-
terrogatoires, le greffier Savanier dit devant lui à David :
« Il est aussi vrai que c'est son frère qui l'a tué, comme
il l'est que je tiens une plume à la main. »
David répondit : a Je vois qu'il leur en coûtera quel-
ques tours de question qui, à coup sûr, feront ruisseler le
sang. ))
C'était là une menace, dont le but était d'effrayer les
accusés pour obtenir un aveu.
Il est évident que s'ils avaient persisté dans leur dissi-
la corde avait été coupée. U répondit qu'il ne le savait pas; il
croyait que Pierre ou Lavaysse l'avaient coupée au moment où il
soulevait le cadavre. 11 le croyait d'autant plus qu'on insistait sur
celte corde coupée comme sur un fait acquis. Pierre affirmait au
contraire que le billot, posé en travers sur les battants de la porte,
était tombé dès que son père avait soulevé le cadavre, et que la corde
devait se retrouver entière. On la chercha on effet, et on la trouva
par terre, avec le billot qui portait encore quelques cheveux du
mort ; elle n'était pas coupée. Lorsque Calas fut confronté avec son
fils, il répéta la môme réponse ; mais 1 ierre rectifia aussitôt le fait.
Calas alors expliqua que, n'éprouvant aucune résistance, il crut la
corde coupée par Pierre ou par Lavaysse. N'est-il pas facile de com-
prendre que ce détail minutieux, où deux accusés se contredisent, et
qui se rapporte à l'instani où le malheureux père fil à son tour l'hor-
rible découverte du suifide, a dû Cire mieux observé par son fils,
moins bouleversé que lui-inèine ?
(l)Lav., 3.
LES FAITS. 87
mulation première, ils se perdaient. C'est ici que se place
un incident dont on a abusé récemment contre les
Calas.
Lavaysse raconte (1) que le U, à dix heures du matin
(c'est-à-dire après l'ordonnance d'écrou que rendit le
chef du Consistoire), on le fit sortir de chez l'enseigne
du guet pour le mettre dans un cachot sans lumière où
il ne trouva pour s'asseoir que de la paille, et qui était
déjà occupé par un autre prisonnier. De là, pendant une
partie de chaque journée, on le faisait passer dans une
grande chambre dite la Miséricorde où l'on rassemblait
les détenus pour affaires criminelles. Le premier jour il y
reçut plusieurs visites d'amis de sa famille, entre autres
celle de Louis Calas, qui accourut pour savoir de lui
ce qui s'était passé (2), et qui n'osa demander à voir ses
parents. Peut-être, ce jour là, l' aurait-il obtenu; il ne
revit jamais son père. Un autre visiteur de Gaubert
fut W Carrière, avocat, intimement lié avec David La-
vaysse. Le jeune homme lui raconta comment les choses
s'étaient passées. Seulement il n'avait pas distingué,
à la lueur de la chandelle que tenait Pierre, à quoi
Marc-Antoine s'était pendu , et il avait cru que c'é-
tait au cintre de la porte; ce fut ce qu'il dit à l'a-
vocat. Celui-ci alla voir les lieux, ne trouva ni clou
ni crochet au-dessus de la porte et revint dire à Lavaysse :
(( Vous m'avez trompé ; je viens de chez M. Calas ; j'ai
visité la porte, j'ai tout examiné et je n'ai rien trouvé à
quoi son fils puisse s'être pendu.— Cela est pourtant cer-
tain, répondit le jeune homme, j'en suis sûr, je l'ai vu;
(1) Lav., 3.
(2) Mena, juslil",, p. 9.
88 LES FAITS.
il est vrai que je ne sais à quoi la corde était attachée,
mais ne doutez pas de ce que je vous ai dit. » M* Car-
rière alla voir alors séparément Galas et son fils, qui
tous deux lui apprirent comment avait eu lieu le sui-
cide sans crochet ni clou. Il les exhorta k dire toute
la vérité, sans prétendre épargner l'honneur du défunt.
Dès ce même jour, ils furent tous mis au secret (1). Si
nous rapprochons de ces déclarations les dires des témoins,
tout s'accorde et s'explique. Le premier, fort hostile du
reste, est l'abbé Benaben, ami du prêtre Durand et de
Louis Calas. Il dit que le 14, il accompagna Louis Calas
chez M' Carrière, et l'on ne peut voir sans quelque in-
quiétude cet étranger malveillant initié ainsi atout ce que
préparaient l'imprudent Louis et l'avocat pour la dé-
fense de la famille.
Selon Benaben, pendant qu'ils étaient ensemble, un
soldat entra, portant une lettre du sieur Calas, dans la-
quelle il demandait ce qu'il devait répondre. M^ Carrière
s'écria qu'il fallait qu'il eût perdu l'esprit : (( Je lui ai dit
hier qu'il devait déclarer la vérité et ne pas ménager
l'honneur du défunt, » W Carrière dicta alors trois let-
tres.
Il est impossible que cette déposition soit tout à fait
exacte. Ce n'est pas le 14 que ceci a eu lieu; car on a
encore ces lettres et elles sont datées du 15 octobre
au soir. Celle adressée à Pierre finit par ces mots :
« Il est inutile que je signe cette lettre, parce que vous
vous rappellerez que je vous parlai hier au soir à votre
souper. » En etTet si c'eût été le 14 que ces lettres eussent
(1) Voir plus bas une, letirc du Président de Scnaux à M. de Sl-
Flormiin. (Corr , loiire 3.)
LES FAITS. 8'.>
été écrites, Carrière n'aurait pu ni s'exprimer ainsi, ni
s'écrier : «Je le lui ai dit hier; » car les accusés n'ar-
rivèrent à l'Hôtel-de-Ville qu'après minuit, subirent
immédiatement les interrogatoires d'office, et n'ont pu
voir l'avocat que dans la soirée du H ou au plus tôt dans
l'après-midi. Il est permis aussi de douter de l'impartia-
lité avec laquelle l'abbé rend compte de la lettre deCalas
qu'il ne dit pas même avoir lue, et qui, apportée par un
soldat, sans aucun mystère, avait certainement passé
sous les yeux des autorités ou de leurs agents.
Voici qui est beaucoup plus précis : le témoin Delibes,
greffier de la geôle, dépose que deux ou trois jours après
l'arrestation (1), Louis Calas vint tout en larmes le trouver,
demandant à voir son père dans la prison pour se récon-
cilier avec lui, ce qui ne put lui être accordé. Alors il
lui remit les trois lettres de M" Carrière. Le greffier
n'hésita pas à donner à Calas celle qui lui était adressée,
probablement parce qu'il avait été autorisé à laisser
passer celle de Calas lui-même, dont la réponse arrivait
en ce moment. Ce dernier, quand il apprit que Louis
avait apporté cette lettre en exprimant le désir de se ré-
concilier avec lui, (( répondit au déposant, en versant
des larmes, qu'il était très-sensible aux soins que se
donnait son fils Louis. » Le greffier se retira ; mais au
moment de remettre à Pierre Calas et à Lavaysse les
deux lettres qui leur étaient adressées, il hésita, crai-
gnit de se compromettre et les garda.
Le mêmesoir, Louis revint lui demander s'il avaitremis
les trois missives. Delibes lui avoua ses craintes. Louis
(1) D'après ce qui précède, ce «lui être, en effet, lo iroisième jour,
ou en d'autres termes, deux jours après rarreslation, c*csl-à-direle 15,
8.
90 LES FAITS.
répondit en l'autorisant k les décacheter et à les lire. Il le
fit, mais n'en persista pas moins à garder les lettres. Plus
tard, apprenant que le Monitoire allait être fulminé, il
craignit [jour sa conscience et alla déposer ces deux pièces
chez le Procureur général, qui les fit joindre au procès.
Elles y sont encore ; nous les avons lues, et tout s'y
accorde parfaitement avec ce que viennent de nous ap-
prendre le mémoire de l'un des accusés et les témoi-
gnages d'un prêtre et d'un geôlier. Elles ne sont pas
signées; il est évident que Carrière, comme Delibes, crai-
gnit de se compromettre dans cette terrible affaire ; il se
contente d'en appeler à ce qu'il a conseillé la veille aux
accusés dans leur prison et les engage très-viveraent à
tout dire.
C'est pour n'avoir pas lu ces lettres et n'avoir pas connu
toutes les circonstances que nous venons de rapprocher,
qu'on a vu dans ce fait un argument très-puissant con-
tre les Calas. Tantôt c'est DomVayssette ou plutôt M. du
Mège (1), son continuateur, qui publie que le témoin
Barnabou (il veut dire l'abbé Benaben) a déposé qu'on
avail écrit il Galas pour lui dicter ses réponses. Tantôtc'est
un autre écrivain, M. Hue (2), qui n'a lu évidemment ni
ces lettres, ni le troisième Mémoire deLavaysse, ni le pre-
mier Mémoire de Sudre, ni les dépositions que nous
avons citées. Il suppose que M'Monyer pourrait bien être
l'auteur de ces lettres, et rêve que les protestants de Tou-
louses'entendaient avec lui, assesseur des Capitouls, pour
diriger les réponses des accusés; il imagine gratuitement
d'autres lettres, des visites mystérieuses dans la prison,
(0 Ilist. du Languedoc, voir Bibliographie n* 7 3,
(2) Procès, etc., voir Biblioyraphii n" 7-i.
LES FAITS. 91
et il en conclut que le suicide de Marc-Antoine fut un
système de défense inventé après coup par d'autres que
les Calas, et qu'on leur conseilla de soutenir.
Il y a une difficulté ou plutôt une impossibilité absolue
à admettre ceci.. Nous savons par la lettre du Président
de Senaux au Ministre que les prisonniers ne reçurent
ni lettres ni visites (1), et l'on vient de lire les déclara-
tions du greffier d 3 la geôle. Cependant Pierre et La-
vaysse, qui n'ont pas reçu les lettres de Carrière, ont dit
exactement les mêmes choses que Calas, qui avait reçu la
sienne. Ceci ne prouve-t-il pas qu'ils prirent tous le parti
de dire la vérité tout entière, et que dans ces lettres on
ne leur conseillait pas autre chose?
Ce n'est pas tout. Calas lui-même n'a pu recevoir avant
le 15 la lettre de l'avocat écrite ce même jour, et c'est le
l/(, dans l'interrogatoire sur l'écrou, son premier inter-
rogatoire légal, c'est en se voyant accusé, qu'il déclara
le suicide de son fds. Carrière avait donc été obéi d'a-
vance.
Bien loin de rien prouver contre l'innocence des Ca-
las, cet épisode dont on a fait grand bruit, prouve jus-
qu'à l'évidence (2) que le seul motif de leur dissimula-
tion antérieure avait été le désir bien naturel d'éviter
que le procès fût fait au cadavre.
(l)Voir Corr. do Saint-Florcnlin, lettre 3. 11 les sépara, fit gar-
der chacun d'eux par un soldat du guet, et défendit toute communi
cation, tant entre eux qu'avec qui que ce fût.
(■i) Sudre, 'i.
CHAPITRE V
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE
Le Monitoire. — Funérailles de Marc- Antoine.
Les Pénitents blancs.
Il y a différents ordres de lois; et la sublimité de
la raison humaine consiste a savoir bien auquel de ces
ordres se rapportent principalement les choses sur
lesquelles on doit statuer, et à ne point mettre de
confusion dans les principes qui doivent gouverner
les hommes.
Montesquieu.
[Esprit de» Lois, 1. 26, c. 1.)
Déjà trente témoins avaient été interrogés et l'on ne
trouvait aucune preuve qui permît de condamner les
Calas.
La justice du temps employait, pour se procurer des
preuves, un moyen qui paraîtrait aujourd'huifort étrange,
mais dont l'efTet serait encore très-puissant dans certai-
nes localités et l'était bien plus alors. Le procureur du
roi dressait une liste des faits réels ou présumés qu'il avait
94 INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE.
besoin de voir attester par des témoins, et s'adressait à
l'autorité ecclésiastique afin qu'un avertissement ou
Monitoire fût lu au prône et affiché dans les rues,
pour informer tous ceux o^m saur aient par ouï-dire ou au-
trement les faits en question, que s'ils ne venaient les dé-
clarer soità Injustice, soit à leurs curés, ils encourraient
la peine de l'excommunication (1). Si la publication de
cet avertissement ne produisait pas l'effet qu'on en at-
tendait, le même Monitoire était fulminé, c'est-à-dire
que dans toutes les Eglises, avec un cérémonial effrayant,
on prononçait l'excommunication contre quiconque
s'abstenait de déposer. Dès ce moment, ils étaient dam-
nés s'ils venaient à mourir sans s'être réconciliés avec
l'Eglise et surtout s'ils s'approchaient des sacrements.
Dans une ville aussi catholique que l'était Toulouse, on
se figure à peine l'impression produite par ces actes
(i) L'auteur du Monitoire qu'on va lire était le procureur du roi
en la ville et Sénéchaussée, Charles Lagane, qui avait été Capiloul et
dont nous avons cité plus haut les vives attaques contre le Capi-
toiilat, tirées d'un Discours où il nie l'existence de Clémence Isaure,
la fumeuse patronne des Jeux Floraux. 11 avait remporté en 17 6 1 un
prix quadruplé (c'est-à-dire ajourné trois ans de suite) pour un
mémoire sur l'Etat des sciences, des arts, des lois et des mœurs à
Toulouse, sous les rois visigoihs.
Dans son testament (10 août 17 88), il légua à la ville 40,000 li-
vres pour être consacrées ù la création de fonlaines publiques, Ch
don a rendu sa mémoire Irès-populaire à Toulouse; cependant la
Biographie toulousaine porte sur lui ce jugement assez sévère, par-
faitement motivé par les faits :
« Dans les fonctions honorables dont il fut revêtu, il montra des
lumières et de l'intégrité ; mais quelquefois un zèle trop ardent lui
fit dépasser les bornes dans lesquelles il devait se renfermer, »
Voir sur les Monitoires : Ordonnance de 1670, litre 7. — Edit
d'Avril 1675, art. 26,28, etc. — Traité du Monitoire de Bouault.
— Traité des Crimes, de Soulage, II, 122. — Fauslin Hélie.
Histoire et Théorie de la procédure criminelle, p. 622.
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 95
étranges, où les terreurs de l'enfer devenaient des
moyens de procédure (1).
Des règles sévères étaient prescrites pour la rédaction
de ce formidable document. Avant tout, il devait être
conçu k décharge aussi bien qu'à charge, c'est-k-dire
qu'on devait menacer également ceux qui n'auraient pas
le courage de déposer pour les accusés et ceux qui né-
gligeraient de témoigner contre eux. Cette impartialité
du Monitoire était d'autant plus indispensable que les
prévenus ne pouvaient faire citer aucun témoin et qu'on
pratiquait rigoureusement alors la règle d'après laquelle
un témoin n'était pas admissible, s'il se présentait de son
propre mouvement (2), ou s'il déposait de faits qui n'é-
taient point en question. C'était ce qu'on appelait des faits
extra articulos, en dehors des articles. Il était admis en
principe qu'un témoin ne prouve que pour les questions
pour lesquelles il a été reçu h serment ; en effet, le serment
ne s'appliquait alors qu'aune série de questions posées à
l'avance et l'on disait d'un témoin qui sortait de ces li-
mites : Non juratus eo casu deponit, il dépose en ce cas
sans avoir juré.
Si donc le Monitoire n'était pas conçu à décharge
comme à charge, ceux qui avaient du bien k dire des ac-
cusés étaient réduits k se taire; ils n'avaient aucun droit,
(i) Voici une déclaration qui montre que les menaces d'un Moni-
toire n'étaient pas sans effet (Arch. Irap.) :
A Toulouse, ce l*"" novembre 1761.
On prêtent que je suis dans le cas de l'excommunication par le chef du
Monitoire parce que j'avois ouy dire par une personne que M. Laplaigne
avait instruit, avec le Père Latour, le petit Calas, mort. Si je suis dans le
cas, je rendray mon audition quand j'en seray requis.
Dakles, maître en chirurgie, signé.
(2) Teslis se offerens repellilur a lestiraonio.
96 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
aucunmoyen de faire entendre ce qu'on ne leur demandait
pas, ce qu'on ne cherchait pas k savoir. Il suffisait ainsi
de la rédaction partiale d'un xMonitoire pour annuler
ou rendre impossible d'avance et d'un seul coup toute
déposition favorable. C'est précisément ce qui est arrivé
dans l'affaire qui nous occupe. Lavaysse père écrit (1)
que le Procureur du Roi et les Gapitouls dédaignèrent
défaire assigner plusieurs témoins qui s'étaient présen-
tés à leur curé pour révéler des faits à décharge. Il ne
faut pas s'en étonner. Ces témoins avaient tort ; le Mo-
nitoire ne les avait nullement autorisés. Lorsque le
procès fut revisé, c'est à dire après le supplice de Galas,
un témoin nouveau que nous avons cité déjà, le chanoine
Azimond, termina en ces termes sa déposition, très-im-
portante pour les accusés :
« Au surplus, je déclare que j'aurois déposé le contenu de la
« présente déclaration dans le cours de l'instruction criminelle
« intentée contre le sieur Jean Calas, si j'e» eusse été requis
« ou si le Monitoire m'y eût autorisé. C'est ce que je certifie
« comme véritable.
« Signé AziMOND,
« Prêtre, chanoine de Monlpezal. «
Un négociant de Nmies nommé Griolet, qui avait fré-
quenté trois ans la famille Galas, répondit le 13 fé-
vrier 1762 à Nanette qui l'avait prié de rendre témoi-
gnage en faveur de ses parents : il refusait d'aller dé-
poser en leur faveur parce que « celui qui va faire une
révélation en justice sans être assigné h cet eiîet, rend
son témoignage suspect et rejetable (2). » Ce n'était que
trop vrai.
(i) Lav. 2.
(2) La lettre est en original aux Archives Impériales,
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 97
On a reproché encore de nos jours aux Calas (1) de
n'avoir eu qu'un témoin k produire (dans la première et la
seconde instruction du procès), pour prouver que Marc-
Antoine était resté protestant, tandis qu'une foule de
témoins déclaraient le contraire. Il est vrai, mais ce n'est
pas tout; ce témoin unique et courageux. M" Ghallier, usa
de ruse pour se faire admettre, déclarant à son curé qu'il
avait à faire une déposition très-grave et lui laissant croire
que c'était en faveur de l'accusation.
On remarquera à ce sujet que la publication d'un Mo-
nitoire érigeait en juges d'instruction tous les curés,
tous les vicaires, tous les prêtres en exercice ; aussi
existe-t-il au dossier une foule de dépositions écrites qui
souvent commencent par les mots: Par-devant nous, et
quisont signées d'un prêtre deparoisse, quelquefois même
d'un religieux attaché à une église. Ce fait, dans un pro-
cès où l'Eglise protestante tout entière se trouva incrimi-
née à chaque instant, mettait donc l'instruction de l'af-
faire entre les mains, non d'un magistrat, mais du clergé,
de tout le clergé à la fois. Disons cependant que le Moni-
toire devait au moins émaner d'un tribunal ecclésiastique
et non de l'archevêque, bien moins encore d'un vicaire
général (2). Onne sait pourquoi Laganeet David violèrent
cette loi ; fut-ce par ignorance des formes ? Il est difficile
d'en soupçonner Lagane. Ou bien pensèrent-ils faire ac-
(l)M. Eue, Procès, etc.
(2) Mariette (i"Mém.) cite à ce sujet le texte suivant :
« C'est au seul Officiai ou autre juge de la juridiction Ecclésiasti-
que contenlieuse à accorder les Monitoires, non à l'Evêque ou à ses
Grands Vicaires, sinon il y aurait abus dans celle obtention. >.
(Lacomue, Dict. canouiq., p. 4i8.)
9
98 INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE.
cepter plus facilement leur Monitoire, entaché partout de
partialité et d'illégalité, en s'adressant au vicaire de
l'archevêque (1) absent, et non à un tribunal, plus ja-
loux peut-être de l'observation des règles?
La loi apportait, il est vrai, un tempérament néces-
saire à l'immense puissance des auteurs d'un Monitoire;
elle leur interdisait, non-seulement de nommer, mais
aussi de désigner les personnes incriminées (2).
Ces préliminaires étaient indispensables pour que
l'on pût juger, comme il le mérite, le Monitoire sui-
vant. Une affiche de ce Monitoire se trouve aux Ar-
chives (3). Elle contient, outre le document lui-même,
les demandes d'autorisation adressées par M^ Pimbert,
avocat du Roi, aux Gapitouls et à l'archevêque, avec la
réponse des premiers, et celle de l'abbé de Cambon, vi-
caire-général pour le second. Dans ces pièces , on leur
demande de (( faire publier Moratoires sur des cas
très-graves, intéressants pour la religion n . C'était dé-
cider à l'avance, dans une affiche légale apposée sur
(i) C'était Arlhur-Richard Dillon. 11 eut pour successeur en 1763
Etienne-Charles de Loménie de Brienne, qui devint Archevêque de
Sens, cardinal et premier ministre.
(2) Ordonn., t. 7. art. 4, « Les personnes ne pourront être ni
nommées ni désignées par les Monitoires, à peine de cent livres
d'amende contre la partie, et de plus grande s'il y écliet. >•
« C'eût été, dit avec raison M. Faustin Hélie, livrer leurs noms
à la publicité, lorsque leur innocence pouvait être démontrée plus
lard. » Ce qui était contraire à l'esprit de la procédure par inquisi-
tion, c'est-à-dire secrète.
(3) Section historique K 848. Dans les Archives du Parlement de
Toulouse, il en existe autant d'exemplaires qu'il y eut de publications
faites dans chaque paroisse, chaque curé ayant renvoyé le Monitoire
avec l'indication manuscrite des jours et heures où il a été lu au
peuple.
INJERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 91)
tous les murs, que Marc-Antoine Galas était mort pour
la Religion, c'est-à-dire tué par ses parents pour s'être
fait catholique. En ce seul mot tout le procès était jugé
d'avance.
MONITOIRE
4" Contre tous ceux qui sauront, par ouï dire ou autrement,
que le sieur Marc-Antoine Calas aîné avoit renoncé a la
religion prétendue Réformée dans laquelle il avoit reçu
l'éducation; qu'il assistoit aux cérémonies de l'Eglise ca-
tholique et romaine ; qu'il se présentoit au sacrement de
pénitence, et qu'il devoit faire abjuration publique après
le 13 du présent mois d'octobre, et contre tous ceux aux-
quels Marc-Antoine Calas avoit découvert sa résolution ;
2" Contre tous ceux qui sauront par ouï dire ou autrement,
qu'à cause de ce changement de croyance, le S' Marc-
Antoine Calas étoit menacé, maltraité, et regardé de mau-
vais œil dans sa maison ; que la personne qui le menaçoit,
lui a dit que s'il faisoit abjuration publique, il n'auroit
d'autre bourreau que lui.
3" Contre tous ceux qui savent par ouï dire ou autrement,
qu'une femme qui passe pour attachée à l'hérésie, exci-
toit son mari a de pareilles menaces, et menaçoit elle-
même Marc- Antoine Calas.
i* Contre tous ceux qui savent par ouï dire ou autrement, que
le 13 du mois courant au matin, il se tint une délibéra-
tion dans une maison de la paroisse de la Daurade, où la
mort de Marc-Antoine Calas fut résolue ou conseillée , et
qui auront, le même matin, vu entrer ou sortir de ladite
maison un certain nombre desdites personnes.
5° Contre tous ceux qui savent par ouï dire ou autrement, que
le même jour, 13 du mois d'octobre, depuis l'entrée de la
100 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
nuit jusques vers les dix heures, cette exécrable délibéra-
tion fut exécutée, en faisant mettre Marc- Antoine Calas à
genoux, qui, par surprise ou par force, fut étranglé ou
pendu avec une corde à deux nœuds coulants ou baguelles,
l'un pour étrangler, et l'autre pour être arrêté au billot,
servant a serrer les balles, au moien desquels Marc-An-
toine Calas fut étranglé et mis a mort par suspension ou
par torsion.
(i* Contre tous ceux qui ont entendu une voix criant a l'assas-
sin, et de suite, ah ! mon Dieu, que vous ai-je fait? fai-
tes-moi grâce : la même voix étant devenue plaignante
et disant : ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu !
7° Contre tous ceux auxquels Marc- Antoine Calas auroit com-
muniqué les inquiétudes qu'il essuioit dans sa maison, ce
qui le rendoit triste et mélancolique.
8* Contre tous ceux qui surent qu'il arriva de Bordeaux, la
veille du 13, un jeune homme de cette ville, qui n'aiant
pas trouvé des chevaux pour aller joindre ses parents qui
étoient à leur campagne, aiant été arrêté a souper dans
une maison, fût présent, consent ou participant a l'ac-
tion.
9" Contre tous ceux qui savent par ouï dire ou autrement qui
sont les auteurs, complices, fauteurs, adhérans de ce
crime, qui est des plus détestables.
Enfin contre tous sachans et non révélans les faits ci-dessus,
circonstances et dépendances.
Ce Monitoire, accordé le 17 octobre à la requête du
Procureur du Roi, signé par l'abbé de Cambon (1), vi-
caire-général, fut affiché et lu au prône trois dimanches
de suite, les 18 et 25 octobre et 8 novembre, dans
toutes les paroisses.
Nous verrons que, le 11 décembre, une nouvelle pu-
(1) Tristan de Cambon, plus lard évétqup de Mirepoix,
INTERVENU UN ECCLÉSIASTIQUE. lOl
blication du même Monitoire fut ordonnée pour le di-
manche 13, avec menace de fulmination pour le di-
manche 20. Le résultat de cette dernière publication
n'étant pas encore satisfaisant, le 18 décembre, le Pro-
cureur Général requit la fulmination du Monitoire :
'( Et comme le Procureur général du Roi a lieu de présu-
mer qu'il y a nombre de personnes instruites des faits énon-
cés audit Monitoire, qui n'ont point donné leurs révélations,
leur résistance à satisfaire aux injonctions, etc., oblige a requé-
rir fulmination dudit Monitoire en la manière accoutumée dans
les paroisses où il aura été publié eu vertu de nos ordonnances
du 17 oct. et 11 déc. ; et excommunions les coupables et parti-
cipans et ceux qui ont connaissance des faits contenus audit
Monitoire et ne les révéleront pas, et vous ordonnons qu'ayés
à les dénoncer publiquement au peuple, comme excommuniés
par nous. •
Signé : l'abbé De Cambon, vicaire-général.
Dès lors ceux qui auraient omis de déposer étaient
excommuniés aussi bien que les meurtriers de Marc-
Antoine et leurs complices.
Il y a quelques remarques essentielles à faire sur cet
étrange document. La première se présente d'elle-même;
c'est que dans les articles de ce Monitoire il n'y a pas un
mot à décharge ; rien qui ne soit contre les accusés. Ils
avaient déclaré un suicide, et le Monitoire même qualifie
Marc-Antoine de triste et mélancolique ; il aurait donc
fallu, d'après la loi, poser tout autant de chefs ou
questions d'après la supposition du suicide que d'après
l'hypothèse du meurtre; rechercher les causes de
cette mélancolie, tenir, en un mot, la balance égale
entre les deux systèmes. Il n'est pas même fait mention
de celui des prévenus, et dans un acte qui devrait être
9.
102 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
impartialpour demeurer légitime, raccusation parle seule.
pt comment parle-t-elle? est-ce en se conformant à
la loi qui défend de désigner les accusés? Selon l'art. 2,
Marc- Antoine était « menacé, maltraité et regardé de
mauvais œil dam sa maison.)) Ce mot, deux fois répété,
désigne, et ne peut désigner que les accusés, père, mère,
frère, et leur unique servante. On ajoute, immédiatement
après, que : (( la personne qui le menaçait lui a dit
(( qu'il n'aurait d'autre bourreau que lui. » Cette per-
sonne était donc un homme de cette maison. Mais
lequel? le père ou le frère? Ceci même va être indiqué.
(( Article 3 — Une femme qui passe pour être attachée à
(( l'hérésie incitait son mari à de pareilles menaces et
(( menaçait elle-même M. -A. Galas. » Est-il nécessaire
de rappeler qu'il n'y ^y^iidansla maison d'autres époux
que M. et M"'* Galas ? Ils étaient donc désignés de ma-
nière à ce qu'on ne pût s'y méprendre.
Il faut remarquer encore cette expression puérile-
ment partiale : Ce ci^ime qui est des plus détestables^
lorsque toute la question était précisément de savoir
s'il y avait crime, et quel crime.
Ce n'est pas là cependant ce que le Monitoire contient
de plus monstrueux. Si ses rédacteurs étaient bien in-
formés, il y aurait eu, le 13 au matin, dans une maison
de la paroisse de la Daurade, une délibération où le sup-
plice de Marc-Antoine avait été discuté et résolu. A
voir cette affreuse accusation si bien détaillée, on ne
doute pas qu'elle ne doive être attestée par une foule
de témoins ; on croit en entendre au moins quelques-
uns déclarer qu'ils ont vu « entrer et sortir de la mai-
son » indiquée, les membres du tribunal secret? Quel-
qu'un avait donc des renseignements sur la réaUté de
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 103
cette assemblée sanguinaire, sur le lieu, lejour et l'heure
où elle fut tenue? On s'attend à ce que tous ceux qui ont
dénoncé aux auteurs du Monitoire ces détails si précis de
lieu et de temps iront reproduire en personne devant
la justice leurs accablantes révélations, et que s'ils ne
l'ont lait avant la fulmination du monitoire, par négli-
gence ou par commisération, la certitude de l'anathème
et des peines éternelles va les décider aussitôt après
le Monitoire fulminé. 11 n'en fut rien. D'Aldeguier s'é-
tonne avec raison de voir dans le Monitoire ces sup-
positions qui ne ressorlent nullement du commencement
d'information déjà accompli ; en ellet il n'y a rien qui y
ressemble, de près ni de loin, dans les dépositions des té-
moins entendus jusque-là ! Et c'est précisément parce
que ces faits, auxquels David et Lagane croyaient et vou-
laient croire, ne se trouvaient nullement constatés, qu'ils
essayèrent d'en obtenir par leur Monitoire la démonstra-
tion. Ce qui est plus significatif encore, c'est que cette
tentative n'eut aucun succès. Dans cette procédure où fi-
gurent plus de cent cinquante témoins, on ne trouve au-
cune trace de ces grossières faussetés, à l'exception de
quelques ouï-dire, tous plus vagues que le Monitoire lui-
même. Comment tout le monde ne saurait-il pas par ouï-
dire ou autrement ce qui a été lu au prône quatre diman-
ches, affiché partout, fulminé en cérémonie, ce dont la
ville entière s'est entretenue avec passion pendant cin(i
mois ? Au lieu de devenir plus précis, plus circonstan-
ciés, ces abominables détails s'effacent à mesure que la
procédure avance, et finissent par disparaître (1).
(0 Voici la seule déposition qui à cet égard ait quelque inlérùi:
par celle-là on pourra juger des autres.
« l^ierre Dugué, prêtre liebdomadier de l'église de Saint-
iO/t IMTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE.
Il n'est rien qu'on n'ait tenté pour avoir des preuves
sur ce point capital. Voici à ce sujet un des interroga-
toires de M^"^ Galas. On remarquera que la première
question est un piège que lui tend le juge (1). Si elle avait
paru approuver ce que l'interrogateur a l'air de penser
Etienne, dépose qu'étant dans la boutique de la D"* Bordeneuve,
avec elle et cinq filles qui travaillaient, un homme de trente à qua-
rante ans vint et dit : qu'il avait été dans la maison de Calas le
jour de la mort dudit Marc-Antoine et que là il apprit les circonstan-
ces suivantes : que le jour de la mort dudit Marc-Antoine, il y eut
une délibération tenue chez les Calas par sept personnes, du nombre
desquelles étaient les sieurs Calas et Lavaysse et autres, et qu'ils dé-
libérèrent s'ils tueraient ledit Marc-Antoine avant ou après le souper;
qu'ils délibérèrent de prendre une corde pour étrangler ledit Marc-
Antoine en haine de ce qu'il devait faire sa première communion le
lendemain ; qu'ils délibérèrent s'ils ne l'enterreraient pas après,dans
la cave dudit Calas, pour qu'il ne fût plus question dudit Marc-An-
toine. Le déposant, ayant entendu ces faits si circonstanciés, fut cu-
rieux de savoir le nom de l'homme de qui il les avait entendus comme
il l'a dit ci-dessus chez la D"' Bordeneuve, et à cet effet il est retourné
depuis chez les dites D"'* Bordeneuve pour leur demander le nom
de cet homme ; elles n'ont jamais voulu le luy dire. » {Arch. Imp,)
D'où vient que la justice ne les y contraignit pas 7 Comment et
de qui l'inconnu avait-il appris, dans la maison même de Calas, le
fait du conseil qui s'y était tenu ? Voilà donc ce conseil délibérant,
non s'il faut tuer ce jeune homme ( il n'y avait pas à délibérer là-
dessus, puisque chez les protestants, c'était la règle); non, s'il est
vrai que ce même jeune homme ait voulu se faire catholique (dans la
pensée de l'abbé Dugué, cela n'était douteux pour personne), mais
s il fallait l'étrangler avant ou après souper. Quel pauvre esprit que
cet hebdomadier de Saint-Etienne ! Et il ne s'avise que le lende-
main de demander quel est cet inconnu ! Voilà cependant sur quels
témoignages Jean Calas a été roué.
(i) « Les anciens légistes, dit M. Faustin Hélie (op. c), ont essayé
de poser une limite où devaient s'arrêter les questions captieuses, les
artifices de l'interrogateur ; ils ne voyaient pas que, dans une procé-
dure qui n'admettait pas la discussion contradictoire des charges, il y
avait une sorte de nécessité d'arracher à l'accusé son aveu soit par
l'adresse, soit par la torture. Le juge avait besoin de cet aveu pour
la propre tranquillité de sa conscience; la loi le faisait artificieux et
inhumain par cela même qu'il était honnête. »
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 105
lui-même, on y aurait vu un argument contre elle et un
aveu de l'affreuse doctrine qu'on prêtait à son Eglise. La
réponse est excellente.
'( Interrogée si elle ne sait qu'un père est le juge souverain
de la religion de son fds,
Répond que c'est la conscience et les lumières qui doivent
nous faire décider et non l'autorité d'un père.
Interrogée si son niary ou son fils ne luy communiquèrent la
résolution ou le conseil de la secte au sujet de l'abjuration qu'on
croyoit projettée de la part de M. -A. Calas son fds, et quelle
éloit cette résolution ou conseil.
Répond et dénie l'interrogatoire en tous ses chefs.
Interrogée si elle et son mary ne dirent qu'il falloit se sou-
mettre a la résolution prise par le conseil de la dite secte,
Répond et dénie l'interrogatoire, ne luy ayant jamais été parlé
de rien, ny entendu parler (1), »
Nous verrons ailleurs dans ce procès que les soldats
de garde sont Vultima ratio de l'accusation, quand elle
est aux abois, non sans doute que les juges leur dictas-
sent de faux témoignages, mais apparemment, parce
qu'ils voyaient le dépit où l'on était de ne pas trouver
les preuves que l'on avait espérées. C'est encore contre
Lavaysse, en sa qualité de bourreau en titre d'office,
qu'est dirigée l'inepte calomnie qu'on va lire.
Pierre Vergés, soldat, dépose :
Qu'étant un jour de garde dans la chambre du S' Lavaysse
et se promenant dans ladite chambre, ledit Lavaysse lui dit
" qu'il avait trouvé dans un livre qu'il n'était pas dommage
d'étrangler une personne, que nous venions de terre, et qu'il
,1) InleiT. du 20 octobre, CArch. Imp.)
106 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
y (sic) fallait y retourner la même chose. Le déposant lui
répliqua que notre religion ne permettoit pas pareille chose,
sur quoy ledit Lavaysse se retourna vers le feu sans plus mot
dire. »
Evidemment Pierre Vergés a mal compris sa leçon ou
mal inventé son conte. Dans quel livre Lavaysse aurait-
il lu qu'il n'y a pas de mal à étrangler les gens ? Il ne s'a-
git pas même ici d'un livre protestant et d'une justifica-
tion fanatique de l'assassinat des apostats. Il s'agit d'une
apologie générale dumeiu'tre. Le soldat de garde prête à
Lavaysse le même propos qu'il prêterait à un assassin de
profession, ou un meurtrier à gages. Il ne se rend pas
compte de l'accusation à laquelle il vient en aide. Et
quelle apparence que ce jeune homme en danger d'être
mis à mort comme assassin, aille professer la théorie du
meurtre au soldat qui le garde ? Était-ce pour se faire
condamner ?
Nous avons cherché longtemps en vain quelle pou-
vait être la pensée du procureur du Roi, en nommant
la paroisse de la Daurade, qui n'était point celle des
Calas, comme celle où se serait tenue l'assemblée des
protestants. Il n'existe de renseignement à cet égard
que dans le Mémoire inédit de la Beaumelle. Il notis
apprend, et il devait le savoir, lui qui avait habité
Toulouse, que Cazeing demeurait dans la paroisse dé-
signée, et que l'accusation lui attribuait ce rôle dans le
meurtre, apparemment parce qu'il était impossible de
lui en supposer aucun autre (1). En effet, on l'avait re-
(1) Cette conjecture est confirmée par l'interrogaloirc que subit
Jean Calas au moment de la torture, et d'où il résulte que Cazeing
demeurait sur la place de la Bourse qui est, en effet, dans la pa-
roisse de la Daurade,
INTERVENTION ECCLESIASTIQUE. 4 07
lâché, k la suite des interrogatoires d'office, quand
on se fut assuré qu'il n'avait point passé la soirée
chez les Calas et n'y était entré qu'amené par La-
vaysse et Pierre, après que tout était fini. Mais on le
mit en liberté saîis ordonnance, et aucun acte légal ne
constata son innocence.
Dès qu'il vit que rien de pareil à cette délibération
meurtrière ne pouvait être prouvé, Lagane qui, s'il n'a-
vait inventé cette calomnie, la tenait de quelqu'un, aurait
dû remonter à la source de ce bruit odieux, interroger,
poursuivre même celui ou ceux qui l'avaient trompé.
On n'en sut jamais rien ; un silence aussi suspect a
toujours désappointé ceux qui ont prétendu ou préten-
dent encore accuser de la mort de Galas aîné les protes-
tants de Toulouse en général ; et l'on a publié, à ce
sujet, il y a quelques années à peine, un conte de cou-
vent (1) qui ne soutient pas un instant d'examen, pour
disculper le Monitoire et pour accuser les protestants.
Le Monitoire ne prétend pas seulement savoir quand
et cil la sentence de Marc-Antoine avait été rendue,
mais encore comment elle avait été exécutée : on avait
fait mettre Marc- Antoine à genoux pour l'étrangler
plus facilement. Qui avait dit cela ? qui l'avait vu ? et si
nul ne l'avait vu, lequel des coupables l'avait avoué? où
avait-on pris cette mise en scène d'un crime que rien
ne démontrait ?
Ce monument prodigieux d'illégalité et de prévention
absurde, ce roman créé de toutes pièces par l'imagina-
tion des magistrats, ne satisfit pas complètement la haine
(i) Voir plus bas, au Ch, XIV, l'historielle du chevalier de Gazais
rapportée par M. du Mège.
t08 INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE.
populaire. Quoique l'on fixât d'abord au 13 la sentence
des protestants contre le défunt,on en supposait une autre
antérieure par laquelle ils avaient mandé de Bordeaux
Lavaysse, le po7'te-épée , qui devenait ainsi l'exécuteur en
titre des assassinats de famille au sein de l'Eglise Réfor-
mée, et qui serait venu à Toulouse uniquement pour
étrangler Marc- Antoine, sur l'ordre des anciens et des
Ministres du Saint-Evangile. Ce système plus ridicule,
s'il est possible, que révoltant, a été remis en lumière
de nos jours (1).
Selon l'opinion des Toulousains, l'usage, bien plus, la
loi religieuse parmi les protestants, les obligeait à punir
de mort ceux qui se convertissaient à l'Eglise romaine;
leurs propres parents étaient tenus de les dénoncer,
et même d'aider, s'il le fallait, à l'exécution de la sen-
tence prononcée par les chefs de l'Eglise, et exécutée
par des bourreaux spéciaux. Plus cette calomnie inouïe
rendait les protestants exécrables, plus elle fut avide-
ment accueillie par les esprits prévenus contre eux ;
après avoir été jetée en avant par quelque fanatique de
la rue, au milieu du trouble que causa la découverte du
cadavre, cette atroce imputation fut développée, systé-
matisée dans le Monitoire et y parut revêtue du
double sceau de la justice et de la religion, signée et pa-
raphée par un avocat du Roi et un grand-vicaire de l'ar-
chevêque.
Parmi les protestants de Toulouse, du Languedoc, de
toute la France et plus tard de toute l'Europe, la sur-
prise et l'horreur furent au comble. Pour trouver une ca-
lomnie à comparer à celle-là, il fallait remonter jusqu'aux
(l) Voir pins ba?, cli, XIV,
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 109
premiers chrétiens accusés par les païens de manger
et de boire dans la Sainte-Cène le corps et le sang d'mi
enfant égorgé au milieu des plus infâmes débauches.
Par cette accusation, on enveloppait dans l'opprobre
des Galas tous leurs coreligionnaires et on rendait sus-
pecte à l'avance, comme l'a très-bien remarqué un ma-
gistrat éclairé (1) , toute déposition qui serait faite en leur
faveur par leurs frères en la foi. Aucun protestant ne pou-
vait déposer pour eux, sans se faire accuser immédiate-
ment de parler pour se défendre lui-même et pour
justifier son Eglise ; aussi n'y eut-il pas un protestant
parmi les témoins; ils n'auraient pu que nuire aux accu-
sés, et ceux-ci ne durent attendre aucun secours que des
membres de l'Église romaine, persécutrice de leur culte.
Si personne ne vint démontrer la réalité du tribunal
secret des protestants, il ne manqua pas de témoins pour
les déclarer coutumiers du fait, pour afliriner que plu-
sieurs prosélytes avaient péri récemment par le même
supplice que Marc-Antoine, c'est-à-dire étranglés, k La-
vaur, à Castres, etc. En voici un exemple choisi entre
plusieurs, où l'on verra en même temps un de ces ouï-
dire dont l'origine est insaisissable et qui sont, dans ce
procès, la ressource habituelle de l'accusation.
Pierre Lagrèze (2), maître tailleur, ôl*^ témoin, déclare
tetiir du nommé Bonnemaison qii'on lui avait dit qu'un
paysan de Caroman , ayant entendu parler de la mort
dudit Calas, avait dit que cela n'était pas surprenant,
et qu'on en avait étranglé cinq ou six h Garaman de la
même façon.
(i) La Salle, Observations^ etc., y o\v Bibliographie, n" 5,
('i) Arcli. Imp,
10
110 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
Comme la famille Lavaysse était de Garaman et y ha-
bitait, cette accusation de quatrième main, tout en incri-
minant les protestants en général, tendait en outre à
faire soupçonner cette famille d'habitudes meurtrières
invétérées; en tout cas, il devenait presque naturel que
Lavaysse se chargeât d'une fonction si fréquemment
exercée dans un lieu où résidaient tous les siens et où il
avait résidé lui-même.
Qu'une assemblée religieuse de huguenots eût voté un
assassinat, en eût chargé un jeune homme de vingt ans,
et eût obligé, on ne sait pourquoi, k participer au meur-
tre le frère de la victime, son propre père, sa mère elle-
même, et enfin, pour comble de démence, une dévote ca-
tholique, cela était trop révoltant pour ne pas être cru
avec empressement et soutenu avec fureur. Gela est encore
aujourd'hui cru et soutenu. Pourquoi? parce que plus une
imputation est démesurée, elfroyable, inouïe, et moins
les âmes prévenues et passionnées renoncent à en acca-
bler leurs adversaires ; on a réponse à tout quand on
peut répéter avec conviction le mot de Tertullien: CVedo
quia absurdum (c'est parce que cela est absurde que je
le crois). « Ges gens-là, se disait-on, étant les ennemis
de l'Eglise, sont capables de tout ; nous le savions bien,
mais en voilà la preuve et elle est d'autant meilleure
qu'elle est plus incroyable (1). »
Dans un Mémoire anonyme où respire le bon sens
(i) Lahainy eat crédule; rien pour elle n'est ni trop horrible, ni
trop ridicule; c'est ainsi qu'on soupçonne encore les juifs en Orient,
à la lèie de l^ûques, du même crime dont les païens accusaieut les
premiers chréiicns; c'est ainsi encore que le bas peuple en Angle-
terre, pendant les guerres de la République et de l'Empire, était per-
suadé que les Français vivaient de grenouilles.
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 111
calme et réfléchi qui est une des premières qualités
d'un juge (1), M. de La Salle, le seul membre du Parle-
ment de Toulouse qui ait défendu Finnocence des Calas,
expose ce qu'auraient dû faire les Capitouls et le Pro-
cureur du Roi, d'après les lois de l'époque, au lieu de
lancer ce Monitoire qui enflamma les esprits et enve-
nima tout dans le procès.
a II fallait, pour se conformer aux règles de l'ordre judiciaire,
ordonner en termes vagues qu'Userait enquis touchant la mort
de M.-A. Calas et pourvoir de curateur au cadavre, pour, le cas
échéant, défendre sa mémoire du crime de suicide. »
On était entré dans une voie bien différente et on
ne s'arrêta pas là. Si Marc-Antoine n'était pas un sui-
cidé dont le corps devait être traîné sur la claie et ac-
croché au gibet, il était un martyr, étranglé pour la
cause de l'Eglise, qui lui devait les honneurs funèbres
les plus solennels et les plus splendides. Il fut décidé
entre Lagane, David et l'un de ses collègues, le Capi-
toul Jean-Baptiste Chirac, qu'il en serait ainsi. C'était
une mesure hardie et inutile : inutile, car le corps était
entouré de chaux et rien ne rendait l'ensevelisse-
ment nécessaire; hardie, car on risquait de commettre
un double sacrilège en ensevelissant au milieu de toutes
les pompes de l'Eglise romaine, et en terre sainte, un
protestant et un suicidé, que toute sa tamille et la ser-
vante catholique déclaraient tel.
Enfin, c'était juger le procès avant le tribunal ; car
tout le procès se réduisait à cette seide question : Marc-
Antoine Calas est-il un suicidé ou un martyr ? Après
(1) Voir Bibliogr., n° 5.
1x2' INTERVEiNTION ECCLÉSIASTIQUE.
avoir tranché publiquement ce dilemme, des juges
consciencieux auraient dû, d'après la loi, se récuser eux-
mêmes.
Aucune de ces considérations si sages ne fut écou-
tée. Ce fut une sorte de complot entre le Procureur du
Roi et ces deux Gapitouls. Le 7 novembre, Lagane re-
qaii pour le Roi les Gapitouls d'ordonner l'inhumation,
(( attendu que ce cadavre est déposé dans la chambre
de la gêne depuis plus de trois semaines et qu'une foule
de motifs en rendent l'enterrement nécessaire. » Il eût été
difficile d'indiquer cette foule de motifs, puisqu'on avait
pris les précautions nécessaires pour éviter la décompo-
sition. David.et Chirac, pour éviter les objections qu'au-
raient pu élever leurs collègues, firent décréter les obsè-
ques, sans convoquer régulièrement le Consistoire, dans
un moment où ils se trouvaient seuls avec deux assesseurs,
dont ils étaient sûrs. Le Parlement était en vacances,
mais la Chambre des Vacations aurait pu intervenir. Da-
vid s'assura le consentement verbal de deux Présidents,
presque aussi prévenus que lui (1). Tout étant ainsi
préparé, les deux Capitouls (dit M. d'Aldéguier dans
non Histoire de Toulouse) invitèrent le curé de Saint-
Etienne, dans la paroisse duquel les Calas avaient leur
domicile, à rendre catholiquement les honneurs funè-
bres au corps de M. -A. Calas et à l'enterrer dans sa pa-
roisse. Le curé ne refusa point d'obtempérer k l'invita-
tion des Capitouls, comme l'écrit Voltaire mal instruit ;
le zèle était si grand, au contraire, parmi les membres du
clergé , dans cette dernière occasion , que le curé du
(0 Voir, dans la correspondance de Sainl-Florenlin, la leUre 3,
adressée au minislrc par M. de Senaux, qui présidait les vacations.
INTERVFNTION ECCLÉSIASTIQUE. IJo
Taiir (Cazalès, oncle du député de ce nom aux Etals-
(lénéraux) fit signifier aux Gapitouls un acte pour qu'ils
eussent à lui livrer le corps de M. -A. Calas, déposé à
l'Hôtel-de- Ville, dépendant de saparoisse, afin de lui ren-
dre les honneurs funèbres dans son église, les déclarant
[)assiblesde dommages et intérêts en cas de refus (1).
Rien ne fut négligé pour donner à cette cérémonie le
plus grand retentissement. L'inhumation eut lieu avec
tout l'éclat possible. On fit tout pour persuader que
Marc-Antoine était un martyr. On choisit pour ses fu-
nérailles un dimanche k trois heures de l'après-midi, afin
que la population fût plus libre d'y prendre part ou
d'en être témoin. Un cortège immense, conduit par plus
de quarante prêtres, alla faire la levée du corps à l'Ho-
lel-de-Ville. Les Pénitents blancs y figuraient por-
l ait cierges et bannière, parce qu'on prétendait que
Marc-Antoine avait eu l'intention de se joindre à eux.
Une foule énorme assista au service dans la cathédrale
de Saint-Etienne et grossit le convoi.
Cette fastueuse démonstration ne fut que le prélude
d'autres cérémonies plus regrettables encore. Quelques
jours après l'inhumation, les Pénitents blancs firent cé-
lébrer dans leur chapelle un service magnifique pour
l'âme du martyr. Tous les ordres religieux y furent in-
vités et y assistèrent par leurs députations. L'église en-
tière était tendue de blanc ; et pour frapper plus violem-
ment les esprits, on avait érigé au centre de l'édifice un
catafalque magnifique, au sommet duquel était debout un
squelette (loué kun chirurgien). On lisait le nom du dé-
d'^ Tous ces détails sonl prouvés par des documents authen-
tiques.
10.
au INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
funt aux pieds de cette hideuse représentation, qui tenait
de la main droite une palme, emblème du martyre, et de
l'autre, cette inscription en gros caractères:
ABJURATION DE l'hÉRÉSIE.
Ce service ne fut pas le seul. Il y en eut un second chez
MM. les Gordeliers de la Grande Observance.
On comprend l'effet de toutes ces cérémonies lugubres,
frappant coup sur coup des imaginations déjà excitées.
Le peuple de Toulouse, et nous entendons par ce mot
la ville presque entière, demeura convaincu que Galas
le suicidé était mort catholique. Pénitent blanc et martyr,
que les autorités ecclésiastiques et judiciaires en avaient
trouvé la preuve dans la procédure secrète, que les ac-
cusés étaient les derniers des scélérats et la religion des
protestants une peste publique, l'école du parricide,
l'horreur et le fléau du monde. G'était précisément ce
qu'on avait voulu.
Le prétexte de cette prise de possession d'un mort
par une Eglise et une confrérie auxquelles il n'appartint
jamais, fut, à ce qu'il paraît, la honteuse faiblesse, les
perpétuelles inconséquences de Louis Galas. Il était lui-
même Pénitent blanc et n'osa s'opposer dès le premier
moment à l'acte qu'on voulait célébrer. Il y assista même,
mais ce fut pour protester. Il s'y trouva mal ou fit sem-
blant; on l'emmena dans la sacristie, puis dans la cham-
bre du trésorier, le véritable chef delà confrérie. Là, il fit
appeler un huissier, et après s'être réconforté avec un
peu de pain et de vin, il lira un papier de sa poche et
le présenta, sans dire un mot, à l'huissier Antoine Rou-
gian, qu'on lui avait amené. G'était un acte sur papier tim-
bré par lequel Louis, comme procureur légal de son père
INTERVENTION ECCLESIASTIQUE. 115
détenu, interpellait les Pénitents blancs de dire de quel
droit et sur quelles preuves ils avaient considéré Marc-
Antoine comme un des leurs, et les sommait d'exhiber
leurs registres, si son nom y était inscrit (1). Le sous-
prieur des Pénitents, qui était im procureur nommé Arba-
nère, lui répondit qu'il avait dit lui-même que Marc-An-
toine serait bientôt des leurs. Un autre Pénitent, le tapis-
sier Diaque, dépose qu'il en convint. Mais l'huissier
elle sous-prieur déclarent tous deux qu'il se tut (2). Il est
clair que ces gens, et surtout l'abbé Durand, faisaient
dire à ce malheureux tout ce qu'ils voulaient ; il n'osait
les démentir (3), et à peine avait-il fait !un pas pour
sauver ses parents, il semblait s'effrayer de sa propre
hardiesse. Le trésorier répondit à cet acte a que c'était
uniquement le zèle de la Compagnie qui l'avait porté à
faire ce service pour l'âme du défunt et pour le plus grand
souvenir et la gloire de Dieu, que d'ailleurs il tenait de
Louis Galas que le défunt son frère devait incessamment
se faire recevoir dans la susdite Archiconfrérie. » Il n'est
pas absolument impossible que Louis se fût vanté auprès
de ses amis, prêtres ou Pénitents, que tel ou tel de ses
(i) Il n'avait pu voir ni consulter ses parents; mais ceux-ci, in-
terrogés sur cet acte, déclarèrent plus tard qu'ils l'approuvaient
ellp prenaient sous leur responsabilité, quoiqu'ils n'en eussent point
eu connaissance.
(2) Tout ce qoi précède est extrait des dépositions de ces trois
hommes.
(3) Ainsi, ce même sous-prieur Arbanère rapporte que Louis
Calas, le lendemain de la mort de son frère, vint lui faire une visite
avec les abbés Durand et Benabon. Ils trouvèrent plusieurs person-
nes chez lui. Durand aurait raconté alors que Marc-Antoine était
devenu un très-dévot catholique et allait faire sa première communion.
Louis, non-seulement n'aurait pas nié le fait, mais l'aurait confirmé.
113 INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE.
frères et sœurs se convertiraient; c'est du moins ce qu'ont
déclaré quelques témoins à propos de Marc-Antoine,
d'Anne-Rose, de Pierre. Il devait désirer vivement que
son exemple lût suivi par eux; et comme il connaissait le
mécontentement de son frère et la cause' de son désap-
pointement il pouvait, à le juger d'après lui-même, espé-
rer de le voir abjurer. Au reste, comme l'a déclaré sa
mère (1), s'il l'a dit, il n'en pouvait rien savoir, car il ne
les voyait jamais. Il ne leur parlait pas même, à moins
qu'il ne rencontrât l'un d'eux quand sa pension était en
retard.
Il ne paraît pas que la protestation si lâchement re-
mise à l'huissier Rougian ait eu aucune suite. Mais bien
plus tard, et après le supplice de Jean Calas, sa veuve usa
de la liberté qui lui était rendue pour sommer par huissier
M. Lafiltau, trésorier des Pénitents blancs, de dire en
quoi Marc-Antoine Galas avait appartenu à sa Confrérie.
Nous donnons textuellement sa réponse (2) , dont on ap-
préciera la nullité honteuse et embai-rassée ; on l'y verra
chercher en vain à s'appuyer de prétendus cas analogues,
qui ne le sont nullement, et s'abriter le plus possible
sous l'autorité du curé de Saint-Etienne.
Du 13 décembre 1762, M" Laiittau, trésorier de MM. les
Pénitents blancs de celte ville, répond :
« Que lorsqu'il eût appris qu'on devait enterrer M.-iV. Calas
et que M' le curé de Saint-Etienne devoit faire les cérémonies,
le Répondant envoya un confrère Pénitent Blanc, chésle S' Louis
Galas, aussi confrère, et frère du défunt, pour savoir si ledit
Louis Galas auroit pour agréable que la Compagnie des Peni-
(1) Confr. de la Dlle Calas.
(2) Arch. Imp.
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 117
tciils Blancs assistai a l'eiilerremenl de sondit frère, a quoi le dit
LnuisCalas fit répondre que la douleur dont il étoit pénétré ne
lui permettoit pas de repondre comme il le désiroit a la poli-
tesse des pénitents, qu'ils n'avoient qu'a faire comme ils jui;o-
roient à propos; sur quoi, et par l'attachement que la Compa-
tçnie a toujours eu pour Louis Calas son confrère, le répondant
<Mivoya ladite Compagnie pour assister au dit enterrement et
(jue, quoique la Compagnie des Pénitents Blancs ne soit obligée
que d'assister a l'inhumation de ses confrères, cependant elle
repond souvent a la prière des parents et assiste aux enterre -
ments de plusieurs particuliers lorsqu'elle en est priée par les
})arents et pour leur faire honneur ; et dans ce dernier cas, elle
ne peut exiger aucun droit de chapelle. Le repondant ajoute
qu'il fit faire dans la chapelle des Pénitents Blancs, un service
pour le repos de l'àme deMarc-AntoineCalas,ou les religieux de
divers ordres vinrent assister, et^dire des messes, qu'il a fait
faire dresser un catthaphalque (sic), tendre l'Eglise en noir et
(ju'on lisoitau bas d'un squellete ces mots: Marc- Antoine Calas,
service et cérémonie qui furent faits solennellement pour faire
honneur a Louis Calas, Pénitent Blanc, et pour servir pour le-
dit Marc-Antoine, enterré par le curé de Saint-Etienne avec les
cérémonies de l'Eglise. Bequis le repondant de ^gner, a dit
n'être nécessaire. >*
Dans une des confrontations de M"'* Calas , elle se
souvient qu'un témoin qu'on lui oppose est Péni-
tent blanc. Il s'agit précisément de savoir si Marc-An-
toine avait songé h se faire catholique. Elle repousse
avec une remarquable énergie et avec un bon sens im-
perturbable le témoignage du Pénitent et lui arrache un
important aveu. ]\I""^ Galas vient de demander si le té-
moin (le tailleur Lacour) n'est pas Pénitent blanc :
" Le témoin répondant a dit ([u'il est vray qu'il est confrère
118 INTERVENTION ECCLESIASTIQUE.
pénitent blanc, et que ce qu'il a déposé, il ne l'a déposé que
par l'ordre de son directeur. »
« Et l'accusée a dit qu'elle n'est pas étonnée que le témoin
ait déposé ainsi, étant pénitent blanc, et pour mettre a couvert
cette compagnie d'avoir outrepassé l'acte qu'ils lui firent faire,
de ne pas faire le service pour M. -A. Calas sonfils; persistant tou-
jours à dire que la déposition du témoin est fausse. »
« Il répond qu'il va très-rarement aux pénitents blancs, et
qu'il n'a assisté ni a l'enterrement, ni au service de M.- A. Ga-
las. Et l'acuzée a dit que quoiqu'il n'y assistât pas, il n'est pas
moins intéressé à soutenir cette compagnie. »
Il n'était que trop vrai ; des quatre confréries tou-
lousaines, la blanche était la première et la plus in-
fluente (1); elle avait des afliliés dans tous les rangs. Et
depuis le service funèbre de Marc-Antoine, les accusés
eurent àlutter, presque sans défense, non-seulement con-
tre les Gapitouls, le Parlement et le Clergé, mais contre
cette confrérie puissante qui, deux fois, avait pris parti
contre eux, le jour de l'inhiunation et le jour du service
célébré par elle-même ; c'étaient pour elle des affronts,
que des sommations comme celle de Louis Galas, ce
même jour, et de sa mère im an plus tard. Entre les Ga-
las et cette confrérie, il ne devait plus y avoir de trêve,
et sans qu'ils y fussent pour rien, on peut voir au Mo-
niteur du samedi 8 avril 1792, jour oii furent suppri-
mées par décret les Congrégations et les Confréries, que
le député Ducos évoqua contre ces corporations le sou-
venir du rôle joué par les Pénitents blancs de Toulouse
{( dans la procédure ourdie contre l'infortuné Galas. »
Il est certain que bien des gens à Toulouse crurent
(i) On disait à Toulouse: Anliquilé des blancs, Noblesse des
bleus, Richesse des noirs, Pauvreté des gris.
INTERVENTION ECCLÉSIASTIQUE. 119
faire un acte agréable à Dieu, à la Vierge et aux saints,
en venant accabler de leurs accusations ces bourreaux
dénaturés d'un Pénitent blanc. A l'ouïe de certaines dépo-
sitions, on est tenté de répéter ce mot, un peu déclama-
toire, mais vraid'Elie de Beaumont (1) : « Ces malheureux
viennent de forger leur témoignage sur les degrés du
mausolée où ils invoquaient un martyr. ))
Nous en citerons des exemples; on verra dans les uns,
les faux témoignages les plus nettement caractérisés, et,
dans les autres, les rêves d'une population méridionale
dont on a surexcité coup sur coup l'imagination , de
véritables visions populaires enfantées par le fanatisme ,
comme l'a dit un historien (2).
L'enthousiasme de la foule se jette toujours dans les
extrêmes. On prétendait que Louis Galas, entendant la
messe à la chapelle des Chevaliers de Saint- Jean, était
tombé en extase au moment de V élévation , et s'était
écrié tout haut : u Mon Dieu, pardonnez mes parents
qui ont fait mourir mon frère ! » Le bruit courut que
trois ou quatre miracles avaient eu lieu sur la tombe de
Marc- Antoine ; on prétendait que le clergé avait écrit au
Pape pour qu'il lui plût de canoniser ce martyr. On di-
sait qu'un jour lui avait été consacré dans le calendrier,
et l'on commençait dans le peuple à débattre le choix
de celle des églises de Toulouse qui serait placée sous
l'invocation du nouveau saint (3).
(1) E. de B., 3.
(2) Ch. Coquerel, Egl.du Dés., t. 2.
(3) Voir surtout, à propos de ces bruits absurdes, le Mémoire
écrit à Toulouse par le conseiller de La Salle, p. 6 6.
CHAPITRE VI
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.
Information secrète. — Briefs intendits. — Faits jus-
tificatifs. — Autopsie du cadavre. — Pièges tendus à
Lavaysse. — Affaire de M^ Monyer. — Affaire d'Es-
paillac — Sentence des G apitouls. — Double appel des
condamnés et du ministère public.
Il ne faut que jeter un coup d'œil sur la procë-
dure pour reconnaître l'esprit de vertige et de rumeur
populaire qui en a été le principe. Tout y est sans
fondement et hors de la plus légère vraisemblance.
Le comte de Rochechouart.
{Lettre à Saint-Florentin. Parme, B déc. 1761.)
L'instruction criminelle se poursuivait pendant ce
temps par les soins du procureur du Roi et des Capi-
touls. Rien de plus informe que cette procédure ; aucun
des accusateurs modernes de Galas n'a osé la justifier.
L'impétueux David y commit faute sur faute. Mais il
faut convenir que la législation du temps prêtait k l'ar-
bitraire. Il faut se rappeler qu'il n'y avait, en mali(''re
11
122 PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.
criminelle, ni audience publique, ni débat, ni plaidoirie,
que l'accusé n'avait pas même de conseil ou d'avocat (1) ,
et que la procédure secrète, ou^x^r inquisition^ comme
on l'appelait, établie d'abord par le droit canonique et
pratiquée dans les tribunaux ecclésiastiques, était deve-
nue la seule employée par les juges civils (2).
L'interrogatoire de l'accusé et l'audition des témoins
avaient toujours lieu secrètement et séparément devant le
juge seul, assisté de son greffier, et étaient toujours pré-
cédés du serment prêté par l'interrogé, qu'il fût témoin ou
accusé. Ensuite avait lieu le recolement, qui consistait à
lire (non sans un nouveau serment) au témoin ses pro-
pres réponses, et à lui demander s'il y persistait. Il y
avait encore serment à chaque confrontation de l'accusé
avec un des témoins. « L'information et les interroga-
toires formaient l'instruction préparatoire; ils étaient
destinés à faire reconnaître le caractère du fait et à
(1) L'accusé devait répondre sans délai, par sa bouche^ et sans le
ministère de coMseiL L'Ordonnance de 167 0 était, sur ce point, très-
positive.
(2) Cette déplorable transformation de la procédure, autrefois pu-
blique, était depuis longtemps accomplie; elle a été racontée avec une
parfaite clarté par M. Faustin Hélie, dans son Histoire et Théorie de la
P rocédurecriminelle (tome i*' du Traité de V Instruction Criminelle).
11 montre très-bien (p. 40 1) que les poursuites dirigées contre les
hérétiques eurent une funeste influence sur les formes de la
justice. Lespapes, et en particulier Boniface VIII, recommandèrent
expressément l'information secrète, qui peu à peu envahit toutes
les juridictions.
On peut consulter avec fruit sur les criants abus de la législation
française, avant la révolution, lij. Théorie des Lois Criminelles, de
Brissot de Warville, et une brochure pleine de sens et fort modérée
qui porte ce litre piquant : Essai sur quelques changements quon
pourrait faire dès à présent dans les lois criminelles de France^
par un honnête homme, qui depuis qu'il connaît ces lois, n'est pas
bien sûr de n' cire pas pendu un jour, — A Paris, 17 86. 5 3 p. 8°.
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS. 12 j
éclairer la marche de la procédure. Les recolements et
les confrontations formaient l'instruction définitive; ils
avaient pour but d'établir l'existence du crime et la
culpabilité de l'accusé. Ces actes remplaçaient le débat
contradictoire de l'audience, la discussion et les plai-
doiries ; ils portaient en eux toutes les garanties du ju-
gement (1). »
Quand on mettait en présence le prévenu et un témoin,
on demandait aussitôt au prévenu s'il reprochait le té-
moin, en l'avertissant que s'il attendait de l'avoir ouï, il
ne serait plus temps. Si l'accusé, ne connaissant pas le té-
moin ou se fiant à lui, ne le reprochait pas, il était à la
merci de ce que le témoin pouvait dire; il était censé l'a-
voir approuvé d'avance (2). Dès que M'"*' Calas eut com-
pris cela, cl ses dépens, elle prit résolument le parti de
reprocher tous les témoins qu'on lui présentait, disant,
quand elle ne les connaissait pas, qu'ils pouvaient avoir
des motifs de lui nuire, à elle inconnus.
Une absurdité légale qu'on a peine à s'expliquer est
celle de l'interrogatoire sur la sellette que subirent les
cinq accusés dans le procès Calas. Cette façon solennelle
d'interroger un homme pour la dernière fois en présence
de tous ses juges réunis, afin desavoir s'il était coupable
(1) Faxistin Hélie, op. c. ,p. 6 3 4.
(2) C'est, dit-on, le chancelier Poyel qui transporta celte dispo-
sition rigoureuse et injuste, des usages de l'inquisition, dans laju-
risprudence française. Dans le procès qui lui fut fait après sa dis-
grâce, il subit cette loi qu'il avait établie et en fut cruellement puni.
A l'occasion d'un témoin dont la déposition allait le perdre ou le
sauver, il fil demander au roi de lui donner au moins le temps
d'y songer, réclamant ainsi pour lui-même une exception à sa pro-
pre loi. (Voir Lettres sur fa Procédure Criminelle en France
(1788) et Arrest, Luc, Z,. l 2, ^. 1 , c. ii.)
'V2k PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITODLS.
OU innocent, était considérée comme déshonorante (1).
Nous avons déjà signalé l'impossibilité où se trouvait
r accusé de dire ou de faire dire par les témoins ce qu'on
ne lui demandait pas ; il n'avait aucun droit d'appeler
ou présenter des témoins à décharge (2) : c'était au
juge il le faire. Il y a bien plus ; quand il existait des
faits qui pouvaient justifier le prévenu, il fallait qu'il
demandât et obtînt de ses juges la permission d'en faire
la preuve (3). Celte permission ne fut accordée aux
Calas pour aucun des faits justificatifs, nombreux et
concluants, que leur avocat demandait à démontrer.
L'avocat Sudre en présenta onze dans son premier
Mémoire, et d'autres encore dans les deux Mémoires
suivants. On ne daigna point y faire droit (4).
(i) Par cunlre, la lorlure n'élail pas infiunmle et les juriscon-
sultes ûisciitaient gravement entre eux pour savoir si elle devait être
considérée comme une peine. M. Fausiin Hélie répond que oui et
cite des autorités, mais nous avons vu le contraire affirmé par plu-
sieurs auteurs de l'époque.
(2) Faustin Hélie. Op. c. , p. 6 2 0.
(3) En tous cas cette permission ne pouvait se donner qu'après
l'instruction terminée. Souvent alors il n'était plus temps.
On connaît le fameux procès de M, de la Pivardière, qui avait
disparu en 1697. Sa femme cl un prêtre étaient accusés de l'avoir
assassiné. 11 reparut et crut terminer le procès en se montrant.
On lui répondit que son existence était un fait justificatif dont on
ne pouvait admettre la preuve qu'à la lin de l'instruction ; en d'au-
tres termes, qu'on devait d'abord rechercher soigneusement s'il
n'était pas mort, après quoi on voudrait bien lui permettre de mon-
trer qu'il était vivant. Encore était-ce une permission qu'on avait
parfaitement droit de lui refuser. 11 fut dix-huit mois à obtenir du
Parlement de Paris un avrèt comme quoi il était en vie.
(4) Les juges devaient faire droit sur les faits justificatifs, soit en
ordonnant la preuve de ces faits par témoins, soit, s'ils n'y avaient
égard, en le disant expressément dans rarr6t(Ordonn. crim. titre i h,
art. 19. Ordonn., titre des faits juslif. , art. 2,3, 4. Ord. d'août 15 86,
art. 20e Ord. de 15 39, art. 58.)
PROCÉDURE F.T ARRÊT DES CAPITOULS. 125
De tous ces obstacles laborieusement accumulés sur
le chemin de la justice, le plus singulier, peut-être, est
ce qu'on appelait brief intendit. Toutes les questions
auxquelles un accusé ou un témoin devait répondre étaient
écrites à l'avance. 11 pouvait arriver que la réponse faite
cl la première question rendît toutes les autres inutiles
ou absurdes ; il arrivait sans cesse que le juge lui-
même s'apercevait que l'interrogatoire aurait dû être
dirigé autrement. Il ne devait pas moins se renfermer
dans les termes prévus et écrits, sauf à recommencer
plus tard en préparant un autre intendit. On a pu voir
déjà, dans un fragment d'interrogatoire de M'"^ Calas, cité
plus haut, que les questions ne suivent en rien les ré-
ponses et n'en tiennent aucun compte. On conçoit faci-
lement quelle confusion cette étrange méthode pouvait
produire souvent dans l'esprit des accusés (1).
Il y a tel interrogatoire dans le procès Calas, où l'in-
terrogateur et l'interrogé semblent jouer à ce que les en-
fants appellent le jeu des propos interrompus. Le principal
défaut de cet usage, c'est que rien n'est plus propre,
comme le remarquait Grimm, à faire dire à un témoin
tout ce qu'on veut. Celte méthode, expressément abolie
quant aux témoins, par X Ordonnance de 1670, était
restée en vigueur à Toulouse, malgré cette ordonnance
qui était alors la loi organique de la Procédure Crimi-
nelle.
Ces formes si absolues étaient de nouvelles armes
entre les mains de l'accusation. On a remarqué que les
(0 Nous citons (note 3 à la fin du volume) un hrief intendit qui
donnera une idée de ce genre de pièces ; qu'on le lise en se rap-
pelant ce que Lavajsse devait répoudre à loules ces questions ré-
pétées et compliquées de tant de manières différonU'S,
11.
126 PROCÉDURE ET ARRET DES CAPITOULS.
briefs intendits, soit pour les accusés, soit pour les té-
moins, sont tous rédigés comme le Monitoire, c'est-à-
dire en vue de prouver le martyre de Marc-Antoine, et
ne posentjamais la question du suicide. En tout ceci Da-
vid, Chirac et leur greffier Savanier, Lagane et Pimbert
qui, à ce qu'il paraît, rédigea les intendits, n'ont pas
cessé un seul instant de chercher la vérité à la façon de
certains théologiens. Ils étaient déterminés à trouver la
vérité telle qu'ils l'avaient conçue à l'avance et ne se dé-
tournaient jamais, ni à droite ni à gauche, de cette voie
étroite et dangereuse. Aussi, Elie de Beaumont a-t-il rai-
son de dire que les témoins furent plutôt interrogés qu'en-
tendus; en d'autres termes, on ne leur donna moyen de
dire, à une seule exception près, que ce qu'on voulait
entendre.
Une aulre injustice et illégalité fut commise h l'égard
des Calas : on ne les confronta point avec les experts qui
examinèrent le cadavre. Ce genre de confrontation était
cependant nécessaire pour éclaircir et déterminer les
parties conjecturales de leurs rapports. Ainsi le chirur-
gien Lamarque, chargé de l'autopsie le 15 octobre,
trouva dans l'estomac « quelques pos de rézins avec
(( quelque peau de volaille, quelque morceau d'autre
(( viande qui nous a paru estre du buf. Ces espèces
(( de viande que nous avons lavé dans de l'eau claire
(( nous a paru être fort dure et tout corriasse {sic) . n Ces
peaux de volaille et ces raisins correspondent parfai-
tement avec ce que les accusés rapportèrent au sujet du
souper. Il est certain que ce qu'il prit pour du bœuf
était de la chair de pigeon. Le fait même que «ces aliments
n'avaenl pu être entièrement broyés , divisés et atté-
nués » s'accorde encore avec Je.' dire des accusés. Coa-
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITODLS. 127
froiités avec lui, ils auraient pu le lui faire remarquer et
sans doute il en serait convenu, caril ne se montra nulle-
ment hostile. Il en est de même de son opinion sur le
moment où le cadavre avait mangé; ce devait être, selon
lui, plusieurs heures auparavant, parce que la digestion
était quasi-faite^ au lieu que Marc-Antoine avait soupe
à sept heures et demie et avait dû se tuer assez peu de
temps après.
Du reste, on se plaint avec raison de ce qu'un examen
si délicat et si important avait été confié à .un chirurgien
et non à un docteur en médecine. On sait qu'alors les
chirurgiens, surtout dans le Midi, n'étaient souvent que
des barbiers à peine élevés par quelques études au-des-
sus de leur classe et méritaient encore en grande partie
les reproches et les railleries dont, à Paris, Guy Patin les
avait accablés au siècle précédent. W Lamarque fut très-
choqué de ce qu'on le croyait insuffisant; mais le ton et
le style de ses réclamations (1) nous semblent plutôt
affaiblir sa déclaration que la confirmer.
Il est très-remarquable du reste, au sujet de ce souper,
que l'on n'ait jamais pu faire varier les accusés, ni sur
les mets servis, ni sur les places qu'ils occupaient à table.
Les accusateurs prétendaient que ce souper n'avait pas eu
lieu, et ce n'était pas sans raison ; il serait peu croyable,
quoi qu'en ait dit l'hebdomadier de Saint-Etienne, que
cinq personnes en eussent étranglé une sixième, et eus-
sent soupe ensemble aussitôt après.
On était fort embarrassé de la présence de Lavaysse
à ce repas, de l'invitation qu'il disait en avoir reçAie, de
son retour volontaire sur le théâtre du crime et enfin de
(i) Voir BibliograpLie, n" 2 9.
128 PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.
l'insislance qu'il avait mise à y rentrer. Toutes ces cir-
constances s'accordaient mal avec la culpabilité d'mi
jeune homme de vingt ans, arrivé de la veille, qui n'a-
vait aucun intérêt quelconque à empêcher l'abjura-
tion de son ami, et aucun motif de le tuer.
llestévidentque, ne trouvant aucune charge contre lui,
on aurait du l'absoudre et relâcher également cette ser-
vante qu'il était trop absurde de se représenter aidant à
étrangler son jeune maître, pour l'empêcher de faire ce
qu'elle lui aurait conseillé de toutes ses forces. Mais
si l'on avait absous Lavaysse et Viguière, ils se-
raient revenus aussitôt, en qualité de témoins, répéter
qu'ils n'avaient pas quitté un instant les Calas, lui à
table avec eux, elle servant le souper, venant sans cesse
d'une cuisine attenante dont la porte était restée ou-
verte, et les Calas se seraient trouvés innocents (1).
11 n'est pas de ruse qu'on n'ait employée à l'égard de
Lavaysse. 11 raconte lui-même une perlidie de David à
son égard pendant une des confrontations.
(( Se penchant su?' moi^ il me dit à V oreille que si
l avais quelque lettre ou billet à faille tenir à mesparentSy
il se ferait un plaisir de s'en charger. )) Le confiant
jeune homme lui en remit plusieurs qui n'arrivèrent
jamais à leur destination. Quand Lavaysse le sut, il
s'étonna beaucoup que David, qui retenait ses lettres à
ses parents, persistât à croire au crime des Calas, malgré
les démonstrations de leur innocencequ il avait lues (2).
(1) « Qyie n'aurait pas à craindre riiinocencc la plus pure, de-
mande à bon droit le conseiller La Salle, si raccusatenr pouvait, en
impliquant dans l'accusation les témoins qui auraient pu déposer
en faveur de l'accusé, vendre une jnslific.Uion inipossible :' »
(2) Lav., 3 — E. deB., 3.
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS. 120
Une fois seulement on lui avait permis de voir sa fa-
mille en présence d'un Capiloul. On imagina un autre
moyen d'en finir. On persuada à son père que les Calas
étaient coupables, qu'on en avait des preuves tout k fait
suffisantes, et on lui pennit de voir son fils en présence
de M. de Senaux, président à mortier. David Lavaysse
déclara k son fils que les Galas étaient perdus, qu'il se
perdait avec eux en niant leur crime, et le supplia de se
sauver de la torture et de la mort en avouant qu'ils
avaient étranglé Marc-Antoine. Nous aimons à croire
qu'en tout ceci le père était sincère et véritablement
trompé. Le fils répéta avec une imperturbable franchise
ce qu'il avait toujours dit.
Si ce jeune homme ou Viguière eussent un seul ins-
tant menti, par peur de la torture ou du supplice, les
trois Calas périssaient et leur nom restait à jamais flétri.
Le moment approchait où les Capitouls allaient pro-
noncer leur sanguinaire sentence. Jean Calas aurait eu
le droit de récuser trois de ses juges, dit-on, mais très-
certainement deux d'entre eux au moins, David et Chi-
rac, pour avoir pris parti, avant tout jugement, en fai-
sant enterrer comme catholique celui que la défense di-
sait protestant, et comme un martyr celui en qui elle
montrait un suicidé. Il est hors de doute qu'ils auraient dû
se récuser eux-mêmes. Comme ils n'en faisaient rien,
on dressa une Requête pour les y obliger, mais
cette Requête ne put être présentée, et cela par deux
raisons péremptoires qui montrent à quelle situation
en étaient réduits les accusés. La première fut qu'au-
cun huissier ne consentit à s'en charger, tant le châ-
timent de leur collègue Duroux avait produit l'effet
d'intimidation qu'on s'en était promis. Le second
loO PROCEDURE ET ARRÊT DES GAPITOULS.
obstacle ne fut pas moins invincible ; pareille requête
exigeait, pour qu'on put la présenter, un pouvoir spécial
de la part des accusés au nom desquels elle était formu-
lée; il fut impossible de pénétrer jusqu'à eux et de les
avertir.
Si l'on demande, en voyant la défense ainsi paralysée,
on quoi consistait l'office des avocats, il ne sera que
trop facile de répondre : à publier des Consultations
et des Mémoires. Il est incontestable que depuis son
entrevue, le lendemain de son arrestation, avec W Car-
rière, plutôt encore comme ami que comme conseil,
et depuis la lettre de ce même avocat envoyée par
Louis, Calas ne put communiquer avec personne, ne vit
aucun avocat et en particulier n'eut aucun rapport avec
W Sudre, que ses enfants chargèrent de la défense.
Il est vrai qu'un assesseur des Capitouls, ce même
W Monyer que Lavaysse alla chercher le 13 octobre et
amena sur les lieux, nommé plus tard rapporteur de
raffaire, eut pitié des Galas, fit valoir dans l'occasion quel-
ques-uns des arguments qu'il y avait k donner en
leur faveur, et résista, selon ses forces, atout ce déchaî-
nement de passion et d'illégalité auquel il était forcé
d'assister. Cette conduite humaine et loyale lui acquit la
défaveur de ses redoutables collègues et une haute impo-
pularité. Le frère Joseph Fabre prélendit que tous les soirs
le jeune Espaillac se rendait à dix heures avec Louis chez
M' Alonyer, et que le lendemain matin tous deux allaient
raj)porter aux D^'*^' Calas ce qu'ils avaient appris chez l'as-
sesseur. Ce dernier porta plainte contre ces accusations
calomnieuses. D'un autre côté, sur les conclusions du
Procureur général, il fut ajourné à comparaître en per-
sonne devant le Parlement pour rendre compte de sacon-
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS. It3l
chiite. Un magistrat supérieur arrangea l'alTaire. L'accu-
sateur de Monyer lui fit des excuses, et l'assesseur « par
honneur pour lui-même » continua ses fonctions de rap-
porteur à la séance suivante. Puis il crut devoir « se dé-
partir du rapport et même du jugement. )> Plus tard un
arrêt en forme constata la fausseté de l'imputation (1).
Les fonctions très-importantes de rapporteur du pro-
cès furent dévolues à un autre assesseur , Garbonnel, et
il est très-remarquable que ce magistrat qui, ainsi que
son prédécesseur, était mieux en état, par ses fonctions
mêmes, d'approfondir l'aifaire que tous les autres juges,
fut convaincu, comme lui, de l'innocence des Galas.
Ce fut pourtant un malheur pour eux de perdre M*
Monyer, non quant k la procédure elle-même, mais
parce que le système d'intimidation dont Duroux avait
été la première victime, continuait à se développer. En
même temps qu'on excitait l'enthousiasme du peuple pour
le prétendu martyr, on sévissait contre tous ceux qui
s'intéressaient à ses parents ou entravaient le moins du
monde la marche triomphale de l'accusation. Il nous
reste à en citer un nouvel exemple.
Ce même Espaillac et ce frère Joseph Fabre , que nous
venons dénommer, nous le fourniront. Claude Espaillac
était garçon perruquier chez Durand. Frère Joseph ap-
partenait k une communauté de Frères-Tailleurs. Il dé-
clara, ainsi que les frères Pierre Cailar et Barthélémy
Pradet,ce qui suit. Espaillac étant occupé araser les frè-
res, un matin, frère Joseph lui demanda si lui, proche voi-
sin des Galas, ne savait rien de cette affaire dont toute la
(i) 3 0 août 17 62. J'ai vu cet arrêt, ainsi que les trois autres
prononcés contre Duroux, aux Archives du Parlement de Toulouse.
132 PROCÉDURE KT ARRÊT DES CAPITOULS.
ville parlait. Le jeune barbier ne résista pas à la tentation
dese donner de l'importance devant ses pratiques et pré-
tendit avoir entendu une voix, qu'il avait reconnue pour
celle de Marc-Antoine Galas, crier : Ah ! mon Dieu ! on
m'étrangle ! Ah! mon Dieu ! on m'assassine ! Selon frère
Barthélémy, Espaillac aurait dit, déplus, que cette même
voix avait crié : Ah ! mon père , vous m'étranglez.
11 va sans dire que le propos arriva à la justice. Es-
paillac fut appelé en témoignage. Tout ce qu'il déclara
c'est qu'à dix heures il avait vu de la lumière dans la
boutique des Galas, avait entendu pleurer et frapper du
pied et qu'à ce moment il vit sortir Lavaysse.
Frère Joseph voulut être sûr qu' Espaillac avait répété
devant la justice tout ce qu'il avait dit chez les Frè-
res ; il le pressa de questions, et l'étourdi lui répon-
dit (( qu'il n'en avait pas dit la moitié. » Deux fois de-
puis, frère Joseph l'engagea, devant trois autres mem-
bres de sa société, à aller révéler cette autre moitié de
son récit; il s'y refusa obstinément (1).
Qui ne comprend que le perruquier avaitfaitun conte
aux trois frères-tailleurs, et qu'il recula devant l'infamie
de persister dans ce conte en présence d'un juge
d'instruction, après avoir prêté serment, et quand il y
allait de la vie de cinq personnes innocentes ? Quoi de
plus simple, de plus vulgaire qu'un tel fait? On aima
mieux supposer qu' Espaillac était uu témoin infidèle,
qui refusait dédire ce qu'il savait. Il fut décrété de prise
de corps le 5 novembre; mais l'alerte barbier avait prévu
où aboutiraient les charitables semonces de frère Joseph
(i) C'est d'après le iciie mCinc des quatre déposilions que nous
rapportons ces faits.
PROCÉDURE ET ARRÊT DES GAPITOULS. 133
et ne se laissa pas prendre, il disparut elne revint plus,
mais le décret subsista; cet incident eut sa large place
dans les conversations des Toulousains, et tout le monde
sut à quoi l'on s'exposait en rétractant un propos hostile
aux Galas (1). L'intimidation, on le voit, était au comble.
Tant que les Gapitouls restèrent saisis du procès, il ne
parut aucun Méinoire d'avocat en faveur des accusés. 11
est probable que ce n'était pas l'usage devant cette ju-
ridiction inférieure à laquelle aucun ordre d'avocats
n'était attaché. Il ne parut eu faveur des Galas que les
quatre ou cinq pages de la déclaration de Louis. Ge-
pendant David Lavaysse, saus perdre de temps, avait
tenté de sauver son fils. 11 écrivit mi Mémoire secret,
qui est encore inédit et qu'il envoya au comte de Saint-
Florentin. 11 en lit passer une copie au comte de Roche-
cliouart, son ami, envoyé de France à Parme, et pro-
bablement à d'autres. Ge travail a dii être fait immédia-
tement, en octobre et novembre, puisque M. de Roche-
chouart, dans mie lettre du 5 décembre, écrite au Minis-
tre pour lui recommander le jeune Lavaysse et les
Galas, s'appuie sur ce Mémoire qu'il venait de lire et y
renvoie Saint-Florentin. Nous avons trouvé ce manuscrit
aux Archives, à Paris (section historique, 1. c). Gomme
cette pièce est tout à fait inconnue, nous en donnerons
un court extrait.
iNous retrouvons dans ce document, qui date des pre-
mières semaines du procès, des circonstances qu'on ac-
(i) Il a suffi qu'Espaillac eûl refusé de faire, d'un coule en l'air
débile à ses praliques, uncdénoncialion meurlrière el parjure, pour
qu'on ail vu en lui un parlisau des Calas el qu'on lui ail prèle,
comme nous l'avons dil, un rôle dans de prélendus conciliabules
avec Monyer el Louis,
12
ioll PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.
CUS3 (1) Voltaire d'avoir inventées l'année suivante.
Marc- Antoine y est appelé un garçon très-mélancolique ,
et, ce jour-là, encore plus rêveur que de coutume. L'écri-
vain décrit bien l'exaltation de la foule et les doutes d'un
petit nombre d'hommes de sang-froid :
Le lendemain, le peuple saisit cette imposture avec avi-
dité; plus on eutde zèle pour sa religion, moins on eut de doute
sur le crime, sur les auteurs et sur le motif. On crut par piété
que le fanatisme avait commis un forfait inouï jusqu'à ce jour.
Il n'y wit que quelques sages qui gémirent de l'erreur où la
ville étoit jetée par ses magistrats. Ils jugèrent qu'il y avoit
impossibilité morale que cinq monstres, qu'on auroit peine à
trouver dans un royaume, se fussent trouvés rassemblés dans
une seule maison, qu'un père, ime mère, un frère, un ami, une
servante catholique, se fussent réunis à tremper leurs mains
dans le sang d'un (ils, d'un frère, d'un ami, d'un maître, et
eussent soupe tranquillement après une pareille énormité.
David Lavaysse montra l'absurdité qu'il y avait à ac-
cuser cinq personnes de choisir pour le théâtre d'un
assassinat prémédité une boutique de la rue la plus com-
merçante et la plus peuplée de la ville (il aurait pu
ajouter : à deux ou trois portes d'une place très-fré-
quentée), dans un moment de la journée où cette rue
et cette place étaient pleines de monde.
il insiste sur l'intérêt qu'avaient les Gapitotds, tme fois
l'affaire entamée comme elle l'était, à faire condam-
ner les cinq prévenus qui pouvaient, s'ils étaient absous,
les prendre à partie, c'est-ti-dire les poursuivre eux-
mêmes potn* abtisde potivoir, emprisonnement sans dé-
cret, illégalité, etc.
(1) Voir M. Une, Le Frocès des Calas^
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS. lo')
Tous ces arguments si justes n'eurent aucun effet.
Enfin, le 18 novembre, un premier arrêt fut prononcé
par les Gapitoulsw N-ous donnons (note k, à la fin du vo-
lume) le texte de la délibération d'après l'acte con-
servé aux Archives Impériales.
Par cet arrêt, la torture la plus rigoureuse (question
ordinaire et extraordinaire) fut prononcée contre Galas,
M"*^ Galas et leur fils Pierre, et il fut décidé que Lavaysse
et Viguièi'e seraient présentés à la question sans y être
appliqués. Dépens réservés.
G'est-à-dire que les Gapitouls, ne parvenant pas ti
s'entendre sur la peine, crurent obtenir par la torture les
aveux et les preuves qu'ils avaient cherchés en vain, et
n'hésitèrent pas h y soumettre à la fois trois mem-
bres accusés de las même famille, parmi lesquels se trou-
vaient un vieillard et une femme irréprochable, déjà
d'un certain âge et mère de six enfants.
On a prétendu (1) que, pour sortir d'embarras, les
Gapitouls donnèrent à dessein ce qu'on appelait une
sentence baroque , c'est-à-dire illégale. En effet, ils
avaient outrepassé leurs droits , non pas en envoyant
à la torture père, mère et fils, mais en prononçant que
les deux autres accusés y seraient seulement présentés.
Cette présentation consistait k eflrayer les accusés
pour leur arracher des aveux ; on les attachait sur
l'instrument de la question, et après tous les préparatifs
d'usage on les interrogeait, mais au dernier moment
on les déliait, sans les faire souffrir physiquement.
L'Ordonnance défendait expressément à tous juges,
hormis les cours souveraines, de permettre cet adou-
(i) Lettre clc Goudei-, Voir Bibliographie, n^ 21.
136 PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS.
rissement ; un tribunal de première instance ne pou-
vait torturer qu'en réalité et jusqu'au bout, ou de-
vait se priver de ce moyen d'enquête. On a dit que
les ju^es avaient inséré h dessein cette clause pour faire
casser leur sentence et renvoyer les accusés devant de
plus hautes autorités; nous sommes convaincus que c'est
\h un faux bruit ; tout ce qu'a de baroque l'arrêt du 18
novembre doit, selon nous, être imputé h l'ignorance
et à l'esprit d'empiétement que nous trouvons à cha-
que pas chez ces étranges magistrats. Plût au ciel qu'ils
ne se fussent jamais arrogé de droits plus exorbitants
que celui de ne mettre les gens à la question que pour la
forme !
L'arrêt fut communiqué le même jour aux accusés.
Ils en appelèrent au Parlement. Le Procureur du Roi
Lagane en appela devant la même cour, à minimal c'est-
à-dire comme d'une sentence trop indulgente.
« Au surplus, il a requis que l'extrait de la procédure, de la
sentence et du dicfvm, ensemble les cinq accusés, fussent en-
voyés au Palais; et pour pourvoir à la sûreté desdits accusés
"a laquelle il est très-important de veiller, ledit sieur Procureur
(lu Roy a procuré qu'ils ayent été mis aux fers et a signé. — Au
parquet de la ville.
« Lagane, Procureur du Roy, »
Le 1 8 novembre 1 7 6 i .
Les condamnés furent aussitôt transférés de la prison
de l'Hôtel-de- Ville h celle du Palais, et là on leur mit les
fors aux pieds, petite torture en attendant la grande,
mais humiliante et douloureuse, surtout à la longue.
Jean Calas ne quitta les fers que le 10 mars pour
être mis à la question et roué. Les autres les gardè-
lenl quelques jours de plus, quatre mois environ.
PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITOULS. loi
Ce fut en vain que David Lavaysse tenta de soustraire
son fils à cette gène, ce fut en vain qu'il offrit de
payer autant de soldats qu'on voudrait pour le garder
à vue, ce qui mettait à néant le prétendu motif de sû-
reté. Lagane fut inflexible. 11 \oulait des aveux et croyait
les obtenir par la rigueur.
Ce fut le 5 décembre que le Parlement de Toulouse
jugea l'appel, par un arrêt dit m^er/ocw/oiVe, cassa celui
des Capitouls, leur lit «défense de, à l'avenir, ordonner
(i ([ue les prévenus seront seulement présentés k la tor-
u lure sans y être appliqués , » retint la cause quant
au fond et maintint le commencement d'information
comme valable. Le conseiller Pierre-Etienne de Boissy
fut délégué pour continuer l'inquisition.
Elle de Beaumont fit remarquer plus tard (1) qu'en tout
ceci le Parlement, à son tour, agit avec une précipitation
extrême.
On mil sur le bureau, dès le 5 décembre, le procès à juger
pour le fond, lorsqu'il n'y avait pas même assez de juges de Tour-
nelle à Toulouse , pour faire arrêt , et lorsque l'appel même du Mo-
nitoire était pendant h la Grand'Chambre. On fut obligé d'aller
au bureau de la Grand'Chambre, où se trouva seul (n'y ayant
alors aucun travail) un conseiller qu'on amena à la Tournelle
et qui n'opina certainement pas pour les accusés.
Ainsi qu'on vient de le voir, les prévenus avaient in-
terjeté appel comme d'abus contre le Monitoire. Nous
avons prouvé que cet acte scandaleux était rempli d'il-
légalités et de nullités évidentes; on a pu lire ici même
quelques textes de loi d'une précision irréfragable à cet
(0 E. de B., 3.
12.
138 PROCÉDURE ET ARRÊT DES CAPITODLS.
égard. Mais ce fut alors que parut dans tout son jour
l'abandon où se trouvaient les Calas, et la crainte qu'on
avait d'attaquer dans le Monitoire l'œuvre commune de
la magistrature et île l'Eglise, l'objet de la confiance sans
réserve de toute la ville. Personne n'osa soutenir l'ap-
pel (1) et la Grand'Chambre rendit un nouvel arrêt por-
tant «qu'il n'y a abus dans l'obtention dudit Monitoire. »
Enfin, un troisième arrêt ordonna la quatrième publi-
cation de ce même Monitoire pour le 13 décembre,
comme nous avons dû le dire par anticipation ; la ful-
mination eut lieu le dimanche suivant. Seulement, pour
couvrir l'illégalité patente qui résultait de ce que cette
pièce émanait du Grand-Vicaire et non de l'Official , on
Y fit joindre la sanction de ce tribunal; ce ne fut plus
qu'une simple formalité, un hommage tardif à un pou-
voir dont on avait eu le tort de se passer jusque-là.
( 1 ) En présence d'un pareil fait, il est au moins étrange (Venlendre
les modernes adversaires des Calas prétendre, sans aucune preuve,
comme le continuateur de Dom Vayssette, que plus de deux cent
soixante familles du commerce, les nombreux alliés de M""* Calas
(tous bons gentilsbommes), beaucoup de membres du Parlement et
de familles nobles alliées à David Lavaysse s'intéressèrent très-ac-
tivement pour Calas, pour sa femme, pour le jeune Gaubert. C'est
le contraire de la vérité. Tout était dans la consternation, et à peine
quelques intimes amis conseillaient les deux jeunes filles restées
seules, et Louis Calas, le déserteur du toit paternel.
GHAPITIRE VIL
LES GALAS DEVANT LE PARLEMENT.
MM. de Maniban et de Bastard, premiers présidents. —
Le procureur général Riquet deBonrepos. — Les pré-
sidents de Niquet, de Senaux, du Puget. — Les con-
seillers de Cassan-Clairac et de La Salle. —L'avocat
Sudre. — Mémoires de Sudre, de La Salle, de Gaubert
etde David Lavaysse. —Discussion des témoignages.
— Les cris entendus le 13 octobre. — Marc-Antoine
a-t-ilpu se tuer? — Est-il mort assassiné? —Etait- il
devenu catholique?— Témoignages sur ouï dire, ou
absurdes , ou volontairement faux-
Je suis persuadé plus que jamais de l'innocence
des Calas et de la cruelle bonne foi du Parlement
de Toulouse.
VOLTAIUE.
(Au comte d'Argental, 21 juin 1762.)
Avant de continuer ce déplorable récit, nous croyons
devoir faire connaître, en quelques mots rapides, les
principaux magistrats qui eurent à prononcer l'arrêt de
mort de Jean Galas.
Nous n'avons rien à dire du premier Président, Joseph-
Gaspard de Maniban, marquis de Gampagne, qui avait
iUO LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
épousé une Lcimoignon et mourut en 1762 après quarante
ans de présidence. Sur le refus de Dominique deBastard,
Doyen du Parlement, son fils François, Maître des Re-
quêtes au Conseil d'Etat, fut mis, le 26 septembre de
cette même année, à la tête duParlement de Toulouse (1).
Le Procureur général J.-G.-A.-A. Riquet deBonrepos
était un descendant de l'illustre Riquet, auteur du
canal des deux mers, qui avait été créé baron de Bon-
repos. Nous verrons ce magistrat se montrer peu di-
gne (2) de cette famille italienne des Riquetti, qui
fit une haute fortune en France et en Belgique , par les
princes de Ghimay et les ducs de Caraman, mais que
rendirent bien plus célèbre deux hommes extraordinai-
res, Riquet d'abord et ensuite Mirabeau.
Trois présidents à mortier doivent être nommés ici,
Antoine-Joseph de Niquet, chancelier des Jeux Floraux,
et les deux présidents de la Tournelle, Henri-Gabriel
duPuget et Jean-Joseph-Dominique de Senaux, tous
deux membres de cette même Académie du Gay-Sa-
//er, et tous deux juges de Galas (3). M. de Niquet prit
(0 Né le i6 décerahre 17 2*2, il donna sa démission en 17 69,
se rt'iira à Paris el y mourul le 2 0 janvier 17 80, enlouré de ses
deux plus intimes amis, les maréchaux de Lorge el de Biron.
(2) « Nous avons contre nous, écrit Voltaire le 7 juillet 1770,
dans l'affaire Sirven, ce procureur général de Bclzébulh. » Le mot
est vif, mais il a été dilàpropos du réquisitoire donné par cemagislrat
contre M""* Calas elles trois autres prévenus, le lendemain du sup-
plicede Jean Calas.Qu'on le lise, et peut-être pardonnera-t-on à Vol-
taire l'extrême vigueur de son indignation. Bonrepos était entré en
charge le 9 février i7 5o;il dut se retirer devant le Parlement Mau-
peou en 177 i.
(3) On appelait Tournelle dans les Parlements, la chambre crlmi-
nf'lk'. Je irouvc parmi les papiers de la famille Lavaysse l'épi-
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 1^1
part d'une autre manière et moins directement k celte
douloureuse affaire. Après 50 ans de services comme
conseiller et comme président, il devint premier prési-
dent en 1770. Il se démit en 1787.
On nous pardonnera d'avoir énuméré les noms ,
les alliances, les titres de ces magistrats; nous
voudrions les faire bien connaître, et nous nous éton-
nons nous-même du contraste que présente le rôle
qu'ils vont jouer devant nous avec les noms fameux des
uns, les titres académiques des autres et les fonctions
élevées qui leur étaient communes à tous. Nous avons eu
occasion de juger les caractères de quelques-uns d'en-
tre eux par leurs lettres assez nombreuses au comte de
Saint-Florentin que nous avons pu lire aux^rc^2î;es,oupar
les réponses de ce ministre. Nous publions plus loin (1)
quatre lettres inédites de MM. de Senaux et du Puget où
l'on s'étonne de trouver les préventions les plus aveu-
gles contre le protestantisme, et une entière ignorance à
ce sujet, qui serait très-digne de David lui-même, sans
qu'ils se montrent plus humains que lui. Entre les deux,
M. du Puget a la palme. Le président de Senaux se dis-
lingue par la persévérance avec laquelle il demande
k M. de Saint-Florentin des pensions ou des grati-
gramme suivanlc contre les deux présidents de la Tournelle :
Senaux disait d'un ton sévfere :
Si mon fils désertait le culte de son père,
Je vous le pendrais bel et bien :
Donc, Calas a pendu le sien.
Puget répondit : Chacun s'aime ;
Pour moi, quand je serais perdu,
Je me garderais bien de me pendre moi-même :
Donc, son fils ne s'est pas pendu.
(1) Correspondance de M. de Saint-Florentin, lettres 3 et 15, 18
et 22.
lZl2 LES CALAS DEVAiM LE PARLEMENT.
fications. Tout prétexte lui est bon pour cela, tantôt
les vœux de nouvelle année, tantôt la mort de M. de
Maniban. J'ai lu trois lettres où le Ministre, trois fois de
suite, lui répond que cette demande ne le concerne
pas et qu'il doit s'adresser au chancelier. Le président
de Niquet ne se fait pas faute non plus de ces sollicita-
tions intéressées. Le 5 décembre, M. de Bonrepos ob-
tint pour sa part 10,000 livres d'augmentation sur le
brevet de retenue de sa charge. Il faut convenir que
ces redoutables et graves personnages perdent à être
surpris dans le déshabillé de leur correspondance in-
time avec le Secrétaire d'Etat.
M. de Cassan-Glairac, conseiller, fut nommé rappor-
teur de r affaire des Galas. Où pense- t-on qu'il alla éla-
borer son rapport? Au couvent des Chartreux. On lui
en fait un mérite encore de nos jours, et l'on imagine
qu'il s'y réfugia pour éviter les obsessions d'une foule
de solliciteurs qui venaient l'implorer pour les accusés (1) .
Nous répéterons que personne à ce moment terrible, où
se dressait lentement l'échafaud de Calas, personne,
entre l'arrêt du 18 novembre et celui du 9 mars, n'osait
élever la voix en faveur des prévenus. Il est pénible de
penser que le rapport qui envoya un père de famille
innocent à la torture et à la roue, soit parti d'un cou-
vent.
En tout cas, il est évident que M. de Clairac ne son-
geait pas même à se donner l'apparence de l'impartialité
dans un jugement si intéressant pour la religion. On ré-
pondra peut-être qu'il suffit à la justice d'être impartiale
sans le paraître, et l'on aura tort. Aussi dans la tragédie de
(1) Histoire du Languedoc.
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. l/l3
Chénier, le public accueillait avec un murmure ce vers
du rôle de Clérac :
Je quille de Bruno le cloîire soliiaire.
Sans doute Chénier n'aurait pas dû traiter un sujet dont
les personnages étaient vivants ; mais l'effet de ce vers
était une juste protestation contre le manque de tact et
de bon sens qu'avait montré le rapporteur (1).
Nous nous trompons en disant que nul n'agit pour
les accusés. Il y eut au Parlement de Toulouse un seul
homme d'assez de sens et de courage pour prendre la dé-
fense des opprimés. Ce fut M. de La Salle. Il soutint leur
innocence dans le monde, devant cette autre multitude,
qui, pour avoir plus de lumières, n'est que plus coupable
lorsqu'elle s'aveugle au point d'épouser les passions et les
erreurs de celle delà rue. Ah! Moiuieur, dit-on un jour
à La Salle, en l'interrompant avec dédain, vous êtes tout
Calas. — Ah! Monsieur, répliqua-t-il aussitôt, î;ows êtes
tout peuple. La Salle avait raison ; il n'est pas permis
d'être peuple par l'ignorance et par l'emportement. Au
moment du jugement, M. de La Salle se récusa, comme
s'étant déjà prononcé. En effet, il avait eu la gloire de
soutenir seul son opinion contre toute une ville en fu-
reur, peuple, juges et prêtres. On lui a reproché à
(0 Le senliment d'horreur qu'on avait éprouvé, envoyant sortir
d'un monastère ce cruel réquisitoire, s'exprima encore dans Té-
pigramme suivante, vulgaire de ton et de slyle, mais dont le der-
nier vers est une ironie assez vive :
Cassan, voyant l'arrêt des Maîtres des Requêtes :
Tout est perdu, dit-il. Voyez comme ils sont bêtes :
Si Calas n'avait pas assassiné son fils,
Il faudrait que je fusse un fieffé fanatique,
Moi, qui pour juger Vhérétique,
Minutai mon brevet aux i)ieds du crucifix.
aZlZl LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
tort cette abstention; la loi l'exigeait de lui. 11 y a
tout lieu (le croire, et pour notre part il nous semble
indubitable, qu'il est l'auteur du Mémoire que nous avous
cité sous son nom, et qui parut avec la signature du pro-
cureur Duroux fils, sous le titre à' Observations pou?^ le
sieur J. Calas^ la do,nie de Cabibel son épouse, et le sieur
P. Calas ^ leur fils (1).
Ce Mémoire lut communiqué par lui avant l'impres-
sion à M*" Sudre, l'avocat des Galas, et nous y avons
partout reconnu une dignité calme, une raison ferme qui
sont très-rares dans un factuin du dix-huitième siècle.
11 est évident qu'après avoir écrit et publié ce Mémoire
anonyme, La Salle ne pouvait q.ie se récuser. Nous avons
blâmé David de Beaudrigue et Chirac d'avoir voulu juger
Ccî procès après avoir lait connaître leur opinion par
une manifestation publique. Louons M. de La Salle d'a-
voir obéi à la loi dont il était le représentant, mais dé-
plorons le malheur des Calas qui, après avoir perdu
M" Monyer en première instance, perdirent plus que lui
en appel. 11 semble que tout conspirât contre eux, même
le bien qu'on avait voulu leur faire.
Je viens dénommer le premier avocat qui ait eu l'hon-
neur d.i plaider la cause des Calas, et qui s'est acquis
par cet acte de courage, et par la manière dont il s'en
acquitta, des titres impérissables à la reconnaissance et
au respect. Sudre, en prenant en main cette cause pé-
rilleuse, en la soutenant dans trois Mémoires successifs,
n'avait pas, comme ses continuateurs Elle de Beaumont,
Loyseau de Mauléonet Mariette, un Voltaire pour client
el l'Europe pour auditoire. Sudre avait à lutter contre
^\) Voir Bibliographie, n" 5,
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. l/l5
le Parlement, le Clergé et les Pénitents blancs, contre
un David de Beaudrigue et un Lagane, contre ceux qui
avaient suspendu le procureur Duroux, cité devant leur
justice l'assesseur Monyer et décrété de prise de corps
le témoin Espaillac. Le peuple, les dévots, les couvents,
la magistrature, si puissante alors dans une ville par-
lementaire, il fallait tout braver de front. Sudre l'osa,
mais paya chèrement son courage ; plusieurs années se
passèrent sans qu'il se trouvât d'assez hardis plaideurs
pour confier leurs intérêts à un avocat aussi dangereu-
sement compromis (1), et lorsque plus tard son élection
au Capitoulat échoua, c'est que Toulouse ne put se ré-
soudre à revêtir d'une autorité municipale celui qui
avait osé se faire le défenseur des Calas.
Nous ne savons par quelle circonstance cette défense
dont M'' Carrière avait paru vouloir s'occuper aux pre-
miers jours, passa aux soins de M*^ Sudre. Elle ne pou-
vait tomber entre des mains plus capables. Théo-
dore Sudre s'était distingué de bonne heure; il en-
trait à peine dans la carrière quand le fameux juris-
consulte Frugole, dont le suffrage est une autorité de
premier ordre, fit mention de lui dans son Traité des
Testaments (t. IV, p. 28) en ces termes : (( W Sudre,
mon confrère, à l'âge de vingt-cinq ans, a une connais-
sance très-exacte de l'histoire et des systèmes du
droit romain et en débrouille avec une facilité mer-
veilleuse les difficultés qui paraissent les plus inextri-
cables (2).
(1) Voltaire à Argental, lO décembre 17 67. — Le fait est con-
firmé par d'autres renseigneraeni3 positifs.
(2) Sudre publia en 17 53 une nouvelle édilion du Traité des
Elections d'Héritier, do Fvlson, conseiller au Parlement de Gie-
13
i[\6 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
La ddle précise des divers Mémoires publiés dans le
procès serait souvent assez difficile à déterminer ; mais
par quelques mots (1) du premier factum de Sudre, nous
savons qu'il parut moins de trois mois après la mort de
Marc- Antoine, dans les derniers jours de 1761 ou les
premiers de l'année suivante ; en d'autres termes, dès que
l'alFaire eut été évoquée par le Parlement, Sudre s'en
chargea. Coup sur coup, en deux mois, il publia trois
écrits: 1** Mémoire justificatif pour le sieur Jean Calas,
négociant de cette ville, dame Anne- Rose Cabibel, son
épouse, et le sieur Jean-Pierre Calas, un de leurs enfants;
2° Suite pour les sieurs et demoiselle Calas; 3° Réflexions
pour les sieurs et demoiselle Ca/as (2). Ces Mémoires,
les premiers qui parurent, sont, à notre avis, les meil-
leurs de tous; très-supérieurs à ceux que Voltaire et l'Eu-
rope firent profession d'admirer plus tard (3), ils sont ^
peu près exempts de l'enflure qui règne dans tous les
autres ; seuls, les écrits de Voltaire lui-même nous pa-
raissent supérieurs, et celui de La Salle égal aux travaux
de xM'^ Sudre. La science du droit, l'érudition classi-
que, s'y retrouvent à chaque pas, mais avec mesure
et sans étalage. Le sens pratique, l'exposition simple et
probante des faits, la force des raisonnements, s'y font
noble, ([u'il dédia au premici" Présldenl de Mauibaii, et plus lard
un Trait)' des droits seiyneuriaax. Il était né à Ginionl (Gers) en
17 18 et avait élé élevé au collège de la Doctrine Chrétienne à Tou-
louse; il se maria \^\\ 17 5 j, eut dix enl'ants et mourut en 179 3.
Sa réputation de science, do talent et d'intégrité était grande.
(0 Sudre, 1, p. 4.
(2) Biblioyrdpkie j n"', 4, 6, 7.
(3) «c Moins liabiles, moins élociucnts que Sudre, cl plus souvent
erapbalirjncs, » dit avec raison l'historien du Languedoc.
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 1/|7
d'autant plus sentir qu'on n'y retrouve point cette dé-
clamation ampoulée, théâtrale, à grandes prétentions,
qui alors était de mode à Paris. Il est à regretter que
Voltaire n'ait pas connu ces Mémoires à temps pour en
faire usage, et ne les ait pas fait réimprimer. Ils sont
devenus rares.
A la même époque parut le premier Mémoire de La-
vaysse, intitulé : Mémoire du sieur Gaubert Lavaysse (1).
Il ressemble aux précédents par sa simplicité, mais dif-
fère des écrits de Sudre en ce qu'il ne s'y trouve aucune
trace de science juridique ni d'habitudes littéraires. 11
nous paraît probable que cette pièce eut réellement e
})risonnier pour auteur, et fut revue par son père.
Ce dernier publia, quelque temps après, un écrit in-
titulé : Mémoire de M^ David Lavaysse, avocat en la
Cour, pour le sieur François-Alexandre-Gaubert La-
vaysse, son troisième fils (2). Il n'acheva pas ce travail.
Au milieu d'une phrase à propos de la fréquence des
suicides en Angleterre, il s'interrompt, et on lit en ca-
ractères italiques :
« Qu'entends-je, jtisfe ciel.',,, on juge mon fils: je n'ai pas la
force de continuer.,. je succombe... Lavaysse, mon cher fils, arme-
loi de courage. Achève la défense d'un frère innocent. — J'obéis à
mon père, écrit aussitôt Etienne Lavaysse (le deuxième fils).
Avec aussi peu d'expérience, le disciple remplira-t-il le plan
formé par le Maître? Que jeté plains, mon cher frère, d'avoir
ta défense en des mains si faibles I le zèle suppléera-t-il aux
talents? »
(l) Bibliographie^ n* 9,
('2^ Ibid., n" 10.
148 LES CALAS DEVANT LE PÀRLEMElNT.
Et la phrase commencée sur les suicides anglais, est
reprise.
J'avoue que ce coup de théâtre ne me fait éprouver
qu'une très-médiocre émotion. Il y a là une scène de
drame bourgeois à la façon de Diderot, ou, si l'on veut,
le sujet d'un tableau de famille pour Greuze. Mais ce
n'est point ainsi que devrait parler la nature. Il est
bien qu'un père, âgé de soixante-sept ans, se fasse aider
par un fds, avocat comme lui, pour la défense d'un au-
tre de ses enfants exposé au plus horrible danger. Mais
est-ce ainsi qu'il faudrait le dire? Cette manière de se
pâmer devant le public, de donner en spectacle ses dou-
leurs paternelles, et de succomber devant le lecteur en
lettres italiques, me paraît de fort mauvais goût. Sudre
et La Salle avaient été beaucoup plus pathétiques en
cherchant beaucoup moins à l'être.
Ces divers Mémoires, avec plus ou moins de logique
et d'éloquence, discutaient des questions que nous avons
à dessein laissées de côté jusqu'à ce moment, parce qu'il
aurait fallu y revenir; V inquisition commencée par les
Capitouls ayant été acceptée par le Parlement, les
mêmes dépositions figurent dans les deux procès.
Le premier point à établir semble être celui-ci : quels
étaient les cris qu'on avait entendus dans la rue des Fi-
latiers pendant la soirée du 13? Nous croyons avoir
parfaitement prouvé que ces cris, entendus par quatorze
témoins à neuf heures et demie, au plus tôt, ne pou-
vaient être ceux de Marc-Antoine que le chirurgien
Gorsse,l)elpuech, Brun, trouvèrent déjà froid, elles mé-
decins chargés de l'examiner avec plus de précision, un
pencJunid seulement. 11 était donc mort depuis quelques
heures, quand ces cris éclatèrent.
LtS CALAS DEVANT LE PARLEMENT. U9
Il est bien certain que ces cris n'étaient pas les siens,
mais ceux de Lavaysse et de Pierre, puis surtout ceux de
Galas père et enfin de toute la famille. Si l'on se trouvait à
Toulouse ou dans tout autre endroit du Midi au moment
d'un accident mortel, on entendrait aujourd'hui encore,
non des sanglots et des pleurs, mais des cris aigus et dé-
chirants. Les hommes du Nord, moins violents dans leurs
démonstrations extérieures, s'en font difficilement une
idée (1).
S'il en est ainsi lorsque meurt un malade dont on atten-
dait le dernier soupir, il n'est pas étonnant qu'un bruit
affreux éclate quand on découvre le cadavre d'un parent
que l'on croyait plein de vie. Tous les habitants du quar-
tier entendirent ce bruit ; mais ils distinguèrent mal ;
les paroles ne pouvaient arriver que confusément à
leur oreille du fond de cette boutique fermée, surtout
quand plus d'une voix s'élevait k la fois.
Cazalus, garçon passementier, qui n'a entendu autre
chose que Ah! mon Dieu ! ah! mon Dieu, dans la bouti-
que d'abord, puis dans le corridor, dit certainement
toute la vérité. Quant àPopis, son camarade, qui croit
avoir entendu au voltur et à l'assassin, il se trompe.
(i)En 1843, j'étais depuis quelques joiirs à Nîmes où je venais
d'ôlrc appi.'lé couimci pasleur suffraganl, lorsqu'on vint me prier de
visiter un vieillard mourant dans la maison en face de celle que
j'habitais. J'y courus à l'inslanl, mais déjà il était trop tard; en traver-
sant la rue j'entendis un épouvanlable tumulte. Le malade venait
d'expirer, et à l'inslanl même, quatre ou cinq femmes se mirent à
courir par la chambre en poussant les cris les plus aigus, mêlés
d'exclamations de — Ali! mou Dieu : — Ah ! mon pauvre père ! — Ah!
mon pauvre mari! .l'étais tout stupéfait de cette scène nouvelle pour
moi, que j'ai vue depuis se répéter bien des fois dans des cas de
mort naturelle, lente et prévue. J'eus grand'peine à obtenir un peu
de silence et de calme.
13.
150 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
Plusieurs autres personnes crurent entendre Aw voleur;
évidemment celles-là entendirent mal et, en tout cas, ce
n'est pas le cri d'un fils étranglé par ses propres parents.
N'est-il pas tout simple que des paroles que l'on crie
du fond d'une maison fermée, soient entendues de la rue,
mais d'une manière indistincte, et diversement interpré-
tées par chacun ?
On a vu Espaillac se donner devant les frères-tail-
leurs un air important, en déclarant qu'il avait reconnu
la voix de Marc- Antoine se plaignant qu'on l'étranglait;
les trois frères insistent sur l'importance de ces asser-
tions qu'ils croient vraies, les répètent devant la justice
et il se trouve qu'elles sont fausses, qu'Espaillac ne dit
rien de pareil et aime mieux fuir que les attester. Il ne
faut donc pas s'étonner si divers témoins ont ouï-dire
que ces cris fabuleux avaient été entendus. Déjà un des
trois frères-tailleurs au lieu de \ Ah! mon Dieu! on
m'étrangle, faisait dire au mourant : Ah! mon père, vous
m'étranglez. La demoiselle Pouchelon qui, disait-on,
avait entendu crier : On m'assassine, l'a nié (1). Tel au-
tre prétend qu'il criait : Pourquoi m' étranglez- vous ?
ou encore : « A!i I mon Dieu ! mon père, vous me
faites tuer ; vous n'avez pas pitié de moi^ » ou encore :
(( Mon père, laissez-moi faire un acte de contrition. » On
voit que ces prétendus cris d'un homme qu'on étran-
gle finissent par devenir des phrases entières, ou pathéti-
ques ou édifiantes. Toutes ces dernières versions sont
des ouï-dire et non des témoignages auriculaires ; cha-
cune de ces paroles est rapportée sur ouï-dire et toujours
par un seul témoin ; il n'en est pas une que deux person-
(1) Sudir, 1.
LES CALAS DEVANT LE PAULEMENT. 151
nés déclarent avoir entendue, excepté le cri : Ahl mon
Dieu! évidemment le seul réel, mais qui ne prouve rien
contre les Calas.
Une multitude de déclarations insignifiantes, et dont
ceux même qui les faisaient, ignoraient l'origine, furent
apportées par divers témoins. Nous en citerons une qui
est un modèle du genre, et qui est plus étrange que
d'autres, uniquement en ce qu'elle a été déposée, par un
homme sérieux, un prêtre, membre de la savante so-
ciété de l'Oratoire, entre les mains d'un de ses propres
collègues. On ne s'étonnera plus en lisant les vagues dé-
clarations de personnages si graves, des inepties que
venaient raconter au tribunal les commères du quartier.
Quelqu'un que je ne puis me rappeler m'a assuré tenir du
perruquier (Durand), qui demeure dans la grande rue près de
la maison du sieur Calas, que son garçon (Jean Pérès) étant
sorti sur la rue avait entendu, ou a peu près, les cris et les
plaintes rapportés dans leMonitoire, et je crois qu'il avait vu
paraître à la porte dudit sieur Calas un jeune homme ayant
l'épée à la main et regardant h droite et à gauche.
Signé: MiCAULT DE SouLEViLLE, prêtre de l'Oratoire.
Je soussigné déclare avoir reçu la susdite déposition a Tou-
louse ce 3 novembre 1761,
Signé'. Eyssauïieu, prêtre de l'Oratoire.
CoUationné, BarRAU, grcf»
On aura remarqué le trait nouvean de rêpée à la
inain quine se trouve qu'ici. Nousavions entendu les voi-
sins de Galas raconter qu'ils avaient vu sortir de la maison
im porte -épée, c'est-à-dire, dans le langage populaire de
la contrée, un gentilhomme ayant l'épée au côté; et, en
effet, Lavaysse, comme tous les hommes d'une société un
peu relevée, la portait constamment. Mois voici que de
152 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
bouche en bouche cette épée de toilette devient une
épée nue ; et elle figure, apparemment comme l'insigne
de sa profession de bourreau, dans la main de ce jeune
homme, qui cependant n'avait pu s'en servir pour étran-
gler le martyr.
Voilk la déposition du Père de Souleville, d'un collè-
gue des Massillon et des Malebranche.
Cette prétendue preuve des cris entendus dans la rue
des Filatiers ne serait pas encore réduite à toute sa nul-
lité, si nous ne disions que la servante d'un voisin qui
habitait de l'autre côté de la rue, affirmant qu'elle avait
entendu crier : On m'assassine! M*" Sudre répondit qu'il
était impossible k cette distance d'entendre des paroles
prononcées, même en criant, dans l'intérieur de la
maison Galas , fermée comme elle l'était. Il supplia
vainement qu'on en fît l'essai; on ne daigna tenir aucun
compte de sa demande.
Un autre fait qu'on allégua contre les accusés, c'est
la prétendue impossibilité qu'il y avait à ce que Marc-
Antoine se fût pendu au billot posé en travers de la
porte. Il fallut bien reconnaître pourtant que ce billot
avait été l'instrument de sa mort, car on le retrouva
avec la corde à double nœud coulant, et même
quelques cheveux du mort y étaient encore attachés.
On prétendit alors que ce billot avait dû servir à lui
tordre la corde autour du cou pour l'étrangler. Dans un
des brie f s intendit s du Procureur du Roi, on prétendit
établir que la victime avait été couchée ou assise sur
deux chaises. Encore une de ces suppositions gratuites
que Lagane donnait hardiment pour des réalités. On
prouva le contraire par la marque livide que la corde
avait laissée sur le cou. Elle eût été à peu près horizon-
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 153
taie, s'il y avait eu étranglement, comme on le disait. Au
lieu de cela, en arrière des oreilles, elle remontait et
se perdait dans les cheveux, comme il devait arriver
chez un homme suspendu.
On soutint que la porte était trop basse. Il se trouva,
vérification faite, qu'elle était bien plus haute qu'il
n'était nécessaire. On prétendit alors qu'elle l'était trop,
et que Marc-Antoine n'avait pu se pendre qu'en mon-
tant sur une chaise ou sur un escabeau ; et l'on opposa
aux accusés qu'ils n'avaient point dit qu'il y eût près
de \h ni escabeau ni chaise. Galas répondit « que
dans son trouble, il s'occupa peu d'examiner s'il y eu
avait près de la porte ; que d'ailleurs il y en avait nom-
bre, de l'un et de l'autre, dans la boutique et dans le
magasin, et que Marc- Antoine avait dû le repousser du
l)ied s'il s'en était servi. »
On imagina alors de dire que le billot étant placé sur
les deux battants ouverts de la porte, le poids d'un
homme les aurait ébranlés, ils se seraient rapprochés et la
porte se serait refermée, de sorte que le billot serait
tombé à terre ; on objecta aussi que les deux battants
étant un peu inclinés, le billot aurait roulé. On l'y replaça,
il ne roula nullement, et ne le pouvait, parce qu'il était
aplati par un bout. Bien plus, le ik octobre, devant les
soldats de garde, la maison étant ouverte, et quelques
curieuxy allant et venant, des jeunes gens replacèrent le
billot sur les battants et se pendirent k la corde avec
les mains ; les battants restèrent fermes, et treize longs
bouts de ficelle jetés sur l'une des portes, d'où on les
prenait quand on en avait besoin , ne furent pas dé-
rangés, tant la porte demeurait immobile. Les soldats
racontèrent que déjà ils avaient lait la même expérience,
15A LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
qui d'ailleurs se présentait d'elle-même à l'esprit (1).
11 paraît que ces preuves ébranlèrent la conviction
de David. Il mena de nuit un homme que sa profession
et le mépris public rendaient indigne de confiance, le
bourreau, dans la maison de Calas, et lui demanda s'il
était possible de se pendre ainsi. Cet odieux expert ré-
pondit que non, soit qu'il voulût complaire à ce puis-
sant personnage qui daignait lui parler et le consulter
comme une autorité, soit qu'il ne comprît rien h une
pendaison qui n'était nullement conforme aux règles de
son métier. Malgré cette sentence, David n'osa se pré-
valoir ouvertement d'un pareil témoignage, et les avo-
cats des Calas lui reprochèrent d'y avoir recouru.
Il reste incontestable que Marc- Antoine a pu monter
sur un escabeau entre les deux battants ouverts de la
porte, se passer autour du cou en la croisant, la corde,
longue de 2 pans (16 pouces), faire entrer le billot dans
les deux nœuds coulants qui la terminaient, poser les
deux bouts de ce billot à droite et à gauche sur les deux
battants, puis écarter du pied l'escabeau. Sans doute il a
fallu pour cela une résolution froide et très-arrêtée; mais
combien de suicides en offrent des exemples beaucoup
plus singuliers ! Son habit, plié avec soin sur le conq)-
toir, l'ordre parfait de ses vêtements et de sa chevelure
mettent d'ailleurs hors de contestation ce calme af-
freux du parti pris.
On répond que cette corde qui, en effet, correspondait
parfaitement h la raie livide du cou, ce billot où adhé-
raient quelques cheveux, ont pu être employés par ses
(1) Tous ces détails sont ircs-bicn raconlés el discutes par
Sudre (i,p. 45).
LES GALAS DEVANT LE PARLEMENT. 155
parents i\ le tuer. Mais pourquoi auraient-ils prisée
moyen étrange, compUciué, inexplicable, si ce sont cinq
assassins qui tuent un seul homme (1) ? Ce moyen est
étrange môme pour un suicide , mais s'explique, dans
cette seul-, hypothèse, par la diflficulté de se pendre
soi-même, en un lieu où rien ne favorisait ce dessein,
et par la complication des moyens qu'emploient souvent
ceux qui se tuent, pour être surs de ne pas se man-
quer et de ne pas souilrir longtemps. Et l'on ne peut ré-
pondre que tout cela a été disposé pour faire croire h
un suicide : en ce cas on eut trouvé l'escabeau renversé
aux pieds du cadavre et les coupables n'auraient pas
(i) Le célèbre chirurgien Louis lui devant l'Académie de chirur-
gie, à l'occasion même de celle affaire, un Mémoire qui a élé publié
(Bibliographie, n° 3 0). U montre que quand un homme a élé pendu,
son cou porle une marque oblique moulant vers le haut, et sans
meurtrissure. — C'est ce que le rapport officiel a couslaié sur le
cadavre de Calas aîné, belon le mémo savant, si un homme est
étranglé, on trouve à son cou une marque circulaire et horizontale
elle plus souvent avec ecchymose, résultant de la torsion. U
ajoute :
.< n serait bien difficile qu'un homme eu lit mourir un autre en le pen-
dant ; cela demande trop d'appareil : il est plus commun de commencer pux
l-étranglement; on suspend le corps après pour tacher ^^«/f ^ ^ " f ^-«7/^^:
trele eearede crime; c'est une action redeclue qui suit le mousemeat
violè'u'quUvait portéa l'assassinat. Mais il est rare quelecrune ne laisse
des traces qui le décèlent. "
Un autre médecin distingué de l'époque avait étudié l'affaire Ca-
las cl partageait la même opinion.
« Jean Lafosse, né a Montpellier le 13 novembre 1742, s'adonna a l'é-
tude de la mé locine, et sans avoir j.uuais été professeur en t, re, fit cepen-
dant des cours publics qui furent tres-suivis. Il a laisse un travail sur e
de sèchement de quelques parties des côtes du Languedoc, ^^^^^^^^^^
ouvragcil avait également entrepris d'établir les inconséquences que 1 ana-
tomie
rase, Il avait egaieiueiiL w;ui-ict/iio vi V..-".""' •-- >.-- -
de lui fit apercevoir dans le rapport destiné a constater 1 état du cada-
dc Calas fils, dont il considérait le suicide comme constant. 11 lia a
cette occasion une correspondance suivie avec Voltaire. Une mort préma-
turée l'enleva le il juin 1775 a l'âge de 33 ans. »
(VoirlaStaiwt.-^ue du déparlemmt de l'Hérault, par Hippolyte Creuzé de
Lesser, 18'24, page 264.}
156 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
manqué de le faire remarquer. Pas un n'y songea, et
quand l'idée en vint aux magistrats, tant de gens étaient
allés dans la boutique et dans le magasin, et avec tant
de trouble, qu'il fut impossible de dire si un meuble
aussi insignifiant s'était trouvé là, renversé ou écarté par
le pied du suicidé.
Si les Calas ont tué Marc- Antoine, il faudra croire qu'il
y a consenti, non-seulement parce qu'on n'a entendu au-
cun cri jusqu'au moment où on le trouva déjà refroidi ,
mais aussi parce que ni ses habits, ni ses cheveux, ni son
corps, ni les leurs, ne laissaient apercevoir aucun désor-
dre, rien qui indiquât lamoindre lutte, le moindre effort.
Ce dernier fait est très-digne de remarque. Pour peu
qu'un homme se débatte contre ses meurtriers, il reçoit
ou se fait à lui-même des contusions, des ecchymoses. On
ne constata rien de pareil. Quand le corps eut été déposé
à l'Hôtel-de- Ville, il se trouva une légère égratignure
au nez, par suite de quelque inadvertance dans le trans-
port ; mais un grand nombre de témoins pouvaient
attester qu'elle était survenue depuis la découverte du
cadavre.
Dès qu'apparurent les premiers indices de corrup-
tion, très-prompts sous ce climat, on voulut en faire
des preuves contre les accusés. Ici nous laisserons parler
le chirurgien Lamarque, celui même qui concluait de
l'autopsie que Marc-Antoine n'avait pas soupe; on
retrouvera dans le fait qu'il raconte toute l'obstination
des Capitouls.
I.e nii^mo jour je fus appelé vers les onze heures à la maison
(le Ville, où MM. Faget, chef du Consistoire, et David, Capi-
loul, nie dirent en i)ropros tornios : Comment ! Monsieur, vous
ne vous Mes pas aperçu que le cadavre avait des ineur-»
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 157
irîssiires sur le corps? On nous a dit qu'il en était tout plein
et cependant vous n'en faites pas mention dans votre Relation.
— Je répondis que nous n'en avions point trouvé. Je me trans-
portai de suite à la chambre de torture où on avait transporté
Calas; je l'examine, je reviens au Consistoire et je rapporte à
ces MM. que ce qu'on voyait actuellement sur le corps de Calas
n'étaient pas des meurtrissures, qu'à la vérité le cadavre avait
actuellement en partie les épaules, les jambes, etc., de couleur
violette, mais que cela ne venait que de la situation du ca-
davre (1).
Après cette première tentative, si complètement avor-
tée, il y en eut d'autres. Les témoins Pages et Lambrigot,
ce dernier, soldat de garde (2), (réternelle ressource de
l'accusation) , vinrent encore affirmer qu'ils avaient vu
sur le cadavre une tache noire. Il est vrai qu'interrogés à
part, le soldat dit qu'elle était grande comme une pièce
de2/j sous ; Pages, comme la main. On fit venir cette fois
un autre chirurgien nommé Faure (chirurgien facul-
tiste), qui expliqua la marque noire (( par l'application
du cadavre sur une planche raboteuse en cet endroit. »
Ce témoignage réduisit à rien les deux autres.
Ces exemples montrent ce que valent quelques-unes
des dépositions entendues. Il est facile de comprendre
que, toute une ville s'entretenant de cette affaire avec
passion depuis le 13 octobre jusqu'au milieu de mars,
une foule de commérages tout k fait vagues finirent par
devenir des récits très-circonstanciés qui gagnaient de
bouche en bouche ce qui leur avait manqué d'abord.
Il était rarement possible de remonter à la source de
fi) Lellre de Lamarftne, Bibliographie^ n" 29.
(2) Arcl). fmp.
158 LES CALAS DKVANT LE PARLEMENT.
ces bruits; il se trouvait presque toujours, soit en der-
nière analyse, soit à un point quelconque de la chaîne,
une ou deux apparitions de ce pronom impersonnel on,
aussi commode h citer qu'impossible à convaincre de
mensonge. Quelquefois cependant, l'instruction remonte
jusqu'à l'origine de la rumeur, et découvre qu'elle n'est
rien. Ainsi, Catherine Amblard, femuie Audouy, déclare
« ne rien savoii' et n'avoir pas dit ce qu'on lui a fait
dire (1). » Ainsi réclamèrent la demoiselle Pouchelon
et sa servante, qui demeuraient vis-à-vis des Calas (2).
Ainsi, à en croire un témoin, le nommé Bruyère a ra-
conté que le 12 octobre, Marc-Antoine vint lui dire :
(( Tu n'auras plus de peine à me fréquenter, parce que je
me fais catholique ; je dois faire demain ma première
communion. » On appelle Bruyère en témoignage. Il
dit seulement que quelques personnes lui avaient dit
qu'il courait un bruit sourd que M arc- Antoine Calas
devait changer de religion. Ces paroles de Marc-An-
toine étaient donc controuvées.
Ainsi encore trois femmes de procureurs (3) racon-
tent, en grand détail, une conversation où un M. G. -A.
Roux, droguiste, assis avec elles dans le courroir
de la maison d'une d'entre elles, leur avait appris
que Marc-Antoine était catholique, qu'il devait abjurer
dans deux ou trois jours, qu'il allait tous les matins à la
messe dans des églises éloignées de la demeure de ses
parenis, et que lui, Roux, était allé avec Marc-Antoine
entendre une messe le matin môme de sa mort. Que, du
(1) Arch. Imp.
(2) SudrCj 2.
(3) LcsdcnioiscUfs Mcrcailier, de l'i-uol cl de GoUis. (Arcli. Iinp.)
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 150
l'esté, il le connaissait si soumis k son père et k sa mère,
que si l'un ou l'autre avait voulu lui couper la tête, il
l'aurait présentée sans résistance. Ces trois dépositions
Cfui s'accordent, paraissent accablantes. Heureusement
on fit venir le sieur Roux, qui nia le tout et déclara n'a-
voir eu aucun rapport avec Marc-Antoine Calas depuis
environ trois ans. « Que s'il a parlé sur la mort et sur
plusieurs circonstances qui pouvaient regarder M. -A.
Calas, il n'en parlait que sur le bruit public, et sans
savoir d'où il le tenait. »
Ainsi encore, deux autres femmes (soixante-sixième et
soixante-septième témoin) déposent qu'un étranger se
faisant raser un jour chez le sieur Saint-Martin, chi-
rurgien, raconta en ces termes l'exécution de Calas aîné:
(c II y avait là un clou ; on y attacha une corde pour
lui faire peur ; on lui dit par deux fois : Veux-tu te 7^en-
dre? et ledit Calas décédé ayant dit non, on l'exé-
cula. » Voilà un martyre bien caractérisé, avec toutes
ses circonstances. On mande cet étranger (Simon Sa-
ladin, soixante-huitième témoin). Il dépose :
Qu'à l'égard do ce qu'il a dit chez le sieur S'-Martin, chirur-
j;ien, en se faisant raser, ce n'était qu'un raisonnement qu'il
lit en l'air, de son propre mouvement. {Arch, Imp.)
Nous ne poursuivrons pas phis longtemps ce catalogue
d'assertions en l'air, démenties par ceux même qui les
ontprononcées. Il noussulTira de renvoyer à Elle de Beau-
mont qui a dressé (1) une liste de quinze témoins dé-
mentis par d'autres. Souvent, comme dans ce dernier cas,
(i) E. (le B, 3. Tous les exemples que nous venons de eiter ont
été relevés ;>ar nous-môrae sur les manuscrils aux Archives impé-
riales.
160 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
il y a eu bavardage plutôt que mauvais vouloir, mais il
n'en est pas toujours ainsi. Un témoin commence par
déclarer qu'il ne peut pas souffrir les protestants (1).
LanomméeGastonne raconte dans sa déposition (2) un
dialogue de voisines au moment où le bruit d'un crime
attirait tout le quartier dans la rue. « On a battu Galas,
dit l'une. — Il n'en est pas mort, répond une autre. —
Tant pis ! dit une troisième, »
Cette haine contre des protestantsinoffensifs se traduisit
par une multitude de calomnies plus affreuses les unes que
les autres, mais toutes sans aucune solidité. On savait
que Louis Galas s'était tenu caché après son abjuration.
On prétendit (entre autres la femme du perruquier Du-
rand) qu'il craignait d'être tué par ses parents. M'"' Galas,
confrontée avec cette femme, déclara faux tout ce qu'elle
avait dit et ajouta :
'< Que Louis Calas son tils ne se tenoit caché que pour ne
pas faire la volonté de son père et de sa mère, quoique cela
lui fût ordonné par M. le Procureur général. »
Il s'agissait de son refus d'aller vivre à Nîmes.
On affirma que ses parents l'avaient séquestré dans la
cave, l'y laissaient nu-pieds et privé de tout ; qu'il y se-
rait mort de faim si Viguière ne lui eût apporté à manger.
Confrontée avec l'auteiu' de cette calomnie. Jeannette
répliqua :
" Qu'il n'y a rien de si faux que les faits rapportés par le
tc'moin, que ledit Louis n'a jamais été mis dans la cave, ni
DKînacé, l'accusée étant la seule dans la maison instruite de la
conversion dudit Louis Calas. »
(1) Arch. Imp.
(2) Devant Eyssanlicr, Porc de l'Oraloire.
LES CALAS DEVAiNT LE PARLEMENT. 161
Enfin, on prétendit que Galas père avait tiré un coup
de pistolet en plein visage à son fils, ce que l'on prouvait
par les nombreuses marques d'un coup de feu dont le
jeune homme avait la figure sillonnée. Il fallut produire
le certificat du chirurgien Camoire, qui l'avait long-
temps soigné pour cet accident; et qui certifia qu'un
pétard avec lequel il jouait, lui avait éclaté dans les
mains (1).
Un autre témoin prétendit que, lors de la conversion
de Louis, M"'" Calas s'était écriée que si elle l'avait
prévue, elle aurait étranglé son fils pendant la longue
maladie qui fut la suite de son accident, et où elle le soi-
gna nuit et jour avec toute la tendresse d'une mère.
Un clerc tonsuré. M'' Jean Pierre Debru, vint raconter
à la justice un ridicule et affreux roman qu'il tenait,
disait-il, de son frère l'avocat, qui ne se rappelait pas de
qui il le tenait lui-même. Une mère protestante qui habi-
tait hors de Toulouse, s'aperçoit que sa fille veut se faire
catholique. Elle l'envoie aussitôt à Toulouse avec une
lettre pour M. Galas, qu'elle prie de lui rendre le service
de tuer sa fille. Gelle-ci, ne trouvant que Marc-Antoine
dans la boutique, lui remit la lettre; il la lut, avertit l'in-
nocente victime et la mit en sûreté, la louant fort de
vouloir se convertir. — Il est très-regrettable que le
frère de l'abbé n'ait pu se souvenir de qui il avait appris
cette infâme calomnie.
N'était-ce point par hasard de celui même qui inventa
l'histoire, non moins abominable, de Jeanneton Petit?
Gette pauvre fille était au service de M'"" Lavaysse; la té-
moin veut dire M""" Calas ; mais, auprès du reste, cette
(0 Ce certificat est au piocès.
l/l.
162 LES CALAS DEVAMT LE PAULEMENT.
légère inexactitude ne mérite pas d'être relevée. Jean-
neton Petit voulut se faire catholique. Sa maîtresse lui
donna sur les doigts un si furieux coup de tranchelard
que... les doigts tombèrent? non; le coutelas resta dans
la plaie.
Nous demanderions pardon au lecteur de faire passer
sous ses yeux d'aussi indignes sottises, si nous n'étions
obligé de montrer le procès tel qu'il est, et s'il n'était
indispensable de faire bien apprécier les nombreuses dé-
positions qui firent condamner Jean Galas.
Voici d'ailleurs une série de quatre faux témoins parfai-
tement reconnaissables, et qu'il importe de démasquer.
Le premier est Jean Pérès, garçon perruquier (chez
les Durand). Selon sa déposition, au moment où les cris
poussés dans la maison avaient effrayé le quartier, il vit
par les fentes de la boutique Jean Galas a se promener
une lumière à la main, sans aucun signe d'allliction ni
de tristesse. » Ge n'était donc pas lui dont les cris
avaient été entendus; il avait tout le calme d'un scé-
lérat endurci, et cela au moment où il venait d' étran-
gler son propre fils. On confronta l'accusé avec le té-
moin. Galas et lui commencèrent par de mutuels démen-
tis, et il ne semblait pas qu'entre leurs deux assertions
aucune preuve pût se produire, quand l'accusé s'avisa de
demander comment Pérès l'avait vu habillé. Le faux té-
moin hésita et répondit : (( A peu près comme vous voilà. »
Oi-, en ce moment, il était en habit, tandis que David
lui-môme et ceux qui l'arrêtèrent, l'avaient trouvé eji
robe de chambre verte et en bonnet de nuit.
" Kt le témoin a dit qu'attendu qu'il ne pouvait voir que d'un
seul d'il à travers les feules, il u'exauiinn pas la laeon donl il
elail liabillé.
LKS CALAS DEVAKÏ Li: l'AKLEMENT. 163
" Et l'aLciizé a dit que la dilférence d'un hal)it a une robe de
chauîhre est sensible. .)-
La défense demanda à prouver que les fentes h tra-
vers lesquelles Pérès avait regardé n'existaient pas. On ne
fit aucun examen de ce point de fait.
Autre calonmie : Toinette Lezat, veuve d'un cuisinier
et blanchisseuse, avait été, pendant un mois et demi, la
nourrice de Marc- Antoine Galas, et depuis était restée sans
aucune relation avec la famille qui lui avait retiré cet en-
fant. Elle inventa fort maladroitement tout un dialogue
entre elle et son ancien nourrisson, dialogue très-grave,
s'il avait été réel, parce qu'il aurait parfaitement prouvé
que Marc-Antoine allait se faire catholique. M""^ Galas
reprocha ce témoin dès qu'elle le vit, disant que lors-
qu'elle lui avait retiré son fds, Toinette leur souhaita
à elle et à son eiifant toute sorte de malédictions. Le dia-
logue était un conte fait à plaisir, et la témoin s'animant
par degrés se discrédita tout à fait, dès son premier in-
terrogatoire, par la stupide impudence avec laquelle elle
affirma avoir déj(^ été interrogée et avoir certifié les
mêmes faits devant un autre Gapitoul, au petit consis-
toire. Le fait était faux. Elle n'avait pas compris que cet
embellissement de l'édifice le faisait crouler tout entier.
Gatherine Daumière ou plutôt Dolmier, couturière,
née à Béziers, logée au faubourg de Saint-Etienne,
chez la Delaliasse. et se disant nouvelle convertie^ rap-
porta une longue conversation qu'elle aurait eue avec
Marc-Anloine. Il l'aborda, dit-elle, en lui disant qu'il sa-
vait qu'on lui avait oU'ert une boutique à Montauban,
mais qu'il l'avertissait que c'était un piège pour la faire
lelomber dans le protestantisme. 11 lui promit de lui
prêter le Chrétien en Solitude et un livi c liiè de saint
16Zl LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
François de Sales, par la dame de Chantai. Il lui dit
qu'il était entre lesraainsd'un bon confesseur, qu'il de-
vait se confesser le mardi suivant ; mais que si on le
savait chez lui, il serait... (perdu).
Pas un de ces détails si précis et si complets ne se
trouva vrai ; la prétendue nouvelle-convertie était ca-
tholique de naissance et de profession, comme on le
prouva par des actes authentiques et par des informa-
tions prises dans sa famille (1). Inutile d'ajouter que ja-
mais Marc- Antoine n'avait possédé les livres qu'il aurait
olfert de lui prêter.
Il nous reste k citer la Domenge-Lavigne, ou plutôt
sa mère, Cécile GafTié. La Domenge était une misérable
créature qui venait de subir la peine du fouet et qui
était encore détenue dans les prisons de l'Hôtel-de- Ville.
On fit coucher la servante des Calas dans le même ca-
chot que cette malheureuse. Elleprétendit, le lendemain,
que Jeanne lui avait avoué, dans la nuit, l'assassinat
de son jeune maître par le père et par Lavaysse, et
elle en faisait le récit à sa façon. On ne pouvait, d'après
la loi, faire comparaître comme témoin la Domenge. Sa
mère, k qui elle avait débité ce mensonge, se chargea de
son rôle. On n'eut pas honte de consentir k l'entendre.
Voici comment Jeanne Viguier repoussa un si odieux
mensonge, dans sa confrontation avec Cécile Gaffié :
" L'accusée a dit, que ce que la témoin a rapporté dans sa
déposition lui avoir été dit par sa tille est très faux, et que
personne ne peut lui prouver que cela soit vrai, et voudrait
(1) Voir aux archives Imp., le cerlifical délivré par le curé d«
Sainle-Madcleinp de Béziers. Il n'y avait à celte époque aucun pro-
toslani à BézierB.
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 165
être confrontée avec la tille de la témoin, qui ne le lui sou-
tiendrait pas. w
Nous finirons cette longue énumération de calomnies
par un point moins grave , mais qui peut n'être pas
absolument imaginaire, sans que les prévenus aient pour
cela aucim blâme k encourir. Il s'agit de menaces vio-
lentes de Calas à l'égard de Marc-Antoine. Il est fort
possible que son père lui ait vivement reproché sa pas-
sion désordonnée pour le jeu de paume, le billard et l'es-
crime. Il se peut que, prononcés dans une boutique ou-
verte, quelques mots sévères aient été entendus de la rue
et qu'ils aient donné lieu aux exagérations mensongères
que nous allons rapporter. Nous devons le dire cepen-
dant, Calas a déclaré que pour ne pas nuire k Marc-An-
toine, il cachait la passion de son fils pour le bil-
lard (1), et les scènes presque publiques qu'on a rap-
portées sont certainement controuvées. Voici d'abord
une déposition parfaitement ridicule par ses incertitudes
et les on-dit sur lesquels elle est fondée. Voltaire s'en
est plus d'ime fois moqué.
Mathey, peintre, dépose :
« Avoir ouï dire a sa femme qu'elle tenoit de la nommée
Mandril, que ladite Mandril étant allée le jour de la mort de
M. -A. Calas dans la boutique du S' Calas père, pour acheter
de la mousseline, ledit Calas père ou la D"' Calas mère (le dé-
posant ne se rappelant pas lequel des deux c'étoit) étoient en
dispute avec ledit M. -A. Calas leur fds, et le père ou la mère
dudit Marc-Antoine dirent à son (ils : ïu n'auras pas d'autre
bourreau que moy. »
(1) Confr, de J. Calas.
1G3 LES CALAS DEVA.NT LE P.UILEMEN r.
Galas répond :
« Qu'il n'y a rien de plus faux que cette déposition et qu'il y
a plus de 10 ans qu'il n'aurait pas donné une chiquenaude a
Marc-Antoine ni a aucun autre do ses enfants de cet àge-la ;
que les plus fortes menaces qu'il leur ait faites sont (h Ikij
passer lap'jrlc (1) s'ils n'étoient pas plus assidus a ses affaires. »
Deux revondeuses de liardes, auxquelles Galas déclare
avoir refusé des étoffes à crédit, la nommée Danduzeet
Marion Gouderc son associée, prétendent que h der-
nière a vu Galas tenant son fds par le collet de l'habit
ot lui disant : Coquin, il ne fen coûtera que la vie.
Enfin, un sieur Borgeret, en passant devant la bou-
tique, au milieu de la semaine qui précéda la mort de
Marc-Antoine, y aperçut l'homme habillé de gris, portant
un chapeau bordé, et entendit Galas père lui dire : S'il
change ou s'il ne change, je lui servirai de bourreau.
Voilà encore une déposition qui nous paraît fausse, qui
est tout au moins très-suspecte. On y retrouve la des-
cription du costume de Gaubert Lavaysse. Le fait est faux
quant à Lavaysse, puisqu'il n'arriva que le 12 k Toulouse;
s'il s'agit de tout autre, ce détail n'a plus de valeur.
11 en est de même de la menace qui peut signifier éga-
lement : s'il change de religion ou s'il ne change de
conduite ; mais ce propos dans aucun cas ne nous pa-
raît vraisemblable.
A tous ces témoignages qui représentent Galas comme
malliailant son fds aîné, il faut opposer celui de son
plus proche voisin et de son ennemi, le perruquier Du-
rand, qui du reste se montra dans ses déclarations
(i) Locution vulgaiic du pays.
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 167
beaucoup plus juste et plus impartial que sa femme
et son fils l'abbé :
" Il dépose qu'il est le plus proche voisin de la maison du
S' Calas, qui n'est séparée que par le mur mitoyen, et qu'il
n'a jamais entendu les père et mère de Calas lîls ayné le mal-
traiter. »
Nous avons achevé maintenant la discussion des té-
moignages, à l'exception de ceux qui concernent une
seule question, mais décisive : Marc- Antoine avait-il
abjuré le protestantisme ? Si le contraire est démontré,
il n'y a plus de martyre, plus de parricide, plus de pro-
cès. Viguière (1), qui devait le savoir mietix que per-
sonne et avant tout autre, nie énergiquement tout pen-
chant de Marc-Antoine pour le catholicisme.
11 faut remarquer que c'est là un fait qui ne serait pas
difficile à constater. On cite quelques cas de convertis au
catholicisme qui ont feint longtemps d'être protestants
et qui même en auraient obtenu la permission de l'auto-
rité ecclésiastique, chose honteuse pour elle, encore
plus que pour eux. 11 n'est pas nécessaire de faire re-
marquer que pas un seul n'a été étranglé et n'a risqué
de l'être. Ce qui les a trahis, c'est qu'on a retrouvé soit
chez eux, soit plutôt sur leurs personnes, quelque objet
de dévotion, livres d'Heures, de messe ou autres images,
croix, crucifix, reliques, médailles, chapelets. Chez
Marc-Antoine, rien de pareil. Le premier procès-verbal
de descente (c'est-à-dire d'état des lieux) étant trop
manifestement incomplet, on fit une seconde descente;
on visita l'armoire de Marc-Antoine, et tout ce qu'on
(0 Inlorr. ot Confr.
468 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
y trouva fut porté au nouveau domicile des demoiselles
Calas. On n'y trouva rien, absolument rien, qui indiquât
la moindre pensée de catholicisme. Et sur le corps même,
au lieu de croix ou de chapelets on ne découvrit que
les vers et chansons obscènes que David se hâta de dé-
truire comme peu convenables à la poche d'un martyr.
Ne les conçoit-on pas mieux chez un jeune homme
joueur et désordonné, qui finit par se tuer, que chez un
nouveau converti qui meurt martyr, la veille de sa
première communion ?
Mais une abjuration, une première communion, une
confession même, sont choses qu'on ne peut faire seul.
Il y faut au moins l'assistance d'un prêtre, et voilà un
second fait, qui, plus d'une fois, a trahi des projets d'ab-
juration qu'on n'osait avouer soi-même. Marc- Antoine
a-t-il eu des relations avec des prêtres ? Il devait abjurer ;
entre les mains de qui? — communier ; dans quelle église?
La justice a dû retrouver le prêtre qui l'avait instruit
(car on n'abjure, on ne communie pas du jour au lende-
main, sans instruction préalable); elle a dû connaître le
confesseur qui a reçu ses aveux. Il ne manque pas de
prêtres ni de moines au procès, soit recevant les dépo-
sitions, curés, vicaires ou pères de l'Oratoire, soit té-
moins à décharge comme le chanoine Azimond, soit té-
moins à charge comme les abbés Durand et Benaben,
comme cet hebdomadier de Saint-Etienne et ce clerc ton-
suré dont nous avons cité les étranges aberrations; soit
une foule d'autres que nous allons indiquer encore. Pas
un n'a pu dire avoir une seule fois ouï Marc-Antoine, ni en
confession ni autrement. Ce n'est pas seulement la jus-
tice, c'est rofficial, c'est leur Archevêque qui leur com-
mande de venir dire ce qu'ils savent, et cela dans une
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 1G9
cause qu'on proclame très-iniéressante pour la religion;
c'est sous la menace de l'excommunication que cet ordre
leur est donné par leurs supérieurs ecclésiastiques;
l'excommunication enfin n'est plus seulement annoncée,
elle est prononcée, fulminée, avec un sombre appareil ;
et, après tout cela, pas un prêtre ne peut redire un seul
mot que lui ait dit Marc- Antoine en vue de se convertir !
Gomment ne voit-on pas tout ce que cette preuve néga-
tive a de décisif?
On eut peine à s'y résigner. Des voix populaires fai-
saient honneur tantôt à tel curé, tantôt à tel jésuite, de
la conversion de Marc-Antoine. Le bruit ne manquait
pas d'en venir bientôt (i David, à Lagane, à Bonrepos ; et
quand l'ecclésiastique désigné ccmparaissait, quand on
croyait tenir enfin cet introuvable confesseur, qu'obte-
nait-on? Rien, ou de simples ouï-dire. On fit défiler ainsi
un à un devant la justice le supérieur de la maison pro -
fesse des RR. PP. jésuites, le supérieur du séminaire, le
P. Latour, les PP. Dupuy, de Ghottel, Dulhe, Delmas,
By et Jeard, le P. Pochât, Franciscain, le sous-prieur
des Trinitaires.
Survient la veuve Massaleng, née Jeanne Paignon,
qui dit que la D"'^ sa fille lui a dit que le sieur Pages lui
a dit, que M. Soulié lui a dit, que la D"« Guichardet lui
a dit, que la D"*^ Journu lui a dit quelque chose d'où
elle a conclu que le Père Serrant, jésuite, pourrait bien
avoir été le confesseur de Galas aîné (1).
Aussitôt on mande le Père Serrant (ou Serran e) et
tout cet échafaudage se réduit à rien en un instant.
Enfin la nouvelle se répand que le confesseur est connu,
(1) Celie déposition existe aux Arch, Imp,
i5
170 LES CALAS DEVANT LE PARLEMEI\T.
c'est l'abbé Laplaigiie. Ce fut d'abord un bruit vague, et
si l'on veut savoir connnent de pareilles inventions se
propagaient, il suffit de lire la déposition par écrit de la
D"^ Françoise Agate Planei : « Etant avec M. Olivier, vi-
caire de Saint-Etienne, la conversation tomba sur le con-
fesseur de Marc-Antoine Calas, dont je souhaitais de sa-
voir le nom ; et pour engager M. Olivier à me le décla-
rer, je dis à M. Olivier que c'était M. Laplaigne. » Il se
trouva que M. Olivier savait le contraire et le lui dit ;
sans quoi elle lui aurait fait croire ce qu'elle aurait
voulu.
Un valet de M. d'Aldéguier poussa le zèle plus loin
encore; il affirma avoir vu un jeune homme sortant, le
mouchoir sur la bouche, du confessionnal, et quittant
l'abbé Laplaigne; on lui apprit plus tard que ce jeune
homme n'était autre que Marc-Antoine. Malheureuse-
ment pour lui il eut la maladresse de placer cette scène
il l'église de la Dalbade, dont le curé déclara par écrit (1)
que jamais M. Laplaigne n'y avait confessé.
Le Procureur du Roi Lagane lança un brief intendit
en cinq questions auxquelles l'abbé Laplaigne fut tenu
de répondre. De plus, comme on crut que l'abbé crai-
gnait de violer le secret de la confession, s'il avouait le
fait, Lagane consulta un professeur en théologie de l'or-
dre de Saint-Dominique, lePèreBougis (2). La consul-
tation du Procureur du Roi et la réponse du moine ne
(i) Arcl). Tmp.
(2) On sait qnc cet ordre fut chargé par les papes de l'oflice de
rinquisilion, cl l'est encore. On a pu voir dans l'Introduction que,
jusque dans le Wlll* siècle, nn tliéolofiien de cet ordre porta à Tou-
louse le litre CC'mquisUcur. Lajjane était donc fidèle à la tradition
en s'adressanl h un dominicain.
LES CAI,AS DEVANT LE PARLEMENT. ]7l
fureiil point jointes au procès, mais ces deux pièces ont
été conservées, et les archives du Parlement de Toulouse
en possèdent actuellement des copies certifiées (1). La
réponse portait non-seulement que l'abbé Laplaigne
})ouvait, sans manquer au secret de la confession, révéler
le fait, mais qu'il le devait, pour obéir au Monitoire.
L'hésitation de l'abbé avait une autre cause. Un jeune
protestant de vingt-deux ans, qui montrait quelque inten-
tion d'abjurer, s'était confessé à lui trois fois; l'abbé
Terrade (2) , son ami, avait vu ce jeune homme chez lui ;
mais il n'avait pas dit son nom, et aucun indice ne fai-
sait croire aux deux prêtres que ce fût Marc-Antoine.
Cependant l'identité n'était pas absolument impossible,
quoique Marc-Antoine eut vingt-huit ans et non vingt-
deux. Ils demandèrent ensemble à voir le cadavre, mais
il était trop tard et tous deux déclarèrent a qu'ils n'ont
rien vu sur ce visage défiguré qui put décider leurs
doutes. »
On finit par découvrir que le jeune inconnu ne pouvait
être Marc-Antoine , et voici comment : tout ce que
l'abbé Laplaigne se rappela positivement, c'est qu'il
avait confessé ce jeune homme le jour de Noël 1760; et
Ton produisit plus tard au procès une attestation, si-
gnée du curé et de quatorze habitants de Brassac, prou-
vant que Marc-Antoine était arrivé à Brassac la veille de
Noël et n'en était parti que le surlendemain.
Ne trouvant aucun indice d'abjuration ni même de
confession, on cheiciia un acte quelconque de callio-
(1) U'aprés les originaux prêtés par M. d'Aldéguier, l'hisioricn,
qui les tenait de M. le marquis de Calelan, ancien avocat général
au Parlement de Toulouse.
Ç'i) Et non Lenade, comme ou l'a écrit ailleurs.
172 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
licite dans la vie de Marc-Antoine et surtout dans ses
derniers jours ; on chercha tant, que l'on trouva. L'his-
toire est fort ingénieusement arrangée, si elle n'est pas
bien racontée :
« Le père J.-B.Coq, religieux delà Grande Observance,
compagnon du confesseur des religieuses de la Porte, résidant
dans le couvent desdites religieuses, âgé d'environ 51 ans, a en-
tendu dire aux dames qui sont portières de ladite maison, que le
1^3 octobre un inconnu porta aux dites dames religieuses 12 li-
vres pour se recommander à leurs prières, disant qu'il devoit
faire sa 1'' cornmunion le lendemain et refusant de se nom-
mer. »
Elles ne le virent pas, parce qu'elles ne parlaient aux
visiteurs qu'à travers un tour, sans les voir jamais.
Le nom du donateur manque dans ce récit. En voici
un autre pour le compléter, où nous verrons en même
temps ce qui se disait dans la foule qui regarda passer
les accusés, le 18 novembre, lorsqu'on les condtiisit des
prisons de l'Hôtel-de- Ville k celles du Palais.
L'an mil sept cents soixante-un, et le 14' du mois de décem-
bre, par devant nous, prêtre et vicaire de l'Eglise paroissialle
St Michel annexe de St-Etienne de cette ville , soussigné, a
comparu demoiselle Barthelemye Ginges , épouse d'Arnaud
Baptiste, habitante de notre paroisse dans la rue de l'Observa-
toire, âgée de soixante deux ans qui, en conséquence du chef
du Monitoire,nousa révélé que se trouvant au Salin (1) lorsqu'on
conduisait les Calas au Palais, la femme du nommé Gastelnau
cordonnier qui loge dans le Palais lui dit que M. -A. Calas dé-
cédé avait été avant sa mort aux religieuses de la Porte leur
porl<r 12 livres afin de prier pour luy, qu'il devoit faire son
bonjour le lendemain, que de la, dit-elle, il fut au Billard avanl
ri) C'est une des places de Toulouse.
LES CALAS DKVAM LE PARLEMENT. 173
de rentrer chez luy et de là s'étant rendu a la maison de son
père, quelque temps après, leditM.-A. Calas disait à son père et
à sa mère : Quoi, mon père, ma mère, vous voulez m'étran-
gler ! à quoy l'un et l'autre répondirent qu'ils n'avaient plus
de fils. Et la révélante ayant demandé a la dite Gastelnau d'où
elle tenait cela, elle luy répondit qu'elle le savait de sa nièce
»]ui sert depuis longtemps le S'' Durand, perruquier qui loge
auprès dudit Calas, en qualité de ser\ante, ou bien lui faisant
service dans la maison (1).
■ ... Requise de signer a dit ne savoir. En foi de quoi, etc.
Chaubet, prêtre et vicaire, signé.
D'après un grand nombre de témoignages que nous
allons relever avec précision, mais très-sommairement,
on aurait vu souvent Calas aîné dans les églises. Al-
qiiier , témoin k décharge, qui déposa dans le dernier
procès, déclare :
Que jamais il n'a paru vouloir changer ; tout au contraire,
« quoique souvent ils ont été ensemble dans les églises pour
voir les curiosités qui y sont, examiner les chasses et autres
ornements précieux qui se trouvent en abondance dans la ville
de Toulouse. »
Il n'y arien d'étonnant dans les dépositions de Delpech,
qui l'a vu au sermon à Saint-Germain, ni de François
Bordes qui l'a accompagné au sermon dans trois églises
différentes, mdXs jamais à la messe . On sait d'ailleurs que
Marc-Antoine, qui se piquait d'éloquence et de littéra-
ture, alla plus d'une fois entendre le prédicateur en vo-
gue, un doctrinaire nommé le Père ïorné. On peut en-
core admettre ce que dilMontesqueu, qu'il alla à vêpres,
ou h la bénédiction, m?às jamais à la messe. Il se peut
(i) Encore les Durand,
15.
17/i LES CALAS DEVANT LE l'AKLEMENT.
aussi que Jean Capoulac l'ait entendu, dans l'église du
Taur, dire d'un crucifix qu'on admirait : Voilà va hcau
christ ! quoique en général les protestants ne désignent
guère par le nom de christ l'effigie du Crucifié.
Mais il s'est produit des assertions beaucoup plus
graves. Une jeune fdle de seize ans (D^'^ Mendouze) a en-
tendu la messe à côté de lui. Le nommé Latour l'avait vu
prier dans une église. Ce même Bergeret, que nous avons
déjà soupçonné de faux témoignage, tenait de sa cou-
turière qu'un garçon marchand qu'elle connaissait, avait
été plus de cent fois à la messe avec Marc-Antoine. La
femme du perruquier Durand Ta vu deux fois dans des
églises, très-près des confessionnaux ;elle n'est pas môme
très-sûre qu'il ne fût pas dedans. Platle , maître d'es-
crime, chargé de quêter dans l'église de 8aint-Sernin
pour l'entretien des quarante châsses qu'on y conserve,
y a vu Marc- Antoine à genoux, prier successivement
dans chaque chapelle souterraine et a reçu de lui une
fois deux sous et une fois six livres pour sa quêle.
D'autres protestants ont peut-être visité les églises
le jeudi saint, même trois ans de suite, pour y entendre
les chants et y voir les pompes de ce jour ; mais l'ar-
chitecte Arnal ajoute qu'il y priait fort dévotement. Le
même Arnal l'a vu suivre deux processions et s'age-
nouiller sur le passage du saint Viatique, quoiqu'on vuu-
lut l'en empêcher. Monlesqueu et Jean Capoulac disent
aussi qu'il s'agenouillait devant le Saint-Sacrement et
ajoutent qu'il priait ainsi prosterné. La déposition d' Ar-
nal nous semble fort suspecte; si quelqu'un avait ^oulu
empêcher qu'on s'agenouillât devant l'hostie, les pre-
miers venus lui auraient fait un mauvais parti ou au moins
l'auraient livré ou dénoncé à la police. Pour croire de pa-
LES CALAS DEVANT LE 1>ARLEMENT. 175
roilles dépositions, il faut ignorer combien dans le Midi
le peuple catholique est jaloux du respect qu'il exige
pour ses processions.
Claude Gaperan prétend avoir vu nn lail parfaitement
incroyable : Marc- Antoine suivant, le chapeau sous lebras,
la procession du 17 mai, qui était la commémoration du
massacre de quatre mille huguenots ; et Claude Caperan a
élé trop sot pour comprendre qu'il n'aurait pas été seul à
Ty voir, ni à le déclarer, et ([ue toute la ville aurait mon-
tré au doigt un prolesianl fêlant le meurtre de ses pères.
Ce Claude Caperan était le marchand chez lequel l'Ar-
chevêque avait placé Louis Calas ; il déclara aussi que
Louis lui avait dit ([ue sa mère avait dit à Viguière, (pii
le lui avaitrépété cl lui-même, que ses maux nefiniraienl
que lorsqu'elle verrait son fds pendu. Mot atroce, in-
venté pour donner quelque apparence au meurtre de
Taîné. Peut-on douter que Caperan ne soit un faux témoin?
Est-il croyable que M""^ Calas ait prononcé cevœuparri-
cide, et que la servante ait élé le redire à celui même à
qui sa mère aurait souhaité une mort aflreuse. 11 faut con-
venir que Mgr de Crussol avait mal placé sa confiance.
Baron, marchand apothicaire, dépose (( que le 12 octo-
bre étant à cheval, il piit en croupe le défunt quilui dit
([u'il ferait sa première communion le lendemain, qui fut
le jour de sa mort. » Nous avons pi'ouvé que celte pre-
mière communion (ixée au lendemain est une fable. Ceux
qui la répèlent par ouï-diie peuvent êîre sincères; telle
est, par exemple, Marie-Anne Serres qui y revient par
Irois fois, en indiquant même que la cérémonie devait
se faire b. l'église de la Trinité; tel est Bros, dit Cou-
dom, qui
'< A eiilendu dire i>ar un nombre iulhn de personnes qui
176 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
ont passé successivoment dans le quartier, que le dit sieur Calas
ayné avoit changé de croyance et qu'il devoil faire aujourd'hui
(15 octobre) sa première communion. »
Mais Baron, qui dit tenir le fait du martyr lui-même,
a menti.
La veuve Hubert a poussé plus loin le talent de l'in-
vention. Elle fait hardiment remonter k quatre années
le catholicisme de Marc-Antoine, et raconte que le jour
de Noël, quatre ans auparavant, elle l'avait vu à Saint-
Sernin, à genoux par terre et les deux mains croisées sur
la poitrine, pendant qu'on chantait le cantique de la Na-
tivité. Elle prétend lui avoir dit familièrement: Ah! Ca-
lassouf mms il lui fit signe de se taire. Auprès de lui, un
jeune homme protestant, qui était pensionnaire des Ca-
las, gardait le chapeau sur la tête, au moment où passait
la procession du Saint-Sacrement. Marc-Antoine Galas
se tourna, a lui ôta le chapeau de la tète, le jeta à terre
et lui dit d'un ton impérieux et absolu : A genoux, notre
Maître passe (1) ! » Encore une histoire absolument in-
croyable ; on ne pourrait pas, le voulût-on, garder son
chapeau, dans une église, en présence d'ime proces-
sion et du Saint-Sacrement. C'est encore un fait que
bien d'autres auraient attesté s'il s'était passé ailleurs
que dans l'imagination de cette femme. Elle donna
d'ailleurs une étrange idée d'elle en allant, sous prétexte
d'inlérôt affectueux, s'établir et coucher chez les D'>" Ca-
las, probablement pour espionner ou exploiter ces deux
jeunes filles qui se trouvaient sans famille et sans ser-
vante. Elle refusa de quitter la maison quand ces de-
1) Aich. linp.
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 177
moiselles le lui commandèrent, et il fallut qu'elles prias-
sent un voisin de la chasser.
Nous sommes très-certains que la veuve Hubert,
Baron, Claude Caperan, Arnal, ont menti par fraude
pieuse ou par excès de zèle; mais il y a, dans les
dépositions précédentes, des faits trop nombreux
pour qu'on puisse les rejeter tous. C'est Calas lui-
même qui nous fournira à cet égard une explication très-
plausible. Il réplique, dans ses confrontations, k l'un
des déposants que nous venons d'indiquer : que ce témoin,
comme bien d'autres, peut avoir confondu Marc-An-
toine avec Louis, attendu qu'ils portaient des habits
presque uniformes avec des boutons de pinchebec. Il
aurait pu ajouter que tous ses enfants se ressemblaient
beaucoup. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'on ait attri-
bué au mort quelques-uns des actes de dévotion de son
frère catholique. Quand une famille est nombreuse, les
étrangers confondent sans cesse les prénoms des enfants;
il y avait là trois jeunes hommes, dont les âges se sui-
vaient ; et les témoins ont pu prendre l'un pour l'autre.
On a pensé aussi que peut-être Calas aîné avait fré-
quenté à dessein les églises catholiques pour obtenir
le certificat sans lequel il ne pouvait être reçu
avocat. On rappelle à ce sujet que la fiction légale de
la catholicité de toute la France régnait encore h tel
point que les protestants étaient ofiiciellement dé-
signés sous le nom de Nouveaux- Convertis. On ajoute
qu'ils ne pouvaient subsister qu'en faisant de faux
actes de religion ; on rappelle que David Lavaysse et
son fils Etienne n'avaient pu êlre reçus avocats que
de cette manière; que lui et ses enfants avaient été éle-
vés par les jésuites, ce qui ne se pouvait sans beaucoup
178 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
d'actes semblables; que tous les enfants de M. et M'"' Calas
avaient été baptisés dans l'Eglise Romaine, et enfin que
se découvrir et même s'agenouiller devant le viatique
ou devant mie procession était un hommage obligatoire,
imposé par la force pour peu qu'on hésitât k l'ac-
complir. Tous ces arguments peuvent avoir quelque
valeur, mais ils ne nous semblent pas s'accorder avec
le caractère et les idées de Marc-Antoine. Nous demeu-
rons convaincu que, dans les dépositions précédentes,
tout ce qui n'est pas rêverie, mensonge ou rencontre
insignifiante et fortuite doit s'appliquer non à lui mais
cl son frère Louis.
Quoi qu'il en soit de ces détails, il est de fait que
Marc- Antoine n'avait nullement l'intention d'entrer dans
la communion de Rome, et nous allons achever de le
prouver.
Rappelons d'abord sa réponse h M*^ Reaux (1) qu'il ne
serait jamais reçu avocat parce qu'il ne voulait faire au-
cun acte de catholicité. II ne manque pas de témoigna-
ges qui s'accordent avec cette déclaration formelle. Le
chanoine Azimond déposa qu'il avait souvent vu à Tou-
louse Jean Calas et ses enfants ; que Marc-Antoine élait
très-éloigné de se faire catholique. Nous avons déjà
cité (2) ce que rapporta ce même témoin sur la colère
de Calas aîné au sujet de la conversion de son frère
Louis.
Pierre Tenery vini rapporter h la justice une foule
de on dit ; mnsi, il a entendu lalV^Latonr laconter que
Marc-Antoine Calas lui a présenté l'eau bénite à l'église
(OVoir plus baul, p. 50.
(2) Arcli. Imp.
LES CALAS DEVANT Lfi PARLEMEiST. 179
(les Cannes; il tient aussi d'un sieur Bienaize qu'un
nommé Nouganol se trouvant un jour avec Marc-Antoine,
Louis Galas vint à passer et Nouganol demanda à
l'aîné s'il ne voulait pas changer comme son frère, à
quoi Marc-Antoine répondit (( qu'il en était bien éloi-
gné, et que si l'on eût su que son frère eût dû abjurer,
on l'en eût bien empêché. » Cette déposition est
d'autant plus importante que Ténery est un témoin tout
à fait hostile; selon lui, ce mot de Marc-Antoine signifie
qu'on aurait étranglé son frère. Il est au moins aussi
naturel de croire qu'il voulait dire simplement que les
raisonnements et l'influence de sa famille auraient dé-
tourné Louis de se faire catholique, si l'on avait connu
son dessein avant le jour où il disparut. Cela est fort
probable, d'après la faiblesse bien démontrée du per-
sonnage.
Voici une autre déclaration indirecte mais qui a sa
valeur :
La D"* Giiyonnet, nip.rchanfle hToulonso, déclaren'avoir jamais
entendu dire que Marc-Antoine Calas dût changer de religion.
« Au contraire,deux messieurs étant venus, quelques jours avant
sa mort, dans ma boutique pour m'acheter des marchandises,
s'entretenaient ensemble, se disant que Marc-Antoine Calas
voulait passer a Genève pour se taire ministre de la Religion pro-
testante. »
La signature est attestée par Jean de Moulon,
Lieutenant principal au Sénéchal.
Ces témoignages sont clairs. Mais le plus important
de tous est celui de M'' Chalier, cet avocat dont nous
avons déjà parlé et qui eut seul le courage de déposer en
faveur des Calas devant les Capitouls, après être allé
dire h son curé qu'il avait des renseignements impor-
180 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
tants à donner. Ils le sont en effet, mais dans un tout au-
tre sens qu'on ne l'espérait.
W Jean-François Ghalier, docteur et avocat au Par-
lement, 60^ témoin, raconta en grand détail une con-
versation du 28 ou 29 septembre 1761, où Marc-Antoine
Calas parlait avec envie des jeunes négociants qui pas-
saient par Toulouse, allant à la foire de Bordeaux, et se
plaignait de ce que son père ne voulait ni lui donner
des appointements, ni l'associer avec lui, ni le mettre à
même de s'associer avec quelque autre (1).
« La dessus, le déposant lui dit que s'il étoit à sa place, il
sauroit bien forcer son père à lui donner satisfaction d'une fa-
çon ou d'autre.
« Le dit Galas dit alors au déposant ; quel expédient il pren-
drait ?
'( Le déposant lui dit : Je me ferais catholique ou je ferais
menacer mon père de m'en faire.
« Ledit Calas répondit au déposant qu'il ne prendrait pas ce
parti, mais qu'il en prendrait un autre qu'il mettrait à exécu-
tion.
'( Le même témoin, dépose, de plus, que dans le mois de
juin dernier, ledit Calas étant allé voir le déposant qui étoit
avec son frère le prêtre, on vint à parler de religion ; que le
frère du déposant eut beau lui parler de la religion catholique,
ledit Calas ne voulut jamais convenir de rien. »
(i) Elail-ct' dureté de la purl de Calas? Loin de là. L'étal pré-
caire de son commerce le mellaii dans l'impossibilité d'agir aulie-
menl. Quand par son arrestation le crédit et le travail cessèrent
tout à coup chez lui, il n'y resta que la pauvreté. Deux mois après
sa mort (le 22 mai i762), M. de Saint-Florentin écrivait à M. de
Sainl-Priesl : « Au reste M. le Procureur Général du Parlement
« m'avait déjà informé du désordre où sont les affaires de Calas et
« de r insuffisance de ses Liens pour le paiement de ses créan-
« ciers. » {Arch. de Montpellier.)
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 181
Ici M* Chalier raconte le projet d'association de Marc-
Antoine avec un sieur Roux, projet qui échoua parce que
Galas père ne put cautionner son fds pour 6,000 livres;
cette affaire, dont le mauvais succès dut contribuer
à décourager le jeune homme, est de la fm de juillet ou
du commencement d'août , six semaines avant le sui-
cide.
Voici les derniers mots de la déposition de M^ Chalier :
« Que maintes fois le déposant a eu parlé de religion avec
ledit Calas décédé et entre autres choses de la fm tragique des
ministres de cette religion. Ledit Calas répondit au déposant
que ces personnes étoient bien heureuses de mourir pour leur
religion et qu'il envioit leur sort. Le déposant lui dit alors,
pour le dissuader, que tout métier qui faisoit pendre son homme
ne valait rien. »
« A ajouté que lorsque le déposant lui dit que tout mettier
qui faisoit pendre son homme ne valoit rien, ledit Calas ve-
noit de lui dire que souvent il avoit eu dessein d'aller à Genève
pour se faire ministre. »
M^ Chalier indiqua un témoin, M^ Beaux, qui pouvait
attester les mêmes faits ; mais c'était un protestant. On
ne le cita point. On voit par cette déposition, et il était
naturel de présumer, qu'au milieu de ses hésitations sur
sa carrière, Marc-Antoine dût être mis en demeure de
se convertir, et sinon tenté par l'évidence de son inté-
rêt matériel, au moins sollicité par autrui. Il le fat non-
seulement par les avocats Beaux et Chalier, mais par un
personnage plus haut placé, ce même M. de La Mothe,
conseiller au Parlement et secrétaire de l'Université,
qui s'était occupé de l'abjuration de Louis. Voici en
quels termes M" Sudre raconta le fait, d'après M. de La
Mothe lui-même :
16
182 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
« Un magistral grave fait un récit qui otïre un dénouement
plus honorable a la mémoire de Marc-Antoine Galas : l'honneur
et la vertu de ce magistrat sont connus, sa parole doit être donc
bien efficace. 11 a eu part, dit-il, à la conversion de Louis
Calas; il souhaita de remporter la même victoire sur Marc-
Antoine Galas; il l'entretint sur ce sujet, il lui fit naître des
doutes.
Marc- Antoine Galas demanda du temps pour délibérer, puis
s'examiner et se résoudre : ce fut une atTaire de plus d'un jour.
Il revient et déclare qu'il s'était affermi dans la foi dans la-
quelle il avait été élevé. Si ce que ces témoins disent qu'ils ont
vu Marc- Antoine Galas a l'église, qu'ils l'ont vu assister à nos
saintes cérémonies; si cela est vrai, il faut le rapporter au temps
que Marc- Antoine Galas était ébranlé, qu'il se sentoit des mou-
vements pour l'Église catholique ; mais comme le rapporte ce
magistrat, il eut le malheur de résister à la grâce et de se raf-
fermir dans l'erreur. Il est vrai que ce magistrat n'est pas té-
moin dans la procédure, mais la cour peut faire aisément qu'il
le soit; il est assis tous les jours à ses côtés, qu'elle daigne
l'appeler et recevoir son serment ; les droits de l'innocence
lui sont trop connus pour qu'il se fasse une peine de ce minis-
tère. »
M. de La MoLhe ne répondit jamais à cet appel ; il ne
donna point sa déposition. Mais peut-on douter un seul
instant qu'il se fût empressé de la donner ou que le Pro-
cureur Général l'y aurait contraint, comme cela arriva à
l'abbé Laplaigne, si son témoignage eût pu être utile à
l'accusation? 11 se tut parce qu'il y aurait nui; mais il n'a
jamais démenti ce que 1\P Sudre avait eu le courage de
publier, à Toulouse même, au mois de décembre 1761
ou janvier 1762.
Confronté avec Arbanère, le sous-prieur des Péni-
tents blancs, sur la question de la conversion de Marc-
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 183
Antoine, Jean Calas déclara « qu'au contraire il avait
lieu de croire son fils très-zélé. )>
Nous le voyons, en effet, persévérer jusqu'à sa fin dans
la profession publique du protestantisme. Il avait fait sa
première communion k Nîmes en 1755, au retour de
la foire de Beaucaire, dans une assemblée tenue par un
ministre du Saint-Evangile en une maison particulière.
En septembre 1759, il fut parrain d'un enfant bap-
tisé dans une assemblée à Mazamet. A Noël 1760, il prit
part à une autre assemblée qui se tint à Vabres. L'année
même de sa mort, il assista le 6 mai à l'enterrement de
Jean Lacapelle, qui eut lieu par ordonnance de l'Hôtel-
de- Ville dans le jardin du sieur Glacié, hors des portes
de Toulouse ; il fut présent en juillet k une autre inhu-
mation protestante dans le même lieu, et on l'entendit k
cette occasion parler « de l'excellence de sa religion. )>
Le premier dimanche de septembre il jeûna suivant l'u-
sage pratiqué alors dans toutes les Eglises réformées de
France. Il mangea de la viande les vendredis et samedis
jusqu'à sa fin.
C'était lui qui faisait en famille la prière matin et soir,
et, tous les dimanches, la lecture d'un sermon, des
psaumes et de quelques chapitres de la Bible (( ce qu'il
continua jusqu'à la veille de sa mort (1). »
Nous voici donc arrivés, par une série de faits aussi
publics que possible, du jour de sa première communion
à la veille même de sa mort, et tous ces faits ne sont
pas de simples allégations, mais ont été prouvés officiel-
lement autant que le permettait la législation de l'époque,
d'après laquelle tout acte du culte proscrit était un crime.
(i) Inlerr, cl Confr. de M, et de M"* Calas, de Jeanne Yiguicr, etc.
iSh LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
11 se trouve donc que le prétendu martyr n'avait
cessé ni de témoigner qu'il était fo?'t éloigné de se faire
catholique, ni de professer extérieurement le culte de
l'Eglise réformée. Si la vraie piété avait été en lui aussi
puissante que son zèle extérieur était soutenu, jamais
il ne se serait laissé entraîner jusqu'au désespoir et au
suicide, et il n'aurait pas précipité sa famille dans les
longs malheurs que nous avons à peine commencé à
faire connaître.
Pour résumer tout ce qui précède, il suffira de renuu'-
quer que sur cent cinquante témoins, tous à charge sauf
un seul, il n'en est pas im qui dise avoir vu le crime ni
aucune circonstance ou indice du crime. Quelques-uns
disent avoir entendu des cris, des paroles qui constate-
raient ce crime, mais ils ne s'accordent pas ; il n'y
en a pas deux qui rapportent de la même manière les
prétendues paroles de Marc-Antoine assassiné. En cela,
comme dans tout le reste du procès, chaque point de
quelque importance est rapporté différemment par cha-
que témoin. Or, d'après la loi, tout témoin singu-
lier, c'est-à-dire unique, était insuffisant pour prouver
quoi que ce fut contre les accusés. En dernière ana-
lyse, on se trouve en présence d'une multitude con-
fuse de rumeurs populaires, incohérentes, souvent va-
gues, ou, dès qu'elles sont précises, manifeste-
ment fausses et mensongères. L'origine de ces faux
bruits est surabondamment expliquée par les disposi-
tions hostiles du peuple à l'égard des protestants, par les
antécédents et la faiblesse de Louis Calas, par l'effet que
produisirent sur les esprits la pompe fmièbre et le dou-
ble service célébrés en l'honneur du suicidé, et surtout
par le Monitoire, quatre fois lu à tous les prônes, affi-
ti
LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT. 1815
ché partout, fulminé eiifiii dans toutes les paroisses, in-
formant la ville entière des soupçons de l'autorité et en-
joignant à chacun, sous les peines les plus redoutées,
de venir déclarer k la justice ce dont la justice elle-
même avait informé tout le monde.
On prétendait cependant, au Parlement de Toulouse,
compenser l'absence de preuves par le nombre de ces
dépositions insuffisantes. Voltaire s'est souvent moqué
avec justice de cette dangereuse doctrine. Nous citerons
une de ses critiques à ce sujet, et ce n'est pas la plus
vive.
11 écrit à Damilaville le 22 mars 1763 :
J'ai appris une des raisons du jugement de Toulouse qui
va bien étonner votre raison :
Ces Yisigoths ont pour maxime que quatre quarts de preuve,
et huit huitièmes, font deux preuves complettes; et ils don-
nent a des oui-dire le nom de quarts de preuve et de huitiè-
mes. Que dites vous de cette manière de raisonner et de juger ?
Est-il possible que la vie des hommes dépende de gens aussi
absurdes? Les têtes des liurons et des Topinambous sont
mieux faites (1).
(1) On peut répondre à Voltaire qu'il ne s'agit pas plus ici de
Visigolhs que de Topinambous, mais des règles de la procédure sous
le régime de l'ordonnance de 1670. « Le législateur, dit M. Faus-
lin Hélie, pour donner peut-être un contre-poids à la procédure
secrète, avait lié les juges étroitement, par une foule de petites
règles qu'il avait semées devant leurs pas et qui enchaînaient cora-
plétemeul leur volonté. Ces règles précisaient à l'avance la valeur
légale de chaque fait, de chaque circonstance du procès, matéria-
lisaient les éléments du jugement et dictaient au juge sa décision,
indépendamment de sa propre conviction... Dès que la cause cons-
tatait telle preuve, telle présomption, tel indice, il devait attacher à
cet indice, à celte présomption, à celle preuve, l'effet que la loi
avait voulu lui assigner. » Plus loin l'auteur indique la classi-
fication des preuves on pleines et demi- pleines, manifesles, cmsi-
16.
186 LES CALAS DEVANT LE PARLEMENT.
Ce n'était pas l'esprit de l'ancienne législation qui
avait établi en principe qu'une accusation dont la vérité
n'est pas pleinement démontrée doit être tenue pour
complètement fausse et que la preuve, si elle n'est en-
tière, est nulle (1).
D'après ce texte, la condamnation des Calas eûl été
impossible.
déràbles et imparfaites, concluantes et démonstratives, réelles ou
présomptives, affirmatives ou négatives. Chaque preuve, ensuite,
était assujettie à des règles spéciales suivant qu'elle était vocale, lit-
térale, testimoniale ou conjecturale. Cette dernière, qui se tirait des
indices, signes, adminicules et présomptions, était la plus difficile et
la plus périlleuse. On distinguait les indices indubitables ou violents,
graves et légers. « Plusieurs indices légers joints ensemble for-
maient un indice grave; un indice grave valait un peu moins qu'une
semi-preuve ; deux indices graves formaient un indice violent ; un
indice violent suffisait pour condamner à la question ; plusieurs in-
dices violents devaient entraîner la condamnation définitive, sur-
tout on matière de grands crimes (p. 6 5 7.) >> Qu'on applique cette
méthode à l'affaire qui nous occupe et à cette multitude de témoi-
gnages hostiles, on comprendra le danger où étaient les accusés,
entre les mains de juges passionnés.
(1 ) Probatio quœ non est plena veritas, est plena falsiUis ; sic quod
von est plena probatio, plané nnlla est probatio.
— — O— ^
CHAPITRE VIII
PAUL RABAUT
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE
Vox elamantù in deserlo.
« Je ne cloute pas, Monsieur, écrivait le C*^ de S* Flo-
rentin au marquis de Gudane, gouverneur du pays de
Foix, de la sensation que la procédure instruite contre
les Galas a faite parmi les Religionnaires du païs de
Foix. Vous avez très-bien fait d'éclairer leurs démarches
durant le cours de cette affaire (1). »
Ce qui agita et consterna les Eglises réformées de
France, plus encore que le supplice du pasteur Rochette
et de ses trois amis, plus même que le danger des Calas
et l'horrible exécution du père de famille, ce fut la calom-
nie inouïe du Monitoire, accusant au nom de la justice et
par lavoix du clergé catholique les protestants d'enseigner
et de mettre en pratique un système d'assassinat à l'égard
(i) Dépêche du lO juin 17 62, Arch. Imp.
188 PAUL RABAUT
de leurs propres eafants. (( Chaque protestant, écrivait
un duc de Fitz- James sou agent Alison, regardait cette
affaire comme personnelle, parce qu'ils prétendaient
qu'on avait répandu que la doctrine de Calvin permet-
tait aux parents de tuer leurs enfants qui changeaient
de religion (1).» Leurs ennemis allaient jusqu'à expliquer
par cette loi imaginaire la durée de leur Eglise en Fran-
ce; on ne s'étonnait plus de voir les enfants de ceux qui
portaient le titre légal de Nouveaux-Convertis persévé-
rer dans l'ancienne foi de leurs pères, puisqu'ils n'auraient
pu la quitter qu'au péril de leur vie; et l'ou se disait
que la Saint-Barthélémy et la Révocation de l'Edit n'é-
taient pas des mesures trop cruelles contre une secte
si dénaturée et si sanguinaire. On déclamait contre l'hor-
reur d'une religion de parricides ; et les protestants
étaient justement indignés d'une calomnie si criante, si
inattendue, après deux siècles et demi de martyres,
dans un pays autrefois à moitié réformé, où des milliers
de pères avaient vu leurs enfants abjurer de gré ou de
force, sans qu'un seul les en eût punis par le meurtre.
Les nations protestantes s'étonnèrent que la France,
au dix-huitième siècle, eût des populations entières si
peu instruites de ce qui se passait au milieu d'elles, et
des juges même, si étrangement ignorants. Quand on
apprit en Suisse, en Angleterre, en Allemagne, en Hol-
lande, dans les royaumes du Nord, l'incroyable accu-
sation qui pesait sur le protestantisme en France, on en
fut stupéfait.
Cette surprise générale aurait été plus profonde en-
Ci) Egl. (lu Désert, t. i, p. 331.
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. J bU
core si l'on avait pu lire ces paroles de M. le prési-
dent du Puget au principal Ministre :
« Mon zèle pour le service du Roy m'engage de vous repré-
senter, Monseigneur, qu'il seroit essentiel de trouver des
moyens pour empêcher l'entrée des Ministres de la Religion
prétendue réformée dans le royaume, et empêcher leur com-
merce avec ceux de la même Religion qui sont dans les
pays étrangers où ils enseignent des maximes sanguinaires
qu'ils viennent répandre dans nos contrées, en procurant par
la des crimes affreux (1). »
Ces derniers mots concernaient surtout la Suisse et
plus particulièrement encore Genève et Lausanne, où
allaient étudier les futurs pasteurs de nos Eglises, depuis
la réorganisation par Antoine Court d'un ministère ré-
gulier. Le bruit courait d'ailleurs, et nous verrons bientôt
que ce n'était nullement au hasard, que Calvin avait
formellement commandé aux parents de tuer leurs en-
fants apostats; on citait l'endroit de V Institution chré-
tienne où devait se trouver cet infâme précepte.
L'avocat Sudre se vit obligé, pour réfuter cette calom-
nie, d'appeler en témoignage les autorités soit ecclésiasti-
ques, soit civiles de Genève, et publia dans son Mémoire
la déclaration suivante, dont la nécessité bien constatée
nous semble humiliante, non pour ceux qui la don-
nèrent, mais pour ceux qui avaient besoin de l'entendre.
Rien ne prouve mieux, selon nous, la sincérité, mais aussi
le honteux aveuglement du fanatisme toulousain. De
ci'ainle que cette Déclaration ne lut encore suspectée
comme venant de ministres, on la fit certifier i)ar les
(i)Voir: Correspondance de M. de Sainl-Floienlin, Lellre i 8.
190 PAUL RABAUT
Syndics (signé : Lullin) et par le Résident de France
Baron de Montpeyroux. Elle fut suivie d'une décla-
ration de la République de Genève (c'est-à-dire des
Syndics et Conseil) portant qu'à Genève ni la différence
de culte ni le changement de religion ne rendaient qui
que ce fût incapable de succéder.
DÉCLARATION
De la Vénérable Compagnie des Pasteurs et Professeurs
de V Église et de l'Académie de Genève,
Spectable Delorme, avocat en cette ville, requis au nom d'un
avocat étranger, de l'informer, s'il est vrai que ce soit un
principe admis dans notre Eglise, ou approuvé par un Synode
tenu à Genève, qu'un père puisse faire mourir ses enfans,
quand ils veulent changer de religion, s'est adressé à cette Com-
pagnie, et l'a priée de donner à cet égard une Déclaration au-
thentique des faits, disant que notre Eglise est ouvertement
accusée d'avoir un tel principe, et qu'il est essentiel pour un
cas très-grave, que la vérité sur ce point soit parfaitement
connue.
Sur quoi opiné, chaque Membre de la Compagnie a témoigné
l'horreur dont il avait été saisi, k l'ouïe d'une pareille imputa-
tion, et son etonnement de ce qu'il se trouve des Chrétiens
caj>al)les de soupçonner d'autres Chrétiens d'avoir des senti-
jncnls si exécrables.
(iCpendanl, puisque l'on croit nécessaire que la Compagnie
s'explique sur une opinion si étrange, elle dit et déclare
Qu'il n'y a jamais eu parmi nous, ni Synode, ni aucune as-
semblée qui ait approuvé cette doctrine abominable, qu'un
p('r(> puisse ôtcr la vie a ses enfans, pour prévenir leur chan-
^<Mnt'nl de Uelii,Mon, ou pour les en punir, que mèiuo jamais
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 191
pareille question n'a été agitée, d'autant que de telles horreurs
ne se présument point: que ni Calvin, ni aucun de nos Doc-
teurs n'a jamais rien enseigné de semblable, ni même d'ap-
prochant, et que bien loin que ce soit la doctrine de notre
Eglise, nous la détestons unanimement et l'abhorrons, comme
également contraire à la nature, a la Religion chrétienne, et aux
principes des Eglises Protestantes. A Genève le 29 ^anuier 1762.
Expédié par ordre de la Compagnie des Pasteurs et Profes-
seurs de l'Eglise et de l'Académie de Genève, au nom des-
quels et pour tous, ont signé
Maurice, Modérateur.
Le GointE, Secrétaire.
Mais ce n'était pas assez que les protestants étrangers
répondissent à l'outrage d'un si affreux mensonge. Il fal-
lut que ceux de France à leur tour se défendissent.
Leur représentant le plus accrédité k cette époque était
Paul Rabaut, l'illustre pasteur du Désert, le père de Ra-
baut Saint-Etienne. Il vivait à Nîmes et dans les environs,
depuis vingt-quatre ans, toujours exposé à la mort, et se
dévouant sans ombre d'ostentation à son œuvre évangéli-
que. Il publia La Calomnie confondue ou Mémoire dans
lequel on réfute une nouvelle accusation intentée aux
protestants de la province du Languedoc, à l'occasion
de V affaire duS"" Calas détenu dans les prisons de Tou-
louse; avec cette épigraphe: S'ils ont appelé le père de
Famille Béelzébuth, combien plus traiteront-ils ainsi ses
Domestiques? Math. 10. 25. — Au I)ése7^t 17^2.
Ce mémoire est remarquable ; il y règne une grande
force et par moments une éloquence véritable. Mais
déjà, il y a trois ans, en le lisant pour la première fois,
j'avais été surpris d'y retrouver quelques traces de la dé-
(i) Voir Bibliographie, n* il.
192 PAUL RABAUT
clamation à la mode; tandis que le style de Paul Ra-
baut, qui m'est bien connu par ses manuscrits dont j'ai
le dépôt, est toujours empreint d'un mérite très-émi-
nent et devenu tout à fait habituel à cet homme admira-
ble qui fut proscrit toute sa vie : je veux dire le calme,
le bon sens pratique, ou plutôt un imperturbable sang-
froid. L'historien des Eglises du Désert avait pai tagé
cette impression :
« Cet écrit, dit-il, le seul de tous ceux de Paul Rabaut uù la
conscience indignée s' exprime avec quelque coZère, renferme des pas-
sages d'une haute éloquence. »
L'explication de cette différence de ton et de style
m'a été fournie par un document fort curieux que pos-
sède M. Maurice Angliviel, neveu d'Angliviel de la
Beaumelle. C'est une Lettre pastorale écrite de la
main de ce dernier, mais sous le nom supposé de
Rabaut, en 28 pages in-12 et avec la date du 1" décem-
bre 1761, au Désert. Il est hors de doute que Rabaut a
adopté en l'abrégeant ce travail deux fois plus long que
sa brochure, y a joint un préambule et une conclusion
beaucoup plus simples, et y a intercalé un passage sur un
Synode qu'on prétendait avoir eu lieu récemment à Nîmes
et où aurait été décidée la mise à exécution du règle-
ment homicide qu'on prêtait à Calvin.
Parmi les améliorations que Rabaut fit subir au
projet de la Beaumelle, deux surtout sont à noter : la
réduction de l'écrit à la moitié de sa longueur et le chan-
gement d'une Ze^^r^joas^ora/e, nécessairement adressée
aux protestants, en un Mémoire adressé \v tous et plus
particulièrement k la justice.
Telle qu'elle existe, la Calomnie confondue est cer-
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 193
tainement supérieure k ce qu'elle aurait été si l'un
ou l'autre de ses auteurs eût été seul à la rédiger. La
Beaumelle est plus diffus et plus déclamateur, comme
un homme de lettres du dix-huitième siècle ; Rabaut est
simple et calme, mais un peu lourd, comme un homme
d'action, plus accoutumé à braver les dangers qu'à
cultiver l'art d'écrire, et qui enregistrait (1) sans se
permettre un mot d'attendrissement ou d'horreur, sur
son carnet de poche, la date du martyre de ses propres
collègues (2).
Le fragment suivant fera connaître l'esprit et l'accent
de cette noble protestation :
« Ce qui nous a pénétré de la plus vive douleur, c'est qu'en
lisant ce Monitoire, nous y avons vu qu'on suppose comme
un lait prouvé ou du moins probable que l'assassinat du dé-
funt avait été délibéré dans une assemblée de Religion et que
ses Parents avaient été chargés de l'exécuter. Voilà donc nos
Assemblées religieuses accusées, par un tribunal de justice, avec
(!) Egl. du Dés., t. 2. p, 17 0.
(2) On sait que La Beaumelle avait l'habitude de publier ses
noiubreuï ouvrages sous des noms supposés et n'en a signé qu'un
seul. L'année suivante, parut à Avignon, sous la fausse indicaiion
de Paris, son Préservatif contre le déisme ou histruction pastorale
de monsieur Dumont, ministre du St-Evangile, à son troupeau, sur le
livre de M. J. Jacques Rousseau intitulé : Emile ou de Véducatiou,
A Paris, 1763 (204 p. in-i'i). Ce livre est dédié à M""^ Nicol, née
Lavaysae, une des sœurs de Gauberl Lavajsse, qui épousa plus tard
La Beaumelle en secondes noces. L'ouvrage avait d'abord la forme
d'une Lettre pastorale de Babaul, mais il subit de grandes modifi-
cations et fut imprimé sur une copie écrite par le jeune Rabaut
Saint-Etienne.
Je dois à la complaisance de M. Angiiviel ces détails curieux
qu'il n'est pas inutile de meilre en regard de la collaboration de
La Beaumelle au Mémoire de raiil Habaul, lait jiis(ju'ici entièrement
ignoré,
17
194 PAUL RABAUT
approbation de l'Official et sous les yeux d'une Cour souve-
raine, d'être une espèce de cabale où l'on délibère le parricide.
« On ne s'en est pas tenu là, on a publié que Calvin, dans son
Institution, avait fait de cette Doctrine un point de Morale et
de Foi. Enlin on a poussé les choses jusqu'à dire que nous
avions tenu un Synode à Nîmes ou dans les environs, lequel
avait décidé que les pères et les mères sont obligés en con-
science, et conséquemment doivent être exhortés, à ôter la vie
à leurs enfants, plutôt que de leur permettre de quitter leur
Religion.
« Que de pareilles atrocités se répandissent parmi un peuple
ignorant, et à l'égard d'une Société peu connue, on pourrait
n'en être pas étonné : mais que dans un siècle aussi éclairé que
le nôtre on charge de telles accusations une Eglise dont la
créance est celle de la moitié de l'Europe; que le magistrat y
donne lieu par un Monitoire qui tend à nous rendre odieux :
que les supérieurs ne répriment pas un si cruel attentat con-
tre des citoyens que la loi ne distingue pas du reste des sujets,
c'est presque nous livrer à la fureur d'une populace crédule.
ff Nous ne le dissimulons point, c'est nous attaquer par l'en-
droit le plus sensible que de nous imputer de semblables hor-
reurs. Que l'on contisque nos biens, qu'on nous envoyé aux
galères, qu'on attache nos ministres au gibet, qu'on nous ras-
sasie d'opprobres et de supplices; mais du moins qu'on res-
pecte les maximes d'une morale qui n'a d'autre auteur que
Jésus-Christ même. Qu'on nous punisse comme de mauvais
raisonneurs, ou comme infracteurs de ces loix pénales que
nous ne pouvons observer sans violer de plus augustes loix ;
mais qu'on ne nous accuse pas d'être des pères dénaturés et de
l'être eu vertu des principes d'une religion toute sainte
« On peut dire hardiment que ceux qui ont imaginé
celte assemblée ne l'ont pas crue. S'ils l'avaient crue, l'au-
raient-ils énoncée dans un Monitoire? En l'énonçant ne don-
noient-ils pas avis aux coupables de prendre la fuite? Aucun
pourtant ne l'a prise.S'ils l'avoient seulement soupçonnée, n'au-
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 105
roient-ils pas fait des recherches secreltes? n'auroient-ils pas
craint d'éventer un mystère si important? quel a donc été leur
but? Il est difficile de leur en attribuer d'autre que celui de
nous rendre odieux. L'accusation imputée contre Calvin est
une impudence qui ne mérite pas de réponse. Les écrits de ce
docteur ont fait l'admiration d'une partie du monde et le dé-
sespoir de l'autre : qu'on les lise et l'on verra que sa morale
n'est autre que celle de l'Evangile. »
Rabaut envoya cette apologie des protestants de
France au magistrat chargé de poursuivre les Calas, au
procureur général Riquet de Bonrepos, avec une lettre
qu'on lira plus loin.
On a pu voir dans X Histoire des Eglises du Déserf
que la vivacité bien motivée de ces paroles, où l'auteur
se départait de l'extrême modération ordinaire aux re-
quêtes des protestants, fut blâmée par eux. Le pasteur
Pierre Encontre trouvait les expressions « un peu fortes. »
De la Broue, chapelain de l'ambassade de Hollande k
Paris, écrivit k Babaut avec plus de justesse, sous son
pseudonyme d'Euorbald :
« Je trouve le mémoire bon, mais j'eusse improuvé, si j'avais
été consulté, l'épigraphe. On peut répondre avec vigueur, mais
que l'esprit de douceur soit notre guide; éloignons tout ce qui
sent la récrimination et l'aigreur. »
La colère des ennemis du protestantisme fut extrême.
On s'offensa de voir paraître au grand jour la réclama-
tion d'un pasteur proscrit, qui n'avait pas même d'exis-
tence légale et vivait sous la menace perpétuelle du sup-
plice, subi récemment par plusieurs de ses collègues
et par un autre, Rochette, quelques semaines plus
tard. On s'irrita d'une audace qui parut une énormité.
196 PAUL RABAUT
On jugea nécessaire de réfuter publiquement l'écrit
du pasteur par des Observations sw un Mémoire qui pa-
rait sous le nom de Paul Rnbaut^ intitulé la Calomnie
confondue — 1762. L'auteur anonyme était l'abb? de Gon-
tezat. Il avait pris pour épigraphe cette phrase de saint
Cyprien : Ne dum tacemus^ non verecundiœ sed difp.-
dentiœ causa tacere videamur, « De peur que si nous
nous taisions notre silence ne fût attribué non à l'humi-
lité mais à la confusion. » (1)
L'abbé de Gontezat nous est inconnu. On a dit qu'il
avait été appelé à Toulouse pour essayer de convertir le
pasteur-martyr François Rochette et les trois gentils-
hommes exécutés avec lui le 19 février. On ajoutait que
ses moeurs étaient très-mauvaises. Nous ne savons si ces
allégations sont exactes ; mais ce qui est incontestable
c'est l'excès de violence et de noirceur qui d'un bout à
l'autre anime cet écrit. Il ne s'agit plus ici de V esprit
de douceur qu'exigeait De la Broue, ni même des récrimi-
nations et de Vaigreur qu'il blâmait. Il s'agit de lancer
contre des prisonniers et des proscrits les accusations les
plus perfides, qui devaient, si elles étaient accueillies, les
mener à l'échafaud.
Ainsi, l'auteur trouve naturel que les pasteurs soient
soupçonnés (sans ombre de preuves) d'avoir ordonné
l'assassinat de Marc-Antoine :
« On a pu légitimement supposer que le zèle cruel d'un père
protestant était enflammé par les suggestions de ceux qui sont
les oracles et le soutien de la Religion prétendue Réformée. »
Voici le portrait de fantaisie qu'il trace de ces pas-
teurs; voici comment il explique qu'il peut y avoir des
(1) Bibliographie, n° 12.
ET LES PROTESTANT.S DE FRANCE. 197
protestants qui eux-mêmes ne connaissent pas les maxi-
mes de sang pratiquées dans leur secte :
« Leur mauvaise foi leur fournit assez de moyens pour faire
glisser le poison de leurs fureurs dans le cœur de certains de
leurs disciples, disposés a le recevoir par caractère, par tempé-
rament ou même par intérêt ; mais ces fanatiques se garderont
bien de laisser apercevoir leur système de sang a ces Religion-
naires dont la naissance a formé les sentiments, dont l'éduca-
tion a poli les mœurs, et qui ne sont attachés au Calvinisme que
par indifférence et parce que cette Religion n'impose aucune
gêne. »
L'acharnement de l'abbé de Contezat contre les Ca-
las est plus grand encore que celui avec lequel il atta-
que les pasteurs. Voici un exemple où l'on verra k quel
point une partialité éhontée peut tout défigurer :
H Si les sentiments de tristesse et d'effroi sur le sort d'un
père, qui remplira peut-être toute sa maison de saug,ne nous im-
posaient silence, nous rappellerions ici tant de propos prononcés
avec fureur, d'un air menaçant, les yeux égarés, le visage en feu :
combien de fois a-t-on entendu ces parents furieux rendre le
Ciel complice de leur colère pour former des vœux homicides,
dévouer leurs enfans catholiques à l'exécration la plus affreuse,
et regarder leur retour à la vraie foi comme une défection dés-
honorante? N'a-t-on pas vu des Prélats et des Magistrats se
réunir pour essuyer les larmes du fils, réprimer la douleur
cruelle du père, et par des ménagements de prudence, ordonner
une séparation aussi utile a la sûreté de l'un que nécessaire a la
violence de l'autre ? »
Ce qu'il y a de plus curieux dans cet odieux libelle,
c'est qu'on y trouve les passages de Calvin et de Luther
sur lesquels on fondait l'accusation inouïe qui venait de
17.
J98 PAUL RABAUT
surgir au bout de deux siècles contre leur mémoire et
les Eglises que Dieu a fondées par leurs mains.
Voici d'abord le texte de Calvin. Nous n'avons pas be-
soin de faire observer qu'il n'y est pas question le moins
du monde d'empêcher ou de punir le changement de
religion, bien moins encore d'autoriser le meurtre des
enfants par leurs pères. Il s'agit de commenter le com-
mandement : Tu honoreras ton père et ta mère, dont la
violation dans certaines circonstances était punie de la
peine capitale chez les Juifs (Exode 21, 7. Lév. 20, 9.
Prov. 20, 20. Deut. 21, 18) comme , au reste, chez les
Romains et d'autres peuples anciens.
" Tous ceux qui violent l'aïUhorité paternelle, ou par mes-
pris ou par rébellion, sont monstres et non pas hommes. Pour-
tant (c'est pourquoi) nostre Seigneur commande de mettre à
mort tous ceux qui sont désobéissants à père et à mère : et ce
à bonne cause. Car puisqu'ils ne recognoissent point ceux, par
le moyen desquels ils sont venus en ceste vie, ils sont certes
indignes de vivre. Or il appert par plusieurs passages de laloy
ce que nous avons dict estre vray : ascavoir que l'honneur dont
il est ici parlé, lia trois parties: Reuerence, obéissance et
amour, procédant de la recognoissance desbienfaicts. La pre-
mière est commandée de Dieu, quand il commande de mettre k
mort celuy qui aura détracté de père et de mère, car en celk
il punit tout contemnement et mespris. La seconde en ce qu'il
a ordonné que l'enfant rebelle et désobéissant fust aussi mis à
mort.... (Inst. L. 2. ch. 8. sect. 36. ) »
On peut trouver très-sévère cette législatioQ de l'An-
cien Testament qui punissait de mort les fils rebelles ;
mais il est trop évident qu'il n'y a aucune espèce de
rapport entre la peine capitale prononcée dans ce cas,
et l'ordre donné à des pères de tuer leurs enfants s'ils
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 199
voulaient se faire catholiques. Court de Gébelin a
parfaitement prouvé d'ailleurs (1) qu'il n'y a aucune
différence entre les commentaires des protestants sur
ce texte et ceux des catholiques. Il a choisi pour cette
démonstration les Institutions de Mgr de la Poype de
Vertrieu, Evêque de Poitiers, publiées en 1732 dans sa
ville épiscopale, en 5 volumes in-12. On y trouve (t. 2,
p. 209-215) les mêmes textes de l'Ancien Testament
cités et commentés de la même manière. Il serait très-
facile d'ajouter à cet exemple une multitude de citations
analogues et de prouver que si la doctrine du parricide
est dans Calvin, elle n'est pas moins chez une foule de
théologiens catholiques, qui disent identiquement ce
qu'il a dit. Catholiques et protestants ont eu longtemps
le tort de ne pas comprendre que les lois des Juifs ne
sont nullement applicables à la chrétienté, ni aux temps
modernes.
Quant au passage très-violent tiré d'une lettre de
Luther, on peut y voir à bon droit le souhait coupa-
ble d'une sorte de croisade ou expédition à main armée
contre ceux qu'il appelle : Bos magistros perdi-
tionis, hos Cardinales, hos Papas ettotam istam Romance
SodomcB colliviem, quœ Ecclesiam Dei sine fine corrum-
pit (2). Mais rien, en tout ceci, ne ressemble à l'ordre d'é-
(i) Toulousaines,
(2) «Si on pend les larrons au gibel^ si on châtie les brigands avec
Je glaive et les hérétiques par te feu , pourquoi n* attaquons-nous pas
de toutes nos forces ces maîtres de perdition, ces cardinaux, ces
papes et toute cette racaille de la Sodome Romaine qui ne cesse de
corrompre rEpliso de Dieu"" Pourquoi ne lavons-nous pas nos
mains dans leur sang ? »
Ces paroles affreuses, inexcusables, écrites dans un moment de
colère, et conformes à la doctrine catholique sur le prétendu de-
200 PAUL BABADT
traiigler les apostats par les mains de leurs pères. Il ne
s'agit nullement de protestants convertis au catholi-
cisme; et l'abbé, pour faire cadrer, tant bien que mal, sa
citation avec son sujet, a omis dans sa traduction les
Maîtres de perdition, les Cardinaux et les Papes, et
s'est borné à traduire cette racaille de la Sodome Ro-
maine. Sans cette omission, nul n'aurait pu songer à re-
connaître Marc- Antoine Galas ou ses pareils, dans une
énumératioiî injurieuse des princes de l'Eglise de Rome;
tandis que la phrase ainsi allégée pouvait à toute rigueur
paraître applicable aux prosélytes du catholicisme.
Ce n'est pas volontairement que l'abbé se contenta
de citer Calvin et Luther d'une façon si maladroite. On
dit que pendant quelques jours les livres protestants fu-
rent en grande réquisition à Toulouse ; magistrats, prê-
tres, moines surtout (à cause de certaines bibliothèques
de couvent, qui ont le privilège de posséder les livres
hérétiques), cherchaient à l'envi dans ces livres les pré-
voir imposé à la vraie Eglise de détruire l'iiérésie, ne peuvent être plus
dignement réfutées que par d'autres, tout opposées, écrites parle
même Luther.
On se souvient qu'en 15(J2 il s'agissait entre princes et Etals
protestants de s'engager dans une alliance pour la défense de la Re-
ligion et de prendre les armes. Voici la réponse du Réfor-
mateur à cette proposition : * Nous ne pouvons en bonne cons-
« cience, ni conseiller, ni approuver une semblable alliance, vu que
'< si l'on venait à répandre du sang ou s'il en résultait du mal, nous
>' aimerions mieux dix fois être morts que de nous exposer au re-
« proche d'avoir occasionné des désordres et du carnage par notre
« Evangile. Noire devoir est de souffrir et nous devons selon le
« |)rop!iéte (Ps. 4 4-9 3) nous estimer comme des brebis envoyées â
<« la boucherie... .. Plus loin on Ut... « Nous ferons plus par nos
« prières et par nos supplications, que nos adversaires par leur
" fw-rte et leur vanterie ; mais gardons-nous do souiller nos mains
<< de sang et de violence. (Ed. Walsch. tome 4, p. 5 6 4.) »
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 201
ceptes de sang qu'on croyait y trouver mais qu'on n'y
trouva pas. Faute de mieux, il fallut se contenter de ces
deux passages, absolument étrangers à la question.
L'indigne diatribe de l'abbé fut distribuée aux mem-
bres du Parlement, juges des Calas, par les soins du
Procureur général (1).
Quant au mémoire de Rabaut, ce magistrat le dénonça
à la fois au Ministre par une lettre particulière et au
Parlement par un réquisitoire en forme. La réponse
du Ministre est extrêmement curieuse et les lettres
échangées à ce même sujet par le chancelier de La-
moignon et M. de Saint-Priest, Intendant du Langue-
doc, ne le sont pas moins (2). M. de Saint-Floren-
tin craint quelque secousse si Paul Rabaut était ar-
rêté (parce qu'il aurait fallu le rouer ou le pendre
comme les autres). Le respect et le dévouement que
s'était attirés le pasteur du Désert rendaient son arres-
tation et son supplice dangereux. D'ailleurs, il avait
pacifié la contrée (comme le dit l'abbé de Gontezat lui-
même), et après tout, l'on aimait encore mieux à Ver-
sailles profiter de son dévouement pour calmer et
contenir ses coreligionnaires que les exaspérer par sa
mort. Aussi le Ministre ordonne-t-il au Procureur gé-
néral de présenter au Parlement un des exemplaires
de la Calomnie confondue où le nom de Rabaut ne
(1) Il existe dans la collection de pièces réunies par M"* de la
Beaumelle, née Lavaysse, une Copie d'une lettre de Mr.,. à M. Paul
Rabaut. C'est un projet de réponse à Tabbé de Gontezat. 11 y est dit
que déjà un jeune licencié en théologie lui avait répliqué; mais il
parait que ces réfutations n'ont vu le jour ni l'une ni l'autre.
(2) Voir : Correspondance : Lettres 13, 14, 16.
202 PAUL RABÂUT
se trouvait point (1), et d'éviter soigneusement que cenom
fût prononcé. A vrai dire, ce que M. de Saint-Florentin
aurait préféré, c'était que Rabaut quittât le pays ; c'est
dans l'espoir de l'y résoudre parla terreur qu'il consent
aux poursuites projetées contre son Mémoire, autorisant
même le Procureur général à le faire arrêter, s'il a en-
core l'audace de se montrer après ce décret, mais en pre-
nant de bonnes mesures pour prévenir toute secousse.
Soit excès de zèle, soit qu'un des membres de la Cour
eût prononcé le nom interdit, soit plutôt que la lettre
du Ministre qui est du 2 mars ne lui fût point parvenue
le 6, M. de Bonrepos nomma (jusqu'à six fois) Paul Ra-
baut dans ses réquisitoires, mais non dans le texte
même de l'arrêt qui fut rendu à sa requête.
Il se plaint de ce que Paul Rabaut prend le titre de
Ministre du Saint-Evangile, de ce qu'il a osé dater son
ouvrage du Désert^ de ce qu'il prétend tous les protes-
tants enveloppés dans l'accusation de quelques particu-
liers. — Le lecteur a pu juger si Rabaut avait tort de
le prétendre.
Le Procureur général se plaint enfin de ce que l'au-
teur du Mémoire imulte à la religion en rapprochant
la conduite des premiers chrétiens de celle des nou-
veaux prosélytes de la R. P. R, (2) Ce que veut cet
auteur séditieux, en bravant à la fois V autorité séculière
(i) Nous ne pensons pas qu'il en exislc où son nom se trouve;
au moins en avons-nous eu plusieurs entre les mains, lous anonymes,
et Rabaut le dit lui-même dans le Mémoire qu'on lira plus loin.
(2) Rabaut avait dit avec raison que pour trouver un exemple
d'une calomnie aussi inique, il fallait remonter jusqu'aux crimes fa-
buleux dont les chrétiens des premiers siècles étaient accusés par
leurs persécuteurs.
ET LES PROTESTANTS DE FRANCE. 203
et l'autorité ecclésiastique, c'est prépa)^er ceux dont il a
surpris la confiance par ses déclamations^ à redouter et
cependant à mépriser toute autorité. On passe aisément
du mépris à la révoKe, et c'est le point de vue de cette
foulede ministres obscurs qui n' attendent leur considéi^a-
tion et leur fortune que du trouble et du désordre.
Tout ceci aboutit à une théorie complète du despo-
tisme le plus illimité, au point de reléguer dans l'autre
monde l'autorité de Dieu même pour tout laisser ici-
bas à celle du roi, et cela sous prétexte d'une parole
de Jésus-Christ :
Le royaume de Dieu n'est pas de ce monde; il ne veut régner
que sur les cœurs et les consciences ; il laisse aux rois de la
terre un empire absolu sur les actes extérieurs de leurs sujets.
En conséquence, si F. Rochette vient d'être condamné à
mort, ce n'est point comme mauvais raisonneur, mais comme sédi-
tieux et réfractaire aux ordres du mi.
Paul Rabaut écrivit immédiatement un nouveau Mé-
moire fort court, qu'il envoya au Procureur général et
au Ministre, et qui n'a jamais été publié. Nous l'insérons
tout entier, d'après l'exemplaire adressé à M. de Saint-
Florentin et qui est de l'écriture de Rabaut St-Etienne
(Arch. Imp.). Cette humble réclamation nous paraît un
modèle de dignité, de simplicité et de modération. Ja-
mais un innocent calomnié ne s'est plus noblement sou-
venu (( qu'il était personne proscrite et qu'il fallait
respecter les lois. »
MÉMOIRE POUR PAUL RABAUT
{sans indication de lieu ou de date, ni signature,)
C'est avec la plus vive douleur que le S' Paul liahaut ap-
prend de toutes parts qu'il a eu le malheur d'indisposer con-
2(l/i PAUL RABAUT
tre lui premièreinenL Monsieur le Procureur général du Parle-
ment de Toulouse, par la lettre qu'il prit la liberté de lui écrire
le 5" du mois de janvier, et par la qualité de ministre qu'il
ajouta h sa signature ; et en second lieu le gouvernement qui
est informé de ces choses .
Si P. Rabaut avait pu prévoir que sa lettre et la manière
dont ill'a signée pussent produire un pareil effet, assurément
il n'y aurait eu de sa part, ni lettre, ni signature. Jamais il
n'eut intention de provoquer ni les Magistrats ni le Gouverne-
ment ; ceux qui le connaissent savent que c'est un sujet paisi-
ble, dont l'unique ambition est d'être utile à sa patrie, et qui,
en plus d'une occasion, a donné les plus fortes preuves de son
zèle pour le bien de l'Etat, de son attachement respectueux
pour le Koi et de sa profonde vénération pour tous ceux à qui
Sa Majesté confie une portion de son autorité. Il supplie très
humblement qu'on lui permette d'exposer avec simplicité com-
ment les choses se sont passées afin qu'on soit instruit des
raisons de sa conduite. Si nonobstant ces raisons, on persé-
vère a le trouver coupable, gémissant de son malheur, il n'aura
plusqu'à demander grâce pour une faute tout à fait involon-
taire .
On sait quelle horrible accusation a été intentée aux protes-
tants du Bas-Languedoc ; on a voulu que dans un synode, ils
aient délibéré le parricide pour cause de religion. Ne point
réfuter une calomnie aussi atroce, c'était l'accréditer. On fut
donc obligé d'en montrer la fausseté et c'est ce qui produisit le
Mémoire qui a pour titre : La Calomnie confondue, etc.
Si P. Rabaut avait voulu faire ostentation de son titre, il
l'aurait mis avec sa signature dans le Mémoire imprimé ; il n'en
lit pourtant rien, se souvenant (ju'il était personne proscrite
et qu'il fallait respecter les lois.
Mais rélléchissant d'un autre côté qu'un Mémoire sans nom
d'auteur n'aurait ni authe,nticité, ni force par conséquent, et
(|ue, pour détruire la calomnie, il était nécessaire qu'on sût d'où
partait le Mémoire dont il s'agit et qu'il avait pour auteur un
ET LES PROTESTANTS DE FBANCE. 205
membre de ce Synode qu'on accusait d'une si grande énormité,
P. Rabaut prit la liberté d'écrire à M. le Procureur général la
lettre suivante dont il a gardé soigneusement copie :
« Monsieur,
«L'accusation qu'on a osé nous intenter est trop grave, elle
tire a de trop dangereuses conséquences pour ne pas en mon-
trer la fausseté et même le ridicule. Nous l'avons fait dans le
Mémoire que je prens la liberté de vous adresser. Nous espé-
rons. Monsieur, de vos lumières et de votre équité que vous
voudrez bien en faire usage pour démasquer l'imposture et faire
rendre justice a des hommes , a de bons citoyens, à de iidèles
sujets. Je suis avec un profond respect. Monsieur, etc. »
Si celte lettre a dans sa forme ou dans ses termes quelque
chose de peu respectueux pour le magistrat auquel elle était
adressée, P. Kabaut supplie de n'en chercher la cause que
dans son ignorance des usages et du style qui" doit être em-
ployé lorsqu'on s'adresse aux grands. Vivant dans les déserts,
il a pu ignorer les formules usitées dans le monde ; mais, pé-
nétré du plus profond respect pour toutes les personnes consti-
tuées en dignité et particulièrement pour les Ministres des lois,
il proteste que son cœur n'a point eu de part à l'offense. S'il
ajoute à sa signature la qualité de Ministre, c'est d'un cùté
qu'il ne savait point être connu de M. le Procureur général et
que de l'autre, ayant trouvé dans un calendrier de Toulouse le
nom d'un avocat parfaitement conforme au sien , il crut néces-
saire de ne pas compromettre cet avocat qu'il ne connaît point ,
et de prendre sur lui tous les risques, s'il y en avait a courir.
On le réitère, si cette courte apologie ne suflit pas pour dis-
culper P. Rabaut, il gémira sur une faute involontaire et sur
son état de proscription qui s'oppose au désir qu'il a de l'expier,
en donnant les preuves les plus authentiques de sa douleur sin-
cère ; il suppliera le gouvernement de lui faire grâce et de ne pas
douter de la pureté de ses intentions et du désir qu'il a d'être
utile à sa patrie.
18
206 PAUL RABAUT
Malgré cette humble et ferme défense, la Cour con-
damna (( ledit écrit à être lacéré et briilé au bas du
perron du palais, par l'exécuteur delà Haute Justice. »
Elle ordonna de plus, mais sans désigner Rabaut, qu'il se-
rait informé « contre tous ceux qui ont composé, écrit,
imprimé, distribué ou débité ledit Libelle. »
Le 8 mars en effet, k l'issue de l'audience, en présence
de Joseph-Guillaume Gravier, greffier garde-sacs de la
Cour, le bourreau brûla l'écrit de Rabaut dans la cour
du palais de justice (1).
Cette condamnation et l'ordre donné d'informer con-
tre les auteurs, distributeurs, etc. , firent naître, parmi
les protestants de France, les plus vives craintes pour
un homme qui était leur véritable chef, aimé et vénéré
de tous (2). On s'en émut aussi à l'étranger, et de divers
côtés on s'empressa d'offrir au pasteur du Désert un asile
et des moyens d'existence. Il reçut à cette occasion des
propositions honorables de Genève, de Lausanne, de
Copenhague, d'Altona ; il refusa tout et continua, en
redoublant de précautions, son existence de proscrit.
(i)On a écrit que Jean Calas, en traversant la Cour du Palais
pour subir un interrogatoire, aperçut le bourreau et le bûcher,
crut voir les apprêts de son supplice et se troubla. On affirmait
que ses réponses se ressentirent de ce trouble et contribuèrent à le
faire condamner. Toute cetteanecdote, répétée par Voltaire et d'autres,
est fausse ; ni à Paris, ni à Toulouse, il n'existe aucune trace d'in-
terrogatoire, confrontation nirecoloment à la date du 8 mars.
(2) '( Chacun craignait pour Paul. » (Rapport d'Alison au duc de
Fitz-James, déjà cité, en date du 2 avril.)
CHAPITRE IX
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS
t On lui jette (au bourreau) un empoisonneur, un
parricide, un sacrilège , il le saisit, il l'étend, il le lie
sur une croix horizontale, il lève le bras : alors il
se fait un silence horrible, et l'on n'entend plus que
le cri des os qui éclatent sous la barre, et les hur-
lements de la victime. Il la détache; il la porte sur
une roue, les membres fracasse's s'enlacent dans les
rayons ; la tête pend; les cheveux se hérissent, et la
bouche, entrouverte comme une fournaise, n'envoie
plus par intervalle, qu'un petit nombre de paroles
sanglantes qui appellent la mort.
Le comte Joseph de Maistre,
Soiriei de St. Pétersbourg, 1»^ E.
Elle de Beaumont (1) raconte qu'au moment où les
juges allaient prononcer leur sentence, on fit courir le
bruit d'un projet d'évasion des accusés; aussitôt leurs
gardes furent dou])lées ; pendant la nuit, des lanternes al-
lumées furent placées sur le toit des prisons ; une cloche
(pii répondait au logis du geôlier fut suspendue au corps
de garde. D'autres rumeurs plus étranges encore se ré-
pandirent; on prétendit que les accusés avaient voulu se
tuer; la servante Viguière s'étant trouvée mal un jour
(I) E. de B., 3.
208 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
jusqu'à demeurer sans connaissance, on la crut morte
et empoisonnée ; la nouvelle en fut portée à la Chambre
de la Tournellequi siégeait en ce moment et qui envoya
immédiatement un des conseillers s'assurer du fait.
Je rapporte ces derniers bruits sous toutes réserves,
n'ayant aucun moyen d'en vérifier l'exactitude. Ils ne
prouveraient que l'angoisse croissante des prévenus et
le zèle ardent des juges.
La Chambre de la Tournelle qui jugea Calas se com-
posait de treize magistrats, les présidents du Puget et
de Senaux, qui ne nous sont que trop connus par leurs
lettres à M. de Saint-Florentin, les conseillers de Bojal
(doyen), Cassan-Glatens (1), d'Arbou, Coudougnan,
Cambon, de Lasbordes (2), Gauran, Desinnocents, Mi-
romont, de Boissy (qui avait été chargé de continuer
l'information), de Cassan-Clairac, rapporteur (3).
Il fut décidé que Calas père serait jugé seul avant
tous les autres ; on espérait obtenir de lui, soit par la
torture, soit sur l'échafaud, des aveux qui permettraient
de condamner ses complices.
L'arrêt ne fut prononcé qu'au bout de dix grandes
(i) Appelé aussi Cassan-GoUe ou de Jolie,
(2) M, de Lasbordes s'élail d'abord retiré à la campagne, et
avnit dit qu'il se récusait. 11 revint et prit part au jugement. Quel-
ques-uns croient qu'il vola l'acquitlemenl ; il ce paraît pas que ce
«oit exact.
(3) 11 y a lieu de croire que plusieurs de ces magistrats auraient
dû se récuser. On lit dans le premier Mémoire de Mariette qu'un
des jupes avait dit aux D"" Calas qui sollicitaient pour leur père : Vous
n'avez plus d'autre père que Dieu, Elles voulurent le récuser, ainsi
que deux autres, contre lesquels il y avait des moliTs de suspicion
légale. 11 fallait pour cela être autorisé par les accusés eux-mêmes.
Mais on ne put les prévenir, ni parvenir jusqu'à eux. Aucun soldat
ne voulut ou n'osa leur faire passer le moindre avis.
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN GALAS. 2U3
séances (1). Des treize juges, sept opinèrent immédiate-
ment pour la mort, trois pour la torture seulement (se
réservant ainsi de voter la mort plus tard, s'il y avait
lieu) ; deux furent d'avis qu'on vérifiât avant tout s'il était
possible ou non que Marc-Antoine se fût pendu entre les
deux battants de la porte, avec le billot et la corde
qui étaient au greffe. Un seul se déclara pour l'acquitte-
ment.
Ne semble-t-il pas prodigieux qu'on ait refusé l'exa-
men de fait, demandé par deux juges? Conçoit-on de nos
jours un tribunal passant outre à une condamnation ca-
pitale, quand deux ou trois de ses membres demandent
une vérification qui n'eût pas exigé une demi-heure?
Le parti pris et la légèreté furent-ils jamais plus évi-
dents?
Malgré la majorité de 7 voix sur 13, Galas n'était pas
condamné encore ; cette majorité, d'après la loi, était
insuffisante pour une sentence capitale. Après un débat
prolongé, ce fut, dit-on, le doyen des conseillers, M. de
Bojal, qui, en se joignant aux 7 voix déjà obtenues,
rendit l'arrêt de mort exécutoire. On l'avait cru favo-
rable aux Calas.
L'arrêt portait 1° que Calas subirait la question ordi-
naire et extraordinaire a pour tirer de lui l'aveu de son
crime, complices et circonstances ; » «2° qu'étant en che-
mise, tête et pieds nus, il serait conduit dans un chariot
des prisons du palais k la cathédrale, et que là devant
la porte principale, étant à genoux, « tenant en ses
mains une torche de cire jaune allumée du poids de
deux livres , » l'exécuteur de la haute justice « lui fera
(1) Lettre du président de Senaux (Corr. St-F. i 5).
18.
210 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS..
faire amende honorable et demander pardon à Dieu, au
roi et à la justice de ses méfaits; » 3° l'ayant remonté
sur ledit chariot, l'exécuteur le conduira à la place
Saint-Georges (1) où, sur un échafaud, (( il lui rompra
et brisera bras, jambes, cuisses et reins ; » l\° il le por-
tera sur une roue et l'y couchera le visage tourné vers
le ciel, (( pour y vivre en peine et repentance de ses
dits crimes et méfaits et servir d'exemple et donner de
la terreur aux méchants tout autant qu'il plaira à Dieu
de lui donner de vie. »
Cette sentence, qui serait cruelle, quand il s'agirait
d'un véritable assassin, fut prononcée contre Jean Calas
le 9 mars et exécutée dans tous ses affreux détails le
lendemain.
Nous croyons devoir insérer ici le procès-verbal de
cette hideuse boucherie, tel que le signa un homme
que nous devions retrouver sur l' échafaud de sa victime,
David de Beaudrigue. Ce procès-verbal est un monument
historique d'une haute valeur, parce que l'innocence du
condamné y éclate à chaque instant à travers les ruses
de ses interrogateurs et l'atrocité de ses tourments (2).
(i)Plus d'une fois j'ai irislemcnl examiné celle place fatale, dont
une fontaine occupe le centre, au lieu de la colonne votée plus lard
par la Convention. Peut être vaut-il mieux qu'il en soitainsi; pour moi,
le monument le plus éloquent à la mémoire de Calas, c'étaient quel-
ques anciennes maisons qui sont demeurées debout çà et là, les
mômes qu'il y a cent ans. Si ces façades de bois et de brique noircie
pouvaient dire ce qu'elles ont vu, on n'écrirait pas aujourd'hui à
Toulouse que Jean Calas était un assassin et un parricide. On n'eût
osé le prétendre, le jour où ces mômes fenêtres regorgaient de té-
moins émus qui le virent mourir comme meurent les martyrs.
Kn 179 4 la place Sainl-Goorges reçut le nom de place Calas, qu'elle
a perdu depuis longtemps.
(2) Ce procès-verbal, abrégé de moitié, a élé publié par M. Fié-
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 211
PROCÈS-VERBAL d'eXÉCUTION DE JEAN CALAS PÈRE.
« L'an mil sept cent soixante-deux et le dixième jour du
mois de mars après-midy, pardevantnous, noble François-Ray-
mond David de Beaudrigue et M. Léonard Daignan de Sendal,
capiiouls, dans le grand consistoire les plaids tenant, a été
emmené par l'exécuteur de la haute justice le nommé Jean
Calas père, accusé du crime d'homicide par luy commis sur la
personne de Marc- Antoine Calas, son fils aîné, lequel, tête,
pieds nuds, en chemise, ayant la hard au col, et étant à ge-
noux, M. de Pijon, avocat du roy, a dit que le procès ayant été
fait, tant de notre autorité que celle de la souveraine cour de
parlement, a sa requête et a celle de M. le procureur général
pour cas de crime d'homicide contre ledit Jean Calas père et
autres, ladite souveraine cour de parlement, par son arrêt,
rendu le neuvième du courant en la chambre Tournelle, a con-
damné ledit Calas père a faire amende honorable devant la
porte principale de l'église Saint-Etienne de Toulouse, et a
être conduit ensuite a la place Saint-Georges, et sur un écha-
faud qui a cet effet y sera dressé, ledit Calas père y sera rompu
vif et ensuite expiré sur une roue qui sera dressée tout auprès
dudit échafaud, la face tournée vers le ciel, pour y vivre en
peine et repentance de ses dits crime et méfaits, tout autant
qu'il plaira a Dieu de lui donner la vie, el son corps mort jeté
ensuite dans un bûcher ardent préparé à cet effet sur ladite place,
pour y être consommé et ensuite les cendres jetées au vent ;
préalablement, ledit Calas père avoir été appliqué k la question
déric Thomas, avocat à la Cour impériale, dans les Pe/i/es Causes cé-
lèbres du jour, n° 7, en juillet 1855, et inséré dans le journal la
Presse le 2 août suivant. Nous avons coUalionné ce document sur
l'acle aulhenlique conservé aux Archives, el nous avons non-seu-
lement rétabli ce qui manquait dans l'abrégé imprimé, mais repro-
duit le style et jusqu'à l'orlliographe de l'original. 11 nous a paru itn-
porlaiil de lui laisser toute la froideur technique el barbare du lan-
gage officiel.
212 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
ordinaire et extraordinaire; le condamne en outre à cent sols
d'amende envers le Roy, déclare ses biens confisqués et acquis
a qui de droit, distrait la troisième partie d'iceux pour sa
femme et ses enfans, s'il en a, et aux dépens envers ceux qui les
ont exposés. Et pour faire mettre ledit arrêt a exécution contre
ledit Calas père, ladite cour renvoie devant nous, nous commet-
tant quant à ce. Et attendu que ledit Calas père est présent,
requiert qu'il soit tout présentement fait lecture par notre gref-
fier du susdit arrêt, et a signé, de Pijon, avocat du Roy.
« Sur qdoy, nous dits capitouls, faisant droit sur les réqui-
sitions du procureur du Roy, ordonnons qu'il sera tout présen-
tement fait lecture par notre greffier du susdit arrêt.
« Après quoy le dit procureur du Roy a de nouveau requis
que demeurant la lecture qui vient d'être faite du susdit arrêt
icelui soit exécuté contre ledit Calas père, suivant la forme et
teneur, ce qui a été par nous ainsi ordonné.
(( Et tout incontinent ledit Calas père ayant été conduit de
notre ordre par l'exécuteur de la haute justice dans la chambre
de la question, Pardevant nous susdits capitouls, accompagnés
de M* Labat, notre assesseur, commissaire en cette partie, et
de notre greffier, ledit Calas père ayant été mis sur le bouton
de la question ordinaire, nous lui avons représenté que, par
la lecture de l'arrêt qu'il vient d'entendre, il est condamné à
mort, préalablement avoir été appliqué a la question ordi-
naire et extraordinaire, qu'il voit qu'il n'a que très peu de
temps à vivre, et des tourmens à souffrir ; ce qui doit l'obliger,
pour la décharge de sa conscience, de nous répondre et dire
vérité, en nous déclarant ses crimes et méfaits, ensemble ses
complices; et à l'instant, de notre mandement, ledit Calas père,
la main levée a la passion figurée de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, a promis et juré de dire vérité.
« Et DE SUITE avons enjoint, tant a l'exécuteur de haute
justice qu'h ses gardes et valets, de sortir de la dite chambre ;
et iceux retirés, avons encore représenté audit Calas père qu'il
iw pcul, sans violer le sfrment qu'il vient do prêter, se dispen-
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 213
sei de répondre ingénuenient, sans détour et sans équivoque,
aux interrogats que nous allons lui faire ; qu'en déguisant la
vérité, ses peines et tournions seront redoublés.
Interrogé de son nom, surnom, âge, qualité, demeure et de
sa profession
Répond s'appeler Jean Calas père, marchand, âgé de
soixante-quatre ans, être marié et avoir des enfants.
Interrogé avec qui il étoit en relation avec son commerce et
quelles sont les maisons qu'il fréquentoit dans cette ville,
comment s'appellent les personnes qu'il connoît et avec qui il
commerçoit
Répond qu'il étoit en relation avec les sieurs Tissié, Cazeing,
Francés et autres marchands.
Interrogé s'il n'est vray que luy et sa femme ont vécu jus-
ques icy dans la religion prétendue réformée et ont élevé leurs
enfants dans la religion prétendue réformée.
Répond et avoue l'Interrogatoire.
Interrogé s'il n'est vray qu'il fréquentoit souvent le sieur
Cazeing, logé a la place de la Rourse, s'il ne se rendoit souvent
chez luy, en compagnie de qui il si rendoit?
Répond et dit qu'il se rendoit quelquefois chez ledit Cazeing
en visite et avec le sieur Tissié et quelquefois avec le sieur de
Serres, marchand.
Interrogé s'il n'est vray que le treize du mois d'octobre der-
nier Lavaisse soupa chez luy
Répond et avoue l'Interrogatoire.
Interrogé s'il n'est vray qu'ils soupèrent tous ensemble,
avec sa famille composée de Jean Pierre Calas, son iils, Marc
Antoine Calas, son autre fils, Lavaisse, et la femme du répon-
dant
Répond et avoue l'Interrogatoire.
Interrogé s'il n'est vray que Lavaisse l'avoit été voir l'après
midy et qu'ils sortirent ensemble, en attendant l'heure du sou-
per, où est ce qu'ils furent, ou si Lavaisse sortit avec Jean Pierre
Calas, son fils cadet et a quelle (heure) est-ce qu'ils rentrèrent?
2iZ| TORTURE ET SUITLIUE DE JEAN C.\LAS.
Répond qu'il ue sortit point avec ledit Lavaisse mais que
Jean Pierre Galas, son fils cadet, sortit avec ledit Lavaisse et
qu'ils rentrèrent de sept a sept heures un quart.
Interrogé s'il n'est vray que dès que Lavaisse, son lils Jean
Pierre, et luy qui répond furent rentrés, il ne lit fermer a ver-
rouil la porte de la rue, et que personne plus n'entra chez luy
jusqu'à l'heure du souper
Répond et dit qu'il étoit dans son appartement lorsque son
fils se retira avec Lavaisse et qu'ils fermèrent la porte, sans
savoir (sans qu'il sache) si c'etoit a verrouil ou comment, et
qu'il n'etoit dans l'usage de la fermer a verrouil que lors-
qu'ils allaient se coucher.
Lnterrogé s'il n'est vray qu'il fût averty l'après midy (1) que
son fils Marc Antoine devait changer de religion
Répond et dénie l'Interrogatoire, et personne ne luy en a
jamais parlé.
Interrogé s'il n'est vray qu'a raison de ce, il forma le des-
sein de l'étrangler de concert avec Lavaisse, son fils Jean Pierre,
la femme de luy qui repond et sa servante
Répond et dénie l'Interrogatoire, et dit qu'ils n'ont jamais
formé des projets aussi exécrables.
Interrogé s'il n'est vray qu'il a toujours vexé ses enfants à
raison de ce, et notamment celuy qui s'est rendu à la religion
catholique, qu'il l'avoit enfermé dans la cave et d'où M Rar-
bencgre, curé de Saint-Etienne, alla le retirer
Répond qu'il n'a jamais vexé aucun de ses enfants a raison
de la religion catholique et que M" Rarbenegre n'a jamais été
chez luy.
Interrogé s'il n'est vray que continuant ses vexations et
ayant été instruit le treize dans l'après midy que son lils Marc-
Antoine devait changer et embrasser la religion catholique il
ne forma le dessein de l'étrangler
(I) On avait donc renoncé à prétendre que Marc- Antoine était
déjà condamné depuis plusieurs jours et qu'on avait envoyé à Bor-
deaux chercher Lavajsse pour l'exécution.
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 215
Répond et dénie l'Interrogatoire dans tout son entier.
Interrogé s'il n'est vray que le même soir qu'il donna a
souper a Gaubert Lavaisse fils, du moment qu'ils furent ren-
trés ches luy avec Jean Pierre Calas son fils, Lavaisse et luy
qui repond et sa femme ne se quittèrent pas, de même que la
servante
Répond et accorde l'interrogatoire et dit que la servante
passa seulement a la cuisine et qu'ils se mirent a table en en-
trant et qu'ils ne se quittèrent pas du tout, ni avant ni après
le souper.
Interrogé s'il n'est vray qu'ils conçurent dès ce moment
tous ensemble le projet d'étrangler ledit Marc Antoine Calas,
ou si c'est luy seul qui repond qui commit le crime dont il
s'agit
Répond et dit qu'il n'a point eu ce dessein ni en famille ni
en seul.
Interrogé s'il n'est vray qu'ils ont exécuté tous ensemble
ce projet, ou luy seul ce noir attentat, si c'est avant ou après
le souper que Marc-Antoine Calas a été étranglé?
Répond et dit qu'ils ne l'ont pas fait, ni luy qui repond, et
qu'ils l'ont trouvé pendu après souper, quand Lavaisse descen-
dit pour se retirer.
Interrogé s'il n'est vray que Marc-Antoine Calas soupa
avec eux
Répond et avoue l'Interrogatoire.
Interrogé s'il n'est vray que le cadavre de Marc-Antoine
Calas son fils fut trouvé étendu "a terre dans la boutique en che-
mise, son habit plié sur le comptoir avec son chapeau
Répond qu'ils le trouvèrent pendu sur les deux battants de
la porte du magazin, déniant le surplus de l'Interrogatoire.
Lut avons représenté qu'il ne dit pas la vérité, nous ayant
dit dans son précèdent (1) Interrogatoire qu'on l'avait trouvé
(l) Ceci est de mauvaise foi; ce n'était pas dans le précédent in-
terrogatoire; c'était dans le premier de tous, el avant l'écrou.
216 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
étendu mort a terre au même endroit ou nous le trouvâmes lors
de notre transport.
Répond et dit que lors de son audition d'office, il est vray
qu'il dit qu'on avoit trouvé ledit Marc-Antoine Galas, son fils,
étendu mort entre la boutique et le magasin; et dans son se-
cond interrogatoire, voulant dire la vérité, il dit qu'ils le trou-
vèrent suspendu sur les deux battants de la porte du magasin
et qu'à l'égard de l'habit et du chapeau, il ne s'aperçut pas ou
il etoit, dans le grand trouble ou il etoit.
Interrogé s'il n'est vray que c'est dans la chambre ou ils
souperent qu'ils étranglèrent ledit Marc Antoine, ou si c'est
dans la boutique avec le billot dont s'agit, qui fut trouvé der-
rière la porte et la corde qui fut trouvée derrière le comptoir
et le tout reconnu par luy qui repond
Répond et dit que ni les uns ni les autres ne l'ont point
étranglé en aucun endroit, ayant reconnu dans ses précédents
Interrogatoires ledit billot et ladite corde.
Interrogé s'il n'est vray que luy qui repond a avoué dans
ses précédents Interrogatoires que Marc Antoine Galas fils
avoit resté encore dem} heure après le souper dans le salon de
compagnie
Répond qu'il avait dit par erreur que Marc Antoine avoit
resté demy heure dans la chambre, ayant pris Jean Pierre
pour Marc Antoine.
Luy avons représenté qu'il paroit impossible que ledit Marc
Antoine eût resté demy heure dans ladite chambre, comme il
l'avoit avoué cy devant, puisque son cadavre fut trouvé à onze
heures et demy entre la boutique et le magazin et a terre,
froid.
Répond et dit avoir suffisamment repondu dans son précé-
dent Interrogatoire
Interrogé s'il a d'autres complices que ceux qui sont dé-
nommés dans la procédure
Répond qu'étant innocent il n'a point des complices.
Mrr.ux exhorlé a dire la vérité, a dit l'avoir ditte.
TORTDRE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 217
Lecture a luy faite de son présent Interrogatoire, il y a
persisté ; requis de signer, a dit ne pouvoir.
Après quoy nous susdits capitouls, ayant fait rentrer dans
laditte chambre de la question ledit exécuteur de la haute
justice, ses gardes et valets, et après leur avoir fait prêter le
serment, leurs mains levées a la passion figurée de Notre Sei-
gneur Jésus-Christ, ont promis et juré de bien et fidèlement
remplir les fonctions de leur employ, conformément audit arrêt
et de ne pas révéler le secret, et ledit Calas père ayant été
remis entre les mains dudit exécuteur delà haute justice, nous
l'avons fait appliquer, en conformité dudit arrêt, et en la forme
ordinaire, au premier bouton de la question, les gardes menant
le tour, les valets tenant les cordes et l'exécuteur ayant ses
pieds sur le bouton attaché au fer des pieds dudit Calas (i).
Et ayant été élevé
liNTERROGÉ s'il a commis ce crime seul et si son fils, La-
vaisse et sa femme y ont contribué,
Répond que ni luy qui repond ni personne n'a commis ce
crime.
Et ayant fait descendre ledit Calas, et luy ayant réytéré les
mêmes interrogatoires cy dessus
RÉPOND et dit avoir dit la vérité.
Et ayant remonté au second bouton ,
Interrogé de nouveau s'il a commis ce crime seul, (ou
si) son fils, Lavaisse, sa femme y ont contribué,
Répond que personne ne l'a commis.
Et de suitte avons de nouveau représenté audit Calas
que les tourments qu'il doit soulfrir encore sont bien plus
grands que ceux qu'il a déjà soufferts, qu'il ne vient d'être
dettaché que pour tout de suitte être attaché sur le banc de la
question extraordinaire, qu'il peut cependant en diminuer la
rigueur en disant la vérité en ses réponses aux interrogats que
nous allons continuer de luy faire.
(i)Voir, sur la lorlure, la noie 5 à la fin du volume.
19
218 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
Interrogé s'il n'est vray que luy qui répond a commis le
crime seul; si son lils, Lavaisse, sa femme, y ont contribué, et
si les susnommés et la servante le savoient
Répond et persiste que personne n'a commis ce crime et
qu'ils sont innocens.
Après quoy avons remis ledit Calas entre les mains des
révérends pères Bourges, docteur royal de l'Université, etCal-
daigués, professeur en théologie, des frères prêcheurs, pour
l'exhorter.
Et ensuite, et demy heure après, nous avons fait attacher
ledit Calas sur le banc, pour être appliqué à la question extra-
ordinaire.
Et ledit Calas ayant été de nouveau par nous interrogé
s'il n'a commis ce crime pour fait de Religion, s'il n'étoit ins-
truit ou soubçonnoitle changement de son fils, s'il l'a fait avant
ou après souper, et s'il a billotté ou pendu Marc-Antoine
Calas.
Répond et dénie l'Interrogatoire, et qu'il n'a point des
complices.
Et de suite cinq cruchets d'eau ayant été versés en la
forme ordinaire, et après avoir fait découvrir le visage dudit
Calas,
Interrogé s'il persiste dans ses réponses
Répond qu'il y persiste.
Et ayant fait verser cinq autres cruchets d'eau et ayant
fait découvrir le visage dudit Calas,
Interrogé s'il persiste dans ses réponses au dernier Inter-
rogatoire a luy fait.
Répond qu'il y persiste, et qu'il est innocent, de même
que les autres accusés.
Interrogé encore en quel endroit il a commis le crime, et
s'il ne descendit après Marc-Antoine Calas dans la boutique, et
si cette mort n'avoit pas été décidée, et où on l'a délibérée,
Répond qu'il persiste a soutenir qu'il est innocent.
Après quoy, ledit Calas ayant été détaché du banc et
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 210
remis entre les mains des Révérends Pères pour l'entendre en
confession et l'exhorter a bien mourir ;
Et Monsieur Gouazé , capitoul second de justice , étant
survenu dans le tems qu'on linissoit la torture de la question,
Monsieur Daignan du Sendal, capitoul, s'étant retiré; le pré-
sent verbal a été signé par Mons" du Sendal avant que Mons' de
Gouazé ne continuât les opérations qui restent U faire. David
de Beaudrigue, capitoul ; Daignan du Sendal, capitoul; Labat,
assesseur, de Pijon, avocat du Roy, signés.
Et QUELQUE temps après, nous ayant été dit que ledit
Calas père étoit disposé à mourir, il auroit été monté sur le
chariot ace destiné, et ensuite conduit parle cours accoutumé
au devant la porte principalle de l'église Saint-Etienne, où
l'ayant fait descendre dudit chariot, il y a fait l'amende hono-
rable portée par ledit arrêt.
Et , ce fait , a été conduit à la place Saint-Georges , lieu
destiné pour ladite exécutiou, l'avons fait descendre dudit
chariot et asseoir au bas de l'échelle dressée a l'échafaud, où
nous luy avons fait lecture desdits interrogatoires et réponses
cy-dessus, et l'avons ensuilte interpellé de nous déclarer s'il
y a dit la vérité, et s'il y persiste ou s'il a quelque chose à dé-
clarer k la justice pour la décharge de sa conscience.
Lequel dit Calas a répondu qu'il persiste dans ses précé-
dentes réponses, et qu'il mourait innocent.
Luy avons de suitte représenté que, quoyquc innocent, il
pouvoit du moins savoir quels éioient les aulheurs du meurtre
commis sur la personne de Marc-Antoine Calas;
Répond qu'il n'en connoît point.
Et de suite l'exécuteur l'ayant monté sur ledit échafaud,
et apiès qu'il l'a eu couché et attaché sur la forme de croix,
ledit Calas a été rompu vif, en conformité du susdit arrèl, et ce
fait, ledit exécuteur de la haute justice l'a exposé sur la roue
qui était dressée a côté dudit échafaud, la face tournée vers
le ciel, où ledit Calas a resté en vie pendant deux heures pré-
cises; et ensuitte, de notre ordre et en conformité du reten-
220 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
lum (1), ledit Calas a été étranglé jusqu'à ce que mort natu-
relle s'en est ensuivie, et son corps mort a été jette dans le
bûcher ardent, en conformité du susdit arrêt, et icelluy été
exécuté suivant sa forme et teneur.
« Et en autres actes n'a été par nous procédé, et nous som-
mes retirés, et en conséquence avons de tout ce dessus dressé
le présent verbal, que nous avons signé avec ledit M* Labat,
commissaire, ledit M* de Pijon, avocat du Roy, requérant,
et notre greffier : Gouazé, capitoul ; David de Beaudrigue, ca
pitoul ; Labat, assesseur; de Pijon, avocat du Roy; Michel
DieuLafoy, greftier, signés.
CoUationné
Signé Barrau, gref.
Nous n'insisterons pas sur tout ce qu'il y a de tou-
chant et d'admirable dans les derniers moments de ce
martyr. On a pu remarquer à quel degré d'épuisement
l'âge, les souffrances morales et l'approche de la tor-
tiu'e avaient réduit les forces physiques de ce vieillard si
ferme encore d'intelligence et de cœur. Il répondit avec
une présence d'esprit, une force d'âme que rien ne put
abattre; mais, au moment d'être appliqué à la torture il
déclara ne pouvoir signer (2). A l'amende honorable il dit
qu'il faisait de grand coeur le sacrifice de sa vie, mais
qu'il mourait innocent du crime qu'on lui imputait.
Dans l'affreux dialogue entre le patient et ses juges,
il est facile de reconnaître, d'un côté, une erreur qui
(i) On appelait ainsi un arlicle secret de la sentence. Le texte de
l'arrôl porte qu'il « vivra en peine et rcpenlance tout autant qu'il
plaira à Dieu de lui donner la vie; » le retentum, « qu'après avoir
resté deux heures sur la roue ; il sera étranglé jusqu'à ce que mort
naturelle s'en suive, »
(2) Nous avons pensé que nos lecteurs verraient ici avec inlérêl
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 221
cherche en vain k se légitimer et à laquelle aucune ten-
tative ne réussit ; de l'autre, la vérité sans cesse repro-
duite, et jusqu'au sein des plus eflfroyables douleurs, par
une conscience droite et sans reproche.
Au pied de l'échafaud, le Père Bourges le pressant d'a-
vouer, il s'écria d'un ton de reproche : « Quoi donc,
mon père, vous aussi, vous croyez qu'on peut tuer son
fils ? ))
En traversant les rues sur la fatale charrette, la vue
de ce vieillard brisé par la torture, sa simplicité, son
courage, sa tranquillité d'âme, émurent la foule. Il disait
au peuple : Je suis innocent.
Un seul cri lui échappa au premier des onze coups de
barre de fer dont chacun brisa un de ses os. Il supporta
les autres sans aucune plainte. Enfin commença le der-
nier acte de son supplice; on a vu qu'après la double
torture et après qu'il eut été rompu vif, son corps brisé
fut attaché sur la roue, où il vécut encore deux heures, la
face tournée vers le ciel. Pendant cette longue agonie il
ne proféra pas un murmure, pas une parole de colère ou
de vengeance. Il pria Dieu de ne point imputer sa mort
la signalure de Jean Calas ; nous l'emprunlons à une simple lellre
(l'afTaire et de commerce.
Celui qui reçut celle lellre et celui même qui l'écrivait étaient
loin d'imaginer quel intérêt tragique cl de l'ordre le plus élevé s'y
attacherait un jour.
19.
222 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
à ses juges, a Sans doute, disait-il, ils ont été trompés
par de faux témoins. » Exhorté encore h nommer ses
complices, il dit avec la douleur d'un être droit et vrai
à qui sans cesse on oppose la même calomnie : a Hélas !
où il n'y a pas de crime, peut -il y avoir des complices? »
Peu d'instants avant sa fin , le Père Bourges lui dit :
(( Mon cher frère, vous n'avez plus qu'un instant à vivre:
par ce Dieu que vous invoquez, en qui vous espérez et
qui est mort pour vous, je vous conjure de rendre gloire
h la vérité. » Il répondit : (( Je l'ai dite. Je meurs inno-
« cent; mais pourquoi me plaindrais-je ? Jésus-Christ,
(( qui était l'innocence même, a bien voulu mourir pour
(( moi par un supplice plus cruel encore. Je n'ai point
(( de regret h une vie dont la fin va, j'espère, me con-
« duire h un bonheur éternel. Je plains mon épouse et
(( mon fils ; mais cet étranger, ce fils de M. Lavaysse, à
(( qui je croyais faire politesse en l'invitant à souper,
(( ah ! c'est lui qui augmente encore mes regrets! »
Que ce sentiment est naturel et noble ! Le malheur
dans sa famille ne semble plus l'étonner ; il n'y a plus de
bonheur possible pour eux, depuis le suicide de son fils
aîné et tout ce qui en est résulté. Mais qu'un étranger ,un
ami, un jeune homme de vingt ans à peine, ne soit venu
sous son toit que pour être enveloppé dans leur malheur,
c'est une pensée qui le désole ti son dernier moment.
Tant de foi , ce calme, cet oubli de soi-même, offrent
un contraste terrible avec l'état d'esprit du Capitoul
David. On l'a souvent et violemment blâmé d'avoir as-
sisté il la torture et au supplice de sa victime; il est cer-
tain que rien ne l'y obligeait; ses fonctions ne l'y appe-
laient nullement ; on a prétendu qu'il avait voulu
repaître ses yeux des tourments et de la mort de Jean
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 223
Calas. Nous ne croyons pas ce reproche fondé. 11 faut
êH-e juste, même k l'égard de David, et même sur Té-
chafaud de Galas. Le sentiment qui poussa le fougueux
magistrat à manquer ainsi à toutes les convenances nous
paraît tout autre ; nous n'y voyons que l'ardent désir de
ne s'être pas trompé, de ne s'en rapporter k personne
pour surprendre un aveu, ne fût-ce que dans un mot ou
dans un regard. David n'était pas un monstre; c'était un
fanatique plein de précipitation et d'emportement. Il
avait besoin de croire que les Galas étaient coupables, et
à mesure que le dernier moment approchait, il renfermait
avec effort au dedans de lui les premières angoisses du
doute épouvantable qui finit par le rendre fou. De ces
deux hommes, l'un n'est en ce moment qu'un débris in-
forme de la torture et de la mort, et il sait que sa femme,
son fils, sont menacés de l'horrible supplice qu'il en-
dure ; l'autre est dans toute la force de la vie et du
pouvoir qu'il a passionnément ambitionné. Mais le sup-
plicié touche à la fin de ses maux ; il va mourir dans
la paix et l'espérance , pour s'éveiller loin des atteintes
cruelles de l'homme, dans le sein de Dieu. Ge Gapiloul
va vivre au contraire, le remords dans l'âme, bientôt
exécré du genre humain, mis au pilori de l'opinion par
les plumes vengeresses des premiers écrivains de l'épo-
que, joué sur tous les théâtres et en toutes langues
comme le type d'un juge inique et sanguinaire ; il finira
par se tuer dans un accès de folie (1).
Le dernier instant de cette scène hideuse étant ar-
rivé, les deux heures étant expirées, David s'élança
vers Galas, furieuxd'êlre déçu dans son attente; il mon-
(i) Voir plus bas, cli. XII, p. 3 0 6.
22^1 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
tra de la main au mourant le bûcher dressé à côté de la
roue, en lui criant : « Malheureux! voici le bûcher
(( qui va réduire ton corps en cendre ; dis la vérité ! »
Calas épuisé nerépondit qu'en détournant latête, comme
signe de dénégation, et le bourreau lui fit enfin la grâce
de l'étrangler.
Les deux moines dominicains qui assistèrent à la
question et ensuite k l'exécution dirent hautement que
le supplicié avait persévéré k se déclarer innocent,
lui et tous les siens. Ils firent plus, ils rendirent pleine
justice à l'héroïsme de sa mort. On prétend même qu'ils
dirent tous deux : « C'est ainsi que mouraient nos mar-
tyrs. » Mais nous doutons que ce rapprochement, qui dut,
en efl'et, se présenter k leur esprit, ait pu sortir de leur
bouche.
Le Père Bourges crut devoir aller lui-même chez
tous les juges leur rendre le compte le plus précis de ce
qu'il avait vu et entendu. De si loin que le procureur
général Riquet de Bonrepos vit arriver le dominicain,
il lui cria : « Eh bien ! Père, eh bien ! notre homme
a-t-il avoué? » Le Père lui dit la vérité (1).
Cette loyale conduite fait honneur aux deux domini-
cains et prouve l'impression puissante produite sur les
assistants par la constance et la piété du mourant (2).
(i)\\ existe aux Archives impériales une déclaration écrite del'abbé
Racliou, qui lient du Père Bourges lui-même que « Calas^ jusqu'à
son dernier moment, n'a cessé de se déclarer innocent et en a pris
Dieu pour témoin. >>
(2) II est impossible de ne pas être révolté de l'absurdité de ce sys-
tème judiciaire. Supposons que ce vieillard eût perdu ses forces
morales comme celles du corps et qu'à un moment quelconque de son
long martyre, pendant l'une ou l'autre des deux tortures, ordinaire
et extraordinaire, ou sous la massue de fer du bourreau ou sur les
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 225
11 est triste d'ajouter que nous reverrons bientôt ce
même Père Bourges jouant un tout autre rôle.
Nous ne savons comment M"'*' Calas reçut l'horrible
nouvelle du supplice de son mari. Mais nous savons
qu'on fit tout, auprès des accusés, pour exploiter la ter-
reur où dut les jeter cette extrême rigueur de leurs
juges.
On leur fit croire que le même sort les attendait. Des
prisons du palais on les ramena dans celles de l'Hôtel-
de- Ville où les condamnés attendaient leur exécution.
On doubla leurs gardes. Enfin on leur ôta leurs couteaux,
leurs fourchettes, tout ce qui pouvait servir k donner la
mort, comme on a coutume de faire à l'égard de ceux
dont la mort est une satisfaction que la loi se réserve (1).
Un des soldats de garde raconta à Lavaysse qu'ils
étaient tous condamnés. Pierre Calas a écrit plus tard :
« Un Jacobin (2) vint dans mon cachot et me menaça du
même genre de mort si je n'abjurais pas ; c'est ce que j'atteste
devant Dieu. >
Ce genre de torture morale porta ses fruits. Les deux
jeunes gens terrifiés abjurèrent dans la prison. On
en profita pour continuer à l'égard de M'"*" Calas un sys-
tème odieux de persécution. On obligea le confesseur de
Pierre k le mener auprès d'elle, pour lui annoncer sa
rayons ensanglantés de la roue, il eût manqué soit de présence d'es-
prit, soit de force de volonté un seul instant, un aveu de lui eût suffi
pour donner à l'accusation l'occasion d'un épouvantable triomphe, et
pour envoyer au môme supplice sa femme et son fils, Lavaysse et
Viguière.
(1) Lav., 3; E. de B, 3.
(2) Ou sait que c'était un des noms populaires des Frères-Prê-
cheurs ou Dominicains.
226 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
conversion. La malheureuse mère ne revit un de ses en-
fants que pour recevoir de lui-même et devant un prêtre
celte nouvelle blessure. On espérait que, surprise par cet
aveu, elle éclaterait contre son fils en reproches fanati-
ques, qui serviraient de preuves contre elle; car si elle
s'emportait contre lui, elle avait pu s'irriter aussi contre
Marc- Antoine. Elle sentit le piège et l'affront et les déjoua
sans effort. La veuve du martyr écouta, immobile, lahon-
teuse déclaration de son fils renégat, puis détourna la tête
sans lui répondre un mot. Ce noble et touchant silence
fut tout C6 qu'on obtint d'elle par cette lâche épreuve.
L'héroïque fermeté de Calas avait sauvé son fils, sa
V€uve et leurs deux compagnons de captivité. Le but de
ce supplice était manqué. Rien n'était avoué. Ce qui
devait confondre les accusés était devenu une preuve
énorme en leur faveur. L'opinion populaire, d'abord
unanime contre eux, commençait à se partager. Jean Calas
n'était mort ni comme les parricides, ni comme les fana-
tiques. S'il était innocent, tous l'étaient comme lui; et si
même ils étaient coupables, on n'avait plus aucun espoir
de le démonirer.
Le procureur général Riquet de Bonrepos eut cepen-
dant l'implacable courage de requérir, le lendemain du
martyre de Jean Calas, que sa veuve, son fils etLavaysse
fussent pendus, après avoir fait amende honorable, et
Jeanne Yiguier condamnée à assister à leur exécution,
et à être enfermée ensuite a pour sa vie, au quartier de
force de l'hôpital. »
Le conseiller-rapporteur fut moins sévère. Il ne parla
plus de peine capitale, mais il proposa celle des galères
contre Pierre Calas. Voici sur quel fondement.
On n'avait jamais cru sérieusement qu'un vieillard
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 227
plus que sexagénaire, atteint, depuis deux ans, de dou-
leurs qui rendaient ses jambes chancelantes, avait pu
seul assassiner un grand et vigoureux jeune homme de
vingt-huit ans. On avait toujours supposé que Pierre
Calas avait été le principal bourreau de son frère et l'on
avait compté sur les aveux de son père pour le convain-
cre. A défaut de cette preuve décisive, il ne put être
condamné à mort. Mais on invoquait contre lui un témoi-
gnage contradictoire et absurde comme nous en avons
tant vu dans la procédure.
Au rez-de-chaussée de la maison des Galas se trou-
vaient deux boutiques, la leur et celle d'un tailleur
nommé Bou. Pendant l'instruction du procès, on fit
venir de Montpellier un nommé Gazères, ancien gar-
çon de magasin chez ce tailleur. Il prétendait qu'un jour
du mois d'août précédent, la D^'° Bou, la femme du tail-
leur, entendant sonner la bénédiction, avait donné ordre
aux trois garçons de boutique d'aller y assister. Sur
quoi, Pierre Galas qui venait d'entrer, lui aurait dit :
« Vous ne pensez qu'à vos bénédictions : on peut se sauver
dans les deux religions ; deux de mes frères pensent comme
moi; si je savois qu'ils voulussent changer, je serais en état
de les poignarder, et si j'avois été à la place de mon père,
quand Louis se fit catholique, je ne l'aurais pas épargné. »
On vit dans ce témoignage une très-forte présomp-
tion contre Pierre Galas, quoiqu'il niât ce propos, et
que la femme Bou, ainsi que les deux autres garçons de
boutique, Gapdeville et Guillaumet, déclarassent tout le
récit absolument coutrouvé. Tous les trois offrirent d'en
témoigner; Tavocat Sudre, dans son premier Mémoire,
publia leurs offres de venir déposer ; elles ne furent point
228 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
acceptées. Les paroles prêtées à Pierre Calas conte-
naient d'ailleurs une foule de contradictions ; s'il pen-
sait que l'on peut se sauver dans les deux religions, il
n'était pas de ces fanatiques qui punissent une ab-
juration à coups de couteau. Pourquoi donc eût-il été
tenté de poignarder son frère? Pourquoi avait-il lui-
niènie épargné Louis , qu'il blâmait son père de ne pas
avoir frappé? Et pourquoi avoir assassiné Marc- Antoine
en épargnant Louis?
Cet amas de contradictions, affirmées par un seul té-
moin et démenties par trois autres, n'en parut pas
moins un grave indice. Il est vrai que M. de Cassan-
Clairac, qui demanda pour Pierre les galères h perpétuité,
fut seul de son avis. Plusieurs opinèrent à l'acquitte-
ment ; d'autres votèrent le bannissement à vie, et le rap-
porteur s'étant rendu à cette proposition, ce fut celle qui
prévalut. Il fut condamné au bannissement perpétuel
hors du Royaume à peine de la vie, condamné non pour
tel ou tel crime déterminé, mdiis pour les cas résultant du
procès, formule trop commode qui motivait une sentence
sans dire comment.
Le même rapporteur conclut au bannissement de la
veuve Calas et de Lavaysse ; les autres juges les mi-
rent hors de cour et de procès. Viguière seule avait
trouvé grâce devant le rapporteur, parce qu'elle était
bonne catholique ; son acquittement fut unanime. Tous
trois furent déclarés hors de cour, dépens compensés.
lUen de plus informe et de plus déraisonnable que ce
jugement, prononcé le 18 mars. On ne se serait pas con-
tenté de bannir Pierre Calas, sil'on avaitpu le considérer
comme un des assassins de son frère. L'innocence de tous
les autres était reconnue. Il restait donc désormais ac-
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 229
quis que le père, âgé de soixante-quatre ans, avait seul
étranglé son fils, sans que personne de sa famille, ni La-
vaysse, ni la servante, qui se'trouvaient dans la maison,
eu eussent connaissance. Evidemment la plupart des
juges avaient reconnu leur erreur (1). On le comprit et
l'on dit très généralement que si la Cour avait jugé Galas
le dernier au lieu de le juger avant tous les autres, il
n'aurait pas été condamné.
Les magistrats sentirent eux-mêmes que cet arrêt du
18 mars était la censure de celui du 9. Aussi les plus
obstinés s'y opposèrent de toutes leurs forces. Nous li-
sons dans une lettre de Toulouse fort hostile aux Calas (2)
que l'arrêt avait été rendu par une majorité de 10 con-
tre 3; que ces 3 étaient le Président, le Rapporteur et
M. de Lasbordes. « Le Rapporteur et le Pj ésident ont
été plusieurs jours sans vouloir signer cet arrêt, et ils
ont même montré assez publiquement leur indigna-
tion. ))
La sentence prononcée contre Pierre ne fut exécutée
que pour la forme, et d'une manière dérisoire ; il en su-
bit une autre plus dure à laquelle aucun tiibunaj ne l'a-
vait condamné. Son arrêt d'exil reçut un simulacre
d'exécution. Le bourreau conduisit le banni hors de
la porte Saint-Michel ; mais un prêtre l'accompagnait
et le ramena immédiatement en ville par une
autre porte, jusqu'au couvent des Jacobins. Le Père
(i) Aussi fil-on circuler l'épigrarame suivante :
Nos seigneurs de la cour, par leur second arrêt,
Ceci soit dit sans ironie,
Ont confondu la calomnie
Bien mieux que Paul Rabaut n'a fait.
(2) Lellrc de Couder, Bibliogr.f n° 21,
20
230 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS.
Bourges, celui môme qui avait reçu les dernières paroles
du martyr, attendait sonfds sur le seuil du couvent et l'y
fit entrer en lui disant que s'il pratiquait le culte catho-
lique, sa sentence d'exil resterait comme non avenue.
Le faible jeune homme donna dans le piège, se trouva
prisonnier, gardé à vue, et ne réussit à s'échapper que le
/j juillet, après quatre mois de captivité.
Il laissa pour le Père Bourges cette lettre remarquable :
« Je vous remercie de toutes vos bontés. Je vous ai souvent
dit mes doutes et mes peines. Mais je ne vous en ai communi-
qué qu'une partie. Vous en jugerez par mon évasion. J'ai
vécu chez vous dans de si grandes perplexités, que si la grâce
de Dieu ne m'eût soutenu, je me serais pendu tout comme mon
malheureux frère. »
Il alla rejoindre son frère Donat h Genève. On assure
qu'il avait presque perdu la vue en neuf mois de prison.
Quant à sa conversion au catholicisme, elle ne dura pas
plus que son séjour forcé au couvent.
Nous regrettons de n'avoir aucun détail sur le mo-
ment où la malhetu'euse veuve de Calas sortit seule
avec la vieille domestique de cette prison oii elle était
entrée avec son mari et son fds. Mais nous trouvons
dans des papiers de famille le récit de l'élargissement
de Lavaysse, écrit par sa nièce :
'( Le 20 mars 17G2, le dixième jour après l'exécution de
l'infortuné Calas et le surlendemain de celui où contre toute
logique, le Parlement avait ordonné la mise en liberté de
ceux ([u'il avait déclarés être les complices nécessaires de sa
victime, un ami de la famille Lavaysse vint l'engager à couvrir
du plus grand mystère l'élargissement du jeune Alexandre
Gaubcrt, de crainte que la populace déjîi prévenue ne se por-
TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS. 231
tât contre lui aux plus violents excès. M" Jouve, avocat plein
d'énergie et de dévoûment répondit, dans le patois alors fort
usité: '( Non, il faut qu'il sorte au (j r and jour ^ sans crainte comme
sans jactance^ et ce sera moi qui V accompagnerai avec Sénovert
(beau-frère de Lavaysse) . « Lorsque tous deux entrèrent dans la
fatale geôle où le prisonnier était retenu dans le plus rigide
secret, il s'évanouit en embrassant son beau-frère. Ce ne fut
qu'avec les plus grands ménagements que celui-ci, après lui
avoir fait enlever ses fers, le prépara au bonheur de revoir sa
famille. L'opération avait été cruelle : mon oncle avait les jam-
bes entièrement gorgées. Il entra dans une chaise-a-porteurs,
y resta, les mains sur ses genoux, une glace étant ouverte ; c'était
celle que gardait M Jouve, M. de Sénovert était a l'autre por-
tière. De l'Hôtel-de-Ville jusqu'il la rue St-Remesy, une foule
immense encombrait le passage ; mais les dispositions étaient
changées, soit que l'elTusion du sang eut assouvi la soif du fana-
tisme, soit que, repentant, le fanatisme lui-même se fut con-
verti eu pitié ; chacun félicitait M. de Sénovert, et disait en ré-
pandant des larmes : Ohl non, ce jeune homme si beau , si doux,
(ils d'un homme de bien, n'a pu assussiner son ami, »
Le supplice de Jean Calas, trois semaines après celui
(le Rochelle et des frères De Grenier, le jugement inique
des quatre autres accusés, et bientôt après, l'enlèvement
des D"" Calas, enfermées dans des couvents par lettres
de cachet , jetèrent l'effroi parmi les coreligionnaires de
cette famille si cruellement persécutée.
«(La terreur des protestants de Toulouse, écrit un de leurs
descendants, était telle que le jour de l'exécution de Calas, pas
une famille protestante n'osa sortir de sa demeure, ni ouvrir
les volets de son appartement. On cita a la fois comme un
exemple unique de fermeté et d'influence, la conduite que tint
232 TORTURE ET SUPPLICE DE JEAN CALAS,
le D' Sol, qui sortit et visita ses malades comme il le fesait
tous les jours (1).
Ces craintes trop justifiées produisirent leurs inévita-
bles elTets. L'émigration des protestants recommença
dans le Languedoc (2). Des familles entières quittaient la
France pour aller chercher dans les pays protestants une
sécurité que leur patrie ne leur offrait plus. Un mois
après le supplice de Calas, Voltaire voyait encore arriver
à Genève ces fugitifs avec leurs enfants et leurs femmes,
et il fit présenter au Comte de Ghoiseul, alors ministre,
ces réflexions d'un incontestable bon sens :
« En vérité, si le roi connaissait les conséquences funestes
de cette horrible extravagance, il prendrait l'affaire des Calas
plus a cœur que moi. Voilà déjà sept familles sorties de France!
Avons-nous donc trop de manufacturiers et de cultivateurs?
Je soumets ce petit article à la considération de M. le C* de
Ghoiseul. »
Le moment est venu de raconter les infatigables et
généreux efl"orts de Voltaire pour réhabiliter la mémoire
du roué et pour relever au moins sa vetive et sa famille
de l'ignominie et de la misère où on les avait plongées.
(0 Voy., sur le docteur Sol, les LeUres de la Sœur Fraisse, el
la note XII à la fin du volume.
(2) Voy. Couride Gébelin, Toulousaines,
CHAPITRE X
VOLTAIRE
« Cette tragédie me fait oublier toutes les autres ,
jusqu'aux miennes. »
(Lettre à d'Argental, 5 juillet 1776.)
Avant la fin de mars 1762, un négociant marseillais,
Dominique Audibert (1) , qui se rendait de Toulouse èi
Genève, alla voir Voltaire et lui raconta le procès et l'af-
freuse exécution qui occupaient tous les esprits dans la
ville qu'il venait de quitter. Il affirmait énergiquementque
les Calas étaient innocents (2). A ce récit. Voltaire fut saisi
d'horreur, et résolut immédiatement de savoir avec pleine
certitude de quel côté était la vérité. Il voyait, d'une
part ou de l'autre, le fanatisme protestant ou catholique
aboutir k un acte de cruauté effroyable. Or, ce qu'il y
(i) U fut secrétaire de l'Académie de Marseille et niourul àSainl-
Germain-en-Laye le i o août 18 21,
(2) « Je me souviendrai toute ma vie que vous fûtes le premier
qui me parlâtes des Calas. Vous avez été la première origine de la
justice qu*on leur a rendue et de celle qu'on va leur rendre encore. »
La date de celle lettre à Audibert diffère dans les éditions. Selon
Bcuchot, elle serait du 13 décembre 17 63,
20.
2'ô^ VOLTAIRE.
avait peuL-ètrc de plus sincère et de plus vif en lui,
c'était l'indignation ardente que lui inspiraient les cri-
mes commis au nom de la religion. Il avait fort peu
de religion sans doute ; il en avait assez cependant,
lui qui crut toute sa vie en Dieu, pour que tout en lui
se soulevât, e'i l'ouïe d'actes sanglants commis au nom
de Dieu. Avant même de savoir qui avait raison dans
ce drame allVeux, il résolut d'en avoir le cœur net.
C'est dans ce sentiment qu'il écrivit le 29 mars 1762
à d'Alembert :
l*our l'amour de Dieu rendez aussi exécrable que vous le
[tourrez le fanatisme qui a fait pendre un fils par son père ou
(|ui a fait rouer un innocent par huit conseillers du Roi.
Celte horrible affaire, dit-il vers la même époque à son
ami le comte d'Argental, déshonore la nature humaine, soit
que Calas soit coupable, soit qu'il soit innocent. Il y a certai-
nement d'un côté ou de l'autre un fanatisme horrible (1) et il
est utile d'approfondir la vérité.
Dès le 25, il communiquait l'horreur où le jetait cette
histoire, k un singulier confident, cet étrange cardinal de
Remis, qui trouvait bon d'être appelé en vers Babet la
Bouquetière.
l\)urrai-jc suppher Votre Eminence de vouloir bien me'
dire ce que je dois penser de l'aventure affreuse de ce Calas,
roué il Toulouse pour avoir pendu son lils ? C'est qu'on prétend
ici (pi'il est très-innocent, et qu'il en a pris Dieu à témoin en
expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l'ar-
rC'.\. Cette aventure me lient au cœur; elle m'attriste dans mes'
(i) Ces derniers mois so rolrouvenl presque lexluellcmonl dans
une lourc de Vollairc à M"'*'* (du Deffand?) en date du 2 août (17 62)
doni i'rii v.i Toriginal au British Muséum.
VOLTAIRE. 235
plaisirs; elle les corrompt. Il laut regarder le Parlement de
Toulouse ou les protestants avec des yeux d'horreur.
La réponse de l'Eniinence larda jusqu'au 7 août et
fut essentiellement équivoque ; c'est un chef-d'œuvre du
genre.
Il y a du louche des deux côtés ; le jugement est incom-
préhensible, mais le fait ne parait pas éclairci. J'en vois assez
pour être fort mécontent et même fort scandalisé.
Scandalisé! Par qui? Mécontent! De quoi? Il est im-
possible de mietix suivre le conseil du fabuliste et d'être
enrhumé plus à propos.
Il ne faut pas s'étonner de voir Voltaire consulter un
cardinal siu' le procès des Calas. Aussitôt qu'il se fut
promis de voir le fond de cette affaire, il ne cessa de
s'informer, écrivant de tous côtés à la fois et consultant
tout le monde.Les premières réponses qu'il reçut étaient
contradictoires. Ignorant les faits et trompés par le Mo-
nitoire, bien des protestants crurent, dans le premier
moment, au crime des Calas.
Quel fut mon étonnement, dit-il plus tard, lorsqu'ayant
écrit en Languedoc sur cette étrange aventure, catholiques et
protestants me répondirent qu'il ne fallait pas douter du crime
des Calas. (A Damilaville, 1" mars 17G5.)
Il ne tarda pas à apprendre que le jeune Donat Calas
était \x Genève, où il avait fui en appienant à Nîmes les
tragiques malheurs de sa famille. Voltaire revint de Fer-
ney à sa maison des Délices pour l'avoir sous la main et
l'interroger plus h. l'aise (1).
(1) Lettre de Genève, 26 avril, à Paul Rabaul, par le Paslcur
Théodore (ChiroD). Eyl, du Dés, , t. 2, p. 32 4.
236 VOLTAIRE.
Je fis venir le jeune Calas chez moi ; je m'attendais à voir un
énergumène, tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis
un enfant simple, ingénu, de la physionomie la plus douce et
la plus intéressante et qui , en me parlant, faisait des efforts
inutiles pour retenir ses larmes (1).
Déterminé à bien savoir ceqii'étaientles Calas, il garda
chez Itii cet apprenti de quinze ans assez longtemps pour
le connaître parfaitement ; alors eurent lieu de longs
entretiens entre un enfant naïf et le vieillard le plus spi-
rituel, l'esprit le plus pénétrant et le plus rusé qu'il y eût
au monde. Si en faisant jaser cet adolescent bientôt appri-
voisé et sans défiance. Voltaire avait trouvé en lui le fils
d'une famille de fanatiques capables d'égorger leurs en-
fants, il ne s'y serait point trompé, et dans ses intermina-
bles controverses avec Genève protestante, le crime des
Calas eût figuré souvent. Il reconnut, au contraire, que
la famille dont im enfant lui révélait l'intérieur, sans
le savoir, respirait tout entière non-seulement l'honneur
et l'intégrité, mais la douceur des mœurs et la tolérance
respectueuse envers le culte d'autrui. Il apprit la con-
duite du père et de la mère envers leur domestique
dévote, envers les demoiselles Bonafous, envers Louis,
converti au catholicisme, et dès lors sa conviction
fut arrêtée. J'avoue que cette enquête, faite par Vol-
taire encore incertain, m'inspire une grande confiance,
il pouvait lui convenir d'attaquer le Parlement plutôt
que les protestants, mais ii lui importait bien plus de ne
pas s'aventurer sans être absolument sûr de la vérité.
CO Voir sa lettre à M. d'Jm..,, II y donne un récit très-bref,
mais iniéressanl, de ses relations avec les Calas et de la part
qu'il prit i leur histoire.
VOLTAIRE. 237
Pour démêler le vrai du faux dans un procès contem-
porain, je ne sais s'il y eut jamais tribunal aussi habile
que lui.
Il sut que deux négociants de Genève, hautement es-
timés, étaient depuis longtemps en rapports d'affaires
avec Calas et avaient reçu dans leurs voyages l'hospi-
talité sous son toit (1) ; aussitôt il s'empressa de les
consulter.
Il imagina ensuite de se mettre en rapport avec
M™^ Calas elle-même et lui fit écrire.
La veuve Calas, a qui pour comble de malheurs et d'outrages,
on avait enlevé ses filles, était retirée dans une solitude... Je
lui fis demander si elle signerait, au nom de Dieu, que son mari
était mort innocent. Elle n'hésita pas; je n'hésistai pas non
plus.
Ce fut à cette occasion qu'elle écrivit à Debrus ou
k l'avocat de Végobre la lettre que nous avons repro-
duite plus haut (p. 76) et dont Voltaire fut profondément
touché.
Il lui semblait qu'il n'aurait jamais assez de preu-
ves et de renseignements en main, et il employait k la
fois, à lui en procurer, trois ou quatre personnes pour le
moins, ne se faisant aucun scrupule de mettre en œuvre
toutes sortes de ruses. Tantôt, il fait croire k chacun
que tout dépend de lui seid. Tantôt, quand il corres-
pond avec quelque partisan zélé de la tolérance, ou de
la Réforme, ou des Calas, il feint des doutes, et demande
de nouveaux arguments. 11 est impossible de nier que ces
(1) Ce devaient Olrc Philippe Debrus et Jean Des Arls ou son
frère Philippe, qui tous trois avaieut logé chez Calas (Voir aux Ar-
chives leur témoignage écrit, envoyé plus tard à Paris),
238 VOLTAIRE.
détours ne soient choquants et ne gâtent quelque peu le
dévouement de Voltaire à la grande œuvre de justice
qu'il entreprit.
Un de ses plus utiles et plus actifs conseillers fut l'avo-
cat de Yégobre (1) qui passe, à tort, pour avoir été le pre-
mier à lui recommander les Galas (2). Court de Gebelin
dit qu'il fournit à Voltaire « des pièces où l'on ne sait ce
qui brille le plus de l'érudition, de la solidité et du
goût. )) Les divers écrits de Voltaire sur l'affaire Galas ont
été rédigés par lui sur les notes que lui remettait de Végo-
bre. G'étaitun de ces hommes désintéressés et véritable-
ment dévoués qui mettent leur bonheur ci se rendre utiles
sans en demander la récompense ni k l'intérêt ni k la
gloire.
Voltaire employa beaucoup aussi l'activité d'un négo-
ciant de Montauban, lettré comme Audibert, et de plus,
passionné pour les arts, Pdbotte-Gharon (3). En le voyant
plein de chaleur pour la cause des malheureux Galas,
leur malicieux protecteur lui écrivit une lettre qui dut ex-
(i) Charles de Manoel de Végobre, né à la Salle, le 20 août 17 13,
mort le 2 5 octobre 1801 à Genève où il s'était réfugié depuis long-
temps pour cause de religion. Cet homme excellent fut un des ap-
puis les plus fermes des Eglises sous la croix. Il les protégea ac-
livemcnt du fond de sa retraite et légua à son fils le zèle le plus
éclairé et le plus soutenu pour la cause protestante en France. Ce
fils est mort en 18 40 et donna par testament sa bibliothèque aux
jeunes Français qui étudient la théologie à Genève. J'ai été chargé,
comme leur biI)liothécaire à celte époque, de recevoir en leur nom
ce doQ généreux, le dernier témoignage d'un dévouement hérédi-
taire à la France et à l'Eglise Réformée.
(2) MM. Haag : France protestante. — Gaberel : Voltaire et les
Genevois, etc., etc.
(3) Les lettres de Voltaire à Ribotte ont été publiées, ainsi qu'une
lettre de Rousseau adressée au même, dans le Bulletin de la Société
de ruistoiie du rrotcstantisme français^ t. 4, p. 239. Je dois au
VOLTAIRE. 239
citer au plus haut degré son zèle. « On les croit très-coupa-
bles ; on tient que le Parlement a fait justice et miséri-
corde. M. Ribotte devrait aller à Toulouse s'éclaircir
de cette horrible aventure. Il faut qu'il sache et dise la
vérité: on se conduira en conséquence. » (2 juin 1752.)
Il y avait de quoi donner des ailes à l'ardent Montalba-
nais,dans ces doutes simulés et dans cette idée que pour
les Calas, auprès de Voltaire, tout dépendait de ses seuls
efforts.
A Montpellier, où résidait M. de Saint-Priest, inten-
dant du Languedoc, Voltaire employa un nommé Ghazel,
qui communiqua une lettre de lui à l'intendant et à
quelques autres puissants personnages. La réponse de
Chazel peint très-bien l'embarras où se trouvaient ceux
qui n'avaient point de parti pris :
Il n'est pas une seule personne sensée dans celle province
qui ose porler un jugement assuré. Les magistrats qui devraient
mettre la vérité dans tout son jour se taisent avec obstination.
Président de celle Société, M. Ch. Rcad, les détails inédits qui sui-
vent, sur ce personnage digne d'inlérét :
11 naquit au Carla-le-Comle (pays de Foix) l'an 1730, et s'oc-
cupa du commerce des draps, dans lequel il fit une fortune assez
considérable qu'il perdit plus tard. Ses affaires et ses goûts l'appelè-
rent en Angleterre, en Hollande, en Espagne. 11 résida souvent ;\
Paris, où il voyait liabiluellemcntBuffon, Thomas, Necker, Bailly et
surtout Jean-Jacques Rousseau. 11 profila de ses voyages pour se créer
une collection d'objets d'art ; on se souvient qu'il commanda un ta-
bleau à Carie Vanloo. 11 a publié en 1787 une lettre à lîuffon, sur
les maladies épidémiques. On a encore de lui un écrit sur la nature
et l'origine du blé-froment, un poème sur les beaux-arts et unre-
cueild'hymnes patriotiques pour les fêtes nationales de 1789-1790.
Bibotte mourut au commencement du siècle.
11 est intéressant de voir le goût des lettres et des beaux-arts se
relever ainsi, parmi les protestants de France, dès que la persécu-
tion se calme assez pour leur laisser quelque loisir etquelque aisance.
2/iO VOLTAIRE.
Ce silence fait déraisonner et les partisans et les ennemis de
Calas (4).
Le pasteur Moultou fut encore mis en réquisition par
Voltaire, chargé également par lui d'étudier la question
et de lui fournir les pièces de jurisprudence nécessaires.
(( Voltaire, dit mi écrivain moderne d'après les docu-
ments du temps, paraissait un peu effrayé du poids
et de la responsabilité de cette entreprise. Moultou,
avec M. et M"'" de la Rive qu'il affectionnait beaucoup,
l'encouragèrent de toutes leurs forces. »
L'entreprise était grave en effet. Il s'agissait de sou-
lever l'opinion de la France et même de l'Europe con-
tre les arrêts du Parlement de Toulouse, et d'amener
ce corps à les révoquer de gré ou de force. Il fallait
faire casser la sentence de mort du roué, réhabiliter sa
mémoire et offrir à sa veuve, ci ses enfants, toutes les
réparations possibles.
La lettre suivante h Damilaville {k avril) est une sorte
de circulaire ou de mot d'ordre à tout le parti de l'En-
cyclopédie ; elle marque le moment où Voltaire ouvre la
campagne contre les juges de Galas :
Mes chers frères , il est avéré que les juges toulousains ont
roué le plus innocent des hommes. Presque tout le Languedoc
en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui nous haïssent
et qui nous battent, sont saisies d'indignation. Jamais, depuis
le jour de la Saint-Barlhéleiny, rien n'a tant déshonoré la na-
ture humaine. Criez et qu'où crie (2).
(1) Lolire inédile du 12 mai; Colleclion Lajarielle de Nanles,
(2) Il conlinue celle même lellre en faisanl menlion d'une bro-
chure qui, dii-il, n'esl pas de lui el qu'il faul faire imprimer. J'avais
cru d'abord qu'il s'agissait d'un de ses écrits eu faveur des Calas.
VOLTAIRE. 241
Malgré sa conviction arrêtée, il feint de douter encore,
et surtout quand il écrit au cardinal de Bernis (15 mai).
Si vous pouviez, sans vous compromettre, vous informer de
lu vérité, ma curiosité et mon humanité vous auraient une bien
grande obligation. Y. E. pourrait me faire parvenir le Mémoire
qu'on lui aurait envoyé de Toulouse et assurément je ne dirais
pas qu'il m'est venu par vous.
Toutesles lettres que j'ai du Languedoc se contredisent : c'est
un chaos qu'il est impossible de débrouiller.
Il est vrai que le même jour (15 mai) il parlait k d'Ar-
gental sur un ton bien différent.
M. le maréchal de Richelieu m'a écrit une grande lettre sur les
Calas, mais il n'est pas plus au fait que moi. Le Parlement
de Toulouse qui voit qu'il a fait un horrible pas de clerc em-
pêche que la vérité ne soit connue.
On voit que déjà il avait intéressé k la famille de Galas
celui qu'il appelait : mon héros, le spirituel et débauché
maréchal. Ce ne fut pas sans peine (1).
Peut-être même eut-il encore des moments de doute
sincère en voyant les rigueurs de l'autorité s'appesantir sur
les restes malheureux de la famille Galas. G'est ainsi qu'à
la nouvelle de l'arrestation des deux jeunes filles il écrivit
au comte d'Argental, le 5 juin :
C'était une erreur. 11 ne publia rien sur ce sujet avant le mois de juillet,
ce qui est prouvé, tantôt par les dates, tantôt par les faits mêmes
qu'il raconte. Ses écrits sur les Calas ne purent paraître à Paris,
11 les fit imprimer par Cramer à Genève.
(i) Je me souviendrai toujours, écrivait-il longtemps après, que
mon héros me prit pour un extravagant quand j'osai entreprendre
l'alfaire des Calas.
(Lettre à M""* de Sainl-JuUen, 2 5 novembre i7 7 3.)
21
2/!|2 VOLTAIRE.
J'apprends dans l'instant qu'on vient d'enfermer dans des
couvents séparés la veuve Calas (1) et ses deux lilles.La famille
entière des Calas serait-elle coupable, comme ou l'assure, d'un
parricide horrible? M. de S*-Florentin est entièrement au fait;
je vous demande h genoux de vous en informer. Parlez-en à
M. le comte de Choiseul : il est très aisé de savoir de M. de S*-
Florentin, la vérité ; et a mon avis, cette vérité importe au
genre humain :
Le surlendemain il renouvelle auprès d'Argental ses
vives instances pour que l'on tâche de faire parler le
comte de Saint-Florentin, mais il ajoute ce trait d'excel-
lente satire :
Peut-être ne sait-il autre chose sinon qu'il a signé des
lettres de cachet.
Au commencement de juillet, il avait déjà écrit ou
fait écrire au comte de Saint-Florentin par la duchesse
d'Enville, par Richelieu, par le duc de Villars; il avait
écrit lui-même à M. Ménard, premier commis du Mi-
nistre; il avait fait écrire à un M. de Chaban en qui ce
même Ministre avait grande confiance, et son médecin, le
fameux Tronchin, avait employé auprès de ce même per-
sonnage le crédit de son frère le fermier général. Le
clKmcelier(2) avait été attaqué de deux côtés différents,
par son ami le Premier Président de Nicolaïetparson gen-
dre M. d'Auriac, président au grand conseil, auquel écri-
vit de son côté, k l'insu de Voltaire, etàplusieurs reprises,
sa cousine germaine, la sœur A. -J. Fraisse (3). On trotive
(1) Celait une erreur, quant à la mère.
(9.) Guillaume 11 de Lamoignon, né en 1G8 3, chancelier en 17 50,
mon en 1772.
(3) Voir les louves de la religieuse n"" 1, 1 1 cl 12.
VOLTAIRE. 2/lû
encore les noms de M. deGhazelles,deM. de La Marche,
parmi ceux des personnes dont il enrôla l'influence au
service de la cause qu'il avait embrassée avec tant d'ar-
deur (1). On pouvait compter sur les dispositions bien-
veillantes du duc de Glioiseul, ministre des aflaires étran-
gères. M-"' de Pompadour promit de parler au roi (2).
Piien ne pouvait se faire qu'au nom delà veuve et avec
sa participation. Abîmée de douleur, privée de ses fdles,
séparée de tous ses fds, elle s'était retirée seule avec
Jeanne Viguier k la campagne, dans les environs de Mon-
tauban, et ne songeait plus qu'à dérober à tous les yeux
ses larmes et le deuil sanglant dont elle avait peine à sup-
porter l'horreur. Quand on lui écrivit qu'elle devait sor-
tir de sa retraite, se montrer au grand jour, aller à Paris
solliciter auprès des grands, elle eut peur, moins encore
de l'efl'ort cruel qu'on lui demandait que de l'inutilité
et même du péril de ses démarches (3). Trois de ses en-
fants étaient enfermés dans autant de couvents, comme
dechers et précieux otages entre les mains des puissances
fatales qui avaient condamné leur père. Si les efforts
qu'elle tenterait pour le réhabiliter allaient déplaire au
gouvernement, au clergé, à la magistrature? Et comment
n'auraient-ils pas déplu, puisqu'il s'agissait de récla-
mer contre une sentence prononcée par un Parle-
ment, préparée par l'Olïicial et par les Capitouls?
Etait-ce à elle, trop heureuse encore d'avoir vu bannir
(i) Lellre du 15 avril à M'^® "', du 8 juillet à ArgcnUl.
(2) Nous ne savons et nous nous soucions peu de savoir si elle tint
parole. Le recueil de ses lettres, où on la représente lisant à
Louis XV quelques passages d'un écrit de Voltaire pour les Calas,
n'a rien d'authentique.
(3) Lettre de Voltaire au marquis de Chauvelin, i3 février 17 63.
2liU VOLTAIRE.
son fils Pierre et relâcher les deux autres accusés, au lieu
de les voir rouer ou pendre, était-ce à elle de s'attaquer
k ces redoutables pouvoirs , dont les coups avaient brisé
sa famille et son bonheur? Affronter, dénoncer un David,
un Lagane, un Bonrepos ! la seule idée d'une si étrange
audace la faisait trembler. Au lieu de se hasarder sur
cette mer inconnue et orageuse, au lieu d'aller remplir
de ses plaintes bruyantes Paris, Versailles, la cour, ne
ferait-elle pas mieux d'attendre dans les pleurs que le
Dieu de la justice et de la miséricorde la retirât de ce
monde cruel, pour la réunir au martyr dont elle por-
tait le deuil (1) ?
On lui parla de devoirs à remplir envers la mémoire
de cette victime chérie, envers ses enfants orphelins,
Pierre, h la fois exilé et détenu, Donat, exilé de fait et
qu'elle n'osait même désirer de revoir après tant de mal-
heurs, ses fdles, peut-être persécutées dans les couvents
qui leur servaient de prison. On lui fit sentir qu'elle devait
se dévouer à la réhabilitation du roué , aspirer ci
réunir et k relever sa famille dispersée et ruinée.
Elle comprit et obéit aussitôt. Elle partit, de sa retraite
ignorée, pour cette ville de Paris qui lui inspirait une ter-
(i) H ne faudrait pas croire que ces craintes fussent chimériques.
Voltaire lui-môme tremble à son tour « que le parti fanatique qui
accable cette famille infortunée et a eu le crédit de faire enfermer
les deux sœurs, n'ait encore celui de faire enfermer la mère pour lui
fermer toutes les avenues au Conseil du Roi. » (7 juillet à Argental.)
Aussi prit-on d'abord de grandes précautions. M""® Calas ne se
produisit au dehors que peu à peu , et Lavaysse, qui vint la re-
joindre à Paris, prit un faux nom.
Il aurait sufTi à ses ennemis de demander contre elle, comme
on l'avait fait contre ses filles, une lettre de cachet. U en avait été
question entre le ministre et le procureur-général Bonrepos (Voir :
Corr, Saint-Flor, Lettre 25.)
VOLTAIRE. 245
reiir inexprimable. Elle y arriva, et y arriva seule dans
les premiers jours de juin. Il résulte d'une lettre de Vol-
taire àTlîiroux de Crosne, quele 30 janvier 1763, Jeanne
était encore en Languedoc. La raison n'en est que trop
facile h deviner. M"^' Calas était désormais trop pauvre
pour avoir une servante, et Jeanne l'était trop, elle
aussi, pour suivre à Paris sa maîtresse (1). Dès lors elle
commença cette cruelle vie de solliciteuse, forcée d'étaler
partout sous les yeux des grands sa honte imméritée et
son horrible veuvage. Ce nouveau supplice dura trois
ans.
Quoique absent. Voltaire fut pour elle pendant ces dou-
loureux moments, un protecteur plein de délicatesse et
d'égards, en même temps qu'infatigable dans son activité.
Il annonça son arrivée k M. et I\r"'d'Argental (le 11 juin)
dans l'admirable lettre qu'on va lire et qu'il m'est im-
possible d'abréger, malgré les répétitions éloquentes
qu'on y trouvera.
Mes divins anges, je me jette réellement à vos pieds et à
ceux de M. le comte de Ghoiseul. La veuve Calas est à Paris
dans le dessein de demander justice ; l'oserait-elle si son mari
eût été coupable? Elle est de l'ancienne maison de Montes-
quieu par sa mère (ces Montesquieu sont de Languedoc) ; elle a
des sentiments dignes de sa naissance et au-dessus de son
terrible malheur. Elle a vu son lils renoncer à la vie et se pen-
dre de désespoir ; son mari, accusé d'avoir étranglé son fils,
condamné îi la roue et attestant Dieu de son innocence en
expirant; un second fils accusé d'être complice d'un parricide,
banni, conduit à une porte de la ville et reconduit par une autre
(1) Viguièrc ne partit de Toulouse que le 18 juin 1764 pour re-
joindre M""* Calas, après l'arrêt du roi qui cassait les sentences Tou-
lousaines,
21.
2/i6 VOLTAlRl'.
dans un couvent; ses deux filles enlevées; elle-même enfin
interrogée sur la sellette, accusée d'avoir tué son fils, élargie,
déclarée innocente et cependant privée de sa dot. Les gens les
plus instruits me jurent que cette famille est aussi innocente
(^'infortunée. Enfin, si malgré toutes les preuves que j'ai,
malgré les serments qu'on m'a faits, cette femme avait quel-
que chose à se reprocher, qu'on la punisse; mais si c'est, comme
je crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du
monde, au nom du genre humain, protégez-la. Que M. le comte
de Ghoiseul daigne l'écouter! Je lui fais tenir un petit papier
qui sera son passeport pour être admise chez vous ; ce papier
contient ces mots : 'c La personne en question vient se pré-
senter chez M. d'Argental, conseiller d'honneur du Parlement,
envoyé de Parme, rue de la Sourdière. »
Mes anges, cette bonne œuvre est digne de votre cœur.
Bientôt la pauvre veuve se trouva en proie aux pro-
tecteurs bénévoles, aux donneurs de conseils impossi-
bles à suivre. Leurs importunités et leur inintelligence
désolaient Voltaire qui de loin savait tout, réparait les
maladresses des autres, et ne cessait de trouver des
expédients, des ressources et des agents. Sa vigueur,
sa netteté de vues et sa fécondité de ressources sont in-
comparables.
Que demandons-nous ! s'écrie-t-il le 14 juin en écrivant h
d'Argental... Que demandons-nous? rien autre chose sinon que
la justice ne soit pas muette comme elle est aveugle, qu'elle
parle, qu'elle dise pourquoi elle a condamné Calas. Quelle hor-
reur qu'un jugement secret, une condamnation sans motifs! Y
a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang a
son gré, sans en rendre la moindre raison? Ce n'est pas l'u-
sage, disent les juges. —Eh! monstres! il faut que cela devienne
l'usage : vous devez compte aux hommes du sang des hommes.
VOLTAIBE. L>Zl7
Le chancelier serait-il assez... pour ne pas laire venir la pro-
cédure 1
Pour moi , je persiste a ne vouloir autre chose que la production
publique de cette procédure. On imagine qu'il faut préalable-
ment que cette pauvre femme fasse venir des pièces de Tou-
louse. Où les trouvera-t-elle? Qui lui ouvrira l'antre du greiïe?
Où la renvoie-t-on, si elle est réduite a faire elle-même ce que
le chancelier ouïe conseil seul peut faire? Je ne conçois pas
l'idée de ceux qui conseillent cette pauvre infortunée.
Cet avis semblait cependant motivé. Voltaire avait
adressé M'"'' Calas à d'Alembert pour qu'il dirigeât
ses démarches, ce qu'il fit activement (1) et ensuite
ti M'' Mariette, avocat au conseil du roi. C'était devant
ce conseil seulement qu'elle pouvait appeler de la
sentence d'une cour souveraine. Il fallait intenter
un procès devant ce corps, qui était censé représenter
directement le monarque. Voltaire prit ci sa charge tous
les frais. Mais dès le premier pas on se trouvait arrêté.
M® Mariette demande pour agir l'extrait de la procédure
de Toulouse. Le Parlement, qui parait honteux de son juge-
ment, a défendu qu'on donnât communication des pièces et
même de l'arrêt (2). (A Audibert, 9 juillet.)
(i) Court de Gebelin, ies Toulousaines,
(2) Ce fait qui aujourd'hui paraît à peine croyable, est vrai. On n'était
pas môme obligé, en ce temps de jugements secrets, de dire au pu-
blic pourquoi on mettait un homme à mort. Amis et ennemis igno-
rèrent longtemps la teneur de l'arrôt, ce qui favorisa toutes les ca-
lomnies répandues contre les Calas et rendit leur défense longtemps
illusoire. « Au surplus, je ne puis avoir l'honneur de vous adresser
d'exemplaire de l'arrêt rendu contre Calas, puisqu'il n'a pas été im-
primé; je n'ai pas même pu en avoir de copie, parce qu'on ne veut
pas absolument qu'il paraisse. (28 avril 1712. — Lettre d'Am-
blard, subdclégué de Toulouse, à rinlcndant de Languedoc ou à son
secrétaire. (Arck. de Montpellier.'^
248 VOLTAIRE.
Ces paroles sont extraites d'une lettre h Audibert qui
allait h Paris, et que Voltaire chargea de voir M"^'' Calas
et Lavaysse, afin de savoir si la veuve était dans le be-
soin. MM. Dufour et Mallet, banquiers, rue Montmar-
tre, avaient consenti k ce qu'elle eût chez eux son do-
micile connu, et c'était par leurs mains que passait
tout ce qu'on lui envoyait.
Plus d'une fois Voltaire dut rendre le courage à ceux
même pour lesquels il se donnait tant de mouvement et
de peine, excepté M"'*' Calas qui, une fois résolue,
ne faiblit jamais. Il pria ses anges, M. etM"'*^ d'Argental,
de faire venir, d'interroger et d'encourager Lavaysse.
Il est caché a Paris. Son malheureux père, qui craint de
se compromettre avec le Parlement de Toulouse, tremble que
son fils n'éclate contre ce même Parlement.
Voici en quels termes mystérieux, mais k la fois flat-
teiu's et sévères, il gourmandait l'inaction, et la prudence
exagérée de Lavaysse père :
Les personnes qui protègent a Paris la famille Calas sont
très-étonnées que le sieur Gobert Lavaisse ne fasse pas cause
commune avec elle. Non-seulement il a son honneur à soute-
nir, ses fers à venger, le rapporteur cpii conclut au bannisse-
ment a confondre, mais il doit la vérité au public et son secours
à l'innocence. Le père se couvrirait d'une gloire immortelle,
s'il quittait une ville superstitieuse et un tribunal ignorant et
barbare.
Un avocat savant et estimé est certainement au-dessus de
ceux qui ont acheté pour un peu d'argent le droit d'élre in-
justes; un tel avocat serait un excellent conseiller; mais où est
le conseiller qui serait un bon avocat ?
M. Lavaisse peut être sûr que, s'il perd quelque chose à
son déplacement, il le retrouvera au décuple. On répand que
VOLTAIRE. 2^9
plusieurs princes d'Allemagne, plusieurs personnes de France,
d'Angleterre et de Hollande vont faire un fonds très-considé-
rable. Voila de ces occasions où il serait bon de prendre un
parti ferme. M. Lavaisse en élevant la voix n'a rien a craindre;
il fera rougir le parlement de Toulouse, en quittant cette ville
pour Paris; et s'il veut aller ailleurs, il sera partout respecté.
Quoi qu'il arrive, son fils se rendrait très-suspect dans l'es-
prit des protecteurs des Calas, et ferait très-grand tort a la
cause, s'il ne faisait pas son devoir, tandis que tant de person-
nes indifférentes font au delà de leur devoir.
« Je prie la personne qui peut faire rendre cette leth-e à M, La-
vaisse père, de V envoyer promptement par vne voie sûre, »
Malgré tant d'efforts, tant d'esprit et d'éloquence, il
ne réussissait pas toujours dans ses tentatives. Ce fut
en vain qu'il s'efTorça d'obtenir de M. de Saint-Florentin
une audience pour M"'*' Calas. Il s'abusait entièrement sur
les dispositions de ce roi de France, obscur et dissi-
mulé (1) ; et nous pouvons en juger mieux que lui, nous
qui avons lu trente k quarante de ses dépêches secrètes,
où il parle sur les tons les plus divers de l'afTaire Ca-
las. Il fut jusqu'au bout, et nous le prouverons par ses
propres lettres, le protecteur actif des ennemis de Ca-
las et de sa veuve (2).
A son exemple, ces esprits étroits, si nombreux en
tous temps, qui sont invariablement convaincus qu'un
homme ofTiciellement condamné le mérite ; ces gens,
(i) «Vous savez sans doule que M, de S* Florentin a écrit à
Toulouse et est très-bien disposé, » (A Argcnlal i 4 juillet}. L'astu-
cieux despote n'avait garde de s'attirer le mauvais vouloir d'un
homme aussi redoutable que Voltaire l'était devenu par ses écrits et
par ses hautes relations.
(2) Voir quelques-unes de ces lettres à la fin du volume. Corr.
St-Fl, 7, 8, 12, 13, 19, 24, 25, 27, 28.
250 VOLTAIRE.
qui peuvent être très-lionnètes , très-sincères , mais qui
sont, avant tout, partisans de tout ce qui gouverne, étaient
adversaires-nés de M'"^ Galas. "
Ce déplorable esprit se trahit parfaitement dans une
lettre inédite du duc de Villars h Voltaire (1). Le duc
avait été chargé par lui d'écrire au Ministre ; il le pria
seulement « de vouloir bien prendre connaissance des
motifs de l'arrêt. »
C'est a peu près (2) ce que j'ai cru devoir dire a M. de
Saint-Florentin ; je n'ai pu lui assurer que l'arrêt était injuste,
parce que je ne le crois pas. Les pièces que vous m'avez en-
voyées et dont je vous remercie ne me font point changer de
sentiment... Je souhaite de me tromper en croyant que le fa-
natisme peut faire commettre les crimes les plus horribles et
que ti-eize juges ne comlamnent pas unanimement un homme
au plus affreux des supplices sans être bien assurés qu'il est
coupable.
Inutile de dire qu'une négociation entreprise par un
homme si mal disposé n'aboutit k rien. C'était d'ailleurs
une puérilité d'engager Saint-Florentin h prendre con-
naissance d'im arrêt qu'il avait pour ainsi dire inspiré.
Il répondit le 17 juillet aux froides observations du duc
en faveur des Calas :
Les voyes de droit leur sont ouvertes et ils peuvent les
prendre s'ils le jugent a propos. Mais cet alîaire ne me regarde
en aucune façon.
(0 Delacollcclion LujaiicUc de Nanlc?. Cominuni(iué par MM. Read
cl Vaurigaud.
(2) A peu près... Nous avons lu celle lellre au Minisire en dalc
du 7 juillet. Elle est aussi peu favorable que possible aux Calas. C'esl
une de ces rccommanJalions qui ne peuvent que nuire au recom-
manda.
VOLTAIRE. 251
Voltaire s'adressa mieux lorsqu'il envoya M""" Calas
remettre les pièces originales au chancelier Lamoignon
et à quelques autres personnes en place. Il l'adressa
ensuite au célèbre avocat Eliede Beaumont (l),avec une
lettre où il lui disait :
Mandez moi, je vous prie, sur le champ les mesures qu'on
peut prendre ; je me chargerai de la reconnaissance ; je serai
heureux de l'exercer envers un talent aussi beau qu'est le vô-
tre. Ce procès, d'ailleurs si étrange et si capital, peut vous
faire un honneur infini, et l'honneur dans votre noble profes-
sion amène tôt ou tard la fortune. Cette affaire h laquelle je
prends le plus vif intérêt est si extraordinaire qu'il faudra
aussi des moyens extraordinaires. Soyez sûr que le Parlement
de Toulouse ne donnera point des armes contre lui ; il a dé-
fendu que l'on communiquât les pièces a personne et môme
l'extrait de l'arrêt.
Bientôt l'arrivée d'im des accusés à Genève fournit
au zèle de Voltaire des lumières nouvelles et l'aiguil-
lonna encore. Pierre Calas, échappé le h juillet du cou-
vent des Dominicains de Toulouse, vint rejoindre son
(i) Jean-Baplislc-Jacques Elle de Beaumont, né en 17 32 à Ca-
renlan, mort à Paris le lo janvier 17 86.
La part brillante qu'il prit à l'affaire Galas lui valut parmi les pro-
lestanis une vive gratitude et partout une haute renommée.
Mais, peu après, il se fit un très-grand tort dans l'opinion en récla-
mant, du chef de sa femme, qui était née protestante, la terre de
Canon, près de Caen, vendue par ses parents à un catholique. 11 se
fit mettre en possession de cette terre, au nom d'une des lois odieu-
ses destinées à empêcher l'émigration des huguenots ; Louis XIV
leur avait interdit d'aliéner leurs biens-fonds. Mais ces lois tom-
baient en désuétude, et l'on fut indigné d'en voir demander la mise à
exécution par le défenseur des Calas, dans uu intérêt purement
personnel.
(Voir sur cette humiliante affaire les lettres de Voltaire à Damila-
ville, des i" octobre 17 66 cl 4 juin 17 67.)
252 VOLTAIRE.
frère sur cette terre d'asile et de liberté que les protes-
tants persécutés en France considéraient depuis plus de
deux cents ans comme leur refuge assuré et leur se-
conde patrie , quand la première les repoussait de son
sein. Quelques jours après son arrivée, le 26 juillet,
Voltaire écrivait à Audibert :
Nous avons ici Pierre Calas ; je l'ai interrogé pendant
quatre heures ; je frémis et je pleure, mais il faut agir.
L'émotion chez Voltaire, même quand elle était sin-
cère et sentie, ne jetait aucun trouble dans les idées.
Quoique Pierre Galas Témut il le mit à l'épreuve, comme
il avait fait pour son jeune frère. Interrogatoires, espion-
nage même, rien ne lui fut épargné. Il en rendit compte
plus tard à M.de Crosne (le 30 janvier 1763).
Pierre Calas, accusé d'un fraticide et qui en serait indubi-
tablement coupable si son père l'eut été, demeure auprès de
mes terres : je l'ai vu souvent. Je fus d'abord en défiance ; j'ai
fait épier pendant quatre mois, sa conduite et ses paroles; elles
sont de l'innocence la plus pure et de la douleur la plus
vraie.
Vers la fin de juin. Voltaire avait commencé la pu-
blication des Pièces Originales concernant la mort des
sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse. Ce re-
cueil ne contenait d'abord que deux documents, la simple
et belle lettre de M"'" Calas et une prétendue lettre de
Donat Calas fils à la dame veuve Calas, sa mère^ écrite
bien certainement par Voltaire, mais peut-être sur les
notes de M. de Végobre. Il rencontra des obstacles dans
la publication de ces pièces en France. Il fallut l'interven-
tion do Tabbé de Chuuvelin, et ce ne fut pas sans peine
VOLTAIRE. 25^3
(lifon obtint pour ces écrits une circulation à peu près
libre (1).
Bientôt les Pièces dites Originales s'enrichirent d'un
Mémoire, sous le nom de Donat Calas, daté du 22 juil-
let, et d'une Déclaration de son frère Pierre sous la
date du 23.
La composition du Mémoii'e, plus important que la
Déclaration, avait été diilicile pour Voltaire. 11 fallait
faire parler un protestant, et le faire parler devant la
France catholique, telle que l'avait laissée Louis XIV. La
tâche était délicate, impossible peut-être à Vollaire; en
tout cas l'illustre incrédule y réussit fort mal; c'est une
étrange chose que la religion protestante réduite par lui
à ce quelle peut avoir de plus raisonimble ^ afin de laisser
aux convertisseurs caiholiqnes une espéirince de succl's !
Ces singulières expressions sont de lui, dans une lettre
fi son médecin Tronchin qui a été publiée en 1850
parmi les Lettres inédites (2).
Voici, mon cher grand homme, le mémoire lel qu'il est
fait pour les catholiques; nous nous faisons tout à tous avec
l'apôtre. Il m'a paru qu'un prolestant ne devait pas désavouer
sa religion, mais qu'il devait en parler avec modestie et com-
mencer par désarmer, s'il est possihle, les préjugés qu'on a en
France contre le calvinisme, cl qui pourraient faire un très-
grand tort a l'affaire des Calas. Comptez qu'il y a des gens ca-
pahles de dire; qu'importe qu'on ait roué ou non un calviniste .'
Cest toujours un ennemi de moins dans l'état. Soyez très-SÛr
que c'est ainsi que pensent plusieurs honnêtes ecclésiastiques.
(1) isjuillol, à Damilaville; 4 aoi\l, à d'ArgentaJ.
(2) Nous désignerons cctlo piiblicalion en 2 vol. in- 8° sons le
nom de Rccuoil Cayrisl,
22
254 VOLTAIRE.
11 faiil donc prévenir leurs cris par une exposition modeslc de
ce que la religion protestante peut avoir de plus raisonnable. Il
faut que celte petite profession honnête et serrée laisse aux
convertisseurs une espérance de succès.
La chute était délicate, mais je crois avoir observé les nuan-
ces.
Nous avons une viande plus crue pour les étrangers. Ce
mémoire est pour la France et est au bain-marie.
C'est dans le même temps que l'infatigable écrivain,
décidé k frapper sans relâche l'attention du public, fit
paraître V Histoire d'Elisabeth Canniny et de Jean Ca-
las. Il se souvint à propos, d'une scandaleuse affaire qui
avait eu lieu pendant son séjour en Angleterre etoii, sur
des indices, on s'était vu sur le point de prononcer une
sentence injuste, il rapprocha cette histoire de celle des
Calas, qu'il raconta une fois de plus, avec des ressour-
ces toujours nouvelles de style, d'esprit et de bon sens.
Ce ne fut pas la dernière fois.
Les trois écrits publiés sous le nom de Pierre et de
Donat étaient datés de Châtelaine, village des environs
de Genève.
Quand Voltaire était aux Délices, qu'il n'avait pas
encore abandonnés définitivement pour Ferney, il
avait auprès de lui, à Châtelaine, les fils de Calas, et
en profita pour les présenter aux visiteurs célèbres ou
puissants qui accouraient de tous côtés pour le combler
de leurs hommages.
Il les fit connaître à (( une dame dont la générosité
égale la haute naissance, qui était à (ienève pour faire
inoculer ses iilles et qui fut la première à soulager cette
famille inforlunéc. » (i'était la duchesse d'Enville, mère
des ducs de La iiochcfoucault et de Liancourt. Il pou-
VOLTAIRE. 255
vait d'autant mieux l'intéresser à ses protégés qu'il
était son hôte. Elle habita les Délices avec ses enfants.
C'est de M"" d'Enville qu'il disait plus tard (1) :
Des Français retirés dans ce pays la secondèrent ; des An-
glais qui voyageaient se signalèrent et comme le dit M. de
Heaumont, il y eut combat de générosité entre les deux nations u
(|ui secourrait le mieux la vertu si cruellement opprimée.
Ces secours étaient indispensables pour donner h
M"'" Calas les moyens de se rendre h Paris et d'y vivre;
chez elle, tout avait été saisi.
Plus tard, le maréchal de Richelieu et le duc de Vil-
lars virent les deux jeunes gens. Le pasteur Théodore
(Chiron) rendit compte à Paul Rabaut de leur présen-
tation à Richelieu (8 octobre).
M de Y. lui a présenté Pierre Calas en lui disant : Voici
un débris de la triste famille. M. le duc lui ditru Après M.
de Voltaire, vous n'avez personne qui s'intéresse plus à vous
que moi. » Je sais ceci de source et même que ce seigneur a
écrit fortement a sa fdle (2) pour l'engager a s'employer vive-
ment à cette affaire.
Peu à peu. Voltaire réussit à enrôler dans la cause
des Calas la duchesse delaRoche-Guyon, le duc d'Har-
court, bien d'autres encore, qui rapportèrent à Versail-
les quelque chose de l'enthousiasme du grand homme.
(( Pendant le pltis fort de l'affaire Calas, » le marquis
d'Argence de Dirac passa quatre mois chez Voltaire ;
nous le verrons plus tard payer k son hôte im double
(0 Lellrc à V.. d'Aïu....
(2) Sfpliniîinic, coinlcsse d'iifiuidiil.
256 VOLTAIRE.
tribut en publiant un écrit pour les Calas et contre
Kréron, et Voltaire l'en remercier dans son Ode à la
Vérité»
Ses ennemis ne s'endormaient pas et prenaient parti
contre ses protégés. Il paraît qu'on envoya t\ une feuille
anglaise, the Saint-James Clinmicle, une lettre de
lui <i d'Aleinbert où Ton inséra des paroles plus que
compromettantes contre le roi, les niinistres, etc.
^ous croyons que ces paroles n'étaient pas de lui, non
parce qu'il le nie fort spirituellement (1), ce qui lui ar-
rive aussi bien quand il nient que lorsqu'il dit la vérilé,
mais parce qu'une pareille attaque eût nui gratuitement
h. la cause qu'il soutenait de toutes ses forces et de
toute son babileté. C'eût été une maladresse, et il n'en
faisait guère, à moins qu'il ne fût bien en colère, ce qui
n'était pas le cas. Le duc de Grafton lui montra cette
feuille. En même temps, M. de Ghoiseul à qui on l'avait
adressée pour perdre Voltaire, la lui envoya ; il y ré-
pondit avec succès et se fit disculper par le Journal
Encx'lopédique dont on s'était servi contre lui (2).
Cette attaque perfidement calculée aurait pu être fatale
il son crédit et aux Calas.
En tin parurent les Mémoires des avocats. A oltaire
combla d'éloges Elie de Beaumont (22 septembre) :
« J'îijoiilc aux liois impossibilités qui; vous niellez dans un si
lieau jour, une quatrième : c'est celle de résister a vos raisons.
J»' joins ma reconnaissance a celle que les Calas vous doivent.
Il; « Si je vous avais éciil une pareille iellre, il faudrait me pen-
flrc à la porte des Pclitct-Maisons. »
\'i) l.cllres dn 20 anf,'ii?ir à Pierre Rousseau, du 17 octobre à
d'Alcnibcrl. de., ele.
VOLTAIRE. 057
J'ose dire que les juges de Toulouse vous en doivent aussi ^
vous les avez éclairés sur leurs fautes, n
Mais bientôt son œil vigilant trouva dans ce Mémoire
des erreurs qu'il fit corriger avec le plus grand soin.
11 était l'âme de toute cette affaire ; gouvernant tous
ceux qu'il y employa, tantôt par les critiques les plus
fines, les plus justes, les plus adroitement présentées,
lantôt par des éloges connne ceux qu'on vient de lire et
([ui avaient tout l'éclat de la gloire, aux yeux de ce siècle
dont il était l'oracle.
Ce Mémoire h la main, M"- Calas dut se présenter
chez les grands du jour et aussi chez les arbitres de la
j)iJ3licité qui, dès cette époque, étaient comptés au rang
des puissances de fait, sinon de droit. D'Alembert fut
profondément ému de cette visite; voici en quels ter-
mes le géomètre de l'Encyclopédie en parlait à celui
qui était leur maître à tous:
\ ous devriez engager M. de Clioiseul, puisqu'il vous écoule
eiv(uisaiine,a accorder quelque protection aux pauvres roués de
iouluuse. La veuve vint me voir il y a quelques jours et uj'ap-
porter son mémoire ; ce spectacle me fit grande pitié. Il ne laiit
pas S" plaindre d'être malheureux quand on voit une famille
<iui l'est à ce point là. Je parlerai et crierai même en leur fa-
veur; c'est tout ce que je puis faire.
Les Mémoires de Mariette, de Loyseau de Mauléon,
|)<inir('nt îi leur tour. Voltaire y répondit par ses ap-
plaudissements, dnnt tout Paris se faisait l'écho; mais il
eut raison de regretter (1) que les premiers Mémoires
de Sudre et de La Salle n'eussent pas été connus à
(I) Gaberel, FrMmre et (es GenevoU. LcUre Jnéd. à Moullou
3 jaiiYier 17 63. '
22.
258 VOLTAIRE.
temps, et mis en œuvre, par les avocats de Paris, moins
bien informés et plus diserts, sans être plus réellement
éloquents.
Chacune de ces publications gagnait dans le public
de nouvelles sympatliies aux Calas ; aussi leurs ennemis
tentèrent-ils un coup hardi contre leurs défenseurs. Le
présidial de Montpellier fit saisir les Mémoires des trois
avocats. Voltaire en fut indigné, mais y vit un signe de
l'effet produit par ces chaleureux plaidoyers.
... Si les avocats n'ont plus le droit de plaider il n'y aura
donc plus ni droit ni loi en France. Je m'imagine que ces trois
Messieurs ne souffriront point un tel outrage. Il n'appartient
qu'aux juges devant qui l'on plaide de supprimer un factum
en le déclarant injurieux et abusif. ...J'espère surtout que cette
démarche du prééidial de Montpellier, commandée par le Par-
lement de Toulouse, sera une excellente pièce en faveur des
Calas (1" Févr. 1763).
Si elle était dictée en effet par le Parlement Tou-
lousain, cette mesure étrange prouvait la crainte que lui
inspirait la parole populaire et admirée des meilleurs
avocats de Paris, réunis contre lui ; et si cette Cour
n'avait pas ordonné l'acte de Montpellier, il indiquait
dans la magistrature un esprit de corps, contraire aux
intérêts de la justice et de la vérité. Cet esprit régnait
même îi Paris, et d'Alembert raconte h Voltaire un mot
scandaleux à ce sujet.
Croiriez vous qu'un Conseiller en Parlement disait, il y a
quelques jours, h un des avocats de la Veuve Calas, que sa re-
quête ne serait point admise, parce qu'il y avait en France
plus de magistrats que de Calas? (12 janv. 1763.)
La rcqu^^te de M* Mariette au Conseil du Roi avait
VOLTAIRE. 259
été présentée. La question était de savoir si elle serait
admise. L'impatience dévorait Voltaire.
Ehbion! écrit-il à Argental 1p 27 février, a-t-on enfin rap-
porté l'affaire des Calas? Je vois qu'il est beaucoup plus aisé de
rouerun homme que d'admettre une requête.
C'est peut être à ce temps d'anxiété et d'irritation
qu'il faut rapporter une anecdote tout à fait caractéris-
tique :
il ne souffrait aucune contradiction sur ce sujet, et un visi-
teur en fut un jour la victime. C'était un gros seigneur alle-
mand qui, sorti des solitudes d'une lointaine résidence,
connaissait fort peu les événements du jour. Il est introduit
dans le salon de Ferney, et, immédiatement après les premiè-
resrévérences : « Monsieur, lui dit Voltaire, que pensez-vous du
pauvre Calas qui a été roué? — Il a été roué... Ah! il faut
que ce soit un grand coquin ! » Voltaire se précipite sur la
sonnette. — Le carrosse de Monsieur est-il dans la cour? —
Oui, Monsieur. — Qu'on attelle a l'instant ses chevaux et qu'il
parte ! Le pauvre allemand s'en fut, sans pouvoir s'expliquer
cette boutade. Lorsqu'il la raconta à Genève, on lui fit com-
prendre le sujet de l'indignation de Voltaire, et il déclara qu'il
avait pris Calas pour quelque brigand que le seigneur de Ferney
avait fait rouer à bon escient. (1)
En attendant. Voltaire ne négligeait rien.
Tl refaisait au dernier moment le compte de ses alliés
et de ses agents, comme un gém'ral passe ses troupes en
revue, une dernière fois, avant de les mener h l'ennemi.
Trois des ministres étaient pour les Galas.
'< Je suis sûr que le contrôleur général (2), M. le duc de
(i) Gabcrel : foliaire et les Genevois, p. 5 7,
(2) M. de Laverdyfut contrôleur général depuis le i •? déc, it63
j'i?q-a'pn 176?. 11 périiP'ir Téchafaud en 1794.
260 VOLTAIRE.
Prasliu J), M. lo Duc de Clioiseul (^) oui île liès-bonnes in-
ternions ; il fant assurénient en pioliler (3). »
Il écrivait lellre siirlellic an rapporleur, M. de Cros-
ne (4), à son beau-père, M. de la Michodière, à M. d'A-
guesseau,ne se lassant jamais de raconter comment il a
connu les Calas et formé lentement sa conviction : a J'ose,
dil-il, être sur de Finnocence de cette lamille comme de
mon existence. » Pour s'en convaincre davantage en-
core, ou peut-être pour calmer son impatience fiévreuse,
il avait lait un travail singulier dont il rendit compte à
Damilaville avec l'extrême vivacité que prenait son style
dans ses moments d'agitation :
Je me suis avisé de nieltre par éciii toutes les raisons qui
pourraient juslliier ces juges; je me suis distillé la tête pour
lru\iver de quoi les excuser, « I je n'ai lionvé cpi.^ de quoi les
décinu r. (.'>)
U) Minislre des alTa ires (Hraii{^ùr«'5.
{2) Ministre de h Marine.
(3J LeUre inédite à Moiillou du Jfi févrii^r 17 63 (Giiberel, fuit,
cl les Genev.)
(4) Louis Tliiroux do Crosne, Maiive dis Ue(nièles, devint iiUeiidant
à Uoueii, puis en 1789 lieulenanl de police à Paris, cl mouiul i-vw
I 'éclialaud en i 79 5.
(5) Ce mol si dur e^l écrit ah iralo. Vins e;ilnie, plus l.nd, il
recnnnul, en compnranl l'affaire des Cnias à celle des Sirvcn, «que
les juges des Calas pouvaient au moins ailégner quelques loibles ei
n.alheureux prétextes (A M. Chardon '2 Péw. 17 67). » Il écrivit
le -^r) j invier 177.') A V"'' Du Deff.tnd. « Les jugesdes Calas s'étaient
iroinpés sur les apparences cl avaient été coupables de bonne foi. »
II alla beaucoup plus loin encore dans une lellre à un prêtre Tou-
lousain, suivant son habitude de se faire tout à totis^ dans nn bien
antre sens que l'apôtre qu'il aimait citer à ce propos. (A M. l'abbé
Audra, 4 septembre 17 69.)
«J'ai toujours été convaincu, lui écril-il, qu'il y avait dans l'affaire
des Calas de quoi excuser les j'ige?. Les Calas étaient très-inno-
VOLTAIRE. 261
Enfin parut, non pas encore le grand jour de la jus-
lice, mais la première lueur de l'aube.
Le mardi 1" Mars, le bureau des Cassations, au con-
seil, jugea la requête des Calas admissible. C'était le
premier pas dans la voie de l'équité et de la réhabi-
litation.
l'fnts ; cela est démontré. Mais ils s'élaienl cunlredils. Ils avaient
été assez imbéciles pour vouloir sauver d'abord le prétendu hon-
neur de Marc-Anloine leur fils et pour dire qu'il est mort d'apo-
plexie lorsqu'il est évident qu'il s'est défait lui-même.
'< C'est une aventure abominable; mais on ne peut reprocher aux
juges (jue d'avoir trop cru les apparences, »
CHAPITRE Xï
RÉVISION DU PROCÈS
ET RÉHABILITATION DES CONDAMNÉS.
Longa est injuria, longa
Ambages.,..
(ViKG. , Mn. 1, 3il.)
Trois jours avant l'anniversaire du supplice de Calas,
le lundi 7 mars 1763, le Conseil d'Etat prononça sur la
Requête de Mariette. La cause des Calas avait pris dans
l'opinion publique une haute importance. On s'intéres-
sait partout à leurs malheurs ; on sentait qu'une grande
réparation leur était due. En outre, c'était un acte ex-
trême et très rare du pouvoir royal que de casser l'ar-
rêt d'une Cour souveraine, et cet acte, par hommage
pour ceux même dont il condamnait la sentence, ne
pouvait s'accomplir avec trop d'éclat et de retentis-
sement. Le Conseil siégeait d'ordinaire par semes-
tres ; cette fois, les deux semestres lurent réunis. Tous
les Ministres et Ministres d'État firent partie de l'As-
semblée, et le Chancelier de France la présida. Les
Conseillers d'État, de robe, d'épée et d'église, étaien
264 RÉVISION ET REHABILITATION
présents, et parmi ces derniers, plusieurs abbés et trois
évoques (1). Cependant la sentence fut rendue à l'una-
nimité des quatre-vingt-quatre membres présents, con-
formément aux conclusions de M. Thiroux de Crosne,
Maître des Requêtes, rapporteur (2). Pendant la séance,
la galerie des Glaces à Versailles était pleine d'une foule
impatiente de recevoir la grande nouvelle.
Au lieu de raconter nous-même cette scène imposante
et pleine d'émotion, nous citerons ici le récit d'un témoin
oculaire (3) :
Le 8 mars 1768.
L'aflaire de madame Calas fut jugée hier au conseil; je fus
avec elle a Versailles, avec plusieurs autres messieurs, chez les
ministres ; l'accueil qu'ils lui tirent fut des plus favorables ; on
ne la fit attendre aucune part ; aussitôt qu'elle se présentait, ou
ouvrait les deux battans, tout le monde la consolait de son
mieux. M. le chancelier lui dit : « Votre affaire est des plus inté-
ressantes, madame; on prend beaucoup de part à votre situation;
nous souhaitons bien que vous trouviez parmi nous des conso-
lations a vos maux. » L'accueil de M. le duc de Praslin fut des
(1) Letlres VI et VIT de Voltaire à RiboUe. (Bulletin de la Soc.
d'Hist. du Prol., t. 4, p. 243.)
(2) Selon Grimni, 20 Conseillers d'État avaient proposé d'abord
« d'ordonner seulement la révision du procès, par une sorte de mé-
nt.gement pour une cour souveraine, telle que le Parlement de Tou-
louse. Tous les autres ont opiné pour la cassation pure et simple, qui
est la forme la plus désobligeante. Aucun n'a douté un instant que
l'arrêt ne fut de toute nullité. »
(3) Une copie de cette lettre s'est trouvée parmi quelquetf papiers
relatifs aux Calas, qui furent confiés au pasteur Marron par Anne Calas,
alors M"* Duvoisin. Celle pièce, et quelques autres que nous in-
diquerons, furent publiées en i8i9 par mon onde Charles Coquerel
dans les Annales Protestantes, dont il était rédacteur, recueil de-
venu assez rare aujourd'hui. Cette lettre, écrite par une main naïve
et peu exercée, esi d'autant plus digne d 'intérêt. Serait-elle de La-
va yssc ?
REVISION ET REHABILITATION 265
plus gracieux. Elle se rendit à la galerie avec ses demoiselles,
pour voir passer le roi; elle fut accostée par plusieurs seigneurs;
le duc d'A...., le comte de Noailles, qui furent du nombre, lui
promirent de la faire remarquer au roi ; ils lui fixèrent sa
place, mais leur bonne volonté n'eut point d'effet ; comme le
roi était a portée de la voir, une personne de sa suite se laissa
tomber, etattira par sa cbuteles regards de la cour et du roi (1 ) :
tout cela se passa le dimanche. Le lundi matin, madame Calas
fut vers les neuf heures se constituer prisonnière. On avait
tout préparé : l'écrou fut daté, signé et porté au rapporteur;
les jeunes demoiselles allèrent a l'entrée du conseil se présenter
à leurs juges ; le nombre en fut prodigieux, et l'assistance des
ministres rendit ce conseil encore plus brillant ; la requête fut
admise tout d'une voix. On a ordonné l'apport de la procédure,
des informations et des motifs. L'avocat n'avait pas osé de-
mander les originaux de la procédure, ileût été à craindre qu'on
ne les refusât, je ne pense pas que c'eût tiré :i conséquence.
L'aînée des demoiselles Calas se trouva mal pendant le temps
du conseil ; elle eut une vapeur très-considérable et très-lon-
gue : elle durait encore, lorsque ces messieurs, étant sortis,
vinrent lui annoncer la réussite de ses entreprises; une partie
s'empressa de lui donner des secours ; des eaux spiritueuses,
des sels, des flacons de toute espèce furent prodigués : je reçus
les plus grandes politesses de plusieurs de ces messieuis.
L'intendant de Soissons, entre autres, et M. Astruc m'en firent
beaucoup. La charité de ces messieurs ne se borna pas à
mademoiselle Calas; ils s'empiessèrent beaucoup d'obtenir
l'acte d'élargissement de madame Calas. On remarqua dans
(0 ïl est permis de douter que celle chute fùl involonlaire. Rien
ne prouve, du reste, que Louis XV ail pris personnellement aucun
intérêl aux Calas. 11 est certain que ce n'est pas lui qui répondit k
l'excuse banale que quelqu'un invoquait au profil du Parlement de
Toulouse : a 11 n'est si bon cbevalqui ne bronche, » Un cheval, soit,
mais toute une écurie ! — Grimm (Corr. lill., t 5 juin 17 04) cile Iç
mot, mais en l'altribuanl à une dame,
23
066 REVISION ET REHABILITATION
leur façon d'agir combien ils étaient pénétrés du malheur d
cette famille et indignés de l'injustice qu'on lui avait faite.
L'arrêt d'élargissement prononcé, nous finies sortir Mme Ca-
las de la prison, où elle était dans une ample bergère, auprès
d'un grand feu ; le geôlier lui avait fait servir le matin du café
au lait, du chocolat et un bouillon, c'étaient ses ordres; mais
nous lûmes bien surpris de sa belle réponse lorsqu'on lui de-
manda combien il lui fallait: « Madame Calas, dit-il, est trop
malheureuse, je serais bien fâché de prendre le moindre sa-
laire ; je souhaiterais avoir un ministère plus agréable pour
lui offrir mes services; personne ne la respecte plus que moi. »
Quel contraste avec le peuple de Toulouse ! Les domestiques
de tous ses juges, de tous ses protecteurs la regardent avec ad-
miration et respect: il n'en est aucun qui n'ait lu tous ses
mémoires.
Ajoutons à ces détails que la reine se fit présentei*
M™^ Calas et ses filles, et les reçut avec de gracieux té-
moignages d'estime et de sympathie (1).
Le récit qu'on vient de lire est inexact en un point.
Le Roi en son Conseil ordonnait au Parlement de Tou-
louse delui envoyer les charges et informations par le
Greffier en chef et les motifs de la sentence par le Procu-
reur Général. C'est bien la procédure entière qui était de-
mandée, et, de plus, les motifs du jugement, toujours
secrets alors.
On dit que le Parlement fit cette réponse insolente et
brève :
I^a procédure est très-volumineuse; on (M"' Calas) n'a
«pi'a envoyer du papier et de l'argent pour les copistes et on
(\) Lolirea de la sœnv Finisse du 22 juin, cl dr VolLiire à Dami-
hivillo, le 27 mars.
RÉVISlO^i ET RÉHABILITATION 267
(le Parlement) la doiiueia ; quant aux motifs, le Conseil les trou-
vera dans les charges.
La colère fut très-violente k Toulouse. On y soute-
nait qu'une Cour souveraine était irresponsable, repré-
sentait le roi et ne potivait voir ses arrêts cassés, fût-ce
par lui-même. Il est certain que, dans un régime libre,
la justice doit être et demeurer absolument indépen-
dante du souverain, et ses arrêts être respectés et subis
par lui comme par tout autre. Mais sous le despotisme,
cette nécessaire indépendance est impossible et n'exista
jamais, fût-elle écrite dans la lettre des lois. Elle
ne l'était point à cette époque ou ne l'était qu'avec des
exceptions, restrictions, et coutumes contraires, qui
justifiaient le Conseil.
Messieurs du Parlement trouvèrent une consola-
lion étrange auprès del'Archevêque de Toulouse (1) qui,
apparemment pom- rémunérer leur zèle et les consoler
de leurs humiliations, accorda à chacun d'eux le singu-
lier privilège « de faire célébrer la messe dans leurs mai-
sons les jours de Dimanche. » Après leur avoir octroyé
cette faveur insolite, le prélat craignit que son zèle ne
parut intempestif au gouvernement. Il rendit compte
de ce qu'il avait fait k M. de Saint-Florentin et en reçut
une lettre assez sèche qui évidemment blâmait, quoique
avec une grande réserve, cet acte fort impolitique , dans
un pays où la population protestante était nombreuse et
ne se plaignait que trop de l'entente cordiale de ses juges
avec le clergé catholique.
« s. M. m'a lémoiL,aié «[uc sur une inr<Mlle matière elle ne
(1) Arlhur-Pichard Dillun.
268 RÉVISION ET RÉHABILITATION
pouvait s'en rapporter qu'à votre prudence et à la connais-
sance que vous avez, tant des règles et des usages de l'Eglise
(jue des dillérentes impressions que les esprits des peuples
conliés à vos soins sont capables de recevoir. »
Tandis que le PailemenL avait grand besoin, pour se
consoler, des laveurs de rArcIievèché, Voltaire fut com-
blé de joie par ce premier triomphe qui semblait assu-
rer tous les autres. 11 faut l'entendre s'écrier avec une
noble satisfaction dans une lettre à Damilaville:
Mon ciier frère, il y a donc de la justice sur la terre ; il y a
donc de l'humanité. Les hommes ne sont pas tous de mé-
chants coquins comme on le dit.
L'émotion le rend modeste et il ajoute: a C'est le jour
de votre triomphe, mon cher frère; vous avez servi les
Calas mieux que personne. » Ses remercîments à Thi-
roux de Crosne sont enthousiastes et flatteurs :
Monsieur, vous vous êtes couvert de gloire, et vous avez
donné de vous la plus haute idée. . . Je vous respecte et je prends
la liberté de vous aimer.
11 se croyait au bout de ses peines et M"'" Calas au
terme de ses agitations :
11 me semble, écrit-il a Elie de Beaumont le \i mars, que
le reste de ce procès ne consistera qu'en formalités. La falsifi-
cation des pièces n'est point a craindre, parce qu'elles sont si-
gnées de Pierre Calas, qui ira a Paris quand il le faudra, et qui
rpconnaîtrait bien vite la fraude.
(I) Celle IcUro que nous avons lue dans les Dépêches du Secré-
lariat (Arch. Imp.) elle fait Irùs-curicux qui en fuirocoasionj n'ont
jamais élu publiés, à noire connaissance.
REVISION ET RÉHABILITATION 'J69
Mais les formalités pouvaient traîner en longueur.
Le Parlement pouvait se montrer récalcitrant, et l'en-
voi très-coûteux des pièces pouvait être entravé. C'est
ce qui arriva.
Aussi Voltaire dut s'imposer encore de longues précau-
tions, une réserve toujours calculée. Son Traité sur la To-
lérance à roccasion de la mort de Jean Calas était écrit,
imprimé, el allait paraître; mais il craignait que le scan-
dale de ce livre ne nuisît à leur cause et il ne voulait pas
exposer la veuve du roué à expier ses hardiesses. Il se
contentait d'en envoyer de rares exemplaires à des amis
prudents, qui promettaient de ne pas les laisser tomber
entre les mains avides des libraires, ou sous les regards
dangereux de lacensure.il imposait la même abnégation
à tous ses alliés dans cette guerre aussi savante qu'hu-
maine. Court de Gebelin avait écrit ses Lettres Toulou-
saines où il protestait contre les supplices de Rochette,
des frères de Crenier, de Jean Calas, et racontait l'his-
toire de l'inquisition et des confréries de Pénitents à
Toulouse; ouvrage curieux par les faits qu'il réunit,
mais entaché de déclamation d'un bout à l'autre. Ce
livre ne pouvait qu'irriter les Toulousains, leurs Capi-
touls, les membres deleur Parlement, et Voltaire obtint
de Fauteur qu'il en retardât la publication (1). Ces ha-
biles ménagements eurent un plein succès. N'ayant au-
cun prétexte pour désobéir, le Parlement obéit. Enfin,
écrit Voltaire au pasteur Vernes, le 2h mai 1763,
t^nlin, rinfàiiie [trocédure des infâmes juges de Toulouse est
|jiulie ou [vait celte semaine. Nous espérons que l'afl'aire sera
'i; A raniiluvillc, 2? mars 17 63.
23.
270 RÉVlSIOiN ET RÉHABILITATION
jugée au grand conseil où nous aurons bonne justice, après quoi
je mourrai content.
y. B. Le Parlement de Toulouse ayant roué le père a écor-
ché la mère. 11 a fallu payer cher l'extradition des pièces; mais
tout cela est fait par la justice. Ah ! !\lani<juldi (1) !
(.détail encore annoncer deux mois trop tôt l'envoi
de la procédur(i, qui ne partit de Toulouse que vers la
fin de juillet. Louis se rendit i\ Paris en même temps;
])eut-èlre fut-il chargé de remettre h sa mère les actes
(jui avaient été transcrits sur la requête de M"'" Calas
et à ses frais (2).
Qui ne croirait, au moins, à cette date, que M*"* Galas
et son ardent protecteur touchent au but? Il fallut en-
core un an avant que les cruelles sentences de Toulouse
fussent cassées et mises à néant. Pénibles pour ses amis,
tous ces délais étaient cruels pour elle.
Ces longueurs inévitables, écrit-elle (3), me désséspere et
sy je navez la douce satisfaction d'avoir mes lilles auprès de
iiiny je croy que je succomberai sou le poix de mes peines.
Ce fut le k juin 176/i que l'arrêt de cassation fut pro-
noncé par le Conseil privé du Roi.
Ac /?o// en son conseil, après avoir cassé pour vices
(kî forme, la sentencedes Capitoulsdu 27 octobre 1 761 (/{) ,
(0 Bourreaux!
(2) LoUrc de la sœur Fraisse, du 3 août. Elle accuse Louis de ce
retard ; au moins en étail-il coraplice. Il lui avait affirmé que de-
puis deux mois les pièces étaient à Paris. Les ennemis acharnés de
sa rnmille avaient pu abuser encore de sa faiblesse, pour entraver
l'action de la justice. 1! était seul à Toulouse pour représenter les
Biens et agir dans leur intérêt.
1,3) LeUre inédite à Cazeing fils aine. (Comni. par M. L. Destronix.)
,i; C'était colle qui cu'-oyail à h lorlurc Galas, sa femme tl son
REVISION ET RÉHABILITATION 271
l'arrêt du Parlement du 9 mars 1762 (1) et celui du 18
mars, même année (2), « a évoqué à soi et son conseil
le procès criminel jugé par lesdits arrêts, et icelui, cir-
constances et dépendances, a renvoyé et renvoie aux
sieurs Maîtres des Requêtes de l'Hôtel au Souverain. »
Tel était le nom technique et barbare d'un tribunal
composé des Maîtres des Requêtes et qui avait été éta-
bli pour rendre compte au Souverain des Requêtes de
son Hôtel, c'est-à-dire celles qui provenaient des gens
de sa maison et (par extension) celles dont il lui plaisait
de se réserver la connaissance. Tout était à recommen-
cer devant ces juges, derniers et définitifs; mais devant
eux la nouvelle procédure ne devait pas languir ; elle ne
dura que neuf mois sous la direction laborieuse et intel-
gente de Dupleixde Racquencourt, Maître des Requêtes.
Nous serons très-brefs sur ce dernier procès qui abou-
tit à un cinquième jugement. Les mêmes faits se repro-
duisirent, mais cette fois les Calas et leurs défenseurs
pouvaient agir au grand jour; ce furent leurs ennemis
({ui se cachèrent. Les premiers tinrent chez le comte
d'Argeutal une assemblée à laquelle M""" Calas fut ad-
mise, où l'on délibéra sur les mesures à prendre, et qui
se renouvela chaque fois que les nécessités de la défense
l'exigèrent (3).
Pendant ce temps Voltaire recevait de Toulouse les
lettres anonymes les plus violentes. On y reprochait au
lils, et ordonnait que les deux aulres accusés seraient seulement
présentés à la question.
(i) Arrêt de mort de Jean Calas.
(2) Bannissement de Pierre et acquitloment des autres prévenus.
(3) Volliilrc à Ai'gcnlal 2 4 Juin î'Ci.
272 rvÉvisiO-\ et uéhakilitAtiois'
Parlement de iv avoir pas laiL rouer les cinq accusés au
lieu d'un seul (1).
Je crois que s'ils me tenaient ils pourraient bien me faire
payer pour les Calas. J'ai eu bon nez de toutes façons de choi-
siruion camp sur la frontière.
Disons-le cependant, sinon à la décharge de ces ma-
gistrats, au moins pour rendie intelligible leur mons-
trueux aveuglement, dans cette dernière information se
produisirent pour la première fois, bien des témoignages
favorables, que la rédaction inique de leur Monitoire et
de leurs Briefs Intendils avaient rendus impossibles,
ou que leursnombreux actes d'intimidation avaient empê-
chés. Ce fut seidement alors qu'on put produire les
dépositions écrites de huil négociants de (îenève, qui
avaient connu depuis longtemps la famille Calas, celles
])lus importantes encore d'Alquier et du chanoine Azi-
mond (2) ; ce fut alors, que les faits justificatifs qu'on
n'avait point permis h Calas de prouver purent être dé-
montrés, ou du moins ceux d'entre eux dont le teiups
n'avait pas emporté tout vestige. On put faire connaître
la lettre de Marc-Antoine se plaignant k Cazeing de son
Irère Louis et l'appelant not?'e déserteur. On put prou-
ver par im cerlihcal du curé de l>rassac que Marc An-
toine était à Brassac dès la veille de Noël et y resta jus-
qu'au lendemain de la fête, tandis que ce jour même on
disait l'avoir vu à Toulouse dans le confessionnal de
l"}il)l)ê l.aj)laigne; et par un certificat du curé de Béziers
(jiK'Caliicrine Daumière était catholique de naissance et
(1) A Daiuilaville el Argenlal, le 29 juin. A d'Alcmbcrlle lejuillrl.
(i)Voir ccllcO'Al'iukT,p. 53, celle ÙAzimuiKl, f,65, 96, cl 178.
RÉVISION ET RÉHABILITATION 273
non nouvelle convertie, ce qui réduisait toute sa dé-
position cl un impudent mensonge. Dire que si le Par-
lement de Toulouse avait eu ces preuves sous les yeux
il aurait jugé autrement, ce ne serait point le disculper,
car il n'avait tenu qu'à lui de les avoir; on l'en avait
supplié en vain et de mille manières, ne fût-ce que dans
les quatre Mémoires de Sudre et de La Salle.
11 fallut publier des Mémoires nouveaux. Elie de
Jleaumont en donna un troisième, Mariette un qua-
ti'ièine, le jeune Lavaysse un second. Voltaire loua jus-
tement ce dernier dans une lettre à d'Argental :
Oui sans doute, mon ange adorable, j'ai été infiniment
touclié du Mémoire du jeune Lavaysse, de sa simplieité atten-
drissante, de cette vérité sans ostentation qui n'appartient qu'à
la vertu.
[1 écrit avec grâc.^ à Elie de Beaumont (le 27 fé-
vrier 1766) :
Mes veux ne peuvent guère lire. Monsieur, mais ils peuvent
encore pleurer et vous m'en avez fait bien apercevoir.
Dans ces Mémoires il fallut combattre de nouvelles
calomnies qui ne cessaient de surgir de tous côtés et qui,
;i l'approche du moment décisif, prirent, même à Paris,
un nouveau degré d'acharnement.
On disait qu'une fosse était préparée dans la cave de
la maison des Calas (1) ; qti'un piton à la voûte de cette
(i) Ce mensonge n'était pas nouveau; voici comment Calas en fit
justic^' dans un de ses interrogatoires (Arch. Imp.) :
.i Interuogk s'il n'est vi'aL qu'ayant prémédité la mort de son fils, il
avait fait faire dans la cave une fosse pour Tenterrer,
RÉPOND et dénie l'interrogatoire et dit qu'on n'a qu'a visiter la cave. »
21U RÉVISION £.£ REHABILITATION
cave avait servi à pendre Marc- Antoine ; qu'on avait vu
monter le cadavre de la cave au magasin.
Il y avait à Paris, disait-on, quelqu'un qui avait con-
naissance personnelle de tel ou tel de ces faits. Elie de
Beaumont demanda en vain que ce témoin insaisissable
voulût bien se faire connaître ; rien ne parut.
Avant même de réhabiliter le martyr, le Ministre qui
avait approuvé sa mort fut obligé de châtier le premier
et le plus acharné de ses persécuteurs. David fut desti-
tué en février 1765 (1).
C'est à Paris que la cause fut jugée en dernier res-
sort. Les accusés (car ils l'étaient de nouveau) allèrent
dès le 28 février (2) s'enfermer à la Conciergerie. Ils y
reçurent, dit Grimm, nombre de personnes de la pre-
mière distinction. Damilaville les y visita et en rendit
compte à Voltaire dans une lettre qui n'a pas été pu-
bliée (3).
« J'ai passé, dit-il, deux heures aujourd'hui en prison avec Ma-
dame Calas el ses infortunés compagnons. Je les ai été consoler
})lusieurs fois depuis qu'ils y sont. Je ne suis pas le seul ; bien
d'autres gens de bien en ont fait autant, et j'ai vu avec une
i^rande satisfaction qu'il y avait encore de la vertu et de l'hon-
nêteté dans le monde. Ils sortiront après demain ; du moins
je l'espère. »> (4)
Les Maîtres des Requêtes qui jugèrent cette grande
(i) Voir plus haut. p. 3 5,
(2) Celle dale se Irouve dans une leltre inédile de Court de Gé-
l)elin à M. Polier de Bollens, (o mars (communiquée par M. le
Pasteur Ch. Frossard, de Lille).
(3) El qui, sauf ce seul passage, ne mérite pas do l'être (GoUec-
liun Lajarielte à Nantes). Elle est datée du 7 mars 17«5.
(4) Nous avons entre les mains la copie d'une leltre de félicita-
RÉVISION ET RÉHABILITATION 275
cause, étaient au nombre de quarante. On comptait
parmi eux quatorze intendants de provinces. Ils exami-
nèrent l'affaire dans le plus grand détail, en six séances
de quatre heures chacune, sauf la dernière qui dura
plus du double. L'arrêt fut rendu à l'unanimité le 9 mars
1765, trois ans, jour pour jour, après l'arrêt de mort
de Jean Calas (1).
Le jugement fut immédiatement imprimé à l'Impri-
merie Royale et publié en tous formats.
« Les Maitres des Requêtes ordinah^es de l'Hôlel du Roi,
juges souverains en cette partie, tous les quartiers assemblés. .. .
ont déchargé et déchargent Anne Rose Cabibel, Jean Pierre
Calas, Alexandre-François Gualbert Lavaysse et Jeanne Yi-
guière de l'accusation intentée contr'eux, ordonnent que leurs
écrous seront rayés et biffés de tous registres où ils se trou-
veront inscrits, etc. Déchargent pareillement la mémoire de
Jean Calas de l'accusation contre lui intentée, ordonnent que
son écrou sera rayé et biffé, etc., a quoi faire tous greffiers,
concierges et geôliers seront contraints, même par corps ;
lions emphatiques adressée à M""* Gahis par le Lieutenant général
du guet au moment où elle sortit de prison. Nous en citerons
une seule phrase qui est un hommage à la piélc et à la force de ca-
ractère de la pauvre veuve : « Le Dieu que nous adorons et qui
pénètre les cœurs, vous a fourni des moyens de consolation, dans
la fermeté de votre âme et la résignation à sa sainte volonté. » Cet
officier offre ensuite à M""* Calas de lui envoyer un extrait qu'il a
fait de la procédure.
(1) Grimm (Corr, litt. , 25 mars) juge sévèrement cette coïn-
cidence toute factice.., « L'arrêt des requêtes de THôtel au Souve-
rain, a été rendu le même jour et à la même heure où Calas est mort
dans les tourments du supplice, il y a trois ans. Rien ne m'a fait
autant de peine que colle puérilité solennelle dans une cause de
celte espèce; elle m'a fait éprouver une horreur dont il serait dif-
ficile de rendre compte : il me semhle voir des enfants qui jouent
avec des poignards et les instruments du bourreau. »
276 RlUlSIOX ET RÉHABILITATION
comme aussi à inscrire le présent jugement en marge des dits
écrous.
Les accusés et tous les enfants de Jean Calas avaient
demandé l'autorisation de prendre à partie et dommages-
intérêts les magistrats qui avaient condamné à mort un
innocent maintenant réhabilité. Sur ce point grave et
très-délicat, les nouveaux juges a les ont renvoyés et
renvoient à se pourvoir ainsi qu'ils aviseront. »
Un des Maîtres des Requêtes, M. Fargès, était d'avis
de pousser beaucoup plus loin la rigueur contre les pre-
miers juges. Quand vint son tour d'opiner, il dit qu'il
fallait (( faire rendre compte au Parlement de Toulouse
de sa conduite inique et barbare. » Il persista, quoique
d'Aguesseau l'engageât à retirer ce qu'il y avait de trop
fort dans ses paroles.
Enfin les Galas avaient obtenu justice, une justice
bien tardive, mais aussi entière et aussi éclatante que
les hommes peuvent la rendre, quand ils ont ôté ce que
Dieu seul donne, la vie (1).
On devine avec quels transports Voltaire reçut la
grande nouvelle. Nous retrouvons, dans ce moment si
émouvant, le vieux philosophe attendant et bientôt dévo-
rant les lettres avec Donat, celui des enfants Calas qu'il
aiuiait le plus. 11 répond à son fidèle ami et collabo-
rateur d'Argental :
Un petit Galas était avec moi quand je reçus votre lettre et
celle de M™* Calas, et celle d'Élie, et tant d'autres : nous ver-
Ci) «Toute l'Europe en osl inslruile par ce courrier, » écrit
Court de Gebelin à M. l\>lior de Boltens, professeur à Lausanne.
11 ou fait part en même temps à M. de Vegobrc à Genève, â
M. Jîerlrand à Uerne, à .^î. Or^lcrvald à Neuchàlel, eic. (Lettres inéd,
comra. par M, le pasteur Cli. Tross.ivd, de Lille.)
RÉVISION ET RÉHABILITATION 277
slons des lariiies^^d'atlendrissement, le petit Calas et moi. Mes
vieux yeux en fournissaient autant que les siens ; nous étouf-
fions, mes chers anges.
Bientôt l'impatience le reprit; il restait à accomplir
lin genre de réparation beaucoup moins glorieux, mais
aussi nécessaire. Nous prouverons que M'"*^ Calas était
ruinée. Les sommes considérables souscrites pour elle
en France, en Suisse, en Angleterre, et auxquelles des
souverains avaient contribué, avaient à peine suffi aux
frais énormes des cinq procès, aux voyages indispensa-
bles de tous les membres de la famille, et à faire vivre
la pauvre veuve avec ses filles. 11 ne fallait pas qu'il
restât, des injustices qu'elles avaient subies, outre un
deuil qui ne pouvait se réparer, une misère honteuse
pour la nation, et qu'il était facile de prévenir. Voltaire
s'alarma de ne pas voir aussitôt un don royal assurer
l'existence de cette malheureuse victime des erreurs
judiciaires. Il s'en plaint à Damilaville avec sa verve
ordinaire (27 mars 1765) :
'< La reine a bu, dit-on, à sa santé, mais ne lui a point donné
de quoi boire. i>
Le mot est trivial ; mais la plainte aurait été juste, si
Ton eût tardé à y pourvoir.
Les nouveaux juges ne crurent pas avoir achevé leur
tâche. Ils écrivirent en corps au vice-chancelier Mau-
peou (1) la lettre suivante (2) :
(1) Ilené-Chaiics tic .Maupeou doviiU garde des sceaux el vice-
chancelier en 17 63, chancelier en 4 7 68 el fui le père du fameux
chancelier de Maupeou, qui lulla contre les parlemenis.
(2) Communiquée pa.- M""' Duvoisin née Anne Calas à Ai. Charles
Coquerel. {Annales protestantes, p. 155 et suiv.)
24
278 RÉVISION ET RÉHABILITATION
Monseigneur,
Nous avons rempli notre devoir comme juges en déchargeant
la veuve de Jean Calas, son fils, Lavaysse, Jeanne Yiguière, et
la mémoire de Jean Galas, de l'accusation intentée contre eux;
mais nous pensons que cette qualité nous impose encore l'obli-
gation de vous prier de faire passer les vœux de la Compagnie
jusqu'au pied du trône de Sa Majesté. Nous n'avons pu réparer
qu'imparfaitement le malheur des accusés, et en rendant à Jean
Calas son innocence, nous ne pouvons lui rendre la vie, ni
un père à une famille nombreuse, ni un mari h une veuve dé-
solée. Les suites d€ cet arrêt terrible, cassé par le Conseil sur
la forme, et détruit aujourd'hui sur le fond, ont causé des
pertes irréparables à sa femme et à ses enfants ; leur fortune
est entièrement détruite. Contraints d'abandonner une pro-
vince qui ne leur retracerait que les plus cruelles idées, il leur
reste peu d'espérance de rassembler les faibles débris d'un pa-
trimoine épuisé par une longue suite de revers. Nous vous sup>
plions. Monseigneur, d'implorer pour eux les bontés du roi ;
son cœur paternel sera touché sans doute de leur situation. Sa
Majesté n'a pas de sujets plus dignes d'exciter sa pitié, puis-
qu'elle n'en a pas de plus malheureux.
Nous osons espérer. Monseigneur, que cette démarche sera
favorablement accueillie,et nous en regarderons le succès comme
le témoignage le plus flatteur de la satisfaction de Sa Majesté.
Lors de l'examen de la procédure, tant des capitouls que du
parlement de Toulouse, nous avons remarqué combien l'usage
des intendits, dont on fait la lecture aux témoins, tandis que
l'ordonnance ne le tolère que pour interroger les accusés,
pourrait être dangereux et abusif. Nous avons l'honneur de
vous adresser un mémoire particulier sur cet objet. Nous esti-
mons qu'il peut mériter l'attention du Conseil et la vôtre ; nous
ne pourrons que nous en rapporter avec confiance aux moyens
que votre sagesse vous suggérera pour faire examiner cette
question délicate, et qui peut intéresser l'ordre judiciaire, en
matière criminelle.
RÉVISION ET RÉHABILITATION 279
RÉPONSE DU VICE-CHANCELIER.
Messieurs,
J'ai mis sous les yeux du roi la lettre que vous m'avez écrite
en laveur de la dame et des eiilanls Calas ; il était digne de
votre sagesse et de votre humanité, de faire porter au pied
(lu trône des vœux empressés pour cette malheureuse famille.
Nous êtes les plus sûres garanties de son innocence, et vour>
connaissez leur désastre. A ce double titre, votre voix ne pou-
vait que produire la plus vive impression sur le cœur de Sa
Majesté, qui a vu avec plaisir l'expression de votre zèle et de
vos généreux efforts pour ces infortunés. Jouissez de la satis-
faction que doit vous donner le succès de votre demande. Le
roi, dont fàrne est sensible a la justice et au malheur, a bien
voulu jeter sur eux un regard favorable ; il a accordé a la veuve
Calas une gratilication de 12,000 fr., 6,000 fr. a chacune de
ses filles, 3,000 fr. à ses fils, 3,000 fr. à la servante, et
(5,000 fr. pour les frais de voyage et de procédure.
Si la Justice que vous avez rendue aux Calas n'excitait pas
leur reconnaissance, du moins les bienfaits que vous avez su
leur procurer doivent opérer ce sentiment dans leur cœur d'une
manière ineffaçable.
D'après les Mémoires du temps {Grimm, 25 mars;
Bachaumont, t. 2, p. 190), les Maîtres des Requêtes de-
mandèrent également au roi d'interdire k Toulouse la
procession du 17 mai. Nous n'avons pas trouvé la trace
officielle de cet acte, dont la hardiesse sembla intem-
pestive et exagérée atix protestants du Languedoc. On
écrivait à Paul Rabaut. <( Vouloir d'un seul coup faire
réformer ce dernier arrêt et abolir une pratique qui,
quoique abusive et condamnable, est le fantôme chéri
d"iui peuple superstitieux, c'est, ce me semble, trop en-
280 REVISION ET REHABILITATION
treprenclre et risquer de ne rien obtenir. Il me semble
entendre les auteurs de l'apothéose de Marc-Antoine
Calas s'écrier dans les cabinets des juges et aux oreilles
de leurs pénitents : Tout est perdu pour la religion ; on
veut non-seulement nous ôter notre martyr pour le
traîner sur une honteuse claie, mais on veut encore
anéantir nos plus saintes cérémonies et rendre inutiles
les indulgences que le Saint-Père accorde k cette occa-
sion, .le ne doute pas qu'on tienne ce langage à Tou-
louse (1).))
Le vice-chancelier Maupeou manda M'"' Galas et ses
compagnons d'infortune ; il leur annonça lui-même les
dons du roi. Dans une lettre encore inédite (2) , Elle de
Beaumont rendit compte à Voltaire de leur entrevue
avec M. de Maupeouk cette occasion; ils le consultèrent
sur une question difficile sur laquelle personne n'osait se
prononcer : leur serait-il permis de poursuivre à leur tour
les juges deToulouse? On leur avait dit que si le roi leur
accordait une gratification, c'était pour éviter qu'ils pris-
sent, à partie le Parlement qui las avait jetés dans l'indi-
gence en même temps que dans le deuil :
Aprèsles premiers remerciemeus, ils lui demandèrent si S. M.
leur défendait par la la prise à partie. M. le Vice-Chancelier
leur répondit : vous avôs de bons Conseils ; consultez les et
faites ce qu'ils vous diront. Cette réponse a cela de bon qu'elle
n'annonce nullement que la prise à partie déplaise au roi comme
les Toulousains d'ici l'avaient répandu d'abord. On doute néan-
moins qu'elle puisse avoir lieu si les esprits des magistrats du
Conseil ne sont un peu ranimés, taiitœ molis est de punir parmi
{i)E(jl. du Désert, l. 2, p. 3 37.
{'i) Colieclion Lajrtriellc, de Nantes.
RÉVISION ET RÉHABILITATION 281
nous des prévaricateurs dont les charges excèdent 40000 livres.
Le dernier résultat de l'assemblée tenue chés M. d'Argental le
mercredi 3 avril a été que pour être conséquent et raisonna-
ble il fallait aussi prendre à partie les 13 juges de la Tour-
nelle,plus coupables encore que les capitouls puisqu'ils étaient
préposés par la loi pour les rectifier. Pour cela il faut la per-
mission du Conseil et l'on craint fort que ces petits rois plé-
béiens ne paraissent assez puissans pour que, par une faiblesse
honorée du nom de politique, on refuse de la permettre; on dit
même qu'ils font à Toulouse la bonne contenance de vouloir
faire imprimer la procédure, et qu'ils ont rendu arrêt portant
défense d'afficher notre jugement d'absolution. Mais ce dernier
fait n'est pas confirmé. On pense qu'il n'y a que des défenses
verbales, qui après tout produiront le même effet.
Cette remarque est exacte, car les dispositions de l'ar-
rêt d'après lesquelles l'écrou des Calas et leurs sentences
doivent être bifTés, et le jugement définitif transcrit en
marge, n'ont jamais été exécutées. La Sœur A.-J. Fraisse
raconte aussi à M"" Calas que le Parlement s'assemble
en secret et que ces Messieurs ont cherché quelque
moyen de protester contre le jugement des Requêtes,
mais n'en ont pas trouvé. Elle rapporte également qu'ils
annoncent qu'ils publieront la procédure; mais elle
ajoute : Je réponds qu'ils s'en garderont bien. (1)
Voltaire, toujours habile, ne cessa de recommander
aux Calas une grande prudence quant k la question de
la prise h partie (2). Une démarche inconsidérée pou-
vait, non pas compromettre la victoire obtenue, mais don-
Ce) Lettre XVIII.
(2) Lettres à DamilaviUe, i*' et 5 avril; à d'Argental, i*' avril.
Voir aussi une lettre de Voltaire à Debrus, lue à la Convention par
le député Bézard (Moniteur du 2 3 pluviôse an 11). Celte lettre a
éf^ insérée dans le Txecueil Cayrol, n*' 4 3 5.
2A.
282 REVISION ET RÉHABILITATION
lier dans ropiiiioii quelque avantage au Parlement. Il
ne fallait, en tout cas, tenter ce dernier coup que si l'on
était sur d'y réussir (I).
Nous pensons qu'il avait raison, que c'était juger la
situation avec une sage modération et un tact très-sûr.
Il fallait que Jean Calas fût réhabilité, mais non vengé,
que tout le monde eût horreur de la funeste prévention
de ses juges et que nul ne fût tenté de les plaindre. Ils
s'étaient trompés par excès de prévention, mais en se
croyant justes : leur seul châtiment devait être de se
voir convaincus d'injustice et de cruauté au tribunal
de l'opinion universelle (2).
Grimin s'indignait de ce que la poursuite contre les
Capitouls et le Parlement n'était pas faite aux frais de
l'Etat et au nom du Roi. Il prouvait clairement que
M""' Galas ne pouvait s'en charger :
On permet bien à celte malheureuse famille de prendre ses
ju!j;esU partie ; mais je ne vois pour elle dans cette permission
,i: n'aiiltcs les y poussùrcnl el La Briiuiuelle rédigea en cr
sens nu long Mémoire, destiné à la piiblieité, niiiis qui ne parut
yuMnl. Ce travail existe entre les mains de M. Angliviel et aussi,
îMiiis juains complet, dans la Collection de M""® de La Beaunielie. Ce
.Alémoire renferme dos faits et des arguments qui ne sont pas sans
valeur. 11 en a laissé une autre rédaction inachevée, sous le litre de
<( Lettres à .Vf..., Maître des Uequèles, nu des juges de Calas. »
(2) Ce sentiment a été exprimé avec énergie dans une épigramnie
populaire où l'on trouvera une allusion ;\ un incident du procès que
nous avons rapporté, p. i 5 4.
Contre Monsieur de Bonuepeau
Procureur général du roi à Toulouse
Faut-il donc que l'arrêt nouveau
Te fasse tomber en syncope ?
Console-toi, cher Bonrepeau :
Les Calas ont poii.i eux et Louis et l'Europe,
Mais n'as-tu pas pout toi David et le bourreau ?
BLVISION ET REHABILITATION 283
que des dépenses effrayantes, et peut être sa ruine entière. C'é-
tait au ministère public a poursuivre les assassins de Jean Ca-
las : la cause de cet infortuné est celle de tous les citoyens. Si la
vengeance publique se tait en faveur de ces hommes abomina-
bles, s'ils sont devenus inattaquables pour avoir acheté un
oftice de conseiller au parlement, comment une famille infor-
tunée, épuisée de moyens et de courage, réussirait-elle a se
procurer, a force de poursuite et de dépense, une satisfaction
qu'il serait de la plus étroite obligation du gouvernement de lui
faire donner de la manière la plus éclatante ? Après l'assassinat
juridique de ce père de famille, le domaine s'est emparé de
son bien, comme confisqué au profit du roi et a dissipé le j)a-
trimoine de la veuve et de l'orphelin .. Les frais du procès seul,
jusqu'au jour du jugement souverain, ont monté a plus de cin-
quante mille livres, fournies par la bienfaisance publique. Il
en coûtera un argent immense a cette famille déph^rable pour
faire signifier ce jugement "a tous les greffes ; il lui en coûtera
surtout pour le faire signifier au parlement de Toulouse ; l'huis-
sier qui se chargera de celte commission épineuse se fera payer
a proportion des risques qu'il court (1).
Le silence de ce corps, son opposition muelle cl obs-
tinée, délibérée en assemblée secrète le 20 mars (2),
inspiraient à Voltaire de l'indignation et du mépris. Il
exprime ce sentiment dans une lettre au marquis d'Ar-
gence de Dirac où il se réjouit, à juste titre, des adoucis-
sements que la sympathie publique pour les Galas ap-
porta peu k peu au sort des protestants français encore
persécutés.
(1) Corr. hit., 2 5 mai.
ri) Lettres à Debrus du 2 avril (Cayvol); à Argenlal, du 3 ; à Dami-
lavillc, du 5.
D'après le Mémoire inédit de La Beaumelle, on diargea le Prési-
dent de Niqncl d'écrire au Ministre pour sauver, s'il était possible,
les bricl's inlindils cl la procession du n mai.
28/1 RÉVISION ET RÉHABILITATION
S'il croit (io Parlement) avoir bien jugé les Calas, il doit
publier la procédure pour lâcher de se justiûer ; s'il sent qu'il
s'est trompé^ il doit réparer son injustice ou du moins sou
erreur; il n'a fait ni l'un ni l'autre et voilà le cas où c'est le
plus infâme des partis de n'en prendre aucun.
On me mande de Languedoc que cette fatale aventure a
fait beaucoup de bien à ces pauvres huguenots et que depuis
ce temps là on n'a envoyé personne aux galères pour avoir prié
Dieu en pleine campagne en vers français aussi mauvais que
nos psaumes latins. (ISoct. 1765.)
Plus d'une fois Voltaire reçut l'expression de la recon-
naissance de ces huguenots, qui depuis trois cents ans
étaient en butte à tant de rigueurs et k tant de calom-
nies. Aussi, en voyant le roi lui-même reconnaître par
ses dons l'injustice de la sentence prononcée contre
Calas et la fausseté de l'abominable accusation portée
contre tous leurs coreligionnaires , la joie fut très-vive
parmi eux. Il y avait un siècle et plus qu'ils n'avaient
reçu du pouvoir royai que des lois de sang et de persé-
cution. Aussi Voltaire exagère à peine quand il dit de
Louis XV en ce moment :
Tous les protestants sont prêts à mourir pour son service.
Il faut bien peu de chose aux grands de ce monde pour ins-
pirer l'amour ou la haine (1).
Mais nous avons de cette joie des Eglises réformées
un témoin d'autant plus sûr qu'il est plus malveillant :
le comte de Saint-Florentin. Persécuteur secret des
Calas, il fut blessé du triomphe qu'ils remportèrent de-
vant la justice du pays et plus encore peut-être du se-
^ '^■^tiiilr.villf t.G fvril 1 7 1
RÉVISION ET lîÉHABILITATlON '285
cours qu'ils reçurent du roi.il écrivit h ce sujet une let-
tre caractéristique k son collègue dans le ministère, le
Contrôleur-général de Laverdy (1). Nous y voyons que
le malheureux: Louis Galas, toujours cupide, n'avait pu
se résigner à être seul excepté des munificences royales,
auxquelles il n'avait aucun droit. Il n'avait souffert ni
])rison ni bannissement, et tout nous prouve qu'il avait
contribué à attirer ce long déluge de maux sur sa fa-
mille, par son abjuration, intéressée ou non, par ses pa-
roles inconsidérées au sujet de ses frères, par la faiblesse
honteuse de ses premières réponses aux Pénitents
blancs, quand ils lui offrirent un service pour le re-
pos de l'âme de Marc- Antoine, et par une foule d'incon-
séquences ou de lâchetés.
En voyant sa famille recevoir un don royal, il crut le
moment favorable pour obtenir l'augmentation d'une
pensionde 100 livres que lui payait l'État (2). Le comte
de Saint-Florentin demande plus pour lui ; ce puissant
solliciteur veut qu'il entre en partage des 36,000 fr. , à
moins qu'on ne lui accorde un don particulier, plus
considérable que ne le serait sa part. Il ne faut pas que
le seul catholique de la famille soit excepté de la munifi-
cence du roi (3), les protestants en triompheraient. Déjà
ils répandent que le roi est décidé pour la tolérance.
(i) Voir Corr. de Sainl-Flor. XXVIII.
(2) Probablemenl pour remplacer celle que son père lui avait
payée ttint qu'il avait vécu.
(3) Il paraît que M. de Saint-Florentin réussit dans sa demande;
il ne pouvait guère en être autrement. Grimm raconte dans sa Cor-
respondance du 15 novembre 17 65, que Louis vient d'obtenir une
gratification de i,ooo écus « pour l'empôcbcr de se repentir de sa
conversion. >> Il attribue cette laveur à l'influence du clergé. La
sanir Fraisse en parle aussi h Ai"" Calas dans sa lettre XX.
286 RÉVISION ET RÉHABILITATION
(( L'inaction où nous sommes, faute de troupes, en Lan-
guedoc et dans la plupart des provinces infectées de
l'hérésie, ne le leur persuade déjà que trop. »
Ainsi donc, à Versailles en 1765,1e principal ministre
de Louis XV regrettait les dragonnades et l'écrivait de
sa main, dans l'intimité d'une lettre de collègue à col-
lègue.
Honneur et i-econnaissance à Voltaire pour avoir lutté
seul contre une si affreuse intolérance, si puissante en-
core, et pour l'avoir vaincue. Honneur et reconnais-
sance à Jean Calas, dont le sang, héroïquement versé
dans delentes tortures, a lavé delà plus abominable ca-
lomnie, ses frères en la foi, et leur a assuré de nouveau
le respect et les sympathies du monde.
CHAPITRE XII
DERNIERS ÉVÉNEMENTS
Pauvreté de Mme Calas. — L'Estampe. — Nouvelle ca-
lomnie et nouvelle réponse de Viguière. — Mme Calas
à Ferney. — Obsèques de Voltaire au Panthéon. —
Louis et ses sœurs devant la Convention. — Fin de
Mme Calas, de ses fils, de Lavaysse et de David.
La vërité sort du nuage de la vraisemblance, mais
plie en sort trop tard; le sang de l'innocent deminde
vengeance contre la prévention de son juge, et le
magistrat est réduit à pleurer toute sa vie un malheur
que son repentir ne peut réparer.
D'AgUEïSKAC.
(16« mercuriale.)
On lit dans un des journaux du temps que M. de
Bacquencourt, le rapporteur du procès, se rendit, peu de
jours après la sentence, chez M'"*'Calas, etlui remit une
somme considérable en or. Gomme elle demandait à
qui elle en avait l'obligation :
« Je suis chargé, madame, lui a-t-il répondu, de vous de-
mander comme une grâce de ne point prendre la peine de vous
en informer. »
Ce don, otferl avec tant de respect et de tact, n'était
288 DERNIERS ÉVÉNEMENTS
millement superflu; il faudrait n'avoir aucune idée de la
justice d'alors pour croire que les 36,000 francs du roi
n'étaient pas épuisés, malgré tout ce que Voltaire avait
payé aux avocats, par cinq procès successifs et trois an-
nées de voyages ou de sollicitations de toute une famille.
La position de la famille Calas était en efl'et déplora-
ble. Voici ce qu'il était advenu de leur très-modeste for-
tune, déjà fort diminuée, si ce n'est compromise par l'é-
tat de gêne où se trouvait, h cette époque, le commerce
dans le midi delà France (1).
Depuis le 13 octobre 1761 jusqu'au supplice de Calas,
le 9 mars de l'année suivante, le mobilier, les marchan-
dises, tout ce que contenait la maison, fut laissé sans
inventaire ni scellés sous la garde de vingtsoldats, c'est-
à-dire à peu près au pillage (2).
xAlais à peine le martyr avait expiré, on se précipita
de tous côtés sur ce qu'il laissait, comme sur une proie
qu'on pouvait librement se disputer. Il y eut conflit entre
les autorités et les créanciers. Le jour même de l'exécu-
tion, pour assurer la confiscation des deux tiers pro-
noncée dans l'arrêt de mort, outre l'amende et les dé-
penses, le receveur général des domaines et bois à Tou-
louse, M. G. de Melle, requit la pose des scellés sur les
elfets et marchandises du supplicié. En même temps les
(i)Le5 détails qui suivent sont tirés des pièces qui se trouvent
aux Arcliives duravicraent à Toulouse, de la correspondance de l'in-
lendanl du Languedoc avec le ministre, avec son subdéiégué à Tou-
louse et avec le directeur de la régie (Archives de Montpellier),
ainsi que du rapport lu par le député Bézard à la Convention.
(2) D'après Court de Gebelin, dès le lendemain de l'arrestation.
Louis Calaslit desdémarclies pouroblcnir que la continuation du cnm-
roerce de son père lui fût légalement confiée. Il n'y réussit pas.
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 289
fermiers de la Régie demandèrent, par une requête en
lorme, d'être autorisés à saisir ses Ijiens. Une déclara-
tion de 1729 les y autorisait, mais h l'égard des religion-
naires fugitifs. Ce n'était pas le cas, et ils n'obtinrent
point la saisie qu'ils demandaient. D'un autre côté,
le 19 mars, les créanciers de Galas, c'est-à-dire les négo-
cianls avec lesquels il élail en aftaires, réclamèrent leurs
droits. Aussitôt les Capitouls intervinrent pour exiger le
paiement des frais de garde, à vingt hommes pai-jour,
pendant cinq mois.
Qu'était cependant cette fortune sur laquelle tant de
prétentions se faisaient jour? Voici ce qu'en écrit le sub-
délégué Amblard (28 avril 1762):
[.es biens du S"^ Calas ne consistent qu'en marcliandises et
en meubles... Le négociant même qui a procédé a l'inventaire
m'a assuré que leur valeur n'était que de 80,000 livres qui se
trouvaient absorbées par les frais de justice, les dettes et par la
dot de la femme. Ce nég* m'a même ajouté que 1rs créanciers
avaient formé opposition au scellé mis à la requête du fermier
du domaine, afin d'éviter s'ils le peuvent que les biens soient
vendus d'autorité de justice, ce qui augmenterait d'autant plus
les frais et rendrait leur perle plus considérable; mais leurs
vues sont, si l'opposition est reçue, de les faire vendre amiable-
ment et d'en prendre chacun au prorata de leurs créances (I}.
(i) Le 3 seplembre 17 63, les créanciers de Calas obtinrent
nn arrêt qui constata leurs droits et les intérôls des sommes qui
leur étaient ducs. Celte pièce se trouve aux Archives du Parlement
à Toulouse. M™* Calas figure sur la liste des créanciers (immédia-
tement après le boulanger qui est inscrit le premier); il lui était dû
10,000 livres pour sa dot, 9 44 livres d'intérêts échus et 7 00 livres de
douaire annuel. On lui reconnut en outre une créancede 2,4 4 6 livres,
et 7 6 livres d'intérêts, à remboursables après paiement de tous les
autres i éclamnnt?, 3 6 livre? étaient ducs à Jeanne Viguicr pour ses gage
25
290 DERNIERS ÉVÉNEMENTS
11 est certain que M"''*= Calas se trouva clans la posi-
tion la pkis difficile, malgré ce qu'elle recouvra des dé-
bris de son aisance passée. Dès quelle eut quelques res-
sources, elle s'occupa avec activité, comme le montrent
ses leltjes à Cazeing, de payer tous ses créanciers et entre
autres, de rembourser à ce dernier, à son neveu et aux
sieurs Martignac et Borel, les avances qu'ils lui avaient
faites et les secours d'amis, dont ses fdles avaient sub-
sisté, pendant les cinq mois d'emprisonnement de leurs
parents (1).
Depuis longtemps les amis de M""" Calas à Paris
avaient été forcés de songer à lui créer des ressources
et s'étaient arrêtés à un plan qui, sans porter aucune at-
teinte à la dignité de la veuve et de sa famille , foui-
nissait un prétexte très-convenable à des souscriptions
devenues nécessaires. Grimm en rendit compte avec
trop d'enq)liase, mais avec un zèle dévoué, dans sa Cor-
respondance littéraire ùixi'b avril 1765, immédiatement
après la réhabilitation de Calas.
M. de Garmontelle (2) lecteur de M. le duc deCliarlres,sans
être un académicien profond, dessine avec beaucoup d'agré-
d'un an. Le passif de la maison se monlail en tout à 7 9,8 90 livres.
Quant à l'actil', il paraît que dans l'intervalle du I3 octobre au lo
mars, bien des valeurs avaient disparu, et beaucoup d'objets avaient
été égarés, détruits ou dérobés. 11 parait aussi qu'une somme de
'i,000 francs appartenant aux deux jeunes tilles leur l'ut restituée,
d'après un moVûts Lettres de la S" Fraisse, n" VlU. 2 6 uct. 17 63.
(1) Nous regrettons vivement de trouver parmi les créanciers les
plus exigenis l'avocat Sudre. « il veut me rançonner, écrit-elle le
22 novembre 17 63 ; et quoy qu'il a été bien payé, il me demande
encore plus de buit cenis livres. Si je l'en croyais, il confondrait
tout ce qui peut me revenir. »
(2) On verraqu'ils'aiiitde la gravurequc nous avons fait réhuiic
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 291
ment et de facilité ; il sait surtout saisir, avec la ressemblance,
l'esprit et le caractère d'une fip:ure, et c'est ce qui suffit à notre
projet. Il a fait le tableau de toute la famille Calas (1).
Il les représenta réunis à la C on cier, chérie où ils durent
se constituer prisonniers pour attendre l'arrêt des Maî-
tres des Requêtes. M"'^ Calas est assise avec sa fille
aînée à son côté; Nanette est debout derrière elle,
mais ne ressemble guère à une Vierge du Guide, quoi
qu'en dise le baron de Grimm, enthousiaste de sa grâce
et de sa beauté. Jeanne, debout, auprès de sa maîtresse,
écoute la lecture que leur fait Gaubert Lavaysse du der-
nier ]\Iémoire écrit pour leur défense par Elie de Beau-
mont. Pierre, vêtu de deuil comme ses sanirs et sa mère,
lit par-dessus l'épaule de son ami. On fit graver par la
Fosse le dessin de Carmontelle, et la planche fut olïerte
h M"'" Calas. On obtint pour cette gravure le privilège
du roi et l'on publia un prospectus sous le titre de :
Projet de souscription pour une Estampe tragique et
pour la placer en lète de ce volume. La réduclion obtenue par la
méihode héliographique ou photographie sur acier, et terminée par
Phabile ])'irin de M. Rilaut, a rendu irès-exaclemciU la ressemblance
des six porirails. Ce sont bien des portraits en efTet , et l'estampe
figure à ce litre dans le catalogue des Portraitsdef. Français iUustrcs.
(Bibliolhcqiie historique des Français, par le P. Le Long et Fontette.)
(0 La BcaumoUe fil les vers suivants pour être mis au bas de l'es-
tampe. Ils ont été imprimés sur une bande qui se trouve sur quel-
ques exemplaires:
Tranquille, en nn cachot attendre sa sentence,
Par (les arrêts de sang n'être pas abattu,
C'est plaider pour Calas avec plus d'éloquence
Que l'oratour suhlune arme pour sa défende.
Il n'appartient qu'a la vertu
De demander des fers pour venger l'innocence.
Voratcvr sublime est Elie de Benumont.
2d2 DERNII-llS ÉVÉNEMENTS
morale (1). Un notaire fut chargé de recevoir les fonds.
L'exemplaire coûtait un écu de 6 livres.
A'oltaire applaudit à ce projet, et souscrivit aussitôt
pour douze exemplaires (2). 11 en parle souvent dans ses
lettres, quelquefois pour critiquer le dessin ; mais quand
il reçut l'estampe, il baisa au travers du verre les figures
de M""" Calas et de ses filles, puis il la suspendit au chevet
de son lil, à la place où les catholiques mettent un bé-
nitier ou un crucifix. Elle y demeura toute sa vie; et on
peut l'y voir représentée dans les gravm-es indiquées à la
Bibliographie, sous le n" 108. Cette estampe, dont Vol-
taire parle avec tant de joie, excita le même enthou-
siasme au couvent de la Visitation. La sœur Fraisse,
connue lui, l'attendit avec une vive impatience, la reçut
avec les mêmes transports, la regardait souvent avec une
profonde et douce émotion et la montrait avec empres-
sement à ses compagnes (3.).
Les maréchales duchesses de Luxembourg et de Mire-
poix, la duchesse d'Enville, la princesse de Turenne, la
duchesse douairière d'Aiguillon, se firent inscrire en
I) Voir Hibliogi-aphie n" {'i ci pour l'eslampc n" 103
(■2) Lellrc à DamilavillL', 2 9 avril 17GJ.
Il oui l'idée assez élraiige d'ajouter à la coniposlLion de '^.iinimu-
Itllc la fÎRuro charmanlc de Douai, sollicilanl à la porle de la pri-
son auprès d'un conseiller du Parlement, il prétendait que la douce
cl pure physionomie de cet enfant aiderait à persuader les juges de
l'innocence de sa famille et inléresserait le public. Dans celle pensée
il fit faire deux fois le portrait de Donal et se plaignait beaucoup du
peintre llnber, qui, en voulant donner à son jeune modèle une
expression de douleur et d'atleudrissement, avait laissé échapper la
resscniblance. 11 envoya cependant cette peinture à ses amis de Paris,
(Hu eurent le bon esprit de ne pas surcharger ainsi le projet primitif.
(Lelliesdu 17 mars à Argental; du 20 et 22 mai à Damilaville, etc.)
(3) Voir lellrc 23 et suivantes.
DERIN'IKRS EVENEMENTS '293
tétc de la liste. M""' d'Enville envoya cinquaiile louis
pour un exemplaire. Le duc de Ghoiseul en donna cent
pour deux exemplaires. Quelques princesses protestan-
tes d'Allemagne avaient déjà souscrit et l'on altendaitun
grand succès de cette œuvre de charité également ho-
norable pour tous, lorsque tout à coup la vente de l'es-
tampe fut arrêtée par ordre supérieur.
Nous laisserons à la plume de Grimm le récit de cet
inci"oyable réveil de l'intolérance :
La souscription pour l'estampe de la famille Calas, au prolit
des infortunés qui ont survécu à ces désastres, a été accueillie
(lu public avec la chaleur et l'iniérét dont l'humanité et la
compassion la plus juste lui faisait une loi; mais le sort qu'elle
vient d'éprouver a Paris paraîtra incroyable, même a ceux qui
connaissent le mieux les fureurs du fanatisme. A peine le
projet de souscription, muni du sceau et de l'approbatiDU
de la . poUce, favorisé par les noms les plus illustres de la
France, était-il devenu public, que quelques conseillers de
Parlement en ont été choqués, et qu'on a exigé du lieutenant
de police de faire suspendre la souscription. Un des premiers
magistrats du royaume a motivé la nécessité de cette suspen-
sion par les trois raisons suivantes: l" parce que M. de Vol-
laire paraissait être le premier instigateur de cette souscrip-
tion ; 2' parce que l'estampe était un monument injurieux au
Parlement de Toulouse ; 3" parce que ce serait faire du bien
a des protestants. 11 ne faut se permettre aucun commentaire
sur ces trois raisons ; car il est évident que ces messieurs veu-
lent se conserver le droit de rouer les innocents ; mais il n'est
pas moins incompréhensible qu'on ose empêcher la nation de
suivre l'exemple de bonté que son roi lui a donné, et que, pour
éviter un dégoût a sept ou huit officiers coupables d'un Parle-
ment, on ose priver d'un secours nécessaire des innocents qui
ont été si cruellement outragés, auxquels le roi a fait rendre
justice par un jugement suiiveiain rendu par près décent juges,
25.
29/l DERNIERS EVENEMENTS
après IVxamen le plus rigoureux, et que Sa Majesté a enfin jugés
dignes de ses bienfaits. On n'a pu mettre aucune forme ni
judiciaire, ni extra-judiciaire à cette défense; car sous quel
prétexte empêcher la publication d'une estampe pour laquelle
le roi a donné un privilège a M""^ Calas, qui défend a tous ses
sujets de la troubler dans le débit qu'elle jugera à propos d'en
faire ? C'est donc une violence arbitraire, et qui ne peut être
justifiée par aucune loi ; et c'est la magistrature qui se l'est
permise en cette occasion ! Si c'est là l'esprit public des pères
de la patrie, qu'il doit paraître fatal et déplorable ! On dit
pourtant qu'on trouvera des moyens pour faire lever cette sus-
pension ; mais ceux qui n'ont pas eu assez de pudeur pour ne
point ordonner une injustice aussi atroce, sauront bien la faire
continuer.
.. .11 faut faire diversion aux réflexions affligeantes qui résul-
tentde tous ces faits par un fait dont j'ai eu le bonheur d'être
témoin. La veille du jour que la suspension de la souscription
a été ordonnée, André Souhert, maître maçon, arrive chez le
notaire. « Est-ce ici, dit-il, qa'on souscrit pour madame Calas?
Je voudrais avoir quarante mille livres de rente pour les parta-
ger avec cette femme malheureuse ; mais je n'ai que mon tra-
vail et sept enfants a nourrir; donnez-moi une souscription:
voila mon écu. »
Cette défense, que nous soupçonnons fort le comte de
Saint-Florentin d'avoir accordée avec empressement aux
sollicitations de la magistrature, fut levée, mais au bout de
sepl ou huit mois (1), et l'ignoble but de cette ven-
geance mesquine fut atteint; il n'en faut pas tant
pour que le zèle le plus général se refroidisse; la gra-
vure fut moins répandue et la souscription moii:s consi-
dérable qu'elle ne l'aurait été. « L'injustice qu'on fai-
( I ) lia luurs 1 7 6 G {Mémoires sccrcls de nuchmimont, t. 3. p. 13).
DERNIERS ÉVÉNEMENTS O95
sait à la famille des Calas de s'opposer au débit de son
estampe était encore un vol manifeste, dit Voltaire (1).
Jl la recommanda avec instances à ses correspondants
couronnés et autres (2). Nous ne savons s'il est vrai que
l'impératrice de Russie envoya 5000 livres (3).
Deux ans plus tard, en 1767, l'affaire Calas fut mise
de nouveau en question.
On débite en Languedoc (écrit encore Voltaire h Elie de
Beauniont, le 26 mars 1767) que Jeanne Viguièrc est morte à
Paris, où elle est en pleine santé (i), qu'avant de mourir elle a
déclaré par devant notaire qu'elle avait été une sacrilège toute
sa vie, qu'elle avait feint pendant quarante ans d'être catho-
lique pour être l'espion des huguenots, qu'elle avait aidé son
maître et sa maîtresse a pendre leur fils aîné, que les protes-
tants de ce pays avaient en etfet un bourreau secret, élu à la
pluralité des voix, lequel venait aider les pères et mères à tuer
leurs enfants quand ils voulaient aller à la messe, et que cette
charge était la première dignité de la communion protes-
tante.
Mais cette calomnie absurde tourna contre ceux qui
se l'étaient permise et qui l'avaient répandue jusque
dans Paris, où Fréron est accusé de l'avoir soutenue.
Jeanne fit une Déclaration juridique devant des té-
moins honorables et devant son confesseur, qui con-
sentit à sanctionner cet acte par sa présence. Par ce
nouveau témoignage, elle persévéra dans toutes ses
(i) A d'Alembert, 2 8 Aug,
(2) 4 oct. à Colini, 3 janvier i7 67,etc., etc.
(3) Bachaumunt.
(4) Ceci est inexact ; elle avait fait une chute et s'était ca<;sé la
jambe, ce qui donna lieu au bruit de sa mort, effrumément exploité
aussitôt contre ses maîtres.
296 DERMEIIS tVENEMEiMS
assertions, el nia ce qu'elle avait loiijouis nié (1).
Cette inébranlable persislance n'élonnerapasnos lec-
teurs, mais elle devrait surprendre profondément ceux
qui s'obstinent encore à mettre les Calas au rang; des fa-
natiques et des assassins. Le fanatisme est un fait moral
bien connu; il s'est révélé au monde sous toutes les
formes; l'histoire en a rendu compte, et plus d'une lois
les philosophes, les moralistes l'ont discuté, étudié, ana-
lysé. Où vit-on jamais quatre oucinqénergumènes, après
avoir conmiis le plus aifreux des meurtres par fanatisme,
s'en guérir tout à coup, et tous à la fois, si complètement
que dès ce moment on n'en trouve plus trace dans la
vie d'un seul d'entre eux ? Le fanatisme ne se corrige
guère, ou, s'il se repent, c'est à sa manière, très-ca-
ractéristique et très-distincte de tout autre repentir. Il
est contraire k la nature humaine qu'une bande d'assas-
sins par zèle religieux redeviennent tout à coup des
gens aussi calmes, aussi débonnaires que tous les au-
tres, sans que leur vie ou leur mort les trahisse. Peut-
être cela est-il possible pour des criminels politiques,
après que les hommes, les institutions, les influences qui
les avaient exaltés ont complètement disparu. Mais
comme la mort, le jugement. Dieu, sont toujours de-
vant nous, le crime commandé par un barbare fana-
tisme laisse toujours après lui ou le remords, ou l'in-
quiétude, ou une sauvage et sombre satisfaction, et quel-
quefois ces divers sentiments tour k tour. Cela est sur-
tout vrai quand il s'agit d'un acte qui devait révolter un
(i;Ceiie De'cZam/wH, annotée par Voltaire, se trouve dans presque
li'iiik's les (Hlitions de srs œuvres ù la suite des pièces qui concer-
uenl les Calas. Voir Bibliogroi lue, n iu
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 297
des instincts les plus naturels et les plus vivaces de l'âme,
tels que l'amour maternel. En Pierre Calas, en Lavaysse,
c'est à peine si l'on trouve les indices de la piété même
la plus vulgaire; et chez les plus croyants d'entre les
accusés, la foi est ferme et paisible, sans aucune ap-
parence d'exaltation.
Leurs divers caractères ne cessent de se montrer
dans la suite de leur vie, avec le degré d'énergie qui
appartient à chacun. Il suffira ici de quelques traits ra-
pides. Mais leur défense et leur histoire seraient égale-
ment incomplètes si nous ne les montrions les mêmes
jusqu'à la mort.
IM""' Calas continua à vivre avec ses fdles dans la ville
où elle avait trouvé accueil et respect, loin des lieux, af-
freux pour elle, qu'avait ensanglantés le martyre de
celui dont elle porta le deuil tant qu'elle vécut. Lavaysse,
qui avait trouvé de l'emploi dans une maison de com-
merce ou de banque, remplaça auprès d'elle, pendant les
premières années, ses fils absents.
Le 22 novembre 1763, elle écrivait à Cazeing aîné ces
lignes où se retrouve toute sa tendresse pour celui de ses
enfants dont on l'accusait d'avoir souhaité la mort :
J'ay des bonnes nouvelles de mes lils Je Genève; ils se
porle bien et travaille beaucoup, il nan ait pas de même de
Louis; sa santé est misérable et il na point trouvé encore a ce
placer. Les fond lui mamjue et son étal est triste, je ne puis
vous cacher que jen suis touchée.
Ses fils de Genève étaient Donat qui n'avait pas quitté
cette ville, et Pierre qui y était retourné pour continuer
les afl'aires de commerce qu'il y avait commencées. Vol-
taire s'inquiéta d'abord de le voir sortir de France. 11
298 DERNIERS ÉVÉNEMENTS
craignit que le gouvernement français ne s'offensât de
ce\ exil volontaire qui était encore interdit aux pro-
testants; mais personne n'en prit occasion ou prétexte
pour attaquer les Calas, et dès le l^M'uin Voltaire lui-
même écrivait k M. Ribotte :
Les deux frères Calas commencent à faire une petite for-
tune dans ce pays.
L'année suivante il recommanda à Colini, Pierre Ca-
las (jue ses affaires appelaient en Allemagne. Le 28 sep-
tembre 1770, les deux frèi'es furent reçus bourgeois de
Genève, sans frais, sur la recommandation du duc de
Choiseiil , transmise au Petit Conseil par M. Necker. Deux
ans après Pierre se maria (1).
En 1770 Mme Calas vit Voltaire pour la première
fois. Elle fit avec Gaubert Lavayssele voyage deFerney,
attirée sans doute par le désir de revoir ses deux fds
établis à Genève, Donat surtout dont elle avait été sé-
parée avant tous ses malheurs, il y avait plus de neuf
ans. L'entrevue de Voltaire et de Mme Calas fut pleine de
joie et d'émotion des deux parts. 11 en rendit compte à
d'Alembert, en quelques mots :
Cette bonne et vertueuse mère me vint voir ces jours
passés ; je pleurai comme un enfant (2).
Il n'est pas douteux qu'elle le revît à Paris, lorsqu'il
vint y mourir au milieu d'un dernier triomphe, plus
bruyant, mais moins réel que ceux dont les Calas lui
(i) Il épousa en juillet 17 72 Marthe Martin.
(2) On trouvera à la fin du volume (notes VII et VIII) deux lettres
que Vollaivc reçut do ]^,I™* Calas et de Lavaysse, après leur retour à
Paris. Ces lettres proviennent de la Collection Lajarielte de Nante?.
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 299
avaient donné l'occasion. Elle eut encore k lui rendre
après sa mort un dernier homaiage de reconnais-
sance.
On sait que la nuit môme où il mourut, l'abbé Migiiot,
son neveu, emporta le corps à son abbaye de Seliières où
il le fit inhumer et où ses restes demeurèrent jusqu'à la
Révolution. En 1791 l'abbaye et l'église furent detrui-
r tes; Paris se montra jaloux de la gloire que s'acquit la
• petite ville de Komilly en donnant un asile à ses cen-
dres. L'enthousiasme était au comble pour celui qu'on
proclamait le premier auteur de la Révolution. Des fu-
nérailles éclatantes lui furent votées par l'Assemblée et
le corps fut porté de ilomilly aux ruines de la Bastille
où Voltaire avait étédétenu dans sa jeunesse, puis le len-
demain (12 juillet), de la Bastille au Panthéon. Nous
n'avons pas à décrire ici cette pompe à la fois ollicielle
et populaire. Disons seulement que le magnilique sarco-
phage portaitcetteinscription:/^ vengea Calas, La Barre,
Sirv3n et iMoïttbaiUy ; et qu'après s'être rendu par les
boulevards, delaBastille à la place Louis XV, l'immense
cortège vint stationner sur le quai Voltaire, devant la
maison où il mourut, celle du ci-devant marquis de
Viilette, son neveu. Là, de jeunes citoyennes en robes
blanches attendaient sur un amphithéâtre pour chanter
une ode deChénier mise en musique par Gossec. M'"*" de
Viilette, que Voltaire aimait à appeler belLe et bonne,
couronna sa statue, el prit rang dans le cortège avec
M"'*' Galas et ses entants, qui figuraient ainsi parmi les
membres de la famille de leui' bienfaiteui' ; cette idée
lut peut-être ce qu'U y eut de plus simple et de plus
touchant dans tout l'étalage de l'enthousiasme et de la
sensibilité publics. La part de M'"' Galas dans cette
30O DERNIERS ÉVÉNEMENTS
fête, OÙ elle ne devait pas refuser de paraître, fut donc
h la fois modeste et digne (1).
Le soir de ce jour de deuil, le Théâtre-Français de
la rue de Richelieu donna Ca/as ow l'Ecole des Juges,
par Marie-Joseph Chénier. Au Théâtre de la Nation
(Odéon), on joua Mahomet et la Bienfaisance de Vol-
taire, autre pièce dont les Galas étaient après lui les
héros (2).
Madame Calas survécut quelques mois â cette céré-
monie. Elle mourut â Paris , rue Poissonnière, n" 3,
le 29 avril 1792, âgée de 82 ans environ (3).
Ses deux fds établis à Genève l'avaient précédée. Do-
uât mourut sans postérité le 10 septembre 1776. Pierre
décéda le 20 septembre 1790. Les inventaires de leurs
biens, qui existent encore à Genève (h), indiquent peu
d'aisance à l'époqueoii mourut Donat; mais quatorze ans
après, à la mort de Pierre, sa position de fortune était
meilleure (5).
{\) Moniteur àw 13 juillet el du 3 0 juin précédent.
(2} Voir sur les nombreuses pièces de tliéùtre dont les malheurs
des Cillas onlfourni le sujet, notre chapitre XV : Histoire de l'opinion
el la Bibliographie , 5* partie.
(3) En janvier 1763 elle habitait le quai des Orfèvres; elle s'était
ensuite établie aussi près que possible de sa fille M""® Duvoisin et
dans la môme rue,
Aoir l'acte de ses funérailles à la note XII. Cet acte (trouvé
par M. Uead à l'Hôlel-de-Ville) est un exemple assez curieux de la
manière dont avaient lieu à celte époque les inhumations de protes-
tants à Paris.
(A) Registre des inventaires après décès (Hôlel-de-Ville de Genève).
(5) D'après le registre de l'état civil de Genève, Donat aurait eu
3 7 ans cl Pierre 5 8 quand ils moururent. Ce sont là des chiffres ap-
proximatifs cl tous deux exagérés. La naissance de Pierre se trou-
verait antérieure à celle de son frère aîné, dont nous avons la date
authentique.
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 30i
A deux reprises, les Assemblées nationales s'occupè-
rent des derniers membres de la famille Calas.
Ce fut d'abordle 18 juin 1792, l'Assemblée législative,
à laquelle Louis Galas, incorrigible dans sa cupidité, vint
demander de l'argent. Il fut admis h la barre. Un défenseur
officieux ^f\i\QV on ne nommcpas, prit la parole, à sa place,
et le désigna comme le dernier rejeton de la famille.
Réduit parle désespoir à quitter sa patrie, l'Angleterre lui a
donné un asile depuis 25 ans (1): mais ce qui lui reste de la suc-
cession de sa malheureuse mère, loin de snflire au paiement des
engagements de son père, considérablement accrus par les in-
térêts, ne suffit même pas à sa subsistance et a celle de sa fa-
mille.
Le président (M. Fiançais, de Nantes) témoigna au pétition-
naire la sensibilité de l'assemblée envers une des victimes des
intrigues sacerdotales et du despotisme parlementaire.
La demande fut renvoyée au Comité des secours pu-
blics et n'eut pas de suite.
A la Convention ce ne fut aucun des Calas qui vint ap-
peler sur lui l'attention publique. Le 25 brumaire an II,
on venait de réhabiliter la mémoire du chevalier de
La Barre, autre victime dont Voltaire avait généreuse-
ment entrepris la défense. On décida en même temps
qu'une colonne serait érigée en l'honneur de Calas sur le
lieu de son supplice. 11 n'y aurait kce sujet aucim blâme
ti adresser à personne si Barrère n'avait dit à la tribune :
Vous devez réhabiliter aussi la mémoire de Calas, dont un
(i) Il y avait exploité les malheurs de sa famille cl le nom de
Voltaire, comme le prouve une brochure qu'il fil imprimer en
1789 à Londres, Voir Bibliogr, n° 84, seconde édition.
26
302 DEr.NIEP.S ÉVKNEMEÎS'TS
rejeton se fait remarquer aux Jacobins par la pureté Je son
patriotisme.
On sait déjà que ce rejeton est encore Louis.
11 vint à la barre avec ses deux sœurs (Fune n'était
point mariée et Tatitre déjà veuve) exprimer à la Con-
vention leur reconnaissance. La lettre qu'ils firent dé-
poser sur le bureau, écrite dans le style du temps, ex-
prime les sentiments que devait leur inspirer l'hom-
mage rendu à leur père.
LES ENFANTS DE 1,'lNFOrxTLNÉ CALAS AU CITOYEN PRÉSIDENT DE
LA CONVENTION NATIONALE.
Citoyen président,
Les enfans de l'infortuné Calas, vivement pénétrés de la jus-
tice que la Convention nationale vient de rendre à la mémoire
de leur mallieureux père, viennent jeter a ses pieds le tribut
de leur immortelle gratitude, et te prier, citoyen président,
de vouloir être leur organe pour en faire passer l'expression
à l'auguste assemblée. Nos âmes altérées par le malheur n'ont
que la laculté de sentir ce bienfait, sans pouvoir dépeindre
l'étendue de leur reconnaissance. Ah ! daigne lire dans la na-
ture tous les sentiments de l'amour filial, et tu seras le fidèle
interprète de nos cœurs.
Il était réservé a des législateurs éclairés par la philosophie
d'anéantir le fanatisme et d'élever un monument pour rétablir
les droits de la nature si cruellement outragée. Pères de la
patrie, rcîstaurateurs des opprimés, agréez les vœux de vos
enfants et particulièrement l'hommage d'une famille qui a
reçu spécialement vos bienfaits.
Salut et fraternité
Louis Calas.
Anne-Rose Calas.
Anne Calas, veuve Duvoisln.
DER.MlinS ÉVÉN£.^IENTS 303
Le Convention ordonna la mention honorable et l'in-
sertion au Bulletin de cette lettre, qui donna lieu, dit-
on dans le procès-verbal de la séance du 29 Juanr.aire, ci
une discussion digne des représentants d'un grand peuple.
Enfin, le 23 pluviôse, un long et solennel discours
fut prononcé par le citoyen Bézard, faisant connaî-
tre, à l'aide de documents fournis par les trois der-
niers membres de la famille Galas, des faits ignorés
jusqu'alors et que nous avons relatés plus haut. 11 ne
demanda rien pour Louis et ses sœurs, mais il conclut
à ce que la nation prît à sa charge les dettes de Jean
Calas, et achevât, en désintéressant tous ses créanciers,
la réhabilitation de cette noble mémoire, hommage bien
plus digne de lui que tout autre, double réparation due à
l'intègre négociant ruiné par ses juges, et ci ceux qui
s'étaient confiés en lui (1).
A dater de ce moment, nous perdons la trace de Louis
Calas. Mais il nous reste à raconter l'histoire de l'une de
sessœurs, que nous avons à peine indiquée jusqu'ici et
où, après tant de récits pénibles ou tragiques, nous
trouverons des souvenirs plus doux.
Nous devons rendre compte d'tibord, en quelques
mots rapides, de ce que devinrent deux des acteurs les
])lus importants de ce long drame, Gaubert Ltavaysse
et David de Becaudrigue.
Le premier, nous écrit une de ses petites-nièces,
(0 « La quiUancc grui-ralc de ses créanciers est une inscviplion
qui manquerait à la colonne, » dit Hezard en finissant. Voici les ter-
mes du décret :
Les créanciers légilimcs de Jean Calas, colUxjués dans l'arrêt do
dislribuiion du ci-dovanl Parlrmonl de Toulouse du 3 septembre
1763, seront payés par le trésor puLlic des sommes qui leur res-
tent dues.
30^ DERNIERS EVENEMENTS
accomplit le projet qu'il avait formé avant ses mal-
heurs. Il se voua au commerce; plus tard il résida quel-
que temps en Angleterre, pour étendre ses entreprises.
Etant devenu correspondant de la Compagnie des Indes
tiLorient, il y vécut jusqu'en 1786, époque de sa mort,
jouissant d'une considération due à sa probité, à l'amé-
nité de son caractère, au bien que lui permettait de faire
sa grande fortune. Il ne fut jamais marié.
La fin de David de Beaudrigue offre un contraste ter-
rible avec celle de cet homme de bien qui avait été une
de ses victimes. A mesure que la lumière se fit dans
cette afi'aire si mal jugée, après la mort admirable de
Calas, après la publicité immense donnée par Voltaire à
ses malheurs et à son innocence, David se vit l'objet du
blâme et de la réprobation à peu près universels (1).
(1) L'anecdote suivante, publiée assez inexactement par plusieurs
journaux, a paru dans le Bulletin de la Société d'Histoire du Pro-
testantisme français, t. 4, p. 647. M. Read la tenait de M. Moquin-
Tandon, membre de l'Institut, dont l'astronome B. Tandon fut le bi-
saïeul maternel.
«< La ville de Montpellier possédait déjà, avant la révolution de
17 89, un très-bel observatoire, bâti sur une des tours des anciens
remparts, que les étrangers qui venaient voir la ville ne manquaient
pas de visiter. Il était dirigé en 17 62 par Bartbélcmy Tandon, bomrae
instruit, modeste, jouissant d'une grande considération, quoiqu'il
fùl de la religion prétendue réformée; c'était aussi un bomme de
Ijcaucoup d'esprit et même tant soit peu railleur. 11 était comme
cbez lui dans cet observatoire qui s'élevait au fond de son jardin
et communiquait avec son cabinet par le moyen du mur de ville dont
on avait fait une terrasse.
« Peu de temps après la condamnation du mallicureux Calas, un
des Capilouls qui avaient joué le rôle le plus actif dans celte grande
iniquité, David de Beaudrigue, étant venu à Montpellier, se présente
en visiteur à l'observatoire. Baribélemy Tandon s'y trouvait en robe de
cbambre et en pantoufles. Le Capitoul prend notre astronome pour
le concierge de l'établissement^ cl lui adresse plusieurs questions
DERNIERS ÉVÉNEMENTS 305
Nous avons vu qu'il fut destitué le 25 février 1765.
— Voici ce qu'on lit à son sujet, quelques mois après,
dans un journal du temps (les Affiche?, de Province,
n« /(9, du 9 octobre 1765) (1) :
On écrit de Toulouse, que le sieur /A/r/cZ, Capitoul, qui,
dans la malheureuse aflaire des Calas, s'est conduit avec la plus
coupable passion, est lui-même actuellement dans un fort dé-
plorable état. Sa destitution, le jugement des requêtes de l'Hô-
tel, et la crainte d'une prise à partie lui ont totalement dé-
rangé la tête. En proie aux idées les plus sinistres, il ne voit
que gibets et que bourreaux prêts a lui faire subir la juste
peine du talion. On l'a fait conduire à Saint-Papoul (2) au-
l)rès de sa femme, qu'il avait chassée depuis longtemps de sa
maison. A peine y est-il arrivé, qu'il s'est échappé pour courir
les champs. Repris et ramené dans la maison, il s'est précipité
d'une fenêtre dans la rue, sans se tuer. Depuis ce trait de fré-
avec le ton impertinent d'un personnage ignorant et dédaigneux. Dans
un coin de la salle se trouvait un magnifique télescope donné à la
ville de Monlppllier par le gouverneur de la province, sur la demande
de l'Académie royale des sciences et sur les instances de Barthé-
lémy Tandon. L'ayant envisagé, le visiteur demande : « Quel est ce
« grand tuyau de poêle? — Monsieur, répond noire savant, c'est une
'( lunette d'approche très-remarquable, à l'aide de laquelle on voit
« très distinctement en Paradis... l'âme de Jean Calas ! «
Le Capitoul rougit de colère, en s'écrianl : « Apprenez, l'ami, que
«je suis un des premiers magistrats de Toulouse! — Sachez à votre
« tour, répliqua Barthélémy Tandon, que vous avez à faire au direc-
« teur de l'observatoire de Montpellier, et qu'il n'est pas votre
<f ami. »
« Furieux de l'aventure, le Capitoul se retira en menaçant de se
plaindre à l'intendant de la province; il n'y manqua pas. Celui-ci,
qui aimait beaucoup notre savant directeur, promit à David de lui
infliger la punition qu'il méritait. Le soir, il réunit i sa table le Ca-
pitoul et l'astronome. »
(1) Recueil de M""' de La Beaum-^Ue.
(2) C'était sa ville natale.
26.
tj06 DERNIERS ÉVÉiNEMENTS
nésie, on le garde à vue et quand le trouble et le désespoir
viennent l'agiter, quatre hommes ont de la peine a le con-
tenir (4).
D'après un autre doctmieul, il se jeta une seconde
fois du haut de la maison et se tua. On ajoute même
qu'il prononça le nom de Calas en mourant.
Cette hideuse fin est à la fois un châtiment et, en quel-
que mesure, une réhabilitation morale, si, comme nous
voulons le croire, ses remords lui servirent de bour-
reau (2).
(») Voir aussi Grimm (Corr. lilt. 15 avril I763et i 5 nov. 1765.)
(2) En 179 4, son petit-fils, Trislun David d'Escalonne, péril sin*
l'échafaud, comme tant d'autres ptM'sonnages que nous avons eu
occasion de nommer. On a dit que la mémoire du Capiloul avait con-
tribué à perdre son descendant, dans ce temps où une foule de
viciimes n'avaient d'autre crime à se reprocher, que leur nom. Il
Itiut ajouter cependant qu'il s'élaH publiquement opposé à l'élablis-
soment du règue de la Terreur dans Toulouse, avec plus de fcr-
nu-ié qu'il n'en montra plus lard en face du supplice. Celle ré-
sistance honorable et hardie suffit pour expliquer sa condamnalion.
(Voir d'Aldéguier', Histoire de Toulouse, t. 4. p. 508, 5 1 7 , et
dans les noies p. 4 6.)
CHAPITRE XIII
NANETTE CALAS
Elle a gagné l'ainitié et l'estime de notre commu-
nauté par ses excellentes qualifias. Nous n'avons eu
qu'à regretter que tant de verlus dont elle est remplie
ne puissent lui servir que pour cette vie,
S"" Anne-Julie Fkaisse, de la Visitation. (L. 1.)
A la nouvelle de la mort subite et mystérieuse de leur
frère aîné, les D^^" Calas se firent ramener de la propriété
de j\I. ïeissier à Toulouse. Rose avait alors vingt-deux
ans, et Nanette vingt et un.
Toute leur famille, jusqu'à leur unique servante, était
en prison. Nous ne savons où elles trouvèrent un asile.
Ce ne put être dans la maison paternelle qui était gar-
dée, et fort mal, par des soldats. Nous avons vu que
tout le monde y entrait, et que dans les premiers jours
où les scellés auraient du être mis partout, les jeunes
gens de la ville et les soldats eux-mêmes s'amusaient h
essayer si l'on pouvait se pendre aux battants de la
porte avec le billot dont s'était servi Marc-Antoine.
Elles durent se pourvoir d'un gîte, et l'on a vu qu'après
l'examen des effets de Marc-Antoine, on les leur rendit,
pour être portes dans leur nouveau logemont. La posi-
308 iNAAETTE CALAS
tion des deux jeunes filles était affreuse. Elles se trou-
vaient sans autre appui que leur déplorable frère Louis
qu'elles n'avaient pas vu depuis plusieurs années, et dont
le caractère ne pouvait leur inspirer que peu de con-
fiance. Quelques rares amis de leur famille leur restèrent
fidèles ; elles durent vivre de leurs secours, attendant
avec angoisse le résultat de ce terrible procès.
Dans la mesure de leur savoir et de leurs ressources
elles agirent pour défendre leur père, leur mère et leur
frère. Nanette, quoique la plus jeune, paraît s'être char-
gée d'écrire et de parler. Il existe au procès (devant les
]\Iaîtres des Requêtes) une réponse du négociant Griolet
que nous avons déjà citée et où il explique à la jeune
fille qu'il ne peut comparaître, puisque rien dans leMo-
niloire ne l'y autorise et qu'il n'a pas été cité. Elle l'a-
vait sollicité de se montrer et de rendre témoignage en
faveur de ses parents. Cette lettre, qui renferme des
attestations très-honorables pour les Galas, ne put être
produite que devant les derniers juges et fut pour eux
un exemple des vices de la première procédure. L'ini-
tiative prise par Nanette finit donc par être utile.
Toutes deux étaient encore à Toulouse au milieu de
février. 11 paraît que ce fut seulement la sentence de
mort de Jean Calas qui les détermina à fuir. Elles quit-
tèrent en secret cette ville, dont la mort sanglante de leur
père faisait pour elles un lieu d'épouvante et d'hor-
reur, et trouvèrent un abri à Montauban où les pro-
lestants étaient nombreux et où leur mère avait des
amis. Elle vint les y rejoindre après la tragédie du 10
mars et son propre acquittement, prononcé le 18. Mais
ses filles ne purent l'entourer longtemps des consolations
de leur tendresse. La malheureuse veuve avait encore
NANETTK CALAS ,'309
ce calice d'amerlume à boire. Le 27 mars 1762, M. le
président du Piiget daigna s'occuper d'elles et en occu-
per Monseigneur le comte de Saint-Florentin, deman-
dant deux lettres de cachet pour enfermer dans des
couvents séparés les filles de ce nmlheureux père. Il
espère la conversion de Rose, surtout si elle est sé-
parée de Nanette qui est la plus obstinée dans sa reli-
gion (1).
Demander des lettres de cachet contre les enfants
d'un protestant, c'était les obtenir; à plus forte raison
quand le père avait été roué et quand c'étaient ses pro-
])res juges qui s'acharnaient à persécuter les débris de
sa famille.
Les deux jeunes fdles furent enlevées à leur mère le
28 mai. C'est ici que Louis commit la plus honteuse de
ses lâchetés, s'il est vrai, comme Court de Gébelin l'af-
firme (2), qu'il consentit à servir de guide aux cavaliers
de la maréchaussée, et à faire le guet pendant la nuit,
devant la porte de ses sœurs. L'acte était digne du mau-
vais fils qui avait débuté par un placet où il demandait
que tous ses frères et sœurs mineurs fussent enlevés à
leurs parents et enfermés dans des couvents. L'auteur
des Toulousaines ajoute même qu'il avait promis h ses
sœurs de les avertir de tout danger. Il avait pu le leur
pi'omettre sincèrement et les trahir ensuite par peur,
lui qui n'eut jamais d'énergie que pour ime chose : de-
mander de l'argent.
Rien n'était plus redouté des familles protestantes, et
redouté à plus juste titre, que la séquestration de leurs
(0 M.dnPviget confond los drnx ronis. NOir Corr. St-Fl . 21,
(2) Toulousaines, \\ 4 8 7.
310 MANETTE CALAS
enfants entre les mains des moines oncles religieuses (1).
Dans rintérieur de ces maisons cloîtrées, le prieur
ou la supérieure étaient tout-paissants et pouvaient user
de tous les moyens pour obtenir une conversion; les ri-
gueurs ou les cajoleries, la terreur, la calomnie contre
des parents absents, tout pouvait être mis en œuvre sans
contrôle et sans réclamation possible. Toute connnunica-
tion avec la famille était rigoureusement interdite (2).
Une multitude demères, depuis 1685 jusqu'en 1789, ont
pleuré comme morts leurs enfants encore vivants, mais
dont on leur avait aliéné le cœur, et ont Uni par dire
d'eux, si enfin on les leur rendait, ce que M""^ Galas dut
(i) Uy eut une fête magnifique chez les jésuites le jouv où ils
donnèrent à leur collège de Paris le nom de Louis-Ie-Grand , en
méuiûire de la Piévocalion. Ils félicitèrent le rui, par d'ingénieux
emblèmes, de ce crime contre la famille et conlre la nature. On li-
sait sur les murs, entre autres inscriptions, celle-ci:
A la gloire de Louis le Grand, pour avoir tiré les enfants d'en-
tre les bras de l'hérésie el leur avoir procuré une éducation plus
heureuse dans le sein de la véritable relitjion. Au-dessous se trou-
vaient deux devises : la première avait pour corps de jeunes sauva-
geons entés sur des arbres cultivés, et pour rime ces mots de Virgile:
Illi'.; renient feliciùs, traduits par ce vers prosaïque;
Ils seront en ce lieu beaucoup mieux élevés
La seconde représentait une branche de corail avec ces paroles:
Radicato nulla, Sradicatotutio vale^ avec cet équivalent en fran-
çais :
De la main qui l'arrache il reçoit tout son prix.
Voir le Triomphe de la religion sous Louis le Grand représenté par
des inscriptions et des devises (par le père Le Jay), 1687, 182
p. in-12.
(2) Nous avons lu dans les Dépêches du Secrétariat, unclellre irès-
rudedu rainislrc(i*'' juin 1762) où il réprimande vertement la supé-
rieure des Ursulines de Toulouse pour avoir permis à une des proles-
tantes dont elle était la geôlière, M'^'' de Massip.. de sortir du couvent
pendant la journée. Nous citons le fait, à la honte du ministre el à
l'honneur de la religieuse.
NÂNETTE CALAS 311
dire de Louis : // ne me reconnaît plus pour sa mèi^e.
Nous avons heureusement à raconter, en finissant cette
douloureuse histoire, des faits tout opposés. On ne sait
rien du couvent de Toulouse où Rose Calas fut enfermée;
mais il parait qu'elle n'eut point à s'en louer (1). Elle y
éprouva beaucoup de duretés, dit Grimm (2). Pour Na-
nette, il en fut tout autrement.
Elles durent frémir l'une et l'autre de rentrer, sous
l'escorte de la maréchaussée, dans cette ville funeste où
leur père était mort sur la roue, où leur frère Pierre
était détenu malgré la loi dans un monastère, et d'où le
reste de leur famille avait dû fuir. Bientôt, cependant,
Nanelte commença k se réconcilier avec sa prison. Elle
était aux Visitandines (3), et on avait confié sa conver-
sion à une religieuse âgée, très-fervente catholique, mais
douée d'un grand sens et d'un cœur toul maternel. La
sœur Anne- Julie Fraisse ne réussit nullement, malgré
ses consciencieux efl"orts et ses ardentes prières, à faire
une catholique de la fille du martyr protestant. Elle ne
parvint pas même k ébranler ses convictions. Mais elle
sut la comprendre, estimer son cara tère élevé et char-
mant, l'aimer, et la rendre aussi lieureuse que pouvait
l'être Anne Calas au couvent.
De son côté, la jeune huguenote fut profondément émue
et reconnaissante des bontés de mère que lui témoigna
la vénérable religieuse. Il n'eût pas été fort étonnant que
(i)Lclli'e de la sœur Fraisse 30.
(2) Corr. litt. , 2 5 mars.
(3) Le couvent où elle fui placée avait donné son nom à la place
delà Visilalion; il devint une prison en 17 89 et n'a pas été rendu
aux religieuses qui en occupent aujourd'hui un autre dans un quar-
tier différent,
312 KANETTE CALAS
la fille d'un protestant mis à mort pour parricide se trou-
vât blessée des propos, des regards, de l'accueil qu'elle
rencontrerait parmi ces religieuses. Elle-même s'y at-
tendait; mais elle n'eut rien de pareil à souffrir. Lanière
Anne d'IIunaud, supérieure du monastère, était une per-
sonne charitable et bonne, et Nanetle par sa piété, sa
douceur de caractère, sa réserve, sa grâce, eut bientôt
gagné tous les cœurs chez les dames de la Visitation.
Anne-Julie devint pour elle une seconde mère, une
amie active et zélée, dont l'affection ne se démentit
jamais, et ne fut interrompue que par la mort.
Entre la vieille Yisitandine et Nanette Calas eut lieu
dans le couvent de Toulouse le même entretien que Vol-
taire avait eu avec Donat. Elle écouta les douloureux
récits des malheurs de la famille, mêla ses larmes à
celles de la pauvre orpheline, l'interrogea sur ses pa-
rents, sur leur conduite envers son frère catholique; et
elle aussi, la droite et noble femme, jugea Calas et ses
juges, reconnut l'innocence du roué et la folie de ses
persécuteurs. Admirable exemple de ce que valent la
supériorité et l'entière sincérité de l'esprit . Mais il ne
suffit pas à la sœur Fraisse de croire les Galas inno-
cents:
La loi qui nugilpoinl esl-cc une foi sincère?
EUeagit, elle écrivit du fond de sa cellule. Elle était
proche parente de M. Castanicr cl'Auriac, président au
grand Conseil, et gendre du chancelier de Lamoignon.
Ce fut auprès de lui qu'elle sollicita de son côté (1),
(1) Voir Lettres de la sœur A. J. Fraise, n° i, 2 i déc. 17 62.
Kllf lui écrivit encore à diverses reprises, surtout ((nand le conseil
U'Kial fut saisi de l'uflaire. (Leltrcs il, 12, etc.)
NAiNETTK CALAS 313
pendant que Voltaire agissait du sien, Voltaire qu'elle
avait en horreur pour son incrédulité et au sujet duquel
Anne Calas tut bien grondée un jour par la bonne sœur.
Elle l'avait appelé illustre ; illustre, un ennemi de l'Eglise
et de Dieu (1) !
On se trompera du tout au tout si l'on prend la
sœur Anne-Julie pour un esprit fort, si on lui suppose la
moindre sympathie pour les lumières du siècle ; elle les
a en abomination profonde. Elle est très-sérieusement
et très-véritablement dévote catholique. Elle n'a pas le
plus léger doute sur la damnation éternelle de sa jeune
amie, non pour ses péchés : elle la trouve pleine de ver-
tus et lui reconnaît même de la piété, mais à cause de sa
religion. Ce qui est caractéristique, c'est qu'elle ne peut
s'empêcher de le dire dans sa lettre même, à son cousin le
conseiller d'État. Cette lettre n'en est pas moins, de la
part d'une religieuse de Toulouse et dans un pareil mo-
ment, un acte admirable de raison, de dévouement et
de courage.
En décembre, c'est-à-dire au bout de sept mois, les
D^^*^' Calas furent mises en liberté, à condition de vivre
à Paris chez une dame Dumas et non avec leur mère.
Nanette ne quitta pas sans émotion les Visitandines et
surtout celle qui était devenue pour elle une précieuse
amie et une zélée protectrice. Voltaire salua avec joie
cet acte de justice connue mi bon augure pour une ré-
paration plus complète (2). Ce fut sans doute à l'in-
lluence très-favorable de ses letties sur quelques-uns
des ministres qu'est due la libération des jeunes fil-
(1) Lettre 3 3.
(2) Lettres du 26 déc. à Daniilaville cl du 29 àM""^ de Florian.
27
3ill NANETTE CALAS
les (l).LasœurFraisse remit àsachèreNanetteunelettre
pour son cousin, etlajeuueillie, arrivée à Paris, la porta
au président d'Auriac qui la reçut avec quelque froideur
de manières, suivant sa coutume (2), mais non sans inté-
rêt. Une copie de cette lettre excita un grand enthou-
siasme parmi les amis des Calas. Elle y fut vivement
admirée. Voltaire en était ravi.
.T'envoie à mes frères la copie de la lettre d'une bonne re-
ligieuse. Je crois cette lettre bien essentielle à notre affaire. 11
me semble que la simplicité, la vertueuse indulgence de celte
nonne de la Visitation condamne terriblement le fanatisme des
assassins en robe de Toulouse (3).
Il dit à Élie de Beaumont le 21 janvier :
Vous avez vu sans doute la lettre de la religieuse de Tou-
louse. Elle me paraît importante; et je vois avec plaisir que
les sœurs de la Visitation n'ont pas le cœur si dur que Messieurs.
J'espère que le conseil pensera comme les clames de la Visita-
tion.
La lettre de la sœur Anne- Julie fut considérée comme
si importante pour les Calas qu'on la fit imprimer sur
un feuillet volant, et qu'on l'ajouta au recueil de pièces et
de Mémoires publiés sur cette affaire.
Dès qu'elles furent sorties du couvent, les deux jeu-
nes filles écrivirent au grand protecteur de leur mère
(i) Nous no devons pas onblier coponclnnl de signaler aussi l'in-
lervenlion d'un adversaire de Voltaire On trouvera dans les notes à
la fin du volume, n" VI, \cPlacet queLaBeaumelle adressa aucomte de
Sainl-I="lorenlin, au nom des D"*' Calas.
(2) Lettre 3.
(3) A Damilaville (Cayrol 3 7 2). Voir aussi sa lettre à d'Argenlal
le 2 0 janvier.
NANETTE CALAS 315
ime lettre de reconnaissance. 11 y répondit jjar la
lettre suivante (1), écrite sur un papier dont chaque
page est encadrée dans une guirlande de Heurs avec des
œillets aux quatre coins, fantaisie qui serait d'assezmau-
vais goût, s'il n'avait su d'un mot la relever et la rendre
gracieuse :
Je vous réponds, Mesdemoiselles , sur du papier orné de
Heurs parce que le temps des épines est passé, et qu'on rendra
jusliee à votre respectable mère et a vous. Je vous félicite
(i'élre auprès d'elle. Je me flatte que votre présence a touché
Ions les juges, et qu'on reparera l'abomination de Toulou/e. Je
vois avec un extrême plaisir que le public s'intéresse a vous
aussi vivement que moi. Je fais mes plus sincères complimenls
a madame votre mère, et suis avec beaucoup de zèle, Mesde-
m;)iselles, votre très humble et très obéissant serviteur,
VoLTAHŒ, gentilhomme ordinaire du Roi.
L'adresse est à Mesdemoiselles Mesdemoiselles Calas
à Paris ; cette lettre n'a pas été transmise par la poste.
Bientôt M. de Saint-Florentin fut vivement sollicité
l)ar la duchesse d'Enville et par le duc d'Estissac pour
qu'il achevât de rendre les deux jeunes filles à leiu-
mère. Le 30 juin 1763, il écrivit à la duchesse, se réfé-
rant à la réponse qu il adressait le même jour au duc, et
(t) Colle letlre, et une autre à M"'* Duvoisin que nous donnons
p. 3iS, avaient été données par elle à M. Marron, successeur de
son raari comme chapelain de l'ambassade de Hollande ; elles sont à
Leyde dans la riche collection de M. L. G. Luzac qui a acheié les nombreux
autographes réunis par Marron. Ces deux leurcs sont inédiles, ainsi
qu'une troisième à M. de Saint-riorenlin,que nous publions p. 3 7 4.
Une auirc leilre de Voltaire à M""" Duvoisin se trouve dans les re-
cueils de sa correspondance, sous la date du 15 juin 1772. Il lui
annonce l'heureuse issue du procès des Sirvcn, semblable en tout à
celui des Calas, moins le supplice du principal accusé.
316 NANETTE CALAS
qui est bâtoiinéedans le volume des Dépêches du secréta-
riat^ avec ces mots en marge : n'a servi. Nous som-
mes fort tenté de croire que c'est là une ruse d'admi-
nistrateur uniquement destinée à éviter un précédent et
h sauver les apparences; quoi qu'il en soit, nous som-
mes persuadé que les ordres donnés ont été conformes
k cette lettre si laborieusement dissimulée.
La dame Calas, M. dont los filles ont été mises par ordre
du Roi chez la D' Dumas h Paris, me fait solliciter pour qu'elles
lui soient rendues. Mad* la duchesse d'Anville a pris la peine de
m'écrire. Je vous prie de lui témoigner qu'il ne me paraît pas
possible de révoquer l'ordre qui retient ces tilles chez la D*
Dumas et que j'y trouve des inconvénients, qu'il est à propos
d'éviter. Mais comme je vois qu'elle s'intéresse très-vivement
a cette affaire et que je désire très-sincërrment l'obliger, la
D' Calas peut retirer ses filles auprès d'elle, et je consens a
feindre de l'ignorer (1) pourvu que d'ailleurs la D* Calas se
comporte avec circonspection et ne les produise pas dans le
monde avec trop d'éclat.
Ces derniers mots prouvent à la fois l'accueil que re-
cevaient partout M™"* Galas et ses fdles , et les craintes
qu'inspirait au ministre la sympathie qu'on leur témoi-
gnait.
Nous ne répéterons pas ici ce qu'on a vu plus haut
de la présence des D"" Galas dans la galerie de Ver-
sailles pendant qu'on y décidait la révision du procès.
Ce fut Rose qui se trouva mal. Nanette paraît avoir sup-
porté avec plus d'énergie toutes les angoisses qui rem-
plirent ces cruels moments. On les a vues enfin accom-
(i) Au-dessous de ces mois on en lit un aiilve rayé, cVsllemot:
dhf^hnnli'.r.
NANETÏË CALAS 317
pagner leur mère dans cette prison de la Conciergerie,
où Carmontelle les a représentées à ses côtés.
Depuis la réhabilitation de leur famille, il n'est fait
aucune mention d'elles (1) jusqu'au mariage de Nanette
qui eut lieu le 25 février 1767.
Elle épousa Jean-Jacques Duvoisin, né à Yverdun
(Suisse), chapelain de l'ambassade de Hollande (2),
c'est-à-dire en réalité pasteur de l'Eglise réformée de
Paris. C'est, en effet, aux ambassades des États du Nord
que les protestants de Paris ont dû de ne pas rester com-
plètement dépourvus des secours du saint ministère, et
d'avoir toujours euaumilieu d'eux des pasteurs en exer-
cice. LaHollande surtout leur rendit cet éminent service.
Elle avait été, comme Cenève, l'asile des proscrits de la
France, même avant Bayle et Descartes ; elle possédait,
(i) Sauf un Brevet de permission que nous avons trouvé dans les
Dépêches du Secrétariat ^ sous la date du 21 novembre 17 64, par le-
quel le comte de Saint-Florentin autorise Anne Calas « à vendre
une métairie appelée le Colombier, située à Espérausses en Langue-
doc, qu'elle a héritée de Anne Pomier , à charge de'placer le pro-
duit en rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris. »
On se souvient que les protestants ne pouvaient aliéner leurs
biens-fonds qu'avec une permission spéciale du ministre.
(2) Duvoisin avait été pasteur de l'Eglise Wallonne de Bois-le-Duc
du 4 avril 17 49 au 5 avril 17 59, jour où il fut nommé par les états
généraux deuxième pasteur ou chapelain de la Chapelle de Leurs Hau-
tes Puissances à Paris. Le il février 17 68 il reçut le titre de Cha-
pelain perpétuel de l'ambassade. Il avait épousé en premières noces
Marie-Françoise Le Fauconnier de Caen, dont il eut une fille, Amé-
lie-Marihe, née le 21 juin 17 64, J'ai sous les yeux l'acte de bap-
tême de cette enfant ; elle eut pour parrain S. Exe. M. Lestevenon,
ambassadeur des états généraux, et M. Samuel Le Cbambrier, colo-
nel d'un régiment suisse, réformé, de son nom, au service de LL.
HH. PP., et pour marraine la comtesse de Limburgh-Bronckhorst-
Styrum et M"* Marthe Gambier, sa grand'laote maternelle. (Dépôt
de l'état civil à Paris.) Voir sur le premier mnriage la note X.
27.
318 NANETTE CALAS
dans plusieurs villes importantes, des Églises Wallon-
nes ou de langue française dès le temps des persécu-
tions qui décimèrent les Pays-Bas espagnols. Aussi les
sympathies de la Hollande pour la France protestante
ne se démentirent jamais. Les Étals généraux entretin-
rent deux chapelains d'ambassade h Paris pour mainte-
nir l'Église persécutée; et le dernier d'entre eux, Paul-
Henri Mari-on, fut le premier pasteur de cette Église
quand elle fut reconstituée en 1802.
]\f»>e Duvoisin ne se montra point ingrate, continua de
correspondre avec la sœur Fraisse, et aussi, quoique à
de longs intervalles, avec le bienfaiteur de tous les siens.
Voici une lettre inédite de Voltaire qui n'a d'autre im-
portance qu'une allusion aux malheurs d'une autre Ja-
mille protestante, victime d'un procès inique.
(( Le vieux malade de Fevney fait mille compliments a Ma-
dame Duvoisin, à Madame sa mère et à toute sa famille. Il est
fâché de laisser en mourant tant d'infortunés dans le monde,
et surtout une dame aussi intéressante et aussi vertueuse que
Madame Bombelles.
Son t]'('s humble el très ol)éissnnl sei'vite\ir. V. (I). »
Vu bout de treize ans M"" Duvoisin devint veuve. Le
pasteur Duvoisin, dont la santé avait été longtemps chan-
(0 J'ai publié dans le Lien (18 52, p. 467) une courte notice ?iir
1<'S malheurs de Marthe Camp, vicomtesse de Bombelles. Elle appar-
tenait à une honorable famille de Montauban, el avait été mariée
dans une assemblée de protestants au Désert. Plus tard elle fut
abandonnée avec son enfant et de fait répudiée par son mari, parce
qu'il voulut contracter une autre alliance à la faveur des lois de l'é-
poque qui déclaraient nuls les mariages proteslanis. Un vieillard,
liche et très-considéré, qui jouissait, quoique protestant, des privi-
K-ges que sa famille ternit de Colbcn, le manufacturier Van Robais,
vengea la délaissée en lui dor.nanl son nom el en adoplanl sa fille.
XANETTE CALAS 3J9
celante, mourut le 12 mai 1780, dans son logement de
la me Poissonnière. Il avait eu de son second mariage
trois fils : le premier mourut au bout de quelques jours;
le second vécut moins de trois ans ; le dernier seul ar-
riva k l'âge d'homme (1).
On trouvera avec intérêt dans les lettres de la reli-
gieuse la cordiale part qu'elle prit à tous les événements
de la vie d'Anne Calas, à ses joies et à ses deuils de
mère et même à ce mariage avec un pasteur, qui cepen-
dant renversait l'espoir qu'elle avait conçu de la marier
avec un catholique. On verra avec quelque surprise peut-
être, lorsque la mauvaise santé et les couches de IM'"*'
Duvoisin inquiètent sa vénérable amie, des lettres adi-es-
sées à un pasteur dans l'exercice de ses fonctions, partir
du fond d'un monastère de Toulouse.
La sœur Anne-Julie mourut probablement en 1775
ou peu après, à moins que ses infirmités croissantes ne
l'aient empêchée dès ce moment d'écrire à sa chère
Nanette.
Restée veuve en 1780, avec un fils de sept ans,
M""" Duvoisin vécut assez péniblement auprès de sa
mère, k Paris, du peu qu'elle possédait et d'une pension
de 200 florins {kOO fr.) que lui accordèrent les Étals
généraux en 178/|.
Bientôt arrivèrent la révolulion française et tous les
changements qu'elle amena en Europe. Le Corps léc/is^
(i) Voir sur Alexanclre Duvoisin la note XV à h fin du volume. J'ai
donné, au bas des lettres de la S'' Fraisse qui se rapportent à leur
naissance, les actes de baptême des enfants de M""* Duvoisin ; M. Ch.
Read a bien voulu en prendre copie sur lei-egistre des baptêmes de
l'ambassade de Hollande , au dépôt de l'état civil. (Hôiel-de-Ville
de Faris\
ol20 NÀNETTE CALAS
latif de la république batave décida, le 8 octobre 1790,
que la pension de M'"^ Duvoisin lui serait continuée.
]\Ialgré cette assurance, la veuve du chapelain eut sou-
vent des arrérages à réclamer, et l'on trouve aux Archi-
ves de la Haye plusieurs pétitions appuyées par l'am-
bassadeur, où elle demande le paiement des sommes qui
lui étaient dues (1798, 1801). M""^ Duvoisin vivait encore
à Paris en 1819 (1) dans une position très-gênée. Une
représentation du drame de Ducange fut donnée à son bé-
néfice vers la fm de cette année. Elle mourut en 1820,
après sa sœur Rose qui n'avait point été mariée.
{i) Annales protestantes ^V. I5i. J'ai cherché envaince qu'élaienl
devenues ses lettres à la sœur Fraisse. On pense à Toulouse que les
papiers du couvent ont été brûlés le lO août 179 3 avec beaucoup
d'autres écrits et une partie des Archives de l'Hôlel-de-Ville. Si les
lettres de M""^ Duvoisin ont été conservées jusqu'à ce moment, il est
probable qu'elles ont péri dans cette scène de destruction.
CHAPITRE XIV
HISTOIRE DE L'OPINION EN FRANCE
AU SUJET DES GALAS
Que pensez-vons de l'affaire des Calas et de l'affaire
du chevalier de Labavre? Etes-vous, oui ou non, pour
la révocation de VÉdit de Nantes ?Voira quelques-unes
des conversations pleines iV actualité que l'on peut en-
tendre... dans le Paris du XIX» siècle.
Emile Montégut,
Revue des Deux Mondes, t. 10, p. 778.
S'il n'y avait dans ce procès que l'affaire elle-même,
si les préventions religieuses, l'esprit de corps et l'a-
inour-propre de localité n'étaient intervenus, l'histoire
des Calas s'arrêterait ici; leur innocence démontrée
n'eût jamais été remise en question, et notre lâche serait
terminée.
11 n'en est point ainsi, et nous devons raconter en-
core le revirement d'opinion qui fait considérer de nos
jours par beaucoup de personnes comme perdue ou du
moins comme douteuse, une cause que Voltaire et le
dix-huitième siècle croyaient gagnée.
322 HISTOIRE DE l'uPIMON EN FRANCE
En général, il faut en convenir, le procédé suivi clans
une foule de publications, pour ou contre, est le même.
Un partisan des Calas, comme d'Aldéguier (1) dans
son Histoire de Toulouse, Court de Cebelin dans les
Toulousaines^ M. de Pongerville dans l'article Calas du
Dictionnaire de la Conversation, répète ou liésume avec
une généreuse indignation et plus ou moins d'emphase
ce qui a été dit de plus saillant pour la défense. Les
adversaires font de même pour l'accusation. 3Iais per-
sonne n'a entrepris encore d'examiner en détail, avec un
esprit de ciilique impartiale, les dépositions des té-
moins, les mémoires des avocats, les récits des liisto-
liens. Nous avons été obligé d'écarter nombre d'anec-
dotes touchantes, favorables aux accusés, qui avaient été
i"eproduites successivement par tous leurs champions et
auxquelles il ne manquait que d'être réelles. Ce mélange
de vrai et de faux, de déclamations hasardées et de faits
démonirés a dû nuire à la cause.
Au moment de la mort de Vollaire, partout excepté à
Toulouse, toutes les sympatliies étaient pour les Calas.
On a vu qu'au moment oii ses cendres firent leur en-
trée triomphale îi Paris et furent portées au Panthéon,
les théâtres se firent leséchos de l'entliousiasme général.
L'homme qui, presque adolescent, avait fait Œdi^e, et
qui écrivit Irène dans l'âge de la caducité, était en lui-
même un personnage peu dramatique et ditficile à met-
tre en scène. Mais le meurtre juridique de Cala^ parut à
plusieurs un beau sujet de tragédie, sujet très-nouveau.
(i) Disons cependant qnc d'Aldéguier a publié dans les notes de
son livre: 1° le rapport des chirurgiens ; 2° la déposition de Gorsse;
3° le Moniloiie; 4" un interrogatoire de Calas; ô" les anèls du 18
novembre 176 i et du '2 0 mars 17G2.
AU SUJET DES CALAS. 3'2o
très-populaire, qui fournissait l'occasion de louer l'i-
dole du jour et de continuer la guerre, juste et bonne
cette fois, qu'il n'avait cessé de faire au fanatisme.
On mit sous le nom de Galas des déclamations ampou-
lées, et souvent incrédules, qui n'étaient nullement
conformes à ses convictions.
jMarie-Josepli Gliénier lut le premier qui s'en avisa.
Entre les séances de la Convention, il travaillait à aligner
ses hexamètres philosophiques, fort beaux quelquefois,
mais souvent prosaïques et surtout déclamatoires. Deux
autres écrivains le gagnèrent de vitesse. Avant qu'il eût
fini son œuvre, parurent à la fois au Théâtre-Français
(Odéon) Jean Calas, tragédie en cinq actes et en vers,
par J. L. Laya, et au théâtre du Palais-Royal, Calas ou
le fanatisme, drame en quatre actes et en prose, par Le-
mierred'Argy. Enfin, le Théâtre de la République donna
la pièce de Chénier, Jean Calas ou V Ecole des Juges.
Monvel jouait Calas, etTalma la Salle. Depuis, bien d'au-
tres mirent sur la scène quelque épisode de ce pathé-
tique sujet ; ce fut tantôt la Bienfaisance de Voltaire,
par Villemain d'Abancourt, tantôt la Veuve Calas à
Paris, par Pujoulx (1).
Nous citons ces titres pour prouver qu'à cette époque
le public ne se lassait pas d'applaudir l'acte généreux
qui coûta à Voltaire tant d'efforts et lui valul sa gloire
la plus belle et la plus pure. Du reste, aucune de ces
pièces n'a de valeur littéraire, et celle de Chénier, mal-
gré quelques beaux vers, est déparée par l'abus de la
maxime et de la tirade philosophique. Cette faute dont
(l)Poiir ces pièces el plusieurs autres, voyez RiWicgrapluc, A '
section.
^VU HISTOIRE DE ]/OPlNIOlV EN FRANCE
Voltaire ne fut jamais exempt, et que clans sa vieillesse
il poussa jusqu'à l'excès, fut exagéréepar ses disciples au
point derendreleursœuvresins'jpporlables.On exagère k
peine en atiirmant que dans le Calas de Chénier tout le
monde est voltairien, depuis le martyr huguenot jusqu'à
son confesseur, moine de Saint-Dominique ! Ce qui est
plus révoltant encore, la pieuse et malheureuse mère
de Marc-Antoine y parle longuement de se tuer à son
tour et discute la question du suicide avec un flegme
sentencieux.
Ces défauts, si choquants aujourd'hui, étaient alors in-
visibles pour la foule, comme l'air que tout le monde res-
pirait; c'était la seule langue qu'il fût permis de parlei-,
et le public n'en applaudissait que plus chaleureuse-
ment les vers du conventionnel.
Un autre tort de toutes ces tentatives théâtrales, moins
essentiel en morale et inévitable en littérature, fut de
contribuer à changer très-vite l'histoire des Calas en
unevéritable légende surchargée d'éléments imaginaires.
En 1819 le Calas de Victor Ducange, drame en trois
actes (1), conservait à peine quelques traces de l'histoire
réelle. Marc-Antoine y est amoureux ; on exige de lui
qu'il abjure pour épouser Hortense. De désespoir il se
pend, après avoir écrit la lettre qu'écrivent tous les
suicidés de théâtre, lettre qui s'égare et qu'on retrouve
précisément au moment où Jean Galas, qu'elle devait sau-
ver, expire sur l'échafaud. Lavaysse épouse M"*^ Calas ; il
n'y a pas jusqu'à la vieille Jeannette qui n'y soit rajeunie
de trente ans et fiancée au jardinier. Nombre de gens
(1) Sou\enl repris a Paris elailleur?. (En 184 1 an lliéàtre de la
Galle, etc.)
AU SUJET DES CALAS. 32Ô
qui se croient fort instruits de i'affaire des Calas ont ap-
pris à l'école de Ducange tout ce qu'ils pensent en savoir.
Pour notre part, il nous est impossible de ne pas dés-
approuver ces représentations scéniques d'événements
contemporains. 11 y a quelque chose d'odieux à faire ap-
paraître ainsi devant les fds, les erreurs et les crimes de
leurs propres pères. Nous blâmons tous ces drames joués k
Paris, en province, en Hollande, en Allemagne, où les
Calas, David, Cassan-Clairac, et même toute la Tour-
nelle de Toulouse figuraient, soit de leur vivant, soit peu
d'années après leur mort. Nous sommes heureux de
trouver dans une lettre du fds d'Anne Calas l'expres-
sion honnête et vive de ce sentiment (1).
Il est beaucoup plus étrange de trouver dans une
brochure intitulée Jean Calas ou rinnocent condamné
(i) « Le Journal des Débats étant probablement répandu à Tou-
louse, c'est là que j'ai dû consigner que la fnmille Calas était de
tout temps demeurée étrangère aux motifs politiques qui avaient ins-
piré à quelques auteurs de reproduire sur la scène ses infortunes.
11 s'en lie déjà trop à un nom devenu si tristement célèbre, pour le
faire poursuivre de nouveavi par des animosités mal à propos ré-
veillées.
« El Calas cl ses juges cl son illuslre avocat, dorment du sommeil
éternel. Leur part de renommée est faite sans retour. La famille
de Calas ne demandait que l'oubli. Son petit fils espère avoir fait
son devoir en protestant avec la modestie qui lui convient contre
toute participation à une autre règle de conduite. »
Celte lettre (sans date) d'Alexandre Duvoisin, que je dois à la bien-
veillance de M. Henri Lutterolh, est signée le petit fils de Calas et
adressée à Monsievr le rédacietir de l'article Spectacles de la feuille
la Renommée. Ce journaliste avait blâmé une première réclama-
lion d'Alexandre adressée au Journal des Débats^ au sujet du mé-
lodrame des Calas; ce doit être celui de Ducange. Plus j'approuve
le sentiment exprimé dans celle lettre, plusjedois m'étonner que ce
même Alexandre Duvoisin ail écrit plus lard sur l'histoire de sa fa-
mille une pièce de théâtre el l'ail jouée lui-môme. Malesuada
famés !
28
32G HISTOTRK DF. l/oPI\TON KN FRANCE
par A. s. (vers 1820) un récit de quelques pages, où sont
enchevêtrés d'une façon inextricable le romanesque et le
réel, l'histoire et la légende. On y lit tout un dialogue
de Marc-Antoine avec le père d'Eugénie (l'amante ima-
ginaire s'appelle Eugénie cette fois); le jeune homme re-
fuse d'abjurer. Au sortir de cet entretien, tout égaré, il
erre à l'aventure; un ami le rencontre et, pour le calmer,
n'imagine rien de mieux que de le mener dans une maison
de jeu, etc. Ce qu'il y a de plus curieux dans cette
rapsodie,c'estun prétendu interrogatoire de Jean Calas,
qu'il me semblait reconnaître en le lisant et que j'étais
certain d'avoir vu quelque part ; mais à coup sûr ce
n'était pas aux Archives, parmi les pièces du procès. Je
cherche, je relis, je crois y retrouver les traces d'hé-
mistiches, d'hexamètres k peine estropiés. C'était une
scène de Chénier, qu'on avait traduite en prose, sans
trop de peine, il faut l'avouer, et qu'on donnait au pu-
blic pour un interrogatoire authentique. Ce n'est pas
la seule fois que pareille fraude a dû être commise et
sans être soupçonnée.
Voilà le roman et le drame littéraires, frivoles, pari-
siens, sans autre but que d'intéresser. Nous retrouverons
plus loin la légende toulousaine, sérieuse et partiale, tan-
tôt pathétique et enthousiaste, s'élevant jusqu'à l'élo-
quence, tantôt hostile et haineuse, lentement élaborée, de
génération en génération, dans les salons et dans les cou-
vents par un parti qui se sentait vaincu sans vouloir s'y
résigner.
Le premier qui releva le gant jeté par Voltaire, et
osa contredire l'opinion de l'Europe ne fut autre que
le comte Joseph de Maistre. 11 dit dans ses Soirées de
^Saint-Pétersbourg et dès le premier Entretien :
AU SUJET DES CALAS. 327
« Uieii de moins prouvé, Messieurs, je vous l'assure, que
l'innocence de Calas. Il y a mille raisons d'en douter, et même
de croire le contraire. »
Puis il s'indigne de ce que Voltaire a plaisanté dans
une de ses lettres au sujet des Calas, et il rapporte lui-
même inexactement une lettre du poëte à Troncliin, où
il est question d'un Mémoire qu'on a trouvé trop chaud,
et d'un autre qui sera au bain-marie (1). Ce reproche
de légèreté adressé à Voltaire est juste; c'est l'incurable
maladie de ce grand esprit ; c'est un des côtés par oh il
est petit, faible comme historien et nul comme criti-
que, dans tout ce qui n'est pas de son propre temps. Mais
Joseph de Maistre est tout aussi faible, tout aussi mau-
vais critique, lorsqu'il conclut de ce que Voltaire badine
sans cesse et sur toutes choses, qu'il n'a pas des idées
très-sérieuses et des volontés très-arrêtées. Il est vrai
que quand il rencontre dans l'histoire des Calas leur
faux serment à l'Hôtel-de-Ville (2), il s'impatiente et
les appelle crûment des imbéciles^ ce qui ne l'empochera
pas de leur consacrer pendant quatre ans son temps qu'il
prisait fort, sa plimie toujours occupée et son argent qu'il
n'aimait nullement dissiper au hasard. Il faut le dire d'ail-
leurs, malgré le bain-marie, cette plaisanterie d'assez
mauvais goûta l'adresse des lecteurs catholiques, qui ré-
volte l'auteur du livre du Pape^ Voltaire a été profondé-
ment sérieux, au moins une fois en sa vie ; il a été saisi
d'une émotion sincère, d'une indignation honnête et ar-
dente il n'est pas permis de le nier. On peut en citer d'autres
exemples , mais aucun qui lui fasse autant d'honneur.
(l) Nous avons cili- ce passage plus haut, p. 2 34.
v^) Voir plus luiul, p. 261,
828 HISTOIRE DE l'OPIMON EN FRANCE
Pardonnons-lui donc ces quelques railleries, fussent-
elles peu à leur place ; et plût au ciel qu'il n'en eut pas
à se reprocher mille autres infiniment plus condamna-
bles aux yeux du goût, de la morale et de la religion!
Le motducomte de Maistre resta longtemps sans écho,
et l'arrêt de l'opinion publique en faveur des Galas de-
meurait sans appel. Cependant, on avait peine, dans la
ville même où Calas avait été condamné, à accepter sa
réhabilitation. C'est encore de là que viennent sans
cesse aujourd'hui les réclamations contre ce grand acte
de justice.
Nous nous arrêterons peu à réfutei' M. .Mary-Lafon ,
qui, en 18/i5, dans son Histoire du midi de la France, se
déclara contre les Calas, tout en disant qu'il ne voulait
pas casser la i'éhabilitation de cette malheureuse famille
parce qu'il tremblerait d'outrager la mémoire d'un in-
nocent. Toute sa discussion est très-superficielle; il pa-
raît n'avoir vu qu'en partie, et beaucoup trop vite,
les deux procédures toulousaines et il ignore celles de
Versailles et de Paris. 11 accepte, sans aucune critique,
tout ce qu'il trouve dans telle ou telle déposition
et se fait même un argument du fameux passage de
Calvin qu'il comprend mal, comme tous ceux qui
ne se sont pas donné la peine de le chercher dans
l'original pour voir de quoi il est question. 11 a raison
de trouver ridicule la déposition du peintre Malhey;
mais la faute n'en est nullement à Voltaire qu'il
ne faudrait pas accuser cV indécente bouffonnerie pour
avoir cité un témoignage authentique. C'est encore
une étrange inexactitude que d'accuser Voltaire d'a-
voir inventé les humeurs noires de Marc-Antoine
lorsqu'un an avant Voltaire, le Moniloire même
AU SUJET DES CALAS. 329
en faisait mention et quand pliisienrs témoignages très-
précis en font foi. IJ ne snftit pas non plus de citer les
règlements des Pénitents blancs, d'après lesquels on pla-
çait au milieu de l'église, dans les services funèbres, <( la
représentation ou simulacre du mort » C'était confii'mer
ce qui a été dit et ce que le trésorier des Pénitents
a avoué lui-même à ce sujet; mais rien ne prouve que
cette représentation de Marc-Antoine ne fut pas un
squelette et que ce squelette n'eût pas à la main une
palme et un écriteau. Nous ne relèverons point un grand
nombre d'autres erreurs que notre récit, appuyé sur les
documents, a réfutées d'avance (1).
Nous devons rendre compte avec plus de détails du
système récent et entièrement nouveau, par lequel
M. du Mège, appuyé sur un assez grand appai'eil de dis-
cussion et d'arguments, explique l'alTaire des Galas.
M. le clievalierdu Mège en 18/(6 donnait à entendre
dans son Histoire des institutions politiques, judiciaires
et littéraires de la ville de Toulouse (t. lli, p. 250), que
Calas avait été justement mis à mort, et il avait annoncé
rinlention de revenir sur ce point. En elfet, dans l'iiis-
(i) Mais nous insisterons sur une conlradiclion qu'on reproche à
Vignière et qui inspire les plus graves soupçons à M. Mary-Lalon,
dont M. Hue a reproduit les arguments plus tard. Le juge inslruclcur
crut que la cravate noire trouvée au cou de Aîarc-Antoine y avait
été mise après sa mort et pour cacher le siKon sanghint (sic) laissé
par la corde.
Quand même celaserait vrai, on n'y Irouveraitque la preuve d'un
lait avoué; c'est que les Calas voulurent cacher le suicide, et IVi-
«uirent qu'ils avaient trouvé le corps mort à terre, comme si la cause
du décès avait été par exemple une attaque d'apoplexie. Ce se-
rait un moyen de dissimulation de plus, et non une preuve du meur-
tre. Mais cela même est-il prouvé ? D'après Jean Calas, sa femme
et son fils Pierre, Marc-Anloiuc portait des cravates nou-cshabiluclle-
28.
330 HISTOIRE DE l'oPINION EN FRANCE
toire générale du Languedoc, qu'avaient laissée inachevée
dom Vayssette et dora Claude de Vie et qu'il a terminée,
il a pris k tâche de prouver, avec de grands détails et
par des faits nouveaux, le crime des Calas. Comme cet
écrivain se donne pour impartial, il est bon de s'assu-
rer de son impartialité avant de juger le système tout
nouveau qu'il a inauguré.
Après avoir remarqué que « partout où les doctrines
de Luther et de Calvin étaient entrées, elles avaient fait
couler le sang, » M. du Mège énumère plus loin les
pertes immenses quelaFrance fit sous Louis XV, dans ses
colonies et accuse les protestants de s'en être réjouis.
Il résulte des correspondances saisies alors en Languedoc
qu'ils espéraient, qu'ils désiraieut qu'humiliée et vaincue, la
France ne pût refuser a l'étranger qui l'imposerait comme une
condition de paix, le rétablissement des protestants dans toutes
les immunités, dans toutes les libertés que l'édit de Nantes
leur avaient concédées.
C'est l'éternelle accusation des Églises de majorité
contre celles de minorité; on les représente toujours
ment, surtout dans les vacations, dit le pi'rc, et n'en mettait de
blanches que pour s'habiller, (Interr. du 9 nov.) D'après Jeanne au
contraire, il portail des tours de col blancs en été et noirs en hiver.
Elle ne sait pas quelle cravate avait M. -A. Calas au souper, ne lui
en ayant pas encore vu porter de noire. (Interr. du 20 oct.) Qu'y au-
rait-il d'étonnant à ce que le i 5 octobre (c'est-à-dire pendant les
vacations et en automne) Marc-Antoine eût quitté ses tours de col
blancs de l'été et mis une cravate noire sans que Viguière ait
songé à le remarquer? En tout cas, les juges auraient dû faire exa-
miner, dans cette armoire de Marc-Antoine dont il est question au
procès, s'il s'y trouvait des cravates noires ou blanches. Quoi qu'il en
soit, la conlradiclion est sans aucune importance et il faut qu'on
se sente bien faible pour faire grand état d'indices si peu précis et
si peu tignificatifs.
AU SUJET DES CALAS. 331
comme hostiles à la patrie, comme faisant des vœux pour
l'ennemi; au moins faudrait-il produire les correspon-
dances qu'on incrimine. Jusque-là, nous nierons le fait.
Ces paroles peuvent faire juger de son impartialité
au point de vue religieux. Voici qui montrera sa façon
de penser comme Toulousain. Il dit de l'arrêt de réha-
bilitation :
Ce fut dans Paris une joie universelle. Des sentiments bien
opposés se manifestèrent en Languedoc. Toulouse calomniée
dans son passé, insultée dans le présent, menacée dans son
avenir, montra une grande irritation.
Que sera la justice toujours faillible des hommes, si
c'est l'insulter que réparer, autant qu'on le peut, ses er-
reurs? n'est-ce pas l'honorer au contraire? Il nous est
impossible de comprendre en quoi la sentence qui réha-
bilitait les innocents condamnés par le Parlement, in-
sultait la ville dans le présent et la menaçait pour l'ave-
nir. Ce langage est celui de la passion. Ni la justice ni
l'histoire ne parlent ainsi.
M. du Mège entre en matière par une phrase caracté-
ristique et qui peut nous dispenser d'en signaler bien
d'autres. Il s'agit de la mort de Marc- Antoine et de faire
croire qu'il a été étranglé :
Dans lu nuit du 13 au ii « a l'heure même où l'arrestation
du ministre Rochette aCaussade allait devenir le signal de l'in-
surrection des paysans calvinistes... »
L'atiteur nous permettra trois questions sur ce début.
1° Qu'est-ce que Vheure où un événement va devenir
le signal d'un autre événement ?
2° Veut-on dire que le pasteur Rochette, pendu à Tou-
louse quelques mois après, a choisi le moment de s
332 HISTOIRE DE l'OPINION EN FRANCE
arrestation et s'est laissé arrêter k dessein à l'heure
même où mom-ut xMarc- Antoine?
y A qui fera-t-on prendre pour une insurrection des
paysans calvinistes le mouvement avorté que tentèrent
quelques personnes pour délivrer, dans le trajet, le mi-
nistre arrêté, mouvement que trois gentilshommes payè-
rent de leur tête sur l'échafaud de Toulouse le 19 fé-
vrier ?
Voici maintenant la nouvelle explication des faits. Elle
consiste à innocenter les accusés et Calas lui-même, en
ce sens qu'il n'est plus le bourreau, mais seulement le
dénonciateur de son fils. L'auteur admet pleinement
l'absurde calomnie dont Paul Rabaut fit justice et qui
indigna l'Europe protestante. Calas a dénoncé son fils
aux anciens :
Ceux-ci n'étaient autres, on le sait (1), que les ministres
dits du Saint -Evangile, et les chefs delà secte auraient pu or-
donner, suivantles doctrines de l'ancienne loi, le supplice de
cet infortuné.
Vancienne loi, c'est l'Ancien Testament oii les lils
rebelles sont condamnés à mort, mais où, quoi qu'on
puisse penser l'auteur, il n'est nullement question d'é-
trangler ceux qui se font catholiques.
En parlant de la déclaration des pasteurs de Genève
à propos de l'accusation ridicule portée contre Calvin,
lAI. du Mège s'écrie encore : (( On voit (c'est son expres-
sion habituelle quand il aflirme le contraire de ce qu'on
voit), on voit que la compagnie des pasteurs de Genève
dissimulait ou semblait ignorer )) ce que dit, dans son
institution chrétienne, cet hérésiarque.
(1) Ou sait, au oonlrairc, que les anciens sont toujours des laïques.
AU SUJET DES GALAS. 3ûo
Les Calas demeurent donc absous, sauf le père, cou-
pablede déiioiiciatioii ; ce sont les protestants en général,
qu'on accuse, au milieLi du dix-neuvième siècle, non dans
unpampblel jeté aubasard,mais dans un ouvrage en dix
énormes volumes à deux colonnes, d'avoirpour principe
et pour babitude d'étrangler leurs fiis en cas d'abjuration.
Celte opinion paraîtrait un peu bardie, sur le setd té-
moignage de M. du Mège, si l'auteur n'avait deux ga-
rants à citer, tous deux contemporains de Jean Calas et
tous deux curieux à connaître. Le premier est M. l'abbé
Magi(l), de l'Académie des sciences de Toulouse et de
celle des Jeux Floraux, «l'un des bommesles plus alta-
cliés à la pbilosopbie du dix-buitième siècle,» qui aurait
laissé, selon M. du Mège, une Réponse médite à une lettre
écrite de Paris sur V affaire des Calas. Voici un passage
de cette réponse, cité par M. du Mège avec pleine con-
fiance :
Je lus a cette occasion, dans un livre fait par un auteur de
celte secte, que leur église a droit de vie et de mort sur les
enfants qui veulent changer de religion malgré leurs pères.
D'oi^i vient que M. l'abbé Magi est le seul liomme au
monde qui ait jamais vu ce livre, et d'où vient qu'il ne
le nomme pas, qu'il n'indique en aucune manière sous
quel titre, par qui, en quel lieu, en quel temps, en
quelle langue ce livre a été écrit? Nous ne potivons
qti' opposer à son assertion un démenti.
Ce même abbé suppose que Marc-Antoine sortit après
le souper, ce qtie rien n'indique; on sait seulement qu'il
descendit au rez-de-cbaussée.
(1) Auteur de VHistoirc et Mémoires de V Académie des sciences
de Toulouse.
33/i HISTOIRE DE L'OPIiNION EN FRANCE
Comment rentra-t-il? qui le sait ?... On le trouva pendu
entre les deux vantaux de la porte, etc. Qui vous a dit qu'il ne
fût pas surpris au passage par deux ou trois estafiers aux or-
dres du ministre du Saint-Evangile, et qu'après avoir fait le
coup, ils ne disparurent pas dans les ténèbres?... Je le répète
(ajoute l'abbé incrédule), toutes les sectes ont leur fiel et leur
crimes :
Relligio peperit scelerosa atqxie impia fada,
(La religion a enfanté des actes criminels et impies.)
Tout ceci prouve que l'abbé Magi était un très- mau-
vais prêtre et un très-mauvais catholique, qui se plai-
sait à attaquer toute religion, même celles dont il n'était
pas ministre.
On voit que le premier garant de M. du Mège est peu
digne de foi. Le second, s'il a jamais existé, s'appelait le
chevalier de Cazals. Nous copions le récit sans y rien
changer :
Ce gentilhomme habitait une maison dans la rue des Fila-
tiers (cette maison porte aujourd'hui le n° 45), vis-h-vis celle
de Calas (c'est la maison marquée du n° KO) ; cette dernière,
transformée presque en entier depuis peu d'années, conserve
cependant sa porte en ogive mauresque qui annonce que sa
construction remonte au quinzième siècle. Les demoiselles Ca-
las occupaient une chambre dont les fenêtres s'ouvraient pres-
que en face des fenêtres de M. de Cazals. J. Calas restait cons-
tamment, sauf h l'heure des repas, dans sa boutique ou dans
le magasin situé en arrière. Quelques jeunes personnes du
quartier se rassemblaient chez ses filles. M. de C avait de-
mandé et obtenu la faveur d'être admis dans cette société et
peut-être même k l'insude Calas. Un soir du mois d'octobre, la
servante catholique vint avertir ses maîtresses que leur père
voulant recevoir quelques amis dans leur chambre, il les enga-
geait a passer dans l'appartement de leur mère. On entendait
AU SUJET DES CALAS 335
les pas de .ces personnes qui s'approchaient. M. de C... dut se
blottir sous le lit (1), tandis que les D^'" Calas et leurs amies
tremblantes furent dans l'appartement de M"* Galas. C'est dans
cette position que M. de C... aurait vaguement (2) entendu
Calas parler de la prochaine conversion de son lils, et les réso-
lutions fatales des personnes réunies dans cette chambre. Il au-
rait sans doute dû aussitôt prévenir M. -A. Calas. Mais comment
croire h la persistance d'une aussi atroce résolution (3)? Lors-
que le Mouitoire fut publié, il ne révéla point d'une manière
légale ce qu'il savait sur celte affaire (4). Il en dit quelque
chose a des amis intimes. Plus tard, ayant obtenu d'être relevé
de l'excommunication qu'il avait encourue par son silence, il
raconta ce qu'il avait entendu (5) et dans Toulouse, une partie
de la haute société a toujours cru a la culpabilité de Calas.
M""^ de Monlbel, qui ferme la liste des supérieures de Saint-Panta-
léon, a raconté le fait relatif à M. de Cazals a plusieurs per-
sonnes et entre autres à M. l'abbé Barré, encore vivant. Cet ec-
clésiastique éclairé qui a exercé les fonctions sacrées à l'Ile de
Bourbon, nous a même remis à ce sujet un écrit signé de lui,
et qui a servi à la rédaction de ces lignes. »
Fut-il jamais un conte plus mal inventé? Oui, sans
doute une partie de la haute société de Toulouse, y compris
M"'" de Montbel, supérieure de Saint-Pantaléon, n'a
(i) Pourquoi se cachait-il? Pourquoi tremblaient ces jeunes filles ?
Parce que sans ces invraisenblances suspectes il n'y aurait pas
d'histoire.
(2) Vaguemenl? Qu'est-ce à dire? L'entendit-il, oui ou non?
(3) Comment n'y pas croire, puisqu'il avait tout entendu? Voilà
M. de Cazals complice d'un projet de meurtre qu'il n'a révélé ni à
la justice ni à la victime.
(4) Pourquoi se laisser excommunier lui-même après avoir laissé
étrangler Aîarc-Antoine? Parce que toutes ces absurdités sont né-
cessaires au roman.
(5) A qui? Pcrsoune n'en a jamais rien écrit avant l\î. du Mt'ge,
336 HISTOIRE DE l'opinion en FRANCE
jamais admis l'innocence de Calas et a regretté sans
cesse qu'il eût été impossible de trouver aucun vestige de
l'assemblée secrète de protestants, dont il était question
dans le Monitoire. Ne voulant pas croire que Lagane et
David de Beaudrigue se fussent permis d'insérer de pu-
res suppositions parmi les chefs d'un Monitoire, on ne
s'est pas fait faute de se communiquer des conjectures
également sans fondement, soit dans les conversations de
la haute société, soit dans celles de la communauté de
Saint-Pantaléon, tant et si bien que sous la dernière
supérieure de cette maison, F histoire s'est trouvée à point,
avec tous ses détails incroyables, pour être confiée k
M. l'abbé Barré dès son retour de l'île Bourbon. Ainsi
appuyé, d'un côté sur un chevalier qui laissait étrangler
les gens sans les prévenir, et de l'autre sur un abbé
qui médisait de toute religion et lisait des livres que
personne n'a écrits, M. du Mège conclut, d'après « plu-
sieurs Mémoires inédi;s (1) et une tradition constante; »
et sa conclusion, c'est que les motifs réels (de l'arrêt
du parlement) furent la conviction d'une notable por-
tion des juges qu'un complot avait été tramé contre les
jours de M. -A. Calas, que des assassins apostés l'avaient
saisi au moment où il allait sortir, et cela par suite de
la dénonciation du père, qu'on fit périr comme « ayant
ordonné le crime et l'ayant laissé exécuter. »
11 ne faut pas soutenir de pareils rêves <i ceux qui ont
lu les procédures et qui savent que dans toute la dou-
ble information, soit devant les Capitouls, soit au Par-
lement, dans le Monitoire, dans les briefs i7it end it s, dans
les interrogatoires, dans les confrontations, l'hypothèse
(1) App;ui mmeiil ceux des abbés .M;igi el iîarré.
AU SUJET DES CALAS. 337
(F assassins venus du dehors est aussi absolument écartée
que celle du suicide, tandis que tout, jusqu'à la fin, tend
à établir que IMarc- Antoine fat étranglé par les cinq
prévenus.
Il n'est pas étonnant, au point de vue où se place le
continuateur de dom Vayssette, qu'il veuille bien re-
connaître dans la procédure des erreurs ou des illégalités,
ni qu'il admette l'innocence de quatre accusés sur cinq.
Il arrive ainsi h ce double résultat, de prouver la
justice irréprochable du Parlement (ce qui était h démon-
trer) (1), et de faire peser le crime, non plus sur les
Galas morts depuis longtemps (ce qui ne servirait pas à
grand chose), mais sur le protestantisme encore vivant
(ce qui est beaucoup plus utile).
Le nom de Voltaire, il faut l'avouer, a fini par nuire
à la cause qu'il avait sauvée, et depuis la Révolution bien
des esprits étroits auraient craint de passer pour com-
plices de ses impiétés et de ses indécences, s'ils n'avaient
pris parti pour le clergé et le Parlement contre les
Calas. Aussi les journaux le Correspondant ^iT Univers se
sont empressés de donner l'hospitalité de leurs colon-
nes à un discours de rentrée de la conférence des avo-
cats stagiaires, prononcé par un jeune avocat et docteur
en droit, M. Hue, nom.mé depuis professeur suppléant
à la Faculté de Toulouse.
Je veux, dit-il, essayer de réhabiliter le Parlement de Tou-
louse et de le laver d'une injure qu'il ne mérita jamais... Il faut
(i) 11 pense cependanl que le Parlement a eu torlde juger sur Jes
indices, car il y en avait pour et contre. On aurait dû renvoyer les
accusés non absous, jusqu'à plus ample informe. Il approuve du reste
la résistance de celle Cour souveraine ;\ l'arrêt des Maîtres des Re-
quêtes.
29
838 HISTOIRE DE l'opinion EN FRANCE
savoir s'il s'est rencontré un tribunal assez inique, pour envoyer
sciemment un innocent à la mort, et plonger dans l'opprobre
une famille entière.
C'est, dès l'entrée, poser la question inexactement. Il
faut n'avoir pas lu ce qu'écrivit Voltaire contre le Parle-
ment pour ignorer qu'il reconnut la bonne foi des juges
et ne les accusapoint d'avoir commis sciemment l'horrible
injustice qu'il leur reprochait (voir p. 260, n. 5). D'ail-
leurs ce n'est pas au point de vue de V injure^ méritée ou
non, du Parlement qu'il convientde se placer; ce n'est pas
ainsi que doit être traitée une question judiciaire. Le dis-
cours de M. Hue n'est guère que le chapitre de M. Mary-
Lafon réduit en plaidoyer. M. Hue plaide en avocat qui
n'a pas eu le temps de lire son dossier. Non-seulement
il ne sait rien des faits qui ont été prouvés dans l'en-
quête parisienne, et donne par exemple comme digne
de foi le faux témoin Catherine Dolmier ; mais ce qui
est prodigieux, il ignore la défense et ne paraît pas
avoir lu un seul des six Mémoires de l'avocat Sudre, du
conseiller Lasalle, de l'accusé Lavaysse et de son père.
Et de plus, il connaît très-imparfaitement la procédure
elle-même (1) ; sauf quelques points en général se-
condaires, il n'a bien étudié que les briefs intendits
du 7 novembre contre Calas père et fils. Il répète que
Voltaire a inventé la mélancolie de Marc-Antoine. Il
(i) « Il ne reste rien, dii-il, de celle du parlement, qui devait être
plus concluante que l'autre, puisqu'elle fut la principale cause de
la condamnation. » Ceci est complètement inexact. Cette procédure
existe à Paris et à Toulouse môme. M. Hue oublie que le Parlement
maintint et fit continuer Vinquisition commencée. M. IIuc lui-même
l'a parcourue, discutée, citée sans se rendre bien compte de ce
qu'il avait sous les yeux. Et la condamnation n'a été motivée par
rien de plus concluant.
AU SUJET DES CALAS. 339
affirme du ton le plus tranchant que « Marc- Antoine
n'avait aucun motif même frivole pour se détruire. »
Quand cela serait vrai, les suicides inexplicables et qui
ont pour origine une mélancolie moins morale que physi-
que ne sont pas rares. Mais n'est-ce pas un motif, n'est-
ce pas même un motif frivole, que d'avoir dû renon-
cer pour toute sa vie à la profession pour laquelle on
avait étudié et où l'on croyait réussir, et de se voir dans
l'impossibilité d'en embrasser aucune autre ?
« Lavaysse ne dit pas être remonté auprès de M""*
Calas. » Il le dit positivement.
« Jamais Lavaysse ne s'expliqua sur cette sortie mystérieuse,
suivie d'une rentrée presque immédiate. »
Ceci est tellement inexact que M. Hue reproduit lui-
même plus loin cette explication, qui est très-simple :
« On comprend pourquoi Lavaysse venu à Toulouse, le lundi
sans qu'il puisse donner un motif à son voyage, était tellement
pressé de repartir. »
Si jamais il y eut im voyage clairement et amplement
motivé, ce fut celui de Lavaysse; et il est très-naturel
qu'il fut pressé, non de repartir^ mais de continuer ce
voyage, jusque chez ses parents qu'il allait voir avant de
de quitter l'Europe.
Nous avons entendu les accusés répondre qu'il y avait
nombre d'escabeaux etde chaises, et dans la boutique et
dans le magasin (ce qu'il était facile de vérifier) : M. Hue
n'a pas lu leur déclaration ou l'a oubliée.
Impossible, selon lui, que Marc- Antoine se soit
pendu sans lumière. Pourquoi ? Et qui lui prouve que
dans ce magasin si mal examiné il n'y avait pas une
3ZlO HISTOIRE DE L'opI.MON EN FRANCE
chandelle éleinte ou renversée? Est-il certain que la
fenêtre ou \a\WYie ouverte de rarrière-boutique ne don-
nât pas assez de jour h huit heures, le 13 octobre?
Nous avons raconté l'épisode des lettres de Carrière
sur lesquelles le jeune écrivain bàlit tout un échafau-
dage de suppositions, paixe qu'il ignore que ces lettres
sont de l'avocat.
Du reste, il n'adopte point et ne paraît pas connaître
le système de M. duMège. Avec lui comme avec M. Mary-
Lafon, l'on en revient simplement aux dires de l'accusa-
tion. Mais nous sonnnes heureux de constater qu'un ju-
risconsulte a étudié ce dossier avec le parti pris de la-
ver le parlement de Toulouse et n'y a pas trouvé un
argument solide. Nous n'avons plus, pour faire justice
de son travail, qu'à montrer où il aboutit , prouvant
une fois de plus, que de fausses prémisses et une logi-
que impitoyable peuvent mener bien loin :
On est seulemoiit surpris d'une cliose, c'est de l'iiésiliUion
des juges qui, avant condamné Galas père à la roue, relaxent
les autres accusés.
Nous croirions fort inutile de citer ici le Guide dans
Toulouse^ publié celte année même par M. Le Blanc du
Vernet (1), si jiousn'y trouvions indiquée une série nou-
(i) Cet érrivaiii s'est f;iil connaître par les publiealions suivantes.
Jl a fait paraître, sons le nom de Frédéric Le Blanc et de concert
avec M. Hem i Inibcrt, une brooLnre, dédiée au Pape régnant, en fa-
veur de h Peine de mort dans les sociétés modernes; Paris, 172 p.
8". — Sous un troisième nom, celui deFréd. Le IJlanc d'Iiackluya,
le même auteur a inséré nombre d'articles dans le Corsaire ç\. a
écrit, en un volume in-i2, V Histoire de V Islamisme et des sectes qui
s'y rattachent.
AU SUJET DES CALAS. 3^1
velle de documents, dont nous avons fait usage et que
l'on annonce comme dangereux pour les Calas.
Selon ce Guide, la correspondance de M. de Saint-
Priest avec le subdélégué Amblard met en lumière, en-
tre autres choses, deux faits qui sembleraient bien
prouver la culpabilité des Calas : l*» les rigueurs du
père envers Louis; 2° V arrivée à Toulouse, le jour
même et le lendemain de la mort de Marc-Antoine,
d'un grand nombre de protestants. Encore cette accusa-
tion, si complètement ridicule, qu'un écrivain qui ne
serait pas aveuglé par de petites passions de localité et
de secte se garderait de la signer de son nom ! Il est évi-
dent que M.Le Blanc n'a pas Iules lettres, et il en parle,
on le voit, d'après ce qu'on en dit à Toulouse.
Nous avons déjà examiné ce qu'il y a de vrai dans la
première de ces deux accusations (1). 11 suffit d'ajouter
que dans les lettres en question il n'y a rien, absolu-
ment rien, qui incrimine la conduite de Calas à l'égard
de Louis. Nous publions cinq de ces lettres en entier,
et les copies des autres sont dans nos mains (2); nous dé-
clarons qu'elles ne contiennent ni un renseignement quel-
conque, ni même une allusion au sujet de Louis Calas
et de la conduite de ses parents envers lui.
Quant à la seconde M. de Saint-Priest lui-même en
doutait (3) : On prétend, dit-il, maison n'assure pas...
(1) p. 6 6 Cl suiv.
(2) Corr. Sl-Flor. i, 5, 6, 13, 15.
(3)VoirCorr. deSt-Fl., Lellre 4. 11 en cloutait, malgré l'asserlion
tVAmhlurd à laquelle M. Le lUanc.peut joindre la déposition de la
I)'" t5e\ , épouse de Dubarry.
Ce témoin a entendu dire au Sr Delpech fils cadet que le jour de la mort
de Marc- Antoine Calas on avait vu entrer chez le Sr Calas beaucoup de hu-
çuenotS; ce qui avait fait présumer qu'il y avait eu e3p>ce d'assemblée.
29.
3/»2 HISTOIRE DE l'OPINION EN FRANCK
Admeltons cependant le fait : nous demanderons à
U. Le Blanc si le lendemain d'un meurtre on voit les
conseillers ou les auteurs du crime, au lieu de fuir, se
réunir en grand nombre et sans aucun intérêt, au lieu
où ils l'ont fait commettre.il n'est nullement impossible
que les prolestants des environs de Toulouse y soient
venus le 13 ouïe 14 en ^?Ymc? no/r^ôre pour célébrer
le service divin dans quelque endroit convenu, en de-
liors de la ville, comme cela avait lieu alors, les jours
de semaine aussi bien que le dimanche, toutes les fois
qu'on le pouvait. Mais s'ils eussent prévu le moins du
monde les ridicules et affreux soupçons dont ils al-
laient être les victimes, ils se seraient gardés de se mon-
trer. Quel sens, quel but, peut avoir cette arrivée des
protestants, non la veille, mais le lendemain de la mort
de Marc-Antoine ?,Est-il permis de dire que dépareilles
choses semblent bien prouver la culpabilité des Calas?
Si nous laissions croire au lecteur que tous les ha-
bitants de Toulouse, même catholiques, admettent de si
absurdes préjugés, nous leur ferions grand tort ; et comme
nous n'avons pas le moindre désir de jeter aucune défa-
veur dans l'opinion, sur une ville qui a brillé d'un si
grand éclat dans l'histoire, nous nous empressons d'en-
j-egislrer en faveur des Galas, et k Toulouse même, des
jugements tout opposés. Ces jugements sont d'autant
l)lus honorables que l'on y possède uniquement les pièces
de la double instruction, entachée de tant de partialité,
que les Capitouls avaient commencée et que le Parlement
acheva, sans une seule des pièces nouvelles et toutes fa-
vorables qui furent produites devant les Maîtres des Re-
(juétes. Quelques esprits équitables en ont vu assez pour
conclure à l'entière innocence des Calas. Ce fut le cas de
AU SUJET DES CALAS. 343
M. d'Alcléguier, archiviste et historien* de la ville de
Toulouse, mais qui malheureusement ne s'est pas acquis
le renom d'une science assez précise et d'un jugement
assez calme. Ce fut aussi le résultat des recherches d'un
éminent magistrat, M. Plougoulm, qui fut procureur gé-
néral dans la même ville et qui a fait l'examen le plus
consciencieux de la procédure qu'il y trouva. Il a rendu
h l'innocence des Galas un magnifique témoignage (1) ;
« J'ai tenu dans mes mains, j'ai lu de mes yeux, depuis la
première jusqu'à la dernière ligne, cette triste et douloureuse
procédure, ei comprimant l'émotion qui me gagnait à chaque
moment, quand j'entendais ce père, cette mère s'écrier pour
toute défense devant leur impitoyable juge : « Croyez-vous donc
qu'on puisse tuer son enfant! » j'ai tout examiné, tout pesé
comme si j'eusse eu à parler moi-même. Que je serais heureux,
si ce que je vais dire pouvait ajouter encore un rayon d'évi-
dence à une vérité, aune innocence depuis si longtemps recon-
nues ! Oui, Messieurs, j'aime U le proclamer, dans toutes ces
pièces, dans tous ces témoignages, "ces monitoires, je n'ai rien
découvert, pas un fait, pas un mot, pas l'ombre d'une preuve,
d'un indice, qui explique cette épouvantable erreur; reste le
fanatisme qui explique tout, il est vrai ; mais admirez ici comme
la vérité se fait jour, et saisissons le moment où l'humanité
se réveille. Tandis que la justice humaine, égarée comme la
foule qui se presse autour d'elle, conduit sa victime au supplice,
le malheureux vieillard passant devant la maison où il avait
vécu tant d'heureuses années au sein de sa famille, demande à
s'agenouiller et à bénir sa demeure ! Simple et déchirante ac-
tion, qui renfermai t'a elle seule une si grande lumière d'inno-
cence qu'elle émut profondément la multitude. Dès ce moment,
m'a-l-on affirmé dans le pays qui a produit cet horrible drame,
(0 Discours île rcniréc à la Cour impériale do Rennes, 3 no-
veml)ie 13 13 'Sur les progrès de la législation pénale en France \
3li(l HISTOIRE DE L'OPINION EN FRANCE
les yeux se dessillèrent; hélas! Messieurs, il était trop tard;
le vieillard coutinua sa route, et à quelques pas de là, il expi-
rait sur la roue, répétant à celui qui le pressait d'avouer son
crime: Et vous aussi, vous croyez qu'on peut tuer son enfant ! »
C'est un fait considérable que cette déclaration élo-
qucnle d'un successeur de Riquet de Bonrepos, repre-
nant de sang-froid l'examen juridique dont sou pré-
décesseur s'était si mal acquitté, sous le violent empire
de la passion. Seidement, en notre qualité de narrateur
scrupuleux, nous sommes forcé de révoquer en doute
l'anecdote touchante de Jean Calas bénissant sa maison,
à genoux dans la charrette du bourreau. Nous n'en
avons trouvé aucune trace contemporaine. Il nous sem-
ble difTicile que ce vieillard, brisé par la question ordi-
naire et extraordinaire, ait eu encore la force de s'age-
nouiller seul, ou se soit fait agenouiller par l'exécuteur
comme il dut le faire pour l'amende honorable. Nous ne
croyons pas non plus que David, qui dirigeait tout, lui
eût montré cette complaisance. Enfin, soit que le con-
damné partît des prisons du Palais, ou, ce qui est
plus probable, qu'il sortît de celle de l'Hôtel-de- Ville,
où les condamnés à mort devaient attendre leur suppli-
ce, la rue des Filatiers ne se trouve ni dans la direction
de la cathédrale de Saint-Etienne où se fit l'amende ho-
norable, ni dans celle de la place Saint-Georges, lieu de
l'exécution. D'autres rues, bien plus directes et plus lar-
ges, ont du être suivies par le cortège funèbre (1). C'est
ici la légende, non plus hostile et dictée par la haine,
mais iuspirée au contraire par la vénération et la pitié,
(») t)ii lii d'ailleurs dans h; procès-verbal de rexéculion que .leai
Culas a êié conduit i>itr If ivurs wxouluinè [WAv plus Liuii, p. v» i 9).
AU SUJET DES CALAS. 3Zl5
devenue une tradition locale, et mise en œuvre par un
orateur ému et }Duissant, qui l'a crue vraie.
11 doit m'être permis de citer au nombre des écrits
où l'affaire des Calas a été traitée d'une façon nouvelle,
V Histoire des Eglises du Désert, sur laquelle un juge-
ment remarquable a été porté par un des savants de l'Al-
lemagne qui connaissent le mieux l'histoire des protes-
tants de France. M. de Polenz déclare le récit que Charles
Coquerel a donné de l'affaire Calas supérieur à tous les
récits antérieurs (1). Il est de fait que l'auteur ayant
sous les yeux la correspondance de Paul Rabaut et d'au-
tres pasteurs du Désert, ayant de plus des documents qui
provenaient de M"^'' Duvoisin, a pu jeter un jour nou-
veau sur plusieurs points du procès.
Ces mêmes documents ont dû servir de point de dé-
part à nos recherches, aucun autre écrivain n'ayant fait
l'examen approfondi du procès devenu évidemment
nécessaire depuis les attaques de MM. Mary-Lafon , du
Mège et Hue , qui étaient demeurées jusqu'ici sans ré-
ponse.
(1) Unter den Bearbeiiungen sleht Coquerels Histoire des Egli-
ses du Désert (I. 2, p. 3 0 4-34 1) unbedingi oberan. (Arliclc Calas
dans la lieal-Enqffdopœdicde Herzoy. ) M. de Polenz vient de publier
tout récemment le i"" volume d'une Histoire du Calvinisme français
Jusqu'à rassemblée nationale de i7 89. Ce vol. de xvi et 7 36 pages
ne conduit le lecteur que jusqu'à la conspiration d'Amboise en i 5 60.
DÉPÊCHES
DU COMTE DE SAINT-FLORENTIN
MINISTRE SECRÉTAIRE d'ÉTAT
ET D'AUTRES FONCTIONNAIRES PUBLICS
DÉPÊCHES
(')
1
DOMERC, SECRÉTAIRl- DU SUBDÉLÉGUÉ AMBLARD,
A M. DE SAINT-PRIEST, INTENDANT DU LANGUEDOC
Monseigneur,
Gomme M". Amblard est à sa jardin (sic) et que je n*au-
rais pas le temps de lui faire signer cette lettre parceque
le courrier presse, j'ai Tlionneur de vous rendre conte
moi-même d'un événement extraordinaire arrivé dans cette
ville.
(i) Les lettres i, 5, 6, 13, 15, sont tirées des Archives de
Montpellier, toutes les autres des Archives impériales de Paris, où
les minutes de celles de M. de Saint-Florentin se trouvent dans
les Dépèches du Secrétariat , et les lettres qui lui sont adressées
dans la section historique.
Dans le cours de l'ouvrago, nous désignons celle correspondance
par l'abréviation : Corr. St-Flor.
30
350 DÉPÊCHES
Le fils aj^né du S% Calas nég'. fut trouvé hier au soir
vers les neuf heures et demy étranglé dans la maison de
son père, les portes de la rue fermée?. Le père qui était
dans sa chambre étant descendu en bas trouva son fils
étendu sur la porte du magasin qui est dans Tintérieur
de la maison, il appela du secours en criant qu'on avait
assassiné son fils. Plusieurs personnes qui se trouvèrent
dans la rue accoururent au bruit, firent ouvrir les portes
et virent le cadavre qui était déjà froid sans qu'il parut
sur lui aucune marque d'assassinat sinon qu'il était sans
habits. Il y eût un chirurgien du nombre, qui vérifia ce
cadavre et après lui avoir ôté une cravate noire qu'il avait
au col, il reconnut qu'il avait été étranglé avec une corde
par l'empreinte qu'elle avait fait. Lon fut avertir M" les
Cap'*, de cet événement. M^ David s'y transporta vers
les dix heures et demy avec l'escouade du guet, il fit
conduire en prison le père, la mère, leur fils cadet, la
fille de service et deux étrangers qui avaient soupe chez
eux : on a procédé pendant la nuit à leur audition. Ce
meurtre à fait une grande sensation dans cette ville. Tout
le monde est dans une consternation étonnante dans le
quartier du S'. Calas père que l'on soupçonne de concert
avec la famille être lautheur parceque le jeune homme
donnoit depuis quelques tems des marques de catholicité
contre le gré de ses parens et qu'il était même à la veille
d'abjurer leur religion.
M'. Amblard vous informera exactement des suites de
cette affaire. J'ay l'honneur d'être avec le plus profond
respect, monseigneur, votre très-obéissant serviteur.
DoMERC, secr'' de M. Amblard (1).
(i) Celle Icliro, écrilc avec une li;Ue extrême dès la malint'o
du 14, csl doiiblcmenl remarquable parce qu'elle peint vivemeiil
l'émoiion vinlcnlc que produisit la découverte du cadavre, cl parce
qu'elle confirme pleinenicnl ce que nous avons dil des cris que
DÉPÊCHES 851
%
LE CAPITOUL DAVID DE BEAUDRIGUE
A M. DE SAINT- FLOREiMlN.
Toulouse 18 octobre i'Cl.
Monseigneur,
J'ay riionneur de vous envoyer cy joint une coppie du
verbal que j'ay dressé dans la faire du sieur Calas, ensem-
ble une coppie de la relation de l'état du cadavre de Marc
Antoine Galas son fils. Ouoyque vous puissiés être ins-
truit par la lecteure du procès verbal, néanmoins je vay
avoir l'honneur de vous faire un petit détail de cette
affaire.
Je feus averty Mardy soir vers les onze heures et demy
du soir qu'on avoit assassiné le fils ayné du sieur Calas;
je m'y transporte de suite avec ma main forte, et entré
dans le magazin de la boutique du sieur Calas, je trouvay
sur la porte d'entrée le cadavre de Marc Antoine Galas fils
ayné étendu à terre ; je fis de suite garder les portes et je
m'assuray de toutes les personnes quy composoient lad'*
maison. Je fis procéder de suite a l'état du cadavre, et
cela fait, je fis arretter le père, la mère, le fils, la servante
du. sieur Calas et le sieur Lavaysse fils quy avait soupe avec
eux et les fis conduire avec le cadavre a l'hôtel de ville,
ou je reçus de suite leur audition d'office. Apres quoy je
les fis mettre en prison et les fis séparer pour qu'ils n'eus-
sent aucune cominuniquation. Je suis cette procédure avec
poussa Calas père, en Irouvanl sou fils mort cl qui donnèrenl l'éveil
à loul le quartier. On n'avail pas encore imaginé que ce fussent
les cris d'uîi lioninic que l'on étrangle.
352 DÉPÊCHES
vigueur et je ne perds pas un moment, pour y donner
toutes les suites qu'exige une affaire de pareille nature.
J'ay crû, Monseigneur, qu'une affaire de cette importance
devoitvousetre communiquée; elle intéresse, ce me sem-
ble, l'état et la Ueligion. Jeserois bien flatté. Monseigneur,
sy dans ces circonstances, vous approuviés ce que jay fait
jusqu'à présent et me mander vos ordres la dessus pour
que je les exécute de point en point; quoyque le chef du
consistoire soit absent et que je le représente par ma
place, néanmoins mon expérience ne m'a pas laissé dou-
ter de procéder ainsy que je l'ay fait.
J'ay l'honneur de vous envoyer encore une exemplaire
du Monitoire. Il ne se passera rien dans cette affaire que
je n'aye l'honneur de vous en informer. Soyés persuadé,
Monseigneur, de monzélle et de toute mon affection dans
cette affaire, et que je ne négligerai rien pour parvenir
à découvrir la vérité.
J'ay rhonneur d'être avec un très profond respect,
Monseigneur,
Votre très humble et obéissant serviteur
David de Beaudrigue,
Capitoul, chef du Consistoire en
l'absence de M, Fat/et,
3
LE PRÉSIDENT DE SENAUX
AU MÊME (1)
Toulouse, 20 octobre 176».
Monsieur,
Il est arrivé mardi dernier un Meui-tre dans cette ville
qui par sa nature semble intéresser l'Etat.
(0 Nous ne donnons quo par fragmcnls colle Icllre, el colles qui
DÉPÈCHES 353
... Ce même jour 13'' du courant, le peuple accourut
en foule vers les onze heures du soir pour avertir et re-
quérir les Gapitouls de se transporter chez le nommé
Calas m"* en draperie qui,disoit-on, venoit d'étrangler son
fils âgé de 28 ans, avec le secours de sa Mère, d'un
autre fils et du nommé Lavaysse. Et cela par la raison que
cet infortuné garçon travailloit à abjjurer la religion pro-
testante ou il étoit né et dont son père et sa famille font
profession.
(Averti par les Capitouls, M. de Senaux est allé lui-
même aux prisons s'assurer de leur sûreté, a donné une
sentinelle du guet à chacun d'eux et a défendu toute com-
munication tant entr'eux qvCavec qui que ce fût sans
exception.)
... La procédure est commencée à la requette du mi-
nistère public, et jusqu'à présent les dépositions des té-
moins ne fournissent que de violents soupçons contre ces
accusés, et j'espère que les preuves deviendront complet-
tes par les révélations que produiront un chef de Moni-
toire qui fut publié hyer matin à cet effet. D'ailleurs les
variations et les contradictions ou sont tombés ces accu-
sés entr'eux fortifieront les preuves.
... Voilà, Monsieur, à peu près le détail de cette affaire
qui comme vous voyez est de nature a intéresser l'Etat,
surtout arrivant après l'émeute des Huguenots de Caus-
sade dont j'ay eu l'honneur de vous rendre compte (i).
J'ai celuy, etc. De Senaux.
porlcnllesn*" 15 et 27, parce qu'elles contiennent, ou des répélitions
sans intérêt, ou des faits entièrement étrangers au procès des Calas,
Les lettres 20 et 2 1 sont tout à lait insignirianles ; nous les avons
résumées en quelques mots.
(i) 11 s'agit du projoi qu'avaient formé, disait-on, quelques proles-
tants de sauverle pasteur Rocheite qui avait été arrêté. Une panique
sans motifs réels eut lieu à cette occasion (Voir à ce sujet V Histoire
des Éfj'ist's d(( Urscrt^ t. Il, p. 2 69 elsuiv.).
30.
'ôblx DLl'tGUES
4
M. DE SALM'-PUIEST, LM'ENDA.NT DE LANGUEDOC (1)
AD MÊME
Montpellier 23 ocl. 17G1
Je fus informé par le précédent courrier d'un meurtre
commis en la personnedu S' Calas fils; mais comme on ne
me marquoit aucun détail et que cette affaire est d'une si
grande importance, j'ai cru devoir attendre que je fus
mieux instruit pour vous rendre compte des faits.
Le S'" Calas, nég. a Toulouse, est un des plus zélés pro-
testants du royaume. 11 avoit trois fils. L'un s'est converti,
il y a quelques années, et en conséquence de vos ordres le
père lui fait une petite pension qui est très mal payée.
L'ainé a été trouvé mort et étranglé dans le magasin ou
arrière boutique de la maison de son père le 13 de ce
mois. Les soupçons sur les autheurs de cet assassinat ont
varié pendant quelques jours : les uns prétendirent que
ce jeune homme s'étoit tué lui-même, et c'est le sistème
de deffense de son Père et de ses coaccusés; les autres
que c'étoient son père et son frère qui l'avoient étranglé.
Les Capitouls s'étant transportés sur les lieux, ont fait
arrêter le père, la mère, le fils, la Servante et un jeune
homme fils du S'". Lavaysse, célèbre avocat qui avait soupe
ce soir-là chez le S'. Galas. Ils ont fait sur le champ la
procédure, et le cadavre ayant été emporté à l'hôtel de
ville, son état a été constaté par un rapport de chirurgien.
(i) Jean Emmanuel de Guignard, vicomte de Saint-Priest, conseil-
ler,puis maîlrc dos requêles, elenfincunsciller d'Etat, resta jusqu'à sa
mort intendant de Languedoc; il fut le porc du ministre de Louis XVI
mort en 1821, lequel fut le grand-père du comte Alexis de Saint-
Piiesi, auteur de V Histoire de la suppression de l'ordre des Jésuites,
membre de l'Académie française, de l'Assemblée nationale, etc.
DÉPÊCHES 355
.... On prétend qu'il résulte des interrogatoires des ac-
cusés, des faits et des contradictions qui fortifient les
soupçons du Public, et on pense que c'est Galas père et
son autre fils qui ont étranglé ce jeune homme. La Pro-
cédure fournit jus qu'à présent, à ce qu'on m'assure, des
indices très-violens contre eux; vous ^pourrez en juger,
Monsieur, par les chefs du monitoire dont la publication
a été ordonnée; j'en joins icy une copie. On prétend,
mais on n'assure pas le fait, que depuis cet événement,
il est arrivé beaucoup de huguenots à Toulouse. Les Ca-
pitouls ont pris les précautions convenables. J'aurai at-
tention de vous instruire des suites de cette procédure.
J'ai l'honneur, etc. De Saint-Priest.
5
AMBLARD, SUBDELEGUE A TOULOUSE,
A M. DE SAhNT-PRIEST.
Toulouse, le 21 octobre 1761,
Monseigneur,
Les Gapitouls ont ordonné un monitoire sur l'affaire du
S'. Calas. Les témoins vont révéler, pour ainsi dire, en
foule ; Et quoique la procédure soit extrêmement secrète,
on croit qu'il y a des preuves suffisantes pour établir que
ce jeune homme a été victime et martir de la reli-
gion catholique. Les délais pour la publication du moni-
toire retardent le jugement de cette procédure. Les hu-
guenots qui étaient venus à Toulouse, ainsi que j'ai eu
l'honneur de vous le marquer, en très grand nombre,
repartirent le lendemain, parce qu'ils furent instruits que
les Gapitouls commençoient à se donner des mouvements
l>our les rechercher et s'informer du motif qui le^
Littiroit à Toulouse. Ils s'étoicnt vraisemblablement donné
356 DÉPÊCHES
rendez-vous à peu près à la même heure, car ils arrivè-
rent presque tous à la fois et en plusieurs bandes, et ce
fut précisément ce qui les découvrit, parce que les portiers
voyant entrer des cavaliers en petites troupes de dix ou
douze qui se succédaient d'assez près, crurent devoir en
donner avis à M", les Gapitouls.
J'ay l'honneur d'être avec un très-profond respect,
Monseigneur, votre très-humble et très-obéissant servi-
teur.
Amblard
LE MEME
AU MÊME.
Toulouse, le 28 octobre 1761.
Monseigneur,
Le monitoire produit, à ce que l'on prétend, des preu-
ves complètes du meurtre du S'. Galas avec des circons-
tances qui font horreur. Les Gapitouls doivent ordonner
aujourd'hui la procédure extraordinaire. Les accusés
sont gardés à vue et personne absolument ne peut leur
parler ni les voir. On tient en même temps dans les pri-
sons du Palais le ministre avec plusieurs protestants qui
se sont révoltés et qui ont fait sédition dans la généra-
lité de Montauban. Ils sont tous gardés à vue, chargés de
fers, et il y a quatre sentinelles depuis la porte de la pri-
son jusques au corps de garde de la place du Salin qui,
en cas de besoin, seroit assemblé d'un coup de sifflet, et
cette garde a été doublée Ces deux événemens, presque
dans la même époque, ne peuvent que nuire aux accu-
sés respectifs. J'ay l'honneur d'être avec un très-profond
DÉPÊCHES 357
respect, Moiisei ^'neur, votre très-luimblo et très-obéissant
serviteur, Amblard.
M. DE SAINT-FLORENTIN
AU CAPITOUL DAVID DE BEAUDRIGUE.
31 octobre 17G1.
J'ai reçu :m. la lettre et les pièces que vous m'avez adres-
sés concernant le meurtre qui paraît avoir été commis en
la personne du sieur Galas fils. Je ne peux que louer l'ac-
tivité avec laq. vs avez travaillé à constater ce délit et à
faire arrêter les parents de ce jeune homme qui semblent
en être coupables. Vous me ferez plaisir de m'informer
des suites de cette affaire qui mérite une attention sin-
gulière de votre part (1).
M. DE SAINT-FLORENTIN
AU PRÉSIDENT DE SENADX.
31 octobre.
Je VOUS suis très obligé IM de la peine q. vs avez prise
de m'inf. du meurtre arriv. en la personne du S' G. fils.
(i) 11 avait dicté d'abord : d'une affaire aussi grave et Valten-
tion la plus particulière; ces mots ont été remplacés comme on vient
de le voir.
Nous avons rcproduii ces dépèches d'après les minutes actuelle-
ment existantes aux .// hivcs impériales, sans même changer les
abréviations.
358 DÉPÊCHES
Cette aff. comme vous me l'observez est d'une gV^" im-
portance et mérite une attention particul. Il est fort
à désirer q. la vérité soit éclaircie et qu'il survienne
des preuves suffisantes. Les précautions que vous
avez prises pr mettre en sûreté les prisonniers sont très
sages et très nécessaires. Je ne doute pas que vous ne
vouliez bien veiller à la suite de cette affaire dont
l'instruction ne sauroit être trop rigoureuse ni trop
prompte (1).
M. DAVID DE BEAUDUIGUE
A M. DE SAINT-FLOREMIN.
Toulouse lu novembre lOGl.
Monseigneur,
L'affaire dont j'avois eu Tlionneur de vous envoyer le
verbal contre les nommés Galas a été jugée hier à l'hôtel
de ville et y a passé immissiorem ('2) a ce que les ac-
cuzés seront appliqués à la question ordinaire et extra-
ordinaire ; l'accuzation d'un crime de cette espèce exi-
geoit un jugement plus rigoureux; tant par ce qu'il ré-
zulte des preuves de cette Procédeure que par l'intérêt
public quy demandoit un exemple ; mon avis n'a pas été
suivy ; mais il me reste l'espérance, que le parlement
quy va les juger de suite, corrigera cette sentence, et par
la le public se trouvera satisfait et le crime ne restera
pas impuny ; jay crû, Monseigneur, que vous ne désap-
l>rouveriés que j'aye l'honneur de vous informer de cette
(i) Rigoureuse est une corrcclion du ministre. Il y avait exacte.
(2) Pour m mUiorem, c'osl-à-dirc la peine la moins forte.
DEPECHES 359
affaire. J'en feray de même lorsque l'arrêt sera rendu ;
quoyque mes confrères n'ayent pas secondé mon zelle
dans cette affaire, néanmoins j'oze vous assurer, Monsei-
gneur, que cela ne diminuera en rien mon activité à con-
tenir le bon ordre ; et a mériter s'il est possible par tous
mes soins votre puissante Protection.
.l'ai l'honneur d'être avec un très profond respect
Monseigneur
Votre très humble et très
obéissant serviteur
David de Beaudrigue
GapilouL
10
LE 00 MTR DE ROCHEGHOUART
A M. DE SAINT-FLORENTIN.
A rarme le ÎJ décembre 17GI.
Monsieur,
Les bontés que vous m'avez témoignées en tant d'occa-
sions m'autliorisent a y recourir en faveur d'une per-
sonne a qui je dois beaucoup d'égards. C'est le Sieur La-
vaysse, avocat au parlement de Toulouse, dont le fils a été
impliqué dans une affaire malheureuse qui ne laisse au-
cun soupçon sur son innocence. Ce père affligé me mande.
Monsieur, qu'il a eu l'honneur de vous adresser un mémoire
contenant le détail du fait qui a donné lieu a cette ac-
cusation. Comme il m'en a envoyé en même temps une
copie, j'ai été en état de m'en instruire, il ne faut que
jeter un coup d'œuil sur la procédure, pour reconnoitre
l'esprit de vertige et de rumeur populaire qui en a été le
360 DÉPÊCHES
principe. Tout y est sans fondement et liors de la plus lé-
gère vraisemblance
Je ne compte donc, Monsieur, que réclamer votre jus-
tice contre des calomnies odieuses, et vous faire connoitre
l'intérêt que je prends à mi homme de probité, qui depuis
nombre d'années a bien mérité de toute la province du
Languedoc par ses longs travaux et une conduite irré-
prochable.
Je suis avec respect
Monsieur
Votre très humble et très
obéissant serviteur
KOCHECHOUART.
11
LE CAPITOUL DAVID DE BEAUDRIGUE
A M. DE SAINT-FLORENTIN.
Toulouse 9 décembre i76l.
Monseigneur,
J'avois eu l'honneur de vous marquer dans ma der-
nière lettre que je vous instruirois de l'arrêt que le par-
lement rendroit au sujet de l'affaire des Calas, qui inte-
resse toutes les provinces. Il fut rendu samedy dernier
sixième du courant; le public attendoit avec impatience
l'exemple que mérite un crime de cette espèce. Voicy
l'arrêt, il passa immissiorem, que l'inquisition commen-
cée seroit continuée d'authorité de la Cour ; cependant
j'auray l'iionneur de vous observer, Monseigneur, que
quoyqu'il passât immissiorem, il y eut cinq voix aies rom-
pre vifs; nous attendons a présent les nouvelles decou-
DÉPÊCHES 361
vertes que faira M le procureur gênerai pour douner plus
de force a cette inquisition. J'auray l'honneur, Monsei-
gneur, de vous informer de tout ce qui ce faira a ce sujet,
même du second arrêt quy sera rendu. Je redoubleray
mon zelie et mon attention pour contenir le bon ordre et
mériter par mes soins votre Puissante Protection.
J'ai l'honneur d'être avec un très
profond respect
Monseigneur
Votre très humble et
très obéissant serviteur
David de Beaudrigue
Capitoul.
12
M. DE SAINT-FLORENTIN
A M. DE ROCHECHOUART.
20 décembre.
J'aurais été fort aise, M. de faire plaisir au sieur La
Vaysse dont je connais les talents et la probité, et j'aurais
surtout été charmé de luy faire ressentir combien votre
recommandation a de poids auprès de moi. Mais l'affaire
dans laquelle son fils se trouve malheureusement impli-
qué est sous les yeux de la justice. Le Parlement en est
saisi, et il est d'autant plus impossible d'en arrêter ni
même d'en suspendre le cours que le titre de l'accusa-
tion est des plus graves, qu'il a du rapport à la religion
et qu'il fixe l'attention de toute la Province. Le S. Lavaysse
m'avait écrit dans les commencements pour obtenir un
surcis, mais le Roi à qui je rendis compte de sa demande
et des motifs sur lesquels il la fondait ne jugea pas à pro-
pos d'y avoir égard.
362 DÉPÊCHES
13
M. DE LAMOIGNON, CHANCELIER DE FRANCE
A M. DE SAINT-PRIEST, INTENDANT DE LANGUEDOC
à Versailles, le 23 février 1762.
^Monsieur,
Vous nMgnorés pas sans doute que le parlement de Tou-
louse instruit un procès criminel contre le nommé Calas
et sa femme, accusés d'avoir étranglé leur fils qui était
sur le point d'abjurer la religion protestante, dont on dit
qu'ils font profession. Pendant le cours de cette procé-
dure il a été distribué de la part des protestants (car ils
ne déguisent point leur qualité) différens mémoires, pour
justifier les accusés. Ce procès sera décidé suivant la qua-
lité des preuves: comme elles ne me sont pas parvenues,
je n'en porte aucun jugement. Mais il vient d'être répandu
dans la ville de Toulouse un écrit fort injurieux au par-
lement, dont il ne tardera pas, si fait n'a été, de deman-
der la suppression et même la condamnation à être brûlé.
La suite de ce jugement doit être une information contre
les auteurs et distributeurs de l'éci'it. Or on ne peut dou-
ter que le distributeur de l'écrit ne soit le nommé Paul
Uabaul {sic), demeurant à Nismes, qu'on dit être protes-
tant, puisqu'il a signé lui-même une partie des exemplai-
res de l'écrit en question qui sont parvenus aux magis-
trats de Toulouse. Si le parlement se porte à le décréter,
comme il y a tout lieu de le croire, les suites de cette
accusation peuvent être considérables. Peut-être serait-il
convenable que le décret qui serait rendu par le parlement
ne fut pa'? exécuté. Prenez la peine de me mander ce que
vous en pensez et s'il n'y aurait pas des mesures à pren-
DÉPÈCHES 363
dre pour prévenir les suites d'un arrêt que le parlemen
ne peut s'empêcher de rendre et dont on ne peut le blâ-
mer. Le Roy est instruit de cette affaire et c'est en con-
séquence du compte que je lui en ai rendu que je vous
écris la présente.
Je suis, Monsieur, votre affné serviteur.
DE LAMOIGNON.
u
M. DE SAINT-FLORENTIN
A M. DE BONREPOS, PROCUREUR GÉNÉRAL.
2 mars 1763.
J'ai, M. rendu compte au Roi des observations que vous
avez pris la peine de me faire au sujet du libelle imprimé
qui s'est répandu en Languedoc à l'occasion de l'affaire
du S' Galas. S. M. approuve que vous donniez votre réqui-
sitoire pour faire proscrire ce libelle. Mais elle croit à pro-
pos que l'exemplaire que vous représenterez soit du nom-
bre de ceux que Paul Rabaud n'a pas souscrits, en sorte
qu'en requérant contre l'ouvrage, vous puissiez vous dis-
penser de requérir contre l'auteur ou du moins contre
celui qui l'avoue. Il pourra arriver que quelque membre
de la Comp* le dénonce et représente quelque exemplaire
signé de lui. En ce cas là, vous pourrez prendre contre lui
telles conclusions que vous aviserez et qui, à ce que je
vois, tendront au décret de prise de corps, et suivant
toutes les apparences, le Parlement l'ordonnera. Ce que
S. M. désire de vous, dans cette conjoncture, c'est que
vous ne précipitiez rien ; il y a tout lieu de croire que
o6U DEPECHES
Rabaud informé de ce décret disparaîtra et peut être se
retirera en païs étranger. Si cependant il a l'audace de
continuer à se montrer, vous pourrez le faire arrêter en
vertu du décret. Mais alors il faudra que vous preniez de
bonnes mesures pour prévenir toute secousse et pour que
rautorité du Roi et du ParP ne souffre aucune atteinte.
Je connais votre prud"' et je suis bien persuadé que
vous ne négligerez aucune des dispositions qu'une pareille
circonstance exige.
15
M. DE SAINT-PRIEST
AU CHANCELIER DE LAMOIGNON.
Montpellier, 5 mars 1762.
Monsieur, J'ai reçu la lettre dont vous m'avez honoré
au sujet d'un écrit injurieux au parlement de Toulouse
distribué de la part des protestants à l'occasion du procès
des Calas et dont quelques exemplaires sont signés par le
nommé Paul Rabaût qu'on vous a dit être un protestant
demeurant à Nismes. Vous pensez \]. que le parlement de
Toulouse va informer contre les auteurs et distributeurs
de cet écrit, et que s'il vient à décréter le nommé Rabaùt,
il serait peut-être convenable d'empêcher l'exécution de
l'arrêt.
Le nommé Paul Rabaût est un fameux ministre de la
religion P. R.; il est regardé comme le chef des minis-
tres et prédicants qui sont répandus dans le Languedoc
et particulièrement de ceux qui sont dans les Gévennes et
dans le Lavonage {sic). Sa résidence ordinaire est à
Msmes. C'est lui qui étant à la tête d'un nombre assez
DÉPÈCHES 365
considérable de protestants remit à M' de PaiUmy un
placet sur le grand chemin de Montpellier à Nismes. Il n'y
a pas longtemps qu'il publia une lettre pastorale dont
j'adressai un exemplaire à M. le G", de S'. Florentin.
Enfin cet homme est en très-grande vénération parmi
ceux qui professent sa religion; conséquemment l'exécu-
tion du décret ne seroit rien moins que facile, parce que
les protestants avertis du danger dont le ministre seroit
menacé, ne négligeraient rien pour le soustraire aux
poursuites du parlement. Cette cour sentira bien sans
doute jusqu'où elle doit pousser l'exécution de son arrêt,
si elle en rend un ; car si ce ministre venoit à être arrêté
dans la circonstance présente, oùil y a très-peu de troupes
en Languedoc, je ne garantirais point que son arrestation
ne causât une fermentation dangereuse. Au surplus le
nommé Paul Rabaût n'est point d'un caractère séditieux,
on le dit au contraire assez doux ; il est âgé d'environ
cinquante ans.
Je pense donc M. que si le parlement décrète cet
homme de prise au corps, il est à propos d'empêcher
l'exécution de l'arrêt. Je suis, etc..
16
LE PRESIDENT DE SENAUX
A M. DE SAINT-FLORENTIN.
Toulouso, 10 mars 17C2.
( Il annonce au ministre que Calas est condamné)
... a être rompu vif, a être expiré deux heures sur
une roue, après quoy il sera étranglé et sera jette sur
31
366 DÉPÊCHES
un bûcher ardent pour y être brûlé et consommé. Cette
dernière peine est une réparation due a la Religion dont
rheureux changement qu'en avoit fait son fils a été vrai-
semblablement la cause de sa mort.
« Je m'empresse, Monsieur, de vous instruire de cet
arrêt en conséquence des ordres réitérés que vous m'avez
donnés à ce sujet, par lesquels en approuvant ma conduite
et mon zèle pour l'éclaircissement des preuves de cette
affaire d'Etat vous me chargeâtes expressément de vous
instruire sans delay du jugement qui interviendroit. Je le
fais avec d'autant plus de plaisir que j'unis dans cette
occasion mon inclination à mon devoir, heureux si mes
travaux assidus et mon application exacte au service du
Roy et du Public me conservent la continuité de vos bontés.
17
LE GAPITOUL DAVID DE BEAUDRIGUE
AU MÊME.
Toulouse, ce 10 mars 1762.
Monseigneur,
Comme je me suis fait un devoir de vous informer de
tous les événements qui se passeront en cette ville, et
nottamcnt concernant l'affaire des Calas, j'ay l'honneur
devons asseurer qu'ils feurent jugés hier, et que parl'arret
qui est intervenu Calas le père est condamné a être
l'ompu vif et a expirer deux heures sur la roue, préa-
lablement appliqué i\ la question ordinaire extraordinaire,
après quoy jette dans un bûcher ou son corps réduit en
cendres seront jettées au vent {hi). Ou a surcis au juge-
DÉPÊCHES 367
ment des autres jusqu'après Texécution. J'auray la même
intention de vous informer du Jugement des autres.
J'ay l'honneur d'être avec un trèsprofond respect
Votre très humble et
très obéissant serviteur
David de Beaudrigde
Capitoul
18
LE PRÉSIDENT DU PUGET
AU MÊME.
Toulouse le 10 mari 1762.
Monseigneur,
Je croirois manquer a mon devoir si je n'avois l'hon-
neur de vous informer de l'arrêt que la Chambre Tour-
nelle a rendu le jour d'hier et auquel j'ay présidé, contre
la famille Calas, protestants, acusés de l'assassinat d'un
de leur fils et frère qui etoit en même {sic) de se con-
vertir. Comme je sçay. Monseigneur, que vous êtes ins-
truit des circonstances de cette affaire, je me contente-
ray seulement de vous informer que l'arrest condamne
Calas père a être appliqué à la question ordinaire et
extraordinaire, de suite rompu vif et son corps ensuite
brullé, et surceoit au jugement des autres i^evenus jus-
quaprès le testament de mort de Calas père. L'action est
des plus noires et les motifs affreux, et d'une très dan-
gereuse conséquence pour l'Etat ; mon zelle pour le ser-
vice du i\oy m'engage do vous représenter. Monseigneur,
qu'il seroit essentiel de trouver des moyens pour em-
pêcher rentrée des .Alinistres de la Religion prétendue
o68 DÉPÊCHES
Reflformée dans le Royaume, et empêcher leur commerce
avec ceux de la même Religion qui sont dans les pays
étrangers, où ils enseignent des maximes sanguinaires
qu'ils viennent répandre dans nos contrées en procurant
par là des crimes affreux. Je suis avec respect
Monseigneur
Votre très humble et très
obéissant serviteur
Du PUGET.
19
M. DE SAINT-FLORENTIN
A M. LE PRÉSIDENT DU PUGET.
20 mais 1762.
Je vous suis très obligé, M. d'avoir bien voulu m'ins-
truire de l'arrêt qui vient d'être rendu contre Calas père.
Je vous le serai également de me faire part des révéla-
tions qu'il aura faites dans son testament de mort, et
des suites qu'elles auront eu par rapport aux autres ac-
cusés. Vous pensez avec raison qu'il seroit fort intéressant
d'empêcher les prédicants d'entrer dans le Royaume et
d'avoir aucun commerce avec ceux des pays étrangers.
Mais les ménagements que la guerre rend nécessaires ne
permettent guères de s'en occuper actuellement. Lors-
que la paix sera revenue je suis persuadé que S M. pren-
dra les mesures qu'elle croira les plus efficaces pour ré-
primer ce désordre.
DÉPÊCHES 369
20
LE MÊME
A M. DAVID DE BEAUDRIGUE.
20 mars.
(Il le remercie et l'engage à continuer de lui écrire.)
21
LE MEME
A M. LE PRÉSIDENT DE SENAUX.
Î5 mars.
(Mêmes remercîments et m.ème recommandation. )
LE GAPITOUL DAVID DE BEAUDRIGUE
A 31. DE SAliNT-FLORENTliN.
Toulouse lo -27 mais 176"2.
Monseigneur,
Jay riionneur de vous informer de l'arrêt quy a ete
rendu contre les autres accuzés de Calas. Le Fils a été
condamné au Bannissement hors du Uoyaume et a per-
pétuité, la femme de Galas, Lavaysse et la servante ont
été mis hors de Cour. Cet arrêt n'a pas laissé que de sur-
370 BÉPÊCHES
prendre tout le monde, quy s'attendoit a quelque chose
de plus rigoureux.
Le procureur de Galas Père donna une requette pen-
dant qu'on examinoit le procès dans laquelle il deman-
doit de s'inscrire en faux contre la procédeure, et disoit
que l'extrait etoit infidelle en ce qu'on avoit ajouté un
mot décizif ; cette requette fut rejettée parce qu'elle n'é-
toit pas suivie d'une procuration de la partie; cependant
M le Rapporteur vint vérifier le fait qu'il trouva bien en
règle, et comme cette calomnie retomboit sur moi qui
avés visé l'extrait de la procédeure, et que l'original avoit
été toujours en mon pouvoir, je crus qu'il convenoit d'en
porter plainte a la chambre Tournelle et en conséquence
trois de mes confrères et moy fumes à la chambre Tour-
nelle porter notre plainte verballe, sur laquelle il est
intervenu arrêt qui condamne ce procureur en trois
mois d'interdiction et ordonne qu'il se rendra devers le
greffe criminel du parlen^nt, où en présence d'un com-
missaire a ce député, il déclarera que malicieusement et
inconsidérément il s'est porté à présenter une pareille re-
quête contre la juridiction de Messieurs les Gapitouls,
dont il se repend et demande pardon et en conséquence
que la requette sera biffée et lacérée. Ce procureur
nommé Durroux doit se pourvoir au conseil en Cassa-
tion dud. arrêt. Sy cela arrivoit, permettes moy. Mon-
seigneur, de vous demander votre puissante protection.
Je tacherai de la mériter par mon zelle et mon attenton
a exécuter dans toutes les occazions vos ordres.
J'ai l'honneur d'être avec un très-profond respect
Monseigneur
Votre très humble et
très obéissant serviteur
David de Beaudrigue
Capitoul
DÉPÊCHES 3^71
23
LE PRÉSIDENT DU PUGET
AU MÊME.
Toulouse, 27 mars 1762.
Monseigneur,
J'ai prévenu vos dezirs en ayant eu Tlionneur de vous
informer de Farrest que le parlement a rendu contre les
complices de Galas. Cette procédure ayant commancé de-
vant les Capitouls avec Monyer assesseur de cette juri-
diction, on a vu que Monyer avoit prévariqué dans ses
fonctions, ce qui a donné lieu à la chambre Tournelle, sur
les conclusions de M le procureur général de décréter le
dit Monyer d'ajournement et d'ordonner l'enquis contre
luy, et la procédure se fait.
Dans le temps. Monseigneur, que nous étions occupés
au jugement de Galas père, Duroux fils, procureur en la
Gour, présenta une Requette au nom du dit Galas, de sa
femme et de son fils, qui tendoit aaccuzertout le Tribunal
des Gapitouls et notamment un d'eux de faux et de pré-
varication sur laquelle requête nous rendîmes un arrêt
de néant. Cependant les Gapitouls ayant été instruits de
cette Requette vinrent en porter plainte au parlement qui
leur en octroya acte. Duroux fils, mandé venir et ouy,
après avoir avoué la ditte Requette a été condemné à se
transporter au greffe pour, en présence d'un Commissaire,
déclarer qu'inconsidérément et témérairement il a fait,
présenté et fait signer cette Requette, laquelle sera lacé-
rée par le greffier, dont il sera dressé procès verbal, et
au surplus, l'interdit pour trois mois de ses fonctions.
Agréés, Monseigneur, que je profitte de cette occasion
pour vous prier d'obtenir du Roy des lettres de cachet
372 DÉPÊCHES
pour faire enfermer dans un couvent Anne et Anne-Rose
Calas filles de ce malheureux père. L'ainée est la plus
obstinée dans sa Religion et la cadette a des dispositions
pour se convertir. Il y a lieu de craindre que cette ca-
dette ne persiste pas dans cette bonne résolution étant
revenue avec sa mère qui est fort entêtée et avec sa sœur.
Et si Sa Majesté se détermine à les faire enfermer je crois
qu'elles doivent l'être dans des couvents différents. D'ail-
leurs elles sont très jeunes ; Anne Calas n'a que vingt-un
ans, etAnneRoze Calas 20 (1). Celle cy a un patrimoine
particulier de 18 a vingt mil francs qui peut fournir à son
entretien. Et Anne Galas aura sa portion des biens que la
loy luy donne sur ceux de son père. J'espère que vous
voudrés bien avoir égard a la représentation que la Reli-
gion m'inspire de vous faire. Je suis avec respect Mon-
seigneur
Votre très humble et
très obéissant serviteur
Du PUGET
24
M. DE SAINT-FLORENTIN
A M. DE BONREPOS, PROCUREUR GÉNÉRAL.
A avrU.
J'ai reçu M les lettres par lesq. vous avez pris la
peine de m'informer des jugements rendus par le Pari'
dans l'affaire des Calas. Je ne doute pas qu'ils n'ayent
été rendus conformém* à ce qui a résulté des informa-
(0 Anne (ou Nanelte) que le Présiacnl du Pugol appelle l'ainée
élail la radeUe; c'est elle qui avait quelque bien.
DÉPÊCHES 373
lions et procédures. Mais j'aurais fort désiré que Calas
eût, par son aveu, confirmé la justice de la condamna-
tion intervenue contre lui. Cela aurait pu empêcher les
mauvais propos des ministres et les impressions fâcheu-
ses qu'ils donnent à cette occasion à leurs adhérents. Le
Roi a approuvé le dessein où vous êtes de faire chercher
les deux jeunes filles de Calas et de les faire arrêter et
mettre dans un couvent. Je vous envoyé les ordres que
vous demandez à cet effet. J'ai fait laisser le nom du
couvent en blanc; vous voudrez bien le faire insérer
dans les ordres lorsque cela deviendra nécessaire (1) Je
verrai par quels moyens il sera possible de procurer à
Calas fils une pension qui le mette en état de sub-
si-ter. Cependant il me paraît qu'il est d'âge à remplir
quelque état et à se procurer de quoi se soutenir par lui
même.
25
LE MÊME AU MÊME.
22 mai.
Je VOUS suis obligé M. du détail dans lequel vous avez
bien voulu entrer avec moi sur les motifs qui ont déter-
miné le jugement du Parlement dans l'affaire de Calas.
Je ne peux qu'approuver les arrangements que vous avez
pris pour placer les deux filles dans deux couvents dif-
férents. Les ordres du Roi que je vous ai adressés me
paraissent comme à vous suffisants pour remplir vos \Ties.
Si cependant il s'y rencontrait quelque difiîculté, sur l'a-
(i) Mots biffés : Je parlerai à M. l'Evêq. d'Orléans pour voir s'il
est possible de procurer à Calas fils une pension sur les... (La phrase
csl inachevée.) C'csl do Louis qu'il s'agii.
32
31U DÉPÊCHES
vis que vous prendrez la peine de m'en donner, j'en ex-
pédierai sur le champ de nouveaux et je vous les enver-
rai.
Ce que vous me marquez de la V^« Calas me semble
mériter attention : s'il est vrai qu'elle fasse la prédi-
cante aux environs de Montauban, je me ferais d'au-
tant moins de scrupule de proposer au Roi de la faire
enfermer qu'il y a toute apparence qu'elle était com-
plice du crime de son mari, et que ce n'est que par le
défaut de preuves juridiques qu'elle a échappé à la pu-
nition. Je vous prie donc de vous faire informer plus par-
ticulièrement de la conduite de cette femme, et de me
marquer ce que vous en aurez appris et ce que vous en
penserez.
26
VOLTAIRE
A M. DE SAINT-FLORENTIN.
Aux Délices 2 juillet 1762.
Monseigneur
On me conjure de prendre la liberté de vous adresser
ces pièces, et je la prends. Je vous supplie d'excuser l'at-
tendrissement qui me force à vous importuner. Je crois
Tiimocence des Galas démontrée. Et j'ose vous dire que
plus d'une nation vous bénira si vous daignez protéger
une famille malheureuse et la plus vertueuse mère ré-
duite à l'état le plus horrible.
J'ay l'honneur d'être avec le plus profond respect
Monseigneur
Votre très humble, très obéissant
et très obligé serviteur
Voltaire.
DÉPÊCHES 575
27
M. DE SAINT-FLORENTIN
A M. DE SAINT-PRIEST.
8 mars 1764.
(Le ministre l'approuve d'avoir défendu la vente d'un
Traité sur ta tolérance (1) qui s'est débité à Montpellier ;
11 aurait même pu en faire saisir les exemplaires.)
Bien loin qu'il se vende publiquement à Paris, comme le
libraire a voulu vous le faire entendre, j'ai au contraire
donné les ordres les plus précis pour faire saisir tous les
exemplaires qui pourraient y arriver.
P. S, Ce livre n'ayant pas paru ici et ne m'étant pas
connu, je vous prie de m'en envoyer une couple d'exem-
plaires.
LE MEME
A M. LE CONTROLEUR GÉNÉRAL (1).
47 avril 4765.
J'ai l'honneur, M. de vous envoyer un mémoire de Louis
Calas. C'est un fils de celui qui a été condé par le Pari' de
Toulouse, il y a quelques années qu'il s'est converti. Sa
famille l'avait abandonné en haine de sa conversion et il
a fallu employer l'autorité du Roi pour obliger son père
à lui payer une pension. Il parait par son mémoire que
(1) Par Voltaire,
(2) De Laverdy (Voir p. 2 59).
376 DÉPÊCHES
le don qui vient d'être fait par S. M. à sa famille se dis-
tribue entre sa mère, son frère aîné et ses 2 sœurs, qu'il
en est exclu et qu'il ne demande pas à y partager. Il se
borne à demander qu'une pension de 100 fr. qu'il a sur
les économats soit augmentée. J'approuve le désintéres-
sement qu'il marque en faveur de sa mère, de son frère
et de ses sœurs. Mais il me parait essentiel qu'il partage
avec eux la gratif"" accordée par S. iM., à moins qu'il ne
lui soit accordé quelque grâce particulière, du moins
aussi marquée et qui même emporte quelque distinction.
Tous les protestants du Roy" ont eu et ont encore les
yeux ouverts sur le sort des Galas. Ils ne tarderont pas
d'être informés de la faveur que cette famille vient d'ob-
tenir du Rci. Et que pourront ils penser lorsqu'ils ver-
ront que le seul catholique de cette même famille n'y a
aucune part? Ce sera pour eux un motif de triomphe, et
ce qu'il y a de plus fâcheux, un nouveau motif propre à
entretenir et à fortifier la persuasion où ils sont déjà, par
l'artifice de leurs ministres, que le Roi est décidé pour la
tolérance. L'inaction où nous restons, faute de troupes,
en Languedoc et dans la plupart des Provinces infectées
de l'hérésie ne le leur persuade déjà que trop. Aussi, sui-
vant les d'" nouvelles que j'ai reçues de Languedoc, les
Protestants y deviennent de jour en jour plus audacieux.
Dans le mois d" il y a eu des assemblées de 6,000 hom-
mes dans le diocèse du Puy. Le jour de Pasques il s'en
est tenu une très-nombreuse presque aux portes de
Montp", où résident le Commandant et l'Intend' de la
province. Depuis peu on a tenté jusqu'à deux fois de bâ-
tir un temple dans une paroisse de cette même Province.
Si l'on ne peut actuellement remédier à tous ces désor-
dres, il est du moins important de ne pas laisser croire
que S. M. les approuve. Il est important que Ton sache
qu'elle persiste dans l'intention où elle a toujours été
de protéger la R. C. et de n'en pas souffrir d'autre dans
DÉPÈCHES 377
son Roy''. Des circonstances singulières l'ont déterminée
à accorder une gratifo» à une famille protestante et pu-
bliquement reconnue telle. IMais il ne faut pas que l'on
puisse en rien conclure en faveur de la Religion que cette
famille professe. C'est néanmoins ce qui arriverait si un
catholique de cette famille, à qui le malheur commun
donne le même droit aux bontés de S. M. s'en trouvait
privé. Les Protestants ne manqueraient pas de s'en préva-
loir et en même temps ce serait un véritable sujet d'af-
fliction pour les Cath. et pour les N^ convertis et une rai-
son d'éloignement pour ceux des Relig"' qui auraient
quelque disposition à rentrer dans le sein de l'Eglise.
2d.
LETTRES
DE LA
SŒUR ANNE-JULIE FRAISSE
« Je pense actuellement qu'un quelqu'un qui ne
nous connaîtrait pas et qui verroit nos lettres, vous,
jeune et jolie demoiselle protestante, et moy, vielle
et laide religieuse en serolt bien surpris. »»
(Lettre XVI.)
AVERTISSEMENT.
La sœur Anne-Jolie Fraisse ou de Fraisse était née
avec le dix-huitième siècle, le 6 janvier 1700. Élevée
sous le règne de Louis XIV, il est probable qu'elle en-
tra au couvent dès les premiers jours de la Régence.
L'influence qu'elle sut exercer au dehors en faveur des
Calas, le mariage de sa sœur avec M. de Bertier, d'une
famille considérable de Toulouse, sa parenté très-pro-
che avec M. d'Auriac, président au grand conseil et
gendre du chancelier de Lamoignon, tout indique que
les parents d'Anne-Julie occupaient ime position éle-
vée; mais je n'ai pu trouver ni à Toulouse, ni ailleurs,
aucun renseignement à leur sujet.
Il importe peu. C'est par son caractère personnel que
la sœur Anne-Julie nous intéresse.
Voici comment l'historien des Eglises du désert appré-
ciait cette correspondance qu'il m'a confiée et que je
publije aujourd'hui, selon son désir.
382 AVERTISSEMENT.
(( Ces lettres sont charmantes de pensée et souvent de
style. Loin de se brouiller avec la jeune Calas, qui n'a-
vait point voulu se convertir dans leur maison , ces res-
pectables sœurs et surtout la sœur Julie devinrent ses
amies pour la vie. Il y eut un commerce du plus tendre
intérêt entre elle et toute la communauté. C'était un
cœur bien aimant et une bien respectable personne que
la sœur Fraisse. Nous n'avons jamais mieux senti, qu'en
lisant cette correspondance touchante, combien les plus
doux sentiments de l'âme ont eu quelquefois la vertu
d'éteindre les haines dévotes (1). »
Le caractère général de ces lettres me paraît être la
sensibilité la plus vraie, la plus chaleureuse, exprimée
avec beaucoup de naturel, de grâce et d'esprit.
Le langage est souvent incorrect. Quelquefois, il est
facile de reconnaître que la Religieuse a pensé en patois
du Languedoc la phrase qu'elle traduit négligemment
en français. Plus souvent elle commet des archaïsmes, et
parle, sans y songer, sous le règne détesté de Voltaire,
la langue vieillie de Louis XIV, qui s'est conservée plus
pure entre les murs du couvent que sur le théâtre du
monde et dans la littérature du jour. Souvent aussi elle se
permet, comme le ducide Sam t-Simon, ces inversions brè-
ves et hardies, ces constructions bizarres et rapides qui ne
tiennent compte ni des lois de la syntaxe, ni du génie de
la langue, mais qui permettent d'exprimer énergiquement
autant de sentiments et d'idées que de mots. C'est ainsi
que dans la lettre xxv, elle s'arrête et se reprend au mo-
ment où son vœu le plus cher, celui de la conversion
d'Anne Calas, vient de lui échapper encore une fois : «Je
(I) Ch. Coqucrel, Histoire des Eglises du Désert, t. 2, p, 316.
AVERTISSEMENT 383
me tais et mets le doigt sur la bouche, et non sur le cœur,
qui sera toujours le même, en désirs des plus vifs. » Ce
même style se retrouve dans sa lettre à M.d'Auriac, où en
parlant d'Anne Galas, placée dans son couvent par lettre
de cachet, elle ajoute : La religion en était l'objet, que
nous n'avons pu remplir; c'est à Dieu seul qu'il appar^
tient.
Sur ce sujet qui lui tenait plus à cœur que tout au-
tre, elle ne tarit point ; et comme elle sait cependant que
ses prières et ses exhortations restent stériles , comme
elle se sent obligée, sur ce point délicat, à une réserve
que lui commandent également la discrétion et la charité,
il est curieux et touchant de la voir varier à l'infini ce
thème toujours bref, mais toujours plein d'émotion et
d'ardeur. Ailleurs, elle s'élève sans effort à mie vérita-
ble éloquence, qui part du plus profond de son cœur; il
en est ainsi de sa belle lettre (xxxiv) sur la mort du fils
aîné de Nanette; elle a ces accents émus, ce ton con-
vaincu et plein de sympathie, cette élévation chrétienne,
qui seuls consolent. Habituellement, rien n'est plus
aimable et même plus gai que le ton des lettres de la reli-
gieuse septuagénaire. Elle avait en effet soixante-dix ans
accomplis lorsqu'elle écrivait gaîment à sa jeune amie :
Le noir de la viellesse est encore loin de moy^ je n'iray
pas le chercher, (L. xxxii.)
Dans l'abandon charmant de ces causeries intimes, elle
a par moments le tort de parler le jargon puéril du cou-
vent ; et sa parole d'ordinaire si vive , si nette, prend
alors une afféterie qui choque nos habitudes, mais qui
est toute dans le mot, jamais dans la phrase. On aime-
rait mieux qu'elle écrivît un fils et une fille au lieu d'un
poupon et d'une toutoune ; une jeune dame et non une
3Sll AVERTISSEMENT
damote mais j'ai scrupuleusement respecté le style,
môme dans ces mignardises qui après tout, sont le goût
du terroir.
EUenecherchepasun instant le mot le plus convenable
quand elle en a trouvé un, énergique et précis, qui dit bien
ce qu'elle veut dire ; son langage n'est pas celui d'une
prude, et il y a dans ses lettres telle expression que nous
aurions hésité à reproduire, si nous ne nous étions im-
posé la règle invariable de n'y rien changer, et d'en con-
server jusqu'à l'orthographe tantôt fautive et tantôt
vieillie. Nous le devions par un double motif : cette cor-
respondance est pour nous un appendice au procès des
Calas, ou du moins un témoignage rendu à cette famille
tant calomniée, témoignage contemporain et très-éclairé ;
c'est en même temps une œuvre littéraire trop naïve,
troporiginale, pour ne pas être recueillie dans sa pleine
intégrité.
' La sœur Fraisse mérite une place à la suite de ces quel-
ques femmes d'élite, auteurs sans le vouloir, dont les
ettres vives et naturelles sont un des ornements de no-
tre littérature et comptent parmi les créations les plus
attrayantes de l'esprit français.
(i) Nous devons faire remarquov qu'oulvc la lettre à M. d'Auriac,
quia été reproduite plus d'une fois, celle adressée à Cazeing a paru
en I8i9 dans les Annales Proteslantes , p. 152. C'est la seule dont
l'original ne soil pas en notre possession. Grimm a publié dans sa
Corn-spondance Uticralre la loitro XX*. La V* et la XP ne sont pas
de la sœur Fraisse, mais de la supérieure de son couvent, la mère
d'Hunaud ; nous avons cru devoir ne pas les séparer de celles d'Anne-
Julie ; le môme esprit de charité et de justice y règne : à ce litre elles
mérilaicnl d'ôlre publiées.
LETTRES
DE LÀ SOEUR
ANNE-JULIE FRAISSE
A Monsieur
Monsieur Castanier cCAuriac
Conseiller d'Etat, rue neuve des Capucines
à Paris,
VIVE JÉSUS.
t
De noire Monastère de Toulouse, le 24 décembre 17G2.
Je ne prétends pas, Monsieur, vous instruire et vous ra-
conter la tragique histoire de l'infortunée famille de
Galas, mais vous temoig^ner le plaisir sensible que j'auray
si vous leur êtes favorable et que vous contribuiez par
votre suffrage à les réhabiliter. Nous avons eu sept mois
dans notre maison une de ces demoiselles par lettre de
33
386 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
cachet La Religion en étoit l'objet, que nous n'avons
peu remplir : c'est à Dieu seul qu'il appartient. A cela
près, elle a gagné l'amitié et l'estime de notre Commu-
nauté par ses excellentes qualités. Nous n'avons eu qu'à
regretter que tant de vertus dont elle est remplie ne puis-
sent lui servir que pour cette vie. On m'avait chargée
d'elle ; j'y étois tous les jours et je n'ai jamais eu le plus
léger mécontentement ; elle ne mérite que des éloges.
Nous avons eu occasion de connoitre ce qui reste de cette
famille; leur bon caractère nous assure de leur inno-
cence. Il est bien dezirable qu'elle soit reconnue et jus-
tifiée. Permetez-mol de vous assurer de touts les souhaits
heureux que je forme pour vous dans la nouvelle année
que nous allons commencer. Je prie le Seigneur qu'il
remplisse tous les désirs de votre cœur. Je suis avec l'at-
tachement le plus sincère, Monsieur, votre tres-humble
obéissante servante
S' Anne Julie Fraisse
DelaV. S'«M. D. S. B. (1)
II
A MONSIEUR GAZEING.
VIVE JÉSUS
De notre Monastère de Toulouse ce 24janv. 1703.
Vous m'avez bien devinée. Monsieur, lorsque vous n'a-
vez point douté du plaisir que j'ai eu de la délivrance de
(i) De la Visitation Sainte^ Marie. Dieu soit béni.,'
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 387
mademoiselle Nanete ; je n'aurois cédé à personne de lui
en donner la nouvelle ; vous jugez combien elle en fut
transportée. Je ne désavoue pas un contraste en moi-
même : ce qui le causoit ne seroit pas de votre goût ; là-
dessus nous ne saurions être d'accord. Elle s'est conduite
dans notre maison tout au mieux, polie, sage, modeste,
discrète et prudente. Je Tai connue remplie de mérite et
des qualités les plus désirables. Je n'ai rien négligé pour
lui adoucir la captivité ; point de tracasserie ni de gêne.
Il nous paraît, par tous les discours depuis sa sortie,
qu'elle est aussi contente de nous que nous l'avons été
d'elle. Ses affaires vont au mieux. Je lui ai donné une
lettre pour M. Dauriac, mon cousin germain, président
au grand conseil. Elle m'apprendra sans doute l'usage
qu'elle en a fait. Al'égard des commissions que notre sœur
économe a pris la liberté de vous donner, etc.
III
POUR MADEMOISELLE NANETE CALAS
t VIVE JESUS
De notre monastère de Toulouse ce î fetrier 1768.
Je n'avois pas atendu, ma chère Nanete, au moment
de recevoir votre letre, à m'informer de vos nouvelles.
Je savois votre voyage heureux, mais j'étois impatiante
388 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
de tout le reste. le suis en colère contre votre raporteur;
c'est bien mal prandre son temps. Il faut espérer qu'il
faira mieux les choses lors qu'il sera question de vos in-
térêts. Vous ne me dites rien de votre entreviie avec la
chère mère ; ie ne doute point qu'elle n'ait été tendre et
douloureuse. Votre cœur rempli de sentiments en a sans
doute éprouvé dans ce moment tout ce que ie vous en
connois capable, et c'est tout dire ; ie vous prie m'y ré-
server quelque part. Vous en avez beaucoup dans le mien.
L'espace des lieux, les diférances entre nous et Fabsance
ne sauroient efacer les impressions que vos aimables
qualités du cœur et de l'esprit ont fait dans le cœur de
celle qui vous est toute dévouée. Si nous pouvions vous
faire plaisir et que vous ayés besoin de quelques solici-
tations, nous somes toutes a votre service. Nous parlons
souvant de vous et toujours avec les éloges que vous mé-
rités, et nous avouons le désir de vous revoir. Plut au
ciel que ce fut parmi nous ! Vous y seriez reçue avec des
transports, et vous nous avés asés aperçues pour savoir
que ces sentimens vous sont uniquement consacrés.
J'avais oublié de vous prévenir sur l'abor glacé de
M. d'Auriac, afin d'éviter que vous le prissiés pour vous.
Je suis très contente qu'il vous ait reçue avec la bonté
que vous mérités et que mérite votre triste situation. Son
air froit et sérieux est dans son caractère; si vous avés
a le revoir, n'en soyés point étonnée ; c'est dans luy et
non pour vous.
Notre sœur Vialet vous embrasse tendrement, de même
que notre sœur de Ponsan ; elles vous aiment de tout leur
cœur. Vos deux lettres ont été lues a toutes; chaqu'une, a
la récréation, les vouloit entendre.- Enfin, ma chère Na-
nete, vous avés gagné le cœur et l'estime de nous toutes.
Je vous prie d'asurer Madame votre mère et votre chère
sœur de tous nos sentiments d'estime et d'afection. Ne
nouslaisés pas ignorer la décision de vos afaires. N'ou-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 389
bliés rien a m'iiistriiire de ce qui vous interesse. Si ie ne
vous connoisois ie vous soubsonerois de ne vouloir point
de nos letres : vous ne me dites rien de l'adresse. Mon-
sieur Francés (1) aura la bonté de les envoyer ; nous en se-
rions bien en peine. Le cérémonial de la votre me de-
plait ; moins de façons et plus de détail de ce qui vous
regarde. Adieu, ma chère Nanete ; ie vous aimerai tou-
jours fort tendrement. C'est dans ces sentiments que ie
suis votre très humble obéissante servante sr Anne Juhe
fRAissE de la v. ste.
M. D. s. b.
IV
A Mademoiselle
Mademoiselle amie calas
chés monsieur dumas rue neuve
Saint eustache. A paris» (1)
t VIVE JESUS
De uelre monastère de Toulouse ce 5 avril 1763.
Me soubsoneriés vous d'indiférance, ma chère Na-
nete, par le retard de repondre a votre charmante letre
du 13' mars ? Peut être avés vous deviné que nous n'é-
1^1) Un négociant de Toulouse avec lequel Jean Cala* avait eu de-
puis longtemps des relations d'affaires et d'amitié.
"i^ Celte adresse est aussi celle des lettres suivantes.
30.
390 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
crivons dans le carême, que pour l'absolu nécessaire.
Voyez mon exactitude : au premier courrier ie n'ay qu'à
suivre mon cœur pour m'entretenir avec vous et vous
féliciter de l'heureux commencement de votre cruële
afaire. Je repasse dans mon esprit tout ce qu'il faut pour
la conclusion ; il y a bien des choses encore : l'apport des
charges, information, raison de l'arrêt ; nos gens ne se
preseront pas ; puis l'examen et le jugement. le suis im-
patiante, comme Nanete l'étoitquelquefoix, en elle même,
a basse et douce voix. Je voudrois tout savoir à la foix ;
ie suis pourtant bien tranquille, persuadée que vous au-
rés du bon.
Et puis, tout jugé, ou habiterés vous ? N'y aura-t-il
point quelque reste d'afaires qui vous ramènera au moins
en passant dans cette ville ? J'ay peine à consentir de
ne plus vous revoir ; ma tendresse soufre des aparances,
peut-être trop certaines, de cette privation.
Je souaitte bien que ivr Dauriac soit au jugement, su-
posé qu'il vous soit favorable, comme je l'espère. Il a
réputation de bonne tête ; son avis est écouté.
M' Francés est très exact a nous donner les assuran-
ces de votre souvenir, ie ne luy pardonnerois pas de
nous les laisser ignorer. Qu'ay-ie tant fait pour vous, qui
puisse si fort exiter votre reconnoissance ? Vous contés
sans doute la bonne volonté pour les efets ; rien n'est
perdu dans vn cœur si bien placé que celuy de ma chère
Nanete, que j'aimeray toujours tendrement. Le bon Dieu
le sait, et tout ce que je luy dis pour elle. Ha, si jamais
j'aprans qu'en m'écoutant il m'a exaucée, ie diray comme
Simeon : Seigneur, laisés aler mon ame en paix, puisque
ie vois ce que j'ay tant désiré.
Nos chères sœurs vous en disent de même et vous
font mille amitiés. Des qu'elles me savent une de vos
letres, elles en veulent savoir quelque chose, et ie veux
avoir toujours ce qui vous interesse. Aprenés moi tout
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 391
ce qui surviendra de nouveau. Mes tendres compliments,
ie vous prie, à Madame votre Mère. Je la remercie de
son souvenir. Il me semble que si ie la voyais, nous se-
rions bonnes amies. Vne embrassade à la chère sœur. Vo-
tre frère Louis n'est plus venu depuis votre sortie»
La sœur Vialet vous salue.
^ja^deiie Nautonier est d'accort avec nous, qu'elle n*cst pas
faite pour être religieuse, elle attent une autre lettre de
cachet p' vn couvant de Castres; Vous la connoissés (1).
Je finis, ma chère petite amie p' faire place a notre
mère. Je suis et seray toujours toute a vous.
S' Anne Julie D. s. b.
(Sur la même feuille)
Je ne saurai pas vous aussi bien dire que notre Sceur
De Fraisse tout ce que je pense et que je sens pour vous,
Mademoiselle. Si vous pouviés voir dans mon cœur, vous
y trouveriés des sentiments tendres et de vifs désirs pour
tout ce qui vous interesse. Je me réjouis du bon com-
mencement de vos tristes affaires, mais j'ai peine à
prendre patience de la lenteur de vos juges. Je me flatte
(1) Voir sur M"' deNaulonnier la note xiii à la fin du volume.
392 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
que ce n'est que pour mieux faire ; je le désire de tout
mon cœur.
- Donnez nous en des nouvelles, et de votre santé, que
la multitude (et la qualité (1)) de vos occupations peu-
vent altérer ; il faut la ménager.
Toutes nos sœurs, qui vous aiment toujours, pensent
souvent a vous et prient beaucoup Dieu qu'il vous ac-
corde toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour
être véritablement heureuse dans le tems et dans l'éter-
nité. Je vous demande toujours quelque part dans votre
amitié; vous la devez à celle que j'ai pour vous. Je serai
toute ma vie bien tendrement. Mademoiselle, votre très
iiumblé et très obéissante servante
Sr Marie Anne D'hdnaud
de la Visitation Ste Marie D. s b.
VI
t VIVE JESUS
De ntre monastère de Toulouse ce 13» juin 4 763.
Faut-il donc, ma chère Nanete, faire le sacrifice de
vos nouvelles ? Depuis le commencement du carême ie
vous ignore. Votre santé, vos affaires, vos contentemens
(i) La mère Anne d'Hunaud a effacé les mois et la qualitc; elle
a ci'ainl sans doute que celle vague allusion à toul ce qu'avaient de
pénible les sollicitations dont s'occupaient à Paris M™* Calas et ses
llUcs, ne leur fût point agréable. Celle alienlion délicate à éviter, eu
un sujet si douloureux, la moindre rudesse de langage, fait honneur
à la Supérieure.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 393
OU VOS déplaisirs, tout m'intéresse. Je voudrois tout sa-
voir, pouvoir lire dans votre cœur touts vos mouvements,
sans oublier ceux de l'esprit. Vous êtes bien dans le
mien, ie vous assure.
le profite du départ de Mr votre frère qui dit devoir
partir demain par la mesagcrie. le dis qui dit; la con-
fiance ne dépend point de soy, vous savés que je n'en ay
pas de reste, et vous avés bien voulu avoir la bonté de
me le passer.
Toutes nos religieuses vous embrassent et vous font
mille amitiés. Nous parlons souvant de vous sur le ton
qui vous est deu. Ma''^"* Nautonier est a Castres. On dit
qu'elle va se marier, si elle ne l'est déjà. Pauvres enfants,
que ievous plains 1 qu'en pense Nanette? seront-ils bien
rangés, bien peignés? quelle maison luisante!
Votre frère me presse si fort que malgré moy il me
faut finir. Notre Supérieure me charge de vous assurer
de son souvenir, de son amitié. Vous ne doutés pas sans
doute de celle que ie vous ay vouée. Adieu, ma chère
petite amie, je suis toute a vous
de tout le cœur Sr Anne Julie
Fraisse de la V. S'* M. D. s b.
VII
f VIVE JESUS.
De litre monastère de loulouse ce 3« août 17C3.
Nous sommes toutes les deux coupables, ma chère Na-
nete, de jugements contre le prochain. Malheureusement
39ll LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
les miens ne sont que trop vrais ; mais les vôtres sont
faux. le ne dis pas injustes ; les aparances vous trompent.
Vous croyés sans doute que ie ne vous ai point écrit ; mais
voicy mon histoire. M' votre frère, en qui vous savés, îe
n'ay jamais eu confiance, vint il y a prés de deux mois
nous avertir qu'il partoit le lendemain pour Paris. Sans
vouloir jurer du vray, je ne voulus pas perdre l'occasion
de vous écrire sans vous faire des fraix. le vous écrivis,
fort pressée, seulement pour vous asurer de toute ma
tendresse. Mais la Supérieure fit bien plus; elle luy re-
mit des letres de conséquence pour M"" son frère qui est a
Paris et pour nos religieuses afin de les avertir du départ
d'un quelqu'un qui devoit se charger pour nous de bien
des paquets. Vendredi dernier Ma'*®^''' Gardelle vint me
voir; je luy fis vos complimens et que vous me demandiés
de ses nouvelles, que votre letre s'étant croisée avec celle
que j'avois donnée à M' votre frère, j'avois conté qu'il
vous en donneroit et que j'attendois pour vous répondre,
d'être sure de sertaines petites nouvelles que ie voulois
vous donner. Elle me repondit que ie contois bien faux,
qu'il n'etoit parti que depuis quelques jours et la procé-
dure aussi, quoy qu'il nous eut assuré depuis deux mois
qu'elle etoit à Paris. J'attendois avec toutes les impatien-
ces imaginables d'en aprandre quelque chose. Je vous
avoiie que si je m'étais trouvée dans ce moment vis à vis
de luy, ie luy aurois dit son fait. Il devoit nous randre les
letres, puisque son départ etoit si fort retardé.
Ainsi, ma chère Nanete, ne croyés point que ie vous ay
oubliée. Vous m'êtes toujours présente, mon cœur vous
rapele toujours à mon esprit. 11 est vray, ie vous l'avoue,
vous êtes toujours tout ce qui m'est le plus cher. Dans
quelle situation êtes vous! Comment vont les choses?
Qu'espérés vous ? que craignes vous ? que projetés vous ?
tout m'intéresse. Parlés moy bien de vous quand vous
m'ecrirés. I\e pensés point au coût; c'est a moy d'y pen-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 395
ser pour vous, sans quoy ie vous ecrirois très souvant.
Comme ie reste persuadée que votre frère n'arrivera
point à Paris, vous vouliez des nouvelles de Gardelle ;
elle a accouché d'un enfant mort, et mort depuis trois
mois. C'est inimaginable. Elle etoit groce de quatre mois;
étant a Montauban, elle se troubla de voir vn cabriolet ou
son mari, sa sœur etoient et qui fut renverse par le che-
val qui prit la fougue. Depuis elle ne sentit plus son en-
fant se remuer; elle ne grocit plus et trois mois après
elle en a accouché, de la taille de quatre mois. Elle se
porte bien. Mademoiselle de Grave est mariée, depuis
vn mois avec M' de Treville, à Castelnaudary, homme de
condition, huit mil livres de rente; on luy a donné
quarante mil livres. Elle vint nous voir dimanche. le la
croy groce. Elle est toujours aimable et nous est fort at-
tachée. La charmante Nautonier ne nous a jamais écrit,
mais elle a fait l'effort de prier sa tante de nous commu-
niquer son mariage avec M' Villeneuve. le n'ay pu savoir
ou il habite, ni si elle a encore épousé. Dans ma dernière
lettre que vous ne recevrés pas sans doute, (1) ie vous fai-
sois mes lamentations sur ses pauvres enfants.
Dans notre parlement tout commence d'aler au mieux
en faveur de M"" le premier présidant. Après un train
a freux contre luy, les esprits s'apaisent ; on prand d'au-
tres idées. le say que vous vous y intéresés. le ne say plus
nouvelles à vous donner, mais bien à vous demander des
vôtres. Notre mère vous fait mille amitiés ; Notre sœur de
Ponsan, Vialet et toute la communauté.
Adieu ma chère petite amie. Aimés bien le bon Dieu,
priés l6 de vous éclairer de la vraye lumière. Soyés toute
à luy. Il n'y a que luy seul qui puisse nous rendre heu-
reux. Je suis et seray toujours toute à vous.
S' Anne Julie Fraisse delà Y. st*M. D. s. b.
(i) C'est la préeédenle.
396 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
mes tendres complimens, ie vous prie, à madame votre
mère et sœur.
VIII
f VIVE JESUS
De notre mouaslère de Toulouse, ce 2G oct. 1763.
Voicy bien du temps, ma chère Nanete, que je n'ay eu
de vos nouvelles, ni vous des mienes. le voudrais bien
pouvoir me flater de ce dont ie puis vous assurer à votre
égard, que l'oubli ni Tindiferance, n'y a nulle part. Vous
êtes toujours dans mon cœur et jusqu'à mon dernier
soupir, ie ne cesseray de demender a Dieu votre salut ,
avec autant d'ardeur que le mien. Luy seul sait mes de-
sirs et mes soupirs. Il faut briser a tout ce que je pour-
rais vous en dire. C'est un article qui m'atendrit jus-
qu'aux larmes.
J'ay vu ces jours cy M' Gardois, sa famé et madame
Guay. Ils m'ont dit que madame votre mère avait obtenu
700 fr. de pansion. Je vous prie de luy témoigner com-
bien j'en ay du plaisir; et vous 2,000 livres. J'espérais qu'il
vous en serait reconnu davantage, persuadée que les ven-
tes de vos efcts allaient bien plus loin. Cependant vous
ayant été acordé, ce que vous autres avés demendé,
c'est vn préjugé favorable pour tout le reste. J'espère
qu'on vous rendra bonne justice.
i3es que vous aurés besoin d'une letre pour W Dau-
riac dont vous me parliés dans votre dernière, écrives
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 397
moy tout ce que vous voulés que ie dise. Vous la rece-
vrés Courier par courier, et dites moy si ie dois vous l'a-
dresser, ou a luy directement. le ne .^ay si la disgrâce
de son beau père le chancelier, peut porter sur luy. Vous
êtes en lieu de le savoir. Je crains ausi que dans cette sai-
son sa goûte ne luy permete pas d'exercer, mais en tout
cas, vous me trouvères toujours disposée à tout ce que
vous voudrés. le ne puis avoir de plus grand plaisir que
de vous en faire.
Ha ! si ie pouvois vous revoir sous ma patte qui n'est
pas assomante , ie ne perdrois aucune ocasion de vous
prouver ma tendresse. Si vous voyés M' votre frère, don-
nés luy la nouvelle de la mort de l'abbé Durand, vne
fièvre maligne l'a emporté dans sept jours. (Il est mort
en saint comme il avait vécu) (1).
J'ay encore des nouveaux mariages à vous aprandre,
dans le même goût des derniers. Nous avons eu dans la
maison un mois Mlle Ville, sœur et jumelé de notre
S' Marie Melanie, qui vous aprenoit les mitenes. Elle
étoit venue faire une retraite pour se consulter sur vn
choix d'état. Elle ce marie ce mois cy. Nous en avons
une autre, peut être de votre connaissance. M" Opiats,
marchand au port, grande dévote (2). Elle est sortie. Je ne
say pas si elle conclura comme les autres. Voyés le tort
que Nanete a eu de n'avoir pas dit : le veux être religieuse.
Je croy que dans votre ville on parle de l'aventure de
notre parlement. Elle est remarquable et unique. Depuis
son établissement, le président Belloc est mort d'apo-
plexie. Il parut une lettre au nom de son frère à M' le
Gommendant pr luy demender permission qu'il put sortir
(i) Les mots que nous avons placés entre parenthèses sont biffés.
(2) C'est à dire M'"" Opiats, grande dévote, dont le ppre était mar-
chand établi auprès d'un dos ports de la Garonne à Toulouse, tels
que le port Garaud, le porl de la Daurade, le port Saint-Pierre.
3a
398 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
des arrêts pr aller au tombeau. La reponce fut qu'il le
permettoit pour une foix seulement. Il paroit tous les
jours des écrits suposés asses amusans. Le Gomen-
dant s'est logé a Lalande dans un vieux château de
Mr JNicole et il n'est visitté de personne.
(Le reste de la page est tombe de vétusté, excepté le posl-
scriptum suivant) :
Il vous sera peut être utille de savoir que Mv Duroux
le père (1) est tombé d'apoplexie à sa campagne ; il n'é-
toit pas mort hier matin, ie n'en say point de nouvelles
depuis.
IX
t VIVE JESUS
De Titre monastère de toulouse ce i*» janvier 17G4,
Vous m'aurés sans doute pardonnée, ma chère petite
amie, des soupsons que ma tendresse avoit fait naître.
Votre aimable lettre a tranquillisé mes alarmes. Elle fut
lue de toute la communauté et chaqu'unefit lepanegerique
de voti'e bon cœur et des sentiments qui sont nés avec
vous. Mon Dieu! seroit-il possible que de si belles qua-
lités... ie ne dis rien de plus. M' de xMongasin qui a eu
occasion de vous voir ne peut se taire de toutes vos po-
litesses et tout ce que vous luy dites d'obligeant sur notre
(i) Père (lu Procureur qui signa la brochure de La Salle et qui
fut suspendu trois mois do ses fonclious pour s'ôlre inscrit en faux,
au nom des Calas, contre certains actes de David de Beaudrigue.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. 399
sœur Thérèse Félice. Elle vous en remercie et vous fait
mille et mille complimens.
Que ne puis-ie, ma chère amie, vous exprimer toutsles
souhaits que ie forme pour vous dans cette nouvelle an-
née ! Vous les pénétrés, je désire que vous les senties
Mon cœur vous est assés connu pour ne pas douter de
leur sincérité et de leur étendue. J'espère qu'elle vous
sera heureuse par une conclusion favorable a votre très
malheureuse afaire. Ne diferés pas un seul instant a m'en
faire part, et, par la suite, du parti que vous autres pren-
drés de rester a Paris, ou l'endroit que vous choisirés.
Vous le savés, ie vous l'ay dit souvant: ie suis malheu-
reuse de vous avoir connue. Tout en moy s'intéresse à
votre sort. Quel sera-t-il ? pas si heureux que ie le désire.
J'écris a M' Dauriac, ausi vivement que vous pouvés
souhaitter. le say qu'il a la goûte ; peut être ce sera un
obstacle a pouvoir vous être utille.
le suis bien sensible au souvenir que vous avés de ma
famille. Ma sœur (1), ]\Ionsieur de Bertier se portent très
bien; ma nièce vit, c'est tout ; elle est toujours aux soins
de M' Sol (2). Je l'ay vu, et M""' Vialet et Gardelle. Je
leur ay fait vos complimens ; les uns et les autres vous
remercient et vous font mille souhaits, aussi bien que
notre sœur de Ville. Sa sœur est toujours Mademoiselle ;
deux mariages ont manqué.
Notre mère supérieure et toutes nos sœurs sont très
sensibles à vos bontés ; elles vous aiment de tout leur
cœur. Monsieur Canpan ne vient point ; s'il retarde, ie
m'informerai ou il habite pour le reveiller. le vous prie
de faire mille et mille complimens de ma part et une em-
brassade à iNIadame votre mère et a chère Rosete.
suis avec les sentimens les plus tendres, et d'un cœur
(() W^^de Berlier.
(2) Voir sur le D' Sol la nolexu à la fin du volume.
400 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
qui VOUS est tout dévoue, votre très humble servante
S' Anne Julie Fraisse
de la V. SteM. D. s. b.
le vous prie, lors que vous m'ecrirés de ne pas négli-
ger, comme vous faites, de me donner des nouvelles de
votre santé. Et la poitrine, que fait-elle?
t VIVE JESUS
De ntre monastère de loulouse ce lie mars I76i.
Ne croj^és pas, ma chère petite amie, que l'oubli ait
part au retart de ma réponce. le ne puis et ne suis ca-
pable a votre égard que des sentimens les plus tendres.
Vos lettres me donnent toujours un plaisir nouveau.
Votre dernière a bien couru en premier lieu touts nos
ronds, a la récréation. Chacune s'empresse de vos nou-
velles; elles vous font toutes, mille compliments, notre
Supérieure a la tête. Notre Sœur de Mongasin et Sœur
Vialet voudroient vous embrasser; ie ne leur cederois
pas, si ie pouvois avoir un jour cette consolation ; ie m'en
prendre i s bien.
le remis votre lettre à Mr Sol pour découvrir Mr Gan-
pan. Tous les Gardele, Vialets, Madame Gay, et les au-
tres l'ont vue jusqu'à ma sœur qui seule prétend con-
noitre ce Canpan de Castres. 11 n'çst point a Toulouse.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ZlOl
Voyés a qui nous devons remetre les fleurs, ou s'il n'en est
plus question. Toutes vos connoissances et Mr Sol vous
saluent. le leur ai fait grand plaisir de leur donner de vos
nouvelles. le suis bien fâchée de celles que vous me
donés de votre santé. Il se peut bien que les eaux de ce
pays vous soient contraires ; il y a des fontaines dont
bien des personnes se servent, qui sont saines. Ménagés
vous, ne prodigués pas votre santé ; vous le devés a vous
même et aux personnes qui vous chérissent tendrement.
Ma chère Nanete, mon cœur et mon esprit est bien
rempli de vous; il en est ocupé plus que vous ne croyés;
Vn objet supérieur le fixe et vous rend toujours pré-
sente a moy. Je suis a presant dans Patente a tous les
courriers des nouvelles de vos afaires. Elles m'intéressent
au point de me donner bien de l'inquiétude. Si le juge-
ment est retardé et que vous souhaittiés une autre letre
pour Mr Dauriac, vous n'avés qu'a dire : ie suis toute à
vous. Point de paresse de plume, lorsqu'il est question de
vous rendre service. Je fairais, ou tenterais l'impossible
pour ma chère petite amie. Mon Dieu ! qu'il me tarde de
savoir votre sort ! Quel qu'il soit, vous me serés toujours
chère, et jusqu'à mon dernier soupir, le bon Dieu sait
bien, que ie ne vous oublieray devant luy. Adieu, ma
chère amie, je suis pour toujours avec l'atachement le
plus inviolable, votre très humble servante, Sr Anne
Julie Fraisse de la V. S'** M. D. s. b.
Mille et mille complimens a madame votre mère et
votre chère sœur. Je les remercie de leur souvenir. Elles
ont bonne part dans le mien.
34.
/l02 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
XI
V. J.
De N. M. de Toulouse ce 31 mars 1704.
Vous nous donnés tant de témoignages de l'amitié que
vous avés pour nous, Mademoiselle, que je m'adresse à
vous avec beaucoup de confiance pour une petite affaire
dont j'espère que vous tirerés bon parti. Il est question
de nous faire païer seize Louis que nous avons prêtés à
Mr Francés. Il s'est engagé dans le billet qu'il nous a fait
de nous païer dans tout ce mois-ci. Nous avons quelque
souci sur son conte, n'aïant donné aucun signe de vie
depuis son départ de Toulouse, ni a nous, ni a aucun de
ses parents ni amis. On prétend qu'il est à Paris avec
Mad'^** de Manse. Supposé qu'il y soit encore ou quelque
part qu'il soit, si vous le pouvés, je vous conjure. Ma-
demoiselle, de le presser de nous païer. Nous avons
beaucoup pris sur nous pour lui rendre le service de lui
pretter cet argent, qui nous est très nécessaire. Vous êtes
assés de nos amies pour que je vous dise en confiance
que nous avons été obligées d'emprunter. Vous sentes
par là que Mr Francés nous feroit grand tort de retarder
à nous rendre ce qu'il nous doit. Il se parle beaucoup de
lui ; vous pouvés deviner ce qu'il s'en dit. Ses parents et
amis le plaignent et le blâment. Je crains qu'il n'aura
peut être pas osé se pi^senter a vous et qu'il sera inu-
tille que je vous prie de vous intéresser pour nous pro-
curer notre argent. Je suis bien convaincue que si vous
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Z|03
y pouvés quelque chose vos bontés et votre amitié pour
nous vous engagera a nous rendre ce service.
Pour moi, Mademoiselle, je suis très aise d'avoir cette
occasion de vous renouveller les assurances de mon sin-
cère attachement et de l'intérêt que je prens a tout ce
qui vous regarde. Je suis bien impatiente sur la conclu-
sion de vos affaires ; je vous prie instamment de m'en
donner des nouvelles. Vous êtes toujours estimée et
aimée de toute notre communauté. Nous parlons sou-
vent de vous, et nous prions toujours beaucoup pour
vous. Notre Sœur de Fraisse se porte assés bien, elle me
charge de vous dire mille choses tendres. Vous connais-
ses ses sentiments pour vous. Les miens ne sont pas
moins sincères ; rendes moi la justice d'en être convain-
cue, et que je suis, Mademoiselle, votre très humble et
très obéissante servante, S' Marie Anne d'Hunaud, Sup'*
de la Visitation S'* Marie. D. S. B.
Notre Sœur de Fraisse vient de recevoir votre aimable
lettre que nous avons lue avec grand plaisir a notre ré-
création. Elle va écrire a Mr Doriac.
XII
t VIVE JESUS
De notre monastère de loulouse ce 30 mai 176*.
J'atens a touts les couriers, ma chère et plus chère
petite amie, des nouvelles de votre malheureuse afaire.
Je m'informe; personne n'en sait mot. J'ay récrit a
l\OU LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAlSSE
Mr Dauriac, pas sitôt que vous me demendiés dans votre
dernière; mais pour le mieux. Voyant le jugement re-
tardé jusqu'après paques, ie ne luy écrivis que le mer-
credi saint pour que le souvenir touchât de plus près le
terme de Tafaire. Je vous diray même que pour ne pas
afaiblir ma solicitation en les multipliant, ie me suis
brouillée avec le sieur Fransés qui m'en damendoit pour
sa belle. Obstinément ie l'ay refusé ; ce sont des délica-
tesses que l'amitié inspire. le puis si peu pour vous, ma
chère Nanete, qu'il faut bien que je laisse en valeur ce
petit rien. Mon Dieu, que ne fairayie pas si les occasions
égalaient ma bonne volonté pour touts vos intérêts.
C'est devant le Seigneur que ie m'ocupe pour vous de
ce qui vous rendrait vraiment heureuse. J'espère contre
toute espérance et j'espereray jusqu'à mon dernier sou-
pir. La puissance du Très Haut est bien au dessus de nos
resistences. Il faut tout espérer de ces moments précieux,
réglés dans ses décrets éternels.
le ne suis point encore consolée de la perte que nous
avons faite ce carême, de notre sœur ]\Iarie-Henriette
Lapeirie, d'une ataque de colique, comme celle que vous
lui aviés vue dans le tems que j'etois malade. On ne peut
acuser le carême. Elle n'avoit jamais mangé maigre de-
puis ce tems. Sa colique la prit le jeudi de la semaine de
la pasion et le samedi elle mourut. Nous l'avons fort re-
gretée. G'étoit une fille d'un bon caractère qui n'avoit
que trante deux ans. Les dames Notonier et de Grave
sont au moment de leurs couches. La première a pris
son logement au plus haut de sa maison et pleure volon-
tiers lorsqu'elle voit du monde. C'est toujours la même;
reloge n'est pas pompeux. Notre supérieure, sr Vialet,
sr Ponsan et toutes vous font mille amitiés. Nous ne vous
oublierons jamais. Souvant ou chante vos louanges, le
pence qu'il en est de même, partout ou l'on vous con-
nolt.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Z|05
Donnés moy de vos nouvelles en détail. Parlés moy de
tout ce qui vous interesse, plus que de toute autre chose.
Dites en plusieurs de ma part et mille amitiés à madame
votre mère, et chère Rosete. Je suis toujours avec l'ata-
chement le plus tendre votre très humble servante
sr Anne Julie Fraisse de la V. S'^ M. d. s. b.
XIII
t VIVE JESUS
De ntre monastère de toulouse, ce i3 juin 176i.
Je suis si transportée de joye (1), Ma chère petite amie,
que je ne say comme m'en m'expliquer. Lises dans mon
cœur ; vous y trouvères tout ce qui est dans le votre. Je
prands bonne part de tout ce qu'il sent. Vos intérêts, vos
plaisirs, vos peines sont des biens et des meaux qui
m'apartienent autant qu'a vous. Il en sera toujours de
même jusqu'à mon dernier soupir. Soyés loin, ou près,
vous me serés toujours présente. Lors que je suis devant
Dieu, c'est alors que je luy dis bien des choses pour
vous.
Lorsqu'on aura nommé le tribunal qui doit juger le
fond de l'afaire, faites m'en part au plus tôt. Nous avons
de nos religieuses presque dans toutes les villes du
(1) Le 4 juin, Louis XV, en son conseil, avait cassé les arrêts des
Capilouls et du Parlement de Toulouse.
Zi06 LETTRES DE LA. SOEUR A.-J. FRAISSE
royaume; nous pourrons peut être vous procurer des con-
noissances et protections. Toujours empressées de vous
être utilles, disposés de ce qui dépend de nous. Notre
Mère Supérieure vous asure du plaisir sensible de votre
heureux succès. Elle vous fait mille et mille amitiés et
remerciemens de vos soins à l'égard du Sieur Francés.
Toutes nos religieuses vous félicitent; j'ay répandu la
nouvelle dans le moment. Madame de Treville est près de
ses couches. Notre Mère lorsqu'elle lui écrira luy faira
vos complimens.
Je vay écrire a Monsieur Dauriac pour lui faire mes
remerciemens et luy dire la reconnoissance que vous
m'en témoignés. Il faut se ménager tout le monde; les
occasions viennent, le moins qu'on y pense. J'enverray
la bonne nouvelle aux personnes que vous me nommés.
Dites bien des choses de ma part a Madame votre mère et
chère sœur ; vous ne sauriés leur en dire au delà du vray.
Dites moi, ma chère Nanete, si la suite de vos afaires,
pour le recouvrement de vos biens, ne vous necesitera
pas de venir un temps dans ce pais. N'oubliés pas cet ar-
ticle lorsque vous m'écrirés pour m'aprandre le parle-
ment qu'on aura nommé. Je suis et seray a jamais toute
a vous
S' anne Julie Fraisse
delà V. S'^M.D. s. b.
XIV
f VIVE JESUS.
Dentre monastère de toulouse ce 27 juin 1764.
Je viens, ma chère petite amie, de recevoir votre aima-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. h07
ble lettre et j'apprens en même temps le départ de Janete
pour Paris, qu'elle nous a dit être demain. J'en profite
avec empresement. Ce m'est un plaisir sensible que dans
notre eloignement vous soyez persuadée de mes tendres
sentiments. L'afoiblissement des temps n'auront jamais
action sur eux.
Je vous félicite du tribunal ou votre afaire est évoquée;
on ne pouvoit rien faire de mieux a vos intérêts. le ne
trouve point mauvais ce que vous me répondes sur notre
ville. Jugés, a présent que vous êtes instruite de tous vos
malheurs, et que mon atachement vous est connu, quelle
etoit ma situation vis a vis de vous, les alarmes ou j'etois,
et les précautions que nous prenions toutes pour qu'ils
ne vous fussent pas connus. J'ay toujours empêché que
les écrits de Voltaire vous parvinsent. Il valait mieux que
vous n'en connusiés que lors que vous sériés dans vne
autre situation.
Je comprens qu'a présent vous n'aurés plus besoin de
]VP Dauriac; en cas, vous savés tout ce que ie vous suis.
J'exige que dès la conclusion de votre afaire, que j'es-
père aler vite, vous m'en ferés part, et de la ficsation de
votre demeure qui sans doute sera a Paris. Vous le savés,
ie veux être instruite de tout ce qui vous interesse, et
vous savoir hors de toute afaire. Notre Mère Supérieure
vous fait mille amitiés, aussi bien que toutes nos Sœurs.
Elle vous prie de faire remetre la letre que Janete vous
donnera a son adresse. Ce sont les mêmes que vous fûtes
voir et qui nous écrivirent qu'elles avoient vu une jeune
et fort jolie dame qui nous etoit bien atachée.
Je suis très obligée a madame votre mère et sœur de
leurs sentimens ; j'ose dire me les devoir par juste re-
tour. Embrassés les pour moi, ie vous prie. Je suis, ma
chère amie, avec la plus vive tendresse, votre très hum-
ble obéissante servante S' Anne Julie Fraisse de la V. Ste
M. D. s. b.
/i08 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
XV
f VIVE JÉSUS
De ntre monastère de toulouse ce 24« octobre i76i.
Vous devés sans doute, ma chère petite amie, me croire
morte, enterrée, depuis bien du tems. Me voicy resuci-
tée. Ma chère Nanete a été malade, me disoit-elle, dans
sa dernière lettre ; ie l'ay été aussi à mon tour. Je n'ay
jamais perdu le désir de vous renouveller les asurances
de mon très tendre attachement. Je suis en peine et dans
des inquiétudes terribles sur votre afaire. Nous en parlâ-
mes beaucoup hier avec M' Sol ; son discour me mit en
perplexité. Il me dit qu'il ne craignoit point le jugement,
qu'il le desiroit, bien persuadé que si l'afaire se juge, ce
sera favorablement, mais ie crus apercevoir qu'il crai-
gnoit qu'elle ne seroit pas jugée. Tirés moy de peine sur
cet article, donnés moy de vos nouvelles, j'en veux a fonds,
de maman et de votre chère sœur. Je fais a toutes les deux
mille et mille amitiés. Toutes nos sœurs vous en font des
plus afectueuses ; elles me demandent souvent de vos
nouvelles ; elle vous aiment bien toujours.
Mademoiselle de Grave et Mademoiselle Nautonier,
l'une et l'autre Madame dont ie ne me souviens du nom,
ont vne consiance admirablement scrupuleuse : elles ont
fait chaqu'une une fille pour nous rendre dans la suite
des tems ce qu'elles ont cru ne pouvoir faire. C'est bien
faire les choses. Nous avons perdu la sœur de Gatelan d'un
accident d'apoplexie.
Il m'est iuutille de vous repeter que si vous avés be-
soin de moy auprès de M' Dauriac, ie suis toute a votre
service. le ne pense pas que vous me fairiés le tort d'en
douter. Que ne puis-je avoir ocasiou de satisfaire le désir
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zl09
de VOUS être utille, et vous prouver par des efets les sen-
timens de mon cœur ! Notre supérieure vous asure de
son tendre atachement. Je suis, ma chère amie, mais de
tout le cœur, toute a vous.
S' anne julie Fraisse de la v.
S'* M. D. s. b.
Avés vous vu notre premier président a Paris ? Il pou-
roit bien vous rendre service, luy qui a ete aux requêtes.
XVI
t VIVE JESUS
De nlre nionaslère de toulouse ce 42 décembre 176i.
J'ay reçeu, ma cliere petite amie, votre letre avec un
plaisir toujours nouveau. Mon cœur est flaté de voir que
le votre ne m'oublie pas. Nous voicy au terme ou vous es-
pérés le jugement de vos afaires. le me doute que je seray
de mauvaise humeur jusqu'au moment ou ie vous sauray
contente, hors d'embaras, et décidée sur l'habitation de
vous trois (1).
Au moment du jugement, je prévois bien d'aucupations.
le me contente que dans vue grande et belle feuille vous
metiés : Vous avons tout gagné, — ISaîiete Calas. Et à votre
loisir, vous m'en dires tout le vous connais vive, sensi-
(i)lcise Irouveni les mots qui suivent; ilssont peu lisibles et me
paraissent inintelligibles : Pour les chapeaux se sont d'antres débrè~
chcments,
35
ÛlO LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
ble au dernier point, de Thonneur jusqu'au bout des on-
gles, pleine de sentimens, voila ma chère Nanete bien
peinte au naturel. En conséquence la santé paye pour tout,
et ie ne suis point surprise de son dérangemant ; ce ne
peutetre autrement. J'espère qu'un jour, plus tranquille,
dans un sort plus heureux, vous vous remetrés.
Je vous en souhaitte vn semblable à celuy de M'^' Gail-
lard, que vous avés vue chés nous. Vous pouvés la rape-
1er: vous lui avés eu montré d'ouvrages (1). Elle vient de
se marier ; n'ayant que seize ans et avec vint cinq mille
livres de rente, elle a épousé M' Treil receveur de Cas-
tres, qui n'a pas moins de quatorze mille livres de rente.
Notre Mère Supérieure vous embrasse de tout son cœur;
toutes nos religieuses et S' de Ponsan, Mongasin, l'infir-
mière, Vialet vous asurent de toute leur tendresse. Je puis
vous asurer que vous avés si bien captivé touts nos cœurs
qu'il n'y en a pas une qui ne soit toute empressée de vos
nouvelles. Jugés si au bon Dieu nous ne luy disons pas
bien des choses pour vous. Le sage dit que la persévé-
rance est la patience a attendre les momens de Dieu et la
perfection de l'œuvre... Il faut bien que ma chère petite
amie me permete de respirer quelque foix (2) . Je pense
actuellement qu'un quelqu'un qui ne nous conoitroit pas
et qui veroit nos lettres, vous,jeune et jolie demoiselle
protestante, et moy, vieille et laide religieuse en seroit
bien surpris. Je ris toute seule de cette pensée.
J'ai écrit a M' Dauriac. Je salue bien tendrement votre
chère maman et sœur. le ne suis pas en peine de quel
(i) Phrase traduite mol à mot du patois languedocien, pour : voua
lui avez enseigné des travaux d'aiguille.
(2) Esl-il nécessaire de dire que Vœuvre dont il s'agit d'attendre la
perfection, et les choses que les religieuses demandent à Dieu, c'est
la conversion d'Anne Calas ? En parler de temps en temps, même
d'une façon détournée et discrète, c'est ce que la bonne sœur ap-
pelle respirer quelquefois.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. àH
cœur vous vous êtes servies mutuëlement dans vos mala-
dies. M' Sol et Vialet, a qui j'ai fait vos complimens, vous
asurent de leur sensibilité a votre souvenir et vous pro-
testent de leur atachement. Vous ne doutés pas du mien.
Il vous est dévoue jusqu'à mon dernier soupir. le suis vo-
tre très humble obeisante servante s*" anne Julie
de la V. s'* m. D. s. b.
J'oubliais de vous parler de ma santé comme vous sou-
haittés. Quand ievous écrivis ie sortois dune maladie telle
que j'eus avant votre sortie. A présent nous sommes tou-
tes enrumées, gripe ou la tête en baraquete {sic).
XVII (1)
A Mademoiselle
Mademoiselle Anne Calas
maison de monsieur Langloy
Conseiller au G?;and Conseil rue
neuve Saint Eustache A Paris.
t VIVE JESUS
De notre Monastère de toulouse, ce 20 mars 17G(>.
Je commençois, :Ma chère petite amie, de murmurer
sérieusement contre vous. Par le retara du distributeur
des letres, la votre ne me fut rendue que samedi ;
(i) Celte lettre, écrite après la réhabililationdcs Calas, porte cette
adresse ainsi que les suivantes.
Zll2 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
et des la veille tonte la ville publioit vos heureux succès.
Enfin vous respires ! Et j'en dis de même par la joye de
vos triomphes. J'espère que vous retablirés votre santé
dans une situation tranquille qui vous fera jouir du
fruit de vos travaux. Je vous connois ; Combien votre
cœura-t-ilsoufert ! quels déchirements ! quelle violence!
j'en ay bien pris ma bonne part. Dans votre séjour
chez nous, je ne vous temoignois pas ce que ie santois,
mais mon cœur etoit toujours attendri sur vos mal-
heurs.
Lors que vous serés un peu débarassée de toutes vos
occupations, j'exige de votre amitié, et pour contenter
la mienne, que vous me parliés de trois choses. Ou fixcés
vous votre demeure ? Espérés vous de rapeler quelque
chose de vos biens ? Et vous, ma chère petite amie, vos
aimables calités, votre mérite personnel et votre sage
modestie vous prometent-elles un établissement conve-
nable, l'honneur de la famille réparé, seul obstacle a ce
dont vous pouviés vous flater ? Vous me trouvères peut
être indiscrète, mais vous sentes bien que c'est le cœur
qui parle et qui désire. Il me semble que vous possédés
tout ce qui peut plaire a la créature. Je laisse à Dieu, et
ie le prie, de faire en vous tout ce qui peut le contenter.
Du reste, si vous me faites quelque confidence, je vous
en jure le secret.
Notre Supérieure et toute la comunaute vous assurent
de la part sincère qu'elles prennent a l'heureux succès
de cette terible afaire. Elles vous embrassent et vous
ayement toujours fort tendrement. le vous prie de té-
moigner a la chère maman et sœur tout ce que ie sans
de leur contentement; mais dites le leur bien; ce ne sera
jamais a l'égal du vray. Mon Dieu ! si ie pouvois vous em-
brasser, ie le fairois bien tendrement. Adieu mon cher
cœur, vous me serés toujours chère. S'il se présente quel-
que occasion ou ie puisse vous être utille, ô de grand
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zjlo
cœur ie seray a votre service. Mais que peut une reli-
gieuse! Des prières au bon Dieu pour qu'il accomplisse
en vous sa sainte volonté.
le suis avec Tatachement le plus inviolable toute a
vous.
S' Anne Julie Fraisse
de la V S** M. D. s. b.
XVIIl
t VIVE JESUS.
De noire monastère de toulo»si>. ce 17 avril 1765.
Je ne puis vous dire ma cliere petite amie, tout le plai-
sir dont j'ay été saisie a la lecture de votre aimable letre.
Si j'avais apris d'ailleurs ces aimables nouveles, je ne vous
aurois jamais pardonné de ne me les avoir point détail-
lées. Vous m'aviez fort bien rendu le dispositif de l'arrêt;
j'ay été bien aise de le voir dans toutes ses circonstances.
S'il est admirable il est encore plus juste ; l'équité de-
mandait qu'on vous tirât de l'opression où vous avez
gémi plus de trois ans. Efacons s'il ait possible les mal-
heurs passés et saches un peu vous livrer à la satisfac-
tion d'être parvenues au point qui étoit a présent l'objet
de vos désirs. Votre caractaire, je le say, vous rend plus
sensible aux afflictions qu'aux plaisirs; c'est pourquoy
ie vous exhorte a vous élever au dessus de vous-même ;
et suivant le cours des évenemens, soyés contente et
35.
Zil/l LETTRES DE LA SOEUFx A.-J. FRAISSE
joyeuse, dans un païsoa les têtes couronnées font à l'en-
vie d'essuyer vos larmes.
Notre parlement a fait, dit-on, des asemblées secrètes,
pour examiner la légitimité des pouvoirs des requêtes,
mais ils n'ont rien trouvé a pouvoir les combatre. Us
disent qu'ils feront imprimer la procédure et la donne-
ront au public pour leur justification. Je répons qu'ils
s'en garderont bien. le puis pourtant vous assurer que
tout ce qui vous connoit s'est rejoui de vos triomphes.
Notre supérieure, toutes nos religieuses, en sont trans-
portées et me chargent de vous le protester, surtout tou-
tes celles que vous nommés. Vous êtes admirable et uni-
que, nous ne trouvons dans aucune de nos élèves de plu-
sieurs années, les mêmes souvenirs qui sont dans votre
bon cœur, pour huit mois de séjour dans notre maison.
Il est vray que vous avés gagné touts les cœurs. Durant
plusieurs de nos récréations, il ne s'est parlé que de ma
chère Nanete, dont chaqu'une faisoit les éloges ; ils étoient
conclus par cet élan ; IMon Dieu quel domage !...
Si le Roy fait quelque chose en votre faveur, ie veux
le savoir; si vous pouvés fixer votre demeure à Paris,
j'en seray fort aise; on esta portée de tout. Les parisiens
aiment les gascons. Je m'attendais bien que n'ayant d'au-
tre fonds que le magazin, rien n'était garanti.
Pour ma troisième question je n'en désespère pas ; ie
ne contois point sur votre fortune, ie ne say que trop que
vous n'en avés point ; mais ie ne puis me persuader, que
votre figure, vos rares calités, ne vous vaillent plus que
des sommes considérables en cas ; et en cas, sans man-
quer au respect que nous devons à St Paul (1), si l'aven-
ture regarde un catolique, franchisés le pas ; ie me char-
(i) Allusion au ch. 7. de la i" épître aux Corinthiens, v. 8. Or,
je (lis à ceux qui ne sont point mariés et aux veuves qu'il leur est
bon de demeurer comme moi. Voy. aussi v. 2 5, 3 4, 38.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. /jlô
gérais bien d'en répondre à Dieu, et St Paul bien loin de
s'en fâcher en sera très content. N'oubliés jamais que
vous m'avez promis de me faire part des evenemens qui
vous arriveront. Vous voyés, que ie me donne les airs
de vous donner des conseils avant qu'ils me soyent de-
mendés ; tout est permis a l'amitié. Avec vous mon cœur
pence tout haut. le conte si fort sur la bonté et la soli-
dité de votre esprit, que ie vous croy en garantie de par-
ticiper aux damnables sistemes dont paris est infecté.
Vous avés naturelement le cœur et l'esprit pieux, un
petit rayon de la vray lumière fairoit de vous une par-
faite chretiene.
Vous avés été si bien reçues a Versailles que ie ne
doute point que si quelque chose vous y menait, vous ne
reculeriés pas.
11 serait bien a souhaitter que si le vice chancelier
parle au Roy, on se joignit à luy pour fortifier la demende.
Si le chancelier n'etoit déplacé je vous ofrirois mes ser-
vices auprès de madame Dauriac sa fille. J'ay fait lire a
M"" Sol votre letre devant ma nièce de Bertier qui étoit
avec luy. Elle vous en fait son compliment. M"" Sol qui
vous fait bien les siens s'est chargé des Vialets et Gar-
delle. Mille amitié de ma part a la chère maman et sœur
et ne doutés pas que ie ne sois a jamais avec les senti-
mens les plus tendres, votre très humble et afectionnée
amie
S' Anne Julie Fraisse
De la V. Ste M. D. s. b.
On me gronde fort sérieusement et chacune veut être
nommée a leur tour; Sr Vialet, Sr de Ponsan, Sr de Ville,
de Mongasin, Marie Louise, Marie Rose, Sr Caseirals, et
Sr de Serres vous embrassent de tout leur cœur.
hie LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAlSSE
XIX
t VIVE JESUS
Me voicy résuscitée, Ma chère petite amie. J'ay tant de
choses a vous dire que les pensées m'etoufent. Je viens
d'être malade. le m'informois toujours avec M' Sol s'il
n'y avoit rien de nouveau dans votre position. J'ay receu
en son tems la charmante nouvelle de la gratification
du Roy, de votre presantation a la Reine, et tout ce
qu'elle vous dit d'obligeant; et touts vos heureux avan-
tages me saisissent comme s'ils m'apartenoient. le ne
sens pas plus sensiblement ce qui me touche que ce qui
vous interesse. Mes plaisirs sur le changement de votre
fortune ne sont modérés que par l'affliction de ne voir ja-
mais luire un petit espoir de votre vray bonheur, qui ne
peut consister que dans ce qui ne finit jamais; actuële-
ment les larmes m'en viennent aux yeux, vous chéris-
sant comme moy même.
Je n'avais jamais regardé votre demeure chez M Dumas
comme suite de letre de cachet. le n'ay pourtant pas
oublié qu'elle vous fut signifié, mais ie regardois ce cé-
rémonial sans concequence, et en liberté à Paris de vous
loger ou il vous plairoit. Jignore votre nouvelle adresse;
je me serviray de la même.
Voyés, ma chère Nanete, comme le bonheur vous suit,
a tous. Le voyage de M' votre frère dans cette illustre
compagnie (1) n'est pas indiffèrent et prouve le non-
deshonneur de vos malheurs passés. Ce sont mes petites
observations, a part moy ; lorsque ie m'intéresse, ie suis
(i) Je n'ai pu découvrir avec quel personnage l'un des jeunes
Calas avait voyagé.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ^17
comme les animeaux de l'Apocalipce, qui avaient des
yeux devant, et derrière.
le ne suis point surprise de votre fixation à Paris. Ce
seroit une ingratitude de quitter cette ville après tant de
bienfaits. le m'attens tous les jours a quelque brillante
nouvelle sur vous, ma chère petite amie. Ne soyés point
scrupuleuse a l'égard de S' Paul. Si le cas échoit, si vous
me laissiés ignorer une minute seulement cette douce
idée dans laquelle mon esprit se promené, supposé
qu'elle se réalise, ie ne vous le pardonerois jamais. La
nouvelle de la gravure m'a divertie ; ie la trouve char-
mante, ie voudrois bien la pouvoir voir, bien mieux en-
core l'original. le suis quelque foix toute triste lorsque
j'en vois l'implacable impossibilité.
Je me suis informée de ce que disent les messieurs du
Parlement. A presant pas un mot. Aux premières nou-
velles du gain glorieux, ils carillonnèrent beaucoup sur
le droit, et le fait ; les messieurs des Requêtes ne pou-
voient, disoient-ils, toucher a leur arrêt. On fit courir
bien de faux bruits ; mais c'est tout. A présent ces Mes-
sieurs n'en parlent point; ils sont tous ocupés de M' de
Fitz-James, des affaires de Rennes et de Pau, d'un grand
projet de noblesse a venir pour les membres de leur
corps, n'en voulant recevoir qui n'ait quatre généra-
tions. Ils sont en dispute entre eux sur ce fait.
Vousm'avés fait un plaisir des plus sensibles p'ar les co-
pies de Mrs des Requettes, et Vico-Chancelier (1). le les ay
faites courrir de toutes mes forces, .l'y ai trouvé une aug-
mentation a ce que je savais de 600011 v, pour les fraix des
voyages et procédures; 36,000 liv. nesontpas indiférantes;
et la gloire de les tenir de Sa Majesté, preuve d'inno-
cence persécutée. Je me persuade que Jannete ne sortira
(1) Il s'agit des lellres que nous avons reproduites plus haut,
ch. 12. r ,
/|18 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
point ses 3,000 liv. de la manse commune et vivra avec
vous autres sans discution.
' Notre Sœur Dhunaud est bien sensible a votre souve-
nir et toutes nos religieuses ; elles vous chérissent ten-
drement ; toutes vous embrassent. Notre Sœur Jaquete se
sent trop honorée que vous vous rapeliés qu'elle existe et
vous présente ses respects. le ne manqueray pas de por-
ter vos complimens aux Vialets, Gardois et Sol ; il en sera
le porteur, comptant de le voir aujourdhuy.
J'ay repondu fort exactement, ma chère amie, a touts
les points qui vous intéressent personnellement; c'est
avant tout. Venons a ce qui nous regarde. J'ay ri de tout
mon cœur avec notre ancienne petite mère. Vous êtes
charmante, admirable, unique dans votre espèce ! Com-
ment avés vous gardé dans un petit coin de votre mé-
moire, avec les choses prodigieuses qui vous ont ocu-
pée, notre élection au terme juste ? Je vous entens a
merveille ; j'ay souvent pénétré vos pensées sur cet article
malgré votre discrétion. Vous aies croire que nous sommes
devenues foies, lors que ie vous dirai la Supérieure, que
ni vous, ni nous, n'avons jamais vue, mais a la veille de
la voir. Pour notre justification ie vous dirai une grande
histoire. La voicy en racourci : notre institut a été fondé
a Annecy ville de la Savoye. L'Eveque est Evoque et
Prince de Genève. S' François de Sales qui en etoit l'Eve-
que nous y établit cette maison que nous y avons ; nous
la respectons grandement ; c'est la source. Elles four-
nissent des Supérieures aux maisons de l'ordre qui en
veulent. Il y en a une, a nos religieuses de Montpelier,
qui a gouverné six ans ; elle devoit s'en retourner chez
elle. Nous en avons eu fantaisie ; c'est l'élection que nous
avons faite le 23* de May. le conte qu'elle arrivera a la
fin de ce mois par tout le cérémonial qu'il a falu écrire a
l'Eveque de Genève qui est son supérieur ; il faut qu'il
envoyé sa permission. Ce sont des délais qui finiront
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. /ll9
bientôt; j'y suis très intéressée pour finir mes ocupa-
tions ; il m'a falu écrire sans fin et me mêler de tout, en
qualité d'assistante. Voilà notre histoire. Vous en serés
bien surprise ; en tout cas, vous n'êtes pas seule : on en
parle partout.
Votre chère Maman et Sœur veulent bien recevoir les
asurances de mes tendres sentimens. Vous ne doutés pas
de ceux que j'ay pour vous et qui ne finiront qu'a mon
dernier soupir. Je suis toute a vous. Votre très humble
obeisante servante Sr anne julie Fraisse
de la V. S^* M. D. s. b.
de toulouse, ce 12^ juin 1763.
XX
t VIVE JESUS.
De notre monastère de toulouse ce 29 septembre 17CS.
Votre letre, ma petite amie, m'a comblée de joye. J'é-
tois au moment de vous écrire pour soulager l'afliction
dont mon cœur étoit pénétré, au risque d'y mettre le
comble par votre reponce. Je m'informois de vos nou-
velles i\ ceux que j'en croyois instruits et l'on m'asuraque
vous étiez si fort dans les bonnes grâces de l'ambassa-
deur d'Angleterre que ie m'attendois a tous momens d'a-
prandre un grand mariage, dans ce royaume. le ne vous
cache pas que la mort me serait plus douce et que j'en
prandrois des regrets jusqu'à mon dernier soupir. Vous
pensés sans doute : qu'est ce que cela fait? ie suis aussi
ferme en France qu'en Angleterre. Ma chère Nanete, l'es-
pérancô est la dei'uiere chose qui meurt en nous. Tout le
Zl20 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
tems que vous ne serez pas liée, ie pouray espérer que
VOUS le soyés un jour avec un quelqu'un qui vous mènera
au point que ie désire. Grand Dieu, serait il possible que
de si rares vertus et des qualités uniques dont le ciel
vous a comblée, ne pussent vous servir que pour cette
vie ! Il faudra que le ciel soit d'airain, si nous n'en arra-
chons ce que nous désirons. N'y mettez pas obstacle, ma
chère petite. Conservés l'intégrité de mœurs qui vous est
si naturelle, ne perdes pas par la séduction du monde les
heureuses dispositions de votre caractère. Où trouver un
cœur comme le votre? Il est inimaginable que vous con-
cerviés le souvenir de ce qui est si loin de vous. Avec
cette tendresse, ces attentions, ce désir de vous être
utille, il est vray que vous me devés quelque chose par
les sentimens de mon cœur qui vous est dévoué, bien
plus que ie ne puis l'exprimer.
le ne suis point en retraite ; ie la commenceré le onze
du mois prochain, jusqu'au vingt. J'ay une grâce à vous
demender ne me la refusés pas. Durant ces dix jours,
dites à Dieu : Seigneur, exausés la s'il est utile à mon
salut. Je ne vous demande, mon cher cœur, rien de plus.
Et toute notre communauté qui est transportée de vos le-
tres, pas une ne vous oubliera ; et toutes à l'envi vous
font mille tendres complimens, notre sœur de Hunaud,
Vialet. Je fairay vos complimens à toutes vos connois-
sances. Notre Supérieure grilleroit de vous voir sur tout
ce que nous luy disons de vous. Elle vous remercie et
vous asure de son amitié. Je vous prie d'asurer de la
mienne la chère maman, et sœur ; ie suis bien sensible
à leur souvenir.
Vous ne vous êtes point aperçue du vuide que vous
laissés dans votre letre, mais mon cœur " le sant. Vous
ne me dites pas un mot de vous, rien de votre santé, ni
de vos plaisirs, ni de vos peines. Gomment me traités
vous, ma chère petite amie? Groyés vous que ie n'ay pas
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. /l2i
un cœur comme vous ? Ha si vous le voyés ce cœur
vous vous y trouveriés bien empreinte. Jereceveray avec
grand plaisir Testampe dont vous me parlés. J'y verray
ma chère petite en figure; si ie ne puis lavoir en réa-
lité ; pourvu qu'il n'y ait point de nudités.
le prans grande part au nouveau bienfait du Roy en
faveur de M' votre frère Louis. Oserai je vous demender
s'il se soutient dans la Catolicité ? le crains la reponce ;
mais ie suis persuadée que de quelle façon qu'il en soit
c'est à votre bon cœur qu'il doit cette gratification
ployé vos protections en sa faveur. Vous voilà toute au
long. Je vous connais jusqu'au fonds. Noubliés pas que
Dieu ne vous a donné un cœur que pour luy. Adieu ma
très chère petite amie, que j'aime très tendrement. Je
suis et seray toujours toute a vous,
S' Anne Julie Fraisse
De la V. S'* M. D. s. b.
Notre sœur de Hunaud se fâche de ce que ie ne vous
dis pas qu'elle vous aime de tout son cœur.
XXI
f VIVE JESUS
De nlre monastère de toulouse ce 22 janvier 47CC.
Jay receu dans son temps, Ma chère plus petite amie,
vos deux charmantes letres, celle du 8* X^re et celle du
1*' de l'an. Vous devés toujours vous tenir pour assurée,
lors que vous voyés le retard de mes réponses, que ie
36
A22 LETTRES DE L\ SOEUR A.-J. FRAISSE
suis malade. A votre première, le commencois une ma-
ladie qui selon les premiers commencemens devoit me
conduire a la mort, mais deux saignées dans le premier
jour et cinq médecines m'ont tirée d'afaires. Ma conva-
lescence a été lante ; la mort de Mr Dauriac sans testa-
ment m'a fait un chagrin inexprimable, voyant mon
frère et deux neveux sans avoir du pain. Ils ne subsis-
toient que par une pansion.. On espère que l'heritiere du
sang la continuera.
Revenons a votre première letre. le suis très contente
de votre franchise ; vous me la devés, et a vous même et
a votre religion. le suis afligée de vos sentimens, mais
ne puis l'être de la probité et vérité qui sera toujours en
vous. Comment pouvés vous penser que ma tendresse en
puisse être afaiblie? Non, ma chère Nanete, jamais rien
n'en sera capable. Vous êtes trop dans mon cœur ; vous
n'en sortirés jamais. Ce n'est que par votre bon caractère
que vous croyés m'avoir des obligations. Je n'ay fait a
votre égard que me suivre. Et puis, qu'ay je fait pour
vous? rien, mon pauvre enfant, au prix de ce que j'au-
rois voulu faire. Qu'aurois je fait, si j'avois pu? uneexé-
lante catolique ; eflfacé le souvenir de vos malheurs ; une
fortune égale a ce que vous mérités ; ou mieux encore,
une bonne religieuse, voila ce que j'aurois fait, et ce
que ie vous souhaitte pour repondre a vos souhaits dans
cette nouvelle année.
J'ay porté vos complimens a notre Supérieure, a la
sœur de IJunaud, Vialet, et a toute la communauté. Elles
vous font mille bons souhaits et amitiés.
le ne trouve rien a dire a votre façon de vivre. le
vous remercie de m'avoir donné le plaisir de m'en in-
struire. Tout est fort bien ménagé. N'oubliés pas, dans
son tems, de m'envoyer l'estampe ; elle me tient a cœur
et me sera chère. le suis bien contente que Mr Louis se
soutienne dans la catolicité. Vous fairés, ie vous prie,
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zl23
une ambrasade de ma part, mais bien serrée, pourvu
qu'on n'étoufe pas, à la chère maman et sœur. le suis
très sensible a leurs sentimens. le leur en ay voues a
l'égal, tout au moins.
Vous êtes curieuse du froid de ce païs ; il est afreux. le
n'en puis plus; j'ay prévenu vos conseils; la chaufrete
me suit toujours. Depuis le p^"" de la lune de X^^^ la glace
ne nous a quitées que deux jours. Toute cette lune le tems
a été en frimats; les derniers quinze jours le canal se
glaça, et la Garonne au retour de la lune de janvier. Le
soleil nous donne des beaux jours, mais la glace subsiste ;
il ne peut la fondre que sur la Garonne qui se reprant
la nuit; le canal l'est toujours. Nous n'espérons plus la
fin de cette calamité; il n'est pas possible que de nos
jours nous ayons chaut.
Nous venons de perdre Ma''*'^* Destelanes et sœur Ca-
therine, tourière. Samedi dernier elles sont mortes à
vne demi-heure de distance. Dimanche dernier nous
avions ce spectacle dans notre chœur, les deux enterre-
mens de suite. le n'avois jamais vu pareille chose.
M"^ Gardelle, Vialet et Sol à qui ie fais exactement vos
complimens vous font bien les leurs. Et moy, ma chère
petite amie, ie vous asure de l'atachement le plus vray
avec lequel ie suis toute a vous
Sr anne Julie de la v. s" m.
D. s. b.
XXII
t VIVE JESUS
De titre monaslcre de Toulouse, ce 2 avril 1766,
Vous n'êtes pas, sans doute, surprise, ma chère petite
Zl2/i LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
amie, du retard de ma réponse a votre aimable lettre
du 22* février. Vous vous rapelés peut être que mon usage
de n'écrire en carême que pour ce qui ne peut être re-
tarde m'a empêche de me donner ce plaisir, et vous
voyés que ie prans au plus vite le premier courier.
Je suis toujours dans l'admiration des sentiments dont
votre cœur est rempli. Il semble que le Seigneur ait pris
plaisir a renfermer dans cet aimable cœur toute la gra-
titude et reconnoisance qui semble aujourdhuy être
banie du comerce des humains, qui tournent a tous les
vents. Tous vos sentiments a mon égard ne peuvent
avoir d'autre objet que les désirs quej'avois de pouvoir
faire pour vous. Pour ce que j'ay fait, ce n'est pas la peine
de s'en souvenir ; mais il est vray que si j'avois pu et que
mon état eut ete suséptible de fortune, ie n'en aurois
voulu que pour vous la donner. A l'égard de l'esentiel,
vous n'en doutés pas. Trop heureuse, si au prix de tout
mon sang, ie le pouvois encore ! N'en parlons plus ; ces
propos sont trop accablants ; ils echapent a la plénitude
de mon cœur.
Que pouvés vous tant dire, ma chère petite, a vos amis
pour nous les aquerir ? Que nous sommes des bonnes
personnes, qui ne vous ont pas tracacée, et qui vous che-
risent tendrement. Votre bonne conduite, et tout ce que
vous mérités, vous ont atiré de notre part tout ce dont
vous nous loués. Vous etiés admirable ; a vous voir, on
vous auroit prise pour une postulante des plus modestes,
et recueillies. Souvenés vous, lorsque vous pasiés nos
dortoirs, les yeux baissés, sur le bout des pieds. C'est sa-
voir tout bien faire.
Que dit Ma'^'^"^ votre sœur avec ses religieuses ? En est
il comme vous avec les vôtres ? Faites luy bien mes ami-
tiés sans oublier ^ladame votre mère. Hier on délivra
l'estempe. Mon Dieu ! q'u'il me tarde de revoir ma chère
Nanete ! Nous saurons bien nous rapeler tout ce qui lui
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zl25
manquera ; phisionomie et couleurs sont empreintes dans
notre souvenir.
Notre Supérieure et mère de Hunaud, de même que la
S' Violet, Ponsan, Mongasin vous asurent de leur ten-
dresse, et toute la eomunauté. J'ay fait vos complimens
a ]\r" Vialet, Gardelle et Sol et a Madame Gay que j'ay
vue ce carême. Ils vous en font mille et mille. Si ie vous
rendois tout ce dontonme charge, les uns et les autres,
ie ne finirois. Fermetés que ie profite des ofres obligeans
que vous me faites pour vne petite commission : ie sou-
haitte quatre onces desoye tordue comme celles que vous
m'avés vu travailler. Nous les apelons soye legis. Je veux
que ces quatre onces me fasent quatre nuances en rouge,
savoir un rouge brun, un ponceau, un seris et un cou-
leur de rose clair. On ne peut aler si juste pour le poids;
un peu plus, un peu moins ne doit pas vous embarasser.
Nous fairons bientôt un envoyé de fleurs aune marchande
apeléePastele, et nous luy donnerons ordre de vous payer.
Vous voyés qu'au premier besoin ie vay sans façon. Au
retour de votre part, ma chère Nanete; si ie puis vous
être bonne a quelque chose ce seroit bien de tout le
cœur. Je me flatte que vous n'en doutés pas. Ce seroit
en vous une injustice l:ornble, étant toute a vous, mais
bien tendrement.
S' Anne Julie Fraisse
delaV. S'« M. D. s. b.
le ne me souviens pas pas si dans ma dernière ie vous
dises la mort de iNIa'^'^"* Destelanes et sœur Catherine. Et
ce carême, nous avons perdu d'une purimonie S' Claude
Julie. Nous l'avons bien regretée ; son âge, sa douceur,
sa politesse nous la rondoit bien chère. Je vous fourni-
ray a la première ocasion une coniodité franche pour
mon petit paquet, en cas vous n'en conoisiés pas.
36.
Zl26 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
XXIII
f VIVE JESUS
De notre monastère de Toulouse ce 309 avril 1766.
Je receux samedi, ma chère petite amie, Testempe si
désirée. J'avois cru sotement que le courier la portoit.
A letre vue, j'envoyai à iVF Lavaysse ; il m'a falu l'aten-
dre jusqu'au 26*.
Vous êtes resemblante, il est vray ; ie vous ay très
bien reconnue ; mais bien loin de vous flater, on ne vous
a pas donné tout ce que vous avés, et nous avons ete
toutes très en colère, de ce qu'on a mieux représenté
votre groce Janete. La gravure est magnifique, ^tres ex-
pressive ; ie la garderay comme un gage de l'amitié de
ma chère Nanete. Il me semble qu'elle est .mo.i enfant ;
je la chéris de même ; asurés l'en de ma part.
J'ay fait part en son temps à M' Sol de tout ce que vous
me disiés d'obligeant pour luy dans votre dernière. Je
n'ay eu que trop ocasion de le voir durant huit jours ;
il a presque habité chés nous, pour une petite enfant de
M' le Marquis dePuilaroque, qui au bout de tous ces soins,
est alée au ciel. M' Sol envioit son sort. Je luy dis que
le Bon Dieu nous faisoit de la peine de choisir notre mai-
son pour nous enlever ces pauvres enfants qui nous sont
confiés. Il me répondit que notre maison étoit le chemin
du ciel. — Pourquoy donc ne vous faites vous pas frère
visitandein ? — Je me fairois, dit-il, frère coupechoux, si
j'étois aussi sur de ma part de paradis que cette petite qui
y sera dans une heure.
Ne trouvés vous pas que cette conversation est char-
mante vis à vis un protestant ? Dieu soit béni ! il faut ado-
rer ses deseins et s'y soumetre. Il m'en fâche bien pour-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ^27
tant! JMa chère petite amie a bien sa bonne part dans
cette fâcherie.
Sol me dit a l'oreille que cette gravure vaudroit beau-
coup dans l'Alemagne. J'en ai ete toute réjouie. Sans pré-
judice de touts les biens et grâces spirituëles que ie vous
souhaitte, ie ne puis me défendre de vous souhaitter des
avantages temporels. Mon cœur seroit en grande sou-
france, si ie vous y savois.
Je vous parle a bâtons rompus, tout comme il me vient,
de l'abondance du cœur. Mais n'oubliés pas que c'est une
bonne vieille; je ne veux pas que vous montriés mes le-
tres sans avertir que la datte du siècle est celle de mon
âge. Nous marchons ensemble luy et moy d'un même
pas, ne nous aretans jamais.
Mille amitiés de ma part a maman et la chère sœur,
On l'a très bien représentée. Maman et vous, vous re-
semblés avec les diferences de l'âge. Adieu ma chère Na-
nete que ie chéris toujours tendrement. Toute a vous.
S' Anne Julie Fraisse.
De la V. Ste M. D. s. b.
XXIV
t VIVE JESUS.
De nlre monastère de toulouse ce ce août 1770.
Vous ne doutés pas. Ma chère petite amie, que depuis
avoir receu votre magnifique presant, parfait dans toutes
ses parties, ie n'ay été malade. Avec quelque axcés de fiè-
vre, j'en suis quite. Mais après vous avoir remerciée, per-
metés mes reproches ; vous m'avés souvant ofert de me
/l28 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
faire mes petites commissions et me rendre service dans
votre grande ville, le plus beau théâtre de la France ; et
vous m'obliges a n'oser plus respirer avec vous. Votre
bon cœur me touche et le mien soufre de ne pouvoir vous
procurer tout le bien que ie vous souhait te. le vous en
prie, rendes moy la liberté, en cas de besoin, d'avoir re-
cours a vous sans que votre bource en soufre, sans quoy
ie ne puis profiter de votre bon goût. Vos soyes sont des
plus belles; les couleurs, la nuance, la groceur, tout est
au mieux.
Je garde avec grand soin votre estampe. Souvent ie la
considère par le plaisir de quelque resemblance. Il faut
se contenter de la figure et faire un sacrifice éternel de
l'original ! Mon Dieu, avec quel plaisir l'embrasserai-je !
Brisons a ce discours frivole dont ie n'ay que la fumée.
Dans les entredeux de vos letres ie demande de vos nou-
velles ; personne ne m'en sait donner. Il me semble tou-
jours qu'il y a quelque chose de nouveau a aprandre.
Mes désirs me font illusion: ie me représente toujours
un sort heureux a ma chère Nanete. Mon esprit s'en
ocupe. Mais si votre situation présente venoit a changer,
ie ne vous pardonnerois jamais de me la laisser ignorer.
Il y a bien des choses qui me combleroit de joye sur
ma chère petite amie J'en parle souvant au bon Dieu;
s'il fait semblant d'être sourt, peut être ne le sera-t-il pas
toujours.
Il y a longtemps que nous n'avons vu Madame Gar-
delle; elle est fort prés de ses couches. le ne manque ja-
mais de faire vos complimons à M' Sol et le charge des
autres lorsque iene les voy pas. Toutes nos sœurs per-
sévèrent malgré le tems et l'eloignement a vous aimer
tendrement. Notre supérieure. S' de Hunaud, S' Vialet,
Ponsan, S' Marie Louise, toutes a l'envie me chargent de
mille et mille asurances d'amitiés. Il fait un chaut aussi
vif que le froid de ce dernier hiver. Je crains qu'il sera
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zl29
aiisi long. Bénisons Dieu de tout; c'est lui qi^i nous a
faits, il faut donc vivre pour luy.
Mille complimens et amitiés de ma part a Madame vo-
tre Maman et la chère sœur. Adieu, ma chère amie,
aimés moy toujours un peu en retour de la plus tendre
et sincère amitié, fe suis et seray toujours votre fidelle
amie.
S' Julie.
D. s* b.
XXV (1)
A Madame
Madame Duvoisin à l'hôtel de M. l'ambassadeur
de Hollande, rue Bergère
A Paris.
f VIVE JESUS
De notre monaitëre de toulouse ce 25^ mars 1767.
Après VOUS avoir dit un grand Madame très respectueu-
sement, ie reviens au stille du cœur. Hé bien, ma chère
petite amie, vous voila établie. IN'avois je pas raison d'es-
pérer toujours quelque bonne fortune? Vous me pa-
raisses très contente ; il faut donc que j'en sois. Vous avés
bien quelque soubson(2), je ne dis rien déplus; mais le
sujet du soubson à part, personne ne sent plus vivement
votre heureuse situation. Quels reproches ne mériteriés
(i) Celle lettre cl les suivantes portent celle adresse.
(2) Quelque soupçon que la Sœur regrelle de lui voir épouser
un protestant, et surtout un pasteur. Rien de plus original que le
désappointement et la défiance qu'elle laisse percer dans celte pre-
mière lettre et dont on ne retrouve aucune trace dans les suivantes.
ll'SO LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
VOUS pas ? mais vous vous les faites, ie n'ay plus rien à
vous dire! Il y a un article pourtant que j'ay peine à
vous pardonner, vous avés eu tort de douter de mon se-
cret. Lors de la consultation, un petit mot de confidence
n'aurait pas ete déplacé. J'ay apris comme vous dites,
votre mariage par le public, avec toutes les circonstan-
ces, dont vous ne me dites mot. Quarante mille livres,
qui vous ont été données ; quinze mille livres de rantes,
attachées à la dignité de votre époux. On n'a point su me
dire, s'il avoit des biens paternels. J'ay fait tout ce que
j'ay pu pour découvrir tous vos avantages. Du reste, bien
persuadée que fut-il Hiroquois, Huron, Turc, pis encore,
vous sauriés le métamorphoser par votre douceur, mo-
dération et conduite respectable. le vois par ce que vous
me dites de son caractère que l'ouvrage est tout fait. Vous
ne le gaterés pas. 11 faudrait être bien diabolique, pour
vous rendre malheureuse. Je ne veux pas perdre le Cou-
rier. Il va partir.
Vous m'ofencés; quesque vous me devés pour la con-
sultation ? j'ay payé Sol. Soyés tranquille, dites donc ce
que je vous dois. JNe parlons plus de cet article. Toutes
nos religieuses ont pris grande part a votre bonheur.
Nous vous aimons toujours tendrement. Lorsque vous
aurés le tems écrivez moi quatre pages. De vous ie veux
tout savoir. Adieu mon cher cœur. Je prie toujours pour
vous; Dieu est tout puissant.
Sr Julie.
D. s. b.
XXVI
t VIVE JESUS.
De noire monastère de Toulouse ce 22 juillet 17G7.
Que devés vous penser. Madame, de mon retard à re-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. /l31
pondre a votre toujours plus aimable letre en datte du
21 juin? j'ay voulu attendre de finir ma petite pacotille
que j'ay remise à Mr Lavaysse (sous la protection de Sol,
Gardelle et Vialet, pour trouver une comodité pr Paris)
dont vous aurés avis de l'adresse du porteur, s'il ne doit
vous la remettre. Admirés, ie vous prie, trois branches
renoncules faites par une bonne vieille de 67. Des deux
œuillets, vous en présenterés un de ma part a Mr du
Voisin que j'aime de tout mon cœur, puis qu'il vous
rend heureuse. Témoignés luy ma parfaite reconnais-
sance. Ah ! si vous aviés eu un quelqu'un qui vous eut fait
passer des mauvais jours, mon affliction eut été extrême.
Toutes les fois que ie lis vos charmantes letres, ie pense
que vous avés fait un beau songe où vous avés vu tout ce
que ie souhaittois a ma chère petite amie et vous avés
pris mes désirs pour actions rëeles. Je n'ay jamais rien
fait qui mérite les sentimens de reconnoissance dont
vous êtes remplie. Il n'y a que votre unique bon cœur a
qui je les doive.
Tout ce que vous me dites qui vous interesse m'atriste
et me console. La disproportion du vray de votre fortune,
avec l'idée qu'on m'en avoit donnée, m'a presque mise
de mauvaise humeur. Mais elle est adoucie par l'essen-
tiel de votre contentement. Je vous savois très incom-
modée; le principe n'est pas incompréansible. Ménagés
votre poitrine, vous l'avés délicate. Si dans six mois vous
êtes maman d'une demoiselle, ie la veux Anne ou Julie (1).
Ne négligés pas de me donner de vos nouvelles ; si vous
ne pouvés écrire , metes seulement : Je suis trop inco*
modée de telle chose pour écrire.
le ne puis vous rendre les amitiés que vous faites à la
(i) M""' Duvoisin n'cul que des fils; mais l'aîné qui mourut au
bout de quelques jours, el le second, né l'année suivante, reçurent
tous deux au baptême le nom d'Anne, qui était d'ailleurs un de
ceux de M"" Calas, leur marraine.
/l32 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
Sr de Mongasin, nous l'avons perdue le 10 may d'une
hidropisie de poitrine. Depuis trois mois qu'elle avait re-
gorgé le sang, la groce fièvre ne l'avait point quitée.
Nous l'avons beaucoup regretée. La supérieure, de Hu-
naud, Ponsen, Vialet et toutes nos sœurs vous font mille
complimens. Je vous prie de bien faire les miens à ma-
dame votre mère et sœur. Je suis charmée du plaisir que
vous avés de vous voir souvent. Mille choses de ma part
à Mr Duvoisin ; si je le connoissois un petit brin, je le
prierois de vous faire une embrassade ausi tendre que ie
vous la ferois. le n'ay point entendu parler de la duchesse
Danuille, mais je luy say bon gré de son présent et plus
encore de ses sentimens. Les miens pour ma chère petite
damote ne peuvent être plus tendres. C'est de tout le
cœur que ie suis et seray toujours toute à vous.
Sr Julie.
D. s. b.
XXVII
t VIVE J.
J'ay ete bien fâchée. Ma chère amie, de ne pouvoir
vous prévenir en son tems de l'arivée de la petite
bœte afin de vous empêcher de payer le courier qui
s'apele Petit, attendu qu'il l'etoit, M Lavaysse n'ayant pu
trouver comodité. S'il vous a demandé c'est une fripon-
nerie. Des douleurs de rumatisme m'empêchèrent d'é-
crire.
Je le fais aujourdhuy a la hatte, devant entrer en re-
traitte ce soir. Veuilles ou non veuilles, ie prieray bien
pour ma chère petite amie. Jamais ie ne prie sifervem-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ^SS
ment que lorsque vous en êtes l'objet. Mais vous êtes
admirable en tout; vous nous suives dans toutes nos
démarches. Pour le peu de tems que vous avés été chez
nous, vous nous savés par cœur. Rien ne vous oublie.
Le principe part d'un bon cœur. Vous nous le devés par
retour. Lorsque ie reçois de vos letres on s'empresse de
savoir de vos nouvelles; ie lis et chaqu'une levé les yeux
au ciel pour implorer la miséricorde du Tout-puissant,
Parlons de Ma^eiie votre fille : Vous m'en avés bien l'air,
le vous en prie, attendes vous y et recevés la de bonne
grâce. le suis très contente que vous la nourisiés. Le
devoir vous y engage, et l'espérance de luy transmettre
votre caractère. C'est le plus désirable. Ha I si ie pouvois
vous l'enlever au moment qu'elle marchera seule ! le
l'aimerois à la folie. Elle seroit bien la chère toutoune
de chaqu'une de nous.
Si vous lises mes letres a \lr Duvoisin que ie salue, ie
vous defens de luy dire mon âge. le l'aime tendrement
puisqu'il vous rent heureuse. Mes amitiés, ie vous prie a
Madame votre Mère et sœur. Adieu petite damante, ie
vay m'enfoncer dans ma solitude avec Dieu seul. Dans ce
monde c'est l'unique bonheur ; commencer dès cette
vie ce que nous fairons eternelement. le suis toute vôtre,
bien tendrement.
Sr anne Julie Fraisse de la
V. S** M. D. s. b.
Ce 27 7bre 476Î.
XXVIII
t VIVE JESUS
Il y a déjà longtemps, ma chère petite daniaute, que
37
usa LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
j'etois bien en peine de votre situation. J'en demandois
nouvelles a tout le monde. Enfin Sol, mal instruit, me dit
que vous etiés revêtue d'une fille. Bon, je dis; voicy une
petite Nanete ; je l'aimois déjà a la folie; et plus folement
encore je revois, je projetois, il me sembloit que ie la te-
nois déjà; j'en etois rajeunie de dix ans. Jesavois bien que
votre terme etoit a la fin du courant, mais a une première
on peut se méprendre. Je n'ay scu le vray que par votre
letre dont ie vous suis doublement reconnoissante, écrite
19 jours après vos couches (1) . Au lieu de vous afliger,
bénisses Dieu d'avoir mis dans le sein de sa gloire votre
pr' nél Nous ne naissons que pour le ciel; il s'y trouve;
ie vous demende quelle fortune pouvés vous faire a vos
enfants, pour si brillante qu'elle soit, qui puisse être
comparée? Ce doit être votre consolation.
Je vois avec bien du contentement que votre santé n'est
point dérangée et vous êtes assés jeune pour reparer votre
perte. Lorsqu'il y aura lieu, dites le moy. le ne puis me
passer de savoir tout ce qui vous interesse. Vous ne sau-
riés croire, chère amie, combien souvent nous parlons
de vous, et nos regrets de n'avoir pu vous tenir. Nous n'a-
vons toutes qu'une voix sur vos aimables calités. Je m'a-
muse quelquefois a regarder votre gravure ; je la con-
cerve soigneusement. Enfin tout ce qui est de vous me
donne un plaisir singulier et me fait regreter les imposi-
bilités de nous revoir jamais. J'avoue mon foible : les
larmes m'en viennent aux yeux quelque foix. Ha ! si je
(i; Anne Philippe Henri, fils de Jean-Jacques Duvoisin et de
Anne Calas son épouse, né le lO décenibre it67, baptisé dans l'ap-
parlemenl de sa mère en présence de M. Serrurier, ancien, par
F. G. de la Broue, chapelain, ayant pour parrain Philippe Debrus,
représenté par M. Henri Dumas et pour marraine Anne Rose Calas
■a grand'mère maternelle » (lieg. des hapt. de la Chap. de Hollande,
au dépôt de l'état civil de Paris.) II mourut au bout de quelques
jours.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Û35
pouvois enlever ma chère INanete sur les ailes des vents,
je l'embrasserois mille foix et puis, très fidèlement, je la
rendrois a M' Duvoisin pr ne point séparer ce que Dieu
a uni. (1) Vous nesauriés croire combien je suis sensible
a l'honneur quMl m'a fait de m'ecrire quelque lignes. Fai-
tes lui mes excuses de ne luy repondre que de môme.
C'est par discrétion ; je say bien qu'a son attention, je
devrois une letre en toute seremonie.
J'ay fait la distribution de vos respects et complimenis
a toutes. On y a repondu par des aclamations de l'exce-
lance de votre cœur, et chaqu'une a recommencé vos
éloges. Ils finissent toujours : quel domage!... Enfin,
Dieu soit béni de toutes choses I il est tout-puissant;
c'est ma consolation. Ne mourés pas avant moy, gardés
vous de cette sotise ; mes larmes couleroient jusqu'à mon
dernier soupir.
Adieu, ma chère amie. Soyés persuadée que mes vœux
et mes souhaits pour votre bonheur sont indepandents
des tems, parce qu'ils sont de tous. Je vous remercie des
vôtres. Je me flate qu'ils sont de même. Je suis et seray
toujours toute a vous de tout mon cœur.
Sr Anne Julie Fraisse de la
Visitation Sainte-Marie Dieu soit béni,
de notre monastère de toulouse
Ce IS*' janvier 17[68[ secret pr Mr Duvoisin; que diroit-il
de mon stille (2)?
(1) En appliquant celte parole de Jésus- Christ ( Math 1 9 . 6 ) i un
mariage protestant, la vénérable Religieuse se montrait plus tolé-
rante que la loi française, devant laquelle ces mariages ne furent re-
connus qu'en 17 87.
(2) Le secret, c'est'qu'étant née avec le siècle, elle a 68 ans.
436 LETTRES, DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
XXIX
A Monsieur Duvoisin (sur la même feuille) :
Je suis, Monsieur, plus sensible que je ne puis dire a
votre attention. Vous santés combien le trésor que vous
pocedés m'est cher et précieux. Vous la dépeignés au
parfait. Son ame tendre ne m'est pas inconnue, non plus
que les rares qualités dont le Seigneur l'a abondament
pourvue. Jouisses longues années du bonheur mutuel de
vous être si bien rencontrés. Je suis persuadée que con-
noissant si bien son caractère, vous eloignerés tout ce
qui pouroit afliger sa tendresse. Avant de vous la devoir
et sans vous nommer, elle m'avoit parlé des grandes obli-
gations qu'elle vous avoit et cela avec le cœur que vous
luy connoisés. Il me faut gêner pour ne pas vous re-
mercier de faire son bonheur. J'ay l'honneur de vous
assurer de mon respectueux atachement
S' Anne Julie Fraisse
XXX
t VIVE JESUS
De nlro monastère de loulouse ce 20" juillet 1768.
Enfin, ma belle dame, vous voilà résusitée après six
mois de sépulture. Vous sentes bien que je veux quere-
1er. Mais ie commence d'en être lasse. Ne parlons plus
du passé; ie mets le doit sur ma bouche et n'aime point
de voir mes amies en faute. Nous voila reconciliées.
A .MADEMOISELLE ANiN'E CALAS. /l37
Votre santé, me dites votis, est assés bonne. Vous me
paroisses toujours contente, pleine de joye d'avoir bien-
tôt poupon ou toutoune. Le mois de novembre décidera
cette grande question. Ce qui m'intéressera le plus c'est
de savoir comme vous serés. J'en seray dans l'inquié-
tude. Je voudrais être assés avant dans les bonnes grâces
de M' Duvoisin pour qu'il m'en dit un mot dans ce tems
fâcheux, si vous n'êtes en état. Souvenés vous, s'il y a
toutoune, de Julie ou Anne; ce sera ma petite filleule.
Si je pouvois un jour me l'avoir auprès, je l'aimerois a
la folie au desus de tous obstacles. J'en porte un en moy
même ; j'ay fait la sotise de naitre trop tôt ; c'est irré-
parable.
Je pense que la santé du cher mari est bonne, puis-
que vous ne me chargés que de complimens pour W Sol.
le les luy feray a première ocasion. le suis toujours a
votre service pour cet article et tous autres ou je pou-
rois vous donner des preuves de mon tendre atache-
ment. On se souvient toujours de ma chère Nanete dans
notre maison ; nous en parlons souvent avec les éloges
que votre aimable conduite a mérité. le suis bien flatée
que M"" Duvoisin veuille bien pencer quelque foix a moy.
le vous en ay l'obligation ; ie vous prie de l'asurer de
ma parfaite considération. Il y a un proverbe gascon :
voyons si ie sauray l'écrire : « qui aimo mon miou aimo
mon chiou (1). » Vous dires sans doute que malgré mon
antiquité ie ne suis pas de mauvaise humeur.
Mes amitiés a Madame votre mère et sœur. Celle cy est-
elle établie? Concerve-t-elle relation avec ses religieuses?
Si je l'avois eue auprès de moy, nous aurions ete amies,
le la soubsonne de ne l'être pas trop avec ces dames.
Prenés tranquilement et comodement ce dont ie vay
vous prier. Si vous saviés quelque marchant qui fit co-
(i)Qui aime mon chai, aime mon chien.
»7,
Zj38 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
merce de fleurs et qu'il vous fut posible de nous en
procurer la pratique, vous nous fériés plaisir. Les irlan-
dois et anglois en sont amoureux. Si mesieurs les hol-
landois etoient dans le même goût, ie me flate de la pré-
férence, s'il vous en parvenoit. 11 me prant des terreurs
que les nations se brouillent, et voir disparoitre ma chère
petite dame de notre royaume. En quelle terre du monde
que vous soyés, vous me serés toujours bien avant dans
le cœur. Je suis toute a vous, ma plus chère amie
S' Anne Julie Fraisse
de la V. S. M. D. s. b.
XXXI
t VIVE JESUS
Fermetés, Madame et très vénérable Maman, que je
commence a présenter mes homages a votre illustre
fils (1). Faites les luy entendre, je vous en prie. Il m'a
causé bien des alarmes, l'année ayant ete des plus funestes
pour les pauvres mères qui y ont perdu la vie. La com-
plaisance de M' Duvoisin et votre attention ne pouvoient
venir plus a propos. Vous voila hors de ce mauvais pas.
En vous félicitant, je me félicite de même, toujours
atachée autant a vous qu'a moy. Et j'ose dire : bien plus ;
puisque, en cas, je donnerois ma vie, hô bien de grand
cœur ! Ma chère Nanete, plut à Dieu qu'il ne falut que
ce sacrifice ! il seroit bientôt fait.
(i) Anne Philippe, né le mercrefli f 2 octobre 1768. Il eut mêmes
parrain ol marraine que son frère. Ce second enfant mourut en 17T1.
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ^39
Vous voulés savoir de mes nouvelles. Ma santé est très
bonne ; mon employ, Conseillère de nos grands Etats,
archivesse. Si vous n'avés oublié notre maison, j'ay un
fort joli local, très agréable Tceté ; nous l'apelons cabi-
net voûté. Si vous voulés le venir ocuper avec le pe-
tit marmot, a votre service. Le cher mari y seroit de
trop ; mes ofres ne sauroient aler jusque là. Je vous
prie de Tasurer, malgré mon refus de logement, de
tous mes souhaits dans tous les tems pour son bonheur ;
de même qu'a Madame votre mère et sœur. le suis très
sensible a leur souvenir. Je pence que si la sœur etoit
établie vous m'en auriés fait part. Notre sœur de Hunaud
est toujours là. La S' Ponsan et Vialet se portent bien et
vous remercient de votre attention pour elles, de même
que toute notre communauté qui vous chérit tendre-
ment.
Ma chère amie, je veux vous aprandre comme on est
en droit de finir ses letres, surtout lorsqu'on est maman.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
S' Anne Julie Fraisse
De la V. S'« M. Dieu soit béni.
De notre monastère de toulouse ce i janvier 1769, hay !
XXXII
fVIVE JESUS
De ntre monastère de toulouse ce S8 juin 1769.
Vous êtes toujours plus charmante, mon aimable pe-
tite amie. Je ne pouvois avoir de plus sensible joye que
la visite de M' Lavaysse. Voicy la première foix que j'ay
eu la consolation de voir un quelqu'un avec qui j'ay pu
lilxO LIiTTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
savoir tout ce qui vous intéresse : santé, vie heureuse a
tous égards, fortune raisonable, société tranquille, ar-
ticle qui me tacquinoit, trouvant en vous trop d'agréments
personels pour ne pas craindre que mal a propos Me
voila contente ; l'estime que vous mérités égalant la ten-
dresse vous met hors de ce dont j'avois peur. Vous
croyés bien que je n'ay pas interogé de front, qu'on
n'a pu même comprendre ce que je cherchois ; — Mais
comment vit-elle ? Sans doute bien ocupée et atentive
dans son ménage. -— Ce sont, m'a-t-on dit, ses querelles
avec M' Duvoisin ; il voudroit, lors qu'il n'y est pas, qu'elle
sortit aussi : Sa santé en seroit mieux, dit-il. Mais Madame
a toujours une raison ; Maman est venue... Je n'ay pu...
Et le tendre mari est fâché qu'elle ne s'aille promener. —
Bon, ai-je dit en moi même, me voila eclaircie.
Il m'a dit mille biens de vous deux, autant, pourmoy,de
sujets de contentement. le tramblois toujours de vous sa-
voir en Hollande, mais par tout ce que M' Lavaysse m'a
dit, je croy qu'il n'y a rien a craindre. Mais savés vous
une nouvelle ? Votre letre, et ce que j'ay su d'ailleurs,
m'a brouillée avec M' votre fils. Quoi l ce petit marmot,
ce coquin vous a volé toute votre graisse ! jusqu'à son
retour, ie ne veux point l'aimer. Mon Dieu, votre poitri-
ne 1 je l'ay vu si délicate qu'elle mérite vos attentions,
je crains votre tendresse maternelle. Vous, faite comme
je vous connois, vous vous reduiriés aux derniers abois.
Eh ! que ne le sevrés vous ? Il a neuf mois. En Angleterre
trois mois suffisent. Nous sommes savantes de cette na-
tion par Tocasion d'une petite angloise de trois ans et
demi que nous venons de recevoir. Ses parents sont de la
première distinction. Ils viennent de Paris où ils ont
resté longtems ; avant de finir, ie sauray son nom ; peut
être les conoisés vous?
Revenons a vous, chère amie. Vous me témoignés une
reconoisance qui excède l'objet. Il est vray que si j'a-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zj/|l
vois pu aler plus loin en efets, de grand cœur ie m'y se-
rois portée avec ardeur. Mais que pouvois-je faire ? rien
au prix de mes désirs pour votre bonheur. Toutes les
fois que ie reçois de vos letres, nous admirons votre
cœur, n'en ayant jamais trouvé, dans le grand nombre
de nos élevés, qui ait de la resemblance, quoy que les
soins aient ete bien autres. Il auroit falu être de fer, dur
comme bronse, pour en agir mal avec un petit ange. Il
ne se seroit pas mieux conduit. Nous en parlons souvant,
La douceur, discrétion, modestie, politesse, vous auroit
faite prendre pour une postulante des plus attentives.
Plust a Dieu ! ç'auroit été bien alors que mon trans-
port m'auroit fait dire comme Siméon : Retirés votre ser-
vante en paix. Oui, chère amie, j'aurois bien concenti a
ma mort pour vous céder la place. Mon cœur s'aten-
drita cette pencée. Toujours la même a votre égard et
jusqu'au dernier soupir, ie ne cesseray de chérir tendre-
ment ma chère Nanete.
]Ne pensés pas que ce petit air sans façon de ma part me
face oublier que vous êtes une grande madame et une
maman respectable. le ne doute nulement que vous
n'ayés le tour le plus convenable pour l'éducation de
ce cher enfant. Mais votre cœur vous causera bien des
soufrances ; votre ame tendre vous livrera de teribles
combats avec votre raison ; ie vous en plains davance.
Mes compliments a M' Duvoisin. Je suis bien sensible
a son souvenir. Je vous charge de lui témoigner ma vive
reconnoisance de toutes ses bonnes façons vis a vis de
vous. Lorsque vous en recevrés quelque témoignage
singuHer, tout de suite vous lui en fairés mes remercie-
mens.
Une embrassade, de ma part, ie vous prie, a Madame vo-
tre mère et a la chère sœur. Je les remercie de penser
quelque foix amoy. Adieu chère amie, soyés persuadée que
toute notre comunauté vous aime, vous estime. La S' Via-
Zt42 LETTRES DE LA SŒUR A.-J. FRAISSE
let, Ponsan, Marie Rose, S' de Ville et toutes les autres
vous embrassent, vous chérissent. Adieu, je suis et seray
toujours toute a vous.
S"" Anne Julie Fraisse.
De la V. S'« M. D. s. b.
XXXIII
t VIVE JESUS
de ntre monatere de toulouse ce
30* may 1770
C'est belle fête, Ma chère amie, lorsque vos letres ari-
vent. le pensois : ma chère Nanette m'oublie. Je ne seray
jamais capable de cette très grande faute a son égard ;
non, jamais. Vous êtes toujours dans mon cœur par un
souvenir tendre, profond, sincère et solide... Je m'arete
et garde en moy tout ce que je veux dire. Ha ! si je
pouvois embrasser ma chère amie, que ne luy dirois-je
pas?lLes sentiments me fourniroient les expressions les
plus fortes ; encore seroient-elles au desous du vray. ]
Vous voila a la veille de votre voyage en Suisse. Que ne
fériés vous pas pour la santé de ce cher mari, avec vo-
tre ame tendre, un cœur afectif, vif, empressé, toujours
prête à vous conter pour rien vis à vis les intérêts de
l'objet de votre amitié. Vous voila tirée au clair. Jamais
le souvenir de vos aimables qualités ne s'efacera de mon
esprit.
Mr Duvoisin mérite tous ces sentimens. Je désire que
l'air natal le remete. Je n'aurois jamais deviné qu'il fut
Suisse, a tout ce que vous m'en avés dit. Vous savés le
proverbe dans notre pais. Non, il n'estpoint Suisse, et ma
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zj/jS
chère Nanete n'en sera jamais. le vcus connois assés pour
m'asurer que vous prenés pour badinerie ce que je dis.
Mais sérieusement je plains le petit enfant de votre ab-
sence. Si je pouvois l'enlever, le mètre dans notre se-
lulle, vous le bien soigner de tout mon cœur, ie le fai-
rois.
A votre retour ne manques pas de me donner nouvelles
de Mr Duvoisin, de ma chère amie, du petit enfant, de Ma-
dame votre mère et sœur. Asurés les combien je suis sen-
sible a leur souvenir. Si elles veulent l'agréer faites leur
une embrassade de ma part. Il ne seroit pas de la décence
de vous en dire autant pour le cher mary, mais ie le
prie de vous la faire pour moy.
Nos élections et remue ménage ne seront qu'au mois
de May de l'année prochaine. Toute notre communauté
vous fait mille amitiés. Nous parlons souvant de vous,
de la conduite admirable que vous avés eue dans no-
tre maison. Votre cœur reconnoisant fait le sujet de
nos éloges. J'ay chargé la Sr Vialet de vos complimens
a l'égard de sa famille ; elle vous asure de toute son
amitié.
Reste a vous parler de ma très vénérable personne.
Je me porte très bien dans le fonds de la santé, mais sou-
frante des douleurs de rumatisme; a mon âge, il faut bien
quelque coup de cloche. Mais ie suis toujours de bonne
humeur ; le noir de la viellesse est encore loin de moy.
le n'iray pas le chercher, peu désireuse de cette confor-
mité avec ceux de mon âge ; elle n'est pas assés char-
mante. Adieu, ma chère amie. Aimés moy toujours un
peu et soyés toujours sure de toute ma tendresse.
S' Anne Julie Fraisse
de la V. S" M. D. s. b.
N'oubliés pas au moins de m'ecrire a votre retour ; ce
sera a la fin d'Août ou tout au moins dans 7bre.
M LETTRES DE LA gOEUR A.-J. FRATSSE
XXXIV
tv. J.
Enfin, ma charmante Nanete, vous voicy de retour. J'é-
tois inquiette du retart et toute empressée du succès de
votre voyage, aussi bien que des avantures qui pouvoient
se trouver sur vos pas. Je vois que tout en est heureux et
que le grand et très intéressant objet est rempli. Vous
voila, chère amie, toute joyeuse du retour de la
santé de ce cher mari. Je vous en félicite, et a luy, je le
prie de m'en permettre les assurances. La continuité dé-
pend de bien des soins. Lorsqu'on a été éssentielement
ataqué, peu de chose fait culbuter. Je suis très sure de
vos attentions. Vous en êtes remplie ; elles sont de votre
caractère. Je ne connay point celuy du cher mari ; mais,
s'il ne veut se soumetre, grondés sans ménagement.
Brouillés vous, s'il le faut ; au renoûement, les liens en
seront plus forts, lors que revenant a luy il reconnoitra
ses torts.
Ne luy lises point cet article. S'il étoit de mauvaise hu-
meur il publieroit que les Moniales sèment la division
dans les familles. Quel scandale 1
Je ne me seas point encore du taciturne de la viellesse.
Ma santé chancelle un petit brin dans cette saison, sans
rien d'alarmant.
Tout ce que vous me dites de votre petit poupon an*
nonce un heureux avenir. J'aurois bien voulu le voir en
matelot ; c'est un coup d'œuil divertissant. Mais vous
avés grand tort de l'apeler petit morveux ; quant on est
capable de sérieux et de reflection, on ne mérite point
une expresion autant injurieuse ; vous luy en devés des
çxcuses. Il me semble vous voir auprès de cet en-
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. ÙU5
tant le caresser, luy parler raison, atentive a tout pour
sa santé et son éducation. Heureux les enfans qui vous
auront pour raere! Vous êtes pourtant bien pareseuse.
Vous me savés, chère amie : mon cœur est rempli de
tendresse pour vous ; n'ayés donc attention qu'au prin-
cipe, si je vous déplais dans ce que je vais dire. Mon
afliction est extrême de vous voir apeler illustre l'ennemi
de Dieu et de toute religion ; ce sentiment est même
oposé à la vôtre. Peut-il y avoir quelque chose de grand
dans l'homme lorsqu'il s'opose a l'auteur de son être?
Que ne vous dirois-je pas si je suivois l'impétuosité de
mon cœur et de mon esprit ? Depuis votre lettre, j'en
parle au bon Dieu ; c'est toute ma ressource ; mais,
comme celle la ne peut tarir, je ne cesseray jusqu'à mon
dernier soupir de le conjurer d'avoir un regard de mi-
séricorde sur ma chère Nanete, dont l'ame m'est bien
plus chère que ma vie.
Toute notre communauté vous en dit de même, bien
sensible a votre souvenir. Jamais vous ne serés oubliée
chez nous. On est tout content lorsque m'arivent vos
nouvelles. Je vous charge d'une embrassade a madame
votre maman et chère sœur; je ne say par quel en-
droit j'ay mérité leur souvenir ; je les en remercie.
N'embracés pas le cher mari; de quel ton la receveroit il ?
ie n'en say rien. Adieu, ma chère et très chère amie,
toute a vous plus que ie ne puis dire.
Sr Anne Julie Fraisse
de la V S*« M. D. s. b.
e ntre monastère de
toulousece 28e9bre 1770.
38
UhQ LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
XXXV
t VIVE JESUS.
de notre monastère
de toulouse ce 7 août
1771.
Je suis afligée avec vous, ma chère amie ; votre douleur
fait la miene. Je connois votre cœur et n'ay point douté
de vos tendres sentimens pour tous les enfants que Dieu
vous donnera ; vous serés toujours une bien bonne ma-
man. Vos réflec tiens prises de la religion me consolent.
Lorsque le calme sera entier, après vous être afligée, vous
devés rendre grâces au Seigneur de l'heureux sort de
ce cher enfant. Quelle fortune auriés vous pu luy faire
à l'égal de la gloire dont il jouit? Il est en Dieu ; il y
sera éternelement. Tous les royaumes de la terre peu-
vent ils entrer en comparaison ? Dans sa petite cource,
il est parvenu a la possession du bonheur qu'il nous faut
acquérir plus chèrement. Luy, sans obstacle ni au de-
dans de luy, ni sur ses pas, mais d'un vol rapide, se re-
pose dans le sein de la Divinité. Cessés, ma chère Ma-
dame Nanete, de vous afliger. Prenés des sentimens plus
conformes au vray.
Je supose puisque vous ne m'en dites rien que vous
n'êtes pas dans le cas d'espérer un promt remplace-
ment. Mes complimens, je vous prie, au cher mari. Il
est sans doute bien afligé. Les conséquences que vous
tirés de son someil et apétit sont très justes. Vous avés
droit d'espérer qu'il n'y a point de vice essentiel, mais
il est des personnes qui parviennent à une grande vieil-
lesse avec une santé foible, et des infirmités de toute la
vie. C'est un malade bien soigné, je pence. Mon Dieu
comme ma chère amie doit s'empresser à le soulager,
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. Zl47
avec le souci dans l'esprit et le cœur, de le faire jamais
assés, et à son gré !
Vous voyés bien que je ne vous ay pas oubliée. Vos ai-
mables qualités sont trop avant dans mon cœur et dans
celuy de toute notre communauté. C'est une fête pour
chacune lorsque je reçois de vos letres. Je serois bien
grondée, si je ne leur en faisois part. Toutes vous font
mille amitiés et vous asurent une place au noviciat,
si monsieur Duvoisin le veut bien agréer. Il est vray que
son consentement est necesaire ; après quoy nous vous
ouvrirons la porte avec grand plaisir. Laisés luytout;
vous seule nous sufirés. La sœur de Ponsan et Vialet veu-
lent être distinguées dans la foule des complimens. Je ne
veux pas me brouiller avec le cher mari ; si ma propo-
sition doit le choquer, il faut la luy soustraire.
Je vay vous dire un petit mot de moy, puisque vous le
voulés. Mes douleurs sont rumatismales et ne peuvent gué-
rir à mon âge ; mais j'ay fally mourir par des coliques dont
j'ay oublié le nom. Elles étaient très singulières ; c'est une
maladie, qu'heureusement M.Solconnoit.Il a toujours asuré
qu'il meguériroit;il y a réusi, malgré toutes les alarmes
de nos sœurs. Elles m'ont duré trois mois ;il m'en a falu au-
tant pour reprendre mes forces, et depuis deux mois, je suis
hors d'infirmerie. Me voilà dite bien au long, adieu chère
amie ; je suis une babillarde. On s'oublie quand on parle
avec ce qu'on aime. Vous ne me dites rien de mère et de
sœur. Bien de complimens si les voyés. adieu toute à
à vous.
S' Anne Julie Fraisse
de la V* S" M. D. s. b.
Z|/f8 LETTRES DE LA SOEUK A.-J. FKAISSE
XXXVI
fV.J.
Je suis très mécontente, Ma toute chère amie, des nou-
velles que vous me donnés de ce qui vous interesse et de
celle que vous ne me donnés pas. Je l'ay cherchée dans
votre letre, mais point. Si elle avoit lieu vous ne me le
laisseriés pas ignorer. Il faut ne vouloir que ce que Dieu
veut. Votre santé me parait défectueuse. Celle du cher
mari n'est pas conforme a vos souhaits ; je vous prie
de luy témoigner ma reconnoissance de son souvenir.
Asurés le du mien très afectueux. En priant pour vous,
chère amie, je le fais pour luy ; c'est bien de tout cœur
que je vous désire a touts les deux le souverain bonheur.
L'espérance est la dernière chose qui meurt en nous,
lorsqu'on a un Dieu tout-puissant.... Je me tais et mets
le doit sur la bouche, et non sur le cœur qui sera tou-
jours le même, en désirs des plus vifs.
Faites bien mes amitiés à Madame votre mère et
Ma<ie"e votre sœur. Elles sont bien bonnes de se souve-
nir encore de moy. Je vois avec bien de la peine la con-
tinuité de la mauvaise santé de votre chère sœur. Com-
bien de petits soins ma chère Nanete nVt-elle auprès de
ses malades? Tout ce qui est en elle respire les attentions.
Gomment vous souvenés vous toujours de nos petites afai-
res ? en voicy le détail. Notre Savoyarde, après ses six
années de Supériorité est de retour a notre maison d'An-
necy qui l'a faite Supérieure, et nous, notre chère mère
d'Hunaud qui vous reçut chés nous. La Sr de Ponsan est
assistante, Sr Marie Louise sacristaine, Sr Vialet le
cabinet des ouvrages. Je leur ay fait a toutes, vos amitiés.
Toutes commencent, par premier mouvement, a levei'
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. /l^9
les yeux au ciel, et puis vos éloges recommeneent. Ils
n'ont jamais cessé; on parle toujours de vous avec une
tendre amitié. Toute notre communauté vous chérit ten-
drement. Votre bonne conduite dans notre maison vous
a mérité ces sentimens. Si Monsieur Duvoisiil veut vous
le permettre, nous vous receverons avec grand plaisir.
Parlons d'une bonne vielle. Mr Sol m'a guérie de mes
coliques ; je n'en ay que quelque rare et léger retour.
Mes douleurs augmentent avec Page. Je ne suis pourtant
pas a l'infirmerie; cela ne va donc pas trop mal.
Adieu, chère amie, je suis bien toute a vous, je vous
asure ; mais bien tendrement.
Sr anne julie Frâisse, de la
V. S" M, D. s. b.
de notre monastère de toulouse
ce 8« janvier d772.
XXXVII
t V. J.
Enfin, ma toute chère aimable Nanete, vous voicy résu-
citée, ou moy résucitée dans votre cœur. J'attendois vos
nouvelles avec la dernière impatiance; je pensois que
quelque voyage dans les cantons suisses me privoit de ce
plaisir. Je vous remercie de votre félicitation, a Tocasion
de la canonisation de notre sainte fondatrice. J'aurois
bien voulu tenir prés de moi, à la grille de notre infir-
merie, ma petite amie.
11 y a deux ans que nous en fîmes la célébrité. Ah, si
vous y aviés été présente, peut être aurais-ie vu, ce qu'a-
près quoy, j'aurais consenti de mourir. Mes désirs au-
raient été remplis.
Zl50 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
Vous voilà hors des craintes qu'on a souvent à subir dans
l'état ou vous êtes. Les termes dangereux sont passés. La
continuité des menagemens vous fairont, j'espère, arri-
ver heureusement au port. Je ne compranspasbienceque
vous me dites de votre déménagement. Je vous croyais
logée dans le même hautel de Mr l'ambassadeur; que
logement, nouriture, vous n'a vies à vous en mêler; que
la république d'hollande s'en avisoit comme de leur am-
bassadeur. Vous ne devés point douter que ie ne m'inté-
resse a tout ce qui fait intérêt à ma chère amie. Et votre
adresse vous me la donnés cavalièrement, sans me dire si
c'est même rue, même faubourg. le metray toujours à
l'hôtel d'ollande. Te n'en saypas davantage.
A presant ma santé va assés honnêtement pour mon
âge. Mes coliques me saluent quelques foix, mais sans
suites dangereuses comme dans leur commencement, ou
je fallis périr. Les douleurs tout do ucement augmentent.
Je commencay hier de vous écrire et n'ay pu finir qu'au-
jourd'hui. Vous me dites une parole que je voudroisbien
plus étendue. Mon cœur est uni au votre pour la vie :
Mon Dieu, quels désirs n'ay je pas, quil le soit éternele-
ment et que des ce moment il n'y eut plus d'obstacle!
Les larmes m'en vienent aux yeux. Si mon Dieu me fait
miséricorde, comme je l'espère, je lui demanderay bien
qu'il rétende sur vous. Les prières des saints qui nous
sont manifestées dans l'apocalipse, n'ont et ne peuvent
faire tort aux mérites de Jésus-Ghrist.
11 faut qu'avec quelqu'une de vos charmantes caresses,
vous engagiez M. Duvoisin a me donner de vos nouvelles
au commencement du mois d'octobre. J'enseray inquiète
des premiers jours. Je n'ose l'en prier ; faites luy agréer
mes complimens, ie n'ose dire amitiés ; mais faites en bien
pour moy a Madame votre mère, et chère sœur.
Il vous faut tirer de votre catalogue Sr Marie Louise.
11 y a six semaines qu'une fièvre maligne l'a emportée à
A MADEMOISELLE ANNE CALAS. USi
ronsième jour, à la suite d'un asthme étisie. Elle n'a pu
dans cet état résister à la violence de sa fièvre. Notre Su-
périeure vous embrasse tendrement et dit que votre cœur
est unique. Le moule en est cassé (1).
de notre monastère
de toulouse ce l^' juillet
1772.
XXXVIII
J Monsieur
Monsieur Duvoisin a Vhoiel
de Monsieur V ambassadeur
d'Hollande.
a paris,
f VIVE JESUS.
Je ne puis, Monsieur, vous faire un remerciment a
l'égal de ce que je sans de reconnoisance pour avoir bien
voulu m'aprandre l'état de ma chère amie que j'aime
toujours bien tendrement. Je vous félicite a tous les deux
de cet heureux événement dans toutes ces circonstances.
Plaise a Dieu que cet enfant (3) ait le bonheur de con-
cerver la robe d'innocence dont il est actuëlement revêtu
Oserai-je vous prier. Monsieur, d'embrasser pour moy
ma chère Nanete et de l'asurer que toute notre commu-
nauté s'intéresse a tout ce qui la regarde. Nous ne l'on -
(i) Le reste de la lellre manque.
(2) Alexandre Benjamin, né à Paris le jeudi 24 septembre 17 72,
11 fui baptisé par son père ; il eut pour parrain Alexandre-François-
Gauberl Lavayssc, le compagnon de captivité de son aïeul et pour
marraine M^e Anne Bose Calas, sa lame. (Voir sur ce fils de Na-
netle, le seul qui ail vécu, la noie XV à la fin du volume.")
Z|52 LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
blierons jamais et très souvant nous entretenons de ses
aimables qualités.
Fermetés que je vous rénouvelle ma gratitude de
votre complaisance et que vous ayés bien voulu vous
prêter a me donner cette satisfaction, de même queue
tous les souhaits heureux dont vous me comblés. J'ay
Fhonneur d'être avec une parfaite considération, Mon-
sieur votre très humble obéisante servante
Sr Anne lulie Fraisse
de V. S'" M. D. s. b.
de nlre monast. de toulouse
ce 7e 8bre 1772.
XXXIX
t VIVE JESUS.
Vos nouvelles, chère amie, sont un beaume à mon
cœur ; il est toujours le même pour vous. Vos lettres sont
toujours chères a notre communauté ; chaqu'une s'em-
presse de les entendre et vos éloges recommencent. Com-
bien avons nous démerdé de petits enfants ! Après dix ans
de soins et d'éducation nous n'en recevons signe de vie.
Vous, presque seule, vous souvenés toujours de nous, et
ne nous ayant connues que par des voyes qui dévoient
nous rendre destestables a vos yeux, si votre bon cœur
et votre heureux caractère ne vous avoient fait discer-
ner notre innocence et le désir que j'avois d'adoucir vos
malheurs. Vous portés votre reconnoissance bien au delà
du peu que je faisois, et y comprenés ce que j'aurois fait
si j'avois pu. Mes désirs s'etendoient loin ; c'est tout, et
ce dont vous croyés me devoir un peu de part dans
votre cœur. Vous en avés une bien grande dans le mien.
A MADEMOISELLE ANKE CALAS. Zl53
Je pousse mille soupirs vers le ciel et vous aime trop
tendrement pour ne pas vous souhaiter le vray bonheur.
Les larmes m'en vienent aux yeux ; ne m'en sentes
pas mauvais gré.
La rigueur de la saison augmente mes douleurs ; il
faut bien que cette maison de boue dont nous sommes
revêtus finisse un jour ; il n'y en a pas tant pour tous.
Je vois avec grand plaisir que M' Duvoisin est a pre-
sant en bonne santé, de même que Madame votre mère
et Mei'e votre sœur. Je vous prie de lesasurer de ma sensibi-
lité a l'honneur de leur souvenir, et leur dites bien des
choses pourmoy. Vous aurés soin d'asurer Mr votre fils
de tous mes tendres sentimens; je laise les tfems propres
a cette commission au tems que vous jugerés bon. La
Sr Vialet et toutes en gênerai et particulier vous font
mille amitiés. J'ay dit a Mr Sol l'article qui l'intéresse,
il vous en remercie et vous assure de ses respects.
Adieu, chère amie, je vous embrasse de tout mon
cœur.
Sr Julie, de la V. S*e M. D. s. b.
de ntre monast. de toulouse
ce 66 janvier 1773.
XL
t V. .1.
Vous ne doutés point, chère amie, que je ne sois au
nombre des morts. Je n'ay jamais perdu de vue votre
letre, malgré ma maladie et l'augmentation de mes
douleurs. Cet article me met souvant dans l'impuissance
d'écrire. Je suis a prcsant remise et mes petites for-
ces sont revenues, mais mon rumatisme subsiste.
U5ll LETTRES DE LA SOEUR A.-J. FRAISSE
' Vous voulés que j'oublie la datte du 6* janvier 177^. Je
le veux bien ; vous me savés de bonne composition. Tout
en moy subsiste malgré mes vieux jours.
Mon Dieu, ma chère Nanete, dans quelle cruèle situa-
tion a été votre cœur a la maladie du cher mari ! Je le
conois, ce cœur tendre, afectif, tout plein de feu. Mais
je vous trouve bien pareseuse : vous ne me parlés que de
Mr votre fils et point de vos autres enfants. Je vous plains
de tout mon cœur. Terrible maladie de n'avoir que fils
unique. Mais il ne faut vouloir que ce que le bon Dieu
veut.
Je vous prie, faites mille amitiés de ma part a votre
Maman et chère sœur. Mes complimens a Mr Duvoisin,
Je suis bien sensible a l'honneur de leur souvenir. Toutes
celles de nos religieuses qui vous ont vue chés nous vous
font mille tendres complimens. Celles qui etoit Supé-
rieure lors de votre entrée (1) est devenue aveugle ; elle
me charge de vous dire mille choses pour elle.
Adieu mon cher cœur. Je suis toute a vous et vous em-
brasse tendrement.
Sr Julie de la V. S'« M. D. s. b.
De la Visitation
le 6e mars 1775.
(1) La sœur d'Hunaud,
NOTES
NOTES
Verbal de David Me Beaudrigue (1)
L'an mil sept cent soixante un et le treizième jour du mois
d'octobre, nous François Raymond David de Beaudrigue,
Ecuyer, Capitoul, étant dans notre maison d'habitation vers
les onze heures et deiny du soir, sont survenus les sieurs
Borrel ancien Capitoul et Trubelle négociant de cette ville, qui
nous ont dit que, passant dans la grand' Hue, accompagnant un
Monsieur qui avait soupe avec eux, ils ont trouvés vis U vis
{0 Copié par moi sur rorigiiial à Toulouse.
39
^58 NOTES.
de la maison du S. Calas un nombre infini de personnes et
ayant demandé le sujet de cet attroupement, il leur a été dit
qu'on avait trouvé dans la maison dudit S. Calas un homme
assassiné et mort ; et sur cet avis nous nous sommes rendus
à l'hôtel de ville pour prendre notre main forte et après avoir
fait avertir maître Monyer notre assesseur nous nous sommes
rendus avec notre dit assesseur et la main forte, chez le
S Calas, après avoir fait avertir Messieurs les gens du Roy qui
se sont trouvés absents ; et ayant trouvé la porte d'entrée de
la ditte maison fermée avons frappé k la d. porte qu'une tille
de service nous a ouvert, et étant entré dans Talée il s'est
présenté k nous un jeune homme et l'ayant interpellé de nous
dire s'il n'y avait pas dans la ditte maison un cadavre, mort de-
puis peu de mort violente, il nous a dit que le fait était vray,
et ayant pris de sa poche une clef il nous a ouvert la porte de
la boutique qui donne dans la ditte allée et nous a conduit au-
près la porte d'un magasin qui est à suitte de ladite boutique
auprès de laquelle avons trouvé le cadavre d'un jeune homme
couché sur le dos, nue tête, en chemise, n'ayant que ses cu-
lottes, ses bas et ses souliers ; et ayant demandé au dit jeune
homme qui étoit le dit cadavre il nous a répondu que c'étoit
son frère fils du S Calas marchand, et ayant examiné ledit
cadavre il nous a paru qu'il n'était pas mort de mort naturelle,
ce qui nous a obligé de mander venir M* Latour, médecin et
les Sieurs Peyronnel et Lamarque, chirurgiens jurés de cette
ville ; lesquels s'étant rendus, après avoir exigé d'eux le ser-
ment en tel cas requis, nous leur avons enjoint de procéder a
la veriffication du cadavre et de dresser la relation de son état
et de la cause de sa mort et de la remettre incessamment devers
le greffe; et de suite après que lesdits sieurs Latour, Peyron-
nel et Lamarque ont eu procédé, nous avons fait transporter
ledit cadavre dans l'hôtel de ville, kla chambre de la gêne, de
même que son habit qui s'est trouvé sur le contoir du même
magasin où ledit cadavre étoit étendu. Et ayant fouillé les po-
ches de sa veste et de son habit il si est trouvé son mouchoir
NOTES. /i59
dindiennc dans une des poclies du d. habit et dans les
deux poches de la veste il si est trouvé plusieurs lettres et
papiers inutilles et dans les poches de la culotte un canif et
un couteau à pliant. Ledit habit étant en drap bleu mélange
avec une veste danquin. Ledit cadavre portant des culottes
aussi danquin, bas de soye noirs et des boucles de fer à ses
souliers et celles des jarretières étant de laiton de même que
les boutons des manches. Et en nous retirant aflin de prendre
des éclaircissements et découvrir la preuve de la cause de la
mortdud. cadavre, nous avons fait conduire dans l'iiotel de ville
les S" Calas père et fds, la D"« Galas mère, la fille de service
dud. Calas, le S Lavaisse et un espèce d'abbé qui se sont trou-
vés dans la maison et dans la chambre du S' Calas père, et
de ce dessus avons fait et dressé le présent verbal que nous
avons signé avec ledit M" Monyer notre assesseur et notre
greffier pour être statué ce qu'il appartiendra
David de Beaudrigue
Capltoiil
Monyer, assesseur.
= Michel Dieulafoy
greffier
II
Les Archives du Capitole.
« Ces archives sont d'énormes volumes solidement reliés, les
feuilles sont en parchemin. Au commencement de chaque
année, se trouve avec leurs portraits, le nom des huit Capi-
touls chargés de la direction et de la surveillance des huit ar-
/460 NOTES.
rondissements de la Cité. Tous les portraits ont été déchirés
en 03 ; on en remarque encore quelques vestiges.
« Toutes les années, soit avant, soit après le procès de Calas,
sont complètes ; la relation des principaux événements s'y
trouve exposée dans un style assez clair ; l'écriture est très-
lisible, en grosses lettres. L'année 1760 est complète, mais
c'est envain qu'on cherche la suivante, 1761, pendant laquelle
eût lieu l'atraire des Calas, — sept feuilles de parchemin ont
été laissées en blanc, elles terminent un volume ; le volume
suivant commence avec l'année 1762.
« Voilà un fait bien significatif. Les Capilouls, qui faisaient
rédiger eux-mêmes l'histoire de leurs actes administratifs,
ont préféré supprimer de leurs annales l'année 1761, plutôt
que de mentionner le procès de Calas. Ce silence, à défaut d'au-
tres preuves, les jugerait a lui seul.
« Il faut cependant ajouter une remarque. Dans le volume sui-
vant, a la première page, sur le verso de la couverture du hvre,
on lit une observation écrite de la main de M. d'Aldéguier,
auteur d'une Histoire de Toulouse, et ancien bibliothécaire :
« Observation essentielle : les pages qui contenaient l'histoire
du procès de Calas ont été arrachées. Toutes les pièces re-
latives à ce procès, qu'elle qu'en fut l'importance, ont été dé-
truites. » Telle est, a peu près littéralement, la teneur de cette
note ; elle semblerait justifiée par les débris que l'on voit, de
trois ligatures en fil, qui fixaient évidemment quelques feuilles
du livre.
'( Mais, d'après l'avis du bibliothécaire actuel qui occupe
cette fonction depuis trente ans, ces fils retenaient les portraits
des Capitouls de 1762, portraits, qui, comme tous les autres,
ont été arrachés.
■' Nous ne pouvons que nous ranger a celte dernière opinion,
— il serait difficile d'expliquer le motif pour lequel sept feuilles de
papier ont été laissées en blanc, quoique terminant un volume;
— elles étaient plus que suffisantes pour renfermer tous les dé-
tails des événements de 1761 , — il est des années qui ne rem-
NOTES. Zl6î
plissent pas plus de cinq feuilles. D'ailleurs il est coraplettemenl
inexact que les pièces du procès aient péri, même à Toulouse.
t( L'année 1762, depuis le commencement jusqu'à la fin, ne
contient pas un mot qui ait trait à l'accusation portée
contre Calas, ni à sa mort, qui cependant, eut lieu cette
année. C'est un fait positif.
« Il est certain que l'année 4761 n'a pas été écrite. On
pourrait penser que les sept feuilles de parchemin étaient
réservées à l'année 1760, que cette année n'est pas termi-
née. — Ce serait une erreur, car on lit ceci à la fin de
cette année 1 760 : (ce sont les Capitouls qui parlent ; ils
font leur rapport annuel) : « Il ne nous manque^ disent-ils, que
leur approbation, (celle des citoyens témoins de leur adminis-
tration) elle sera de leur part un bienfait, et pour nous une récom-
pense. Dixi » Le secrétaire a fini ; 1761 va commencer, on
tourne et l'on trouve sept feuilles de papier en blanc : le
tome suivant s'ouvre par l'histoire de l'année 1762. »>
m
Extrait d'un Brief intendit.
Mémoire du brief intendit pour réitérer l'interroga-
toire, que BAILLE devant VOUS, MESSIEURS LES CAPITOULS,
LE PROCUREUR DU Roi CONTRE LES NOMMÉS, e^G. , ACCUSÉS
ET DÉCRÉTÉS.
16° Interroger le Sieur Lavaisse s'il étoit logé chez le sieur Ca-
/eing, et pour quoy il passa piesquc toute la journée avec
Calas Cadet et s'ils ne proposèrent pas (sic) a l'ayné
de promener avec luy
39.
/|62 ^'OTES.
17" Interroger le dit Sieur Lavaisse s'il n'a conseillé luy même
que dans la crainte de l'abjuration publique, il ne faloit
plus différer de se défaire de Marc Antoine Calas, sy le
Sieur Cazeing et Glausade ou autres n'ont été de môme
sentiment
18" Sy aucun de ceux de la religion prétendue reformée avec
lesquels avoit csic) conféré depuis son arrivée de Bor-
deaux na dit que la religion exigeroit la perte de Marc
Antoine Calas, et s'il ne la dit luy même, et s'il n'a entin
asisté à aucune assemblée ou Coniérauce ou cette reso-
lution aye été prise, principalement le matin treize du
courant.
19* Sy étant logé chez le sieur Cazaing il a Ik vu dans l'inter-
valle du quatorze au treize (sic) pleusieurs personnes de
leur secte avoir des Conférences secrettes avec le sieur
Cazeing et les sieurs Calas père et fds, et en quel nom-
bre, s'ils ne parressoient sérieux comme des gens qui ont
une affaire importante
20° S'il ne vit pas les sieur Calas père et fils se rendre chez Ca-
zeing au matin, s'ils y demeurèrent longtemps, s'ils con-
férèrent en présence de luy qui repond
(sic) Les interroger, s'ils n'exécutèrent eux mêmes l'action le
soir a l'entrée de la nuit, eu faisant mettre a genoux ou
assoir sur deux chaises M. A. Calas.
21 Si ne l'ayant pas fait eux mêmes, ils ont loué ou fait louer
des gens a prix d'argent, qu'ils ont introduit ou souffert
qu'ils furent introduits dans la maison pour détruire
M. -A. Calas, qui etoicnt ces gens la, d'où ils étoient et
quand ils s'en retournèrent
22" S'il n'est vray que leurs confédérés de la R. pr. ref se
chargèrent du soin de trouver des zélés ou des servi-
teurs pour raclion et de les introduire
23" Les interroger enfin si ce ne fut eux même qui étranglèrent
Marc Antoine Calas, quel est celuy d'enlreux qui le fit
mettre a genoux ou assoir, ou le coucha par terre, et qui
# •
NOTES. /l63
osL celuy (jui tordit la corde et s'ils lie le suspendirent
après qu'il eut perdu ses forces.
IV
Délibération et sentence des Capitouls.
Par Devant Messieurs Roques de Rechon avocat Capitoul,
David de Beaudrigue, Chirac, Boyer, Capitouls, Forlup, Labat
et Carbonnel assesseurs
M* Carbonnel, assesseur, Rapporteur, ayant fait le Rapport
sur le Bureau et la Procédure faitte D'authorité des Capitouls
a la Requette du Procureur du Roy, Pour Crime de Parricide,
Contre Calas Père et fils Cadet, l'épouze du dit Calas, le
S"" Gaubert Lavaisse et Jeanne Viguiere, servante du dit Calas,
accusés, a Eté D'avis de Relaxer les dits accusés, et de faire
le Procès a la mémoire du Cadavre de Marc Antoine Calas,
Dépens Compensés.
M Labat assesseur a Eté Davis au Contraire, vu ce qu'il Re-
suite de l'entierre Procédure, Prenant Droit D'icelle, et des
aveux Consignés dans les Interrogatoires des accusés, Rejettant
Les qualifications, sans avoir Egard aux objets et Reproches
Proposés par la dite Calas mère Contre la Dem'"' Durand, et
son fils abbé, témoins, et les rejettant, Condamner Les dit Calas
Pore et fils Cadet, Et l'epouzc du dit Calas Père a Etre Pen-^
dus, et ensuitte leur Corps Brullés Et Condemner aussy La-
vaisse aux galleres Perpétuelles et de mettre La dite Viguiere
Servante hors Cours et de Procès, de Condamner Les dits
Calas Père et fils Cadel, Dem"" Calas mère et Lavaisse aux dé-
[l6(i NOTES.
pens, ceux entre Le dit Procureur du Koy de (sic) La dite
Yiguiere Demeurant Compensés.
M* Fovlup assesseur a Eté Davis au Contraire qu'avant Dire
Droit Deffinitivement aux Parties, Ledit Calas Père Sera ap-
pliqué a la question ordinaire Et Extraordinaire, et Surcis
au Jugement des autres accusés, jusqu'après Le Rapport fait
du verbal de torture, Dépens Reserves
M Dover Capitoul a Eté Davis au Contraire Dappliquer a la
question ordinaire et extraordinaire le dit Calas Père, et fds
Cadet, et la Dem"* Calas mère, et que le dit Lavaisse et
Jaune Yiguiere Seront Présentes à La dite question, Dépens
Réservés.
M Chirac Capitoul a Eté du môme avis de M. Royer.
M David Capitoul, a Eté Davis au Contraire et (sic) de celuy
de M* Labat assesseur, a la différence seulement qu'il a Eté
Davis au contraire de Condamner la dite Jeanne viguiere Ser-
vante, a Cinq ans D'hôpital
M' Roques de Rechon Capitoul a Eté Davis au Contraire de
Condamner les Cinq accusés a la question ordinaire et Extraor-
dinaire.
Et M' Roques de Rechon Président du Rurreau Etant Re-
venu sur les avis
M' Carbonnel assesseur Rapporteur a persisté
M' Labat sest Rangé de Lavis de M"" Boyer Capitoul, de
même que M"" Forlup assesseur, et M' David Capitoul Et M' Ro-
ques, auquel avis au nombre de six la Sentence a tenu et
Passé, ainsy le Certifie le greffier Criminel Soussigné Michel
DieuLaFoy greffier, ainssy Signé a Loriginal, Collalionné,
Michel DieuLaFoy greff. Signé
Collationné
Darrau
g réf.
NOTES. Z|65
V
De la torture.
J'ai cherché en vain l'explication du mode de torture que
subit Jean Calas. Chaque parlement avait a cet ép;ard ses usa-
ges qu'il n'était pas lui-même libre de changer. Dans quelques
ressorts, ces usages étaient d'une barbarie étrange et excep-
tionnelle; je me garderai d'en donner aucun exemple. Toulouse
n'est citée nulle part a cet égard. Je n'ai trouvé aucune explica-
tion sur les habitudes locales dans V Histoire des Institutions de
Toulouse^ par M. du Mège.
Les formes les plus habituelles de torture étaient l'extension
des membres et la question a l'eau. Il faut y joindre l'estrapade,
qui consistait à suspendre l'accusé avec un poids très-lourd
aux pieds et h lui donner tout a coup des secousses violentes.
Dans le ressort de Paris, l'extension des membres et la
question a l'eau étaient jointes ; il paraît qu'à Toulouse elles
étaient distinctes. La question ordinaire^ telle que Calas l'en-
dura, paraît avoir consisté en l'extension des membres par une
machine assez compliquée. L'eau était le moyen adopté à Tou-
louse pour la question extraordinaire. A Paris la différence
entre l'ordinaire et l'extraordinaire n'était qu'un prolonge-
ment et une aggravation des mêmes tourments.
La torture avant le jugement était dite préparatoire ou pur-
gative ; on la considérait comme un simple moyen d'informa-
tion. Si le patient n'avouait rien, il ne pouvait être condamné.
Quand, au contraire, la condamnation à mort était déjà pro-
noncée, la torture avait pour but d'obtenir la désignation des
complices ; et on l'appelait définitive ou préalable, définitive ^^^v
opposition à la question préparatoire^ préalable quant au supplice
qu'elle précédait.
Pour la question préparatoire, le juge pouvait se contenter,
s'il le voulait, de Vordinaire. La question /)rea?rt6/c au contraire.
i66 NOTES.
comprenait uécessairement Vordinaire et V extraordinaire^ parce
que la justice ne devait plus aucun ménagement au condamné;
et ses souffrances, dans ce cas, étaient un commencement, une
dépendance de la peine de mort. Il devait être conduit au der-
nier supplice immédiatement après, parce que, disait la loi, son
corps était confisqué et ne lui appartenait plus. Tel fut le sort
de Calas.
Nous voudrions épargner k nos lecteurs tous ces détails lii-
leux. Nous devons cependant, autant que possible, expliquer
ïes faits, et ne point dissimuler ce qu'a souffert ce malheureux
père de famille. Aucun document ne nous a fourni un com-
mentaire plus précis du procès-verbal de ses tortures que le
Mémoire officiel dont nous allons donner un extrait ; on se
souviendra seulement que les deux tortures subies l'une après
l'autre par Calas y sont simultanées.
Mémoire instructif pour faire donner la torture, annexé par
leParlement de Paris a son arrêt du ISjuillet 1697 :
Art. X. La question de l'eau ordinaire, avec extension, se
donnera avec un petit tréteau de 2 pieds de hauteur, et 4 co-
quemars d'eau de 2 pintes 1^2 chacun, mesure de Paris.
Art. XI. La question ordinaire et extraordinaire avec exten-
sion se donnera aveclemême petit tréteau et 4 coquenars pareils
d'eau, puis on ôtera le petit tréteau et sera mis en sa place un
grand tréteau de 3 pieds et 4 pouces, et on continuera la ques-
tion avec 4 autres coquemars, pareillement de 2 pintes et cho-
pine chacun ; lesquels coquemars d'eau seront versés dans la
bouche lentement et de haut.
Art. XIÏ. A cet eiïet sera l'accusé l'accusé lié par les poignets;
et iceux attachés et liés, entre 2 cordes à chacun poignet,
d'une grosseur raisonnable, a deux anneaux qui seront scellés
dans le mur de la chambre, do distance de 2 pieds i pouces
l'un de l'autre, a 4 pieds au moins de hauteur du plancher par
le bas de ladite chambre.
NOTES. /l67
Art. XIII. Seront pareillement scellés 2 autres grands an-
neaux au bas du plancher, à 12 pieds au moins dudit mur,
lesdits anneaux l'un à la suite de l'autre, et éloignés l'un de
l'autre d'environ un pied ; dans lesquels anneaux seront passés
des cordages assez gros, avec lesquels les pieds de l'accusé
seront liés chacun séparément, au-dessus des chevilles des
pieds; lesdits cordages tirés à force d'homme, noués, passés et
repassés les uns sur les autres ; en sorte que l'accusé soit bandé
le plus fortement que faire se pourra.
Art. XIV. Ce fait, le questionnaire fera glisser le petit tré-
teau, le long des cordages, le plus près desdits anneaux des
pieds qu'il se pourra.
Art. XV. L'accusé sera interpellé de déclarer la vérité.
Art. XVI. Un homme qui sera avec le questionnaire tiendra
la tête de l'accusé un peu basse, et une corne dans la bouche,
afin qu'elle demeure ouverte; le questionnaire prenant le nez
de l'accusé le lui serrera et néanmoins le lâchant de temps
en temps pour lui laisser la liberté de la respiration, et
tenant le premier coquemar haut, il versera lentement dans la
bouche de l'accusé; le premier coquemar fait, il le comptera
au juge et ainsi des 3 autres; lesquels pareillement finis, sera
mis pour l'extraordinaire un grand tréteau de 3 pieds de hau-
teur, a la place du petit ; et les 4 autres coquemars donnés
ainsi que les 4 premiers ; a chacun de tous lesquels le juge in-
terpellera l'accusé de dire la vérité ; et de tout ce qui sera fait
et dit, et généralement de tout ce qui se passera lors de ladite
question, en sera fait une très-exacte mention.
Art. XVIII. Les médecins et chirurgiens resteront en la
chambre de la question tout le temps qu'elle durera, pour
veiller soigneusement qu'il ne vienne faute de l'accusé ; et res-
teront encore dans ladite chambre quelque temps après que
l'accusé sera sur le matelas, pour lui donner le soulagement
nécessaire et même le saigner s'ils l'estimaient à propos, ce qui
arrive assez souvent, sans qu'il soit besoin que les juges soient
présents.
668 NOTES.
VI
Placet des Demoiselles Calas au comte de S' Florentin
par La Beaumelle. (1)
Monseigneur
Deux infortunées se présentent a vous. Elles osent a peine
se nommer : leur nom est devenu un opprobre. Cependant elles
espèrent beaucoup de leur infortune même et encore plus de
votre justice.
Après un arrêt dont l'Europe a retenti, nous nous hâtâmes
de quitter la ville injuste où il avait été prononcé. jNous vivions
dans la retraite auprès d'une mère à qui nous avions à faire
oublier nos malheurs et les siens, lorsqu'un ordre du roi, sur-
pris a votae équité, vint nous arracher de ses bras, nous ra-
mena dans cette même ville où tout nous retrace les plus
atfreux objets et ne nous laissa pas môme la consolation de
pleurer ensemble. Nous fûmes mises dans des prisons diffé-
rentes, car quel autre nom donner a ces couvents où nous
languissons depuis quatre mois, gardées a vue, privées de tout
commerce, et traitées en criniinelles ?
Jusqu'ici, Monseigneur, nous n'avons pu vous faire entendre
nos voix ; c'est par une espèce de miracle qu'une âme charitable
est enlin parvenue a réunir nos prières, nos plaintes et nos
larmes. Elles vous seront présentées, l'espérance renaît dans
nos cœurs. Vous ne permettrez pas. Monseigneur, que nous finis-
sions dans le désespoir notre déplorable v^e. Vous nous rendrez
a cette mère qui ne peut vivre sans nous, sans laquelle nous
(i) Tout n'est pas exact dans ce placel, quant à la siiualion de
l'une des deux sœurs, Nanclle Calas, chez les Visilandincs. Quant à
Rose, au contraire, le tableau que trace La Beaumelle n'est que trop
vrai. Celait le son des proleslanlos enfermées au couvent par lettre
de cachet; bien des familles avaient pu on iiislruire l'écriviiin.
NOTES. A69
ne pouvons vivre. Le peu de bien qu'a l'une de nous suffirait
presque a nous nourrir toutes les trois réunies. Notre disper-
sion retranche des aliments à celle a qui nous devons le jour !
— Tous nos parents sont-ils donc destinés a périr par les mal-
heurs de leurs enfants ?
On vous a fait entendre, Monseigneur, que nous avions du
penchant pour la religion Catholique. Hélas ! après qu'on
nous eut tout ravi, nous osions espérer que du moins on nous
laisserait nos consciences. Nous nous flattons encore. Monsei-
gneur, que vous n'avez pas voulu les gêner, mais les interroger
seulement. Daignez donc entendre ce qu'elles vous répondent
aujourd'hui. Rien n'est plus faux que cette imputation. Nous
sommes nées, nous avons été élevées, nous avons vécu et nous
mourrons, s'il plaît à Dieu, Protestantes. Nous le déclarons
avec d'autant plus de confiance, que nous parlons à un mi-
nistre trop juste pour nous punir de ne pas penser comme
luy.
De plus, rien n'est plus mal imaginé. Si nous avions témoi-
gné quelque inclination pour la religion du royaume , il y en
auroit eu quelque vestige dans cette procédure ou tant de té-
moins déposèrent d'après leurs désirs. Et s'il y en avait eu, le
zèle du parlement n'auroit laissé rien à faire à l'autorité.
Plusieurs des juges qui au lieu d'écouter nos sollicitations
pour noire père, nous exhortoient à croire comme eux, pour-
roient attester qu'ils entrevirent que notre religion nous étoit
d'autant plus chère qu'elle nous étoit plus funeste. Il nous
seroit sans doute avantageux de penser comme on nous l'or-
donne. Mais, Monseigneur, depend-il de nous de croire?
et la dissimulation, en nous faisant paroilre catholiques, ne
nous rendroit elle pas indignes de l'être ?
D'ailleurs, le moyen qu'on prend pour nous ébranler, suffi-
roit pour nous affermir. On dit communément qu'en souffrant
pour certaines opinions on s'y affectionne. Nous pouvons bien,
Monseigneur, vous assurer qu'on dit vrai.
Si nous avions eu pour la religion du royaume cette incli-
^70 NOTES.
nation qu'on nous prête, tout ce qui s'est passé, tout ce qui se
passe nous l'auroit otée. Le supplice ou à vrai dire le martyre
d'un père immolé a la haine de l'hérésie, les vexations que
nous essuyons tous les jours, le mépris qu'on témoigne ici
pour des mystères respectables en nous invitant à les profaner,
tout cela n'est pas propre à nous- faire adopter une religion
qu'on nous fait si peu aimer. On veut que nous embrassions
les dogmes Catholiques et l'on commence par leur fermer toutes
les avenues de nos cœurs.
Ces religieuses nous disent sans cesse que nous ne serons
libres qu'après avoir abjuré nos erreurs, c'est à dire après que
nous aurons mérité de ne l'être pas. C'est là tyranniser et cor-
rompre nos âmes : et vous voulez seulement. Monseigneur,
qu'on les éclaire. Mais quelles instructions attendre de Théo-
logiennes qui tentent d'arracher à notre faiblesse ce qu'elles
désespèrent d'obtenir de notre persuasion ? Elles nous présen-
tent des docteurs. Mais quelle impression peuvent faire des
raisonnements qu'on entend malgré soi ? Il faut être libre et
tranquille pour goûter des entretiens si sérieux et nous som-
mes dans les fers et dans la désolation.
D'ailleurs on n'eiface pas des esprits les idées que l'éducation
prit soin d'y graver. L'une de nous a vingt -deux ans ; l'autre
en a vingt et un ; à cet âge on a choisi et sans doute ce n'est
pas un crime à nous d'avoir choisi comme la moitié de l'Europe.
Notre persévérance à nous éloigner de toutes les cérémonies
catholiques ajoute a l'horreur qu'on a pour nous. Mais cet acte
continu de protestantisme peut a la lin inspirer quelques dou-
tes aux jeunes pensionnaires. De sorte que tous les refroidisse-
mens de la dévotion vont nous être imputés. Traitées aujour-
d'hui comme des hérétiques nous sommes à la veille de l'être
comme des scandaleuses.
Qu'il vous plaise donc, Monseigneur, nous conserver la vie
que d'aussi accablantes vexations vont nous ôter, révoquer cet
ordre qui nous rend plus malheureuses, mais qui ne nous rendra
jamais catholiques, et nous permettre d'aller rejoindre notre
NOTES. 4^i
mère à Paris, afin que par la réunion de nos intérêts et de nos
efforts nous puissions faire réhabiliter la mémoire d'un père
qu'un arrêt déclara coupable et que huit jours après un se-
cond arrêt reconnut innocent.
VII
Lettre de M""* Calas à Voltaire.
Taris 1p 27 xbrp.f1 770.
Monsieur
Si je ne me feusse pas trouvé incommodé des le landemain
de mon arrivée a paris, mon premier soin aurait certainement
été de vous remercier de l'accueil que vous avez daigné me
faire a ferne; je m'acquite aujourd'hui de ce devoir et quoyque
ce soit bien tard, mon cœur n'an est pas je vous assure moin
pénétrée de reconnaissance pour les bontés infinie que vous
m'avés témoigne.
Je vous prie Monsieur d'agréer Mes vœux pour la conser-
vation de vos jours et de votre santé personne ne peut en faire
de plus sincère ny de plus étandue ils sont proportioné aux
obligations que je vous ay, Ceux de ma famille sont les même
elle me charge de vous en assurer et de leurs profond respect
Ozeraige Monsieur vous prier de faire agréer nos obéissance
a Madame Denis nous faisons les vœux les plus sincères pour sa
conservation.
Jay l'honneur d'être avec un très profond respect
Monsieur
Votre très humble et très
obéissante servante
Veuve Calas.
/l72 NOTES.
VIII
Lettre de Lavaysse au même.
Trouvés bon, Monsieur, que je me joigne a notre respecta-
ble veuve pour vous assurer de mon respect et des vœux que
je fais pour votre sauté, pour la conservation de vos jours et la
satisfaction de vos désirs. Madame Calas, toute sa famille et moi
n'aurons jamais qu'un cœur et qu'une voix pour sentir vos
bienfaits et les célébrer.
Vous aurez appris depuis peu la cruelle disgrâce de M. le Duc
de Ghoiseul. Nous en sommes aussi pénétrés que vous, la cons-
ternation parait générale.
Agréez encore, Monsieur, de nouvelles assurances des sen-
timents d'estime, d'admiration et de respect avec lesquels j'ai
l'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble et très obéissant
Serviteur
Lavaysse.
IX.
Lettre de M"» Calas
A Mr. DE la baumelle a mazeres.
Paris ce 30 mars 17C6.
Monsieur
jenay point ignoré les obligations que je vous ay et tous les
NOTES. Zi73
servisses que vous mavez rendue en toutoccasions,M. delaVaysse
de Yidou ma fait part en dernier lieu Monsieur d'un très beau et
très exelant mémoire que vous avez pris la peine de faire pour
moy; je nay point dexprestion pour vous en marquer ma recon
naissance, jen suis pénétré, n'an douté pas Monsieur, recevez
an, mes plus sincères remerciements, et soyez assuré de toute
l'Etandue de ma gratitude, je voudres trouver des occasions
a vous convincre de la vérité de mes sentimens, que je ne
puis que trop foiblement vous exprimer, ils sont les mêmes je
vous assure pour Madame de la baumelle votre chère épouse
a qui jepresante mes obéissances
jay adressé a W de la vaysse père a toulouse une de nos
estampe pour vous faire passer, je vous prie lun et lautre de
l'acsepter. je souhaite quelle vous fasse plaisir, vous y trou-
veray vue parfaite ressemblance avec le cher beau frère ; nous
le sommes aussi mais non pas dans la même perfection;
cet a dire mes filles, le tout ensemble est cependant aprouvee
a paris, je dezir que vous le trouvies de même. M' vi-
gne a qui je vous prie dire bien des chose pour moy resevra
ausi de ma part par la même voy une de mes estampe que je
le prie dacsepter. je nay peu me procurer la colection de nos
mémoires comme il le souhaite il son devenue rare au point
quon nen trouve plus a paris que dinparfait. ma famille vous as-
sure et a Madame de la baumelle de leur respect et moy je
suis avec la plus parfaite considération
Monsieur
Votre très humble et très
obéissante servante
anne Rose Cabibel Calas
UO,
lllU NOTES.
Pièces relatives au premier mariage de Duvoisin. (l
L — M. DE S* Florentin a M. le Duc de Praslin., ministre
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
6 Avril 1763,
J'ai reçu, M. la lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire au sujet du mariage que la D'"* Fauconnier veut
contracter avec le S' Du Voisin, Chapelain de l'Ambassade des
Etats Généraux. Ce n'est pas certainement, sur l'exposition
d'un pareil projet, qu'elle a obtenu le brevet qui lui permet de
dénaturer ses biens et à la faveur duquel elle pourra (2)
en emporter le prix en pays étranger, lorsqu'elle aurait épousé
le S' Du Voisin et qu'il se retireroit soit en Hollande soit dans
sa patrie. Ainsy je crois pouvoir considérer ce brevet comme
obtenu par surprise. A l'égard du mariage que la D"* Faucon-
nier veut contracter avec le S' Du Voisin, il y a des exemples,
quoique rares, de permissions accordées par le Roi "a des Fran-
çaises d'épouser des Etrangers. Et sous ce point de vue, rien ne
sembleroit pouvoir empêcher S. M. de permettre le mariage
en question. Mais d'un autre côté les Ordonnances du Roy ainsi
que lesEdits et Déclarations concernant la R. P. R. enjoignent
à tous les sujets de S. M. d'observer dans les mariages qu'ils
veulent contracter les solennités prescrites par les loix de l'E-
glise et de l'Etat. Or S. M. ne pourrait permettre à la D"' Fau-
connier d'épouser un ministre, sans donner atteinte à des
loix aussi essentielles, puisque ce serait consentir à leur viole-
Ci) Ces documents offrent un curieux exemple delà tyrannie sous
laquelle le gouvernement tenait les protestants.
(2) On nviiit ôcril d'nliord r rlfe a en pour but de pouvoir. Ce«
mots sont bifTi's,
NOTES. Zi75
ment. La célébration qui doit sans doute se faire du mariage
dans la chapelle de l'ambassadeur de Hollande à la manière des
Réformés serait encore une infraction à ces mêmes loix ; et je
suis persuadé que si M. l'Arch. de Paris en avoit connaissance,
il ne manquerait pas de s'en plaindre. Voilà, Monsieur, les
réflexions que je crois pouvoir faire sur la permission qui vous
est demandée. Vous en ferez tel usage que vous jugerez à
propos.
2. — Extrait d'une seconde lettre du même au même.
22 Avril 1763,
.... A l'égard de l'effet que pourrait produire en Hollande
par rapport aux Catholiques le refus de la permission deman-
dée par la D"* Fauconnier, je doute fort qu'il y ait lieu d'en
craindre aucun fâcheux. Les Etats Généraux pourraient se
porter à gêner les mariages des Gath. établis sous leur domi-
nation, si le Roi par quelque loi générale imposait un nouveau
joug aux protestants de son Roy*. Mais le refus de la permission
en question est fondé sur des loix aussi anciennes qu'essen-
tielles; et je ne saurois présumer que les Etats G. voulussent
venger un refus aussi légitime fait k un simple particulier, sur
nombre infini de leurs sujets, qu'il est d'ailleurs de leur Po-
litique de ne pas forcer à sortir de leurs Terres par des rigueurs
mal-entendues dans une matière aussi délicate que celle des
mariages.
Au surplus, M., cette alTaire est par sa nature trop impor-
tante pour que je prenne sur moi de rien proposer li S. M. sur
ce sujet. Et je crois no pouvoir me dispenser d'en rendre
compte à S. M. dans son conseil.
/l76 NOTES.
XI.
Pièces relatives au Second mariage du même.
I. Placet a Monseigneur le Duc de Choiseul, Ministre des
AFFAIRES étrangères (i).
Monseigneur !
Le Sieur Jean Jacques Duvoisin, Suisse de nation, Chapelain
perpétuel de l'ambassade de Hollande, remontre très humble-
ment a Votre Grandeur, qu'il a formé le projet d'épouser la
D'" Anne Calas, fdle cadette de Jean Calas Marchand a Tou-
louse, dont les malheurs et l'innocence reconnue authentique-
ment par un jugement solemnel, ont excité une si grande sen-
sation dans l'Europe, et dont la famille a reçu des marques si
consolantes des bontés de Sa Majesté.
La D"* Anne Rose Cabibel, mère de la future, est disposée
k consentir à ce mariage. Mais remplie des sentiments de la
plus vive et de la plus respectueuse reconnoissance des bien-
faits qu'elle a reçus de son Souverain, elle désire avant toutes
choses que Sa Majesté veuille bien approuver ce mariage qui
convient d'ailleurs de part et d'autre ; et en ce cas, comme le
suppliant est sujet d'une Puissance étrangère, elle supplie
Sa Majesté d'avoir la bonté de mettre sa fille à l'abri des dan-
gers qu'elle pourroit courir d'après les loix reçues en France,
qui défendent aux naturels François de se marier en pays
étrangers, ou même de s'y retirer.
A ces causes, Monseigneur ! plaise à Votre Grandeur expé-
dier un Brevet par lequel Sa Majesté donnera son agrément
au mariage projeté entre le suppliant et la d. D"® Anne Galas,
née Françoise, et faisant profession de la Religion Protestante;
(i) Cette pièce et les deux suivantes sont tirées des Archives des
PSys-Bas à U Haye.
NOTES. Zi77
Pli conséquence autorisera la d. D"* Calas à jouir, faire et dis-
poser de tous ses biens présens et avenir, et exercer tous ses
droits et actions en France, nonobstant toutes Ordonnances
Edits, Déclarations, Arrêts et Réglemens a ce contraires, de la
rigueur desquels il plaira à Sa Majesté relever et dispenser la
d. D'^^ Anne Calas aud. cas de mariage, et sans tirer à consé-
quence. Et le Suppliant ne cessera jamais de faire des vœux
pour la conservation de Votre Grandeur.
(La même grâce a été accordée a MM. d'Erlach et Thélusson.)
N. B. Ce Placet a été présenté à M. le Duc de
Choiseiil par S. E. M. de Berkenroode, le
mardi 27 janvier 1767.
2. — A M DE Berkenroode
A Versailles, le 1 Février 1767.
Monsieur,
Sur le compte que j'ai rendu au Roi du mémoire que V*
Ex'" m'a remis, à l'effet d'obtenir de Sa Majesté, en faveur du
S' Jean Jacques Duvoisin la permission d'épouser la Dem"^
Anne Calas, le Roi a bien voulu autoriser ce mariage et je
joins ici le brevet que Sa Majesté m'a ordonné de faire expé-
dier en conséquence. J'ai l'honneur d'être avec une parfaite
considération
Monsieur
De V"^ Ex^''
Très humble et très obéissant serviteur
le Duc DE Choiseul.
3. — Brevet de Sa Majesté très chrétienne portant per-
mission DE SE MARIER EN FAVEUR DU S"^ JeAN JaCQUES Du-
VOISIN AVEC LA D''* AnNE CaLAS.
Aujourd'huy trente un Janvier mil sept cent soixante sept* le
Roi étant a Versailles et ayant égard a la très huml)le suppli-
cation ,que lui a fait faire le S' Jean Jacques Duvoisin, Suisse
478 NOTES.
de nation, Chapelain perpétuel de l'Ambassade d*Hollaude en
France, de lui permettre d'épouser la D"* Anne Calas, Fille
cadette de feu Jean Calas, Marchand h Toulouse et de D"* Anne
Rose Cabibel, et Sa Majesté voulant traiter favorablement le
dit S' Jean Jacques du Voisin et particulièrement la D"* Anne
Calas en considération des témoignages avantageux qui lui ont
été rendus de la probité de sa Famille, de son affection pour
son service et pour sa personne, Elle leur a permis de se marier
ensemble, sans que pour raison de ce, il puisse leur être im-
puté d'avoir contrevenu aux ordonnances de Sa Majesté, et
au dit Sr Jacques Duvoisin d'avoir contrevenu à celles qui def-
fendent aux Etrangers qui ne font pas profession de la Religion
catholique apostolique et Romaine de se marier dans son
Royaume ou d'épouser aucune de ses sujettes sans y être au-
torisés, de la rigueur desquelles Elle les a relevés et dispensés
par le présent Brevet, permettant en outre par icelui à la
D"* Anne Calas de jouir, faire et disposer de tous ses biens
présens et à venir, et exercer tous les droits et actions en
France, soit qu'elle y fixe son domicile ou qu'elle établisse
sa résidence en pais étranger, ayant Sa Majesté pour cette
fois seulement, et sans tirer à conséquence, commandé d'ex-
pédier le dit présent Brevet, qu'Elle a pour assurance de sa
volonté signé de sa main et fait contresigner par moi Conseiller
Secrétaire d'état de ses commandemens et Finances.
(Signé) Louis
et plus bas, le Duc de Ciioiseul.
Je soussigné. Secrétaire de Son Excellence Monsieur Les-
tevenon de Berkenroode etc. Ambassadeur de Leurs
Hautes Puissances les Etats Généraux des Provinces Unies , à
la Cour de France, certifie que la copie ci-dessus est conforme
à son original, qui lui a été adressé par son Excellence Mon-
sieur le Duc de Choiseul. En foi de quoi j'ai signé le présent
Certificat h Paris le 42 Février 1767,
(signé) L. Reynardf
NOTES. /l79
4. — Acte de mariage de J. J. Duvoisin avec Anne Calas.
Aujourd'hui 25 de février 17()7, sur le brevet donné et ac-
cordé de la part de Sa Majesté Louis XV, Roi de France et
de Navarre, en date de Versailles du 31 de janvier 17(57,
signé par Sa Majesté même, et plus bas Le Duc de Choiseul,
dispense des bans ayant à cet etîet été accordé, par Son Excel-
lence Monsieur Lestevenon, seigneur de Berkenroode, Stry en
etc. etc. etc., ambassadeur de LL. HH. PP. à la Gourde
France, j'ai béni en sa présence, celle de Messieurs Reynard,
Serrurier, anciens de la Chapelle, de M. Loos, écuyer de Son
Excellence, et de plusieurs parents et amis, dans la salle du
Dais de son Hôtel, le mariage de Monsieur Jean Jacques Du-
tîom/i, chapelain de la dite ambassade, tils de feu M. Benjamin
Duvoisin et de défunte Madame Marguerite Duvoisin , né à
Yverdun, canton de Berne, d'une part, et de mademoiselle
Anne Calas, née à Thoulouse, fille de feu M. Jean Calas et de
dame Anne Roze de Cabibel d'autre part.
Fait a Paris en Consistoire ce 23 de février 1707.
F, G. DE La Broue, chapelain.
{Extrait du Registre des Mariages de la Chapelle de Hollande
à Paris»—- Dépôt de l'Etat Civil , Hôtel de Fille de Paris. — • Reg,
in-fol. Coté 97.)
XII
Acte de sépulture de Madame Galas.
Ce jourd'hui 30 avril 1792 à huit heures du soir a été in-
humée au Cimetière des Etrangers à Paris demoiselle Anne
Rose Cabibel, veuve de Jean Calas, négociant a Toulouse, na-
tive de Londres, âgée d'environ quatre vingt deux ans, décédée
ASO NOTES.
le jour d'hier en sa demeure, sise rue Poissonnière n° 9, de
suite d'un catard et de son grand âge, dans les sentimens de
la religion protestante, ladite inhumation faite en présence de
nous Pierre François Simonneau, commissaire en cette partie
et commissaire de police de la station du Ponceau, et celle de
M. Antoine Vincent Formentin, juge de paix de la section de
Bonne-Nouvelle, demeurant à Paris rue Beauregard n" 5^, de
S" Etienne Fabre, citoyen, dem* à Paris rue des deux Boules,
de Gabriel Julien Dangirard, citoyen, dem' a Paris rue Beau-
regard, de Louis Daniel Tassin, banquier, dem' à Paris rue
neuve des Petits Champs n" 6, de Henry Duiia^, citoyen,
dem* à Paris rue Poissonnière n" 169, et Jean Lazard De La
Planche, ministre du Saint Evangile, dem' à Paris rue des
Geuneurs n° 7, qui on' signé avec nous
L' D Tassin Formentin Dumas
G Dangirard J. L. De la Planche
Fabre Simonneau.
[Extr, du Reg. du Cimetière des Protestants étrangers (1) établi
à Paris par arrêt du Conseil d'Etat du '^.O juillet 1720.
Dépôt de l'Etat civil à l'Hôtel de Fille de Paris, coté n° S9in-fol.)
xni
Le Docteur Sol.
Paul Sol était né a Saverdun (Ariége), Il fit à Montpellier
de fortes études, et y laissa la réputation d'un grand zèle pour
le travail et d'un esprit très-remarquable par sa précision et
sa solidité. 11 avait eu d'abord l'intention de prendre du ser-
(i) Ce cimetière était sis rue de l'Hôpital-Saint-Louis,
NOTES. Z|81
vice comme médecin mililaiie en Allemagne, où le frère de
sa mère, M. de Seigné, protestant réfugié, était officier su-
périeur. Mais il renonça a ce projet, et lorsque ses études
furent terminées, il commença par exercer la médecine à Sa-
verdun. Il épousa bientôt après une demoiselle Vaïsse, de Ca-
raman. De ce mariage naquirent deux fils, dont l'un est mort
officier général (1 ).
Une épidémie qui ravagea le Languedoc et particulièrement
Toulouse, fit sortir le jeune médecin protestant d'une obs-
curité a laquelle les lois alors régnantes semblaient le con-
damner irrévocablement. Les notables de Toulouse envoyèrent
quelques-uns d'entre eux chercher à Montpellier des secours
contre la suette. La Faculté réunie leur indiqua le docteur
Sol, qui vit arriver dans sa petite ville une députation des
principaux habitants de Toulouse, le suppliant de venir s'é-
tablir au moins momentanément au milieu d'eux. Il y con-
sentit, mais avec l'intention arrêtée de retourner à Saverdun.
Il eut de si brillants succès dans ce champ de travail plus con-
sidérable qu'il ne s'en éloigna plus. Ce qui prouve l'éclat
tout a fait exceptionnel de sa réputation, c'est qu'il devint,
quoique protestant, le médecin de l'Archevêché, et, par suite,
de plusieurs couvents, circonstance extrêmement remarquable
et sans doute unique a cette époque.
11 a laissé une grande renommée de bonté et de dévouement;
il fut, dit-on, le premier à instituer des consultations gratuites
pour les indigents. Il mourut à Toulouse à l'âge de quatre-
vingt-quatre ans.
Il avait dû, comme tant d'autres, se faire délivrer un certi-
iical de catholicité pour être reçu docteur ; mais ces fictions
légales ne trompaient plus personne ; les lettres de la sœur
Fraisse (*2) nous prouvent qu'il était resté protestant, et
(1) Deux-pclils fils du docteur ont également embrassé îa car-
ri-^re des armes, et sont arrivés tons deux à de hauts grades.
(2) Lettres 2 3 et suivantes.
Al
/l82 NOTES.
connu pour tel, jusque dans les couvents dont il était le
médecin.
XIV
Mademoiselle de Nautonuier.
Nous avons rencontré^ souvent dans les Dépêches du Secré-
tariat le nom de cette jeune tille ; son histoire est un exemple
entre mille, de tous les détails où entrait l'inflexible despotisme
que les lois et l'administration faisaient peser sur les familles
protestantes. Elle avait été enlevée per lettre de cachet et en-
fermée au couvent des Dames Régentes de Castres. Le seul crime
de ses parents était leur religion. Les Dames Régentes conver-
tirent la jeune fille au catholicisme j mais il ne parait pas que ce
fut par des moyens très-doux, puisqu'elle demanda a plusieurs
reprises d'être transférée ailleurs. Elle eut ou feiguit d'avoir
quelque intention de se faire religieuse, mais dans une autre
maison, et adressa des suppliques en ce sens au comte de Saint-
Florentin ; elle tentait en même temps d'obtenir de lui qu'il
la rendit à ses parents.
Il décida, le 7 août 1762, qu'elle quitterait le couvent de
Castres pour celui des Visitandines de Toulouse. Mais il dé-
clara qu'elle ne retournerait point au sein de sa famille, toute
convertie qu'elle était, « ses parents étant capables d'employer
« les voyes les plus violentes pour lui faire adopter leurs seu-
« timents. » Ce qui signifie que le Ministre connaissait fort bien
le peu de sincérité des conversions qu'il arrachait par lettres
de cachet à de jeunes protestantes, 11 ne restait à M"* de
Nautonuier qu'un seul moyen de sortir de prison, épouser un
catholique. Elle s'y décida. Un mariage fut arrangé pour elle
NOTES. Zl83
avec un sieur de Villeneuve de la Croisille. Sa famille y con-
sentit. Le 3 août 1763, le Ministre envoya, non à elle, mais k
l'Évéquede Castres, un ordre du Roi pour la mettre en liberté,
en vue de ce mariage ; il ajoute ; « Vous voudrez bien me le
renvoyer si le mariage venait à manquer. »
Mais ce n'était pas tout; les protestants, ou comme on disait
alors, les rumveaux convertis ne pouvaient vendre leurs terres
sans autorisation du Roi, et M. de Nautonnier, n'ayant point
d'argent comptant, dut solliciter du ministre la permission de
vendre une partie de ses biens pour payer, à ce gendre que ni
lui ni sa lille n'avaient choisi, la dot sans laquelle elle serait
restée recluse toute sa vie comme un grand nombre de ses
compagnes. Le Ministre voulut bien accorder cette grâce, sur
la recommandation de M. l'Évêque de Castres, que ce mal-
heureux père avait dû commencer par se rendre favorable. En
donnant l'autorisation le 14 août, M. de Saint-Florentin écri-
vit h la fois à l'Evêque et à M. de Saint-Priest, intendant de
la province, et chargea ce dernier de veiller à ce que le produit
de la vente fût réellement employé a la dot convenue.
On conçoit facilement ce que pouvaient être des ventes de
biens-fonds où le vendeur était si peu libre. Tout le monde
connaissait sa position et en abusait. Aussi en septembre
1761, M. de Villeneuve écrit encore au Ministre pour le prier
d'autoriser M"" de Nautonnier à vendre une ferme pour le
paiement de la dot de sa fille.
Ajoutons à ce récit que la famille de Nautonnier était noble
et considérable, qu'elle avait a Paris ou a Versailles une pa-
rente, la marquise de Valcourt, qui sollicitait sans cesse pour
elle auprès du Ministre. C'est malgré ces circonstances favo-
rables et rares, que M. de Nautonnier voyait l'éducation et
l'établissement de sa fille et ses propres affaires gouvernés par
des Religieuses et par un Évêque ; et cela, en dépit de tout ce
qu'ils firent, elle et lui, contre leur conscience, pour obtenir les
bonnes grâces des représentants d'une Eglise qui n'était pas
la leur.
llHk NOTES.
On peut juger de ce qui arrivait à des familles moins pro-
tégées, et plus fidèles à leurs convictions.
XV
Alexandre Duvoisin- Galas.
Alexandre-Benjamin Duvoisin (1), qui ajouta plus tard à
son nom celui de sa mère, était d'un caractère bizarre et aven-
tureux.Il vécut d'abord en donnant des leçons, fut ensuite offi-
cier d'état-major, et plus tard secrétaire des commandements
de Joseph Bonaparte, roi d'Espagne, mais paraît être resté à
Paris au service de la reine. ^' Il avait épousé, dit Charles
Coquerel qui avait connu sa mère, une personne fort inté-
ressante , M"^ Castel, fille du membre de l'assemblée législative,
professeur bien connu en littérature par son poème des Plantes.
De ce mariage naquit un fils aîné que ses parents eurent le
malheur de perdre par un suicide ; événement qui nous a été
certifié par des témoins en position de bien savoir la vé-
rité (2). »
Alexandre Duvoisin paraît avoir eu, comme son oncle Marc-
Antoine, des prétentions littéraires et le goût des représentations
théâtrales. 11 publia successivement plusieurs ouvrages de
littérature légère qui n'eurent aucun succès et ne méritaient
pas d'en avoir (3).
(1) Histoire des Eglises du Désert, t. 2, p. 3 2 4. — Littérature
française contemporaine, par MM. Louandre et Bourquelot. t. 3,
p. 4 47. — Biographie universelle. Supplément, t. 6 3, p. 28 5. —
Quérard, France littéraire, t. 2, p. 7 5 5.
(2) D'après une noie manuscrite de l'auteur, ce jeune homme a
choisi le même genre de mort que Marc-Antoine Calas ; il s'est
pendu, à Paris, très-jeune encore.
(3) — Adolphe de Faldheim {sir) ^ ou le Parricide innocent, par h.
NOTES. /i85
Sa dernière oeuvre fut un triste démenti donné par lui-même
aux sentiments honorables qui lui avaient dicté la lettre que
nous avons citée plus haut (ch. XIV.} Il ht une sorte de vau-
deville sur la visite de sa grand'mère à Voltaire ; et ne sut
traiter ce sujet, fort peu dramatique en lui-même, qu'en renon-
çant a toute apparence d'exactitude historique. La marquise de
Villette {W^" de Varicourt) y joue un rôle important, quoiqu'à
cette époque elle n'eût que sept ans. Le secrétaire de Voltaire,
Wagnière, alors âgé de vingt-cinq ans, y est traité de vieil
intendant, et son nom même est mal écrit.
Le 31 mai 1831, cette pitoyable production fut honorée comme
le porte le titre, d'un prix d'encouragement littéraire par la di-
vision des Beaux- Arts du Ministère des travaux publics et du com-
merce. Il est probable que cette récompense fut surtout un se-
cours donné au dernier héritier de Calas. Agé alors de cin-
quante-huit ans, Duvoisin paraît avoir lutté péniblement
avec la misère. Il eut le mauvais goût de jouer lui-même, sur
un théâtre particulier, au Mans, le Déjeuner de Femey, le
3 janvier 1832. Il paraît que quelques éloges de complaisance
lui donnèrent un faux espoir et qu'il crut trouver une res-
source dans cette étrange profanation des souvenirs de
famille les plus touchants. En février, il alla a Chartres et y
joua de nouveau, mais cette fois pubnquement,le principal rôle
de sa pièce; il reçut un accueil glacé, juste manifestation de la
réprobation populaire. Il tomba malade de chagrin, et mourut
i). V. C. (Alexandre Duvoisin Calas). Paris, Ducauroy, an X (iS02).
In- 12. '
— Chansonnier des casernes, ou nouveau recueil de cMnsons
militaires, Paris ; Egron, 18 22, in-8 de 8 pag. ; 5 0 c."
— Firmin, ou le frère de lait, anecdote française, etc. Paris
Deterville, 1803, 2 vol. in-12. '
— rrilhelmina, ou l'Héroïsme maternel, histoire hongroise,
Paris; G. C, Hiiherl, 1813, 2 vol. in-i2 ; 5 fr.
— Un Déjeuner à Ferney en 17 6 5, ou la veuve Calas chez Fol-
iaire, esquisse dramatique en un acte et en vers. Le Mans, iuipr
de Monnoyer, 1832, 48 p. in-8%
41.
Zi86 NOTES.
le 20 février 1832. On prétend même qu'il se tua dans un
accès de délire ou de fièvre cérébrale.
Ce suicide, s'il était prouvé, et en tout cas, celui dp son
fds, qui n'est pas douteux, semblent indiquer chez quelques
membres de cette famille une prédisposition héréditaire dont
on connaît de nombreux exemples ; ce qui donnerait un degré
de vraisemblance de plus au suicide de Marc- Antoine, qui,
du reste, est tout h fait certain.
XVI
M* Carrière.
Nous avons dit (p. 145) que nous ne savions par quel mo-
tif la défense des Calas, dont M' Carrière avait paru vouloir
s'occuper aux premiers jours, passa aux mains de M* Sudre.
Nous avons obtenu depuis, quelques renseignements précis sur
cet avocat, par sa propre famille. Carrière était protestant ainsi
que ses parents. Fils d'un marchand de draps, il avait obtenu
l'indispensable certificat de catholicité que Marc-Antoine, son
intime ami, ne put se procurer. Les deux jeunes gens étaient,
dit-on, parents; en tout cas, ils étaient liés par une communauté
d'origine, d'études, et, si ce qu'on rapporte est exact, de vices.
Tous deux étaient joueurs. Une tradition de la famille Carrière,
d'autant plus croyable qu'elle n'est pas à la louange du jeune avo-
cat, fait de lui un compagnon de jeu de Marc-Antoine, et pré-
tend même que, le 13 octobre, ils auraient perdu ensemble des
louis que Carrière aurait pris chez son père. On ajoute même
que ce dernier, s'en étant assuré plus tard, fit enfermer son fils
pendant quelque temps au fort Brescou. Quoi qu'il en soit
de ces détails, il est très-naturel qu'un ami, un parent, ait
couru s'informer des causes de l'arrestation de toute une fa-
NOTES. /j87
mille, et que, connaissant les lois, il ait averti les accusés du
danger où les jetait la dissimulation du suicide. Mais un
avocat très-distingué, plus âgé et catholique, tel que M* Su-
dre, convenait bien mieux a la défense.
Unesœur de Carrière était en pension avec les demoiselles Ca-
las, et a souvent raconté depuis, que les compagnes de ces jeunes
fdles leur reprochaient d'être trop élégantes, trop fignolées, et de
faire venir à la pension le perruquier pour se faire coifTer à a
mode. Ce détail confirme ce que nous avons dit des prétentions
qui régnaient parmi les enfants Calas, et qui contribuèrent k
perdre Marc-Antoine,
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE "^
I. — Avant le supplice de Jean Calas
(9 MARS 1762.)
1. DÉCLARATION DU SIEUR Louis Calas, — à Toulouse , ce
2 Décembre 1761. Signé Louis Calas.
8 p. 8», sans nom d'imprimeur. (Désigné dans les notes de
ce volume, comme suit : DécL Louis.)
2. Requête et Ordonnance, gui permet la fulmination du
Monitoire^ etc., — 8 déc. 1761, à Toulouse, de Cim-
primerie de La veuve de M* Bernard Pijon, avocat, seul
ImprimeurduRoiet delà cour, chez la veuve Lecamus.
(i) On ne regarde pas, en Allemagne, une monographie comme
achevée si elle ne contient une liste précise et détaillée des écrits
qui existent sur la matière, et l'on a raison. Quand on traite un su-
jet tout spécial, on doit prétendre, sinon à donner des résultats ab-
solument complets cl déOnilifs, au moins à faire connaître lout ce qui a
paru siir la question et à laisser aux recherches des travailleurs à
venir, un point de départ irès-nellement marqué.
Je me suis efforcé de ne rien omettre dans le tableau qu'on va lire,
et j'indique moi-même les documents que je n'ai pu me jjfocurer;
mais je crains qu'il n'en existe d'autres encore.
Comme un pareil travail ne peut être utile que par une rigou-
'U92 BIBLIOGRAPHIE.
3.- Chefs du Monitoire Que baille, devant vous, Messieurs
les Gapitouls, le procureur du Roi de la ville, etc. —
A Toulouse, de rimprimerie de la veuve de M^ Ber-
nard PiJON, etc.
Affiche in- f <»
/i. MÉMOIRE POUR le Sieur Jean Calas Négociant de cette
Ville; Dame Anne Kose Cabibel son Épouse; et le
Sieur Jean Pierre Galas, un de leurs Enfants. — A
Toulouse chez J. Rayet, Imprimeur Libraire, à la
Mère des Sciences et des Arts, l^ace du Palais.
Signé M* Sudre, Avocat.
104 p. 8» sans date (Désigné ainsi dans les notes : Sudre, 1 )
6. Observations pour le Sieur Jean Galas, la Dame de
Cabibel, son épouse, et le sieur Pierre Galas, leur fils.
MDCGLXII, Signé DUROUX, fils.
72 p, 8° — Par M. de La Salle, Conseiller au Parlement de
Toulouse— Voy. Court de Gebelin, Toulousaines, p. 141.
(Désigné, ainsi dans les notes : La balles.)
6. Suite pour les Sieurs et Demoiselle Galas A Tou-
louse, chez la veuve J. P. Robert, Imprimeur Li-
braire, Rue S'* Ursule, à S' Thomas. MDGCLXIL —
Signé M* Sudre, Avocat,
56 p. 8° (Sudre, 2).
7. Réflexions pour les Sieurs et Demoiselle Calas. — A
Toulouse, chez J. P. Faye, à la place Rouaix, près
l'hôtel de M. le Premier Président.
Signé M* SuDRE, Avocat.
8 p. in-12. (Sudre, 3.)
reuse exactitude, et comme dans celte liste de 1 1 4 publications, il y en
a beaucoup qui se resseniblent,j 'ai représenté, autant qu'il a été possible,
les caractères même employés dans les titres que j'ai reproduits. —
Quand le nom de l'auteur est en petit caractère et séparé du titre,
c'est qu'il s'agit d'une publication anonyme. — Les diverses éditions
d'un même ouvrage, autant que j'ai pu les connaître, sont inscrites sous
le même numéro, sauf quelques réimpressions en pays étrangers.
— J'ai expliqué, à mesure que l'occasion s'en présentait, les abrévia-
tions qui se trouvent dans les notes de ce volume, et qui rappellent
les documents imprimés que j'ai dil citer le plus souvent,
BIBLIOGRAPHIE. /l93
8. MÉMOIRE JUSTIFICATrP POUR LE S' LOUIS CALAS — A
Toulouse, de L'Imprimerie de J. Rayet, à la mère des
Sciences et des Arts, place du Palais.
42 p. 8° (Mém. Louis).
9. MÉMOIRE DU Sieur Gaubert Lavaysse. — A Toulouse,
chez Jean Rayet, Imprimeur Libraire, etc.
26 p. 8° (Lar. 1.)
10. MÉMOIRE DE M* David Lavaysse, Avocat en la cour,
pour le Sieur François-Alexaudre-Gaubert Lavaysse
son troisième fils. — A Toulousk, de l'Imprimerie de
Jean Rayet, Imprimeur Libraire, etc.
Signé Lavaysse fils (1).
52 p. 8° (Lav. 2).
11. La Calomnie confondue ou Mémoire dans lequel on
réfute une nouvelle accusation intentée aux Protes-
tants de la province du Languedoc, à Toccasion de
l'affaire du S' Galas, détenu dans les prisons de Tou-
louse.
« S'ils ont appelé le Père de famille Beelzébuth,
« combien plus traiteront-ils de même ses domesti-
« ques. Matli. X, 25. »
Au Désert — MDGCLXIL
Par Paul Rabaut et La Beaumelle. 12 p. 4" (Cal. Conf )
12. Observations sur un Mémoire qui parait sous le
nom dePaulHabaut, intitulé la Calomnie Confondue:
« Ne dum tacemus, non verecundiae, sed difl^denti^e
causa tacere vidcàmur. S' Cip. Epist. » —MDGCLXIL
Par rabbéde Contezac. 16 p. 8°. — S. 1. n. d. (Contezat,)
13. Arrest de la Cour de Parlement du 6 mars 1762,
Qui Condamne un Imprimé intitulé : La Calomnie
Confoîiclue, etc. Signé Paul, Rabaut, à être lacéré et
brûlé, et ordonne l'Information contre ceux qui ont
composé, écrit, imprimé et débité ledit Ouvrage. —
A Toulouse. De l'Imprimerie de la veuve de M** Bernard
Pijon, etc.
8 p. 4».
(l) Etienne Lavaysse, deuxième fils, Avocat au Parlement. Voir
p. 31 de ce Mémoire.
A2
A94 BIBLIOGRAPHIE.
II. — Du supplice de Calas à l'édit du Conseil qui casse
les arrêts du Parlement de Toulouse.
(4 JUIN 1764.)
l/i. Pièces Originales Concernant la mort des Sieurs
Calas et le Jugement rendu a Toulouse.
(S. 1. n. d.) 22 p. 8» contenant :
a) Eodrait d'une lettre de la Dame veuve CALAS du
15 juin 1762.
Avec des notes de Voltaire. (P. 1.-6.)
15. b) Lettre de Donat Galas, fils, a la Dame veuve
Calas, sa mère. — De Châtelaine 22 juin 1762. j
Par Voltaire. (P. 7-22.)
16. A Monseigneur le Chancelier. — De Châtelaine, 7 juil-
let 1762. Signé Donat Calas.
Par Voltaire. 2 p. 8°. Lettre d^nvoi des Pièces originales et
de la Requête au roi en son Conseil.
17. Requête AU Roi EN soiv conseil, Châtelaine! juillet 1762.
Signé Donat Calas.
Par Voltaire. "2 p. 8".
18. Pièces Curieuses et Intéressantes concernant h\. fa-
mille Calas, qui ont été fournies par M. de Vol-
taire. — A Lausanne chez Franc. Grasset et Comp.
MDCCLXVIIL
108 p. in-18. Ce recueil contient :
a) La lettre de M. de Vol... à M, d'Am,..
(P. 1 a 17). Voir plus bas n» 37
b) Un Avertissement historique.
(P. 17.)
19. c) Lettre de Donat Calas à TArchevêque de Tou-
louse, datée de Châtelaine le 8 juillet 1762.
Par Voltaire. iP. 18-27)
BIBLIOGRAPHIE. 49^
20. d) Lettre de M. N. N. à M. de Voltaire — à Aix, le
28 juin 1762.
(P, 29-30.1 M. N. N. est «n des -plus grands seigneurs du
Royaume (?) Cette lettre et la suivante sont contre les Calas.
21. e) Autre lettre écrite de Toulouse à Mademoiselle ***.
Signée Couder, Jurisconsulte
(P. 31-37.)
22. f) MÉMOIRE DE DoNAT GALAS pour son père, sa mère
et son frère. — Châtelaine 22 juillet 1762.
Par Voltaire. (P. 38-65.)
23. g) DÉCLARATION DE PIERRE CALAS, — Châtelaine 23
Juillet 1762.
Par Voltaire. (P. 66-Sl.) (Décl. P.C.)
2/i. h) Histoire d'Elisabeth Canning et de Jean Calas.
Par Voltaire. (P. 82-90 et 90-106.)
L'Ed.orig., en 21 p. 8», est d'août 1762.
Ces huit pièces sont insérées dans un récit abrégé des faits.
La plupart des publications de Voltaire sur cette affaire ont été
aussi imprimées dans le format in-8° et réunies sous le titre
de : Recueil de différextes pièces sur l'ai-fairk malheu-
reuse DE LA FAMILLE DES Calas. Oh trouve souvent ce recueil
relié avec quelques-uns des Mémoires suivants,
25. MÉMOIRE A Consulter et Consultation pour la Dame
Anne Rose Cabibel veuve Calas et ses enfants. — Paris
23 Août 1762. — De l'Imprimerie Le Breton Impri-
meur ordinaire du Roi 1762.
Signa Elie de Beaumont (et 15 autres Avocats.)
(Précédé d'un Avis de l'Imprimeur 2 p. 8°)
70 p. 8». (E. de B. 1.)
26. MÉMOIRE POUR Dame Annk Rose Cabibel, veuve
du Sieur Jean Calas, Marchand à Toulouse ; Louis et
Louis Donat Calas leurs fils, et Anne Rose et Anne
Calas leurs filles, Demandeurs en cassation d'un ar-
rêt du Parlement de Toulouse du 9 mars 1762.
De l'Imprimerie de Le Breton, etc. 1762.
Signé Ar Mariette, Avocat.
13G p. 80. (Mar. 1.)
27. MÉMOIRE Pour Donat, Pierre et Louis Calas. — De
r Imprimerie de Le Breton, etc.
Signé M' LoYSEAu de Mauléon, Avocat.
63 p. 8<' ou 65 p. 4° (L. de M.)
496 BIBLIOGRAPHIE.
28. RÉFLEXIONS POUR Damo Anne Rose Cabibel, veuve du
S' Jean Galas, Marchand à Toulouse, Loois et Louis-
DoNAT Galas, leurs fils; et Annk et Anne Rose Calas,
leurs filles. Demandeurs en cassation d'un Arrêt du
Parlement de Toulouse dn 9 Alars 1762.
De l'Imprimerie de Le Breton, etc. 1763.
Signé W Mariette, Avocat.
40 p. 8°. (Mar. 2)
29. Extrait dune lettre écrite en réponse a un chirurgien
de Lyon, par le Sieur Lamarque, chirurgien de Tou~
louse^ au sujet de la Digestion.
Signé Lamarque.
4 p. 4° S. 1. n. d.
30. Mémoire sur une question anato-viique relative a la
Jurisprudence, Dans lequel on établit les principes
pour distinguer à l'inspection d'un corps trouvé
pendu,l6ssignes du suicide d'avec ceux de I'assassin AT.
Par M. Louis, Professeur Royal de chirurgie. Censeur
Bayai, chirurgien consid'ant des années du Roi, A
Paris, chez P. G. Gavelier. 1763.
54 p. 8«.
Lu a la séance publique de l'Académie royale de chirurgie
le jeudi 14 avril 1763. — Suivi de l'approbation de M. Pibrac,
directeur de l'Académie royale de cliirnreie.
Permis d'imprimer 29 avril 1763 Signé De Sartine.
31. Lettre écrite à un des principaux Magistrats du Con-
seil d'Etat, le 2^ Dec. 1762 par la sœur Anne Julie
Fraisse, Religieuse de la Visitation de S'* Marie de
Toulouse.
2 p. 8« s. 1. n. d. — C'e-t la preraibre des quarante lettres
que nons avons données plus haut.
32. Observations pour la Dame veuve Calas et sa famille.
— De L'Imprimerie de Le Breton, etc. 176Zi.
Signé M" Mariette, Avocat.
«9 p. 8° (Mar. 3).
33. Les Toulousaines ou lettres historiques et apolo-
gétiques, En faveur de la Religion Réformée, et de
divers Protestants condamnés dans ces derniers
BIBLIOGRAPHIE. 497
temps par le Parlement de Toulouse, ou dans le
Ilaut-Languedoc. — A Edimbourg (Lausanne).
Taniœne nnimis cœlestibus iras ? Virg. iEneïd.
Par Court de Gébelin. 1 v. in-12. 1763.
Cet ouvrage a paru en feuilles. Il y a deux tirages ; Vun est
de 44-1 p.; l'autre, de 458, contient quelques courtes additions.
La dernière lettre esc date'e du 10 de'cembre 1762; mais Vol-
taire fit prier Court de Gebelin de retarder la mise en vente ,
de peur de nuire aux Sirven.
III. — De redit du Conseil à la, fin du XVIII« siècle.
3Zi. MÉMOIRE POUR la veuve Galas et sa famille. — De
l'Imprimerie De Grange, rue de la Parcheminerie 1765.
Signé W Mariette, Avocat.
63 p. 8° (Mar. 4).
35. Mémoire a consulter et Consultation pour les en-
fants DE DÉFUNT JeAN GaLAS, MARCHAND A TOULOUSE.
— A l'ai'is, chez MerlJn, Libraire, à l'entrée de la
rue de la Harpe, en venant par la rue de la Bouderie
MDGCLXV. Signé Elie de Beaumont
8", 28 p.; in-12° 31 p. L'éd. 8» est signée de lui et do sept
autres avocats, le 22 janvier 1765. (E de B. 2.)
36. MÉMOIRE DU Sieur François Alexandre Gualbert La-
vaysse. — Paris, de Fimprimerie de Louis GoUot, rue
Dauphin e MDGCLXV.
32 p. S». Autres Ed : 26 p. 4». 31 p. 12». (Lav. 3.)
37. Lettre de M. de Vol A M. D'Am
Au château de Ferney, 1" Mars 1765.
(Voltaire h DamilaviUe).
16 p. in-18. (S. 1. n. d. d'impression.)
38. Lettre d'un Philosophe protestant a M. X. *** sur
une lettre que M, de Voltaire a écrite il M. d'Am à
Paris^ au sujet des Calas.
Par Fréron.
(Année Littéraire, Mai 1765, t. 3., p. lZi6.)
IX9S BIBLIOGRAPHIE.
39. MÉMOIRE Pour Dame Anne Rose Câbibel veuve Calas
ET POUR ses Enfants, sur le Renvoi aux Requêtes de
l'Hôtel au Souverain, ordonné par arrêt du Conseil
du Zi juin 176/1. — De Timprimerie de Louis Collot, rue
Dauphine. MDCGLXV.
Signé W Elie de Beaumont, Avocat.
96 p. 12°. —94 p. 8°. (E. de B. 3.)
La dernière page contient le Rapport du me'decin et des
chirurgiens, daté du 14 novembre 1761.
ZiO. Jugement Souverain des Requêtes ordinaires de
l'hôtel du Roi, Qui décharge Anne Rose Gabibel,
Veuve de Jean Calas, Marchand à Toulouse; Jean-
Pierre-Calas, son fils; Jeanne Viguière, Fille de ser-
vice chez ledit Galas, Alexandre-François-Gualbert
Lavaysse, Et la mémoire dudit défunt Jean Calas, de
l'accusation contre eux intentée. — Du 9 Mars 1765. A
PariSjDe l'Imprimerie Royale. 1765.
^Editions diverses en 14 p. 40, — 39 p. 8°, — 35 in-l'i».)
ki. Traité sur la Tolérance, a l'occasion de la mort
DE Jean Galas.
Par Voltaire. iÉcrit en 1762 et achevé en 1763 (voir une
note du ch. XVII), répandu à petit nombre jusqu'après le
jugement. En 1765, Voltaire fit réimprimer ce Traité avec un
Article nouvellement ajouté, dans lequel on rend compte du
dernier arrêt rendu en faveur de la famille des Calas.
Zj2. Projet de Souscription pour une estampe tragique
et morale.
Qualibus in tenebris vitœ quantisque periclis,
Degitur hoc œvi quodcumque est.
(10 ou 12 p. 8°.) Permis d'imprimer, ce 18 juillet 1765.
43. Lettre de M. le Marquis d'Argence, Brigadier des
armées du Rol
Au château de Dirac, ce 20 Juillet 1765.
(Réponse h. la Lettre cTun philosophe protestant par Fréron
indiquée plus haut n° 38. |
UU» Lettre a M. le Marquis d'Argence de Dirac
2U Auguste 1765.
Par Voltaire. Ces deux lettres, enrS p. in-12. S. 1. n. d.
45. Avis au public sur les parricides imputés aux Ca-
las ET AUX SIRVEN.
Par Voltaire. 34 p. 8». S. 1. n. d.
BIBLIOGRAPHIE. Zl99
/|6. Lettre de Monsieur de Voltaire a M. Elie de Beau-
mont, Avocat au Parlement. Du 20 Mars 1767.
2e Édition. 15 p. S». Le sujet 'de cette lettre est le procès
de Sirven, mais elle contient sur les Calas des détails ine'dits.
47. Déclaration de Jeanne YicmÈRE, Ancienne Domestique
des Sieur et Dame CALAS de Toulouse, touchant les
bruits calomnieux qui sont répandus sur son compte.
Permis d'imprimer, ce 9 Avril 1767. De Sartine. ~
De rimprimerie de P. de Lormel, rue du Foin.
8 p. in-8°. — On lit à la fin de cette pibce :
« N. B. Cette calomnie avait été publiée dans tout le Langue-
doc , et elle était répandue dans Paris par le nommé Fréron ,
pour empêclier M. de Voltaire de poursuivre la justification
des Sirven, accusés du même crime que les Calas. Tous ceux
qui auront lu cette feuille authentique sont priés de la conseï'-
ver comme un monument de la rage absurde du fanatisme. »
Zi8. Histoire de la délivrance de ta ville de Toulouse, arrivée
le 17 Mai 1562, oii L*on voit la conspiration des hugue-
nots contre les catholiques, leurs différents combats, la
défaite des huguenots et Corigine de la procession du
17 Mai, le dénombrement des reliques de l'Eglise de
Cernin [S' Seymin) : le tout tiré des annales de ladite
ville.
Tantum religio potuit suadere malorum!
« L'historien, dans une préface trbs-judicieusc et bien écrite,
€ fait voir la nécessité de supprimer cette cérémonie, nionu-
» ment trop durable du fanatisme et de la révolte. » Mémoires
secrets (Bachaumont) T. 2, p. 190, 5 mai dTfiô.
Ii9. Histoire des malheurs de la famille de Galas, etc.,
précédée de: Marc Antoine Calas le suicide aVUnivers,
Héroïde.
Par Edouard-Thomas Simon — 1766. 8».
Voir : Ersch. France Littér. I, 4 06 et II, 3 02.
50. Sermons prêches a Toulouse Devant Messieurs du
Parlement et du CapiloiUat Par le Révérend Père
Apompée de Tragopone, Capucin de la Champagne
Pouilleuse. — A Eleutheropolis chez JoxAs Freethin-
KER, Imprimeur et Libraire, Rue de l'Antimoine, entre
le Palais de la Raison et l'Eglise de Notre Dame des
Lumières. 1772.
440 p. in-1'2. — Ce volume contient : .
500 BIBLIOGRAPHIE.
a) Premier Sermon Sur la mort de Jean Calas Vieillard
infirme accusé par les bons Catholiques d'avoir pendu
le 13 Octobre 1761 son fils aîné, jeune homme le
plus adroit, le plus fort et le plus robuste de la Pro-
vince; pour ce fait, condamné à la question ordinaire
et extraordinaire par arrêt des Capitouls, lequel fut
cassé et ensuite confirmé et agravé par arrêt du Par-
lement de Toulouse. — Enfin ledit Jeaji Calas con-
damné à être rompu vif, par arrêt de la même Cour
du 9"^ Mars 1762. — Avec des cotes historiques et
critiques de Tbditeur.
NiHIL ORITUKUM ALIAS, NIL ORTUM TALE FATENTES.
(P. 1, — 226.)
b) Second Sermon Prêché par le même, devant la même
assemblée el à la même occasion.
(P, 227, ~ 378.)
c) Courtes Réflexions sur les deux sermons précé-
dents.
(P. 379 — 404.)
d) Lettres. — Les J.eUrcs suivantes ont été écritesparim
jeune Iwmme nommé Pagez, Etudiant en droit à Toulouse,
Parent de la famille Calas- Elles sont adressées à Louis
Calas, le cadet des frères, lequel ayant changé de Reli-
gion était alors h la Dalbade, fameux couvent des PP.
de COratoire, près de Toulouse.
(P. 405 — 440.1
Ce livre est un violent pamphlet de l'école de Voltaire
Les lettres, au nombre de 10 (avec les réponses) ne sont pas
plus authentiques que les sermons. L'auteur, qui attaque le
christianisme avec des quoMbets, souvent inde'oents, et une
éruditioji de dernier ordre , combat pour les Calas avec des
assertions inexactes et des points d'exclamation.
51. Convention Nationale. — Rapport et projet de dé-
cret Sur la proposition d'indemniser les enfants de
JEAJS CALAS, de la ruine que son procès leur a occasion-
née, aux déptns de qui il appartiendra ; Présentés au
NOM DU Comité de Législation par F. S. Bezard, Dé-
puté par le département de l'Oise à la Convention Na-
tionale. — Séance du 23 pluviôse (1792). Impriméspar
ordre de la Convention Nationale.
De rimprimerie Nationale.
12 p. 8°.
BIBLIOGRAPHIE. 501
IV. —Pièces de vers
52. JEAN C A LAS X^ A FEMME ET A SES ENFANTS.héroïde,
parBlin de Sainmore, 1765. — Paris, de rimprime-
rie de Sébastien Jorry, rue et vis à vis la Comédie-
Française, au Grand Monarque.
Tantuin Relligio poluit suadere malorum. Lucret. 1. I.
24 p. 8°. Cette Héroïde, qui a eu 4 éditions, a paru avec
d'autres écrits du même auteur en 1766 et en 1768, 8*.
53. Galassur l'échafaud a ses jdges. 1765.— Veuve Pierre.
Bayonne et Paris.
8 p. 8'». Autre Ed. in 12,
5Zi. L'Ombre de Galas, LE SUICIDE A sa famille et a son
AMID\NS LES FERS, — précédée d'une lettre à M. de
Voltaire.
A Amsterdam et se vend à Paris chez Cailleau, Li-
braire, rue du Foin S' Jacques à S' André. ÎVIDGCLXV.
16 p. 8». par Pierre-Tean-Baptiste Nougaret, né H la Ro-
chelle le 16 décembre 1742, mort en 1823. Voltaire lui écri-
vit le 20 avril 1765, en réponse à renvoi de ces vers.
55. LETTRE d'un Cosmopolite A L'OMBRE DE CALAS
{sic). 1765.
par Bernard Louis Verlac de la Bastide, Avocat à Nismes.
8 p. 8».
Ce titre est inexact; les 2 premières pages sont tinc Lettre
d'un Cosmopolite à M. de Saint E***, 1" may 1763. Les 4 der-
nières pages contiennent une Epître à l'ombre de Calas. Vol-
taire remercia l'auteur de l'envoi de ces vers, le 17 mai 1765.
56. Requête au Roi, par la Dame Veuve Calas — 1763
et 176Zi.
8 p. 4» et 8» (s. 1. n. d.) En vers,
57. Epître a M. de Voltaire, sur la réhabilitation de la
Famille Calas, par la Harpe — 1765.
En vers libres (Dans ses OEuvres,]
57 bis. — Marc- Antoine Calas le suicide à l'Univers^ héroïdô
par E. T. Simon, voir plus haut, n" ^9.
502 BIBLIOGRAPHIE.
V. — Théâtre (1)
58. Calas ou le fanatisme, Drame en quatre actes, en
prose, par M. Lemierre d'Argy, représenté pour la
première fois, à Paris, sur le Théâtre du l'alais-Royal,
le 17 Décembre 1790. — Quoi victimœ in unâ ! Ovid.
— A Paris, au bureau des Révolutions de Paris, rue
des Marais F. S. G. n» 20. — 1791.
120 p. 8«.
( Précédée d'une Histoire abrégée de la mort de Jean Calas,
tirée des Œuvres de Voltaire.)
Lemierre d'Argy était neveu de rAcadémicien.
59. Jean Calas, tragédie en cinq actes, en vers, repré-
sentée pour la 1" fois à Paris, sur le Théâtre de la
Nation, par MM. les Comédiens Français, le 18 Dé-
cembre 1790. — Précédée d'une préface historique
sur Jean Calas et suivie d'un nouveau V* Acte. Par
J. L. Laya — A Paris, chez Maradan et Perlet, rue
S' André-des-Arts, hôtel de Château-Vieux, 1791.
116 p. 8».
60. La Bienfaisance de Voltaire, pièce dramatique en
un acte, en vers, par M. Villemaind'Abancourt. Re-
présentée pour la première fois sur le Théâtre de la
Nation, le lundi 30 Mai 1791.
Tantiim Beligio poluit suadere mtdorum. Lucrèce.
(Dédiée aux mânesde Voltaire; dédicace en vers).
A Paris, chezBrunet, libr. rue de Marivaux,
près le Théâtre Italien. 1791.
46 p. 80.
61. Jean Calas, tragédie en cinq actes (en vers), par Marie-
Joseph Chénier, Député à la Convention Nationale,
Représentée pour la 1*''' fois à Paris, sur le Théâtre
(i) Pour les pièces de lhé;Ure en langues étrangères, voir plus
loin, 9 3, J 0 » , J02.
BIBLIOGRAPHIE. 503
de la République, le 6 Juillet 1791. (Précédée d'une
lettre de M. Palissotsur la tragédie des Galas.)
A Paris, chez Moutard, Libraire Imprimeur,
ruedesMathurins, section de Beaurepaire,
n" 3'3li. — 1793.
91 p. 8». ( Intitulée ailleurs : Jean Calas ou TEcole des Juges.)
62. La Veuve Galas a Paris , ou le triomphe de Voltaire,
pièce en un acte, en prose, par M. J.-B. Pojodlx, re-
présentée sur le Théâtre Italien le 31 Juillet 1791.
rai fait un peu de bien; c'est mon meilleur ouvrage.
Voltaire.
A Paris, chez Brunet, libraire, place du Théâtre
Italien.
32 p. 8". — Voltaire est au nombre des personnages, quoi-
qu'il ne soit venu a Paris que seize ans après l'époque indi-
quée. On assure que cette pièce a été mise en musique et
chantée au Théâtre Favarl.
63. Galas, Drame en trois actes et en prose, par Victor
DucANGE, représenté pour la 1"^ fois, à Paris sur le
Théâtre de l'Ambigu-Gornique, le 28 Novembre 1819
et repris à la Gaîté en 18/il.
30 p. 8°.
QU. Un Déjeuner a Ferney en 1765, ou la Veuve Galas chei
Voltaire, esquisse dramatique en un acte et en vers,
par Alexandre Duvoisin-Galas.
Le Mans. Imprimerie de Monnoyer. 1832.
48 p. 8".
65. La Mort de Galas, tragédie bourgeoise traduite du
hollandais en français, par le Ghevalier d'Estiman ville
de B. — à Leyde chez G. van Hoogeveen. 1780.
La Dédicace à Madame veuve Calas, à ses enfants et à l'ami
qui partagea Leurs fers, est datée de la Haye, le 1" juin 1780.
C'est une traduction libre et en prose de la tragédie De
Dood van Calas. Voir plus loin : 101.
66. Les Galas, drame en trois actes et en prose, par M. de
Brumore, 1778. 8°. Berlin.
67. Les Salver, ou la Faute réparée, drame en 3 actes et
en prose, par M. de Brumore, 1778. 8°. Berlin.
M. Beuchot (Éd. de Voltaire, t. 4, p. 502) indique cette
pièce comme se rapportant, ainsi que la précédente, à l'his-
toire des Calas. D'après une note manuscrite de M. Beuchot,
dont je dois la communication à M. Barbier et qui confirme ce
i-enseignement, il avait vu les deux ))ièces de Brumore dana
la fameuse Bibliothèque théâtrale de .AI, de Soleinne,
50A BIBLIOGRAPHIE.
VI. — XIXe Siècle
68. Jean Calas ou l'innocent condamné, suivi Du récit de
la condamnation injuste de plusieurs Victimes du fa-
natisme, de l'intolérance, de la superstition ou de
l'erreur, par A. S.
Quand le juste opprimé péril sans défenseur,
La honle Uoil lomber sur le juge oppresseur.
IChenikk, tragédie de Calas.)
A Paris, chez Figer, Imprimeur Libraire, rue
du Petit ï'ont, n" 10.
108 p, in-lb». S. d.
(Avec un frontispice. Voir n» 112.)
69. Histoire de la Ville de Toulouse, depuis la conquête
des Romains jusqu'à nos jow^s,pSir 3. B. S. D'Aldé-
guier. — Toulouse, 1835.
4 vol. 8". T. IV, page '297 a 315 et dans les notes p. 48 à 31.
Ce même récit a paru dans la Mosaïque du MidiA^année,
p. 151 et suiv.
70. Histoire des Eglises du Désert, par Charles Coquerel.
— Paris, 18Zil.
2 vol. 8°, (t. 2, p. 30i-341.)
71. Histoire des Pasteurs du Désert, par Napoléon
Peyrat, — Paris, 18Z|2.
2 vol. 8".
72. Histoire Politique, Religieuse et Littéraire du midi
DE la France depuis tes temps tes plus rendes jusqu'à
nos jours, par MahyLafon. — 18Zi5.
vol. 8». T, IV. p. 325-356.
(0 Celle VI* section coniicnl, non des écrits spéciaux (excepté le
n° 7 4), mais des livres dans lesquels l'affaire des Calas est discutée
OU exposée, ou qui font mention de quelques documents inédits.
BIBLTOGRy\PHIE. 505
73, Histoire Générale de Languedoc par Dom Claude de
Vie et Dom Vaissette, Religieux BénédicUns de la Gon-
grèg. de .S' Maur, commentée et continuée jusqu'en
1830, par le chevalier Al. du Mège. — Toulouse 4 8Z|6.
10 vol. 8». T. 10, p. 565-580.
7 '!• Le Procès Calas, Comple-rendu de la Procédure consir-
Vi'e aux archives de r ancien parlement de Toulouse, lu
le 7 Décembre 185/i, à la rentrée solennelle des con-
férences des avocats stagiaires, par M' Théophile Hue,
avocat près la Cour impériale de Toulouse, Docteur
en Droit. — Paris, Libr. Gh. Douniol, rue de Tour-
non, 29.
32 p. S". — Extrait du Correspondant, t. 35, 5« livraison,
25 février 1855, reprodviit aussi clans le journal l'Univers.
75. Procès Verbal inédit de la question et de l'exécution de
Jean Galas père.
Public dans les Petites Causes célèbres dit jour, par Frédéric
Thomas, avocat a la Cour impériale. Paris, 1855. Septième vo-
lume, p. 287.
76. Voltaire et les Genevois, par J. Gaberel, ancien pas-
teur. — Genève, 1856. (Deuxième édition 1857).
1 vol. 12o.
77. Guide dans Toulouse, par Le Blanc du Vernet (1857).
1 vol. 1-2".
VII. — Angleterre
78. OniGiNAL Pièces relative to tlie Trial and exécution of
M. Calas, merchant in Toulouse, — Londres 1702.
8» (Becket.)
79. Histoire d'Elizabetii Canning et de Jean Galas. —
MÉMOIRE DE DonatGalas, poursou Père, sa :\Ièreetson
frère. — Déclaration de Pierre Galas. Avec les pièces
originales concernant la mort des S" Calasi, et le ju-
506 BIBLIOGRAPHIE.
gement rendu à Toulouse. Par M. do Voltaire. — A
Londres, chez Jean Nourse, libraire, dans le Strand.
1762.
59 p. 8o.
80. A Treatise on toleration, occasioned by tlie dcath of
J. Galas. — Londres 1763.
Trad. de Voltaire,
81. A Critical examination oftlie évidence for and against
i/ic prisoners P. Galas, his motlier, etc. — Londres
176Z(.
8° (Whitridge.)
82. Lettre de M. de Vol.... a M. d'Am sw^ deux événe-
ments tragiques en Frange du même temps ; dans la
persécution des deux familles de Galas et de SiRVEN
pour cause f/e Religion. Genève (Londres). —1765.
16 p. 18°.
83. An Addressto the public upon the parricides imputed
to tlie familles of Galas and Sirven. — 1767.
Trad. de Voltaire.
8^. The History of the Misfortunes of John Galas, a
viCTM TO FANATICISM, to xvilicli is added a lelter from
M. Calas to lus Wife and cliildren. — Written by
Monsieur de Voltaire.
Printed by T. Sherlock near Southarapton Street, Strand
1772. (Tout en anglais, sauf la Lettre en vers de Calas
à sa femme et à ses enfants, 8 pages.) En tête se
trouve, en IV pages : List of tlie nobility and gentry
who hâve subscribed to relieve the family of Calas.
Gette liste, ouverte par les noms de la Reine et de
l'ArchevêquedeGantorbéry, porte ceux de 10 Evêques,
de 79 Lords et de Zi7 Gentlemen.
IV, 33 et S p. 8».
Autre édition : même titre.
Lonclon, printed btj J. Cooper, Boxv Street, Covent Garden, for
Louis Calas. 178!). ô5 p. 8".
Apriîs 27 pages de rccit en anglais, on lit en français : His.
toire des malheurs de la famille de Calas, suivie d'une lettre de Jean
Calas à sa femme et à ses enfants. L'histoire n'occupe que 4 pa-
ges. L'iiëroïde de Blin de Sainmore (qui n'est pas nommé),
se trouve a la suite, et la pièce de vers intitulée Calas sur l'é-
chafaud à ses juges termine le volume.
BIBLIOGRAPHIE. 5(»7
VIIÎ. — Allemagne (1)
85. Literarischer Anzeiger, Gœttingen 1763.
86. Nova Acta Uislorige Ecclesiasticœ.
Weiniar, 1764. — T. IV.
87. Leben und Toxides zu Toulouse unschuldig gerichteteii
Johann Galas, nebst dem ûber ihn gesprochenen
Urtheil, aus dem franzœsischen. — Francfurt imd
Leipzig. 1767.
16 p. 40.
(Il est probable, d'apvfes la préface, que cette publication a
4.té continuée.)
88. — La lettre de Aï"*' Galas et celle de Voltaire sous le
nom de Donat ont paru en allemand à Berlin en
1763.
89. Henke. — AUgemeine Geschichte der christlischen Kircfie.
T. 6, p. 288.
90. Von EiNEM. — Versucli eiiier VoUstœndigen Kirclien-
geschichte des 18 i«^" Jalirliunderts. — Leipzig 1778.
T. 2.
91. Ersch und Gruber. — AUgemeine Encgclopœdie. —
Leipzig. 1825.
4° Sect. I, r. XIV, p. 104. — Article de Baur.
92. Herzog. — Real-Eiicylclopoelie fur Protestantische Théo-
logie und Kirclie. — Stuttgart und Ilamburg.
s» 1854. t. 2, p. 495-498. Art. de G. von Polenz.
93. G. F. Weisse. Der Fanatismus oder Jean Galas, ein
Trauerspiel. (Drame historique en 5 actes.) — Leipz.
1780.
Tantœne animis cœlestibus irœl
Et dans le recueil de ses tragédies. Carlsrulie. 1782. T. 3, p. 99.
(») Celle lisle allemande est saus doule fort incomplèle. Nous y
avons porté quelques journaux et recueils qui indiquent au moins
que l'on s'est inléressé aux Calas au delà du Rhin.
508 BIBLIOGRAPHIE.
9Zi. Littcratur iind Tkcalcr Zeiliing. 1780. L. 26 iiiid 28.
95. Biographien liingericldeler Personen.
T. 3. p. 3-26-348.
Cette notice est une traduction des documents imhUe's eu
France, etc.
ÎX. — Koilande
96. Pièces Originales Concernant (a mort des ^'" Galas it
le Jugement rendu à Toulouse. — A Amsterdam chez Ma-
gerus et HarrevcU; ù tjaarlem chez J. Bosch; à Leyden,
chez les Frères Luchtmans ; à llotterdam, chez J. D.
Beman; à la Haye chez Pierre Gosse Junior et Daniel
Pi net. 1762.
29p. in.-12.
11 existe une autre e'dition d'Amsterdam contenant la
lettre de Mn'^ Calas, et celle de Donat a sa mère. iHJo,
Schneider.
97. Innocence et supplice de Jean Calas négociant à Tou-
louse,
2i p. iu-12. Réimpression hollandaise de riiistoirc d'Eli^a
beth Canning et de Jean Calas.
98. Mémoire DE Donat Galas, pour son père, sa mère tt
son frère.
99. Déclaration de Pierre Galas.
Réunis en iO p. in-12".
i 00. MÉMOIRE POUR Donat, Pierre et Louis Galas, au sujet
du Jugement rendu èiToutouse, contre leSteur JEAN CA-
LAS leur Père, Par Monyieur Loyseau de Mauléon.
Avocat au Parlement de Paris,
luivrimé sur ta copie de Paris.
A La Haie chez Daniel Aillaud, Libraire. 176o.
88 p. in-12.
100 bis. iMemorie voor Donat, Pierre en Louis Galas, ter
Zaake vauhetvonnis te Toulouse uitgesproken tegen
BlBLlOGr.Ai'lllE. 509
de lleer Jean Galas, hunnen Vader. Door de lleer
LoYSEAUDE jVlAULÉoN, Advocaat iii liet Parlement vau
Parijs. Uitliet Franscli vertaald Door de lleer E. 1". —
In S'Gravenhage Bij Daniel Aillaud en llendrik Bak-
liuijzen, Boekverkopers, 1763.
loi. De Dood van CALAS,treurspelindriebednjven, door
VAN HocGEVEEN Jr. — Leyde. 176G.
Cette tnige'die, eu 3 actes et en vers, a e'té traduite en
français. (Voir plus haut, n" 65.) Calas meurt au 2o acte,
David devient fou au S'^ acte et se tue-
Les personnages sont 1° David de Beaudrigue, 2<> sa fenunc,
3° le pre'sidentPuget, 4" Lasbordes, 5<* Boissy, 6" Coudougnaii,
7° Gauzan juges, 8" Jean Calas, 9" M'"" Calas, 10° Jean-
Pierre, 11° Lavaj'sse, 12» André', ami de David, 43» le père
Bourges, confesseur. Personnages muets : Cassan-Clairac, rap-
porteur, Senaux, Cassan de Jotte, Darbou, Desinnocents, Bo-
jat, de Cambon, Miramont, juges. Jeanne, vieille servante.
102. Jean Galas, treurspelinvijf bedrijven door Brendes a
Brandis, (5(?6T. M aatschappij voor f nul vanV algemcen),
Amsterdam 1781, chez Wijnand Wijnands.
Traduction ou imitation de la tragédie de Weisse (Voir
plus haut n» 9-3). Suivie d'une Notice sur l'histoire des Calas,
par le même auteur.
X. — Estampes (1)
iOo. a) La malheureuse famille Galas. LaMère, les deux
Filles, avec Jeanne Viguière, leur bonne servante, le
l'ils et son ami le jeune Lavaysse.
Qualibiis in lencbris viIjb quanlisque peridis
Dogilur hoc œvi quodcumque est. Lucret.
Avec privilège du Moi.
L. C. De Carmontelle delineavii 1765. — Di^Ai-o^si. scnlpsil.
In-folio en largeur.
h) Même pièce, même titre , sans l'indication du
(1) La plupart d(^ ces pièces se Irouvent au Cabinet des Estampes de
Il Bibliothèque Impériale, ou dans la m.agninque collection liislorique
do M. Hennin. Je dois lui exprimer ici, ainsi qu'à M. Dcvéria, ma
reconnaissance pour l'obligeance avec laquelle ils ont Ijion voulu fa-
ciliter mes rccJierches. — C'est la première de ces estampes, u"* 10 3,
luc nous avons reproduite en lèle do ce volume.
/l3.
610 BIBLIOGRAPHIE.
nom du graveur. Reproduction en sens inverse avec
cette épigraphe :
Dans les ténèbres la vérité perce, et cependant
elle est outragée.
c)Même pièce, même titre. Réduction, les figurestour-
nées du même côté que dans l'original.
L. C. deCarmontelle (tel. — Peter Gleich sculp>
Petit in-4» en largeur.
lOZi. a) Les adieux de Calas a sa famille.
«Je crains Dieu... et n'ai pas d'autre crainte. »
Inv. peint el gravé par D. Chodowiecki a Berlin 1768
Jean Calas est assis ; son fils Pierre loi baise la main, une
de ses filles est a genoux et l'entoure de ses bras ; l'autre, de-
bout, appuie sa tête contre celle de son pbre. Un geôlier est
occupé à ouvrir les fers qu'il a aux pieds. M""» Calas est éva-
nouie dans un fauteuil, devant lequel une Bible est ouverte
8ur un guéridon ; Lavaysse et Jeanne Viguier lui font respi-
rer des sels. De l'autre côté, deux soldats qui gardent la porte
Introduisent un moine (1).
In-f» en largeur.
b) Der Abschied des Galas von seiner familie.
Dent Herrn Daniel Chodowiecki zugeeignet
Durch dessen ergebensten Diener u : Freund. Joh. Elias
Haid.
Nach dem original Gemàhlde von gleicher Grôse {sic)
Daniel Chodowiecki pinxit —
Joh. Elias Haid sculpsit. Aug. Vind. 1777.
In-f« en largeur.
(l) Cette scène est imaginaire. Il ne paraît pas que Calas ail revu
sa femme ni ses enfants avant de mourir. 11 n'est pas douteux que la
figure de Jean Calas, souvent reproduite depuis, ne soit également
de convenlion, Chodowiecki lui adonné des traitsqui rappellent d'une
manière frappante ceux de ses enfants. Mais c'est là une erreur; car
son fils Pierre et les deux sœurs ressemblaient beaucoup tous trois à
leur mère, ce qii'il est très-facile de vérifier dans l'estampe n* 103,
que nous avons reproduite. Celte ressemblance est assez marquée
pour n'être pas contestable. Mais il n'est pas à croire que le type
de figure de M""* Calas, si reconnaissable chez ses enfants, fût aussi
celui de leur père, dont il n'existe aucun portrait.
Ce double motif, du caractère tout à fait imaginaire de celle scène
et de la principale figure, nous a décidé à ne point reproduire
cette estampe qui n'a rien d'historique, quoiqu'un la considère en
général comme le pendant de celle de Curmonlelle.
BIBLIOGRAPHIE. 51 1
{c Même sujet, même titre.
Daniel Ckodowiecki inv. et deiin.
Andréas Leonhard scuLpsit el excudit. Norimb 1790.
Iii-f° en largeur.
{d Même sujet.
nach Ghodowiecki gestochen
On lit au haut : 5ter Aufzug. 5ter Auftritt. Cette gravure
a été faite pour une pièce de théâtre, probablement pour celle
de C. F. Weisse, voir plus haut : 93.
In-12 en hauteur.
105. a) Les Adieu (sic) de Calas.
Joh. H. Lips. sculp. 1778.
Le groupe du père et de la jeune fllle, en bustes, emprunté
au sujet précédent, dans un médaillon rond.
AVangle supérieur sont les chififres suivants, XIV, p. 68. Je
ne sais à quelle collection ils se rapportent.
In-é» en longueur.
b) Les Adieu de Galas, nach Ghodowiecki {sic).
Reproduction de la même estampe. Même format,'
106. Portrait de Voltaire.
Dessiné et gravé a Ceau forte par Queverdo. — ïVr-
miné par Massol,
Médaillon rond, sur un socle qui renferme une réduction de
l'estampe n» 104, avec le titre et l'épigraphe de l'original.
On lit au-dessus du portrait :
Qu'il ne soit qu'un parti parmi now,
Celui du bien publie et du salut de tous.
Au-dessous, sont figurées les Œuvres de Voltaire avec cette
inscription ;
La loi, dans tout état, doit être universelle ;
Les mortels, quels qu'ils soient, sont égaux devant elle.
10-40 en hauteur.
107. a) Les EFFETS delà sensibilité SDR LES QUATRE DIF-
FÉRENTS TEMPÉRAMENTS.
Nonomnes pariter tanta fnfortunia terrent.
D. Ghodowiecki de).
Quatre personnages examinent un ttiLlcau placé sur un che-
valet. C'est l'estampe n 404, les Adieux de Calas à sa famille.
Le bilieux s'emporte, le sanguin pleure, le mélancolique, les
bras pendants, paraît atterré; le lymphatique est un gros
homme assis et immobile qui regarde avec une sorte de cu-
riosité flegmatique.
Qu'on ait choisi ce suj . comme type des impressions va-
riées que produit un même fait aur les divers caractferes,
515 BIBLJOGRAPHIK.
c'est un indice assez curieux du grand retentissement qu'eut
cette atïaire et de la sympatliic générale qu'on accordait aux
Calas.
In-12 en largeur.
b) Même sujet, même format.
D. Chodowiekiisic) deL Joh. H. Lips.
Pièce gravée pour les Essais i)iajsiognomonitiues de Lavatcr.
Le tableau des Adieuoc est au trait et divers accessoires man-
quent.
c) Même sujet, môme format que b.
Mauvaise reproduction.
108. a) Le Dcjeuné de berncy.
De JSon, d'après nature à Fenicy, le U Juillet 1775. —
Gravé par f^ée et Masqiielier, même aitnécSe vend a
Paris chez les Auteurs, rue diS Francs-Bourgeuis
près C Arquebusier, L''" S' Michel.
Médaillon ovale, petit in-4° en largeur.
Voltaire est a demi couché sur son lit. W"» Denis est assise
à son chevet devant un guéridon sur lequel le déjeuner esl
servi; derrière elle est nue jeune servante. Au pied du lit,
M. de la Borde, fermier-général (1), assis dans un fauteuil,
parle avec vivacité. Le Père Adam, debout derrière lui, joint
les mains, comme saisi par ce qu'il entend. En dedans des
rideaux du lit, a la place oîi les catholiques suspendent un
bénitier ou un crucifix, est placée l'estampe de la Malheureuse
famille Calas (n' 103) dans un cadre. Elle est tr'es-facilemeiit
rcconnaissable malgré sa petitesse, et le nom de Calas s'y dis-
tingue nettement.
h) Même sujet, titre et format.
Mauvaise reproduction.
HVJ. Le Triomphe de Voltaire.
Inventé, dessiné et gravé par A. Duplessis, pein-
tre et graveur d''histoirc, d'après le tableau original
peint par lui-même, qui est au cabinet de Voltaire.
In-f» maximo en largeur.
Vaste et très-médiocre composition, oii^l"' Calas, ses lilles,
son fils, Lavaysse et Viguibre figurent parmi les accusés que
Voltaire a défendus. Les ligures sont imitées d'après les
portraits de Carmontelle (n" 103).
(i) C'est une note do S. Cule. (Mss. 5 88 4 an Brilish Muséum)
qui m'a fait connaître le nom de ce personnage, en qui j'avais cru
deviner le docteur Tronchin,
BIBLIOGRAPHIE. 513
110. Cravure au biii-in, destinée à orner un livre (proba-
blement un volume de quelque édition de Voltaire).
67t. Eiscti inv, E. de Glundt scuip.
Elle représente le magasin de Calas. Le corps de Marc-
Antoine e!>t étendu sur des ballots d'e'toffes, la corde au cou.
Sa niere se penche sur lui, et s'efforce de le rappeler a la vie.
Le pero, au 'le'sespoir, lève au ciel ses mains jointes en pous-
sant des cris violents. Un jeune homme qui entre, une chandelle
à la main, rieirc ouLavays^e, s'arrête e'pouvanté. Les habits
du mort sont plie's sur le comptoir. Un tabouret renversé, le
billot, la corde coupée, indiquent comment le suicide a eu
lieu.
In-S" en hauteur.
lij. Frontispice de l'ouvrage intitulé : Jean Calas ou
Cinnocenl condamné, par A. S. (Voir plus haut, n" 68.)
Cette mauvaise gravure représente Voltair* accueillant
une femme qui semble être en deuil et que suivant un homme
et 'une autre femme,
. A gauche, un échafaud surmonté d'un gibet, etc., que fou-
droie du haut du ciel un Génie ailé, armé d'une épée et d'un
bouclier à tête de Méduse. Aucune des figures, pas même
celle- de Voltaire, ne sont des portraits.
112. Voltaire pronielta/it son appui à la famille Calas (Eloge
de Voltaire par la Harpe). •
Berger et pinx, et del. — Lith. de G. di Las t.
Voltaire déjeune sous un arbre, devant sa porte, avec une
jeune femme qui lit (M'"»' de Villette ?). Une carriole couverte
vient des'ariêttr; trois femmes en deuil, couvertes de longs
voiles, un honnne et une jeune servante en sont descendus et
implor»'.nt Voltaire; une des femmes est a ses genoux. Vol-
taire les accueille , et en signe de protection, il étend sur
leurs têtes inclinées sa main qui tient une plume. A l'excep-
tion de sa figure, toutes les têtes sont purement imaginaires.
In -i" en largeur.
llo. Portrait en pied de C acteur Villeneuve^ rôle de Calas,
dans le mclodrume de Ducaiifje.
On lit en haut : « Villknelvk, Ambigu. « — En bas :
K Calas, pi'ece de ce nom. •
L'aetcur lève Its yeux et les bras vers le ciel.
In-l'J en longueur.
5lZl BIBLIOGRAPHIE.
XL — Journaux et Recueils divers
Mous avons essayé de placer ici réniimération complète
des publications spéciales auxquelles a donné lieu l'affaire
Calas. Mais il serait très-long, difficile, et au fond peu
utile, de retrouver tous les articles de journaux, de re-
vues, de dictionnaires historiques, de recueils de causes
célèbres.
Il suffira de quelques indications sommaires.
Tous les journaux de l'époque ont retenti decette cause,
dès que Voltaire l'eut prise en main. Il faut consulter sur
ce sujet la Gorref^pondance littéraire de Grimm et de Dide-
rot^ celle de La Harpe, les Mémoires Secret'i de Bachau-
mont, V Aimée littéraire de Fréron et surtout le Journal
Encyclopédique dont le principal rédacteur, Pierre Rous-
seau de Toulouse, défendit les Calas, correspondit avec
Voltaire et répondit, le 15 juin 176Zj, par une lettre im-
portante (t. Ix. 3' partie, p. 11k) à celle qui avait paru,
contre les Calas, sous les initiales de M""* de M.
Plusieurs des brochures que nous avons signalées ont
été insérées dans un recueil, voltairien par le titre non
moins que par le contenu, V Evangile du jour , Londres
(Amsterdam) 1769-1778. (Telles sont leslettresdu marquis
d'Argence de Dirac et la réponse de Voltaire, la déclara-
tion juridique de Jeanne Viguier, t. 3, p. '21, Zi6.)
Une feuille qui paraissait à Toulouse sous le titre d'Af-
fiches, Annonces et Avis divers, contient aussi quelques
renseignements (î>0 mars 1765).
Une prétendue lettre de Lefualde-Conté à Spalingrier
(Toulouse, mars 176'}), contenant un récit tout à fait ima-
ginaire du supplice de Calas, a été publiée d'abord par
une Picvue anglaise, the Metropolitan, traduite dans le
journal français le Temps (31 mars 1831) et reproduite
sous toutes réserves dans le Bulletin de la So'iété de f His-
toire d/i P?^otcstantisme français (t. 3, p. 626). C'est une pièce
sans aucune valeur, ceuvre d'un faussaire ou d'un ro-
mancier, mais conçue dans un sens entièrement favorable
à Calas.
Le dernier recueil cité contient (t. à. p- 239 et suiv. )
UNE LETTRE IlSÉDITE DE RODSSEAU ET 19 DE VOLTAIRE
BIBLIOGRAPHIE. 515
AU SUJET DE LA RÉHABILITATION DE GALAS. NOUS aVODS fait
usage des dernières, mais le correspondant du Bulletin
s'est trompé, quant à la lettre de Uousseau; elle est an-
térieure de 15 jours au suicide de Marc-Antoine, et se
rapporte au procès du pasteur llochette et des trois
frères De Grenier ; c'est à eux que Uousseau refusa le se-
cours de sa plume avec un égoïsme à peine déguisé.
Le Journal Général a publié en 1837 deux articles, suivis
de deux autres, en avril 18/i3, dans la même feuille, pa-
raissant sous le titre qu'elle porte encore aujourd'hui,
le Droit. L'auteur anonyme de ce double travail était
M. Amédée-Thomas Latour, substitut du procureur géné-
ral, puis juge au tribunal de première instance à Tou-
louse, auteur d'une brochure sur le Parlement, la bazoche
et le barreau de Toulouse. M. Thomas Latour est mort en
1856. 11 tenait de M. le marquis de Latresne, ancien procu-
reur général au Parlement de Toulouse et de M. le mar-
quis de Catelan, ancien avocat général à la même Cour,
la tradition, hostile aux Calas, qui s'était perpétuée au sein
de la magistrature toulousaine.
Lorsque pf^rut la brochure de M. Hue, en 1855, les
feuilles ultra-catholiques, telles que {'Univers, le Corres-
pondant, adoptèrent le travail de cet avocat , et à Tou-
louse, un journal intitulé C Aigle se prononça dans le .
même sens; c'est ainsi que la culpabilité des Calasse
trouva proclamée de nouveau par les feuilles périodiques.
Parmi les Recueils, nous ne citerons que le Dictionnaire
de la Conversation; l'article Calas est de M. de l'on-
gerville, de l'Académie française. La juste indignation de
l'auteur en racontant cette tragique histoire a nui, non-
seulement au ton général de sa notice, qui est violent,
mais k la précision et à l'exactitude de son récit.
XII. — Desiderata
Malgré des efforts longtemps soutenus, nous ne sommes
pas arrivé à établir une liste tout ù, fait complète des
publications auxquelles le procès Galas a donné lieu.
1" Nous n'avons pu nous procui'er la Lettre de M"" de
M*** de Toulouse au sujet du mallieureux Calas. Nous ne
savons où ni sous quelle forme elle a paru.
51 G BÎBLTOGRAPflIE.
T Voltaire se plaint quelque part d'un jésuite irlandais
(est-ce Needham?) qui, dans la plus insipide des brochures,
traite dCennemis de la lieligion les défenseurs des Calas et
les Maîtres des Requêtes qui les ont absous. — Nous n'a-
vons trouvé ni cette insipide brochure, ni aucun renseigne-
ment sur cet écrit ou sur son auteur.
3° Le2o décembre 1767, à propos de TafTaire Sirven, Vol-
taire écrivit au pasteur Moultou qu'il avait égaré un écrit,
imprimé depuis quelques mois à Toulouse (ce n'est donc
pas la lettre de M"*' de I\I., imprimée en 1765); 6n y jus-
tifie le supplice de Galas, on y maltraite les Maîtres des
Requêtes pour l'avoir réhabilité. Il croyait se souvenir que
c'était une lettre adressée à quelque correspondant ima-
ginaire (1). Le surlendemain il s'adressa au pasteur Olivier
Desmont. C'est, lui dit-il, un conseiller au Parlement de
Toulouse qui a fait imprimer, il y a environ quatre mois ,
ce mémoire. Il en parle encore dans trois autres lettres.
Cette pièce lui avait été démandée par M. Chardon, rappor-
teur de l'affaire Sirven Je n'ai pu découvrir cet écrit.
/i" J'ai eu le regret de ne pouvoir trouver h la Biblio-
thèque de l'Arsenal une liasse classée autrefois par les
soins de jM. Vieillard, aujourd'hui Bibliothécaire du Sé-
nat, et qui contenait une lettre autographe d'un juge-
mage de Toulouse, nommé de Moulon, et un imprimé,
qui doit être un écrit satirique contre les magistrats de
Toulouse et paraît distinct de ceux que j'ai indiqués
plus haut. Malgré l'extrême obligeance de M. Vieillard,
qui a bien voulu m'accompagner dans mes recherches,
la liasse égarée n'a pu être retrouvée.
5" M. le marquis de Catelan, ancien avocat-général au
Parlement de Toulouse, mort pair de France en 1838, s'é-
tait occupé de recherches sur Tafifaire Calas. Nous dou-
tons que son travail ait été achevé; quoi qu'il en soit, il n'a.
point paru.
6" On assure que le procès des Calas sera examiné dans
l'ouvrage annoncé de M. le vicomte de Bastard: Les Parle-
ments de France, essai historique sur les usages, rorgani-
saiio?i et l'autorité des Parlements; 2 vol. 8°. L'auteur,
dit-on, est membre de la famille de Dominique de Bas-
tard, doyen du parlement de Toulouse, et de François de
Bastard, premier président du même corps en 1762. On
(i) r.obfrcl^ roliaireel les Genevois, Lettre inédite à Moultou,
BIBLIOGRAPHIE. ël7
ne dit pas que le livre de leur descendant soit contraire
à la sentence rendue par cette Cour. Nous espérons
qu'on se trompe.
7° Enfin, on nous écrit de Hollande que M. le professeur
Domela Nieuwenhuis, pasteur de l'Eglise luthérienne à
Amsterdam, va faire paraître un travail sur Galas dans le
recueil mensuel intitulé : Taferelen van Kerkelijke Ges-
chiedenis (Tableaux d'histoire ecclésiastique).
TAB
rKÉFACE V
IxTRODUCTiON. — Coup d'csil sur l'hislm're religieuse de Toulouse 1
Chap. i"' — L Arrestation 19
IT. — David de Beaudrigue et le Capitoulat 31
III. — La famille Calas 41
IV. — Les Faits. — Arrivée de Lavaysse. — Récit de I^l™»
Calas — Mensonge des accusés. — Lettres de M» Car-
rière 71
V. — Intervention ecclésiastique. — Le Monitoire. — Funé-
railles de Îlarc-Antoine — Les Pénitents blancs.... 93
VI. — Procédure et arrêt des Capitouls Information secrbte.
— Bricfs intendits. ~ Faits justificatifs. — Autopsie
du cadavre. — Pièges tendus îi Lavaysse. — Affaire
de M" Monyer. — Affaire d'Espaillac. — Sentence des
Capitouls. — Double appel des condamnes et du mi-
nistère public 121
VII. — . Les Calas devant le parlement. — MM. de Maniban et de
Bastard, premiers présidents. — Le procui'eur géné-
ral Piiquet de Bonrepos. — Les présidents de Niquet,
de Senaiix, du Puget. — Les conseillers de Cassan-
Clairac et de La Salle. — L'avocat Sudre. — Mémoi-
res de Sudre, de Gaubert et de David Lavaysse. —
Discussion des témoignages. — Les cris entendus le
l:^ octobre. — Marc-Antoine Calas a-t-il pu se tuer?
— Est-il mort assassiné? — Etait-il derenu catholi-
que? — Témoignages sur ouï-dire, ou absurdes ou
volontairement faux 139
520 TABLE
P.ti;es
CHAP.VIII. — Paul Rabaut et les protestants de France 187
XI. — Torture et supplice de Jean Calas 207
X. — Foltaire 233
XI. — Révision du procès et réhabilitation des Calas 260
XII. — Derniers événements. — Pauvreté de M'"* Calas. — L'es-
tampe. — Nouvelle calomnie et nouvelle re'ponse de
Viguière. — Mu'eCalasà Ferney. — Obsèques de Vol-
taire au Panthéon. — Louis et ses sœurs devant la
Convention. —Fin de M""* Calas, de ses fils, deLavaysse
et de David 287
XIII. — Nanette Calas 307
XIV. — Histoire de l'opinion publique en France au sujet des 321
Calas
Dépèches du comte de Saint-Florentin, et autres
fonctionnaires publies*
1. — Domerc, secrétaire du subdélégué Amblard, à M. de
Saint-Priest, intendant de Languedoc 349
2. — Le Capitoul David à M. de Saint-Florentin 351
o. — Le Président de Senaux au même 352
4. — M. de Saint-Priest au même 354
5. — Le subdélégué Amblard a M. de Saint-Priest 355
G. — Le même, au même 356
V. — M. de Saint-Florentin au Capitoul David 357
8. — Le même au Président de Senaux 357
9. — Le Capitoul David à M. de Saint-Florentin 358
10. — Le comte de Rochechonart au même 359
11. — Le Capitoul David au même 360
12. — M. de Saint-Florentin à M. de Rocliechouart 361
13. — Le chancelier de Lamoignon à M. de Saint-Priest... 362
14. — M.deSaint-FlorentinaM.deBonrepos.procureurgénéral. 363
15. — M. de Saint-Priest au chancelier de Lamoignon 364
16. — Le président de Senaux à M. de Saint-Florentin 365
17. — Le Capitoul David a M, de Saint-Florentin 366
18. — Le président du Puget au même 367
19. ■- • M. de Saint-Florentiu au président du Puget 368
îO. — Le même au Capitoul David 369
21. — Le môme au président de Senaux 360
«2. — Le Capitoul David à M. de Saint-Florentin 369
28. — Le président du Puget au même. ?71
TABLE 521
Psges
li. — M. de Saint-Florentin à M. de Bonvepos 372
'25. — Le même au même 373
2(j. _ Voltaire a M. de Saint- l'iorentin 374
27. — M. de Saint-Florentin à M. de Saint-Priest 375
■28. — - Le même à M. de Laverdy, contrôleur général 375
Lettres de la sœur Anue-Julie Fraisse.
Avertissement.
381
Lettres 385
Notes*
I. — Verbal de David de Beaudrigue 457
II. — Archives du Capitole 459
m. — Un brief intendit 461
IV. — Délibération et sentence des Capitouls 463
V. — De la Torture 465
VI. — Placet des Demoiselles Calas, par La Beaumelle 468
Vil, — Lettre de M"»» Calas à Voltaire 471
VIII. — Lettre de Lavaysse au même 472
IX, — Lettre de M-^^ Galas a La Beaumelle 472
X. — Pièces relatives au premier mariage de J.-J. Duvoisin. 474
XI. — Pièces relatives au second mariage du même 476
XII. — Acte de sépulture de M'"« Calas 479
XIII. — Le docteur Sol 480
XIV. — Mademoiselle de Nautonnier 482
XV. - Alexandre Duvoisin-Calas 484
XVI. — M* Carrière 486
Bibliographie
I. — Avant le supplice de Jean Calas
II. — Du supplice de Calas à l'édit du Conseil 494
m. — De l'édit du Conseil U la fin du dix-huitième siècle. . 497
IV. — Pièces de vei-s 501
V. — Théâtre 802
VI. — Dix-neuvième siècle 504
VII. — Angleterre «06
TABLE
l'.iges
VI I f . — Aileinagnc 507
IX. — Hollande KOS
X. — Estampes , 509
XI. — Journaux et Recueils divers 514
XII. — Desiderata .' 515
FIN
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Princeton Theoloqical Seminary-Speer
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