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Full text of "Jean Calas et sa famille : étude historique d'après les documents originaux, suivie des dépêches du comte de Saint-Florentin, ministre secrétaire d'État et d'autres fonctionnaires publics et des lettres de la Soeur A.-J. Fraisse, de La Visitation, à mademoiselle Anne Calas"

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-3.2-1.50 


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BX  9459  .C3  C56 
Coquerel,  Athanase,  1820- 

1875. 
Jean  Calas  et  sa  famille 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

Universityof  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/jeancalasetsaf1858coqu 


lîAN    CALAS 


ET   SA  FAMILLE 


DE    SDYE   1:T    BOUCHET,    nil'KI.MEUJiS 

2,    PLACE    1>U    l'ANTIlKOX. 


■^  '        MAR    7   191 

ET  SA  FAMILLE 

ÉTUDE   HISTORIQUE    D'APRÈS   LES  DOCUMENTS  ORIGINAUX 


JEAN  CALA»^^,, 


SUIVIE 

DES    DÉPÊCHES 

DU    C*''   DE  SAINT-FLORENTIN,  MINISTRE  SECRÉTAIRE  d'ÉTÂT 

ET  d'autres  fonctionnaires  PUBr,ICS, 

ET     DES    LETTRES 

de    la  soeur  A.-J.    FRAISSE,   de    la   VISITATION, 

A    MADEMOISELLE    ANNE    CALAS 


V 
ATHANASE  COQUKREL   FILS 

PASTEUR     SlFFRiGAiNT     DE      I/ÉGI.ISE     IIÉFORMÉE     DE      PARIS 


PARIS 


JOËL    GHEllBULIEZ,    EDITEUU 

10,    KL'E    DE   LA    MONNAIE,      10 

A    GENEVE,     MÊME    MAISON 


1858 


L'auteur  se  réserve  tous  droits  de  traduction  et  de  reproduction. 


PRKFAC 


On  peut  se  demander  s'il  est  nécessaire,  s'il  est  h 
propos,  de  revenir,  après  on  siècle  presque  révolu,  sur 
le  procès  de  Jean  Galas,  un  obscur  marchand  de  Tou- 
louse? Son  crime  ou  son  innocence,  l'erreur  judiciaire  ou 
le  juste  arrêt  qui  l'envoya  à  F échafaud,  n'est-ce  pas 
un  de  ces  faits  isolés,  une  de  ces  questions  toutes  par- 
ticulières qui  peuvent  occuper  quelques  jours  l'atten- 
tion du  public,  mais  auxquelles  le  temps  ne  laisse  guère 
qu'un  intérêt  très-secondaire  et  de  pure  curiosité  ? 

Et  si,  au  contraire,  ce  condamné  a  encore  des  cham- 
pions dévoués  et  des  adversaires  ardents;  si,  de  part  et 
d'autre,  on  se  passionne,  aujourd'hui  même,  à  ce  dou- 
loureux sujet,  n'y  a-t-il  pas  un  tort  et  peut-être  un 
danger  à  évoquer  sans  nécessité  des  souvenirs  encore 
brûlants  ? 

Quant  à  la  première  de  ces  questions,  les  faits  ré- 
pondent. Nous  aurons  à  juger  plusieurs  publications  tout 
à  fait  récentes ,  destinées  à  prouver  le  crime  de  Ca- 
las et  nous  croyons  savoir  que  d'autres  encore  se  pré- 
parent. L'opinion  publique,  sous  l'influence  de  la  réac- 
tion ultra-catholique  de  notre  temps,  se  prononce  de 
plus  en  plus  pour  les  juges  et  contre  la   victime.  A 


VI  PRÉFACE 

Toulouse/j  des  passions  locales  n'ont  jamais  cessé  de 
donner  à  ce  débat,  sans  cesse  repris,  un  caractère 
d'amertume.  A  Paris,  les  journaux  V  Univers  et  le  Cor- 
respondant se  sont  empressés  de  communiquer  k  leurs 
lecteurs  la  nouvelle  justification  des  arrêts  du  Parlement 
et  des  Capitouls. 

On  va  jusqu'à  prétendre  que  le  rôle  de  Voltaire  dans 
ce  procès  dont  il  a  fait  l'entretien  de  l'Europe  entière, 
bien  loin  d'être  glorieux  pour  lui ,  n'est  qu'un  exem- 
ple de  sa  légèreté  et  de  sa  mauvaise  foi,  et  ne  vaut  pas 
mieux  que  ses  sarcasmes  contre  le  christianisme  ou  ses 
écrits  licencieux. 

De  ces  attaques  nombreuses  et  réitérées,  il  est  ré- 
sulté une  impression  générale  d'incertitude.  Pour  bien 
des  esprits,  la  question  est  devenue  douteuse  et  elle 
exige  un  plus  ample  informé. 

Il  nous  paraît  convenable  de  répondre  à  ce  désir, 
et  le  moment  est  propice.  Evidemment  on  a  repris  inté- 
rêt à  ce  procès;  les  écrits  que  nous  citerons  le  prou- 
vent. 11  existe  d'ailleurs ,  sur  cette  affaire  et  sur  les 
hommes  qu'elle  met  en  scène,  des  renseignements  iné- 
dits, importants  etnombreux,  dont  l'usage,  indiscret  jus- 
qu'à nos  jours,  n'a  plus  d'inconvénients.  Quelques-unes 
de  ces  pièces  se  trouvaient  entre  mes  mains,  et  j'ai  été 
amené  peu  à  peu  à  en  réunir  d'autres.  J'ai  voulu  ne 
laisser  échapper  aucun  rayon  de  lumière  et  ne  rien  dire 
que  sur  preuves  authentiques.  Je  crois  donc  devoir,avant 
tout,  rendre  un  compte  précis  des  sources  où  j'ai  puisé 
et  des  garanties  de  suffisante  information  que  peut  offrir 
ce  travail. 

C'est  de  la  famille  même  du  condamné  qu'étaient  ve- 
nus jusqu'à  moi  les  premiers  documents.  La  plus  jeune 
des  filles  de  Jean  Galas  est  morte  à  Paris  sous  la  Res- 
tauration, veuve  du  pasteur  Duvoisin,  chapelain  de  l'Am- 
bassade de  Hollande  à  Paris. 


PREFACE  VII 

Elle  avait  remis  ses  papiers  de  famille  au  dernier  suc- 
cesseur de  son  mari,  M.  Marron,  qui  était  devenu  pasteur 
de  l'Eglise  réformée  de  Paris  quand  le  culte  protestant 
fut -réorganisé  par  le  premier  consul.  M.  Marron  laissa 
ces  documents  à  mon  oncle  Charles  Goquerel,  auteur  de 
V Histoire  des  Eglises  du  Désert,  où  le  malheur  des  Calas 
est  raconté.  C'est  de  lui-même  que  je  les  tiens,  et  il  m'a 
plus  d'une  fois  recommandé  défaire  paraître  les  Lettres 
adressées  par  la  Sœur  A.-J.  Fraisse  à  i/'"*'  Duvoisin, 
si  jamais  ce  grand  procès,  considéré  longtemps  comme 
définitivement  jugé  et  gagné,  occupait  de  nouveau  l'at- 
tention. Peu  de  semaines  avant  sa  mort,  en  m'indiquant 
ses  dernières  volontés  au  sujet  des  papiers  qu'il  me 
léguait,  il  me  fit  promettre  de  publier  un  jour  cette 
correspondance. 

Quand  je  vis  reparaître,  il  y  atrois  ans,  le  nom  de  Ca- 
las dans  des  brochures  et  des  journaux  hostiles  à  sa  mé- 
moire, je  compris  que  le  moment  venait  de  payer  cette 
dette,  sacrée  pour  moi.  Je  croyais  m'en  acquitter  en  me 
faisant  simplement  l'éditeur  des  Lettres  de  la  religieuse. 
J'étais  vivement  exhorté  à  les  publier  par  un  ou  deux 
excellents  juges  qui  les  avaient  lues  et  qui  se  trouvaient 
sous  le  charme  de  cette  parole  à  la  fois  naïve,  touchante 
et  spirituelle,  de  ces  sentiments  pieux,  si  équitables  et 
si  élevés.  Je  pensais  qu'il  suffirait  de  mettre  une  courte 
notice  en  tête  de  cette  correspondance  et  je  m'occupai 
d'en  réunir  les  matériaux. 

Ce  fut  alors  que  je  découvris,  à  ma  grande  surprise,  que 
la  question  avait  été  débattue  plus  récemment  que  je  ne 
le  savais  et  presque  toujours  dans  un  sens  hostile  aux 
Calas.  Je  rencontrai  des  assertions  étranges  à  contrôler, 
des  calomnies  à  confondre,  des  méprises  funestes  à  dé- 
mêler. 

Je  ne  crains  nullement  d'avouer  qu'en  lisant  des  ré- 
cits inexacts,  de  maladroites  défenses, il  y  eutunmoment 


VIII  PUE  FA  CE 

OÙ  moi-même  j'hésitai,  où  je  sentis  que  ma  conviction 
manquait  de  base.  Dès  lors,  je  n'avais  qu'un  parti  à 
prendre,  celui  de  l'examen  le  plus  sérieux  et  le  plus 
détaillé.  Quel  qu'en  fût  le  résultat,  j'aurais  cru  devoir 
publier  les  lettres  de  la  sœur  Anne-Julie,  comme  un 
exemple  édifiant  de  tolérance  et  d'impartialité,  comme 
une  œuvre  touchante  et  digne  d'être  conservée.  Déplus, 
il  y  avait,  en  tout  cas,  à  signaler  l'extrême  ignorance  des 
juges  de  Toulouse, imaginant  de  bonne  foi  que  le  meur- 
tre des  enfants  par  leurs  pères,  pour  cause  de  conversion 
au  catholicisme,  était  recommandé  et  pratiqué  parmi 
les  protestants.  Quant  aux  Galas,  pour  peu  que  leur  in- 
nocence m'eût  paru  douteuse,  le  rôle  de  leur  défenseur 
ne  me  convenait  en  rien. 

Il  fallut  donc  essayer  celui  de  juge  d'instruction,  ou 
plutôt  de  simple  narrateur,  et  je  ne  l'eus  pas  longtemps 
entrepris  que  je  vis  clairement  combien  les  modernes  ac- 
cusateurs avaient  méconnu  ou  altéré  les  faits  les  mieux 
prouvés.  D'un  autre  côté,  il  faut  bien  le  reconnaître,  les 
défenseurs  de  Galas  ont  souvent  mal  servi  sa  mémoire; 
la  plupart  des  écrits  qui  le  réhabilitent  sont  entachés  de 
partialité;  ceux  de  Voltaire  pèchent  quelquefois  par 
la  légèreté,  et  les  Mémoires  des  trois  avocats  de  Paris 
par  la  déclamation;  les  livres  de  Gourt  de  Gebelin,  de 
d'Aldeguier  et  autres  sont  rarement  exempts  de  passion, 
et  l'on  regrette  chez  presque  tous  le  manque  de  précision, 
d'exactitude  et  de  critique. 

Au  milieu  de  ce  chaos,  où  se  choquaient  pêle-mêle  une 
centaine  d'écrits  pour  ou  contre,  il  y  avait  un  seul  parti 
cl  prendre:  ne  consulter  les  auteurs  modernes,  les  avo- 
cats et  Voltaire  le  premier,  qu'à  litre  de  renseignements, 
lire  les  pièces  originales  et  ne  juger  que  sur  des  témoi- 
gnages contemporains,  solidement  établis. 

Dès  lors,  c'est  aux  Archives  Impériales  qu'il  fallait 
surtout  recourir.  Il  s'y  trouve  des  documents  de  ti-ois 


ordres  différents  et  d'une  importance  décisive.  C'est 
d'abord  le  procès,  qui  n'existe  tout  entier  cpie  Ik  (1). 
Lorsque  le  Grand  Conseil  cassa  les  sentences  rendues  à 
Toulouse  en  première  instance  par  les  Capitouls,  et  en 
appel  par  le  Parlement,  i'  ordonna  nue  des  copies  cer- 
tifiées de  tonte  la  procédure  seraient  envoyées  aux  nou- 
veaux juges.  Malgré  la  mauvaise  grâce  et  les  délais  con- 
sidérables qu'y  mit  le  Parlement,  il  finit  par  obéir,  et  tous 
ces  documents,  vérifiés  sous  ses  yeux,  furent  transmis 
par  lui-même  au  tribunal  des  Maîtres  des  Requêtes.  On 
y  joignit  plus  tard  les  pièces  non  moins  importantes  que 
produisirentles  Calas  pour  obtenir  la  sentence  du  Conseil 
et  enfin  tous  les  actes  de  la  dernière  information,  faite  k 
Paris  par  Dupleix  de  Bacquencourt. 

Il  était  nécessaire,  une  fois  familiarisé  avec  toute  cette 
procédure,  d'aller  h  Toulouse  pour  pouvoir  comparer 
avec  la  collection  Parisienne  celle  qu'on  y  garde  dans 
les  archives  du  Palais-de- Justice.  Elle  *se  compose  des 
originaux,  tandis  que  celle  de  Paris  ne  contient  que  des 
copies,  mais  certifiées  parles  mêmes  autorités.  D'un  autre 
côté,  elle  est  beaucoup  moins  complète,  et  cela  sous  un 
double  rapport.  La  collection  de  la  procédure  toulousaine 
a  été  longtemps  égarée  à  l'époque  de  la  Révolution,  et 
quelques  feuilles  n'ont  pas  été  retrouvées  ou  se  sont 
perdues  plus  tard  (2).  De  plus,  elle  ne  comprend  natu- 
rellement que  la  double  information  des  Capitouls  et  du 

(1)  Scclioii  judiciiiire  8.  2009 

(2)  Il  y  a  cependant  à  Toulor.se  quelques  pièces  accessoires  qu'on 
ne  possède  pas  à  Paris  et  dont  je  me  «uis  empressé  de  prendre  con- 
naissance. Ce  sont  :  la  Consultation  demandée  par  le  Procureur  du  Roi 
Charles  Lagane  à  un  théologien  de  l'ordre  de  Saint-Dominique,  le 
Père  Bougis,  (voir  p.  170);  trois  arrêtés  rendus  contre  le  procureur 
Duroux  fils,  et  un  autre,  prononcé  dans  l'affaire  de  l'assesseur  Monyer 
(p.  13  1);  enfin  un  arrêt  très-long  et  Irès-circonslancié  qui  établit, 
après  le  supplice  de  Calas,  les  droits  des  créanciers  de  sa  succession; 
el  quelques  autres  documenls  sur  ce  règlement  d'intérêts. 


X  PREFACE 

Parlement  ;  celle  de  Paris  seule  a  pu  se  grossir  des  pièces 
du  troisième  et  du  quatrième  procès  devant  le  Grand 
Conseil  et  devant  les  Maîtres  des  Requêtes.  Or,  nous 
montrerons  que  devant  les  deux  tribunaux  de  Toulouse 
le  procès  fat  conduit  de  telle  sorte  qu'il  ne  parvint  à 
eux  que  des  témoignages  tous  défavorables  (sauf  un  seul), 
et  que  les  dépositions,  les  arguments,  les  faits  justifica- 
tifs, tout  ce  qui  pouvait  servir  les  accusés  ne  parut  que 
devant  les  juges  de  Versailles  et  de  Paris.  Aussi  n'y  a-t-il 
rien  d'étonnant  h  ce  que  la  plupart  des  personnes  qui 
ont  vu  seulement  les  pièces  toulousaines  croient  les 
Calas  coupables  ;  si  ces  mêmes  personnes  lisaient  les 
documents  moins  volumineux  et  tout  différents  des, 
deux  dernières  instructions,  elles  porteraient  peut-être 
un  jugement  tout  opposé.  Il  n'appartient  qu'à  des  esprits 
éminents  et  très-exercés,  comme  l'ancien  Procureur- 
Général  de  Toulouse,  aujourd'hui  conseiller  à  la  Gourde 
Cassation,  M.  P^ougoulm,  de  découvrir,  dans  les  pièces 
mêmes  sur  lesquelles  Calas  a  été  condamné  à  Toulouse, 
la  pleine  certitude  de  son  innocence. 

Une  seconde  série  de  renseignements  d'une  haute 
valeur  se  trouve  à  Paris  aux  Archives  Impériales  ;  ce  sont 
les  minutes  des  dépêches  dictées  de  1761  à  1766  par  le 
comtede  Saint-Florentin,  secrétaire  d'Etat  (1).  Nous  don- 
nons, à  la  suite  de  notre  travail,  un  choix  de  ses  lettres, 
et  nous  en  citerons  beaucoup  d'autres,  soit  dans  le  cours 
même  de  notre  discussion,  soit  dans  les  notes  placées  k 
la  fin  du  volume.  On  y  verra  que  ce  ministre  dirigea 
secrètement  et  approuva  tout  ce  qui  eut  lieu. 

Nous  publions  en  même  temps  plusieurs  lettres  adres- 
sées de  Toulouse  à  M.  de  Saint-Florentin  par  les  juges 
de  Calas  ou  par  d'autres  personnages  influents  de  l'épo- 
que, et  qui  se  trouvent  dans  une  autre  section  de  ces 

(1)  Dépôches  du  Secrétaridl  (série  E.  85'22  cl  suiv.) 


PRÉFACE  XI 

raêmesArchives(l). Placées  ainsi  en  regard  les  unes  des 
autres,  les  nouvelles  que  reçoit  le  ministre  et  les  instruc- 
tions qu'il  donne  s'éclairent  mutuellement  d'une  vive 
lumière  et  fournissent  de  précieux  éléments  au  juge- 
ment qu'il  s'agit  d'établir. 

Ces  quatre  séries  officielles,  dont  trois  à  Paris  et  une 
à  Toulouse,  sont  complétées  par  une  suite  de  douze 
pièces  qui  émanent  de  M.  de  Saint-Priest,  intendant 
du  Languedoc,  en  résidence  à  Montpellier.  J'en  dois 
la  communication  à  M.  Benoît,  professeur  à  la  Faculté 
de  médecine,  qui  a  eu  l'extrême  obligeance  de  répondre 
à  ma  demande  en  copiant  lui-même  ces  dépêches  sur  les 
originaux,  avec  une  exactitude  rigoureuse  jusqu'à,  en 
respecter  l'orthographe  vieillie.  C'est,  du  reste,  une  ga- 
rantie de  précision  et  de  correction  que  nous  avons  tenu 
à  donner  partout  où  nous  avons  pu  (2). 

J'ai  reçu  de  mon  ami  M.  Charles  Read  divers  docu- 
ments recueillis  par  la  Société  d'Histoire  du  Protestan- 
tisme français  et  d'autres  qu'il  a  rassemblés  lui-même. 
Je  citerai  parmi  les  premiers  quelques  lettres  inédites, 
provenant  de  l'ancienne  collection  Lajariette  k  Nantes, 
et  copiées  dans  cette  ville  par  M.  le  pasteur  Vaurigaud; 
parmi  les  derniers,  plusieurs  actes  de  l'état  civil  relevés 
par  M.  Read,  à  l'Hôtel-de- Ville  de  Paris,  sur  les  regis- 
tres de  la  chapelle  de  l'ambassadeur  de  Hollande  et 
ceux  du  cimetière  des  protestants  avant  la  Révolution. 

Après  les  dépôts  publics ,  il  fallait  consulter  les  pa- 
piers de  famille.  Avec  les  Calas  un  jeune  homme,  Gau- 
l3ert  Lavaysse,  avait  été  impliqué  dans  ce  terrible  pro- 
cès, du  13  octobre  1761  au  9  mars  1765.  Une  de  ses 
sœurs,  qui  épousa  l'écrivain  La  Beaumelle,  avait  réuni 

(i)  Section  historique  I8i8.  Dossier  de  19  pièces. 
(2)  Archives  de  hi  Préfecture  de  l'Hérault,  (Liasse  série  G,  n^  2  7  9, 
Dossier:  Affaire  Calas,) 


XII  PRÉFACE 

en  trois  volumes  iii-8°  une  coUection  très-intéressante 
de  pièces  relatives  à  cette  alTaire,  contenant  des  mé- 
moires imprimés,  des  lettres  inédites,  des  articles  de 
journaux  copiés  par  elle  et  jusqu'aux  épigrammes,  aux 
petits  vers  de  l'époque.  Un  pareil  recueil,  employé  avec 
discrétion  et  critique,  était  un  trésor  inappréciable.  Ces 
volumes  étaient  au  château  de  Lavelanet  (Haute-Ga- 
ronne) en  la  possession  de  M'"^Gleizes,  néedeCallarelli, 
petite-nièce  deGaubert  Lavaysse  et  de  M*"''  de  La  Beau- 
melle.  Malgré  les  scrupules  et  l'hésitation  bien  natu- 
relle qu'éprouvait  M'"''  Gleizes  à  se  séparer  de  ces  pré- 
cieux volumes,  elle  m'a  fait  l'honneur  de  me  les  en- 
voyer à  Paris  et  de  les  laisser  longtemps  entre  mes 
mains.  Je  ne  puis  trop  lui  en  témoigner  ici  ma  respec- 
tueuse gratitude. 

La  Beaumelle  prit  une  part  active  k  la  défense  de  la 
famille  accusée.  Il  s'était  même  procuré  une  copie  léga- 
lisée de  la  plupart  des  actes  de  la  procédure  toulou- 
saine. Un  autre  membre  de  sa  famille,  son  neveu,  M.  Mau- 
rice Angliviel,  ancien  bibliothécaire  au  dépôt  de  la  Ma- 
rine, héritier  de  tous  ses  manuscrits ,  a  bien  voulu  me 
les  faire  connaître  et  me  fournir,  en  outre,  nombre  de 
renseignements  utiles. 

M.  Léonce  Destremx,  arrière-neveu  de  Gazeing,  qui 
partagea  un  moment  la  captivité  des  Calas ,  a  retrouvé 
au  château  de  Saint-Christol  trois  lettres  de  M"""  Calas 
et  de  sa  fdle  Nanette,  qu'il  a  bien  voulu  m'envoyer.  Je 
dois  également  à  M.  Charles  Meynier,  de  Nîmes,  deux 

lettres  de  Jean  Calas. 

». 

A  la  Bibliothèque  du  Louvre,  j'ai  reçu  les  plus  gra- 
cieux encouragements  de  M.  Barbier,  qui  porte  avec  dis- 
tinction un  nom  illustré  par  son  père  dans  la  science  bi- 
bliographique et  qui  m'a  initié,  non-seulement  aux 
richesses  du  dépôt  public :qui  lui  est  conhé,  mais  encore 
à  d'autres  qui  lui  appartiemienl  en  propre.  La  bibliolhè- 


PRliFACE  .  XI  !I 

que  considérable  et  toute  spéciale  réunie  par  M.  Beuchoî, 
son  beau-père,  et  qui  lui  a  servi  pour  son  édition  de 
Voltaire,  m'a  été  ouverte,  ainsi  que  les  notes  manuscrites 
qu'il  a  laissées.  J'y  ai  trouvé,  soit  en  indications,  soit  en 
livres,  des  ressources  que  j'avais  cherchées  vainement 
partout  ailleurs. 

Il  ne  suffisait  pas  d'explorer  les  diverses  Bibliothèques 
de  Paris;  j'ai  visité  en  1850  celle  de  Genève,  dont  le 
directeur,  feu  M.  Privât,  était  d'une  famille  alliée  à  celle 
des  Calas  et  s'est  empressé  de  faciliter  et  d'éclairer  mes 
recherches.  Plus  tard  M.  Gaberel,  ancien  pasteur,  au- 
teur d'une  Histoire  de  V Eglise  de  Genève^  d'un  ouvrage 
intitulé  Voltaire  et  les  Genevois,  etc. ,  a  pris  la  peine  de 
copier  dans  le  dépôt  de  l'Etat  civil,  quelques  rensei- 
gnements qui  m'étaient  nécessaires. 

J'ai  trouvé  aussi  à  Londres,  dans  le  Briiish  Muséum, 
quelques  notes  utiles. 

Mais  nulle  part  à  l'étranger  je  n'ai  reçu  autant  de  se- 
cours qu'en  Hollande,  où  un  ancien  et  vénérable  ami  de 
ma  famille,  M.  L.  G.  Luzac,  Curateur  de  V Université 
de  Leyde  et  ancien  ministre  de  l'instruction  publique, 
a  bien  voulu  mettre  à  contribution  pour  ce  travail  sa 
vaste  bibliothèque,  me  coîumuniquer  deux  lettres  inédi- 
tes de  Voltaire,  ainsi  que  d'autres  pièces  tirées  de  sa  ri- 
che collection  d'autographes,  et  enfin  faire  prendre  à  la 
Haye  des  informations  et  des  copies  dans  les  Archives 
de  l'État. 

On  peut  juger,  d'après  ces  détails,  qu'il  n'aurait  pas 
été  difficile  de  publier  tout  un  volume  de  documents 
sur  les  Calas  et  leur  procès.  J'ai  cru  que  cette  surabon- 
dance de  preuves  nuirait  à  leur  cause  et  que  ma  tache 
devait  être  d'éviter  au  lecteur  le  travail  et  les  longueurs 
d'un  examen  si  minutieux,  en  le  faisant  d'avance,  et  en 
mettant  au  jour,  avec  le  résultat  de  ces  investigations, 
l'élite  des  pièces  justificatives. 


XIV  ^  PRÉFACE 

J'ai  cru  devoir  aussi  dresser  sous  le  titre  de  Bibliographie 
la  liste  la  plus  complète  qu'il  m'a  été  possible,  des  im- 
primésquiont  paru  en  diverses  langues  sur  l'affaire  Calas. 
Cette  liste  est  plus  que  triple  de  celle  qu'a  donnée 
M.  Beuchot.  Je  ne  prétends  nullement  affuMner  qu'elle 
soit  complète,  surtout  pour  les  publications  en  langue 
allemande,  anglaise  ou  hollandaise  ;  mais  j'ose  dire  que 
je  n'ai  rien  épargné  pour  la  compléter. 

Ces  nombreux  écrits,  je  dois  le  faire  remarquer,  ou  se 
répètent  les  uns  les  autres,  ou  n'embrassent  qu'un  côté 
du  sujet.  D'autres  encore  en  font  une  véritable  lé- 
gende, embellie  partout  de  détails  fabuleux  et  semée  d'a- 
necdotes à  effet.  On  n'avait  pas  encore  essayé  de  con- 
trôler au  moyen  des  manuscrits  les  renseignements 
qu'ils  contiennent,  pour  résumer,  dans  un  récit  détaillé, 
tout  ce  qu'ils  ont  de  certain. 

Bientôt,  en  puisant  k  ces  sources  diverses,  la  parfaite 
innocence  des  Calas  et  l'erreur  déplorable  où  sont 
tombés  leurs  juges  devinrent  évidentes  pour  moi. 
C'est  aux  Archives,  parmi  les  actes  du  quadruple  procès, 
que  cette  vérité  m'est  apparue  dans  tout  son  éclat,  et 
depuis,  à  chaque  pas,  ce  travail  m'en  a  fourni  des  preu- 
ves nouvelles.  Je  me  suis  appliqué  à  en  rendre  compte 
avec  une  sincérité  absolue,  sans  m'étayer  de  ces  ar- 
guments faibles,  qui  ne  font  jamais  que  compromettre 
les  forts,  sans  taire  ce  qu'il  y  avait  à  faire  valoir  con- 
tre ma  propre  opinion,  et  en  faisant  la  part,  aussi  exacte 
que  j'ai  pu,  du  bien  et  du  mal. 

Ainsi,  l'on  a  fait  du  Capitoul  David  un  traître  de  mélo- 
drame. Je  l'ai  peint,  non  d'après  des  conjectures,  mais 
par  ses  propres  lettres,  par  celles  du  ministre  son  ins- 
tigateur, son  complice  et  plus  tard  son  juge.  Louis  Calas 
a  été  représenté  par  Court  de  Gebelin  et  d'autres  comme 
dénaturé  et  lâche  à  un  degré  vraiment  monstrueux.  J'ai 
fait  voir  par  les  faits,  qu'il  était  sans  cesse  flottant,  mai- 


PRÉFACE  XV 

trisé  par  ses  amis  et  surtout  cupide.  Je  n'ai  voulu  faire 
ni  de  Calas  ni  de  sa  veuve  un  type  idéal  et  accompli  ;  je 
les  donne  tels  qu'ils  se  montrent.  L'histoire,  et  surtout 
([uand  elle  est  biographique  et  individuelle,  doit  se  gar- 
der d(3  ces  enthousiasmes  mal  fondés  qui  couronnent 
un  héros  d'une  auréole  trop  sainte  pour  son  front  et  le 
transfigurent  au  lieu  de  le  peindre.  Les  protestants  ne 
doivent  canoniser  personne,  pas  même  un  martyr. 

Ce  dernier  mot  m'amène  h  dire  à  quel  point  de  vue 
religieux  je  me  suis  placé.  Il  est  essentiel  de  le  déclarer. 
On  aurait  tort  de  chercher  ici,  ou  d'y  redouter,  ni  un 
plaidoyer  ni  un  pamphlet,  pour  ou  contre  le  catholicisme, 
pour  ou  contre  Voltaire  ou  l'Église  réformée  de  France. 
C'est  un  simple  chapitre  d'histoire,  et  rien  de  plus.  Il 
est  vrai  que  dans  cette  histoire  l'Église  romaine,  celle 
du  Désert  et  l'école  de  Voltaire,  sont  toutes  trois  en  ac- 
tion. J'ai  rendu  justice  à  chacune  selon  mes  lumières, 
et  avec  une  intention  d'équité  très-sérieuse  et  très-sou- 
tenue. 

J'ai  blâmé  sans  hésiter  les  préventions  populaires  des 
catholiques  de  Toulouse,  leur  étrange  ignorance  au  su- 
jet des  protestants,  l'intervention  de  l'Église,  de  ses  ri- 
tes et  de  ses  corporations  dans  un  procès  où  la  religion 
avait  trop  de  part.  Mais  quand  j'ai  rencontré  sur  mon 
chemin  la  vénérable  et  touchante  figure  de  la  vieille  Vi- 
sitandine,  c'est  avec  respect  et  sympathie  que  j'ai  fait 
connaître- ses  sentiments  si  élevés,  ses  actes  si  délicats; 
la  reconnaissant,  malgré  son  caractère  conventuel  que 
je  suis  Irès-loin  d'aimer,  comme  une  bonne  chrétienne, 
marquée  du  double  sceau  de  la  vraie  charité  et  d'une 
piété  sincère. Et  en  disant  ces  choses  comme  je  les  sens, 
chaleureusement  et  avec  franchise,  je  n'ai  nulleintention 
de  faire  l'éloge  ni  même  l'apologie  des  couvents;  je  rem- 
plis simplement  le  devoir  d'un  honnête  homme  en  pré- 
sence de  ce  qui  est  moralement  bon  et  beau. 


XVI  PKI:  FACE 

Quant  à  Voltaire,  ai-je  besoin  de  dire  que  l'éclat  pro- 
digieux de  ses  talents  ne  voile  en  rien  à  mes  yeux  ce 
qu'il  y  eut  de  coupable  dans  la  légèreté  ignorante,  la 
mauvaise  foi,  le  cynisme  impie  avec  lesquels  il  a  parlé 
des  choses  les  plus  saintes  et  outragé  à  plaisir  toute  foi 
et  toute  pudeur?  Personne  ne  déplore  plus  que  moi  l'é- 
ternelle confusion  que  faisait  sans  cesse  cet  ancien  élève 
des  Jésuites,  entre  des  abus  détestables  qu'il  avait  mille 
fois  raison  de  dénoncer,  decombattre  à  outrance,  et  les 
vérités  religieuses  ou  morales  qu'il  enveloppait  dans  les 
mêmes  dérisions.  Il  est  le  plus  coupable  de  ces  grands 
écrivains  français  qui  ont  abusé  de  l'esprit  pour  tout  rail- 
ler, tout  flétrir;  sous  ce  rapport,  le  mal  qu'il  a  fait  à  la 
France  est  incalculable.  Mais  quelque  énormes  que 
soient  ses  torts  (et  je  les  tiens  pour  tels) ,  je  dois  dire  bien 
haut,  que  ses  efforts  infatigables  en  faveur  de  la  famille 
Calas,  sans  lesquels  l'heure  de  la  réhabilitation  n'aurait 
jamais  sonné  pour  eux,  furent  un  exemple  admirable  de 
dévouement  à  l'humanité,  à  la  tolérance  et  à  la  justice. 
C'est  par  de  pareils  actes  de  gouvernement  moral  qu'on 
fait  avancer  le  monde,  et  au  milieu  de  ses  chefs-d'œuvre, 
il  a  eu  raison  de  dire  en  songeant  aux  Calas  et  h  d'autres  : 

J'ai  fait  un  peu  de  bien  ;    c'est  mon  meilleur  ouvrage. 

Voltaire  a  régné  sur  son  siècle,  et  souvent  pour  le 
pervertir;  mais  quand  il  s'est  servi  de  son  immense 
pouvoir  pour  propager  de  grands  et  immortels  prin- 
cipes, qui  lui  venaient,  à  son  insu,  de  l'Évangile;  quand, 
non  content  de  les  avoir  proclamés,  il  les  a  pratiqués 
lui-même  et  les  a  fait  pratiquer  autour  et  au-dessus  de 
lui,  une  profonde  reconnaissance  lui  est  due.  La  lui  re- 
fuser serait  à  mes  yeux  une  preuve  d'étroitesse  ingrate 
et  inique. 

Si  j'aime  les  luimbles  vertus  de  la  religieuse,  si  je  loue 
le  zèle  humain  de  l'incrédule,  je  n'ai  pas  moins  le  droit 


PKÉFACE  XVII 

de  faire  admirer  chez  Galas  un  héroïsme  dont  la  simplicilô 
iicdoil  pas  faire  méconnaître  lagrandeur  ;  chez  sa  veuve,  la 
fermeié  d'àme  des  matrones  antiques,  profondément  péné- 
trée et  attendrie  par  la  loi  chrétienne;  chez  Paul  Rabaut  et 
dans  la  part  hardie  qu'il  prit  à  cette  tragique  histoire,  l'in- 
trépide dévouement  d'un  champion  de  l'Évangile  qui,  sous 
le  coup  d'une  condamnation  à  mort,  continue  cinquante 
ans,  sans  orgueil  ni  faiblesse,  son  périlleux  ministère,  ne 
s'irrite  jamais  contre  ses  persécuteurs,  et  n'a  qu'un  seul 
jour  de  colère  dans  sa  vie,  celui  oii  l'Église  qu'il  sert  est 
accusée  d'un  fanatisme  atroce  et  dénaturé.  Sous  l'ignoble 
règne  de  Louis  XV,  de  pareils  hommes  sont  l'honneur  de 
leur  pays,  en  même  temps  que  la  gloire  de  leur  commu- 
nion. Héritier  de  leur  foi,  j'ai  été  heureux  de  leur  ren- 
dre hommage;  mais  j'ai  résisté  à  l'entraînement  de  mon 
admiration. 

En  résumé,  j'ai  cherché  dans  ce  livre  k  traiter  cha- 
cun selon  ce  qui  lui  est  dû,  avec  une  justice  qui  a  pu 
quelquefois  être  sévère,  mais  qui  n'est  jamais  malveil- 
lante. La  règle  de  mon  travail  a  ét.^'  cette  maxime  excel- 
lente, citée  souvent  et  rarement  pratiquée  :  Suum  cuique. 

A  TH.  Cf. 


INTRODUCTION 


INTRODUCTION 


COUP    D'ŒIL 


L'HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  TOULOUSE  ^'^ 


Non  alibi  in  hœreses  armnntiir  severiùs  bges...  qua 
fit  ut  una  inter  Galliœ  urbes  immunis  sit  hœreticâ 
labe,  nemine  in  eivem  admisso  cujus  inspecta  sit  apoS' 
tolica  fides, 

G.  B.  de  Gramond, 
Premier  Président  au  Parlement  de  Toulouse. 
(Hist.  Galliœ.  lib.  30.  —  1G43.) 

Nulle  part  les  lois  ne  sont  années  de  plus  de  ri- 
gueur contre  l'iie're'sie  ;  d'où  résulte  que,  seule  entre 
les  villes  de  France,  Toulouse  est  pure  delà  souillure 
hérétique,  nul  n'y  étant  admis  à  la  bourgeoisie  si  sa 
foi  catholique  est  suspecte. 


Dans  La  dernière  moitié  du  dix-huitième  siècle ,  il  n'y 
a  pas  encore  cent  ans  accomplis,  la  population  presque 
entière  d'une  grande  ville  de  France  et  ses  magistrats  de 
tout  ordre,  ont  été  convaincus  que  Jean  Galas  avait  étran- 
glé un  de  ses  fils  pour  Tempêcher  d'entrer  dans  l'Eglise 

(i)  I.  Annales  (inédiles)  des  Capitouls  (Aux  archives  de  l:i 
ville).  —  II,  Histoire  de  rigilance,  esclave,   prêtre  et  réformateur 

1 


2  COUP  D  OEIL 

Romaine,  et  qu'en  commettant  ce  crime  atroce,  il  n'a- 
vait fait  qu'obéir  à  une  loi  établie  parmi  les  protestants, 
ouvertement  promulguée  par  Calvin  dans  son  Institution 
Chrétienne,  et  régulièrement  observée  au  sein  de  l'Eglise 
Réformée.  Galas  est  mort  victime  de  cette  monstrueuse 
erreur,  qui,  chez  presque  tous,  était  sincère  et  qui 
non-seulement  fut  admise,  publiée,  afifichée,  plaidée, 
prêchée,  accueillie  à  cette  époque  par  les  tribunaux  et 
par  le  Parlement  lui-même,  mais  qui,  aujourd'hui  encore, 
est  considérée  à  Toulouse  comme  une  vérité  par  un  grand 
nombre  de  personnes  de  toutes  les  classes  et  vient  d'être 
soutenue  de  nouveau  par  plusieurs  écrivains    (1). 

Nous  ne  croyons  nullement  avoir  à  réfuter  une  opi- 
nion si  absurde  et  qui  suppose  une  si  profonde  igno- 
rance de  l'histoire  ;  mais  il  nous  paraît  indispensable  de 
rappeler  les  principaux  antécédents  religieux  d'une  ville 
où  des  préventions  aussi  singulières  existent  encore,  et 
où  elles  ont  causé  en  d'autres  temps  les  plus  grands  mal- 
heurs. C'est,  d'ailleurs,  une  histoire  tout  exceptionnelle  que 
celle  d'une  ville  française,  contre  laquelle  trois  croisades 
ont  été  non-seulement  prêchées,  mais  exécutées,  et  qui  a 
vu  naître  dans  son  sein  les  confréries  de  pénitents  et  l'in- 
quisition elle-même.  Il  est  impossible  de  juger  l'état 
des  esprits  à  Toulouse  avant  la  Révolution   française, 

des  Fi/rénécs  an  cinquième  siècle,  par  Napoléon  Peyrat,  i  \ol.  iu- 1  2. 
—  m.  Histoire  et  Doctrine  des  Cathares  ou  Albigeois,  par  M.  Cli. 
Sclimidl,  2  vol.  8°.  —  IV.  Les  Toulousaines,  par  Court  de  Gé- 
belin,  i  vol.  in- 12.  —  V.  Histoire  de  Toulouse,  par  d'Aldeguier, 
4  vol.  8°.  —  VI.  Histoire  des  Institutions  religieuses,  j)olitiques, 
judiciaires  et  littéraires  de  la  ville  de  Toulouse,  par  le  chevalier  du 
Mège,  4  vol.  8°.  —  VII.  Histoire  du  Languedoc,  par  Dom  Claude  de 
Vie  et  Dom  Vayssette,  continuée  par  le  chevalier  du  Mège,  lO 
vol.  8°.  —  VllI.  Biograpliie  Toulousaine,  par  une  société  de  gens 
de  lettres,  2  vol.  8°. 

(i)  Voir  notre   chapitre  XIV,  Histoire  de   VOjjinian  publique   en 
France  au  sujet  des  Calas. 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  3 

d'après  les  sentiments  et  les  idées  qui  régnaient  ail- 
leurs. 

Cette  capitale  du  Languedoc  fut  de  très-bonne  heure  et 
par  excellence,  une  ville  lettrée,  spirituelle,  savante,  où 
la  pensée  était  indépendante,  la  parole  hardie,  la  chan- 
son souvent  caustique  et  incisive  (1). 

On  ne  saurait  dire  quand  a  commencé,  dans  ses  murs, 
la  lutte  des  croyances.  La  France  méridionale  a  toujours 
été  un  foyer  d'opposition  au  catholicisme,  un  champ  de 
bataille  où  l'hérésie  et  l'orthodoxie  de  Rome  n'ont  jamais 
cessé  d'être  en  présence.  L'antique  civilisation  gréco-ro- 
maine y  avait  de  profondes  mcines(2),  dont  les  derniers 
vestiges  ne  sont  pas  encore  effacés.  Quand  l'autorité  du 
clergé  catholique,  acceptée  par  la  race  germaine,  s'établit 
en  France,  elle  trouva,  dans  le  Midi,  l'esprit  public,  beau- 
coup plus  éclairé  et  plus  vivant  que  dans  le  Nord,  très- 
peu  disposé  à  subir  le  joug,  et  toujours  enclin  à  s'en 
affranchir.  Aussi,  toute  une  série  de  sectes  sans  cesse  re- 
naissantes 5^  parut  successivement. 

On  a  remarqué  que  Vigilance,  ce  prêtre  du  cinquième 
siècle  qui  peut  être  considéré  comme  le  premier  des 
Réformateurs,  et  qui  s'éleva  contre  les  honneurs  exces- 
sifs rendus  aux  saints  et  aux  reliques,  contre  le  célibat 
et  les  jeûnes,  était  né  à  Galagoris   ou  Galigurris  dans 

(i)Dans  deux  de  ses  ouvrages,  Augustin  Thierry  a  constaté  la 
prééminence  intellectuelle  où  s'était  élevée  cette  ville  dès  l'époque 
romaine  et  qu'elle  sut  augmenter  sous  les  Yisigoths  :  «  Toulouse,  avec 
ses  consuls  auxquels  on  donnait  vulgairement  le  nom  plus  ancien 
de  Capituuls,  fut  l'une  des  cités  municipales  qui  eurent  le  plus  de 
grandeur  et  d'éclat.  »  (Tableau,  de  Vancienne  France  municipale.) 

«  La  cour  des  rois  Yisigoths  à  Toulouse,  centre  de  la  politique 
de  tout  l'Occident,  intermédiaire  entre  la  Cour  impériale  elles  royau- 
mes germaniques,  égalait  en  politesse  et  surpassait  peut-être  en  di- 
gnité celle  de  Constantiuople.  »  {Lettres  sur  V Histoire  de  France,  1.  6.) 

(2)  Martial,  Ausone,  Sidoine  Apollinaire  la  désignent  comme  la 
cité  PaUadienne.  Saint  Jérôme  l'appelle  la  Rome  de  la  Garonne. 


U  COUP  d'oeil 

le  pays  de  Cominges,  près  de  Cazères  (Haute -Garonne.) 
O  crime,  s'écrie  saint  Jérôme  dans  ses  lettres  contre 
Vigilance,  des  Evêques  sont  les  complices  de  sa  scélératesse  ! 
C'est  surtout  l'Evêque  de  Toulouse,  Exsupère,  qu'il  atta- 
quait ainsi  ;  ce  fut  lui  qu'il  accusa  ailleurs  d'acquiescer 
aux  fureurs  de  ce  prêtre  dans  son  propre  diocèse  (1).  Ces 
vives  agressions,  il  faut  le  dire,  eurent  un  plein  succès. 
Exsupère  se  prononça  contre  Vigilance  et  ses  réformes  ; 
il  fut  canonisé  après  sa  mort,  et  ses  reliques,  jointes  à 
celles  de  saint  Sernin,  sont  peut-être  aujourd'hui  celles 
que  Toulouse  entoure  de  la  plus  profonde  vénération. 

Deux  siècles  plus  tard,  Sérénus,  évêque  de  Marseille, 
brisa  les  images  que  le  peuple  adorait.  Au  cinquième  et  au 
sixième  siècle,  l'Arianisme  fut  dans  l'Aquitaine,  la  religion 
dominante  et  ne  cessa  de  prévaloir  dans  la  Narbonnaise, 
même  après  la  conversion  au  catholicisme  du  roi  Réca- 
rède.  Toulouse  devint  ensuite  le  foyer  principal  de  l'héré- 
sie Cathare  ou  Manichéenne,  qui  reçut  dans  le  midi  de  la 
Franco  son  nom  géographique  d'Albigeoise.  Vers  1022,  plu- 
sieurs adeptes  de  cette  doctrine  y  furent  punis  du  dernier 
supplice  ;  ainsi  commença  cette  longue  liste  d'hérétiques 
mis  à  mort  dans  Toulouse,  qui  ne  fut  close  qu'au  bout  de 
sept  siècles  et  demi,  en  l'année  1762,  par  le  nom  de  cinq 
victimes  dont  la  dernière  fut  Jean  Calas. 

Au  douzième  siècle,  les  prédications  anti-catholiques 
de  Pierre  de  Bruis  et  de  son  disciple  Henri  eurent  un 
grand  succès  dans  le  pays  environnant,  sinon  dans  la 
ville  même,  où  prévalait  le  Catharisme,  et  fondèrent  une 
secte  qui,  sans  tomber  dans  les  erreurs  dualistes  des  Ca- 
thares, attaquait  l'Eglise  romaine  au  nom  de  la  Bible 
seule.  Saint  Bernard  a  raconté  lui-même  que,  venant 
en  11/|7  avec  le  cardinal  d'Ostie,  légat  d'Eugène  H I,  com- 
battre ces  sectes,  il  trouva  hostiles  i\  l'Eglise  un  certain 

(0  -'^^l  Riparium. 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  5 

nombre   de    seigneurs     qui   n'appartenaient  à  aucune 
d'entre  elles,  et  Alphonse,  comte  de  Toulouse,  â  leur  tête. 

Bientôt  s'organisa  dans  cette  ville  riche  et  puissante 
une  véritable  révolte  contre  Uorae  (1).  Des  bourgeois,  arri- 
vés à  l'opulence  par  le  commerce  et  l'industrie,  riva- 
lisaient avec  les  seigneurs,  étaient  poètes  comme  eux,  et 
comme  eux  se  faisaient  bâtir,  dans  l'intérieur  de  la  cité, 
des  châteaux  flanqués  de  tours.  Lorsque,  vers  1170,  naquit 
à  Lyon  l'Eglise  vaudoise,  elle  se  propagea  rapidement 
dans  le  midi  de  la  France  et  attira  ceux  que  choquait  le 
dualisme  oriental  des  Albigeois.  Déjà,  en  1163,  les  Héré- 
llques  de  Toulouse  préoccupaient  très-sérieusement  le 
concile  de  Tours.  Un  peu  plus  tard,  Pierre  Morand,  l'un 
des  principaux  bourgeois  de  la  ville,  tenait  dans  sa  mai- 
son ou  plutôt  dans  son  chàteau-fort  des  réunions  de 
culte,  et  le  peuple  enthousiaste  le  surnommait  Jean  CE- 
vangéiisle. 

En  1177,  le  comte  Raymond  V  se  déclara  pour  l'Eglise 
Uomaine  et  demanda  des  secours  contre  l'hérésie  au 
pape,  aux  rois  de  France  et  d'Angleterre.  La  lutte  s'établit 
entre  le  comte  de  Toulouse  et  le  vicomte  de  Eéziers, 
et,  en  1181,  le  cardinal  Henri,  évêque  d'Albano,  prêcha  une 
première  croisade,  non  en  Terre-Sainte,  mais  dans  l'inté- 
rieur de  la  France,  non  contre  d'infidèles  Sarrasins,  mais 
contre  des  hérétiques  français  et  chrétiens.  «Le  centre  de 
l'Église  catharedans  le  Midi  était  Toulouse,  «dit  le  dernier 


(i)  Il  suffit  de  citer,  comme  exemple  des  poésies  anti-romoines 
qu'on  cliantail  en  Languedoc,  un  Sirvente  du  troubadour  Guillaume 
de  ligueras,  cité  dans  le  Cours  de  M.  Villemain  sur  la  Littérature  du 
Moyen  Aje  (VI*  leçon).  C'est  une  longue  imprécation  en  vingt  stro- 
phes, de  douze  vers  chacune,  dont  dix-huit  commencent  par  le  mol 
Koma.  Les  fameux  sonnets  de  Pétrarque  n'offrent  ni  plus  de  violence 
dans  l'invective,  ni  une  haine  plus  méprisante,  ni  des  accusations 
plus  terribles  d'irréligion  et  d'immoralité. 

1. 


6  COUP  d'obil 

historien  de  cette  église,  M.  le  professeur  Ch.  Schmidt  de 
Strasbourg.  Le  comte  Raymond  VI  devint,  non  pas  comme 
son  père,  un  des  persécuteurs,  mais  au  contraire  un  des 
chefs  delà  secte.  En  1208,  Innocent  III fit  prêcher  la  se- 
conde croisade;  Simon  de  Montfortla  commandait,  et  bien- 
tôt Toulouse  fut  mise  en  interdit.  En  12 13,  les  prélats  assem- 
blés en  concile  à  Lavaur  écrivaient  au  Pape  :  «  Si  la  perfide 
ville  de  Toulouse  n'est  pas  retranchée  de  l'hydre  de  l'hé- 
résie dont  elle  est  le  membre  le  plus  putride,  il  est  à 
craindre  que  le  venin  du  monstre  n'infecte  de  nouveau 
les  lieux  circonvoisins  déjà  purifiés...  Nous  vous  prions 
donc  en  toute  humilité  que  cette  cité  perverse,  dont  les 
crimes  égalent  ceux  de  Sodome  et  de  Gomorrhe,  soit  radi- 
calement exterminée,  comme  elle  le  mérite  {débita  cxter- 
minio  radicibus  cjoplantctur) ,  avec  toutes  les  ordures  et  les 
souillures  qui  se  sont  accumulées  sous  le  ventre  gonflé  de 
venin  de  la  vipère.  » 

La  ville  se  rendit  en  121Zi.  Cependant  l'année  suivante, 
Philippe-Auguste  envoya  son  fils  Louis  avec  une  armée 
contre  «  les  restes  des  hérétiques  toulousains.  »  Le  pape, 
au  concile  de  Latran,  où  Raymond  VI  et  son  fils  se  pré- 
sentèrent en  personne  (1215),  donna  à  Simon  deMontfort 
leurs  fiefs,  la  ville  et  le  comté  de  Toulouse,  le  duché  de 
Narbonne,  les  vicomtes  de  Garcassonne  et  de  Béziers.  Un 
tel  acte  ne  pouvait  être  que  le  signal  d'une  nouvelle 
guerre  ;  en  1216,  Toulouse,  assiégée  et  incendiée  par  Si- 
mon, délivrée  par  Raymond  VI,  assiégée  de  nouveau,  res- 
pira un  instant  à  la  mort  de  Montfort,  qui  fut  tué  sous  ses 
murs.  Elle  se  vit  encore  assiégée  quarante-cinq  jours,  mais 
inutilement,  parle  prince  Louisqui,  plus  tard,  devenu  roi, 
fit  proclamer  à  Paris,  en  parlement,  une  troisième  croisade 
(122G).  Saint  Antoine  de  Padoue,  venu  pour  convertir 
les  hérétiques,  en  fit  brûler  un  grand  nombre;  enfin,  en 
1229,  le  comte  Raymond  VII  fit  amende  honorable  à  Notre- 
Dame  de  Paris  et  Toulouse  se  rendit. 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  7 

Ainsi  finit  la  croisade.  Elle  eut  des  résultats  politiques 
importants,  mais  manqua  son  but.  «  L'hérésie,  dit 
«  M.  Cil.  Schmidt,  subsista  dans  le  Languedoc  aussi 
«  puissante,  aussi  fortement  enracinée  dans  l'esprit  du 
«  peuple,  »  et  il  ajoute  avec  raison  que  «  l'indignation  pro- 
duite par  les  horreurs  de  la  guerre,  la  ruine  du  pays 
l'anéantissement  de  l'indépendance  nationale  et  reli- 
gieuse, la  destruction  de  la  vie  joyeuse  et  poétique 
du  Midi  et  de  ses  traditions  chevaleresques,  cette  indi- 
gnation amère  et  profonde,  communiqua  à  l'hérésie  de 
nouvelles  forces.  » 

Les  bourgeois  et  les  Capitouls,  leurs  chefs  électifs, 
restèrent  hérétiques  de  cœur. 

Nulle  part  cependant  le  catholicisme  ne  s'organisa  plus 
vigoureusement  pour  la  lutte  défensive  et  offensive.  Pen- 
dant l'époque  des  croisades,  Toulouse  avait  vu  naître  les 
confréries  de  pénitents.  Ce  fut  entre  les  années  1209  et 
1212  qu'un  intime  ami  de  saint  Dominique,  le  fameux 
troubadour  Foulques  de  Marseille,  devenu  moine,  puis 
Evêque  de  Toulouse,  créa  la  première  de  ces  associations 
qui  ne  furent  imitées  en  Italie  par  saint  Bonaventure 
qu'en  1270.  Nous  trouverons  quatre  de  ces  confréries 
àToulouse,  au  moment  de  la  catastrophe  des  Calas,  et 
nous  verrons  la  plus  ancienne  de  toutes  y  prendre  une 
grande  et  funeste  part.  Cette  institution  qui  eut  un 
instant,  pendant  la  Ligue,  une  action  redoutable  sur  l'es- 
prit public  en  France,  existe  encore  en  Italie,  et  ses 
membres  y  sont  vulgairement  appelés  Sacconl,  du  sac  où 
ils  s'enveloppent.  On  sait  que  les  pénitents  sont  des  laïques, 
soumis  à  une  organisation  et  une  discipline  qui  ont  quel- 
que chose  de  militaire.  Chaque  confrérie  a  ses  chefs,  son 
lieu  de  réunion,  sa  bannière  et  son  costume.  Ce  que  ce 
costume  a  de  plus  remarquable,  c'est  la  cagoule,  percée 
de  deux  trous  pour  les  yeux,  qui  enveloppe  toute  la  tête 
et  teur  permet  de  tout  voir  sans  être  vus  et  reconnus  de 


8  COUP  d'oeil 

personne.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  leur  fondateur  les 
avait  armés  d'une  sorte  de  sabre  ou  coutelas  porté  en 
bandoulière  par-dessus  le  sac  et  destiné  à  la  guerre  sainte 
contre  les  hérétiques.  Il  fallut  renoncer  plus  tard  à  ces 
armes,  trop  dangereuses  entre  des  mains  invisibles. 

Toute  redoutable  que  fût  cette  institution,  elle  ne  parut 
nullement  suffire  à  consolider  le  catholicisme  et  à  extir- 
per l'hérésie. 

Dès  1212,  saint  Dominique,  établi  à  Toulouse  avec  ses 
premiers  compagnons,  y  avait  jeté  les  fondements  de  son 
Ordre  des  frères  Prêcheurs,  qui,  au  moment  de  sa  mort, 
arrivée  en  1221,  comptait  déjà  plus  de  60  couvents,  et  qui 
en  1233,  fut  chargé  par  le  pape  Grégoire  IX  du  Saint- 
Office  de  l'Inquisition  (1). 

Raymond  VII  fut  un  prince  sans  énergie;  il  laissa  l'in- 
quisition brûler  vifs  les  Cathares,  et  même  exhumer  des 
cadavres  d'hérétiques  pour  les  jeter  sur  le  bûcher.  Tan- 

(i)  Saint  Louis  protégea  ce  tribunal,  qui  fut  confirmé  par  Phi- 
lippe le  Hardi,  lors  de  la  réunion  du  comté  de  Toulouse  à  la  cou- 
ronne, et  par  Philippe  le  Bel  en  130  3. 

En  1 3  3 1 ,  le  Parlement  conféra  le  titre  de  Cour  Royale  au  tri- 
bunaldu  Saint-Office  de  Toulouse,  et  depuis,  le  chef  de  ce  corps  porta 
le  nom  d'Inquisiteur  en  tout  le  royaume  de  France,  spécialement  dé- 
puté par  le  Saint-Siège  apostolique  et  par  l'autorité  Royale.  Char- 
les VII  lui  donna  de  plus  le  titre  de  Conseiller  du  Roi. 

Les  rois  et  les  gouverneurs  du  Languedoc  n'entraient  pas  dans 
la  ville  sans  prêter  entre  les  mains  de  ce  redoutable  personnage  le 
serment  de  conserver  la  foietrinquisilion.  Ce  fut,  selon  les  temps,  le 
provincial  des  dominicains  ou  leur  général,  ou  le  pape  lui-même,  qui 
élut  cet  inquisiteur.  Depuis  le  seizième  siècle,  ce  furent  les  moines 
de  Saint-Dominique  qui  le  nommèrent  à  la  pluralité  des  voix,  mais 
déjà  son  autorité  avait  reçu  quelques  atteintes.  L'élection  dut  être 
confirmée  par  le  roi  et  enregistrée  au  Parlement.  On  soumit  l'inqui- 
siteur à  l'appel  comme  d'abus  deVant  le  Parlement,  lorsque  celte  cour 
siégea  définitivement  à  Toulouse;  on  lui  donna  même  des  adjoints 
choisis  dans  ce  corps.  Quoique  confirmé  encore  par  François  V  en 
15  40,  son  pouvoir  ne  cessa  de  décliner.  Enfin,  un  archevêque  de  Tou- 
louse, Charles  de  Monlchal,  jaloux  d'une  juridiction  étrangère  à  la 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  9 

tôt,  vivement  sollicité  par  les  Gapitouls  et  intimidé  par 
le  peuple,  il  chassait  les  inquisiteurs  ;  tantôt,  réprimandé 
par  le  Pape,  il  leur  abandonnait  la  ville.  En  12Zi2,  six 
d'entre  eux  y  furent  assassinés.  Les  Dominicains  eux-mê- 
mes demandèrent  alors  à  Innocent  IV  d'être  déchar- 
gés de  leur  office.  Il  refusa.  Le  château  de  Montégut 
était  l'asile  des  Albigeois  ;  Raymond  le  prit,  et  les  inqui- 
siteurs brûlèrent  vifs,  sans  procès,  deux  cents  prison- 
niers. Dès  lors  le  triomphe  du  catholicisme  fut  assuré, 
quoiqu'il  ait  mis  encore  un  demi-siècle  à  s'affermir.  Après 
Piaymond,  son  gendre  Alphonse  de  France  devint  comte 
de  Toulouse,  et  l'antique  nationahté,  à  la  fois  romaine  et 
hérétique  du  Midi,  s'affaiblit  peu  à  peu.  Réuni  plus  tard  à 
la  couronne  de  France,  le  comté  de  Toulouse  fut  en  proie, 
depuis  ce  moment,  à  des  persécutions  plus  soutenues. 
Une  recrudescence  du  Gatharisme  à  la  fin  du  douzième 
siècle  eut  le  sort  qu'on  pouvait  en  attendre.  Philippe  le 
Bel  vint  à  Toulouse  en  130Zi  pour  en  triompher. 

Mais  l'ennemi  vaincu  ne  faisait  que  changer  de  nature. 
Les  Vaudois  se  multipliaient  de  plus  en  plus,  et  ce  fut 


sienne,  la  fit  abolir  par  arrêt  du  conseil  sous  le  règne  de  Louis  XIV 
en  1645. 

Alalgré  celle  abolition,  le  titre  d'Inquisiteur,  désormais  sans  au- 
torité, mais  non  sans  prestige,  subsista  à  Toulouse  jusqu'en  17  06. 
C'était  encore  la  Congrégation  du  Saint-Office  qui  nommait  et  le 
roi  confirmait  son  choix.  Le  père  Antoine  Massoulié  fut  le  dernier 
à  porter  le  titre  d'inquisiteur ,  mais  on  montre  encore  la  maison 
où  siégeait  le  tribunal  et  qui  avait  élé  donnée  à  saint  Dominique  pour 
y  établir  son  ordre.  Cette  maison  est  actuellement  la  propriété  et  la 
demeure  des  jésuites.  Elle  portait  ces  deux  inscriptions  :  Domusin- 
qnisitionis.  —  Unus  Deus,  una  fîdes.  Au-dessus  de  la  porte  étaient 
peints  à  fresque,  à  droite  et  à  gauche  d'un  crucifix,  les  deux  princi- 
paux saints  de  l'Ordre,  le  fondateur  et  saint  Pierre  martyr.  (On  peut 
consulter  sur  cet  inquisiteur  mes  Lettres  sur  les  Beaux- Jrts  en  Ita- 
lie, p.  12).  Toute  celle  décoration  est  détruite,  mais  ou  envoit  encore 
les  traces.  M.  du  Mège  en  adonné  une  représentation  à  peu  près  exacte 
dans  son  Hiitolrc  des  Iiislitutions  de  Toulouse,  t.  4,  p.  4  80. 


10  cour  d'oeil 

contre  eux  que  les  fils  de  Dominique  luttèrent  pendant 
deux  siècles. 

Enfin  arriva  la  Réformation.  Un  des  premiers  martyrs 
protestants  de  France  fut  Jean  de  Caturce,  licencié  en 
droit,  brûlé  vif  à  Toulouse.  Pendant  trente  ans,  un  grand 
nombre  de  huguenots  y  furent  mis  à  mort,  sans  que  l'E- 
glise Réformée  cessât  de  s'accroître;  le  parlement,  le 
clergé  et  une  partie  de  la  population  sévissaient  en  toute 
occasion,  mais  en  vain.  L'édit  de  janvier  interrompit 
ces  persécutions  et  autorisa  le  culte  réformé;  quel- 
ques-uns des  Gapitouls  en  charge  à  ce  moment  étaient 
favorables  au  protestantisme.  Ils  firent  bâtir,  en  dehors 
de  la  porte  de  Villeneuve,  un  temple  qui  pouvait  contenir 
huit  mille  personnes  et  qui  se  trouva  encore  trop  petit. 
Cette  tolérance  publique  irrita  d'autant  plus  les  adver- 
saires de  la  Réforme. 

En  1562,  dix  ans  avant  la  Saint-Barthélémy  parisienne, 
Toulouse  eut  la  sienne  (1).  Des  protestants  ensevelissaient 
une  femme  ;  quelques  catholiques  prétendirent  qu'elle 
était  de  leur  Eglise,  attaquèrent  le  cortège  funèbre  et  s'em- 
parèrent du  cadavre.  Une  rixe  violente  eut  lieu.  Un  prêtre 
sonna  le  tocsin.  La  population  catholique  se  jeta  sur  les 
réformés,  beaucoup  moins  nombreux,  et  la  grande  majo- 
rité du  Parlement  prit  hautement  parti  contre  eux.  Il  fit  le 
tour  delà  ville,  en  robes  rouges,  ordonnant  aux  catholiques, 
de  la  part  du  roi,  de  courre  sus  aux  réformés,  les  enga- 
geant i\  adopter  une  croix  blanche  comme  signe  de  rallie- 
ment et  à  marquer  leurs  maisons.  Ainsi  organisée,  la  guerre 
civile  devint  affreuse  ;  les  protestants  se  retranchèrent 
dans  l'hôtel  de  ville,  où  ils  avaient  quelques  pièces  de  ca- 
non; pour  les  en  déloger,  on  mit  le  feu  aux  maisons  con- 
tiguës,  et  le  Parlement  défendit  sous  peine  de  mort  d'é- 

(i)  On  verra  plus  lard  que  le  second  anniversaire  séculaire  de  ce 
massacre  coïncida  avec  les  malheurs  des  Calas,  el  eut  sur  leur  sorl 
une  fatale  influence. 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  11 

teindre  Fincendie  ;  mais  les  assiégés  abattirent  à  coups  de 
canon  ces  maisons  enflammées.  Alors  Fourquevaux,  gou- 
verneur de  Narbonne,  fut  envoyé,  l'olivier  à  la  main,  leur 
proposer  deux  articles  de  paix  :  ils  sortiraient  tous  de 
l'hôtel  de  ville,  en  y  laissant  leurs  armes  et  munitions,  et, 
à  cette  condition,  ils  se  retireraient  en  liberté  où  bon  leur 
semblerait.  Ne  pouvant  tenir  plus  longtemps  dans  leur 
asile,  ils  se  résignèrent  à  prendre  ce  parti,  et  le  jour  de 
Pentecôte,  ils  sortirent  tous,  sans  armes,  pendant  l'heure 
des  vêpres,  espérant  éviter  ainsi  la  fureur  du  peuple , 
qui  déjà  avait  massacré  tous  ceux  des  protestants  qu'il 
avait  pu  saisir.  Mais  leur  retraite  ne  pouvait  être  ignorée. 
Des  cris  menaçants  éclatèrent  de  tous  côtés  ;  la  foule 
qui  remplissait  les  églises  en  sortit  précipitamment  et 
massacra  sans  pitié  les  huguenots  désarmés.  Les  his- 
toriens portent  de  trois  à  cinq  mille  le  nombre  des  vic- 
times. 

Loin  de  sévir  contre  les  assassins,  le  Parlement  fit  met- 
tre à  mort  ceux  qui  leur  avaient  échappé.  Le  cruel  Mont- 
luc  arriva  à  temps  pour  en  voir  quelque  chose,  et  dit  dans 
ses  Mémoires  (t.  2,  p.  73)  :  «  Je  ne  vis  jamais  tant  de  têtes 
voler.  »  Le  parlement  s'épura  lui-même  en  destituant  vingt- 
deux  conseillers  suspects,  et  ce  fut  à  grand'peine  que  le 
premier  président  de  Masencal,  soupçonné  de  tolérance, 
garda  sa  charge.  Par  le  même  motif,  tous  les  Gapitouls  de 
l'année  1562  furent  déposés,  leurs  enfants  dégradés  de 
noblesse,  leurs  biens  confisqués,  et  cet  arrêt  inscrit  sur 
une  plaque  de  marbre  au  Capitole.  Ce  massacre  délivra 
Toulouse  de  l'hérésie  qui  depuis  ce  moment,  sans  être 
entièrement  extirpée,  n'y  subsista  plus  qu'à  l'état  de 
minorité  très-faible,  toujours  persécutée  et  détestée. 

Alors  seulement  le  catholicisme  fut  définitivement 
triomphant  dans  cette  cité,  si  longtemps  et  si  opiniâtre- 
ment hérétique.  Les  rares  protestants  de  Toulouse,  quand 
ils  osèrent  y  reparaître,  se  trouvèrent  seuls  héritiers  de 


12  COUP  d'oeil 

toutes  les  haines  accumulées  contre  ces  Ariens,  ces  Catha- 
res, ces  Albigeois,  ces  Vaudois,  ces  Huguenots,  qui  avaient 
si  longtemps  rempli  le  pays  de  leur  hérésie  bonne  ou 
mauvaise,  contre  lesquels  n'avaient  suffi  ni  trois  croisa- 
des, ni  les  pénitents,  ni  l'inquisition ,  et  qu'avait  détruits 
enfin  le  seul  remède  qui  puisse  prévaloir  contre  une  foi 
religieuse,  l'extermination.  Aussi  le  Parlement  institua  à 
perpétuité  une  fête  annuelle  dite  de  la  Délivrance,  qui 
avait  lieu  le  17  mai,  anniversaire  du  massacre.  Il  décida 
que  les  arrêts  qu'il  venait  de  rendre  seraient  lus  au 
peuple  chaque  année,  et  que  des  processions  auraient 
lieu  ensuite  pour  rendre  grâces  à  Dieu.  En  156/j,  on 
obtint  du  Pape  Pie  IV  une  bulle  par  laquelle  il  autorisa 
cette  solennité  religieuse,  qui  devait  durer  deux  jours, 
et  y  attacha  des  indulgences  et  des  bénédictions  spé- 
ciales (1). 

Dès  lors,  la  procession  annuelle,  où  les  quatre  confré- 
ries ne  manquaient  pas  de  figurer  avec  leurs  bannières, 
ainsi  que  toutes  les  autorités  et  tous  les  corps  de  métier, 
réchauffa  périodiquement  la  haine  populaire  contre  les 
protestants.  Les  châsses  de  quarante  saints  étaient  portées 
en  grande  pompe  des  cryptes  de  Saint-Sernin  à  la  cathé- 
drale (2).  Les  huit  Capitouls,  en  robes  d'écarlate  à  chape- 
rons d'hermine,  portaient  le  dais  du  Saint-Sacrement, 
précédés  de  leurs  quatre  assesseurs,  tenant  des  cierges 

(  1  )  Vollaire  appelle  celle  fêle  la  procession  annuelle  où  Von 
remercie  Dieu  de  quatre  mille  assassinats.  (A  ArgenldA  y  lO  déc.  17  67.) 

(2)  C'est,  dit-on,  au  culle  rendu  à  ces  reliques  célèbres  que  Tou- 
louse dut  le  surnom  de  la  Sainte  qu'elle  a  longtemps  porte. 
Aussi,  les  fameuses  cryptes  ou  martyria  où  l'on  conserve  les  corps 
saints,  ont  reçu  les  deux   inscriptions  suivantes  : 

Iltc  sunt  vigiles  (jui  custodiunt  tirbeyn. 

u  Ici  sont  les  gardiens  qui  veillent  sur  la  ville.  » 

Non  est  in  toto  sanctior  orbelocta. 

Voici    comment  celle   dernière   a    été    traduite    pat*   un    poêle 


SUR  l'histoire  religieuse  de  TOULOUSE.  13 

t\  la  main.  Dès  le  18  juin  de  la  même  année,  et  depuis  à 
maintes  reprises,  mais  toujours  en  vain,  le  gouverne- 
ment interdit  cette  fête  cruelle. 

La  Révocation  de  Fédit  de  Nantes  fut  reçue  à  Toulouse 
avec  enthousiasme,  et  réveilla  le  souvenir  néfaste  du  mas- 
sacre. 

A  cette  époque,  l'administration  municipale  fit  orner 
riiôtel-de-ville  de  peintures  à  fresque  par  Pierre  Rivais. 
Une  de  ces  fresques  rappelait  la  Révocation  de  Tédit  de 
Nantes  :  Louis  XIV  y  tenait  d'une  main  Fépée  nue,  de 
l'autre  le  crucifix.  A  ses  côtés,  des  soldats  démolissaient 
des  temples  et  plantaient  la  croix  sur  leurs  ruines.  Au 
fond,  d'autres  soldats  forçaient  des  protestants  à  s'age- 
nouiller devant  des  images. 

Le  second  tableau  représentait  le  massacre  de  1562. 
On  y  voyait  des  protestants  sans  armes,  arrêtés  avec 
leurs  femmes  et  leurs  enfants  aux  portes  de  la  ville,  au 
moment  où  ils  fuyaient,  et  assassinés  par  des  soldats  et 
des  bourgeois.  Quelques-uns  étaient  précipités  du  haut 
des  remparts.  Des  femmes,  portant  leurs  enfants  dans 
leurs  bras,  imploraient  en  vain  les  meurtriers  (1). 

de  la   ville,  Goudelin,  lors  de  l'entrée  de  Louis  XIII    à  Toulouse  : 

De  l'hérésie  en  vain  gronde  l'affreux  tonnerre, 

Et  Tolose  vous  dit  avec  la  vérité  : 

Sire,  il  n'est  point  de  lieu  plus  sacré  sur  la  terre. 

11  existe  encore,  dans  celle  même  église  de  Saint-Scrnin,  etj'y  aivu 
un  monument  ignoble  des  haines  ecclésiastiques.  Sous  une  des  stalles 
en  bois  sculpté  qui  entourent  le  chœur,  est  une  image  qu'on  ne  peut 
voir  qu'en  relevant  le  siège,  comme  le  font  les  chanoines  lorsqu'ils 
chantent  debout.  On  y  a  représenté  quelques  personnages  groupés 
devant  une  chaire  qu'occupe  un  pourceau,  et  au-dessous  sont 
sculptés  ces  mots  : 

CALVIN 
PORC     rr.ESCIIANT, 

(0  Ces  fresques  onl  disparu  avec  les  murs  qu'elles  décoi-iiienl.  De- 

2 


IZi  COUP  d'oeil 

En  1762,  on  prépara  toutes  choses  pour  célébrer,  avec 
une  pompe  inusitée,  le  second  anniversaire  séculaire  du 
massacre  des  huguenots.  Les  Gapitouls  de  cette  année, 
dans  leur  compte  rendu  annuel,  s'expriment  en  ces  ter- 
mes :  «  Témoins  et  interprètes  delà  religion  de  tous  les  or- 
dres de  cette  ville,  nous  avons  tâché  défaire  célébrer  avec 
toute  la  magnificence  possible  l'année  séculaire  de  la  déli- 
vrance. Notre  premier  soin  a  été,  comme  vous  le  savez, 
Messieurs,  d'imiter  la  piété  de  nos  pères  et  de  demander 
à  notre  Saint-Père  une  bulle  conforme  à  celle  que  Pie  iV 
avait  accordée  au  corps  de  la  ville  (1).  » 

En  effet.  Clément  Xtll,  par  une  bulle  expresse,  renou- 
vela et  étendit  à  huit  jours  entiers  les  privilèges  reli- 
gieux, accordés  par  Pie  IV   pour  deux  jours  seulement. 

Les  réjouissances  publiques  furent  magnifiques.  Un  feu 
d'artifice  fort  admiré  termina  la  fête.  On  voyait  au  som- 
met du  principal  décor,  une  figure  de  la  Religion  tenant 
la  croix  d'une  main,  et  de  l'autre  un  calice  surmonté  de 
l'hostie. 

Un  luxe  jusque-là  inouï  distingua  la  procession  sécu- 
laire ;  des  étoffes  de  soie  et  d'or  avaient  été  depuis  long- 
temps commandées  à  Lyon  pour  orner  les  reposoirs  et 
revêtir  les  officiants. 

Au  milieu  d'une  population  si  passionnée,  dans  une 
ville  où  les  guerres  civiles  avaient  laissé  de  si  vivants 
souvenirs  et  dont  les  magistrats  se  faisaient  une  gloire  de 
la  persécution,  ces  manifestations  d'une  joie  cruelle,  ces 

puis,  on  en  eut  honte.  M.  du  Mège  après  avoir  vaguement  et  rapi- 
dement décrit  la  plus  importante,  celle  du  massacre  de  1562,  con- 
teste l'existence  de  la  première,  ou  du  moins  prétend  qu'elle  n'était 
pas  à  l'Hôtel-de-Ville.  Nous  croyons  qu'il  a  tort  ;  mais  ce  qu'il 
en  dit  lui-mèmj  suffit.  {Hist.  des  Inst.,  t.  4,  p.   292.) 

(i)  Nous  rendons  volontiers  aux  Gapitouls  ce  témoignage  qu'on 
ne  trouve  dans  la  délibération  citée  plus  haut  aucune  parole  de 
haine  ou  de  provocation  contre  les  protestants. 


SUR  L  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  TOULOUSE.  15 

provocations  à  l'intolérance  ne  pouvaient  rester  sans  ré- 
sultats (1). 

En  effet,  à  Toulouse,  Tannée  1762  fut  occupée  tout 
entière  par  trois  procès  pour  cause  de  religion,  celui  du 
pasteur  Uochette  et  des  frères  Grenier,  exécutés  en  fé- 
vrier, celui  de  Galas,  roué  le  10  mars,  et  enfin  celui  de 
Sirven,qui  n'échappa  que  par  la  fuite  à  la  mort. 

Jean  Galas,  sa  femme,  son  fils,  Lavaysse  leur  ami,  et 
la  servante  attendaient  leur  arrêt,  tous  cinq  sous  le 
poids  d'une  accusation  capitale,  au  moment  où  le  Parle- 
ment fit  exécuter  François  Rocliette  et  les  trois  gentils- 
hommes verriers  qui  avaient  entrepris  de  l'arracher 
aux  cavaliers  de  la  Maréchaussée.  Le  19  février,  sur  la 
place  du  Petit-Salin,  le  dernier  des  pasteurs  martyrs,  âgé 
seulement  de  vingt-six  ans,  fut  pendu  portant  sur  la  poi- 
trine un  écriteau  avec  ces  mots  :  Ministre  de  la  B.  P.  R.  En 
montant  à  l'échelle  du  gibet,  11  chanta  le  verset  des  mar- 
tyrs liuguenots  : 

La  voici,  l'heureuse  journée 
Qui  répond  à  notre  désir  ! 
Louons  Dieu  qui  nous  l'a  donnée  ; 
Faisons-en  tout  noire  plaisir. 
Grand  Dieu,  c'est  à  toi  que  je  crie; 
Garde  ton  Oint,  et  le  soutiens  ! 
Grand  Dieu,   c'est  toi  seul  que  je  prie  : 
Bénis  ton  peuple  et  le  maintiens  ! 

(f?.  cxvni ,   12. 

Les  trois  gentilshommes  furent  décapités;  le  plus  jeune 
se  couvrit  le  visage  de  ses  deux  mains  pendant  le  sup- 

(  l)  On  a  prétendu  que  cette  coïncidence  n'avait  eu  aucune  in- 
fluence sur  les  dispositions  du  peuple  à  l'égard  de  Calas,  parce  que 
son  supplice  eut  lieu  le  10  mars,  deux  mois  avant  la  procession. 
Mais  est-il  possible  de  croire  que   cette  attente  d'une  fête  double- 


16  COUP  d'oeil 

plice  de  ses  frères;  mais  quand  le  bourreau   vint  à  lui, 
et  lui  offrit  encore   une  fois  la  vie  s'il   voulait  se   con-    j 
vertir,  il  répondit  tranquillement  :  Fais  ton  devoir,  et  mit     " 
sa  tête  sur  le  billot. 

Ces  exécutions  où  plusieurs  protestants  périssaient  à  la 
fois  n'avaient  donc  rien  d'inoui  à  Toulouse.  11  faudra 
s'en  souvenir  en  royant  cinq  accusés  se  défendre  contre 
les  soupçons  de  toute  la  ville,  sous  la  plus  odieuse  des 
imputations,  celle  d'un  parricide  inspiré  par  le  fana- 
tisme. 

Toute  cette  longue  guerre  contre  l'hérésie  a  laissé  chez 
ce  [)euple,  essentiellement  partisan  de  la  tradition  et  fier 
de  son  passé,  des  impressions  hostiles  que  rien  n'a  pu 
changer;  j'ai  constaté  la  parfaite  exactitude  de  ce  mot  d'un 
biographe  de  Calas  :  «  La  majeure  partie  de  ses  conci- 
toyens conservèrent  toujours  contre  sa  mémoire  des  pré- 
ventions que  le  temps  n'a  pas  effacées.  (1)  » 

Il  faut  bien  le  reconnaître,  depuis  les  cruautés  atroces 
de  la  croisade  contre  les  Albigeois  jusqu'au  hideux  mas- 
sacre du  général  Ramel  en  1815  par  les  Verdets,  l'histoire-     J 
de   Toulouse  offre  maint  exemple  du   degré   d'empor     ' 
tement  et  de  frénésie  que  peuvent  atteindre  les  passions 
religieuses  ou  politiques  chez  un  peuple  mobile,  plein     , 
d'imagination  et  d'ardeur.  Voltaire  n'a  eu  que  trop  raison    . 
de  dire,  avec  toute  la  vivacité  de  son  style  :  «  Il  semble 
qu'il  y  ait  dans  le  Languedoc  une  furie  infernale,  amenée 
autrefois  par  les  inquisiteurs    à   la  suite  de  Simon  de 
Montfort  ;  et  depuis   ce  temps,   elle    secoue  quelquefois 
son  flambeau.  » 

ment  séculaire,  ces  apprêts  inusités,  commandés  un  an  à  l'avance, 
cl  enfin  les  faveurs  signalées  du  Saint-Siège,  ne  firent  aucune  im- 
pression sur  ce  peuple  ardent  qui  allait  célébrer  avec  plus  d'éclat 
que  jamais  sa.  délivrance  de  l'hérésie  et  le  triomphe  de  son  Eglise^ 
D'ailleurs  les  faits  prouvent  le  contraire. 
(0  Biographie  Toulousaine, 


SUR  L  HISTOIRE  RELIGIEUSE  DE  TOULOUSE.  17 

Hâtons-nous  de  le  dire,  malg-rc  la  persistance  des  pré- 
jugés populaires,  ce  flambeau  est  éteint.  Nous  sommes 
convaincu  qu'il  ne  se  rallumera  jamais  ;  et  c'est  à  re- 
gret que  nous  avons  dû  rappeler  des  souvenirs  néfastes, 
Mais  il  nous  a  paru  indispensable  de  montrer  ce  qu'était, 
en  1762,  l'esprit  du  peuple  toulousain,  avant  de  raconter 
le  drame  sanglant  où  ce  peuple  a  joué  un  grand  rôle. 


2. 


CHAPITRE    PREMIER. 


L'ARRESTATION. 


Civùim  nrdor  praia  jubentiuvi. 
(Hoj:.  m,  3>  2.) 


11  arrive  quelquefois  qu'un  malheur  imprévu  fait  tom- 
ber ses  victimes,  en  un  seul  instant,  de  la  plus  paisible  sé- 
curité dans  un  long  enchaînement  de  douleurs  et  de  pé- 
rils. Plus  tard  il  paraît  étrange  de  se  rappeler,  après  tant 
de  maux,  l'heureuse  tranquillité  de  vie,  les  circonstan- 
ces vulgaires  et  journalières,  au  n^lieu  desquelles  on  a 


20  l'arrestation. 

été  frappé.  On  a  quelque  peine  à  se  persuader  que  des 
instants  si  calmes,  si  doux,  aient  précédé  immédiatement 
des  temps  si  cruels  ;  il  est  triste,  il  est  presque  etTrayaut 
de  songer  qu'au  moment  où  l'on  y  touchait,  rien  encore 
ne  les  faisait  pressentir. 

C'est  sous  cette  impression  involontaire  que  se  trouvent 
ceux  qui  connaissent  l'histoire  de  Galas  et  de  sa  famille, 
lorsqu'ils  remontent  à  la  date  funeste  du  13  octo- 
bre 1762. 

Cette  journée,  qui  commença  tous  leurs  malheurs,  al- 
lait s'achever  au  milieu  des  occupations  habituelles  du 
négoce.  La  boutique  d'indiennes  de  Jean  Calas  fut  fer- 
mée ti  l'heure  accoutumée,  celle  du  souper  de  la  famille. 
La  Grand' Rue  des  Filettiers  (1),  alors  la  plus  commer- 
çante de  Toulouse,  ne  cessa  d'être  animée  par  le  mouve- 
ment et  les  causeries  des  marchands  et  de  leurs  commis 
occupés  à  tout  mettre  en  ordre  pour  la  nuit,  ou  assis  en 
plein  air,  devant  leur  porte ,  par  groupes  inégaux.  Ce 


(i)  On  écrit  aujourd'hui  F/^a^/ers.  Les  Calas  liahitaient  la  maison 
n°  16,  qui  porte  aujourd'hui  le  n"  50.  La  gravure  placée  en  tête  de 
ce  chapitre  est  une  réduction  d'un  dessin  que  fit  faire  en  1835  un 
professeur  de  la  Faculté  des  sciences  de  Toulouse,  aujourd'hui  mem- 
hre  de  l'Institut  et  professeur  à  Paris.  La  maison,  à  celte  époque, 
était  encore  telle  que  les  Calas  l'avaient  habitée.  La  boutique  con- 
tlguë  à  l'allée,  et  qui  porte  le  nom  de  Lafond,  était  celle  de  Calas; 
l'autre,  celle  du  tailleur  Bou.  L'allée,  fort  longue,  aboutit  à  une  petite 
cour,  dont  elle  était  séparée  autrefois  par  une  porte  basse  qui 
n'existe  plus.  \\  suffît  d'avoir  vu  les  lieux  pour  comprendre  qu'où 
aurait  dû  visiter  avec  le  plus  grand  soin  celte  allée  et  celle  cour, 
lorsqu'eut  lieu  l'arrestation  des  prévenus. 

Aujourd'hui  la  façade  de  la  maison  a  subi  de  grands  changements  : 
à  chaque  étage  une  troisième  fenêtre  a  été  percée,  dans  rintcrvallc 
des  deux  autres;  le  mur  de  briques  soutenues  par  des  soliveaux  a  été 
enduit  de  plâtre;  un  pilastre  aéléfiguréàchaqrie  extrémité,  au-dessus 
de  la  frise  qui  surmonte  les  boutiques  et  qui  est   décorée  aux  deux 


L*ARRESTATION.  21 

soii'-là,  il  y  avait  nombreuse  compagnie  devant  la])ou- 
liqiie  de  la  demoiselle  Brandelac  (1),  k  quelques  pas  de 
celle  des  Galas.  Plusieurs  témoins  passèrent  devant  la 
maison  sans  y  rien  apercevoir  d'extraordinaire,  sans  en- 
tendre aucun  bruit  suspect.  L'an  d'eux  (2)  se  promenant  à 
la  fraîcheur  du  soir,  se  trouvait  là  k  huit  heures  et  demie, 
puis  à  neuf  heures  et  quart,  et  il  atteste  que  tout  était  en- 
core silencieux.  Ce  fut  seulement  h  neuf  heures  et  demie 
ou  peu  après,  qu'il  entendit  chez  les  Calas  des  cris  de  dé- 
sespoir. Ces  mêmes  cris  furent  entendus  par  quatorze 
personnes  occupées  dans  les  maisons  voisines  ou  qui  se 
reposaient  au  dehors,  et  toutes  s'accordent  sur  le 
moment  fatal,  sinon  sur  les  paroles  qu'elles  avaient  pu 
distinguer.  La  plupart  déclarent  que  l'on  criait  :  Ah! 
mon  Dieu  !  et  diflerent  seulement  sur  ce  qu'elles  ouïrent 
de  plus.  Au  bruit,  la  servante  de  M"'®  Calas,  Jeanne 
Viguier,  ouvrit  la  fenêtre  du  premier  étage,  échan- 
gea quelques  questions  avec  d'autres  femmes,  rentra,  et 
bientôt  reparut  à  la  porte  en  criant  :  a  C'en  est  fait!  il  est 
mort  (3)!))  ou  plus  exactement  et  en  patois  :  Ah!  moun 


bouts  d'un  ornement  en  pomme  de  pin,  le  tout  également  en  plâtre. 
Les  deux  boutiques  n'en  font  plus  qu'une. 

II  ne  reste  de  l'ancienne  façade  qu'une  seule  chose,  le  dessus 
(le  la  porte  d'entrée.  C'est,  me  dit-on,  ce  qu'on  appelle  en  termes 
de  l'art,  une  archivolte  en  accolade  jyédiculée.  Cet  ornement  ver- 
moulu est  en  bois  d'une  extrême  vétusté  et  remonte  à  une  époque 
antérieure  aux  Galas,  de  plusieurs  siècles.  Immédiatement  au-dessus 
est  sculpté  un  écusson  qui  porte  en  trois  lettres  gothiques  le  nom 
du  Christ  :  i  i)  ê  (Jésus  Hominum  Salvator  ou  ^XxxiôiJhesus). 

(1)  Témoins  Gourdin  et  D"*  Marseillan. 

(2)  Le  François.  La  déposition  d'Arnaul  Sortal  confirme  cette 
dernière. 

(3)  Témoin  :  Marie  Rey,  servante  de  Ducassou. 


22  l'arrestation. 

Dioul  Van  tuât  (1)  !  Peud'instanls  après,  on  vit  sortir  en 
courant  un  jeune  homme  étranger  à  la  maison,  vêtu  d'un 
habit  gris,  portant  veste  et  culottes  rouges,  un  tricorne 
bordé  d'or  et  l'épée  au  côté.  Un  autre  jeune  homme,  bien 
connu  du  voisinage,  Pierre,  le  troisième  fds  de  M.  Ca- 
las, sortit  aussi  à  deux  reprises  et  revint  d'abord  avec 
Gorsse,  le  garçon  ou  élève  du  chirurgien  Gamoire,  puis 
avec  M.  Gazeing,  négociant  comme  son  père  et  leur  plus 
intime  ami,  puis  enfin  avec  un  homme  de  loi,  le  sieur 
Glausade  (2). 

Les  voisins  accoururent  de  tous  côtés.  Avant  l'arrivée 
de  Gorsse,  un  ami  des  jeunes  Galas,  Antoine  Delpech, 
fils  d'un  négociant  catholique,  entra  dans  la  boutique  : 
lAIarc-Antoine,  l'aîné  des  enfants  de  Galas,  y  était  étendu 
sans  vie,  la  tête  supportée  par  des  ballots;  son  père, -ap- 
puyé sur  le  comptoir  (3),  se  désespérait.  Par  moments, 
dit  la  servante  dans  sa  déposition,  «  il  se  jetait  partout,  » 
et  sa  mère  ((  moins  éplorée  {k) ,  ')  penchée  sur  le  ca- 
davre, s'efl'orçait  en  vain  de  lui  faire  avaler  un  cordial 
et  en  mouillait  ses  tempes.  Delpech  a  déclaré  qu'il  crut 
d'abord  à  un  duel.  Il  pensa  que  Marc- Antoine,  ((  qui  fai- 
sait bien  des  armes,  »  avait  eu  alTaire  avec  quelqu'un. 
((Je  le  tâtonnai,  dit-il,  sur  l'estomac  et  autres  parties 
de  son  corps  que  je  trouvai  froides ,  mais  sans  blessu- 
res (5). «Gorsse,  l'élève  chirurgien,  survinten  ce  moment 


(0  Témoin  :  Demoiselle  Campagnac. 

(2)  Voir  sur  ces  allées  et  venues  les  Mémoires  de  Lavayssc,  cl  la 
déclaration  de  Pierre. 
(8)  Lettre  de  M"«  Calas. 

(4)  Témoin:  Brun. 

(5)  La  déposition  de  Brun  (12*  témoin),  qui  était  aussi  entré  dans 
la  n)aison,  atteste  le  même  fait. 


l'arrestation.  23 

et  examina  le  corps;  ((  ayant  porté  la  main  sm*  le  cœur, 
il  le  trouva ,  dit-il,  froid  sur  toutes  ses  parties  et  sans 
palpitation.  )) 

Ces  témoignages,  qui  confirment  ce  que  déclarèrent  les 
membres  de  la  famille  sont  importants  ;  puisque  tout  le 
cadavre  et  le  cœur  même  étaient  froids  à  neuf  heures  et 
demie  ou  quelques  minutes  après,  les  cris  que  l'on  venait 
d'entendre  k  l'instant  ne  pouvaient  être  ceux  du  défunt; 
personne  n'ignore  qu'il  faut  quelque  temps  pour  qu'un 
corps  humain  perde  sa  chaleur. 

Du  reste,  Gorsse  déclara  que  le  défunt  avait  péri,  pendu 

ou  étranglé. 

Clausade  (1) ,  l'homme  de  loi,  voyant  l'inutilité  des  se- 
cours, conseilla  à  la  famille  d'avertir  la  police  «  pour 
constater  la  mort  de  ce  jeune  homme  et  obtenir  la  per- 
mission de  le  faire  enterrer.  »  Lavaysse,  le  jeune  homme 
en  habit  gris,  qui  venait  de  rentrer,  s'offrit  encore  pour 
cette  mission,  et  courut  avec  Clausade  chercher  M'Mo- 
nier,  assesseur  des  Capitouls,  et  leur  greffier,  Savanier. 
Quand  ils  revinrent,  unefoule  agitée  se  pressait  autour  de 
la  maison  ;  quarante  soldats  du  Guet  en  gardaient  la  porte, 
et  l'un  des  Capitouls,  David  de  Beaudrigue,  y  était  déjà. 
L'assesseur  et  le  greffier  furent  reconnus,  et  on  les  laissa 
entrer  ;  mais  Lavaysse  qui  les  suivait  fut  repoussé  par  les 
soldats;  en  vain  il  insista,  disant  qu'il  était  l'ami  de  la 
maison  et  qu'il  en  venait.  Il  s'écria  alors  qu'il  y  avait 
soupe  le  soir  même.  A  ce  mot,  on  comprit  qu'il  pouvait 
être  nécessaire  de  l'entendre  ou  même  de  s'assurer  de 
lui.  Il  entra,  et,  dès  ce  moment,  son  sort  fut  lié  h  celui 


(0  Lav,  1  «l  3« 


2U  l'arrestation. 

des  Calas;  il  partagea  pendant  quatre  années  leurs  an- 
goisses, leurs  humiliations  et  leurs  dangers. 

David  de  Beaudrigue  avait  été  éveillé  dans  son  premier 
sommeil.  Au  premier  mot  que  lui  dirent  deux  personnes 
du  quartier  qui  l'avertirent  chez  lui,  il  accourut  avec  le 
Guet,  fit  appeler  un  médecin  et  deux  chirurgiens.  Il 
commença  par  faire  arrêter  Pierre  Galas  qui  était  resté  au- 
près du  corps,  attendant  la  police,  tandis  que  ses  pa- 
rents s'étaient  retirés  dans  leur  chambre,  à  l'étage  su- 
périeur. 

Pendant  ce  temps  la  foule  qui  se  pressait  aux  portes  se 
livrait  à  d'ardents  commentaires  sur  cette  sinistre  énigme  : 
des  cris  confus  entendus  de  tout  le  quartier  et  le  corps  ina- 
nimé d'un  jeune  homme  de  vingt-huit  ans  trouvé  au  milieu 
des  siens.  Ges  commentaires,  loin  d'être  charitables,  s'en- 
flammaient de  toute  la  chaleur  des  haines  de  religion  en- 
core si  vivaces  à  cette  époque  dans  tout  le  Midi,  et  h 
Toulouse  plus  que  partout  ailleurs.  Les  Galas  étaient  pro- 
testants, et  bien  connus  pour  tels  ;  une  mort  si  imprévue 
et  si  étrange  arrivée  au  milieu  d'eux  devait  paraître  un 
crime  à  ceux  qui  regardaient  un  protestant  comme  capa- 
ble de  tout;  on  n'hésita  pas  à  croire,  à  dire  qu'ils  avaient 
assassiné  leur  fils.  Mais  pourquoi?  quel  motif  donner 
il  ce  meurtre  épouvantable,  commis  par  un  frère,  un 
père  et  une  mère?  Le  fanatisme  n'alla  pas  chercher 
bien  loin  ses  motifs  ;  il  les  trouva  en  lui-même  :  ces  Hu- 
guenots, s'écria-t-on,  ont  tué  leur  fils  pour  l'empêcher 
de  se  faire  catholique.  Gette  hideuse  accusation  fut  lan- 
cée du  sein  de  la  foule.  On  n'a  jamais  pu  savoir  par 
quelle  voix  ni  sur  quelles  preuves.  Elle  fut  avidement  re- 
çue et  répétée,  devenant  de  plus  en  plus  certaine,  de  bou- 
che en  bouche.  Personne  ne  l'adopta  plus  vite  ni  plus  com- 


l'arrestation.  25 

plétement  que  le  Gapitoul  David .  Ce  cri  anonyme  lui 
parut  la  voix  de  la  vérité.  Ce  soupçon  fut  pour  lui  un  trait 
de  lumière  (1). 

David  omit  de  décrire  et  ne  prit  pas  môme  la  peine 
d'examiner  l'état  des  lieux,  au  lieu  de  faire  visiter  les 
endroits  de  la  maison  où  des  assassins  auraient  pu  se 
cacher,  comme  le  long  corridor  qui  conduit  de  la  rue 
h  la  cour  ;  il  oublia  de  constater  si  ceux  qu'il  accusait 
d'avoir  étranglé  un  jeune  homme  dans  la  force  de  l'âge 
avaient  les  habits  en  désordre  et  les  marques  d'une 
lutte  sur  leur  personne  ;  il  omit  de  s'assurer  si  l'on  trou- 
verait dans  la  chambre  du  prétendu  martyr  des  livres 
catholiques  ou  des  objets  de  piété;  il  ne  conserva  pas 
même  les  papiers  trouvés  dans  les  poches  des  vêtements 
et  qu'on  déclara  plus  tard  être  des  vers  et  chansons 
obscènes.  En  un  mot,  sans  accomplir  une  seule  des 
formalités  que  la  loi  exigeait,  David  monta  k  la  cham- 
bre de  M.  et  de  M™'  Calas,  leur  ordonna  de  le  suivre 
à  l'Hôtel-de- Ville,  fit  porter  sur  un  brancard  le  corps 
de  Marc  Antoine  et  son  habit  qu'on  avait  trouvé  plié  sur 
le  comptoir;  et  arrêta,  avec  les  Calas,  toutes  les  per- 
sonnes qu'il  trouva  dans  la  maison,  leur  servante,  le 
jeune  Lavaysse  et  Cazeing,  leur  ami,  qui  n'était  arrivé 
chez  eux  qu'à  la  nouvelle  de  la  catastrophe.  Un  des  dé- 

(  1  )  Si  David  avait  mieux  connu  les  lois  qu'il  était  chargé  d'appliquer, 
il  aurait  pu  se  souvenir  de  ce  texte  très-précis  et  plein  de  sagesse, 
qui  lui  prescrivait  une  conduite  tout  opposée  à  celle  qu'il  a  tenue  : 
FancB  voces  populi  non  siint  audiendœ;  nec  enim  vocibus  eorum 
credi  opportet,  quandô  aut  noxiutn  crimine  absolvi  aut  innocentem 
condemnari  desiderant.  (L.  12.  G.  depœnis,  lib.  9.  tit.  xxvn.)  «Les 
vains  bruits  de  la  foule  ne  doivent  point  être  écoutés  ;  il  ne  faut 
en  croire  les  voix  du  peuple,  ni  quand  elles  veulent  absoudre  un 
criminel,  ni  quand  elles  demandent  la  condamnation  d'un  inno- 
cent, » 


26  l'arrestation. 

fenseurs  de  la  famille  Calas  (  1)  releva  plus  tard  le  torl  ir- 
réparable que  leur  fit  cette  arrestation  si  précipitée. 
Il  est  possible,  disons  mieux,  il  est  probable  qu'un  exa- 
men attentif  des  lieux  eût  prouvé  immédiatement  le  sui- 
cide. Les  preuves  les  plus  évidentes  ont  été  perdues 
sans  ressource.  L'arrestation  d'ailleurs  était  illégale. 
Elle  ne  pouvait  avoir  lieu  sans  mandat  qu'en  cas  de  fla- 
grant délit  ou  de  clameur  publique.  Ce  dernier  mot  ne 
signifiait  nullement  l'opinion  du  premier  venu  sur  les 
causes  d'un  décès,  mais  le  cas  où  l'on  crie  dans  la  rue 
après  quelqu'un  qui  s'enfuit.  Il  n'y  avait  rien  de  pareil 
dans  l'espèce. 

Bien  loin  d'imaginer  le  sort  qui  les  attendait,  les  pa- 
rents du  défunt,  absorbés  dans  leur  deuil,  croyaient  être 
conduits  k  l'Hôtel-de- Ville  pour  rendre  compte  des  cir- 
constances d'un  suicide.  Pierre  Calas  eut  soin  de  mettre 
une  chandelle  allumée  dans  le  corridor  pour  retrouver 
de  la  lumière  quand  ils  reviendraient  se  coucher  ;  mais 
David,  en  souriant  de  sa  simplicité,  fit  éteindre  le  flam- 
beau, et  leur  dit  qu'//5  n'y  reviendraient  pas  de  sitôt  (2). 
Us  n'y  sont  jamais  revenus.  C'était  ce  qu'il  voulait  dire. 


(j)  Voici  ce  qu'écrivit  à  ce  sujet  un  magistrat  plein  de  sagesse  et 
d'autorité,  M.  de  La  Salle,   conseiller  au  Parlement  de  Toulouse  : 

«  Le  moins  que  les  accusés  puissent  prétendre  lorsque,  comme 
dans  ce  cas,  le  juge  a  négligé  de  vérifier  les  faits  qui  pourraient  ser- 
vir à  leur  justification,  c'est  que  tous  ces  faits  soient  regardés  comme 
constatés  ;  car  serait-il  juste  que  la  mauvaise  disposition,  l'impérilie 
ou  la  négligence  du  juge  leur  ravît  leur  défense  naturelle?  Or,  si  l'on 
regarde  comme  constants  les  faits  que  les  Capitouls  négligèrent  de 
vérifier  et  dont  la  vérification  n'est  plus  possible,  il  en  résultera  un 
corps  de  preuve,  une  démonstration  supérieure  à  tout  ce  qu'il 
pourrait  y  avoir  de  contraire  dans  l'informalion,  que  M.-A.  Calas  n'a 
pas  été  mis  à  mort  par  ses  parents,  « 

(2)  Décl.  de  P.  C. 


l'arrestation.  27 

C/psl  comme  accusés  dumemire  de  leur  fds,  de  leur 
frère,  qu'il  les  arrêtait,  enveloppant  dans  le  même  soup- 
çon, sans  aucune  preuve,  la  servante,  Lavaysse  et  Gazeing. 
A  l'égard  de  ce  dernier,  il  y  a  même  dans  l'informe 
procès-verbal  du  Gapitoul  (1)  un  trait  caractéristique  : 
((  Nous  avons  fait  conduire  à  V hôtel  de  ville  les  S'"  Ca- 
las père  et  fils,  la  Derd^^  Calas  mère  (2),  la  file  de  ser- 
vice diidit  Calas,  le  sieur  Lavaise  et  un  espèce  d'abbé,  qui 
se  sont  trouvés  dans  lamaison.  n  C'est  Gazeing  qu'il  dé- 
signe comme  m?i  espèce  d'abbé.  Pourquoi?  Gazeing  était  un 
fabricant  d' étoiles  dites  mignonnettes,  qui  employait  plu- 
sieurs centaines  d'ouvriers  ou  d'ouvrières  ;  ce  n'était 
nullement  un  inconnu.  On  a  prétendu  plus  tard  (3)  que 
David  lui-même  le  connaissait  bien,  mais  voulut  le  faire 
])asser  pour  un  ministredu  Saint-Evangile,  instigateur  ou 
auteur  du  meurtre,  et  cette  idée  s'accorderait  avec  ce  que 
pensaient  et  disaient  alors  au  sujet  des  pasteurs  protes- 
tants les  catholiques  exagérés  de  Toulouse  (k) .  H  nous  sem- 
ble cependantassez  probable  que  David,  ici  comme  en  bien 
d'autres  cas,  a  été  coupable  d'une  précipitation  insensée 
plutôt  que  de  mauvaise  foi.  Il  fallait  pousser  bien  loin  la 
violence  et  la  légèreté  pour  traîner  un  homme  à  tra- 
vers les  rues  comme  accusé  d'un  assassinat  aussi  horri- 
ble, sans  même  lui  avoir  demandé  son  nom,  et  pour  dé- 


(i)  Voii-  le  texte  de  ce  procès-verbal,  note  i",  à  la  lin  du  volume. 

(2)  Rappelons  une  fois  pour  toutes  que  jusqu'à  la  Révolution  le 
nom  de  Madame  était  réservé  aux  femmes  des  nobles,  et  qu'une 
bourgeoise,  même  mariée,  n'avait  droit  qu'au  titre  de   demoiselle. 

(3)E.  de  B.  2. 

(4)  Voir  plus  bas  la  lettre  du  Président  du  Puget  à  M,  de  Saint- 
Florentin.  (Corr.  de  S'-Fl.  Lettre  17),  et  dans  notre  chapitre  mv, 
les  citations  que  le  chevalier  du  Mège  emprunte  à  l'abbé  Majfi. 


28  l'arrestation. 

signer  ensuite  sur  un  acte  légal  un  manufacturier  par 
cette  singulière  épithète,  un  espèce  d'abbé.  En  vain  un 
collègue  de  David,  le  Capitoul  Liste  Bribes,  arrivé  sur  ces 
entrefaites,  l'engageait  à  être  plus  calme  et  h  procéder 
avec  une  rigueur  moins  impatiente  :  Je  prends  tout  sur 
moi,  répondit-il.  —  Cest  ici,  disait-il  k  tout  moment, 
la  cause  de  la  religion.  Il  est  évident  qu'une  crédulité 
passionnée  et  haineuse  l'aveuglait. 

Le  funèbre  cortège  des  magistrats  et  des  accusés,  en- 
tourés de  quarante  gardes,  et  précédés  par  le  cadavre 
que  l'on  portait  sur  un  brancard,  traversa  les  rues  pour 
se  rendre  kl'Hôtel-de- Ville. 

On  doit  sentir  combien  une  arrestation  opérée  avec 
lant  d'éclat  répandit  au  sein  d'une  population  déjà 
hostile,  le  bruit  du  meurtre  imputé  aux  Calas.  On  les  crut 
non-seulement  coupables,  mais  convaincus. 

Nous  citerons  plus  loin  (ch.  vu)  la  déposition  d'une 
femme,  Barthélemye  Arnaud,  qui  donne  une  idée  des 
propos  tenus  dans  la  foule  sur  le  passage  de  ce  cortège 
lugubre;  elle  prouve  l'effet  que  ce  spectacle  produisit 
sur  les  esprits. 

On  déposa  le  corps  au  Capitole,  dans  la  chambre  de  la 
Gêne,  c'est-ci-dire  de  la  torture.  Les  accusés  furent  en- 
fermés et  interrogés  séparément.  Calas  et  son  fils  furent 
mis  dans  des  cachots  sans  fenêtres  (1),  les  deux  fem- 
mes dans  des  prisons  moins  obscures  ;  on  envoya  La- 


(  1  )  «  Là  existait  encore  il  y  a  3  0  ans  (écrivait  M.  du  Mége,  en  1 8  4  6  ) 
une  prison  affreuse,  et  les  cachots  que  l'on  avait  si  bien  nommés 
rinfernet.  C'est  là  que  le  Capitoul  Maudinelli,  le  Viguier  PorUil,  le 
fameux  avocat  Teronde  et  une  foule  d'autres  personnes  impliquées  à 
tort  ou  à  raison  dans  la  conspiration  de  15  62,  attendirent  l'heure 
du  supplice.  Ce  fut  là  aussi  que,  dans  le  siècle  dernier,  Jean  Calas 


L  ARRESTATION.  29 

vaysse  dans  le  logement  de  l'enseigne  du  Guet,  nommé 
Poisson. 

Ce  fut  alors  seulement,  et  dans  l'Hôtel-de- Ville,  que 
David  dressa  son  étrange  procès-verbal,  tandis  que 
la  loi  la  plus  formelle  (1)  et  le  simple  bon  sens  lui 
ordonnaient  d'écrire  sur  place  et  sans  désemparer. 
C'est  là  aussi  que  fut  rédigé  le  procès-verbal  du  médecin 
Latour,  et  des  chirurgiens  Peyronnet  et  Lamarque  qui, 
après  avoir  prêté  serment  entre  les  mains  de  David, 
examinèrent  le  corps  de  Marc- Antoine.  Selon  leur  cer- 
tificat qui  a  été  publié  (2) ,  le  cadavre  était  a  encore  un 
peu  chaud,  sans  aucune  blessure,  mais  avec  une  mar- 
que livide  au  col,  de  l'étendue  d'environ  demi-pouce,  en 
forme  de  cercle  qui  se  perdait  sur  le  derrière  dans  les 
cheveux,  divisée  en  deux  branches  sur  chaque  côté  du 
col...  ce  qui  nous  a  fait  juger  qu'il  a  été  pendu  encore 
vivant  par  lui-même  ou  par  d'autres.  » 

David  ne  laissa  pas  même  de  gardes  sur  les  lieux,  et 
ne  songea  pas  à  saisir  les  instruments  de  mort  par  les- 
quels Marc-Antoine  avait  péri  (3). 


lut  jeté,  accusé  d'avoir  fait  donner  la  mort  à  son  fils.  »  (Histoire  des 
Institutions  de  Toulouse,  t.  4,  p.  29  6.) 

(1)  Ordonnance  de  167  0,  ti*  4.  art,  i  : 

«  Les  juges  dresseront,  sur  le  champ  et  sans  déplacer ,  procès-verbal 
de  l'état  auquel  seront  trouvées  les  personnes  blessées  ou  le  corps 
mort  ;  ensemble  du  lieu  où  le  délit  aura  été  commis,  et  de  tout  ce 
qui  peut  servir  pour  la  décharge  ou  la  conviction,  » 

(2)  A  la  suite  du  3'  Mémoire  d'Elie  de  Beaumont. 

(3)  L'art  2,  titre  4  de  l'Ordonnance  de  167  0  prescrivait  aux  juges 
de  faire  transporter  au   greffe  «  les  armes,  meubles  et  bardes,  qui 
pourront  servir  à  la  preuve  et   feront  ensuite  partie   du  procès.  » 
Malgré  cette  loi,  la   corde  et  le  billot  qui  avaient  servi  au  suicide 
ne  furent  portés  au  greffe  que  plus  tard. 

3. 


30  l'arrestation. 

Si  les  prévenus  étaient  innocents,  on  ne  peut  nier 
qu'ils  tombaient  entre  les  mains  d'un  magistrat  peu 
éclairé,  car  David  était  plus  qu'un  officier  de  police 
chargé  de  les  arrêter,  il  était  un  de  leurs  juges. 


CHAPITRE    11, 


DAVID  DE   BEAUDRIGUE 


ET  LE  CAPITOULAT. 


«...  Hodiè  tamen  ex  aliis judicibus  usurpatam,  nesei» 
quomodo  jurididtonem  prceter  jus  exercem  communi 
cerle  nostrorum  omnium,  et  quasi  fatali  malo.  Nam 
qui  fieri  potest  ut  lii  jtis  dicant,  qui  juris  elementa  nun- 
quam  cognoveruntP  Creantnr  ad  id  munus  quotannis 
octo  viri  ex  quitus  vix  unum  et  alterum  reperias,  qui 
non  imperitus,  expers  rudisque  sit,  nullam  juris  scien- 
tiam  vel  rerum  experientiam  habens, 

CoRAs(l).  [Op.  f.  1603.  t.  II.  p.  648.] 

Aujourd'hui  ils  (les  Capitouls)  exercent,  je  ne  sais 
comment,  une  juridiction  illégale  usurpée  sur  d'autres 
juges,  au  préjudice  commun  et  pour  ainsi  dire 
fatal  de  tous  nos  concitoyens.  Car  comment  peut-il 
se  faii'e  que  ceux-là  rendent  la  justice,  qui  n'en 
ont  jamais  connu  les  éléments?  Tous  les  ans  on 
crée  Capitouls  huit  hommes  parmi  lesquels  on  en 
trouverait  a  peine  un  ou  deux  qui  ne  soient  incapa- 
bles, ignorants,  sans  culture,  n'ayant  aucune  scienc» 
du  droit  ni  même  aucune  expérience  des  choses. 

Il  nous  semble  nécessaire  de  faire  connaître,  avant 
tout,  ce  personnage  et  l'autoritéqu'il  exerçait  à  Toulouse. 


(i)  Ce  célèbre  jurisconsulle,  né  à  Toulouse  en  i  5  13,  devint  pro- 
testant et  fut  mis  à  mort  comme  tel  en  1572,  Nous  n'avons  pas  be- 
soin, sans  doute,  de  faire  remarquer  que  sa  foi  religieuse  ne  put 
avoir  d'influence  sur  l'opinion  qu'il  exprime,  au  sujet  du  capitoulat; 
on  sait  d'ailleurs  que,  jusqu'au  massacre  de  I56'i,  celle  dignité  fui 
souvent  donnée  à  des  huguenots. 


32  DAVID   DE    BEAUDRIGUE 

François  -  Raymond  David  de  Beaudrigue  n'était 
point  un  scélérat,  quoiqu'on  l'ait  représenté  comme 
tel  sur  bien  des  théâtres,  en  France,  en  Hollande  et  en 
Allemagne  (1).  C'était  un  homme  naturellement  violent, 
très-actif,  ayant  des  talents  réels,  comme  l'a  dit  Court  de 
Gebelin(2),  a  pour  exercer  la  basse  police  qui  n'exige 
que  de  l'autorité,  »  Irès-habile  (3)  h  prendre  sur  le  fait, 
avec  une  rapidité  et  une  précision  irrésistibles,  les  mai- 
sons de  jeux  clandestines.  Mais  ses  qualités  même  et 
l'impétuosité  de  son  caractère  a  qui  l'embarquaient  sans 
réflexion  dans  les  démarches  les  plus  fausses  »  le  rendaient 
incapable  des  fonctions  calmes  et  sereines  de  l'impassible 
justice.  C'était  un  de  ces  hommes  dangereux  qu'une  police 
habile  sait  utiliser  en  les  dominant,  mais  à  qui  le  sanc- 
tuaire des  lois  devrait  être  rigoureusement  interdit.  Mal- 
heureusement, àcetleépoque,  ce  n'étaient  pas  là  deux  do- 
maines distincts,  et  le  vague  de  ses  attributions  fournis- 
sait au  fougueux  Capitoul  mille  occasions  d'en  dépasser 
les  limites.  Il  était  gonflé  de  son  importance  au  point  de 
s'attirer  sans  cesse  des  mortifications  qu'il  eût  pu  éviter 
en  se  tenant  k  sa  place.  En  voici  un  exemple  assez  sin- 
gulier. Il  trouva  mauvais  que  les  affiches  de  théâtre  ne 
portassent  aucune  mention  des  Capitouls,  et  fit  ajouter, 
au-dessous  de  l'autorisation  d'usage,  ces  mots  :  Et  par 
permission  de  MM.  les  Capitouls,  Là-dessus  récla- 
mation de  ceux  qui  jusqu'alors  avaient  seuls  brillé  en 
tête  des  affiches  toulousaines  ;  conflit  de  pouvoirs  ;  dé- 


(i)\o[v  ians  la.  Bibliographie,  les  drames  on    tragédies  indiqués 
sous  les    n"'   58,    59,61,   63,    65,    66,    93,    101,    102, 

(2)  Les  Toulousaincsï 

(3)  Histoire  du  Languedoc. 


ET   LE   CAPITOULAT.  33 

noncialion  au  minisire  secrétaire  d'Etat;  et  le  tout  finit 
par  une  lettre  de  ce  dernier  où  il  blâme  l'ambitieux 
David,  et  met  fm  h  l'orgueilleuse  innovation  qu'il  s'était 
permise  (1). 

Un  autre  esclandre  où  il  paraît  avoir  eu  l'avantage, 
quoique  évidemment  il  eut  tort,  précéda  de  peu  l'affreuse 
histoire  des  Galas.  La  Beaumelle  (2)  que  David  avait  sur- 
pris et  arrêté  dans  une  maison  où  l'on  jouait  (chez  la 
marquise  de  Fontenelles) ,  se  défendit  par  de  vives  récla- 
mations. David  en  fut  blessé  et  se  vengea  par  un  affront 
impardonnable.  Il  fit  désarmer  son  adversaire  en  plein 
jour  dans  la  rue,  comme  n'étant  pas  noble  et  n'ayant 
pas  droit  de  porter  l'épée.  La  Beaumelle  prouva  qu'il 
avait  reçu  des  lettres  de  noblesse  en  Danemark,  où  il 
avait  résidé  quelques  années.  En  tout  cas,  à  cette  époque 
où  une  multitude  de  roturiers  portaient  l'épée  sans  même 
avoir  de  prétexte  à  donner,  l'acte  brutal  du  Capitoul  ne 
valait  pas  mieux  dans  le  fond  que  dans  la  forme. 

J'ai  cité  à  dessein  ces  deuxfaits,  parcequ'ils  sont  com- 
plètement étrangers  aux  Galas,  et  font  connaître  le  plus 
acharné  de  leurs  ennemis  sans  préjuger  en  rien  leur 
procès. 

Nous  avons  d'ailleurs,  pour  connaître  David,  deux 
sortes  de  témoignages,  également  irrécusables,  ses  pro- 
pres lettres  au  comte  de  Saint-Florentin  (3),  que  nous 


(1)  Archives  Impériales,  —  Dépôclies  du  Secrétariat. 

(2)  Bien  connu  par  ses  démêlés  avec  Voltaire,  son  édition  des  let- 
tres de  M""'  de  Mainlenon  et  beaucoup  d'autres  écrits,  dont  le  der- 
nier, publié  par  sa  famille  en  18  5  5,  est  une  fie  de  Mauperiids.^oMS 
aurons  à  raconter  la  part  qu'il  prit  à  l'affaire  Calas,  et  qui  est  à  peu 
près  ignorée. 

(3)LouisPlielippeaux,  comte  de  Saint-Florentin,  né  en  I70  5,mort 


34  DAVID   DE  BEAUDRIGUE 

avons  copiées  sur  les  originaux  aux  Archives  impéria- 
les (1)  et  celles  que  lui  écrivit  le  Ministre  (2).  Les  pre- 
mières décèlent  en  lui  un  zèle  aveugle  pour  le  service  de 
l'Etat,  non  sans  un  vif  désird'en  être  récompensé,  ce  qu'il 
demande  sans  cesse.  Son  fanatisme  catholique  est  celui 
d'un  agent  subalterne,  aux  yeux  duquel  désobéir  au  Roi 
ou  aux  Gapitouls,  ne  pas  croire  au  Pape  ou  blasphémer 
contre  Dieu,  c'est  commettre  un  seul  et  même  péché, 
le  péché  irrémissible  de  la  rébellion.  Un  protestant  pour 
lui  est  un  ennemi  de  l'Etat,  de  l'Eglise,  de  Dieu  même, 
et  par  conséquent  un  protestant  est  capable  de  tous  les 
crimes. 

Sa  présomption,  sa  parfaite  satisfaction  de  lui-même, 
éclatent  dans  une  lettre  où  il  rend  compte  de  l'arrestation 
que  nous  venons  de  raconter  après  lui.  Il  ne  se  contente 
pas  de  faire  preuve  de  zèle  :  «  Je  suis  cette  procédure  avec 
vigueur  et  je  ne  perds  pas  un  moment  pour  y  donner 
toutes  les  suites  qu'exige  une  affaire  de  pareille  nature.  » 
Il  se  vante  d'avoir  jusque-là  bien  rempli  sa  charge,  «quoi- 
que le  chef  du  Consistoire  soit  absent  et  que  je  le  repré- 
sente par  ma  charge  ;  néanmoins  mon  expérience  ne  m'a 
pas  laissé  douter  de  procéder  ainsi  que  je  l'ay  fait.  » 
Nous  le  verrons  dans  cette  même  correspondance  se 


en  1777,  fut  ministre  cinquante-deux  ans.  Ses  débauches,  ses  flat- 
teries, sa  conduite  perfide  et  cruelle  à  l'égard  des  protestants  qu'il 
ne  cessa  de  persécuter,  sont  les  seuls  traits  caractéristiques  de  ce 
ministre  de  Louis  XV,  plus  véritablement  roi  que  lui,  et  qui  admi- 
nistra la  France  pendant  un  demi-siècle  avec  un  pouvoir  à  peu  près 
absolu.  M.  de  Barante,  dans  la  vie  de  Saint-Priest,  a  tracé  un  tableau 
effrayant  de  ce  qu'était  l'administration  française  au  XVIIl*   siècle. 

(i)  Voir  plus  bas  :  Correspondance    du   comte   de  Sainl-lloren- 
tin,  lettres  i,  8,  18,   16,  22. 

(2)  Ihid.  lettres    6,  19. 


ET    LE   CAPITOULAT.  35 

plaindre  au  ministre  de  ce  que  ses  collègues  ne  secon- 
dent pas  son  zèle.  On  frémit  en  l'entendant  promettre 
de  redoubler  son  zèle  et  son  attention  pour  contenir  le 
bon  07'dre.  On  sait  ce  qu'il  entend  par  là. 

Quant  aux  lettres  du  Ministre,  elles  sont  peut-être 
plus  significatives  encore.  Il  écrit,  le  25  octobre  1764,  ^ 
l'intendant  du  Languedoc,  M.  de  Saint-Priest  : 

«  Il  y  a  longtemps  que  je  m'aperçois  qu'en  général  le  ca- 
ractère trop  entreprenant  de  ce  Capitoul  le  porte  à  vouloir 
s'emparer  de  toute  l'autorité  au  préjudice  de  ses  confrères.  Je 
lui  écris  pour  lui  en  marquer  tout  mon  mécontentement  (1).  » 

Il  s'agit  non  des  Calas,  mais  d'une  troisième  affaire 
oii  David  laissa  percer  les  défauts  de  son  caractère. 
Il  suffira  d'en  indiquer  une  quatrième  qui  fut  la  der- 
nière ;  il  fut  révoqué  à  l'occasion  d'un  fait  qui  donne 
lieu  encore  à  bien  des  difficultés  dans  tous  les  pays  ca- 

(1)  Voici  celle  letlre  qui  porle  dans  la  lable,  à  la  fin  d'un  des  vo- 
lumes manuscrils  des  dépêches  du  Secrétariat,  le  lilre  très-exact  de 
semonse  ; 

A  M.  DAVID  DE  BEAUDRIGUE 

Même  date. 
«  11  me  revient,  M.  depuis  assez  longtemps  desplainles  contre  vous. 
Je  sais  qu'elles  sont  fondées,  que  vous  affectez  en  toute  occasion 
sur  les  autres  Capitouls  une  supériorité  que  vous  n'avez  point,  et 
que  vous  cherchez  à  vous  emparer  seul  d'une  autorité  qui  vous  est 
commune  avec  eux.  Vous  venez  d'en  donner  de  nouvelles  preuves 
à  l'occasion  de  la  vacance  de  la  place  d'Enseigne  du  guet  de  la 
ville,  et  je  ne  peux  différer  plus  longtemps  à  vous  marquer  mon 
mécontentement  d'une  pareille  conduite.  A  l'égard  de  la  nomina- 
tion que  vous  avez  faite  du  S'  Bonneau  fils,  la  Roi  l'a  entièrement 
désapprouvée.  S.  M.  a  cassé  la  délibération  qui  la  contient,  et  s'est 
déterminée  à  nommer  un  autre  sujet  par  une  ordonnance  que  j'en- 
voye  à  M.  de  St-Priest  qui  vous  fera  connaître  les  intentions  de 
S.  M.  à  ce  sujet.  » 


36  DAVID   DE   BEAUDRIGUE 

tlioliques,  la  sépulture  refusée  à  des  protestants  (1). 
Nous  aimons  mieux  ne  pas  croire  à  un  Mémoire 
manuscrit  que  nous  avons  entre  les  mains  et  d'après  le- 
quel David  aurait  été  coupable  de  concussion.  Cette 
pièce  est  de  la  Beaumelle  ;  nous  n'en  ferons  usage  que 
comme  venant  d'un  ennemi,  et  pouvant  être  suspecte 
pour  cause  d'animosité  personnelle  (2). 


(i)Lalellre  suivante  du  minisire  à  M.  de  Bonvepos,  Procureur- 
Général  au  Parlement,  qui  intercédait  en  sa  faveur,  achève  de 
le  faire  connaître.  Elle  prouve  bien  que  l'affaire  des  deux  Anglais 
morts  à  Toulouse  fut  moins  la  cause  que  le  prétexte  de  la  destitu- 
tion de  David,  Cette  lettre  est  datée  du  lendemain  de  la  réhabilitation 
de  Galas,  et  M.  de  Saint-Florentin,  très-peu  satisfait  de  ce  grand 
acte  de  justice,  laisse  deviner,  plutôt  qu'il  ne  l'avoue,  la  véritable 
cause  du  châtiment  infligé  au  Capitoul. 

10  mars  176S. 

«  J'ai  reçu.  M.,  la  lettre  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire 
en  faveur  du  Sr,  David.  Ce  qui  est  arrivé  en  dernier  lieu  à  cause  de 
l'inhumation  de  deux  Anglais  décédés  à  Toulouse  n'est  pas  le  seul 
motif  qui  ait  déterminé  le  Roi  à  ordonner  sa  destitution.  11  était 
revenu  à  S.  M.  beaucoup  d'autres  plaintes  très-graves  contre  ce  Ca- 
pitoul. Elles  ont  été  approfondies,  et  comme  ce  n'est  qu'en  grande 
connaissance  de  cause  que  S.  M.  a  prononcé  contre  lui,  ce  serait 
inutilement  qu'on  lui  proposerait  de  révoquer  sa  décision.   » 

(2)  Ce  Mémoire  s'appuie  sur  des  faits  qu'il  serait  peut-être  en- 
core possible  de  vérifier  ;  nous  citerons  par  ce  motif,  sans  en  garantir 
les  assertions  le  passage  où  est  résumée  la  carrière  publique  de  David. 

«  Autrefois  poursuivi  criminellement  par  le  Procureur-Général, 
échappé  au  fouet  et  aux  galères  à  force  de  protections  achetées,  flétri 
pourtant  par  un  arrêt  à'nnc  admonition  qiialiftce  sur  Vim^nreXé  et  l'in- 
décente gestion  de  sa  charge,  depuis  mille  fois  réprimé  et  toujours 
inutilement  par  les  commandants  de  la  province,  condamné  par  feu 
M.  de  Thomond  à  la  privation  de  ses  fonctions  de  police  à  l'égard 
d'un  bourgeois  dont  il  avait  assassiné  le  fils,  chargé  dans  une  infor- 
mation par  une  créature  de  ses  amies  de  l'avoir  corrompue  par  argent 
donné  avant,  pendant  et  après  la  procédure,  pour  déposer  contre  un 
citoyen,  enfin  chassé  par  arrêt  du  Conseil  du  12 février  176  5,  de  la 
place  de  Capitoul  perpétuel,  et  bridé  par  le  môme  arrêt  dans  ses  fonc- 
tion de  Capitoul  triennal,    sous  le  prétexte  énoncé  que  la  ville  n'a 


ET   LE    CAPITOULA.T.  37 

Voici,  en  tout  cas,  un  exemple,  sinon  de  sa  mauvaise 
foi,  au  moins  delà  tyrannie  qu'il  exerçait. 

Les  deux  demoiselles  Calas,  leur  frère  Louis,  quelques 
autres  rares  amis,  se  concertaient  sur  ce  qu'on  pouvait 
tenter  pour  la  défense  des  prisonniers.  Ils  eurent  lieu  de 
croire  que,  pour  cacher  l'irrégularité  de  quelque  acte 
légal  omis  d'abord  et  suppléé  après  coup,  David  l'avait 
antidaté  et  peut-être  même  y  avait  ajouté  un  mot  im- 
portant. Ils  firent  présenter  par  leur  procureur  une  re- 
quête d'inscription  en  faux.  Cette  démarche,  qui  du  reste 
ne  nous  paraît  point  justifiée  par  les  pièces,  irrita  pro- 
fondément le  Capitoul  ;  il  eut  le  crédit  de  faire  con- 
damner le  procureur  Duroux,  coupable  d'avoir  instru- 
menté contre  lui,  à  lui  faire  des  excuses  solennelles  et  à 
trois  mois  de  suspension  (1).  Cette  vengeance  épouvanta 
les  gens  de  loi  à  tel  point  que  nous  verrons  la  famille 
Calas  chercher  en  vain,  dans  le  cours  du  procès,  un 
procureur  qui  voulût  agir  pour  elle. 

Il  nous  reste  ci  expliquer  la  nature  des  pouvoirs  éten- 
dus que  David  exerçait  à  Toulouse. 

Tandis  qu'ailleurs  les  conseillers  municipaux  por- 
taient le  titre  d'Echevins,  Toulouse  qui  se  vantait  de 
conserver  les  traditions  romaines,  nommait  les  siens  Ca- 
pitouls(2),et  sa  maison  de  ville  porte  encore  le  titre  fas- 
tueux de  Capitule.  Il  était  dit,  dans  la  légende  du  patron 

relire  aucun  fruit  de  sonadminislralion,  mais  réellement  pour  le  pu- 
nir d'une  concussion  exercée  envers  un  Anglais  protestant  auquel  il 
avait  vendu  très-chèrement  l'ordonnance  toujours  gratuite  d'inhu- 
mation. » 

(i)  Voir  sa    5'  lettre  au  comte  de  Saint-Florentin  (Gorr.  1.  2  3.) 

(2)  Un  des  principaux  acteurs  dans  le  drame  sanglant  des  Calas,  le 

plus    zélé    complice    de  David,   le  procureur   du  roi,  Charles    La- 

gane,  a  écrit  (avant  de  devenir  Capitoul  lui-même)  un  Discours  con- 

u 


38  DAVID   DE   BEAUDRIGUE 

de  la  ville,  saint  Sernin  ou  Saturnin,  qu'il  fut  jugé  au 
Capitole  de  Toulouse  par  les  magistrats  romains  ;  et  l'on 
tenait  à  conserver  ce  nom  qui  rappelait  ci  la  fois  Rome 
païenne  et  la  légende  catholique.  Les  Gapitouls  n'é- 
taient pas  seulement  chargés  de  l'administration  et  de 
la  police  municipales  ;  ils  avaient  «  haute  et  basse  justice 
dans  la  ville  et  son  gardiage  ou  territoire.  »  Des  docu- 
ments d'époques  très-diverses,  telles  que  les  paroles 
de  Coras  au  seizième  siècle,  citées  en  tête  de  ce  cha- 
pitre, et  le  Discours  de  Charles  Lagane  au  dix-hui- 
tième, signalent  les  usurpations  de  pouvoir,  l'outre- 
cuidance et  le  peu  de  capacité  judiciaire  de  ces  étranges 
magistrats. 

Les  titres  officiels  qu'ils  s'attribuaient  étaient-ceux-ci  : 
((  Gapitouls,  Gouverneurs  de  la  ville  de  Toulouse,  chefs 
«  des  nobles,  juges  des  causes  civiles,  criminelles,  et  de 
((  la  police  et  voyerie,  en  ladite  ville,  et  gardiage  d'i- 
«  celle.  )) 

Les  Gapitouls  étaient  au  nombre  de  huit,  et  ce  corps 
s'appelait  Consistoire ;m\  à' QwivQ^iw  était  Chef  du  Con- 
sistoire. En  1761,  c'était  Jean-Pierre-Bertrand  Faget, 
avocat,  que  nous  verrons  seconder  David  dans  ses  excès 


tenant  Vlùstoire  dea  jeux  Floraux  et  celle  de  Dame  Clémence.  Il 
prouve  que  le  Ulre  légal  et  ancien  des  Gapitouls  était  celui  de 
Consules  Tolosœ,  et  qu'on  les  appela  Capitulares  parce  qu'ils 
formaient  un  chapitre,  Capitulunî.  En  patois  roman,  ils  étaient  appe- 
lés Senhors  de  Capitols,  c'est-à-dire  Messieurs  du  Chapitre.  C'est  ce 
terme  de  Capitols  qui,  généralement  admis  et  mal  traduit,  donna 
lieu  au  changement  de  Capitulum  en  Capitolium.  Ce  dernier  mot 
est   encore  inscrit  au-dessous  du  fronton  de  i'Hôtel-de-Ville. 

Dans  ce  môme  Discours,  Charles  Lagane  accusait  ses  futurs  col- 
l(!?nes  d'un  orgueil  ridicule;  à  l'en  croire,  ils  regardaient  la  magis- 
iraïuii'  dont  ils  étaient  revêtus  «  comme  la  plus  éminente  de  l'Europe 
(n.  ioo\  » 


ET  LE   CAPITOULAT.  39 

de  zèle.  Il  y  avait  ordinairem  ent  deux  ou  trois  Capitouls 
titulaires,  c'est-à-dire  ayant  acheté  leurs  charges.  La 
ville  leur  payait  1,200  livres  pour  l'inlérèt  annuel  de 
leur  argent.  Sauf  pour  ces  derniers,  les  fonctions  de  Ca- 
pitoul  étaient  temporaires  et  électives  (1). 

David  était  Gapitoul  titulaire;  il  avait  même  obtenu  en 
1752  un  arrêt  du  Conseil  qui  l'autorisait  à  remplir  les 
fonctions  du  Capitoulat  en  l'absence  de  ses  collègues. 
Selon  le  Mémoire  inédit  de  La  Beauraelle,  cette  ordon- 
nance excita  de  grandes  jalousies  et  ne  fut  enregistrée 
ni  au  Sénéchal  ni  au  Parlement. 

On  conçoit  que  ce  privilège  et  l'inamovibilité  augmen- 
tèrent de  beaucoup  son  importance,  son  orgueil,  et  lui 
donnèrent  le  moyen  de  parler  et  d'agir  en  maître  dans 
les  rues  de  Toulouse. 

Il  ne  nous  reste  plus,  pour  exposer  cette  organisation 
qui,  comme  on  le  voit,  n'était  pas  seulement  municipale, 
qu'à  faire  mention  des  assesseurs  des  Capitouls ,  collè- 
gues qu'ils  s'adjoignaient  eux-mêmes  comme  officiers  de 
justice  et  police,  mais  qu'ils  pouvaient  toujours  desti- 
tuer et  tenaient  entièrement  dans  leur  dépendance.  Nous 
enverrons  un,  M"  Monyer,  pour  avoir  témoigné  de  la  pi- 
tié aux  Calas,  tomber  dans  la  disgrâce  de  ses  collègues 
ou  plutôt  de  ses  maîtres,  et  renoncer  malgré  lui  à  pren- 
dre part  au  procès. 


(i)  Tous  les  ans,  les  huit  Capitouls  sortants  présentaient  chacun 
trois  candidats  à  un  corps  électoral  formé  des  anciens  Capitouls 
et  des  représentants  de  tous  les  corps  d'état,  de  l'Université  et  du 
Parlement.  Sur  les  vingt-quatre  noms  présentés  ainsi  par  le  Consis- 
toire sortant,  cette  assemblée  en  choisissait  huit  qui  étaient  soumis  à 
l'approbation  royale,  et  s'ils  n'étaient  nobles,  le  devenaient  de  droit, 
et  recevaient  du  roi  leurs  armoiries  en  même  temps  que  la  confir- 
mation de  leur  dignité. 


llO  DAVID  DE    BEAUDRIGUE   ET    LE  CAPITOULAT. 

Le  Capitole  de  Toulouse  possède  encore  ses  annales, 
énormes  volumes  de  parchemins  où  chaque  Consistoire, 
avant  de  sortir  de  charge,  rendait  compte  de  sa  gestion. 
C'est  un  fait  extrêmement  remarquable  que  dans  le  récit 
de  1762,  il  ne  soit  fait  aucune  mention  du  supplice 
de  Jean  Calas,  et  que  cette  année  1761  où  les  Capitouls 
le  firent  arrêter  avec  sa  famille  et  commirent,  dans  l'ins- 
truction delà  cause,  une  multitude  de  fautes,  par  ignorance 
des  lois,  précipitation  et  parti  pris,  cette  année  1761  est 
demeurée  en  blanc  dans  le  volume  où  elle  devait  être 
racontée.  Les  feuillets  de  parchemin  qui  devaient  por- 
ter ce  déplorable  récit  existent,  mais  sont  demeurés 
muets,  et  leur  silence  se  joint  à  la  voix  de  l'histoire  pour 
accuser  ce  tribunal  inepte  et  odieux  (1).  Ces  juges  ini- 
ques semblent  ainsi  joindre  leur  propre  suflrage  à  ceux 
de  leurs  adversaires  et  de  la  postérité  pour  se  condamner 
eux-mêmes. 

Tel  fut  le  tribunal  dont  David  était  l'âme  et  qui  allait 
prononcer  sur  la  vie  et  l'honneur  des  cinq  détenus  de 
l'Hôtel-de- Ville.  Avant  de  raconter  la  procédure  ins- 
truite contre  eux,  il  est  nécessaire  de  les  faire  mieux 
connaître  eux-mêmes. 

(i)  Voir  la  note  II,  à  la  fin  du  volume. 


CHAPITRE    III. 


LA   FAMILLE    CALAS. 


In  lioc  lanto,  tam  atroci,  lain  singulari  vtale/irio, 
ijitod  lia  rnro  cxlilit,  itt  si  fjiiando  audiium  ait,  por- 
tenti  ac  prodigii  simiU  numeretur,  quibus  tandem 
te  argumenlis  accusalorcm  censés  uti  oporlere?  Nunne 
et  audaciam  ejus  qui  in  crimen  vocelur,  tingidarem 
ostendere,  et  mores  feros,  immanemque  nalicratn^. 
CiCKRo  pro.  Rose.  Amer.,  n.  13. 

Vous  qui  portez  une  accusation  si  énorme  ,  si 
atroce,  si  lior.s  de  l'ordinaire,  qui  s'est  présentée  si 
rarement  qu'on  dut  la  compter  au  nombre  des  évé- 
nements prodigieux  et  hors  nature,  si  jamais  on  en 
ouït  parler ,  quels  sont  enfin  les  arguments  dont 
vous  pensez  a'ous  servir?  Ne  faudra-t-il  pas  nous 
montrer  en  celui  que  vous  accuser,  d'un  tel  crime, et 
une  aiulace  singulière,  et  des  mœurs  sauvages,  et 
une  âme  dénaturée  ? 


Le  14  octobre  au  matin,  maître  Faget  assembla  les 
Capilouls  et  rendit  en  consistoire  l'ordonnance  d'écrou. 
Jean  Calas,  sa  femme  et  son  fils  Pierre,  le  jeune  La- 
vaysse  et  même  la  servante,  quoiqu'elle  tïit  catholique, 
étaient  accusés  d'avoir  étranglé  Marc- Antoine  par  fana- 
tisiue  protestant,  et  pour  prévenii-  par  le  meurtre  sa  con- 
version au  catholicisme.  Cazeing  fut  renvoyé. 

Il  y  a  toujours  une  forte  présomption,  contre  une  im- 
putation aussi  abominable,  si  l'on  prouve  que  le  prévenu 

A. 


Zl2  LA    FAMILLE    CALAS. 

a  im  passé  sans  reproche,  des  habitudes  douces  et  pures. 
Mais  cette  preuve  devient  bien  phis  certaine  encore  lors- 
qu'il s'agit  de  pkisieurs  accusés.  Il  n'est  pas  impossible, 
sans  doute,  qu'on  découvre  lui  scélérat  en  un  homme  qui 
s'était  acquis  une  estime  imméritée.  Mais  cela  est  incroya- 
ble pour  cinq  personnes  k  la  fois,  surtout  quand  elles 
diffèrent  d'âge  et  de  position,  quand  deux  d'entre  elles  ne 
sont  pas  du  même  sang,  quand  une  autre  appartient  aune 
Eglise  rivale,  et  quand  toutes  sont  inattaquables  dans 
leur  vie  antérieure.  Nous  montrerons  qu'on  s'est  épuisé 
en  efforts  pour  leur  inventer  des  crimes  ou  au  moins 
leur  prêter  des  menaces  coupables,  sans  avoir  pu  donner 
le  moindre  fondement  h  ces  calomnies.  Leur  conduite 
et  leur  caractère  à  tous  sont  demeurés  sans  tache. 

Né  en  1698  h  La  Cabarède,  près  de  Castres,  il  y  avait 
quarante  ans  que  Jean  Calas  était  venu  s'établir  à  Tou- 
louse, comme  marchand  d'indiennes.  C'était  un  de  ces 
hommes  simples ,  laborieux  et  intègres,  qui  se  créent 
lentement  une  fortune  bornée  mais  irréprochable,  et  dont 
la  religieuse  droiture,  la  vertu  sans  éclat,  étaient  l'hon- 
neur des  vieilles  familles  de  bourgeois  protestants.  Si 
plus  tard,  en  face  de  l'épreuve,  au  jour  du  martyre,  il  se 
se  trouva  k  la  hauteur  de  sa  cruelle  destinée,  c'est  qu'une 
piété  ferme  et  un  sentiment  inflexible  du  devoir  l'avaient 
préparé  k  tout. 

Son  caractère  était  aussi  doux  que  grave.  Un  jeune 
homme  élevé  chez  lui  attesta  plus  tard  qu'en  quatre  an- 
nées, il  ne  l'avait  pas  vu  une  seule  fois  en  colère  (1). 


(l)  «  J'altesie  devant  Dieu  que  j'ai  demeuré  pendant  quatre  ans  à 
Toulouse,  cliez  les  sieur  et  dame  Calas,  que  je  u'ai  jamais  vu  une  fa- 
mille plus  unie,  ni  un  père  plus  tendre,  et  que  dans  l'espace  de  qua- 
tre années  il  ne  s'est  pas  mis  une  seule  fois  en  colère  ;  que  si  j'ai 


LA    FAMILLE    CALAS.  h'à 

L'avocat  Sudre,  dans  son  premier  Mémoire,  demanda 
l'autorisation  de  prouver  que  peu  d'heures  avant  la  mort 
de  M  arc- Antoine  ,  à  six  heures  du  soir,  une  demoiselle 
étant  venue  pour  acheter  une  étoffe,  Calas  père  envoya, 
en  lui  parlant  très-tendrement ,  ce  même  Marc-Antoine 
chercher  à  l'étage  supérieur  la  pièce  d'étoffe  que  l'on 
demandait.  La  demoiselle  ne  fut  pas  interrogée  et  M*'  Su- 
dre ne  fut  point  admis  à  prouver  le  fait. 

Après  avoir  lu  avec  soin  les  interrogatoires  et  les  con- 
frontations de  Jean  Galas,  on  reste  convaincu  que  son 
esprit  était  solide  sans  être  brillant ,  sa  volonté  con- 
sciencieuse et  très-arrêtée.  La  conduite  et  les  prétentions 
de  deux  de  ses  fils,  Marc-Antoine  et  Louis,  lui  donnè- 
rent souvent  des  soucis.  Dans  ses  rapports  quelquefois 
pénibles  avec  eux,  on  le  voit  toujours  doux  et  paternel, 
mais  inflexible  dans  sa  résolution  de  rester  seul  maî- 
tre de  ses  affaires,  où  le  pain  et  l'honneur  de  la  famille 
étaient  engagés.  On  le  voit  aussi  s'opposer  invariable- 
iment,  soit  aux  dépenses  exagérées,  soit  aux  entreprises 
(  commerciales  où  ces  jeunes  gens  veulent  se  lancer  im- 
;  prudemment.  Honneur  et  fermeté,  mais  sans  aucune  ru- 
desse, voilà  en  deux  mots  le  caractère  de  Galas. 

Il  est  nécessaire  de  remarquer  que  ce  père,  accusé 
d'avoir  étranglé  par  fanatisme  son  propre  fils,  était  au 
contraire,  dans  ses  relations  avec  les  catholiques,  d'une 
I  facilité  de  mœurs  et  d'une  tolérance  assez  rares  alors.  A 
cet  égard  les  preuves  abondent  ;  il  était  si  bien  connu 
sous  ce  rapport,  qu'en  1735,  un  catholique  nommé  Bona- 


quelques  sentiments  d'honneur,  de  droiture  et  de  modération,  je  les 
dois  à  l'éducation  que  j'ai  reçue  chez  lui.  A  Genève,  6  juillet  17  62. 
Signé  J.  Calvet,  caissier  des  postes  de  Suisse,  d'Allemagne  et  d'I- 
talie. "  (L'original  de  cette  pièce  est  aux  Archives  Impériales.) 


/l^  LA    FAMILLE   CALAS. 

fous,  juge  de  Ferrières  et  d'Espérausses,  voulant  placer 
ses  deux  filles  dans  le  couvent  des  Religieuses  de  Notre- 
Dame  à  Toulouse,  les  confia  à  Calas,  chez  qui  elles  logè- 
rent d'abord.  Plus  tard,  des  maladies  fréquentes  obligè- 
rent l'aînée  cl  sortir  de  ce  couvent.  Ce  fut  encore  chez  les 
époux  Galas  qu'elle  passa  plusieurs  mois,  à  diverses  repri- 
ses. Devenue  plus  tard  la  femme  de  J.  Boutade,  maire  de 
Gastelnau-de-Brassac,  elle  attesta  ces  faits,  ainsi  que  sa 
sœur,  dans  deux  certificats  authentiques  (1),  et  M'"' Bou- 
tade y  déclare  que,  «  tandis  qu'elle  demeurait  chez  les 
sieur  et  dame  Galas,  elle  y  a  rempli  ses  devoirs  de  catho- 
licité, et  fait  sespâques,  en  l'année  1757  ;  que  le  dit  Ga- 
las la  faisait  accompagner  dans  toutes  les  églises  par 
des  personnes  de  confiance.  )) 

Nous  retrouverons  la  même  modération  dans  sa  con- 
duite envers  Louis,  celui  de  ses  fils  qui  était  devenu  ca- 
tholique, et  plus  encore  envers  la  servante,  qui  l'avait 
aidé  dans  cet  acte  si  pénible  à  ses  parents. 

11  n'est  pas  étonnant  qu'une  telle  conduite  eût  valu  à 
Galas  le  respect  et  même  l'affection  des  catholiques 
sensés.  Aussi  n'était-ilpas  seulement  en  relations  d'amitié 
avec  ses  coreligionnaires.  Les  papiers  de  famille ,  les 
dépositions  du  procès  nous  le  montrent  en  rapports  ha- 
bituels avec  des  personnes  des  deux  cultes  et  quelque- 
fois même  avec  des  prêtres. 

Parmi  les  protestants,  le  marchand  de  Toulouse  était 


(i)  Arch.  Tmp.  —  Le  juge  Ronafous  a  donné  lui-même  une  al- 
teslaliou  loule  conforme.  D'aulrcs  témoins  nombreux,  nolammenl 
IIoulès-Lagarriguc  et  son  fils,  ont  déposé  dans  le  môme  sens.  Tous 
CCS  ceriincats  qui  exislonl  encore  aux  Arcliives,  ne  furent  profluils, 
comme  toutes  les  pièces  ou  dépositions  à  décharge,  que  plus  lard, 
devant  le  Grand  Conseil  et  les  Maîtres  des  Requêtes. 


LA    FAMILLE   CALAS.  Zl5 

plus  considéré  encore,  et  quoiqu'il  ne  jouit  que  d'une 
fortune  très-limitée,  nous  le  voyons,  dans  les  châteaux  du 
Languedoc,  admis  k  la  table  des  seigneurs  (1) ,  dont  quel- 
ques-uns le  traitaient  en  ami  et  dont  plusieurs  étaient 
ses  alliés  par  son  mariage. 

Il  avait  épousé  à  Paris,  en  1731,  une  femme  qui  lui 
était  supérieure  par  l'étendue  de  l^esprit,  et  qui  était  di- 
gne de  lui  par  sa  force  d'âme  et  l'élévation  de  son  ca- 
ractère. Anne-Rose  Gabibel  était  Anglaise  de  naissance, 
mais  Française  de  race.  Elle  appartenait  k  ces  familles  de 
huguenots  que  Louis  XIV  contraignit  h  l'exil,  après  les 
avoir  ruinées.  Sa  grand'mère  était  une  La  Garde-Mon- 
lesquieu.  Le  marquis  de  Montesquieu,  ainsi  que  les  Po- 
lastron-Lahillère,  étaient  ses  cousins  issus  de  germains, 
et  elle  était  parente  de  quelques  autres  familles  nobles  du 
Languedoc  et  de  plusieurs  officiers  supérieurs,  chevaliers 
de  Saint-Louis.  Ses  amis  s'en  souvinrent  pour  elle,  lors- 
qu'il fallut  intéresser  h  elle  le  public  et  le  gouvernement, 
lorsqu'elle  portait  en  prison  le  deuil  de  son  fds  suicidé  et 
de  son  mari  exécuté  à  mort,  étant  elle-même,  ainsi  qu'un 
autre  de  ses  fils,  sous  le  poids  d'une  accusation  capitale. 
Mais  dans  sa  boutique  de  la  rue  des  Filatiers,  elle  ne 
songeait  guère  à  ses  ancêtres,  et  si  elle  eut  tout  le  cou- 
rage des  nobles  d'autrefois,  elle  n'eut  rien  de  leur  vanité. 
Quand  Voltaire  la  connut,  elle  lui  inspira  de  l'étonne- 
mentet  du  respect,  par  son  énergie  calme,  par  la  dignité 
de  son  caractère  et  une  vigueur  d'intelligence  que  rien 
n'avait  pu  abattre.  Deux  ans  après  la  réhabilitation  de  Jean 
Calas,  Voltaire  écrivait  encore  à  l'avocat  Elle  de  Beau- 
mont,  au  sujet  de  Sirven  :  «  Je  vous  avertis  que  vous  ne 

(i)Arch,  Imp, 


llQ  LA   FAMILLE   CALAS. 

trouverez  peut-être  pas  dans  ce  malheureux  père  de  fa- 
mille la  même  présence  d'esprit,  la  même  force,  les 
mêmes  ressources  qu'on  admirait  dans  M"^  Calas  (1).  » 
Devant  les  juges,  ses  réponses  et  ses  confrontations 
sont  plus  remarquables  encore  que  celles  de  son  mari, 
parce  qu'elle  discerne  avec  plus  de  pénétration  et  de  pré- 
sence d'esprit  les  pièges  qu'on  lui  tend,  proteste  avec 
plus  de  résolution  contre  les  témoignages  faux  ou  mal 
intentionnés,  et  trouve,  dans  son  cœur  de  mère,  un  degré 
d'assurance  que  rien  n'égale.  On  leur  répète  sans  cesse 
à  tous  deux  que  leur  fds  Marc- Antoine  allait  abjurer, 
qu'on  en  est  sûr,  que  cela  est  prouvé.  Jean  Calas  ne 
cesse  de  répondre  qu'il  n'en  a  jamais  entendu  parler  que 
de  la  bouche  de  ses  juges  et  après  la  mort  de  son  fds. 
M*"*  Calas  déclare  hardiment  que  cela  ne  peut  être,  que 
son  fds  était  dans  des  sentiments  tout  contraires,  qu'elle 
était  sûre  de  lui  :  //  ri  aurait  pas  usé  de  dissimulation 
avec  moi,  dit-elle  (2).  On  sent  dans  toutes  ses  paro- 
les le  cœur  ému  de  la  mère  qui  a  trop  connu,  trop 
aimé  ce  fds  si  malheureux  et  si  coupable,  pour  le  lais- 
ser accuser  après  sa  mort  de  ce  qui  serait  à  ses  yeux 
un  tort  de  plus.  Était-ce  donc  une  fanatique  hugue- 
note que  cette  simple  et  noble  mère  de  famille?  Loin  de 
là.  Elle  eut  part  k  tout  ce  que  fit  son  mari  pour  les  de- 
moiselles Bonafous,  pour  leur  servante,  coupable  d'avoir 
entraîné  un  de  ses  fds  à  abjurer,  pour  ce  fds  lui-même. 


(i)  Lettre  du  20  mars  17  67.  — Les  adversaires  des  Calas  ne  peu- 
vent préieudrc  qu'ici  Voltaire  veut  tromper  l'opinion  publique.  Il 
écrit,  deux  ans  après  la  réhabililaliou  du  roué,  une  lettre  toute  con- 
denlielle  à  uu  homme  qui  connaissait  beaucoup  mieux  que  lui  celle 
dont  il  parlait. 

(2)  Arch.  Imp.  —  Confrontations  de  la  D"*  Calas. 


LÀ    FAMILLE   CALAS.  tll 

Tout  ce  qui  lui  est  particulier  à  l'égard  de  ce  fils  ,  c'est 
ce  qu'écrit  un  ami  de  la  famille  nommé  Griolet: 
qu'il  ((  a  vu  plus  d'une  fois  les  yeux  de  M""  Calas  se 
remplir  de  larmes,  toutes  les  fois  qu'elle  le  voyait  passer 
devant  la  maison  où  il  n'entrait  plus  (1).  »  Elle  en  a 
donné  elle-même  le  motif  dans  les  termes  les  plus  tou- 
chants (2)  :  ((  L'accusée  répond  qu'il  esi  vrai  que  sa  sen- 
sibilité se  réveillait  toutes  les  fois  qu'elle  voyait  passer 
Louis  Galas,  son  fils,  attendu  que  depuis  quelque  temps ^ 
Une  la  reconnaissait  plus  pour  sa  mère.  )) 

M""*  Calas,  plus  jeune  de  dix-huit  ans  que  son  mari, 
en  avait  environ  quarante-cinq  lors  de  la  mort  de  son 
fils  aîné. 

Leur  famille  se'composait  de  six  enfants,  Marc-Antoine, 
Jean-Pierre ,  Louis,  Anne-Rose,  Anne  et  Jean-Louis- 
Donat,  et  d'une  servante  catholique,  âgée  de  quarante- 
cinq  ans  environ,  Jeanne  Viguier  (3).  C'est  à  dessein  que 
je  rapproche  ainsi  de  ses  maîtres  cette  fille  dévouée,  à 
qui  vingt-cinq  ans  de  services  {k)  et  une  estime  méritée 
avaient  donné  des  privilèges,  dont  elle  ne  crut  pas  abu- 
ser en  convertissant  un  des  enfants  de  la  maison  (5). 

(1)  Arch.  Imp.   Lettre  de  Griolet. 

(2)  Ib,  Confr.  de  la  D"«  Calas. 

(3)  On  l'appelait  Viguière,  suivant  l'usage  romain,  qui  s'est  per- 
pétué dans  le  patois  languedocien,  de  donner  à  une  fille  le  nom  de 
son  père  avec  une  désinence  féminine.  On  nomme  Viguière  la  fille 
de  Viguier,  comme  autrefois  la  fille  de  Marcus  TuUius  était  une 
Tullia. 

(4)  Décl.  de  Louis. 

(5)  On  lui  demanda  dans  le  cours  du  procès  comment  elle  a  pu 
rester  vingt-quatre  ans  chez  des  personnes  d'une  religion  opposée  à  la 
sienne.  Il  fallait  donc  que  les  protestants  n'eussent  point  de  do- 
mestiques,   puisqu'une  déclaration  du  roi  leur  ordonnait  de  n'en 


us  LA    FAMILLE   CALAS. 

Il  est  inconcevable  qu'on  ait  cru  fanatiques  jusqu'au 
parricide,  des  gens  qui  gardaient  cliez  eux  et  ne  cessaient 
de  traiter  presque  à  l'égal  d'un  membre  de  leur  pro- 
pre famille,  la  servante  qui,  à  leur  insu  et  contre  leur 
volonté  expresse,  avait  travaillé  et  réussi  à  convertir  leur 
fds.  Ce  qui,  peut-être,  est  plus  étrange  encore,  c'est  de 
voir  cette  même  servante  paraître  devant  quatre  juridic- 
tions successives,  sous  l'absurde  accusation  d'avoir  as- 
sassiné le  frère  aîné  pour  empêcher  ou  punir  le  môme  acte 
qu'elle  avait  elle-même  fait  accomplir  par  le  cadet.  Elle 
partagea  tous  les  périls  de  sa  maîtresse,  lui  resta  invio- 
lablement  attachée  jusqu'ti  son  dernier  jour  et  rendit  en- 
core un  témoignage  légal  à  la  vérité  en  1767.  Par  cette 
conduite  réciproque  de  la  domestique  envers  ses  maî- 
tres et  de  ses  maîtres  envers  elle,  par  son  dévouement 
à  toute  épreuve,  par  la  liberté  extrême  que  lui  avaient 
valu  ses  excellents  services,  Viguière  appartient  à  une 
classe  de  domestiques  dont  on  retrouve  encore,  et  sur- 
tout dans  nos  provinces  méridionales,  quelques  rares 
exemples. 

Elle  était,  du  reste,  une  catholique  très-fervente.  Des 
certificats  de  ses  confesseurs  sont  au  procès  (1)  et  prou- 
vent qu'elle  se  confessait  et  communiait  fréquemment. 
Au  dire  de  Louis  Calas  (2),  elle  entendait  la  messe  tous 
les  jours  et  recevait  la  communion  deux  fois  par  se- 
maine. Elle  a  persévéré  toute  sa  vie  dans  ces  habi- 
tudes de  piété.  On  a  remarqué  avec  raison  que  si  elle 

avoir  que   de   catholiques  ?  Viguière  répondit  que  ii'atjani  jamais 
été  gênée  en  rien,  elle  s'est  bien  trouvée  de  la  cundition. 

(1)  Arcli.  Imp. 

(2)  Décl.  de  L.-C. 


LA   FAMILLE    CALAS.  Z|9 

s'était  obstinée  par  un  faux  point  d'honneur  k  se  parju- 
rer sans  cesse  en  déclarant  ses  maîtres  innocents,  elle 
n'eût  pas  manqué  de  l'avouer  tôt  ou  tard  au  confession- 
nal ;  et  sans  aucun  doute  la  communion  lui  aurait  été  re- 
fusée. Il  n'en  fut  jamais  rien.  Supposera-t-on  que  ses  di- 
vers confesseurs,  à  Toulouse  et  à  Paris ,  aient  commis 
des  sacrilèges  dans  Fintérèt  des  Galas,  en  laissant  com- 
munier toutes  les  semaines  une  fille  qui  se  serait  parju- 
rée plus  de  cinquante  fois  par  dévouement  pour  des  hé- 
rétiques? (1) 

Pour  revenir  de  ces  chimères  à  la  réalité,  disons  sim- 
plement, à  l'honneur  de  Viguière,  que  l'horreur  du  ca- 
chot, la  menace  sans  cesse  réitérée  de  la  torture  et 
de  la  mort,  les  souffrances  qu'elle  endura  pendant  qua- 
tre mois  qu'elle  eut  les  fers  aux  pieds,  les  promesses  de 
pardon  et  de  récompense,  rien  ne  put  la  décider  à  accu- 
ser ses  maîtres  pour  se  sauver  elle-même.  Elle  était  di- 
gne d'eux. 

Nous  ne  pouvons  en  dire  autant  de  tous  leurs  fds. 
Marc-Antoine,  l'aîné,  dont  le  corps  mort  fut  porté  à  l'Hô- 
tel-de-Ville  le  13  octobre  1761.  était  né  le  5  novembre 
1732,  et  par  conséquent  mourut  âgé  de  28  à  29  ans.  Par 
ambition,  par  goût  pour  les  études  et  îes  professions  libé- 
rales, il  voulut  embrasser  une  autre  carrière  que  celle 
du  commerce.  Il  aimaii  ies  lettres,  et  se  croyait,  non 
sans  raison,  quelque  talen  oratoire.  11  avait  étudié 
en  droit  et  fut  reçu  bachelier  par  bénéfice  d'âge  le  18 
mai  1759.  Un  sieur  Vidal  le  prépara  pour  soutenir  les 


(0  A  chaque  inieirogaloîic,  recolemcnt  et  confrontation,  les  ac« 
cusés  prêtaient  sermcnl  de  dire  Ja  vérité.  On  peut  se  figurer  com- 
bien de  fois  ce  serment  fut  répété  dans  ce  procès  quatre  fois  jugé. 

5 


50  LA    FAMILLE    CALAS. 

actes  nécessaires  à  la  licence.  Mais,  au  moment  de  pren- 
dre le  titre  d'avocat,  il  se  vit  arrêté  par  mi  obstacle  in- 
vincible qui  le  força  malgré  lui  à  se  renfermer  dans  la 
boutique  de  son  père  et  à  l'aider  dans  ses  occupations. 
Pour  être  reçu  avocat,  un  certificat  de  catholicité  était 
indispensable.  Quelquefois  les  pièces  de  ce  genre  étaient 
données  par  complaisance  et  sans  examen.  Dix-huit  mois 
avant  son  suicide,  M  arc- Antoine  était  allé  demander  un 
certificat  de  catholicité  à  l'abbé  Boyer,  curé  de  la  cathé- 
drale et  de  la  paroisse  qu'habitaient  les  Galas.  Au  moment 
où  le  curé  allait  donner  à  Marc- Antoine  l'acte  qu'il  sollici- 
tait, son  domestique  (1)  le  prévint  que  ce  jeune  homme 
était  protestant.  Le  curé,  ainsi  averti,  refusa  le  certificat, 
et  exigea  pour  condition  une  attestation  signée  d'un  prêtra 
auquel  Marc-Antoine  se  serait  confessé  et  qui  répon- 
dît de  sa  bonne  foi  (2).  Ce  refus  jeta  le  jeune  homme 
dans  un  amer  chagrin.  Tous  ses  rêves  s'écroulaient 
devant  la  nécessité  d'un  acte  qu'il  ne  voulait  pas  ac- 
complir. 

Un  jour  qu'il  était  debout  devant  la  boutique,  il  vit 
passer  M^  Beaux,  son  condisciple,  qui  revenait  du  palais 
oùil  avait  été  reçu,  àl'instant  même,  avocat  au  Parlement. 
Beaux  lui  demanda  :  «  Quand  veux-tu  en  faire  autant?  )> 
Il  répondit  que  c'était  impossible  «  parce  qu'il  ne  voulait 
faire  aucun  acte  de  catholicité  (3).  »  Profondément  affligé 
de  se  voir  ainsi  fermer  la  carrière  qu'il  avait  rêvée, 
Marc-Antoine  chercha  en  vain  quelle  autre  profession  il 

(1)  Sudre,  1. 

(2)  Déclaration  du  curé  de  Saint-Ëlienne. 

(3)  Arcli.  Imp. —  Dép.  de.  M*  Beaux,  inlerpellé  par  huissier  à  la 
requête  des  Calas. 


LA   FAMILLE   CALAS.  61 

pourrait  adopter.  Toutes  lui  étaient  interdites  par  quel- 
que Déclaration  du  Roi  (1). 

11  essaya  enfin,  non  sans  une  vive  répugnance,  de  se 
tourner  vers  le  commerce  qu'il  avait  le  tort  de  dédaigner, 
mais  qui  était  sa  seule  ressource.  Il  allait  s'associer  avec 
im  marchand  d'Alais,  lorsque  l'impossibilité  de  fournira 
temps  un  cautionnement  de  6,000  livres  lui  en  fit  man- 
quer l'occasion.  Il  voulut  devenir  l'associé  en  titre  de  son 
père,  qui  n'y  consentit  point,  quoique  depuis  quatre  ans  il 
l'eût  initié  à  toutes  ses  affaires  et  se  fît  partout  repré- 
senter par  lui,  le  regardant,  dit-il,  comme  unsecond  lui- 
même  (2). 

L'intérêt  de  toute  sa  famille  lui  interdisait  absolument 
de  donner  des  pouvoirs  trop  étendus  à  un  fils  qui  n'avait 
aucune  aptitude  pour  le  négoce  et  chez  qui  des  goûts 
dangereux  de  jeu  et  d'oisiveté  se  développaient  toujours 
davantage.  En  effet,  irrité  contrôle  présent  et  sans  es- 
pérance pour  l'avenir,  ce  malheureux  jeune  homme  de- 

(l)  On  peut  voir  dans  le  Fieux  Cévenol  de  Rabaut  Saint-Elienne 
(notesdu  ch.  3)  la  longue  liste  des  professions  interdites  aux  protestants 
par  Louis  XIV.  Le  commerce  seulleur  restait,  parce  qu'ilcsl  impossi- 
ble, môme  au  despote  le  plus  absolu,  d'empêcberune  classe  quelcon- 
que de  ses  sujets  de  vendre  et  d'acheter.  Il  fallait  se  faire  caiholi- 
que  pour  devenir  avocat  (Déclaration  du  Roi  du  il  juillet  1685; 
Arrêt  du  conseil  du  5  novembre  168  5  ;  Déclaration  du  Roi  du  17  no- 
vembre 1  687);  —  Procureur (Décl, du  1 5  juin  1682);  — clercdepro- 
cureur  (Décl.  du  lo  juillet  168  5);  —  huissier,  sergent,  archer,  re- 
cors (Décl,  du  15  juin  16  82);  —  imprimeur,  libraire,  orfèvre,  méde- 
cin (Arrêt  du  conseil  du  9  juillet  168  5;) — (Décl.  du  6  août  168 5); — 
chirurgien,  apothicaire  et  épicier  (Edit  du  15  septembre  1685);  — 
domestique  d'un  protestant  (Décl.  du  1 1  janv.  i  686);  — apprenti  chez 
un  protestant  (Sentence  de  la  police  de  Paris,  I62i).  En  17  48,  à 
Ganges,  la  femme  Fesquet  fut  condamnée  à  3,000  livres  d'amende 
pour  avoir  exercé  l'état  de  sage-femme  sans  être  catholique. 
(2)  Arch.  Imp.  —  Inlerr. 


5'i  LA   FAMILLE    CALAS. 

vint  joueur;  les  témoins  nous  le  dépeignent  passant  au 
jeu  de  paume  ou  de  billard  tous  les  moments  dont  il  pou- 
vait disposer.  Non-seulement  il  y  était  presque  toujours 
l'après-midi  des  dimanches  et  fêtes,  mais  il  y  retournait 
chaque  jour  après  le  souper  de  famille.  Il  y  jouait,  pour 
un  homme  de  sa  condition,  assezgros  jeu,  jusqu'à  y  per- 
dre quelquefois,  dit  un  témoin,  6  fr. ,  12  fr.  et  môme  un 
louis.  Le  jour  môme  de  sa  mort  s'était  passé  presque 
entièrement  au  billard  et  au  jeu  de  paume.  Un  autre  té- 
moin (1)  l'a  vu  jusque  vers  sept  heures  dans  l'établisse- 
ment des  Quatre-Billards.  Il  est  certain  que,  dans  cette 
même  journée,  son  père  l'avait  chargé  de  changer  des 
écus  contre  des  louis,  qu'il  n'en  rendit  pas  cjmpte,  et  que 
cet  argent  n'a  point  été  retrouvé.  Nous  avons  dit  qu'il 
portait  dans  ses  poches  au  moment  de  sa  mort  (2)  des 
vers  et  des  chansons  obscènes. 

Cette  mauvaise  conduite  ne  l'empêchait  point  d'être, 
seul  de  sa  famdle,  enclin  au  fanatisme.  Sa  religion  était 
sombre  comme  son  caractère.  Un  prêtre  a  déclaré  l'avoir 
entendu  soutenir  qu'on  ne  pouvait  être  sauvé  dans  l'E- 
glise romaine,  et  que  tout  catholique  était  éternellement 
damné  (3).  Aussi  mon  trait-il  souvent  uneirritation  amère 
au  sujet  de  la  conversion  de  son  frère  Louis.  Nous  en 
citerons  un  exemple  attesté  parle  chanoine  Azimond,  et  il 
seraitfacile  d'en  indiquer  bien  d'autres,  a  Je  l'ai  entendu, 
écrivit  plus  tard  à  M^^^  Anne  Galas,  le  négociant  Grio- 
let  (/i),  se  fâcher  du  changement  de  religion  de  monsieur 
votre  frère  Louis.  ))  Louis  lui-même  rapporte  que  lorsqu'il 

(0  Malhey.  —  Arch.  Imp. 

(2)  Procès-verbal  de  David,  elc. 

(3)  Arch.  Imp. 
(4)/6. 


LA    FAMILLE   CALAS.  63 

s'informa  auprès  de  son  frère,  le  12  octobre,  du  paiement 
de  son  trimestre  de  pension,  Marc-Antoine  lui  répondit 
brusquement:  «  Ce  ne  sont  pns  mes  affaires  ;  vous  n'avez 
qu'à  faire  comme  vous  pourrez.  »  Le  8  janvier  1761,  il 
écrivait  à  Gazeing-,  à  propos  de  Donat  pour  lequel  on  de- 
mandait de  l'argent  :  «  Je  parlerai  à  mon  père  pour  lui, 
quoique  nous  soyons  dans  une  circonstance  critique, 
puisque  nous  ressentons  beaucoup  la  misère  du  temps  ; 
et  de  l'autre  côté,  notre  déserteur  nous  tracasse.  Il  veut 
faire  contribuer  et  il  agit  par  la  force  ;  ceci  soit  entre 
nous  (1).  » 

«Le  père,  très-bon,  dit  le  témoin  Alquier  (2),  faisait 
souvent  la  guerre  à  Marc- Antoine  sur  son  caractère  som- 
bre et  mélancolique  qui  le  rendait  triste  et  taciturne, 
et  l'empêchait  de  prendre  part  aux  amusements  inno- 
cents que  l'on  faisait  dans  la  maison.  11  paraissait  tou- 
jours rempli  de  tout  autre  objet  que  de  ceux  qui  fai- 
saient la  matière  de  la  conversation,  étant  la  plupart  du 
temps  assis  seul  à  l'écart  pendant  que  les  autres  s'amu- 
saient. »  Le  chagrin  violent  de  voir  la  carrière  se  fermer 
pour  lui  au  moment  d'y  entrer,  le  dégoiit  continuel  des 
occupations  auxquelles  il  se  voyait  contraint,  son  amour- 
propre  blessé  et  son  humeur  morose  lui  donnèrent  l'idée 
dusuicide.il  était  fort  adonné  à  la  lecture,  et  relisait  sou- 
vent dans  Plutarque  et  dans  Montaigne  ce  qu'ils  ont 
dit  pour  excuser  ou  louer  le  suicide  (3).  Il  aimait  les 
beaux  morcefiux  et  les  déclamait  avec  plaisir,  et  avait 
eu  du  succès  comme  acteur  dans  la  représentation  de 


(i;  E.  de  B.  i. 
(a)  Arch.  Imp. 

(3)  Confront.  de  M'»^  Calas. 


6/l  LA   FAMILLE   CALAS. 

quelques  tragédies  que  les  jeunes  gens  de  Toulouse  or- 
ganisèrent alors.  C'était  le  temps  où  l'exemple  de  Voltaire 
avait  mis  partout  en  vogue  les  théâtres  de  société.  Mais 
on  ne  remarqua  que  plus  tard  quels  étaient  les  rôles  où 
Marc-Antoine  avait  brillé,  les  vers  qu'il  aimait  à  redire. 
Un  témoin  hostile  h  sa  famille,  P.-J.  Mirepoix,  dépose 
qu'il  témoignait  beaucoup  de  ferveur  en  jouant  le  rôle  de 
Polyeucte,  surtout  dans  la  scène  IIP  du  V^  acte.  Ce  témoin, 
qui  paraîtpeu  intelligent,  s'imagine  voir  dans  cette  ferveur 
la  preuve  d'un  certain  penchant  pour  le  catholicisme,  parce 
que  cette  scène  contient  une  allusion  à  la  Messe  ;  il  serait 
facile  de  répliquer  en  montrant  dans  ce  rôle  d'iconoclaste 
bien  des  traits  qui  pouvaient  plaire  à  un  huguenot  pas- 
sionné; tout  ce  qu'on  y  dit  des  persécutions  de  l'Empereur 
Décie  pouvait,  aussi  bien  que  VEsther  de  Racine,  don- 
ner lieu  à  mainte  allusion  au  sort  des  réformés  de 
France.  Il  faut  remarquer  enfin  que  la  scène  où  l'on 
admirait  Marc- Antoine  est  celle  où  Polyeucte  s'obstine  à 
demander  la  mort  malgré  les  instances  de  Pauline  et 
de  Félix. — Un  autre  témoin,  Jean  Capoulac,  l'a  entendu 
répétant  une  scène  de  Polyeucte  avec  le  S""  Juvenel  ,son  ami 
(qui  était  catholique).  Marc-Antoine  était  Polyeucte,  et 
Juvenel,  «  l'idolâtre,  son  beau-père.  Ledit  Calas  avait  le 
cœur  si  navré  du  rôle  qu'il  récitait,  qu'il  paraissait  en 
verser  des  larmes.  ))  Antoine  Delpech  rapporte  qu'il  avait 
réellement  les  larmes  aux  yeux  en  déclamant.  D'autres 
témoins  ont  observé  l'effet  qu'il  produisait  en  récitant  les 
stances  de  Polyeucte.  On  sait  que  l'idée  qui  y  domine 
est  aussi  celle  de  la  mort,  au-devant  de  laquelle  le  héros 
va  courir,  qu'il  invoque  de  tous  ses  vœux  et  qu'il  ap- 
pelle V heureux  trépas  que  f  attends. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  Marc-Antoine  débitait 


LA   FAMILLE   CALAS.  55 

souvent  avec  emphase  une  uiaiivaise  traduction  du  mo- 
nologue de  Hamlel  sur  la  mort  et  quelques  fragments 
du  Sidney  de  Gresset,  quisonlla  glorification  du  suicide  : 

«  Qu'auriez-vous  fail  vous-même?  Aux  ennuis  concUmné, 

Accablé  du  fardeau  d'une  tristesse  extrême. 

Réduit  au  sort  affreux  d'être  à   charge  à  moi-même, 

J'épargne  aux  yeux  d'autrui  l'objet  fastidieux 

D'homme  ennuyé  partout,  et  partout  ennuyeux... 

J'étais  lassé  de  vivre  et  je  brise  ma  chaîne... 

Ma  funeste  existence  est  un  poids  qui  m'accable... 

Ce  n'est  point  seulement  insensibilité, 

Dégoût  de  l'univers  à  qui  le  sort  me  lie; 

C'est  ennui  de  moi-même,  et  haine  de  ma  vie; 

C'est  un  brûlant  désir  d'anéantissement. 

Je  les  ai  combattus,  mais  inutilement  ; 

Cette  haine,  attachée  aux  restes  de  mon  être, 

A  pris  un  ascendant  dont  je  ne  suis  plus  mattre; 

Mon  cœur,  mes  sens  flétris,  ma  funeste  raison. 

Tout  me  dit  d'abréger  le  temps  de  ma  prison. 

Faut-il  donc  sans  honneur  attendre  la  vieillesse. 

Traînant  pour  tout  destin  les  regrets,  la  faiblesse  ; 

Pour  objet  éternel  l'affreuse  vérité, 

Et  pour  tout  sentiment  l'ennui  d'avoir  été? 

C'est  au  stupide,  au  lâche,  à  plier  sous  la  peine, 

A  ramper,  à  vieillir  sous  le  poids  de  sa  chaîne  ; 

Mais  vous  en  conviendrez,  quand  on  sait  rélléchir, 

Malheureux  sans  remède,  on  doit  savoir  finir. 

D'ailleurs,  que  suis-je  au  monde?  Une  faible  partie 

Peut  bien,  sans  nuire  au  tout,  en  être  désunie   : 

A  la  société  je  ne  fais  aucun  tort; 

Tout  ira  comme  avant  ma  naissance  et  ma  mort. 

(Âct.  I,  Se.  ?.  —  Act.  II,  Se.  6.  Voir  aussi  Act.  III,  Se.  1.) 

Ces  vers,  que  Marc- Antoine  se  plaisait  à  répéter  (1), 
lui  offraient  bien  des  points  de  comparaison  avec  la  si- 

(1)  Lav.  2,  etc. 


56  LA   FAMILLE    CALAS. 

tuatioiîoiiil  languissait.  Peut-être,  ce  mot  alors  fameux, 
WL  bridant  désir  cV anéantissement^  était  présent  à  sa 
pensée,  lorsqu'un  instant  avant  son  suicide,  il  répondit 
à  Jeanne  Viguier,  qui  l'engageait  à  venir  se  chaulTer  : 
((  Je  brûle.  »  Mais  quelle  fatale  erreur  il  a  commise,  s'il 
s'est  appliqué  ce  vers  mensonger  :  Tout  ira  comme 
avant  ma  naissance  et  ma  mort!  Sans  doute,  il  ne  se  se- 
rait pas  tué  s'il  avait  prévu  à  quelle  fui  horrible  il  con- 
damnait son  père,  et  quels  longs  malheurs  il  attirait 
sur  tous  les  siens;  tant  il  est  impossible  de  n'être  cou- 
pable qu'envers  soi-même! 

Le  temps  n'était  pas  encore  venu  où  le  suicide  devint 
une  mode  littéraire  et  où  les  malheurs,  imaginaires  ou 
coupables,  d'un  Werther  et  d'un  René  bouleversèrent  les 
esprits  faibles.  Mais  les  maladies  du  cœur  humain  chan- 
gent de  nom  plutôt  que  de  nature;  elles  se  trouvent  au 
fond  les  mêmes  à  toutes  les  époques,  et  il  ne  faut  pas 
trop  s'élonner  «qu'un  jeune  homme  sans  état  et  sans 
espérance,  végétant  plein  d'ambition  k  côté  du  comp- 
toir paternel  (1),  ')  tombât  de  l'orgueil  froissé  dans  le 
désespoir.  Un  écrivain  moderne,  M.  Hue,  prétend  sé- 
rieusement que  la  mélancolie  de  Marc- Antoine  est  une 
invention  de  Voltaire.  11  n'a  donc  pas  lu  l'art.  7  du  Mo- 
nitoire,  où  les  accusateurs  des  Galas  disent  eux-mêmes 
qu'il  était  triste  et  mélancoliqne  et  cherchent  à  expli- 
quer cet  état  moral  par  la  peur  qu'il  avait  d'être  tué  par 
ses  parents?  Cette  humeur  noire,  constatée  ainsi  par  l'ac- 
cusation elle-même  dans  un  des  premiers  actes  du  procès 
et  dans  le  plus  hostile  de  tous,  a  été  confirmée  d'ailleurs 
par  une  foule  de  témoignages.  Pierre,  interrogé  si,  pen- 

(0  Ch,  Coquerel,  E'jlises  du  Désert, 


LA    FAMILLE    CALAS.  57 

dant  le  souper  qui  précéda  sa  mort,  soii  frère  était  rê- 
veur, répondit  naïvement  :  «  Pas  plus  que  de  coutume.  » 
Il  aurait  eu  un  intérêt  évident  à  répondre  tout  le  con- 
traire, mais  le  mot  est  d'autant  plus  significatif. 

Peu  de  jours  avant  sa  déplorable  fin,  il  dit  à  un  de 
ses  amis  nommé  Ghallier,  avocat  au  parlement,  qu'il  avait 
un  nouveau  projet  :  aller  à  Genève,  étudier  pour  le  saint 
ministère  et  revenir  se  consacrer  au  service  des  Églises 
Réformées  de  France.  Mais  Challier  répondit  «  que  tout 
métier  qui  faisait  pendre  son  homme  ne  valait  rien  (1).  » 
En  efl"et,  dans  le  moment  même  où  ils  parlaient,  le 
pasteur  François  Rochette  étai  t  en  prison  et  attendait  le 
supplice.  Marc- Antoine  était  de  ceux  qui  aiment  mieux 
en  finir  par  le  suicide  que  lutter  et  souffrir,  et  il  est  per- 
mis de  n'ajouter  aucune  foi  à  sa  vocation  pour  le  saint 
ministère.  A  ce  mot  de  son  ami,  il  se  leva  et  sortit,  en 
disant  :  ((  Eh  bien  !  je  pense  à  une  autre  chose ,  que 
j'exécuterai.  »  Il  tint  parole. 

Son  frère,  Jean-Pierre,  nous  arrêtera  peu,  quoiqu'il 
ait  eu  sa  large  part  des  souffrances  de  la  famille.  C'est  lui 
surtout  que  David  regardait  comme  l'assassin  ;  il  était 
évident,  en  effet,  qu'un  homme  de  vingt-huit  ans 
ne  pouvait  avoir  été  étranglé  par  un  vieillard  :  «  Cest 
toi,  ))  lui  répétait  le  Capitoul,  a  c'est  foi  qui  as  tué  ton 
frère,  ))  Nous  verrons  que,  par  suite  de  ces  soupçons, 
il  eut  matériellement  à  souffrir,  plus  que  sa  mère,  ses 
frères  et  ses  sœurs.  Mais  c'est  une  grande  et  commune 
erreur  de  croire  qu'à  elle  seule  la  souffrance  est  ce  qui 
intéresse  le  plus;  par  elle-même,  elle  ne  peut  exciter  que 


(i)  Voir  plusloinle  texte  complet  de  celle  déposition  de  M*  Clial- 
lier.  au  ch.  VII  :  Les  Calas  devant  le  Parlement, 


58  LA   FAMILLE   CALAS. 

la  pitié;  ce  qui  .attendrit,  ce  qui  émeut,  ce  qui  est  digne 
d'attendrir  et  d'émouvoir,  c'est  la  souffrance  héroïque- 
ment supportée.  Ce  fils  de  martyr  n'était  pas  d'une  na- 
ture énergique.  Médiocre  d'esprit  et  nul  de  caractère, 
il  n'a  rien  de  grand,  ni  de  bien  touchant.  A  peine  lui  re- 
procherons-nous d'avoir  abjuré  par  peur  dans  le  cou- 
vent où  il  fut  enfermé;  il  n'y  gagna  rien,  s'enfuit  dès 
qu'il  put  et  se  hâta  de  rétracter  sa  prétendue  conversion. 
Dans  toute  sa  conduite  et  dans  ses  réponses  devant  les 
tribunaux,  s'il  y  a  peu  ci  blâmer,  il  n'y  a  rien  h  louer. 
Louis,  le  troisième  fils  des  Galas,  doit  nous  arrêter 
plus  longtemps  :  son  rôle  dans  toute  cette  histoire  est 
loin  d'être  honorable.  Il  prit  souvent  la  défense  de  ses 
parents,  mais  sans  suite  et  sans  courage.  Un  juge  qui  ne 
peut  être  suspect  à  personne,  la  sœur  Anne-Julie  Fraisse, 
qui  montra  tant  d'estime  à  la  famille  Calas,  n'avait  mau- 
vaise opinion  que  d'un  seul  de  ses  membres,  celui  qui, 
étant  devenu  catholique,  avait  le  plus  de  titres  à  son 
intérêt.  H  vint  souvent  voir  sa  sœur  au  couvent  et  il  était 
bien  connu  de  la  vénérable  Visitandine.  Elle  parle  de 
lui  avec  une  défiance  et  un  dédain  qui  seraient  plus 
marqués  encore,  si  elle  ne  s'adressait  k  sa  propre 
sœur  (1).  Sa  cupidité  précoce  n'est  que  trop  avouée  et 
malheureusement  lout  est  suspect  dans  sa  carrière, depuis 
les  étranges  circonstances  de  sa  conversion  au  catholi- 


(i)  Voir  la  b^  lettre  de  la  sœur  Fraisse:  «  Je  profile  du  départ  de 
M"  votre  frère,  qui  dit  devoir  partir  demain  par  la  Mesagerie.  Je  dis 
qui  dit  ;  la  confiance  ne  dépend  point  desoy;  vous  savés  que  je 
n'en  ay  pas  de  reste,  et  vous  avés  bien  voulu  avoir  la  bonté  de  me 
le  passer.  >>  Dans  la  lettre  suivante  elle  dit  de  lui  :  M'  votre  frère 
en  qui,  vous  sates,  ie  n'ay  jamais  eu  confiance  ;  etc.,  etc. 

Court  de  Gebelin  (dans  les  Toulousaines)  l'accuse  d'avoir  paru 
en  habit  vert  dans  les  rues  de  Toulouse  après  la  mort  de  son  père; 


LA    FAMILLE    CALAS.  59 

cisme  en  1759,  jusqu'au  certificat  d'excellent  jacobin 
que  Barrère  lui  décerna  du  haut  de  la  tribune  de  la  Con- 
vention en  1792.  La  longue  série  des  pièces  imprimées 
qui  parurent  dans  celte  affaire  s'ouvre  par  une  Déclara- 
tiondu  sieur  Louis  Calas  (1),  datée  du  2  décembre  1761, 
qu'il  fit  suivre  quelques  semaines  plus  tard  d'un  Mémoire 
justificatif  pour  le  sieur  Louis  Calas,  de  Toulouse  (2). 
Lui-même  dans  ces  pièces  ne  se  peint  nullement  en  beau. 
C'est  une  sorte  de  confession  qui  aurait  plus  de  prix  si, 
sous  l'humiliation  des  aveux,  on  sentait  se  relever  la  di- 
gnité morale  et  le  repentir.  Son  histoire  commence  par 
des  contestations  d'argent  avec  son  père. 

Tout  nous  démontre  que  Calas,  par  la  juste  considéra- 
tion dont  il  jouissait,  et  sa  femme  par  ses  relations  de 
parenté,  occupaient  un  rang  fort  modeste  sans  doute, 
mais  fort  au-dessus  de  leur  très-faible  fortune  et  de  leur 
situation  de  marchands  en  boutique.  Leurs  enfants  avaient 
reçu  une  éducation  supérieure  à  celle  des  jeunes  gens  de 
la  même  classe;  on  a  vu  que  Marc- Antoine  avait  étudié 
pour  devenir  avocat;  il  est  évident  que  ce  dernier  et  Louis 
avaient  de  hautes  prétentions  que  leur  père  eut  raison 
de  ne  pas  satisfaire.  Tantôt  tous  deux  lui  demandaient 
quelques  milliers  de  francs  pour  s'établir,  et  c'était  plus 
qu'il  ne  pouvait  leur  donner  ;  tantôt  ils  voulaient,  l'un  ou 
l'autre,  un  habit  de  couleur  claire.  Comme  l'a  remarqué 


si  le  fait  est  vrai,  ce  n'est  pas  que  Louis  fût  insensible  à  uti  si  tef^ 
rible  malheur,  c'est  que  le  fils  du  roué  n'aura  pas  osé  porter  son 
deuil. — Mais  une  preuve  très-plausible  de  la  fausseté  de  cette  anec- 
dote, c'est  qu'avant  la  mort  de  sou  père,  il  devait  déjà  être  en  deuil 
de  Marc- Antoine. 

(1)  Bibliogr.  n"  i. 

(2)  Bibliogr.  n"  8. 


60  LA   FAMILLE   CALAS. 

Arthur  Young,  dans  son  Voyage  en  France,  à  cette  époque 
où  la  noblesse  perdait  chaque  jour  de  son  prestige  et  où 
le  luxe  des  vêtements  devenait  la  distinction  suprême,  les 
habits  noirs  ou  gris  étaient  le  signe  d'une  position  infé- 
rieure, et  quiconque  avait  de  l'argent  à  mettre  sur  soi, 
comme  on  disait  alors,  portait  l'habit  ou  tout  au  moins  la 
veste  et  la  culotte  de  couleurs  vives  et  tranchées.  Aussi 
voyons-nous  sans  cesse  reparaître  dans  les  exigences  de 
Louis  ou  de  Marc- Antoine  la  demande  d'un  habit  plus 
éclatant.  Leur  père  leur  en  donna  de  tout  pareils,  en  drap 
bleu,  avec  des  boutons  de  métal,  circonstance  qui  a, 
comme  on  le  verra,  son  importance  au  procès.  Ces  pué- 
rils griefs,  ces  vanités  et  ces  impatiences  de  jeune  homme 
donnèrent  lieu  plus  d'une  fois  à  des  discussions  entre 
les  fds  et  le  père. 

Depuis  la  Révocation,  les  enfants  d'un  protestant 
étaient  armés  contre  lui,  par  les  édits  royaux,  d'incroya- 
bles privilèges,  pourvu  qu'ils  se  fissent  catholiques,  et  ils 
lepouvaient  légalement  dès  l'âge  de  sept  ans.  Lorsqu'ils 
réclamaient  une  pension  alimentaire,  le  taux  en  était  ar- 
bitrairement établi  par  les  autorités  catholiques  (1). 
On  répondra  que  des  enfants  ignoraient  tous  ces  avan- 
tages. Mais  trop  souvent,  presque  toujours,  il  se  trou- 
vait auprès  d'eux  des  gens  très-disposés  à  les  en 
instruire.  La  loi,  nous  l'avons  vu  (2),  interdisait  aux 
protestants  d'avoir  chez  eux  des  domestiques  de  leur 


(i)  La  déclaralioii  du  roi  du  i7  juin  1681  donnait  aux  enfauls 
de  parents  protestants,  dès  l'âge  de  sept  ans,  le  triple  droit  d'abju- 
rer, de  quitter  la  maison  paternelle  et  de  réclamer  de  leurs  parents 
une  pension, 

(2)  Dccl.  du  roi  du  ii  janvier  1686,  sous  peine  d'amende  pour 
le  maître  et  des  galères  pour  le  domestique. 


LA   FAMILLE  CALAS.  61 

culte,  et  il  arrivait  sans  cesse  que  des  serviteurs  ca- 
tholiques, dirigés  par  leurs  confesseurs,-  venaient  à  bout 
de  séduire  les  enfants  confiés  à  leurs  soins.  Ce  fut  le  cas 
de  Louis  Galas,  que  Viguière  avait  vu  naître  ;  ni  lui  ni 
elle  ne  l'ont  nié;  mais  ce  qu'ils  ne  disent  pas,  ce  que 
le  père  et  surtout  la  mère  ont  déclaré  devant  la  justice 
maintes  fois  avec  une  grande  chaleur  (1),  c'est  qu'en 
toute  cette  affaire  Louis,  très-jeune  alors  (2),  fut  dirigé 
par  leurs  plus  proches  voisins,  autrefois  leurs  amis,  le 
perruquier  Durand,  sa  femme  et  l'abbé  Durand,  leur  fils, 
que  Jean  Galas  appelle  so)i  mortel  ennemi,  et  enfin 
l'abbéBenaben,  ami  de  ce  dernier.  Ge  sont  eux,  dit-il,  qui 
ont  fait  faire  par  Louis  ses  placets  au  ministre,ce  sont  eux 
qui  l'empêchèrent  d'accepter  la  place  qu'on  lui  avait  pro- 
curée à  Nîmes.  Il  se  plaint  que  les  Durand  lui  ont  fait 
tout  le  mal  qu'ils  ont  pu  directement  et  indirectement. 
La  femme  Durand  a  pleinement  avoué  qu'elle  dirigeait 
Louis,  puisqu'elle  a  déposé  elle-même  que,  u  lors  de 
sa  conversion,  elle  fut  obligée  de  le  faire  changer  trois 
fois  de  suite  de  maison,  crainte  qu'on  ne  l'enlevât.  » 
L'abbé  se  plaint  dans  sa  déposition  qu'à  ce  moment  les 
sieurs  Galas  cessèrent  de  se  faire  raser  par  son  père.  Il  est 
facile  de  s'apercevoir  que  Jean  Galas  ne  fut  très-irrité 
que  contre  cette  famille  et  non  contre  Louis.  Marc- 
Antoine  lui-même,  plus  sévère  à  F  égard  de  son  frère,  a  dit 


(i)lnlerr.  et  Confr.  de  J.  Calas  et  de  la  demoiselle  Calas, 

(2)  Je  n'ai  pu  trouver  la  date  précise  de  la  conversion  de  Louis,  Mais 
comme  rarchevêque  François  de  Crussol-d'Uzès-d'Amboise  mourut 
en  17  58,  cette  alTaire  où  il  intervint  datait  de  quatre  ans  au  moins, 
à  la  fin  de  1761,  et  Louis  ne  pouvait  avoir,  au  plus,  que  vingt  ans. 
D'après  d'Aldéguier,  il  n'en  avait  pas  encore  dix-huit  (note  7). 
Ailleurs,  le  même  écrivain  lui  en  donne  environ  dix-neuf. 


6 


6â  LA   FAMILLE    CALAS. 

un  jour  qu'il  le  plaignait  parce  qu'il  savait  qu'on  le  lui 
avait  fait  faire.  Enfin,  le  soin  que  prirent  les  Du- 
rand de  cacher  Louis  h  ses  parents  prouve  combien  ils 
craignaient  leur  influence  sur  le  nouveau  converti  (1). 
Il  est  impossible  de  nier  que,  sous  cette  impulsion 
étrangère,  le  jeune  Louis  n'ait  mêlé  aux  tendances  ca- 
tholiques qu'il  avait  reçues  de  la  vieille  servante,  des 
vues  très-positives  et  très-intéressées.  Sa  conversion 
ne  fut  pas  le  premier  ni  le  seul  chagrin  qu'il  donna  à  ses 
parents.  Il  dit  lui-même  de  soii  abjuration  (2)  :  «  Je  la 
conduisis  de  concert  avec  d'autres  projets  sur  mon  éla- 
blissement  ;  mon  père  fut  presque  aussitôt  instruit  de 
l'un  que  de  l'autre.  »  Et  ailleurs  (p.  7)  :  ((  C'est  la  der- 
nière chose  qu'il  apprit,  après  tous  les  sujets  de  tracas- 
serie que  je  lui  donnai  pour  mes  intérêts.  »  Voici  com- 
ment il  a  raconté  la  découverte  de  son  secret  et  la  part 
qu'y  prit  Marc-Antoiné  : 

Pénétré  des  sentiments  de  ma  nouvelle  religion,  mon  zèle 
trop  ardent  me  porta  a  méditer  un  projet  dont  mon  père  eut 
très  lieu  d'être  fâché  :  j'osai  adresser  un  Placet,  sans  l'en  aver- 
tir, à  M"  l'Intendant,  dans  lequel  je  lui  demandais  sans  sujet,  de 
m'obtenir  du  Roi  des  ordres  pour  me  séquestrer,  ensemble 
avec  mes  sœurs  et  mon  frère  Jean-Louis-Donat.  Je  laissai  im- 
prudemment tomber  de  ma  poche  cet  écrit  téméraire."  Marc- 
Antoine  mon  frère  s'en  saisit.  C'était  un  jour  que  j'étois  dans 


(i)  Cet  abbé  Durand  mourut,  an  mois  d'octobre  17 63,  d'une  fièvre 
maligne  qui  l'emporta  en  sept  jours.  La  sœur  A.-J.  Fraisse  en  ra- 
contant à  M'"'  Calas,  pour  qu'elle  en  fasse  part  à  son  frère  Louis,  la  mort 
de  cet  ennemi  de  sa  famille,  ajoute  ces  mots  bien  certainement  ironi- 
ques :  Il  est  mort  en  saint  comme  il  avait  vécu.  La  religieuse  se  re- 
pentit aussitôt  de  celte  ironie  malséante  et  l'effaça.  Mais  il  est  très- 
facile  de  lire  les  mois  qu'elle  a  barrés, 

(2)  Mém.  juslif,,  p,  4, 


LA   FAMILLE    CALAS.  63 

le  magazin  de  mon  père  :  j'essuyai  de  la  part  de  mon  raallieu- 
reux  frère,  sur  cette  entreprise,  des  reproches  amers,  et  surtou  t 
contre  mon  inexpérience  et  mon  ingratitude  envers  un  père  qui 
ne  me  refusait  rien  pour  mon  avancement. 

Honteux  de  ces  reproches  mérités,  il  n'osa  pas  aflVon- 
ter  la  douleur  de  sa  mère  et  la  juste  indignation  d'un  père 
si  cruellement  offensé.  Il  s'enfuit  chez  ses  amis  Durand, 
et  se  ménagea  des  intelligences  avec  Viguière,  qui  lui 
donnait  des  nouvelles  de  sa  famille  et  même  lui  porta  de 
l'argent  (1).  Il  se  tint  caché  pendant  quelque  temps  chez 
les  dames  Larroqtie  et  Peyre.  Delà  il  négociait  avec  son 
père.  La  conversion  d'un  protestant  était  encore  à  cette 
époque  un  mérite  dont  chacun  se  faisait  gloire  et  qui 
pouvait  devenir  avantageux.  Un  Conseiller  au  Parlement, 
M.  de  La  Mothe,  à  qui  l'on  lit  honneur  de  celte  abjura- 
tion, se  chargea  d'aller  l'annoncer  à  la  famille.  Jean  Ca- 
las, éclairé  par  la  découverte  du  placet,  ne  pouvait  que 
s'y  attendre  et  ne  devait  pas  regretter  la  présence  dange- 
reuse d'un  fds  qui  avait  voulu  se  venger  de  quelques  re- 
fus, en  lui  faisant  enlever  ses  quatre  enfants  mineurs. 
De  pareilles  demandes  avaient  toujoiu's  chance  d'être 
écoutées.  Le  père  répondit  froidement  au  Conseiller  de 
La  Mothe,  par  ces  paroles  aussi  simples  que  dignes  : 
((  J'approuve  la  conversion  de  mon  fds,  si  elle  est  sin- 
((  cère.  Prétendre  de  gêner  les  consciences  ne  sert  ja- 
«  mais  qu'à  faire  de  parfaits  hypocrites  qui  finissent  par 
((  n'avoir  aucune  religion  (2).  » 

Il  est  remarquable  que  les  Galas,  lorsqu'on  les  accusa 
plus  tard  d'avoir  persécuté  Louis,  qui  ne  rentra  jamais 

(i)  Confronlalion  de  Jeanne  Viguier. 
(2)  Déclaration  de  Louis  Calas, 


6Zl  LA    FAMILLE   CALAS. 

chez  eux,  demandèrent  toujours  en  vain  qu'on  fît  citer 
M.  de  La  Mothe,  pour  rendre  compte  de  ce  qu'il  avait  vu 
et  entendu.  Ce  témoignage,  trop  favorable,  fut  systéma- 
tiquement écarté;  c'eût  été  un  scandale  aux  yeux  des 
juges  qu'un  membre  du  Parlement  parut,  dans  cette 
cause ,  comme  témoin  h  décharge. 

La  négociation  entre  Louis  et  son  père ,  toujours  par 
intermédiaires,  se  prolongea.  Calas  lui  envoya  tous  ses 
effets,  et  lui  fit  faire  l'habit  qu'il  demandait,  pareil  à 
celui  de  son  frère  aîné.  I\Iais  il  voulait  avec  raison  éloi- 
gner son  fds  des  Durand,  et  il  lui  avait  trouvé  une  place 
à  Nîmes  chez  un  catholique,  fabricant  de  bas.  Louis,  sou- 
tenu par  ses  conseillers,  refusa  obstinément  de  quitter 
Toulouse,  probablement  parce  qu'il  voulait  la  victoire  en- 
tière (1).  Il  l'eut.  Il  attendit  patiemment  le  retour  de 
l'Archevêque,  absent.  M.  de  Crussol,  alors  Arche- 
vêque de  Toulouse,  manda  chez  lui  Calas  et  arrangea 
r affaire.  Il  va  sans  dire  que  ce  fut  en  obligeant  le  père 
huguenot  à  céder  au  fds  converti.  Louis  fut  placé  k 
Toulouse.  Son  père  paya  /jOO  livres  pour  son  apprentis- 
sage et  600  pour  des  dettes  contractées  sans  son  consen- 
tement. Cette  dernière  libéralité  prévint  un  ordre  du 
Ministre  qui  la  commandait.  Mais  le  jeune  homme  ne  se 
tint  pas  pour  content.  Après  le  Conseiller  et  l'Archevê- 
que, il  lui  restait  le  Ministre  à  exploiter  contre  son  père. 


(0  Le  prétexte  qu'il  en  donnalui  fut  sans  doute  suggéré  ;  en  tout 
cas,  il  est  caractéristique.  «  Ne  me  croyant  pas  encore  assez  affermi 
dans  la  nouvelle  Foi  que  je  venais  d'embrasser,  je  craignis  le  danger, 
pour  ma  persévérance,  d'aller  dans  une  Ville  que  personne  n'ignore 
être  malheureusement  infectée,  pour  la  plus  grande  partie,  de  l'Er- 
reur que  je  venais  de  quitter.  »  Je  suis  convaincu  que  celte  phrase 
n'est  pas  de  Louis,  et  ce  style  me  semble  trahir,  même  en  ce  moment 
où  il  défend  sa  famille,  quelqu'un  de  ses  conseillers  ecclésiastiques. 


LA   FAMILLE   CALAS.  65 

Malgré  sa  bonne  volonté ,  dit-il  dans  ses  tristes  aveux, 
je  ne  cessai  de  lui  faire  de  nouvelles  demandes.  J'eus  même 
la  témérité  de  lui  écrire  une  lettre  pleine  de  menaces,  que  s'il 
ne  me  faisait  pas  une  pension  suflisante  et  relative  à  mes  be- 
soins, je  m'adresserais  aux  puissances  pour  l'y  contraindre. 
L'effet  le  plus  prompt  suivit  de  près  cette  menace  :  je  présentai 
un  placet  au  ministre,  au  sujet  de  ma  pension  ;  demande  que 
mon  père  improuvait  moins  que  la  route  que  ma  trop  grande 
précaution  m'avait  fait  prendre,  et,  nonobstant  ma  précipitation, 
il  consentit  à  régler  cette  pension  avec  un  négociant,  ancien 
Capitoul  de  cette  ville.  Mon  père  n'insistait  que  sur  la  dureté 
des  temps  et  la  médiocrité  de  sa  fortune.  Il  fut  enfin  conclu 
que  la  somme  annuelle  de  100  livres  me  serait  adjugée  pour 
mon  entretien. 

Nous  verrons  plus  tard  que  le  placet  de  ce  fils  avide 
et  ingrat  laissa  des  traces  funestes  dans  l'esprit  du 
tout-puissant  ministre.  Sans  doute,  ces  diverses  sommes 
paraîtraient  fort  insignifiantes  aujourd'hui;  mais,  à 
cette  époque  et  surtout  dans  les  provinces  les  plus  éloi- 
gnées de  Paris,  l'argent  était  rare.  Nous  verrons  d'ail- 
leurs des  preuves  trop  positives  de  la  gêne  où  se  trouvait 
Galas  (1).  Il  donnait  ainsi  au  désertPAiràQ  la  famille  plus 
qu  à  aucun  de  ses  frèœs.  Il  déclara  (dans  ses  confronta- 
tions) que,  depuis  cette  époque,  il  lui  avait  envoyé  de 
l'argent  à  diverses  reprises,  en  sus  des  sommes  con- 
venues, par  l'intermédiaire  de  M.  de  La  Motlie. 

Ces  arrangements  définitifs  amenèrent  le  père  et  le 
fils  à  se  revoir.  L'entrevue  se  passa  chez  un  négociant, 
l'ancien  Capitoul   Borel,    et  en   sa    présence.   Calas 

(0  M.  Calas,  dit  le  témoin  Alexandre  Fabre,  n'a  p«  payer  50 
ivres  échues  de  la  pension  de  son  fils  Louis,  «  malgré  menace  de 
lui  envoyer  la  garnison.» 

6. 


66  LA    FAMILLE    CALAS. 

embrassa  tendrement  son  fils  et  lui  dit  :  «  Pourvu  que  tu 
continues  de  te  bien  conduire  et  d'être  sage,  je  ferai  pour 
toi  plus  que  tu  ne  penses  (1).  » 

Dès  lors,  toute  relation  directe  cessa  entre  Louis  et 
sa  famille,  à  l'exception  des  réclamations  qu'il  trouvait 
moyen  de  faire  parvenir  à  son  père,  dès  qu'un  des  quar- 
tiers de  sa  pension  était  en  retard.  11  en  avait  parlé  en- 
core à  Marc- Antoine,  le  12  octobre,  veille  de  sa  mort. 

Afin  de  rendre  moins  invraisemblable  le  meurtre  du 
fils  aîné,  on  a  accusé  les  Calas  de  cruauté  envers  Louis; 
il  importe  par  conséquent  de  se  rendre  un  compte  exact 
de  leur  conduite  envers  ce  fils  devenu  catholique  ;  nous 
citerons  à  ce  sujet  la  déposition  très-positive  d'un  cha- 
noine, ami  de  la  maison,  l'abbé  Azimond,  que  Louis 
avait  envoyé  ci  son  père  en  décembre  1760,  pour  lui  de- 
mander des  fonds,  afin  d'établir  un  magasin  en  s' asso- 
ciant avec  un  sieur  Bordes.  Le  père  répondit  qu'il  n'avait 
point  d'argent  comptant,  mais  qu'il  consentirait  k  donner, 
pour  3,000  fr.  en  argent,  10,000  fr.  en  marchandises;  que, 
du  reste,  il  ne  lui  conseillait  pas  de  s'établir  encore,  comme 
étant  trop  jeune.  Il  ajouta  «  qu'il  désirait  fort  son  avance- 
ment et  qu'il  ne  l'aimait  pas  moins,  quoiqu'il  eût  changé 
de  religion  (2).  »  Et  comme  Marc-Antoine,  qui  était  pré- 
sent, s'opposait  à  ce  que  son  père  fît  un  don  aussi  consi- 
dérable à  Louis,  en  lui  rappelant  avec  emportement  les 
torts  de  son  frère  et  son  abjuration,  le  sieur  Jean  Calas, 
dit  l'abbé  Azimond,  fut  obligé  de  lui  imposer  silence. 
Cette  violente  opposition  n'empêcha  pas  le  père  de  per- 
sévérer dans  son  ofi"re  en  faveur  de  Louis.  ((  11  m'en  parla, 

(0  Défi.,  p.  5  ;  //>/■(/., p.  5;  Mém.  jiisl. ,  p.    6. 
(2)    Arcli,  Inip.  voir  aussi  Méni.  jiislif. ,  ibid. 


LA    FAMILLE   CALAS.  67 

ajoute  le  chanoine,  avec  tout  l'amour  qu'un  père  peut 
avoir  pour  ses  enfants,  et  de  toute  sa  famille  qu'il  aimait 
tendrement.  Je  n'ai  connu  en  lui  que  des  sentiments 
d'honneur  et  de  probité.  » 

Loin  d'être  des  fanatiques  implacables  et  dénaturés, 
ses  parents  n'avaient  donc  pas  cessé  un  seul  instant  de  le 
chérir,  et  un  prêtre  impartial  nous  les  montre  encore  prêts 
à  venir  en  aide  k  leur  fds,  selon  la  mesure  de  leurs 
moyens,  dans  une  entreprise  qu'ils  ne  lui  conseillent 
point,  et  malgré  la  colère  et  les  efforts  de  son  frère  aîné. 

11  est  absolument  faux  qu'ils  aient  renié  ou  chassé 
Louis,  pour  le  punir  d'avoir  abjuré  ;  ce  furent  au  con- 
traire ses  conseillers  catholiques  qui  le  tinrent  soigneu- 
sement éloigné  d'une  maison  oii  ils  craignaient  qu'on 
n'agît  sur  sa  conscience  et  sur  spn  cœur,  pour  le  rame- 
ner à  la  foi  protestante.  Nous  aurions  pu  supposer,  et 
même  conclure  de  divers  indices,  qu'il  en  fut  ainsi  ; 
mais  un  prêtre  qui  devait  le  savoir  mieux  que  personne, 
l'abbé  de  Gontezat,  le  déclare  formellement,  dans  sa 
violente  brochure  contre  Paul  Rabaut  (1);  il  est  certain 
que  la  séparation  de  Louis  d'avec  ses  parents  avait  été 
ordonnée  par  ses  protecteurs. 

Il  résulte  d'ailleurs  de  la  déclaration  du  roi,  citée 
plus  haut,  que  c'était  une  règle^établie,  un  usage  généra- 
lement pratiqué,  de  ne  jamais  laisser  retourner  chez  leurs 
parents  un  fds  ou  une  fille  qui  avaient  abjuré,  de  peur 
qu'ils  ne  fussent  tentés  de  revenir  au  protestantisme. 

Plus  tard,  dans  tout  le  cours  de  cette  malheureuse 
histoire,  nous  verrons  Louis  Calas  agissant  tantôt  pour 
ses  parents,  dont  il  prit  hautement  le  parti,  tantôt  aux 

(I)  Observai ious,  Ole,  \).  7.  Voir  Bibhogr. ,  n"  l'i. 


68  LA   FAMILLE   CALAS. 

dépens  de  sa  famille  et  en  faveur  de  l'Eglise  à  laquelle  il 
s'était  uni,  mais,  toujours  et  partout,  cherchant  à  se  pro- 
curer de  l'argent  par  des  moyens  plus  hardis  que  dé- 
licats. 

Donat,  le  plus  jeune  des  quatre  frères,  le  dernier  en- 
fant de  la  famille,  était  apprenti  dans  une  maison  de  com- 
merce à  Nîmes,  lors  du  malheur  qui  frappa  tous  les  siens. 
On  lui  donna  le  conseil  de  fuir  à  l'étranger,  pour  éviter 
d'être  enveloppé  dans  des  dangers  qu'il  était  trop  jeune 
pour  affronter  utilement.  Cette  disparition  parut  suspecte 
et  l'on  ne  manqua  pas  d'y  chercher  un  nouveau  crime. 
((  A  la  démence  de  ces  calomnies,  écrivit  plus  tard  le 
jeune  Donat,  on  ajouta  celle  de  dire  que  mon  père  m'a- 
vait assassiné.  J'étais  alors  très-loin  de  ma  famille  et  je 
fus  obligé  d'envoyer  un  certificat  de  vie  (1).  »  Agé  alors 
de  quinze  ans,  et  fort  joli  de  figure,  ce  fut  cet  enfant 
que  Voltaire  fit  venir  pour  l'interroger  et  dont  les  ré- 
ponses naïves  et  les  larmes  gagnèrent  à  sa  famille  le  pro- 
tecteur puissant  qui  leur  fit  rendre  justice. 

Nous  n'avons  rien  que  d'honorable  à  dire  des  deux  de- 
moiselles Calas.  Le  13  octobre,  elles  étaient  à  Séchabois; 
c'était  la  maison  de  campagne  d'un  négociant,  intime 
ami  de  leur  famille,  Teissier.  L'accusation  a  voulu  voir 
dans  cette  circonstance  une  preuve  de  la  résolution  prise 
})ar  les  parents  d'assassiner  leur  fils  amé.  Il  serait  naturel 
en  elfet  que,  voulant  commettre  un  crime  aussi  épouvan- 
table, ils  eussent  éloigné  leurs  filles,  ne  fût-ce  que  par 
prudence.  Interrogée  à  ce  sujet  (2),  M"'  Calas  répondit 

(i)  Lettre  à  1* Archevêque  de  Toulouse,  p.  23.  Noir  Bibliogra- 
phie, n"  19. 

(a)  Arch.  Imp.  —  Interr.  de  laD"*  Calas. 


LA   FAMILLE    CALAS.  69 

simplement  que  ce  séjour  de  ses  filles  au  sein  de  la  fa- 
mille Teissier  avait  lieu  tous  les  ans.  Comme  l'année 
précédente,  leur  frère  Pierre  (1)  les  avait  conduites  k 
Séchabois  ;  comme  l'année  précédente  aussi,  leur  père 
et  leur  mère  devaient  aller  plus  tard  y  passer  quelque 
temps  avec  elles  et  les  en  ramener  (2) . 

Ces  deux  jeunes  filles  se  ressemblaient,  ou  plutôt  res- 
semblaient cl  leur  mère,  comme  du  reste,  tous  ses 
enfants.  Mais  rien  n'était  également  réparti  entre  elles  ; 
beauté,  grâce,  intelligence,  la  cadette  avait  tout  en 
partage. 

L'aînée  des  sœurs,  nommée  Anne-Rose  comme  sa 
mère,  était  une  personne  fort  ordinaire  ;  il  n'y  a  pas, 
dans  tous  nos  documents  un  mot  à  relever  qui  lui  soit 
personnel.  Elle  mourut  sans  avoir  été  mariée. 

Il  en  est  tout  autrement  d'Anne,  laplus  jeune,  qu'on  ap- 
pelait familièrement  Nanette  (3) ,  et  qui  devint  plus  tard  la 
femme  du  pasteur  Duvoisin.  Grimm  décrit  avec  enthou- 
siasme ses  traits  charmants,  sa  grâce  touchante  et  naïve. 
Un  juge  beaucoup  plus  sévère  rendit  souvent  l'hom- 
mage le  plus  chaleureux  et  le  plus  impartial  à  son  ca- 
ractère élevé,  à  sa  conduite  dirigée  par  le  tact  le  plus 
délicat.  La  sœur  Anne- Julie  Fraisse,  dont  elle  fut  l'é- 
lève, en  vertu  d'une  lettre  de  cachet,  au  couvent  des  Vi- 


(i)  Voir  aussi  Mém.  juslif.  de  Louis,  p.  lo. 

(2)  M^  Sudre  demanda,  dans  son  deuxième  Mémoire,  Taulori- 
salionde  prouver  que  Calas  avait  invité  un  bourgeois  de  ses  amis  à 
aller  avec  lui,  sa  femme  et  sa  jeunesse,  passer  le  dimanche  chez  Teis- 
sier. Ce  fait  justificatif  ne  fut  pas  plus  examiné  que  les  autres. 

(3)  Nous  ferons  souvent  de  môme,  pour  éviter  toute  confusion  avec 
sa  mère,  sa  sœur,  et  la  religieuse  de  la  Visitation  qui  portaient 
toutes  le  même  nom. 


70  LA   FAMILLE  CALAS. 

sitandiiies,  devint  son  amie,  tout  en  se  désolant  sans 
cesse  de  n'avoir  pu  réussir  à  la  convertir.  Nous  pu- 
blions plus  loin  la  correspondance  spirituelle  et  touchante 
de  cette  religieuse,  déjà  avancée  en  âge,  avec  la  fille  du 
martyr  protestant  et  la  femme  du  pasteur.  Cette  cor- 
respondance dura  douze  ans,  et  la  mort  seule  l'inter- 
rompit. On  y  verra  à  quel  point  Nanette  avait  gagné 
le  cœur  des  religieuses  et  surtout  de  sa  directrice,  per- 
sonne aussi  remarquable  par  sa  vive  intelligence  que  par 
sa  pieuse  charité,  et  qui  devint  un  champion  courageux 
et  zélé  des  Galas,  défendant  par  sentiment  de  justice  et 
de  bonté,  ces  protestants  dentelle  déplorait  la  perdition 
éternelle,  et  travaillant  ainsi  à  la  même  œuvre  que  Vol- 
taire, dont  le  nom  lui  était  en  abomination. 

C'est  un  honneur  pour  la  cause  des  Calas  que  d'avoir 
ainsi  enrôlé  dans  un  même  combat,  en  faveur  d'une 
famille  protestante  persécutée,  les  encyclopédistes  à  Pa- 
ris et  les  Visitandines  à  Toulouse.  Nous  verrons  agir  à  la 
fois  pour  la  veuve  et  les  orphelins  de  Calas,  Voltaire,  du 
fond  de  son  château  de  Ferney,  la  sœur  Anne-Julie, 
de  son  monastère  de  la  Visitation,  et  Paul  Fiabaut,  du 
Désert. 


CHAPITRE    IV 


LES    FAITS. 


Arrivée  de  Lavaysse,  —  Récit  de  M^e  Calas.  —  Men- 
songe des  accusés.  —  Lettres  de  M*"  Charrière. 


Prssimvm  navKjue  cl  jiericulosmn    rsl  cjucv\qvam   de 
suspicione  judicare. 

C'est  chose   de'testaWe  et   périlleuse  que  de  con- 
damner quelqu'un  sur  des  pre'somptions. 

[Capiiulaires  de  Charleviagne.) 


Un  seul  des  personnages  de  ce  drame  lugubre,  une 
seule  des  victimes  reste  à  connaître,  c'est  l'homme  à 
l'habit  gris,  c'est  le  porte-épée,  comme  l'appellent  les 
marchandes  de  la  rue  des  Filatiers,  François-Alexandre- 
Gaubert  Lavaysse.  Né  à  Toulouse  le  2k  octobre  ITM, 
il  n'avait  pas  vingt  ans  accomplis. 

Sa  famille  avait  été  anoblie  et  occupait  une  position 
considérable.  C'était  le  troisième  fils  de  M.  David  La- 
vaysse, un  des  avocats  les  plus  connus  du  Midi.  «  Il 
existe  encore,  dit  l'historien  du  Languedoc  (1),  un  grand 

(l)  Dom  Vaysselle,  ou  plulôl  son  conlinualeur. 


72  LES   FAITS. 

nombre  de  mémoires  de  sa  main,  et  l'on  y  remarque  une 
connaissance  parfaite  de  l'un  et  de  l'autre  droit,  une 
dialectique  entraînante,  et  quelquefois  une  éloquence  peu 
commune.  )>  Le  même  auteur  ajoute  que  souvent  ses 
amis  l'avaient  engagé  à  acheter  une  charge  déconseiller 
au  Parlement  ;  il  avait  préféré  continuer  sa  profession. 
Ajoutons,  cependant,  que  cet  homme  de  talent  manqua 
complètement  d'énergie  dans  le  malheur  et  s'attira  les 
vives  réprimandes  de  Voltaire  pour  s'être  laissé  abattre 
par  le  coup  qui  atteignit  son  fils,  et  n'avoir  osé  d'abord  le 
défendrequ'en  secret.  Il  étaitprotestant,  ainsi  que  tous  ses 
enfants,  quoiqu'il  eût  été  élevé  par  les  jésuites,  auxquels 
il  ne  craignit  pas  de  confier  ses  fils.  Ils  étaient  tous  en  rè- 
gle avec  l'autorité,  ayant  fait  pour  la  forme  les  actes  de 
catholicité  qu'on  avait  exigés  d'eux.  M.  et  M"""  Lavaysse, 
qui  était  une  demoiselle  Faure,  de  Castres,  habitaient  en 
été  un  domaine  qu'ils  possédaient  à  Garaman,  et  où  le  chef 
de  la  famille  était  né  en  1695.  Ils  avaient  eu  un  grand 
nombre  d'enfants,  dontsix  leur  restaient.  Leur  fille  aînée, 
M'"*"  Sénovert,  femme  d'un  avocat,  était  mère  d'une 
nombreuse  famille  qui  se  trouvait  également  à  Garaman. 
Après  avoir  travaillé  deux  ans  chez  un  négociant  de  Tou- 
louse, qui  au  bout  de  ce  temps  ferma  sa  maison,  le  jeune 
Gauberi  désira  entrer  dans  la  marine  commerciale,  et  son 
père  l'avait  envoyé  à  Bordeaux  pour  y  recevoir  des  le- 
çons de  pilotage  et  d'anglais,  et  pour  passer  quelque 
temps  chez  un  armateur.  Vers  la  fin  de  ces  études  spécia- 
les, David  Lavaysse  apprit  que  son  beau-frère,  le  sieur 
Faure,  établi  au  cap  Français  (Saint-Domingue),  venait 
d'être  chargé  par  testament  de  gérer  les  alfaires  d'un 
dos  plus  riches  négociants  de  la  colonie,  nommé  Magnon, 
et  pouvait  créer  dans  ce  pays  à  son  neveu  une  car- 


LES    FAITS.  73 

rière  lucrative  et  honorable.  Il  résolut  d'envoyer 
Gaubert  auprès  de  son  oncle,  dès  qu'il  aurait  ter- 
miné son  cours  de  pilotage.  Tous  ces  faits  sont  prou- 
vés, et  l'on  peut  voir  aux  Archives  Impériales  les  cer- 
tificats originaux,  l*»  du  père  Lagorrée,  préfet  du  col- 
lège des  Jésuites,  où  Gaubert  avait  étudié  depuis  l'âge  de 
huit  ans  jusqu'à  seize  (1)  ;  2^*  des  chefs  de  la  maison  Du- 
clos,  de  Toulouse,  chez  lesquels  il  avait  été  placé  ;  3°  de 
six  de  leurs  employés  ;  k°  et  5°  de  ses  professeurs  d'an- 
glais et  d'hydrographie  à  Bordeaux  ;  6*^  de  l'armateur 
Fesquet,  chez  lequel  il  avait  travaillé  seize  mois  ;  7°,  8°,  9' 
de  deux  prêtres  de  Bordeaux,  et  du  curé  de  la  paroisse 
où  il  avait  vécu.  Dans  cette  longue  série  de  témoignages 
qui  le  prend  tout  enfant  et  se  termine  à  quelques  jours 
de  la  date  fatale,  tout  le  présente  comme  fort  doux  de  ca- 
ractère, droit  et  honnête.  Il  était  naturel  qu'avant  de 
l'envoyer  à  Saint-Domingue  pour  plusieurs  années,  ses 
parents  voulussent  le  revoir.  Ce  fut  le  but  de  son  funeste 
voyage. 

Son  départ  de  Bordeaux  avait  été  retardé,  faute  d'ar- 
gent, pendant  quelques  jours.  Il  en  avait  passé  trois 
à  Montauban  ;  on  ne  l'attendait  point  à  jour  fixe,  ce  qui 
d'ailleurs  n'était  guère  possible  à  la  façon  dont  on  voya- 
geait alors.  Il  arriva  à  Toulouse  dans  la  soirée  du  12, 
et  trouva  fermée  la  maison  de  ville  de  son  père  ;  on 
était  à  la  campagne.  Il  se  rendit  alors  chez  Cazeing, 
auquel  il  portait  des  lettres  et  qui  était  aussi  lié  avec  ses 
parents  qu'avec  les  Galas.  Cet  ami  de  sa  famille  lui  offrit 
un  souper  et  une  chambre.  Le  lendemain,  une  forte  pluie 
l'empêcha  de  sortir  jusqu'à  midi.  Dès  qu'elle  cessa,  il  se 

(0  Lav.  1. 


Ik  LES    FAITS. 

mit  en  quête  d'un  cheval  de  louage  pour  se  rendre  à  Ca- 
raman  et  n'en  trouva  point,  à  cause  des  vendanges,  qui  h 
ce  moment  de  l'année  sont  l'occupation  générale  de  tout 
le  pays. 

Vers  quatre  heures,  en  passant  devant  la  boutique  des 
Calas,  il  y  vit  des  femmes  de  Garaman.  Il  entra  aussitôt 
dans  cette  maison  dont  il  connaissait  les  maîtres,  de- 
manda à  ces  paysannes  des  nouvelles  de  sa  famille,  et 
conta  son  embarras.  Pierrj  Galas  s'offrit  à  l'aider  dans 
ses  recherches  et  le  père  l'invita  k  souper.  Il  accepta  cette 
politesse  que  plus  tard  ce  même  Galas,  en  mourant  sur 
la  roue,  regrettait  aiuèrerasnt  de  lui  avoir  faite,  parce 
qu'elle  l'enveloppa  dans  tous  les  malheurs  de  ses  hôtes. 
Toutes  les  circonstances  qui  précèdent  ont  été  démontrées 
au  procès,  et  il  reste  k  expliquer  pourquoi  une  famille 
qui  aurait  formé  l'horrible  résolution  de  se  défaire  d'un 
de  ses  membres,  inviterait  un  étranger  à  prendre  part  à 
ce  meurtre  qu'il  n'aurait  aucun  motif  de  commettre. 

(iaubert  et  Pierre  Galas  coururent  la  ville  ensemble, 
cherchant  un  cheval  sans  en  trouver;  vers  sept  heures, 
ils  accompagnèrent  les  étrangères  venues  de  Garaman 
jusqu'à  l'auberge  d'oii  elles  devaient  partir  pour  retour- 
ner chez  elles  le  même  soir  ;  Lavaysse  alla  ensuite  pré- 
venir Gazeing  son  hôte  qu'il  soupait  chez  les  Galas,  et 
revint  partager  ce  repas,  qui  fut  pour  longtemps  son 
dernier  moment  de  liberté  et  de  sécurité. 

On  est  saisi  d'horreur  en  songeant  que  ce  doux  et  bon 
jeune  homme  était,  dans  l'imagination  atroce  des  accusa- 
teurs, un  bourreau  mandé  de  Bordeaux  par  les  protestants 
de  Toulouse,  pour  l'exécution  de  Marc-Antoine.  ((  On  le 
dit  le  mcrificateur  de  sa  religion,  c'est-à-dire  honoré  de 
l'emploi  horrible  d'étrangler  ceux  qui  font  mine  de  se 


LES   FAITS.  75 

convertir  (1).  »  Quelques-uns  ajoutaient  cette  circons- 
tance aggravante,  qu'il  devait  être  ministre  du  Saint- 
Evangile,  le  tout  fondé  sur  ces  deux  motifs  qu'il  était 
inconnu  et  qu'on  le  vit  sortir  le  premier  et  en  courant 
de  la  maison  des  Galas,  pour  aller  chercher  le  chirur- 
gien Gamoire.  On  le  prit  pour  un  assassin  qui  s'enfuit, 
et  quand  on  le  vit  rentrer  trois  fois  de  suite  (2) ,  quand 
enfin  il  força  la  consigne  des  soldats  du  guet  pour  pé- 
nétrer dans  cette  demeure  d'oiiil  allait  sortir  prisonnier, 
on  ne  daigna  pas  remarquer  que  ce  n'est  pas  ainsi  qu'un 
meurtrier  se  cache  ou  s'échappe. 

Que  s'était-il  donc  passé  dans  l'intervalle?  Quelle 
était  la  scène  de  mort  qui  s'était  accomplie  dans  celte 
maison  et  dont  le  cadavre  muet  du  fils  aîné  était  l'uni- 
que mais  irréfragable  preuve  ?  Il  est  temps  de  le  dire, 
mais  au  lieu  de  le  raconter,  nous  reproduirons  le  récit 
qu'en  fit  M'"^  Galas  elle-même.  G'est  une  lettre  adressée 
soit  au  négociant  Debrus,  soit  à  l'avocat  de  Végobre, 
qui  tous  deux  avaient  connu  les  Galas  à  Toulouse,  et 
reçu  chez  eux  l'hospitalité.  Il  est  impossible  de  douter  de 
l'authenticité  de  cette  lettre  ;  Voltaire,  dans  le  temps 
où  il  cherchait  à  s'assurer  de  la  vérité  sur  cette  affaire, 
demanda  un  récit  des  faits  écrit  par  la  mère  de  Marc- 
Antoine,  par  la  veuve  du  supplicié.  Quand  cette  lettre 
lui  fut  communiquée,  il  fut  frappé  de  cette  narration 
naïve,  exempte  de  toute  déclamation,  et  la  publia  aussi- 
tôt. Il  crut  avec  raison  que  la  parfaite  sincérité  de  l'é- 


(1)  Lettre  de  Couder.  Voir  Bihliogr.,  n''2i. 

(2)  La  première,  après  être  allé  chez  Gamoire,  qui  était  sorti; 
la  seconde,  après  avoir  trouvé  Cazeing  ;  la  troisième,  en  ramenant 
Monyer  et  Savanicr. 


76  LES    FAITS, 

crivain,  cette  douleur  de  mère  maîtrisée  et  contenue  avec 
effort,  ne  perdraient  rien  de  leur  éloquence  à  la  familia- 
rité des  détails,  à  l'incorrection  de  quelques  idiotismes 
de  province  (1),  àl'étrangeté  de  quelques  phrases  pen- 
sées en  patois  du  Languedoc,  avant  d'être  écrites  en 
français,  comme  il  arrive  encore,  dans  le  midi  de  la 
France,  à  certaines  personnes. 

«  Yoici  exactement  le  détail  de  notre  malheureuse  atlair»*, 
tout  comme  elle  s'est  passée  au  vrai  : 

«  Le  13  octobre  1761,  jour  infortuné  pour  nous,  M.  Goberl 
La  Vaisse,  arrivé  de  Bordeaux  où  il  avait  resté  quelque  temps, 
pour  voir  ses  parents,  qui  étaient  pour  lors  a  leur  campagne, 
et  cherchant  un  cheval  de  louage  pour  les  y  aller  joindre,  sur 
les  quatre  a  cinq  heures  du  soir,  vint  à  la  maison  ;  et  mon  mari 
lui  dit  que  puisqu'il  ne  partait  pas,  s'il  voulait  souper  avec 
nous,  il  nous  ferait  plaisir  ;  a  quoi  le  jeune  homme  consentit  ; 
et  il  monta  me  voir  dans  ma  chambre,  d'où,  contre  mon  or- 
dinaire, je  n'étais  pas  sortie.  Le  premier  compliment  fait,  il  ww 
dit  :  «  Je  soupe  avec  vous,  votre  mari  m'en  a  prié.  »  Je  lui  en 
témoignai  ma  satisfaction,  et  le  quittai  quelques  moments  pour 
aller  donner  des  ordres  à  ma  servante.  En  conséquence,  je  lus 
aussi  trouver  mon  iils  aine  que  je  trouvai  assis  tout  seul  dans 
la  boutique,  et  fort  rêveur,  pour  le  prier  d'aller  acheter  du 
fromage  de  Roquefort;  il  était  ordinairement  le  pourvoyeur 
pour  cela,  parce  qu'il  s'y  connaissait  mieux  que  les  autres.  Je 
lui  dis  donc  :  «  Tiens,  va  acheter  du  fromage  de  Roquefort;  voilà 
«  de  l'argent  pour  cela,  et  tu  rendras  le  reste  à  ton  père  (2);  » 
et  je  retourne  dans  ma  chambre  joindre  le  jeune  homme  (pie  j'y 

Cl)  Fenussiers  pour  loueurs  de  chevaux  ,  faire  lumière ^  avoir 
resté f  etc. 

(•2)  On  remarquera  combien  celle  recoramandalion  cl  ce  rapide 
portrait  de  Marc-Anloine  s'accordent  avec  tout  ce  que  nous  avons  dil 
de  lui. 


LES   FAITS.  77 

avais  laissé.  Mais  peu  d'instants  après,  il  me  quitta,  disant 
qu'il  voulait  retourner  chez  les  fenassiers  voir  s'il  y  avait 
«pielque  cheval  d'arrivé,  voulant  absolument  partir  le  lende- 
main pour  la  campagne  de  son  père,  et  il  sortit. 

'(  Lorsque  mon  fils  aîné  eut  fait  l'emplette  du  fromage, 
l'heure  du  souper  arrivée (i),  tout  le  monde  se  rendit  pour  se 
mettre  a  table,  et  nous  nous  y  plaçâmes.  Durant  le  souper  qui 
ne  fut  pas  fort  long,  on  s'entretint  de  choses  indifférentes,  et 
entre  autres  des  antiquités  de  l'Hôtel-de-Ville,  et  mon  cadet 
(Pierre)  voulut  en  citer  quelques-unes,  et  son  frère  le  reprit, 
parce  qu'il  ne  le  racontait  pas  bien,  ni  juste. 

'(  Lorsque  nous  fûmes  au  dessert,  ce  malheureux  enfant,  je 
veux  dire  mon  iils  aîné,  se  leva  de  table,  comme  c'était  sa 
coutume,  et  passa  a  la  cuisine.  La  servante  (2)  lui  dit  :  «  Avez- 
'(  vous  froid,  Monsieur  l'aîné?  Chauffez-vous.  »  Il  lui  répondit  : 
'.  Bien  au  contraire,  je  brûle  ;  »>  et  sortit. 

«<  iVous  restâmes  encore  quelques  momentsâ  table,  après  quoi 
nous  passâmes  dans  cette  chambre  que  vous  connaissez,  et  où 
vous  avez  couché,  M.  La  Vaisse,  mon  mari,  mon  fils  et  moi; 
les  deux  premiers  se  mirent  sur  le  sopha,  mon  cadet  sur  un 
fauteuil,  et  moi  sur  une  chaise,  et  là  nous  fîmes  la  conver- 
sation tous  ensemble.  Mon  Iils  cadet  s'endormit,  et  environ  sur 
les  neul  heures  trois  quarts  a  dix  heures  M.  La  Vaisse  prit 
congé  de  nous,  et  nous  réveillâmes  mon  cadet  pour  aller  ac- 
compagner ledit  La  Vaisse,  lui  remettant  le  flambeau  à  la  main 
pour  aller  lui  faire  lumière,  et  ils  descendirent  ensemble. 

<(  Mais  lorsqu'ils  furent  en  bas,  l'instant  d'après,  nous  en- 
tendîmes des  cris  d'allarme,  sans  distinguer  ce  que  l'on  di- 
sait, auxquels  mon  mari  accourut,  et  moi  je  demeurai  trem- 
blante sur  la  galerie,  n'osant  descendre,  et  ne  sachant  ce  que 
ce  pouvait  être. 

(1)  Sur  les  sept  heures 

(2)  La  cuisine    étaii    auprès    de  la  salle  à  manger,    au  premier 

étiig'\ 

7. 


78  LES   FAITS. 

«  Cependant,  ne  voyant  personne  venir,  je  me  déterminai  de 
descendre,  ce  que  je  lis;  mais  je  trouvai  au  bas  de  l'escalier 
M.  LaVaisse,  a  qui  je  demandai  avec  précipitation  qu'est-ce 
qu'il  y  avait  ?  Il  me  répondit  qu'il  me  suppliait  de  remonter, 
que  je  le  saurais;  et  il  me  fit  tant  d'instances  que  je  remontai 
avec  lui  dans  ma  chambre.  Sans  doute  que  c'était  pour  m'é- 
pargnerla  douleur  de  voir  mon  fils  dans  cet  état,  et  il  redes- 
cendit. Mais  l'incertitude  où  j'étais,  était  un  état  trop  violent 
pour  pouvoir  y  rester  long-temps  ;  j'appelle  donc  ma  servante, 
et  lui  dis  :  «  Jeannette,  allez  voir  ce  qu'il  y  a  là-bas;  je  ne  sais 
pas  ce  que  c'est,  je  suis  toute  tremblante;  »  et  je  lui  mis  la 
chandelle  à  la  main  et  elle  descendit  ;  mais  ne  la  voyant  point 
remonter  pour  me  rendre  compte,  je  descendis  moi-même. 
Mais,  grand  Dieu  !  quelle  fut  ma  douleur  et  ma  surprise,  lors- 
que je  vis  ce  cher  fils  étendu  à  terre  !  Cependant  je  ne  le  crus 
pas  mort,  et  je  courus  chercher  de  l'eau  de  la  Reine  d'Hongrie, 
croyant  qu'il  se  trouvait  mal  ;  et  comme  l'espérance  est  ce  qui 
vous  quitte  le  dernier,  je  lui  donnai  tous  les  secours  qu'il  m'é- 
tait possible  pour  le  rappeler  a  la  vie,  ne  pouvant  me  persua- 
der qu'il  fût  mort. 

«  Nous  nous  en  flattions  tous,  puisque  l'on  avait  été  cher- 
cher le  chirurgien,  et  qu'il  était  auprès  de  moi,  sans  que  je 
l'eusse  vu  ni  aperçu,  que  lorsqu'il  me  dit  qu'il  était  inutile  de 
lui  rien  faire  de  plus,  qu'il  était  mort.  Je  lui  soutins  alors  que 
cela  ne  se  pouvait  pas,  et  je  le  priai  de  redoubler  ses  atten- 
tions, et  de  l'examiner  plus  exactement,  ce  qu'il  fit  inutilement; 
cela  n'était  que  trop  vrai.  Et  pendant  tout  ce  temps-là  mon 
mari  était  appuyé  sur  un  comptoir  à  se  désespérer  ;  de  sorte 
quo  mon  cœur  était  déchiré  entre  le  déplorable  spectacle  de 
mon  fils  mort,  et  la  crainte  de  perdre  ce  cher  mari,  de  sa  dou- 
leur à  laquelle  il  se  livrait  tout  entier  sans  entendre  aucune 
consolation  ;  et  ce  fut  dans  cet  état  que  la  justice  nous  trouva, 
lorsqu'elle  nous  arrêta  dans  notre  chambre,  où  on  nous  avait 
lait  remonter. 

«  Yoilà  l'affaire  tout  comme  elle  sVst  passée  mot  à  mot  ;  et 


LtS    FAITS. 


je  prie  Dieu,  qui  connaît  notre  innocence,  de  me  punir  éter- 
nellement, si  j'ai  augmenté  ni  diminué  d'un  iota,  et  si  je  n'ai 
dit  la  pure  vérité  en  toutes  ces  circonstances  j  je  suis  prête  à 
sceller  de  mon  sang  cette  vérité  (1  ),  >> 


Comment  ne  pas  être  ému  de  ce  langage  aussi  ferme 
que  touchant  ?  Comment  ne  pas  y  reconnaître  une  mère 
en  qui  la  douleur,  que  son  récit  renouvelle,  est  dominée 
par  le  désir  de  réhabiliter  le  mari  qu'elle  pleure  et  de  sau- 
ver du  déshonneur  les  tristes  restes  de  sa  famille?  N'est- 
ce  pas  un  trait  de  vérité  frappant  que  ce  mot,  à  propos  du 
chirurgien  :  «  Il  était  auprès  de  moi,  sans  que  je  l'eusse 
vu  ni  aperçu,  que  lorsqu'il  me  dit  qu'il  était  inutile  de  lui 
rien  faire  de  plus;  qu'il  était  mort.  »  Et  après  ce  mot  fatal, 
quelle  vérité  dans  sa  naïve  réponse:  a  Je  luisoutins  alors 
que  cela  ne  se  pouvait  pas  !  )>  Dans  un  autre  endroit,  c'est 
bien  une  mère  de  famille  qui  se  peint  elle-même,  le  coeur 
déchiré  entre  son  fds  mort  et  l'inquiétude  que  lui  causait 
le  désespoir  de  son  mari  ;  le  père  ne  voyait  plus  que  le 
fils  qu'il  venait  de  perdre  ;  elle  songeait  à  tous  deux, 


(i)  Nous  empruntons  cette  signature  à  la  lettre  de  M"*  Calât  à 
la  Beaumelle  que  nous  donnons  plus  loin  (note  vu,  à  la  fin  du  vo- 
lume}. L'original  appartient  à  M.  Maurice  Angliviel. 


80  LES   FAITS. 

même  dans  l'horrem-  du  premier  moment  ;  elle  le  dit, 
sans  s'apercevoir  qu'elle  prouve  sa  force  d'âme. 

Aussi  sommes-nous  entièrement,  sur  cette  lettre,  de 
l'opinion  qu'exprimait  Voltaire  avec  tant  de  chaleur  lors- 
qu'il écrivait  au  marquis  d'Argence  de  Dirac  (à  propos 
de  Fréron  qui  avait  réfuté  ses  arguments  en  faveur  des 
Calas)  : 

«  Si  cet  homme  avait  lu  la  lettre  que  M""*  Calas  écrivit,  delà 
retraite  où  elle  était  mourante  et  dont  on  la  tira  avec  tant  do 
peine  ;  s'il  avait  vu  la  candeur,  la  douleur,  la  résignation  qu'elle 
mettait  dans  le  récit  du  meurtre  de  son  fils  et  de  son  mari,  et 
cette  vérité  irrésistible  avec  laquelle  elle  prenait  Dieu  h  témoin 
de  son  innocence...  etc.  (1)» 

A  ce  récit,  où  l'énergie  du  caractère  de  M*"^  Calas  se 
laisse  entrevoir  à  travers  ses  larmes  et  les  contient, 
ajoutons  les  faits  que  nous  fournissent  les  interroga- 
toires et  nos  documents. 

Quand  Lavaysse  était  rentré  pour  le  souper,  avec 
Pierre  Calas,  qui  l'avait  aidé  dans  ses  recherches,  ce 
dernier  tira  après  lui  la  porte  de  la  maison  et  elle  se 
ferma  par  son  propre  poids.  Cette  circonstance,  où  l'on 
a  vu  la  préméditation  d'un  crime,  était  fort  simple;  il 
était  d'usage  chez  les  Calas,  comme  en  général  chez  les 
marchands  de  la  ville,  de  fermer  la  maison  pendant  les 
repas. 

Les  deux  jeunes  gens  montèrent  dans  la  chambre  de 
M*"^  Calas  ;  elle  y  était  avec  son  mari  et  son  fds  aîné,  que 
Lavaysse  décrit,  enfoncé  dans  son  fauteuil,  la  tête  ap- 
puyée sur  une  main,  et  ne  faisant  aucmie  attention  à 

(0  Voir  Bibliographie,  n°  iC. 


LES    FAITS.  81 

eux.  A  table  Marc-Antoine  mangea  peu,  but  plusieurs 
verres  devin,  et  au  dessert  se  leva  et  sortit,  suivant  son 

habitude. 

Deux  heures  environ  s'écoulèrent  ;  M™*' Calas,  qui  avait 
pris  lui  ouvrage  de  broderie,  travaillait  en  causant  avec 
son  mari  et  Lavaysse.  Quand  ce  dernier  voulut  se  retirer, 
il  se  trouva  que  Pierre  s'était  endormi  ;  on  fut  obligé  de 
le  réveiller,  mais  il  en  eut  honte  et  ne  voulut  pas  en  con- 
venir ;  tous  le  plaisantèrent  ;  on  rit  aux  éclats  et  l'on 
se  sépara  gaîment;  dernier  éclair  de  joie!  Déjà  la  mort 
était  dans  la  maison.  Ils  allaient  le  savoir. 

11  était  entre  neuf  heures  et  demie  et  dix  heures.  La- 
vaysse descendit,  accompagné  par  Pierre,  et  fit  le  pre- 
mier une  remarque  très-naturelle  qui  amena  la  décou- 
verte du  cadavre  :  la  porte  qui  faisait  communiquer  le 
corridor  avec  la  boutique  était  ouverte.  Etait-ce  une  né- 
gligence de  la  servante,  ou  quelqu'un  s'était-il  introduit 
dans  le  magasin  ?  Pierre  y  entra  pour  s'en  assurer.  Son 
ami  le  suivit,  et  tous  deux,  saisis  d'horreur,  poussèrent 
des  cris  d'effroi  en  trouvant  Marc- Antoine  pendu  h  la 
porte  intérieure  qui  faisait  communiquer  la  boutique  avec 
une  arrière-boutique  qu'on  appelait  le  magasin.  En  tra- 
vers et  sur  les  deux  battants  de  cette  porte  ouverte, 
Marc-Antoine  avait  posé  un  de  ces  billots  ou  billes,  gros 
bâtons  ronds,  aplatis  h  un  bout,  avec  lesquels  on  serrait 
les  ballots  d'étoffes.  C'est  à  ce  billot  qu'il  s'était  pendu 
avec  une  corde  à  double  nœud  coulant.  Il  était  en  man- 
ches de  chemise.  On  remarqua  plus  tard  que  ses  cheveux 
n'étaient  point  en  désordre,  ni  ses  vêlements  froissés. 
Les  agents  de  la  justice  trouvèrent  son  habit  de  drap  gris 
et  sa  veste  de  nankin  posés  sur  le  comptoir  et  plies  avec 
soin,  étrange  détail  qui  prouve  bien,  non-seulement  une 


82  LES    FAITS. 

mort  volontaire,  mais  cette  froide  détermination  avec 
laquelle  on  exécute  un  suicide  auquel  on  a  longtemps 
songé.  Pierre  prit  la  main  de  son  frère  ;  ce  mouvement 
fit  balancer  le  cadavre,  aussitôt  les  deux  jeunes  gens 
épouvantés  coururent  appeler  au  secours. 

A  ces  cris,  le  malheureux  père  descendit  précipitam- 
ment en  robe  de  chambre  ;  ni  l'un  ni  l'autre  des  deux 
amis  n'avait  eu  le  temps  ou  la  présence  d'esprit  de  cou- 
per la  corde.  Galas  court  au  cadavre  et  le  saisit  dans  ses 
bras  ;  le  corps  étant  soulevé  ainsi,  le  billot  roula  à  terre. 
Aussitôt  il  coucha  son  fds  sur  le  plancher,  et  ôta  la 
corde  en  élargissant  le  nœud  coulant  ;  en  même  temps  il 
criait  à  Pierre  :  «  Au  nom  de  Dieu,  cours  chez  Camoire 
(un  chirurgien  voisin)  ;  peut-être  mon  pauvre  fils  n'est 
pas  tout  à  fait  mort.  )> 

A  cet  ordre  Pierre  et  Lavaysse  sortirent  en  courant. 
Le  premier  revint  presque  immédiatement  avec  Gorsse, 
élève  du  chirurgien  Camoire.  Il  trouva  sa  mère  penchée 
sur  Marc- Antoine,  lui  frottant  les  tempes  et  s'efforçant 
en  vain  de  lui  faire  avaler  un  spiritueux.  La  bouche 
se  refermait  d'elle-même  comme  par  un  ressort.  Gorsse 
s'aperçut  immédiatement  qu'il  était  trop  tard  ;  il  ôta  la 
cravate,  vit  la  marque  de  la  corde  autour  du  cou  et  dé- 
clara que  Marc-Antoine  était  mort  étranglé  ou  pendu. 

Pierre  en  ce  moment  perdit  la  tête.  Il  sortit  éperdu 
pour  aller ^  dit-il  plus  tard,  demander  conseil  partout  (1). 
Il  ne  savait  ce  qu'il  faisait,  et  son  père  le  rappela  en  lui 
disant  :  a  Ne  va  pas  répandre  le  bruit  que  ton  frère 


(0  «  11  alla  aux  Quatre-Billards  demander  en  pleurant  au  Lil- 
lardier  si  Marc-Anloinc  avait  eu  querelle  avec  quelqu'un  »  (Arch. 
Imp.) 


LES    FAITS.  83 

s'est  défait  lui-même  ;  sauve  au  moins  Flioiineur  de  la 
misérable  famille.  » 

Ce  conseil  de  dissimulation  eut  des  suites  funestes, 
mais  n'était  pas  sans  motifs  ;  la  législation  du  temps  sur 
le  suicide  était  barbare  et  hideuse.  Elle  avait  pour  point 
de  départ  la  loi  romaine  :  Homicida  sut  imepultm  ab- 
jieiatur,  loi  qui  emportait  la  confiscation  de  tous  les  biens 
au  profit  de  l'empereur.  Le  temps  avait  ajouté  aux  ri- 
gueurs de  cette  ordonnance;  on  faisait  le  procès  au  cada- 
vre comme  on  l'aurait  fait  àun  vivant.En  cas  de  condam- 
nation, le  corps,  absolument  nu,  était  traîné  à  travers  les 
rues  sur  une  claie,  le  visage  contre  terre,  aux  huées  de 
la  populace,  qui  souvent  le  souillait  de  boue  ou  le 
meurtrissait  c\  coups  de  pierres.  Puis,  ce  corps  était  sus- 
pendu au  gibet,  et  les  biens  du  mort,  s'il  en  laissait,  con- 
fisqués au  profit  du  Roi. 

Cette  épouvantable  idée  devait  faire  frémir  un  père; 
d'ailleurs  l'infamie  publique  de  cette  exécution  dés- 
honorait toute  une  famille;  elle  aurait  couvert  d'igno- 
minie l'avenir  des  frères  et  des  sœurs  du  suicidé.  Jean 
Calas  voulut  épargner  ces  horreurs  à  tous  ses  enfants,  et 
à  la  dépouille  de  son  malheureux  fds  ces  hideux  outra- 
ges. Il  ne  pouvait  prévoir  que  ce  mauvais  conseil,  donné 
par  lui  à  Pierre,  était  son  propre  arrêt  de  mort  et  de- 
vait les    exposer  tous   au  dernier  supplice.   Terrible 
exemple  du  mal  que  peut  faire  le  mensonge,   même 
le  plus  innocent  !  Il  n'est  personne  peut-être  qui  n'eût 
commis,   en  toute  sûreté  de  conscience,   cette  faute 
si  naturelle.    On  ne  se  persuade  pas  assez  que  dire 
la  vérité  c'est  tout  remettre  à  Dieu,  tandis  que  mentir 
par  précaution  c'est  s'ériger  soi-même  en  Providence  ; 
Providence  d'autant  plus  impuissante  qu'elle  s'appuie 


8/1  LES    FAITS. 

sur  ce  qui  n'est  pas.  Un  seul  mot  de  mensonge,  plus 
excusable  que  tout  autre,  dicté  par  les  intentions  les 
plus  excellentes  et  les  plus  cruelles  circonstances,  a 
suffi  pour  précipiter  toute  cette  famille  et  son  ami  dans 
un  abîme  de  maux. 

Pierre  promit  d'obéir,  courut  chez  Cazeing,  y  retrouva 
Lavaysse  et  lui  demanda  instamment  de  nier  le  suicide 
de  son  frère  ;  Lavaysse  eut  le  malheur  d'y  consentir. 
((  Je  croyais,  dit-il  ensuite,  je  croyais  alors,  pouvoir  et  de- 
voir le  promettre.  »  Aussi  déclarèrent-ils  tous  trois 
qu'ils  avaient  trouvé  Marc-Antoine  sans  vie,  sur  le  plan- 
cher du  magasin,  comme  le  virent  les  Gapitouls  elles  té- 
moins. C'était  la  vérité,  quant  aux  deux  femmes.  C'était 
faux,  quant  au  père,  quant  à  son  fds  Pierre  et  à  Lavaysse, 
qui  tous  trois  l'avaient  vu  pendu. 

Cettedissimulation  est  d'autant  plus  coupable,  qu'inter- 
rogés suivant  l'usage  sous  la  foi  du  serment,  dès  leur  arri- 
vée à  l'Hôtel-de- Ville,  ils  persistèrent  dans  leur  assertion 
qui  devenait  ainsi  un  parjure.  Jamais,  au  reste,  imposture 
ne  fut  plus  maladroite,  elle  n'expliquait  rien,  et  il  fut  fa- 
cile aux  Capitouls  de  s'assurer  non-seulement  que  Marc- 
Antoine  était  mort  étranglé  ou  pendu,  mais  que  ses  pa- 
rents devaient  en  savoir  plus  qu'ils  n'en  disaient. 

«  D'un  autre  côté  ce  mensonge,  comme  le  remarque  Tavocal 
(le  Calas  (1),  était  sans  gravité  devant  la  loi,  sinon  aux  yeux 
de  la  morale  religieuse.  Il  ne  se  produisit  que  dans  un  inter- 
rogatoire qui  est  nul  de  plein  droit  :  1°  parce  qu'il  ne  fut 
requis  par  personne  ;  2*  parce  qu'il  n'y  avait  encore  ni  accusés 
ni  procès.  N'étant  ni  prévenus  ni  accusés  et  ne  prévoyant  pas 

(i)  Sndre,  i  oi  "j. 


LES    FAITS.  85 

qu'ils  dussent  l'être,  ils  durent   tourner,  s'il    était   possible, 
toutes  leurs  pensées  à  sauver  l'honneur  du  défunt  (1).  » 

Voltaire  essayait  avec  plus  de  chaleur  encore  de  justi- 
fier la  dissimulation  des  Galas  ;  il  rappelait  la  déclara- 
tion de  Pierre  (p.  13)  : 

'(  Mon  père,  dans  l'excès  de  sa  douleur,  me  dit  :  Ne  \li  pas 
répandre  le  bruit  que  ton  frère  s'est  défait  lui-même  ;  sauve 
au  moins  l'honneur  de  ta  misérable  famille.  »  Il  est  essentiel, 
ajoute  Voltaire,  de  rapporter  ces  paroles  ;  il  l'est  de  faire  voir 
que  le  mensonge  en  ce  cas  est  une  piété  paternelle  ;  que  nul 
homme  n'est  obligé  de  s'accuser  soi-même,  ni  d'accuser  son 
fils;  que  l'on  n'est  point  censé  faire  un  faux  serment  quand, 
après  avoir  prêté  serment  en  justice,  on  n'avoue  pas  d'abord 
ce  qu'on  avoue  ensuite  ;  que  jamais  on  n'a  fait  un  crime  a  un 
accusé  de  ne  pas  faire  au  premier  moment  les  aveux  nécessai- 
res ;  qu'enfin  les  Galas  n'ont  fait  que  ce  qu'ils  ont  dû  faire.  Ils 
ont  commencé  par  vouloir  défendre  la  mémoire  du  mort  et  ils 
ont  fini  par  se  défendre  eux-mêmes.  Il  n'y  a  dans  ce  procédé 
rien  que  de  naturel  et  d'équitable  (2).  » 

Dès  qu'ils  se  virent  accusés,  tous  dirent  la  vérité,  et 
l'on  aurait  dû  comprendre  que  cette  fois  ils  étaient  sin- 
cères, parce  qu'ils  répondaient  de  même,  quoiqu'ils  fus- 
sent enfermés  séparément,  sans  aucune  commtmication 
entre  eux.  Leur  première  assertion  avait  pu  être  concer- 
tée, puisqu' alors  ils  étaient  libres  ;  leur  aveu  ne  pouvait 
être  que  vrai,  ptiisqu'il  était  identique  (3)  de  la  part  des 


(1)  Sudre,  2» 

(2)  A  Damilaville,  ociobro. 

(S)  Us  différèrent  en  un  seul  point.  On  demanda  à  Calas  par  qui 

8 


86  LES    FAITS. 

trois  hommes,  sans  possibilité  de  s'entendre  ou  de  con- 
naître même  les  réponses  de  leurs  coaccusés.  Malgré  cette 
preuve  sans  réplique,  on  ne  voulut  voir  dans  leui*  décla- 
ration qu'un  deuxième  système  de  défense,  aussi  faux  que 
le  premier,  ou  plutôt  un  pas  vers  l'aveu  du  crime.  Ils  re- 
connaissaient maintenant  que  Marc-Antoine  était  mort 
pendu;  on  crut  qu'ils  finiraient  par  convenir  qu'ils  l'a- 
vaient pendu  eux-mêmes. 

Lavaysse  raconte  (1)  qu'à  l'Hôtel-de- Ville,  après  les  in- 
terrogatoires, le  greffier  Savanier  dit  devant  lui  à  David  : 
«  Il  est  aussi  vrai  que  c'est  son  frère  qui  l'a  tué,  comme 
il  l'est  que  je  tiens  une  plume  à  la  main.  » 

David  répondit  :  a  Je  vois  qu'il  leur  en  coûtera  quel- 
ques tours  de  question  qui,  à  coup  sûr,  feront  ruisseler  le 
sang.  )) 

C'était  là  une  menace,  dont  le  but  était  d'effrayer  les 
accusés  pour  obtenir  un  aveu. 

Il  est  évident  que  s'ils  avaient  persisté  dans  leur  dissi- 


la  corde  avait  été  coupée.  U  répondit  qu'il  ne  le  savait  pas;  il 
croyait  que  Pierre  ou  Lavaysse  l'avaient  coupée  au  moment  où  il 
soulevait  le  cadavre.  11  le  croyait  d'autant  plus  qu'on  insistait  sur 
celte  corde  coupée  comme  sur  un  fait  acquis.  Pierre  affirmait  au 
contraire  que  le  billot,  posé  en  travers  sur  les  battants  de  la  porte, 
était  tombé  dès  que  son  père  avait  soulevé  le  cadavre,  et  que  la  corde 
devait  se  retrouver  entière.  On  la  chercha  on  effet,  et  on  la  trouva 
par  terre,  avec  le  billot  qui  portait  encore  quelques  cheveux  du 
mort  ;  elle  n'était  pas  coupée.  Lorsque  Calas  fut  confronté  avec  son 
fils,  il  répéta  la  môme  réponse  ;  mais  1  ierre  rectifia  aussitôt  le  fait. 
Calas  alors  expliqua  que,  n'éprouvant  aucune  résistance,  il  crut  la 
corde  coupée  par  Pierre  ou  par  Lavaysse.  N'est-il  pas  facile  de  com- 
prendre que  ce  détail  minutieux,  où  deux  accusés  se  contredisent,  et 
qui  se  rapporte  à  l'instani  où  le  malheureux  père  fil  à  son  tour  l'hor- 
rible découverte  du  suifide,  a  dû  Cire  mieux  observé  par  son  fils, 
moins  bouleversé  que  lui-inèine  ? 
(l)Lav.,  3. 


LES    FAITS.  87 

mulation  première,  ils  se  perdaient.  C'est  ici  que  se  place 
un  incident  dont  on  a  abusé  récemment  contre  les 
Calas. 

Lavaysse  raconte  (1)  que  le  U,  à  dix  heures  du  matin 
(c'est-à-dire  après  l'ordonnance  d'écrou  que  rendit  le 
chef  du  Consistoire),  on  le  fit  sortir  de  chez  l'enseigne 
du  guet  pour  le  mettre  dans  un  cachot  sans  lumière  où 
il  ne  trouva  pour  s'asseoir  que  de  la  paille,  et  qui  était 
déjà  occupé  par  un  autre  prisonnier.  De  là,  pendant  une 
partie  de  chaque  journée,  on  le  faisait  passer  dans  une 
grande  chambre  dite  la  Miséricorde  où  l'on  rassemblait 
les  détenus  pour  affaires  criminelles.  Le  premier  jour  il  y 
reçut  plusieurs  visites  d'amis  de  sa  famille,  entre  autres 
celle  de  Louis  Calas,  qui  accourut  pour  savoir  de  lui 
ce  qui  s'était  passé  (2),  et  qui  n'osa  demander  à  voir  ses 
parents.  Peut-être,  ce  jour  là,  l' aurait-il  obtenu;  il  ne 
revit  jamais  son  père.  Un  autre  visiteur  de  Gaubert 
fut  W  Carrière,  avocat,  intimement  lié  avec  David  La- 
vaysse. Le  jeune  homme  lui  raconta  comment  les  choses 
s'étaient  passées.  Seulement  il  n'avait  pas  distingué, 
à  la  lueur  de  la  chandelle  que  tenait  Pierre,  à  quoi 
Marc-Antoine  s'était  pendu ,  et  il  avait  cru  que  c'é- 
tait au  cintre  de  la  porte;  ce  fut  ce  qu'il  dit  à  l'a- 
vocat. Celui-ci  alla  voir  les  lieux,  ne  trouva  ni  clou 
ni  crochet  au-dessus  de  la  porte  et  revint  dire  à  Lavaysse  : 
((  Vous  m'avez  trompé  ;  je  viens  de  chez  M.  Calas  ;  j'ai 
visité  la  porte,  j'ai  tout  examiné  et  je  n'ai  rien  trouvé  à 
quoi  son  fils  puisse  s'être  pendu.— Cela  est  pourtant  cer- 
tain, répondit  le  jeune  homme,  j'en  suis  sûr,  je  l'ai  vu; 

(1)  Lav.,  3. 

(2)  Mena,  juslil",,  p.  9. 


88  LES    FAITS. 

il  est  vrai  que  je  ne  sais  à  quoi  la  corde  était  attachée, 
mais  ne  doutez  pas  de  ce  que  je  vous  ai  dit.  »  M*  Car- 
rière alla  voir  alors  séparément  Galas  et  son  fils,  qui 
tous  deux  lui  apprirent  comment  avait  eu  lieu  le  sui- 
cide sans  crochet  ni  clou.  Il  les  exhorta  k  dire  toute 
la  vérité,  sans  prétendre  épargner  l'honneur  du  défunt. 

Dès  ce  même  jour,  ils  furent  tous  mis  au  secret  (1).  Si 
nous  rapprochons  de  ces  déclarations  les  dires  des  témoins, 
tout  s'accorde  et  s'explique.  Le  premier,  fort  hostile  du 
reste,  est  l'abbé  Benaben,  ami  du  prêtre  Durand  et  de 
Louis  Calas.  Il  dit  que  le  14,  il  accompagna  Louis  Calas 
chez  M'  Carrière,  et  l'on  ne  peut  voir  sans  quelque  in- 
quiétude cet  étranger  malveillant  initié  ainsi  atout  ce  que 
préparaient  l'imprudent  Louis  et  l'avocat  pour  la  dé- 
fense de  la  famille. 

Selon  Benaben,  pendant  qu'ils  étaient  ensemble,  un 
soldat  entra,  portant  une  lettre  du  sieur  Calas,  dans  la- 
quelle il  demandait  ce  qu'il  devait  répondre.  M^  Carrière 
s'écria  qu'il  fallait  qu'il  eût  perdu  l'esprit  :  ((  Je  lui  ai  dit 
hier  qu'il  devait  déclarer  la  vérité  et  ne  pas  ménager 
l'honneur  du  défunt,  »  W  Carrière  dicta  alors  trois  let- 
tres. 

Il  est  impossible  que  cette  déposition  soit  tout  à  fait 
exacte.  Ce  n'est  pas  le  14  que  ceci  a  eu  lieu;  car  on  a 
encore  ces  lettres  et  elles  sont  datées  du  15  octobre 
au  soir.  Celle  adressée  à  Pierre  finit  par  ces  mots  : 
«  Il  est  inutile  que  je  signe  cette  lettre,  parce  que  vous 
vous  rappellerez  que  je  vous  parlai  hier  au  soir  à  votre 
souper.  »  En  etTet  si  c'eût  été  le  14  que  ces  lettres  eussent 


(1)  Voir  plus  bas  une,  letirc  du  Président  de  Scnaux  à  M.  de  Sl- 
Flormiin.  (Corr  ,  loiire  3.) 


LES    FAITS.  8'.> 

été  écrites,  Carrière  n'aurait  pu  ni  s'exprimer  ainsi,  ni 
s'écrier  :  «Je  le  lui  ai  dit  hier;  »  car  les  accusés  n'ar- 
rivèrent à  l'Hôtel-de-Ville  qu'après  minuit,  subirent 
immédiatement  les  interrogatoires  d'office,  et  n'ont  pu 
voir  l'avocat  que  dans  la  soirée  du  H  ou  au  plus  tôt  dans 
l'après-midi.  Il  est  permis  aussi  de  douter  de  l'impartia- 
lité avec  laquelle  l'abbé  rend  compte  de  la  lettre  deCalas 
qu'il  ne  dit  pas  même  avoir  lue,  et  qui,  apportée  par  un 
soldat,  sans  aucun  mystère,  avait  certainement  passé 
sous  les  yeux  des  autorités  ou  de  leurs  agents. 

Voici  qui  est  beaucoup  plus  précis  :  le  témoin  Delibes, 
greffier  de  la  geôle,  dépose  que  deux  ou  trois  jours  après 
l'arrestation  (1),  Louis  Calas  vint  tout  en  larmes  le  trouver, 
demandant  à  voir  son  père  dans  la  prison  pour  se  récon- 
cilier avec  lui,  ce  qui  ne  put  lui  être  accordé.  Alors  il 
lui  remit  les  trois  lettres  de  M"  Carrière.  Le  greffier 
n'hésita  pas  à  donner  à  Calas  celle  qui  lui  était  adressée, 
probablement  parce  qu'il  avait  été  autorisé  à  laisser 
passer  celle  de  Calas  lui-même,  dont  la  réponse  arrivait 
en  ce  moment.  Ce  dernier,  quand  il  apprit  que  Louis 
avait  apporté  cette  lettre  en  exprimant  le  désir  de  se  ré- 
concilier avec  lui,  ((  répondit  au  déposant,  en  versant 
des  larmes,  qu'il  était  très-sensible  aux  soins  que  se 
donnait  son  fils  Louis.  »  Le  greffier  se  retira  ;  mais  au 
moment  de  remettre  à  Pierre  Calas  et  à  Lavaysse  les 
deux  lettres  qui  leur  étaient  adressées,  il  hésita,  crai- 
gnit de  se  compromettre  et  les  garda. 

Le  mêmesoir,  Louis  revint  lui  demander  s'il  avaitremis 
les  trois  missives.  Delibes  lui  avoua  ses  craintes.  Louis 


(1)  D'après  ce  qui  précède,  ce  «lui  être,  en  effet,  lo  iroisième  jour, 
ou  en  d'autres  termes, deux  jours  après  rarreslation,  c*csl-à-direle  15, 

8. 


90  LES    FAITS. 

répondit  en  l'autorisant  k  les  décacheter  et  à  les  lire.  Il  le 
fit,  mais  n'en  persista  pas  moins  à  garder  les  lettres.  Plus 
tard,  apprenant  que  le  Monitoire  allait  être  fulminé,  il 
craignit  [jour  sa  conscience  et  alla  déposer  ces  deux  pièces 
chez  le  Procureur  général,  qui  les  fit  joindre  au  procès. 
Elles  y  sont  encore  ;  nous  les  avons  lues,  et  tout  s'y 
accorde  parfaitement  avec  ce  que  viennent  de  nous  ap- 
prendre le  mémoire  de  l'un  des  accusés  et  les  témoi- 
gnages d'un  prêtre  et  d'un  geôlier.  Elles  ne  sont  pas 
signées;  il  est  évident  que  Carrière,  comme  Delibes,  crai- 
gnit de  se  compromettre  dans  cette  terrible  affaire  ;  il  se 
contente  d'en  appeler  à  ce  qu'il  a  conseillé  la  veille  aux 
accusés  dans  leur  prison  et  les  engage  très-viveraent  à 
tout  dire. 

C'est  pour  n'avoir  pas  lu  ces  lettres  et  n'avoir  pas  connu 
toutes  les  circonstances  que  nous  venons  de  rapprocher, 
qu'on  a  vu  dans  ce  fait  un  argument  très-puissant  con- 
tre les  Calas.  Tantôt  c'est  DomVayssette  ou  plutôt  M.  du 
Mège  (1),  son  continuateur,  qui  publie  que  le  témoin 
Barnabou  (il  veut  dire  l'abbé  Benaben)  a  déposé  qu'on 
avail  écrit  il  Galas  pour  lui  dicter  ses  réponses.  Tantôtc'est 
un  autre  écrivain,  M.  Hue  (2),  qui  n'a  lu  évidemment  ni 
ces  lettres, ni  le  troisième  Mémoire  deLavaysse,  ni  le  pre- 
mier Mémoire  de  Sudre,  ni  les  dépositions  que  nous 
avons  citées.  Il  suppose  que  M'Monyer  pourrait  bien  être 
l'auteur  de  ces  lettres,  et  rêve  que  les  protestants  de  Tou- 
louses'entendaient  avec  lui,  assesseur  des  Capitouls,  pour 
diriger  les  réponses  des  accusés;  il  imagine  gratuitement 
d'autres  lettres,  des  visites  mystérieuses  dans  la  prison, 


(0  Ilist.  du  Languedoc,  voir  Bibliographie  n*    7  3, 
(2)  Procès,  etc.,  voir  Biblioyraphii  n"  7-i. 


LES    FAITS.  91 

et  il  en  conclut  que  le  suicide  de  Marc-Antoine  fut  un 
système  de  défense  inventé  après  coup  par  d'autres  que 
les  Calas,  et  qu'on  leur  conseilla  de  soutenir. 

Il  y  a  une  difficulté  ou  plutôt  une  impossibilité  absolue 
à  admettre  ceci..  Nous  savons  par  la  lettre  du  Président 
de  Senaux  au  Ministre  que  les  prisonniers  ne  reçurent 
ni  lettres  ni  visites  (1),  et  l'on  vient  de  lire  les  déclara- 
tions du  greffier  d  3  la  geôle.  Cependant  Pierre  et  La- 
vaysse,  qui  n'ont  pas  reçu  les  lettres  de  Carrière,  ont  dit 
exactement  les  mêmes  choses  que  Calas,  qui  avait  reçu  la 
sienne.  Ceci  ne  prouve-t-il  pas  qu'ils  prirent  tous  le  parti 
de  dire  la  vérité  tout  entière,  et  que  dans  ces  lettres  on 
ne  leur  conseillait  pas  autre  chose? 

Ce  n'est  pas  tout.  Calas  lui-même  n'a  pu  recevoir  avant 
le  15  la  lettre  de  l'avocat  écrite  ce  même  jour,  et  c'est  le 
l/(,  dans  l'interrogatoire  sur  l'écrou,  son  premier  inter- 
rogatoire légal,  c'est  en  se  voyant  accusé,  qu'il  déclara 
le  suicide  de  son  fds.  Carrière  avait  donc  été  obéi  d'a- 
vance. 

Bien  loin  de  rien  prouver  contre  l'innocence  des  Ca- 
las, cet  épisode  dont  on  a  fait  grand  bruit,  prouve  jus- 
qu'à l'évidence  (2)  que  le  seul  motif  de  leur  dissimula- 
tion antérieure  avait  été  le  désir  bien  naturel  d'éviter 
que  le  procès  fût  fait  au  cadavre. 


(l)Voir  Corr.  do  Saint-Florcnlin,  lettre  3.  11  les  sépara,  fit  gar- 
der chacun  d'eux  par  un  soldat  du  guet,  et  défendit  toute  communi 
cation,  tant  entre  eux  qu'avec  qui  que  ce  fût. 

(■i)  Sudre,  'i. 


CHAPITRE    V 


INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE 


Le  Monitoire.  —  Funérailles  de  Marc- Antoine. 
Les  Pénitents  blancs. 


Il  y  a  différents  ordres  de  lois;  et  la  sublimité  de 
la  raison  humaine  consiste  a  savoir  bien  auquel  de  ces 
ordres  se  rapportent  principalement  les  choses  sur 
lesquelles  on  doit  statuer,  et  à  ne  point  mettre  de 
confusion  dans  les  principes  qui  doivent  gouverner 
les  hommes. 

Montesquieu. 
[Esprit  de»  Lois,  1.  26,  c.  1.) 


Déjà  trente  témoins  avaient  été  interrogés  et  l'on  ne 
trouvait  aucune  preuve  qui  permît  de  condamner  les 
Calas. 

La  justice  du  temps  employait,  pour  se  procurer  des 
preuves,  un  moyen  qui  paraîtrait  aujourd'huifort  étrange, 
mais  dont  l'efTet  serait  encore  très-puissant  dans  certai- 
nes localités  et  l'était  bien  plus  alors.  Le  procureur  du 
roi  dressait  une  liste  des  faits  réels  ou  présumés  qu'il  avait 


94  INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE. 

besoin  de  voir  attester  par  des  témoins,  et  s'adressait  à 
l'autorité  ecclésiastique  afin  qu'un  avertissement  ou 
Monitoire  fût  lu  au  prône  et  affiché  dans  les  rues, 
pour  informer  tous  ceux  o^m  saur  aient  par  ouï-dire  ou  au- 
trement les  faits  en  question,  que  s'ils  ne  venaient  les  dé- 
clarer soità  Injustice,  soit  à  leurs  curés,  ils  encourraient 
la  peine  de  l'excommunication  (1).  Si  la  publication  de 
cet  avertissement  ne  produisait  pas  l'effet  qu'on  en  at- 
tendait, le  même  Monitoire  était  fulminé,  c'est-à-dire 
que  dans  toutes  les  Eglises,  avec  un  cérémonial  effrayant, 
on  prononçait  l'excommunication  contre  quiconque 
s'abstenait  de  déposer.  Dès  ce  moment,  ils  étaient  dam- 
nés s'ils  venaient  à  mourir  sans  s'être  réconciliés  avec 
l'Eglise  et  surtout  s'ils  s'approchaient  des  sacrements. 
Dans  une  ville  aussi  catholique  que  l'était  Toulouse,  on 
se  figure  à  peine  l'impression  produite  par  ces  actes 


(i)  L'auteur  du  Monitoire  qu'on  va  lire  était  le  procureur  du  roi 
en  la  ville  et  Sénéchaussée,  Charles  Lagane,  qui  avait  été  Capiloul  et 
dont  nous  avons  cité  plus  haut  les  vives  attaques  contre  le  Capi- 
toiilat,  tirées  d'un  Discours  où  il  nie  l'existence  de  Clémence  Isaure, 
la  fumeuse  patronne  des  Jeux  Floraux.  11  avait  remporté  en  17  6  1  un 
prix  quadruplé  (c'est-à-dire  ajourné  trois  ans  de  suite)  pour  un 
mémoire  sur  l'Etat  des  sciences,  des  arts,  des  lois  et  des  mœurs  à 
Toulouse,  sous  les  rois  visigoihs. 

Dans  son  testament  (10  août  17  88),  il  légua  à  la  ville  40,000  li- 
vres pour  être  consacrées  ù  la  création  de  fonlaines  publiques,  Ch 
don  a  rendu  sa  mémoire  Irès-populaire  à  Toulouse;  cependant  la 
Biographie  toulousaine  porte  sur  lui  ce  jugement  assez  sévère,  par- 
faitement motivé  par  les  faits  : 

«  Dans  les  fonctions  honorables  dont  il  fut  revêtu,  il  montra  des 
lumières  et  de  l'intégrité  ;  mais  quelquefois  un  zèle  trop  ardent  lui 
fit  dépasser  les  bornes  dans  lesquelles  il  devait  se  renfermer,  » 

Voir  sur  les  Monitoires  :  Ordonnance  de  1670,  litre  7.  —  Edit 
d'Avril  1675,  art.  26,28,  etc.  —  Traité  du  Monitoire  de  Bouault. 
—  Traité  des  Crimes,  de  Soulage,  II,  122.  —  Fauslin  Hélie. 
Histoire  et  Théorie  de  la  procédure  criminelle,  p.  622. 


INTERVENTION   ECCLÉSIASTIQUE.  95 

étranges,  où  les  terreurs  de  l'enfer  devenaient  des 
moyens  de  procédure  (1). 

Des  règles  sévères  étaient  prescrites  pour  la  rédaction 
de  ce  formidable  document.  Avant  tout,  il  devait  être 
conçu  k  décharge  aussi  bien  qu'à  charge,  c'est-k-dire 
qu'on  devait  menacer  également  ceux  qui  n'auraient  pas 
le  courage  de  déposer  pour  les  accusés  et  ceux  qui  né- 
gligeraient de  témoigner  contre  eux.  Cette  impartialité 
du  Monitoire  était  d'autant  plus  indispensable  que  les 
prévenus  ne  pouvaient  faire  citer  aucun  témoin  et  qu'on 
pratiquait  rigoureusement  alors  la  règle  d'après  laquelle 
un  témoin  n'était  pas  admissible,  s'il  se  présentait  de  son 
propre  mouvement  (2),  ou  s'il  déposait  de  faits  qui  n'é- 
taient point  en  question.  C'était  ce  qu'on  appelait  des  faits 
extra  articulos,  en  dehors  des  articles.  Il  était  admis  en 
principe  qu'un  témoin  ne  prouve  que  pour  les  questions 
pour  lesquelles  il  a  été  reçu  h  serment  ;  en  effet,  le  serment 
ne  s'appliquait  alors  qu'aune  série  de  questions  posées  à 
l'avance  et  l'on  disait  d'un  témoin  qui  sortait  de  ces  li- 
mites :  Non  juratus  eo  casu  deponit,  il  dépose  en  ce  cas 
sans  avoir  juré. 

Si  donc  le  Monitoire  n'était  pas  conçu  à  décharge 
comme  à  charge,  ceux  qui  avaient  du  bien  k  dire  des  ac- 
cusés étaient  réduits  k  se  taire;  ils  n'avaient  aucun  droit, 


(i)  Voici  une  déclaration  qui  montre  que  les  menaces  d'un  Moni- 
toire n'étaient  pas  sans  effet  (Arch.  Irap.)  : 

A  Toulouse,  ce  l*""  novembre  1761. 
On  prêtent  que  je  suis  dans  le  cas  de  l'excommunication  par  le  chef  du 
Monitoire  parce  que  j'avois  ouy  dire  par  une  personne  que  M.  Laplaigne 
avait  instruit,  avec  le  Père  Latour,  le  petit  Calas,  mort.  Si  je  suis  dans  le 
cas,  je  rendray  mon  audition  quand  j'en  seray  requis. 

Dakles,  maître  en  chirurgie,  signé. 

(2)  Teslis  se  offerens  repellilur  a  lestiraonio. 


96  INTERVENTION    ECCLESIASTIQUE. 

aucunmoyen  de  faire  entendre  ce  qu'on  ne  leur  demandait 
pas,  ce  qu'on  ne  cherchait  pas  k  savoir.  Il  suffisait  ainsi 
de  la  rédaction  partiale  d'un  xMonitoire  pour  annuler 
ou  rendre  impossible  d'avance  et  d'un  seul  coup  toute 
déposition  favorable.  C'est  précisément  ce  qui  est  arrivé 
dans  l'affaire  qui  nous  occupe.  Lavaysse  père  écrit  (1) 
que  le  Procureur  du  Roi  et  les  Gapitouls  dédaignèrent 
défaire  assigner  plusieurs  témoins  qui  s'étaient  présen- 
tés à  leur  curé  pour  révéler  des  faits  à  décharge.  Il  ne 
faut  pas  s'en  étonner.  Ces  témoins  avaient  tort  ;  le  Mo- 
nitoire  ne  les  avait  nullement  autorisés.  Lorsque  le 
procès  fut  revisé,  c'est  à  dire  après  le  supplice  de  Galas, 
un  témoin  nouveau  que  nous  avons  cité  déjà,  le  chanoine 
Azimond,  termina  en  ces  termes  sa  déposition,  très-im- 
portante pour  les  accusés  : 

«  Au  surplus,  je  déclare  que  j'aurois  déposé  le  contenu  de  la 
«  présente  déclaration  dans  le  cours  de  l'instruction  criminelle 
«  intentée  contre  le  sieur  Jean  Calas,  si  j'e»  eusse  été  requis 
«  ou  si  le  Monitoire  m'y  eût  autorisé.  C'est  ce  que  je  certifie 
«  comme  véritable. 

«  Signé  AziMOND, 
«  Prêtre,  chanoine  de  Monlpezal.  « 

Un  négociant  de  Nmies  nommé  Griolet,  qui  avait  fré- 
quenté trois  ans  la  famille  Galas,  répondit  le  13  fé- 
vrier 1762  à  Nanette  qui  l'avait  prié  de  rendre  témoi- 
gnage en  faveur  de  ses  parents  :  il  refusait  d'aller  dé- 
poser en  leur  faveur  parce  que  «  celui  qui  va  faire  une 
révélation  en  justice  sans  être  assigné  h  cet  eiîet,  rend 
son  témoignage  suspect  et  rejetable  (2).  »  Ce  n'était  que 
trop  vrai. 

(i)  Lav.  2. 

(2)  La  lettre  est  en  original  aux  Archives  Impériales, 


INTERVENTION   ECCLÉSIASTIQUE.  97 

On  a  reproché  encore  de  nos  jours  aux  Calas  (1)  de 
n'avoir  eu  qu'un  témoin  k  produire  (dans  la  première  et  la 
seconde  instruction  du  procès),  pour  prouver  que  Marc- 
Antoine  était  resté  protestant,  tandis  qu'une  foule  de 
témoins  déclaraient  le  contraire.  Il  est  vrai,  mais  ce  n'est 
pas  tout;  ce  témoin  unique  et  courageux.  M"  Ghallier,  usa 
de  ruse  pour  se  faire  admettre,  déclarant  à  son  curé  qu'il 
avait  à  faire  une  déposition  très-grave  et  lui  laissant  croire 
que  c'était  en  faveur  de  l'accusation. 

On  remarquera  à  ce  sujet  que  la  publication  d'un  Mo- 
nitoire  érigeait  en  juges  d'instruction  tous  les  curés, 
tous  les  vicaires,  tous  les  prêtres  en  exercice  ;  aussi 
existe-t-il  au  dossier  une  foule  de  dépositions  écrites  qui 
souvent  commencent  par  les  mots:  Par-devant  nous,  et 
quisont  signées  d'un  prêtre  deparoisse,  quelquefois  même 
d'un  religieux  attaché  à  une  église.  Ce  fait,  dans  un  pro- 
cès où  l'Eglise  protestante  tout  entière  se  trouva  incrimi- 
née à  chaque  instant,  mettait  donc  l'instruction  de  l'af- 
faire entre  les  mains,  non  d'un  magistrat,  mais  du  clergé, 
de  tout  le  clergé  à  la  fois.  Disons  cependant  que  le  Moni- 
toire  devait  au  moins  émaner  d'un  tribunal  ecclésiastique 
et  non  de  l'archevêque,  bien  moins  encore  d'un  vicaire 
général  (2).  Onne  sait  pourquoi  Laganeet  David  violèrent 
cette  loi  ;  fut-ce  par  ignorance  des  formes  ?  Il  est  difficile 
d'en  soupçonner  Lagane.  Ou  bien  pensèrent-ils  faire  ac- 


(l)M.  Eue,  Procès,  etc. 

(2)  Mariette  (i"Mém.)  cite  à  ce  sujet   le  texte  suivant  : 

«  C'est  au  seul  Officiai  ou  autre  juge  de  la  juridiction  Ecclésiasti- 
que contenlieuse  à  accorder  les  Monitoires,  non  à  l'Evêque  ou  à  ses 
Grands  Vicaires,  sinon  il  y  aurait  abus  dans  celle  obtention.  >. 
(Lacomue,  Dict.  canouiq.,  p.  4i8.) 

9 


98  INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE. 

cepter  plus  facilement  leur  Monitoire,  entaché  partout  de 
partialité  et  d'illégalité,  en  s'adressant  au  vicaire  de 
l'archevêque  (1)  absent,  et  non  à  un  tribunal,  plus  ja- 
loux peut-être  de  l'observation  des  règles? 

La  loi  apportait,  il  est  vrai,  un  tempérament  néces- 
saire à  l'immense  puissance  des  auteurs  d'un  Monitoire; 
elle  leur  interdisait,  non-seulement  de  nommer,  mais 
aussi  de  désigner  les  personnes  incriminées  (2). 

Ces  préliminaires  étaient  indispensables  pour  que 
l'on  pût  juger,  comme  il  le  mérite,  le  Monitoire  sui- 
vant. Une  affiche  de  ce  Monitoire  se  trouve  aux  Ar- 
chives (3).  Elle  contient,  outre  le  document  lui-même, 
les  demandes  d'autorisation  adressées  par  M^  Pimbert, 
avocat  du  Roi,  aux  Gapitouls  et  à  l'archevêque,  avec  la 
réponse  des  premiers,  et  celle  de  l'abbé  de  Cambon,  vi- 
caire-général pour  le  second.  Dans  ces  pièces ,  on  leur 
demande  de  ((  faire  publier  Moratoires  sur  des  cas 
très-graves,  intéressants  pour  la  religion  n .  C'était  dé- 
cider à  l'avance,  dans  une  affiche  légale  apposée  sur 


(i)  C'était  Arlhur-Richard  Dillon.  11  eut  pour  successeur  en  1763 
Etienne-Charles  de  Loménie  de  Brienne,  qui  devint  Archevêque  de 
Sens,   cardinal  et  premier  ministre. 

(2)  Ordonn.,  t.  7.  art.  4,  «  Les  personnes  ne  pourront  être  ni 
nommées  ni  désignées  par  les  Monitoires,  à  peine  de  cent  livres 
d'amende  contre  la  partie,  et  de  plus  grande  s'il  y  écliet.  >• 

«  C'eût  été,  dit  avec  raison  M.  Faustin  Hélie,  livrer  leurs  noms 
à  la  publicité,  lorsque  leur  innocence  pouvait  être  démontrée  plus 
lard.  »  Ce  qui  était  contraire  à  l'esprit  de  la  procédure  par  inquisi- 
tion, c'est-à-dire  secrète. 

(3)  Section  historique  K  848.  Dans  les  Archives  du  Parlement  de 
Toulouse,  il  en  existe  autant  d'exemplaires  qu'il  y  eut  de  publications 
faites  dans  chaque  paroisse,  chaque  curé  ayant  renvoyé  le  Monitoire 
avec  l'indication  manuscrite  des  jours  et  heures  où  il  a  été  lu  au 
peuple. 


INJERVENTION   ECCLÉSIASTIQUE.  91) 

tous  les  murs,  que  Marc-Antoine  Galas  était  mort  pour 
la  Religion,  c'est-à-dire  tué  par  ses  parents  pour  s'être 
fait  catholique.  En  ce  seul  mot  tout  le  procès  était  jugé 
d'avance. 


MONITOIRE 


4"  Contre  tous  ceux  qui  sauront,  par  ouï  dire  ou  autrement, 
que  le  sieur  Marc-Antoine  Calas  aîné  avoit  renoncé  a  la 
religion  prétendue  Réformée  dans  laquelle  il  avoit  reçu 
l'éducation;  qu'il  assistoit  aux  cérémonies  de  l'Eglise  ca- 
tholique et  romaine  ;  qu'il  se  présentoit  au  sacrement  de 
pénitence,  et  qu'il  devoit  faire  abjuration  publique  après 
le  13  du  présent  mois  d'octobre,  et  contre  tous  ceux  aux- 
quels Marc-Antoine  Calas  avoit  découvert  sa  résolution  ; 

2"  Contre  tous  ceux  qui  sauront  par  ouï  dire  ou  autrement, 
qu'à  cause  de  ce  changement  de  croyance,  le  S'  Marc- 
Antoine  Calas  étoit  menacé,  maltraité,  et  regardé  de  mau- 
vais œil  dans  sa  maison  ;  que  la  personne  qui  le  menaçoit, 
lui  a  dit  que  s'il  faisoit  abjuration  publique,  il  n'auroit 
d'autre  bourreau  que  lui. 

3"  Contre  tous  ceux  qui  savent  par  ouï  dire  ou  autrement, 
qu'une  femme  qui  passe  pour  attachée  à  l'hérésie,  exci- 
toit  son  mari  a  de  pareilles  menaces,  et  menaçoit  elle- 
même  Marc- Antoine  Calas. 

i*  Contre  tous  ceux  qui  savent  par  ouï  dire  ou  autrement,  que 
le  13  du  mois  courant  au  matin,  il  se  tint  une  délibéra- 
tion dans  une  maison  de  la  paroisse  de  la  Daurade,  où  la 
mort  de  Marc-Antoine  Calas  fut  résolue  ou  conseillée ,  et 
qui  auront,  le  même  matin,  vu  entrer  ou  sortir  de  ladite 
maison    un  certain  nombre  desdites  personnes. 

5°  Contre  tous  ceux  qui  savent  par  ouï  dire  ou  autrement,  que 
le  même  jour,  13  du  mois  d'octobre,  depuis  l'entrée  de  la 


100  INTERVENTION   ECCLESIASTIQUE. 

nuit  jusques  vers  les  dix  heures,  cette  exécrable  délibéra- 
tion fut  exécutée,  en  faisant  mettre  Marc- Antoine  Calas  à 
genoux,  qui,  par  surprise  ou  par  force,  fut  étranglé  ou 
pendu  avec  une  corde  à  deux  nœuds  coulants  ou  baguelles, 
l'un  pour  étrangler,  et  l'autre  pour  être  arrêté  au  billot, 
servant  a  serrer  les  balles,  au  moien  desquels  Marc-An- 
toine Calas  fut  étranglé  et  mis  a  mort  par  suspension  ou 
par  torsion. 

(i*  Contre  tous  ceux  qui  ont  entendu  une  voix  criant  a  l'assas- 
sin, et  de  suite,  ah  !  mon  Dieu,  que  vous  ai-je  fait?  fai- 
tes-moi grâce  :  la  même  voix  étant  devenue  plaignante 
et  disant  :  ah  !  mon  Dieu,  ah  !  mon  Dieu  ! 

7°  Contre  tous  ceux  auxquels  Marc- Antoine  Calas  auroit  com- 
muniqué les  inquiétudes  qu'il  essuioit  dans  sa  maison,  ce 
qui  le  rendoit  triste  et  mélancolique. 

8*  Contre  tous  ceux  qui  surent  qu'il  arriva  de  Bordeaux,  la 
veille  du  13,  un  jeune  homme  de  cette  ville,  qui  n'aiant 
pas  trouvé  des  chevaux  pour  aller  joindre  ses  parents  qui 
étoient  à  leur  campagne,  aiant  été  arrêté  a  souper  dans 
une  maison,  fût  présent,  consent  ou  participant  a  l'ac- 
tion. 

9"  Contre  tous  ceux  qui  savent  par  ouï  dire  ou  autrement  qui 
sont  les  auteurs,  complices,  fauteurs,  adhérans  de  ce 
crime,  qui  est  des  plus  détestables. 

Enfin  contre  tous  sachans  et  non  révélans  les  faits  ci-dessus, 
circonstances  et  dépendances. 

Ce  Monitoire,  accordé  le  17  octobre  à  la  requête  du 
Procureur  du  Roi,  signé  par  l'abbé  de  Cambon  (1),  vi- 
caire-général, fut  affiché  et  lu  au  prône  trois  dimanches 
de  suite,  les  18  et  25  octobre  et  8  novembre,  dans 
toutes  les  paroisses. 

Nous  verrons  que,  le  11  décembre,  une  nouvelle  pu- 

(1)  Tristan  de  Cambon,  plus  lard  évétqup  de  Mirepoix, 


INTERVENU  UN    ECCLÉSIASTIQUE.  lOl 

blication  du  même  Monitoire  fut  ordonnée  pour  le  di- 
manche 13,  avec  menace  de  fulmination  pour  le  di- 
manche 20.  Le  résultat  de  cette  dernière  publication 
n'étant  pas  encore  satisfaisant,  le  18  décembre,  le  Pro- 
cureur Général  requit  la  fulmination  du  Monitoire  : 

'(  Et  comme  le  Procureur  général  du  Roi  a  lieu  de  présu- 
mer qu'il  y  a  nombre  de  personnes  instruites  des  faits  énon- 
cés audit  Monitoire,  qui  n'ont  point  donné  leurs  révélations, 
leur  résistance  à  satisfaire  aux  injonctions, etc.,  oblige  a  requé- 
rir fulmination  dudit  Monitoire  en  la  manière  accoutumée  dans 
les  paroisses  où  il  aura  été  publié  eu  vertu  de  nos  ordonnances 
du  17  oct.  et  11  déc.  ;  et  excommunions  les  coupables  et  parti- 
cipans  et  ceux  qui  ont  connaissance  des  faits  contenus  audit 
Monitoire  et  ne  les  révéleront  pas,  et  vous  ordonnons  qu'ayés 
à  les  dénoncer  publiquement  au  peuple,  comme  excommuniés 
par  nous.  • 

Signé  :  l'abbé  De  Cambon,  vicaire-général. 

Dès  lors  ceux  qui  auraient  omis  de  déposer  étaient 
excommuniés  aussi  bien  que  les  meurtriers  de  Marc- 
Antoine  et  leurs  complices. 

Il  y  a  quelques  remarques  essentielles  à  faire  sur  cet 
étrange  document.  La  première  se  présente  d'elle-même; 
c'est  que  dans  les  articles  de  ce  Monitoire  il  n'y  a  pas  un 
mot  à  décharge  ;  rien  qui  ne  soit  contre  les  accusés.  Ils 
avaient  déclaré  un  suicide,  et  le  Monitoire  même  qualifie 
Marc-Antoine  de  triste  et  mélancolique  ;  il  aurait  donc 
fallu,  d'après  la  loi,  poser  tout  autant  de  chefs  ou 
questions  d'après  la  supposition  du  suicide  que  d'après 
l'hypothèse  du  meurtre;  rechercher  les  causes  de 
cette  mélancolie,  tenir,  en  un  mot,  la  balance  égale 
entre  les  deux  systèmes.  Il  n'est  pas  même  fait  mention 
de  celui  des  prévenus,  et  dans  un  acte  qui  devrait  être 

9. 


102  INTERVENTION    ECCLESIASTIQUE. 

impartialpour  demeurer  légitime,  raccusation  parle  seule. 

pt  comment  parle-t-elle?  est-ce  en  se  conformant  à 
la  loi  qui  défend  de  désigner  les  accusés?  Selon  l'art.  2, 
Marc- Antoine  était  «  menacé,  maltraité  et  regardé  de 
mauvais  œil  dam  sa  maison.))  Ce  mot,  deux  fois  répété, 
désigne,  et  ne  peut  désigner  que  les  accusés,  père,  mère, 
frère,  et  leur  unique  servante.  On  ajoute,  immédiatement 
après,  que  :  ((  la  personne  qui  le  menaçait  lui  a  dit 
((  qu'il  n'aurait  d'autre  bourreau  que  lui.  »  Cette  per- 
sonne était  donc  un  homme  de  cette  maison.  Mais 
lequel?  le  père  ou  le  frère?  Ceci  même  va  être  indiqué. 
((  Article  3 —  Une  femme  qui  passe  pour  être  attachée  à 
((  l'hérésie  incitait  son  mari  à  de  pareilles  menaces  et 
((  menaçait  elle-même  M. -A.  Galas.  »  Est-il  nécessaire 
de  rappeler  qu'il  n'y  ^y^iidansla  maison  d'autres  époux 
que  M.  et  M"'*  Galas  ?  Ils  étaient  donc  désignés  de  ma- 
nière à  ce  qu'on  ne  pût  s'y  méprendre. 

Il  faut  remarquer  encore  cette  expression  puérile- 
ment partiale  :  Ce  ci^ime  qui  est  des  plus  détestables^ 
lorsque  toute  la  question  était  précisément  de  savoir 
s'il  y  avait  crime,  et  quel  crime. 

Ce  n'est  pas  là  cependant  ce  que  le  Monitoire  contient 
de  plus  monstrueux.  Si  ses  rédacteurs  étaient  bien  in- 
formés, il  y  aurait  eu,  le  13  au  matin,  dans  une  maison 
de  la  paroisse  de  la  Daurade,  une  délibération  où  le  sup- 
plice de  Marc-Antoine  avait  été  discuté  et  résolu.  A 
voir  cette  affreuse  accusation  si  bien  détaillée,  on  ne 
doute  pas  qu'elle  ne  doive  être  attestée  par  une  foule 
de  témoins  ;  on  croit  en  entendre  au  moins  quelques- 
uns  déclarer  qu'ils  ont  vu  «  entrer  et  sortir  de  la  mai- 
son »  indiquée,  les  membres  du  tribunal  secret?  Quel- 
qu'un avait  donc  des  renseignements  sur  la  réaUté  de 


INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE.  103 

cette  assemblée  sanguinaire,  sur  le  lieu,  lejour  et  l'heure 
où  elle  fut  tenue?  On  s'attend  à  ce  que  tous  ceux  qui  ont 
dénoncé  aux  auteurs  du  Monitoire  ces  détails  si  précis  de 
lieu  et  de  temps  iront  reproduire  en  personne  devant 
la  justice  leurs  accablantes  révélations,  et  que  s'ils  ne 
l'ont  lait  avant  la  fulmination  du  monitoire,  par  négli- 
gence ou  par  commisération,  la  certitude  de  l'anathème 
et  des  peines  éternelles  va  les  décider  aussitôt  après 
le  Monitoire  fulminé.  11  n'en  fut  rien.  D'Aldeguier  s'é- 
tonne avec  raison  de  voir  dans  le  Monitoire  ces  sup- 
positions qui  ne  ressorlent  nullement  du  commencement 
d'information  déjà  accompli  ;  en  ellet  il  n'y  a  rien  qui  y 
ressemble,  de  près  ni  de  loin,  dans  les  dépositions  des  té- 
moins entendus  jusque-là  !  Et  c'est  précisément  parce 
que  ces  faits,  auxquels  David  et  Lagane  croyaient  et  vou- 
laient croire,  ne  se  trouvaient  nullement  constatés,  qu'ils 
essayèrent  d'en  obtenir  par  leur  Monitoire  la  démonstra- 
tion. Ce  qui  est  plus  significatif  encore,  c'est  que  cette 
tentative  n'eut  aucun  succès.  Dans  cette  procédure  où  fi- 
gurent plus  de  cent  cinquante  témoins,  on  ne  trouve  au- 
cune trace  de  ces  grossières  faussetés,  à  l'exception  de 
quelques  ouï-dire,  tous  plus  vagues  que  le  Monitoire  lui- 
même.  Comment  tout  le  monde  ne  saurait-il  pas  par  ouï- 
dire  ou  autrement  ce  qui  a  été  lu  au  prône  quatre  diman- 
ches, affiché  partout,  fulminé  en  cérémonie,  ce  dont  la 
ville  entière  s'est  entretenue  avec  passion  pendant  cin(i 
mois  ?  Au  lieu  de  devenir  plus  précis,  plus  circonstan- 
ciés, ces  abominables  détails  s'effacent  à  mesure  que  la 
procédure  avance,  et  finissent  par  disparaître  (1). 

(0  Voici  la  seule  déposition  qui  à  cet   égard  ait  quelque  inlérùi: 
par  celle-là  on  pourra  juger  des  autres. 

«   l^ierre    Dugué,     prêtre    liebdomadier    de   l'église    de    Saint- 


iO/t  IMTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE. 

Il  n'est  rien  qu'on  n'ait  tenté  pour  avoir  des  preuves 
sur  ce  point  capital.  Voici  à  ce  sujet  un  des  interroga- 
toires de  M^"^  Galas.  On  remarquera  que  la  première 
question  est  un  piège  que  lui  tend  le  juge  (1).  Si  elle  avait 
paru  approuver  ce  que  l'interrogateur  a  l'air  de  penser 

Etienne,  dépose  qu'étant  dans  la  boutique  de  la  D"*  Bordeneuve, 
avec  elle  et  cinq  filles  qui  travaillaient,  un  homme  de  trente  à  qua- 
rante ans  vint  et  dit  :  qu'il  avait  été  dans  la  maison  de  Calas  le 
jour  de  la  mort  dudit  Marc-Antoine  et  que  là  il  apprit  les  circonstan- 
ces suivantes  :  que  le  jour  de  la  mort  dudit  Marc-Antoine,  il  y  eut 
une  délibération  tenue  chez  les  Calas  par  sept  personnes,  du  nombre 
desquelles  étaient  les  sieurs  Calas  et  Lavaysse  et  autres,  et  qu'ils  dé- 
libérèrent s'ils  tueraient  ledit  Marc-Antoine  avant  ou  après  le  souper; 
qu'ils  délibérèrent  de  prendre  une  corde  pour  étrangler  ledit  Marc- 
Antoine  en  haine  de  ce  qu'il  devait  faire  sa  première  communion  le 
lendemain  ;  qu'ils  délibérèrent  s'ils  ne  l'enterreraient  pas  après,dans 
la  cave  dudit  Calas,  pour  qu'il  ne  fût  plus  question  dudit  Marc-An- 
toine. Le  déposant,  ayant  entendu  ces  faits  si  circonstanciés,  fut  cu- 
rieux de  savoir  le  nom  de  l'homme  de  qui  il  les  avait  entendus  comme 
il  l'a  dit  ci-dessus  chez  la  D"'  Bordeneuve,  et  à  cet  effet  il  est  retourné 
depuis  chez  les  dites  D"'*  Bordeneuve  pour  leur  demander  le  nom 
de  cet  homme  ;  elles  n'ont  jamais  voulu  le  luy  dire.  »  {Arch.  Imp,) 
D'où  vient  que  la  justice  ne  les  y  contraignit  pas  7  Comment  et 
de  qui  l'inconnu  avait-il  appris,  dans  la  maison  même  de  Calas,  le 
fait  du  conseil  qui  s'y  était  tenu  ?  Voilà  donc  ce  conseil  délibérant, 
non  s'il  faut  tuer  ce  jeune  homme  (  il  n'y  avait  pas  à  délibérer  là- 
dessus,  puisque  chez  les  protestants,  c'était  la  règle);  non,  s'il  est 
vrai  que  ce  même  jeune  homme  ait  voulu  se  faire  catholique  (dans  la 
pensée  de  l'abbé  Dugué,  cela  n'était  douteux  pour  personne),  mais 
s  il  fallait  l'étrangler  avant  ou  après  souper.  Quel  pauvre  esprit  que 
cet  hebdomadier  de  Saint-Etienne  !  Et  il  ne  s'avise  que  le  lende- 
main de  demander  quel  est  cet  inconnu  !  Voilà  cependant  sur  quels 
témoignages  Jean  Calas  a  été  roué. 

(i)  «  Les  anciens  légistes,  dit  M.  Faustin  Hélie (op.  c),  ont  essayé 
de  poser  une  limite  où  devaient  s'arrêter  les  questions  captieuses,  les 
artifices  de  l'interrogateur  ;  ils  ne  voyaient  pas  que,  dans  une  procé- 
dure qui  n'admettait  pas  la  discussion  contradictoire  des  charges,  il  y 
avait  une  sorte  de  nécessité  d'arracher  à  l'accusé  son  aveu  soit  par 
l'adresse,  soit  par  la  torture.  Le  juge  avait  besoin  de  cet  aveu  pour 
la  propre  tranquillité  de  sa  conscience;  la  loi  le  faisait  artificieux  et 
inhumain  par  cela  même  qu'il  était  honnête.  » 


INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE.  105 

lui-même,  on  y  aurait  vu  un  argument  contre  elle  et  un 
aveu  de  l'affreuse  doctrine  qu'on  prêtait  à  son  Eglise.  La 
réponse  est  excellente. 

'(  Interrogée  si  elle  ne  sait  qu'un  père  est  le  juge  souverain 
de  la  religion  de  son  fds, 

Répond  que  c'est  la  conscience  et  les  lumières  qui  doivent 
nous  faire  décider  et  non  l'autorité  d'un  père. 

Interrogée  si  son  niary  ou  son  fils  ne  luy  communiquèrent  la 
résolution  ou  le  conseil  de  la  secte  au  sujet  de  l'abjuration  qu'on 
croyoit  projettée  de  la  part  de  M. -A.  Calas  son  fds,  et  quelle 
éloit  cette  résolution  ou  conseil. 

Répond  et  dénie  l'interrogatoire  en  tous  ses  chefs. 

Interrogée  si  elle  et  son  mary  ne  dirent  qu'il  falloit  se  sou- 
mettre a  la  résolution  prise  par  le  conseil  de  la  dite  secte, 

Répond  et  dénie  l'interrogatoire,  ne  luy  ayant  jamais  été  parlé 
de  rien,  ny  entendu  parler  (1),  » 

Nous  verrons  ailleurs  dans  ce  procès  que  les  soldats 
de  garde  sont  Vultima  ratio  de  l'accusation,  quand  elle 
est  aux  abois,  non  sans  doute  que  les  juges  leur  dictas- 
sent de  faux  témoignages,  mais  apparemment,  parce 
qu'ils  voyaient  le  dépit  où  l'on  était  de  ne  pas  trouver 
les  preuves  que  l'on  avait  espérées.  C'est  encore  contre 
Lavaysse,  en  sa  qualité  de  bourreau  en  titre  d'office, 
qu'est  dirigée  l'inepte  calomnie  qu'on  va  lire. 

Pierre  Vergés,  soldat,  dépose  : 

Qu'étant  un  jour  de  garde  dans  la  chambre  du  S'  Lavaysse 
et  se  promenant  dans  ladite  chambre,  ledit  Lavaysse  lui  dit 
"  qu'il  avait  trouvé  dans  un  livre  qu'il  n'était  pas  dommage 
d'étrangler  une  personne,  que  nous  venions  de  terre,  et  qu'il 

,1)  InleiT.  du  20  octobre,  CArch.  Imp.) 


106  INTERVENTION   ECCLESIASTIQUE. 

y  (sic)  fallait  y  retourner  la  même  chose.  Le  déposant  lui 
répliqua  que  notre  religion  ne  permettoit  pas  pareille  chose, 
sur  quoy  ledit  Lavaysse  se  retourna  vers  le  feu  sans  plus  mot 
dire.  » 

Evidemment  Pierre  Vergés  a  mal  compris  sa  leçon  ou 
mal  inventé  son  conte.  Dans  quel  livre  Lavaysse  aurait- 
il  lu  qu'il  n'y  a  pas  de  mal  à  étrangler  les  gens  ?  Il  ne  s'a- 
git pas  même  ici  d'un  livre  protestant  et  d'une  justifica- 
tion fanatique  de  l'assassinat  des  apostats.  Il  s'agit  d'une 
apologie  générale  dumeiu'tre.  Le  soldat  de  garde  prête  à 
Lavaysse  le  même  propos  qu'il  prêterait  à  un  assassin  de 
profession,  ou  un  meurtrier  à  gages.  Il  ne  se  rend  pas 
compte  de  l'accusation  à  laquelle  il  vient  en  aide.  Et 
quelle  apparence  que  ce  jeune  homme  en  danger  d'être 
mis  à  mort  comme  assassin,  aille  professer  la  théorie  du 
meurtre  au  soldat  qui  le  garde  ?  Était-ce  pour  se  faire 
condamner  ? 

Nous  avons  cherché  longtemps  en  vain  quelle  pou- 
vait être  la  pensée  du  procureur  du  Roi,  en  nommant 
la  paroisse  de  la  Daurade,  qui  n'était  point  celle  des 
Calas,  comme  celle  où  se  serait  tenue  l'assemblée  des 
protestants.  Il  n'existe  de  renseignement  à  cet  égard 
que  dans  le  Mémoire  inédit  de  la  Beaumelle.  Il  notis 
apprend,  et  il  devait  le  savoir,  lui  qui  avait  habité 
Toulouse,  que  Cazeing  demeurait  dans  la  paroisse  dé- 
signée, et  que  l'accusation  lui  attribuait  ce  rôle  dans  le 
meurtre,  apparemment  parce  qu'il  était  impossible  de 
lui  en  supposer  aucun  autre  (1).  En  effet,  on  l'avait  re- 

(1)  Cette  conjecture  est  confirmée  par  l'interrogaloirc  que  subit 
Jean  Calas  au  moment  de  la  torture,  et  d'où  il  résulte  que  Cazeing 
demeurait  sur  la  place  de  la  Bourse  qui  est,  en  effet,  dans  la  pa- 
roisse de  la  Daurade, 


INTERVENTION   ECCLESIASTIQUE.  4  07 

lâché,  k  la  suite  des  interrogatoires  d'office,  quand 
on  se  fut  assuré  qu'il  n'avait  point  passé  la  soirée 
chez  les  Calas  et  n'y  était  entré  qu'amené  par  La- 
vaysse  et  Pierre,  après  que  tout  était  fini.  Mais  on  le 
mit  en  liberté  saîis  ordonnance,  et  aucun  acte  légal  ne 
constata  son  innocence. 

Dès  qu'il  vit  que  rien  de  pareil  à  cette  délibération 
meurtrière  ne  pouvait  être  prouvé,  Lagane  qui,  s'il  n'a- 
vait inventé  cette  calomnie,  la  tenait  de  quelqu'un,  aurait 
dû  remonter  à  la  source  de  ce  bruit  odieux,  interroger, 
poursuivre  même  celui  ou  ceux  qui  l'avaient  trompé. 
On  n'en  sut  jamais  rien  ;  un  silence  aussi  suspect  a 
toujours  désappointé  ceux  qui  ont  prétendu  ou  préten- 
dent encore  accuser  de  la  mort  de  Galas  aîné  les  protes- 
tants de  Toulouse  en  général  ;  et  l'on  a  publié,  à  ce 
sujet,  il  y  a  quelques  années  à  peine,  un  conte  de  cou- 
vent (1)  qui  ne  soutient  pas  un  instant  d'examen,  pour 
disculper  le  Monitoire  et  pour  accuser  les  protestants. 

Le  Monitoire  ne  prétend  pas  seulement  savoir  quand 
et  cil  la  sentence  de  Marc-Antoine  avait  été  rendue, 
mais  encore  comment  elle  avait  été  exécutée  :  on  avait 
fait  mettre  Marc- Antoine  à  genoux  pour  l'étrangler 
plus  facilement.  Qui  avait  dit  cela  ?  qui  l'avait  vu  ?  et  si 
nul  ne  l'avait  vu,  lequel  des  coupables  l'avait  avoué?  où 
avait-on  pris  cette  mise  en  scène  d'un  crime  que  rien 
ne  démontrait  ? 

Ce  monument  prodigieux  d'illégalité  et  de  prévention 
absurde,  ce  roman  créé  de  toutes  pièces  par  l'imagina- 
tion des  magistrats,  ne  satisfit  pas  complètement  la  haine 


(i)  Voir  plus  bas,  au  Ch,  XIV,  l'historielle  du  chevalier  de  Gazais 
rapportée  par  M.  du  Mège. 


t08  INTERVENTION   ECCLÉSIASTIQUE. 

populaire.  Quoique  l'on  fixât  d'abord  au  13  la  sentence 
des  protestants  contre  le  défunt,on  en  supposait  une  autre 
antérieure  par  laquelle  ils  avaient  mandé  de  Bordeaux 
Lavaysse,  le po7'te-épée ,  qui  devenait  ainsi  l'exécuteur  en 
titre  des  assassinats  de  famille  au  sein  de  l'Eglise  Réfor- 
mée, et  qui  serait  venu  à  Toulouse  uniquement  pour 
étrangler  Marc- Antoine,  sur  l'ordre  des  anciens  et  des 
Ministres  du  Saint-Evangile.  Ce  système  plus  ridicule, 
s'il  est  possible,  que  révoltant,  a  été  remis  en  lumière 
de  nos  jours  (1). 

Selon  l'opinion  des  Toulousains,  l'usage,  bien  plus,  la 
loi  religieuse  parmi  les  protestants,  les  obligeait  à  punir 
de  mort  ceux  qui  se  convertissaient  à  l'Eglise  romaine; 
leurs  propres  parents  étaient  tenus  de  les  dénoncer, 
et  même  d'aider,  s'il  le  fallait,  à  l'exécution  de  la  sen- 
tence prononcée  par  les  chefs  de  l'Eglise,  et  exécutée 
par  des  bourreaux  spéciaux.  Plus  cette  calomnie  inouïe 
rendait  les  protestants  exécrables,  plus  elle  fut  avide- 
ment accueillie  par  les  esprits  prévenus  contre  eux  ; 
après  avoir  été  jetée  en  avant  par  quelque  fanatique  de 
la  rue,  au  milieu  du  trouble  que  causa  la  découverte  du 
cadavre,  cette  atroce  imputation  fut  développée,  systé- 
matisée dans  le  Monitoire  et  y  parut  revêtue  du 
double  sceau  de  la  justice  et  de  la  religion,  signée  et  pa- 
raphée par  un  avocat  du  Roi  et  un  grand-vicaire  de  l'ar- 
chevêque. 

Parmi  les  protestants  de  Toulouse,  du  Languedoc,  de 
toute  la  France  et  plus  tard  de  toute  l'Europe,  la  sur- 
prise et  l'horreur  furent  au  comble.  Pour  trouver  une  ca- 
lomnie à  comparer  à  celle-là,  il  fallait  remonter  jusqu'aux 

(l)  Voir  pins  ba?,  cli,  XIV, 


INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE.  109 

premiers  chrétiens  accusés  par  les  païens  de  manger 
et  de  boire  dans  la  Sainte-Cène  le  corps  et  le  sang  d'mi 
enfant  égorgé  au  milieu  des  plus  infâmes  débauches. 

Par  cette  accusation,  on  enveloppait  dans  l'opprobre 
des  Galas  tous  leurs  coreligionnaires  et  on  rendait  sus- 
pecte à  l'avance,  comme  l'a  très-bien  remarqué  un  ma- 
gistrat éclairé  (1) ,  toute  déposition  qui  serait  faite  en  leur 
faveur  par  leurs  frères  en  la  foi.  Aucun  protestant  ne  pou- 
vait déposer  pour  eux,  sans  se  faire  accuser  immédiate- 
ment de  parler  pour  se  défendre  lui-même  et  pour 
justifier  son  Eglise  ;  aussi  n'y  eut-il  pas  un  protestant 
parmi  les  témoins;  ils  n'auraient  pu  que  nuire  aux  accu- 
sés, et  ceux-ci  ne  durent  attendre  aucun  secours  que  des 
membres  de  l'Église  romaine,  persécutrice  de  leur  culte. 

Si  personne  ne  vint  démontrer  la  réalité  du  tribunal 
secret  des  protestants,  il  ne  manqua  pas  de  témoins  pour 
les  déclarer  coutumiers  du  fait,  pour  afliriner  que  plu- 
sieurs prosélytes  avaient  péri  récemment  par  le  même 
supplice  que  Marc-Antoine,  c'est-à-dire  étranglés,  k  La- 
vaur,  à  Castres,  etc.  En  voici  un  exemple  choisi  entre 
plusieurs,  où  l'on  verra  en  même  temps  un  de  ces  ouï- 
dire  dont  l'origine  est  insaisissable  et  qui  sont,  dans  ce 
procès,  la  ressource  habituelle  de  l'accusation. 

Pierre Lagrèze  (2),  maître  tailleur,  ôl*^  témoin,  déclare 
tetiir  du  nommé  Bonnemaison  qii'on  lui  avait  dit  qu'un 
paysan  de  Caroman  ,  ayant  entendu  parler  de  la  mort 
dudit  Calas,  avait  dit  que  cela  n'était  pas  surprenant, 
et  qu'on  en  avait  étranglé  cinq  ou  six  h  Garaman  de  la 
même  façon. 

(i)  La  Salle,  Observations^  etc.,  y o\v  Bibliographie,  n"  5, 
('i)  Arcli.  Imp, 

10 


110  INTERVENTION    ECCLESIASTIQUE. 

Comme  la  famille  Lavaysse  était  de  Garaman  et  y  ha- 
bitait, cette  accusation  de  quatrième  main,  tout  en  incri- 
minant les  protestants  en  général,  tendait  en  outre  à 
faire  soupçonner  cette  famille  d'habitudes  meurtrières 
invétérées;  en  tout  cas,  il  devenait  presque  naturel  que 
Lavaysse  se  chargeât  d'une  fonction  si  fréquemment 
exercée  dans  un  lieu  où  résidaient  tous  les  siens  et  où  il 
avait  résidé  lui-même. 

Qu'une  assemblée  religieuse  de  huguenots  eût  voté  un 
assassinat,  en  eût  chargé  un  jeune  homme  de  vingt  ans, 
et  eût  obligé,  on  ne  sait  pourquoi,  k  participer  au  meur- 
tre le  frère  de  la  victime,  son  propre  père,  sa  mère  elle- 
même,  et  enfin,  pour  comble  de  démence,  une  dévote  ca- 
tholique, cela  était  trop  révoltant  pour  ne  pas  être  cru 
avec  empressement  et  soutenu  avec  fureur.  Gela  est  encore 
aujourd'hui  cru  et  soutenu.  Pourquoi?  parce  que  plus  une 
imputation  est  démesurée,  elfroyable,  inouïe,  et  moins 
les  âmes  prévenues  et  passionnées  renoncent  à  en  acca- 
bler leurs  adversaires  ;  on  a  réponse  à  tout  quand  on 
peut  répéter  avec  conviction  le  mot  de  Tertullien:  CVedo 
quia  absurdum  (c'est  parce  que  cela  est  absurde  que  je 
le  crois).  «  Ges  gens-là,  se  disait-on,  étant  les  ennemis 
de  l'Eglise,  sont  capables  de  tout  ;  nous  le  savions  bien, 
mais  en  voilà  la  preuve  et  elle  est  d'autant  meilleure 
qu'elle  est  plus  incroyable  (1).  » 

Dans  un  Mémoire  anonyme  où  respire  le  bon  sens 


(i)  Lahainy  eat  crédule;  rien  pour  elle  n'est  ni  trop  horrible,  ni 
trop  ridicule;  c'est  ainsi  qu'on  soupçonne  encore  les  juifs  en  Orient, 
à  la  lèie  de  l^ûques,  du  même  crime  dont  les  païens  accusaieut  les 
premiers  chréiicns;  c'est  ainsi  encore  que  le  bas  peuple  en  Angle- 
terre, pendant  les  guerres  de  la  République  et  de  l'Empire,  était  per- 
suadé que  les  Français  vivaient  de  grenouilles. 


INTERVENTION   ECCLÉSIASTIQUE.  111 

calme  et  réfléchi  qui  est  une  des  premières  qualités 
d'un  juge  (1),  M.  de  La  Salle,  le  seul  membre  du  Parle- 
ment de  Toulouse  qui  ait  défendu  Finnocence  des  Calas, 
expose  ce  qu'auraient  dû  faire  les  Capitouls  et  le  Pro- 
cureur du  Roi,  d'après  les  lois  de  l'époque,  au  lieu  de 
lancer  ce  Monitoire  qui  enflamma  les  esprits  et  enve- 
nima tout  dans  le  procès. 

a  II  fallait,  pour  se  conformer  aux  règles  de  l'ordre  judiciaire, 
ordonner  en  termes  vagues  qu'Userait  enquis touchant  la  mort 
de  M.-A.  Calas  et  pourvoir  de  curateur  au  cadavre,  pour,  le  cas 
échéant,  défendre  sa  mémoire  du  crime  de  suicide.  » 

On  était  entré  dans  une  voie  bien  différente  et  on 
ne  s'arrêta  pas  là.  Si  Marc-Antoine  n'était  pas  un  sui- 
cidé dont  le  corps  devait  être  traîné  sur  la  claie  et  ac- 
croché au  gibet,  il  était  un  martyr,  étranglé  pour  la 
cause  de  l'Eglise,  qui  lui  devait  les  honneurs  funèbres 
les  plus  solennels  et  les  plus  splendides.  Il  fut  décidé 
entre  Lagane,  David  et  l'un  de  ses  collègues,  le  Capi- 
toul  Jean-Baptiste  Chirac,  qu'il  en  serait  ainsi.  C'était 
une  mesure  hardie  et  inutile  :  inutile,  car  le  corps  était 
entouré  de  chaux  et  rien  ne  rendait  l'ensevelisse- 
ment nécessaire;  hardie,  car  on  risquait  de  commettre 
un  double  sacrilège  en  ensevelissant  au  milieu  de  toutes 
les  pompes  de  l'Eglise  romaine,  et  en  terre  sainte,  un 
protestant  et  un  suicidé,  que  toute  sa  tamille  et  la  ser- 
vante catholique  déclaraient  tel. 

Enfin,  c'était  juger  le  procès  avant  le  tribunal  ;  car 
tout  le  procès  se  réduisait  à  cette  seide  question  :  Marc- 
Antoine  Calas  est-il  un  suicidé  ou  un  martyr  ?  Après 

(1)  Voir  Bibliogr.,  n°  5. 


1x2'  INTERVEiNTION    ECCLÉSIASTIQUE. 

avoir  tranché  publiquement  ce  dilemme,  des  juges 
consciencieux  auraient  dû,  d'après  la  loi,  se  récuser  eux- 
mêmes. 

Aucune  de  ces  considérations  si  sages  ne  fut  écou- 
tée. Ce  fut  une  sorte  de  complot  entre  le  Procureur  du 
Roi  et  ces  deux  Gapitouls.  Le  7  novembre,  Lagane  re- 
qaii  pour  le  Roi  les  Gapitouls  d'ordonner  l'inhumation, 
((  attendu  que  ce  cadavre  est  déposé  dans  la  chambre 
de  la  gêne  depuis  plus  de  trois  semaines  et  qu'une  foule 
de  motifs  en  rendent  l'enterrement  nécessaire.  »  Il  eût  été 
difficile  d'indiquer  cette  foule  de  motifs,  puisqu'on  avait 
pris  les  précautions  nécessaires  pour  éviter  la  décompo- 
sition. David.et  Chirac,  pour  éviter  les  objections  qu'au- 
raient pu  élever  leurs  collègues,  firent  décréter  les  obsè- 
ques, sans  convoquer  régulièrement  le  Consistoire,  dans 
un  moment  où  ils  se  trouvaient  seuls  avec  deux  assesseurs, 
dont  ils  étaient  sûrs.  Le  Parlement  était  en  vacances, 
mais  la  Chambre  des  Vacations  aurait  pu  intervenir.  Da- 
vid s'assura  le  consentement  verbal  de  deux  Présidents, 
presque  aussi  prévenus  que  lui  (1).  Tout  étant  ainsi 
préparé,  les  deux  Capitouls  (dit  M.  d'Aldéguier  dans 
non  Histoire  de  Toulouse)  invitèrent  le  curé  de  Saint- 
Etienne,  dans  la  paroisse  duquel  les  Calas  avaient  leur 
domicile,  à  rendre  catholiquement  les  honneurs  funè- 
bres au  corps  de  M. -A.  Calas  et  à  l'enterrer  dans  sa  pa- 
roisse. Le  curé  ne  refusa  point  d'obtempérer  k  l'invita- 
tion des  Capitouls,  comme  l'écrit  Voltaire  mal  instruit  ; 
le  zèle  était  si  grand,  au  contraire,  parmi  les  membres  du 
clergé ,  dans  cette  dernière  occasion ,  que  le  curé  du 


(0  Voir,  dans  la  correspondance  de  Sainl-Florenlin,  la  leUre  3, 
adressée  au  minislrc  par  M.   de  Senaux,  qui  présidait  les  vacations. 


INTERVFNTION    ECCLÉSIASTIQUE.  IJo 

Taiir  (Cazalès,  oncle  du  député  de  ce  nom  aux  Etals- 
(lénéraux)  fit  signifier  aux  Gapitouls  un  acte  pour  qu'ils 
eussent  à  lui  livrer  le  corps  de  M. -A.  Calas,  déposé  à 
l'Hôtel-de- Ville,  dépendant  de  saparoisse,  afin  de  lui  ren- 
dre les  honneurs  funèbres  dans  son  église,  les  déclarant 
[)assiblesde  dommages  et  intérêts  en  cas  de  refus  (1). 

Rien  ne  fut  négligé  pour  donner  à  cette  cérémonie  le 
plus  grand  retentissement.  L'inhumation  eut  lieu  avec 
tout  l'éclat  possible.  On  fit  tout  pour  persuader  que 
Marc-Antoine  était  un  martyr.  On  choisit  pour  ses  fu- 
nérailles un  dimanche  k  trois  heures  de  l'après-midi,  afin 
que  la  population  fût  plus  libre  d'y  prendre  part  ou 
d'en  être  témoin.  Un  cortège  immense,  conduit  par  plus 
de  quarante  prêtres,  alla  faire  la  levée  du  corps  à  l'Ho- 
lel-de-Ville.  Les  Pénitents  blancs  y  figuraient  por- 
l  ait  cierges  et  bannière,  parce  qu'on  prétendait  que 
Marc-Antoine  avait  eu  l'intention  de  se  joindre  à  eux. 
Une  foule  énorme  assista  au  service  dans  la  cathédrale 
de  Saint-Etienne  et  grossit  le  convoi. 

Cette  fastueuse  démonstration  ne  fut  que  le  prélude 
d'autres  cérémonies  plus  regrettables  encore.  Quelques 
jours  après  l'inhumation,  les  Pénitents  blancs  firent  cé- 
lébrer dans  leur  chapelle  un  service  magnifique  pour 
l'âme  du  martyr.  Tous  les  ordres  religieux  y  furent  in- 
vités et  y  assistèrent  par  leurs  députations.  L'église  en- 
tière était  tendue  de  blanc  ;  et  pour  frapper  plus  violem- 
ment les  esprits,  on  avait  érigé  au  centre  de  l'édifice  un 
catafalque  magnifique,  au  sommet  duquel  était  debout  un 
squelette  (loué  kun  chirurgien).  On  lisait  le  nom  du  dé- 

d'^  Tous  ces  détails  sonl  prouvés  par  des  documents  authen- 
tiques. 

10. 


au  INTERVENTION   ECCLESIASTIQUE. 

funt  aux  pieds  de  cette  hideuse  représentation,  qui  tenait 
de  la  main  droite  une  palme,  emblème  du  martyre,  et  de 
l'autre,  cette  inscription  en  gros  caractères: 

ABJURATION    DE    l'hÉRÉSIE. 

Ce  service  ne  fut  pas  le  seul.  Il  y  en  eut  un  second  chez 
MM.  les  Gordeliers  de  la  Grande  Observance. 

On  comprend  l'effet  de  toutes  ces  cérémonies  lugubres, 
frappant  coup  sur  coup  des  imaginations  déjà  excitées. 
Le  peuple  de  Toulouse,  et  nous  entendons  par  ce  mot 
la  ville  presque  entière,  demeura  convaincu  que  Galas 
le  suicidé  était  mort  catholique.  Pénitent  blanc  et  martyr, 
que  les  autorités  ecclésiastiques  et  judiciaires  en  avaient 
trouvé  la  preuve  dans  la  procédure  secrète,  que  les  ac- 
cusés étaient  les  derniers  des  scélérats  et  la  religion  des 
protestants  une  peste  publique,  l'école  du  parricide, 
l'horreur  et  le  fléau  du  monde.  G'était  précisément  ce 
qu'on  avait  voulu. 

Le  prétexte  de  cette  prise  de  possession  d'un  mort 
par  une  Eglise  et  une  confrérie  auxquelles  il  n'appartint 
jamais,  fut,  à  ce  qu'il  paraît,  la  honteuse  faiblesse,  les 
perpétuelles  inconséquences  de  Louis  Galas.  Il  était  lui- 
même  Pénitent  blanc  et  n'osa  s'opposer  dès  le  premier 
moment  à  l'acte  qu'on  voulait  célébrer.  Il  y  assista  même, 
mais  ce  fut  pour  protester.  Il  s'y  trouva  mal  ou  fit  sem- 
blant; on  l'emmena  dans  la  sacristie,  puis  dans  la  cham- 
bre du  trésorier,  le  véritable  chef  delà  confrérie.  Là,  il  fit 
appeler  un  huissier,  et  après  s'être  réconforté  avec  un 
peu  de  pain  et  de  vin,  il  lira  un  papier  de  sa  poche  et 
le  présenta,  sans  dire  un  mot,  à  l'huissier  Antoine  Rou- 
gian,  qu'on  lui  avait  amené.  G'était  un  acte  sur  papier  tim- 
bré par  lequel  Louis,  comme  procureur  légal  de  son  père 


INTERVENTION    ECCLESIASTIQUE.  115 

détenu,  interpellait  les  Pénitents  blancs  de  dire  de  quel 
droit  et  sur  quelles  preuves  ils  avaient  considéré  Marc- 
Antoine  comme  un  des  leurs,  et  les  sommait  d'exhiber 
leurs  registres,  si  son  nom  y  était  inscrit  (1).  Le  sous- 
prieur  des  Pénitents,  qui  était  im  procureur  nommé  Arba- 
nère,  lui  répondit  qu'il  avait  dit  lui-même  que  Marc-An- 
toine serait  bientôt  des  leurs.  Un  autre  Pénitent,  le  tapis- 
sier Diaque,  dépose  qu'il  en  convint.  Mais  l'huissier 
elle  sous-prieur  déclarent  tous  deux  qu'il  se  tut  (2).  Il  est 
clair  que  ces  gens,  et  surtout  l'abbé  Durand,  faisaient 
dire  à  ce  malheureux  tout  ce  qu'ils  voulaient  ;  il  n'osait 
les  démentir  (3),  et  à  peine  avait-il  fait  !un  pas  pour 
sauver  ses  parents,  il  semblait  s'effrayer  de  sa  propre 
hardiesse.  Le  trésorier  répondit  à  cet  acte  a  que  c'était 
uniquement  le  zèle  de  la  Compagnie  qui  l'avait  porté  à 
faire  ce  service  pour  l'âme  du  défunt  et  pour  le  plus  grand 
souvenir  et  la  gloire  de  Dieu,  que  d'ailleurs  il  tenait  de 
Louis  Galas  que  le  défunt  son  frère  devait  incessamment 
se  faire  recevoir  dans  la  susdite  Archiconfrérie.  »  Il  n'est 
pas  absolument  impossible  que  Louis  se  fût  vanté  auprès 
de  ses  amis,  prêtres  ou  Pénitents,  que  tel  ou  tel  de  ses 


(i)  Il  n'avait  pu  voir  ni  consulter  ses  parents;  mais  ceux-ci,  in- 
terrogés sur  cet  acte,  déclarèrent  plus  tard  qu'ils  l'approuvaient 
ellp  prenaient  sous  leur  responsabilité,  quoiqu'ils  n'en  eussent  point 
eu   connaissance. 

(2)  Tout  ce  qoi  précède  est  extrait  des  dépositions  de  ces  trois 
hommes. 

(3)  Ainsi,  ce  même  sous-prieur  Arbanère  rapporte  que  Louis 
Calas,  le  lendemain  de  la  mort  de  son  frère,  vint  lui  faire  une  visite 
avec  les  abbés  Durand  et  Benabon.  Ils  trouvèrent  plusieurs  person- 
nes chez  lui.  Durand  aurait  raconté  alors  que  Marc-Antoine  était 
devenu  un  très-dévot  catholique  et  allait  faire  sa  première  communion. 
Louis,  non-seulement  n'aurait  pas  nié  le  fait,  mais  l'aurait  confirmé. 


113  INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE. 

frères  et  sœurs  se  convertiraient;  c'est  du  moins  ce  qu'ont 
déclaré  quelques  témoins  à  propos  de  Marc-Antoine, 
d'Anne-Rose,  de  Pierre.  Il  devait  désirer  vivement  que 
son  exemple  lût  suivi  par  eux;  et  comme  il  connaissait  le 
mécontentement  de  son  frère  et  la  cause'  de  son  désap- 
pointement il  pouvait,  à  le  juger  d'après  lui-même,  espé- 
rer de  le  voir  abjurer.  Au  reste,  comme  l'a  déclaré  sa 
mère  (1),  s'il  l'a  dit,  il  n'en  pouvait  rien  savoir,  car  il  ne 
les  voyait  jamais.  Il  ne  leur  parlait  pas  même,  à  moins 
qu'il  ne  rencontrât  l'un  d'eux  quand  sa  pension  était  en 
retard. 

Il  ne  paraît  pas  que  la  protestation  si  lâchement  re- 
mise à  l'huissier  Rougian  ait  eu  aucune  suite.  Mais  bien 
plus  tard,  et  après  le  supplice  de  Jean  Calas,  sa  veuve  usa 
de  la  liberté  qui  lui  était  rendue  pour  sommer  par  huissier 
M.  Lafiltau,  trésorier  des  Pénitents  blancs,  de  dire  en 
quoi  Marc-Antoine  Galas  avait  appartenu  à  sa  Confrérie. 

Nous  donnons  textuellement  sa  réponse  (2) ,  dont  on  ap- 
préciera la  nullité  honteuse  et  embai-rassée  ;  on  l'y  verra 
chercher  en  vain  à  s'appuyer  de  prétendus  cas  analogues, 
qui  ne  le  sont  nullement,  et  s'abriter  le  plus  possible 
sous  l'autorité  du  curé  de  Saint-Etienne. 

Du  13  décembre  1762,  M"  Laiittau,  trésorier  de  MM.  les 
Pénitents  blancs  de  celte  ville,  répond  : 

«  Que  lorsqu'il  eût  appris  qu'on  devait  enterrer  M.-iV.  Calas 
et  que  M' le  curé  de  Saint-Etienne  devoit  faire  les  cérémonies, 
le  Répondant  envoya  un  confrère  Pénitent  Blanc,  chésle  S'  Louis 
Galas,  aussi  confrère,  et  frère  du  défunt,  pour  savoir  si  ledit 
Louis  Galas  auroit  pour  agréable  que  la  Compagnie  des  Peni- 

(1)  Confr.  de  la  Dlle  Calas. 

(2)  Arch.  Imp. 


INTERVENTION    ECCLÉSIASTIQUE.  117 

tciils  Blancs  assistai  a  l'eiilerremenl  de  sondit  frère,  a  quoi  le  dit 
LnuisCalas  fit  répondre  que  la  douleur  dont  il  étoit  pénétré  ne 
lui  permettoit  pas  de  repondre  comme  il  le  désiroit  a  la  poli- 
tesse des  pénitents,  qu'ils  n'avoient  qu'a  faire  comme  ils  jui;o- 
roient  à  propos;  sur  quoi,  et  par  l'attachement  que  la  Compa- 
tçnie  a  toujours  eu  pour  Louis  Calas  son  confrère,  le  répondant 
<Mivoya  ladite  Compagnie  pour  assister  au  dit  enterrement  et 
(jue,  quoique  la  Compagnie  des  Pénitents  Blancs  ne  soit  obligée 
que  d'assister  a  l'inhumation  de  ses  confrères,  cependant  elle 
repond  souvent  a  la  prière  des  parents  et  assiste  aux  enterre  - 
ments  de  plusieurs  particuliers  lorsqu'elle  en  est  priée  par  les 
})arents  et  pour  leur  faire  honneur  ;  et  dans  ce  dernier  cas,  elle 
ne  peut  exiger  aucun  droit  de  chapelle.  Le  repondant  ajoute 
qu'il  fit  faire  dans  la  chapelle  des  Pénitents  Blancs,  un  service 
pour  le  repos  de  l'àme  deMarc-AntoineCalas,ou  les  religieux  de 
divers  ordres  vinrent  assister,  et^dire  des  messes,  qu'il  a  fait 
faire  dresser  un  catthaphalque  (sic),  tendre  l'Eglise  en  noir  et 
(ju'on  lisoitau  bas  d'un  squellete  ces  mots:  Marc- Antoine  Calas, 
service  et  cérémonie  qui  furent  faits  solennellement  pour  faire 
honneur  a  Louis  Calas,  Pénitent  Blanc,  et  pour  servir  pour  le- 
dit Marc-Antoine,  enterré  par  le  curé  de  Saint-Etienne  avec  les 
cérémonies  de  l'Eglise.  Bequis  le  repondant  de  ^gner,  a  dit 
n'être  nécessaire.  >* 

Dans  une  des  confrontations  de  M"'*  Calas ,  elle  se 
souvient  qu'un  témoin  qu'on  lui  oppose  est  Péni- 
tent blanc.  Il  s'agit  précisément  de  savoir  si  Marc-An- 
toine avait  songé  h  se  faire  catholique.  Elle  repousse 
avec  une  remarquable  énergie  et  avec  un  bon  sens  im- 
perturbable le  témoignage  du  Pénitent  et  lui  arrache  un 
important  aveu.  ]\I""^  Galas  vient  de  demander  si  le  té- 
moin (le  tailleur  Lacour)  n'est  pas  Pénitent  blanc  : 

"  Le  témoin  répondant  a  dit  ([u'il  est  vray  qu'il  est  confrère 


118  INTERVENTION    ECCLESIASTIQUE. 

pénitent  blanc,  et  que  ce  qu'il  a  déposé,  il  ne  l'a  déposé  que 
par  l'ordre  de  son  directeur.  » 

«  Et  l'accusée  a  dit  qu'elle  n'est  pas  étonnée  que  le  témoin 
ait  déposé  ainsi,  étant  pénitent  blanc,  et  pour  mettre  a  couvert 
cette  compagnie  d'avoir  outrepassé  l'acte  qu'ils  lui  firent  faire, 
de  ne  pas  faire  le  service  pour  M. -A.  Calas  sonfils;  persistant  tou- 
jours à  dire  que  la  déposition  du  témoin  est  fausse.  » 

«  Il  répond  qu'il  va  très-rarement  aux  pénitents  blancs,  et 
qu'il  n'a  assisté  ni  a  l'enterrement,  ni  au  service  de  M.- A.  Ga- 
las. Et  l'acuzée  a  dit  que  quoiqu'il  n'y  assistât  pas,  il  n'est  pas 
moins  intéressé  à  soutenir  cette  compagnie.  » 

Il  n'était  que  trop  vrai  ;  des  quatre  confréries  tou- 
lousaines, la  blanche  était  la  première  et  la  plus  in- 
fluente (1);  elle  avait  des  afliliés  dans  tous  les  rangs.  Et 
depuis  le  service  funèbre  de  Marc-Antoine,  les  accusés 
eurent  àlutter,  presque  sans  défense,  non-seulement  con- 
tre les  Gapitouls,  le  Parlement  et  le  Clergé,  mais  contre 
cette  confrérie  puissante  qui,  deux  fois,  avait  pris  parti 
contre  eux,  le  jour  de  l'inhiunation  et  le  jour  du  service 
célébré  par  elle-même  ;  c'étaient  pour  elle  des  affronts, 
que  des  sommations  comme  celle  de  Louis  Galas,  ce 
même  jour,  et  de  sa  mère  im  an  plus  tard.  Entre  les  Ga- 
las et  cette  confrérie,  il  ne  devait  plus  y  avoir  de  trêve, 
et  sans  qu'ils  y  fussent  pour  rien,  on  peut  voir  au  Mo- 
niteur du  samedi  8  avril  1792,  jour  oii  furent  suppri- 
mées par  décret  les  Congrégations  et  les  Confréries,  que 
le  député  Ducos  évoqua  contre  ces  corporations  le  sou- 
venir du  rôle  joué  par  les  Pénitents  blancs  de  Toulouse 
{(  dans  la  procédure  ourdie  contre  l'infortuné  Galas.  » 

Il  est  certain  que  bien  des  gens  à  Toulouse  crurent 

(i)  On  disait  à  Toulouse:  Anliquilé  des  blancs,  Noblesse  des 
bleus,  Richesse   des  noirs,  Pauvreté  des  gris. 


INTERVENTION  ECCLÉSIASTIQUE.  119 

faire  un  acte  agréable  à  Dieu,  à  la  Vierge  et  aux  saints, 
en  venant  accabler  de  leurs  accusations  ces  bourreaux 
dénaturés  d'un  Pénitent  blanc.  A  l'ouïe  de  certaines  dépo- 
sitions, on  est  tenté  de  répéter  ce  mot,  un  peu  déclama- 
toire, mais  vraid'Elie  de  Beaumont  (1)  :  «  Ces  malheureux 
viennent  de  forger  leur  témoignage  sur  les  degrés  du 
mausolée  où  ils  invoquaient  un  martyr.  )) 

Nous  en  citerons  des  exemples;  on  verra  dans  les  uns, 
les  faux  témoignages  les  plus  nettement  caractérisés,  et, 
dans  les  autres,  les  rêves  d'une  population  méridionale 
dont  on  a  surexcité  coup  sur  coup  l'imagination ,  de 
véritables  visions  populaires  enfantées  par  le  fanatisme , 
comme  l'a  dit  un  historien  (2). 

L'enthousiasme  de  la  foule  se  jette  toujours  dans  les 
extrêmes.  On  prétendait  que  Louis  Galas,  entendant  la 
messe  à  la  chapelle  des  Chevaliers  de  Saint- Jean,  était 
tombé  en  extase  au  moment  de  V élévation ,  et  s'était 
écrié  tout  haut  :  u  Mon  Dieu,  pardonnez  mes  parents 
qui  ont  fait  mourir  mon  frère  !  »  Le  bruit  courut  que 
trois  ou  quatre  miracles  avaient  eu  lieu  sur  la  tombe  de 
Marc- Antoine  ;  on  prétendait  que  le  clergé  avait  écrit  au 
Pape  pour  qu'il  lui  plût  de  canoniser  ce  martyr.  On  di- 
sait qu'un  jour  lui  avait  été  consacré  dans  le  calendrier, 
et  l'on  commençait  dans  le  peuple  à  débattre  le  choix 
de  celle  des  églises  de  Toulouse  qui  serait  placée  sous 
l'invocation  du  nouveau  saint  (3). 

(1)  E.  de  B.,  3. 

(2)  Ch.  Coquerel,  Egl.du  Dés.,  t.  2. 

(3)  Voir  surtout,  à  propos  de  ces  bruits  absurdes,  le  Mémoire 
écrit  à  Toulouse  par  le  conseiller  de  La  Salle,  p.  6  6. 


CHAPITRE    VI 


PROCÉDURE  ET  ARRÊT  DES  CAPITOULS. 


Information  secrète.  —  Briefs  intendits.  —  Faits  jus- 
tificatifs. —  Autopsie  du  cadavre.  —  Pièges  tendus  à 
Lavaysse.  —  Affaire  de  M^  Monyer.  —  Affaire  d'Es- 
paillac  — Sentence  des  G apitouls.  —  Double  appel  des 
condamnés  et  du  ministère  public. 


Il  ne  faut  que  jeter  un  coup   d'œil  sur  la  procë- 

dure  pour  reconnaître  l'esprit  de  vertige  et  de  rumeur 

populaire  qui  en  a  été  le  principe.  Tout  y  est  sans 

fondement  et  hors  de  la  plus  légère  vraisemblance. 

Le  comte  de  Rochechouart. 

{Lettre  à  Saint-Florentin.  Parme,  B  déc.  1761.) 


L'instruction  criminelle  se  poursuivait  pendant  ce 
temps  par  les  soins  du  procureur  du  Roi  et  des  Capi- 
touls.  Rien  de  plus  informe  que  cette  procédure  ;  aucun 
des  accusateurs  modernes  de  Galas  n'a  osé  la  justifier. 
L'impétueux  David  y  commit  faute  sur  faute.  Mais  il 
faut  convenir  que  la  législation  du  temps  prêtait  k  l'ar- 
bitraire. Il  faut  se  rappeler  qu'il  n'y  avait,  en  mali(''re 

11 


122  PROCÉDURE  ET   ARRÊT   DES   CAPITOULS. 

criminelle,  ni  audience  publique,  ni  débat,  ni  plaidoirie, 
que  l'accusé  n'avait  pas  même  de  conseil  ou  d'avocat  (1) , 
et  que  la  procédure  secrète,  ou^x^r  inquisition^  comme 
on  l'appelait,  établie  d'abord  par  le  droit  canonique  et 
pratiquée  dans  les  tribunaux  ecclésiastiques,  était  deve- 
nue la  seule  employée  par  les  juges  civils  (2). 

L'interrogatoire  de  l'accusé  et  l'audition  des  témoins 
avaient  toujours  lieu  secrètement  et  séparément  devant  le 
juge  seul,  assisté  de  son  greffier,  et  étaient  toujours  pré- 
cédés du  serment  prêté  par  l'interrogé,  qu'il  fût  témoin  ou 
accusé.  Ensuite  avait  lieu  le  recolement,  qui  consistait  à 
lire  (non  sans  un  nouveau  serment)  au  témoin  ses  pro- 
pres réponses,  et  à  lui  demander  s'il  y  persistait.  Il  y 
avait  encore  serment  à  chaque  confrontation  de  l'accusé 
avec  un  des  témoins.  «  L'information  et  les  interroga- 
toires formaient  l'instruction  préparatoire;  ils  étaient 
destinés  à  faire  reconnaître  le  caractère  du  fait  et  à 

(1)  L'accusé  devait  répondre  sans  délai,  par  sa  bouche^  et  sans  le 
ministère  de  coMseiL L'Ordonnance  de  167  0  était,  sur  ce  point,  très- 
positive. 

(2)  Cette  déplorable  transformation  de  la  procédure,  autrefois  pu- 
blique, était  depuis  longtemps  accomplie;  elle  a  été  racontée  avec  une 
parfaite  clarté  par  M.  Faustin  Hélie,  dans  son  Histoire  et  Théorie  de  la 
P rocédurecriminelle  (tome  i*'  du  Traité  de  V Instruction  Criminelle). 
11  montre  très-bien  (p.  40  1)  que  les  poursuites  dirigées  contre  les 
hérétiques  eurent  une  funeste  influence  sur  les  formes  de  la 
justice.  Lespapes,  et  en  particulier  Boniface  VIII,  recommandèrent 
expressément  l'information  secrète,  qui  peu  à  peu  envahit  toutes 
les  juridictions. 

On  peut  consulter  avec  fruit  sur  les  criants  abus  de  la  législation 
française,  avant  la  révolution,  lij.  Théorie  des  Lois  Criminelles,  de 
Brissot  de  Warville,  et  une  brochure  pleine  de  sens  et  fort  modérée 
qui  porte  ce  litre  piquant  :  Essai  sur  quelques  changements  quon 
pourrait  faire  dès  à  présent  dans  les  lois  criminelles  de  France^ 
par  un  honnête  homme,  qui  depuis  qu'il  connaît  ces  lois,  n'est  pas 
bien  sûr  de  n' cire  pas  pendu  un  jour,  —  A  Paris,  17  86.  5  3  p.  8°. 


PROCÉDURE   ET    ARRÊT   DES   CAPITOULS.  12  j 

éclairer  la  marche  de  la  procédure.  Les  recolements  et 
les  confrontations  formaient  l'instruction  définitive;  ils 
avaient  pour  but  d'établir  l'existence  du  crime  et  la 
culpabilité  de  l'accusé.  Ces  actes  remplaçaient  le  débat 
contradictoire  de  l'audience,  la  discussion  et  les  plai- 
doiries ;  ils  portaient  en  eux  toutes  les  garanties  du  ju- 
gement (1).  » 

Quand  on  mettait  en  présence  le  prévenu  et  un  témoin, 
on  demandait  aussitôt  au  prévenu  s'il  reprochait  le  té- 
moin, en  l'avertissant  que  s'il  attendait  de  l'avoir  ouï,  il 
ne  serait  plus  temps.  Si  l'accusé,  ne  connaissant  pas  le  té- 
moin ou  se  fiant  à  lui,  ne  le  reprochait  pas,  il  était  à  la 
merci  de  ce  que  le  témoin  pouvait  dire;  il  était  censé  l'a- 
voir approuvé  d'avance  (2).  Dès  que  M'"*' Calas  eut  com- 
pris cela,  cl  ses  dépens,  elle  prit  résolument  le  parti  de 
reprocher  tous  les  témoins  qu'on  lui  présentait,  disant, 
quand  elle  ne  les  connaissait  pas,  qu'ils  pouvaient  avoir 
des  motifs  de  lui  nuire,  à  elle  inconnus. 

Une  absurdité  légale  qu'on  a  peine  à  s'expliquer  est 
celle  de  l'interrogatoire  sur  la  sellette  que  subirent  les 
cinq  accusés  dans  le  procès  Calas.  Cette  façon  solennelle 
d'interroger  un  homme  pour  la  dernière  fois  en  présence 
de  tous  ses  juges  réunis,  afin  desavoir  s'il  était  coupable 


(1)  Faxistin  Hélie,  op.  c.  ,p.  6  3  4. 

(2)  C'est,  dit-on,  le  chancelier  Poyel  qui  transporta  celte  dispo- 
sition rigoureuse  et  injuste,  des  usages  de  l'inquisition,  dans  laju- 
risprudence  française.  Dans  le  procès  qui  lui  fut  fait  après  sa  dis- 
grâce, il  subit  cette  loi  qu'il  avait  établie  et  en  fut  cruellement  puni. 
A  l'occasion  d'un  témoin  dont  la  déposition  allait  le  perdre  ou  le 
sauver,  il  fil  demander  au  roi  de  lui  donner  au  moins  le  temps 
d'y  songer,  réclamant  ainsi  pour  lui-même  une  exception  à  sa  pro- 
pre loi.  (Voir  Lettres  sur  fa  Procédure  Criminelle  en  France 
(1788)  et  Arrest,  Luc,  Z,.  l  2,  ^.  1 ,  c.  ii.) 


'V2k  PROCÉDURE    ET    ARRÊT    DES   CAPITODLS. 

OU  innocent,  était  considérée  comme  déshonorante  (1). 
Nous  avons  déjà  signalé  l'impossibilité  où  se  trouvait 
r accusé  de  dire  ou  de  faire  dire  par  les  témoins  ce  qu'on 
ne  lui  demandait  pas  ;  il  n'avait  aucun  droit  d'appeler 
ou  présenter  des  témoins  à  décharge  (2)  :  c'était  au 
juge  il  le  faire.  Il  y  a  bien  plus  ;  quand  il  existait  des 
faits  qui  pouvaient  justifier  le  prévenu,  il  fallait  qu'il 
demandât  et  obtînt  de  ses  juges  la  permission  d'en  faire 
la  preuve  (3).  Celte  permission  ne  fut  accordée  aux 
Calas  pour  aucun  des  faits  justificatifs,  nombreux  et 
concluants,  que  leur  avocat  demandait  à  démontrer. 
L'avocat  Sudre  en  présenta  onze  dans  son  premier 
Mémoire,  et  d'autres  encore  dans  les  deux  Mémoires 
suivants.  On  ne  daigna  point  y  faire  droit  (4). 

(i)  Par  cunlre,  la  lorlure  n'élail  pas  infiunmle  et  les  juriscon- 
sultes ûisciitaient  gravement  entre  eux  pour  savoir  si  elle  devait  être 
considérée  comme  une  peine.  M.  Fausiin  Hélie  répond  que  oui  et 
cite  des  autorités,  mais  nous  avons  vu  le  contraire  affirmé  par  plu- 
sieurs  auteurs  de  l'époque. 

(2)  Faustin  Hélie.  Op.  c. ,  p.  6  2  0. 

(3)  En  tous  cas  cette  permission  ne  pouvait  se  donner  qu'après 
l'instruction  terminée.  Souvent  alors  il  n'était  plus  temps. 

On  connaît  le  fameux  procès  de  M,  de  la  Pivardière,  qui  avait 
disparu  en  1697.  Sa  femme  cl  un  prêtre  étaient  accusés  de  l'avoir 
assassiné.  11  reparut  et  crut  terminer  le  procès  en  se  montrant. 
On  lui  répondit  que  son  existence  était  un  fait  justificatif  dont  on 
ne  pouvait  admettre  la  preuve  qu'à  la  lin  de  l'instruction  ;  en  d'au- 
tres termes,  qu'on  devait  d'abord  rechercher  soigneusement  s'il 
n'était  pas  mort,  après  quoi  on  voudrait  bien  lui  permettre  de  mon- 
trer qu'il  était  vivant.  Encore  était-ce  une  permission  qu'on  avait 
parfaitement  droit  de  lui  refuser.  11  fut  dix-huit  mois  à  obtenir  du 
Parlement  de  Paris  un    avrèt  comme  quoi  il  était  en  vie. 

(4)  Les  juges  devaient  faire  droit  sur  les  faits  justificatifs,  soit  en 
ordonnant  la  preuve  de  ces  faits  par  témoins,  soit,  s'ils  n'y  avaient 
égard,  en  le  disant  expressément  dans  rarr6t(Ordonn.  crim.  titre  i  h, 
art.  19.  Ordonn., titre  des  faits juslif. ,  art.  2,3,  4.  Ord.  d'août  15  86, 
art.  20e  Ord.  de  15  39,  art.  58.) 


PROCÉDURE    F.T   ARRÊT    DES   CAPITOULS.  125 

De  tous  ces  obstacles  laborieusement  accumulés  sur 
le  chemin  de  la  justice,  le  plus  singulier,  peut-être,  est 
ce  qu'on  appelait  brief  intendit.  Toutes  les  questions 
auxquelles  un  accusé  ou  un  témoin  devait  répondre  étaient 
écrites  à  l'avance.  11  pouvait  arriver  que  la  réponse  faite 
cl  la  première  question  rendît  toutes  les  autres  inutiles 
ou  absurdes  ;  il  arrivait  sans  cesse  que  le  juge  lui- 
même  s'apercevait  que  l'interrogatoire  aurait  dû  être 
dirigé  autrement.  Il  ne  devait  pas  moins  se  renfermer 
dans  les  termes  prévus  et  écrits,  sauf  à  recommencer 
plus  tard  en  préparant  un  autre  intendit.  On  a  pu  voir 
déjà,  dans  un  fragment  d'interrogatoire  de  M'"^  Calas,  cité 
plus  haut,  que  les  questions  ne  suivent  en  rien  les  ré- 
ponses et  n'en  tiennent  aucun  compte.  On  conçoit  faci- 
lement quelle  confusion  cette  étrange  méthode  pouvait 
produire  souvent  dans  l'esprit  des  accusés  (1). 

Il  y  a  tel  interrogatoire  dans  le  procès  Calas,  où  l'in- 
terrogateur et  l'interrogé  semblent  jouer  à  ce  que  les  en- 
fants appellent  le  jeu  des  propos  interrompus.  Le  principal 
défaut  de  cet  usage,  c'est  que  rien  n'est  plus  propre, 
comme  le  remarquait  Grimm,  à  faire  dire  à  un  témoin 
tout  ce  qu'on  veut.  Celte  méthode,  expressément  abolie 
quant  aux  témoins,  par  X Ordonnance  de  1670,  était 
restée  en  vigueur  à  Toulouse,  malgré  cette  ordonnance 
qui  était  alors  la  loi  organique  de  la  Procédure  Crimi- 
nelle. 

Ces  formes  si  absolues  étaient  de  nouvelles  armes 
entre  les  mains  de  l'accusation.  On  a  remarqué  que  les 

(0  Nous  citons  (note  3  à  la  fin  du  volume)  un  hrief  intendit  qui 
donnera  une  idée  de  ce  genre  de  pièces  ;  qu'on  le  lise  en  se  rap- 
pelant ce  que  Lavajsse  devait  répoudre  à  loules  ces  questions  ré- 
pétées et  compliquées  de  tant  de  manières  différonU'S, 

11. 


126  PROCÉDURE   ET    ARRET   DES   CAPITOULS. 

briefs  intendits,  soit  pour  les  accusés,  soit  pour  les  té- 
moins, sont  tous  rédigés  comme  le  Monitoire,  c'est-à- 
dire  en  vue  de  prouver  le  martyre  de  Marc-Antoine,  et 
ne  posentjamais  la  question  du  suicide.  En  tout  ceci  Da- 
vid, Chirac  et  leur  greffier  Savanier,  Lagane  et  Pimbert 
qui,  à  ce  qu'il  paraît,  rédigea  les  intendits,  n'ont  pas 
cessé  un  seul  instant  de  chercher  la  vérité  à  la  façon  de 
certains  théologiens.  Ils  étaient  déterminés  à  trouver  la 
vérité  telle  qu'ils  l'avaient  conçue  à  l'avance  et  ne  se  dé- 
tournaient jamais,  ni  à  droite  ni  à  gauche,  de  cette  voie 
étroite  et  dangereuse.  Aussi,  Elie  de  Beaumont  a-t-il  rai- 
son de  dire  que  les  témoins  furent  plutôt  interrogés  qu'en- 
tendus; en  d'autres  termes,  on  ne  leur  donna  moyen  de 
dire,  à  une  seule  exception  près,  que  ce  qu'on  voulait 
entendre. 

Une  aulre  injustice  et  illégalité  fut  commise  h  l'égard 
des  Calas  :  on  ne  les  confronta  point  avec  les  experts  qui 
examinèrent  le  cadavre.  Ce  genre  de  confrontation  était 
cependant  nécessaire  pour  éclaircir  et  déterminer  les 
parties  conjecturales  de  leurs  rapports.  Ainsi  le  chirur- 
gien Lamarque,  chargé  de  l'autopsie  le  15  octobre, 
trouva  dans  l'estomac  «  quelques  pos  de  rézins  avec 
((  quelque  peau  de  volaille,  quelque  morceau  d'autre 
((  viande  qui  nous  a  paru  estre  du  buf.  Ces  espèces 
((  de  viande  que  nous  avons  lavé  dans  de  l'eau  claire 
((  nous  a  paru  être  fort  dure  et  tout  corriasse  {sic) .  n  Ces 
peaux  de  volaille  et  ces  raisins  correspondent  parfai- 
tement avec  ce  que  les  accusés  rapportèrent  au  sujet  du 
souper.  Il  est  certain  que  ce  qu'il  prit  pour  du  bœuf 
était  de  la  chair  de  pigeon.  Le  fait  même  que  «ces  aliments 
n'avaenl  pu  être  entièrement  broyés ,  divisés  et  atté- 
nués »  s'accorde  encore  avec  Je.'  dire  des  accusés.  Coa- 


PROCÉDURE    ET    ARRÊT   DES   CAPITODLS.  127 

froiités  avec  lui,  ils  auraient  pu  le  lui  faire  remarquer  et 
sans  doute  il  en  serait  convenu,  caril  ne  se  montra  nulle- 
ment hostile.  Il  en  est  de  même  de  son  opinion  sur  le 
moment  où  le  cadavre  avait  mangé;  ce  devait  être,  selon 
lui,  plusieurs  heures  auparavant,  parce  que  la  digestion 
était  quasi-faite^  au  lieu  que  Marc-Antoine  avait  soupe 
à  sept  heures  et  demie  et  avait  dû  se  tuer  assez  peu  de 
temps  après. 

Du  reste,  on  se  plaint  avec  raison  de  ce  qu'un  examen 
si  délicat  et  si  important  avait  été  confié  à  .un  chirurgien 
et  non  à  un  docteur  en  médecine.  On  sait  qu'alors  les 
chirurgiens,  surtout  dans  le  Midi,  n'étaient  souvent  que 
des  barbiers  à  peine  élevés  par  quelques  études  au-des- 
sus de  leur  classe  et  méritaient  encore  en  grande  partie 
les  reproches  et  les  railleries  dont,  à  Paris,  Guy  Patin  les 
avait  accablés  au  siècle  précédent.  W  Lamarque  fut  très- 
choqué  de  ce  qu'on  le  croyait  insuffisant;  mais  le  ton  et 
le  style  de  ses  réclamations  (1)  nous  semblent  plutôt 
affaiblir  sa  déclaration  que  la  confirmer. 

Il  est  très-remarquable  du  reste,  au  sujet  de  ce  souper, 
que  l'on  n'ait  jamais  pu  faire  varier  les  accusés,  ni  sur 
les  mets  servis,  ni  sur  les  places  qu'ils  occupaient  à  table. 
Les  accusateurs  prétendaient  que  ce  souper  n'avait  pas  eu 
lieu,  et  ce  n'était  pas  sans  raison  ;  il  serait  peu  croyable, 
quoi  qu'en  ait  dit  l'hebdomadier  de  Saint-Etienne,  que 
cinq  personnes  en  eussent  étranglé  une  sixième,  et  eus- 
sent soupe  ensemble  aussitôt  après. 

On  était  fort  embarrassé  de  la  présence  de  Lavaysse 
à  ce  repas,  de  l'invitation  qu'il  disait  en  avoir  reçAie,  de 
son  retour  volontaire  sur  le  théâtre  du  crime  et  enfin  de 

(i)  Voir  BibliograpLie,  n"  2  9. 


128  PROCÉDURE    ET    ARRÊT    DES    CAPITOULS. 

l'insislance  qu'il  avait  mise  à  y  rentrer.  Toutes  ces  cir- 
constances s'accordaient  mal  avec  la  culpabilité  d'mi 
jeune  homme  de  vingt  ans,  arrivé  de  la  veille,  qui  n'a- 
vait aucun  intérêt  quelconque  à  empêcher  l'abjura- 
tion de  son  ami,  et  aucun  motif  de  le  tuer. 

llestévidentque,  ne  trouvant  aucune  charge  contre  lui, 
on  aurait  du  l'absoudre  et  relâcher  également  cette  ser- 
vante qu'il  était  trop  absurde  de  se  représenter  aidant  à 
étrangler  son  jeune  maître,  pour  l'empêcher  de  faire  ce 
qu'elle  lui  aurait  conseillé  de  toutes  ses  forces.  Mais 
si  l'on  avait  absous  Lavaysse  et  Viguière,  ils  se- 
raient revenus  aussitôt,  en  qualité  de  témoins,  répéter 
qu'ils  n'avaient  pas  quitté  un  instant  les  Calas,  lui  à 
table  avec  eux,  elle  servant  le  souper,  venant  sans  cesse 
d'une  cuisine  attenante  dont  la  porte  était  restée  ou- 
verte, et  les  Calas  se  seraient  trouvés  innocents  (1). 

11  n'est  pas  de  ruse  qu'on  n'ait  employée  à  l'égard  de 
Lavaysse.  11  raconte  lui-même  une  perlidie  de  David  à 
son  égard  pendant  une  des  confrontations. 

((  Se  penchant  su?'  moi^  il  me  dit  à  V oreille  que  si 
l  avais  quelque  lettre  ou  billet  à  faille  tenir  à  mesparentSy 
il  se  ferait  un  plaisir  de  s'en  charger.  ))  Le  confiant 
jeune  homme  lui  en  remit  plusieurs  qui  n'arrivèrent 
jamais  à  leur  destination.  Quand  Lavaysse  le  sut,  il 
s'étonna  beaucoup  que  David,  qui  retenait  ses  lettres  à 
ses  parents,  persistât  à  croire  au  crime  des  Calas,  malgré 
les  démonstrations  de  leur  innocencequ  il  avait  lues  (2). 

(1)  «  Qyie  n'aurait  pas  à  craindre  riiinocencc  la  plus  pure,  de- 
mande à  bon  droit  le  conseiller  La  Salle,  si  raccusatenr  pouvait,  en 
impliquant  dans  l'accusation  les  témoins  qui  auraient  pu  déposer 
en  faveur  de  l'accusé,  vendre  une  jnslific.Uion  inipossible  :'  » 

(2)  Lav.,  3  — E.  deB.,   3. 


PROCÉDURE    ET   ARRÊT   DES   CAPITOULS.  120 

Une  fois  seulement  on  lui  avait  permis  de  voir  sa  fa- 
mille en  présence  d'un  Capiloul.  On  imagina  un  autre 
moyen  d'en  finir.  On  persuada  à  son  père  que  les  Calas 
étaient  coupables,  qu'on  en  avait  des  preuves  tout  k  fait 
suffisantes,  et  on  lui  pennit  de  voir  son  fils  en  présence 
de  M.  de  Senaux,  président  à  mortier.  David  Lavaysse 
déclara  k  son  fils  que  les  Galas  étaient  perdus,  qu'il  se 
perdait  avec  eux  en  niant  leur  crime,  et  le  supplia  de  se 
sauver  de  la  torture  et  de  la  mort  en  avouant  qu'ils 
avaient  étranglé  Marc-Antoine.  Nous  aimons  à  croire 
qu'en  tout  ceci  le  père  était  sincère  et  véritablement 
trompé.  Le  fils  répéta  avec  une  imperturbable  franchise 
ce  qu'il  avait  toujours  dit. 

Si  ce  jeune  homme  ou  Viguière  eussent  un  seul  ins- 
tant menti,  par  peur  de  la  torture  ou  du  supplice,  les 
trois  Calas  périssaient  et  leur  nom  restait  à  jamais  flétri. 

Le  moment  approchait  où  les  Capitouls  allaient  pro- 
noncer leur  sanguinaire  sentence.  Jean  Calas  aurait  eu 
le  droit  de  récuser  trois  de  ses  juges,  dit-on,  mais  très- 
certainement  deux  d'entre  eux  au  moins,  David  et  Chi- 
rac, pour  avoir  pris  parti,  avant  tout  jugement,  en  fai- 
sant enterrer  comme  catholique  celui  que  la  défense  di- 
sait protestant,  et  comme  un  martyr  celui  en  qui  elle 
montrait  un  suicidé.  Il  est  hors  de  doute  qu'ils  auraient  dû 
se  récuser  eux-mêmes.  Comme  ils  n'en  faisaient  rien, 
on  dressa  une  Requête  pour  les  y  obliger,  mais 
cette  Requête  ne  put  être  présentée,  et  cela  par  deux 
raisons  péremptoires  qui  montrent  à  quelle  situation 
en  étaient  réduits  les  accusés.  La  première  fut  qu'au- 
cun huissier  ne  consentit  à  s'en  charger,  tant  le  châ- 
timent de  leur  collègue  Duroux  avait  produit  l'effet 
d'intimidation   qu'on    s'en    était  promis.     Le  second 


loO       PROCEDURE  ET  ARRÊT  DES  GAPITOULS. 

obstacle  ne  fut  pas  moins  invincible  ;  pareille  requête 
exigeait,  pour  qu'on  put  la  présenter,  un  pouvoir  spécial 
de  la  part  des  accusés  au  nom  desquels  elle  était  formu- 
lée; il  fut  impossible  de  pénétrer  jusqu'à  eux  et  de  les 
avertir. 

Si  l'on  demande,  en  voyant  la  défense  ainsi  paralysée, 
on  quoi  consistait  l'office  des  avocats,  il  ne  sera  que 
trop  facile  de  répondre  :  à  publier  des  Consultations 
et  des  Mémoires.  Il  est  incontestable  que  depuis  son 
entrevue,  le  lendemain  de  son  arrestation,  avec  W  Car- 
rière, plutôt  encore  comme  ami  que  comme  conseil, 
et  depuis  la  lettre  de  ce  même  avocat  envoyée  par 
Louis,  Calas  ne  put  communiquer  avec  personne,  ne  vit 
aucun  avocat  et  en  particulier  n'eut  aucun  rapport  avec 
W  Sudre,  que  ses  enfants  chargèrent  de  la  défense. 

Il  est  vrai  qu'un  assesseur  des  Capitouls,  ce  même 
W  Monyer  que  Lavaysse  alla  chercher  le  13  octobre  et 
amena  sur  les  lieux,  nommé  plus  tard  rapporteur  de 
raffaire,  eut  pitié  des  Galas,  fit  valoir  dans  l'occasion  quel- 
ques-uns des  arguments  qu'il  y  avait  k  donner  en 
leur  faveur,  et  résista,  selon  ses  forces,  atout  ce  déchaî- 
nement de  passion  et  d'illégalité  auquel  il  était  forcé 
d'assister.  Cette  conduite  humaine  et  loyale  lui  acquit  la 
défaveur  de  ses  redoutables  collègues  et  une  haute  impo- 
pularité. Le  frère  Joseph  Fabre  prélendit  que  tous  les  soirs 
le  jeune  Espaillac  se  rendait  à  dix  heures  avec  Louis  chez 
M'  Alonyer,  et  que  le  lendemain  matin  tous  deux  allaient 
raj)porter  aux  D^'*^' Calas  ce  qu'ils  avaient  appris  chez  l'as- 
sesseur. Ce  dernier  porta  plainte  contre  ces  accusations 
calomnieuses.  D'un  autre  côté,  sur  les  conclusions  du 
Procureur  général,  il  fut  ajourné  à  comparaître  en  per- 
sonne devant  le  Parlement  pour  rendre  compte  de  sacon- 


PROCÉDURE    ET    ARRÊT    DES    CAPITOULS.  It3l 

chiite.  Un  magistrat  supérieur  arrangea  l'alTaire.  L'accu- 
sateur de  Monyer  lui  fit  des  excuses,  et  l'assesseur  «  par 
honneur  pour  lui-même  »  continua  ses  fonctions  de  rap- 
porteur à  la  séance  suivante.  Puis  il  crut  devoir  «  se  dé- 
partir du  rapport  et  même  du  jugement.  )>  Plus  tard  un 
arrêt  en  forme  constata  la  fausseté  de  l'imputation  (1). 

Les  fonctions  très-importantes  de  rapporteur  du  pro- 
cès furent  dévolues  à  un  autre  assesseur ,  Garbonnel,  et 
il  est  très-remarquable  que  ce  magistrat  qui,  ainsi  que 
son  prédécesseur,  était  mieux  en  état,  par  ses  fonctions 
mêmes,  d'approfondir  l'aifaire  que  tous  les  autres  juges, 
fut  convaincu,  comme  lui,  de  l'innocence  des  Galas. 

Ce  fut  pourtant  un  malheur  pour  eux  de  perdre  M* 
Monyer,  non  quant  k  la  procédure  elle-même,  mais 
parce  que  le  système  d'intimidation  dont  Duroux  avait 
été  la  première  victime,  continuait  à  se  développer.  En 
même  temps  qu'on  excitait  l'enthousiasme  du  peuple  pour 
le  prétendu  martyr,  on  sévissait  contre  tous  ceux  qui 
s'intéressaient  à  ses  parents  ou  entravaient  le  moins  du 
monde  la  marche  triomphale  de  l'accusation.  Il  nous 
reste  à  en  citer  un  nouvel  exemple. 

Ce  même  Espaillac  et  ce  frère  Joseph  Fabre ,  que  nous 
venons  dénommer,  nous  le  fourniront.  Claude  Espaillac 
était  garçon  perruquier  chez  Durand.  Frère  Joseph  ap- 
partenait k  une  communauté  de  Frères-Tailleurs.  Il  dé- 
clara, ainsi  que  les  frères  Pierre  Cailar  et  Barthélémy 
Pradet,ce  qui  suit. Espaillac  étant  occupé  araser  les  frè- 
res, un  matin,  frère  Joseph  lui  demanda  si  lui,  proche  voi- 
sin des  Galas,  ne  savait  rien  de  cette  affaire  dont  toute  la 


(i)  3  0  août  17  62.    J'ai   vu  cet  arrêt,  ainsi  que  les   trois  autres 
prononcés  contre  Duroux,  aux  Archives  du  Parlement  de  Toulouse. 


132  PROCÉDURE    KT   ARRÊT    DES   CAPITOULS. 

ville  parlait.  Le  jeune  barbier  ne  résista  pas  à  la  tentation 
dese  donner  de  l'importance  devant  ses  pratiques  et  pré- 
tendit avoir  entendu  une  voix,  qu'il  avait  reconnue  pour 
celle  de  Marc-Antoine  Galas,  crier  :  Ah  !  mon  Dieu  !  on 
m'étrangle  !  Ah!  mon  Dieu  !  on  m'assassine  !  Selon  frère 
Barthélémy,  Espaillac  aurait  dit,  déplus,  que  cette  même 
voix  avait  crié  :  Ah  !  mon  père ,  vous  m'étranglez. 

11  va  sans  dire  que  le  propos  arriva  à  la  justice.  Es- 
paillac fut  appelé  en  témoignage.  Tout  ce  qu'il  déclara 
c'est  qu'à  dix  heures  il  avait  vu  de  la  lumière  dans  la 
boutique  des  Galas,  avait  entendu  pleurer  et  frapper  du 
pied  et  qu'à  ce  moment  il  vit  sortir  Lavaysse. 

Frère  Joseph  voulut  être  sûr  qu' Espaillac  avait  répété 
devant  la  justice  tout  ce  qu'il  avait  dit  chez  les  Frè- 
res ;  il  le  pressa  de  questions,  et  l'étourdi  lui  répon- 
dit ((  qu'il  n'en  avait  pas  dit  la  moitié.  »  Deux  fois  de- 
puis, frère  Joseph  l'engagea,  devant  trois  autres  mem- 
bres de  sa  société,  à  aller  révéler  cette  autre  moitié  de 
son  récit;  il  s'y  refusa  obstinément  (1). 

Qui  ne  comprend  que  le  perruquier  avaitfaitun  conte 
aux  trois  frères-tailleurs,  et  qu'il  recula  devant  l'infamie 
de  persister  dans  ce  conte  en  présence  d'un  juge 
d'instruction,  après  avoir  prêté  serment,  et  quand  il  y 
allait  de  la  vie  de  cinq  personnes  innocentes  ?  Quoi  de 
plus  simple,  de  plus  vulgaire  qu'un  tel  fait?  On  aima 
mieux  supposer  qu' Espaillac  était  uu  témoin  infidèle, 
qui  refusait  dédire  ce  qu'il  savait.  Il  fut  décrété  de  prise 
de  corps  le  5  novembre;  mais  l'alerte  barbier  avait  prévu 
où  aboutiraient  les  charitables  semonces  de  frère  Joseph 


(i)  C'est  d'après  le  iciie  mCinc  des  quatre  déposilions  que  nous 
rapportons  ces  faits. 


PROCÉDURE   ET    ARRÊT   DES    GAPITOULS.  133 

et  ne  se  laissa  pas  prendre,  il  disparut  elne  revint  plus, 
mais  le  décret  subsista;  cet  incident  eut  sa  large  place 
dans  les  conversations  des  Toulousains,  et  tout  le  monde 
sut  à  quoi  l'on  s'exposait  en  rétractant  un  propos  hostile 
aux  Galas  (1).  L'intimidation,  on  le  voit,  était  au  comble. 

Tant  que  les  Gapitouls  restèrent  saisis  du  procès,  il  ne 
parut  aucun  Méinoire  d'avocat  en  faveur  des  accusés.  11 
est  probable  que  ce  n'était  pas  l'usage  devant  cette  ju- 
ridiction inférieure  à  laquelle  aucun  ordre  d'avocats 
n'était  attaché.  Il  ne  parut  eu  faveur  des  Galas  que  les 
quatre  ou  cinq  pages  de  la  déclaration  de  Louis.  Ge- 
pendant  David  Lavaysse,  saus  perdre  de  temps,  avait 
tenté  de  sauver  son  fils.  11  écrivit  mi  Mémoire  secret, 
qui  est  encore  inédit  et  qu'il  envoya  au  comte  de  Saint- 
Florentin.  11  en  lit  passer  une  copie  au  comte  de  Roche- 
cliouart,  son  ami,  envoyé  de  France  à  Parme,  et  pro- 
bablement à  d'autres.  Ge  travail  a  dii  être  fait  immédia- 
tement, en  octobre  et  novembre,  puisque  M.  de  Roche- 
chouart,  dans  mie  lettre  du  5  décembre,  écrite  au  Minis- 
tre pour  lui  recommander  le  jeune  Lavaysse  et  les 
Galas,  s'appuie  sur  ce  Mémoire  qu'il  venait  de  lire  et  y 
renvoie  Saint-Florentin.  Nous  avons  trouvé  ce  manuscrit 
aux  Archives,  à  Paris  (section  historique,  1.  c).  Gomme 
cette  pièce  est  tout  à  fait  inconnue,  nous  en  donnerons 
un  court  extrait. 

iNous  retrouvons  dans  ce  document,  qui  date  des  pre- 
mières semaines  du  procès,  des  circonstances  qu'on  ac- 


(i)  Il  a  suffi  qu'Espaillac  eûl  refusé  de  faire,  d'un  coule  en  l'air 
débile  à  ses  praliques,  uncdénoncialion  meurlrière  el  parjure,  pour 
qu'on  ail  vu  en  lui  un  parlisau  des  Calas  el  qu'on  lui  ail  prèle, 
comme  nous  l'avons  dil,  un  rôle  dans  de  prélendus  conciliabules 
avec  Monyer  el  Louis, 

12 


ioll  PROCÉDURE    ET   ARRÊT    DES    CAPITOULS. 

CUS3  (1)  Voltaire  d'avoir  inventées  l'année  suivante. 
Marc- Antoine  y  est  appelé  un  garçon  très-mélancolique , 
et,  ce  jour-là,  encore  plus  rêveur  que  de  coutume.  L'écri- 
vain décrit  bien  l'exaltation  de  la  foule  et  les  doutes  d'un 
petit  nombre  d'hommes  de  sang-froid  : 

Le  lendemain,  le  peuple  saisit  cette  imposture  avec  avi- 
dité; plus  on  eutde  zèle  pour  sa  religion,  moins  on  eut  de  doute 
sur  le  crime,  sur  les  auteurs  et  sur  le  motif.  On  crut  par  piété 
que  le  fanatisme  avait  commis  un  forfait  inouï  jusqu'à  ce  jour. 
Il  n'y  wit  que  quelques  sages  qui  gémirent  de  l'erreur  où  la 
ville  étoit  jetée  par  ses  magistrats.  Ils  jugèrent  qu'il  y  avoit 
impossibilité  morale  que  cinq  monstres,  qu'on  auroit  peine  à 
trouver  dans  un  royaume,  se  fussent  trouvés  rassemblés  dans 
une  seule  maison,  qu'un  père,  ime  mère,  un  frère,  un  ami,  une 
servante  catholique,  se  fussent  réunis  à  tremper  leurs  mains 
dans  le  sang  d'un  (ils,  d'un  frère,  d'un  ami,  d'un  maître,  et 
eussent  soupe  tranquillement  après  une  pareille  énormité. 

David  Lavaysse  montra  l'absurdité  qu'il  y  avait  à  ac- 
cuser cinq  personnes  de  choisir  pour  le  théâtre  d'un 
assassinat  prémédité  une  boutique  de  la  rue  la  plus  com- 
merçante et  la  plus  peuplée  de  la  ville  (il  aurait  pu 
ajouter  :  à  deux  ou  trois  portes  d'une  place  très-fré- 
quentée),  dans  un  moment  de  la  journée  où  cette  rue 
et  cette  place  étaient  pleines  de  monde. 

il  insiste  sur  l'intérêt  qu'avaient  les  Gapitotds,  tme  fois 
l'affaire  entamée  comme  elle  l'était,  à  faire  condam- 
ner les  cinq  prévenus  qui  pouvaient,  s'ils  étaient  absous, 
les  prendre  à  partie,  c'est-ti-dire  les  poursuivre  eux- 
mêmes  potn*  abtisde  potivoir,  emprisonnement  sans  dé- 
cret, illégalité,  etc. 

(1)  Voir  M.  Une,  Le  Frocès  des   Calas^ 


PROCÉDURE    ET   ARRÊT   DES   CAPITOULS.  lo') 

Tous  ces  arguments  si  justes  n'eurent  aucun  effet. 

Enfin,  le  18  novembre,  un  premier  arrêt  fut  prononcé 
par  les  Gapitoulsw  N-ous  donnons  (note  k,  à  la  fin  du  vo- 
lume) le  texte  de  la  délibération  d'après  l'acte  con- 
servé aux  Archives  Impériales. 

Par  cet  arrêt,  la  torture  la  plus  rigoureuse  (question 
ordinaire  et  extraordinaire)  fut  prononcée  contre  Galas, 
M"*^  Galas  et  leur  fils  Pierre,  et  il  fut  décidé  que  Lavaysse 
et  Viguièi'e  seraient  présentés  à  la  question  sans  y  être 
appliqués.  Dépens  réservés. 

G'est-à-dire  que  les  Gapitouls,  ne  parvenant  pas  ti 
s'entendre  sur  la  peine,  crurent  obtenir  par  la  torture  les 
aveux  et  les  preuves  qu'ils  avaient  cherchés  en  vain,  et 
n'hésitèrent  pas  h  y  soumettre  à  la  fois  trois  mem- 
bres accusés  de  las  même  famille,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient un  vieillard  et  une  femme  irréprochable,  déjà 
d'un  certain  âge  et  mère  de  six  enfants. 

On  a  prétendu  (1)  que,  pour  sortir  d'embarras,  les 
Gapitouls  donnèrent  à  dessein  ce  qu'on  appelait  une 
sentence  baroque ,  c'est-à-dire  illégale.  En  effet,  ils 
avaient  outrepassé  leurs  droits  ,  non  pas  en  envoyant 
à  la  torture  père,  mère  et  fils,  mais  en  prononçant  que 
les  deux  autres  accusés  y  seraient  seulement  présentés. 
Cette  présentation  consistait  k  eflrayer  les  accusés 
pour  leur  arracher  des  aveux  ;  on  les  attachait  sur 
l'instrument  de  la  question,  et  après  tous  les  préparatifs 
d'usage  on  les  interrogeait,  mais  au  dernier  moment 
on  les  déliait,  sans  les  faire  souffrir  physiquement. 
L'Ordonnance  défendait  expressément  à  tous  juges, 
hormis  les  cours  souveraines,   de  permettre  cet  adou- 

(i)  Lettre  clc  Goudei-,  Voir  Bibliographie,  n^  21. 


136  PROCÉDURE   ET  ARRÊT  DES  CAPITOULS. 

rissement  ;  un  tribunal  de  première  instance  ne  pou- 
vait torturer  qu'en  réalité  et  jusqu'au  bout,  ou  de- 
vait se  priver  de  ce  moyen  d'enquête.  On  a  dit  que 
les  ju^es  avaient  inséré  h  dessein  cette  clause  pour  faire 
casser  leur  sentence  et  renvoyer  les  accusés  devant  de 
plus  hautes  autorités;  nous  sommes  convaincus  que  c'est 
\h  un  faux  bruit  ;  tout  ce  qu'a  de  baroque  l'arrêt  du  18 
novembre  doit,  selon  nous,  être  imputé  h  l'ignorance 
et  à  l'esprit  d'empiétement  que  nous  trouvons  à  cha- 
que pas  chez  ces  étranges  magistrats.  Plût  au  ciel  qu'ils 
ne  se  fussent  jamais  arrogé  de  droits  plus  exorbitants 
que  celui  de  ne  mettre  les  gens  à  la  question  que  pour  la 
forme  ! 

L'arrêt  fut  communiqué  le  même  jour  aux  accusés. 
Ils  en  appelèrent  au  Parlement.  Le  Procureur  du  Roi 
Lagane  en  appela  devant  la  même  cour,  à  minimal  c'est- 
à-dire  comme  d'une  sentence  trop  indulgente. 

«  Au  surplus,  il  a  requis  que  l'extrait  de  la  procédure,  de  la 
sentence  et  du  dicfvm,  ensemble  les  cinq  accusés,  fussent  en- 
voyés au  Palais;  et  pour  pourvoir  à  la  sûreté  desdits  accusés 
"a  laquelle  il  est  très-important  de  veiller,  ledit  sieur  Procureur 
(lu  Roy  a  procuré  qu'ils  ayent  été  mis  aux  fers  et  a  signé.  —  Au 
parquet  de  la  ville. 

«  Lagane,  Procureur  du  Roy,  » 
Le   1 8  novembre  1 7  6  i . 

Les  condamnés  furent  aussitôt  transférés  de  la  prison 
de  l'Hôtel-de- Ville  h  celle  du  Palais,  et  là  on  leur  mit  les 
fors  aux  pieds,  petite  torture  en  attendant  la  grande, 
mais  humiliante  et  douloureuse,  surtout  à  la  longue. 
Jean  Calas  ne  quitta  les  fers  que  le  10  mars  pour 
être  mis  à  la  question  et  roué.  Les  autres  les  gardè- 
lenl   quelques  jours  de    plus,   quatre  mois  environ. 


PROCÉDURE    ET   ARRÊT   DES   CAPITOULS.  loi 

Ce  fut  en  vain  que  David  Lavaysse  tenta  de  soustraire 
son  fils  à  cette  gène,  ce  fut  en  vain  qu'il  offrit  de 
payer  autant  de  soldats  qu'on  voudrait  pour  le  garder 
à  vue,  ce  qui  mettait  à  néant  le  prétendu  motif  de  sû- 
reté. Lagane  fut  inflexible.  11  \oulait  des  aveux  et  croyait 
les  obtenir  par  la  rigueur. 

Ce  fut  le  5  décembre  que  le  Parlement  de  Toulouse 
jugea  l'appel,  par  un  arrêt  dit  m^er/ocw/oiVe,  cassa  celui 
des  Capitouls, leur  lit  «défense  de,  à  l'avenir,  ordonner 
(i  ([ue  les  prévenus  seront  seulement  présentés  k  la  tor- 
u  lure  sans  y  être  appliqués ,  »  retint  la  cause  quant 
au  fond  et  maintint  le  commencement  d'information 
comme  valable.  Le  conseiller  Pierre-Etienne  de  Boissy 
fut  délégué  pour  continuer  l'inquisition. 

Elle  de  Beaumont  fit  remarquer  plus  tard  (1)  qu'en  tout 
ceci  le  Parlement,  à  son  tour,  agit  avec  une  précipitation 
extrême. 

On  mil  sur  le  bureau,  dès  le  5  décembre,  le  procès  à  juger 
pour  le  fond,  lorsqu'il  n'y  avait  pas  même  assez  de  juges  de  Tour- 
nelle  à  Toulouse ,  pour  faire  arrêt ,  et  lorsque  l'appel  même  du  Mo- 
nitoire  était  pendant  h  la  Grand'Chambre.  On  fut  obligé  d'aller 
au  bureau  de  la  Grand'Chambre,  où  se  trouva  seul  (n'y  ayant 
alors  aucun  travail)  un  conseiller  qu'on  amena  à  la  Tournelle 
et  qui  n'opina  certainement  pas  pour  les  accusés. 

Ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  les  prévenus  avaient  in- 
terjeté appel  comme  d'abus  contre  le  Monitoire.  Nous 
avons  prouvé  que  cet  acte  scandaleux  était  rempli  d'il- 
légalités et  de  nullités  évidentes;  on  a  pu  lire  ici  même 
quelques  textes  de  loi  d'une  précision  irréfragable  à  cet 

(0  E.  de  B.,  3. 

12. 


138  PROCÉDURE   ET   ARRÊT    DES    CAPITODLS. 

égard.  Mais  ce  fut  alors  que  parut  dans  tout  son  jour 
l'abandon  où  se  trouvaient  les  Calas,  et  la  crainte  qu'on 
avait  d'attaquer  dans  le  Monitoire  l'œuvre  commune  de 
la  magistrature  et  île  l'Eglise,  l'objet  de  la  confiance  sans 
réserve  de  toute  la  ville.  Personne  n'osa  soutenir  l'ap- 
pel (1)  et  la  Grand'Chambre  rendit  un  nouvel  arrêt  por- 
tant «qu'il  n'y  a  abus  dans  l'obtention  dudit  Monitoire.  » 
Enfin,  un  troisième  arrêt  ordonna  la  quatrième  publi- 
cation de  ce  même  Monitoire  pour  le  13  décembre, 
comme  nous  avons  dû  le  dire  par  anticipation  ;  la  ful- 
mination  eut  lieu  le  dimanche  suivant.  Seulement,  pour 
couvrir  l'illégalité  patente  qui  résultait  de  ce  que  cette 
pièce  émanait  du  Grand-Vicaire  et  non  de  l'Official ,  on 
Y  fit  joindre  la  sanction  de  ce  tribunal;  ce  ne  fut  plus 
qu'une  simple  formalité,  un  hommage  tardif  à  un  pou- 
voir dont  on  avait  eu  le  tort  de  se  passer  jusque-là. 


(  1  )  En  présence  d'un  pareil  fait,  il  est  au  moins  étrange  (Venlendre 
les  modernes  adversaires  des  Calas  prétendre,  sans  aucune  preuve, 
comme  le  continuateur  de  Dom  Vayssette,  que  plus  de  deux  cent 
soixante  familles  du  commerce,  les  nombreux  alliés  de  M""*  Calas 
(tous  bons  gentilsbommes),  beaucoup  de  membres  du  Parlement  et 
de  familles  nobles  alliées  à  David  Lavaysse  s'intéressèrent  très-ac- 
tivement pour  Calas,  pour  sa  femme,  pour  le  jeune  Gaubert.  C'est 
le  contraire  de  la  vérité.  Tout  était  dans  la  consternation,  et  à  peine 
quelques  intimes  amis  conseillaient  les  deux  jeunes  filles  restées 
seules,  et  Louis  Calas,  le  déserteur  du  toit  paternel. 


GHAPITIRE    VIL 


LES  GALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 


MM.  de  Maniban  et  de  Bastard,  premiers  présidents.  — 
Le  procureur  général  Riquet  deBonrepos.  —  Les  pré- 
sidents de  Niquet,  de  Senaux,  du  Puget.  —  Les  con- 
seillers de  Cassan-Clairac  et  de  La  Salle.  —L'avocat 
Sudre.  —  Mémoires  de  Sudre,  de  La  Salle,  de  Gaubert 
etde  David  Lavaysse.  —Discussion  des  témoignages. 
—  Les  cris  entendus  le  13  octobre.  —  Marc-Antoine 
a-t-ilpu  se  tuer?  —  Est-il  mort  assassiné?  —Etait- il 
devenu  catholique?—  Témoignages  sur  ouï  dire,  ou 
absurdes ,  ou  volontairement  faux- 


Je  suis  persuadé  plus  que  jamais  de  l'innocence 
des  Calas  et  de  la  cruelle  bonne  foi  du  Parlement 
de  Toulouse. 

VOLTAIUE. 

(Au  comte  d'Argental,  21  juin  1762.) 


Avant  de  continuer  ce  déplorable  récit,  nous  croyons 
devoir  faire  connaître,  en  quelques  mots  rapides,  les 
principaux  magistrats  qui  eurent  à  prononcer  l'arrêt  de 
mort  de  Jean  Galas. 

Nous  n'avons  rien  à  dire  du  premier  Président,  Joseph- 
Gaspard  de  Maniban,  marquis  de  Gampagne,   qui  avait 


iUO  LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

épousé  une  Lcimoignon  et  mourut  en  1762  après  quarante 
ans  de  présidence.  Sur  le  refus  de  Dominique  deBastard, 
Doyen  du  Parlement,  son  fils  François,  Maître  des  Re- 
quêtes au  Conseil  d'Etat,  fut  mis,  le  26  septembre  de 
cette  même  année,  à  la  tête  duParlement  de  Toulouse  (1). 

Le  Procureur  général  J.-G.-A.-A.  Riquet  deBonrepos 
était  un  descendant  de  l'illustre  Riquet,  auteur  du 
canal  des  deux  mers,  qui  avait  été  créé  baron  de  Bon- 
repos.  Nous  verrons  ce  magistrat  se  montrer  peu  di- 
gne (2)  de  cette  famille  italienne  des  Riquetti,  qui 
fit  une  haute  fortune  en  France  et  en  Belgique ,  par  les 
princes  de  Ghimay  et  les  ducs  de  Caraman,  mais  que 
rendirent  bien  plus  célèbre  deux  hommes  extraordinai- 
res, Riquet  d'abord  et  ensuite  Mirabeau. 

Trois  présidents  à  mortier  doivent  être  nommés  ici, 
Antoine-Joseph  de  Niquet,  chancelier  des  Jeux  Floraux, 
et  les  deux  présidents  de  la  Tournelle,  Henri-Gabriel 
duPuget  et  Jean-Joseph-Dominique  de  Senaux,  tous 
deux  membres  de  cette  même  Académie  du  Gay-Sa- 
//er,  et  tous  deux  juges  de  Galas  (3).  M.  de  Niquet  prit 


(0  Né  le  i6  décerahre  17  2*2,  il  donna  sa  démission  en  17  69, 
se  rt'iira  à  Paris  el  y  mourul  le  2  0  janvier  17  80,  enlouré  de  ses 
deux  plus  intimes  amis,  les  maréchaux  de  Lorge  el  de  Biron. 

(2)  «  Nous  avons  contre  nous,  écrit  Voltaire  le  7  juillet  1770, 
dans  l'affaire  Sirven,  ce  procureur  général  de  Bclzébulh.  »  Le  mot 
est  vif,  mais  il  a  été  dilàpropos  du  réquisitoire  donné  par  cemagislrat 
contre  M""*  Calas  elles  trois  autres  prévenus,  le  lendemain  du  sup- 
plicede  Jean  Calas.Qu'on  le  lise,  et  peut-être  pardonnera-t-on  à  Vol- 
taire l'extrême  vigueur  de  son  indignation.  Bonrepos  était  entré  en 
charge  le  9  février  i7  5o;il  dut  se  retirer  devant  le  Parlement Mau- 
peou  en  177  i. 

(3)  On  appelait  Tournelle  dans  les  Parlements,  la  chambre  crlmi- 
nf'lk'.  Je   irouvc  parmi  les  papiers    de    la   famille     Lavaysse    l'épi- 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        1^1 

part  d'une  autre  manière  et  moins  directement  k  celte 
douloureuse  affaire.  Après  50  ans  de  services  comme 
conseiller  et  comme  président,  il  devint  premier  prési- 
dent en  1770.  Il  se  démit  en  1787. 

On  nous  pardonnera  d'avoir  énuméré  les  noms , 
les  alliances,  les  titres  de  ces  magistrats;  nous 
voudrions  les  faire  bien  connaître,  et  nous  nous  éton- 
nons nous-même  du  contraste  que  présente  le  rôle 
qu'ils  vont  jouer  devant  nous  avec  les  noms  fameux  des 
uns,  les  titres  académiques  des  autres  et  les  fonctions 
élevées  qui  leur  étaient  communes  à  tous.  Nous  avons  eu 
occasion  de  juger  les  caractères  de  quelques-uns  d'en- 
tre eux  par  leurs  lettres  assez  nombreuses  au  comte  de 
Saint-Florentin  que  nous  avons  pu  lire  aux^rc^2î;es,oupar 
les  réponses  de  ce  ministre.  Nous  publions  plus  loin  (1) 
quatre  lettres  inédites  de  MM.  de  Senaux  et  du  Puget  où 
l'on  s'étonne  de  trouver  les  préventions  les  plus  aveu- 
gles contre  le  protestantisme,  et  une  entière  ignorance  à 
ce  sujet,  qui  serait  très-digne  de  David  lui-même,  sans 
qu'ils  se  montrent  plus  humains  que  lui.  Entre  les  deux, 
M.  du  Puget  a  la  palme.  Le  président  de  Senaux  se  dis- 
lingue par  la  persévérance  avec  laquelle  il  demande 
k  M.  de   Saint-Florentin   des  pensions  ou  des   grati- 

gramme    suivanlc  contre    les    deux   présidents     de    la   Tournelle  : 

Senaux  disait  d'un  ton  sévfere  : 
Si  mon  fils  désertait  le  culte  de  son  père, 
Je  vous  le  pendrais  bel  et  bien  : 
Donc,  Calas  a  pendu  le  sien. 
Puget  répondit  :  Chacun  s'aime  ; 
Pour  moi,  quand  je  serais  perdu, 
Je  me  garderais  bien  de  me  pendre  moi-même  : 
Donc,  son  fils  ne  s'est  pas  pendu. 

(1)  Correspondance  de  M.  de  Saint-Florentin,  lettres  3  et  15,  18 
et  22. 


lZl2  LES   CALAS    DEVAiM    LE   PARLEMENT. 

fications.  Tout  prétexte  lui  est  bon  pour  cela,  tantôt 
les  vœux  de  nouvelle  année,  tantôt  la  mort  de  M.  de 
Maniban.  J'ai  lu  trois  lettres  où  le  Ministre,  trois  fois  de 
suite,  lui  répond  que  cette  demande  ne  le  concerne 
pas  et  qu'il  doit  s'adresser  au  chancelier.  Le  président 
de  Niquet  ne  se  fait  pas  faute  non  plus  de  ces  sollicita- 
tions intéressées.  Le  5  décembre,  M.  de  Bonrepos  ob- 
tint pour  sa  part  10,000  livres  d'augmentation  sur  le 
brevet  de  retenue  de  sa  charge.  Il  faut  convenir  que 
ces  redoutables  et  graves  personnages  perdent  à  être 
surpris  dans  le  déshabillé  de  leur  correspondance  in- 
time avec  le  Secrétaire  d'Etat. 

M.  de  Cassan-Glairac,  conseiller,  fut  nommé  rappor- 
teur de  r affaire  des  Galas.  Où  pense- t-on  qu'il  alla  éla- 
borer son  rapport?  Au  couvent  des  Chartreux.  On  lui 
en  fait  un  mérite  encore  de  nos  jours,  et  l'on  imagine 
qu'il  s'y  réfugia  pour  éviter  les  obsessions  d'une  foule 
de  solliciteurs  qui  venaient  l'implorer  pour  les  accusés  (1) . 
Nous  répéterons  que  personne  à  ce  moment  terrible,  où 
se  dressait  lentement  l'échafaud  de  Calas,  personne, 
entre  l'arrêt  du  18  novembre  et  celui  du  9  mars,  n'osait 
élever  la  voix  en  faveur  des  prévenus.  Il  est  pénible  de 
penser  que  le  rapport  qui  envoya  un  père  de  famille 
innocent  à  la  torture  et  à  la  roue,  soit  parti  d'un  cou- 
vent. 

En  tout  cas,  il  est  évident  que  M.  de  Clairac  ne  son- 
geait pas  même  à  se  donner  l'apparence  de  l'impartialité 
dans  un  jugement  si  intéressant  pour  la  religion.  On  ré- 
pondra peut-être  qu'il  suffit  à  la  justice  d'être  impartiale 
sans  le  paraître,  et  l'on  aura  tort.  Aussi  dans  la  tragédie  de 

(1)  Histoire  du  Languedoc. 


LES   CALAS   DEVANT   LE    PARLEMENT.  l/l3 

Chénier,  le  public  accueillait  avec  un  murmure  ce  vers 
du  rôle  de  Clérac  : 

Je  quille  de  Bruno  le  cloîire  soliiaire. 

Sans  doute  Chénier  n'aurait  pas  dû  traiter  un  sujet  dont 
les  personnages  étaient  vivants  ;  mais  l'effet  de  ce  vers 
était  une  juste  protestation  contre  le  manque  de  tact  et 
de  bon  sens  qu'avait  montré  le  rapporteur  (1). 

Nous  nous  trompons  en  disant  que  nul  n'agit  pour 
les  accusés.  Il  y  eut  au  Parlement  de  Toulouse  un  seul 
homme  d'assez  de  sens  et  de  courage  pour  prendre  la  dé- 
fense des  opprimés.  Ce  fut  M.  de  La  Salle.  Il  soutint  leur 
innocence  dans  le  monde,  devant  cette  autre  multitude, 
qui,  pour  avoir  plus  de  lumières,  n'est  que  plus  coupable 
lorsqu'elle  s'aveugle  au  point  d'épouser  les  passions  et  les 
erreurs  de  celle  delà  rue.  Ah!  Moiuieur,  dit-on  un  jour 
à  La  Salle,  en  l'interrompant  avec  dédain,  vous  êtes  tout 
Calas.  —  Ah!  Monsieur,  répliqua-t-il aussitôt,  î;ows  êtes 
tout  peuple.  La  Salle  avait  raison  ;  il  n'est  pas  permis 
d'être  peuple  par  l'ignorance  et  par  l'emportement.  Au 
moment  du  jugement,  M.  de  La  Salle  se  récusa,  comme 
s'étant  déjà  prononcé.  En  effet,  il  avait  eu  la  gloire  de 
soutenir  seul  son  opinion  contre  toute  une  ville  en  fu- 
reur, peuple,  juges  et  prêtres.  On  lui  a  reproché  à 


(0  Le  senliment  d'horreur  qu'on  avait  éprouvé,  envoyant  sortir 
d'un  monastère  ce  cruel  réquisitoire,  s'exprima  encore  dans  Té- 
pigramme  suivante,  vulgaire  de  ton  et  de  slyle,  mais  dont  le  der- 
nier vers  est  une  ironie  assez  vive  : 

Cassan,  voyant  l'arrêt  des  Maîtres  des  Requêtes  : 
Tout  est  perdu,  dit-il.  Voyez  comme  ils  sont  bêtes  : 
Si  Calas  n'avait  pas  assassiné  son  fils, 
Il  faudrait  que  je  fusse  un  fieffé  fanatique, 

Moi,  qui  pour  juger  Vhérétique, 
Minutai  mon  brevet  aux  i)ieds  du  crucifix. 


aZlZl  LES   CALAS   DEVANT   LE    PARLEMENT. 

tort  cette  abstention;  la  loi  l'exigeait  de  lui.  11  y  a 
tout  lieu  (le  croire,  et  pour  notre  part  il  nous  semble 
indubitable,  qu'il  est  l'auteur  du  Mémoire  que  nous  avous 
cité  sous  son  nom,  et  qui  parut  avec  la  signature  du  pro- 
cureur Duroux  fils,  sous  le  titre  à' Observations  pou?^  le 
sieur  J.  Calas^  la  do,nie  de  Cabibel  son  épouse,  et  le  sieur 
P.  Calas ^  leur  fils  (1). 

Ce  Mémoire  lut  communiqué  par  lui  avant  l'impres- 
sion à  M*"  Sudre,  l'avocat  des  Galas,  et  nous  y  avons 
partout  reconnu  une  dignité  calme,  une  raison  ferme  qui 
sont  très-rares  dans  un  factuin  du  dix-huitième  siècle. 
11  est  évident  qu'après  avoir  écrit  et  publié  ce  Mémoire 
anonyme,  La  Salle  ne  pouvait  q.ie  se  récuser.  Nous  avons 
blâmé  David  de Beaudrigue  et  Chirac  d'avoir  voulu  juger 
Ccî  procès  après  avoir  lait  connaître  leur  opinion  par 
une  manifestation  publique.  Louons  M.  de  La  Salle  d'a- 
voir obéi  à  la  loi  dont  il  était  le  représentant,  mais  dé- 
plorons le  malheur  des  Calas  qui,  après  avoir  perdu 
M"  Monyer  en  première  instance,  perdirent  plus  que  lui 
en  appel.  11  semble  que  tout  conspirât  contre  eux,  même 
le  bien  qu'on  avait  voulu  leur  faire. 

Je  viens  dénommer  le  premier  avocat  qui  ait  eu  l'hon- 
neur d.i  plaider  la  cause  des  Calas,  et  qui  s'est  acquis 
par  cet  acte  de  courage,  et  par  la  manière  dont  il  s'en 
acquitta,  des  titres  impérissables  à  la  reconnaissance  et 
au  respect.  Sudre,  en  prenant  en  main  cette  cause  pé- 
rilleuse, en  la  soutenant  dans  trois  Mémoires  successifs, 
n'avait  pas,  comme  ses  continuateurs  Elle  de  Beaumont, 
Loyseau  de  Mauléonet  Mariette,  un  Voltaire  pour  client 
el  l'Europe  pour  auditoire.  Sudre  avait  à  lutter  contre 

^\)  Voir  Bibliographie,  n"  5, 


LES   CALAS    DEVANT    LE    PARLEMENT.  l/l5 

le  Parlement,  le  Clergé  et  les  Pénitents  blancs,  contre 
un  David  de  Beaudrigue  et  un  Lagane,  contre  ceux  qui 
avaient  suspendu  le  procureur  Duroux,  cité  devant  leur 
justice  l'assesseur  Monyer  et  décrété  de  prise  de  corps 
le  témoin  Espaillac.  Le  peuple,  les  dévots,  les  couvents, 
la  magistrature,  si  puissante  alors  dans  une  ville  par- 
lementaire, il  fallait  tout  braver  de  front.  Sudre  l'osa, 
mais  paya  chèrement  son  courage  ;  plusieurs  années  se 
passèrent  sans  qu'il  se  trouvât  d'assez  hardis  plaideurs 
pour  confier  leurs  intérêts  à  un  avocat  aussi  dangereu- 
sement compromis  (1),  et  lorsque  plus  tard  son  élection 
au  Capitoulat  échoua,  c'est  que  Toulouse  ne  put  se  ré- 
soudre à  revêtir  d'une  autorité  municipale  celui  qui 
avait  osé  se  faire  le  défenseur  des  Calas. 

Nous  ne  savons  par  quelle  circonstance  cette  défense 
dont  M''  Carrière  avait  paru  vouloir  s'occuper  aux  pre- 
miers jours,  passa  aux  soins  de  M*^  Sudre.  Elle  ne  pou- 
vait tomber  entre  des  mains  plus  capables.  Théo- 
dore Sudre  s'était  distingué  de  bonne  heure;  il  en- 
trait à  peine  dans  la  carrière  quand  le  fameux  juris- 
consulte Frugole,  dont  le  suffrage  est  une  autorité  de 
premier  ordre,  fit  mention  de  lui  dans  son  Traité  des 
Testaments  (t.  IV,  p.  28)  en  ces  termes  :  ((  W  Sudre, 
mon  confrère,  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  a  une  connais- 
sance très-exacte  de  l'histoire  et  des  systèmes  du 
droit  romain  et  en  débrouille  avec  une  facilité  mer- 
veilleuse les  difficultés  qui  paraissent  les  plus  inextri- 
cables (2). 

(1)  Voltaire  à  Argental,  lO  décembre  17  67.  — Le  fait  est  con- 
firmé par  d'autres  renseigneraeni3  positifs. 

(2)  Sudre  publia  en  17  53  une  nouvelle  édilion  du  Traité  des 
Elections   d'Héritier,  do  Fvlson,  conseiller  au  Parlement  de    Gie- 

13 


i[\6  LES   CALAS   DEVANT    LE    PARLEMENT. 

La  ddle  précise  des  divers  Mémoires  publiés  dans  le 
procès  serait  souvent  assez  difficile  à  déterminer  ;  mais 
par  quelques  mots  (1)  du  premier  factum  de  Sudre,  nous 
savons  qu'il  parut  moins  de  trois  mois  après  la  mort  de 
Marc- Antoine,  dans  les  derniers  jours  de  1761  ou  les 
premiers  de  l'année  suivante  ;  en  d'autres  termes,  dès  que 
l'alFaire  eut  été  évoquée  par  le  Parlement,  Sudre  s'en 
chargea.  Coup  sur  coup,  en  deux  mois,  il  publia  trois 
écrits:  1**  Mémoire  justificatif  pour  le  sieur  Jean  Calas, 
négociant  de  cette  ville,  dame  Anne- Rose  Cabibel,  son 
épouse,  et  le  sieur  Jean-Pierre  Calas,  un  de  leurs  enfants; 
2°  Suite  pour  les  sieurs  et  demoiselle  Calas;  3°  Réflexions 
pour  les  sieurs  et  demoiselle  Ca/as  (2).  Ces  Mémoires, 
les  premiers  qui  parurent,  sont,  à  notre  avis,  les  meil- 
leurs de  tous;  très-supérieurs  à  ceux  que  Voltaire  et  l'Eu- 
rope firent  profession  d'admirer  plus  tard  (3),  ils  sont  ^ 
peu  près  exempts  de  l'enflure  qui  règne  dans  tous  les 
autres  ;  seuls,  les  écrits  de  Voltaire  lui-même  nous  pa- 
raissent supérieurs,  et  celui  de  La  Salle  égal  aux  travaux 
de  xM'^  Sudre.  La  science  du  droit,  l'érudition  classi- 
que, s'y  retrouvent  à  chaque  pas,  mais  avec  mesure 
et  sans  étalage.  Le  sens  pratique,  l'exposition  simple  et 
probante  des  faits,  la  force  des   raisonnements,  s'y  font 


noble,  ([u'il  dédia  au  premici"  Présldenl  de  Mauibaii,  et  plus  lard 
un  Trait)'  des  droits  seiyneuriaax.  Il  était  né  à  Ginionl  (Gers)  en 
17  18  et  avait  élé  élevé  au  collège  de  la  Doctrine  Chrétienne  à  Tou- 
louse; il  se  maria  \^\\  17  5  j,  eut  dix  enl'ants  et  mourut  en  179  3. 
Sa  réputation  de   science,  do  talent  et  d'intégrité  était  grande. 

(0  Sudre,  1,  p.  4. 

(2)  Biblioyrdpkie  j  n"',   4,    6,   7. 

(3)  «c  Moins  liabiles,  moins  élociucnts  que  Sudre,  cl  plus  souvent 
erapbalirjncs,  »  dit  avec  raison  l'historien  du  Languedoc. 


LES   CALAS   DEVANT   LE    PARLEMENT.  1/|7 

d'autant  plus  sentir  qu'on  n'y  retrouve  point  cette  dé- 
clamation ampoulée,  théâtrale,  à  grandes  prétentions, 
qui  alors  était  de  mode  à  Paris.  Il  est  à  regretter  que 
Voltaire  n'ait  pas  connu  ces  Mémoires  à  temps  pour  en 
faire  usage,  et  ne  les  ait  pas  fait  réimprimer.  Ils  sont 
devenus  rares. 

A  la  même  époque  parut  le  premier  Mémoire  de  La- 
vaysse,  intitulé  :  Mémoire  du  sieur  Gaubert  Lavaysse  (1). 
Il  ressemble  aux  précédents  par  sa  simplicité,  mais  dif- 
fère des  écrits  de  Sudre  en  ce  qu'il  ne  s'y  trouve  aucune 
trace  de  science  juridique  ni  d'habitudes  littéraires.  11 
nous  paraît  probable  que  cette  pièce  eut  réellement  e 
})risonnier  pour  auteur,  et  fut  revue  par  son  père. 

Ce  dernier  publia,  quelque  temps  après,  un  écrit  in- 
titulé :  Mémoire  de  M^  David  Lavaysse,  avocat  en  la 
Cour,  pour  le  sieur  François-Alexandre-Gaubert  La- 
vaysse, son  troisième  fils  (2).  Il  n'acheva  pas  ce  travail. 
Au  milieu  d'une  phrase  à  propos  de  la  fréquence  des 
suicides  en  Angleterre,  il  s'interrompt,  et  on  lit  en  ca- 
ractères italiques  : 

«  Qu'entends-je,  jtisfe  ciel.',,,  on  juge  mon  fils:  je  n'ai  pas  la 
force  de  continuer.,. je  succombe...  Lavaysse,  mon  cher  fils,  arme- 
loi  de  courage.  Achève  la  défense  d'un  frère  innocent.  — J'obéis  à 
mon  père,  écrit  aussitôt  Etienne  Lavaysse  (le  deuxième  fils). 
Avec  aussi  peu  d'expérience,  le  disciple  remplira-t-il  le  plan 
formé  par  le  Maître?  Que  jeté  plains,  mon  cher  frère,  d'avoir 
ta  défense  en  des  mains  si  faibles  I  le  zèle  suppléera-t-il  aux 
talents?  » 


(l)  Bibliographie^  n*  9, 
('2^  Ibid.,  n"  10. 


148  LES   CALAS   DEVANT    LE   PÀRLEMElNT. 

Et  la  phrase  commencée  sur  les  suicides  anglais,  est 
reprise. 

J'avoue  que  ce  coup  de  théâtre  ne  me  fait  éprouver 
qu'une  très-médiocre  émotion.  Il  y  a  là  une  scène  de 
drame  bourgeois  à  la  façon  de  Diderot,  ou,  si  l'on  veut, 
le  sujet  d'un  tableau  de  famille  pour  Greuze.  Mais  ce 
n'est  point  ainsi  que  devrait  parler  la  nature.  Il  est 
bien  qu'un  père,  âgé  de  soixante-sept  ans,  se  fasse  aider 
par  un  fds,  avocat  comme  lui,  pour  la  défense  d'un  au- 
tre de  ses  enfants  exposé  au  plus  horrible  danger.  Mais 
est-ce  ainsi  qu'il  faudrait  le  dire?  Cette  manière  de  se 
pâmer  devant  le  public,  de  donner  en  spectacle  ses  dou- 
leurs paternelles,  et  de  succomber  devant  le  lecteur  en 
lettres  italiques,  me  paraît  de  fort  mauvais  goût.  Sudre 
et  La  Salle  avaient  été  beaucoup  plus  pathétiques  en 
cherchant  beaucoup  moins  à  l'être. 

Ces  divers  Mémoires,  avec  plus  ou  moins  de  logique 
et  d'éloquence,  discutaient  des  questions  que  nous  avons 
à  dessein  laissées  de  côté  jusqu'à  ce  moment,  parce  qu'il 
aurait  fallu  y  revenir;  V inquisition  commencée  par  les 
Capitouls  ayant  été  acceptée  par  le  Parlement,  les 
mêmes  dépositions  figurent  dans  les  deux  procès. 

Le  premier  point  à  établir  semble  être  celui-ci  :  quels 
étaient  les  cris  qu'on  avait  entendus  dans  la  rue  des  Fi- 
latiers  pendant  la  soirée  du  13?  Nous  croyons  avoir 
parfaitement  prouvé  que  ces  cris,  entendus  par  quatorze 
témoins  à  neuf  heures  et  demie,  au  plus  tôt,  ne  pou- 
vaient être  ceux  de  Marc-Antoine  que  le  chirurgien 
Gorsse,l)elpuech,  Brun,  trouvèrent  déjà  froid,  elles  mé- 
decins chargés  de  l'examiner  avec  plus  de  précision,  un 
pencJunid  seulement.  11  était  donc  mort  depuis  quelques 
heures,  quand  ces  cris  éclatèrent. 


LtS  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.         U9 

Il  est  bien  certain  que  ces  cris  n'étaient  pas  les  siens, 
mais  ceux  de  Lavaysse  et  de  Pierre,  puis  surtout  ceux  de 
Galas  père  et  enfin  de  toute  la  famille.  Si  l'on  se  trouvait  à 
Toulouse  ou  dans  tout  autre  endroit  du  Midi  au  moment 
d'un  accident  mortel,  on  entendrait  aujourd'hui  encore, 
non  des  sanglots  et  des  pleurs,  mais  des  cris  aigus  et  dé- 
chirants. Les  hommes  du  Nord,  moins  violents  dans  leurs 
démonstrations  extérieures,  s'en  font  difficilement  une 
idée  (1). 

S'il  en  est  ainsi  lorsque  meurt  un  malade  dont  on  atten- 
dait le  dernier  soupir,  il  n'est  pas  étonnant  qu'un  bruit 
affreux  éclate  quand  on  découvre  le  cadavre  d'un  parent 
que  l'on  croyait  plein  de  vie.  Tous  les  habitants  du  quar- 
tier entendirent  ce  bruit  ;  mais  ils  distinguèrent  mal  ; 
les  paroles  ne  pouvaient  arriver  que  confusément  à 
leur  oreille  du  fond  de  cette  boutique  fermée,  surtout 
quand  plus  d'une  voix   s'élevait  k  la  fois. 

Cazalus,  garçon  passementier,  qui  n'a  entendu  autre 
chose  que  Ah!  mon  Dieu  !  ah!  mon  Dieu,  dans  la  bouti- 
que d'abord,  puis  dans  le  corridor,  dit  certainement 
toute  la  vérité.  Quant  àPopis,  son  camarade,  qui  croit 
avoir  entendu  au  voltur  et  à  l'assassin,  il  se  trompe. 


(i)En  1843,  j'étais  depuis  quelques  joiirs  à  Nîmes  où  je  venais 
d'ôlrc  appi.'lé  couimci  pasleur  suffraganl,  lorsqu'on  vint  me  prier  de 
visiter  un  vieillard  mourant  dans  la  maison  en  face  de  celle  que 
j'habitais.  J'y  courus  à  l'inslanl,  mais  déjà  il  était  trop  tard;  en  traver- 
sant la  rue  j'entendis  un  épouvanlable  tumulte.  Le  malade  venait 
d'expirer,  et  à  l'inslanl  même,  quatre  ou  cinq  femmes  se  mirent  à 
courir  par  la  chambre  en  poussant  les  cris  les  plus  aigus,  mêlés 
d'exclamations  de  — Ali!  mou  Dieu  :  — Ah  !  mon  pauvre  père  !  —  Ah! 
mon  pauvre  mari!  .l'étais  tout  stupéfait  de  cette  scène  nouvelle  pour 
moi,  que  j'ai  vue  depuis  se  répéter  bien  des  fois  dans  des  cas  de 
mort  naturelle,  lente  et  prévue.  J'eus  grand'peine  à  obtenir  un  peu 
de  silence  et  de  calme. 

13. 


150        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

Plusieurs  autres  personnes  crurent  entendre  Aw  voleur; 
évidemment  celles-là  entendirent  mal  et,  en  tout  cas,  ce 
n'est  pas  le  cri  d'un  fils  étranglé  par  ses  propres  parents. 

N'est-il  pas  tout  simple  que  des  paroles  que  l'on  crie 
du  fond  d'une  maison  fermée,  soient  entendues  de  la  rue, 
mais  d'une  manière  indistincte,  et  diversement  interpré- 
tées par  chacun  ? 

On  a  vu  Espaillac  se  donner  devant  les  frères-tail- 
leurs un  air  important,  en  déclarant  qu'il  avait  reconnu 
la  voix  de  Marc- Antoine  se  plaignant  qu'on  l'étranglait; 
les  trois  frères  insistent  sur  l'importance  de  ces  asser- 
tions qu'ils  croient  vraies,  les  répètent  devant  la  justice 
et  il  se  trouve  qu'elles  sont  fausses,  qu'Espaillac  ne  dit 
rien  de  pareil  et  aime  mieux  fuir  que  les  attester.  Il  ne 
faut  donc  pas  s'étonner  si  divers  témoins  ont  ouï-dire 
que  ces  cris  fabuleux  avaient  été  entendus.  Déjà  un  des 
trois  frères-tailleurs  au  lieu  de  \  Ah!  mon  Dieu!  on 
m'étrangle,  faisait  dire  au  mourant  :  Ah!  mon  père,  vous 
m'étranglez.  La  demoiselle  Pouchelon  qui,  disait-on, 
avait  entendu  crier  :  On  m'assassine,  l'a  nié  (1).  Tel  au- 
tre prétend  qu'il  criait  :  Pourquoi  m' étranglez- vous  ? 
ou  encore  :  «  A!i  I  mon  Dieu  !  mon  père,  vous  me 
faites  tuer  ;  vous  n'avez  pas  pitié  de  moi^  »  ou  encore  : 
((  Mon  père,  laissez-moi  faire  un  acte  de  contrition.  »  On 
voit  que  ces  prétendus  cris  d'un  homme  qu'on  étran- 
gle finissent  par  devenir  des  phrases  entières,  ou  pathéti- 
ques ou  édifiantes.  Toutes  ces  dernières  versions  sont 
des  ouï-dire  et  non  des  témoignages  auriculaires  ;  cha- 
cune de  ces  paroles  est  rapportée  sur  ouï-dire  et  toujours 
par  un  seul  témoin  ;  il  n'en  est  pas  une  que  deux  person- 

(1)  Sudir,   1. 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PAULEMENT.        151 

nés  déclarent  avoir  entendue,  excepté  le  cri  :  Ahl  mon 
Dieu!  évidemment  le  seul  réel,  mais  qui  ne  prouve  rien 
contre  les  Calas. 

Une  multitude  de  déclarations  insignifiantes,  et  dont 
ceux  même  qui  les  faisaient,  ignoraient  l'origine,  furent 
apportées  par  divers  témoins.  Nous  en  citerons  une  qui 
est  un  modèle  du  genre,  et  qui  est  plus  étrange  que 
d'autres,  uniquement  en  ce  qu'elle  a  été  déposée,  par  un 
homme  sérieux,  un  prêtre,  membre  de  la  savante  so- 
ciété de  l'Oratoire,  entre  les  mains  d'un  de  ses  propres 
collègues.  On  ne  s'étonnera  plus  en  lisant  les  vagues  dé- 
clarations de  personnages  si  graves,  des  inepties  que 
venaient  raconter  au  tribunal  les  commères  du  quartier. 

Quelqu'un  que  je  ne  puis  me  rappeler  m'a  assuré  tenir  du 
perruquier  (Durand),  qui  demeure  dans  la  grande  rue  près  de 
la  maison  du  sieur  Calas,  que  son  garçon  (Jean  Pérès)  étant 
sorti  sur  la  rue  avait  entendu,  ou  a  peu  près,  les  cris  et  les 
plaintes  rapportés  dans  leMonitoire,  et  je  crois  qu'il  avait  vu 
paraître  à  la  porte  dudit  sieur  Calas  un  jeune  homme  ayant 
l'épée  à  la  main  et  regardant  h  droite  et  à  gauche. 

Signé:  MiCAULT  DE  SouLEViLLE,  prêtre  de  l'Oratoire. 
Je  soussigné  déclare  avoir  reçu  la  susdite  déposition  a  Tou- 
louse ce  3  novembre  1761, 

Signé'.  Eyssauïieu,  prêtre  de  l'Oratoire. 

CoUationné,  BarRAU,  grcf» 

On  aura  remarqué  le  trait  nouvean  de  rêpée  à  la 
inain  quine  se  trouve  qu'ici.  Nousavions  entendu  les  voi- 
sins de  Galas  raconter  qu'ils  avaient  vu  sortir  de  la  maison 
im porte -épée,  c'est-à-dire,  dans  le  langage  populaire  de 
la  contrée,  un  gentilhomme  ayant  l'épée  au  côté;  et,  en 
effet,  Lavaysse,  comme  tous  les  hommes  d'une  société  un 
peu  relevée,  la  portait  constamment.  Mois  voici  que  de 


152        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

bouche  en  bouche  cette  épée  de  toilette  devient  une 
épée  nue  ;  et  elle  figure,  apparemment  comme  l'insigne 
de  sa  profession  de  bourreau,  dans  la  main  de  ce  jeune 
homme,  qui  cependant  n'avait  pu  s'en  servir  pour  étran- 
gler le  martyr. 

Voilk  la  déposition  du  Père  de  Souleville,  d'un  collè- 
gue des  Massillon  et  des  Malebranche. 

Cette  prétendue  preuve  des  cris  entendus  dans  la  rue 
des  Filatiers  ne  serait  pas  encore  réduite  à  toute  sa  nul- 
lité, si  nous  ne  disions  que  la  servante  d'un  voisin  qui 
habitait  de  l'autre  côté  de  la  rue,  affirmant  qu'elle  avait 
entendu  crier  :  On  m'assassine!  M*" Sudre répondit  qu'il 
était  impossible  k  cette  distance  d'entendre  des  paroles 
prononcées,  même  en  criant,  dans  l'intérieur  de  la 
maison  Galas  ,  fermée  comme  elle  l'était.  Il  supplia 
vainement  qu'on  en  fît  l'essai;  on  ne  daigna  tenir  aucun 
compte  de  sa  demande. 

Un  autre  fait  qu'on  allégua  contre  les  accusés,  c'est 
la  prétendue  impossibilité  qu'il  y  avait  à  ce  que  Marc- 
Antoine  se  fût  pendu  au  billot  posé  en  travers  de  la 
porte.  Il  fallut  bien  reconnaître  pourtant  que  ce  billot 
avait  été  l'instrument  de  sa  mort,  car  on  le  retrouva 
avec  la  corde  à  double  nœud  coulant,  et  même 
quelques  cheveux  du  mort  y  étaient  encore  attachés. 
On  prétendit  alors  que  ce  billot  avait  dû  servir  à  lui 
tordre  la  corde  autour  du  cou  pour  l'étrangler.  Dans  un 
des  brie  f s  intendit  s  du  Procureur  du  Roi,  on  prétendit 
établir  que  la  victime  avait  été  couchée  ou  assise  sur 
deux  chaises.  Encore  une  de  ces  suppositions  gratuites 
que  Lagane  donnait  hardiment  pour  des  réalités.  On 
prouva  le  contraire  par  la  marque  livide  que  la  corde 
avait  laissée  sur  le  cou.  Elle  eût  été  à  peu  près  horizon- 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        153 

taie,  s'il  y  avait  eu  étranglement,  comme  on  le  disait.  Au 
lieu  de  cela,  en  arrière  des  oreilles,  elle  remontait  et 
se  perdait  dans  les  cheveux,  comme  il  devait  arriver 
chez  un  homme  suspendu. 

On  soutint  que  la  porte  était  trop  basse.  Il  se  trouva, 
vérification  faite,  qu'elle  était  bien  plus  haute  qu'il 
n'était  nécessaire.  On  prétendit  alors  qu'elle  l'était  trop, 
et  que  Marc-Antoine  n'avait  pu  se  pendre  qu'en  mon- 
tant sur  une  chaise  ou  sur  un  escabeau  ;  et  l'on  opposa 
aux  accusés  qu'ils  n'avaient  point  dit  qu'il  y  eût  près 
de  \h  ni  escabeau  ni  chaise.  Galas  répondit  «  que 
dans  son  trouble,  il  s'occupa  peu  d'examiner  s'il  y  eu 
avait  près  de  la  porte  ;  que  d'ailleurs  il  y  en  avait  nom- 
bre, de  l'un  et  de  l'autre,  dans  la  boutique  et  dans  le 
magasin,  et  que  Marc- Antoine  avait  dû  le  repousser  du 
l)ied  s'il  s'en  était  servi.  » 

On  imagina  alors  de  dire  que  le  billot  étant  placé  sur 
les  deux  battants  ouverts  de  la  porte,  le  poids  d'un 
homme  les  aurait  ébranlés,  ils  se  seraient  rapprochés  et  la 
porte  se  serait  refermée,  de  sorte  que  le  billot  serait 
tombé  à  terre  ;  on  objecta  aussi  que  les  deux  battants 
étant  un  peu  inclinés,  le  billot  aurait  roulé.  On  l'y  replaça, 
il  ne  roula  nullement,  et  ne  le  pouvait,  parce  qu'il  était 
aplati  par  un  bout.  Bien  plus,  le  ik  octobre,  devant  les 
soldats  de  garde,  la  maison  étant  ouverte,  et  quelques 
curieuxy  allant  et  venant,  des  jeunes  gens  replacèrent  le 
billot  sur  les  battants  et  se  pendirent  k  la  corde  avec 
les  mains  ;  les  battants  restèrent  fermes,  et  treize  longs 
bouts  de  ficelle  jetés  sur  l'une  des  portes,  d'où  on  les 
prenait  quand  on  en  avait  besoin ,  ne  furent  pas  dé- 
rangés, tant  la  porte  demeurait  immobile.  Les  soldats 
racontèrent  que  déjà  ils  avaient  lait  la  même  expérience, 


15A        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

qui  d'ailleurs  se  présentait  d'elle-même  à  l'esprit  (1). 

11  paraît  que  ces  preuves  ébranlèrent  la  conviction 
de  David.  Il  mena  de  nuit  un  homme  que  sa  profession 
et  le  mépris  public  rendaient  indigne  de  confiance,  le 
bourreau,  dans  la  maison  de  Calas,  et  lui  demanda  s'il 
était  possible  de  se  pendre  ainsi.  Cet  odieux  expert  ré- 
pondit que  non,  soit  qu'il  voulût  complaire  à  ce  puis- 
sant personnage  qui  daignait  lui  parler  et  le  consulter 
comme  une  autorité,  soit  qu'il  ne  comprît  rien  h  une 
pendaison  qui  n'était  nullement  conforme  aux  règles  de 
son  métier.  Malgré  cette  sentence,  David  n'osa  se  pré- 
valoir ouvertement  d'un  pareil  témoignage,  et  les  avo- 
cats des  Calas  lui  reprochèrent  d'y  avoir  recouru. 

Il  reste  incontestable  que  Marc- Antoine  a  pu  monter 
sur  un  escabeau  entre  les  deux  battants  ouverts  de  la 
porte,  se  passer  autour  du  cou  en  la  croisant,  la  corde, 
longue  de  2  pans  (16  pouces),  faire  entrer  le  billot  dans 
les  deux  nœuds  coulants  qui  la  terminaient,  poser  les 
deux  bouts  de  ce  billot  à  droite  et  à  gauche  sur  les  deux 
battants,  puis  écarter  du  pied  l'escabeau.  Sans  doute  il  a 
fallu  pour  cela  une  résolution  froide  et  très-arrêtée;  mais 
combien  de  suicides  en  offrent  des  exemples  beaucoup 
plus  singuliers  !  Son  habit,  plié  avec  soin  sur  le  conq)- 
toir,  l'ordre  parfait  de  ses  vêtements  et  de  sa  chevelure 
mettent  d'ailleurs  hors  de  contestation  ce  calme  af- 
freux du  parti  pris. 

On  répond  que  cette  corde  qui,  en  effet,  correspondait 
parfaitement  h  la  raie  livide  du  cou,  ce  billot  où  adhé- 
raient quelques  cheveux,  ont  pu  être  employés  par  ses 

(1)  Tous  ces  détails  sont  ircs-bicn  raconlés  el  discutes  par 
Sudre  (i,p.  45). 


LES  GALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        155 

parents  i\  le  tuer.  Mais  pourquoi  auraient-ils  prisée 
moyen  étrange,  compUciué,  inexplicable,  si  ce  sont  cinq 
assassins  qui  tuent  un  seul  homme  (1)  ?  Ce  moyen  est 
étrange  môme  pour  un  suicide ,  mais  s'explique,  dans 
cette  seul-,  hypothèse,  par  la  diflficulté  de  se  pendre 
soi-même,  en  un  lieu  où  rien  ne  favorisait  ce  dessein, 
et  par  la  complication  des  moyens  qu'emploient  souvent 
ceux  qui  se  tuent,  pour  être  surs  de  ne  pas  se  man- 
quer et  de  ne  pas  souilrir  longtemps.  Et  l'on  ne  peut  ré- 
pondre que  tout  cela  a  été  disposé  pour  faire  croire  h 
un  suicide  :  en  ce  cas  on  eut  trouvé  l'escabeau  renversé 
aux  pieds  du  cadavre  et  les  coupables  n'auraient  pas 


(i)  Le  célèbre  chirurgien  Louis  lui  devant  l'Académie  de  chirur- 
gie, à  l'occasion  même  de  celle  affaire,  un  Mémoire  qui  a  élé  publié 
(Bibliographie,  n°  3  0).  U  montre  que  quand  un  homme  a  élé  pendu, 
son  cou  porle  une  marque  oblique  moulant  vers  le  haut,  et  sans 
meurtrissure.  —  C'est  ce  que  le  rapport  officiel  a  couslaié  sur  le 
cadavre  de  Calas  aîné,  belon  le  mémo  savant,  si  un  homme  est 
étranglé,  on  trouve  à  son  cou  une  marque  circulaire  et  horizontale 
elle  plus  souvent  avec  ecchymose,  résultant  de  la  torsion.  U 
ajoute  : 

.<  n  serait  bien  difficile  qu'un  homme  eu  lit  mourir  un  autre  en  le  pen- 
dant ;  cela  demande  trop  d'appareil  :  il  est  plus  commun  de  commencer  pux 
l-étranglement;  on  suspend  le  corps  après  pour  tacher  ^^«/f  ^  ^  "  f  ^-«7/^^: 
trele  eearede  crime;  c'est  une  action  redeclue  qui  suit  le  mousemeat 
violè'u'quUvait  portéa  l'assassinat.  Mais  il  est  rare  quelecrune  ne  laisse 
des  traces  qui  le  décèlent.  " 

Un  autre  médecin  distingué  de  l'époque  avait  étudié  l'affaire  Ca- 
las cl  partageait  la  même  opinion. 

«  Jean  Lafosse,  né  a  Montpellier  le  13  novembre  1742,  s'adonna  a  l'é- 
tude de  la  mé  locine,  et  sans  avoir  j.uuais  été  professeur  en  t,  re,  fit  cepen- 
dant  des  cours  publics  qui  furent  tres-suivis.  Il  a  laisse  un  travail  sur  e 
de  sèchement  de  quelques  parties  des  côtes  du  Languedoc,  ^^^^^^^^^^ 
ouvragcil  avait  également  entrepris  d'établir  les  inconséquences  que  1  ana- 


tomie 


rase, Il  avait egaieiueiiL  w;ui-ict/iio  vi  V..-".""'  •-- >.--  - 

de  lui  fit  apercevoir  dans  le  rapport  destiné  a  constater  1  état  du  cada- 
dc  Calas  fils,  dont  il  considérait  le  suicide  comme  constant.  11  lia  a 
cette  occasion  une  correspondance  suivie  avec  Voltaire.  Une  mort  préma- 
turée l'enleva  le  il  juin  1775  a  l'âge  de  33  ans.   » 

(VoirlaStaiwt.-^ue  du  déparlemmt  de  l'Hérault,  par  Hippolyte  Creuzé  de 
Lesser,  18'24,  page  264.} 


156        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

manqué  de  le  faire  remarquer.  Pas  un  n'y  songea,  et 
quand  l'idée  en  vint  aux  magistrats,  tant  de  gens  étaient 
allés  dans  la  boutique  et  dans  le  magasin,  et  avec  tant 
de  trouble,  qu'il  fut  impossible  de  dire  si  un  meuble 
aussi  insignifiant  s'était  trouvé  là,  renversé  ou  écarté  par 
le  pied  du  suicidé. 

Si  les  Calas  ont  tué  Marc- Antoine,  il  faudra  croire  qu'il 
y  a  consenti,  non-seulement  parce  qu'on  n'a  entendu  au- 
cun cri  jusqu'au  moment  où  on  le  trouva  déjà  refroidi , 
mais  aussi  parce  que  ni  ses  habits,  ni  ses  cheveux,  ni  son 
corps,  ni  les  leurs,  ne  laissaient  apercevoir  aucun  désor- 
dre, rien  qui  indiquât  lamoindre  lutte,  le  moindre  effort. 
Ce  dernier  fait  est  très-digne  de  remarque.  Pour  peu 
qu'un  homme  se  débatte  contre  ses  meurtriers,  il  reçoit 
ou  se  fait  à  lui-même  des  contusions,  des  ecchymoses.  On 
ne  constata  rien  de  pareil.  Quand  le  corps  eut  été  déposé 
à  l'Hôtel-de- Ville,  il  se  trouva  une  légère  égratignure 
au  nez,  par  suite  de  quelque  inadvertance  dans  le  trans- 
port ;  mais  un  grand  nombre  de  témoins  pouvaient 
attester  qu'elle  était  survenue  depuis  la  découverte  du 
cadavre. 

Dès  qu'apparurent  les  premiers  indices  de  corrup- 
tion, très-prompts  sous  ce  climat,  on  voulut  en  faire 
des  preuves  contre  les  accusés.  Ici  nous  laisserons  parler 
le  chirurgien  Lamarque,  celui  même  qui  concluait  de 
l'autopsie  que  Marc-Antoine  n'avait  pas  soupe;  on 
retrouvera  dans  le  fait  qu'il  raconte  toute  l'obstination 
des  Capitouls. 

I.e  nii^mo  jour  je  fus  appelé  vers  les  onze  heures  à  la  maison 
(le  Ville,  où  MM.  Faget,  chef  du  Consistoire,  et  David,  Capi- 
loul,  nie  dirent  en  i)ropros  tornios  :  Comment  !  Monsieur,  vous 
ne  vous  Mes  pas    aperçu   que  le   cadavre  avait  des  ineur-» 


LES  CALAS  DEVANT   LE   PARLEMENT.  157 

irîssiires  sur  le  corps?  On  nous  a  dit  qu'il  en  était  tout  plein 
et  cependant  vous  n'en  faites  pas  mention  dans  votre  Relation. 
—  Je  répondis  que  nous  n'en  avions  point  trouvé.  Je  me  trans- 
portai de  suite  à  la  chambre  de  torture  où  on  avait  transporté 
Calas;  je  l'examine,  je  reviens  au  Consistoire  et  je  rapporte  à 
ces  MM.  que  ce  qu'on  voyait  actuellement  sur  le  corps  de  Calas 
n'étaient  pas  des  meurtrissures,  qu'à  la  vérité  le  cadavre  avait 
actuellement  en  partie  les  épaules,  les  jambes,  etc.,  de  couleur 
violette,  mais  que  cela  ne  venait  que  de  la  situation  du  ca- 
davre (1). 

Après  cette  première  tentative,  si  complètement  avor- 
tée, il  y  en  eut  d'autres.  Les  témoins  Pages  et  Lambrigot, 
ce  dernier,  soldat  de  garde  (2),  (réternelle  ressource  de 
l'accusation) ,  vinrent  encore  affirmer  qu'ils  avaient  vu 
sur  le  cadavre  une  tache  noire.  Il  est  vrai  qu'interrogés  à 
part,  le  soldat  dit  qu'elle  était  grande  comme  une  pièce 
de2/j  sous  ;  Pages,  comme  la  main.  On  fit  venir  cette  fois 
un  autre  chirurgien  nommé  Faure  (chirurgien  facul- 
tiste),  qui  expliqua  la  marque  noire  ((  par  l'application 
du  cadavre  sur  une  planche  raboteuse  en  cet  endroit.  » 
Ce  témoignage  réduisit  à  rien  les  deux  autres. 

Ces  exemples  montrent  ce  que  valent  quelques-unes 
des  dépositions  entendues.  Il  est  facile  de  comprendre 
que,  toute  une  ville  s'entretenant  de  cette  affaire  avec 
passion  depuis  le  13  octobre  jusqu'au  milieu  de  mars, 
une  foule  de  commérages  tout  k  fait  vagues  finirent  par 
devenir  des  récits  très-circonstanciés  qui  gagnaient  de 
bouche  en  bouche  ce  qui  leur  avait  manqué  d'abord. 

Il  était  rarement  possible  de  remonter  à  la  source  de 


fi)  Lellre  de  Lamarftne,  Bibliographie^  n"  29. 
(2)  Arcl).  fmp. 


158        LES  CALAS  DKVANT  LE  PARLEMENT. 

ces  bruits;  il  se  trouvait  presque  toujours,  soit  en  der- 
nière analyse,  soit  à  un  point  quelconque  de  la  chaîne, 
une  ou  deux  apparitions  de  ce  pronom  impersonnel  on, 
aussi  commode  h  citer  qu'impossible  à  convaincre  de 
mensonge. Quelquefois  cependant,  l'instruction  remonte 
jusqu'à  l'origine  de  la  rumeur,  et  découvre  qu'elle  n'est 
rien.  Ainsi,  Catherine  Amblard,  femuie  Audouy,  déclare 
«  ne  rien  savoii'  et  n'avoir  pas  dit  ce  qu'on  lui  a  fait 
dire  (1).  »  Ainsi  réclamèrent  la  demoiselle  Pouchelon 
et  sa  servante,  qui  demeuraient  vis-à-vis  des  Calas  (2). 
Ainsi,  à  en  croire  un  témoin,  le  nommé  Bruyère  a  ra- 
conté que  le  12  octobre,  Marc-Antoine  vint  lui  dire  : 
((  Tu  n'auras  plus  de  peine  à  me  fréquenter,  parce  que  je 
me  fais  catholique  ;  je  dois  faire  demain  ma  première 
communion.  »  On  appelle  Bruyère  en  témoignage.  Il 
dit  seulement  que  quelques  personnes  lui  avaient  dit 
qu'il  courait  un  bruit  sourd  que  M  arc- Antoine  Calas 
devait  changer  de  religion.  Ces  paroles  de  Marc-An- 
toine étaient   donc  controuvées. 

Ainsi  encore  trois  femmes  de  procureurs  (3)  racon- 
tent, en  grand  détail,  une  conversation  où  un  M.  G. -A. 
Roux,  droguiste,  assis  avec  elles  dans  le  courroir 
de  la  maison  d'une  d'entre  elles,  leur  avait  appris 
que  Marc-Antoine  était  catholique,  qu'il  devait  abjurer 
dans  deux  ou  trois  jours,  qu'il  allait  tous  les  matins  à  la 
messe  dans  des  églises  éloignées  de  la  demeure  de  ses 
parenis,  et  que  lui,  Roux,  était  allé  avec  Marc-Antoine 
entendre  une  messe  le  matin  môme  de  sa  mort.  Que,  du 

(1)  Arch.   Imp. 

(2)  SudrCj  2. 

(3)  LcsdcnioiscUfs  Mcrcailier,  de  l'i-uol  cl  de  GoUis.  (Arcli.  Iinp.) 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        150 

l'esté,  il  le  connaissait  si  soumis  k  son  père  et  k  sa  mère, 
que  si  l'un  ou  l'autre  avait  voulu  lui  couper  la  tête,  il 
l'aurait  présentée  sans  résistance.  Ces  trois  dépositions 
Cfui  s'accordent,  paraissent  accablantes.  Heureusement 
on  fit  venir  le  sieur  Roux,  qui  nia  le  tout  et  déclara  n'a- 
voir eu  aucun  rapport  avec  Marc-Antoine  Calas  depuis 
environ  trois  ans.  «  Que  s'il  a  parlé  sur  la  mort  et  sur 
plusieurs  circonstances  qui  pouvaient  regarder  M. -A. 
Calas,  il  n'en  parlait  que  sur  le  bruit  public,  et  sans 
savoir  d'où  il  le  tenait.  » 

Ainsi  encore,  deux  autres  femmes  (soixante-sixième  et 
soixante-septième  témoin)  déposent  qu'un  étranger  se 
faisant  raser  un  jour  chez  le  sieur  Saint-Martin,  chi- 
rurgien, raconta  en  ces  termes  l'exécution  de  Calas  aîné: 
(c  II  y  avait  là  un  clou  ;  on  y  attacha  une  corde  pour 
lui  faire  peur  ;  on  lui  dit  par  deux  fois  :  Veux-tu  te  7^en- 
dre?  et  ledit  Calas  décédé  ayant  dit  non,  on  l'exé- 
cula.  »  Voilà  un  martyre  bien  caractérisé,  avec  toutes 
ses  circonstances.  On  mande  cet  étranger  (Simon  Sa- 
ladin,  soixante-huitième  témoin).  Il  dépose  : 

Qu'à  l'égard  do  ce  qu'il  a  dit  chez  le  sieur  S'-Martin,  chirur- 
j;ien,  en  se  faisant  raser,  ce  n'était  qu'un  raisonnement  qu'il 
lit  en  l'air,  de  son  propre  mouvement.  {Arch,  Imp.) 

Nous  ne  poursuivrons  pas  phis  longtemps  ce  catalogue 
d'assertions  en  l'air,  démenties  par  ceux  même  qui  les 
ontprononcées.  Il  noussulTira  de  renvoyer  à  Elle  de  Beau- 
mont  qui  a  dressé  (1)  une  liste  de  quinze  témoins  dé- 
mentis par  d'autres.  Souvent,  comme  dans  ce  dernier  cas, 


(i)  E.  (le  B,  3.  Tous  les  exemples  que  nous  venons  de  eiter  ont 
été  relevés  ;>ar  nous-môrae  sur  les  manuscrils  aux  Archives  impé- 
riales. 


160        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

il  y  a  eu  bavardage  plutôt  que  mauvais  vouloir,  mais  il 
n'en  est  pas  toujours  ainsi.  Un  témoin  commence  par 
déclarer  qu'il  ne  peut  pas  souffrir  les  protestants  (1). 
LanomméeGastonne  raconte  dans  sa  déposition  (2)  un 
dialogue  de  voisines  au  moment  où  le  bruit  d'un  crime 
attirait  tout  le  quartier  dans  la  rue.  «  On  a  battu  Galas, 
dit  l'une.  —  Il  n'en  est  pas  mort,  répond  une  autre.  — 
Tant  pis  !  dit  une  troisième,  » 

Cette  haine  contre  des  protestantsinoffensifs  se  traduisit 
par  une  multitude  de  calomnies  plus  affreuses  les  unes  que 
les  autres,  mais  toutes  sans  aucune  solidité.  On  savait 
que  Louis  Galas  s'était  tenu  caché  après  son  abjuration. 
On  prétendit  (entre  autres  la  femme  du  perruquier  Du- 
rand) qu'il  craignait  d'être  tué  par  ses  parents.  M'"'  Galas, 
confrontée  avec  cette  femme,  déclara  faux  tout  ce  qu'elle 
avait  dit  et  ajouta  : 

'<  Que  Louis  Calas  son  tils  ne  se  tenoit  caché  que  pour  ne 
pas  faire  la  volonté  de  son  père  et  de  sa  mère,  quoique  cela 
lui  fût  ordonné  par  M.  le  Procureur  général.  » 

Il  s'agissait  de  son  refus  d'aller  vivre  à  Nîmes. 
On  affirma  que  ses  parents  l'avaient  séquestré  dans  la 
cave,  l'y  laissaient  nu-pieds  et  privé  de  tout  ;  qu'il  y  se- 
rait mort  de  faim  si  Viguière  ne  lui  eût  apporté  à  manger. 
Confrontée  avec  l'auteiu'  de  cette  calomnie.  Jeannette 
répliqua  : 

"  Qu'il  n'y  a  rien  de  si  faux  que  les  faits  rapportés  par  le 
tc'moin,  que  ledit  Louis  n'a  jamais  été  mis  dans  la  cave,  ni 
DKînacé,  l'accusée  étant  la  seule  dans  la  maison  instruite  de  la 
conversion  dudit  Louis  Calas.  » 

(1)  Arch.  Imp. 

(2)  Devant  Eyssanlicr,  Porc  de  l'Oraloire. 


LES    CALAS   DEVAiNT    LE    PARLEMENT.  161 

Enfin,  on  prétendit  que  Galas  père  avait  tiré  un  coup 
de  pistolet  en  plein  visage  à  son  fils,  ce  que  l'on  prouvait 
par  les  nombreuses  marques  d'un  coup  de  feu  dont  le 
jeune  homme  avait  la  figure  sillonnée.  Il  fallut  produire 
le  certificat  du  chirurgien  Camoire,  qui  l'avait  long- 
temps soigné  pour  cet  accident;  et  qui  certifia  qu'un 
pétard  avec  lequel  il  jouait,  lui  avait  éclaté  dans  les 
mains  (1). 

Un  autre  témoin  prétendit  que,  lors  de  la  conversion 
de  Louis,  M"'"  Calas  s'était  écriée  que  si  elle  l'avait 
prévue,  elle  aurait  étranglé  son  fils  pendant  la  longue 
maladie  qui  fut  la  suite  de  son  accident,  et  où  elle  le  soi- 
gna nuit  et  jour  avec  toute  la  tendresse  d'une  mère. 

Un  clerc  tonsuré.  M''  Jean  Pierre  Debru,  vint  raconter 
à  la  justice  un  ridicule  et  affreux  roman  qu'il  tenait, 
disait-il,  de  son  frère  l'avocat,  qui  ne  se  rappelait  pas  de 
qui  il  le  tenait  lui-même.  Une  mère  protestante  qui  habi- 
tait hors  de  Toulouse,  s'aperçoit  que  sa  fille  veut  se  faire 
catholique.  Elle  l'envoie  aussitôt  à  Toulouse  avec  une 
lettre  pour  M.  Galas,  qu'elle  prie  de  lui  rendre  le  service 
de  tuer  sa  fille.  Gelle-ci,  ne  trouvant  que  Marc-Antoine 
dans  la  boutique,  lui  remit  la  lettre;  il  la  lut, avertit  l'in- 
nocente victime  et  la  mit  en  sûreté,  la  louant  fort  de 
vouloir  se  convertir.  —  Il  est  très-regrettable  que  le 
frère  de  l'abbé  n'ait  pu  se  souvenir  de  qui  il  avait  appris 
cette  infâme  calomnie. 

N'était-ce  point  par  hasard  de  celui  même  qui  inventa 
l'histoire,  non  moins  abominable,  de  Jeanneton  Petit? 
Gette  pauvre  fille  était  au  service  de  M'""  Lavaysse;  la  té- 
moin veut  dire  M"""  Calas  ;  mais,  auprès  du  reste,  cette 

(0  Ce  certificat  est  au  piocès. 

l/l. 


162         LES  CALAS  DEVAMT  LE  PAULEMENT. 

légère  inexactitude  ne  mérite  pas  d'être  relevée.  Jean- 
neton  Petit  voulut  se  faire  catholique.  Sa  maîtresse  lui 
donna  sur  les  doigts  un  si  furieux  coup  de  tranchelard 
que...  les  doigts  tombèrent?  non;  le  coutelas  resta  dans 
la  plaie. 

Nous  demanderions  pardon  au  lecteur  de  faire  passer 
sous  ses  yeux  d'aussi  indignes  sottises,  si  nous  n'étions 
obligé  de  montrer  le  procès  tel  qu'il  est,  et  s'il  n'était 
indispensable  de  faire  bien  apprécier  les  nombreuses  dé- 
positions qui  firent  condamner  Jean  Galas. 

Voici  d'ailleurs  une  série  de  quatre  faux  témoins  parfai- 
tement reconnaissables,  et  qu'il  importe  de  démasquer. 

Le  premier  est  Jean  Pérès,  garçon  perruquier  (chez 
les  Durand).  Selon  sa  déposition,  au  moment  où  les  cris 
poussés  dans  la  maison  avaient  effrayé  le  quartier,  il  vit 
par  les  fentes  de  la  boutique  Jean  Galas  a  se  promener 
une  lumière  à  la  main,  sans  aucun  signe  d'allliction  ni 
de  tristesse.  »  Ge  n'était  donc  pas  lui  dont  les  cris 
avaient  été  entendus;  il  avait  tout  le  calme  d'un  scé- 
lérat endurci,  et  cela  au  moment  où  il  venait  d' étran- 
gler son  propre  fils.  On  confronta  l'accusé  avec  le  té- 
moin. Galas  et  lui  commencèrent  par  de  mutuels  démen- 
tis, et  il  ne  semblait  pas  qu'entre  leurs  deux  assertions 
aucune  preuve  pût  se  produire,  quand  l'accusé  s'avisa  de 
demander  comment  Pérès  l'avait  vu  habillé.  Le  faux  té- 
moin hésita  et  répondit  :  ((  A  peu  près  comme  vous  voilà.  » 
Oi-,  en  ce  moment,  il  était  en  habit,  tandis  que  David 
lui-môme  et  ceux  qui  l'arrêtèrent,  l'avaient  trouvé  eji 
robe  de  chambre  verte  et  en  bonnet  de  nuit. 

"  Kt  le  témoin  a  dit  qu'attendu  qu'il  ne  pouvait  voir  que  d'un 
seul  d'il  à  travers  les  feules,  il  u'exauiinn  pas  la  laeon  donl  il 
elail  liabillé. 


LKS   CALAS    DEVAKÏ    Li:    l'AKLEMENT.  163 

"  Et  l'aLciizé  a  dit  que  la  dilférence  d'un  hal)it  a  une  robe  de 
chauîhre  est  sensible.  .)- 

La  défense  demanda  à  prouver  que  les  fentes  h  tra- 
vers lesquelles  Pérès  avait  regardé  n'existaient  pas.  On  ne 
fit  aucun  examen  de  ce  point  de  fait. 

Autre  calonmie  :  Toinette  Lezat,  veuve  d'un  cuisinier 
et  blanchisseuse,  avait  été,  pendant  un  mois  et  demi,  la 
nourrice  de  Marc- Antoine  Galas, et  depuis  était  restée  sans 
aucune  relation  avec  la  famille  qui  lui  avait  retiré  cet  en- 
fant. Elle  inventa  fort  maladroitement  tout  un  dialogue 
entre  elle  et  son  ancien  nourrisson,  dialogue  très-grave, 
s'il  avait  été  réel,  parce  qu'il  aurait  parfaitement  prouvé 
que  Marc-Antoine  allait  se  faire  catholique.  M""^  Galas 
reprocha  ce  témoin  dès  qu'elle  le  vit,  disant  que  lors- 
qu'elle lui  avait  retiré  son  fds,  Toinette  leur  souhaita 
à  elle  et  à  son  eiifant  toute  sorte  de  malédictions.  Le  dia- 
logue était  un  conte  fait  à  plaisir,  et  la  témoin  s'animant 
par  degrés  se  discrédita  tout  à  fait,  dès  son  premier  in- 
terrogatoire, par  la  stupide  impudence  avec  laquelle  elle 
affirma  avoir  déj(^  été  interrogée  et  avoir  certifié  les 
mêmes  faits  devant  un  autre  Gapitoul,  au  petit  consis- 
toire. Le  fait  était  faux.  Elle  n'avait  pas  compris  que  cet 
embellissement  de  l'édifice  le  faisait  crouler  tout  entier. 

Gatherine  Daumière  ou  plutôt  Dolmier,  couturière, 
née  à  Béziers,  logée  au  faubourg  de  Saint-Etienne, 
chez  la  Delaliasse.  et  se  disant  nouvelle  convertie^  rap- 
porta une  longue  conversation  qu'elle  aurait  eue  avec 
Marc-Anloine.  Il  l'aborda,  dit-elle,  en  lui  disant  qu'il  sa- 
vait qu'on  lui  avait  oU'ert  une  boutique  à  Montauban, 
mais  qu'il  l'avertissait  que  c'était  un  piège  pour  la  faire 
lelomber  dans  le  protestantisme.  11  lui  promit  de  lui 
prêter  le  Chrétien  en  Solitude  et  un  livi c  liiè  de  saint 


16Zl        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

François  de  Sales,  par  la  dame  de  Chantai.  Il  lui  dit 
qu'il  était  entre  lesraainsd'un  bon  confesseur,  qu'il  de- 
vait se  confesser  le  mardi  suivant  ;  mais  que  si  on  le 
savait  chez  lui,  il  serait...  (perdu). 

Pas  un  de  ces  détails  si  précis  et  si  complets  ne  se 
trouva  vrai  ;  la  prétendue  nouvelle-convertie  était  ca- 
tholique de  naissance  et  de  profession,  comme  on  le 
prouva  par  des  actes  authentiques  et  par  des  informa- 
tions prises  dans  sa  famille  (1).  Inutile  d'ajouter  que  ja- 
mais Marc- Antoine  n'avait  possédé  les  livres  qu'il  aurait 
olfert  de  lui  prêter. 

Il  nous  reste  k  citer  la  Domenge-Lavigne,  ou  plutôt 
sa  mère,  Cécile  GafTié.  La  Domenge  était  une  misérable 
créature  qui  venait  de  subir  la  peine  du  fouet  et  qui 
était  encore  détenue  dans  les  prisons  de  l'Hôtel-de- Ville. 
On  fit  coucher  la  servante  des  Calas  dans  le  même  ca- 
chot que  cette  malheureuse.  Elleprétendit,  le  lendemain, 
que  Jeanne  lui  avait  avoué,  dans  la  nuit,  l'assassinat 
de  son  jeune  maître  par  le  père  et  par  Lavaysse,  et 
elle  en  faisait  le  récit  à  sa  façon.  On  ne  pouvait,  d'après 
la  loi,  faire  comparaître  comme  témoin  la  Domenge.  Sa 
mère,  k  qui  elle  avait  débité  ce  mensonge,  se  chargea  de 
son  rôle.  On  n'eut  pas  honte  de  consentir  k  l'entendre. 
Voici  comment  Jeanne  Viguier  repoussa  un  si  odieux 
mensonge,  dans  sa  confrontation  avec  Cécile  Gaffié  : 

"  L'accusée  a  dit,  que  ce  que  la  témoin  a  rapporté  dans  sa 
déposition  lui  avoir  été  dit  par  sa  tille  est  très  faux,  et  que 
personne  ne  peut  lui  prouver  que  cela  soit  vrai,  et  voudrait 


(1)  Voir  aux  archives  Imp.,  le  cerlifical  délivré  par  le  curé  d« 
Sainle-Madcleinp  de  Béziers.  Il  n'y  avait  à  celte  époque  aucun  pro- 
toslani  à  BézierB. 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        165 

être  confrontée  avec  la  tille  de  la  témoin,  qui  ne  le  lui  sou- 
tiendrait pas.  w 

Nous  finirons  cette  longue  énumération  de  calomnies 
par  un  point  moins  grave ,  mais  qui  peut  n'être  pas 
absolument  imaginaire,  sans  que  les  prévenus  aient  pour 
cela  aucim  blâme  k  encourir.  Il  s'agit  de  menaces  vio- 
lentes de  Calas  à  l'égard  de  Marc-Antoine.  Il  est  fort 
possible  que  son  père  lui  ait  vivement  reproché  sa  pas- 
sion désordonnée  pour  le  jeu  de  paume,  le  billard  et  l'es- 
crime. Il  se  peut  que,  prononcés  dans  une  boutique  ou- 
verte, quelques  mots  sévères  aient  été  entendus  de  la  rue 
et  qu'ils  aient  donné  lieu  aux  exagérations  mensongères 
que  nous  allons  rapporter.  Nous  devons  le  dire  cepen- 
dant, Calas  a  déclaré  que  pour  ne  pas  nuire  k  Marc-An- 
toine, il  cachait  la  passion  de  son  fils  pour  le  bil- 
lard (1),  et  les  scènes  presque  publiques  qu'on  a  rap- 
portées sont  certainement  controuvées.  Voici  d'abord 
une  déposition  parfaitement  ridicule  par  ses  incertitudes 
et  les  on-dit  sur  lesquels  elle  est  fondée.  Voltaire  s'en 
est  plus  d'ime  fois  moqué. 

Mathey,  peintre,  dépose  : 

«  Avoir  ouï  dire  a  sa  femme  qu'elle  tenoit  de  la  nommée 
Mandril,  que  ladite  Mandril  étant  allée  le  jour  de  la  mort  de 
M. -A.  Calas  dans  la  boutique  du  S'  Calas  père,  pour  acheter 
de  la  mousseline,  ledit  Calas  père  ou  la  D"'  Calas  mère  (le  dé- 
posant ne  se  rappelant  pas  lequel  des  deux  c'étoit)  étoient  en 
dispute  avec  ledit  M. -A.  Calas  leur  fds,  et  le  père  ou  la  mère 
dudit  Marc-Antoine  dirent  à  son  (ils  :  ïu  n'auras  pas  d'autre 
bourreau  que  moy.  » 

(1)  Confr,  de  J.  Calas. 


1G3        LES  CALAS  DEVA.NT  LE  P.UILEMEN  r. 

Galas  répond  : 

«  Qu'il  n'y  a  rien  de  plus  faux  que  cette  déposition  et  qu'il  y 
a  plus  de  10  ans  qu'il  n'aurait  pas  donné  une  chiquenaude  a 
Marc-Antoine  ni  a  aucun  autre  do  ses  enfants  de  cet  àge-la  ; 
que  les  plus  fortes  menaces  qu'il  leur  ait  faites  sont  (h  Ikij 
passer  lap'jrlc  (1)  s'ils  n'étoient  pas  plus  assidus  a  ses  affaires.  » 

Deux  revondeuses  de  liardes,  auxquelles  Galas  déclare 
avoir  refusé  des  étoffes  à  crédit,  la  nommée  Danduzeet 
Marion  Gouderc  son  associée,  prétendent  que  h  der- 
nière a  vu  Galas  tenant  son  fds  par  le  collet  de  l'habit 
ot  lui  disant  :  Coquin,  il  ne  fen  coûtera  que  la  vie. 

Enfin,  un  sieur  Borgeret,  en  passant  devant  la  bou- 
tique, au  milieu  de  la  semaine  qui  précéda  la  mort  de 
Marc-Antoine,  y  aperçut  l'homme  habillé  de  gris,  portant 
un  chapeau  bordé,  et  entendit  Galas  père  lui  dire  :  S'il 
change  ou  s'il  ne  change,  je  lui  servirai  de  bourreau. 
Voilà  encore  une  déposition  qui  nous  paraît  fausse,  qui 
est  tout  au  moins  très-suspecte.  On  y  retrouve  la  des- 
cription du  costume  de  Gaubert  Lavaysse.  Le  fait  est  faux 
quant  à  Lavaysse,  puisqu'il  n'arriva  que  le  12  k  Toulouse; 
s'il  s'agit  de  tout  autre,  ce  détail  n'a  plus  de  valeur. 
11  en  est  de  même  de  la  menace  qui  peut  signifier  éga- 
lement :  s'il  change  de  religion  ou  s'il  ne  change  de 
conduite  ;  mais  ce  propos  dans  aucun  cas  ne  nous  pa- 
raît vraisemblable. 

A  tous  ces  témoignages  qui  représentent  Galas  comme 
malliailant  son  fds  aîné,  il  faut  opposer  celui  de  son 
plus  proche  voisin  et  de  son  ennemi,  le  perruquier  Du- 
rand,  qui  du  reste  se  montra  dans  ses  déclarations 

(i)  Locution  vulgaiic  du  pays. 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        167 

beaucoup  plus  juste  et  plus  impartial  que  sa    femme 
et   son  fils  l'abbé  : 

"  Il  dépose  qu'il  est  le  plus  proche  voisin  de  la  maison  du 
S' Calas,  qui  n'est  séparée  que  par  le  mur  mitoyen,  et  qu'il 
n'a  jamais  entendu  les  père  et  mère  de  Calas  lîls  ayné  le  mal- 
traiter.  » 

Nous  avons  achevé  maintenant  la  discussion  des  té- 
moignages, à  l'exception  de  ceux  qui  concernent  une 
seule  question,  mais  décisive  :  Marc- Antoine  avait-il 
abjuré  le  protestantisme  ?  Si  le  contraire  est  démontré, 
il  n'y  a  plus  de  martyre,  plus  de  parricide,  plus  de  pro- 
cès. Viguière  (1),  qui  devait  le  savoir  mietix  que  per- 
sonne et  avant  tout  autre,  nie  énergiquement  tout  pen- 
chant de  Marc-Antoine  pour  le  catholicisme. 

11  faut  remarquer  que  c'est  là  un  fait  qui  ne  serait  pas 
difficile  à  constater.  On  cite  quelques  cas  de  convertis  au 
catholicisme  qui  ont  feint  longtemps  d'être  protestants 
et  qui  même  en  auraient  obtenu  la  permission  de  l'auto- 
rité ecclésiastique,  chose  honteuse  pour  elle,  encore 
plus  que  pour  eux.  11  n'est  pas  nécessaire  de  faire  re- 
marquer que  pas  un  seul  n'a  été  étranglé  et  n'a  risqué 
de  l'être.  Ce  qui  les  a  trahis,  c'est  qu'on  a  retrouvé  soit 
chez  eux,  soit  plutôt  sur  leurs  personnes,  quelque  objet 
de  dévotion,  livres  d'Heures,  de  messe  ou  autres  images, 
croix,  crucifix,  reliques,  médailles,  chapelets.  Chez 
Marc-Antoine,  rien  de  pareil.  Le  premier  procès-verbal 
de  descente  (c'est-à-dire  d'état  des  lieux)  étant  trop 
manifestement  incomplet,  on  fit  une  seconde  descente; 
on  visita  l'armoire  de  Marc-Antoine,  et  tout  ce  qu'on 

(0  Inlorr.  ot  Confr. 


468        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

y  trouva  fut  porté  au  nouveau  domicile  des  demoiselles 
Calas.  On  n'y  trouva  rien,  absolument  rien,  qui  indiquât 
la  moindre  pensée  de  catholicisme.  Et  sur  le  corps  même, 
au  lieu  de  croix  ou  de  chapelets  on  ne  découvrit  que 
les  vers  et  chansons  obscènes  que  David  se  hâta  de  dé- 
truire comme  peu  convenables  à  la  poche  d'un  martyr. 
Ne  les  conçoit-on  pas  mieux  chez  un  jeune  homme 
joueur  et  désordonné,  qui  finit  par  se  tuer,  que  chez  un 
nouveau  converti  qui  meurt  martyr,  la  veille  de  sa 
première  communion  ? 

Mais  une  abjuration,  une  première  communion,  une 
confession  même,  sont  choses  qu'on  ne  peut  faire  seul. 
Il  y  faut  au  moins  l'assistance  d'un  prêtre,  et  voilà  un 
second  fait,  qui,  plus  d'une  fois,  a  trahi  des  projets  d'ab- 
juration qu'on  n'osait  avouer  soi-même.  Marc- Antoine 
a-t-il  eu  des  relations  avec  des  prêtres  ?  Il  devait  abjurer  ; 
entre  les  mains  de  qui? — communier  ;  dans  quelle  église? 
La  justice  a  dû  retrouver  le  prêtre  qui  l'avait  instruit 
(car  on  n'abjure,  on  ne  communie  pas  du  jour  au  lende- 
main, sans  instruction  préalable);  elle  a  dû  connaître  le 
confesseur  qui  a  reçu  ses  aveux.  Il  ne  manque  pas  de 
prêtres  ni  de  moines  au  procès,  soit  recevant  les  dépo- 
sitions, curés,  vicaires  ou  pères  de  l'Oratoire,  soit  té- 
moins à  décharge  comme  le  chanoine  Azimond,  soit  té- 
moins à  charge  comme  les  abbés  Durand  et  Benaben, 
comme  cet  hebdomadier  de  Saint-Etienne  et  ce  clerc  ton- 
suré dont  nous  avons  cité  les  étranges  aberrations;  soit 
une  foule  d'autres  que  nous  allons  indiquer  encore.  Pas 
un  n'a  pu  dire  avoir  une  seule  fois  ouï  Marc-Antoine,  ni  en 
confession  ni  autrement.  Ce  n'est  pas  seulement  la  jus- 
tice, c'est  rofficial,  c'est  leur  Archevêque  qui  leur  com- 
mande de  venir  dire  ce  qu'ils  savent,  et  cela  dans  une 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        1G9 

cause  qu'on  proclame  très-iniéressante pour  la  religion; 
c'est  sous  la  menace  de  l'excommunication  que  cet  ordre 
leur  est  donné  par  leurs  supérieurs  ecclésiastiques; 
l'excommunication  enfin  n'est  plus  seulement  annoncée, 
elle  est  prononcée,  fulminée,  avec  un  sombre  appareil  ; 
et,  après  tout  cela,  pas  un  prêtre  ne  peut  redire  un  seul 
mot  que  lui  ait  dit  Marc- Antoine  en  vue  de  se  convertir  ! 
Gomment  ne  voit-on  pas  tout  ce  que  cette  preuve  néga- 
tive a  de  décisif? 

On  eut  peine  à  s'y  résigner.  Des  voix  populaires  fai- 
saient honneur  tantôt  à  tel  curé,  tantôt  à  tel  jésuite,  de 
la  conversion  de  Marc-Antoine.  Le  bruit  ne  manquait 
pas  d'en  venir  bientôt  (i  David,  à  Lagane,  à  Bonrepos  ;  et 
quand  l'ecclésiastique  désigné  ccmparaissait,  quand  on 
croyait  tenir  enfin  cet  introuvable  confesseur,  qu'obte- 
nait-on? Rien,  ou  de  simples  ouï-dire.  On  fit  défiler  ainsi 
un  à  un  devant  la  justice  le  supérieur  de  la  maison  pro  - 
fesse  des  RR.  PP.  jésuites,  le  supérieur  du  séminaire,  le 
P.  Latour,  les  PP.  Dupuy,  de  Ghottel,  Dulhe,  Delmas, 
By  et  Jeard,  le  P.  Pochât,  Franciscain,  le  sous-prieur 
des  Trinitaires. 

Survient  la  veuve  Massaleng,  née  Jeanne  Paignon, 
qui  dit  que  la  D"'^  sa  fille  lui  a  dit  que  le  sieur  Pages  lui 
a  dit,  que  M.  Soulié  lui  a  dit,  que  la  D"«  Guichardet  lui 
a  dit,  que  la  D"*^  Journu  lui  a  dit  quelque  chose  d'où 
elle  a  conclu  que  le  Père  Serrant,  jésuite,  pourrait  bien 
avoir  été  le  confesseur  de  Galas  aîné  (1). 

Aussitôt  on  mande  le  Père  Serrant  (ou  Serran e)  et 
tout  cet  échafaudage  se  réduit  à  rien  en  un  instant. 

Enfin  la  nouvelle  se  répand  que  le  confesseur  est  connu, 

(1)  Celie  déposition  existe  aux  Arch,  Imp, 

i5 


170        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMEI\T. 

c'est  l'abbé  Laplaigiie.  Ce  fut  d'abord  un  bruit  vague,  et 
si  l'on  veut  savoir  connnent  de  pareilles  inventions  se 
propagaient,  il  suffit  de  lire  la  déposition  par  écrit  de  la 
D"^  Françoise  Agate  Planei  :  «  Etant  avec  M.  Olivier,  vi- 
caire de  Saint-Etienne,  la  conversation  tomba  sur  le  con- 
fesseur de  Marc-Antoine  Calas,  dont  je  souhaitais  de  sa- 
voir le  nom  ;  et  pour  engager  M.  Olivier  à  me  le  décla- 
rer, je  dis  à  M.  Olivier  que  c'était  M.  Laplaigne.  »  Il  se 
trouva  que  M.  Olivier  savait  le  contraire  et  le  lui  dit  ; 
sans  quoi  elle  lui  aurait  fait  croire  ce  qu'elle  aurait 
voulu. 

Un  valet  de  M.  d'Aldéguier  poussa  le  zèle  plus  loin 
encore;  il  affirma  avoir  vu  un  jeune  homme  sortant,  le 
mouchoir  sur  la  bouche,  du  confessionnal,  et  quittant 
l'abbé  Laplaigne;  on  lui  apprit  plus  tard  que  ce  jeune 
homme  n'était  autre  que  Marc-Antoine.  Malheureuse- 
ment pour  lui  il  eut  la  maladresse  de  placer  cette  scène 
il  l'église  de  la  Dalbade,  dont  le  curé  déclara  par  écrit  (1) 
que  jamais  M.  Laplaigne  n'y  avait  confessé. 

Le  Procureur  du  Roi  Lagane  lança  un  brief  intendit 
en  cinq  questions  auxquelles  l'abbé  Laplaigne  fut  tenu 
de  répondre.  De  plus,  comme  on  crut  que  l'abbé  crai- 
gnait de  violer  le  secret  de  la  confession,  s'il  avouait  le 
fait,  Lagane  consulta  un  professeur  en  théologie  de  l'or- 
dre de  Saint-Dominique,  lePèreBougis  (2).  La  consul- 
tation du  Procureur  du  Roi  et  la  réponse  du  moine  ne 


(i)  Arcl).  Tmp. 

(2)  On  sait  qnc  cet  ordre  fut  chargé  par  les  papes  de  l'oflice  de 
rinquisilion,  cl  l'est  encore.  On  a  pu  voir  dans  l'Introduction  que, 
jusque  dans  le  Wlll*  siècle,  nn  tliéolofiien  de  cet  ordre  porta  à  Tou- 
louse le  litre  CC'mquisUcur.  Lajjane  était  donc  fidèle  à  la  tradition 
en  s'adressanl  h  un  dominicain. 


LES  CAI,AS  DEVANT  LE  PARLEMENT.         ]7l 

fureiil  point  jointes  au  procès,  mais  ces  deux  pièces  ont 
été  conservées,  et  les  archives  du  Parlement  de  Toulouse 
en  possèdent  actuellement  des  copies  certifiées  (1).  La 
réponse  portait  non-seulement  que  l'abbé  Laplaigne 
})ouvait,  sans  manquer  au  secret  de  la  confession,  révéler 
le  fait,  mais  qu'il  le  devait,  pour  obéir  au  Monitoire. 

L'hésitation  de  l'abbé  avait  une  autre  cause.  Un  jeune 
protestant  de  vingt-deux  ans,  qui  montrait  quelque  inten- 
tion d'abjurer,  s'était  confessé  à  lui  trois  fois;  l'abbé 
Terrade  (2) ,  son  ami,  avait  vu  ce  jeune  homme  chez  lui  ; 
mais  il  n'avait  pas  dit  son  nom,  et  aucun  indice  ne  fai- 
sait croire  aux  deux  prêtres  que  ce  fût  Marc-Antoine. 
Cependant  l'identité  n'était  pas  absolument  impossible, 
quoique  Marc-Antoine  eut  vingt-huit  ans  et  non  vingt- 
deux.  Ils  demandèrent  ensemble  à  voir  le  cadavre,  mais 
il  était  trop  tard  et  tous  deux  déclarèrent  a  qu'ils  n'ont 
rien  vu  sur  ce  visage  défiguré  qui  put  décider  leurs 
doutes.  » 

On  finit  par  découvrir  que  le  jeune  inconnu  ne  pouvait 
être  Marc-Antoine ,  et  voici  comment  :  tout  ce  que 
l'abbé  Laplaigne  se  rappela  positivement,  c'est  qu'il 
avait  confessé  ce  jeune  homme  le  jour  de  Noël  1760;  et 
Ton  produisit  plus  tard  au  procès  une  attestation,  si- 
gnée du  curé  et  de  quatorze  habitants  de  Brassac,  prou- 
vant que  Marc-Antoine  était  arrivé  à  Brassac  la  veille  de 
Noël  et  n'en  était  parti  que  le  surlendemain. 

Ne  trouvant  aucun  indice  d'abjuration  ni  même  de 
confession,   on   cheiciia   un  acte  quelconque  de  callio- 

(1)  U'aprés  les  originaux  prêtés  par  M.  d'Aldéguier,  l'hisioricn, 
qui  les  tenait  de  M.  le  marquis  de  Calelan,  ancien  avocat  général 
au  Parlement  de  Toulouse. 

Ç'i)  Et  non  Lenade,  comme  ou   l'a  écrit  ailleurs. 


172        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

licite  dans  la  vie  de  Marc-Antoine  et  surtout  dans  ses 
derniers  jours  ;  on  chercha  tant,  que  l'on  trouva.  L'his- 
toire est  fort  ingénieusement  arrangée,  si  elle  n'est  pas 
bien  racontée  : 

«  Le  père  J.-B.Coq,  religieux  delà  Grande  Observance, 
compagnon  du  confesseur  des  religieuses  de  la  Porte,  résidant 
dans  le  couvent  desdites  religieuses,  âgé  d'environ  51  ans,  a  en- 
tendu dire  aux  dames  qui  sont  portières  de  ladite  maison,  que  le 
1^3  octobre  un  inconnu  porta  aux  dites  dames  religieuses  12  li- 
vres pour  se  recommander  à  leurs  prières,  disant  qu'il  devoit 
faire  sa  1''  cornmunion  le  lendemain  et  refusant  de  se  nom- 
mer. » 

Elles  ne  le  virent  pas,  parce  qu'elles  ne  parlaient  aux 
visiteurs  qu'à  travers  un  tour,  sans  les  voir  jamais. 

Le  nom  du  donateur  manque  dans  ce  récit.  En  voici 
un  autre  pour  le  compléter,  où  nous  verrons  en  même 
temps  ce  qui  se  disait  dans  la  foule  qui  regarda  passer 
les  accusés,  le  18  novembre,  lorsqu'on  les  condtiisit  des 
prisons  de  l'Hôtel-de- Ville  k  celles  du  Palais. 

L'an  mil  sept  cents  soixante-un,  et  le  14'  du  mois  de  décem- 
bre, par  devant  nous,  prêtre  et  vicaire  de  l'Eglise  paroissialle 
St  Michel  annexe  de  St-Etienne  de  cette  ville ,  soussigné,  a 
comparu  demoiselle  Barthelemye  Ginges  ,  épouse  d'Arnaud 
Baptiste,  habitante  de  notre  paroisse  dans  la  rue  de  l'Observa- 
toire, âgée  de  soixante  deux  ans  qui,  en  conséquence  du  chef 
du  Monitoire,nousa  révélé  que  se  trouvant  au  Salin  (1)  lorsqu'on 
conduisait  les  Calas  au  Palais,  la  femme  du  nommé  Gastelnau 
cordonnier  qui  loge  dans  le  Palais  lui  dit  que  M. -A.  Calas  dé- 
cédé avait  été  avant  sa  mort  aux  religieuses  de  la  Porte  leur 
porl<r  12  livres  afin  de  prier  pour  luy,  qu'il  devoit  faire  son 
bonjour  le  lendemain,  que  de  la,  dit-elle,  il  fut  au  Billard  avanl 

ri)  C'est  une  des  places  de  Toulouse. 


LES  CALAS  DKVAM  LE  PARLEMENT.        173 

de  rentrer  chez  luy  et  de  là  s'étant  rendu  a  la  maison  de  son 
père,  quelque  temps  après,  leditM.-A.  Calas  disait  à  son  père  et 
à  sa  mère  :  Quoi,  mon  père,  ma  mère,  vous  voulez  m'étran- 
gler  !  à  quoy  l'un  et  l'autre  répondirent  qu'ils  n'avaient  plus 
de  fils.  Et  la  révélante  ayant  demandé  a  la  dite  Gastelnau  d'où 
elle  tenait  cela,  elle  luy  répondit  qu'elle  le  savait  de  sa  nièce 
»]ui  sert  depuis  longtemps  le  S''  Durand,  perruquier  qui  loge 
auprès  dudit  Calas,  en  qualité  de  ser\ante,  ou  bien  lui  faisant 
service  dans  la  maison  (1). 

■  ...  Requise  de  signer  a  dit  ne  savoir.  En  foi  de  quoi,  etc. 
Chaubet,  prêtre  et  vicaire,  signé. 

D'après  un  grand  nombre  de  témoignages  que  nous 
allons  relever  avec  précision,  mais  très-sommairement, 
on  aurait  vu  souvent  Calas  aîné  dans  les  églises.  Al- 
qiiier ,  témoin  k  décharge,  qui  déposa  dans  le  dernier 
procès,  déclare  : 

Que  jamais  il  n'a  paru  vouloir  changer  ;  tout  au  contraire, 
«  quoique  souvent  ils  ont  été  ensemble  dans  les  églises  pour 
voir  les  curiosités  qui  y  sont,  examiner  les  chasses  et  autres 
ornements  précieux  qui  se  trouvent  en  abondance  dans  la  ville 
de  Toulouse.  » 

Il  n'y  arien  d'étonnant  dans  les  dépositions  de  Delpech, 
qui  l'a  vu  au  sermon  à  Saint-Germain,  ni  de  François 
Bordes  qui  l'a  accompagné  au  sermon  dans  trois  églises 
différentes,  mdXs  jamais  à  la  messe .  On  sait  d'ailleurs  que 
Marc-Antoine,  qui  se  piquait  d'éloquence  et  de  littéra- 
ture, alla  plus  d'une  fois  entendre  le  prédicateur  en  vo- 
gue, un  doctrinaire  nommé  le  Père  ïorné.  On  peut  en- 
core admettre  ce  que  dilMontesqueu,  qu'il  alla  à  vêpres, 
ou  h  la  bénédiction,  m?às  jamais  à  la  messe.  Il  se  peut 

(i)  Encore  les  Durand, 

15. 


17/i  LES   CALAS    DEVANT    LE    l'AKLEMENT. 

aussi  que  Jean  Capoulac  l'ait  entendu,  dans  l'église  du 
Taur,  dire  d'un  crucifix  qu'on  admirait  :  Voilà  va  hcau 
christ  !  quoique  en  général  les  protestants  ne  désignent 
guère  par  le  nom  de  christ  l'effigie  du  Crucifié. 

Mais  il  s'est  produit  des  assertions  beaucoup  plus 
graves.  Une  jeune  fdle  de  seize  ans  (D^'^  Mendouze)  a  en- 
tendu la  messe  à  côté  de  lui.  Le  nommé  Latour  l'avait  vu 
prier  dans  une  église.  Ce  même  Bergeret,  que  nous  avons 
déjà  soupçonné  de  faux  témoignage,  tenait  de  sa  cou- 
turière qu'un  garçon  marchand  qu'elle  connaissait,  avait 
été  plus  de  cent  fois  à  la  messe  avec  Marc-Antoine.  La 
femme  du  perruquier  Durand  Ta  vu  deux  fois  dans  des 
églises,  très-près  des  confessionnaux  ;elle  n'est  pas  môme 
très-sûre  qu'il  ne  fût  pas  dedans.  Platle ,  maître  d'es- 
crime, chargé  de  quêter  dans  l'église  de  8aint-Sernin 
pour  l'entretien  des  quarante  châsses  qu'on  y  conserve, 
y  a  vu  Marc- Antoine  à  genoux,  prier  successivement 
dans  chaque  chapelle  souterraine  et  a  reçu  de  lui  une 
fois  deux  sous  et  une  fois  six  livres  pour  sa  quêle. 

D'autres  protestants  ont  peut-être  visité  les  églises 
le  jeudi  saint,  même  trois  ans  de  suite,  pour  y  entendre 
les  chants  et  y  voir  les  pompes  de  ce  jour  ;  mais  l'ar- 
chitecte Arnal  ajoute  qu'il  y  priait  fort  dévotement.  Le 
même  Arnal  l'a  vu  suivre  deux  processions  et  s'age- 
nouiller sur  le  passage  du  saint  Viatique,  quoiqu'on  vuu- 
lut  l'en  empêcher.  Monlesqueu  et  Jean  Capoulac  disent 
aussi  qu'il  s'agenouillait  devant  le  Saint-Sacrement  et 
ajoutent  qu'il  priait  ainsi  prosterné.  La  déposition  d' Ar- 
nal nous  semble  fort  suspecte;  si  quelqu'un  avait  ^oulu 
empêcher  qu'on  s'agenouillât  devant  l'hostie,  les  pre- 
miers venus  lui  auraient  fait  un  mauvais  parti  ou  au  moins 
l'auraient  livré  ou  dénoncé  à  la  police.  Pour  croire  de  pa- 


LES   CALAS    DEVANT    LE    1>ARLEMENT.  175 

roilles  dépositions,  il  faut  ignorer  combien  dans  le  Midi 
le  peuple  catholique  est  jaloux  du  respect  qu'il  exige 
pour  ses  processions. 

Claude  Gaperan  prétend  avoir  vu  nn  lail  parfaitement 
incroyable  :  Marc- Antoine  suivant,  le  chapeau  sous  lebras, 
la  procession  du  17  mai,  qui  était  la  commémoration  du 
massacre  de  quatre  mille  huguenots  ;  et  Claude  Caperan  a 
élé  trop  sot  pour  comprendre  qu'il  n'aurait  pas  été  seul  à 
Ty  voir,  ni  à  le  déclarer,  et  ([ue  toute  la  ville  aurait  mon- 
tré au  doigt  un  prolesianl  fêlant  le  meurtre  de  ses  pères. 
Ce  Claude  Caperan  était  le  marchand  chez  lequel  l'Ar- 
chevêque avait  placé  Louis  Calas  ;  il  déclara  aussi  que 
Louis  lui  avait  dit  ([ue  sa  mère  avait  dit  à  Viguière,  (pii 
le  lui  avaitrépété  cl  lui-même,  que  ses  maux  nefiniraienl 
que  lorsqu'elle  verrait  son  fds  pendu.  Mot  atroce,  in- 
venté pour  donner  quelque  apparence  au  meurtre  de 
Taîné.  Peut-on  douter  que  Caperan  ne  soit  un  faux  témoin? 
Est-il  croyable  que  M""^  Calas  ait  prononcé  cevœuparri- 
cide,  et  que  la  servante  ait  élé  le  redire  à  celui  même  à 
qui  sa  mère  aurait  souhaité  une  mort  aflreuse.  11  faut  con- 
venir que  Mgr  de  Crussol  avait  mal  placé  sa  confiance. 

Baron,  marchand  apothicaire,  dépose  ((  que  le  12  octo- 
bre étant  à  cheval,  il  piit  en  croupe  le  défunt quilui  dit 
([u'il  ferait  sa  première  communion  le  lendemain,  qui  fut 
le  jour  de  sa  mort.  »  Nous  avons  pi'ouvé  que  celte  pre- 
mière communion  (ixée  au  lendemain  est  une  fable.  Ceux 
qui  la  répèlent  par  ouï-diie  peuvent  êîre  sincères;  telle 
est,  par  exemple,  Marie-Anne  Serres  qui  y  revient  par 
Irois  fois,  en  indiquant  même  que  la  cérémonie  devait 
se  faire  b.  l'église  de  la  Trinité;  tel  est  Bros,  dit  Cou- 
dom,  qui 

'<  A  eiilendu  dire  i>ar   un  nombre  iulhn  de  personnes  qui 


176        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

ont  passé  successivoment  dans  le  quartier,  que  le  dit  sieur  Calas 
ayné  avoit  changé  de  croyance  et  qu'il  devoil  faire  aujourd'hui 
(15  octobre)  sa  première  communion.  » 

Mais  Baron,  qui  dit  tenir  le  fait  du  martyr  lui-même, 
a  menti. 

La  veuve  Hubert  a  poussé  plus  loin  le  talent  de  l'in- 
vention. Elle  fait  hardiment  remonter  k  quatre  années 
le  catholicisme  de  Marc-Antoine,  et  raconte  que  le  jour 
de  Noël,  quatre  ans  auparavant,  elle  l'avait  vu  à  Saint- 
Sernin,  à  genoux  par  terre  et  les  deux  mains  croisées  sur 
la  poitrine,  pendant  qu'on  chantait  le  cantique  de  la  Na- 
tivité. Elle  prétend  lui  avoir  dit  familièrement:  Ah!  Ca- 
lassouf  mms  il  lui  fit  signe  de  se  taire.  Auprès  de  lui,  un 
jeune  homme  protestant,  qui  était  pensionnaire  des  Ca- 
las, gardait  le  chapeau  sur  la  tête,  au  moment  où  passait 
la  procession  du  Saint-Sacrement.  Marc-Antoine  Galas 
se  tourna,  a  lui  ôta  le  chapeau  de  la  tète,  le  jeta  à  terre 
et  lui  dit  d'un  ton  impérieux  et  absolu  :  A  genoux,  notre 
Maître  passe  (1)  !  »  Encore  une  histoire  absolument  in- 
croyable ;  on  ne  pourrait  pas,  le  voulût-on,  garder  son 
chapeau,  dans  une  église,  en  présence  d'ime  proces- 
sion et  du  Saint-Sacrement.  C'est  encore  un  fait  que 
bien  d'autres  auraient  attesté  s'il  s'était  passé  ailleurs 
que  dans  l'imagination  de  cette  femme.  Elle  donna 
d'ailleurs  une  étrange  idée  d'elle  en  allant,  sous  prétexte 
d'inlérôt  affectueux,  s'établir  et  coucher  chez  les  D'>"  Ca- 
las, probablement  pour  espionner  ou  exploiter  ces  deux 
jeunes  filles  qui  se  trouvaient  sans  famille  et  sans  ser- 
vante. Elle  refusa  de  quitter  la  maison  quand  ces  de- 


1)  Aich.  linp. 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        177 

moiselles  le  lui  commandèrent,  et  il  fallut  qu'elles  prias- 
sent un  voisin  de  la  chasser. 

Nous  sommes  très-certains  que  la  veuve  Hubert, 
Baron,  Claude  Caperan,  Arnal,  ont  menti  par  fraude 
pieuse  ou  par  excès  de  zèle;  mais  il  y  a,  dans  les 
dépositions  précédentes,  des  faits  trop  nombreux 
pour  qu'on  puisse  les  rejeter  tous.  C'est  Calas  lui- 
même  qui  nous  fournira  à  cet  égard  une  explication  très- 
plausible.  Il  réplique,  dans  ses  confrontations,  k  l'un 
des  déposants  que  nous  venons  d'indiquer  :  que  ce  témoin, 
comme  bien  d'autres,  peut  avoir  confondu  Marc-An- 
toine avec  Louis,  attendu  qu'ils  portaient  des  habits 
presque  uniformes  avec  des  boutons  de  pinchebec.  Il 
aurait  pu  ajouter  que  tous  ses  enfants  se  ressemblaient 
beaucoup.  Il  n'y  a  rien  d'étonnant  à  ce  qu'on  ait  attri- 
bué au  mort  quelques-uns  des  actes  de  dévotion  de  son 
frère  catholique.  Quand  une  famille  est  nombreuse,  les 
étrangers  confondent  sans  cesse  les  prénoms  des  enfants; 
il  y  avait  là  trois  jeunes  hommes,  dont  les  âges  se  sui- 
vaient ;  et  les  témoins  ont  pu  prendre  l'un  pour  l'autre. 

On  a  pensé  aussi  que  peut-être  Calas  aîné  avait  fré- 
quenté à  dessein  les  églises  catholiques  pour  obtenir 
le  certificat  sans  lequel  il  ne  pouvait  être  reçu 
avocat.  On  rappelle  à  ce  sujet  que  la  fiction  légale  de 
la  catholicité  de  toute  la  France  régnait  encore  h  tel 
point  que  les  protestants  étaient  ofiiciellement  dé- 
signés sous  le  nom  de  Nouveaux-  Convertis.  On  ajoute 
qu'ils  ne  pouvaient  subsister  qu'en  faisant  de  faux 
actes  de  religion  ;  on  rappelle  que  David  Lavaysse  et 
son  fils  Etienne  n'avaient  pu  êlre  reçus  avocats  que 
de  cette  manière;  que  lui  et  ses  enfants  avaient  été  éle- 
vés par  les  jésuites,  ce  qui  ne  se  pouvait  sans  beaucoup 


178        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

d'actes  semblables;  que  tous  les  enfants  de  M.  et  M'"'  Calas 
avaient  été  baptisés  dans  l'Eglise  Romaine,  et  enfin  que 
se  découvrir  et  même  s'agenouiller  devant  le  viatique 
ou  devant  mie  procession  était  un  hommage  obligatoire, 
imposé  par  la  force  pour  peu  qu'on  hésitât  k  l'ac- 
complir. Tous  ces  arguments  peuvent  avoir  quelque 
valeur,  mais  ils  ne  nous  semblent  pas  s'accorder  avec 
le  caractère  et  les  idées  de  Marc-Antoine.  Nous  demeu- 
rons convaincu  que,  dans  les  dépositions  précédentes, 
tout  ce  qui  n'est  pas  rêverie,  mensonge  ou  rencontre 
insignifiante  et  fortuite  doit  s'appliquer  non  à  lui  mais 
cl  son  frère  Louis. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  détails,  il  est  de  fait  que 
Marc- Antoine  n'avait  nullement  l'intention  d'entrer  dans 
la  communion  de  Rome,  et  nous  allons  achever  de  le 
prouver. 

Rappelons  d'abord  sa  réponse  h  M*^  Reaux  (1)  qu'il  ne 
serait  jamais  reçu  avocat  parce  qu'il  ne  voulait  faire  au- 
cun acte  de  catholicité.  II  ne  manque  pas  de  témoigna- 
ges qui  s'accordent  avec  cette  déclaration  formelle.  Le 
chanoine  Azimond  déposa  qu'il  avait  souvent  vu  à  Tou- 
louse Jean  Calas  et  ses  enfants  ;  que  Marc-Antoine  élait 
très-éloigné  de  se  faire  catholique.  Nous  avons  déjà 
cité  (2)  ce  que  rapporta  ce  même  témoin  sur  la  colère 
de  Calas  aîné  au  sujet  de  la  conversion  de  son  frère 
Louis. 

Pierre  Tenery  vini  rapporter  h  la  justice  une  foule 
de  on  dit  ;  mnsi,  il  a  entendu  lalV^Latonr  laconter  que 
Marc-Antoine  Calas  lui  a  présenté  l'eau  bénite  à  l'église 

(OVoir  plus  baul,   p.  50. 
(2)  Arcli.  Imp. 


LES    CALAS   DEVANT    Lfi    PARLEMEiST.  179 

(les  Cannes;  il  tient  aussi  d'un  sieur  Bienaize  qu'un 
nommé  Nouganol  se  trouvant  un  jour  avec  Marc-Antoine, 
Louis  Galas  vint  à  passer  et  Nouganol  demanda  à 
l'aîné  s'il  ne  voulait  pas  changer  comme  son  frère,  à 
quoi  Marc-Antoine  répondit  ((  qu'il  en  était  bien  éloi- 
gné, et  que  si  l'on  eût  su  que  son  frère  eût  dû  abjurer, 
on  l'en  eût  bien  empêché.  »  Cette  déposition  est 
d'autant  plus  importante  que  Ténery  est  un  témoin  tout 
à  fait  hostile;  selon  lui,  ce  mot  de  Marc-Antoine  signifie 
qu'on  aurait  étranglé  son  frère.  Il  est  au  moins  aussi 
naturel  de  croire  qu'il  voulait  dire  simplement  que  les 
raisonnements  et  l'influence  de  sa  famille  auraient  dé- 
tourné Louis  de  se  faire  catholique,  si  l'on  avait  connu 
son  dessein  avant  le  jour  où  il  disparut.  Cela  est  fort 
probable,  d'après  la  faiblesse  bien  démontrée  du  per- 
sonnage. 

Voici  une  autre  déclaration  indirecte  mais  qui  a  sa 
valeur  : 

La  D"* Giiyonnet,  nip.rchanfle  hToulonso,  déclaren'avoir jamais 
entendu  dire  que  Marc-Antoine  Calas  dût  changer  de  religion. 
«  Au  contraire,deux  messieurs  étant  venus,  quelques  jours  avant 
sa  mort,  dans  ma  boutique  pour  m'acheter  des  marchandises, 
s'entretenaient  ensemble,  se  disant  que  Marc-Antoine  Calas 
voulait  passer  a  Genève  pour  se  taire  ministre  de  la  Religion  pro- 
testante. » 

La  signature  est  attestée  par  Jean  de  Moulon, 
Lieutenant  principal  au  Sénéchal. 

Ces  témoignages  sont  clairs.  Mais  le  plus  important 
de  tous  est  celui  de  M''  Chalier,  cet  avocat  dont  nous 
avons  déjà  parlé  et  qui  eut  seul  le  courage  de  déposer  en 
faveur  des  Calas  devant  les  Capitouls,  après  être  allé 
dire  h  son  curé  qu'il  avait  des  renseignements  impor- 


180        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

tants  à  donner.  Ils  le  sont  en  effet,  mais  dans  un  tout  au- 
tre sens  qu'on  ne  l'espérait. 

W  Jean-François  Ghalier,  docteur  et  avocat  au  Par- 
lement, 60^  témoin,  raconta  en  grand  détail  une  con- 
versation du  28  ou  29  septembre  1761,  où  Marc-Antoine 
Calas  parlait  avec  envie  des  jeunes  négociants  qui  pas- 
saient par  Toulouse,  allant  à  la  foire  de  Bordeaux,  et  se 
plaignait  de  ce  que  son  père  ne  voulait  ni  lui  donner 
des  appointements,  ni  l'associer  avec  lui,  ni  le  mettre  à 
même  de  s'associer  avec  quelque  autre  (1). 

«  La  dessus,  le  déposant  lui  dit  que  s'il  étoit  à  sa  place,  il 
sauroit  bien  forcer  son  père  à  lui  donner  satisfaction  d'une  fa- 
çon ou  d'autre. 

«  Le  dit  Galas  dit  alors  au  déposant  ;  quel  expédient  il  pren- 
drait ? 

'(  Le  déposant  lui  dit  :  Je  me  ferais  catholique  ou  je  ferais 
menacer  mon  père  de  m'en  faire. 

«  Ledit  Calas  répondit  au  déposant  qu'il  ne  prendrait  pas  ce 
parti,  mais  qu'il  en  prendrait  un  autre  qu'il  mettrait  à  exécu- 
tion. 

'(  Le  même  témoin,  dépose,  de  plus,  que  dans  le  mois  de 
juin  dernier,  ledit  Calas  étant  allé  voir  le  déposant  qui  étoit 
avec  son  frère  le  prêtre,  on  vint  à  parler  de  religion  ;  que  le 
frère  du  déposant  eut  beau  lui  parler  de  la  religion  catholique, 
ledit  Calas  ne  voulut  jamais  convenir  de  rien.  » 


(i)  Elail-ct'  dureté  de  la  purl  de  Calas?  Loin  de  là.  L'étal  pré- 
caire de  son  commerce  le  mellaii  dans  l'impossibilité  d'agir  aulie- 
menl.  Quand  par  son  arrestation  le  crédit  et  le  travail  cessèrent 
tout  à  coup  chez  lui,  il  n'y  resta  que  la  pauvreté.  Deux  mois  après 
sa  mort  (le  22  mai  i762),  M.  de  Saint-Florentin  écrivait  à  M.  de 
Sainl-Priesl  :  «  Au  reste  M.  le  Procureur  Général  du  Parlement 
«  m'avait  déjà  informé  du  désordre  où  sont  les  affaires  de  Calas  et 
«  de  r insuffisance  de  ses  Liens  pour  le  paiement  de  ses  créan- 
«  ciers.  »  {Arch.  de  Montpellier.) 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        181 

Ici  M*  Chalier  raconte  le  projet  d'association  de  Marc- 
Antoine  avec  un  sieur  Roux,  projet  qui  échoua  parce  que 
Galas  père  ne  put  cautionner  son  fds  pour  6,000  livres; 
cette  affaire,  dont  le  mauvais  succès  dut  contribuer 
à  décourager  le  jeune  homme,  est  de  la  fm  de  juillet  ou 
du  commencement  d'août ,  six  semaines  avant  le  sui- 
cide. 

Voici  les  derniers  mots  de  la  déposition  de  M^  Chalier  : 

«  Que  maintes  fois  le  déposant  a  eu  parlé  de  religion  avec 
ledit  Calas  décédé  et  entre  autres  choses  de  la  fm  tragique  des 
ministres  de  cette  religion.  Ledit  Calas  répondit  au  déposant 
que  ces  personnes  étoient  bien  heureuses  de  mourir  pour  leur 
religion  et  qu'il  envioit  leur  sort.  Le  déposant  lui  dit  alors, 
pour  le  dissuader,  que  tout  métier  qui  faisoit  pendre  son  homme 
ne  valait  rien.  » 

«  A  ajouté  que  lorsque  le  déposant  lui  dit  que  tout  mettier 
qui  faisoit  pendre  son  homme  ne  valoit  rien,  ledit  Calas  ve- 
noit  de  lui  dire  que  souvent  il  avoit  eu  dessein  d'aller  à  Genève 
pour  se  faire  ministre.  » 

M^  Chalier  indiqua  un  témoin,  M^  Beaux,  qui  pouvait 
attester  les  mêmes  faits  ;  mais  c'était  un  protestant.  On 
ne  le  cita  point.  On  voit  par  cette  déposition,  et  il  était 
naturel  de  présumer,  qu'au  milieu  de  ses  hésitations  sur 
sa  carrière,  Marc-Antoine  dût  être  mis  en  demeure  de 
se  convertir,  et  sinon  tenté  par  l'évidence  de  son  inté- 
rêt matériel,  au  moins  sollicité  par  autrui.  Il  le  fat  non- 
seulement  par  les  avocats  Beaux  et  Chalier,  mais  par  un 
personnage  plus  haut  placé,  ce  même  M.  de  La  Mothe, 
conseiller  au  Parlement  et  secrétaire  de  l'Université, 
qui  s'était  occupé  de  l'abjuration  de  Louis.  Voici  en 
quels  termes  M"  Sudre  raconta  le  fait,  d'après  M.  de  La 
Mothe  lui-même  : 

16 


182        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

«  Un  magistral  grave  fait  un  récit  qui  otïre  un  dénouement 
plus  honorable  a  la  mémoire  de  Marc-Antoine  Galas  :  l'honneur 
et  la  vertu  de  ce  magistrat  sont  connus,  sa  parole  doit  être  donc 
bien  efficace.  11  a  eu  part,  dit-il,  à  la  conversion  de  Louis 
Calas;  il  souhaita  de  remporter  la  même  victoire  sur  Marc- 
Antoine  Galas;  il  l'entretint  sur  ce  sujet,  il  lui  fit  naître  des 
doutes. 

Marc- Antoine  Galas  demanda  du  temps  pour  délibérer,  puis 
s'examiner  et  se  résoudre  :  ce  fut  une  atTaire  de  plus  d'un  jour. 
Il  revient  et  déclare  qu'il  s'était  affermi  dans  la  foi  dans  la- 
quelle il  avait  été  élevé.  Si  ce  que  ces  témoins  disent  qu'ils  ont 
vu  Marc- Antoine  Galas  a  l'église,  qu'ils  l'ont  vu  assister  à  nos 
saintes  cérémonies;  si  cela  est  vrai,  il  faut  le  rapporter  au  temps 
que  Marc- Antoine  Galas  était  ébranlé,  qu'il  se  sentoit  des  mou- 
vements pour  l'Église  catholique  ;  mais  comme  le  rapporte  ce 
magistrat,  il  eut  le  malheur  de  résister  à  la  grâce  et  de  se  raf- 
fermir dans  l'erreur.  Il  est  vrai  que  ce  magistrat  n'est  pas  té- 
moin dans  la  procédure,  mais  la  cour  peut  faire  aisément  qu'il 
le  soit;  il  est  assis  tous  les  jours  à  ses  côtés,  qu'elle  daigne 
l'appeler  et  recevoir  son  serment  ;  les  droits  de  l'innocence 
lui  sont  trop  connus  pour  qu'il  se  fasse  une  peine  de  ce  minis- 
tère. » 

M.  de  La  MoLhe  ne  répondit  jamais  à  cet  appel  ;  il  ne 
donna  point  sa  déposition.  Mais  peut-on  douter  un  seul 
instant  qu'il  se  fût  empressé  de  la  donner  ou  que  le  Pro- 
cureur Général  l'y  aurait  contraint,  comme  cela  arriva  à 
l'abbé  Laplaigne,  si  son  témoignage  eût  pu  être  utile  à 
l'accusation?  11  se  tut  parce  qu'il  y  aurait  nui;  mais  il  n'a 
jamais  démenti  ce  que  1\P  Sudre  avait  eu  le  courage  de 
publier,  à  Toulouse  même,  au  mois  de  décembre  1761 
ou  janvier  1762. 

Confronté  avec  Arbanère,  le  sous-prieur  des  Péni- 
tents blancs,  sur  la  question  de  la  conversion  de  Marc- 


LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT.        183 

Antoine,  Jean  Calas  déclara  «  qu'au  contraire  il  avait 
lieu  de  croire  son  fils  très-zélé.  )> 

Nous  le  voyons,  en  effet,  persévérer  jusqu'à  sa  fin  dans 
la  profession  publique  du  protestantisme.  Il  avait  fait  sa 
première  communion  k  Nîmes  en  1755,  au  retour  de 
la  foire  de  Beaucaire,  dans  une  assemblée  tenue  par  un 
ministre  du  Saint-Evangile  en  une  maison  particulière. 

En  septembre  1759,  il  fut  parrain  d'un  enfant  bap- 
tisé dans  une  assemblée  à  Mazamet.  A  Noël  1760,  il  prit 
part  à  une  autre  assemblée  qui  se  tint  à  Vabres.  L'année 
même  de  sa  mort,  il  assista  le  6  mai  à  l'enterrement  de 
Jean  Lacapelle,  qui  eut  lieu  par  ordonnance  de  l'Hôtel- 
de- Ville  dans  le  jardin  du  sieur  Glacié,  hors  des  portes 
de  Toulouse  ;  il  fut  présent  en  juillet  k  une  autre  inhu- 
mation protestante  dans  le  même  lieu,  et  on  l'entendit  k 
cette  occasion  parler  «  de  l'excellence  de  sa  religion.  )> 
Le  premier  dimanche  de  septembre  il  jeûna  suivant  l'u- 
sage pratiqué  alors  dans  toutes  les  Eglises  réformées  de 
France.  Il  mangea  de  la  viande  les  vendredis  et  samedis 
jusqu'à  sa  fin. 

C'était  lui  qui  faisait  en  famille  la  prière  matin  et  soir, 
et,  tous  les  dimanches,  la  lecture  d'un  sermon,  des 
psaumes  et  de  quelques  chapitres  de  la  Bible  ((  ce  qu'il 
continua  jusqu'à  la  veille  de  sa  mort  (1).  » 

Nous  voici  donc  arrivés,  par  une  série  de  faits  aussi 
publics  que  possible,  du  jour  de  sa  première  communion 
à  la  veille  même  de  sa  mort,  et  tous  ces  faits  ne  sont 
pas  de  simples  allégations,  mais  ont  été  prouvés  officiel- 
lement autant  que  le  permettait  la  législation  de  l'époque, 
d'après  laquelle  tout  acte  du  culte  proscrit  était  un  crime. 

(i)  Inlerr,  cl  Confr.  de  M,  et  de  M"* Calas,  de  Jeanne  Yiguicr, etc. 


iSh  LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

11  se  trouve  donc  que  le  prétendu  martyr  n'avait 
cessé  ni  de  témoigner  qu'il  était  fo?'t  éloigné  de  se  faire 
catholique,  ni  de  professer  extérieurement  le  culte  de 
l'Eglise  réformée.  Si  la  vraie  piété  avait  été  en  lui  aussi 
puissante  que  son  zèle  extérieur  était  soutenu,  jamais 
il  ne  se  serait  laissé  entraîner  jusqu'au  désespoir  et  au 
suicide,  et  il  n'aurait  pas  précipité  sa  famille  dans  les 
longs  malheurs  que  nous  avons  à  peine  commencé  à 
faire  connaître. 

Pour  résumer  tout  ce  qui  précède,  il  suffira  de  renuu'- 
quer  que  sur  cent  cinquante  témoins,  tous  à  charge  sauf 
un  seul,  il  n'en  est  pas  im  qui  dise  avoir  vu  le  crime  ni 
aucune  circonstance  ou  indice  du  crime.  Quelques-uns 
disent  avoir  entendu  des  cris,  des  paroles  qui  constate- 
raient ce  crime,  mais  ils  ne  s'accordent  pas  ;  il  n'y 
en  a  pas  deux  qui  rapportent  de  la  même  manière  les 
prétendues  paroles  de  Marc-Antoine  assassiné.  En  cela, 
comme  dans  tout  le  reste  du  procès,  chaque  point  de 
quelque  importance  est  rapporté  différemment  par  cha- 
que témoin.  Or,  d'après  la  loi,  tout  témoin  singu- 
lier, c'est-à-dire  unique,  était  insuffisant  pour  prouver 
quoi  que  ce  fut  contre  les  accusés.  En  dernière  ana- 
lyse, on  se  trouve  en  présence  d'une  multitude  con- 
fuse de  rumeurs  populaires,  incohérentes,  souvent  va- 
gues, ou,  dès  qu'elles  sont  précises,  manifeste- 
ment fausses  et  mensongères.  L'origine  de  ces  faux 
bruits  est  surabondamment  expliquée  par  les  disposi- 
tions hostiles  du  peuple  à  l'égard  des  protestants,  par  les 
antécédents  et  la  faiblesse  de  Louis  Calas,  par  l'effet  que 
produisirent  sur  les  esprits  la  pompe  fmièbre  et  le  dou- 
ble service  célébrés  en  l'honneur  du  suicidé,  et  surtout 
par  le  Monitoire,  quatre  fois  lu  à  tous  les  prônes,  affi- 


ti 


LES  CALAS    DEVANT    LE   PARLEMENT.  1815 

ché  partout,  fulminé  eiifiii  dans  toutes  les  paroisses,  in- 
formant la  ville  entière  des  soupçons  de  l'autorité  et  en- 
joignant à  chacun,  sous  les  peines  les  plus  redoutées, 
de  venir  déclarer  k  la  justice  ce  dont  la  justice  elle- 
même  avait  informé  tout  le  monde. 

On  prétendait  cependant,  au  Parlement  de  Toulouse, 
compenser  l'absence  de  preuves  par  le  nombre  de  ces 
dépositions  insuffisantes.  Voltaire  s'est  souvent  moqué 
avec  justice  de  cette  dangereuse  doctrine.  Nous  citerons 
une  de  ses  critiques  à  ce  sujet,  et  ce  n'est  pas  la  plus 
vive. 

11  écrit  à  Damilaville  le  22  mars  1763  : 

J'ai  appris  une  des  raisons  du  jugement  de  Toulouse  qui 
va  bien  étonner  votre  raison  : 

Ces  Yisigoths  ont  pour  maxime  que  quatre  quarts  de  preuve, 
et  huit  huitièmes,  font  deux  preuves  complettes;  et  ils  don- 
nent a  des  oui-dire  le  nom  de  quarts  de  preuve  et  de  huitiè- 
mes. Que  dites  vous  de  cette  manière  de  raisonner  et  de  juger  ? 
Est-il  possible  que  la  vie  des  hommes  dépende  de  gens  aussi 
absurdes?  Les  têtes  des  liurons  et  des  Topinambous  sont 
mieux  faites  (1). 

(1)  On  peut  répondre  à  Voltaire  qu'il  ne  s'agit  pas  plus  ici  de 
Visigolhs  que  de  Topinambous,  mais  des  règles  de  la  procédure  sous 
le  régime  de  l'ordonnance  de  1670.  «  Le  législateur,  dit  M.  Faus- 
lin  Hélie,  pour  donner  peut-être  un  contre-poids  à  la  procédure 
secrète,  avait  lié  les  juges  étroitement,  par  une  foule  de  petites 
règles  qu'il  avait  semées  devant  leurs  pas  et  qui  enchaînaient  cora- 
plétemeul  leur  volonté.  Ces  règles  précisaient  à  l'avance  la  valeur 
légale  de  chaque  fait,  de  chaque  circonstance  du  procès,  matéria- 
lisaient les  éléments  du  jugement  et  dictaient  au  juge  sa  décision, 
indépendamment  de  sa  propre  conviction...  Dès  que  la  cause  cons- 
tatait telle  preuve,  telle  présomption,  tel  indice,  il  devait  attacher  à 
cet  indice,  à  celte  présomption,  à  celle  preuve,  l'effet  que  la  loi 
avait  voulu  lui  assigner.  »  Plus  loin  l'auteur  indique  la  classi- 
fication des  preuves  on  pleines  et  demi- pleines,  manifesles,  cmsi- 

16. 


186        LES  CALAS  DEVANT  LE  PARLEMENT. 

Ce  n'était  pas  l'esprit  de  l'ancienne  législation  qui 
avait  établi  en  principe  qu'une  accusation  dont  la  vérité 
n'est  pas  pleinement  démontrée  doit  être  tenue  pour 
complètement  fausse  et  que  la  preuve,  si  elle  n'est  en- 
tière, est  nulle  (1). 

D'après  ce  texte,  la  condamnation  des  Calas  eûl  été 
impossible. 


déràbles  et  imparfaites,  concluantes  et  démonstratives,  réelles  ou 
présomptives,  affirmatives  ou  négatives.  Chaque  preuve,  ensuite, 
était  assujettie  à  des  règles  spéciales  suivant  qu'elle  était  vocale,  lit- 
térale, testimoniale  ou  conjecturale.  Cette  dernière,  qui  se  tirait  des 
indices,  signes,  adminicules  et  présomptions,  était  la  plus  difficile  et 
la  plus  périlleuse.  On  distinguait  les  indices  indubitables  ou  violents, 
graves  et  légers.  «  Plusieurs  indices  légers  joints  ensemble  for- 
maient un  indice  grave;  un  indice  grave  valait  un  peu  moins  qu'une 
semi-preuve  ;  deux  indices  graves  formaient  un  indice  violent  ;  un 
indice  violent  suffisait  pour  condamner  à  la  question  ;  plusieurs  in- 
dices violents  devaient  entraîner  la  condamnation  définitive,  sur- 
tout on  matière  de  grands  crimes  (p.  6  5  7.)  >>  Qu'on  applique  cette 
méthode  à  l'affaire  qui  nous  occupe  et  à  cette  multitude  de  témoi- 
gnages hostiles,  on  comprendra  le  danger  où  étaient  les  accusés, 
entre  les  mains  de  juges  passionnés. 

(1  )  Probatio  quœ  non  est  plena  veritas,  est  plena  falsiUis  ;  sic  quod 
von  est  plena  probatio,  plané  nnlla  est  probatio. 


— — O— ^ 


CHAPITRE    VIII 


PAUL    RABAUT 


ET   LES    PROTESTANTS    DE   FRANCE 


Vox  elamantù  in  deserlo. 

«  Je  ne  cloute  pas,  Monsieur,  écrivait  le  C*^  de  S*  Flo- 
rentin au  marquis  de  Gudane,  gouverneur  du  pays  de 
Foix,  de  la  sensation  que  la  procédure  instruite  contre 
les  Galas  a  faite  parmi  les  Religionnaires  du  païs  de 
Foix.  Vous  avez  très-bien  fait  d'éclairer  leurs  démarches 
durant  le  cours  de  cette  affaire  (1).  » 

Ce  qui  agita  et  consterna  les  Eglises  réformées  de 
France,  plus  encore  que  le  supplice  du  pasteur  Rochette 
et  de  ses  trois  amis,  plus  même  que  le  danger  des  Calas 
et  l'horrible  exécution  du  père  de  famille,  ce  fut  la  calom- 
nie inouïe  du  Monitoire,  accusant  au  nom  de  la  justice  et 
par  lavoix  du  clergé  catholique  les  protestants  d'enseigner 
et  de  mettre  en  pratique  un  système  d'assassinat  à  l'égard 

(i)  Dépêche  du  lO  juin  17  62,  Arch.  Imp. 


188  PAUL    RABAUT 

de  leurs  propres  eafants.  ((  Chaque  protestant,  écrivait 
un  duc  de  Fitz- James  sou  agent  Alison,  regardait  cette 
affaire  comme  personnelle,  parce  qu'ils  prétendaient 
qu'on  avait  répandu  que  la  doctrine  de  Calvin  permet- 
tait aux  parents  de  tuer  leurs  enfants  qui  changeaient 
de  religion  (1).»  Leurs  ennemis  allaient  jusqu'à  expliquer 
par  cette  loi  imaginaire  la  durée  de  leur  Eglise  en  Fran- 
ce; on  ne  s'étonnait  plus  de  voir  les  enfants  de  ceux  qui 
portaient  le  titre  légal  de  Nouveaux-Convertis  persévé- 
rer dans  l'ancienne  foi  de  leurs  pères,  puisqu'ils  n'auraient 
pu  la  quitter  qu'au  péril  de  leur  vie;  et  l'ou  se  disait 
que  la  Saint-Barthélémy  et  la  Révocation  de  l'Edit  n'é- 
taient pas  des  mesures  trop  cruelles  contre  une  secte 
si  dénaturée  et  si  sanguinaire.  On  déclamait  contre  l'hor- 
reur d'une  religion  de  parricides  ;  et  les  protestants 
étaient  justement  indignés  d'une  calomnie  si  criante,  si 
inattendue,  après  deux  siècles  et  demi  de  martyres, 
dans  un  pays  autrefois  à  moitié  réformé,  où  des  milliers 
de  pères  avaient  vu  leurs  enfants  abjurer  de  gré  ou  de 
force,  sans  qu'un  seul  les  en  eût  punis  par  le  meurtre. 

Les  nations  protestantes  s'étonnèrent  que  la  France, 
au  dix-huitième  siècle,  eût  des  populations  entières  si 
peu  instruites  de  ce  qui  se  passait  au  milieu  d'elles,  et 
des  juges  même,  si  étrangement  ignorants.  Quand  on 
apprit  en  Suisse,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Hol- 
lande, dans  les  royaumes  du  Nord,  l'incroyable  accu- 
sation qui  pesait  sur  le  protestantisme  en  France,  on  en 
fut  stupéfait. 

Cette  surprise  générale  aurait  été  plus  profonde  en- 


Ci)  Egl.  (lu  Désert,  t.  i,    p.  331. 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         J  bU 

core  si  l'on  avait  pu  lire  ces  paroles  de  M.  le  prési- 
dent du  Puget  au  principal  Ministre  : 

«  Mon  zèle  pour  le  service  du  Roy  m'engage  de  vous  repré- 
senter, Monseigneur,  qu'il  seroit  essentiel  de  trouver  des 
moyens  pour  empêcher  l'entrée  des  Ministres  de  la  Religion 
prétendue  réformée  dans  le  royaume,  et  empêcher  leur  com- 
merce avec  ceux  de  la  même  Religion  qui  sont  dans  les 
pays  étrangers  où  ils  enseignent  des  maximes  sanguinaires 
qu'ils  viennent  répandre  dans  nos  contrées,  en  procurant  par 
la  des  crimes  affreux  (1).  » 

Ces  derniers  mots  concernaient  surtout  la  Suisse  et 
plus  particulièrement  encore  Genève  et  Lausanne,  où 
allaient  étudier  les  futurs  pasteurs  de  nos  Eglises,  depuis 
la  réorganisation  par  Antoine  Court  d'un  ministère  ré- 
gulier. Le  bruit  courait  d'ailleurs,  et  nous  verrons  bientôt 
que  ce  n'était  nullement  au  hasard,  que  Calvin  avait 
formellement  commandé  aux  parents  de  tuer  leurs  en- 
fants apostats;  on  citait  l'endroit  de  V Institution  chré- 
tienne où  devait  se  trouver  cet  infâme  précepte. 

L'avocat  Sudre  se  vit  obligé,  pour  réfuter  cette  calom- 
nie, d'appeler  en  témoignage  les  autorités  soit  ecclésiasti- 
ques, soit  civiles  de  Genève,  et  publia  dans  son  Mémoire 
la  déclaration  suivante,  dont  la  nécessité  bien  constatée 
nous  semble  humiliante,  non  pour  ceux  qui  la  don- 
nèrent, mais  pour  ceux  qui  avaient  besoin  de  l'entendre. 
Rien  ne  prouve  mieux,  selon  nous,  la  sincérité,  mais  aussi 
le  honteux  aveuglement  du  fanatisme  toulousain.  De 
ci'ainle  que  cette  Déclaration  ne  lut  encore  suspectée 
comme  venant  de  ministres,  on  la  fit  certifier  i)ar  les 

(i)Voir:    Correspondance  de  M.  de  Sainl-Floienlin,  Lellre  i  8. 


190  PAUL  RABAUT 

Syndics  (signé  :  Lullin)  et  par  le  Résident  de  France 
Baron  de  Montpeyroux.  Elle  fut  suivie  d'une  décla- 
ration de  la  République  de  Genève  (c'est-à-dire  des 
Syndics  et  Conseil)  portant  qu'à  Genève  ni  la  différence 
de  culte  ni  le  changement  de  religion  ne  rendaient  qui 
que  ce  fût  incapable  de  succéder. 

DÉCLARATION 

De  la  Vénérable  Compagnie  des  Pasteurs  et  Professeurs 
de  V Église  et  de  l'Académie  de  Genève, 

Spectable  Delorme,  avocat  en  cette  ville,  requis  au  nom  d'un 
avocat  étranger,  de  l'informer,  s'il  est  vrai  que  ce  soit  un 
principe  admis  dans  notre  Eglise,  ou  approuvé  par  un  Synode 
tenu  à  Genève,  qu'un  père  puisse  faire  mourir  ses  enfans, 
quand  ils  veulent  changer  de  religion,  s'est  adressé  à  cette  Com- 
pagnie, et  l'a  priée  de  donner  à  cet  égard  une  Déclaration  au- 
thentique des  faits,  disant  que  notre  Eglise  est  ouvertement 
accusée  d'avoir  un  tel  principe,  et  qu'il  est  essentiel  pour  un 
cas  très-grave,  que  la  vérité  sur  ce  point  soit  parfaitement 
connue. 

Sur  quoi  opiné,  chaque  Membre  de  la  Compagnie  a  témoigné 
l'horreur  dont  il  avait  été  saisi,  k  l'ouïe  d'une  pareille  imputa- 
tion, et  son  etonnement  de  ce  qu'il  se  trouve  des  Chrétiens 
caj>al)les  de  soupçonner  d'autres  Chrétiens  d'avoir  des  senti- 
jncnls  si  exécrables. 

(iCpendanl,  puisque  l'on  croit  nécessaire  que  la  Compagnie 
s'explique  sur  une  opinion  si  étrange,  elle  dit  et  déclare 

Qu'il  n'y  a  jamais  eu  parmi  nous,  ni  Synode,  ni  aucune  as- 
semblée qui  ait  approuvé  cette  doctrine  abominable,  qu'un 
p('r(>  puisse  ôtcr  la  vie  a  ses  enfans,  pour  prévenir  leur  chan- 
^<Mnt'nl  de  Uelii,Mon,  ou  pour  les  en  punir,  que  mèiuo  jamais 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         191 

pareille  question  n'a  été  agitée,  d'autant  que  de  telles  horreurs 
ne  se  présument  point:  que  ni  Calvin,  ni  aucun  de  nos  Doc- 
teurs n'a  jamais  rien  enseigné  de  semblable,  ni  même  d'ap- 
prochant, et  que  bien  loin  que  ce  soit  la  doctrine  de  notre 
Eglise,  nous  la  détestons  unanimement  et  l'abhorrons,  comme 
également  contraire  à  la  nature,  a  la  Religion  chrétienne,  et  aux 
principes  des  Eglises  Protestantes.  A  Genève  le  29  ^anuier  1762. 
Expédié  par  ordre  de  la  Compagnie  des  Pasteurs  et  Profes- 
seurs de  l'Eglise  et  de  l'Académie  de  Genève,  au  nom  des- 
quels et  pour  tous,  ont  signé 

Maurice,  Modérateur. 
Le  GointE,  Secrétaire. 

Mais  ce  n'était  pas  assez  que  les  protestants  étrangers 
répondissent  à  l'outrage  d'un  si  affreux  mensonge.  Il  fal- 
lut que  ceux  de  France  à  leur  tour  se  défendissent. 
Leur  représentant  le  plus  accrédité  k  cette  époque  était 
Paul  Rabaut,  l'illustre  pasteur  du  Désert,  le  père  de  Ra- 
baut  Saint-Etienne.  Il  vivait  à  Nîmes  et  dans  les  environs, 
depuis  vingt-quatre  ans,  toujours  exposé  à  la  mort,  et  se 
dévouant  sans  ombre  d'ostentation  à  son  œuvre  évangéli- 
que.  Il  publia  La  Calomnie  confondue  ou  Mémoire  dans 
lequel  on  réfute  une  nouvelle  accusation  intentée  aux 
protestants  de  la  province  du  Languedoc,  à  l'occasion 
de  V affaire  duS""  Calas  détenu  dans  les  prisons  de  Tou- 
louse; avec  cette  épigraphe:  S'ils  ont  appelé  le  père  de 
Famille  Béelzébuth,  combien  plus  traiteront-ils  ainsi  ses 
Domestiques?  Math.    10.  25. — Au  I)ése7^t  17^2. 

Ce  mémoire  est  remarquable  ;  il  y  règne  une  grande 
force  et  par  moments  une  éloquence  véritable.  Mais 
déjà,  il  y  a  trois  ans,  en  le  lisant  pour  la  première  fois, 
j'avais  été  surpris  d'y  retrouver  quelques  traces  de  la  dé- 

(i)  Voir  Bibliographie,  n*  il. 


192  PAUL   RABAUT 

clamation  à  la  mode;  tandis  que  le  style  de  Paul  Ra- 
baut,  qui  m'est  bien  connu  par  ses  manuscrits  dont  j'ai 
le  dépôt,  est  toujours  empreint  d'un  mérite  très-émi- 
nent  et  devenu  tout  à  fait  habituel  à  cet  homme  admira- 
ble qui  fut  proscrit  toute  sa  vie  :  je  veux  dire  le  calme, 
le  bon  sens  pratique,  ou  plutôt  un  imperturbable  sang- 
froid.  L'historien  des  Eglises  du  Désert  avait  pai  tagé 
cette  impression  : 

«  Cet  écrit,  dit-il,  le  seul  de  tous  ceux  de  Paul  Rabaut  uù  la 
conscience  indignée  s' exprime  avec  quelque  coZère,  renferme  des  pas- 
sages d'une  haute  éloquence.  » 

L'explication  de  cette  différence  de  ton  et  de  style 
m'a  été  fournie  par  un  document  fort  curieux  que  pos- 
sède M.  Maurice  Angliviel,  neveu  d'Angliviel  de  la 
Beaumelle.  C'est  une  Lettre  pastorale  écrite  de  la 
main  de  ce  dernier,  mais  sous  le  nom  supposé  de 
Rabaut,  en  28  pages  in-12  et  avec  la  date  du  1"  décem- 
bre 1761,  au  Désert.  Il  est  hors  de  doute  que  Rabaut  a 
adopté  en  l'abrégeant  ce  travail  deux  fois  plus  long  que 
sa  brochure,  y  a  joint  un  préambule  et  une  conclusion 
beaucoup  plus  simples,  et  y  a  intercalé  un  passage  sur  un 
Synode  qu'on  prétendait  avoir  eu  lieu  récemment  à  Nîmes 
et  où  aurait  été  décidée  la  mise  à  exécution  du  règle- 
ment homicide  qu'on  prêtait  à  Calvin. 

Parmi  les  améliorations  que  Rabaut  fit  subir  au 
projet  de  la  Beaumelle,  deux  surtout  sont  à  noter  :  la 
réduction  de  l'écrit  à  la  moitié  de  sa  longueur  et  le  chan- 
gement d'une  Ze^^r^joas^ora/e,  nécessairement  adressée 
aux  protestants,  en  un  Mémoire  adressé  \v  tous  et  plus 
particulièrement  k  la  justice. 

Telle  qu'elle  existe,  la  Calomnie  confondue  est  cer- 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         193 

tainement  supérieure  k  ce  qu'elle  aurait  été  si  l'un 
ou  l'autre  de  ses  auteurs  eût  été  seul  à  la  rédiger.  La 
Beaumelle  est  plus  diffus  et  plus  déclamateur,  comme 
un  homme  de  lettres  du  dix-huitième  siècle  ;  Rabaut  est 
simple  et  calme,  mais  un  peu  lourd,  comme  un  homme 
d'action,  plus  accoutumé  à  braver  les  dangers  qu'à 
cultiver  l'art  d'écrire,  et  qui  enregistrait  (1)  sans  se 
permettre  un  mot  d'attendrissement  ou  d'horreur,  sur 
son  carnet  de  poche,  la  date  du  martyre  de  ses  propres 
collègues  (2). 

Le  fragment  suivant  fera  connaître  l'esprit  et  l'accent 
de  cette  noble  protestation  : 

«  Ce  qui  nous  a  pénétré  de  la  plus  vive  douleur,  c'est  qu'en 
lisant  ce  Monitoire,  nous  y  avons  vu  qu'on  suppose  comme 
un  lait  prouvé  ou  du  moins  probable  que  l'assassinat  du  dé- 
funt avait  été  délibéré  dans  une  assemblée  de  Religion  et  que 
ses  Parents  avaient  été  chargés  de  l'exécuter.  Voilà  donc  nos 
Assemblées  religieuses  accusées,  par  un  tribunal  de  justice,  avec 


(!)  Egl.  du  Dés.,  t.  2.  p,  17  0. 

(2)  On  sait  que  La  Beaumelle  avait  l'habitude  de  publier  ses 
noiubreuï  ouvrages  sous  des  noms  supposés  et  n'en  a  signé  qu'un 
seul.  L'année  suivante,  parut  à  Avignon,  sous  la  fausse  indicaiion 
de  Paris,  son  Préservatif  contre  le  déisme  ou  histruction  pastorale 
de  monsieur  Dumont,  ministre  du  St-Evangile,  à  son  troupeau,  sur  le 
livre  de  M.  J.  Jacques  Rousseau  intitulé  :  Emile  ou  de  Véducatiou, 
A  Paris,  1763  (204  p.  in-i'i).  Ce  livre  est  dédié  à  M""^  Nicol,  née 
Lavaysae,  une  des  sœurs  de  Gauberl  Lavajsse,  qui  épousa  plus  tard 
La  Beaumelle  en  secondes  noces.  L'ouvrage  avait  d'abord  la  forme 
d'une  Lettre  pastorale  de  Babaul,  mais  il  subit  de  grandes  modifi- 
cations et  fut  imprimé  sur  une  copie  écrite  par  le  jeune  Rabaut 
Saint-Etienne. 

Je  dois  à  la  complaisance  de  M.  Angiiviel  ces  détails  curieux 
qu'il  n'est  pas  inutile  de  meilre  en  regard  de  la  collaboration  de 
La  Beaumelle  au  Mémoire  de  raiil  Habaul,  lait  jiis(ju'ici  entièrement 
ignoré, 

17 


194  PAUL   RABAUT 

approbation  de  l'Official  et  sous  les  yeux  d'une  Cour  souve- 
raine, d'être  une  espèce  de  cabale  où  l'on  délibère  le  parricide. 

«  On  ne  s'en  est  pas  tenu  là,  on  a  publié  que  Calvin,  dans  son 
Institution,  avait  fait  de  cette  Doctrine  un  point  de  Morale  et 
de  Foi.  Enlin  on  a  poussé  les  choses  jusqu'à  dire  que  nous 
avions  tenu  un  Synode  à  Nîmes  ou  dans  les  environs,  lequel 
avait  décidé  que  les  pères  et  les  mères  sont  obligés  en  con- 
science, et  conséquemment  doivent  être  exhortés,  à  ôter  la  vie 
à  leurs  enfants,  plutôt  que  de  leur  permettre  de  quitter  leur 
Religion. 

«  Que  de  pareilles  atrocités  se  répandissent  parmi  un  peuple 
ignorant,  et  à  l'égard  d'une  Société  peu  connue,  on  pourrait 
n'en  être  pas  étonné  :  mais  que  dans  un  siècle  aussi  éclairé  que 
le  nôtre  on  charge  de  telles  accusations  une  Eglise  dont  la 
créance  est  celle  de  la  moitié  de  l'Europe;  que  le  magistrat  y 
donne  lieu  par  un  Monitoire  qui  tend  à  nous  rendre  odieux  : 
que  les  supérieurs  ne  répriment  pas  un  si  cruel  attentat  con- 
tre des  citoyens  que  la  loi  ne  distingue  pas  du  reste  des  sujets, 
c'est  presque  nous  livrer  à  la  fureur  d'une  populace  crédule. 

ff  Nous  ne  le  dissimulons  point,  c'est  nous  attaquer  par  l'en- 
droit le  plus  sensible  que  de  nous  imputer  de  semblables  hor- 
reurs. Que  l'on  contisque  nos  biens,  qu'on  nous  envoyé  aux 
galères,  qu'on  attache  nos  ministres  au  gibet,  qu'on  nous  ras- 
sasie d'opprobres  et  de  supplices;  mais  du  moins  qu'on  res- 
pecte les  maximes  d'une  morale  qui  n'a  d'autre  auteur  que 
Jésus-Christ  même.  Qu'on  nous  punisse  comme  de  mauvais 
raisonneurs,  ou  comme  infracteurs  de  ces  loix  pénales  que 
nous  ne  pouvons  observer  sans  violer  de  plus  augustes  loix  ; 
mais  qu'on  ne  nous  accuse  pas  d'être  des  pères  dénaturés  et  de 
l'être  eu  vertu  des  principes  d'une  religion  toute  sainte 

«  On  peut  dire  hardiment  que  ceux  qui  ont  imaginé 
celte  assemblée  ne  l'ont  pas  crue.  S'ils  l'avaient  crue,  l'au- 
raient-ils  énoncée  dans  un  Monitoire?  En  l'énonçant  ne  don- 
noient-ils  pas  avis  aux  coupables  de  prendre  la  fuite?  Aucun 
pourtant  ne  l'a  prise.S'ils  l'avoient  seulement  soupçonnée,  n'au- 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         105 

roient-ils  pas  fait  des  recherches  secreltes?  n'auroient-ils  pas 
craint  d'éventer  un  mystère  si  important?  quel  a  donc  été  leur 
but?  Il  est  difficile  de  leur  en  attribuer  d'autre  que  celui  de 
nous  rendre  odieux.  L'accusation  imputée  contre  Calvin  est 
une  impudence  qui  ne  mérite  pas  de  réponse.  Les  écrits  de  ce 
docteur  ont  fait  l'admiration  d'une  partie  du  monde  et  le  dé- 
sespoir de  l'autre  :  qu'on  les  lise  et  l'on  verra  que  sa  morale 
n'est  autre  que  celle  de  l'Evangile.  » 

Rabaut  envoya  cette  apologie  des  protestants  de 
France  au  magistrat  chargé  de  poursuivre  les  Calas,  au 
procureur  général  Riquet  de  Bonrepos,  avec  une  lettre 
qu'on  lira  plus  loin. 

On  a  pu  voir  dans  X Histoire  des  Eglises  du  Déserf 
que  la  vivacité  bien  motivée  de  ces  paroles,  où  l'auteur 
se  départait  de  l'extrême  modération  ordinaire  aux  re- 
quêtes des  protestants,  fut  blâmée  par  eux.  Le  pasteur 
Pierre  Encontre  trouvait  les  expressions  «  un  peu  fortes.  » 
De  la  Broue,  chapelain  de  l'ambassade  de  Hollande  k 
Paris,  écrivit  k  Babaut  avec  plus  de  justesse,  sous  son 
pseudonyme  d'Euorbald  : 

«  Je  trouve  le  mémoire  bon,  mais  j'eusse  improuvé,  si  j'avais 
été  consulté,  l'épigraphe.  On  peut  répondre  avec  vigueur,  mais 
que  l'esprit  de  douceur  soit  notre  guide;  éloignons  tout  ce  qui 
sent  la  récrimination  et  l'aigreur.  » 

La  colère  des  ennemis  du  protestantisme  fut  extrême. 
On  s'offensa  de  voir  paraître  au  grand  jour  la  réclama- 
tion d'un  pasteur  proscrit,  qui  n'avait  pas  même  d'exis- 
tence légale  et  vivait  sous  la  menace  perpétuelle  du  sup- 
plice, subi  récemment  par  plusieurs  de  ses  collègues 
et  par  un  autre,  Rochette,  quelques  semaines  plus 
tard.  On  s'irrita  d'une  audace  qui  parut  une  énormité. 


196  PAUL   RABAUT 

On  jugea  nécessaire  de  réfuter  publiquement  l'écrit 
du  pasteur  par  des  Observations  sw  un  Mémoire  qui  pa- 
rait sous  le  nom  de  Paul  Rnbaut^  intitulé  la  Calomnie 
confondue — 1762.  L'auteur  anonyme  était  l'abb?  de  Gon- 
tezat.  Il  avait  pris  pour  épigraphe  cette  phrase  de  saint 
Cyprien  :  Ne  dum  tacemus^  non  verecundiœ  sed  difp.- 
dentiœ  causa  tacere  videamur,  «  De  peur  que  si  nous 
nous  taisions  notre  silence  ne  fût  attribué  non  à  l'humi- 
lité mais  à  la  confusion.  »  (1) 

L'abbé  de  Gontezat  nous  est  inconnu.  On  a  dit  qu'il 
avait  été  appelé  à  Toulouse  pour  essayer  de  convertir  le 
pasteur-martyr  François  Rochette  et  les  trois  gentils- 
hommes exécutés  avec  lui  le  19  février.  On  ajoutait  que 
ses  moeurs  étaient  très-mauvaises.  Nous  ne  savons  si  ces 
allégations  sont  exactes  ;  mais  ce  qui  est  incontestable 
c'est  l'excès  de  violence  et  de  noirceur  qui  d'un  bout  à 
l'autre  anime  cet  écrit.  Il  ne  s'agit  plus  ici  de  V esprit 
de  douceur  qu'exigeait  De  la  Broue,  ni  même  des  récrimi- 
nations et  de  Vaigreur  qu'il  blâmait.  Il  s'agit  de  lancer 
contre  des  prisonniers  et  des  proscrits  les  accusations  les 
plus  perfides,  qui  devaient,  si  elles  étaient  accueillies,  les 
mener  à  l'échafaud. 

Ainsi,  l'auteur  trouve  naturel  que  les  pasteurs  soient 
soupçonnés  (sans  ombre  de  preuves)  d'avoir  ordonné 
l'assassinat  de  Marc-Antoine  : 

«  On  a  pu  légitimement  supposer  que  le  zèle  cruel  d'un  père 
protestant  était  enflammé  par  les  suggestions  de  ceux  qui  sont 
les  oracles  et  le  soutien  de  la  Religion  prétendue  Réformée.  » 

Voici  le  portrait  de  fantaisie  qu'il  trace  de  ces  pas- 
teurs; voici  comment  il  explique  qu'il  peut  y  avoir  des 

(1)  Bibliographie,   n°  12. 


ET  LES  PROTESTANT.S  DE  FRANCE.         197 

protestants  qui  eux-mêmes  ne  connaissent  pas  les  maxi- 
mes de  sang  pratiquées  dans  leur  secte  : 

«  Leur  mauvaise  foi  leur  fournit  assez  de  moyens  pour  faire 
glisser  le  poison  de  leurs  fureurs  dans  le  cœur  de  certains  de 
leurs  disciples,  disposés  a  le  recevoir  par  caractère,  par  tempé- 
rament ou  même  par  intérêt  ;  mais  ces  fanatiques  se  garderont 
bien  de  laisser  apercevoir  leur  système  de  sang  a  ces  Religion- 
naires  dont  la  naissance  a  formé  les  sentiments,  dont  l'éduca- 
tion a  poli  les  mœurs,  et  qui  ne  sont  attachés  au  Calvinisme  que 
par  indifférence  et  parce  que  cette  Religion  n'impose  aucune 
gêne.  » 

L'acharnement  de  l'abbé  de  Contezat  contre  les  Ca- 
las est  plus  grand  encore  que  celui  avec  lequel  il  atta- 
que les  pasteurs.  Voici  un  exemple  où  l'on  verra  k  quel 
point  une  partialité  éhontée  peut  tout  défigurer  : 

H  Si  les  sentiments  de  tristesse  et  d'effroi  sur  le  sort  d'un 
père,  qui  remplira  peut-être  toute  sa  maison  de  saug,ne  nous  im- 
posaient silence,  nous  rappellerions  ici  tant  de  propos  prononcés 
avec  fureur,  d'un  air  menaçant,  les  yeux  égarés,  le  visage  en  feu  : 
combien  de  fois  a-t-on  entendu  ces  parents  furieux  rendre  le 
Ciel  complice  de  leur  colère  pour  former  des  vœux  homicides, 
dévouer  leurs  enfans  catholiques  à  l'exécration  la  plus  affreuse, 
et  regarder  leur  retour  à  la  vraie  foi  comme  une  défection  dés- 
honorante? N'a-t-on  pas  vu  des  Prélats  et  des  Magistrats  se 
réunir  pour  essuyer  les  larmes  du  fils,  réprimer  la  douleur 
cruelle  du  père,  et  par  des  ménagements  de  prudence,  ordonner 
une  séparation  aussi  utile  a  la  sûreté  de  l'un  que  nécessaire  a  la 
violence  de  l'autre  ?  » 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  cet  odieux  libelle, 
c'est  qu'on  y  trouve  les  passages  de  Calvin  et  de  Luther 
sur  lesquels  on  fondait  l'accusation  inouïe  qui  venait  de 

17. 


J98  PAUL   RABAUT 

surgir  au  bout  de  deux  siècles  contre  leur  mémoire  et 
les  Eglises  que  Dieu  a  fondées  par  leurs  mains. 

Voici  d'abord  le  texte  de  Calvin.  Nous  n'avons  pas  be- 
soin de  faire  observer  qu'il  n'y  est  pas  question  le  moins 
du  monde  d'empêcher  ou  de  punir  le  changement  de 
religion,  bien  moins  encore  d'autoriser  le  meurtre  des 
enfants  par  leurs  pères.  Il  s'agit  de  commenter  le  com- 
mandement :  Tu  honoreras  ton  père  et  ta  mère,  dont  la 
violation  dans  certaines  circonstances  était  punie  de  la 
peine  capitale  chez  les  Juifs  (Exode  21,  7.  Lév.  20,  9. 
Prov.  20,  20.  Deut.  21, 18)  comme ,  au  reste,  chez  les 
Romains  et  d'autres  peuples  anciens. 

"  Tous  ceux  qui  violent  l'aïUhorité  paternelle,  ou  par  mes- 
pris  ou  par  rébellion,  sont  monstres  et  non  pas  hommes.  Pour- 
tant (c'est  pourquoi)  nostre  Seigneur  commande  de  mettre  à 
mort  tous  ceux  qui  sont  désobéissants  à  père  et  à  mère  :  et  ce 
à  bonne  cause.  Car  puisqu'ils  ne  recognoissent  point  ceux,  par 
le  moyen  desquels  ils  sont  venus  en  ceste  vie,  ils  sont  certes 
indignes  de  vivre.  Or  il  appert  par  plusieurs  passages  de  laloy 
ce  que  nous  avons  dict  estre  vray  :  ascavoir  que  l'honneur  dont 
il  est  ici  parlé,  lia  trois  parties:  Reuerence,  obéissance  et 
amour,  procédant  de  la  recognoissance  desbienfaicts.  La  pre- 
mière est  commandée  de  Dieu,  quand  il  commande  de  mettre  k 
mort  celuy  qui  aura  détracté  de  père  et  de  mère,  car  en  celk 
il  punit  tout  contemnement  et  mespris.  La  seconde  en  ce  qu'il 
a  ordonné  que  l'enfant  rebelle  et  désobéissant  fust  aussi  mis  à 
mort....  (Inst.  L.  2.  ch.  8.  sect.  36.  )  » 

On  peut  trouver  très-sévère  cette  législatioQ  de  l'An- 
cien Testament  qui  punissait  de  mort  les  fils  rebelles  ; 
mais  il  est  trop  évident  qu'il  n'y  a  aucune  espèce  de 
rapport  entre  la  peine  capitale  prononcée  dans  ce  cas, 
et  l'ordre  donné  à  des  pères  de  tuer  leurs  enfants  s'ils 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         199 

voulaient  se  faire  catholiques.  Court  de  Gébelin  a 
parfaitement  prouvé  d'ailleurs  (1)  qu'il  n'y  a  aucune 
différence  entre  les  commentaires  des  protestants  sur 
ce  texte  et  ceux  des  catholiques.  Il  a  choisi  pour  cette 
démonstration  les  Institutions  de  Mgr  de  la  Poype  de 
Vertrieu,  Evêque  de  Poitiers,  publiées  en  1732  dans  sa 
ville  épiscopale,  en  5  volumes  in-12.  On  y  trouve  (t.  2, 
p.  209-215)  les  mêmes  textes  de  l'Ancien  Testament 
cités  et  commentés  de  la  même  manière.  Il  serait  très- 
facile  d'ajouter  à  cet  exemple  une  multitude  de  citations 
analogues  et  de  prouver  que  si  la  doctrine  du  parricide 
est  dans  Calvin,  elle  n'est  pas  moins  chez  une  foule  de 
théologiens  catholiques,  qui  disent  identiquement  ce 
qu'il  a  dit.  Catholiques  et  protestants  ont  eu  longtemps 
le  tort  de  ne  pas  comprendre  que  les  lois  des  Juifs  ne 
sont  nullement  applicables  à  la  chrétienté,  ni  aux  temps 
modernes. 

Quant  au  passage  très-violent  tiré  d'une  lettre  de 
Luther,  on  peut  y  voir  à  bon  droit  le  souhait  coupa- 
ble d'une  sorte  de  croisade  ou  expédition  à  main  armée 
contre  ceux  qu'il  appelle  :  Bos  magistros  perdi- 
tionis,  hos  Cardinales,  hos  Papas  ettotam  istam  Romance 
SodomcB  colliviem,  quœ  Ecclesiam  Dei  sine  fine  corrum- 
pit  (2).  Mais  rien,  en  tout  ceci,  ne  ressemble  à  l'ordre  d'é- 


(i)  Toulousaines, 

(2)  «Si  on  pend  les  larrons  au  gibel^  si  on  châtie  les  brigands  avec 
Je  glaive  et  les  hérétiques  par  te  feu ,  pourquoi  n* attaquons-nous  pas 
de  toutes  nos  forces  ces  maîtres  de  perdition,  ces  cardinaux,  ces 
papes  et  toute  cette  racaille  de  la  Sodome  Romaine  qui  ne  cesse  de 
corrompre  rEpliso  de  Dieu""  Pourquoi  ne  lavons-nous  pas  nos 
mains  dans  leur  sang  ?  » 

Ces  paroles  affreuses,  inexcusables,  écrites    dans  un  moment  de 
colère,  et  conformes  à  la  doctrine   catholique   sur  le  prétendu  de- 


200  PAUL    BABADT 

traiigler  les  apostats  par  les  mains  de  leurs  pères.  Il  ne 
s'agit  nullement  de  protestants  convertis  au  catholi- 
cisme; et  l'abbé,  pour  faire  cadrer,  tant  bien  que  mal,  sa 
citation  avec  son  sujet,  a  omis  dans  sa  traduction  les 
Maîtres  de  perdition,  les  Cardinaux  et  les  Papes,  et 
s'est  borné  à  traduire  cette  racaille  de  la  Sodome  Ro- 
maine. Sans  cette  omission,  nul  n'aurait  pu  songer  à  re- 
connaître Marc- Antoine  Galas  ou  ses  pareils,  dans  une 
énumératioiî  injurieuse  des  princes  de  l'Eglise  de  Rome; 
tandis  que  la  phrase  ainsi  allégée  pouvait  à  toute  rigueur 
paraître  applicable  aux  prosélytes  du  catholicisme. 

Ce  n'est  pas  volontairement  que  l'abbé  se  contenta 
de  citer  Calvin  et  Luther  d'une  façon  si  maladroite.  On 
dit  que  pendant  quelques  jours  les  livres  protestants  fu- 
rent en  grande  réquisition  à  Toulouse  ;  magistrats,  prê- 
tres, moines  surtout  (à  cause  de  certaines  bibliothèques 
de  couvent,  qui  ont  le  privilège  de  posséder  les  livres 
hérétiques),  cherchaient  à  l'envi  dans  ces  livres  les  pré- 


voir imposé  à  la  vraie  Eglise  de  détruire  l'iiérésie,  ne  peuvent  être  plus 
dignement  réfutées  que  par  d'autres,  tout  opposées,  écrites  parle 
même  Luther. 

On  se  souvient  qu'en  15(J2  il  s'agissait  entre  princes  et  Etals 
protestants  de  s'engager  dans  une  alliance  pour  la  défense  de  la  Re- 
ligion et  de  prendre  les  armes.  Voici  la  réponse  du  Réfor- 
mateur à  cette  proposition  :  *  Nous  ne  pouvons  en  bonne  cons- 
«  cience,  ni  conseiller,  ni  approuver  une  semblable  alliance,  vu  que 
'<  si  l'on  venait  à  répandre  du  sang  ou  s'il  en  résultait  du  mal,  nous 
>'  aimerions  mieux  dix  fois  être  morts  que  de  nous  exposer  au  re- 
«  proche  d'avoir  occasionné  des  désordres  et  du  carnage  par  notre 
«  Evangile.  Noire  devoir  est  de  souffrir  et  nous  devons  selon  le 
«  |)rop!iéte  (Ps.  4  4-9  3)  nous  estimer  comme  des  brebis  envoyées  â 
<«  la  boucherie...  ..  Plus  loin  on  Ut...  «  Nous  ferons  plus  par  nos 
«  prières  et  par  nos  supplications,  que  nos  adversaires  par  leur 
"  fw-rte  et  leur  vanterie  ;  mais  gardons-nous  do  souiller  nos  mains 
<<  de  sang  et  de  violence.  (Ed.  Walsch.  tome  4,  p.    5  6  4.)  » 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         201 

ceptes  de  sang  qu'on  croyait  y  trouver  mais  qu'on  n'y 
trouva  pas.  Faute  de  mieux,  il  fallut  se  contenter  de  ces 
deux  passages,  absolument  étrangers  à  la  question. 

L'indigne  diatribe  de  l'abbé  fut  distribuée  aux  mem- 
bres du  Parlement,  juges  des  Calas,  par  les  soins  du 
Procureur  général  (1). 

Quant  au  mémoire  de  Rabaut,  ce  magistrat  le  dénonça 
à  la  fois  au  Ministre  par  une  lettre  particulière  et  au 
Parlement  par  un  réquisitoire  en  forme.  La  réponse 
du  Ministre  est  extrêmement  curieuse  et  les  lettres 
échangées  à  ce  même  sujet  par  le  chancelier  de  La- 
moignon  et  M.  de  Saint-Priest,  Intendant  du  Langue- 
doc, ne  le  sont  pas  moins  (2).  M.  de  Saint-Floren- 
tin craint  quelque  secousse  si  Paul  Rabaut  était  ar- 
rêté (parce  qu'il  aurait  fallu  le  rouer  ou  le  pendre 
comme  les  autres).  Le  respect  et  le  dévouement  que 
s'était  attirés  le  pasteur  du  Désert  rendaient  son  arres- 
tation et  son  supplice  dangereux.  D'ailleurs,  il  avait 
pacifié  la  contrée  (comme  le  dit  l'abbé  de  Gontezat  lui- 
même),  et  après  tout,  l'on  aimait  encore  mieux  à  Ver- 
sailles profiter  de  son  dévouement  pour  calmer  et 
contenir  ses  coreligionnaires  que  les  exaspérer  par  sa 
mort.  Aussi  le  Ministre  ordonne-t-il  au  Procureur  gé- 
néral de  présenter  au  Parlement  un  des  exemplaires 
de  la  Calomnie  confondue  où  le  nom  de  Rabaut  ne 


(1)  Il  existe  dans  la  collection  de  pièces  réunies  par  M"*  de  la 
Beaumelle,  née  Lavaysse,  une  Copie  d'une  lettre  de  Mr.,.  à  M.  Paul 
Rabaut.  C'est  un  projet  de  réponse  à  Tabbé  de  Gontezat.  11  y  est  dit 
que  déjà  un  jeune  licencié  en  théologie  lui  avait  répliqué;  mais  il 
parait  que  ces  réfutations  n'ont  vu  le  jour  ni  l'une  ni  l'autre. 

(2)  Voir  :  Correspondance  :  Lettres  13,  14,  16. 


202  PAUL  RABÂUT 

se  trouvait  point  (1),  et  d'éviter  soigneusement  que  cenom 
fût  prononcé.  A  vrai  dire,  ce  que  M.  de  Saint-Florentin 
aurait  préféré,  c'était  que  Rabaut  quittât  le  pays  ;  c'est 
dans  l'espoir  de  l'y  résoudre  parla  terreur  qu'il  consent 
aux  poursuites  projetées  contre  son  Mémoire,  autorisant 
même  le  Procureur  général  à  le  faire  arrêter,  s'il  a  en- 
core l'audace  de  se  montrer  après  ce  décret,  mais  en  pre- 
nant de  bonnes  mesures  pour  prévenir  toute  secousse. 

Soit  excès  de  zèle,  soit  qu'un  des  membres  de  la  Cour 
eût  prononcé  le  nom  interdit,  soit  plutôt  que  la  lettre 
du  Ministre  qui  est  du  2  mars  ne  lui  fût  point  parvenue 
le  6,  M.  de  Bonrepos  nomma  (jusqu'à  six  fois)  Paul  Ra- 
baut dans  ses  réquisitoires,  mais  non  dans  le  texte 
même  de  l'arrêt  qui  fut  rendu  à  sa  requête. 

Il  se  plaint  de  ce  que  Paul  Rabaut  prend  le  titre  de 
Ministre  du  Saint-Evangile,  de  ce  qu'il  a  osé  dater  son 
ouvrage  du  Désert^  de  ce  qu'il  prétend  tous  les  protes- 
tants enveloppés  dans  l'accusation  de  quelques  particu- 
liers. —  Le  lecteur  a  pu  juger  si  Rabaut  avait  tort  de 
le  prétendre. 

Le  Procureur  général  se  plaint  enfin  de  ce  que  l'au- 
teur du  Mémoire  imulte  à  la  religion  en  rapprochant 
la  conduite  des  premiers  chrétiens  de  celle  des  nou- 
veaux prosélytes  de  la  R.  P.  R,  (2)  Ce  que  veut  cet 
auteur  séditieux,  en  bravant  à  la  fois  V autorité  séculière 


(i)  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  en  exislc  où  son  nom  se  trouve; 
au  moins  en  avons-nous  eu  plusieurs  entre  les  mains,  lous  anonymes, 
et  Rabaut  le  dit  lui-même    dans  le    Mémoire  qu'on    lira  plus  loin. 

(2)  Rabaut  avait  dit  avec  raison  que  pour  trouver  un  exemple 
d'une  calomnie  aussi  inique,  il  fallait  remonter  jusqu'aux  crimes  fa- 
buleux dont  les  chrétiens  des  premiers  siècles  étaient  accusés  par 
leurs  persécuteurs. 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FRANCE.         203 

et  l'autorité  ecclésiastique,  c'est  prépa)^er  ceux  dont  il  a 
surpris  la  confiance  par  ses  déclamations^  à  redouter  et 
cependant  à  mépriser  toute  autorité.  On  passe  aisément 
du  mépris  à  la  révoKe,  et  c'est  le  point  de  vue  de  cette 
foulede  ministres  obscurs  qui  n' attendent  leur  considéi^a- 
tion  et  leur  fortune  que  du  trouble  et  du  désordre. 

Tout  ceci  aboutit  à  une  théorie  complète  du  despo- 
tisme le  plus  illimité,  au  point  de  reléguer  dans  l'autre 
monde  l'autorité  de  Dieu  même  pour  tout  laisser  ici- 
bas  à  celle  du  roi,  et  cela  sous  prétexte  d'une  parole 
de  Jésus-Christ  : 

Le  royaume  de  Dieu  n'est  pas  de  ce  monde;  il  ne  veut  régner 
que  sur  les  cœurs  et  les  consciences  ;  il  laisse  aux  rois  de  la 
terre  un  empire  absolu  sur  les  actes  extérieurs  de  leurs  sujets. 

En  conséquence,  si  F.  Rochette  vient  d'être  condamné  à 
mort,  ce  n'est  point  comme  mauvais  raisonneur,  mais  comme  sédi- 
tieux et  réfractaire  aux  ordres  du  mi. 

Paul  Rabaut  écrivit  immédiatement  un  nouveau  Mé- 
moire fort  court,  qu'il  envoya  au  Procureur  général  et 
au  Ministre,  et  qui  n'a  jamais  été  publié.  Nous  l'insérons 
tout  entier,  d'après  l'exemplaire  adressé  à  M.  de  Saint- 
Florentin  et  qui  est  de  l'écriture  de  Rabaut  St-Etienne 
(Arch.  Imp.).  Cette  humble  réclamation  nous  paraît  un 
modèle  de  dignité,  de  simplicité  et  de  modération.  Ja- 
mais un  innocent  calomnié  ne  s'est  plus  noblement  sou- 
venu ((  qu'il  était  personne  proscrite  et  qu'il  fallait 
respecter  les  lois.  » 

MÉMOIRE    POUR    PAUL    RABAUT 
{sans  indication  de  lieu  ou  de   date,  ni  signature,) 

C'est  avec  la  plus  vive  douleur  que  le  S'  Paul  liahaut  ap- 
prend de  toutes  parts  qu'il  a  eu  le  malheur  d'indisposer  con- 


2(l/i  PAUL   RABAUT 

tre  lui  premièreinenL  Monsieur  le  Procureur  général  du  Parle- 
ment de  Toulouse,  par  la  lettre  qu'il  prit  la  liberté  de  lui  écrire 
le  5"  du  mois  de  janvier,  et  par  la  qualité  de  ministre  qu'il 
ajouta  h  sa  signature  ;  et  en  second  lieu  le  gouvernement  qui 
est  informé  de  ces  choses . 

Si  P.  Rabaut  avait  pu  prévoir  que  sa  lettre  et  la  manière 
dont  ill'a  signée  pussent  produire  un  pareil  effet,  assurément 
il  n'y  aurait  eu  de  sa  part,  ni  lettre,  ni  signature.  Jamais  il 
n'eut  intention  de  provoquer  ni  les  Magistrats  ni  le  Gouverne- 
ment ;  ceux  qui  le  connaissent  savent  que  c'est  un  sujet  paisi- 
ble, dont  l'unique  ambition  est  d'être  utile  à  sa  patrie,  et  qui, 
en  plus  d'une  occasion,  a  donné  les  plus  fortes  preuves  de  son 
zèle  pour  le  bien  de  l'Etat,  de  son  attachement  respectueux 
pour  le  Koi  et  de  sa  profonde  vénération  pour  tous  ceux  à  qui 
Sa  Majesté  confie  une  portion  de  son  autorité.  Il  supplie  très 
humblement  qu'on  lui  permette  d'exposer  avec  simplicité  com- 
ment les  choses  se  sont  passées  afin  qu'on  soit  instruit  des 
raisons  de  sa  conduite.  Si  nonobstant  ces  raisons,  on  persé- 
vère a  le  trouver  coupable,  gémissant  de  son  malheur,  il  n'aura 
plusqu'à  demander  grâce  pour  une  faute  tout  à  fait  involon- 
taire . 

On  sait  quelle  horrible  accusation  a  été  intentée  aux  protes- 
tants du  Bas-Languedoc  ;  on  a  voulu  que  dans  un  synode,  ils 
aient  délibéré  le  parricide  pour  cause  de  religion.  Ne  point 
réfuter  une  calomnie  aussi  atroce,  c'était  l'accréditer.  On  fut 
donc  obligé  d'en  montrer  la  fausseté  et  c'est  ce  qui  produisit  le 
Mémoire  qui  a  pour  titre  :  La  Calomnie  confondue,  etc. 

Si  P.  Rabaut  avait  voulu  faire  ostentation  de  son  titre,  il 
l'aurait  mis  avec  sa  signature  dans  le  Mémoire  imprimé  ;  il  n'en 
lit  pourtant  rien,  se  souvenant  (ju'il  était  personne  proscrite 
et  qu'il  fallait  respecter  les  lois. 

Mais  rélléchissant  d'un  autre  côté  qu'un  Mémoire  sans  nom 
d'auteur  n'aurait  ni  authe,nticité,  ni  force  par  conséquent,  et 
(|ue,  pour  détruire  la  calomnie,  il  était  nécessaire  qu'on  sût  d'où 
partait  le  Mémoire  dont  il  s'agit  et  qu'il  avait  pour  auteur  un 


ET  LES  PROTESTANTS  DE  FBANCE.         205 

membre  de  ce  Synode  qu'on  accusait  d'une  si  grande  énormité, 
P.  Rabaut  prit  la  liberté  d'écrire  à  M.  le  Procureur  général  la 
lettre  suivante  dont  il  a  gardé  soigneusement  copie  : 

«  Monsieur, 

«L'accusation  qu'on  a  osé  nous  intenter  est  trop  grave,  elle 
tire  a  de  trop  dangereuses  conséquences  pour  ne  pas  en  mon- 
trer la  fausseté  et  même  le  ridicule.  Nous  l'avons  fait  dans  le 
Mémoire  que  je  prens  la  liberté  de  vous  adresser.  Nous  espé- 
rons. Monsieur,  de  vos  lumières  et  de  votre  équité  que  vous 
voudrez  bien  en  faire  usage  pour  démasquer  l'imposture  et  faire 
rendre  justice  a  des  hommes  ,  a  de  bons  citoyens,  à  de  iidèles 
sujets.  Je  suis  avec  un  profond  respect.  Monsieur,  etc.  » 

Si  celte  lettre  a  dans  sa  forme  ou  dans  ses  termes  quelque 
chose  de  peu  respectueux  pour  le  magistrat  auquel  elle  était 
adressée,  P.  Kabaut  supplie  de  n'en  chercher  la  cause  que 
dans  son  ignorance  des  usages  et  du  style  qui"  doit  être  em- 
ployé lorsqu'on  s'adresse  aux  grands.  Vivant  dans  les  déserts, 
il  a  pu  ignorer  les  formules  usitées  dans  le  monde  ;  mais,  pé- 
nétré du  plus  profond  respect  pour  toutes  les  personnes  consti- 
tuées en  dignité  et  particulièrement  pour  les  Ministres  des  lois, 
il  proteste  que  son  cœur  n'a  point  eu  de  part  à  l'offense.  S'il 
ajoute  à  sa  signature  la  qualité  de  Ministre,  c'est  d'un  cùté 
qu'il  ne  savait  point  être  connu  de  M.  le  Procureur  général  et 
que  de  l'autre,  ayant  trouvé  dans  un  calendrier  de  Toulouse  le 
nom  d'un  avocat  parfaitement  conforme  au  sien  ,  il  crut  néces- 
saire de  ne  pas  compromettre  cet  avocat  qu'il  ne  connaît  point , 
et  de  prendre  sur  lui  tous  les  risques,  s'il  y  en  avait  a  courir. 

On  le  réitère,  si  cette  courte  apologie  ne  suflit  pas  pour  dis- 
culper P.  Rabaut,  il  gémira  sur  une  faute  involontaire  et  sur 
son  état  de  proscription  qui  s'oppose  au  désir  qu'il  a  de  l'expier, 
en  donnant  les  preuves  les  plus  authentiques  de  sa  douleur  sin- 
cère ;  il  suppliera  le  gouvernement  de  lui  faire  grâce  et  de  ne  pas 
douter  de  la  pureté  de  ses  intentions  et  du  désir  qu'il  a  d'être 
utile  à  sa  patrie. 

18 


206  PAUL   RABAUT 

Malgré  cette  humble  et  ferme  défense,  la  Cour  con- 
damna ((  ledit  écrit  à  être  lacéré  et  briilé  au  bas  du 
perron  du  palais,  par  l'exécuteur  delà  Haute  Justice.  » 
Elle  ordonna  de  plus,  mais  sans  désigner  Rabaut,  qu'il  se- 
rait informé  «  contre  tous  ceux  qui  ont  composé,  écrit, 
imprimé,  distribué  ou  débité  ledit  Libelle.  » 

Le  8  mars  en  effet,  k  l'issue  de  l'audience,  en  présence 
de  Joseph-Guillaume  Gravier,  greffier  garde-sacs  de  la 
Cour,  le  bourreau  brûla  l'écrit  de  Rabaut  dans  la  cour 
du  palais  de  justice  (1). 

Cette  condamnation  et  l'ordre  donné  d'informer  con- 
tre les  auteurs,  distributeurs,  etc. ,  firent  naître,  parmi 
les  protestants  de  France,  les  plus  vives  craintes  pour 
un  homme  qui  était  leur  véritable  chef,  aimé  et  vénéré 
de  tous  (2).  On  s'en  émut  aussi  à  l'étranger,  et  de  divers 
côtés  on  s'empressa  d'offrir  au  pasteur  du  Désert  un  asile 
et  des  moyens  d'existence.  Il  reçut  à  cette  occasion  des 
propositions  honorables  de  Genève,  de  Lausanne,  de 
Copenhague,  d'Altona  ;  il  refusa  tout  et  continua,  en 
redoublant  de  précautions,  son  existence  de   proscrit. 


(i)On  a  écrit  que  Jean  Calas,  en  traversant  la  Cour  du  Palais 
pour  subir  un  interrogatoire,  aperçut  le  bourreau  et  le  bûcher, 
crut  voir  les  apprêts  de  son  supplice  et  se  troubla.  On  affirmait 
que  ses  réponses  se  ressentirent  de  ce  trouble  et  contribuèrent  à  le 
faire  condamner.  Toute  cetteanecdote,  répétée  par  Voltaire  et  d'autres, 
est  fausse  ;  ni  à  Paris,  ni  à  Toulouse,  il  n'existe  aucune  trace  d'in- 
terrogatoire, confrontation  nirecoloment  à  la  date  du  8  mars. 

(2)  '(  Chacun  craignait  pour  Paul.  »  (Rapport  d'Alison  au  duc  de 
Fitz-James,  déjà  cité,  en  date  du  2  avril.) 


CHAPITRE  IX 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS 


t  On  lui  jette  (au  bourreau)  un  empoisonneur,  un 
parricide,  un  sacrilège  ,  il  le  saisit,  il  l'étend,  il  le  lie 
sur  une  croix  horizontale,  il  lève  le  bras  :  alors  il 
se  fait  un  silence  horrible,  et  l'on  n'entend  plus  que 
le  cri  des  os  qui  éclatent  sous  la  barre,  et  les  hur- 
lements de  la  victime.  Il  la  détache;  il  la  porte  sur 
une  roue,  les  membres  fracasse's  s'enlacent  dans  les 
rayons  ;  la  tête  pend;  les  cheveux  se  hérissent,  et  la 
bouche,  entrouverte  comme  une  fournaise,  n'envoie 
plus  par  intervalle,  qu'un  petit  nombre  de  paroles 
sanglantes  qui  appellent  la  mort. 

Le  comte  Joseph  de   Maistre, 
Soiriei  de  St.  Pétersbourg,  1»^  E. 


Elle  de  Beaumont  (1)  raconte  qu'au  moment  où  les 
juges  allaient  prononcer  leur  sentence,  on  fit  courir  le 
bruit  d'un  projet  d'évasion  des  accusés;  aussitôt  leurs 
gardes  furent  dou])lées  ;  pendant  la  nuit,  des  lanternes  al- 
lumées furent  placées  sur  le  toit  des  prisons  ;  une  cloche 
(pii  répondait  au  logis  du  geôlier  fut  suspendue  au  corps 
de  garde.  D'autres  rumeurs  plus  étranges  encore  se  ré- 
pandirent; on  prétendit  que  les  accusés  avaient  voulu  se 
tuer;  la  servante  Viguière  s'étant  trouvée  mal  un  jour 

(I)  E.   de  B.,  3. 


208       TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

jusqu'à  demeurer  sans  connaissance,  on  la  crut  morte 
et  empoisonnée  ;  la  nouvelle  en  fut  portée  à  la  Chambre 
de  la  Tournellequi  siégeait  en  ce  moment  et  qui  envoya 
immédiatement  un  des  conseillers  s'assurer  du  fait. 

Je  rapporte  ces  derniers  bruits  sous  toutes  réserves, 
n'ayant  aucun  moyen  d'en  vérifier  l'exactitude.  Ils  ne 
prouveraient  que  l'angoisse  croissante  des  prévenus  et 
le  zèle  ardent  des  juges. 

La  Chambre  de  la  Tournelle  qui  jugea  Calas  se  com- 
posait de  treize  magistrats,  les  présidents  du  Puget  et 
de  Senaux,  qui  ne  nous  sont  que  trop  connus  par  leurs 
lettres  à  M.  de  Saint-Florentin,  les  conseillers  de  Bojal 
(doyen),  Cassan-Glatens  (1),  d'Arbou,  Coudougnan, 
Cambon,  de  Lasbordes  (2),  Gauran,  Desinnocents,  Mi- 
romont,  de  Boissy  (qui  avait  été  chargé  de  continuer 
l'information),  de  Cassan-Clairac,  rapporteur  (3). 

Il  fut  décidé  que  Calas  père  serait  jugé  seul  avant 
tous  les  autres  ;  on  espérait  obtenir  de  lui,  soit  par  la 
torture,  soit  sur  l'échafaud,  des  aveux  qui  permettraient 
de  condamner  ses  complices. 

L'arrêt  ne  fut  prononcé  qu'au  bout  de  dix  grandes 

(i)  Appelé   aussi  Cassan-GoUe  ou  de  Jolie, 

(2)  M,  de  Lasbordes  s'élail  d'abord  retiré  à  la  campagne,  et 
avnit  dit  qu'il  se  récusait.  11  revint  et  prit  part  au  jugement.  Quel- 
ques-uns croient  qu'il  vola  l'acquitlemenl  ;  il  ce  paraît  pas  que  ce 
«oit  exact. 

(3)  11  y  a  lieu  de  croire  que  plusieurs  de  ces  magistrats  auraient 
dû  se  récuser.  On  lit  dans  le  premier  Mémoire  de  Mariette  qu'un 
des  jupes  avait  dit  aux  D""  Calas  qui  sollicitaient  pour  leur  père  :  Vous 
n'avez  plus  d'autre  père  que  Dieu,  Elles  voulurent  le  récuser,  ainsi 
que  deux  autres,  contre  lesquels  il  y  avait  des  moliTs  de  suspicion 
légale.  11  fallait  pour  cela  être  autorisé  par  les  accusés  eux-mêmes. 
Mais  on  ne  put  les  prévenir,  ni  parvenir  jusqu'à  eux.  Aucun  soldat 
ne  voulut  ou  n'osa  leur  faire  passer  le  moindre  avis. 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  GALAS.       2U3 

séances  (1).  Des  treize  juges,  sept  opinèrent  immédiate- 
ment pour  la  mort,  trois  pour  la  torture  seulement  (se 
réservant  ainsi  de  voter  la  mort  plus  tard,  s'il  y  avait 
lieu)  ;  deux  furent  d'avis  qu'on  vérifiât  avant  tout  s'il  était 
possible  ou  non  que  Marc-Antoine  se  fût  pendu  entre  les 
deux  battants  de  la  porte,  avec  le  billot  et  la  corde 
qui  étaient  au  greffe.  Un  seul  se  déclara  pour  l'acquitte- 
ment. 

Ne  semble-t-il  pas  prodigieux  qu'on  ait  refusé  l'exa- 
men de  fait,  demandé  par  deux  juges?  Conçoit-on  de  nos 
jours  un  tribunal  passant  outre  à  une  condamnation  ca- 
pitale, quand  deux  ou  trois  de  ses  membres  demandent 
une  vérification  qui  n'eût  pas  exigé  une  demi-heure? 
Le  parti  pris  et  la  légèreté  furent-ils  jamais  plus  évi- 
dents? 

Malgré  la  majorité  de  7  voix  sur  13,  Galas  n'était  pas 
condamné  encore  ;  cette  majorité,  d'après  la  loi,  était 
insuffisante  pour  une  sentence  capitale.  Après  un  débat 
prolongé,  ce  fut,  dit-on,  le  doyen  des  conseillers,  M.  de 
Bojal,  qui,  en  se  joignant  aux  7  voix  déjà  obtenues, 
rendit  l'arrêt  de  mort  exécutoire.  On  l'avait  cru  favo- 
rable aux  Calas. 

L'arrêt  portait  1°  que  Calas  subirait  la  question  ordi- 
naire et  extraordinaire  a  pour  tirer  de  lui  l'aveu  de  son 
crime,  complices  et  circonstances  ;  »  «2°  qu'étant  en  che- 
mise, tête  et  pieds  nus,  il  serait  conduit  dans  un  chariot 
des  prisons  du  palais  k  la  cathédrale,  et  que  là  devant 
la  porte  principale,  étant  à  genoux,  «  tenant  en  ses 
mains  une  torche  de  cire  jaune  allumée  du  poids  de 
deux  livres ,  »  l'exécuteur  de  la  haute  justice  «  lui  fera 

(1)  Lettre  du  président  de  Senaux  (Corr.  St-F.  i  5). 

18. 


210      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.. 

faire  amende  honorable  et  demander  pardon  à  Dieu,  au 
roi  et  à  la  justice  de  ses  méfaits;  »  3°  l'ayant  remonté 
sur  ledit  chariot,  l'exécuteur  le  conduira  à  la  place 
Saint-Georges  (1)  où,  sur  un  échafaud,  ((  il  lui  rompra 
et  brisera  bras,  jambes,  cuisses  et  reins  ;  »  l\°  il  le  por- 
tera sur  une  roue  et  l'y  couchera  le  visage  tourné  vers 
le  ciel,  ((  pour  y  vivre  en  peine  et  repentance  de  ses 
dits  crimes  et  méfaits  et  servir  d'exemple  et  donner  de 
la  terreur  aux  méchants  tout  autant  qu'il  plaira  à  Dieu 
de  lui  donner  de  vie.  » 

Cette  sentence,  qui  serait  cruelle,  quand  il  s'agirait 
d'un  véritable  assassin,  fut  prononcée  contre  Jean  Calas 
le  9  mars  et  exécutée  dans  tous  ses  affreux  détails  le 
lendemain. 

Nous  croyons  devoir  insérer  ici  le  procès-verbal  de 
cette  hideuse  boucherie,  tel  que  le  signa  un  homme 
que  nous  devions  retrouver  sur  l' échafaud  de  sa  victime, 
David  de  Beaudrigue.  Ce  procès-verbal  est  un  monument 
historique  d'une  haute  valeur,  parce  que  l'innocence  du 
condamné  y  éclate  à  chaque  instant  à  travers  les  ruses 
de  ses  interrogateurs  et  l'atrocité  de  ses  tourments  (2). 


(i)Plus  d'une  fois  j'ai  irislemcnl  examiné  celle  place  fatale,  dont 
une  fontaine  occupe  le  centre,  au  lieu  de  la  colonne  votée  plus  lard 
par  la  Convention.  Peut  être  vaut-il  mieux  qu'il  en  soitainsi;  pour  moi, 
le  monument  le  plus  éloquent  à  la  mémoire  de  Calas,  c'étaient  quel- 
ques anciennes  maisons  qui  sont  demeurées  debout  çà  et  là,  les 
mômes  qu'il  y  a  cent  ans.  Si  ces  façades  de  bois  et  de  brique  noircie 
pouvaient  dire  ce  qu'elles  ont  vu,  on  n'écrirait  pas  aujourd'hui  à 
Toulouse  que  Jean  Calas  était  un  assassin  et  un  parricide.  On  n'eût 
osé  le  prétendre,  le  jour  où  ces  mômes  fenêtres  regorgaient  de  té- 
moins émus  qui   le    virent    mourir    comme    meurent    les  martyrs. 

Kn  179  4  la  place  Sainl-Goorges  reçut  le  nom  de  place  Calas,  qu'elle 
a  perdu  depuis  longtemps. 

(2) Ce  procès-verbal,  abrégé  de  moitié,  a  élé  publié  par  M.  Fié- 


TORTURE   ET   SUPPLICE    DE   JEAN   CALAS.  211 

PROCÈS-VERBAL     d'eXÉCUTION    DE    JEAN    CALAS    PÈRE. 

«  L'an  mil  sept  cent  soixante-deux  et  le  dixième  jour  du 
mois  de  mars  après-midy,  pardevantnous,  noble  François-Ray- 
mond David  de  Beaudrigue  et  M.  Léonard  Daignan  de  Sendal, 
capiiouls,  dans  le  grand  consistoire  les  plaids  tenant,  a  été 
emmené  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice  le  nommé  Jean 
Calas  père,  accusé  du  crime  d'homicide  par  luy  commis  sur  la 
personne  de  Marc- Antoine  Calas,  son  fils  aîné,  lequel,  tête, 
pieds  nuds,  en  chemise,  ayant  la  hard  au  col,  et  étant  à  ge- 
noux, M.  de  Pijon,  avocat  du  roy,  a  dit  que  le  procès  ayant  été 
fait,  tant  de  notre  autorité  que  celle  de  la  souveraine  cour  de 
parlement,  a  sa  requête  et  a  celle  de  M.  le  procureur  général 
pour  cas  de  crime  d'homicide  contre  ledit  Jean  Calas  père  et 
autres,  ladite  souveraine  cour  de  parlement,  par  son  arrêt, 
rendu  le  neuvième  du  courant  en  la  chambre  Tournelle,  a  con- 
damné ledit  Calas  père  a  faire  amende  honorable  devant  la 
porte  principale  de  l'église  Saint-Etienne  de  Toulouse,  et  a 
être  conduit  ensuite  a  la  place  Saint-Georges,  et  sur  un  écha- 
faud  qui  a  cet  effet  y  sera  dressé,  ledit  Calas  père  y  sera  rompu 
vif  et  ensuite  expiré  sur  une  roue  qui  sera  dressée  tout  auprès 
dudit  échafaud,  la  face  tournée  vers  le  ciel,  pour  y  vivre  en 
peine  et  repentance  de  ses  dits  crime  et  méfaits,  tout  autant 
qu'il  plaira  a  Dieu  de  lui  donner  la  vie,  el  son  corps  mort  jeté 
ensuite  dans  un  bûcher  ardent  préparé  à  cet  effet  sur  ladite  place, 
pour  y  être  consommé  et  ensuite  les  cendres  jetées  au  vent  ; 
préalablement,  ledit  Calas  père  avoir  été  appliqué  k  la  question 

déric  Thomas,  avocat  à  la  Cour  impériale,  dans  les  Pe/i/es  Causes  cé- 
lèbres du  jour,  n°  7,  en  juillet  1855,  et  inséré  dans  le  journal  la 
Presse  le  2  août  suivant.  Nous  avons  coUalionné  ce  document  sur 
l'acle  aulhenlique  conservé  aux  Archives,  el  nous  avons  non-seu- 
lement rétabli  ce  qui  manquait  dans  l'abrégé  imprimé,  mais  repro- 
duit le  style  et  jusqu'à  l'orlliographe  de  l'original.  11  nous  a  paru  itn- 
porlaiil  de  lui  laisser  toute  la  froideur  technique  el  barbare  du  lan- 
gage officiel. 


212       TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

ordinaire  et  extraordinaire;  le  condamne  en  outre  à  cent  sols 
d'amende  envers  le  Roy,  déclare  ses  biens  confisqués  et  acquis 
a  qui  de  droit,  distrait  la  troisième  partie  d'iceux  pour  sa 
femme  et  ses  enfans,  s'il  en  a,  et  aux  dépens  envers  ceux  qui  les 
ont  exposés.  Et  pour  faire  mettre  ledit  arrêt  a  exécution  contre 
ledit  Calas  père,  ladite  cour  renvoie  devant  nous,  nous  commet- 
tant quant  à  ce.  Et  attendu  que  ledit  Calas  père  est  présent, 
requiert  qu'il  soit  tout  présentement  fait  lecture  par  notre  gref- 
fier du  susdit  arrêt,  et  a  signé,  de  Pijon,  avocat  du  Roy. 

«  Sur  qdoy,  nous  dits  capitouls,  faisant  droit  sur  les  réqui- 
sitions du  procureur  du  Roy,  ordonnons  qu'il  sera  tout  présen- 
tement fait  lecture  par  notre  greffier  du  susdit  arrêt. 

«  Après  quoy  le  dit  procureur  du  Roy  a  de  nouveau  requis 
que  demeurant  la  lecture  qui  vient  d'être  faite  du  susdit  arrêt 
icelui  soit  exécuté  contre  ledit  Calas  père,  suivant  la  forme  et 
teneur,  ce  qui  a  été  par  nous  ainsi  ordonné. 

((  Et  tout  incontinent  ledit  Calas  père  ayant  été  conduit  de 
notre  ordre  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice  dans  la  chambre 
de  la  question,  Pardevant  nous  susdits  capitouls,  accompagnés 
de  M*  Labat,  notre  assesseur,  commissaire  en  cette  partie,  et 
de  notre  greffier,  ledit  Calas  père  ayant  été  mis  sur  le  bouton 
de  la  question  ordinaire,  nous  lui  avons  représenté  que,  par 
la  lecture  de  l'arrêt  qu'il  vient  d'entendre,  il  est  condamné  à 
mort,  préalablement  avoir  été  appliqué  a  la  question  ordi- 
naire et  extraordinaire,  qu'il  voit  qu'il  n'a  que  très  peu  de 
temps  à  vivre,  et  des  tourmens  à  souffrir  ;  ce  qui  doit  l'obliger, 
pour  la  décharge  de  sa  conscience,  de  nous  répondre  et  dire 
vérité,  en  nous  déclarant  ses  crimes  et  méfaits,  ensemble  ses 
complices;  et  à  l'instant,  de  notre  mandement, ledit  Calas  père, 
la  main  levée  a  la  passion  figurée  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  a  promis  et  juré  de  dire  vérité. 

«  Et  DE  SUITE  avons  enjoint,  tant  a  l'exécuteur  de  haute 
justice  qu'h  ses  gardes  et  valets,  de  sortir  de  la  dite  chambre  ; 
et  iceux  retirés,  avons  encore  représenté  audit  Calas  père  qu'il 
iw  pcul,  sans  violer  le  sfrment  qu'il  vient  do  prêter,  se  dispen- 


TORTURE  ET  SUPPLICE   DE  JEAN  CALAS.  213 

sei  de  répondre  ingénuenient,  sans  détour  et  sans  équivoque, 
aux  interrogats  que  nous  allons  lui  faire  ;  qu'en  déguisant  la 
vérité,  ses  peines  et  tournions  seront  redoublés. 

Interrogé  de  son  nom,  surnom,  âge,  qualité,  demeure  et  de 
sa  profession 

Répond  s'appeler  Jean  Calas  père,  marchand,  âgé  de 
soixante-quatre  ans,  être  marié  et  avoir  des  enfants. 

Interrogé  avec  qui  il  étoit  en  relation  avec  son  commerce  et 
quelles  sont  les  maisons  qu'il  fréquentoit  dans  cette  ville, 
comment  s'appellent  les  personnes  qu'il  connoît  et  avec  qui  il 
commerçoit 

Répond  qu'il  étoit  en  relation  avec  les  sieurs  Tissié,  Cazeing, 
Francés  et  autres  marchands. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  luy  et  sa  femme  ont  vécu  jus- 
ques  icy  dans  la  religion  prétendue  réformée  et  ont  élevé  leurs 
enfants  dans  la  religion  prétendue  réformée. 

Répond  et  avoue  l'Interrogatoire. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'il  fréquentoit  souvent  le  sieur 
Cazeing,  logé  a  la  place  de  la  Rourse,  s'il  ne  se  rendoit  souvent 
chez  luy,  en  compagnie  de  qui  il  si  rendoit? 

Répond  et  dit  qu'il  se  rendoit  quelquefois  chez  ledit  Cazeing 
en  visite  et  avec  le  sieur  Tissié  et  quelquefois  avec  le  sieur  de 
Serres,  marchand. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  le  treize  du  mois  d'octobre  der- 
nier Lavaisse  soupa  chez  luy 

Répond  et  avoue  l'Interrogatoire. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'ils  soupèrent  tous  ensemble, 
avec  sa  famille  composée  de  Jean  Pierre  Calas,  son  iils,  Marc 
Antoine  Calas,  son  autre  fils,  Lavaisse,  et  la  femme  du  répon- 
dant 

Répond  et  avoue  l'Interrogatoire. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  Lavaisse  l'avoit  été  voir  l'après 
midy  et  qu'ils  sortirent  ensemble,  en  attendant  l'heure  du  sou- 
per, où  est  ce  qu'ils  furent,  ou  si  Lavaisse  sortit  avec  Jean  Pierre 
Calas,  son  fils  cadet  et  a  quelle  (heure)  est-ce  qu'ils  rentrèrent? 


2iZ|  TORTURE    ET   SUITLIUE    DE   JEAN    C.\LAS. 

Répond  qu'il  ue  sortit  point  avec  ledit  Lavaisse  mais  que 
Jean  Pierre  Galas,  son  fils  cadet,  sortit  avec  ledit  Lavaisse  et 
qu'ils  rentrèrent  de  sept  a  sept  heures  un  quart. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  dès  que  Lavaisse,  son  lils  Jean 
Pierre,  et  luy  qui  répond  furent  rentrés,  il  ne  lit  fermer  a  ver- 
rouil  la  porte  de  la  rue,  et  que  personne  plus  n'entra  chez  luy 
jusqu'à  l'heure  du  souper 

Répond  et  dit  qu'il  étoit  dans  son  appartement  lorsque  son 
fils  se  retira  avec  Lavaisse  et  qu'ils  fermèrent  la  porte,  sans 
savoir  (sans  qu'il  sache)  si  c'etoit  a  verrouil  ou  comment,  et 
qu'il  n'etoit  dans  l'usage  de  la  fermer  a  verrouil  que  lors- 
qu'ils allaient  se  coucher. 

Lnterrogé  s'il  n'est  vray  qu'il  fût  averty  l'après  midy  (1)  que 
son  fils  Marc  Antoine  devait  changer  de  religion 

Répond  et  dénie  l'Interrogatoire,  et  personne  ne  luy  en  a 
jamais  parlé. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'a  raison  de  ce,  il  forma  le  des- 
sein de  l'étrangler  de  concert  avec  Lavaisse,  son  fils  Jean  Pierre, 
la  femme  de  luy  qui  repond  et  sa  servante 

Répond  et  dénie  l'Interrogatoire,  et  dit  qu'ils  n'ont  jamais 
formé  des  projets  aussi  exécrables. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'il  a  toujours  vexé  ses  enfants  à 
raison  de  ce,  et  notamment  celuy  qui  s'est  rendu  à  la  religion 
catholique,  qu'il  l'avoit  enfermé  dans  la  cave  et  d'où  M  Rar- 
bencgre,  curé  de  Saint-Etienne,  alla  le  retirer 

Répond  qu'il  n'a  jamais  vexé  aucun  de  ses  enfants  a  raison 
de  la  religion  catholique  et  que  M"  Rarbenegre  n'a  jamais  été 
chez luy. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  continuant  ses  vexations  et 
ayant  été  instruit  le  treize  dans  l'après  midy  que  son  lils  Marc- 
Antoine  devait  changer  et  embrasser  la  religion  catholique  il 
ne  forma  le  dessein  de  l'étrangler 

(I)  On  avait  donc  renoncé  à  prétendre  que  Marc- Antoine  était 
déjà  condamné  depuis  plusieurs  jours  et  qu'on  avait  envoyé  à  Bor- 
deaux chercher   Lavajsse  pour  l'exécution. 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.       215 

Répond  et  dénie  l'Interrogatoire  dans  tout  son  entier. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  le  même  soir  qu'il  donna  a 
souper  a  Gaubert  Lavaisse  fils,  du  moment  qu'ils  furent  ren- 
trés ches  luy  avec  Jean  Pierre  Calas  son  fils,  Lavaisse  et  luy 
qui  repond  et  sa  femme  ne  se  quittèrent  pas,  de  même  que  la 
servante 

Répond  et  accorde  l'interrogatoire  et  dit  que  la  servante 
passa  seulement  a  la  cuisine  et  qu'ils  se  mirent  a  table  en  en- 
trant et  qu'ils  ne  se  quittèrent  pas  du  tout,  ni  avant  ni  après 
le  souper. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'ils  conçurent  dès  ce  moment 
tous  ensemble  le  projet  d'étrangler  ledit  Marc  Antoine  Calas, 
ou  si  c'est  luy  seul  qui  repond  qui  commit  le  crime  dont  il 
s'agit 

Répond  et  dit  qu'il  n'a  point  eu  ce  dessein  ni  en  famille  ni 
en  seul. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  qu'ils  ont  exécuté  tous  ensemble 
ce  projet,  ou  luy  seul  ce  noir  attentat,  si  c'est  avant  ou  après 
le  souper  que  Marc-Antoine  Calas  a  été  étranglé? 

Répond  et  dit  qu'ils  ne  l'ont  pas  fait,  ni  luy  qui  repond,  et 
qu'ils  l'ont  trouvé  pendu  après  souper,  quand  Lavaisse  descen- 
dit pour  se  retirer. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  Marc-Antoine  Calas  soupa 
avec  eux 

Répond  et  avoue  l'Interrogatoire. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  le  cadavre  de  Marc-Antoine 
Calas  son  fils  fut  trouvé  étendu  "a  terre  dans  la  boutique  en  che- 
mise, son  habit  plié  sur  le  comptoir  avec  son  chapeau 

Répond  qu'ils  le  trouvèrent  pendu  sur  les  deux  battants  de 
la  porte  du  magazin,  déniant  le  surplus  de  l'Interrogatoire. 

Lut  avons  représenté  qu'il  ne  dit  pas  la  vérité,  nous  ayant 
dit  dans  son  précèdent  (1)  Interrogatoire  qu'on  l'avait  trouvé 

(l)  Ceci  est  de  mauvaise  foi;  ce  n'était  pas  dans  le  précédent  in- 
terrogatoire; c'était  dans  le  premier  de  tous,  el  avant  l'écrou. 


216      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

étendu  mort  a  terre  au  même  endroit  ou  nous  le  trouvâmes  lors 
de  notre  transport. 

Répond  et  dit  que  lors  de  son  audition  d'office,  il  est  vray 
qu'il  dit  qu'on  avoit  trouvé  ledit  Marc-Antoine  Galas,  son  fils, 
étendu  mort  entre  la  boutique  et  le  magasin;  et  dans  son  se- 
cond interrogatoire,  voulant  dire  la  vérité,  il  dit  qu'ils  le  trou- 
vèrent suspendu  sur  les  deux  battants  de  la  porte  du  magasin 
et  qu'à  l'égard  de  l'habit  et  du  chapeau,  il  ne  s'aperçut  pas  ou 
il  etoit,  dans  le  grand  trouble  ou  il  etoit. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  c'est  dans  la  chambre  ou  ils 
souperent  qu'ils  étranglèrent  ledit  Marc  Antoine,  ou  si  c'est 
dans  la  boutique  avec  le  billot  dont  s'agit,  qui  fut  trouvé  der- 
rière la  porte  et  la  corde  qui  fut  trouvée  derrière  le  comptoir 
et  le  tout  reconnu  par  luy  qui  repond 

Répond  et  dit  que  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  l'ont  point 
étranglé  en  aucun  endroit,  ayant  reconnu  dans  ses  précédents 
Interrogatoires  ledit  billot  et  ladite  corde. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  luy  qui  repond  a  avoué  dans 
ses  précédents  Interrogatoires  que  Marc  Antoine  Galas  fils 
avoit  resté  encore  dem}  heure  après  le  souper  dans  le  salon  de 
compagnie 

Répond  qu'il  avait  dit  par  erreur  que  Marc  Antoine  avoit 
resté  demy  heure  dans  la  chambre,  ayant  pris  Jean  Pierre 
pour  Marc  Antoine. 

Luy  avons  représenté  qu'il  paroit  impossible  que  ledit  Marc 
Antoine  eût  resté  demy  heure  dans  ladite  chambre,  comme  il 
l'avoit  avoué  cy  devant,  puisque  son  cadavre  fut  trouvé  à  onze 
heures  et  demy  entre  la  boutique  et  le  magazin  et  a  terre, 
froid. 

Répond  et  dit  avoir  suffisamment  repondu  dans  son  précé- 
dent Interrogatoire 

Interrogé  s'il  a  d'autres  complices  que  ceux  qui  sont  dé- 
nommés dans  la  procédure 

Répond  qu'étant  innocent  il  n'a  point  des  complices. 

Mrr.ux  exhorlé  a  dire  la  vérité,  a  dit  l'avoir  ditte. 


TORTDRE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.      217 

Lecture  a  luy  faite  de  son  présent  Interrogatoire,  il  y  a 
persisté  ;  requis  de  signer,  a  dit  ne  pouvoir. 

Après  quoy  nous  susdits  capitouls,  ayant  fait  rentrer  dans 
laditte  chambre  de  la  question  ledit  exécuteur  de  la  haute 
justice,  ses  gardes  et  valets,  et  après  leur  avoir  fait  prêter  le 
serment,  leurs  mains  levées  a  la  passion  figurée  de  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  ont  promis  et  juré  de  bien  et  fidèlement 
remplir  les  fonctions  de  leur  employ,  conformément  audit  arrêt 
et  de  ne  pas  révéler  le  secret,  et  ledit  Calas  père  ayant  été 
remis  entre  les  mains  dudit  exécuteur  delà  haute  justice,  nous 
l'avons  fait  appliquer,  en  conformité  dudit  arrêt,  et  en  la  forme 
ordinaire,  au  premier  bouton  de  la  question,  les  gardes  menant 
le  tour,  les  valets  tenant  les  cordes  et  l'exécuteur  ayant  ses 
pieds  sur  le  bouton  attaché  au  fer  des  pieds  dudit  Calas  (i). 
Et  ayant  été  élevé 

liNTERROGÉ  s'il  a  commis  ce    crime  seul  et  si  son  fils,  La- 
vaisse  et  sa  femme  y  ont  contribué, 

Répond  que  ni  luy  qui  repond  ni  personne  n'a  commis  ce 
crime. 

Et  ayant  fait  descendre  ledit  Calas,  et  luy  ayant  réytéré  les 
mêmes  interrogatoires  cy  dessus 
RÉPOND  et  dit  avoir  dit  la  vérité. 
Et  ayant  remonté  au  second  bouton  , 
Interrogé  de  nouveau  s'il  a  commis  ce  crime  seul,  (ou 
si)  son  fils,  Lavaisse,  sa  femme  y  ont  contribué, 
Répond  que  personne  ne  l'a  commis. 
Et    de  suitte  avons  de  nouveau  représenté   audit  Calas 
que  les  tourments  qu'il  doit  soulfrir  encore  sont    bien  plus 
grands  que  ceux  qu'il  a  déjà   soufferts,  qu'il  ne  vient  d'être 
dettaché  que  pour  tout  de  suitte  être  attaché  sur  le  banc  de  la 
question  extraordinaire,  qu'il  peut  cependant  en  diminuer  la 
rigueur  en  disant  la  vérité  en  ses  réponses  aux  interrogats  que 
nous  allons  continuer  de  luy  faire. 

(i)Voir,  sur  la  lorlure,  la  noie  5  à  la  fin  du  volume. 

19 


218      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

Interrogé  s'il  n'est  vray  que  luy  qui  répond  a  commis  le 
crime  seul;  si  son  lils,  Lavaisse,  sa  femme,  y  ont  contribué,  et 
si  les  susnommés  et  la  servante  le  savoient 

Répond  et  persiste  que  personne  n'a  commis  ce  crime  et 
qu'ils  sont  innocens. 

Après  quoy  avons  remis  ledit  Calas  entre  les  mains  des 
révérends  pères  Bourges,  docteur  royal  de  l'Université,  etCal- 
daigués,  professeur  en  théologie,  des  frères  prêcheurs,  pour 
l'exhorter. 

Et  ensuite,  et  demy  heure  après,  nous  avons  fait  attacher 
ledit  Calas  sur  le  banc,  pour  être  appliqué  à  la  question  extra- 
ordinaire. 

Et  ledit  Calas  ayant  été  de  nouveau  par  nous  interrogé 
s'il  n'a  commis  ce  crime  pour  fait  de  Religion,  s'il  n'étoit  ins- 
truit ou  soubçonnoitle  changement  de  son  fils,  s'il  l'a  fait  avant 
ou  après  souper,  et  s'il  a  billotté  ou  pendu  Marc-Antoine 
Calas. 

Répond  et  dénie  l'Interrogatoire,  et  qu'il  n'a  point  des 
complices. 

Et  de  suite  cinq  cruchets  d'eau  ayant  été  versés  en  la 
forme  ordinaire,  et  après  avoir  fait  découvrir  le  visage  dudit 
Calas, 

Interrogé  s'il  persiste  dans  ses  réponses 

Répond  qu'il  y  persiste. 

Et  ayant  fait  verser  cinq  autres  cruchets  d'eau  et  ayant 
fait  découvrir  le  visage  dudit  Calas, 

Interrogé  s'il  persiste  dans  ses  réponses  au  dernier  Inter- 
rogatoire a  luy  fait. 

Répond  qu'il  y  persiste,  et  qu'il  est  innocent,  de  même 
que  les  autres  accusés. 

Interrogé  encore  en  quel  endroit  il  a  commis  le  crime,  et 
s'il  ne  descendit  après  Marc-Antoine  Calas  dans  la  boutique,  et 
si  cette  mort  n'avoit  pas  été  décidée,  et  où  on  l'a  délibérée, 

Répond  qu'il  persiste  a  soutenir  qu'il  est  innocent. 

Après   quoy,   ledit  Calas  ayant   été  détaché  du    banc  et 


TORTURE    ET    SUPPLICE    DE    JEAN   CALAS.  210 

remis  entre  les  mains  des  Révérends  Pères  pour  l'entendre  en 
confession  et  l'exhorter  a  bien  mourir  ; 

Et  Monsieur  Gouazé ,  capitoul  second  de  justice ,  étant 
survenu  dans  le  tems  qu'on  linissoit  la  torture  de  la  question, 
Monsieur  Daignan  du  Sendal,  capitoul,  s'étant  retiré;  le  pré- 
sent verbal  a  été  signé  par  Mons"  du  Sendal  avant  que  Mons'  de 
Gouazé  ne  continuât  les  opérations  qui  restent  U  faire.  David 
de  Beaudrigue,  capitoul  ;  Daignan  du  Sendal,  capitoul;  Labat, 
assesseur,  de  Pijon,  avocat  du  Roy,  signés. 

Et  QUELQUE  temps  après,  nous  ayant  été  dit  que  ledit 
Calas  père  étoit  disposé  à  mourir,  il  auroit  été  monté  sur  le 
chariot  ace  destiné,  et  ensuite  conduit  parle  cours  accoutumé 
au  devant  la  porte  principalle  de  l'église  Saint-Etienne,  où 
l'ayant  fait  descendre  dudit  chariot,  il  y  a  fait  l'amende  hono- 
rable portée  par  ledit  arrêt. 

Et ,  ce  fait ,  a  été  conduit  à  la  place  Saint-Georges  ,  lieu 
destiné  pour  ladite  exécutiou,  l'avons  fait  descendre  dudit 
chariot  et  asseoir  au  bas  de  l'échelle  dressée  a  l'échafaud,  où 
nous  luy  avons  fait  lecture  desdits  interrogatoires  et  réponses 
cy-dessus,  et  l'avons  ensuilte  interpellé  de  nous  déclarer  s'il 
y  a  dit  la  vérité,  et  s'il  y  persiste  ou  s'il  a  quelque  chose  à  dé- 
clarer k  la  justice  pour  la  décharge  de  sa  conscience. 

Lequel  dit  Calas  a  répondu  qu'il  persiste  dans  ses  précé- 
dentes réponses,  et  qu'il  mourait  innocent. 

Luy  avons  de  suitte  représenté  que,  quoyquc  innocent,  il 
pouvoit  du  moins  savoir  quels  éioient  les  aulheurs  du  meurtre 
commis  sur  la  personne  de  Marc-Antoine  Calas; 

Répond  qu'il  n'en  connoît  point. 

Et  de  suite  l'exécuteur  l'ayant  monté  sur  ledit  échafaud, 
et  apiès  qu'il  l'a  eu  couché  et  attaché  sur  la  forme  de  croix, 
ledit  Calas  a  été  rompu  vif,  en  conformité  du  susdit  arrèl,  et  ce 
fait,  ledit  exécuteur  de  la  haute  justice  l'a  exposé  sur  la  roue 
qui  était  dressée  a  côté  dudit  échafaud,  la  face  tournée  vers 
le  ciel,  où  ledit  Calas  a  resté  en  vie  pendant  deux  heures  pré- 
cises; et  ensuitte,  de  notre  ordre  et  en  conformité  du  reten- 


220      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

lum  (1),  ledit  Calas  a  été  étranglé  jusqu'à  ce  que  mort  natu- 
relle s'en  est  ensuivie,  et  son  corps  mort  a  été  jette  dans  le 
bûcher  ardent,  en  conformité  du  susdit  arrêt,  et  icelluy  été 
exécuté  suivant  sa  forme  et  teneur. 

«  Et  en  autres  actes  n'a  été  par  nous  procédé,  et  nous  som- 
mes retirés,  et  en  conséquence  avons  de  tout  ce  dessus  dressé 
le  présent  verbal,  que  nous  avons  signé  avec  ledit  M*  Labat, 
commissaire,  ledit  M*  de  Pijon,  avocat  du  Roy,  requérant, 
et  notre  greffier  :  Gouazé,  capitoul  ;  David  de  Beaudrigue,  ca 
pitoul ;  Labat,  assesseur;  de  Pijon,  avocat  du  Roy;  Michel 
DieuLafoy,  greftier,  signés. 

CoUationné 
Signé  Barrau,  gref. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  tout  ce  qu'il  y  a  de  tou- 
chant et  d'admirable  dans  les  derniers  moments  de  ce 
martyr.  On  a  pu  remarquer  à  quel  degré  d'épuisement 
l'âge,  les  souffrances  morales  et  l'approche  de  la  tor- 
tiu'e  avaient  réduit  les  forces  physiques  de  ce  vieillard  si 
ferme  encore  d'intelligence  et  de  cœur.  Il  répondit  avec 
une  présence  d'esprit,  une  force  d'âme  que  rien  ne  put 
abattre;  mais,  au  moment  d'être  appliqué  à  la  torture  il 
déclara  ne  pouvoir  signer  (2).  A  l'amende  honorable  il  dit 
qu'il  faisait  de  grand  coeur  le  sacrifice  de  sa  vie,  mais 
qu'il  mourait  innocent  du  crime  qu'on  lui  imputait. 

Dans  l'affreux  dialogue  entre  le  patient  et  ses  juges, 
il  est  facile  de  reconnaître,  d'un  côté,  une  erreur  qui 

(i)  On  appelait  ainsi  un  arlicle  secret  de  la  sentence.  Le  texte  de 
l'arrôl  porte  qu'il  «  vivra  en  peine  et  rcpenlance  tout  autant  qu'il 
plaira  à  Dieu  de  lui  donner  la  vie;  »  le  retentum,  «  qu'après  avoir 
resté  deux  heures  sur  la  roue  ;  il  sera  étranglé  jusqu'à  ce  que  mort 
naturelle  s'en  suive,  » 

(2)  Nous  avons  pensé  que  nos  lecteurs  verraient  ici  avec  inlérêl 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.      221 

cherche  en  vain  k  se  légitimer  et  à  laquelle  aucune  ten- 
tative ne  réussit  ;  de  l'autre,  la  vérité  sans  cesse  repro- 
duite, et  jusqu'au  sein  des  plus  eflfroyables  douleurs,  par 
une  conscience  droite  et  sans  reproche. 

Au  pied  de  l'échafaud,  le  Père  Bourges  le  pressant  d'a- 
vouer, il  s'écria  d'un  ton  de  reproche  :  «  Quoi  donc, 
mon  père,  vous  aussi,  vous  croyez  qu'on  peut  tuer  son 

fils  ?  )) 

En  traversant  les  rues  sur  la  fatale  charrette,  la  vue 
de  ce  vieillard  brisé  par  la  torture,  sa  simplicité,  son 
courage,  sa  tranquillité  d'âme,  émurent  la  foule.  Il  disait 
au  peuple  :  Je  suis  innocent. 

Un  seul  cri  lui  échappa  au  premier  des  onze  coups  de 
barre  de  fer  dont  chacun  brisa  un  de  ses  os.  Il  supporta 
les  autres  sans  aucune  plainte.  Enfin  commença  le  der- 
nier acte  de  son  supplice;  on  a  vu  qu'après  la  double 
torture  et  après  qu'il  eut  été  rompu  vif,  son  corps  brisé 
fut  attaché  sur  la  roue,  où  il  vécut  encore  deux  heures,  la 
face  tournée  vers  le  ciel.  Pendant  cette  longue  agonie  il 
ne  proféra  pas  un  murmure,  pas  une  parole  de  colère  ou 
de  vengeance.  Il  pria  Dieu  de  ne  point  imputer  sa  mort 


la  signalure  de  Jean  Calas  ;    nous  l'emprunlons  à  une  simple  lellre 
(l'afTaire  et  de  commerce. 


Celui  qui  reçut  celle  lellre  et  celui  même  qui  l'écrivait  étaient 
loin  d'imaginer  quel  intérêt  tragique  cl  de  l'ordre  le  plus  élevé  s'y 
attacherait  un  jour. 

19. 


222      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

à  ses  juges,  a  Sans  doute,  disait-il,  ils  ont  été  trompés 
par  de  faux  témoins.  »  Exhorté  encore  h  nommer  ses 
complices,  il  dit  avec  la  douleur  d'un  être  droit  et  vrai 
à  qui  sans  cesse  on  oppose  la  même  calomnie  :  a  Hélas  ! 
où  il  n'y  a  pas  de  crime,  peut -il  y  avoir  des  complices?  » 
Peu  d'instants  avant  sa  fin ,  le  Père  Bourges  lui  dit  : 
((  Mon  cher  frère,  vous  n'avez  plus  qu'un  instant  à  vivre: 
par  ce  Dieu  que  vous  invoquez,  en  qui  vous  espérez  et 
qui  est  mort  pour  vous,  je  vous  conjure  de  rendre  gloire 
h  la  vérité.  »  Il  répondit  :  ((  Je  l'ai  dite.  Je  meurs  inno- 
«  cent;  mais  pourquoi  me  plaindrais-je  ?  Jésus-Christ, 
((  qui  était  l'innocence  même,  a  bien  voulu  mourir  pour 
((  moi  par  un  supplice  plus  cruel  encore.  Je  n'ai  point 
((  de  regret  h  une  vie  dont  la  fin  va,  j'espère,  me  con- 
«  duire  h  un  bonheur  éternel.  Je  plains  mon  épouse  et 
((  mon  fils  ;  mais  cet  étranger,  ce  fils  de  M.  Lavaysse,  à 
((  qui  je  croyais  faire  politesse  en  l'invitant  à  souper, 
((  ah  !  c'est  lui  qui  augmente  encore  mes  regrets!  » 

Que  ce  sentiment  est  naturel  et  noble  !  Le  malheur 
dans  sa  famille  ne  semble  plus  l'étonner  ;  il  n'y  a  plus  de 
bonheur  possible  pour  eux,  depuis  le  suicide  de  son  fils 
aîné  et  tout  ce  qui  en  est  résulté.  Mais  qu'un  étranger ,un 
ami,  un  jeune  homme  de  vingt  ans  à  peine,  ne  soit  venu 
sous  son  toit  que  pour  être  enveloppé  dans  leur  malheur, 
c'est  une  pensée  qui  le  désole  ti  son  dernier  moment. 

Tant  de  foi ,  ce  calme,  cet  oubli  de  soi-même,  offrent 
un  contraste  terrible  avec  l'état  d'esprit  du  Capitoul 
David.  On  l'a  souvent  et  violemment  blâmé  d'avoir  as- 
sisté il  la  torture  et  au  supplice  de  sa  victime;  il  est  cer- 
tain que  rien  ne  l'y  obligeait;  ses  fonctions  ne  l'y  appe- 
laient nullement  ;  on  a  prétendu  qu'il  avait  voulu 
repaître  ses  yeux  des  tourments  et  de  la  mort  de  Jean 


TORTURE   ET   SUPPLICE    DE   JEAN    CALAS.  223 

Calas.  Nous  ne  croyons  pas  ce  reproche  fondé.  11  faut 
êH-e  juste,  même  k  l'égard  de  David,  et  même  sur  Té- 
chafaud  de  Galas.  Le  sentiment  qui  poussa  le  fougueux 
magistrat  à  manquer  ainsi  à  toutes  les  convenances  nous 
paraît  tout  autre  ;  nous  n'y  voyons  que  l'ardent  désir  de 
ne  s'être  pas  trompé,  de  ne  s'en  rapporter  k  personne 
pour  surprendre  un  aveu,  ne  fût-ce  que  dans  un  mot  ou 
dans  un  regard.  David  n'était  pas  un  monstre;  c'était  un 
fanatique  plein  de  précipitation  et  d'emportement.  Il 
avait  besoin  de  croire  que  les  Galas  étaient  coupables,  et 
à  mesure  que  le  dernier  moment  approchait,  il  renfermait 
avec  effort  au  dedans  de  lui  les  premières  angoisses  du 
doute  épouvantable  qui  finit  par  le  rendre  fou.  De  ces 
deux  hommes,  l'un  n'est  en  ce  moment  qu'un  débris  in- 
forme de  la  torture  et  de  la  mort,  et  il  sait  que  sa  femme, 
son  fils,  sont  menacés  de  l'horrible  supplice  qu'il  en- 
dure ;  l'autre  est  dans  toute  la  force  de  la  vie  et  du 
pouvoir  qu'il  a  passionnément  ambitionné.  Mais  le  sup- 
plicié touche  à  la  fin  de  ses  maux  ;  il  va  mourir  dans 
la  paix  et  l'espérance ,  pour  s'éveiller  loin  des  atteintes 
cruelles  de  l'homme,  dans  le  sein  de  Dieu.  Ge  Gapiloul 
va  vivre  au  contraire,  le  remords  dans  l'âme,  bientôt 
exécré  du  genre  humain,  mis  au  pilori  de  l'opinion  par 
les  plumes  vengeresses  des  premiers  écrivains  de  l'épo- 
que, joué  sur  tous  les  théâtres  et  en  toutes  langues 
comme  le  type  d'un  juge  inique  et  sanguinaire  ;  il  finira 
par  se  tuer  dans  un  accès  de  folie  (1). 

Le  dernier  instant  de  cette  scène  hideuse  étant  ar- 
rivé, les  deux  heures  étant  expirées,  David  s'élança 
vers  Galas,  furieuxd'êlre  déçu  dans  son  attente;  il  mon- 

(i)  Voir  plus  bas,  cli.  XII,  p.  3  0  6. 


22^1      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

tra  de  la  main  au  mourant  le  bûcher  dressé  à  côté  de  la 
roue,  en  lui  criant  :  «  Malheureux!  voici  le  bûcher 
((  qui  va  réduire  ton  corps  en  cendre  ;  dis  la  vérité  !  » 
Calas  épuisé  nerépondit  qu'en  détournant  latête,  comme 
signe  de  dénégation,  et  le  bourreau  lui  fit  enfin  la  grâce 
de  l'étrangler. 

Les  deux  moines  dominicains  qui  assistèrent  à  la 
question  et  ensuite  k  l'exécution  dirent  hautement  que 
le  supplicié  avait  persévéré  k  se  déclarer  innocent, 
lui  et  tous  les  siens.  Ils  firent  plus,  ils  rendirent  pleine 
justice  à  l'héroïsme  de  sa  mort.  On  prétend  même  qu'ils 
dirent  tous  deux  :  «  C'est  ainsi  que  mouraient  nos  mar- 
tyrs. »  Mais  nous  doutons  que  ce  rapprochement,  qui  dut, 
en  efl'et,  se  présenter  k  leur  esprit,  ait  pu  sortir  de  leur 
bouche. 

Le  Père  Bourges  crut  devoir  aller  lui-même  chez 
tous  les  juges  leur  rendre  le  compte  le  plus  précis  de  ce 
qu'il  avait  vu  et  entendu.  De  si  loin  que  le  procureur 
général  Riquet  de  Bonrepos  vit  arriver  le  dominicain, 
il  lui  cria  :  «  Eh  bien  !  Père,  eh  bien  !  notre  homme 
a-t-il  avoué?  »  Le  Père  lui  dit  la  vérité  (1). 

Cette  loyale  conduite  fait  honneur  aux  deux  domini- 
cains et  prouve  l'impression  puissante  produite  sur  les 
assistants  par  la  constance  et  la  piété  du  mourant  (2). 

(i)\\  existe  aux  Archives  impériales  une  déclaration  écrite  del'abbé 
Racliou,  qui  lient  du  Père  Bourges  lui-même  que  «  Calas^  jusqu'à 
son  dernier  moment,  n'a  cessé  de  se  déclarer  innocent  et  en  a  pris 
Dieu  pour  témoin.  >> 

(2)  II  est  impossible  de  ne  pas  être  révolté  de  l'absurdité  de  ce  sys- 
tème judiciaire.  Supposons  que  ce  vieillard  eût  perdu  ses  forces 
morales  comme  celles  du  corps  et  qu'à  un  moment  quelconque  de  son 
long  martyre,  pendant  l'une  ou  l'autre  des  deux  tortures,  ordinaire 
et  extraordinaire,  ou  sous  la  massue  de  fer  du  bourreau  ou   sur  les 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.      225 

11  est  triste  d'ajouter  que  nous  reverrons  bientôt  ce 
même  Père  Bourges  jouant  un  tout  autre  rôle. 

Nous  ne  savons  comment  M"'*'  Calas  reçut  l'horrible 
nouvelle  du  supplice  de  son  mari.  Mais  nous  savons 
qu'on  fit  tout,  auprès  des  accusés,  pour  exploiter  la  ter- 
reur où  dut  les  jeter  cette  extrême  rigueur  de  leurs 
juges. 

On  leur  fit  croire  que  le  même  sort  les  attendait.  Des 
prisons  du  palais  on  les  ramena  dans  celles  de  l'Hôtel- 
de- Ville  où  les  condamnés  attendaient  leur  exécution. 
On  doubla  leurs  gardes.  Enfin  on  leur  ôta  leurs  couteaux, 
leurs  fourchettes,  tout  ce  qui  pouvait  servir  k  donner  la 
mort,  comme  on  a  coutume  de  faire  à  l'égard  de  ceux 
dont  la  mort  est  une  satisfaction  que  la  loi  se  réserve  (1). 

Un  des  soldats  de  garde  raconta  à  Lavaysse  qu'ils 
étaient  tous  condamnés.  Pierre  Calas  a  écrit  plus  tard  : 

«  Un  Jacobin  (2)  vint  dans  mon  cachot  et  me  menaça  du 
même  genre  de  mort  si  je  n'abjurais  pas  ;  c'est  ce  que  j'atteste 
devant  Dieu.  > 

Ce  genre  de  torture  morale  porta  ses  fruits.  Les  deux 
jeunes  gens  terrifiés  abjurèrent  dans  la  prison.  On 
en  profita  pour  continuer  à  l'égard  de  M'"*"  Calas  un  sys- 
tème odieux  de  persécution.  On  obligea  le  confesseur  de 
Pierre  k  le  mener  auprès  d'elle,  pour  lui  annoncer  sa 

rayons  ensanglantés  de  la  roue,  il  eût  manqué  soit  de  présence  d'es- 
prit, soit  de  force  de  volonté  un  seul  instant,  un  aveu  de  lui  eût  suffi 
pour  donner  à  l'accusation  l'occasion  d'un  épouvantable  triomphe,  et 
pour  envoyer  au  môme  supplice  sa  femme  et  son  fils,  Lavaysse  et 
Viguière. 

(1)  Lav.,  3;  E.  de  B,  3. 

(2)  Ou  sait  que  c'était  un  des  noms  populaires  des  Frères-Prê- 
cheurs ou  Dominicains. 


226      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

conversion.  La  malheureuse  mère  ne  revit  un  de  ses  en- 
fants que  pour  recevoir  de  lui-même  et  devant  un  prêtre 
celte  nouvelle  blessure.  On  espérait  que,  surprise  par  cet 
aveu,  elle  éclaterait  contre  son  fils  en  reproches  fanati- 
ques, qui  serviraient  de  preuves  contre  elle;  car  si  elle 
s'emportait  contre  lui,  elle  avait  pu  s'irriter  aussi  contre 
Marc- Antoine.  Elle  sentit  le  piège  et  l'affront  et  les  déjoua 
sans  effort.  La  veuve  du  martyr  écouta,  immobile,  lahon- 
teuse  déclaration  de  son  fils  renégat,  puis  détourna  la  tête 
sans  lui  répondre  un  mot.  Ce  noble  et  touchant  silence 
fut  tout  C6  qu'on  obtint  d'elle  par  cette  lâche  épreuve. 

L'héroïque  fermeté  de  Calas  avait  sauvé  son  fils,  sa 
V€uve  et  leurs  deux  compagnons  de  captivité.  Le  but  de 
ce  supplice  était  manqué.  Rien  n'était  avoué.  Ce  qui 
devait  confondre  les  accusés  était  devenu  une  preuve 
énorme  en  leur  faveur.  L'opinion  populaire,  d'abord 
unanime  contre  eux,  commençait  à  se  partager.  Jean  Calas 
n'était  mort  ni  comme  les  parricides,  ni  comme  les  fana- 
tiques. S'il  était  innocent,  tous  l'étaient  comme  lui;  et  si 
même  ils  étaient  coupables,  on  n'avait  plus  aucun  espoir 
de  le  démonirer. 

Le  procureur  général  Riquet  de  Bonrepos  eut  cepen- 
dant l'implacable  courage  de  requérir,  le  lendemain  du 
martyre  de  Jean  Calas,  que  sa  veuve,  son  fils  etLavaysse 
fussent  pendus,  après  avoir  fait  amende  honorable,  et 
Jeanne  Yiguier  condamnée  à  assister  à  leur  exécution, 
et  à  être  enfermée  ensuite  a  pour  sa  vie,  au  quartier  de 
force  de  l'hôpital.  » 

Le  conseiller-rapporteur  fut  moins  sévère.  Il  ne  parla 
plus  de  peine  capitale,  mais  il  proposa  celle  des  galères 
contre  Pierre  Calas.  Voici  sur  quel  fondement. 

On  n'avait  jamais  cru  sérieusement  qu'un  vieillard 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.      227 

plus  que  sexagénaire,  atteint,  depuis  deux  ans,  de  dou- 
leurs qui  rendaient  ses  jambes  chancelantes,  avait  pu 
seul  assassiner  un  grand  et  vigoureux  jeune  homme  de 
vingt-huit  ans.  On  avait  toujours  supposé  que  Pierre 
Calas  avait  été  le  principal  bourreau  de  son  frère  et  l'on 
avait  compté  sur  les  aveux  de  son  père  pour  le  convain- 
cre. A  défaut  de  cette  preuve  décisive,  il  ne  put  être 
condamné  à  mort.  Mais  on  invoquait  contre  lui  un  témoi- 
gnage contradictoire  et  absurde  comme  nous  en  avons 
tant  vu  dans  la  procédure. 

Au  rez-de-chaussée  de  la  maison  des  Galas  se  trou- 
vaient deux  boutiques,  la  leur  et  celle  d'un  tailleur 
nommé  Bou.  Pendant  l'instruction  du  procès,  on  fit 
venir  de  Montpellier  un  nommé  Gazères,  ancien  gar- 
çon de  magasin  chez  ce  tailleur.  Il  prétendait  qu'un  jour 
du  mois  d'août  précédent,  la  D^'°  Bou,  la  femme  du  tail- 
leur, entendant  sonner  la  bénédiction,  avait  donné  ordre 
aux  trois  garçons  de  boutique  d'aller  y  assister.  Sur 
quoi,  Pierre  Galas  qui  venait  d'entrer,  lui  aurait  dit  : 

«  Vous  ne  pensez  qu'à  vos  bénédictions  :  on  peut  se  sauver 
dans  les  deux  religions  ;  deux  de  mes  frères  pensent  comme 
moi;  si  je  savois  qu'ils  voulussent  changer,  je  serais  en  état 
de  les  poignarder,  et  si  j'avois  été  à  la  place  de  mon  père, 
quand  Louis  se  fit  catholique,  je  ne  l'aurais  pas  épargné.  » 

On  vit  dans  ce  témoignage  une  très-forte  présomp- 
tion contre  Pierre  Galas,  quoiqu'il  niât  ce  propos,  et 
que  la  femme  Bou,  ainsi  que  les  deux  autres  garçons  de 
boutique,  Gapdeville  et  Guillaumet,  déclarassent  tout  le 
récit  absolument  coutrouvé.  Tous  les  trois  offrirent  d'en 
témoigner;  Tavocat  Sudre,  dans  son  premier  Mémoire, 
publia  leurs  offres  de  venir  déposer  ;  elles  ne  furent  point 


228      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

acceptées.  Les  paroles  prêtées  à  Pierre  Calas  conte- 
naient d'ailleurs  une  foule  de  contradictions  ;  s'il  pen- 
sait que  l'on  peut  se  sauver  dans  les  deux  religions,  il 
n'était  pas  de  ces  fanatiques  qui  punissent  une  ab- 
juration à  coups  de  couteau.  Pourquoi  donc  eût-il  été 
tenté  de  poignarder  son  frère?  Pourquoi  avait-il  lui- 
niènie  épargné  Louis ,  qu'il  blâmait  son  père  de  ne  pas 
avoir  frappé?  Et  pourquoi  avoir  assassiné  Marc- Antoine 
en  épargnant  Louis? 

Cet  amas  de  contradictions,  affirmées  par  un  seul  té- 
moin et  démenties  par  trois  autres,  n'en  parut  pas 
moins  un  grave  indice.  Il  est  vrai  que  M.  de  Cassan- 
Clairac,  qui  demanda  pour  Pierre  les  galères  h  perpétuité, 
fut  seul  de  son  avis.  Plusieurs  opinèrent  à  l'acquitte- 
ment ;  d'autres  votèrent  le  bannissement  à  vie,  et  le  rap- 
porteur s'étant  rendu  à  cette  proposition,  ce  fut  celle  qui 
prévalut.  Il  fut  condamné  au  bannissement  perpétuel 
hors  du  Royaume  à  peine  de  la  vie,  condamné  non  pour 
tel  ou  tel  crime  déterminé,  mdiis  pour  les  cas  résultant  du 
procès,  formule  trop  commode  qui  motivait  une  sentence 
sans  dire  comment. 

Le  même  rapporteur  conclut  au  bannissement  de  la 
veuve  Calas  et  de  Lavaysse  ;  les  autres  juges  les  mi- 
rent hors  de  cour  et  de  procès.  Viguière  seule  avait 
trouvé  grâce  devant  le  rapporteur,  parce  qu'elle  était 
bonne  catholique  ;  son  acquittement  fut  unanime.  Tous 
trois  furent  déclarés  hors  de  cour,  dépens  compensés. 

lUen  de  plus  informe  et  de  plus  déraisonnable  que  ce 
jugement,  prononcé  le  18  mars.  On  ne  se  serait  pas  con- 
tenté de  bannir  Pierre  Calas,  sil'on  avaitpu  le  considérer 
comme  un  des  assassins  de  son  frère.  L'innocence  de  tous 
les  autres  était  reconnue.  Il  restait  donc  désormais  ac- 


TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS.      229 

quis  que  le  père,  âgé  de  soixante-quatre  ans,  avait  seul 
étranglé  son  fils,  sans  que  personne  de  sa  famille,  ni  La- 
vaysse,  ni  la  servante,  qui  se'trouvaient  dans  la  maison, 
eu  eussent  connaissance.  Evidemment  la  plupart  des 
juges  avaient  reconnu  leur  erreur  (1).  On  le  comprit  et 
l'on  dit  très  généralement  que  si  la  Cour  avait  jugé  Galas 
le  dernier  au  lieu  de  le  juger  avant  tous  les  autres,  il 
n'aurait  pas  été  condamné. 

Les  magistrats  sentirent  eux-mêmes  que  cet  arrêt  du 
18  mars  était  la  censure  de  celui  du  9.  Aussi  les  plus 
obstinés  s'y  opposèrent  de  toutes  leurs  forces.  Nous  li- 
sons dans  une  lettre  de  Toulouse  fort  hostile  aux  Calas  (2) 
que  l'arrêt  avait  été  rendu  par  une  majorité  de  10  con- 
tre 3;  que  ces  3  étaient  le  Président,  le  Rapporteur  et 
M.  de  Lasbordes.  «  Le  Rapporteur  et  le  Pj  ésident  ont 
été  plusieurs  jours  sans  vouloir  signer  cet  arrêt,  et  ils 
ont  même  montré  assez  publiquement  leur  indigna- 
tion. )) 

La  sentence  prononcée  contre  Pierre  ne  fut  exécutée 
que  pour  la  forme,  et  d'une  manière  dérisoire  ;  il  en  su- 
bit une  autre  plus  dure  à  laquelle  aucun  tiibunaj  ne  l'a- 
vait condamné.  Son  arrêt  d'exil  reçut  un  simulacre 
d'exécution.  Le  bourreau  conduisit  le  banni  hors  de 
la  porte  Saint-Michel  ;  mais  un  prêtre  l'accompagnait 
et  le  ramena  immédiatement  en  ville  par  une 
autre  porte,  jusqu'au   couvent  des  Jacobins.  Le  Père 

(i)  Aussi  fil-on  circuler  l'épigrarame  suivante  : 

Nos  seigneurs  de  la  cour,  par  leur  second  arrêt, 
Ceci  soit  dit  sans  ironie, 
Ont  confondu  la  calomnie 
Bien  mieux  que  Paul  Rabaut  n'a  fait. 

(2)  Lellrc  de  Couder,  Bibliogr.f  n°  21, 

20 


230      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS. 

Bourges,  celui  môme  qui  avait  reçu  les  dernières  paroles 
du  martyr,  attendait  sonfds  sur  le  seuil  du  couvent  et  l'y 
fit  entrer  en  lui  disant  que  s'il  pratiquait  le  culte  catho- 
lique, sa  sentence  d'exil  resterait  comme  non  avenue. 
Le  faible  jeune  homme  donna  dans  le  piège,  se  trouva 
prisonnier,  gardé  à  vue,  et  ne  réussit  à  s'échapper  que  le 
/j  juillet,  après  quatre  mois  de  captivité. 
Il  laissa  pour  le  Père  Bourges  cette  lettre  remarquable  : 

«  Je  vous  remercie  de  toutes  vos  bontés.  Je  vous  ai  souvent 
dit  mes  doutes  et  mes  peines.  Mais  je  ne  vous  en  ai  communi- 
qué qu'une  partie.  Vous  en  jugerez  par  mon  évasion.  J'ai 
vécu  chez  vous  dans  de  si  grandes  perplexités,  que  si  la  grâce 
de  Dieu  ne  m'eût  soutenu,  je  me  serais  pendu  tout  comme  mon 
malheureux  frère.  » 

Il  alla  rejoindre  son  frère  Donat  h  Genève.  On  assure 
qu'il  avait  presque  perdu  la  vue  en  neuf  mois  de  prison. 
Quant  à  sa  conversion  au  catholicisme,  elle  ne  dura  pas 
plus  que  son  séjour  forcé  au  couvent. 

Nous  regrettons  de  n'avoir  aucun  détail  sur  le  mo- 
ment où  la  malhetu'euse  veuve  de  Calas  sortit  seule 
avec  la  vieille  domestique  de  cette  prison  oii  elle  était 
entrée  avec  son  mari  et  son  fds.  Mais  nous  trouvons 
dans  des  papiers  de  famille  le  récit  de  l'élargissement 
de  Lavaysse,  écrit  par  sa  nièce  : 

'(  Le  20  mars  17G2,  le  dixième  jour  après  l'exécution  de 
l'infortuné  Calas  et  le  surlendemain  de  celui  où  contre  toute 
logique,  le  Parlement  avait  ordonné  la  mise  en  liberté  de 
ceux  ([u'il  avait  déclarés  être  les  complices  nécessaires  de  sa 
victime,  un  ami  de  la  famille  Lavaysse  vint  l'engager  à  couvrir 
du  plus  grand  mystère  l'élargissement  du  jeune  Alexandre 
Gaubcrt,  de  crainte  que  la  populace  déjîi  prévenue  ne  se  por- 


TORTURE  ET   SUPPLICE   DE   JEAN   CALAS.  231 

tât  contre  lui  aux  plus  violents  excès.  M"  Jouve,  avocat  plein 
d'énergie  et  de  dévoûment  répondit,  dans  le  patois  alors  fort 
usité:  '(  Non,  il  faut  qu'il  sorte  au  (j  r  and  jour  ^  sans  crainte  comme 
sans  jactance^  et  ce  sera  moi  qui  V accompagnerai  avec  Sénovert 
(beau-frère  de  Lavaysse) .  «  Lorsque  tous  deux  entrèrent  dans  la 
fatale  geôle  où  le  prisonnier  était  retenu  dans  le  plus  rigide 
secret,  il  s'évanouit  en  embrassant  son  beau-frère.  Ce  ne  fut 
qu'avec  les  plus  grands  ménagements  que  celui-ci,  après  lui 
avoir  fait  enlever  ses  fers,  le  prépara  au  bonheur  de  revoir  sa 
famille.  L'opération  avait  été  cruelle  :  mon  oncle  avait  les  jam- 
bes entièrement  gorgées.  Il  entra  dans  une  chaise-a-porteurs, 
y  resta,  les  mains  sur  ses  genoux,  une  glace  étant  ouverte  ;  c'était 
celle  que  gardait  M  Jouve,  M.  de  Sénovert  était  a  l'autre  por- 
tière. De  l'Hôtel-de-Ville  jusqu'il  la  rue  St-Remesy,  une  foule 
immense  encombrait  le  passage  ;  mais  les  dispositions  étaient 
changées,  soit  que  l'elTusion  du  sang  eut  assouvi  la  soif  du  fana- 
tisme, soit  que,  repentant,  le  fanatisme  lui-même  se  fut  con- 
verti eu  pitié  ;  chacun  félicitait  M.  de  Sénovert,  et  disait  en  ré- 
pandant des  larmes  :  Ohl  non,  ce  jeune  homme  si  beau ,  si  doux, 
(ils  d'un  homme  de  bien,  n'a  pu  assussiner  son  ami,  » 

Le  supplice  de  Jean  Calas,  trois  semaines  après  celui 
(le  Rochelle  et  des  frères  De  Grenier,  le  jugement  inique 
des  quatre  autres  accusés,  et  bientôt  après,  l'enlèvement 
des  D""  Calas,  enfermées  dans  des  couvents  par  lettres 
de  cachet ,  jetèrent  l'effroi  parmi  les  coreligionnaires  de 
cette  famille  si  cruellement  persécutée. 


«(La  terreur  des  protestants  de  Toulouse,  écrit  un  de  leurs 
descendants,  était  telle  que  le  jour  de  l'exécution  de  Calas,  pas 
une  famille  protestante  n'osa  sortir  de  sa  demeure,  ni  ouvrir 
les  volets  de  son  appartement.  On  cita  a  la  fois  comme  un 
exemple  unique  de  fermeté  et  d'influence,  la  conduite  que  tint 


232      TORTURE  ET  SUPPLICE  DE  JEAN  CALAS, 

le  D'  Sol,  qui  sortit  et  visita  ses  malades  comme  il  le  fesait 
tous  les  jours  (1). 

Ces  craintes  trop  justifiées  produisirent  leurs  inévita- 
bles elTets.  L'émigration  des  protestants  recommença 
dans  le  Languedoc  (2).  Des  familles  entières  quittaient  la 
France  pour  aller  chercher  dans  les  pays  protestants  une 
sécurité  que  leur  patrie  ne  leur  offrait  plus.  Un  mois 
après  le  supplice  de  Calas,  Voltaire  voyait  encore  arriver 
à  Genève  ces  fugitifs  avec  leurs  enfants  et  leurs  femmes, 
et  il  fit  présenter  au  Comte  de  Ghoiseul,  alors  ministre, 
ces  réflexions  d'un  incontestable  bon  sens  : 

«  En  vérité,  si  le  roi  connaissait  les  conséquences  funestes 
de  cette  horrible  extravagance,  il  prendrait  l'affaire  des  Calas 
plus  a  cœur  que  moi. Voilà  déjà  sept  familles  sorties  de  France! 
Avons-nous  donc  trop  de  manufacturiers  et  de  cultivateurs? 

Je  soumets  ce  petit  article  à  la  considération  de  M.  le  C*  de 
Ghoiseul.  » 

Le  moment  est  venu  de  raconter  les  infatigables  et 
généreux  efl"orts  de  Voltaire  pour  réhabiliter  la  mémoire 
du  roué  et  pour  relever  au  moins  sa  vetive  et  sa  famille 
de  l'ignominie  et  de  la  misère  où  on  les  avait  plongées. 

(0  Voy.,  sur  le  docteur  Sol,  les  LeUres  de  la  Sœur  Fraisse,  el 
la  note  XII  à  la  fin  du  volume. 

(2)  Voy.  Couride  Gébelin,  Toulousaines, 


CHAPITRE    X 


VOLTAIRE 


«  Cette  tragédie  me  fait  oublier  toutes  les  autres , 
jusqu'aux  miennes.  » 

(Lettre  à  d'Argental,  5  juillet  1776.) 


Avant  la  fin  de  mars  1762,  un  négociant  marseillais, 
Dominique  Audibert  (1) ,  qui  se  rendait  de  Toulouse  èi 
Genève,  alla  voir  Voltaire  et  lui  raconta  le  procès  et  l'af- 
freuse exécution  qui  occupaient  tous  les  esprits  dans  la 
ville  qu'il  venait  de  quitter.  Il  affirmait  énergiquementque 
les  Calas  étaient  innocents  (2).  A  ce  récit.  Voltaire  fut  saisi 
d'horreur,  et  résolut  immédiatement  de  savoir  avec  pleine 
certitude  de  quel  côté  était  la  vérité.  Il  voyait,  d'une 
part  ou  de  l'autre,  le  fanatisme  protestant  ou  catholique 
aboutir  k  un  acte  de  cruauté  effroyable.   Or,  ce  qu'il  y 


(i)  U  fut  secrétaire  de  l'Académie  de  Marseille  et  niourul  àSainl- 
Germain-en-Laye  le  i  o  août  18  21, 

(2)  «  Je  me  souviendrai  toute  ma  vie  que  vous  fûtes  le  premier 
qui  me  parlâtes  des  Calas.  Vous  avez  été  la  première  origine  de  la 
justice  qu*on  leur  a  rendue  et  de  celle  qu'on  va  leur  rendre  encore.  » 
La  date  de  celle  lettre  à  Audibert  diffère  dans  les  éditions.  Selon 
Bcuchot,  elle  serait  du  13  décembre  17  63, 

20. 


2'ô^  VOLTAIRE. 

avait  peuL-ètrc  de  plus  sincère  et  de  plus  vif  en  lui, 
c'était  l'indignation  ardente  que  lui  inspiraient  les  cri- 
mes commis  au  nom  de  la  religion.  Il  avait  fort  peu 
de  religion  sans  doute  ;  il  en  avait  assez  cependant, 
lui  qui  crut  toute  sa  vie  en  Dieu,  pour  que  tout  en  lui 
se  soulevât,  e'i  l'ouïe  d'actes  sanglants  commis  au  nom 
de  Dieu.  Avant  même  de  savoir  qui  avait  raison  dans 
ce  drame  allVeux,  il  résolut  d'en  avoir  le  cœur  net. 

C'est  dans  ce  sentiment  qu'il  écrivit  le  29  mars  1762 
à  d'Alembert  : 

l*our  l'amour  de  Dieu  rendez  aussi  exécrable  que  vous  le 
[tourrez  le  fanatisme  qui  a  fait  pendre  un  fils  par  son  père  ou 
(|ui  a  fait  rouer  un  innocent  par  huit  conseillers  du  Roi. 

Celte  horrible  affaire,  dit-il  vers  la  même  époque  à  son 
ami  le  comte  d'Argental,  déshonore  la  nature  humaine,  soit 
que  Calas  soit  coupable,  soit  qu'il  soit  innocent.  Il  y  a  certai- 
nement d'un  côté  ou  de  l'autre  un  fanatisme  horrible  (1)  et  il 
est  utile  d'approfondir  la  vérité. 

Dès  le  25,  il  communiquait  l'horreur  où  le  jetait  cette 
histoire,  k  un  singulier  confident,  cet  étrange  cardinal  de 
Remis,  qui  trouvait  bon  d'être  appelé  en  vers  Babet  la 
Bouquetière. 

l\)urrai-jc  suppher  Votre  Eminence  de  vouloir  bien  me' 
dire  ce  que  je  dois  penser  de  l'aventure  affreuse  de  ce  Calas, 
roué  il  Toulouse  pour  avoir  pendu  son  lils  ?  C'est  qu'on  prétend 
ici  (pi'il  est  très-innocent,  et  qu'il  en  a  pris  Dieu  à  témoin  en 
expirant.  On  prétend  que  trois  juges  ont  protesté  contre  l'ar- 
rC'.\.  Cette  aventure  me  lient  au  cœur;  elle  m'attriste  dans  mes' 

(i)  Ces  derniers  mois  so  rolrouvenl  presque  lexluellcmonl  dans 
une  lourc  de  Vollairc  à  M"'*'*  (du  Deffand?)  en  date  du  2  août  (17  62) 
doni   i'rii  v.i  Toriginal  au  British  Muséum. 


VOLTAIRE.  235 

plaisirs;  elle  les  corrompt.  Il   laut  regarder  le  Parlement  de 
Toulouse  ou  les  protestants  avec  des  yeux  d'horreur. 

La  réponse  de  l'Eniinence  larda  jusqu'au  7  août  et 
fut  essentiellement  équivoque  ;  c'est  un  chef-d'œuvre  du 
genre. 

Il  y  a  du  louche  des  deux  côtés  ;  le  jugement  est  incom- 
préhensible, mais  le  fait  ne  parait  pas  éclairci.  J'en  vois  assez 
pour  être  fort  mécontent  et  même  fort  scandalisé. 

Scandalisé!  Par  qui?  Mécontent!  De  quoi? Il  est  im- 
possible de  mietix  suivre  le  conseil  du  fabuliste  et  d'être 
enrhumé  plus  à  propos. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  de  voir  Voltaire  consulter  un 
cardinal  siu'  le  procès  des  Calas.  Aussitôt  qu'il  se  fut 
promis  de  voir  le  fond  de  cette  affaire,  il  ne  cessa  de 
s'informer,  écrivant  de  tous  côtés  à  la  fois  et  consultant 
tout  le  monde.Les  premières  réponses  qu'il  reçut  étaient 
contradictoires.  Ignorant  les  faits  et  trompés  par  le  Mo- 
nitoire,  bien  des  protestants  crurent,  dans  le  premier 
moment,  au  crime  des  Calas. 

Quel  fut  mon  étonnement,  dit-il  plus  tard,  lorsqu'ayant 
écrit  en  Languedoc  sur  cette  étrange  aventure,  catholiques  et 
protestants  me  répondirent  qu'il  ne  fallait  pas  douter  du  crime 
des  Calas.  (A   Damilaville,  1"  mars  17G5.) 

Il  ne  tarda  pas  à  apprendre  que  le  jeune  Donat  Calas 
était  \x  Genève,  où  il  avait  fui  en  appienant  à  Nîmes  les 
tragiques  malheurs  de  sa  famille.  Voltaire  revint  de  Fer- 
ney  à  sa  maison  des  Délices  pour  l'avoir  sous  la  main  et 
l'interroger  plus  h.  l'aise  (1). 

(1)  Lettre  de  Genève,  26  avril,  à  Paul  Rabaul,  par  le  Paslcur 
Théodore  (ChiroD).  Eyl,  du  Dés, ,  t.  2,  p.  32  4. 


236  VOLTAIRE. 

Je  fis  venir  le  jeune  Calas  chez  moi  ;  je  m'attendais  à  voir  un 
énergumène,  tel  que  son  pays  en  a  produit  quelquefois.  Je  vis 
un  enfant  simple,  ingénu,  de  la  physionomie  la  plus  douce  et 
la  plus  intéressante  et  qui ,  en  me  parlant,  faisait  des  efforts 
inutiles  pour  retenir  ses  larmes  (1). 

Déterminé  à  bien  savoir  ceqii'étaientles  Calas,  il  garda 
chez  Itii  cet  apprenti  de  quinze  ans  assez  longtemps  pour 
le  connaître  parfaitement  ;  alors  eurent  lieu  de  longs 
entretiens  entre  un  enfant  naïf  et  le  vieillard  le  plus  spi- 
rituel, l'esprit  le  plus  pénétrant  et  le  plus  rusé  qu'il  y  eût 
au  monde.  Si  en  faisant  jaser  cet  adolescent  bientôt  appri- 
voisé et  sans  défiance.  Voltaire  avait  trouvé  en  lui  le  fils 
d'une  famille  de  fanatiques  capables  d'égorger  leurs  en- 
fants, il  ne  s'y  serait  point  trompé,  et  dans  ses  intermina- 
bles controverses  avec  Genève  protestante,  le  crime  des 
Calas  eût  figuré  souvent.  Il  reconnut,  au  contraire,  que 
la  famille  dont  im  enfant  lui  révélait  l'intérieur,  sans 
le  savoir,  respirait  tout  entière  non-seulement  l'honneur 
et  l'intégrité,  mais  la  douceur  des  mœurs  et  la  tolérance 
respectueuse  envers  le  culte  d'autrui.  Il  apprit  la  con- 
duite du  père  et  de  la  mère  envers  leur  domestique 
dévote,  envers  les  demoiselles  Bonafous,  envers  Louis, 
converti  au  catholicisme,  et  dès  lors  sa  conviction 
fut  arrêtée.  J'avoue  que  cette  enquête,  faite  par  Vol- 
taire encore  incertain,  m'inspire  une  grande  confiance, 
il  pouvait  lui  convenir  d'attaquer  le  Parlement  plutôt 
que  les  protestants,  mais  ii  lui  importait  bien  plus  de  ne 
pas  s'aventurer  sans  être  absolument  sûr  de  la  vérité. 


CO  Voir  sa  lettre  à  M.  d'Jm..,,  II  y  donne  un  récit  très-bref, 
mais  iniéressanl,  de  ses  relations  avec  les  Calas  et  de  la  part 
qu'il  prit  i  leur  histoire. 


VOLTAIRE.  237 

Pour  démêler  le  vrai  du  faux  dans  un  procès  contem- 
porain, je  ne  sais  s'il  y  eut  jamais  tribunal  aussi  habile 
que  lui. 

Il  sut  que  deux  négociants  de  Genève,  hautement  es- 
timés, étaient  depuis  longtemps  en  rapports  d'affaires 
avec  Calas  et  avaient  reçu  dans  leurs  voyages  l'hospi- 
talité sous  son  toit  (1)  ;  aussitôt  il  s'empressa  de  les 
consulter. 

Il  imagina  ensuite  de  se  mettre  en  rapport  avec 
M™^  Calas  elle-même  et  lui  fit  écrire. 

La  veuve  Calas,  a  qui  pour  comble  de  malheurs  et  d'outrages, 
on  avait  enlevé  ses  filles,  était  retirée  dans  une  solitude...  Je 
lui  fis  demander  si  elle  signerait,  au  nom  de  Dieu,  que  son  mari 
était  mort  innocent.  Elle  n'hésita  pas;  je  n'hésistai  pas  non 
plus. 

Ce  fut  à  cette  occasion  qu'elle  écrivit  à  Debrus  ou 
k  l'avocat  de  Végobre  la  lettre  que  nous  avons  repro- 
duite plus  haut  (p.  76)  et  dont  Voltaire  fut  profondément 
touché. 

Il  lui  semblait  qu'il  n'aurait  jamais  assez  de  preu- 
ves et  de  renseignements  en  main,  et  il  employait  k  la 
fois,  à  lui  en  procurer,  trois  ou  quatre  personnes  pour  le 
moins,  ne  se  faisant  aucun  scrupule  de  mettre  en  œuvre 
toutes  sortes  de  ruses.  Tantôt,  il  fait  croire  k  chacun 
que  tout  dépend  de  lui  seid.  Tantôt,  quand  il  corres- 
pond avec  quelque  partisan  zélé  de  la  tolérance,  ou  de 
la  Réforme,  ou  des  Calas,  il  feint  des  doutes,  et  demande 
de  nouveaux  arguments.  11  est  impossible  de  nier  que  ces 


(1)  Ce  devaient  Olrc  Philippe  Debrus  et  Jean  Des  Arls  ou  son 
frère  Philippe,  qui  tous  trois  avaieut  logé  chez  Calas  (Voir  aux  Ar- 
chives leur  témoignage  écrit,  envoyé  plus  tard  à  Paris), 


238  VOLTAIRE. 

détours  ne  soient  choquants  et  ne  gâtent  quelque  peu  le 
dévouement  de  Voltaire  à  la  grande  œuvre  de  justice 
qu'il  entreprit. 

Un  de  ses  plus  utiles  et  plus  actifs  conseillers  fut  l'avo- 
cat de  Yégobre  (1)  qui  passe,  à  tort,  pour  avoir  été  le  pre- 
mier à  lui  recommander  les  Galas  (2).  Court  de  Gebelin 
dit  qu'il  fournit  à  Voltaire  «  des  pièces  où  l'on  ne  sait  ce 
qui  brille  le  plus  de  l'érudition,  de  la  solidité  et  du 
goût.  ))  Les  divers  écrits  de  Voltaire  sur  l'affaire  Galas  ont 
été  rédigés  par  lui  sur  les  notes  que  lui  remettait  de  Végo- 
bre.  G'étaitun  de  ces  hommes  désintéressés  et  véritable- 
ment dévoués  qui  mettent  leur  bonheur  ci  se  rendre  utiles 
sans  en  demander  la  récompense  ni  k  l'intérêt  ni  k  la 
gloire. 

Voltaire  employa  beaucoup  aussi  l'activité  d'un  négo- 
ciant de  Montauban,  lettré  comme  Audibert,  et  de  plus, 
passionné  pour  les  arts,  Pdbotte-Gharon  (3).  En  le  voyant 
plein  de  chaleur  pour  la  cause  des  malheureux  Galas, 
leur  malicieux  protecteur  lui  écrivit  une  lettre  qui  dut  ex- 


(i)  Charles  de  Manoel  de  Végobre,  né  à  la  Salle,  le  20  août  17  13, 
mort  le  2  5  octobre  1801  à  Genève  où  il  s'était  réfugié  depuis  long- 
temps pour  cause  de  religion.  Cet  homme  excellent  fut  un  des  ap- 
puis les  plus  fermes  des  Eglises  sous  la  croix.  Il  les  protégea  ac- 
livemcnt  du  fond  de  sa  retraite  et  légua  à  son  fils  le  zèle  le  plus 
éclairé  et  le  plus  soutenu  pour  la  cause  protestante  en  France.  Ce 
fils  est  mort  en  18  40  et  donna  par  testament  sa  bibliothèque  aux 
jeunes  Français  qui  étudient  la  théologie  à  Genève.  J'ai  été  chargé, 
comme  leur  biI)liothécaire  à  celte  époque,  de  recevoir  en  leur  nom 
ce  doQ  généreux,  le  dernier  témoignage  d'un  dévouement  hérédi- 
taire à  la  France  et  à  l'Eglise  Réformée. 

(2)  MM.  Haag  :  France  protestante.  —  Gaberel  :  Voltaire  et  les 
Genevois,  etc.,  etc. 

(3)  Les  lettres  de  Voltaire  à  Ribotte  ont  été  publiées,  ainsi  qu'une 
lettre  de  Rousseau  adressée  au  même,  dans  le  Bulletin  de  la  Société 
de   ruistoiie  du  rrotcstantisme  français^  t.  4,  p.  239.  Je  dois  au 


VOLTAIRE.  239 

citer  au  plus  haut  degré  son  zèle.  «  On  les  croit  très-coupa- 
bles ;  on  tient  que  le  Parlement  a  fait  justice  et  miséri- 
corde. M.  Ribotte  devrait  aller  à  Toulouse  s'éclaircir 
de  cette  horrible  aventure.  Il  faut  qu'il  sache  et  dise  la 
vérité:  on  se  conduira  en  conséquence.  »  (2  juin  1752.) 
Il  y  avait  de  quoi  donner  des  ailes  à  l'ardent  Montalba- 
nais,dans  ces  doutes  simulés  et  dans  cette  idée  que  pour 
les  Calas,  auprès  de  Voltaire,  tout  dépendait  de  ses  seuls 
efforts. 

A  Montpellier,  où  résidait  M.  de  Saint-Priest,  inten- 
dant du  Languedoc,  Voltaire  employa  un  nommé  Ghazel, 
qui  communiqua  une  lettre  de  lui  à  l'intendant  et  à 
quelques  autres  puissants  personnages.  La  réponse  de 
Chazel  peint  très-bien  l'embarras  où  se  trouvaient  ceux 
qui  n'avaient  point  de  parti  pris  : 

Il  n'est  pas  une  seule  personne  sensée  dans  celle  province 
qui  ose  porler  un  jugement  assuré.  Les  magistrats  qui  devraient 
mettre  la  vérité  dans  tout  son  jour  se  taisent  avec  obstination. 

Président  de  celle  Société,  M.  Ch.  Rcad,  les  détails  inédits  qui  sui- 
vent, sur  ce  personnage  digne  d'inlérét  : 

11  naquit  au  Carla-le-Comle  (pays  de  Foix)  l'an  1730,  et  s'oc- 
cupa du  commerce  des  draps,  dans  lequel  il  fit  une  fortune  assez 
considérable  qu'il  perdit  plus  tard.  Ses  affaires  et  ses  goûts  l'appelè- 
rent en  Angleterre,  en  Hollande,  en  Espagne.  11  résida  souvent  ;\ 
Paris,  où  il  voyait  liabiluellemcntBuffon,  Thomas,  Necker,  Bailly  et 
surtout  Jean-Jacques  Rousseau.  11  profila  de  ses  voyages  pour  se  créer 
une  collection  d'objets  d'art  ;  on  se  souvient  qu'il  commanda  un  ta- 
bleau à  Carie  Vanloo.  11  a  publié  en  1787  une  lettre  à  lîuffon,  sur 
les  maladies  épidémiques.  On  a  encore  de  lui  un  écrit  sur  la  nature 
et  l'origine  du  blé-froment,  un  poème  sur  les  beaux-arts  et  unre- 
cueild'hymnes  patriotiques  pour  les  fêtes  nationales  de  1789-1790. 
Bibotte  mourut  au  commencement  du  siècle. 

11  est  intéressant  de  voir  le  goût  des  lettres  et  des  beaux-arts  se 
relever  ainsi,  parmi  les  protestants  de  France,  dès  que  la  persécu- 
tion se  calme  assez  pour  leur  laisser  quelque  loisir  etquelque  aisance. 


2/iO  VOLTAIRE. 

Ce  silence  fait  déraisonner  et  les  partisans  et  les  ennemis  de 
Calas  (4). 

Le  pasteur  Moultou  fut  encore  mis  en  réquisition  par 
Voltaire,  chargé  également  par  lui  d'étudier  la  question 
et  de  lui  fournir  les  pièces  de  jurisprudence  nécessaires. 
((  Voltaire,  dit  mi  écrivain  moderne  d'après  les  docu- 
ments du  temps,  paraissait  un  peu  effrayé  du  poids 
et  de  la  responsabilité  de  cette  entreprise.  Moultou, 
avec  M.  et  M"'"  de  la  Rive  qu'il  affectionnait  beaucoup, 
l'encouragèrent  de  toutes  leurs  forces.  » 

L'entreprise  était  grave  en  effet.  Il  s'agissait  de  sou- 
lever l'opinion  de  la  France  et  même  de  l'Europe  con- 
tre les  arrêts  du  Parlement  de  Toulouse,  et  d'amener 
ce  corps  à  les  révoquer  de  gré  ou  de  force.  Il  fallait 
faire  casser  la  sentence  de  mort  du  roué,  réhabiliter  sa 
mémoire  et  offrir  à  sa  veuve,  ci  ses  enfants,  toutes  les 
réparations  possibles. 

La  lettre  suivante  h  Damilaville  {k  avril)  est  une  sorte 
de  circulaire  ou  de  mot  d'ordre  à  tout  le  parti  de  l'En- 
cyclopédie ;  elle  marque  le  moment  où  Voltaire  ouvre  la 
campagne  contre  les  juges  de  Galas  : 

Mes  chers  frères ,  il  est  avéré  que  les  juges  toulousains  ont 
roué  le  plus  innocent  des  hommes.  Presque  tout  le  Languedoc 
en  gémit  avec  horreur.  Les  nations  étrangères,  qui  nous  haïssent 
et  qui  nous  battent,  sont  saisies  d'indignation.  Jamais,  depuis 
le  jour  de  la  Saint-Barlhéleiny,  rien  n'a  tant  déshonoré  la  na- 
ture humaine.  Criez  et  qu'où  crie  (2). 


(1)  Lolire  inédile  du  12  mai;  Colleclion  Lajarielle  de  Nanles, 

(2)  Il  conlinue  celle  même  lellre  en  faisanl  menlion  d'une  bro- 
chure qui,  dii-il,  n'esl  pas  de  lui  el  qu'il  faul  faire  imprimer.  J'avais 
cru  d'abord  qu'il  s'agissait  d'un  de  ses  écrits  eu  faveur  des  Calas. 


VOLTAIRE.  241 

Malgré  sa  conviction  arrêtée,  il  feint  de  douter  encore, 
et  surtout  quand  il  écrit  au  cardinal  de  Bernis  (15  mai). 

Si  vous  pouviez,  sans  vous  compromettre,  vous  informer  de 
lu  vérité,  ma  curiosité  et  mon  humanité  vous  auraient  une  bien 
grande  obligation.  Y.  E.  pourrait  me  faire  parvenir  le  Mémoire 
qu'on  lui  aurait  envoyé  de  Toulouse  et  assurément  je  ne  dirais 
pas  qu'il  m'est  venu  par  vous. 

Toutesles  lettres  que  j'ai  du  Languedoc  se  contredisent  :  c'est 
un  chaos  qu'il  est  impossible  de  débrouiller. 

Il  est  vrai  que  le  même  jour  (15  mai)  il  parlait  k  d'Ar- 
gental  sur  un  ton  bien  différent. 

M.  le  maréchal  de  Richelieu  m'a  écrit  une  grande  lettre  sur  les 
Calas,  mais  il  n'est  pas  plus  au  fait  que  moi.  Le  Parlement 
de  Toulouse  qui  voit  qu'il  a  fait  un  horrible  pas  de  clerc  em- 
pêche que  la  vérité  ne  soit  connue. 

On  voit  que  déjà  il  avait  intéressé  k  la  famille  de  Galas 
celui  qu'il  appelait  :  mon  héros,  le  spirituel  et  débauché 
maréchal.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  (1). 

Peut-être  même  eut-il  encore  des  moments  de  doute 
sincère  en  voyant  les  rigueurs  de  l'autorité  s'appesantir  sur 
les  restes  malheureux  de  la  famille  Galas.  G'est  ainsi  qu'à 
la  nouvelle  de  l'arrestation  des  deux  jeunes  filles  il  écrivit 
au  comte  d'Argental,  le  5  juin  : 


C'était  une  erreur.  11  ne  publia  rien  sur  ce  sujet  avant  le  mois  de  juillet, 
ce  qui  est  prouvé,  tantôt  par  les  dates,  tantôt  par  les  faits  mêmes 
qu'il  raconte.  Ses  écrits  sur  les  Calas  ne  purent  paraître  à  Paris, 
11  les  fit  imprimer  par  Cramer  à  Genève. 

(i)  Je  me  souviendrai  toujours,  écrivait-il  longtemps  après,  que 
mon  héros  me  prit  pour  un  extravagant  quand  j'osai  entreprendre 
l'alfaire  des  Calas. 

(Lettre  à  M""*  de  Sainl-JuUen,  2  5  novembre  i7  7  3.) 

21 


2/!|2  VOLTAIRE. 

J'apprends  dans  l'instant  qu'on  vient  d'enfermer  dans  des 
couvents  séparés  la  veuve  Calas  (1)  et  ses  deux  lilles.La  famille 
entière  des  Calas  serait-elle  coupable,  comme  ou  l'assure,  d'un 
parricide  horrible?  M.  de  S*-Florentin  est  entièrement  au  fait; 
je  vous  demande  h  genoux  de  vous  en  informer.  Parlez-en  à 
M.  le  comte  de  Choiseul  :  il  est  très  aisé  de  savoir  de  M.  de  S*- 
Florentin,  la  vérité  ;  et  a  mon  avis,  cette  vérité  importe  au 
genre  humain  : 

Le  surlendemain  il  renouvelle  auprès  d'Argental  ses 
vives  instances  pour  que  l'on  tâche  de  faire  parler  le 
comte  de  Saint-Florentin, mais  il  ajoute  ce  trait  d'excel- 
lente satire  : 

Peut-être  ne  sait-il  autre  chose  sinon  qu'il  a  signé  des 
lettres  de  cachet. 

Au  commencement  de  juillet,  il  avait  déjà  écrit  ou 
fait  écrire  au  comte  de  Saint-Florentin  par  la  duchesse 
d'Enville,  par  Richelieu,  par  le  duc  de  Villars;  il  avait 
écrit  lui-même  à  M.  Ménard,  premier  commis  du  Mi- 
nistre; il  avait  fait  écrire  à  un  M.  de  Chaban  en  qui  ce 
même  Ministre  avait  grande  confiance,  et  son  médecin,  le 
fameux  Tronchin,  avait  employé  auprès  de  ce  même  per- 
sonnage le  crédit  de  son  frère  le  fermier  général.  Le 
clKmcelier(2)  avait  été  attaqué  de  deux  côtés  différents, 
par  son  ami  le  Premier  Président  de  Nicolaïetparson  gen- 
dre M.  d'Auriac,  président  au  grand  conseil,  auquel  écri- 
vit de  son  côté,  k  l'insu  de  Voltaire,  etàplusieurs  reprises, 
sa  cousine  germaine,  la  sœur  A. -J.  Fraisse  (3).  On  trotive 

(1) Celait  une  erreur,  quant  à  la  mère. 

(9.)  Guillaume  11  de  Lamoignon,  né  en  1G8  3,  chancelier  en  17  50, 
mon  en  1772. 

(3)  Voir  les  louves  de  la  religieuse  n""  1,  1 1  cl  12. 


VOLTAIRE.  2/lû 

encore  les  noms  de  M.  deGhazelles,deM.  de  La  Marche, 
parmi  ceux  des  personnes  dont  il  enrôla  l'influence  au 
service  de  la  cause  qu'il  avait  embrassée  avec  tant  d'ar- 
deur (1).  On  pouvait  compter  sur  les  dispositions  bien- 
veillantes du  duc  de  Glioiseul,  ministre  des  aflaires  étran- 
gères. M-"'  de  Pompadour  promit  de  parler  au  roi  (2). 
Piien  ne  pouvait  se  faire  qu'au  nom  delà  veuve  et  avec 
sa  participation.  Abîmée  de  douleur,  privée  de  ses  fdles, 
séparée  de  tous  ses  fds,  elle  s'était  retirée  seule  avec 
Jeanne  Viguier  k  la  campagne,  dans  les  environs  de  Mon- 
tauban,  et  ne  songeait  plus  qu'à  dérober  à  tous  les  yeux 
ses  larmes  et  le  deuil  sanglant  dont  elle  avait  peine  à  sup- 
porter l'horreur.  Quand  on  lui  écrivit  qu'elle  devait  sor- 
tir de  sa  retraite,  se  montrer  au  grand  jour,  aller  à  Paris 
solliciter  auprès  des  grands,  elle  eut  peur,  moins  encore 
de  l'efl'ort  cruel  qu'on  lui  demandait  que  de  l'inutilité 
et  même  du  péril  de  ses  démarches  (3).  Trois  de  ses  en- 
fants étaient  enfermés  dans  autant  de  couvents,  comme 
dechers  et  précieux  otages  entre  les  mains  des  puissances 
fatales  qui  avaient  condamné  leur  père.  Si  les  efforts 
qu'elle  tenterait  pour  le  réhabiliter  allaient  déplaire  au 
gouvernement,  au  clergé,  à  la  magistrature?  Et  comment 
n'auraient-ils  pas  déplu,  puisqu'il  s'agissait  de  récla- 
mer contre  une  sentence  prononcée  par  un  Parle- 
ment, préparée  par  l'Olïicial  et  par  les  Capitouls? 
Etait-ce  à  elle,  trop  heureuse  encore  d'avoir  vu  bannir 


(i)  Lellre  du  15  avril  à  M'^®  "',  du  8  juillet  à  ArgcnUl. 

(2)  Nous  ne  savons  et  nous  nous  soucions  peu  de  savoir  si  elle  tint 
parole.  Le  recueil  de  ses  lettres,  où  on  la  représente  lisant  à 
Louis  XV  quelques  passages  d'un  écrit  de  Voltaire  pour  les  Calas, 
n'a  rien  d'authentique. 

(3)  Lettre  de  Voltaire  au  marquis  de  Chauvelin,  i3  février  17  63. 


2liU  VOLTAIRE. 

son  fils  Pierre  et  relâcher  les  deux  autres  accusés,  au  lieu 
de  les  voir  rouer  ou  pendre,  était-ce  à  elle  de  s'attaquer 
k  ces  redoutables  pouvoirs ,  dont  les  coups  avaient  brisé 
sa  famille  et  son  bonheur?  Affronter,  dénoncer  un  David, 
un  Lagane,  un  Bonrepos  !  la  seule  idée  d'une  si  étrange 
audace  la  faisait  trembler.  Au  lieu  de  se  hasarder  sur 
cette  mer  inconnue  et  orageuse,  au  lieu  d'aller  remplir 
de  ses  plaintes  bruyantes  Paris,  Versailles,  la  cour,  ne 
ferait-elle  pas  mieux  d'attendre  dans  les  pleurs  que  le 
Dieu  de  la  justice  et  de  la  miséricorde  la  retirât  de  ce 
monde  cruel,  pour  la  réunir  au  martyr  dont  elle  por- 
tait le  deuil  (1)  ? 

On  lui  parla  de  devoirs  à  remplir  envers  la  mémoire 
de  cette  victime  chérie,  envers  ses  enfants  orphelins, 
Pierre,  h  la  fois  exilé  et  détenu,  Donat,  exilé  de  fait  et 
qu'elle  n'osait  même  désirer  de  revoir  après  tant  de  mal- 
heurs, ses  fdles,  peut-être  persécutées  dans  les  couvents 
qui  leur  servaient  de  prison.  On  lui  fit  sentir  qu'elle  devait 
se  dévouer  à  la  réhabilitation  du  roué  ,  aspirer  ci 
réunir  et  k  relever  sa  famille  dispersée  et  ruinée. 

Elle  comprit  et  obéit  aussitôt.  Elle  partit, de  sa  retraite 
ignorée,  pour  cette  ville  de  Paris  qui  lui  inspirait  une  ter- 


(i)  H  ne  faudrait  pas  croire  que  ces  craintes  fussent  chimériques. 
Voltaire  lui-môme  tremble  à  son  tour  «  que  le  parti  fanatique  qui 
accable  cette  famille  infortunée  et  a  eu  le  crédit  de  faire  enfermer 
les  deux  sœurs,  n'ait  encore  celui  de  faire  enfermer  la  mère  pour  lui 
fermer  toutes  les  avenues  au  Conseil  du  Roi.  »  (7  juillet  à  Argental.) 

Aussi  prit-on  d'abord  de  grandes  précautions.  M""®  Calas  ne  se 
produisit  au  dehors  que  peu  à  peu  ,  et  Lavaysse,  qui  vint  la  re- 
joindre à  Paris,  prit  un  faux  nom. 

Il  aurait  sufTi  à  ses  ennemis  de  demander  contre  elle,  comme 
on  l'avait  fait  contre  ses  filles,  une  lettre  de  cachet.  U  en  avait  été 
question  entre  le  ministre  et  le  procureur-général  Bonrepos  (Voir  : 
Corr,  Saint-Flor,  Lettre  25.) 


VOLTAIRE.  245 

reiir  inexprimable.  Elle  y  arriva,  et  y  arriva  seule  dans 
les  premiers  jours  de  juin.  Il  résulte  d'une  lettre  de  Vol- 
taire àTlîiroux  de  Crosne,  quele  30  janvier  1763,  Jeanne 
était  encore  en  Languedoc.  La  raison  n'en  est  que  trop 
facile  h  deviner.  M"^'  Calas  était  désormais  trop  pauvre 
pour  avoir  une  servante,  et  Jeanne  l'était  trop,  elle 
aussi,  pour  suivre  à  Paris  sa  maîtresse  (1).  Dès  lors  elle 
commença  cette  cruelle  vie  de  solliciteuse,  forcée  d'étaler 
partout  sous  les  yeux  des  grands  sa  honte  imméritée  et 
son  horrible  veuvage.  Ce  nouveau  supplice  dura  trois 
ans. 

Quoique  absent.  Voltaire  fut  pour  elle  pendant  ces  dou- 
loureux moments,  un  protecteur  plein  de  délicatesse  et 
d'égards,  en  même  temps  qu'infatigable  dans  son  activité. 
Il  annonça  son  arrivée  k  M.  et  I\r"'d'Argental  (le  11  juin) 
dans  l'admirable  lettre  qu'on  va  lire  et  qu'il  m'est  im- 
possible d'abréger,  malgré  les  répétitions  éloquentes 
qu'on  y  trouvera. 

Mes  divins  anges,  je  me  jette  réellement  à  vos  pieds  et  à 
ceux  de  M.  le  comte  de  Ghoiseul.  La  veuve  Calas  est  à  Paris 
dans  le  dessein  de  demander  justice  ;  l'oserait-elle  si  son  mari 
eût  été  coupable?  Elle  est  de  l'ancienne  maison  de  Montes- 
quieu par  sa  mère  (ces  Montesquieu  sont  de  Languedoc)  ;  elle  a 
des  sentiments  dignes  de  sa  naissance  et  au-dessus  de  son 
terrible  malheur.  Elle  a  vu  son  lils  renoncer  à  la  vie  et  se  pen- 
dre de  désespoir  ;  son  mari,  accusé  d'avoir  étranglé  son  fils, 
condamné  îi  la  roue  et  attestant  Dieu  de  son  innocence  en 
expirant;  un  second  fils  accusé  d'être  complice  d'un  parricide, 
banni,  conduit  à  une  porte  de  la  ville  et  reconduit  par  une  autre 


(1)  Viguièrc  ne  partit  de  Toulouse  que  le  18  juin  1764  pour  re- 
joindre M""*  Calas,  après  l'arrêt  du  roi  qui  cassait  les  sentences  Tou- 
lousaines, 

21. 


2/i6  VOLTAlRl'. 

dans  un  couvent;  ses  deux  filles  enlevées;  elle-même  enfin 
interrogée  sur  la  sellette,  accusée  d'avoir  tué  son  fils,  élargie, 
déclarée  innocente  et  cependant  privée  de  sa  dot.  Les  gens  les 
plus  instruits  me  jurent  que  cette  famille  est  aussi  innocente 
(^'infortunée.  Enfin,  si  malgré  toutes  les  preuves  que  j'ai, 
malgré  les  serments  qu'on  m'a  faits,  cette  femme  avait  quel- 
que chose  à  se  reprocher,  qu'on  la  punisse;  mais  si  c'est,  comme 
je  crois,  la  plus  vertueuse  et  la  plus  malheureuse  femme  du 
monde,  au  nom  du  genre  humain,  protégez-la.  Que  M.  le  comte 
de  Ghoiseul  daigne  l'écouter!  Je  lui  fais  tenir  un  petit  papier 
qui  sera  son  passeport  pour  être  admise  chez  vous  ;  ce  papier 
contient  ces  mots  :  'c  La  personne  en  question  vient  se  pré- 
senter chez  M.  d'Argental,  conseiller  d'honneur  du  Parlement, 
envoyé  de  Parme,  rue  de  la  Sourdière.  » 

Mes  anges,  cette  bonne  œuvre  est  digne  de  votre  cœur. 

Bientôt  la  pauvre  veuve  se  trouva  en  proie  aux  pro- 
tecteurs bénévoles,  aux  donneurs  de  conseils  impossi- 
bles à  suivre.  Leurs  importunités  et  leur  inintelligence 
désolaient  Voltaire  qui  de  loin  savait  tout,  réparait  les 
maladresses  des  autres,  et  ne  cessait  de  trouver  des 
expédients,  des  ressources  et  des  agents.  Sa  vigueur, 
sa  netteté  de  vues  et  sa  fécondité  de  ressources  sont  in- 
comparables. 

Que  demandons-nous  !  s'écrie-t-il  le  14  juin  en  écrivant  h 
d'Argental...  Que  demandons-nous?  rien  autre  chose  sinon  que 
la  justice  ne  soit  pas  muette  comme  elle  est  aveugle,  qu'elle 
parle,  qu'elle  dise  pourquoi  elle  a  condamné  Calas.  Quelle  hor- 
reur qu'un  jugement  secret,  une  condamnation  sans  motifs!  Y 
a-t-il  une  plus  exécrable  tyrannie  que  celle  de  verser  le  sang  a 
son  gré,  sans  en  rendre  la  moindre  raison?  Ce  n'est  pas  l'u- 
sage, disent  les  juges. —Eh!  monstres!  il  faut  que  cela  devienne 
l'usage  :  vous  devez  compte  aux  hommes  du  sang  des  hommes. 


VOLTAIBE.  L>Zl7 

Le  chancelier  serait-il  assez...  pour  ne  pas  laire  venir  la  pro- 
cédure 1 

Pour  moi ,  je  persiste  a  ne  vouloir  autre  chose  que  la  production 
publique  de  cette  procédure.  On  imagine  qu'il  faut  préalable- 
ment que  cette  pauvre  femme  fasse  venir  des  pièces  de  Tou- 
louse. Où  les  trouvera-t-elle?  Qui  lui  ouvrira  l'antre  du  greiïe? 
Où  la  renvoie-t-on,  si  elle  est  réduite  a  faire  elle-même  ce  que 
le  chancelier  ouïe  conseil  seul  peut  faire?  Je  ne  conçois  pas 
l'idée  de  ceux  qui  conseillent  cette  pauvre  infortunée. 

Cet  avis  semblait  cependant  motivé.  Voltaire  avait 
adressé  M'"''  Calas  à  d'Alembert  pour  qu'il  dirigeât 
ses  démarches,  ce  qu'il  fit  activement  (1)  et  ensuite 
ti  M''  Mariette,  avocat  au  conseil  du  roi.  C'était  devant 
ce  conseil  seulement  qu'elle  pouvait  appeler  de  la 
sentence  d'une  cour  souveraine.  Il  fallait  intenter 
un  procès  devant  ce  corps,  qui  était  censé  représenter 
directement  le  monarque.  Voltaire  prit  ci  sa  charge  tous 
les  frais.  Mais  dès  le  premier  pas  on  se  trouvait  arrêté. 

M®  Mariette  demande  pour  agir  l'extrait  de  la  procédure 
de  Toulouse.  Le  Parlement,  qui  parait  honteux  de  son  juge- 
ment, a  défendu  qu'on  donnât  communication  des  pièces  et 
même  de  l'arrêt  (2).  (A  Audibert,  9  juillet.) 

(i)  Court  de  Gebelin,  ies  Toulousaines, 

(2)  Ce  fait  qui  aujourd'hui  paraît  à  peine  croyable,  est  vrai. On  n'était 
pas  môme  obligé,  en  ce  temps  de  jugements  secrets,  de  dire  au  pu- 
blic pourquoi  on  mettait  un  homme  à  mort.  Amis  et  ennemis  igno- 
rèrent longtemps  la  teneur  de  l'arrôt,  ce  qui  favorisa  toutes  les  ca- 
lomnies répandues  contre  les  Calas  et  rendit  leur  défense  longtemps 
illusoire.  «  Au  surplus,  je  ne  puis  avoir  l'honneur  de  vous  adresser 
d'exemplaire  de  l'arrêt  rendu  contre  Calas,  puisqu'il  n'a  pas  été  im- 
primé; je  n'ai  pas  même  pu  en  avoir  de  copie,  parce  qu'on  ne  veut 
pas  absolument  qu'il  paraisse.  (28  avril  1712.  —  Lettre  d'Am- 
blard,  subdclégué  de  Toulouse,  à  rinlcndant  de  Languedoc  ou  à  son 
secrétaire.  (Arck.  de  Montpellier.'^ 


248  VOLTAIRE. 

Ces  paroles  sont  extraites  d'une  lettre  h  Audibert  qui 
allait  h  Paris,  et  que  Voltaire  chargea  de  voir  M"^''  Calas 
et  Lavaysse,  afin  de  savoir  si  la  veuve  était  dans  le  be- 
soin. MM.  Dufour  et  Mallet,  banquiers,  rue  Montmar- 
tre, avaient  consenti  k  ce  qu'elle  eût  chez  eux  son  do- 
micile connu,  et  c'était  par  leurs  mains  que  passait 
tout  ce  qu'on  lui  envoyait. 

Plus  d'une  fois  Voltaire  dut  rendre  le  courage  à  ceux 
même  pour  lesquels  il  se  donnait  tant  de  mouvement  et 
de  peine,  excepté  M"'*'  Calas  qui,  une  fois  résolue, 
ne  faiblit  jamais.  Il  pria  ses  anges,  M.  etM"'*^  d'Argental, 
de  faire  venir,  d'interroger  et  d'encourager  Lavaysse. 

Il  est  caché  a  Paris.  Son  malheureux  père,  qui  craint  de 
se  compromettre  avec  le  Parlement  de  Toulouse,  tremble  que 
son  fils  n'éclate  contre  ce  même  Parlement. 

Voici  en  quels  termes  mystérieux,  mais  k  la  fois  flat- 
teiu's  et  sévères,  il  gourmandait  l'inaction,  et  la  prudence 
exagérée  de  Lavaysse  père  : 

Les  personnes  qui  protègent  a  Paris  la  famille  Calas  sont 
très-étonnées  que  le  sieur  Gobert  Lavaisse  ne  fasse  pas  cause 
commune  avec  elle.  Non-seulement  il  a  son  honneur  à  soute- 
nir, ses  fers  à  venger,  le  rapporteur  cpii  conclut  au  bannisse- 
ment a  confondre,  mais  il  doit  la  vérité  au  public  et  son  secours 
à  l'innocence.  Le  père  se  couvrirait  d'une  gloire  immortelle, 
s'il  quittait  une  ville  superstitieuse  et  un  tribunal  ignorant  et 
barbare. 

Un  avocat  savant  et  estimé  est  certainement  au-dessus  de 
ceux  qui  ont  acheté  pour  un  peu  d'argent  le  droit  d'élre  in- 
justes; un  tel  avocat  serait  un  excellent  conseiller;  mais  où  est 
le  conseiller  qui  serait  un  bon  avocat  ? 

M.  Lavaisse  peut  être  sûr  que,  s'il  perd  quelque  chose  à 
son  déplacement,  il  le  retrouvera  au  décuple.  On  répand  que 


VOLTAIRE.  2^9 

plusieurs  princes  d'Allemagne,  plusieurs  personnes  de  France, 
d'Angleterre  et  de  Hollande  vont  faire  un  fonds  très-considé- 
rable. Voila  de  ces  occasions  où  il  serait  bon  de  prendre  un 
parti  ferme.  M.  Lavaisse  en  élevant  la  voix  n'a  rien  a  craindre; 
il  fera  rougir  le  parlement  de  Toulouse,  en  quittant  cette  ville 
pour  Paris;  et  s'il  veut  aller  ailleurs,  il  sera  partout  respecté. 

Quoi  qu'il  arrive,  son  fils  se  rendrait  très-suspect  dans  l'es- 
prit des  protecteurs  des  Calas,  et  ferait  très-grand  tort  a  la 
cause,  s'il  ne  faisait  pas  son  devoir,  tandis  que  tant  de  person- 
nes indifférentes  font  au  delà  de  leur  devoir. 

«  Je  prie  la  personne  qui  peut  faire  rendre  cette  leth-e  à  M,  La- 
vaisse père,  de  V envoyer  promptement  par  vne  voie  sûre,  » 

Malgré  tant  d'efforts,  tant  d'esprit  et  d'éloquence,  il 
ne  réussissait  pas  toujours  dans  ses  tentatives.  Ce  fut 
en  vain  qu'il  s'efTorça  d'obtenir  de  M.  de  Saint-Florentin 
une  audience  pour  M"'*'  Calas.  Il  s'abusait  entièrement  sur 
les  dispositions  de  ce  roi  de  France,  obscur  et  dissi- 
mulé (1)  ;  et  nous  pouvons  en  juger  mieux  que  lui,  nous 
qui  avons  lu  trente  k  quarante  de  ses  dépêches  secrètes, 
où  il  parle  sur  les  tons  les  plus  divers  de  l'afTaire  Ca- 
las. Il  fut  jusqu'au  bout,  et  nous  le  prouverons  par  ses 
propres  lettres,  le  protecteur  actif  des  ennemis  de  Ca- 
las et  de  sa  veuve  (2). 

A  son  exemple,  ces  esprits  étroits,  si  nombreux  en 
tous  temps,  qui  sont  invariablement  convaincus  qu'un 
homme  ofTiciellement  condamné  le  mérite  ;  ces  gens, 

(i)  «Vous  savez  sans  doule  que  M,  de  S*  Florentin  a  écrit  à 
Toulouse  et  est  très-bien  disposé,  »  (A  Argcnlal  i  4  juillet}.  L'astu- 
cieux despote  n'avait  garde  de  s'attirer  le  mauvais  vouloir  d'un 
homme  aussi  redoutable  que  Voltaire  l'était  devenu  par  ses  écrits  et 
par  ses  hautes  relations. 

(2)  Voir  quelques-unes  de  ces  lettres  à  la  fin  du  volume.  Corr. 
St-Fl,  7,   8,  12,  13,  19,   24,   25,  27,  28. 


250  VOLTAIRE. 

qui  peuvent  être  très-lionnètes ,  très-sincères ,  mais  qui 
sont,  avant  tout,  partisans  de  tout  ce  qui  gouverne,  étaient 
adversaires-nés  de  M'"^  Galas.  " 

Ce  déplorable  esprit  se  trahit  parfaitement  dans  une 
lettre  inédite  du  duc  de  Villars  h  Voltaire  (1).  Le  duc 
avait  été  chargé  par  lui  d'écrire  au  Ministre  ;  il  le  pria 
seulement  «  de  vouloir  bien  prendre  connaissance  des 
motifs  de  l'arrêt.  » 

C'est  a  peu  près  (2)  ce  que  j'ai  cru  devoir  dire  a  M.  de 
Saint-Florentin  ;  je  n'ai  pu  lui  assurer  que  l'arrêt  était  injuste, 
parce  que  je  ne  le  crois  pas.  Les  pièces  que  vous  m'avez  en- 
voyées et  dont  je  vous  remercie  ne  me  font  point  changer  de 
sentiment...  Je  souhaite  de  me  tromper  en  croyant  que  le  fa- 
natisme peut  faire  commettre  les  crimes  les  plus  horribles  et 
que  ti-eize  juges  ne  comlamnent  pas  unanimement  un  homme 
au  plus  affreux  des  supplices  sans  être  bien  assurés  qu'il  est 
coupable. 

Inutile  de  dire  qu'une  négociation  entreprise  par  un 
homme  si  mal  disposé  n'aboutit  k  rien.  C'était  d'ailleurs 
une  puérilité  d'engager  Saint-Florentin  h  prendre  con- 
naissance d'im  arrêt  qu'il  avait  pour  ainsi  dire  inspiré. 
Il  répondit  le  17  juillet  aux  froides  observations  du  duc 
en  faveur  des  Calas  : 

Les  voyes  de  droit  leur  sont  ouvertes  et  ils  peuvent  les 
prendre  s'ils  le  jugent  a  propos.  Mais  cet  alîaire  ne  me  regarde 
en  aucune  façon. 

(0  Delacollcclion  LujaiicUc  de  Nanlc?.  Cominuni(iué  par  MM.  Read 
cl  Vaurigaud. 

(2)  A  peu  près...  Nous  avons  lu  celle  lellre  au  Minisire  en  dalc 
du  7  juillet.  Elle  est  aussi  peu  favorable  que  possible  aux  Calas.  C'esl 
une  de  ces  rccommanJalions  qui  ne  peuvent  que  nuire  au  recom- 
manda. 


VOLTAIRE.  251 

Voltaire  s'adressa  mieux  lorsqu'il  envoya  M"""  Calas 
remettre  les  pièces  originales  au  chancelier  Lamoignon 
et  à  quelques  autres  personnes  en  place.  Il  l'adressa 
ensuite  au  célèbre  avocat  Eliede  Beaumont  (l),avec  une 
lettre  où  il  lui  disait  : 

Mandez  moi,  je  vous  prie,  sur  le  champ  les  mesures  qu'on 
peut  prendre  ;  je  me  chargerai  de  la  reconnaissance  ;  je  serai 
heureux  de  l'exercer  envers  un  talent  aussi  beau  qu'est  le  vô- 
tre. Ce  procès,  d'ailleurs  si  étrange  et  si  capital,  peut  vous 
faire  un  honneur  infini,  et  l'honneur  dans  votre  noble  profes- 
sion amène  tôt  ou  tard  la  fortune.  Cette  affaire  h  laquelle  je 
prends  le  plus  vif  intérêt  est  si  extraordinaire  qu'il  faudra 
aussi  des  moyens  extraordinaires.  Soyez  sûr  que  le  Parlement 
de  Toulouse  ne  donnera  point  des  armes  contre  lui  ;  il  a  dé- 
fendu que  l'on  communiquât  les  pièces  a  personne  et  môme 
l'extrait  de  l'arrêt. 

Bientôt  l'arrivée  d'im  des  accusés  à  Genève  fournit 
au  zèle  de  Voltaire  des  lumières  nouvelles  et  l'aiguil- 
lonna encore.  Pierre  Calas,  échappé  le  h  juillet  du  cou- 
vent des  Dominicains  de  Toulouse,  vint  rejoindre  son 


(i)  Jean-Baplislc-Jacques  Elle  de  Beaumont,  né  en  17  32  à  Ca- 
renlan,  mort  à  Paris  le  lo  janvier  17  86. 

La  part  brillante  qu'il  prit  à  l'affaire  Galas  lui  valut  parmi  les  pro- 
lestanis  une  vive  gratitude  et  partout  une  haute  renommée. 

Mais, peu  après,  il  se  fit  un  très-grand  tort  dans  l'opinion  en  récla- 
mant, du  chef  de  sa  femme,  qui  était  née  protestante,  la  terre  de 
Canon,  près  de  Caen,  vendue  par  ses  parents  à  un  catholique.  11  se 
fit  mettre  en  possession  de  cette  terre,  au  nom  d'une  des  lois  odieu- 
ses destinées  à  empêcher  l'émigration  des  huguenots  ;  Louis  XIV 
leur  avait  interdit  d'aliéner  leurs  biens-fonds.  Mais  ces  lois  tom- 
baient en  désuétude,  et  l'on  fut  indigné  d'en  voir  demander  la  mise  à 
exécution  par  le  défenseur  des  Calas,  dans  uu  intérêt  purement 
personnel. 

(Voir  sur  cette  humiliante  affaire  les  lettres  de  Voltaire  à  Damila- 
ville,  des  i"  octobre  17  66  cl  4  juin  17  67.) 


252  VOLTAIRE. 

frère  sur  cette  terre  d'asile  et  de  liberté  que  les  protes- 
tants persécutés  en  France  considéraient  depuis  plus  de 
deux  cents  ans  comme  leur  refuge  assuré  et  leur  se- 
conde patrie ,  quand  la  première  les  repoussait  de  son 
sein.  Quelques  jours  après  son  arrivée,  le  26  juillet, 
Voltaire  écrivait  à  Audibert  : 

Nous  avons  ici  Pierre  Calas  ;  je  l'ai  interrogé  pendant 
quatre  heures  ;  je  frémis  et  je  pleure,  mais  il  faut  agir. 

L'émotion  chez  Voltaire,  même  quand  elle  était  sin- 
cère et  sentie,  ne  jetait  aucun  trouble  dans  les  idées. 
Quoique  Pierre  Galas  Témut  il  le  mit  à  l'épreuve,  comme 
il  avait  fait  pour  son  jeune  frère.  Interrogatoires,  espion- 
nage même,  rien  ne  lui  fut  épargné.  Il  en  rendit  compte 
plus  tard  à  M.de  Crosne  (le  30  janvier  1763). 

Pierre  Calas,  accusé  d'un  fraticide  et  qui  en  serait  indubi- 
tablement coupable  si  son  père  l'eut  été,  demeure  auprès  de 
mes  terres  :  je  l'ai  vu  souvent.  Je  fus  d'abord  en  défiance  ;  j'ai 
fait  épier  pendant  quatre  mois,  sa  conduite  et  ses  paroles;  elles 
sont  de  l'innocence  la  plus  pure  et  de  la  douleur  la  plus 
vraie. 

Vers  la  fin  de  juin.  Voltaire  avait  commencé  la  pu- 
blication des  Pièces  Originales  concernant  la  mort  des 
sieurs  Calas  et  le  jugement  rendu  à  Toulouse.  Ce  re- 
cueil ne  contenait  d'abord  que  deux  documents,  la  simple 
et  belle  lettre  de  M"'"  Calas  et  une  prétendue  lettre  de 
Donat  Calas  fils  à  la  dame  veuve  Calas,  sa  mère^  écrite 
bien  certainement  par  Voltaire,  mais  peut-être  sur  les 
notes  de  M.  de  Végobre.  Il  rencontra  des  obstacles  dans 
la  publication  de  ces  pièces  en  France.  Il  fallut  l'interven- 
tion do  Tabbé  de  Chuuvelin,  et  ce  ne  fut  pas  sans  peine 


VOLTAIRE.  25^3 

(lifon  obtint  pour  ces  écrits  une  circulation  à  peu  près 
libre  (1). 

Bientôt  les  Pièces  dites  Originales  s'enrichirent  d'un 
Mémoire,  sous  le  nom  de  Donat  Calas,  daté  du  22  juil- 
let, et  d'une  Déclaration  de  son  frère  Pierre  sous  la 
date  du  23. 

La  composition  du  Mémoii'e,  plus  important  que  la 
Déclaration,  avait  été  diilicile  pour  Voltaire.  11  fallait 
faire  parler  un  protestant,  et  le  faire  parler  devant  la 
France  catholique, telle  que  l'avait  laissée  Louis  XIV.  La 
tâche  était  délicate,  impossible  peut-être  à  Vollaire;  en 
tout  cas  l'illustre  incrédule  y  réussit  fort  mal;  c'est  une 
étrange  chose  que  la  religion  protestante  réduite  par  lui 
à  ce  quelle  peut  avoir  de  plus  raisonimble ^  afin  de  laisser 
aux  convertisseurs  caiholiqnes  une  espéirince  de  succl's  ! 
Ces  singulières  expressions  sont  de  lui,  dans  une  lettre 
fi  son  médecin  Tronchin  qui  a  été  publiée  en  1850 
parmi  les  Lettres  inédites  (2). 

Voici,  mon  cher  grand  homme,  le  mémoire  lel  qu'il  est 
fait  pour  les  catholiques;  nous  nous  faisons  tout  à  tous  avec 
l'apôtre.  Il  m'a  paru  qu'un  prolestant  ne  devait  pas  désavouer 
sa  religion,  mais  qu'il  devait  en  parler  avec  modestie  et  com- 
mencer par  désarmer,  s'il  est  possihle,  les  préjugés  qu'on  a  en 
France  contre  le  calvinisme,  cl  qui  pourraient  faire  un  très- 
grand  tort  a  l'affaire  des  Calas.  Comptez  qu'il  y  a  des  gens  ca- 
pahles  de  dire;  qu'importe  qu'on  ait  roué  ou  non  un  calviniste  .' 
Cest  toujours  un  ennemi  de  moins  dans  l'état.  Soyez  très-SÛr 
que  c'est  ainsi  que  pensent  plusieurs  honnêtes  ecclésiastiques. 


(1)  isjuillol,  à  Damilaville;  4  aoi\l,  à  d'ArgentaJ. 

(2)  Nous  désignerons  cctlo   piiblicalion   en    2  vol.  in- 8°  sons   le 
nom  de  Rccuoil  Cayrisl, 

22 


254  VOLTAIRE. 

11  faiil  donc  prévenir  leurs  cris  par  une  exposition  modeslc  de 
ce  que  la  religion  protestante  peut  avoir  de  plus  raisonnable.  Il 
faut  que  celte  petite  profession  honnête  et  serrée  laisse  aux 
convertisseurs  une  espérance  de  succès. 

La  chute  était  délicate,  mais  je  crois  avoir  observé  les  nuan- 
ces. 

Nous  avons  une  viande  plus  crue  pour  les  étrangers.  Ce 
mémoire  est  pour  la  France  et  est  au  bain-marie. 

C'est  dans  le  même  temps  que  l'infatigable  écrivain, 
décidé  k  frapper  sans  relâche  l'attention  du  public,  fit 
paraître  V Histoire  d'Elisabeth  Canniny  et  de  Jean  Ca- 
las. Il  se  souvint  à  propos,  d'une  scandaleuse  affaire  qui 
avait  eu  lieu  pendant  son  séjour  en  Angleterre  etoii,  sur 
des  indices,  on  s'était  vu  sur  le  point  de  prononcer  une 
sentence  injuste,  il  rapprocha  cette  histoire  de  celle  des 
Calas,  qu'il  raconta  une  fois  de  plus,  avec  des  ressour- 
ces toujours  nouvelles  de  style,  d'esprit  et  de  bon  sens. 
Ce  ne  fut  pas  la  dernière  fois. 

Les  trois  écrits  publiés  sous  le  nom  de  Pierre  et  de 
Donat  étaient  datés  de  Châtelaine,  village  des  environs 
de  Genève. 

Quand  Voltaire  était  aux  Délices,  qu'il  n'avait  pas 
encore  abandonnés  définitivement  pour  Ferney,  il 
avait  auprès  de  lui,  à  Châtelaine,  les  fils  de  Calas,  et 
en  profita  pour  les  présenter  aux  visiteurs  célèbres  ou 
puissants  qui  accouraient  de  tous  côtés  pour  le  combler 
de  leurs  hommages. 

Il  les  fit  connaître  à  ((  une  dame  dont  la  générosité 
égale  la  haute  naissance,  qui  était  à  (ienève  pour  faire 
inoculer  ses  iilles  et  qui  fut  la  première  à  soulager  cette 
famille  inforlunéc.  »  (i'était  la  duchesse  d'Enville,  mère 
des  ducs  de  La  iiochcfoucault  et  de  Liancourt.  Il  pou- 


VOLTAIRE.  255 

vait  d'autant  mieux  l'intéresser  à  ses   protégés  qu'il 
était  son  hôte.  Elle  habita  les  Délices  avec  ses  enfants. 
C'est  de  M""  d'Enville  qu'il  disait  plus  tard  (1)  : 

Des  Français  retirés  dans  ce  pays  la  secondèrent  ;  des  An- 
glais qui  voyageaient  se  signalèrent  et  comme  le  dit  M.  de 
Heaumont,  il  y  eut  combat  de  générosité  entre  les  deux  nations  u 
(|ui  secourrait  le  mieux  la  vertu  si  cruellement  opprimée. 

Ces  secours  étaient  indispensables  pour  donner  h 
M"'"  Calas  les  moyens  de  se  rendre  h  Paris  et  d'y  vivre; 
chez  elle,  tout  avait  été  saisi. 

Plus  tard,  le  maréchal  de  Richelieu  et  le  duc  de  Vil- 
lars  virent  les  deux  jeunes  gens.  Le  pasteur  Théodore 
(Chiron)  rendit  compte  à  Paul  Rabaut  de  leur  présen- 
tation à  Richelieu  (8  octobre). 

M  de  Y.  lui  a  présenté  Pierre  Calas  en  lui  disant  :  Voici 
un  débris  de  la  triste  famille.  M.  le  duc  lui  ditru  Après  M. 
de  Voltaire,  vous  n'avez  personne  qui  s'intéresse  plus  à  vous 
que  moi.  »  Je  sais  ceci  de  source  et  même  que  ce  seigneur  a 
écrit  fortement  a  sa  fdle  (2)  pour  l'engager  a  s'employer  vive- 
ment à  cette  affaire. 

Peu  à  peu.  Voltaire  réussit  à  enrôler  dans  la  cause 
des  Calas  la  duchesse  delaRoche-Guyon,  le  duc  d'Har- 
court,  bien  d'autres  encore,  qui  rapportèrent  à  Versail- 
les quelque  chose  de  l'enthousiasme  du  grand  homme. 
((  Pendant  le  pltis  fort  de  l'affaire  Calas,  »  le  marquis 
d'Argence  de  Dirac  passa  quatre  mois  chez  Voltaire  ; 
nous  le  verrons  plus  tard  payer  k  son  hôte  im  double 


(0  Lellrc  à  V..  d'Aïu.... 
(2)  Sfpliniîinic,  coinlcsse  d'iifiuidiil. 


256  VOLTAIRE. 

tribut  en  publiant  un  écrit  pour  les  Calas  et  contre 
Kréron,  et  Voltaire  l'en  remercier  dans  son  Ode  à  la 
Vérité» 

Ses  ennemis  ne  s'endormaient  pas  et  prenaient  parti 
contre  ses  protégés.  Il  paraît  qu'on  envoya  t\  une  feuille 
anglaise,  the  Saint-James  Clinmicle,  une  lettre  de 
lui  <i  d'Aleinbert  où  Ton  inséra  des  paroles  plus  que 
compromettantes  contre  le  roi,  les  niinistres,  etc. 
^ous  croyons  que  ces  paroles  n'étaient  pas  de  lui,  non 
parce  qu'il  le  nie  fort  spirituellement  (1),  ce  qui  lui  ar- 
rive aussi  bien  quand  il  nient  que  lorsqu'il  dit  la  vérilé, 
mais  parce  qu'une  pareille  attaque  eût  nui  gratuitement 
h.  la  cause  qu'il  soutenait  de  toutes  ses  forces  et  de 
toute  son  babileté.  C'eût  été  une  maladresse,  et  il  n'en 
faisait  guère,  à  moins  qu'il  ne  fût  bien  en  colère,  ce  qui 
n'était  pas  le  cas.  Le  duc  de  Grafton  lui  montra  cette 
feuille.  En  même  temps,  M.  de  Ghoiseul  à  qui  on  l'avait 
adressée  pour  perdre  Voltaire,  la  lui  envoya  ;  il  y  ré- 
pondit avec  succès  et  se  fit  disculper  par  le  Journal 
Encx'lopédique  dont  on  s'était  servi  contre  lui  (2). 
Cette  attaque  perfidement  calculée  aurait  pu  être  fatale 
il  son  crédit  et  aux  Calas. 

En  tin  parurent  les  Mémoires  des  avocats.  A  oltaire 
combla  d'éloges  Elie  de  Beaumont  (22  septembre)  : 

«  J'îijoiilc  aux  liois  impossibilités  qui;  vous  niellez  dans  un  si 
lieau  jour,  une  quatrième  :  c'est  celle  de  résister  a  vos  raisons. 
J»' joins  ma  reconnaissance  a  celle  que  les  Calas  vous  doivent. 


Il;  «  Si  je  vous  avais  éciil  une  pareille  iellre,  il  faudrait  me  pen- 
flrc  à  la  porte  des  Pclitct-Maisons.  » 

\'i)  l.cllres  dn  20  anf,'ii?ir  à  Pierre  Rousseau,  du  17  octobre  à 
d'Alcnibcrl.  de.,  ele. 


VOLTAIRE.  057 

J'ose  dire  que  les  juges  de  Toulouse  vous  en  doivent  aussi  ^ 
vous  les  avez  éclairés  sur  leurs  fautes,  n 

Mais  bientôt  son  œil  vigilant  trouva  dans  ce  Mémoire 
des  erreurs  qu'il  fit  corriger  avec  le  plus  grand  soin. 
11  était  l'âme  de  toute  cette  affaire  ;  gouvernant  tous 
ceux  qu'il  y  employa,  tantôt  par  les  critiques  les  plus 
fines,  les  plus  justes,  les  plus  adroitement  présentées, 
lantôt  par  des  éloges  connne  ceux  qu'on  vient  de  lire  et 
([ui  avaient  tout  l'éclat  de  la  gloire,  aux  yeux  de  ce  siècle 
dont  il  était  l'oracle. 

Ce  Mémoire  h  la  main,  M"-  Calas  dut  se  présenter 
chez  les  grands  du  jour  et  aussi  chez  les  arbitres  de  la 
j)iJ3licité  qui,  dès  cette  époque,  étaient  comptés  au  rang 
des  puissances  de  fait,  sinon  de  droit.  D'Alembert  fut 
profondément  ému  de  cette  visite;  voici  en  quels  ter- 
mes le  géomètre  de  l'Encyclopédie  en  parlait  à  celui 
qui  était  leur  maître  à  tous: 

\  ous  devriez  engager  M.  de  Clioiseul,  puisqu'il  vous  écoule 
eiv(uisaiine,a  accorder  quelque  protection  aux  pauvres  roués  de 
iouluuse.  La  veuve  vint  me  voir  il  y  a  quelques  jours  et  uj'ap- 
porter  son  mémoire  ;  ce  spectacle  me  fit  grande  pitié.  Il  ne  laiit 
pas  S"  plaindre  d'être  malheureux  quand  on  voit  une  famille 
<iui  l'est  à  ce  point  là.  Je  parlerai  et  crierai  même  en  leur  fa- 
veur; c'est  tout  ce  que  je  puis  faire. 

Les  Mémoires  de  Mariette,  de  Loyseau  de  Mauléon, 
|)<inir('nt  îi  leur  tour.  Voltaire  y  répondit  par  ses  ap- 
plaudissements, dnnt  tout  Paris  se  faisait  l'écho;  mais  il 
eut  raison  de  regretter  (1)  que  les  premiers  Mémoires 
de  Sudre  et  de   La  Salle  n'eussent  pas  été  connus  à 

(I)   Gaberel,  FrMmre  et  (es  GenevoU.    LcUre  Jnéd.    à   Moullou 
3  jaiiYier  17  63.  ' 

22. 


258  VOLTAIRE. 

temps,  et  mis  en  œuvre,  par  les  avocats  de  Paris,  moins 
bien  informés  et  plus  diserts,  sans  être  plus  réellement 
éloquents. 

Chacune  de  ces  publications  gagnait  dans  le  public 
de  nouvelles  sympatliies  aux  Calas  ;  aussi  leurs  ennemis 
tentèrent-ils  un  coup  hardi  contre  leurs  défenseurs.  Le 
présidial  de  Montpellier  fit  saisir  les  Mémoires  des  trois 
avocats.  Voltaire  en  fut  indigné,  mais  y  vit  un  signe  de 
l'effet  produit  par  ces  chaleureux  plaidoyers. 

...  Si  les  avocats  n'ont  plus  le  droit  de  plaider  il  n'y  aura 
donc  plus  ni  droit  ni  loi  en  France.  Je  m'imagine  que  ces  trois 
Messieurs  ne  souffriront  point  un  tel  outrage.  Il  n'appartient 
qu'aux  juges  devant  qui  l'on  plaide  de  supprimer  un  factum 
en  le  déclarant  injurieux  et  abusif.  ...J'espère  surtout  que  cette 
démarche  du  prééidial  de  Montpellier,  commandée  par  le  Par- 
lement de  Toulouse,  sera  une  excellente  pièce  en  faveur  des 
Calas  (1"  Févr.  1763). 

Si  elle  était  dictée  en  effet  par  le  Parlement  Tou- 
lousain, cette  mesure  étrange  prouvait  la  crainte  que  lui 
inspirait  la  parole  populaire  et  admirée  des  meilleurs 
avocats  de  Paris,  réunis  contre  lui  ;  et  si  cette  Cour 
n'avait  pas  ordonné  l'acte  de  Montpellier,  il  indiquait 
dans  la  magistrature  un  esprit  de  corps,  contraire  aux 
intérêts  de  la  justice  et  de  la  vérité.  Cet  esprit  régnait 
même  îi  Paris,  et  d'Alembert  raconte  h  Voltaire  un  mot 
scandaleux  à  ce  sujet. 

Croiriez  vous  qu'un  Conseiller  en  Parlement  disait,  il  y  a 
quelques  jours,  h  un  des  avocats  de  la  Veuve  Calas,  que  sa  re- 
quête ne  serait  point  admise,  parce  qu'il  y  avait  en  France 
plus  de  magistrats  que  de  Calas?  (12  janv.  1763.) 

La  rcqu^^te  de  M*  Mariette  au  Conseil  du  Roi  avait 


VOLTAIRE.  259 

été  présentée.   La  question  était  de  savoir  si  elle  serait 
admise.  L'impatience  dévorait  Voltaire. 

Ehbion!  écrit-il  à  Argental  1p  27  février,  a-t-on  enfin  rap- 
porté l'affaire  des  Calas?  Je  vois  qu'il  est  beaucoup  plus  aisé  de 
rouerun  homme  que  d'admettre  une  requête. 

C'est  peut  être  à  ce  temps  d'anxiété  et  d'irritation 
qu'il  faut  rapporter  une  anecdote  tout  à  fait  caractéris- 
tique : 

il  ne  souffrait  aucune  contradiction  sur  ce  sujet,  et  un  visi- 
teur en  fut  un  jour  la  victime.  C'était  un  gros  seigneur  alle- 
mand qui,  sorti  des  solitudes  d'une  lointaine  résidence, 
connaissait  fort  peu  les  événements  du  jour.  Il  est  introduit 
dans  le  salon  de  Ferney,  et,  immédiatement  après  les  premiè- 
resrévérences  :  «  Monsieur,  lui  dit  Voltaire,  que  pensez-vous  du 
pauvre  Calas  qui  a  été  roué?  —  Il  a  été  roué...  Ah!  il  faut 
que  ce  soit  un  grand  coquin  !  »  Voltaire  se  précipite  sur  la 
sonnette.  —  Le  carrosse  de  Monsieur  est-il  dans  la  cour?  — 
Oui,  Monsieur.  —  Qu'on  attelle  a  l'instant  ses  chevaux  et  qu'il 
parte  !  Le  pauvre  allemand  s'en  fut,  sans  pouvoir  s'expliquer 
cette  boutade.  Lorsqu'il  la  raconta  à  Genève,  on  lui  fit  com- 
prendre le  sujet  de  l'indignation  de  Voltaire,  et  il  déclara  qu'il 
avait  pris  Calas  pour  quelque  brigand  que  le  seigneur  de  Ferney 
avait  fait  rouer  à  bon  escient.  (1) 

En  attendant.  Voltaire  ne  négligeait  rien. 

Tl  refaisait  au  dernier  moment  le  compte  de  ses  alliés 
et  de  ses  agents,  comme  un  gém'ral  passe  ses  troupes  en 
revue,  une  dernière  fois,  avant  de  les  mener  h  l'ennemi. 
Trois  des  ministres  étaient  pour  les  Galas. 

'<  Je  suis  sûr  que  le  contrôleur    général  (2),  M.  le  duc  de 

(i)  Gabcrel  :  foliaire  et  les  Genevois,  p.  5  7, 
(2)  M.  de  Laverdyfut  contrôleur  général  depuis  le  i  •?  déc,   it63 
j'i?q-a'pn  176?.  11  périiP'ir  Téchafaud  en  1794. 


260  VOLTAIRE. 

Prasliu  J),  M.  lo  Duc  de  Clioiseul  (^)  oui  île  liès-bonnes  in- 
ternions ;  il  fant  assurénient  en  pioliler  (3).  » 

Il  écrivait  lellre  siirlellic  an  rapporleur,  M.  de  Cros- 
ne (4),  à  son  beau-père,  M.  de  la  Michodière,  à  M.  d'A- 
guesseau,ne  se  lassant  jamais  de  raconter  comment  il  a 
connu  les  Calas  et  formé  lentement  sa  conviction  :  a  J'ose, 
dil-il,  être  sur  de  Finnocence  de  cette  lamille  comme  de 
mon  existence.  »  Pour  s'en  convaincre  davantage  en- 
core, ou  peut-être  pour  calmer  son  impatience  fiévreuse, 
il  avait  lait  un  travail  singulier  dont  il  rendit  compte  à 
Damilaville  avec  l'extrême  vivacité  que  prenait  son  style 
dans  ses  moments  d'agitation  : 

Je  me  suis  avisé  de  nieltre  par  éciii  toutes  les  raisons  qui 
pourraient  juslliier  ces  juges;  je  me  suis  distillé  la  tête  pour 
lru\iver  de  quoi  les  excuser,  «  I  je  n'ai  lionvé  cpi.^  de  quoi  les 
décinu  r.  (.'>) 

U)  Minislre  des  alTa ires  (Hraii{^ùr«'5. 
{2)  Ministre  de   h  Marine. 

(3J  LeUre  inédite  à  Moiillou  du  Jfi  févrii^r  17  63  (Giiberel,  fuit, 
cl  les  Genev.) 

(4)  Louis  Tliiroux  do  Crosne,  Maiive  dis  Ue(nièles,  devint  iiUeiidant 
à  Uoueii,  puis  en    1789  lieulenanl  de  police  à  Paris,  cl  mouiul  i-vw 

I  'éclialaud  en  i  79  5. 

(5)  Ce  mol  si  dur  e^l  écrit  ah  iralo.  Vins  e;ilnie,  plus  l.nd,  il 
recnnnul,  en  compnranl  l'affaire  des  Cnias  à  celle  des  Sirvcn,  «que 
les  juges  des  Calas  pouvaient  au  moins  ailégner  quelques  loibles  ei 
n.alheureux  prétextes  (A  M.  Chardon  '2  Péw.  17  67).  »  Il  écrivit 
le  -^r)  j  invier  177.')  A  V"''  Du  Deff.tnd.  «  Les  jugesdes  Calas  s'étaient 
iroinpés  sur  les  apparences  cl  avaient  été  coupables  de  bonne  foi.  » 

II  alla  beaucoup  plus  loin  encore  dans  une  lellre  à  un  prêtre  Tou- 
lousain, suivant  son  habitude  de  se  faire  tout  à  totis^  dans  nn  bien 
antre  sens  que  l'apôtre  qu'il  aimait  citer  à  ce  propos.  (A  M.  l'abbé 
Audra,  4  septembre  17  69.) 

«J'ai  toujours  été  convaincu,  lui  écril-il,  qu'il  y  avait  dans  l'affaire 
des  Calas  de  quoi    excuser    les   j'ige?.  Les  Calas    étaient  très-inno- 


VOLTAIRE.  261 

Enfin  parut,  non  pas  encore  le  grand  jour  de  la  jus- 
lice,  mais  la  première  lueur  de  l'aube. 

Le  mardi  1"  Mars,  le  bureau  des  Cassations,  au  con- 
seil, jugea  la  requête  des  Calas  admissible.  C'était  le 
premier  pas  dans  la  voie  de  l'équité  et  de  la  réhabi- 
litation. 

l'fnts  ;  cela  est  démontré.  Mais  ils  s'élaienl  cunlredils.  Ils  avaient 
été  assez  imbéciles  pour  vouloir  sauver  d'abord  le  prétendu  hon- 
neur de  Marc-Anloine  leur  fils  et  pour  dire  qu'il  est  mort  d'apo- 
plexie lorsqu'il  est  évident  qu'il  s'est  défait  lui-même. 

'<  C'est  une  aventure  abominable;  mais  on  ne  peut  reprocher  aux 
juges  (jue  d'avoir  trop  cru  les  apparences,  » 


CHAPITRE    Xï 
RÉVISION  DU    PROCÈS 

ET      RÉHABILITATION      DES      CONDAMNÉS. 


Longa  est  injuria,  longa 

Ambages.,.. 

(ViKG. ,  Mn.  1,  3il.) 


Trois  jours  avant  l'anniversaire  du  supplice  de  Calas, 
le  lundi  7  mars  1763,  le  Conseil  d'Etat  prononça  sur  la 
Requête  de  Mariette.  La  cause  des  Calas  avait  pris  dans 
l'opinion  publique  une  haute  importance.  On  s'intéres- 
sait partout  à  leurs  malheurs  ;  on  sentait  qu'une  grande 
réparation  leur  était  due.  En  outre,  c'était  un  acte  ex- 
trême et  très  rare  du  pouvoir  royal  que  de  casser  l'ar- 
rêt d'une  Cour  souveraine,  et  cet  acte,  par  hommage 
pour  ceux  même  dont  il  condamnait  la  sentence,  ne 
pouvait  s'accomplir  avec  trop  d'éclat  et  de  retentis- 
sement. Le  Conseil  siégeait  d'ordinaire  par  semes- 
tres ;  cette  fois,  les  deux  semestres  lurent  réunis.  Tous 
les  Ministres  et  Ministres  d'État  firent  partie  de  l'As- 
semblée, et  le  Chancelier  de  France  la  présida.  Les 
Conseillers  d'État,  de  robe,   d'épée  et  d'église,  étaien 


264  RÉVISION   ET    REHABILITATION 

présents,  et  parmi  ces  derniers,  plusieurs  abbés  et  trois 
évoques  (1).  Cependant  la  sentence  fut  rendue  à  l'una- 
nimité des  quatre-vingt-quatre  membres  présents,  con- 
formément aux  conclusions  de  M.  Thiroux  de  Crosne, 
Maître  des  Requêtes,  rapporteur  (2).  Pendant  la  séance, 
la  galerie  des  Glaces  à  Versailles  était  pleine  d'une  foule 
impatiente  de  recevoir  la  grande  nouvelle. 

Au  lieu  de  raconter  nous-même  cette  scène  imposante 
et  pleine  d'émotion,  nous  citerons  ici  le  récit  d'un  témoin 
oculaire  (3)  : 

Le  8  mars  1768. 

L'aflaire  de  madame  Calas  fut  jugée  hier  au  conseil;  je  fus 
avec  elle  a  Versailles,  avec  plusieurs  autres  messieurs,  chez  les 
ministres  ;  l'accueil  qu'ils  lui  tirent  fut  des  plus  favorables  ;  on 
ne  la  fit  attendre  aucune  part  ;  aussitôt  qu'elle  se  présentait,  ou 
ouvrait  les  deux  battans,  tout  le  monde  la  consolait  de  son 
mieux.  M.  le  chancelier  lui  dit  :  «  Votre  affaire  est  des  plus  inté- 
ressantes, madame;  on  prend  beaucoup  de  part  à  votre  situation; 
nous  souhaitons  bien  que  vous  trouviez  parmi  nous  des  conso- 
lations a  vos  maux.  »  L'accueil  de  M.  le  duc  de  Praslin  fut  des 


(1)  Letlres  VI  et  VIT  de  Voltaire  à  RiboUe.  (Bulletin  de  la  Soc. 
d'Hist.  du  Prol.,    t.  4,  p.  243.) 

(2)  Selon  Grimni,  20  Conseillers  d'État  avaient  proposé  d'abord 
«  d'ordonner  seulement  la  révision  du  procès,  par  une  sorte  de  mé- 
nt.gement  pour  une  cour  souveraine,  telle  que  le  Parlement  de  Tou- 
louse. Tous  les  autres  ont  opiné  pour  la  cassation  pure  et  simple,  qui 
est  la  forme  la  plus  désobligeante.  Aucun  n'a  douté  un  instant  que 
l'arrêt  ne  fut  de   toute  nullité.  » 

(3)  Une  copie  de  cette  lettre  s'est  trouvée  parmi  quelquetf  papiers 
relatifs  aux  Calas,  qui  furent  confiés  au  pasteur  Marron  par  Anne  Calas, 
alors  M"*  Duvoisin.  Celle  pièce,  et  quelques  autres  que  nous  in- 
diquerons, furent  publiées  en  i8i9  par  mon  onde  Charles  Coquerel 
dans  les  Annales  Protestantes,  dont  il  était  rédacteur,  recueil  de- 
venu assez  rare  aujourd'hui.  Cette  lettre,  écrite  par  une  main  naïve 
et  peu  exercée,  esi  d'autant  plus  digne  d 'intérêt.  Serait-elle  de  La- 
va yssc  ? 


REVISION   ET  REHABILITATION  265 

plus  gracieux.  Elle  se  rendit  à  la  galerie  avec   ses  demoiselles, 
pour  voir  passer  le  roi;  elle  fut  accostée  par  plusieurs  seigneurs; 
le  duc  d'A....,  le  comte  de  Noailles,  qui  furent  du  nombre,  lui 
promirent   de  la  faire    remarquer  au  roi  ;    ils   lui  fixèrent  sa 
place,  mais  leur  bonne  volonté   n'eut  point  d'effet  ;  comme  le 
roi  était  a  portée  de  la  voir,  une  personne  de  sa  suite  se  laissa 
tomber,  etattira  par  sa  cbuteles  regards  de  la  cour  et  du  roi  (1  )  : 
tout  cela  se  passa  le  dimanche.  Le  lundi  matin,  madame  Calas 
fut  vers  les  neuf  heures  se  constituer  prisonnière.    On  avait 
tout  préparé  :  l'écrou  fut  daté,  signé  et  porté   au  rapporteur; 
les  jeunes  demoiselles  allèrent  a  l'entrée  du  conseil  se  présenter 
à  leurs  juges  ;  le  nombre  en  fut  prodigieux,  et  l'assistance  des 
ministres  rendit  ce  conseil  encore  plus  brillant  ;  la  requête  fut 
admise  tout  d'une  voix.  On  a  ordonné  l'apport  de  la  procédure, 
des  informations  et  des  motifs.   L'avocat  n'avait  pas  osé  de- 
mander les  originaux  de  la  procédure,  ileût  été  à  craindre  qu'on 
ne  les  refusât,  je  ne  pense  pas  que  c'eût  tiré  :i  conséquence. 
L'aînée  des  demoiselles  Calas  se  trouva  mal  pendant  le  temps 
du  conseil  ;  elle  eut  une  vapeur  très-considérable  et  très-lon- 
gue :  elle  durait  encore,    lorsque  ces  messieurs,  étant  sortis, 
vinrent  lui  annoncer  la  réussite  de  ses  entreprises;  une  partie 
s'empressa  de  lui  donner  des  secours  ;  des  eaux  spiritueuses, 
des  sels,  des  flacons  de  toute  espèce  furent  prodigués  :  je  reçus 
les  plus  grandes  politesses  de    plusieurs  de   ces  messieuis. 
L'intendant  de  Soissons,  entre  autres,  et  M.  Astruc  m'en  firent 
beaucoup.    La  charité   de    ces   messieurs  ne   se  borna  pas  à 
mademoiselle  Calas;    ils    s'empiessèrent   beaucoup   d'obtenir 
l'acte    d'élargissement  de  madame   Calas.  On  remarqua  dans 


(0  ïl  est  permis  de  douter  que  celle  chute  fùl  involonlaire.  Rien 
ne  prouve,  du  reste,  que  Louis  XV  ail  pris  personnellement  aucun 
intérêl  aux  Calas.  11  est  certain  que  ce  n'est  pas  lui  qui  répondit  k 
l'excuse  banale  que  quelqu'un  invoquait  au  profil  du  Parlement  de 
Toulouse  :  a  11  n'est  si  bon  cbevalqui  ne  bronche,  »  Un  cheval,  soit, 
mais  toute  une  écurie  !  —  Grimm  (Corr.  lill.,  t  5  juin  17  04)  cile  Iç 
mot,  mais   en  l'altribuanl  à  une  dame, 

23 


066  REVISION    ET    REHABILITATION 

leur  façon  d'agir  combien  ils  étaient  pénétrés  du  malheur  d 
cette  famille  et  indignés  de  l'injustice  qu'on  lui  avait  faite. 

L'arrêt  d'élargissement  prononcé,  nous  finies  sortir  Mme  Ca- 
las de  la  prison,  où  elle  était  dans  une  ample  bergère,  auprès 
d'un  grand  feu  ;  le  geôlier  lui  avait  fait  servir  le  matin  du  café 
au  lait,  du  chocolat  et  un  bouillon,  c'étaient  ses  ordres;  mais 
nous  lûmes  bien  surpris  de  sa  belle  réponse  lorsqu'on  lui  de- 
manda combien  il  lui  fallait:  «  Madame  Calas,  dit-il,  est  trop 
malheureuse,  je  serais  bien  fâché  de  prendre  le  moindre  sa- 
laire ;  je  souhaiterais  avoir  un  ministère  plus  agréable  pour 
lui  offrir  mes  services;  personne  ne  la  respecte  plus  que  moi.  » 
Quel  contraste  avec  le  peuple  de  Toulouse  !  Les  domestiques 
de  tous  ses  juges,  de  tous  ses  protecteurs  la  regardent  avec  ad- 
miration et  respect:  il  n'en  est  aucun  qui  n'ait  lu  tous  ses 
mémoires. 

Ajoutons  à  ces  détails  que  la  reine  se  fit  présentei* 
M™^  Calas  et  ses  filles,  et  les  reçut  avec  de  gracieux  té- 
moignages d'estime  et  de  sympathie  (1). 

Le  récit  qu'on  vient  de  lire  est  inexact  en  un  point. 
Le  Roi  en  son  Conseil  ordonnait  au  Parlement  de  Tou- 
louse delui  envoyer  les  charges  et  informations  par  le 
Greffier  en  chef  et  les  motifs  de  la  sentence  par  le  Procu- 
reur Général.  C'est  bien  la  procédure  entière  qui  était  de- 
mandée, et,  de  plus,  les  motifs  du  jugement,  toujours 
secrets  alors. 

On  dit  que  le  Parlement  fit  cette  réponse  insolente  et 
brève  : 

I^a  procédure  est  très-volumineuse;  on  (M"'  Calas)  n'a 
«pi'a  envoyer  du   papier  et  de  l'argent  pour  les  copistes  et  on 


(\)  Lolirea  de  la  sœnv  Finisse  du  22  juin,  cl  dr  VolLiire  à  Dami- 
hivillo,  le   27   mars. 


RÉVISlO^i    ET    RÉHABILITATION  267 

(le  Parlement)  la  doiiueia  ;  quant  aux  motifs,  le  Conseil  les  trou- 
vera dans  les  charges. 

La  colère  fut  très-violente  k  Toulouse.  On  y  soute- 
nait qu'une  Cour  souveraine  était  irresponsable,  repré- 
sentait le  roi  et  ne  potivait  voir  ses  arrêts  cassés,  fût-ce 
par  lui-même.  Il  est  certain  que,  dans  un  régime  libre, 
la  justice  doit  être  et  demeurer  absolument  indépen- 
dante du  souverain,  et  ses  arrêts  être  respectés  et  subis 
par  lui  comme  par  tout  autre.  Mais  sous  le  despotisme, 
cette  nécessaire  indépendance  est  impossible  et  n'exista 
jamais,  fût-elle  écrite  dans  la  lettre  des  lois.  Elle 
ne  l'était  point  à  cette  époque  ou  ne  l'était  qu'avec  des 
exceptions,  restrictions,  et  coutumes  contraires,  qui 
justifiaient  le  Conseil. 

Messieurs  du  Parlement  trouvèrent  une  consola- 
lion  étrange  auprès  del'Archevêque  de  Toulouse  (1)  qui, 
apparemment  pom-  rémunérer  leur  zèle  et  les  consoler 
de  leurs  humiliations,  accorda  à  chacun  d'eux  le  singu- 
lier privilège  «  de  faire  célébrer  la  messe  dans  leurs  mai- 
sons les  jours  de  Dimanche.  »  Après  leur  avoir  octroyé 
cette  faveur  insolite,  le  prélat  craignit  que  son  zèle  ne 
parut  intempestif  au  gouvernement.  Il  rendit  compte 
de  ce  qu'il  avait  fait  k  M.  de  Saint-Florentin  et  en  reçut 
une  lettre  assez  sèche  qui  évidemment  blâmait,  quoique 
avec  une  grande  réserve,  cet  acte  fort  impolitique ,  dans 
un  pays  où  la  population  protestante  était  nombreuse  et 
ne  se  plaignait  que  trop  de  l'entente  cordiale  de  ses  juges 
avec  le  clergé  catholique. 

«  s.  M.  m'a  lémoiL,aié  «[uc  sur  une  inr<Mlle  matière  elle  ne 
(1)  Arlhur-Pichard  Dillun. 


268  RÉVISION    ET    RÉHABILITATION 

pouvait  s'en  rapporter  qu'à  votre  prudence  et  à  la  connais- 
sance que  vous  avez,  tant  des  règles  et  des  usages  de  l'Eglise 
(jue  des  dillérentes  impressions  que  les  esprits  des  peuples 
conliés  à  vos  soins  sont  capables  de  recevoir.   » 

Tandis  que  le  PailemenL  avait  grand  besoin,  pour  se 
consoler,  des  laveurs  de  rArcIievèché,  Voltaire  fut  com- 
blé de  joie  par  ce  premier  triomphe  qui  semblait  assu- 
rer tous  les  autres.  11  faut  l'entendre  s'écrier  avec  une 
noble  satisfaction  dans  une  lettre  à  Damilaville: 

Mon  ciier  frère,  il  y  a  donc  de  la  justice  sur  la  terre  ;  il  y  a 
donc  de  l'humanité.  Les  hommes  ne  sont  pas  tous  de  mé- 
chants coquins  comme  on  le  dit. 

L'émotion  le  rend  modeste  et  il  ajoute:  a  C'est  le  jour 
de  votre  triomphe,  mon  cher  frère;  vous  avez  servi  les 
Calas  mieux  que  personne.  »  Ses  remercîments  à  Thi- 
roux  de  Crosne  sont  enthousiastes  et  flatteurs  : 

Monsieur,  vous  vous  êtes  couvert  de  gloire,  et  vous  avez 
donné  de  vous  la  plus  haute  idée. . .  Je  vous  respecte  et  je  prends 
la  liberté  de  vous  aimer. 

11  se  croyait  au  bout  de  ses  peines  et  M"'"  Calas  au 
terme  de  ses  agitations  : 

11  me  semble,  écrit-il  a  Elie  de  Beaumont  le  \i  mars,  que 
le  reste  de  ce  procès  ne  consistera  qu'en  formalités.  La  falsifi- 
cation des  pièces  n'est  point  a  craindre,  parce  qu'elles  sont  si- 
gnées de  Pierre  Calas,  qui  ira  a  Paris  quand  il  le  faudra,  et  qui 
rpconnaîtrait  bien  vite  la  fraude. 


(I)  Celle  IcUro  que  nous  avons  lue  dans  les  Dépêches  du  Secré- 
lariat  (Arch.  Imp.)  elle  fait  Irùs-curicux  qui  en  fuirocoasionj  n'ont 
jamais  élu  publiés,  à  noire  connaissance. 


REVISION    ET   RÉHABILITATION  'J69 

Mais  les  formalités  pouvaient  traîner  en  longueur. 
Le  Parlement  pouvait  se  montrer  récalcitrant,  et  l'en- 
voi très-coûteux  des  pièces  pouvait  être  entravé.  C'est 
ce  qui  arriva. 

Aussi  Voltaire  dut  s'imposer  encore  de  longues  précau- 
tions, une  réserve  toujours  calculée.  Son  Traité  sur  la  To- 
lérance à  roccasion  de  la  mort  de  Jean  Calas  était  écrit, 
imprimé,  el  allait  paraître;  mais  il  craignait  que  le  scan- 
dale de  ce  livre  ne  nuisît  à  leur  cause  et  il  ne  voulait  pas 
exposer  la  veuve  du  roué  à  expier  ses  hardiesses.  Il  se 
contentait  d'en  envoyer  de  rares  exemplaires  à  des  amis 
prudents,  qui  promettaient  de  ne  pas  les  laisser  tomber 
entre  les  mains  avides  des  libraires,  ou  sous  les  regards 
dangereux  de  lacensure.il  imposait  la  même  abnégation 
à  tous  ses  alliés  dans  cette  guerre  aussi  savante  qu'hu- 
maine. Court  de  Gebelin  avait  écrit  ses  Lettres  Toulou- 
saines où  il  protestait  contre  les  supplices  de  Rochette, 
des  frères  de  Crenier,  de  Jean  Calas,  et  racontait  l'his- 
toire de  l'inquisition  et  des  confréries  de  Pénitents  à 
Toulouse;  ouvrage  curieux  par  les  faits  qu'il  réunit, 
mais  entaché  de  déclamation  d'un  bout  à  l'autre.  Ce 
livre  ne  pouvait  qu'irriter  les  Toulousains,  leurs  Capi- 
touls,  les  membres  deleur  Parlement,  et  Voltaire  obtint 
de  Fauteur  qu'il  en  retardât  la  publication  (1).  Ces  ha- 
biles ménagements  eurent  un  plein  succès.  N'ayant  au- 
cun prétexte  pour  désobéir,  le  Parlement  obéit.  Enfin, 
écrit  Voltaire  au  pasteur  Vernes,  le  2h  mai  1763, 

t^nlin,  rinfàiiie  [trocédure  des  infâmes  juges  de  Toulouse  est 
|jiulie  ou  [vait celte  semaine.  Nous  espérons  que  l'afl'aire  sera 

'i;  A  raniiluvillc,  2?  mars  17  63. 

23. 


270  RÉVlSIOiN    ET   RÉHABILITATION 

jugée  au  grand  conseil  où  nous  aurons  bonne  justice,  après  quoi 
je  mourrai  content. 

y.  B.  Le  Parlement  de  Toulouse  ayant  roué  le  père  a  écor- 
ché  la  mère.  11  a  fallu  payer  cher  l'extradition  des  pièces;  mais 
tout  cela  est  fait  par  la  justice.  Ah  !  !\lani<juldi  (1)  ! 

(.détail  encore  annoncer  deux  mois  trop  tôt  l'envoi 
de  la  procédur(i,  qui  ne  partit  de  Toulouse  que  vers  la 
fin  de  juillet.  Louis  se  rendit  i\  Paris  en  même  temps; 
])eut-èlre  fut-il  chargé  de  remettre  h  sa  mère  les  actes 
(jui  avaient  été  transcrits  sur  la  requête  de  M"'"  Calas 
et  à  ses  frais  (2). 

Qui  ne  croirait,  au  moins,  à  cette  date,  que  M*"*  Galas 
et  son  ardent  protecteur  touchent  au  but?  Il  fallut  en- 
core un  an  avant  que  les  cruelles  sentences  de  Toulouse 
fussent  cassées  et  mises  à  néant.  Pénibles  pour  ses  amis, 
tous  ces  délais  étaient  cruels  pour  elle. 

Ces  longueurs  inévitables,  écrit-elle  (3),  me  désséspere  et 
sy  je  navez  la  douce  satisfaction  d'avoir  mes  lilles  auprès  de 
iiiny  je  croy  que  je  succomberai  sou  le  poix  de  mes  peines. 

Ce  fut  le  k  juin  176/i  que  l'arrêt  de  cassation  fut  pro- 
noncé par  le  Conseil  privé  du  Roi. 

Ac  /?o//  en  son  conseil,  après  avoir  cassé  pour  vices 
(kî  forme,  la  sentencedes  Capitoulsdu  27  octobre  1 761  (/{) , 

(0  Bourreaux! 

(2)  LoUrc  de  la  sœur  Fraisse,  du  3  août.  Elle  accuse  Louis  de  ce 
retard  ;  au  moins  en  étail-il  coraplice.  Il  lui  avait  affirmé  que  de- 
puis deux  mois  les  pièces  étaient  à  Paris.  Les  ennemis  acharnés  de 
sa  rnmille  avaient  pu  abuser  encore  de  sa  faiblesse,  pour  entraver 
l'action  de  la  justice.  1!  était  seul  à  Toulouse  pour  représenter  les 
Biens  et  agir  dans  leur  intérêt. 

1,3)  LeUre  inédite  à  Cazeing  fils  aine.  (Comni.  par  M.  L.  Destronix.) 

,i;  C'était  colle  qui  cu'-oyail  à  h  lorlurc  Galas,  sa  femme  tl  son 


REVISION   ET   RÉHABILITATION  271 

l'arrêt  du  Parlement  du  9  mars  1762  (1)  et  celui  du  18 
mars,  même  année  (2),  «  a  évoqué  à  soi  et  son  conseil 
le  procès  criminel  jugé  par  lesdits  arrêts,  et  icelui,  cir- 
constances et  dépendances,  a  renvoyé  et  renvoie  aux 
sieurs  Maîtres  des  Requêtes  de  l'Hôtel  au  Souverain.  » 

Tel  était  le  nom  technique  et  barbare  d'un  tribunal 
composé  des  Maîtres  des  Requêtes  et  qui  avait  été  éta- 
bli pour  rendre  compte  au  Souverain  des  Requêtes  de 
son  Hôtel,  c'est-à-dire  celles  qui  provenaient  des  gens 
de  sa  maison  et  (par  extension)  celles  dont  il  lui  plaisait 
de  se  réserver  la  connaissance.  Tout  était  à  recommen- 
cer devant  ces  juges,  derniers  et  définitifs;  mais  devant 
eux  la  nouvelle  procédure  ne  devait  pas  languir  ;  elle  ne 
dura  que  neuf  mois  sous  la  direction  laborieuse  et  intel- 
gente  de  Dupleixde  Racquencourt,  Maître  des  Requêtes. 

Nous  serons  très-brefs  sur  ce  dernier  procès  qui  abou- 
tit à  un  cinquième  jugement.  Les  mêmes  faits  se  repro- 
duisirent, mais  cette  fois  les  Calas  et  leurs  défenseurs 
pouvaient  agir  au  grand  jour;  ce  furent  leurs  ennemis 
({ui  se  cachèrent.  Les  premiers  tinrent  chez  le  comte 
d'Argeutal  une  assemblée  à  laquelle  M"""  Calas  fut  ad- 
mise, où  l'on  délibéra  sur  les  mesures  à  prendre,  et  qui 
se  renouvela  chaque  fois  que  les  nécessités  de  la  défense 
l'exigèrent  (3). 

Pendant  ce  temps  Voltaire  recevait  de  Toulouse  les 
lettres  anonymes  les  plus  violentes.  On  y  reprochait  au 


lils,  et  ordonnait  que  les  deux  aulres  accusés  seraient  seulement 
présentés  à  la  question. 

(i)  Arrêt  de  mort  de  Jean  Calas. 

(2)  Bannissement   de  Pierre  et  acquitloment  des  autres  prévenus. 

(3)  Volliilrc  à  Ai'gcnlal  2  4  Juin  î'Ci. 


272  rvÉvisiO-\  et  uéhakilitAtiois' 

Parlement  de  iv  avoir  pas  laiL  rouer  les  cinq  accusés  au 
lieu  d'un  seul  (1). 

Je  crois  que  s'ils  me  tenaient  ils  pourraient  bien  me  faire 
payer  pour  les  Calas.  J'ai  eu  bon  nez  de  toutes  façons  de  choi- 
siruion  camp  sur  la  frontière. 

Disons-le  cependant,  sinon  à  la  décharge  de  ces  ma- 
gistrats, au  moins  pour  rendie  intelligible  leur  mons- 
trueux aveuglement,  dans  cette  dernière  information  se 
produisirent  pour  la  première  fois,  bien  des  témoignages 
favorables,  que  la  rédaction  inique  de  leur  Monitoire  et 
de  leurs  Briefs  Intendils  avaient  rendus  impossibles, 
ou  que  leursnombreux  actes  d'intimidation  avaient  empê- 
chés. Ce  fut  seidement  alors  qu'on  put  produire  les 
dépositions  écrites  de  huil  négociants  de  (îenève,  qui 
avaient  connu  depuis  longtemps  la  famille  Calas,  celles 
])lus  importantes  encore  d'Alquier  et  du  chanoine  Azi- 
mond  (2)  ;  ce  fut  alors,  que  les  faits  justificatifs  qu'on 
n'avait  point  permis  h  Calas  de  prouver  purent  être  dé- 
montrés, ou  du  moins  ceux  d'entre  eux  dont  le  teiups 
n'avait  pas  emporté  tout  vestige.  On  put  faire  connaître 
la  lettre  de  Marc-Antoine  se  plaignant  k  Cazeing  de  son 
Irère  Louis  et  l'appelant  not?'e  déserteur.  On  put  prou- 
ver par  im  cerlihcal  du  curé  de  l>rassac  que  Marc  An- 
toine était  à  Brassac  dès  la  veille  de  Noël  et  y  resta  jus- 
qu'au lendemain  de  la  fête,  tandis  que  ce  jour  même  on 
disait  l'avoir  vu  à  Toulouse  dans  le  confessionnal  de 
l"}il)l)ê  l.aj)laigne;  et  par  un  certificat  du  curé  de  Béziers 
(jiK'Caliicrine  Daumière  était  catholique  de  naissance  et 

(1)  A  Daiuilaville  el  Argenlal,  le  29  juin.  A  d'Alcmbcrlle  lejuillrl. 
(i)Voir  ccllcO'Al'iukT,p.  53,  celle  ÙAzimuiKl,  f,65,  96, cl  178. 


RÉVISION    ET    RÉHABILITATION  273 

non  nouvelle  convertie,  ce  qui  réduisait  toute  sa  dé- 
position cl  un  impudent  mensonge.  Dire  que  si  le  Par- 
lement de  Toulouse  avait  eu  ces  preuves  sous  les  yeux 
il  aurait  jugé  autrement,  ce  ne  serait  point  le  disculper, 
car  il  n'avait  tenu  qu'à  lui  de  les  avoir;  on  l'en  avait 
supplié  en  vain  et  de  mille  manières,  ne  fût-ce  que  dans 
les  quatre  Mémoires  de  Sudre  et  de  La  Salle. 

11  fallut  publier  des  Mémoires  nouveaux.  Elie  de 
Jleaumont  en  donna  un  troisième,  Mariette  un  qua- 
ti'ièine,  le  jeune  Lavaysse  un  second.  Voltaire  loua  jus- 
tement ce  dernier  dans  une  lettre  à  d'Argental  : 

Oui  sans  doute,  mon  ange  adorable,  j'ai  été  infiniment 
touclié  du  Mémoire  du  jeune  Lavaysse,  de  sa  simplieité  atten- 
drissante, de  cette  vérité  sans  ostentation  qui  n'appartient  qu'à 
la  vertu. 

[1  écrit  avec  grâc.^  à  Elie  de  Beaumont  (le  27  fé- 
vrier 1766)  : 

Mes  veux  ne  peuvent  guère  lire.  Monsieur,  mais  ils  peuvent 
encore  pleurer  et  vous  m'en  avez  fait  bien  apercevoir. 

Dans  ces  Mémoires  il  fallut  combattre  de  nouvelles 
calomnies  qui  ne  cessaient  de  surgir  de  tous  côtés  et  qui, 
;i  l'approche  du  moment  décisif,  prirent,  même  à  Paris, 
un  nouveau  degré  d'acharnement. 

On  disait  qu'une  fosse  était  préparée  dans  la  cave  de 
la  maison  des  Calas  (1)  ;  qti'un  piton  à  la  voûte  de  cette 


(i)  Ce  mensonge  n'était  pas  nouveau;  voici  comment  Calas  en  fit 
justic^' dans  un  de  ses  interrogatoires  (Arch.   Imp.)  : 

.i  Interuogk    s'il  n'est  vi'aL  qu'ayant  prémédité  la  mort  de   son  fils,  il 
avait  fait  faire  dans  la  cave  une  fosse  pour  Tenterrer, 

RÉPOND  et  dénie  l'interrogatoire  et  dit  qu'on  n'a  qu'a  visiter  la  cave.  » 


21U  RÉVISION    £.£   REHABILITATION 

cave  avait  servi  à  pendre  Marc- Antoine  ;  qu'on  avait  vu 
monter  le  cadavre  de  la  cave  au  magasin. 

Il  y  avait  à  Paris,  disait-on,  quelqu'un  qui  avait  con- 
naissance personnelle  de  tel  ou  tel  de  ces  faits.  Elie  de 
Beaumont  demanda  en  vain  que  ce  témoin  insaisissable 
voulût  bien  se  faire  connaître  ;  rien  ne  parut. 

Avant  même  de  réhabiliter  le  martyr,  le  Ministre  qui 
avait  approuvé  sa  mort  fut  obligé  de  châtier  le  premier 
et  le  plus  acharné  de  ses  persécuteurs.  David  fut  desti- 
tué en  février  1765  (1). 

C'est  à  Paris  que  la  cause  fut  jugée  en  dernier  res- 
sort. Les  accusés  (car  ils  l'étaient  de  nouveau)  allèrent 
dès  le  28  février  (2)  s'enfermer  à  la  Conciergerie.  Ils  y 
reçurent,  dit  Grimm,  nombre  de  personnes  de  la  pre- 
mière distinction.  Damilaville  les  y  visita  et  en  rendit 
compte  à  Voltaire  dans  une  lettre  qui  n'a  pas  été  pu- 
bliée (3). 

«  J'ai  passé,  dit-il,  deux  heures  aujourd'hui  en  prison  avec  Ma- 
dame Calas  el  ses  infortunés  compagnons.  Je  les  ai  été  consoler 
})lusieurs  fois  depuis  qu'ils  y  sont.  Je  ne  suis  pas  le  seul  ;  bien 
d'autres  gens  de  bien  en  ont  fait  autant,  et  j'ai  vu  avec  une 
i^rande  satisfaction  qu'il  y  avait  encore  de  la  vertu  et  de  l'hon- 
nêteté dans  le  monde.  Ils  sortiront  après  demain  ;  du  moins 
je  l'espère.  »>  (4) 

Les  Maîtres  des  Requêtes  qui  jugèrent  cette  grande 

(i)  Voir  plus  haut.  p.   3  5, 

(2)  Celle  dale  se  Irouve  dans  une  leltre  inédile  de  Court  de  Gé- 
l)elin  à  M.  Polier  de  Bollens,  (o  mars  (communiquée  par  M.  le 
Pasteur  Ch.  Frossard,  de  Lille). 

(3)  El  qui,  sauf  ce  seul  passage,  ne  mérite  pas  do  l'être  (GoUec- 
liun  Lajarielte  à  Nantes).  Elle  est  datée  du  7  mars    17«5. 

(4)  Nous  avons  entre   les  mains  la  copie  d'une  leltre  de  félicita- 


RÉVISION  ET  RÉHABILITATION  275 

cause,  étaient  au  nombre  de  quarante.  On  comptait 
parmi  eux  quatorze  intendants  de  provinces.  Ils  exami- 
nèrent l'affaire  dans  le  plus  grand  détail,  en  six  séances 
de  quatre  heures  chacune,  sauf  la  dernière  qui  dura 
plus  du  double.  L'arrêt  fut  rendu  à  l'unanimité  le  9  mars 
1765,  trois  ans,  jour  pour  jour,  après  l'arrêt  de  mort 
de  Jean  Calas  (1). 

Le  jugement  fut  immédiatement  imprimé  à  l'Impri- 
merie Royale  et  publié  en  tous  formats. 

«  Les  Maitres  des  Requêtes  ordinah^es  de  l'Hôlel  du  Roi, 
juges  souverains  en  cette  partie,  tous  les  quartiers  assemblés. .. . 
ont  déchargé  et  déchargent  Anne  Rose  Cabibel,  Jean  Pierre 
Calas,  Alexandre-François  Gualbert  Lavaysse  et  Jeanne  Yi- 
guière  de  l'accusation  intentée  contr'eux,  ordonnent  que  leurs 
écrous  seront  rayés  et  biffés  de  tous  registres  où  ils  se  trou- 
veront inscrits,  etc.  Déchargent  pareillement  la  mémoire  de 
Jean  Calas  de  l'accusation  contre  lui  intentée,  ordonnent  que 
son  écrou  sera  rayé  et  biffé,  etc.,  a  quoi  faire  tous  greffiers, 
concierges  et  geôliers   seront   contraints,   même  par  corps  ; 


lions  emphatiques  adressée  à  M""*  Gahis  par  le  Lieutenant  général 
du  guet  au  moment  où  elle  sortit  de  prison.  Nous  en  citerons 
une  seule  phrase  qui  est  un  hommage  à  la  piélc  et  à  la  force  de  ca- 
ractère de  la  pauvre  veuve  :  «  Le  Dieu  que  nous  adorons  et  qui 
pénètre  les  cœurs,  vous  a  fourni  des  moyens  de  consolation,  dans 
la  fermeté  de  votre  âme  et  la  résignation  à  sa  sainte  volonté.  »  Cet 
officier  offre  ensuite  à  M""*  Calas  de  lui  envoyer  un  extrait  qu'il  a 
fait  de  la  procédure. 

(1)  Grimm  (Corr,  litt. ,  25  mars)  juge  sévèrement  cette  coïn- 
cidence toute  factice..,  «  L'arrêt  des  requêtes  de  THôtel  au  Souve- 
rain, a  été  rendu  le  même  jour  et  à  la  même  heure  où  Calas  est  mort 
dans  les  tourments  du  supplice,  il  y  a  trois  ans.  Rien  ne  m'a  fait 
autant  de  peine  que  colle  puérilité  solennelle  dans  une  cause  de 
celte  espèce;  elle  m'a  fait  éprouver  une  horreur  dont  il  serait  dif- 
ficile de  rendre  compte  :  il  me  semhle  voir  des  enfants  qui  jouent 
avec  des  poignards  et  les  instruments  du  bourreau.  » 


276  RlUlSIOX    ET    RÉHABILITATION 

comme  aussi  à  inscrire  le  présent  jugement  en  marge  des  dits 
écrous. 

Les  accusés  et  tous  les  enfants  de  Jean  Calas  avaient 
demandé  l'autorisation  de  prendre  à  partie  et  dommages- 
intérêts  les  magistrats  qui  avaient  condamné  à  mort  un 
innocent  maintenant  réhabilité.  Sur  ce  point  grave  et 
très-délicat,  les  nouveaux  juges  a  les  ont  renvoyés  et 
renvoient   à  se  pourvoir  ainsi  qu'ils  aviseront.  » 

Un  des  Maîtres  des  Requêtes,  M.  Fargès,  était  d'avis 
de  pousser  beaucoup  plus  loin  la  rigueur  contre  les  pre- 
miers juges.  Quand  vint  son  tour  d'opiner,  il  dit  qu'il 
fallait  ((  faire  rendre  compte  au  Parlement  de  Toulouse 
de  sa  conduite  inique  et  barbare.  »  Il  persista,  quoique 
d'Aguesseau  l'engageât  à  retirer  ce  qu'il  y  avait  de  trop 
fort  dans  ses  paroles. 

Enfin  les  Galas  avaient  obtenu  justice,  une  justice 
bien  tardive,  mais  aussi  entière  et  aussi  éclatante  que 
les  hommes  peuvent  la  rendre,  quand  ils  ont  ôté  ce  que 
Dieu  seul  donne,  la  vie  (1). 

On  devine  avec  quels  transports  Voltaire  reçut  la 
grande  nouvelle.  Nous  retrouvons,  dans  ce  moment  si 
émouvant,  le  vieux  philosophe  attendant  et  bientôt  dévo- 
rant les  lettres  avec  Donat,  celui  des  enfants  Calas  qu'il 
aiuiait  le  plus.  11  répond  à  son  fidèle  ami  et  collabo- 
rateur d'Argental  : 

Un  petit  Galas  était  avec  moi  quand  je  reçus  votre  lettre  et 
celle  de  M™*  Calas,  et  celle  d'Élie,  et  tant  d'autres  :  nous  ver- 
Ci)  «Toute  l'Europe  en  osl  inslruile  par  ce  courrier,  »  écrit 
Court  de  Gebelin  à  M.  l\>lior  de  Boltens,  professeur  à  Lausanne. 
11  ou  fait  part  en  même  temps  à  M.  de  Vegobrc  à  Genève,  â 
M.  Jîerlrand  à  Uerne,  à  .^î.  Or^lcrvald  à  Neuchàlel,  eic.  (Lettres  inéd, 
comra.    par  M,  le  pasteur  Cli.  Tross.ivd,  de  Lille.) 


RÉVISION    ET   RÉHABILITATION  277 

slons  des  lariiies^^d'atlendrissement,  le  petit  Calas  et  moi.  Mes 
vieux  yeux  en  fournissaient  autant  que  les  siens  ;  nous  étouf- 
fions, mes  chers  anges. 

Bientôt  l'impatience  le  reprit;  il  restait  à  accomplir 
lin  genre  de  réparation  beaucoup  moins  glorieux,  mais 
aussi  nécessaire.  Nous  prouverons  que  M'"*^  Calas  était 
ruinée.  Les  sommes  considérables  souscrites  pour  elle 
en  France,  en  Suisse,  en  Angleterre,  et  auxquelles  des 
souverains  avaient  contribué,  avaient  à  peine  suffi  aux 
frais  énormes  des  cinq  procès,  aux  voyages  indispensa- 
bles de  tous  les  membres  de  la  famille,  et  à  faire  vivre 
la  pauvre  veuve  avec  ses  filles.  11  ne  fallait  pas  qu'il 
restât,  des  injustices  qu'elles  avaient  subies,  outre  un 
deuil  qui  ne  pouvait  se  réparer,  une  misère  honteuse 
pour  la  nation,  et  qu'il  était  facile  de  prévenir.  Voltaire 
s'alarma  de  ne  pas  voir  aussitôt  un  don  royal  assurer 
l'existence  de  cette  malheureuse  victime  des  erreurs 
judiciaires.  Il  s'en  plaint  à  Damilaville  avec  sa  verve 
ordinaire  (27  mars  1765)  : 

'<  La  reine  a  bu,  dit-on,  à  sa  santé,  mais  ne  lui  a  point  donné 
de  quoi  boire.  i> 

Le  mot  est  trivial  ;  mais  la  plainte  aurait  été  juste,  si 
Ton  eût  tardé  à  y  pourvoir. 

Les  nouveaux  juges  ne  crurent  pas  avoir  achevé  leur 
tâche.  Ils  écrivirent  en  corps  au  vice-chancelier  Mau- 
peou  (1)  la  lettre  suivante  (2)  : 

(1)  Ilené-Chaiics  tic  .Maupeou  doviiU  garde  des  sceaux  el  vice- 
chancelier  en  17  63,  chancelier  en  4  7  68  el  fui  le  père  du  fameux 
chancelier  de  Maupeou,  qui  lulla  contre  les  parlemenis. 

(2)  Communiquée  pa.-  M""'  Duvoisin  née  Anne  Calas  à  Ai.  Charles 
Coquerel.  {Annales  protestantes,  p.   155  et  suiv.) 

24 


278  RÉVISION  ET   RÉHABILITATION 

Monseigneur, 

Nous  avons  rempli  notre  devoir  comme  juges  en  déchargeant 
la  veuve  de  Jean  Calas,  son  fils,  Lavaysse,  Jeanne  Yiguière,  et 
la  mémoire  de  Jean  Galas,  de  l'accusation  intentée  contre  eux; 
mais  nous  pensons  que  cette  qualité  nous  impose  encore  l'obli- 
gation de  vous  prier  de  faire  passer  les  vœux  de  la  Compagnie 
jusqu'au  pied  du  trône  de  Sa  Majesté.  Nous  n'avons  pu  réparer 
qu'imparfaitement  le  malheur  des  accusés,  et  en  rendant  à  Jean 
Calas  son  innocence,  nous  ne  pouvons  lui  rendre  la  vie,  ni 
un  père  à  une  famille  nombreuse,  ni  un  mari  h  une  veuve  dé- 
solée. Les  suites  d€  cet  arrêt  terrible,  cassé  par  le  Conseil  sur 
la  forme,  et  détruit  aujourd'hui  sur  le  fond,  ont  causé  des 
pertes  irréparables  à  sa  femme  et  à  ses  enfants  ;  leur  fortune 
est  entièrement  détruite.  Contraints  d'abandonner  une  pro- 
vince qui  ne  leur  retracerait  que  les  plus  cruelles  idées,  il  leur 
reste  peu  d'espérance  de  rassembler  les  faibles  débris  d'un  pa- 
trimoine épuisé  par  une  longue  suite  de  revers.  Nous  vous  sup> 
plions.  Monseigneur,  d'implorer  pour  eux  les  bontés  du  roi  ; 
son  cœur  paternel  sera  touché  sans  doute  de  leur  situation.  Sa 
Majesté  n'a  pas  de  sujets  plus  dignes  d'exciter  sa  pitié,  puis- 
qu'elle n'en  a  pas  de  plus  malheureux. 

Nous  osons  espérer.  Monseigneur,  que  cette  démarche  sera 
favorablement  accueillie,et  nous  en  regarderons  le  succès  comme 
le  témoignage  le  plus  flatteur  de  la  satisfaction  de  Sa  Majesté. 

Lors  de  l'examen  de  la  procédure,  tant  des  capitouls  que  du 
parlement  de  Toulouse,  nous  avons  remarqué  combien  l'usage 
des  intendits,  dont  on  fait  la  lecture  aux  témoins,  tandis  que 
l'ordonnance  ne  le  tolère  que  pour  interroger  les  accusés, 
pourrait  être  dangereux  et  abusif.  Nous  avons  l'honneur  de 
vous  adresser  un  mémoire  particulier  sur  cet  objet.  Nous  esti- 
mons qu'il  peut  mériter  l'attention  du  Conseil  et  la  vôtre  ;  nous 
ne  pourrons  que  nous  en  rapporter  avec  confiance  aux  moyens 
que  votre  sagesse  vous  suggérera  pour  faire  examiner  cette 
question  délicate,  et  qui  peut  intéresser  l'ordre  judiciaire,  en 
matière  criminelle. 


RÉVISION    ET  RÉHABILITATION  279 


RÉPONSE  DU  VICE-CHANCELIER. 

Messieurs, 

J'ai  mis  sous  les  yeux  du  roi  la  lettre  que  vous  m'avez  écrite 
en  laveur  de  la  dame  et  des  eiilanls  Calas  ;  il  était  digne  de 
votre  sagesse  et  de  votre  humanité,  de  faire  porter  au  pied 
(lu  trône  des  vœux  empressés  pour  cette  malheureuse  famille. 
Nous  êtes  les  plus  sûres  garanties  de  son  innocence,  et  vour> 
connaissez  leur  désastre.  A  ce  double  titre,  votre  voix  ne  pou- 
vait que  produire  la  plus  vive  impression  sur  le  cœur  de  Sa 
Majesté,  qui  a  vu  avec  plaisir  l'expression  de  votre  zèle  et  de 
vos  généreux  efforts  pour  ces  infortunés.  Jouissez  de  la  satis- 
faction que  doit  vous  donner  le  succès  de  votre  demande.  Le 
roi,  dont  fàrne  est  sensible  a  la  justice  et  au  malheur,  a  bien 
voulu  jeter  sur  eux  un  regard  favorable  ;  il  a  accordé  a  la  veuve 
Calas  une  gratilication  de  12,000  fr.,  6,000  fr.  a  chacune  de 
ses  filles,  3,000  fr.  à  ses  fils,  3,000  fr.  à  la  servante,  et 
(5,000  fr.   pour  les  frais  de  voyage  et  de  procédure. 

Si  la  Justice  que  vous  avez  rendue  aux  Calas  n'excitait  pas 
leur  reconnaissance,  du  moins  les  bienfaits  que  vous  avez  su 
leur  procurer  doivent  opérer  ce  sentiment  dans  leur  cœur  d'une 
manière  ineffaçable. 

D'après  les  Mémoires  du  temps  {Grimm,  25  mars; 
Bachaumont,  t.  2,  p.  190), les  Maîtres  des  Requêtes  de- 
mandèrent également  au  roi  d'interdire  k  Toulouse  la 
procession  du  17  mai.  Nous  n'avons  pas  trouvé  la  trace 
officielle  de  cet  acte,  dont  la  hardiesse  sembla  intem- 
pestive et  exagérée  atix  protestants  du  Languedoc.  On 
écrivait  à  Paul  Rabaut.  <(  Vouloir  d'un  seul  coup  faire 
réformer  ce  dernier  arrêt  et  abolir  une  pratique  qui, 
quoique  abusive  et  condamnable,  est  le  fantôme  chéri 
d"iui  peuple  superstitieux,  c'est,  ce  me  semble,  trop  en- 


280  REVISION    ET    REHABILITATION 

treprenclre  et  risquer  de  ne  rien  obtenir.  Il  me  semble 
entendre  les  auteurs  de  l'apothéose  de  Marc-Antoine 
Calas  s'écrier  dans  les  cabinets  des  juges  et  aux  oreilles 
de  leurs  pénitents  :  Tout  est  perdu  pour  la  religion  ;  on 
veut  non-seulement  nous  ôter  notre  martyr  pour  le 
traîner  sur  une  honteuse  claie,  mais  on  veut  encore 
anéantir  nos  plus  saintes  cérémonies  et  rendre  inutiles 
les  indulgences  que  le  Saint-Père  accorde  k  cette  occa- 
sion, .le  ne  doute  pas  qu'on  tienne  ce  langage  à  Tou- 
louse (1).)) 

Le  vice-chancelier  Maupeou  manda  M'"'  Galas  et  ses 
compagnons  d'infortune  ;  il  leur  annonça  lui-même  les 
dons  du  roi.  Dans  une  lettre  encore  inédite  (2) ,  Elle  de 
Beaumont  rendit  compte  à  Voltaire  de  leur  entrevue 
avec  M.  de  Maupeouk cette  occasion;  ils  le  consultèrent 
sur  une  question  difficile  sur  laquelle  personne  n'osait  se 
prononcer  :  leur  serait-il  permis  de  poursuivre  à  leur  tour 
les  juges  deToulouse?  On  leur  avait  dit  que  si  le  roi  leur 
accordait  une  gratification,  c'était  pour  éviter  qu'ils  pris- 
sent, à  partie  le  Parlement  qui  las  avait  jetés  dans  l'indi- 
gence en  même  temps  que  dans  le  deuil  : 

Aprèsles  premiers  remerciemeus,  ils  lui  demandèrent  si  S.  M. 
leur  défendait  par  la  la  prise  à  partie.  M.  le  Vice-Chancelier 
leur  répondit  :  vous  avôs  de  bons  Conseils  ;  consultez  les  et 
faites  ce  qu'ils  vous  diront.  Cette  réponse  a  cela  de  bon  qu'elle 
n'annonce  nullement  que  la  prise  à  partie  déplaise  au  roi  comme 
les  Toulousains  d'ici  l'avaient  répandu  d'abord.  On  doute  néan- 
moins qu'elle  puisse  avoir  lieu  si  les  esprits  des  magistrats  du 
Conseil  ne  sont  un  peu  ranimés,  taiitœ  molis  est  de  punir  parmi 

{i)E(jl.  du  Désert,  l.  2,  p.  3  37. 
{'i)  Colieclion  Lajrtriellc,  de  Nantes. 


RÉVISION    ET    RÉHABILITATION  281 

nous  des  prévaricateurs  dont  les  charges  excèdent  40000  livres. 
Le  dernier  résultat  de  l'assemblée  tenue  chés  M.  d'Argental  le 
mercredi  3  avril  a  été  que  pour  être  conséquent  et  raisonna- 
ble il  fallait  aussi  prendre  à  partie  les  13  juges  de  la  Tour- 
nelle,plus  coupables  encore  que  les  capitouls  puisqu'ils  étaient 
préposés  par  la  loi  pour  les  rectifier.  Pour  cela  il  faut  la  per- 
mission du  Conseil  et  l'on  craint  fort  que  ces  petits  rois  plé- 
béiens ne  paraissent  assez  puissans  pour  que,  par  une  faiblesse 
honorée  du  nom  de  politique,  on  refuse  de  la  permettre;  on  dit 
même  qu'ils  font  à  Toulouse  la  bonne  contenance  de  vouloir 
faire  imprimer  la  procédure,  et  qu'ils  ont  rendu  arrêt  portant 
défense  d'afficher  notre  jugement  d'absolution.  Mais  ce  dernier 
fait  n'est  pas  confirmé.  On  pense  qu'il  n'y  a  que  des  défenses 
verbales,  qui  après  tout  produiront  le  même  effet. 

Cette  remarque  est  exacte,  car  les  dispositions  de  l'ar- 
rêt d'après  lesquelles  l'écrou  des  Calas  et  leurs  sentences 
doivent  être  bifTés,  et  le  jugement  définitif  transcrit  en 
marge,  n'ont  jamais  été  exécutées.  La  Sœur  A.-J.  Fraisse 
raconte  aussi  à  M""  Calas  que  le  Parlement  s'assemble 
en  secret  et  que  ces  Messieurs  ont  cherché  quelque 
moyen  de  protester  contre  le  jugement  des  Requêtes, 
mais  n'en  ont  pas  trouvé.  Elle  rapporte  également  qu'ils 
annoncent  qu'ils  publieront  la  procédure;  mais  elle 
ajoute  :  Je  réponds  qu'ils  s'en  garderont  bien.  (1) 

Voltaire,  toujours  habile,  ne  cessa  de  recommander 
aux  Calas  une  grande  prudence  quant  k  la  question  de 
la  prise  h  partie  (2).  Une  démarche  inconsidérée  pou- 
vait, non  pas  compromettre  la  victoire  obtenue,  mais  don- 
Ce)  Lettre  XVIII. 

(2)  Lettres  à  DamilaviUe,  i*'  et  5  avril;  à  d'Argental,  i*'  avril. 
Voir  aussi  une  lettre  de  Voltaire  à  Debrus,  lue  à  la  Convention  par 
le  député  Bézard  (Moniteur  du  2  3  pluviôse  an  11).  Celte  lettre  a 
éf^  insérée  dans  le  Txecueil  Cayrol,  n*'  4  3  5. 

2A. 


282  REVISION    ET    RÉHABILITATION 

lier  dans  ropiiiioii  quelque  avantage  au  Parlement.  Il 
ne  fallait,  en  tout  cas,  tenter  ce  dernier  coup  que  si  l'on 
était  sur  d'y  réussir  (I). 

Nous  pensons  qu'il  avait  raison,  que  c'était  juger  la 
situation  avec  une  sage  modération  et  un  tact  très-sûr. 
Il  fallait  que  Jean  Calas  fût  réhabilité,  mais  non  vengé, 
que  tout  le  monde  eût  horreur  de  la  funeste  prévention 
de  ses  juges  et  que  nul  ne  fût  tenté  de  les  plaindre.  Ils 
s'étaient  trompés  par  excès  de  prévention,  mais  en  se 
croyant  justes  :  leur  seul  châtiment  devait  être  de  se 
voir  convaincus  d'injustice  et  de  cruauté  au  tribunal 
de  l'opinion  universelle  (2). 

Grimin  s'indignait  de  ce  que  la  poursuite  contre  les 
Capitouls  et  le  Parlement  n'était  pas  faite  aux  frais  de 
l'Etat  et  au  nom  du  Roi.  Il  prouvait  clairement  que 
M""'  Galas  ne  pouvait  s'en  charger  : 

On  permet  bien  à  celte  malheureuse  famille  de  prendre  ses 
ju!j;esU  partie  ;  mais  je  ne  vois  pour  elle  dans  cette  permission 

,i:  n'aiiltcs  les  y  poussùrcnl  el  La  Briiuiuelle  rédigea  en  cr 
sens  nu  long  Mémoire,  destiné  à  la  piiblieité,  niiiis  qui  ne  parut 
yuMnl.  Ce  travail  existe  entre  les  mains  de  M.  Angliviel  et  aussi, 
îMiiis  juains  complet,  dans  la  Collection  de  M""®  de  La  Beaunielie.  Ce 
.Alémoire  renferme  dos  faits  et  des  arguments  qui  ne  sont  pas  sans 
valeur.  11  en  a  laissé  une  autre  rédaction  inachevée,  sous  le  litre  de 
<(  Lettres  à  .Vf...,  Maître  des  Uequèles,  nu  des  juges  de  Calas.    » 

(2)  Ce  sentiment  a  été  exprimé  avec  énergie  dans  une  épigramnie 
populaire  où  l'on  trouvera  une  allusion  ;\  un  incident  du  procès  que 
nous  avons  rapporté,  p.   i  5  4. 

Contre  Monsieur  de  Bonuepeau 
Procureur  général  du  roi  à  Toulouse 

Faut-il  donc  que  l'arrêt  nouveau 

Te  fasse  tomber  en  syncope  ? 

Console-toi,    cher  Bonrepeau  : 
Les  Calas  ont  poii.i  eux  et  Louis  et  l'Europe, 
Mais  n'as-tu  pas  pout  toi  David  et  le  bourreau  ? 


BLVISION    ET    REHABILITATION  283 

que  des  dépenses  effrayantes,  et  peut  être  sa  ruine  entière.  C'é- 
tait au  ministère  public  a  poursuivre  les  assassins  de  Jean  Ca- 
las :  la  cause  de  cet  infortuné  est  celle  de  tous  les  citoyens.  Si  la 
vengeance  publique  se  tait  en  faveur  de  ces  hommes  abomina- 
bles, s'ils  sont  devenus  inattaquables  pour  avoir  acheté  un 
oftice  de  conseiller  au  parlement,  comment  une  famille  infor- 
tunée, épuisée  de  moyens  et  de  courage,  réussirait-elle  a  se 
procurer,  a  force  de  poursuite  et  de  dépense,  une  satisfaction 
qu'il  serait  de  la  plus  étroite  obligation  du  gouvernement  de  lui 
faire  donner  de  la  manière  la  plus  éclatante  ?  Après  l'assassinat 
juridique  de  ce  père  de  famille,  le  domaine  s'est  emparé  de 
son  bien,  comme  confisqué  au  profit  du  roi  et  a  dissipé  le  j)a- 
trimoine  de  la  veuve  et  de  l'orphelin  ..  Les  frais  du  procès  seul, 
jusqu'au  jour  du  jugement  souverain,  ont  monté  a  plus  de  cin- 
quante mille  livres,  fournies  par  la  bienfaisance  publique.  Il 
en  coûtera  un  argent  immense  a  cette  famille  déph^rable  pour 
faire  signifier  ce  jugement  "a  tous  les  greffes  ;  il  lui  en  coûtera 
surtout  pour  le  faire  signifier  au  parlement  de  Toulouse  ;  l'huis- 
sier qui  se  chargera  de  celte  commission  épineuse  se  fera  payer 
a  proportion  des  risques  qu'il  court  (1). 

Le  silence  de  ce  corps,  son  opposition  muelle  cl  obs- 
tinée, délibérée  en  assemblée  secrète  le  20  mars  (2), 
inspiraient  à  Voltaire  de  l'indignation  et  du  mépris.  Il 
exprime  ce  sentiment  dans  une  lettre  au  marquis  d'Ar- 
gence  de  Dirac  où  il  se  réjouit,  à  juste  titre,  des  adoucis- 
sements que  la  sympathie  publique  pour  les  Galas  ap- 
porta peu  k  peu  au  sort  des  protestants  français  encore 
persécutés. 

(1)  Corr.  hit.,  2  5  mai. 

ri)  Lettres  à  Debrus  du  2  avril  (Cayvol);  à  Argenlal,  du  3  ;  à  Dami- 
lavillc,  du  5. 

D'après  le  Mémoire  inédit  de  La  Beaumelle,  on  diargea  le  Prési- 
dent de  Niqncl  d'écrire  au  Ministre  pour  sauver,  s'il  était  possible, 
les  bricl's  inlindils  cl  la  procession  du  n  mai. 


28/1  RÉVISION    ET    RÉHABILITATION 

S'il  croit  (io  Parlement)  avoir  bien  jugé  les  Calas,  il  doit 
publier  la  procédure  pour  lâcher  de  se  justiûer  ;  s'il  sent  qu'il 
s'est  trompé^  il  doit  réparer  son  injustice  ou  du  moins  sou 
erreur;  il  n'a  fait  ni  l'un  ni  l'autre  et  voilà  le  cas  où  c'est  le 
plus  infâme  des  partis  de  n'en  prendre  aucun. 

On  me  mande  de  Languedoc  que  cette  fatale  aventure  a 
fait  beaucoup  de  bien  à  ces  pauvres  huguenots  et  que  depuis 
ce  temps  là  on  n'a  envoyé  personne  aux  galères  pour  avoir  prié 
Dieu  en  pleine  campagne  en  vers  français  aussi  mauvais  que 
nos  psaumes  latins.  (ISoct.  1765.) 

Plus  d'une  fois  Voltaire  reçut  l'expression  de  la  recon- 
naissance de  ces  huguenots,  qui  depuis  trois  cents  ans 
étaient  en  butte  à  tant  de  rigueurs  et  k  tant  de  calom- 
nies. Aussi,  en  voyant  le  roi  lui-même  reconnaître  par 
ses  dons  l'injustice  de  la  sentence  prononcée  contre 
Calas  et  la  fausseté  de  l'abominable  accusation  portée 
contre  tous  leurs  coreligionnaires ,  la  joie  fut  très-vive 
parmi  eux.  Il  y  avait  un  siècle  et  plus  qu'ils  n'avaient 
reçu  du  pouvoir  royai  que  des  lois  de  sang  et  de  persé- 
cution. Aussi  Voltaire  exagère  à  peine  quand  il  dit  de 
Louis  XV  en  ce  moment  : 

Tous  les  protestants  sont  prêts  à  mourir  pour  son  service. 
Il  faut  bien  peu  de  chose  aux  grands  de  ce  monde  pour  ins- 
pirer l'amour  ou  la  haine  (1). 

Mais  nous  avons  de  cette  joie  des  Eglises  réformées 
un  témoin  d'autant  plus  sûr  qu'il  est  plus  malveillant  : 
le  comte  de  Saint-Florentin.  Persécuteur  secret  des 
Calas,  il  fut  blessé  du  triomphe  qu'ils  remportèrent  de- 
vant la  justice  du  pays  et  plus  encore  peut-être  du  se- 


^   '^■^tiiilr.villf    t.G  fvril    1 7 1 


RÉVISION   ET    lîÉHABILITATlON  '285 

cours  qu'ils  reçurent  du  roi.il  écrivit  h  ce  sujet  une  let- 
tre caractéristique  k  son  collègue  dans  le  ministère,  le 
Contrôleur-général  de  Laverdy  (1).  Nous  y  voyons  que 
le  malheureux:  Louis  Galas,  toujours  cupide,  n'avait  pu 
se  résigner  à  être  seul  excepté  des  munificences  royales, 
auxquelles  il  n'avait  aucun  droit.  Il  n'avait  souffert  ni 
])rison  ni  bannissement,  et  tout  nous  prouve  qu'il  avait 
contribué  à  attirer  ce  long  déluge  de  maux  sur  sa  fa- 
mille, par  son  abjuration,  intéressée  ou  non,  par  ses  pa- 
roles inconsidérées  au  sujet  de  ses  frères,  par  la  faiblesse 
honteuse  de  ses  premières  réponses  aux  Pénitents 
blancs,  quand  ils  lui  offrirent  un  service  pour  le  re- 
pos de  l'âme  de  Marc- Antoine,  et  par  une  foule  d'incon- 
séquences ou  de  lâchetés. 

En  voyant  sa  famille  recevoir  un  don  royal,  il  crut  le 
moment  favorable  pour  obtenir  l'augmentation  d'une 
pensionde  100  livres  que  lui  payait  l'État  (2).  Le  comte 
de  Saint-Florentin  demande  plus  pour  lui  ;  ce  puissant 
solliciteur  veut  qu'il  entre  en  partage  des  36,000  fr. ,  à 
moins  qu'on  ne  lui  accorde  un  don  particulier,  plus 
considérable  que  ne  le  serait  sa  part.  Il  ne  faut  pas  que 
le  seul  catholique  de  la  famille  soit  excepté  de  la  munifi- 
cence du  roi  (3),  les  protestants  en  triompheraient.  Déjà 
ils  répandent  que  le  roi  est  décidé  pour  la  tolérance. 

(i)  Voir  Corr.  de  Sainl-Flor.  XXVIII. 

(2)  Probablemenl  pour  remplacer  celle  que  son  père  lui  avait 
payée  ttint  qu'il  avait  vécu. 

(3)  Il  paraît  que  M.  de  Saint-Florentin  réussit  dans  sa  demande; 
il  ne  pouvait  guère  en  être  autrement.  Grimm  raconte  dans  sa  Cor- 
respondance du  15  novembre  17  65,  que  Louis  vient  d'obtenir  une 
gratification  de  i,ooo  écus  «  pour  l'empôcbcr  de  se  repentir  de  sa 
conversion.  >>  Il  attribue  cette  laveur  à  l'influence  du  clergé.  La 
sanir  Fraisse  en  parle  aussi  h  Ai""  Calas  dans  sa  lettre  XX. 


286  RÉVISION    ET    RÉHABILITATION 

((  L'inaction  où  nous  sommes,  faute  de  troupes,  en  Lan- 
guedoc et  dans  la  plupart  des  provinces  infectées  de 
l'hérésie,  ne  le  leur  persuade  déjà  que  trop.  » 

Ainsi  donc,  à  Versailles  en  1765,1e  principal  ministre 
de  Louis  XV  regrettait  les  dragonnades  et  l'écrivait  de 
sa  main,  dans  l'intimité  d'une  lettre  de  collègue  à  col- 
lègue. 

Honneur  et  i-econnaissance  à  Voltaire  pour  avoir  lutté 
seul  contre  une  si  affreuse  intolérance,  si  puissante  en- 
core, et  pour  l'avoir  vaincue.  Honneur  et  reconnais- 
sance à  Jean  Calas,  dont  le  sang,  héroïquement  versé 
dans  delentes  tortures,  a  lavé  delà  plus  abominable  ca- 
lomnie, ses  frères  en  la  foi,  et  leur  a  assuré  de  nouveau 
le  respect  et  les  sympathies  du  monde. 


CHAPITRE  XII 
DERNIERS    ÉVÉNEMENTS 


Pauvreté  de  Mme  Calas.  —  L'Estampe.  —  Nouvelle  ca- 
lomnie et  nouvelle  réponse  de  Viguière.  —  Mme  Calas 
à  Ferney.  —  Obsèques  de  Voltaire  au  Panthéon.  — 
Louis  et  ses  sœurs  devant  la  Convention.  —  Fin  de 
Mme  Calas,  de  ses  fils,   de  Lavaysse  et   de  David. 


La  vërité  sort  du  nuage  de  la  vraisemblance,  mais 
plie  en  sort  trop  tard;  le  sang  de  l'innocent  deminde 
vengeance  contre  la  prévention  de  son  juge,  et  le 
magistrat  est  réduit  à  pleurer  toute  sa  vie  un  malheur 
que  son  repentir  ne  peut  réparer. 

D'AgUEïSKAC. 

(16«  mercuriale.) 


On  lit  dans  un  des  journaux  du  temps  que  M.  de 
Bacquencourt,  le  rapporteur  du  procès,  se  rendit,  peu  de 
jours  après  la  sentence,  chez  M'"*'Calas,  etlui  remit  une 
somme  considérable  en  or.  Gomme  elle  demandait  à 
qui  elle  en  avait  l'obligation  : 

«  Je  suis  chargé,  madame,  lui  a-t-il  répondu,  de  vous  de- 
mander comme  une  grâce  de  ne  point  prendre  la  peine  de  vous 
en  informer.  » 

Ce  don,  otferl  avec  tant  de  respect  et  de  tact,  n'était 


288  DERNIERS    ÉVÉNEMENTS 

millement  superflu;  il  faudrait  n'avoir  aucune  idée  de  la 
justice  d'alors  pour  croire  que  les  36,000  francs  du  roi 
n'étaient  pas  épuisés,  malgré  tout  ce  que  Voltaire  avait 
payé  aux  avocats,  par  cinq  procès  successifs  et  trois  an- 
nées de  voyages  ou  de  sollicitations  de  toute  une  famille. 

La  position  de  la  famille  Calas  était  en  efl'et  déplora- 
ble. Voici  ce  qu'il  était  advenu  de  leur  très-modeste  for- 
tune, déjà  fort  diminuée,  si  ce  n'est  compromise  par  l'é- 
tat de  gêne  où  se  trouvait,  h  cette  époque,  le  commerce 
dans  le  midi  delà  France  (1). 

Depuis  le  13  octobre  1761  jusqu'au  supplice  de  Calas, 
le  9  mars  de  l'année  suivante,  le  mobilier,  les  marchan- 
dises, tout  ce  que  contenait  la  maison,  fut  laissé  sans 
inventaire  ni  scellés  sous  la  garde  de  vingtsoldats,  c'est- 
à-dire  à  peu  près  au  pillage  (2). 

xAlais  à  peine  le  martyr  avait  expiré,  on  se  précipita 
de  tous  côtés  sur  ce  qu'il  laissait,  comme  sur  une  proie 
qu'on  pouvait  librement  se  disputer.  Il  y  eut  conflit  entre 
les  autorités  et  les  créanciers.  Le  jour  même  de  l'exécu- 
tion, pour  assurer  la  confiscation  des  deux  tiers  pro- 
noncée dans  l'arrêt  de  mort,  outre  l'amende  et  les  dé- 
penses, le  receveur  général  des  domaines  et  bois  à  Tou- 
louse, M.  G.  de  Melle,  requit  la  pose  des  scellés  sur  les 
elfets  et  marchandises  du  supplicié.  En  même  temps  les 


(i)Le5  détails  qui  suivent  sont  tirés  des  pièces  qui  se  trouvent 
aux  Arcliives  duravicraent  à  Toulouse,  de  la  correspondance  de  l'in- 
lendanl  du  Languedoc  avec  le  ministre,  avec  son  subdéiégué  à  Tou- 
louse et  avec  le  directeur  de  la  régie  (Archives  de  Montpellier), 
ainsi  que  du  rapport  lu  par  le  député  Bézard  à  la  Convention. 

(2)  D'après  Court  de  Gebelin,  dès  le  lendemain  de  l'arrestation. 
Louis  Calaslit  desdémarclies  pouroblcnir  que  la  continuation  du  cnm- 
roerce  de  son  père  lui  fût  légalement  confiée.  Il  n'y  réussit  pas. 


DERNIERS  ÉVÉNEMENTS  289 

fermiers  de  la  Régie  demandèrent,  par  une  requête  en 
lorme,  d'être  autorisés  à  saisir  ses  Ijiens.  Une  déclara- 
tion de  1729  les  y  autorisait,  mais  h  l'égard  des  religion- 
naires  fugitifs.  Ce  n'était  pas  le  cas,  et  ils  n'obtinrent 
point  la  saisie  qu'ils  demandaient.  D'un  autre  côté, 
le  19  mars,  les  créanciers  de  Galas,  c'est-à-dire  les  négo- 
cianls  avec  lesquels  il  élail  en  aftaires,  réclamèrent  leurs 
droits.  Aussitôt  les  Capitouls  intervinrent  pour  exiger  le 
paiement  des  frais  de  garde,  à  vingt  hommes  pai-jour, 
pendant  cinq  mois. 

Qu'était  cependant  cette  fortune  sur  laquelle  tant  de 
prétentions  se  faisaient  jour?  Voici  ce  qu'en  écrit  le  sub- 
délégué Amblard  (28  avril  1762): 

[.es  biens  du  S"^  Calas  ne  consistent  qu'en  marcliandises  et 
en  meubles...  Le  négociant  même  qui  a  procédé  a  l'inventaire 
m'a  assuré  que  leur  valeur  n'était  que  de  80,000  livres  qui  se 
trouvaient  absorbées  par  les  frais  de  justice,  les  dettes  et  par  la 
dot  de  la  femme.  Ce  nég*  m'a  même  ajouté  que  1rs  créanciers 
avaient  formé  opposition  au  scellé  mis  à  la  requête  du  fermier 
du  domaine,  afin  d'éviter  s'ils  le  peuvent  que  les  biens  soient 
vendus  d'autorité  de  justice,  ce  qui  augmenterait  d'autant  plus 
les  frais  et  rendrait  leur  perle  plus  considérable;  mais  leurs 
vues  sont,  si  l'opposition  est  reçue,  de  les  faire  vendre  amiable- 
ment  et  d'en  prendre  chacun  au  prorata  de  leurs  créances  (I}. 


(i)  Le  3  seplembre  17  63,  les  créanciers  de  Calas  obtinrent 
nn  arrêt  qui  constata  leurs  droits  et  les  intérôls  des  sommes  qui 
leur  étaient  ducs.  Celte  pièce  se  trouve  aux  Archives  du  Parlement 
à  Toulouse.  M™*  Calas  figure  sur  la  liste  des  créanciers  (immédia- 
tement après  le  boulanger  qui  est  inscrit  le  premier);  il  lui  était  dû 
10,000  livres  pour  sa  dot,  9  44  livres  d'intérêts  échus  et  7  00  livres  de 
douaire  annuel.  On  lui  reconnut  en  outre  une  créancede  2,4  4  6  livres, 
et  7  6  livres  d'intérêts,  à  remboursables  après  paiement  de  tous  les 
autres  i  éclamnnt?,  3  6  livre?  étaient  ducs  à  Jeanne  Viguicr  pour  ses  gage 

25 


290  DERNIERS   ÉVÉNEMENTS 

11  est  certain  que  M"''*=  Calas  se  trouva  clans  la  posi- 
tion la  pkis  difficile,  malgré  ce  qu'elle  recouvra  des  dé- 
bris de  son  aisance  passée.  Dès  quelle  eut  quelques  res- 
sources, elle  s'occupa  avec  activité,  comme  le  montrent 
ses  leltjes  à  Cazeing,  de  payer  tous  ses  créanciers  et  entre 
autres,  de  rembourser  à  ce  dernier,  à  son  neveu  et  aux 
sieurs  Martignac  et  Borel,  les  avances  qu'ils  lui  avaient 
faites  et  les  secours  d'amis,  dont  ses  fdles  avaient  sub- 
sisté, pendant  les  cinq  mois  d'emprisonnement  de  leurs 
parents  (1). 

Depuis  longtemps  les  amis  de  M"""  Calas  à  Paris 
avaient  été  forcés  de  songer  à  lui  créer  des  ressources 
et  s'étaient  arrêtés  à  un  plan  qui,  sans  porter  aucune  at- 
teinte à  la  dignité  de  la  veuve  et  de  sa  famille ,  foui- 
nissait  un  prétexte  très-convenable  à  des  souscriptions 
devenues  nécessaires.  Grimm  en  rendit  compte  avec 
trop  d'enq)liase,  mais  avec  un  zèle  dévoué,  dans  sa  Cor- 
respondance littéraire  ùixi'b  avril  1765,  immédiatement 
après  la  réhabilitation  de  Calas. 

M.  de  Garmontelle  (2)  lecteur  de  M.  le  duc  deCliarlres,sans 
être  un  académicien  profond,  dessine  avec  beaucoup   d'agré- 


d'un  an.  Le  passif  de  la  maison  se  monlail  en  tout  à  7  9,8  90  livres. 
Quant  à  l'actil',  il  paraît  que  dans  l'intervalle  du  I3  octobre  au  lo 
mars,  bien  des  valeurs  avaient  disparu,  et  beaucoup  d'objets  avaient 
été  égarés,  détruits  ou  dérobés.  11  parait  aussi  qu'une  somme  de 
'i,000  francs  appartenant  aux  deux  jeunes  tilles  leur  l'ut  restituée, 
d'après  un  moVûts  Lettres  de  la  S"  Fraisse,  n"  VlU.  2  6   uct.   17  63. 

(1)  Nous  regrettons  vivement  de  trouver  parmi  les  créanciers  les 
plus  exigenis  l'avocat  Sudre.  «  il  veut  me  rançonner,  écrit-elle  le 
22  novembre  17  63  ;  et  quoy  qu'il  a  été  bien  payé,  il  me  demande 
encore  plus  de  buit  cenis  livres.  Si  je  l'en  croyais,  il  confondrait 
tout  ce  qui  peut  me  revenir.  » 

(2)  On  verraqu'ils'aiiitde  la  gravurequc  nous  avons  fait  réhuiic 


DERNIERS    ÉVÉNEMENTS  291 

ment  et  de  facilité  ;  il  sait  surtout  saisir,  avec  la  ressemblance, 
l'esprit  et  le  caractère  d'une  fip:ure,  et  c'est  ce  qui  suffit  à  notre 
projet.  Il  a  fait  le  tableau  de  toute  la  famille  Calas  (1). 

Il  les  représenta  réunis  à  la  C on cier, chérie  où  ils  durent 
se  constituer  prisonniers  pour  attendre  l'arrêt  des  Maî- 
tres des  Requêtes.  M"'^  Calas  est  assise  avec  sa  fille 
aînée  à  son  côté;  Nanette  est  debout  derrière  elle, 
mais  ne  ressemble  guère  à  une  Vierge  du  Guide,  quoi 
qu'en  dise  le  baron  de  Grimm,  enthousiaste  de  sa  grâce 
et  de  sa  beauté.  Jeanne,  debout,  auprès  de  sa  maîtresse, 
écoute  la  lecture  que  leur  fait  Gaubert  Lavaysse  du  der- 
nier ]\Iémoire  écrit  pour  leur  défense  par  Elie  de  Beau- 
mont.  Pierre,  vêtu  de  deuil  comme  ses  sanirs  et  sa  mère, 
lit  par-dessus  l'épaule  de  son  ami.  On  fit  graver  par  la 
Fosse  le  dessin  de  Carmontelle,  et  la  planche  fut  olïerte 
h  M"'"  Calas.  On  obtint  pour  cette  gravure  le  privilège 
du  roi  et  l'on  publia  un  prospectus  sous  le  titre  de  : 
Projet  de  souscription  pour  une  Estampe  tragique  et 


pour  la  placer  en  lète  de  ce  volume.  La  réduclion  obtenue  par  la 
méihode  héliographique  ou  photographie  sur  acier,  et  terminée  par 
Phabile  ])'irin  de  M.  Rilaut,  a  rendu  irès-exaclemciU  la  ressemblance 
des  six  porirails.  Ce  sont  bien  des  portraits  en  efTet ,  et  l'estampe 
figure  à  ce  litre  dans  le  catalogue  des  Portraitsdef.  Français  iUustrcs. 
(Bibliolhcqiie  historique  des  Français,  par  le  P.  Le  Long  et  Fontette.) 

(0  La  BcaumoUe  fil  les  vers  suivants  pour  être  mis  au  bas  de  l'es- 
tampe. Ils  ont  été  imprimés  sur  une  bande  qui  se  trouve  sur  quel- 
ques exemplaires: 

Tranquille,  en  nn  cachot  attendre  sa  sentence, 
Par  (les  arrêts  de  sang  n'être  pas  abattu, 
C'est  plaider  pour  Calas  avec  plus  d'éloquence 
Que  l'oratour  suhlune  arme  pour  sa  défende. 
Il  n'appartient  qu'a  la  vertu 

De  demander  des  fers  pour  venger  l'innocence. 

Voratcvr  sublime  est  Elie  de  Benumont. 


2d2  DERNII-llS   ÉVÉNEMENTS 

morale  (1).  Un  notaire  fut  chargé  de  recevoir  les  fonds. 
L'exemplaire  coûtait  un  écu  de  6  livres. 

A'oltaire  applaudit  à  ce  projet,  et  souscrivit  aussitôt 
pour  douze  exemplaires  (2).  11  en  parle  souvent  dans  ses 
lettres,  quelquefois  pour  critiquer  le  dessin  ;  mais  quand 
il  reçut  l'estampe,  il  baisa  au  travers  du  verre  les  figures 
de  M"""  Calas  et  de  ses  filles,  puis  il  la  suspendit  au  chevet 
de  son  lil,  à  la  place  où  les  catholiques  mettent  un  bé- 
nitier ou  un  crucifix.  Elle  y  demeura  toute  sa  vie;  et  on 
peut  l'y  voir  représentée  dans  les  gravm-es  indiquées  à  la 
Bibliographie,  sous  le  n"  108.  Cette  estampe,  dont  Vol- 
taire parle  avec  tant  de  joie,  excita  le  même  enthou- 
siasme au  couvent  de  la  Visitation.  La  sœur  Fraisse, 
connue  lui,  l'attendit  avec  une  vive  impatience,  la  reçut 
avec  les  mêmes  transports,  la  regardait  souvent  avec  une 
profonde  et  douce  émotion  et  la  montrait  avec  empres- 
sement à  ses  compagnes  (3.). 

Les  maréchales  duchesses  de  Luxembourg  et  de  Mire- 
poix,  la  duchesse  d'Enville,  la  princesse  de  Turenne,  la 
duchesse  douairière  d'Aiguillon,  se  firent  inscrire  en 


I)  Voir  Hibliogi-aphie  n"    {'i  ci  pour  l'eslampc  n"   103 

(■2)  Lellrc  à  DamilavillL',   2  9   avril   17GJ. 

Il  oui  l'idée  assez  élraiige  d'ajouter  à  la  coniposlLion  de  '^.iinimu- 
Itllc  la  fÎRuro  charmanlc  de  Douai,  sollicilanl  à  la  porle  de  la  pri- 
son auprès  d'un  conseiller  du  Parlement,  il  prétendait  que  la  douce 
cl  pure  physionomie  de  cet  enfant  aiderait  à  persuader  les  juges  de 
l'innocence  de  sa  famille  et  inléresserait  le  public.  Dans  celle  pensée 
il  fit  faire  deux  fois  le  portrait  de  Donal  et  se  plaignait  beaucoup  du 
peintre  llnber,  qui,  en  voulant  donner  à  son  jeune  modèle  une 
expression  de  douleur  et  d'atleudrissement,  avait  laissé  échapper  la 
resscniblance.  11  envoya  cependant  cette  peinture  à  ses  amis  de  Paris, 
(Hu  eurent  le  bon  esprit  de  ne  pas  surcharger  ainsi  le  projet  primitif. 
(Lelliesdu  17  mars  à  Argental;  du  20  et  22  mai  à  Damilaville,  etc.) 

(3)  Voir  lellrc  23  et  suivantes. 


DERIN'IKRS    EVENEMENTS  '293 

tétc  de  la  liste.  M""'  d'Enville  envoya  cinquaiile  louis 
pour  un  exemplaire.  Le  duc  de  Ghoiseul  en  donna  cent 
pour  deux  exemplaires.  Quelques  princesses  protestan- 
tes d'Allemagne  avaient  déjà  souscrit  et  l'on  altendaitun 
grand  succès  de  cette  œuvre  de  charité  également  ho- 
norable pour  tous,  lorsque  tout  à  coup  la  vente  de  l'es- 
tampe fut  arrêtée  par  ordre  supérieur. 

Nous  laisserons  à  la  plume  de  Grimm  le  récit  de  cet 
inci"oyable  réveil  de  l'intolérance  : 

La  souscription  pour  l'estampe  de  la  famille  Calas,  au  prolit 
des  infortunés  qui  ont  survécu  à  ces  désastres,  a  été  accueillie 
(lu  public  avec  la  chaleur  et  l'iniérét  dont  l'humanité  et  la 
compassion  la  plus  juste  lui  faisait  une  loi;  mais  le  sort  qu'elle 
vient  d'éprouver  a  Paris  paraîtra  incroyable,  même  a  ceux  qui 
connaissent  le  mieux  les  fureurs  du  fanatisme.  A  peine  le 
projet  de  souscription,  muni  du  sceau  et  de  l'approbatiDU 
de  la .  poUce,  favorisé  par  les  noms  les  plus  illustres  de  la 
France,  était-il  devenu  public,  que  quelques  conseillers  de 
Parlement  en  ont  été  choqués,  et  qu'on  a  exigé  du  lieutenant 
de  police  de  faire  suspendre  la  souscription.  Un  des  premiers 
magistrats  du  royaume  a  motivé  la  nécessité  de  cette  suspen- 
sion par  les  trois  raisons  suivantes:  l"  parce  que  M.  de  Vol- 
laire  paraissait  être  le  premier  instigateur  de  cette  souscrip- 
tion ;  2'  parce  que  l'estampe  était  un  monument  injurieux  au 
Parlement  de  Toulouse  ;  3"  parce  que  ce  serait  faire  du  bien 
a  des  protestants.  11  ne  faut  se  permettre  aucun  commentaire 
sur  ces  trois  raisons  ;  car  il  est  évident  que  ces  messieurs  veu- 
lent se  conserver  le  droit  de  rouer  les  innocents  ;  mais  il  n'est 
pas  moins  incompréhensible  qu'on  ose  empêcher  la  nation  de 
suivre  l'exemple  de  bonté  que  son  roi  lui  a  donné,  et  que,  pour 
éviter  un  dégoût  a  sept  ou  huit  officiers  coupables  d'un  Parle- 
ment, on  ose  priver  d'un  secours  nécessaire  des  innocents  qui 
ont  été  si  cruellement  outragés,  auxquels  le  roi  a  fait  rendre 
justice  par  un  jugement  suiiveiain  rendu  par  près  décent  juges, 

25. 


29/l  DERNIERS    EVENEMENTS 

après  IVxamen  le  plus  rigoureux,  et  que  Sa  Majesté  a  enfin  jugés 
dignes  de  ses  bienfaits.  On  n'a  pu  mettre  aucune  forme  ni 
judiciaire,  ni  extra-judiciaire  à  cette  défense;  car  sous  quel 
prétexte  empêcher  la  publication  d'une  estampe  pour  laquelle 
le  roi  a  donné  un  privilège  a  M""^  Calas,  qui  défend  a  tous  ses 
sujets  de  la  troubler  dans  le  débit  qu'elle  jugera  à  propos  d'en 
faire  ?  C'est  donc  une  violence  arbitraire,  et  qui  ne  peut  être 
justifiée  par  aucune  loi  ;  et  c'est  la  magistrature  qui  se  l'est 
permise  en  cette  occasion  !  Si  c'est  là  l'esprit  public  des  pères 
de  la  patrie,  qu'il  doit  paraître  fatal  et  déplorable  !  On  dit 
pourtant  qu'on  trouvera  des  moyens  pour  faire  lever  cette  sus- 
pension ;  mais  ceux  qui  n'ont  pas  eu  assez  de  pudeur  pour  ne 
point  ordonner  une  injustice  aussi  atroce,  sauront  bien  la  faire 
continuer. 

..  .11  faut  faire  diversion  aux  réflexions  affligeantes  qui  résul- 
tentde  tous  ces  faits  par  un  fait  dont  j'ai  eu  le  bonheur  d'être 
témoin.  La  veille  du  jour  que  la  suspension  de  la  souscription 
a  été  ordonnée,  André  Souhert,  maître  maçon,  arrive  chez  le 
notaire.  «  Est-ce  ici,  dit-il,  qa'on  souscrit  pour  madame  Calas? 
Je  voudrais  avoir  quarante  mille  livres  de  rente  pour  les  parta- 
ger avec  cette  femme  malheureuse  ;  mais  je  n'ai  que  mon  tra- 
vail et  sept  enfants  a  nourrir;  donnez-moi  une  souscription: 
voila  mon  écu.  » 

Cette  défense,  que  nous  soupçonnons  fort  le  comte  de 
Saint-Florentin  d'avoir  accordée  avec  empressement  aux 
sollicitations  de  la  magistrature,  fut  levée,  mais  au  bout  de 
sepl  ou  huit  mois  (1),  et  l'ignoble  but  de  cette  ven- 
geance mesquine  fut  atteint;  il  n'en  faut  pas  tant 
pour  que  le  zèle  le  plus  général  se  refroidisse;  la  gra- 
vure fut  moins  répandue  et  la  souscription  moii:s  consi- 
dérable qu'elle  ne  l'aurait  été.  «  L'injustice  qu'on  fai- 


(  I  )  lia  luurs  1  7  6  G  {Mémoires  sccrcls  de  nuchmimont,  t.  3.  p.  13). 


DERNIERS    ÉVÉNEMENTS  O95 

sait  à  la  famille  des  Calas  de  s'opposer  au  débit  de  son 
estampe  était  encore  un  vol  manifeste,  dit  Voltaire  (1). 

Jl  la  recommanda  avec  instances  à  ses  correspondants 
couronnés  et  autres  (2).  Nous  ne  savons  s'il  est  vrai  que 
l'impératrice  de  Russie  envoya  5000  livres  (3). 

Deux  ans  plus  tard,  en  1767,  l'affaire  Calas  fut  mise 
de  nouveau  en  question. 

On  débite  en  Languedoc  (écrit  encore  Voltaire  h  Elie  de 
Beauniont,  le  26  mars  1767)  que  Jeanne  Viguièrc  est  morte  à 
Paris,  où  elle  est  en  pleine  santé  (i),  qu'avant  de  mourir  elle  a 
déclaré  par  devant  notaire  qu'elle  avait  été  une  sacrilège  toute 
sa  vie,  qu'elle  avait  feint  pendant  quarante  ans  d'être  catho- 
lique pour  être  l'espion  des  huguenots,  qu'elle  avait  aidé  son 
maître  et  sa  maîtresse  a  pendre  leur  fils  aîné,  que  les  protes- 
tants de  ce  pays  avaient  en  etfet  un  bourreau  secret,  élu  à  la 
pluralité  des  voix,  lequel  venait  aider  les  pères  et  mères  à  tuer 
leurs  enfants  quand  ils  voulaient  aller  à  la  messe,  et  que  cette 
charge  était  la  première  dignité  de  la  communion  protes- 
tante. 

Mais  cette  calomnie  absurde  tourna  contre  ceux  qui 
se  l'étaient  permise  et  qui  l'avaient  répandue  jusque 
dans  Paris,  où  Fréron  est  accusé  de  l'avoir  soutenue. 
Jeanne  fit  une  Déclaration  juridique  devant  des  té- 
moins honorables  et  devant  son  confesseur,  qui  con- 
sentit à  sanctionner  cet  acte  par  sa  présence.  Par  ce 
nouveau  témoignage,   elle  persévéra  dans  toutes  ses 


(i)  A  d'Alembert,  2  8  Aug, 

(2)  4  oct.  à  Colini,  3  janvier  i7  67,etc.,  etc. 

(3)  Bachaumunt. 

(4)  Ceci  est  inexact  ;  elle  avait  fait  une  chute  et  s'était  ca<;sé  la 
jambe,  ce  qui  donna  lieu  au  bruit  de  sa  mort,  effrumément  exploité 
aussitôt  contre  ses  maîtres. 


296  DERMEIIS    tVENEMEiMS 

assertions,  el  nia  ce  qu'elle  avait  loiijouis  nié  (1). 
Cette  inébranlable  persislance  n'élonnerapasnos  lec- 
teurs, mais  elle  devrait  surprendre  profondément  ceux 
qui  s'obstinent  encore  à  mettre  les  Calas  au  rang;  des  fa- 
natiques et  des  assassins.  Le  fanatisme  est  un  fait  moral 
bien  connu;  il  s'est  révélé  au  monde  sous  toutes  les 
formes;  l'histoire  en  a  rendu  compte,  et  plus  d'une  lois 
les  philosophes,  les  moralistes  l'ont  discuté,  étudié,  ana- 
lysé. Où  vit-on  jamais  quatre  oucinqénergumènes,  après 
avoir  conmiis  le  plus  aifreux  des  meurtres  par  fanatisme, 
s'en  guérir  tout  à  coup,  et  tous  à  la  fois,  si  complètement 
que  dès  ce  moment  on  n'en  trouve  plus  trace  dans  la 
vie  d'un  seul  d'entre  eux  ?  Le  fanatisme  ne  se  corrige 
guère,  ou,  s'il  se  repent,  c'est  à  sa  manière,  très-ca- 
ractéristique et  très-distincte  de  tout  autre  repentir.  Il 
est  contraire  k  la  nature  humaine  qu'une  bande  d'assas- 
sins par  zèle  religieux  redeviennent  tout  à  coup  des 
gens  aussi  calmes,  aussi  débonnaires  que  tous  les  au- 
tres, sans  que  leur  vie  ou  leur  mort  les  trahisse.  Peut- 
être  cela  est-il  possible  pour  des  criminels  politiques, 
après  que  les  hommes,  les  institutions,  les  influences  qui 
les  avaient  exaltés  ont  complètement  disparu.  Mais 
comme  la  mort,  le  jugement.  Dieu,  sont  toujours  de- 
vant nous,  le  crime  commandé  par  un  barbare  fana- 
tisme laisse  toujours  après  lui  ou  le  remords,  ou  l'in- 
quiétude, ou  une  sauvage  et  sombre  satisfaction,  et  quel- 
quefois ces  divers  sentiments  tour  k  tour.  Cela  est  sur- 
tout vrai  quand  il  s'agit  d'un  acte  qui  devait  révolter  un 


(i;Ceiie  De'cZam/wH,  annotée  par  Voltaire,  se  trouve  dans  presque 
li'iiik's  les  (Hlitions  de  srs  œuvres  ù  la  suite  des  pièces  qui  concer- 
uenl  les  Calas.  Voir  Bibliogroi  lue,  n    iu 


DERNIERS  ÉVÉNEMENTS  297 

des  instincts  les  plus  naturels  et  les  plus  vivaces  de  l'âme, 
tels  que  l'amour  maternel.  En  Pierre  Calas,  en  Lavaysse, 
c'est  à  peine  si  l'on  trouve  les  indices  de  la  piété  même 
la  plus  vulgaire;  et  chez  les  plus  croyants  d'entre  les 
accusés,  la  foi  est  ferme  et  paisible,  sans  aucune  ap- 
parence d'exaltation. 

Leurs  divers  caractères  ne  cessent  de  se  montrer 
dans  la  suite  de  leur  vie,  avec  le  degré  d'énergie  qui 
appartient  à  chacun.  Il  suffira  ici  de  quelques  traits  ra- 
pides. Mais  leur  défense  et  leur  histoire  seraient  égale- 
ment incomplètes  si  nous  ne  les  montrions  les  mêmes 
jusqu'à  la  mort. 

IM""'  Calas  continua  à  vivre  avec  ses  fdles  dans  la  ville 
où  elle  avait  trouvé  accueil  et  respect,  loin  des  lieux,  af- 
freux pour  elle,  qu'avait  ensanglantés  le  martyre  de 
celui  dont  elle  porta  le  deuil  tant  qu'elle  vécut.  Lavaysse, 
qui  avait  trouvé  de  l'emploi  dans  une  maison  de  com- 
merce ou  de  banque,  remplaça  auprès  d'elle,  pendant  les 
premières  années,  ses  fils  absents. 

Le  22  novembre  1763,  elle  écrivait  à  Cazeing  aîné  ces 
lignes  où  se  retrouve  toute  sa  tendresse  pour  celui  de  ses 
enfants  dont  on  l'accusait  d'avoir  souhaité  la  mort  : 

J'ay  des  bonnes  nouvelles  de  mes  lils  Je  Genève;  ils  se 
porle  bien  et  travaille  beaucoup,  il  nan  ait  pas  de  même  de 
Louis;  sa  santé  est  misérable  et  il  na  point  trouvé  encore  a  ce 
placer.  Les  fond  lui  mamjue  et  son  étal  est  triste,  je  ne  puis 
vous  cacher  que  jen  suis  touchée. 

Ses  fils  de  Genève  étaient  Donat  qui  n'avait  pas  quitté 
cette  ville,  et  Pierre  qui  y  était  retourné  pour  continuer 
les  afl'aires  de  commerce  qu'il  y  avait  commencées.  Vol- 
taire s'inquiéta  d'abord  de  le  voir  sortir  de  France.  11 


298  DERNIERS   ÉVÉNEMENTS 

craignit  que  le  gouvernement  français  ne  s'offensât  de 
ce\  exil  volontaire  qui  était  encore  interdit  aux  pro- 
testants; mais  personne  n'en  prit  occasion  ou  prétexte 
pour  attaquer  les  Calas,  et  dès  le  l^M'uin  Voltaire  lui- 
même  écrivait  k  M.  Ribotte  : 

Les  deux  frères  Calas  commencent  à  faire  une  petite  for- 
tune dans  ce  pays. 

L'année  suivante  il  recommanda  à  Colini,  Pierre  Ca- 
las (jue  ses  affaires  appelaient  en  Allemagne.  Le  28  sep- 
tembre 1770,  les  deux  frèi'es  furent  reçus  bourgeois  de 
Genève,  sans  frais,  sur  la  recommandation  du  duc  de 
Choiseiil ,  transmise  au  Petit  Conseil  par  M.  Necker.  Deux 
ans  après  Pierre  se  maria  (1). 

En  1770  Mme  Calas  vit  Voltaire  pour  la  première 
fois.  Elle  fit  avec  Gaubert  Lavayssele  voyage  deFerney, 
attirée  sans  doute  par  le  désir  de  revoir  ses  deux  fds 
établis  à  Genève,  Donat  surtout  dont  elle  avait  été  sé- 
parée avant  tous  ses  malheurs,  il  y  avait  plus  de  neuf 
ans.  L'entrevue  de  Voltaire  et  de  Mme  Calas  fut  pleine  de 
joie  et  d'émotion  des  deux  parts.  11  en  rendit  compte  à 
d'Alembert,  en  quelques  mots  : 

Cette  bonne  et  vertueuse  mère  me  vint  voir  ces  jours 
passés  ;  je  pleurai  comme  un  enfant  (2). 

Il  n'est  pas  douteux  qu'elle  le  revît  à  Paris,  lorsqu'il 
vint  y  mourir  au  milieu  d'un  dernier  triomphe,  plus 
bruyant,  mais  moins  réel  que  ceux  dont  les  Calas  lui 


(i)  Il  épousa  en  juillet  17  72  Marthe  Martin. 

(2)  On  trouvera  à  la  fin  du  volume  (notes  VII  et  VIII)  deux  lettres 
que  Vollaivc  reçut  do  ]^,I™*  Calas  et  de  Lavaysse,  après  leur  retour  à 
Paris.  Ces  lettres  proviennent  de  la  Collection  Lajarielte  de  Nante?. 


DERNIERS   ÉVÉNEMENTS  299 

avaient  donné  l'occasion.  Elle  eut  encore  k  lui  rendre 
après  sa  mort  un  dernier  homaiage  de  reconnais- 
sance. 

On  sait  que  la  nuit  môme  où  il  mourut,  l'abbé  Migiiot, 
son  neveu,  emporta  le  corps  à  son  abbaye  de  Seliières  où 
il  le  fit  inhumer  et  où  ses  restes  demeurèrent  jusqu'à  la 
Révolution.  En  1791  l'abbaye  et  l'église  furent  detrui- 
r  tes;  Paris  se  montra  jaloux  de  la  gloire  que  s'acquit  la 
•  petite  ville  de  Komilly  en  donnant  un  asile  à  ses  cen- 
dres. L'enthousiasme  était  au  comble  pour  celui  qu'on 
proclamait  le  premier  auteur  de  la  Révolution.  Des  fu- 
nérailles éclatantes  lui  furent  votées  par  l'Assemblée  et 
le  corps  fut  porté  de  ilomilly  aux  ruines  de  la  Bastille 
où  Voltaire  avait  étédétenu  dans  sa  jeunesse,  puis  le  len- 
demain (12  juillet),  de  la  Bastille  au  Panthéon.  Nous 
n'avons  pas  à  décrire  ici  cette  pompe  à  la  fois  ollicielle 
et  populaire.  Disons  seulement  que  le  magnilique  sarco- 
phage portaitcetteinscription:/^  vengea  Calas,  La  Barre, 
Sirv3n  et  iMoïttbaiUy ;  et  qu'après  s'être  rendu  par  les 
boulevards,  delaBastille  à  la  place  Louis  XV,  l'immense 
cortège  vint  stationner  sur  le  quai  Voltaire,  devant  la 
maison  où  il  mourut,  celle  du  ci-devant  marquis  de 
Viilette,  son  neveu.  Là,  de  jeunes  citoyennes  en  robes 
blanches  attendaient  sur  un  amphithéâtre  pour  chanter 
une  ode  deChénier  mise  en  musique  par  Gossec.  M'"*"  de 
Viilette,  que  Voltaire  aimait  à  appeler  belLe  et  bonne, 
couronna  sa  statue,  el  prit  rang  dans  le  cortège  avec 
M"'*' Galas  et  ses  entants,  qui  figuraient  ainsi  parmi  les 
membres  de  la  famille  de  leui'  bienfaiteui'  ;  cette  idée 
lut  peut-être  ce  qu'U  y  eut  de  plus  simple  et  de  plus 
touchant  dans  tout  l'étalage  de  l'enthousiasme  et  de  la 
sensibilité  publics.  La  part  de  M'"'   Galas  dans  cette 


30O  DERNIERS   ÉVÉNEMENTS 

fête,  OÙ  elle  ne  devait  pas  refuser  de  paraître,  fut  donc 
h  la  fois  modeste  et  digne  (1). 

Le  soir  de  ce  jour  de  deuil,  le  Théâtre-Français  de 
la  rue  de  Richelieu  donna  Ca/as  ow  l'Ecole  des  Juges, 
par  Marie-Joseph  Chénier.  Au  Théâtre  de  la  Nation 
(Odéon),  on  joua  Mahomet  et  la  Bienfaisance  de  Vol- 
taire,  autre  pièce  dont  les  Galas  étaient  après  lui  les 
héros  (2). 

Madame  Calas  survécut  quelques  mois  â  cette  céré- 
monie. Elle  mourut  â  Paris  ,  rue  Poissonnière,  n"  3, 
le  29 avril  1792,  âgée  de  82  ans  environ  (3). 

Ses  deux  fds  établis  à  Genève  l'avaient  précédée.  Do- 
uât mourut  sans  postérité  le  10  septembre  1776.  Pierre 
décéda  le  20  septembre  1790.  Les  inventaires  de  leurs 
biens,  qui  existent  encore  à  Genève  (h),  indiquent  peu 
d'aisance  à  l'époqueoii  mourut  Donat;  mais  quatorze  ans 
après,  à  la  mort  de  Pierre,  sa  position  de  fortune  était 
meilleure  (5). 


{\)  Moniteur  àw  13  juillet  el  du  3  0  juin  précédent. 

(2}  Voir  sur  les  nombreuses  pièces  de  tliéùtre  dont  les  malheurs 
des  Cillas  onlfourni  le  sujet,  notre  chapitre  XV  :  Histoire  de  l'opinion 
el  la  Bibliographie  ,   5*  partie. 

(3)  En  janvier  1763  elle  habitait  le  quai  des  Orfèvres;  elle  s'était 
ensuite  établie  aussi  près  que  possible  de  sa  fille  M""®  Duvoisin  et 
dans  la  môme  rue, 

Aoir  l'acte  de  ses  funérailles  à  la  note  XII.  Cet  acte  (trouvé 
par  M.  Uead  à  l'Hôlel-de-Ville)  est  un  exemple  assez  curieux  de  la 
manière  dont  avaient  lieu  à  celte  époque  les  inhumations  de  protes- 
tants à  Paris. 

(A)  Registre  des  inventaires  après  décès  (Hôlel-de-Ville  de  Genève). 

(5)  D'après  le  registre  de  l'état  civil  de  Genève,  Donat  aurait  eu 
3  7  ans  cl  Pierre  5  8  quand  ils  moururent.  Ce  sont  là  des  chiffres  ap- 
proximatifs cl  tous  deux  exagérés.  La  naissance  de  Pierre  se  trou- 
verait antérieure  à  celle  de  son  frère  aîné,  dont  nous  avons  la  date 
authentique. 


DERNIERS   ÉVÉNEMENTS  30i 

A  deux  reprises,  les  Assemblées  nationales  s'occupè- 
rent des  derniers  membres  de  la  famille  Calas. 

Ce  fut  d'abordle  18  juin  1792,  l'Assemblée  législative, 
à  laquelle  Louis  Galas,  incorrigible  dans  sa  cupidité,  vint 
demander  de  l'argent.  Il  fut  admis  h  la  barre.  Un  défenseur 
officieux  ^f\i\QV  on  ne  nommcpas,  prit  la  parole, à  sa  place, 
et  le  désigna  comme  le  dernier  rejeton  de  la  famille. 

Réduit  parle  désespoir  à  quitter  sa  patrie,  l'Angleterre  lui  a 
donné  un  asile  depuis  25  ans  (1):  mais  ce  qui  lui  reste  de  la  suc- 
cession de  sa  malheureuse  mère,  loin  de  snflire  au  paiement  des 
engagements  de  son  père,  considérablement  accrus  par  les  in- 
térêts, ne  suffit  même  pas  à  sa  subsistance  et  a  celle  de  sa  fa- 
mille. 

Le  président  (M.  Fiançais,  de  Nantes) témoigna  au  pétition- 
naire la  sensibilité  de  l'assemblée  envers  une  des  victimes  des 
intrigues  sacerdotales  et  du  despotisme  parlementaire. 

La  demande  fut  renvoyée  au  Comité  des  secours  pu- 
blics et  n'eut  pas  de  suite. 

A  la  Convention  ce  ne  fut  aucun  des  Calas  qui  vint  ap- 
peler sur  lui  l'attention  publique.  Le  25  brumaire  an  II, 
on  venait  de  réhabiliter  la  mémoire  du  chevalier  de 
La  Barre,  autre  victime  dont  Voltaire  avait  généreuse- 
ment entrepris  la  défense.  On  décida  en  même  temps 
qu'une  colonne  serait  érigée  en  l'honneur  de  Calas  sur  le 
lieu  de  son  supplice.  11  n'y  aurait  kce  sujet  aucim  blâme 
ti  adresser  à  personne  si  Barrère  n'avait  dit  à  la  tribune  : 

Vous  devez  réhabiliter  aussi   la  mémoire  de  Calas,  dont  un 


(i)  Il  y  avait  exploité  les  malheurs  de  sa  famille  cl  le  nom  de 
Voltaire,  comme  le  prouve  une  brochure  qu'il  fil  imprimer  en 
1789  à  Londres,  Voir  Bibliogr,  n°  84,  seconde  édition. 

26 


302  DEr.NIEP.S    ÉVKNEMEÎS'TS 

rejeton  se  fait  remarquer  aux  Jacobins  par  la  pureté  Je  son 
patriotisme. 

On  sait  déjà  que  ce  rejeton  est  encore  Louis. 

11  vint  à  la  barre  avec  ses  deux  sœurs  (Fune  n'était 
point  mariée  et  Tatitre  déjà  veuve)  exprimer  à  la  Con- 
vention leur  reconnaissance.  La  lettre  qu'ils  firent  dé- 
poser sur  le  bureau,  écrite  dans  le  style  du  temps,  ex- 
prime les  sentiments  que  devait  leur  inspirer  l'hom- 
mage rendu  à  leur  père. 

LES  ENFANTS    DE    1,'lNFOrxTLNÉ  CALAS  AU  CITOYEN  PRÉSIDENT  DE 
LA    CONVENTION    NATIONALE. 

Citoyen  président, 
Les  enfans  de  l'infortuné  Calas,  vivement  pénétrés  de  la  jus- 
tice que  la  Convention  nationale  vient  de  rendre  à  la  mémoire 
de  leur  mallieureux  père,  viennent  jeter  a  ses  pieds  le  tribut 
de  leur  immortelle  gratitude,  et  te  prier,  citoyen  président, 
de  vouloir  être  leur  organe  pour  en  faire  passer  l'expression 
à  l'auguste  assemblée.  Nos  âmes  altérées  par  le  malheur  n'ont 
que  la  laculté  de  sentir  ce  bienfait,  sans  pouvoir  dépeindre 
l'étendue  de  leur  reconnaissance.  Ah  !  daigne  lire  dans  la  na- 
ture tous  les  sentiments  de  l'amour  filial,  et  tu  seras  le  fidèle 
interprète  de  nos  cœurs. 

Il  était  réservé  a  des  législateurs  éclairés  par  la  philosophie 
d'anéantir  le  fanatisme  et  d'élever  un  monument  pour  rétablir 
les  droits  de  la  nature  si  cruellement  outragée.  Pères  de  la 
patrie,  rcîstaurateurs  des  opprimés,  agréez  les  vœux  de  vos 
enfants  et  particulièrement  l'hommage  d'une  famille  qui  a 
reçu  spécialement  vos  bienfaits. 

Salut  et  fraternité 

Louis  Calas. 
Anne-Rose    Calas. 
Anne  Calas,  veuve  Duvoisln. 


DER.MlinS   ÉVÉN£.^IENTS  303 

Le  Convention  ordonna  la  mention  honorable  et  l'in- 
sertion  au  Bulletin  de  cette  lettre,  qui  donna  lieu,  dit- 
on  dans  le  procès-verbal  de  la  séance  du  29  Juanr.aire,  ci 
une  discussion  digne  des  représentants  d'un  grand  peuple. 

Enfin,  le  23  pluviôse,  un  long  et  solennel  discours 
fut  prononcé  par  le  citoyen  Bézard,  faisant  connaî- 
tre, à  l'aide  de  documents  fournis  par  les  trois  der- 
niers membres  de  la  famille  Galas,  des  faits  ignorés 
jusqu'alors  et  que  nous  avons  relatés  plus  haut.  11  ne 
demanda  rien  pour  Louis  et  ses  sœurs,  mais  il  conclut 
à  ce  que  la  nation  prît  à  sa  charge  les  dettes  de  Jean 
Calas,  et  achevât,  en  désintéressant  tous  ses  créanciers, 
la  réhabilitation  de  cette  noble  mémoire,  hommage  bien 
plus  digne  de  lui  que  tout  autre,  double  réparation  due  à 
l'intègre  négociant  ruiné  par  ses  juges,  et  ci  ceux  qui 
s'étaient  confiés  en  lui  (1). 

A  dater  de  ce  moment,  nous  perdons  la  trace  de  Louis 
Calas.  Mais  il  nous  reste  à  raconter  l'histoire  de  l'une  de 
sessœurs,  que  nous  avons  à  peine  indiquée  jusqu'ici  et 
où,  après  tant  de  récits  pénibles  ou  tragiques,  nous 
trouverons  des  souvenirs  plus  doux. 

Nous  devons  rendre  compte  d'tibord,  en  quelques 
mots  rapides,  de  ce  que  devinrent  deux  des  acteurs  les 
])lus  importants  de  ce  long  drame,  Gaubert  Ltavaysse 
et  David  de  Becaudrigue. 

Le  premier,    nous  écrit  une  de  ses  petites-nièces, 

(0  «  La  quiUancc  grui-ralc  de  ses  créanciers  est  une  inscviplion 
qui  manquerait  à  la  colonne,  »  dit  Hezard  en  finissant.  Voici  les  ter- 
mes du  décret  : 

Les  créanciers  légilimcs  de  Jean  Calas,  colUxjués  dans  l'arrêt  do 
dislribuiion  du  ci-dovanl  Parlrmonl  de  Toulouse  du  3  septembre 
1763,  seront  payés  par  le  trésor  puLlic  des  sommes  qui  leur  res- 
tent dues. 


30^  DERNIERS   EVENEMENTS 

accomplit  le  projet  qu'il  avait  formé  avant  ses  mal- 
heurs. Il  se  voua  au  commerce;  plus  tard  il  résida  quel- 
que temps  en  Angleterre,  pour  étendre  ses  entreprises. 
Etant  devenu  correspondant  de  la  Compagnie  des  Indes 
tiLorient,  il  y  vécut  jusqu'en  1786,  époque  de  sa  mort, 
jouissant  d'une  considération  due  à  sa  probité,  à  l'amé- 
nité de  son  caractère,  au  bien  que  lui  permettait  de  faire 
sa  grande  fortune.  Il  ne  fut  jamais  marié. 

La  fin  de  David  de  Beaudrigue  offre  un  contraste  ter- 
rible avec  celle  de  cet  homme  de  bien  qui  avait  été  une 
de  ses  victimes.  A  mesure  que  la  lumière  se  fit  dans 
cette  afi'aire  si  mal  jugée,  après  la  mort  admirable  de 
Calas,  après  la  publicité  immense  donnée  par  Voltaire  à 
ses  malheurs  et  à  son  innocence,  David  se  vit  l'objet  du 
blâme  et  de  la  réprobation  à  peu  près  universels  (1). 


(1)  L'anecdote  suivante,  publiée  assez  inexactement  par  plusieurs 
journaux,  a  paru  dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  du  Pro- 
testantisme français,  t.  4,  p.  647.  M.  Read  la  tenait  de  M.  Moquin- 
Tandon,  membre  de  l'Institut,  dont  l'astronome  B.  Tandon  fut  le  bi- 
saïeul maternel. 

«<  La  ville  de  Montpellier  possédait  déjà,  avant  la  révolution  de 
17  89,  un  très-bel  observatoire,  bâti  sur  une  des  tours  des  anciens 
remparts,  que  les  étrangers  qui  venaient  voir  la  ville  ne  manquaient 
pas  de  visiter.  Il  était  dirigé  en  17  62  par  Bartbélcmy  Tandon,  bomrae 
instruit,  modeste,  jouissant  d'une  grande  considération,  quoiqu'il 
fùl  de  la  religion  prétendue  réformée;  c'était  aussi  un  bomme  de 
Ijcaucoup  d'esprit  et  même  tant  soit  peu  railleur.  11  était  comme 
cbez  lui  dans  cet  observatoire  qui  s'élevait  au  fond  de  son  jardin 
et  communiquait  avec  son  cabinet  par  le  moyen  du  mur  de  ville  dont 
on  avait  fait  une  terrasse. 

«  Peu  de  temps  après  la  condamnation  du  mallicureux  Calas,  un 
des  Capilouls  qui  avaient  joué  le  rôle  le  plus  actif  dans  celte  grande 
iniquité,  David  de  Beaudrigue,  étant  venu  à  Montpellier,  se  présente 
en  visiteur  à  l'observatoire.  Baribélemy  Tandon  s'y  trouvait  en  robe  de 
cbambre  et  en  pantoufles.  Le  Capitoul  prend  notre  astronome  pour 
le  concierge  de  l'établissement^    cl  lui    adresse    plusieurs  questions 


DERNIERS  ÉVÉNEMENTS  305 

Nous  avons  vu  qu'il  fut  destitué  le  25  février  1765. 
—  Voici  ce  qu'on  lit  à  son  sujet,  quelques  mois  après, 
dans  un  journal  du  temps  (les  Affiche?,  de  Province, 
n«  /(9,  du  9  octobre  1765)  (1)  : 

On  écrit  de  Toulouse,  que  le  sieur  /A/r/cZ,  Capitoul,  qui, 
dans  la  malheureuse  aflaire  des  Calas,  s'est  conduit  avec  la  plus 
coupable  passion,  est  lui-même  actuellement  dans  un  fort  dé- 
plorable état.  Sa  destitution,  le  jugement  des  requêtes  de  l'Hô- 
tel, et  la  crainte  d'une  prise  à  partie  lui  ont  totalement  dé- 
rangé la  tête.  En  proie  aux  idées  les  plus  sinistres,  il  ne  voit 
que  gibets  et  que  bourreaux  prêts  a  lui  faire  subir  la  juste 
peine  du  talion.  On  l'a  fait  conduire  à  Saint-Papoul  (2)  au- 
l)rès  de  sa  femme,  qu'il  avait  chassée  depuis  longtemps  de  sa 
maison.  A  peine  y  est-il  arrivé,  qu'il  s'est  échappé  pour  courir 
les  champs.  Repris  et  ramené  dans  la  maison,  il  s'est  précipité 
d'une  fenêtre  dans  la  rue,  sans  se  tuer.  Depuis  ce  trait  de  fré- 


avec  le  ton  impertinent  d'un  personnage  ignorant  et  dédaigneux. Dans 
un  coin  de  la  salle  se  trouvait  un  magnifique  télescope  donné  à  la 
ville  de  Monlppllier  par  le  gouverneur  de  la  province,  sur  la  demande 
de  l'Académie  royale  des  sciences  et  sur  les  instances  de  Barthé- 
lémy Tandon.  L'ayant  envisagé,  le  visiteur  demande  :  «  Quel  est  ce 
«  grand  tuyau  de  poêle?  —  Monsieur, répond  noire  savant,  c'est  une 
'(  lunette  d'approche  très-remarquable,  à  l'aide  de  laquelle  on  voit 
«  très  distinctement  en  Paradis...  l'âme  de  Jean  Calas  !  « 

Le  Capitoul  rougit  de  colère,  en  s'écrianl  :  «  Apprenez,  l'ami,  que 
«je  suis  un  des  premiers  magistrats  de  Toulouse! —  Sachez  à  votre 
«  tour,  répliqua  Barthélémy  Tandon,  que  vous  avez  à  faire  au  direc- 
«  teur  de  l'observatoire  de  Montpellier,  et  qu'il  n'est  pas  votre 
<f  ami.  » 

«  Furieux  de  l'aventure,  le  Capitoul  se  retira  en  menaçant  de  se 
plaindre  à  l'intendant  de  la  province;  il  n'y  manqua  pas.  Celui-ci, 
qui  aimait  beaucoup  notre  savant  directeur,  promit  à  David  de  lui 
infliger  la  punition  qu'il  méritait.  Le  soir,  il  réunit  i  sa  table  le  Ca- 
pitoul et  l'astronome.  » 

(1)  Recueil  de  M""' de  La  Beaum-^Ue. 

(2)  C'était  sa  ville  natale. 

26. 


tj06  DERNIERS  ÉVÉiNEMENTS 

nésie,  on  le  garde  à  vue  et  quand  le  trouble  et  le  désespoir 
viennent  l'agiter,  quatre  hommes  ont  de  la  peine  a  le  con- 
tenir (4). 

D'après  un  autre  doctmieul,  il  se  jeta  une  seconde 
fois  du  haut  de  la  maison  et  se  tua.  On  ajoute  même 
qu'il  prononça  le  nom  de  Calas  en  mourant. 

Cette  hideuse  fin  est  à  la  fois  un  châtiment  et,  en  quel- 
que mesure,  une  réhabilitation  morale,  si,  comme  nous 
voulons  le  croire,  ses  remords  lui  servirent  de  bour- 
reau (2). 


(»)  Voir  aussi  Grimm  (Corr.  lilt.  15  avril  I763et  i  5  nov.  1765.) 

(2)  En  179  4,  son  petit-fils,  Trislun  David  d'Escalonne,  péril  sin* 
l'échafaud,  comme  tant  d'autres  ptM'sonnages  que  nous  avons  eu 
occasion  de  nommer.  On  a  dit  que  la  mémoire  du  Capiloul  avait  con- 
tribué à  perdre  son  descendant,  dans  ce  temps  où  une  foule  de 
viciimes  n'avaient  d'autre  crime  à  se  reprocher,  que  leur  nom.  Il 
Itiut  ajouter  cependant  qu'il  s'élaH  publiquement  opposé  à  l'élablis- 
soment  du  règue  de  la  Terreur  dans  Toulouse,  avec  plus  de  fcr- 
nu-ié  qu'il  n'en  montra  plus  lard  en  face  du  supplice.  Celle  ré- 
sistance honorable  et  hardie  suffit  pour  expliquer  sa  condamnalion. 
(Voir  d'Aldéguier',  Histoire  de  Toulouse,  t.  4.  p.  508,  5 1 7 ,  et 
dans  les  noies  p.  4  6.) 


CHAPITRE  XIII 


NANETTE   CALAS 


Elle  a  gagné  l'ainitié  et  l'estime  de  notre  commu- 
nauté par  ses  excellentes  qualifias.  Nous  n'avons  eu 
qu'à  regretter  que  tant  de  verlus  dont  elle  est  remplie 
ne  puissent  lui  servir  que  pour  cette  vie, 

S""  Anne-Julie  Fkaisse,  de  la  Visitation.  (L.  1.) 


A  la  nouvelle  de  la  mort  subite  et  mystérieuse  de  leur 
frère  aîné,  les  D^^"  Calas  se  firent  ramener  de  la  propriété 
de  j\I.  ïeissier  à  Toulouse.  Rose  avait  alors  vingt-deux 
ans,  et  Nanette  vingt  et  un. 

Toute  leur  famille,  jusqu'à  leur  unique  servante,  était 
en  prison.  Nous  ne  savons  où  elles  trouvèrent  un  asile. 
Ce  ne  put  être  dans  la  maison  paternelle  qui  était  gar- 
dée, et  fort  mal,  par  des  soldats.  Nous  avons  vu  que 
tout  le  monde  y  entrait,  et  que  dans  les  premiers  jours 
où  les  scellés  auraient  du  être  mis  partout,  les  jeunes 
gens  de  la  ville  et  les  soldats  eux-mêmes  s'amusaient  h 
essayer  si  l'on  pouvait  se  pendre  aux  battants  de  la 
porte  avec  le  billot  dont  s'était  servi  Marc-Antoine. 
Elles  durent  se  pourvoir  d'un  gîte,  et  l'on  a  vu  qu'après 
l'examen  des  effets  de  Marc-Antoine,  on  les  leur  rendit, 
pour  être  portes  dans  leur  nouveau  logemont.  La  posi- 


308  iNAAETTE  CALAS 

tion  des  deux  jeunes  filles  était  affreuse.  Elles  se  trou- 
vaient sans  autre  appui  que  leur  déplorable  frère  Louis 
qu'elles  n'avaient  pas  vu  depuis  plusieurs  années,  et  dont 
le  caractère  ne  pouvait  leur  inspirer  que  peu  de  con- 
fiance. Quelques  rares  amis  de  leur  famille  leur  restèrent 
fidèles  ;  elles  durent  vivre  de  leurs  secours,  attendant 
avec  angoisse  le  résultat  de  ce  terrible  procès. 

Dans  la  mesure  de  leur  savoir  et  de  leurs  ressources 
elles  agirent  pour  défendre  leur  père,  leur  mère  et  leur 
frère.  Nanette,  quoique  la  plus  jeune,  paraît  s'être  char- 
gée d'écrire  et  de  parler.  Il  existe  au  procès  (devant  les 
]\Iaîtres  des  Requêtes)  une  réponse  du  négociant  Griolet 
que  nous  avons  déjà  citée  et  où  il  explique  à  la  jeune 
fille  qu'il  ne  peut  comparaître,  puisque  rien  dans  leMo- 
niloire  ne  l'y  autorise  et  qu'il  n'a  pas  été  cité.  Elle  l'a- 
vait sollicité  de  se  montrer  et  de  rendre  témoignage  en 
faveur  de  ses  parents.  Cette  lettre,  qui  renferme  des 
attestations  très-honorables  pour  les  Galas,  ne  put  être 
produite  que  devant  les  derniers  juges  et  fut  pour  eux 
un  exemple  des  vices  de  la  première  procédure.  L'ini- 
tiative prise  par  Nanette  finit  donc  par  être  utile. 

Toutes  deux  étaient  encore  à  Toulouse  au  milieu  de 
février.  11  paraît  que  ce  fut  seulement  la  sentence  de 
mort  de  Jean  Calas  qui  les  détermina  à  fuir.  Elles  quit- 
tèrent en  secret  cette  ville,  dont  la  mort  sanglante  de  leur 
père  faisait  pour  elles  un  lieu  d'épouvante  et  d'hor- 
reur, et  trouvèrent  un  abri  à  Montauban  où  les  pro- 
lestants étaient  nombreux  et  où  leur  mère  avait  des 
amis.  Elle  vint  les  y  rejoindre  après  la  tragédie  du  10 
mars  et  son  propre  acquittement,  prononcé  le  18.  Mais 
ses  filles  ne  purent  l'entourer  longtemps  des  consolations 
de  leur  tendresse.  La  malheureuse  veuve  avait  encore 


NANETTK  CALAS  ,'309 

ce  calice  d'amerlume  à  boire.  Le  27  mars  1762,  M.  le 
président  du  Piiget  daigna  s'occuper  d'elles  et  en  occu- 
per Monseigneur  le  comte  de  Saint-Florentin,  deman- 
dant deux  lettres  de  cachet  pour  enfermer  dans  des 
couvents  séparés  les  filles  de  ce  nmlheureux  père.  Il 
espère  la  conversion  de  Rose,  surtout  si  elle  est  sé- 
parée de  Nanette  qui  est  la  plus  obstinée  dans  sa  reli- 
gion (1). 

Demander  des  lettres  de  cachet  contre  les  enfants 
d'un  protestant,  c'était  les  obtenir;  à  plus  forte  raison 
quand  le  père  avait  été  roué  et  quand  c'étaient  ses  pro- 
])res  juges  qui  s'acharnaient  à  persécuter  les  débris  de 
sa  famille. 

Les  deux  jeunes  fdles  furent  enlevées  à  leur  mère  le 
28  mai.  C'est  ici  que  Louis  commit  la  plus  honteuse  de 
ses  lâchetés,  s'il  est  vrai,  comme  Court  de  Gébelin  l'af- 
firme (2),  qu'il  consentit  à  servir  de  guide  aux  cavaliers 
de  la  maréchaussée,  et  à  faire  le  guet  pendant  la  nuit, 
devant  la  porte  de  ses  sœurs.  L'acte  était  digne  du  mau- 
vais fils  qui  avait  débuté  par  un  placet  où  il  demandait 
que  tous  ses  frères  et  sœurs  mineurs  fussent  enlevés  à 
leurs  parents  et  enfermés  dans  des  couvents.  L'auteur 
des  Toulousaines  ajoute  même  qu'il  avait  promis  h  ses 
sœurs  de  les  avertir  de  tout  danger.  Il  avait  pu  le  leur 
pi'omettre  sincèrement  et  les  trahir  ensuite  par  peur, 
lui  qui  n'eut  jamais  d'énergie  que  pour  ime  chose  :  de- 
mander de  l'argent. 

Rien  n'était  plus  redouté  des  familles  protestantes,  et 
redouté  à  plus  juste  titre,  que  la  séquestration  de  leurs 

(0  M.dnPviget  confond  los  drnx  ronis.  NOir  Corr.  St-Fl .  21, 
(2)  Toulousaines,  \\   4  8  7. 


310  MANETTE  CALAS 

enfants  entre  les  mains  des  moines  oncles  religieuses  (1). 
Dans  rintérieur  de  ces  maisons  cloîtrées,  le  prieur 
ou  la  supérieure  étaient  tout-paissants  et  pouvaient  user 
de  tous  les  moyens  pour  obtenir  une  conversion;  les  ri- 
gueurs ou  les  cajoleries,  la  terreur,  la  calomnie  contre 
des  parents  absents,  tout  pouvait  être  mis  en  œuvre  sans 
contrôle  et  sans  réclamation  possible.  Toute  connnunica- 
tion  avec  la  famille  était  rigoureusement  interdite  (2). 
Une  multitude  demères,  depuis  1685  jusqu'en  1789,  ont 
pleuré  comme  morts  leurs  enfants  encore  vivants,  mais 
dont  on  leur  avait  aliéné  le  cœur,  et  ont  Uni  par  dire 
d'eux,  si  enfin  on  les  leur  rendait,  ce  que  M""^  Galas  dut 


(i)  Uy  eut  une  fête  magnifique  chez  les  jésuites  le  jouv  où  ils 
donnèrent  à  leur  collège  de  Paris  le  nom  de  Louis-Ie-Grand  ,  en 
méuiûire  de  la  Piévocalion.  Ils  félicitèrent  le  rui,  par  d'ingénieux 
emblèmes,  de  ce  crime  contre  la  famille  et  conlre  la  nature.  On  li- 
sait sur  les  murs,  entre  autres  inscriptions,  celle-ci: 

A  la  gloire  de  Louis  le  Grand,  pour  avoir  tiré  les  enfants  d'en- 
tre les  bras  de  l'hérésie  el  leur  avoir  procuré  une  éducation  plus 
heureuse  dans  le  sein  de  la  véritable  relitjion.  Au-dessous  se  trou- 
vaient deux  devises  :  la  première  avait  pour  corps  de  jeunes  sauva- 
geons entés  sur  des  arbres  cultivés,  et  pour  rime  ces  mots  de  Virgile: 
Illi'.;  renient  feliciùs,  traduits  par  ce  vers  prosaïque; 

Ils  seront  en  ce  lieu  beaucoup  mieux  élevés 
La  seconde   représentait  une  branche  de  corail  avec  ces  paroles: 

Radicato  nulla,  Sradicatotutio  vale^  avec  cet  équivalent  en  fran- 
çais : 

De  la  main  qui  l'arrache  il  reçoit  tout  son  prix. 

Voir  le  Triomphe  de  la  religion  sous  Louis  le  Grand  représenté  par 
des  inscriptions  et  des  devises  (par  le  père  Le  Jay),  1687,  182 
p.  in-12. 

(2)  Nous  avons  lu  dans  les  Dépêches  du  Secrétariat,  unclellre  irès- 
rudedu  rainislrc(i*'' juin  1762)  où  il  réprimande  vertement  la  supé- 
rieure des  Ursulines  de  Toulouse  pour  avoir  permis  à  une  des  proles- 
tantes dont  elle  était  la  geôlière,  M'^''  de  Massip..  de  sortir  du  couvent 
pendant  la  journée.  Nous  citons  le  fait,  à  la  honte  du  ministre  el  à 
l'honneur  de  la  religieuse. 


NÂNETTE  CALAS  311 

dire  de  Louis  :  //  ne  me  reconnaît  plus  pour  sa  mèi^e. 

Nous  avons  heureusement  à  raconter,  en  finissant  cette 
douloureuse  histoire,  des  faits  tout  opposés.  On  ne  sait 
rien  du  couvent  de  Toulouse  où  Rose  Calas  fut  enfermée; 
mais  il  parait  qu'elle  n'eut  point  à  s'en  louer  (1).  Elle  y 
éprouva  beaucoup  de  duretés,  dit  Grimm  (2).  Pour  Na- 
nette,  il  en  fut  tout  autrement. 

Elles  durent  frémir  l'une  et  l'autre  de  rentrer,  sous 
l'escorte  de  la  maréchaussée,  dans  cette  ville  funeste  où 
leur  père  était  mort  sur  la  roue,  où  leur  frère  Pierre 
était  détenu  malgré  la  loi  dans  un  monastère,  et  d'où  le 
reste  de  leur  famille  avait  dû  fuir.  Bientôt,  cependant, 
Nanelte  commença  k  se  réconcilier  avec  sa  prison.  Elle 
était  aux  Visitandines  (3),  et  on  avait  confié  sa  conver- 
sion à  une  religieuse  âgée,  très-fervente  catholique,  mais 
douée  d'un  grand  sens  et  d'un  cœur  toul  maternel.  La 
sœur  Anne- Julie  Fraisse  ne  réussit  nullement,  malgré 
ses  consciencieux  efl"orts  et  ses  ardentes  prières,  à  faire 
une  catholique  de  la  fille  du  martyr  protestant.  Elle  ne 
parvint  pas  même  k  ébranler  ses  convictions.  Mais  elle 
sut  la  comprendre,  estimer  son  cara  tère  élevé  et  char- 
mant, l'aimer,  et  la  rendre  aussi  lieureuse  que  pouvait 
l'être  Anne  Calas  au  couvent. 

De  son  côté,  la  jeune  huguenote  fut  profondément  émue 
et  reconnaissante  des  bontés  de  mère  que  lui  témoigna 
la  vénérable  religieuse.  Il  n'eût  pas  été  fort  étonnant  que 


(i)Lclli'e  de  la  sœur  Fraisse  30. 

(2)  Corr.  litt. ,  2  5  mars. 

(3)  Le  couvent  où  elle  fui  placée  avait  donné  son  nom  à  la  place 
delà  Visilalion;  il  devint  une  prison  en  17  89  et  n'a  pas  été  rendu 
aux  religieuses  qui  en  occupent  aujourd'hui  un  autre  dans  un  quar- 
tier différent, 


312  KANETTE  CALAS 

la  fille  d'un  protestant  mis  à  mort  pour  parricide  se  trou- 
vât blessée  des  propos,  des  regards,  de  l'accueil  qu'elle 
rencontrerait  parmi  ces  religieuses.  Elle-même  s'y  at- 
tendait; mais  elle  n'eut  rien  de  pareil  à  souffrir.  Lanière 
Anne  d'IIunaud,  supérieure  du  monastère,  était  une  per- 
sonne charitable  et  bonne,  et  Nanetle  par  sa  piété,  sa 
douceur  de  caractère,  sa  réserve,  sa  grâce,  eut  bientôt 
gagné  tous  les  cœurs  chez  les  dames  de  la  Visitation. 

Anne-Julie  devint  pour  elle  une  seconde  mère,  une 
amie  active  et  zélée,  dont  l'affection  ne  se  démentit 
jamais,  et  ne  fut  interrompue  que  par  la  mort. 

Entre  la  vieille  Yisitandine  et  Nanette  Calas  eut  lieu 
dans  le  couvent  de  Toulouse  le  même  entretien  que  Vol- 
taire avait  eu  avec  Donat.  Elle  écouta  les  douloureux 
récits  des  malheurs  de  la  famille,  mêla  ses  larmes  à 
celles  de  la  pauvre  orpheline,  l'interrogea  sur  ses  pa- 
rents, sur  leur  conduite  envers  son  frère  catholique;  et 
elle  aussi,  la  droite  et  noble  femme,  jugea  Calas  et  ses 
juges,  reconnut  l'innocence  du  roué  et  la  folie  de  ses 
persécuteurs.  Admirable  exemple  de  ce  que  valent  la 
supériorité  et  l'entière  sincérité  de  l'esprit .  Mais  il  ne 
suffit  pas  à  la  sœur  Fraisse  de  croire  les  Galas  inno- 
cents: 

La  loi  qui  nugilpoinl  esl-cc  une  foi  sincère? 

EUeagit,  elle  écrivit  du  fond  de  sa  cellule.  Elle  était 
proche  parente  de  M.  Castanicr  cl'Auriac,  président  au 
grand  Conseil,  et  gendre  du  chancelier  de  Lamoignon. 
Ce  fut  auprès  de  lui  qu'elle  sollicita  de  son  côté  (1), 


(1)  Voir  Lettres  de  la  sœur  A.  J.  Fraise,  n°  i,  2  i  déc.  17  62. 
Kllf  lui  écrivit  encore  à  diverses  reprises,  surtout  ((nand  le  conseil 
U'Kial  fut  saisi  de  l'uflaire.  (Leltrcs  il,  12,  etc.) 


NAiNETTK  CALAS  313 

pendant  que  Voltaire  agissait  du  sien,  Voltaire  qu'elle 
avait  en  horreur  pour  son  incrédulité  et  au  sujet  duquel 
Anne  Calas  tut  bien  grondée  un  jour  par  la  bonne  sœur. 
Elle  l'avait  appelé  illustre  ;  illustre,  un  ennemi  de  l'Eglise 
et  de  Dieu  (1)  ! 

On  se  trompera  du  tout  au  tout  si  l'on  prend  la 
sœur  Anne-Julie  pour  un  esprit  fort,  si  on  lui  suppose  la 
moindre  sympathie  pour  les  lumières  du  siècle  ;  elle  les 
a  en  abomination  profonde.  Elle  est  très-sérieusement 
et  très-véritablement  dévote  catholique.  Elle  n'a  pas  le 
plus  léger  doute  sur  la  damnation  éternelle  de  sa  jeune 
amie,  non  pour  ses  péchés  :  elle  la  trouve  pleine  de  ver- 
tus et  lui  reconnaît  même  de  la  piété,  mais  à  cause  de  sa 
religion. Ce  qui  est  caractéristique,  c'est  qu'elle  ne  peut 
s'empêcher  de  le  dire  dans  sa  lettre  même,  à  son  cousin  le 
conseiller  d'État.  Cette  lettre  n'en  est  pas  moins,  de  la 
part  d'une  religieuse  de  Toulouse  et  dans  un  pareil  mo- 
ment, un  acte  admirable  de  raison,  de  dévouement  et 
de  courage. 

En  décembre,  c'est-à-dire  au  bout  de  sept  mois,  les 
D^^*^'  Calas  furent  mises  en  liberté,  à  condition  de  vivre 
à  Paris  chez  une  dame  Dumas  et  non  avec  leur  mère. 
Nanette  ne  quitta  pas  sans  émotion  les  Visitandines  et 
surtout  celle  qui  était  devenue  pour  elle  une  précieuse 
amie  et  une  zélée  protectrice.  Voltaire  salua  avec  joie 
cet  acte  de  justice  connue  mi  bon  augure  pour  une  ré- 
paration plus  complète  (2).  Ce  fut  sans  doute  à  l'in- 
lluence  très-favorable  de  ses  letties  sur  quelques-uns 
des  ministres  qu'est  due  la  libération  des  jeunes  fil- 

(1)  Lettre  3  3. 

(2)  Lettres  du  26  déc.  à  Daniilaville  cl  du  29  àM""^  de  Florian. 

27 


3ill  NANETTE  CALAS 

les  (l).LasœurFraisse  remit  àsachèreNanetteunelettre 
pour  son  cousin,  etlajeuueillie,  arrivée  à  Paris,  la  porta 
au  président  d'Auriac  qui  la  reçut  avec  quelque  froideur 
de  manières,  suivant  sa  coutume  (2),  mais  non  sans  inté- 
rêt. Une  copie  de  cette  lettre  excita  un  grand  enthou- 
siasme parmi  les  amis  des  Calas.  Elle  y  fut  vivement 
admirée.  Voltaire  en  était  ravi. 

.T'envoie  à  mes  frères  la  copie  de  la  lettre  d'une  bonne  re- 
ligieuse. Je  crois  cette  lettre  bien  essentielle  à  notre  affaire.  11 
me  semble  que  la  simplicité,  la  vertueuse  indulgence  de  celte 
nonne  de  la  Visitation  condamne  terriblement  le  fanatisme  des 
assassins  en  robe  de  Toulouse  (3). 

Il  dit  à  Élie  de  Beaumont  le  21  janvier  : 

Vous  avez  vu  sans  doute  la  lettre  de  la  religieuse  de  Tou- 
louse. Elle  me  paraît  importante;  et  je  vois  avec  plaisir  que 
les  sœurs  de  la  Visitation  n'ont  pas  le  cœur  si  dur  que  Messieurs. 
J'espère  que  le  conseil  pensera  comme  les  clames  de  la  Visita- 
tion. 

La  lettre  de  la  sœur  Anne- Julie  fut  considérée  comme 
si  importante  pour  les  Calas  qu'on  la  fit  imprimer  sur 
un  feuillet  volant,  et  qu'on  l'ajouta  au  recueil  de  pièces  et 
de  Mémoires  publiés  sur  cette  affaire. 

Dès  qu'elles  furent  sorties  du  couvent,  les  deux  jeu- 
nes filles  écrivirent  au  grand  protecteur  de  leur  mère 


(i)  Nous  no  devons  pas  onblier  coponclnnl  de  signaler  aussi  l'in- 
lervenlion  d'un  adversaire  de  Voltaire  On  trouvera  dans  les  notes  à 
la  fin  du  volume,  n"  VI,  \cPlacet  queLaBeaumelle  adressa  aucomte  de 
Sainl-I="lorenlin,  au  nom  des  D"*'  Calas. 

(2)  Lettre  3. 

(3)  A  Damilaville  (Cayrol  3  7  2).  Voir  aussi  sa  lettre  à  d'Argenlal 
le  2  0  janvier. 


NANETTE   CALAS  315 

ime  lettre  de  reconnaissance.  11  y  répondit  jjar  la 
lettre  suivante  (1),  écrite  sur  un  papier  dont  chaque 
page  est  encadrée  dans  une  guirlande  de  Heurs  avec  des 
œillets  aux  quatre  coins,  fantaisie  qui  serait  d'assezmau- 
vais  goût,  s'il  n'avait  su  d'un  mot  la  relever  et  la  rendre 
gracieuse  : 

Je  vous  réponds,  Mesdemoiselles  ,  sur  du  papier  orné  de 
Heurs  parce  que  le  temps  des  épines  est  passé,  et  qu'on  rendra 
jusliee  à  votre  respectable  mère  et  a  vous.  Je  vous  félicite 
(i'élre  auprès  d'elle.  Je  me  flatte  que  votre  présence  a  touché 
Ions  les  juges,  et  qu'on  reparera  l'abomination  de  Toulou/e.  Je 
vois  avec  un  extrême  plaisir  que  le  public  s'intéresse  a  vous 
aussi  vivement  que  moi.  Je  fais  mes  plus  sincères  complimenls 
a  madame  votre  mère,  et  suis  avec  beaucoup  de  zèle,  Mesde- 
m;)iselles,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 
VoLTAHŒ,  gentilhomme  ordinaire  du  Roi. 

L'adresse  est  à  Mesdemoiselles  Mesdemoiselles  Calas 
à  Paris  ;  cette  lettre  n'a  pas  été  transmise  par  la  poste. 

Bientôt  M.  de  Saint-Florentin  fut  vivement  sollicité 
l)ar  la  duchesse  d'Enville  et  par  le  duc  d'Estissac  pour 
qu'il  achevât  de  rendre  les  deux  jeunes  filles  à  leiu- 
mère.  Le  30  juin  1763,  il  écrivit  à  la  duchesse,  se  réfé- 
rant à  la  réponse  qu  il  adressait  le  même  jour  au  duc,  et 


(t)  Colle  letlre,  et  une  autre  à  M"'*  Duvoisin  que  nous  donnons 
p.  3iS,  avaient  été  données  par  elle  à  M.  Marron,  successeur  de 
son  raari  comme  chapelain  de  l'ambassade  de  Hollande  ;  elles  sont  à 
Leyde  dans  la  riche  collection  de  M.  L.  G.  Luzac  qui  a  acheié  les  nombreux 
autographes  réunis  par  Marron.  Ces  deux  leurcs  sont  inédiles,  ainsi 
qu'une  troisième  à  M.  de  Saint-riorenlin,que  nous  publions  p.  3  7  4. 
Une  auirc  leilre  de  Voltaire  à  M"""  Duvoisin  se  trouve  dans  les  re- 
cueils de  sa  correspondance,  sous  la  date  du  15  juin  1772.  Il  lui 
annonce  l'heureuse  issue  du  procès  des  Sirvcn,  semblable  en  tout  à 
celui  des  Calas,  moins  le  supplice  du  principal  accusé. 


316  NANETTE   CALAS 

qui  est  bâtoiinéedans  le  volume  des  Dépêches  du  secréta- 
riat^ avec  ces  mots  en  marge  :  n'a  servi.  Nous  som- 
mes fort  tenté  de  croire  que  c'est  là  une  ruse  d'admi- 
nistrateur uniquement  destinée  à  éviter  un  précédent  et 
h  sauver  les  apparences;  quoi  qu'il  en  soit,  nous  som- 
mes persuadé  que  les  ordres  donnés  ont  été  conformes 
k  cette  lettre  si  laborieusement  dissimulée. 

La  dame  Calas,  M.  dont  los  filles  ont  été  mises  par  ordre 
du  Roi  chez  la  D'  Dumas  h  Paris,  me  fait  solliciter  pour  qu'elles 
lui  soient  rendues.  Mad*  la  duchesse  d'Anville  a  pris  la  peine  de 
m'écrire.  Je  vous  prie  de  lui  témoigner  qu'il  ne  me  paraît  pas 
possible  de  révoquer  l'ordre  qui  retient  ces  tilles  chez  la  D* 
Dumas  et  que  j'y  trouve  des  inconvénients,  qu'il  est  à  propos 
d'éviter.  Mais  comme  je  vois  qu'elle  s'intéresse  très-vivement 
a  cette  affaire  et  que  je  désire  très-sincërrment  l'obliger,  la 
D'  Calas  peut  retirer  ses  filles  auprès  d'elle,  et  je  consens  a 
feindre  de  l'ignorer  (1)  pourvu  que  d'ailleurs  la  D*  Calas  se 
comporte  avec  circonspection  et  ne  les  produise  pas  dans  le 
monde  avec  trop  d'éclat. 

Ces  derniers  mots  prouvent  à  la  fois  l'accueil  que  re- 
cevaient partout  M™"*  Galas  et  ses  fdles ,  et  les  craintes 
qu'inspirait  au  ministre  la  sympathie  qu'on  leur  témoi- 
gnait. 

Nous  ne  répéterons  pas  ici  ce  qu'on  a  vu  plus  haut 
de  la  présence  des  D""  Galas  dans  la  galerie  de  Ver- 
sailles pendant  qu'on  y  décidait  la  révision  du  procès. 
Ce  fut  Rose  qui  se  trouva  mal.  Nanette  paraît  avoir  sup- 
porté avec  plus  d'énergie  toutes  les  angoisses  qui  rem- 
plirent ces  cruels  moments.  On  les  a  vues  enfin  accom- 


(i)  Au-dessous  de  ces  mois  on  en  lit  un  aiilve  rayé,  cVsllemot: 
dhf^hnnli'.r. 


NANETÏË  CALAS  317 

pagner  leur  mère  dans  cette  prison  de  la  Conciergerie, 
où  Carmontelle  les  a  représentées  à  ses  côtés. 

Depuis  la  réhabilitation  de  leur  famille,  il  n'est  fait 
aucune  mention  d'elles  (1)  jusqu'au  mariage  de  Nanette 
qui  eut  lieu  le  25  février  1767. 

Elle  épousa  Jean-Jacques  Duvoisin,  né  à  Yverdun 
(Suisse),  chapelain  de  l'ambassade  de  Hollande  (2), 
c'est-à-dire  en  réalité  pasteur  de  l'Eglise  réformée  de 
Paris.  C'est,  en  effet,  aux  ambassades  des  États  du  Nord 
que  les  protestants  de  Paris  ont  dû  de  ne  pas  rester  com- 
plètement dépourvus  des  secours  du  saint  ministère,  et 
d'avoir  toujours  euaumilieu  d'eux  des  pasteurs  en  exer- 
cice. LaHollande  surtout  leur  rendit  cet  éminent  service. 
Elle  avait  été,  comme  Cenève,  l'asile  des  proscrits  de  la 
France,  même  avant  Bayle  et  Descartes  ;  elle  possédait, 


(i)  Sauf  un  Brevet  de  permission  que  nous  avons  trouvé  dans  les 
Dépêches  du  Secrétariat ^  sous  la  date  du  21  novembre  17  64,  par  le- 
quel le  comte  de  Saint-Florentin  autorise  Anne  Calas  «  à  vendre 
une  métairie  appelée  le  Colombier,  située  à  Espérausses  en  Langue- 
doc, qu'elle  a  héritée  de  Anne  Pomier  ,  à  charge  de'placer  le  pro- 
duit en  rentes  sur  l'Hôtel-de-Ville  de  Paris.  » 

On  se  souvient  que  les  protestants  ne  pouvaient  aliéner  leurs 
biens-fonds  qu'avec  une  permission  spéciale  du  ministre. 

(2)  Duvoisin  avait  été  pasteur  de  l'Eglise  Wallonne  de  Bois-le-Duc 
du  4  avril  17  49  au  5  avril  17  59,  jour  où  il  fut  nommé  par  les  états 
généraux  deuxième  pasteur  ou  chapelain  de  la  Chapelle  de  Leurs  Hau- 
tes Puissances  à  Paris.  Le  il  février  17  68  il  reçut  le  titre  de  Cha- 
pelain perpétuel  de  l'ambassade.  Il  avait  épousé  en  premières  noces 
Marie-Françoise  Le  Fauconnier  de  Caen,  dont  il  eut  une  fille,  Amé- 
lie-Marihe,  née  le  21  juin  17  64,  J'ai  sous  les  yeux  l'acte  de  bap- 
tême de  cette  enfant  ;  elle  eut  pour  parrain  S.  Exe.  M.  Lestevenon, 
ambassadeur  des  états  généraux,  et  M.  Samuel  Le  Cbambrier,  colo- 
nel d'un  régiment  suisse,  réformé,  de  son  nom,  au  service  de  LL. 
HH.  PP.,  et  pour  marraine  la  comtesse  de  Limburgh-Bronckhorst- 
Styrum  et  M"*  Marthe  Gambier,  sa  grand'laote  maternelle.  (Dépôt 
de  l'état  civil  à  Paris.)  Voir  sur  le  premier  mnriage  la  note  X. 

27. 


318  NANETTE  CALAS 

dans  plusieurs  villes  importantes,  des  Églises  Wallon- 
nes ou  de  langue  française  dès  le  temps  des  persécu- 
tions qui  décimèrent  les  Pays-Bas  espagnols.  Aussi  les 
sympathies  de  la  Hollande  pour  la  France  protestante 
ne  se  démentirent  jamais.  Les  Étals  généraux  entretin- 
rent deux  chapelains  d'ambassade  h  Paris  pour  mainte- 
nir l'Église  persécutée;  et  le  dernier  d'entre  eux,  Paul- 
Henri  Mari-on,  fut  le  premier  pasteur  de  cette  Église 
quand  elle  fut  reconstituée  en  1802. 

]\f»>e  Duvoisin  ne  se  montra  point  ingrate,  continua  de 
correspondre  avec  la  sœur  Fraisse,  et  aussi,  quoique  à 
de  longs  intervalles,  avec  le  bienfaiteur  de  tous  les  siens. 
Voici  une  lettre  inédite  de  Voltaire  qui  n'a  d'autre  im- 
portance qu'une  allusion  aux  malheurs  d'une  autre  Ja- 
mille  protestante,  victime  d'un  procès  inique. 

((  Le  vieux  malade  de  Fevney  fait  mille  compliments  a  Ma- 
dame Duvoisin,  à  Madame  sa  mère  et  à  toute  sa  famille.  Il  est 
fâché  de  laisser  en  mourant  tant  d'infortunés  dans  le  monde, 
et  surtout  une  dame  aussi  intéressante  et  aussi  vertueuse  que 
Madame  Bombelles. 

Son  t]'('s  humble  el  très  ol)éissnnl  sei'vite\ir.  V.  (I).  » 

Vu  bout  de  treize  ans  M""  Duvoisin  devint  veuve.  Le 
pasteur  Duvoisin,  dont  la  santé  avait  été  longtemps  chan- 

(0  J'ai  publié  dans  le  Lien  (18  52,  p.  467)  une  courte  notice  ?iir 
1<'S  malheurs  de  Marthe  Camp,  vicomtesse  de  Bombelles.  Elle  appar- 
tenait à  une  honorable  famille  de  Montauban,  el  avait  été  mariée 
dans  une  assemblée  de  protestants  au  Désert.  Plus  tard  elle  fut 
abandonnée  avec  son  enfant  et  de  fait  répudiée  par  son  mari,  parce 
qu'il  voulut  contracter  une  autre  alliance  à  la  faveur  des  lois  de  l'é- 
poque qui  déclaraient  nuls  les  mariages  proteslanis.  Un  vieillard, 
liche  et  très-considéré,  qui  jouissait,  quoique  protestant,  des  privi- 
K-ges  que  sa  famille  ternit  de  Colbcn,  le  manufacturier  Van  Robais, 
vengea  la  délaissée  en  lui  dor.nanl  son  nom  el  en    adoplanl  sa  fille. 


XANETTE  CALAS  3J9 

celante,  mourut  le  12  mai  1780,  dans  son  logement  de 
la  me  Poissonnière.  Il  avait  eu  de  son  second  mariage 
trois  fils  :  le  premier  mourut  au  bout  de  quelques  jours; 
le  second  vécut  moins  de  trois  ans  ;  le  dernier  seul  ar- 
riva k  l'âge  d'homme  (1). 

On  trouvera  avec  intérêt  dans  les  lettres  de  la  reli- 
gieuse la  cordiale  part  qu'elle  prit  à  tous  les  événements 
de  la  vie  d'Anne  Calas,  à  ses  joies  et  à  ses  deuils  de 
mère  et  même  à  ce  mariage  avec  un  pasteur,  qui  cepen- 
dant renversait  l'espoir  qu'elle  avait  conçu  de  la  marier 
avec  un  catholique.  On  verra  avec  quelque  surprise  peut- 
être,  lorsque  la  mauvaise  santé  et  les  couches  de  IM'"*' 
Duvoisin  inquiètent  sa  vénérable  amie,  des  lettres  adi-es- 
sées  à  un  pasteur  dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  partir 
du  fond  d'un  monastère  de  Toulouse. 

La  sœur  Anne-Julie  mourut  probablement  en  1775 
ou  peu  après,  à  moins  que  ses  infirmités  croissantes  ne 
l'aient  empêchée  dès  ce  moment  d'écrire  à  sa  chère 
Nanette. 

Restée  veuve  en  1780,  avec  un  fils  de  sept  ans, 
M"""  Duvoisin  vécut  assez  péniblement  auprès  de  sa 
mère,  k  Paris,  du  peu  qu'elle  possédait  et  d'une  pension 
de  200  florins  {kOO  fr.)  que  lui  accordèrent  les  Étals 
généraux  en  178/|. 

Bientôt  arrivèrent  la  révolulion  française  et  tous  les 
changements  qu'elle  amena  en  Europe.  Le  Corps  léc/is^ 


(i)  Voir  sur  Alexanclre  Duvoisin  la  note  XV  à  h  fin  du  volume.  J'ai 
donné,  au  bas  des  lettres  de  la  S''  Fraisse  qui  se  rapportent  à  leur 
naissance,  les  actes  de  baptême  des  enfants  de  M""*  Duvoisin  ;  M.  Ch. 
Read  a  bien  voulu  en  prendre  copie  sur  lei-egistre  des  baptêmes  de 
l'ambassade  de  Hollande  ,  au  dépôt  de  l'état  civil.  (Hôiel-de-Ville 
de  Faris\ 


ol20  NÀNETTE  CALAS 

latif  de  la  république  batave  décida,  le  8  octobre  1790, 
que  la  pension  de  M'"^  Duvoisin  lui  serait  continuée. 
]\Ialgré  cette  assurance,  la  veuve  du  chapelain  eut  sou- 
vent des  arrérages  à  réclamer,  et  l'on  trouve  aux  Archi- 
ves de  la  Haye  plusieurs  pétitions  appuyées  par  l'am- 
bassadeur, où  elle  demande  le  paiement  des  sommes  qui 
lui  étaient  dues  (1798, 1801).  M""^  Duvoisin  vivait  encore 
à  Paris  en  1819  (1)  dans  une  position  très-gênée.  Une 
représentation  du  drame  de  Ducange  fut  donnée  à  son  bé- 
néfice vers  la  fm  de  cette  année.  Elle  mourut  en  1820, 
après  sa  sœur  Rose  qui  n'avait  point  été  mariée. 


{i)  Annales  protestantes  ^V.  I5i.  J'ai  cherché  envaince  qu'élaienl 
devenues  ses  lettres  à  la  sœur  Fraisse.  On  pense  à  Toulouse  que  les 
papiers  du  couvent  ont  été  brûlés  le  lO  août  179  3  avec  beaucoup 
d'autres  écrits  et  une  partie  des  Archives  de  l'Hôlel-de-Ville.  Si  les 
lettres  de  M""^  Duvoisin  ont  été  conservées  jusqu'à  ce  moment,  il  est 
probable  qu'elles  ont  péri  dans  cette  scène  de  destruction. 


CHAPITRE   XIV 


HISTOIRE    DE   L'OPINION   EN    FRANCE 


AU    SUJET    DES     GALAS 


Que  pensez-vons  de  l'affaire  des  Calas  et  de  l'affaire 
du  chevalier  de  Labavre?  Etes-vous,  oui  ou  non,  pour 
la  révocation  de  VÉdit  de  Nantes  ?Voira  quelques-unes 
des  conversations  pleines  iV actualité  que  l'on  peut  en- 
tendre... dans  le  Paris  du  XIX»  siècle. 
Emile  Montégut, 
Revue  des  Deux  Mondes,  t.  10,  p.  778. 


S'il  n'y  avait  dans  ce  procès  que  l'affaire  elle-même, 
si  les  préventions  religieuses,  l'esprit  de  corps  et  l'a- 
inour-propre  de  localité  n'étaient  intervenus,  l'histoire 
des  Calas  s'arrêterait  ici;  leur  innocence  démontrée 
n'eût  jamais  été  remise  en  question,  et  notre  lâche  serait 
terminée. 

11  n'en  est  point  ainsi,  et  nous  devons  raconter  en- 
core le  revirement  d'opinion  qui  fait  considérer  de  nos 
jours  par  beaucoup  de  personnes  comme  perdue  ou  du 
moins  comme  douteuse,  une  cause  que  Voltaire  et  le 
dix-huitième  siècle  croyaient  gagnée. 


322  HISTOIRE    DE    l'uPIMON    EN    FRANCE 

En  général,  il  faut  en  convenir,  le  procédé  suivi  clans 
une  foule  de  publications,  pour  ou  contre,  est  le  même. 
Un  partisan  des  Calas,  comme  d'Aldéguier  (1)  dans 
son  Histoire  de  Toulouse,  Court  de  Cebelin  dans  les 
Toulousaines^  M.  de  Pongerville  dans  l'article  Calas  du 
Dictionnaire  de  la  Conversation,  répète  ou  liésume  avec 
une  généreuse  indignation  et  plus  ou  moins  d'emphase 
ce  qui  a  été  dit  de  plus  saillant  pour  la  défense.  Les 
adversaires  font  de  même  pour  l'accusation.  3Iais  per- 
sonne n'a  entrepris  encore  d'examiner  en  détail,  avec  un 
esprit  de  ciilique  impartiale,  les  dépositions  des  té- 
moins, les  mémoires  des  avocats,  les  récits  des  liisto- 
liens.  Nous  avons  été  obligé  d'écarter  nombre  d'anec- 
dotes touchantes,  favorables  aux  accusés,  qui  avaient  été 
i"eproduites  successivement  par  tous  leurs  champions  et 
auxquelles  il  ne  manquait  que  d'être  réelles.  Ce  mélange 
de  vrai  et  de  faux,  de  déclamations  hasardées  et  de  faits 
démonirés  a  dû  nuire  à  la  cause. 

Au  moment  de  la  mort  de  Vollaire,  partout  excepté  à 
Toulouse,  toutes  les  sympatliies  étaient  pour  les  Calas. 
On  a  vu  qu'au  moment  oii  ses  cendres  firent  leur  en- 
trée triomphale  îi  Paris  et  furent  portées  au  Panthéon, 
les  théâtres  se  firent  leséchos  de  l'entliousiasme  général. 
L'homme  qui,  presque  adolescent,  avait  fait  Œdi^e,  et 
qui  écrivit  Irène  dans  l'âge  de  la  caducité,  était  en  lui- 
même  un  personnage  peu  dramatique  et  ditficile  à  met- 
tre en  scène.  Mais  le  meurtre  juridique  de  Cala^  parut  à 
plusieurs  un  beau  sujet  de  tragédie,  sujet  très-nouveau. 


(i)  Disons  cependant  qnc  d'Aldéguier  a  publié  dans  les  notes  de 
son  livre:  1°  le  rapport  des  chirurgiens  ;  2°  la  déposition  de  Gorsse; 
3°  le  Moniloiie;  4"  un  interrogatoire  de  Calas;  ô"  les  anèls  du  18 
novembre  176  i  et  du  '2  0  mars  17G2. 


AU    SUJET   DES   CALAS.  3'2o 

très-populaire,  qui  fournissait  l'occasion  de  louer  l'i- 
dole du  jour  et  de  continuer  la  guerre,  juste  et  bonne 
cette  fois,  qu'il  n'avait  cessé  de  faire  au  fanatisme. 
On  mit  sous  le  nom  de  Galas  des  déclamations  ampou- 
lées, et  souvent  incrédules,  qui  n'étaient  nullement 
conformes  à  ses  convictions. 

jMarie-Josepli  Gliénier  lut  le  premier  qui  s'en  avisa. 
Entre  les  séances  de  la  Convention,  il  travaillait  à  aligner 
ses  hexamètres  philosophiques,  fort  beaux  quelquefois, 
mais  souvent  prosaïques  et  surtout  déclamatoires.  Deux 
autres  écrivains  le  gagnèrent  de  vitesse.  Avant  qu'il  eût 
fini  son  œuvre,  parurent  à  la  fois  au  Théâtre-Français 
(Odéon)  Jean  Calas,  tragédie  en  cinq  actes  et  en  vers, 
par  J.  L.  Laya,  et  au  théâtre  du  Palais-Royal,  Calas  ou 
le  fanatisme,  drame  en  quatre  actes  et  en  prose,  par  Le- 
mierred'Argy.  Enfin,  le  Théâtre  de  la  République  donna 
la  pièce  de  Chénier,  Jean  Calas  ou  V Ecole  des  Juges. 
Monvel  jouait  Calas,  etTalma  la  Salle.  Depuis,  bien  d'au- 
tres mirent  sur  la  scène  quelque  épisode  de  ce  pathé- 
tique sujet  ;  ce  fut  tantôt  la  Bienfaisance  de  Voltaire, 
par  Villemain  d'Abancourt,  tantôt  la  Veuve  Calas  à 
Paris,  par  Pujoulx  (1). 

Nous  citons  ces  titres  pour  prouver  qu'à  cette  époque 
le  public  ne  se  lassait  pas  d'applaudir  l'acte  généreux 
qui  coûta  à  Voltaire  tant  d'efforts  et  lui  valul  sa  gloire 
la  plus  belle  et  la  plus  pure.  Du  reste,  aucune  de  ces 
pièces  n'a  de  valeur  littéraire,  et  celle  de  Chénier,  mal- 
gré quelques  beaux  vers,  est  déparée  par  l'abus  de  la 
maxime  et  de  la  tirade  philosophique.  Cette  faute  dont 


(l)Poiir   ces  pièces  el  plusieurs  autres,  voyez  RiWicgrapluc,  A  ' 
section. 


^VU  HISTOIRE  DE   ]/OPlNIOlV   EN   FRANCE 

Voltaire  ne  fut  jamais  exempt,  et  que  clans  sa  vieillesse 
il  poussa  jusqu'à  l'excès,  fut  exagéréepar  ses  disciples  au 
point  derendreleursœuvresins'jpporlables.On  exagère  k 
peine  en  atiirmant  que  dans  le  Calas  de  Chénier  tout  le 
monde  est  voltairien,  depuis  le  martyr  huguenot  jusqu'à 
son  confesseur,  moine  de  Saint-Dominique  !  Ce  qui  est 
plus  révoltant  encore,  la  pieuse  et  malheureuse  mère 
de  Marc-Antoine  y  parle  longuement  de  se  tuer  à  son 
tour  et  discute  la  question  du  suicide  avec  un  flegme 
sentencieux. 

Ces  défauts,  si  choquants  aujourd'hui,  étaient  alors  in- 
visibles pour  la  foule,  comme  l'air  que  tout  le  monde  res- 
pirait; c'était  la  seule  langue  qu'il  fût  permis  de  parlei-, 
et  le  public  n'en  applaudissait  que  plus  chaleureuse- 
ment les  vers  du  conventionnel. 

Un  autre  tort  de  toutes  ces  tentatives  théâtrales,  moins 
essentiel  en  morale  et  inévitable  en  littérature,  fut  de 
contribuer  à  changer  très-vite  l'histoire  des  Calas  en 
unevéritable  légende  surchargée  d'éléments  imaginaires. 
En  1819  le  Calas  de  Victor  Ducange,  drame  en  trois 
actes  (1),  conservait  à  peine  quelques  traces  de  l'histoire 
réelle.  Marc-Antoine  y  est  amoureux  ;  on  exige  de  lui 
qu'il  abjure  pour  épouser  Hortense.  De  désespoir  il  se 
pend,  après  avoir  écrit  la  lettre  qu'écrivent  tous  les 
suicidés  de  théâtre,  lettre  qui  s'égare  et  qu'on  retrouve 
précisément  au  moment  où  Jean  Galas, qu'elle  devait  sau- 
ver, expire  sur  l'échafaud.  Lavaysse  épouse  M"*^  Calas  ;  il 
n'y  a  pas  jusqu'à  la  vieille  Jeannette  qui  n'y  soit  rajeunie 
de  trente  ans  et  fiancée  au  jardinier.  Nombre  de  gens 


(1)  Sou\enl  repris  a  Paris  elailleur?.  (En  184  1  an  lliéàtre  de  la 
Galle,  etc.) 


AU   SUJET   DES    CALAS.  32Ô 

qui  se  croient  fort  instruits  de  i'affaire  des  Calas  ont  ap- 
pris à  l'école  de  Ducange  tout  ce  qu'ils  pensent  en  savoir. 

Pour  notre  part,  il  nous  est  impossible  de  ne  pas  dés- 
approuver ces  représentations  scéniques  d'événements 
contemporains.  11  y  a  quelque  chose  d'odieux  à  faire  ap- 
paraître ainsi  devant  les  fds,  les  erreurs  et  les  crimes  de 
leurs  propres  pères.  Nous  blâmons  tous  ces  drames  joués  k 
Paris,  en  province,  en  Hollande,  en  Allemagne,  où  les 
Calas,  David,  Cassan-Clairac,  et  même  toute  la  Tour- 
nelle  de  Toulouse  figuraient,  soit  de  leur  vivant,  soit  peu 
d'années  après  leur  mort.  Nous  sommes  heureux  de 
trouver  dans  une  lettre  du  fds  d'Anne  Calas  l'expres- 
sion honnête  et  vive  de  ce  sentiment  (1). 

Il  est  beaucoup  plus  étrange  de  trouver  dans  une 
brochure  intitulée  Jean  Calas   ou  rinnocent  condamné 


(i)  «  Le  Journal  des  Débats  étant  probablement  répandu  à  Tou- 
louse, c'est  là  que  j'ai  dû  consigner  que  la  fnmille  Calas  était  de 
tout  temps  demeurée  étrangère  aux  motifs  politiques  qui  avaient  ins- 
piré à  quelques  auteurs  de  reproduire  sur  la  scène  ses  infortunes. 
11  s'en  lie  déjà  trop  à  un  nom  devenu  si  tristement  célèbre,  pour  le 
faire  poursuivre  de  nouveavi  par  des  animosités  mal  à  propos  ré- 
veillées. 

«  El  Calas  cl  ses  juges  cl  son  illuslre  avocat,  dorment  du  sommeil 
éternel.  Leur  part  de  renommée  est  faite  sans  retour.  La  famille 
de  Calas  ne  demandait  que  l'oubli.  Son  petit  fils  espère  avoir  fait 
son  devoir  en  protestant  avec  la  modestie  qui  lui  convient  contre 
toute  participation   à  une  autre  règle  de  conduite.  » 

Celte  lettre  (sans  date)  d'Alexandre  Duvoisin,  que  je  dois  à  la  bien- 
veillance de  M.  Henri  Lutterolh,  est  signée  le  petit  fils  de  Calas  et 
adressée  à  Monsievr  le  rédacietir  de  l'article  Spectacles  de  la  feuille 
la  Renommée.  Ce  journaliste  avait  blâmé  une  première  réclama- 
lion  d'Alexandre  adressée  au  Journal  des  Débats^  au  sujet  du  mé- 
lodrame des  Calas;  ce  doit  être  celui  de  Ducange.  Plus  j'approuve 
le  sentiment  exprimé  dans  celle  lettre,  plusjedois  m'étonner  que  ce 
même  Alexandre  Duvoisin  ail  écrit  plus  lard  sur  l'histoire  de  sa  fa- 
mille une  pièce  de  théâtre  el  l'ail  jouée  lui-môme.  Malesuada 
famés  ! 

28 


32G  HISTOTRK   DF.    l/oPI\TON    KN    FRANCE 

par  A.  s.  (vers  1820)  un  récit  de  quelques  pages,  où  sont 
enchevêtrés  d'une  façon  inextricable  le  romanesque  et  le 
réel,  l'histoire  et  la  légende.  On  y  lit  tout  un  dialogue 
de  Marc-Antoine  avec  le  père  d'Eugénie  (l'amante  ima- 
ginaire s'appelle  Eugénie  cette  fois);  le  jeune  homme  re- 
fuse d'abjurer.  Au  sortir  de  cet  entretien,  tout  égaré,  il 
erre  à  l'aventure;  un  ami  le  rencontre  et,  pour  le  calmer, 
n'imagine  rien  de  mieux  que  de  le  mener  dans  une  maison 
de  jeu,  etc.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  cette 
rapsodie,c'estun  prétendu  interrogatoire  de  Jean  Calas, 
qu'il  me  semblait  reconnaître  en  le  lisant  et  que  j'étais 
certain  d'avoir  vu  quelque  part  ;  mais  à  coup  sûr  ce 
n'était  pas  aux  Archives,  parmi  les  pièces  du  procès.  Je 
cherche,  je  relis,  je  crois  y  retrouver  les  traces  d'hé- 
mistiches, d'hexamètres  k  peine  estropiés.  C'était  une 
scène  de  Chénier,  qu'on  avait  traduite  en  prose,  sans 
trop  de  peine,  il  faut  l'avouer,  et  qu'on  donnait  au  pu- 
blic pour  un  interrogatoire  authentique.  Ce  n'est  pas 
la  seule  fois  que  pareille  fraude  a  dû  être  commise  et 
sans  être  soupçonnée. 

Voilà  le  roman  et  le  drame  littéraires,  frivoles,  pari- 
siens, sans  autre  but  que  d'intéresser.  Nous  retrouverons 
plus  loin  la  légende  toulousaine,  sérieuse  et  partiale,  tan- 
tôt pathétique  et  enthousiaste,  s'élevant  jusqu'à  l'élo- 
quence, tantôt  hostile  et  haineuse,  lentement  élaborée,  de 
génération  en  génération,  dans  les  salons  et  dans  les  cou- 
vents par  un  parti  qui  se  sentait  vaincu  sans  vouloir  s'y 
résigner. 

Le  premier  qui  releva  le  gant  jeté  par  Voltaire,  et 
osa  contredire  l'opinion  de  l'Europe  ne  fut  autre  que 
le  comte  Joseph  de  Maistre.  11  dit  dans  ses  Soirées  de 
^Saint-Pétersbourg  et  dès  le  premier  Entretien  : 


AU    SUJET   DES   CALAS.  327 

«  Uieii  de  moins  prouvé,  Messieurs,  je  vous  l'assure,  que 
l'innocence  de  Calas.  Il  y  a  mille  raisons  d'en  douter,  et  même 
de  croire  le  contraire.  » 

Puis  il  s'indigne  de  ce  que  Voltaire  a  plaisanté  dans 
une  de  ses  lettres  au  sujet  des  Calas,  et  il  rapporte  lui- 
même  inexactement  une  lettre  du  poëte  à  Troncliin,  où 
il  est  question  d'un  Mémoire  qu'on  a  trouvé  trop  chaud, 
et  d'un  autre  qui  sera  au  bain-marie  (1).  Ce  reproche 
de  légèreté  adressé  à  Voltaire  est  juste;  c'est  l'incurable 
maladie  de  ce  grand  esprit  ;  c'est  un  des  côtés  par  oh  il 
est  petit,  faible  comme  historien  et  nul  comme  criti- 
que, dans  tout  ce  qui  n'est  pas  de  son  propre  temps.  Mais 
Joseph  de  Maistre  est  tout  aussi  faible,  tout  aussi  mau- 
vais critique,  lorsqu'il  conclut  de  ce  que  Voltaire  badine 
sans  cesse  et  sur  toutes  choses,  qu'il  n'a  pas  des  idées 
très-sérieuses  et  des  volontés  très-arrêtées.  Il  est  vrai 
que  quand  il  rencontre  dans  l'histoire  des  Calas  leur 
faux  serment  à  l'Hôtel-de-Ville  (2),  il  s'impatiente  et 
les  appelle  crûment  des  imbéciles^  ce  qui  ne  l'empochera 
pas  de  leur  consacrer  pendant  quatre  ans  son  temps  qu'il 
prisait  fort,  sa  plimie  toujours  occupée  et  son  argent  qu'il 
n'aimait  nullement  dissiper  au  hasard.  Il  faut  le  dire  d'ail- 
leurs, malgré  le  bain-marie,  cette  plaisanterie  d'assez 
mauvais  goûta  l'adresse  des  lecteurs  catholiques,  qui  ré- 
volte l'auteur  du  livre  du  Pape^  Voltaire  a  été  profondé- 
ment sérieux,  au  moins  une  fois  en  sa  vie  ;  il  a  été  saisi 
d'une  émotion  sincère,  d'une  indignation  honnête  et  ar- 
dente il  n'est  pas  permis  de  le  nier.  On  peut  en  citer  d'autres 
exemples ,  mais  aucun  qui  lui  fasse  autant  d'honneur. 

(l)  Nous  avons  cili-  ce  passage  plus  haut,  p.  2  34. 
v^)  Voir  plus  luiul,  p.  261, 


828  HISTOIRE    DE    l'OPIMON    EN    FRANCE 

Pardonnons-lui  donc  ces  quelques  railleries,  fussent- 
elles  peu  à  leur  place  ;  et  plût  au  ciel  qu'il  n'en  eut  pas 
à  se  reprocher  mille  autres  infiniment  plus  condamna- 
bles aux  yeux  du  goût,  de  la  morale  et  de  la  religion! 

Le  motducomte  de  Maistre  resta  longtemps  sans  écho, 
et  l'arrêt  de  l'opinion  publique  en  faveur  des  Galas  de- 
meurait sans  appel.  Cependant,  on  avait  peine,  dans  la 
ville  même  où  Calas  avait  été  condamné,  à  accepter  sa 
réhabilitation.  C'est  encore  de  là  que  viennent  sans 
cesse  aujourd'hui  les  réclamations  contre  ce  grand  acte 
de  justice. 

Nous  nous  arrêterons  peu  à  réfutei'  M.  .Mary-Lafon , 
qui,  en  18/i5,  dans  son  Histoire  du  midi  de  la  France,  se 
déclara  contre  les  Calas,  tout  en  disant  qu'il  ne  voulait 
pas  casser  la  i'éhabilitation  de  cette  malheureuse  famille 
parce  qu'il  tremblerait  d'outrager  la  mémoire  d'un  in- 
nocent. Toute  sa  discussion  est  très-superficielle;  il  pa- 
raît n'avoir  vu  qu'en  partie,  et  beaucoup  trop  vite, 
les  deux  procédures  toulousaines  et  il  ignore  celles  de 
Versailles  et  de  Paris.  11  accepte,  sans  aucune  critique, 
tout  ce  qu'il  trouve  dans  telle  ou  telle  déposition 
et  se  fait  même  un  argument  du  fameux  passage  de 
Calvin  qu'il  comprend  mal,  comme  tous  ceux  qui 
ne  se  sont  pas  donné  la  peine  de  le  chercher  dans 
l'original  pour  voir  de  quoi  il  est  question.  11  a  raison 
de  trouver  ridicule  la  déposition  du  peintre  Malhey; 
mais  la  faute  n'en  est  nullement  à  Voltaire  qu'il 
ne  faudrait  pas  accuser  cV indécente  bouffonnerie  pour 
avoir  cité  un  témoignage  authentique.  C'est  encore 
une  étrange  inexactitude  que  d'accuser  Voltaire  d'a- 
voir inventé  les  humeurs  noires  de  Marc-Antoine 
lorsqu'un    an    avant   Voltaire,  le    Moniloire    même 


AU   SUJET    DES   CALAS.  329 

en  faisait  mention  et  quand  pliisienrs  témoignages  très- 
précis  en  font  foi.  IJ  ne  snftit  pas  non  plus  de  citer  les 
règlements  des  Pénitents  blancs,  d'après  lesquels  on  pla- 
çait au  milieu  de  l'église,  dans  les  services  funèbres,  <(  la 
représentation  ou  simulacre  du  mort  »  C'était  confii'mer 
ce  qui  a  été  dit  et  ce  que  le  trésorier  des  Pénitents 
a  avoué  lui-même  à  ce  sujet;  mais  rien  ne  prouve  que 
cette  représentation  de  Marc-Antoine  ne  fut  pas  un 
squelette  et  que  ce  squelette  n'eût  pas  à  la  main  une 
palme  et  un  écriteau.  Nous  ne  relèverons  point  un  grand 
nombre  d'autres  erreurs  que  notre  récit,  appuyé  sur  les 
documents,  a  réfutées  d'avance  (1). 

Nous  devons  rendre  compte  avec  plus  de  détails  du 
système  récent  et  entièrement  nouveau,  par  lequel 
M.  du  Mège,  appuyé  sur  un  assez  grand  appai'eil  de  dis- 
cussion et  d'arguments,  explique  l'alTaire  des  Galas. 

M.  le  clievalierdu  Mège  en  18/(6  donnait  à  entendre 
dans  son  Histoire  des  institutions  politiques,  judiciaires 
et  littéraires  de  la  ville  de  Toulouse  (t.  lli,  p.  250),  que 
Calas  avait  été  justement  mis  à  mort,  et  il  avait  annoncé 
rinlention  de  revenir  sur  ce  point.  En  elfet,  dans  l'iiis- 

(i)  Mais  nous  insisterons  sur  une  conlradiclion  qu'on  reproche  à 
Vignière  et  qui  inspire  les  plus  graves  soupçons  à  M.  Mary-Lalon, 
dont  M.  Hue  a  reproduit  les  arguments  plus  tard.  Le  juge  inslruclcur 
crut  que  la  cravate  noire  trouvée  au  cou  de  Aîarc-Antoine  y  avait 
été  mise  après  sa  mort  et  pour  cacher  le  siKon  sanghint  (sic)  laissé 
par  la  corde. 

Quand  même  celaserait  vrai,  on  n'y  Irouveraitque  la  preuve  d'un 
lait  avoué;  c'est  que  les  Calas  voulurent  cacher  le  suicide,  et  IVi- 
«uirent  qu'ils  avaient  trouvé  le  corps  mort  à  terre,  comme  si  la  cause 
du  décès  avait  été  par  exemple  une  attaque  d'apoplexie.  Ce  se- 
rait un  moyen  de  dissimulation  de  plus,  et  non  une  preuve  du  meur- 
tre. Mais  cela  même  est-il  prouvé  ?  D'après  Jean  Calas,  sa  femme 
et  son  fils  Pierre,  Marc-Anloiuc  portait  des  cravates  nou-cshabiluclle- 


28. 


330  HISTOIRE   DE    l'oPINION    EN    FRANCE 

toire  générale  du  Languedoc,  qu'avaient  laissée  inachevée 
dom  Vayssette  et  dora  Claude  de  Vie  et  qu'il  a  terminée, 
il  a  pris  k  tâche  de  prouver,  avec  de  grands  détails  et 
par  des  faits  nouveaux,  le  crime  des  Calas.  Comme  cet 
écrivain  se  donne  pour  impartial,  il  est  bon  de  s'assu- 
rer de  son  impartialité  avant  de  juger  le  système  tout 
nouveau  qu'il  a  inauguré. 

Après  avoir  remarqué  que  «  partout  où  les  doctrines 
de  Luther  et  de  Calvin  étaient  entrées,  elles  avaient  fait 
couler  le  sang,  »  M.  du  Mège  énumère  plus  loin  les 
pertes  immenses  quelaFrance  fit  sous  Louis  XV,  dans  ses 
colonies  et  accuse  les  protestants  de  s'en  être  réjouis. 

Il  résulte  des  correspondances  saisies  alors  en  Languedoc 
qu'ils  espéraient,  qu'ils  désiraieut  qu'humiliée  et  vaincue,  la 
France  ne  pût  refuser  a  l'étranger  qui  l'imposerait  comme  une 
condition  de  paix,  le  rétablissement  des  protestants  dans  toutes 
les  immunités,  dans  toutes  les  libertés  que  l'édit  de  Nantes 
leur  avaient  concédées. 

C'est  l'éternelle  accusation  des  Églises  de  majorité 
contre  celles  de  minorité;  on  les  représente  toujours 


ment,  surtout  dans  les  vacations,  dit  le  pi'rc,  et  n'en  mettait  de 
blanches  que  pour  s'habiller,  (Interr.  du  9  nov.)  D'après  Jeanne  au 
contraire,  il  portail  des  tours  de  col  blancs  en  été  et  noirs  en  hiver. 
Elle  ne  sait  pas  quelle  cravate  avait  M. -A.  Calas  au  souper,  ne  lui 
en  ayant  pas  encore  vu  porter  de  noire.  (Interr.  du  20  oct.)  Qu'y  au- 
rait-il d'étonnant  à  ce  que  le  i  5  octobre  (c'est-à-dire  pendant  les 
vacations  et  en  automne)  Marc-Antoine  eût  quitté  ses  tours  de  col 
blancs  de  l'été  et  mis  une  cravate  noire  sans  que  Viguière  ait 
songé  à  le  remarquer?  En  tout  cas,  les  juges  auraient  dû  faire  exa- 
miner, dans  cette  armoire  de  Marc-Antoine  dont  il  est  question  au 
procès,  s'il  s'y  trouvait  des  cravates  noires  ou  blanches. Quoi  qu'il  en 
soit,  la  conlradiclion  est  sans   aucune    importance    et  il  faut  qu'on 

se  sente  bien  faible  pour  faire  grand  état  d'indices  si  peu  précis  et 

si  peu  tignificatifs. 


AU   SUJET   DES  CALAS.  331 

comme  hostiles  à  la  patrie,  comme  faisant  des  vœux  pour 
l'ennemi;  au  moins  faudrait-il  produire  les  correspon- 
dances qu'on  incrimine.  Jusque-là,  nous  nierons  le  fait. 
Ces  paroles  peuvent  faire  juger  de  son  impartialité 
au  point  de  vue  religieux.  Voici  qui  montrera  sa  façon 
de  penser  comme  Toulousain.  Il  dit  de  l'arrêt  de  réha- 
bilitation : 

Ce  fut  dans  Paris  une  joie  universelle.  Des  sentiments  bien 
opposés  se  manifestèrent  en  Languedoc.  Toulouse  calomniée 
dans  son  passé,  insultée  dans  le  présent,  menacée  dans  son 
avenir,  montra  une  grande  irritation. 

Que  sera  la  justice  toujours  faillible  des  hommes,  si 
c'est  l'insulter  que  réparer,  autant  qu'on  le  peut,  ses  er- 
reurs? n'est-ce  pas  l'honorer  au  contraire?  Il  nous  est 
impossible  de  comprendre  en  quoi  la  sentence  qui  réha- 
bilitait les  innocents  condamnés  par  le  Parlement,  in- 
sultait la  ville  dans  le  présent  et  la  menaçait  pour  l'ave- 
nir. Ce  langage  est  celui  de  la  passion.  Ni  la  justice  ni 
l'histoire  ne  parlent  ainsi. 

M.  du  Mège  entre  en  matière  par  une  phrase  caracté- 
ristique et  qui  peut  nous  dispenser  d'en  signaler  bien 
d'autres.  Il  s'agit  de  la  mort  de  Marc- Antoine  et  de  faire 
croire  qu'il  a  été  étranglé  : 

Dans  lu  nuit  du  13  au  ii  «  a  l'heure  même  où  l'arrestation 
du  ministre  Rochette  aCaussade  allait  devenir  le  signal  de  l'in- 
surrection des  paysans  calvinistes...  » 

L'atiteur  nous  permettra  trois  questions  sur  ce  début. 

1°  Qu'est-ce  que  Vheure  où  un  événement  va  devenir 
le  signal  d'un  autre  événement  ? 

2°  Veut-on  dire  que  le  pasteur  Rochette,  pendu  à  Tou- 
louse quelques  mois  après,  a  choisi  le  moment  de  s 


332  HISTOIRE   DE   l'OPINION   EN    FRANCE 

arrestation  et  s'est  laissé  arrêter  k  dessein  à  l'heure 
même  où  mom-ut  xMarc- Antoine? 

y  A  qui  fera-t-on  prendre  pour  une  insurrection  des 
paysans  calvinistes  le  mouvement  avorté  que  tentèrent 
quelques  personnes  pour  délivrer,  dans  le  trajet,  le  mi- 
nistre arrêté,  mouvement  que  trois  gentilshommes  payè- 
rent de  leur  tête  sur  l'échafaud  de  Toulouse  le  19  fé- 
vrier ? 

Voici  maintenant  la  nouvelle  explication  des  faits.  Elle 
consiste  à  innocenter  les  accusés  et  Calas  lui-même,  en 
ce  sens  qu'il  n'est  plus  le  bourreau,  mais  seulement  le 
dénonciateur  de  son  fils.  L'auteur  admet  pleinement 
l'absurde  calomnie  dont  Paul  Rabaut  fit  justice  et  qui 
indigna  l'Europe  protestante.  Calas  a  dénoncé  son  fils 
aux  anciens  : 

Ceux-ci  n'étaient  autres,  on  le  sait  (1),  que  les  ministres 
dits  du  Saint -Evangile,  et  les  chefs  delà  secte  auraient  pu  or- 
donner, suivantles  doctrines  de  l'ancienne  loi,  le  supplice  de 
cet  infortuné. 

Vancienne  loi,  c'est  l'Ancien  Testament  oii  les  lils 
rebelles  sont  condamnés  à  mort,  mais  où,  quoi  qu'on 
puisse  penser  l'auteur,  il  n'est  nullement  question  d'é- 
trangler ceux  qui  se  font  catholiques. 

En  parlant  de  la  déclaration  des  pasteurs  de  Genève 
à  propos  de  l'accusation  ridicule  portée  contre  Calvin, 
lAI.  du  Mège  s'écrie  encore  :  ((  On  voit  (c'est  son  expres- 
sion habituelle  quand  il  aflirme  le  contraire  de  ce  qu'on 
voit),  on  voit  que  la  compagnie  des  pasteurs  de  Genève 
dissimulait  ou  semblait  ignorer  ))  ce  que  dit,  dans  son 
institution  chrétienne,  cet  hérésiarque. 

(1)  Ou  sait,  au  oonlrairc,  que  les  anciens  sont  toujours  des  laïques. 


AU    SUJET   DES    GALAS.  3ûo 

Les  Calas  demeurent  donc  absous,  sauf  le  père,  cou- 
pablede  déiioiiciatioii  ;  ce  sont  les  protestants  en  général, 
qu'on  accuse,  au  milieLi  du  dix-neuvième  siècle,  non  dans 
unpampblel  jeté  aubasard,mais  dans  un  ouvrage  en  dix 
énormes  volumes  à  deux  colonnes,  d'avoirpour  principe 
et  pour  babitude  d'étrangler  leurs  fiis  en  cas  d'abjuration. 

Celte  opinion  paraîtrait  un  peu  bardie,  sur  le  setd  té- 
moignage de  M.  du  Mège,  si  l'auteur  n'avait  deux  ga- 
rants à  citer,  tous  deux  contemporains  de  Jean  Calas  et 
tous  deux  curieux  à  connaître.  Le  premier  est  M.  l'abbé 
Magi(l),  de  l'Académie  des  sciences  de  Toulouse  et  de 
celle  des  Jeux  Floraux,  «l'un  des  bommesles  plus  alta- 
cliés  à  la  pbilosopbie  du  dix-buitième  siècle,»  qui  aurait 
laissé,  selon  M.  du  Mège,  une  Réponse  médite  à  une  lettre 
écrite  de  Paris  sur  V affaire  des  Calas.  Voici  un  passage 
de  cette  réponse,  cité  par  M.  du  Mège  avec  pleine  con- 
fiance : 

Je  lus  a  cette  occasion,  dans  un  livre  fait  par  un  auteur  de 
celte  secte,  que  leur  église  a  droit  de  vie  et  de  mort  sur  les 
enfants  qui  veulent  changer  de  religion  malgré  leurs  pères. 

D'oi^i  vient  que  M.  l'abbé  Magi  est  le  seul  liomme  au 
monde  qui  ait  jamais  vu  ce  livre,  et  d'où  vient  qu'il  ne 
le  nomme  pas,  qu'il  n'indique  en  aucune  manière  sous 
quel  titre,  par  qui,  en  quel  lieu,  en  quel  temps,  en 
quelle  langue  ce  livre  a  été  écrit?  Nous  ne  potivons 
qti' opposer  à  son  assertion  un  démenti. 

Ce  même  abbé  suppose  que  Marc-Antoine  sortit  après 
le  souper,  ce  qtie  rien  n'indique;  on  sait  seulement  qu'il 
descendit  au  rez-de-cbaussée. 


(1)  Auteur  de  VHistoirc  et    Mémoires   de  V Académie  des  sciences 
de  Toulouse. 


33/i  HISTOIRE    DE    L'OPIiNION    EN    FRANCE 

Comment  rentra-t-il?  qui  le  sait  ?...  On  le  trouva  pendu 
entre  les  deux  vantaux  de  la  porte,  etc.  Qui  vous  a  dit  qu'il  ne 
fût  pas  surpris  au  passage  par  deux  ou  trois  estafiers  aux  or- 
dres du  ministre  du  Saint-Evangile,  et  qu'après  avoir  fait  le 
coup,  ils  ne  disparurent  pas  dans  les  ténèbres?...  Je  le  répète 
(ajoute  l'abbé  incrédule),  toutes  les  sectes  ont  leur  fiel  et  leur 
crimes  : 

Relligio  peperit  scelerosa  atqxie   impia  fada, 

(La  religion  a  enfanté  des  actes  criminels  et  impies.) 

Tout  ceci  prouve  que  l'abbé  Magi  était  un  très-  mau- 
vais prêtre  et  un  très-mauvais  catholique,  qui  se  plai- 
sait à  attaquer  toute  religion,  même  celles  dont  il  n'était 
pas  ministre. 

On  voit  que  le  premier  garant  de  M.  du  Mège  est  peu 
digne  de  foi.  Le  second,  s'il  a  jamais  existé,  s'appelait  le 
chevalier  de  Cazals.  Nous  copions  le  récit  sans  y  rien 
changer  : 

Ce  gentilhomme  habitait  une  maison  dans  la  rue  des  Fila- 
tiers  (cette  maison  porte  aujourd'hui  le  n°  45),  vis-h-vis  celle 
de  Calas  (c'est  la  maison  marquée  du  n°  KO)  ;  cette  dernière, 
transformée  presque  en  entier  depuis  peu  d'années,  conserve 
cependant  sa  porte  en  ogive  mauresque  qui  annonce  que  sa 
construction  remonte  au  quinzième  siècle.  Les  demoiselles  Ca- 
las occupaient  une  chambre  dont  les  fenêtres  s'ouvraient  pres- 
que en  face  des  fenêtres  de  M.  de  Cazals.  J.  Calas  restait  cons- 
tamment, sauf  h  l'heure  des  repas,  dans  sa  boutique  ou  dans 
le  magasin  situé  en  arrière.  Quelques  jeunes  personnes  du 
quartier  se  rassemblaient  chez  ses  filles.  M.  de  C avait  de- 
mandé et  obtenu  la  faveur  d'être  admis  dans  cette  société  et 
peut-être  même  k  l'insude  Calas.  Un  soir  du  mois  d'octobre,  la 
servante  catholique  vint  avertir  ses  maîtresses  que  leur  père 
voulant  recevoir  quelques  amis  dans  leur  chambre,  il  les  enga- 
geait a  passer  dans  l'appartement  de  leur  mère.  On  entendait 


AU    SUJET   DES   CALAS  335 

les  pas  de  .ces  personnes  qui  s'approchaient.  M.  de  C...  dut  se 
blottir  sous  le  lit  (1),  tandis  que  les  D^'"  Calas  et  leurs  amies 
tremblantes  furent  dans  l'appartement  de  M"*  Galas.  C'est  dans 
cette  position  que  M.  de  C...  aurait  vaguement  (2)  entendu 
Calas  parler  de  la  prochaine  conversion  de  son  lils,  et  les  réso- 
lutions fatales  des  personnes  réunies  dans  cette  chambre.  Il  au- 
rait sans  doute  dû  aussitôt  prévenir  M. -A.  Calas.  Mais  comment 
croire  h  la  persistance  d'une  aussi  atroce  résolution  (3)?  Lors- 
que le  Mouitoire  fut  publié,  il  ne  révéla  point  d'une  manière 
légale  ce  qu'il  savait  sur  celte  affaire  (4).  Il  en  dit  quelque 
chose  a  des  amis  intimes.  Plus  tard,  ayant  obtenu  d'être  relevé 
de  l'excommunication  qu'il  avait  encourue  par  son  silence,  il 
raconta  ce  qu'il  avait  entendu  (5)  et  dans  Toulouse,  une  partie 
de  la  haute  société  a  toujours  cru  a  la  culpabilité  de  Calas. 
M""^  de  Monlbel,  qui  ferme  la  liste  des  supérieures  de  Saint-Panta- 
léon,  a  raconté  le  fait  relatif  à  M.  de  Cazals  a  plusieurs  per- 
sonnes et  entre  autres  à  M.  l'abbé  Barré,  encore  vivant.  Cet  ec- 
clésiastique éclairé  qui  a  exercé  les  fonctions  sacrées  à  l'Ile  de 
Bourbon,  nous  a  même  remis  à  ce  sujet  un  écrit  signé  de  lui, 
et  qui  a  servi  à  la  rédaction  de  ces  lignes.  » 

Fut-il  jamais  un  conte  plus  mal  inventé?  Oui,  sans 
doute  une  partie  de  la  haute  société  de  Toulouse,  y  compris 
M"'"  de  Montbel,  supérieure   de  Saint-Pantaléon,  n'a 

(i)  Pourquoi  se  cachait-il?  Pourquoi  tremblaient  ces  jeunes  filles  ? 
Parce  que  sans  ces  invraisenblances  suspectes  il  n'y  aurait  pas 
d'histoire. 

(2)  Vaguemenl?  Qu'est-ce  à  dire?  L'entendit-il,  oui  ou  non? 

(3)  Comment  n'y  pas  croire,  puisqu'il  avait  tout  entendu?  Voilà 
M.  de  Cazals  complice  d'un  projet  de  meurtre  qu'il  n'a  révélé  ni  à 
la  justice  ni  à  la  victime. 

(4)  Pourquoi  se  laisser  excommunier  lui-même  après  avoir  laissé 
étrangler  Aîarc-Antoine?  Parce  que  toutes  ces  absurdités  sont  né- 
cessaires au  roman. 

(5)  A  qui?  Pcrsoune  n'en  a  jamais  rien  écrit  avant  l\î.  du  Mt'ge, 


336  HISTOIRE   DE    l'opinion    en    FRANCE 

jamais  admis  l'innocence  de  Calas  et  a  regretté  sans 
cesse  qu'il  eût  été  impossible  de  trouver  aucun  vestige  de 
l'assemblée  secrète  de  protestants,  dont  il  était  question 
dans  le  Monitoire.  Ne  voulant  pas  croire  que  Lagane  et 
David  de  Beaudrigue  se  fussent  permis  d'insérer  de  pu- 
res suppositions  parmi  les  chefs  d'un  Monitoire,  on  ne 
s'est  pas  fait  faute  de  se  communiquer  des  conjectures 
également  sans  fondement,  soit  dans  les  conversations  de 
la  haute  société,  soit  dans  celles  de  la  communauté  de 
Saint-Pantaléon,  tant  et  si  bien  que  sous  la  dernière 
supérieure  de  cette  maison,  F  histoire  s'est  trouvée  à  point, 
avec  tous  ses  détails  incroyables,  pour  être  confiée  k 
M.  l'abbé  Barré  dès  son  retour  de  l'île  Bourbon.  Ainsi 
appuyé,  d'un  côté  sur  un  chevalier  qui  laissait  étrangler 
les  gens  sans  les  prévenir,  et  de  l'autre  sur  un  abbé 
qui  médisait  de  toute  religion  et  lisait  des  livres  que 
personne  n'a  écrits,  M.  du  Mège  conclut,  d'après  «  plu- 
sieurs Mémoires  inédi;s  (1)  et  une  tradition  constante;  » 
et  sa  conclusion,  c'est  que  les  motifs  réels  (de  l'arrêt 
du  parlement)  furent  la  conviction  d'une  notable  por- 
tion des  juges  qu'un  complot  avait  été  tramé  contre  les 
jours  de  M. -A.  Calas,  que  des  assassins  apostés  l'avaient 
saisi  au  moment  où  il  allait  sortir,  et  cela  par  suite  de 
la  dénonciation  du  père,  qu'on  fit  périr  comme  «  ayant 
ordonné  le  crime  et  l'ayant  laissé  exécuter.  » 

11  ne  faut  pas  soutenir  de  pareils  rêves  <i  ceux  qui  ont 
lu  les  procédures  et  qui  savent  que  dans  toute  la  dou- 
ble information,  soit  devant  les  Capitouls,  soit  au  Par- 
lement, dans  le  Monitoire,  dans  les  briefs  i7it end it s,  dans 
les  interrogatoires,  dans  les  confrontations,  l'hypothèse 

(1)  App;ui  mmeiil  ceux  des  abbés  .M;igi  el  iîarré. 


AU   SUJET   DES  CALAS.  337 

(F assassins  venus  du  dehors  est  aussi  absolument  écartée 
que  celle  du  suicide,  tandis  que  tout,  jusqu'à  la  fin,  tend 
à  établir  que  IMarc- Antoine  fat  étranglé  par  les  cinq 
prévenus. 

Il  n'est  pas  étonnant,  au  point  de  vue  où  se  place  le 
continuateur  de  dom  Vayssette,  qu'il  veuille  bien  re- 
connaître dans  la  procédure  des  erreurs  ou  des  illégalités, 
ni  qu'il  admette  l'innocence  de  quatre  accusés  sur  cinq. 
Il  arrive  ainsi  h  ce  double  résultat,  de  prouver  la 
justice  irréprochable  du  Parlement  (ce  qui  était  h  démon- 
trer) (1),  et  de  faire  peser  le  crime,  non  plus  sur  les 
Galas  morts  depuis  longtemps  (ce  qui  ne  servirait  pas  à 
grand  chose),  mais  sur  le  protestantisme  encore  vivant 
(ce  qui  est  beaucoup  plus  utile). 

Le  nom  de  Voltaire,  il  faut  l'avouer,  a  fini  par  nuire 
à  la  cause  qu'il  avait  sauvée,  et  depuis  la  Révolution  bien 
des  esprits  étroits  auraient  craint  de  passer  pour  com- 
plices de  ses  impiétés  et  de  ses  indécences,  s'ils  n'avaient 
pris  parti  pour  le  clergé  et  le  Parlement  contre  les 
Calas.  Aussi  les  journaux  le  Correspondant  ^iT  Univers  se 
sont  empressés  de  donner  l'hospitalité  de  leurs  colon- 
nes à  un  discours  de  rentrée  de  la  conférence  des  avo- 
cats stagiaires,  prononcé  par  un  jeune  avocat  et  docteur 
en  droit,  M.  Hue,  nom.mé  depuis  professeur  suppléant 
à  la  Faculté  de  Toulouse. 

Je  veux,  dit-il,  essayer  de  réhabiliter  le  Parlement  de  Tou- 
louse et  de  le  laver  d'une  injure  qu'il  ne  mérita  jamais...  Il  faut 


(i)  11  pense  cependanl  que  le  Parlement  a  eu  torlde  juger  sur  Jes 
indices,  car  il  y  en  avait  pour  et  contre.  On  aurait  dû  renvoyer  les 
accusés  non  absous,  jusqu'à  plus  ample  informe.  Il  approuve  du  reste 
la  résistance  de  celle  Cour  souveraine  ;\  l'arrêt  des  Maîtres  des  Re- 
quêtes. 

29 


838  HISTOIRE   DE   l'opinion   EN   FRANCE 

savoir  s'il  s'est  rencontré  un  tribunal  assez  inique,  pour  envoyer 
sciemment  un  innocent  à  la  mort,  et  plonger  dans  l'opprobre 
une  famille  entière. 

C'est,  dès  l'entrée,  poser  la  question  inexactement.  Il 
faut  n'avoir  pas  lu  ce  qu'écrivit  Voltaire  contre  le  Parle- 
ment pour  ignorer  qu'il  reconnut  la  bonne  foi  des  juges 
et  ne  les  accusapoint  d'avoir  commis  sciemment  l'horrible 
injustice  qu'il  leur  reprochait  (voir  p.  260,  n.  5).  D'ail- 
leurs ce  n'est  pas  au  point  de  vue  de  V injure^  méritée  ou 
non, du  Parlement  qu'il  convientde  se  placer;  ce  n'est  pas 
ainsi  que  doit  être  traitée  une  question  judiciaire.  Le  dis- 
cours de  M.  Hue  n'est  guère  que  le  chapitre  de  M.  Mary- 
Lafon  réduit  en  plaidoyer.  M.  Hue  plaide  en  avocat  qui 
n'a  pas  eu  le  temps  de  lire  son  dossier.  Non-seulement 
il  ne  sait  rien  des  faits  qui  ont  été  prouvés  dans  l'en- 
quête parisienne,  et  donne  par  exemple  comme  digne 
de  foi  le  faux  témoin  Catherine  Dolmier  ;  mais  ce  qui 
est  prodigieux,  il  ignore  la  défense  et  ne  paraît  pas 
avoir  lu  un  seul  des  six  Mémoires  de  l'avocat  Sudre,  du 
conseiller  Lasalle,  de  l'accusé  Lavaysse  et  de  son  père. 
Et  de  plus,  il  connaît  très-imparfaitement  la  procédure 
elle-même  (1)  ;  sauf  quelques  points  en  général  se- 
condaires, il  n'a  bien  étudié  que  les  briefs  intendits 
du  7  novembre  contre  Calas  père  et  fils.  Il  répète  que 
Voltaire  a  inventé  la  mélancolie  de  Marc-Antoine.  Il 


(i)  «  Il  ne  reste  rien,  dii-il,  de  celle  du  parlement,  qui  devait  être 
plus  concluante  que  l'autre,  puisqu'elle  fut  la  principale  cause  de 
la  condamnation.  »  Ceci  est  complètement  inexact.  Cette  procédure 
existe  à  Paris  et  à  Toulouse  môme.  M.  Hue  oublie  que  le  Parlement 
maintint  et  fit  continuer  Vinquisition  commencée.  M.  IIuc  lui-même 
l'a  parcourue,  discutée,  citée  sans  se  rendre  bien  compte  de  ce 
qu'il  avait  sous  les  yeux.  Et  la  condamnation  n'a  été  motivée  par 
rien  de  plus  concluant. 


AU   SUJET   DES   CALAS.  339 

affirme  du  ton  le  plus  tranchant  que  «  Marc- Antoine 
n'avait  aucun  motif  même  frivole  pour  se  détruire.  » 
Quand  cela  serait  vrai,  les  suicides  inexplicables  et  qui 
ont  pour  origine  une  mélancolie  moins  morale  que  physi- 
que ne  sont  pas  rares.  Mais  n'est-ce  pas  un  motif,  n'est- 
ce  pas  même  un  motif  frivole,  que  d'avoir  dû  renon- 
cer pour  toute  sa  vie  à  la  profession  pour  laquelle  on 
avait  étudié  et  où  l'on  croyait  réussir,  et  de  se  voir  dans 
l'impossibilité  d'en  embrasser  aucune  autre  ? 

«  Lavaysse  ne  dit  pas  être  remonté  auprès  de  M""* 
Calas.  »  Il  le  dit  positivement. 

«  Jamais  Lavaysse  ne  s'expliqua  sur  cette  sortie  mystérieuse, 
suivie  d'une  rentrée  presque  immédiate.  » 

Ceci  est  tellement  inexact  que  M.  Hue  reproduit  lui- 
même  plus  loin  cette  explication,  qui  est  très-simple  : 

«  On  comprend  pourquoi  Lavaysse  venu  à  Toulouse,  le  lundi 
sans  qu'il  puisse  donner  un  motif  à  son  voyage,  était  tellement 
pressé  de  repartir.  » 

Si  jamais  il  y  eut  im  voyage  clairement  et  amplement 
motivé,  ce  fut  celui  de  Lavaysse;  et  il  est  très-naturel 
qu'il  fut  pressé,  non  de  repartir^  mais  de  continuer  ce 
voyage,  jusque  chez  ses  parents  qu'il  allait  voir  avant  de 
de  quitter  l'Europe. 

Nous  avons  entendu  les  accusés  répondre  qu'il  y  avait 
nombre  d'escabeaux  etde  chaises,  et  dans  la  boutique  et 
dans  le  magasin  (ce  qu'il  était  facile  de  vérifier)  :  M.  Hue 
n'a  pas  lu  leur  déclaration  ou  l'a  oubliée. 

Impossible,  selon  lui,  que  Marc- Antoine  se  soit 
pendu  sans  lumière.  Pourquoi  ?  Et  qui  lui  prouve  que 
dans  ce  magasin  si  mal  examiné  il  n'y  avait  pas  une 


3ZlO  HISTOIRE    DE    L'opI.MON    EN    FRANCE 

chandelle  éleinte  ou  renversée?  Est-il  certain  que  la 
fenêtre  ou  \a\WYie  ouverte  de  rarrière-boutique  ne  don- 
nât pas  assez  de  jour  h  huit  heures,  le  13  octobre? 

Nous  avons  raconté  l'épisode  des  lettres  de  Carrière 
sur  lesquelles  le  jeune  écrivain  bàlit  tout  un  échafau- 
dage de  suppositions,  paixe  qu'il  ignore  que  ces  lettres 
sont  de  l'avocat. 

Du  reste,  il  n'adopte  point  et  ne  paraît  pas  connaître 
le  système  de  M.  duMège.  Avec  lui  comme  avec  M.  Mary- 
Lafon,  l'on  en  revient  simplement  aux  dires  de  l'accusa- 
tion. Mais  nous  sonnnes  heureux  de  constater  qu'un  ju- 
risconsulte a  étudié  ce  dossier  avec  le  parti  pris  de  la- 
ver le  parlement  de  Toulouse  et  n'y  a  pas  trouvé  un 
argument  solide.  Nous  n'avons  plus,  pour  faire  justice 
de  son  travail,  qu'à  montrer  où  il  aboutit ,  prouvant 
une  fois  de  plus,  que  de  fausses  prémisses  et  une  logi- 
que impitoyable  peuvent  mener  bien  loin  : 

On  est  seulemoiit  surpris  d'une  cliose,  c'est  de  l'iiésiliUion 
des  juges  qui,  avant  condamné  Galas  père  à  la  roue,  relaxent 
les  autres  accusés. 

Nous  croirions  fort  inutile  de  citer  ici  le  Guide  dans 
Toulouse^  publié  celte  année  même  par  M.  Le  Blanc  du 
Vernet  (1),  si  jiousn'y  trouvions  indiquée  une  série  nou- 


(i)  Cet  érrivaiii  s'est  f;iil  connaître  par  les  publiealions  suivantes. 
Jl  a  fait  paraître,  sons  le  nom  de  Frédéric  Le  Blanc  et  de  concert 
avec  M. Hem  i  Inibcrt,  une  brooLnre,  dédiée  au  Pape  régnant,  en  fa- 
veur de  h  Peine  de  mort  dans  les  sociétés  modernes;  Paris,  172  p. 
8".  —  Sous  un  troisième  nom,  celui  deFréd.  Le  IJlanc  d'Iiackluya, 
le  même  auteur  a  inséré  nombre  d'articles  dans  le  Corsaire  ç\.  a 
écrit,  en  un  volume  in-i2,  V Histoire  de  V Islamisme  et  des  sectes  qui 
s'y  rattachent. 


AU   SUJET   DES   CALAS.  3^1 

velle  de  documents,  dont  nous  avons  fait  usage  et  que 
l'on  annonce  comme  dangereux  pour  les  Calas. 

Selon  ce  Guide,  la  correspondance  de  M.  de  Saint- 
Priest  avec  le  subdélégué  Amblard  met  en  lumière,  en- 
tre  autres  choses,  deux  faits  qui  sembleraient  bien 
prouver  la  culpabilité  des  Calas  :  l*»  les  rigueurs  du 
père  envers  Louis;  2°  V arrivée  à  Toulouse,  le  jour 
même  et  le  lendemain  de  la  mort  de  Marc-Antoine, 
d'un  grand  nombre  de  protestants.  Encore  cette  accusa- 
tion, si  complètement  ridicule,  qu'un  écrivain  qui  ne 
serait  pas  aveuglé  par  de  petites  passions  de  localité  et 
de  secte  se  garderait  de  la  signer  de  son  nom  !  Il  est  évi- 
dent que  M.Le  Blanc  n'a  pas  Iules  lettres,  et  il  en  parle, 
on  le  voit,  d'après  ce  qu'on  en  dit  à  Toulouse. 

Nous  avons  déjà  examiné  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans  la 
première  de  ces  deux  accusations  (1).  11  suffit  d'ajouter 
que  dans  les  lettres  en  question  il  n'y  a  rien,  absolu- 
ment rien,  qui  incrimine  la  conduite  de  Calas  à  l'égard 
de  Louis.  Nous  publions  cinq  de  ces  lettres  en  entier, 
et  les  copies  des  autres  sont  dans  nos  mains  (2);  nous  dé- 
clarons qu'elles  ne  contiennent  ni  un  renseignement  quel- 
conque, ni  même  une  allusion  au  sujet  de  Louis  Calas 
et  de  la  conduite  de  ses  parents  envers  lui. 

Quant  à  la  seconde  M.  de  Saint-Priest  lui-même  en 
doutait  (3)  :  On  prétend,  dit-il,  maison  n'assure  pas... 


(1)  p.  6  6  Cl  suiv. 

(2)  Corr.  Sl-Flor.   i,  5,  6,   13,  15. 

(3)VoirCorr.  deSt-Fl.,  Lellre  4.  11  en  cloutait,  malgré  l'asserlion 
tVAmhlurd  à  laquelle  M.  Le  lUanc.peut  joindre  la  déposition  de  la 
I)'"  t5e\ ,  épouse  de  Dubarry. 

Ce  témoin  a  entendu  dire  au  Sr  Delpech  fils  cadet  que  le  jour  de  la  mort 
de  Marc- Antoine  Calas  on  avait  vu  entrer  chez  le  Sr  Calas  beaucoup  de  hu- 
çuenotS;  ce  qui  avait  fait  présumer  qu'il  y  avait  eu  e3p>ce  d'assemblée. 

29. 


3/»2  HISTOIRE   DE   l'OPINION    EN   FRANCK 

Admeltons  cependant  le  fait  :  nous  demanderons  à 
U.  Le  Blanc  si  le  lendemain  d'un  meurtre  on  voit  les 
conseillers  ou  les  auteurs  du  crime,  au  lieu  de  fuir,  se 
réunir  en  grand  nombre  et  sans  aucun  intérêt,  au  lieu 
où  ils  l'ont  fait  commettre.il  n'est  nullement  impossible 
que  les  prolestants  des  environs  de  Toulouse  y  soient 
venus  le  13  ouïe  14  en  ^?Ymc?  no/r^ôre  pour  célébrer 
le  service  divin  dans  quelque  endroit  convenu,  en  de- 
liors  de  la  ville,  comme  cela  avait  lieu  alors,  les  jours 
de  semaine  aussi  bien  que  le  dimanche,  toutes  les  fois 
qu'on  le  pouvait.  Mais  s'ils  eussent  prévu  le  moins  du 
monde  les  ridicules  et  affreux  soupçons  dont  ils  al- 
laient être  les  victimes,  ils  se  seraient  gardés  de  se  mon- 
trer. Quel  sens,  quel  but,  peut  avoir  cette  arrivée  des 
protestants,  non  la  veille,  mais  le  lendemain  de  la  mort 
de  Marc-Antoine ?,Est-il  permis  de  dire  que  dépareilles 
choses  semblent  bien  prouver  la  culpabilité  des  Calas? 

Si  nous  laissions  croire  au  lecteur  que  tous  les  ha- 
bitants de  Toulouse,  même  catholiques,  admettent  de  si 
absurdes  préjugés,  nous  leur  ferions  grand  tort  ;  et  comme 
nous  n'avons  pas  le  moindre  désir  de  jeter  aucune  défa- 
veur dans  l'opinion,  sur  une  ville  qui  a  brillé  d'un  si 
grand  éclat  dans  l'histoire,  nous  nous  empressons  d'en- 
j-egislrer  en  faveur  des  Galas,  et  k  Toulouse  même,  des 
jugements  tout  opposés.  Ces  jugements  sont  d'autant 
l)lus  honorables  que  l'on  y  possède  uniquement  les  pièces 
de  la  double  instruction,  entachée  de  tant  de  partialité, 
que  les  Capitouls  avaient  commencée  et  que  le  Parlement 
acheva,  sans  une  seule  des  pièces  nouvelles  et  toutes  fa- 
vorables qui  furent  produites  devant  les  Maîtres  des  Re- 
(juétes.  Quelques  esprits  équitables  en  ont  vu  assez  pour 
conclure  à  l'entière  innocence  des  Calas.  Ce  fut  le  cas  de 


AU   SUJET   DES  CALAS.  343 

M.  d'Alcléguier,  archiviste  et  historien*  de  la  ville  de 
Toulouse,  mais  qui  malheureusement  ne  s'est  pas  acquis 
le  renom  d'une  science  assez  précise  et  d'un  jugement 
assez  calme.  Ce  fut  aussi  le  résultat  des  recherches  d'un 
éminent  magistrat,  M.  Plougoulm,  qui  fut  procureur  gé- 
néral dans  la  même  ville  et  qui  a  fait  l'examen  le  plus 
consciencieux  de  la  procédure  qu'il  y  trouva.  Il  a  rendu 
h  l'innocence  des  Galas  un  magnifique  témoignage  (1)  ; 

«  J'ai  tenu  dans  mes  mains,  j'ai  lu  de  mes  yeux,  depuis  la 
première  jusqu'à  la  dernière  ligne,  cette  triste  et  douloureuse 
procédure,  ei  comprimant  l'émotion  qui  me  gagnait  à  chaque 
moment,  quand  j'entendais  ce  père,  cette  mère  s'écrier  pour 
toute  défense  devant  leur  impitoyable  juge  :  «  Croyez-vous  donc 
qu'on  puisse  tuer  son  enfant!  »  j'ai  tout  examiné,  tout  pesé 
comme  si  j'eusse  eu  à  parler  moi-même.  Que  je  serais  heureux, 
si  ce  que  je  vais  dire  pouvait  ajouter  encore  un  rayon  d'évi- 
dence à  une  vérité,  aune  innocence  depuis  si  longtemps  recon- 
nues !  Oui,  Messieurs,  j'aime  U  le  proclamer,  dans  toutes  ces 
pièces,  dans  tous  ces  témoignages, "ces  monitoires,  je  n'ai  rien 
découvert,  pas  un  fait,  pas  un  mot,  pas  l'ombre  d'une  preuve, 
d'un  indice,  qui  explique  cette  épouvantable  erreur;  reste  le 
fanatisme  qui  explique  tout,  il  est  vrai  ;  mais  admirez  ici  comme 
la  vérité  se  fait  jour,  et  saisissons  le  moment  où  l'humanité 
se  réveille.  Tandis  que  la  justice  humaine,  égarée  comme  la 
foule  qui  se  presse  autour  d'elle,  conduit  sa  victime  au  supplice, 
le  malheureux  vieillard  passant  devant  la  maison  où  il  avait 
vécu  tant  d'heureuses  années  au  sein  de  sa  famille,  demande  à 
s'agenouiller  et  à  bénir  sa  demeure  !  Simple  et  déchirante  ac- 
tion, qui  renfermai  t'a  elle  seule  une  si  grande  lumière  d'inno- 
cence qu'elle  émut  profondément  la  multitude.  Dès  ce  moment, 
m'a-l-on  affirmé  dans  le  pays  qui  a  produit  cet  horrible  drame, 

(0  Discours  île  rcniréc  à  la  Cour  impériale  do  Rennes,  3  no- 
veml)ie  13  13  'Sur  les  progrès  de  la  législation  pénale  en  France  \ 


3li(l  HISTOIRE   DE    L'OPINION    EN    FRANCE 

les  yeux  se  dessillèrent;  hélas!  Messieurs,  il  était  trop  tard; 
le  vieillard  coutinua  sa  route,  et  à  quelques  pas  de  là,  il  expi- 
rait sur  la  roue,  répétant  à  celui  qui  le  pressait  d'avouer  son 
crime:  Et  vous  aussi,  vous  croyez  qu'on  peut  tuer  son  enfant  !  » 

C'est  un  fait  considérable  que  cette  déclaration  élo- 
qucnle  d'un  successeur  de  Riquet  de  Bonrepos,  repre- 
nant de  sang-froid  l'examen  juridique  dont  sou  pré- 
décesseur s'était  si  mal  acquitté,  sous  le  violent  empire 
de  la  passion.  Seidement,  en  notre  qualité  de  narrateur 
scrupuleux,  nous  sommes  forcé  de  révoquer  en  doute 
l'anecdote  touchante  de  Jean  Calas  bénissant  sa  maison, 
à  genoux  dans  la  charrette  du  bourreau.  Nous  n'en 
avons  trouvé  aucune  trace  contemporaine.  Il  nous  sem- 
ble difTicile  que  ce  vieillard,  brisé  par  la  question  ordi- 
naire et  extraordinaire,  ait  eu  encore  la  force  de  s'age- 
nouiller seul,  ou  se  soit  fait  agenouiller  par  l'exécuteur 
comme  il  dut  le  faire  pour  l'amende  honorable.  Nous  ne 
croyons  pas  non  plus  que  David,  qui  dirigeait  tout,  lui 
eût  montré  cette  complaisance.  Enfin,  soit  que  le  con- 
damné partît  des  prisons  du  Palais,  ou,  ce  qui  est 
plus  probable,  qu'il  sortît  de  celle  de  l'Hôtel-de- Ville, 
où  les  condamnés  à  mort  devaient  attendre  leur  suppli- 
ce, la  rue  des  Filatiers  ne  se  trouve  ni  dans  la  direction 
de  la  cathédrale  de  Saint-Etienne  où  se  fit  l'amende  ho- 
norable, ni  dans  celle  de  la  place  Saint-Georges,  lieu  de 
l'exécution.  D'autres  rues,  bien  plus  directes  et  plus  lar- 
ges, ont  du  être  suivies  par  le  cortège  funèbre  (1).  C'est 
ici  la  légende,  non  plus  hostile  et  dictée  par  la  haine, 
mais  iuspirée  au  contraire  par  la  vénération  et  la  pitié, 


(»)  t)ii  lii  d'ailleurs  dans  h;  procès-verbal  de  rexéculion  que  .leai 
Culas  a  êié  conduit  i>itr  If  ivurs  wxouluinè  [WAv  plus  Liuii,  p.   v»  i  9). 


AU    SUJET   DES   CALAS.  3Zl5 

devenue  une  tradition  locale,  et  mise  en  œuvre  par  un 
orateur  ému  et  }Duissant,  qui  l'a  crue  vraie. 

11  doit  m'être  permis  de  citer  au  nombre  des  écrits 
où  l'affaire  des  Calas  a  été  traitée  d'une  façon  nouvelle, 
V Histoire  des  Eglises  du  Désert,  sur  laquelle  un  juge- 
ment remarquable  a  été  porté  par  un  des  savants  de  l'Al- 
lemagne qui  connaissent  le  mieux  l'histoire  des  protes- 
tants de  France.  M.  de  Polenz  déclare  le  récit  que  Charles 
Coquerel  a  donné  de  l'affaire  Calas  supérieur  à  tous  les 
récits  antérieurs  (1).  Il  est  de  fait  que  l'auteur  ayant 
sous  les  yeux  la  correspondance  de  Paul  Rabaut  et  d'au- 
tres pasteurs  du  Désert,  ayant  de  plus  des  documents  qui 
provenaient  de  M"^''  Duvoisin,  a  pu  jeter  un  jour  nou- 
veau sur  plusieurs  points  du  procès. 

Ces  mêmes  documents  ont  dû  servir  de  point  de  dé- 
part à  nos  recherches,  aucun  autre  écrivain  n'ayant  fait 
l'examen  approfondi  du  procès  devenu  évidemment 
nécessaire  depuis  les  attaques  de  MM.  Mary-Lafon ,  du 
Mège  et  Hue  ,  qui  étaient  demeurées  jusqu'ici  sans  ré- 
ponse. 

(1)  Unter  den  Bearbeiiungen  sleht  Coquerels  Histoire  des  Egli- 
ses du  Désert  (I.  2,  p.  3  0  4-34  1)  unbedingi  oberan.  (Arliclc  Calas 
dans  la  lieal-Enqffdopœdicde  Herzoy.  )  M.  de  Polenz  vient  de  publier 
tout  récemment  le  i""  volume  d'une  Histoire  du  Calvinisme  français 
Jusqu'à  rassemblée  nationale  de  i7  89.  Ce  vol.  de  xvi  et  7  36  pages 
ne  conduit  le  lecteur  que  jusqu'à  la  conspiration  d'Amboise  en  i  5  60. 


DÉPÊCHES 
DU   COMTE  DE   SAINT-FLORENTIN 

MINISTRE   SECRÉTAIRE    d'ÉTAT 

ET  D'AUTRES  FONCTIONNAIRES  PUBLICS 


DÉPÊCHES 


(') 


1 

DOMERC,  SECRÉTAIRl-   DU  SUBDÉLÉGUÉ  AMBLARD, 
A   M.    DE    SAINT-PRIEST,    INTENDANT     DU    LANGUEDOC 

Monseigneur, 
Gomme  M".  Amblard  est  à  sa  jardin  (sic)  et  que  je  n*au- 
rais  pas  le  temps  de  lui  faire  signer  cette  lettre  parceque 
le  courrier  presse,  j'ai  Tlionneur  de  vous  rendre  conte 
moi-même  d'un  événement  extraordinaire  arrivé  dans  cette 
ville. 


(i)  Les  lettres  i,  5,  6,  13,  15,  sont  tirées  des  Archives  de 
Montpellier,  toutes  les  autres  des  Archives  impériales  de  Paris,  où 
les  minutes  de  celles  de  M.  de  Saint-Florentin  se  trouvent  dans 
les  Dépèches  du  Secrétariat ,  et  les  lettres  qui  lui  sont  adressées 
dans  la  section  historique. 

Dans  le  cours  de  l'ouvrago,  nous  désignons  celle  correspondance 
par  l'abréviation  :  Corr.  St-Flor. 

30 


350  DÉPÊCHES 

Le  fils  aj^né  du  S%  Calas  nég'.  fut  trouvé  hier  au  soir 
vers  les  neuf  heures  et  demy  étranglé  dans  la  maison  de 
son  père,  les  portes  de  la  rue  fermée?.  Le  père  qui  était 
dans  sa  chambre  étant  descendu  en  bas  trouva  son  fils 
étendu  sur  la  porte  du  magasin  qui  est  dans  Tintérieur 
de  la  maison,  il  appela  du  secours  en  criant  qu'on  avait 
assassiné  son  fils.  Plusieurs  personnes  qui  se  trouvèrent 
dans  la  rue  accoururent  au  bruit,  firent  ouvrir  les  portes 
et  virent  le  cadavre  qui  était  déjà  froid  sans  qu'il  parut 
sur  lui  aucune  marque  d'assassinat  sinon  qu'il  était  sans 
habits.  Il  y  eût  un  chirurgien  du  nombre,  qui  vérifia  ce 
cadavre  et  après  lui  avoir  ôté  une  cravate  noire  qu'il  avait 
au  col,  il  reconnut  qu'il  avait  été  étranglé  avec  une  corde 
par  l'empreinte  qu'elle  avait  fait.  Lon  fut  avertir  M"  les 
Cap'*,  de  cet  événement.  M^  David  s'y  transporta  vers 
les  dix  heures  et  demy  avec  l'escouade  du  guet,  il  fit 
conduire  en  prison  le  père,  la  mère,  leur  fils  cadet,  la 
fille  de  service  et  deux  étrangers  qui  avaient  soupe  chez 
eux  :  on  a  procédé  pendant  la  nuit  à  leur  audition.  Ce 
meurtre  à  fait  une  grande  sensation  dans  cette  ville.  Tout 
le  monde  est  dans  une  consternation  étonnante  dans  le 
quartier  du  S'.  Calas  père  que  l'on  soupçonne  de  concert 
avec  la  famille  être  lautheur  parceque  le  jeune  homme 
donnoit  depuis  quelques  tems  des  marques  de  catholicité 
contre  le  gré  de  ses  parens  et  qu'il  était  même  à  la  veille 
d'abjurer  leur  religion. 

M'.  Amblard  vous  informera  exactement  des  suites  de 
cette  affaire.   J'ay  l'honneur  d'être  avec  le  plus  profond 
respect,  monseigneur,  votre  très-obéissant  serviteur. 
DoMERC,  secr''  de  M.  Amblard  (1). 


(i)  Celle  Icliro,  écrilc  avec  une  li;Ue  extrême  dès  la  malint'o 
du  14,  csl  doiiblcmenl  remarquable  parce  qu'elle  peint  vivemeiil 
l'émoiion  vinlcnlc  que  produisit  la  découverte  du  cadavre,  cl  parce 
qu'elle  confirme  pleinenicnl  ce    que   nous  avons  dil  des  cris  que 


DÉPÊCHES  851 

% 


LE    CAPITOUL  DAVID  DE  BEAUDRIGUE 
A    M.    DE   SAINT- FLOREiMlN. 

Toulouse  18  octobre  i'Cl. 

Monseigneur, 

J'ay  riionneur  de  vous  envoyer  cy  joint  une  coppie  du 
verbal  que  j'ay  dressé  dans  la  faire  du  sieur  Calas,  ensem- 
ble une  coppie  de  la  relation  de  l'état  du  cadavre  de  Marc 
Antoine  Galas  son  fils.  Ouoyque  vous  puissiés  être  ins- 
truit par  la  lecteure  du  procès  verbal,  néanmoins  je  vay 
avoir  l'honneur  de  vous  faire  un  petit  détail  de  cette 
affaire. 

Je  feus  averty  Mardy  soir  vers  les  onze  heures  et  demy 
du  soir  qu'on  avoit  assassiné  le  fils  ayné  du  sieur  Calas; 
je  m'y  transporte  de  suite  avec  ma  main  forte,  et  entré 
dans  le  magazin  de  la  boutique  du  sieur  Calas,  je  trouvay 
sur  la  porte  d'entrée  le  cadavre  de  Marc  Antoine  Galas  fils 
ayné  étendu  à  terre  ;  je  fis  de  suite  garder  les  portes  et  je 
m'assuray  de  toutes  les  personnes  quy  composoient  lad'* 
maison.  Je  fis  procéder  de  suite  a  l'état  du  cadavre,  et 
cela  fait,  je  fis  arretter  le  père,  la  mère,  le  fils,  la  servante 
du.  sieur  Calas  et  le  sieur  Lavaysse  fils  quy  avait  soupe  avec 
eux  et  les  fis  conduire  avec  le  cadavre  a  l'hôtel  de  ville, 
ou  je  reçus  de  suite  leur  audition  d'office.  Apres  quoy  je 
les  fis  mettre  en  prison  et  les  fis  séparer  pour  qu'ils  n'eus- 
sent aucune  cominuniquation.  Je  suis  cette  procédure  avec 


poussa  Calas  père,  en  Irouvanl  sou  fils  mort  cl  qui  donnèrenl  l'éveil 
à  loul  le  quartier.  On  n'avail  pas  encore  imaginé  que  ce  fussent 
les  cris  d'uîi  lioninic  que  l'on  étrangle. 


352  DÉPÊCHES 

vigueur  et  je  ne  perds  pas  un  moment,  pour  y  donner 
toutes  les  suites  qu'exige  une  affaire  de  pareille  nature. 
J'ay  crû,  Monseigneur,  qu'une  affaire  de  cette  importance 
devoitvousetre  communiquée;  elle  intéresse,  ce  me  sem- 
ble, l'état  et  la  Ueligion.  Jeserois  bien  flatté.  Monseigneur, 
sy  dans  ces  circonstances,  vous  approuviés  ce  que  jay  fait 
jusqu'à  présent  et  me  mander  vos  ordres  la  dessus  pour 
que  je  les  exécute  de  point  en  point;  quoyque  le  chef  du 
consistoire  soit  absent  et  que  je  le  représente  par  ma 
place,  néanmoins  mon  expérience  ne  m'a  pas  laissé  dou- 
ter de  procéder  ainsy  que  je  l'ay  fait. 

J'ay  l'honneur  de  vous  envoyer  encore  une  exemplaire 
du  Monitoire.  Il  ne  se  passera  rien  dans  cette  affaire  que 
je  n'aye  l'honneur  de  vous  en  informer.  Soyés  persuadé, 
Monseigneur,  de  monzélle  et  de  toute  mon  affection  dans 
cette  affaire,  et  que  je  ne  négligerai  rien  pour  parvenir 
à  découvrir  la  vérité. 

J'ay  rhonneur  d'être  avec  un  très  profond  respect, 
Monseigneur, 

Votre  très  humble  et  obéissant  serviteur 

David  de  Beaudrigue, 

Capitoul,  chef  du  Consistoire  en 
l'absence  de  M,  Fat/et, 


3 

LE  PRÉSIDENT  DE  SENAUX 

AU   MÊME    (1) 

Toulouse,  20  octobre  176». 

Monsieur, 
Il  est  arrivé  mardi  dernier  un  Meui-tre  dans  cette  ville 
qui  par  sa  nature  semble  intéresser  l'Etat. 

(0  Nous  ne  donnons  quo  par  fragmcnls  colle  Icllre,  el  colles  qui 


DÉPÈCHES  353 

...  Ce  même  jour  13''  du  courant,  le  peuple  accourut 
en  foule  vers  les  onze  heures  du  soir  pour  avertir  et  re- 
quérir les  Gapitouls  de  se  transporter  chez  le  nommé 
Calas  m"*  en  draperie  qui,disoit-on,  venoit  d'étrangler  son 
fils  âgé  de  28  ans,  avec  le  secours  de  sa  Mère,  d'un 
autre  fils  et  du  nommé  Lavaysse.  Et  cela  par  la  raison  que 
cet  infortuné  garçon  travailloit  à  abjjurer  la  religion  pro- 
testante ou  il  étoit  né  et  dont  son  père  et  sa  famille  font 
profession. 

(Averti  par  les  Capitouls,  M.  de  Senaux  est  allé  lui- 
même  aux  prisons  s'assurer  de  leur  sûreté,  a  donné  une 
sentinelle  du  guet  à  chacun  d'eux  et  a  défendu  toute  com- 
munication tant  entr'eux  qvCavec  qui  que  ce  fût  sans 
exception.) 

...  La  procédure  est  commencée  à  la  requette  du  mi- 
nistère public,  et  jusqu'à  présent  les  dépositions  des  té- 
moins ne  fournissent  que  de  violents  soupçons  contre  ces 
accusés,  et  j'espère  que  les  preuves  deviendront  complet- 
tes  par  les  révélations  que  produiront  un  chef  de  Moni- 
toire  qui  fut  publié  hyer  matin  à  cet  effet.  D'ailleurs  les 
variations  et  les  contradictions  ou  sont  tombés  ces  accu- 
sés entr'eux  fortifieront  les  preuves. 

...  Voilà,  Monsieur,  à  peu  près  le  détail  de  cette  affaire 

qui  comme  vous  voyez  est  de  nature  a  intéresser  l'Etat, 

surtout  arrivant  après  l'émeute  des  Huguenots  de  Caus- 

sade  dont  j'ay  eu  l'honneur  de  vous  rendre  compte  (i). 

J'ai  celuy,  etc.  De  Senaux. 

porlcnllesn*"  15  et  27,  parce  qu'elles  contiennent,  ou  des  répélitions 
sans  intérêt,  ou  des  faits  entièrement  étrangers  au  procès  des  Calas, 
Les  lettres  20  et  2  1  sont  tout  à  lait  insignirianles  ;  nous  les  avons 
résumées  en  quelques  mots. 

(i)  11  s'agit  du  projoi  qu'avaient  formé,  disait-on,  quelques  proles- 
tants de sauverle pasteur  Rocheite  qui  avait  été  arrêté.  Une  panique 
sans  motifs  réels  eut  lieu  à  cette  occasion  (Voir  à  ce  sujet  V Histoire 
des  Éfj'ist's  d((  Urscrt^  t.  Il,  p.   2  69  elsuiv.). 

30. 


'ôblx  DLl'tGUES 

4 

M.   DE  SALM'-PUIEST,    LM'ENDA.NT  DE  LANGUEDOC   (1) 
AD   MÊME 

Montpellier  23  ocl.  17G1 

Je  fus  informé  par  le  précédent  courrier  d'un  meurtre 
commis  en  la  personnedu  S'  Calas  fils;  mais  comme  on  ne 
me  marquoit  aucun  détail  et  que  cette  affaire  est  d'une  si 
grande  importance,  j'ai  cru  devoir  attendre  que  je  fus 
mieux  instruit  pour  vous  rendre  compte  des  faits. 

Le  S'"  Calas,  nég.  a  Toulouse,  est  un  des  plus  zélés  pro- 
testants du  royaume.  11  avoit  trois  fils.  L'un  s'est  converti, 
il  y  a  quelques  années,  et  en  conséquence  de  vos  ordres  le 
père  lui  fait  une  petite  pension  qui  est  très  mal  payée. 

L'ainé  a  été  trouvé  mort  et  étranglé  dans  le  magasin  ou 
arrière  boutique  de  la  maison  de  son  père  le  13  de  ce 
mois.  Les  soupçons  sur  les  autheurs  de  cet  assassinat  ont 
varié  pendant  quelques  jours  :  les  uns  prétendirent  que 
ce  jeune  homme  s'étoit  tué  lui-même,  et  c'est  le  sistème 
de  deffense  de  son  Père  et  de  ses  coaccusés;  les  autres 
que  c'étoient  son  père  et  son  frère  qui  l'avoient  étranglé. 

Les  Capitouls  s'étant  transportés  sur  les  lieux,  ont  fait 
arrêter  le  père,  la  mère,  le  fils,  la  Servante  et  un  jeune 
homme  fils  du  S'".  Lavaysse,  célèbre  avocat  qui  avait  soupe 
ce  soir-là  chez  le  S'.  Galas.  Ils  ont  fait  sur  le  champ  la 
procédure,  et  le  cadavre  ayant  été  emporté  à  l'hôtel  de 
ville,  son  état  a  été  constaté  par  un  rapport  de  chirurgien. 

(i)  Jean  Emmanuel  de  Guignard,  vicomte  de  Saint-Priest,  conseil- 
ler,puis  maîlrc  dos  requêles,  elenfincunsciller  d'Etat,  resta  jusqu'à  sa 
mort  intendant  de  Languedoc;  il  fut  le  porc  du  ministre  de  Louis  XVI 
mort  en  1821,  lequel  fut  le  grand-père  du  comte  Alexis  de  Saint- 
Piiesi,  auteur  de  V Histoire  de  la  suppression  de  l'ordre  des  Jésuites, 
membre  de  l'Académie  française,  de  l'Assemblée  nationale,  etc. 


DÉPÊCHES  355 

....  On  prétend  qu'il  résulte  des  interrogatoires  des  ac- 
cusés, des  faits  et  des  contradictions  qui  fortifient  les 
soupçons  du  Public,  et  on  pense  que  c'est  Galas  père  et 
son  autre  fils  qui  ont  étranglé  ce  jeune  homme.  La  Pro- 
cédure fournit  jus  qu'à  présent,  à  ce  qu'on  m'assure,  des 
indices  très-violens  contre  eux;  vous  ^pourrez  en  juger, 
Monsieur,  par  les  chefs  du  monitoire  dont  la  publication 
a  été  ordonnée;  j'en  joins  icy  une  copie.  On  prétend, 
mais  on  n'assure  pas  le  fait,  que  depuis  cet  événement, 
il  est  arrivé  beaucoup  de  huguenots  à  Toulouse.  Les  Ca- 
pitouls  ont  pris  les  précautions  convenables.  J'aurai  at- 
tention de  vous  instruire  des  suites  de  cette  procédure. 
J'ai  l'honneur,  etc.  De  Saint-Priest. 


5 


AMBLARD,  SUBDELEGUE  A  TOULOUSE, 
A    M.    DE    SAhNT-PRIEST. 

Toulouse,  le  21  octobre  1761, 

Monseigneur, 
Les  Gapitouls  ont  ordonné  un  monitoire  sur  l'affaire  du 
S'.  Calas.  Les  témoins  vont  révéler,  pour  ainsi  dire,  en 
foule  ;  Et  quoique  la  procédure  soit  extrêmement  secrète, 
on  croit  qu'il  y  a  des  preuves  suffisantes  pour  établir  que 
ce  jeune  homme  a  été  victime  et  martir  de  la  reli- 
gion catholique.  Les  délais  pour  la  publication  du  moni- 
toire retardent  le  jugement  de  cette  procédure.  Les  hu- 
guenots qui  étaient  venus  à  Toulouse,  ainsi  que  j'ai  eu 
l'honneur  de  vous  le  marquer,  en  très  grand  nombre, 
repartirent  le  lendemain,  parce  qu'ils  furent  instruits  que 
les  Gapitouls  commençoient  à  se  donner  des  mouvements 
l>our  les  rechercher  et  s'informer  du  motif  qui  le^ 
Littiroit  à  Toulouse.  Ils  s'étoicnt  vraisemblablement  donné 


356  DÉPÊCHES 

rendez-vous  à  peu  près  à  la  même  heure,  car  ils  arrivè- 
rent presque  tous  à  la  fois  et  en  plusieurs  bandes,  et  ce 
fut  précisément  ce  qui  les  découvrit,  parce  que  les  portiers 
voyant  entrer  des  cavaliers  en  petites  troupes  de  dix  ou 
douze  qui  se  succédaient  d'assez  près,  crurent  devoir  en 
donner  avis  à  M",  les  Gapitouls. 

J'ay  l'honneur  d'être  avec  un  très-profond  respect, 
Monseigneur,  votre  très-humble  et  très-obéissant  servi- 
teur. 

Amblard 


LE       MEME 
AU    MÊME. 

Toulouse,  le  28  octobre  1761. 

Monseigneur, 
Le  monitoire  produit,  à  ce  que  l'on  prétend,  des  preu- 
ves complètes  du  meurtre  du  S'.  Galas  avec  des  circons- 
tances qui  font  horreur.  Les  Gapitouls  doivent  ordonner 
aujourd'hui  la  procédure  extraordinaire.  Les  accusés 
sont  gardés  à  vue  et  personne  absolument  ne  peut  leur 
parler  ni  les  voir.  On  tient  en  même  temps  dans  les  pri- 
sons du  Palais  le  ministre  avec  plusieurs  protestants  qui 
se  sont  révoltés  et  qui  ont  fait  sédition  dans  la  généra- 
lité de  Montauban.  Ils  sont  tous  gardés  à  vue,  chargés  de 
fers,  et  il  y  a  quatre  sentinelles  depuis  la  porte  de  la  pri- 
son jusques  au  corps  de  garde  de  la  place  du  Salin  qui, 
en  cas  de  besoin,  seroit  assemblé  d'un  coup  de  sifflet,  et 
cette  garde  a  été  doublée  Ces  deux  événemens,  presque 
dans  la  même  époque,  ne  peuvent  que  nuire  aux  accu- 
sés respectifs.  J'ay  l'honneur  d'être  avec  un  très-profond 


DÉPÊCHES  357 

respect,  Moiisei  ^'neur,  votre  très-luimblo  et  très-obéissant 
serviteur,  Amblard. 


M.   DE  SAINT-FLORENTIN 
AU    CAPITOUL   DAVID   DE    BEAUDRIGUE. 

31   octobre  17G1. 

J'ai  reçu  :m.  la  lettre  et  les  pièces  que  vous  m'avez  adres- 
sés concernant  le  meurtre  qui  paraît  avoir  été  commis  en 
la  personne  du  sieur  Galas  fils.  Je  ne  peux  que  louer  l'ac- 
tivité avec  laq.  vs  avez  travaillé  à  constater  ce  délit  et  à 
faire  arrêter  les  parents  de  ce  jeune  homme  qui  semblent 
en  être  coupables.  Vous  me  ferez  plaisir  de  m'informer 
des  suites  de  cette  affaire  qui  mérite  une  attention  sin- 
gulière de  votre  part  (1). 


M.   DE  SAINT-FLORENTIN 
AU   PRÉSIDENT    DE    SENADX. 


31  octobre. 


Je  VOUS  suis  très  obligé  IM  de  la  peine  q.  vs  avez  prise 
de  m'inf.  du  meurtre  arriv.  en  la  personne  du  S'  G.  fils. 

(i)  11  avait  dicté  d'abord  :  d'une  affaire  aussi  grave  et  Valten- 
tion  la  plus  particulière;  ces  mots  ont  été  remplacés  comme  on  vient 
de  le  voir. 

Nous  avons  rcproduii  ces  dépèches  d'après  les  minutes  actuelle- 
ment existantes  aux  .//  hivcs  impériales,  sans  même  changer  les 
abréviations. 


358  DÉPÊCHES 

Cette  aff.  comme  vous  me  l'observez  est  d'une  gV^"  im- 
portance et  mérite  une  attention  particul.  Il  est  fort 
à  désirer  q.  la  vérité  soit  éclaircie  et  qu'il  survienne 
des  preuves  suffisantes.  Les  précautions  que  vous 
avez  prises  pr  mettre  en  sûreté  les  prisonniers  sont  très 
sages  et  très  nécessaires.  Je  ne  doute  pas  que  vous  ne 
vouliez  bien  veiller  à  la  suite  de  cette  affaire  dont 
l'instruction  ne  sauroit  être  trop  rigoureuse  ni  trop 
prompte  (1). 


M.     DAVID     DE     BEAUDUIGUE 
A   M.    DE   SAINT-FLOREMIN. 

Toulouse  lu  novembre  lOGl. 

Monseigneur, 
L'affaire  dont  j'avois  eu  Tlionneur  de  vous  envoyer  le 
verbal  contre  les  nommés  Galas  a  été  jugée  hier  à  l'hôtel 
de  ville  et  y  a  passé  immissiorem  ('2)  a  ce  que  les  ac- 
cuzés  seront  appliqués  à  la  question  ordinaire  et  extra- 
ordinaire ;  l'accuzation  d'un  crime  de  cette  espèce  exi- 
geoit  un  jugement  plus  rigoureux;  tant  par  ce  qu'il  ré- 
zulte  des  preuves  de  cette  Procédeure  que  par  l'intérêt 
public  quy  demandoit  un  exemple  ;  mon  avis  n'a  pas  été 
suivy  ;  mais  il  me  reste  l'espérance,  que  le  parlement 
quy  va  les  juger  de  suite,  corrigera  cette  sentence,  et  par 
la  le  public  se  trouvera  satisfait  et  le  crime  ne  restera 
pas  impuny  ;  jay  crû,  Monseigneur,  que  vous  ne  désap- 
l>rouveriés  que  j'aye  l'honneur  de  vous  informer  de  cette 

(i)  Rigoureuse  est  une  corrcclion  du  ministre.  Il  y  avait  exacte. 
(2)  Pour  m  mUiorem,  c'osl-à-dirc  la  peine  la  moins  forte. 


DEPECHES  359 

affaire.  J'en  feray  de  même  lorsque  l'arrêt  sera  rendu  ; 
quoyque  mes  confrères  n'ayent  pas  secondé  mon  zelle 
dans  cette  affaire,  néanmoins  j'oze  vous  assurer,  Monsei- 
gneur, que  cela  ne  diminuera  en  rien  mon  activité  à  con- 
tenir le  bon  ordre  ;  et  a  mériter  s'il  est  possible  par  tous 
mes  soins  votre  puissante  Protection. 

.l'ai  l'honneur  d'être  avec  un  très  profond  respect 
Monseigneur 

Votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur 
David  de  Beaudrigue 
GapilouL 


10 


LE     00 MTR    DE    ROCHEGHOUART 
A   M.    DE   SAINT-FLORENTIN. 

A  rarme  le  ÎJ  décembre  17GI. 

Monsieur, 
Les  bontés  que  vous  m'avez  témoignées  en  tant  d'occa- 
sions m'autliorisent  a  y  recourir  en  faveur  d'une  per- 
sonne a  qui  je  dois  beaucoup  d'égards.  C'est  le  Sieur  La- 
vaysse,  avocat  au  parlement  de  Toulouse,  dont  le  fils  a  été 
impliqué  dans  une  affaire  malheureuse  qui  ne  laisse  au- 
cun soupçon  sur  son  innocence.  Ce  père  affligé  me  mande. 
Monsieur,  qu'il  a  eu  l'honneur  de  vous  adresser  un  mémoire 
contenant  le  détail  du  fait  qui  a  donné  lieu  a  cette  ac- 
cusation. Comme  il  m'en  a  envoyé  en  même  temps  une 
copie,  j'ai  été  en  état  de  m'en  instruire,  il  ne  faut  que 
jeter  un  coup  d'œuil  sur  la  procédure,  pour  reconnoitre 
l'esprit  de  vertige  et  de  rumeur  populaire  qui  en  a  été  le 


360  DÉPÊCHES 

principe.  Tout  y  est  sans  fondement  et  liors  de  la  plus  lé- 
gère vraisemblance 

Je  ne  compte  donc,  Monsieur,  que  réclamer  votre  jus- 
tice contre  des  calomnies  odieuses,  et  vous  faire  connoitre 
l'intérêt  que  je  prends  à  mi  homme  de  probité,  qui  depuis 
nombre  d'années  a  bien  mérité  de  toute  la  province  du 
Languedoc  par  ses  longs  travaux  et  une  conduite  irré- 
prochable. 
Je  suis  avec  respect 
Monsieur 

Votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur 

KOCHECHOUART. 


11 


LE  CAPITOUL  DAVID  DE  BEAUDRIGUE 
A   M.    DE   SAINT-FLORENTIN. 


Toulouse  9  décembre  i76l. 

Monseigneur, 
J'avois  eu  l'honneur  de  vous  marquer  dans  ma  der- 
nière lettre  que  je  vous  instruirois  de  l'arrêt  que  le  par- 
lement rendroit  au  sujet  de  l'affaire  des  Calas,  qui  inte- 
resse toutes  les  provinces.  Il  fut  rendu  samedy  dernier 
sixième  du  courant;  le  public  attendoit  avec  impatience 
l'exemple  que  mérite  un  crime  de  cette  espèce.  Voicy 
l'arrêt,  il  passa  immissiorem,  que  l'inquisition  commen- 
cée seroit  continuée  d'authorité  de  la  Cour  ;  cependant 
j'auray  l'iionneur  de  vous  observer,  Monseigneur,  que 
quoyqu'il  passât  immissiorem,  il  y  eut  cinq  voix  aies  rom- 
pre vifs;  nous  attendons  a  présent  les  nouvelles  decou- 


DÉPÊCHES  361 

vertes  que  faira  M  le  procureur  gênerai  pour  douner  plus 
de  force  a  cette  inquisition.  J'auray  l'honneur,  Monsei- 
gneur, de  vous  informer  de  tout  ce  qui  ce  faira  a  ce  sujet, 
même  du  second  arrêt  quy  sera  rendu.  Je  redoubleray 
mon  zelie  et  mon  attention  pour  contenir  le  bon  ordre  et 
mériter  par  mes  soins  votre  Puissante  Protection. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  très 
profond  respect 
Monseigneur 

Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 
David  de  Beaudrigue 
Capitoul. 


12 


M.    DE     SAINT-FLORENTIN 

A  M.    DE   ROCHECHOUART. 

20  décembre. 

J'aurais  été  fort  aise,  M.  de  faire  plaisir  au  sieur  La 
Vaysse  dont  je  connais  les  talents  et  la  probité,  et  j'aurais 
surtout  été  charmé  de  luy  faire  ressentir  combien  votre 
recommandation  a  de  poids  auprès  de  moi.  Mais  l'affaire 
dans  laquelle  son  fils  se  trouve  malheureusement  impli- 
qué est  sous  les  yeux  de  la  justice.  Le  Parlement  en  est 
saisi,  et  il  est  d'autant  plus  impossible  d'en  arrêter  ni 
même  d'en  suspendre  le  cours  que  le  titre  de  l'accusa- 
tion est  des  plus  graves,  qu'il  a  du  rapport  à  la  religion 
et  qu'il  fixe  l'attention  de  toute  la  Province.  Le  S.  Lavaysse 
m'avait  écrit  dans  les  commencements  pour  obtenir  un 
surcis,  mais  le  Roi  à  qui  je  rendis  compte  de  sa  demande 
et  des  motifs  sur  lesquels  il  la  fondait  ne  jugea  pas  à  pro- 
pos d'y  avoir  égard. 


362  DÉPÊCHES 

13 

M.  DE  LAMOIGNON,  CHANCELIER  DE  FRANCE 
A  M.    DE   SAINT-PRIEST,   INTENDANT  DE   LANGUEDOC 

à  Versailles,  le  23  février  1762. 

^Monsieur, 

Vous  nMgnorés  pas  sans  doute  que  le  parlement  de  Tou- 
louse instruit  un  procès  criminel  contre  le  nommé  Calas 
et  sa  femme,  accusés  d'avoir  étranglé  leur  fils  qui  était 
sur  le  point  d'abjurer  la  religion  protestante,  dont  on  dit 
qu'ils  font  profession.  Pendant  le  cours  de  cette  procé- 
dure il  a  été  distribué  de  la  part  des  protestants  (car  ils 
ne  déguisent  point  leur  qualité)  différens  mémoires,  pour 
justifier  les  accusés.  Ce  procès  sera  décidé  suivant  la  qua- 
lité des  preuves:  comme  elles  ne  me  sont  pas  parvenues, 
je  n'en  porte  aucun  jugement.  Mais  il  vient  d'être  répandu 
dans  la  ville  de  Toulouse  un  écrit  fort  injurieux  au  par- 
lement, dont  il  ne  tardera  pas,  si  fait  n'a  été,  de  deman- 
der la  suppression  et  même  la  condamnation  à  être  brûlé. 
La  suite  de  ce  jugement  doit  être  une  information  contre 
les  auteurs  et  distributeurs  de  l'éci'it.  Or  on  ne  peut  dou- 
ter que  le  distributeur  de  l'écrit  ne  soit  le  nommé  Paul 
Uabaul  {sic),  demeurant  à  Nismes,  qu'on  dit  être  protes- 
tant, puisqu'il  a  signé  lui-même  une  partie  des  exemplai- 
res de  l'écrit  en  question  qui  sont  parvenus  aux  magis- 
trats de  Toulouse.  Si  le  parlement  se  porte  à  le  décréter, 
comme  il  y  a  tout  lieu  de  le  croire,  les  suites  de  cette 
accusation  peuvent  être  considérables.  Peut-être  serait-il 
convenable  que  le  décret  qui  serait  rendu  par  le  parlement 
ne  fut  pa'?  exécuté.  Prenez  la  peine  de  me  mander  ce  que 
vous  en  pensez  et  s'il  n'y  aurait  pas  des  mesures  à  pren- 


DÉPÈCHES  363 

dre  pour  prévenir  les  suites  d'un  arrêt  que  le  parlemen 
ne  peut  s'empêcher  de  rendre  et  dont  on  ne  peut  le  blâ- 
mer. Le  Roy  est  instruit  de  cette  affaire  et  c'est  en  con- 
séquence du  compte  que  je  lui  en  ai  rendu  que  je  vous 
écris  la  présente. 
Je  suis,  Monsieur,  votre  affné  serviteur. 

DE  LAMOIGNON. 


u 


M.     DE    SAINT-FLORENTIN 
A    M.    DE   BONREPOS,    PROCUREUR    GÉNÉRAL. 


2    mars  1763. 


J'ai,  M.  rendu  compte  au  Roi  des  observations  que  vous 
avez  pris  la  peine  de  me  faire  au  sujet  du  libelle  imprimé 
qui  s'est  répandu  en  Languedoc  à  l'occasion  de  l'affaire 
du  S'  Galas.  S.  M.  approuve  que  vous  donniez  votre  réqui- 
sitoire pour  faire  proscrire  ce  libelle.  Mais  elle  croit  à  pro- 
pos que  l'exemplaire  que  vous  représenterez  soit  du  nom- 
bre de  ceux  que  Paul  Rabaud  n'a  pas  souscrits,  en  sorte 
qu'en  requérant  contre  l'ouvrage,  vous  puissiez  vous  dis- 
penser de  requérir  contre  l'auteur  ou  du  moins  contre 
celui  qui  l'avoue.  Il  pourra  arriver  que  quelque  membre 
de  la  Comp*  le  dénonce  et  représente  quelque  exemplaire 
signé  de  lui.  En  ce  cas  là,  vous  pourrez  prendre  contre  lui 
telles  conclusions  que  vous  aviserez  et  qui,  à  ce  que  je 
vois,  tendront  au  décret  de  prise  de  corps,  et  suivant 
toutes  les  apparences,  le  Parlement  l'ordonnera.  Ce  que 
S.  M.  désire  de  vous,  dans  cette  conjoncture,  c'est  que 
vous  ne  précipitiez  rien  ;  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que 


o6U  DEPECHES 

Rabaud  informé  de  ce  décret  disparaîtra  et  peut  être  se 
retirera  en  païs  étranger.  Si  cependant  il  a  l'audace  de 
continuer  à  se  montrer,  vous  pourrez  le  faire  arrêter  en 
vertu  du  décret.  Mais  alors  il  faudra  que  vous  preniez  de 
bonnes  mesures  pour  prévenir  toute  secousse  et  pour  que 
rautorité  du  Roi  et  du  ParP  ne  souffre  aucune  atteinte. 
Je  connais  votre  prud"'  et  je  suis  bien  persuadé  que 
vous  ne  négligerez  aucune  des  dispositions  qu'une  pareille 
circonstance  exige. 


15 


M.   DE  SAINT-PRIEST 
AU    CHANCELIER  DE    LAMOIGNON. 

Montpellier,  5  mars  1762. 

Monsieur,  J'ai  reçu  la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré 
au  sujet  d'un  écrit  injurieux  au  parlement  de  Toulouse 
distribué  de  la  part  des  protestants  à  l'occasion  du  procès 
des  Calas  et  dont  quelques  exemplaires  sont  signés  par  le 
nommé  Paul  Rabaût  qu'on  vous  a  dit  être  un  protestant 
demeurant  à  Nismes.  Vous  pensez  \].  que  le  parlement  de 
Toulouse  va  informer  contre  les  auteurs  et  distributeurs 
de  cet  écrit,  et  que  s'il  vient  à  décréter  le  nommé  Rabaùt, 
il  serait  peut-être  convenable  d'empêcher  l'exécution  de 
l'arrêt. 

Le  nommé  Paul  Rabaût  est  un  fameux  ministre  de  la 
religion  P.  R.;  il  est  regardé  comme  le  chef  des  minis- 
tres et  prédicants  qui  sont  répandus  dans  le  Languedoc 
et  particulièrement  de  ceux  qui  sont  dans  les  Gévennes  et 
dans  le  Lavonage  {sic).  Sa  résidence  ordinaire  est  à 
Msmes.  C'est  lui  qui  étant  à  la  tête  d'un  nombre  assez 


DÉPÈCHES  365 

considérable  de  protestants  remit  à  M'  de  PaiUmy  un 
placet  sur  le  grand  chemin  de  Montpellier  à  Nismes.  Il  n'y 
a  pas  longtemps  qu'il  publia  une  lettre  pastorale  dont 
j'adressai  un  exemplaire  à  M.  le  G",  de  S'.  Florentin. 
Enfin  cet  homme  est  en  très-grande  vénération  parmi 
ceux  qui  professent  sa  religion;  conséquemment  l'exécu- 
tion du  décret  ne  seroit  rien  moins  que  facile,  parce  que 
les  protestants  avertis  du  danger  dont  le  ministre  seroit 
menacé,  ne  négligeraient  rien  pour  le  soustraire  aux 
poursuites  du  parlement.  Cette  cour  sentira  bien  sans 
doute  jusqu'où  elle  doit  pousser  l'exécution  de  son  arrêt, 
si  elle  en  rend  un  ;  car  si  ce  ministre  venoit  à  être  arrêté 
dans  la  circonstance  présente,  oùil  y  a  très-peu  de  troupes 
en  Languedoc,  je  ne  garantirais  point  que  son  arrestation 
ne  causât  une  fermentation  dangereuse.  Au  surplus  le 
nommé  Paul  Rabaût  n'est  point  d'un  caractère  séditieux, 
on  le  dit  au  contraire  assez  doux  ;  il  est  âgé  d'environ 
cinquante  ans. 

Je  pense  donc  M.  que  si  le  parlement  décrète  cet 
homme  de  prise  au  corps,  il  est  à  propos  d'empêcher 
l'exécution  de  l'arrêt.  Je  suis,  etc.. 


16 


LE  PRESIDENT  DE  SENAUX 
A   M.    DE    SAINT-FLORENTIN. 

Toulouso,  10  mars  17C2. 

(  Il  annonce  au  ministre  que  Calas  est  condamné) 
...  a  être  rompu  vif,  a  être  expiré  deux  heures  sur 
une  roue,  après  quoy  il  sera  étranglé  et  sera  jette  sur 

31 


366  DÉPÊCHES 

un  bûcher  ardent  pour  y  être  brûlé  et  consommé.  Cette 
dernière  peine  est  une  réparation  due  a  la  Religion  dont 
rheureux  changement  qu'en  avoit  fait  son  fils  a  été  vrai- 
semblablement la  cause  de  sa  mort. 

«  Je  m'empresse,  Monsieur,  de  vous  instruire  de  cet 
arrêt  en  conséquence  des  ordres  réitérés  que  vous  m'avez 
donnés  à  ce  sujet,  par  lesquels  en  approuvant  ma  conduite 
et  mon  zèle  pour  l'éclaircissement  des  preuves  de  cette 
affaire  d'Etat  vous  me  chargeâtes  expressément  de  vous 
instruire  sans  delay  du  jugement  qui  interviendroit.  Je  le 
fais  avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  j'unis  dans  cette 
occasion  mon  inclination  à  mon  devoir,  heureux  si  mes 
travaux  assidus  et  mon  application  exacte  au  service  du 
Roy  et  du  Public  me  conservent  la  continuité  de  vos  bontés. 


17 


LE  GAPITOUL  DAVID  DE  BEAUDRIGUE 
AU  MÊME. 

Toulouse,  ce  10  mars  1762. 

Monseigneur, 

Comme  je  me  suis  fait  un  devoir  de  vous  informer  de 
tous  les  événements  qui  se  passeront  en  cette  ville,  et 
nottamcnt  concernant  l'affaire  des  Calas,  j'ay  l'honneur 
devons  asseurer  qu'ils  feurent  jugés  hier,  et  que  parl'arret 
qui  est  intervenu  Calas  le  père  est  condamné  a  être 
l'ompu  vif  et  a  expirer  deux  heures  sur  la  roue,  préa- 
lablement appliqué  i\  la  question  ordinaire  extraordinaire, 
après  quoy  jette  dans  un  bûcher  ou  son  corps  réduit  en 
cendres  seront  jettées  au  vent  {hi).  Ou  a  surcis  au  juge- 


DÉPÊCHES  367 

ment  des  autres  jusqu'après  Texécution.  J'auray  la  même 
intention  de  vous  informer  du  Jugement  des  autres. 

J'ay  l'honneur  d'être  avec  un  trèsprofond  respect 
Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 
David  de  Beaudrigde 
Capitoul 


18 


LE  PRÉSIDENT  DU  PUGET 
AU   MÊME. 

Toulouse  le  10  mari  1762. 

Monseigneur, 

Je  croirois  manquer  a  mon  devoir  si  je  n'avois  l'hon- 
neur de  vous  informer  de  l'arrêt  que  la  Chambre  Tour- 
nelle  a  rendu  le  jour  d'hier  et  auquel  j'ay  présidé,  contre 
la  famille  Calas,  protestants,  acusés  de  l'assassinat  d'un 
de  leur  fils  et  frère  qui  etoit  en  même  {sic)  de  se  con- 
vertir. Comme  je  sçay.  Monseigneur,  que  vous  êtes  ins- 
truit des  circonstances  de  cette  affaire,  je  me  contente- 
ray  seulement  de  vous  informer  que  l'arrest  condamne 
Calas  père  a  être  appliqué  à  la  question  ordinaire  et 
extraordinaire,  de  suite  rompu  vif  et  son  corps  ensuite 
brullé,  et  surceoit  au  jugement  des  autres  i^evenus  jus- 
quaprès  le  testament  de  mort  de  Calas  père.  L'action  est 
des  plus  noires  et  les  motifs  affreux,  et  d'une  très  dan- 
gereuse conséquence  pour  l'Etat  ;  mon  zelle  pour  le  ser- 
vice du  i\oy  m'engage  do  vous  représenter.  Monseigneur, 
qu'il  seroit  essentiel  de  trouver  des  moyens  pour  em- 
pêcher rentrée  des  .Alinistres  de  la  Religion  prétendue 


o68  DÉPÊCHES 

Reflformée  dans  le  Royaume,  et  empêcher  leur  commerce 
avec  ceux  de  la  même  Religion  qui  sont  dans  les  pays 
étrangers,  où  ils  enseignent  des  maximes  sanguinaires 
qu'ils  viennent  répandre  dans  nos  contrées  en  procurant 
par  là  des  crimes  affreux.  Je  suis  avec  respect 
Monseigneur 

Votre  très   humble  et  très 
obéissant  serviteur 

Du  PUGET. 


19 


M.   DE  SAINT-FLORENTIN 
A   M.    LE   PRÉSIDENT   DU    PUGET. 


20  mais  1762. 


Je  vous  suis  très  obligé,  M.  d'avoir  bien  voulu  m'ins- 
truire  de  l'arrêt  qui  vient  d'être  rendu  contre  Calas  père. 
Je  vous  le  serai  également  de  me  faire  part  des  révéla- 
tions qu'il  aura  faites  dans  son  testament  de  mort,  et 
des  suites  qu'elles  auront  eu  par  rapport  aux  autres  ac- 
cusés. Vous  pensez  avec  raison  qu'il  seroit  fort  intéressant 
d'empêcher  les  prédicants  d'entrer  dans  le  Royaume  et 
d'avoir  aucun  commerce  avec  ceux  des  pays  étrangers. 
Mais  les  ménagements  que  la  guerre  rend  nécessaires  ne 
permettent  guères  de  s'en  occuper  actuellement.  Lors- 
que la  paix  sera  revenue  je  suis  persuadé  que  S  M.  pren- 
dra les  mesures  qu'elle  croira  les  plus  efficaces  pour  ré- 
primer ce  désordre. 


DÉPÊCHES  369 

20 

LE  MÊME 

A   M.   DAVID   DE    BEAUDRIGUE. 

20  mars. 

(Il  le  remercie  et  l'engage  à  continuer  de  lui  écrire.) 


21 


LE    MEME 

A    M.    LE    PRÉSIDENT   DE   SENAUX. 

Î5  mars. 

(Mêmes  remercîments  et  m.ème  recommandation.  ) 


LE  GAPITOUL  DAVID  DE  BEAUDRIGUE 
A    31.    DE   SAliNT-FLORENTliN. 

Toulouse  lo  -27  mais  176"2. 

Monseigneur, 

Jay  riionneur  de  vous  informer  de  l'arrêt  quy  a  ete 
rendu  contre  les  autres  accuzés  de  Calas.  Le  Fils  a  été 
condamné  au  Bannissement  hors  du  Uoyaume  et  a  per- 
pétuité, la  femme  de  Galas,  Lavaysse  et  la  servante  ont 
été  mis  hors  de  Cour.  Cet  arrêt  n'a  pas  laissé  que  de  sur- 


370  BÉPÊCHES 

prendre  tout  le  monde,  quy  s'attendoit  a  quelque  chose 
de  plus  rigoureux. 

Le  procureur  de  Galas  Père  donna  une  requette  pen- 
dant qu'on  examinoit  le  procès  dans  laquelle  il  deman- 
doit  de  s'inscrire  en  faux  contre  la  procédeure,  et  disoit 
que  l'extrait  etoit  infidelle  en  ce  qu'on  avoit  ajouté  un 
mot  décizif  ;  cette  requette  fut  rejettée  parce  qu'elle  n'é- 
toit  pas  suivie  d'une  procuration  de  la  partie;  cependant 
M  le  Rapporteur  vint  vérifier  le  fait  qu'il  trouva  bien  en 
règle,  et  comme  cette  calomnie  retomboit  sur  moi  qui 
avés  visé  l'extrait  de  la  procédeure,  et  que  l'original  avoit 
été  toujours  en  mon  pouvoir,  je  crus  qu'il  convenoit  d'en 
porter  plainte  a  la  chambre  Tournelle  et  en  conséquence 
trois  de  mes  confrères  et  moy  fumes  à  la  chambre  Tour- 
nelle porter  notre  plainte  verballe,  sur  laquelle  il  est 
intervenu  arrêt  qui  condamne  ce  procureur  en  trois 
mois  d'interdiction  et  ordonne  qu'il  se  rendra  devers  le 
greffe  criminel  du  parlen^nt,  où  en  présence  d'un  com- 
missaire a  ce  député,  il  déclarera  que  malicieusement  et 
inconsidérément  il  s'est  porté  à  présenter  une  pareille  re- 
quête contre  la  juridiction  de  Messieurs  les  Gapitouls, 
dont  il  se  repend  et  demande  pardon  et  en  conséquence 
que  la  requette  sera  biffée  et  lacérée.  Ce  procureur 
nommé  Durroux  doit  se  pourvoir  au  conseil  en  Cassa- 
tion dud.  arrêt.  Sy  cela  arrivoit,  permettes  moy.  Mon- 
seigneur, de  vous  demander  votre  puissante  protection. 
Je  tacherai  de  la  mériter  par  mon  zelle  et  mon  attenton 
a  exécuter  dans  toutes  les  occazions  vos  ordres. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  très-profond  respect 
Monseigneur 

Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 
David  de  Beaudrigue 
Capitoul 


DÉPÊCHES  3^71 

23 

LE  PRÉSIDENT  DU  PUGET 
AU  MÊME. 

Toulouse,  27  mars  1762. 

Monseigneur, 

J'ai  prévenu  vos  dezirs  en  ayant  eu  Tlionneur  de  vous 
informer  de  Farrest  que  le  parlement  a  rendu  contre  les 
complices  de  Galas.  Cette  procédure  ayant  commancé  de- 
vant les  Capitouls  avec  Monyer  assesseur  de  cette  juri- 
diction, on  a  vu  que  Monyer  avoit  prévariqué  dans  ses 
fonctions,  ce  qui  a  donné  lieu  à  la  chambre  Tournelle,  sur 
les  conclusions  de  M  le  procureur  général  de  décréter  le 
dit  Monyer  d'ajournement  et  d'ordonner  l'enquis  contre 
luy,  et  la  procédure  se  fait. 

Dans  le  temps.  Monseigneur,  que  nous  étions  occupés 
au  jugement  de  Galas  père,  Duroux  fils,  procureur  en  la 
Gour,  présenta  une  Requette  au  nom  du  dit  Galas,  de  sa 
femme  et  de  son  fils,  qui  tendoit  aaccuzertout  le  Tribunal 
des  Gapitouls  et  notamment  un  d'eux  de  faux  et  de  pré- 
varication sur  laquelle  requête  nous  rendîmes  un  arrêt 
de  néant.  Cependant  les  Gapitouls  ayant  été  instruits  de 
cette  Requette  vinrent  en  porter  plainte  au  parlement  qui 
leur  en  octroya  acte.  Duroux  fils,  mandé  venir  et  ouy, 
après  avoir  avoué  la  ditte  Requette  a  été  condemné  à  se 
transporter  au  greffe  pour,  en  présence  d'un  Commissaire, 
déclarer  qu'inconsidérément  et  témérairement  il  a  fait, 
présenté  et  fait  signer  cette  Requette,  laquelle  sera  lacé- 
rée par  le  greffier,  dont  il  sera  dressé  procès  verbal,  et 
au  surplus,  l'interdit  pour  trois  mois  de  ses  fonctions. 

Agréés,  Monseigneur,  que  je  profitte  de  cette  occasion 
pour  vous  prier  d'obtenir  du  Roy  des  lettres  de  cachet 


372  DÉPÊCHES 

pour  faire  enfermer  dans  un  couvent  Anne  et  Anne-Rose 
Calas  filles  de  ce  malheureux  père.  L'ainée  est  la  plus 
obstinée  dans  sa  Religion  et  la  cadette  a  des  dispositions 
pour  se  convertir.  Il  y  a  lieu  de  craindre  que  cette  ca- 
dette ne  persiste  pas  dans  cette  bonne  résolution  étant 
revenue  avec  sa  mère  qui  est  fort  entêtée  et  avec  sa  sœur. 
Et  si  Sa  Majesté  se  détermine  à  les  faire  enfermer  je  crois 
qu'elles  doivent  l'être  dans  des  couvents  différents.  D'ail- 
leurs elles  sont  très  jeunes  ;  Anne  Calas  n'a  que  vingt-un 
ans,  etAnneRoze  Calas  20  (1).  Celle  cy  a  un  patrimoine 
particulier  de  18  a  vingt  mil  francs  qui  peut  fournir  à  son 
entretien.  Et  Anne  Galas  aura  sa  portion  des  biens  que  la 
loy  luy  donne  sur  ceux  de  son  père.  J'espère  que  vous 
voudrés  bien  avoir  égard  a  la  représentation  que  la  Reli- 
gion m'inspire  de  vous  faire.  Je  suis  avec  respect  Mon- 
seigneur 

Votre  très  humble  et 
très  obéissant  serviteur 

Du  PUGET 


24 


M.     DE    SAINT-FLORENTIN 
A    M.    DE   BONREPOS,    PROCUREUR   GÉNÉRAL. 

A  avrU. 

J'ai  reçu  M  les  lettres  par  lesq.  vous  avez  pris  la 
peine  de  m'informer  des  jugements  rendus  par  le  Pari' 
dans  l'affaire  des  Calas.  Je  ne  doute  pas  qu'ils  n'ayent 
été  rendus  conformém*  à  ce  qui  a  résulté  des  informa- 

(0  Anne  (ou  Nanelte)  que  le  Présiacnl  du  Pugol  appelle  l'ainée 
élail  la  radeUe;  c'est  elle  qui  avait  quelque  bien. 


DÉPÊCHES  373 

lions  et  procédures.  Mais  j'aurais  fort  désiré  que  Calas 
eût,  par  son  aveu,  confirmé  la  justice  de  la  condamna- 
tion intervenue  contre  lui.  Cela  aurait  pu  empêcher  les 
mauvais  propos  des  ministres  et  les  impressions  fâcheu- 
ses qu'ils  donnent  à  cette  occasion  à  leurs  adhérents.  Le 
Roi  a  approuvé  le  dessein  où  vous  êtes  de  faire  chercher 
les  deux  jeunes  filles  de  Calas  et  de  les  faire  arrêter  et 
mettre  dans  un  couvent.  Je  vous  envoyé  les  ordres  que 
vous  demandez  à  cet  effet.  J'ai  fait  laisser  le  nom  du 
couvent  en  blanc;  vous  voudrez  bien  le  faire  insérer 
dans  les  ordres  lorsque  cela  deviendra  nécessaire  (1)  Je 
verrai  par  quels  moyens  il  sera  possible  de  procurer  à 
Calas  fils  une  pension  qui  le  mette  en  état  de  sub- 
si-ter.  Cependant  il  me  paraît  qu'il  est  d'âge  à  remplir 
quelque  état  et  à  se  procurer  de  quoi  se  soutenir  par  lui 
même. 


25 

LE    MÊME  AU   MÊME. 


22  mai. 


Je  VOUS  suis  obligé  M.  du  détail  dans  lequel  vous  avez 
bien  voulu  entrer  avec  moi  sur  les  motifs  qui  ont  déter- 
miné le  jugement  du  Parlement  dans  l'affaire  de  Calas. 
Je  ne  peux  qu'approuver  les  arrangements  que  vous  avez 
pris  pour  placer  les  deux  filles  dans  deux  couvents  dif- 
férents. Les  ordres  du  Roi  que  je  vous  ai  adressés  me 
paraissent  comme  à  vous  suffisants  pour  remplir  vos  \Ties. 
Si  cependant  il  s'y  rencontrait  quelque  difiîculté,  sur  l'a- 

(i)  Mots  biffés  :  Je  parlerai  à  M.  l'Evêq.  d'Orléans  pour  voir  s'il 
est  possible  de  procurer  à  Calas  fils  une  pension  sur  les...  (La  phrase 
csl  inachevée.)  C'csl  do  Louis  qu'il  s'agii. 

32 


31U  DÉPÊCHES 

vis  que  vous  prendrez  la  peine  de  m'en  donner,  j'en  ex- 
pédierai sur  le  champ  de  nouveaux  et  je  vous  les  enver- 
rai. 

Ce  que  vous  me  marquez  de  la  V^«  Calas  me  semble 
mériter  attention  :  s'il  est  vrai  qu'elle  fasse  la  prédi- 
cante  aux  environs  de  Montauban,  je  me  ferais  d'au- 
tant moins  de  scrupule  de  proposer  au  Roi  de  la  faire 
enfermer  qu'il  y  a  toute  apparence  qu'elle  était  com- 
plice du  crime  de  son  mari,  et  que  ce  n'est  que  par  le 
défaut  de  preuves  juridiques  qu'elle  a  échappé  à  la  pu- 
nition. Je  vous  prie  donc  de  vous  faire  informer  plus  par- 
ticulièrement de  la  conduite  de  cette  femme,  et  de  me 
marquer  ce  que  vous  en  aurez  appris  et  ce  que  vous  en 
penserez. 


26 


VOLTAIRE 
A  M.   DE   SAINT-FLORENTIN. 

Aux  Délices  2  juillet  1762. 

Monseigneur 
On  me  conjure  de  prendre  la  liberté  de  vous  adresser 
ces  pièces,  et  je  la  prends.  Je  vous  supplie  d'excuser  l'at- 
tendrissement qui  me  force  à  vous  importuner.  Je  crois 
Tiimocence  des  Galas  démontrée.  Et  j'ose  vous  dire  que 
plus  d'une  nation  vous  bénira  si   vous  daignez  protéger 
une  famille  malheureuse  et  la  plus  vertueuse  mère  ré- 
duite à  l'état  le  plus  horrible. 
J'ay  l'honneur  d'être  avec  le  plus  profond  respect 
Monseigneur 

Votre  très  humble,  très  obéissant 
et  très  obligé  serviteur 
Voltaire. 


DÉPÊCHES  575 

27 


M.   DE  SAINT-FLORENTIN 
A    M.    DE    SAINT-PRIEST. 

8  mars  1764. 

(Le  ministre  l'approuve  d'avoir  défendu  la  vente  d'un 
Traité  sur  ta  tolérance  (1)  qui  s'est  débité  à  Montpellier  ; 
11  aurait  même  pu  en  faire  saisir  les  exemplaires.) 

Bien  loin  qu'il  se  vende  publiquement  à  Paris,  comme  le 
libraire  a  voulu  vous  le  faire  entendre,  j'ai  au  contraire 
donné  les  ordres  les  plus  précis  pour  faire  saisir  tous  les 
exemplaires  qui  pourraient  y  arriver. 

P.  S,  Ce  livre  n'ayant  pas  paru  ici  et  ne  m'étant  pas 
connu,  je  vous  prie  de  m'en  envoyer  une  couple  d'exem- 
plaires. 


LE    MEME 

A  M.  LE   CONTROLEUR  GÉNÉRAL  (1). 

47    avril  4765. 

J'ai  l'honneur,  M.  de  vous  envoyer  un  mémoire  de  Louis 
Calas.  C'est  un  fils  de  celui  qui  a  été  condé  par  le  Pari'  de 
Toulouse,  il  y  a  quelques  années  qu'il  s'est  converti.  Sa 
famille  l'avait  abandonné  en  haine  de  sa  conversion  et  il 
a  fallu  employer  l'autorité  du  Roi  pour  obliger  son  père 
à  lui  payer  une  pension.  Il  parait  par  son  mémoire  que 

(1)  Par  Voltaire, 

(2)  De  Laverdy  (Voir  p.  2  59). 


376  DÉPÊCHES 

le  don  qui  vient  d'être  fait  par  S.  M.  à  sa  famille  se  dis- 
tribue entre  sa  mère,  son  frère  aîné  et  ses  2  sœurs,  qu'il 
en  est  exclu  et  qu'il  ne  demande  pas  à  y  partager.  Il  se 
borne  à  demander  qu'une  pension  de  100  fr.  qu'il  a  sur 
les  économats  soit  augmentée.  J'approuve  le  désintéres- 
sement qu'il  marque  en  faveur  de  sa  mère,  de  son  frère 
et  de  ses  sœurs.  Mais  il  me  parait  essentiel  qu'il  partage 
avec  eux  la  gratif""  accordée  par  S.  iM.,  à  moins  qu'il  ne 
lui  soit  accordé  quelque  grâce  particulière,  du  moins 
aussi  marquée  et  qui  même  emporte  quelque  distinction. 
Tous  les  protestants  du  Roy"  ont  eu  et  ont  encore  les 
yeux  ouverts  sur  le  sort  des  Galas.  Ils  ne  tarderont  pas 
d'être  informés  de  la  faveur  que  cette  famille  vient  d'ob- 
tenir du  Rci.  Et  que  pourront  ils  penser  lorsqu'ils  ver- 
ront que  le  seul  catholique  de  cette  même  famille  n'y  a 
aucune  part?  Ce  sera  pour  eux  un  motif  de  triomphe,  et 
ce  qu'il  y  a  de  plus  fâcheux,  un  nouveau  motif  propre  à 
entretenir  et  à  fortifier  la  persuasion  où  ils  sont  déjà,  par 
l'artifice  de  leurs  ministres,  que  le  Roi  est  décidé  pour  la 
tolérance.  L'inaction  où  nous  restons,  faute  de  troupes, 
en  Languedoc  et  dans  la  plupart  des  Provinces  infectées 
de  l'hérésie  ne  le  leur  persuade  déjà  que  trop.  Aussi,  sui- 
vant les  d'"  nouvelles  que  j'ai  reçues  de  Languedoc,  les 
Protestants  y  deviennent  de  jour  en  jour  plus  audacieux. 
Dans  le  mois  d"  il  y  a  eu  des  assemblées  de  6,000  hom- 
mes dans  le  diocèse  du  Puy.  Le  jour  de  Pasques  il  s'en 
est  tenu  une  très-nombreuse  presque  aux  portes  de 
Montp",  où  résident  le  Commandant  et  l'Intend'  de  la 
province.  Depuis  peu  on  a  tenté  jusqu'à  deux  fois  de  bâ- 
tir un  temple  dans  une  paroisse  de  cette  même  Province. 
Si  l'on  ne  peut  actuellement  remédier  à  tous  ces  désor- 
dres, il  est  du  moins  important  de  ne  pas  laisser  croire 
que  S.  M.  les  approuve.  Il  est  important  que  Ton  sache 
qu'elle  persiste  dans  l'intention  où  elle  a  toujours  été 
de  protéger  la  R.  C.  et  de  n'en  pas  souffrir  d'autre  dans 


DÉPÈCHES  377 

son  Roy''.  Des  circonstances  singulières  l'ont  déterminée 
à  accorder  une  gratifo»  à  une  famille  protestante  et  pu- 
bliquement reconnue  telle.  IMais  il  ne  faut  pas  que  l'on 
puisse  en  rien  conclure  en  faveur  de  la  Religion  que  cette 
famille  professe.  C'est  néanmoins  ce  qui  arriverait  si  un 
catholique  de  cette  famille,  à  qui  le  malheur  commun 
donne  le  même  droit  aux  bontés  de  S.  M.  s'en  trouvait 
privé.  Les  Protestants  ne  manqueraient  pas  de  s'en  préva- 
loir et  en  même  temps  ce  serait  un  véritable  sujet  d'af- 
fliction pour  les  Cath.  et  pour  les  N^  convertis  et  une  rai- 
son d'éloignement  pour  ceux  des  Relig"'  qui  auraient 
quelque  disposition  à  rentrer  dans  le  sein  de  l'Eglise. 


2d. 


LETTRES 


DE  LA 


SŒUR  ANNE-JULIE  FRAISSE 


«  Je  pense  actuellement  qu'un  quelqu'un  qui  ne 
nous  connaîtrait  pas  et  qui  verroit  nos  lettres,  vous, 
jeune  et  jolie  demoiselle  protestante,  et  moy,  vielle 
et  laide  religieuse  en  serolt  bien  surpris.  »» 

(Lettre  XVI.) 


AVERTISSEMENT. 


La  sœur  Anne-Jolie  Fraisse  ou  de  Fraisse  était  née 
avec  le  dix-huitième  siècle,  le  6  janvier  1700.  Élevée 
sous  le  règne  de  Louis  XIV,  il  est  probable  qu'elle  en- 
tra au  couvent  dès  les  premiers  jours  de  la  Régence. 
L'influence  qu'elle  sut  exercer  au  dehors  en  faveur  des 
Calas,  le  mariage  de  sa  sœur  avec  M.  de  Bertier,  d'une 
famille  considérable  de  Toulouse,  sa  parenté  très-pro- 
che avec  M.  d'Auriac,  président  au  grand  conseil  et 
gendre  du  chancelier  de  Lamoignon,  tout  indique  que 
les  parents  d'Anne-Julie  occupaient  ime  position  éle- 
vée; mais  je  n'ai  pu  trouver  ni  à  Toulouse,  ni  ailleurs, 
aucun  renseignement  à  leur  sujet. 

Il  importe  peu.  C'est  par  son  caractère  personnel  que 
la  sœur  Anne-Julie  nous  intéresse. 

Voici  comment  l'historien  des  Eglises  du  désert  appré- 
ciait cette  correspondance  qu'il  m'a  confiée  et  que  je 
publije  aujourd'hui,  selon  son  désir. 


382  AVERTISSEMENT. 

((  Ces  lettres  sont  charmantes  de  pensée  et  souvent  de 
style.  Loin  de  se  brouiller  avec  la  jeune  Calas,  qui  n'a- 
vait point  voulu  se  convertir  dans  leur  maison ,  ces  res- 
pectables sœurs  et  surtout  la  sœur  Julie  devinrent  ses 
amies  pour  la  vie.  Il  y  eut  un  commerce  du  plus  tendre 
intérêt  entre  elle  et  toute  la  communauté.  C'était  un 
cœur  bien  aimant  et  une  bien  respectable  personne  que 
la  sœur  Fraisse.  Nous  n'avons  jamais  mieux  senti,  qu'en 
lisant  cette  correspondance  touchante,  combien  les  plus 
doux  sentiments  de  l'âme  ont  eu  quelquefois  la  vertu 
d'éteindre  les  haines  dévotes  (1).  » 

Le  caractère  général  de  ces  lettres  me  paraît  être  la 
sensibilité  la  plus  vraie,  la  plus  chaleureuse,  exprimée 
avec  beaucoup  de  naturel,  de  grâce  et  d'esprit. 

Le  langage  est  souvent  incorrect.  Quelquefois,  il  est 
facile  de  reconnaître  que  la  Religieuse  a  pensé  en  patois 
du  Languedoc  la  phrase  qu'elle  traduit  négligemment 
en  français.  Plus  souvent  elle  commet  des  archaïsmes,  et 
parle,  sans  y  songer,  sous  le  règne  détesté  de  Voltaire, 
la  langue  vieillie  de  Louis  XIV,  qui  s'est  conservée  plus 
pure  entre  les  murs  du  couvent  que  sur  le  théâtre  du 
monde  et  dans  la  littérature  du  jour.  Souvent  aussi  elle  se 
permet,  comme  le  ducide  Sam t-Simon,  ces  inversions  brè- 
ves et  hardies,  ces  constructions  bizarres  et  rapides  qui  ne 
tiennent  compte  ni  des  lois  de  la  syntaxe,  ni  du  génie  de 
la  langue,  mais  qui  permettent  d'exprimer  énergiquement 
autant  de  sentiments  et  d'idées  que  de  mots.  C'est  ainsi 
que  dans  la  lettre  xxv,  elle  s'arrête  et  se  reprend  au  mo- 
ment où  son  vœu  le  plus  cher,  celui  de  la  conversion 
d'Anne  Calas,  vient  de  lui  échapper  encore  une  fois  :  «Je 

(I)  Ch.  Coqucrel,  Histoire  des  Eglises  du  Désert,  t.  2,  p,  316. 


AVERTISSEMENT  383 

me  tais  et  mets  le  doigt  sur  la  bouche,  et  non  sur  le  cœur, 
qui  sera  toujours  le  même,  en  désirs  des  plus  vifs.  »  Ce 
même  style  se  retrouve  dans  sa  lettre  à  M.d'Auriac,  où  en 
parlant  d'Anne  Galas,  placée  dans  son  couvent  par  lettre 
de  cachet,  elle  ajoute  :  La  religion  en  était  l'objet,  que 
nous  n'avons  pu  remplir;  c'est  à  Dieu  seul  qu'il  appar^ 
tient. 

Sur  ce  sujet  qui  lui  tenait  plus  à  cœur  que  tout  au- 
tre, elle  ne  tarit  point  ;  et  comme  elle  sait  cependant  que 
ses  prières  et  ses  exhortations  restent  stériles ,  comme 
elle  se  sent  obligée,  sur  ce  point  délicat,  à  une  réserve 
que  lui  commandent  également  la  discrétion  et  la  charité, 
il  est  curieux  et  touchant  de  la  voir  varier  à  l'infini  ce 
thème  toujours  bref,  mais  toujours  plein  d'émotion  et 
d'ardeur.  Ailleurs,  elle  s'élève  sans  effort  à  mie  vérita- 
ble éloquence,  qui  part  du  plus  profond  de  son  cœur;  il 
en  est  ainsi  de  sa  belle  lettre  (xxxiv)  sur  la  mort  du  fils 
aîné  de  Nanette;  elle  a  ces  accents  émus,  ce  ton  con- 
vaincu et  plein  de  sympathie,  cette  élévation  chrétienne, 
qui  seuls  consolent.  Habituellement,  rien  n'est  plus 
aimable  et  même  plus  gai  que  le  ton  des  lettres  de  la  reli- 
gieuse septuagénaire.  Elle  avait  en  effet  soixante-dix  ans 
accomplis  lorsqu'elle  écrivait  gaîment  à  sa  jeune  amie  : 
Le  noir  de  la  viellesse  est  encore  loin  de  moy^  je  n'iray 
pas  le  chercher,  (L.  xxxii.) 

Dans  l'abandon  charmant  de  ces  causeries  intimes,  elle 
a  par  moments  le  tort  de  parler  le  jargon  puéril  du  cou- 
vent ;  et  sa  parole  d'ordinaire  si  vive ,  si  nette,  prend 
alors  une  afféterie  qui  choque  nos  habitudes,  mais  qui 
est  toute  dans  le  mot,  jamais  dans  la  phrase.  On  aime- 
rait mieux  qu'elle  écrivît  un  fils  et  une  fille  au  lieu  d'un 
poupon  et  d'une  toutoune  ;  une  jeune  dame  et  non  une 


3Sll  AVERTISSEMENT 

damote  mais  j'ai  scrupuleusement  respecté  le  style, 
môme  dans  ces  mignardises  qui  après  tout,  sont  le  goût 
du  terroir. 

EUenecherchepasun  instant  le  mot  le  plus  convenable 
quand  elle  en  a  trouvé  un,  énergique  et  précis,  qui  dit  bien 
ce  qu'elle  veut  dire  ;  son  langage  n'est  pas  celui  d'une 
prude,  et  il  y  a  dans  ses  lettres  telle  expression  que  nous 
aurions  hésité  à  reproduire,  si  nous  ne  nous  étions  im- 
posé la  règle  invariable  de  n'y  rien  changer,  et  d'en  con- 
server jusqu'à  l'orthographe  tantôt  fautive  et  tantôt 
vieillie.  Nous  le  devions  par  un  double  motif  :  cette  cor- 
respondance est  pour  nous  un  appendice  au  procès  des 
Calas,  ou  du  moins  un  témoignage  rendu  à  cette  famille 
tant  calomniée,  témoignage  contemporain  et  très-éclairé  ; 
c'est  en  même  temps  une  œuvre  littéraire  trop  naïve, 
troporiginale,  pour  ne  pas  être  recueillie  dans  sa  pleine 
intégrité. 

'  La  sœur  Fraisse  mérite  une  place  à  la  suite  de  ces  quel- 
ques femmes  d'élite,  auteurs  sans  le  vouloir,  dont  les 
ettres  vives  et  naturelles  sont  un  des  ornements  de  no- 
tre littérature  et  comptent  parmi  les  créations  les  plus 
attrayantes  de  l'esprit  français. 


(i)  Nous  devons  faire  remarquov  qu'oulvc  la  lettre  à  M.  d'Auriac, 
quia  été  reproduite  plus  d'une  fois,  celle  adressée  à  Cazeing  a  paru 
en  I8i9  dans  les  Annales  Proteslantes ,  p.  152.  C'est  la  seule  dont 
l'original  ne  soil  pas  en  notre  possession.  Grimm  a  publié  dans  sa 
Corn-spondance  Uticralre  la  loitro  XX*.  La  V*  et  la  XP  ne  sont  pas 
de  la  sœur  Fraisse,  mais  de  la  supérieure  de  son  couvent,  la  mère 
d'Hunaud  ;  nous  avons  cru  devoir  ne  pas  les  séparer  de  celles  d'Anne- 
Julie  ;  le  môme  esprit  de  charité  et  de  justice  y  règne  :  à  ce  litre  elles 
mérilaicnl  d'ôlre  publiées. 


LETTRES 


DE  LÀ  SOEUR 


ANNE-JULIE   FRAISSE 


A  Monsieur 
Monsieur  Castanier  cCAuriac 
Conseiller  d'Etat,  rue  neuve  des  Capucines 

à  Paris, 

VIVE  JÉSUS. 

t 

De  noire  Monastère  de  Toulouse,  le  24  décembre  17G2. 

Je  ne  prétends  pas,  Monsieur,  vous  instruire  et  vous  ra- 
conter la  tragique  histoire  de  l'infortunée  famille  de 
Galas,  mais  vous  temoig^ner  le  plaisir  sensible  que  j'auray 
si  vous  leur  êtes  favorable  et  que  vous  contribuiez  par 
votre  suffrage  à  les  réhabiliter.  Nous  avons  eu  sept  mois 
dans  notre  maison  une  de  ces  demoiselles  par  lettre  de 

33 


386  LETTRES    DE  LA  SOEUR  A.-J.  FRAISSE 

cachet  La  Religion  en  étoit  l'objet,  que  nous  n'avons 
peu  remplir  :  c'est  à  Dieu  seul  qu'il  appartient.  A  cela 
près,  elle  a  gagné  l'amitié  et  l'estime  de  notre  Commu- 
nauté par  ses  excellentes  qualités.  Nous  n'avons  eu  qu'à 
regretter  que  tant  de  vertus  dont  elle  est  remplie  ne  puis- 
sent lui  servir  que  pour  cette  vie.  On  m'avait  chargée 
d'elle  ;  j'y  étois  tous  les  jours  et  je  n'ai  jamais  eu  le  plus 
léger  mécontentement  ;  elle  ne  mérite  que  des  éloges. 
Nous  avons  eu  occasion  de  connoitre  ce  qui  reste  de  cette 
famille;  leur  bon  caractère  nous  assure  de  leur  inno- 
cence. Il  est  bien  dezirable  qu'elle  soit  reconnue  et  jus- 
tifiée. Permetez-mol  de  vous  assurer  de  touts  les  souhaits 
heureux  que  je  forme  pour  vous  dans  la  nouvelle  année 
que  nous  allons  commencer.  Je  prie  le  Seigneur  qu'il 
remplisse  tous  les  désirs  de  votre  cœur.  Je  suis  avec  l'at- 
tachement le  plus  sincère,  Monsieur,  votre  tres-humble 
obéissante  servante 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
DelaV.  S'«M.  D.  S.  B.  (1) 


II 

A    MONSIEUR    GAZEING. 
VIVE  JÉSUS 


De  notre  Monastère  de  Toulouse  ce  24janv.  1703. 

Vous  m'avez  bien  devinée.  Monsieur,  lorsque  vous  n'a- 
vez point  douté  du  plaisir  que  j'ai  eu  de  la  délivrance  de 

(i)  De  la  Visitation  Sainte^ Marie.  Dieu  soit  béni.,' 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  387 

mademoiselle  Nanete  ;  je  n'aurois  cédé  à  personne  de  lui 
en  donner  la  nouvelle  ;  vous  jugez  combien  elle  en  fut 
transportée.  Je  ne  désavoue  pas  un  contraste  en  moi- 
même  :  ce  qui  le  causoit  ne  seroit  pas  de  votre  goût  ;  là- 
dessus  nous  ne  saurions  être  d'accord.  Elle  s'est  conduite 
dans  notre  maison  tout  au  mieux,  polie,  sage,  modeste, 
discrète  et  prudente.  Je  Tai  connue  remplie  de  mérite  et 
des  qualités  les  plus  désirables.  Je  n'ai  rien  négligé  pour 
lui  adoucir  la  captivité  ;  point  de  tracasserie  ni  de  gêne. 
Il  nous  paraît,  par  tous  les  discours  depuis  sa  sortie, 
qu'elle  est  aussi  contente  de  nous  que  nous  l'avons  été 
d'elle.  Ses  affaires  vont  au  mieux.  Je  lui  ai  donné  une 
lettre  pour  M.  Dauriac,  mon  cousin  germain,  président 
au  grand  conseil.  Elle  m'apprendra  sans  doute  l'usage 
qu'elle  en  a  fait.  Al'égard  des  commissions  que  notre  sœur 
économe  a  pris  la  liberté  de  vous  donner,  etc. 


III 


POUR  MADEMOISELLE  NANETE  CALAS 
t  VIVE  JESUS 

De  notre  monastère  de  Toulouse  ce  î  fetrier  1768. 

Je  n'avois  pas  atendu,  ma  chère  Nanete,  au  moment 
de  recevoir  votre  letre,  à  m'informer  de  vos  nouvelles. 
Je  savois  votre  voyage  heureux,  mais  j'étois  impatiante 


388  LETTRES  DE  LA  SOEUR   A.-J.   FRAISSE 

de  tout  le  reste.  le  suis  en  colère  contre  votre  raporteur; 
c'est  bien  mal  prandre  son  temps.  Il  faut  espérer  qu'il 
faira  mieux  les  choses  lors  qu'il  sera  question  de  vos  in- 
térêts. Vous  ne  me  dites  rien  de  votre  entreviie  avec  la 
chère  mère  ;  ie  ne  doute  point  qu'elle  n'ait  été  tendre  et 
douloureuse.  Votre  cœur  rempli  de  sentiments  en  a  sans 
doute  éprouvé  dans  ce  moment  tout  ce  que  ie  vous  en 
connois  capable,  et  c'est  tout  dire  ;  ie  vous  prie  m'y  ré- 
server quelque  part.  Vous  en  avez  beaucoup  dans  le  mien. 
L'espace  des  lieux,  les  diférances  entre  nous  et  Fabsance 
ne  sauroient  efacer  les  impressions  que  vos  aimables 
qualités  du  cœur  et  de  l'esprit  ont  fait  dans  le  cœur  de 
celle  qui  vous  est  toute  dévouée.  Si  nous  pouvions  vous 
faire  plaisir  et  que  vous  ayés  besoin  de  quelques  solici- 
tations,  nous  somes  toutes  a  votre  service.  Nous  parlons 
souvant  de  vous  et  toujours  avec  les  éloges  que  vous  mé- 
rités, et  nous  avouons  le  désir  de  vous  revoir.  Plut  au 
ciel  que  ce  fut  parmi  nous  !  Vous  y  seriez  reçue  avec  des 
transports,  et  vous  nous  avés  asés  aperçues  pour  savoir 
que  ces  sentimens  vous  sont  uniquement  consacrés. 

J'avais  oublié  de  vous  prévenir  sur  l'abor  glacé  de 
M.  d'Auriac,  afin  d'éviter  que  vous  le  prissiés  pour  vous. 
Je  suis  très  contente  qu'il  vous  ait  reçue  avec  la  bonté 
que  vous  mérités  et  que  mérite  votre  triste  situation.  Son 
air  froit  et  sérieux  est  dans  son  caractère;  si  vous  avés 
a  le  revoir,  n'en  soyés  point  étonnée  ;  c'est  dans  luy  et 
non  pour  vous. 

Notre  sœur  Vialet  vous  embrasse  tendrement,  de  même 
que  notre  sœur  de  Ponsan  ;  elles  vous  aiment  de  tout  leur 
cœur.  Vos  deux  lettres  ont  été  lues  a  toutes;  chaqu'une,  a 
la  récréation,  les  vouloit  entendre.-  Enfin,  ma  chère  Na- 
nete,  vous  avés  gagné  le  cœur  et  l'estime  de  nous  toutes. 
Je  vous  prie  d'asurer  Madame  votre  mère  et  votre  chère 
sœur  de  tous  nos  sentiments  d'estime  et  d'afection.  Ne 
nouslaisés  pas  ignorer  la  décision  de  vos  afaires.  N'ou- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  389 

bliés  rien  a  m'iiistriiire  de  ce  qui  vous  interesse.  Si  ie  ne 
vous  connoisois  ie  vous  soubsonerois  de  ne  vouloir  point 
de  nos  letres  :  vous  ne  me  dites  rien  de  l'adresse.  Mon- 
sieur Francés  (1)  aura  la  bonté  de  les  envoyer  ;  nous  en  se- 
rions bien  en  peine.  Le  cérémonial  de  la  votre  me  de- 
plait  ;  moins  de  façons  et  plus  de  détail  de  ce  qui  vous 
regarde.  Adieu,  ma  chère  Nanete  ;  ie  vous  aimerai  tou- 
jours fort  tendrement.  C'est  dans  ces  sentiments  que  ie 
suis  votre  très  humble  obéissante  servante  sr  Anne  Juhe 

fRAissE  de  la  v.  ste. 
M.  D.  s.  b. 


IV 


A  Mademoiselle 
Mademoiselle  amie  calas 
chés  monsieur  dumas  rue  neuve 
Saint  eustache.  A  paris»  (1) 

t  VIVE  JESUS 

De  uelre  monastère  de  Toulouse  ce  5  avril  1763. 

Me  soubsoneriés  vous  d'indiférance,  ma  chère  Na- 
nete, par  le  retard  de  repondre  a  votre  charmante  letre 
du  13'  mars  ?  Peut  être  avés  vous  deviné  que  nous  n'é- 

1^1)  Un  négociant  de  Toulouse  avec  lequel  Jean  Cala*  avait  eu  de- 
puis longtemps  des  relations  d'affaires  et  d'amitié. 
"i^  Celte  adresse  est  aussi  celle  des  lettres  suivantes. 

30. 


390  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 

crivons  dans  le  carême,  que  pour  l'absolu  nécessaire. 
Voyez  mon  exactitude  :  au  premier  courrier  ie  n'ay  qu'à 
suivre  mon  cœur  pour  m'entretenir  avec  vous  et  vous 
féliciter  de  l'heureux  commencement  de  votre  cruële 
afaire.  Je  repasse  dans  mon  esprit  tout  ce  qu'il  faut  pour 
la  conclusion  ;  il  y  a  bien  des  choses  encore  :  l'apport  des 
charges,  information,  raison  de  l'arrêt  ;  nos  gens  ne  se 
preseront  pas  ;  puis  l'examen  et  le  jugement.  le  suis  im- 
patiante,  comme  Nanete  l'étoitquelquefoix,  en  elle  même, 
a  basse  et  douce  voix.  Je  voudrois  tout  savoir  à  la  foix  ; 
ie  suis  pourtant  bien  tranquille,  persuadée  que  vous  au- 
rés  du  bon. 

Et  puis,  tout  jugé,  ou  habiterés  vous  ?  N'y  aura-t-il 
point  quelque  reste  d'afaires  qui  vous  ramènera  au  moins 
en  passant  dans  cette  ville  ?  J'ay  peine  à  consentir  de 
ne  plus  vous  revoir  ;  ma  tendresse  soufre  des  aparances, 
peut-être  trop  certaines,  de  cette  privation. 

Je  souaitte  bien  que  ivr  Dauriac  soit  au  jugement,  su- 
posé  qu'il  vous  soit  favorable,  comme  je  l'espère.  Il  a 
réputation  de  bonne  tête  ;  son  avis  est  écouté. 

M'  Francés  est  très  exact  a  nous  donner  les  assuran- 
ces de  votre  souvenir,  ie  ne  luy  pardonnerois  pas  de 
nous  les  laisser  ignorer.  Qu'ay-ie  tant  fait  pour  vous,  qui 
puisse  si  fort  exiter  votre  reconnoissance  ?  Vous  contés 
sans  doute  la  bonne  volonté  pour  les  efets  ;  rien  n'est 
perdu  dans  vn  cœur  si  bien  placé  que  celuy  de  ma  chère 
Nanete,  que  j'aimeray  toujours  tendrement.  Le  bon  Dieu 
le  sait,  et  tout  ce  que  je  luy  dis  pour  elle.  Ha,  si  jamais 
j'aprans  qu'en  m'écoutant  il  m'a  exaucée,  ie  diray  comme 
Simeon  :  Seigneur,  laisés  aler  mon  ame  en  paix,  puisque 
ie  vois  ce  que  j'ay  tant  désiré. 

Nos  chères  sœurs  vous  en  disent  de  même  et  vous 
font  mille  amitiés.  Des  qu'elles  me  savent  une  de  vos 
letres,  elles  en  veulent  savoir  quelque  chose,  et  ie  veux 
avoir  toujours  ce  qui  vous  interesse.  Aprenés  moi  tout 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  391 

ce  qui  surviendra  de  nouveau.  Mes  tendres  compliments, 
ie  vous  prie,  à  Madame  votre  Mère.  Je  la  remercie  de 
son  souvenir.  Il  me  semble  que  si  ie  la  voyais,  nous  se- 
rions bonnes  amies.  Vne  embrassade  à  la  chère  sœur.  Vo- 
tre frère  Louis  n'est  plus  venu  depuis  votre  sortie» 
La  sœur  Vialet  vous  salue. 

^ja^deiie  Nautonier  est  d'accort  avec  nous,  qu'elle  n*cst  pas 
faite  pour  être  religieuse,  elle  attent  une  autre  lettre  de 
cachet  p'  vn  couvant  de  Castres;  Vous  la  connoissés  (1). 
Je  finis,  ma  chère  petite  amie  p'  faire  place  a  notre 
mère.  Je  suis  et  seray  toujours  toute  a  vous. 

S'  Anne  Julie  D.  s.  b. 


(Sur  la  même  feuille) 

Je  ne  saurai  pas  vous  aussi  bien  dire  que  notre  Sceur 
De  Fraisse  tout  ce  que  je  pense  et  que  je  sens  pour  vous, 
Mademoiselle.  Si  vous  pouviés  voir  dans  mon  cœur,  vous 
y  trouveriés  des  sentiments  tendres  et  de  vifs  désirs  pour 
tout  ce  qui  vous  interesse.  Je  me  réjouis  du  bon  com- 
mencement de  vos  tristes  affaires,  mais  j'ai  peine  à 
prendre  patience  de  la  lenteur  de  vos  juges.  Je  me  flatte 

(1)  Voir  sur  M"'  deNaulonnier  la  note  xiii  à  la  fin  du  volume. 


392  LETTRES  DE    LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

que  ce  n'est  que  pour  mieux  faire  ;  je  le  désire  de  tout 
mon  cœur. 

-  Donnez  nous  en  des  nouvelles,  et  de  votre  santé,  que 
la  multitude  (et  la  qualité  (1))  de  vos  occupations  peu- 
vent altérer  ;  il  faut  la  ménager. 

Toutes  nos  sœurs,  qui  vous  aiment  toujours,  pensent 
souvent  a  vous  et  prient  beaucoup  Dieu  qu'il  vous  ac- 
corde toutes  les  grâces  qui  vous  sont  nécessaires  pour 
être  véritablement  heureuse  dans  le  tems  et  dans  l'éter- 
nité. Je  vous  demande  toujours  quelque  part  dans  votre 
amitié;  vous  la  devez  à  celle  que  j'ai  pour  vous.  Je  serai 
toute  ma  vie  bien  tendrement.  Mademoiselle,  votre  très 
iiumblé  et  très  obéissante  servante 

Sr  Marie  Anne  D'hdnaud 
de  la  Visitation  Ste  Marie  D.  s  b. 


VI 


t  VIVE  JESUS 

De  ntre  monastère  de  Toulouse  ce  13»  juin  4  763. 

Faut-il  donc,  ma  chère  Nanete,  faire  le  sacrifice  de 
vos  nouvelles  ?  Depuis  le  commencement  du  carême  ie 
vous  ignore.  Votre  santé,  vos  affaires,  vos  contentemens 

(i)  La  mère  Anne  d'Hunaud  a  effacé  les  mois  et  la  qualitc;  elle 
a  ci'ainl  sans  doute  que  celle  vague  allusion  à  toul  ce  qu'avaient  de 
pénible  les  sollicitations  dont  s'occupaient  à  Paris  M™*  Calas  et  ses 
llUcs,  ne  leur  fût  point  agréable.  Celle  alienlion  délicate  à  éviter,  eu 
un  sujet  si  douloureux,  la  moindre  rudesse  de  langage,  fait  honneur 
à  la  Supérieure. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  393 

OU  VOS  déplaisirs,  tout  m'intéresse.  Je  voudrois  tout  sa- 
voir, pouvoir  lire  dans  votre  cœur  touts  vos  mouvements, 
sans  oublier  ceux  de  l'esprit.  Vous  êtes  bien  dans  le 
mien,  ie  vous  assure. 

le  profite  du  départ  de  Mr  votre  frère  qui  dit  devoir 
partir  demain  par  la  mesagcrie.  le  dis  qui  dit;  la  con- 
fiance ne  dépend  point  de  soy,  vous  savés  que  je  n'en  ay 
pas  de  reste,  et  vous  avés  bien  voulu  avoir  la  bonté  de 
me  le  passer. 

Toutes  nos  religieuses  vous  embrassent  et  vous  font 
mille  amitiés.  Nous  parlons  souvant  de  vous  sur  le  ton 
qui  vous  est  deu.  Ma''^"*  Nautonier  est  a  Castres.  On  dit 
qu'elle  va  se  marier,  si  elle  ne  l'est  déjà.  Pauvres  enfants, 
que  ievous  plains  1  qu'en  pense  Nanette?  seront-ils  bien 
rangés,  bien  peignés?  quelle  maison  luisante! 

Votre  frère  me  presse  si  fort  que  malgré  moy  il  me 
faut  finir.  Notre  Supérieure  me  charge  de  vous  assurer 
de  son  souvenir,  de  son  amitié.  Vous  ne  doutés  pas  sans 
doute  de  celle  que  ie  vous  ay  vouée.  Adieu,  ma  chère 
petite  amie,  je  suis  toute  a  vous 

de  tout  le  cœur  Sr  Anne  Julie 
Fraisse  de  la  V.  S'*  M.  D.  s  b. 


VII 

f  VIVE  JESUS. 

De  litre  monastère  de  loulouse  ce  3«  août  17C3. 

Nous  sommes  toutes  les  deux  coupables,  ma  chère  Na- 
nete,  de  jugements  contre  le  prochain.  Malheureusement 


39ll  LETTRES  DE  LA    SOEUR    A.-J.    FRAISSE 

les  miens  ne  sont  que  trop  vrais  ;  mais  les  vôtres  sont 
faux.  le  ne  dis  pas  injustes  ;  les  aparances  vous  trompent. 
Vous  croyés  sans  doute  que  ie  ne  vous  ai  point  écrit  ;  mais 
voicy  mon  histoire.  M'  votre  frère,  en  qui  vous  savés,  îe 
n'ay  jamais  eu  confiance,  vint  il  y  a  prés  de  deux  mois 
nous  avertir  qu'il  partoit  le  lendemain  pour  Paris.  Sans 
vouloir  jurer  du  vray,  je  ne  voulus  pas  perdre  l'occasion 
de  vous  écrire  sans  vous  faire  des  fraix.  le  vous  écrivis, 
fort  pressée,  seulement  pour  vous  asurer  de  toute  ma 
tendresse.  Mais  la  Supérieure  fit  bien  plus;  elle  luy  re- 
mit des  letres  de  conséquence  pour  M""  son  frère  qui  est  a 
Paris  et  pour  nos  religieuses  afin  de  les  avertir  du  départ 
d'un  quelqu'un  qui  devoit  se  charger  pour  nous  de  bien 
des  paquets.  Vendredi  dernier  Ma'*®^'''  Gardelle  vint  me 
voir;  je  luy  fis  vos  complimens  et  que  vous  me  demandiés 
de  ses  nouvelles,  que  votre  letre  s'étant  croisée  avec  celle 
que  j'avois  donnée  à  M'  votre  frère,  j'avois  conté  qu'il 
vous  en  donneroit  et  que  j'attendois  pour  vous  répondre, 
d'être  sure  de  sertaines  petites  nouvelles  que  ie  voulois 
vous  donner.  Elle  me  repondit  que  ie  contois  bien  faux, 
qu'il  n'etoit  parti  que  depuis  quelques  jours  et  la  procé- 
dure aussi,  quoy  qu'il  nous  eut  assuré  depuis  deux  mois 
qu'elle  etoit  à  Paris.  J'attendois  avec  toutes  les  impatien- 
ces imaginables  d'en  aprandre  quelque  chose.  Je  vous 
avoiie  que  si  je  m'étais  trouvée  dans  ce  moment  vis  à  vis 
de  luy,  ie  luy  aurois  dit  son  fait.  Il  devoit  nous  randre  les 
letres,  puisque  son  départ  etoit  si  fort  retardé. 

Ainsi,  ma  chère  Nanete,  ne  croyés  point  que  ie  vous  ay 
oubliée.  Vous  m'êtes  toujours  présente,  mon  cœur  vous 
rapele  toujours  à  mon  esprit.  11  est  vray,  ie  vous  l'avoue, 
vous  êtes  toujours  tout  ce  qui  m'est  le  plus  cher.  Dans 
quelle  situation  êtes  vous!  Comment  vont  les  choses? 
Qu'espérés  vous  ?  que  craignes  vous  ?  que  projetés  vous  ? 
tout  m'intéresse.  Parlés  moy  bien  de  vous  quand  vous 
m'ecrirés.  I\e  pensés  point  au  coût;  c'est  a  moy  d'y  pen- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  395 

ser  pour  vous,  sans  quoy  ie  vous  ecrirois  très  souvant. 
Comme  ie  reste  persuadée  que  votre  frère  n'arrivera 
point  à  Paris,  vous  vouliez  des  nouvelles  de  Gardelle  ; 
elle  a  accouché  d'un  enfant  mort,  et  mort  depuis  trois 
mois.  C'est  inimaginable.  Elle  etoit  groce  de  quatre  mois; 
étant  a  Montauban,  elle  se  troubla  de  voir  vn  cabriolet  ou 
son  mari,  sa  sœur  etoient  et  qui  fut  renverse  par  le  che- 
val qui  prit  la  fougue.  Depuis  elle  ne  sentit  plus  son  en- 
fant se  remuer;  elle  ne  grocit  plus  et  trois  mois  après 
elle  en  a  accouché,  de  la  taille  de  quatre  mois.  Elle  se 
porte  bien.  Mademoiselle  de  Grave  est  mariée,  depuis 
vn  mois  avec  M'  de  Treville,  à  Castelnaudary,  homme  de 
condition,  huit  mil  livres  de  rente;  on  luy  a  donné 
quarante  mil  livres.  Elle  vint  nous  voir  dimanche.  le  la 
croy  groce.  Elle  est  toujours  aimable  et  nous  est  fort  at- 
tachée. La  charmante  Nautonier  ne  nous  a  jamais  écrit, 
mais  elle  a  fait  l'effort  de  prier  sa  tante  de  nous  commu- 
niquer son  mariage  avec  M'  Villeneuve.  le  n'ay  pu  savoir 
ou  il  habite,  ni  si  elle  a  encore  épousé.  Dans  ma  dernière 
lettre  que  vous  ne  recevrés  pas  sans  doute,  (1)  ie  vous  fai- 
sois  mes  lamentations  sur  ses  pauvres  enfants. 

Dans  notre  parlement  tout  commence  d'aler  au  mieux 
en  faveur  de  M""  le  premier  présidant.  Après  un  train 
a  freux  contre  luy,  les  esprits  s'apaisent  ;  on  prand  d'au- 
tres idées.  le  say  que  vous  vous  y  intéresés.  le  ne  say  plus 
nouvelles  à  vous  donner,  mais  bien  à  vous  demander  des 
vôtres.  Notre  mère  vous  fait  mille  amitiés  ;  Notre  sœur  de 
Ponsan,  Vialet  et  toute  la  communauté. 

Adieu  ma  chère  petite  amie.  Aimés  bien  le  bon  Dieu, 
priés  l6  de  vous  éclairer  de  la  vraye  lumière.  Soyés  toute 
à  luy.  Il  n'y  a  que  luy  seul  qui  puisse  nous  rendre  heu- 
reux. Je  suis  et  seray  toujours  toute  à  vous. 

S' Anne  Julie  Fraisse  delà  Y.  st*M.  D.  s.  b. 

(i)  C'est  la  préeédenle. 


396  LETTRES  DE    LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 

mes  tendres  complimens,  ie  vous  prie,  à  madame  votre 
mère  et  sœur. 


VIII 
f  VIVE  JESUS 

De  notre  mouaslère  de  Toulouse,  ce  2G  oct.  1763. 

Voicy  bien  du  temps,  ma  chère  Nanete,  que  je  n'ay  eu 
de  vos  nouvelles,  ni  vous  des  mienes.  le  voudrais  bien 
pouvoir  me  flater  de  ce  dont  ie  puis  vous  assurer  à  votre 
égard,  que  l'oubli  ni  Tindiferance,  n'y  a  nulle  part.  Vous 
êtes  toujours  dans  mon  cœur  et  jusqu'à  mon  dernier 
soupir,  ie  ne  cesseray  de  demender  a  Dieu  votre  salut , 
avec  autant  d'ardeur  que  le  mien.  Luy  seul  sait  mes  de- 
sirs  et  mes  soupirs.  Il  faut  briser  a  tout  ce  que  je  pour- 
rais vous  en  dire.  C'est  un  article  qui  m'atendrit  jus- 
qu'aux larmes. 

J'ay  vu  ces  jours  cy  M'  Gardois,  sa  famé  et  madame 
Guay.  Ils  m'ont  dit  que  madame  votre  mère  avait  obtenu 
700  fr.  de  pansion.  Je  vous  prie  de  luy  témoigner  com- 
bien j'en  ay  du  plaisir;  et  vous  2,000  livres.  J'espérais  qu'il 
vous  en  serait  reconnu  davantage,  persuadée  que  les  ven- 
tes de  vos  efcts  allaient  bien  plus  loin.  Cependant  vous 
ayant  été  acordé,  ce  que  vous  autres  avés  demendé, 
c'est  vn  préjugé  favorable  pour  tout  le  reste.  J'espère 
qu'on  vous  rendra  bonne  justice. 

i3es  que  vous  aurés  besoin  d'une  letre  pour  W  Dau- 
riac  dont  vous  me  parliés  dans  votre  dernière,   écrives 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  397 

moy  tout  ce  que  vous  voulés  que  ie  dise.  Vous  la  rece- 
vrés  Courier  par  courier,  et  dites  moy  si  ie  dois  vous  l'a- 
dresser, ou  a  luy  directement.  le  ne  .^ay  si  la  disgrâce 
de  son  beau  père  le  chancelier,  peut  porter  sur  luy.  Vous 
êtes  en  lieu  de  le  savoir.  Je  crains  ausi  que  dans  cette  sai- 
son sa  goûte  ne  luy  permete  pas  d'exercer,  mais  en  tout 
cas,  vous  me  trouvères  toujours  disposée  à  tout  ce  que 
vous  voudrés.  le  ne  puis  avoir  de  plus  grand  plaisir  que 
de  vous  en  faire. 

Ha  !  si  ie  pouvois  vous  revoir  sous  ma  patte  qui  n'est 
pas  assomante ,  ie  ne  perdrois  aucune  ocasion  de  vous 
prouver  ma  tendresse.  Si  vous  voyés  M'  votre  frère,  don- 
nés luy  la  nouvelle  de  la  mort  de  l'abbé  Durand,  vne 
fièvre  maligne  l'a  emporté  dans  sept  jours.  (Il  est  mort 
en  saint  comme  il  avait  vécu)  (1). 

J'ay  encore  des  nouveaux  mariages  à  vous  aprandre, 
dans  le  même  goût  des  derniers.  Nous  avons  eu  dans  la 
maison  un  mois  Mlle  Ville,  sœur  et  jumelé  de  notre 
S'  Marie  Melanie,  qui  vous  aprenoit  les  mitenes.  Elle 
étoit  venue  faire  une  retraite  pour  se  consulter  sur  vn 
choix  d'état.  Elle  ce  marie  ce  mois  cy.  Nous  en  avons 
une  autre,  peut  être  de  votre  connaissance.  M"  Opiats, 
marchand  au  port,  grande  dévote  (2).  Elle  est  sortie.  Je  ne 
say  pas  si  elle  conclura  comme  les  autres.  Voyés  le  tort 
que  Nanete  a  eu  de  n'avoir  pas  dit  :  le  veux  être  religieuse. 
Je  croy  que  dans  votre  ville  on  parle  de  l'aventure  de 
notre  parlement.  Elle  est  remarquable  et  unique.  Depuis 
son  établissement,  le  président  Belloc  est  mort  d'apo- 
plexie. Il  parut  une  lettre  au  nom  de  son  frère  à  M'  le 
Gommendant  pr  luy  demender  permission  qu'il  put  sortir 

(i)  Les  mots  que  nous  avons  placés  entre  parenthèses  sont  biffés. 

(2)  C'est  à  dire  M'""  Opiats,  grande  dévote,  dont  le  ppre  était  mar- 
chand établi  auprès  d'un  dos  ports  de  la  Garonne  à  Toulouse,  tels 
que  le  port  Garaud,  le  porl  de  la  Daurade,  le  port  Saint-Pierre. 

3a 


398  LETTRES  DE   LA  SOEUR   A.-J.    FRAISSE 

des  arrêts  pr  aller  au  tombeau.  La  reponce  fut  qu'il  le 
permettoit  pour  une  foix  seulement.  Il  paroit  tous  les 
jours  des  écrits  suposés  asses  amusans.  Le  Gomen- 
dant  s'est  logé  a  Lalande  dans  un  vieux  château  de 
Mr  JNicole  et  il  n'est  visitté  de  personne. 

(Le  reste  de  la  page  est  tombe  de  vétusté,  excepté  le  posl- 
scriptum  suivant)  : 

Il  vous  sera  peut  être  utille  de  savoir  que  Mv  Duroux 
le  père  (1)  est  tombé  d'apoplexie  à  sa  campagne  ;  il  n'é- 
toit  pas  mort  hier  matin,  ie  n'en  say  point  de  nouvelles 
depuis. 


IX 


t  VIVE  JESUS 

De  Titre  monastère  de  toulouse  ce  i*»  janvier  17G4, 

Vous  m'aurés  sans  doute  pardonnée,  ma  chère  petite 
amie,  des  soupsons  que  ma  tendresse  avoit  fait  naître. 
Votre  aimable  lettre  a  tranquillisé  mes  alarmes.  Elle  fut 
lue  de  toute  la  communauté  et  chaqu'unefit  lepanegerique 
de  voti'e  bon  cœur  et  des  sentiments  qui  sont  nés  avec 
vous.  Mon  Dieu!  seroit-il  possible  que  de  si  belles  qua- 
lités... ie  ne  dis  rien  de  plus.  M'  de  xMongasin  qui  a  eu 
occasion  de  vous  voir  ne  peut  se  taire  de  toutes  vos  po- 
litesses et  tout  ce  que  vous  luy  dites  d'obligeant  sur  notre 

(i)  Père  (lu  Procureur  qui  signa  la  brochure  de  La  Salle  et  qui 
fut  suspendu  trois  mois  do  ses  fonclious  pour  s'ôlre  inscrit  en  faux, 
au  nom  des  Calas,  contre  certains  actes  de  David  de  Beaudrigue. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  399 

sœur  Thérèse  Félice.  Elle  vous  en  remercie  et  vous  fait 
mille  et  mille  complimens. 

Que  ne  puis-ie,  ma  chère  amie,  vous  exprimer  toutsles 
souhaits  que  ie  forme  pour  vous  dans  cette  nouvelle  an- 
née !  Vous  les  pénétrés,  je  désire  que  vous  les  senties 
Mon  cœur  vous  est  assés  connu  pour  ne  pas  douter  de 
leur  sincérité  et  de  leur  étendue.  J'espère  qu'elle  vous 
sera  heureuse  par  une  conclusion  favorable  a  votre  très 
malheureuse  afaire.  Ne  diferés  pas  un  seul  instant  a  m'en 
faire  part,  et,  par  la  suite,  du  parti  que  vous  autres  pren- 
drés  de  rester  a  Paris,  ou  l'endroit  que  vous  choisirés. 
Vous  le  savés,  ie  vous  l'ay  dit  souvant:  ie  suis  malheu- 
reuse de  vous  avoir  connue.  Tout  en  moy  s'intéresse  à 
votre  sort.  Quel  sera-t-il  ?  pas  si  heureux  que  ie  le  désire. 
J'écris  a  M'  Dauriac,  ausi  vivement  que  vous  pouvés 
souhaitter.  le  say  qu'il  a  la  goûte  ;  peut  être  ce  sera  un 
obstacle  a  pouvoir  vous  être  utille. 

le  suis  bien  sensible  au  souvenir  que  vous  avés  de  ma 
famille.  Ma  sœur  (1),  ]\Ionsieur  de  Bertier  se  portent  très 
bien;  ma  nièce  vit,  c'est  tout  ;  elle  est  toujours  aux  soins 
de  M'  Sol  (2).  Je  l'ay  vu,  et  M""'  Vialet  et  Gardelle.  Je 
leur  ay  fait  vos  complimens  ;  les  uns  et  les  autres  vous 
remercient  et  vous  font  mille  souhaits,  aussi  bien  que 
notre  sœur  de  Ville.  Sa  sœur  est  toujours  Mademoiselle  ; 
deux  mariages  ont  manqué. 

Notre  mère  supérieure  et  toutes  nos  sœurs  sont  très 
sensibles  à  vos  bontés  ;  elles  vous  aiment  de  tout  leur 
cœur.  Monsieur  Canpan  ne  vient  point  ;  s'il  retarde,  ie 
m'informerai  ou  il  habite  pour  le  reveiller.  le  vous  prie 
de  faire  mille  et  mille  complimens  de  ma  part  et  une  em- 
brassade à  iNIadame  votre  mère  et  a  chère  Rosete. 
suis  avec  les  sentimens  les  plus  tendres,  et  d'un  cœur 

(()  W^^de  Berlier. 

(2)  Voir  sur  le  D'  Sol  la  nolexu  à  la  fin  du  volume. 


400  LETTRES  DE  LA   SOEUR    A.-J.   FRAISSE 

qui  VOUS  est  tout  dévoue,  votre  très  humble  servante 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V.  SteM.  D.  s.  b. 

le  vous  prie,  lors  que  vous  m'ecrirés  de  ne  pas  négli- 
ger, comme  vous  faites,  de  me  donner  des  nouvelles  de 
votre  santé.  Et  la  poitrine,  que  fait-elle? 


t  VIVE  JESUS 

De  ntre  monastère  de  loulouse  ce  lie  mars  I76i. 

Ne  croj^és  pas,  ma  chère  petite  amie,  que  l'oubli  ait 
part  au  retart  de  ma  réponce.  le  ne  puis  et  ne  suis  ca- 
pable a  votre  égard  que  des  sentimens  les  plus  tendres. 
Vos  lettres  me  donnent  toujours  un  plaisir  nouveau. 
Votre  dernière  a  bien  couru  en  premier  lieu  touts  nos 
ronds,  a  la  récréation.  Chacune  s'empresse  de  vos  nou- 
velles; elles  vous  font  toutes,  mille  compliments,  notre 
Supérieure  a  la  tête.  Notre  Sœur  de  Mongasin  et  Sœur 
Vialet  voudroient  vous  embrasser;  ie  ne  leur  cederois 
pas,  si  ie  pouvois  avoir  un  jour  cette  consolation  ;  ie  m'en 
prendre  i  s  bien. 

le  remis  votre  lettre  à  Mr  Sol  pour  découvrir  Mr  Gan- 
pan.  Tous  les  Gardele,  Vialets,  Madame  Gay,  et  les  au- 
tres l'ont  vue  jusqu'à  ma  sœur  qui  seule  prétend  con- 
noitre   ce  Canpan  de  Castres.   11  n'çst  point  a  Toulouse. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  ZlOl 

Voyés  a  qui  nous  devons  remetre  les  fleurs,  ou  s'il  n'en  est 
plus  question.  Toutes  vos  connoissances  et  Mr  Sol  vous 
saluent.  le  leur  ai  fait  grand  plaisir  de  leur  donner  de  vos 
nouvelles.  le  suis  bien  fâchée  de  celles  que  vous  me 
donés  de  votre  santé.  Il  se  peut  bien  que  les  eaux  de  ce 
pays  vous  soient  contraires  ;  il  y  a  des  fontaines  dont 
bien  des  personnes  se  servent,  qui  sont  saines.  Ménagés 
vous,  ne  prodigués  pas  votre  santé  ;  vous  le  devés  a  vous 
même  et  aux  personnes  qui  vous  chérissent  tendrement. 

Ma  chère  Nanete,  mon  cœur  et  mon  esprit  est  bien 
rempli  de  vous;  il  en  est  ocupé  plus  que  vous  ne  croyés; 
Vn  objet  supérieur  le  fixe  et  vous  rend  toujours  pré- 
sente a  moy.  Je  suis  a  presant  dans  Patente  a  tous  les 
courriers  des  nouvelles  de  vos  afaires.  Elles  m'intéressent 
au  point  de  me  donner  bien  de  l'inquiétude.  Si  le  juge- 
ment est  retardé  et  que  vous  souhaittiés  une  autre  letre 
pour  Mr  Dauriac,  vous  n'avés  qu'a  dire  :  ie  suis  toute  à 
vous.  Point  de  paresse  de  plume,  lorsqu'il  est  question  de 
vous  rendre  service.  Je  fairais,  ou  tenterais  l'impossible 
pour  ma  chère  petite  amie.  Mon  Dieu  !  qu'il  me  tarde  de 
savoir  votre  sort  !  Quel  qu'il  soit,  vous  me  serés  toujours 
chère,  et  jusqu'à  mon  dernier  soupir,  le  bon  Dieu  sait 
bien,  que  ie  ne  vous  oublieray  devant  luy.  Adieu,  ma 
chère  amie,  je  suis  pour  toujours  avec  l'atachement  le 
plus  inviolable,  votre  très  humble  servante,  Sr  Anne 
Julie  Fraisse  de  la  V.  S'**  M.  D.  s.  b. 

Mille  et  mille  complimens  a  madame  votre  mère  et 
votre  chère  sœur.  Je  les  remercie  de  leur  souvenir.  Elles 
ont  bonne  part  dans  le  mien. 


34. 


/l02  LETTRES   DE   LA  SOEUR  A.-J.  FRAISSE 


XI 


V.  J. 


De  N.  M.  de  Toulouse  ce  31  mars  1704. 


Vous  nous  donnés  tant  de  témoignages  de  l'amitié  que 
vous  avés  pour  nous,  Mademoiselle,  que  je  m'adresse  à 
vous  avec  beaucoup  de  confiance  pour  une  petite  affaire 
dont  j'espère  que  vous  tirerés  bon  parti.  Il  est  question 
de  nous  faire  païer  seize  Louis  que  nous  avons  prêtés  à 
Mr  Francés.  Il  s'est  engagé  dans  le  billet  qu'il  nous  a  fait 
de  nous  païer  dans  tout  ce  mois-ci.  Nous  avons  quelque 
souci  sur  son  conte,  n'aïant  donné  aucun  signe  de  vie 
depuis  son  départ  de  Toulouse,  ni  a  nous,  ni  a  aucun  de 
ses  parents  ni  amis.  On  prétend  qu'il  est  à  Paris  avec 
Mad'^**  de  Manse.  Supposé  qu'il  y  soit  encore  ou  quelque 
part  qu'il  soit,  si  vous  le  pouvés,  je  vous  conjure.  Ma- 
demoiselle, de  le  presser  de  nous  païer.  Nous  avons 
beaucoup  pris  sur  nous  pour  lui  rendre  le  service  de  lui 
pretter  cet  argent,  qui  nous  est  très  nécessaire.  Vous  êtes 
assés  de  nos  amies  pour  que  je  vous  dise  en  confiance 
que  nous  avons  été  obligées  d'emprunter.  Vous  sentes 
par  là  que  Mr  Francés  nous  feroit  grand  tort  de  retarder 
à  nous  rendre  ce  qu'il  nous  doit.  Il  se  parle  beaucoup  de 
lui  ;  vous  pouvés  deviner  ce  qu'il  s'en  dit.  Ses  parents  et 
amis  le  plaignent  et  le  blâment.  Je  crains  qu'il  n'aura 
peut  être  pas  osé  se  pi^senter  a  vous  et  qu'il  sera  inu- 
tille  que  je  vous  prie  de  vous  intéresser  pour  nous  pro- 
curer notre  argent.  Je  suis  bien  convaincue  que  si  vous 


A  MADEMOISELLE   ANNE  CALAS.  Z|03 

y  pouvés  quelque  chose  vos  bontés  et  votre  amitié  pour 
nous  vous  engagera  a  nous  rendre  ce  service. 

Pour  moi,  Mademoiselle,  je  suis  très  aise  d'avoir  cette 
occasion  de  vous  renouveller  les  assurances  de  mon  sin- 
cère attachement  et  de  l'intérêt  que  je  prens  a  tout  ce 
qui  vous  regarde.  Je  suis  bien  impatiente  sur  la  conclu- 
sion de  vos  affaires  ;  je  vous  prie  instamment  de  m'en 
donner  des  nouvelles.  Vous  êtes  toujours  estimée  et 
aimée  de  toute  notre  communauté.  Nous  parlons  sou- 
vent de  vous,  et  nous  prions  toujours  beaucoup  pour 
vous.  Notre  Sœur  de  Fraisse  se  porte  assés  bien,  elle  me 
charge  de  vous  dire  mille  choses  tendres.  Vous  connais- 
ses ses  sentiments  pour  vous.  Les  miens  ne  sont  pas 
moins  sincères  ;  rendes  moi  la  justice  d'en  être  convain- 
cue, et  que  je  suis,  Mademoiselle,  votre  très  humble  et 
très  obéissante  servante,  S'  Marie  Anne  d'Hunaud,  Sup'* 
de  la  Visitation  S'*  Marie.  D.  S.  B. 

Notre  Sœur  de  Fraisse  vient  de  recevoir  votre  aimable 
lettre  que  nous  avons  lue  avec  grand  plaisir  a  notre  ré- 
création. Elle  va  écrire  a  Mr  Doriac. 


XII 


t  VIVE  JESUS 


De  notre  monastère  de  loulouse  ce  30  mai  176*. 


J'atens  a  touts  les  couriers,  ma  chère  et  plus  chère 
petite  amie,  des  nouvelles  de  votre  malheureuse  afaire. 
Je  m'informe;  personne  n'en  sait  mot.   J'ay  récrit  a 


l\OU  LETTRES    DE    LA   SOEUR  A.-J.   FRAlSSE 

Mr  Dauriac,  pas  sitôt  que  vous  me  demendiés  dans  votre 
dernière;  mais  pour  le  mieux.  Voyant  le  jugement  re- 
tardé jusqu'après  paques,  ie  ne  luy  écrivis  que  le  mer- 
credi saint  pour  que  le  souvenir  touchât  de  plus  près  le 
terme  de  Tafaire.  Je  vous  diray  même  que  pour  ne  pas 
afaiblir  ma  solicitation  en  les  multipliant,  ie  me  suis 
brouillée  avec  le  sieur  Fransés  qui  m'en  damendoit  pour 
sa  belle.  Obstinément  ie  l'ay  refusé  ;  ce  sont  des  délica- 
tesses que  l'amitié  inspire.  le  puis  si  peu  pour  vous,  ma 
chère  Nanete,  qu'il  faut  bien  que  je  laisse  en  valeur  ce 
petit  rien.  Mon  Dieu,  que  ne  fairayie  pas  si  les  occasions 
égalaient  ma  bonne  volonté  pour  touts  vos  intérêts. 

C'est  devant  le  Seigneur  que  ie  m'ocupe  pour  vous  de 
ce  qui  vous  rendrait  vraiment  heureuse.  J'espère  contre 
toute  espérance  et  j'espereray  jusqu'à  mon  dernier  sou- 
pir. La  puissance  du  Très  Haut  est  bien  au  dessus  de  nos 
resistences.  Il  faut  tout  espérer  de  ces  moments  précieux, 
réglés  dans  ses  décrets  éternels. 

le  ne  suis  point  encore  consolée  de  la  perte  que  nous 
avons  faite  ce  carême,  de  notre  sœur  ]\Iarie-Henriette 
Lapeirie,  d'une  ataque  de  colique,  comme  celle  que  vous 
lui  aviés  vue  dans  le  tems  que  j'etois  malade.  On  ne  peut 
acuser  le  carême.  Elle  n'avoit  jamais  mangé  maigre  de- 
puis ce  tems.  Sa  colique  la  prit  le  jeudi  de  la  semaine  de 
la  pasion  et  le  samedi  elle  mourut.  Nous  l'avons  fort  re- 
gretée.  G'étoit  une  fille  d'un  bon  caractère  qui  n'avoit 
que  trante  deux  ans.  Les  dames  Notonier  et  de  Grave 
sont  au  moment  de  leurs  couches.  La  première  a  pris 
son  logement  au  plus  haut  de  sa  maison  et  pleure  volon- 
tiers lorsqu'elle  voit  du  monde.  C'est  toujours  la  même; 
reloge  n'est  pas  pompeux.  Notre  supérieure,  sr  Vialet, 
sr  Ponsan  et  toutes  vous  font  mille  amitiés.  Nous  ne  vous 
oublierons  jamais.  Souvant  ou  chante  vos  louanges,  le 
pence  qu'il  en  est  de  même,  partout  ou  l'on  vous  con- 
nolt. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Z|05 

Donnés  moy  de  vos  nouvelles  en  détail.  Parlés  moy  de 
tout  ce  qui  vous  interesse,  plus  que  de  toute  autre  chose. 
Dites  en  plusieurs  de  ma  part  et  mille  amitiés  à  madame 
votre  mère,  et  chère  Rosete.  Je  suis  toujours  avec  l'ata- 
chement  le  plus  tendre  votre  très  humble  servante 
sr  Anne  Julie  Fraisse  de  la  V.  S'^  M.  d.  s.  b. 


XIII 


t  VIVE  JESUS 

De  ntre  monastère  de  toulouse,  ce  i3  juin  176i. 

Je  suis  si  transportée  de  joye  (1),  Ma  chère  petite  amie, 
que  je  ne  say  comme  m'en  m'expliquer.  Lises  dans  mon 
cœur  ;  vous  y  trouvères  tout  ce  qui  est  dans  le  votre.  Je 
prands  bonne  part  de  tout  ce  qu'il  sent.  Vos  intérêts,  vos 
plaisirs,  vos  peines  sont  des  biens  et  des  meaux  qui 
m'apartienent  autant  qu'a  vous.  Il  en  sera  toujours  de 
même  jusqu'à  mon  dernier  soupir.  Soyés  loin,  ou  près, 
vous  me  serés  toujours  présente.  Lors  que  je  suis  devant 
Dieu,  c'est  alors  que  je  luy  dis  bien  des  choses  pour 
vous. 

Lorsqu'on  aura  nommé  le  tribunal  qui  doit  juger  le 
fond  de  l'afaire,  faites  m'en  part  au  plus  tôt.  Nous  avons 
de  nos  religieuses  presque   dans  toutes  les  villes  du 


(1)  Le  4  juin,  Louis  XV,  en  son  conseil,  avait  cassé  les  arrêts  des 
Capilouls  et  du  Parlement  de  Toulouse. 


Zi06  LETTRES  DE   LA.  SOEUR  A.-J.     FRAISSE 

royaume;  nous  pourrons  peut  être  vous  procurer  des  con- 
noissances  et  protections.  Toujours  empressées  de  vous 
être  utilles,  disposés  de  ce  qui  dépend  de  nous.  Notre 
Mère  Supérieure  vous  asure  du  plaisir  sensible  de  votre 
heureux  succès.  Elle  vous  fait  mille  et  mille  amitiés  et 
remerciemens  de  vos  soins  à  l'égard  du  Sieur  Francés. 
Toutes  nos  religieuses  vous  félicitent;  j'ay  répandu  la 
nouvelle  dans  le  moment.  Madame  de  Treville  est  près  de 
ses  couches.  Notre  Mère  lorsqu'elle  lui  écrira  luy  faira 
vos  complimens. 

Je  vay  écrire  a  Monsieur  Dauriac  pour  lui  faire  mes 
remerciemens  et  luy  dire  la  reconnoissance  que  vous 
m'en  témoignés.  Il  faut  se  ménager  tout  le  monde;  les 
occasions  viennent,  le  moins  qu'on  y  pense.  J'enverray 
la  bonne  nouvelle  aux  personnes  que  vous  me  nommés. 
Dites  bien  des  choses  de  ma  part  a  Madame  votre  mère  et 
chère  sœur  ;  vous  ne  sauriés  leur  en  dire  au  delà  du  vray. 
Dites  moi,  ma  chère  Nanete,  si  la  suite  de  vos  afaires, 
pour  le  recouvrement  de  vos  biens,  ne  vous  necesitera 
pas  de  venir  un  temps  dans  ce  pais.  N'oubliés  pas  cet  ar- 
ticle lorsque  vous  m'écrirés  pour  m'aprandre  le  parle- 
ment qu'on  aura  nommé.  Je  suis  et  seray  a  jamais  toute 
a  vous 

S'  anne  Julie  Fraisse 
delà  V.  S'^M.D.  s.  b. 


XIV 
f  VIVE  JESUS. 

Dentre  monastère  de  toulouse  ce  27  juin  1764. 

Je  viens,  ma  chère  petite  amie,  de  recevoir  votre  aima- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  h07 

ble  lettre  et  j'apprens  en  même  temps  le  départ  de  Janete 
pour  Paris,  qu'elle  nous  a  dit  être  demain.  J'en  profite 
avec  empresement.  Ce  m'est  un  plaisir  sensible  que  dans 
notre  eloignement  vous  soyez  persuadée  de  mes  tendres 
sentiments.  L'afoiblissement  des  temps  n'auront  jamais 
action  sur  eux. 

Je  vous  félicite  du  tribunal  ou  votre  afaire  est  évoquée; 
on  ne  pouvoit  rien  faire  de  mieux  a  vos  intérêts.  le  ne 
trouve  point  mauvais  ce  que  vous  me  répondes  sur  notre 
ville.  Jugés,  a  présent  que  vous  êtes  instruite  de  tous  vos 
malheurs,  et  que  mon  atachement  vous  est  connu,  quelle 
etoit  ma  situation  vis  a  vis  de  vous,  les  alarmes  ou  j'etois, 
et  les  précautions  que  nous  prenions  toutes  pour  qu'ils 
ne  vous  fussent  pas  connus.  J'ay  toujours  empêché  que 
les  écrits  de  Voltaire  vous  parvinsent.  Il  valait  mieux  que 
vous  n'en  connusiés  que  lors  que  vous  sériés  dans  vne 
autre  situation. 

Je  comprens  qu'a  présent  vous  n'aurés  plus  besoin  de 
]VP  Dauriac;  en  cas,  vous  savés  tout  ce  que  ie  vous  suis. 
J'exige  que  dès  la  conclusion  de  votre  afaire,  que  j'es- 
père aler  vite,  vous  m'en  ferés  part,  et  de  la  ficsation  de 
votre  demeure  qui  sans  doute  sera  a  Paris.  Vous  le  savés, 
ie  veux  être  instruite  de  tout  ce  qui  vous  interesse,  et 
vous  savoir  hors  de  toute  afaire.  Notre  Mère  Supérieure 
vous  fait  mille  amitiés,  aussi  bien  que  toutes  nos  Sœurs. 
Elle  vous  prie  de  faire  remetre  la  letre  que  Janete  vous 
donnera  a  son  adresse.  Ce  sont  les  mêmes  que  vous  fûtes 
voir  et  qui  nous  écrivirent  qu'elles  avoient  vu  une  jeune 
et  fort  jolie  dame  qui  nous  etoit  bien  atachée. 

Je  suis  très  obligée  a  madame  votre  mère  et  sœur  de 
leurs  sentimens  ;  j'ose  dire  me  les  devoir  par  juste  re- 
tour. Embrassés  les  pour  moi,  ie  vous  prie.  Je  suis,  ma 
chère  amie,  avec  la  plus  vive  tendresse,  votre  très  hum- 
ble obéissante  servante  S'  Anne  Julie  Fraisse  de  la  V.  Ste 

M.  D.  s.  b. 


/i08  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 


XV 


f  VIVE  JÉSUS 

De  ntre  monastère  de  toulouse  ce  24«  octobre  i76i. 

Vous  devés  sans  doute,  ma  chère  petite  amie,  me  croire 
morte,  enterrée,  depuis  bien  du  tems.  Me  voicy  resuci- 
tée.  Ma  chère  Nanete  a  été  malade,  me  disoit-elle,  dans 
sa  dernière  lettre  ;  ie  l'ay  été  aussi  à  mon  tour.  Je  n'ay 
jamais  perdu  le  désir  de  vous  renouveller  les  asurances 
de  mon  très  tendre  attachement.  Je  suis  en  peine  et  dans 
des  inquiétudes  terribles  sur  votre  afaire.  Nous  en  parlâ- 
mes beaucoup  hier  avec  M' Sol  ;  son  discour  me  mit  en 
perplexité.  Il  me  dit  qu'il  ne  craignoit  point  le  jugement, 
qu'il  le  desiroit,  bien  persuadé  que  si  l'afaire  se  juge,  ce 
sera  favorablement,  mais  ie  crus  apercevoir  qu'il  crai- 
gnoit qu'elle  ne  seroit  pas  jugée.  Tirés  moy  de  peine  sur 
cet  article,  donnés  moy  de  vos  nouvelles,  j'en  veux  a  fonds, 
de  maman  et  de  votre  chère  sœur.  Je  fais  a  toutes  les  deux 
mille  et  mille  amitiés.  Toutes  nos  sœurs  vous  en  font  des 
plus  afectueuses  ;  elles  me  demandent  souvent  de  vos 
nouvelles  ;  elle  vous  aiment  bien  toujours. 

Mademoiselle  de  Grave  et  Mademoiselle  Nautonier, 
l'une  et  l'autre  Madame  dont  ie  ne  me  souviens  du  nom, 
ont  vne  consiance  admirablement  scrupuleuse  :  elles  ont 
fait  chaqu'une  une  fille  pour  nous  rendre  dans  la  suite 
des  tems  ce  qu'elles  ont  cru  ne  pouvoir  faire.  C'est  bien 
faire  les  choses.  Nous  avons  perdu  la  sœur  de  Gatelan  d'un 
accident  d'apoplexie. 

Il  m'est  iuutille  de  vous  repeter  que  si  vous  avés  be- 
soin de  moy  auprès  de  M'  Dauriac,  ie  suis  toute  a  votre 
service.  le  ne  pense  pas  que  vous  me  fairiés  le  tort  d'en 
douter.  Que  ne  puis-je  avoir  ocasiou  de  satisfaire  le  désir 


A  MADEMOISELLE  ANNE   CALAS.  Zl09 

de  VOUS  être  utille,  et  vous  prouver  par  des  efets  les  sen- 
timens  de  mon  cœur  !  Notre  supérieure  vous  asure  de 
son  tendre  atachement.  Je  suis,  ma  chère  amie,  mais  de 
tout  le  cœur,  toute  a  vous. 

S'  anne  julie  Fraisse  de  la  v. 
S'*  M.  D.  s.  b. 

Avés  vous  vu  notre  premier  président  a  Paris  ?  Il  pou- 
roit  bien  vous  rendre  service,  luy  qui  a  ete  aux  requêtes. 


XVI 


t  VIVE  JESUS 

De  nlre  nionaslère  de  toulouse  ce   42  décembre  176i. 

J'ay  reçeu,  ma  cliere  petite  amie,  votre  letre  avec  un 
plaisir  toujours  nouveau.  Mon  cœur  est  flaté  de  voir  que 
le  votre  ne  m'oublie  pas.  Nous  voicy  au  terme  ou  vous  es- 
pérés le  jugement  de  vos  afaires.  le  me  doute  que  je  seray 
de  mauvaise  humeur  jusqu'au  moment  ou  ie  vous  sauray 
contente,  hors  d'embaras,  et  décidée  sur  l'habitation  de 
vous  trois  (1). 

Au  moment  du  jugement,  je  prévois  bien  d'aucupations. 
le  me  contente  que  dans  vue  grande  et  belle  feuille  vous 
metiés  :  Vous  avons  tout  gagné,  —  ISaîiete  Calas.  Et  à  votre 
loisir,  vous  m'en  dires  tout  le  vous  connais  vive,  sensi- 

(i)lcise  Irouveni  les  mots  qui  suivent;  ilssont  peu  lisibles  et  me 
paraissent  inintelligibles  :  Pour  les  chapeaux  se  sont  d'antres  débrè~ 
chcments, 

35 


ÛlO  LETTRES  DE  LA   SOEUR   A.-J.   FRAISSE 

ble  au  dernier  point,  de  Thonneur  jusqu'au  bout  des  on- 
gles, pleine  de  sentimens,  voila  ma  chère  Nanete  bien 
peinte  au  naturel.  En  conséquence  la  santé  paye  pour  tout, 
et  ie  ne  suis  point  surprise  de  son  dérangemant  ;  ce  ne 
peutetre  autrement.  J'espère  qu'un  jour,  plus  tranquille, 
dans  un  sort  plus  heureux,  vous  vous  remetrés. 

Je  vous  en  souhaitte  vn  semblable  à  celuy  de  M'^'  Gail- 
lard, que  vous  avés  vue  chés  nous.  Vous  pouvés  la  rape- 
1er:  vous  lui  avés  eu  montré  d'ouvrages  (1).  Elle  vient  de 
se  marier  ;  n'ayant  que  seize  ans  et  avec  vint  cinq  mille 
livres  de  rente,  elle  a  épousé  M'  Treil  receveur  de  Cas- 
tres, qui  n'a  pas  moins  de  quatorze  mille  livres  de  rente. 

Notre  Mère  Supérieure  vous  embrasse  de  tout  son  cœur; 
toutes  nos  religieuses  et  S'  de  Ponsan,  Mongasin,  l'infir- 
mière, Vialet  vous  asurent  de  toute  leur  tendresse.  Je  puis 
vous  asurer  que  vous  avés  si  bien  captivé  touts  nos  cœurs 
qu'il  n'y  en  a  pas  une  qui  ne  soit  toute  empressée  de  vos 
nouvelles.  Jugés  si  au  bon  Dieu  nous  ne  luy  disons  pas 
bien  des  choses  pour  vous.  Le  sage  dit  que  la  persévé- 
rance est  la  patience  a  attendre  les  momens  de  Dieu  et  la 
perfection  de  l'œuvre...  Il  faut  bien  que  ma  chère  petite 
amie  me  permete  de  respirer  quelque  foix  (2) .  Je  pense 
actuellement  qu'un  quelqu'un  qui  ne  nous  conoitroit  pas 
et  qui  veroit  nos  lettres,  vous,jeune  et  jolie  demoiselle 
protestante,  et  moy,  vieille  et  laide  religieuse  en  seroit 
bien  surpris.  Je  ris  toute  seule  de  cette  pensée. 

J'ai  écrit  a  M'  Dauriac.  Je  salue  bien  tendrement  votre 
chère  maman  et  sœur.  le  ne  suis  pas  en  peine  de  quel 

(i)  Phrase  traduite  mol  à  mot  du  patois  languedocien,  pour  :  voua 
lui  avez  enseigné  des  travaux  d'aiguille. 

(2)  Esl-il  nécessaire  de  dire  que  Vœuvre  dont  il  s'agit  d'attendre  la 
perfection,  et  les  choses  que  les  religieuses  demandent  à  Dieu,  c'est 
la  conversion  d'Anne  Calas  ?  En  parler  de  temps  en  temps,  même 
d'une  façon  détournée  et  discrète,  c'est  ce  que  la  bonne  sœur  ap- 
pelle respirer  quelquefois. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  àH 

cœur  vous  vous  êtes  servies  mutuëlement  dans  vos  mala- 
dies. M' Sol  et  Vialet,  a  qui  j'ai  fait  vos  complimens,  vous 
asurent  de  leur  sensibilité  a  votre  souvenir  et  vous  pro- 
testent de  leur  atachement.  Vous  ne  doutés  pas  du  mien. 
Il  vous  est  dévoue  jusqu'à  mon  dernier  soupir.  le  suis  vo- 
tre très  humble  obeisante  servante  s*"  anne  Julie 

de  la  V.  s'*  m.  D.  s.  b. 

J'oubliais  de  vous  parler  de  ma  santé  comme  vous  sou- 
haittés.  Quand  ievous  écrivis  ie  sortois  dune  maladie  telle 
que  j'eus  avant  votre  sortie.  A  présent  nous  sommes  tou- 
tes enrumées,  gripe  ou  la  tête  en  baraquete  {sic). 


XVII   (1) 

A  Mademoiselle 

Mademoiselle  Anne  Calas 
maison  de  monsieur  Langloy 
Conseiller  au  G?;and  Conseil  rue 

neuve  Saint  Eustache  A  Paris. 

t  VIVE  JESUS 

De  notre  Monastère  de  toulouse,  ce  20  mars  17G(>. 

Je  commençois,  :Ma  chère  petite  amie,  de  murmurer 
sérieusement  contre  vous.  Par  le  retara  du  distributeur 
des  letres,  la  votre  ne    me  fut  rendue   que   samedi  ; 

(i)  Celte  lettre,  écrite  après  la  réhabililationdcs  Calas,  porte  cette 
adresse  ainsi  que  les  suivantes. 


Zll2  LETTRES   DE  LA   SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

et  des  la  veille  tonte  la  ville  publioit  vos  heureux  succès. 
Enfin  vous  respires  !  Et  j'en  dis  de  même  par  la  joye  de 
vos  triomphes.  J'espère  que  vous  retablirés  votre  santé 
dans  une  situation  tranquille  qui  vous  fera  jouir  du 
fruit  de  vos  travaux.  Je  vous  connois  ;  Combien  votre 
cœura-t-ilsoufert  !  quels  déchirements  !  quelle  violence! 
j'en  ay  bien  pris  ma  bonne  part.  Dans  votre  séjour 
chez  nous,  je  ne  vous  temoignois  pas  ce  que  ie  santois, 
mais  mon  cœur  etoit  toujours  attendri  sur  vos  mal- 
heurs. 

Lors  que  vous  serés  un  peu  débarassée  de  toutes  vos 
occupations,  j'exige  de  votre  amitié,  et  pour  contenter 
la  mienne,  que  vous  me  parliés  de  trois  choses.  Ou  fixcés 
vous  votre  demeure  ?  Espérés  vous  de  rapeler  quelque 
chose  de  vos  biens  ?  Et  vous,  ma  chère  petite  amie,  vos 
aimables  calités,  votre  mérite  personnel  et  votre  sage 
modestie  vous  prometent-elles  un  établissement  conve- 
nable, l'honneur  de  la  famille  réparé,  seul  obstacle  a  ce 
dont  vous  pouviés  vous  flater  ?  Vous  me  trouvères  peut 
être  indiscrète,  mais  vous  sentes  bien  que  c'est  le  cœur 
qui  parle  et  qui  désire.  Il  me  semble  que  vous  possédés 
tout  ce  qui  peut  plaire  a  la  créature.  Je  laisse  à  Dieu,  et 
ie  le  prie,  de  faire  en  vous  tout  ce  qui  peut  le  contenter. 
Du  reste,  si  vous  me  faites  quelque  confidence,  je  vous 
en  jure  le  secret. 

Notre  Supérieure  et  toute  la  comunaute  vous  assurent 
de  la  part  sincère  qu'elles  prennent  a  l'heureux  succès 
de  cette  terible  afaire.  Elles  vous  embrassent  et  vous 
ayement  toujours  fort  tendrement.  le  vous  prie  de  té- 
moigner a  la  chère  maman  et  sœur  tout  ce  que  ie  sans 
de  leur  contentement;  mais  dites  le  leur  bien;  ce  ne  sera 
jamais  a  l'égal  du  vray.  Mon  Dieu  !  si  ie  pouvois  vous  em- 
brasser, ie  le  fairois  bien  tendrement.  Adieu  mon  cher 
cœur,  vous  me  serés  toujours  chère.  S'il  se  présente  quel- 
que occasion  ou  ie  puisse  vous  être  utille,  ô  de  grand 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zjlo 

cœur  ie  seray  a  votre  service.  Mais  que  peut  une  reli- 
gieuse! Des  prières  au  bon  Dieu  pour  qu'il  accomplisse 
en  vous  sa  sainte  volonté. 

le  suis  avec  Tatachement  le  plus  inviolable  toute  a 
vous. 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V  S**  M.  D.  s.  b. 


XVIIl 


t  VIVE  JESUS. 

De  noire  monastère  de  toulo»si>.  ce  17    avril  1765. 

Je  ne  puis  vous  dire  ma  cliere  petite  amie,  tout  le  plai- 
sir dont  j'ay  été  saisie  a  la  lecture  de  votre  aimable  letre. 
Si  j'avais  apris  d'ailleurs  ces  aimables  nouveles,  je  ne  vous 
aurois  jamais  pardonné  de  ne  me  les  avoir  point  détail- 
lées. Vous  m'aviez  fort  bien  rendu  le  dispositif  de  l'arrêt; 
j'ay  été  bien  aise  de  le  voir  dans  toutes  ses  circonstances. 
S'il  est  admirable  il  est  encore  plus  juste  ;  l'équité  de- 
mandait qu'on  vous  tirât  de  l'opression  où  vous  avez 
gémi  plus  de  trois  ans.  Efacons  s'il  ait  possible  les  mal- 
heurs passés  et  saches  un  peu  vous  livrer  à  la  satisfac- 
tion d'être  parvenues  au  point  qui  étoit  a  présent  l'objet 
de  vos  désirs.  Votre  caractaire,  je  le  say,  vous  rend  plus 
sensible  aux  afflictions  qu'aux  plaisirs;  c'est  pourquoy 
ie  vous  exhorte  a  vous  élever  au  dessus  de  vous-même  ; 
et  suivant  le  cours  des  évenemens,  soyés  contente  et 

35. 


Zil/l  LETTRES  DE  LA   SOEUFx  A.-J.  FRAISSE 

joyeuse,  dans  un  païsoa  les  têtes  couronnées  font  à  l'en- 
vie d'essuyer  vos  larmes. 

Notre  parlement  a  fait,  dit-on,  des  asemblées  secrètes, 
pour  examiner  la  légitimité  des  pouvoirs  des  requêtes, 
mais  ils  n'ont  rien  trouvé  a  pouvoir  les  combatre.  Us 
disent  qu'ils  feront  imprimer  la  procédure  et  la  donne- 
ront au  public  pour  leur  justification.  Je  répons  qu'ils 
s'en  garderont  bien.  le  puis  pourtant  vous  assurer  que 
tout  ce  qui  vous  connoit  s'est  rejoui  de  vos  triomphes. 
Notre  supérieure,  toutes  nos  religieuses,  en  sont  trans- 
portées et  me  chargent  de  vous  le  protester,  surtout  tou- 
tes celles  que  vous  nommés.  Vous  êtes  admirable  et  uni- 
que, nous  ne  trouvons  dans  aucune  de  nos  élèves  de  plu- 
sieurs années,  les  mêmes  souvenirs  qui  sont  dans  votre 
bon  cœur,  pour  huit  mois  de  séjour  dans  notre  maison. 
Il  est  vray  que  vous  avés  gagné  touts  les  cœurs.  Durant 
plusieurs  de  nos  récréations,  il  ne  s'est  parlé  que  de  ma 
chère  Nanete,  dont  chaqu'une  faisoit  les  éloges  ;  ils  étoient 
conclus  par  cet  élan  ;  IMon  Dieu  quel  domage  !... 

Si  le  Roy  fait  quelque  chose  en  votre  faveur,  ie  veux 
le  savoir;  si  vous  pouvés  fixer  votre  demeure  à  Paris, 
j'en  seray  fort  aise;  on  esta  portée  de  tout.  Les  parisiens 
aiment  les  gascons.  Je  m'attendais  bien  que  n'ayant  d'au- 
tre fonds  que  le  magazin,  rien  n'était  garanti. 

Pour  ma  troisième  question  je  n'en  désespère  pas  ;  ie 
ne  contois  point  sur  votre  fortune,  ie  ne  say  que  trop  que 
vous  n'en  avés  point  ;  mais  ie  ne  puis  me  persuader,  que 
votre  figure,  vos  rares  calités,  ne  vous  vaillent  plus  que 
des  sommes  considérables  en  cas  ;  et  en  cas,  sans  man- 
quer au  respect  que  nous  devons  à  St  Paul  (1),  si  l'aven- 
ture regarde  un  catolique,  franchisés  le  pas  ;  ie  me  char- 

(i)  Allusion  au  ch.  7.  de  la  i"  épître  aux  Corinthiens,  v.  8.  Or, 
je  (lis  à  ceux  qui  ne  sont  point  mariés  et  aux  veuves  qu'il  leur  est 
bon  de  demeurer  comme  moi.  Voy.  aussi  v.  2  5,  3  4,  38. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  /jlô 

gérais  bien  d'en  répondre  à  Dieu,  et  St  Paul  bien  loin  de 
s'en  fâcher  en  sera  très  content.  N'oubliés  jamais  que 
vous  m'avez  promis  de  me  faire  part  des  evenemens  qui 
vous  arriveront.  Vous  voyés,  que  ie  me  donne  les  airs 
de  vous  donner  des  conseils  avant  qu'ils  me  soyent  de- 
mendés  ;  tout  est  permis  a  l'amitié.  Avec  vous  mon  cœur 
pence  tout  haut.  le  conte  si  fort  sur  la  bonté  et  la  soli- 
dité de  votre  esprit,  que  ie  vous  croy  en  garantie  de  par- 
ticiper aux  damnables  sistemes  dont  paris  est  infecté. 
Vous  avés  naturelement  le  cœur  et  l'esprit  pieux,  un 
petit  rayon  de  la  vray  lumière  fairoit  de  vous  une  par- 
faite chretiene. 

Vous  avés  été  si  bien  reçues  a  Versailles  que  ie  ne 
doute  point  que  si  quelque  chose  vous  y  menait,  vous  ne 
reculeriés  pas. 

11  serait  bien  a  souhaitter  que  si  le  vice  chancelier 
parle  au  Roy,  on  se  joignit  à  luy  pour  fortifier  la  demende. 
Si  le  chancelier  n'etoit  déplacé  je  vous  ofrirois  mes  ser- 
vices auprès  de  madame  Dauriac  sa  fille.  J'ay  fait  lire  a 
M""  Sol  votre  letre  devant  ma  nièce  de  Bertier  qui  étoit 
avec  luy.  Elle  vous  en  fait  son  compliment.  M""  Sol  qui 
vous  fait  bien  les  siens  s'est  chargé  des  Vialets  et  Gar- 
delle.  Mille  amitié  de  ma  part  a  la  chère  maman  et  sœur 
et  ne  doutés  pas  que  ie  ne  sois  a  jamais  avec  les  senti- 
mens  les  plus  tendres,  votre  très  humble  et  afectionnée 
amie 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
De  la  V.  Ste  M.  D.  s.  b. 

On  me  gronde  fort  sérieusement  et  chacune  veut  être 
nommée  a  leur  tour;  Sr  Vialet,  Sr  de  Ponsan,  Sr  de  Ville, 
de  Mongasin,  Marie  Louise,  Marie  Rose,  Sr  Caseirals,  et 
Sr  de  Serres  vous  embrassent  de  tout  leur  cœur. 


hie  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAlSSE 


XIX 


t  VIVE  JESUS 

Me  voicy  résuscitée,  Ma  chère  petite  amie.  J'ay  tant  de 
choses  a  vous  dire  que  les  pensées  m'etoufent.  Je  viens 
d'être  malade.  le  m'informois  toujours  avec  M'  Sol  s'il 
n'y  avoit  rien  de  nouveau  dans  votre  position.  J'ay  receu 
en  son  tems  la  charmante  nouvelle  de  la  gratification 
du  Roy,  de  votre  presantation  a  la  Reine,  et  tout  ce 
qu'elle  vous  dit  d'obligeant;  et  touts  vos  heureux  avan- 
tages me  saisissent  comme  s'ils  m'apartenoient.  le  ne 
sens  pas  plus  sensiblement  ce  qui  me  touche  que  ce  qui 
vous  interesse.  Mes  plaisirs  sur  le  changement  de  votre 
fortune  ne  sont  modérés  que  par  l'affliction  de  ne  voir  ja- 
mais luire  un  petit  espoir  de  votre  vray  bonheur,  qui  ne 
peut  consister  que  dans  ce  qui  ne  finit  jamais;  actuële- 
ment  les  larmes  m'en  viennent  aux  yeux,  vous  chéris- 
sant comme  moy  même. 

Je  n'avais  jamais  regardé  votre  demeure  chez  M  Dumas 
comme  suite  de  letre  de  cachet.  le  n'ay  pourtant  pas 
oublié  qu'elle  vous  fut  signifié,  mais  ie  regardois  ce  cé- 
rémonial sans  concequence,  et  en  liberté  à  Paris  de  vous 
loger  ou  il  vous  plairoit.  Jignore  votre  nouvelle  adresse; 
je  me  serviray  de  la  même. 

Voyés,  ma  chère  Nanete,  comme  le  bonheur  vous  suit, 
a  tous.  Le  voyage  de  M'  votre  frère  dans  cette  illustre 
compagnie  (1)  n'est  pas  indiffèrent  et  prouve  le  non- 
deshonneur  de  vos  malheurs  passés.  Ce  sont  mes  petites 
observations,  a  part  moy  ;  lorsque  ie  m'intéresse,  ie  suis 

(i)  Je  n'ai  pu  découvrir  avec  quel  personnage  l'un  des  jeunes 
Calas  avait  voyagé. 


A  MADEMOISELLE   ANNE  CALAS.  ^17 

comme  les  animeaux  de  l'Apocalipce,  qui  avaient  des 
yeux  devant,  et  derrière. 

le  ne  suis  point  surprise  de  votre  fixation  à  Paris.  Ce 
seroit  une  ingratitude  de  quitter  cette  ville  après  tant  de 
bienfaits.  le  m'attens  tous  les  jours  a  quelque  brillante 
nouvelle  sur  vous,  ma  chère  petite  amie.  Ne  soyés  point 
scrupuleuse  a  l'égard  de  S'  Paul.  Si  le  cas  échoit,  si  vous 
me  laissiés  ignorer  une  minute  seulement  cette  douce 
idée  dans  laquelle  mon  esprit  se  promené,  supposé 
qu'elle  se  réalise,  ie  ne  vous  le  pardonerois  jamais.  La 
nouvelle  de  la  gravure  m'a  divertie  ;  ie  la  trouve  char- 
mante, ie  voudrois  bien  la  pouvoir  voir,  bien  mieux  en- 
core l'original.  le  suis  quelque  foix  toute  triste  lorsque 
j'en  vois  l'implacable  impossibilité. 

Je  me  suis  informée  de  ce  que  disent  les  messieurs  du 
Parlement.  A  presant  pas  un  mot.  Aux  premières  nou- 
velles du  gain  glorieux,  ils  carillonnèrent  beaucoup  sur 
le  droit,  et  le  fait  ;  les  messieurs  des  Requêtes  ne  pou- 
voient,  disoient-ils,  toucher  a  leur  arrêt.  On  fit  courir 
bien  de  faux  bruits  ;  mais  c'est  tout.  A  présent  ces  Mes- 
sieurs n'en  parlent  point;  ils  sont  tous  ocupés  de  M'  de 
Fitz-James,  des  affaires  de  Rennes  et  de  Pau,  d'un  grand 
projet  de  noblesse  a  venir  pour  les  membres  de  leur 
corps,  n'en  voulant  recevoir  qui  n'ait  quatre  généra- 
tions. Ils  sont  en  dispute  entre  eux  sur  ce  fait. 

Vousm'avés  fait  un  plaisir  des  plus  sensibles  p'ar  les  co- 
pies de  Mrs  des  Requettes,  et  Vico-Chancelier  (1).  le  les  ay 
faites  courrir  de  toutes  mes  forces,  .l'y  ai  trouvé  une  aug- 
mentation a  ce  que  je  savais  de  600011  v,  pour  les  fraix  des 
voyages  et  procédures;  36,000  liv.  nesontpas  indiférantes; 
et  la  gloire  de  les  tenir  de  Sa  Majesté,  preuve  d'inno- 
cence persécutée.  Je  me  persuade  que  Jannete  ne  sortira 

(1)  Il  s'agit  des  lellres  que  nous  avons  reproduites  plus  haut, 
ch.  12.  r  , 


/|18  LETTRES  DE    LA  SOEUR    A.-J.   FRAISSE 

point  ses  3,000  liv.  de  la  manse  commune  et  vivra  avec 
vous  autres  sans  discution. 

'  Notre  Sœur  Dhunaud  est  bien  sensible  a  votre  souve- 
nir et  toutes  nos  religieuses  ;  elles  vous  chérissent  ten- 
drement ;  toutes  vous  embrassent.  Notre  Sœur  Jaquete  se 
sent  trop  honorée  que  vous  vous  rapeliés  qu'elle  existe  et 
vous  présente  ses  respects.  le  ne  manqueray  pas  de  por- 
ter vos  complimens  aux  Vialets,  Gardois  et  Sol  ;  il  en  sera 
le  porteur,  comptant  de  le  voir  aujourdhuy. 

J'ay  repondu  fort  exactement,  ma  chère  amie,  a  touts 
les  points  qui  vous  intéressent  personnellement;  c'est 
avant  tout.  Venons  a  ce  qui  nous  regarde.  J'ay  ri  de  tout 
mon  cœur  avec  notre  ancienne  petite  mère.  Vous  êtes 
charmante,  admirable,  unique  dans  votre  espèce  !  Com- 
ment avés  vous  gardé  dans  un  petit  coin  de  votre  mé- 
moire, avec  les  choses  prodigieuses  qui  vous  ont  ocu- 
pée,  notre  élection  au  terme  juste  ?  Je  vous  entens  a 
merveille  ;  j'ay  souvent  pénétré  vos  pensées  sur  cet  article 
malgré  votre  discrétion.  Vous  aies  croire  que  nous  sommes 
devenues  foies,  lors  que  ie  vous  dirai  la  Supérieure,  que 
ni  vous,  ni  nous,  n'avons  jamais  vue,  mais  a  la  veille  de 
la  voir.  Pour  notre  justification  ie  vous  dirai  une  grande 
histoire.  La  voicy  en  racourci  :  notre  institut  a  été  fondé 
a  Annecy  ville  de  la  Savoye.  L'Eveque  est  Evoque  et 
Prince  de  Genève.  S'  François  de  Sales  qui  en  etoit  l'Eve- 
que  nous  y  établit  cette  maison  que  nous  y  avons  ;  nous 
la  respectons  grandement  ;  c'est  la  source.  Elles  four- 
nissent des  Supérieures  aux  maisons  de  l'ordre  qui  en 
veulent.  Il  y  en  a  une,  a  nos  religieuses  de  Montpelier, 
qui  a  gouverné  six  ans  ;  elle  devoit  s'en  retourner  chez 
elle.  Nous  en  avons  eu  fantaisie  ;  c'est  l'élection  que  nous 
avons  faite  le  23*  de  May.  le  conte  qu'elle  arrivera  a  la 
fin  de  ce  mois  par  tout  le  cérémonial  qu'il  a  falu  écrire  a 
l'Eveque  de  Genève  qui  est  son  supérieur  ;  il  faut  qu'il 
envoyé  sa  permission.  Ce   sont  des  délais  qui  finiront 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  /ll9 

bientôt;  j'y  suis  très  intéressée  pour  finir  mes  ocupa- 
tions  ;  il  m'a  falu  écrire  sans  fin  et  me  mêler  de  tout,  en 
qualité  d'assistante.  Voilà  notre  histoire.  Vous  en  serés 
bien  surprise  ;  en  tout  cas,  vous  n'êtes  pas  seule  :  on  en 
parle  partout. 

Votre  chère  Maman  et  Sœur  veulent  bien  recevoir  les 
asurances  de  mes  tendres  sentimens.  Vous  ne  doutés  pas 
de  ceux  que  j'ay  pour  vous  et  qui  ne  finiront  qu'a  mon 
dernier  soupir.  Je  suis  toute  a  vous.  Votre  très  humble 
obeisante  servante  Sr  anne  julie  Fraisse 

de  la  V.  S^*  M.  D.  s.  b. 

de  toulouse,   ce   12^  juin  1763. 


XX 


t  VIVE  JESUS. 

De  notre  monastère  de  toulouse  ce  29  septembre  17CS. 

Votre  letre,  ma  petite  amie,  m'a  comblée  de  joye.  J'é- 
tois  au  moment  de  vous  écrire  pour  soulager  l'afliction 
dont  mon  cœur  étoit  pénétré,  au  risque  d'y  mettre  le 
comble  par  votre  reponce.  Je  m'informois  de  vos  nou- 
velles i\  ceux  que  j'en  croyois  instruits  et  l'on  m'asuraque 
vous  étiez  si  fort  dans  les  bonnes  grâces  de  l'ambassa- 
deur d'Angleterre  que  ie  m'attendois  a  tous  momens  d'a- 
prandre  un  grand  mariage,  dans  ce  royaume.  le  ne  vous 
cache  pas  que  la  mort  me  serait  plus  douce  et  que  j'en 
prandrois  des  regrets  jusqu'à  mon  dernier  soupir.  Vous 
pensés  sans  doute  :  qu'est  ce  que  cela  fait?  ie  suis  aussi 
ferme  en  France  qu'en  Angleterre.  Ma  chère  Nanete,  l'es- 
pérancô  est  la  dei'uiere  chose  qui  meurt  en  nous.  Tout  le 


Zl20  LETTRES    DE   LA   SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

tems  que  vous  ne  serez  pas  liée,  ie  pouray  espérer  que 
VOUS  le  soyés  un  jour  avec  un  quelqu'un  qui  vous  mènera 
au  point  que  ie  désire.  Grand  Dieu,  serait  il  possible  que 
de  si  rares  vertus  et  des  qualités  uniques  dont  le  ciel 
vous  a  comblée,  ne  pussent  vous  servir  que  pour  cette 
vie  !  Il  faudra  que  le  ciel  soit  d'airain,  si  nous  n'en  arra- 
chons ce  que  nous  désirons.  N'y  mettez  pas  obstacle,  ma 
chère  petite.  Conservés  l'intégrité  de  mœurs  qui  vous  est 
si  naturelle,  ne  perdes  pas  par  la  séduction  du  monde  les 
heureuses  dispositions  de  votre  caractère.  Où  trouver  un 
cœur  comme  le  votre?  Il  est  inimaginable  que  vous  con- 
cerviés  le  souvenir  de  ce  qui  est  si  loin  de  vous.  Avec 
cette  tendresse,  ces  attentions,  ce  désir  de  vous  être 
utille,  il  est  vray  que  vous  me  devés  quelque  chose  par 
les  sentimens  de  mon  cœur  qui  vous  est  dévoué,  bien 
plus  que  ie  ne  puis  l'exprimer. 

le  ne  suis  point  en  retraite  ;  ie  la  commenceré  le  onze 
du  mois  prochain,  jusqu'au  vingt.  J'ay  une  grâce  à  vous 
demender  ne  me  la  refusés  pas.  Durant  ces  dix  jours, 
dites  à  Dieu  :  Seigneur,  exausés  la  s'il  est  utile  à  mon 
salut.  Je  ne  vous  demande,  mon  cher  cœur,  rien  de  plus. 
Et  toute  notre  communauté  qui  est  transportée  de  vos  le- 
tres,  pas  une  ne  vous  oubliera  ;  et  toutes  à  l'envi  vous 
font  mille  tendres  complimens,  notre  sœur  de  Hunaud, 
Vialet.  Je  fairay  vos  complimens  à  toutes  vos  connois- 
sances.  Notre  Supérieure  grilleroit  de  vous  voir  sur  tout 
ce  que  nous  luy  disons  de  vous.  Elle  vous  remercie  et 
vous  asure  de  son  amitié.  Je  vous  prie  d'asurer  de  la 
mienne  la  chère  maman,  et  sœur  ;  ie  suis  bien  sensible 
à  leur  souvenir. 

Vous  ne  vous  êtes  point  aperçue  du  vuide  que  vous 
laissés  dans  votre  letre,  mais  mon  cœur  "  le  sant.  Vous 
ne  me  dites  pas  un  mot  de  vous,  rien  de  votre  santé,  ni 
de  vos  plaisirs,  ni  de  vos  peines.  Gomment  me  traités 
vous,  ma  chère  petite  amie?  Groyés  vous  que  ie  n'ay  pas 


A  MADEMOISELLE  ANNE   CALAS.  /l2i 

un  cœur  comme  vous  ?  Ha  si  vous  le  voyés  ce  cœur 
vous  vous  y  trouveriés  bien  empreinte.  Jereceveray  avec 
grand  plaisir  Testampe  dont  vous  me  parlés.  J'y  verray 
ma  chère  petite  en  figure;  si  ie  ne  puis  lavoir  en  réa- 
lité ;  pourvu  qu'il  n'y  ait  point  de  nudités. 

le  prans  grande  part  au  nouveau  bienfait  du  Roy  en 
faveur  de  M'  votre  frère  Louis.  Oserai  je  vous  demender 
s'il  se  soutient  dans  la  Catolicité  ?  le  crains  la  reponce  ; 
mais  ie  suis  persuadée  que  de  quelle  façon  qu'il  en  soit 
c'est  à   votre   bon  cœur  qu'il  doit  cette    gratification 


ployé  vos  protections  en  sa  faveur.  Vous  voilà  toute  au 
long.  Je  vous  connais  jusqu'au  fonds.  Noubliés  pas  que 
Dieu  ne  vous  a  donné  un  cœur  que  pour  luy.  Adieu  ma 
très  chère  petite  amie,  que  j'aime  très  tendrement.  Je 
suis  et  seray  toujours  toute  a  vous, 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
De  la  V.  S'*  M.  D.  s.  b. 
Notre  sœur  de  Hunaud  se  fâche  de  ce  que  ie  ne  vous 
dis  pas  qu'elle  vous  aime  de  tout  son  cœur. 


XXI 

f  VIVE  JESUS 

De  nlre  monastère  de  toulouse  ce  22  janvier  47CC. 

Jay  receu  dans  son  temps,  Ma  chère  plus  petite  amie, 
vos  deux  charmantes  letres,  celle  du  8*  X^re  et  celle  du 
1*'  de  l'an.  Vous  devés  toujours  vous  tenir  pour  assurée, 
lors  que  vous  voyés  le  retard  de  mes  réponses,  que  ie 

36 


A22  LETTRES  DE    L\  SOEUR  A.-J.     FRAISSE 

suis  malade.  A  votre  première,  le  commencois  une  ma- 
ladie qui  selon  les  premiers  commencemens  devoit  me 
conduire  a  la  mort,  mais  deux  saignées  dans  le  premier 
jour  et  cinq  médecines  m'ont  tirée  d'afaires.  Ma  conva- 
lescence a  été  lante  ;  la  mort  de  Mr  Dauriac  sans  testa- 
ment m'a  fait  un  chagrin  inexprimable,  voyant  mon 
frère  et  deux  neveux  sans  avoir  du  pain.  Ils  ne  subsis- 
toient  que  par  une  pansion..  On  espère  que  l'heritiere  du 
sang  la  continuera. 

Revenons  a  votre  première  letre.  le  suis  très  contente 
de  votre  franchise  ;  vous  me  la  devés,  et  a  vous  même  et 
a  votre  religion.  le  suis  afligée  de  vos  sentimens,  mais 
ne  puis  l'être  de  la  probité  et  vérité  qui  sera  toujours  en 
vous.  Comment  pouvés  vous  penser  que  ma  tendresse  en 
puisse  être  afaiblie?  Non,  ma  chère  Nanete,  jamais  rien 
n'en  sera  capable.  Vous  êtes  trop  dans  mon  cœur  ;  vous 
n'en  sortirés  jamais.  Ce  n'est  que  par  votre  bon  caractère 
que  vous  croyés  m'avoir  des  obligations.  Je  n'ay  fait  a 
votre  égard  que  me  suivre.  Et  puis,  qu'ay  je  fait  pour 
vous?  rien,  mon  pauvre  enfant,  au  prix  de  ce  que  j'au- 
rois  voulu  faire.  Qu'aurois  je  fait,  si  j'avois  pu?  uneexé- 
lante  catolique  ;  eflfacé  le  souvenir  de  vos  malheurs  ;  une 
fortune  égale  a  ce  que  vous  mérités  ;  ou  mieux  encore, 
une  bonne  religieuse,  voila  ce  que  j'aurois  fait,  et  ce 
que  ie  vous  souhaitte  pour  repondre  a  vos  souhaits  dans 
cette  nouvelle  année. 

J'ay  porté  vos  complimens  a  notre  Supérieure,  a  la 
sœur  de  IJunaud,  Vialet,  et  a  toute  la  communauté.  Elles 
vous  font  mille  bons  souhaits  et  amitiés. 

le  ne  trouve  rien  a  dire  a  votre  façon  de  vivre.  le 
vous  remercie  de  m'avoir  donné  le  plaisir  de  m'en  in- 
struire. Tout  est  fort  bien  ménagé.  N'oubliés  pas,  dans 
son  tems,  de  m'envoyer  l'estampe  ;  elle  me  tient  a  cœur 
et  me  sera  chère.  le  suis  bien  contente  que  Mr  Louis  se 
soutienne  dans  la  catolicité.  Vous  fairés,  ie  vous  prie, 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zl23 

une  ambrasade  de  ma  part,  mais  bien  serrée,  pourvu 
qu'on  n'étoufe  pas,  à  la  chère  maman  et  sœur.  le  suis 
très  sensible  a  leurs  sentimens.  le  leur  en  ay  voues  a 
l'égal,  tout  au  moins. 

Vous  êtes  curieuse  du  froid  de  ce  païs  ;  il  est  afreux.  le 
n'en  puis  plus;  j'ay  prévenu  vos  conseils;  la  chaufrete 
me  suit  toujours.  Depuis  le  p^""  de  la  lune  de  X^^^  la  glace 
ne  nous  a  quitées  que  deux  jours.  Toute  cette  lune  le  tems 
a  été  en  frimats;  les  derniers  quinze  jours  le  canal  se 
glaça,  et  la  Garonne  au  retour  de  la  lune  de  janvier.  Le 
soleil  nous  donne  des  beaux  jours,  mais  la  glace  subsiste  ; 
il  ne  peut  la  fondre  que  sur  la  Garonne  qui  se  reprant 
la  nuit;  le  canal  l'est  toujours.  Nous  n'espérons  plus  la 
fin  de  cette  calamité;  il  n'est  pas  possible  que  de  nos 
jours  nous  ayons  chaut. 

Nous  venons  de  perdre  Ma''*'^*  Destelanes  et  sœur  Ca- 
therine, tourière.  Samedi  dernier  elles  sont  mortes  à 
vne  demi-heure  de  distance.  Dimanche  dernier  nous 
avions  ce  spectacle  dans  notre  chœur,  les  deux  enterre- 
mens  de  suite.  le  n'avois  jamais  vu  pareille  chose. 

M"^  Gardelle,  Vialet  et  Sol  à  qui  ie  fais  exactement  vos 
complimens  vous  font  bien  les  leurs.  Et  moy,  ma  chère 
petite  amie,  ie  vous  asure  de  l'atachement  le  plus  vray 
avec  lequel  ie  suis  toute  a  vous 

Sr  anne  Julie  de  la  v.  s"  m. 
D.  s.  b. 


XXII 

t  VIVE  JESUS 

De  titre  monaslcre  de  Toulouse,  ce  2  avril  1766, 

Vous  n'êtes  pas,  sans  doute,  surprise,  ma  chère  petite 


Zl2/i  LETTRES  DE  LA    SOEUR   A.-J.    FRAISSE 

amie,  du  retard  de  ma  réponse  a  votre  aimable  lettre 
du  22*  février.  Vous  vous  rapelés  peut  être  que  mon  usage 
de  n'écrire  en  carême  que  pour  ce  qui  ne  peut  être  re- 
tarde m'a  empêche  de  me  donner  ce  plaisir,  et  vous 
voyés  que   ie  prans   au  plus  vite  le  premier  courier. 

Je  suis  toujours  dans  l'admiration  des  sentiments  dont 
votre  cœur  est  rempli.  Il  semble  que  le  Seigneur  ait  pris 
plaisir  a  renfermer  dans  cet  aimable  cœur  toute  la  gra- 
titude et  reconnoisance  qui  semble  aujourdhuy  être 
banie  du  comerce  des  humains,  qui  tournent  a  tous  les 
vents.  Tous  vos  sentiments  a  mon  égard  ne  peuvent 
avoir  d'autre  objet  que  les  désirs  quej'avois  de  pouvoir 
faire  pour  vous.  Pour  ce  que  j'ay  fait,  ce  n'est  pas  la  peine 
de  s'en  souvenir  ;  mais  il  est  vray  que  si  j'avois  pu  et  que 
mon  état  eut  ete  suséptible  de  fortune,  ie  n'en  aurois 
voulu  que  pour  vous  la  donner.  A  l'égard  de  l'esentiel, 
vous  n'en  doutés  pas.  Trop  heureuse,  si  au  prix  de  tout 
mon  sang,  ie  le  pouvois  encore  !  N'en  parlons  plus  ;  ces 
propos  sont  trop  accablants  ;  ils  echapent  a  la  plénitude 
de  mon  cœur. 

Que  pouvés  vous  tant  dire,  ma  chère  petite,  a  vos  amis 
pour  nous  les  aquerir  ?  Que  nous  sommes  des  bonnes 
personnes,  qui  ne  vous  ont  pas  tracacée,  et  qui  vous  che- 
risent  tendrement.  Votre  bonne  conduite,  et  tout  ce  que 
vous  mérités,  vous  ont  atiré  de  notre  part  tout  ce  dont 
vous  nous  loués.  Vous  etiés  admirable  ;  a  vous  voir,  on 
vous  auroit  prise  pour  une  postulante  des  plus  modestes, 
et  recueillies.  Souvenés  vous,  lorsque  vous  pasiés  nos 
dortoirs,  les  yeux  baissés,  sur  le  bout  des  pieds.  C'est  sa- 
voir tout  bien  faire. 

Que  dit  Ma'^'^"^  votre  sœur  avec  ses  religieuses  ?  En  est 
il  comme  vous  avec  les  vôtres  ?  Faites  luy  bien  mes  ami- 
tiés sans  oublier  ^ladame  votre  mère.  Hier  on  délivra 
l'estempe.  Mon  Dieu  !  q'u'il  me  tarde  de  revoir  ma  chère 
Nanete  !  Nous  saurons  bien  nous  rapeler  tout  ce  qui  lui 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zl25 

manquera  ;  phisionomie  et  couleurs  sont  empreintes  dans 
notre  souvenir. 

Notre  Supérieure  et  mère  de  Hunaud,  de  même  que  la 
S'  Violet,  Ponsan,  Mongasin  vous  asurent  de  leur  ten- 
dresse, et  toute  la  eomunauté.  J'ay  fait  vos  complimens 
a  ]\r"  Vialet,  Gardelle  et  Sol  et  a  Madame  Gay  que  j'ay 
vue  ce  carême.  Ils  vous  en  font  mille  et  mille.  Si  ie  vous 
rendois  tout  ce  dontonme  charge,  les  uns  et  les  autres, 
ie  ne  finirois.  Fermetés  que  ie  profite  des  ofres  obligeans 
que  vous  me  faites  pour  vne  petite  commission  :  ie  sou- 
haitte  quatre  onces  desoye  tordue  comme  celles  que  vous 
m'avés  vu  travailler.  Nous  les  apelons  soye  legis.  Je  veux 
que  ces  quatre  onces  me  fasent  quatre  nuances  en  rouge, 
savoir  un  rouge  brun,  un  ponceau,  un  seris  et  un  cou- 
leur de  rose  clair.  On  ne  peut  aler  si  juste  pour  le  poids; 
un  peu  plus,  un  peu  moins  ne  doit  pas  vous  embarasser. 
Nous  fairons  bientôt  un  envoyé  de  fleurs  aune  marchande 
apeléePastele,  et  nous  luy  donnerons  ordre  de  vous  payer. 
Vous  voyés  qu'au  premier  besoin  ie  vay  sans  façon.  Au 
retour  de  votre  part,  ma  chère  Nanete;  si  ie  puis  vous 
être  bonne  a  quelque  chose  ce  seroit  bien  de  tout  le 
cœur.  Je  me  flatte  que  vous  n'en  doutés  pas.  Ce  seroit 
en  vous  une  injustice  l:ornble,  étant  toute  a  vous,  mais 

bien  tendrement. 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
delaV.    S'«  M.  D.  s.  b. 

le  ne  me  souviens  pas  pas  si  dans  ma  dernière  ie  vous 
dises  la  mort  de  iNIa'^'^"*  Destelanes  et  sœur  Catherine.  Et 
ce  carême,  nous  avons  perdu  d'une  purimonie  S'  Claude 
Julie.  Nous  l'avons  bien  regretée  ;  son  âge,  sa  douceur, 
sa  politesse  nous  la  rondoit  bien  chère.  Je  vous  fourni- 
ray  a  la  première  ocasion  une  coniodité  franche  pour 
mon  petit  paquet,  en  cas  vous  n'en  conoisiés  pas. 


36. 


Zl26  LETTRES  DE   LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 


XXIII 
f  VIVE  JESUS 

De  notre  monastère  de  Toulouse  ce  309  avril  1766. 

Je  receux  samedi,  ma  chère  petite  amie,  Testempe  si 
désirée.  J'avois  cru  sotement  que  le  courier  la  portoit. 
A  letre  vue,  j'envoyai  à  iVF  Lavaysse  ;  il  m'a  falu  l'aten- 
dre  jusqu'au  26*. 

Vous  êtes  resemblante,  il  est  vray  ;  ie  vous  ay  très 
bien  reconnue  ;  mais  bien  loin  de  vous  flater,  on  ne  vous 
a  pas  donné  tout  ce  que  vous  avés,  et  nous  avons  ete 
toutes  très  en  colère,  de  ce  qu'on  a  mieux  représenté 
votre  groce  Janete.  La  gravure  est  magnifique,  ^tres  ex- 
pressive ;  ie  la  garderay  comme  un  gage  de  l'amitié  de 
ma  chère  Nanete.  Il  me  semble  qu'elle  est  .mo.i  enfant  ; 
je  la  chéris  de  même  ;  asurés  l'en  de  ma  part. 

J'ay  fait  part  en  son  temps  à  M'  Sol  de  tout  ce  que  vous 
me  disiés  d'obligeant  pour  luy  dans  votre  dernière.  Je 
n'ay  eu  que  trop  ocasion  de  le  voir  durant  huit  jours  ; 
il  a  presque  habité  chés  nous,  pour  une  petite  enfant  de 
M' le  Marquis  dePuilaroque,  qui  au  bout  de  tous  ces  soins, 
est  alée  au  ciel.  M'  Sol  envioit  son  sort.  Je  luy  dis  que 
le  Bon  Dieu  nous  faisoit  de  la  peine  de  choisir  notre  mai- 
son pour  nous  enlever  ces  pauvres  enfants  qui  nous  sont 
confiés.  Il  me  répondit  que  notre  maison  étoit  le  chemin 
du  ciel.  —  Pourquoy  donc  ne  vous  faites  vous  pas  frère 
visitandein  ?  —  Je  me  fairois,  dit-il,  frère  coupechoux,  si 
j'étois  aussi  sur  de  ma  part  de  paradis  que  cette  petite  qui 
y  sera  dans  une  heure. 

Ne  trouvés  vous  pas  que  cette  conversation  est  char- 
mante vis  à  vis  un  protestant  ?  Dieu  soit  béni  !  il  faut  ado- 
rer ses  deseins  et  s'y  soumetre.  Il  m'en  fâche  bien  pour- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  ^27 

tant!  JMa  chère   petite  amie  a  bien  sa  bonne  part  dans 
cette  fâcherie. 

Sol  me  dit  a  l'oreille  que  cette  gravure  vaudroit  beau- 
coup dans  l'Alemagne.  J'en  ai  ete  toute  réjouie.  Sans  pré- 
judice de  touts  les  biens  et  grâces  spirituëles  que  ie  vous 
souhaitte,  ie  ne  puis  me  défendre  de  vous  souhaitter  des 
avantages  temporels.  Mon  cœur  seroit  en  grande  sou- 
france,  si  ie  vous  y  savois. 

Je  vous  parle  a  bâtons  rompus,  tout  comme  il  me  vient, 
de  l'abondance  du  cœur.  Mais  n'oubliés  pas  que  c'est  une 
bonne  vieille;  je  ne  veux  pas  que  vous  montriés  mes  le- 
tres  sans  avertir  que  la  datte  du  siècle  est  celle  de  mon 
âge.  Nous  marchons  ensemble  luy  et  moy  d'un  même 
pas,  ne  nous  aretans  jamais. 

Mille  amitiés  de  ma  part  a  maman  et  la  chère  sœur, 
On  l'a  très  bien  représentée.  Maman  et  vous,  vous  re- 
semblés avec  les  diferences  de  l'âge.  Adieu  ma  chère  Na- 
nete  que  ie  chéris  toujours  tendrement.  Toute  a  vous. 

S'  Anne  Julie  Fraisse. 
De  la  V.  Ste  M.  D.  s.  b. 


XXIV 


t  VIVE  JESUS. 

De  nlre  monastère  de  toulouse  ce  ce  août  1770. 

Vous  ne  doutés  pas.  Ma  chère  petite  amie,  que  depuis 
avoir  receu  votre  magnifique  presant,  parfait  dans  toutes 
ses  parties,  ie  n'ay  été  malade.  Avec  quelque  axcés  de  fiè- 
vre, j'en  suis  quite.  Mais  après  vous  avoir  remerciée,  per- 
metés  mes  reproches  ;  vous  m'avés  souvant  ofert  de  me 


/l28  LETTRES  DE    LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 

faire  mes  petites  commissions  et  me  rendre  service  dans 
votre  grande  ville,  le  plus  beau  théâtre  de  la  France  ;  et 
vous  m'obliges  a  n'oser  plus  respirer  avec  vous.  Votre 
bon  cœur  me  touche  et  le  mien  soufre  de  ne  pouvoir  vous 
procurer  tout  le  bien  que  ie  vous  souhait  te.  le  vous  en 
prie,  rendes  moy  la  liberté,  en  cas  de  besoin,  d'avoir  re- 
cours a  vous  sans  que  votre  bource  en  soufre,  sans  quoy 
ie  ne  puis  profiter  de  votre  bon  goût.  Vos  soyes  sont  des 
plus  belles;  les  couleurs,  la  nuance,  la  groceur,  tout  est 
au  mieux. 

Je  garde  avec  grand  soin  votre  estampe.  Souvent  ie  la 
considère  par  le  plaisir  de  quelque  resemblance.  Il  faut 
se  contenter  de  la  figure  et  faire  un  sacrifice  éternel  de 
l'original  !  Mon  Dieu,  avec  quel  plaisir  l'embrasserai-je  ! 

Brisons  a  ce  discours  frivole  dont  ie  n'ay  que  la  fumée. 
Dans  les  entredeux  de  vos  letres  ie  demande  de  vos  nou- 
velles ;  personne  ne  m'en  sait  donner.  Il  me  semble  tou- 
jours qu'il  y  a  quelque  chose  de  nouveau  a  aprandre. 
Mes  désirs  me  font  illusion:  ie  me  représente  toujours 
un  sort  heureux  a  ma  chère  Nanete.  Mon  esprit  s'en 
ocupe.  Mais  si  votre  situation  présente  venoit  a  changer, 
ie  ne  vous  pardonnerois  jamais  de  me  la  laisser  ignorer. 

Il  y  a  bien  des  choses  qui  me  combleroit  de  joye  sur 
ma  chère  petite  amie  J'en  parle  souvant  au  bon  Dieu; 
s'il  fait  semblant  d'être  sourt,  peut  être  ne  le  sera-t-il  pas 
toujours. 

Il  y  a  longtemps  que  nous  n'avons  vu  Madame  Gar- 
delle;  elle  est  fort  prés  de  ses  couches.  le  ne  manque  ja- 
mais de  faire  vos  complimons  à  M'  Sol  et  le  charge  des 
autres  lorsque  iene  les  voy  pas.  Toutes  nos  sœurs  per- 
sévèrent malgré  le  tems  et  l'eloignement  a  vous  aimer 
tendrement.  Notre  supérieure.  S'  de  Hunaud,  S'  Vialet, 
Ponsan,  S'  Marie  Louise,  toutes  a  l'envie  me  chargent  de 
mille  et  mille  asurances  d'amitiés.  Il  fait  un  chaut  aussi 
vif  que  le  froid  de  ce  dernier  hiver.  Je  crains  qu'il  sera 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zl29 

aiisi  long.  Bénisons  Dieu  de  tout;  c'est  lui  qi^i  nous  a 
faits,  il  faut  donc  vivre  pour  luy. 

Mille  complimens  et  amitiés  de  ma  part  a  Madame  vo- 
tre Maman  et  la  chère  sœur.  Adieu,  ma  chère  amie, 
aimés  moy  toujours  un  peu  en  retour  de  la  plus  tendre 
et  sincère  amitié,  fe  suis  et  seray  toujours  votre  fidelle 

amie. 

S'  Julie. 
D.  s*  b. 


XXV   (1) 

A  Madame 
Madame  Duvoisin  à  l'hôtel  de  M.  l'ambassadeur 
de  Hollande,  rue  Bergère 

A  Paris. 

f  VIVE  JESUS 

De  notre  monaitëre  de  toulouse  ce  25^  mars  1767. 

Après  VOUS  avoir  dit  un  grand  Madame  très  respectueu- 
sement, ie  reviens  au  stille  du  cœur.  Hé  bien,  ma  chère 
petite  amie,  vous  voila  établie.  IN'avois  je  pas  raison  d'es- 
pérer toujours  quelque  bonne  fortune?  Vous  me  pa- 
raisses très  contente  ;  il  faut  donc  que  j'en  sois.  Vous  avés 
bien  quelque  soubson(2),  je  ne  dis  rien  déplus;  mais  le 
sujet  du  soubson  à  part,  personne  ne  sent  plus  vivement 
votre  heureuse  situation.  Quels  reproches  ne  mériteriés 

(i)  Celle  lettre  cl  les  suivantes  portent  celle  adresse. 

(2)  Quelque  soupçon  que  la  Sœur  regrelle  de  lui  voir  épouser 
un  protestant,  et  surtout  un  pasteur.  Rien  de  plus  original  que  le 
désappointement  et  la  défiance  qu'elle  laisse  percer  dans  celte  pre- 
mière lettre  et  dont  on  ne  retrouve  aucune  trace  dans  les  suivantes. 


ll'SO  LETTRES  DE  LA   SOEUR    A.-J.    FRAISSE 

VOUS  pas  ?  mais  vous  vous  les  faites,  ie  n'ay  plus  rien  à 
vous  dire!  Il  y  a  un  article  pourtant  que  j'ay  peine  à 
vous  pardonner,  vous  avés  eu  tort  de  douter  de  mon  se- 
cret. Lors  de  la  consultation,  un  petit  mot  de  confidence 
n'aurait  pas  ete  déplacé.  J'ay  apris  comme  vous  dites, 
votre  mariage  par  le  public,  avec  toutes  les  circonstan- 
ces, dont  vous  ne  me  dites  mot.  Quarante  mille  livres, 
qui  vous  ont  été  données  ;  quinze  mille  livres  de  rantes, 
attachées  à  la  dignité  de  votre  époux.  On  n'a  point  su  me 
dire,  s'il  avoit  des  biens  paternels.  J'ay  fait  tout  ce  que 
j'ay  pu  pour  découvrir  tous  vos  avantages.  Du  reste,  bien 
persuadée  que  fut-il  Hiroquois,  Huron,  Turc,  pis  encore, 
vous  sauriés  le  métamorphoser  par  votre  douceur,  mo- 
dération et  conduite  respectable.  le  vois  par  ce  que  vous 
me  dites  de  son  caractère  que  l'ouvrage  est  tout  fait.  Vous 
ne  le  gaterés  pas.  11  faudrait  être  bien  diabolique,  pour 
vous  rendre  malheureuse.  Je  ne  veux  pas  perdre  le  Cou- 
rier. Il  va  partir. 

Vous  m'ofencés;  quesque  vous  me  devés  pour  la  con- 
sultation ?  j'ay  payé  Sol.  Soyés  tranquille,  dites  donc  ce 
que  je  vous  dois.  JNe  parlons  plus  de  cet  article.  Toutes 
nos  religieuses  ont  pris  grande  part  a  votre  bonheur. 
Nous  vous  aimons  toujours  tendrement.  Lorsque  vous 
aurés  le  tems  écrivez  moi  quatre  pages.  De  vous  ie  veux 
tout  savoir.  Adieu  mon  cher  cœur.  Je  prie  toujours  pour 
vous;  Dieu  est  tout  puissant. 

Sr  Julie. 
D.  s.  b. 


XXVI 

t  VIVE  JESUS. 

De  noire  monastère  de  Toulouse  ce  22  juillet  17G7. 

Que  devés  vous  penser.  Madame,  de  mon  retard  à  re- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  /l31 

pondre  a  votre  toujours  plus  aimable  letre  en  datte  du 
21  juin?  j'ay  voulu  attendre  de  finir  ma  petite  pacotille 
que  j'ay  remise  à  Mr  Lavaysse  (sous  la  protection  de  Sol, 
Gardelle  et  Vialet,  pour  trouver  une  comodité  pr  Paris) 
dont  vous  aurés  avis  de  l'adresse  du  porteur,  s'il  ne  doit 
vous  la  remettre.  Admirés,  ie  vous  prie,  trois  branches 
renoncules  faites  par  une  bonne  vieille  de  67.  Des  deux 
œuillets,  vous  en  présenterés  un  de  ma  part  a  Mr  du 
Voisin  que  j'aime  de  tout  mon  cœur,  puis  qu'il  vous 
rend  heureuse.  Témoignés  luy  ma  parfaite  reconnais- 
sance. Ah  !  si  vous  aviés  eu  un  quelqu'un  qui  vous  eut  fait 
passer  des  mauvais  jours,  mon  affliction  eut  été  extrême. 
Toutes  les  fois  que  ie  lis  vos  charmantes  letres,  ie  pense 
que  vous  avés  fait  un  beau  songe  où  vous  avés  vu  tout  ce 
que  ie  souhaittois  a  ma  chère  petite  amie  et  vous  avés 
pris  mes  désirs  pour  actions  rëeles.  Je  n'ay  jamais  rien 
fait  qui  mérite  les  sentimens  de  reconnoissance  dont 
vous  êtes  remplie.  Il  n'y  a  que  votre  unique  bon  cœur  a 
qui  je  les  doive. 

Tout  ce  que  vous  me  dites  qui  vous  interesse  m'atriste 
et  me  console.  La  disproportion  du  vray  de  votre  fortune, 
avec  l'idée  qu'on  m'en  avoit  donnée,  m'a  presque  mise 
de  mauvaise  humeur.  Mais  elle  est  adoucie  par  l'essen- 
tiel de  votre  contentement.  Je  vous  savois  très  incom- 
modée; le  principe  n'est  pas  incompréansible.  Ménagés 
votre  poitrine,  vous  l'avés  délicate.  Si  dans  six  mois  vous 
êtes  maman  d'une  demoiselle,  ie  la  veux  Anne  ou  Julie  (1). 
Ne  négligés  pas  de  me  donner  de  vos  nouvelles  ;  si  vous 
ne  pouvés  écrire ,  metes  seulement  :  Je  suis  trop  inco* 
modée  de  telle  chose  pour  écrire. 

le  ne  puis  vous  rendre  les  amitiés  que  vous  faites  à  la 

(i)  M""'  Duvoisin  n'cul  que  des  fils;  mais  l'aîné  qui  mourut  au 
bout  de  quelques  jours,  el  le  second,  né  l'année  suivante,  reçurent 
tous  deux  au  baptême  le  nom  d'Anne,  qui  était  d'ailleurs  un  de 
ceux  de  M""  Calas,  leur  marraine. 


/l32  LETTRES  DE    LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 

Sr  de  Mongasin,  nous  l'avons  perdue  le  10  may  d'une 
hidropisie  de  poitrine.  Depuis  trois  mois  qu'elle  avait  re- 
gorgé le  sang,  la  groce  fièvre  ne  l'avait  point  quitée. 
Nous  l'avons  beaucoup  regretée.  La  supérieure,  de  Hu- 
naud,  Ponsen,  Vialet  et  toutes  nos  sœurs  vous  font  mille 
complimens.  Je  vous  prie  de  bien  faire  les  miens  à  ma- 
dame votre  mère  et  sœur.  Je  suis  charmée  du  plaisir  que 
vous  avés  de  vous  voir  souvent.  Mille  choses  de  ma  part 
à  Mr  Duvoisin  ;  si  je  le  connoissois  un  petit  brin,  je  le 
prierois  de  vous  faire  une  embrassade  ausi  tendre  que  ie 
vous  la  ferois.  le  n'ay  point  entendu  parler  de  la  duchesse 
Danuille,  mais  je  luy  say  bon  gré  de  son  présent  et  plus 
encore  de  ses  sentimens.  Les  miens  pour  ma  chère  petite 
damote  ne  peuvent  être  plus  tendres.  C'est  de  tout  le 
cœur  que  ie  suis  et  seray  toujours  toute  à  vous. 

Sr  Julie. 

D.  s.  b. 


XXVII 

t  VIVE  J. 

J'ay  ete  bien  fâchée.  Ma  chère  amie,  de  ne  pouvoir 
vous  prévenir  en  son  tems  de  l'arivée  de  la  petite 
bœte  afin  de  vous  empêcher  de  payer  le  courier  qui 
s'apele  Petit,  attendu  qu'il  l'etoit,  M  Lavaysse  n'ayant  pu 
trouver  comodité.  S'il  vous  a  demandé  c'est  une  fripon- 
nerie. Des  douleurs  de  rumatisme  m'empêchèrent  d'é- 
crire. 

Je  le  fais  aujourdhuy  a  la  hatte,  devant  entrer  en  re- 
traitte  ce  soir.  Veuilles  ou  non  veuilles,  ie  prieray  bien 
pour  ma  chère  petite  amie.  Jamais  ie  ne  prie  sifervem- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  ^SS 

ment  que  lorsque  vous  en  êtes  l'objet.  Mais  vous  êtes 
admirable  en  tout;  vous  nous  suives  dans  toutes  nos 
démarches.  Pour  le  peu  de  tems  que  vous  avés  été  chez 
nous,  vous  nous  savés  par  cœur.  Rien  ne  vous  oublie. 
Le  principe  part  d'un  bon  cœur.  Vous  nous  le  devés  par 
retour.  Lorsque  ie  reçois  de  vos  letres  on  s'empresse  de 
savoir  de  vos  nouvelles;  ie  lis  et  chaqu'une  levé  les  yeux 
au  ciel  pour  implorer  la  miséricorde  du  Tout-puissant, 

Parlons  de  Ma^eiie  votre  fille  :  Vous  m'en  avés  bien  l'air, 
le  vous  en  prie,  attendes  vous  y  et  recevés  la  de  bonne 
grâce.  le  suis  très  contente  que  vous  la  nourisiés.  Le 
devoir  vous  y  engage,  et  l'espérance  de  luy  transmettre 
votre  caractère.  C'est  le  plus  désirable.  Ha  I  si  ie  pouvois 
vous  l'enlever  au  moment  qu'elle  marchera  seule  !  le 
l'aimerois  à  la  folie.  Elle  seroit  bien  la  chère  toutoune 
de  chaqu'une  de  nous. 

Si  vous  lises  mes  letres  a  \lr  Duvoisin  que  ie  salue,  ie 
vous  defens  de  luy  dire  mon  âge.  le  l'aime  tendrement 
puisqu'il  vous  rent  heureuse.  Mes  amitiés,  ie  vous  prie  a 
Madame  votre  Mère  et  sœur.  Adieu  petite  damante,  ie 
vay  m'enfoncer  dans  ma  solitude  avec  Dieu  seul.  Dans  ce 
monde  c'est  l'unique  bonheur  ;  commencer  dès  cette 
vie  ce  que  nous  fairons  eternelement.  le  suis  toute  vôtre, 
bien  tendrement. 

Sr  anne  Julie  Fraisse  de  la 
V.  S**  M.  D.  s.  b. 


Ce  27    7bre  476Î. 


XXVIII 

t  VIVE  JESUS 
Il  y  a  déjà  longtemps,  ma  chère  petite  daniaute,  que 

37 


usa  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.  FRAISSE 

j'etois  bien  en  peine  de  votre  situation.  J'en  demandois 
nouvelles  a  tout  le  monde.  Enfin  Sol,  mal  instruit,  me  dit 
que  vous  etiés  revêtue  d'une  fille.  Bon,  je  dis;  voicy  une 
petite Nanete ;  je  l'aimois  déjà  a  la  folie;  et  plus  folement 
encore  je  revois,  je  projetois,  il  me  sembloit  que  ie  la  te- 
nois  déjà;  j'en  etois  rajeunie  de  dix  ans.  Jesavois  bien  que 
votre  terme  etoit  a  la  fin  du  courant,  mais  a  une  première 
on  peut  se  méprendre.  Je  n'ay  scu  le  vray  que  par  votre 
letre  dont  ie  vous  suis  doublement  reconnoissante,  écrite 
19  jours  après  vos  couches  (1) .  Au  lieu  de  vous  afliger, 
bénisses  Dieu  d'avoir  mis  dans  le  sein  de  sa  gloire  votre 
pr'  nél  Nous  ne  naissons  que  pour  le  ciel;  il  s'y  trouve; 
ie  vous  demende  quelle  fortune  pouvés  vous  faire  a  vos 
enfants,  pour  si  brillante  qu'elle  soit,  qui  puisse  être 
comparée?  Ce  doit  être  votre  consolation. 

Je  vois  avec  bien  du  contentement  que  votre  santé  n'est 
point  dérangée  et  vous  êtes  assés  jeune  pour  reparer  votre 
perte.  Lorsqu'il  y  aura  lieu,  dites  le  moy.  le  ne  puis  me 
passer  de  savoir  tout  ce  qui  vous  interesse.  Vous  ne  sau- 
riés  croire,  chère  amie,  combien  souvent  nous  parlons 
de  vous,  et  nos  regrets  de  n'avoir  pu  vous  tenir.  Nous  n'a- 
vons toutes  qu'une  voix  sur  vos  aimables  calités.  Je  m'a- 
muse quelquefois  a  regarder  votre  gravure  ;  je  la  con- 
cerve  soigneusement.  Enfin  tout  ce  qui  est  de  vous  me 
donne  un  plaisir  singulier  et  me  fait  regreter  les  imposi- 
bilités  de  nous  revoir  jamais.  J'avoue  mon  foible  :  les 
larmes  m'en  viennent  aux  yeux  quelque  foix.  Ha  !  si  je 


(i;  Anne  Philippe  Henri,  fils  de  Jean-Jacques  Duvoisin  et  de 
Anne  Calas  son  épouse,  né  le  lO  décenibre  it67,  baptisé  dans  l'ap- 
parlemenl  de  sa  mère  en  présence  de  M.  Serrurier,  ancien,  par 
F.  G.  de  la  Broue,  chapelain,  ayant  pour  parrain  Philippe  Debrus, 
représenté  par  M.  Henri  Dumas  et  pour  marraine  Anne  Rose  Calas 
■a  grand'mère  maternelle  »  (lieg.  des  hapt.  de  la  Chap.  de  Hollande, 
au  dépôt  de  l'état  civil  de  Paris.)  II  mourut  au  bout  de  quelques 
jours. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Û35 

pouvois  enlever  ma  chère  INanete  sur  les  ailes  des  vents, 
je  l'embrasserois  mille  foix  et  puis,  très  fidèlement,  je  la 
rendrois  a  M'  Duvoisin  pr  ne  point  séparer  ce  que  Dieu 
a  uni.  (1)  Vous  nesauriés  croire  combien  je  suis  sensible 
a  l'honneur  quMl  m'a  fait  de  m'ecrire  quelque  lignes.  Fai- 
tes lui  mes  excuses  de  ne  luy  repondre  que  de  môme. 
C'est  par  discrétion  ;  je  say  bien  qu'a  son  attention,  je 
devrois  une  letre  en  toute  seremonie. 

J'ay  fait  la  distribution  de  vos  respects  et  complimenis 
a  toutes.  On  y  a  repondu  par  des  aclamations  de  l'exce- 
lance  de  votre  cœur,  et  chaqu'une  a  recommencé  vos 
éloges.  Ils  finissent  toujours  :  quel  domage!...  Enfin, 
Dieu  soit  béni  de  toutes  choses I  il  est  tout-puissant; 
c'est  ma  consolation.  Ne  mourés  pas  avant  moy,  gardés 
vous  de  cette  sotise  ;  mes  larmes  couleroient  jusqu'à  mon 
dernier  soupir. 

Adieu,  ma  chère  amie.  Soyés  persuadée  que  mes  vœux 
et  mes  souhaits  pour  votre  bonheur  sont  indepandents 
des  tems,  parce  qu'ils  sont  de  tous.  Je  vous  remercie  des 
vôtres.  Je  me  flate  qu'ils  sont  de  même.  Je  suis  et  seray 
toujours  toute  a  vous  de  tout  mon  cœur. 

Sr  Anne  Julie  Fraisse  de  la 
Visitation  Sainte-Marie  Dieu  soit  béni, 

de  notre  monastère  de  toulouse 

Ce  IS*' janvier  17[68[  secret  pr  Mr  Duvoisin;  que  diroit-il 

de  mon  stille  (2)? 

(1)  En  appliquant  celte  parole  de  Jésus-  Christ  (  Math  1 9 .  6  )  i  un 
mariage  protestant,  la  vénérable  Religieuse  se  montrait  plus  tolé- 
rante que  la  loi  française,  devant  laquelle  ces  mariages  ne  furent  re- 
connus qu'en  17  87. 

(2)  Le  secret,  c'est'qu'étant  née  avec  le  siècle,  elle  a  68  ans. 


436  LETTRES,  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

XXIX 

A  Monsieur  Duvoisin  (sur  la  même  feuille)  : 

Je  suis,  Monsieur,  plus  sensible  que  je  ne  puis  dire  a 
votre  attention.  Vous  santés  combien  le  trésor  que  vous 
pocedés  m'est  cher  et  précieux.  Vous  la  dépeignés  au 
parfait.  Son  ame  tendre  ne  m'est  pas  inconnue,  non  plus 
que  les  rares  qualités  dont  le  Seigneur  l'a  abondament 
pourvue.  Jouisses  longues  années  du  bonheur  mutuel  de 
vous  être  si  bien  rencontrés.  Je  suis  persuadée  que  con- 
noissant  si  bien  son  caractère,  vous  eloignerés  tout  ce 
qui  pouroit  afliger  sa  tendresse.  Avant  de  vous  la  devoir 
et  sans  vous  nommer,  elle  m'avoit  parlé  des  grandes  obli- 
gations qu'elle  vous  avoit  et  cela  avec  le  cœur  que  vous 
luy  connoisés.  Il  me  faut  gêner  pour  ne  pas  vous  re- 
mercier de  faire  son  bonheur.  J'ay  l'honneur  de  vous 
assurer  de  mon  respectueux  atachement 

S'  Anne  Julie  Fraisse 


XXX 

t  VIVE  JESUS 

De  nlro  monastère  de  loulouse  ce  20"  juillet  1768. 

Enfin,  ma  belle  dame,  vous  voilà  résusitée  après  six 
mois  de  sépulture.  Vous  sentes  bien  que  je  veux  quere- 
1er.  Mais  ie  commence  d'en  être  lasse.  Ne  parlons  plus 
du  passé;  ie  mets  le  doit  sur  ma  bouche  et  n'aime  point 
de  voir  mes  amies  en  faute.  Nous  voila  reconciliées. 


A  .MADEMOISELLE  ANiN'E  CALAS.  /l37 

Votre  santé,  me  dites  votis,  est  assés  bonne.  Vous  me 
paroisses  toujours  contente,  pleine  de  joye  d'avoir  bien- 
tôt poupon  ou  toutoune.  Le  mois  de  novembre  décidera 
cette  grande  question.  Ce  qui  m'intéressera  le  plus  c'est 
de  savoir  comme  vous  serés.  J'en  seray  dans  l'inquié- 
tude. Je  voudrais  être  assés  avant  dans  les  bonnes  grâces 
de  M'  Duvoisin  pour  qu'il  m'en  dit  un  mot  dans  ce  tems 
fâcheux,  si  vous  n'êtes  en  état.  Souvenés  vous,  s'il  y  a 
toutoune,  de  Julie  ou  Anne;  ce  sera  ma  petite  filleule. 
Si  je  pouvois  un  jour  me  l'avoir  auprès,  je  l'aimerois  a 
la  folie  au  desus  de  tous  obstacles.  J'en  porte  un  en  moy 
même  ;  j'ay  fait  la  sotise  de  naitre  trop  tôt  ;  c'est  irré- 
parable. 

Je  pense  que  la  santé  du  cher  mari  est  bonne,  puis- 
que vous  ne  me  chargés  que  de  complimens  pour  W  Sol. 
le  les  luy  feray  a  première  ocasion.  le  suis  toujours  a 
votre  service  pour  cet  article  et  tous  autres  ou  je  pou- 
rois  vous  donner  des  preuves  de  mon  tendre  atache- 
ment.  On  se  souvient  toujours  de  ma  chère  Nanete  dans 
notre  maison  ;  nous  en  parlons  souvent  avec  les  éloges 
que  votre  aimable  conduite  a  mérité.  le  suis  bien  flatée 
que  M""  Duvoisin  veuille  bien  pencer  quelque  foix  a  moy. 
le  vous  en  ay  l'obligation  ;  ie  vous  prie  de  l'asurer  de 
ma  parfaite  considération.  Il  y  a  un  proverbe  gascon  : 
voyons  si  ie  sauray  l'écrire  :  «  qui  aimo  mon  miou  aimo 
mon  chiou  (1).  »  Vous  dires  sans  doute  que  malgré  mon 
antiquité  ie  ne  suis  pas  de  mauvaise  humeur. 

Mes  amitiés  a  Madame  votre  mère  et  sœur.  Celle  cy  est- 
elle  établie?  Concerve-t-elle  relation  avec  ses  religieuses? 
Si  je  l'avois  eue  auprès  de  moy,  nous  aurions  ete  amies, 
le  la  soubsonne  de  ne  l'être  pas  trop  avec  ces  dames. 

Prenés  tranquilement  et  comodement  ce  dont  ie  vay 
vous  prier.  Si  vous  saviés  quelque  marchant  qui  fit  co- 

(i)Qui  aime  mon  chai,  aime  mon  chien. 

»7, 


Zj38  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

merce  de  fleurs  et  qu'il  vous  fut  posible  de  nous  en 
procurer  la  pratique,  vous  nous  fériés  plaisir.  Les  irlan- 
dois  et  anglois  en  sont  amoureux.  Si  mesieurs  les  hol- 
landois  etoient  dans  le  même  goût,  ie  me  flate  de  la  pré- 
férence, s'il  vous  en  parvenoit.  11  me  prant  des  terreurs 
que  les  nations  se  brouillent,  et  voir  disparoitre  ma  chère 
petite  dame  de  notre  royaume.  En  quelle  terre  du  monde 
que  vous  soyés,  vous  me  serés  toujours  bien  avant  dans 
le  cœur.  Je  suis  toute  a  vous,  ma  plus  chère  amie 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V.  S.  M.  D.  s.  b. 


XXXI 


t  VIVE  JESUS 

Fermetés,  Madame  et  très  vénérable  Maman,  que  je 
commence  a  présenter  mes  homages  a  votre  illustre 
fils  (1).  Faites  les  luy  entendre,  je  vous  en  prie.  Il  m'a 
causé  bien  des  alarmes,  l'année  ayant  ete  des  plus  funestes 
pour  les  pauvres  mères  qui  y  ont  perdu  la  vie.  La  com- 
plaisance de  M'  Duvoisin  et  votre  attention  ne  pouvoient 
venir  plus  a  propos.  Vous  voila  hors  de  ce  mauvais  pas. 
En  vous  félicitant,  je  me  félicite  de  même,  toujours 
atachée  autant  a  vous  qu'a  moy.  Et  j'ose  dire  :  bien  plus  ; 
puisque,  en  cas,  je  donnerois  ma  vie,  hô  bien  de  grand 
cœur  !  Ma  chère  Nanete,  plut  à  Dieu  qu'il  ne  falut  que 
ce  sacrifice  !  il  seroit   bientôt  fait. 


(i)  Anne  Philippe,  né  le  mercrefli  f  2  octobre  1768.  Il  eut  mêmes 
parrain  ol  marraine  que  son  frère.  Ce  second  enfant  mourut  en  17T1. 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  ^39 

Vous  voulés  savoir  de  mes  nouvelles.  Ma  santé  est  très 
bonne  ;  mon  employ,  Conseillère  de  nos  grands  Etats, 
archivesse.  Si  vous  n'avés  oublié  notre  maison,  j'ay  un 
fort  joli  local,  très  agréable  Tceté  ;  nous  l'apelons  cabi- 
net voûté.  Si  vous  voulés  le  venir  ocuper  avec  le  pe- 
tit marmot,  a  votre  service.  Le  cher  mari  y  seroit  de 
trop  ;  mes  ofres  ne  sauroient  aler  jusque  là.  Je  vous 
prie  de  Tasurer,  malgré  mon  refus  de  logement,  de 
tous  mes  souhaits  dans  tous  les  tems  pour  son  bonheur  ; 
de  même  qu'a  Madame  votre  mère  et  sœur.  le  suis  très 
sensible  a  leur  souvenir.  Je  pence  que  si  la  sœur  etoit 
établie  vous  m'en  auriés  fait  part.  Notre  sœur  de  Hunaud 
est  toujours  là.  La  S'  Ponsan  et  Vialet  se  portent  bien  et 
vous  remercient  de  votre  attention  pour  elles,  de  même 
que  toute  notre  communauté  qui  vous  chérit  tendre- 
ment. 

Ma  chère  amie,  je  veux  vous  aprandre  comme  on  est 
en  droit  de  finir  ses  letres,  surtout  lorsqu'on  est  maman. 
Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
De  la  V.  S'«  M.  Dieu  soit  béni. 

De  notre  monastère  de  toulouse  ce  i  janvier  1769,  hay  ! 


XXXII 

fVIVE    JESUS 

De  ntre  monastère  de  toulouse  ce  S8  juin  1769. 

Vous  êtes  toujours  plus  charmante,  mon  aimable  pe- 
tite amie.  Je  ne  pouvois  avoir  de  plus  sensible  joye  que 
la  visite  de  M' Lavaysse.  Voicy  la  première  foix  que  j'ay 
eu  la  consolation  de  voir  un  quelqu'un  avec  qui  j'ay  pu 


lilxO  LIiTTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

savoir  tout  ce  qui  vous  intéresse  :  santé,  vie  heureuse  a 
tous  égards,  fortune  raisonable,  société  tranquille,  ar- 
ticle qui  me  tacquinoit,  trouvant  en  vous  trop  d'agréments 

personels  pour  ne  pas  craindre  que  mal  a  propos Me 

voila  contente  ;  l'estime  que  vous  mérités  égalant  la  ten- 
dresse vous  met  hors  de  ce  dont  j'avois  peur.  Vous 
croyés  bien  que  je  n'ay  pas  interogé  de  front,  qu'on 
n'a  pu  même  comprendre  ce  que  je  cherchois  ;  —  Mais 
comment  vit-elle  ?  Sans  doute  bien  ocupée  et  atentive 
dans  son  ménage.  -—  Ce  sont,  m'a-t-on  dit,  ses  querelles 
avec  M'  Duvoisin  ;  il  voudroit,  lors  qu'il  n'y  est  pas,  qu'elle 
sortit  aussi  :  Sa  santé  en  seroit  mieux,  dit-il.  Mais  Madame 
a  toujours  une  raison  ;  Maman  est  venue...  Je  n'ay  pu... 
Et  le  tendre  mari  est  fâché  qu'elle  ne  s'aille  promener.  — 
Bon,  ai-je  dit  en  moi  même,  me  voila  eclaircie. 

Il  m'a  dit  mille  biens  de  vous  deux,  autant,  pourmoy,de 
sujets  de  contentement.  le  tramblois  toujours  de  vous  sa- 
voir en  Hollande,  mais  par  tout  ce  que  M'  Lavaysse  m'a 
dit,  je  croy  qu'il  n'y  a  rien  a  craindre.  Mais  savés  vous 
une  nouvelle  ?  Votre  letre,  et  ce  que  j'ay  su  d'ailleurs, 
m'a  brouillée  avec  M'  votre  fils.  Quoi  l  ce  petit  marmot, 
ce  coquin  vous  a  volé  toute  votre  graisse  !  jusqu'à  son 
retour,  ie  ne  veux  point  l'aimer.  Mon  Dieu,  votre  poitri- 
ne 1  je  l'ay  vu  si  délicate  qu'elle  mérite  vos  attentions, 
je  crains  votre  tendresse  maternelle.  Vous,  faite  comme 
je  vous  connois,  vous  vous  reduiriés  aux  derniers  abois. 
Eh  !  que  ne  le  sevrés  vous  ?  Il  a  neuf  mois.  En  Angleterre 
trois  mois  suffisent.  Nous  sommes  savantes  de  cette  na- 
tion par  Tocasion  d'une  petite  angloise  de  trois  ans  et 
demi  que  nous  venons  de  recevoir.  Ses  parents  sont  de  la 
première  distinction.  Ils  viennent  de  Paris  où  ils  ont 
resté  longtems  ;  avant  de  finir,  ie  sauray  son  nom  ;  peut 
être  les  conoisés  vous? 

Revenons  a  vous,  chère  amie.  Vous   me  témoignés  une 
reconoisance  qui  excède  l'objet.   Il  est  vray  que  si  j'a- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zj/|l 

vois  pu  aler  plus  loin  en  efets,  de  grand  cœur  ie  m'y  se- 
rois  portée  avec  ardeur.  Mais  que  pouvois-je  faire  ?  rien 
au  prix  de  mes  désirs  pour  votre  bonheur.  Toutes  les 
fois  que  ie  reçois  de  vos  letres,  nous  admirons  votre 
cœur,  n'en  ayant  jamais  trouvé,  dans  le  grand  nombre 
de  nos  élevés,  qui  ait  de  la  resemblance,  quoy  que  les 
soins  aient  ete  bien  autres.  Il  auroit  falu  être  de  fer,  dur 
comme  bronse,  pour  en  agir  mal  avec  un  petit  ange.  Il 
ne  se  seroit  pas  mieux  conduit.  Nous  en  parlons  souvant, 
La  douceur,  discrétion,  modestie,  politesse,  vous  auroit 
faite  prendre  pour  une  postulante  des  plus  attentives. 
Plust  a  Dieu  !  ç'auroit  été  bien  alors  que  mon  trans- 
port m'auroit  fait  dire  comme  Siméon  :  Retirés  votre  ser- 
vante en  paix.  Oui,  chère  amie,  j'aurois  bien  concenti  a 
ma  mort  pour  vous  céder  la  place.  Mon  cœur  s'aten- 
drita  cette  pencée.  Toujours  la  même  a  votre  égard  et 
jusqu'au  dernier  soupir,  ie  ne  cesseray  de  chérir  tendre- 
ment ma  chère  Nanete. 

]Ne  pensés  pas  que  ce  petit  air  sans  façon  de  ma  part  me 
face  oublier  que  vous  êtes  une  grande  madame  et  une 
maman  respectable.  le  ne  doute  nulement  que  vous 
n'ayés  le  tour  le  plus  convenable  pour  l'éducation  de 
ce  cher  enfant.  Mais  votre  cœur  vous  causera  bien  des 
soufrances  ;  votre  ame  tendre  vous  livrera  de  teribles 
combats  avec  votre  raison  ;  ie  vous  en  plains  davance. 

Mes  compliments  a  M'  Duvoisin.  Je  suis  bien  sensible 
a  son  souvenir.  Je  vous  charge  de  lui  témoigner  ma  vive 
reconnoisance  de  toutes  ses  bonnes  façons  vis  a  vis  de 
vous.  Lorsque  vous  en  recevrés  quelque  témoignage 
singuHer,  tout  de  suite  vous  lui  en  fairés  mes  remercie- 
mens. 

Une  embrassade,  de  ma  part,  ie  vous  prie,  a  Madame  vo- 
tre mère  et  a  la  chère  sœur.  Je  les  remercie  de  penser 
quelque  foix  amoy.  Adieu  chère  amie,  soyés  persuadée  que 
toute  notre  comunauté  vous  aime,  vous  estime.  La  S'  Via- 


Zt42  LETTRES  DE  LA  SŒUR  A.-J.  FRAISSE 

let,  Ponsan,  Marie  Rose,  S'  de  Ville  et   toutes  les  autres 
vous  embrassent,  vous  chérissent.  Adieu,  je  suis  et  seray 

toujours  toute  a  vous. 

S""  Anne  Julie  Fraisse. 
De  la  V.  S'«  M.  D.  s.  b. 


XXXIII 


t  VIVE  JESUS 

de  ntre  monatere  de  toulouse  ce 
30*  may  1770 

C'est  belle  fête,  Ma  chère  amie,  lorsque  vos  letres  ari- 
vent.  le  pensois  :  ma  chère  Nanette  m'oublie.  Je  ne  seray 
jamais  capable  de  cette  très  grande  faute  a  son  égard  ; 
non,  jamais.  Vous  êtes  toujours  dans  mon  cœur  par  un 
souvenir  tendre,  profond,  sincère  et  solide...  Je  m'arete 
et  garde  en  moy  tout  ce  que  je  veux  dire.  Ha  !  si  je 
pouvois  embrasser  ma  chère  amie,  que  ne  luy  dirois-je 
pas?lLes  sentiments  me  fourniroient  les  expressions  les 
plus  fortes  ;  encore  seroient-elles  au  desous  du  vray.  ] 

Vous  voila  a  la  veille  de  votre  voyage  en  Suisse.  Que  ne 
fériés  vous  pas  pour  la  santé  de  ce  cher  mari,  avec  vo- 
tre ame  tendre,  un  cœur  afectif,  vif,  empressé,  toujours 
prête  à  vous  conter  pour  rien  vis  à  vis  les  intérêts  de 
l'objet  de  votre  amitié.  Vous  voila  tirée  au  clair.  Jamais 
le  souvenir  de  vos  aimables  qualités  ne  s'efacera  de  mon 
esprit. 

Mr  Duvoisin  mérite  tous  ces  sentimens.  Je  désire  que 
l'air  natal  le  remete.  Je  n'aurois  jamais  deviné  qu'il  fut 
Suisse,  a  tout  ce  que  vous  m'en  avés  dit.  Vous  savés  le 
proverbe  dans  notre  pais.  Non,  il  n'estpoint  Suisse,  et  ma 


A   MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zj/jS 

chère  Nanete  n'en  sera  jamais.  le  vcus  connois  assés  pour 
m'asurer  que  vous  prenés  pour  badinerie  ce  que  je  dis. 
Mais  sérieusement  je  plains  le  petit  enfant  de  votre  ab- 
sence. Si  je  pouvois  l'enlever,  le  mètre  dans  notre  se- 
lulle,  vous  le  bien  soigner  de  tout  mon  cœur,  ie  le  fai- 
rois. 

A  votre  retour  ne  manques  pas  de  me  donner  nouvelles 
de  Mr  Duvoisin,  de  ma  chère  amie,  du  petit  enfant,  de  Ma- 
dame votre  mère  et  sœur.  Asurés  les  combien  je  suis  sen- 
sible a  leur  souvenir.  Si  elles  veulent  l'agréer  faites  leur 
une  embrassade  de  ma  part.  Il  ne  seroit  pas  de  la  décence 
de  vous  en  dire  autant  pour  le  cher  mary,  mais  ie  le 
prie  de  vous  la  faire  pour  moy. 

Nos  élections  et  remue  ménage  ne  seront  qu'au  mois 
de  May  de  l'année  prochaine.  Toute  notre  communauté 
vous  fait  mille  amitiés.  Nous  parlons  souvant  de  vous, 
de  la  conduite  admirable  que  vous  avés  eue  dans  no- 
tre maison.  Votre  cœur  reconnoisant  fait  le  sujet  de 
nos  éloges.  J'ay  chargé  la  Sr  Vialet  de  vos  complimens 
a  l'égard  de  sa  famille  ;  elle  vous  asure  de  toute  son 
amitié. 

Reste  a  vous  parler  de  ma  très  vénérable  personne. 
Je  me  porte  très  bien  dans  le  fonds  de  la  santé,  mais  sou- 
frante des  douleurs  de  rumatisme;  a  mon  âge,  il  faut  bien 
quelque  coup  de  cloche.  Mais  ie  suis  toujours  de  bonne 
humeur  ;  le  noir  de  la  viellesse  est  encore  loin  de  moy. 
le  n'iray  pas  le  chercher,  peu  désireuse  de  cette  confor- 
mité avec  ceux  de  mon  âge  ;  elle  n'est  pas  assés  char- 
mante. Adieu,  ma  chère  amie.  Aimés  moy  toujours  un 
peu  et  soyés  toujours  sure  de  toute  ma  tendresse. 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V.  S"  M.  D.  s.  b. 

N'oubliés  pas  au  moins  de  m'ecrire  a  votre  retour  ;  ce 
sera  a  la  fin  d'Août  ou  tout  au  moins  dans  7bre. 


M  LETTRES  DE  LA  gOEUR  A.-J.  FRATSSE 


XXXIV 

tv.  J. 

Enfin,  ma  charmante  Nanete,  vous  voicy  de  retour.  J'é- 
tois  inquiette  du  retart  et  toute  empressée  du  succès  de 
votre  voyage,  aussi  bien  que  des  avantures  qui  pouvoient 
se  trouver  sur  vos  pas.  Je  vois  que  tout  en  est  heureux  et 
que  le  grand  et  très  intéressant  objet  est  rempli.  Vous 
voila,  chère  amie,  toute  joyeuse  du  retour  de  la 
santé  de  ce  cher  mari.  Je  vous  en  félicite,  et  a  luy,  je  le 
prie  de  m'en  permettre  les  assurances.  La  continuité  dé- 
pend de  bien  des  soins.  Lorsqu'on  a  été  éssentielement 
ataqué,  peu  de  chose  fait  culbuter.  Je  suis  très  sure  de 
vos  attentions.  Vous  en  êtes  remplie  ;  elles  sont  de  votre 
caractère.  Je  ne  connay  point  celuy  du  cher  mari  ;  mais, 
s'il  ne  veut  se  soumetre,  grondés  sans  ménagement. 
Brouillés  vous,  s'il  le  faut  ;  au  renoûement,  les  liens  en 
seront  plus  forts,  lors  que  revenant  a  luy  il  reconnoitra 
ses  torts. 

Ne  luy  lises  point  cet  article.  S'il  étoit  de  mauvaise  hu- 
meur il  publieroit  que  les  Moniales  sèment  la  division 
dans  les  familles.  Quel  scandale  1 

Je  ne  me  seas  point  encore  du  taciturne  de  la  viellesse. 
Ma  santé  chancelle  un  petit  brin  dans  cette  saison,  sans 
rien  d'alarmant. 

Tout  ce  que  vous  me  dites  de  votre  petit  poupon  an* 
nonce  un  heureux  avenir.  J'aurois  bien  voulu  le  voir  en 
matelot  ;  c'est  un  coup  d'œuil  divertissant.  Mais  vous 
avés  grand  tort  de  l'apeler  petit  morveux  ;  quant  on  est 
capable  de  sérieux  et  de  reflection,  on  ne  mérite  point 
une  expresion  autant  injurieuse  ;  vous  luy  en  devés  des 
çxcuses.  Il  me   semble  vous  voir   auprès    de  cet  en- 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  ÙU5 

tant  le  caresser,  luy  parler  raison,  atentive  a  tout  pour 
sa  santé  et  son  éducation.  Heureux  les  enfans  qui  vous 
auront  pour  raere!  Vous   êtes  pourtant  bien  pareseuse. 

Vous  me  savés,  chère  amie  :  mon  cœur  est  rempli  de 
tendresse  pour  vous  ;  n'ayés  donc  attention  qu'au  prin- 
cipe, si  je  vous  déplais  dans  ce  que  je  vais  dire.  Mon 
afliction  est  extrême  de  vous  voir  apeler  illustre  l'ennemi 
de  Dieu  et  de  toute  religion  ;  ce  sentiment  est  même 
oposé  à  la  vôtre.  Peut-il  y  avoir  quelque  chose  de  grand 
dans  l'homme  lorsqu'il  s'opose  a  l'auteur  de  son  être? 
Que  ne  vous  dirois-je  pas  si  je  suivois  l'impétuosité  de 
mon  cœur  et  de  mon  esprit  ?  Depuis  votre  lettre,  j'en 
parle  au  bon  Dieu  ;  c'est  toute  ma  ressource  ;  mais, 
comme  celle  la  ne  peut  tarir,  je  ne  cesseray  jusqu'à  mon 
dernier  soupir  de  le  conjurer  d'avoir  un  regard  de  mi- 
séricorde sur  ma  chère  Nanete,  dont  l'ame  m'est  bien 
plus  chère  que  ma  vie. 

Toute  notre  communauté  vous  en  dit  de  même,  bien 
sensible  a  votre  souvenir.  Jamais  vous  ne  serés  oubliée 
chez  nous.  On  est  tout  content  lorsque  m'arivent  vos 
nouvelles.  Je  vous  charge  d'une  embrassade  a  madame 
votre  maman  et  chère  sœur;  je  ne  say  par  quel  en- 
droit j'ay  mérité  leur  souvenir  ;  je  les  en  remercie. 
N'embracés  pas  le  cher  mari;  de  quel  ton  la  receveroit  il  ? 
ie  n'en  say  rien.  Adieu,  ma  chère  et  très  chère  amie, 
toute  a  vous  plus  que  ie  ne  puis  dire. 

Sr  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V  S*«  M.  D.   s.  b. 

e  ntre  monastère  de 
toulousece  28e9bre  1770. 


38 


UhQ  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

XXXV 

t  VIVE  JESUS. 

de  notre  monastère 
de  toulouse  ce  7  août 
1771. 

Je  suis  afligée  avec  vous,  ma  chère  amie  ;  votre  douleur 
fait  la  miene.  Je  connois  votre  cœur  et  n'ay  point  douté 
de  vos  tendres  sentimens  pour  tous  les  enfants  que  Dieu 
vous  donnera  ;  vous  serés  toujours  une  bien  bonne  ma- 
man. Vos  réflec tiens  prises  de  la  religion  me  consolent. 
Lorsque  le  calme  sera  entier,  après  vous  être  afligée,  vous 
devés  rendre  grâces  au  Seigneur  de  l'heureux  sort  de 
ce  cher  enfant.  Quelle  fortune  auriés  vous  pu  luy  faire 
à  l'égal  de  la  gloire  dont  il  jouit?  Il  est  en  Dieu  ;  il  y 
sera  éternelement.  Tous  les  royaumes  de  la  terre  peu- 
vent ils  entrer  en  comparaison  ?  Dans  sa  petite  cource, 
il  est  parvenu  a  la  possession  du  bonheur  qu'il  nous  faut 
acquérir  plus  chèrement.  Luy,  sans  obstacle  ni  au  de- 
dans de  luy,  ni  sur  ses  pas,  mais  d'un  vol  rapide,  se  re- 
pose dans  le  sein  de  la  Divinité.  Cessés,  ma  chère  Ma- 
dame Nanete,  de  vous  afliger.  Prenés  des  sentimens  plus 
conformes  au  vray. 

Je  supose  puisque  vous  ne  m'en  dites  rien  que  vous 
n'êtes  pas  dans  le  cas  d'espérer  un  promt  remplace- 
ment. Mes  complimens,  je  vous  prie,  au  cher  mari.  Il 
est  sans  doute  bien  afligé.  Les  conséquences  que  vous 
tirés  de  son  someil  et  apétit  sont  très  justes.  Vous  avés 
droit  d'espérer  qu'il  n'y  a  point  de  vice  essentiel,  mais 
il  est  des  personnes  qui  parviennent  à  une  grande  vieil- 
lesse avec  une  santé  foible,  et  des  infirmités  de  toute  la 
vie.  C'est  un  malade  bien  soigné,  je  pence.  Mon  Dieu 
comme  ma  chère  amie  doit  s'empresser  à  le  soulager, 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  Zl47 

avec  le  souci  dans  l'esprit  et  le  cœur,  de  le  faire  jamais 
assés,  et  à  son  gré  ! 

Vous  voyés  bien  que  je  ne  vous  ay  pas  oubliée.  Vos  ai- 
mables qualités  sont  trop  avant  dans  mon  cœur  et  dans 
celuy  de  toute  notre  communauté.  C'est  une  fête  pour 
chacune  lorsque  je  reçois  de  vos  letres.  Je  serois  bien 
grondée,  si  je  ne  leur  en  faisois  part.  Toutes  vous  font 
mille  amitiés  et  vous  asurent  une  place  au  noviciat, 
si  monsieur  Duvoisin  le  veut  bien  agréer.  Il  est  vray  que 
son  consentement  est  necesaire  ;  après  quoy  nous  vous 
ouvrirons  la  porte  avec  grand  plaisir.  Laisés  luytout; 
vous  seule  nous  sufirés.  La  sœur  de  Ponsan  et  Vialet  veu- 
lent être  distinguées  dans  la  foule  des  complimens.  Je  ne 
veux  pas  me  brouiller  avec  le  cher  mari  ;  si  ma  propo- 
sition  doit  le  choquer,  il  faut  la  luy  soustraire. 

Je  vay  vous  dire  un  petit  mot  de  moy,  puisque  vous  le 
voulés.  Mes  douleurs  sont  rumatismales  et  ne  peuvent  gué- 
rir à  mon  âge  ;  mais  j'ay  fally  mourir  par  des  coliques  dont 
j'ay  oublié  le  nom.  Elles  étaient  très  singulières  ;  c'est  une 
maladie,  qu'heureusement  M.Solconnoit.Il  a  toujours  asuré 
qu'il  meguériroit;il  y  a  réusi,  malgré  toutes  les  alarmes 
de  nos  sœurs.  Elles  m'ont  duré  trois  mois  ;il  m'en  a  falu  au- 
tant pour  reprendre  mes  forces,  et  depuis  deux  mois,  je  suis 
hors  d'infirmerie.  Me  voilà  dite  bien  au  long,  adieu  chère 
amie  ;  je  suis  une  babillarde.  On  s'oublie  quand  on  parle 
avec  ce  qu'on  aime.  Vous  ne  me  dites  rien  de  mère  et  de 
sœur.  Bien  de  complimens  si  les  voyés.  adieu  toute  à 
à  vous. 

S'  Anne  Julie  Fraisse 
de  la  V*  S"  M.  D.    s.  b. 


Z|/f8  LETTRES  DE  LA  SOEUK  A.-J.   FKAISSE 


XXXVI 

fV.J. 

Je  suis  très  mécontente,  Ma  toute  chère  amie,  des  nou- 
velles que  vous  me  donnés  de  ce  qui  vous  interesse  et  de 
celle  que  vous  ne  me  donnés  pas.  Je  l'ay  cherchée  dans 
votre  letre,  mais  point.  Si  elle  avoit  lieu  vous  ne  me  le 
laisseriés  pas  ignorer.  Il  faut  ne  vouloir  que  ce  que  Dieu 
veut.  Votre  santé  me  parait  défectueuse.  Celle  du  cher 
mari  n'est  pas  conforme  a  vos  souhaits  ;  je  vous  prie 
de  luy  témoigner  ma  reconnoissance  de  son  souvenir. 
Asurés  le  du  mien  très  afectueux.  En  priant  pour  vous, 
chère  amie,  je  le  fais  pour  luy  ;  c'est  bien  de  tout  cœur 
que  je  vous  désire  a  touts  les  deux  le  souverain  bonheur. 
L'espérance  est  la  dernière  chose  qui  meurt  en  nous, 
lorsqu'on  a  un  Dieu  tout-puissant....  Je  me  tais  et  mets 
le  doit  sur  la  bouche,  et  non  sur  le  cœur  qui  sera  tou- 
jours le  même,  en  désirs  des  plus  vifs. 

Faites  bien  mes  amitiés  à  Madame  votre  mère  et 
Ma<ie"e  votre  sœur.  Elles  sont  bien  bonnes  de  se  souve- 
nir encore  de  moy.  Je  vois  avec  bien  de  la  peine  la  con- 
tinuité de  la  mauvaise  santé  de  votre  chère  sœur.  Com- 
bien de  petits  soins  ma  chère  Nanete  nVt-elle  auprès  de 
ses  malades?  Tout  ce  qui  est  en  elle  respire  les  attentions. 

Gomment  vous  souvenés  vous  toujours  de  nos  petites  afai- 
res  ?  en  voicy  le  détail.  Notre  Savoyarde,  après  ses  six 
années  de  Supériorité  est  de  retour  a  notre  maison  d'An- 
necy qui  l'a  faite  Supérieure,  et  nous,  notre  chère  mère 
d'Hunaud  qui  vous  reçut  chés  nous.  La  Sr  de  Ponsan  est 
assistante,  Sr  Marie  Louise  sacristaine,  Sr  Vialet  le 
cabinet  des  ouvrages.  Je  leur  ay  fait  a  toutes,  vos  amitiés. 
Toutes  commencent,  par  premier  mouvement,  a  levei' 


A   MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  /l^9 

les  yeux  au  ciel,  et  puis  vos  éloges  recommeneent.  Ils 
n'ont  jamais  cessé;  on  parle  toujours  de  vous  avec  une 
tendre  amitié.  Toute  notre  communauté  vous  chérit  ten- 
drement. Votre  bonne  conduite  dans  notre  maison  vous 
a  mérité  ces  sentimens.  Si  Monsieur  Duvoisiil  veut  vous 
le  permettre,  nous  vous  receverons  avec  grand  plaisir. 

Parlons  d'une  bonne  vielle.  Mr  Sol  m'a  guérie  de  mes 
coliques  ;  je  n'en  ay  que  quelque  rare  et  léger  retour. 
Mes  douleurs  augmentent  avec  Page.  Je  ne  suis  pourtant 
pas  a  l'infirmerie;  cela  ne  va  donc  pas  trop  mal. 

Adieu,  chère  amie,  je  suis  bien  toute  a  vous,  je  vous 
asure  ;  mais  bien  tendrement. 

Sr  anne  julie  Frâisse,  de  la 
V.  S"  M,  D.  s.  b. 

de  notre  monastère  de  toulouse 

ce  8«  janvier  d772. 


XXXVII 

t  V.  J. 

Enfin,  ma  toute  chère  aimable  Nanete,  vous  voicy  résu- 
citée,  ou  moy  résucitée  dans  votre  cœur.  J'attendois  vos 
nouvelles  avec  la  dernière  impatiance;  je  pensois  que 
quelque  voyage  dans  les  cantons  suisses  me  privoit  de  ce 
plaisir.  Je  vous  remercie  de  votre  félicitation,  a  Tocasion 
de  la  canonisation  de  notre  sainte  fondatrice.  J'aurois 
bien  voulu  tenir  prés  de  moi,  à  la  grille  de  notre  infir- 
merie, ma  petite  amie. 

11  y  a  deux  ans  que  nous  en  fîmes  la  célébrité.  Ah,  si 
vous  y  aviés  été  présente,  peut  être  aurais-ie  vu,  ce  qu'a- 
près quoy,  j'aurais  consenti  de  mourir.  Mes  désirs  au- 
raient été  remplis. 


Zl50  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.  FRAISSE 

Vous  voilà  hors  des  craintes  qu'on  a  souvent  à  subir  dans 
l'état  ou  vous  êtes.  Les  termes  dangereux  sont  passés.  La 
continuité  des  menagemens  vous  fairont,  j'espère, arri- 
ver heureusement  au  port.  Je  ne  compranspasbienceque 
vous  me  dites  de  votre  déménagement.  Je  vous  croyais 
logée  dans  le  même  hautel  de  Mr  l'ambassadeur;  que 
logement,  nouriture,  vous  n'a  vies  à  vous  en  mêler;  que 
la  république  d'hollande  s'en  avisoit  comme  de  leur  am- 
bassadeur. Vous  ne  devés  point  douter  que  ie  ne  m'inté- 
resse a  tout  ce  qui  fait  intérêt  à  ma  chère  amie.  Et  votre 
adresse  vous  me  la  donnés  cavalièrement,  sans  me  dire  si 
c'est  même  rue,  même  faubourg.  le  metray  toujours  à 
l'hôtel  d'ollande.  Te  n'en  saypas  davantage. 

A  presant  ma  santé  va  assés  honnêtement  pour  mon 
âge.  Mes  coliques  me  saluent  quelques  foix,  mais  sans 
suites  dangereuses  comme  dans  leur  commencement,  ou 
je  fallis  périr.  Les  douleurs  tout  do  ucement  augmentent. 
Je  commencay  hier  de  vous  écrire  et  n'ay  pu  finir  qu'au- 
jourd'hui. Vous  me  dites  une  parole  que  je  voudroisbien 
plus  étendue.  Mon  cœur  est  uni  au  votre  pour  la  vie  : 
Mon  Dieu,  quels  désirs  n'ay  je  pas,  quil  le  soit  éternele- 
ment  et  que  des  ce  moment  il  n'y  eut  plus  d'obstacle! 
Les  larmes  m'en  vienent  aux  yeux.  Si  mon  Dieu  me  fait 
miséricorde,  comme  je  l'espère,  je  lui  demanderay  bien 
qu'il  rétende  sur  vous.  Les  prières  des  saints  qui  nous 
sont  manifestées  dans  l'apocalipse,  n'ont  et  ne  peuvent 
faire  tort  aux  mérites  de  Jésus-Ghrist. 

11  faut  qu'avec  quelqu'une  de  vos  charmantes  caresses, 
vous  engagiez  M.  Duvoisin  a  me  donner  de  vos  nouvelles 
au  commencement  du  mois  d'octobre.  J'enseray  inquiète 
des  premiers  jours.  Je  n'ose  l'en  prier  ;  faites  luy  agréer 
mes  complimens,  ie  n'ose  dire  amitiés  ;  mais  faites  en  bien 
pour  moy  a  Madame  votre  mère,  et  chère  sœur. 

Il  vous  faut  tirer  de  votre  catalogue  Sr  Marie  Louise. 
11  y  a  six  semaines  qu'une  fièvre  maligne  l'a  emportée  à 


A  MADEMOISELLE  ANNE  CALAS.  USi 

ronsième  jour,  à  la  suite  d'un  asthme  étisie.  Elle  n'a  pu 
dans  cet  état  résister  à  la  violence  de  sa  fièvre.  Notre  Su- 
périeure vous  embrasse  tendrement  et  dit  que  votre  cœur 
est  unique.  Le  moule  en  est  cassé  (1). 

de  notre  monastère 
de  toulouse  ce  l^'  juillet 
1772. 


XXXVIII 

J  Monsieur 
Monsieur  Duvoisin  a  Vhoiel 
de  Monsieur  V ambassadeur 
d'Hollande. 

a  paris, 

f  VIVE  JESUS. 

Je  ne  puis,  Monsieur,  vous  faire  un  remerciment  a 
l'égal  de  ce  que  je  sans  de  reconnoisance  pour  avoir  bien 
voulu  m'aprandre  l'état  de  ma  chère  amie  que  j'aime 
toujours  bien  tendrement.  Je  vous  félicite  a  tous  les  deux 
de  cet  heureux  événement  dans  toutes  ces  circonstances. 
Plaise  a  Dieu  que  cet  enfant  (3)  ait  le  bonheur  de  con- 
cerver  la  robe  d'innocence  dont  il  est  actuëlement  revêtu 

Oserai-je  vous  prier.  Monsieur,  d'embrasser  pour  moy 
ma  chère  Nanete  et  de  l'asurer  que  toute  notre  commu- 
nauté s'intéresse  a  tout  ce  qui  la  regarde.  Nous  ne  l'on  - 


(i)  Le  reste  de  la  lellre  manque. 

(2)  Alexandre  Benjamin, né  à  Paris  le  jeudi  24  septembre  17  72, 
11  fui  baptisé  par  son  père  ;  il  eut  pour  parrain  Alexandre-François- 
Gauberl  Lavayssc,  le  compagnon  de  captivité  de  son  aïeul  et  pour 
marraine  M^e  Anne  Bose  Calas,  sa  lame.  (Voir  sur  ce  fils  de  Na- 
netle,  le  seul  qui  ail  vécu,  la  noie  XV  à  la  fin  du  volume.") 


Z|52  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.   FRAISSE 

blierons  jamais  et  très  souvant  nous  entretenons  de  ses 
aimables  qualités. 

Fermetés  que  je  vous  rénouvelle  ma  gratitude  de 
votre  complaisance  et  que  vous  ayés  bien  voulu  vous 
prêter  a  me  donner  cette  satisfaction,  de  même  queue 
tous  les  souhaits  heureux  dont  vous  me  comblés.  J'ay 
Fhonneur  d'être  avec  une  parfaite  considération,  Mon- 
sieur votre  très  humble  obéisante   servante 

Sr  Anne   lulie  Fraisse 
de  V.  S'"  M.  D.  s.  b. 

de  nlre  monast.  de  toulouse 
ce  7e  8bre  1772. 


XXXIX 

t  VIVE  JESUS. 

Vos  nouvelles,  chère  amie,  sont  un  beaume  à  mon 
cœur  ;  il  est  toujours  le  même  pour  vous.  Vos  lettres  sont 
toujours  chères  a  notre  communauté  ;  chaqu'une  s'em- 
presse de  les  entendre  et  vos  éloges  recommencent.  Com- 
bien avons  nous  démerdé  de  petits  enfants  !  Après  dix  ans 
de  soins  et  d'éducation  nous  n'en  recevons  signe  de  vie. 
Vous,  presque  seule,  vous  souvenés  toujours  de  nous,  et 
ne  nous  ayant  connues  que  par  des  voyes  qui  dévoient 
nous  rendre  destestables  a  vos  yeux,  si  votre  bon  cœur 
et  votre  heureux  caractère  ne  vous  avoient  fait  discer- 
ner notre  innocence  et  le  désir  que  j'avois  d'adoucir  vos 
malheurs.  Vous  portés  votre reconnoissance  bien  au  delà 
du  peu  que  je  faisois,  et  y  comprenés  ce  que  j'aurois  fait 
si  j'avois  pu.  Mes  désirs  s'etendoient  loin  ;  c'est  tout,  et 
ce  dont  vous  croyés  me  devoir  un  peu  de  part  dans 
votre  cœur.  Vous  en  avés  une  bien  grande  dans  le  mien. 


A  MADEMOISELLE  ANKE  CALAS.  Zl53 

Je  pousse  mille  soupirs  vers  le  ciel  et  vous  aime  trop 
tendrement  pour  ne  pas  vous  souhaiter  le  vray  bonheur. 
Les  larmes  m'en  vienent  aux  yeux  ;  ne  m'en  sentes 
pas  mauvais  gré. 

La  rigueur  de  la  saison  augmente  mes  douleurs  ;  il 
faut  bien  que  cette  maison  de  boue  dont  nous  sommes 
revêtus  finisse  un  jour  ;  il  n'y  en  a  pas  tant  pour  tous. 

Je  vois  avec  grand  plaisir  que  M'  Duvoisin  est  a  pre- 
sant  en  bonne  santé,  de  même  que  Madame  votre  mère 
et  Mei'e  votre  sœur.  Je  vous  prie  de  lesasurer  de  ma  sensibi- 
lité a  l'honneur  de  leur  souvenir,  et  leur  dites  bien  des 
choses  pourmoy.  Vous  aurés  soin  d'asurer  Mr  votre  fils 
de  tous  mes  tendres  sentimens;  je  laise  les  tfems  propres 
a  cette  commission  au  tems  que  vous  jugerés  bon.  La 
Sr  Vialet  et  toutes  en  gênerai  et  particulier  vous  font 
mille  amitiés.  J'ay  dit  a  Mr  Sol  l'article  qui  l'intéresse, 
il  vous  en  remercie  et  vous  assure   de  ses  respects. 

Adieu,  chère  amie,  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

Sr  Julie,  de  la  V.  S*e  M.  D.  s.  b. 

de  ntre  monast.  de  toulouse 
ce  66  janvier  1773. 


XL 


t  V.    .1. 

Vous  ne  doutés  point,  chère  amie,  que  je  ne  sois  au 
nombre  des  morts.  Je  n'ay  jamais  perdu  de  vue  votre 
letre,  malgré  ma  maladie  et  l'augmentation  de  mes 
douleurs.  Cet  article  me  met  souvant  dans  l'impuissance 
d'écrire.  Je  suis  a  prcsant  remise  et  mes  petites  for- 
ces sont  revenues,  mais  mon  rumatisme  subsiste. 


U5ll  LETTRES  DE  LA  SOEUR  A.-J.    FRAISSE 

'  Vous  voulés  que  j'oublie  la  datte  du  6*  janvier  177^.  Je 
le  veux  bien  ;  vous  me  savés  de  bonne  composition.  Tout 
en  moy  subsiste  malgré  mes  vieux  jours. 

Mon  Dieu,  ma  chère  Nanete,  dans  quelle  cruèle  situa- 
tion a  été  votre  cœur  a  la  maladie  du  cher  mari  !  Je  le 
conois,  ce  cœur  tendre,  afectif,  tout  plein  de  feu.  Mais 
je  vous  trouve  bien  pareseuse  :  vous  ne  me  parlés  que  de 
Mr  votre  fils  et  point  de  vos  autres  enfants.  Je  vous  plains 
de  tout  mon  cœur.  Terrible  maladie  de  n'avoir  que  fils 
unique.  Mais  il  ne  faut  vouloir  que  ce  que  le  bon  Dieu 
veut. 

Je  vous  prie,  faites  mille  amitiés  de  ma  part  a  votre 
Maman  et  chère  sœur.  Mes  complimens  a  Mr  Duvoisin, 
Je  suis  bien  sensible  a  l'honneur  de  leur  souvenir.  Toutes 
celles  de  nos  religieuses  qui  vous  ont  vue  chés  nous  vous 
font  mille  tendres  complimens.  Celles  qui  etoit  Supé- 
rieure lors  de  votre  entrée  (1)  est  devenue  aveugle  ;  elle 
me  charge  de  vous   dire  mille  choses  pour  elle. 

Adieu  mon  cher  cœur.  Je  suis  toute  a  vous  et  vous  em- 
brasse tendrement. 

Sr  Julie  de  la  V.  S'«  M.  D.  s.  b. 

De  la  Visitation 
le  6e  mars  1775. 

(1)  La  sœur  d'Hunaud, 


NOTES 


NOTES 


Verbal  de  David  Me  Beaudrigue  (1) 


L'an  mil  sept  cent  soixante  un  et  le  treizième  jour  du  mois 
d'octobre,  nous  François  Raymond  David  de  Beaudrigue, 
Ecuyer,  Capitoul,  étant  dans  notre  maison  d'habitation  vers 
les  onze  heures  et  deiny  du  soir,  sont  survenus  les  sieurs 
Borrel  ancien  Capitoul  et  Trubelle  négociant  de  cette  ville,  qui 
nous  ont  dit  que,  passant  dans  la  grand' Hue,  accompagnant  un 
Monsieur  qui  avait  soupe  avec  eux,  ils  ont  trouvés  vis  U  vis 

{0  Copié  par  moi  sur  rorigiiial  à  Toulouse. 

39 


^58  NOTES. 

de  la  maison  du  S.  Calas  un  nombre  infini  de  personnes  et 
ayant  demandé  le  sujet  de  cet  attroupement,  il  leur  a  été  dit 
qu'on  avait  trouvé  dans  la  maison  dudit  S.  Calas  un  homme 
assassiné  et  mort  ;  et  sur  cet  avis  nous  nous  sommes  rendus 
à  l'hôtel  de  ville  pour  prendre  notre  main  forte  et  après  avoir 
fait  avertir  maître  Monyer  notre  assesseur  nous  nous  sommes 
rendus  avec  notre  dit  assesseur  et  la  main  forte,  chez  le 
S  Calas,  après  avoir  fait  avertir  Messieurs  les  gens  du  Roy  qui 
se  sont  trouvés  absents  ;  et  ayant  trouvé  la  porte  d'entrée  de 
la  ditte  maison  fermée  avons  frappé  k  la  d.  porte  qu'une  tille 
de  service  nous  a  ouvert,  et  étant  entré  dans  Talée  il  s'est 
présenté  k  nous  un  jeune  homme  et  l'ayant  interpellé  de  nous 
dire  s'il  n'y  avait  pas  dans  la  ditte  maison  un  cadavre,  mort  de- 
puis peu  de  mort  violente,  il  nous  a  dit  que  le  fait  était  vray, 
et  ayant  pris  de  sa  poche  une  clef  il  nous  a  ouvert  la  porte  de 
la  boutique  qui  donne  dans  la  ditte  allée  et  nous  a  conduit  au- 
près la  porte  d'un  magasin  qui  est  à  suitte  de  ladite  boutique 
auprès  de  laquelle  avons  trouvé  le  cadavre  d'un  jeune  homme 
couché  sur  le  dos,  nue  tête,  en  chemise,  n'ayant  que  ses  cu- 
lottes, ses  bas  et  ses  souliers  ;  et  ayant  demandé  au  dit  jeune 
homme  qui  étoit  le  dit  cadavre  il  nous  a  répondu  que  c'étoit 
son  frère  fils  du  S  Calas  marchand,  et  ayant  examiné  ledit 
cadavre  il  nous  a  paru  qu'il  n'était  pas  mort  de  mort  naturelle, 
ce  qui  nous  a  obligé  de  mander  venir  M*  Latour,  médecin  et 
les  Sieurs  Peyronnel  et  Lamarque,  chirurgiens  jurés  de  cette 
ville  ;  lesquels  s'étant  rendus,  après  avoir  exigé  d'eux  le  ser- 
ment en  tel  cas  requis,  nous  leur  avons  enjoint  de  procéder  a 
la  veriffication  du  cadavre  et  de  dresser  la  relation  de  son  état 
et  de  la  cause  de  sa  mort  et  de  la  remettre  incessamment  devers 
le  greffe;  et  de  suite  après  que  lesdits  sieurs  Latour,  Peyron- 
nel et  Lamarque  ont  eu  procédé,  nous  avons  fait  transporter 
ledit  cadavre  dans  l'hôtel  de  ville,  kla  chambre  de  la  gêne,  de 
même  que  son  habit  qui  s'est  trouvé  sur  le  contoir  du  même 
magasin  où  ledit  cadavre  étoit  étendu.  Et  ayant  fouillé  les  po- 
ches de  sa  veste  et  de  son  habit  il  si  est  trouvé  son  mouchoir 


NOTES.  /i59 

dindiennc  dans  une  des  poclies  du  d.  habit  et  dans  les 
deux  poches  de  la  veste  il  si  est  trouvé  plusieurs  lettres  et 
papiers  inutilles  et  dans  les  poches  de  la  culotte  un  canif  et 
un  couteau  à  pliant.  Ledit  habit  étant  en  drap  bleu  mélange 
avec  une  veste  danquin.  Ledit  cadavre  portant  des  culottes 
aussi  danquin,  bas  de  soye  noirs  et  des  boucles  de  fer  à  ses 
souliers  et  celles  des  jarretières  étant  de  laiton  de  même  que 
les  boutons  des  manches.  Et  en  nous  retirant  aflin  de  prendre 
des  éclaircissements  et  découvrir  la  preuve  de  la  cause  de  la 
mortdud.  cadavre,  nous  avons  fait  conduire  dans  l'iiotel  de  ville 
les  S"  Calas  père  et  fds,  la  D"«  Galas  mère,  la  fille  de  service 
dud.  Calas,  le  S  Lavaisse  et  un  espèce  d'abbé  qui  se  sont  trou- 
vés dans  la  maison  et  dans  la  chambre  du  S'  Calas  père,  et 
de  ce  dessus  avons  fait  et  dressé  le  présent  verbal  que  nous 
avons  signé  avec  ledit  M"  Monyer  notre  assesseur  et  notre 
greffier  pour  être  statué  ce  qu'il  appartiendra 
David  de  Beaudrigue 
Capltoiil 

Monyer,  assesseur. 
=  Michel  Dieulafoy 
greffier 


II 


Les  Archives  du  Capitole. 


«  Ces  archives  sont  d'énormes  volumes  solidement  reliés,  les 
feuilles  sont  en  parchemin.  Au  commencement  de  chaque 
année,  se  trouve  avec  leurs  portraits,  le  nom  des  huit  Capi- 
touls  chargés  de  la  direction  et  de  la  surveillance  des  huit  ar- 


/460  NOTES. 

rondissements  de  la  Cité.  Tous  les  portraits  ont  été  déchirés 
en  03  ;  on  en  remarque  encore  quelques  vestiges. 

«  Toutes  les  années,  soit  avant,  soit  après  le  procès  de  Calas, 
sont  complètes  ;  la  relation  des  principaux  événements  s'y 
trouve  exposée  dans  un  style  assez  clair  ;  l'écriture  est  très- 
lisible,  en  grosses  lettres.  L'année  1760  est  complète,  mais 
c'est  envain  qu'on  cherche  la  suivante,  1761,  pendant  laquelle 
eût  lieu  l'atraire  des  Calas,  —  sept  feuilles  de  parchemin  ont 
été  laissées  en  blanc,  elles  terminent  un  volume  ;  le  volume 
suivant  commence  avec  l'année  1762. 

«  Voilà  un  fait  bien  significatif.  Les  Capilouls,  qui  faisaient 
rédiger  eux-mêmes  l'histoire  de  leurs  actes  administratifs, 
ont  préféré  supprimer  de  leurs  annales  l'année  1761,  plutôt 
que  de  mentionner  le  procès  de  Calas.  Ce  silence,  à  défaut  d'au- 
tres preuves,  les  jugerait  a  lui  seul. 

«  Il  faut  cependant  ajouter  une  remarque.  Dans  le  volume  sui- 
vant, a  la  première  page,  sur  le  verso  de  la  couverture  du  hvre, 
on  lit  une  observation  écrite  de  la  main  de  M.  d'Aldéguier, 
auteur  d'une  Histoire  de  Toulouse,  et  ancien  bibliothécaire  : 
«  Observation  essentielle  :  les  pages  qui  contenaient  l'histoire 
du  procès  de  Calas  ont  été  arrachées.  Toutes  les  pièces  re- 
latives à  ce  procès,  qu'elle  qu'en  fut  l'importance,  ont  été  dé- 
truites. »  Telle  est,  a  peu  près  littéralement,  la  teneur  de  cette 
note  ;  elle  semblerait  justifiée  par  les  débris  que  l'on  voit,  de 
trois  ligatures  en  fil,  qui  fixaient  évidemment  quelques  feuilles 
du  livre. 

'(  Mais,  d'après  l'avis  du  bibliothécaire  actuel  qui  occupe 
cette  fonction  depuis  trente  ans,  ces  fils  retenaient  les  portraits 
des  Capitouls  de  1762,  portraits,  qui,  comme  tous  les  autres, 
ont  été  arrachés. 

■'  Nous  ne  pouvons  que  nous  ranger  a  celte  dernière  opinion, 
— il  serait  difficile  d'expliquer  le  motif  pour  lequel  sept  feuilles  de 
papier  ont  été  laissées  en  blanc,  quoique  terminant  un  volume; 
—  elles  étaient  plus  que  suffisantes  pour  renfermer  tous  les  dé- 
tails des  événements  de  1761 ,  —  il  est  des  années  qui  ne  rem- 


NOTES.  Zl6î 

plissent  pas  plus  de  cinq  feuilles.  D'ailleurs  il  est  coraplettemenl 
inexact  que  les  pièces  du  procès  aient  péri,  même  à  Toulouse. 

t(  L'année  1762,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin,  ne 
contient  pas  un  mot  qui  ait  trait  à  l'accusation  portée 
contre  Calas,  ni  à  sa  mort,  qui  cependant,  eut  lieu  cette 
année.  C'est  un  fait  positif. 

«  Il  est  certain  que  l'année  4761  n'a  pas  été  écrite.  On 
pourrait  penser  que  les  sept  feuilles  de  parchemin  étaient 
réservées  à  l'année  1760,  que  cette  année  n'est  pas  termi- 
née. —  Ce  serait  une  erreur,  car  on  lit  ceci  à  la  fin  de 
cette  année  1 760  :  (ce  sont  les  Capitouls  qui  parlent  ;  ils 
font  leur  rapport  annuel)  :  «  Il  ne  nous  manque^  disent-ils,  que 
leur  approbation,  (celle  des  citoyens  témoins  de  leur  adminis- 
tration) elle  sera  de  leur  part  un  bienfait,  et  pour  nous  une  récom- 
pense. Dixi  »  Le  secrétaire  a  fini  ;  1761  va  commencer,  on 
tourne  et  l'on  trouve  sept  feuilles  de  papier  en  blanc  :  le 
tome  suivant  s'ouvre  par  l'histoire  de  l'année  1762.  »> 


m 

Extrait  d'un  Brief  intendit. 

Mémoire  du  brief  intendit  pour  réitérer  l'interroga- 
toire, que  BAILLE  devant  VOUS,  MESSIEURS  LES  CAPITOULS, 
LE  PROCUREUR  DU  Roi  CONTRE  LES  NOMMÉS,  e^G. ,  ACCUSÉS 
ET  DÉCRÉTÉS. 

16°  Interroger  le  Sieur  Lavaisse  s'il  étoit  logé  chez  le  sieur  Ca- 
/eing,  et  pour  quoy  il  passa  piesquc  toute  la  journée  avec 
Calas  Cadet  et  s'ils  ne  proposèrent  pas  (sic)  a  l'ayné 
de  promener  avec  luy 

39. 


/|62  ^'OTES. 

17"  Interroger  le  dit  Sieur  Lavaisse  s'il  n'a  conseillé  luy  même 
que  dans  la  crainte  de  l'abjuration  publique,  il  ne  faloit 
plus  différer  de  se  défaire  de  Marc  Antoine  Calas,  sy  le 
Sieur  Cazeing  et  Glausade  ou  autres  n'ont  été  de  môme 
sentiment 

18"  Sy  aucun  de  ceux  de  la  religion  prétendue  reformée  avec 
lesquels  avoit  csic)  conféré  depuis  son  arrivée  de  Bor- 
deaux na  dit  que  la  religion  exigeroit  la  perte  de  Marc 
Antoine  Calas,  et  s'il  ne  la  dit  luy  même,  et  s'il  n'a  entin 
asisté  à  aucune  assemblée  ou  Coniérauce  ou  cette  reso- 
lution aye  été  prise,  principalement  le  matin  treize  du 
courant. 

19*  Sy  étant  logé  chez  le  sieur  Cazaing  il  a  Ik  vu  dans  l'inter- 
valle du  quatorze  au  treize  (sic)  pleusieurs  personnes  de 
leur  secte  avoir  des  Conférences  secrettes  avec  le  sieur 
Cazeing  et  les  sieurs  Calas  père  et  fds,  et  en  quel  nom- 
bre, s'ils  ne  parressoient  sérieux  comme  des  gens  qui  ont 
une  affaire  importante 

20°  S'il  ne  vit  pas  les  sieur  Calas  père  et  fils  se  rendre  chez  Ca- 
zeing au  matin,  s'ils  y  demeurèrent  longtemps,  s'ils  con- 
férèrent  en  présence  de  luy  qui  repond 

(sic)  Les  interroger,  s'ils  n'exécutèrent  eux  mêmes  l'action  le 
soir  a  l'entrée  de  la  nuit,  eu  faisant  mettre  a  genoux  ou 
assoir  sur  deux  chaises  M.  A.  Calas. 

21  Si  ne  l'ayant  pas  fait  eux  mêmes,  ils  ont  loué  ou  fait  louer 
des  gens  a  prix  d'argent,  qu'ils  ont  introduit  ou  souffert 
qu'ils  furent  introduits  dans  la  maison  pour  détruire 
M. -A.  Calas,  qui  etoicnt  ces  gens  la,  d'où  ils  étoient  et 
quand  ils  s'en  retournèrent 

22"  S'il  n'est  vray  que  leurs  confédérés  de  la  R.  pr.  ref  se 
chargèrent  du  soin  de  trouver  des  zélés  ou  des  servi- 
teurs pour  raclion  et  de  les  introduire 

23"  Les  interroger  enfin  si  ce  ne  fut  eux  même  qui  étranglèrent 
Marc  Antoine  Calas,  quel  est  celuy  d'enlreux  qui  le  fit 
mettre  a  genoux  ou  assoir,  ou  le  coucha  par  terre,  et  qui 
#    • 


NOTES.  /l63 

osL  celuy  (jui  tordit  la  corde  et  s'ils  lie  le  suspendirent 
après  qu'il  eut  perdu  ses  forces. 


IV 


Délibération  et  sentence  des   Capitouls. 


Par  Devant  Messieurs  Roques  de  Rechon  avocat  Capitoul, 
David  de  Beaudrigue,  Chirac,  Boyer,  Capitouls,  Forlup,  Labat 
et  Carbonnel  assesseurs 

M*  Carbonnel,  assesseur,  Rapporteur,  ayant  fait  le  Rapport 
sur  le  Bureau  et  la  Procédure  faitte  D'authorité  des  Capitouls 
a  la  Requette  du  Procureur  du  Roy,  Pour  Crime  de  Parricide, 
Contre  Calas  Père  et  fils  Cadet,  l'épouze  du  dit  Calas,  le 
S""  Gaubert  Lavaisse  et  Jeanne  Viguiere,  servante  du  dit  Calas, 
accusés,  a  Eté  D'avis  de  Relaxer  les  dits  accusés,  et  de  faire 
le  Procès  a  la  mémoire  du  Cadavre  de  Marc  Antoine  Calas, 
Dépens  Compensés. 

M  Labat  assesseur  a  Eté  Davis  au  Contraire,  vu  ce  qu'il  Re- 
suite de  l'entierre  Procédure,  Prenant  Droit  D'icelle,  et  des 
aveux  Consignés  dans  les  Interrogatoires  des  accusés,  Rejettant 
Les  qualifications,  sans  avoir  Egard  aux  objets  et  Reproches 
Proposés  par  la  dite  Calas  mère  Contre  la  Dem'"'  Durand,  et 
son  fils  abbé,  témoins,  et  les  rejettant,  Condamner  Les  dit  Calas 
Pore  et  fils  Cadet,  Et  l'epouzc  du  dit  Calas  Père  a  Etre  Pen-^ 
dus,  et  ensuitte  leur  Corps  Brullés  Et  Condemner  aussy  La- 
vaisse aux  galleres  Perpétuelles  et  de  mettre  La  dite  Viguiere 
Servante  hors  Cours  et  de  Procès,  de  Condamner  Les  dits 
Calas  Père  et  fils  Cadel,  Dem""  Calas  mère  et  Lavaisse  aux  dé- 


[l6(i  NOTES. 

pens,   ceux   entre  Le  dit  Procureur  du  Koy  de  (sic)  La  dite 
Yiguiere  Demeurant  Compensés. 

M*  Fovlup  assesseur  a  Eté  Davis  au  Contraire  qu'avant  Dire 
Droit  Deffinitivement  aux  Parties,  Ledit  Calas  Père  Sera  ap- 
pliqué a  la  question  ordinaire  Et  Extraordinaire,  et  Surcis 
au  Jugement  des  autres  accusés,  jusqu'après  Le  Rapport  fait 
du  verbal  de  torture,  Dépens  Reserves 

M  Dover  Capitoul  a  Eté  Davis  au  Contraire  Dappliquer  a  la 
question  ordinaire  et  extraordinaire  le  dit  Calas  Père,  et  fds 
Cadet,  et  la  Dem"*  Calas  mère,  et  que  le  dit  Lavaisse  et 
Jaune  Yiguiere  Seront  Présentes  à  La  dite  question,  Dépens 
Réservés. 

M  Chirac  Capitoul  a  Eté  du  môme  avis  de  M.  Royer. 

M  David  Capitoul,  a  Eté  Davis  au  Contraire  et  (sic)  de  celuy 
de  M*  Labat  assesseur,  a  la  différence  seulement  qu'il  a  Eté 
Davis  au  contraire  de  Condamner  la  dite  Jeanne  viguiere  Ser- 
vante, a  Cinq  ans  D'hôpital 

M'  Roques  de  Rechon  Capitoul  a  Eté  Davis  au  Contraire  de 
Condamner  les  Cinq  accusés  a  la  question  ordinaire  et  Extraor- 
dinaire. 

Et  M'  Roques  de  Rechon  Président  du  Rurreau  Etant  Re- 
venu sur  les  avis 

M' Carbonnel  assesseur  Rapporteur  a  persisté 

M' Labat  sest  Rangé  de  Lavis  de  M""  Boyer  Capitoul,  de 
même  que  M""  Forlup  assesseur,  et  M' David  Capitoul  Et  M'  Ro- 
ques, auquel  avis  au  nombre  de  six  la  Sentence  a  tenu  et 
Passé,  ainsy  le  Certifie  le  greffier  Criminel  Soussigné  Michel 
DieuLaFoy  greffier,  ainssy  Signé  a  Loriginal,  Collalionné, 
Michel  DieuLaFoy  greff.  Signé 

Collationné 

Darrau 
g  réf. 


NOTES.  Z|65 

V 

De  la  torture. 

J'ai  cherché  en  vain  l'explication  du  mode  de  torture  que 
subit  Jean  Calas.  Chaque  parlement  avait  a  cet  ép;ard  ses  usa- 
ges qu'il  n'était  pas  lui-même  libre  de  changer.  Dans  quelques 
ressorts,  ces  usages  étaient  d'une  barbarie  étrange  et  excep- 
tionnelle; je  me  garderai  d'en  donner  aucun  exemple.  Toulouse 
n'est  citée  nulle  part  a  cet  égard.  Je  n'ai  trouvé  aucune  explica- 
tion sur  les  habitudes  locales  dans  V Histoire  des  Institutions  de 
Toulouse^  par  M.  du  Mège. 

Les  formes  les  plus  habituelles  de  torture  étaient  l'extension 
des  membres  et  la  question  a  l'eau.  Il  faut  y  joindre  l'estrapade, 
qui  consistait  à  suspendre  l'accusé  avec  un  poids  très-lourd 
aux  pieds  et  h  lui  donner  tout  a  coup  des  secousses  violentes. 

Dans  le  ressort  de  Paris,  l'extension  des  membres  et  la 
question  a  l'eau  étaient  jointes  ;  il  paraît  qu'à  Toulouse  elles 
étaient  distinctes.  La  question  ordinaire^  telle  que  Calas  l'en- 
dura, paraît  avoir  consisté  en  l'extension  des  membres  par  une 
machine  assez  compliquée.  L'eau  était  le  moyen  adopté  à  Tou- 
louse pour  la  question  extraordinaire.  A  Paris  la  différence 
entre  l'ordinaire  et  l'extraordinaire  n'était  qu'un  prolonge- 
ment et  une  aggravation  des  mêmes  tourments. 

La  torture  avant  le  jugement  était  dite  préparatoire  ou  pur- 
gative ;  on  la  considérait  comme  un  simple  moyen  d'informa- 
tion. Si  le  patient  n'avouait  rien,  il  ne  pouvait  être  condamné. 

Quand,  au  contraire,  la  condamnation  à  mort  était  déjà  pro- 
noncée, la  torture  avait  pour  but  d'obtenir  la  désignation  des 
complices  ;  et  on  l'appelait  définitive  ou  préalable,  définitive  ^^^v 
opposition  à  la  question  préparatoire^  préalable  quant  au  supplice 
qu'elle  précédait. 

Pour  la  question  préparatoire,  le  juge  pouvait  se  contenter, 
s'il  le  voulait,  de  Vordinaire.  La  question /)rea?rt6/c  au  contraire. 


i66  NOTES. 

comprenait  uécessairement  Vordinaire  et  V extraordinaire^  parce 
que  la  justice  ne  devait  plus  aucun  ménagement  au  condamné; 
et  ses  souffrances,  dans  ce  cas,  étaient  un  commencement,  une 
dépendance  de  la  peine  de  mort.  Il  devait  être  conduit  au  der- 
nier supplice  immédiatement  après,  parce  que,  disait  la  loi,  son 
corps  était  confisqué  et  ne  lui  appartenait  plus.  Tel  fut  le  sort 
de  Calas. 

Nous  voudrions  épargner  k  nos  lecteurs  tous  ces  détails  lii- 
leux.  Nous  devons  cependant,  autant  que  possible,  expliquer 
ïes  faits,  et  ne  point  dissimuler  ce  qu'a  souffert  ce  malheureux 
père  de  famille.  Aucun  document  ne  nous  a  fourni  un  com- 
mentaire plus  précis  du  procès-verbal  de  ses  tortures  que  le 
Mémoire  officiel  dont  nous  allons  donner  un  extrait  ;  on  se 
souviendra  seulement  que  les  deux  tortures  subies  l'une  après 
l'autre  par  Calas  y  sont  simultanées. 


Mémoire  instructif  pour  faire  donner  la  torture,  annexé  par 
leParlement  de  Paris  a  son  arrêt  du  ISjuillet  1697  : 

Art.  X.  La  question  de  l'eau  ordinaire,  avec  extension,  se 
donnera  avec  un  petit  tréteau  de  2  pieds  de  hauteur,  et  4  co- 
quemars  d'eau  de  2  pintes  1^2  chacun,  mesure   de  Paris. 

Art.  XI.  La  question  ordinaire  et  extraordinaire  avec  exten- 
sion se  donnera  aveclemême  petit  tréteau  et  4  coquenars  pareils 
d'eau,  puis  on  ôtera  le  petit  tréteau  et  sera  mis  en  sa  place  un 
grand  tréteau  de  3  pieds  et  4  pouces,  et  on  continuera  la  ques- 
tion avec  4  autres  coquemars,  pareillement  de  2  pintes  et  cho- 
pine  chacun  ;  lesquels  coquemars  d'eau  seront  versés  dans  la 
bouche  lentement  et  de  haut. 

Art.  XIÏ.  A  cet  eiïet  sera  l'accusé  l'accusé  lié  par  les  poignets; 
et  iceux  attachés  et  liés,  entre  2  cordes  à  chacun  poignet, 
d'une  grosseur  raisonnable,  a  deux  anneaux  qui  seront  scellés 
dans  le  mur  de  la  chambre,  do  distance  de  2  pieds  i  pouces 
l'un  de  l'autre,  a  4  pieds  au  moins  de  hauteur  du  plancher  par 
le  bas  de  ladite  chambre. 


NOTES.  /l67 

Art.  XIII.  Seront  pareillement  scellés  2  autres  grands  an- 
neaux au  bas  du  plancher,  à  12  pieds  au  moins  dudit  mur, 
lesdits  anneaux  l'un  à  la  suite  de  l'autre,  et  éloignés  l'un  de 
l'autre  d'environ  un  pied  ;  dans  lesquels  anneaux  seront  passés 
des  cordages  assez  gros,  avec  lesquels  les  pieds  de  l'accusé 
seront  liés  chacun  séparément,  au-dessus  des  chevilles  des 
pieds;  lesdits  cordages  tirés  à  force  d'homme,  noués,  passés  et 
repassés  les  uns  sur  les  autres  ;  en  sorte  que  l'accusé  soit  bandé 
le  plus  fortement  que  faire  se  pourra. 

Art.  XIV.  Ce  fait,  le  questionnaire  fera  glisser  le  petit  tré- 
teau, le  long  des  cordages,  le  plus  près  desdits  anneaux  des 
pieds  qu'il  se  pourra. 

Art.  XV.  L'accusé  sera  interpellé  de  déclarer  la  vérité. 

Art.  XVI.  Un  homme  qui  sera  avec  le  questionnaire  tiendra 
la  tête  de  l'accusé  un  peu  basse,  et  une  corne  dans  la  bouche, 
afin  qu'elle  demeure  ouverte;  le  questionnaire  prenant  le  nez 
de  l'accusé  le  lui  serrera  et  néanmoins  le  lâchant  de  temps 
en  temps  pour  lui  laisser  la  liberté  de  la  respiration,  et 
tenant  le  premier  coquemar  haut,  il  versera  lentement  dans  la 
bouche  de  l'accusé;  le  premier  coquemar  fait,  il  le  comptera 
au  juge  et  ainsi  des  3  autres;  lesquels  pareillement  finis,  sera 
mis  pour  l'extraordinaire  un  grand  tréteau  de  3  pieds  de  hau- 
teur, a  la  place  du  petit  ;  et  les  4  autres  coquemars  donnés 
ainsi  que  les  4  premiers  ;  a  chacun  de  tous  lesquels  le  juge  in- 
terpellera l'accusé  de  dire  la  vérité  ;  et  de  tout  ce  qui  sera  fait 
et  dit,  et  généralement  de  tout  ce  qui  se  passera  lors  de  ladite 
question,  en  sera  fait  une  très-exacte  mention. 

Art.  XVIII.  Les  médecins  et  chirurgiens  resteront  en  la 
chambre  de  la  question  tout  le  temps  qu'elle  durera,  pour 
veiller  soigneusement  qu'il  ne  vienne  faute  de  l'accusé  ;  et  res- 
teront encore  dans  ladite  chambre  quelque  temps  après  que 
l'accusé  sera  sur  le  matelas,  pour  lui  donner  le  soulagement 
nécessaire  et  même  le  saigner  s'ils  l'estimaient  à  propos,  ce  qui 
arrive  assez  souvent,  sans  qu'il  soit  besoin  que  les  juges  soient 
présents. 


668  NOTES. 

VI 

Placet  des  Demoiselles  Calas  au  comte  de  S'  Florentin 
par  La  Beaumelle.   (1) 

Monseigneur 

Deux  infortunées  se  présentent  a  vous.  Elles  osent  a  peine 
se  nommer  :  leur  nom  est  devenu  un  opprobre.  Cependant  elles 
espèrent  beaucoup  de  leur  infortune  même  et  encore  plus  de 
votre  justice. 

Après  un  arrêt  dont  l'Europe  a  retenti,  nous  nous  hâtâmes 
de  quitter  la  ville  injuste  où  il  avait  été  prononcé.  jNous  vivions 
dans  la  retraite  auprès  d'une  mère  à  qui  nous  avions  à  faire 
oublier  nos  malheurs  et  les  siens,  lorsqu'un  ordre  du  roi,  sur- 
pris a  votae  équité,  vint  nous  arracher  de  ses  bras,  nous  ra- 
mena dans  cette  même  ville  où  tout  nous  retrace  les  plus 
atfreux  objets  et  ne  nous  laissa  pas  môme  la  consolation  de 
pleurer  ensemble.  Nous  fûmes  mises  dans  des  prisons  diffé- 
rentes, car  quel  autre  nom  donner  a  ces  couvents  où  nous 
languissons  depuis  quatre  mois,  gardées  a  vue,  privées  de  tout 
commerce,  et  traitées  en  criniinelles  ? 

Jusqu'ici,  Monseigneur,  nous  n'avons  pu  vous  faire  entendre 
nos  voix  ;  c'est  par  une  espèce  de  miracle  qu'une  âme  charitable 
est  enlin  parvenue  a  réunir  nos  prières,  nos  plaintes  et  nos 
larmes.  Elles  vous  seront  présentées,  l'espérance  renaît  dans 
nos  cœurs.  Vous  ne  permettrez  pas.  Monseigneur,  que  nous  finis- 
sions dans  le  désespoir  notre  déplorable  v^e.  Vous  nous  rendrez 
a  cette   mère  qui  ne  peut  vivre  sans  nous,  sans  laquelle  nous 


(i)  Tout  n'est  pas  exact  dans  ce  placel,  quant  à  la  siiualion  de 
l'une  des  deux  sœurs,  Nanclle  Calas,  chez  les  Visilandincs.  Quant  à 
Rose,  au  contraire,  le  tableau  que  trace  La  Beaumelle  n'est  que  trop 
vrai.  Celait  le  son  des  proleslanlos  enfermées  au  couvent  par  lettre 
de  cachet;  bien  des  familles  avaient  pu  on  iiislruire  l'écriviiin. 


NOTES.  A69 

ne  pouvons  vivre.  Le  peu  de  bien  qu'a  l'une  de  nous  suffirait 
presque  a  nous  nourrir  toutes  les  trois  réunies.  Notre  disper- 
sion retranche  des  aliments  à  celle  a  qui  nous  devons  le  jour  ! 
—  Tous  nos  parents  sont-ils  donc  destinés  a  périr  par  les  mal- 
heurs de  leurs  enfants  ? 

On  vous  a  fait  entendre,  Monseigneur,  que  nous  avions  du 
penchant  pour  la  religion  Catholique.  Hélas  !  après  qu'on 
nous  eut  tout  ravi,  nous  osions  espérer  que  du  moins  on  nous 
laisserait  nos  consciences.  Nous  nous  flattons  encore.  Monsei- 
gneur, que  vous  n'avez  pas  voulu  les  gêner,  mais  les  interroger 
seulement.  Daignez  donc  entendre  ce  qu'elles  vous  répondent 
aujourd'hui.  Rien  n'est  plus  faux  que  cette  imputation.  Nous 
sommes  nées,  nous  avons  été  élevées,  nous  avons  vécu  et  nous 
mourrons,  s'il  plaît  à  Dieu,  Protestantes.  Nous  le  déclarons 
avec  d'autant  plus  de  confiance,  que  nous  parlons  à  un  mi- 
nistre trop  juste  pour  nous  punir  de  ne  pas  penser  comme 
luy. 

De  plus,  rien  n'est  plus  mal  imaginé.  Si  nous  avions  témoi- 
gné quelque  inclination  pour  la  religion  du  royaume ,  il  y  en 
auroit  eu  quelque  vestige  dans  cette  procédure  ou  tant  de  té- 
moins déposèrent  d'après  leurs  désirs.  Et  s'il  y  en  avait  eu,  le 
zèle  du  parlement  n'auroit  laissé  rien  à  faire  à  l'autorité. 
Plusieurs  des  juges  qui  au  lieu  d'écouter  nos  sollicitations 
pour  noire  père,  nous  exhortoient  à  croire  comme  eux,  pour- 
roient  attester  qu'ils  entrevirent  que  notre  religion  nous  étoit 
d'autant  plus  chère  qu'elle  nous  étoit  plus  funeste.  Il  nous 
seroit  sans  doute  avantageux  de  penser  comme  on  nous  l'or- 
donne. Mais,  Monseigneur,  depend-il  de  nous  de  croire? 
et  la  dissimulation,  en  nous  faisant  paroilre  catholiques,  ne 
nous  rendroit  elle  pas  indignes  de  l'être  ? 

D'ailleurs,  le  moyen  qu'on  prend  pour  nous  ébranler,  suffi- 
roit  pour  nous  affermir.  On  dit  communément  qu'en  souffrant 
pour  certaines  opinions  on  s'y  affectionne.  Nous  pouvons  bien, 
Monseigneur,  vous  assurer  qu'on  dit  vrai. 

Si  nous  avions  eu  pour  la   religion  du  royaume  cette  incli- 


^70  NOTES. 

nation  qu'on  nous  prête,  tout  ce  qui  s'est  passé,  tout  ce  qui  se 
passe  nous  l'auroit  otée.  Le  supplice  ou  à  vrai  dire  le  martyre 
d'un  père  immolé  a  la  haine  de  l'hérésie,  les  vexations  que 
nous  essuyons  tous  les  jours,  le  mépris  qu'on  témoigne  ici 
pour  des  mystères  respectables  en  nous  invitant  à  les  profaner, 
tout  cela  n'est  pas  propre  à  nous-  faire  adopter  une  religion 
qu'on  nous  fait  si  peu  aimer.  On  veut  que  nous  embrassions 
les  dogmes  Catholiques  et  l'on  commence  par  leur  fermer  toutes 
les  avenues  de  nos  cœurs. 

Ces  religieuses  nous  disent  sans  cesse  que  nous  ne  serons 
libres  qu'après  avoir  abjuré  nos  erreurs,  c'est  à  dire  après  que 
nous  aurons  mérité  de  ne  l'être  pas.  C'est  là  tyranniser  et  cor- 
rompre nos  âmes  :  et  vous  voulez  seulement.  Monseigneur, 
qu'on  les  éclaire.  Mais  quelles  instructions  attendre  de  Théo- 
logiennes qui  tentent  d'arracher  à  notre  faiblesse  ce  qu'elles 
désespèrent  d'obtenir  de  notre  persuasion  ?  Elles  nous  présen- 
tent des  docteurs.  Mais  quelle  impression  peuvent  faire  des 
raisonnements  qu'on  entend  malgré  soi  ?  Il  faut  être  libre  et 
tranquille  pour  goûter  des  entretiens  si  sérieux  et  nous  som- 
mes dans  les  fers  et  dans  la  désolation. 

D'ailleurs  on  n'eiface  pas  des  esprits  les  idées  que  l'éducation 
prit  soin  d'y  graver.  L'une  de  nous  a  vingt  -deux  ans  ;  l'autre 
en  a  vingt  et  un  ;  à  cet  âge  on  a  choisi  et  sans  doute  ce  n'est 
pas  un  crime  à  nous  d'avoir  choisi  comme  la  moitié  de  l'Europe. 

Notre  persévérance  à  nous  éloigner  de  toutes  les  cérémonies 
catholiques  ajoute  a  l'horreur  qu'on  a  pour  nous.  Mais  cet  acte 
continu  de  protestantisme  peut  a  la  lin  inspirer  quelques  dou- 
tes aux  jeunes  pensionnaires.  De  sorte  que  tous  les  refroidisse- 
mens  de  la  dévotion  vont  nous  être  imputés.  Traitées  aujour- 
d'hui comme  des  hérétiques  nous  sommes  à  la  veille  de  l'être 
comme  des  scandaleuses. 

Qu'il  vous  plaise  donc,  Monseigneur,  nous  conserver  la  vie 
que  d'aussi  accablantes  vexations  vont  nous  ôter,  révoquer  cet 
ordre  qui  nous  rend  plus  malheureuses,  mais  qui  ne  nous  rendra 
jamais  catholiques,  et  nous  permettre  d'aller  rejoindre  notre 


NOTES.  4^i 

mère  à  Paris,  afin  que  par  la  réunion  de  nos  intérêts  et  de  nos 
efforts  nous  puissions  faire  réhabiliter  la  mémoire  d'un  père 
qu'un  arrêt  déclara  coupable  et  que  huit  jours  après  un  se- 
cond arrêt  reconnut  innocent. 


VII 
Lettre  de   M""*  Calas  à  Voltaire. 

Taris  1p  27  xbrp.f1 770. 

Monsieur 
Si  je  ne  me  feusse  pas  trouvé  incommodé  des  le  landemain 
de  mon  arrivée  a  paris,  mon  premier  soin  aurait  certainement 
été  de  vous  remercier  de  l'accueil  que  vous  avez  daigné  me 
faire  a  ferne;  je  m'acquite  aujourd'hui  de  ce  devoir  et  quoyque 
ce  soit  bien  tard,  mon  cœur  n'an  est  pas  je  vous  assure  moin 
pénétrée  de  reconnaissance  pour  les  bontés  infinie  que  vous 
m'avés  témoigne. 

Je  vous  prie  Monsieur  d'agréer  Mes  vœux  pour  la  conser- 
vation de  vos  jours  et  de  votre  santé  personne  ne  peut  en  faire 
de  plus  sincère  ny  de  plus  étandue  ils  sont  proportioné  aux 
obligations  que  je  vous  ay,  Ceux  de  ma  famille  sont  les  même 
elle  me  charge  de  vous  en  assurer  et  de  leurs  profond  respect 
Ozeraige  Monsieur  vous  prier  de  faire  agréer  nos  obéissance 
a  Madame  Denis  nous  faisons  les  vœux  les  plus  sincères  pour  sa 
conservation. 

Jay  l'honneur  d'être  avec  un  très  profond  respect 
Monsieur 

Votre  très  humble  et  très 
obéissante  servante 
Veuve  Calas. 


/l72  NOTES. 

VIII 
Lettre  de  Lavaysse  au  même. 

Trouvés  bon,  Monsieur,  que  je  me  joigne  a  notre  respecta- 
ble veuve  pour  vous  assurer  de  mon  respect  et  des  vœux  que 
je  fais  pour  votre  sauté,  pour  la  conservation  de  vos  jours  et  la 
satisfaction  de  vos  désirs.  Madame  Calas,  toute  sa  famille  et  moi 
n'aurons  jamais  qu'un  cœur  et  qu'une  voix  pour  sentir  vos 
bienfaits  et  les  célébrer. 

Vous  aurez  appris  depuis  peu  la  cruelle  disgrâce  de  M.  le  Duc 
de  Ghoiseul.  Nous  en  sommes  aussi  pénétrés  que  vous,  la  cons- 
ternation parait  générale. 

Agréez  encore,  Monsieur,  de  nouvelles  assurances  des  sen- 
timents d'estime,  d'admiration  et  de  respect  avec  lesquels  j'ai 
l'honneur  d'être 

Monsieur 

Votre  très  humble  et  très  obéissant 
Serviteur 

Lavaysse. 


IX. 

Lettre  de  M"»  Calas 
A  Mr.  DE  la  baumelle  a  mazeres. 


Paris  ce  30  mars  17C6. 

Monsieur 
jenay  point  ignoré  les  obligations  que  je  vous  ay  et  tous  les 


NOTES.  Zi73 

servisses  que  vous  mavez  rendue  en  toutoccasions,M.  delaVaysse 
de  Yidou  ma  fait  part  en  dernier  lieu  Monsieur  d'un  très  beau  et 
très  exelant  mémoire  que  vous  avez  pris  la  peine  de  faire  pour 
moy;  je  nay  point  dexprestion  pour  vous  en  marquer  ma  recon 
naissance,  jen  suis  pénétré,  n'an  douté  pas  Monsieur,  recevez 
an,  mes  plus  sincères  remerciements,  et  soyez  assuré  de  toute 
l'Etandue  de  ma  gratitude,  je  voudres  trouver  des  occasions 
a  vous  convincre  de  la  vérité  de  mes  sentimens,  que  je  ne 
puis  que  trop  foiblement  vous  exprimer,  ils  sont  les  mêmes  je 
vous  assure  pour  Madame  de  la  baumelle  votre  chère  épouse 
a  qui  jepresante  mes  obéissances 

jay  adressé  a  W  de  la  vaysse  père  a  toulouse  une  de  nos 
estampe  pour  vous  faire  passer,  je  vous  prie  lun  et  lautre  de 
l'acsepter.  je  souhaite  quelle  vous  fasse  plaisir,  vous  y  trou- 
veray  vue  parfaite  ressemblance  avec  le  cher  beau  frère  ;  nous 
le  sommes  aussi  mais  non  pas  dans  la  même  perfection; 
cet  a  dire  mes  filles,  le  tout  ensemble  est  cependant  aprouvee 
a  paris,  je  dezir  que  vous  le  trouvies  de  même.  M'  vi- 

gne a  qui  je  vous  prie  dire  bien  des  chose  pour  moy  resevra 
ausi  de  ma  part  par  la  même  voy  une  de  mes  estampe  que  je 
le  prie  dacsepter.  je  nay  peu  me  procurer  la  colection  de  nos 
mémoires  comme  il  le  souhaite  il  son  devenue  rare  au  point 
quon  nen  trouve  plus  a  paris  que  dinparfait.  ma  famille  vous  as- 
sure et  a  Madame  de  la  baumelle  de  leur  respect  et  moy  je 
suis  avec  la  plus  parfaite  considération 
Monsieur 

Votre  très  humble    et  très 

obéissante   servante 
anne  Rose  Cabibel  Calas 


UO, 


lllU  NOTES. 


Pièces  relatives  au  premier  mariage  de  Duvoisin.   (l 


L  —  M.  DE  S*  Florentin  a  M.  le  Duc  de  Praslin.,  ministre 

DES    AFFAIRES    ÉTRANGÈRES. 

6  Avril  1763, 

J'ai  reçu,  M.  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  au  sujet  du  mariage  que  la  D'"*  Fauconnier  veut 
contracter  avec  le  S'  Du  Voisin,  Chapelain  de  l'Ambassade  des 
Etats  Généraux.  Ce  n'est  pas  certainement,  sur  l'exposition 
d'un  pareil  projet,  qu'elle  a  obtenu  le  brevet  qui  lui  permet  de 
dénaturer  ses  biens  et  à  la  faveur  duquel  elle  pourra  (2) 
en  emporter  le  prix  en  pays  étranger,  lorsqu'elle  aurait  épousé 
le  S'  Du  Voisin  et  qu'il  se  retireroit  soit  en  Hollande  soit  dans 
sa  patrie.  Ainsy  je  crois  pouvoir  considérer  ce  brevet  comme 
obtenu  par  surprise.  A  l'égard  du  mariage  que  la  D"*  Faucon- 
nier veut  contracter  avec  le  S'  Du  Voisin,  il  y  a  des  exemples, 
quoique  rares,  de  permissions  accordées  par  le  Roi  "a  des  Fran- 
çaises d'épouser  des  Etrangers.  Et  sous  ce  point  de  vue,  rien  ne 
sembleroit  pouvoir  empêcher  S.  M.  de  permettre  le  mariage 
en  question.  Mais  d'un  autre  côté  les  Ordonnances  du  Roy  ainsi 
que  lesEdits  et  Déclarations  concernant  la  R.  P.  R.  enjoignent 
à  tous  les  sujets  de  S.  M.  d'observer  dans  les  mariages  qu'ils 
veulent  contracter  les  solennités  prescrites  par  les  loix  de  l'E- 
glise et  de  l'Etat.  Or  S.  M.  ne  pourrait  permettre  à  la  D"'  Fau- 
connier d'épouser  un  ministre,  sans  donner  atteinte  à  des 
loix  aussi  essentielles,  puisque  ce  serait  consentir  à  leur  viole- 
Ci)  Ces  documents  offrent  un  curieux  exemple  delà  tyrannie  sous 
laquelle  le  gouvernement  tenait  les  protestants. 

(2)  On  nviiit  ôcril  d'nliord  r  rlfe  a  en  pour   but  de   pouvoir.  Ce« 
mots  sont  bifTi's, 


NOTES.  Zi75 

ment.  La  célébration  qui  doit  sans  doute  se  faire  du  mariage 
dans  la  chapelle  de  l'ambassadeur  de  Hollande  à  la  manière  des 
Réformés  serait  encore  une  infraction  à  ces  mêmes  loix  ;  et  je 
suis  persuadé  que  si  M.  l'Arch.  de  Paris  en  avoit  connaissance, 
il  ne  manquerait  pas  de  s'en  plaindre.  Voilà,  Monsieur,  les 
réflexions  que  je  crois  pouvoir  faire  sur  la  permission  qui  vous 
est  demandée.  Vous  en  ferez  tel  usage  que  vous  jugerez  à 
propos. 


2. — Extrait  d'une  seconde  lettre  du  même  au  même. 


22    Avril  1763, 

....  A  l'égard  de  l'effet  que  pourrait  produire  en  Hollande 
par  rapport  aux  Catholiques  le  refus  de  la  permission  deman- 
dée par  la  D"*  Fauconnier,  je  doute  fort  qu'il  y  ait  lieu  d'en 
craindre  aucun  fâcheux.  Les  Etats  Généraux  pourraient  se 
porter  à  gêner  les  mariages  des  Gath.  établis  sous  leur  domi- 
nation, si  le  Roi  par  quelque  loi  générale  imposait  un  nouveau 
joug  aux  protestants  de  son  Roy*.  Mais  le  refus  de  la  permission 
en  question  est  fondé  sur  des  loix  aussi  anciennes  qu'essen- 
tielles; et  je  ne  saurois  présumer  que  les  Etats  G.  voulussent 
venger  un  refus  aussi  légitime  fait  k  un  simple  particulier,  sur 
nombre  infini  de  leurs  sujets,  qu'il  est  d'ailleurs  de  leur  Po- 
litique de  ne  pas  forcer  à  sortir  de  leurs  Terres  par  des  rigueurs 
mal-entendues  dans  une  matière  aussi  délicate  que  celle  des 
mariages. 

Au  surplus,  M.,  cette  alTaire  est  par  sa  nature  trop  impor- 
tante pour  que  je  prenne  sur  moi  de  rien  proposer  li  S.  M.  sur 
ce  sujet.  Et  je  crois  no  pouvoir  me  dispenser  d'en  rendre 
compte  à  S.  M.  dans  son  conseil. 


/l76  NOTES. 

XI. 

Pièces   relatives  au  Second  mariage  du  même. 

I.  Placet  a  Monseigneur  le  Duc  de  Choiseul,  Ministre  des 

AFFAIRES    étrangères    (i). 

Monseigneur  ! 

Le  Sieur  Jean  Jacques  Duvoisin,  Suisse  de  nation,  Chapelain 
perpétuel  de  l'ambassade  de  Hollande,  remontre  très  humble- 
ment a  Votre  Grandeur,  qu'il  a  formé  le  projet  d'épouser  la 
D'"  Anne  Calas,  fdle  cadette  de  Jean  Calas  Marchand  a  Tou- 
louse, dont  les  malheurs  et  l'innocence  reconnue  authentique- 
ment  par  un  jugement  solemnel,  ont  excité  une  si  grande  sen- 
sation dans  l'Europe,  et  dont  la  famille  a  reçu  des  marques  si 
consolantes    des    bontés  de  Sa  Majesté. 

La  D"*  Anne  Rose  Cabibel,  mère  de  la  future,  est  disposée 
k  consentir  à  ce  mariage.  Mais  remplie  des  sentiments  de  la 
plus  vive  et  de  la  plus  respectueuse  reconnoissance  des  bien- 
faits qu'elle  a  reçus  de  son  Souverain,  elle  désire  avant  toutes 
choses  que  Sa  Majesté  veuille  bien  approuver  ce  mariage  qui 
convient  d'ailleurs  de  part  et  d'autre  ;  et  en  ce  cas,  comme  le 
suppliant  est  sujet  d'une  Puissance  étrangère,  elle  supplie 
Sa  Majesté  d'avoir  la  bonté  de  mettre  sa  fille  à  l'abri  des  dan- 
gers qu'elle  pourroit  courir  d'après  les  loix  reçues  en  France, 
qui  défendent  aux  naturels  François  de  se  marier  en  pays 
étrangers,  ou  même  de  s'y  retirer. 

A  ces  causes,  Monseigneur  !  plaise  à  Votre  Grandeur  expé- 
dier un  Brevet  par  lequel  Sa  Majesté  donnera  son  agrément 
au  mariage  projeté  entre  le  suppliant  et  la  d.  D"®  Anne  Galas, 
née  Françoise,  et  faisant  profession  de  la  Religion  Protestante; 

(i)  Cette  pièce  et  les  deux  suivantes  sont  tirées  des  Archives  des 
PSys-Bas  à  U  Haye. 


NOTES.  Zi77 

Pli  conséquence  autorisera  la  d.  D"*  Calas  à  jouir,  faire  et  dis- 
poser de  tous  ses  biens  présens  et  avenir,  et  exercer  tous  ses 
droits  et  actions  en  France,  nonobstant  toutes  Ordonnances 
Edits,  Déclarations,  Arrêts  et  Réglemens  a  ce  contraires,  de  la 
rigueur  desquels  il  plaira  à  Sa  Majesté  relever  et  dispenser  la 
d.  D'^^  Anne  Calas  aud.  cas  de  mariage,  et  sans  tirer  à  consé- 
quence. Et  le  Suppliant  ne  cessera  jamais  de  faire  des  vœux 
pour  la  conservation  de  Votre  Grandeur. 

(La  même  grâce  a  été  accordée  a  MM.  d'Erlach  et  Thélusson.) 

N.  B.  Ce  Placet  a  été  présenté  à  M.  le  Duc  de 
Choiseiil  par  S.  E.  M.  de  Berkenroode,  le 
mardi  27  janvier  1767. 

2.  — A  M  DE  Berkenroode 

A  Versailles,  le  1  Février  1767. 

Monsieur, 
Sur  le  compte  que  j'ai  rendu  au  Roi  du  mémoire  que  V* 
Ex'"  m'a  remis,  à  l'effet  d'obtenir  de  Sa  Majesté,  en  faveur  du 
S'  Jean  Jacques  Duvoisin  la  permission  d'épouser  la  Dem"^ 
Anne  Calas,  le  Roi  a  bien  voulu  autoriser  ce  mariage  et  je 
joins  ici  le  brevet  que  Sa  Majesté  m'a  ordonné  de  faire  expé- 
dier en  conséquence.  J'ai  l'honneur  d'être  avec  une  parfaite 
considération 

Monsieur 

De  V"^  Ex^'' 
Très  humble  et  très  obéissant  serviteur 
le  Duc  DE  Choiseul. 

3.  — Brevet  de  Sa  Majesté  très  chrétienne  portant  per- 
mission DE  SE  MARIER  EN  FAVEUR  DU  S"^  JeAN  JaCQUES  Du- 
VOISIN  AVEC   LA  D''*  AnNE  CaLAS. 

Aujourd'huy  trente  un  Janvier  mil  sept  cent  soixante  sept*  le 
Roi  étant  a  Versailles  et  ayant  égard  a  la  très  huml)le  suppli- 
cation ,que  lui  a  fait  faire  le  S'  Jean  Jacques  Duvoisin,  Suisse 


478  NOTES. 

de  nation,  Chapelain  perpétuel  de  l'Ambassade  d*Hollaude  en 
France,  de  lui  permettre  d'épouser  la  D"*  Anne  Calas,  Fille 
cadette  de  feu  Jean  Calas,  Marchand  h  Toulouse  et  de  D"*  Anne 
Rose  Cabibel,  et  Sa  Majesté  voulant  traiter  favorablement  le 
dit  S'  Jean  Jacques  du  Voisin  et  particulièrement  la  D"*  Anne 
Calas  en  considération  des  témoignages  avantageux  qui  lui  ont 
été  rendus  de  la  probité  de  sa  Famille,  de  son  affection  pour 
son  service  et  pour  sa  personne,  Elle  leur  a  permis  de  se  marier 
ensemble,  sans  que  pour  raison  de  ce,  il  puisse  leur  être  im- 
puté d'avoir  contrevenu  aux  ordonnances  de  Sa  Majesté,  et 
au  dit  Sr  Jacques  Duvoisin  d'avoir  contrevenu  à  celles  qui  def- 
fendent  aux  Etrangers  qui  ne  font  pas  profession  de  la  Religion 
catholique  apostolique  et  Romaine  de  se  marier  dans  son 
Royaume  ou  d'épouser  aucune  de  ses  sujettes  sans  y  être  au- 
torisés, de  la  rigueur  desquelles  Elle  les  a  relevés  et  dispensés 
par  le  présent  Brevet,  permettant  en  outre  par  icelui  à  la 
D"*  Anne  Calas  de  jouir,  faire  et  disposer  de  tous  ses  biens 
présens  et  à  venir,  et  exercer  tous  les  droits  et  actions  en 
France,  soit  qu'elle  y  fixe  son  domicile  ou  qu'elle  établisse 
sa  résidence  en  pais  étranger,  ayant  Sa  Majesté  pour  cette 
fois  seulement,  et  sans  tirer  à  conséquence,  commandé  d'ex- 
pédier le  dit  présent  Brevet,  qu'Elle  a  pour  assurance  de  sa 
volonté  signé  de  sa  main  et  fait  contresigner  par  moi  Conseiller 
Secrétaire  d'état  de  ses  commandemens  et  Finances. 

(Signé)  Louis 
et  plus  bas,  le  Duc  de  Ciioiseul. 

Je  soussigné.  Secrétaire  de  Son  Excellence  Monsieur  Les- 
tevenon  de  Berkenroode  etc.  Ambassadeur  de  Leurs 
Hautes  Puissances  les  Etats  Généraux  des  Provinces  Unies  ,  à 
la  Cour  de  France,  certifie  que  la  copie  ci-dessus  est  conforme 
à  son  original,  qui  lui  a  été  adressé  par  son  Excellence  Mon- 
sieur le  Duc  de  Choiseul.  En  foi  de  quoi  j'ai  signé  le  présent 
Certificat  h  Paris  le  42  Février  1767, 

(signé)  L.  Reynardf 


NOTES.  /l79 

4.  —  Acte  de  mariage  de  J.  J.  Duvoisin  avec  Anne  Calas. 

Aujourd'hui  25  de  février  17()7,  sur  le  brevet  donné  et  ac- 
cordé de  la  part  de  Sa  Majesté  Louis  XV,  Roi  de  France  et 
de  Navarre,  en  date  de  Versailles  du  31  de  janvier  17(57, 
signé  par  Sa  Majesté  même,  et  plus  bas  Le  Duc  de  Choiseul, 
dispense  des  bans  ayant  à  cet  etîet  été  accordé,  par  Son  Excel- 
lence Monsieur  Lestevenon,  seigneur  de  Berkenroode,  Stry en 
etc.  etc.  etc.,  ambassadeur  de  LL.  HH.  PP.  à  la  Gourde 
France,  j'ai  béni  en  sa  présence,  celle  de  Messieurs  Reynard, 
Serrurier,  anciens  de  la  Chapelle,  de  M.  Loos,  écuyer  de  Son 
Excellence,  et  de  plusieurs  parents  et  amis,  dans  la  salle  du 
Dais  de  son  Hôtel,  le  mariage  de  Monsieur  Jean  Jacques  Du- 
tîom/i,  chapelain  de  la  dite  ambassade,  tils  de  feu  M.  Benjamin 
Duvoisin  et  de  défunte  Madame  Marguerite  Duvoisin  ,  né  à 
Yverdun,  canton  de  Berne,  d'une  part,  et  de  mademoiselle 
Anne  Calas,  née  à  Thoulouse,  fille  de  feu  M.  Jean  Calas  et  de 
dame  Anne  Roze  de  Cabibel  d'autre  part. 

Fait  a  Paris  en  Consistoire  ce  23  de  février  1707. 

F,  G.  DE  La  Broue,  chapelain. 

{Extrait  du  Registre  des  Mariages  de  la  Chapelle  de  Hollande 
à  Paris»—-  Dépôt  de  l'Etat  Civil ,  Hôtel  de  Fille  de  Paris.  — •  Reg, 
in-fol.  Coté  97.) 


XII 

Acte  de  sépulture  de  Madame  Galas. 

Ce  jourd'hui  30  avril  1792  à  huit  heures  du  soir  a  été  in- 
humée au  Cimetière  des  Etrangers  à  Paris  demoiselle  Anne 
Rose  Cabibel,  veuve  de  Jean  Calas,  négociant  a  Toulouse,  na- 
tive de  Londres,  âgée  d'environ  quatre  vingt  deux  ans,  décédée 


ASO  NOTES. 

le  jour  d'hier  en  sa  demeure,  sise  rue  Poissonnière  n°  9,  de 
suite  d'un  catard  et  de  son  grand  âge,  dans  les  sentimens  de 
la  religion  protestante,  ladite  inhumation  faite  en  présence  de 
nous  Pierre  François  Simonneau,  commissaire  en  cette  partie 
et  commissaire  de  police  de  la  station  du  Ponceau,  et  celle  de 
M.  Antoine  Vincent  Formentin,  juge  de  paix  de  la  section  de 
Bonne-Nouvelle,  demeurant  à  Paris  rue  Beauregard  n"  5^,  de 
S"  Etienne  Fabre,  citoyen,  dem*  à  Paris  rue  des  deux  Boules, 
de  Gabriel  Julien  Dangirard,  citoyen,  dem'  a  Paris  rue  Beau- 
regard,  de  Louis  Daniel  Tassin,  banquier,  dem' à  Paris  rue 
neuve  des  Petits  Champs  n"  6,  de  Henry  Duiia^,  citoyen, 
dem*  à  Paris  rue  Poissonnière  n"  169,  et  Jean  Lazard  De  La 
Planche,  ministre  du  Saint  Evangile,  dem'  à  Paris  rue  des 
Geuneurs  n°  7,  qui  on'  signé  avec  nous 

L' D  Tassin  Formentin  Dumas 

G  Dangirard  J.  L.  De  la  Planche 

Fabre  Simonneau. 

[Extr,  du  Reg.  du  Cimetière  des  Protestants  étrangers  (1)  établi 
à  Paris  par    arrêt    du  Conseil   d'Etat  du  '^.O  juillet  1720. 

Dépôt  de  l'Etat  civil  à  l'Hôtel  de  Fille  de  Paris,  coté  n°  S9in-fol.) 


xni 

Le  Docteur  Sol. 


Paul  Sol  était  né  a  Saverdun  (Ariége),  Il  fit  à  Montpellier 
de  fortes  études,  et  y  laissa  la  réputation  d'un  grand  zèle  pour 
le  travail  et  d'un  esprit  très-remarquable  par  sa  précision  et 
sa  solidité.  11  avait  eu  d'abord  l'intention  de  prendre  du  ser- 

(i)  Ce    cimetière  était  sis  rue  de  l'Hôpital-Saint-Louis, 


NOTES.  Z|81 

vice  comme  médecin  mililaiie  en  Allemagne,  où  le  frère  de 
sa  mère,  M.  de  Seigné,  protestant  réfugié,  était  officier  su- 
périeur. Mais  il  renonça  a  ce  projet,  et  lorsque  ses  études 
furent  terminées,  il  commença  par  exercer  la  médecine  à  Sa- 
verdun.  Il  épousa  bientôt  après  une  demoiselle  Vaïsse,  de  Ca- 
raman.  De  ce  mariage  naquirent  deux  fils,  dont  l'un  est  mort 
officier  général  (1  ). 

Une  épidémie  qui  ravagea  le  Languedoc  et  particulièrement 
Toulouse,  fit  sortir  le  jeune  médecin  protestant  d'une  obs- 
curité a  laquelle  les  lois  alors  régnantes  semblaient  le  con- 
damner irrévocablement.  Les  notables  de  Toulouse  envoyèrent 
quelques-uns  d'entre  eux  chercher  à  Montpellier  des  secours 
contre  la  suette.  La  Faculté  réunie  leur  indiqua  le  docteur 
Sol,  qui  vit  arriver  dans  sa  petite  ville  une  députation  des 
principaux  habitants  de  Toulouse,  le  suppliant  de  venir  s'é- 
tablir au  moins  momentanément  au  milieu  d'eux.  Il  y  con- 
sentit, mais  avec  l'intention  arrêtée  de  retourner  à  Saverdun. 
Il  eut  de  si  brillants  succès  dans  ce  champ  de  travail  plus  con- 
sidérable qu'il  ne  s'en  éloigna  plus.  Ce  qui  prouve  l'éclat 
tout  a  fait  exceptionnel  de  sa  réputation,  c'est  qu'il  devint, 
quoique  protestant,  le  médecin  de  l'Archevêché,  et,  par  suite, 
de  plusieurs  couvents,  circonstance  extrêmement  remarquable 
et  sans  doute  unique  a  cette  époque. 

11  a  laissé  une  grande  renommée  de  bonté  et  de  dévouement; 
il  fut,  dit-on,  le  premier  à  instituer  des  consultations  gratuites 
pour  les  indigents.  Il  mourut  à  Toulouse  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-quatre  ans. 

Il  avait  dû,  comme  tant  d'autres,  se  faire  délivrer  un  certi- 
iical  de  catholicité  pour  être  reçu  docteur  ;  mais  ces  fictions 
légales  ne  trompaient  plus  personne  ;  les  lettres  de  la  sœur 
Fraisse   (*2)  nous   prouvent  qu'il  était    resté    protestant,    et 

(1)  Deux-pclils  fils  du  docteur  ont  également  embrassé  îa  car- 
ri-^re  des  armes,  et  sont  arrivés  tons  deux  à  de  hauts  grades. 

(2)  Lettres  2  3  et  suivantes. 

Al 


/l82  NOTES. 

connu  pour  tel,  jusque  dans  les    couvents    dont    il    était  le 
médecin. 


XIV 


Mademoiselle    de    Nautonuier. 

Nous  avons  rencontré^  souvent  dans  les  Dépêches  du  Secré- 
tariat le  nom  de  cette  jeune  tille  ;  son  histoire  est  un  exemple 
entre  mille,  de  tous  les  détails  où  entrait  l'inflexible  despotisme 
que  les  lois  et  l'administration  faisaient  peser  sur  les  familles 
protestantes.  Elle  avait  été  enlevée  per  lettre  de  cachet  et  en- 
fermée au  couvent  des  Dames  Régentes  de  Castres.  Le  seul  crime 
de  ses  parents  était  leur  religion.  Les  Dames  Régentes  conver- 
tirent la  jeune  fille  au  catholicisme  j  mais  il  ne  parait  pas  que  ce 
fut  par  des  moyens  très-doux,  puisqu'elle  demanda  a  plusieurs 
reprises  d'être  transférée  ailleurs.  Elle  eut  ou  feiguit  d'avoir 
quelque  intention  de  se  faire  religieuse,  mais  dans  une  autre 
maison,  et  adressa  des  suppliques  en  ce  sens  au  comte  de  Saint- 
Florentin  ;  elle  tentait  en  même  temps  d'obtenir  de  lui  qu'il 
la  rendit  à  ses  parents. 

Il  décida,  le  7  août  1762,  qu'elle  quitterait  le  couvent  de 
Castres  pour  celui  des  Visitandines  de  Toulouse.  Mais  il  dé- 
clara qu'elle  ne  retournerait  point  au  sein  de  sa  famille,  toute 
convertie  qu'elle  était,  «  ses  parents  étant  capables  d'employer 
«  les  voyes  les  plus  violentes  pour  lui  faire  adopter  leurs  seu- 
«  timents.  »  Ce  qui  signifie  que  le  Ministre  connaissait  fort  bien 
le  peu  de  sincérité  des  conversions  qu'il  arrachait  par  lettres 
de  cachet  à  de  jeunes  protestantes,  11  ne  restait  à  M"*  de 
Nautonuier  qu'un  seul  moyen  de  sortir  de  prison,  épouser  un 
catholique.  Elle  s'y  décida.  Un   mariage  fut  arrangé  pour  elle 


NOTES.  Zl83 

avec  un  sieur  de  Villeneuve  de  la  Croisille.  Sa  famille  y  con- 
sentit. Le  3  août  1763,  le  Ministre  envoya,  non  à  elle,  mais  k 
l'Évéquede  Castres,  un  ordre  du  Roi  pour  la  mettre  en  liberté, 
en  vue  de  ce  mariage  ;  il  ajoute  ;  «  Vous  voudrez  bien  me  le 
renvoyer  si  le  mariage  venait  à  manquer.  » 

Mais  ce  n'était  pas  tout;  les  protestants,  ou  comme  on  disait 
alors,  les  rumveaux  convertis  ne  pouvaient  vendre  leurs  terres 
sans  autorisation  du  Roi,  et  M.  de  Nautonnier,  n'ayant  point 
d'argent  comptant,  dut  solliciter  du  ministre  la  permission  de 
vendre  une  partie  de  ses  biens  pour  payer,  à  ce  gendre  que  ni 
lui  ni  sa  lille  n'avaient  choisi,  la  dot  sans  laquelle  elle  serait 
restée  recluse  toute  sa  vie  comme  un  grand  nombre  de  ses 
compagnes.  Le  Ministre  voulut  bien  accorder  cette  grâce,  sur 
la  recommandation  de  M.  l'Évêque  de  Castres,  que  ce  mal- 
heureux père  avait  dû  commencer  par  se  rendre  favorable.  En 
donnant  l'autorisation  le  14  août,  M.  de  Saint-Florentin  écri- 
vit h  la  fois  à  l'Evêque  et  à  M.  de  Saint-Priest,  intendant  de 
la  province,  et  chargea  ce  dernier  de  veiller  à  ce  que  le  produit 
de  la  vente  fût  réellement  employé  a  la  dot  convenue. 

On  conçoit  facilement  ce  que  pouvaient  être  des  ventes  de 
biens-fonds  où  le  vendeur  était  si  peu  libre.  Tout  le  monde 
connaissait  sa  position  et  en  abusait.  Aussi  en  septembre 
1761,  M.  de  Villeneuve  écrit  encore  au  Ministre  pour  le  prier 
d'autoriser  M""  de  Nautonnier  à  vendre  une  ferme  pour  le 
paiement  de  la  dot  de  sa  fille. 

Ajoutons  à  ce  récit  que  la  famille  de  Nautonnier  était  noble 
et  considérable,  qu'elle  avait  a  Paris  ou  a  Versailles  une  pa- 
rente, la  marquise  de  Valcourt,  qui  sollicitait  sans  cesse  pour 
elle  auprès  du  Ministre.  C'est  malgré  ces  circonstances  favo- 
rables et  rares,  que  M.  de  Nautonnier  voyait  l'éducation  et 
l'établissement  de  sa  fille  et  ses  propres  affaires  gouvernés  par 
des  Religieuses  et  par  un  Évêque  ;  et  cela,  en  dépit  de  tout  ce 
qu'ils  firent, elle  et  lui,  contre  leur  conscience,  pour  obtenir  les 
bonnes  grâces  des  représentants  d'une  Eglise  qui  n'était  pas 
la  leur. 


llHk  NOTES. 

On  peut  juger  de  ce  qui  arrivait  à  des  familles  moins  pro- 
tégées, et  plus  fidèles  à  leurs  convictions. 


XV 

Alexandre    Duvoisin-  Galas. 

Alexandre-Benjamin  Duvoisin  (1),  qui  ajouta  plus  tard  à 
son  nom  celui  de  sa  mère,  était  d'un  caractère  bizarre  et  aven- 
tureux.Il  vécut  d'abord  en  donnant  des  leçons,  fut  ensuite  offi- 
cier d'état-major,  et  plus  tard  secrétaire  des  commandements 
de  Joseph  Bonaparte,  roi  d'Espagne,  mais  paraît  être  resté  à 
Paris  au  service  de  la  reine.  ^'  Il  avait  épousé,  dit  Charles 
Coquerel  qui  avait  connu  sa  mère,  une  personne  fort  inté- 
ressante ,  M"^  Castel,  fille  du  membre  de  l'assemblée  législative, 
professeur  bien  connu  en  littérature  par  son  poème  des  Plantes. 
De  ce  mariage  naquit  un  fils  aîné  que  ses  parents  eurent  le 
malheur  de  perdre  par  un  suicide  ;  événement  qui  nous  a  été 
certifié  par  des  témoins  en  position  de  bien  savoir  la  vé- 
rité (2).  » 

Alexandre  Duvoisin  paraît  avoir  eu,  comme  son  oncle  Marc- 
Antoine,  des  prétentions  littéraires  et  le  goût  des  représentations 
théâtrales.  11  publia  successivement  plusieurs  ouvrages  de 
littérature  légère  qui  n'eurent  aucun  succès  et  ne  méritaient 
pas  d'en  avoir  (3). 

(1)  Histoire  des  Eglises  du  Désert,  t.  2,  p.  3  2  4.  —  Littérature 
française  contemporaine,  par  MM.  Louandre  et  Bourquelot.  t.  3, 
p.  4  47.  — Biographie  universelle.  Supplément,  t.  6  3,  p.  28  5.  — 
Quérard,  France  littéraire,  t.  2,  p.  7  5  5. 

(2)  D'après  une  noie  manuscrite  de  l'auteur,  ce  jeune  homme  a 
choisi  le  même  genre  de  mort  que  Marc-Antoine  Calas  ;  il  s'est 
pendu,  à  Paris,  très-jeune  encore. 

(3) — Adolphe  de  Faldheim  {sir) ^  ou  le  Parricide  innocent,  par  h. 


NOTES.  /i85 

Sa  dernière  oeuvre  fut  un  triste  démenti  donné  par  lui-même 
aux  sentiments  honorables  qui  lui  avaient  dicté  la  lettre  que 
nous  avons  citée  plus  haut  (ch.  XIV.}  Il  ht  une  sorte  de  vau- 
deville sur  la  visite  de  sa  grand'mère  à  Voltaire  ;  et  ne  sut 
traiter  ce  sujet,  fort  peu  dramatique  en  lui-même,  qu'en  renon- 
çant a  toute  apparence  d'exactitude  historique.  La  marquise  de 
Villette  {W^"  de  Varicourt)  y  joue  un  rôle  important,  quoiqu'à 
cette  époque  elle  n'eût  que  sept  ans.  Le  secrétaire  de  Voltaire, 
Wagnière,  alors  âgé  de  vingt-cinq  ans,  y  est  traité  de  vieil 
intendant,  et  son  nom  même  est  mal  écrit. 

Le  31  mai  1831,  cette  pitoyable  production  fut  honorée  comme 
le  porte  le  titre,  d'un  prix  d'encouragement  littéraire  par  la  di- 
vision des  Beaux- Arts  du  Ministère  des  travaux  publics  et  du  com- 
merce. Il  est  probable  que  cette  récompense  fut  surtout  un  se- 
cours donné  au  dernier  héritier  de  Calas.  Agé  alors  de  cin- 
quante-huit ans,  Duvoisin  paraît  avoir  lutté  péniblement 
avec  la  misère.  Il  eut  le  mauvais  goût  de  jouer  lui-même,  sur 
un  théâtre  particulier,  au  Mans,  le  Déjeuner  de  Femey,  le 
3  janvier  1832.  Il  paraît  que  quelques  éloges  de  complaisance 
lui  donnèrent  un  faux  espoir  et  qu'il  crut  trouver  une  res- 
source dans  cette  étrange  profanation  des  souvenirs  de 
famille  les  plus  touchants.  En  février,  il  alla  a  Chartres  et  y 
joua  de  nouveau,  mais  cette  fois  pubnquement,le  principal  rôle 
de  sa  pièce;  il  reçut  un  accueil  glacé,  juste  manifestation  de  la 
réprobation  populaire.   Il  tomba  malade  de  chagrin,  et  mourut 


i).  V.  C.  (Alexandre  Duvoisin  Calas).  Paris,  Ducauroy,  an  X  (iS02). 
In- 12.  ' 

—  Chansonnier  des  casernes,  ou    nouveau    recueil    de  cMnsons 
militaires,  Paris  ;  Egron,  18  22,  in-8  de  8  pag.  ;  5  0  c." 

—  Firmin,  ou  le  frère  de  lait,  anecdote  française,  etc.  Paris 
Deterville,  1803,  2  vol.  in-12.  ' 

—  rrilhelmina,  ou  l'Héroïsme  maternel,  histoire  hongroise, 
Paris;  G.  C,  Hiiherl,    1813,   2  vol.  in-i2  ;  5  fr. 

—  Un  Déjeuner  à  Ferney  en  17  6  5,  ou  la  veuve  Calas  chez  Fol- 
iaire, esquisse  dramatique  en  un  acte  et  en  vers.  Le  Mans,  iuipr 
de  Monnoyer,  1832,  48  p.  in-8% 

41. 


Zi86  NOTES. 

le  20  février  1832.  On  prétend  même  qu'il  se   tua  dans  un 
accès  de  délire  ou  de  fièvre  cérébrale. 

Ce  suicide,  s'il  était  prouvé,  et  en  tout  cas,  celui  dp  son 
fds,  qui  n'est  pas  douteux,  semblent  indiquer  chez  quelques 
membres  de  cette  famille  une  prédisposition  héréditaire  dont 
on  connaît  de  nombreux  exemples  ;  ce  qui  donnerait  un  degré 
de  vraisemblance  de  plus  au  suicide  de  Marc- Antoine,  qui, 
du  reste,  est  tout  h  fait  certain. 


XVI 


M*   Carrière. 


Nous  avons  dit  (p.  145)  que  nous  ne  savions  par  quel  mo- 
tif la  défense  des  Calas,  dont  M'  Carrière  avait  paru  vouloir 
s'occuper  aux  premiers  jours,  passa  aux  mains  de  M*  Sudre. 
Nous  avons  obtenu  depuis,  quelques  renseignements  précis  sur 
cet  avocat,  par  sa  propre  famille.  Carrière  était  protestant  ainsi 
que  ses  parents.  Fils  d'un  marchand  de  draps,  il  avait  obtenu 
l'indispensable  certificat  de  catholicité  que  Marc-Antoine,  son 
intime  ami,  ne  put  se  procurer.  Les  deux  jeunes  gens  étaient, 
dit-on,  parents; en  tout  cas,  ils  étaient  liés  par  une  communauté 
d'origine,  d'études,  et,  si  ce  qu'on  rapporte  est  exact,  de  vices. 
Tous  deux  étaient  joueurs.  Une  tradition  de  la  famille  Carrière, 
d'autant  plus  croyable  qu'elle  n'est  pas  à  la  louange  du  jeune  avo- 
cat, fait  de  lui  un  compagnon  de  jeu  de  Marc-Antoine,  et  pré- 
tend même  que,  le  13  octobre,  ils  auraient  perdu  ensemble  des 
louis  que  Carrière  aurait  pris  chez  son  père.  On  ajoute  même 
que  ce  dernier,  s'en  étant  assuré  plus  tard,  fit  enfermer  son  fils 
pendant  quelque  temps  au  fort  Brescou.  Quoi  qu'il  en  soit 
de  ces  détails,  il  est  très-naturel  qu'un  ami,  un  parent,  ait 
couru  s'informer  des  causes  de  l'arrestation  de  toute  une  fa- 


NOTES.  /j87 

mille,  et  que,  connaissant  les  lois,  il  ait  averti  les  accusés  du 
danger  où  les  jetait  la  dissimulation  du  suicide.  Mais  un 
avocat  très-distingué,  plus  âgé  et  catholique,  tel  que  M*  Su- 
dre,  convenait  bien  mieux  a  la  défense. 

Unesœur  de  Carrière  était  en  pension  avec  les  demoiselles  Ca- 
las, et  a  souvent  raconté  depuis,  que  les  compagnes  de  ces  jeunes 
fdles  leur  reprochaient  d'être  trop  élégantes,  trop  fignolées,  et  de 
faire  venir  à  la  pension  le  perruquier  pour  se  faire  coifTer  à  a 
mode.  Ce  détail  confirme  ce  que  nous  avons  dit  des  prétentions 
qui  régnaient  parmi  les  enfants  Calas,  et  qui  contribuèrent  k 
perdre  Marc-Antoine, 


BIBLIOGRAPHIE 


BIBLIOGRAPHIE  "^ 


I.  —  Avant  le   supplice   de   Jean   Calas 

(9  MARS  1762.) 


1.  DÉCLARATION  DU  SIEUR  Louis  Calas,  — à  Toulouse ,  ce 

2  Décembre  1761.  Signé  Louis  Calas. 

8  p.  8»,  sans  nom  d'imprimeur.  (Désigné  dans  les  notes  de 
ce  volume,  comme  suit  :  DécL  Louis.) 

2.  Requête  et  Ordonnance,  gui  permet  la  fulmination  du 

Monitoire^  etc.,  —  8  déc.  1761,  à  Toulouse,  de  Cim- 
primerie  de  La  veuve  de  M*  Bernard  Pijon,  avocat,  seul 
ImprimeurduRoiet  delà  cour,  chez  la  veuve  Lecamus. 

(i)  On  ne  regarde  pas,  en  Allemagne,  une  monographie  comme 
achevée  si  elle  ne  contient  une  liste  précise  et  détaillée  des  écrits 
qui  existent  sur  la  matière,  et  l'on  a  raison.  Quand  on  traite  un  su- 
jet tout  spécial,  on  doit  prétendre,  sinon  à  donner  des  résultats  ab- 
solument complets  cl  déOnilifs,  au  moins  à  faire  connaître  lout  ce  qui  a 
paru  siir  la  question  et  à  laisser  aux  recherches  des  travailleurs  à 
venir,  un  point  de  départ  irès-nellement  marqué. 

Je  me  suis  efforcé  de  ne  rien  omettre  dans  le  tableau  qu'on  va  lire, 
et  j'indique  moi-même  les  documents  que  je  n'ai  pu  me  jjfocurer; 
mais  je  crains  qu'il  n'en  existe  d'autres  encore. 

Comme  un  pareil  travail  ne  peut  être  utile  que  par  une  rigou- 


'U92  BIBLIOGRAPHIE. 

3.-  Chefs  du  Monitoire  Que  baille,  devant  vous,  Messieurs 
les  Gapitouls,  le  procureur  du  Roi  de  la  ville,  etc.  — 
A  Toulouse,  de  rimprimerie  de  la  veuve  de  M^  Ber- 
nard PiJON,  etc. 

Affiche  in-  f <» 

/i.  MÉMOIRE  POUR  le  Sieur  Jean  Calas  Négociant  de  cette 
Ville;  Dame  Anne  Kose  Cabibel  son  Épouse;  et  le 
Sieur  Jean  Pierre  Galas,  un  de  leurs  Enfants.  —  A 
Toulouse  chez  J.  Rayet,  Imprimeur  Libraire,  à  la 
Mère  des  Sciences  et  des  Arts,  l^ace  du  Palais. 
Signé  M*  Sudre,  Avocat. 

104  p.  8»  sans  date  (Désigné  ainsi  dans  les  notes  :  Sudre,  1  ) 

6.  Observations  pour  le  Sieur  Jean  Galas,  la  Dame  de 
Cabibel,  son  épouse,  et  le  sieur  Pierre  Galas,  leur  fils. 
MDCGLXII,  Signé  DUROUX,  fils. 

72  p,  8°  —  Par  M.  de  La  Salle,  Conseiller  au  Parlement  de 
Toulouse—  Voy.  Court  de   Gebelin,  Toulousaines,  p.  141. 
(Désigné,    ainsi  dans  les  notes  :  La  balles.) 

6.  Suite  pour   les  Sieurs  et  Demoiselle  Galas  A  Tou- 

louse, chez  la  veuve  J.  P.   Robert,  Imprimeur  Li- 
braire, Rue  S'*  Ursule,  à  S'  Thomas.  MDGCLXIL  — 
Signé  M*  Sudre,  Avocat, 

56  p.  8°  (Sudre,  2). 

7.  Réflexions  pour  les  Sieurs  et  Demoiselle  Calas.  —  A 

Toulouse,  chez  J.  P.  Faye,  à  la  place  Rouaix,  près 
l'hôtel  de  M.  le  Premier  Président. 

Signé  M*  SuDRE,  Avocat. 

8  p.  in-12.  (Sudre,  3.) 


reuse  exactitude,  et  comme  dans  celte  liste  de  1 1 4  publications,  il  y  en 
a  beaucoup  qui  se  resseniblent,j 'ai  représenté, autant  qu'il  a  été  possible, 
les  caractères  même  employés  dans  les  titres  que  j'ai  reproduits.  — 
Quand  le  nom  de  l'auteur  est  en  petit  caractère  et  séparé  du  titre, 
c'est  qu'il  s'agit  d'une  publication  anonyme.  —  Les  diverses  éditions 
d'un  même  ouvrage, autant  que  j'ai  pu  les  connaître,  sont  inscrites  sous 
le  même  numéro,  sauf  quelques  réimpressions  en  pays  étrangers. 
— J'ai  expliqué,  à  mesure  que  l'occasion  s'en  présentait,  les  abrévia- 
tions qui  se  trouvent  dans  les  notes  de  ce  volume,  et  qui  rappellent 
les  documents  imprimés  que  j'ai  dil  citer  le  plus  souvent, 


BIBLIOGRAPHIE.  /l93 

8.  MÉMOIRE    JUSTIFICATrP    POUR    LE    S'    LOUIS     CALAS    —   A 

Toulouse,  de  L'Imprimerie  de  J.  Rayet,  à  la  mère  des 
Sciences  et  des  Arts,  place  du  Palais. 

42  p.  8°  (Mém.  Louis). 

9.  MÉMOIRE  DU  Sieur  Gaubert  Lavaysse.  —  A  Toulouse, 

chez  Jean  Rayet,  Imprimeur  Libraire,  etc. 

26  p.  8°  (Lar.  1.) 

10.  MÉMOIRE  DE  M*  David  Lavaysse,  Avocat  en  la  cour, 
pour  le  Sieur  François-Alexaudre-Gaubert  Lavaysse 
son  troisième  fils.  —  A  Toulousk,  de  l'Imprimerie  de 
Jean  Rayet,  Imprimeur  Libraire,  etc. 

Signé  Lavaysse  fils  (1). 

52  p.  8°  (Lav.  2). 

11.  La  Calomnie  confondue  ou  Mémoire  dans  lequel  on 
réfute  une  nouvelle  accusation  intentée  aux  Protes- 
tants de  la  province  du  Languedoc,  à  Toccasion  de 
l'affaire  du  S' Galas,  détenu  dans  les  prisons  de  Tou- 
louse. 

«  S'ils  ont  appelé  le  Père  de  famille  Beelzébuth, 
«  combien  plus  traiteront-ils  de  même  ses  domesti- 
«  ques.  Matli.  X,  25.  » 

Au  Désert  —  MDGCLXIL 

Par  Paul  Rabaut  et  La  Beaumelle.  12  p.  4"  (Cal.  Conf  ) 

12.  Observations  sur  un  Mémoire  qui  parait  sous  le 
nom  dePaulHabaut,  intitulé  la  Calomnie  Confondue: 
«  Ne  dum  tacemus,  non  verecundiae,  sed  difl^denti^e 
causa tacere  vidcàmur.  S'  Cip.  Epist.  »  —MDGCLXIL 

Par  rabbéde  Contezac.  16  p.  8°.  —  S.  1.  n.  d.  (Contezat,) 

13.  Arrest  de  la  Cour  de  Parlement  du  6  mars  1762, 
Qui  Condamne  un  Imprimé  intitulé  :  La  Calomnie 
Confoîiclue,  etc.  Signé  Paul,  Rabaut,  à  être  lacéré  et 
brûlé,  et  ordonne  l'Information  contre  ceux  qui  ont 
composé,  écrit,  imprimé  et  débité  ledit  Ouvrage.  — 
A  Toulouse.  De  l'Imprimerie  de  la  veuve  de  M**  Bernard 
Pijon,  etc. 

8   p.  4». 

(l)  Etienne  Lavaysse,  deuxième  fils,  Avocat  au  Parlement.  Voir 
p.  31  de  ce  Mémoire. 

A2 


A94  BIBLIOGRAPHIE. 


II.  —  Du  supplice  de  Calas  à  l'édit  du  Conseil  qui  casse 
les  arrêts  du  Parlement  de  Toulouse. 

(4  JUIN  1764.) 

l/i.  Pièces  Originales  Concernant  la  mort  des  Sieurs 
Calas  et  le  Jugement  rendu  a  Toulouse. 

(S.  1.  n.  d.)  22  p.  8»  contenant  : 

a)  Eodrait  d'une  lettre  de  la  Dame  veuve  CALAS  du 
15  juin  1762. 

Avec  des  notes  de  Voltaire.  (P.  1.-6.) 

15.  b)  Lettre  de  Donat  Galas,  fils,  a  la  Dame  veuve 
Calas,  sa  mère.  —  De  Châtelaine  22  juin  1762.  j 

Par  Voltaire.  (P.  7-22.) 

16.  A  Monseigneur  le  Chancelier.  —  De  Châtelaine,  7  juil- 
let 1762.  Signé  Donat  Calas. 

Par  Voltaire.  2  p.  8°.  Lettre  d^nvoi  des  Pièces  originales  et 
de  la  Requête  au  roi  en  son  Conseil. 

17.  Requête  AU  Roi  EN  soiv  conseil,  Châtelaine!  juillet  1762. 

Signé  Donat  Calas. 

Par  Voltaire.  "2  p.  8". 

18.  Pièces  Curieuses  et  Intéressantes  concernant  h\.  fa- 
mille Calas,  qui  ont  été  fournies  par  M.  de  Vol- 
taire. —  A  Lausanne  chez  Franc.  Grasset  et  Comp. 
MDCCLXVIIL 

108  p.  in-18.  Ce  recueil  contient  : 

a)  La  lettre  de  M.  de  Vol...  à  M,  d'Am,.. 

(P.  1  a  17).  Voir  plus  bas  n»  37 

b)  Un  Avertissement  historique. 

(P.  17.) 

19.  c)  Lettre  de  Donat  Calas  à  TArchevêque  de  Tou- 

louse, datée  de  Châtelaine  le  8  juillet  1762. 
Par  Voltaire.  iP.  18-27) 


BIBLIOGRAPHIE.  49^ 

20.  d)  Lettre  de  M.  N.  N.  à  M.  de  Voltaire  —  à  Aix,  le 

28  juin  1762. 

(P,  29-30.1  M.  N.  N.  est  «n  des  -plus  grands  seigneurs  du 
Royaume  (?)  Cette  lettre  et  la  suivante  sont  contre  les  Calas. 

21.  e)  Autre  lettre  écrite  de  Toulouse  à  Mademoiselle  ***. 

Signée  Couder,  Jurisconsulte 

(P.  31-37.) 

22.  f)  MÉMOIRE  DE  DoNAT  GALAS  pour  son  père,  sa  mère 

et  son  frère.  —  Châtelaine  22  juillet  1762. 

Par  Voltaire.  (P.  38-65.) 

23.  g)  DÉCLARATION  DE  PIERRE  CALAS,  —  Châtelaine  23 

Juillet  1762. 

Par  Voltaire.  (P.  66-Sl.)  (Décl.  P.C.) 

2/i.  h)  Histoire  d'Elisabeth  Canning  et  de  Jean  Calas. 

Par  Voltaire.  (P.  82-90  et  90-106.) 

L'Ed.orig.,  en  21  p.  8»,  est  d'août  1762. 

Ces  huit  pièces  sont  insérées  dans  un  récit  abrégé  des  faits. 
La  plupart  des  publications  de  Voltaire  sur  cette  affaire  ont  été 
aussi  imprimées  dans  le  format  in-8°  et  réunies  sous  le  titre 
de  :  Recueil  de  différextes  pièces  sur  l'ai-fairk  malheu- 
reuse DE  LA  FAMILLE  DES  Calas.  Oh  trouve  souvent  ce  recueil 
relié  avec  quelques-uns  des  Mémoires  suivants, 

25.  MÉMOIRE  A  Consulter  et  Consultation  pour  la  Dame 
Anne  Rose  Cabibel  veuve  Calas  et  ses  enfants.  —  Paris 
23  Août  1762.  —  De  l'Imprimerie  Le  Breton  Impri- 
meur ordinaire  du  Roi  1762. 

Signa  Elie  de  Beaumont  (et  15  autres  Avocats.) 

(Précédé  d'un  Avis  de  l'Imprimeur  2  p.  8°) 
70  p.  8».  (E.  de  B.  1.) 

26.  MÉMOIRE  POUR  Dame  Annk  Rose  Cabibel,  veuve 
du  Sieur  Jean  Calas,  Marchand  à  Toulouse  ;  Louis  et 
Louis  Donat  Calas  leurs  fils,  et  Anne  Rose  et  Anne 
Calas  leurs  filles,  Demandeurs  en  cassation  d'un  ar- 
rêt du  Parlement  de  Toulouse  du  9  mars  1762. 

De  l'Imprimerie  de  Le  Breton,  etc.  1762. 

Signé  Ar  Mariette,  Avocat. 

13G  p.  80.  (Mar.  1.) 

27.  MÉMOIRE  Pour  Donat,  Pierre  et  Louis  Calas.  —  De 
r Imprimerie  de  Le  Breton,  etc. 

Signé  M'  LoYSEAu  de  Mauléon,  Avocat. 

63  p.  8<'  ou  65  p.  4°  (L.  de  M.) 


496  BIBLIOGRAPHIE. 

28.  RÉFLEXIONS  POUR  Damo  Anne  Rose  Cabibel,  veuve  du 
S'  Jean  Galas,  Marchand  à  Toulouse,  Loois  et  Louis- 
DoNAT  Galas,  leurs  fils;  et  Annk  et  Anne  Rose  Calas, 
leurs  filles.  Demandeurs  en  cassation  d'un  Arrêt  du 
Parlement  de  Toulouse  dn  9  Alars  1762. 

De  l'Imprimerie  de  Le  Breton,  etc.  1763. 

Signé  W  Mariette,  Avocat. 

40  p.  8°.  (Mar.  2) 

29.  Extrait  dune  lettre  écrite  en  réponse  a  un  chirurgien 
de  Lyon,  par  le  Sieur  Lamarque,  chirurgien  de  Tou~ 
louse^  au  sujet  de  la  Digestion. 

Signé  Lamarque. 

4  p.  4°  S.  1.  n.  d. 

30.  Mémoire  sur  une  question  anato-viique  relative  a  la 
Jurisprudence,  Dans  lequel  on  établit  les  principes 
pour  distinguer  à  l'inspection  d'un  corps  trouvé 
pendu,l6ssignes  du  suicide  d'avec  ceux  de  I'assassin  AT. 
Par  M.  Louis,  Professeur  Royal  de  chirurgie.  Censeur 
Bayai,  chirurgien  consid'ant  des  années  du  Roi,  A 
Paris,  chez  P.  G.  Gavelier.  1763. 

54  p.  8«. 

Lu  a  la  séance  publique  de  l'Académie  royale  de  chirurgie 
le  jeudi  14  avril  1763.  —  Suivi  de  l'approbation  de  M.  Pibrac, 
directeur  de  l'Académie  royale  de  cliirnreie. 

Permis  d'imprimer  29  avril  1763  Signé  De  Sartine. 

31.  Lettre  écrite  à  un  des  principaux  Magistrats  du  Con- 
seil d'Etat,  le  2^  Dec.  1762  par  la  sœur  Anne  Julie 
Fraisse,  Religieuse  de  la  Visitation  de  S'*  Marie  de 
Toulouse. 

2  p.  8«  s.  1.  n.  d.  —  C'e-t  la  preraibre  des  quarante  lettres 
que  nons  avons  données  plus  haut. 

32.  Observations  pour  la  Dame  veuve  Calas  et  sa  famille. 
—  De  L'Imprimerie  de  Le  Breton,  etc.  176Zi. 

Signé  M"  Mariette,  Avocat. 

«9  p.  8° (Mar.  3). 

33.  Les  Toulousaines  ou  lettres  historiques  et  apolo- 
gétiques, En  faveur  de  la  Religion  Réformée,  et  de 
divers   Protestants    condamnés   dans    ces   derniers 


BIBLIOGRAPHIE.  497 

temps  par  le  Parlement  de  Toulouse,    ou  dans  le 
Ilaut-Languedoc.  —  A  Edimbourg  (Lausanne). 

Taniœne  nnimis  cœlestibus  iras  ?  Virg.  iEneïd. 

Par  Court  de  Gébelin.  1  v.  in-12.  1763. 

Cet  ouvrage  a  paru  en  feuilles.  Il  y  a  deux  tirages  ;  Vun  est 
de  44-1  p.;  l'autre,  de  458,  contient  quelques  courtes  additions. 
La  dernière  lettre  esc  date'e  du  10  de'cembre  1762;  mais  Vol- 
taire fit  prier  Court  de  Gebelin  de  retarder  la  mise  en  vente , 
de  peur  de  nuire  aux  Sirven. 


III.  —  De  redit  du  Conseil  à  la, fin  du  XVIII«  siècle. 


3Zi.  MÉMOIRE  POUR  la  veuve  Galas  et  sa  famille.  —  De 
l'Imprimerie  De  Grange,  rue  de  la  Parcheminerie  1765. 
Signé  W  Mariette,  Avocat. 

63  p.  8°  (Mar.  4). 

35.  Mémoire  a  consulter  et  Consultation  pour  les  en- 
fants DE  DÉFUNT  JeAN  GaLAS,  MARCHAND  A  TOULOUSE. 

—  A  l'ai'is,  chez  MerlJn,  Libraire,  à  l'entrée  de  la 
rue  de  la  Harpe,  en  venant  par  la  rue  de  la  Bouderie 
MDGCLXV.  Signé  Elie  de  Beaumont 

8",  28  p.;  in-12°  31  p.  L'éd.  8»  est  signée  de  lui  et  do  sept 
autres  avocats,  le  22  janvier  1765.  (E  de  B.  2.) 

36.  MÉMOIRE  DU  Sieur  François  Alexandre  Gualbert  La- 
vaysse.  —  Paris,  de  Fimprimerie  de  Louis  GoUot,  rue 
Dauphin  e  MDGCLXV. 

32  p.  S».  Autres  Ed  :  26  p.  4».  31  p.  12».  (Lav.  3.) 

37.  Lettre  de  M.  de  Vol A  M.  D'Am 

Au  château  de  Ferney,  1"  Mars  1765. 

(Voltaire  h  DamilaviUe). 
16  p.  in-18.  (S.  1.  n.  d.  d'impression.) 

38.  Lettre  d'un  Philosophe  protestant  a  M.  X.  ***  sur 

une  lettre  que  M,  de  Voltaire  a  écrite  il  M.  d'Am à 

Paris^  au  sujet  des  Calas. 

Par  Fréron. 

(Année  Littéraire,  Mai  1765,  t.  3.,  p.  lZi6.) 


IX9S  BIBLIOGRAPHIE. 

39.  MÉMOIRE  Pour  Dame  Anne  Rose  Câbibel  veuve  Calas 
ET  POUR  ses  Enfants,  sur  le  Renvoi  aux  Requêtes  de 
l'Hôtel  au  Souverain,  ordonné  par  arrêt  du  Conseil 
du  Zi  juin  176/1.  — De  Timprimerie  de  Louis  Collot,  rue 
Dauphine.  MDCGLXV. 

Signé  W  Elie  de  Beaumont,  Avocat. 

96  p.  12°.  —94  p.  8°.  (E.  de  B.  3.) 

La  dernière  page  contient  le  Rapport  du  me'decin  et  des 
chirurgiens,  daté  du  14  novembre  1761. 

ZiO.  Jugement  Souverain  des  Requêtes  ordinaires  de 
l'hôtel  du  Roi,  Qui  décharge  Anne  Rose  Gabibel, 
Veuve  de  Jean  Calas,  Marchand  à  Toulouse;  Jean- 
Pierre-Calas,  son  fils;  Jeanne  Viguière,  Fille  de  ser- 
vice chez  ledit  Galas,  Alexandre-François-Gualbert 
Lavaysse,  Et  la  mémoire  dudit  défunt  Jean  Calas,  de 
l'accusation  contre  eux  intentée.  —  Du  9  Mars  1765.  A 
PariSjDe  l'Imprimerie  Royale.  1765. 

^Editions  diverses  en  14  p.  40,  —  39  p.  8°,  —  35  in-l'i».) 

ki.  Traité  sur  la  Tolérance,  a  l'occasion  de  la  mort 
DE  Jean  Galas. 

Par  Voltaire.  iÉcrit  en  1762  et  achevé  en  1763  (voir  une 
note  du  ch.  XVII),  répandu  à  petit  nombre  jusqu'après  le 
jugement.  En  1765,  Voltaire  fit  réimprimer  ce  Traité  avec  un 
Article  nouvellement  ajouté,  dans  lequel  on  rend  compte  du 
dernier  arrêt  rendu  en  faveur  de  la  famille  des  Calas. 

Zj2.  Projet  de  Souscription  pour  une  estampe  tragique 
et  morale. 
Qualibus  in  tenebris  vitœ  quantisque  periclis, 
Degitur  hoc  œvi  quodcumque  est. 

(10  ou  12  p.  8°.)  Permis  d'imprimer,  ce  18  juillet  1765. 

43.  Lettre  de  M.  le  Marquis  d'Argence,  Brigadier  des 
armées  du  Rol 

Au  château  de  Dirac,  ce  20  Juillet  1765. 

(Réponse  h.  la  Lettre  cTun  philosophe  protestant  par  Fréron 
indiquée  plus  haut  n°  38.  | 

UU»  Lettre  a  M.  le  Marquis  d'Argence  de  Dirac 

2U  Auguste  1765. 

Par  Voltaire.  Ces  deux  lettres,  enrS  p.  in-12.  S.  1.  n.  d. 

45.  Avis  au  public  sur  les  parricides  imputés  aux  Ca- 
las ET  AUX  SIRVEN. 

Par  Voltaire.  34  p.  8».  S.  1.  n.  d. 


BIBLIOGRAPHIE.  Zl99 

/|6.  Lettre  de  Monsieur  de  Voltaire  a  M.  Elie  de  Beau- 
mont,  Avocat  au  Parlement.  Du  20  Mars  1767. 

2e  Édition.  15  p.  S».  Le  sujet  'de  cette  lettre  est  le  procès 
de  Sirven,  mais  elle  contient  sur  les  Calas  des  détails  ine'dits. 

47.  Déclaration  de  Jeanne  YicmÈRE,  Ancienne  Domestique 
des  Sieur  et  Dame  CALAS  de  Toulouse,  touchant  les 
bruits  calomnieux  qui  sont  répandus  sur  son  compte. 
Permis  d'imprimer,  ce  9  Avril  1767.  De  Sartine.  ~ 
De  rimprimerie  de  P.  de  Lormel,  rue  du  Foin. 

8  p.  in-8°.  —  On  lit  à  la  fin  de  cette  pibce  : 
«  N.  B.  Cette  calomnie  avait  été  publiée  dans  tout  le  Langue- 
doc ,  et  elle  était  répandue  dans  Paris  par  le  nommé  Fréron , 
pour  empêclier  M.  de  Voltaire  de  poursuivre  la  justification 
des  Sirven,  accusés  du  même  crime  que  les  Calas.  Tous  ceux 
qui  auront  lu  cette  feuille  authentique  sont  priés  de  la  conseï'- 
ver  comme  un  monument  de  la  rage  absurde  du  fanatisme.  » 

Zi8.  Histoire  de  la  délivrance  de  ta  ville  de  Toulouse,  arrivée 
le  17  Mai  1562,  oii  L*on  voit  la  conspiration  des  hugue- 
nots contre  les  catholiques,  leurs  différents  combats,  la 
défaite  des  huguenots  et  Corigine  de  la  procession  du 
17  Mai,  le  dénombrement  des  reliques  de  l'Eglise  de 
Cernin  [S'  Seymin)  :  le  tout  tiré  des  annales  de  ladite 
ville. 

Tantum  religio  potuit  suadere  malorum! 

«  L'historien,  dans  une  préface  trbs-judicieusc  et  bien  écrite, 
€  fait  voir  la  nécessité  de  supprimer  cette  cérémonie,  nionu- 
»  ment  trop  durable  du  fanatisme  et  de  la  révolte.  »  Mémoires 
secrets  (Bachaumont)  T.  2,  p.  190,  5  mai  dTfiô. 

Ii9.  Histoire  des  malheurs  de  la  famille  de  Galas,  etc., 
précédée  de:  Marc  Antoine  Calas  le  suicide  aVUnivers, 
Héroïde. 

Par  Edouard-Thomas  Simon  —  1766.  8». 
Voir  :  Ersch.  France  Littér.  I,  4  06  et  II,  3  02. 

50.  Sermons  prêches  a  Toulouse  Devant  Messieurs  du 
Parlement  et  du  CapiloiUat  Par  le  Révérend  Père 
Apompée  de  Tragopone,  Capucin  de  la  Champagne 
Pouilleuse.  —  A  Eleutheropolis  chez  JoxAs  Freethin- 
KER,  Imprimeur  et  Libraire,  Rue  de  l'Antimoine,  entre 
le  Palais  de  la  Raison  et  l'Eglise  de  Notre  Dame  des 
Lumières.  1772. 

440  p.  in-1'2.  —  Ce  volume  contient  :  . 


500  BIBLIOGRAPHIE. 

a)  Premier  Sermon  Sur  la  mort  de  Jean  Calas  Vieillard 
infirme  accusé  par  les  bons  Catholiques  d'avoir  pendu 
le  13  Octobre  1761  son  fils  aîné,  jeune  homme  le 
plus  adroit,  le  plus  fort  et  le  plus  robuste  de  la  Pro- 
vince; pour  ce  fait,  condamné  à  la  question  ordinaire 
et  extraordinaire  par  arrêt  des  Capitouls,  lequel  fut 
cassé  et  ensuite  confirmé  et  agravé  par  arrêt  du  Par- 
lement de  Toulouse.  —  Enfin  ledit  Jeaji  Calas  con- 
damné à  être  rompu  vif,  par  arrêt  de  la  même  Cour 
du  9"^  Mars  1762.  —  Avec  des  cotes  historiques  et 
critiques  de  Tbditeur. 

NiHIL  ORITUKUM  ALIAS,  NIL  ORTUM  TALE  FATENTES. 

(P.  1,  —  226.) 


b)  Second  Sermon  Prêché  par  le  même,  devant  la  même 
assemblée  el  à  la  même  occasion. 

(P,  227,  ~  378.) 

c)  Courtes  Réflexions  sur  les  deux  sermons  précé- 
dents. 

(P.  379     —  404.) 

d)  Lettres.  —  Les  J.eUrcs  suivantes  ont  été  écritesparim 
jeune  Iwmme  nommé  Pagez,  Etudiant  en  droit  à  Toulouse, 
Parent  de  la  famille  Calas-  Elles  sont  adressées  à  Louis 
Calas,  le  cadet  des  frères,  lequel  ayant  changé  de  Reli- 
gion était  alors  h  la  Dalbade,  fameux  couvent  des  PP. 
de  COratoire,  près  de  Toulouse. 

(P.  405  —  440.1 

Ce  livre  est  un  violent  pamphlet  de  l'école  de  Voltaire 
Les  lettres,  au  nombre  de  10  (avec  les  réponses)  ne  sont  pas 
plus  authentiques  que  les  sermons.  L'auteur,  qui  attaque  le 
christianisme  avec  des  quoMbets,  souvent  inde'oents,  et  une 
éruditioji  de  dernier  ordre  ,  combat  pour  les  Calas  avec  des 
assertions  inexactes  et  des  points  d'exclamation. 

51.  Convention  Nationale.  —  Rapport  et  projet  de  dé- 
cret Sur  la  proposition  d'indemniser  les  enfants  de 
JEAJS  CALAS,  de  la  ruine  que  son  procès  leur  a  occasion- 
née,  aux  déptns  de  qui  il  appartiendra  ;  Présentés  au 
NOM  DU  Comité  de  Législation  par  F.  S.  Bezard,  Dé- 
puté  par  le  département  de  l'Oise  à  la  Convention  Na- 
tionale. —  Séance  du  23  pluviôse  (1792).  Impriméspar 
ordre  de  la  Convention  Nationale. 
De  rimprimerie  Nationale. 

12  p.  8°. 


BIBLIOGRAPHIE.  501 


IV.  —Pièces  de  vers 


52.  JEAN  C  A  LAS  X^  A  FEMME  ET  A  SES  ENFANTS.héroïde, 

parBlin  de  Sainmore,  1765.  —  Paris,   de  rimprime- 
rie  de  Sébastien  Jorry,  rue  et  vis  à  vis  la  Comédie- 
Française,  au  Grand  Monarque. 
Tantuin  Relligio  poluit  suadere  malorum.  Lucret.  1.  I. 

24  p.  8°.  Cette  Héroïde,  qui  a  eu  4  éditions,  a  paru  avec 
d'autres  écrits  du  même  auteur  en  1766  et  en  1768,  8*. 

53.  Galassur  l'échafaud  a  ses  jdges.  1765.— Veuve  Pierre. 

Bayonne  et  Paris. 

8  p.  8'».  Autre  Ed.  in  12, 

5Zi.  L'Ombre  de  Galas,  LE  SUICIDE  A  sa  famille  et  a  son 
AMID\NS   LES  FERS,  —  précédée  d'une  lettre  à   M.   de 
Voltaire. 

A  Amsterdam  et  se  vend  à  Paris  chez  Cailleau,  Li- 
braire, rue  du  Foin  S' Jacques  à  S' André.  ÎVIDGCLXV. 

16  p.  8».  par  Pierre-Tean-Baptiste  Nougaret,  né  H  la  Ro- 
chelle le  16  décembre  1742,  mort  en  1823.  Voltaire  lui  écri- 
vit le  20  avril  1765,  en  réponse  à  renvoi  de  ces  vers. 

55.  LETTRE  d'un  Cosmopolite  A  L'OMBRE  DE  CALAS 

{sic).  1765. 

par  Bernard  Louis  Verlac  de  la  Bastide,  Avocat  à  Nismes. 

8  p.  8». 
Ce  titre  est  inexact;  les  2  premières  pages  sont  tinc  Lettre 
d'un  Cosmopolite  à  M.  de  Saint  E***,  1"  may  1763.  Les  4  der- 
nières pages  contiennent  une  Epître  à  l'ombre  de  Calas.  Vol- 
taire remercia  l'auteur  de  l'envoi  de  ces  vers,  le  17  mai  1765. 

56.  Requête  au  Roi,  par  la  Dame  Veuve  Calas  — 1763 
et  176Zi. 

8  p.   4»  et  8»  (s.  1.  n.  d.)  En  vers, 

57.  Epître  a  M.  de  Voltaire,  sur  la  réhabilitation  de  la 
Famille  Calas,  par  la  Harpe  —  1765. 

En  vers  libres  (Dans  ses  OEuvres,] 

57  bis.  —  Marc- Antoine  Calas  le  suicide  à  l'Univers^  héroïdô 
par  E.  T.  Simon,  voir  plus  haut,  n"  ^9. 


502  BIBLIOGRAPHIE. 


V.  —  Théâtre  (1) 


58.  Calas  ou  le  fanatisme,  Drame  en  quatre  actes,  en 
prose,  par  M.  Lemierre  d'Argy,  représenté  pour  la 
première  fois,  à  Paris,  sur  le  Théâtre  du  l'alais-Royal, 
le  17  Décembre  1790.  —  Quoi  victimœ  in  unâ  !  Ovid. 
—  A  Paris,  au  bureau  des  Révolutions  de  Paris,  rue 
des  Marais  F.  S.  G.  n»  20.  —  1791. 

120  p.  8«. 

(  Précédée  d'une  Histoire  abrégée  de  la  mort  de  Jean  Calas, 
tirée  des  Œuvres  de  Voltaire.) 
Lemierre  d'Argy  était  neveu  de  rAcadémicien. 

59.  Jean  Calas,  tragédie  en  cinq  actes,  en  vers,  repré- 
sentée pour  la  1"  fois  à  Paris,  sur  le  Théâtre  de  la 
Nation,  par  MM.  les  Comédiens  Français,  le  18  Dé- 
cembre 1790.  —  Précédée  d'une  préface  historique 
sur  Jean  Calas  et  suivie  d'un  nouveau  V*  Acte.  Par 
J.  L.  Laya  —  A  Paris,  chez  Maradan  et  Perlet,  rue 
S'  André-des-Arts,  hôtel  de  Château-Vieux,  1791. 

116  p.  8». 

60.  La  Bienfaisance  de  Voltaire,  pièce  dramatique  en 
un  acte,  en  vers,  par  M.  Villemaind'Abancourt.  Re- 
présentée pour  la  première  fois  sur  le  Théâtre  de  la 
Nation,  le  lundi  30  Mai  1791. 

Tantiim  Beligio  poluit  suadere  mtdorum.  Lucrèce. 
(Dédiée  aux  mânesde Voltaire;  dédicace  en  vers). 
A  Paris,  chezBrunet,  libr.  rue  de  Marivaux, 
près  le  Théâtre  Italien.  1791. 

46  p.  80. 

61.  Jean  Calas,  tragédie  en  cinq  actes  (en  vers),  par  Marie- 
Joseph  Chénier,  Député  à  la  Convention  Nationale, 
Représentée  pour  la  1*'''  fois  à  Paris,  sur  le  Théâtre 


(i)  Pour  les  pièces  de  lhé;Ure  en  langues  étrangères,    voir  plus 
loin,  9  3,   J  0  » ,  J02. 


BIBLIOGRAPHIE.  503 

de  la  République,  le  6  Juillet  1791.   (Précédée  d'une 
lettre  de  M.  Palissotsur  la  tragédie  des  Galas.) 

A  Paris,   chez  Moutard,  Libraire  Imprimeur, 
ruedesMathurins,  section  de  Beaurepaire, 
n"  3'3li.  —  1793. 

91  p.  8».  (  Intitulée  ailleurs  :  Jean  Calas  ou  TEcole  des  Juges.) 

62.  La  Veuve  Galas  a  Paris  ,  ou  le  triomphe  de  Voltaire, 
pièce  en  un  acte,  en  prose,  par  M.  J.-B.  Pojodlx,  re- 
présentée sur  le  Théâtre  Italien  le  31  Juillet  1791. 

rai  fait  un  peu  de  bien;  c'est  mon  meilleur  ouvrage. 

Voltaire. 

A  Paris,  chez  Brunet,  libraire,  place  du  Théâtre 
Italien. 

32  p.  8".  —  Voltaire  est  au  nombre  des  personnages,  quoi- 
qu'il ne  soit  venu  a  Paris  que  seize  ans  après  l'époque  indi- 
quée. On  assure  que  cette  pièce  a  été  mise  en  musique  et 
chantée  au  Théâtre  Favarl. 

63.  Galas,  Drame  en  trois  actes  et  en  prose,  par  Victor 
DucANGE,  représenté  pour  la  1"^  fois,  à  Paris  sur  le 
Théâtre  de  l'Ambigu-Gornique,  le  28  Novembre  1819 
et  repris  à  la  Gaîté  en  18/il. 

30  p.  8°. 

QU.  Un  Déjeuner  a  Ferney  en  1765,  ou  la  Veuve  Galas  chei 
Voltaire,  esquisse  dramatique  en  un  acte  et  en  vers, 
par  Alexandre  Duvoisin-Galas. 

Le  Mans.  Imprimerie  de  Monnoyer.  1832. 

48  p.  8". 

65.  La  Mort  de  Galas,  tragédie  bourgeoise  traduite  du 
hollandais  en  français,  par  le  Ghevalier  d'Estiman ville 
de  B.  —  à  Leyde  chez  G.  van  Hoogeveen.  1780. 

La  Dédicace  à  Madame  veuve  Calas,  à  ses  enfants  et  à  l'ami 
qui  partagea  Leurs  fers,  est  datée  de  la  Haye,  le  1"  juin  1780. 

C'est  une  traduction  libre  et  en  prose  de  la  tragédie  De 
Dood  van  Calas.  Voir  plus  loin  :  101. 

66.  Les  Galas,  drame  en  trois  actes  et  en  prose,  par  M.  de 

Brumore,  1778.  8°.  Berlin. 

67.  Les  Salver,  ou  la  Faute  réparée,  drame  en  3  actes  et 
en  prose,  par  M.  de  Brumore,  1778.  8°.  Berlin. 

M.  Beuchot  (Éd.  de  Voltaire,  t.  4,  p.  502)  indique  cette 
pièce  comme  se  rapportant,  ainsi  que  la  précédente,  à  l'his- 
toire des  Calas.  D'après  une  note  manuscrite  de  M.  Beuchot, 
dont  je  dois  la  communication  à  M.  Barbier  et  qui  confirme  ce 
i-enseignement,  il  avait  vu  les  deux  ))ièces  de  Brumore  dana 
la  fameuse  Bibliothèque  théâtrale  de  .AI,  de  Soleinne, 


50A  BIBLIOGRAPHIE. 


VI.  —  XIXe  Siècle 


68.  Jean  Calas  ou  l'innocent  condamné,  suivi  Du  récit  de 
la  condamnation  injuste  de  plusieurs  Victimes  du  fa- 
natisme, de  l'intolérance,  de  la  superstition  ou  de 
l'erreur,  par  A.  S. 

Quand  le  juste  opprimé  péril  sans  défenseur, 
La  honle  Uoil  lomber  sur  le  juge  oppresseur. 

IChenikk,  tragédie  de  Calas.) 

A  Paris,  chez  Figer,    Imprimeur  Libraire,  rue 
du  Petit  ï'ont,  n"  10. 

108  p,  in-lb».  S.  d. 

(Avec  un  frontispice.  Voir  n»  112.) 

69.  Histoire  de  la  Ville  de  Toulouse,  depuis  la  conquête 
des  Romains  jusqu'à  nos  jow^s,pSir  3.  B.  S.  D'Aldé- 
guier.  —  Toulouse,  1835. 

4  vol.  8".  T.  IV,  page '297  a  315  et  dans  les  notes  p.  48  à  31. 
Ce  même  récit  a  paru  dans  la  Mosaïque  du  MidiA^année, 
p.   151  et  suiv. 

70.  Histoire  des  Eglises  du  Désert,  par  Charles  Coquerel. 

—  Paris,  18Zil. 

2  vol.  8°,  (t.  2,  p.  30i-341.) 

71.  Histoire  des  Pasteurs  du  Désert,  par  Napoléon 
Peyrat,  —  Paris,  18Z|2. 

2  vol.  8". 

72.  Histoire  Politique,  Religieuse  et  Littéraire  du  midi 
DE  la  France  depuis  tes  temps  tes  plus  rendes  jusqu'à 
nos  jours,  par  MahyLafon.  — 18Zi5. 

vol.  8».  T,  IV.  p.  325-356. 


(0  Celle  VI*  section  coniicnl,  non  des  écrits  spéciaux  (excepté  le 
n°  7  4),  mais  des  livres  dans  lesquels  l'affaire  des  Calas  est  discutée 
OU  exposée,  ou  qui  font  mention  de  quelques  documents  inédits. 


BIBLTOGRy\PHIE.  505 

73,  Histoire  Générale  de  Languedoc  par  Dom  Claude  de 
Vie  et  Dom  Vaissette,  Religieux  BénédicUns  de  la  Gon- 
grèg.  de  .S'  Maur,  commentée  et  continuée  jusqu'en 
1830,  par  le  chevalier  Al.  du  Mège.  — Toulouse  4  8Z|6. 

10   vol.  8».  T.  10,  p.  565-580. 

7  '!•  Le  Procès  Calas,  Comple-rendu  de  la  Procédure  consir- 
Vi'e  aux  archives  de  r ancien  parlement  de  Toulouse,  lu 
le  7  Décembre  185/i,  à  la  rentrée  solennelle  des  con- 
férences des  avocats  stagiaires,  par  M'  Théophile  Hue, 
avocat  près  la  Cour  impériale  de  Toulouse,  Docteur 
en  Droit.  —  Paris,  Libr.  Gh.  Douniol,  rue  de  Tour- 
non,  29. 

32  p.  S".  —  Extrait  du  Correspondant,  t.  35,  5«  livraison, 
25  février  1855,  reprodviit  aussi  clans  le  journal  l'Univers. 

75.  Procès  Verbal  inédit  de  la  question  et  de  l'exécution  de 
Jean  Galas  père. 

Public  dans  les  Petites  Causes  célèbres  dit  jour,  par  Frédéric 
Thomas,  avocat  a  la  Cour  impériale.  Paris,  1855.  Septième  vo- 
lume, p.  287. 

76.  Voltaire  et  les  Genevois,  par  J.  Gaberel,  ancien  pas- 
teur. —  Genève,  1856.  (Deuxième  édition  1857). 

1  vol.  12o. 

77.  Guide  dans  Toulouse,  par  Le  Blanc  du  Vernet  (1857). 

1  vol.  1-2". 


VII.  —  Angleterre 


78.  OniGiNAL  Pièces  relative  to  tlie  Trial  and  exécution  of 
M.  Calas,  merchant  in  Toulouse,  —  Londres    1702. 

8»  (Becket.) 

79.  Histoire  d'Elizabetii  Canning  et  de  Jean  Galas.  — 
MÉMOIRE  DE  DonatGalas,  poursou  Père,  sa  :\Ièreetson 
frère.  —  Déclaration  de  Pierre  Galas.  Avec  les  pièces 
originales  concernant  la  mort  des  S"  Calasi,  et  le  ju- 


506  BIBLIOGRAPHIE. 

gement  rendu  à  Toulouse.  Par  M.  do  Voltaire.  —  A 
Londres,  chez  Jean  Nourse,  libraire,  dans  le  Strand. 
1762. 

59  p.  8o. 

80.  A  Treatise  on  toleration,  occasioned  by  tlie  dcath  of 
J.  Galas.  —  Londres  1763. 

Trad.  de  Voltaire, 

81.  A  Critical  examination  oftlie  évidence  for  and  against 
i/ic  prisoners  P.  Galas,  his  motlier,  etc.  —  Londres 
176Z(. 

8°  (Whitridge.) 

82.  Lettre  de  M.  de  Vol....  a  M.  d'Am sw^  deux  événe- 
ments tragiques  en  Frange  du  même  temps  ;  dans  la 
persécution  des  deux  familles  de  Galas  et  de  SiRVEN 
pour  cause  f/e  Religion.  Genève  (Londres).  —1765. 

16  p.   18°. 

83.  An  Addressto  the  public  upon  the  parricides  imputed 
to  tlie  familles  of  Galas  and  Sirven.  —  1767. 

Trad.  de  Voltaire. 

8^.  The  History  of  the  Misfortunes  of  John  Galas,  a 
viCTM  TO  FANATICISM,  to  xvilicli  is  added  a  lelter  from 
M.  Calas  to  lus  Wife  and  cliildren.  —  Written  by 
Monsieur  de  Voltaire. 

Printed  by  T.  Sherlock  near  Southarapton  Street,  Strand 
1772.  (Tout  en  anglais,  sauf  la  Lettre  en  vers  de  Calas 
à  sa  femme  et  à  ses  enfants,  8  pages.)  En  tête  se 
trouve,  en  IV  pages  :  List  of  tlie  nobility  and  gentry 
who  hâve  subscribed  to  relieve  the  family  of  Calas. 
Gette  liste,  ouverte  par  les  noms  de  la  Reine  et  de 
l'ArchevêquedeGantorbéry,  porte  ceux  de  10  Evêques, 
de  79  Lords  et  de  Zi7  Gentlemen. 

IV,  33  et  S  p.  8». 

Autre  édition  :  même  titre. 

Lonclon,  printed  btj  J.  Cooper,  Boxv  Street,  Covent  Garden,  for 
Louis  Calas.  178!).   ô5  p.  8". 

Apriîs  27  pages  de  rccit  en  anglais,  on  lit  en  français  :  His. 
toire  des  malheurs  de  la  famille  de  Calas,  suivie  d'une  lettre  de  Jean 
Calas  à  sa  femme  et  à  ses  enfants.  L'histoire  n'occupe  que  4  pa- 
ges. L'iiëroïde  de  Blin  de  Sainmore  (qui  n'est  pas  nommé), 
se  trouve  a  la  suite,  et  la  pièce  de  vers  intitulée  Calas  sur  l'é- 
chafaud  à  ses  juges    termine  le  volume. 


BIBLIOGRAPHIE.  5(»7 


VIIÎ.  —  Allemagne  (1) 


85.  Literarischer  Anzeiger,  Gœttingen  1763. 

86.  Nova  Acta  Uislorige  Ecclesiasticœ. 

Weiniar,  1764.  —  T.  IV. 

87.  Leben  und  Toxides  zu  Toulouse  unschuldig  gerichteteii 

Johann   Galas,  nebst  dem  ûber  ihn   gesprochenen 
Urtheil,  aus   dem   franzœsischen.  —  Francfurt  imd 
Leipzig.  1767. 
16  p.  40. 

(Il  est  probable,  d'apvfes  la  préface,  que  cette  publication  a 
4.té  continuée.) 

88.  —  La  lettre  de  Aï"*'  Galas  et  celle  de  Voltaire  sous  le 
nom  de  Donat  ont  paru  en  allemand  à  Berlin  en 
1763. 

89.  Henke.  — AUgemeine  Geschichte  der  christlischen Kircfie. 

T.  6,  p.  288. 

90.  Von  EiNEM.  —  Versucli  eiiier  VoUstœndigen  Kirclien- 
geschichte   des  18  i«^"   Jalirliunderts.  —  Leipzig  1778. 

T.  2. 

91.  Ersch  und  Gruber.  —  AUgemeine  Encgclopœdie.  — 
Leipzig.  1825. 

4°  Sect.  I,  r.  XIV,  p.  104.  —  Article  de  Baur. 

92.  Herzog.  — Real-Eiicylclopoelie  fur  Protestantische  Théo- 
logie und  Kirclie.  — Stuttgart  und  Ilamburg. 

s»  1854.  t.  2,  p.  495-498.  Art.  de  G.  von  Polenz. 

93.  G. F.  Weisse.  Der  Fanatismus  oder  Jean  Galas,  ein 
Trauerspiel.  (Drame  historique  en  5  actes.)  —  Leipz. 
1780. 

Tantœne  animis  cœlestibus  irœl 

Et  dans  le  recueil  de  ses  tragédies.  Carlsrulie.  1782.  T.  3,  p.  99. 


(»)  Celle  lisle  allemande  est  saus  doule  fort  incomplèle.  Nous  y 
avons  porté  quelques  journaux  et  recueils  qui  indiquent  au  moins 
que  l'on  s'est  inléressé  aux  Calas  au  delà  du  Rhin. 


508  BIBLIOGRAPHIE. 

9Zi.  Littcratur  iind    Tkcalcr  Zeiliing.   1780.  L.  26  iiiid  28. 
95.  Biographien  liingericldeler  Personen. 

T.  3.  p.  3-26-348. 

Cette    notice    est  une  traduction  des  documents  imhUe's  eu 
France,  etc. 


ÎX.  —  Koilande 


96.  Pièces  Originales  Concernant  (a  mort  des  ^'"  Galas  it 
le  Jugement  rendu  à  Toulouse. — A  Amsterdam  chez  Ma- 
gerus  et  HarrevcU;  ù  tjaarlem  chez  J.  Bosch;  à  Leyden, 
chez  les  Frères  Luchtmans  ;  à  llotterdam,  chez  J.  D. 
Beman;  à  la  Haye  chez  Pierre  Gosse  Junior  et  Daniel 
Pi  net.  1762. 

29p.  in.-12. 
11    existe     une    autre    e'dition    d'Amsterdam    contenant    la 
lettre   de  Mn'^   Calas,  et  celle  de   Donat  a  sa   mère.  iHJo, 
Schneider. 

97.  Innocence  et  supplice  de  Jean  Calas  négociant  à  Tou- 

louse, 

2i  p.  iu-12.  Réimpression  hollandaise  de  riiistoirc  d'Eli^a 
beth  Canning  et  de  Jean  Calas. 

98.  Mémoire  DE  Donat  Galas,  pour  son  père,  sa  mère  tt 
son  frère. 

99.  Déclaration  de  Pierre  Galas. 

Réunis  en  iO  p.  in-12". 

i  00.  MÉMOIRE  POUR  Donat,  Pierre  et  Louis  Galas,  au  sujet 
du  Jugement  rendu  èiToutouse,  contre  leSteur  JEAN  CA- 
LAS leur   Père,  Par  Monyieur  Loyseau  de  Mauléon. 
Avocat  au  Parlement  de  Paris, 
luivrimé  sur  ta  copie  de  Paris. 
A  La  Haie  chez  Daniel  Aillaud,  Libraire.  176o. 

88  p.  in-12. 

100  bis.  iMemorie  voor  Donat,  Pierre  en  Louis  Galas,  ter 
Zaake  vauhetvonnis  te  Toulouse  uitgesproken  tegen 


BlBLlOGr.Ai'lllE.  509 

de  lleer  Jean  Galas,  hunnen  Vader.  Door  de  lleer 
LoYSEAUDE  jVlAULÉoN,  Advocaat  iii  liet  Parlement  vau 
Parijs.  Uitliet  Franscli  vertaald  Door  de  lleer  E.  1".  — 
In  S'Gravenhage  Bij  Daniel  Aillaud  en  llendrik  Bak- 
liuijzen,  Boekverkopers,  1763. 

loi.  De  Dood  van  CALAS,treurspelindriebednjven,  door 
VAN  HocGEVEEN  Jr.  —  Leyde.  176G. 

Cette  tnige'die,  eu  3  actes  et  en  vers,  a  e'té  traduite  en 
français.  (Voir  plus  haut,  n"  65.)  Calas  meurt  au  2o  acte, 
David  devient  fou  au  S'^  acte  et  se  tue- 
Les  personnages  sont  1°  David  de  Beaudrigue,  2<>  sa  fenunc, 
3°  le  pre'sidentPuget,  4"  Lasbordes,  5<*  Boissy,  6"  Coudougnaii, 
7°  Gauzan  juges,  8"  Jean  Calas,  9"  M'""  Calas,  10°  Jean- 
Pierre,  11°  Lavaj'sse,  12»  André',  ami  de  David,  43»  le  père 
Bourges,  confesseur.  Personnages  muets  :  Cassan-Clairac,  rap- 
porteur, Senaux,  Cassan  de  Jotte,  Darbou,  Desinnocents,  Bo- 
jat,  de  Cambon,  Miramont,  juges.  Jeanne,  vieille  servante. 

102.  Jean  Galas,  treurspelinvijf  bedrijven  door  Brendes  a 
Brandis,  (5(?6T.  M  aatschappij  voor  f  nul  vanV  algemcen), 
Amsterdam  1781,  chez  Wijnand  Wijnands. 

Traduction  ou  imitation  de  la  tragédie  de  Weisse  (Voir 
plus  haut  n»  9-3).  Suivie  d'une  Notice  sur  l'histoire  des  Calas, 
par  le  même  auteur. 


X.  —  Estampes  (1) 


iOo.  a)  La  malheureuse  famille  Galas.  LaMère,  les  deux 
Filles, avec  Jeanne  Viguière,  leur  bonne  servante,  le 
l'ils  et  son  ami  le  jeune  Lavaysse. 

Qualibiis  in  lencbris  viIjb  quanlisque  peridis 
Dogilur  hoc  œvi  quodcumque  est.   Lucret. 
Avec  privilège  du  Moi. 
L.  C.  De  Carmontelle  delineavii  1765.  —  Di^Ai-o^si.  scnlpsil. 
In-folio  en  largeur. 

h)  Même   pièce,   même  titre ,    sans  l'indication    du 

(1)  La  plupart  d(^  ces  pièces  se  Irouvent  au  Cabinet  des  Estampes  de 
Il  Bibliothèque  Impériale,  ou  dans  la  m.agninque  collection  liislorique 
do  M.  Hennin.  Je  dois  lui  exprimer  ici,  ainsi  qu'à  M.  Dcvéria,  ma 
reconnaissance  pour  l'obligeance  avec  laquelle  ils  ont  Ijion  voulu  fa- 
ciliter mes  rccJierches. —  C'est  la  première  de  ces  estampes,  u"*  10  3, 
luc  nous  avons  reproduite  en  lèle  do  ce  volume. 

/l3. 


610  BIBLIOGRAPHIE. 

nom  du  graveur.  Reproduction  en  sens  inverse  avec 
cette  épigraphe  : 

Dans  les  ténèbres  la  vérité  perce,  et  cependant 
elle  est  outragée. 
c)Même  pièce,  même  titre.  Réduction,  les  figurestour- 
nées  du  même  côté  que  dans  l'original. 
L.  C.  deCarmontelle  (tel.  —  Peter  Gleich  sculp> 

Petit  in-4»  en  largeur. 

lOZi.  a)  Les  adieux  de  Calas  a  sa  famille. 

«Je  crains  Dieu...  et  n'ai  pas  d'autre  crainte.  » 
Inv.  peint  el  gravé  par  D.  Chodowiecki  a  Berlin  1768 

Jean  Calas  est  assis  ;  son  fils  Pierre  loi  baise  la  main,  une 
de  ses  filles  est  a  genoux  et  l'entoure  de  ses  bras  ;  l'autre,  de- 
bout, appuie  sa  tête  contre  celle  de  son  pbre.  Un  geôlier  est 
occupé  à  ouvrir  les  fers  qu'il  a  aux  pieds.  M""»  Calas  est  éva- 
nouie dans  un  fauteuil,  devant  lequel  une  Bible  est  ouverte 
8ur  un  guéridon  ;  Lavaysse  et  Jeanne  Viguier  lui  font  respi- 
rer des  sels.  De  l'autre  côté,  deux  soldats  qui  gardent  la  porte 
Introduisent  un  moine  (1). 
In-f»  en  largeur. 

b)  Der  Abschied  des  Galas  von  seiner  familie. 

Dent   Herrn  Daniel  Chodowiecki  zugeeignet 

Durch  dessen  ergebensten  Diener  u  :  Freund.  Joh.  Elias 

Haid. 
Nach  dem   original  Gemàhlde  von  gleicher  Grôse  {sic) 
Daniel  Chodowiecki   pinxit  — 

Joh.  Elias  Haid  sculpsit.  Aug.  Vind.  1777. 

In-f«  en  largeur. 

(l)  Cette  scène  est  imaginaire.  Il  ne  paraît  pas  que  Calas  ail  revu 
sa  femme  ni  ses  enfants  avant  de  mourir.  11  n'est  pas  douteux  que  la 
figure  de  Jean  Calas,  souvent  reproduite  depuis,  ne  soit  également 
de  convenlion,  Chodowiecki  lui  adonné  des  traitsqui  rappellent  d'une 
manière  frappante  ceux  de  ses  enfants.  Mais  c'est  là  une  erreur;  car 
son  fils  Pierre  et  les  deux  sœurs  ressemblaient  beaucoup  tous  trois  à 
leur  mère,  ce  qii'il  est  très-facile  de  vérifier  dans  l'estampe  n*  103, 
que  nous  avons  reproduite.  Celte  ressemblance  est  assez  marquée 
pour  n'être  pas  contestable.  Mais  il  n'est  pas  à  croire  que  le  type 
de  figure  de  M""*  Calas,  si  reconnaissable  chez  ses  enfants,  fût  aussi 
celui  de  leur  père,  dont  il  n'existe  aucun  portrait. 

Ce  double  motif,  du  caractère  tout  à  fait  imaginaire  de  celle  scène 
et  de  la  principale  figure,  nous  a  décidé  à  ne  point  reproduire 
cette  estampe  qui  n'a  rien  d'historique,  quoiqu'un  la  considère  en 
général  comme  le  pendant  de  celle  de  Curmonlelle. 


BIBLIOGRAPHIE.  51 1 

{c  Même  sujet,  même  titre. 

Daniel  Ckodowiecki  inv.  et  deiin. 
Andréas  Leonhard  scuLpsit  el  excudit.  Norimb  1790. 

Iii-f°  en  largeur. 

{d  Même  sujet. 

nach  Ghodowiecki  gestochen 

On  lit  au  haut  :  5ter  Aufzug.  5ter  Auftritt.  Cette  gravure 
a  été  faite  pour  une  pièce  de  théâtre,  probablement  pour  celle 
de  C.  F.  Weisse,  voir  plus  haut  :  93. 

In-12  en  hauteur. 

105.  a)  Les  Adieu  (sic)  de  Calas. 

Joh.  H.  Lips.  sculp.  1778. 

Le  groupe  du  père  et  de  la  jeune  fllle,  en  bustes,  emprunté 
au  sujet  précédent,  dans  un  médaillon  rond. 

AVangle  supérieur  sont  les  chififres  suivants,  XIV,  p.  68.  Je 
ne  sais  à  quelle  collection  ils  se  rapportent. 

In-é»  en  longueur. 

b)  Les  Adieu  de  Galas,  nach  Ghodowiecki  {sic). 

Reproduction  de  la  même  estampe.  Même  format,' 

106.  Portrait  de  Voltaire. 

Dessiné  et  gravé  a  Ceau  forte  par  Queverdo.  —  ïVr- 
miné  par  Massol, 

Médaillon  rond,  sur  un  socle  qui  renferme  une  réduction  de 
l'estampe  n»  104,  avec  le  titre  et  l'épigraphe  de  l'original. 
On  lit  au-dessus  du  portrait  : 

Qu'il  ne  soit  qu'un  parti  parmi  now, 

Celui  du  bien  publie  et  du  salut  de  tous. 
Au-dessous,  sont  figurées  les  Œuvres  de  Voltaire  avec  cette 
inscription  ; 

La  loi,  dans  tout  état,  doit  être  universelle  ; 
Les  mortels,  quels  qu'ils  soient,   sont  égaux  devant  elle. 
10-40  en  hauteur. 

107.  a)    Les  EFFETS  delà  sensibilité  SDR  LES  QUATRE  DIF- 
FÉRENTS TEMPÉRAMENTS. 

Nonomnes  pariter  tanta  fnfortunia  terrent. 
D.  Ghodowiecki  de). 

Quatre  personnages  examinent  un  ttiLlcau  placé  sur  un  che- 
valet. C'est  l'estampe  n  404,  les  Adieux  de  Calas  à  sa  famille. 
Le  bilieux  s'emporte,  le  sanguin  pleure,  le  mélancolique,  les 
bras  pendants,  paraît  atterré;  le  lymphatique  est  un  gros 
homme  assis  et  immobile  qui  regarde  avec  une  sorte  de  cu- 
riosité flegmatique. 

Qu'on  ait  choisi  ce  suj  .  comme  type  des  impressions  va- 
riées que  produit   un   même  fait  aur  les   divers  caractferes, 


515  BIBLJOGRAPHIK. 

c'est  un  indice  assez  curieux  du  grand  retentissement  qu'eut 
cette  atïaire  et  de  la  sympatliic  générale  qu'on  accordait  aux 
Calas. 

In-12  en  largeur. 

b)  Même  sujet,  même  format. 

D.  Chodowiekiisic)  deL  Joh.  H.  Lips. 

Pièce  gravée  pour    les  Essais  i)iajsiognomonitiues  de  Lavatcr. 
Le  tableau  des  Adieuoc  est  au  trait  et  divers  accessoires  man- 
quent. 

c)  Même  sujet,  môme  format  que  b. 

Mauvaise  reproduction. 

108.  a)  Le  Dcjeuné  de  berncy. 

De  JSon,  d'après  nature  à  Fenicy,  le  U  Juillet  1775.  — 
Gravé  par  f^ée  et  Masqiielier,  même  aitnécSe  vend  a 
Paris  chez  les  Auteurs,  rue  diS  Francs-Bourgeuis 
près  C  Arquebusier,  L''"  S'  Michel. 

Médaillon  ovale,  petit  in-4°  en  largeur. 
Voltaire  est  a  demi  couché  sur  son  lit.  W"»  Denis  est  assise 
à  son  chevet  devant  un  guéridon  sur  lequel  le  déjeuner  esl 
servi;  derrière  elle  est  nue  jeune  servante.  Au  pied  du  lit, 
M.  de  la  Borde,  fermier-général  (1),  assis  dans  un  fauteuil, 
parle  avec  vivacité. Le  Père  Adam,  debout  derrière  lui,  joint 
les  mains,  comme  saisi  par  ce  qu'il  entend.  En  dedans  des 
rideaux  du  lit,  a  la  place  oîi  les  catholiques  suspendent  un 
bénitier  ou  un  crucifix,  est  placée  l'estampe  de  la  Malheureuse 
famille  Calas  (n'  103)  dans  un  cadre.  Elle  est  tr'es-facilemeiit 
rcconnaissable  malgré  sa  petitesse,  et  le  nom  de  Calas  s'y  dis- 
tingue nettement. 

h)  Même  sujet,  titre  et  format. 

Mauvaise  reproduction. 

HVJ.  Le  Triomphe  de  Voltaire. 

Inventé,  dessiné  et  gravé  par  A.  Duplessis,  pein- 
tre et  graveur  d''histoirc,  d'après  le  tableau  original 
peint  par  lui-même,  qui  est  au  cabinet  de  Voltaire. 

In-f»  maximo  en  largeur. 

Vaste  et  très-médiocre  composition,  oii^l"'  Calas,  ses  lilles, 
son  fils,  Lavaysse  et  Viguibre  figurent  parmi  les  accusés  que 
Voltaire  a  défendus.  Les  ligures  sont  imitées  d'après  les 
portraits  de  Carmontelle  (n"  103). 


(i)  C'est  une  note  do  S.  Cule.  (Mss.  5  88  4  an  Brilish  Muséum) 
qui  m'a  fait  connaître  le  nom  de  ce  personnage,  en  qui  j'avais  cru 
deviner  le  docteur  Tronchin, 


BIBLIOGRAPHIE.  513 

110.  Cravure  au  biii-in,  destinée  à  orner  un  livre  (proba- 
blement un  volume  de  quelque  édition  de  Voltaire). 
67t.  Eiscti  inv,  E.  de  Glundt  scuip. 

Elle  représente  le  magasin  de  Calas.  Le  corps  de  Marc- 
Antoine  e!>t  étendu  sur  des  ballots  d'e'toffes,  la  corde  au  cou. 
Sa  niere  se  penche  sur  lui,  et  s'efforce  de  le  rappeler  a  la  vie. 
Le  pero,  au  'le'sespoir,  lève  au  ciel  ses  mains  jointes  en  pous- 
sant des  cris  violents. Un  jeune  homme  qui  entre,  une  chandelle 
à  la  main,  rieirc  ouLavays^e,  s'arrête  e'pouvanté.  Les  habits 
du  mort  sont  plie's  sur  le  comptoir.  Un  tabouret  renversé,  le 
billot,  la  corde  coupée,  indiquent  comment  le  suicide  a  eu 
lieu. 

In-S"  en  hauteur. 

lij.  Frontispice  de  l'ouvrage   intitulé  :  Jean  Calas  ou 
Cinnocenl  condamné,  par  A.  S.  (Voir  plus  haut,  n"  68.) 

Cette  mauvaise  gravure  représente  Voltair*  accueillant 
une  femme  qui  semble  être  en  deuil  et  que  suivant  un  homme 
et 'une  autre  femme, 

.  A  gauche,  un  échafaud  surmonté  d'un  gibet,  etc.,  que  fou- 
droie du  haut  du  ciel  un  Génie  ailé,  armé  d'une  épée  et  d'un 
bouclier  à  tête  de  Méduse.  Aucune  des  figures,  pas  même 
celle- de  Voltaire,  ne  sont  des  portraits. 

112.   Voltaire  pronielta/it  son  appui  à  la  famille  Calas  (Eloge 
de  Voltaire  par  la  Harpe).    • 

Berger  et  pinx,  et  del.  —  Lith.  de  G.  di  Las  t. 

Voltaire  déjeune  sous  un  arbre,  devant  sa  porte,  avec  une 
jeune  femme  qui  lit  (M'"»'  de  Villette  ?).  Une  carriole  couverte 
vient  des'ariêttr;  trois  femmes  en  deuil,  couvertes  de  longs 
voiles,  un  honnne  et  une  jeune  servante  en  sont  descendus  et 
implor»'.nt  Voltaire;  une  des  femmes  est  a  ses  genoux.  Vol- 
taire les  accueille  ,  et  en  signe  de  protection,  il  étend  sur 
leurs  têtes  inclinées  sa  main  qui  tient  une  plume.  A  l'excep- 
tion de  sa  figure,  toutes  les  têtes  sont  purement  imaginaires. 

In  -i"  en  largeur. 

llo.  Portrait  en  pied  de  C acteur  Villeneuve^  rôle  de  Calas, 
dans  le  mclodrume  de  Ducaiifje. 

On    lit   en    haut  :    «  Villknelvk,   Ambigu.  «   —  En  bas  : 

K  Calas,  pi'ece  de  ce  nom.  • 
L'aetcur  lève  Its  yeux  et  les  bras  vers  le  ciel. 

In-l'J  en  longueur. 


5lZl  BIBLIOGRAPHIE. 


XL  —  Journaux  et  Recueils  divers 


Mous  avons  essayé  de  placer  ici  réniimération  complète 
des  publications  spéciales  auxquelles  a  donné  lieu  l'affaire 
Calas.  Mais  il  serait  très-long,  difficile,  et  au  fond  peu 
utile,  de  retrouver  tous  les  articles  de  journaux,  de  re- 
vues, de  dictionnaires  historiques,  de  recueils  de  causes 
célèbres. 

Il  suffira  de  quelques  indications  sommaires. 

Tous  les  journaux  de  l'époque  ont  retenti  decette  cause, 
dès  que  Voltaire  l'eut  prise  en  main.  Il  faut  consulter  sur 
ce  sujet  la  Gorref^pondance  littéraire  de  Grimm  et  de  Dide- 
rot^ celle  de  La  Harpe,  les  Mémoires  Secret'i  de  Bachau- 
mont,  V Aimée  littéraire  de  Fréron  et  surtout  le  Journal 
Encyclopédique  dont  le  principal  rédacteur,  Pierre  Rous- 
seau de  Toulouse,  défendit  les  Calas,  correspondit  avec 
Voltaire  et  répondit,  le  15  juin  176Zj,  par  une  lettre  im- 
portante (t.  Ix.  3'  partie,  p.  11k)  à  celle  qui  avait  paru, 
contre  les  Calas,  sous  les  initiales  de  M""*  de  M. 

Plusieurs  des  brochures  que  nous  avons  signalées  ont 
été  insérées  dans  un  recueil,  voltairien  par  le  titre  non 
moins  que  par  le  contenu,  V Evangile  du  jour ,  Londres 
(Amsterdam)  1769-1778.  (Telles sont  leslettresdu  marquis 
d'Argence  de  Dirac  et  la  réponse  de  Voltaire,  la  déclara- 
tion juridique  de  Jeanne  Viguier,  t.  3,  p.  '21,  Zi6.) 

Une  feuille  qui  paraissait  à  Toulouse  sous  le  titre  d'Af- 
fiches, Annonces  et  Avis  divers,  contient  aussi  quelques 
renseignements  (î>0  mars  1765). 

Une  prétendue  lettre  de  Lefualde-Conté  à  Spalingrier 
(Toulouse,  mars  176'}),  contenant  un  récit  tout  à  fait  ima- 
ginaire du  supplice  de  Calas,  a  été  publiée  d'abord  par 
une  Picvue  anglaise,  the  Metropolitan,  traduite  dans  le 
journal  français  le  Temps  (31  mars  1831)  et  reproduite 
sous  toutes  réserves  dans  le  Bulletin  de  la  So'iété  de  f  His- 
toire d/i  P?^otcstantisme  français  (t.  3,  p.  626).  C'est  une  pièce 
sans  aucune  valeur,  ceuvre  d'un  faussaire  ou  d'un  ro- 
mancier, mais  conçue  dans  un  sens  entièrement  favorable 
à  Calas. 

Le  dernier  recueil  cité  contient  (t.  à.  p-  239  et  suiv.  ) 

UNE  LETTRE     IlSÉDITE     DE    RODSSEAU     ET     19    DE    VOLTAIRE 


BIBLIOGRAPHIE.  515 

AU  SUJET  DE  LA  RÉHABILITATION  DE  GALAS.  NOUS  aVODS  fait 

usage  des  dernières,  mais  le  correspondant  du  Bulletin 
s'est  trompé,  quant  à  la  lettre  de  Uousseau;  elle  est  an- 
térieure de  15  jours  au  suicide  de  Marc-Antoine,  et  se 
rapporte  au  procès  du  pasteur  llochette  et  des  trois 
frères  De  Grenier  ;  c'est  à  eux  que  Uousseau  refusa  le  se- 
cours de  sa  plume  avec  un  égoïsme  à  peine  déguisé. 

Le  Journal  Général  a  publié  en  1837  deux  articles,  suivis 
de  deux  autres,  en  avril  18/i3,  dans  la  même  feuille,  pa- 
raissant sous  le  titre  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui, 
le  Droit.  L'auteur  anonyme  de  ce  double  travail  était 
M.  Amédée-Thomas  Latour,  substitut  du  procureur  géné- 
ral, puis  juge  au  tribunal  de  première  instance  à  Tou- 
louse, auteur  d'une  brochure  sur  le  Parlement,  la  bazoche 
et  le  barreau  de  Toulouse.  M.  Thomas  Latour  est  mort  en 
1856. 11  tenait  de  M.  le  marquis  de  Latresne,  ancien  procu- 
reur général  au  Parlement  de  Toulouse  et  de  M.  le  mar- 
quis de  Catelan,  ancien  avocat  général  à  la  même  Cour, 
la  tradition,  hostile  aux  Calas,  qui  s'était  perpétuée  au  sein 
de  la  magistrature  toulousaine. 

Lorsque  pf^rut  la  brochure  de  M.  Hue,  en  1855,  les 
feuilles  ultra-catholiques,  telles  que  {'Univers,  le  Corres- 
pondant, adoptèrent  le  travail  de  cet  avocat ,  et  à  Tou- 
louse, un  journal  intitulé  C Aigle  se  prononça  dans  le . 
même  sens;  c'est  ainsi  que  la  culpabilité  des  Calasse 
trouva  proclamée  de  nouveau  par  les  feuilles  périodiques. 

Parmi  les  Recueils,  nous  ne  citerons  que  le  Dictionnaire 
de  la  Conversation;  l'article  Calas  est  de  M.  de  l'on- 
gerville,  de  l'Académie  française.  La  juste  indignation  de 
l'auteur  en  racontant  cette  tragique  histoire  a  nui,  non- 
seulement  au  ton  général  de  sa  notice,  qui  est  violent, 
mais  k  la  précision  et  à  l'exactitude  de  son  récit. 


XII.  —  Desiderata 


Malgré  des  efforts  longtemps  soutenus,  nous  ne  sommes 
pas  arrivé  à  établir  une  liste  tout  ù,  fait  complète  des 
publications  auxquelles  le  procès  Galas  a  donné  lieu. 

1"  Nous  n'avons  pu  nous  procui'er  la  Lettre  de  M""  de 
M***  de  Toulouse  au  sujet  du  mallieureux  Calas.  Nous  ne 
savons  où  ni  sous  quelle  forme  elle  a  paru. 


51 G  BÎBLTOGRAPflIE. 

T  Voltaire  se  plaint  quelque  part  d'un  jésuite  irlandais 
(est-ce  Needham?)  qui,  dans  la  plus  insipide  des  brochures, 
traite  dCennemis  de  la  lieligion  les  défenseurs  des  Calas  et 
les  Maîtres  des  Requêtes  qui  les  ont  absous.  —  Nous  n'a- 
vons trouvé  ni  cette  insipide  brochure,  ni  aucun  renseigne- 
ment sur  cet  écrit  ou  sur  son  auteur. 

3°  Le2o décembre  1767,  à  propos  de  TafTaire  Sirven,  Vol- 
taire écrivit  au  pasteur  Moultou  qu'il  avait  égaré  un  écrit, 
imprimé  depuis  quelques  mois  à  Toulouse  (ce  n'est  donc 
pas  la  lettre  de  M"*'  de  I\I.,  imprimée  en  1765);  6n  y  jus- 
tifie le  supplice  de  Galas,  on  y  maltraite  les  Maîtres  des 
Requêtes  pour  l'avoir  réhabilité.  Il  croyait  se  souvenir  que 
c'était  une  lettre  adressée  à  quelque  correspondant  ima- 
ginaire (1).  Le  surlendemain  il  s'adressa  au  pasteur  Olivier 
Desmont.  C'est,  lui  dit-il,  un  conseiller  au  Parlement  de 
Toulouse  qui  a  fait  imprimer,  il  y  a  environ  quatre  mois  , 
ce  mémoire.  Il  en  parle  encore  dans  trois  autres  lettres. 
Cette  pièce  lui  avait  été  démandée  par  M.  Chardon,  rappor- 
teur de  l'affaire  Sirven    Je  n'ai  pu  découvrir  cet  écrit. 

/i"  J'ai  eu  le  regret  de  ne  pouvoir  trouver  h  la  Biblio- 
thèque de  l'Arsenal  une  liasse  classée  autrefois  par  les 
soins  de  jM.  Vieillard,  aujourd'hui  Bibliothécaire  du  Sé- 
nat, et  qui  contenait  une  lettre  autographe  d'un  juge- 
mage  de  Toulouse,  nommé  de  Moulon,  et  un  imprimé, 
qui  doit  être  un  écrit  satirique  contre  les  magistrats  de 
Toulouse  et  paraît  distinct  de  ceux  que  j'ai  indiqués 
plus  haut.  Malgré  l'extrême  obligeance  de  M.  Vieillard, 
qui  a  bien  voulu  m'accompagner  dans  mes  recherches, 
la  liasse  égarée  n'a  pu  être  retrouvée. 

5"  M.  le  marquis  de  Catelan,  ancien  avocat-général  au 
Parlement  de  Toulouse,  mort  pair  de  France  en  1838,  s'é- 
tait occupé  de  recherches  sur  Tafifaire  Calas.  Nous  dou- 
tons que  son  travail  ait  été  achevé;  quoi  qu'il  en  soit,  il  n'a. 
point  paru. 

6"  On  assure  que  le  procès  des  Calas  sera  examiné  dans 
l'ouvrage  annoncé  de  M.  le  vicomte  de  Bastard:  Les  Parle- 
ments de  France,  essai  historique  sur  les  usages,  rorgani- 
saiio?i  et  l'autorité  des  Parlements;  2  vol.  8°.  L'auteur, 
dit-on,  est  membre  de  la  famille  de  Dominique  de  Bas- 
tard,  doyen  du  parlement  de  Toulouse,  et  de  François  de 
Bastard,  premier  président  du  même  corps  en    1762.  On 


(i)  r.obfrcl^  roliaireel  les  Genevois,  Lettre  inédite  à  Moultou, 


BIBLIOGRAPHIE.  ël7 

ne  dit  pas  que  le  livre  de  leur  descendant  soit  contraire 
à  la  sentence  rendue  par  cette  Cour.  Nous  espérons 
qu'on  se  trompe. 

7°  Enfin,  on  nous  écrit  de  Hollande  que  M.  le  professeur 
Domela  Nieuwenhuis,  pasteur  de  l'Eglise  luthérienne  à 
Amsterdam,  va  faire  paraître  un  travail  sur  Galas  dans  le 
recueil  mensuel  intitulé  :  Taferelen  van  Kerkelijke  Ges- 
chiedenis  (Tableaux  d'histoire  ecclésiastique). 


TAB 


rKÉFACE V 

IxTRODUCTiON.  —  Coup  d'csil  sur  l'hislm're  religieuse  de  Toulouse 1 

Chap.  i"'  —  L Arrestation 19 

IT.  —  David  de  Beaudrigue  et  le  Capitoulat 31 

III.  —  La  famille  Calas 41 

IV.  —  Les  Faits.  —  Arrivée  de  Lavaysse.  —  Récit  de  I^l™» 

Calas  —  Mensonge  des  accusés.  — Lettres  de  M»  Car- 
rière         71 

V.  —  Intervention  ecclésiastique.   —  Le  Monitoire.  —  Funé- 
railles de  Îlarc-Antoine  — Les  Pénitents  blancs....        93 
VI.  —  Procédure  et  arrêt  des  Capitouls Information  secrbte. 

—  Bricfs  intendits.  ~  Faits  justificatifs.  —  Autopsie 
du  cadavre.  —  Pièges  tendus  îi  Lavaysse.  —  Affaire 
de  M"  Monyer.  —  Affaire  d'Espaillac.  —  Sentence  des 
Capitouls.  —  Double  appel  des  condamnes  et  du  mi- 
nistère public 121 

VII.  — .  Les  Calas  devant  le  parlement.  —  MM.  de  Maniban  et  de 
Bastard,  premiers  présidents.  —  Le  procui'eur  géné- 
ral Piiquet  de  Bonrepos.  —  Les  présidents  de  Niquet, 
de  Senaiix,  du  Puget.  —  Les  conseillers  de  Cassan- 
Clairac  et  de  La  Salle.  —  L'avocat  Sudre.  —  Mémoi- 
res de  Sudre,  de  Gaubert  et  de  David  Lavaysse.  — 
Discussion  des  témoignages.  —  Les  cris  entendus  le 
l:^  octobre.  —  Marc-Antoine  Calas  a-t-il  pu  se  tuer? 

—  Est-il  mort  assassiné?  — Etait-il  derenu  catholi- 
que? —  Témoignages  sur  ouï-dire,  ou  absurdes  ou 
volontairement  faux 139 


520  TABLE 

P.ti;es 

CHAP.VIII.  —  Paul  Rabaut  et  les  protestants  de  France 187 

XI.  —   Torture  et  supplice  de  Jean  Calas 207 

X.  —  Foltaire 233 

XI.  —  Révision  du  procès   et  réhabilitation  des  Calas 260 

XII.  —  Derniers  événements.  —  Pauvreté  de  M'"*  Calas.  —  L'es- 
tampe. —  Nouvelle  calomnie  et  nouvelle  re'ponse  de 
Viguière.  —  Mu'eCalasà  Ferney.  — Obsèques  de  Vol- 
taire au  Panthéon.  —  Louis  et  ses  sœurs  devant  la 
Convention.  —Fin  de  M""*  Calas,  de  ses  fils,  deLavaysse 
et  de  David 287 

XIII.  —  Nanette  Calas 307 

XIV.  —  Histoire  de  l'opinion  publique   en  France  au  sujet    des     321 

Calas 


Dépèches  du  comte   de  Saint-Florentin,  et  autres 
fonctionnaires  publies* 

1.  —  Domerc,  secrétaire  du  subdélégué  Amblard,  à  M.  de 

Saint-Priest,  intendant  de   Languedoc 349 

2.  —  Le  Capitoul  David  à  M.  de  Saint-Florentin 351 

o.  —  Le  Président  de  Senaux  au  même 352 

4.  —  M.  de  Saint-Priest  au  même 354 

5.  —  Le  subdélégué  Amblard  a  M.  de  Saint-Priest 355 

G.  —  Le  même,  au  même 356 

V.  —  M.  de  Saint-Florentin  au  Capitoul  David 357 

8.  —  Le  même  au  Président  de  Senaux 357 

9.  —  Le  Capitoul  David  à  M.  de  Saint-Florentin 358 

10.  —  Le  comte  de  Rochechonart  au  même 359 

11.  —  Le  Capitoul  David  au  même 360 

12.  —  M.  de  Saint-Florentin  à  M.  de  Rocliechouart 361 

13.  —  Le  chancelier  de  Lamoignon  à  M.  de  Saint-Priest...  362 

14.  —  M.deSaint-FlorentinaM.deBonrepos.procureurgénéral.  363 

15.  —  M.  de  Saint-Priest  au  chancelier  de   Lamoignon 364 

16.  —  Le  président  de  Senaux  à  M.  de  Saint-Florentin 365 

17.  —  Le  Capitoul  David  a  M,  de  Saint-Florentin 366 

18.  —  Le  président  du  Puget  au  même 367 

19.  ■- •  M.  de  Saint-Florentiu  au  président  du  Puget 368 

îO.  —  Le  même  au  Capitoul   David 369 

21.  —  Le  môme  au  président  de  Senaux 360 

«2.  —  Le  Capitoul  David  à  M.  de   Saint-Florentin 369 

28.  —  Le  président  du    Puget  au  même. ?71 


TABLE  521 

Psges 

li.  —  M.  de  Saint-Florentin  à  M.  de  Bonvepos    372 

'25.  —  Le  même  au  même 373 

2(j.  _  Voltaire  a  M.  de  Saint- l'iorentin 374 

27.  —  M.  de  Saint-Florentin  à  M.  de  Saint-Priest 375 

■28.  — -  Le  même  à  M.  de  Laverdy,  contrôleur  général 375 

Lettres  de  la  sœur  Anue-Julie  Fraisse. 


Avertissement. 


381 

Lettres 385 


Notes* 


I.  —  Verbal  de  David  de  Beaudrigue 457 

II.  —  Archives  du  Capitole 459 

m.  —  Un  brief  intendit 461 

IV.  —  Délibération  et  sentence  des  Capitouls 463 

V.  —  De  la  Torture 465 

VI.  —  Placet  des  Demoiselles  Calas,  par  La  Beaumelle 468 

Vil,  —  Lettre  de  M"»»  Calas  à  Voltaire 471 

VIII.  —  Lettre  de  Lavaysse  au  même 472 

IX,  —  Lettre  de  M-^^  Galas  a  La  Beaumelle 472 

X.  —  Pièces  relatives  au  premier  mariage  de  J.-J.  Duvoisin.  474 

XI.  —  Pièces  relatives  au  second  mariage  du  même 476 

XII.  —  Acte  de  sépulture  de  M'"«  Calas 479 

XIII.  —  Le  docteur  Sol 480 

XIV.  —  Mademoiselle  de  Nautonnier 482 

XV.  -  Alexandre  Duvoisin-Calas 484 

XVI.  —  M*  Carrière 486 


Bibliographie 


I.  —  Avant  le  supplice  de  Jean  Calas 

II.  —  Du  supplice  de  Calas  à  l'édit  du  Conseil 494 

m.  —  De  l'édit  du  Conseil  U  la  fin  du  dix-huitième  siècle. .  497 

IV.  —  Pièces  de  vei-s 501 

V.  —  Théâtre 802 

VI.  —  Dix-neuvième  siècle 504 

VII.  —  Angleterre «06 


TABLE 

l'.iges 

VI I  f .  —  Aileinagnc 507 

IX.  —  Hollande KOS 

X.  —  Estampes    , 509 

XI.  —  Journaux  et  Recueils  divers 514 

XII.  —  Desiderata .' 515 


FIN 


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Princeton  Theoloqical  Seminary-Speer 


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