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TRANSFERRED TO
fINE ARTS UBRARY
'PJUL JOSEPH SACHS
HARVARD
COLLEGE
LIBRARY
JEHAN PERREAL
PEINTRE ET VALET DE CHAMBRE
r>ES ROIS
CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS I
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JEHAN PERREAL
jvstjficq^tioc^ rov ti'Kqage
IL A ÉTÉ FAIT DE CE VOLUME
UN TIRAGE A CENT-VINGT EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS
COLLABORATEURS
Les gravures sur bois
SONT DE MM. PANNEMAKER PERE ET FILS
Les chromolithographies
ONT ÉTÉ TIRÉES PAR LA MAISON ENGELMANN
<^
Les dessins à la plume exécutés par M. Gout^willer
ONT ÉTÉ GRAVÉS PAR LA MAISON GILLOT
La planche en taille-douce
EST DUE AU BURIN DE M. DUBOUCHET
L'impression typographique
A ÉTÉ ENTIÈREMENT FAITE A LA PRESSE A BRAS
PAR LES SOINS DE MM. PILLET ET DUMOULIN
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r.ÇAlL.LES DE CHARLES Vlll ET DANNE DE BRETAGNE
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JEHAN DE PARIS
PEINTRE ET VALET DE CHAMBRE
DES ROIS
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CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS r
TIECHETICHES
SUR SA VIE ET SON CEUVRE
PAR
E.-M. BANCEL
OUVRAGE ORNÉ DE NOMBREUSES ORAVURES
ET d'une lettre DE J. PERREAL EN FAC-SIMILÉ
PARIS
LIBRAIRIE ARTISTIQUE. H. LAUNETTE, ÉDITEUR
22, RUE DE VAUGIRARD, 22
l885
HARVARD
UNIVERSITY
UBRARY
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AVIS AU LECTEUR
L'admiration que nous avons constamment éprouvée
pour ce charmant tableau, l'ouvrage sans contredit le
plus remarquable que l'on connaisse de la peinture
française au quinzième siècle, nous a toujours préoccupé
au point de vue de son sort après nous.
Étant le seul tableau qui existe de la main de notre
éminent compatriote, Jehan Perreal, dit Jehan de
Paris, sur qui a pesé l'oubli pendant plus de trois
siècles, nous avons pensé qu'il ne devait plus rester
dans les mains d'un particulier et que sa place était
désormais dans un musée, afin d'en assurer la conser-
vation et de le faire connaître en même temps au
public; car, quelque importante que soit la découverte
de cette œuvre précieuse, ce serait peu de chose pour
la célébrité de son auteur, si le public n'était pas
mis à même de l'apprécier; être connu seulement par
a
II AVIS AU LECTEUR
quelques amateurs, n'est-ce pas l'obscurité pour un
artiste ?
Dans ce but, nous avons eu l'honneur de le pro-
poser à M. le directeur des Musées nationaux du
Louvre, qui a accueilli avec bienveillance cette com-
munication, ainsi qu'il suit :
Monsieur,
J'ai rhonneur de vous faire connaître que la Commission
consultative des Musées nationaux accepte avec reconnaissance,
pour ce qui la regarde, c'est-à-dire pour le premier article, concer-
nant Finaliénabilité et l'exposition dans le grand salon du Louvre,
ces conditions ae votre précieux don, et qu'elle me charge de vous
transmettre tous ses remerciements pour cette œuvre généreuse.
Quant au second article, concernant la gravure de votre tableau,
vous vous êtes entendu sur ce point avec M. le directeur des
Beaux-Arts, à qui il appartient d'en faire la commande; j'aurai
l'honneur de soumettre à sa ratification la convention présente
arrêtée avec vous; il pourra donner alors son approbation au
second comme au premier article et accepter ainsi, au nom de
M. le ministre des Beaux- Arts, l'ensemble de vos conditions.
Veuillez agréer, Monsieur, avec les remerciements de l'Admi-
nistration des Musées nationaux que j'ai commission de vous
transmettre, l'expression de ma gratitude personnelle pour votre
beau présent, et permettez-moi d'y joindre les assurances de mes
sentiments distingués et dévoués.
Le directeur des Musées nationaux et de PLcoIe du Louvre.
Signé : H. de Ronchaud.
AVIS AU LECTEUR III
Monsieur,
Je viens de prendre connaissance de la lettre ci-dessus qui vous
est adressée par M. le directeur des Musées nationaux, et je suis
prêta soumettre à M. le ministre de l'Instruction publique et des
Beaux-Arts, afin qu'il les approuve, les conditions auxquelles vous
voulez bien donner gratuitement au Louvre votre beau tableau
de Perreal.
Veuillez agréer, Monsieur, avec mes remerciements, l'assurance
de ma considération la plus distinguée.
Signé : A. Kaempfen.
PRÉFACE
UNE bonne fortune a mis dans nos mains un pré-
cieux et charmant tableau, peint en 1491 y qui
représente les fiançailles du roi Charles VIII avec
Anne de Bretagne,
Le sentiment très vif que nous a inspiré cette peinture
de premier ordre nous a amené à faire des recherches
profondes sur la vie et l'œuvre de son auteur : Jehan
Perrealj dit Jehan de Paris ^^peintre ordinaire et valet
de chambre des rois Charles VIII y Louis XII et
François r\ dont on ne connaissait pas un tableau^
pas un dessin, pas une miniature, avant la découverte
de cette œuvre.
Nous avons pensé que la publication de ces recher-
ches et l'indication des sources où elles ont été puisées
auraient^ malgré leurs imperfections^ quelque utilité et
pourraient intéresser les amateurs. Nous avons jugé
aussi que la reproduction fidèle de quelques peintures
de la main de Jehan Perreal, faite avec toute la per-
fection et l'exactitude possibles, ne serait pas sans profit
PREFACE
pour faire connaître la beauté et le sentiment tout français
qui distinguent son œuvre et celle de son école.
Nos recherches ne sont pas complètes, car nous
savons, par les écrits de son ami Jean Lemaire, histo-
riographe de la reine Anne, que son œuvre est asse{
nombreuse; nous croyons qu'une grande partie existe
encore, cachée probablement sous ' de faux noms ou
dépourvue d'état civil, mais nous espérons que des mains
plus exercées et plus jeunes que les nôtres pourront
achever cet intéressant travail d'investigations, qui est
appelé à rendre un service signalé à toutes les per-
sonnes que l'histoire des précurseurs de la peinture
française préoccupe et intéresse vivement, et remettre en
pleine lumière notre éminent artiste, peintre, architecte
et ingénieur savant, laissé dans un injuste et inexpli-
cable oubli depuis plus de trois siècles. Le premier
devoir d'une nation n est-il pas d'honorer les hommes
qui font sa gloire et qui la rendent grande dans l'his-
toire?
INTRODUCTION
AU milieu du quinzième siècle, siècle des ducs de
Bourgogne et du roi Louis XI, il y avait en
France et dans les Flandres une grande opulence,
mais peu de luxe personnel.
Le règne de Louis XI avait été non seulement
remarquable par les grandes choses faites pour Tunité
française, mais encore par le mouvement général
d'amélioration intérieure. A sa mort, le progrès était
partout, dans la bonne administration donnée à la
législation, à l'administration et aux finances; depuis
le règne de saint Louis, la France n'avait été aussi
tranquille, la protection accordée aux petits contre les
grands, aux laboureurs contre les gens de guerre,
portait des fruits merveilleux, le produit des terres
augmentait dans une proportion considérable*; l'in-
dustrie, le commerce, la marine marchande protégée,
n'avaient pas un moindre élan.
I. Un écrivain contemporain du royaume avait été remis en cul-
(Claude Seyssel) assure qu'un tiers turedanscestrentedernicresannées.
INTRODUCTION
Le luxe des bâtiments, des meubles, signalait Tessor
des arts et de la richesse publique.
La fermentation dans les intelligences était uni-
verselle; la vanité, la religion, l'amour du beau, por-
taient les classes riches à montrer leurs richesses, et
la manière de faire preuve de ses richesses était
pour les uns dp faire construire d'immenses châ-
teaux, de somptueuses habitations; pour les autres, de
bâtir des églises; d'autres consacraient des sommes
considérables à se faire élever des tombeaux magni-
fiques.
Par là, cette fin du quinzième siècle fut peut-être
la plus brillante en France par l'architecture et la
sculpture.
Ce fut la sculpture qui parut d'abord de bon goût
pour orner les églises avec magnificence; le goût de
les orner de peintures ne vint que plus tard.
Au milieu de cette mode pour les statues, la pein-
ture fut un peu négligée en France; les manuscrits
seuls occupèrent plus longtemps qu'ailleurs les artistes
de talent.
Du reste, la plupart des sculpteurs célèbres qui
parurent en France, comme en Italie, ceci est à
remarquer, se trouvaient en état d'imiter la nature
presque avec une facilité égale, soit qu'ils employassent
le marbre, soit qu'ils employassent les couleurs; presque
INTRODUCTION
tous étaient, en outre, architectes, et réunissaient ainsi
ces trois arts faits pour charmer les yeux.
Les demandes firent naître les talents. C'est ainsi
qu'à la voix du public, qui demandait des statues, on
vit apparaître à cette époque en France, presque en
même temps, Michel Colombe, Guillaume Regnault,
Conrard Mayt et son frère Thomas, Jehan de Chartres,
les deux frères Juste, etc.; leurs ouvrages semblent
parfois atteindre la perfection.
La découverte de la peinture à l'huile, à peine connue
en 1450, commença à se répandre vers 1465, protégée
par les ducs de Bourgogne; elle pénétra au cœur de
la France, et la Bourgogne, le Lyonnais, la Pro-
vence, dit M. Auguste de Bastard, subirent l'influence
de l'école flamande, qui s'implanta d'autant plus faci-
lement en France, il faut le dire, qu'il y avait beau-
coup d'affinité entre l'idéal de cette école et celle des
peintres français; il en est malheureusement résulté
que plus d'un chef-d'œuvre français a été et est encore
attribué à d'illustres maîtres flamands, dont on a
augmenté le bagage d'ouvrages assurément dignes
d'eux^ mais que l'étude permettra de restituer à leur
véritable auteur.
Vers répoque où la Flandre possédait deux peintres
célèbres, J. van Eyck et J. Memling, qu'elle procla-
mait sans hésiter comme les premiers artistes de leur
INTRODUCTION
âge, la France avait elle-même deux peintres illustres,
Jehan Fouquet* et Jehan Perreal, dit Jehan de Paris,
qui pouvaient être considérés comme les types les plus
purs dans lesquels s'est résumé Fart français au quin-
zième siècle, et la plus haute manifestation de notre
art national à cette époque.
Le premier^ que M. Auguste de Bastard, dont
les jugements ont une grande autorité, n'a pas craint
de mettre, eu égard au siècle, sur le même pied que
Léonard de Vinci; et le second, que Jehan Lemaire
de Belges, dans son poème sur la mort de Louis
de Luxembourg, publié à Lyon en i5o3, sous le titre
de la Plainte du Désiré, a placé au même rang que
Léonard de Vinci, Bellini et Pérugin, ainsi qu'on le
voit dans cet extrait :
Besoignez doncq, mes alumncs modernes,
Mes beaux enfants nourris de ma mamelle,
Toy, Léonart, qui a grâces supernes.
Gentil Bellin, dont les los sont cternes,
Et Perusin, qui si bien couleurs mesle,
El toi Jehan Hay, ta noble main chomme elle,
Viens voir nature avec Jehan de Paris,
Pour lui donner umbraige et esperiiz.
Dans cette pièce de vers, Lemaire de Belges place
1. Fouquel n'a peint qu'à tem- peinture à l'huile. Quoi qu'il en
pera (à la détrempe); on ne con- soit, sa réputation est fondée sur
naît pas de lui, que je sache, une ses magnifiques miniatures.
INTRODUCTION
J. Perreal parmi les cinq plus grands peintres du
temps. La sûreté du goût du poète, que les siècles
suivants ont confirmée, est un fait curieux à remarquer,
parce qu'il nous amène à penser que Jehan Perreal
avait produit avant i5o3 un certain nombre de por-
traits et de tableaux extrêmement remarquables; que
sont-ils devenus?
A cette époque, Paris n'était point, comme aujour-
d'hui, un centre absorbant; plusieurs villes avaient des
écoles rivalisant et surpassant celle de .Paris ; celle de
Tours, ainsi que celle de Lyon, entre autres, s'atta-
chaient à copier exactement la nature surtout dans la
tète, dont la vivacité surprend encore; on y appelait
beau ce qui était fidèlement exact.
Cette passion de l'imitation de la nature et le soin
extrême des détails étaient imposés aux artistes par
un goût particulier de ce temps-là; ainsi Louis XI
songea pendant plusieurs années à laisser sur sa
tombe le souvenir vivant de sa dépouille mortelle; en
1474, il demande, dit M de Laborde, à Fouquet,
le plus habile peintre, et à Michel Colombe, le plus
célèbre sculpteur, des modèles et des projets de tombe
«à sa pourtraiture et semblance»; peu satisfait de ce
qu'on lui soumet, il s'adresse, vers 1482, à maître
Colin d'Amiens, peintre renommé dans ce temps; ce
prince si avare prodigua l'argent pour obtenir une
INTRODUCTION
reproduction fidèle de sa pose à genoux « sur un car-
reaul » ; il lui fallait « son chien costé de luy, son chap-
peault entre ses mains jointes, son espée à son costé »;
je passe bien d'autres recommandations, par exemple
de faire « les pouces tout droicts » ; elles tendaient
toutes à obtenir un véritable portrait.
Sans aller aussi loin dans la servilité de l'imitation,
cette préoccupation de la ressemblance naïve de la
nature subsista longtemps encore, malgré la décadence
qui commençait à frapper, vers l'année 1 5oo, dans les
Pays-Bas mêmes, cette école créée au commencement
du quinzième siècle par les frères Van Eyck, chez
quelques artistes français qui plaçaient le soin des
détails et le fini de l'exécution au premier rang des
devoirs des peintres.
Quant à Perreal, à son retour d'Italie, où il avait
suivi les rois Charles VIII et Louis XII pendant les
trois expéditions de 1494, 1499 ^^ i5oi, époque de
l'épanouissement de l'art italien, il se montra attiré,
par un sentiment irrésistible, à la vue de l'élégance
antique, à modifier sa manière en conciliant ses études
primitives avec ses études nouvelles.
Les tableaux de cette ancienne école française sont
de la plus grande rareté; le Louvre ne possède guère
qu'un de ces vieux témoins de notre art du quinzième
siècle, celui de la famille Juvénal des Ursins. Elle est
INTRODUCTION
cependant plus riche qu'on ne le pense généralement,
les comptes du roi René viennent de nous en donner
une preuve.
L'ancienneté de ces peintures a été sans doute leur
sauvegarde, ainsi que le parfait dédain que la société
française, enchantée par les grands génies du seizième
siècle, a professé pour ce que Ton appelait la pro-
duction de Tart dans son enfance, à tel point que peu
à peu, sans que Ton sache pourquoi et comment, on
a supprimé même le souvenir des artistes.
A aucune époque de son histoire, la ville de Lyon
n'avait joui d'une aussi grande prospérité qu'à la fin
du quinzième siècle; l'encouragement donné à son
commerce par le privilège qui lui fut accordé le
23 novembre 1466 de fabriquer les étoffes de soie,
d'or et d'argent, ainsi qu'à l'éducation des vers à soie,
et les efforts faits par le gouvernement pour faire
venir d'habiles ouvriers d'Italie dans le but d'établir
des manufactures, avaient amené une grande activité
et une grande abondance de bien. Lyon devint rapi-
dement le centre d'un mouvement artistique remar-
quable, qui, après avoir aidé à la réputation de sa
fabrique, y développa le goût de tous les arts.
Avant le seizième siècle, Lyon avait une pléiade
d'artistes peintres, architectes, tailleurs d'images, ver-
riers, graveurs, etc., dont les statuts confirmés par le
2*
INTRODUCTION
roi Charles VIII en 1495 font preuve. La musique
n'était pas non plus négligée, les concerts historiques
de ces dernières années ont fait connaître au public
quelques-uns de ces vieux airs*.
Lyon disputait à Paris la palme de l'instruction, la
poésie y était en grande faveur, elle y était même
tombée en quenouille, car les femmes s'y distinguaient
particulièrement; le nom de plusieurs est arrivé jusqu'à
nous : Remette du Guillet, qui savait le latin, le grec
et l'espagnol; Louise Labé, Jeanne Galliard, chantées
par Cl. Marot; Jeanne Crest, Claudine et Sibille Scève,
Sibille Cadière, Jacqueline Stuard, sa fille, mariée à
Grolier, trésorier général ; Clémence de Bourges, l'amie
de Louise Labé ; les deux filles de Jehan Perreal
1
I. Un des plus célèbres musi-
ciens de ceue époque, Claude Go.u-
dimel, né dans les environs de Lyon
vers 1 5oo, fut un des meilleurs pro-
fesseurs du seizième siècle. Il fonda
vers I 53o la fameuse École de Rome,
où il eut pour élève l'illustre Pales-
trina. Il fut assassiné à Lyon le
29 août 1572, et précipité dans le
Rhône, dit l'historien de Thou.
Il est Fauteur de la musique du
psaume : « Le peuple entier qui sur
la terre habite, chante au Seigneur
d'une joyeuse voix, » musique d'une
harmonie grandiose et d'une beauté
merveilleuse, écrit Berlioz dans ses
Mémoires j laquelle se chante toutes
les années dans l'église de Saint-
Paul, à Londres, aux meetings 0/
the Children of the Charity. Voici
ce qu'en dit le Martyrologe des
protestants : « Cl. Goudimel, musi-
cien, la mémoire duquel sera per-
pétuelle pour avoir besoigné les
pseaumes de David en français, la
plupart desquels il a mis en musi-
que en forme de motet, à 5, 6 et
8 parties, et sans la mort eût rendu
cette œuvre accomplie ». Il fut cer-
tainement un musicien très instruit.
Son harmonie est toujours pure, et
l'on remarque beaucoup d'élégance
et d'esprit dans ses chansons fran-
çaises.
INTRODUCTION
((dont maint beau tableau sort*» en font foi. La ville
de Lyon s'enorgueillit de leur avoir donné le jour;
Rabelais, Clément Marot, Olivier de Magny, Ron-
sard, etc., sont pleins d'éloges des dames lyonnaises,
et, à en juger par les œuvres que plusieurs nous ont
laissées, l'instruction des dames y était alors bien
supérieure à celle de nos jours, et leur commerce
plus agréable.
La presse lyonnaise luttait contre la presse pari-
sienne pour l'abondance et la beauté des publications
dès 1467, mais la surpassait de beaucoup par la per-
fection des gravures sur bois et sur cuivre employées
pour illustrer les livres. C'est à Lyon que le chanoine
Breydenbach fit graver, en 1484, ses dessins pour son
Pèlerinage à Jérusalem, dont les éditions se multi-
plièrent rapidement, et que Jean Holbein fit graver
avec une délicatesse si remarquable, en i538, ses
célèbres dessins connus sous le nom de la Danse des
Morts de Holbein.
Avant l'année i5oo, on comptait à Lyon une
vingtaine d'imprimeurs. Barthélémy Buyer, qui eut
Guillaume Leroy pour successeur en 1483, fut un des
premiers établis.
A cette époque, Lyon, qui était le passage des
I. Dit Clément Marot, dans son Rondeau à propos de la mort de
Claude Perreal.
INTRODUCTION
troupes en Italie, offrait un brillant aspect par les
entrées et le séjour des rois, de la reine et de la
cour, qui y venaient souvent. La reine y passait des
mois; c'est là qu'elle demeurait le plus souvent pendant
les guerres d'Italie pour avoir plus tôt des nouvelles
du roi. Sa maispn y était avec elle; par suite, des
fêtes, des réunions, des bals nombreux, auxquels étaient
invités les habitants de Lyon, que la reine trouvait
si bons et de si bonne sorte, ainsi qu'elle le dit à son
départ, le 22 août iSog, et dont elle avait su se faire
adorer.
Ces quelques lignes, sur l'état de la ville de Lyon
à la fin du quinzième siècle, m'ont paru nécessaires
pour juger notre grand artiste, Jehan Perreal.
RECHERCHES
SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
JEHAN PERREAL
DIT JEHAN DE PARIS
CHO^VITR^E V1{_E£MIE'H_
SES PREMIERES ANNEES
i483-i5oo
Il prépare la joyeuse entrée de Charles VIII à Lyon et accompagne le roi à
Paris. — Sa vie à la cour. — Anecdote racontée par la reine Marguerite
de Navarre. — Les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne ^
premier tableau de sa main qu'on ait retrouvé. — Nécessité de rechercher
ses œuvres. — Il organise l'entrée solennelle de la reine Anne, à Lyon. —
Charles VIII emmène J. Perreal à Naples. — Lettre du roi, datée de
Verceil, 1495, aux conseillers de Lyon pour faire exempter de toutes
tailles J. Perreal. — Séjour de J. Perreal en Italie. — A son retour il
modifie sa manière. — Sous l'influence de J. Perreal le roi approuve
les statuts des peintres, verriers et tailleurs d'images de Lyon. —
J. Perreal est porté en 1498 sur l'état des officiers de la couronne,
comme peintre et valet de chambre du roi. — Mort du roi Charles VIIL
— Première entrée du roi Louis XII à Lyon, en 1499. — J* Perreal en
dirige les fêtes. — En i5oo, il accompagne le roi en Italie.
C'est en réalité à Jehan Lemaire de Belges et aux
recherches de MM. Auguste de Bastard, de Laborde,
Rolle, Leglay et Dufay que nous devons les principaux
renseignements que nous possédons sur quelques-uns de nos
anciens peintres de la fin du quinzième siècle.
Mais, c'est surtout dans les recherches de M. C. -J.
Dufay que nous puiserons les principaux éléments, à l'aide
desquels nous allons essayer de constituer la biographie de
i6 RECHERCHES SUR LA VIE
Jehan Perreal, dit Jehati de Paris^ qui par Tuniversalité de
ses connaissances fut le plus important de nos artistes du
quinzième siècle et le trait d'union entre le moyen âge et
la Renaissance.
Sa vie nous montrera le rang auquel il avait su s'élever
par son génie et sa distinction.
Il avait été appelé plusieurs fois à suivre les rois
Charles VIII, Louis XII et François I" dans leurs voyages
en Italie, et admis, en sa qualité de peintre et valet de
chambre de ces rois, presque comme gentilhomme et offi-
cier de la couronne.
Par là, il a été le premier peut-être à relever le rang de
nos artistes et c'est déjà un titre qui, à défaut d'autres,
lui mérite une honorable mention dans l'histoire de la
peinture française. Né dans le cours des quarante années
qui virent éclore tant de grands artistes', il possédait
comme quelques-uns d'entre eux les connaissances de plu-
sieurs branches de Fart : il fut à la fois peintre, sculpteur,
graveur, architecte, ingénieur et poète.
Il a justifié la plupart de ses titres par des ouvrages
remarquables : le tableau des Fiafiçailles de Charles VIII
avec Anne de Bretagne, le tombeau de François II, duc de
Bretagne à Nantes; les tombeaux de Philibert de Savoie,
de Marguerite de Bourbon, sa mère, et de Marguerite
d'Autriche, sa femme, qui sont à Brou; le tombeau de
Louis XII et d'Anne de Bretagne à Saint- Denis; les forti-
fications de Lyon, et quelques poésies.
I. Le Pérugin, né près de Pérouse, né à Lyon, vers 1463; Le Titien, né
en 1446; Léonard de Vinci, né près près de Venise, en 1467; Albert Durer,
de Florence, en 1462; Jehan Perreal, né à Nuremberg, en 1471; Michel-
DE JEHAN PERREAL
Je ne sais s'il est utile de remarquer ici, qu'à cette
époque, en France, Tarchiiecture était Tétude en quelque
sorte générale et préparatoire pour les arts du dessin.
Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, naquit à Lyon vers
1460 ou 1463, d'après M. Bérard et M. Dufay, car on n'a
pas la date précise de sa naissance. Ce dernier le suppose
fils d'un Claude Perreal, valet de chambre du roi Louis XI,
dont fait mention le père Colon ia dans son Histoire litté-
raire de Lyon.
Nous ne savons rien de ses premières années, mais ses
connaissances si variées permettent de présumer qu'il
appartenait à une famille distinguée et qu'il les employa à
l'étude des belles-lettres et des beaux-arts, ce qui lui était
facile, car la ville de Lyon était alors le centre d'un
mouvement artistique remarquable.
Donc, sans quitter son pays, il put ainsi s'initier aux
secrets de la peinture, telle que les artistes les possédaient
à la fin du quinzième siècle. Mais il ne se contenta pas de
cet enseignement, et, d'accord avec le goût qu'il a montré
tout^ sa vie de voyager dans le but de s'instruire, et aussi
suivant l'habitude des artistes de ce temps', il fit proba-
blement un séjour dans les Pays-Bas, à Bruges même,
pour étudier les procédés de la peinture à l'huile et la
manière de Van Eyck, de Memling, très à la mode alors
Ange, né près de Florence, en 1474; M. Francisque Sarcey, le 11 septem-
Raphaël, né à Urbino, en 1483; André bre i865, à propos de la publicité
del Sarto, né à Florence, en 1488; de Tœuvre de Fouquet, par Curmer.
Jules Romain, né à , en 1492. Roger Van derWeyden était à Rome
I. Fouquet fut à Rome, où il peignit en 1450.
le portrait du pape Eugène IV, vers Albert Durer était à Gand en i52o.
1443, qui fut bientôt après gratté, Antonello de Messine était à Bruges
effacé, par ordre du pape Jules H, écrit en 1435.
3
i8 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'Œ:UVRE
en France et en Italie. Il y réussit d'une manière très
remarquable, ainsi qu'on peut en juger par le tableau dont
nous allons parler.
Son voyage ne fut pas long, car on le trouve rentré à
Lyon en 1483 ; il avait alors vingt ans; s'il eut été un enfant
de Paris, ainsi que le surnom de Jehan de Paris Ta fait suppo-
ser à quelques personnes, il se serait arrêté à Paris, où les
commandes artistiques sont plus abondantes qu'en province.
De retour à Lyon, il se rendit probablement agréable
par son talent et ses manières, et devint bien vite l'homme
à la mode, car on le trouve cette année même employé
par le consulat de la ville de Lyon, à propos du passage
en cette ville du religieux minime François de Paul allant
avec une certaine solennité rendre visite au roi Louis XI,
malade au Plessis-lez-Tours.
Ainsi, ses premiers travaux ont été exécutés à Lyon,
comme le furent ses derniers ; on n'en trouve nulle part à
une époque antérieure.
Mais sa position à la cour, ainsi que ses travaux, le
forcèrent sans doute à passer une partie de son temps à
Paris, et c'est peut-être à cette circonstance qu'il dut le
surnom de Jehan de Paris, ainsi que cela est arrivé à
quelques artistes de cette époque, entre autres au sculpteur
Jean dit de Bologne^ né à Douai, qui reçut le surnom de
Bologfte, à cause du long séjour qu'il fit dans cette ville et
des travaux qu'il y exécuta ^
I. Nous pourriohs signaler plusieurs Jehan Desmarcts, ainsi qu^on le voit
changements de noms, et plusieurs sur le titre du manuscrit de son
surnoms de ce genre à cette époque; Voyage de Gênes qui est à la Biblio-
tels que Jean Marot, le père de Clé- thèque nationale, n' Soqi.o Poème de
ment Marot, dont le nom véritable est Jehan Desmarcts dit Jehan Marot. »
DE JEHAN PERRLAL lo
Nous venons de dire qu'il devint Thomme à la mode;
en eflfet, on le vit dès Tannée suivante, malgré sa jeunesse,
Tordonnateur de toutes les fêtes données par la ville de
Lyon aux souverains de passage.
La première entrée où Jehan Perreal fut employé par le
consulat date du 6 décembre i486, lors de la prise en
possession du siège archiépiscopal de Lyon par le cardinal
Charles de Bourbon, successeur d'Amédée de Talaru, décédé
au château de Pierre-Scize. Charles, trop jeune pour pren-
dre la survivance du diocèse après la mort de Tarchevêque
décédé (il n'avait que treize ans), fut autorisé par le pape
à jouir du temporel de son siège, à titre de commande et
fut remplacé provisoirement par Jean du Gué, évêque d'Or-
léans, jusqu'à ce que le jeune prélat eût atteint sa vingt-
cinquième année.
L'archevêque de Lyon était frère de Marguerite de Bour-
bon, mère de Philibert de Savoie.
Le jeune roi Charles VIII (il avait dix-neuf ans) fit sa
première entrée solennelle à Lyon le 7 mars 1489; les
magistrats avaient des motifs pour le bien recevoir : le
prince venait de rétablir deux foires supprimées par son
prédécesseur*.
Le consulat manda Jehan de Paris, et le pria d'inventer
quelques mystères, moralités et ystoit^es, autres joyeusetés^
pour la visite du jeune roi.
Jehan de Paris s'adjoignit le peintre Jehan Prévost et
Le poète Guillaume Dubois changea tribuaient à la richesse du pays en y
son nom contre celui de Crétin; amenant un grand nombre d'étrangers
Heroet prit le sobriquet de la Maison- et de commerçants, étaient celles de
Neuve, etc., etc. Pâques et de la mi-août; elles avaient
I. Ces foires supprimées, qui con- été transférées à Bourges.
20 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
Tarchitecte Clément Trie, son secrétaire; il fut arrêté ce
qui suit :
« Tous les conseillers et notables de la ville dévoient
aller en costumes au-devant du roi avec les marchands
étrangers montés et habillés le mieulx et le plus honneste-
ment possible.
« Les petits enfants dévoient être revêtus de robes de
toile perse (bleu) semé de fleurs de lys, tenant chascun un
pennon, guidon ou bannière; ils dévoient se tenir ès-
créneaux de la muraille du petit pie qui est sous le château
de Pierre-Scise, pour crier, quand le roi passera : Mont
Joye, Saint-Denys, vive le roi!
<( Une fille pucelle, des plus belles, habillée en vierge
signifiant humilité, montée sur une haquenée blanche
devoit conduire jusqu'à la porte de Bourgneuf un chariot
ayant un rondeau, où dévoient être peints les signes du
Zodiaque, et au milieu du rondeau, le soleil figuré par un
enfant de douze ans brillant par toute sa personne.
« Le roi approchera, il s'arrêtera à la dicte pucelle et
s'arrêtant le soleil se trouvera sur le signe du lion, et alors
la dite pucelle donnera au roi la signification du mystère
en rimes bien notablement et pertinament faictes.
« Item — Sur un autre chariot porté par gens qu'on
ne verra, seront figurés les quatre Éléments.
« Item — Sera faict un jardin de 5 à 6 toises de car-
reure, rempli d'arbres verts aux branches desquels aura
foison de grenades, oranges, pommes, poires, et autres
fruits; il sera appelé Jardin de France^ gardé par quatre
Vertus représentées par quatre filles pucelles, habillées de
taffetas de diverses couleurs, avec mêmes fleurs de lys en
DE JEHAN PERREAL
or. Il y aura un lion de grande taille en un coin du jar-
din, avec une autre vertu nommée Loyauté^ et une autre
nommée Propriété^ qui tiendra le lion, et au-dessus du
portail de Bourgneuf aura une autre pucelle représientant
la Vîlle^ tenant en sa main une palme et à ses pieds ung
escrit en grosses lettres : Civitas immaculata, et sera la
dicte pucelle enlevée en Tair sans sçavoir qui la soutiendra,
et dira avant au roi la signification du jardin en belles
rimes: après ce viendra la Vertu qui tiendra le lion et
rapprochera du roi, le plus près que faire se pourra, et le
lion se lèvera, et avec sa patte présentera au roi les clefs
de la ville ' .
« Item — Ce fait, sera mis le dais joignant la porte;
il sera de velours bleu avec belles franges de soie, garni de
lys, il sera porté par les quatre conseillers : Piochet, Pierre
Palmier, Claude Thomassin et Etienne Garnier, jusqu'à
Téglise Saint-Jean et de là jusqu'au logis où le dict seigneur
logera.
« Item — Et seront toutes les rues tapissées des plus
riches, tapis que faire se pourra, des deux côtés de la rue.
Et au-dessus seront icelles couvertes de toile, couleur
d'azur, semée de fleurs de lys jaunes.
a Item — Au port Saint-Pol, sera fait le mistère de la
décollation de saint Pol, par ceux de l'église de Saint-Pol,
entr'autres les trois fontaines sourdiront (jailliront) à sa
décollation.
I. En i5i5, vingt-cinq ans après, à introduisit un lion qui s'avança jus-
Tentrée de François K' à Milan, Léo- que devant le fauteuil du roi, après
nard de Vinci fut Fordonnateur de la quoi, il ouvrit son sein qui se trouva
fête qui lui fut faite, dans laquelle, plein de bouquets de lis.
s'inspirant de Tidêc de J. Pcrrcal, il
RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
« Item — Plus au droit de Téglise Saint-Éloi, sera
saint Michel^ armé d'un harnai blanc, et le diable qui
s'entrebattront et seront tous deux en l'air, et finalement,
ainsi que le roi passera ledit diable sera vaincu par ledict
saint Michel et brûlera le feu visiblement.
« Item — Et en la place qui est devant la maison de
Jehan du Perat sera faicte une bergerie des filles les plus
belles, habillées de taffetas et de toiles de plaisance et
auront brebis, moutons et chiens. En outre y aura une fon-
taine qui jettera vin clairet, duquel boiront tous ceux qui
voudront boire.
<( Item — Au carré des changes aura ung^ grand Escu
de France environné de Tordre ' ayant dedans trois fleurs
de lys représentées par trois filles pucelles habillées de
taffetas jaune, et à Theure que le roi passera, les trois
fleurs de lys s'ouvriront et apparaîtront les trois filles et
Tune après l'autre diront au roi un rondeau sur ce blason
de l'escu de France.
« Item — En la place du petit palais sera faicte la Cité
de Jérusalem et en icelle joué le mystère* du roi Salomon
et de la reine de Saba.
« Item — Au carré tendant de la rue du Palais, vers la
Monnaie sera faicte une fontaine, brûlant artificiellement.
« Item — En la place tirant à l'ostel Balavin, sera faict
le cheval Pégasus avec un homme nommé Bonne renommée
ayant une épée nue à la main, Tung et l'aultre se tiendront
en l'air.
I. L'ordre de Saint-Michel institué auquel était appendue une médaille
par le roi Louis XI, en 146g. C'était représentant saint Michel terrassant
un collier d'or fait à double coquille, le dragon.
DE JEHAN PERREAL
(c Item — Et tout au-devant de Tostel de feu Simon
Turin jusqu'à porte froc, plusieurs joyeusetés que les habi-
tants feront d'eux-mêmes.
« Item — Au-dessus du portai dudit porte-froc, sera
joué le mystère de l'immolation d'Isaac, par ceux de Téglise
dudict lieu.
« Les gens de l'église iront en procession au-devant du
roi, excepté ceux de l'église Saint-Jean, qui iront jusqu'au
dit porte-froc, et là, sera reçu le roi par eux, ainsi qu'il
est accoustumé de faire.
« Et pour ce que le roi pourra loger en l'ostel de sire
Humbert de Varey, Tung de ses maistres d'ostel, et s'en
retournera jusqu'aux changes, a la part devers le royaume
et passera par-dessus le pont, seront par bonne ordonnance
les bannières de toutes les confréries de la ville. »
Cette entrée fut splendide et bien réussie, le jeune roi
s'en montra très satisfait, Jehan de Paris avait pris la plus
grande part dans l'œuvre comme peintre et comme poète'.
A en juger par la complainte adressée par Crétin aux
I. On ne confiait pas au premier Ces travaux étaient toujours confiés
venu ces travaux décoratifs des en- aux plus grands peintres ou archi-
trées solennelles qui demandaient tectes. Cest ainsi que l'on trouva, à
beaucoup de goût et de grandes con- Milan, Léonard de Vinci Tordonna-
naissances en architecture et en pein- teur des fêtes données par Louis
ture, pour élever les arcs de triomphe, Sforce, et dernièrement en 1879 à
les portails d'ordre toscans et doriques Vienne, le peintre H. Mackart, Tor-
décorés aux armes du roi et de la donnateur des fêtes splendides don-
reine, etc., et dessiner les costu- nées à Tempereur et à l'impératrice
mes, inventer des mystères, des his- d'Autriche, à l'occasion de leurs noces
toires, etc. d'argent.
On ne. peut se figurer la somptuo- En trouvant dans ces pages de nom-
sité et la magnificence de ces entrées, breux détails sur les fêtes offertes par
suivies le plus souvent de joutes et la ville de Lyon, on pourrait croire
de tournois. que le mérite de Jehan Pcrreal était
24 RECHERCHES SUR LA VIE ET L*Œ:UVRE
poètes de son temps, sur. la mort de Guill. de Biss}^
vicomte de Falaise, il est certain que Jehan Perreal était
alors placé comme poète à côté de Jehan Marot.et d'André
de Lavigne.
Tous nobles cueurs, ce faict doibt demourer
En vos escriptz pour le remémorer.
Abbé d'Autan, et maistre Jehan le Maire,
Qui en nostre^rt etez des plus expers,
Ouvrez l'archet de vostre riche aumaire,
Et composez quelque plaincte sommaire
En regrettant l'ami que ores je perds;
Secourez-moi Bigne et Villebresme,
Jehan de Paris, J. Marot et de Lavigne. ^
Ces vers sont la preuve de ce qu'ont écrit MM. Bérard
et Dufay, que non seulement Jehan Perreal avait du goût
pour la poésie, mais encore qu*il occupait un rang distingué
parmi les poètes de son temps.
Nous venons de dire que les travaux de décorateur de
fêtes lui donnaient beaucoup de soucis et de peines et peu
de profit; le règlement suivant, extrait de la délibération
des conseillers, en date du i6 avril, à propos des travaux
par lui faits pour la conduite de cette entrée, en est la
preuve :
ce Veue la requeste baillée par escript, par Jehan de
Paris, peinctre, habitant de Lyon, tendant à fin de le
attaché à ce talent de décorateur, ce bresirle, valets de chambre du roi
serait une erreur; car, ainsi qu'il Té- Louis XII, étaient des poètes familiers
crit, ces travaux lui donnaient beau- de la cour; André de la Vigne, secré-
coup de soucis et de peines et peu de taire de la reine Anne et un des poètes
profit, mais il y trouvait la satisfaction du Vergier d'honneur; quant à Jehan
de faire plaisir à ses compatriotes. Marot, il est le père de Clément
I. Jacques de Bigne et de Ville- Marot.
t>E JEHAN PERREAL
récompenser des journées, vacations, peynes et à la requeste
des dicts conseillers, pour la conduite et manufacture des
mistères faicts et joués à Ventrée première du rqy^ nostre
sire, en la dicte ville^ et à mectre gens en œuvre et tenir
compte des journées, d'une partie des ouvriers et ma-
nœuvres qui ont besoignés en ce que dict est; ont délibéré
et ordonné que au dict Jehan de Paris, pour toute récom-
pense, paiement et satisfaction des dictes journées, vaca-
tions, peynes et travaux, oultre une robe à luy donnée par
la dicte ville, à la dicte entrée, lui sera paie par le procu-
reur, la somme de 20 livres tournois'. »
C'est à la suite de cette fête, vraisemblablement, que
Charles VIII, charmé par le talent de Jehan Perreal, en
voyant ses œuvres dont il admira le travail supérieur à ce
qu'il avait vu, et attiré par son esprit et son savoir, l'en-
gagea de venir à la cour.
A partir du règne de Louis XI, les rois de France
tinrent à honneur d'encourager la littérature, la poésie, les
beaux-arts, et ils s'entouraient à la cour et se faisaient
suivre dans leur voyage par les artistes les plus distingués,
auxquels ils accordaient des titres honorifiques (en apparence
aujourd'hui subalternes, mais qui n'étaient pas considérés
ainsi à cette époque, puisqu'ils étaient un pas conduisant à
la noblesse) en les attachant de fait ou nominativement au
nombreux personnel de leur maison royale.
En invitant Jehan Perreal, Charles VIII ne fit que se
conformer aux habitudes de son prédécesseur; attaché ainsi
à la maison du roi, il ne tarda pas à devenir le familier
I. Registres consulaires B B. — Archives de l'Hôtel de ville, Lyon.
4
26 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
de la cour et à se faire remarquer par sa manière de
peindre, d'autant plus facilement que la passion du portrait
était le goût particulier de cette époque. L'admiration est
communicative, la noblesse s'éprit de son talent, dont le
caractère distinctif était l'imitation naïve de la nature, le soin
extrême des détails et la recherche de la vérité sans affecta-
tion; on sollicitait la faveur d'être peint par lui.
De tout temps la figure a été le siège de l'amour-
propre, et l'artiste de qui dépend la beauté des traits a droit
aux égards, aux caresses et à la reconnaissance; par là, il
devint vite le peintre le plus recherché et le plus occupé.
L'anecdote racontée par la reine Marguerite de Navarre,
dans la trente-deuxième Nouvelle de son Heptaméron, au
sujet du portrait d'une belle dame allemande que le roi
Charles VIII chargea J. Perreal d'aller peindre au vif,
prouve qu'il occupait près du roi le premier rang parmi
les peintres du temps.
Voici l'anecdote :
c Le roy Charles huitième de ce nom envoya en Alle-
magne un gentilhomme nommé Bernage, sieur de Sîvry
près Amboise. Un soir bien tard il arriva en ung chasteau
d'un gentilhomme où il demanda logis, en lui disant le
motif de son voyage. Sur ce, le gentilhomme le logea et
festoya honorablement.
a II était heure de soupper, le gentilhomme le mena
dans une belle sale tendue de belles tapisseryes, et ainsi
que la viande fut apportée sur la table, vit sortyr de der-
rière la tapisserye une femme la plus belle qu'il estoyt pos-
sible de regarder et qu'il avoyt jamais vue
ce Quand Bernage fut retourné devant le roy son
DE JEHAN PERREAL 27
maistre, lui fit tout au long le compte que le prince trouva
tel comme il disoyt et entre autres choses ayant parlé de
la beaulté de la dame, envoya son painctre, nommé Jehan
de Paris, pour lui rapporter cette dame au vif, ce qu'il
feyt après le consentement du mari '. »
Qu'est devenu ce portrait, ainsi que ceux de Philibert de
Savoie et des princesses Marguerite de Bourbon et de Mar-
guerite d'Autriche dont parle Michel Colombe dans sa lettre
du 3 décembre 1 5 1 1 ?
Que sont devenus également les tableaux et les nomlîreux
portraits des personnages de la cour de France que peignit
J. Perreal? Ils ont disparu, hélas! sans laisser aucune trace,
car on ne rencontre le nom de Jehan Perreal dans aucun
catalogue ni dans aucune galerie. Le temps les a sans doute
dispersés un peu partout, en France, en Angleterre, en
Italie, en Autriche et autres lieux, où ils sont sans doute
attribués à d'autres peintres, le plus souvent à des peintres
flamands, parce que les premières œuvres de Jehan Perreal
ont le caractère de cette école qui était à la mode en
France à la fin du quinzième siècle.
Le tableau que nous possédons des fiançailles du roi
Charles VIII avec Anne de Bretagne peut servir aujourd'hui
de type et d'indication première; avec ce point de repère,
on sera en mesure de découvrir quelques-uns de ces
tableaux peints de sa main.
Les œuvres de notre ancienne école française sont rares,
ainsi que nous l'avons dit, mais moins qu'on ne le pense
généralement.
I. Voir note c. Heptamerony aux édition publiée par la Société des bi-
éclaircissements, page 468, tome II, bliophiles français.
28 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
Faute de connaître son histoire, un grand nombre de ses
artistes et de ses œuvres sont tombés dans un injuste
oubli, plusieurs dorment sans doute dans les églises, dans
les combles des musées, dans les galeries particulières ou
publiques, dépourvus d'état civil ou baptisés de faux noms,
surtout de Técole de Bruges; nous en avons eu la preuve,
il y a quelques années, au sujet du célèbre triptyque de
Saint-Sauveur de la cathédrale d'Aix en Provence, connu
sous le nom de « Buisson ardent ».
Ce triptyque qui avait été attribué par les uns au roi
René, par les autres, soit à Jehan van Eyck, soit à Jean
Memling, vient d'être reconnu pour être Tœuvre d'un
peintre d'Avignon, nommé Nicolas Froment, plus usuelle-
ment Nicolas le peintre d'Avignon '.
Nous devons ajouter que nous avons remarqué, dans la
galerie nationale de Londres, deux tableaux peints par
I. Cette œuvre si remarquable, dont contiennent les comptes de ses menus
le panneau médial est digne en effet plaisirs.
du pinceau de ces maîtres, prouve, « A maître Nicolas le Paintre, qui a
ainsi que notre tableau des Fiançailles fait Rubrum (au lieu de Rubum) quem
de Charles VIII, qu'il existait sur les viderai Moyses, la somme de XXX es-
bords du Rhône une école de pein- eus pour reste qui luy est deu du dit
ture, presque inconnue jusqu'à ce ouvrage; pour ce .... LXX florins,
jour, d'où sortaient des artistes, « {Compte des menus plaisirs du roi
dignes des premiers peintres de l'é- René, de l'an 1475- 1476, n* 24,
cole flamande, lesquels pour se plier, f» 47 v».)
soit au goût du roi René, soit à la « A maître Nicolas Froment, peintre
mode du temps, étaient malheureu- d'Avignon, le premier jour d'octobre,
sèment forcés d'en suivre le courant, la somme de XIII escuz : c'est assavoir
au lieu de suivre leur propre inspira- pour une ymage de Notre-Dame de
tion et de rester eux-mêmes. l'Annonciade, qu'il a fait au roy.
La découverte du nom et du prénom « (Compte des menus plaisirs du roi
de l'auteur de ce tableau a été faite à René, de Tan 1478-1479, n® 3o, f« i3.) »
Marseille, par deux membres de la Ce serait rendre un service, à tous
Commission départementale, en feuil- ces hommes que l'histoire de Tart de
letant les registres du roi René, qui notre pays, au quinzième siècle, préoc-
DE JEHAN PERREAL
29
Jehan Perreal, bien que le catalogue les attribue, I*un,
n^ 654, à Van der Weyden le jeune, et l'autre, n** yiS, à j
lan Mostert. ^
Le premier représente sainte Madeleine, vêtue d'une
robe verte, sur une jupe de brocart, tenant à la main un
livre qu'elle lit, on voit à ses pieds, devant elle, un vase
contenant des fleurs*.
L'autre représente la Vierge assise sous un arbre, offrant
une fleur à l'enfant Jésus qu'elle tient de la main gauche;
devant elle, on voit également à ses pieds un vase conte-
nant des fleurs ^.
Elles ont l'une et l'autre le type français très caracté-
risé; toute personne familière avec le style de Jehan Perreal
y reconnaîtra la touche fine et le coloris de son tableau des
Fiançailles.
En 1488, mourut François II, duc de Bretagne, ennemi
et voisin redoutable de la France, il ne laissait que deux
filles, Anne et Isabeau; cette dernière survécut peu de
temps à son père et laissa à sa sœur l'héritage entier de
v^^
cupe et intéresse, que de faire des
recherches sur la vie et Pœuvre de ce
peintre français très remarquable, dont
le nom est resté inconnu jusquMci et
dont les tableaux sont dispersés sans
doute sous le nom de quelque artiste
flamand, afin de réhabiliter sa mé-
moire et de le remettre dans ses droits.
I. On wood, 2 ft. H. by i ft. 7 in.
Le seul renseignement que nous trou-
vions sur ce Roger van der Weyden
le jeune, c'est la date de sa naissance
vers 1450 et celle de sa réception
comme maître dans la Ghilde de
Saint-Luc à Anvers en i528. Cette tar-
dive réception, à Page de soixante-dix-
huit ans, ne prouve pas quMl ait eu
un talent bien remarquable et, par là,
amène le doute sur l'exactitude de
l'attribution qui lui est faite de ce
charmant tableau.
2. On wood, 2 ft. H. by i ft. 8 1/2
in. Je dois dire que le rédacteur de
VHistorical catalogue anglais, année
1873, après avoir indiqué lan Mos-
tert comme ayant été peintre de Mar-
guerite d'Autriche et attaché à sa cour
pendant dix-huit ans, exprime en-
suite un doute sur l'existence de ce
peintre.
3o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
cet important duché. Maximilien, alors archiduc d'Autriche
et plus tard empereur d'Allemagne, avait demandé et
obtenu la main de cette princesse, il l'avait même épousée
par procureur'.
Cette union menaçait d'être tôt ou tard fatale à la
France; Charles VIII sous la pression de sa sœur, Anne
de Beaujon, femme sagace et d'une grande énergie, à qui
le roi Louis XI en mourant l'avait confié avec son auto-
rité, prenant conseil de la politique plutôt que de la bien-
séance et de la foi donnée, n'hésita pas à rompre son
mariage avec Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien /qui
n'avait alors que onze ans; préférant augmenter la France
du duché de Bretagne, le seul grand fief qui eût jusqu'alors
conservé son indépendance et fait échec à l'autorité royale ^.
D'un autre côté, les négociateurs français, les ducs d'Or-
léans et de Bourbon, pressaient' Anne de rompre son
1. Pour rendre en quelque sorte le le Dauphin ne vouloist procéder au
mariage indissoluble, en lui donnant parfait ou consommation du dict ma-
Tapparence d'un mariage consommé, riage, ou que le dict mariage rompist
le comte de Nassau, qui avait épousé par le roy, monseigneur le Dauphin
la princesse au nom de Maximilien, ou autre de leur part, durant la mino-
mit une cuisse nue dans « le lit de la rite de la demoiselle ou après; en ce
mariée en présence des seigneurs et cas, ma dicte demoiselle sera aux dé-
dames qui étoient nommés pour té- pens du roy ou de mon dict seigneur
moins ». Histoire du cardinal d'Am- le Dauphin, rendue, remise et resti-
boise (Amsterdam, 1726). tuée à mon dict seigneur le duc son
2. Il est à remarquer cependant père ou au duc Philippe son frère,
qu'à répoquedu traité d'Arras, le ren- franchement et librement déchargée
voi de Marguerite d'Autriche avait été de tous liens de mariage et de toutes
prévu par le roi Louis XI. autres obligations, en Tune des bon-
Voici la clause de ce traité, qui con- nés villes du pays de Brabant, Flan-
tient formellement cette prévision : dres, Hainault, en lieu sûr de Tobéis-
« S'il advenoit (que Dieu ne veuille * sance d'iceulx ducs. »
pas) que ma dicte damoiselle Margue- (Philippe de Comines, Pièces.)
rite venue en âge, mon dict seigneur
DE JEHAN PERREAL 3i
mariage contracté sans l'aveu de son suzerain, contrairement
aux principes du droit féodal.
Le i5 novembre 1491, le jour du traité, les portes de
la ville de Rennes furent ouvertes au roi qui entra dans la
ville peu accompagné, et se rendit près de la duchesse et
s'entretint longuement avec elle; trois jours après cette
entrevue, Charles VIII et Anne de Bretagne furent fiancés
secrètement, dans une chapelle, en présence des ducs d'Or-
léans, de la duchesse de Bourbon, du prince d'Orange, du
comte de Dunois et du chancelier de Bretagne.
Il fut sans doute résolu en même temps de conserver
par la peinture le souvenir de cet événement mémorable;
épris du talent de Jehan Perreal, Charles VIII lui donna la
plus grande preuve de son estime, en lui confiant l'exécution
du tableau de cette cérémonie à laquelle il dut assister.
Tout entier à son royal protecteur, 11 semble avoir mis
dans cette œuvre tout son génie. S'il fut jamais un homme
doué par la nature de la puissante imagination qui consiste
à donner une forme heureuse à toutes les pensées, ou, si
l'on veut, à se souvenir de la manière dont les exprime la
nature par l'attitude, pour peindre un tel sujet : ce fut
Jehan Perreal.
Il s'agissait de représenter ce moment solennel où, obéis-
sant à la volonté de Dieu, Anne de Bretagne rompt les
précédents engagements qu'on lui avait fait contracter, pour
épouser le roi Charles VIII.
La vertu, la délicatesse des sentiments qu'elle a mon-
trés pendant tout le cours de sa vie, demandaient pour
être exprimées en peinture la disposition la plus simple qui
permît à l'attention de se fixer tout entière sur l'acte du
32 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
fils de Dieu et sur Texpression de soumission de la princesse
à cette volonté.
La tâche était grande, elle consistait à saisir la physio-
nomie dans son expression et dans son individualité, à ren-
dre le modelé et le relief par le jeu vaporeux des ombres,
à rester toujours vrai et candide, et à conquérir la qualité
de la ressemblance, uniquement par la finesse de l'observa-
tion et la force d'une exécution simple, ferme et précise.
Ainsi les traits de la reine Anne rendent parfaitement
l'image la plus parfaite de la pureté de son jeune âge, et en
même temps le caractère de la femme supérieure dont la
vertu, la sagesse prévoyante, la fermeté de caractère, se
manifesteront dans les occasions difficiles.
Quoique ce portrait soit un chef-d'œuvre par la précision,
par l'imitation patiente et minutieuse et par cette vie inté-
rieure que la force de l'observation et la simplicité de l'exé-
cution lui communiquent, il n'est pas supérieur en vérité à
celui du roi, à qui, observe l'historien Guichardin, « la nature
avait refusé presque tous les avantages du corps et de l'es-
prit: il était faible de complexion, assez laid de visage sauf
les yeux qui avaient de la bonté • ».
Il est vêtu de la robe large, qu'il portait, dit Willemain
(t. II, p. i8o2), pour cacher les défauts de sa taille.
Quant à la douce figure de la Vierge au front spacieux,
au type français, c'est un chef-d'œuvre de céleste pureté et
d'une grâce si parfaite, qu'aucun peintre n'a surpassées.
Elle paraît absorbée dans ses pensées.
1. H. Martin, Histoire de France^ servir à VHistoire des Arts, des
t. VJI, p. 27. Costumes 2 vol. in-folio.
2. Monuments français inédits pour
DE JEHAN PERREAL 33
Voici la description de cette peinture qui est placée dans
un cadre en ébène d'une forme cintrée dans le haut '.
Dans un oratoire soutenu par deux colonnes, la Vierge
mère est assise sur un trône couvert d'un tapis damassé,
vert, d'un riche dessin ; le vide de l'arcade centrale est tendu
d'une tapisserie, brodée en or et enrichie de perles, autour
de laquelle on lit du côté droit : Ape regina cœîorum^ et de
l'autre, Ave domina ayigelorum ; dans l'arcade du haut, à
moitié cachée par la tapisserie, sont écrits, autour de la
partie cintrée, les mots : Ave Maria gratia plena,
La Vierge est vue de face, les yeux baissés; sa longue
chevelure blonde, retenue sur le front par un mince ruban
noir enrichi de perles et de pierreries, flotte le long des
épaules en longues et élégantes mèches; elle est vêtue d'une
robe rouge clair bordée d'un galon à dessin d'or, et d'un
vaste manteau de la même couleur, retenu sur la poitrine
par une cordelière ; ses pieds reposent sur un coussin riche-
ment brodé; dans sa main gauche, elle tient la pomme,
symbole de notre chute, et, de l'autre, l'enfant Jésus placé
sur ses genoux se penche dans une attitude pénible, dis-
gracieuse, vers le roi, en lui présentant de la main gauche
Anne de Bretagne, sa fiancée.
A droite de la Vierge mère, Charles VIII, enveloppé dans
une ample robe grenat, garnie de fourrure qui recouvre son
vêtement noir, se tient les mains jointes. Ses cheveux noirs
et épais flottent autour de sa figure, dont les traits brunis
et un peu vulgaires expriment le calme et la douceur; il
s'appuie contre la balustrade près d'une colonne losangée de
fleurs de lis. A gauche, Anne de Bretagne, vue de trois
I. Bois, hauteur, 74 cent.; largeur, 52 cent.
5
34 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
quarts, ayant dans ses mains jointes un chapelet de cristal,
se tient les bras appuyés contre la balustrade à la tête de la
colonne décorée aussi en losange de couronnes ducales et
de fleurs allongées en forme de sceptre. Elle est vêtue
d'une robe noire très simple, garnie de fourrure et d'une
ceinture lâche. La tête, dont les traits portent la marque
d'une volonté persistante, est couverte d'une coiffe blanche
à la mode de Bretagne.
Un rideau vert, déployé derrière ces personnages, les sé-
pare de l'autre partie de l'édifice et ferme élégamment le fond.
Un bouquet composé de lis et d'ancolies, etc., est placé
dans un vase de verre aux pieds de la Vierge, un peu à droite.
Au bas et sur le couronnement des pilastres qui termi-
nent les balustrades, Jehan Perreal a placé son monogramme
J. P., lié par un lac d'amours.
A l'extrémité du tapis, on remarque en bordure une suite
de caractères hiéroglyphiques que nous n'avons pu traduire,
non plus qu'aucune des personnes à qui nous avons montré
ce tableau; cependant ils nous paraissent avoir une signifi-
cation '.
Ce qui distingue cette œuvre et lui donne un caractère
d'originalité , c'est d'y trouver réunis le style flamand et le
style français.
C'est le calme, la complète symétrie de l'agencement;
pas un geste, pas une attitude, ne s'éloignent du style pai-
sible de l'école de Bruges, associé à la finesse précieuse de
l'exécution, au coloris clair et doux, et à la fidélité prodi-
I. On remarque sur les étendards de loin, un ou deux de ces caractères
quelques miniatures de la campagne hiéroglyphiques,
de Gênes, dont nous parlerons plus
DE JEHAN PERREAL 35
gieuse et sans affectation qui sont les caractères distinctifs
des peintres primitifs de Técole française.
La science du dessin, bien que portant encore quelques
traces de gothique, la finesse et la sûreté du modelé, la
beauté des draperies et l'intensité harmonieuse du coloris,
tout est certainement d'un maître dans cette œuvre.
Ce tableau, qui est de la jeunesse de Jehan Perreal (1491),
établit la liaison qui existe entre Tart du moyen âge et Tart
de la Renaissance, la transition par laquelle Tart d'une civi-
lisation passe nécessairement pour se transformer et pour
répondre aux sentiments d'une autre civilisation.
Il faut que J. Perreal ait apprécié particulièrement son
ouvrage pour avoir placé son chiffre en trois endroits, fait
dont on ne connaît pas d'autre exemple.
Ce précieux tableau n'est pas seulement intéressant au
point de vue artistique, par la découverte d'une oeuvre du
plus grand peintre de l'ancienne école française du quinzième
siècle, auquel on ne pouvait en attribuer avec certitude au-
cune : il a un autre mérite, celui d'être en quelque sorte
un monument historique.
Premièrement, parce qu'il représente un des faits les plus
intéressants de l'histoire de France, qui eut pour résultat la
réunion de la Bretagne à la France.
Secondement, parce qu'il nous offre le seul portrait connu
du roi Charles VIII, depuis que l'attribution donnée au
numéro 404 du Louvre a été reconnue inexacte. En effet, ce
portrait, n** 404, est celui du beau Charles d'Amboise.
Quant au portrait de la reine Anne de Bretagne, le Père
Montfaucon a écrit dans les Monuments de la monarchie
française (t. III, p. 58) : « Nous n'avons pas la figure
36 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
de la reine Anne peinte du temps de Charles VIII, mais nous
en avons plusieurs du temps de Louis XII, son second mari,
dont quelques-unes sont d'une habile main. »
Le portrait de la reine Anne de Bretagne que nous avons
ici est donc également le seul connu de Tépoque de sa jeu-
nesse.
Cette peinture qui n'étonne pas moins par l'éclat de sa
couleur et par sa conservation, après bientôt quatre cents
ans, que par la beauté de l'œuvre, est certainement l'une des
plus précieuses qui existe; elle a décoré pendant longtemps
la célèbre galerie des ducs de Parme, et elle provient de la
vente faite par le duc Robert de Parme, neveu du comte
de Chambord.
L'ancienneté de ce tableau, qui depuis la reine Anne a
dû passer son existence dans des galeries royales, a sauve-
gardé cette peinture, ainsi que le dédain pour notre école
primitive qui a été tel que, non seulement on avait oublié
le souvenir du sujet qu'il représente, mais aussi le nom de
l'auteur qui fut cependant le peintre ordinaire des rois
Charles V^III, Louis XII, François I*"*" et de la princesse
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas.
Ces sortes d'apathies publiques , qui peu à peu suppri-
ment la mémoire d'un artiste , sans qu'on sache comment,
ne sont pourtant pas sans exemple, témoin l'auteur du ta-
bleau du Buisson ardent dont nous avons parlé.
Ce fut sans doute à cette occasion que le roi l'éleva aux
fonctions de son peintre ordinaire et au titre de valet de
chambre du roi. Cependant nous ne l'avons trouvé porté
sur l'état des officiers du roi que le i" octobre [498 : « A
Jehan de Paris, valet de chambre et peintre ordinaire du Roi,
DE JEHAN PERREAL
?7
la somme de 240 livres tournois à luy ordonné par icelluy
Seigneur par son estât dont cy devant est faicte mention '. »
Ces charges étaient tout à fait dans les habitudes de Tépoque.
Trois ans après, Tidée prit au roi d'aller conquérir son
royaume de Naples. Lyon devint alors le rendez-vous de
Tarmée française; le consulat, prévenu de l'arrivée prochaine
du roi et de la reine, pria dès le 3 janvier 1494 Jehan
Perreal d'inventer quelques belles histoires « et mystères avec
poëterie et versijîcation pour le venue de la jeune Reine ^».
Cette citation est très importante parce qu'elle confirme
d'une manière irréfutable ce que nous avons dit de ses con-
naissances en poésie. J. Perreal possédait la double qualité
de poète et même de poète dramatique.
Charles VIII arriva le 6 mars à Lyon sans apparat,
Anne de Bretagne l'y suivit à quelques jours d'intervalle, et
1. Quoiqu'on en pense aujourd'hui,
la charge de valet de chambre, sous
les anciens rois de France, était fort
recherchée. Vénale, comme toutes les
autres charges, elle coûtait gros. Elle
procurait la noblesse, conférait le litre
d'écuyer, était transmissible comme
une propriété et avait des privilèges
qui étaient très appréciés de ceux qui
la possédaient. On voit dans les listes
des valets de chambre figurer les
noms d'artistes éminents, de gens de
lettres distingués et même d'hommes
de condition noble. Le service corpo-
rel des princes n'avait rien de dégra-
dant pour ceux qui s'y dévouaient.
( A. Jal, Dictionnaire de Biographie et
d'Histoire,)
2. Ces représentations étaient dans
les moeurs du temps : « Ce fut à la
fin du quinzième siècle que les beaux
mystères furent joués dans la ville
de Lyon. Anne de Bretagne, pendant
le séjour qu'elle y fit en 1494, con-
tribua à développer l'amour de ce
genre de spectacle. Elle prenait plai-
sir à faire représenter des pièces de
théâtre, roulant sur de pieuses his-
toires tirées de l'ancien et du nouveau
Testament. Les confrères de la Pas-
sion et poètes nomades du temps
jouèrent devant elle là vie de sainte
Madeleine, qui fut très applaudie. En
i5o6, le couvent des Augustins joua
le jeu de saint Nicolas Tolentin, sur
la place des Terreaux. »
CLyon ancien et moderne ^ Théâ-
tres.)
38 RECHERCHES SUR LA VIE ET I/ŒUVRE
son entrée eut lieu avec beaucoup de magnificence le i5
mars; entre autres choses la ville lui offrit « ung beau lion
d'or, bien fait et bien tiré, assis sur ses fesses, et de ses
deux pattes de devant, tenant une belle coppe d'or à la façon
ancienne avec cent belles pièces d'or faictes en façon de mé-
dailles, dedans la dicte coppe et une belle targuète çainte sur
son costé d'une belle ceinture d'or es armes de la Reyne ».
Perreal fit les modèles de ces pièces dont l'exécution
fut confiée à l'orfèvre Jehan, fils de maistre Loys Lepère.
aidé de Nicolas, son gendre; chaque pièce d'or du poids
de sept écus d'or représentait la tête du roi d'un côté et
celle de la reine de l'autre, d'après la pour t raid ure de
la main de Jehan Perreal.
Le dessin et l'exécution de ces pièces sont admirables;
elles comptent parmi les plus anciennes qui existent à l'ef-
figie de nos rois.
Le compte fourni par Jehan Perreal, comme pièces
justificatives de 210 livres tournois qu'il reçut pour orga-
niser cette fête, est curieux. M. Rolle le donne in eyien$o
p. 52 à 85) dans les Archives de l'Art français,
J. Perreal n'eut pas lieu d'être satisfait de la somme
qui lui fut allouée à cette occasion par le consulat, et se
vit forcé de réclamer aux conseillers de la ville dans la
requête que voici, datée du mois de mai 1494 :
A MESSEIGNi:URS LES CONSEILLERS DE LA VILLE DE LYON '
« Supplie humblement Jehan de Paris, painctre, que
comme ainsy soit que le dict Jehan de Paris, à la requeste
I. Rolle, Archives de l'art français (p. 52 à 85.)
DE JEHAN PERREAL 39
de monseigneur maistre Jehan Caille, lors parlant pour
tous les conseillers en la chambre du Conseil, eulx présens,
dict et commanda audict supplient qu'il se délibérast de
penser, cogiter et travailler pour et à la réception de la
nostre royne, et par commandement et requeste expresse,
une fois, deux fois et plus fut dit. Dès lors, audict sup-
plient tantost besongner. Lequel, non présumptieux, mais
comme ardent et affectueux, accepta et print le comman-
dement agréable, qui n'cstoit point petit à faire, et dès
lors, commença à chercher, inventer et enquérir pour four-
nir à icelle entrée, qui fut le commencement de ladicte
charge, quatre jours après les roys; quant à sa personne,
il continua par grand travail d'entendement jusque à ce
qu'il présenta en papiers les ystoires painctes, et leur
déclara Tintencion que luy et les desputez à ce, avoient
inventez.
« Ce faict luy fust ordonné, prendre la charge de tout
mectre, distribuer argent et deniers, et ordonner gens en
œuvre de toutes pars. Oultre, luy fut dit au Conseil :
« Jehan de Paris, nous nous fions en vous et tout nostre
honneur gist sur vous ; nous vous le remettons et vous
promettons que nous vous contenterons bien. »
(( Ces paroles oyez, ledit suplîent print cuer au ventre»
et maintenant, on lui a ordonné pour sa paine, travail et
totalle charge, aultant, au moins que à ceux qui beson-
grraient à journées. Et tout le monde crioit et disoit : « A,
« A ! Jehan de Paris sera riche à ceste fois ! » Et lui mesme
pensoit que sa science luy donneroit sa vie. Et par sa foy
la despence qu'il a faict durant la dicte entrée monte
40 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
xvij OU xviij frans pour son mesnage ; or regardez com-
ment et combien il gaignera avec vous! Et, quand il
s'en plaint, les gens sont tous esbahis et sont honteux, car
ils ont veu la paine grande et soucy du dit supplient: Et,
pour abréger, le dit supplient vous prie et requiert, en
Tamour de Dieu que la science luy vaille, et, a tout le
moins, si vous pouvez faire soixante frans, faites qu'il les
aie. Il ne vous demandit jamaiz rien que a ceste heure, et
par avanture, ne vous demandera plus.
« D'aultre part, il n'a esté jamais refusant au service de
la ville, mais tousjours prest de obéir au mandement,
comme il fut VI ou V jours avec le capitaine, pour tirés
la ville de costé de Sainct-Sébastien, quand on parloit de
faire les murs en hault ; secondement, que jamais ne fust
paie de l'entrée du duc de Savoie; tiercement, quant
Tavez fait appeler pour aller voir le lieu pour faire Tospi-
tal aux Deux-Amans, et assez en d'aultres choses, dont il
n'eust jamais gaiges ne argent. Mais il n'oublie pas le gra-
tis que vous aultres, Messeigneurs, luy avez par cy-devant
fait, touchant le guet et la porte ( Exemptioji de garde
des portes). Néanmoins ce, le besoin en quoy il est, par
faulte d'estre paie de ce en quoy il se traveille, a esté
cause et est contrainct vous faire une telle supplication et
prière que ayez regard de luy, en disent tous d'un acort :
« Nous avons un homme en nostre ville, qui est tout à
<( nous, et ce qu'il a faict pour nous, il a faict de tout son
« cueur, et luy tout seul nous a tous contentez, mais nous
« tous le contenteront. »
c( Et ce faisant, ledit supplient continuera en sa bonne
et ferme amour envers Messeigneurs les Conseillers et
DE JEHAN PERREAL 41
tout le corps de la ville, priant Dieu pour la prospérité
d'icelle :
« Ut possimus vivere in galo,
Jocunditer sine mallo.
« J. DE Paris. »
Le consulat reconnut la réclamation fondée et accorda
40 livres tournois en plus.
Cette lettre est curieuse à plus d'un titre; elle indique,
à n'en pas douter, la haute estime que les conseillers de
la ville attachaient aux inventions du peintre, comme étant
le plus capable de créer des choses nouvelles et agréables
pouvant leur faire honneur. Elle constate qu'il était marié;
que ses efforts et ses travaux ne trouvèrent pas toujours
une récompense suffisante et proportionnée à leur impor-
tance.
Après un long séjour fait à Lyon, Charles VIII quitta
cette ville le 29 juillet, emmenant avec lui la fleur de la jeune
noblesse française (dit Commines) pour aller conquérir son
ro3^aume de Naples.
Jehan Perreal fut du nombre de ceux qui accompa-
gnèrent le roi.
Durant ce séjour à Lyon, Anne de Bretagne fit bâtir le
couvent des Cordeliers de l'Observance, hors la porte et
près du château de Pierre-Scize, « lequel fut nommé Nostre-
Dame-des-Anges » .
Le roi Charles VIII et la reine Anne de Bretagne
(( myrent de leurs royales mains la première pierre en signe
de fondation en laquelle sont figurés et eslevés leurs armes
le 25 mars 1494 ».
Le nom de l'architecte n'est pas cité, mais on sait que
6
42 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
le consulat avait mandé à Jehan Perreal de se rendre sur
les lieux pour deviser de l'édifice avec le lieutenant du roi'.
Ce fait et la faveur dont jouissait dès lors Perreal
auprès de la reine' permettent de supposer que ce fut à lui,
plutôt qu'à un autre, qu'elle confia la direction des travaux
de ce couvent; à la même époque, il prit part à la cons-
truction de l'église de Saint-Nizier, où il avait élu d'avance
sa sépulture et celle de sa femme, ainsi qu'il résulte d'une
délibération capitulaire, dont M. Charvet indique devoir la
-connaissance à l'obligeance de M. Brouchoud.
Après quatorze mois d'absence, le roi rentra en France
par Briançon le 23 octobre, et le 27 novembre il arriva
avec toute sa noblesse à Lyon qu'il affectionnait particu-
lièrement et 'OÙ il était attiré, comme on sait, par les
bonnes grâces des dames lyonnaises. Il y fut pompeusement
accueilli, « par plus de cent lieues y avait, au travers des
rues pendant en l'air, escussons faits à la mode de Italie,
environnés de gros chapelets de fleurs et autres verdures
joyeuses devant lesquels étaient escussons d'ung côté les
les armes de France et de l'autre côté les armes de Jéru-
salem et par dessus estait la couronne impériale magnifi-
quement faictes ». Il s'y arrêta longtemps et commanda
des « joustes et tournois les plus somptueuses et merveil-
leuses ».
« On jousta, entre autre », raconte Monstrelet, « en la
grenette devant les Cordeliers, estait la reine dessus la porte
avec les dames et damoiselles en ung jardin plain de lys blancs
I. Archives de l'art français 2. J. Perreal venait de peindre le
(M. Rolle, registre consulaire B B, 20, tableau des Fiançailles dit roi et de la
de Coloniaj t. II, p. 400.) reine.
DE JEHAN PERREAL 43
et jaunes et dessus le dict jardin y avait un bras à une
manche de taffetas blanc semée d'hermine ; la main était
d'argent et le pouce d'or, laquelle tenait une chante-pleurs
(c'est un pot de terre plain de perthuys dessoubs, dont on
arrouse les jardins) et dessoubs cestuy jardin y avait une
porte de boys et deux tours couvertes de damas gris et com-
passés de petits rubans de soye blanche, et fut le dict damas
donné aux cordeliers, dont ils firent des chappes pour Téglise.
« Les marteaux de la porte étaient couvers de satin
jaune. La ferreure et la serreure estaient de satin bleu et
semblait que ce fut une porte fermant à veoir de loing et
par là passaient ceux qui tenoyent les rens lesquels estaient
dedans les Cordeliers. Le reste estait si bien faict que
merveilles. »
Perreal ne fut pour rien dans cette entrée à Lyon; il
a^^ait été autorisé à séjourner quelque temps en Italie; ce
voyage, qui dura environ un an, avait pour but d'étudier
la méthode des anciens peintres italiens, ainsi que le goût,
l'exécution et les procédés de ses contemporains, cherchant
partout comme les grands artistes à étendre ses connais-
sances.
De ce séjour en Italie, il ne tarda pas à subir l'in-
fluence. La vue des choses antiques qu'il remarqua dans
les ateliers des artistes Léonard de Vinci, Perugin, Man-
tegna et autres qu'il visita pendant ce séjour qui dura plus
d'une année, de 1495 à 1496, modifia son goût. On en vit
la preuve dans les charmantes arabesques renouvelées de
l'antique, dont il orna les pilastres du tombeau du duc de
Bretagne à Nantes en i5o2.
Sa présence en Italie est signalée par une lettre de
44 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
Charles VIII, adressée aux échevins de Lyon, datée de
Verceil, du 22 septembre 1495, deux mois avant sa rentrée
en France.
C'est une demande d'exemption d'impôts.
« Nous voulons et mendons que Jehan Perreal, notre
valet de chambre que bien cognoissez, doyt être franc,
quitte et exempt de toutes tailles et subsides. »
Ainsi, on le trouve, en 1495, dans le rôle de ceux qui
demandent à être exempts des contributions comme nobles
ou officiers du roi.
On voit, dans les archives du consulat, que cette lettre
du roi fut présentée aux conseillers ; leur délibération porte
la date du 2 5 octobre 1496 : « Ils ont ordonné que Jehan
de Paris, en faveur duquel le dict seigneur a escript, soit
quiet des charges et affaires de la dicte ville, tant qu'il
sera officier et serviteur ordinaire. »
L'année suivante, Perreal fut obligé de réclamer la même
faveur, le i r septembre 1496 : « Les Conseillers advertis
que Jehan de Paris, painctre et citoyen de Lyon, valet de
chambre et commensal du Roy notre sire servant ordinai-
rement le dict sire, considérant aussi qu'il est toujours très-
volontiers employé à faire plaisir et service de la dicte ville ;
à cette cause obtempérant à sarequeste, l'ont déchargé et
exempté des charges et contributions de la ville. »
La persistance avec laquelle Jehan Perreal demandait
l'exemption de l'impôt des contributions a pu faire sup-
poser que sa position de fortune était peu aisée, mais il
paraît plus probable qu'il ne la réclamait que comme un
droit inhérent à son office à la cour, et qu'on accordait à
tous ceux qui servaient la personne du roi de France, car
DE JEHAN PERREAL 45
il possédait rue Confort un jardin provenant de la famille
Léviste, une maison avec jardin dans la rue Neuve-Tho-
massin d'un revenu annuel de quarante livres tournois. Il
tenait aussi à loyer, dans la même année 1496, une maison
située rue Buisson, appartenant à Pierre Bastyda, sacris-
tain à Saint-Nizier '.
Pendant son séjour à Lyon, Charles VIII se montra
reconnaissant du bon accueil que la ville lui fit.
c( Il exempta les manans et habitans de tout ost (service
d'armée, ban et arrière-ban) pour les fiefs et seigneuries
dans le royaume ; » c'est-à-dire que les habitans ne devaient
plus être convoqués pour le compte du roi ou celui des
seigneurs pour « quelque cause que ce fust » ; ce privilège fut
le dernier acte de l'affranchissement définitif des serfs de la
féodalité et la conséquence naturelle des chartes organiques
des communes créées par Louis XI en 1478. En outre, il
accorda la noblesse aux conseillers de la cité pour eux
et leur postérité ; puis enfin , sous l'influence de Jehan
Perreal, il approuva, par lettres patentes du 21 décem-
bre 1496, les statuts des peintres, tailleurs d'images et
verriers de Lyon, qui sont le document de ce genre le
plus explicite que nous ayons en France pour le quinzième
siècle.
Cette confrérie des artistes de Lyon, reproduisant celles
d'Italie, a pu devoir son existence à l'initiative prise par
Jehan Perreal lors de son retour, et nous croyons avec
M. Dufay qu'il contribua puissamment à son organisation.
Nous en donnons le texte complet. {Voir aux Documents.}
Son nom figure trois fois dans ces statuts, toujours en
I. Note de M. RoIIe.
46 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
tcte ; on peut en inférer qu'il en était le président, en sa
qualité d'artiste le plus prédominant, et de peintre du roi,
et qu'il ne fut pas étranger à la rédaction de ce document
curieux. Le trente -et -unième article de ces statuts nous
apprend un fait qui n'a pas été assez remarqué, c'est que
Jehan Perreal était peintre-verrier ».
« Pourront les dits peintres besoigner de peintures, de
verreries ensemble ceux qui ensuivent quand bon leur sem-
blera ; c'est à savoir Jehan de Paris, Jehan Blie, Jehan
Provost, Pierre de Fa Paix dit d'Aubenas, Dominique Du-
jardin » La plupart des signataires de ces statuts
furent les collaborateurs de Jehan Perreal.
A peine de retour d'Italie, Jehan Perreal assista aux
derniers moments de son roi, qui mourut le 7 avril 1498^.
Les affaires du mariage de Louis XII avec Anne de Bre-
tagne, qui eut lieu le 6 janvier 1499, n'avait pas absorbé
toutes ses pensées. Comme son prédécesseur il n'avait
d'yeux que pour Fltalie. L'armée française se réunissait à
Lyon, tout était prêt vers la fin de juillet, le roi vint y pas-
1. De là, il est permis de conclure porta le deuil en noir, jusqu'alors les
d'une manière presque certaine que veuves des rois s'habillaient en blanc;
Jehan Perreal est le peintre des vi- Anne prit la couleur noire comme
traux de l'église de Brou, d'autant symbole de la constance, « parce
pius que, lui seul en France à cette qu'elle ne peut se déteindre », et elle
époque, dessinait avec un pareil talent adopta pour devise cette fameuse cor-
et peignait avec des couleurs aussi delière qu'on retrouve dans la plu-
belles. Et que Ton n'a trouvé aucune part des monuments de cette époque,
note, aucun renseignement sur Tau- entre autres sur la façade de l'église de
teur de ces cartons, a écrit le Père Brou. La cordelière ou cordeliée, qui
Rousselet. Neuvième édition, 1876. formait le corps de la devise, était
Bourg-en-Bresse, page 93. accompagnée de cette légende : J'ai le
2. La reine exprima un grand cha- corps délié, les jeux de mots étant
grin de la mort de Charles VIII, elle en grande faveur à celte époque.
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DE JEHAN PERREAL 47
ser la revue. Dès le milieu du mois de juin, Jehan Perreal
qui avait été maintenu en sa double qualité de peintre et
de « varlet » de chambre du roi, sans doute sur la recom-
mandation de la reine Anne de Bretagne, prévint officieu-
sement le consulat de ce voyage ; il arriva bientôt après
pour s'occuper de la direction des fêtes et des mystères qui
devaient avoir lieu.
A cette occasion, on fit confectionner, sur le dessin de
Jehan Perreal, un porc-épîc couronné, assis sur une ter-
rasse, du prix de mille écus, pour Tofifrir au roi qui fut
très sensible à ce cadeau, lui rappelant un ordre créé par
son aïeul '.
C'est également à cette occasion que le consulat fit exé-
cuter pour la reine la belle médaille à son effigie et à celle
du roi en buste, dans un champ semé de fleurs de lis et
d'hermine, entourée de la légende : Lugdun. Republica
gaudete bis. Anna régnante bénigne sic fui conjlata^ ^499;
à Texergue, un lion, symbole de la ville; c'est la première
du genre ^. Ces deux remarquables figures furent exécutées
sur les dessins de Jehan Perreal, peintre du roi, par maistre
Nicolas Leclerc, Jehan du Saint-Priest, sculpteurs, et Jehan
Lepère, orfèvre, dont les noms se trouvent dans les statuts
des artistes de Lyon.
Le mercredi 10 juillet 1499, Louis XII fit sa première
I. Louis d'Orléans, fils de Charles V, nés en les lançant contre ceux qui
à Toccasion de la naissance de Charles l'attaquaient.
d'Orléans, Taimable poète, qui fut le 2. Elle servit de modèle à Louis XII
père du roi Louis XII. La devise de pour faire graver son buste sur la
cet ordre était : Cominus et eminus (de monnaie, qui de là fut appelée « Tes-
près et de loin), on croyait alors que tons» (pièces à tête). H. Martin, tome
le porc-épic se défendait avec ses épi- VII.
48 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
entrée à Lyon, laquelle fut très solennelle « et fut faict plu-
sieurs beaux mystères et choses joyeuses ».
Nous ne décrirons pas 1^ détail des fêtes, parce qu'elles
diffèrent peu de celles qui eurent lieu pour l'entrée de
Charles VIII en 1489 ; il nous suffira de dire que le mys-
tère composé par Jehan Perreal fut joué sur la place Con-
fort. Que des vers composés par Jehan Perreal à la louange
du Roi et de la Reine furent récités par de belles jeunes
filles habillées en riches étoffes de soie, représentant des
figures allégoriques : Amour-Souverain , Force ^ Prudence ^
Justice.
Les quatre Éléments soumis par la puissance de la
France étaient une allégorie en Thonneur de Tarmée. Nep-
tune fut traîné sur un char par des Sirènes précédées de
Tritons, embouchant des trompettes.
En i5oo, Louis XII fit un deuxième voyage en Italie,
il partit pour la conquête de Naples avec son allié Ferdi-
nand d'Espagne. Cette fois encore Jehan de Paris accom-
pagnait le roi. A cette occasion, Anne de Bretagne fit
une nouvelle entrée solennelle le i5 mars. On se borna
à l'exhibition des « mystères et ystoires connus », on ne
fit aucun présent, vu la fâcheuse situation de la caisse
municipale.
Le 23 mars i5o3, l'archiduc Philippe arriva à Lyon, il
venait d'Espagne à propos d'une transaction qui devait ter-
miner la guerre et d'un projet de mariage entre Charles
d'Autriche et Claude de France. Louis XII arriva à Lyon
le 29 mars, il avait été précédé depuis cinq jours par la
reine Anne, Madame de Bourbon, et par toute la noblesse
de France; la réception fut très brillante, le peuple se ré-
DE JEHAN PERREAL
49
jouit en criant la paix entre le roi de France et le roi
d'Espagne.
Après en avoir délibéré, le consulat avait décidé, à ce
sujet, le 2 janvier i5o3, qu' « en raison de Tarrivée de mon-
seigneur Tarchiduc comte de Flandre, on devroit attendre
ce que le roi en mandera, et on l'apprendra de M. Jehan
de Paris % pour inventer les ystoires ».
Ce passage montre la haute position qu'occupait Per-
real, puisqu'il servait d'intermédiaire entre la cour et le
consulat de Lyon.
1. Archives municipales de Lyon, registre consulaire BB.
CHQ^TITIi^E "BEUXIÈ^ME
PREMIÈRE PÉRIODE
DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE
N A N T K s K T BROU
I :> O 2 - I 3 I 2
Anne de Bretagne demande à J. Perreal le modèle d'un tombeau pour son
père, François H, et charge le sculpteur Michel Colombe de Texécution,
i5o2. — Description du monument. — Son importance pour l'histoire de
l'art français. — Mort de Philibert le Beau, duc de Savoie, en i5o4. —
Marguerite d'Autriche charge J. Perreal de lui faire le plan d'une église
pour abriter ses restes et les siens. — En i5io, elle le nomme son peintre
et valet de chambre. — Traité du sculpteur Michel Colombe pour l'exécu-
tion, à Brou, du tombeau selon l'ordonnance de J. Perreal. — Sa brouille
avec la princesse, qui charge en i5i2 le maître maçon L. van Boghen de
la construction et Conrad Meyt des travaux de sculpture. — Description
des trois tombeaux de Brou. — Statuettes admirablement sculptées par
des artistes lyonnais. — Leur importance pour l'histoire de l'art national.
— Vitraux de la plus grande beauté peints dans l'église de Brou.
C'est vers cette époque qu'Anne de Bretagne demanda
à Jehan Perreal de lui faire un dessin pour le tom-
beau qu'elle se proposait d'élever à son père François II et
à sa mère Marguerite de Foix, dans une église de Nantes.
Jusqu'à ces derniers temps, on avait ignoré le nom de
l'architecte de ce magnifique mausolée; il était resté ense-
veli dans un injuste oubli, avec toutes nos gloires artisti-
RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
ques du quinzième siècle, et Ton en attribuait tout le
mérite au célèbre sculpteur Michel Colombe; cependant la
nature de la composition qui est plus architecturale que
sculpturale, et la parfaite harmonie de toutes les parties qui
le composent, auraient dû amener *à penser que le dessin
appartenait à un architecte et l'exécution à un sculpteur.
C'est ce qu'est venu nous révéler dernièrement une
lettre de Jehan Perreal à Louis Barangier, secrétaire de
M"" Marguerite d'Autriche, datée de Lyon du 4 janvier i5i r,
dont voici un extrait * :
<( Monseigneur, je vous ai envoyé le patron de la sépul-
ture du duc de Bretagne, tout ainsi qu'elle est faite sans y
adjouster ni diminuer, tant marbre blanc que noir, les ver-
tus ont VI pieds de hault, les gisants VI et demi, les
apostres 11 pieds; ce dit patron ay-je fait juste, vous en
povez parler bien au long; j'ai esté toujours quand on la
faisait, ou le plus de temps, je Tai prise en son lieu
comme aultre fois vous ay conté.
i( Mais quant au marbre, on l'a fait venir de Gênes
jusqu'à Lyon, puis de Lyon jusques à Rouanne par terre,
et puis de là à Tours par eau.
« Michel Colombe besongnait au moiz et avait pour
moiz XX escus, l'espace de sine ans; il y avait deux tail-
leurs de massonnerie italiens qui avaient chacun VIII escus
pour moiz, l'espace de sine ans; il y avait deux compa-
gnons tailleurs d'images soubz Michel Colombe, qui avaient
VIII escus pour moiz l'espace de sine ans: on paioit tous
fers afferez, tous outilz, tous pollicemens, tous cymens,
I. Cette pièce de Jehan Perreal a travail remarquable sur les œuvres de
été publiée par M. B. Fillon dans son Michel Colombe. (Docum., lettre E).
J
fH WUTIrflLi-EiL
TOMBEAU DE FRANÇOIS II ET DE MARGUERITE DE FOIX.
VUE GÉNÉRALE.
- ti III IftL
DE JEHAN PERREAL 53
finallemenc, la chose a été si bien achevée, que je i*aî posée
au lieu désiré par la dicte dame, et cousta à poser, tant
pour faire la voulte pour mettre le corps, que pour les
engins, que pour l'enrichir d'un peu d'or, la somme de
y soixante livres", car j'en ay tenu le compte. »
Par ces lignes, il est incontestable qu'à Jehan Perreal
appartient la composition, tandis que Michel Colombe en a
été un interprète docile et habile.
Ce monument, qui n'a pas de supérieur en France,
repose sous les voûtes de la grandiose cathédrale de Nantes;
les plus illustres maîtres de Tltalie pourraient avouer cette
grande et simple ordonnance, ce mélange de force et d'élé-
gance, cette noblesse de forme, cette ampleur de draperie,
le choix exquis des ornements; mais ce qui marque ce
chef-d'œuvre d'une puissante originalité, c'est que l'artiste
en s'élevant assez haut vers l'idéal, pour atteindre la vraie
grandeur et la vraie beauté, n'a pas perdu de vue son pays
et sa race. Son œuvre transportée dans les musées d'Italie
décèlerait une main française ; les figures n'ont pas la
beauté grecque ou romaine, elles sont la forte expression
de ce vieux type gaulois qui est resté marqué en traits
ineffaçables chez les femmes de notre pays.
Cet admirable mausolée en marbre blanc, noir et vert
est élevé de cinq pieds et posé sur un socle en marbre
blanc couvert d'une mosaïque qu'entrelacent des F et des
hermines; sur la table de marbre noir sont couchées deux
statues en marbre blanc de six pieds et demi de longueur.
Celle de droite représente François II, vêtu de son man-
teau ducal, les mains jointes, ayant à ses pieds un lion
I. Cinq cent soixante livres.
RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
couché, tenant dans ses pattes Vécu de Bretagne couronné;
celle de gauche, représente Marguerite de Foix, sa seconde
femme, vêtue également de son manteau ducal, les mains
jointes, ayant à ses pieds une levrette portant au cou les
armes de Bretagne et tenant dans ses pattes Técu de Foix
et de Bretagne; trois anges de la plus grande beauté sou-
tiennent les coussins brodés sur lesquels reposent les têtes
couronnées du duc et de la duchesse.
Debout sur Testrade aux angles du monument, quatre
superbes statues de six pieds de haut représentent les Ver-
tus cardinales; c'est dans ce parti de cantonner la masse
du mausolée que Ton retrouve le peintre-architecte; ces
quatre figures représentent la Justice, la Prudence, la Tem-
pérance et la Force.
La Justice passe pour être le portrait de la reine Anne;
elle tient de la main gauche le livre des lois, et de la
droite une épée pour les faire respecter. La Prudence a
dans les mains un compas et un miroir; le derrière de la
coiffure représente un visage de vieillard; la Tempérance
tient un mors et une horloge; quant à la Force, la compo-
sition en est savante et profondément exprimée, on éprouve
en la contemplant une impression indéfinissable ; cette statue
a dû coûter à l'artiste plus de travail et surtout plus de
méditations que les autres; nous signalerons la pose et le
mouvement de la main droite comme l'expression d'une
volonté qui agit sans effort ; le mouvement de la tête qui est
couverte d'un casque de forme particulière a été étudié dans
le même sentiment; une cuirasse richement ornée lui des-
sine fortement le buste; de cette main droite elle écrase un
monstre qu'elle arrache d'une tour crénelée soutenue par
DE JEHAN PERREAL 55
sa main gauche ; ce geste nous montre ses bras vigoureux
et nus que découvrent ses manches fendues.
Ces quatre statues sont admirables, les draperies sont
rendues avec une rare perfection, et, dans chaque figure, on
remarque une individualité frappante, bien que toutes les
quatre soient également nobles et belles.
Dans de petites niches, au-dessous des statuettes, sont
seize pleureurs ou pleureuses, la tête en partie couverte d*un
capuchon; leurs visages et leurs mains sont en marbre blanc,
le reste en marbre vert.
Autour du monument sont seize statuettes en marbre
blanc ; dans des niches en marbre rouge, à droite et à gauche,
sont les douze apôtres; à la tête, Charlemagne et saint
Louis; aux pieds, saint François et sainte ^Marguerite, pa-
trons des ducs et de la duchesse. Des pilastres en marbre
blanc couverts d'arabesques d'un fini et d'une élégance remar-
quables séparent chaque niche.
Peut-être est-il permis d'attribuer à Jehan Perreal Tin-
génieuse idée d'avoir, le premier, introduit dans les orne-
ments de la sculpture ces délicates arabesques renouvelées
de l'antique? Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il fut le
premier qui les introduisit en France, car on n'en connaît
pas d'exemple avant i5o2. On peut ajouter que, sous le règne
de Louis XII, la France a sculpté aussi bien que l'Italie, et
que c'est sous ce règne que notre sculpture a eu ce merveil-
leux développement, si malheureusement arrêté, sous Fran-
çois P**, par le mauvais goût des artistes italiens de la déca-
dence qui travaillèrent à Fontainebleau.
En somme, cette œuvre est celle d'un maître de la plus
haute lignée, le dessin en est fier et d'une grande tournure.
66 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
les attitudes sont nobles et élégantes, les draperies pré-
sentent des plis d'un grand goût, et quelle que soit la place
qu'on lui assigne dans le premier rang, il est impossible
de la mettre au second.
C'est dans le cours de ce travail que Perreal reçut, le
3 juin i5o5, une nouvelle marque de confiance du roi et
de la reine qui le chargèrent de la surintendance générale
de la vaisselle d'or '.
Le 10 septembre i5o4, expirait au château de Pont-
d'Ain à l'âge de vingt-quatre ans, après trois ans de
mariage, Philibert le Beau, duc de Savoie.
La douleur de sa veuve* Marguerite d'Autriche fut
grande; elle mit en dépôt le corps de son mari dans l'an-
cienne église de Brou, auprès de celui de sa mère, Margue-
rite de Bourbon, et s'occupa dès lors du projet d'élever un
beau monument où elle viendrait à son tour reposer un
jour près de Tépoux qu'elle venait de perdre.
« Il ne se faut esbahir si elle fut alors gehénée d'une
extrême angoisse, perdant le plus riche duc qui oncque fut
en Savoye ; et avec sa beauté, grandeur, douceur et huma-
nité inestimable, si bien que le soleil ne vit oncques de son
temps, prince où le ciel eust tant espanché de ses faveurs
qu'en eeslui-cy. Par quoy se voyant la dite dame plus
extrêmement passionnée, et plus d'effort elle monstroit de sa
patience et plus recouroit à Dieu qui seul est le consolateur 2. »
Son projet était de faire construire un couvent et une
église dans le sanctuaire de laquelle seraient déposés les
restes de ses plus chères affections.
I. Renaissance des arts à la Cour de 2. Chronique de Savoie, livre III.
France, tome 1. Supp., p. 74S.
DE JEHAN PERREAL Sy
Son but a été atteint, le tombeau de Philibert le Beau
se trouve placé entre celui de sa mère et celui de sa femme,
dans le chœur de l'église de Brou.
Il s^était passé vingt-quatre ans, depuis que sa belle-
mère avait fait le vœu d'y construire un monastère de
Tœuvre de saint Benoît, si elle obtenait le rétablissement
de son époux; il recouvra la santé, mais la duchesse
mourait avant d'avoir rempli cette promesse dont elle avait
recommandé l'accomplissement à son fils Philibert.
Marguerite s'occupa dès lors de l'exécuter et de satisfaire
en même temps au mouvement de son cœur.
Dans cette entreprise, elle éprouva bien des contrariétés :
son conseil lui fit envisager l'état des finances du duché, la
médiocrité de ses revenus et Timmensité des dépenses dans
lesquelles elle allait s'engager; d'une nature forte et tenace,
elle n'en fut point ébranlée et s'occupa tout de suite de réunir
les sommes nécessaires pour mener à bonne fin cette grande
entreprise et de solliciter de la cour de Rome les bulles
nécessaires pour l'accomplissement de son projet.
Puis elle entra en pourparlers avec J. Perreal, qu'elle
avait connu à la cour de France^ et que la conception si
éminemment remarquable du tombeau élevé à Nantes, par
I. Marguerite d'Autriche, âgée seule- les VIII avec Anne de Bretagne,
ment de trois ans, fut fiancée à en 149?.
Charles VIll; conduite à Paris en juin a On ne peut douter, dit M. Dufay,
1483, elle y passa dix ans de sa pre- que Jehan Perreal n'ait été le premier
mière jeunesse dans l'étude des lettres maître de dessin et de peinture de la
et des beaux-arts qu'elle aimait pas- jeune Marguerite, surnommée la pe-
sionnémentetqui en ont fait Tune des tite reine. En effet, à qui pouvait-on
femmes les plus savantes de son mieux s'adresser qu'au peintre du roi
siècle. pour lui donner les meilleures leçons
Marguerite ne quitta la France que de l'art dans lequel elle excella plus
deux ans après le mariage de Char- tard ? w
8
58 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
ordre de la reine Anne, à son père François II, duc de
Bretagne, et à sa mère Marguerite de Foix, avait placé au
premier rang des artistes de son temps', pour le charger
d'esquisser le plan d'un couvent, d'une église et de deux
sépultures.
C'était le plus glorieux travail que Jehan Perreal pût
rêver, par le fait du voisinage de sa ville natale; il accepta
donc avec empressement; sa pension fut fixée ^ à vingt écus
d'or au soleil par année.
J. Perreal se mit à l'œuvre et soumit d'abord le plan du cou-
vent à la princesse qui l'agréa. C'est en l'année i5o5 qu'un
document^, le prix fait du couvent et de l'église de Brou, fixe
la date du commencement des travaux qui furent confiés,
par- devant Loys Vionet, trésorier de Bresse, « à cinq
massons pour faire le tout celon le pourtraict dont ils
auront le double ». Le 27 août i5o6, Marguerite revint à
Brou et posa la première pierre de l'église en présence de
Laurent Gorewod, gouverneur de la Bresse, et des per-
sonnes invitées par lui à la cérémonie; dès lors, les travaux,
qui eurent d'abord pour objet le couvent, se poursuivent, et
l'on voit, d'après une lettre adressée à la princesse le
28 août i5o8, par frère Claude, qu'ils étaient, sinon
terminés, du moins très avancés. « Je prye Dieu que vous
I. La renommée de Perre'al devait attiré Tattention fut un grand hon-
êtrc à la hauteur de celle des plus neur pour l'École française du
grands maîtres de ce temps, pour quinzième siècle,
avoir engagé la gouvernante des Pays- 2. Lettre du 14 juillet i5io. Docu-
Bas, fille de Tempereur Maximilien, à ments C.
s'adresser à lui, de préférence aux 3. Documents authentiques et iné-
grands artistes de ses États, dans le dits; Histoire de Véglise de Brou,
but d'avoir un dessin pour ces tom- par Jules Baux, page 3ii, édition
beaux. Ce choix, sur lequel on n'a pas i865.
Il
LA FORCE
STATUE nu TOMBEAU DE FRANÇOIS II.
/^
f
DE JEHAN PERREAL Sg
donne grâce de venir visiter votre très magnifique couvent
et vos très révérends religieux de Brou^ »
Quant à Téglise, la construction n'en était pas encore
commencée cinq ans après =, faute d'argent peut-être, car
on voit que les gages des employés étaient payés d'une
façon très irrégulière. Quoi qu'il en soit, on peut conclure
que le retard apporté dans ces travaux provenait du fait
de la princesse et non de l'architecte, ainsi que quelques
personnes l'ont prétendu.
On lit dans son testament, daté du 20 février i5o8, que
Marguerite a changé son plan et qu'elle a décidé de faire
construire pour elle un troisième tombeau à côté de celui
de son mari.
« Item, nous élisons la sépulture de nostre corps en
l'église du couvent de Sainct-Nycolas de ToUentin-lez-Bourg
en Bresse, lequel nous avons fondé et faisons présentement
édifier et construyre.
(c Voulons et ordonnons que par les exéquteurs de notre
présent testament cy-après nommez soit achetté ung* ou
deux draps, tels qu'ils adviseront pour mectre sur nostre
dict corps et à çhascung quarré des dicts draps ou drap
soyent mises nos armes ea bordure, et voulons être inhumée
emprès le corps de feu nostre très chier seigneur et mary
le duc Philibert de Savoye, que Dieu absoille, du cousté
sénestre; et au destre sera le corps de feu M"' Marguerite
de Bourbon sa mère, et le corps de mondict seigneur et
mary au milieu. »
1. Doc. A. Lettre de frère Claude. Lemaire, que Marguerite n'avait pas
2. Documents, lettre D. On voit par donné à cette époque Tordre de com-
cette lettre du 25 novembre i5io, de mencer les travaux de Téglise.
6o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
En livrant en i5o5 les plans des bâtiments à construire
à Brou, Perreal n'avait fait qu'ébaucher les dessins de
Teglise et des tombeaux; Marguerite chargea donc Jean
Lemaire de l'informer de ses nouvelles intentions. Il était
alors en Italie, à la suite du roi Louis XII, en guerre
contre les Vénitiens, pour le prier de lui faire un « patron
de quelque mode digne de mémoire » s'il est possible.
Dès son retour de voyage, Jehan Perreal s'empressa de
lui écrire une lettre datée du i5 novembre 1609, qui mérite
d'être remarquée' et dont voici un extrait :
« Madame, tant et sy très humblement que fère puis en
votre bonne grâce me recommande. Madame, depuis le
temps que de vous je receu une lestre contenant en somme
que vouliez que fusse paie d'une pension que de piessa
vous pieu me donner et de bon cueur octroier, de laquelle
ay joy deux ans, et jà sont passez trois que n'en ay rien
receu, j'ai esté en cour tousjours, et en ceste dernière
guerre contre les Véniciens, .où ay eu plus de dangier que
de mal. Et quand j'ai esté arrivé à Lyon, j'ai treuvé Jehan
le Maire qui avoit faict un volume que je croy avez à pré-
sent et d'aultres euvres, lequel me dit vostre instruction
touchant trois sépultures que volez fere en l'esglise que
faictes fère près de Bourg, que l'on me dit devoir estre
fort belle. Sy me dict que on vous en avoit faict quelques
patrons, mais il me dit que s'il estoit possible d'en faire
ung de quelque mode digne de mémoire que vous l'avez
agréable. Sy me suis mis après tant pour mon debvoir
envers vostre majesté que pour l'amour que je vous doy,
I. Perreal était donc au service de Marguerite comme architecte depuis
l'année i5o5. Documents, lettre B.
DE JEHAN PERREAL 6i
et ay revyré mes pourtraictures, au moins des choses anti-
ques que j'ay vu es parties d'Italie, pour fère de toutes
belles fleurs ung trossé bouquet dont j'ai montré le ject au
dit Jehan le Maire, et maintenant fais les patrons que
j'espère aurez en bref'. »
Cette insistance de la princesse qui prouve que les plans
dont elle parle ne la satisfaisaient pas, qu'elle rêvait autre
chose, un plan de l'invention de Jehan Perreal, est bien
un témoignage de la haute estime qu'elle avait pour
son talent et son goût, et qu'elle n'avait pas cette anti-
pathie pour tout ce qui n'était pas flamand, et surtout pour
ce qui était français, ainsi que plusieurs écrivains l'ont
prétendu.
Satisfaite non seulement de la bonne volonté de J. Per-
real de « revyrer » de suite ses dessins, au moins des choses
antiques qu'il a vues en Italie, mais aussi des plans par lui
faits, qu'elle a reçus par l'entremise de Jean Lemaire, pour
dresser les sépultures qu'elle fait w fère » au couvent de Saint-
Nicolas de Tolentin-lez- Bourg en Bresse, Marguerite lui
fit remettre le 14 juillet i5io par son trésorier, Diego
Florès, le payement de trois années finies à Pâques, de ses
gages et pension, et le nomma en outre son peintre et
« varlet de chambre ^ ». Dans le but de diminuer la dépense,
la princesse avait le projet d'employer 1' « albastre » pour une
grande partie de l'œuvre; elle avait chargé Lemaire de
faire des recherches à ce sujet et de lui en envoyer des
échantillons, ce qu'il fit; en réponse, elle lui écrivit
d'Amiens, le 10 octobre i5io :
« Nous trouvons, par ceulx qui se y cognaissent, que
I. Voir aux Documents, lettre B. 2. Voir aux Documents, lettre C.
62 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
le dict albastre n'est aucunement bon pour nos dicts ou-
vraiges'. »
Le 22 novembre, Lemaire lui écrivit de Bourg pour se
disculper, puis termine ainsi sa lettre.
« Par la voix et le dire d'un chascun il serait désormais
temps de commencer vostre esglise^. »
Cette lettre est la première parlant de Tédification de
Téglise, qui devait cependant tenir tant au «cueur» de la prin-
cesse, et Ton est surpris de voir que jusqu'à ce jour il n*est
question que des trois sépultures; d'où l'on peut conclure
qu'elle se préoccupait beaucoup plus de ces tombeaux que
de l'église, ou peut-être que ses ressources étaient absorbées
par la construction du couvent; dans tous les cas, il est
évident que ce retard ne provenait en rien du fait de Jehan
Perreal.
Cette lettre de Lemaire amena Marguerite à demander à
Perreal, son peintre, « riche de science, d'entendement, d'in-
géniosité, d'audace, d'honneur, d'avoir et d'auctorité^ », de
lui faire un « patron ou plate-forme » pour Téglise. Le 4 jan-
vier i5ii, il lui répondit qu'il serait très joyeux de s'y em-
ployer et de l'aider de tout ce qu'il a vu, mais que c'était
une chose «que ne se faisait pas sans y penser, tant au lieu
qu'à sa convenance et selon ce qu'elle désirait»; et à Louis
Barangier, son premier secrétaire et maître des requêtes, il
parle^ de la même affaire, mais en termes plus précis: après
lui avoir donné des détails techniques sur les diverses qua-
lités et défauts de Talbâtre, il l'engage à conseiller à Ma-
dame de faire lesdites sépultures de marbre blanc « prins à
1. Voir aux Doc. (lettre D, lo oct.). 3. Voir aux Documents (lettres E F),
2. Voir aux Doc. (lettre D, 22 nov.). 4. Voir aux Documents (lettre D).
DE JEHAN PERREAL 63
Gênes et de marbre noir prins à Liège », ainsi que la « royne »
(Anne de Bretagne) a fait, car sans mentir, l'œuvre sera
«perpétuelle et de princesse», tandis que «Talbastre ne saurait
durer quatre cents ans, non pas trois ».
A Tappui de ce conseil, Perreal joignit le plan de la
sépulture du duc de Bretagne, «tout ainsi qu'elle est faicte
sans y adjouster ne diminuer avec les mesures et les prix
payés aux ouvriers ».
Quelques jours après, en février, la princesse lui écrivit
de Malines une lettre officielle lui apportant sa nomination
de contrôleur de Tédifice de Brou, l'inscription de son fils
au rôle des bénéfices du comté de Bourgogne, et lui expri-
mant le désir de connaître le marché de Michel Colombe
pour le fait des sépultures, ainsi que le temps qu'il demande
pour les exécuter.
En voici le texte :
« Marguerite Archiduchesse d'Austrie, ducesse et com-
tesse de Bourgoigne, duagière de Savoie, très-chier et bien
amé, nous avons receu vos lettres, et puisque Jehan Lemaire
nous a layssé ' nous ne voulons avoir aultre contrerolleur en
nostre édifice de Brou que vous-même; pour ce quoy en-
tendre, nous désirons sçavoir quel marchié Michel Colombe
a avec vous, pour le faict de nos sépultures et dans quel
temps il pourrait avoir parfaict.
a Quant à vostre fils, le ferons mectre au roôle des bé-
néfices de notre conté de Bourgoigne.
« Escript de Malines, k.... jour de febvrier xv*^xi.
« Marguerite. »
I. Lemaire avait quitté le service d'indiciaire et d'historiographe de la
de Marguerite pour accepter la charge reine Anne de Bretagne.
C>4 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
Ainsi qu'on le voit, l'église n'était pas commencée au
mois de janvier i5ii, Jehan Perreal allait en faire le plan
et Marguerite lui en témoigne sa satisfaction.
Le 3o mars i5ii, il écrit de Blois à Louis Baran-
gier :
« Monsieur, tous les patrons sont faiz et bien enquessez;
je le mande à Madame Vous voiez la payne que je prends
et de bon cuer, tant en inventions que patrons. Et sur ma
foy, les derniers pourtraiz ou patrons que j'ai fais, tant celuy
de l'esglise que des trois aultres, m'ont donné beaucoup de
mal et toujours y va du mien, tant aux alées que venues et
aultres dépenses. Mais surtout ce m'est un grand rompement
de teste, tant pour inventer que pour faire au gré de Ma-
dame, qui est le tout^ »
Jehan Perreal se plaignait, en outre de ses dépenses,
du manque de zèle des conseillers municipaux, mais par-
ticulièrement d'un sculpteur de Salins, nommé maistre
Thibault, mauvais ouvrier, qui lui était particulièrement
hostile et qu'il désirait remplacer par Michel Colombe et
ses neveux.
Après le départ du roi Louis XII, de Lyon pour Blois,
le 9 septembre i5ii, Jehan Perreal se rendit à Bourg, avec
les maîtres maçons Henriet et Jean de Lorraine « tous deux
très grands ouvriers en l'art de massonnerie, pour besoigner
aux pourtraicts de l'esglise 2».
Il rendit compte de sa visite, le 8 octobre suivant, à
1. Voir aux Documents, lettre H. l'œuvre et maître masson à la plupart
2. Charvet, p. 81 et 82, «Jehan de des ouvrages exécutés à Lyon, pont
Lorraine, maistre de métier (massons). du Rhône, hôpitaux, hôtel de ville,
maistre jurez de la ville de Lyon en etc. » Quant à Jehan Henriet, c'est à
i5i I ; il a coopéré comme maistre de la cathédrale de Lyon qu'il a travaillé.
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DE JEHAN PERREAL 65
Louis Barangier dans une lettre restée longtemps iné-
dite'.
« Monsieur, je vous averti que je, avec Jean Lemaire,
me suis transporté au lieu de Bourg et nous sommes pré-
sentez à mes dits seigneurs et avons mené deux maistres
massons et avec ceulx de Brou avons bien calculé, spéculé
et regardé le lieu tant à bastir que celui qui est basti pour
les frères, et fismes par cordeaux pour mieux juger du tout,
mais considérant le bastiment, jà fait qui n'est pas peu,
nous sommes tous d'un accord délibéré de faire une esglise
à iceluy correspondant.
(c Considérant plus faire ouvrage de fille d'empereur que
pour aultre regard. Sy me suis mis après et ay fait une
plate-forme que Monsieur Tindiciaire porte
« Monsieur, je vous ay bien voulu escripre au long à
fin qu'il vous plaise de donner à entendre à Madame que
je vouldroie avoir autorité à tout le moins de conduire les
choses à la vérité, je dis pour l'amour de la sépulture, de
quoy je suis bien empesché avec l'homme que scavez ^ et
croy que je ne scay que je feray, combien que je faiz faire
les patrons, depuis que j'ai sceu que Madame veult qu'il se
face^.
« Maistre Jehan Lemaire vous dira bien la douleur ou
trouble en quoy j'en suis.
(( Monsieur, je vous rescrips non pour vous rompre la
teste,, mais pour vous donner à entendre que si Madame se
1. Documents, lettre J. Nous don- quait, disant qu^il n'était que peintre,
nons à la fin le fac-similé de Toriginal 3. M™e Marguerite tenait évidem-
qui fait partie de notre cabinet. ment beaucoup à ces patrons de
2. LcsculpteurThibaultquilecriti- Perreal, quoi qu'en ait dit M. Baux.
66 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
veult servir de moy en tel cas comme de Tesglîse et sépul-
ture, certes il est forcé que je soie obéy en ce qu'elle veult
et ce qui sera de raison ou je ne viveroy pas comme j'ay
acoustumé qui est que toujours j'ay aymé science et la per-
fection d'icelle.
(c Monsieur, Tindiciaire vous dira au vray ma bonne vo-
lonté. Justa illiid difficile est indigenti bene operare. Ce n'est
pas ce qui me mainne, mais c'est de bien commencer, de
non avoir faulx rapports et estre obéy en bien faisent. »
Lemaire, qui était allé à Tours pour faire faire les patrons
des sépultures en terre cuite par Michel Colombe, afin d'obéir
aux ordres de Marguerite, lui écrivit de cette ville le 22 no-
vembre i5ii '.
«Ce brave homme est fort ancien et pesant : c'est à savoir
environ quatre-vingts ans; il demandait le terme jusqu'à
Pàque pour ce travail, il faut que je le gagne par doulceur
et longanimité, mais je feroy tant que je réduiroy le tout à
trois mois : Je vous assure. Madame, que vous aurez un
des plus grands chiefs d'œuvre qu'il fit en sa vie; car vous
verrez la sépulture de feu Monseigneur en toute perfection
comme elle sera.
« Le gisant aura cinq pié et demi de longueur, les ver-
tus demi pié et toutes les autres imaiges à la correspon-
dance; et la massonnerie qui sera grand chose en toute per-
fection, comme si vous la voyez en grand volume, tellement
que les ouvriers qui besoigneront après seront tenus de
l'ensuivre à toute righeur, en réduisant le petit pié au
grand »
Pendant ce temps, Perreal, qui résidait à Lyon d'où il
I. Voir aux Documents, lettre L
DE JEHAN PERREAL C7
allait à Bourg quand il était nécessaire, avait terminé le
plan de Téglise de Brou; il avait reçu de Bois-le- Duc une
lettre de Marguerite d'Autriche, à laquelle il répondit le
i«^ décembre i5i r '.
« Madame, je vous avise que jay faict le patron ou
pourtraict de la dite esglise et y ay faict tout ce que j'ay
peu inventer et que j'ay veu partout où j'ay esté. Vray est
que Ton peut adjouster tout ce qu'il vous plaira, aussy Tay
mis soubz vostre correction comme verrez par mes lestres.
Il y a plus de deux moys que tout est faict, mais comme
j'ay pu savoir, Jehan Lemaire est demouré malade sur les
champs, comme Ton m*a dict, il a esté à Tours vers Michel
Colombe pour solliciter les patrons que je faiz faire de la
sépulture et y a esté longtemps comme il m'a rescript. Je
croy qu'il est sur les champs pour tirer vers et portera
tout'.
« Madame, je vous ay rescript par Jean Lemaire, si vous
entendez que de vostre église je y aye l'œil ainsy que m'ayez
rescript, il faudrait que j'eusse par vous quelque peu d'au-
torité et pour vostre profit, car à présent je n'y ay pas grand
crédit. Ce que j'en dis est afin tendant de bien conduire vos
affaires, car ce dis-je pour maistre Thibault du quel ne puis
chevir (donner satisfaction) et ne puys avoir ouvriers tant
qu'il y sera, et puys il ne sait rien et veult tout faire. Il a
receu cent escus et ne veult bailler argent pour payer les
petits patrons que je fais faire, maiz les paye de mon ar-
gent. — Madame, vous en ferez ce qu'il vous plaira, mais
avec luy ne sauroie vivre. Je aimasse mieulx avoir entre-
I. Bois-le-Duc, ville du Brabant. 2. Jean Lemaire s'était rompu le bras
Documents, lettre K. et était allé se faire soigner à Lyon,
68 RECHERCHES SUR LA VIE ET L^ŒUVRE
pris tout seul, car aussy bien faut-il que je fasse tout et que
je mette les ouvriers en œuvre et que je les envoyé quérir. »
Un artiste doit en effet être libre de travailler d'après
ses réflexions et d'après ses principes, et quand il a mûri
son projet et qu'il a le degré de talent dont il se sent
capable, il faut qu'il puisse le produire avec des aides de son
choix tenus de lui obéir. Il est évident que si les grands
maîtres avaient agi autrement, nous n'aurions rien à puiser
dans leurs ouvrages.
Ces deux lettres des 8 octobre et i»** décembre i5[i sont
des plus importantes parmi celles qui ont été conservées
touchant la vie de notre artiste, parce qu'elles nous dévoi-
lent la source de la mésintelligence qui éclata entre la prin-
cesse et Jehan Perreal,et amena bientôt après la rupture de
leurs relations.
Plus nous approchons du moment où va définitivement
commencer l'exécution des sépultures et de Téglise , plus
nous voyons grandir les préoccupations de Perreal à ce sujet,
ne voyant autour de lui, à Brou, que des sculpteurs médio-
cres ou incapables dont le mauvais vouloir était évident.
L'hostilité d'un chef lui donnait surtout de justes motifs de
craindre une mauvaise exécution de l'œuvre qui lui avait
donné tant de peine, tant de soucis, tant « de rompement
de teste », et que Michel Colombe et Jehan Lemaire, deux
excellents juges dans cet art, qualifiaient de grand chef-
d'œuvre '.
I. Nous avons donné une preuve de lagloire et que la postérité a confirmés:
la sûreté du goût de Lemaire dans un Léonard de Vinci, Bellini, Pérugin,
coup\ct de son poème De la plainte du Jean van Eyck et Jehan Perreal, dit
désiré imprimé en i5o9, en désignant Jehan de Paris,
cinq peintres arrivés de son temps à
DE JEHAN PERREAL
69
Dans le trouble et le tourment de son esprit, il deman-
dait à Marguerite d'Autriche, comme on le voit dans cha-
cune de ses lettres, à être seul directeur des travaux et
d'avoir pour aides Michel Colombe et ses neveux, qui l'a-
vaient aidé dans l'exécution du tombeau du duc de Bretagne
et dont il était sûr, en remplacement du sculpteur Thibault
« qui ne sait rien et veut tout faire, avec lequel il ne
saurait vivre, ni avoir aucun bon ouvrier, tant qu'il y
sera ».
Mais Marguerite était trop autoritaire pour abandonner
ainsi la direction de son entreprise'; elle en avait calculé
la dépense d'après ses revenus qui étaient médiocres et
qu'elle ne voulait pas dépasser.
Cette persistance de Perreal à demander la direction et
le choix des ouvriers, à recommander l'emploi du marbre
de préférence à l'albâtre, etc., etc., qui, évidemment devait
la faire sortir des limites qu'elle s'était fixées, la contraria
vivement. Nul doute qu'elle forma alors le projet de l'éloi-
gner; à ce motif de défaveur il faut joindre, aussi, des in-
trigues de palais, des propos, des médisances, dont on
I. S'apercevant de la répugnance
que les affaires inspiraient à Philibert
le Beau, René, bâtard de Savoie, son
frère naturel, s'était fait revêtir du
titre de lieutenant général des États
de Savoie et bientôt disposa de tout.
Lorsque Marguerite devint l'épouse
de Philibert, Tascendant ainsi exercé
par le bâtard de Savoie fut mis à
une rude épreuve. Le caractère de
cette princesse et la fermeté de sa vo-
lonté ne pouvaient s'accommoder de ce
partage d'autorité: elle s'appliqua
donc à éloigner un gouverneur qu'elle
ne pouvait pas souffrir. La lutte fut
ardente mais décisive. René se réfugia
à la cour de France, et, après son dé-
part, Marguerite dirigea sans contrôle
les affaires de Savoie et des pays de
Bresse. » (Jules Baux, Histoire de Vé-
glise de Brou.)
Ce fut à cette époque que la ville
de Bourg fit graver, par un orfèvre
du pays, nommé Marende, une mé-
daille où l'on voit les bustes affrontés
de Philibert et de Marguerite dans un
champ de marguerites et de lacs d'a-
mour.
RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
trouve les traces dans la lettre de Perreal à Marguerite datée
de Blois du 20 juillet i5i2'.
« Madame, ce porteur Diret a passé à Bloys, de son
retour de Bretaigne, et a parlé à moi. Je dis à la Royne
comme il n'a pas faict comme debvoit et qu'il a esté mal
recully. La dicte dame a dict que se elle Teust sceu, elle y
eust mis remède, et m'a dict que luy die que se on luy
faict desplaisir à son retour vers vous, qu'elle le réparera.
Cecy je dis pour ce qu'il est venu ung homme vestu d'une
robe de camelot noir qui a porté lestre à la Royne, de par
vous et de vostre main signée, qui disoit qu'il lui plust
vendre de ses navires de Bretaigne pour vous et que en
aviez à faire.
c( Madame , la Royne par le dict homme vous faict res-
ponse. S'il est vrai ou non, vous le pourrez sçavoir; je l'ay
dit à ce porteur Diret. »
On sait que Marguerite n'oublia jamais l'affront que lui
avait fait Charles VIII. Sa jalousie contre la jeune reine
s'étendait jusqu'aux personnes qui lui étaient dévouées,
comme était Jehan Perreal, qui faisait de fréquents séjours
au château de Blois.
Quelques jours après, le 3 décembre i5ir, Michel Co-
lombe adressa de Tours à Madame Marguerite, suivant la
demande qu'elle en avait faite à Perreal par sa lettre de
Malines, février i5ii, le marché qu'il avait conclu, ainsi
qu'il suit=:
« Je Michel Colombe, habitant de Tours, et tailleur
d'ymaiges du roy, nostre sire, tant en mon propre et privé
nom, comme es noms de Guillaume Regnault, tailleur d'y-
I. Documents, lettre N. 2. Documens, lettre L.
DE JEHAN PERREAL
maiges, Bastyen François, maistre masâoii de Téglise de
de Saînct-Martin de Tours • et François Colombe, enlumi-
neur, tous trois mes neveux, confesse, promect, affirme et
certifie en foy de loyal prud'homme les choses qui s'ensui-
vent être véritables, tant pour le présent et passé, que pour
Padvenir; et ce pour la descharge et acquit de Jehan Le-
maire, indiciaire et solliciteur des édifices de très haulte et
très excellente princesse madame Marguerite, archiduchesse
d'Austriche et de Bourgoigne, duchesse douairière de Savoyc
et contesse palatine de Bourgoine.
« C'est assavoir tout premièrement, je confesse es noms
que dessus avoir eu et reçeu de ma dicte dame, par les
mains de son dict indiciaire, Jehan Lemaire, la somme de
quatre vingts quatorze florins d'Allemagne, à vingt sept sols
six deniers tournois pièce, qui reviennent à la somme de
six vingtz huyt livres treize sols tournois monnoye du Roy,
présentement courante. Et ce pour nos peines, labeurs et
salaires de faire la sépulture en petit volume de feu de bonne
mémoire, Monseigneur le Duc Philibert de Savoye, mary
de la dicte dame, selon le pourtraict et très belle oi^don-
nance faicte de la main de maistre Jehan Perreal de Paris,
peindre et varlet de chambi^e ordinaire du rof^ nostre dict
seigneur; de laquelle somme de quatre vingtz quatorze flo-
rins d'or d'Allemaigne revenans à la dicte somme de six
vingt huyt livres xiii sols, je me tiens pour content et bien
payé et en présence es noms que dessubs, les dicts Jehan
Lemaire, solliciteur pour Madame, et tous aultres à qui il
appartiendra. Et de laquelle sépulture je Michel Colombe,
dessubs nommé, feroy de ma propre manufacture sans que
aultre y touche que moy, les patrons de terre cuite, selon
72 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
la grandeur et voulume dont j'envoye à ma dicte dame deux
portratcts, Vun en platte forme pour le gisant, Taultre en
élévation^ faiz les diz patrons, des vertus de la main des
dicts François Colombe, enlumineur, et Bastyen François,
masson, mes nepveux.
« Et le dict Bastyen fera de pierre de taille toute la mas;
sonnerie servant à la dicte sépulture en petit volume par
vrayz traictz et mesures, tellement que, en réduisant le petit
pié au grand, Madame pourra veoir toute la sépulture de
mon dict feu seigneur de Savoye, dedans le terme de Pasques,
pourvu que aucun inconvénient ou fourtune ne surviengne
au dict Coulombe durant le dict temps : et iceulx patrons
je prometz loyaument, à Taide de Dieu, faire pour ung chief
d'oeuvre, selon la possibilité de mon art et industrie.
« Oultre plus, pour ce que le dict solliciteur Jehan Le-
maire nous a affermé que Madame désire d'estre servye en
ses édifices de gens meurs, graves, sa vans, seurs, certains,
expérimentez, bien conditionnez, et observant leur promesse
comme bien raison le veult, mesmement de ceulx que je
dessubs nommés, assureroy à ma dicte dame estre telz; d'icy,
et déjà j'asseure et afferme que Guillaume Regnault, tailleur
d'ymaiges, mon nepveu, est souffisant et bien expérimenté
pour réduire en grand volume la taille des ymaiges servant
à la dicte sépulture en ensuivant mes patrons, car il m*a
servy et aidé Tespace de quarante ans ou environ, en telle
affaire, en toutes grandes besoignes, petites et moyennes,
que, par la grâce de Dieu, j'ay eues en main jusque aujour-
d'huy et auroy encoire et tant qu'il plaira à Dieu. Mesme-
ment il m'a très bien servy et aidé en la dernière euvre que
j'ay achevée; c'est assavoir la sépulture de duc François de
DE JEHAN PERREAL
Bretaigne, père de la Royne; de laquelle sépulture j'envoye
ung pourtraict à Madame.
« D'aultre part, le dict Bastyen François, gendre de
mon dict nepveu, s'afferme estre souffisant pour e:^ploicter
et dresser, en grand volume, les patrons de la dicte sépul-
ture, quant à Tart de massonnerie et architecture. Lesquels
patrons seront faictz en petit volume, de sa main propre.
« Et après les dictz patrons achevez, dedans le terme de
Pasques, dessubs dict, et iceulx estoffés de paincture blanche
et noire, selon ce que la nature du marbre le requiert, par
le dict François Colombe, enlumineur, la taulette de bronce
dorée et les lisières, armes, fourries d'ermines, carnations
de visaiges et de mains, escriptures, toutes aultres choses à
ce pertinentes fournies, selon que le debvoir le requiert; je
dessoubz signé prometz envoler les dicts Guillaume Regnault,
mon nepveu, et Bastyen François, son gendre, porter la
dicte sépulture en petit volume à Madame, quelque part
qu'elle soit, dedans le terme de la purification de Notre-
Dame.
(c Ensemble l'élévation de la platte-forme de son esglise
mesmement touchant la sépulture des deux princesses dont
nous avons les pourtraictz et tableaux, faicts de la main de
Jehan de Paris, et aussi le dict Bastyen François portera la
montée de l'élévation du portai et des arcz boutans par
dehors; pour lesquelles choses estre faictes par les dictz
Bastien François, j'ai retenu le double.
(( Le double de la platte-forme de la dicte esglise du
couvent de Sainct-Nicolas de Tolentin lez Bourg en Bresse,
icelle platte-forme faicte et très bien ordonnée sur le lieu,
mesurée de la main de maistre Jehan de Paris, avec Vadvis,
74 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
en présence de maistre Henriet et maistre Jehan de Lor-
raine, tous deux très grans ouvriers en l'art de massonnerie,
« Et quand les dicts Guillaume et Bastyen, mes nepveux,
auront présenté la dicte sépulture en petit volume à ma
dicte dame, et icelle dressée en sa présence, et déclaré
toutes les circonstances et dépendances d'icelle, s'il plaît à
Madame, j'entreprendroy volontiers la charge et marche
d'icelle, faire réduire en grand volume par le dict Guillaume,
tailleur d'ymaiges, et Bastyen, masson. Lesquels j'envoiroy
sur le lieu du dict couvent lez Bourg en Bresse Et
avons convenu avec le dict Jehan Lemaire, que chascun
de mes dicts nepveux aura par jour, compté depuis leur
partement de cette cité de Tours, dont je feroy certiffication
par mes lettres jusques à leur retour, la somme de V Phi-
lippus d'or, vallant XXI sols tournois, sauf ce qu'il plaira
mieulx tauxer à Madame et recognoistre leurs labeurs et
diligence, comme moy et les miens avons parfaite confiance
en son excellence très renommée, laquelle nous tous désirons
servir de bon cuer, s'il lui vient à plaisir
(( Signé : Michel Colombe, Formon
ET Lemaire. »
Le 14 mai i5i2, Lemaire écrit de Blois à la princesse,
que François Colombe « nepveu du bon maître » est allé à
Dieu, « mais que maistre Jehan Perreal a terminé les patrons
de bon cœur dont les aultres étaient payés, c'est-à-dire qu'il
a estoffé les dicts patrons de couleurs, qui est un grand
chef-d'œuvre I »
« Madame, en ensuyvant les lettres que derenièrement je
î. Documents, lettre M
DE JEHAN PERREAL
VOUS escrivis, quand il vous plaira envoyer quérir les dicts
patrons, il me semble que, pour le bien de Tœuvre, il serait
bon d'envoyer par deçà ung homme bien entendu et qui
vous sceut rapporter ce qui est du mestier touchant Tceu-
vre et les marchiez tant de bouche comme par escript, et
mesmement les intentions des deux maistres, Michel Co-
lomb et Jehan Perreal, avec ce que j*en ay aprins de ma
part. »
Le 20 du mois de juillet, c'est Perreal, qui, de Blois
lui écrit/ pour lui demander si elle a reçu « la sépulture et
les images que son varlet de chambre Pierrechon lui a
portées, ne scay sy elle les a reçues entières, mais aultrement
m'en déplairait.
« Madame, Michel Colombe faict les dix vertus comme
il a promis, j'ai faict l'ordonnance et patrons pour faire ces
dix vertus. Il est après. Je ne sçay si serez contente de ce
que les ay ainsy accoustrées, tant blanchy les images que
dorez et faire visaiges, s'il vous plest ainsy, ce me sera
plaisir. Mais je doubte que pour le temps vous estes lasse
de Jehan Perreal^ tant pour paroles raportés que aultre-
ment^ mais à moy, je n'ay seulement parlé, mais ay faict
et reffaict au mieulx que j'ay pu et feray toutes fois qu'il
vous plaira me commander
« Madame, puisque ainsy est que de moy n'ape:{ plus
affaire, je vous supplie au moins qu'il vous plaise me
commander et mander si je feray les vertus blanches,
comme le reste que je vous ay envoyé. »
Marguerite laissa cette lettre sans réponse, Perreal en
fut froissé; il Tétait depuis quelque temps par le peu
I. Documents, lettre N.
76 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
d'autorité qu'il avait dans la direction des travaux, ce qui
lui donnait peu de crédit.
N'ayant pas été admis près d'elle pour se justifier, fournir
ses preuves et donner des explications contre ses ennemis,
il se voyait desservi auprès d'elle par ses conseillers et se
sentait découragé; prévoyant sa disgrâce, il se décida à lui
écrire de Blois, le 17 octobre i5r2, une lettre* dont voici un
extrait :
« Madame, je ne puis tenir de vous escrire, car amour
ancien me contrainct, et ce sçavez, mais à présent je
cognais que vous querez me rebuter; ce que de votre part
se faict, et de mon costé ne se fera. Combien que maulgré
Dieu ne seroy, en paradis, bien cognais que de vous
mais comme j'ai piessa mandé à M. Loys Barangrer, il ne
me chault des porteurs et inventeurs de menteries, tant
pour J. Lemaire dont vous pensez par rapport que soit
cause.
« Je croy que vous n'avez plus en moi nul vouloir, à
l'occasion d'aulcuns rapporteurs,. comme l'on m'a dit d'ung
quidam qui vous a raporté tant et tant de menteries que
tout ne vault rien. Mais un bien me réconforte, que telle
et bonne princesse ne ajoustcra foy aux menteurs, cognois-
sant que de ma vie je ne fis, ne vouldrois fère que ce que
vous avez veu, non pour les biens, mais par amour et
honneur que je vous doy. Et se d'avanture cette maudite
guerre est cause de retarder tant de bien, mauldit soit qui
en est cause. A moy n'en est à cognoistre. Mais tant vous
dis que vouldroys estre viii jours avec vous, à vostre
plaisir, et je vous dirois que valent les grans et les petits.
I. Documents, lettre O.
DE JEHAN PERREAL
<( Madame, si tant il vous plaisoit me donner ceste joie
que de me mander que je me déporte de plus vous
escripre, et que ainsi vous plaise, je prendroie passience et
maulgré moy; et me fera mal à jamais d'avoir perdu
Tamour de telle dame que toute ma vye j'ay aymée et que
j'aymeray, combien que peu vous en proufite.
« Or, Madame, je vous suplie, en Thonneur de Dieu,
qu'il vous plaise me mander que je me taise, ou que je
suis vostre serviteur, car des biens de ce monde ne me
chault w Etc. etc.
Cette lettre, la dernière de Jehan Perreal, mit fin à ses
relations avec Marguerite qui la laissa sans réponse. Il ne
pouvait se faire illusion plus longtemps : elle lui retirait sa
faveur, elle possédait le plan de Téglise de Brou et les
modèles des statues pour les tombeaux. C'était ce qu'elle
voulait; il ne lui était plus indispensable depuis qu'il les
lui avait livrés, et elle pouvait les faire exécuter en
albâtre, etc.
Blessé d'être forcé d'abandonner ces superbes projets
pour lesquels son âme s'était depuis longtemps sincèrement
éprise, on voit percer à chaque phrase une profonde
indignation de cette injustice dont il paraît avoir souffert et
qui lui donnait droit de se plaindre, car il ne reçut aucune
indemnité pour cette œuvre remarquable, fruit de son
génie et de ses rompements de tête.
Peut-être eût-il fait plus sagement de ne pas exhaler sa
plainte en termes si rudes. La vivacité de son caractère ne
le lui permit pas, il eut cela de commun avec Michel-Ange'.
I. «Ce grand artiste désirant se ren- lait à la Sixtine, alla demander de
dre à Florence, pendant qu'il travail- Pargent au pape qui lui dit : « Quand
78 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
Quoi qu'il en soit, reconnaissons qu'il y a loin de ce
caractère noble et fier qui élève le talent d'un artiste à
l'égal de la grandeur souveraine, avec le ton de suppliant
que quelques personnes lui ont prêté; il n'adressa aucune
requête, ce qui aurait impliqué de sa part un manque de
dignité, dont il fut toujours incapable, car son caractère
resta toujours à la hauteur de son génie. Il était, écrit
Lemaire à Barangier le i5 janvier i5ir, riche de science,
d'audace et d'honneur.
Ajoutons qu'à cette époque, au milieu des circonstances
les plus difficiles, on vit rarement les grands artistes céder
aux sollicitations de l'intérêt personnel et négliger la dignité
de leur vie.
Bien différent était le caractère de Marguerite d'Autriche.
Voici un extrait du journal de voyage d'Albert Durer qui
nous fait voir, sous son vrai jour, son caractère et expli-
que sa conduite avec Jehan Perreal et avec tous les artistes
qu'elle attirait à elle, en les flattant du titre de « chier et
bien amé », en usant d'aimables avances et de belles pro-
messes pour les exploiter impunément, puis s'en débarras-
sait sous un prétexte quelconque, sans bourse délier.
A l'arrivée d'Albert Durer à Bruxelles, Marguerite,
régente des Pays-Bas pour son neveu Charles-Quint, lui
dépêcha un officier de la cour, chargé de lui promettre
les bonnes grâces de la régente et celles de l'empe-
reur. Pour répondre à tant de politesse, le graveur de
« finiras-tu ma chapelier — Quand je le mit ordre à ses affaires et était sur le
«pourrai, répondit Michel -Ange. — point de partir, quand le pape lui
«Quand je le pourrai! ,» reprit Tiras- envoya son favori* Accursio, avec
cible pontife ; et il le toucha de son ses excuses et 5oo ducats, a Condivi,
bâton. Michel-Ange retourna chez lui, page 29.
DE JEHAN PERREAL
Nuremberg offrit à Marguerite d'Autriche quelques-unes
de ses belles estampes : le Saint Jérôme assis, gravé sur
cuivre, avec une finesse si merveilleuse; un exemplaire de
la Passion^ et il finit par lui faire don de sa collection
complète, en y joignant deux sujets dessinés sur parchemin
avec beaucoup de fatigue et de soin et qu'il estimait
trente florins.
Mais déjà Tintrigue l'environnait, l'envie lui dressait des
pièges, si bien qu'après d'aimables avances, Marguerite
parut bientôt changer d'humeur à son égard
Malgré son économie et ses laborieuses habitudes,
Albert Durer se trouva dans la gêne. Blessé du contraste
qu'il remarquait entre le somptueux accueil des premiers
jours et les étranges procédés qui avaient suivi, il mit en
grosses lettres' sur son carnet de voyage ces lignes venge-
resses :
« Dans toutes mes transactions, durant mon séjour aux
Pays-Bas, dans toutes mes dépenses, ventes et autres
affaires, dans tous mes rapports avec les hautes et basses
classes, j'ai été lésé spécialement par M"® Marguerite
d'Autriche, qui ne m'a rien donné en échange de mes
présents et de mes travaux. »
Nous pourrions citer, à l'appui de ces procédés indélicats,
d'autres faits; celui, par exemple, dont elle usa avec don
Diego Florès, l'un de ses trésoriers, qu'elle renvoya de son
office de receveur général, après lui avoir subtilisé de la
I. Journal de voyage d'Albert Durer II est traduit en français (par A. Weill)
dans les Pays-Bas en i520 et i52i, dans le Cabinet de Vamateur et de
journal publié par de Mûrr, dans le Vantiqitaire.
tome X de son Journal des arts. —
8o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE
même manière deux admirables tableaux de Jehan van
Eyck, l'un desquels est le chef-d'œuvre, maintenant conservé
à la galerie nationale de Londres sous le numéro 86 du
catalogue, représentant le Mariage d'Arnolfi\ il portait alors
les armes du trésorier sur le volet, destiné à garantir
l'image'. Ce tableau se voit dans l'inventaire fait par elle-
même en 1616 : « Un grand tableau qu'on appelle Hernou-
ïe-fin, avec sa femme dedans une chambre, qui fut donnée
à Madame par don Diego. » Mais ceux-ci suffisent pour
éclairer l'un des côtés de son caractère privé et faire
apprécier sa conduite avec ses « chiers et amés », ainsi
qu'elle appelait ses victimes.
Peu de jours après avoir reçu la lettre de Perreal,
Marguerite qui possédait enfin les plans, «pourtraits», dessins,
maquettes de l'église et des tombeaux qu'elle avait tant
désirés et n'ayant plus besoin que d'un habile « maistre
masson », expédia, de Malines, maître Van Boghen avec la
I. Inventaire des tableaux et objets qu'elle commandait. « Nous n'avons
d'art de Marguerite d'Autriche , pu- plus que XV ou XVI florins et
blié par M. Delaborde, p. 24. n'est possible que la dicte somme
V Art flamand dans r Est et le Midi puisse fournir plus avant que d'ici
de la France, par Alfred Michiels, à Toussaint et sera forcé d'inter-
p. 225. rompre, si votre bon plaisir n'est d'y
Ces lignes d'Albert Durer et le ca- vouloir suppléer, nous pensions que
deau de son trésorier permettent de Monseigneur votre escuyer aurait
présumer que la collection d'objets commission d'y pourvoir, lequel nous
d'art de Marguerite d'Autriche était a dit non avoir pour le présent aultre
composée d'objets qu'elle s'était fait charge que de visiter votre œuvre,
offrir, plutôt que d'objets achetés par Par ainsi, pourrait vostre dict œuvre
elle pour encourager les arts. cesser cest yver par faulte d'argent,
Du reste, nous voyons par l'extrait nous en avons bien voulu advertir de
d'une lettre que lui écrivit le frère bonne heure, pour y adviser d'en
Loys de Glérins, prieur du couvent faire selon vostre bon plaisir. »
de Brou, le 2 septembre i520, qu'elle L'Eglise de Brou, par M. J. Baux,
payait également mal les travaux p. 405, quatrième édition.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
lettre de recommandation suivante, pour le gouverneur de
la Bresse» :
« Chier et bien amé. Nous envoyons ce maistre masson
qui est ung bon et expérimenté maistre, et des meillieurs
qui soient par deçà à Brouz, pour visiter nostre édiffice et
nous sçavoir faire rapport de toutes choses, et s'il vouldra
entreprendre la taille de la pierre qui sera nécessaire, tant
pour lesglise que pour les sépultures, ainsi que nostre amé
et féal conseillier et secrétaire M° Loys Barangier est à
plain adverty. Si désirons que le recueillez et recepvez
bénignement et luy faictes tout le port, faveur et assistance
que bonnement vous sera possible, affin qu'il ayt ochoison
destre tant plus enclin à nous y faire service, et vous nous
ferez plesir. m
Quelques jours après, Louis Barangier écrivit de Dole à
Marguerite d'Autriche :
<( Madame, suivant ce qu'il vous a pieu m'escrire, ay
faict toute adresse à maistre Louis van Boghen, maistre
masson, lequel a bien et au long veu votre édifice de
Brouz et la treuvé très beau et bien ordonné et y ont
honneur les ouvriers; comme il m'a dict, il a aussi veu la
place pour faire l'esglise et trouve qu'il n'est besoing de
pillots; qu'est grand avantaige ^ »
Ainsi donc, le travail exécuté sous la direction de J. Per-
real a été reconnu très beau et bien ordonné, et la place
pour construire l'église très bien choisie.
Comme l'on ne trouve dans aucun document que
I. Original déposé aux archives de verneur de la Bresse. Documents,
Lille, la suscription manque; nous lettre P.
pensons qu'elle est adressée au gou- 2. Documents, lettre Q, nov. i5i2.
1 1
82 RECHERCHES SUR LA VIE
Marguerite se soit adressée à un autre architecte qu'à
J. Perreal, pour ses travaux de Brou, on doit considérer
qu'il en fut jusqu'à ce moment le seul, et que ces lignes
sont un éloge à son adresse.
Nous avons vu, dans la lettre B, du i5 novembre 1609,
que Marguerite d'Autriche négligeait parfois de payer Jehan
Perreal : elle l'oublia de nouveau en cette occasion et il
quitta Brou pour ne plus y revenir, sans adresser aucune
réclamation.
Ajoutons que Marguerite s'est toujours montrée par-
faitement satisfaite des plans et des « pourtraicts » de Perreal,
et la preuve qu'elle tenait particulièrement à ce qu'ils
fussent fidèlement suivis, c'est qu'elle engagea pour les
exécuter un «bon maistre masson », au lieu d'un architecte
qui n'aurait pu se défendre d'y introduire des changements.
Quelques personnes ont avancé que Van Boghen était
un architecte : c'est une erreur, car son nom se trouve
toujours suivi de la désignation de « maistre masson » dans les
pièces officielles, et il ne s'était engagé en effet que pour
la structure de l'église ou, comme il le dit lui-même dans
une requête, pour la maçonnerie.
Du reste, les gages que le Père Rousselet dit* « qu'il
recevait, d'après des comptes détaillés de la dépense jour-
nalière qui se faisait à Brou, comptes qu'il a trouvés dans
les archives du lieu, prouvent que, quoique traité avec
considération, Van Boghen était payé par jour comme les
ouvriers, soit huit sous au lieu de quatre qu^on donnait
aux sculpteurs et aux massons. Quant aux autres jusqu'aux
manœuvres, ils recevaient environ trois sous. Cette distinc-
I. Le Père Rousselet, Augustin réformé, dernier prieur de Brou.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 83
tion entre Tarchitecte et le maître masson a toujours été
telle que personne ne s'est avisé de qualifiée de maîtres
massons les architectes Michel-Ange, Bramante, Pierre
Lescot et Philibert Delorme »
Marguerite fit donc un traité « avec le maître masson Van
Boghen, par lequel il s'engagea à soy transporter au cou-
vent de Brou dans le courant du printemps suivant i5i3,
pour conduire les travaux de Téglise et du couvent ».
Puis, elle s'occupa, pour se débarrasser des rapports
directs avec les employés, à former une chambre de conseil,
dont elle donna la présidence à noble Laurent de Gorrevod,
maréchal du comté de Bourgogne, gouverneur de la Bresse,
et le confident de ses affaires les plus importantes.
Sous sa direction, elle plaça Pierre Auchement, qu'elle
chargea de l'inspection générale et immédiate de tous les
ouvriers et manœuvres employés aux travaux de l'église et
du couvent, et du soin de les faire travailler; elle commit,
pour les payer tous les samedis, le Père Louis de Glérins,
prieur de Brou, qui recevait les sommes nécessaires de
M. de Marnix, secrétaire et trésorier général de la princesse;
il avait en outre à approvisionner le « maître masson » des
matériaux dont il faisait la demande; puis, tous les mois il
rendait ses comptes aux membres du conseil de Brou'.
Van Boghen n'étant ni peintre, ni statuaire, mais
simplement un bon maître maçon, Marguerite s'occupa de
trouver un peintre de tailleur d'images, pour remplacer le
neveu de Michel Colombe, Guillaume Regnault, décédé, qui
devait réduire en grand volume les sépultures et les images
exécutées de terre cuite en petit volume d'après Jehan Perreal,
I. Le Père Rousselet, page 93.
84 RECHERCHES SUR LA VIE
que Pierrechan, valet de chambre de la princesse, lui avait
portées de Tours à Malines.
M. de Quinsonnas' nous apprend qu'elle avait chargé
de ce travail un peintre du nom de Jean de Bruxelles,
qui avait un talent spécial pour ce genre de travail; il tra-
çait le dessin sur toile, en blanc et noir, de la dimension que
devait avoir l'exécution, aussi grand que « le vif au petit pied ».
Au lieu de renvo)7er, après les avoir vues, ces sépultures
et images réduites « sur le lieu du dict couvent de Brou »,
pour les faire en un volume aussi grand que le vif 2, Mar-
guerite les avait gardées à Malines, et il n'est pas douteux
qu'elle les faisait reproduire chez elle sous ses yeux, pour
bien s'assurer de la ressemblance, « qui est le tout », ainsi
que s'exprime Jehan Perreal, par ce peintre Jean de Bruxelles,
en grande dimension sur toile en blanc et noir, à l'aide des
(c pourtraicts » de Jehan Perreal et des modèles de Michel-
Colombe. Il est même à présumer qu'initiée et familiarisée
comme on le sait aux connaissances les plus variées, elle
retouchait parfois elle-même avec le pinceau le travail du
peintre, avant de le remettre à Van Boghen qui venait
passer les hivers en Flandre dans sa famille, pour rendre
compte à Marguerite de l'état des travaux, dont les plans,
dans les plus minutieux détails, étaient probablement soumis
à sa haute approbation-*; et à son départ, au printemps, il
venait prendre ses ordres pour la campagne suivante et
apportait avec lui de Malines les plans et dessins que l'on
devait exécuter dans le cours de l'année à Brou.
I. Matériaux pour V Histoire de 2. Documents, lettre L.
Marguerite d'Autriche^ par M. de 3, Histoire de l'Église de Brou, pur
Quinsonnas. Jules Baux.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 85
Quant aux sculptures, Texécution en fut confiée à maître
Conrad Meyt, originaire de la Suisse, un des plus habiles
tailleurs d'images qui ait jamais existes, à des conditions si
rigoureuses et si curieuses que je ne puis résister au désir
de les faire connaître.
(( Premièrement, a esté dict et accordé que le dit M* Con-
rad se transportera dicy en Bresse au couvent de Brou,
pour besoigner aux sépultures que ma dicte dame entend
estre faictes en icelle église de Brou; fera les pièces qui
s'ensuyvent de sa main, asçavoir les visages, mains et les vifs.
ce A esté aussi convenu et accordé que si le dict
M*' Conrad devenoit ou demourroit malade par le continuel
espace de deux mois ou environ, et que par ce le dict
ouvraige se retardast, que ma dicte dame y pourroit pour-
voir à son bon plaisir, sans quelle demoure en riens lyée
par le marché dessus dict envers le dict M'' Conrad; et en
ce cas, feroit descharge de son dict traictement.
(( Et pareillement, si le dict M® Conrad navoit perfaict
ce dict ouvraige quil entreprend deans iceulx quatre ans,
et que ce fust à sa faulte, que ma dicte dame sera, en ce
cas, quicte et deschargee des gaiges quelle luy donne par
ses escroes (registres de compte), pour ce dict cas le faire
mectre hors diceulx escroes, à tousjours si bon luy semble.
Et si a esté devise que moïennant ce traictement dessus
dict il en demourera rayé dois le XV^ de may prouchain
venant que son dict traictement commencera, et aussi lon-
guement qu'il doyra de son dict traictement.
« Et pour savoir si le dict M° Conrad fera son devoir,
ma dicte dame veult et entend que, au bout de quatre
années dessus dictes, que le dict M'' Conrad besoignera,
86 RECHERCHES SUR LA VIE
deux maistres de la chambre des comptes à Bourg, et le
prieur et" religieux de Brouz qui ont la charge et solicita-
tion de ce édiifice du dict lieu visiteront louvraige que le
dict M** Conrad aura faict. Pour et en cas quil ne fust
lors parfaict, sçavoir si ce sera procédé à la faulte du dict
M* Conrad, ou par faulte de lassistence du dict AP Loys,
pour cecy entendu y estre faict et ordonne par ma dicte
dame comme il appartiendra. Et s'il est perfaict, le feront
visiter par maistres a ce cognoissans, pour savoir sil sera
faict et parfaict comme il a promis.
(c Lesquelles choses icelluy M*' Conrad a promis faire,
furnir et accomplir de point en point comme dessus, sans
fraulde ni malengyn ;
(( Et ma dite dame le faire payer et contenter de son
dit traictement comme dit est, et luy faire livrer les marbres
et albastres nécessaires en place.
« Ainsi faict et cohclut à Malines, les jour et an, et
presens les dessus dictz.
• « Signé : Marguerite.
« Signé : Conrad Meyt.
« Signé : Loys. »
On ne peut certes enchaîner plus étroitement un artiste,
et pas un sculpteur de notre temps n'accepterait de si dures
conditions; mais au quinzième et au seizième siècle, à l'ex-
ception de quelques artistes d'un caractère noble et fier, les
peintres et les statuaires étaient humbles et patients, tra-
vaillaient beaucoup à la manière des ouvriers, pour nourrir
leur famille, sans impatiences ambitieuses ou vaniteuses, ne
négligeant rien pour approcher de la perfection par amour
du beau.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 87
C'est par ce traité que Marguerite fit avec Conrad Meyt,
qu'elle termina la composition de son personnel, qui diri-
gea jusqu'à la fin les travaux qu'elle avait entrepris d'éle-
ver h Brou.
Nous croyons avoir prouvé, non seulement que jusqu'à
l'année i5i3, Jehan Perreal fut le seul architecte de l'édifice
de Brou, lequel fut trouvé très beau par le (c maistre masson »
Van Boghen ; mais aussi qu'il fut le seul architecte qui ait
fait des plans pour le couvent, pour l'église, pour les sépul-
tures, les « pourtraicts » et les vertus dont Michel Colombe fit
les maquettes, qui furent envoyées en Flandre, où elles
restèrent aux mains de Marguerite d'Autriche.
Nous allons étudier maintenant les travaux qui existent,
puis examiner et nous rendre compte s'ils ont été exécutés
avec ces plans, ou à l'aide d'autres plans.
L'église n'ayant guère d'autre intérêt que son but, qui
est celui d'abriter les trois sépultures, nous nous y arrête-
rons peu.
Son architecture, et celle du couvent, est en réalité celle ^
du commencement du règne de Louis XII, ou, si l'on veut,
celle du gothique fleuri ou flamboyant, après ses modifica-
tions, et avec quelques variétés.
*Sa façade se compose de trois corps, décorés à l'infini
d'ornements variés, d'une exécution remarquable, trèfles,
lacs d'amour, chiffres P. M., fleurs de marguerites, etc.,
allant jusqu'à la monotonie, ce qui nuit à l'effet; au-dessus
du portail, qui est assez beau, s'élève une grande statue de
saint André, patron de la Bourgogne, appuyé sur sa croix.
Ce qui frappe en entrant dans l'église, c'est l'abaisse-
ment de la voûte et la clarté qui y règne; immédiatement
88 RECHERCHES SUR LA VIE
après, on entre dans le jubé qui sépare la nef du chœur,
dont les beautés principales sont les trois tombeaux, la
chapelle de la Vierge et les vitraux. Le tombeau de Mar-
guerite de Bourbon est à droite, sous une voûte surbaissée,
percée dans le mur; elle est représentée au vif, couchée
sur une table noire, vêtue de son manteau ducal, les mains
jointes, une couronne sur sa tête, qui repose sur un cous-
sin brodé, ayant à ses pieds un lévrier; son beau visage
est tourné vers Philibert son fils; la tête est vraiment belle
avec ses traits réguliers et ses yeux doux. Les piliers ter-
minés en pyramides, qui sont placés aux côtés du tombeau,
présentent des moulures très fines, qui se détachent du
corps de Touvrage et s^avancent pour former des niches, où
Ton remarque des statuettes en relief; du côté des pieds,
sainte Marguerite, patronne de la princesse, foulant aux
pieds le dragon, et sainte Agnès, patronne de sa mère. Du
côté de la tête, saint André s'appuyant sur sa croix a une
expression grave et' même belliqueuse, et la charmante
sainte Catherine, sous les pieds de laquelle se tord un doc-
teur; Tartiste a su lui donner une gentillesse, une grâce,
un air de pureté naïve, qui en font une petite merveille.
Plus bas, près du sol, sous la table où est couchée la prin-
cesse, l'on voit des génies et des pleureuses qui n'ont qu'un
pied de hauteur. Sous leurs voiles avancés, on aperçoit
leurs traits délicats, pleins d'une expression de tristesse, et
leurs yeux, pour ainsi dire, mouillés de pleurs.
Au milieu du chœur, et presque sur la même ligne que
le .tombeau de Marguerite de Bourbon, est placé celui de
son fils, Philibert le Beau; il y est représenté au vif, cou-
ché sur une table de marbre noir, revêtu de son armure,
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ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 89
ayant sur ses épaules son manteau ducal qui s'étend jus-
qu'à ses pieds. Il a sur la tête une couronne, le collier de
TAnnonciade au cou, Tépée au côté, et le pied gauche épe-
ronné est appuyé sur un lion ; ses mains jointes sont incli-
nées du côté de sa mère, tandis que sa tête, qui repose
doucement sur un coussin brodé, est tournée vers Margue-
rite d'Autriche, sa femme.
Son corps aussi bien que sa figure justifient bien Tépi-
thète que lui avaient donnée ses contemporains. Philibert
de Savoie est en effet un grand et beau duc, aux traits
mâles, aux yeux expressifs, à l'épaisse chevelure naturelle-
ment bouclée. Étant très jeune, il avait fait partie de l'ex-
pédition du roi Charles VIII contre le royaume de Naples.
Six génies pleurent en priant autour de lui; deux qui sont
aux pieds soutiennent une tablette de marbre où Ton voit
les armes du prince; ceux qui sont à la tête en supportent
une autre destinée sans doute à son épitaphe; les deux
autres tiennent son sceptre, ses gantelets, son casque et sa
hache d'armes.
Tout ceci repose sur une table de marbre noir suppor-
tée par des piliers de marbre blanc placés eux-mêmes sur
une autre table noire qui sert de base à l'édifice, au tra-
vers desquels on voit, couchée dans toute la nudité de la
mort-, la statue en albâtre du prince; un coussin et un
suaire forment son lit funèbre. Cette statue, qui est d'une
effrayante et grande vérité, est une œuvre des plus par-
faites, et peut-être un des plus beaux morceaux en ce genre
que la sculpture ait produits.
Les quatre piliers fleuris, terminés en pyramide aux
quatre angles du tombeau, sont â deux faces; devant chaque
go RECHERCHES SUR LA VIE
face, se tient debout une Vertu, et deux autres Vertus sont
adossées aux pilastres placés au centre des grands côtés.
Ces dix Vertus ', qui sont en albâtre, ont un caractère
particulier, une tournure, une grâce et un charme sans
rapport avec le style et la facture des grandes statues; c'est
d'un art moins relevé, mais plus original et plus poétique.
Le troisième tombeau est celui de Marguerite d'Au-
triche; il est à gauche du chœur, à peu près sur le même
plan que celui de Marguerite de Bourbon, et contient
une double représentation de la princesse, dans le même
goût que le tombeau de Philibert le Beau. Ces figures sont
couchées sur deux tables de marbre noir élevées au-dessus
l'une de l'autre. Sur l'une, on voit Marguerite représentée
au vif dans ses habits de cérémonie, avec sa couronne sur
la tête ; ses mains sont croisées sur la poitrine, et ses pieds
sont appuyés sur une levrette. Au-dessous, on aperçoit la
princesse morte, couchée sur une table de marbre noir
près du sol ; on la voit la tête nue ; ses cheveux dénoués
descendent en boucles irrégulières jusqu'à la ceinture; elle
est enveloppée d'une longue robe; elle a les mains jointes
et les pieds découverts. L'on remarque à celui de gauche la
blessure qui termina ses jours d'une manière imprévue et
soudaine; les traits de son visage sont doux et calmes, et
d'une grande pureté. Sa tête, finement sculptée, repose sUr
un coussin garni de dentelles.
Sur la partie supérieure du fronton, on lit sa devise :
Fortujie^ infortune fort une.
I. Les personnes qui se sont occu- etc., tandis que Jehan PerrealetMichel
pées de Brou ont donné à ces sta- Colombe les ont appelées, suivant
tuettes le nom de sibylles, de saintes, Tusage de l'époque, des Vertus.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
Ces cinq grandes statues révèlent un art complet; les
mains, les pieds, le visage, n'auraienfpu être mieux exé-
cutés par un sculpteur italien de la Renaissance. Conrad
Meyt, qui possédait à fond la pratique et Thabileté moderne,
exécuta, avec son frère Thomas, les figures principales de
grandeur naturelle.
Quant aux Vertus (les statuettes), le marché laissait à
Van Boghen la liberté de choisir les artistes sur les lieux;
ils furent trouvés sans doute dans cette agrégation d'artistes
lyonnais, placée dans le voisinage de la Bresse, où se
trouvaient des sculpteurs d'un grand mérite, élèves de la
célèbre confrérie de Saint-Luc, à la tête de laquelle était
Jehan Perreal.
On trouvait à cette époque des « maistres ouvriers » qui
se transportaient avec leurs compagnons sur les lieux de cons-
truction et faisaient, à tâche ou à prix faits, les travaux
auxquels ils appartenaient.
Le style de ces statuettes se rattache au milieu du quin-
zième siècle, on n'y trouve nulle apparence d'influence ita-
lienne, nulle trace du mouvement de la Renaissance. On les
croirait exécutées vers 1460, le talent qu'elles révèlent est
celui de cette époque, les draperies ont l'abondance de la
sculpture gothique.
Cette manière de travailler était évidemment celle que
conservaient pieusement ces compagnies ou confréries réu-
nies, dans ces contrées traversées par le Rhône.
Ces figures qui sont nombreuses ont toutes le type fran-
çais, les traits ne sont ni laids, ni beaux, attendu qu'on n'a
pas cherché l'idéal ; mais on y trouve une grande variété
d'expression.
92 RECHERCHES SUR LA VIE
Elles attirent rattention et séduisent Tesprit et les yeux
par leur ph3^sionomie , leur charme naïf et leur grâce in-
génue.
Leurs proportions, leurs attitudes, leurs gestes, sont en
harmonie avec leur type et leur caractère. Elles ont les
formes sveltes, élégantes, de la sculpture de cette époque;
la facilité de leurs poses, de leurs mouvements, indique leur
race et fait souvenir de Tagilité française. La coquetterie
des parures, des coiffures, des ajustements, signale la même
origine. Cette variété générale dans les types, dans les cos-
tumes, dans les postures et dans les gestes, entretient
rintérêt.
Les Vertus ou les saintes, placées dans les niches ados-
sées aux piliers du lit funèbre où repose le prince, sont
traitées avec un soin remarquable, d'une tournure gracieuse
et avenante; c'est une réunion de petites femmes naïves,
bien posées, vivantes comme des portraits; deux d'entre elles
sont particulièrement charmantes, Tune représente sainte
Catherine d'Alexandrie foulant aux pieds un docteur coiffé
d'un chapeau du moyen âge et ayant une longue barbe.
Ses cheveux enfermés dans un réseau sortent de leur prison
en boucles gracieuses; la volumineuse draperie où ses jeunes
formes s'accusent, sa pose juste et en quelque sorte naïve
et son joli visage forment un. ensemble des plus attrayants;
le type, évidemment copié d'après nature, joint une grande
pureté de lignes à une expression de candeur qu'il serait
impossible de mieux rendre; le beau front, les yeux bien-
veillants, la bouche délicate, ont une expression d'ingénuité
qui ravit.
L'autre figure a un caractère absolument opposé, son
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 93
grand bonnet de linge lui sied merveilleusement, ses lon-
gues draperies dans le goût du quinzième siècle ont un
attrait particulier qui la relève et la poétise.
Ce sont des spécimens curieux, importants et charmants
de la sculpture française au début du seizième siècle, dont
les historiens, critiques et amateurs français, auraient dû
se préoccuper plus qu'ils ne Tont fait, pour en signaler le
mérite, la grâce et Toriginalité.
Les mêmes perfections demandant le même éloge, nous
nous contenterons de citer simplement les statuettes qui
décorent le tombeau de Marguerite d*Autriche : sainte Mar-
guerite, sainte Barbe, sainte Agathe, sainte Madeleine,
sainte Monique, saint Jean-Baptiste, saint Nicolas de To-
lentin, portant un fanal et un livre, toutes ramènent l'es-
prit vers le quinzième siècle, tendance singulière qui prouve
que les artistes français qui les exécutèrent appartenaient à
une école provinciale, où Ton suit presque toujours d'un
pas tardif le goût et le mouvement intellectuel des grands
centres. Au résumé, on ne vantera jamais assez le mérite
de ces charmantes statuettes, malheureusement elles sont
en albâtre. Marguerite d'Autriche les a voulues ainsi, par
esprit d'économie, contrairement aux observations de Per-
real ' qui en écrivit d'abord à Loys Barangier :
« Je vous advertis de conseiller à madame de faire les
sépultures de marbre blanc. • . . , quand est de albastre, il
ne dure pas la moitié, car marbre peult durer mil ans
bel, maiz non pas blanc, et Talbastre ne soroit durer
quatre cens ans, non pas trois. » Puis ensuite, il écrivit à
la princesse :
I. Document, lettre E, lettre de Perreal à Loys Barangier, 4 janvier i5iî.
94 RECHERCHES SUR LA VIE
« Madame, je vous conseilleroie de faire l'ouvrage plus
tôt en marbre que d'autre chose K »
Cette volonté de la princesse se retrouve encore dans le
marché qu'elle fait avec Conrad Meyt, le 24 avril i526 :
tf Quant aux vertus et autres pièces à faire autour des
dictes sépultures, Louis van Boghen les fera faire le tout
d'albastre comme il appartient. »
Ainsi que l'avait prévu Jehan Perreal, la destruction de
ces pièces faites d'albâtre a commencé ; les bras de plu-
sieurs statuettes se sont détachés, l'une a même perdu sa
tête; à ce sujet certaines personnes ont répété que ces muti-
lations étaient le fait des sentiments antimonarchiques ou
anticléricaux de quelques Français ; ce qui prouve le néant
de ces suppositions, c'est, premièrement, le fait que les cinq
grandes statues en marbre des princesses et du prince sont
intaaes ; deuxièmement, ce que dit le P. Rousselet, prieur
des Augustins du couvent de Brou, dans son Guide histo-
rique de cette église ', édition 1876. En y réfléchissant, on
reconnaît que la fragilité de la matière d'albâtre, la légè-
reté de ces délicates petites statuettes et l'action du temps
sont les seules causes de cette destruction prévue par les
deux lettres de Jehan Perreal que nous venons de citer.
En quittant le tombeau de Marguerite, on trouve la
magnifique chapelle qui est sous le vocable de l'Assomption
de la Vierge : on voit sur Tautel un vaste retable en albâtre
1. Documents, lettre F, lettre de grande route, ils ont traversé toute la
Perreal à Marguerite, 4 janvier i5ii. révolution sans être détruits; circons-
2. «Les symboles religieux, la croix, tance que nous remarquons pour
et les statues des saints qui ornent la rendre hommage au bon esprit qui
façade furent respectes, et quoique animatoujours les habitantsdeBrou. »
exposés à la vue du public, sur une Neuvième édition, 1876, page 107.
îetï-dji ?e?r'jal Vjix'
:^'-ii'urr j.tlh P. EntfeJm.àrr. fAE"]*
' i.'-.n, Irl
PORTRAIT DE PHILIBERT LE BEAU, DUC DE SAVOIE,
d'âpres les Vitraux cta Chœur, (Eglise de Brou)
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 95
divisé en sept tableaux sculptés en ronde bosse, ayant
chacun pour sujet un épisode de Thistoire de la Vierge.
Les qualités françaises d'énergie et de désinvolture qui
caractérisent^ ces statuettes que nous venons d'admirer
reparaissent dans la plupart d'entre elles, dans celle de la
Vierge montant au ciel, les mains jointes, les pieds sur le
croissant, entourée d'anges pour lui faire honneur; elle est
jolie avec son élégant costume, sa libre chevelure, son atti-
tude simple et naturelle : plus jolies sont encore sainte
Marguerite, patronne de la princesse, foulant aux pieds le
dragon; sainte Madeleine, tenant un vase de parfums;
Marie, portant sur ses bras Tenfant Jésus, etc. Toutes
sont des œuvres remarquables, sans recherches idéales,
sculptées sans doute d'après nature ; les draperies ont une
souplesse et un air de vérité qui ne charment pas moins.
Après avoir revu dernièrement Brou avec tous les docu-
ments que nous avons recueillis, nous restons convaincus
que les sépultures de cette église ont été fidèlement exé-
cutées d'après les compositions et les « pourtraits » de Jehan
Perreal et les maquettes de Michel Colombe, toutefois avec
la modification que la statue du prince a été posée couchée
sur la table de marbre noir, au lieu d'être posée en éléva-
tion, priant à genoux, les mains jointes, devant un prie-
Dieu, comme l'avait indiqué Jehan PerreaP, et comme il
est représenté sur les vitraux peints.
Placé ainsi en élévation, le grand et beau duc de Savoie
aurait dominé, dans une pose élégante et variée, le tombeau
de sa mère à droite, et celui de sa veuve à gauche.
Malheureusement, Marguerite trouva cette pose trop nou-
I. Documents, lettre L.
96 RECHERCHES SUR LA VIE
velle et préféra placer la statue de son mari couchée, entourée
d'une profusion d'ornements, suivant Tusage de son pays,
mais qui est de mauvais goût, surtout dans un monument
funéraire '.
Ces ornements qui représentent des dentelles, des trè-
fles, des chiffres, des devises, etc., sont en général d'un
joli dessin et d'une exécution irréprochable, mais ne sont
en résumé que des ouvrages de patience dus à une adresse
de main particulière, d'un mérite secondaire.
Ce n'était pas ainsi que les architectes du quatorzième
siècle travaillaient, le luxe n'existait jamais aux dépens de
la simplicité des lignes.
Quand MM. Dufay et Charvet publièrent leurs recher-
ches sur notre artiste, on ne possédait aucun document
pour aider à reconnaître une oeuvre de sa main.
Aujourd'hui, nous avons un tableau de lui, représen-
tant les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne,
sur lequel a été remarqué, par la plupart de ceux qui l'ont
vu, un signe particulier, qui consiste dans la longueur par-
ticulière des doigts, principalement ceux de la Vierge^. Ce
point de repère se retrouve comme une signature non seu-
1. Dans rinventaire des collections un peu faunesques qu'on retrouve dans
de Marguerite d'Autriche, M. le comte la Sixtine. » Vie de Michel-Ange, par
de Labordedit que les architectes fla- Charles Clément, page 55.
mands étaient devenus, au quinzième a Memling a fait loucher nombre
siècle, si enthousiastes des sculptures de ses figures, notamment la sainte
d'ornements, que la construction était ' Ursule, à l'extrémité de la châsse,
pour eux une chose secondaire. l'enfant Jésus sur les bras de la Vierge,
2. Plusieurs grands artistes ont eu à l'extrémité inverse, et d'autres person-
des habitudes de ce genre. Ainsi Mi- nages dont nous parlerons bientôt. "
chel-Ange ne perdit jamais celle de Histoire de la peint ttre flamande, pur
faire les pieds trop petits, et de don- Alfred Michiels, tome IV.
nerà ses enfants ces nez retroussés et
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 97
lement à la statue de Marguerite de Bourbon et à celle de
Philibert le Beau, mais encore dans le plus grand nombre
des statuettes -qui peuplent les faces des tombeaux, sous la
désignation de vertus, de saintes et de sibylles; un fait à
remarquer en outre : la Vierge de notre tableau a parfaite-
ment le type français avec cet air de chaste douceur et
d'ingénuité ravissante que possèdent toutes les charmantes
statuettes dont nous venons de parler.
Par là, on est naturellement amené à conclure, que
tous les personnages grands et petits qui ornent ces. tom-
beaux sont d'après les dessins de Jehan Perreal, c'est-à-
dire, des copies fidèles des modèles de terre cuite faites en
petit volume par Michel Colombe, et qu'en conséquence :
i« A Perreal seul appartient incontestablement la com-
position de ces tombeaux, non seulement à cause des signes
particuliers dont nous avons parlé, mais aussi parce que
nous y trouvons le cachet de cette époque de transition qui
sépare le moyen âge de la Renaissance, et qui constitue le
talent de Jehan Perreal : la noblesse des formes, la finesse
des détails, et la minutieuse imitation de Tindividualité
sans aucun vestige d'influence flamande ou italienne ;
2® Que le consommé tailleur d'images Conrad Meyt
fut de ces tombeaux l'interprète docile et habile par sa
science et la précision de son ciseau ;
3** Tandis que Van Boghen « l'habile maistre masson » fut
chargé de conduire les travaux de l'église.
Un renseignement curieux, extrait d'une ordonnance de
l'année i53o, rendue par M. de Marnix, trésorier des
finances de Marguerite d'Autriche, nous fait connaître que
M. Loys van Boghen était aussi mauvais confrère que le
i3
98 RECHERCHES SUR LA VIE
tailleur de pierres, Thibault, dont nous avons parlé; que sa
parole peu mesurée, sans égard pour la qualité ou le rang,
proférait souvent Tinjure ou la menace contre tous; maître
Conrad Meyt, au ciseau duquel nous devons les admira-
bles statues des tombeaux, était plus spécialement Tobjet
de son inimitié.
« Pour ce que le dict maistre Loys est assez légier de
paroUes et menasses envers Tung et l'autre tant ecclésias-
tique que séculier, dont plusieurs scandales se peuvent
susciter, comme de faict desjà a esté faict, et, parce,
Touvraige de madame retardé, sera prohibé et défendu très
expressément au dict maistre Loys user désormais de telles
menasses et parolles ; et s'il y veult attenter par voyes de
faict, madame s'en prendra à sa personne et à ses biens.
« Le semblable sera dict à maistre Conrad et tous aul-
tres qu'il appartiendra.
« Et afin que l^ouvraige que le dict maistre Conrad a
en main ne soit plus retardé, lui a esté commandé et sera
encores de parfaire sa charge le plus tôt qu'il pourra, et
pour ce faict prendra tels ouvriers que bon luy semblera,
sans que maistre Loys ait aucune cognoissance sur luy. »
Par une étrange indifférence des biographes français ,
nous ne savons absolument rien sur l'auteur des célèbres
et magnifiques vitraux peints qui se voient au chœur de
l'église de Brou.
Le Père Rousselet, prieur des Augustins de Brou, qui a
eu entre les mains les archives et les comptes, écrit, dans
son ouvrage sur l'église de Brou, qu' « il a trouvé les mé-
moires si imparfaits, principalement à l'égard des artistes.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 99
qu'il a eu un moment Tidée de supprimer cet article ' » , et
il nous apprend un peu plus loin que « le verre pour les
vitraux de Téglise et pour les fenêtres du couvent se fai-
sait à Brou; c'est Jean Brochon, Jean Orquois et Antoine
Noisins qui étaient les verriers. Comment, ajoute-t-il en
terminant, ne nous a-t-on pas transmis les noms de ceux
qui les ont peints ?» .
Ce qui est certain, c'est que la beauté de ces vitraux,
la correction du dessin, le choix des sujets, l'expression des
figures, la magnificence du coloris et la parfaite harmonie
de toutes les parties qui les composent ne permettent pas
de douter qu'ils ne soient la conception d'un artiste du plus
grand mérite; mais quel est-il ? Voilà ce que l'on ignore encore.
D'abord, il est incontestable que le dessin de ces vitraux
est franco-italien, sans aucun vestige d'influence flamande;
si un peintre de ce mérite était venu d'Italie, Vasari, l'his-
torien des peintres italiens de cette époque, n'aurait pas
manqué de .le faire connaître, ou nous en aurions trouvé
des traces dans la correspondance de M® Loys Barangier,
le secrétaire de Marguerite d'Autriche. Le fait, que toutes
les figures de ces vitraux ont le type français, hommes et
femmes, nous a conduit au résumé à penser que l'auteur
de ces magnifiques vitraux était plus probablement Français,
et comme nous n'avons trouvé, ayant séjourné à Brou
pendant les travaux de l'église, aucun autre peintre de
grand mérite que Jehan Pcrreal, le peintre de Madame
Marguerite d'Autriche, nous pensons pouvoir conclure, ainsi
que M. Dufay, que c'est à lui qu'il faut les attribuer.
I. Histoire de l'Eglise de Brou y par le Père Rousselet. Neuvième édition,
1876. Pages 89 et 93.
RECHERCHES SUR LA VIE
Voici les motifs sur lesquels nous nous appuyons :
Premièrement, nous trouvons dans les statuts de la
corporation de Saint- Luc, confirmée le 21 décembre 1496,
par le roi Charles VIII à Lyon, la preuve que Jehan
Perreal était un très habile peintre de verrerie, peut-être le
plus habile de la ville, car il est placé en tête des douze
principaux' peintres sur verre de la ville de Lyon;
Secondement, Jehan Perreal avait accompagné Charles VIII
en Italie en 1495. A son retour, il fut autorisé à y séjourner
quelque temps, pour étudier les procédés et le goût des
peintres de ce pays, vers lesquels le portaient ses aspira-
tions. Plus tard, il fit, entre autres en i5o6, la campagne de
Gênes à la suite du roi Louis XII, puis ensuite celle de
Venise en 1509.
Pendant ces expéditions qui coïncidaient avec Tépanouis-
sement de Tart en Italie, Perreal subit l'influence de cette
école et entra en relations avec plusieurs artistes dont il
admirait le style qu'il se proposait pour but^, ainsi qu'on
le voit dans la lettre qu'il écrivit à Marguerite d'Autriche
le i5 novembre i5o9, où il lui dit qu' « il a revisé ses dessins,
des choses qu'il a vues en plusieurs parties de l'Italie, pour
faire de toutes fleurs un trossy bouquet^ ».
C'est surtout à la suite de cette campagne de 1609 qu'il
commença à mélanger les qualités naïves et simples de
I. « Pourront lesdits peintres besoi- Boutte, François Rochefort, etc., etc. o
gner de peintures de verreries (sans 2. « Son goût venait de se modifier
faire un chef-d'œuvre, car ils sontassez par Tétude des monuments récem-
connus et experts en leur art), ceux ment exécutés et par ses relations avec
qui ensuivent quand bon leur sem- des artistes en Italie.» Biographie des
blera. C'est à savoir Jehan Perreal, dit architectes Jehan Perreal, Clément
Jehan de Paris, Jehan Prévost, Pierre Trie, par E. L. Charvet.
de la Paix, dit d'Aubenas, Pierre 3. Documents, lettre B.
rftl-1-.î*-' " '
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i
JçWiî'en'tA.
oïTiQUi!) ?. £r.|^imer.n P^irts
PORTRAIT DE MARGUERITE D'AUTRICHE,
d'après les \^traux du Chœur, (Eglise de Brou).
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL loi
l'art français avec les qualités brillantes et les procédés de
Fart italien, époque à laquelle il doit avoir commencé à
travailler aux cartons des vitraux, qui, pour ce motif, le
préoccupaient beaucoup; c'est en effet alors que les artistes et
les maîtres maçons de Brou, trouvant ses projets trop savants
par leur nouveauté, lui reprochaient de n'être qu'un peintre ';
Troisièmement, on sait que Jehan Perreal avait peint
les portraits de Philibert le Beau et de Marguerite d'Au-
triche^ à répoque de leur mariage, ce qui lui avait valu
sans doute son titre de peintre de Madame. Personne ne
pouvait donc exécuter aussi bien, aussi religieusement et
d'une façon aussi remarquable que lui, leurs images. En
outre, ce qui confirmerait l'attribution que nous avons faite
à Perreal de l'exécution de ces portraits, c'est l'image de
Philibert, peinte par Perreal sur les vitraux et qui est
posée à genoux, ainsi qu'on la voit décrite dans le marché
de Michel Colombe ^.
A notre avis, il n'est pas douteux qu'en dessinant les
plans de l'église et du chœur, Perreal avait naturellement
réservé et fixé la place et la largeur qu'occuperaient les
fenêtres, et avait exécuté ses cartons à la mesure pour les
adapter parfaitement.
Enfin, il nous paraît que la même pensée qui a décoré
le chœur de ces magnifiques sépultures a fourni les dessins
des vitraux et complété ainsi l'harmonie et l'unité de l'en-
semble; le fait est que l'on y retrouve la même attitude de
recueillement, de ferveur religieuse et le même sentiment
artistique.
1. Documents, lettre J. Perreal, par C. J. Dufay. Page i3-
2. Essai biographique sur Jehan 3. Documents, lettre L.
RECHERCHES SUR LA VIE
D'après ces diverses réflexions, il nous paraît évident que
tout concourt pour désigner J. Perreal comme le seul peintre
à qui Ton peut attribuer les remarquables dessins de ces
vitraux, et il est permis d'ajouter que Tintensité et le ton
de certaines couleurs que nous retrouvons au tableau des
Fiançailles de Charles VIII viennent Tappuyer.
Nous devons dire encore qu'un des charmants écussons
qui décorent les clefs de voûte de la chapelle est formé de
deux bustes se regardant, coiffés de casques, identiquement
pareils à celui que porte la statue de la Force, du tombeau
de François II, duc de Bretagne. Nous le reproduisons ici.
La répétition de cette forme de casque, particulièrement
originale, vient confirmer cette opinion.
L'un des plus intéressants de ces vitraux est celui de la
chapelle de Gorrevod, qui a pour sujet l'Incrédulité de
saint Thomas; l'on y voit, à gauche, saint Laurent debout,
vêtu d'une dalmatique rouge, tenant dans sa main un livre
ouvert et présentant de l'autre, au Sauveur, Laurent de
Gorrevod qui est agenouillé dans l'attitude du recueillement.
A droite, Claude Rivoire sa femme, coiffée d'un capu-
chon, est vêtue d'une robe lie de vin sur laquelle elle a
jeté un manteau rouge et blanc. Elle est à genoux, les
mains jointes; derrière elle, son patron saint Claude, por-
tant sur son aube une chape verte, retenue sur la poitrine
par un large fermoir d'or. Il est debout et la présente de
la main au Sauveur. Ce vitrail est remarquable par la
beauté de la composition et la richesse du coloris.
Parmi ceux du chœur, deux attirent plus particulière-
ment Inattention, celui de Philibert, duc de Savoie, et celui
de Marguerite d'Autriche.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
io3
Le premier représente le beau duc de Savoie, tête nue,
aux traits mâles et doux, agenouillé dans l'attitude du
recueillement, devant un prie- Dieu de velours vert, sur
lequel on voit un livre. Il est couvert de son armure et
vêtu d'une tunique à ses armes, rouge et blanche. Il porte
au cou le collier de TAnnonciade où Ton voit sa devise :
Fert ; ses pieds sont chaussés d'éperons, et son casque est à
terre près de lui.
Ses grands yeux tranquilles, sa bouche élégante et fine,
sa chevelure blonde qui flotte autour de son visage, justifient
le surnom de Beau, que l'histoire lui a conservé.
104 RECHERCHES SUR LA VIE
Derrière lui, on voit saint Philibert debout, sa tête est
couverte d'une mitre d'or; sur sa tunique, il porte une
chape de drap d'or doublée de rouge, qu'un large fermoir
retient sur sa poitrine; dans sa main droite, il tient un livre,
et de la main gauche, une crosse d'or.
Le second représente Marguerite d'Autriche, vêtue d'une
longue robe de brocart rouge à dessins d'or; elle porte une
couronne, et sa poitrine est couverte d'une chemisette
blanche, retenue au cou par un collier d'or.
On voit, derrière elle, sainte Marguerite vêtue d'une
robe également de brocart d'or et d'un manteau rouge,
ayant à ses pieds un dragon, emblème qui la distingue;
dans ses mains, elle tient une petite croix.
La richesse de la couleur, la beauté du dessin, la parfaite
exécution des portraits qui passent pour être les plus res-
semblants que nous ayons de Philibert, duc de Savoie, et
de Marguerite d'Autriche, donnent à ces dessins une valeur
inappréciable.
Le vitrail le plus beau, qui peut passer à juste titre
pour un chef-d'œuvre sous tous les rapports, est celui qui
représente l'Assomption et le couronnement de la Vierge.
Le Père éternel et son divin Fils sont assis tous deux
au sommet, d'où ils dominent la scène. Devant eux, la
Vierge soutenue par des anges reçoit debout la couronne
que le Père et le Fils mettent sur sa tête».
Marie est vêtue d'une ample robe blanche; de ses che-
veux qui flottent sur ses épaules se détache un voile qui
I. Il est à remarquer que la cou- TÉternel, tandis que celle que porte
ronne de Marie est une couronne Jésus-Christ est une simple couronne
impériale, pareille à celle que porte de prince.
CK GOLJTZWliLEîi^^
LE COURONNEMENT DE LA VIERGE
d'après les vitraux de l'église de brou.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
Tenveloppe ; ses mains sont croisées sur sa poitrine; une
candeur angélique divinise sa figure. A ses pieds, les apôtres
debout, autour du tombeau, ont les yeux fixes sur la
récompense que reçoit la Vierge mère.
A droite et à gauche, au-dessous d'eux, sont représentés
en face Tun de Tautre les donateurs à genoux, les mains
jointes dans un profond recueillement, portant Tun et l'autre
le costume que nous avons décrit plus haut, et sont accom-
pagnés de leurs saints patrons.
Au dessus du couronnement de la Vierge se trouve un
vitrail divisé en quatre compartiments très finement peints
en grisaille, représentant le triomphe de Jésus-Christ;
Adam et Eve ouvrent la marche du cortège; suivent les
patriarches; le char de triomphe qui porte le Christ vient
après; les quatre Évangélistes poussent à la roue; il est
accompagné par les Pères de TÉglise et les saints de la
nouvelle loi* avec cette inscription latine :
TRIUMPHATORLM MORTIS CHRISTUM iETERNA FACE TERRIS
RESTITUTA CŒLIQUE JAXUA BONIS OMNIBUS ADAPERTA, TANTI BENEFICII
MEMORES, DEDUCENTES DIVI CANUNT ANGELI.
Au sommet de ce vitrail, plusieurs groupes de petits
anges donnent avec leurs flûtes et leurs violes d'amour,
qu'accompagnent de leurs voix célestes d'autres petits anges,
une sérénade à la mère de Dieu en chantant le Regma
cœli lœtare^ d'après les caractères notés sur un papier de
musique; rien n'est plus séduisant que ces gracieuses petites
figures d'enfants de chœur de la cour céleste.
Telle est en somme cette magnifique composition dont
aucune description ne saurait donner qu'une idée impar-
14
io6 RECHERCHES SUR LA VIE
faite, qui est sans contredit Touvrage le plus remarquable
que Ton connaisse de la peinture française au quinzième
siècle et au commencement du seizième. Elle peut riva-
liser avec celle des plus grands maîtres d'Italie, à cette
époque : Jean Bellini, André Mantegna, Pérugin, dont
J. Perreal avait fait la connaissance pendant ses premiers
séjours en Italie. On y trouve le même sens artistique, le
même goût du grand style, et dans l'expression des têtes
la dignité jointe à la douceur.
Quant au vitrail qui se trouve à l'extrémité de Téglise
au dessus de la porte, il représente Thistoire de la chaste
Suzanne, divisée en deux compartiments; dans le premier,
elle paraît avec les deux vieillards devant le juge assis; ses
traits expriment le calme et la sérénité de l'innocence ; dans
le second, le prophète Daniel démasque Timposture, Su-
zanne triomphe et un geôlier entr'ouvre la porte de la pri-
son qui va se refermer sur les vieillards.
Tous les personnages de ce drame ont un type français
et sont vêtus de costumes divers, à la mode de France vers
la fin du quinzième siècle.
Le charme et la beauté de ces compositions nous amène
à conclure que les éloges comparés qu'a faits Jehan Lemaire
de Belges, historiographe de la reine Anne de Bretagne et
de Marguerite d'Autriche, de notre éminent artiste, dans sa
correspondance et dans ses vers, dont nous répétons cet
extrait, n'ont rien d'exagéré :
Besoignez doncq, mes alumnes modernes,
Mes beaux enfants nourris de ma mamelle,
Toy, Léonart, qui a grâces supernes;
Gentil Bellin, dont les los sont éternes,
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 107
Et Perusin, qui si bien couleurs mesle,
Et toi, Jean Hay, ta noble main chomme elle
Viens voir nature avec Jehan de Paris,
Pour lui donner umbraige et esperitz.
Ce couplet est évidemment la preuve de la sûreté de
son goût et l'expression générale que l'on avait du talent
de ces artistes, placés sur le même rang à cette époque.
N'est-il pas étrange que notre illustre compatriote, que l'on
peut sans contredit placer au premier rang des précurseurs
de l'école française, ait été oublié à tel point que l'on ne le
trouve cité dans aucun ouvrage consacré à l'histoire de la
peinture française, alors que la faveur des rois Charles VIII,
Louis XII, Ffançois I", ainsi que les témoignages de ces
hommes remarquables, Jehan Lemaire, Clément Marot,
Cornélius Agrippa, Geoffroy Tory, le statuaire Michel
Colombe, etc., etc., le recommandent si vivement à la
postérité !
Répétons ici à ce propos les réflexions si justes de
M. Ernest Renan, dans son discours sur l'état des arts au
quinzième siècle : « L'Italie a eu deux bonnes fortunes
refusées à la France, celle d'avoir conservé intactes les
œuvres de ses anciens artistes et celle d'avoir eu un E. Va-
sari * . ))
Nous voilà bien loin des travaux exécutés en France par
notre artiste, mais il était impossible de ne pas suivre
l'histoire de l'œuvre qu'il avait entreprise et exécutée à
Brou, dont quelques personnes ont voulu lui enlever le
mérite pour l'attribuer à Loys van Boghem qui n'était ni
f. Vie des plus illustres peintres, sculpteurs et architectes, par E. Vasari.
Première édition. Florence, i55o.
io8 RECHERCHES SUR LA VIE DE J. PERREAL
peintre, ni sculpteur ', mais simplement un « maistre masson
des meilleurs », ainsi que le nomme la princesse Marguerite
d'Autriche^.
J'avais pour cela à mettre en lumière des documents
précieux, les uns inconnus, les autres sur lesquels on ne
s'était pas assez arrêté et qui par là étaient restés inconnus
à certaines personnes.
Nous allons revenir sur nos pas.
I. Église de Brou, par Dufay. Édi- 2. Documents, lettre P.
tion 1874.
CHQ4'PlTn{E T%piSÎÈiME
GUERRES D'ITALIE
I 507- r 529
Jehan Perreal accompagne le roi Louis XII dans son expédition contre Gènes,
i5o7. — Description des tableaux de cette campagne peints par J. Perreal,
d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale. — En 1609, Louis XII
traverse de nouveau Lyon, où il laisse la reine; J. Perreal raccompagne
dans cette campagne contre les Vénitiens. — Lettre de J. Lemaire à
messire Thomassin, à propos des peintures de J. Perreal, représentant
les batailles et les sièges de cette campagne. — Haute position de J. Perreal
à la cour. — En i5i2, nouvelle expédition contre les Vénitiens, ligués
avec le pape Jules II. — Manuscrit de la bibliothèque impériale de Saint-
Pétersbourg, contenant la corres'pondance du roi et de la reine, ornée de
miniatures de la main de J. Perreal. — Maladie et mort de la reine Anne.
— J. Perreal dirige les funérailles. — Projet de mariage de Louis XII avec
la sœur d'Henri VIII d'Angleterre. J. Perreal va à Londres, chargé de
faire le portrait de la princesse. — Mort du roi Louis XII. — J. Perreal
exécute l'image du défunt et dirige ses funérailles. — Tombeau de
Louis XII et d'Anne de Bretagne. — Description de ce monument. —
J. Perreal figure encore en i523 sur l'état des officiers de la cour, comme
peintre et valet de chambre de François I«'. — Geoffroy Tory publie en 1329
un dessin de sa main. — Mort de J. Perreal arrivée peu de temps après.
AU commencement de i5o6, la situation de Gênes don-
nait beaucoup de soucis au roi de France; la ville et
son territoire étaient le théâtre d'une guerre civile qui com-
promettait gravement la domination française. Les vieilles
querelles des nobles et des plébéiens s'étaient renouvelées
110 RECHERCHES SUR LA VIE
avec une violence extrême; le peuple avait eu l'avantage.
Jean-Louis de Fiesque et la plupart des nobles passè-
rent en France et n'épargnèrent rien pour exciter la colère
du roi douzième de nom et duc de Milan, contre les
orgueilleux Vilains de Gênes ; la noblesse française, fidèle à
Tesprit de caste, fit cause commune avec les émigrés.
Louis XII voyant le Milanais ébranlé par l'exemple des
Génois, et tous les ennemis de la France prêts à se décla-
rer au premier signe de faiblesse, pensa devoir effacer par
un coup de vigueur la mémoire des désastres de Naples,
et se prépara à secourir la noblesse génoise.
Jehan Perreal devait accompagner Louis XII dans cette
entreprise, ainsi qu'il l'avait fait dans la campagne précé-
dente, en qualité de peintre du roi et de valet de chambre.
A ce propos, la reine Anne lui adjoignit son poète et « escri-
vain » Jehan Marot, en qualité de secrétaire du roi, pour
reproduîi^e avec la plume les événements que Jehan Perreal
devait retracer avec le pinceau^.
La description que nous allons essayer de donner de
cette campagne se retrouve en fait dans les onze magni-
fiques miniatures de 27 centimètres de hauteur sur i5 de
largeur, attribuées à Jehan Perreal, qui sont dans un livre
fait pour la reine Anne de Bretagne, qui y est peinte
au premier feuillet, conservé à la Bibliothèque nationale.
Il a pour titre : Poème de Jehan Desmarest de Caen,
dit Jehan Marot, sur la guerre de Gênes, faite par le roi
Louis XIL
Ce livre, qui décrit en vers l'histoire, entremêlée de fic-
tions poétiques, de la révolte de la république de Gênes,
I. Histoire de France, de H. Martin. Tome VII, page 387.
Jehao Perretl. Ptnaemaker pèr« et ûb m.
PRÉPARATIFS DE DÉPART DE L'ARMÉE FRANÇAISE.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
de rentrée des Français et de la défaite des Génois, qui
vinrent enfin se rendre au roi Louis XII, est assez détaillé
dans ces tableaux, pour servir de documents historiques
ainsi que d'études de mœurs et de caractères.
Comme nous venons de le dire, la première miniature
de ce beau livre représente, dans une grande pièce tendue
de damas façonné, la reine Anne de Bretagne, assise dans
un grand fauteuil à bras, sous un dais rouge rehaussé de
riches dessins d'or. Elle est vêtue d'une longue robe de
velours pourpre, coupée carrément sur la poitrine, à manches
très larges, dites à la grand'gore, doublées de drap d'or, la
tête couverte de l'élégante coiffure noire qu'elle avait mise
à la mode; elle porte un large collier de perles et de rubis,
et une cordelière d'or lâche à la ceinture.
A la droite de la reine, on voit plusieurs dames et
demoiselles de la cour, qui se tiennent debout, vêtues et
coiffées à peu près comme elle; celle qui est près d'elle,
vêtue de drap d'or, pourrait bien être Germaine de Foix ',
mariée à Ferdinand V, roi d'Aragon. On voit un peu plus
loin quelques officiers de la cour qui, vêtus de la longue
et ample robe mise à la mode par le roi Charles VIII,
attendent debout, la tête couverte d'un bonnet.
Au centre, Jehan Desmarest, dit Jehan Marot, vêtu éga-
lement d'une longue robe marron garnie de fourrure, la
I. La cour féminine de la reine Anne de Catherine de Foix. Ferdinand V,
était si réputée en Europe, que Ladis- roi d'Aragon, devenu veuf, épousa de
las Jagellon, roi de Bohême, pria la la même manière Germaine de Foix,
reine, par ambassadeur, de lui choi- sœur du fameux Gaston de Foix, nièce
sir, entre les demoiselles de sa suite, de Louis XIL
une sage et belle personne digne de (Voyez Hilarion de Coste, Vies et
monter sur le trône. La reine désigna Éloges des Dames illustres. Tome I,
Anne de Foix, fille unique de Jean et page 8.
RECHERCHES SUR LA VIE
tête nue et un genou en terre, lui présente son livre, pro-
bablement le même exemplaire que celui-ci, où nous avons
pris ces. notes.
Cette charmante composition resplendissante d'or, de
carmin, a une vigueur de ton d'un éclat merveilleux; et
bien que plusieurs siècles se soient écoulés depuis Texécu-
tion de ce beau livre, la peinture a conservé une telle fraî-
cheur, qu'elle semble sortir des mains du maître.
Préparatifs de l'armée française. — Ce livre commence
par une fiction.
Du haut des nues où ils sont assis, Mars armé d'une
épée, et Bellone d'une flèche', excitent le peuple de Gênes
à courir sus aux nobles, qui, fugitifs, viennent se plaindre au
roi de France. La noblesse française prit cause pour ces émi-
grés, et réussit à leur faire prêter secours par le roi Louis XIL
Au bas, on voit l'armée française faisant ses préparatifs
derrière un rideau de montagnes, et, dans le lointain, la
mer et des vaisseaux de guerre.
A droite, sur le premier plan, deux canonniers ajustent
sur leurs affûts des canons couverts de fleurs de lis; l'un
est vêtu d'une tunique violet, l'autre d'une tunique marron,
avec la figure du porc-épic, brodée sur la poitrine; tous
deux sont coiffés d'un bonnet plat à retroussis.
Au centre, un vigoureux jeune homme, coiffé d'un
bonnet rouge, achève d'attacher sa cotte de mailles; puis, à
gauche, un officier d'une belle et fière tournure, portant
sur sa cuirasse une jaquette rouge ornée de la figure du
I. Le casque que porte Bellone a porte la statue de la Force, du tombeau
beaucoup de rapport avec celui que de Nantes.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL ii3
porc-épic couronné '. Il est coiffé d'un casque dont la
visière est à moitié levée-. Les figures remarquables de
ces personnages doivent avoir été peintes d'après nature,
car elles ont une telle vigueur de réalité, qu'il n'est pas
permis de douter qu*elles ne soient des portraits com-
mandés à notre peintre pour ce livre destiné à la reine ;
malheureusement, il est impossible de nommer les modèles
qui ont été laissés dans l'oubli par les conservateurs, plus
occupés autrefois de la partie littéraire que de la partie de
Tart. Il en est différemment aujourd'hui ; on lit peu le
poème de Jean Marot, dont la langue a grandement vieilli,
tandis que ces miniatures ont conservé leur jeunesse qui
fait la joie des curieux.
Pleins d'entrain et impatients d'en venir aux mains, les
nombreux officiers et soldats placés au second plan déploient
les étendards et s'arment de piques et de hallebardes; leur
type est français, leurs figures, plutôt courtes que longues,
font bien voir qu'elles ont été prises dans la nature même
du pays.
Là, point de ces formes massives, mais un mélange
d'énergie, de souplesse et une facilité de mouvement qui
font souvenir de l'agilité française. A la noblesse de la pose
ou aux traits de la physionomie, on reconnaît le rang que
chacun y occupe; on dirait que chaque groupe a posé
devant le peintre, ou plutôt que, témoin oculaire, il les
a saisis au moment même de l'action; au résumé, on ne
1. Ordre créé par Louis d'Orléans, princes et des ducs a la visière levée
père de Louis XIL à demi, tandis que celui des marquis,
2. On voit par la Méthode du blason comtes, etc., ont tous des grilles, dont
du Père Ménestrier, que le casque du le nombre est indiqué suivant les
souverain a la visière levée, celui des titres.
114 RECHERCHES SUR LA VIE
trouve ici aucun vestige d'influence italienne ou flamande,
mais un souffle purement français anime ces compositions,
qui sont de la dernière manière de Jehan Perreal, et peu-
vent être considérées comme des chefs-d'œuvre. Nous avons
là le plus bel échantillon qui existe de la peinture française
à cette époque, iboj,
La république de Gênes tient conseil avec les ti^ois par-
ties qui la composent : la noblesse, la bourgeoisie et le
peuple, — Cette belle miniature représente Gênes, sous les
traits d'une femme blonde, assise sur un trône élevé de deux
marches, placé au centre d'une grande salle, sous un dais
richement décoré. Elle est vêtue d'une robe rouge à dessins
d'or, avec manches en tissu d'argent. Sa main droite levée
et l'expression de son regard indiquent qu'elle veut parler.
Le conseil attend dans l'attitude du recueillement. Les
figures sont pleines de dignité et d'attention.
Alors Gênes s'adresse au noble qui se tient debout
devant elle, la tête couverte d'un bonnet à retroussis rouge.
Il est habillé d'un pantalon, dont l'un des côtés est rouge,
et l'autre côté blanc et bleu, d'une jaquette bleue et d'un
court manteau rouge doublé de vert. Il a l'épée au côté et
paraît répondre hardiment aux reproches que Gênes lui
adresse, d'être allé se plaindre au roi de France.
Elle a à sa droite un bourgeois à cheveux blancs, vêtu
de violet, et à sa gauche un homme du peuple, sous les
traits d'un jeune homme vêtu de gris, qu'elle exhorte à se
bien préparer pour repousser les Français.
Au bas du trône, on voit sur les deux côtés des femmes
assises à plate terre.
Jehaa Perreal.
Panaenuiker père et flU k.
LA RÉPUBLIQUE DE GÊNES TIENT CONSEIL AVEC LA NOBLESSE
LA BOURGEOISIE ET LE PEUPLE.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
Tous ces personnages, admirablement groupés, sem-
blent vivre et parler.
Les Génois révoltés vont prendre le petit château. — Après
avoir brisé les fleurs de lis qui étaient dans la ville, les
Génois allèrent assiéger le petit château situé sur le sommet
de la montagne, occupé par une petite garnison de dix-huit
Français et de trois femmes, qui furent contraints de se
rendre, et qui furent égorgés le i5 mars 1507.
Ce qui frappe dans cette miniature, c'est cette foule
immense, de plus de cent soldats en fureur, dont les uns
montent du côté du château, où Ton voit les corps des
hommes et des femmes massacrés, et les autres descendent
du côté du couvent, portant au bout de leurs piques,
comme des trophées, des chausses ensanglantées. Au bas,
une grande multitude de Génois armés sont autour du
couvent et du château de Saint-François, entouré de fortes
murailles, et paraissent n'avoir pas encore commencé l'at-
taque.
Louis XII sort d^ Alexandrie et marche contre les Génois.
— A la nouvelle de la capitulation violée et du massacre
de sa garnison, le roi Louis XII se rendit d'abord à
Asti, où il séjourna huit jours, et de là à Alexandrie. Le
lendemain, il passa les monts, accompagné des ducs de
Bourbon, de Vendôme, de Nevers, de Ferrare, et des
marquis de Mantoue et de Montferrat, princes italiens qui
s'étaient rangés sous les étendards du roi, tenant tous dans
la main un bâton de commandement et coiffés de casques
dont la visière est à moitié levée.
iiô RECHERCHES SUR LA VIE
Le roi est représenté dans cette miniature, à cheval,
armé de toutes pièces, portant une tunique blanche sur sa
cotte d'armes; de sa main droite, il tient un bâton de com-
mandement; une ruche est brodée sur sa tunique, avec de
nombreuses abeilles qui voltigent autour, ainsi que la
housse blanche qui couvre son cheval noir. La devise :
NON UTiTUR ACULEO REX, le roi ne se sert pas d'aiguillon,
se lit au bas de sa tunique et autour de la housse du
cheval, ce qui semble dire qu'il ne traitera pas les Génois
avec la dernière rigueur.
Sur le casque du roi est un panache de plusieurs plumes
blanches qui se renversent en arrière. C'est une chose fort
curieuse et qui ne s'apprend que dans les peintures, que
la grande diversité et ces façons singulières des aigrettes
des princes et des officiers qui suivaient le roi et de ceux
qui marchaient devant lui, que nous offre cette remar-
quable miniature. Le harnachement des chevaux et le cos-
tume des cavaliers, qui sont représentés ici avec une exac-
titude scrupuleuse, doublement intéressante, ajoute par cela
même la valeur historique à une œuvre déjà si précieuse
par sa valeur esthétique. Les premiers temps de la Renais-
sance y semblent revivre.
Quoique renfermée dans une place fort circonscrite, cette
scène a une ampleur étonnante qui tient à l'art avec laquelle
les soldats sont groupés et disposés, de manière qu'on croi-
rait que la foule que l'on voit monter la colline ne saurait
s'arrêter.
— Notre peintre, témoin oculaire, nous montre dans
cette miniature, qui représente les Français prenant les forts
Jehan Perreal. Pannemaker père el fils se.
LES GÉNOIS RÉVOLTÉS PRENNENT LE PETIT CHATEAU.
,1
ET L*ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 117
de Gènes, Tinfanterie française arrivant au sommet des
montagnes qui dominent la ville et le port, où les Génois
s'étaient fortifiés, et mettent en fuite ces bandes inaguer-
j ries, postées pour la défendre, puis attaquant vivement ce
; bastillon (ce bastion), garni de canons, réputé impre-
nable, s'en rendent les maîtres et chassent les Génois
de presque tous les forts qu'ils avaient dans les mon-
t
tagnes.
La nuit qui survint empêcha qu'on allât plus avant.
' Au bas sont plusieurs seigneurs à cheval, lance en main,
armés de toutes pièces, brillants d'or, casques en tête ornés
! de panaches les plus variés et les plus magnifiques, qui
paraissent n'avoir pas eu l'occasion de donner.
— Déconcertés par la défaite qu'ils venaient de subir,
' les Génois tinrent conseil la nuit; leur doge les encou-
' ragea à la résistance. Le lendemain, ils s'assemblèrent
en grand nombre sur le haut de la montagne, près du
1 bastillon : on les reconnaît à la croix rouge qu'ils portent.
f* Mais les Français, montant des deux côtés, les attaquèrent
i vivement et. les mirent en déroute.
ï
' Se voyant, après ces grandes pertes, sur le point d'être
pris, ils résolurent de venir implorer la clémence du roi.
On voit dans cette miniature les conseillers de la ville,
au nombre de six, la tète blanche et rasée, vêtus de noir,
les mains jointes et à genoux, demandant la paix et mon-
trant par leur contenance le désir qu'ils ont de fléchir le
roi qui ne veut les recevoir qu'à discrétion.
Le peintre nous le montre sur son cheval noir, ainsi que
nous l'avons vu, avec cette différence qu'il tient son épée
ii8 RECHERCHES SUR LA VIE
nue à la main. Il est entouré des gens de sa garde et de
ses principaux officiers : deux d'entre eux ont Tépée au
poing et portent la visière de leur casque à moitié levée,
ce qui nous indique le rang élevé qu'ils occupaient dans i
Tarmée. \
I
Cette miniature, remarquable par le nombre des per-
sonnages, l'ordonnance savante de la composition et la i
fidélité des costumes, est une des plus belles de ce manus-
crit.
Entrée triomphale du roi dans la ville de Gênes. — 1
Les précautions que prit Louis XII prouvaient qu'il
n'avait pas l'intention de livrer au pillage la ville comme *
le craignaient les vaincus, car il interdit Tentrée de la ville i
de Gênes à l'infanterie qu'on redoutait de ne pouvoir
contenir. i
Le roi fit son entrée le lendemain, 29 avril 1607, à la j
tête de sa brillante maison militaire, et s'en alla d'abord au
palais. ''
Cette belle miniature nous le montre à cheval, armé de 1
toutes pièces, portant sur sa cotte d'armes une jaquette '
rouge brodée, ainsi que la housse du cheval, au chiffre de la \
reine A en or; sous un grand dais porté par quatre des
principaux bourgeois, tête rasée et vêtus de noir, des jeunes
filles à genoux, habillées de blanc, les cheveux dénoués sur
les épaules, portant des branches d'olivier, criant miséri-
corde; on voit des spectateurs se pressant aux fenêtres,
pour regarder passer le cortège.
«Après le roi, venaient quatre cardinaux : maistre Georges,
cardinal d'Amboise, maistre René, cardinal de Prye, le car-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 119
dinal d'Alby et le cardinal de Final, montés sur des mules
grises. Charles d'Amboise marchait après, monté sur un cour-
sier bai, vêtu, sur son harnais, d'une saye blanche couverte
d'orfèvrerie moult riche, ayant Tépée nue au poing comme
capitaine dompteur et vainqueur des dits Génois soubs la
main du roi. »
Cette magnifique entrée, dirigée par Jehan Perreal, donne
une idée des fêtes, dont la ville de Lyon lui confiait la
direction, à propos des visites royales.
Tristesse de la pille de Gênes. — Dans une chambre
noire semée de larmes d'argent, on voit la ville de Gênes,
sous les traits d'une belle femme, assise sur un trône élevé
de trois marches, placé sous un dais. Elle est en grand
deuil, essuyant ses yeux rougis, brûlés par les larmes.
La Honte, vêtue d'une robe grise, la tête couverte de
linge blanc, s'avance en hésitant vers elle, dans l'attitude
du plus profond abattement, appuyant ses mains défail-
lantes, l'une sur celle du marchand vêtu d'une tunique vio-
lette, qui, frappé par cette scène de douleur, engage la ville
de Gênes à ne pas désespérer dans ce moment où la main de
Dieu la frappe si cruellement, et l'autre, sur celle d'un homme
du peuple vêtu d'une tunique marron vers qui elle tourne
la tête, les yeux baissés, sentant sa main filiale appuyée
contre son cœur : geste d'une tendresse touchante pour
réchauffer son courage et l'assurer dans son dévouement.
Il règne dans cette composition un sentiment vrai de
tristesse, le visage de Gênes exprime bien la douleur la
plus profonde que l'on puisse supporter en un pareil mo-
ment de terrible épreuve, le marchand plongé dans une
RECHERCHES SUR LA VIE
tendre affliction essaye de calmer son désespoir en Tentrete-
nant de ses espérances.
Un sentiment profond de pieuse et sincère douleur
anime l'homme du peuple, en voyant la douleur muette de
la Honte, dont la tête superbe de sentiment présente des
qualités de premier ordre.
Ce sont ces traits, saisis au plus profond du cœur
humain, qui caractérisent le ge'nie français et auraient fait
Toriginalité de notre école, si elle avait été protégée.
Nous ne croyons pas trop nous avancer en disant que
cette miniature est un chef-d'œuvre de la peinture française,
qui prouve que notre pays possédait au quinzième siècle
un mouvement d'école comparable à celui de nos voisins;
ce mouvement aurait progressé au contact des autres écoles,
tout en conservant son caractère national, si François T**
n'avait pas donné tous les travaux à ces nombreux artistes
italiens, la plupart de la décadence, appelés par lui à la
cour et mis à la mode, au détriment de nos artistes qui
furent réduits à peindre des portraits; car, de nos plus
habiles artistes, J. Clouet, Démoustier et autres, on ne
trouve que des portraits.
— La fiction continue dans la miniature suivante, et nous
montre de nouveau la ville de Gênes telle qu'elle est dans
la précédente miniature, avec cette différence qu'elle est cou-
chée sur un lit, couvert d'étoffe noire, semée de larmes,
entourée de la Rage et de la Douleur, sous les traits de
deux femmes du peuple, et du Désespoir sous les traits
d'un vieillard à barbe blanche, vêtu d'une ample robe mar-
ron et d'une écharpe décorée de figures d'enfants.
ichan Perreal. Paancroaker pore et fili te.
LOUIS XII MARCHE CONTRE LES GÉNOIS.
ET I/ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
A ce triste spectacle, elle tourne vers le ciel ses yeux
rougis par les larmçs et le prie, les mains jointes, de Tins-
pîrer. Alors lui apparaît, portée par un nuage, sous les
traits d'une femme couronnée, la Raison, qui marque par
un doigt levé et l'expression de son regard les termes qui
doivent l'engager à accepter les conditions du roi.
Louis XII rend à la ville de Gênes, conquise et soumise,
ses lois et ses libertés. — Dans une chapelle d'architecture
génoise, Jehan Perreal a représenté la ville de Gênes sous
les traits d'une belle femme, vêtue d'une robe 'de brocart
d'or sur laquelle est attaché un manteau bleu semé de fleurs
de lis d'or, doublé d'hermine, et coiffée d'un bonnet garni
de pierres précieuses.
Elle a quitté sa chambre de deuil, dont on aperçoit
derrière elle la porte tendue de noir, et elle remercie
gracieusement, les mains jointes, à genoux, la Raison, que
l'on voit dans le haut, debout sur un nuage, la bénissant.
Ces belles miniatures sont des tableaux complets d'un
intérêt sans égal pour l'histoire et l'étude.
Jusqu'alors, Jehan Perreal n'avait été à nos yeux qu'un
imitateur prodigieusement habile, d'abord de l'école fla-
mande, puis se rapprochant des précurseurs de l'école
italienne; mais après avoir vu ces admirables peintures,
qui sont une révélation, où il a reproduit les événe-
ments auxquels il a assisté, simplement, sans emphase,
sans prétention, tels qu'il les a vus, avec le sentiment
d'un caractère élevé, d'un jugement sain et politique,
il nous apparaît comme un peintre ému original, capable
iG
RECHERCHES SUR LA VIE
d'inventions, et Tinitiateur d'un art nouveau, la peinture
d'histoire.
A notre avis, il est à la France ce que le Pérugin fut
•à ritalie, par le charme de la composition, la chaleur du
coloris, l'expression vivante des physionomies et le senti-
ment de l'ordonnance.
Le volume qui contient ces peintures est considéré à
juste titre comme l'un des plus splendides et des plus pré-
cieux manuscrits de la Bibliothèque nationale. C'est sans
doute l'exemplaire original qui fut présenté à la reine Anne
de Bretagne, du poème de la Guerre de Gê?ies, en manuscrit
sur vélin, enrichi de onze miniatures, dont plusieurs sont
des chefs-d'œuvre.
La reine le fit déposer dans la bibliothèque du roi,
où étaient alors les plus précieux manuscrits appartenant
à la couronne ; il n'en est sorti que pour entrer dans
la Bibliothèque nationale, dont il est l'un des plus beaux
ornements.
On sait que Jehan Perreal fut le seul peintre que le roi
Louis XII ait emmené à sa suite dans ses campagnes en
Italie, pendant le cours de son règne; il n'est donc pas dou-
teux que ces miniatures, qui retracent comme un témoin
oculaire peut seul le faire les événements de cette guerre
contre Gênes, sont de sa main.
L'originalité de ces miniatures, l'ordonnance savante de
la composition, la richesse de la couleur, l'élégance et la
fidélité des costumes qui leur donnent une valeur historique,
le fini du travail, attestent le talent du peintre, dont les
œuvres auraient pris un aspect de grandes peintures, si on
leur eût donné d'autres dimensions.
ET LMKUVRE DE JEHAN PERREAL 1-3
Louis XII, après avoir parcouru toute la Lombardie,
rentra en France; à son passage à Lyon, le 17 juillet ïSoj,
où la reine était venue Tattendre, il fut reçu avec enthou-
siasme et fut conduit jusqu'à Tarchevêché sous un dais en-
soie bleue semé de fleurs de lis d'or, à travers les rues
tendues de tapisseries.
Dix-huit mois après, les Vénitiens s' étant emparés de
plusieurs dépendances du Milanais, le roi traversa encore
une fois Lyon, le 29 mars 1609, où il laissa la reine, et
passa les Alpes au commencement d'avril. Durant tout ce
mois, sa maison, ses fantassins, son artillerie, ne cessèrent
de défiler vers le Milanais. Le 27 avril, la campagne
s'engagea par l'entrée de l'avant-garde française, aux ordres
de Chaumont d'Amboise, sur le territoire vénitien.
Jehan de Paris accompagna le roi comme précédem-
ment dans cette nouvelle campagne, ainsi que Jehan Marot
qui en retraça dans un poème, imprimé en i532, les
événements à la suite de la guerre contre les Génois; ce
poème a pour titre : Les deux heureux i^oyages de Gênes
et de Venise.
D'après la lettre écrite à messire Claude Thomassin,
seigneur de Dammanin, conseiller du roi et son conser-
vateur des foires de Lyon, le 12 août 1609, par Lemaire
de Belges qui se trouve à la fin de la Légende des Véni-
tiens '^ nous pensons qu'il existe ou qu'il a existé un
livre fait comme le précédent pour la reine Anne de Bre-
tagne, contenant le manuscrit sur vélin de ce poème de
I. Ldi Légende des Vénitiens /\\wy>tU brai, organisée en i5o8 entre le roi
mée en i5o9, à Lyon; satire contre Louis XII, Marguerite d'Autriche, le
Venise, à propos de la Ligue de Cam- pape Jules II, etc.
124 RECHERCHES SUR LA VIE
Jehan Marot, enrichi de miniatures peintes par Jehan Per-
real, mais jusqu'à présent toutes nos recherches sont restées
infructueuses.
Voici l'extrait de la fin de cette lettre :
« Mais, de vostre bon amy et mon bienfaiteur, hostre
second Zeuxis ou Appelles en paincture, maistre Jehan
Perreal, painctre et varlet de chambre ordinaire du roi, la
louange est perpétuelle et non terminable; car de sa main
mercurielle, il a satisfait par grande industrie à la curiosité
de son office et à la récréation des yeulx de la très chres-
tienne majesté, en peignant et représentant à la propre
existence naturelle, dont il surpasse aujourd'hui les citra-
montains (en deçà des Alpes, c'est-à-dire les Italiens), les
citez, villes, chasteaulx de la conqueste et l'assiette d'iceulx;
la volubilité des fleuves, l'inégalité des montagnes, la
planure du territoire, l'ordre et le tumulte de la bataille,
l'horreur des gisans en occision sanguinolente; la miséra-
bilité des mutilez nageant entre mort et vie, l'effroy des
fuyans, l'ardeur et impétuosité des vainqueurs, et l'exaltation
et hilarité des triomphans, et si les ymages et painctures
sont muettes, il les fera parler par sa très élégante escripture
ou par sa propre langue bien exprimante et savamment
éloquente.
« Par quoy à son prochain retour, en voyant ses belles
œuvres, ou escoutant sa voix, ferons accroire avoir esté
présens à tout; comme déjà nous en avons ouy compter
verbalement au seigneur prieur frère Pierre d'Autan, illus-
trateur des chroniques de France >, et pour donner foy de
la victoire dessus dicte avons vu faire son entrée à Lyon,
I. D*Autan, historiographe du roi Louis XII.
N
Jehao Perrcal.
Pannemaker père et flit se.
ENTRÉE TRIOMPHALE DU ROI LOUIS XII
DANS LA VILLE DE GÊNES.
\
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 12b
Barthélémy d*Alviannei capitaine des Vénitiens, prisonnier
du roi avec certains autres, lesquels sont maintenant
chastelains de Pierre en Seize ^. » Lemaire termine en disant
que c( Messire Symphorien Champier Pavait tiré des mâchoires
de la mort en laquelle il s'estait engouffré par trop grand
labeur, abstinence et vigilance. Donc, en Tespoir de les
revoir tous les deux ainsi que je le désire, Je clorai ici en
me recommandant humblement à vostre seigneurie, à Lyon
12 août i5o9 ».
Cette lettre prouve la réputation dont jouissait Jehan
Perreal parmi ses compatriotes, non seulement comme
peintre surpassant les « citramontains », mais aussi comme
élégant écrivain et orateur savamment éloquent.
Le fait est que Tordre et le tumulte d'un champ de
bataille, Tardeur et les émotions des combattants, les souf-
frances des mutilés entre vie et mort, Talarme des fuyards,,
l'ardeur, l'impétuosité et l'exaltation des vainqueurs, sont
des choses très difficiles à rendre, dont il n'y avait pas eu
d'exemple à cette époque, et qui doivent placer au premier
rang l'artiste qui les a exécutées, car il les a tous précédés
dans cette voie difficile et périlleuse.
Cette lettre nous fait connaître qu'il avait suivi nos
troupes conquérantes en Italie, qu'il y avait peint nos
triomphes d'après nature, et que, succombant aux fatigues
du voyage et à la peine du travail, il avait été conduit par
la maladie bien près de la mort.
Que sont devenus ces précieux tableaux, et comment se
fait-il qu'après Jehan Lemaire aucun écrivain français n'ait
I. Alvianne commandait rarrière- 2. Pierre-Scize, prison de Lyon, prés
garde à la bataille d*Agnadcl. le rocher de ce nom.
126 recherch.es sur la vie
jamais revendiqué cette gloire? et que pas une de ces
peintures exécutées pour le roi, à propos de cette guerre,
ne soit arrivée jusqu'à nous?
Nous devons observer à ce propos que nous avons
remarqué dans le manuscrit des ABUS DU MONDE,
vendu à Thôtel Drouot le ri mai 1882, poème par P. Grin-
gore, quatorze grandes miniatures, dont nous attribuons
une partie à Jehan Perreal, la onzième entre autres,
qui représentait le roi Louis XII à cheval, Tépée à
la main, casque en tête, armé de toutes pièces, portant
sur sa cotte d'armes une tunique fleurdelisée, ainsi que
la housse de son cheval, entouré de sa maison militaire sur
le Champ de Bataille d'Agnadel, couvert de soldats morts
ou blessés, en face de laquelle se trouvaient ces vers :
I] combattit deulx heures à oullrance,
Ayant toujours en Ihucrist fiance.
Si bien qu'il mist ses ennemys en fuite
Et les chassait au beau fer de sa lance.
Français, eussiez veu sans nulle doubtance
Des ennemys faire si grande poursuite
Qu'ils en tuèrent ung grand nombre à la suite;
One on ne veit en tel sorte frapper
Eureulx estoit qui pouvait eschapper.
Puis on lisait plus loin :
Ainsi le roy voyant ses ennemys/
Gisant envers, autres en fuyte mis*,
D'un cœur dévot va commencer à dire :
Dieu puissant, mon créateur et sire,
Grâces te rend, car bien sçay qu'en tes mains
Gist la victoire ou malheur des humains.
I. Dans son ouvrage, qui a pour bre et peintre ordinaire des rois
titre Jean de Paris, valet de cham- Charles VIII et Louis Xll, M. Rcnou-
^
BATAILLE D'AGNADKL.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 127
Pendant toute la durée de cette campagne qui fut aussi
courte que glorieuse, la reine Anne fixa sa résidence à Lyon.
Elle n'eut qu'à se louer de l'attitude de la population « dont
elle garda un excellent souvenir; quant au roi, il rentra à
Lyon le 20 août iSog, couvert de lauriers; les conseillers de la
ville ayant désiré lui préparer une belle entrée avaient fait
écrire au trésorier Grollier' et à Jehan de Paris, pour savoir
les intentions du roi concernant sa réception. Voici la réponse
qui se trouve inscrite au registre municipal du 2 5 juillet 1609 :
« Ledit jour ont été receues lectres missives de Messieurs
le trésorier Grollier et Jehan Perreal, faisant responce des
lectres qui leur furent escriptes au nom de mes dits
seigneurs les conseillers, affin d'avoir leur advis touchant
ce que la ville aurait à faire à l'entrée et retour du roy,
quand il viendra de la conqueste contre les Vénitiens, les-
quelles lectres des dicts Grollier et Perreal font mention, à
ce qu'ils ont pu entendre, du voloir du roy, nostre sire,
ledit seigneur n'entend luy estre faicte aucune entrée et plus
tôt le deffend, où s'est déclaré qu'il ne passerait pas ceste
ville s'il savait qu'on lui fist entrée^. »
Voici en quoi consistaient les préparatifs :
« A esté ordonné de faire pour la prochaine entrée et venue
du roy un parron, comme le dessin en a esté aporté et
et exhibé sur le bureau, lequel parron sera en ung pillier
vier dit, page 17, qu'il y a lieu défaire qu'on le voit à Texergue de la mé-
une grande part à Jehan de Paris daille de 1499 : « Anna régnante
dans les gravures qui accompagnent bénigne ».
les livres publiés sur les divers évc- 2. CetrésorierGrollier est le célèbre
nements en Italie à cette époque. bibliophile dont les livres se vendent
I. Elle fut constamment aimée par si cher aujourd'hui,
la population lyonnaise, qui Pavait 3. Actes consulaires de la ville de
surnommée la bonne Reine, ainsi Lyon, BB, b-jb.
128 RECHERCHES SUR LA VIE
enlevé (chargé d'ornements en relief), et sur ledit pillier
(colonne), une pomme ronde d'or et sur icelle la forme du
roy, nostre dict sire, et ung escript par lequel sera récité la
victoire (celle d'Agnadel) que ledit seigneur a eu contre les
Vénissiens \ »
Ce buste, dit M. Dufay, confié au sculpteur Jean de
Saint-Priest, fut exécuté d'après la « pourtraicture du roi,
faicte de la main de Jehan Perreal ». La colonne fut placée
sur la onzième pile du pont du Rhône.
Louis XII, accompagné de la reine Anne, quitta Lyon le
22 août iSog ; à son départ, la reine, qui venait d'y séjourner
cinq mois, laissa un témoignage de l'excellent souvenir qu'elle
emportait de la population lyonnaise dans une communica-
tion qu'elle chargea Perreal de faire en son nom aux con-
seillers de la ville, le mardi 23 août : <c Jean de Paris, valet
de chambre du Roy nostre sire, a fait rapport que la Reyne
qui partist de ceste ville yer matin, avant son partement luy
dist^ qu'elle estait très contente de ladicte ville et de ce
qu'elle y avait demeuré. Elle a trouvé ladicte ville et les
habitants en icelle si bons et de si bonne sorte, qu'elle en
aura longtemps mémoire et quand ceulx dudit Lion voul-
droit quelque chose devers le Roy ou d'elle, elle sera con-
tente quant l'on s'adressera à elle du vouloir qu'elle a à
faire plaisir à ladicte ville dont mesdits seigneurs, par la
voix dudit Le Bourcier^, ont remercié ledit Jean Perreal et
l'ont prié, quand il sera en cour, avoir toujours ladicte ville
et affaires d'icelle pour recommander + ».
1. Délibération consulaire du ii juil- 3. L'un des conseillers de la ville,
let i5o9, BB, 575. présent à cette assemblée.
2. Actes consulaires, BB, 576. 4. Actes consulaires, BB, 5-jC\
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 120
Cette lettre prouve à la fois la considération dont Jehan
Perreal jouissait à la cour et le rang éminent qu'il occupait
parmi ses compatriotes.
Vers le commencement du seizième siècle, deux arches
du pont du Rhône, celles qui touchaient le Dauphiné,
avaient été emportées par les eaux du fleuve, et plusieurs
années s'étaient déjà écoulées sans qu'il eût été possible de
les réédifier. C'était en vain qu'on avait appelé de Cusset
en Forez un homme qui était en réputation. On fit alors
venir de Salins un « maistre masson » nommé Claude Clérct ;
après avoir reconnu les fautes de son prédécesseur, il reprit
les travaux ; malgré son habileté, le consulat, devenu pru-
dent, pria Jehan de Paris, dont l'expérience et la supério-
rité des lumières méritaient toute confiance, qu'il voulût
aller voir et visiter l'œuvre du pont du Rhône et compasser
les cintres posés au premier arc. « Porquoi ledit Jehan de
Paris est venu sur ladicte œuvre et après avoir vu et com-
passé le trait desdits cintres, jecté en l'église des Cordeliers,
résolu de couper et abaisser lesdits cintres par le haut, d'un
pied et demy et sera faict une charche de poste selon la
droite rondeur dudit trait et du nyveau, dont ledit Jehan
de Paris a faict un pourtraict (dessin), i5 janvier iboç). »
(Actes consulaires, BB 28.)
Ce travail difficile achevé, la récompense ne se fit pas
attendre, car dès le lendemain le consulat lui fit remettre
la somme de onze livres tournois pour six écus d'or au
soleil.
La ville de Lyon fut en proie à une grande épouvante, au
commencement de l'année i5i2, par crainte d'une attaque
17
i3o RECHERCHES SUR LA VIE
des Francs-Comtois et des Suisses, qui avaient envahi la
Bourgogne et assiégeaient Dijon. Il n'existait pas de fortifi-
cations suffisantes du côté de la Savoie et de la Suisse pour
protéger cette ville, de la Saône au Rhône et de la porte
Saint-Clair à celle de Vaise.
Il fut question d'en construire ; les conseillers de la ville
les voulaient sur la colline Saint-Sébastien; déjà même,
avant 1495, Jehan Perreal avait fait, dans ce but, le relevé
de Tensemble de cette colline. Ils adressèrent leurs remon-
trances au roi qui ne les accueillit pas; le chambellan La-
voulte, désigné par le roi directeur des fortifications, les
voulait sur l'emplacement du bourg Saint-Vincent. L'inquié-
tude était grande dans l'administration consulaire, lorsque
Jehan de Paris, alors en cour à Blois, obtint du roi Louis XII,
à force d'observations fondées sur l'art, que le faubourg
Saint-Vincent serait épargné et que les nouvelles fortifica-
tions seraient établies au nord de la ville en couronnant la
colline de Saint-Sébastien.
Cet avis était en effet plus conforme aux règles de l'art
militaire, la situation de cette défense sur un point culmi-
nant, d'un accès facile, dénotait l'habileté de notre artiste
comme ingénieur.
Louis XII, dont l'esprit se trouvait favorablement pré-
paré par les observations et les efforts de son peintre, finit
par se rendre aux raisons données par les conseillers de la
ville. Ce prince envoya des lettres patentes qui nommaient
Jehan Perreal surveillant des nouvelles fortifications, sous
les ordres du gouverneur Jacques de Trivulce. Jehan Perreal
traça les plans, depuis la rivière de Saône, montant le pla-
teau de la Croix-Rousse, enfermant la colline de Saint-
I
Jfli3a l*erreal. Pannemaker père et (il* ic.
TRISTESSE DE LA VILLE DE GfiNES.
i
ET L'ŒUVUE DE JEHAN PERREAL i3i
Sébastien et venant finir sur la rive droite du Rhône, tels
qu'ils ont été exécutés dans la suite.
^ En considération de cet important service, les conseillers
de la ville décidèrent, le 3o septembre i5i2, que Jehan de
' Paris, valet de chambre du roi, serait exempté « de Timpost
' des quatre deniers dernièrement mis pour la closture de
ladicte ville * ».
Chargé par les conseillers de la ville d'inspecter d'im-
portants travaux de grande voirie, exécutés sous la direc-
tion de Richeran, châtelain de Saint-Symphorien-le-Château,
commissaire spécial à Lyon, Jehan Perreal visita les terrains
à bâtir et fit prévaloir ses rapports. Nommé expert, il traça
les alignements pour protéger la navigation de la Saône.
Ses collègues étaient Claude Thomassin, Jehan Coyand, à
la part du Rhône; Guillaume Guerrier, Jehan Salla, et Aimé
BuUiod, à la part de la Saône.
Il conserva ses fonctions d'architecte- voyer et de contrô-
leur des bâtiments jusqu'à la fin de sa vie. Il se montra
toujours aussi favorable que possible envers ses concitoyens,
lorsque leurs demandes pouvaient s'allier avec le strict
exercice de son emploi; les registres consulaires témoignent
d'une foule de propositions qu'il fit au nom des habitants
de Lyon, pour l'amélioration de leurs immeubles, propositions
qui reçurent la sanction légale de l'autorité administrative.
Louis XII n'eut pas plus tôt quitté l'Italie, que le pape
jeta le masque en publiant un traité qu'il avait conclu avec
Venise; considérant les Français comme ses ennemis les
plus dangereux, il forma une ligue pour leur enlever ce
I. Actes consulaires, BB, 3o.
i32 RECHERCHES SUR LA VIE
qu'ils possédaient en Italie. Toutes tentatives pour con-
server la paix ayant échoué, les hostilités recommencèrent.
Jules II fit marcher une armée à la tête de laquelle il plaça
son neveu, le duc d'Urbin, qui prit Modène et menaça
Fcrrare. Sa conduite perfide excita Tindignation de Louis XII,
qui se réveilla dans le danger et finit par expédier en Italie
des renforts de toutes les provinces, en mandant à son neveu
Gaston de détruire à tout prix Tarmée du pape et du roi
d'Aragon, puis de marcher droit à Rome après la victoire.
Gaston entra donc en Romagne et se porta sur Ravenne;
Tassaut de cette ville ayant échoué, on décida la bataille,
cette bataille mémorable, où les Français remportèrent la
victoire le ii avril i5i2, mais où ils perdirent leur jeune
général, Gaston de Poix, duc de Nemours, « dont sera mé-
moire, tant que le monde aura duré, fort jeune (il n'avait
que vingt-quatre ans), mais déjà couvert d'une gloire immor-
telle; on peut dire qu'il fut grand capitaine avant d'avoir été
soldat ». Cet éloge, décerné par Guicciardini, n'est pas sus-
pect dans la bouche d'un écrivain italien.
Au sujet de cette expédition du roi Louis XII contre les
Vénitiens et de la victoire qu'il remporta sur eux, quelques
poètes, entre autres Jehan Lemaire, qui étaient auprès de
la reine Anne, firent des pièces de vers où ils exprimaient
les sentiments de cette princesse, sa douleur de la longue
absence du roi, ses plaintes contre le pape, etc. De ces
poèmes écrits en forme d'épîtres et de plusieurs autres
inspirés par le même sujet, on fit pour la reine un livre
en beau vélin qui fut enrichi de onze miniatures de vingt-
quatre centimètres de hauteur et de quinze centimètres de
largeur.
\
k
Jehan Perrcal. Panaeinaker père et flit te.
SOUMISSION DE LA VILLE DE GÊNES.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i33
Des recherches et des documents nouveaux nous avaient
amené à présumer que, parmi les manuscrits français de la
bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, il s'en trouvait
un, exécuté au moment de la campagne de i5i2, enrichi
de nombreuses miniatures de la même main que celle qui
a peint le manuscrit de la guerre de Gênes, c'est-à-dire de
Jehan Perreal.
Nous écrivîmes alors à un de nos amis qui habite cette
ville, pour le prier de nous faire copier très fidèlement,
dans le même format, par un habile artiste, deux des plus
remarquables miniatures de ce livre, en lui demandant d'y
ajouter quelques renseignements sollicités auprès du con-
servateur.
Voici ceux que nous avons recueillis :
Après avoir fait partie des bibliothèques Séguier, de
Harlay, de Coislin, évêque de Metz, ce précieux manuscrit
a appartenu à la bibliothèque de Tabbaye de Saint-Germain
des Prés; égaré à la fin du dernier siècle, il fut acheté par
M. Pierre Dombrousky, attaché à Paris à l'ambassade de
Russie.
Acquis en i8o5 par l'empereur de Russie, ce beau livre
a fait partie depuis lors de la bibliothèque impériale de
Saint-Pétersbourg, où il est considéré comme un des plus
beaux et des plus précieux manuscrits de l'art français, et
à ce titre il est étalé dans une vitrine soigneusement cade-
nassée.
On ne peut douter, après avoir comparé le style, le
faire, l'éclat des couleurs de ces deux miniatures, avec les
miniatures originales du manuscrit de la guerre de Gênes,
que les unes et les autres ont été exécutées par la même
i34 RECHERCHES SUR LA VIE
main, d'autant plus que plusieurs en sont presque des répé-
titions, entre autres celle où Ton voit la reine Anne assise
entourée de ses dames d'honneur, recevant un livre de Jehan
Marot.
La première a pour titre : Epistre du roi très-chrestien
Louis XII à Hector de Troyes^ chef des neuf preux. C'est
une fiction en vers faite par Jehan Lemaire.
Cette belle miniature, dont les personnages sont parlants,
représente le roi Louis XII assis sur un trône élevé de
quatre marches sous un dais, décoré, ainsi que le fauteuil,
d'une bqlle tapisserie parsemée de fleurs de lis d'or, placé
au centre d'une grande salle tendue d'étoffe rouge à dessins
d'or représentant des porcs-épics couronnés. Il est enveloppé
dans une ample robe en tissu d'or garni de fourrure, la
tête coiffée d'un bonnet à retroussis, orné d'un bijou en or et
portant autour du cou le collier de l'ordre de Saint-Michel.
Le doigt de sa main droite levé et l'expression de son
regard indiquent qu'il dicte à son secrétaire, Jehan Lemaire %
qui, vêtu d'une ample robe violette, attend, la plume à la
main, un genou en terre, la parole du roi.
A gauche du roi, sous les traits d'un jeune homme sans
barbe et sans chaussures, ayant au dos des grandes ailes
vertes, Boréas vêtu d'une tunique à raies blanches et vertes
et de bas rouges, tenant à la main gauche un turban,
attend debout, en sa qualité de messager, la lettre du roi
pour la porter rapidement à Hector.
Derrière le trône, on aperçoit nombre d'officiers et de
personnages de la cour.
I. Jehan Lemaire, poète et historio- et de la princesse Marguerite d'Au-
graphe de la reine Anne de Bretagne triche.
Jehan Pcrreal,
Panaernaker père et fils se.
LOUIS XII DICTE UNE LETTRE A SON SECRÉTAIRE
JEHAN LEMAIRE.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i35
La pièce est éclairée par deux fenêtres décorées de l*écu
de France et des initiales du roi et de la reine.
Dans cette épître le roi entretient Hector de choses qui
se passaient alors dans le monde, qui font voir qu'elle fut
écrite en i5ii vers le lo novembre, comme il est exprimé
par ces deux vers :
Ecrit à Bloys par un lundi matin,
L'an que dessus Vigille fut saint Martin.
Cette miniature resplendissante d'or et d'outre -mer, qui
passe pour un chef-d'œuvre, est non seulement d'une très
grande beauté, elle a un autre mérite, celui d'offrir l'un
des portraits les plus exacts que l'on connaisse du roi
Louis XII, puis celui du poète Lemaire de Belges, le seul
connu à ce jour.
Quant à la miniature de Boréas, son expression parti-
culièrement originale, a un si grand air de réalité, qu'on ne
peut douter que ce soit un portrait peint d'après nature.
Plusieurs personnes ont exprimé la pensée qu'elle représentait
celui du peintre (Jehan Perreal), qui pour plaire au roi a
voulu, en se servant du voile de l'allégorie, lui exprimer
son zèle et sa rapidité à le servir.
L'épître suivante est de la reine au roi , elle s'y
déchaîne contre le pape Jules II, qui pour se venger de la
perte de la bataille de Ravennes avait mis en interdit
Louis XII et tout le royaume de France; elle lui reproche
les bienfaits qu'il avait reçus du roi pendant son cardinalat
et depuis qu'il a été fait pape, et finit en le menaçant que,
s'il continue d'agir avec tant de violence, on pourra le
déposer.
i36 RECHERCHES SUR LA VIE
A la suite de cette épître, se voit une belle miniature
où la reine est représentée dans une grande pièce tendue
de damas vert, assise dans un fauteuil sous un dais rouge
rehaussé de dessins d'or; elle porte sur une jupe blanche
une robe de velours pourpre, coupée carrément sur la
poitrine avec des manches très larges, doublées de tissu
d'or; sa tête est couverte de Télégante coiffe d'or qu'elle
avait mise à la mode, et un médaillon est suspendu à
son cou.
Dix demoiselles d'honneur sont assises près d'elle; un
vieux chambellan coiffé d'une résille d'or, enveloppé dans
une ample robe noire garnie de fourrure qui recouvre son
habit rouge, portant une chaîne d'or au cou, se tient debout
devant eUe, son bonnet rouge à la main, et lui présente de
l'autre un messager prêt à partir, qui attend un genou en
terre une lettre que la reine Anne est en train de lui
remettre. Cette lettre porte l'inscription : à Monseigneur le
Roi. Les plaintes de la reine contre le pape au sujet de
l'interdiction lancée contre le royaume de France indique
qu'elle fut écrite vers le i5 mars i5r2.
La chambre est éclairée par un vitrail orné de l'écu de
France.
Cette charmante miniature resplendissante d'or et de
carmin a un éclat merveilleux.
M. Dufiiy observe que, pendant les années i5i2 à i523
qui suivirent le grand événement public de la bataille de
Ravcnne, on cherche en vain dans les registres consulaires
de la ville de Lyon le nom de Jehan Perreal ; sans doute,
ajoute-t-il, parce que l'artiste étant parvenu au déclin de sa
Jeliao Perreal.
FaoDCmaker père el lil« >r.
LA REINE ANNE REMET A UN MESSAGER UNE LETTRE
POUR LE ROI LOUIS XII.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL iSy
vie » le reste de sa carrière s'est écoulé paisiblement à Lyon ;
il y a là une erreur; car, né vers 1463, Perreal n'avait, à
cette époque de i5i2, que quarante-neuf ans. Il était donc
dans la force de Tàge, à l'apogée de son talent et de sa
renommée, et je dois ajouter de son crédit à la cour. Car
nous l'avons vu, à la fin du mois de septembre de cette
année, obtenir du roi, qui voulait faire abattre à Lyon le
faubourg de Saint- Vincent pour élever des fortifications sur
ce point, de les établir plus au Nord et par là couronner la
montagne de Saint-Sébastien ; cette décision du roi, due
tout entière à l'initiative de Jehan Perreal =, prouve son
crédit à la cour, ainsi que l'intérêt et l'affection très réelle
qu'il portait à ses compatriotes.
Les dernières lettres de Jehan Perreal à Marguerite
d'Autriche, datées du 20 juillet et 17 octobre i5ii, de Blois,
font présumer qu'il était retenu en cette ville par la reine
qui l'occupait à divers travaux. Par là s'expliquent ses fré-
quentes absences.
C'est pourquoi, malgré le chagrin bien naturel qu'il
éprouva de sa rupture avec Marguerite d'Autriche, Jehan
Perreal ne regretta pas longtemps d'avoir délaissé la direc-
tion des travaux de Brou. La haute position à la cour
de France, Testime et la faveur que lui témoignaient le
souverain et la souveraine, étaient pour lui une grande
compensation.
La reine, qui avait ressenti un coup terrible de la perte
I. Le statuaire Michel Colombe fai- tre-vingt-neuf ans. Le Titien, qui pei-
sait à Nantes son chef-d'œuvre à Page gnit jusqu'à sa mort, arriva à l'âge de
de quatre-vingts ans. Michel-Ange,qui quatre-vingt-quinze ans.
vécut toujours occupé, mourut à qua- 2. Actes consulaires, BB, 575.
i8
i38
RECHERCHES SUR LA VIE
du fils qu'elle avait mis au monde le 21 janvier i5i2, s'était
retirée à Blois où elle se sentait là plus à Taise, plus heureuse.
Son énergie la soutint pendant deux années encore, mais
sa santé pe se releva pas. Elle y vécut languissante, jusqu'à
ce que la mort mît fin à sa douleur, le 9 janvier i5i4.
Jehan Perreal qui aimait Anne de Bretagne comme sa
sa souveraine et comme sa protectrice, qui était son peintre
depuis le commencement de son règne, dut ressentir plus
vivement que bien d'autres la plus grande tristesse.
Elle emporta en mourant les profonds regrets des gen-
tilshommes, des lettrés et des artistes, qui n'avaient eu qu'à
se louer de son doux accueil et de son gracieux parler; ces
regrets étaient mérités, car elle fut une reine très ver-
tueuse, très libérale, le soutien des dames et des demoi-
selles, et fut la première reine de France qui ait eu une
cour de dames'.
Jehan Perreal fut chargé de la direction d'une grande
partie des travaux de peintures usités en ces circonstances.
Dans la commémoration et avertissement de la mort de
Madame Anne, deux fois reine de France, publiés par le
I. On sait par Brantôme, qu'elle avait
une très grande suite de dames et de
jeunes filles; a sa cour était une forte
escole pour les dames, elle les faisait
bien élever et sagement, et toutes se
faisaient à son modèle, et façonnaient
très sages et vertueuses. » Ajoutons
que le nombre des dames et des filles
de bonne maison, qui composaient sa
cour, était environ de cinquante.
On sait encore, par Brantôme,
qu'Anne de Bretagne encourageait
d'une manière toute spéciale les poètes,
les écrivains et les artistes; qu'elle se
plaisait à les appeler à la cour, à les
attacher à sa personne. C'est ainsi que
Jehan Perreal obtint la faveur d'être
son peintre ordinaire, que Jehan
Marot devint en quelque sorte son ri-
meur officiel; Jehan Meschinot, l'au-
teur des Lunettes des Princes, maistre
d'hôtel de la reine; Jehan Lemaire,
son historiographe; le poète latin,
Faustinus Andrelinus, l'un de ses se-
crétaires; André Delavigne, poète, éga-
lement l'un de ses secrétaires; Massé
de Villebresme, poète et valet de cham-
bre de Louis XII, etc.
i
Jehûii Pfin-eal.Pinï^
ChrcfTicliLb R.Ef^ge^m^^tI,, ?Hna
PORTRAIT DE MARIE D'ANGLETERRE.
ET I/ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
IMJ
héraut d'armes Bretaigne % il est cité deux fois; d'abord
comme l'un de ceux qui, à Blois, assistèrent à « la mise au
cercueil du corps de la reine, ensuite pour avoir besoigné
à la saincte remembrance faicte près du vif après la face
de la Reyne ».
« Le cercueil de la Reyne fut porté par ses gentilshommes,
le dessus était couvert d'un grand drap d'or en sorte qu'il était
fait comme un lit sur lequel reposait le portrait en pied de
la Reyne peint par Jehan Perreal, peintre et varlet de chambre
du roi, une couronne mise en son chef reposant dessus un
coussin de drap d'or, un sceptre estait en sa main droite
et à la senestre tenait une main de justice et au dessus
estait porté un riche poisle bleu semé à l'entour d'escus
de France et de Bretagne. »
En dépit de son corps débile, Louis XII prit pour
femme la sœur du roi d'Angleterre Henri VIII, et comme
l'étiquette exigeait que Madame Marie vînt en France accou-
trée à la mode de France, le roi chargea Jehan Perreal, le
i5 août i5r4, d'aller à Londres peindre la nouvelle reine ^,
I. De cette commémoration et aver-
tissement de la mort de la reine Anne,
le roi Louis XII fit faire un certain
nombre d'exemplaires qui furent tous
ornés de onze miniatures, représen-
tant les principaux épisodes des funé-
railles, dont le célèbre peintre Jehan
Perreal, dit Jean de Paris, avait fourni
les modèles. Ces exemplaires ont été
distribués, chacun avec une dédicace
spéciale, aux princes du sang et aux
parents de la défunte. On en connaît
aujourd'hui près de vingt copies dont
dix sont conservées à la Bibliothèque
nationale.
2. Un de nos amis possède un petit
portrait de cette princesse qui la re-
présente en buste, vue de trois quarts ;
ses cheveux blonds, lisses et relevés
sur le front, sont retenus par un cha-
peron d'étoffe rouge orné de perles,
de saphirs et de rubis, surmonté d'une
couronne royale, d'où tombe le long
de ses épaules un voile noir brodé de
pensées. Sa robe à la française, enri-
chie de même et coupée carrément,
laisse voir sa poitrine, dont un fichu
orné de quadrilles de perles couvre
une partie; elle porte autour du cou
un riche collier de pierreries auquel
I40 RECHERCHES SUR LA VIE
diriger ses couturiers et surveiller Temploi des deux mille
livres stipulées dans le contrat, pour achat de joyaux et de
vêtements.
L^impatience du roi paraît avoir été assez grande, car il
écrivit au cardinal Wolsey de hâter le départ de la princesse.
Voici un passage de cette lettre extraite du recueil de
Rymer » :
(c Et quant à ce que m'escrivez de la venue par deçà de
la Reyne ma femme, je vous mercye de la peine que vous
prenez pour les choses qui sont requises et nécessaires pour
sa dicte venue et de l'extrême diligence que vous y avez
faict et faictes, ainsi que le sieur de Marigny et Jehan Per-
real m'ont escript, vous priant continuer et Tabréger le
plus que vous pourrez, car le plus grand désir que j'aye
pour l'heure présente, est de la veoir deçà la mer et me
trouver avec elle. »
Le roi quitta Paris pour aller au devant de la jeune reine,
qu'il rencontra à Abbeville très richement « accoustrée w ,
et vint au devant d'elle et la baisa tout à cheval en lui
disant des « paroles joyeuses comme bien les sçavait dire w.
Le mariage se fit à Abbeville, le 9 octobre i5i4^ et le cou-
ronnement « à Saint-Denys, puis la reyne fit sa triomphante
entrée à Paris et le roi la mena ensuite à son. logis des
Tournelles )>.
est suspendu un médaillon orné Louis XII, autorise à penser quMl en
d'une pendeloque de perles. est Pauteur.
Le nom du peintre de ce charmant Ce portrait provient de la vente
portrait de Marie d'Angleterre, dont après décès de la collection que s'c-
les traits indiquent bien Torigine an- tait réservée le célèbre antiquaire
glaise, n'est pas indiqué; mais cette Ch. Sauvageot.
particularité du voyage à Londres de i. H. Rymer, Fœdera conventiones,
Jehan Perreal, par ordre du roi ////er<^. Ed. 1739, in-fclio. '
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 141
Ce mariage qui faisait sa joie le poussa au tombeau ;
car pour plaire à sa jeune femme avide de bals, de tour-
nois, de banquets, il changea ses habitudes, languit bientôt,
puis dépérit rapidement et enfin rendit Tesprit à Dieu, le
premier jour de janvier. Tan i5i5. Son corps fut aromati-
quement embaumé et pendant que Ton faisait l'embaume-
ment dans la salle basse des Tournelles, « Jehan Perreal, dit
de Paris, valet de chambre et peintre dudit feu roi, exécuta
son image, comme il avait fait celle de la reine, qui fut
dressée sur un piédestal élevé, revêtue d'habits royaux,
ayant les mains jointes, en avant de Testrade qqi portait le
cercueil sous un dais de soie noire frangée-, il resta là, exposé
aux regrets et à l'admiration de la foule pendant dix
jours; cette image figura après au convoi des Tournelles
à Notre-Dame et de là à Saint-Denys. »
Le talent de Jehan Perreal fut naturellement employé
dans le cérémonial des obsèques et de l'enterrement pour
tout ce qui concernait «la peinterie, armoiries des escussons
et les costumes», car les devoirs de sa charge lui imposaient
l'obligation de peindre les solennités officielles. Quoique
peintre ordinaire du roi et en pleine faveur royale, Jehan
Perreal ne faisait pas toujours, ainsi qu'on le voit, exclu-
sivement œuvre d'art, il était porté comme tous les peintres
au «roolle des gens de mestier» et n'était pas affranchi tout à
fait de certaines « besoignes )> que ne font plus aujourd'hui les
artistes. Par exemple, mouler et prendre les traits du visage
pour faire Teffigie du feu roi, faire le corps, bras et jambes
ainsi qu'il le faut s commander aux tailleurs les habits
î. Aujourd'hui un grand artiste se- mais autrefois il en était autrement,
rait humilié de ces sortes de travaux, Ils furent pendant longtemps en
142
RECHERCHES SUR LA VIE
royaux pour le « vestir », fournir les gants pour V « accous-
trer », peindre des quantités considérables de grands écussons
aux armes du roi , avec Tordre de la couronne et timbre fait
de fin or et azur sur papier», peindre des guidons semés
de fleurs de lis pour les gentilshommes de la chambre,
ainsi que des «estendarts », d'une grande richesse; voici la
description de Tun d'eux : u un grand estendart » de taffetas
jaune et rouge de quinze pieds de long sur lequel était
peint un Saint Michel tout enrichi de fin or et argent, avec
un porc-épic d'argent couronné d'or et une rose au bout et
la devise du roi « Cominus et eminus » , qui fut porté par
le grand sénéchal de Normandie.
« Le lendemain des funérailles fut le dict corps du roi,
porté par Messeigneurs de Saint Denys en grande pompe,
jusques à l'église où il fut mis en sépulture près de la reyne
Anne de Bretagne son espouse , Dieu lui veuille faire
pardon 2. »
A l'appui de ce passage de l'histoire des séjours de
Charles VIII et de «Loys XII» à Lyon, page 56, on nous
permettra de redresser l'erreur de Flcuranges qui dit dans
ses Mémoires :
France confiés aux plus grands ar-
tistes attachés à la cour; c'est ainsi
que François Clouct, le plus habile
des peintres de cette famille, fut
chargé en 1547 ^*^ mouler le visage
du roi F'rançois I'»" pour Teffigie peinte
et vêtue qui devait, suivant l'usage, fi-
gurer à la cérémonie des funérailles;
il exécuta la peinture des bannières,
des étendards et des guidons. De i55i
à 1 554, on le retrouve occupé à peindre
les devises de Henri II et de Diane de
Poitiers sur les chariots du roi.
En i55g, à la mort du roi Henri II,
il moula et reproduisit en cire le vi-
sage du prince et exécuta les travaux
analogues à ceux qu'il avait faits pour
les obsèques de François I^r.
1. Comptes des dépenses pour les
obsèques du feu roi Louis XII. Extrait
du Recueil Fontanieu y t. i58.
2. Séjours de Charles VIII et de
Louis XII à LyoUy publiés par Gonon,
« jouxte la copie des faicts, gestes et vic-
toires des roys Charles VIII et
Louis XII ». Lyon, Dorier, 1841.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 143
« Quand la reine Anne de Bretagne fut morte, le roi
en mena un grand deuil et fut mis son corps dans l'église
de Saint Sauveur de Bloys et de là fit convoyer le corps à
Saint Denys, là où tous les rois et reynes de France sont
enterrés, et là lui fut faict le plus grand service et honneur
que Ton fit jamais à Reyne de France et y fit faire le roy
une tombe de marbre blanc » ; tandis que le manuscrit des
funérailles d'Anne de Bretagne orné de miniatures, dont
nous venons de parler ', nous montre la chapelle ardente
où fut exposée la reine à Téglise de Saint- Denis, ainsi
qu'un autre manuscrit, qui a pour titre : Le trépas de
r Hermine regrettée ^ ^ exécuté à la même époque avec
miniatures où nous trouvons au feuillet 36 l'ensevelissement
de la reine dans le caveau du chœur de Saint-Denis, en
attendant l'édification du tombeau.
De là, il résulte que le passage en question des Mémoires
de Fleuranges ne repose sur aucune base , car on ne
trouve aucune trace d'une belle tombe de marbre blanc
exécutée pour la « reyne » seule.
Peut-être a-t-il voulu dire qu'il a vu le plan de la belle
tombe de marbre blanc composé par Jehan Perreal sur
l'ordre de Louis XII ?
Le profond regret qu'éprouva le roi du décès de son
épouse bien-aimée, dont il prit le deuil en noir, comme
un symbole de constance, et huit jours durant ne Jit que
larmoyer^ lui inspira le projet de lui élever un mausolée
dans lequel il pût reposer un jour près d'elle.
I et 2. Ces deux manuscrits ont vendues, la prennière en 1878 et la se-
fait partie de la Bibliothèque F. Didot, conde en i883.
puis de celle de M. Delberque Cormon,
144 RECHERCHES SUR LA VIE
Il s'adressa sans doute à Jehan Perreal, son peintre
ordinaire et celui de la reine Anne depuis le commence-
ment de son règne, ainsi que son architecte pour le
magnifique tombeau élevé à son père François II, duc de
Bretagne, et à sa mère Marguerite de Foix, dans la cathé-
drale de Nantes. Il ne pouvait faire un meilleur choix
pour obtenir l'exacte représentation des traits de son
épouse regrettée , que de s'adresser à celui qui l'avait déjà
« pourtraite » et qui venait d'être choisi pour mouler et
colorier sa face.
Tout entier à son royal protecteur, Jehan Perreal pré-
senta bientôt au roi un dessin; dès lors il se mit à l'œuvre
et commença les travaux, de l'accomplissement desquels
François I" son successeur et son gendre hérita; ce désir,
exprimé alors par le roi de reposer un jour près de sa
chère Bretonne , explique sa mise en sépulture près de la
reine Anne , malgré la présence à Paris de sa jeune
veuve *.
Dans son remarquable ouvrage sur la Famille des Justes^
M. de Montaiglon exprime la pensée qu'à côté de Jehan
Juste, à qui l'on avait fait l'honneur d'attribuer le dessin
de ce monument, il y avait un architecte.
a J'ai dit qu'il fallait tenir le tombeau pour l'œuvre de
Jehan Juste, mais il ne peut pas être le seul qui y ait
travaillé. Est-ce lui qui a, non pas profilé, mais dessiné les
moulures si pures des arcades et de la corniche? Rien n'est
I. Après la mort du roi Louis XII, de retourner en Angleterre, le beau
la jeune reine passa les premiers mois Charles Brandon, duc de SufFolk, qui
de son veuvage à Paris,, pendant les- l'avait suivie à la cour de France,
quels elle épousa secrètement, avant
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 145
aussi sobre et aussi antique dans aucune des autres compo-
sitions des Justes. — Un autre artiste, plus architecte qu'au-
cun d'eux ne paraît l'avoir été, pourrait donc être l'auteur
non pas de Tornementation , mais du parti de l'ensemble i.
L'auteur des «Études d'Architecture en France», qui ont
paru dans le Magasiii piitot^esque , exprime cette opinion
d'une façon plus positive 2, car il observe que « l'unité de
son ensemble et la parfaite harmonie de toutes les parties
qui le composent ne permettent pas de douter que le tom-
beau de Louis XII à Saint-Denis ne soit la conception d'un
seul homme , mais quel est-il ? Voici ce qu'on ignore
encore ; à moins toutefois qu'on ne veuille le considérer
comme l'œuvre d'un sculpteur , ce que nous ne sommes
pas disposé à admettre, malgré le grand nombre de figures
qui le décorent, vu la nature de sa composition qui nous
semble plus architecturale que sculpturale ».
Il me paraît en effet douteux que la conception et l'exé-
cution de cette œuvre, qui me semble être véritablement
française par son ordonnance et sa grâce admirable, appar-
tiennent à une seule et même personne, et nous sommes
convaincu qu'une attribution précise est au bout des
recherches qui nous restent à faire dans cette voie , qui est
celle même à qui nous devons la connaissance de l'auteur
véritable du tombeau élevé à Nantes à François II, duc de
Bretagne, attribué au célèbre Michel Colombe, jusqu'au jour
où, en i865, M. B. Fillon publia une lettre de Jehan
Perreal , du 4 janvier i5ii (documents E), qui nous a
1. La Famille des Justes, par M. de chitecture en France, époque de la
Montaiglon, p. 3o. Renaissance, p. 199.
2. Magasin pittoresque. Études d'ar-
'9
146 RECHERCHES SUR LA VIE
appris que le dessin appartenait à ce peintre architecte, et
Texécution à l'habile sculpteur chef d'atelier, Michel
Colombe K
Rappelons les dispositions de l'ensemble. Deux marches
en marbre blanc exhaussent le soubassement qui est décoré
de quatre bas-reliefs, représentant les victoires remportées
par Louis XII en Italie : l'entrée triomphale à Gênes, la
bataille d'Agnadel, où l'on voit le général d'Alviane qui fléchit
le genou devant le roi, et l'entrée de Louis XII à Milan,
entrée qui rappelle le triomphe de César, d'André Mantëgna.
Nous avons cité précédemment, à propos de la guerre
contre les Vénitiens, le passage d'une lettre de Lemaire de
Belges à Claude Thomassin , qui nous fait voir que Jehan
Perreal avait suivi nos troupes conquérantes à Gênes et peint
nos triomphes d'après nature. M. de Laborde nous dit, dans
la Renaissance des Arts, tome r% page i85, qu'il pense que
ces peintures furent utilisées plus tard pour les sculptures
du tombeau de Louis XII. De là, il est bien naturel d'at-
tribuer l'idée de graver le souvenir des victoires du roi
I. L'atelier de Michel Colombe se que l*or des rois ne pouvait faire, la
composait de Guillaume Regnault, piété de nos pères Ta exécuté. Ces
tailleur d'images; Bastien François, confréries étaient partagées en diffé-
maître maçon; François Colombe, rentes classes qui travaillaient cha-
enlumineur, et d'autres ouvriers fran- cune selon son talent, sans jalousie,
çais et italiens, dont les noms ne sont sans désordre et sans confusion,
pas cités. Il existait alors des compa- C'est ce qui explique l'engagement
gnies ou confréries de sculpteurs et pris par Michel Colombe, par sa lettre
d'ouvriers réunis pour travailler à la du 3 décembre i5ii, d'envoyer de
construction des églises et autres Tours au couvent de Bourg en Bresse
grands édifices (tel était l'atelier de ses ouvriers, Guillaume, Bastyen,
Michel Colombe et de Jehan Juste à Jehan de Chartres, « mon disciple et
Tours). Ce n'est que par là, que l'on seiviteur, lequel m'a servy de dix-huit
peut expliquer les merveilleuses édifi- à vingt ans, etc. ».
cations qui étonnent notre siècle; ce
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 147
Louis Xn sur son tombeau à celui qui venait de les retra-
cer avec le pinceau.
Sans être exactement nouveau, ce genre de composition
triomphale, placé au soubassement d'un tombeau, était
extrêmement rare; il mérita alors l'admiration et les louanges
des artistes, de l'architecte Philibert Delorme, entre autres,
qui l'utilisa peu de temps après pour son plan du monu-
ment élevé à François I".
Quant aux délicates et admirables arabesques, Jehan
Perreal en avait fait sculpter, ainsi que nous l'avons vu
en i5o2, sur le monument élevé à François II, duc de
Bretagne, soit quinze ans avant le commencement des tra-
vaux du tombeau de Louis XII ; il fut, ainsi que nous l'avons
observé, le premier peut-être, mais certainement l'un des
premiers, qui introduisit ce genre d'ornement en sculptures
qui décorent d'une façon si élégante les douze pilastres
surmontés de chapiteaux, supportant l'entablement où les
belles figures du roi et de la reine sont représentées à côté
l'une de l'autre, vêtues du manteau royal, à genoux, en
prières, les mains jointes devant un prie-Dieu. La reine porte
un corsage et une coiffe ornée de perles; ses traits d'une
parfaite régularité, sa bouche fine, ses yeux d'un agréable
dessin, expriment bien son caractère bienveillant dont parle
Brantôme. La tête du roi est découverte , son expression
pleine de naturel et de bonhomie répond bien à l'idée
qu'on se fait du caractère du prince qui mérita le titre de
Père du peuple.
Ces deux statues , deux chefs-d'œuvre , exécutées avec
une fidélité religieuse, sont des portraits de la plus parfaite
ressemblance.
148 RECHERCHES SUR LA VIE
• Quatre grandes figures allégoriques représentant 4es quatre
Vertus cardinales, la Justice, la Prudence, la Tempérance et
la Force, sculptées en ronde bosse, celles mêmes, dit M. de
Montaiglon », dont Michel Colombe (alias Jehan Perreal) a
cantonné le tombeau de François II, duc de Bretagne, sont
assises sur les angles de ce soubassement, qui sert de base
aux socles des douze pilastres formant des arcades : quatre
sur les grands côtés et deux sur les petits.
Nous devons avouer que la statuaire de ces quatre
figures allégoriques nous paraît bien inférieure à celle des
quatre Vertus taillées par Michel Colombe; sans expression,
sans charmes , rondes , comme soufflées , on croit qu'elles
ont été faites par Pierre Pons , et qu'elles sont venues de
Venise , dit M. A. de Montaiglon ^. Les douze apôtres, qui
sont assis entre les piliers , sont au contraire des types
français copiés d'après nature; ils sont, dit le même auteur,
« plus aisés , plus faciles , plus mouvementés , plus incor-
rects aussi » : ce qui est exact , la race française est ainsi
faite , très mélangée , très inégale dans ses formes ; les
visages réguliers y apparaissent comme des exceptions , mais
en échange , elle a une qualité précieuse pour l'art , une
variété d'expression aussi grande que la variété des types.
Les sculpteurs français qui les ont taillés avaient certai-
nement le sentiment de l'observation et l'amour de la
vérité.
Le style de ces figures, par la naïveté des poses et la
variété de l'exécution, les rattache évidemment à la fin du
quinzième siècle, c'est-à-dire en dehors de toute influence
italienne.
I. La Famille des Justes, p. i8. 2. La Famille des Justes^ p. 24.
U gg;;t3v.'il.llK _,
TOMBEAU DE LOUIS XII ET D'ANNE DE BRETAGNE
LE ROI ET LA REINE VUS DE FACE.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 149
Faisons remarquer en passant, à propos de la concep-
tion du plan, qu'au dessus du soubassement du tombeau
de Nantes, Jehan Perreal avait également placé les figures
des douze apôtres, mais en bas-relief, entre les pilastres
décorés d'arabesques.
Derrière les apôtres, dans Tintérieur, d'un aspect sombre
et mystérieux, on voit le riche sarcophage sur lequel sont
étendus, sur un suaire, les corps du roi et de la reine dans
l'état de nudité et de la mort, ayant les marques des inci-
sions faites par l'embaumement. Les têtes, dont les traits
doux et calmes sont magistralement sculptés, reposent sur
des coussins.
Rien de plus savant que cette œuvre dont l'exécution
est d'une énergie et d'une science anatomique qui rappel-
lent les plus illustres maîtres. L'auteur de cette composition
devait être un des intimes de la cour, car une douleur
'profonde pénétrée de sentiments élevés perce dans ce chef-
d'œuvre, glorifié par tous ceux qui l'ont vu.
Sans être nouvelle, cette double représentation de per-
sonnages vivants et morts sur un monument était extrême-
ment rare.
Cependant, sous la date du 3 décembre i5ii ', Michel
Colombe écrit à Marguerite d'Autriche qu'il vient d'exécu-
ter les patrons en terre cuite de Philibert de Savoie, selon
le dessin el l'ordonnance faits de la main de Jehan Per-
real, dit Jehan de Paris, peintre et valet de chambre du
roi, dont il lui envoie deux portraits, Vim en plate-forme
pour le gisajit, Vautre en élévation pour le vif.
D'après les recherches que nous venons de faire, il
I. Documents, lettre L.
i5o RECHERCHES ?UR LA VIE
n'est pas douteux, ainsi que nous venons de le dire, qu'il
existe une parenté e'troite entre ces tombeaux de Fran-
çois II de Bretagne, de Philibert de Savoie, et celui de
Louis XII.
Une étude approfondie, avec les points de repère que
nous avons, nous prouve que la plupart des plans et
ordonnances de ces trois tombeaux ont une frappante ana-
logie entre eux. Par exemple : les quatre Vertus qui canton-
nent la masse du tombeau, la représentation des doubles
figures à l'état de vie et de mort, les admirables arabes-
ques qui ornent les piliers, etc., etc., toutes ces pièces
rappellent tellement le style et la manière de composer les
œuvres d'architecture de Jehan Perreal, que, si on ne lui
attribue hardiment le plan et les dessins du tombeau de
Louis XII et d'Anne de Bretagne, il faudrait renoncer pour
toujours au travail de comparaison ou induction, qui per-
met de baptiser les œuvres d'art, d'après le style des maî-
tres.
On peut donc affirmer aujourd'hui avec certitude, que
la conception de ce magnifique tombeau est l'œuvre du
peintre architecte Jehan Perreal, tandis que le travail des
sculptures appartient à Jehan Juste.
C'est en réalité, avec cette division de travail, qu'ont été
exécutés le tombeau de François II de Nantes et plus tard
le tombeau de François P**, roi de France, avec les dessins
de l'architecte Philibert Delorme.
Il est certain que les pièces ont été sculptées à Tours
et non pas à Paris, dans l'atelier de Jehan Juste qui occu-
pait, ainsi que le faisait Michel Colombe % un atelier « d'ou-
I. Voir, aux documents L, lettre de Perreal du i5 janvier i5ii.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
vriers français et italiens, sculpteurs, enlumineurs et mas-
sons ».
On aimerait à savoir le nom des ouvriers qui ont exé-
cuté telle ou telle pièce, mais les registres de l'inventaire
général des monuments historiques manquant de Tannée
i5i5 à i523 aux archives, on ne peut raisonner sur ce
point d'une manière précise, on ne peut le faire que par
induction.
On sait que Jehan Juste avait deux parents, bons et
experts ouvriers , qui ont dû l'aider dans cette entreprise ,
Jehan de Juste et Antoine de Juste : le premier demeurant
à Tours, que l'on trouve porté au registre n** loo des
comptes de âépenses de François P^, « payé la somme de
102 livres lo s., pour commencer à besoigner à deux sta-
tues, l'une d'Hercule, l'autre de Léda, lesquelles ledit sei-
gneur lui a ordonné de faire » ; le second, qui exécuta
pour le château de Gaillon un bas-relief représentant « la
bataille de Gennes ^ ». Par l'exécution de ce bas-relief on
est amené à présumer que ce fut lui qui fut chargé de la
sculpture des quatre bas-reliefs du tombeau de Louis XII.
Les préparatifs, soit pour l'extraction du marbre à Car-
rare, soit pour le transport de Carrare à Tours, par mer
et par terre, soit pour la mise en train des travaux, durè-
rent environ deux ans; les dates de iSiy et i5i8 que l'on
remarque sur deux pilastres en caractères romains doivent
I. Ce bas -relief devait avoir peu dMmages, pour le payement de This-
d^importance à en juger d'après la toire de la bataille de Gennes, d'un
note du payement donnée par M. de grand lévrier, d'une grande teste de
Montaiglon, p. i8 de son ouvrage sur cerf, de la pourtraiture de monsei-
la Famille des Justes, que voici : gneur et d'un enfant, oultre 200 livres
« A maistre Antoine Juste, faiseur par luy reçues, 40 livres tournois. »
i52 RECHERCHES SUR LA VIE
être celles du commencement des travaux de Saint-Denis,
qui furent terminés vers i523.
La date de i53i qui se trouve sur un ordre de Fran-
çois P% de payer à Jehan Juste : i**« la somme de 400 escus
restant de 1,200 promis; 2° celle de 60 escus- pour rem-
boursement de deniers avancés ' », indique plutôt un règle-
ment définitif de comptes arriérés, que le payement immé-
diat de travaux livrés à cette date, et ne peut être consi-
dérée comme Tépoque de la fin des travaux, car on sait
que les payements royaux étaient le plus souvent en retard.
N'avons-nous pas vu ici une lettre du i5 novembre iSog
de Jehan Perreal demandant à Marguerite d'Autriche le
payement de sa pension en retard de trois ans ^ ?
L'exécution du tombeau de Nantes avait duré quatre
années, l'exécution du tombeau de Louis XII, à Saint-
Denis, ne doit pas avoir duré plus de six à sept ans.
Cette date de i523 doit être exacte, car elle s'accorde
avec l'observation que nous trouvons dans l'ouvrage de
M. Dufay ^, qui nous apprend que l'on cherche en vain ,
pendant le cours de ces dernières années, le nom de Jehan
Perreal dans les registres consulaires de la ville de Lyon ;
nul doute qu'il passa la plus grande partie de ce temps à
Paris, occupé à diriger la parfaite exécution et la pose du
mausolée de ses chers bienfaiteurs; car il était de ces hom-
mes rares qui restent fidèles à la mémoire des morts.
Ce monument, qui fut le dernier ouvrage de Jehan Per-
real, passe avec, raison pour un des ouvrages les plus par-
I. Archives, comptes des dépenses 2. Aux documents, lettre B.
des menus plaisirs de François I*', 3. Essai biographique sur Jehan
registre n» 100. Perreal f p. 82.
^^à^
-^
en ;ûi.rr;v.^:£.L£Tt^
TOMBEAU DE LOUIS XII ET D'ANNE DE BRETAGNE,
A SAINT-DENIS.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i53
faits, non seulement de la sculpture française, mais aussi
de la sculpture de tous les pays, à Tépoque de la première
période de la Renaissance, qui fut la plus brillante.
Il est impossible en effet d'imaginer une composition
plus heureuse, plus simple et d'une exécution plus irrépro-
chable , plus soutenue , plus soignée dans les moindres
détails; quelques-unes des parties de cette œuvre, entre
autres les corps du roi et de la reine à Tétat de mort,
sont parmi les œuvres les plus savantes, les plus magis-
trales, que Jehan Perreal ait composées, c'est une de ces
œuvres où Tétude fait sans cesse découvrir de nouvelles
beautés, quoique cependant Ton puisse reprocher aux
figures allégoriques une exécution inférieure, qu'il est im-
possible de contester ainsi que nous l'avons observé.
Dans ce travail, Jehan Perreal eut l'inappréciable bon-
heur de réaliser d'une manière complète, pour son souve-
rain et sa souveraine regrettés, le plan qu'il avait conçu
pour le tombeau de Philibert de Savoie à Brou, plan que
ses amis, Michel Colombe, Lemaire de Belges, etc., regar-
daient comme une œuvre de génie, mais que Marguerite
d'Autriche fit modifier, comme étant chose trop nouvelle,
en faisant placer couchée l'effigie armée et éperonnée de
son mari, qui devait, d'après le plan de Jehan Perreal
qu'elle avait primitivement agréé, être placée à genoux en
élévation sur le tombeau.
Le capricieux destin a voulu que deux monuments d'une
importance capitale pour l'histoire de l'art français fus-
sent érigés à côté l'un de l'autre dans l'église de Saint-
Denis, sur les dessins de deux architectes lyonnais : l'un, ^
celui de Louis XII et d'Anne de Bretagne, a été élevé sur
i54 RECHERCHES SUR LA VIE
les dessins de Jehan Perreal ; Tautre, celui de Henri II et
de Catherine de Médicîs, a été exécuté sur les dessins de
Philibert Delorme '.
Le premier de ces deux admirables monuments est des
premières années de la Renaissance, tandis que le second
appartient aux dernières années de cette époque.
Après avoir terminé le tombeau de ses chers protecteurs
de qui il tenait une vie si douce et si honorée, Jehan Per-
real se trouva, par son âge et ses habitudes, déplacé au
milieu de la nouvelle et brillante cour du roi François I";
il se résolut alors, au mois de janvier 1523^, à quitter
Paris, à renoncer à ses charges de peintre ordinaire et de
valet de chambre du roi et à aller passer ses derniers jours
chez lui, à L}^on, dans sa famille.
On le trouve, en effet, à Lyon en i523, muni de lettres
patentes du roi François P% dans lesquelles il est désigné
une seconde fois pour diriger les travaux des fortifications
de Lyon. Nous trouvons dans la délibération consulaire du
i5 mars 1624, qu'il avait envoyé sa renonciation à cette
charge^.
Si l'on se reporte aux voyages qu'il faisait de temps en
temps, on voit qu'il entretenait avec la cour des relations
qui prouvent qu'il continuait à être honoré de sa confiance :
I. Philibert Delorme naquit tout au du Bellay, le fit venir à Paris et le
commencement du seizième siècle à présenta à Catherine de Médicis.
Lyon, alla fort jeune à Rome, en re- 2. « Payé le i" janvier i523 à Jehan
vint à l'âge de vingt ans et se fixa Perreal dit Jehan de Paris, peintre"
dans sa ville natale, où il bâtit quel- et valet de chambre du roi, la somme
ques maisons particulières. Bientôt de 240 escus tournois. » Comptes de
sa réputation devint grande, il était la maison du roi François 1er. Rg.
en train d'élever le ponail de l'église gistre 98.
de Saint-Nizier, lorsque le cardinal 3. Je/zjnP^rrea/, par M. Dufay, p. 8.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i55
par exemple, on apprend par une lettre de son ami Henri
Cornélius Agrippa ' , qu'il séjournait avec la cour à Saint-
Germain en Laye, en avril et en mai 1527.
Il vivait encore au commencement de Tannée 1629,
époque à laquelle parut dans la première édition du livre
de Champfleury, imprimée par Geoffroy Torj' le i3 avril 1629,
un dessin de sa main^. Mais il rendit, suivant toute apparence,
peu de temps après son âme à Dieu, dans sa maison de la
rue Neuve-Thomassin, car un carnet, relatif à Timposition
extraordinaire pour la rançon du roi François V% porte
sous la date de 1629, ce qui suit :
« Deu par la vefve du contrerolleur Jehan de Paris,
pour la rançon du roi François P% VIII livres VI sols
VIII deniers, m (Archives du Rhône ^.J
Il était alors âgé d'environ soixante-six ans.
I. Jehan Perrealj pa.r M. Charvet, 2. Geoffroy Tory , par BcmArd, p. 3S.
p. 226. 3. Jehan Perreal, par Dufay, p. 10.
CHO^'Pn^E (lUQ4n:'T<JÈ€\îE
FAMILLE
lET ÉLÈVES DE JEHAN PERREAL
Claude Perreal, son père, était valet de chambre du roi Louis XI. — Protégé
par Marguerite d'Autriche, son fils fut admis à l'université de Dôle.
— Ses deux filles tinrent probablement le crayon dès leur enfance. —
Éprises du talent de leur père, elles obtinrent par leurs ouvrages une
brillante réputation. — L'illustre Geoffroy Tory fut initié par Jehan
Perreal dans Part du dessin, ainsi que Bernard Salomon. — Portrait de
Renée de France, par L. Corneille, de Lyon, qui fut son plus brillant
élève. — Anecdote racontée par Brantôme à propos d'une visite que lui
fit à Lyon la reine Catherine de Médicis. — Jehan Clouet succéda à
Jehan Perreal dans ses charges à la cour, en i523.
DANS son Essai biographique sur Jehan Perreal y Lyon,
1864, M. Dufay suppose qu'un Claude Perreal, valet
de chambre du roi Louis XI en 1472, dont parle le Père
Colonia dans son Histoire littéraire de Lyon^ tome II,
est le père de notre artiste; Tobscurité plane également sur
la date précise de sa naissance, que Ton place générale-
ment vers Tannée 1463.
La mention certaine la plus ancienne que Ton possède
de lui remonte à Tannée 1483. Quant à son mariage,
nous en trouvons la preuve dans une lettre de Jehan
i58 RECHERCHES SUR LA VIE
Lemaire, sous la date du i5 juin iSog à « maistre Loys
Barangier , conseiller de Madame Marguerite » » .
« Monseigneur, j'ay reçu voz lettres escriptes à la Haye,
le i**" jour de juillet et vous remercie de tout mon mieux
du double des lettres de l'empereur que vous m'avez envoyé.
Incontinent, j'en ai faict tout plein de doubles, lesquels
j'ai envoyés à Genève, en Savoye et en Piémont, etc., et
d'autre part, en ai envoyé deux doubles à Lyon, Tung à
M. le conservateur Thomassin, et l'autre à la femme de
Jehan de Paris, afin que la royne le voye, etc. »
Cette dernière ligne prouve en outre, l'intimité avec
laquelle la reine recevait ?erreal et sa famille pendant ses
séjours à Lyon, puisque c'était par son canal que l'on
faisait parvenir parfois des nouvelles à la reine.
On adressait cette copie à la femme de Jehan Perreal, parce
que son mari se trouvait alors en Italie avec le roi Louis XII,
qui devait prochainement faire son entrée à Lyon où l'attendait
la reine; il paraissait urgent de faire la communication de
ce document à cette princesse, avant le retour du roi.
Il est à peu près certain que son mariage avait eu lieu
vers 1492 , car Marguerite d'Autriche lui écrivait le
1 5 février 1 5 1 1 à Lyon : « Quant à votre fils , le ferons
mestre au roolc des bénéfices de notre conté de Bourgogne. »
Pour profiter de ce bienfait, ce jeune homme devait être
avancé dans ses études; nous voyons en effet, à la fin de la
lettre du 8 octobre i5ii^ de Jehan Perreal à Barangier,
qu'il avait alors dix-huit ans.
I. Voir la lettre entière dans le vo- de Lille, i85o (p. 326;. —Jehan Per-
lume des Mémoires de la Société des real, par Dufay. Lyon, 1854, p. 9.
Sciences, de V Agriculture et des Arts 2. Voir aux documents, lettre J.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL iSq
« S'yl VOUS plaisait de scavoir pourquoy j'ai envoyé ung
fils de XVIII ans aux estudes à Dole, c'est pour deux cas,
car il y a jà une bonne université; l'autre, Madame m'en
saura gré et celle que ne nomme, c'est que mon petit
argent sera de mesure. »
Jehan Perreal laissa en mourant ce fils, nommé Claude
comme son grand-père, né vers 1493, que nous venons de
voir occupé à Dole aux « estudes » des lois et décrets , qui
mourut vers i538, et deux filles, auxquelles il enseigna son
art et qui s'y montrèrent assez habiles^ pour être célébrées
par Clément Marot.
Le rondeau adressé par lui aux amis et sœurs de Claude
Perreal, Lyonnais, que l'on trouve dans la première édition
de ses Œuvres publiées en i538 à Lyon, permet de penser
que la liaison qui s'était formée entre Jehan Perreal et
Jehan Marot dans la campagne de Gênes à la suite du roi
Louis XII, où l'un reproduisait par le pinceau les événe-
ments que l'autre retraçait avec la plume, s'était continuée
entre les deux fils qui étaient à peu près du même âge^.
Voici le rondeau :
AUX AMYS ET SŒURS DE FEU CLAUDE PERREAL, LYONNAIS.
En grand regret, si pitié vous remord,
Pleurez Tamy Perreal, qui est mort.
Vous, ses amys : chascuns prennent sa plume,
I. On leur attribue, entre autres, les cours d'eau sinueux, les habita-
Texécution du charmant petit manus- lions, le type des hommes que Ton
crit ayant appartenu à la reine Cathe- voit encore dans le Valentinois, ainsi
rine de Médicis qui, sous le numéro 19 que le coloris fin, brillant, le précieux
de la Collection des livres précieux de fini du travail, qui constituent le style
M, F. M, B., a été vendu le i3 mai de Jehan Perreal et de son école.
18(^2. On y remarquait les paysages, 2. Clément Marot, né en 1495.
i6o RECHERCHES SUR LA VIE
La mienne est preste, et bon désire Talume
A déplorer (de sa part) telle mort.
Et vous ses sœurs, dont maint beau tableau sort,
Paindre vous fault pleurantes son grief fort
Près de la tombe, en laquelle on l'inhume
En grand regret.
Regret m'en blesse, et si sçay bien au fort
Qu'il fault mourir et que le desconfort
(Soyt court ou long) n'y sert que, d'amertume;
Mais vraye amour est de telle coustume.
Qu'elle contrainct les amys plaindre fort
En grand regret.
Dans un rôle de taxes perçues en 1529 pour la rançon de
François r% on trouve une de ses filles citée : a La fille du dit
de Paris, dame de Champeneux, pour sa grange de Meigret',
et en i538, la fille du contrerolleur de Paris exempte^. »
On ne trouve aucune citation de la seconde de ses filles.
Quant à Tépouse de Perreal, non seulement elle lui
survécut, mais elle vivait encore en 154$, dans sa maison
de la rue Neuve-Thomassin, car on l'y trouve taxée à cette,
époque^; elle devait être âgée d environ soixante-neuf ans.
Nous avons dit que Jehan Perreal avait élu pour lui et
sa femme une sépulture en Téglise de Saint-Nizier, ainsi
qu'il résulte d'une délibération capitulaire; on ignore encore
si leurs vœux ont été suivis d'effet ; la date de la mort de
l'un et de l'autre n'ayant pas été retrouvée.
Premier signataire des statuts de la confrérie des pein-
1. Registre ce i36, f» 40 v®. et les hoirs du peintre Jehan de Paris
2. Registre ce 143. à 29 sols, égale 32 livres, u
3. Registre ce 144. — i5i5, « la veuve
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
iCi
très de Lyon et, vraisemblablement,* son président, Jehan
Perreai eut sans doute des élèves, malheureusement nous
ne pouvons en citer aucun avec certitude, les historiens de
la peinture française n'ayant pas daigné s'occuper de nos
artistes des quinzième et seizième siècles.
i62 RECHERCHES SUR LA VIE
Outre ses deux filles nous pouvons cependant citer, d'après
M. Auguste Bernard, l'illustre peintre et graveur sur bois
Geoffroy Tory, qui fut initié par lui dans Tart du dessin '
et à qui il donna les modèles des arabesques du tombeau
de François II, duc de Bretagne, dont il a enrichi les pages
de ses célèbres Heures.
Puis aussi, Bernard Salomon, dont Antoine du Verdier
parle en ces termes dans sa Bibliothèque française :
« Il était un peintre et très excellent tailleur d'histoires
dont le nom sera immortel par les belles figures de la Bible
que de son invention il a pourtraicté et taillé, comme
aussi par infinies autres figures, pourtraictures, paintures et
tableaux sortis de sa main qui se voient encore à Lyon. »
Nous parlerons plus longuement de son élève L. Cor-
neille, né à Lyon vers 1490 et mort à Paris vers i55o,
parce que nous avons sur lui des renseignements très cer-
tains.
Le père Montfaucon (Mémoires de la monarchie fran-
çaise^ t. IV) nous apprend qu'il fut, après la mort de
Jehan Perreal, le peintre de la cour de François P', et il lui
attribue, d'accord avec M. Gaignères, la plus grande partie
des portraits des personnages illustres dont il donne les gra-
vures, lesquelles sont copiées sur les originaux peints par
L. Corneille, de Lyon, qui sont dans le cabinet Gaignères.
I. Jehan Perreal, qui était lié de la Jehan de Paris, varlet de chambre et
plus étroite amitié avec Geoffroy Tory, excellent painctre des roys Charles
lui dessina plusieurs des vignettes du huitième, Loys douzicsme et François
Champfleury, celles entre autres des premier, m'a communiqué et baillé
lettres I et K qu'il grava, dit-il : « après moulte bien pourtraicté de sa main, m
celles que ung myen seigneur et bon Geoffroy Tory, par Aug. Bernard,
amy, Jehan Perreal, autrement dit Paris, i855, pp. 12, 24, 36.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i63
Voici les noms de quelques-uns de ces portraits :
Portrait de François Dauphin, de Viennois, fils du roi
François V% mort en i536; copié sur loriginal peint par
L. Corneille de Lyon ;
Portrait de Charles, duc d'Orléans, troisième fils du roi
François I", mort en i545; copié également sur Toriginal
par L. Corneille de Lyon;
Portraits de Louis II, seigneur de la Trémouille, et de
Gabrielle de Bourbon-Montpensier, sa femme;
Portrait de François, comte d'Enghien, frère puîné du
roi de Navarre, mort en 1640, et Marguerite de Bourbon,
dame de Nevers, sa femme;
Portrait de Claude de Lorraine, premier duc de Guise,
mort en i55o, et d'Antoinette de Bourbon-Vendôme, sa
femme ;
Le portrait en pied d'Henri d'Albret, roi de Navarre,
offrant une marguerite à Marguerite, sœur de François I",
qu'il épousa en 1527. Marguerite, qui est au milieu des
personnages de la cour, porte une robe tissée d'or, son
bonnet et Tétofife qui couvre sa poitrine sont noirs,
les manches de la robe sont doublées de bleu. Henri porte
un habit bleu, des bas rouges, une pelisse tissée d'or dont
le collet est en fourrure blanche. Le terrain représente un
jardin dont le fond est occupé par un groupe d'arbres.
Un de nos amis possède un tableau de- ce maître qui
nous fait connaître son style, sa couleur, ses procédés tech-
niques; il représente Renée de France, duchesse de Ferrare,
seconde fille du roi Louis XII, née vers i5io, qui épousa
Hercule d'Esté, en 1627, et mourut en 1575. Elle protégea
les arts et les lettres, eut Clément Marot pour secrétaire.
i64 RECHERCHES SUR LA VIE
et donna un moment asile à Calvin; c'était une personne
intelligente.
Elle est représentée en buste, vue de trois quarts, tournée
à gauche; ses cheveux relevés sont maintenus dans une
résille semée de perles et de pierreries serties dans de Tor;
elle porte une fraise brodée et un collier de perles autour
du cou; sa robe est montante, boutonnée jusqu'à la fraise;
elle est en velours noir à grand crevés blancs, ornés de
boutons d'or, les manches de dessous sont blanches.
Ce portrait, dont le fond est vert, est d'une grande
finesse de dessin et d'un coloris serré; il peut servir de
type pour distinguer les œuvres de ce maître, l'un des plus
célèbres du règne de François I".
Voici, à ce sujet, un document très intéressant extrait
des Mémoires de Brantôme, qui nous fait connaître d'une
façon certaine le talent et l'estime que la cour avait pour
cet élève de Jehan de Perreal, qu'elle plaçait au même rang
que les Clouet, Jehan et François :
« Il me souvient qu'estant allé un jour voir à Lion un
peintre qui s'appeloit Corneille, qui avoit peint en une
grande chambre tous les grands seigneurs, princes, cava-
liers et grandes reynes, princesses, dames et filles de la
cour de France; estant donc en ladite chambre de ses pein-
tures, nous y vismes ceste reyne paroistre peinte très bien
en sa beauté et en sa perfection, habillée à la française d'un
chapperon avec ses grosses perles et une robe à grandes
manches de toile d'argent fourrées de loup-cervier, le tout
si bien représenté au vit avec son beau visage qu'il n'y
falloit rien plus que la parole, ayant ses trois belles filles
auprès d'elle, à quoy elle prit grand plaisir à cette vetie, et
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i65
i
toute la compagnie qui y estoit s' amusant fort à la contem-
pler, admirer et louer sa beauté par dessus toutes, elle
mesme s'y ravit en contemplation, si bien qu'elle n'en put
retirer les yeux de dessus jusques à ce que Monsieur de
Nemours luy vint dire : Madame, je vous trouve là fort bien
pourtraicte, et n'y a rien à dire, il me semble que vos
filles vous portent grand honneur : car elles ne vont
devant vous et ne vous surpassent point. Elle luy respondit :
Mon cousin, je crois qu'il vous ressouvient bien des temps
de l'âge et de Thabillement de cette peinture, vous en pouvez
bien juger mieux que pas un de la compagnie, vous qui
m'avez veue ainsi, si j'estais telle comme me voilà. Il n'y
eut pas un de la compagnie qui ne loûast et n'estimast infi-
niment cette beauté, et ne dit que la mère estait digne des
filles et les filles de la mère, et telle beauté luy a duré ma-
riée et vefve jusques quasi à sa mort, non qu'elle fust aussi
fraische comme en ses ans plus florissans, mais pourtant
bien entretenue et fort désirable et agréable' ».
Ainsi que les Clouet, J. Corneille peignait donc à cette
époque les grands seigneurs, les princes et les princesses
de la cour, si bien représentés « qu'il n'y fallait rien plus que
la parole » et cependant son *nom, comme celui de son
maître, est tombé dans un tel oubli qu'on ne le rencontre
nulle part ; tandis que dans les galeries publiques et dans
les collections particulières tous les tableaux qui procèdent
de leur manière de peindre sont tous invariablement attri-
bués à Clouet ou désignés sous le titre commun d'école de
Clouet. On ne peut vraiment s'expliquer, après avoir lu ces
I. Mémoires du seigneur de Bran- France, de son temps, pp. 44, 45 j édi-
tôme; Vies des dames illustres de tion de Leyden; Sambix, i665.
i66 RECHERCHES SUR LA VIE
lignes, comment un artiste, si vivement recommandé par
rhistorien de la cour, soit aujourd'hui à peu près inconnu '.
M. Ch. Blanc, qui dans sa Notice suî* les Clouet fait
naître Jehan Clouet vers 1485, et en i5io François Clouet,
le plus habile de la famille, qui mourut vers 1672, écrit
plus loin, que les Clouet ont été, dans Tordre des dates, les
premiers peintres de la renaissance française, et termine
en disant que Jehan Clouet devint en i523 peintre ordi-
naire du roi François I*' et son valet de chambre : Ce
titre, accordé pour la premièr^e fois à un artiste^ constate
le rang oii celui-ci avait su s'élever.
Le point capital de mon travail étant le désir de remettre
Jehan Perreal à la place qui lui appartient, je dois faire
remarquer : i** qu'il a peint son tableau des Fiançailles
en 1491, alors que Jehan Clouet n'avait que six ans; 2" qu'on
le trouve porté sur Tétat des officiers du roi, le i" octobre
.1498 en ces termes : « Jehan Perreal de Paris, valet de
chambre et peintre ordinaire du roi, la somme de 240 livres
tournois à luy ordonné ; » tandis que Jehan Clouet n'ob-
tint ce titre qu'en i523, soit vingt-cinq ans plus tard.
Les Clouet ne furent donc pas, dans l'ordre des dates,
les premiers peintres de la renaissance française, ni, par
conséquent, les chefs de cette école de peinture simple, na-
turelle et vraie, mise à la mode par Jehan -'Perreal qui les
avait précédés à la cour; ils en continuèrent seulement les
traditions avec un grand talent, ainsi que L. Corneille, et
en furent les derniers représentants, car après la mort de
François Clouet, qui eut lieu vers 1672, le goût pour cette
I. Jehan et François Clouet parais- car on ne connaît d'eux aucun ta-
sent n'avoir peint que des portraits, bleau.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 167
peinture intime disparut petit à petit, sous Tinfluence des
maîtres italiens appelés en France à la cour des Valois.
Le fait est désormais acquis à Thistoire de la peinture^
grâce à ce tableau retrouvé. Jehan Perreal, dit Jehan de
Paris, est, dans Tordre des dates, le premier peintre de la
renaissance française et le chef de cette peinture dont le
caractère distinctif est la recherche de la vérité et le soin
extrême des détails.
L'anecdote racontée par Brantôme prouve évidemment
l'injustice et l'inexactitude du parti pris, par indifférence
peut-être, ou par ignorance, de réunir sous ce titre commun
de Clouet ou d'école de Clouet tous ces portraits naïfs et fins
des artistes français, peints dans le courant du seizième siècle,
dont le grand nombre répandu en France, en Italie, dans
les châteaux de la Grande-Bretagne, etc., devrait avoir de-
puis longtemps éveillé le doute des historiens de la peinture
française sur cette provenance unique.
Ne serait-il pas juste, dans l'intérêt de l'art et de la
vérité, de faire de nouvelles et profondes études pour dé-
truire cette déplorable confusion et rétablir dans leurs droits
les artistes dépouillés au profit de cette famille, qui du
reste n'en a pas besoin pour conserver sa brillante réputa-
tion ?
CONCLUSION
Nous avons suivi pas à pas, avec le soin qu'exige l'his-
toire, tous les documents qui nous restent sur l'illustre
peintre lyonnais, Jehan Pcrreal.
Pour un homme si longtemps négligé, auquel Thistoire
a accordé si peu d'attention, les moindres faits sont pré-
cieux; nous n'en avons négligé aucun, par là nous tenons
si peu de place dans ce livre que nous n'en sommes guère
que l'éditeur infatigable.
Nous avons été guidé et soutenu dans ce travail par le
désir de rendre enfin hommage au mérite et au grand
talent de notre éminent compatriote, laissé dans un injuste
oubli depuis plus de trois siècles, et de prouver que sous
le règne de Louis XII et d'Anne de Bretagne l'art français
était au niveau de Tart flamand et de l'art italien ^
Nous avons dû ajouter à ces documents les figures très
fidèlement et très habilement gravées de plusieurs pièces ^,
1. Si cette école glorieuse ne tint ncmaker sont des merveilles de la
pas toutes ses promesses sous les gravure française, elles reproduisent
règnes suivants, c'est à la déplorable avec une telle perfection le dessin, la
invasion des artistes italiens qu'il faut couleur, l'esprit du modèle, qu'on
l'attribuer. pourrait les croire gravées par le
2. Les gravures sur bois de MM. Pan- peintre lui-même.
22
RECHERCHES SUR LA VIE
Nous trouvons que la description d'une peinture ancienne
est insuffisante, et nous pensons qu'elle doit être vue pour
en comprendre le sentiment.
A ce propos, nous devons faire remarquer que le désir
qu'eut toujours Jehan Perreal de se mettre en harmonie
avec les progrès que la peinture faisait chaque jour l'amena
à modifier, ainsi que plusieurs peintres de la Renaissance,
Raphaël entre autres, plusieurs fois son style, et nous
trouvons ici la preuve qu'il modifia trois fois sa manière
de peindre.
A la fin du quinzième siècle, le style flamand réuni au
style français était en grande faveur en France; c'est sous
cette influence qu'il peignit, en 1491, son tableau des
Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagtie, qui
est de sa première manière, où l'on retrouve la limpidité
et le calme d'expression de ces deux écoles.
Le magnifique vitrail de la chapelle du couvent de Brou ,
représentant le Couronnement de la Vierge, qu'il peignit à
son retour d'Italie, sous l'influence de ce qu'il avait vu
dans ce pays pendant son séjour d'un an, offre un exemple
de sa seconde manière, qu'explique le développement qui
se fit alors dans son génie; tout a plus d'ampleur, de
majesté, tout est plus savant, plus raisonné dans cette
peinture franco-italienne.
Ainsi, à mesure que l'on avance dans la carrière de Jehan
Perreal, on voit comment il marche lui-même dans l'étude
et la transformation de son style dont nous allons voir
bientôt le résultat, car c'est dans les divers tableaux de
la Guerre de Gênes, exécutés en iSoy, que se montrent
ses plus éminentes qualités : force et originalité de l'in-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
vention, explication simple et dramatique du sujet, distri-
bution savante des groupes, etc., tout cela à un tel degré
de perfection qu'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer de
la nouveauté de la conception ou de la beauté de l'exécution.
Mais ce qui marque cette oeuvre, qui est de la dernière
manière du maître, d'une puissante originalité, c'est que
tout y est français sans aucun vestige d'influence flamande
ou italienne, et qu'elle a toutes les qualités de la peinture
d'histoire, qui est la plus haute expression de l'art.
Telle fut la vie laborieuse de Jehan Perreal, l'un des
homme» les plus remarquables de la Renaissance; peu ont
eu autant de connaissances variées, peu se sont livrés à un
plus grand nombre de travaux; il embrassa tout à la fois
les arts et les lettres : les arts, pour le but spécial de ses
études et la principale occupation de sa vie; le commerce
des muses ne fut pour lui qu'un délassement, qui contribua
à développer son génie et à étendre son imagination.
Son existence embrassa trois règnes, il mourut au
commencement de celui de François I"; né dans ce petit
espace de quarante-deux ans, de 1462 à 1494, qui vit naître
les plus grands artistes de la Renaissance, il mérita avec
justice d'être placé de son vivant parmi eux, ainsi que le
fit Jehan Lemaire de Belges, historiographe de la reine
Anne de Bretagne.
Il fut le premier qui importa en France le goût de
l'antiquité, et ce qui donne à ses derniers ouvrages le carac-
tère de l'originalité, c'est qu'il se sépara entièrement du
style flamand et du style italien.
Pour être aussi grand par ses ouvrages que par son
talent, il lui manqua seulement une chose : une passion
172 RECHERCHES SUR LA VIE DE JEHAN PERREAL
pour un art quelconque qui Tamena à sacrifier sa vie
entière à une seule branche des arts, au lieu de s'adonner à
la peinture, à la 3culpture, à l'architecture, etc., etc.; il eût
marqué d'une manière plus précise dans l'histoire de Tart
et eût laissé une trace plus profonde dans l'histoire de son
pays.
Quoi qu'il en soit, il eut une magnifique carrière, il
jouit d'une considération générale, il fut aimé de ses conci-
toyens, des poètes, des artistes comme des princes, avec
lesquels il passa sa vie; admis dans leur familiarité et
presque leur ami, Jehan Perreal trouva du plaisir avec eux,
et ils l'en récompensèrent en lui faisant passer sa vie dans
une grande aisance.
Il fut enfin, dit M. Dufay, l'un des plus dignes enfants
de Lyon, dont il est une des gloires, et il a mérité par ses
talents, son noble caractère et sa haute influence sociale,
d'être tiré de l'injuste oubli où il est enseveli depuis près
de quatre siècles.
SUPPLEMENT
SUR JEHAN PERREAL, AUTEUR PRESUME DU ROMAN
DE JEHAN DE PARIS
L'excellente étude- faite par M. de Montaiglon sur le
charmant roman de Jehan de Paris a démontré que le sujet
de cette œuvre littéraire est le mariage du jeune roi de
France, Charles VIII, avec Anne de Bretagne.
Il la termine ainsi : une dernière question reste à indi-
quer, celle de la personne de Tauteur : « Ce qui nous pa-
raît certain, c'est que l'auteur, quel qu'il fût, était du
monde de la cour et peut-être de la maison d'Anne de
Bretagne; mais son livre ne me paraît rien contenir qui
puisse mettre sur la trace de son nom; » puis après avoir
cherché sans succès autour du nom de Sala qui se trouve
inscrit sur le titce, il ajoute qu'il espère que la question
posée recevra d'un autre une réponse.
Nous allons l'essayer, en suivant la voie qu'il nous a
tracée, car nous pensons avec lui que cet ouvrage a une
origine lyonnaise.
Mais nous ne croyons pas que le nom de Jehan Sala
écrit au-dessus du mot Amen qui termine le titre :
Ce livre est à moi Jehan Sala^
puisse servir de fil conducteur pour arriver à un résultat.
174 RECHERCHES SUR LA VIE
car il nous paraît, qu'en ces termes, il indique simplement
un titre de propriété; on pourrait en conclure seulement,
peu de copies de ce manuscrit ayant été exécutées, que ce
Jehan Sala était ami de l'auteur qui lui avait fait don de
cet exemplaire. Nous ajoutons que nous n'avons trouvé
aucun témoignage indiquant à cette époque le nom de Jehan
ou de Pierre Sala dans l'entourage du roi ou de la reine,
quoique les noms de la plupart des personnes attachées à
la cour se trouvent souvent cités à l'occasion des fréquents
déplacements à la suite du roi et de la reine.
Mais nous avons remarqué, de iSoy à iSSg, à Lyon,
un homme distingué du nom de Jehan Sala', plusieurs fois
conseiller et échevin de la ville et temporairement capitaine
de ville pour la surveillance des travaux en exécution, lequel
était lié d'amitié avec Jehan Perreal; ajoutons, pour terminer
àe point, que parmi les conseillers de la ville en 1546 il y
avait un François Sala, son fils et successeur probablement.
Quoique nous n'ayons découvert aucune mention posi-
tive, nous pensons néanmoins, à l'aide de nombreux docu-
ments contemporains que nous avons recueillis, établir
avec beaucoup de probabilités que l'auteur de ce charmant
ouvrage est Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, l'illustre
Lyonnais, peintre ordinaire et valet de chambre des rois
Charles VIII, Louis XII et François P% ainsi que de la
reine Anne et de Marguerite d'Autriche.
I. Éloge historique de la ville de un consulat composé de douze con-
Lyon, par Pierre Brossette. Lyon, seillcrs échevins, que Ton appelait
J.-B. Girin, 17 lo, in-4% où se trouvent Messeigneurs et auxquels le roi Char-
les noms de tous les conseillers qui les Vill accorda en 1495, à eux et à
ont administré la ville de i335 à 1595. leur postérité, le privilège de la no-
La ville de Lyon était administrée par blesse.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 175
Nous croyons que ces documents nous renseignent assez
pour que, s'il reste des points obscurs, l'induction y puisse
suppléer.
On sait aujourd'hui qu'il était un peintre fort connu et
fort apprécié à Lyon, lorsque Charles VIII y vint faire sa
première entrée, qui, organisée par lui, fut splendide; le
jeune roi s'en montra très satisfait. Séduit par son talent
et son esprit, il l'invita à venir à la cour.
Il avait environ vingt-sept ans, quand il y parut, il sut
s'y rendre agréable par son talent et ses manières. Le roi
le prit bientôt en grande estime et faveur, et lui en donna
la preuve en l'élevant aux fonctions de son peintre ordi-
naire et plus tard en lui commandant le tableau de ses
fiançailles.
Son savoir charma la jeune reine, comme il avait
charmé le roi et elle devint bientôt sa bienfaitrice.
Mêlé de bonne heure à la société de la cour, la plus
amoureuse peut-être des choses de l'esprit et des œuvres
d'art qui ait existé en France, son intelligence ouverte
reçut une culture élevée dans la conversation des gentils-
hommes, des lettrés et des artistes qui s'y pressaient'.
Par là s'expliquent son mérite ainsi que l'estime, la faveur
et la haute position dont il jouit constamment auprès des
rois Charles VIII, Louis XII et de l'aimable reine Anne.
Elle lui en donna, entre autres, un témoignage éclatant,
comme nous l'avons dit, à son départ de Lyon le 22 août
i5o9, après le séjour de cinq mois qu^elle venait d'y faire,
I. Anne de Bretagne encouragea plaisait à les appeler à la cour et à les
d'une manière spéciale les poètes, attacher à sa personne,
les écrivains et les artistes, elle se
176 RECHERCHES SUR LA VIE
en le chargeant d'être son interprète auprès des conseillers
de la ville, pour leur exprimer son contentement d'avoir
trouvé les habitants de la ville si bons et de si bonne sorte
et leur dire qu'elle en aurait longtemps mémoire, et les
engager à s'adresser à elle quand ils voudraient quelque
chose du roi.
Ces lignes nous prouvent bien que Jehan Perreal était
du monde de la cour et de la maison de la reine.
<( Lorsqu'on songe, dit M. de Montaiglon, combien ont
été fréquents et longs les séjours d'Anne de Bretagne dans
la ville de Lyon, où elle a fait autre chose que de passer,
où elle a réellement vécu et demeuré, le plus souvent pen-
dant les guerres d'Italie, pour avoir aussi tôt que possible
des nouvelles de Charles VIII et ensuite de Louis XII. Sa
maison et la cour même y étaient avec elle, et, par suite, il
n'y avait rien d'étonnant à ce qu'un de ses familiers ait
pensé à l'y distraire des inquiétudes de l'attente, en écri-
vant pour la reine une de ces œuvres où le déguisement
de la personnalité, en se dérobant et en grandissant, sous
le voile complaisant d'une fiction de roman, ne peut man-
quer de plaire à la personne à laquelle on s'adresse. »
Il est permis de présumer que parmi les familiers de la
cour, aucun n'avait l'esprit aussi ingénieux ni aussi bien
préparé pour composer et écrire un roman de ce genre,
dont le mérite est surtout d'avoir mis en scène, avec esprit
et avec une grande et merveilleuse pompe, l'entrée de
Jehan de Paris à Burgos, précédée de ses dix mille servi-
teurs, que Jehan Perreal, qui avec un goût remarquable
avait inventé et organisé toutes les fêtes que donna la ville
de Lyon pour l'entrée des souverains pendant plus de trente
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 177
ans, entre autres Tentrée magnifique du roi Charles VIII
en 1489 et celles plus splendides encore pour recevoir la
reine Anne de Bretagne en 1493 et, en 1495, pour recevoir
le roi à son retour de Naples. Par là, rien d'étonnant
de penser qu'il est certainement Tauteur de cette jolie
nouvelle.
On peut aussi bien placer au château de Blois, où la
reine s'était retirée pour faire ses dernières couches, qu'à
Lyon le lieu où fut composé ce roman; car elle y vécut
pendant ces deux dernières années, i5c2 et i5i3, languis-
sante, malgré son énergie bien connue.
Là, au milieu de ses dames et demoiselles d'honneur,
des gentilshommes et des beaux esprits » qui formaient sa
cour, ainsi que de ses bons serviteurs qu'elle avait amenés
de son duché, elle se sentait plus heureuse, plus à l'aise
qu'ailleurs.
Nous savons, par la date des trois dernières lettres qu'é-
crivit Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche, qu'il habitait
Blois en i5i2. Il est permis de penser qu'il continua à
résider près de sa royale protectrice jusqu'à sa mort ^, et
qu'il mit, pour la distraire de ses tristes pensées, tout son
temps, ses soins et son plaisir à travailler pour elle, soit à
peindre les belles miniatures de ce poème en forme d'épî-
tres qui a trait à sa correspondance avec le roi Louis XII,
pendant sa campagne contre le pape et les Vénitiens ^, soit
à écrire ce petit roman destiné à être lu dans un petit
I. Jehan Perreal, son peintre et valet 2. Dans la commémoration de sa
de chambre, Jehan Marot et Massé mort, on le trouve à Blois, chargé de
de Viilebresne, ses poètes fami- la peindre en pied,
liers, André de Lavigne, son secré- 3. Ce poème existe à la bibliothèque
taire, etc. impériale de Saint-Pétersbourg
23
r;^ RECHERCHES SUR LA VIE DE JEHAN PERREAL
cercle de ses familiers. Car il est évident que Jehan Perreal
ne songea jamais à le publier; le fait est qu'il ne fut
imprimé qu'après sa mort, probablement par sa famille
à la demande de ses amis.
Sous une apparente simplicité, ce charmant petit roman
contient un fond de malice parfois assez piquante qui me
paraît s'être étendue jusqu'au titre qui. cache le nom de
l'auteur, tout en le rappelant : c'est ce que personne n'a
remarqué.
Probablement, parce qu'ainsi que nous l'avons dit, on
ne s'est, bientôt après sa mort, plus souvenu de ce grand
artiste et à plus forte raison de son surnom de Jehan de
Paris.
DOCUMENTS
HISTORIQUES
LETTRE DU FRERE CLAUDE A MARGUERITE D'AUTRICHE
Il prie cette princesse de venir visiter le couvent de Brou.
Bourg, 28 août i5o8.
Ma très redoubtée dame, tant et si humblement que possible, je
me recommande à tous temps, à Jamay, à vosire bonne grâce.
Madame, très humblement je vous remercye de tous les biens et
de tous les honneurs que journellement je ay et auroy, et j'en prye
pour vostre maison et vostre grâce. Je prye à Dieu que vous donne
grâce de venir visiter vostre très magnifique covent et vos très révé-
rends religieux de Brou, vous asseurant que ce vostre belle mémoire
perpétue de vostre règne en Bresse, lequel, par la grâce, vous donne
Taccomplissement de voz désirs pour à la fin parachever.
A Bourg, le 28 d'aougt i5o8.
Ce tout vostre très humble et très obéissant serviteur %
Claude.
B
LETTRE DE JEHAN PERREAL A MARGUERITE D'AUTRICHE
Il remercie cette princesse de la pension qu'il reçoit d'elle, et il lui en réclame
les arrérages. — Il l'informe qu'à son arrivée à Lyon, venant de l'armée
d'Italie, sur l'invitation de Jehan Lemaire, il fait les dessins ou patrons des
trois sépultures de l'église de Brou. — Il a trouvé un bon ouvrier statuaire,
disciple de Michel Colombe. — Il a trouvé de Talbàtre la plus belle du
monde.
Lyon, i5 novembre 1509.
Madame, tant et sy très humblement que fère puis en vosire
bonne grâce me recommande. Madame, depuis le temps que de vous
I. Original en papier, reposant aux ar* Bibliothèque dç la Société d'émulation de
chives de Lille, dont copie déposée à la TAin, en 1847.
i82 RECHERCHES SUR LA VIE
je receu une lestre contenant en somme que vouliez que fusse paie
d'une pension que de piessa vous pieu me donner et de bon cueur
octroier, de laquelle ay joy deux ans, et jà sont passe:{ trois que
nen ay rien receu, j'ai esté en cour tousjours, et en ceste dernière
guerre contre les Véniciens, où ay eu plus de dangler que de mal.
El quand j'ai esté arrivé à Lyon, j'ai treuvé Jehan Lemaire qui
avoit faict un volume que je croy avez à présent, etd'aultres euvres,
lequel me dit rostre instruction touchant trois sépultures que vole\
f ère en Vesglise que faictesf ère près de Bourg, que Pon dit estre
fort belle. Sx me dict que on vous en avoit faict quelques patrons,
mais il me dit que s'il estoit possible d'en faire ung de quelque
mode digne de mémoire que vous Tarez agréable. Sy me suis mis
après tant pour mon debvoir envers vostre majesté que pour Tamour
que je vous doy, et ay revyré mes pourtraictureSy du moins des
choses antiques que fay vu es parties d'Italie, pour f ère de toutes
belles /leurs ung trossé bouquet dont fay monstre la (sic) le ject
au dict Lemaire, et maintenant, fais les patrons que f espère are\
en bref. Et pour ce que le dict Lemaire s'en parti de Lion long-
temps pour aler à Dole, et que depuis n'ay sceu où il est, et n'ay eu
de luy nouvelles, je me suis adressé à monsieur le gouverneur de
Bresse, auquel j*ay rescript ce que j'ay faict selon la charge que me
donna le dict Jehan Lemaire, c'est assavoir de trouver albastre que
jay treuvée la plus blanche du monde, et à bon conte, grandes
piesses et à grani quantité. Oultre j'ay treuvé ung bon ouvrier et
excelent disciple du nommé Michel Colombe, homme de bon
esprit, et qui besongne après le vif, lequel est contant de besongner
à Lion ou à Bourg, combien que je seroye voulontiers près de luy,
car vous entendez assez que rien n'en empireroît, et mesmement
pour le visaige de feu Monseigneur et aultres choses. Et pour ce.
Madame, que le dict gouverneur m'a averti qu'il aloit vers vous, je
me suis enhardi de vous mander ma bonne voulenté et affection, et
seray très joyeux de moy employer à,mectre l'euvre à fin en ma vie.
Pour ce s'il vous plest vous* servir de moy, je suis et seray à jamais
vostre à gaiges et sans gaiges. Je faiz les patrons en ensuivant vostre
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i83
voulenté à ma fantaisie, lesquelz arez veus. Sy vous plest, manderez
ce que vouliez que Ton fasse louchant de Touvrier et des pierres, et
de moy vous povez servir, mais du maistre se je le retiendray ou
non, et se Ton fera tirer des pierres. Vous en communiquerez au
dict gouverneur, lequel, à son retour, fera de moy ce qu^il vous
plaira commander. Il a commandé au tresier (trésorier) de Bresse
me paier toutes mes pensions. Je crois que le dict tresier le fera : sa
voulenté soit faicte, et la vostre avec la voulenté de Dieu, lequel
vous doint santé et longue vie, et après ce mortel labeur repos félice.
A Lion, ce xv® de novembre, de vostre très humble et très obéis-
sant serviteur \
Jehan Perreal de Paris, P. du R.
(Peintre du Roi.)
EXTRAIT D'UN REGISTRE AUX ORDONNANCES ET MANDEMENTS
DE MARGUERITE D'AUTRICHE
Du le' avril iSog au 3i janvier i5ii. (Nouveau style.)
Bruxelles, 14 juillet i5io.
Le xxvij* juillet xv^ dix a esté vériffié ung mendement patent,
dont la teneur s'ensuyt : Marguerite, etc., à noz amez et féaulx les
chief et gouverneur et trésorier général de noz demaine (sic) et
finances, salut et dilection. Savoir vous faisons que nous, en sur ce
vostre ad vis, vous mandons que nostre amé et féal conseiller et tré-
sorier général de nos dictes demaines et finances, Diego Florès, et
des deniers de sa recepte vous faictes payer ^ bailler et délivrer à
maistre Jehan Perreal^ de Pans, nostre painctre et varlet de cham-
I. Cette lettre a été publiée en i85o, par aujourd'hui le mcfyen de la rectifier avec
M. Sirand, archéologue à Bourg, dans la certitude, par la publication d'un mande-
Troisième partie des Courses archéologi- ment de finance inédit, délivré par Mar-
ques et historiques du département de l'Ain guérite, le 14 juillet i5/0y et qui est
(3«vol. in-8, Bourg: page 5). L'auteur a fait une réponse à la réclamation de Perréal.
remarquer, avec raison, que le millésime (Voir la pièce ci -après C.) Il suit de ce
i5 II, inscrit sur cette lettre par une main rapprochement que la date réelle de la
étrangère, était douteux. En effet, nous lettre ci-dessus mentionnée est du 1 5 novem-
pouvons confirmer cette erreur et donner bre iSop, au lieu du i5 novembre i5ii.
i84
RECHERCHES SUR LA VIE
bre, la somme de Ix escus d'or au soleil^ et ce pour et en récom-
pense et payement de trois années entières de ses gaiges et pension
de XX escus d'or au soleil, que nous lui donnons par an, pour les
bons et agréables services qu'il nous a fai:{ journellement, et mesme-
ment à cause des pourtraict\ par luyfai:{, et qu'il nous a derreniè-
rement envoyé:^ par Jehan Lemaire, nostre indiciaire, pour dresser
les sépultures que faisons fère en nostre couvent de Saint-Nicolas
de Tolentin'le:{-Bourg, en Bresse, desquelles trois années finies à
Pasques derrenier passé, il n'a rien receu comme il dit, obstant
nostre absence de nos pays de par-delà, etc. — Donné en la ville de
Bruxelles, le xiiij' jour de juillet. Tan de grâce mil cinq cens et
dix'.
Marguerite.
D
LEMAIRE DE BELGES A MADAME MARGUERITE D'AUTRICHE
Bourg, 22 et 25 novembre iSio'.
Très haulte, très excellente princesse et ma très redoubtée dame,
si très humblement que faire puis à vostre bonne grâce me recom-
mande.
Madame, estant naguères en mon petit estude solitaire, comme
j'ay de coustume, exerçant le très noble et très laborieux comman-
dement à moy enjoinct de par vostre très digne excellence, c^est assa-
voir de bastir et construire littéralement le palais d'honneur fémi-
nin, duquel verballement par vostre facunde et ingéniosité céleste
despiéça m'aviez baillé le devis, platteforme,pouriraictz et invention
pour lequel exécuter et mettre en euvre, tout tel simple ouvrier et
architecte que je suis, j'avois desjà le compas en main, Tescarre
1. Document inédit trouvé dans les archi-
ves de la ville de Bruxelles et communi-
qué par M. Alexandre Pinchart, chef de
section aux archives de Bruxelles. — Nous
lui en adressons ici nos remerciements sin-
cères.
2. Réponse à une lettre de Madame Mar-
guerite, datée d'Amiens lo octobre i5io,
qui se trouve à la page suivante.
Celte lettre inédite fait partie du Cabinet
de M. E.-M. Bancel; elle est suivie d'une
note datée du 25 novembre i5io.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 18$
preste, le plomb et le ligneau tout agensez, et mes massons, qui sont
mes dix sens naturelz, tant intrinsecques comme extrinsecques, à
tous leurs ciseaux, marteaux et autres instrumens duisans à mas-
sonnerie. Tous unis, assemblez et encouraigez de bien faire, la
matière estoit sur le lieu et les grands quartiers de marbre, qui sont
mes livres, espars çà et là devant mes yeulx, dont ainsi comme je
les retournoie et compassoie, pour choisir les meilleurs et les plus
duisables, arriva ung homme incogneu, lequel interrompit ma sol-
licitude et me pre'senta unes lettres sans dire de quelle part elles
venoient; mais après que j'eus recogneu l'impression de vostre scel,
ma très redoublée Dame, je me levay sur bout en toute craincte,
honneur et révérence, descouvriz ma teste, humilay mon genouil,
baisay et adoray la figure de voz armes, de subjection et fidélité que
je doy à icelles perpétuellement, puis je leuz la superscription telle:
A nostre très cher et bien amé maistre Jehan Lemaire, indiciaire et
historiographe de l'empereur Monseigneur et père, et de Monsei-
gneur mon nepveu.
Alors, voyant par les liltres, lesquelz je dessers petitement,
qu'elles s'adressoient à moy, je les ouvriz et trouvay dedens :
« De par TArchiduchesse et Contesse', chieretbien amé, nous
avons veu une pierre d'albastre tirée en la perrière de Saint-Lothain,
laquelle maistre Loys, nostre secrétaire, nous a envoyée, et trou-
vons par ceulx qui se y cognoissent que le dict albastre n'est aucu-
nement bon pour nos dictz ouvrages, par quoy ne seroit convenable
y mettre plus de dépense, ains se pourveoir ailleurs, si ce n'estoit
que celuy que se treuve en la fontaine de Tourmond se trouvast
bon, ainsi qu'on nous a escript l'avez trouvé; sur quoy désirons que
nous advertissez bien et au long de la vérité et que nous envoyez
laissay par deçà, affin de veoir ce que sera et qu'on n'en face la des-
pense en vain. Cher et bien amé, Nostre Seigneur soit garde de
vous. Escript à Amiens, ce x* d'octobre 1 5 10. »
Signé de la main de vostre excellence Marguerite, et soubz-
signé Marnex.
I. Lettre de Madame Marguerite du 10 octobre i5io.
24 .
i86 RECHERCHES SUR LA VIE
Madame, quand j'euz parachevé de lire vos dictes lettres, le sang
me mua, tout entremeslé de craincte, vergogne et juste courroux
ensemble, c^est assavoir de craincte d'estre en Tindignaiion de
vostre haultesse, et de honte pour autant que vous m'estimiez men-
songier et moins soufiisanl à fournir ce que j'avois mis en termes,
et aussi de justes courroux contre ceulx qui vous avoient mal
informée.
Dont comme je fusse en ceste estraincte de doubte et de ver-
gogne, mes outilz d'architecture me cheurent de la main, je don-
nay congié à mes massons d'ouvrer ailleurs, et feiz retirer à part en
un coing les précieux marbres desquelz j'avoie faict Paîtrait et la
préparative pour si noble euvre, jusques à tant que j'eusse la faculté
de les mettre en euvre, se d'aventure vous m'en estimiez digne. Et
si le cas fust adveneue que j'eusse receu vos lettres moy estant sur
vostre perrière d'albastre en continuel labeur et dangier, j'eusse tout
laissé là, et m'en fusse aie plourer mon infortune ailleurs. Mais le
mesme jour de la datte de voz lettres, les marchiez furent faictz de
la grand sépulture par vos officyers de Bresse, comme vosire som-
melier Rosalles, présent porteur, vous pourra dire,, car il estoii pré-
sent à tout en ceste ville de Bourg.
Après la lecture de vos dictes lettres, Madame, je diz à par moy
bien dolentement : Comment m'estimera désormais Madame povoir
fournir à son palais d'honneur féminin, qui est une chose immor-
telle, pardurable et de merveilleuse coustenge, attendu que, par
faulx donner à entendre d'autrui, elle n'a point tant de confidence
en toy, ny en ton industrie et diligence, que de povoir ou sçavoir
trouver simples marbres, estoffes ou matériaulx pour ung édiffice
terrestre et temporel. Et encoires diz je à par moy ruminant sou-
ventes fois vos dictes lettres : Or escript Madame qu'elle a bien une
pierre d'albastre par moy tirée de la perrière de Saint-Lothain, et dit
qu'elle treuve par ceulx qui s'y cognoissent que le dict albastre n'est
aucunement convenable pour ses ouvraiges, ains s'en veult pour-
veoir ailleurs.
Mon Dieu, diz je lors, pour une petite pierre que je n'avoie pas
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 187
envoyée, et qui n'estoit synon Touverture et la monstre de la dili-
gence du descombre, faut-il condemner toute la teste? Pleust or à
Dieu que Madame eust veu les beaux et merveilleux quartiers en
toute perfection I Mais que sont ces grandz cognoisseurs de par
delà, qui ne cognoissent que Talbastre des sépultures des princes à
Dijon est le plus beau et le plus pollissable de tout le monde? Or
est cestui cy du lieu mesmes, et est en bruit la dite perrière passé
deux cens ans; mais elle a esté en désert par les guerres, et se treuve
ou par les anciens tiltres de labaye de Baulme. Et pourquoy eust on
faict de toute antiquité tant de cavernes par dessoubz terre et tant de
descombre à Tenviron, tant d'estansonnemens de bois pour soubte-
nir le dessus, si on n'eust estimé ce trésor bon et vaillable en toute
singularité? Maistre Anthoinet de Paris, très singulier tailleur
d'ymaiges, fut celui qui tailla la derrenière sépulture de Dijon : c'est
assavoir celle du bon duc Phelippes, vostre grand ayeul que Dieu
absoille. Pourquoy eust-il répudyé Talbastre d'Angleterre, où il ala
expressément pour en amener, et celui de Grenoble en Daulphiné et
d'ailleurs, pour s'arrester à celui de vostre perrière de Saint-Lothain,
se ce n'eust esté, pour ce qu'il trouva par expérience qu'il excédoit
tous les aultres en valeur d'autant que l'argent excède et vault
mieulx que l'estain ou le plomb? Et pourquoy en envoya le roy
Louis Xlo faire si grande fourniture par le dict maistre Anihoînet,
comme témoigne le capitaine Chantran et les anciennes gens du
pays, lesquelz j'ay examinez, sy non qu'il n'en povoit recouvrer
ailleurs de pareil?
Il s'en treuve à Clugny qui ne vault riens, car ce n'est que croye.
11 s'en treuve à Salins qui vault encoires moins, car il est meslé de
sable et de troux et de vaines. Et qui plus est, Madame, depuis que
on a sceu que je mettoie ce marbre icy en avant, on m'en apporte de
vostre pays de Bresse. Et de fait c'est albastre, mais il est grisastre,
basenne, plain de neux, et n'en treuve on sy non de petitz lopins;
mais celui de Saint Lothain est si noble que demandez. Seullement
les quartiers qu'il vous fault vous les trouvez, mais qu'il soit pos-
sible de les charryer. Par quoy nous a esté nécessité d'en aléger les
i88 RECHERCHES SUR LA VIE
grandz pierres, dont il en avoît deux qu'il failloit à chascune xij che-
vaulx ou xxiiij beufz; et si nous eussions laissé en son entier les
deux qui lenoient ensemble, il n'eust esté possible à homme vivant
de les tirer hors du creux ne de les mener. Ce sont les plus beaux
bancz, les plus parfondz et les plus neiz du monde, et pleust à Dieu
que ceulx qui se y cognoissent si bien eussent esté au travail en Peau
vifve jusques au genouil, comme nous estions. Car le vray marbre
ne se nourrist sy non en Teau, c'est assavoir Talbastre, et fault venir
et cercher jusques aux sourses vifves, lesquelles il nous failloit
estoupper de mousse et de couroy, et encoires Teaue surmonioit
tellement qu'il la failloit espuiser jour et nuit. Et tousjours en dan-
gier de noz vies, à cause de la pierre qui retomboit.
Par ainsi. Madame, en revenant à la lecture des lettres de vostre
excellence, je disoie à par moy : Ceste noble perrière n'est avillie ni
mesprisée sy non pour autant que seigneur Lemaire a Thonneur de
l'avoir remise et restituée en bruit, et icelle retrouvée à la plus
grande gloire de Madame. Car telle est ma fortune. Et tout ainsi
que quand j'euz mis en avant la prévalue des deniers d'Espagne, et
que j'advertiz Madame qu'elle perdoit de son douaire mil ou xij cens
ducaiz par an au moyen des changes du temps du collatéral Pyo-
sachz, et que ce maniement des dictz deniers fut baillé à ceulx qui le
faisoient mieulx valoir, d'autant en baillant bons plciges dont en
parfin ne fut riens tenu. Et de rechief quand Madame commença
son basiiment de Brou, je y feiz prouffit de plus de iij mille livres
au pris fait, par Tadvertissement d'envoyer quérir des maistres mas-
sons partout. Doncques ma fortune est telle que je bas tousjours les
buissons, et ung autre prend les oisillons. Ainsi m'en prent il à ceste
heure de ceste perrière d'albastre. Je suis doncq de semblable qua-
lité comme Cassandra, laquelle estoit très bonne devineresse, mais
jamais elle n'estoit creue ny auctorisée.
Ainsi me passionnoie je a par moy, Madame, si vous supplie
me pardonner de ce long pFopos car par vos dictes lettres il
vous a pieu me donner auctorité de vous advenir du tout
bien au long à la vérité ce que je feray parfaitement Madame,
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 189
en tant qu^il touche ce qu'il vous plaît me mander que on
vous a escript que j'ay trouvé et jugé quMl y eust marbre ny
albasire en vostre Saulnerie de Tourmond, saulve la grâce de
ceulx qui vous en ont advertiz pour faire leur cas bon. Bien
ayse dit qu'il y avoit quelque apparence de gyp, qui sont les
indices de marbre, mais que il faudroit chaver beaucoup plus
parfond, avant que on peut attaindre le dit marbre. Car, certes,
Madame, le creux de vostre Saulnerie en quoy on a besoigné
tout lesté n'est pas se large ne se parfond que celui de vostre
perrière ou je nay esté que six semaines et en mauvais temps
ne le soit trois fois plus en largeur, longueur et parfondeur,
car ains avoir trouvé les bons bancz et parfaictz jay fait creuser
plus de XX piedz de parfond et autant de large et cinquante
en travers, qui est une chose horrible a veoir, or eussent
bien valu ceulx qui ont la charge de vostre dicte Saulnerie,
que je me fusse abusé et arresté a cercher de Talbastre dedans
icelle aftin que Ton se fust mocqué de moy comme on fait
deulx, mais Dieu mercy et vous, Madame, je n'estoie pas si
depourveu de sens, ains me suis arresté au plus seur et au
plus expérimenté et ay acquis, à vous. Madame, la dite perrière
perpétuellement, qui n'est pas petit trésor, et jay fait planter
vos armes, dont les moisnes de Baulme murmurent à tort, car
tous trésors et minières cachez en terre appartiennent au prince
souverain.
Et touchant vostre dicte fontaine et sourse de sel, Madame,
si je n'avoie peur que on feist peu d'estime de ce que j'en
mettroie en avant (comme on a fait des autres choses), j*aban-
donneroie ma vie en gaige. Au cas que je ne vous y feisse un
si grand service que tous envieux en seroient desplaisir, et que
jamais je n'auroie envers vous. Madame, réputation si petite,
car en tel cas ne fault point gens qui ayment leur singulier
prouffit et vaine gloire, mais leur honneur, l'amour, la crainte
et l'auctorité du *prince et quilz soient fondez et practicyens
en l'art mathémactique et géométrie pour scavoir faire en gens
igo RECHERCHES SUR LA VIE
beaucoup exploittans et à peu de gens, et de coust et mesurer,
la hauheur des terres et cadence des caves, et la séparation des
sources dont je nay veu aucun qui se y entendit grandement
en vostre dicte Saulnerie. Et de toutes ces choses je ne vante
que bien à point; mats, Madame, vous Jreç entre les-mains^
homme à ce propos, riche de science, d'anne:^^ d'entendement,
d* ingéniosité, d*audace, d'honneur, d'avoir et d'auctorité et qui
désireroit de tout son cœur y faire son chef -dC œuvre , à peu
de coust, pour l'honneur de son excellence, la quelle il ayme
et honnore en tout lieu et pour nommer le personnage, Madame^
c'est votre painctre et varlet de chambre, maistre Jehan Perreal
de Paris, lequel très humblement se recommande à la bonne grâce
de vostre haultesse et se présente à remploi de dict affaire. . ,
Madame, je vous advertiz que vostre dit nouveau bastiment,
du costé du grand corpz, c'est assavoir du dortoir a prins cop puis
quinze jours en ça et s'il en prend encoires ung semblable il y
a dangier d'une grande ruyne et cousiera beaucoup à la réparer,
la cause pourquoy est telle, vos dicis religieux qui sont par trop
curieux et bons maisnaigiers, pleust à Dieu qu'ils le fussent
autant en dévotion contemplative, sont aie faire ung puis secrè-
tement en la cave et ont deschaussés ung des maistres pilliers
jusques à Teaue visve par quoy la voulte s'est ouverte, et l'édiffice
et la muraille ont monstre signe de ruyne. A ceste cause, vostre
maistre des euvres et les massons bien esbahiz ont envoyé a
Lyon et ailleurs quérir des maistres en massonnerie pour
s'excuser que ce n'est pas leur faulle, mais la témérité et la
curiosité des dicts religieux et aussi nostre, car certes, Madame,
avant le dict inconvénient, nul édiftice ne fut oncques tant
loué de bonne conduicte et seureté, qui estoit le nostre, par la
voix de tous ceulx à ce cognoissans qui l'ont veu. Vous en
aurez quelque jour les plainctes et informations, mais le tout
sera réparable.
Aussi, Madame, par la voix et le désir d'un chacun il serait
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 191
désormais temps de commencer rostre esglise^ ce que les dict^
religieux reculeroient volontiers de toute leur puissance^ mais
c^est vostre principalle intention pour y poser les sépultures. Le
dessus nommé maistre Jehan de Paris vostre painctre se présente
de servir vostre excellence à faire les pourtraict\ et plates
formeSj et vous ne scaure\ au monde mieulx faire que de lui
en bailler la charge et conduicte et ny deust il venir que trois
ou quatre fois Van, Car tout en vaul droit mieulx,
La tierce doléance que je vous ay à faire. Madame, c'est
que le receveur général de Haynau, Jehan de la Croix, n'a tenu
compte de vos lettres closes, par les quelles lui mandrez bien
expressément qu'il m'eust à payer promptement à cause de
mon voyage et commission, mes gaiges d'un an entier, echeuz
et encouruz le dernier jour de septembre derrenièrement passé,
à cause de mon office de indiciaire ains à répondre haultai-
nement qu'il ne feroit riens du contenu de vos dictes lettres et
que vostre secrétaire Marnix, qui les avait despeschées m'avait
baillé une chanson, ce que non avoit, mais estoîent ordonnées
de si bonne sorte qu'on ne sçauroit mieulx sur toutes lesquelles
choses Madame de vostre bénigne grâce, il vous plaira avoir
regard, et me y donner provision et aussi me faire rembourser
de l'argent que jay frayé pour la traicte et charroy de vostre
marbre, en la faulte de vos trésoriers, cuidant mieulx faire que
laisser et je vous supplie très humblement ne l'avoir prins
en mauvais gré.
Madame, jay prié très instamment vostre sommeiller Rosalles
présent porteur, lequel a veu et entendeu presentiallement la
plus grande partie des choses passées touchant vos dictz marbres
et les marchiez faictz de la grand sépulture, quel vueille solli-
citer vostre excellence de me faire advertir du plaisir d'icelle
sur tous les dictz poinctz, ou aucune partie diceulx , ainsi
comme il vous plaira, affin que je sache comment je me doy
conduire à la reste.
Très haulte, très excellente et ma très redoubtée Dame, je
192
RECHERCHES SUR LA VIE
prie à nostre Seigneur qu'il vous doînt Tentier accomplissement
de voz très nobles et très vertueux désirs. Escript à Bourg en
en Bresse le XX® jour de novembre Tan mil cincq cens et dix.
Madame, depuis ces lettres escriptes, votre maistre masson
et Chevillard, maistre des euvres, ont envoyé pour quérir deux
deux grands ouvriers à Lyon, maistres jurez en massonnerie,
pour veoir la ruyne apparente du dict édiffice et juger de
quelle par venoit la faulte, affin de la réparer, et après le tout
bien visité ilz ont donné leur sentence comme vous dira vosire
dict sommelier présent porteur et besoignent maintenant à la
réparation.
Escript le jour de saincte Katherine (25 nov.).
Vostre très humble et très obéissant serviteur,
Lemaire.
Au verso. — A Très haulte et très excellente Princesse et ma
très redoubtée dame.
Madame.
E
JEHAN PERREAL A LOUIS BARANGIER, A BOURG
Lyon, 4 janvier i5ii *.
Très cher et honoré Seigneur, humblement à vosire bonne
grâce me recommande, vous mercient vos gracieuses lettres et
celles de Madame, par lesquelles j^ay entendu comme elle
s'adresse à vous, à maistre Jehan Lemaire et à moy, et le tout
d'une matière dont estes ung peu esionné, doublant ma dite
Dame estre courroucée du marché que j'ay fait dont avez esté
présent et aultres gens de bien, et à cette cause ne vous a sousy
m'en escripre amplement pour sur ce donner ordre, conseil et
remède, et aussy pour advenir ma dicte Dame de tout et selon
I. Cette lettre a été publiée par M. B. </e>, Fontenay-le-Comte, P. Robuchon, ira-
Fillon, dans son travail sur les Œuvres de primeur-libraire, i865.
Michel Colombe , extrait de Poitou et Ven-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL ujl^
sa doubtance; maiz encore vous a pieu m'envoyer les lettres
que ma dicte dame vous en rescrîpt.
Monseigneur, pour respondre à vostre première demande
touchant la nature de Talabastre, et que on luy a dit que le
Cousteau ne doit prendre dessus, je vous averty , comme celuy
qui en peult parler par troys raisons, la première, par la matière,
la seconde, par la forme substancielle, la tierce, par ses accidens,
et vous di quMl est deulx manières d^alabastre. La première
n^est pas blanche, mais déclinant aucunement à citrinnité. Et an-
ciennement Ton en faisoit des vesseaux, et le tenoii-on pour
précieux , comme il est escript en TÉvangille : In alabastro
unguentum preciosum; et sont transparens ung peu et veyneux
de doulce couleur, de leur nature plus froiz et aquatiques que
terrestres, combien que de terre et d'eau sont procréez toutes
pierres, congeliez par froideur, maiz procréer par chaleur; maiz
pour leur froideur estoient ordonnez à tenir unguens pour la
conservation d'iceulx.
L'autre alabastre, quant à la matière, est terrestre et aqua-
ticque, mais plus terrestre que aquaticque, et par conséquent
plus aprochent de siccité et de blancheur; car, là ou agist chal-
leur en siccité, la plus est prochaine blancheur, comme il appert
des os, et par conséquent plus dur. Quant à sa forme substancielle,
elle est moins homogénée en son tout, pour challeur qui cause
încinéracion en choses sèches par faulte d'humidité, qui est cause
de ligament. Quant en ses accidents , pour le premier, en sa
mynière elle est envyronnée de froideur, qui répugne à chaleur,
et la tient humide et molle, et, quant elle est hors tirée, c^elle
est de vieille ou longue roche, et est à Tair ung an ou plus,
pourveu qu'elle ne santé la gelée, elle s'endurcit et blanchit de
jour en jour.
Je vous pourroie plus au long desclarer les deux natures
en enssuivent les docteurs et bons philozophes, mais à présent
je conclus qu'il n'est aultre nature d'alabastre que ces deux.
Et, quant à ce que dities que m'en enquière aux maisires
ib
194 RECHERCHES SUR LA VIE
massons et tailleurs d^maiges, certes, je vous avertis en tel cas
n'y sçavent riens, ne de la nature de ladicte pierre, par quoy
de moy seul vous asseure, par l'article de devant, toute la
natture, et n'y en scey point d'aultres.
Maiz, quant passerés à Dijon imerroguez vous à gens qui
bien en scauront parler, quant à la nature, tant de blancheur,
duresse que polissement, car sachez que la plus blanche est la
plus riche. La plus dure se polit mieux; maiz toute alabastre
sendurcit à la longue hors de sa mynière, par quoy je vous
avertis que autant en avendra à ceste cy qui est belle et fort
blanche, mais feroit bon que Ton n'y touchast d'un an, et
vous sçavez que je disoie toujours que l'on ne devait besongner,
que au nouveau temps ; maiz maistre Thibault vouloit toujours
besongner '.
Quant à ce que demandez et que je m'enquière si l'oste du
Grifon , de Lion , en a vendu , car il en fit amener deux ou
trois belles grandes piesses, je vous respons que lesdictes pîesses
ont esté menées par Loire jusqu'à Tours à maistre Michel
Colombe, lequel en fait sépultures pour un évesque. Vous
vous en pourrez interroguer, si je ne suis creu, maiz c'est la
vérité, et, touchent ce que vous me mandez que j'en fasse
faire atestacion de tout et combien vauldrait le pied dudit
alabastre, afin de mieulx en avertir madame, certes je vous
respons, quant j'en parle à eulx ils ne sçavent que dire ne
respondre à mes proposicions ne de la nature, ne de la bonté,
ne des accidens, mais remetent tout à moy et disent quïls n'en
sçauroient que dire, et je les en croy.
Maiz, pour vostre acquit et descharge, vous ay bien voulu
au long escripre de ladite alabastre la nature; du pris du pied
vous en savez mieulx la vérité à Dijon, et pourriez ce monstrer
ou dire à Madame; car comme dittes es lettres que m'avez
escriptes que passerés à Dijon et que yrés en la chambre des
I. Voir la lettre du i5 novembre iSop, adressée de Lyon par Perreal à Marguerite
d'Autriche.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL igS
comptes, pour sçavoir où fut prinse Talabastre des feux Ducz »
et combien elles ont cousté, certes je loue bien cela et ferés
bien se en prenés la peyne, que je croy ferés pour en respondre
au net à Madame et mieulx informer ceulx qui sont autour
d^elle.
Et touchant ce que m'escrîpvez du marché trop cher, et aussy
comme je Tay veu par les lettres que Madame vous en rescript
et à Maistre Jehan Lemaire, et non à moy, combien que j'amasse
(aimasse) mieux qu'elle m'eust rescript ^ mais son plaisir soit
faict et c'est raison, je vous respons en deux manières, la
première pour vous, la seconde pour ceulx qui en pensent ce
qu'ils veulent. Premièrement, je vous di que je dis à Maistre
Jehan Lemaire, quant il ala en Flandres, pour ce qu'il me
demandoit, que le tout pourroit bien couster deux mille
cinq cens escus, c'est-à-dire les trois sépultures, maiz qu'il ne
failloit pas estonner Madame, afin de ne reculer Pœuvre. Depuis,
dedans Bourg, je me suis trouvé avec vous et messeigneurs du
conseil, monstrant les lettres que Madame m'escripvoit et donnoit
charge de marchander, ce que devant tous assemblez j'ai fait,
et m'avez laissé faire, pour ce que je vous monstroie raisons
esvidantes du coust et despance qui y aloit, et le temps. Oultre
plus , considérant la grande despance que la Royne * a faitte
pour la sépulture de son feu père, je trouvoye ceste cy petitte,
et ce qui me fit passer oultre , un peu et non guière. Vous
sçavez que je disoie en conseil et devant tous messeigneurs :
Jentend:{ et fais tel marché pour ce que, se cest homme ou
maistre n'est ouvrier , je ne le soufreray point y mai^ veulx
que r œuvre se fasse par mains de maistre, tendant à fin
que la chose passast par les mains de Michel Colombe, q,u>î
a faict la dicte sépulture de la Royne. Et sçavez que publi-
quement maistre Thibault se obligea en fasson que, se il ne
1. Albâtre employé dans les monuments cesse fit élever par Michel Colombe, sur
funéraires des ducs de Bourgogne, Philippe les plans de J. Perreal, le mausolée de
le Hardi et Jean sans Peur. François II et de Marguerite de Foix, ses
2. La reine Anne de Bretagne. Cette prin- père et mère, tout en marbre.
19^ RECHERCHES SUR LA VIE
besognoit bien, que je lui osteroie i^œuvre, et sçavez que je
fis venir ung des disciples de Michel Colombe > pour en
marchander. Et sçavez, après le marché fait, que je disoie
que il n'y besongneroit que ouvrier, et que, se il y avoit rien
de fait mal, que je rompcroie tout et seroit recommancé à ses
despens par grands ouvriers, et que n'y vouloir qu'ouvriers, et le
tout se faisoit tandent à fin de passer par les mains d'un grand
ouvrier qui plus en eust demandé que maistre Thibault, et
scave:{ que maistre Thibault le voulait bien faire pour XII"^
escus 2 : ma/^, quand il vit le marché par escript et aussi ce
que j*ay cru depuis par patrons que je Jis^ et par le grosset
que je fis contre ung mur au couvent de Brou, que vous
vinstes vcoir, il vit que le bas luy blessoit. Vous sçave:ç aussy
que je prenoyô tout sur ma charge et entendoie faire un chef
d' œuvre; tellement entendoie faire besongner grans ouvriers que
ledit maistre Thibault eust renoncé au marché.
Oultre plus, vous sçavez, le temps durant que je fus au dit
Bourg, les paines que vous, Messeigneurs, toutes jours aviez
d'accorder le différant dudit marché, pour ce que je vous mon-
troie esvidemment et donnoie à entendre que j'en ay veu faire
d'aultres et à plus grans ouvriers que maistre Thibault, par
quoy je vouloie qu'il fust bien obligé, tendant à fin d^estre fait
de main d'ouvriers et bien paiez.
Vous sqave\, d^autre part, la peine que je prins de VIII ou
dix jours descripre le marché, de donner à entendre ce qu^il
devoit faire, et qui, plus est, le pourtrai:^ tant en parchemin
que papier, et principalement, le grand que je fis contre le
mur du dict couvent^ les invencions et a ornements que jy
ajousté de nouveau plus que au patron^ pour ce que au petit
on ne peult former '^ comme au grant, que je n'en feroie pas
autant pour cent francz, tant les premiers patrons qui furent
1. Jean de Chartres, élève de Michel 3. Parce qu'on ne peut aussi bien dessi-
CZoIombe. ne'r et composer en petit qu'on le fait en
2. Douze 'cents écus. grand.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 197
portez à Madame que ceux que j^ay fais (depuis), et me rompre
la teste pour les invencions ^ Et qui m'a tout fait faire? fors
amour envers la bonne Dame, la science et mon honneur,
comprins que n''avoye aultre désir fors qu'elle fust bien servie,
et non pas pour les gages telz que sçavez ; mais , se ung
général ou grand seigneur en avoit fait la moitié, il lui faul-
droit mille francz.
Monseigneur, pour conclure et vous respondre du marché,
je vous avertis que ce que j'en ay fait a esté publique, rond
et droit, jusques à XV escus 2. Sus les charges que avez veues
que j'ay escriptes et en barbe de maistre Thibault, pour ce
que me doubtoie de lui qu'il ne fust soufisant pour le mettre
et faire faire à (dire d') ouvriers, pensent qu'il n'en sçaroit
venir à bout, et ce a esté fait devant vous tous et le dis tout
haultement, et vouloie que Michel Colombe le fist, et n'en
eusse jamais tant baillé audict maislre Thibault, à quatre cens
escuz près, non n'eusse -je jamais marchandé à luy quant
j'eusse sceu qu'il eut fait l'œuvre; mais Tay fait pour être
respondant des deniers et qu'il * estoit du pays de ma dicte
Dame, et l'eusse fait faire à aultre, et vous disoie toujours
que je ne consentiroie à rien qu'il fist, s'il n'estoit bien fait,
et de là toutte mon intencion et la cause pourquoy , devant
vous tous , je feis tel marché , et vous tous en pouvez estre
lesmoings.
Et pour ce que Madame ne me rescript que de l'alabastre
et non pas du pris, et que je voy qu'elle est en doubte, et
aussy dit qu'elle aimeroit mieulx que son œuvre fust fait de
marbre d'Italie, je vous veulx advenir de tout, afin, de mon
costé m'en esire acquitté envers ma dicte Dame de mon devoir,
et aussy afin que mieulx luy en diez la vérité, combien que
luy en rescrips, mais non pas tout amplement, de peur d'en-
nuyer.
r. Voir lettre du i5 nov. i5io, « et ay rc- antiques que j'ay vu es parties d'Italie n.
vyré mes pouriraictures, au moins des clioses 2, Quinze cents écus.
198 RECHERCHES SUR LA VIE
Je VOUS advertis conseiller à Madame faire la dite sépulture
de marbre blanc prins à Gênes et de marbre noir prins au
Liège, ainsy que la Royne a fait; car, sans mentir, ce sera
œuvre perpétuelle et de princesse. Quant est de alabastre, il
ne dure pas la moitié; car marbre peut durer mil ans bel, mei\
non pas blanc, et Valebastre ne saroit durer quatre cens ans,
non pas trois.
Ou que Madame la face faire de cuyvre doré qui sera plus
riche, maîz non pas sy bien fait, quelque bon patron qu'on
face aux fondeurs qui la fonderont; car la matière, qui coule
expresse, bave et enfle choses subtiles, et quand ils la cuident
réparer, ilz gastent tout, pour ce qu'ilz sont fondeurs et non
ouvriers tailleurs, et au lieu de faire des cheveulx, ils feront
une queue d'estoupes.
Et, pour éviter tout danger, Madame la peult, et doit faire
de marbre pour le mieulx, et suis de ceste oppinion et non
d'aultre, combien que ma dicte Dame, la bonne et sage, sera
bien conseillée; maiz elle est et ressemble une belle grosse,
bien clère et ronde perle, bonne en toutte perfeccion, que tous
ceulx qui sont autour d'elle regardent en disant chacun sa
râtelée, conseillant Tun : « Elle serait bien en œuvre ainssy »,
Tautre, « mais mieulx ainssy », l'autre d'un autre, aulcunes fois
avec peu de raison ou rien , mais ladicte perle et précieuse
bague demeure tousjours en son entier et perfeccion pour chose
que deviseurs devisent.
Il me souvient bien, et n'y a pas long jours, en la chambre
d'un grant seigneur que, ung cousturier estant là, lequel avoit
fait une robe audit Seigneur, et fut trouvée bien faite, dont
le cousturier en fut fier, avint que ledict Seigneur envoya
quérir ung chaussetier pour luy tailler des chausses d'une fine
escalatte. Le cousturier, pour l'honneur qu'il avait acquis de
la robe, s'avança et voulut montrer au chaussetier comme on
les devoit tailler, et eust crédit plus que le chaussetier à force de
caqueter; le chaussetier ne s'en povoit contenter qui bien crioit
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 199
à faulte; finablemeni, voyant Taudace du cousturier présomp-
tueuse et non cognoissant Part, le seigneur lui laissa faire;
mais tant print de bon biez le drap que les chausses furent
courtes et le drap gasté.
Je croy qu'il est à présent assez de telles gens autour des
princes, qui veullent, cuident complaire, de trop de choses
deviser, et gastent le drap. Telles gens n'ont besoin que d'un
seur homme bien expérimenté pour leur montrer leurs faultes.
Et, pour ce, chascun soit expert en son art et ne se mesle de
ce qu'il ne scet, et croy qu'il est difficile à ung homme ce
qu'il ne scet ne enten donner à entendre à ung aultre. Il est
plus d'oreilles que d'œul; ut patety sy diceris : « estus » sudat;
mais de tout ne me chault et ne veulx rien gaigner à ce
mestier.
Monseigneur, je vous avertis que je escript à Michel Co-
lombe pour faire les patrons, comme sçavez que ainssy Pavoye
entrepris, lequel m'a respondu que pour l'amour de moy, il
est content de les faire, combien qu'il soit bien occupé; maiz il
ne les fera point en moins de cent escus, qui est sus la charge
dudict marché.
D'aultre part, je luy ai rescript se il vouloit entreprendre à
faire les deux principaux ymaiges ou le tout; il m'a respondu
qu'il ne partira jamais de Tours et qu'il est viel; maiz, qui lui
vouldra envoier le marbre à Tours, que très volontiers il servira
Madame de ce qu'il pourra et qu'il est contant, aultrement non
dont je suis mal contant ; par quoy suis d'opinion que Madame
attende encore en pensant à son afaire ou s'en enquerra. Aussy
bien tesglise n'est pas faite , qui est le principal , de laquelle
esglise madite Dame nia rescript faire ung patron ou platC'
forme; mais c'est chose qui ne se fait pas sans y penser^ tant
au lieu que à la convenance et selon ce qu'elle me demande;
maiz, quand j'aroye fait tout aux mieulx que je pourroye, je
double que le drap ne soyt gasté et que les chausses ne soient
courtes. Ainssy velà mon drap mal employé, maiz au fort je
RECHERCHES SUR LA VIE
serai la chandelle qui se consume pour faire service; le bon
plaisir de Madame soit fait K
Monseigneur, je vous ay envoyé le patron de la sépulture du
duc de Breiaigne, tout ainssy qu'elle est faite sans y adjouster
ne dioiinuer , tant marbre blanc que noir. Les vertus ont VI
pied:{ de hault, les gisants VI et demy, les apostres II pied:{;
le dit patron ay-je fait juste, vous en pove\ parler bien au
long; fay esté tous jour s quant on la faisoit ou le plus de temps j
je Vay posée en son lieu comme aultres foi\ vous ay conté,
Mai:{ quant au marbre, on Va fait venir de Gênes jusques à
Lion^ puis de Lion jusques à Roane, par terre y et puis de là à
Tours par eau. Tout le marbre, tant blanc que noir, ne monte,
rendu au dit Tours^ que deux mille escu\ ow environ.
Michel Colombe besognoit au moi:{ et avoit pour mois
XX escuSy Vespace de sine ans; il y avoit deux tailleurs de
massonnerie entique italiens qui avoient chacun VIII escus pour
moi:{, Vespace de sine ans; il y avoit deux compagnons tailleurs
d'ymaiges soub^ Michel Colombe^ qui avoient chascun VIII escus
pour moi:[y Vespace de sine ans, on paioit tous fers affére\y tous
outil\^ tous pollicemens, tous cymens, Finallement , la chose a
esté si bien achevée ^ que je Vay posée au lieu désiré par la dicte
Dame, et cousta à poser, tant pour faire la voulte pour mettre
les corps, que pour les engins, que pour V enrichir d'un peu
d'or , la somme de V soixante livres ^ , car fen ai tenu le
conte.
Monseigneur, il me sera pardonné si je vous ay fait si
longue lettre et s'y longtemps; maiz le tout tend à bonne fin,
et certes je ne puis de tout parler sans quantité de lettres et
aussy que me rescripviez vous faire sçavoir de tout, affin de
pouvoir bien en rescripre à Madame et au long. Vous voiez
mon intencion, mon povoir et sçavoir; le tout remetz à votre
correccion, et sy les monstrez de delà, se ne sera pas sans
I. On voit par ce passage que Perreal la princesse,
savait qu'il avait des ennemis à la cour de 2. Cinq cent soixante livres.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
commentateurs et gloseurs, mais la bonne Dame congnoistra
mon intencion bonne envers elle sy luy plest, à laquelle ferés,
et je vous en prie, mes très humbles recommandacions, prient,
mon très honoré Seigneur, au souverain ouvrier et maîsire
masson de cette machine mondaine qui vous doint et à toute
vostre noble maison, joye, honneur, paix en terre et gloire es cieulx.
A Lion , après estre relevé d'une diabolique passion qui m'a
duré trois jours, ce samedi nii® jour de janvier (i5ii) de vostre
Très humble serviteur et amy,
Jehan Perreal, de Paris,
Peintre de Madame.
On lit au dos :
a A mon très honoré seigneur, monseigneur maistre Loys
Barangier, premier secrétaire et maistre des requesies de Madame,
à Bourg. »
JEHAN PERREAL A MADAME MARGUERITE D'AUTRICHE
Lion, 4 janvier i5ii *.
Madame, tant et sy très humblement que faire puis à vostre
bonne grâce me recommande.
Madame, de tout mon cuer vous remercie de lettres qui vous a
pieu me rescripre, par lesquelles j'ay bien entendu vostre bon désir
et la fin et honeur où vous tendez, et aussy ay congneu, par les
lettres de monseigneur maistre Loys et de maistre Jehan Lemaire
le doubte en quoy vous estes tant de Falabastre que du marché.
Madame, touchant Talabastre il est bel et blanc, grans quar-
tiers et sain; et le plus blanc que je veiz piessa, qui est la
richesse, mais ne dure, et la raison est bonne, car elle est tirée
de frès, car, en sa mynière, elle estoit envyronnée de humidité,
qui la tenoit molle, mais par temps sendurcit.
I. Cette lettre fait partie de la collection de M. Benjamin Fillon.
RECHERCHES SUR LA VIE
Madame, mondit Seigneur maîstre Loys m'a escript que bien
au long lui en fisse sçavoir, et de la bonté et de la nature; ce
que j'ay fait et là verrez ce que j'en dis et seuz à la vérité, sy
vous plest de lire la lettre bien au long. Aussy il yra à Dijon
comme il m'a rescript et là pourra sçavoir tant de la pierre que
du coust. Et, comme ditie, ce serait dommaîge gaster les deniers
pour somptueux ouvrage, se la nature nestoit bône.
Madame, je vous conseilleroie faire l'ouvrage plustot de
marbre que d'aultre chose, et sy vous plest, voyez les raisons
pourquoy je le dis, ez lettre dudit maistre Loys.
Madame, j'ay fait veoir à maistre Loys le patron que je feis
pour la sépulture du duc de Bretaigne, je luy ay à peu près
donné par escript ce quelle couste et comment on y besongna
et ainssy pourrez faire, mais que attendez ung peu. Et touchant
le marché, voiez ce que j'ay escript ez dernière lettre, et verrez
au vray mon intencion, et ne doubtie nul soupessonneurs, car
je suis à vous aussy bien et myeulx pour deux sols le jour,
que les aucuns pour cent solz, et vous le monstreray toutes les
foys qu'il vous plaira me commander, car je suis à vous par
aucune et bône.... que ne povez cognoistre pour ce que je ne suis
présent, et pleut à Dieu que je peusse Testre, quand on devise
au moins de ce que sçay, car jen responderoye mieux que par
lettre et plus seurement devant vous.
Madame, je vous prie, attendre encore ung an, et vous con-
seillez de quoy vostre œuvre sera mieulx. affin d'acomplir votre
désir et honneur.
Madame, touchant faire une plate-forme pour Tesglise , je
suis très joyeux m'y emploier, et me aideray de tout ce que je
ai veu en Italie touchent couvens, où sont les plus beaux du
monde, et seray sans excéder vostre voulenté, combien que le
logis ja fait est si grant et sy magnifique que je ne sçay que
l'on dira, sinon que religieux sont plus dignes que Dieu d'estre
sumptueusement logez; touitesfoy, tout yra bien et ferons petit et
bon, et pleust à Dieu que je fusse préposé à conduyre tel œuvre.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2o3
Madame, touchant Touvrier ou maistre qui avoit marchandé,
on luy pourra faire gaigner s'y peu d'argent qu'il a receu, en
faisant de son art plusieurs choses que les grossiers massons
font, qui est trop let, car je Tay veu, comme vos armes et aultres
devises es clefs pendens; ce n'est pas leur art et gastent tout, et
le dit maistre le fera bien en faisant gaigner l'argent qu'il a receu.
Madame, je vous supplie veoir bien au long ce que j'ay
rescript à maistre Loys Barangier touchant la nature de Tala-
bastre, et ce que jen seuz, aussy du marché; car pour venir à
la vérité fentendoie que fussiez servie comme princesse et que
la chose passast par les mains de grands ouvriers; jay bien au
long tout escript. Dieu veuille qui soit à vostre gré. Des aultres
ne me chault.
Madame, je prie à nostre Seigneur qui vous doint bonne et
longue vie et le comble de vos désirs.
A Lion, ce iiij* de janvier.
De vostre très humble et très obéissant serviteur,
Jehan Perreal, de Paris,
Votre valet de chambre et peintre indigne.
LETTRE DE MARGUERITE D'AUTRICHE A JEH/VN PERREAL,
DIT DE PARIS*
Madame le nomme contrôleur de l'édifice de Brou, et lui annonce qu'elle va
faire inscrire son fils au rôle des bénéfices du comté de Bourgogne.
Malines, février i5ii.
Marguerite archiducesse d'Austrice, ducesse et contesse de
Bourgoigne, duagière de Savoie.
Très chier et bien aimé, nous avons receu vos lestres et
puisque Jehan Lemaire nous a layssé nous ne voulons avoir aultre
I. Minute en papier^ déposée aux archi- thèque de la Société d'ÉmuLuion de PAin,
ves de Lille et dont copie authentique a été — (Note de l'auteur.)
fournie par nous, en 1847^ à la biblio-
204 RECHERCHES SUR LA VIE
contrerolleur en nostre édiffice de Brou que vous mesmej pour
à quoy entendre vous devrions, nous désirons sçavoir quel marché
Michel Colombe a avec vous, pour le faict de nos sépultures,
et dans quel temps il pourroit avoir parfaict.
Quant à vosire fils, le ferons mectre au roole des bénéfices
de nostre conté de Bourgoigne.
Escrîpt de Malines.... le jour de febvrier XV* XI.
Marguerite.
H
LETTRE DE JEAN DE PARIS A ».
Il se plaint des gens du Conseil de Bourg, qu'il nomme les longues robes. —
11 voudrait n*avoir affaire qu'à M. le secrétaire Barangier. — Éloge de Michel
Colombe. —Envoi des patrons pour les tombeaux de Téglise de Brou.
Blois, 3o mars i5ii.
Mon très honoré seigneur, humblement à vosire bonne grâce
me recommande.
Pour ce que toujours vous ay treuvé entier, et je Tai bien
aperceu à Bourg et m'en suis bien cogneu quant dernièrement
je y fus pour prendre la mesure de Vesglise; car j'eus plus de
peine à assembler ces longues robes ^ de quoy je n'avoie que de
faire mon art. Mais vêla vous n'y estiez pas; et pour ce que je
avise que je rescrips à Madame que se elle veult que bien je
besongne, je ne soie plus en ccste peine. Je vouldroie bien qu'il
vous pleust que je n eusse à faire que à vous, s'il vous plaisoit^
voire se je me mesle de son esglise, et du trésorier Vyonnet ;
car il est bon homme, combien 'je ne puis estre paie de si petit
que Madame me donne qu'il ne vault pas le demander.
Tout cecy vous escrips pour ce que je vous congnois et que
je ne vouldroie avoir affaire que à vous.
Mons', j'ay marchandé se Madame veult Michel Colombe
I . La suscriplion manque ; mais il est probable que la lettre est adresstie à Louis Barangier.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2o5
et son nepveu et pour l'amour de moi^ et espérant que seroy avec
luy, il ne veult aultre marché que celui que feiz avec maistre
Thibault. Or, considérez quel différence il y a autant de plomb
à or; et sy vous dit mieulx que jamais je n'eusse faict le marché
que je fis, synon que je préiandoîe toujours venir à ceste fin ;
car je veoye bien que maistre Thibault ne sçavoit rien, Aussy
vous sçavez comment je lui disoie que je romproie tout sy ne
le feroit bien, et jamaiz je n'eusse besongné avec lui; car il
eust voulu tout fère et derrenièrement je congneuz son cas à
Lyon.
Mons^ tous les patrons sont /ai{ et bien enquesse:{; je le mande
à Madame s'il luy plest de les envoier quérir ; mais il les faul-
dra r envoier à Lyon entre mains et pour cause ^ se Madame
entend que je m* en mesle^ synon elle lespeult gorder. Vous voyrez
ce que je luy rescrips.
Mons% vous voiez la peine que je prends et de bon cuer,
tant en invencions que patrons. Et sur ma foy les derniers pour-
trai:{ ou patrons que fay fai-{^ tant celuy de Tesglise que des
trois aultres^ m'ont dot^né beaucoup de peine; et toujours y va
du mien, tant aux allées que venues et aultres despences. Mais
surtout ce m'est un grand rompement de teste ^ tant pour inventer
que pour faire au gré de Madame qui est le tout.
Mons', vous m*orez recommandé envers Madame. J'ai faict,
faits et feroy le mieulx que pourroy, tant que ma pauvre peau
se pourra estandre; mais aussy que Madame y ait esgard, se
tant et qu'elle se veuUe plus servir de moy. Son bon plaisir
soit faict; car je lui ai esté entier et ay prins autant paine
comme si j'avoye mille escus d'or de pension; maiz amour me
maine et vous k povez congnoistre.
Mons*", il fauldra, comme je le rescrips à Madame, avoir ung
homme au lieu de Maistre Jehan Lemaire qui bien nous faict
faulte pour faire tirer l'albasire de la perrière et à puissance.
Vous feriez bien faire cela, sy vous plaisoit prendre la peine.
Mons^ je ne m'adresse que à vous et ne à quoy aultre, ne
2o6 RE-CHERCHES SUR LA VIE
veulx congnoistre après Madame. Vous advisant que j'ay veu
une lettre, le xxviii® jour de mars, de vous, où Ton charge le
pauvre Jehan Lemaire, mais vous vous montrez son amy quant
Pavez averti. Certes c'est très mal faict. Certes qui n'en voul-
droit autant faire, je ne seroie pas joieux, après avoir bien beson-
gné, estre mors et piqué. Vraiment on verra bien du contraire
quelque jour. Aussy il n'est cuer d'homme qu'il ou vouloist
faire ce que l'on luy impute; et velà que ung faulx raport vault.
Je n'en attends pas moins ung jour, et puis j'auroy bien gaîgné
mon labeur.
Mons^, je remetz tout à Dieu, à Madame et à vous, vous
supliant que j'aye de vos nouvelles avec celles de Madame, s'il
luy plest se servir de moy; synon j'aray patience.
Mons', aultre chose n'y a, fors que la royne est malade d'une
fièvre continue. Dieu luy soit propice. Vous ferés, sy vous
plest, mes très humbles recommandations à Madame et sollicitez
qu'il lui plaisz de me faire sçavoir son intention, afin d'icelluy
exécuter, non plus, fors que Dieu vous ait en sa garde. — A Blois,
xxx«. de mars XV^ XI.
De vostre très humble serviteur et amy,
Jehan Perreal de Paris,
P. d. m. d. (Peintre de Madame).
LETTRE DE JEHAN PERREAL A LOUIS BARANOIER
Lyon, 8 octobre i5ii.
Mon très honoré seigneur, très humblement à vostre bonne
grâce me recommande, vous avisent que ung peu devant l'asump-
cion de nostre Dame en aoust j'ay receu les très gracieuses let-
tres de Madame et ay veu de ce qu'elle escript à messeigneurs
de Bourg et aux aultres, maiz quant aux lettres miennes je suis
tant joieux qu'il plest à Madame se servir de moy et qu'elle
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 207
estime mon très petit sçavoir et s^en veult de tel serviteur
servir K
Mons% je vous averti que je avec maistre Jehan Lemaîre
me suis transporté au dit lieu de Bourg et nous sommes pré-
sentez à mesdits seigneurs et avons mené deux maistres massons,
Henriet et Jehan de Lorraine, et avec ceulx de Brou avons
calculé, spéculé et regardé le lieu tant à basiir que celuy qui est
basti pour les frères, et fismes par cordeaux pour mieulx juger
du tout, maiz considérant le bastiment jà fait qui n'est pas peu,
nous sommes tous d'un accord délibéré de faire une esglise à
iceluy correspondant, considérant plus faire ouvrage de fille d'em-
pereur que pour aultre regard. Sy me suis mis après et ay
fait une plate forme que Mons' Tindiciaire porte, laquelle à por-
portions et mesures par le commandement de géométrie, s'y peu
que j'en ay veu et au moins mal ay fait correspondre l'esglise
au bastiment, comme il est nécessaire. Voiez le, lisez les lettres
dessus escriptes. J'ay envoyé à Madame le compas dont me suis
aidé, par lequel elle peust, comme bien le scet, faire cognoistre
touttes les largeurs, haulteurs, longueurs, tant du tout que des
parties.
Pour ce, Morts', sy vous plest de par vous seray excusé
se masson me blasme^ disent que je suis qu'un paintre. Certes
j'ay veu de théorique es ars mathématiques quelque peu qui fait
assez à propos de mettre en acte, ce que voiez, car vous y trou-
vères des choses plus nouvelles que je ne voiz jamaiz et me
suie totallement, avec le conseil de maistre Jehan Lemaire,
desdié et mis mes petits sçavoirs au regard et à Tœul de tous
pour endurer le faiz. Maiz quand Madame et vous tous Mes-
seigneurs, arez, par bon conseil et meure délibéracion ou seul-
ement avec le vouloir de Madame, ordonné que ainssy se face,
et quant tel honneur me sera escheu que Madame je dois ordonné
à ce, je vous promets ma foy que je feray plus que vous ne
voiez, non pour me avancer ne le dis maiz pour ce que je me
I. Cette lettre fait partie du Cabinet de M. E.-M. Bancel.
2o8 RECHERCHES SUR LA VIE
sens fort et seur, maiz j'entends quant il vous plaîroît de venir
dessà, car avec vous vouldroie communiquer et vivre, et ne voul-
droie point d'homme avec moy moindre de bon vouloir que moy,
et pour ce à vous m'adresse et ne dit cecy synon que je ne
sçay à qui m^adresser, quant je viens à Bourg, et m'en suis bien
aperceu par vostre absence, combien que madame vostre belle
mère et madame vostre bonne femme m'onlt fait honneur de
leurs biens et des vostres, à telles enseignes que j'ay fait des
croions qui n'est que demy couleurs le visaige de madame la
maistresse, vostre femme. Elle cuide que ce scit grant chose,
maiz quelque jour en vostre présence nous ferons mieulx.
A revenir à propos je vous ay bien voulu escripre au long
afin qu'il vous plaise de donner à entendre à Madame que je
ne vouldroie, en telle affaire que l'esglise, point estre garssonné
ne gourmande mai^ avoir autorité à tout le moins de conduire
les choses à la vérité. Je le di pour l'amour de la sépulture de quoy
je suis bien empesché avec Vhomme que scave:{ », et croy que je ne
scajr que je feray, combien que je fai\ faire les patrons de-
puis que pay sceu que Madame veult qu'elle se face, Maistre
Jehan Lemaire vous dira bien la douleur ou trouble en quoy j*en
suis, et pleust à Dieu que je vous dusse faire un ymage d'albastre
ou de painture et je ne fusse que seul. Je ne di plus; une aultre foiz
escriprey à Madame la vérité si je sçay qu'elle se veulle servir de
moy, maiz aussy je vous prie que en se que me pourrez aider
vous me soiez propice et non fors que exécuter l'honneur de
Madame et esviter dommage.
Mons%je vous rescrips non pour vous rompre la teste mai\ pour
vous donner à entendre que se Madame se veult set^ir de moy en
tel cas comme de l'esglise et sépultures, certes il est forcé que
je soie obéy en ce qu'elle veult et ce qui sera de raison^ ou je
ne viveroye pas comme fay acoustumé qui est que toujours fay
aymé science et la perfection d^icelle. Je n'ose dire tout, maiz
avoir la response de Madame touchant l'esglise qui n'est pas
I. Maître Thibault.
ET LHEUVRE DE JEHAN PERREaL 209
petite chose je vous rescripray ou parleray plus à plain. Aussy vous
dira mons' Tindiciaire au vray ma bonne voulenté. Justa illud
difficile est indigenti bene operari^ combien que ce n'est pas
ce qui mainne en tout, maiz c'est de bien commencer, de non
avoir faulx raports et estre obéy en bien faisent. Or je me débas
de la chappe du moyne. Nous verrons que Madame dira, ou celle en
veult oster ou mettre son vouloir soit fait, et je vous supplie
comme en celuy en qui j'ay parfaite fience, m'en rescripre à peu
près sa concepcion. Et encore diray je se mot que je feroye voulen-
tiers le voyage jusques en Flandre ce Karesme, se tant il plai-
soit à Madame pour dire ce que en papier je n'ose penser. Je
ne sçay qu'il en aviendra.
Mons', je vous prie me pardonner, et sur ce vous dis adieu
qu'il vous doint santé et sa grâce.
A Lyon ce (i5ii) viii* de octobre, de vostre très humble
serviteur,
Jehan Perreal de Paris,
P.d. m. '.
S'yl vous plaisoit de sçavoir pour quoy j'ay envoyé ung filz
de XVIII ans que j'ay aux estudes à Dole, c'est pour deux cas,
car il y a ja bonne université, l'autre, car Madame m'en sara gré
et celle que ne nomme, c'est que mon petit argent sera de mesure.
La suscription porte :
a A mon très cher et honoré seigneur mons' le maistre Loys
Barangier, en la court de Madame. »
La pièce est scellée d'un cachet portant l'empreinte d'un camée
antique.
I. Peintrp/^ idame.
27
RECHERCHES SUR LA VIE
LETTRE DE JEHAN LEMAIRE A MARGUERITE D'AUTRICHE
Il lui accuse réception de diverses sommes payées par elle et entre autres
de 142 florins d^or, pour Michel Colombe qui a fait des maquettes en terre
cuite pour Tédifice de Brou. — il l'entretient des talents du statuaire et
des soins qu'il apporte dans rétablissement du patron du tombeau du duc
Philibert le Beau ».
Tours, 22 novembre i5ii.
Très haulte, très excellente princesse et ma très redoublée dame,
le plus humblement que faire puis, à vostre bonne grâce me recom-
mande.
Madame, jai receu deux lettres qu'il a pieu à vostre haultesse
m'escripre; Tune, par mon serviteur auquel de vostre grâce avez
faict donner dix philippus d'or, et l'autre, depuis, par le servi-
teur du maître des postes, par lequel serviteur nommé Gilles
Moreau, lequel a faict grande et féalle diligence de me venir
treuver à Tours et a bien desservi d'estre récompensé. — J'ay
receu la somme de cent quarante-deux florins d'or et xxiv sols
de monnoye. Mais, pardeçà, il y aura perte pour le moins de
V deniers par pièce. Et reviennent les dicts florins, selon la
calculation de par delà, à la somme de II livres de XV gros.
Laquelle somme. Madame, il vous a pieu ordonner pour
contenter maistre Michel Colombe^ tailleur (Tymaiges^ tou-
chant Vouvraige des patrons de vos édifices. Et vous a pieu me
faire cest honneur que de vous fyer de ma petitesse et n'aviez
voulu envoyer aulire contrerolle. Ce que toutes voies j'eusse bien
désiré pour esirc présent à la distribution dudict argent et satis-
faction de vos ouvriers, chacun pour sa ratte^; car vous en avez
par deçà quatre ; c'est assavoir le très bon ouvrier maistre Michel
Colombe et trois de ses nepveux. Le dict Colombe est fort ancien
et pesant : c'est assavoir environ IIIIxx ans, et est goutteux et mala-
dif, à cause des travaulx passez, par quoy il fault que je le gaigne
I. Original en papier, déposé aux archi- 2. Pro rata sua. — Le mot français rate a
\cs de Lille. été remplacé par l'expression prorata.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
par doulceur et longanimité; ce que je fais et feroy jusques à par-
faire. Le bonhomme rajouenisie pour Thonneur de vous, Madame,
et a le cuer à vostre besongne, autant ou plus quMl eust oncques
à aultre. Et quand je pourroy avoir tiré receu de ses mains, je vous
asseure^ Madame^ que vous aure:{ ung des plus grands chiefs
d' œuvre qu'il fit oncques en sa vie; car vous verre\ la sépulture
de feu Monseigneur en toute perfection, comme elle sera. Le gisant
aura ung pié et demjr de longueur, les vertu^ demypié; et toutes les
aultres imaiges à la correspondance; et la massonnerie qui sera
grand chose en toute perfection^ comme se vous la voj'e:{ en grand
volume. Tellement que les ouvriers qui besongneroni après seront
tenus de l'ensuivre à toute righeur, en réduisant le petit pié au grand.
Et vous asseure. Madame, que vous trouverez que je n'auroy pas
mal employé vosire argent, car vous estes servie de cuer de toutes
parts; et certainement Targent est venu à point à mon grand besoing;
car j'estoîs au bout de mon rolle et craignoie beaucop d'avoir
honte et disette, ce que vostre très noble cuer ne pourroit souffrir.
Madame, le bonhomme Colombe demandoit terme jusques à
PasqueSy à cause de la pesanteur de Teuvre et aussi pour Tindispo-
sition de sa personne et du temps ; mais je feroy tant que je réduîroy
le tout à trois mois.
Et cependant, je vous yroy faire la révérence et vous porieroy
de beaux préseniz et bien agréables, au plaisir de Dieu; mais ce
ne sera point que je n'aye veu la besongne en train et donné ordre
qu'elle se parface, et que Vun ou deux des nepveux du dict bon-
homme Colombe, la vous porte par delà, affin que vous l'entendez
par le menu.
Madame, les dicts deux nepveux sont ouvriers en perfection
comme héritiers de leur oncle, Vun en taille dymaigerie. Vautre
en architecture et massonnerie, et ny a gens nulle part, que je
sache, qui mieulx réduisent une besoigne en grand volume que eulx
deux. Et je les ay gaignez.
Touchant vosire albasire, Madame, ce présent porteur en a bieh
mis en euvre et poly en grand volume. Et vous en dira ce qui en
RECHERCHES SUR LA VIE
est. Aussi je vous en porteroy une pièce mise en euvre du bon-
homme Colombe; de vous en escripre plus avant, il sembleroit
que Je le feisse à ma louenge, pour ce que f ay retreuvé la perrière ;
mais tant y a que c^est le plus bel albastre du monde et le plus
approuvé. Ny en Espaigne, ny en Italie, ny en Engleterre, n'en y
a point qui Taproche en bonté, beauté et polissement.
Madame, tout le monde vous bényt et loue, et esmerveille
d'avoir entreprins une si grande euvre, là où une très haulte magna-
nimité se montre et se déclaire. J ay le tout monstre à l'ambassadeur
de l'Empereur, et est le tout parvenu aux oreilles du roy et de la
royne. Et vous asseure, Madame, par le serment que j'ay par trois
fois à vostre haultesse, que on ne Vestime point aultrement que le
plus grand chiefd' euvre qu'ion fera es parties par deçà.
Madame, je prie à nosire Seigneur qu'il vous doint très bonne
vie et longue. — Escript à Tours, le xxii® jour de Novembre
Tan mil V et onze.
Vostre très humble indiciaire, esclave et serf.
Lemaire.
K
LETTRE DE JEHAN PERREAL A MADAME
i»r décembre i5i i '.
Madame, tant et sy très humblement que faire puis à vostre
bonne grâce me recommande.
Madame, j'ay receu une vosire lettre escripte à Bois-le-Duc
dont vous remercie, faisent mencion que vous avez receu la mienne
que vous escrips comme j'avoie esté à Brou et mené les maistres
pour aviser de l'esglise.
Madame, je vous avise que j'ajr fait le patron ou pourtrait
de ladite esglise, et y ay fait tout ce quejay peu inventer et que
j'ay veu partout oiifay esté. Vray est que l'on peult adjousier tout
I. Celte lettre provient de la collection du comte Gilbert Borromce, de Milan.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2i3
ce quMl vous plaira, aussy Tay mis soubs vostre correccion comme
verrez par mes lettres. JTay aussy fait le couvent basti en trois par-
chemyns. Vous plaira avoir le tout à gré. Il y a plus de deux moy
que tout est fait, maiz, comme j'ay peu sçavoir, Jehan Lemaire est
demeuré malade sus les champs, comme Ton m'a dit, // a esté à
Tours vers Michel Colombe pour soliciter les patrons que je fai\
faire de la sépulture et y a esté long temps comme il m'a rescript.
Je croy qu'il est sus les champs pour tirer vers et portera tout.
Madame, je vous ay bien voulu rescripre pour ce que ce pour-
teur est homme seur et aussy que je me tire tousjours vers luy,
car, sans mentir, je Tay trouvé, quant je suis à Bourg, celui qui
plus congnoist mon intencion et congnoist bien que j'ay veu com-
ment tout doit aler. J'ay plus communiqué avec luy que aux aul-
tres. Il vous pourra dire ce qu'il m'en semble. Et comme je vous
ay rescript par Jehan Lemaire, se vous entendez que de vostre
esglise je y ay l'ouel ainssy que m'avez rescript il fauldroit que
j'eusse par vous quelque peu d'auctorité et pour vostre profit, car à
présent je n'y ay pas grant crédit. Ce que f en dis est afin tendent de
bien conduire vo\ affaires^ car ce dis-je pour maistre Thibault
duquel ne puis chevir et ne puis avoir ouvriers tant qu'il y sera^ et
puis il lie scet rien et veult tout faire. Il a receu cent escus et ne
veult bailler argent pour paier les petis patrons que je faiz faire,
maiz les paie de mon argent.
Madame, vous en ferés ce qu'il vous plaira, mai\ avec luy ne
saroie vivre. Je amasse mieulz avoir entreprins tout seul, car
aussy bien fault il que je fasse tout et que je mette les ouvriers
en œuvre et que je les envoyé quérir.
Madame, je prie au benoist filz de Dieu qu'il vous doinl sa
grâce. A Lyon ce premier jour de décembre.
De vostre très humble et obiissant serviteur,
Jehan Perreal de Paris,
Vostre peintre.
La suscripiion porte :
A Madame, Madame Marguerite,
214 RECHERCHES SUR LA VIE
ÉCRIT OU TRAITE
Par lequel Michel Colombe, «tailleur d'imaiges du roi», reconnaît, tant pour
lui que pour Guillaume Regnault, a tailleur dMmaiges», Basticn François,
architecte de Téglise de Saint-Martin de Tours, et François Colombe,
enlumineur, tous trois ses neveux, avoir reçu de Jehan Lemaire, indiciaire
et solliciteur des édifices de Marguerite, duchesse de Bourgogne, la somme
de 94 florins d^or, pour faire, en petit, la sépulture de feu le duc Philibert
de Savoie, mari de ladite dame, selon le dessin de Jehan Perreal, peintre
et valet de chambre du roi. — Michel déclare que Jehan Lemaire lui a
remis une pièce de marbre d'albâtre, dont la carrière a été découverte par
lui à Saint'Lothain-lez-Poligny. — Le dit Michel en a taillé une figure de
sainte Marguerite dont il fait présent à la duchesse.
Tours, 3 décembre i5ii.
Je, Michel Colombe, habitant de Tours et tailleur dymaiges
du roy, nostre sire, tant en mon propre et privé nom, comme
es noms de Guillaume Regnault^ tailleur d'ymaiges, Bastyen
François^ maistre masson de Féglise de Sainct-Martin de Tours,
et François Colombe^ enlumineur, tous trois mes nepveux,
confesse, promect, affirme et certifie en foy de loyal prud'-
homme les choses qui s'ensuivent être véritables, tant pour le
présent et passé, que pour Tadvenir; et ce pour la descliarge
et acquit de Jehan Lemaire, indiciaire et solliciteur des édi-
fices de très haulte et très excellente princesse, Madame Mar-
guerite, archiduchesse d'Austriche et de Bourgoigne, duchesse
douairière de Savoye et contesse palatine de Bourgoigne.
Cest assavoir tout premièrement, je confesse es noms que
dessus, avoir eu et reçeu de ma dicte dame, par les mains de
son dict indiciaire Jehan Lemaire, la somme de quatre vingtz
quatorze florins d'Allemagne, à •vingtz sept solz six deniers
tournois pièce, qui reviennent à la somme de six vingtz huyt
livres treize sols tournois monnoye du Roy, présentement cou-
rante. Et ce pour nos peines, labeurs et salaires de faire la
sépulture en petit volume de feu de bonne mémoire^ Monsei-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2i5
gneur le duc Philibert de Savoye^ mary de la dicte ^dame^
selon le pourtraict et très belle ordonnance faicte de la main
de maisire Jehan Perreal de Paris^ peindre et varlet de
chambre ordinaire du roy^ nostre dict Seigneur; de laquelle
somme de quatre-vingtz quatorze florins d'or d'Allemaîgne
revenans à la dicte somme de six vingtz huyt livres xiii sols,
je me tiens pour content et bien payé et en présence es noms
que dessubs, les dicts Jehan Lemaire, solliciteur pour Madame,
et tous aultres à qui il appartiendra. Et de laquelle sépulture,
je, Michel Colombe, dessubs nommé, feroy de ma propre
manufacture^ sans .que aultre y touche que moy, les patrons
de terre cuitte^ selon la grandeur et volume dont f envoyé à
ma dicte dame deux pourtraict^, l'un en platte forme pour le
gisant, Vaultre en élévation^ faii^ les di:{ patrons de la main
des dicts François Colombe, enlumineur, et Bastyen François^
masson, mes nepveux.
Et le dict Bastyen fera de pierre de taille toute la masson-
nerie servant à la' dicte sépulture en petit volume par vrayz
traictz et mesures, tellement que, en réduisant le petit pié au
grand. Madame pourra veoir toute la sépulture de mon dict
feu Seigneur de Savoy e^ dedans le terme de Pasques, pourvu
que aucun inconvénient ou fortune ne surviengne au dict
Colombe durant le dict temps : et iceulx patrons je prometz
loyaument, à Taide de Dieu, faire pour ung chief d'euvre,
selon la possibilité de mon art et industrie.
Oultre plus, pour ce que le dict solliciteur Jehan Lemaire
nous a affermé que Madame désire d'estre servye en ses édif-
fices de gens meurs, graves, savans, seurs, certains, expéri-
mentez, bien condicionnez, et observans leur promesse comme
bien raison le veult, mesmement de ceulx que je dessubs
nommés, assureroy à ma dicte dame estre telz ; d'icy, et desja
j'asseure et afferme que Guillaume Regnault, tailleur d'ymaiges,
mon nepveu, est souffisant et bien expérimenté pour réduire
en grand volume la taille des ymaiges servant à la dicte
2i6 RECHERCHES SUR LA VIE
sépulture en ensuivant mes patrons, car il ma servy et aidé
Vespace de quarante ans ou environ^ en telle affaire, en toutes
grandes besoignes, petites et moyennes, que par la grâce de
Dieu, j'ay eues en mains jusques aujourd'huy et auroy encoire
et tant quMl plaira à Dieu. Mesmement il nia très bien servy
et aidé en la dernière euvre que j'ay achevée; cest assavoir
la sépulture du duc François de Bretaigne, père de la Roy ne ;
de laquelle sépulture j'envoye ung pourtraict à Madame.
D'aultre part, le dict Baslyen François, gendre de mon
dict nepveu, s'afferme estre souffisant pour exploiter et dresser,
en grand volume, les patrons de la dicte sépulture, quant à
Tart de massonnerie et architecture. Lesquels patrons seront
faictz en petit volume, de sa main propre.
En après les dictz patrons achevez, dedans le terme de
Pasques, dessubs dict, et îceulx estoffés de paincture blanche
et noire, selon ce que la nature du marbre le requiert, par
le dict François Colombe, enlumineur, la taulette de bronce
dorée et les lisières, armes, fourries d'ermines, carnations de
visaiges et des mains, escriptures et toutes aultres choses, à ce
pertinentes fournies, selon que le debvoir le requiert; je des-
soubz' signé prometz envoyer les dictz Guillaume Regnault,
mon nepveu, et Bastyen François, son gendre, porter la dicte
sépulture en petit volume, à Madame, quelque part qu'elle
soit, dedans le terme de la purification de Notre-Dame.
Ensemble l'élévation de la platte forme de son esglise^
mesmement touchant la sépulture des deux princesses^ dont
nous avons les pourtraict:^ et tableaux fait\ de la main de
Jehan de Paris; et aussi le dict Bastyen François portera la
montée de l'élévation da portai et des arcz boutans par
dehors; pour lesquelles choses estre faictes par les dictz Bas-
tyen François, j'ai retenu le double de la platte forme de la
dicte esglise du couvent de Saint-Nicolas de Tolentin lez
Bourg en Bresse, icelle platte-forme faicte et très bien ordon-
née sur le lieu, mesurée de la main de maistre Jehan de
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 217
Paris, avec Vadvis^ en présence de maistre Henriet et maistre
Jehan de Lorraine^ tous deux très grans ouvriers en l'art de
massonnerie.
Et quant les dicts Guillaume et Bastyen, mes nepveux,
auront présenté la dicte sépulture en petit volume à ma dicte
dame, et icelle dressée en sa présence, et déclaré toutes les
circonstances et dépendances d'icelle, s'il plaît à Madame,
j'entreprendroy volontiers la charge et marche d'icelle, faire
réduire en grand volume par le dict Guillaume, tailleur d'y-
maiges, et Bastyen masson. Lesquelz j*envoiroy sur le lieu du
dict couvent lez Bourg en Bresse, avec Jehan de Chartres, mon
disciple et serviteur, lequel m'a servy l'espace de dix huit ou vingt
ans, et maintenant est tailleur d'ymaîges de Madame de Bourbon,
et aussi aultres mes serviteurs dont je respondroy de leur science
et preudomie, et dont je ne penseroy avoir honte ni dommaige.
Et ce, pour autant que à cause de mon aige et pesanteur, je
ne me puis transporter sur le dict lieu personnellement; ce que
aultrement j'eusse faict volontiers pour l'honneur, excellence et
bonté de la dicte très noble princesse.
Et pour ce fère, si le cas advient que Madame soit conseillée
d'exécuter sa bonne intention par le labeur de moi et des
miens, d'icy et desja j'advoue, ratifie et tiens à bons, fermes et
approuvez tous les marchiez que les dictz Guillaume, tailleur
d'ymaîges, et son gendre masson, feront avec ma dicte dame en
mon nom et au leur, touchant la dicte sépulture et aultres
choses concernant nostre art d'ymaigerie et architecture, comme
se moy mesme y estoit présent; et à leur partement leur en
feroy procuration expresse, se besoing est, ce que je fais desjà.
Et affin que le voiage du pays de Flandres encoire incon-
gneu à mes dicts nepveux, leur soit plus seur et plus certain,
est moyenne que Jehan Lemairc nous laisse ou envoie icy ung
solliciteur et guide pour conduire jusques là mes dicts nepveux;
c'est assavoir son nepveu Jehan de Maroilles ou son serviteur
Jehan Poupart. Et avons convenu avec le dict Lemaire, que
28
2i8 RECHERCHES SUR LA VIE
chascun de mes dicts nepveux aura par jour, compté depuis leur
partement de cette cité de Tours, dont je feroy certiflicaiion par
mes lestres jusques à leur retour, la somme de V philîppus d'or,
vallant xxi sols tournois, sauf ce qu'il plaira mieulx tauxer à
Madame et recognoistre leurs labeurs et diligence, comme moy
et les miens avons parfaite confiance en son excellence très re-
nommée, laquelle nous tous désirons servir de bon cœur, s'il lui
vient à plaisir.
Au surplus, le dict Jehan Lemaire nous a apporté une pièce
de marbre d'albasire de Saint Loihain lez Poligny en la conté de
Bourgoigne, dont il a nouvellement descouvert la carrière ou per-
rière, laquelle, comme nous avons entendu par certaine renom-
mée, a autrefois esté en grant bruit et estimation, et en ont esté
faictes, aux chartreux de Dijon, aucune des sépultures de feuz
messeigneurs les ducs de Bourgoigne, mesmement par maistre
Claux et maistre Anthoniet, souverains tailleurs d'ymaiges, dont
je, Michel Coulombe, ay autreffois eu la cognoissance; et à la
requesie du dict Jehan Lemaire, ay taillé, de ma propre main,
ung visaige de sainte Marguerite; et mon nepveu Guillaume Ta
poly et mis en euvre, dont je fais ung petit présent à ma dicte
dame et lui prye qu'il lui plaise de le recevoir en gré.
Certifiant et affirmant que, pourveu que la dicte pierre soit
tirée en bonne saison et les ancyens bancs découvertz avec grand
et ample descombre faict sur le bon endroit, c'est très bon et très
certain marbre d'albastre, très liche et très bien polissable en
toute perfection et ung trésor trouvé au pays de ma dicte dame,
sans aller quérir aultre marbre en Ytalie ny ailleurs; car les aul-
très ne se polissent point si bien et ne gardent point leur blan-
cheur; ains se jaulnissent et ternissent à la longue.
Toutes lesquelles choses dessubs dictes je confesse, prometz,
afferme et certifie estre vrayes et ainsi que dessubs promises,
asseurées et conveniées entre le dict Jehan Lemaire, solliciteur
pour Madame et moy; témoing mon seing manuel cy mis, le
troisième jour de décembre l'an mil cinq cents et onze.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 219
Et pour nostre seurté d'un costé et d'aultre, ay requis à saige
et discret homme Mace Formon, notaire royal et personne publi-
que, cytoien de Tours, soubz scripre et soubz signer avec moy.
Pareillement le dict Jehan Lemaire, notaire impérial et solli-
citeur pour ma dicte Dame, a soubz script et soubz signé, en tes-
moignaige de vérité et soubz les obligacions et soubzmissions
nécessaires d^une part et d'auhre, mesmement de la part du dict
Lemaire, touchant la promesse et assurance du payement du
voiaige de mes dictz nepveux, et entant que en lui est, de adresser
les marchiez à l'honneur et prouffit de ma dicte dame et de moy
son très humble et très obéissant serviteur'.
M. Colombe, — Formon, — Lemaire,
indiciaire, de Belges.
M
LETTRE DE JEHAN LEMAIRE A MARGUERITE D'AUTRICHE
II la remercie de ce qu'elle n*a pas ajouté foi aux calomnies de ses ennemis.
— Après lui avoir parlé des recherches qu'il fait pour rédiger les chroni-
ques de la Maison de Bretagne, suivant le désir de la reine de France, dont
il est devenu l'historiographe, il l'entretient des ouvrages de sculpture
commandés par elle, ainsi que des payements à faire à Michel Colombe et
à ses neveux. — Les patrons ont été achevés par Jehan Perreal, par suite
du décès de Michel et celui de François Colombe.
Blois, 14 mai i3i2.
Très haulie, très excellente princesse et ma très redoubtée
dame, le plus très humblement que faire puis, à vostre bonne
grâce me recommande. Madame ce qui me faict enhardir de vous
escripre, ce sont les lestres de vostre premier secrétaire M' Loys
Barangier, lequel me mande que vostre excellence n'a point
prins mal mes derrenières lettres, dont, Madame, je vous mercie
en toute profonde humilité.
I. Original en parchemin, Chambre des historiques de M. Le Glay, archiviste du
comptes de Lille. — Extrait des Analecles département du Nord, i838.
RECHERCHES SUR LA VIE
Madame, j'estime que vostre haulte vertu a cogneu le con-
traire des faulx rapports qui vous ont esté faicts contre mon inno-
cence. Et cy-après encoires le cognoistrez-vous mieulx, à Taide
de Dieu; car la Royne m'a commandé compiler les croniques de
sa maison de Bretaigne; et pour ce faire m'envoye expressément
par tout le pays de Bretaigne, affîn que je m'enquière, par les
vieilles abayes et maisons antiques, de toute Thistoire britanni-
que, laquelle encoires n'a été mise en lumière entièrement jus-
ques à ores que je Tay entreprinse. En quoi faisant, il est bien
force que de vosire Excellence soit faicte ample mention, dont
je m'acquiieroy à mon pouvoir, comme vray subject, serviteur
et tenu; et je sçay bien qu'il plaira bien à la Royne, laquelle par
vos lestres m'avez commandé bien servir.
Madame, vostre dict premier secrétaire m'escript que, par la
première poste, avez ordonné d'envoyer de V argent à maistre
Jehan de Paris vostre painctre^ auquel fat baillé tout ce que fay
peu recouvrer des patrons faicts de la main du bonhomme maistre
Michel Colombe, Et le dict maistre Jehan de Paris a esto^é
les dicts patrons de couleurs, qui est ung grand chief d'euvre^
comme vous pourra dire ce présent porteur qui les a veuz. Et les
a estoffés le dict de Paris bien volontiers, à cause que François
Colombe^ nepveu du bon maistre^ est allé à Dieu, lequel Fran-
çois Colombe, enlumineur, avoit reçeu de vostre argent dix flo-
rins d'or, par mes mains, pour ce faire. Ainsi vous avez perdu
le dict argent. Mais c'est aumosne de le lui donner après son
trespas; par quoi, Madame, je n'ay pas volu poursuivre sa femme,
ne ses héritiers de fournir et parachever ce qu'ils debvoient faire
pour le trespassé, voyant qu'il y avoit pitié en eulx. Et pour ce.
Madame, il vous plaira avoir regard aux labeurs et diligences du
d. de Paris qui vous sert de bon cuer et accomplit ce dont les
aultres estoient paies, non seulement en ce, mais en toutes aultres
choses.
Madame, quand il vous plaira envoyer de l'argent au dict
maistre Jehan de Paris, je vous supplie qu'il vous plaise ne m'ou-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
blier, touchant ce qui m^est deu, qui est peu de chose au regard
de vostre excellence et beaucoup pour moy.
Et davantaige, Madame, pour aucune récompense de mon
petit service plus honorable que proufitable, je vous faîz très
humble requeste qu'il vous plaise me continuer Tauctoriié que
m'avez donné, par mandement patent, de traire le marbre d'al-
basire qui sera nécessaire, tant pour la fourniture des sépultures
et aultres euvres de vos édiffîces, comme pour ce qu'il s'en pourra
cy-après et prouchainement faire grande traicte en France: car
elle se commence fort à cognoistre, depuis que je Tay descou-
verte; laquelle chose fera honneur à vostre haultesse et me
tournera à quelque proufit sans vostre coustence. Et, Madame,
certes jasoit or que je demourasse au fin fond de Bretaigne, se
ne me sauroie-je passer que une fois Tan, je n'aille veoir vostre
édiffice dont j*ai eu grande sollicitude; et il vous plaira tousjours
me donner cesie audace et licence, car la besoigne n'en vauldra
pas pis.
Madame, je vous envoie xxiiii coupletz que j'ay faictz pour
la convalescence de la Royne; je sçay que ne es verrez pas envis
(avec peine) ^ car vous aimez la dicte dame, et elle, vous. J'en-
tends que vous avez créé ung nouvel indiciaire nommé maistre
Remy Bourguignon '. Toutes et quantes fois qu'il vous plaira
me commander que tout ce que j'ay faict et recueilly, servant au
dict office et à l'honneur de vous. Madame, et de vostre maison
très illustre, je le vous envolerai et lui servira de beaucoup, car
vous ny aultre ne veistes jamais la moitié des choses que j'ai
faictes à l'honneur de vostre Excellence; et se elles ne sont ache-
vées, se sont elles bien pourgeitées; mais es mains d'autre que
vous, Madame, jamais ne les délivreroy. Et s'il vous plaist, par
celui qui viendra quérir les patrons, m'en ferez sçavoir votre
intention.
Madame, en ensuivant les Icstres que derrenièrement je vous
I. Il s'agit ici de Remy du Puys, qui d'historiographe de la princesse,
a succédé à Jehan Lemaire dans l'emploi y
RECHERCHES SUR LA VIE
escrîvis, quand il vous plaira envoyer quérir les dicts patrons,
il me semble que, pour le bien de Teuvre, il seroit bon d^en-
voyer par deçà ung homme bien entendu et qui vous sceut rap-
porter ce qui est de mestier, touchant Teuvre et les marchiez,
tant de bouche comme par escript, et mesmement les intentions
des deux principaulx maistres Michel Coulombe et Jehan de
Paris, avecques ce que j'en ay aj)rins de ma part.
Très haulte, très excellente princesse et ma très redoubtée
dame, je prie au benoist fils de Dieu qu'il vous doint très bonne
vie et longue. — Escript à Bloys, au jardin du roy, le xini®
jour de may Tan mil V* et XII K
Vostre très humble et très obéyssant serviteur,
Lemaire, indiciaire.
N
LETTRE DE JEHAN DE PARIS A MARGUERITE D'AUTRICHE
Détails sur les travaux de statuaire à Brou. — Jehan Perreal craint d'avoir été
desservi auprès de la princesse. — Vœu à Notre-Dame de Hall. — La reine
Anne de Bretagne.
Blois, 20 juillet i5i2.
Madame, tant et sy humblement que faire puis à vostre
bonne grâce me recommande.
Madame. Je croy que vous avez receu la sépulture de pierre
ensemble les ymaiges que vostre varlet de chambre Pierrechon
vous a portées. Ne sçay sy les a rendues entières; mais aultre-
ment m'en déplairoit.
Madame, Michel Colombe faict les dix Vertus comme il a
promis, et dont est paie par les mains de Jehan Lemaire; car du
marchié et paiement ne me suis meslé.
Tai faict V ordonnance et patrons pour faire lesdictes Vertus.
I. Original autographe. — (Chambre des historiques de M. Le Glay, archiviste du
comptes de Lille). — Extrait des Analectes département du Nord, i838.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 223
// est après. Le bon homme est vieil et faict à loisyr^ et nCest
advis que encore sera bienheureux un meschant ouvrier d'avoir
tels patrons. Je ne sqajr se sere\ contente de ce que les ay
ainsy accoustrés, tant blanchy les ymaiges que dore\ et faire
visaiges.
Madame, s^il vous plaisoit me mander et commander que
ainsy fisse les Vertus, et s'il vous plest ainsy le faire, ce me sera
plaisir. Mais je doubte que pour le temps vous estes lasse de Jehan
de Paris^ tant par paroles raportées que aultrement. Mais quant
à moy, je n'ay seulement parlé, mais ay faict et reffaict et au
mieulx que j'ay peu, et feray toutes fois qu'il vous plaira
me commander. — Et suis marri que n'ay faict mon vœu à
N. D. de Haux piessa, et vous eusse veue comme j'avoye
désiré. Ores le temps est trop divers, dont trop desplaist à
tous ceulx qui paix ayment, dont vous estes celle qui bien la
commensates.
Madame, ce porteur Diret a passé à Bloys, de son retour de
Bretaigne, et a parlé à moy. Je dis à la Royne comme il n a
pas faict comme debvoit et qu'il a esté mal recully. La dicte
dame a dici que se elle l'eust sceu, elle y eust mis remède, et
m'a dict que luy die que se on luy faict desplaisir à son retour
vers vous, qu'elle le réparera. Cecy je dis pour ce qu'il est venu
ung homme vesiu d'une robe de camelot noir qui a porté lestre
à la Royne, de par vous et de vostre main signée, qu'il disoit
qu'il lui pleust vendre de ses navires de Bretaigne pour vous et
que en aviez à faire ' .
Madame, la Royne par ledict homme vous faict response.
S'il est vrai ou non, vous le pourrez sçavoir; je l'ay dit à ce
porteur Diret.
Madame, puis que ainsy est que de moy n'ave:ç plus affaire, je
vous supplie au moins qu'il vous plaise me commander et
I. Le passage de cette lettre n'est pas laquelle étaient engagés le père de Mar-
clair, peut-être a-t-il rapport au navire a la guérite» l'empereur Maximilien et le roi
(lordeliare », que la reine Anne fit cons- Henri VIII d'Angleterre contre Louis XII.
truire à ses frais, pendant la guerre dans
224 RECHERCHES SUR LA VIE
mander si je feray les Vertus blanches^ comme le reste que vous
ay envoyé.
Madame, je prie au benoist fils de Dieu qu'il vous doint le
comble de vos nobles désirs, et aux crestîens, paix.
A Bloys, ce xx juillet, — de vostre très humble serviteur et
obéissant varlet peinctre »,
Jehan de Paris.
LETTRE DE JEHAN PERREAL A MARGUERITE D'AUTRICHE
Blois, 17 octobre i5i2.
Madame, tant humblement que faire puis à vostre bonne
grâce me recommande.
Madame, dernièrement par ung vostre serviteur en l'office de
hérault, vous ay rescript et amplement faict sçavoir, comme
j'ay de coustume, du bon vouloir que j'ay eu en vous et que
toujours j'ay pour me emploier à vos affaires de Brou, ou
aultrement quand vous plaira, et désiroy qu'il vous pleust me
commander ou mander comment vous estiez contente de ce
que vous envoyé par Pierrechon, vostre varlet de chambre : c*est de
la sépulture que Michel Colombe avoit faict et que favoie
blanchie^ ainsi que ave\ treuvé. Et de plus grandes choses
vous ai rescript par lui et le hérault, comme de bien commencer
vostre église et bien achever Feuwe et tout plain d'aultres
choses..., *
Madame, je ne puys tenir de vous escripre; car amour
ancien me contrainct, et ce sçavez; mais à présent je cognoy que
vous quérez me rebuter; ce que de vostre part se faict, et de
mon côté ne se fera, combien que maulgré Dieu ne seray, en
•Paradis, bien 'cognoys que de vous... mais comme j'ai piessa
1. Original déposé aux archives de Lille. nule des sciences^ de l'agriculture et des
— (Voir les Mémoires de la Société natio- arts de celte ville, année iH5o).
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL
mandé à M« Loys Barangier, il ne me chault des parleurs et
inventeurs de menteries^ tant pour Jehan Lemaire dont vous pensez
par raport que soie cause....
Je crqy que vous nave:{ plus en moi nul vouloir^ à l'occasion
d'aulcuns raporteurs, comme l'on m'a dit d'ung quidam qui vous a
raporté tant et tant de menteries que tout ne vault rien. Mais un
bien me réconforte que telle et bonne princesse ne ajoustera foy
aux menteurs, cognoissant que de ma vie je ne fis, ne vouldrois
fère que ce que vous avez veu, non pour les biens, mais par
amour et honneur que je vous doy. Et se d'avanture cette mau-
dite guerre est cause de retarder tant de bien, mauldit soit qui
en est cause. A moy n'en est à cognoistre. Mais tant vous dis
que vouldroys estre vin jours avec vous, à vostre plaisir, et je
vous dirois que valent les grans et les petits.
Madame, si tant il vous plaisoit me donner ceste joie que
de me mander que je me déporte de plus vous escripre, et
que ainsi vous plaise, je prendroie patience et maulgré moy; et
me fera mal à jamais d'avoir perdu Tamour de telle dame que
toute ma vye j*ay aymée et que j'aymeray, combien que peu
vous en proufite.
Or, madame, je vous suplie, en Thonneur de Dieu qu'il
vous plaise me mander que je me taise ou que je suis vostre
serviteur, car des biens de ce monde ne me chault
Je prie à Dieu qu'il vous doint santé et longue vie et avoir
en nos jours paix. Vous suppliant que par ce porteur me mandez
vostre bon plaisir.
A Bloy, ce xvn® d'octobre, de vostre très humble et très obéis-
sant serviteur ',
Jehan de Paris, p, d. Af^
I. Original déposé aux archives de Lille Société nationale des se icnceSy de tagricul-
(in extenso). (Voir les Mémoires de la /wre e/ iw ar/5 de celte ville, année i85o),
29
226 RECHERCHES SUR LA VIE
LETTRE DE MARGUERITE D'AUTRICHE A K
Elle annonce la venue de M« Loys van Boghem, à Brou ?
Malines, ... octobre i5i2.
Marguerite, archiduchesse d'Austrice, duchesse et coniesse de
Bourgoingne, douaigière de Savoie, etc.
Chier et bien amé. Nous envoyons ce maistre masson qui est
ung bon et expérimenté maistre et des meilleurs qui soient par .
deçà à Brou\, pour visiter nostre édiffice et nous sqavoir faire
rapport de toutes choses, et s'il vouldra entreprendre la taille de
la pierre qui sera nécessaire^ tant pour lesglise que pour les
sépultures, ainsi que nostre amé et féal conseiller et secrétaire
M® Loys Barangier est à plain adverty. Si désirons que le recueillez
et recepvez bénignement et luy faictes tout le port, faveur et
assistence que bonnement vous sera possible, affin qu'il ayt
ochoison destre tant plus enclin à nous y faire service, et vous
nous ferez plésir. A tant, chier et bien amé, nostre Seigneur soit
garde de vous. Escrîpt à Malines le jour d'octobre
MV«XII.
(Minute en papier.)
LETTRE DE MAITRE LOUIS BARANGIER A MARGUERITE D'AUTRICHE
Visite à Brou par M© Loys van Boghem.
Dôle, novembre i5i2.
Ma très redoubtée dame, très humblement à vostre bonne
grâce me recommande.
Madame, suyvant ce qu'il vous a pleust m'escripre, ay faict
I. Cette minute de lettre, adressée sans est due à Tobligeance de M. Desplan-
doute au gouverneur de Bresse, repose ques, nouvel archiviste du département du
aux archives de Lille. Sa communication Nord.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 227
toute adresse à maistre Lqys, maistre masson, lequel a bien et
au long veu vostre édiffice de Brou\ et la treuve très beau et
bien ordonné, et y ont honneur les massons, comme il m'a dict.
Il a aussi veu la place pour faire Vesglise et treuve qu'il nest
besoing de pillots^ qu'est grand adventaige. Il la reculera bien de
quinze ou vingt piedz loing du dict édiffice, afin de n'empesché
point la vehue du dortoire, aussi pour fère les chappelles et sacres-
lies tant plus belles et grandes, et avec ce en sera la dicte esglise
plus magnifique. Dessubz la dicte sacrestie il pourra fère ung
oratoire pour vous s'il vous plaist.
Et quand à voz chapelles, à la vérité, madame^ selon que
vous Diz A mon partement, H les fera à V opposite du dict édiffice,
et entend d'en fère une qui sera ung chief d'euvre et pourrez
descendre par dessub\ le jubilé (jubé), comme je dysais, en vostre
chapelle, de laquelle pourre:{ voir par dessubs[ vostre sépulture, au
grand haulte (autel), ainsi que le tout a plain le dict maistre Loys
déclairera.
Madame, aulcuns disaient que debvriez fère nouveau maison-
nement pour vous du costé de vostre dicte chapelle. Je ne suis
point de cet advis et me'semble que en avez assez. Combien que
après Tesglise faicte, et avoir veu le tout, pourriez tousjours
ordonné ce qu'il vous plaira. Et surtout, madame, je vous supplie,
quoique Ton vous dye, que toutes aultres choses délaissées, actendu
que lés religieux sont bien leugez, qu'il vous plaise ordonné et
recommandé que Ton ne cesse que vostre dicte esglise ne soit
faicte, laquelle le dict maistre dict, expédiera en cinq années à
Taide de Dieu. Le dict maistre a veu le marbre estant au dict
Brouz, et en a faict Tessay et poly, et le treuve le meilleur du
monde. Il désire d'en avoir trente ou quarante pièces d'une grosse
qu'il m'a montrée, tant pour les sépultures que pour vostre chappelle.
Si vous plaist que Ton en face tirer, en manderez vostre bon
plaisir pour en fère selon icelluy.
Et enfin, madame, d'estre adverty de ce et de la conclusion que
aurez prinse avec ledict maistre masson , aussi pour la compai-
228 RECHERCHES SUR LA VIE
gnie, pour ce aussi qu'il la requis, ay baillé CroUet, présent
porteur, vostre garde des prisons de Bourg, lequel s'il vous plaist,
madame, aurez pour recommandé; car il y a pitié en son cas. Je
lui ai preste Targent pour son voiage.
Madame, monsieur de Montellier trouble vos religieux en la
rente que leur avez achetée, comme entendrez par un mémoire
que vous envoyé. C'est une très bonne rente et en eusse bien eu
sèze cent francs pour trois ans. Il me semble, madame, que Ton
doit parlé à monsieur Daynieries qui est tenu à la garantie, et
recouvrer tous les titres qu'il peut avoir de ceste matière pour les
bailler aux dicts religieux, lesquels tiennent bien maintenant, y
comprins la dicte rente, ix« ou mil florins. Jay treuvé homme qui
en a offert mil florins pour dix ans.
Au surplus, madame, il est nécessaire d'avoir ung contreroleur
à Brouz qui tienne compte et contrerole toutes choses pour vostre
prouffit, actendu que les massons ont faict leur taiche, et que ce
faict est à journée. J'en escrips à monsieur le gouverneur d'ung
qui me semble le fera très bien. Et aussi, madame, de vous parler
de quelque affère pour mon cousin, maistre Guillaume de Boisset,
lequel vous supplie, madame, en toute humilité, avoir pour re-
commandé. Je vous prometz qu'il vous servira bien et loyaulment
s'il vous plaist luy donner quelque estât, et la fera aussi bien
que subgiect que vous aiez, madame. Je ne vous ay jamais fort
travaillé pour mes parents, parquoy, madame, vous supplie l'avoir
pour recommandé, et luy et moy en demeurrons tant plus obligez
à prier Dieu pour vous.
Madame, il vous plaise m'avoir tousjours en vostre bonne souve-
nance, et me mander et commander voz bons plaisirs, et je mectroy
peine les accomplir, moyennant l'aide de Dieu, auquel je prie
que, ma très redoubtée et souveraine dame, vous doint vos désirs
avec très bonne vie et longue.
Escript en vostre ville de Dole, ce jour.... de novembre XV« XII.
Vostre très humble et très obéissant subgiect et serviteur,
LOYS Baîiangier.
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 229
EXTRAIT DES ORDONNANCES DES ROIS DE FRANCE
CONFIRMANT LES STATUTS DE LA CORPORATION DE SAINT-LUC, A LYON,
2 1 DÉCEMBRE Î496
Confirmatio statuorum mînisterii pictorum, statuariorum et
vitrariorum villœ Lugdunensis ' .
Charles VIII, etc., à sçavoir faisons, etc..
Nous, avoir reçeu Thumble supplication de nos bien amez
les maistres et compagnons painires, tailleurs d'ouvrages et voir-
riers de notre bonne ville et cité de Lyon, contenant que par ,
Tavis, conseil et délibération des gens et officiers de la justice
ordinaire de nostre dite ville de Lyon, iceux supplians ont fait,
conclud et advisé entre eux certains statuts, articles et ordonnances
touchant le fait, police et entretènement de leur dit mestier pour
le bien, proffit et utilité dUcelluy et de la chose publique, afin
d'en jouir doresnavant par eux et leurs successeurs sous la con-
frérie du glorieux corps sainct et amy de Dieu Monseigneur
saint Luc, évangéliste. Desquels statuts, articles et ordonnances, la
teneur suit :
I. Premièrement : Que ainsi qu'il est de bonne coutume
anciennement introduite et gardée entre les dits maistres et com-
pagnons des dits métiers de peintres, tailleurs d'images et verriers,
seroit faicte et célébrée tous les ans, le jour et la fête de Mon-
sieur saint Luc, évangéliste, qui se célèbre le dixième du mois
d'octobre en Péglise des Cordeliers à Lyon 2, ladite confrairie en
rhonneur, louange et exaltation du glorieux saint, monsieur saint
1. Ordonnances des rois de France de la elle fut dédiée ensuite à saint François
troisième race, t. XX, p. 570. d'Assise, puis au Sacré-Cœur. Les armoi-
2. La confrérie de Saint-Luc avait pour ries des vitriers de Lyon sont : d*azur à
chapelle, à Saint-Bonaventure, la quatrième l'étoile d'argent accompagnée de trois dia-
au couchant en partant du chœur; elle était mants en losange d'or.
sous le vocable de saint Luc et saint Clair;
23o RECHERCHES SUR LA VIE
Luc, pour rentretènement et augmentation de laquelle seront
tenus et devront lesdits maistres et compagnons desdits mestiers,
choisir, dire et nommer un ou deux desdits mestiers, honnestes
et prud'hommes de bonne renommée, lesquels auront charge et
conduite de ladite confrairie pour une année, et icelle finie, iceux
prud'hommes en mettront autant Tannée suivante, auxquels ren-
dront compte et reliqua du gouvernement d'icelle confrairie,
comme communément se fait en toute confrairie.
2. Item, seront tenus tous les maistres et maistresses compa-
gnons et apprentifs desdicis mestiers de bailler quinze deniers
tournois pour entrer en ladite confrairie de Monsieur saint Luc,
et seront tenus de venir à l'église desdicts Cordeliers le jour de la
fête de Monsieur saint Luc, qui se célèbre comme dessus, pour
illec ouïr la messe en la chapelle fondée à Fhonneur dudit saint
Luc, baillée et délivrée par les gardiens es couvent des Corde-
liers comme dict est auxdits maistres peintres, tailleurs et verriers
pour ce, et leurs dévotions faire et tout ainsy comme est de
bonne et ancienne coutume.
3. Item, seront tenus lesdicts prud'hommes commis comme
dessus à gouverner le papier et avoir le maniement des deniers
de ladite confrairie, soy trouver la veille de ladite feste saint Luc
audit couvent des Cordeliers, à l'heure de vespres et là demeu-
rant jusqu'après lesdits vespres, pour escrire ceux qui se met-
tront de ladite confrairie, et le lendemain seront tenus de soy
trouver en ladite église des Cordeliers, à l'heure de huit heures
ou environ, et là demeureront jusqu'à onze heures dudit jour
pour recevoir et escrire les deniers de ladite confrairie comme
est accoustumé de faire.
4. Item, le dimanche en suivant de ladiste feste saint Luc,
tous lesdits confraires dudit mestier se trouveront tous auxdicts
Cordeliers à huit heures et iront à la procession qui sera en la
manière accoustumée.
5. Item, pour éviter longitude de temps, se feront les chefs-
d'œuvre des maistres desdits mestiers tant peintres, tailleurs que
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 23i
verriers et chacun selon que auxdits mestiers appanient en la ma-
nière qui s'ensuit.
6. Premièrement: pourront être peintres, tailleurs et verriers,
ceux qui de présent sont dessus nommés sans faire aucun chef-
d'œuvre car ils sont assez connus et experts chacun en son art, et
ceux qui dorénavant voudront se faire maistres desdits mestiers
de paintrerie, tailleur ou verrerie et n'ouvreront que celuy que
choisir voudront desdits mestiers et non pas des autres, et ouvre-
ront et seront tenus d'ouvrer aux us et coutumes dudit mestier
duquel auront fait ledit chef-d'œuvre et tout ainsy que cy-dessus,
est, et sera déclaré qu'il le sache faire et pourra, et devra ouvrer
le peintre de toutes bonnes et loyales couleurs, tant sur bois
tailles, murailles, fer, cuivre, plomb, yvoire, soye, cuir, or, argent,
à huile ou détrempe et gomme, en ensuivant lesdits statuts. Qui-
conque est peintre, tailleur ou verrier comme dessus, il peut
avoir des varlets ou apprentifs comme il luy plaira.
7. Item, que nul ne soit reçu auxdits mestiers de peintre, tail-
leur et verrier pour être maistre, jusqu'à ce qu'il ait fait un chef-
d'œuvre tel qu'il lui aura esté ordonné et ainsy que dessous sera
déclaré, ne pourra ne devra ouvrer en cette dite ville de Lyon
comme maistre, ne tenir boutique sans ledit chef-d'œuvre parfaire.
8. Item, le peintre sera tenu de faire chef-d'œuvre en tableau
de bois de deux pieds et demy et de deux de large et non pas
plus petit, mais plustot plus grand, si le compagnon le veut; et
lui bailleront en écrit les maistres jurez l'histoire qu'il devra faire
dedans ledit tableau.
9. Item, ledit compagnon sera tenu acheter et avoir agréa-
ble ce que les maistres luy ordonneront par escrit pour faire
ledit chef-d'œuvre et fera faire son tableau de bon bois, bien
sec et sera encolé et blanchi bien et deument et puis pourtrait et
ébauché de couleur à huile et achevé de bonnes et loyales cou-
leurs, et à la fin bien verny comme l'œuvre le requerra, et sera
tenu ledit compagnon de bailler pour une fois cent sols tournois,
lesquels les cent sols tournois se bailleront pour employer
232 RECHERCHES SUR LA VIE
aux messes de ladite confrairie et divin service à ladite chapelle.
10. Item, et quand ledit tableau ou chef-d'œuvre sera achevé,
demourera à ladite confrairie de Monsieur saint Luc, si le com-
pagnon qui fait Tœuvre ne le veut, et en cas que le compagnon
le vende, baillera ou argent comptant ce que ledit tableau sera
justement et loyalement, selon la valeur de la science d'yceluy,
estimé pour convertir auxdictes messes et confrairies dessus dites,
et sera tenu de faire ledit tableau par l'ordonnance et advis des
maistres dudict mestier de peinture en la maison d'un desdits
maistres sans que nul luy aide en rien, et pourront lesdits mais-
tres jurés voir et visiter ledict chef-d'œuvre ainsy qu'il se fera,
et jusqu'à ce qu'il soit fait, tant de fois qu'il leur plaira et bon
leur semblera, et ne pourra ledit compagnon, durant le temps
qu'il fera son dit chef-d'œuvre, besoigner pour nuls fors pour les-
dits maistres si bon luy semble.
11. Item, sera tenu ledit compagnon son dit chef-d'œuvre re-
çeu, donner un disner auxdits maistres peintres jurés, et lors sera
reçeu pour maistre en ladite ville et cité de Lyon.
12. Item, que nul ne fera table d'ostel ni tableau tant à huile
que à détrempe, que ]e bois ne soit bien sec, bien encollé et les
joints bien ferrez, et s'il le fait à huile, soit fait de fines couleurs
ou loyales. Sans mettre estain doré, et se il le fait de détrempe,
il le peut faire, pourvu que le tableau ou table d'ostel soit dedans
l'église, ou autre part bien à couvert et le peut vernir, il ne doit
mettre nulles couleurs qui se gastent au vernis ou à l'air, comme
croye, rose, azur de clique et autres pour éviter l'abus et fausseté
qui par cy devant a esté faite.
i3. Item, quiconque fera histoire sur toile, ou soye ou drap,
sarge ou cuir à huile, se garde y mettre estaing de quelque cou-
leur que ce soit, car il ne vaudrait rien fors que il peut besoigner,
et se il besoigne à détrempe semblablement ne mettra estaing à
huile ny à détrempe, car c'est fausse besoigne, pourveu qu'il faille
rouler ladite toile à huile sec oripeau, et se garde de ouvrer sur
toile en quelque façon que ce soit que ladite toile ne soit soufti-
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 233
santé bonne et forte, c'est à dire non pourrie, et s'il y a une piesse ou
deux il faut qu'elle soit cousue à point d'aiguille pour éviter l'abus.
14. Item, et quiconque besoignera en clochers ou pinacles
tabernacles sur bois, pierre, fer, plomb ou cuivre, il doit tout faire
d'huile sans y mettre estaing fors qu'il soit assis à huile et doré de
fin or pour éviter les grands abus, car la pluye et Tair gasteraient
ladite besoigne si ainsi n'estoit fait.
i5. Item, que nul peintre ne peigne image de bois vieil pour ce
que ladite image se retrairoit après que seroit peint et pour cela
peinture s'escailleroit et ne dureroit point.
16. Item, que nuls peintres ne commencent à peindre nuls
images de bois quels qu'ils soient n'y en quelque manière que ce
soit jusqu'à ce qu'il ayt esté seiche au four et à soleil à son droit et
visité par lesdits maistres jurez dudit mestier de peintrerie.
17. Item, que nul image de bois quelle ce soit, d'un pied de long
ou audessus, ne soit commencé à peindre jusqu'à ce que les fentes
soient très bien émolus de bois en bonne colle et retaillées après.
18. Item, quand à peindre lesdits images de bois, ils doivent
bien et souffisamment être encollées et les fentes collées et puis
blanchies à leur droit et peintes de fines couleurs, et ce qui devra
estre d'or ou d'argent soit de fin or ou de fin argent brun doré de
tainte, car il est de durée et à l'ordonnance ancienne et accou-
tumée.
19. Item, ne peuvent et ne doivent et ne pourront ne devront
besoigner nuls compagnons dudit mestier de peinture en ladite ville
et cité de Lyon si ce n'est chez un desdits maistres passez et jurez
dudit mestier.
20. Item, le peintre qui peindra tabernacles à tenir corpus
Domini^ ou autres images. S'ils sont dorés, que ce soit de fin or ou
d'argent bruny doré de tainte, car il est de durée et à l'ordonnance
ancienne et accoustumée.
21. Item, lesdits tabernacles seront voirrez comme doivent estre
fermans à la clef, et sera ledit verre assis et anté et enclavé bien et
souffisamment.
234 RECHERCHES SUR LA VIE
22. Item, que nulles tables d'ostels ne seront dorez que de fin or
ou d'argent bruny doré de taîntes et ce qui sera de couleurs sera de
fines couleurs, et qui prendra à peindre vieilles tables ou repeindre
devra comme faire se doit tout la vieille peinture raser jusqu'au
bois et bien remplir les fentes et joints et puis ouvrer et peindre
comme dessus est dit.
23. Item, nul peintre ne prendra à repeindre aucune image de
bois, si le bois est vermoulu et pourry, tellement qu'il ne puisse
tenir clous n'y chevilles s'il en est nécessité.
24. Item, nulle image de pierre ne sera peinte jusqu'à ce que
premièrement ladite image ayt esté veue et visitée par les tailleurs
imagers jurez dudit mesiier, pour sçavoir s'il est bien et deument
fait, et après ladite Visitation faite, s'il est trouvé bien fait, soit bien
et loyalement imprimé et mis de blanc de plomb ce qui appartien-
dra, et ce qui devra cstre d'or soit premier mis de bonne couleur
couvert de fin or et ce qui sera de couleur, soit fait de fines cou-
leurs, et que nul ne mette estaing doré, estaing blanc ou estaing de
couleur sur images de pierre, pour ce que c'est fausse besoigne
sur pierre s'il n'est doré de fin or comme drap d'or mollis et affi-
zauUés.
25. Item, que nulle sépulture de pierre quelle qu'elle soit, soit
en l'église ou ailleurs, ne sera peinte qu'elle ne soit premièrement
imprimée en son droit à huile et peinte de fines couleur et fin or.
26. Item, que nul peintre ne peigne chapelle sur mur en esglise
ou ailleurs qui autrefois ait esté peinte, que s'il y a estaing ou
vieilles couleurs, que tout soit ras avant, car autrement la besoigne
ne serait pas bonne et ne pourroit durer.
27. Item, que nul peintre ne peigne chapelle ny mur en esglise
qui autrefois ait esté peint à détrempe une fois, deux ou trois, que
toutes les couleurs vieilles ne soient rasées tout juste et se garde
d'attacher estaing quel qu'il soit sur mur à ampoix ou à colle, car
c'est chose qui ne peut durer et est fausse besoigne, excepté en
chambre où Ton peut besoigner à détrampe et d'estaing tant doré
que blanc.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 235
28. Item, nul ne besoignera en taffetas teint en graine ou cra-
moisy, blanc ou rouge pour la ville et cité de Lyon, que ce qui sera
d'or, soit de fin or et huile assis tant or que argent, et le résidu soit
fait de fines couleurs à gomme car il est très certain, et qui fera
bannières pour village sur taffetas les pourra faire faire d'or party et
à huile, pourveu toutefois que les marchands faisant faire ledit ou-
vrage, le veuillent ainsy estre faict, et semblablement d'estendarts
et bannières de guerre soit fait de fin or ou argent huillé.
29. Item, nul ne besoignera sur barde neuve fors ou ensuivant
Part et science du taillye ou d'argent bruny teinte et vernis,
30. Item, que nul marchand, ouvrier peintre ou autre ne puisse
vendre en celte ville de Lyon besoigne faite dudit mestier de pein-
trerie hors ladite ville de Lyon, comme tableaux, draps tant sur
toile ou autrement à huile ou à détrempe, jusqu'à ce que la be-
soigne soit par les maisires jurez dudit mestier veue et visitée,
pour ce que l'en apporte souvent et quasi toujours au grand intérêt
et domage des achepteurs d'icelle et deshonneurs des maistres et
ouvriers dudit mestier pour ce que les draps ou toiles sont pourries
et pleines de piesses sans coutures et les tableaux non deument
bien et loyalement faits, qu'ils n'oseroient vendre en leur pays.
Les tailleurs n'estofferont point dans la ville de Lyon, mais ils
pourront bien marchander de toute estoffeure s'ils veulent, pour-
veu qu'ils les facent eux mêmes ou facent faire auxdits maistres
peintres bien et loyalement de bonnes couleurs et pourront tenir
serviteurs peintres pour besoîgner sur les champs s'ils veulent.
3i. Item, lesdits peintres dudit lieu par eux ny par autres ne
tailleront point ny feront tailler d'images ny choses qui appar-
tiennent auxdits tailleurs ymagers et ne tiendront point compagnons
tailleurs d'images en leurs maisons ni ailleurs, pour ce faire, et
pourront lesdits peintres besoigner de peinture de verrerie en-
semble ceux qui ensuivent quand bon leur semblera :
C'est à sçavoir Jehan de Paris, Jehan Blie, Jehan Prévost,
Pierre de la Paix dit d'Aubenas, Dominique du Jardin, Philibert
Besson, Pierre Bouttc, François Rochefort, Jacques de la Forest,
230 RECHERCHES SUR LA VIE
Claude Guynet, maisire Gauthier et Guyaume Bayotte, et s'il sur-
vient dorénavant compagnons peintres ou verriers, seront tenus de
faire leurs chefs d'œuvre de Tun ou de Tautre seulement et de
celuy qu'ils voudront user, et icelluy chef d'œuvre leur sera or-
donné par les maistres jurez dudii mestier et ne pourront besoigner
ne devront en aucune manière, sinon tant seulement de celuy
duquel ils auront fait chef d'œuvre et non des autres.
32. Item, nulle fausse œuvre desdits mestiers ne sera point
brûlée ne arsé pour Thonneur et révérences des saints et saintes
en rhonneur et révérence desquels elles sont faites.
33. Item, que nul ne sera reçu au mestier de tailleur pour esire
maistre et ne pourra et ne devra ouvrer en ladite ville et cité de
Lyon, ny tenir nuls apprentifs jusqu'à ce qu'il ayt fait un des chefs
d'œuvre qui cy après seront déclarés, et sera ledit chef d'œuvre
chez un des maistres dudit mestier tel qu'il le voudra élire, et se
fera ledjt chef d'œuvre aux despens dudit compagnon qui voudra
passer maistre sans que le maistre dudit mestier lui doyve rien
monstrer à le faire en quelque manière que ce soit, et ce sur peine
de cent sols tournois, à appliquer la moitié à Monseigneur le car-
dinal et à son aumosnier et l'autre à ladite confrairie de Mon-
sieur saint Luc, et fera iceluy compagnon l'un des chefs d'œuvre
qui s'ensuivent et celuy que lesdits maistres leur ordonneront.
C'est à scavoir : un Jésu Christ de pierre tout nud monstrant ses
plaies, un petit linge devant luy, ayant les plaies aux mains, costé
et aux pieds, avec une couronne d'espine sur son chef, bonne con-
tenance et piteuse comme il appartient à ladite image, laquelle
image sera de cinq pieds et demy de haut et de bonne mesure selon
la hauteur et tout après le naturel, ou une image de nosire Dame,
tenant son enfant entre ses bras, de hauteur que dessus, bonne
contenance, un maintien bien accoustré, bon drap, bonne pinteure
et tout après le naturel, ou autres images simples de semblable
hauteur, comme sainte Marguerite, sainte Barbe ou sainte Cathe-
rine, ou une histoire de deux pieds et demy de hauteur et trois
pieds de large à huict personnages bien taillés à taille ronde, et
ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 237
sera ladite histoire, une prise de Jésu Christ, ou un portement de
Croix, ou un battement quand il fut chez Caïphe, ou quelqu'autre
histoire de la Passion, ou quand il fut baptisé au fleuve du Jour-
dain par saint Jehan Baptiste, remplis d'anges tenant ses habits, et
le tout bonne contenance et piteuse, et tout a fait comme dessus, ou
une nativité de Jésu Christ donné comme dessus.
34. Item, un autre chef d'œuvre, un saint Georges à cheval,
cinq pieds et demy de haut, tant luy que son cheval, une fille sur
un rocher près de luy, un serpent près de ladite fille faisant conte-
nance de la vouloir engloutir et gaster, Timage dudit saint Georges
faisant aussy bonne contenance et manière de desiruire ledit ser-
pent ou de la lance ou d'espée, et le tout fait comme dessus est dit.
35. Item, quand ledit chef d'œuvre sera achevé, il sera visité
par les maistres dudit mestier, s'il est bien et deuement fait comme
il appartient, et comme il est dit, et s*il est ainsy comme estre doit,
il sera reçu et passé maistre et demeurera ledit chef d'œuvre à ladite
confrairie de Monsieur saint Luc, et si le compagnon qui aura fait
ledit chef d'œuvre le veut acheter ou avoir, on luy livrera pour la
moitié de ce qli'il vaudra, et l'argent qui en sera baillé demourera
à ladite confrairie, et sera tenu et devra ledit compagnon donner
à disner auxdits maistres tailleurs jurez bien et honnestement.
36. Item, que nuls maistres desdits mestiers de peintrerie, tail-
leurs ou verreries ne prendront nuls appreniifs que premièrement
ne baille pour ladite confrairie demie livre de cire.
37. Item, que tous compagnons venant de dehors ne besoigne-
ront point à Lyon du mestier de tailleurs jusqu'à ce qu'ils ayent
payé pour une fois demie livre de cire pour ladite confrairie, et
s'ils n'ont point d'argent, les maistres chez lesquels demoureront
pour lors après un mois que servis les auront et non devant, paye-
ront pour eux si lesdits compagnons gaignent argent, et seront les
premiers deniers allouez sur les gages et salaires desdits compa-
gnons.
38. Item, que nul ne suborne et ne prenne apprentifs ne servi-
teurs l'un à l'autre, un bu plusieurs en quelque manière que ce
238 RECHERCHES SUR LA VIE
soit, si ce n'est par le congé, vouloir et consentement dudit maistre
que ledit appreniif et compagnon aura servy, si ce n'est pour cause
légitime ou l'apprentissage dudit apprentif, et le terme du service
dudit compagnon soit achevé.
39. Iiem, nul imager ne devra et ne pourra tailler images de
bois qui soient d'un pied de long et au dessus, si ce n'est de bon
bois, soit de noyer ou autre bois et non pas de mort bois, ni du
tillier, si ce n'est pour patron faire et non pas pour mettre aux
églises, pour ce que le mort bois est tout pourry et vermoulu, et ne
pourroit endurer ny souffrir estre gratié ne rez pour iceluy peindre
s'il en était besoing, et pourront besoigner en bonne terre, pourveu
qu'elle soit après qu'elle sera taillée, cuite et ce sur peine de perdre
ladite image et de vingt sols tournois à appliquer ladite image à
ladite confrairie et lesdits vingt sols tournois à Monsieur le car-
dinal, et l'autre moitié à ladite confrairie.
40. Item, que nuls tailleurs d'images ne taillent images de bois
trop vert, pour ce que les images se retireront depuis qu'elles seront
peintes, et pour ce que la peinture s'escailleroit et ne dureroit
point, et sur ladite peine de vingt sols à appliquer comme dessus.
41. Item, que nuls images de bois quels qu'ils soient, d'un pied
de long et au dessus, ne soient commencez à peindre jusqu'à ce que
les fentes soient très bien remplies de bois et de bonne colle et
retaillez, et ce sur la peine de vingt sols tournois à appliquer
comme dessus.
42. Item, que nuls imagers ne feront aucuns tabernacles à
mettre corpus Domini, ne autres ouvrages, qui ne soient taillés de
bon bois et sec et par espécial ceux à mettre corpus Domini et
doivent être en voires fermans à clefs, et sera leur voire assis et
enclavé, et bien et souffisamment anté.
43. Item, que nul compagnon imager ne fasse images quelles
quels soient, tendres ou dures, grandes ou petites, qui soient de
presse, si ce n'est couronne ou mitre, ou en quelque chose sem-
blable nécessaire et raisonnable et que ce soit assis à bons gouions
à colle ou à mastre comme il appartient.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 289
44. Item, que nulle image ne soit peinte jusqu'à ce que premiè-
rement ladite image ayt esté veue et visitée par les maistres jurez
dudit mestier pour sçavoir si elle est bien et deument faicte comme
il appartient.
45. Item, que nuls marchands ou ouvriers ne autres ne puissent
vendre à Lyon aucunes images taillées et faites autre part qu'en
ladite ville de Lyon, jusqu'à ce que lesdites images et besoignes
soient visitées desdits maistres et jurez dudit mestier pour sçavoir
si elles sont loyales, car Ton en porte souvent de fausses, et ceux qui
les ponent ne les oseraient vendre en leur pays. Car îcelles images
sont de mort bois et non loyal.
46. Item, le compagnon verrier qui fera son chef d'œuvre sera
tenu de faire deux panneaux en voire contenant chacun huit pieds,
et dedans l'un desdits panneaux sera tenu de faire un mont de Cal-
vaire fait de peinture et jointure et l'autre un trépassement nostre
Dame de peinture et peint et recuit comme il appartient, et autres
histoires telles que les maistres jurez dudit maistre de verrerie or-
donneront, et sera tenu ledit compagnon de faire ledit chef d'œuvre
chez un desdits maistres ou là où bon leur semblera et au despens
dudit compagnon, et fera ledit chef d'œuvre iceluy parfait à ladite
confrairie, et au cas que ledit compagnon le veuille avoir, il l'aura
pour le prix que justement sera estimé, et l'argent qui pour ce en
sera baillé sera délivré à ladite confrairie saint Luc, et en rendant
son dit chef d'œuvre, et s'il veut maistre passer, fera un disner aux
maistres verriers jurez dudit mestier bien et honnestement, et ledit
compagnon sera tenu et devra demourer trois mois complets et sans
interruption chez un desdits maistres verriers jurez, besoignant
dudit mestier, moyennant salaire et payement souffisament s'il le
sçait gaigner, afin que ledit maistre soit informé de la science et
sçavoir dudit compagnon pour en faire le rapport auxdits maistres
jurez et pour mieux connoistre les modes et façon pour mieux ser-
vir les gens de Lyon, sinon qu'il ayt esté apprentif chez un desdits
maistres de ladite ville de Lyon.
47. Item, que nul verrier dudit Lyon ne livrera ny baillera
240 RECHERCHES SUR LA VIE
ouvrage quMl ne soit visité par les jurez dudit mestier, et ne mettra
pièce de verre en œuvres qu^elle ne soit bien mise et recuite, et s'il
faut armoirie sur voire, qu'elle ne soit grisée », et si lesdites armes
sont si difficiles qu'on ne les puisse griser, le fera à sçavoir aux
maistres jurez dudit mestier pour y pourveoir sur ladite peine à
appliquer comme dessus, et s'il advient auxdits peintres, tailleurs et
voiriers chose hastive à faire de leurs arts comme à entrées de
Roys, Roynes, Princes ou Seigneurs spirituels ou temporels ou tous
deux ensemble, où feintes peintures contre pones ou portes de ville,
salles, chambres ou verreries lesquelles choses faudroit faire hasti-
vement comme en une nuict ou plus tôt, dont en ce faisant lesdits
maistres ne peuvent observer lesdits statuts et ordonnances, lesdits
maistres ne seront pour lors repris de ladite besoîgne, neamendables.
48. Item, se gardera de livrer un panneau de verre qu'il ne soit
souldé d'un costé et d'autres, et s'il y a pièce de verre fendu, y
mettra un plomb, et ce sur ladite peine de vingt sols tournois à
appliquer comme dessus.
49. Item, que les compagnons qui voudront passer maistres des-
dits mestiers en ayant regard à un chacun d'iceux mestiers feront
ajourner les maistres du mestier duquel il voudra passer à ladite
cour séculière pour le voir admettre à faire son dit chef d'œuvre tel
que ordonné luy sera, ou à dire causes pourquoi à ce ne sera admis
et fait ledit chef d'œuvre seront tenus lesdits maistres venir en
ladite cour et en jugement faire le rapport d'ycelluy, sil est tel que
dessus est dit et de'claré, et en ce cas ledit rapport estre fait, et ledit
compagnon soit souffisant comme dessus, en faisant le serment tel
comme en tel cas appartient, en jugement ne sera passé maistre et
receu et non autrement.
50. Item, quiconque mesprendra en aucune des choses dessus
dites, soient peintres, tailleurs ou verriers, payera pour la première
fois vingt sols tournois d'amende, et s'il est trouvé de mesprendre
coustumes aux choses dessus dites, ou que en icelles par sa faute se
I. Creusée, c'est-à-dire pincée avec une peintres-vitriers d'alors n'employaient pas
pince tout autour du morceau de verre; les le diamant pour couper le verre.
ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 241
trouve fraude ou malice ou mauvaîsté digne de souvenance contre
l'honneur, iceluy ouvrier sera puny par les officiers ordinaires de
mondit Seigneur le cardinal, selon que le cas le requerra et droit et
raison le voudront, desquelles amendes et chacune d'icelles mondit
Seigneur Tarcevesque pour son aumosne aura la moitié et ladite
confrérie pour l'augmentation et le décorement de ladite chapelle
de Monsieur saint Luc, la moitié de Tautre moitié, et les maistres ju-
rez desdits mestiers qui poursuivront la justice, estre faite des fautes
dessus dites auront Tautre moitié.
5i. Item, un chacun apprentif desdits mestiers de peinture, tail-
lerie d'images et verrerie payera ou son maistre pour lui à son
entrée et réellement baillera pour le luminaire de ladite confrairie
demy livre de cire ou la valeur en argent.
52. Item, toutes femmes veuves relaissées par le trépas de leurs
maris, maistres jurez d'un desdits mestiers de peintrerie, taillerie
d'images ou verrerie, pourra et devra tenir boutique, comme faisoit
feu son mary en son vivant, du mestier duquel comme jurez se
mestoit aux droits, privilèges et prérogatives dessus dites, si ce faire
veut et ce tant qu'elle se gardera de se remarier, et non autrement,
et tout ainsy que sont les veuves des maistres jurez de celte dite
ville de Lyon, les noms desquels maistres et compagnons supplians
les noms et surnoms s'ensuivent : Jehan de Paris, Jehan Prévost,
Jehan Blie, Pierre de La Paix, Dominique du Jardin, Philibert
Besson, Pierre Boutte, François Rochefort, Jehan de Saint Priest,
Nicolas Leclerc, Guyaume Bayotte, Claude Guynet, Jacques de
la Forest, maistre Gauthier et Gonin Navarre.
Lesquels statuts, articles et ordonnances dessus transcrites, les-
dits supplians nous ont très humblement fait supplier et requérir
leur confirmer, ratiffier, louer et approuver et sur ce leur impartir
nostre provision convenable, humblement requerrant icellcs.
Pourquoy, nous, les choses dessus dites considérées et après que
par lesdits officiers de la justice ordinaire de cette ville de Lyon
avons esté deuement avertis lesdits statuts et articles estre bons,
3i
242 RECHERCHES SUR LA VIE
justes et raisonnables pour lé bien, proffit et utilité desdits mestiers
et de la chose publique de ladite ville et cité de Lyon inclinant libç-
rallement à la supplication et requeste desdits supplians, iceux sta-
tuts, articles et ordonnances dessus transcrits avons louez, gréez,
ratifiez et approuvez et par la teneur de ces présentes de notre
grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, louons, gréons,
ratifions, confermons et approuvons, voulons et nous plaist que
iceux supplians et leurs successeurs en jouissent entièrement, plai-
nement et paisiblement et à tousjours, sans que en ce leur soit mis
ou donné ores ne pour le temps à venir ni à Tun d'eux, aucun
trouble, arrest ou empeschement au contraire en quelque manière
que ce soit. Si donnons en mandement au Bailly Sénéchal de Lyon
et à tous nos autres justiciers et officiers quMl appartiendra que de
nos présentes grâce, confirmation, ratification, approbation et de
tous le contenu esdits articles, ils facent, souffrent, et laissent les-
dits supplians, et leurs successeurs jouir et user plainement et pai-
siblement sans leur faire mettre ou donner aucun destourbier ou
empeschement au contraire, et lesdits statuts, articles et ordon-
nances entretiennent et gardent de poinct en poinct selon leur
forme et teneur, ou contraignant ou faisant contraindre à ce faire
et souffrir tous ceux qu'il appaniendra, et qui pour ce seront à
contraindre par toutes voies et manières deues et raisonnables et en
tel cas requises. Car ainsy nous plaist il estre fait, et afin que ce soit
chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre Scel à
ces présentes, sauf en autres choses nostre droit et Tautruy en toutes.
Donné à Lyon au mois de décembre (21) Tan de grâce mil
quatre cent quatre-vingt-seize et de nos règnes de France le
XIIII', et de Sicile et Jérusalem le second. Ainsy signé par le Roy,
maistre Pierre Cohardi, conseiller et advocat du Roy en sa cour
de parlement à Paris et autres; présents Giraut... Visa... Con-
tentor... Bude...
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TABLE DES GRAVURES
i
Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne Frontisp.
Médaille offerte à Louis XII et à Anne de Bretagne par la ville de
Lyon, en 1499 4^
Tombeau de François II et de Marguerite de Foix. Vue générale. . 52
La Force, statue du tombeau de François II 58
Tombeau de François II, duc de Bretagne, et de Marguerite de
Foix (côté droit) 64
Tombeau de Philibert le Beau, duc de Savoie, à Brou 88
Portrait de Philippe le Beau, d'après les vitraux de Brou 94
— de Marguerite d'Autriche. — — .... 100
Le couronnement de la Vierge. — — .... 104
Préparatifs de départ de Tarmée française iio
La République de Gênes tient conseil avec la Noblesse , la Bour-
geoisie et le Peuple 114
Les Génois révoltés prennent le petit château 116
Louis XFI marche contre les Génois 120
Entrée triomphale du roi Louis XII dans la ville de Gênes. . . . 124
Tristesse de la Ville de Gênes i3o
Soumission de la Ville de Gênes i32
Bataille d'Agnadel 126
Louis XII dicte une lettre à son secrétaire Jehan Lemaire 134
t
244 TABLE DES GRAVURES
La reine Anne remet à un messager une lettre pour le roi Louis XII. 1 36
Portrait de Marie d'Angleterre i38
Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, le roi et la reine
vus de face 1 48
Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, à Saint-Denis. . . 1 52
Clef de voûte de la chapelle de la Vierge , église de Brou io3
Fac-similé d'une lettre écrite par Jehan Perreal 242
TABLE DES MATIÈRES
Préface.
INTRODUCTION
Considérations générales sur Pétat de la France à la fin du quinzième siècle
au point de vue des arts, leur développement précoce dans la ville de Ljon
et sur les bords du Rhône 3
CHAPITRE PREMIER
PREMIÈRES ANNÉES DE JEHAN PERREAL
(i483-i5oo)
Jehan Perreal prépare la joyeuse entrée de Charles VIII à Lyon et accom-
pagne le roi à Paris. — Sa vie à la cour. — Anecdote racontée par la reine
Marguerite de Navarre. — Les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de
Bretagne j premier tableau de sa main qu'on ait retrouvé. — Nécessité de
rechercher ses œuvres. — Il organise l'entrée solennelle de la reine à Lyon.
— Charles VIII emmène J. Perreal à Naples. — Lettre du roi, datée de
Verceil, 1495, aux conseillers de Lyon pour faire exempter de toutes tailles
J. Perreal. — Séjour de J. Perreal en Italie. — A son retour, il modifie sa
manière. — Sous l'influence de J. Perreal le roi approuve les statuts des
peintres, verriers et tailleurs d'images de Lyon. — J. Perreal est porté, en
1498, sur l'état des officiers de la couronne comme peintre et valet de cham-
bre du roi. — Mort du roi Charles VIII. — Première entrée du roi Louis XII
à Lyon, en 1*499. •'• Perreal en dirige les fêtes. — En i5oo, il accompagne le
roi en Italie 1 5
246 TABLE DES MATIERES
CHAPITRE II
I" PÉRIODE DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE
NANTES ET BROU (i502-l5l2)
Anne de Bretagne demande à J. Perreal le modèle d'un tombeau pour son
père, François II, et charge le sculpteur Michel Colombe de Texécution, i5o2.
— Description du monument. — Son importance pour l'histoire de l'art
français. — Mort de Philibert le Beau, duc de Savoie, en 1504. — Marguerite
d'Autriche charge J. Perreal de lui faire le plan d'une église pour abriter ses
restes et les siens. — En i5io, elle le nomme son peintre et valet de chambre.
— Traité du sculpteur Michel Colombe pour l'exécution, à Brou, du tombeau
selon l'ordonnance de J. Perreal. — Sa brouille avec la princesse, qui charge
en 1 5 12 le maître maçon L. van Boghen de la construction et Conrad Meyt
des travaux de sculpture. — Description des trois tombeaux de Brou. —
Statuettes admirablement sculptées par des artistes lyonnais. — Leur impor-
tance pour ^histoire de l'art national. — Vitraux de la plus grande beauté
peints dans l'église de Brou 5x
CHAPITRE III
GUERRES D'ITALIE
(1507-1529)
Jehan Perreal accompagne le roi Louis XII dans son expédition contre
Gênes, iSoy. — Description des tableaux de cette campagne peints par
J. Perreal, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale. — En iSog,
Louis XII traverse de nouveau Lyon, où il laisse la reine; J. Perreal l'accom-
pagne dans cette campagne contre les Vénitiens. — Lettre de J. Lemaire
à messire Thomassin, à propos des peintures de J. Perreal, représentant
les batailles et les sièges de cette campagne. — Haute position de J. Perreal à
la cour. — En i5i2, nouvelle expédition contre les Vénitiens, ligués avec le
pape Jules II. — Manuscrit de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg,
contenant la correspondance du roi et de la reine, ornée de miniatures de la
main de J. Perreal. — Maladie et mort de la reine Anne. — J. Perreal dirige
les funérailles. — Projet de mariage de Louis XII avec la sœur d'Henri VIII
d'Angleterre. J. Perreal va à Londres, chargé de faire le portrait de la prin-
cesse. — Mort du roi Louis XII. — J. Perreal exécute l'image du défunt et
TABLE DES MATIERES 247
dirige ses funérailles. — Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne. —
Description de ce monument. — J. Perreal figure encore en i523 sur Tétat
des officiers de la cour, comme peintre et valet de chambre de François 1er.
— Geoffroy Tory publie en 1329 un dessin de sa main. — Mort de J. Perreal
arrivée peu de temps après " 109
CHAPITRE IV
NOTES SUR LA FAMILLE
ET QUELQUES-UNS DES ÉLEVÉS DE JEHAN PERREAL
Claude Perreal, son père, était valet de chambre du roi Louis XI. — Protégé
par Marguerite d'Autriche, son fils fut admis à Tuniversité de Dôle. — Ses
deux filles tinrent probablement le crayon dès leur enfance. — Éprises du
talent de leur père, elles obtinrent par leurs ouvrages une brillante réputa-
tion. — L'illustre Geoffroy Tory fut initié par Jehan Perreal dans Part du
dessin, ainsi que Bernard Salomon. — Portrait de Renée de France, par
L. Corneille, de Lyon, qui fut son plus brillant élève. — Anecdote racontée
par Brantôme à propos d'une visite que lui fit à Lyon la reine Catherine
de Médicis. — Jehan Clouet succéda à Jehan Perreal dans ses charges à la
cour, en i523 ibj
CONCLUSION
Amoureux du beau et du naturel, Jehan Perreal transforma trois fois son
style. — Ce qui donne à sa dernière transformation une puissante originalité,
c'est qu'elle a toutes les qualités de la peinture d'histoire, sans aucun vestige
d'influence flamande ou italienne. — Protégés par la cour, sous le règne du
roi Louis XII, les artistes français furent nombreux. — Négligés par les histo-
riens, ils ont disparu sans laisser leurs noms. — Ainsi que le triptyque de
la cathédrale d'Aix, peint par Nicolas Froment, d'Avignon, en 1475, leurs
œuvres furent et sont le plus souvent attribuées à des peintres flamands. —
Plus qu'aucun autre. Part français a besoin de nouvelles et profondes études,
pour éclairer et rectifier son histoire 169
SUPPLÉMENT
Jehan Perreal, auteur présumé du roman de Jehan de Paris 173
248 TABLE DES MATIERES
DOCUMENTS HISTORIQUES
A. — Frère Claude à Marguerite d'Autriche i8i
B. — Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche i8i
C. — Extrait d'un registre aux ordonnances et mandements de Margue*
rite d'Autriche i83
D. — Lemaire de Belges à Madame Marguerite d'Autriche 184
E. — Jehan Perreal à Louis Barangier, à Bourg 192
F. — Jehan Perreal à Madame Marguerite d'Autriche 201
G. — Marguerite d'Autriche à Jehan Perreal, dit de Paris 2o3
H. — Lettre de Jean de Paris à X... (probablement à Louis Barangier). 204
J. — Jehan Perreal à Louis Barangier 206
L — Jehan Lemaire à Marguerite d'Autriche 210
K. — Jehan Perreal à Madame 212
L. — Écrit ou traité 214
M. — Jehan Lemaire à Marguerite d'Autriche 219
N. — Jehan de Paris à Marguerite d'Autriche 222
O. — Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche 224
P. — Marguerite d'Autriche à X... (probablement au gouverneur de
Bresse) 226
Q. — Maître Louis Barangier à Marguerite d'Autriche 226
Extrait des ordonnances des rois de France confirmant les statuts de
la corporation de Saint-Luc, à Lyon, 21 décembre 1496 229
Table des gravures 243
FIN
3 2044 034 792 820
This book should be retumed to
''he Library on or bef ore the last date
•^pcd below.
>^ oSA^nSfRfB a day is incurred
nr 't bejfond Uic speciF*
romptly.