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Full text of "Jehan Perréal dit Jehan de Paris: peintre et valet de chambre des rois ..."

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TRANSFERRED TO 
fINE ARTS UBRARY 



'PJUL JOSEPH SACHS 




HARVARD 
COLLEGE 
LIBRARY 




JEHAN PERREAL 



PEINTRE ET VALET DE CHAMBRE 



r>ES ROIS 



CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS I 



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JEHAN PERREAL 



jvstjficq^tioc^ rov ti'Kqage 

IL A ÉTÉ FAIT DE CE VOLUME 
UN TIRAGE A CENT-VINGT EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS 



COLLABORATEURS 



Les gravures sur bois 

SONT DE MM. PANNEMAKER PERE ET FILS 

Les chromolithographies 

ONT ÉTÉ TIRÉES PAR LA MAISON ENGELMANN 
<^ 

Les dessins à la plume exécutés par M. Gout^willer 

ONT ÉTÉ GRAVÉS PAR LA MAISON GILLOT 

La planche en taille-douce 

EST DUE AU BURIN DE M. DUBOUCHET 

L'impression typographique 

A ÉTÉ ENTIÈREMENT FAITE A LA PRESSE A BRAS 
PAR LES SOINS DE MM. PILLET ET DUMOULIN 



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r.ÇAlL.LES DE CHARLES Vlll ET DANNE DE BRETAGNE 



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JEHAN DE PARIS 

PEINTRE ET VALET DE CHAMBRE 

DES ROIS 



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CHARLES VIII, LOUIS XII ET FRANÇOIS r 

TIECHETICHES 

SUR SA VIE ET SON CEUVRE 
PAR 

E.-M. BANCEL 

OUVRAGE ORNÉ DE NOMBREUSES ORAVURES 

ET d'une lettre DE J. PERREAL EN FAC-SIMILÉ 




PARIS 

LIBRAIRIE ARTISTIQUE. H. LAUNETTE, ÉDITEUR 

22, RUE DE VAUGIRARD, 22 
l885 






HARVARD 

UNIVERSITY 

UBRARY 



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AVIS AU LECTEUR 



L'admiration que nous avons constamment éprouvée 
pour ce charmant tableau, l'ouvrage sans contredit le 
plus remarquable que l'on connaisse de la peinture 
française au quinzième siècle, nous a toujours préoccupé 
au point de vue de son sort après nous. 

Étant le seul tableau qui existe de la main de notre 
éminent compatriote, Jehan Perreal, dit Jehan de 
Paris, sur qui a pesé l'oubli pendant plus de trois 
siècles, nous avons pensé qu'il ne devait plus rester 
dans les mains d'un particulier et que sa place était 
désormais dans un musée, afin d'en assurer la conser- 
vation et de le faire connaître en même temps au 
public; car, quelque importante que soit la découverte 
de cette œuvre précieuse, ce serait peu de chose pour 
la célébrité de son auteur, si le public n'était pas 
mis à même de l'apprécier; être connu seulement par 

a 



II AVIS AU LECTEUR 



quelques amateurs, n'est-ce pas l'obscurité pour un 
artiste ? 

Dans ce but, nous avons eu l'honneur de le pro- 
poser à M. le directeur des Musées nationaux du 
Louvre, qui a accueilli avec bienveillance cette com- 
munication, ainsi qu'il suit : 

Monsieur, 

J'ai rhonneur de vous faire connaître que la Commission 
consultative des Musées nationaux accepte avec reconnaissance, 
pour ce qui la regarde, c'est-à-dire pour le premier article, concer- 
nant Finaliénabilité et l'exposition dans le grand salon du Louvre, 
ces conditions ae votre précieux don, et qu'elle me charge de vous 
transmettre tous ses remerciements pour cette œuvre généreuse. 

Quant au second article, concernant la gravure de votre tableau, 
vous vous êtes entendu sur ce point avec M. le directeur des 
Beaux-Arts, à qui il appartient d'en faire la commande; j'aurai 
l'honneur de soumettre à sa ratification la convention présente 
arrêtée avec vous; il pourra donner alors son approbation au 
second comme au premier article et accepter ainsi, au nom de 
M. le ministre des Beaux- Arts, l'ensemble de vos conditions. 

Veuillez agréer, Monsieur, avec les remerciements de l'Admi- 
nistration des Musées nationaux que j'ai commission de vous 
transmettre, l'expression de ma gratitude personnelle pour votre 
beau présent, et permettez-moi d'y joindre les assurances de mes 
sentiments distingués et dévoués. 

Le directeur des Musées nationaux et de PLcoIe du Louvre. 
Signé : H. de Ronchaud. 



AVIS AU LECTEUR III 



Monsieur, 

Je viens de prendre connaissance de la lettre ci-dessus qui vous 
est adressée par M. le directeur des Musées nationaux, et je suis 
prêta soumettre à M. le ministre de l'Instruction publique et des 
Beaux-Arts, afin qu'il les approuve, les conditions auxquelles vous 
voulez bien donner gratuitement au Louvre votre beau tableau 
de Perreal. 

Veuillez agréer, Monsieur, avec mes remerciements, l'assurance 
de ma considération la plus distinguée. 

Signé : A. Kaempfen. 



PRÉFACE 



UNE bonne fortune a mis dans nos mains un pré- 
cieux et charmant tableau, peint en 1491 y qui 
représente les fiançailles du roi Charles VIII avec 
Anne de Bretagne, 

Le sentiment très vif que nous a inspiré cette peinture 
de premier ordre nous a amené à faire des recherches 
profondes sur la vie et l'œuvre de son auteur : Jehan 
Perrealj dit Jehan de Paris ^^peintre ordinaire et valet 
de chambre des rois Charles VIII y Louis XII et 
François r\ dont on ne connaissait pas un tableau^ 
pas un dessin, pas une miniature, avant la découverte 
de cette œuvre. 

Nous avons pensé que la publication de ces recher- 
ches et l'indication des sources où elles ont été puisées 
auraient^ malgré leurs imperfections^ quelque utilité et 
pourraient intéresser les amateurs. Nous avons jugé 
aussi que la reproduction fidèle de quelques peintures 
de la main de Jehan Perreal, faite avec toute la per- 
fection et l'exactitude possibles, ne serait pas sans profit 



PREFACE 



pour faire connaître la beauté et le sentiment tout français 
qui distinguent son œuvre et celle de son école. 

Nos recherches ne sont pas complètes, car nous 
savons, par les écrits de son ami Jean Lemaire, histo- 
riographe de la reine Anne, que son œuvre est asse{ 
nombreuse; nous croyons qu'une grande partie existe 
encore, cachée probablement sous ' de faux noms ou 
dépourvue d'état civil, mais nous espérons que des mains 
plus exercées et plus jeunes que les nôtres pourront 
achever cet intéressant travail d'investigations, qui est 
appelé à rendre un service signalé à toutes les per- 
sonnes que l'histoire des précurseurs de la peinture 
française préoccupe et intéresse vivement, et remettre en 
pleine lumière notre éminent artiste, peintre, architecte 
et ingénieur savant, laissé dans un injuste et inexpli- 
cable oubli depuis plus de trois siècles. Le premier 
devoir d'une nation n est-il pas d'honorer les hommes 
qui font sa gloire et qui la rendent grande dans l'his- 
toire? 



INTRODUCTION 



AU milieu du quinzième siècle, siècle des ducs de 
Bourgogne et du roi Louis XI, il y avait en 
France et dans les Flandres une grande opulence, 
mais peu de luxe personnel. 

Le règne de Louis XI avait été non seulement 
remarquable par les grandes choses faites pour Tunité 
française, mais encore par le mouvement général 
d'amélioration intérieure. A sa mort, le progrès était 
partout, dans la bonne administration donnée à la 
législation, à l'administration et aux finances; depuis 
le règne de saint Louis, la France n'avait été aussi 
tranquille, la protection accordée aux petits contre les 
grands, aux laboureurs contre les gens de guerre, 
portait des fruits merveilleux, le produit des terres 
augmentait dans une proportion considérable*; l'in- 
dustrie, le commerce, la marine marchande protégée, 
n'avaient pas un moindre élan. 

I. Un écrivain contemporain du royaume avait été remis en cul- 
(Claude Seyssel) assure qu'un tiers turedanscestrentedernicresannées. 



INTRODUCTION 



Le luxe des bâtiments, des meubles, signalait Tessor 
des arts et de la richesse publique. 

La fermentation dans les intelligences était uni- 
verselle; la vanité, la religion, l'amour du beau, por- 
taient les classes riches à montrer leurs richesses, et 
la manière de faire preuve de ses richesses était 
pour les uns dp faire construire d'immenses châ- 
teaux, de somptueuses habitations; pour les autres, de 
bâtir des églises; d'autres consacraient des sommes 
considérables à se faire élever des tombeaux magni- 
fiques. 

Par là, cette fin du quinzième siècle fut peut-être 
la plus brillante en France par l'architecture et la 
sculpture. 

Ce fut la sculpture qui parut d'abord de bon goût 
pour orner les églises avec magnificence; le goût de 
les orner de peintures ne vint que plus tard. 

Au milieu de cette mode pour les statues, la pein- 
ture fut un peu négligée en France; les manuscrits 
seuls occupèrent plus longtemps qu'ailleurs les artistes 
de talent. 

Du reste, la plupart des sculpteurs célèbres qui 
parurent en France, comme en Italie, ceci est à 
remarquer, se trouvaient en état d'imiter la nature 
presque avec une facilité égale, soit qu'ils employassent 
le marbre, soit qu'ils employassent les couleurs; presque 



INTRODUCTION 



tous étaient, en outre, architectes, et réunissaient ainsi 
ces trois arts faits pour charmer les yeux. 

Les demandes firent naître les talents. C'est ainsi 
qu'à la voix du public, qui demandait des statues, on 
vit apparaître à cette époque en France, presque en 
même temps, Michel Colombe, Guillaume Regnault, 
Conrard Mayt et son frère Thomas, Jehan de Chartres, 
les deux frères Juste, etc.; leurs ouvrages semblent 
parfois atteindre la perfection. 

La découverte de la peinture à l'huile, à peine connue 
en 1450, commença à se répandre vers 1465, protégée 
par les ducs de Bourgogne; elle pénétra au cœur de 
la France, et la Bourgogne, le Lyonnais, la Pro- 
vence, dit M. Auguste de Bastard, subirent l'influence 
de l'école flamande, qui s'implanta d'autant plus faci- 
lement en France, il faut le dire, qu'il y avait beau- 
coup d'affinité entre l'idéal de cette école et celle des 
peintres français; il en est malheureusement résulté 
que plus d'un chef-d'œuvre français a été et est encore 
attribué à d'illustres maîtres flamands, dont on a 
augmenté le bagage d'ouvrages assurément dignes 
d'eux^ mais que l'étude permettra de restituer à leur 
véritable auteur. 

Vers répoque où la Flandre possédait deux peintres 
célèbres, J. van Eyck et J. Memling, qu'elle procla- 
mait sans hésiter comme les premiers artistes de leur 



INTRODUCTION 



âge, la France avait elle-même deux peintres illustres, 
Jehan Fouquet* et Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, 
qui pouvaient être considérés comme les types les plus 
purs dans lesquels s'est résumé Fart français au quin- 
zième siècle, et la plus haute manifestation de notre 
art national à cette époque. 

Le premier^ que M. Auguste de Bastard, dont 
les jugements ont une grande autorité, n'a pas craint 
de mettre, eu égard au siècle, sur le même pied que 
Léonard de Vinci; et le second, que Jehan Lemaire 
de Belges, dans son poème sur la mort de Louis 
de Luxembourg, publié à Lyon en i5o3, sous le titre 
de la Plainte du Désiré, a placé au même rang que 
Léonard de Vinci, Bellini et Pérugin, ainsi qu'on le 
voit dans cet extrait : 

Besoignez doncq, mes alumncs modernes, 
Mes beaux enfants nourris de ma mamelle, 
Toy, Léonart, qui a grâces supernes. 
Gentil Bellin, dont les los sont cternes, 
Et Perusin, qui si bien couleurs mesle, 
El toi Jehan Hay, ta noble main chomme elle, 
Viens voir nature avec Jehan de Paris, 
Pour lui donner umbraige et esperiiz. 

Dans cette pièce de vers, Lemaire de Belges place 

1. Fouquel n'a peint qu'à tem- peinture à l'huile. Quoi qu'il en 
pera (à la détrempe); on ne con- soit, sa réputation est fondée sur 
naît pas de lui, que je sache, une ses magnifiques miniatures. 



INTRODUCTION 



J. Perreal parmi les cinq plus grands peintres du 
temps. La sûreté du goût du poète, que les siècles 
suivants ont confirmée, est un fait curieux à remarquer, 
parce qu'il nous amène à penser que Jehan Perreal 
avait produit avant i5o3 un certain nombre de por- 
traits et de tableaux extrêmement remarquables; que 
sont-ils devenus? 

A cette époque, Paris n'était point, comme aujour- 
d'hui, un centre absorbant; plusieurs villes avaient des 
écoles rivalisant et surpassant celle de .Paris ; celle de 
Tours, ainsi que celle de Lyon, entre autres, s'atta- 
chaient à copier exactement la nature surtout dans la 
tète, dont la vivacité surprend encore; on y appelait 
beau ce qui était fidèlement exact. 

Cette passion de l'imitation de la nature et le soin 
extrême des détails étaient imposés aux artistes par 
un goût particulier de ce temps-là; ainsi Louis XI 
songea pendant plusieurs années à laisser sur sa 
tombe le souvenir vivant de sa dépouille mortelle; en 
1474, il demande, dit M de Laborde, à Fouquet, 
le plus habile peintre, et à Michel Colombe, le plus 
célèbre sculpteur, des modèles et des projets de tombe 
«à sa pourtraiture et semblance»; peu satisfait de ce 
qu'on lui soumet, il s'adresse, vers 1482, à maître 
Colin d'Amiens, peintre renommé dans ce temps; ce 
prince si avare prodigua l'argent pour obtenir une 



INTRODUCTION 



reproduction fidèle de sa pose à genoux « sur un car- 
reaul » ; il lui fallait « son chien costé de luy, son chap- 
peault entre ses mains jointes, son espée à son costé »; 
je passe bien d'autres recommandations, par exemple 
de faire « les pouces tout droicts » ; elles tendaient 
toutes à obtenir un véritable portrait. 

Sans aller aussi loin dans la servilité de l'imitation, 
cette préoccupation de la ressemblance naïve de la 
nature subsista longtemps encore, malgré la décadence 
qui commençait à frapper, vers l'année 1 5oo, dans les 
Pays-Bas mêmes, cette école créée au commencement 
du quinzième siècle par les frères Van Eyck, chez 
quelques artistes français qui plaçaient le soin des 
détails et le fini de l'exécution au premier rang des 
devoirs des peintres. 

Quant à Perreal, à son retour d'Italie, où il avait 
suivi les rois Charles VIII et Louis XII pendant les 
trois expéditions de 1494, 1499 ^^ i5oi, époque de 
l'épanouissement de l'art italien, il se montra attiré, 
par un sentiment irrésistible, à la vue de l'élégance 
antique, à modifier sa manière en conciliant ses études 
primitives avec ses études nouvelles. 

Les tableaux de cette ancienne école française sont 
de la plus grande rareté; le Louvre ne possède guère 
qu'un de ces vieux témoins de notre art du quinzième 
siècle, celui de la famille Juvénal des Ursins. Elle est 



INTRODUCTION 



cependant plus riche qu'on ne le pense généralement, 
les comptes du roi René viennent de nous en donner 
une preuve. 

L'ancienneté de ces peintures a été sans doute leur 
sauvegarde, ainsi que le parfait dédain que la société 
française, enchantée par les grands génies du seizième 
siècle, a professé pour ce que Ton appelait la pro- 
duction de Tart dans son enfance, à tel point que peu 
à peu, sans que Ton sache pourquoi et comment, on 
a supprimé même le souvenir des artistes. 

A aucune époque de son histoire, la ville de Lyon 
n'avait joui d'une aussi grande prospérité qu'à la fin 
du quinzième siècle; l'encouragement donné à son 
commerce par le privilège qui lui fut accordé le 
23 novembre 1466 de fabriquer les étoffes de soie, 
d'or et d'argent, ainsi qu'à l'éducation des vers à soie, 
et les efforts faits par le gouvernement pour faire 
venir d'habiles ouvriers d'Italie dans le but d'établir 
des manufactures, avaient amené une grande activité 
et une grande abondance de bien. Lyon devint rapi- 
dement le centre d'un mouvement artistique remar- 
quable, qui, après avoir aidé à la réputation de sa 
fabrique, y développa le goût de tous les arts. 

Avant le seizième siècle, Lyon avait une pléiade 
d'artistes peintres, architectes, tailleurs d'images, ver- 
riers, graveurs, etc., dont les statuts confirmés par le 

2* 



INTRODUCTION 



roi Charles VIII en 1495 font preuve. La musique 
n'était pas non plus négligée, les concerts historiques 
de ces dernières années ont fait connaître au public 
quelques-uns de ces vieux airs*. 

Lyon disputait à Paris la palme de l'instruction, la 
poésie y était en grande faveur, elle y était même 
tombée en quenouille, car les femmes s'y distinguaient 
particulièrement; le nom de plusieurs est arrivé jusqu'à 
nous : Remette du Guillet, qui savait le latin, le grec 
et l'espagnol; Louise Labé, Jeanne Galliard, chantées 
par Cl. Marot; Jeanne Crest, Claudine et Sibille Scève, 
Sibille Cadière, Jacqueline Stuard, sa fille, mariée à 
Grolier, trésorier général ; Clémence de Bourges, l'amie 
de Louise Labé ; les deux filles de Jehan Perreal 



1 



I. Un des plus célèbres musi- 
ciens de ceue époque, Claude Go.u- 
dimel, né dans les environs de Lyon 
vers 1 5oo, fut un des meilleurs pro- 
fesseurs du seizième siècle. Il fonda 
vers I 53o la fameuse École de Rome, 
où il eut pour élève l'illustre Pales- 
trina. Il fut assassiné à Lyon le 
29 août 1572, et précipité dans le 
Rhône, dit l'historien de Thou. 
Il est Fauteur de la musique du 
psaume : « Le peuple entier qui sur 
la terre habite, chante au Seigneur 
d'une joyeuse voix, » musique d'une 
harmonie grandiose et d'une beauté 
merveilleuse, écrit Berlioz dans ses 
Mémoires j laquelle se chante toutes 



les années dans l'église de Saint- 
Paul, à Londres, aux meetings 0/ 
the Children of the Charity. Voici 
ce qu'en dit le Martyrologe des 
protestants : « Cl. Goudimel, musi- 
cien, la mémoire duquel sera per- 
pétuelle pour avoir besoigné les 
pseaumes de David en français, la 
plupart desquels il a mis en musi- 
que en forme de motet, à 5, 6 et 
8 parties, et sans la mort eût rendu 
cette œuvre accomplie ». Il fut cer- 
tainement un musicien très instruit. 
Son harmonie est toujours pure, et 
l'on remarque beaucoup d'élégance 
et d'esprit dans ses chansons fran- 
çaises. 



INTRODUCTION 



((dont maint beau tableau sort*» en font foi. La ville 
de Lyon s'enorgueillit de leur avoir donné le jour; 
Rabelais, Clément Marot, Olivier de Magny, Ron- 
sard, etc., sont pleins d'éloges des dames lyonnaises, 
et, à en juger par les œuvres que plusieurs nous ont 
laissées, l'instruction des dames y était alors bien 
supérieure à celle de nos jours, et leur commerce 
plus agréable. 

La presse lyonnaise luttait contre la presse pari- 
sienne pour l'abondance et la beauté des publications 
dès 1467, mais la surpassait de beaucoup par la per- 
fection des gravures sur bois et sur cuivre employées 
pour illustrer les livres. C'est à Lyon que le chanoine 
Breydenbach fit graver, en 1484, ses dessins pour son 
Pèlerinage à Jérusalem, dont les éditions se multi- 
plièrent rapidement, et que Jean Holbein fit graver 
avec une délicatesse si remarquable, en i538, ses 
célèbres dessins connus sous le nom de la Danse des 
Morts de Holbein. 

Avant l'année i5oo, on comptait à Lyon une 
vingtaine d'imprimeurs. Barthélémy Buyer, qui eut 
Guillaume Leroy pour successeur en 1483, fut un des 
premiers établis. 

A cette époque, Lyon, qui était le passage des 

I. Dit Clément Marot, dans son Rondeau à propos de la mort de 
Claude Perreal. 



INTRODUCTION 



troupes en Italie, offrait un brillant aspect par les 
entrées et le séjour des rois, de la reine et de la 
cour, qui y venaient souvent. La reine y passait des 
mois; c'est là qu'elle demeurait le plus souvent pendant 
les guerres d'Italie pour avoir plus tôt des nouvelles 
du roi. Sa maispn y était avec elle; par suite, des 
fêtes, des réunions, des bals nombreux, auxquels étaient 
invités les habitants de Lyon, que la reine trouvait 
si bons et de si bonne sorte, ainsi qu'elle le dit à son 
départ, le 22 août iSog, et dont elle avait su se faire 
adorer. 

Ces quelques lignes, sur l'état de la ville de Lyon 
à la fin du quinzième siècle, m'ont paru nécessaires 
pour juger notre grand artiste, Jehan Perreal. 



RECHERCHES 



SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



JEHAN PERREAL 



DIT JEHAN DE PARIS 




CHO^VITR^E V1{_E£MIE'H_ 



SES PREMIERES ANNEES 

i483-i5oo 

Il prépare la joyeuse entrée de Charles VIII à Lyon et accompagne le roi à 
Paris. — Sa vie à la cour. — Anecdote racontée par la reine Marguerite 
de Navarre. — Les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne ^ 
premier tableau de sa main qu'on ait retrouvé. — Nécessité de rechercher 
ses œuvres. — Il organise l'entrée solennelle de la reine Anne, à Lyon. — 
Charles VIII emmène J. Perreal à Naples. — Lettre du roi, datée de 
Verceil, 1495, aux conseillers de Lyon pour faire exempter de toutes 
tailles J. Perreal. — Séjour de J. Perreal en Italie. — A son retour il 
modifie sa manière. — Sous l'influence de J. Perreal le roi approuve 
les statuts des peintres, verriers et tailleurs d'images de Lyon. — 
J. Perreal est porté en 1498 sur l'état des officiers de la couronne, 
comme peintre et valet de chambre du roi. — Mort du roi Charles VIIL 
— Première entrée du roi Louis XII à Lyon, en 1499. — J* Perreal en 
dirige les fêtes. — En i5oo, il accompagne le roi en Italie. 

C'est en réalité à Jehan Lemaire de Belges et aux 
recherches de MM. Auguste de Bastard, de Laborde, 
Rolle, Leglay et Dufay que nous devons les principaux 
renseignements que nous possédons sur quelques-uns de nos 
anciens peintres de la fin du quinzième siècle. 

Mais, c'est surtout dans les recherches de M. C. -J. 
Dufay que nous puiserons les principaux éléments, à l'aide 
desquels nous allons essayer de constituer la biographie de 



i6 RECHERCHES SUR LA VIE 

Jehan Perreal, dit Jehati de Paris^ qui par Tuniversalité de 
ses connaissances fut le plus important de nos artistes du 
quinzième siècle et le trait d'union entre le moyen âge et 
la Renaissance. 

Sa vie nous montrera le rang auquel il avait su s'élever 
par son génie et sa distinction. 

Il avait été appelé plusieurs fois à suivre les rois 
Charles VIII, Louis XII et François I" dans leurs voyages 
en Italie, et admis, en sa qualité de peintre et valet de 
chambre de ces rois, presque comme gentilhomme et offi- 
cier de la couronne. 

Par là, il a été le premier peut-être à relever le rang de 
nos artistes et c'est déjà un titre qui, à défaut d'autres, 
lui mérite une honorable mention dans l'histoire de la 
peinture française. Né dans le cours des quarante années 
qui virent éclore tant de grands artistes', il possédait 
comme quelques-uns d'entre eux les connaissances de plu- 
sieurs branches de Fart : il fut à la fois peintre, sculpteur, 
graveur, architecte, ingénieur et poète. 

Il a justifié la plupart de ses titres par des ouvrages 
remarquables : le tableau des Fiafiçailles de Charles VIII 
avec Anne de Bretagne, le tombeau de François II, duc de 
Bretagne à Nantes; les tombeaux de Philibert de Savoie, 
de Marguerite de Bourbon, sa mère, et de Marguerite 
d'Autriche, sa femme, qui sont à Brou; le tombeau de 
Louis XII et d'Anne de Bretagne à Saint- Denis; les forti- 
fications de Lyon, et quelques poésies. 

I. Le Pérugin, né près de Pérouse, né à Lyon, vers 1463; Le Titien, né 
en 1446; Léonard de Vinci, né près près de Venise, en 1467; Albert Durer, 
de Florence, en 1462; Jehan Perreal, né à Nuremberg, en 1471; Michel- 



DE JEHAN PERREAL 



Je ne sais s'il est utile de remarquer ici, qu'à cette 
époque, en France, Tarchiiecture était Tétude en quelque 
sorte générale et préparatoire pour les arts du dessin. 

Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, naquit à Lyon vers 
1460 ou 1463, d'après M. Bérard et M. Dufay, car on n'a 
pas la date précise de sa naissance. Ce dernier le suppose 
fils d'un Claude Perreal, valet de chambre du roi Louis XI, 
dont fait mention le père Colon ia dans son Histoire litté- 
raire de Lyon. 

Nous ne savons rien de ses premières années, mais ses 
connaissances si variées permettent de présumer qu'il 
appartenait à une famille distinguée et qu'il les employa à 
l'étude des belles-lettres et des beaux-arts, ce qui lui était 
facile, car la ville de Lyon était alors le centre d'un 
mouvement artistique remarquable. 

Donc, sans quitter son pays, il put ainsi s'initier aux 
secrets de la peinture, telle que les artistes les possédaient 
à la fin du quinzième siècle. Mais il ne se contenta pas de 
cet enseignement, et, d'accord avec le goût qu'il a montré 
tout^ sa vie de voyager dans le but de s'instruire, et aussi 
suivant l'habitude des artistes de ce temps', il fit proba- 
blement un séjour dans les Pays-Bas, à Bruges même, 
pour étudier les procédés de la peinture à l'huile et la 
manière de Van Eyck, de Memling, très à la mode alors 

Ange, né près de Florence, en 1474; M. Francisque Sarcey, le 11 septem- 

Raphaël, né à Urbino, en 1483; André bre i865, à propos de la publicité 

del Sarto, né à Florence, en 1488; de Tœuvre de Fouquet, par Curmer. 

Jules Romain, né à , en 1492. Roger Van derWeyden était à Rome 

I. Fouquet fut à Rome, où il peignit en 1450. 

le portrait du pape Eugène IV, vers Albert Durer était à Gand en i52o. 

1443, qui fut bientôt après gratté, Antonello de Messine était à Bruges 

effacé, par ordre du pape Jules H, écrit en 1435. 

3 



i8 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'Œ:UVRE 

en France et en Italie. Il y réussit d'une manière très 
remarquable, ainsi qu'on peut en juger par le tableau dont 
nous allons parler. 

Son voyage ne fut pas long, car on le trouve rentré à 
Lyon en 1483 ; il avait alors vingt ans; s'il eut été un enfant 
de Paris, ainsi que le surnom de Jehan de Paris Ta fait suppo- 
ser à quelques personnes, il se serait arrêté à Paris, où les 
commandes artistiques sont plus abondantes qu'en province. 

De retour à Lyon, il se rendit probablement agréable 
par son talent et ses manières, et devint bien vite l'homme 
à la mode, car on le trouve cette année même employé 
par le consulat de la ville de Lyon, à propos du passage 
en cette ville du religieux minime François de Paul allant 
avec une certaine solennité rendre visite au roi Louis XI, 
malade au Plessis-lez-Tours. 

Ainsi, ses premiers travaux ont été exécutés à Lyon, 
comme le furent ses derniers ; on n'en trouve nulle part à 
une époque antérieure. 

Mais sa position à la cour, ainsi que ses travaux, le 
forcèrent sans doute à passer une partie de son temps à 
Paris, et c'est peut-être à cette circonstance qu'il dut le 
surnom de Jehan de Paris, ainsi que cela est arrivé à 
quelques artistes de cette époque, entre autres au sculpteur 
Jean dit de Bologne^ né à Douai, qui reçut le surnom de 
Bologfte, à cause du long séjour qu'il fit dans cette ville et 
des travaux qu'il y exécuta ^ 

I. Nous pourriohs signaler plusieurs Jehan Desmarcts, ainsi qu^on le voit 

changements de noms, et plusieurs sur le titre du manuscrit de son 

surnoms de ce genre à cette époque; Voyage de Gênes qui est à la Biblio- 

tels que Jean Marot, le père de Clé- thèque nationale, n' Soqi.o Poème de 

ment Marot, dont le nom véritable est Jehan Desmarcts dit Jehan Marot. » 



DE JEHAN PERRLAL lo 



Nous venons de dire qu'il devint Thomme à la mode; 
en eflfet, on le vit dès Tannée suivante, malgré sa jeunesse, 
Tordonnateur de toutes les fêtes données par la ville de 
Lyon aux souverains de passage. 

La première entrée où Jehan Perreal fut employé par le 
consulat date du 6 décembre i486, lors de la prise en 
possession du siège archiépiscopal de Lyon par le cardinal 
Charles de Bourbon, successeur d'Amédée de Talaru, décédé 
au château de Pierre-Scize. Charles, trop jeune pour pren- 
dre la survivance du diocèse après la mort de Tarchevêque 
décédé (il n'avait que treize ans), fut autorisé par le pape 
à jouir du temporel de son siège, à titre de commande et 
fut remplacé provisoirement par Jean du Gué, évêque d'Or- 
léans, jusqu'à ce que le jeune prélat eût atteint sa vingt- 
cinquième année. 

L'archevêque de Lyon était frère de Marguerite de Bour- 
bon, mère de Philibert de Savoie. 

Le jeune roi Charles VIII (il avait dix-neuf ans) fit sa 
première entrée solennelle à Lyon le 7 mars 1489; les 
magistrats avaient des motifs pour le bien recevoir : le 
prince venait de rétablir deux foires supprimées par son 
prédécesseur*. 

Le consulat manda Jehan de Paris, et le pria d'inventer 
quelques mystères, moralités et ystoit^es, autres joyeusetés^ 
pour la visite du jeune roi. 

Jehan de Paris s'adjoignit le peintre Jehan Prévost et 

Le poète Guillaume Dubois changea tribuaient à la richesse du pays en y 

son nom contre celui de Crétin; amenant un grand nombre d'étrangers 

Heroet prit le sobriquet de la Maison- et de commerçants, étaient celles de 

Neuve, etc., etc. Pâques et de la mi-août; elles avaient 

I. Ces foires supprimées, qui con- été transférées à Bourges. 



20 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

Tarchitecte Clément Trie, son secrétaire; il fut arrêté ce 
qui suit : 

« Tous les conseillers et notables de la ville dévoient 
aller en costumes au-devant du roi avec les marchands 
étrangers montés et habillés le mieulx et le plus honneste- 
ment possible. 

« Les petits enfants dévoient être revêtus de robes de 
toile perse (bleu) semé de fleurs de lys, tenant chascun un 
pennon, guidon ou bannière; ils dévoient se tenir ès- 
créneaux de la muraille du petit pie qui est sous le château 
de Pierre-Scise, pour crier, quand le roi passera : Mont 
Joye, Saint-Denys, vive le roi! 

<( Une fille pucelle, des plus belles, habillée en vierge 
signifiant humilité, montée sur une haquenée blanche 
devoit conduire jusqu'à la porte de Bourgneuf un chariot 
ayant un rondeau, où dévoient être peints les signes du 
Zodiaque, et au milieu du rondeau, le soleil figuré par un 
enfant de douze ans brillant par toute sa personne. 

« Le roi approchera, il s'arrêtera à la dicte pucelle et 
s'arrêtant le soleil se trouvera sur le signe du lion, et alors 
la dite pucelle donnera au roi la signification du mystère 
en rimes bien notablement et pertinament faictes. 

« Item — Sur un autre chariot porté par gens qu'on 
ne verra, seront figurés les quatre Éléments. 

« Item — Sera faict un jardin de 5 à 6 toises de car- 
reure, rempli d'arbres verts aux branches desquels aura 
foison de grenades, oranges, pommes, poires, et autres 
fruits; il sera appelé Jardin de France^ gardé par quatre 
Vertus représentées par quatre filles pucelles, habillées de 
taffetas de diverses couleurs, avec mêmes fleurs de lys en 



DE JEHAN PERREAL 



or. Il y aura un lion de grande taille en un coin du jar- 
din, avec une autre vertu nommée Loyauté^ et une autre 
nommée Propriété^ qui tiendra le lion, et au-dessus du 
portail de Bourgneuf aura une autre pucelle représientant 
la Vîlle^ tenant en sa main une palme et à ses pieds ung 
escrit en grosses lettres : Civitas immaculata, et sera la 
dicte pucelle enlevée en Tair sans sçavoir qui la soutiendra, 
et dira avant au roi la signification du jardin en belles 
rimes: après ce viendra la Vertu qui tiendra le lion et 
rapprochera du roi, le plus près que faire se pourra, et le 
lion se lèvera, et avec sa patte présentera au roi les clefs 
de la ville ' . 

« Item — Ce fait, sera mis le dais joignant la porte; 
il sera de velours bleu avec belles franges de soie, garni de 
lys, il sera porté par les quatre conseillers : Piochet, Pierre 
Palmier, Claude Thomassin et Etienne Garnier, jusqu'à 
Téglise Saint-Jean et de là jusqu'au logis où le dict seigneur 
logera. 

« Item — Et seront toutes les rues tapissées des plus 
riches, tapis que faire se pourra, des deux côtés de la rue. 
Et au-dessus seront icelles couvertes de toile, couleur 
d'azur, semée de fleurs de lys jaunes. 

a Item — Au port Saint-Pol, sera fait le mistère de la 
décollation de saint Pol, par ceux de l'église de Saint-Pol, 
entr'autres les trois fontaines sourdiront (jailliront) à sa 
décollation. 

I. En i5i5, vingt-cinq ans après, à introduisit un lion qui s'avança jus- 

Tentrée de François K' à Milan, Léo- que devant le fauteuil du roi, après 

nard de Vinci fut Fordonnateur de la quoi, il ouvrit son sein qui se trouva 

fête qui lui fut faite, dans laquelle, plein de bouquets de lis. 
s'inspirant de Tidêc de J. Pcrrcal, il 



RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



« Item — Plus au droit de Téglise Saint-Éloi, sera 
saint Michel^ armé d'un harnai blanc, et le diable qui 
s'entrebattront et seront tous deux en l'air, et finalement, 
ainsi que le roi passera ledit diable sera vaincu par ledict 
saint Michel et brûlera le feu visiblement. 

« Item — Et en la place qui est devant la maison de 
Jehan du Perat sera faicte une bergerie des filles les plus 
belles, habillées de taffetas et de toiles de plaisance et 
auront brebis, moutons et chiens. En outre y aura une fon- 
taine qui jettera vin clairet, duquel boiront tous ceux qui 
voudront boire. 

<( Item — Au carré des changes aura ung^ grand Escu 
de France environné de Tordre ' ayant dedans trois fleurs 
de lys représentées par trois filles pucelles habillées de 
taffetas jaune, et à Theure que le roi passera, les trois 
fleurs de lys s'ouvriront et apparaîtront les trois filles et 
Tune après l'autre diront au roi un rondeau sur ce blason 
de l'escu de France. 

« Item — En la place du petit palais sera faicte la Cité 
de Jérusalem et en icelle joué le mystère* du roi Salomon 
et de la reine de Saba. 

« Item — Au carré tendant de la rue du Palais, vers la 
Monnaie sera faicte une fontaine, brûlant artificiellement. 

« Item — En la place tirant à l'ostel Balavin, sera faict 
le cheval Pégasus avec un homme nommé Bonne renommée 
ayant une épée nue à la main, Tung et l'aultre se tiendront 
en l'air. 

I. L'ordre de Saint-Michel institué auquel était appendue une médaille 
par le roi Louis XI, en 146g. C'était représentant saint Michel terrassant 
un collier d'or fait à double coquille, le dragon. 



DE JEHAN PERREAL 



(c Item — Et tout au-devant de Tostel de feu Simon 
Turin jusqu'à porte froc, plusieurs joyeusetés que les habi- 
tants feront d'eux-mêmes. 

« Item — Au-dessus du portai dudit porte-froc, sera 
joué le mystère de l'immolation d'Isaac, par ceux de Téglise 
dudict lieu. 

« Les gens de l'église iront en procession au-devant du 
roi, excepté ceux de l'église Saint-Jean, qui iront jusqu'au 
dit porte-froc, et là, sera reçu le roi par eux, ainsi qu'il 
est accoustumé de faire. 

« Et pour ce que le roi pourra loger en l'ostel de sire 
Humbert de Varey, Tung de ses maistres d'ostel, et s'en 
retournera jusqu'aux changes, a la part devers le royaume 
et passera par-dessus le pont, seront par bonne ordonnance 
les bannières de toutes les confréries de la ville. » 

Cette entrée fut splendide et bien réussie, le jeune roi 

s'en montra très satisfait, Jehan de Paris avait pris la plus 

grande part dans l'œuvre comme peintre et comme poète'. 

A en juger par la complainte adressée par Crétin aux 

I. On ne confiait pas au premier Ces travaux étaient toujours confiés 
venu ces travaux décoratifs des en- aux plus grands peintres ou archi- 
trées solennelles qui demandaient tectes. Cest ainsi que l'on trouva, à 
beaucoup de goût et de grandes con- Milan, Léonard de Vinci Tordonna- 
naissances en architecture et en pein- teur des fêtes données par Louis 
ture, pour élever les arcs de triomphe, Sforce, et dernièrement en 1879 à 
les portails d'ordre toscans et doriques Vienne, le peintre H. Mackart, Tor- 
décorés aux armes du roi et de la donnateur des fêtes splendides don- 
reine, etc., et dessiner les costu- nées à Tempereur et à l'impératrice 
mes, inventer des mystères, des his- d'Autriche, à l'occasion de leurs noces 
toires, etc. d'argent. 

On ne. peut se figurer la somptuo- En trouvant dans ces pages de nom- 

sité et la magnificence de ces entrées, breux détails sur les fêtes offertes par 

suivies le plus souvent de joutes et la ville de Lyon, on pourrait croire 

de tournois. que le mérite de Jehan Pcrreal était 



24 RECHERCHES SUR LA VIE ET L*Œ:UVRE 



poètes de son temps, sur. la mort de Guill. de Biss}^ 
vicomte de Falaise, il est certain que Jehan Perreal était 
alors placé comme poète à côté de Jehan Marot.et d'André 
de Lavigne. 

Tous nobles cueurs, ce faict doibt demourer 
En vos escriptz pour le remémorer. 
Abbé d'Autan, et maistre Jehan le Maire, 
Qui en nostre^rt etez des plus expers, 
Ouvrez l'archet de vostre riche aumaire, 
Et composez quelque plaincte sommaire 
En regrettant l'ami que ores je perds; 
Secourez-moi Bigne et Villebresme, 
Jehan de Paris, J. Marot et de Lavigne. ^ 

Ces vers sont la preuve de ce qu'ont écrit MM. Bérard 
et Dufay, que non seulement Jehan Perreal avait du goût 
pour la poésie, mais encore qu*il occupait un rang distingué 
parmi les poètes de son temps. 

Nous venons de dire que les travaux de décorateur de 
fêtes lui donnaient beaucoup de soucis et de peines et peu 
de profit; le règlement suivant, extrait de la délibération 
des conseillers, en date du i6 avril, à propos des travaux 
par lui faits pour la conduite de cette entrée, en est la 
preuve : 

ce Veue la requeste baillée par escript, par Jehan de 
Paris, peinctre, habitant de Lyon, tendant à fin de le 

attaché à ce talent de décorateur, ce bresirle, valets de chambre du roi 

serait une erreur; car, ainsi qu'il Té- Louis XII, étaient des poètes familiers 

crit, ces travaux lui donnaient beau- de la cour; André de la Vigne, secré- 

coup de soucis et de peines et peu de taire de la reine Anne et un des poètes 

profit, mais il y trouvait la satisfaction du Vergier d'honneur; quant à Jehan 

de faire plaisir à ses compatriotes. Marot, il est le père de Clément 

I. Jacques de Bigne et de Ville- Marot. 



t>E JEHAN PERREAL 



récompenser des journées, vacations, peynes et à la requeste 
des dicts conseillers, pour la conduite et manufacture des 
mistères faicts et joués à Ventrée première du rqy^ nostre 
sire, en la dicte ville^ et à mectre gens en œuvre et tenir 
compte des journées, d'une partie des ouvriers et ma- 
nœuvres qui ont besoignés en ce que dict est; ont délibéré 
et ordonné que au dict Jehan de Paris, pour toute récom- 
pense, paiement et satisfaction des dictes journées, vaca- 
tions, peynes et travaux, oultre une robe à luy donnée par 
la dicte ville, à la dicte entrée, lui sera paie par le procu- 
reur, la somme de 20 livres tournois'. » 

C'est à la suite de cette fête, vraisemblablement, que 
Charles VIII, charmé par le talent de Jehan Perreal, en 
voyant ses œuvres dont il admira le travail supérieur à ce 
qu'il avait vu, et attiré par son esprit et son savoir, l'en- 
gagea de venir à la cour. 

A partir du règne de Louis XI, les rois de France 
tinrent à honneur d'encourager la littérature, la poésie, les 
beaux-arts, et ils s'entouraient à la cour et se faisaient 
suivre dans leur voyage par les artistes les plus distingués, 
auxquels ils accordaient des titres honorifiques (en apparence 
aujourd'hui subalternes, mais qui n'étaient pas considérés 
ainsi à cette époque, puisqu'ils étaient un pas conduisant à 
la noblesse) en les attachant de fait ou nominativement au 
nombreux personnel de leur maison royale. 

En invitant Jehan Perreal, Charles VIII ne fit que se 
conformer aux habitudes de son prédécesseur; attaché ainsi 
à la maison du roi, il ne tarda pas à devenir le familier 

I. Registres consulaires B B. — Archives de l'Hôtel de ville, Lyon. 

4 



26 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

de la cour et à se faire remarquer par sa manière de 
peindre, d'autant plus facilement que la passion du portrait 
était le goût particulier de cette époque. L'admiration est 
communicative, la noblesse s'éprit de son talent, dont le 
caractère distinctif était l'imitation naïve de la nature, le soin 
extrême des détails et la recherche de la vérité sans affecta- 
tion; on sollicitait la faveur d'être peint par lui. 

De tout temps la figure a été le siège de l'amour- 
propre, et l'artiste de qui dépend la beauté des traits a droit 
aux égards, aux caresses et à la reconnaissance; par là, il 
devint vite le peintre le plus recherché et le plus occupé. 

L'anecdote racontée par la reine Marguerite de Navarre, 
dans la trente-deuxième Nouvelle de son Heptaméron, au 
sujet du portrait d'une belle dame allemande que le roi 
Charles VIII chargea J. Perreal d'aller peindre au vif, 
prouve qu'il occupait près du roi le premier rang parmi 
les peintres du temps. 

Voici l'anecdote : 

c Le roy Charles huitième de ce nom envoya en Alle- 
magne un gentilhomme nommé Bernage, sieur de Sîvry 
près Amboise. Un soir bien tard il arriva en ung chasteau 
d'un gentilhomme où il demanda logis, en lui disant le 
motif de son voyage. Sur ce, le gentilhomme le logea et 
festoya honorablement. 

a II était heure de soupper, le gentilhomme le mena 
dans une belle sale tendue de belles tapisseryes, et ainsi 
que la viande fut apportée sur la table, vit sortyr de der- 
rière la tapisserye une femme la plus belle qu'il estoyt pos- 
sible de regarder et qu'il avoyt jamais vue 

ce Quand Bernage fut retourné devant le roy son 



DE JEHAN PERREAL 27 

maistre, lui fit tout au long le compte que le prince trouva 
tel comme il disoyt et entre autres choses ayant parlé de 
la beaulté de la dame, envoya son painctre, nommé Jehan 
de Paris, pour lui rapporter cette dame au vif, ce qu'il 
feyt après le consentement du mari '. » 

Qu'est devenu ce portrait, ainsi que ceux de Philibert de 
Savoie et des princesses Marguerite de Bourbon et de Mar- 
guerite d'Autriche dont parle Michel Colombe dans sa lettre 
du 3 décembre 1 5 1 1 ? 

Que sont devenus également les tableaux et les nomlîreux 
portraits des personnages de la cour de France que peignit 
J. Perreal? Ils ont disparu, hélas! sans laisser aucune trace, 
car on ne rencontre le nom de Jehan Perreal dans aucun 
catalogue ni dans aucune galerie. Le temps les a sans doute 
dispersés un peu partout, en France, en Angleterre, en 
Italie, en Autriche et autres lieux, où ils sont sans doute 
attribués à d'autres peintres, le plus souvent à des peintres 
flamands, parce que les premières œuvres de Jehan Perreal 
ont le caractère de cette école qui était à la mode en 
France à la fin du quinzième siècle. 

Le tableau que nous possédons des fiançailles du roi 
Charles VIII avec Anne de Bretagne peut servir aujourd'hui 
de type et d'indication première; avec ce point de repère, 
on sera en mesure de découvrir quelques-uns de ces 
tableaux peints de sa main. 

Les œuvres de notre ancienne école française sont rares, 
ainsi que nous l'avons dit, mais moins qu'on ne le pense 
généralement. 

I. Voir note c. Heptamerony aux édition publiée par la Société des bi- 
éclaircissements, page 468, tome II, bliophiles français. 



28 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

Faute de connaître son histoire, un grand nombre de ses 
artistes et de ses œuvres sont tombés dans un injuste 
oubli, plusieurs dorment sans doute dans les églises, dans 
les combles des musées, dans les galeries particulières ou 
publiques, dépourvus d'état civil ou baptisés de faux noms, 
surtout de Técole de Bruges; nous en avons eu la preuve, 
il y a quelques années, au sujet du célèbre triptyque de 
Saint-Sauveur de la cathédrale d'Aix en Provence, connu 
sous le nom de « Buisson ardent ». 

Ce triptyque qui avait été attribué par les uns au roi 
René, par les autres, soit à Jehan van Eyck, soit à Jean 
Memling, vient d'être reconnu pour être Tœuvre d'un 
peintre d'Avignon, nommé Nicolas Froment, plus usuelle- 
ment Nicolas le peintre d'Avignon '. 

Nous devons ajouter que nous avons remarqué, dans la 
galerie nationale de Londres, deux tableaux peints par 

I. Cette œuvre si remarquable, dont contiennent les comptes de ses menus 

le panneau médial est digne en effet plaisirs. 

du pinceau de ces maîtres, prouve, « A maître Nicolas le Paintre, qui a 
ainsi que notre tableau des Fiançailles fait Rubrum (au lieu de Rubum) quem 
de Charles VIII, qu'il existait sur les viderai Moyses, la somme de XXX es- 
bords du Rhône une école de pein- eus pour reste qui luy est deu du dit 
ture, presque inconnue jusqu'à ce ouvrage; pour ce .... LXX florins, 
jour, d'où sortaient des artistes, « {Compte des menus plaisirs du roi 
dignes des premiers peintres de l'é- René, de l'an 1475- 1476, n* 24, 
cole flamande, lesquels pour se plier, f» 47 v».) 

soit au goût du roi René, soit à la « A maître Nicolas Froment, peintre 

mode du temps, étaient malheureu- d'Avignon, le premier jour d'octobre, 

sèment forcés d'en suivre le courant, la somme de XIII escuz : c'est assavoir 

au lieu de suivre leur propre inspira- pour une ymage de Notre-Dame de 

tion et de rester eux-mêmes. l'Annonciade, qu'il a fait au roy. 

La découverte du nom et du prénom « (Compte des menus plaisirs du roi 

de l'auteur de ce tableau a été faite à René, de Tan 1478-1479, n® 3o, f« i3.) » 

Marseille, par deux membres de la Ce serait rendre un service, à tous 

Commission départementale, en feuil- ces hommes que l'histoire de Tart de 

letant les registres du roi René, qui notre pays, au quinzième siècle, préoc- 



DE JEHAN PERREAL 



29 



Jehan Perreal, bien que le catalogue les attribue, I*un, 
n^ 654, à Van der Weyden le jeune, et l'autre, n** yiS, à j 
lan Mostert. ^ 

Le premier représente sainte Madeleine, vêtue d'une 
robe verte, sur une jupe de brocart, tenant à la main un 
livre qu'elle lit, on voit à ses pieds, devant elle, un vase 
contenant des fleurs*. 

L'autre représente la Vierge assise sous un arbre, offrant 
une fleur à l'enfant Jésus qu'elle tient de la main gauche; 
devant elle, on voit également à ses pieds un vase conte- 
nant des fleurs ^. 

Elles ont l'une et l'autre le type français très caracté- 
risé; toute personne familière avec le style de Jehan Perreal 
y reconnaîtra la touche fine et le coloris de son tableau des 
Fiançailles. 

En 1488, mourut François II, duc de Bretagne, ennemi 
et voisin redoutable de la France, il ne laissait que deux 
filles, Anne et Isabeau; cette dernière survécut peu de 
temps à son père et laissa à sa sœur l'héritage entier de 






v^^ 



cupe et intéresse, que de faire des 
recherches sur la vie et Pœuvre de ce 
peintre français très remarquable, dont 
le nom est resté inconnu jusquMci et 
dont les tableaux sont dispersés sans 
doute sous le nom de quelque artiste 
flamand, afin de réhabiliter sa mé- 
moire et de le remettre dans ses droits. 
I. On wood, 2 ft. H. by i ft. 7 in. 
Le seul renseignement que nous trou- 
vions sur ce Roger van der Weyden 
le jeune, c'est la date de sa naissance 
vers 1450 et celle de sa réception 
comme maître dans la Ghilde de 
Saint-Luc à Anvers en i528. Cette tar- 



dive réception, à Page de soixante-dix- 
huit ans, ne prouve pas quMl ait eu 
un talent bien remarquable et, par là, 
amène le doute sur l'exactitude de 
l'attribution qui lui est faite de ce 
charmant tableau. 

2. On wood, 2 ft. H. by i ft. 8 1/2 
in. Je dois dire que le rédacteur de 
VHistorical catalogue anglais, année 
1873, après avoir indiqué lan Mos- 
tert comme ayant été peintre de Mar- 
guerite d'Autriche et attaché à sa cour 
pendant dix-huit ans, exprime en- 
suite un doute sur l'existence de ce 
peintre. 



3o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

cet important duché. Maximilien, alors archiduc d'Autriche 
et plus tard empereur d'Allemagne, avait demandé et 
obtenu la main de cette princesse, il l'avait même épousée 
par procureur'. 

Cette union menaçait d'être tôt ou tard fatale à la 
France; Charles VIII sous la pression de sa sœur, Anne 
de Beaujon, femme sagace et d'une grande énergie, à qui 
le roi Louis XI en mourant l'avait confié avec son auto- 
rité, prenant conseil de la politique plutôt que de la bien- 
séance et de la foi donnée, n'hésita pas à rompre son 
mariage avec Marguerite d'Autriche, fille de Maximilien /qui 
n'avait alors que onze ans; préférant augmenter la France 
du duché de Bretagne, le seul grand fief qui eût jusqu'alors 
conservé son indépendance et fait échec à l'autorité royale ^. 

D'un autre côté, les négociateurs français, les ducs d'Or- 
léans et de Bourbon, pressaient' Anne de rompre son 



1. Pour rendre en quelque sorte le le Dauphin ne vouloist procéder au 
mariage indissoluble, en lui donnant parfait ou consommation du dict ma- 
Tapparence d'un mariage consommé, riage, ou que le dict mariage rompist 
le comte de Nassau, qui avait épousé par le roy, monseigneur le Dauphin 
la princesse au nom de Maximilien, ou autre de leur part, durant la mino- 
mit une cuisse nue dans « le lit de la rite de la demoiselle ou après; en ce 
mariée en présence des seigneurs et cas, ma dicte demoiselle sera aux dé- 
dames qui étoient nommés pour té- pens du roy ou de mon dict seigneur 
moins ». Histoire du cardinal d'Am- le Dauphin, rendue, remise et resti- 
boise (Amsterdam, 1726). tuée à mon dict seigneur le duc son 

2. Il est à remarquer cependant père ou au duc Philippe son frère, 
qu'à répoquedu traité d'Arras, le ren- franchement et librement déchargée 
voi de Marguerite d'Autriche avait été de tous liens de mariage et de toutes 
prévu par le roi Louis XI. autres obligations, en Tune des bon- 
Voici la clause de ce traité, qui con- nés villes du pays de Brabant, Flan- 

tient formellement cette prévision : dres, Hainault, en lieu sûr de Tobéis- 
« S'il advenoit (que Dieu ne veuille * sance d'iceulx ducs. » 

pas) que ma dicte damoiselle Margue- (Philippe de Comines, Pièces.) 
rite venue en âge, mon dict seigneur 



DE JEHAN PERREAL 3i 



mariage contracté sans l'aveu de son suzerain, contrairement 
aux principes du droit féodal. 

Le i5 novembre 1491, le jour du traité, les portes de 
la ville de Rennes furent ouvertes au roi qui entra dans la 
ville peu accompagné, et se rendit près de la duchesse et 
s'entretint longuement avec elle; trois jours après cette 
entrevue, Charles VIII et Anne de Bretagne furent fiancés 
secrètement, dans une chapelle, en présence des ducs d'Or- 
léans, de la duchesse de Bourbon, du prince d'Orange, du 
comte de Dunois et du chancelier de Bretagne. 

Il fut sans doute résolu en même temps de conserver 
par la peinture le souvenir de cet événement mémorable; 
épris du talent de Jehan Perreal, Charles VIII lui donna la 
plus grande preuve de son estime, en lui confiant l'exécution 
du tableau de cette cérémonie à laquelle il dut assister. 

Tout entier à son royal protecteur, 11 semble avoir mis 
dans cette œuvre tout son génie. S'il fut jamais un homme 
doué par la nature de la puissante imagination qui consiste 
à donner une forme heureuse à toutes les pensées, ou, si 
l'on veut, à se souvenir de la manière dont les exprime la 
nature par l'attitude, pour peindre un tel sujet : ce fut 
Jehan Perreal. 

Il s'agissait de représenter ce moment solennel où, obéis- 
sant à la volonté de Dieu, Anne de Bretagne rompt les 
précédents engagements qu'on lui avait fait contracter, pour 
épouser le roi Charles VIII. 

La vertu, la délicatesse des sentiments qu'elle a mon- 
trés pendant tout le cours de sa vie, demandaient pour 
être exprimées en peinture la disposition la plus simple qui 
permît à l'attention de se fixer tout entière sur l'acte du 



32 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

fils de Dieu et sur Texpression de soumission de la princesse 
à cette volonté. 

La tâche était grande, elle consistait à saisir la physio- 
nomie dans son expression et dans son individualité, à ren- 
dre le modelé et le relief par le jeu vaporeux des ombres, 
à rester toujours vrai et candide, et à conquérir la qualité 
de la ressemblance, uniquement par la finesse de l'observa- 
tion et la force d'une exécution simple, ferme et précise. 

Ainsi les traits de la reine Anne rendent parfaitement 
l'image la plus parfaite de la pureté de son jeune âge, et en 
même temps le caractère de la femme supérieure dont la 
vertu, la sagesse prévoyante, la fermeté de caractère, se 
manifesteront dans les occasions difficiles. 

Quoique ce portrait soit un chef-d'œuvre par la précision, 
par l'imitation patiente et minutieuse et par cette vie inté- 
rieure que la force de l'observation et la simplicité de l'exé- 
cution lui communiquent, il n'est pas supérieur en vérité à 
celui du roi, à qui, observe l'historien Guichardin, « la nature 
avait refusé presque tous les avantages du corps et de l'es- 
prit: il était faible de complexion, assez laid de visage sauf 
les yeux qui avaient de la bonté • ». 

Il est vêtu de la robe large, qu'il portait, dit Willemain 
(t. II, p. i8o2), pour cacher les défauts de sa taille. 

Quant à la douce figure de la Vierge au front spacieux, 
au type français, c'est un chef-d'œuvre de céleste pureté et 
d'une grâce si parfaite, qu'aucun peintre n'a surpassées. 
Elle paraît absorbée dans ses pensées. 



1. H. Martin, Histoire de France^ servir à VHistoire des Arts, des 
t. VJI, p. 27. Costumes 2 vol. in-folio. 

2. Monuments français inédits pour 



DE JEHAN PERREAL 33 

Voici la description de cette peinture qui est placée dans 
un cadre en ébène d'une forme cintrée dans le haut '. 

Dans un oratoire soutenu par deux colonnes, la Vierge 
mère est assise sur un trône couvert d'un tapis damassé, 
vert, d'un riche dessin ; le vide de l'arcade centrale est tendu 
d'une tapisserie, brodée en or et enrichie de perles, autour 
de laquelle on lit du côté droit : Ape regina cœîorum^ et de 
l'autre, Ave domina ayigelorum ; dans l'arcade du haut, à 
moitié cachée par la tapisserie, sont écrits, autour de la 
partie cintrée, les mots : Ave Maria gratia plena, 

La Vierge est vue de face, les yeux baissés; sa longue 
chevelure blonde, retenue sur le front par un mince ruban 
noir enrichi de perles et de pierreries, flotte le long des 
épaules en longues et élégantes mèches; elle est vêtue d'une 
robe rouge clair bordée d'un galon à dessin d'or, et d'un 
vaste manteau de la même couleur, retenu sur la poitrine 
par une cordelière ; ses pieds reposent sur un coussin riche- 
ment brodé; dans sa main gauche, elle tient la pomme, 
symbole de notre chute, et, de l'autre, l'enfant Jésus placé 
sur ses genoux se penche dans une attitude pénible, dis- 
gracieuse, vers le roi, en lui présentant de la main gauche 
Anne de Bretagne, sa fiancée. 

A droite de la Vierge mère, Charles VIII, enveloppé dans 
une ample robe grenat, garnie de fourrure qui recouvre son 
vêtement noir, se tient les mains jointes. Ses cheveux noirs 
et épais flottent autour de sa figure, dont les traits brunis 
et un peu vulgaires expriment le calme et la douceur; il 
s'appuie contre la balustrade près d'une colonne losangée de 
fleurs de lis. A gauche, Anne de Bretagne, vue de trois 

I. Bois, hauteur, 74 cent.; largeur, 52 cent. 

5 



34 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



quarts, ayant dans ses mains jointes un chapelet de cristal, 
se tient les bras appuyés contre la balustrade à la tête de la 
colonne décorée aussi en losange de couronnes ducales et 
de fleurs allongées en forme de sceptre. Elle est vêtue 
d'une robe noire très simple, garnie de fourrure et d'une 
ceinture lâche. La tête, dont les traits portent la marque 
d'une volonté persistante, est couverte d'une coiffe blanche 
à la mode de Bretagne. 

Un rideau vert, déployé derrière ces personnages, les sé- 
pare de l'autre partie de l'édifice et ferme élégamment le fond. 

Un bouquet composé de lis et d'ancolies, etc., est placé 
dans un vase de verre aux pieds de la Vierge, un peu à droite. 

Au bas et sur le couronnement des pilastres qui termi- 
nent les balustrades, Jehan Perreal a placé son monogramme 
J. P., lié par un lac d'amours. 

A l'extrémité du tapis, on remarque en bordure une suite 
de caractères hiéroglyphiques que nous n'avons pu traduire, 
non plus qu'aucune des personnes à qui nous avons montré 
ce tableau; cependant ils nous paraissent avoir une signifi- 
cation '. 

Ce qui distingue cette œuvre et lui donne un caractère 
d'originalité , c'est d'y trouver réunis le style flamand et le 
style français. 

C'est le calme, la complète symétrie de l'agencement; 
pas un geste, pas une attitude, ne s'éloignent du style pai- 
sible de l'école de Bruges, associé à la finesse précieuse de 
l'exécution, au coloris clair et doux, et à la fidélité prodi- 

I. On remarque sur les étendards de loin, un ou deux de ces caractères 
quelques miniatures de la campagne hiéroglyphiques, 
de Gênes, dont nous parlerons plus 



DE JEHAN PERREAL 35 



gieuse et sans affectation qui sont les caractères distinctifs 
des peintres primitifs de Técole française. 

La science du dessin, bien que portant encore quelques 
traces de gothique, la finesse et la sûreté du modelé, la 
beauté des draperies et l'intensité harmonieuse du coloris, 
tout est certainement d'un maître dans cette œuvre. 

Ce tableau, qui est de la jeunesse de Jehan Perreal (1491), 
établit la liaison qui existe entre Tart du moyen âge et Tart 
de la Renaissance, la transition par laquelle Tart d'une civi- 
lisation passe nécessairement pour se transformer et pour 
répondre aux sentiments d'une autre civilisation. 

Il faut que J. Perreal ait apprécié particulièrement son 
ouvrage pour avoir placé son chiffre en trois endroits, fait 
dont on ne connaît pas d'autre exemple. 

Ce précieux tableau n'est pas seulement intéressant au 
point de vue artistique, par la découverte d'une oeuvre du 
plus grand peintre de l'ancienne école française du quinzième 
siècle, auquel on ne pouvait en attribuer avec certitude au- 
cune : il a un autre mérite, celui d'être en quelque sorte 
un monument historique. 

Premièrement, parce qu'il représente un des faits les plus 
intéressants de l'histoire de France, qui eut pour résultat la 
réunion de la Bretagne à la France. 

Secondement, parce qu'il nous offre le seul portrait connu 
du roi Charles VIII, depuis que l'attribution donnée au 
numéro 404 du Louvre a été reconnue inexacte. En effet, ce 
portrait, n** 404, est celui du beau Charles d'Amboise. 

Quant au portrait de la reine Anne de Bretagne, le Père 
Montfaucon a écrit dans les Monuments de la monarchie 
française (t. III, p. 58) : « Nous n'avons pas la figure 



36 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



de la reine Anne peinte du temps de Charles VIII, mais nous 
en avons plusieurs du temps de Louis XII, son second mari, 
dont quelques-unes sont d'une habile main. » 

Le portrait de la reine Anne de Bretagne que nous avons 
ici est donc également le seul connu de Tépoque de sa jeu- 
nesse. 

Cette peinture qui n'étonne pas moins par l'éclat de sa 
couleur et par sa conservation, après bientôt quatre cents 
ans, que par la beauté de l'œuvre, est certainement l'une des 
plus précieuses qui existe; elle a décoré pendant longtemps 
la célèbre galerie des ducs de Parme, et elle provient de la 
vente faite par le duc Robert de Parme, neveu du comte 
de Chambord. 

L'ancienneté de ce tableau, qui depuis la reine Anne a 
dû passer son existence dans des galeries royales, a sauve- 
gardé cette peinture, ainsi que le dédain pour notre école 
primitive qui a été tel que, non seulement on avait oublié 
le souvenir du sujet qu'il représente, mais aussi le nom de 
l'auteur qui fut cependant le peintre ordinaire des rois 
Charles V^III, Louis XII, François I*"*" et de la princesse 
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas. 

Ces sortes d'apathies publiques , qui peu à peu suppri- 
ment la mémoire d'un artiste , sans qu'on sache comment, 
ne sont pourtant pas sans exemple, témoin l'auteur du ta- 
bleau du Buisson ardent dont nous avons parlé. 

Ce fut sans doute à cette occasion que le roi l'éleva aux 
fonctions de son peintre ordinaire et au titre de valet de 
chambre du roi. Cependant nous ne l'avons trouvé porté 
sur l'état des officiers du roi que le i" octobre [498 : « A 
Jehan de Paris, valet de chambre et peintre ordinaire du Roi, 



DE JEHAN PERREAL 



?7 



la somme de 240 livres tournois à luy ordonné par icelluy 
Seigneur par son estât dont cy devant est faicte mention '. » 
Ces charges étaient tout à fait dans les habitudes de Tépoque. 

Trois ans après, Tidée prit au roi d'aller conquérir son 
royaume de Naples. Lyon devint alors le rendez-vous de 
Tarmée française; le consulat, prévenu de l'arrivée prochaine 
du roi et de la reine, pria dès le 3 janvier 1494 Jehan 
Perreal d'inventer quelques belles histoires « et mystères avec 
poëterie et versijîcation pour le venue de la jeune Reine ^». 

Cette citation est très importante parce qu'elle confirme 
d'une manière irréfutable ce que nous avons dit de ses con- 
naissances en poésie. J. Perreal possédait la double qualité 
de poète et même de poète dramatique. 

Charles VIII arriva le 6 mars à Lyon sans apparat, 
Anne de Bretagne l'y suivit à quelques jours d'intervalle, et 



1. Quoiqu'on en pense aujourd'hui, 
la charge de valet de chambre, sous 
les anciens rois de France, était fort 
recherchée. Vénale, comme toutes les 
autres charges, elle coûtait gros. Elle 
procurait la noblesse, conférait le litre 
d'écuyer, était transmissible comme 
une propriété et avait des privilèges 
qui étaient très appréciés de ceux qui 
la possédaient. On voit dans les listes 
des valets de chambre figurer les 
noms d'artistes éminents, de gens de 
lettres distingués et même d'hommes 
de condition noble. Le service corpo- 
rel des princes n'avait rien de dégra- 
dant pour ceux qui s'y dévouaient. 
( A. Jal, Dictionnaire de Biographie et 
d'Histoire,) 

2. Ces représentations étaient dans 



les moeurs du temps : « Ce fut à la 
fin du quinzième siècle que les beaux 
mystères furent joués dans la ville 
de Lyon. Anne de Bretagne, pendant 
le séjour qu'elle y fit en 1494, con- 
tribua à développer l'amour de ce 
genre de spectacle. Elle prenait plai- 
sir à faire représenter des pièces de 
théâtre, roulant sur de pieuses his- 
toires tirées de l'ancien et du nouveau 
Testament. Les confrères de la Pas- 
sion et poètes nomades du temps 
jouèrent devant elle là vie de sainte 
Madeleine, qui fut très applaudie. En 
i5o6, le couvent des Augustins joua 
le jeu de saint Nicolas Tolentin, sur 
la place des Terreaux. » 

CLyon ancien et moderne ^ Théâ- 
tres.) 



38 RECHERCHES SUR LA VIE ET I/ŒUVRE 

son entrée eut lieu avec beaucoup de magnificence le i5 
mars; entre autres choses la ville lui offrit « ung beau lion 
d'or, bien fait et bien tiré, assis sur ses fesses, et de ses 
deux pattes de devant, tenant une belle coppe d'or à la façon 
ancienne avec cent belles pièces d'or faictes en façon de mé- 
dailles, dedans la dicte coppe et une belle targuète çainte sur 
son costé d'une belle ceinture d'or es armes de la Reyne ». 

Perreal fit les modèles de ces pièces dont l'exécution 
fut confiée à l'orfèvre Jehan, fils de maistre Loys Lepère. 
aidé de Nicolas, son gendre; chaque pièce d'or du poids 
de sept écus d'or représentait la tête du roi d'un côté et 
celle de la reine de l'autre, d'après la pour t raid ure de 
la main de Jehan Perreal. 

Le dessin et l'exécution de ces pièces sont admirables; 
elles comptent parmi les plus anciennes qui existent à l'ef- 
figie de nos rois. 

Le compte fourni par Jehan Perreal, comme pièces 
justificatives de 210 livres tournois qu'il reçut pour orga- 
niser cette fête, est curieux. M. Rolle le donne in eyien$o 
p. 52 à 85) dans les Archives de l'Art français, 

J. Perreal n'eut pas lieu d'être satisfait de la somme 
qui lui fut allouée à cette occasion par le consulat, et se 
vit forcé de réclamer aux conseillers de la ville dans la 
requête que voici, datée du mois de mai 1494 : 

A MESSEIGNi:URS LES CONSEILLERS DE LA VILLE DE LYON ' 

« Supplie humblement Jehan de Paris, painctre, que 
comme ainsy soit que le dict Jehan de Paris, à la requeste 

I. Rolle, Archives de l'art français (p. 52 à 85.) 



DE JEHAN PERREAL 39 



de monseigneur maistre Jehan Caille, lors parlant pour 
tous les conseillers en la chambre du Conseil, eulx présens, 
dict et commanda audict supplient qu'il se délibérast de 
penser, cogiter et travailler pour et à la réception de la 
nostre royne, et par commandement et requeste expresse, 
une fois, deux fois et plus fut dit. Dès lors, audict sup- 
plient tantost besongner. Lequel, non présumptieux, mais 
comme ardent et affectueux, accepta et print le comman- 
dement agréable, qui n'cstoit point petit à faire, et dès 
lors, commença à chercher, inventer et enquérir pour four- 
nir à icelle entrée, qui fut le commencement de ladicte 
charge, quatre jours après les roys; quant à sa personne, 
il continua par grand travail d'entendement jusque à ce 
qu'il présenta en papiers les ystoires painctes, et leur 
déclara Tintencion que luy et les desputez à ce, avoient 
inventez. 

« Ce faict luy fust ordonné, prendre la charge de tout 
mectre, distribuer argent et deniers, et ordonner gens en 
œuvre de toutes pars. Oultre, luy fut dit au Conseil : 

« Jehan de Paris, nous nous fions en vous et tout nostre 
honneur gist sur vous ; nous vous le remettons et vous 
promettons que nous vous contenterons bien. » 

(( Ces paroles oyez, ledit suplîent print cuer au ventre» 

et maintenant, on lui a ordonné pour sa paine, travail et 
totalle charge, aultant, au moins que à ceux qui beson- 
grraient à journées. Et tout le monde crioit et disoit : « A, 
« A ! Jehan de Paris sera riche à ceste fois ! » Et lui mesme 
pensoit que sa science luy donneroit sa vie. Et par sa foy 
la despence qu'il a faict durant la dicte entrée monte 



40 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



xvij OU xviij frans pour son mesnage ; or regardez com- 
ment et combien il gaignera avec vous! Et, quand il 
s'en plaint, les gens sont tous esbahis et sont honteux, car 
ils ont veu la paine grande et soucy du dit supplient: Et, 
pour abréger, le dit supplient vous prie et requiert, en 
Tamour de Dieu que la science luy vaille, et, a tout le 
moins, si vous pouvez faire soixante frans, faites qu'il les 
aie. Il ne vous demandit jamaiz rien que a ceste heure, et 
par avanture, ne vous demandera plus. 

« D'aultre part, il n'a esté jamais refusant au service de 
la ville, mais tousjours prest de obéir au mandement, 
comme il fut VI ou V jours avec le capitaine, pour tirés 
la ville de costé de Sainct-Sébastien, quand on parloit de 
faire les murs en hault ; secondement, que jamais ne fust 
paie de l'entrée du duc de Savoie; tiercement, quant 
Tavez fait appeler pour aller voir le lieu pour faire Tospi- 
tal aux Deux-Amans, et assez en d'aultres choses, dont il 
n'eust jamais gaiges ne argent. Mais il n'oublie pas le gra- 
tis que vous aultres, Messeigneurs, luy avez par cy-devant 
fait, touchant le guet et la porte ( Exemptioji de garde 
des portes). Néanmoins ce, le besoin en quoy il est, par 
faulte d'estre paie de ce en quoy il se traveille, a esté 
cause et est contrainct vous faire une telle supplication et 
prière que ayez regard de luy, en disent tous d'un acort : 
« Nous avons un homme en nostre ville, qui est tout à 
<( nous, et ce qu'il a faict pour nous, il a faict de tout son 
« cueur, et luy tout seul nous a tous contentez, mais nous 
« tous le contenteront. » 

c( Et ce faisant, ledit supplient continuera en sa bonne 
et ferme amour envers Messeigneurs les Conseillers et 



DE JEHAN PERREAL 41 



tout le corps de la ville, priant Dieu pour la prospérité 
d'icelle : 

« Ut possimus vivere in galo, 

Jocunditer sine mallo. 

« J. DE Paris. » 

Le consulat reconnut la réclamation fondée et accorda 
40 livres tournois en plus. 

Cette lettre est curieuse à plus d'un titre; elle indique, 
à n'en pas douter, la haute estime que les conseillers de 
la ville attachaient aux inventions du peintre, comme étant 
le plus capable de créer des choses nouvelles et agréables 
pouvant leur faire honneur. Elle constate qu'il était marié; 
que ses efforts et ses travaux ne trouvèrent pas toujours 
une récompense suffisante et proportionnée à leur impor- 
tance. 

Après un long séjour fait à Lyon, Charles VIII quitta 
cette ville le 29 juillet, emmenant avec lui la fleur de la jeune 
noblesse française (dit Commines) pour aller conquérir son 
ro3^aume de Naples. 

Jehan Perreal fut du nombre de ceux qui accompa- 
gnèrent le roi. 

Durant ce séjour à Lyon, Anne de Bretagne fit bâtir le 
couvent des Cordeliers de l'Observance, hors la porte et 
près du château de Pierre-Scize, « lequel fut nommé Nostre- 
Dame-des-Anges » . 

Le roi Charles VIII et la reine Anne de Bretagne 
(( myrent de leurs royales mains la première pierre en signe 
de fondation en laquelle sont figurés et eslevés leurs armes 
le 25 mars 1494 ». 

Le nom de l'architecte n'est pas cité, mais on sait que 

6 



42 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

le consulat avait mandé à Jehan Perreal de se rendre sur 
les lieux pour deviser de l'édifice avec le lieutenant du roi'. 

Ce fait et la faveur dont jouissait dès lors Perreal 
auprès de la reine' permettent de supposer que ce fut à lui, 
plutôt qu'à un autre, qu'elle confia la direction des travaux 
de ce couvent; à la même époque, il prit part à la cons- 
truction de l'église de Saint-Nizier, où il avait élu d'avance 
sa sépulture et celle de sa femme, ainsi qu'il résulte d'une 
délibération capitulaire, dont M. Charvet indique devoir la 
-connaissance à l'obligeance de M. Brouchoud. 

Après quatorze mois d'absence, le roi rentra en France 
par Briançon le 23 octobre, et le 27 novembre il arriva 
avec toute sa noblesse à Lyon qu'il affectionnait particu- 
lièrement et 'OÙ il était attiré, comme on sait, par les 
bonnes grâces des dames lyonnaises. Il y fut pompeusement 
accueilli, « par plus de cent lieues y avait, au travers des 
rues pendant en l'air, escussons faits à la mode de Italie, 
environnés de gros chapelets de fleurs et autres verdures 
joyeuses devant lesquels étaient escussons d'ung côté les 
les armes de France et de l'autre côté les armes de Jéru- 
salem et par dessus estait la couronne impériale magnifi- 
quement faictes ». Il s'y arrêta longtemps et commanda 
des « joustes et tournois les plus somptueuses et merveil- 
leuses ». 

« On jousta, entre autre », raconte Monstrelet, « en la 
grenette devant les Cordeliers, estait la reine dessus la porte 
avec les dames et damoiselles en ung jardin plain de lys blancs 

I. Archives de l'art français 2. J. Perreal venait de peindre le 

(M. Rolle, registre consulaire B B, 20, tableau des Fiançailles dit roi et de la 
de Coloniaj t. II, p. 400.) reine. 



DE JEHAN PERREAL 43 

et jaunes et dessus le dict jardin y avait un bras à une 
manche de taffetas blanc semée d'hermine ; la main était 
d'argent et le pouce d'or, laquelle tenait une chante-pleurs 
(c'est un pot de terre plain de perthuys dessoubs, dont on 
arrouse les jardins) et dessoubs cestuy jardin y avait une 
porte de boys et deux tours couvertes de damas gris et com- 
passés de petits rubans de soye blanche, et fut le dict damas 
donné aux cordeliers, dont ils firent des chappes pour Téglise. 

« Les marteaux de la porte étaient couvers de satin 
jaune. La ferreure et la serreure estaient de satin bleu et 
semblait que ce fut une porte fermant à veoir de loing et 
par là passaient ceux qui tenoyent les rens lesquels estaient 
dedans les Cordeliers. Le reste estait si bien faict que 
merveilles. » 

Perreal ne fut pour rien dans cette entrée à Lyon; il 
a^^ait été autorisé à séjourner quelque temps en Italie; ce 
voyage, qui dura environ un an, avait pour but d'étudier 
la méthode des anciens peintres italiens, ainsi que le goût, 
l'exécution et les procédés de ses contemporains, cherchant 
partout comme les grands artistes à étendre ses connais- 
sances. 

De ce séjour en Italie, il ne tarda pas à subir l'in- 
fluence. La vue des choses antiques qu'il remarqua dans 
les ateliers des artistes Léonard de Vinci, Perugin, Man- 
tegna et autres qu'il visita pendant ce séjour qui dura plus 
d'une année, de 1495 à 1496, modifia son goût. On en vit 
la preuve dans les charmantes arabesques renouvelées de 
l'antique, dont il orna les pilastres du tombeau du duc de 
Bretagne à Nantes en i5o2. 

Sa présence en Italie est signalée par une lettre de 



44 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



Charles VIII, adressée aux échevins de Lyon, datée de 
Verceil, du 22 septembre 1495, deux mois avant sa rentrée 
en France. 

C'est une demande d'exemption d'impôts. 

« Nous voulons et mendons que Jehan Perreal, notre 
valet de chambre que bien cognoissez, doyt être franc, 
quitte et exempt de toutes tailles et subsides. » 

Ainsi, on le trouve, en 1495, dans le rôle de ceux qui 
demandent à être exempts des contributions comme nobles 
ou officiers du roi. 

On voit, dans les archives du consulat, que cette lettre 
du roi fut présentée aux conseillers ; leur délibération porte 
la date du 2 5 octobre 1496 : « Ils ont ordonné que Jehan 
de Paris, en faveur duquel le dict seigneur a escript, soit 
quiet des charges et affaires de la dicte ville, tant qu'il 
sera officier et serviteur ordinaire. » 

L'année suivante, Perreal fut obligé de réclamer la même 
faveur, le i r septembre 1496 : « Les Conseillers advertis 
que Jehan de Paris, painctre et citoyen de Lyon, valet de 
chambre et commensal du Roy notre sire servant ordinai- 
rement le dict sire, considérant aussi qu'il est toujours très- 
volontiers employé à faire plaisir et service de la dicte ville ; 
à cette cause obtempérant à sarequeste, l'ont déchargé et 
exempté des charges et contributions de la ville. » 

La persistance avec laquelle Jehan Perreal demandait 
l'exemption de l'impôt des contributions a pu faire sup- 
poser que sa position de fortune était peu aisée, mais il 
paraît plus probable qu'il ne la réclamait que comme un 
droit inhérent à son office à la cour, et qu'on accordait à 
tous ceux qui servaient la personne du roi de France, car 



DE JEHAN PERREAL 45 



il possédait rue Confort un jardin provenant de la famille 
Léviste, une maison avec jardin dans la rue Neuve-Tho- 
massin d'un revenu annuel de quarante livres tournois. Il 
tenait aussi à loyer, dans la même année 1496, une maison 
située rue Buisson, appartenant à Pierre Bastyda, sacris- 
tain à Saint-Nizier '. 

Pendant son séjour à Lyon, Charles VIII se montra 
reconnaissant du bon accueil que la ville lui fit. 

c( Il exempta les manans et habitans de tout ost (service 
d'armée, ban et arrière-ban) pour les fiefs et seigneuries 
dans le royaume ; » c'est-à-dire que les habitans ne devaient 
plus être convoqués pour le compte du roi ou celui des 
seigneurs pour « quelque cause que ce fust » ; ce privilège fut 
le dernier acte de l'affranchissement définitif des serfs de la 
féodalité et la conséquence naturelle des chartes organiques 
des communes créées par Louis XI en 1478. En outre, il 
accorda la noblesse aux conseillers de la cité pour eux 
et leur postérité ; puis enfin , sous l'influence de Jehan 
Perreal, il approuva, par lettres patentes du 21 décem- 
bre 1496, les statuts des peintres, tailleurs d'images et 
verriers de Lyon, qui sont le document de ce genre le 
plus explicite que nous ayons en France pour le quinzième 
siècle. 

Cette confrérie des artistes de Lyon, reproduisant celles 
d'Italie, a pu devoir son existence à l'initiative prise par 
Jehan Perreal lors de son retour, et nous croyons avec 
M. Dufay qu'il contribua puissamment à son organisation. 
Nous en donnons le texte complet. {Voir aux Documents.} 

Son nom figure trois fois dans ces statuts, toujours en 

I. Note de M. RoIIe. 



46 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

tcte ; on peut en inférer qu'il en était le président, en sa 
qualité d'artiste le plus prédominant, et de peintre du roi, 
et qu'il ne fut pas étranger à la rédaction de ce document 
curieux. Le trente -et -unième article de ces statuts nous 
apprend un fait qui n'a pas été assez remarqué, c'est que 
Jehan Perreal était peintre-verrier ». 

« Pourront les dits peintres besoigner de peintures, de 
verreries ensemble ceux qui ensuivent quand bon leur sem- 
blera ; c'est à savoir Jehan de Paris, Jehan Blie, Jehan 
Provost, Pierre de Fa Paix dit d'Aubenas, Dominique Du- 

jardin » La plupart des signataires de ces statuts 

furent les collaborateurs de Jehan Perreal. 

A peine de retour d'Italie, Jehan Perreal assista aux 
derniers moments de son roi, qui mourut le 7 avril 1498^. 

Les affaires du mariage de Louis XII avec Anne de Bre- 
tagne, qui eut lieu le 6 janvier 1499, n'avait pas absorbé 
toutes ses pensées. Comme son prédécesseur il n'avait 
d'yeux que pour Fltalie. L'armée française se réunissait à 
Lyon, tout était prêt vers la fin de juillet, le roi vint y pas- 

1. De là, il est permis de conclure porta le deuil en noir, jusqu'alors les 
d'une manière presque certaine que veuves des rois s'habillaient en blanc; 
Jehan Perreal est le peintre des vi- Anne prit la couleur noire comme 
traux de l'église de Brou, d'autant symbole de la constance, « parce 
pius que, lui seul en France à cette qu'elle ne peut se déteindre », et elle 
époque, dessinait avec un pareil talent adopta pour devise cette fameuse cor- 
et peignait avec des couleurs aussi delière qu'on retrouve dans la plu- 
belles. Et que Ton n'a trouvé aucune part des monuments de cette époque, 
note, aucun renseignement sur Tau- entre autres sur la façade de l'église de 
teur de ces cartons, a écrit le Père Brou. La cordelière ou cordeliée, qui 
Rousselet. Neuvième édition, 1876. formait le corps de la devise, était 
Bourg-en-Bresse, page 93. accompagnée de cette légende : J'ai le 

2. La reine exprima un grand cha- corps délié, les jeux de mots étant 
grin de la mort de Charles VIII, elle en grande faveur à celte époque. 



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DE JEHAN PERREAL 47 



ser la revue. Dès le milieu du mois de juin, Jehan Perreal 
qui avait été maintenu en sa double qualité de peintre et 
de « varlet » de chambre du roi, sans doute sur la recom- 
mandation de la reine Anne de Bretagne, prévint officieu- 
sement le consulat de ce voyage ; il arriva bientôt après 
pour s'occuper de la direction des fêtes et des mystères qui 
devaient avoir lieu. 

A cette occasion, on fit confectionner, sur le dessin de 
Jehan Perreal, un porc-épîc couronné, assis sur une ter- 
rasse, du prix de mille écus, pour Tofifrir au roi qui fut 
très sensible à ce cadeau, lui rappelant un ordre créé par 
son aïeul '. 

C'est également à cette occasion que le consulat fit exé- 
cuter pour la reine la belle médaille à son effigie et à celle 
du roi en buste, dans un champ semé de fleurs de lis et 
d'hermine, entourée de la légende : Lugdun. Republica 
gaudete bis. Anna régnante bénigne sic fui conjlata^ ^499; 
à Texergue, un lion, symbole de la ville; c'est la première 
du genre ^. Ces deux remarquables figures furent exécutées 
sur les dessins de Jehan Perreal, peintre du roi, par maistre 
Nicolas Leclerc, Jehan du Saint-Priest, sculpteurs, et Jehan 
Lepère, orfèvre, dont les noms se trouvent dans les statuts 
des artistes de Lyon. 

Le mercredi 10 juillet 1499, Louis XII fit sa première 



I. Louis d'Orléans, fils de Charles V, nés en les lançant contre ceux qui 

à Toccasion de la naissance de Charles l'attaquaient. 

d'Orléans, Taimable poète, qui fut le 2. Elle servit de modèle à Louis XII 

père du roi Louis XII. La devise de pour faire graver son buste sur la 

cet ordre était : Cominus et eminus (de monnaie, qui de là fut appelée « Tes- 

près et de loin), on croyait alors que tons» (pièces à tête). H. Martin, tome 



le porc-épic se défendait avec ses épi- VII. 



48 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

entrée à Lyon, laquelle fut très solennelle « et fut faict plu- 
sieurs beaux mystères et choses joyeuses ». 

Nous ne décrirons pas 1^ détail des fêtes, parce qu'elles 
diffèrent peu de celles qui eurent lieu pour l'entrée de 
Charles VIII en 1489 ; il nous suffira de dire que le mys- 
tère composé par Jehan Perreal fut joué sur la place Con- 
fort. Que des vers composés par Jehan Perreal à la louange 
du Roi et de la Reine furent récités par de belles jeunes 
filles habillées en riches étoffes de soie, représentant des 
figures allégoriques : Amour-Souverain , Force ^ Prudence ^ 
Justice. 

Les quatre Éléments soumis par la puissance de la 
France étaient une allégorie en Thonneur de Tarmée. Nep- 
tune fut traîné sur un char par des Sirènes précédées de 
Tritons, embouchant des trompettes. 

En i5oo, Louis XII fit un deuxième voyage en Italie, 
il partit pour la conquête de Naples avec son allié Ferdi- 
nand d'Espagne. Cette fois encore Jehan de Paris accom- 
pagnait le roi. A cette occasion, Anne de Bretagne fit 
une nouvelle entrée solennelle le i5 mars. On se borna 
à l'exhibition des « mystères et ystoires connus », on ne 
fit aucun présent, vu la fâcheuse situation de la caisse 
municipale. 

Le 23 mars i5o3, l'archiduc Philippe arriva à Lyon, il 
venait d'Espagne à propos d'une transaction qui devait ter- 
miner la guerre et d'un projet de mariage entre Charles 
d'Autriche et Claude de France. Louis XII arriva à Lyon 
le 29 mars, il avait été précédé depuis cinq jours par la 
reine Anne, Madame de Bourbon, et par toute la noblesse 
de France; la réception fut très brillante, le peuple se ré- 



DE JEHAN PERREAL 



49 



jouit en criant la paix entre le roi de France et le roi 
d'Espagne. 

Après en avoir délibéré, le consulat avait décidé, à ce 
sujet, le 2 janvier i5o3, qu' « en raison de Tarrivée de mon- 
seigneur Tarchiduc comte de Flandre, on devroit attendre 
ce que le roi en mandera, et on l'apprendra de M. Jehan 
de Paris % pour inventer les ystoires ». 

Ce passage montre la haute position qu'occupait Per- 
real, puisqu'il servait d'intermédiaire entre la cour et le 
consulat de Lyon. 

1. Archives municipales de Lyon, registre consulaire BB. 





CHQ^TITIi^E "BEUXIÈ^ME 



PREMIÈRE PÉRIODE 

DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE 



N A N T K s K T BROU 



I :> O 2 - I 3 I 2 



Anne de Bretagne demande à J. Perreal le modèle d'un tombeau pour son 
père, François H, et charge le sculpteur Michel Colombe de Texécution, 
i5o2. — Description du monument. — Son importance pour l'histoire de 
l'art français. — Mort de Philibert le Beau, duc de Savoie, en i5o4. — 
Marguerite d'Autriche charge J. Perreal de lui faire le plan d'une église 
pour abriter ses restes et les siens. — En i5io, elle le nomme son peintre 
et valet de chambre. — Traité du sculpteur Michel Colombe pour l'exécu- 
tion, à Brou, du tombeau selon l'ordonnance de J. Perreal. — Sa brouille 
avec la princesse, qui charge en i5i2 le maître maçon L. van Boghen de 
la construction et Conrad Meyt des travaux de sculpture. — Description 
des trois tombeaux de Brou. — Statuettes admirablement sculptées par 
des artistes lyonnais. — Leur importance pour l'histoire de l'art national. 
— Vitraux de la plus grande beauté peints dans l'église de Brou. 

C'est vers cette époque qu'Anne de Bretagne demanda 
à Jehan Perreal de lui faire un dessin pour le tom- 
beau qu'elle se proposait d'élever à son père François II et 
à sa mère Marguerite de Foix, dans une église de Nantes. 
Jusqu'à ces derniers temps, on avait ignoré le nom de 
l'architecte de ce magnifique mausolée; il était resté ense- 
veli dans un injuste oubli, avec toutes nos gloires artisti- 



RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



ques du quinzième siècle, et Ton en attribuait tout le 
mérite au célèbre sculpteur Michel Colombe; cependant la 
nature de la composition qui est plus architecturale que 
sculpturale, et la parfaite harmonie de toutes les parties qui 
le composent, auraient dû amener *à penser que le dessin 
appartenait à un architecte et l'exécution à un sculpteur. 

C'est ce qu'est venu nous révéler dernièrement une 
lettre de Jehan Perreal à Louis Barangier, secrétaire de 
M"" Marguerite d'Autriche, datée de Lyon du 4 janvier i5i r, 
dont voici un extrait * : 

<( Monseigneur, je vous ai envoyé le patron de la sépul- 
ture du duc de Bretagne, tout ainsi qu'elle est faite sans y 
adjouster ni diminuer, tant marbre blanc que noir, les ver- 
tus ont VI pieds de hault, les gisants VI et demi, les 
apostres 11 pieds; ce dit patron ay-je fait juste, vous en 
povez parler bien au long; j'ai esté toujours quand on la 
faisait, ou le plus de temps, je Tai prise en son lieu 
comme aultre fois vous ay conté. 

i( Mais quant au marbre, on l'a fait venir de Gênes 
jusqu'à Lyon, puis de Lyon jusques à Rouanne par terre, 
et puis de là à Tours par eau. 

« Michel Colombe besongnait au moiz et avait pour 
moiz XX escus, l'espace de sine ans; il y avait deux tail- 
leurs de massonnerie italiens qui avaient chacun VIII escus 
pour moiz, l'espace de sine ans; il y avait deux compa- 
gnons tailleurs d'images soubz Michel Colombe, qui avaient 
VIII escus pour moiz l'espace de sine ans: on paioit tous 
fers afferez, tous outilz, tous pollicemens, tous cymens, 

I. Cette pièce de Jehan Perreal a travail remarquable sur les œuvres de 
été publiée par M. B. Fillon dans son Michel Colombe. (Docum., lettre E). 



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TOMBEAU DE FRANÇOIS II ET DE MARGUERITE DE FOIX. 

VUE GÉNÉRALE. 



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DE JEHAN PERREAL 53 

finallemenc, la chose a été si bien achevée, que je i*aî posée 
au lieu désiré par la dicte dame, et cousta à poser, tant 
pour faire la voulte pour mettre le corps, que pour les 
engins, que pour l'enrichir d'un peu d'or, la somme de 
y soixante livres", car j'en ay tenu le compte. » 

Par ces lignes, il est incontestable qu'à Jehan Perreal 
appartient la composition, tandis que Michel Colombe en a 
été un interprète docile et habile. 

Ce monument, qui n'a pas de supérieur en France, 
repose sous les voûtes de la grandiose cathédrale de Nantes; 
les plus illustres maîtres de Tltalie pourraient avouer cette 
grande et simple ordonnance, ce mélange de force et d'élé- 
gance, cette noblesse de forme, cette ampleur de draperie, 
le choix exquis des ornements; mais ce qui marque ce 
chef-d'œuvre d'une puissante originalité, c'est que l'artiste 
en s'élevant assez haut vers l'idéal, pour atteindre la vraie 
grandeur et la vraie beauté, n'a pas perdu de vue son pays 
et sa race. Son œuvre transportée dans les musées d'Italie 
décèlerait une main française ; les figures n'ont pas la 
beauté grecque ou romaine, elles sont la forte expression 
de ce vieux type gaulois qui est resté marqué en traits 
ineffaçables chez les femmes de notre pays. 

Cet admirable mausolée en marbre blanc, noir et vert 
est élevé de cinq pieds et posé sur un socle en marbre 
blanc couvert d'une mosaïque qu'entrelacent des F et des 
hermines; sur la table de marbre noir sont couchées deux 
statues en marbre blanc de six pieds et demi de longueur. 
Celle de droite représente François II, vêtu de son man- 
teau ducal, les mains jointes, ayant à ses pieds un lion 

I. Cinq cent soixante livres. 



RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



couché, tenant dans ses pattes Vécu de Bretagne couronné; 
celle de gauche, représente Marguerite de Foix, sa seconde 
femme, vêtue également de son manteau ducal, les mains 
jointes, ayant à ses pieds une levrette portant au cou les 
armes de Bretagne et tenant dans ses pattes Técu de Foix 
et de Bretagne; trois anges de la plus grande beauté sou- 
tiennent les coussins brodés sur lesquels reposent les têtes 
couronnées du duc et de la duchesse. 

Debout sur Testrade aux angles du monument, quatre 
superbes statues de six pieds de haut représentent les Ver- 
tus cardinales; c'est dans ce parti de cantonner la masse 
du mausolée que Ton retrouve le peintre-architecte; ces 
quatre figures représentent la Justice, la Prudence, la Tem- 
pérance et la Force. 

La Justice passe pour être le portrait de la reine Anne; 
elle tient de la main gauche le livre des lois, et de la 
droite une épée pour les faire respecter. La Prudence a 
dans les mains un compas et un miroir; le derrière de la 
coiffure représente un visage de vieillard; la Tempérance 
tient un mors et une horloge; quant à la Force, la compo- 
sition en est savante et profondément exprimée, on éprouve 
en la contemplant une impression indéfinissable ; cette statue 
a dû coûter à l'artiste plus de travail et surtout plus de 
méditations que les autres; nous signalerons la pose et le 
mouvement de la main droite comme l'expression d'une 
volonté qui agit sans effort ; le mouvement de la tête qui est 
couverte d'un casque de forme particulière a été étudié dans 
le même sentiment; une cuirasse richement ornée lui des- 
sine fortement le buste; de cette main droite elle écrase un 
monstre qu'elle arrache d'une tour crénelée soutenue par 



DE JEHAN PERREAL 55 



sa main gauche ; ce geste nous montre ses bras vigoureux 
et nus que découvrent ses manches fendues. 

Ces quatre statues sont admirables, les draperies sont 
rendues avec une rare perfection, et, dans chaque figure, on 
remarque une individualité frappante, bien que toutes les 
quatre soient également nobles et belles. 

Dans de petites niches, au-dessous des statuettes, sont 
seize pleureurs ou pleureuses, la tête en partie couverte d*un 
capuchon; leurs visages et leurs mains sont en marbre blanc, 
le reste en marbre vert. 

Autour du monument sont seize statuettes en marbre 
blanc ; dans des niches en marbre rouge, à droite et à gauche, 
sont les douze apôtres; à la tête, Charlemagne et saint 
Louis; aux pieds, saint François et sainte ^Marguerite, pa- 
trons des ducs et de la duchesse. Des pilastres en marbre 
blanc couverts d'arabesques d'un fini et d'une élégance remar- 
quables séparent chaque niche. 

Peut-être est-il permis d'attribuer à Jehan Perreal Tin- 
génieuse idée d'avoir, le premier, introduit dans les orne- 
ments de la sculpture ces délicates arabesques renouvelées 
de l'antique? Quoi qu'il en soit, il est certain qu'il fut le 
premier qui les introduisit en France, car on n'en connaît 
pas d'exemple avant i5o2. On peut ajouter que, sous le règne 
de Louis XII, la France a sculpté aussi bien que l'Italie, et 
que c'est sous ce règne que notre sculpture a eu ce merveil- 
leux développement, si malheureusement arrêté, sous Fran- 
çois P**, par le mauvais goût des artistes italiens de la déca- 
dence qui travaillèrent à Fontainebleau. 

En somme, cette œuvre est celle d'un maître de la plus 
haute lignée, le dessin en est fier et d'une grande tournure. 



66 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

les attitudes sont nobles et élégantes, les draperies pré- 
sentent des plis d'un grand goût, et quelle que soit la place 
qu'on lui assigne dans le premier rang, il est impossible 
de la mettre au second. 

C'est dans le cours de ce travail que Perreal reçut, le 
3 juin i5o5, une nouvelle marque de confiance du roi et 
de la reine qui le chargèrent de la surintendance générale 
de la vaisselle d'or '. 

Le 10 septembre i5o4, expirait au château de Pont- 
d'Ain à l'âge de vingt-quatre ans, après trois ans de 
mariage, Philibert le Beau, duc de Savoie. 

La douleur de sa veuve* Marguerite d'Autriche fut 
grande; elle mit en dépôt le corps de son mari dans l'an- 
cienne église de Brou, auprès de celui de sa mère, Margue- 
rite de Bourbon, et s'occupa dès lors du projet d'élever un 
beau monument où elle viendrait à son tour reposer un 
jour près de Tépoux qu'elle venait de perdre. 

« Il ne se faut esbahir si elle fut alors gehénée d'une 
extrême angoisse, perdant le plus riche duc qui oncque fut 
en Savoye ; et avec sa beauté, grandeur, douceur et huma- 
nité inestimable, si bien que le soleil ne vit oncques de son 
temps, prince où le ciel eust tant espanché de ses faveurs 
qu'en eeslui-cy. Par quoy se voyant la dite dame plus 
extrêmement passionnée, et plus d'effort elle monstroit de sa 
patience et plus recouroit à Dieu qui seul est le consolateur 2. » 

Son projet était de faire construire un couvent et une 
église dans le sanctuaire de laquelle seraient déposés les 
restes de ses plus chères affections. 

I. Renaissance des arts à la Cour de 2. Chronique de Savoie, livre III. 

France, tome 1. Supp., p. 74S. 



DE JEHAN PERREAL Sy 

Son but a été atteint, le tombeau de Philibert le Beau 
se trouve placé entre celui de sa mère et celui de sa femme, 
dans le chœur de l'église de Brou. 

Il s^était passé vingt-quatre ans, depuis que sa belle- 
mère avait fait le vœu d'y construire un monastère de 
Tœuvre de saint Benoît, si elle obtenait le rétablissement 
de son époux; il recouvra la santé, mais la duchesse 
mourait avant d'avoir rempli cette promesse dont elle avait 
recommandé l'accomplissement à son fils Philibert. 

Marguerite s'occupa dès lors de l'exécuter et de satisfaire 
en même temps au mouvement de son cœur. 

Dans cette entreprise, elle éprouva bien des contrariétés : 
son conseil lui fit envisager l'état des finances du duché, la 
médiocrité de ses revenus et Timmensité des dépenses dans 
lesquelles elle allait s'engager; d'une nature forte et tenace, 
elle n'en fut point ébranlée et s'occupa tout de suite de réunir 
les sommes nécessaires pour mener à bonne fin cette grande 
entreprise et de solliciter de la cour de Rome les bulles 
nécessaires pour l'accomplissement de son projet. 

Puis elle entra en pourparlers avec J. Perreal, qu'elle 
avait connu à la cour de France^ et que la conception si 
éminemment remarquable du tombeau élevé à Nantes, par 

I. Marguerite d'Autriche, âgée seule- les VIII avec Anne de Bretagne, 

ment de trois ans, fut fiancée à en 149?. 

Charles VIll; conduite à Paris en juin a On ne peut douter, dit M. Dufay, 

1483, elle y passa dix ans de sa pre- que Jehan Perreal n'ait été le premier 

mière jeunesse dans l'étude des lettres maître de dessin et de peinture de la 

et des beaux-arts qu'elle aimait pas- jeune Marguerite, surnommée la pe- 

sionnémentetqui en ont fait Tune des tite reine. En effet, à qui pouvait-on 

femmes les plus savantes de son mieux s'adresser qu'au peintre du roi 

siècle. pour lui donner les meilleures leçons 

Marguerite ne quitta la France que de l'art dans lequel elle excella plus 

deux ans après le mariage de Char- tard ? w 

8 



58 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

ordre de la reine Anne, à son père François II, duc de 
Bretagne, et à sa mère Marguerite de Foix, avait placé au 
premier rang des artistes de son temps', pour le charger 
d'esquisser le plan d'un couvent, d'une église et de deux 
sépultures. 

C'était le plus glorieux travail que Jehan Perreal pût 
rêver, par le fait du voisinage de sa ville natale; il accepta 
donc avec empressement; sa pension fut fixée ^ à vingt écus 
d'or au soleil par année. 

J. Perreal se mit à l'œuvre et soumit d'abord le plan du cou- 
vent à la princesse qui l'agréa. C'est en l'année i5o5 qu'un 
document^, le prix fait du couvent et de l'église de Brou, fixe 
la date du commencement des travaux qui furent confiés, 
par- devant Loys Vionet, trésorier de Bresse, « à cinq 
massons pour faire le tout celon le pourtraict dont ils 
auront le double ». Le 27 août i5o6, Marguerite revint à 
Brou et posa la première pierre de l'église en présence de 
Laurent Gorewod, gouverneur de la Bresse, et des per- 
sonnes invitées par lui à la cérémonie; dès lors, les travaux, 
qui eurent d'abord pour objet le couvent, se poursuivent, et 
l'on voit, d'après une lettre adressée à la princesse le 
28 août i5o8, par frère Claude, qu'ils étaient, sinon 
terminés, du moins très avancés. « Je prye Dieu que vous 

I. La renommée de Perre'al devait attiré Tattention fut un grand hon- 

êtrc à la hauteur de celle des plus neur pour l'École française du 

grands maîtres de ce temps, pour quinzième siècle, 

avoir engagé la gouvernante des Pays- 2. Lettre du 14 juillet i5io. Docu- 

Bas, fille de Tempereur Maximilien, à ments C. 

s'adresser à lui, de préférence aux 3. Documents authentiques et iné- 

grands artistes de ses États, dans le dits; Histoire de Véglise de Brou, 

but d'avoir un dessin pour ces tom- par Jules Baux, page 3ii, édition 

beaux. Ce choix, sur lequel on n'a pas i865. 



Il 




LA FORCE 
STATUE nu TOMBEAU DE FRANÇOIS II. 



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DE JEHAN PERREAL Sg 



donne grâce de venir visiter votre très magnifique couvent 
et vos très révérends religieux de Brou^ » 

Quant à Téglise, la construction n'en était pas encore 
commencée cinq ans après =, faute d'argent peut-être, car 
on voit que les gages des employés étaient payés d'une 
façon très irrégulière. Quoi qu'il en soit, on peut conclure 
que le retard apporté dans ces travaux provenait du fait 
de la princesse et non de l'architecte, ainsi que quelques 
personnes l'ont prétendu. 

On lit dans son testament, daté du 20 février i5o8, que 
Marguerite a changé son plan et qu'elle a décidé de faire 
construire pour elle un troisième tombeau à côté de celui 
de son mari. 

« Item, nous élisons la sépulture de nostre corps en 
l'église du couvent de Sainct-Nycolas de ToUentin-lez-Bourg 
en Bresse, lequel nous avons fondé et faisons présentement 
édifier et construyre. 

(c Voulons et ordonnons que par les exéquteurs de notre 
présent testament cy-après nommez soit achetté ung* ou 
deux draps, tels qu'ils adviseront pour mectre sur nostre 
dict corps et à çhascung quarré des dicts draps ou drap 
soyent mises nos armes ea bordure, et voulons être inhumée 
emprès le corps de feu nostre très chier seigneur et mary 
le duc Philibert de Savoye, que Dieu absoille, du cousté 
sénestre; et au destre sera le corps de feu M"' Marguerite 
de Bourbon sa mère, et le corps de mondict seigneur et 
mary au milieu. » 

1. Doc. A. Lettre de frère Claude. Lemaire, que Marguerite n'avait pas 

2. Documents, lettre D. On voit par donné à cette époque Tordre de com- 
cette lettre du 25 novembre i5io, de mencer les travaux de Téglise. 



6o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

En livrant en i5o5 les plans des bâtiments à construire 
à Brou, Perreal n'avait fait qu'ébaucher les dessins de 
Teglise et des tombeaux; Marguerite chargea donc Jean 
Lemaire de l'informer de ses nouvelles intentions. Il était 
alors en Italie, à la suite du roi Louis XII, en guerre 
contre les Vénitiens, pour le prier de lui faire un « patron 
de quelque mode digne de mémoire » s'il est possible. 

Dès son retour de voyage, Jehan Perreal s'empressa de 
lui écrire une lettre datée du i5 novembre 1609, qui mérite 
d'être remarquée' et dont voici un extrait : 

« Madame, tant et sy très humblement que fère puis en 
votre bonne grâce me recommande. Madame, depuis le 
temps que de vous je receu une lestre contenant en somme 
que vouliez que fusse paie d'une pension que de piessa 
vous pieu me donner et de bon cueur octroier, de laquelle 
ay joy deux ans, et jà sont passez trois que n'en ay rien 
receu, j'ai esté en cour tousjours, et en ceste dernière 
guerre contre les Véniciens, .où ay eu plus de dangier que 
de mal. Et quand j'ai esté arrivé à Lyon, j'ai treuvé Jehan 
le Maire qui avoit faict un volume que je croy avez à pré- 
sent et d'aultres euvres, lequel me dit vostre instruction 
touchant trois sépultures que volez fere en l'esglise que 
faictes fère près de Bourg, que l'on me dit devoir estre 
fort belle. Sy me dict que on vous en avoit faict quelques 
patrons, mais il me dit que s'il estoit possible d'en faire 
ung de quelque mode digne de mémoire que vous l'avez 
agréable. Sy me suis mis après tant pour mon debvoir 
envers vostre majesté que pour l'amour que je vous doy, 

I. Perreal était donc au service de Marguerite comme architecte depuis 
l'année i5o5. Documents, lettre B. 



DE JEHAN PERREAL 6i 



et ay revyré mes pourtraictures, au moins des choses anti- 
ques que j'ay vu es parties d'Italie, pour fère de toutes 
belles fleurs ung trossé bouquet dont j'ai montré le ject au 
dit Jehan le Maire, et maintenant fais les patrons que 
j'espère aurez en bref'. » 

Cette insistance de la princesse qui prouve que les plans 
dont elle parle ne la satisfaisaient pas, qu'elle rêvait autre 
chose, un plan de l'invention de Jehan Perreal, est bien 
un témoignage de la haute estime qu'elle avait pour 
son talent et son goût, et qu'elle n'avait pas cette anti- 
pathie pour tout ce qui n'était pas flamand, et surtout pour 
ce qui était français, ainsi que plusieurs écrivains l'ont 
prétendu. 

Satisfaite non seulement de la bonne volonté de J. Per- 
real de « revyrer » de suite ses dessins, au moins des choses 
antiques qu'il a vues en Italie, mais aussi des plans par lui 
faits, qu'elle a reçus par l'entremise de Jean Lemaire, pour 
dresser les sépultures qu'elle fait w fère » au couvent de Saint- 
Nicolas de Tolentin-lez- Bourg en Bresse, Marguerite lui 
fit remettre le 14 juillet i5io par son trésorier, Diego 
Florès, le payement de trois années finies à Pâques, de ses 
gages et pension, et le nomma en outre son peintre et 
« varlet de chambre ^ ». Dans le but de diminuer la dépense, 
la princesse avait le projet d'employer 1' « albastre » pour une 
grande partie de l'œuvre; elle avait chargé Lemaire de 
faire des recherches à ce sujet et de lui en envoyer des 
échantillons, ce qu'il fit; en réponse, elle lui écrivit 
d'Amiens, le 10 octobre i5io : 

« Nous trouvons, par ceulx qui se y cognaissent, que 

I. Voir aux Documents, lettre B. 2. Voir aux Documents, lettre C. 



62 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

le dict albastre n'est aucunement bon pour nos dicts ou- 
vraiges'. » 

Le 22 novembre, Lemaire lui écrivit de Bourg pour se 
disculper, puis termine ainsi sa lettre. 

« Par la voix et le dire d'un chascun il serait désormais 
temps de commencer vostre esglise^. » 

Cette lettre est la première parlant de Tédification de 
Téglise, qui devait cependant tenir tant au «cueur» de la prin- 
cesse, et Ton est surpris de voir que jusqu'à ce jour il n*est 
question que des trois sépultures; d'où l'on peut conclure 
qu'elle se préoccupait beaucoup plus de ces tombeaux que 
de l'église, ou peut-être que ses ressources étaient absorbées 
par la construction du couvent; dans tous les cas, il est 
évident que ce retard ne provenait en rien du fait de Jehan 
Perreal. 

Cette lettre de Lemaire amena Marguerite à demander à 
Perreal, son peintre, « riche de science, d'entendement, d'in- 
géniosité, d'audace, d'honneur, d'avoir et d'auctorité^ », de 
lui faire un « patron ou plate-forme » pour Téglise. Le 4 jan- 
vier i5ii, il lui répondit qu'il serait très joyeux de s'y em- 
ployer et de l'aider de tout ce qu'il a vu, mais que c'était 
une chose «que ne se faisait pas sans y penser, tant au lieu 
qu'à sa convenance et selon ce qu'elle désirait»; et à Louis 
Barangier, son premier secrétaire et maître des requêtes, il 
parle^ de la même affaire, mais en termes plus précis: après 
lui avoir donné des détails techniques sur les diverses qua- 
lités et défauts de Talbâtre, il l'engage à conseiller à Ma- 
dame de faire lesdites sépultures de marbre blanc « prins à 

1. Voir aux Doc. (lettre D, lo oct.). 3. Voir aux Documents (lettres E F), 

2. Voir aux Doc. (lettre D, 22 nov.). 4. Voir aux Documents (lettre D). 



DE JEHAN PERREAL 63 



Gênes et de marbre noir prins à Liège », ainsi que la « royne » 
(Anne de Bretagne) a fait, car sans mentir, l'œuvre sera 
«perpétuelle et de princesse», tandis que «Talbastre ne saurait 
durer quatre cents ans, non pas trois ». 

A Tappui de ce conseil, Perreal joignit le plan de la 
sépulture du duc de Bretagne, «tout ainsi qu'elle est faicte 
sans y adjouster ne diminuer avec les mesures et les prix 
payés aux ouvriers ». 

Quelques jours après, en février, la princesse lui écrivit 
de Malines une lettre officielle lui apportant sa nomination 
de contrôleur de Tédifice de Brou, l'inscription de son fils 
au rôle des bénéfices du comté de Bourgogne, et lui expri- 
mant le désir de connaître le marché de Michel Colombe 
pour le fait des sépultures, ainsi que le temps qu'il demande 
pour les exécuter. 

En voici le texte : 

« Marguerite Archiduchesse d'Austrie, ducesse et com- 
tesse de Bourgoigne, duagière de Savoie, très-chier et bien 
amé, nous avons receu vos lettres, et puisque Jehan Lemaire 
nous a layssé ' nous ne voulons avoir aultre contrerolleur en 
nostre édifice de Brou que vous-même; pour ce quoy en- 
tendre, nous désirons sçavoir quel marchié Michel Colombe 
a avec vous, pour le faict de nos sépultures et dans quel 
temps il pourrait avoir parfaict. 

a Quant à vostre fils, le ferons mectre au roôle des bé- 
néfices de notre conté de Bourgoigne. 

« Escript de Malines, k.... jour de febvrier xv*^xi. 

« Marguerite. » 

I. Lemaire avait quitté le service d'indiciaire et d'historiographe de la 
de Marguerite pour accepter la charge reine Anne de Bretagne. 



C>4 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

Ainsi qu'on le voit, l'église n'était pas commencée au 
mois de janvier i5ii, Jehan Perreal allait en faire le plan 
et Marguerite lui en témoigne sa satisfaction. 

Le 3o mars i5ii, il écrit de Blois à Louis Baran- 
gier : 

« Monsieur, tous les patrons sont faiz et bien enquessez; 

je le mande à Madame Vous voiez la payne que je prends 

et de bon cuer, tant en inventions que patrons. Et sur ma 
foy, les derniers pourtraiz ou patrons que j'ai fais, tant celuy 
de l'esglise que des trois aultres, m'ont donné beaucoup de 
mal et toujours y va du mien, tant aux alées que venues et 
aultres dépenses. Mais surtout ce m'est un grand rompement 
de teste, tant pour inventer que pour faire au gré de Ma- 
dame, qui est le tout^ » 

Jehan Perreal se plaignait, en outre de ses dépenses, 
du manque de zèle des conseillers municipaux, mais par- 
ticulièrement d'un sculpteur de Salins, nommé maistre 
Thibault, mauvais ouvrier, qui lui était particulièrement 
hostile et qu'il désirait remplacer par Michel Colombe et 
ses neveux. 

Après le départ du roi Louis XII, de Lyon pour Blois, 
le 9 septembre i5ii, Jehan Perreal se rendit à Bourg, avec 
les maîtres maçons Henriet et Jean de Lorraine « tous deux 
très grands ouvriers en l'art de massonnerie, pour besoigner 
aux pourtraicts de l'esglise 2». 

Il rendit compte de sa visite, le 8 octobre suivant, à 

1. Voir aux Documents, lettre H. l'œuvre et maître masson à la plupart 

2. Charvet, p. 81 et 82, «Jehan de des ouvrages exécutés à Lyon, pont 
Lorraine, maistre de métier (massons). du Rhône, hôpitaux, hôtel de ville, 
maistre jurez de la ville de Lyon en etc. » Quant à Jehan Henriet, c'est à 
i5i I ; il a coopéré comme maistre de la cathédrale de Lyon qu'il a travaillé. 




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DE JEHAN PERREAL 65 

Louis Barangier dans une lettre restée longtemps iné- 
dite'. 

« Monsieur, je vous averti que je, avec Jean Lemaire, 
me suis transporté au lieu de Bourg et nous sommes pré- 
sentez à mes dits seigneurs et avons mené deux maistres 
massons et avec ceulx de Brou avons bien calculé, spéculé 
et regardé le lieu tant à bastir que celui qui est basti pour 
les frères, et fismes par cordeaux pour mieux juger du tout, 
mais considérant le bastiment, jà fait qui n'est pas peu, 
nous sommes tous d'un accord délibéré de faire une esglise 
à iceluy correspondant. 

(c Considérant plus faire ouvrage de fille d'empereur que 
pour aultre regard. Sy me suis mis après et ay fait une 
plate-forme que Monsieur Tindiciaire porte 

« Monsieur, je vous ay bien voulu escripre au long à 
fin qu'il vous plaise de donner à entendre à Madame que 
je vouldroie avoir autorité à tout le moins de conduire les 
choses à la vérité, je dis pour l'amour de la sépulture, de 
quoy je suis bien empesché avec l'homme que scavez ^ et 
croy que je ne scay que je feray, combien que je faiz faire 
les patrons, depuis que j'ai sceu que Madame veult qu'il se 
face^. 

« Maistre Jehan Lemaire vous dira bien la douleur ou 
trouble en quoy j'en suis. 

(( Monsieur, je vous rescrips non pour vous rompre la 
teste,, mais pour vous donner à entendre que si Madame se 



1. Documents, lettre J. Nous don- quait, disant qu^il n'était que peintre, 
nons à la fin le fac-similé de Toriginal 3. M™e Marguerite tenait évidem- 
qui fait partie de notre cabinet. ment beaucoup à ces patrons de 

2. LcsculpteurThibaultquilecriti- Perreal, quoi qu'en ait dit M. Baux. 



66 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

veult servir de moy en tel cas comme de Tesglîse et sépul- 
ture, certes il est forcé que je soie obéy en ce qu'elle veult 
et ce qui sera de raison ou je ne viveroy pas comme j'ay 
acoustumé qui est que toujours j'ay aymé science et la per- 
fection d'icelle. 

(c Monsieur, Tindiciaire vous dira au vray ma bonne vo- 
lonté. Justa illiid difficile est indigenti bene operare. Ce n'est 
pas ce qui me mainne, mais c'est de bien commencer, de 
non avoir faulx rapports et estre obéy en bien faisent. » 

Lemaire, qui était allé à Tours pour faire faire les patrons 
des sépultures en terre cuite par Michel Colombe, afin d'obéir 
aux ordres de Marguerite, lui écrivit de cette ville le 22 no- 
vembre i5ii '. 

«Ce brave homme est fort ancien et pesant : c'est à savoir 
environ quatre-vingts ans; il demandait le terme jusqu'à 
Pàque pour ce travail, il faut que je le gagne par doulceur 
et longanimité, mais je feroy tant que je réduiroy le tout à 
trois mois : Je vous assure. Madame, que vous aurez un 
des plus grands chiefs d'œuvre qu'il fit en sa vie; car vous 
verrez la sépulture de feu Monseigneur en toute perfection 
comme elle sera. 

« Le gisant aura cinq pié et demi de longueur, les ver- 
tus demi pié et toutes les autres imaiges à la correspon- 
dance; et la massonnerie qui sera grand chose en toute per- 
fection, comme si vous la voyez en grand volume, tellement 
que les ouvriers qui besoigneront après seront tenus de 
l'ensuivre à toute righeur, en réduisant le petit pié au 
grand » 

Pendant ce temps, Perreal, qui résidait à Lyon d'où il 

I. Voir aux Documents, lettre L 



DE JEHAN PERREAL C7 



allait à Bourg quand il était nécessaire, avait terminé le 
plan de Téglise de Brou; il avait reçu de Bois-le- Duc une 
lettre de Marguerite d'Autriche, à laquelle il répondit le 
i«^ décembre i5i r '. 

« Madame, je vous avise que jay faict le patron ou 
pourtraict de la dite esglise et y ay faict tout ce que j'ay 
peu inventer et que j'ay veu partout où j'ay esté. Vray est 
que Ton peut adjouster tout ce qu'il vous plaira, aussy Tay 
mis soubz vostre correction comme verrez par mes lestres. 
Il y a plus de deux moys que tout est faict, mais comme 
j'ay pu savoir, Jehan Lemaire est demouré malade sur les 
champs, comme Ton m*a dict, il a esté à Tours vers Michel 
Colombe pour solliciter les patrons que je faiz faire de la 
sépulture et y a esté longtemps comme il m'a rescript. Je 
croy qu'il est sur les champs pour tirer vers et portera 
tout'. 

« Madame, je vous ay rescript par Jean Lemaire, si vous 
entendez que de vostre église je y aye l'œil ainsy que m'ayez 
rescript, il faudrait que j'eusse par vous quelque peu d'au- 
torité et pour vostre profit, car à présent je n'y ay pas grand 
crédit. Ce que j'en dis est afin tendant de bien conduire vos 
affaires, car ce dis-je pour maistre Thibault du quel ne puis 
chevir (donner satisfaction) et ne puys avoir ouvriers tant 
qu'il y sera, et puys il ne sait rien et veult tout faire. Il a 
receu cent escus et ne veult bailler argent pour payer les 
petits patrons que je fais faire, maiz les paye de mon ar- 
gent. — Madame, vous en ferez ce qu'il vous plaira, mais 
avec luy ne sauroie vivre. Je aimasse mieulx avoir entre- 

I. Bois-le-Duc, ville du Brabant. 2. Jean Lemaire s'était rompu le bras 

Documents, lettre K. et était allé se faire soigner à Lyon, 



68 RECHERCHES SUR LA VIE ET L^ŒUVRE 

pris tout seul, car aussy bien faut-il que je fasse tout et que 
je mette les ouvriers en œuvre et que je les envoyé quérir. » 

Un artiste doit en effet être libre de travailler d'après 
ses réflexions et d'après ses principes, et quand il a mûri 
son projet et qu'il a le degré de talent dont il se sent 
capable, il faut qu'il puisse le produire avec des aides de son 
choix tenus de lui obéir. Il est évident que si les grands 
maîtres avaient agi autrement, nous n'aurions rien à puiser 
dans leurs ouvrages. 

Ces deux lettres des 8 octobre et i»** décembre i5[i sont 
des plus importantes parmi celles qui ont été conservées 
touchant la vie de notre artiste, parce qu'elles nous dévoi- 
lent la source de la mésintelligence qui éclata entre la prin- 
cesse et Jehan Perreal,et amena bientôt après la rupture de 
leurs relations. 

Plus nous approchons du moment où va définitivement 
commencer l'exécution des sépultures et de Téglise , plus 
nous voyons grandir les préoccupations de Perreal à ce sujet, 
ne voyant autour de lui, à Brou, que des sculpteurs médio- 
cres ou incapables dont le mauvais vouloir était évident. 
L'hostilité d'un chef lui donnait surtout de justes motifs de 
craindre une mauvaise exécution de l'œuvre qui lui avait 
donné tant de peine, tant de soucis, tant « de rompement 
de teste », et que Michel Colombe et Jehan Lemaire, deux 
excellents juges dans cet art, qualifiaient de grand chef- 
d'œuvre '. 

I. Nous avons donné une preuve de lagloire et que la postérité a confirmés: 

la sûreté du goût de Lemaire dans un Léonard de Vinci, Bellini, Pérugin, 

coup\ct de son poème De la plainte du Jean van Eyck et Jehan Perreal, dit 

désiré imprimé en i5o9, en désignant Jehan de Paris, 
cinq peintres arrivés de son temps à 



DE JEHAN PERREAL 



69 



Dans le trouble et le tourment de son esprit, il deman- 
dait à Marguerite d'Autriche, comme on le voit dans cha- 
cune de ses lettres, à être seul directeur des travaux et 
d'avoir pour aides Michel Colombe et ses neveux, qui l'a- 
vaient aidé dans l'exécution du tombeau du duc de Bretagne 
et dont il était sûr, en remplacement du sculpteur Thibault 
« qui ne sait rien et veut tout faire, avec lequel il ne 
saurait vivre, ni avoir aucun bon ouvrier, tant qu'il y 
sera ». 

Mais Marguerite était trop autoritaire pour abandonner 
ainsi la direction de son entreprise'; elle en avait calculé 
la dépense d'après ses revenus qui étaient médiocres et 
qu'elle ne voulait pas dépasser. 

Cette persistance de Perreal à demander la direction et 
le choix des ouvriers, à recommander l'emploi du marbre 
de préférence à l'albâtre, etc., etc., qui, évidemment devait 
la faire sortir des limites qu'elle s'était fixées, la contraria 
vivement. Nul doute qu'elle forma alors le projet de l'éloi- 
gner; à ce motif de défaveur il faut joindre, aussi, des in- 
trigues de palais, des propos, des médisances, dont on 



I. S'apercevant de la répugnance 
que les affaires inspiraient à Philibert 
le Beau, René, bâtard de Savoie, son 
frère naturel, s'était fait revêtir du 
titre de lieutenant général des États 
de Savoie et bientôt disposa de tout. 
Lorsque Marguerite devint l'épouse 
de Philibert, Tascendant ainsi exercé 
par le bâtard de Savoie fut mis à 
une rude épreuve. Le caractère de 
cette princesse et la fermeté de sa vo- 
lonté ne pouvaient s'accommoder de ce 
partage d'autorité: elle s'appliqua 
donc à éloigner un gouverneur qu'elle 



ne pouvait pas souffrir. La lutte fut 
ardente mais décisive. René se réfugia 
à la cour de France, et, après son dé- 
part, Marguerite dirigea sans contrôle 
les affaires de Savoie et des pays de 
Bresse. » (Jules Baux, Histoire de Vé- 
glise de Brou.) 

Ce fut à cette époque que la ville 
de Bourg fit graver, par un orfèvre 
du pays, nommé Marende, une mé- 
daille où l'on voit les bustes affrontés 
de Philibert et de Marguerite dans un 
champ de marguerites et de lacs d'a- 
mour. 



RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



trouve les traces dans la lettre de Perreal à Marguerite datée 
de Blois du 20 juillet i5i2'. 

« Madame, ce porteur Diret a passé à Bloys, de son 
retour de Bretaigne, et a parlé à moi. Je dis à la Royne 
comme il n'a pas faict comme debvoit et qu'il a esté mal 
recully. La dicte dame a dict que se elle Teust sceu, elle y 
eust mis remède, et m'a dict que luy die que se on luy 
faict desplaisir à son retour vers vous, qu'elle le réparera. 
Cecy je dis pour ce qu'il est venu ung homme vestu d'une 
robe de camelot noir qui a porté lestre à la Royne, de par 
vous et de vostre main signée, qui disoit qu'il lui plust 
vendre de ses navires de Bretaigne pour vous et que en 
aviez à faire. 

c( Madame , la Royne par le dict homme vous faict res- 
ponse. S'il est vrai ou non, vous le pourrez sçavoir; je l'ay 
dit à ce porteur Diret. » 

On sait que Marguerite n'oublia jamais l'affront que lui 
avait fait Charles VIII. Sa jalousie contre la jeune reine 
s'étendait jusqu'aux personnes qui lui étaient dévouées, 
comme était Jehan Perreal, qui faisait de fréquents séjours 
au château de Blois. 

Quelques jours après, le 3 décembre i5ir, Michel Co- 
lombe adressa de Tours à Madame Marguerite, suivant la 
demande qu'elle en avait faite à Perreal par sa lettre de 
Malines, février i5ii, le marché qu'il avait conclu, ainsi 
qu'il suit=: 

« Je Michel Colombe, habitant de Tours, et tailleur 
d'ymaiges du roy, nostre sire, tant en mon propre et privé 
nom, comme es noms de Guillaume Regnault, tailleur d'y- 

I. Documents, lettre N. 2. Documens, lettre L. 



DE JEHAN PERREAL 



maiges, Bastyen François, maistre masâoii de Téglise de 
de Saînct-Martin de Tours • et François Colombe, enlumi- 
neur, tous trois mes neveux, confesse, promect, affirme et 
certifie en foy de loyal prud'homme les choses qui s'ensui- 
vent être véritables, tant pour le présent et passé, que pour 
Padvenir; et ce pour la descharge et acquit de Jehan Le- 
maire, indiciaire et solliciteur des édifices de très haulte et 
très excellente princesse madame Marguerite, archiduchesse 
d'Austriche et de Bourgoigne, duchesse douairière de Savoyc 
et contesse palatine de Bourgoine. 

« C'est assavoir tout premièrement, je confesse es noms 
que dessus avoir eu et reçeu de ma dicte dame, par les 
mains de son dict indiciaire, Jehan Lemaire, la somme de 
quatre vingts quatorze florins d'Allemagne, à vingt sept sols 
six deniers tournois pièce, qui reviennent à la somme de 
six vingtz huyt livres treize sols tournois monnoye du Roy, 
présentement courante. Et ce pour nos peines, labeurs et 
salaires de faire la sépulture en petit volume de feu de bonne 
mémoire, Monseigneur le Duc Philibert de Savoye, mary 
de la dicte dame, selon le pourtraict et très belle oi^don- 
nance faicte de la main de maistre Jehan Perreal de Paris, 
peindre et varlet de chambi^e ordinaire du rof^ nostre dict 
seigneur; de laquelle somme de quatre vingtz quatorze flo- 
rins d'or d'Allemaigne revenans à la dicte somme de six 
vingt huyt livres xiii sols, je me tiens pour content et bien 
payé et en présence es noms que dessubs, les dicts Jehan 
Lemaire, solliciteur pour Madame, et tous aultres à qui il 
appartiendra. Et de laquelle sépulture je Michel Colombe, 
dessubs nommé, feroy de ma propre manufacture sans que 
aultre y touche que moy, les patrons de terre cuite, selon 



72 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

la grandeur et voulume dont j'envoye à ma dicte dame deux 
portratcts, Vun en platte forme pour le gisant, Taultre en 
élévation^ faiz les diz patrons, des vertus de la main des 
dicts François Colombe, enlumineur, et Bastyen François, 
masson, mes nepveux. 

« Et le dict Bastyen fera de pierre de taille toute la mas; 
sonnerie servant à la dicte sépulture en petit volume par 
vrayz traictz et mesures, tellement que, en réduisant le petit 
pié au grand, Madame pourra veoir toute la sépulture de 
mon dict feu seigneur de Savoye, dedans le terme de Pasques, 
pourvu que aucun inconvénient ou fourtune ne surviengne 
au dict Coulombe durant le dict temps : et iceulx patrons 
je prometz loyaument, à Taide de Dieu, faire pour ung chief 
d'oeuvre, selon la possibilité de mon art et industrie. 

« Oultre plus, pour ce que le dict solliciteur Jehan Le- 
maire nous a affermé que Madame désire d'estre servye en 
ses édifices de gens meurs, graves, sa vans, seurs, certains, 
expérimentez, bien conditionnez, et observant leur promesse 
comme bien raison le veult, mesmement de ceulx que je 
dessubs nommés, assureroy à ma dicte dame estre telz; d'icy, 
et déjà j'asseure et afferme que Guillaume Regnault, tailleur 
d'ymaiges, mon nepveu, est souffisant et bien expérimenté 
pour réduire en grand volume la taille des ymaiges servant 
à la dicte sépulture en ensuivant mes patrons, car il m*a 
servy et aidé Tespace de quarante ans ou environ, en telle 
affaire, en toutes grandes besoignes, petites et moyennes, 
que, par la grâce de Dieu, j'ay eues en main jusque aujour- 
d'huy et auroy encoire et tant qu'il plaira à Dieu. Mesme- 
ment il m'a très bien servy et aidé en la dernière euvre que 
j'ay achevée; c'est assavoir la sépulture de duc François de 



DE JEHAN PERREAL 



Bretaigne, père de la Royne; de laquelle sépulture j'envoye 
ung pourtraict à Madame. 

« D'aultre part, le dict Bastyen François, gendre de 
mon dict nepveu, s'afferme estre souffisant pour e:^ploicter 
et dresser, en grand volume, les patrons de la dicte sépul- 
ture, quant à Tart de massonnerie et architecture. Lesquels 
patrons seront faictz en petit volume, de sa main propre. 

« Et après les dictz patrons achevez, dedans le terme de 
Pasques, dessubs dict, et iceulx estoffés de paincture blanche 
et noire, selon ce que la nature du marbre le requiert, par 
le dict François Colombe, enlumineur, la taulette de bronce 
dorée et les lisières, armes, fourries d'ermines, carnations 
de visaiges et de mains, escriptures, toutes aultres choses à 
ce pertinentes fournies, selon que le debvoir le requiert; je 
dessoubz signé prometz envoler les dicts Guillaume Regnault, 
mon nepveu, et Bastyen François, son gendre, porter la 
dicte sépulture en petit volume à Madame, quelque part 
qu'elle soit, dedans le terme de la purification de Notre- 
Dame. 

(c Ensemble l'élévation de la platte-forme de son esglise 
mesmement touchant la sépulture des deux princesses dont 
nous avons les pourtraictz et tableaux, faicts de la main de 
Jehan de Paris, et aussi le dict Bastyen François portera la 
montée de l'élévation du portai et des arcz boutans par 
dehors; pour lesquelles choses estre faictes par les dictz 
Bastien François, j'ai retenu le double. 

(( Le double de la platte-forme de la dicte esglise du 
couvent de Sainct-Nicolas de Tolentin lez Bourg en Bresse, 
icelle platte-forme faicte et très bien ordonnée sur le lieu, 
mesurée de la main de maistre Jehan de Paris, avec Vadvis, 



74 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



en présence de maistre Henriet et maistre Jehan de Lor- 
raine, tous deux très grans ouvriers en l'art de massonnerie, 
« Et quand les dicts Guillaume et Bastyen, mes nepveux, 
auront présenté la dicte sépulture en petit volume à ma 
dicte dame, et icelle dressée en sa présence, et déclaré 
toutes les circonstances et dépendances d'icelle, s'il plaît à 
Madame, j'entreprendroy volontiers la charge et marche 
d'icelle, faire réduire en grand volume par le dict Guillaume, 
tailleur d'ymaiges, et Bastyen, masson. Lesquels j'envoiroy 

sur le lieu du dict couvent lez Bourg en Bresse Et 

avons convenu avec le dict Jehan Lemaire, que chascun 
de mes dicts nepveux aura par jour, compté depuis leur 
partement de cette cité de Tours, dont je feroy certiffication 
par mes lettres jusques à leur retour, la somme de V Phi- 
lippus d'or, vallant XXI sols tournois, sauf ce qu'il plaira 
mieulx tauxer à Madame et recognoistre leurs labeurs et 
diligence, comme moy et les miens avons parfaite confiance 
en son excellence très renommée, laquelle nous tous désirons 
servir de bon cuer, s'il lui vient à plaisir 

(( Signé : Michel Colombe, Formon 
ET Lemaire. » 

Le 14 mai i5i2, Lemaire écrit de Blois à la princesse, 
que François Colombe « nepveu du bon maître » est allé à 
Dieu, « mais que maistre Jehan Perreal a terminé les patrons 
de bon cœur dont les aultres étaient payés, c'est-à-dire qu'il 
a estoffé les dicts patrons de couleurs, qui est un grand 
chef-d'œuvre I » 

« Madame, en ensuyvant les lettres que derenièrement je 

î. Documents, lettre M 



DE JEHAN PERREAL 



VOUS escrivis, quand il vous plaira envoyer quérir les dicts 
patrons, il me semble que, pour le bien de Tœuvre, il serait 
bon d'envoyer par deçà ung homme bien entendu et qui 
vous sceut rapporter ce qui est du mestier touchant Tceu- 
vre et les marchiez tant de bouche comme par escript, et 
mesmement les intentions des deux maistres, Michel Co- 
lomb et Jehan Perreal, avec ce que j*en ay aprins de ma 
part. » 

Le 20 du mois de juillet, c'est Perreal, qui, de Blois 
lui écrit/ pour lui demander si elle a reçu « la sépulture et 
les images que son varlet de chambre Pierrechon lui a 
portées, ne scay sy elle les a reçues entières, mais aultrement 
m'en déplairait. 

« Madame, Michel Colombe faict les dix vertus comme 
il a promis, j'ai faict l'ordonnance et patrons pour faire ces 
dix vertus. Il est après. Je ne sçay si serez contente de ce 
que les ay ainsy accoustrées, tant blanchy les images que 
dorez et faire visaiges, s'il vous plest ainsy, ce me sera 
plaisir. Mais je doubte que pour le temps vous estes lasse 
de Jehan Perreal^ tant pour paroles raportés que aultre- 
ment^ mais à moy, je n'ay seulement parlé, mais ay faict 
et reffaict au mieulx que j'ay pu et feray toutes fois qu'il 
vous plaira me commander 

« Madame, puisque ainsy est que de moy n'ape:{ plus 
affaire, je vous supplie au moins qu'il vous plaise me 
commander et mander si je feray les vertus blanches, 
comme le reste que je vous ay envoyé. » 

Marguerite laissa cette lettre sans réponse, Perreal en 
fut froissé; il Tétait depuis quelque temps par le peu 

I. Documents, lettre N. 



76 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

d'autorité qu'il avait dans la direction des travaux, ce qui 
lui donnait peu de crédit. 

N'ayant pas été admis près d'elle pour se justifier, fournir 
ses preuves et donner des explications contre ses ennemis, 
il se voyait desservi auprès d'elle par ses conseillers et se 
sentait découragé; prévoyant sa disgrâce, il se décida à lui 
écrire de Blois, le 17 octobre i5r2, une lettre* dont voici un 
extrait : 

« Madame, je ne puis tenir de vous escrire, car amour 
ancien me contrainct, et ce sçavez, mais à présent je 
cognais que vous querez me rebuter; ce que de votre part 
se faict, et de mon costé ne se fera. Combien que maulgré 

Dieu ne seroy, en paradis, bien cognais que de vous 

mais comme j'ai piessa mandé à M. Loys Barangrer, il ne 
me chault des porteurs et inventeurs de menteries, tant 
pour J. Lemaire dont vous pensez par rapport que soit 
cause. 

« Je croy que vous n'avez plus en moi nul vouloir, à 
l'occasion d'aulcuns rapporteurs,. comme l'on m'a dit d'ung 
quidam qui vous a raporté tant et tant de menteries que 
tout ne vault rien. Mais un bien me réconforte, que telle 
et bonne princesse ne ajoustcra foy aux menteurs, cognois- 
sant que de ma vie je ne fis, ne vouldrois fère que ce que 
vous avez veu, non pour les biens, mais par amour et 
honneur que je vous doy. Et se d'avanture cette maudite 
guerre est cause de retarder tant de bien, mauldit soit qui 
en est cause. A moy n'en est à cognoistre. Mais tant vous 
dis que vouldroys estre viii jours avec vous, à vostre 
plaisir, et je vous dirois que valent les grans et les petits. 

I. Documents, lettre O. 



DE JEHAN PERREAL 



<( Madame, si tant il vous plaisoit me donner ceste joie 
que de me mander que je me déporte de plus vous 
escripre, et que ainsi vous plaise, je prendroie passience et 
maulgré moy; et me fera mal à jamais d'avoir perdu 
Tamour de telle dame que toute ma vye j'ay aymée et que 
j'aymeray, combien que peu vous en proufite. 

« Or, Madame, je vous suplie, en Thonneur de Dieu, 
qu'il vous plaise me mander que je me taise, ou que je 
suis vostre serviteur, car des biens de ce monde ne me 
chault w Etc. etc. 

Cette lettre, la dernière de Jehan Perreal, mit fin à ses 
relations avec Marguerite qui la laissa sans réponse. Il ne 
pouvait se faire illusion plus longtemps : elle lui retirait sa 
faveur, elle possédait le plan de Téglise de Brou et les 
modèles des statues pour les tombeaux. C'était ce qu'elle 
voulait; il ne lui était plus indispensable depuis qu'il les 
lui avait livrés, et elle pouvait les faire exécuter en 
albâtre, etc. 

Blessé d'être forcé d'abandonner ces superbes projets 
pour lesquels son âme s'était depuis longtemps sincèrement 
éprise, on voit percer à chaque phrase une profonde 
indignation de cette injustice dont il paraît avoir souffert et 
qui lui donnait droit de se plaindre, car il ne reçut aucune 
indemnité pour cette œuvre remarquable, fruit de son 
génie et de ses rompements de tête. 

Peut-être eût-il fait plus sagement de ne pas exhaler sa 
plainte en termes si rudes. La vivacité de son caractère ne 
le lui permit pas, il eut cela de commun avec Michel-Ange'. 

I. «Ce grand artiste désirant se ren- lait à la Sixtine, alla demander de 
dre à Florence, pendant qu'il travail- Pargent au pape qui lui dit : « Quand 



78 RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 



Quoi qu'il en soit, reconnaissons qu'il y a loin de ce 
caractère noble et fier qui élève le talent d'un artiste à 
l'égal de la grandeur souveraine, avec le ton de suppliant 
que quelques personnes lui ont prêté; il n'adressa aucune 
requête, ce qui aurait impliqué de sa part un manque de 
dignité, dont il fut toujours incapable, car son caractère 
resta toujours à la hauteur de son génie. Il était, écrit 
Lemaire à Barangier le i5 janvier i5ir, riche de science, 
d'audace et d'honneur. 

Ajoutons qu'à cette époque, au milieu des circonstances 
les plus difficiles, on vit rarement les grands artistes céder 
aux sollicitations de l'intérêt personnel et négliger la dignité 
de leur vie. 

Bien différent était le caractère de Marguerite d'Autriche. 
Voici un extrait du journal de voyage d'Albert Durer qui 
nous fait voir, sous son vrai jour, son caractère et expli- 
que sa conduite avec Jehan Perreal et avec tous les artistes 
qu'elle attirait à elle, en les flattant du titre de « chier et 
bien amé », en usant d'aimables avances et de belles pro- 
messes pour les exploiter impunément, puis s'en débarras- 
sait sous un prétexte quelconque, sans bourse délier. 

A l'arrivée d'Albert Durer à Bruxelles, Marguerite, 
régente des Pays-Bas pour son neveu Charles-Quint, lui 
dépêcha un officier de la cour, chargé de lui promettre 
les bonnes grâces de la régente et celles de l'empe- 
reur. Pour répondre à tant de politesse, le graveur de 

« finiras-tu ma chapelier — Quand je le mit ordre à ses affaires et était sur le 

«pourrai, répondit Michel -Ange. — point de partir, quand le pape lui 

«Quand je le pourrai! ,» reprit Tiras- envoya son favori* Accursio, avec 

cible pontife ; et il le toucha de son ses excuses et 5oo ducats, a Condivi, 

bâton. Michel-Ange retourna chez lui, page 29. 



DE JEHAN PERREAL 



Nuremberg offrit à Marguerite d'Autriche quelques-unes 
de ses belles estampes : le Saint Jérôme assis, gravé sur 
cuivre, avec une finesse si merveilleuse; un exemplaire de 
la Passion^ et il finit par lui faire don de sa collection 
complète, en y joignant deux sujets dessinés sur parchemin 
avec beaucoup de fatigue et de soin et qu'il estimait 
trente florins. 

Mais déjà Tintrigue l'environnait, l'envie lui dressait des 
pièges, si bien qu'après d'aimables avances, Marguerite 
parut bientôt changer d'humeur à son égard 

Malgré son économie et ses laborieuses habitudes, 
Albert Durer se trouva dans la gêne. Blessé du contraste 
qu'il remarquait entre le somptueux accueil des premiers 
jours et les étranges procédés qui avaient suivi, il mit en 
grosses lettres' sur son carnet de voyage ces lignes venge- 
resses : 

« Dans toutes mes transactions, durant mon séjour aux 
Pays-Bas, dans toutes mes dépenses, ventes et autres 
affaires, dans tous mes rapports avec les hautes et basses 
classes, j'ai été lésé spécialement par M"® Marguerite 
d'Autriche, qui ne m'a rien donné en échange de mes 
présents et de mes travaux. » 

Nous pourrions citer, à l'appui de ces procédés indélicats, 
d'autres faits; celui, par exemple, dont elle usa avec don 
Diego Florès, l'un de ses trésoriers, qu'elle renvoya de son 
office de receveur général, après lui avoir subtilisé de la 



I. Journal de voyage d'Albert Durer II est traduit en français (par A. Weill) 

dans les Pays-Bas en i520 et i52i, dans le Cabinet de Vamateur et de 

journal publié par de Mûrr, dans le Vantiqitaire. 
tome X de son Journal des arts. — 



8o RECHERCHES SUR LA VIE ET L'ŒUVRE 

même manière deux admirables tableaux de Jehan van 
Eyck, l'un desquels est le chef-d'œuvre, maintenant conservé 
à la galerie nationale de Londres sous le numéro 86 du 
catalogue, représentant le Mariage d'Arnolfi\ il portait alors 
les armes du trésorier sur le volet, destiné à garantir 
l'image'. Ce tableau se voit dans l'inventaire fait par elle- 
même en 1616 : « Un grand tableau qu'on appelle Hernou- 
ïe-fin, avec sa femme dedans une chambre, qui fut donnée 
à Madame par don Diego. » Mais ceux-ci suffisent pour 
éclairer l'un des côtés de son caractère privé et faire 
apprécier sa conduite avec ses « chiers et amés », ainsi 
qu'elle appelait ses victimes. 

Peu de jours après avoir reçu la lettre de Perreal, 
Marguerite qui possédait enfin les plans, «pourtraits», dessins, 
maquettes de l'église et des tombeaux qu'elle avait tant 
désirés et n'ayant plus besoin que d'un habile « maistre 
masson », expédia, de Malines, maître Van Boghen avec la 

I. Inventaire des tableaux et objets qu'elle commandait. « Nous n'avons 

d'art de Marguerite d'Autriche , pu- plus que XV ou XVI florins et 

blié par M. Delaborde, p. 24. n'est possible que la dicte somme 

V Art flamand dans r Est et le Midi puisse fournir plus avant que d'ici 

de la France, par Alfred Michiels, à Toussaint et sera forcé d'inter- 

p. 225. rompre, si votre bon plaisir n'est d'y 

Ces lignes d'Albert Durer et le ca- vouloir suppléer, nous pensions que 

deau de son trésorier permettent de Monseigneur votre escuyer aurait 

présumer que la collection d'objets commission d'y pourvoir, lequel nous 

d'art de Marguerite d'Autriche était a dit non avoir pour le présent aultre 

composée d'objets qu'elle s'était fait charge que de visiter votre œuvre, 

offrir, plutôt que d'objets achetés par Par ainsi, pourrait vostre dict œuvre 

elle pour encourager les arts. cesser cest yver par faulte d'argent, 

Du reste, nous voyons par l'extrait nous en avons bien voulu advertir de 

d'une lettre que lui écrivit le frère bonne heure, pour y adviser d'en 

Loys de Glérins, prieur du couvent faire selon vostre bon plaisir. » 

de Brou, le 2 septembre i520, qu'elle L'Eglise de Brou, par M. J. Baux, 

payait également mal les travaux p. 405, quatrième édition. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



lettre de recommandation suivante, pour le gouverneur de 
la Bresse» : 

« Chier et bien amé. Nous envoyons ce maistre masson 
qui est ung bon et expérimenté maistre, et des meillieurs 
qui soient par deçà à Brouz, pour visiter nostre édiffice et 
nous sçavoir faire rapport de toutes choses, et s'il vouldra 
entreprendre la taille de la pierre qui sera nécessaire, tant 
pour lesglise que pour les sépultures, ainsi que nostre amé 
et féal conseillier et secrétaire M° Loys Barangier est à 
plain adverty. Si désirons que le recueillez et recepvez 
bénignement et luy faictes tout le port, faveur et assistance 
que bonnement vous sera possible, affin qu'il ayt ochoison 
destre tant plus enclin à nous y faire service, et vous nous 
ferez plesir. m 

Quelques jours après, Louis Barangier écrivit de Dole à 
Marguerite d'Autriche : 

<( Madame, suivant ce qu'il vous a pieu m'escrire, ay 
faict toute adresse à maistre Louis van Boghen, maistre 
masson, lequel a bien et au long veu votre édifice de 
Brouz et la treuvé très beau et bien ordonné et y ont 
honneur les ouvriers; comme il m'a dict, il a aussi veu la 
place pour faire l'esglise et trouve qu'il n'est besoing de 
pillots; qu'est grand avantaige ^ » 

Ainsi donc, le travail exécuté sous la direction de J. Per- 
real a été reconnu très beau et bien ordonné, et la place 
pour construire l'église très bien choisie. 

Comme l'on ne trouve dans aucun document que 

I. Original déposé aux archives de verneur de la Bresse. Documents, 
Lille, la suscription manque; nous lettre P. 

pensons qu'elle est adressée au gou- 2. Documents, lettre Q, nov. i5i2. 

1 1 



82 RECHERCHES SUR LA VIE 



Marguerite se soit adressée à un autre architecte qu'à 
J. Perreal, pour ses travaux de Brou, on doit considérer 
qu'il en fut jusqu'à ce moment le seul, et que ces lignes 
sont un éloge à son adresse. 

Nous avons vu, dans la lettre B, du i5 novembre 1609, 
que Marguerite d'Autriche négligeait parfois de payer Jehan 
Perreal : elle l'oublia de nouveau en cette occasion et il 
quitta Brou pour ne plus y revenir, sans adresser aucune 
réclamation. 

Ajoutons que Marguerite s'est toujours montrée par- 
faitement satisfaite des plans et des « pourtraicts » de Perreal, 
et la preuve qu'elle tenait particulièrement à ce qu'ils 
fussent fidèlement suivis, c'est qu'elle engagea pour les 
exécuter un «bon maistre masson », au lieu d'un architecte 
qui n'aurait pu se défendre d'y introduire des changements. 

Quelques personnes ont avancé que Van Boghen était 
un architecte : c'est une erreur, car son nom se trouve 
toujours suivi de la désignation de « maistre masson » dans les 
pièces officielles, et il ne s'était engagé en effet que pour 
la structure de l'église ou, comme il le dit lui-même dans 
une requête, pour la maçonnerie. 

Du reste, les gages que le Père Rousselet dit* « qu'il 
recevait, d'après des comptes détaillés de la dépense jour- 
nalière qui se faisait à Brou, comptes qu'il a trouvés dans 
les archives du lieu, prouvent que, quoique traité avec 
considération, Van Boghen était payé par jour comme les 
ouvriers, soit huit sous au lieu de quatre qu^on donnait 
aux sculpteurs et aux massons. Quant aux autres jusqu'aux 
manœuvres, ils recevaient environ trois sous. Cette distinc- 

I. Le Père Rousselet, Augustin réformé, dernier prieur de Brou. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 83 



tion entre Tarchitecte et le maître masson a toujours été 
telle que personne ne s'est avisé de qualifiée de maîtres 
massons les architectes Michel-Ange, Bramante, Pierre 
Lescot et Philibert Delorme » 

Marguerite fit donc un traité « avec le maître masson Van 
Boghen, par lequel il s'engagea à soy transporter au cou- 
vent de Brou dans le courant du printemps suivant i5i3, 
pour conduire les travaux de Téglise et du couvent ». 

Puis, elle s'occupa, pour se débarrasser des rapports 
directs avec les employés, à former une chambre de conseil, 
dont elle donna la présidence à noble Laurent de Gorrevod, 
maréchal du comté de Bourgogne, gouverneur de la Bresse, 
et le confident de ses affaires les plus importantes. 

Sous sa direction, elle plaça Pierre Auchement, qu'elle 
chargea de l'inspection générale et immédiate de tous les 
ouvriers et manœuvres employés aux travaux de l'église et 
du couvent, et du soin de les faire travailler; elle commit, 
pour les payer tous les samedis, le Père Louis de Glérins, 
prieur de Brou, qui recevait les sommes nécessaires de 
M. de Marnix, secrétaire et trésorier général de la princesse; 
il avait en outre à approvisionner le « maître masson » des 
matériaux dont il faisait la demande; puis, tous les mois il 
rendait ses comptes aux membres du conseil de Brou'. 

Van Boghen n'étant ni peintre, ni statuaire, mais 
simplement un bon maître maçon, Marguerite s'occupa de 
trouver un peintre de tailleur d'images, pour remplacer le 
neveu de Michel Colombe, Guillaume Regnault, décédé, qui 
devait réduire en grand volume les sépultures et les images 
exécutées de terre cuite en petit volume d'après Jehan Perreal, 

I. Le Père Rousselet, page 93. 



84 RECHERCHES SUR LA VIE 



que Pierrechan, valet de chambre de la princesse, lui avait 
portées de Tours à Malines. 

M. de Quinsonnas' nous apprend qu'elle avait chargé 
de ce travail un peintre du nom de Jean de Bruxelles, 
qui avait un talent spécial pour ce genre de travail; il tra- 
çait le dessin sur toile, en blanc et noir, de la dimension que 
devait avoir l'exécution, aussi grand que « le vif au petit pied ». 

Au lieu de renvo)7er, après les avoir vues, ces sépultures 
et images réduites « sur le lieu du dict couvent de Brou », 
pour les faire en un volume aussi grand que le vif 2, Mar- 
guerite les avait gardées à Malines, et il n'est pas douteux 
qu'elle les faisait reproduire chez elle sous ses yeux, pour 
bien s'assurer de la ressemblance, « qui est le tout », ainsi 
que s'exprime Jehan Perreal, par ce peintre Jean de Bruxelles, 
en grande dimension sur toile en blanc et noir, à l'aide des 
(c pourtraicts » de Jehan Perreal et des modèles de Michel- 
Colombe. Il est même à présumer qu'initiée et familiarisée 
comme on le sait aux connaissances les plus variées, elle 
retouchait parfois elle-même avec le pinceau le travail du 
peintre, avant de le remettre à Van Boghen qui venait 
passer les hivers en Flandre dans sa famille, pour rendre 
compte à Marguerite de l'état des travaux, dont les plans, 
dans les plus minutieux détails, étaient probablement soumis 
à sa haute approbation-*; et à son départ, au printemps, il 
venait prendre ses ordres pour la campagne suivante et 
apportait avec lui de Malines les plans et dessins que l'on 
devait exécuter dans le cours de l'année à Brou. 



I. Matériaux pour V Histoire de 2. Documents, lettre L. 

Marguerite d'Autriche^ par M. de 3, Histoire de l'Église de Brou, pur 

Quinsonnas. Jules Baux. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 85 



Quant aux sculptures, Texécution en fut confiée à maître 
Conrad Meyt, originaire de la Suisse, un des plus habiles 
tailleurs d'images qui ait jamais existes, à des conditions si 
rigoureuses et si curieuses que je ne puis résister au désir 
de les faire connaître. 

(( Premièrement, a esté dict et accordé que le dit M* Con- 
rad se transportera dicy en Bresse au couvent de Brou, 
pour besoigner aux sépultures que ma dicte dame entend 
estre faictes en icelle église de Brou; fera les pièces qui 
s'ensuyvent de sa main, asçavoir les visages, mains et les vifs. 

ce A esté aussi convenu et accordé que si le dict 

M*' Conrad devenoit ou demourroit malade par le continuel 
espace de deux mois ou environ, et que par ce le dict 
ouvraige se retardast, que ma dicte dame y pourroit pour- 
voir à son bon plaisir, sans quelle demoure en riens lyée 
par le marché dessus dict envers le dict M'' Conrad; et en 
ce cas, feroit descharge de son dict traictement. 

(( Et pareillement, si le dict M® Conrad navoit perfaict 
ce dict ouvraige quil entreprend deans iceulx quatre ans, 
et que ce fust à sa faulte, que ma dicte dame sera, en ce 
cas, quicte et deschargee des gaiges quelle luy donne par 
ses escroes (registres de compte), pour ce dict cas le faire 
mectre hors diceulx escroes, à tousjours si bon luy semble. 
Et si a esté devise que moïennant ce traictement dessus 
dict il en demourera rayé dois le XV^ de may prouchain 
venant que son dict traictement commencera, et aussi lon- 
guement qu'il doyra de son dict traictement. 

« Et pour savoir si le dict M° Conrad fera son devoir, 
ma dicte dame veult et entend que, au bout de quatre 
années dessus dictes, que le dict M'' Conrad besoignera, 



86 RECHERCHES SUR LA VIE 



deux maistres de la chambre des comptes à Bourg, et le 
prieur et" religieux de Brouz qui ont la charge et solicita- 
tion de ce édiifice du dict lieu visiteront louvraige que le 
dict M** Conrad aura faict. Pour et en cas quil ne fust 
lors parfaict, sçavoir si ce sera procédé à la faulte du dict 
M* Conrad, ou par faulte de lassistence du dict AP Loys, 
pour cecy entendu y estre faict et ordonne par ma dicte 
dame comme il appartiendra. Et s'il est perfaict, le feront 
visiter par maistres a ce cognoissans, pour savoir sil sera 
faict et parfaict comme il a promis. 

(c Lesquelles choses icelluy M*' Conrad a promis faire, 
furnir et accomplir de point en point comme dessus, sans 
fraulde ni malengyn ; 

(( Et ma dite dame le faire payer et contenter de son 
dit traictement comme dit est, et luy faire livrer les marbres 
et albastres nécessaires en place. 

« Ainsi faict et cohclut à Malines, les jour et an, et 

presens les dessus dictz. 

• « Signé : Marguerite. 

« Signé : Conrad Meyt. 

« Signé : Loys. » 

On ne peut certes enchaîner plus étroitement un artiste, 
et pas un sculpteur de notre temps n'accepterait de si dures 
conditions; mais au quinzième et au seizième siècle, à l'ex- 
ception de quelques artistes d'un caractère noble et fier, les 
peintres et les statuaires étaient humbles et patients, tra- 
vaillaient beaucoup à la manière des ouvriers, pour nourrir 
leur famille, sans impatiences ambitieuses ou vaniteuses, ne 
négligeant rien pour approcher de la perfection par amour 
du beau. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 87 



C'est par ce traité que Marguerite fit avec Conrad Meyt, 
qu'elle termina la composition de son personnel, qui diri- 
gea jusqu'à la fin les travaux qu'elle avait entrepris d'éle- 
ver h Brou. 

Nous croyons avoir prouvé, non seulement que jusqu'à 
l'année i5i3, Jehan Perreal fut le seul architecte de l'édifice 
de Brou, lequel fut trouvé très beau par le (c maistre masson » 
Van Boghen ; mais aussi qu'il fut le seul architecte qui ait 
fait des plans pour le couvent, pour l'église, pour les sépul- 
tures, les « pourtraicts » et les vertus dont Michel Colombe fit 
les maquettes, qui furent envoyées en Flandre, où elles 
restèrent aux mains de Marguerite d'Autriche. 

Nous allons étudier maintenant les travaux qui existent, 
puis examiner et nous rendre compte s'ils ont été exécutés 
avec ces plans, ou à l'aide d'autres plans. 

L'église n'ayant guère d'autre intérêt que son but, qui 
est celui d'abriter les trois sépultures, nous nous y arrête- 
rons peu. 

Son architecture, et celle du couvent, est en réalité celle ^ 
du commencement du règne de Louis XII, ou, si l'on veut, 
celle du gothique fleuri ou flamboyant, après ses modifica- 
tions, et avec quelques variétés. 

*Sa façade se compose de trois corps, décorés à l'infini 
d'ornements variés, d'une exécution remarquable, trèfles, 
lacs d'amour, chiffres P. M., fleurs de marguerites, etc., 
allant jusqu'à la monotonie, ce qui nuit à l'effet; au-dessus 
du portail, qui est assez beau, s'élève une grande statue de 
saint André, patron de la Bourgogne, appuyé sur sa croix. 

Ce qui frappe en entrant dans l'église, c'est l'abaisse- 
ment de la voûte et la clarté qui y règne; immédiatement 



88 RECHERCHES SUR LA VIE 

après, on entre dans le jubé qui sépare la nef du chœur, 
dont les beautés principales sont les trois tombeaux, la 
chapelle de la Vierge et les vitraux. Le tombeau de Mar- 
guerite de Bourbon est à droite, sous une voûte surbaissée, 
percée dans le mur; elle est représentée au vif, couchée 
sur une table noire, vêtue de son manteau ducal, les mains 
jointes, une couronne sur sa tête, qui repose sur un cous- 
sin brodé, ayant à ses pieds un lévrier; son beau visage 
est tourné vers Philibert son fils; la tête est vraiment belle 
avec ses traits réguliers et ses yeux doux. Les piliers ter- 
minés en pyramides, qui sont placés aux côtés du tombeau, 
présentent des moulures très fines, qui se détachent du 
corps de Touvrage et s^avancent pour former des niches, où 
Ton remarque des statuettes en relief; du côté des pieds, 
sainte Marguerite, patronne de la princesse, foulant aux 
pieds le dragon, et sainte Agnès, patronne de sa mère. Du 
côté de la tête, saint André s'appuyant sur sa croix a une 
expression grave et' même belliqueuse, et la charmante 
sainte Catherine, sous les pieds de laquelle se tord un doc- 
teur; Tartiste a su lui donner une gentillesse, une grâce, 
un air de pureté naïve, qui en font une petite merveille. 
Plus bas, près du sol, sous la table où est couchée la prin- 
cesse, l'on voit des génies et des pleureuses qui n'ont qu'un 
pied de hauteur. Sous leurs voiles avancés, on aperçoit 
leurs traits délicats, pleins d'une expression de tristesse, et 
leurs yeux, pour ainsi dire, mouillés de pleurs. 

Au milieu du chœur, et presque sur la même ligne que 
le .tombeau de Marguerite de Bourbon, est placé celui de 
son fils, Philibert le Beau; il y est représenté au vif, cou- 
ché sur une table de marbre noir, revêtu de son armure, 



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ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 89 

ayant sur ses épaules son manteau ducal qui s'étend jus- 
qu'à ses pieds. Il a sur la tête une couronne, le collier de 
TAnnonciade au cou, Tépée au côté, et le pied gauche épe- 
ronné est appuyé sur un lion ; ses mains jointes sont incli- 
nées du côté de sa mère, tandis que sa tête, qui repose 
doucement sur un coussin brodé, est tournée vers Margue- 
rite d'Autriche, sa femme. 

Son corps aussi bien que sa figure justifient bien Tépi- 
thète que lui avaient donnée ses contemporains. Philibert 
de Savoie est en effet un grand et beau duc, aux traits 
mâles, aux yeux expressifs, à l'épaisse chevelure naturelle- 
ment bouclée. Étant très jeune, il avait fait partie de l'ex- 
pédition du roi Charles VIII contre le royaume de Naples. 
Six génies pleurent en priant autour de lui; deux qui sont 
aux pieds soutiennent une tablette de marbre où Ton voit 
les armes du prince; ceux qui sont à la tête en supportent 
une autre destinée sans doute à son épitaphe; les deux 
autres tiennent son sceptre, ses gantelets, son casque et sa 
hache d'armes. 

Tout ceci repose sur une table de marbre noir suppor- 
tée par des piliers de marbre blanc placés eux-mêmes sur 
une autre table noire qui sert de base à l'édifice, au tra- 
vers desquels on voit, couchée dans toute la nudité de la 
mort-, la statue en albâtre du prince; un coussin et un 
suaire forment son lit funèbre. Cette statue, qui est d'une 
effrayante et grande vérité, est une œuvre des plus par- 
faites, et peut-être un des plus beaux morceaux en ce genre 
que la sculpture ait produits. 

Les quatre piliers fleuris, terminés en pyramide aux 
quatre angles du tombeau, sont â deux faces; devant chaque 



go RECHERCHES SUR LA VIE 

face, se tient debout une Vertu, et deux autres Vertus sont 
adossées aux pilastres placés au centre des grands côtés. 
Ces dix Vertus ', qui sont en albâtre, ont un caractère 
particulier, une tournure, une grâce et un charme sans 
rapport avec le style et la facture des grandes statues; c'est 
d'un art moins relevé, mais plus original et plus poétique. 

Le troisième tombeau est celui de Marguerite d'Au- 
triche; il est à gauche du chœur, à peu près sur le même 
plan que celui de Marguerite de Bourbon, et contient 
une double représentation de la princesse, dans le même 
goût que le tombeau de Philibert le Beau. Ces figures sont 
couchées sur deux tables de marbre noir élevées au-dessus 
l'une de l'autre. Sur l'une, on voit Marguerite représentée 
au vif dans ses habits de cérémonie, avec sa couronne sur 
la tête ; ses mains sont croisées sur la poitrine, et ses pieds 
sont appuyés sur une levrette. Au-dessous, on aperçoit la 
princesse morte, couchée sur une table de marbre noir 
près du sol ; on la voit la tête nue ; ses cheveux dénoués 
descendent en boucles irrégulières jusqu'à la ceinture; elle 
est enveloppée d'une longue robe; elle a les mains jointes 
et les pieds découverts. L'on remarque à celui de gauche la 
blessure qui termina ses jours d'une manière imprévue et 
soudaine; les traits de son visage sont doux et calmes, et 
d'une grande pureté. Sa tête, finement sculptée, repose sUr 
un coussin garni de dentelles. 

Sur la partie supérieure du fronton, on lit sa devise : 

Fortujie^ infortune fort une. 

I. Les personnes qui se sont occu- etc., tandis que Jehan PerrealetMichel 
pées de Brou ont donné à ces sta- Colombe les ont appelées, suivant 
tuettes le nom de sibylles, de saintes, Tusage de l'époque, des Vertus. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



Ces cinq grandes statues révèlent un art complet; les 
mains, les pieds, le visage, n'auraienfpu être mieux exé- 
cutés par un sculpteur italien de la Renaissance. Conrad 
Meyt, qui possédait à fond la pratique et Thabileté moderne, 
exécuta, avec son frère Thomas, les figures principales de 
grandeur naturelle. 

Quant aux Vertus (les statuettes), le marché laissait à 
Van Boghen la liberté de choisir les artistes sur les lieux; 
ils furent trouvés sans doute dans cette agrégation d'artistes 
lyonnais, placée dans le voisinage de la Bresse, où se 
trouvaient des sculpteurs d'un grand mérite, élèves de la 
célèbre confrérie de Saint-Luc, à la tête de laquelle était 
Jehan Perreal. 

On trouvait à cette époque des « maistres ouvriers » qui 
se transportaient avec leurs compagnons sur les lieux de cons- 
truction et faisaient, à tâche ou à prix faits, les travaux 
auxquels ils appartenaient. 

Le style de ces statuettes se rattache au milieu du quin- 
zième siècle, on n'y trouve nulle apparence d'influence ita- 
lienne, nulle trace du mouvement de la Renaissance. On les 
croirait exécutées vers 1460, le talent qu'elles révèlent est 
celui de cette époque, les draperies ont l'abondance de la 
sculpture gothique. 

Cette manière de travailler était évidemment celle que 
conservaient pieusement ces compagnies ou confréries réu- 
nies, dans ces contrées traversées par le Rhône. 

Ces figures qui sont nombreuses ont toutes le type fran- 
çais, les traits ne sont ni laids, ni beaux, attendu qu'on n'a 
pas cherché l'idéal ; mais on y trouve une grande variété 
d'expression. 



92 RECHERCHES SUR LA VIE 

Elles attirent rattention et séduisent Tesprit et les yeux 
par leur ph3^sionomie , leur charme naïf et leur grâce in- 
génue. 

Leurs proportions, leurs attitudes, leurs gestes, sont en 
harmonie avec leur type et leur caractère. Elles ont les 
formes sveltes, élégantes, de la sculpture de cette époque; 
la facilité de leurs poses, de leurs mouvements, indique leur 
race et fait souvenir de Tagilité française. La coquetterie 
des parures, des coiffures, des ajustements, signale la même 
origine. Cette variété générale dans les types, dans les cos- 
tumes, dans les postures et dans les gestes, entretient 
rintérêt. 

Les Vertus ou les saintes, placées dans les niches ados- 
sées aux piliers du lit funèbre où repose le prince, sont 
traitées avec un soin remarquable, d'une tournure gracieuse 
et avenante; c'est une réunion de petites femmes naïves, 
bien posées, vivantes comme des portraits; deux d'entre elles 
sont particulièrement charmantes, Tune représente sainte 
Catherine d'Alexandrie foulant aux pieds un docteur coiffé 
d'un chapeau du moyen âge et ayant une longue barbe. 
Ses cheveux enfermés dans un réseau sortent de leur prison 
en boucles gracieuses; la volumineuse draperie où ses jeunes 
formes s'accusent, sa pose juste et en quelque sorte naïve 
et son joli visage forment un. ensemble des plus attrayants; 
le type, évidemment copié d'après nature, joint une grande 
pureté de lignes à une expression de candeur qu'il serait 
impossible de mieux rendre; le beau front, les yeux bien- 
veillants, la bouche délicate, ont une expression d'ingénuité 
qui ravit. 

L'autre figure a un caractère absolument opposé, son 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 93 



grand bonnet de linge lui sied merveilleusement, ses lon- 
gues draperies dans le goût du quinzième siècle ont un 
attrait particulier qui la relève et la poétise. 

Ce sont des spécimens curieux, importants et charmants 
de la sculpture française au début du seizième siècle, dont 
les historiens, critiques et amateurs français, auraient dû 
se préoccuper plus qu'ils ne Tont fait, pour en signaler le 
mérite, la grâce et Toriginalité. 

Les mêmes perfections demandant le même éloge, nous 
nous contenterons de citer simplement les statuettes qui 
décorent le tombeau de Marguerite d*Autriche : sainte Mar- 
guerite, sainte Barbe, sainte Agathe, sainte Madeleine, 
sainte Monique, saint Jean-Baptiste, saint Nicolas de To- 
lentin, portant un fanal et un livre, toutes ramènent l'es- 
prit vers le quinzième siècle, tendance singulière qui prouve 
que les artistes français qui les exécutèrent appartenaient à 
une école provinciale, où Ton suit presque toujours d'un 
pas tardif le goût et le mouvement intellectuel des grands 
centres. Au résumé, on ne vantera jamais assez le mérite 
de ces charmantes statuettes, malheureusement elles sont 
en albâtre. Marguerite d'Autriche les a voulues ainsi, par 
esprit d'économie, contrairement aux observations de Per- 
real ' qui en écrivit d'abord à Loys Barangier : 

« Je vous advertis de conseiller à madame de faire les 
sépultures de marbre blanc. • . . , quand est de albastre, il 
ne dure pas la moitié, car marbre peult durer mil ans 
bel, maiz non pas blanc, et Talbastre ne soroit durer 
quatre cens ans, non pas trois. » Puis ensuite, il écrivit à 
la princesse : 

I. Document, lettre E, lettre de Perreal à Loys Barangier, 4 janvier i5iî. 



94 RECHERCHES SUR LA VIE 

« Madame, je vous conseilleroie de faire l'ouvrage plus 
tôt en marbre que d'autre chose K » 

Cette volonté de la princesse se retrouve encore dans le 
marché qu'elle fait avec Conrad Meyt, le 24 avril i526 : 

tf Quant aux vertus et autres pièces à faire autour des 
dictes sépultures, Louis van Boghen les fera faire le tout 
d'albastre comme il appartient. » 

Ainsi que l'avait prévu Jehan Perreal, la destruction de 
ces pièces faites d'albâtre a commencé ; les bras de plu- 
sieurs statuettes se sont détachés, l'une a même perdu sa 
tête; à ce sujet certaines personnes ont répété que ces muti- 
lations étaient le fait des sentiments antimonarchiques ou 
anticléricaux de quelques Français ; ce qui prouve le néant 
de ces suppositions, c'est, premièrement, le fait que les cinq 
grandes statues en marbre des princesses et du prince sont 
intaaes ; deuxièmement, ce que dit le P. Rousselet, prieur 
des Augustins du couvent de Brou, dans son Guide histo- 
rique de cette église ', édition 1876. En y réfléchissant, on 
reconnaît que la fragilité de la matière d'albâtre, la légè- 
reté de ces délicates petites statuettes et l'action du temps 
sont les seules causes de cette destruction prévue par les 
deux lettres de Jehan Perreal que nous venons de citer. 

En quittant le tombeau de Marguerite, on trouve la 
magnifique chapelle qui est sous le vocable de l'Assomption 
de la Vierge : on voit sur Tautel un vaste retable en albâtre 

1. Documents, lettre F, lettre de grande route, ils ont traversé toute la 
Perreal à Marguerite, 4 janvier i5ii. révolution sans être détruits; circons- 

2. «Les symboles religieux, la croix, tance que nous remarquons pour 
et les statues des saints qui ornent la rendre hommage au bon esprit qui 
façade furent respectes, et quoique animatoujours les habitantsdeBrou. » 
exposés à la vue du public, sur une Neuvième édition, 1876, page 107. 




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:^'-ii'urr j.tlh P. EntfeJm.àrr. fAE"]* 



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PORTRAIT DE PHILIBERT LE BEAU, DUC DE SAVOIE, 
d'âpres les Vitraux cta Chœur, (Eglise de Brou) 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 95 



divisé en sept tableaux sculptés en ronde bosse, ayant 
chacun pour sujet un épisode de Thistoire de la Vierge. 
Les qualités françaises d'énergie et de désinvolture qui 
caractérisent^ ces statuettes que nous venons d'admirer 
reparaissent dans la plupart d'entre elles, dans celle de la 
Vierge montant au ciel, les mains jointes, les pieds sur le 
croissant, entourée d'anges pour lui faire honneur; elle est 
jolie avec son élégant costume, sa libre chevelure, son atti- 
tude simple et naturelle : plus jolies sont encore sainte 
Marguerite, patronne de la princesse, foulant aux pieds le 
dragon; sainte Madeleine, tenant un vase de parfums; 
Marie, portant sur ses bras Tenfant Jésus, etc. Toutes 
sont des œuvres remarquables, sans recherches idéales, 
sculptées sans doute d'après nature ; les draperies ont une 
souplesse et un air de vérité qui ne charment pas moins. 

Après avoir revu dernièrement Brou avec tous les docu- 
ments que nous avons recueillis, nous restons convaincus 
que les sépultures de cette église ont été fidèlement exé- 
cutées d'après les compositions et les « pourtraits » de Jehan 
Perreal et les maquettes de Michel Colombe, toutefois avec 
la modification que la statue du prince a été posée couchée 
sur la table de marbre noir, au lieu d'être posée en éléva- 
tion, priant à genoux, les mains jointes, devant un prie- 
Dieu, comme l'avait indiqué Jehan PerreaP, et comme il 
est représenté sur les vitraux peints. 

Placé ainsi en élévation, le grand et beau duc de Savoie 
aurait dominé, dans une pose élégante et variée, le tombeau 
de sa mère à droite, et celui de sa veuve à gauche. 

Malheureusement, Marguerite trouva cette pose trop nou- 

I. Documents, lettre L. 



96 RECHERCHES SUR LA VIE 



velle et préféra placer la statue de son mari couchée, entourée 
d'une profusion d'ornements, suivant Tusage de son pays, 
mais qui est de mauvais goût, surtout dans un monument 
funéraire '. 

Ces ornements qui représentent des dentelles, des trè- 
fles, des chiffres, des devises, etc., sont en général d'un 
joli dessin et d'une exécution irréprochable, mais ne sont 
en résumé que des ouvrages de patience dus à une adresse 
de main particulière, d'un mérite secondaire. 

Ce n'était pas ainsi que les architectes du quatorzième 
siècle travaillaient, le luxe n'existait jamais aux dépens de 
la simplicité des lignes. 

Quand MM. Dufay et Charvet publièrent leurs recher- 
ches sur notre artiste, on ne possédait aucun document 
pour aider à reconnaître une oeuvre de sa main. 

Aujourd'hui, nous avons un tableau de lui, représen- 
tant les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne, 
sur lequel a été remarqué, par la plupart de ceux qui l'ont 
vu, un signe particulier, qui consiste dans la longueur par- 
ticulière des doigts, principalement ceux de la Vierge^. Ce 
point de repère se retrouve comme une signature non seu- 

1. Dans rinventaire des collections un peu faunesques qu'on retrouve dans 
de Marguerite d'Autriche, M. le comte la Sixtine. » Vie de Michel-Ange, par 
de Labordedit que les architectes fla- Charles Clément, page 55. 

mands étaient devenus, au quinzième a Memling a fait loucher nombre 

siècle, si enthousiastes des sculptures de ses figures, notamment la sainte 

d'ornements, que la construction était ' Ursule, à l'extrémité de la châsse, 

pour eux une chose secondaire. l'enfant Jésus sur les bras de la Vierge, 

2. Plusieurs grands artistes ont eu à l'extrémité inverse, et d'autres person- 
des habitudes de ce genre. Ainsi Mi- nages dont nous parlerons bientôt. " 
chel-Ange ne perdit jamais celle de Histoire de la peint ttre flamande, pur 
faire les pieds trop petits, et de don- Alfred Michiels, tome IV. 

nerà ses enfants ces nez retroussés et 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 97 



lement à la statue de Marguerite de Bourbon et à celle de 
Philibert le Beau, mais encore dans le plus grand nombre 
des statuettes -qui peuplent les faces des tombeaux, sous la 
désignation de vertus, de saintes et de sibylles; un fait à 
remarquer en outre : la Vierge de notre tableau a parfaite- 
ment le type français avec cet air de chaste douceur et 
d'ingénuité ravissante que possèdent toutes les charmantes 
statuettes dont nous venons de parler. 

Par là, on est naturellement amené à conclure, que 
tous les personnages grands et petits qui ornent ces. tom- 
beaux sont d'après les dessins de Jehan Perreal, c'est-à- 
dire, des copies fidèles des modèles de terre cuite faites en 
petit volume par Michel Colombe, et qu'en conséquence : 

i« A Perreal seul appartient incontestablement la com- 
position de ces tombeaux, non seulement à cause des signes 
particuliers dont nous avons parlé, mais aussi parce que 
nous y trouvons le cachet de cette époque de transition qui 
sépare le moyen âge de la Renaissance, et qui constitue le 
talent de Jehan Perreal : la noblesse des formes, la finesse 
des détails, et la minutieuse imitation de Tindividualité 
sans aucun vestige d'influence flamande ou italienne ; 

2® Que le consommé tailleur d'images Conrad Meyt 
fut de ces tombeaux l'interprète docile et habile par sa 
science et la précision de son ciseau ; 

3** Tandis que Van Boghen « l'habile maistre masson » fut 
chargé de conduire les travaux de l'église. 

Un renseignement curieux, extrait d'une ordonnance de 
l'année i53o, rendue par M. de Marnix, trésorier des 
finances de Marguerite d'Autriche, nous fait connaître que 
M. Loys van Boghen était aussi mauvais confrère que le 

i3 



98 RECHERCHES SUR LA VIE 

tailleur de pierres, Thibault, dont nous avons parlé; que sa 
parole peu mesurée, sans égard pour la qualité ou le rang, 
proférait souvent Tinjure ou la menace contre tous; maître 
Conrad Meyt, au ciseau duquel nous devons les admira- 
bles statues des tombeaux, était plus spécialement Tobjet 
de son inimitié. 

« Pour ce que le dict maistre Loys est assez légier de 
paroUes et menasses envers Tung et l'autre tant ecclésias- 
tique que séculier, dont plusieurs scandales se peuvent 
susciter, comme de faict desjà a esté faict, et, parce, 
Touvraige de madame retardé, sera prohibé et défendu très 
expressément au dict maistre Loys user désormais de telles 
menasses et parolles ; et s'il y veult attenter par voyes de 
faict, madame s'en prendra à sa personne et à ses biens. 

« Le semblable sera dict à maistre Conrad et tous aul- 
tres qu'il appartiendra. 

« Et afin que l^ouvraige que le dict maistre Conrad a 
en main ne soit plus retardé, lui a esté commandé et sera 
encores de parfaire sa charge le plus tôt qu'il pourra, et 
pour ce faict prendra tels ouvriers que bon luy semblera, 
sans que maistre Loys ait aucune cognoissance sur luy. » 

Par une étrange indifférence des biographes français , 
nous ne savons absolument rien sur l'auteur des célèbres 
et magnifiques vitraux peints qui se voient au chœur de 
l'église de Brou. 

Le Père Rousselet, prieur des Augustins de Brou, qui a 
eu entre les mains les archives et les comptes, écrit, dans 
son ouvrage sur l'église de Brou, qu' « il a trouvé les mé- 
moires si imparfaits, principalement à l'égard des artistes. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 99 



qu'il a eu un moment Tidée de supprimer cet article ' » , et 
il nous apprend un peu plus loin que « le verre pour les 
vitraux de Téglise et pour les fenêtres du couvent se fai- 
sait à Brou; c'est Jean Brochon, Jean Orquois et Antoine 
Noisins qui étaient les verriers. Comment, ajoute-t-il en 
terminant, ne nous a-t-on pas transmis les noms de ceux 
qui les ont peints ?» . 

Ce qui est certain, c'est que la beauté de ces vitraux, 
la correction du dessin, le choix des sujets, l'expression des 
figures, la magnificence du coloris et la parfaite harmonie 
de toutes les parties qui les composent ne permettent pas 
de douter qu'ils ne soient la conception d'un artiste du plus 
grand mérite; mais quel est-il ? Voilà ce que l'on ignore encore. 

D'abord, il est incontestable que le dessin de ces vitraux 
est franco-italien, sans aucun vestige d'influence flamande; 
si un peintre de ce mérite était venu d'Italie, Vasari, l'his- 
torien des peintres italiens de cette époque, n'aurait pas 
manqué de .le faire connaître, ou nous en aurions trouvé 
des traces dans la correspondance de M® Loys Barangier, 
le secrétaire de Marguerite d'Autriche. Le fait, que toutes 
les figures de ces vitraux ont le type français, hommes et 
femmes, nous a conduit au résumé à penser que l'auteur 
de ces magnifiques vitraux était plus probablement Français, 
et comme nous n'avons trouvé, ayant séjourné à Brou 
pendant les travaux de l'église, aucun autre peintre de 
grand mérite que Jehan Pcrreal, le peintre de Madame 
Marguerite d'Autriche, nous pensons pouvoir conclure, ainsi 
que M. Dufay, que c'est à lui qu'il faut les attribuer. 

I. Histoire de l'Eglise de Brou y par le Père Rousselet. Neuvième édition, 
1876. Pages 89 et 93. 



RECHERCHES SUR LA VIE 



Voici les motifs sur lesquels nous nous appuyons : 

Premièrement, nous trouvons dans les statuts de la 
corporation de Saint- Luc, confirmée le 21 décembre 1496, 
par le roi Charles VIII à Lyon, la preuve que Jehan 
Perreal était un très habile peintre de verrerie, peut-être le 
plus habile de la ville, car il est placé en tête des douze 
principaux' peintres sur verre de la ville de Lyon; 

Secondement, Jehan Perreal avait accompagné Charles VIII 
en Italie en 1495. A son retour, il fut autorisé à y séjourner 
quelque temps, pour étudier les procédés et le goût des 
peintres de ce pays, vers lesquels le portaient ses aspira- 
tions. Plus tard, il fit, entre autres en i5o6, la campagne de 
Gênes à la suite du roi Louis XII, puis ensuite celle de 
Venise en 1509. 

Pendant ces expéditions qui coïncidaient avec Tépanouis- 
sement de Tart en Italie, Perreal subit l'influence de cette 
école et entra en relations avec plusieurs artistes dont il 
admirait le style qu'il se proposait pour but^, ainsi qu'on 
le voit dans la lettre qu'il écrivit à Marguerite d'Autriche 
le i5 novembre i5o9, où il lui dit qu' « il a revisé ses dessins, 
des choses qu'il a vues en plusieurs parties de l'Italie, pour 
faire de toutes fleurs un trossy bouquet^ ». 

C'est surtout à la suite de cette campagne de 1609 qu'il 
commença à mélanger les qualités naïves et simples de 

I. « Pourront lesdits peintres besoi- Boutte, François Rochefort, etc., etc. o 

gner de peintures de verreries (sans 2. « Son goût venait de se modifier 

faire un chef-d'œuvre, car ils sontassez par Tétude des monuments récem- 

connus et experts en leur art), ceux ment exécutés et par ses relations avec 

qui ensuivent quand bon leur sem- des artistes en Italie.» Biographie des 

blera. C'est à savoir Jehan Perreal, dit architectes Jehan Perreal, Clément 

Jehan de Paris, Jehan Prévost, Pierre Trie, par E. L. Charvet. 

de la Paix, dit d'Aubenas, Pierre 3. Documents, lettre B. 



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JçWiî'en'tA. 



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PORTRAIT DE MARGUERITE D'AUTRICHE, 
d'après les \^traux du Chœur, (Eglise de Brou). 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL loi 

l'art français avec les qualités brillantes et les procédés de 
Fart italien, époque à laquelle il doit avoir commencé à 
travailler aux cartons des vitraux, qui, pour ce motif, le 
préoccupaient beaucoup; c'est en effet alors que les artistes et 
les maîtres maçons de Brou, trouvant ses projets trop savants 
par leur nouveauté, lui reprochaient de n'être qu'un peintre '; 

Troisièmement, on sait que Jehan Perreal avait peint 
les portraits de Philibert le Beau et de Marguerite d'Au- 
triche^ à répoque de leur mariage, ce qui lui avait valu 
sans doute son titre de peintre de Madame. Personne ne 
pouvait donc exécuter aussi bien, aussi religieusement et 
d'une façon aussi remarquable que lui, leurs images. En 
outre, ce qui confirmerait l'attribution que nous avons faite 
à Perreal de l'exécution de ces portraits, c'est l'image de 
Philibert, peinte par Perreal sur les vitraux et qui est 
posée à genoux, ainsi qu'on la voit décrite dans le marché 
de Michel Colombe ^. 

A notre avis, il n'est pas douteux qu'en dessinant les 
plans de l'église et du chœur, Perreal avait naturellement 
réservé et fixé la place et la largeur qu'occuperaient les 
fenêtres, et avait exécuté ses cartons à la mesure pour les 
adapter parfaitement. 

Enfin, il nous paraît que la même pensée qui a décoré 
le chœur de ces magnifiques sépultures a fourni les dessins 
des vitraux et complété ainsi l'harmonie et l'unité de l'en- 
semble; le fait est que l'on y retrouve la même attitude de 
recueillement, de ferveur religieuse et le même sentiment 
artistique. 

1. Documents, lettre J. Perreal, par C. J. Dufay. Page i3- 

2. Essai biographique sur Jehan 3. Documents, lettre L. 



RECHERCHES SUR LA VIE 



D'après ces diverses réflexions, il nous paraît évident que 
tout concourt pour désigner J. Perreal comme le seul peintre 
à qui Ton peut attribuer les remarquables dessins de ces 
vitraux, et il est permis d'ajouter que Tintensité et le ton 
de certaines couleurs que nous retrouvons au tableau des 
Fiançailles de Charles VIII viennent Tappuyer. 

Nous devons dire encore qu'un des charmants écussons 
qui décorent les clefs de voûte de la chapelle est formé de 
deux bustes se regardant, coiffés de casques, identiquement 
pareils à celui que porte la statue de la Force, du tombeau 
de François II, duc de Bretagne. Nous le reproduisons ici. 
La répétition de cette forme de casque, particulièrement 
originale, vient confirmer cette opinion. 

L'un des plus intéressants de ces vitraux est celui de la 
chapelle de Gorrevod, qui a pour sujet l'Incrédulité de 
saint Thomas; l'on y voit, à gauche, saint Laurent debout, 
vêtu d'une dalmatique rouge, tenant dans sa main un livre 
ouvert et présentant de l'autre, au Sauveur, Laurent de 
Gorrevod qui est agenouillé dans l'attitude du recueillement. 

A droite, Claude Rivoire sa femme, coiffée d'un capu- 
chon, est vêtue d'une robe lie de vin sur laquelle elle a 
jeté un manteau rouge et blanc. Elle est à genoux, les 
mains jointes; derrière elle, son patron saint Claude, por- 
tant sur son aube une chape verte, retenue sur la poitrine 
par un large fermoir d'or. Il est debout et la présente de 
la main au Sauveur. Ce vitrail est remarquable par la 
beauté de la composition et la richesse du coloris. 

Parmi ceux du chœur, deux attirent plus particulière- 
ment Inattention, celui de Philibert, duc de Savoie, et celui 
de Marguerite d'Autriche. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



io3 



Le premier représente le beau duc de Savoie, tête nue, 
aux traits mâles et doux, agenouillé dans l'attitude du 
recueillement, devant un prie- Dieu de velours vert, sur 
lequel on voit un livre. Il est couvert de son armure et 




vêtu d'une tunique à ses armes, rouge et blanche. Il porte 
au cou le collier de TAnnonciade où Ton voit sa devise : 
Fert ; ses pieds sont chaussés d'éperons, et son casque est à 
terre près de lui. 

Ses grands yeux tranquilles, sa bouche élégante et fine, 
sa chevelure blonde qui flotte autour de son visage, justifient 
le surnom de Beau, que l'histoire lui a conservé. 



104 RECHERCHES SUR LA VIE 

Derrière lui, on voit saint Philibert debout, sa tête est 
couverte d'une mitre d'or; sur sa tunique, il porte une 
chape de drap d'or doublée de rouge, qu'un large fermoir 
retient sur sa poitrine; dans sa main droite, il tient un livre, 
et de la main gauche, une crosse d'or. 

Le second représente Marguerite d'Autriche, vêtue d'une 
longue robe de brocart rouge à dessins d'or; elle porte une 
couronne, et sa poitrine est couverte d'une chemisette 
blanche, retenue au cou par un collier d'or. 

On voit, derrière elle, sainte Marguerite vêtue d'une 
robe également de brocart d'or et d'un manteau rouge, 
ayant à ses pieds un dragon, emblème qui la distingue; 
dans ses mains, elle tient une petite croix. 

La richesse de la couleur, la beauté du dessin, la parfaite 
exécution des portraits qui passent pour être les plus res- 
semblants que nous ayons de Philibert, duc de Savoie, et 
de Marguerite d'Autriche, donnent à ces dessins une valeur 
inappréciable. 

Le vitrail le plus beau, qui peut passer à juste titre 
pour un chef-d'œuvre sous tous les rapports, est celui qui 
représente l'Assomption et le couronnement de la Vierge. 

Le Père éternel et son divin Fils sont assis tous deux 
au sommet, d'où ils dominent la scène. Devant eux, la 
Vierge soutenue par des anges reçoit debout la couronne 
que le Père et le Fils mettent sur sa tête». 

Marie est vêtue d'une ample robe blanche; de ses che- 
veux qui flottent sur ses épaules se détache un voile qui 

I. Il est à remarquer que la cou- TÉternel, tandis que celle que porte 
ronne de Marie est une couronne Jésus-Christ est une simple couronne 
impériale, pareille à celle que porte de prince. 




CK GOLJTZWliLEîi^^ 



LE COURONNEMENT DE LA VIERGE 
d'après les vitraux de l'église de brou. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



Tenveloppe ; ses mains sont croisées sur sa poitrine; une 
candeur angélique divinise sa figure. A ses pieds, les apôtres 
debout, autour du tombeau, ont les yeux fixes sur la 
récompense que reçoit la Vierge mère. 

A droite et à gauche, au-dessous d'eux, sont représentés 
en face Tun de Tautre les donateurs à genoux, les mains 
jointes dans un profond recueillement, portant Tun et l'autre 
le costume que nous avons décrit plus haut, et sont accom- 
pagnés de leurs saints patrons. 

Au dessus du couronnement de la Vierge se trouve un 
vitrail divisé en quatre compartiments très finement peints 
en grisaille, représentant le triomphe de Jésus-Christ; 
Adam et Eve ouvrent la marche du cortège; suivent les 
patriarches; le char de triomphe qui porte le Christ vient 
après; les quatre Évangélistes poussent à la roue; il est 
accompagné par les Pères de TÉglise et les saints de la 
nouvelle loi* avec cette inscription latine : 

TRIUMPHATORLM MORTIS CHRISTUM iETERNA FACE TERRIS 

RESTITUTA CŒLIQUE JAXUA BONIS OMNIBUS ADAPERTA, TANTI BENEFICII 

MEMORES, DEDUCENTES DIVI CANUNT ANGELI. 

Au sommet de ce vitrail, plusieurs groupes de petits 
anges donnent avec leurs flûtes et leurs violes d'amour, 
qu'accompagnent de leurs voix célestes d'autres petits anges, 
une sérénade à la mère de Dieu en chantant le Regma 
cœli lœtare^ d'après les caractères notés sur un papier de 
musique; rien n'est plus séduisant que ces gracieuses petites 
figures d'enfants de chœur de la cour céleste. 

Telle est en somme cette magnifique composition dont 
aucune description ne saurait donner qu'une idée impar- 

14 



io6 RECHERCHES SUR LA VIE 

faite, qui est sans contredit Touvrage le plus remarquable 
que Ton connaisse de la peinture française au quinzième 
siècle et au commencement du seizième. Elle peut riva- 
liser avec celle des plus grands maîtres d'Italie, à cette 
époque : Jean Bellini, André Mantegna, Pérugin, dont 
J. Perreal avait fait la connaissance pendant ses premiers 
séjours en Italie. On y trouve le même sens artistique, le 
même goût du grand style, et dans l'expression des têtes 
la dignité jointe à la douceur. 

Quant au vitrail qui se trouve à l'extrémité de Téglise 
au dessus de la porte, il représente Thistoire de la chaste 
Suzanne, divisée en deux compartiments; dans le premier, 
elle paraît avec les deux vieillards devant le juge assis; ses 
traits expriment le calme et la sérénité de l'innocence ; dans 
le second, le prophète Daniel démasque Timposture, Su- 
zanne triomphe et un geôlier entr'ouvre la porte de la pri- 
son qui va se refermer sur les vieillards. 

Tous les personnages de ce drame ont un type français 
et sont vêtus de costumes divers, à la mode de France vers 
la fin du quinzième siècle. 

Le charme et la beauté de ces compositions nous amène 
à conclure que les éloges comparés qu'a faits Jehan Lemaire 
de Belges, historiographe de la reine Anne de Bretagne et 
de Marguerite d'Autriche, de notre éminent artiste, dans sa 
correspondance et dans ses vers, dont nous répétons cet 
extrait, n'ont rien d'exagéré : 

Besoignez doncq, mes alumnes modernes, 
Mes beaux enfants nourris de ma mamelle, 
Toy, Léonart, qui a grâces supernes; 
Gentil Bellin, dont les los sont éternes, 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 107 

Et Perusin, qui si bien couleurs mesle, 
Et toi, Jean Hay, ta noble main chomme elle 
Viens voir nature avec Jehan de Paris, 
Pour lui donner umbraige et esperitz. 

Ce couplet est évidemment la preuve de la sûreté de 
son goût et l'expression générale que l'on avait du talent 
de ces artistes, placés sur le même rang à cette époque. 

N'est-il pas étrange que notre illustre compatriote, que l'on 
peut sans contredit placer au premier rang des précurseurs 
de l'école française, ait été oublié à tel point que l'on ne le 
trouve cité dans aucun ouvrage consacré à l'histoire de la 
peinture française, alors que la faveur des rois Charles VIII, 
Louis XII, Ffançois I", ainsi que les témoignages de ces 
hommes remarquables, Jehan Lemaire, Clément Marot, 
Cornélius Agrippa, Geoffroy Tory, le statuaire Michel 
Colombe, etc., etc., le recommandent si vivement à la 
postérité ! 

Répétons ici à ce propos les réflexions si justes de 
M. Ernest Renan, dans son discours sur l'état des arts au 
quinzième siècle : « L'Italie a eu deux bonnes fortunes 
refusées à la France, celle d'avoir conservé intactes les 
œuvres de ses anciens artistes et celle d'avoir eu un E. Va- 
sari * . )) 

Nous voilà bien loin des travaux exécutés en France par 
notre artiste, mais il était impossible de ne pas suivre 
l'histoire de l'œuvre qu'il avait entreprise et exécutée à 
Brou, dont quelques personnes ont voulu lui enlever le 
mérite pour l'attribuer à Loys van Boghem qui n'était ni 

f. Vie des plus illustres peintres, sculpteurs et architectes, par E. Vasari. 
Première édition. Florence, i55o. 



io8 RECHERCHES SUR LA VIE DE J. PERREAL 



peintre, ni sculpteur ', mais simplement un « maistre masson 
des meilleurs », ainsi que le nomme la princesse Marguerite 
d'Autriche^. 

J'avais pour cela à mettre en lumière des documents 
précieux, les uns inconnus, les autres sur lesquels on ne 
s'était pas assez arrêté et qui par là étaient restés inconnus 
à certaines personnes. 

Nous allons revenir sur nos pas. 

I. Église de Brou, par Dufay. Édi- 2. Documents, lettre P. 

tion 1874. 




CHQ4'PlTn{E T%piSÎÈiME 



GUERRES D'ITALIE 

I 507- r 529 

Jehan Perreal accompagne le roi Louis XII dans son expédition contre Gènes, 
i5o7. — Description des tableaux de cette campagne peints par J. Perreal, 
d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale. — En 1609, Louis XII 
traverse de nouveau Lyon, où il laisse la reine; J. Perreal raccompagne 
dans cette campagne contre les Vénitiens. — Lettre de J. Lemaire à 
messire Thomassin, à propos des peintures de J. Perreal, représentant 
les batailles et les sièges de cette campagne. — Haute position de J. Perreal 
à la cour. — En i5i2, nouvelle expédition contre les Vénitiens, ligués 
avec le pape Jules II. — Manuscrit de la bibliothèque impériale de Saint- 
Pétersbourg, contenant la corres'pondance du roi et de la reine, ornée de 
miniatures de la main de J. Perreal. — Maladie et mort de la reine Anne. 
— J. Perreal dirige les funérailles. — Projet de mariage de Louis XII avec 
la sœur d'Henri VIII d'Angleterre. J. Perreal va à Londres, chargé de 
faire le portrait de la princesse. — Mort du roi Louis XII. — J. Perreal 
exécute l'image du défunt et dirige ses funérailles. — Tombeau de 
Louis XII et d'Anne de Bretagne. — Description de ce monument. — 
J. Perreal figure encore en i523 sur l'état des officiers de la cour, comme 
peintre et valet de chambre de François I«'. — Geoffroy Tory publie en 1329 
un dessin de sa main. — Mort de J. Perreal arrivée peu de temps après. 



AU commencement de i5o6, la situation de Gênes don- 
nait beaucoup de soucis au roi de France; la ville et 
son territoire étaient le théâtre d'une guerre civile qui com- 
promettait gravement la domination française. Les vieilles 
querelles des nobles et des plébéiens s'étaient renouvelées 



110 RECHERCHES SUR LA VIE 

avec une violence extrême; le peuple avait eu l'avantage. 

Jean-Louis de Fiesque et la plupart des nobles passè- 
rent en France et n'épargnèrent rien pour exciter la colère 
du roi douzième de nom et duc de Milan, contre les 
orgueilleux Vilains de Gênes ; la noblesse française, fidèle à 
Tesprit de caste, fit cause commune avec les émigrés. 

Louis XII voyant le Milanais ébranlé par l'exemple des 
Génois, et tous les ennemis de la France prêts à se décla- 
rer au premier signe de faiblesse, pensa devoir effacer par 
un coup de vigueur la mémoire des désastres de Naples, 
et se prépara à secourir la noblesse génoise. 

Jehan Perreal devait accompagner Louis XII dans cette 
entreprise, ainsi qu'il l'avait fait dans la campagne précé- 
dente, en qualité de peintre du roi et de valet de chambre. 
A ce propos, la reine Anne lui adjoignit son poète et « escri- 
vain » Jehan Marot, en qualité de secrétaire du roi, pour 
reproduîi^e avec la plume les événements que Jehan Perreal 
devait retracer avec le pinceau^. 

La description que nous allons essayer de donner de 
cette campagne se retrouve en fait dans les onze magni- 
fiques miniatures de 27 centimètres de hauteur sur i5 de 
largeur, attribuées à Jehan Perreal, qui sont dans un livre 
fait pour la reine Anne de Bretagne, qui y est peinte 
au premier feuillet, conservé à la Bibliothèque nationale. 
Il a pour titre : Poème de Jehan Desmarest de Caen, 
dit Jehan Marot, sur la guerre de Gênes, faite par le roi 
Louis XIL 

Ce livre, qui décrit en vers l'histoire, entremêlée de fic- 
tions poétiques, de la révolte de la république de Gênes, 

I. Histoire de France, de H. Martin. Tome VII, page 387. 




Jehao Perretl. Ptnaemaker pèr« et ûb m. 

PRÉPARATIFS DE DÉPART DE L'ARMÉE FRANÇAISE. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



de rentrée des Français et de la défaite des Génois, qui 
vinrent enfin se rendre au roi Louis XII, est assez détaillé 
dans ces tableaux, pour servir de documents historiques 
ainsi que d'études de mœurs et de caractères. 

Comme nous venons de le dire, la première miniature 
de ce beau livre représente, dans une grande pièce tendue 
de damas façonné, la reine Anne de Bretagne, assise dans 
un grand fauteuil à bras, sous un dais rouge rehaussé de 
riches dessins d'or. Elle est vêtue d'une longue robe de 
velours pourpre, coupée carrément sur la poitrine, à manches 
très larges, dites à la grand'gore, doublées de drap d'or, la 
tête couverte de l'élégante coiffure noire qu'elle avait mise 
à la mode; elle porte un large collier de perles et de rubis, 
et une cordelière d'or lâche à la ceinture. 

A la droite de la reine, on voit plusieurs dames et 
demoiselles de la cour, qui se tiennent debout, vêtues et 
coiffées à peu près comme elle; celle qui est près d'elle, 
vêtue de drap d'or, pourrait bien être Germaine de Foix ', 
mariée à Ferdinand V, roi d'Aragon. On voit un peu plus 
loin quelques officiers de la cour qui, vêtus de la longue 
et ample robe mise à la mode par le roi Charles VIII, 
attendent debout, la tête couverte d'un bonnet. 

Au centre, Jehan Desmarest, dit Jehan Marot, vêtu éga- 
lement d'une longue robe marron garnie de fourrure, la 

I. La cour féminine de la reine Anne de Catherine de Foix. Ferdinand V, 

était si réputée en Europe, que Ladis- roi d'Aragon, devenu veuf, épousa de 

las Jagellon, roi de Bohême, pria la la même manière Germaine de Foix, 

reine, par ambassadeur, de lui choi- sœur du fameux Gaston de Foix, nièce 

sir, entre les demoiselles de sa suite, de Louis XIL 

une sage et belle personne digne de (Voyez Hilarion de Coste, Vies et 

monter sur le trône. La reine désigna Éloges des Dames illustres. Tome I, 

Anne de Foix, fille unique de Jean et page 8. 



RECHERCHES SUR LA VIE 



tête nue et un genou en terre, lui présente son livre, pro- 
bablement le même exemplaire que celui-ci, où nous avons 
pris ces. notes. 

Cette charmante composition resplendissante d'or, de 
carmin, a une vigueur de ton d'un éclat merveilleux; et 
bien que plusieurs siècles se soient écoulés depuis Texécu- 
tion de ce beau livre, la peinture a conservé une telle fraî- 
cheur, qu'elle semble sortir des mains du maître. 

Préparatifs de l'armée française. — Ce livre commence 
par une fiction. 

Du haut des nues où ils sont assis, Mars armé d'une 
épée, et Bellone d'une flèche', excitent le peuple de Gênes 
à courir sus aux nobles, qui, fugitifs, viennent se plaindre au 
roi de France. La noblesse française prit cause pour ces émi- 
grés, et réussit à leur faire prêter secours par le roi Louis XIL 

Au bas, on voit l'armée française faisant ses préparatifs 
derrière un rideau de montagnes, et, dans le lointain, la 
mer et des vaisseaux de guerre. 

A droite, sur le premier plan, deux canonniers ajustent 
sur leurs affûts des canons couverts de fleurs de lis; l'un 
est vêtu d'une tunique violet, l'autre d'une tunique marron, 
avec la figure du porc-épic, brodée sur la poitrine; tous 
deux sont coiffés d'un bonnet plat à retroussis. 

Au centre, un vigoureux jeune homme, coiffé d'un 
bonnet rouge, achève d'attacher sa cotte de mailles; puis, à 
gauche, un officier d'une belle et fière tournure, portant 
sur sa cuirasse une jaquette rouge ornée de la figure du 

I. Le casque que porte Bellone a porte la statue de la Force, du tombeau 
beaucoup de rapport avec celui que de Nantes. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL ii3 



porc-épic couronné '. Il est coiffé d'un casque dont la 
visière est à moitié levée-. Les figures remarquables de 
ces personnages doivent avoir été peintes d'après nature, 
car elles ont une telle vigueur de réalité, qu'il n'est pas 
permis de douter qu*elles ne soient des portraits com- 
mandés à notre peintre pour ce livre destiné à la reine ; 
malheureusement, il est impossible de nommer les modèles 
qui ont été laissés dans l'oubli par les conservateurs, plus 
occupés autrefois de la partie littéraire que de la partie de 
Tart. Il en est différemment aujourd'hui ; on lit peu le 
poème de Jean Marot, dont la langue a grandement vieilli, 
tandis que ces miniatures ont conservé leur jeunesse qui 
fait la joie des curieux. 

Pleins d'entrain et impatients d'en venir aux mains, les 
nombreux officiers et soldats placés au second plan déploient 
les étendards et s'arment de piques et de hallebardes; leur 
type est français, leurs figures, plutôt courtes que longues, 
font bien voir qu'elles ont été prises dans la nature même 
du pays. 

Là, point de ces formes massives, mais un mélange 
d'énergie, de souplesse et une facilité de mouvement qui 
font souvenir de l'agilité française. A la noblesse de la pose 
ou aux traits de la physionomie, on reconnaît le rang que 
chacun y occupe; on dirait que chaque groupe a posé 
devant le peintre, ou plutôt que, témoin oculaire, il les 
a saisis au moment même de l'action; au résumé, on ne 

1. Ordre créé par Louis d'Orléans, princes et des ducs a la visière levée 
père de Louis XIL à demi, tandis que celui des marquis, 

2. On voit par la Méthode du blason comtes, etc., ont tous des grilles, dont 
du Père Ménestrier, que le casque du le nombre est indiqué suivant les 
souverain a la visière levée, celui des titres. 



114 RECHERCHES SUR LA VIE 



trouve ici aucun vestige d'influence italienne ou flamande, 
mais un souffle purement français anime ces compositions, 
qui sont de la dernière manière de Jehan Perreal, et peu- 
vent être considérées comme des chefs-d'œuvre. Nous avons 
là le plus bel échantillon qui existe de la peinture française 
à cette époque, iboj, 

La république de Gênes tient conseil avec les ti^ois par- 
ties qui la composent : la noblesse, la bourgeoisie et le 
peuple, — Cette belle miniature représente Gênes, sous les 
traits d'une femme blonde, assise sur un trône élevé de deux 
marches, placé au centre d'une grande salle, sous un dais 
richement décoré. Elle est vêtue d'une robe rouge à dessins 
d'or, avec manches en tissu d'argent. Sa main droite levée 
et l'expression de son regard indiquent qu'elle veut parler. 

Le conseil attend dans l'attitude du recueillement. Les 
figures sont pleines de dignité et d'attention. 

Alors Gênes s'adresse au noble qui se tient debout 
devant elle, la tête couverte d'un bonnet à retroussis rouge. 
Il est habillé d'un pantalon, dont l'un des côtés est rouge, 
et l'autre côté blanc et bleu, d'une jaquette bleue et d'un 
court manteau rouge doublé de vert. Il a l'épée au côté et 
paraît répondre hardiment aux reproches que Gênes lui 
adresse, d'être allé se plaindre au roi de France. 

Elle a à sa droite un bourgeois à cheveux blancs, vêtu 
de violet, et à sa gauche un homme du peuple, sous les 
traits d'un jeune homme vêtu de gris, qu'elle exhorte à se 
bien préparer pour repousser les Français. 

Au bas du trône, on voit sur les deux côtés des femmes 
assises à plate terre. 




Jehaa Perreal. 



Panaenuiker père et flU k. 



LA RÉPUBLIQUE DE GÊNES TIENT CONSEIL AVEC LA NOBLESSE 
LA BOURGEOISIE ET LE PEUPLE. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 






Tous ces personnages, admirablement groupés, sem- 
blent vivre et parler. 

Les Génois révoltés vont prendre le petit château. — Après 
avoir brisé les fleurs de lis qui étaient dans la ville, les 
Génois allèrent assiéger le petit château situé sur le sommet 
de la montagne, occupé par une petite garnison de dix-huit 
Français et de trois femmes, qui furent contraints de se 
rendre, et qui furent égorgés le i5 mars 1507. 

Ce qui frappe dans cette miniature, c'est cette foule 
immense, de plus de cent soldats en fureur, dont les uns 
montent du côté du château, où Ton voit les corps des 
hommes et des femmes massacrés, et les autres descendent 
du côté du couvent, portant au bout de leurs piques, 
comme des trophées, des chausses ensanglantées. Au bas, 
une grande multitude de Génois armés sont autour du 
couvent et du château de Saint-François, entouré de fortes 
murailles, et paraissent n'avoir pas encore commencé l'at- 
taque. 

Louis XII sort d^ Alexandrie et marche contre les Génois. 
— A la nouvelle de la capitulation violée et du massacre 
de sa garnison, le roi Louis XII se rendit d'abord à 
Asti, où il séjourna huit jours, et de là à Alexandrie. Le 
lendemain, il passa les monts, accompagné des ducs de 
Bourbon, de Vendôme, de Nevers, de Ferrare, et des 
marquis de Mantoue et de Montferrat, princes italiens qui 
s'étaient rangés sous les étendards du roi, tenant tous dans 
la main un bâton de commandement et coiffés de casques 
dont la visière est à moitié levée. 



iiô RECHERCHES SUR LA VIE 



Le roi est représenté dans cette miniature, à cheval, 
armé de toutes pièces, portant une tunique blanche sur sa 
cotte d'armes; de sa main droite, il tient un bâton de com- 
mandement; une ruche est brodée sur sa tunique, avec de 
nombreuses abeilles qui voltigent autour, ainsi que la 
housse blanche qui couvre son cheval noir. La devise : 
NON UTiTUR ACULEO REX, le roi ne se sert pas d'aiguillon, 
se lit au bas de sa tunique et autour de la housse du 
cheval, ce qui semble dire qu'il ne traitera pas les Génois 
avec la dernière rigueur. 

Sur le casque du roi est un panache de plusieurs plumes 
blanches qui se renversent en arrière. C'est une chose fort 
curieuse et qui ne s'apprend que dans les peintures, que 
la grande diversité et ces façons singulières des aigrettes 
des princes et des officiers qui suivaient le roi et de ceux 
qui marchaient devant lui, que nous offre cette remar- 
quable miniature. Le harnachement des chevaux et le cos- 
tume des cavaliers, qui sont représentés ici avec une exac- 
titude scrupuleuse, doublement intéressante, ajoute par cela 
même la valeur historique à une œuvre déjà si précieuse 
par sa valeur esthétique. Les premiers temps de la Renais- 
sance y semblent revivre. 

Quoique renfermée dans une place fort circonscrite, cette 
scène a une ampleur étonnante qui tient à l'art avec laquelle 
les soldats sont groupés et disposés, de manière qu'on croi- 
rait que la foule que l'on voit monter la colline ne saurait 
s'arrêter. 

— Notre peintre, témoin oculaire, nous montre dans 
cette miniature, qui représente les Français prenant les forts 




Jehan Perreal. Pannemaker père el fils se. 

LES GÉNOIS RÉVOLTÉS PRENNENT LE PETIT CHATEAU. 



,1 



ET L*ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 117 



de Gènes, Tinfanterie française arrivant au sommet des 
montagnes qui dominent la ville et le port, où les Génois 
s'étaient fortifiés, et mettent en fuite ces bandes inaguer- 
j ries, postées pour la défendre, puis attaquant vivement ce 

; bastillon (ce bastion), garni de canons, réputé impre- 

nable, s'en rendent les maîtres et chassent les Génois 

de presque tous les forts qu'ils avaient dans les mon- 

t 

tagnes. 

La nuit qui survint empêcha qu'on allât plus avant. 

' Au bas sont plusieurs seigneurs à cheval, lance en main, 

armés de toutes pièces, brillants d'or, casques en tête ornés 
! de panaches les plus variés et les plus magnifiques, qui 

paraissent n'avoir pas eu l'occasion de donner. 

— Déconcertés par la défaite qu'ils venaient de subir, 

' les Génois tinrent conseil la nuit; leur doge les encou- 

' ragea à la résistance. Le lendemain, ils s'assemblèrent 

en grand nombre sur le haut de la montagne, près du 

1 bastillon : on les reconnaît à la croix rouge qu'ils portent. 

f* Mais les Français, montant des deux côtés, les attaquèrent 

i vivement et. les mirent en déroute. 

ï 

' Se voyant, après ces grandes pertes, sur le point d'être 

pris, ils résolurent de venir implorer la clémence du roi. 
On voit dans cette miniature les conseillers de la ville, 
au nombre de six, la tète blanche et rasée, vêtus de noir, 
les mains jointes et à genoux, demandant la paix et mon- 
trant par leur contenance le désir qu'ils ont de fléchir le 
roi qui ne veut les recevoir qu'à discrétion. 

Le peintre nous le montre sur son cheval noir, ainsi que 
nous l'avons vu, avec cette différence qu'il tient son épée 



ii8 RECHERCHES SUR LA VIE 



nue à la main. Il est entouré des gens de sa garde et de 
ses principaux officiers : deux d'entre eux ont Tépée au 
poing et portent la visière de leur casque à moitié levée, 
ce qui nous indique le rang élevé qu'ils occupaient dans i 

Tarmée. \ 

I 
Cette miniature, remarquable par le nombre des per- 
sonnages, l'ordonnance savante de la composition et la i 
fidélité des costumes, est une des plus belles de ce manus- 
crit. 



Entrée triomphale du roi dans la ville de Gênes. — 1 

Les précautions que prit Louis XII prouvaient qu'il 
n'avait pas l'intention de livrer au pillage la ville comme * 

le craignaient les vaincus, car il interdit Tentrée de la ville i 

de Gênes à l'infanterie qu'on redoutait de ne pouvoir 
contenir. i 

Le roi fit son entrée le lendemain, 29 avril 1607, à la j 

tête de sa brillante maison militaire, et s'en alla d'abord au 
palais. '' 

Cette belle miniature nous le montre à cheval, armé de 1 

toutes pièces, portant sur sa cotte d'armes une jaquette ' 

rouge brodée, ainsi que la housse du cheval, au chiffre de la \ 

reine A en or; sous un grand dais porté par quatre des 
principaux bourgeois, tête rasée et vêtus de noir, des jeunes 
filles à genoux, habillées de blanc, les cheveux dénoués sur 
les épaules, portant des branches d'olivier, criant miséri- 
corde; on voit des spectateurs se pressant aux fenêtres, 
pour regarder passer le cortège. 

«Après le roi, venaient quatre cardinaux : maistre Georges, 
cardinal d'Amboise, maistre René, cardinal de Prye, le car- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 119 

dinal d'Alby et le cardinal de Final, montés sur des mules 
grises. Charles d'Amboise marchait après, monté sur un cour- 
sier bai, vêtu, sur son harnais, d'une saye blanche couverte 
d'orfèvrerie moult riche, ayant Tépée nue au poing comme 
capitaine dompteur et vainqueur des dits Génois soubs la 
main du roi. » 

Cette magnifique entrée, dirigée par Jehan Perreal, donne 
une idée des fêtes, dont la ville de Lyon lui confiait la 
direction, à propos des visites royales. 

Tristesse de la pille de Gênes. — Dans une chambre 
noire semée de larmes d'argent, on voit la ville de Gênes, 
sous les traits d'une belle femme, assise sur un trône élevé 
de trois marches, placé sous un dais. Elle est en grand 
deuil, essuyant ses yeux rougis, brûlés par les larmes. 

La Honte, vêtue d'une robe grise, la tête couverte de 
linge blanc, s'avance en hésitant vers elle, dans l'attitude 
du plus profond abattement, appuyant ses mains défail- 
lantes, l'une sur celle du marchand vêtu d'une tunique vio- 
lette, qui, frappé par cette scène de douleur, engage la ville 
de Gênes à ne pas désespérer dans ce moment où la main de 
Dieu la frappe si cruellement, et l'autre, sur celle d'un homme 
du peuple vêtu d'une tunique marron vers qui elle tourne 
la tête, les yeux baissés, sentant sa main filiale appuyée 
contre son cœur : geste d'une tendresse touchante pour 
réchauffer son courage et l'assurer dans son dévouement. 

Il règne dans cette composition un sentiment vrai de 
tristesse, le visage de Gênes exprime bien la douleur la 
plus profonde que l'on puisse supporter en un pareil mo- 
ment de terrible épreuve, le marchand plongé dans une 



RECHERCHES SUR LA VIE 



tendre affliction essaye de calmer son désespoir en Tentrete- 
nant de ses espérances. 

Un sentiment profond de pieuse et sincère douleur 
anime l'homme du peuple, en voyant la douleur muette de 
la Honte, dont la tête superbe de sentiment présente des 
qualités de premier ordre. 

Ce sont ces traits, saisis au plus profond du cœur 
humain, qui caractérisent le ge'nie français et auraient fait 
Toriginalité de notre école, si elle avait été protégée. 

Nous ne croyons pas trop nous avancer en disant que 
cette miniature est un chef-d'œuvre de la peinture française, 
qui prouve que notre pays possédait au quinzième siècle 
un mouvement d'école comparable à celui de nos voisins; 
ce mouvement aurait progressé au contact des autres écoles, 
tout en conservant son caractère national, si François T** 
n'avait pas donné tous les travaux à ces nombreux artistes 
italiens, la plupart de la décadence, appelés par lui à la 
cour et mis à la mode, au détriment de nos artistes qui 
furent réduits à peindre des portraits; car, de nos plus 
habiles artistes, J. Clouet, Démoustier et autres, on ne 
trouve que des portraits. 

— La fiction continue dans la miniature suivante, et nous 
montre de nouveau la ville de Gênes telle qu'elle est dans 
la précédente miniature, avec cette différence qu'elle est cou- 
chée sur un lit, couvert d'étoffe noire, semée de larmes, 
entourée de la Rage et de la Douleur, sous les traits de 
deux femmes du peuple, et du Désespoir sous les traits 
d'un vieillard à barbe blanche, vêtu d'une ample robe mar- 
ron et d'une écharpe décorée de figures d'enfants. 




ichan Perreal. Paancroaker pore et fili te. 

LOUIS XII MARCHE CONTRE LES GÉNOIS. 



ET I/ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



A ce triste spectacle, elle tourne vers le ciel ses yeux 
rougis par les larmçs et le prie, les mains jointes, de Tins- 
pîrer. Alors lui apparaît, portée par un nuage, sous les 
traits d'une femme couronnée, la Raison, qui marque par 
un doigt levé et l'expression de son regard les termes qui 
doivent l'engager à accepter les conditions du roi. 

Louis XII rend à la ville de Gênes, conquise et soumise, 
ses lois et ses libertés. — Dans une chapelle d'architecture 
génoise, Jehan Perreal a représenté la ville de Gênes sous 
les traits d'une belle femme, vêtue d'une robe 'de brocart 
d'or sur laquelle est attaché un manteau bleu semé de fleurs 
de lis d'or, doublé d'hermine, et coiffée d'un bonnet garni 
de pierres précieuses. 

Elle a quitté sa chambre de deuil, dont on aperçoit 
derrière elle la porte tendue de noir, et elle remercie 
gracieusement, les mains jointes, à genoux, la Raison, que 
l'on voit dans le haut, debout sur un nuage, la bénissant. 

Ces belles miniatures sont des tableaux complets d'un 
intérêt sans égal pour l'histoire et l'étude. 

Jusqu'alors, Jehan Perreal n'avait été à nos yeux qu'un 
imitateur prodigieusement habile, d'abord de l'école fla- 
mande, puis se rapprochant des précurseurs de l'école 
italienne; mais après avoir vu ces admirables peintures, 
qui sont une révélation, où il a reproduit les événe- 
ments auxquels il a assisté, simplement, sans emphase, 
sans prétention, tels qu'il les a vus, avec le sentiment 
d'un caractère élevé, d'un jugement sain et politique, 
il nous apparaît comme un peintre ému original, capable 

iG 



RECHERCHES SUR LA VIE 



d'inventions, et Tinitiateur d'un art nouveau, la peinture 
d'histoire. 

A notre avis, il est à la France ce que le Pérugin fut 
•à ritalie, par le charme de la composition, la chaleur du 
coloris, l'expression vivante des physionomies et le senti- 
ment de l'ordonnance. 

Le volume qui contient ces peintures est considéré à 
juste titre comme l'un des plus splendides et des plus pré- 
cieux manuscrits de la Bibliothèque nationale. C'est sans 
doute l'exemplaire original qui fut présenté à la reine Anne 
de Bretagne, du poème de la Guerre de Gê?ies, en manuscrit 
sur vélin, enrichi de onze miniatures, dont plusieurs sont 
des chefs-d'œuvre. 

La reine le fit déposer dans la bibliothèque du roi, 
où étaient alors les plus précieux manuscrits appartenant 
à la couronne ; il n'en est sorti que pour entrer dans 
la Bibliothèque nationale, dont il est l'un des plus beaux 
ornements. 

On sait que Jehan Perreal fut le seul peintre que le roi 
Louis XII ait emmené à sa suite dans ses campagnes en 
Italie, pendant le cours de son règne; il n'est donc pas dou- 
teux que ces miniatures, qui retracent comme un témoin 
oculaire peut seul le faire les événements de cette guerre 
contre Gênes, sont de sa main. 

L'originalité de ces miniatures, l'ordonnance savante de 
la composition, la richesse de la couleur, l'élégance et la 
fidélité des costumes qui leur donnent une valeur historique, 
le fini du travail, attestent le talent du peintre, dont les 
œuvres auraient pris un aspect de grandes peintures, si on 
leur eût donné d'autres dimensions. 



ET LMKUVRE DE JEHAN PERREAL 1-3 



Louis XII, après avoir parcouru toute la Lombardie, 
rentra en France; à son passage à Lyon, le 17 juillet ïSoj, 
où la reine était venue Tattendre, il fut reçu avec enthou- 
siasme et fut conduit jusqu'à Tarchevêché sous un dais en- 
soie bleue semé de fleurs de lis d'or, à travers les rues 
tendues de tapisseries. 

Dix-huit mois après, les Vénitiens s' étant emparés de 
plusieurs dépendances du Milanais, le roi traversa encore 
une fois Lyon, le 29 mars 1609, où il laissa la reine, et 
passa les Alpes au commencement d'avril. Durant tout ce 
mois, sa maison, ses fantassins, son artillerie, ne cessèrent 
de défiler vers le Milanais. Le 27 avril, la campagne 
s'engagea par l'entrée de l'avant-garde française, aux ordres 
de Chaumont d'Amboise, sur le territoire vénitien. 

Jehan de Paris accompagna le roi comme précédem- 
ment dans cette nouvelle campagne, ainsi que Jehan Marot 
qui en retraça dans un poème, imprimé en i532, les 
événements à la suite de la guerre contre les Génois; ce 
poème a pour titre : Les deux heureux i^oyages de Gênes 
et de Venise. 

D'après la lettre écrite à messire Claude Thomassin, 
seigneur de Dammanin, conseiller du roi et son conser- 
vateur des foires de Lyon, le 12 août 1609, par Lemaire 
de Belges qui se trouve à la fin de la Légende des Véni- 
tiens '^ nous pensons qu'il existe ou qu'il a existé un 
livre fait comme le précédent pour la reine Anne de Bre- 
tagne, contenant le manuscrit sur vélin de ce poème de 

I. Ldi Légende des Vénitiens /\\wy>tU brai, organisée en i5o8 entre le roi 
mée en i5o9, à Lyon; satire contre Louis XII, Marguerite d'Autriche, le 
Venise, à propos de la Ligue de Cam- pape Jules II, etc. 



124 RECHERCHES SUR LA VIE 

Jehan Marot, enrichi de miniatures peintes par Jehan Per- 
real, mais jusqu'à présent toutes nos recherches sont restées 
infructueuses. 

Voici l'extrait de la fin de cette lettre : 

« Mais, de vostre bon amy et mon bienfaiteur, hostre 
second Zeuxis ou Appelles en paincture, maistre Jehan 
Perreal, painctre et varlet de chambre ordinaire du roi, la 
louange est perpétuelle et non terminable; car de sa main 
mercurielle, il a satisfait par grande industrie à la curiosité 
de son office et à la récréation des yeulx de la très chres- 
tienne majesté, en peignant et représentant à la propre 
existence naturelle, dont il surpasse aujourd'hui les citra- 
montains (en deçà des Alpes, c'est-à-dire les Italiens), les 
citez, villes, chasteaulx de la conqueste et l'assiette d'iceulx; 
la volubilité des fleuves, l'inégalité des montagnes, la 
planure du territoire, l'ordre et le tumulte de la bataille, 
l'horreur des gisans en occision sanguinolente; la miséra- 
bilité des mutilez nageant entre mort et vie, l'effroy des 
fuyans, l'ardeur et impétuosité des vainqueurs, et l'exaltation 
et hilarité des triomphans, et si les ymages et painctures 
sont muettes, il les fera parler par sa très élégante escripture 
ou par sa propre langue bien exprimante et savamment 
éloquente. 

« Par quoy à son prochain retour, en voyant ses belles 
œuvres, ou escoutant sa voix, ferons accroire avoir esté 
présens à tout; comme déjà nous en avons ouy compter 
verbalement au seigneur prieur frère Pierre d'Autan, illus- 
trateur des chroniques de France >, et pour donner foy de 
la victoire dessus dicte avons vu faire son entrée à Lyon, 

I. D*Autan, historiographe du roi Louis XII. 



N 




Jehao Perrcal. 



Pannemaker père et flit se. 



ENTRÉE TRIOMPHALE DU ROI LOUIS XII 
DANS LA VILLE DE GÊNES. 



\ 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 12b 



Barthélémy d*Alviannei capitaine des Vénitiens, prisonnier 
du roi avec certains autres, lesquels sont maintenant 
chastelains de Pierre en Seize ^. » Lemaire termine en disant 
que c( Messire Symphorien Champier Pavait tiré des mâchoires 
de la mort en laquelle il s'estait engouffré par trop grand 
labeur, abstinence et vigilance. Donc, en Tespoir de les 
revoir tous les deux ainsi que je le désire, Je clorai ici en 
me recommandant humblement à vostre seigneurie, à Lyon 
12 août i5o9 ». 

Cette lettre prouve la réputation dont jouissait Jehan 
Perreal parmi ses compatriotes, non seulement comme 
peintre surpassant les « citramontains », mais aussi comme 
élégant écrivain et orateur savamment éloquent. 

Le fait est que Tordre et le tumulte d'un champ de 
bataille, Tardeur et les émotions des combattants, les souf- 
frances des mutilés entre vie et mort, Talarme des fuyards,, 
l'ardeur, l'impétuosité et l'exaltation des vainqueurs, sont 
des choses très difficiles à rendre, dont il n'y avait pas eu 
d'exemple à cette époque, et qui doivent placer au premier 
rang l'artiste qui les a exécutées, car il les a tous précédés 
dans cette voie difficile et périlleuse. 

Cette lettre nous fait connaître qu'il avait suivi nos 
troupes conquérantes en Italie, qu'il y avait peint nos 
triomphes d'après nature, et que, succombant aux fatigues 
du voyage et à la peine du travail, il avait été conduit par 
la maladie bien près de la mort. 

Que sont devenus ces précieux tableaux, et comment se 
fait-il qu'après Jehan Lemaire aucun écrivain français n'ait 

I. Alvianne commandait rarrière- 2. Pierre-Scize, prison de Lyon, prés 

garde à la bataille d*Agnadcl. le rocher de ce nom. 



126 recherch.es sur la vie 



jamais revendiqué cette gloire? et que pas une de ces 
peintures exécutées pour le roi, à propos de cette guerre, 
ne soit arrivée jusqu'à nous? 

Nous devons observer à ce propos que nous avons 
remarqué dans le manuscrit des ABUS DU MONDE, 
vendu à Thôtel Drouot le ri mai 1882, poème par P. Grin- 
gore, quatorze grandes miniatures, dont nous attribuons 
une partie à Jehan Perreal, la onzième entre autres, 
qui représentait le roi Louis XII à cheval, Tépée à 
la main, casque en tête, armé de toutes pièces, portant 
sur sa cotte d'armes une tunique fleurdelisée, ainsi que 
la housse de son cheval, entouré de sa maison militaire sur 
le Champ de Bataille d'Agnadel, couvert de soldats morts 
ou blessés, en face de laquelle se trouvaient ces vers : 

I] combattit deulx heures à oullrance, 

Ayant toujours en Ihucrist fiance. 

Si bien qu'il mist ses ennemys en fuite 

Et les chassait au beau fer de sa lance. 

Français, eussiez veu sans nulle doubtance 

Des ennemys faire si grande poursuite 

Qu'ils en tuèrent ung grand nombre à la suite; 

One on ne veit en tel sorte frapper 

Eureulx estoit qui pouvait eschapper. 

Puis on lisait plus loin : 

Ainsi le roy voyant ses ennemys/ 
Gisant envers, autres en fuyte mis*, 
D'un cœur dévot va commencer à dire : 
Dieu puissant, mon créateur et sire, 
Grâces te rend, car bien sçay qu'en tes mains 
Gist la victoire ou malheur des humains. 

I. Dans son ouvrage, qui a pour bre et peintre ordinaire des rois 
titre Jean de Paris, valet de cham- Charles VIII et Louis Xll, M. Rcnou- 



^ 




BATAILLE D'AGNADKL. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 127 

Pendant toute la durée de cette campagne qui fut aussi 
courte que glorieuse, la reine Anne fixa sa résidence à Lyon. 
Elle n'eut qu'à se louer de l'attitude de la population « dont 
elle garda un excellent souvenir; quant au roi, il rentra à 
Lyon le 20 août iSog, couvert de lauriers; les conseillers de la 
ville ayant désiré lui préparer une belle entrée avaient fait 
écrire au trésorier Grollier' et à Jehan de Paris, pour savoir 
les intentions du roi concernant sa réception. Voici la réponse 
qui se trouve inscrite au registre municipal du 2 5 juillet 1609 : 

« Ledit jour ont été receues lectres missives de Messieurs 
le trésorier Grollier et Jehan Perreal, faisant responce des 
lectres qui leur furent escriptes au nom de mes dits 
seigneurs les conseillers, affin d'avoir leur advis touchant 
ce que la ville aurait à faire à l'entrée et retour du roy, 
quand il viendra de la conqueste contre les Vénitiens, les- 
quelles lectres des dicts Grollier et Perreal font mention, à 
ce qu'ils ont pu entendre, du voloir du roy, nostre sire, 
ledit seigneur n'entend luy estre faicte aucune entrée et plus 
tôt le deffend, où s'est déclaré qu'il ne passerait pas ceste 
ville s'il savait qu'on lui fist entrée^. » 

Voici en quoi consistaient les préparatifs : 

« A esté ordonné de faire pour la prochaine entrée et venue 
du roy un parron, comme le dessin en a esté aporté et 
et exhibé sur le bureau, lequel parron sera en ung pillier 

vier dit, page 17, qu'il y a lieu défaire qu'on le voit à Texergue de la mé- 

une grande part à Jehan de Paris daille de 1499 : « Anna régnante 

dans les gravures qui accompagnent bénigne ». 

les livres publiés sur les divers évc- 2. CetrésorierGrollier est le célèbre 

nements en Italie à cette époque. bibliophile dont les livres se vendent 

I. Elle fut constamment aimée par si cher aujourd'hui, 

la population lyonnaise, qui Pavait 3. Actes consulaires de la ville de 

surnommée la bonne Reine, ainsi Lyon, BB, b-jb. 



128 RECHERCHES SUR LA VIE 

enlevé (chargé d'ornements en relief), et sur ledit pillier 
(colonne), une pomme ronde d'or et sur icelle la forme du 
roy, nostre dict sire, et ung escript par lequel sera récité la 
victoire (celle d'Agnadel) que ledit seigneur a eu contre les 
Vénissiens \ » 

Ce buste, dit M. Dufay, confié au sculpteur Jean de 
Saint-Priest, fut exécuté d'après la « pourtraicture du roi, 
faicte de la main de Jehan Perreal ». La colonne fut placée 
sur la onzième pile du pont du Rhône. 

Louis XII, accompagné de la reine Anne, quitta Lyon le 
22 août iSog ; à son départ, la reine, qui venait d'y séjourner 
cinq mois, laissa un témoignage de l'excellent souvenir qu'elle 
emportait de la population lyonnaise dans une communica- 
tion qu'elle chargea Perreal de faire en son nom aux con- 
seillers de la ville, le mardi 23 août : <c Jean de Paris, valet 
de chambre du Roy nostre sire, a fait rapport que la Reyne 
qui partist de ceste ville yer matin, avant son partement luy 
dist^ qu'elle estait très contente de ladicte ville et de ce 
qu'elle y avait demeuré. Elle a trouvé ladicte ville et les 
habitants en icelle si bons et de si bonne sorte, qu'elle en 
aura longtemps mémoire et quand ceulx dudit Lion voul- 
droit quelque chose devers le Roy ou d'elle, elle sera con- 
tente quant l'on s'adressera à elle du vouloir qu'elle a à 
faire plaisir à ladicte ville dont mesdits seigneurs, par la 
voix dudit Le Bourcier^, ont remercié ledit Jean Perreal et 
l'ont prié, quand il sera en cour, avoir toujours ladicte ville 
et affaires d'icelle pour recommander + ». 

1. Délibération consulaire du ii juil- 3. L'un des conseillers de la ville, 
let i5o9, BB, 575. présent à cette assemblée. 

2. Actes consulaires, BB, 576. 4. Actes consulaires, BB, 5-jC\ 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 120 



Cette lettre prouve à la fois la considération dont Jehan 
Perreal jouissait à la cour et le rang éminent qu'il occupait 
parmi ses compatriotes. 

Vers le commencement du seizième siècle, deux arches 
du pont du Rhône, celles qui touchaient le Dauphiné, 
avaient été emportées par les eaux du fleuve, et plusieurs 
années s'étaient déjà écoulées sans qu'il eût été possible de 
les réédifier. C'était en vain qu'on avait appelé de Cusset 
en Forez un homme qui était en réputation. On fit alors 
venir de Salins un « maistre masson » nommé Claude Clérct ; 
après avoir reconnu les fautes de son prédécesseur, il reprit 
les travaux ; malgré son habileté, le consulat, devenu pru- 
dent, pria Jehan de Paris, dont l'expérience et la supério- 
rité des lumières méritaient toute confiance, qu'il voulût 
aller voir et visiter l'œuvre du pont du Rhône et compasser 
les cintres posés au premier arc. « Porquoi ledit Jehan de 
Paris est venu sur ladicte œuvre et après avoir vu et com- 
passé le trait desdits cintres, jecté en l'église des Cordeliers, 
résolu de couper et abaisser lesdits cintres par le haut, d'un 
pied et demy et sera faict une charche de poste selon la 
droite rondeur dudit trait et du nyveau, dont ledit Jehan 
de Paris a faict un pourtraict (dessin), i5 janvier iboç). » 
(Actes consulaires, BB 28.) 

Ce travail difficile achevé, la récompense ne se fit pas 
attendre, car dès le lendemain le consulat lui fit remettre 
la somme de onze livres tournois pour six écus d'or au 
soleil. 

La ville de Lyon fut en proie à une grande épouvante, au 
commencement de l'année i5i2, par crainte d'une attaque 

17 



i3o RECHERCHES SUR LA VIE 

des Francs-Comtois et des Suisses, qui avaient envahi la 
Bourgogne et assiégeaient Dijon. Il n'existait pas de fortifi- 
cations suffisantes du côté de la Savoie et de la Suisse pour 
protéger cette ville, de la Saône au Rhône et de la porte 
Saint-Clair à celle de Vaise. 

Il fut question d'en construire ; les conseillers de la ville 
les voulaient sur la colline Saint-Sébastien; déjà même, 
avant 1495, Jehan Perreal avait fait, dans ce but, le relevé 
de Tensemble de cette colline. Ils adressèrent leurs remon- 
trances au roi qui ne les accueillit pas; le chambellan La- 
voulte, désigné par le roi directeur des fortifications, les 
voulait sur l'emplacement du bourg Saint-Vincent. L'inquié- 
tude était grande dans l'administration consulaire, lorsque 
Jehan de Paris, alors en cour à Blois, obtint du roi Louis XII, 
à force d'observations fondées sur l'art, que le faubourg 
Saint-Vincent serait épargné et que les nouvelles fortifica- 
tions seraient établies au nord de la ville en couronnant la 
colline de Saint-Sébastien. 

Cet avis était en effet plus conforme aux règles de l'art 
militaire, la situation de cette défense sur un point culmi- 
nant, d'un accès facile, dénotait l'habileté de notre artiste 
comme ingénieur. 

Louis XII, dont l'esprit se trouvait favorablement pré- 
paré par les observations et les efforts de son peintre, finit 
par se rendre aux raisons données par les conseillers de la 
ville. Ce prince envoya des lettres patentes qui nommaient 
Jehan Perreal surveillant des nouvelles fortifications, sous 
les ordres du gouverneur Jacques de Trivulce. Jehan Perreal 
traça les plans, depuis la rivière de Saône, montant le pla- 
teau de la Croix-Rousse, enfermant la colline de Saint- 



I 




Jfli3a l*erreal. Pannemaker père et (il* ic. 

TRISTESSE DE LA VILLE DE GfiNES. 



i 



ET L'ŒUVUE DE JEHAN PERREAL i3i 



Sébastien et venant finir sur la rive droite du Rhône, tels 

qu'ils ont été exécutés dans la suite. 

^ En considération de cet important service, les conseillers 

de la ville décidèrent, le 3o septembre i5i2, que Jehan de 

' Paris, valet de chambre du roi, serait exempté « de Timpost 

' des quatre deniers dernièrement mis pour la closture de 

ladicte ville * ». 

Chargé par les conseillers de la ville d'inspecter d'im- 
portants travaux de grande voirie, exécutés sous la direc- 
tion de Richeran, châtelain de Saint-Symphorien-le-Château, 
commissaire spécial à Lyon, Jehan Perreal visita les terrains 
à bâtir et fit prévaloir ses rapports. Nommé expert, il traça 
les alignements pour protéger la navigation de la Saône. 
Ses collègues étaient Claude Thomassin, Jehan Coyand, à 
la part du Rhône; Guillaume Guerrier, Jehan Salla, et Aimé 
BuUiod, à la part de la Saône. 

Il conserva ses fonctions d'architecte- voyer et de contrô- 
leur des bâtiments jusqu'à la fin de sa vie. Il se montra 
toujours aussi favorable que possible envers ses concitoyens, 
lorsque leurs demandes pouvaient s'allier avec le strict 
exercice de son emploi; les registres consulaires témoignent 
d'une foule de propositions qu'il fit au nom des habitants 
de Lyon, pour l'amélioration de leurs immeubles, propositions 
qui reçurent la sanction légale de l'autorité administrative. 

Louis XII n'eut pas plus tôt quitté l'Italie, que le pape 
jeta le masque en publiant un traité qu'il avait conclu avec 
Venise; considérant les Français comme ses ennemis les 
plus dangereux, il forma une ligue pour leur enlever ce 

I. Actes consulaires, BB, 3o. 



i32 RECHERCHES SUR LA VIE 



qu'ils possédaient en Italie. Toutes tentatives pour con- 
server la paix ayant échoué, les hostilités recommencèrent. 
Jules II fit marcher une armée à la tête de laquelle il plaça 
son neveu, le duc d'Urbin, qui prit Modène et menaça 
Fcrrare. Sa conduite perfide excita Tindignation de Louis XII, 
qui se réveilla dans le danger et finit par expédier en Italie 
des renforts de toutes les provinces, en mandant à son neveu 
Gaston de détruire à tout prix Tarmée du pape et du roi 
d'Aragon, puis de marcher droit à Rome après la victoire. 
Gaston entra donc en Romagne et se porta sur Ravenne; 
Tassaut de cette ville ayant échoué, on décida la bataille, 
cette bataille mémorable, où les Français remportèrent la 
victoire le ii avril i5i2, mais où ils perdirent leur jeune 
général, Gaston de Poix, duc de Nemours, « dont sera mé- 
moire, tant que le monde aura duré, fort jeune (il n'avait 
que vingt-quatre ans), mais déjà couvert d'une gloire immor- 
telle; on peut dire qu'il fut grand capitaine avant d'avoir été 
soldat ». Cet éloge, décerné par Guicciardini, n'est pas sus- 
pect dans la bouche d'un écrivain italien. 

Au sujet de cette expédition du roi Louis XII contre les 
Vénitiens et de la victoire qu'il remporta sur eux, quelques 
poètes, entre autres Jehan Lemaire, qui étaient auprès de 
la reine Anne, firent des pièces de vers où ils exprimaient 
les sentiments de cette princesse, sa douleur de la longue 
absence du roi, ses plaintes contre le pape, etc. De ces 
poèmes écrits en forme d'épîtres et de plusieurs autres 
inspirés par le même sujet, on fit pour la reine un livre 
en beau vélin qui fut enrichi de onze miniatures de vingt- 
quatre centimètres de hauteur et de quinze centimètres de 
largeur. 



\ 



k 




Jehan Perrcal. Panaeinaker père et flit te. 

SOUMISSION DE LA VILLE DE GÊNES. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i33 



Des recherches et des documents nouveaux nous avaient 
amené à présumer que, parmi les manuscrits français de la 
bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, il s'en trouvait 
un, exécuté au moment de la campagne de i5i2, enrichi 
de nombreuses miniatures de la même main que celle qui 
a peint le manuscrit de la guerre de Gênes, c'est-à-dire de 
Jehan Perreal. 

Nous écrivîmes alors à un de nos amis qui habite cette 
ville, pour le prier de nous faire copier très fidèlement, 
dans le même format, par un habile artiste, deux des plus 
remarquables miniatures de ce livre, en lui demandant d'y 
ajouter quelques renseignements sollicités auprès du con- 
servateur. 

Voici ceux que nous avons recueillis : 

Après avoir fait partie des bibliothèques Séguier, de 
Harlay, de Coislin, évêque de Metz, ce précieux manuscrit 
a appartenu à la bibliothèque de Tabbaye de Saint-Germain 
des Prés; égaré à la fin du dernier siècle, il fut acheté par 
M. Pierre Dombrousky, attaché à Paris à l'ambassade de 
Russie. 

Acquis en i8o5 par l'empereur de Russie, ce beau livre 
a fait partie depuis lors de la bibliothèque impériale de 
Saint-Pétersbourg, où il est considéré comme un des plus 
beaux et des plus précieux manuscrits de l'art français, et 
à ce titre il est étalé dans une vitrine soigneusement cade- 
nassée. 

On ne peut douter, après avoir comparé le style, le 
faire, l'éclat des couleurs de ces deux miniatures, avec les 
miniatures originales du manuscrit de la guerre de Gênes, 
que les unes et les autres ont été exécutées par la même 



i34 RECHERCHES SUR LA VIE 

main, d'autant plus que plusieurs en sont presque des répé- 
titions, entre autres celle où Ton voit la reine Anne assise 
entourée de ses dames d'honneur, recevant un livre de Jehan 
Marot. 

La première a pour titre : Epistre du roi très-chrestien 
Louis XII à Hector de Troyes^ chef des neuf preux. C'est 
une fiction en vers faite par Jehan Lemaire. 

Cette belle miniature, dont les personnages sont parlants, 
représente le roi Louis XII assis sur un trône élevé de 
quatre marches sous un dais, décoré, ainsi que le fauteuil, 
d'une bqlle tapisserie parsemée de fleurs de lis d'or, placé 
au centre d'une grande salle tendue d'étoffe rouge à dessins 
d'or représentant des porcs-épics couronnés. Il est enveloppé 
dans une ample robe en tissu d'or garni de fourrure, la 
tête coiffée d'un bonnet à retroussis, orné d'un bijou en or et 
portant autour du cou le collier de l'ordre de Saint-Michel. 

Le doigt de sa main droite levé et l'expression de son 
regard indiquent qu'il dicte à son secrétaire, Jehan Lemaire % 
qui, vêtu d'une ample robe violette, attend, la plume à la 
main, un genou en terre, la parole du roi. 

A gauche du roi, sous les traits d'un jeune homme sans 
barbe et sans chaussures, ayant au dos des grandes ailes 
vertes, Boréas vêtu d'une tunique à raies blanches et vertes 
et de bas rouges, tenant à la main gauche un turban, 
attend debout, en sa qualité de messager, la lettre du roi 
pour la porter rapidement à Hector. 

Derrière le trône, on aperçoit nombre d'officiers et de 
personnages de la cour. 

I. Jehan Lemaire, poète et historio- et de la princesse Marguerite d'Au- 
graphe de la reine Anne de Bretagne triche. 




Jehan Pcrreal, 



Panaernaker père et fils se. 

LOUIS XII DICTE UNE LETTRE A SON SECRÉTAIRE 
JEHAN LEMAIRE. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i35 



La pièce est éclairée par deux fenêtres décorées de l*écu 
de France et des initiales du roi et de la reine. 

Dans cette épître le roi entretient Hector de choses qui 
se passaient alors dans le monde, qui font voir qu'elle fut 
écrite en i5ii vers le lo novembre, comme il est exprimé 
par ces deux vers : 

Ecrit à Bloys par un lundi matin, 

L'an que dessus Vigille fut saint Martin. 

Cette miniature resplendissante d'or et d'outre -mer, qui 
passe pour un chef-d'œuvre, est non seulement d'une très 
grande beauté, elle a un autre mérite, celui d'offrir l'un 
des portraits les plus exacts que l'on connaisse du roi 
Louis XII, puis celui du poète Lemaire de Belges, le seul 
connu à ce jour. 

Quant à la miniature de Boréas, son expression parti- 
culièrement originale, a un si grand air de réalité, qu'on ne 
peut douter que ce soit un portrait peint d'après nature. 
Plusieurs personnes ont exprimé la pensée qu'elle représentait 
celui du peintre (Jehan Perreal), qui pour plaire au roi a 
voulu, en se servant du voile de l'allégorie, lui exprimer 
son zèle et sa rapidité à le servir. 

L'épître suivante est de la reine au roi , elle s'y 
déchaîne contre le pape Jules II, qui pour se venger de la 
perte de la bataille de Ravennes avait mis en interdit 
Louis XII et tout le royaume de France; elle lui reproche 
les bienfaits qu'il avait reçus du roi pendant son cardinalat 
et depuis qu'il a été fait pape, et finit en le menaçant que, 
s'il continue d'agir avec tant de violence, on pourra le 
déposer. 



i36 RECHERCHES SUR LA VIE 



A la suite de cette épître, se voit une belle miniature 
où la reine est représentée dans une grande pièce tendue 
de damas vert, assise dans un fauteuil sous un dais rouge 
rehaussé de dessins d'or; elle porte sur une jupe blanche 
une robe de velours pourpre, coupée carrément sur la 
poitrine avec des manches très larges, doublées de tissu 
d'or; sa tête est couverte de Télégante coiffe d'or qu'elle 
avait mise à la mode, et un médaillon est suspendu à 
son cou. 

Dix demoiselles d'honneur sont assises près d'elle; un 
vieux chambellan coiffé d'une résille d'or, enveloppé dans 
une ample robe noire garnie de fourrure qui recouvre son 
habit rouge, portant une chaîne d'or au cou, se tient debout 
devant eUe, son bonnet rouge à la main, et lui présente de 
l'autre un messager prêt à partir, qui attend un genou en 
terre une lettre que la reine Anne est en train de lui 
remettre. Cette lettre porte l'inscription : à Monseigneur le 
Roi. Les plaintes de la reine contre le pape au sujet de 
l'interdiction lancée contre le royaume de France indique 
qu'elle fut écrite vers le i5 mars i5r2. 

La chambre est éclairée par un vitrail orné de l'écu de 
France. 

Cette charmante miniature resplendissante d'or et de 
carmin a un éclat merveilleux. 

M. Dufiiy observe que, pendant les années i5i2 à i523 
qui suivirent le grand événement public de la bataille de 
Ravcnne, on cherche en vain dans les registres consulaires 
de la ville de Lyon le nom de Jehan Perreal ; sans doute, 
ajoute-t-il, parce que l'artiste étant parvenu au déclin de sa 




Jeliao Perreal. 



FaoDCmaker père el lil« >r. 



LA REINE ANNE REMET A UN MESSAGER UNE LETTRE 
POUR LE ROI LOUIS XII. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL iSy 

vie » le reste de sa carrière s'est écoulé paisiblement à Lyon ; 
il y a là une erreur; car, né vers 1463, Perreal n'avait, à 
cette époque de i5i2, que quarante-neuf ans. Il était donc 
dans la force de Tàge, à l'apogée de son talent et de sa 
renommée, et je dois ajouter de son crédit à la cour. Car 
nous l'avons vu, à la fin du mois de septembre de cette 
année, obtenir du roi, qui voulait faire abattre à Lyon le 
faubourg de Saint- Vincent pour élever des fortifications sur 
ce point, de les établir plus au Nord et par là couronner la 
montagne de Saint-Sébastien ; cette décision du roi, due 
tout entière à l'initiative de Jehan Perreal =, prouve son 
crédit à la cour, ainsi que l'intérêt et l'affection très réelle 
qu'il portait à ses compatriotes. 

Les dernières lettres de Jehan Perreal à Marguerite 
d'Autriche, datées du 20 juillet et 17 octobre i5ii, de Blois, 
font présumer qu'il était retenu en cette ville par la reine 
qui l'occupait à divers travaux. Par là s'expliquent ses fré- 
quentes absences. 

C'est pourquoi, malgré le chagrin bien naturel qu'il 
éprouva de sa rupture avec Marguerite d'Autriche, Jehan 
Perreal ne regretta pas longtemps d'avoir délaissé la direc- 
tion des travaux de Brou. La haute position à la cour 
de France, Testime et la faveur que lui témoignaient le 
souverain et la souveraine, étaient pour lui une grande 
compensation. 
La reine, qui avait ressenti un coup terrible de la perte 



I. Le statuaire Michel Colombe fai- tre-vingt-neuf ans. Le Titien, qui pei- 
sait à Nantes son chef-d'œuvre à Page gnit jusqu'à sa mort, arriva à l'âge de 
de quatre-vingts ans. Michel-Ange,qui quatre-vingt-quinze ans. 
vécut toujours occupé, mourut à qua- 2. Actes consulaires, BB, 575. 

i8 



i38 



RECHERCHES SUR LA VIE 



du fils qu'elle avait mis au monde le 21 janvier i5i2, s'était 
retirée à Blois où elle se sentait là plus à Taise, plus heureuse. 
Son énergie la soutint pendant deux années encore, mais 
sa santé pe se releva pas. Elle y vécut languissante, jusqu'à 
ce que la mort mît fin à sa douleur, le 9 janvier i5i4. 

Jehan Perreal qui aimait Anne de Bretagne comme sa 
sa souveraine et comme sa protectrice, qui était son peintre 
depuis le commencement de son règne, dut ressentir plus 
vivement que bien d'autres la plus grande tristesse. 

Elle emporta en mourant les profonds regrets des gen- 
tilshommes, des lettrés et des artistes, qui n'avaient eu qu'à 
se louer de son doux accueil et de son gracieux parler; ces 
regrets étaient mérités, car elle fut une reine très ver- 
tueuse, très libérale, le soutien des dames et des demoi- 
selles, et fut la première reine de France qui ait eu une 
cour de dames'. 

Jehan Perreal fut chargé de la direction d'une grande 
partie des travaux de peintures usités en ces circonstances. 

Dans la commémoration et avertissement de la mort de 
Madame Anne, deux fois reine de France, publiés par le 



I. On sait par Brantôme, qu'elle avait 
une très grande suite de dames et de 
jeunes filles; a sa cour était une forte 
escole pour les dames, elle les faisait 
bien élever et sagement, et toutes se 
faisaient à son modèle, et façonnaient 
très sages et vertueuses. » Ajoutons 
que le nombre des dames et des filles 
de bonne maison, qui composaient sa 
cour, était environ de cinquante. 

On sait encore, par Brantôme, 
qu'Anne de Bretagne encourageait 
d'une manière toute spéciale les poètes, 
les écrivains et les artistes; qu'elle se 



plaisait à les appeler à la cour, à les 
attacher à sa personne. C'est ainsi que 
Jehan Perreal obtint la faveur d'être 
son peintre ordinaire, que Jehan 
Marot devint en quelque sorte son ri- 
meur officiel; Jehan Meschinot, l'au- 
teur des Lunettes des Princes, maistre 
d'hôtel de la reine; Jehan Lemaire, 
son historiographe; le poète latin, 
Faustinus Andrelinus, l'un de ses se- 
crétaires; André Delavigne, poète, éga- 
lement l'un de ses secrétaires; Massé 
de Villebresme, poète et valet de cham- 
bre de Louis XII, etc. 



i 




Jehûii Pfin-eal.Pinï^ 



ChrcfTicliLb R.Ef^ge^m^^tI,, ?Hna 



PORTRAIT DE MARIE D'ANGLETERRE. 



ET I/ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



IMJ 



héraut d'armes Bretaigne % il est cité deux fois; d'abord 
comme l'un de ceux qui, à Blois, assistèrent à « la mise au 
cercueil du corps de la reine, ensuite pour avoir besoigné 
à la saincte remembrance faicte près du vif après la face 
de la Reyne ». 

« Le cercueil de la Reyne fut porté par ses gentilshommes, 
le dessus était couvert d'un grand drap d'or en sorte qu'il était 
fait comme un lit sur lequel reposait le portrait en pied de 
la Reyne peint par Jehan Perreal, peintre et varlet de chambre 
du roi, une couronne mise en son chef reposant dessus un 
coussin de drap d'or, un sceptre estait en sa main droite 
et à la senestre tenait une main de justice et au dessus 
estait porté un riche poisle bleu semé à l'entour d'escus 
de France et de Bretagne. » 

En dépit de son corps débile, Louis XII prit pour 
femme la sœur du roi d'Angleterre Henri VIII, et comme 
l'étiquette exigeait que Madame Marie vînt en France accou- 
trée à la mode de France, le roi chargea Jehan Perreal, le 
i5 août i5r4, d'aller à Londres peindre la nouvelle reine ^, 



I. De cette commémoration et aver- 
tissement de la mort de la reine Anne, 
le roi Louis XII fit faire un certain 
nombre d'exemplaires qui furent tous 
ornés de onze miniatures, représen- 
tant les principaux épisodes des funé- 
railles, dont le célèbre peintre Jehan 
Perreal, dit Jean de Paris, avait fourni 
les modèles. Ces exemplaires ont été 
distribués, chacun avec une dédicace 
spéciale, aux princes du sang et aux 
parents de la défunte. On en connaît 
aujourd'hui près de vingt copies dont 
dix sont conservées à la Bibliothèque 
nationale. 



2. Un de nos amis possède un petit 
portrait de cette princesse qui la re- 
présente en buste, vue de trois quarts ; 
ses cheveux blonds, lisses et relevés 
sur le front, sont retenus par un cha- 
peron d'étoffe rouge orné de perles, 
de saphirs et de rubis, surmonté d'une 
couronne royale, d'où tombe le long 
de ses épaules un voile noir brodé de 
pensées. Sa robe à la française, enri- 
chie de même et coupée carrément, 
laisse voir sa poitrine, dont un fichu 
orné de quadrilles de perles couvre 
une partie; elle porte autour du cou 
un riche collier de pierreries auquel 



I40 RECHERCHES SUR LA VIE 

diriger ses couturiers et surveiller Temploi des deux mille 
livres stipulées dans le contrat, pour achat de joyaux et de 
vêtements. 

L^impatience du roi paraît avoir été assez grande, car il 
écrivit au cardinal Wolsey de hâter le départ de la princesse. 

Voici un passage de cette lettre extraite du recueil de 
Rymer » : 

(c Et quant à ce que m'escrivez de la venue par deçà de 
la Reyne ma femme, je vous mercye de la peine que vous 
prenez pour les choses qui sont requises et nécessaires pour 
sa dicte venue et de l'extrême diligence que vous y avez 
faict et faictes, ainsi que le sieur de Marigny et Jehan Per- 
real m'ont escript, vous priant continuer et Tabréger le 
plus que vous pourrez, car le plus grand désir que j'aye 
pour l'heure présente, est de la veoir deçà la mer et me 
trouver avec elle. » 

Le roi quitta Paris pour aller au devant de la jeune reine, 
qu'il rencontra à Abbeville très richement « accoustrée w , 
et vint au devant d'elle et la baisa tout à cheval en lui 
disant des « paroles joyeuses comme bien les sçavait dire w. 
Le mariage se fit à Abbeville, le 9 octobre i5i4^ et le cou- 
ronnement « à Saint-Denys, puis la reyne fit sa triomphante 
entrée à Paris et le roi la mena ensuite à son. logis des 
Tournelles )>. 

est suspendu un médaillon orné Louis XII, autorise à penser quMl en 

d'une pendeloque de perles. est Pauteur. 

Le nom du peintre de ce charmant Ce portrait provient de la vente 

portrait de Marie d'Angleterre, dont après décès de la collection que s'c- 

les traits indiquent bien Torigine an- tait réservée le célèbre antiquaire 

glaise, n'est pas indiqué; mais cette Ch. Sauvageot. 

particularité du voyage à Londres de i. H. Rymer, Fœdera conventiones, 

Jehan Perreal, par ordre du roi ////er<^. Ed. 1739, in-fclio. ' 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 141 



Ce mariage qui faisait sa joie le poussa au tombeau ; 
car pour plaire à sa jeune femme avide de bals, de tour- 
nois, de banquets, il changea ses habitudes, languit bientôt, 
puis dépérit rapidement et enfin rendit Tesprit à Dieu, le 
premier jour de janvier. Tan i5i5. Son corps fut aromati- 
quement embaumé et pendant que Ton faisait l'embaume- 
ment dans la salle basse des Tournelles, « Jehan Perreal, dit 
de Paris, valet de chambre et peintre dudit feu roi, exécuta 
son image, comme il avait fait celle de la reine, qui fut 
dressée sur un piédestal élevé, revêtue d'habits royaux, 
ayant les mains jointes, en avant de Testrade qqi portait le 
cercueil sous un dais de soie noire frangée-, il resta là, exposé 
aux regrets et à l'admiration de la foule pendant dix 
jours; cette image figura après au convoi des Tournelles 
à Notre-Dame et de là à Saint-Denys. » 

Le talent de Jehan Perreal fut naturellement employé 
dans le cérémonial des obsèques et de l'enterrement pour 
tout ce qui concernait «la peinterie, armoiries des escussons 
et les costumes», car les devoirs de sa charge lui imposaient 
l'obligation de peindre les solennités officielles. Quoique 
peintre ordinaire du roi et en pleine faveur royale, Jehan 
Perreal ne faisait pas toujours, ainsi qu'on le voit, exclu- 
sivement œuvre d'art, il était porté comme tous les peintres 
au «roolle des gens de mestier» et n'était pas affranchi tout à 
fait de certaines « besoignes )> que ne font plus aujourd'hui les 
artistes. Par exemple, mouler et prendre les traits du visage 
pour faire Teffigie du feu roi, faire le corps, bras et jambes 
ainsi qu'il le faut s commander aux tailleurs les habits 

î. Aujourd'hui un grand artiste se- mais autrefois il en était autrement, 
rait humilié de ces sortes de travaux, Ils furent pendant longtemps en 



142 



RECHERCHES SUR LA VIE 



royaux pour le « vestir », fournir les gants pour V « accous- 
trer », peindre des quantités considérables de grands écussons 
aux armes du roi , avec Tordre de la couronne et timbre fait 
de fin or et azur sur papier», peindre des guidons semés 
de fleurs de lis pour les gentilshommes de la chambre, 
ainsi que des «estendarts », d'une grande richesse; voici la 
description de Tun d'eux : u un grand estendart » de taffetas 
jaune et rouge de quinze pieds de long sur lequel était 
peint un Saint Michel tout enrichi de fin or et argent, avec 
un porc-épic d'argent couronné d'or et une rose au bout et 
la devise du roi « Cominus et eminus » , qui fut porté par 
le grand sénéchal de Normandie. 

« Le lendemain des funérailles fut le dict corps du roi, 
porté par Messeigneurs de Saint Denys en grande pompe, 
jusques à l'église où il fut mis en sépulture près de la reyne 
Anne de Bretagne son espouse , Dieu lui veuille faire 
pardon 2. » 

A l'appui de ce passage de l'histoire des séjours de 
Charles VIII et de «Loys XII» à Lyon, page 56, on nous 
permettra de redresser l'erreur de Flcuranges qui dit dans 
ses Mémoires : 



France confiés aux plus grands ar- 
tistes attachés à la cour; c'est ainsi 
que François Clouct, le plus habile 
des peintres de cette famille, fut 
chargé en 1547 ^*^ mouler le visage 
du roi F'rançois I'»" pour Teffigie peinte 
et vêtue qui devait, suivant l'usage, fi- 
gurer à la cérémonie des funérailles; 
il exécuta la peinture des bannières, 
des étendards et des guidons. De i55i 
à 1 554, on le retrouve occupé à peindre 
les devises de Henri II et de Diane de 
Poitiers sur les chariots du roi. 



En i55g, à la mort du roi Henri II, 
il moula et reproduisit en cire le vi- 
sage du prince et exécuta les travaux 
analogues à ceux qu'il avait faits pour 
les obsèques de François I^r. 

1. Comptes des dépenses pour les 
obsèques du feu roi Louis XII. Extrait 
du Recueil Fontanieu y t. i58. 

2. Séjours de Charles VIII et de 
Louis XII à LyoUy publiés par Gonon, 
« jouxte la copie des faicts, gestes et vic- 
toires des roys Charles VIII et 
Louis XII ». Lyon, Dorier, 1841. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 143 



« Quand la reine Anne de Bretagne fut morte, le roi 
en mena un grand deuil et fut mis son corps dans l'église 
de Saint Sauveur de Bloys et de là fit convoyer le corps à 
Saint Denys, là où tous les rois et reynes de France sont 
enterrés, et là lui fut faict le plus grand service et honneur 
que Ton fit jamais à Reyne de France et y fit faire le roy 
une tombe de marbre blanc » ; tandis que le manuscrit des 
funérailles d'Anne de Bretagne orné de miniatures, dont 
nous venons de parler ', nous montre la chapelle ardente 
où fut exposée la reine à Téglise de Saint- Denis, ainsi 
qu'un autre manuscrit, qui a pour titre : Le trépas de 
r Hermine regrettée ^ ^ exécuté à la même époque avec 
miniatures où nous trouvons au feuillet 36 l'ensevelissement 
de la reine dans le caveau du chœur de Saint-Denis, en 
attendant l'édification du tombeau. 

De là, il résulte que le passage en question des Mémoires 
de Fleuranges ne repose sur aucune base , car on ne 
trouve aucune trace d'une belle tombe de marbre blanc 
exécutée pour la « reyne » seule. 

Peut-être a-t-il voulu dire qu'il a vu le plan de la belle 
tombe de marbre blanc composé par Jehan Perreal sur 
l'ordre de Louis XII ? 

Le profond regret qu'éprouva le roi du décès de son 
épouse bien-aimée, dont il prit le deuil en noir, comme 
un symbole de constance, et huit jours durant ne Jit que 
larmoyer^ lui inspira le projet de lui élever un mausolée 
dans lequel il pût reposer un jour près d'elle. 

I et 2. Ces deux manuscrits ont vendues, la prennière en 1878 et la se- 
fait partie de la Bibliothèque F. Didot, conde en i883. 
puis de celle de M. Delberque Cormon, 



144 RECHERCHES SUR LA VIE 



Il s'adressa sans doute à Jehan Perreal, son peintre 
ordinaire et celui de la reine Anne depuis le commence- 
ment de son règne, ainsi que son architecte pour le 
magnifique tombeau élevé à son père François II, duc de 
Bretagne, et à sa mère Marguerite de Foix, dans la cathé- 
drale de Nantes. Il ne pouvait faire un meilleur choix 
pour obtenir l'exacte représentation des traits de son 
épouse regrettée , que de s'adresser à celui qui l'avait déjà 
« pourtraite » et qui venait d'être choisi pour mouler et 
colorier sa face. 

Tout entier à son royal protecteur, Jehan Perreal pré- 
senta bientôt au roi un dessin; dès lors il se mit à l'œuvre 
et commença les travaux, de l'accomplissement desquels 
François I" son successeur et son gendre hérita; ce désir, 
exprimé alors par le roi de reposer un jour près de sa 
chère Bretonne , explique sa mise en sépulture près de la 
reine Anne , malgré la présence à Paris de sa jeune 
veuve *. 

Dans son remarquable ouvrage sur la Famille des Justes^ 
M. de Montaiglon exprime la pensée qu'à côté de Jehan 
Juste, à qui l'on avait fait l'honneur d'attribuer le dessin 
de ce monument, il y avait un architecte. 

a J'ai dit qu'il fallait tenir le tombeau pour l'œuvre de 
Jehan Juste, mais il ne peut pas être le seul qui y ait 
travaillé. Est-ce lui qui a, non pas profilé, mais dessiné les 
moulures si pures des arcades et de la corniche? Rien n'est 



I. Après la mort du roi Louis XII, de retourner en Angleterre, le beau 

la jeune reine passa les premiers mois Charles Brandon, duc de SufFolk, qui 

de son veuvage à Paris,, pendant les- l'avait suivie à la cour de France, 
quels elle épousa secrètement, avant 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 145 

aussi sobre et aussi antique dans aucune des autres compo- 
sitions des Justes. — Un autre artiste, plus architecte qu'au- 
cun d'eux ne paraît l'avoir été, pourrait donc être l'auteur 
non pas de Tornementation , mais du parti de l'ensemble i. 

L'auteur des «Études d'Architecture en France», qui ont 
paru dans le Magasiii piitot^esque , exprime cette opinion 
d'une façon plus positive 2, car il observe que « l'unité de 
son ensemble et la parfaite harmonie de toutes les parties 
qui le composent ne permettent pas de douter que le tom- 
beau de Louis XII à Saint-Denis ne soit la conception d'un 
seul homme , mais quel est-il ? Voici ce qu'on ignore 
encore ; à moins toutefois qu'on ne veuille le considérer 
comme l'œuvre d'un sculpteur , ce que nous ne sommes 
pas disposé à admettre, malgré le grand nombre de figures 
qui le décorent, vu la nature de sa composition qui nous 
semble plus architecturale que sculpturale ». 

Il me paraît en effet douteux que la conception et l'exé- 
cution de cette œuvre, qui me semble être véritablement 
française par son ordonnance et sa grâce admirable, appar- 
tiennent à une seule et même personne, et nous sommes 
convaincu qu'une attribution précise est au bout des 
recherches qui nous restent à faire dans cette voie , qui est 
celle même à qui nous devons la connaissance de l'auteur 
véritable du tombeau élevé à Nantes à François II, duc de 
Bretagne, attribué au célèbre Michel Colombe, jusqu'au jour 
où, en i865, M. B. Fillon publia une lettre de Jehan 
Perreal , du 4 janvier i5ii (documents E), qui nous a 

1. La Famille des Justes, par M. de chitecture en France, époque de la 
Montaiglon, p. 3o. Renaissance, p. 199. 

2. Magasin pittoresque. Études d'ar- 

'9 



146 RECHERCHES SUR LA VIE 



appris que le dessin appartenait à ce peintre architecte, et 
Texécution à l'habile sculpteur chef d'atelier, Michel 
Colombe K 

Rappelons les dispositions de l'ensemble. Deux marches 
en marbre blanc exhaussent le soubassement qui est décoré 
de quatre bas-reliefs, représentant les victoires remportées 
par Louis XII en Italie : l'entrée triomphale à Gênes, la 
bataille d'Agnadel, où l'on voit le général d'Alviane qui fléchit 
le genou devant le roi, et l'entrée de Louis XII à Milan, 
entrée qui rappelle le triomphe de César, d'André Mantëgna. 

Nous avons cité précédemment, à propos de la guerre 
contre les Vénitiens, le passage d'une lettre de Lemaire de 
Belges à Claude Thomassin , qui nous fait voir que Jehan 
Perreal avait suivi nos troupes conquérantes à Gênes et peint 
nos triomphes d'après nature. M. de Laborde nous dit, dans 
la Renaissance des Arts, tome r% page i85, qu'il pense que 
ces peintures furent utilisées plus tard pour les sculptures 
du tombeau de Louis XII. De là, il est bien naturel d'at- 
tribuer l'idée de graver le souvenir des victoires du roi 

I. L'atelier de Michel Colombe se que l*or des rois ne pouvait faire, la 

composait de Guillaume Regnault, piété de nos pères Ta exécuté. Ces 

tailleur d'images; Bastien François, confréries étaient partagées en diffé- 

maître maçon; François Colombe, rentes classes qui travaillaient cha- 

enlumineur, et d'autres ouvriers fran- cune selon son talent, sans jalousie, 

çais et italiens, dont les noms ne sont sans désordre et sans confusion, 

pas cités. Il existait alors des compa- C'est ce qui explique l'engagement 

gnies ou confréries de sculpteurs et pris par Michel Colombe, par sa lettre 

d'ouvriers réunis pour travailler à la du 3 décembre i5ii, d'envoyer de 

construction des églises et autres Tours au couvent de Bourg en Bresse 

grands édifices (tel était l'atelier de ses ouvriers, Guillaume, Bastyen, 

Michel Colombe et de Jehan Juste à Jehan de Chartres, « mon disciple et 

Tours). Ce n'est que par là, que l'on seiviteur, lequel m'a servy de dix-huit 

peut expliquer les merveilleuses édifi- à vingt ans, etc. ». 
cations qui étonnent notre siècle; ce 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 147 

Louis Xn sur son tombeau à celui qui venait de les retra- 
cer avec le pinceau. 

Sans être exactement nouveau, ce genre de composition 
triomphale, placé au soubassement d'un tombeau, était 
extrêmement rare; il mérita alors l'admiration et les louanges 
des artistes, de l'architecte Philibert Delorme, entre autres, 
qui l'utilisa peu de temps après pour son plan du monu- 
ment élevé à François I". 

Quant aux délicates et admirables arabesques, Jehan 
Perreal en avait fait sculpter, ainsi que nous l'avons vu 
en i5o2, sur le monument élevé à François II, duc de 
Bretagne, soit quinze ans avant le commencement des tra- 
vaux du tombeau de Louis XII ; il fut, ainsi que nous l'avons 
observé, le premier peut-être, mais certainement l'un des 
premiers, qui introduisit ce genre d'ornement en sculptures 
qui décorent d'une façon si élégante les douze pilastres 
surmontés de chapiteaux, supportant l'entablement où les 
belles figures du roi et de la reine sont représentées à côté 
l'une de l'autre, vêtues du manteau royal, à genoux, en 
prières, les mains jointes devant un prie-Dieu. La reine porte 
un corsage et une coiffe ornée de perles; ses traits d'une 
parfaite régularité, sa bouche fine, ses yeux d'un agréable 
dessin, expriment bien son caractère bienveillant dont parle 
Brantôme. La tête du roi est découverte , son expression 
pleine de naturel et de bonhomie répond bien à l'idée 
qu'on se fait du caractère du prince qui mérita le titre de 
Père du peuple. 

Ces deux statues , deux chefs-d'œuvre , exécutées avec 
une fidélité religieuse, sont des portraits de la plus parfaite 
ressemblance. 



148 RECHERCHES SUR LA VIE 

• Quatre grandes figures allégoriques représentant 4es quatre 
Vertus cardinales, la Justice, la Prudence, la Tempérance et 
la Force, sculptées en ronde bosse, celles mêmes, dit M. de 
Montaiglon », dont Michel Colombe (alias Jehan Perreal) a 
cantonné le tombeau de François II, duc de Bretagne, sont 
assises sur les angles de ce soubassement, qui sert de base 
aux socles des douze pilastres formant des arcades : quatre 
sur les grands côtés et deux sur les petits. 

Nous devons avouer que la statuaire de ces quatre 
figures allégoriques nous paraît bien inférieure à celle des 
quatre Vertus taillées par Michel Colombe; sans expression, 
sans charmes , rondes , comme soufflées , on croit qu'elles 
ont été faites par Pierre Pons , et qu'elles sont venues de 
Venise , dit M. A. de Montaiglon ^. Les douze apôtres, qui 
sont assis entre les piliers , sont au contraire des types 
français copiés d'après nature; ils sont, dit le même auteur, 
« plus aisés , plus faciles , plus mouvementés , plus incor- 
rects aussi » : ce qui est exact , la race française est ainsi 
faite , très mélangée , très inégale dans ses formes ; les 
visages réguliers y apparaissent comme des exceptions , mais 
en échange , elle a une qualité précieuse pour l'art , une 
variété d'expression aussi grande que la variété des types. 
Les sculpteurs français qui les ont taillés avaient certai- 
nement le sentiment de l'observation et l'amour de la 
vérité. 

Le style de ces figures, par la naïveté des poses et la 
variété de l'exécution, les rattache évidemment à la fin du 
quinzième siècle, c'est-à-dire en dehors de toute influence 
italienne. 

I. La Famille des Justes, p. i8. 2. La Famille des Justes^ p. 24. 




U gg;;t3v.'il.llK _, 



TOMBEAU DE LOUIS XII ET D'ANNE DE BRETAGNE 
LE ROI ET LA REINE VUS DE FACE. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 149 



Faisons remarquer en passant, à propos de la concep- 
tion du plan, qu'au dessus du soubassement du tombeau 
de Nantes, Jehan Perreal avait également placé les figures 
des douze apôtres, mais en bas-relief, entre les pilastres 
décorés d'arabesques. 

Derrière les apôtres, dans Tintérieur, d'un aspect sombre 
et mystérieux, on voit le riche sarcophage sur lequel sont 
étendus, sur un suaire, les corps du roi et de la reine dans 
l'état de nudité et de la mort, ayant les marques des inci- 
sions faites par l'embaumement. Les têtes, dont les traits 
doux et calmes sont magistralement sculptés, reposent sur 
des coussins. 

Rien de plus savant que cette œuvre dont l'exécution 
est d'une énergie et d'une science anatomique qui rappel- 
lent les plus illustres maîtres. L'auteur de cette composition 
devait être un des intimes de la cour, car une douleur 
'profonde pénétrée de sentiments élevés perce dans ce chef- 
d'œuvre, glorifié par tous ceux qui l'ont vu. 

Sans être nouvelle, cette double représentation de per- 
sonnages vivants et morts sur un monument était extrême- 
ment rare. 

Cependant, sous la date du 3 décembre i5ii ', Michel 
Colombe écrit à Marguerite d'Autriche qu'il vient d'exécu- 
ter les patrons en terre cuite de Philibert de Savoie, selon 
le dessin el l'ordonnance faits de la main de Jehan Per- 
real, dit Jehan de Paris, peintre et valet de chambre du 
roi, dont il lui envoie deux portraits, Vim en plate-forme 
pour le gisajit, Vautre en élévation pour le vif. 

D'après les recherches que nous venons de faire, il 

I. Documents, lettre L. 



i5o RECHERCHES ?UR LA VIE 

n'est pas douteux, ainsi que nous venons de le dire, qu'il 
existe une parenté e'troite entre ces tombeaux de Fran- 
çois II de Bretagne, de Philibert de Savoie, et celui de 
Louis XII. 

Une étude approfondie, avec les points de repère que 
nous avons, nous prouve que la plupart des plans et 
ordonnances de ces trois tombeaux ont une frappante ana- 
logie entre eux. Par exemple : les quatre Vertus qui canton- 
nent la masse du tombeau, la représentation des doubles 
figures à l'état de vie et de mort, les admirables arabes- 
ques qui ornent les piliers, etc., etc., toutes ces pièces 
rappellent tellement le style et la manière de composer les 
œuvres d'architecture de Jehan Perreal, que, si on ne lui 
attribue hardiment le plan et les dessins du tombeau de 
Louis XII et d'Anne de Bretagne, il faudrait renoncer pour 
toujours au travail de comparaison ou induction, qui per- 
met de baptiser les œuvres d'art, d'après le style des maî- 
tres. 

On peut donc affirmer aujourd'hui avec certitude, que 
la conception de ce magnifique tombeau est l'œuvre du 
peintre architecte Jehan Perreal, tandis que le travail des 
sculptures appartient à Jehan Juste. 

C'est en réalité, avec cette division de travail, qu'ont été 
exécutés le tombeau de François II de Nantes et plus tard 
le tombeau de François P**, roi de France, avec les dessins 
de l'architecte Philibert Delorme. 

Il est certain que les pièces ont été sculptées à Tours 
et non pas à Paris, dans l'atelier de Jehan Juste qui occu- 
pait, ainsi que le faisait Michel Colombe % un atelier « d'ou- 

I. Voir, aux documents L, lettre de Perreal du i5 janvier i5ii. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



vriers français et italiens, sculpteurs, enlumineurs et mas- 
sons ». 

On aimerait à savoir le nom des ouvriers qui ont exé- 
cuté telle ou telle pièce, mais les registres de l'inventaire 
général des monuments historiques manquant de Tannée 
i5i5 à i523 aux archives, on ne peut raisonner sur ce 
point d'une manière précise, on ne peut le faire que par 
induction. 

On sait que Jehan Juste avait deux parents, bons et 
experts ouvriers , qui ont dû l'aider dans cette entreprise , 
Jehan de Juste et Antoine de Juste : le premier demeurant 
à Tours, que l'on trouve porté au registre n** loo des 
comptes de âépenses de François P^, « payé la somme de 
102 livres lo s., pour commencer à besoigner à deux sta- 
tues, l'une d'Hercule, l'autre de Léda, lesquelles ledit sei- 
gneur lui a ordonné de faire » ; le second, qui exécuta 
pour le château de Gaillon un bas-relief représentant « la 
bataille de Gennes ^ ». Par l'exécution de ce bas-relief on 
est amené à présumer que ce fut lui qui fut chargé de la 
sculpture des quatre bas-reliefs du tombeau de Louis XII. 

Les préparatifs, soit pour l'extraction du marbre à Car- 
rare, soit pour le transport de Carrare à Tours, par mer 
et par terre, soit pour la mise en train des travaux, durè- 
rent environ deux ans; les dates de iSiy et i5i8 que l'on 
remarque sur deux pilastres en caractères romains doivent 

I. Ce bas -relief devait avoir peu dMmages, pour le payement de This- 

d^importance à en juger d'après la toire de la bataille de Gennes, d'un 

note du payement donnée par M. de grand lévrier, d'une grande teste de 

Montaiglon, p. i8 de son ouvrage sur cerf, de la pourtraiture de monsei- 

la Famille des Justes, que voici : gneur et d'un enfant, oultre 200 livres 

« A maistre Antoine Juste, faiseur par luy reçues, 40 livres tournois. » 



i52 RECHERCHES SUR LA VIE 



être celles du commencement des travaux de Saint-Denis, 
qui furent terminés vers i523. 

La date de i53i qui se trouve sur un ordre de Fran- 
çois P% de payer à Jehan Juste : i**« la somme de 400 escus 
restant de 1,200 promis; 2° celle de 60 escus- pour rem- 
boursement de deniers avancés ' », indique plutôt un règle- 
ment définitif de comptes arriérés, que le payement immé- 
diat de travaux livrés à cette date, et ne peut être consi- 
dérée comme Tépoque de la fin des travaux, car on sait 
que les payements royaux étaient le plus souvent en retard. 
N'avons-nous pas vu ici une lettre du i5 novembre iSog 
de Jehan Perreal demandant à Marguerite d'Autriche le 
payement de sa pension en retard de trois ans ^ ? 

L'exécution du tombeau de Nantes avait duré quatre 
années, l'exécution du tombeau de Louis XII, à Saint- 
Denis, ne doit pas avoir duré plus de six à sept ans. 

Cette date de i523 doit être exacte, car elle s'accorde 
avec l'observation que nous trouvons dans l'ouvrage de 
M. Dufay ^, qui nous apprend que l'on cherche en vain , 
pendant le cours de ces dernières années, le nom de Jehan 
Perreal dans les registres consulaires de la ville de Lyon ; 
nul doute qu'il passa la plus grande partie de ce temps à 
Paris, occupé à diriger la parfaite exécution et la pose du 
mausolée de ses chers bienfaiteurs; car il était de ces hom- 
mes rares qui restent fidèles à la mémoire des morts. 

Ce monument, qui fut le dernier ouvrage de Jehan Per- 
real, passe avec, raison pour un des ouvrages les plus par- 

I. Archives, comptes des dépenses 2. Aux documents, lettre B. 

des menus plaisirs de François I*', 3. Essai biographique sur Jehan 

registre n» 100. Perreal f p. 82. 



^^à^ 




-^ 










en ;ûi.rr;v.^:£.L£Tt^ 



TOMBEAU DE LOUIS XII ET D'ANNE DE BRETAGNE, 
A SAINT-DENIS. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i53 

faits, non seulement de la sculpture française, mais aussi 
de la sculpture de tous les pays, à Tépoque de la première 
période de la Renaissance, qui fut la plus brillante. 

Il est impossible en effet d'imaginer une composition 
plus heureuse, plus simple et d'une exécution plus irrépro- 
chable , plus soutenue , plus soignée dans les moindres 
détails; quelques-unes des parties de cette œuvre, entre 
autres les corps du roi et de la reine à Tétat de mort, 
sont parmi les œuvres les plus savantes, les plus magis- 
trales, que Jehan Perreal ait composées, c'est une de ces 
œuvres où Tétude fait sans cesse découvrir de nouvelles 
beautés, quoique cependant Ton puisse reprocher aux 
figures allégoriques une exécution inférieure, qu'il est im- 
possible de contester ainsi que nous l'avons observé. 

Dans ce travail, Jehan Perreal eut l'inappréciable bon- 
heur de réaliser d'une manière complète, pour son souve- 
rain et sa souveraine regrettés, le plan qu'il avait conçu 
pour le tombeau de Philibert de Savoie à Brou, plan que 
ses amis, Michel Colombe, Lemaire de Belges, etc., regar- 
daient comme une œuvre de génie, mais que Marguerite 
d'Autriche fit modifier, comme étant chose trop nouvelle, 
en faisant placer couchée l'effigie armée et éperonnée de 
son mari, qui devait, d'après le plan de Jehan Perreal 
qu'elle avait primitivement agréé, être placée à genoux en 
élévation sur le tombeau. 

Le capricieux destin a voulu que deux monuments d'une 
importance capitale pour l'histoire de l'art français fus- 
sent érigés à côté l'un de l'autre dans l'église de Saint- 
Denis, sur les dessins de deux architectes lyonnais : l'un, ^ 
celui de Louis XII et d'Anne de Bretagne, a été élevé sur 



i54 RECHERCHES SUR LA VIE 



les dessins de Jehan Perreal ; Tautre, celui de Henri II et 
de Catherine de Médicîs, a été exécuté sur les dessins de 
Philibert Delorme '. 

Le premier de ces deux admirables monuments est des 
premières années de la Renaissance, tandis que le second 
appartient aux dernières années de cette époque. 

Après avoir terminé le tombeau de ses chers protecteurs 
de qui il tenait une vie si douce et si honorée, Jehan Per- 
real se trouva, par son âge et ses habitudes, déplacé au 
milieu de la nouvelle et brillante cour du roi François I"; 
il se résolut alors, au mois de janvier 1523^, à quitter 
Paris, à renoncer à ses charges de peintre ordinaire et de 
valet de chambre du roi et à aller passer ses derniers jours 
chez lui, à L}^on, dans sa famille. 

On le trouve, en effet, à Lyon en i523, muni de lettres 
patentes du roi François P% dans lesquelles il est désigné 
une seconde fois pour diriger les travaux des fortifications 
de Lyon. Nous trouvons dans la délibération consulaire du 
i5 mars 1624, qu'il avait envoyé sa renonciation à cette 
charge^. 

Si l'on se reporte aux voyages qu'il faisait de temps en 
temps, on voit qu'il entretenait avec la cour des relations 
qui prouvent qu'il continuait à être honoré de sa confiance : 

I. Philibert Delorme naquit tout au du Bellay, le fit venir à Paris et le 

commencement du seizième siècle à présenta à Catherine de Médicis. 

Lyon, alla fort jeune à Rome, en re- 2. « Payé le i" janvier i523 à Jehan 

vint à l'âge de vingt ans et se fixa Perreal dit Jehan de Paris, peintre" 

dans sa ville natale, où il bâtit quel- et valet de chambre du roi, la somme 

ques maisons particulières. Bientôt de 240 escus tournois. » Comptes de 

sa réputation devint grande, il était la maison du roi François 1er. Rg. 

en train d'élever le ponail de l'église gistre 98. 

de Saint-Nizier, lorsque le cardinal 3. Je/zjnP^rrea/, par M. Dufay, p. 8. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i55 



par exemple, on apprend par une lettre de son ami Henri 
Cornélius Agrippa ' , qu'il séjournait avec la cour à Saint- 
Germain en Laye, en avril et en mai 1527. 

Il vivait encore au commencement de Tannée 1629, 
époque à laquelle parut dans la première édition du livre 
de Champfleury, imprimée par Geoffroy Torj' le i3 avril 1629, 
un dessin de sa main^. Mais il rendit, suivant toute apparence, 
peu de temps après son âme à Dieu, dans sa maison de la 
rue Neuve-Thomassin, car un carnet, relatif à Timposition 
extraordinaire pour la rançon du roi François V% porte 
sous la date de 1629, ce qui suit : 

« Deu par la vefve du contrerolleur Jehan de Paris, 
pour la rançon du roi François P% VIII livres VI sols 
VIII deniers, m (Archives du Rhône ^.J 

Il était alors âgé d'environ soixante-six ans. 

I. Jehan Perrealj pa.r M. Charvet, 2. Geoffroy Tory , par BcmArd, p. 3S. 

p. 226. 3. Jehan Perreal, par Dufay, p. 10. 




CHO^'Pn^E (lUQ4n:'T<JÈ€\îE 



FAMILLE 



lET ÉLÈVES DE JEHAN PERREAL 



Claude Perreal, son père, était valet de chambre du roi Louis XI. — Protégé 
par Marguerite d'Autriche, son fils fut admis à l'université de Dôle. 
— Ses deux filles tinrent probablement le crayon dès leur enfance. — 
Éprises du talent de leur père, elles obtinrent par leurs ouvrages une 
brillante réputation. — L'illustre Geoffroy Tory fut initié par Jehan 
Perreal dans Part du dessin, ainsi que Bernard Salomon. — Portrait de 
Renée de France, par L. Corneille, de Lyon, qui fut son plus brillant 
élève. — Anecdote racontée par Brantôme à propos d'une visite que lui 
fit à Lyon la reine Catherine de Médicis. — Jehan Clouet succéda à 
Jehan Perreal dans ses charges à la cour, en i523. 



DANS son Essai biographique sur Jehan Perreal y Lyon, 
1864, M. Dufay suppose qu'un Claude Perreal, valet 
de chambre du roi Louis XI en 1472, dont parle le Père 
Colonia dans son Histoire littéraire de Lyon^ tome II, 
est le père de notre artiste; Tobscurité plane également sur 
la date précise de sa naissance, que Ton place générale- 
ment vers Tannée 1463. 

La mention certaine la plus ancienne que Ton possède 
de lui remonte à Tannée 1483. Quant à son mariage, 
nous en trouvons la preuve dans une lettre de Jehan 



i58 RECHERCHES SUR LA VIE 



Lemaire, sous la date du i5 juin iSog à « maistre Loys 
Barangier , conseiller de Madame Marguerite » » . 

« Monseigneur, j'ay reçu voz lettres escriptes à la Haye, 
le i**" jour de juillet et vous remercie de tout mon mieux 
du double des lettres de l'empereur que vous m'avez envoyé. 
Incontinent, j'en ai faict tout plein de doubles, lesquels 
j'ai envoyés à Genève, en Savoye et en Piémont, etc., et 
d'autre part, en ai envoyé deux doubles à Lyon, Tung à 
M. le conservateur Thomassin, et l'autre à la femme de 
Jehan de Paris, afin que la royne le voye, etc. » 

Cette dernière ligne prouve en outre, l'intimité avec 
laquelle la reine recevait ?erreal et sa famille pendant ses 
séjours à Lyon, puisque c'était par son canal que l'on 
faisait parvenir parfois des nouvelles à la reine. 

On adressait cette copie à la femme de Jehan Perreal, parce 
que son mari se trouvait alors en Italie avec le roi Louis XII, 
qui devait prochainement faire son entrée à Lyon où l'attendait 
la reine; il paraissait urgent de faire la communication de 
ce document à cette princesse, avant le retour du roi. 

Il est à peu près certain que son mariage avait eu lieu 
vers 1492 , car Marguerite d'Autriche lui écrivait le 
1 5 février 1 5 1 1 à Lyon : « Quant à votre fils , le ferons 
mestre au roolc des bénéfices de notre conté de Bourgogne. » 
Pour profiter de ce bienfait, ce jeune homme devait être 
avancé dans ses études; nous voyons en effet, à la fin de la 
lettre du 8 octobre i5ii^ de Jehan Perreal à Barangier, 
qu'il avait alors dix-huit ans. 



I. Voir la lettre entière dans le vo- de Lille, i85o (p. 326;. —Jehan Per- 
lume des Mémoires de la Société des real, par Dufay. Lyon, 1854, p. 9. 
Sciences, de V Agriculture et des Arts 2. Voir aux documents, lettre J. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL iSq 



« S'yl VOUS plaisait de scavoir pourquoy j'ai envoyé ung 
fils de XVIII ans aux estudes à Dole, c'est pour deux cas, 
car il y a jà une bonne université; l'autre, Madame m'en 
saura gré et celle que ne nomme, c'est que mon petit 
argent sera de mesure. » 

Jehan Perreal laissa en mourant ce fils, nommé Claude 
comme son grand-père, né vers 1493, que nous venons de 
voir occupé à Dole aux « estudes » des lois et décrets , qui 
mourut vers i538, et deux filles, auxquelles il enseigna son 
art et qui s'y montrèrent assez habiles^ pour être célébrées 
par Clément Marot. 

Le rondeau adressé par lui aux amis et sœurs de Claude 
Perreal, Lyonnais, que l'on trouve dans la première édition 
de ses Œuvres publiées en i538 à Lyon, permet de penser 
que la liaison qui s'était formée entre Jehan Perreal et 
Jehan Marot dans la campagne de Gênes à la suite du roi 
Louis XII, où l'un reproduisait par le pinceau les événe- 
ments que l'autre retraçait avec la plume, s'était continuée 
entre les deux fils qui étaient à peu près du même âge^. 

Voici le rondeau : 

AUX AMYS ET SŒURS DE FEU CLAUDE PERREAL, LYONNAIS. 

En grand regret, si pitié vous remord, 

Pleurez Tamy Perreal, qui est mort. 

Vous, ses amys : chascuns prennent sa plume, 

I. On leur attribue, entre autres, les cours d'eau sinueux, les habita- 

Texécution du charmant petit manus- lions, le type des hommes que Ton 

crit ayant appartenu à la reine Cathe- voit encore dans le Valentinois, ainsi 

rine de Médicis qui, sous le numéro 19 que le coloris fin, brillant, le précieux 

de la Collection des livres précieux de fini du travail, qui constituent le style 

M, F. M, B., a été vendu le i3 mai de Jehan Perreal et de son école. 

18(^2. On y remarquait les paysages, 2. Clément Marot, né en 1495. 



i6o RECHERCHES SUR LA VIE 



La mienne est preste, et bon désire Talume 
A déplorer (de sa part) telle mort. 

Et vous ses sœurs, dont maint beau tableau sort, 
Paindre vous fault pleurantes son grief fort 
Près de la tombe, en laquelle on l'inhume 
En grand regret. 

Regret m'en blesse, et si sçay bien au fort 
Qu'il fault mourir et que le desconfort 
(Soyt court ou long) n'y sert que, d'amertume; 
Mais vraye amour est de telle coustume. 
Qu'elle contrainct les amys plaindre fort 
En grand regret. 

Dans un rôle de taxes perçues en 1529 pour la rançon de 
François r% on trouve une de ses filles citée : a La fille du dit 
de Paris, dame de Champeneux, pour sa grange de Meigret', 
et en i538, la fille du contrerolleur de Paris exempte^. » 
On ne trouve aucune citation de la seconde de ses filles. 

Quant à Tépouse de Perreal, non seulement elle lui 
survécut, mais elle vivait encore en 154$, dans sa maison 
de la rue Neuve-Thomassin, car on l'y trouve taxée à cette, 
époque^; elle devait être âgée d environ soixante-neuf ans. 

Nous avons dit que Jehan Perreal avait élu pour lui et 
sa femme une sépulture en Téglise de Saint-Nizier, ainsi 
qu'il résulte d'une délibération capitulaire; on ignore encore 
si leurs vœux ont été suivis d'effet ; la date de la mort de 
l'un et de l'autre n'ayant pas été retrouvée. 

Premier signataire des statuts de la confrérie des pein- 

1. Registre ce i36, f» 40 v®. et les hoirs du peintre Jehan de Paris 

2. Registre ce 143. à 29 sols, égale 32 livres, u 

3. Registre ce 144. — i5i5, « la veuve 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



iCi 



très de Lyon et, vraisemblablement,* son président, Jehan 
Perreai eut sans doute des élèves, malheureusement nous 




ne pouvons en citer aucun avec certitude, les historiens de 
la peinture française n'ayant pas daigné s'occuper de nos 
artistes des quinzième et seizième siècles. 



i62 RECHERCHES SUR LA VIE 

Outre ses deux filles nous pouvons cependant citer, d'après 
M. Auguste Bernard, l'illustre peintre et graveur sur bois 
Geoffroy Tory, qui fut initié par lui dans Tart du dessin ' 
et à qui il donna les modèles des arabesques du tombeau 
de François II, duc de Bretagne, dont il a enrichi les pages 
de ses célèbres Heures. 

Puis aussi, Bernard Salomon, dont Antoine du Verdier 
parle en ces termes dans sa Bibliothèque française : 

« Il était un peintre et très excellent tailleur d'histoires 
dont le nom sera immortel par les belles figures de la Bible 
que de son invention il a pourtraicté et taillé, comme 
aussi par infinies autres figures, pourtraictures, paintures et 
tableaux sortis de sa main qui se voient encore à Lyon. » 

Nous parlerons plus longuement de son élève L. Cor- 
neille, né à Lyon vers 1490 et mort à Paris vers i55o, 
parce que nous avons sur lui des renseignements très cer- 
tains. 

Le père Montfaucon (Mémoires de la monarchie fran- 
çaise^ t. IV) nous apprend qu'il fut, après la mort de 
Jehan Perreal, le peintre de la cour de François P', et il lui 
attribue, d'accord avec M. Gaignères, la plus grande partie 
des portraits des personnages illustres dont il donne les gra- 
vures, lesquelles sont copiées sur les originaux peints par 
L. Corneille, de Lyon, qui sont dans le cabinet Gaignères. 

I. Jehan Perreal, qui était lié de la Jehan de Paris, varlet de chambre et 

plus étroite amitié avec Geoffroy Tory, excellent painctre des roys Charles 

lui dessina plusieurs des vignettes du huitième, Loys douzicsme et François 

Champfleury, celles entre autres des premier, m'a communiqué et baillé 

lettres I et K qu'il grava, dit-il : « après moulte bien pourtraicté de sa main, m 

celles que ung myen seigneur et bon Geoffroy Tory, par Aug. Bernard, 

amy, Jehan Perreal, autrement dit Paris, i855, pp. 12, 24, 36. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i63 

Voici les noms de quelques-uns de ces portraits : 

Portrait de François Dauphin, de Viennois, fils du roi 
François V% mort en i536; copié sur loriginal peint par 
L. Corneille de Lyon ; 

Portrait de Charles, duc d'Orléans, troisième fils du roi 
François I", mort en i545; copié également sur Toriginal 
par L. Corneille de Lyon; 

Portraits de Louis II, seigneur de la Trémouille, et de 
Gabrielle de Bourbon-Montpensier, sa femme; 

Portrait de François, comte d'Enghien, frère puîné du 
roi de Navarre, mort en 1640, et Marguerite de Bourbon, 
dame de Nevers, sa femme; 

Portrait de Claude de Lorraine, premier duc de Guise, 
mort en i55o, et d'Antoinette de Bourbon-Vendôme, sa 
femme ; 

Le portrait en pied d'Henri d'Albret, roi de Navarre, 
offrant une marguerite à Marguerite, sœur de François I", 
qu'il épousa en 1527. Marguerite, qui est au milieu des 
personnages de la cour, porte une robe tissée d'or, son 
bonnet et Tétofife qui couvre sa poitrine sont noirs, 
les manches de la robe sont doublées de bleu. Henri porte 
un habit bleu, des bas rouges, une pelisse tissée d'or dont 
le collet est en fourrure blanche. Le terrain représente un 
jardin dont le fond est occupé par un groupe d'arbres. 

Un de nos amis possède un tableau de- ce maître qui 
nous fait connaître son style, sa couleur, ses procédés tech- 
niques; il représente Renée de France, duchesse de Ferrare, 
seconde fille du roi Louis XII, née vers i5io, qui épousa 
Hercule d'Esté, en 1627, et mourut en 1575. Elle protégea 
les arts et les lettres, eut Clément Marot pour secrétaire. 



i64 RECHERCHES SUR LA VIE 

et donna un moment asile à Calvin; c'était une personne 
intelligente. 

Elle est représentée en buste, vue de trois quarts, tournée 
à gauche; ses cheveux relevés sont maintenus dans une 
résille semée de perles et de pierreries serties dans de Tor; 
elle porte une fraise brodée et un collier de perles autour 
du cou; sa robe est montante, boutonnée jusqu'à la fraise; 
elle est en velours noir à grand crevés blancs, ornés de 
boutons d'or, les manches de dessous sont blanches. 

Ce portrait, dont le fond est vert, est d'une grande 
finesse de dessin et d'un coloris serré; il peut servir de 
type pour distinguer les œuvres de ce maître, l'un des plus 
célèbres du règne de François I". 

Voici, à ce sujet, un document très intéressant extrait 
des Mémoires de Brantôme, qui nous fait connaître d'une 
façon certaine le talent et l'estime que la cour avait pour 
cet élève de Jehan de Perreal, qu'elle plaçait au même rang 
que les Clouet, Jehan et François : 

« Il me souvient qu'estant allé un jour voir à Lion un 
peintre qui s'appeloit Corneille, qui avoit peint en une 
grande chambre tous les grands seigneurs, princes, cava- 
liers et grandes reynes, princesses, dames et filles de la 
cour de France; estant donc en ladite chambre de ses pein- 
tures, nous y vismes ceste reyne paroistre peinte très bien 
en sa beauté et en sa perfection, habillée à la française d'un 
chapperon avec ses grosses perles et une robe à grandes 
manches de toile d'argent fourrées de loup-cervier, le tout 
si bien représenté au vit avec son beau visage qu'il n'y 
falloit rien plus que la parole, ayant ses trois belles filles 
auprès d'elle, à quoy elle prit grand plaisir à cette vetie, et 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i65 

i 

toute la compagnie qui y estoit s' amusant fort à la contem- 
pler, admirer et louer sa beauté par dessus toutes, elle 
mesme s'y ravit en contemplation, si bien qu'elle n'en put 
retirer les yeux de dessus jusques à ce que Monsieur de 
Nemours luy vint dire : Madame, je vous trouve là fort bien 
pourtraicte, et n'y a rien à dire, il me semble que vos 
filles vous portent grand honneur : car elles ne vont 
devant vous et ne vous surpassent point. Elle luy respondit : 
Mon cousin, je crois qu'il vous ressouvient bien des temps 
de l'âge et de Thabillement de cette peinture, vous en pouvez 
bien juger mieux que pas un de la compagnie, vous qui 
m'avez veue ainsi, si j'estais telle comme me voilà. Il n'y 
eut pas un de la compagnie qui ne loûast et n'estimast infi- 
niment cette beauté, et ne dit que la mère estait digne des 
filles et les filles de la mère, et telle beauté luy a duré ma- 
riée et vefve jusques quasi à sa mort, non qu'elle fust aussi 
fraische comme en ses ans plus florissans, mais pourtant 
bien entretenue et fort désirable et agréable' ». 

Ainsi que les Clouet, J. Corneille peignait donc à cette 
époque les grands seigneurs, les princes et les princesses 
de la cour, si bien représentés « qu'il n'y fallait rien plus que 
la parole » et cependant son *nom, comme celui de son 
maître, est tombé dans un tel oubli qu'on ne le rencontre 
nulle part ; tandis que dans les galeries publiques et dans 
les collections particulières tous les tableaux qui procèdent 
de leur manière de peindre sont tous invariablement attri- 
bués à Clouet ou désignés sous le titre commun d'école de 
Clouet. On ne peut vraiment s'expliquer, après avoir lu ces 

I. Mémoires du seigneur de Bran- France, de son temps, pp. 44, 45 j édi- 
tôme; Vies des dames illustres de tion de Leyden; Sambix, i665. 



i66 RECHERCHES SUR LA VIE 



lignes, comment un artiste, si vivement recommandé par 
rhistorien de la cour, soit aujourd'hui à peu près inconnu '. 

M. Ch. Blanc, qui dans sa Notice suî* les Clouet fait 
naître Jehan Clouet vers 1485, et en i5io François Clouet, 
le plus habile de la famille, qui mourut vers 1672, écrit 
plus loin, que les Clouet ont été, dans Tordre des dates, les 
premiers peintres de la renaissance française, et termine 
en disant que Jehan Clouet devint en i523 peintre ordi- 
naire du roi François I*' et son valet de chambre : Ce 
titre, accordé pour la premièr^e fois à un artiste^ constate 
le rang oii celui-ci avait su s'élever. 

Le point capital de mon travail étant le désir de remettre 
Jehan Perreal à la place qui lui appartient, je dois faire 
remarquer : i** qu'il a peint son tableau des Fiançailles 
en 1491, alors que Jehan Clouet n'avait que six ans; 2" qu'on 
le trouve porté sur Tétat des officiers du roi, le i" octobre 
.1498 en ces termes : « Jehan Perreal de Paris, valet de 
chambre et peintre ordinaire du roi, la somme de 240 livres 
tournois à luy ordonné ; » tandis que Jehan Clouet n'ob- 
tint ce titre qu'en i523, soit vingt-cinq ans plus tard. 

Les Clouet ne furent donc pas, dans l'ordre des dates, 
les premiers peintres de la renaissance française, ni, par 
conséquent, les chefs de cette école de peinture simple, na- 
turelle et vraie, mise à la mode par Jehan -'Perreal qui les 
avait précédés à la cour; ils en continuèrent seulement les 
traditions avec un grand talent, ainsi que L. Corneille, et 
en furent les derniers représentants, car après la mort de 
François Clouet, qui eut lieu vers 1672, le goût pour cette 

I. Jehan et François Clouet parais- car on ne connaît d'eux aucun ta- 
sent n'avoir peint que des portraits, bleau. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 167 

peinture intime disparut petit à petit, sous Tinfluence des 
maîtres italiens appelés en France à la cour des Valois. 

Le fait est désormais acquis à Thistoire de la peinture^ 
grâce à ce tableau retrouvé. Jehan Perreal, dit Jehan de 
Paris, est, dans Tordre des dates, le premier peintre de la 
renaissance française et le chef de cette peinture dont le 
caractère distinctif est la recherche de la vérité et le soin 
extrême des détails. 

L'anecdote racontée par Brantôme prouve évidemment 
l'injustice et l'inexactitude du parti pris, par indifférence 
peut-être, ou par ignorance, de réunir sous ce titre commun 
de Clouet ou d'école de Clouet tous ces portraits naïfs et fins 
des artistes français, peints dans le courant du seizième siècle, 
dont le grand nombre répandu en France, en Italie, dans 
les châteaux de la Grande-Bretagne, etc., devrait avoir de- 
puis longtemps éveillé le doute des historiens de la peinture 
française sur cette provenance unique. 

Ne serait-il pas juste, dans l'intérêt de l'art et de la 
vérité, de faire de nouvelles et profondes études pour dé- 
truire cette déplorable confusion et rétablir dans leurs droits 
les artistes dépouillés au profit de cette famille, qui du 
reste n'en a pas besoin pour conserver sa brillante réputa- 
tion ? 



CONCLUSION 



Nous avons suivi pas à pas, avec le soin qu'exige l'his- 
toire, tous les documents qui nous restent sur l'illustre 
peintre lyonnais, Jehan Pcrreal. 

Pour un homme si longtemps négligé, auquel Thistoire 
a accordé si peu d'attention, les moindres faits sont pré- 
cieux; nous n'en avons négligé aucun, par là nous tenons 
si peu de place dans ce livre que nous n'en sommes guère 
que l'éditeur infatigable. 

Nous avons été guidé et soutenu dans ce travail par le 
désir de rendre enfin hommage au mérite et au grand 
talent de notre éminent compatriote, laissé dans un injuste 
oubli depuis plus de trois siècles, et de prouver que sous 
le règne de Louis XII et d'Anne de Bretagne l'art français 
était au niveau de Tart flamand et de l'art italien ^ 

Nous avons dû ajouter à ces documents les figures très 
fidèlement et très habilement gravées de plusieurs pièces ^, 

1. Si cette école glorieuse ne tint ncmaker sont des merveilles de la 
pas toutes ses promesses sous les gravure française, elles reproduisent 
règnes suivants, c'est à la déplorable avec une telle perfection le dessin, la 
invasion des artistes italiens qu'il faut couleur, l'esprit du modèle, qu'on 
l'attribuer. pourrait les croire gravées par le 

2. Les gravures sur bois de MM. Pan- peintre lui-même. 

22 



RECHERCHES SUR LA VIE 



Nous trouvons que la description d'une peinture ancienne 
est insuffisante, et nous pensons qu'elle doit être vue pour 
en comprendre le sentiment. 

A ce propos, nous devons faire remarquer que le désir 
qu'eut toujours Jehan Perreal de se mettre en harmonie 
avec les progrès que la peinture faisait chaque jour l'amena 
à modifier, ainsi que plusieurs peintres de la Renaissance, 
Raphaël entre autres, plusieurs fois son style, et nous 
trouvons ici la preuve qu'il modifia trois fois sa manière 
de peindre. 

A la fin du quinzième siècle, le style flamand réuni au 
style français était en grande faveur en France; c'est sous 
cette influence qu'il peignit, en 1491, son tableau des 
Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagtie, qui 
est de sa première manière, où l'on retrouve la limpidité 
et le calme d'expression de ces deux écoles. 

Le magnifique vitrail de la chapelle du couvent de Brou , 
représentant le Couronnement de la Vierge, qu'il peignit à 
son retour d'Italie, sous l'influence de ce qu'il avait vu 
dans ce pays pendant son séjour d'un an, offre un exemple 
de sa seconde manière, qu'explique le développement qui 
se fit alors dans son génie; tout a plus d'ampleur, de 
majesté, tout est plus savant, plus raisonné dans cette 
peinture franco-italienne. 

Ainsi, à mesure que l'on avance dans la carrière de Jehan 
Perreal, on voit comment il marche lui-même dans l'étude 
et la transformation de son style dont nous allons voir 
bientôt le résultat, car c'est dans les divers tableaux de 
la Guerre de Gênes, exécutés en iSoy, que se montrent 
ses plus éminentes qualités : force et originalité de l'in- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



vention, explication simple et dramatique du sujet, distri- 
bution savante des groupes, etc., tout cela à un tel degré 
de perfection qu'on ne sait ce qu'il faut le plus admirer de 
la nouveauté de la conception ou de la beauté de l'exécution. 

Mais ce qui marque cette oeuvre, qui est de la dernière 
manière du maître, d'une puissante originalité, c'est que 
tout y est français sans aucun vestige d'influence flamande 
ou italienne, et qu'elle a toutes les qualités de la peinture 
d'histoire, qui est la plus haute expression de l'art. 

Telle fut la vie laborieuse de Jehan Perreal, l'un des 
homme» les plus remarquables de la Renaissance; peu ont 
eu autant de connaissances variées, peu se sont livrés à un 
plus grand nombre de travaux; il embrassa tout à la fois 
les arts et les lettres : les arts, pour le but spécial de ses 
études et la principale occupation de sa vie; le commerce 
des muses ne fut pour lui qu'un délassement, qui contribua 
à développer son génie et à étendre son imagination. 

Son existence embrassa trois règnes, il mourut au 
commencement de celui de François I"; né dans ce petit 
espace de quarante-deux ans, de 1462 à 1494, qui vit naître 
les plus grands artistes de la Renaissance, il mérita avec 
justice d'être placé de son vivant parmi eux, ainsi que le 
fit Jehan Lemaire de Belges, historiographe de la reine 
Anne de Bretagne. 

Il fut le premier qui importa en France le goût de 
l'antiquité, et ce qui donne à ses derniers ouvrages le carac- 
tère de l'originalité, c'est qu'il se sépara entièrement du 
style flamand et du style italien. 

Pour être aussi grand par ses ouvrages que par son 
talent, il lui manqua seulement une chose : une passion 



172 RECHERCHES SUR LA VIE DE JEHAN PERREAL 



pour un art quelconque qui Tamena à sacrifier sa vie 
entière à une seule branche des arts, au lieu de s'adonner à 
la peinture, à la 3culpture, à l'architecture, etc., etc.; il eût 
marqué d'une manière plus précise dans l'histoire de Tart 
et eût laissé une trace plus profonde dans l'histoire de son 
pays. 

Quoi qu'il en soit, il eut une magnifique carrière, il 
jouit d'une considération générale, il fut aimé de ses conci- 
toyens, des poètes, des artistes comme des princes, avec 
lesquels il passa sa vie; admis dans leur familiarité et 
presque leur ami, Jehan Perreal trouva du plaisir avec eux, 
et ils l'en récompensèrent en lui faisant passer sa vie dans 
une grande aisance. 

Il fut enfin, dit M. Dufay, l'un des plus dignes enfants 
de Lyon, dont il est une des gloires, et il a mérité par ses 
talents, son noble caractère et sa haute influence sociale, 
d'être tiré de l'injuste oubli où il est enseveli depuis près 
de quatre siècles. 



SUPPLEMENT 

SUR JEHAN PERREAL, AUTEUR PRESUME DU ROMAN 
DE JEHAN DE PARIS 



L'excellente étude- faite par M. de Montaiglon sur le 
charmant roman de Jehan de Paris a démontré que le sujet 
de cette œuvre littéraire est le mariage du jeune roi de 
France, Charles VIII, avec Anne de Bretagne. 

Il la termine ainsi : une dernière question reste à indi- 
quer, celle de la personne de Tauteur : « Ce qui nous pa- 
raît certain, c'est que l'auteur, quel qu'il fût, était du 
monde de la cour et peut-être de la maison d'Anne de 
Bretagne; mais son livre ne me paraît rien contenir qui 
puisse mettre sur la trace de son nom; » puis après avoir 
cherché sans succès autour du nom de Sala qui se trouve 
inscrit sur le titce, il ajoute qu'il espère que la question 
posée recevra d'un autre une réponse. 

Nous allons l'essayer, en suivant la voie qu'il nous a 
tracée, car nous pensons avec lui que cet ouvrage a une 
origine lyonnaise. 

Mais nous ne croyons pas que le nom de Jehan Sala 
écrit au-dessus du mot Amen qui termine le titre : 

Ce livre est à moi Jehan Sala^ 
puisse servir de fil conducteur pour arriver à un résultat. 



174 RECHERCHES SUR LA VIE 



car il nous paraît, qu'en ces termes, il indique simplement 
un titre de propriété; on pourrait en conclure seulement, 
peu de copies de ce manuscrit ayant été exécutées, que ce 
Jehan Sala était ami de l'auteur qui lui avait fait don de 
cet exemplaire. Nous ajoutons que nous n'avons trouvé 
aucun témoignage indiquant à cette époque le nom de Jehan 
ou de Pierre Sala dans l'entourage du roi ou de la reine, 
quoique les noms de la plupart des personnes attachées à 
la cour se trouvent souvent cités à l'occasion des fréquents 
déplacements à la suite du roi et de la reine. 

Mais nous avons remarqué, de iSoy à iSSg, à Lyon, 
un homme distingué du nom de Jehan Sala', plusieurs fois 
conseiller et échevin de la ville et temporairement capitaine 
de ville pour la surveillance des travaux en exécution, lequel 
était lié d'amitié avec Jehan Perreal; ajoutons, pour terminer 
àe point, que parmi les conseillers de la ville en 1546 il y 
avait un François Sala, son fils et successeur probablement. 

Quoique nous n'ayons découvert aucune mention posi- 
tive, nous pensons néanmoins, à l'aide de nombreux docu- 
ments contemporains que nous avons recueillis, établir 
avec beaucoup de probabilités que l'auteur de ce charmant 
ouvrage est Jehan Perreal, dit Jehan de Paris, l'illustre 
Lyonnais, peintre ordinaire et valet de chambre des rois 
Charles VIII, Louis XII et François P% ainsi que de la 
reine Anne et de Marguerite d'Autriche. 

I. Éloge historique de la ville de un consulat composé de douze con- 
Lyon, par Pierre Brossette. Lyon, seillcrs échevins, que Ton appelait 
J.-B. Girin, 17 lo, in-4% où se trouvent Messeigneurs et auxquels le roi Char- 
les noms de tous les conseillers qui les Vill accorda en 1495, à eux et à 
ont administré la ville de i335 à 1595. leur postérité, le privilège de la no- 
La ville de Lyon était administrée par blesse. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 175 

Nous croyons que ces documents nous renseignent assez 
pour que, s'il reste des points obscurs, l'induction y puisse 
suppléer. 

On sait aujourd'hui qu'il était un peintre fort connu et 
fort apprécié à Lyon, lorsque Charles VIII y vint faire sa 
première entrée, qui, organisée par lui, fut splendide; le 
jeune roi s'en montra très satisfait. Séduit par son talent 
et son esprit, il l'invita à venir à la cour. 

Il avait environ vingt-sept ans, quand il y parut, il sut 
s'y rendre agréable par son talent et ses manières. Le roi 
le prit bientôt en grande estime et faveur, et lui en donna 
la preuve en l'élevant aux fonctions de son peintre ordi- 
naire et plus tard en lui commandant le tableau de ses 
fiançailles. 

Son savoir charma la jeune reine, comme il avait 
charmé le roi et elle devint bientôt sa bienfaitrice. 

Mêlé de bonne heure à la société de la cour, la plus 
amoureuse peut-être des choses de l'esprit et des œuvres 
d'art qui ait existé en France, son intelligence ouverte 
reçut une culture élevée dans la conversation des gentils- 
hommes, des lettrés et des artistes qui s'y pressaient'. 

Par là s'expliquent son mérite ainsi que l'estime, la faveur 
et la haute position dont il jouit constamment auprès des 
rois Charles VIII, Louis XII et de l'aimable reine Anne. 

Elle lui en donna, entre autres, un témoignage éclatant, 
comme nous l'avons dit, à son départ de Lyon le 22 août 
i5o9, après le séjour de cinq mois qu^elle venait d'y faire, 

I. Anne de Bretagne encouragea plaisait à les appeler à la cour et à les 
d'une manière spéciale les poètes, attacher à sa personne, 
les écrivains et les artistes, elle se 



176 RECHERCHES SUR LA VIE 

en le chargeant d'être son interprète auprès des conseillers 
de la ville, pour leur exprimer son contentement d'avoir 
trouvé les habitants de la ville si bons et de si bonne sorte 
et leur dire qu'elle en aurait longtemps mémoire, et les 
engager à s'adresser à elle quand ils voudraient quelque 
chose du roi. 

Ces lignes nous prouvent bien que Jehan Perreal était 
du monde de la cour et de la maison de la reine. 

<( Lorsqu'on songe, dit M. de Montaiglon, combien ont 
été fréquents et longs les séjours d'Anne de Bretagne dans 
la ville de Lyon, où elle a fait autre chose que de passer, 
où elle a réellement vécu et demeuré, le plus souvent pen- 
dant les guerres d'Italie, pour avoir aussi tôt que possible 
des nouvelles de Charles VIII et ensuite de Louis XII. Sa 
maison et la cour même y étaient avec elle, et, par suite, il 
n'y avait rien d'étonnant à ce qu'un de ses familiers ait 
pensé à l'y distraire des inquiétudes de l'attente, en écri- 
vant pour la reine une de ces œuvres où le déguisement 
de la personnalité, en se dérobant et en grandissant, sous 
le voile complaisant d'une fiction de roman, ne peut man- 
quer de plaire à la personne à laquelle on s'adresse. » 

Il est permis de présumer que parmi les familiers de la 
cour, aucun n'avait l'esprit aussi ingénieux ni aussi bien 
préparé pour composer et écrire un roman de ce genre, 
dont le mérite est surtout d'avoir mis en scène, avec esprit 
et avec une grande et merveilleuse pompe, l'entrée de 
Jehan de Paris à Burgos, précédée de ses dix mille servi- 
teurs, que Jehan Perreal, qui avec un goût remarquable 
avait inventé et organisé toutes les fêtes que donna la ville 
de Lyon pour l'entrée des souverains pendant plus de trente 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 177 

ans, entre autres Tentrée magnifique du roi Charles VIII 
en 1489 et celles plus splendides encore pour recevoir la 
reine Anne de Bretagne en 1493 et, en 1495, pour recevoir 
le roi à son retour de Naples. Par là, rien d'étonnant 
de penser qu'il est certainement Tauteur de cette jolie 
nouvelle. 

On peut aussi bien placer au château de Blois, où la 
reine s'était retirée pour faire ses dernières couches, qu'à 
Lyon le lieu où fut composé ce roman; car elle y vécut 
pendant ces deux dernières années, i5c2 et i5i3, languis- 
sante, malgré son énergie bien connue. 

Là, au milieu de ses dames et demoiselles d'honneur, 
des gentilshommes et des beaux esprits » qui formaient sa 
cour, ainsi que de ses bons serviteurs qu'elle avait amenés 
de son duché, elle se sentait plus heureuse, plus à l'aise 
qu'ailleurs. 

Nous savons, par la date des trois dernières lettres qu'é- 
crivit Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche, qu'il habitait 
Blois en i5i2. Il est permis de penser qu'il continua à 
résider près de sa royale protectrice jusqu'à sa mort ^, et 
qu'il mit, pour la distraire de ses tristes pensées, tout son 
temps, ses soins et son plaisir à travailler pour elle, soit à 
peindre les belles miniatures de ce poème en forme d'épî- 
tres qui a trait à sa correspondance avec le roi Louis XII, 
pendant sa campagne contre le pape et les Vénitiens ^, soit 
à écrire ce petit roman destiné à être lu dans un petit 

I. Jehan Perreal, son peintre et valet 2. Dans la commémoration de sa 

de chambre, Jehan Marot et Massé mort, on le trouve à Blois, chargé de 

de Viilebresne, ses poètes fami- la peindre en pied, 

liers, André de Lavigne, son secré- 3. Ce poème existe à la bibliothèque 

taire, etc. impériale de Saint-Pétersbourg 

23 



r;^ RECHERCHES SUR LA VIE DE JEHAN PERREAL 



cercle de ses familiers. Car il est évident que Jehan Perreal 
ne songea jamais à le publier; le fait est qu'il ne fut 
imprimé qu'après sa mort, probablement par sa famille 
à la demande de ses amis. 

Sous une apparente simplicité, ce charmant petit roman 
contient un fond de malice parfois assez piquante qui me 
paraît s'être étendue jusqu'au titre qui. cache le nom de 
l'auteur, tout en le rappelant : c'est ce que personne n'a 
remarqué. 

Probablement, parce qu'ainsi que nous l'avons dit, on 
ne s'est, bientôt après sa mort, plus souvenu de ce grand 
artiste et à plus forte raison de son surnom de Jehan de 
Paris. 



DOCUMENTS 



HISTORIQUES 



LETTRE DU FRERE CLAUDE A MARGUERITE D'AUTRICHE 
Il prie cette princesse de venir visiter le couvent de Brou. 

Bourg, 28 août i5o8. 

Ma très redoubtée dame, tant et si humblement que possible, je 
me recommande à tous temps, à Jamay, à vosire bonne grâce. 

Madame, très humblement je vous remercye de tous les biens et 
de tous les honneurs que journellement je ay et auroy, et j'en prye 
pour vostre maison et vostre grâce. Je prye à Dieu que vous donne 
grâce de venir visiter vostre très magnifique covent et vos très révé- 
rends religieux de Brou, vous asseurant que ce vostre belle mémoire 
perpétue de vostre règne en Bresse, lequel, par la grâce, vous donne 
Taccomplissement de voz désirs pour à la fin parachever. 

A Bourg, le 28 d'aougt i5o8. 

Ce tout vostre très humble et très obéissant serviteur % 

Claude. 



B 

LETTRE DE JEHAN PERREAL A MARGUERITE D'AUTRICHE 

Il remercie cette princesse de la pension qu'il reçoit d'elle, et il lui en réclame 

les arrérages. — Il l'informe qu'à son arrivée à Lyon, venant de l'armée 

d'Italie, sur l'invitation de Jehan Lemaire, il fait les dessins ou patrons des 

trois sépultures de l'église de Brou. — Il a trouvé un bon ouvrier statuaire, 

disciple de Michel Colombe. — Il a trouvé de Talbàtre la plus belle du 

monde. 

Lyon, i5 novembre 1509. 

Madame, tant et sy très humblement que fère puis en vosire 
bonne grâce me recommande. Madame, depuis le temps que de vous 

I. Original en papier, reposant aux ar* Bibliothèque dç la Société d'émulation de 
chives de Lille, dont copie déposée à la TAin, en 1847. 



i82 RECHERCHES SUR LA VIE 



je receu une lestre contenant en somme que vouliez que fusse paie 
d'une pension que de piessa vous pieu me donner et de bon cueur 
octroier, de laquelle ay joy deux ans, et jà sont passe:{ trois que 
nen ay rien receu, j'ai esté en cour tousjours, et en ceste dernière 
guerre contre les Véniciens, où ay eu plus de dangler que de mal. 
El quand j'ai esté arrivé à Lyon, j'ai treuvé Jehan Lemaire qui 
avoit faict un volume que je croy avez à présent, etd'aultres euvres, 
lequel me dit rostre instruction touchant trois sépultures que vole\ 
f ère en Vesglise que faictesf ère près de Bourg, que Pon dit estre 
fort belle. Sx me dict que on vous en avoit faict quelques patrons, 
mais il me dit que s'il estoit possible d'en faire ung de quelque 
mode digne de mémoire que vous Tarez agréable. Sy me suis mis 
après tant pour mon debvoir envers vostre majesté que pour Tamour 
que je vous doy, et ay revyré mes pourtraictureSy du moins des 
choses antiques que fay vu es parties d'Italie, pour f ère de toutes 
belles /leurs ung trossé bouquet dont fay monstre la (sic) le ject 
au dict Lemaire, et maintenant, fais les patrons que f espère are\ 
en bref. Et pour ce que le dict Lemaire s'en parti de Lion long- 
temps pour aler à Dole, et que depuis n'ay sceu où il est, et n'ay eu 
de luy nouvelles, je me suis adressé à monsieur le gouverneur de 
Bresse, auquel j*ay rescript ce que j'ay faict selon la charge que me 
donna le dict Jehan Lemaire, c'est assavoir de trouver albastre que 
jay treuvée la plus blanche du monde, et à bon conte, grandes 
piesses et à grani quantité. Oultre j'ay treuvé ung bon ouvrier et 
excelent disciple du nommé Michel Colombe, homme de bon 
esprit, et qui besongne après le vif, lequel est contant de besongner 
à Lion ou à Bourg, combien que je seroye voulontiers près de luy, 
car vous entendez assez que rien n'en empireroît, et mesmement 
pour le visaige de feu Monseigneur et aultres choses. Et pour ce. 
Madame, que le dict gouverneur m'a averti qu'il aloit vers vous, je 
me suis enhardi de vous mander ma bonne voulenté et affection, et 
seray très joyeux de moy employer à,mectre l'euvre à fin en ma vie. 
Pour ce s'il vous plest vous* servir de moy, je suis et seray à jamais 
vostre à gaiges et sans gaiges. Je faiz les patrons en ensuivant vostre 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL i83 



voulenté à ma fantaisie, lesquelz arez veus. Sy vous plest, manderez 
ce que vouliez que Ton fasse louchant de Touvrier et des pierres, et 
de moy vous povez servir, mais du maistre se je le retiendray ou 
non, et se Ton fera tirer des pierres. Vous en communiquerez au 
dict gouverneur, lequel, à son retour, fera de moy ce qu^il vous 
plaira commander. Il a commandé au tresier (trésorier) de Bresse 
me paier toutes mes pensions. Je crois que le dict tresier le fera : sa 
voulenté soit faicte, et la vostre avec la voulenté de Dieu, lequel 
vous doint santé et longue vie, et après ce mortel labeur repos félice. 
A Lion, ce xv® de novembre, de vostre très humble et très obéis- 
sant serviteur \ 

Jehan Perreal de Paris, P. du R. 
(Peintre du Roi.) 



EXTRAIT D'UN REGISTRE AUX ORDONNANCES ET MANDEMENTS 

DE MARGUERITE D'AUTRICHE 

Du le' avril iSog au 3i janvier i5ii. (Nouveau style.) 

Bruxelles, 14 juillet i5io. 

Le xxvij* juillet xv^ dix a esté vériffié ung mendement patent, 
dont la teneur s'ensuyt : Marguerite, etc., à noz amez et féaulx les 
chief et gouverneur et trésorier général de noz demaine (sic) et 
finances, salut et dilection. Savoir vous faisons que nous, en sur ce 
vostre ad vis, vous mandons que nostre amé et féal conseiller et tré- 
sorier général de nos dictes demaines et finances, Diego Florès, et 
des deniers de sa recepte vous faictes payer ^ bailler et délivrer à 
maistre Jehan Perreal^ de Pans, nostre painctre et varlet de cham- 

I. Cette lettre a été publiée en i85o, par aujourd'hui le mcfyen de la rectifier avec 
M. Sirand, archéologue à Bourg, dans la certitude, par la publication d'un mande- 
Troisième partie des Courses archéologi- ment de finance inédit, délivré par Mar- 
ques et historiques du département de l'Ain guérite, le 14 juillet i5/0y et qui est 
(3«vol. in-8, Bourg: page 5). L'auteur a fait une réponse à la réclamation de Perréal. 
remarquer, avec raison, que le millésime (Voir la pièce ci -après C.) Il suit de ce 
i5 II, inscrit sur cette lettre par une main rapprochement que la date réelle de la 
étrangère, était douteux. En effet, nous lettre ci-dessus mentionnée est du 1 5 novem- 
pouvons confirmer cette erreur et donner bre iSop, au lieu du i5 novembre i5ii. 



i84 



RECHERCHES SUR LA VIE 



bre, la somme de Ix escus d'or au soleil^ et ce pour et en récom- 
pense et payement de trois années entières de ses gaiges et pension 
de XX escus d'or au soleil, que nous lui donnons par an, pour les 
bons et agréables services qu'il nous a fai:{ journellement, et mesme- 
ment à cause des pourtraict\ par luyfai:{, et qu'il nous a derreniè- 
rement envoyé:^ par Jehan Lemaire, nostre indiciaire, pour dresser 
les sépultures que faisons fère en nostre couvent de Saint-Nicolas 
de Tolentin'le:{-Bourg, en Bresse, desquelles trois années finies à 
Pasques derrenier passé, il n'a rien receu comme il dit, obstant 
nostre absence de nos pays de par-delà, etc. — Donné en la ville de 
Bruxelles, le xiiij' jour de juillet. Tan de grâce mil cinq cens et 
dix'. 

Marguerite. 



D 



LEMAIRE DE BELGES A MADAME MARGUERITE D'AUTRICHE 



Bourg, 22 et 25 novembre iSio'. 

Très haulte, très excellente princesse et ma très redoubtée dame, 
si très humblement que faire puis à vostre bonne grâce me recom- 
mande. 

Madame, estant naguères en mon petit estude solitaire, comme 
j'ay de coustume, exerçant le très noble et très laborieux comman- 
dement à moy enjoinct de par vostre très digne excellence, c^est assa- 
voir de bastir et construire littéralement le palais d'honneur fémi- 
nin, duquel verballement par vostre facunde et ingéniosité céleste 
despiéça m'aviez baillé le devis, platteforme,pouriraictz et invention 
pour lequel exécuter et mettre en euvre, tout tel simple ouvrier et 
architecte que je suis, j'avois desjà le compas en main, Tescarre 



1. Document inédit trouvé dans les archi- 
ves de la ville de Bruxelles et communi- 
qué par M. Alexandre Pinchart, chef de 
section aux archives de Bruxelles. — Nous 
lui en adressons ici nos remerciements sin- 
cères. 



2. Réponse à une lettre de Madame Mar- 
guerite, datée d'Amiens lo octobre i5io, 
qui se trouve à la page suivante. 

Celte lettre inédite fait partie du Cabinet 
de M. E.-M. Bancel; elle est suivie d'une 
note datée du 25 novembre i5io. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 18$ 



preste, le plomb et le ligneau tout agensez, et mes massons, qui sont 
mes dix sens naturelz, tant intrinsecques comme extrinsecques, à 
tous leurs ciseaux, marteaux et autres instrumens duisans à mas- 
sonnerie. Tous unis, assemblez et encouraigez de bien faire, la 
matière estoit sur le lieu et les grands quartiers de marbre, qui sont 
mes livres, espars çà et là devant mes yeulx, dont ainsi comme je 
les retournoie et compassoie, pour choisir les meilleurs et les plus 
duisables, arriva ung homme incogneu, lequel interrompit ma sol- 
licitude et me pre'senta unes lettres sans dire de quelle part elles 
venoient; mais après que j'eus recogneu l'impression de vostre scel, 
ma très redoublée Dame, je me levay sur bout en toute craincte, 
honneur et révérence, descouvriz ma teste, humilay mon genouil, 
baisay et adoray la figure de voz armes, de subjection et fidélité que 
je doy à icelles perpétuellement, puis je leuz la superscription telle: 
A nostre très cher et bien amé maistre Jehan Lemaire, indiciaire et 
historiographe de l'empereur Monseigneur et père, et de Monsei- 
gneur mon nepveu. 

Alors, voyant par les liltres, lesquelz je dessers petitement, 
qu'elles s'adressoient à moy, je les ouvriz et trouvay dedens : 

« De par TArchiduchesse et Contesse', chieretbien amé, nous 
avons veu une pierre d'albastre tirée en la perrière de Saint-Lothain, 
laquelle maistre Loys, nostre secrétaire, nous a envoyée, et trou- 
vons par ceulx qui se y cognoissent que le dict albastre n'est aucu- 
nement bon pour nos dictz ouvrages, par quoy ne seroit convenable 
y mettre plus de dépense, ains se pourveoir ailleurs, si ce n'estoit 
que celuy que se treuve en la fontaine de Tourmond se trouvast 
bon, ainsi qu'on nous a escript l'avez trouvé; sur quoy désirons que 
nous advertissez bien et au long de la vérité et que nous envoyez 
laissay par deçà, affin de veoir ce que sera et qu'on n'en face la des- 
pense en vain. Cher et bien amé, Nostre Seigneur soit garde de 
vous. Escript à Amiens, ce x* d'octobre 1 5 10. » 

Signé de la main de vostre excellence Marguerite, et soubz- 
signé Marnex. 

I. Lettre de Madame Marguerite du 10 octobre i5io. 

24 . 



i86 RECHERCHES SUR LA VIE 

Madame, quand j'euz parachevé de lire vos dictes lettres, le sang 
me mua, tout entremeslé de craincte, vergogne et juste courroux 
ensemble, c^est assavoir de craincte d'estre en Tindignaiion de 
vostre haultesse, et de honte pour autant que vous m'estimiez men- 
songier et moins soufiisanl à fournir ce que j'avois mis en termes, 
et aussi de justes courroux contre ceulx qui vous avoient mal 
informée. 

Dont comme je fusse en ceste estraincte de doubte et de ver- 
gogne, mes outilz d'architecture me cheurent de la main, je don- 
nay congié à mes massons d'ouvrer ailleurs, et feiz retirer à part en 
un coing les précieux marbres desquelz j'avoie faict Paîtrait et la 
préparative pour si noble euvre, jusques à tant que j'eusse la faculté 
de les mettre en euvre, se d'aventure vous m'en estimiez digne. Et 
si le cas fust adveneue que j'eusse receu vos lettres moy estant sur 
vostre perrière d'albastre en continuel labeur et dangier, j'eusse tout 
laissé là, et m'en fusse aie plourer mon infortune ailleurs. Mais le 
mesme jour de la datte de voz lettres, les marchiez furent faictz de 
la grand sépulture par vos officyers de Bresse, comme vosire som- 
melier Rosalles, présent porteur, vous pourra dire,, car il estoii pré- 
sent à tout en ceste ville de Bourg. 

Après la lecture de vos dictes lettres, Madame, je diz à par moy 
bien dolentement : Comment m'estimera désormais Madame povoir 
fournir à son palais d'honneur féminin, qui est une chose immor- 
telle, pardurable et de merveilleuse coustenge, attendu que, par 
faulx donner à entendre d'autrui, elle n'a point tant de confidence 
en toy, ny en ton industrie et diligence, que de povoir ou sçavoir 
trouver simples marbres, estoffes ou matériaulx pour ung édiffice 
terrestre et temporel. Et encoires diz je à par moy ruminant sou- 
ventes fois vos dictes lettres : Or escript Madame qu'elle a bien une 
pierre d'albastre par moy tirée de la perrière de Saint-Lothain, et dit 
qu'elle treuve par ceulx qui s'y cognoissent que le dict albastre n'est 
aucunement convenable pour ses ouvraiges, ains s'en veult pour- 
veoir ailleurs. 

Mon Dieu, diz je lors, pour une petite pierre que je n'avoie pas 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 187 



envoyée, et qui n'estoit synon Touverture et la monstre de la dili- 
gence du descombre, faut-il condemner toute la teste? Pleust or à 
Dieu que Madame eust veu les beaux et merveilleux quartiers en 
toute perfection I Mais que sont ces grandz cognoisseurs de par 
delà, qui ne cognoissent que Talbastre des sépultures des princes à 
Dijon est le plus beau et le plus pollissable de tout le monde? Or 
est cestui cy du lieu mesmes, et est en bruit la dite perrière passé 
deux cens ans; mais elle a esté en désert par les guerres, et se treuve 
ou par les anciens tiltres de labaye de Baulme. Et pourquoy eust on 
faict de toute antiquité tant de cavernes par dessoubz terre et tant de 
descombre à Tenviron, tant d'estansonnemens de bois pour soubte- 
nir le dessus, si on n'eust estimé ce trésor bon et vaillable en toute 
singularité? Maistre Anthoinet de Paris, très singulier tailleur 
d'ymaiges, fut celui qui tailla la derrenière sépulture de Dijon : c'est 
assavoir celle du bon duc Phelippes, vostre grand ayeul que Dieu 
absoille. Pourquoy eust-il répudyé Talbastre d'Angleterre, où il ala 
expressément pour en amener, et celui de Grenoble en Daulphiné et 
d'ailleurs, pour s'arrester à celui de vostre perrière de Saint-Lothain, 
se ce n'eust esté, pour ce qu'il trouva par expérience qu'il excédoit 
tous les aultres en valeur d'autant que l'argent excède et vault 
mieulx que l'estain ou le plomb? Et pourquoy en envoya le roy 
Louis Xlo faire si grande fourniture par le dict maistre Anihoînet, 
comme témoigne le capitaine Chantran et les anciennes gens du 
pays, lesquelz j'ay examinez, sy non qu'il n'en povoit recouvrer 
ailleurs de pareil? 

Il s'en treuve à Clugny qui ne vault riens, car ce n'est que croye. 
11 s'en treuve à Salins qui vault encoires moins, car il est meslé de 
sable et de troux et de vaines. Et qui plus est, Madame, depuis que 
on a sceu que je mettoie ce marbre icy en avant, on m'en apporte de 
vostre pays de Bresse. Et de fait c'est albastre, mais il est grisastre, 
basenne, plain de neux, et n'en treuve on sy non de petitz lopins; 
mais celui de Saint Lothain est si noble que demandez. Seullement 
les quartiers qu'il vous fault vous les trouvez, mais qu'il soit pos- 
sible de les charryer. Par quoy nous a esté nécessité d'en aléger les 



i88 RECHERCHES SUR LA VIE 



grandz pierres, dont il en avoît deux qu'il failloit à chascune xij che- 
vaulx ou xxiiij beufz; et si nous eussions laissé en son entier les 
deux qui lenoient ensemble, il n'eust esté possible à homme vivant 
de les tirer hors du creux ne de les mener. Ce sont les plus beaux 
bancz, les plus parfondz et les plus neiz du monde, et pleust à Dieu 
que ceulx qui se y cognoissent si bien eussent esté au travail en Peau 
vifve jusques au genouil, comme nous estions. Car le vray marbre 
ne se nourrist sy non en Teau, c'est assavoir Talbastre, et fault venir 
et cercher jusques aux sourses vifves, lesquelles il nous failloit 
estoupper de mousse et de couroy, et encoires Teaue surmonioit 
tellement qu'il la failloit espuiser jour et nuit. Et tousjours en dan- 
gier de noz vies, à cause de la pierre qui retomboit. 

Par ainsi. Madame, en revenant à la lecture des lettres de vostre 
excellence, je disoie à par moy : Ceste noble perrière n'est avillie ni 
mesprisée sy non pour autant que seigneur Lemaire a Thonneur de 
l'avoir remise et restituée en bruit, et icelle retrouvée à la plus 
grande gloire de Madame. Car telle est ma fortune. Et tout ainsi 
que quand j'euz mis en avant la prévalue des deniers d'Espagne, et 
que j'advertiz Madame qu'elle perdoit de son douaire mil ou xij cens 
ducaiz par an au moyen des changes du temps du collatéral Pyo- 
sachz, et que ce maniement des dictz deniers fut baillé à ceulx qui le 
faisoient mieulx valoir, d'autant en baillant bons plciges dont en 
parfin ne fut riens tenu. Et de rechief quand Madame commença 
son basiiment de Brou, je y feiz prouffit de plus de iij mille livres 
au pris fait, par Tadvertissement d'envoyer quérir des maistres mas- 
sons partout. Doncques ma fortune est telle que je bas tousjours les 
buissons, et ung autre prend les oisillons. Ainsi m'en prent il à ceste 
heure de ceste perrière d'albastre. Je suis doncq de semblable qua- 
lité comme Cassandra, laquelle estoit très bonne devineresse, mais 
jamais elle n'estoit creue ny auctorisée. 

Ainsi me passionnoie je a par moy, Madame, si vous supplie 
me pardonner de ce long pFopos car par vos dictes lettres il 
vous a pieu me donner auctorité de vous advenir du tout 
bien au long à la vérité ce que je feray parfaitement Madame, 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 189 



en tant qu^il touche ce qu'il vous plaît me mander que on 
vous a escript que j'ay trouvé et jugé quMl y eust marbre ny 
albasire en vostre Saulnerie de Tourmond, saulve la grâce de 
ceulx qui vous en ont advertiz pour faire leur cas bon. Bien 
ayse dit qu'il y avoit quelque apparence de gyp, qui sont les 
indices de marbre, mais que il faudroit chaver beaucoup plus 
parfond, avant que on peut attaindre le dit marbre. Car, certes, 
Madame, le creux de vostre Saulnerie en quoy on a besoigné 
tout lesté n'est pas se large ne se parfond que celui de vostre 
perrière ou je nay esté que six semaines et en mauvais temps 
ne le soit trois fois plus en largeur, longueur et parfondeur, 
car ains avoir trouvé les bons bancz et parfaictz jay fait creuser 
plus de XX piedz de parfond et autant de large et cinquante 
en travers, qui est une chose horrible a veoir, or eussent 
bien valu ceulx qui ont la charge de vostre dicte Saulnerie, 
que je me fusse abusé et arresté a cercher de Talbastre dedans 
icelle aftin que Ton se fust mocqué de moy comme on fait 
deulx, mais Dieu mercy et vous, Madame, je n'estoie pas si 
depourveu de sens, ains me suis arresté au plus seur et au 
plus expérimenté et ay acquis, à vous. Madame, la dite perrière 
perpétuellement, qui n'est pas petit trésor, et jay fait planter 
vos armes, dont les moisnes de Baulme murmurent à tort, car 
tous trésors et minières cachez en terre appartiennent au prince 
souverain. 

Et touchant vostre dicte fontaine et sourse de sel, Madame, 
si je n'avoie peur que on feist peu d'estime de ce que j'en 
mettroie en avant (comme on a fait des autres choses), j*aban- 
donneroie ma vie en gaige. Au cas que je ne vous y feisse un 
si grand service que tous envieux en seroient desplaisir, et que 
jamais je n'auroie envers vous. Madame, réputation si petite, 
car en tel cas ne fault point gens qui ayment leur singulier 
prouffit et vaine gloire, mais leur honneur, l'amour, la crainte 
et l'auctorité du *prince et quilz soient fondez et practicyens 
en l'art mathémactique et géométrie pour scavoir faire en gens 



igo RECHERCHES SUR LA VIE 



beaucoup exploittans et à peu de gens, et de coust et mesurer, 
la hauheur des terres et cadence des caves, et la séparation des 
sources dont je nay veu aucun qui se y entendit grandement 
en vostre dicte Saulnerie. Et de toutes ces choses je ne vante 
que bien à point; mats, Madame, vous Jreç entre les-mains^ 
homme à ce propos, riche de science, d'anne:^^ d'entendement, 
d* ingéniosité, d*audace, d'honneur, d'avoir et d'auctorité et qui 
désireroit de tout son cœur y faire son chef -dC œuvre , à peu 
de coust, pour l'honneur de son excellence, la quelle il ayme 
et honnore en tout lieu et pour nommer le personnage, Madame^ 
c'est votre painctre et varlet de chambre, maistre Jehan Perreal 
de Paris, lequel très humblement se recommande à la bonne grâce 
de vostre haultesse et se présente à remploi de dict affaire. . , 

Madame, je vous advertiz que vostre dit nouveau bastiment, 
du costé du grand corpz, c'est assavoir du dortoir a prins cop puis 
quinze jours en ça et s'il en prend encoires ung semblable il y 
a dangier d'une grande ruyne et cousiera beaucoup à la réparer, 
la cause pourquoy est telle, vos dicis religieux qui sont par trop 
curieux et bons maisnaigiers, pleust à Dieu qu'ils le fussent 
autant en dévotion contemplative, sont aie faire ung puis secrè- 
tement en la cave et ont deschaussés ung des maistres pilliers 
jusques à Teaue visve par quoy la voulte s'est ouverte, et l'édiffice 
et la muraille ont monstre signe de ruyne. A ceste cause, vostre 
maistre des euvres et les massons bien esbahiz ont envoyé a 
Lyon et ailleurs quérir des maistres en massonnerie pour 
s'excuser que ce n'est pas leur faulle, mais la témérité et la 
curiosité des dicts religieux et aussi nostre, car certes, Madame, 
avant le dict inconvénient, nul édiftice ne fut oncques tant 
loué de bonne conduicte et seureté, qui estoit le nostre, par la 
voix de tous ceulx à ce cognoissans qui l'ont veu. Vous en 
aurez quelque jour les plainctes et informations, mais le tout 
sera réparable. 

Aussi, Madame, par la voix et le désir d'un chacun il serait 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 191 



désormais temps de commencer rostre esglise^ ce que les dict^ 
religieux reculeroient volontiers de toute leur puissance^ mais 
c^est vostre principalle intention pour y poser les sépultures. Le 
dessus nommé maistre Jehan de Paris vostre painctre se présente 
de servir vostre excellence à faire les pourtraict\ et plates 
formeSj et vous ne scaure\ au monde mieulx faire que de lui 
en bailler la charge et conduicte et ny deust il venir que trois 
ou quatre fois Van, Car tout en vaul droit mieulx, 

La tierce doléance que je vous ay à faire. Madame, c'est 
que le receveur général de Haynau, Jehan de la Croix, n'a tenu 
compte de vos lettres closes, par les quelles lui mandrez bien 
expressément qu'il m'eust à payer promptement à cause de 
mon voyage et commission, mes gaiges d'un an entier, echeuz 
et encouruz le dernier jour de septembre derrenièrement passé, 
à cause de mon office de indiciaire ains à répondre haultai- 
nement qu'il ne feroit riens du contenu de vos dictes lettres et 
que vostre secrétaire Marnix, qui les avait despeschées m'avait 
baillé une chanson, ce que non avoit, mais estoîent ordonnées 
de si bonne sorte qu'on ne sçauroit mieulx sur toutes lesquelles 
choses Madame de vostre bénigne grâce, il vous plaira avoir 
regard, et me y donner provision et aussi me faire rembourser 
de l'argent que jay frayé pour la traicte et charroy de vostre 
marbre, en la faulte de vos trésoriers, cuidant mieulx faire que 
laisser et je vous supplie très humblement ne l'avoir prins 
en mauvais gré. 

Madame, jay prié très instamment vostre sommeiller Rosalles 
présent porteur, lequel a veu et entendeu presentiallement la 
plus grande partie des choses passées touchant vos dictz marbres 
et les marchiez faictz de la grand sépulture, quel vueille solli- 
citer vostre excellence de me faire advertir du plaisir d'icelle 
sur tous les dictz poinctz, ou aucune partie diceulx , ainsi 
comme il vous plaira, affin que je sache comment je me doy 
conduire à la reste. 

Très haulte, très excellente et ma très redoubtée Dame, je 



192 



RECHERCHES SUR LA VIE 



prie à nostre Seigneur qu'il vous doînt Tentier accomplissement 
de voz très nobles et très vertueux désirs. Escript à Bourg en 
en Bresse le XX® jour de novembre Tan mil cincq cens et dix. 

Madame, depuis ces lettres escriptes, votre maistre masson 
et Chevillard, maistre des euvres, ont envoyé pour quérir deux 
deux grands ouvriers à Lyon, maistres jurez en massonnerie, 
pour veoir la ruyne apparente du dict édiffice et juger de 
quelle par venoit la faulte, affin de la réparer, et après le tout 
bien visité ilz ont donné leur sentence comme vous dira vosire 
dict sommelier présent porteur et besoignent maintenant à la 
réparation. 

Escript le jour de saincte Katherine (25 nov.). 

Vostre très humble et très obéissant serviteur, 

Lemaire. 

Au verso. — A Très haulte et très excellente Princesse et ma 

très redoubtée dame. 

Madame. 



E 

JEHAN PERREAL A LOUIS BARANGIER, A BOURG 

Lyon, 4 janvier i5ii *. 

Très cher et honoré Seigneur, humblement à vosire bonne 
grâce me recommande, vous mercient vos gracieuses lettres et 
celles de Madame, par lesquelles j^ay entendu comme elle 
s'adresse à vous, à maistre Jehan Lemaire et à moy, et le tout 
d'une matière dont estes ung peu esionné, doublant ma dite 
Dame estre courroucée du marché que j'ay fait dont avez esté 
présent et aultres gens de bien, et à cette cause ne vous a sousy 
m'en escripre amplement pour sur ce donner ordre, conseil et 
remède, et aussy pour advenir ma dicte Dame de tout et selon 

I. Cette lettre a été publiée par M. B. </e>, Fontenay-le-Comte, P. Robuchon, ira- 
Fillon, dans son travail sur les Œuvres de primeur-libraire, i865. 
Michel Colombe , extrait de Poitou et Ven- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL ujl^ 



sa doubtance; maiz encore vous a pieu m'envoyer les lettres 
que ma dicte dame vous en rescrîpt. 

Monseigneur, pour respondre à vostre première demande 
touchant la nature de Talabastre, et que on luy a dit que le 
Cousteau ne doit prendre dessus, je vous averty , comme celuy 
qui en peult parler par troys raisons, la première, par la matière, 
la seconde, par la forme substancielle, la tierce, par ses accidens, 
et vous di quMl est deulx manières d^alabastre. La première 
n^est pas blanche, mais déclinant aucunement à citrinnité. Et an- 
ciennement Ton en faisoit des vesseaux, et le tenoii-on pour 
précieux , comme il est escript en TÉvangille : In alabastro 
unguentum preciosum; et sont transparens ung peu et veyneux 
de doulce couleur, de leur nature plus froiz et aquatiques que 
terrestres, combien que de terre et d'eau sont procréez toutes 
pierres, congeliez par froideur, maiz procréer par chaleur; maiz 
pour leur froideur estoient ordonnez à tenir unguens pour la 
conservation d'iceulx. 

L'autre alabastre, quant à la matière, est terrestre et aqua- 
ticque, mais plus terrestre que aquaticque, et par conséquent 
plus aprochent de siccité et de blancheur; car, là ou agist chal- 
leur en siccité, la plus est prochaine blancheur, comme il appert 
des os, et par conséquent plus dur. Quant à sa forme substancielle, 
elle est moins homogénée en son tout, pour challeur qui cause 
încinéracion en choses sèches par faulte d'humidité, qui est cause 
de ligament. Quant en ses accidents , pour le premier, en sa 
mynière elle est envyronnée de froideur, qui répugne à chaleur, 
et la tient humide et molle, et, quant elle est hors tirée, c^elle 
est de vieille ou longue roche, et est à Tair ung an ou plus, 
pourveu qu'elle ne santé la gelée, elle s'endurcit et blanchit de 
jour en jour. 

Je vous pourroie plus au long desclarer les deux natures 
en enssuivent les docteurs et bons philozophes, mais à présent 
je conclus qu'il n'est aultre nature d'alabastre que ces deux. 

Et, quant à ce que dities que m'en enquière aux maisires 

ib 



194 RECHERCHES SUR LA VIE 



massons et tailleurs d^maiges, certes, je vous avertis en tel cas 
n'y sçavent riens, ne de la nature de ladicte pierre, par quoy 
de moy seul vous asseure, par l'article de devant, toute la 
natture, et n'y en scey point d'aultres. 

Maiz, quant passerés à Dijon imerroguez vous à gens qui 
bien en scauront parler, quant à la nature, tant de blancheur, 
duresse que polissement, car sachez que la plus blanche est la 
plus riche. La plus dure se polit mieux; maiz toute alabastre 
sendurcit à la longue hors de sa mynière, par quoy je vous 
avertis que autant en avendra à ceste cy qui est belle et fort 
blanche, mais feroit bon que Ton n'y touchast d'un an, et 
vous sçavez que je disoie toujours que l'on ne devait besongner, 
que au nouveau temps ; maiz maistre Thibault vouloit toujours 
besongner '. 

Quant à ce que demandez et que je m'enquière si l'oste du 
Grifon , de Lion , en a vendu , car il en fit amener deux ou 
trois belles grandes piesses, je vous respons que lesdictes pîesses 
ont esté menées par Loire jusqu'à Tours à maistre Michel 
Colombe, lequel en fait sépultures pour un évesque. Vous 
vous en pourrez interroguer, si je ne suis creu, maiz c'est la 
vérité, et, touchent ce que vous me mandez que j'en fasse 
faire atestacion de tout et combien vauldrait le pied dudit 
alabastre, afin de mieulx en avertir madame, certes je vous 
respons, quant j'en parle à eulx ils ne sçavent que dire ne 
respondre à mes proposicions ne de la nature, ne de la bonté, 
ne des accidens, mais remetent tout à moy et disent quïls n'en 
sçauroient que dire, et je les en croy. 

Maiz, pour vostre acquit et descharge, vous ay bien voulu 
au long escripre de ladite alabastre la nature; du pris du pied 
vous en savez mieulx la vérité à Dijon, et pourriez ce monstrer 
ou dire à Madame; car comme dittes es lettres que m'avez 
escriptes que passerés à Dijon et que yrés en la chambre des 

I. Voir la lettre du i5 novembre iSop, adressée de Lyon par Perreal à Marguerite 
d'Autriche. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL igS 



comptes, pour sçavoir où fut prinse Talabastre des feux Ducz » 
et combien elles ont cousté, certes je loue bien cela et ferés 
bien se en prenés la peyne, que je croy ferés pour en respondre 
au net à Madame et mieulx informer ceulx qui sont autour 
d^elle. 

Et touchant ce que m'escrîpvez du marché trop cher, et aussy 
comme je Tay veu par les lettres que Madame vous en rescript 
et à Maistre Jehan Lemaire, et non à moy, combien que j'amasse 
(aimasse) mieux qu'elle m'eust rescript ^ mais son plaisir soit 
faict et c'est raison, je vous respons en deux manières, la 
première pour vous, la seconde pour ceulx qui en pensent ce 
qu'ils veulent. Premièrement, je vous di que je dis à Maistre 
Jehan Lemaire, quant il ala en Flandres, pour ce qu'il me 
demandoit, que le tout pourroit bien couster deux mille 
cinq cens escus, c'est-à-dire les trois sépultures, maiz qu'il ne 
failloit pas estonner Madame, afin de ne reculer Pœuvre. Depuis, 
dedans Bourg, je me suis trouvé avec vous et messeigneurs du 
conseil, monstrant les lettres que Madame m'escripvoit et donnoit 
charge de marchander, ce que devant tous assemblez j'ai fait, 
et m'avez laissé faire, pour ce que je vous monstroie raisons 
esvidantes du coust et despance qui y aloit, et le temps. Oultre 
plus , considérant la grande despance que la Royne * a faitte 
pour la sépulture de son feu père, je trouvoye ceste cy petitte, 
et ce qui me fit passer oultre , un peu et non guière. Vous 
sçavez que je disoie en conseil et devant tous messeigneurs : 
Jentend:{ et fais tel marché pour ce que, se cest homme ou 
maistre n'est ouvrier , je ne le soufreray point y mai^ veulx 
que r œuvre se fasse par mains de maistre, tendant à fin 
que la chose passast par les mains de Michel Colombe, q,u>î 
a faict la dicte sépulture de la Royne. Et sçavez que publi- 
quement maistre Thibault se obligea en fasson que, se il ne 

1. Albâtre employé dans les monuments cesse fit élever par Michel Colombe, sur 
funéraires des ducs de Bourgogne, Philippe les plans de J. Perreal, le mausolée de 
le Hardi et Jean sans Peur. François II et de Marguerite de Foix, ses 

2. La reine Anne de Bretagne. Cette prin- père et mère, tout en marbre. 



19^ RECHERCHES SUR LA VIE 



besognoit bien, que je lui osteroie i^œuvre, et sçavez que je 
fis venir ung des disciples de Michel Colombe > pour en 
marchander. Et sçavez, après le marché fait, que je disoie 
que il n'y besongneroit que ouvrier, et que, se il y avoit rien 
de fait mal, que je rompcroie tout et seroit recommancé à ses 
despens par grands ouvriers, et que n'y vouloir qu'ouvriers, et le 
tout se faisoit tandent à fin de passer par les mains d'un grand 
ouvrier qui plus en eust demandé que maistre Thibault, et 
scave:{ que maistre Thibault le voulait bien faire pour XII"^ 
escus 2 : ma/^, quand il vit le marché par escript et aussi ce 
que j*ay cru depuis par patrons que je Jis^ et par le grosset 
que je fis contre ung mur au couvent de Brou, que vous 
vinstes vcoir, il vit que le bas luy blessoit. Vous sçave:ç aussy 
que je prenoyô tout sur ma charge et entendoie faire un chef 
d' œuvre; tellement entendoie faire besongner grans ouvriers que 
ledit maistre Thibault eust renoncé au marché. 

Oultre plus, vous sçavez, le temps durant que je fus au dit 
Bourg, les paines que vous, Messeigneurs, toutes jours aviez 
d'accorder le différant dudit marché, pour ce que je vous mon- 
troie esvidemment et donnoie à entendre que j'en ay veu faire 
d'aultres et à plus grans ouvriers que maistre Thibault, par 
quoy je vouloie qu'il fust bien obligé, tendant à fin d^estre fait 
de main d'ouvriers et bien paiez. 

Vous sqave\, d^autre part, la peine que je prins de VIII ou 
dix jours descripre le marché, de donner à entendre ce qu^il 
devoit faire, et qui, plus est, le pourtrai:^ tant en parchemin 
que papier, et principalement, le grand que je fis contre le 
mur du dict couvent^ les invencions et a ornements que jy 
ajousté de nouveau plus que au patron^ pour ce que au petit 
on ne peult former '^ comme au grant, que je n'en feroie pas 
autant pour cent francz, tant les premiers patrons qui furent 

1. Jean de Chartres, élève de Michel 3. Parce qu'on ne peut aussi bien dessi- 
CZoIombe. ne'r et composer en petit qu'on le fait en 

2. Douze 'cents écus. grand. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 197 

portez à Madame que ceux que j^ay fais (depuis), et me rompre 
la teste pour les invencions ^ Et qui m'a tout fait faire? fors 
amour envers la bonne Dame, la science et mon honneur, 
comprins que n''avoye aultre désir fors qu'elle fust bien servie, 
et non pas pour les gages telz que sçavez ; mais , se ung 
général ou grand seigneur en avoit fait la moitié, il lui faul- 
droit mille francz. 

Monseigneur, pour conclure et vous respondre du marché, 
je vous avertis que ce que j'en ay fait a esté publique, rond 
et droit, jusques à XV escus 2. Sus les charges que avez veues 
que j'ay escriptes et en barbe de maistre Thibault, pour ce 
que me doubtoie de lui qu'il ne fust soufisant pour le mettre 
et faire faire à (dire d') ouvriers, pensent qu'il n'en sçaroit 
venir à bout, et ce a esté fait devant vous tous et le dis tout 
haultement, et vouloie que Michel Colombe le fist, et n'en 
eusse jamais tant baillé audict maislre Thibault, à quatre cens 
escuz près, non n'eusse -je jamais marchandé à luy quant 
j'eusse sceu qu'il eut fait l'œuvre; mais Tay fait pour être 
respondant des deniers et qu'il * estoit du pays de ma dicte 
Dame, et l'eusse fait faire à aultre, et vous disoie toujours 
que je ne consentiroie à rien qu'il fist, s'il n'estoit bien fait, 
et de là toutte mon intencion et la cause pourquoy , devant 
vous tous , je feis tel marché , et vous tous en pouvez estre 
lesmoings. 

Et pour ce que Madame ne me rescript que de l'alabastre 
et non pas du pris, et que je voy qu'elle est en doubte, et 
aussy dit qu'elle aimeroit mieulx que son œuvre fust fait de 
marbre d'Italie, je vous veulx advenir de tout, afin, de mon 
costé m'en esire acquitté envers ma dicte Dame de mon devoir, 
et aussy afin que mieulx luy en diez la vérité, combien que 
luy en rescrips, mais non pas tout amplement, de peur d'en- 
nuyer. 

r. Voir lettre du i5 nov. i5io, « et ay rc- antiques que j'ay vu es parties d'Italie n. 
vyré mes pouriraictures, au moins des clioses 2, Quinze cents écus. 



198 RECHERCHES SUR LA VIE 



Je VOUS advertis conseiller à Madame faire la dite sépulture 
de marbre blanc prins à Gênes et de marbre noir prins au 
Liège, ainsy que la Royne a fait; car, sans mentir, ce sera 
œuvre perpétuelle et de princesse. Quant est de alabastre, il 
ne dure pas la moitié; car marbre peut durer mil ans bel, mei\ 
non pas blanc, et Valebastre ne saroit durer quatre cens ans, 
non pas trois. 

Ou que Madame la face faire de cuyvre doré qui sera plus 
riche, maîz non pas sy bien fait, quelque bon patron qu'on 
face aux fondeurs qui la fonderont; car la matière, qui coule 
expresse, bave et enfle choses subtiles, et quand ils la cuident 
réparer, ilz gastent tout, pour ce qu'ilz sont fondeurs et non 
ouvriers tailleurs, et au lieu de faire des cheveulx, ils feront 
une queue d'estoupes. 

Et, pour éviter tout danger, Madame la peult, et doit faire 
de marbre pour le mieulx, et suis de ceste oppinion et non 
d'aultre, combien que ma dicte Dame, la bonne et sage, sera 
bien conseillée; maiz elle est et ressemble une belle grosse, 
bien clère et ronde perle, bonne en toutte perfeccion, que tous 
ceulx qui sont autour d'elle regardent en disant chacun sa 
râtelée, conseillant Tun : « Elle serait bien en œuvre ainssy », 
Tautre, « mais mieulx ainssy », l'autre d'un autre, aulcunes fois 
avec peu de raison ou rien , mais ladicte perle et précieuse 
bague demeure tousjours en son entier et perfeccion pour chose 
que deviseurs devisent. 

Il me souvient bien, et n'y a pas long jours, en la chambre 
d'un grant seigneur que, ung cousturier estant là, lequel avoit 
fait une robe audit Seigneur, et fut trouvée bien faite, dont 
le cousturier en fut fier, avint que ledict Seigneur envoya 
quérir ung chaussetier pour luy tailler des chausses d'une fine 
escalatte. Le cousturier, pour l'honneur qu'il avait acquis de 
la robe, s'avança et voulut montrer au chaussetier comme on 
les devoit tailler, et eust crédit plus que le chaussetier à force de 
caqueter; le chaussetier ne s'en povoit contenter qui bien crioit 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 199 



à faulte; finablemeni, voyant Taudace du cousturier présomp- 
tueuse et non cognoissant Part, le seigneur lui laissa faire; 
mais tant print de bon biez le drap que les chausses furent 
courtes et le drap gasté. 

Je croy qu'il est à présent assez de telles gens autour des 
princes, qui veullent, cuident complaire, de trop de choses 
deviser, et gastent le drap. Telles gens n'ont besoin que d'un 
seur homme bien expérimenté pour leur montrer leurs faultes. 
Et, pour ce, chascun soit expert en son art et ne se mesle de 
ce qu'il ne scet, et croy qu'il est difficile à ung homme ce 
qu'il ne scet ne enten donner à entendre à ung aultre. Il est 
plus d'oreilles que d'œul; ut patety sy diceris : « estus » sudat; 
mais de tout ne me chault et ne veulx rien gaigner à ce 
mestier. 

Monseigneur, je vous avertis que je escript à Michel Co- 
lombe pour faire les patrons, comme sçavez que ainssy Pavoye 
entrepris, lequel m'a respondu que pour l'amour de moy, il 
est content de les faire, combien qu'il soit bien occupé; maiz il 
ne les fera point en moins de cent escus, qui est sus la charge 
dudict marché. 

D'aultre part, je luy ai rescript se il vouloit entreprendre à 
faire les deux principaux ymaiges ou le tout; il m'a respondu 
qu'il ne partira jamais de Tours et qu'il est viel; maiz, qui lui 
vouldra envoier le marbre à Tours, que très volontiers il servira 
Madame de ce qu'il pourra et qu'il est contant, aultrement non 
dont je suis mal contant ; par quoy suis d'opinion que Madame 
attende encore en pensant à son afaire ou s'en enquerra. Aussy 
bien tesglise n'est pas faite , qui est le principal , de laquelle 
esglise madite Dame nia rescript faire ung patron ou platC' 
forme; mais c'est chose qui ne se fait pas sans y penser^ tant 
au lieu que à la convenance et selon ce qu'elle me demande; 
maiz, quand j'aroye fait tout aux mieulx que je pourroye, je 
double que le drap ne soyt gasté et que les chausses ne soient 
courtes. Ainssy velà mon drap mal employé, maiz au fort je 



RECHERCHES SUR LA VIE 



serai la chandelle qui se consume pour faire service; le bon 
plaisir de Madame soit fait K 

Monseigneur, je vous ay envoyé le patron de la sépulture du 
duc de Breiaigne, tout ainssy qu'elle est faite sans y adjouster 
ne dioiinuer , tant marbre blanc que noir. Les vertus ont VI 
pied:{ de hault, les gisants VI et demy, les apostres II pied:{; 
le dit patron ay-je fait juste, vous en pove\ parler bien au 
long; fay esté tous jour s quant on la faisoit ou le plus de temps j 
je Vay posée en son lieu comme aultres foi\ vous ay conté, 
Mai:{ quant au marbre, on Va fait venir de Gênes jusques à 
Lion^ puis de Lion jusques à Roane, par terre y et puis de là à 
Tours par eau. Tout le marbre, tant blanc que noir, ne monte, 
rendu au dit Tours^ que deux mille escu\ ow environ. 

Michel Colombe besognoit au moi:{ et avoit pour mois 
XX escuSy Vespace de sine ans; il y avoit deux tailleurs de 
massonnerie entique italiens qui avoient chacun VIII escus pour 
moi:{, Vespace de sine ans; il y avoit deux compagnons tailleurs 
d'ymaiges soub^ Michel Colombe^ qui avoient chascun VIII escus 
pour moi:[y Vespace de sine ans, on paioit tous fers affére\y tous 
outil\^ tous pollicemens, tous cymens, Finallement , la chose a 
esté si bien achevée ^ que je Vay posée au lieu désiré par la dicte 
Dame, et cousta à poser, tant pour faire la voulte pour mettre 
les corps, que pour les engins, que pour V enrichir d'un peu 
d'or , la somme de V soixante livres ^ , car fen ai tenu le 
conte. 

Monseigneur, il me sera pardonné si je vous ay fait si 
longue lettre et s'y longtemps; maiz le tout tend à bonne fin, 
et certes je ne puis de tout parler sans quantité de lettres et 
aussy que me rescripviez vous faire sçavoir de tout, affin de 
pouvoir bien en rescripre à Madame et au long. Vous voiez 
mon intencion, mon povoir et sçavoir; le tout remetz à votre 
correccion, et sy les monstrez de delà, se ne sera pas sans 

I. On voit par ce passage que Perreal la princesse, 
savait qu'il avait des ennemis à la cour de 2. Cinq cent soixante livres. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



commentateurs et gloseurs, mais la bonne Dame congnoistra 
mon intencion bonne envers elle sy luy plest, à laquelle ferés, 
et je vous en prie, mes très humbles recommandacions, prient, 
mon très honoré Seigneur, au souverain ouvrier et maîsire 
masson de cette machine mondaine qui vous doint et à toute 
vostre noble maison, joye, honneur, paix en terre et gloire es cieulx. 

A Lion , après estre relevé d'une diabolique passion qui m'a 
duré trois jours, ce samedi nii® jour de janvier (i5ii) de vostre 
Très humble serviteur et amy, 

Jehan Perreal, de Paris, 

Peintre de Madame. 

On lit au dos : 

a A mon très honoré seigneur, monseigneur maistre Loys 
Barangier, premier secrétaire et maistre des requesies de Madame, 
à Bourg. » 



JEHAN PERREAL A MADAME MARGUERITE D'AUTRICHE 

Lion, 4 janvier i5ii *. 

Madame, tant et sy très humblement que faire puis à vostre 
bonne grâce me recommande. 

Madame, de tout mon cuer vous remercie de lettres qui vous a 
pieu me rescripre, par lesquelles j'ay bien entendu vostre bon désir 
et la fin et honeur où vous tendez, et aussy ay congneu, par les 
lettres de monseigneur maistre Loys et de maistre Jehan Lemaire 
le doubte en quoy vous estes tant de Falabastre que du marché. 

Madame, touchant Talabastre il est bel et blanc, grans quar- 
tiers et sain; et le plus blanc que je veiz piessa, qui est la 
richesse, mais ne dure, et la raison est bonne, car elle est tirée 
de frès, car, en sa mynière, elle estoit envyronnée de humidité, 
qui la tenoit molle, mais par temps sendurcit. 

I. Cette lettre fait partie de la collection de M. Benjamin Fillon. 



RECHERCHES SUR LA VIE 



Madame, mondit Seigneur maîstre Loys m'a escript que bien 
au long lui en fisse sçavoir, et de la bonté et de la nature; ce 
que j'ay fait et là verrez ce que j'en dis et seuz à la vérité, sy 
vous plest de lire la lettre bien au long. Aussy il yra à Dijon 
comme il m'a rescript et là pourra sçavoir tant de la pierre que 
du coust. Et, comme ditie, ce serait dommaîge gaster les deniers 
pour somptueux ouvrage, se la nature nestoit bône. 

Madame, je vous conseilleroie faire l'ouvrage plustot de 
marbre que d'aultre chose, et sy vous plest, voyez les raisons 
pourquoy je le dis, ez lettre dudit maistre Loys. 

Madame, j'ay fait veoir à maistre Loys le patron que je feis 
pour la sépulture du duc de Bretaigne, je luy ay à peu près 
donné par escript ce quelle couste et comment on y besongna 
et ainssy pourrez faire, mais que attendez ung peu. Et touchant 
le marché, voiez ce que j'ay escript ez dernière lettre, et verrez 
au vray mon intencion, et ne doubtie nul soupessonneurs, car 
je suis à vous aussy bien et myeulx pour deux sols le jour, 
que les aucuns pour cent solz, et vous le monstreray toutes les 
foys qu'il vous plaira me commander, car je suis à vous par 
aucune et bône.... que ne povez cognoistre pour ce que je ne suis 
présent, et pleut à Dieu que je peusse Testre, quand on devise 
au moins de ce que sçay, car jen responderoye mieux que par 
lettre et plus seurement devant vous. 

Madame, je vous prie, attendre encore ung an, et vous con- 
seillez de quoy vostre œuvre sera mieulx. affin d'acomplir votre 
désir et honneur. 

Madame, touchant faire une plate-forme pour Tesglise , je 
suis très joyeux m'y emploier, et me aideray de tout ce que je 
ai veu en Italie touchent couvens, où sont les plus beaux du 
monde, et seray sans excéder vostre voulenté, combien que le 
logis ja fait est si grant et sy magnifique que je ne sçay que 
l'on dira, sinon que religieux sont plus dignes que Dieu d'estre 
sumptueusement logez; touitesfoy, tout yra bien et ferons petit et 
bon, et pleust à Dieu que je fusse préposé à conduyre tel œuvre. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2o3 



Madame, touchant Touvrier ou maistre qui avoit marchandé, 
on luy pourra faire gaigner s'y peu d'argent qu'il a receu, en 
faisant de son art plusieurs choses que les grossiers massons 
font, qui est trop let, car je Tay veu, comme vos armes et aultres 
devises es clefs pendens; ce n'est pas leur art et gastent tout, et 
le dit maistre le fera bien en faisant gaigner l'argent qu'il a receu. 

Madame, je vous supplie veoir bien au long ce que j'ay 
rescript à maistre Loys Barangier touchant la nature de Tala- 
bastre, et ce que jen seuz, aussy du marché; car pour venir à 
la vérité fentendoie que fussiez servie comme princesse et que 
la chose passast par les mains de grands ouvriers; jay bien au 
long tout escript. Dieu veuille qui soit à vostre gré. Des aultres 
ne me chault. 

Madame, je prie à nostre Seigneur qui vous doint bonne et 
longue vie et le comble de vos désirs. 

A Lion, ce iiij* de janvier. 

De vostre très humble et très obéissant serviteur, 
Jehan Perreal, de Paris, 
Votre valet de chambre et peintre indigne. 



LETTRE DE MARGUERITE D'AUTRICHE A JEH/VN PERREAL, 
DIT DE PARIS* 

Madame le nomme contrôleur de l'édifice de Brou, et lui annonce qu'elle va 
faire inscrire son fils au rôle des bénéfices du comté de Bourgogne. 

Malines, février i5ii. 

Marguerite archiducesse d'Austrice, ducesse et contesse de 
Bourgoigne, duagière de Savoie. 

Très chier et bien aimé, nous avons receu vos lestres et 
puisque Jehan Lemaire nous a layssé nous ne voulons avoir aultre 

I. Minute en papier^ déposée aux archi- thèque de la Société d'ÉmuLuion de PAin, 
ves de Lille et dont copie authentique a été — (Note de l'auteur.) 
fournie par nous, en 1847^ à la biblio- 



204 RECHERCHES SUR LA VIE 



contrerolleur en nostre édiffice de Brou que vous mesmej pour 
à quoy entendre vous devrions, nous désirons sçavoir quel marché 
Michel Colombe a avec vous, pour le faict de nos sépultures, 
et dans quel temps il pourroit avoir parfaict. 

Quant à vosire fils, le ferons mectre au roole des bénéfices 
de nostre conté de Bourgoigne. 

Escrîpt de Malines.... le jour de febvrier XV* XI. 

Marguerite. 



H 

LETTRE DE JEAN DE PARIS A ». 

Il se plaint des gens du Conseil de Bourg, qu'il nomme les longues robes. — 
11 voudrait n*avoir affaire qu'à M. le secrétaire Barangier. — Éloge de Michel 
Colombe. —Envoi des patrons pour les tombeaux de Téglise de Brou. 

Blois, 3o mars i5ii. 

Mon très honoré seigneur, humblement à vosire bonne grâce 
me recommande. 

Pour ce que toujours vous ay treuvé entier, et je Tai bien 
aperceu à Bourg et m'en suis bien cogneu quant dernièrement 
je y fus pour prendre la mesure de Vesglise; car j'eus plus de 
peine à assembler ces longues robes ^ de quoy je n'avoie que de 
faire mon art. Mais vêla vous n'y estiez pas; et pour ce que je 
avise que je rescrips à Madame que se elle veult que bien je 
besongne, je ne soie plus en ccste peine. Je vouldroie bien qu'il 
vous pleust que je n eusse à faire que à vous, s'il vous plaisoit^ 
voire se je me mesle de son esglise, et du trésorier Vyonnet ; 
car il est bon homme, combien 'je ne puis estre paie de si petit 
que Madame me donne qu'il ne vault pas le demander. 

Tout cecy vous escrips pour ce que je vous congnois et que 
je ne vouldroie avoir affaire que à vous. 

Mons', j'ay marchandé se Madame veult Michel Colombe 

I . La suscriplion manque ; mais il est probable que la lettre est adresstie à Louis Barangier. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2o5 



et son nepveu et pour l'amour de moi^ et espérant que seroy avec 
luy, il ne veult aultre marché que celui que feiz avec maistre 
Thibault. Or, considérez quel différence il y a autant de plomb 
à or; et sy vous dit mieulx que jamais je n'eusse faict le marché 
que je fis, synon que je préiandoîe toujours venir à ceste fin ; 
car je veoye bien que maistre Thibault ne sçavoit rien, Aussy 
vous sçavez comment je lui disoie que je romproie tout sy ne 
le feroit bien, et jamaiz je n'eusse besongné avec lui; car il 
eust voulu tout fère et derrenièrement je congneuz son cas à 
Lyon. 

Mons^ tous les patrons sont /ai{ et bien enquesse:{; je le mande 
à Madame s'il luy plest de les envoier quérir ; mais il les faul- 
dra r envoier à Lyon entre mains et pour cause ^ se Madame 
entend que je m* en mesle^ synon elle lespeult gorder. Vous voyrez 
ce que je luy rescrips. 

Mons% vous voiez la peine que je prends et de bon cuer, 
tant en invencions que patrons. Et sur ma foy les derniers pour- 
trai:{ ou patrons que fay fai-{^ tant celuy de Tesglise que des 
trois aultres^ m'ont dot^né beaucoup de peine; et toujours y va 
du mien, tant aux allées que venues et aultres despences. Mais 
surtout ce m'est un grand rompement de teste ^ tant pour inventer 
que pour faire au gré de Madame qui est le tout. 

Mons', vous m*orez recommandé envers Madame. J'ai faict, 
faits et feroy le mieulx que pourroy, tant que ma pauvre peau 
se pourra estandre; mais aussy que Madame y ait esgard, se 
tant et qu'elle se veuUe plus servir de moy. Son bon plaisir 
soit faict; car je lui ai esté entier et ay prins autant paine 
comme si j'avoye mille escus d'or de pension; maiz amour me 
maine et vous k povez congnoistre. 

Mons*", il fauldra, comme je le rescrips à Madame, avoir ung 
homme au lieu de Maistre Jehan Lemaire qui bien nous faict 
faulte pour faire tirer l'albasire de la perrière et à puissance. 
Vous feriez bien faire cela, sy vous plaisoit prendre la peine. 

Mons^ je ne m'adresse que à vous et ne à quoy aultre, ne 



2o6 RE-CHERCHES SUR LA VIE 



veulx congnoistre après Madame. Vous advisant que j'ay veu 
une lettre, le xxviii® jour de mars, de vous, où Ton charge le 
pauvre Jehan Lemaire, mais vous vous montrez son amy quant 
Pavez averti. Certes c'est très mal faict. Certes qui n'en voul- 
droit autant faire, je ne seroie pas joieux, après avoir bien beson- 
gné, estre mors et piqué. Vraiment on verra bien du contraire 

quelque jour. Aussy il n'est cuer d'homme qu'il ou vouloist 

faire ce que l'on luy impute; et velà que ung faulx raport vault. 
Je n'en attends pas moins ung jour, et puis j'auroy bien gaîgné 
mon labeur. 

Mons^, je remetz tout à Dieu, à Madame et à vous, vous 
supliant que j'aye de vos nouvelles avec celles de Madame, s'il 
luy plest se servir de moy; synon j'aray patience. 

Mons', aultre chose n'y a, fors que la royne est malade d'une 
fièvre continue. Dieu luy soit propice. Vous ferés, sy vous 
plest, mes très humbles recommandations à Madame et sollicitez 
qu'il lui plaisz de me faire sçavoir son intention, afin d'icelluy 
exécuter, non plus, fors que Dieu vous ait en sa garde. — A Blois, 
xxx«. de mars XV^ XI. 

De vostre très humble serviteur et amy, 

Jehan Perreal de Paris, 
P. d. m. d. (Peintre de Madame). 



LETTRE DE JEHAN PERREAL A LOUIS BARANOIER 

Lyon, 8 octobre i5ii. 

Mon très honoré seigneur, très humblement à vostre bonne 
grâce me recommande, vous avisent que ung peu devant l'asump- 
cion de nostre Dame en aoust j'ay receu les très gracieuses let- 
tres de Madame et ay veu de ce qu'elle escript à messeigneurs 
de Bourg et aux aultres, maiz quant aux lettres miennes je suis 
tant joieux qu'il plest à Madame se servir de moy et qu'elle 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 207 



estime mon très petit sçavoir et s^en veult de tel serviteur 
servir K 

Mons% je vous averti que je avec maistre Jehan Lemaîre 
me suis transporté au dit lieu de Bourg et nous sommes pré- 
sentez à mesdits seigneurs et avons mené deux maistres massons, 
Henriet et Jehan de Lorraine, et avec ceulx de Brou avons 
calculé, spéculé et regardé le lieu tant à basiir que celuy qui est 
basti pour les frères, et fismes par cordeaux pour mieulx juger 
du tout, maiz considérant le bastiment jà fait qui n'est pas peu, 
nous sommes tous d'un accord délibéré de faire une esglise à 
iceluy correspondant, considérant plus faire ouvrage de fille d'em- 
pereur que pour aultre regard. Sy me suis mis après et ay 
fait une plate forme que Mons' Tindiciaire porte, laquelle à por- 
portions et mesures par le commandement de géométrie, s'y peu 
que j'en ay veu et au moins mal ay fait correspondre l'esglise 
au bastiment, comme il est nécessaire. Voiez le, lisez les lettres 
dessus escriptes. J'ay envoyé à Madame le compas dont me suis 
aidé, par lequel elle peust, comme bien le scet, faire cognoistre 
touttes les largeurs, haulteurs, longueurs, tant du tout que des 
parties. 

Pour ce, Morts', sy vous plest de par vous seray excusé 
se masson me blasme^ disent que je suis qu'un paintre. Certes 
j'ay veu de théorique es ars mathématiques quelque peu qui fait 
assez à propos de mettre en acte, ce que voiez, car vous y trou- 
vères des choses plus nouvelles que je ne voiz jamaiz et me 
suie totallement, avec le conseil de maistre Jehan Lemaire, 
desdié et mis mes petits sçavoirs au regard et à Tœul de tous 
pour endurer le faiz. Maiz quand Madame et vous tous Mes- 
seigneurs, arez, par bon conseil et meure délibéracion ou seul- 
ement avec le vouloir de Madame, ordonné que ainssy se face, 
et quant tel honneur me sera escheu que Madame je dois ordonné 
à ce, je vous promets ma foy que je feray plus que vous ne 
voiez, non pour me avancer ne le dis maiz pour ce que je me 

I. Cette lettre fait partie du Cabinet de M. E.-M. Bancel. 



2o8 RECHERCHES SUR LA VIE 



sens fort et seur, maiz j'entends quant il vous plaîroît de venir 
dessà, car avec vous vouldroie communiquer et vivre, et ne voul- 
droie point d'homme avec moy moindre de bon vouloir que moy, 
et pour ce à vous m'adresse et ne dit cecy synon que je ne 
sçay à qui m^adresser, quant je viens à Bourg, et m'en suis bien 
aperceu par vostre absence, combien que madame vostre belle 
mère et madame vostre bonne femme m'onlt fait honneur de 
leurs biens et des vostres, à telles enseignes que j'ay fait des 
croions qui n'est que demy couleurs le visaige de madame la 
maistresse, vostre femme. Elle cuide que ce scit grant chose, 
maiz quelque jour en vostre présence nous ferons mieulx. 

A revenir à propos je vous ay bien voulu escripre au long 
afin qu'il vous plaise de donner à entendre à Madame que je 
ne vouldroie, en telle affaire que l'esglise, point estre garssonné 
ne gourmande mai^ avoir autorité à tout le moins de conduire 
les choses à la vérité. Je le di pour l'amour de la sépulture de quoy 
je suis bien empesché avec Vhomme que scave:{ », et croy que je ne 
scajr que je feray, combien que je fai\ faire les patrons de- 
puis que pay sceu que Madame veult qu'elle se face, Maistre 
Jehan Lemaire vous dira bien la douleur ou trouble en quoy j*en 
suis, et pleust à Dieu que je vous dusse faire un ymage d'albastre 
ou de painture et je ne fusse que seul. Je ne di plus; une aultre foiz 
escriprey à Madame la vérité si je sçay qu'elle se veulle servir de 
moy, maiz aussy je vous prie que en se que me pourrez aider 
vous me soiez propice et non fors que exécuter l'honneur de 
Madame et esviter dommage. 

Mons%je vous rescrips non pour vous rompre la teste mai\ pour 
vous donner à entendre que se Madame se veult set^ir de moy en 
tel cas comme de l'esglise et sépultures, certes il est forcé que 
je soie obéy en ce qu'elle veult et ce qui sera de raison^ ou je 
ne viveroye pas comme fay acoustumé qui est que toujours fay 
aymé science et la perfection d^icelle. Je n'ose dire tout, maiz 
avoir la response de Madame touchant l'esglise qui n'est pas 

I. Maître Thibault. 



ET LHEUVRE DE JEHAN PERREaL 209 



petite chose je vous rescripray ou parleray plus à plain. Aussy vous 
dira mons' Tindiciaire au vray ma bonne voulenté. Justa illud 
difficile est indigenti bene operari^ combien que ce n'est pas 
ce qui mainne en tout, maiz c'est de bien commencer, de non 
avoir faulx raports et estre obéy en bien faisent. Or je me débas 
de la chappe du moyne. Nous verrons que Madame dira, ou celle en 
veult oster ou mettre son vouloir soit fait, et je vous supplie 
comme en celuy en qui j'ay parfaite fience, m'en rescripre à peu 
près sa concepcion. Et encore diray je se mot que je feroye voulen- 
tiers le voyage jusques en Flandre ce Karesme, se tant il plai- 
soit à Madame pour dire ce que en papier je n'ose penser. Je 
ne sçay qu'il en aviendra. 

Mons', je vous prie me pardonner, et sur ce vous dis adieu 
qu'il vous doint santé et sa grâce. 

A Lyon ce (i5ii) viii* de octobre, de vostre très humble 
serviteur, 

Jehan Perreal de Paris, 
P.d. m. '. 

S'yl vous plaisoit de sçavoir pour quoy j'ay envoyé ung filz 
de XVIII ans que j'ay aux estudes à Dole, c'est pour deux cas, 
car il y a ja bonne université, l'autre, car Madame m'en sara gré 
et celle que ne nomme, c'est que mon petit argent sera de mesure. 

La suscription porte : 

a A mon très cher et honoré seigneur mons' le maistre Loys 
Barangier, en la court de Madame. » 

La pièce est scellée d'un cachet portant l'empreinte d'un camée 
antique. 

I. Peintrp/^ idame. 



27 



RECHERCHES SUR LA VIE 



LETTRE DE JEHAN LEMAIRE A MARGUERITE D'AUTRICHE 

Il lui accuse réception de diverses sommes payées par elle et entre autres 
de 142 florins d^or, pour Michel Colombe qui a fait des maquettes en terre 
cuite pour Tédifice de Brou. — il l'entretient des talents du statuaire et 
des soins qu'il apporte dans rétablissement du patron du tombeau du duc 
Philibert le Beau ». 

Tours, 22 novembre i5ii. 

Très haulte, très excellente princesse et ma très redoublée dame, 
le plus humblement que faire puis, à vostre bonne grâce me recom- 
mande. 

Madame, jai receu deux lettres qu'il a pieu à vostre haultesse 
m'escripre; Tune, par mon serviteur auquel de vostre grâce avez 
faict donner dix philippus d'or, et l'autre, depuis, par le servi- 
teur du maître des postes, par lequel serviteur nommé Gilles 
Moreau, lequel a faict grande et féalle diligence de me venir 
treuver à Tours et a bien desservi d'estre récompensé. — J'ay 
receu la somme de cent quarante-deux florins d'or et xxiv sols 
de monnoye. Mais, pardeçà, il y aura perte pour le moins de 
V deniers par pièce. Et reviennent les dicts florins, selon la 
calculation de par delà, à la somme de II livres de XV gros. 

Laquelle somme. Madame, il vous a pieu ordonner pour 
contenter maistre Michel Colombe^ tailleur (Tymaiges^ tou- 
chant Vouvraige des patrons de vos édifices. Et vous a pieu me 
faire cest honneur que de vous fyer de ma petitesse et n'aviez 
voulu envoyer aulire contrerolle. Ce que toutes voies j'eusse bien 
désiré pour esirc présent à la distribution dudict argent et satis- 
faction de vos ouvriers, chacun pour sa ratte^; car vous en avez 
par deçà quatre ; c'est assavoir le très bon ouvrier maistre Michel 
Colombe et trois de ses nepveux. Le dict Colombe est fort ancien 
et pesant : c'est assavoir environ IIIIxx ans, et est goutteux et mala- 
dif, à cause des travaulx passez, par quoy il fault que je le gaigne 

I. Original en papier, déposé aux archi- 2. Pro rata sua. — Le mot français rate a 

\cs de Lille. été remplacé par l'expression prorata. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



par doulceur et longanimité; ce que je fais et feroy jusques à par- 
faire. Le bonhomme rajouenisie pour Thonneur de vous, Madame, 
et a le cuer à vostre besongne, autant ou plus quMl eust oncques 
à aultre. Et quand je pourroy avoir tiré receu de ses mains, je vous 
asseure^ Madame^ que vous aure:{ ung des plus grands chiefs 
d' œuvre qu'il fit oncques en sa vie; car vous verre\ la sépulture 
de feu Monseigneur en toute perfection, comme elle sera. Le gisant 
aura ung pié et demjr de longueur, les vertu^ demypié; et toutes les 
aultres imaiges à la correspondance; et la massonnerie qui sera 
grand chose en toute perfection^ comme se vous la voj'e:{ en grand 
volume. Tellement que les ouvriers qui besongneroni après seront 
tenus de l'ensuivre à toute righeur, en réduisant le petit pié au grand. 

Et vous asseure. Madame, que vous trouverez que je n'auroy pas 
mal employé vosire argent, car vous estes servie de cuer de toutes 
parts; et certainement Targent est venu à point à mon grand besoing; 
car j'estoîs au bout de mon rolle et craignoie beaucop d'avoir 
honte et disette, ce que vostre très noble cuer ne pourroit souffrir. 

Madame, le bonhomme Colombe demandoit terme jusques à 
PasqueSy à cause de la pesanteur de Teuvre et aussi pour Tindispo- 
sition de sa personne et du temps ; mais je feroy tant que je réduîroy 
le tout à trois mois. 

Et cependant, je vous yroy faire la révérence et vous porieroy 
de beaux préseniz et bien agréables, au plaisir de Dieu; mais ce 
ne sera point que je n'aye veu la besongne en train et donné ordre 
qu'elle se parface, et que Vun ou deux des nepveux du dict bon- 
homme Colombe, la vous porte par delà, affin que vous l'entendez 
par le menu. 

Madame, les dicts deux nepveux sont ouvriers en perfection 
comme héritiers de leur oncle, Vun en taille dymaigerie. Vautre 
en architecture et massonnerie, et ny a gens nulle part, que je 
sache, qui mieulx réduisent une besoigne en grand volume que eulx 
deux. Et je les ay gaignez. 

Touchant vosire albasire, Madame, ce présent porteur en a bieh 
mis en euvre et poly en grand volume. Et vous en dira ce qui en 



RECHERCHES SUR LA VIE 



est. Aussi je vous en porteroy une pièce mise en euvre du bon- 
homme Colombe; de vous en escripre plus avant, il sembleroit 
que Je le feisse à ma louenge, pour ce que f ay retreuvé la perrière ; 
mais tant y a que c^est le plus bel albastre du monde et le plus 
approuvé. Ny en Espaigne, ny en Italie, ny en Engleterre, n'en y 
a point qui Taproche en bonté, beauté et polissement. 

Madame, tout le monde vous bényt et loue, et esmerveille 
d'avoir entreprins une si grande euvre, là où une très haulte magna- 
nimité se montre et se déclaire. J ay le tout monstre à l'ambassadeur 
de l'Empereur, et est le tout parvenu aux oreilles du roy et de la 
royne. Et vous asseure, Madame, par le serment que j'ay par trois 
fois à vostre haultesse, que on ne Vestime point aultrement que le 
plus grand chiefd' euvre qu'ion fera es parties par deçà. 

Madame, je prie à nosire Seigneur qu'il vous doint très bonne 
vie et longue. — Escript à Tours, le xxii® jour de Novembre 
Tan mil V et onze. 

Vostre très humble indiciaire, esclave et serf. 

Lemaire. 



K 

LETTRE DE JEHAN PERREAL A MADAME 

i»r décembre i5i i '. 

Madame, tant et sy très humblement que faire puis à vostre 
bonne grâce me recommande. 

Madame, j'ay receu une vosire lettre escripte à Bois-le-Duc 
dont vous remercie, faisent mencion que vous avez receu la mienne 
que vous escrips comme j'avoie esté à Brou et mené les maistres 
pour aviser de l'esglise. 

Madame, je vous avise que j'ajr fait le patron ou pourtrait 
de ladite esglise, et y ay fait tout ce quejay peu inventer et que 
j'ay veu partout oiifay esté. Vray est que l'on peult adjousier tout 

I. Celte lettre provient de la collection du comte Gilbert Borromce, de Milan. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2i3 



ce quMl vous plaira, aussy Tay mis soubs vostre correccion comme 
verrez par mes lettres. JTay aussy fait le couvent basti en trois par- 
chemyns. Vous plaira avoir le tout à gré. Il y a plus de deux moy 
que tout est fait, maiz, comme j'ay peu sçavoir, Jehan Lemaire est 
demeuré malade sus les champs, comme Ton m'a dit, // a esté à 
Tours vers Michel Colombe pour soliciter les patrons que je fai\ 
faire de la sépulture et y a esté long temps comme il m'a rescript. 
Je croy qu'il est sus les champs pour tirer vers et portera tout. 

Madame, je vous ay bien voulu rescripre pour ce que ce pour- 
teur est homme seur et aussy que je me tire tousjours vers luy, 
car, sans mentir, je Tay trouvé, quant je suis à Bourg, celui qui 
plus congnoist mon intencion et congnoist bien que j'ay veu com- 
ment tout doit aler. J'ay plus communiqué avec luy que aux aul- 
tres. Il vous pourra dire ce qu'il m'en semble. Et comme je vous 
ay rescript par Jehan Lemaire, se vous entendez que de vostre 
esglise je y ay l'ouel ainssy que m'avez rescript il fauldroit que 
j'eusse par vous quelque peu d'auctorité et pour vostre profit, car à 
présent je n'y ay pas grant crédit. Ce que f en dis est afin tendent de 
bien conduire vo\ affaires^ car ce dis-je pour maistre Thibault 
duquel ne puis chevir et ne puis avoir ouvriers tant qu'il y sera^ et 
puis il lie scet rien et veult tout faire. Il a receu cent escus et ne 
veult bailler argent pour paier les petis patrons que je faiz faire, 
maiz les paie de mon argent. 

Madame, vous en ferés ce qu'il vous plaira, mai\ avec luy ne 
saroie vivre. Je amasse mieulz avoir entreprins tout seul, car 
aussy bien fault il que je fasse tout et que je mette les ouvriers 
en œuvre et que je les envoyé quérir. 

Madame, je prie au benoist filz de Dieu qu'il vous doinl sa 
grâce. A Lyon ce premier jour de décembre. 

De vostre très humble et obiissant serviteur, 

Jehan Perreal de Paris, 
Vostre peintre. 

La suscripiion porte : 

A Madame, Madame Marguerite, 



214 RECHERCHES SUR LA VIE 



ÉCRIT OU TRAITE 

Par lequel Michel Colombe, «tailleur d'imaiges du roi», reconnaît, tant pour 
lui que pour Guillaume Regnault, a tailleur dMmaiges», Basticn François, 
architecte de Téglise de Saint-Martin de Tours, et François Colombe, 
enlumineur, tous trois ses neveux, avoir reçu de Jehan Lemaire, indiciaire 
et solliciteur des édifices de Marguerite, duchesse de Bourgogne, la somme 
de 94 florins d^or, pour faire, en petit, la sépulture de feu le duc Philibert 
de Savoie, mari de ladite dame, selon le dessin de Jehan Perreal, peintre 
et valet de chambre du roi. — Michel déclare que Jehan Lemaire lui a 
remis une pièce de marbre d'albâtre, dont la carrière a été découverte par 
lui à Saint'Lothain-lez-Poligny. — Le dit Michel en a taillé une figure de 
sainte Marguerite dont il fait présent à la duchesse. 

Tours, 3 décembre i5ii. 

Je, Michel Colombe, habitant de Tours et tailleur dymaiges 
du roy, nostre sire, tant en mon propre et privé nom, comme 
es noms de Guillaume Regnault^ tailleur d'ymaiges, Bastyen 
François^ maistre masson de Féglise de Sainct-Martin de Tours, 
et François Colombe^ enlumineur, tous trois mes nepveux, 
confesse, promect, affirme et certifie en foy de loyal prud'- 
homme les choses qui s'ensuivent être véritables, tant pour le 
présent et passé, que pour Tadvenir; et ce pour la descliarge 
et acquit de Jehan Lemaire, indiciaire et solliciteur des édi- 
fices de très haulte et très excellente princesse, Madame Mar- 
guerite, archiduchesse d'Austriche et de Bourgoigne, duchesse 
douairière de Savoye et contesse palatine de Bourgoigne. 

Cest assavoir tout premièrement, je confesse es noms que 
dessus, avoir eu et reçeu de ma dicte dame, par les mains de 
son dict indiciaire Jehan Lemaire, la somme de quatre vingtz 
quatorze florins d'Allemagne, à •vingtz sept solz six deniers 
tournois pièce, qui reviennent à la somme de six vingtz huyt 
livres treize sols tournois monnoye du Roy, présentement cou- 
rante. Et ce pour nos peines, labeurs et salaires de faire la 
sépulture en petit volume de feu de bonne mémoire^ Monsei- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 2i5 



gneur le duc Philibert de Savoye^ mary de la dicte ^dame^ 
selon le pourtraict et très belle ordonnance faicte de la main 
de maisire Jehan Perreal de Paris^ peindre et varlet de 
chambre ordinaire du roy^ nostre dict Seigneur; de laquelle 
somme de quatre-vingtz quatorze florins d'or d'Allemaîgne 
revenans à la dicte somme de six vingtz huyt livres xiii sols, 
je me tiens pour content et bien payé et en présence es noms 
que dessubs, les dicts Jehan Lemaire, solliciteur pour Madame, 
et tous aultres à qui il appartiendra. Et de laquelle sépulture, 
je, Michel Colombe, dessubs nommé, feroy de ma propre 
manufacture^ sans .que aultre y touche que moy, les patrons 
de terre cuitte^ selon la grandeur et volume dont f envoyé à 
ma dicte dame deux pourtraict^, l'un en platte forme pour le 
gisant, Vaultre en élévation^ faii^ les di:{ patrons de la main 
des dicts François Colombe, enlumineur, et Bastyen François^ 
masson, mes nepveux. 

Et le dict Bastyen fera de pierre de taille toute la masson- 
nerie servant à la' dicte sépulture en petit volume par vrayz 
traictz et mesures, tellement que, en réduisant le petit pié au 
grand. Madame pourra veoir toute la sépulture de mon dict 
feu Seigneur de Savoy e^ dedans le terme de Pasques, pourvu 
que aucun inconvénient ou fortune ne surviengne au dict 
Colombe durant le dict temps : et iceulx patrons je prometz 
loyaument, à Taide de Dieu, faire pour ung chief d'euvre, 
selon la possibilité de mon art et industrie. 

Oultre plus, pour ce que le dict solliciteur Jehan Lemaire 
nous a affermé que Madame désire d'estre servye en ses édif- 
fices de gens meurs, graves, savans, seurs, certains, expéri- 
mentez, bien condicionnez, et observans leur promesse comme 
bien raison le veult, mesmement de ceulx que je dessubs 
nommés, assureroy à ma dicte dame estre telz ; d'icy, et desja 
j'asseure et afferme que Guillaume Regnault, tailleur d'ymaiges, 
mon nepveu, est souffisant et bien expérimenté pour réduire 
en grand volume la taille des ymaiges servant à la dicte 



2i6 RECHERCHES SUR LA VIE 



sépulture en ensuivant mes patrons, car il ma servy et aidé 
Vespace de quarante ans ou environ^ en telle affaire, en toutes 
grandes besoignes, petites et moyennes, que par la grâce de 
Dieu, j'ay eues en mains jusques aujourd'huy et auroy encoire 
et tant quMl plaira à Dieu. Mesmement il nia très bien servy 
et aidé en la dernière euvre que j'ay achevée; cest assavoir 
la sépulture du duc François de Bretaigne, père de la Roy ne ; 
de laquelle sépulture j'envoye ung pourtraict à Madame. 

D'aultre part, le dict Baslyen François, gendre de mon 
dict nepveu, s'afferme estre souffisant pour exploiter et dresser, 
en grand volume, les patrons de la dicte sépulture, quant à 
Tart de massonnerie et architecture. Lesquels patrons seront 
faictz en petit volume, de sa main propre. 

En après les dictz patrons achevez, dedans le terme de 
Pasques, dessubs dict, et îceulx estoffés de paincture blanche 
et noire, selon ce que la nature du marbre le requiert, par 
le dict François Colombe, enlumineur, la taulette de bronce 
dorée et les lisières, armes, fourries d'ermines, carnations de 
visaiges et des mains, escriptures et toutes aultres choses, à ce 
pertinentes fournies, selon que le debvoir le requiert; je des- 
soubz' signé prometz envoyer les dictz Guillaume Regnault, 
mon nepveu, et Bastyen François, son gendre, porter la dicte 
sépulture en petit volume, à Madame, quelque part qu'elle 
soit, dedans le terme de la purification de Notre-Dame. 

Ensemble l'élévation de la platte forme de son esglise^ 
mesmement touchant la sépulture des deux princesses^ dont 
nous avons les pourtraict:^ et tableaux fait\ de la main de 
Jehan de Paris; et aussi le dict Bastyen François portera la 
montée de l'élévation da portai et des arcz boutans par 
dehors; pour lesquelles choses estre faictes par les dictz Bas- 
tyen François, j'ai retenu le double de la platte forme de la 
dicte esglise du couvent de Saint-Nicolas de Tolentin lez 
Bourg en Bresse, icelle platte-forme faicte et très bien ordon- 
née sur le lieu, mesurée de la main de maistre Jehan de 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 217 



Paris, avec Vadvis^ en présence de maistre Henriet et maistre 
Jehan de Lorraine^ tous deux très grans ouvriers en l'art de 
massonnerie. 

Et quant les dicts Guillaume et Bastyen, mes nepveux, 
auront présenté la dicte sépulture en petit volume à ma dicte 
dame, et icelle dressée en sa présence, et déclaré toutes les 
circonstances et dépendances d'icelle, s'il plaît à Madame, 
j'entreprendroy volontiers la charge et marche d'icelle, faire 
réduire en grand volume par le dict Guillaume, tailleur d'y- 
maiges, et Bastyen masson. Lesquelz j*envoiroy sur le lieu du 
dict couvent lez Bourg en Bresse, avec Jehan de Chartres, mon 
disciple et serviteur, lequel m'a servy l'espace de dix huit ou vingt 
ans, et maintenant est tailleur d'ymaîges de Madame de Bourbon, 
et aussi aultres mes serviteurs dont je respondroy de leur science 
et preudomie, et dont je ne penseroy avoir honte ni dommaige. 

Et ce, pour autant que à cause de mon aige et pesanteur, je 
ne me puis transporter sur le dict lieu personnellement; ce que 
aultrement j'eusse faict volontiers pour l'honneur, excellence et 
bonté de la dicte très noble princesse. 

Et pour ce fère, si le cas advient que Madame soit conseillée 
d'exécuter sa bonne intention par le labeur de moi et des 
miens, d'icy et desja j'advoue, ratifie et tiens à bons, fermes et 
approuvez tous les marchiez que les dictz Guillaume, tailleur 
d'ymaîges, et son gendre masson, feront avec ma dicte dame en 
mon nom et au leur, touchant la dicte sépulture et aultres 
choses concernant nostre art d'ymaigerie et architecture, comme 
se moy mesme y estoit présent; et à leur partement leur en 
feroy procuration expresse, se besoing est, ce que je fais desjà. 

Et affin que le voiage du pays de Flandres encoire incon- 
gneu à mes dicts nepveux, leur soit plus seur et plus certain, 
est moyenne que Jehan Lemairc nous laisse ou envoie icy ung 
solliciteur et guide pour conduire jusques là mes dicts nepveux; 
c'est assavoir son nepveu Jehan de Maroilles ou son serviteur 
Jehan Poupart. Et avons convenu avec le dict Lemaire, que 

28 



2i8 RECHERCHES SUR LA VIE 



chascun de mes dicts nepveux aura par jour, compté depuis leur 
partement de cette cité de Tours, dont je feroy certiflicaiion par 
mes lestres jusques à leur retour, la somme de V philîppus d'or, 
vallant xxi sols tournois, sauf ce qu'il plaira mieulx tauxer à 
Madame et recognoistre leurs labeurs et diligence, comme moy 
et les miens avons parfaite confiance en son excellence très re- 
nommée, laquelle nous tous désirons servir de bon cœur, s'il lui 
vient à plaisir. 

Au surplus, le dict Jehan Lemaire nous a apporté une pièce 
de marbre d'albasire de Saint Loihain lez Poligny en la conté de 
Bourgoigne, dont il a nouvellement descouvert la carrière ou per- 
rière, laquelle, comme nous avons entendu par certaine renom- 
mée, a autrefois esté en grant bruit et estimation, et en ont esté 
faictes, aux chartreux de Dijon, aucune des sépultures de feuz 
messeigneurs les ducs de Bourgoigne, mesmement par maistre 
Claux et maistre Anthoniet, souverains tailleurs d'ymaiges, dont 
je, Michel Coulombe, ay autreffois eu la cognoissance; et à la 
requesie du dict Jehan Lemaire, ay taillé, de ma propre main, 
ung visaige de sainte Marguerite; et mon nepveu Guillaume Ta 
poly et mis en euvre, dont je fais ung petit présent à ma dicte 
dame et lui prye qu'il lui plaise de le recevoir en gré. 

Certifiant et affirmant que, pourveu que la dicte pierre soit 
tirée en bonne saison et les ancyens bancs découvertz avec grand 
et ample descombre faict sur le bon endroit, c'est très bon et très 
certain marbre d'albastre, très liche et très bien polissable en 
toute perfection et ung trésor trouvé au pays de ma dicte dame, 
sans aller quérir aultre marbre en Ytalie ny ailleurs; car les aul- 
très ne se polissent point si bien et ne gardent point leur blan- 
cheur; ains se jaulnissent et ternissent à la longue. 

Toutes lesquelles choses dessubs dictes je confesse, prometz, 
afferme et certifie estre vrayes et ainsi que dessubs promises, 
asseurées et conveniées entre le dict Jehan Lemaire, solliciteur 
pour Madame et moy; témoing mon seing manuel cy mis, le 
troisième jour de décembre l'an mil cinq cents et onze. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 219 



Et pour nostre seurté d'un costé et d'aultre, ay requis à saige 
et discret homme Mace Formon, notaire royal et personne publi- 
que, cytoien de Tours, soubz scripre et soubz signer avec moy. 

Pareillement le dict Jehan Lemaire, notaire impérial et solli- 
citeur pour ma dicte Dame, a soubz script et soubz signé, en tes- 
moignaige de vérité et soubz les obligacions et soubzmissions 
nécessaires d^une part et d'auhre, mesmement de la part du dict 
Lemaire, touchant la promesse et assurance du payement du 
voiaige de mes dictz nepveux, et entant que en lui est, de adresser 
les marchiez à l'honneur et prouffit de ma dicte dame et de moy 
son très humble et très obéissant serviteur'. 



M. Colombe, — Formon, — Lemaire, 
indiciaire, de Belges. 



M 

LETTRE DE JEHAN LEMAIRE A MARGUERITE D'AUTRICHE 

II la remercie de ce qu'elle n*a pas ajouté foi aux calomnies de ses ennemis. 
— Après lui avoir parlé des recherches qu'il fait pour rédiger les chroni- 
ques de la Maison de Bretagne, suivant le désir de la reine de France, dont 
il est devenu l'historiographe, il l'entretient des ouvrages de sculpture 
commandés par elle, ainsi que des payements à faire à Michel Colombe et 
à ses neveux. — Les patrons ont été achevés par Jehan Perreal, par suite 
du décès de Michel et celui de François Colombe. 

Blois, 14 mai i3i2. 

Très haulie, très excellente princesse et ma très redoubtée 
dame, le plus très humblement que faire puis, à vostre bonne 
grâce me recommande. Madame ce qui me faict enhardir de vous 
escripre, ce sont les lestres de vostre premier secrétaire M' Loys 
Barangier, lequel me mande que vostre excellence n'a point 
prins mal mes derrenières lettres, dont, Madame, je vous mercie 
en toute profonde humilité. 

I. Original en parchemin, Chambre des historiques de M. Le Glay, archiviste du 
comptes de Lille. — Extrait des Analecles département du Nord, i838. 



RECHERCHES SUR LA VIE 



Madame, j'estime que vostre haulte vertu a cogneu le con- 
traire des faulx rapports qui vous ont esté faicts contre mon inno- 
cence. Et cy-après encoires le cognoistrez-vous mieulx, à Taide 
de Dieu; car la Royne m'a commandé compiler les croniques de 
sa maison de Bretaigne; et pour ce faire m'envoye expressément 
par tout le pays de Bretaigne, affîn que je m'enquière, par les 
vieilles abayes et maisons antiques, de toute Thistoire britanni- 
que, laquelle encoires n'a été mise en lumière entièrement jus- 
ques à ores que je Tay entreprinse. En quoi faisant, il est bien 
force que de vosire Excellence soit faicte ample mention, dont 
je m'acquiieroy à mon pouvoir, comme vray subject, serviteur 
et tenu; et je sçay bien qu'il plaira bien à la Royne, laquelle par 
vos lestres m'avez commandé bien servir. 

Madame, vostre dict premier secrétaire m'escript que, par la 
première poste, avez ordonné d'envoyer de V argent à maistre 
Jehan de Paris vostre painctre^ auquel fat baillé tout ce que fay 
peu recouvrer des patrons faicts de la main du bonhomme maistre 
Michel Colombe, Et le dict maistre Jehan de Paris a esto^é 
les dicts patrons de couleurs, qui est ung grand chief d'euvre^ 
comme vous pourra dire ce présent porteur qui les a veuz. Et les 
a estoffés le dict de Paris bien volontiers, à cause que François 
Colombe^ nepveu du bon maistre^ est allé à Dieu, lequel Fran- 
çois Colombe, enlumineur, avoit reçeu de vostre argent dix flo- 
rins d'or, par mes mains, pour ce faire. Ainsi vous avez perdu 
le dict argent. Mais c'est aumosne de le lui donner après son 
trespas; par quoi, Madame, je n'ay pas volu poursuivre sa femme, 
ne ses héritiers de fournir et parachever ce qu'ils debvoient faire 
pour le trespassé, voyant qu'il y avoit pitié en eulx. Et pour ce. 
Madame, il vous plaira avoir regard aux labeurs et diligences du 
d. de Paris qui vous sert de bon cuer et accomplit ce dont les 
aultres estoient paies, non seulement en ce, mais en toutes aultres 
choses. 

Madame, quand il vous plaira envoyer de l'argent au dict 
maistre Jehan de Paris, je vous supplie qu'il vous plaise ne m'ou- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



blier, touchant ce qui m^est deu, qui est peu de chose au regard 
de vostre excellence et beaucoup pour moy. 

Et davantaige, Madame, pour aucune récompense de mon 
petit service plus honorable que proufitable, je vous faîz très 
humble requeste qu'il vous plaise me continuer Tauctoriié que 
m'avez donné, par mandement patent, de traire le marbre d'al- 
basire qui sera nécessaire, tant pour la fourniture des sépultures 
et aultres euvres de vos édiffîces, comme pour ce qu'il s'en pourra 
cy-après et prouchainement faire grande traicte en France: car 
elle se commence fort à cognoistre, depuis que je Tay descou- 
verte; laquelle chose fera honneur à vostre haultesse et me 
tournera à quelque proufit sans vostre coustence. Et, Madame, 
certes jasoit or que je demourasse au fin fond de Bretaigne, se 
ne me sauroie-je passer que une fois Tan, je n'aille veoir vostre 
édiffice dont j*ai eu grande sollicitude; et il vous plaira tousjours 
me donner cesie audace et licence, car la besoigne n'en vauldra 
pas pis. 

Madame, je vous envoie xxiiii coupletz que j'ay faictz pour 
la convalescence de la Royne; je sçay que ne es verrez pas envis 
(avec peine) ^ car vous aimez la dicte dame, et elle, vous. J'en- 
tends que vous avez créé ung nouvel indiciaire nommé maistre 
Remy Bourguignon '. Toutes et quantes fois qu'il vous plaira 
me commander que tout ce que j'ay faict et recueilly, servant au 
dict office et à l'honneur de vous. Madame, et de vostre maison 
très illustre, je le vous envolerai et lui servira de beaucoup, car 
vous ny aultre ne veistes jamais la moitié des choses que j'ai 
faictes à l'honneur de vostre Excellence; et se elles ne sont ache- 
vées, se sont elles bien pourgeitées; mais es mains d'autre que 
vous, Madame, jamais ne les délivreroy. Et s'il vous plaist, par 
celui qui viendra quérir les patrons, m'en ferez sçavoir votre 
intention. 

Madame, en ensuivant les Icstres que derrenièrement je vous 

I. Il s'agit ici de Remy du Puys, qui d'historiographe de la princesse, 
a succédé à Jehan Lemaire dans l'emploi y 



RECHERCHES SUR LA VIE 



escrîvis, quand il vous plaira envoyer quérir les dicts patrons, 
il me semble que, pour le bien de Teuvre, il seroit bon d^en- 
voyer par deçà ung homme bien entendu et qui vous sceut rap- 
porter ce qui est de mestier, touchant Teuvre et les marchiez, 
tant de bouche comme par escript, et mesmement les intentions 
des deux principaulx maistres Michel Coulombe et Jehan de 
Paris, avecques ce que j'en ay aj)rins de ma part. 

Très haulte, très excellente princesse et ma très redoubtée 
dame, je prie au benoist fils de Dieu qu'il vous doint très bonne 
vie et longue. — Escript à Bloys, au jardin du roy, le xini® 
jour de may Tan mil V* et XII K 

Vostre très humble et très obéyssant serviteur, 

Lemaire, indiciaire. 



N 

LETTRE DE JEHAN DE PARIS A MARGUERITE D'AUTRICHE 

Détails sur les travaux de statuaire à Brou. — Jehan Perreal craint d'avoir été 
desservi auprès de la princesse. — Vœu à Notre-Dame de Hall. — La reine 
Anne de Bretagne. 

Blois, 20 juillet i5i2. 

Madame, tant et sy humblement que faire puis à vostre 
bonne grâce me recommande. 

Madame. Je croy que vous avez receu la sépulture de pierre 
ensemble les ymaiges que vostre varlet de chambre Pierrechon 
vous a portées. Ne sçay sy les a rendues entières; mais aultre- 
ment m'en déplairoit. 

Madame, Michel Colombe faict les dix Vertus comme il a 
promis, et dont est paie par les mains de Jehan Lemaire; car du 
marchié et paiement ne me suis meslé. 

Tai faict V ordonnance et patrons pour faire lesdictes Vertus. 

I. Original autographe. — (Chambre des historiques de M. Le Glay, archiviste du 
comptes de Lille). — Extrait des Analectes département du Nord, i838. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 223 



// est après. Le bon homme est vieil et faict à loisyr^ et nCest 
advis que encore sera bienheureux un meschant ouvrier d'avoir 
tels patrons. Je ne sqajr se sere\ contente de ce que les ay 
ainsy accoustrés, tant blanchy les ymaiges que dore\ et faire 
visaiges. 

Madame, s^il vous plaisoit me mander et commander que 
ainsy fisse les Vertus, et s'il vous plest ainsy le faire, ce me sera 
plaisir. Mais je doubte que pour le temps vous estes lasse de Jehan 
de Paris^ tant par paroles raportées que aultrement. Mais quant 
à moy, je n'ay seulement parlé, mais ay faict et reffaict et au 
mieulx que j'ay peu, et feray toutes fois qu'il vous plaira 
me commander. — Et suis marri que n'ay faict mon vœu à 
N. D. de Haux piessa, et vous eusse veue comme j'avoye 
désiré. Ores le temps est trop divers, dont trop desplaist à 
tous ceulx qui paix ayment, dont vous estes celle qui bien la 
commensates. 

Madame, ce porteur Diret a passé à Bloys, de son retour de 
Bretaigne, et a parlé à moy. Je dis à la Royne comme il n a 
pas faict comme debvoit et qu'il a esté mal recully. La dicte 
dame a dici que se elle l'eust sceu, elle y eust mis remède, et 
m'a dict que luy die que se on luy faict desplaisir à son retour 
vers vous, qu'elle le réparera. Cecy je dis pour ce qu'il est venu 
ung homme vesiu d'une robe de camelot noir qui a porté lestre 
à la Royne, de par vous et de vostre main signée, qu'il disoit 
qu'il lui pleust vendre de ses navires de Bretaigne pour vous et 
que en aviez à faire ' . 

Madame, la Royne par ledict homme vous faict response. 
S'il est vrai ou non, vous le pourrez sçavoir; je l'ay dit à ce 
porteur Diret. 

Madame, puis que ainsy est que de moy n'ave:ç plus affaire, je 
vous supplie au moins qu'il vous plaise me commander et 

I. Le passage de cette lettre n'est pas laquelle étaient engagés le père de Mar- 

clair, peut-être a-t-il rapport au navire a la guérite» l'empereur Maximilien et le roi 

(lordeliare », que la reine Anne fit cons- Henri VIII d'Angleterre contre Louis XII. 
truire à ses frais, pendant la guerre dans 



224 RECHERCHES SUR LA VIE 



mander si je feray les Vertus blanches^ comme le reste que vous 
ay envoyé. 

Madame, je prie au benoist fils de Dieu qu'il vous doint le 
comble de vos nobles désirs, et aux crestîens, paix. 

A Bloys, ce xx juillet, — de vostre très humble serviteur et 
obéissant varlet peinctre », 

Jehan de Paris. 





LETTRE DE JEHAN PERREAL A MARGUERITE D'AUTRICHE 

Blois, 17 octobre i5i2. 

Madame, tant humblement que faire puis à vostre bonne 
grâce me recommande. 

Madame, dernièrement par ung vostre serviteur en l'office de 
hérault, vous ay rescript et amplement faict sçavoir, comme 
j'ay de coustume, du bon vouloir que j'ay eu en vous et que 
toujours j'ay pour me emploier à vos affaires de Brou, ou 
aultrement quand vous plaira, et désiroy qu'il vous pleust me 
commander ou mander comment vous estiez contente de ce 
que vous envoyé par Pierrechon, vostre varlet de chambre : c*est de 
la sépulture que Michel Colombe avoit faict et que favoie 
blanchie^ ainsi que ave\ treuvé. Et de plus grandes choses 
vous ai rescript par lui et le hérault, comme de bien commencer 
vostre église et bien achever Feuwe et tout plain d'aultres 
choses..., * 

Madame, je ne puys tenir de vous escripre; car amour 
ancien me contrainct, et ce sçavez; mais à présent je cognoy que 
vous quérez me rebuter; ce que de vostre part se faict, et de 
mon côté ne se fera, combien que maulgré Dieu ne seray, en 
•Paradis, bien 'cognoys que de vous... mais comme j'ai piessa 

1. Original déposé aux archives de Lille. nule des sciences^ de l'agriculture et des 
— (Voir les Mémoires de la Société natio- arts de celte ville, année iH5o). 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 



mandé à M« Loys Barangier, il ne me chault des parleurs et 
inventeurs de menteries^ tant pour Jehan Lemaire dont vous pensez 
par raport que soie cause.... 

Je crqy que vous nave:{ plus en moi nul vouloir^ à l'occasion 
d'aulcuns raporteurs, comme l'on m'a dit d'ung quidam qui vous a 
raporté tant et tant de menteries que tout ne vault rien. Mais un 
bien me réconforte que telle et bonne princesse ne ajoustera foy 
aux menteurs, cognoissant que de ma vie je ne fis, ne vouldrois 
fère que ce que vous avez veu, non pour les biens, mais par 
amour et honneur que je vous doy. Et se d'avanture cette mau- 
dite guerre est cause de retarder tant de bien, mauldit soit qui 
en est cause. A moy n'en est à cognoistre. Mais tant vous dis 
que vouldroys estre vin jours avec vous, à vostre plaisir, et je 
vous dirois que valent les grans et les petits. 

Madame, si tant il vous plaisoit me donner ceste joie que 
de me mander que je me déporte de plus vous escripre, et 
que ainsi vous plaise, je prendroie patience et maulgré moy; et 
me fera mal à jamais d'avoir perdu Tamour de telle dame que 
toute ma vye j*ay aymée et que j'aymeray, combien que peu 
vous en proufite. 

Or, madame, je vous suplie, en Thonneur de Dieu qu'il 
vous plaise me mander que je me taise ou que je suis vostre 
serviteur, car des biens de ce monde ne me chault 

Je prie à Dieu qu'il vous doint santé et longue vie et avoir 
en nos jours paix. Vous suppliant que par ce porteur me mandez 
vostre bon plaisir. 

A Bloy, ce xvn® d'octobre, de vostre très humble et très obéis- 
sant serviteur ', 

Jehan de Paris, p, d. Af^ 

I. Original déposé aux archives de Lille Société nationale des se icnceSy de tagricul- 
(in extenso). (Voir les Mémoires de la /wre e/ iw ar/5 de celte ville, année i85o), 



29 



226 RECHERCHES SUR LA VIE 



LETTRE DE MARGUERITE D'AUTRICHE A K 

Elle annonce la venue de M« Loys van Boghem, à Brou ? 

Malines, ... octobre i5i2. 

Marguerite, archiduchesse d'Austrice, duchesse et coniesse de 
Bourgoingne, douaigière de Savoie, etc. 

Chier et bien amé. Nous envoyons ce maistre masson qui est 
ung bon et expérimenté maistre et des meilleurs qui soient par . 
deçà à Brou\, pour visiter nostre édiffice et nous sqavoir faire 
rapport de toutes choses, et s'il vouldra entreprendre la taille de 
la pierre qui sera nécessaire^ tant pour lesglise que pour les 
sépultures, ainsi que nostre amé et féal conseiller et secrétaire 
M® Loys Barangier est à plain adverty. Si désirons que le recueillez 
et recepvez bénignement et luy faictes tout le port, faveur et 
assistence que bonnement vous sera possible, affin qu'il ayt 
ochoison destre tant plus enclin à nous y faire service, et vous 
nous ferez plésir. A tant, chier et bien amé, nostre Seigneur soit 

garde de vous. Escrîpt à Malines le jour d'octobre 

MV«XII. 

(Minute en papier.) 



LETTRE DE MAITRE LOUIS BARANGIER A MARGUERITE D'AUTRICHE 
Visite à Brou par M© Loys van Boghem. 

Dôle, novembre i5i2. 

Ma très redoubtée dame, très humblement à vostre bonne 
grâce me recommande. 

Madame, suyvant ce qu'il vous a pleust m'escripre, ay faict 

I. Cette minute de lettre, adressée sans est due à Tobligeance de M. Desplan- 
doute au gouverneur de Bresse, repose ques, nouvel archiviste du département du 
aux archives de Lille. Sa communication Nord. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 227 



toute adresse à maistre Lqys, maistre masson, lequel a bien et 
au long veu vostre édiffice de Brou\ et la treuve très beau et 
bien ordonné, et y ont honneur les massons, comme il m'a dict. 
Il a aussi veu la place pour faire Vesglise et treuve qu'il nest 
besoing de pillots^ qu'est grand adventaige. Il la reculera bien de 
quinze ou vingt piedz loing du dict édiffice, afin de n'empesché 
point la vehue du dortoire, aussi pour fère les chappelles et sacres- 
lies tant plus belles et grandes, et avec ce en sera la dicte esglise 
plus magnifique. Dessubz la dicte sacrestie il pourra fère ung 
oratoire pour vous s'il vous plaist. 

Et quand à voz chapelles, à la vérité, madame^ selon que 
vous Diz A mon partement, H les fera à V opposite du dict édiffice, 
et entend d'en fère une qui sera ung chief d'euvre et pourrez 
descendre par dessub\ le jubilé (jubé), comme je dysais, en vostre 
chapelle, de laquelle pourre:{ voir par dessubs[ vostre sépulture, au 
grand haulte (autel), ainsi que le tout a plain le dict maistre Loys 
déclairera. 

Madame, aulcuns disaient que debvriez fère nouveau maison- 
nement pour vous du costé de vostre dicte chapelle. Je ne suis 
point de cet advis et me'semble que en avez assez. Combien que 
après Tesglise faicte, et avoir veu le tout, pourriez tousjours 
ordonné ce qu'il vous plaira. Et surtout, madame, je vous supplie, 
quoique Ton vous dye, que toutes aultres choses délaissées, actendu 
que lés religieux sont bien leugez, qu'il vous plaise ordonné et 
recommandé que Ton ne cesse que vostre dicte esglise ne soit 
faicte, laquelle le dict maistre dict, expédiera en cinq années à 
Taide de Dieu. Le dict maistre a veu le marbre estant au dict 
Brouz, et en a faict Tessay et poly, et le treuve le meilleur du 
monde. Il désire d'en avoir trente ou quarante pièces d'une grosse 
qu'il m'a montrée, tant pour les sépultures que pour vostre chappelle. 

Si vous plaist que Ton en face tirer, en manderez vostre bon 
plaisir pour en fère selon icelluy. 

Et enfin, madame, d'estre adverty de ce et de la conclusion que 
aurez prinse avec ledict maistre masson , aussi pour la compai- 



228 RECHERCHES SUR LA VIE 



gnie, pour ce aussi qu'il la requis, ay baillé CroUet, présent 
porteur, vostre garde des prisons de Bourg, lequel s'il vous plaist, 
madame, aurez pour recommandé; car il y a pitié en son cas. Je 
lui ai preste Targent pour son voiage. 

Madame, monsieur de Montellier trouble vos religieux en la 
rente que leur avez achetée, comme entendrez par un mémoire 
que vous envoyé. C'est une très bonne rente et en eusse bien eu 
sèze cent francs pour trois ans. Il me semble, madame, que Ton 
doit parlé à monsieur Daynieries qui est tenu à la garantie, et 
recouvrer tous les titres qu'il peut avoir de ceste matière pour les 
bailler aux dicts religieux, lesquels tiennent bien maintenant, y 
comprins la dicte rente, ix« ou mil florins. Jay treuvé homme qui 
en a offert mil florins pour dix ans. 

Au surplus, madame, il est nécessaire d'avoir ung contreroleur 
à Brouz qui tienne compte et contrerole toutes choses pour vostre 
prouffit, actendu que les massons ont faict leur taiche, et que ce 
faict est à journée. J'en escrips à monsieur le gouverneur d'ung 
qui me semble le fera très bien. Et aussi, madame, de vous parler 
de quelque affère pour mon cousin, maistre Guillaume de Boisset, 
lequel vous supplie, madame, en toute humilité, avoir pour re- 
commandé. Je vous prometz qu'il vous servira bien et loyaulment 
s'il vous plaist luy donner quelque estât, et la fera aussi bien 
que subgiect que vous aiez, madame. Je ne vous ay jamais fort 
travaillé pour mes parents, parquoy, madame, vous supplie l'avoir 
pour recommandé, et luy et moy en demeurrons tant plus obligez 
à prier Dieu pour vous. 

Madame, il vous plaise m'avoir tousjours en vostre bonne souve- 
nance, et me mander et commander voz bons plaisirs, et je mectroy 
peine les accomplir, moyennant l'aide de Dieu, auquel je prie 
que, ma très redoubtée et souveraine dame, vous doint vos désirs 
avec très bonne vie et longue. 

Escript en vostre ville de Dole, ce jour.... de novembre XV« XII. 
Vostre très humble et très obéissant subgiect et serviteur, 

LOYS Baîiangier. 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 229 



EXTRAIT DES ORDONNANCES DES ROIS DE FRANCE 

CONFIRMANT LES STATUTS DE LA CORPORATION DE SAINT-LUC, A LYON, 
2 1 DÉCEMBRE Î496 



Confirmatio statuorum mînisterii pictorum, statuariorum et 
vitrariorum villœ Lugdunensis ' . 

Charles VIII, etc., à sçavoir faisons, etc.. 

Nous, avoir reçeu Thumble supplication de nos bien amez 
les maistres et compagnons painires, tailleurs d'ouvrages et voir- 
riers de notre bonne ville et cité de Lyon, contenant que par , 
Tavis, conseil et délibération des gens et officiers de la justice 
ordinaire de nostre dite ville de Lyon, iceux supplians ont fait, 
conclud et advisé entre eux certains statuts, articles et ordonnances 
touchant le fait, police et entretènement de leur dit mestier pour 
le bien, proffit et utilité dUcelluy et de la chose publique, afin 
d'en jouir doresnavant par eux et leurs successeurs sous la con- 
frérie du glorieux corps sainct et amy de Dieu Monseigneur 
saint Luc, évangéliste. Desquels statuts, articles et ordonnances, la 
teneur suit : 

I. Premièrement : Que ainsi qu'il est de bonne coutume 
anciennement introduite et gardée entre les dits maistres et com- 
pagnons des dits métiers de peintres, tailleurs d'images et verriers, 
seroit faicte et célébrée tous les ans, le jour et la fête de Mon- 
sieur saint Luc, évangéliste, qui se célèbre le dixième du mois 
d'octobre en Péglise des Cordeliers à Lyon 2, ladite confrairie en 
rhonneur, louange et exaltation du glorieux saint, monsieur saint 

1. Ordonnances des rois de France de la elle fut dédiée ensuite à saint François 
troisième race, t. XX, p. 570. d'Assise, puis au Sacré-Cœur. Les armoi- 

2. La confrérie de Saint-Luc avait pour ries des vitriers de Lyon sont : d*azur à 
chapelle, à Saint-Bonaventure, la quatrième l'étoile d'argent accompagnée de trois dia- 
au couchant en partant du chœur; elle était mants en losange d'or. 

sous le vocable de saint Luc et saint Clair; 



23o RECHERCHES SUR LA VIE 



Luc, pour rentretènement et augmentation de laquelle seront 
tenus et devront lesdits maistres et compagnons desdits mestiers, 
choisir, dire et nommer un ou deux desdits mestiers, honnestes 
et prud'hommes de bonne renommée, lesquels auront charge et 
conduite de ladite confrairie pour une année, et icelle finie, iceux 
prud'hommes en mettront autant Tannée suivante, auxquels ren- 
dront compte et reliqua du gouvernement d'icelle confrairie, 
comme communément se fait en toute confrairie. 

2. Item, seront tenus tous les maistres et maistresses compa- 
gnons et apprentifs desdicis mestiers de bailler quinze deniers 
tournois pour entrer en ladite confrairie de Monsieur saint Luc, 
et seront tenus de venir à l'église desdicts Cordeliers le jour de la 
fête de Monsieur saint Luc, qui se célèbre comme dessus, pour 
illec ouïr la messe en la chapelle fondée à Fhonneur dudit saint 
Luc, baillée et délivrée par les gardiens es couvent des Corde- 
liers comme dict est auxdits maistres peintres, tailleurs et verriers 
pour ce, et leurs dévotions faire et tout ainsy comme est de 
bonne et ancienne coutume. 

3. Item, seront tenus lesdicts prud'hommes commis comme 
dessus à gouverner le papier et avoir le maniement des deniers 
de ladite confrairie, soy trouver la veille de ladite feste saint Luc 
audit couvent des Cordeliers, à l'heure de vespres et là demeu- 
rant jusqu'après lesdits vespres, pour escrire ceux qui se met- 
tront de ladite confrairie, et le lendemain seront tenus de soy 
trouver en ladite église des Cordeliers, à l'heure de huit heures 
ou environ, et là demeureront jusqu'à onze heures dudit jour 
pour recevoir et escrire les deniers de ladite confrairie comme 
est accoustumé de faire. 

4. Item, le dimanche en suivant de ladiste feste saint Luc, 
tous lesdits confraires dudit mestier se trouveront tous auxdicts 
Cordeliers à huit heures et iront à la procession qui sera en la 
manière accoustumée. 

5. Item, pour éviter longitude de temps, se feront les chefs- 
d'œuvre des maistres desdits mestiers tant peintres, tailleurs que 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 23i 



verriers et chacun selon que auxdits mestiers appanient en la ma- 
nière qui s'ensuit. 

6. Premièrement: pourront être peintres, tailleurs et verriers, 
ceux qui de présent sont dessus nommés sans faire aucun chef- 
d'œuvre car ils sont assez connus et experts chacun en son art, et 
ceux qui dorénavant voudront se faire maistres desdits mestiers 
de paintrerie, tailleur ou verrerie et n'ouvreront que celuy que 
choisir voudront desdits mestiers et non pas des autres, et ouvre- 
ront et seront tenus d'ouvrer aux us et coutumes dudit mestier 
duquel auront fait ledit chef-d'œuvre et tout ainsy que cy-dessus, 
est, et sera déclaré qu'il le sache faire et pourra, et devra ouvrer 
le peintre de toutes bonnes et loyales couleurs, tant sur bois 
tailles, murailles, fer, cuivre, plomb, yvoire, soye, cuir, or, argent, 
à huile ou détrempe et gomme, en ensuivant lesdits statuts. Qui- 
conque est peintre, tailleur ou verrier comme dessus, il peut 
avoir des varlets ou apprentifs comme il luy plaira. 

7. Item, que nul ne soit reçu auxdits mestiers de peintre, tail- 
leur et verrier pour être maistre, jusqu'à ce qu'il ait fait un chef- 
d'œuvre tel qu'il lui aura esté ordonné et ainsy que dessous sera 
déclaré, ne pourra ne devra ouvrer en cette dite ville de Lyon 
comme maistre, ne tenir boutique sans ledit chef-d'œuvre parfaire. 

8. Item, le peintre sera tenu de faire chef-d'œuvre en tableau 
de bois de deux pieds et demy et de deux de large et non pas 
plus petit, mais plustot plus grand, si le compagnon le veut; et 
lui bailleront en écrit les maistres jurez l'histoire qu'il devra faire 
dedans ledit tableau. 

9. Item, ledit compagnon sera tenu acheter et avoir agréa- 
ble ce que les maistres luy ordonneront par escrit pour faire 
ledit chef-d'œuvre et fera faire son tableau de bon bois, bien 
sec et sera encolé et blanchi bien et deument et puis pourtrait et 
ébauché de couleur à huile et achevé de bonnes et loyales cou- 
leurs, et à la fin bien verny comme l'œuvre le requerra, et sera 
tenu ledit compagnon de bailler pour une fois cent sols tournois, 
lesquels les cent sols tournois se bailleront pour employer 



232 RECHERCHES SUR LA VIE 



aux messes de ladite confrairie et divin service à ladite chapelle. 

10. Item, et quand ledit tableau ou chef-d'œuvre sera achevé, 
demourera à ladite confrairie de Monsieur saint Luc, si le com- 
pagnon qui fait Tœuvre ne le veut, et en cas que le compagnon 
le vende, baillera ou argent comptant ce que ledit tableau sera 
justement et loyalement, selon la valeur de la science d'yceluy, 
estimé pour convertir auxdictes messes et confrairies dessus dites, 
et sera tenu de faire ledit tableau par l'ordonnance et advis des 
maistres dudict mestier de peinture en la maison d'un desdits 
maistres sans que nul luy aide en rien, et pourront lesdits mais- 
tres jurés voir et visiter ledict chef-d'œuvre ainsy qu'il se fera, 
et jusqu'à ce qu'il soit fait, tant de fois qu'il leur plaira et bon 
leur semblera, et ne pourra ledit compagnon, durant le temps 
qu'il fera son dit chef-d'œuvre, besoigner pour nuls fors pour les- 
dits maistres si bon luy semble. 

11. Item, sera tenu ledit compagnon son dit chef-d'œuvre re- 
çeu, donner un disner auxdits maistres peintres jurés, et lors sera 
reçeu pour maistre en ladite ville et cité de Lyon. 

12. Item, que nul ne fera table d'ostel ni tableau tant à huile 
que à détrempe, que ]e bois ne soit bien sec, bien encollé et les 
joints bien ferrez, et s'il le fait à huile, soit fait de fines couleurs 
ou loyales. Sans mettre estain doré, et se il le fait de détrempe, 
il le peut faire, pourvu que le tableau ou table d'ostel soit dedans 
l'église, ou autre part bien à couvert et le peut vernir, il ne doit 
mettre nulles couleurs qui se gastent au vernis ou à l'air, comme 
croye, rose, azur de clique et autres pour éviter l'abus et fausseté 
qui par cy devant a esté faite. 

i3. Item, quiconque fera histoire sur toile, ou soye ou drap, 
sarge ou cuir à huile, se garde y mettre estaing de quelque cou- 
leur que ce soit, car il ne vaudrait rien fors que il peut besoigner, 
et se il besoigne à détrempe semblablement ne mettra estaing à 
huile ny à détrempe, car c'est fausse besoigne, pourveu qu'il faille 
rouler ladite toile à huile sec oripeau, et se garde de ouvrer sur 
toile en quelque façon que ce soit que ladite toile ne soit soufti- 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 233 



santé bonne et forte, c'est à dire non pourrie, et s'il y a une piesse ou 
deux il faut qu'elle soit cousue à point d'aiguille pour éviter l'abus. 

14. Item, et quiconque besoignera en clochers ou pinacles 
tabernacles sur bois, pierre, fer, plomb ou cuivre, il doit tout faire 
d'huile sans y mettre estaing fors qu'il soit assis à huile et doré de 
fin or pour éviter les grands abus, car la pluye et Tair gasteraient 
ladite besoigne si ainsi n'estoit fait. 

i5. Item, que nul peintre ne peigne image de bois vieil pour ce 
que ladite image se retrairoit après que seroit peint et pour cela 
peinture s'escailleroit et ne dureroit point. 

16. Item, que nuls peintres ne commencent à peindre nuls 
images de bois quels qu'ils soient n'y en quelque manière que ce 
soit jusqu'à ce qu'il ayt esté seiche au four et à soleil à son droit et 
visité par lesdits maistres jurez dudit mestier de peintrerie. 

17. Item, que nul image de bois quelle ce soit, d'un pied de long 
ou audessus, ne soit commencé à peindre jusqu'à ce que les fentes 
soient très bien émolus de bois en bonne colle et retaillées après. 

18. Item, quand à peindre lesdits images de bois, ils doivent 
bien et souffisamment être encollées et les fentes collées et puis 
blanchies à leur droit et peintes de fines couleurs, et ce qui devra 
estre d'or ou d'argent soit de fin or ou de fin argent brun doré de 
tainte, car il est de durée et à l'ordonnance ancienne et accou- 
tumée. 

19. Item, ne peuvent et ne doivent et ne pourront ne devront 
besoigner nuls compagnons dudit mestier de peinture en ladite ville 
et cité de Lyon si ce n'est chez un desdits maistres passez et jurez 
dudit mestier. 

20. Item, le peintre qui peindra tabernacles à tenir corpus 
Domini^ ou autres images. S'ils sont dorés, que ce soit de fin or ou 
d'argent bruny doré de tainte, car il est de durée et à l'ordonnance 
ancienne et accoustumée. 

21. Item, lesdits tabernacles seront voirrez comme doivent estre 
fermans à la clef, et sera ledit verre assis et anté et enclavé bien et 
souffisamment. 



234 RECHERCHES SUR LA VIE 



22. Item, que nulles tables d'ostels ne seront dorez que de fin or 
ou d'argent bruny doré de taîntes et ce qui sera de couleurs sera de 
fines couleurs, et qui prendra à peindre vieilles tables ou repeindre 
devra comme faire se doit tout la vieille peinture raser jusqu'au 
bois et bien remplir les fentes et joints et puis ouvrer et peindre 
comme dessus est dit. 

23. Item, nul peintre ne prendra à repeindre aucune image de 
bois, si le bois est vermoulu et pourry, tellement qu'il ne puisse 
tenir clous n'y chevilles s'il en est nécessité. 

24. Item, nulle image de pierre ne sera peinte jusqu'à ce que 
premièrement ladite image ayt esté veue et visitée par les tailleurs 
imagers jurez dudit mesiier, pour sçavoir s'il est bien et deument 
fait, et après ladite Visitation faite, s'il est trouvé bien fait, soit bien 
et loyalement imprimé et mis de blanc de plomb ce qui appartien- 
dra, et ce qui devra cstre d'or soit premier mis de bonne couleur 
couvert de fin or et ce qui sera de couleur, soit fait de fines cou- 
leurs, et que nul ne mette estaing doré, estaing blanc ou estaing de 
couleur sur images de pierre, pour ce que c'est fausse besoigne 
sur pierre s'il n'est doré de fin or comme drap d'or mollis et affi- 
zauUés. 

25. Item, que nulle sépulture de pierre quelle qu'elle soit, soit 
en l'église ou ailleurs, ne sera peinte qu'elle ne soit premièrement 
imprimée en son droit à huile et peinte de fines couleur et fin or. 

26. Item, que nul peintre ne peigne chapelle sur mur en esglise 
ou ailleurs qui autrefois ait esté peinte, que s'il y a estaing ou 
vieilles couleurs, que tout soit ras avant, car autrement la besoigne 
ne serait pas bonne et ne pourroit durer. 

27. Item, que nul peintre ne peigne chapelle ny mur en esglise 
qui autrefois ait esté peint à détrempe une fois, deux ou trois, que 
toutes les couleurs vieilles ne soient rasées tout juste et se garde 
d'attacher estaing quel qu'il soit sur mur à ampoix ou à colle, car 
c'est chose qui ne peut durer et est fausse besoigne, excepté en 
chambre où Ton peut besoigner à détrampe et d'estaing tant doré 
que blanc. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 235 



28. Item, nul ne besoignera en taffetas teint en graine ou cra- 
moisy, blanc ou rouge pour la ville et cité de Lyon, que ce qui sera 
d'or, soit de fin or et huile assis tant or que argent, et le résidu soit 
fait de fines couleurs à gomme car il est très certain, et qui fera 
bannières pour village sur taffetas les pourra faire faire d'or party et 
à huile, pourveu toutefois que les marchands faisant faire ledit ou- 
vrage, le veuillent ainsy estre faict, et semblablement d'estendarts 
et bannières de guerre soit fait de fin or ou argent huillé. 

29. Item, nul ne besoignera sur barde neuve fors ou ensuivant 
Part et science du taillye ou d'argent bruny teinte et vernis, 

30. Item, que nul marchand, ouvrier peintre ou autre ne puisse 
vendre en celte ville de Lyon besoigne faite dudit mestier de pein- 
trerie hors ladite ville de Lyon, comme tableaux, draps tant sur 
toile ou autrement à huile ou à détrempe, jusqu'à ce que la be- 
soigne soit par les maisires jurez dudit mestier veue et visitée, 
pour ce que l'en apporte souvent et quasi toujours au grand intérêt 
et domage des achepteurs d'icelle et deshonneurs des maistres et 
ouvriers dudit mestier pour ce que les draps ou toiles sont pourries 
et pleines de piesses sans coutures et les tableaux non deument 
bien et loyalement faits, qu'ils n'oseroient vendre en leur pays. 

Les tailleurs n'estofferont point dans la ville de Lyon, mais ils 
pourront bien marchander de toute estoffeure s'ils veulent, pour- 
veu qu'ils les facent eux mêmes ou facent faire auxdits maistres 
peintres bien et loyalement de bonnes couleurs et pourront tenir 
serviteurs peintres pour besoîgner sur les champs s'ils veulent. 

3i. Item, lesdits peintres dudit lieu par eux ny par autres ne 
tailleront point ny feront tailler d'images ny choses qui appar- 
tiennent auxdits tailleurs ymagers et ne tiendront point compagnons 
tailleurs d'images en leurs maisons ni ailleurs, pour ce faire, et 
pourront lesdits peintres besoigner de peinture de verrerie en- 
semble ceux qui ensuivent quand bon leur semblera : 

C'est à sçavoir Jehan de Paris, Jehan Blie, Jehan Prévost, 
Pierre de la Paix dit d'Aubenas, Dominique du Jardin, Philibert 
Besson, Pierre Bouttc, François Rochefort, Jacques de la Forest, 



230 RECHERCHES SUR LA VIE 



Claude Guynet, maisire Gauthier et Guyaume Bayotte, et s'il sur- 
vient dorénavant compagnons peintres ou verriers, seront tenus de 
faire leurs chefs d'œuvre de Tun ou de Tautre seulement et de 
celuy qu'ils voudront user, et icelluy chef d'œuvre leur sera or- 
donné par les maistres jurez dudii mestier et ne pourront besoigner 
ne devront en aucune manière, sinon tant seulement de celuy 
duquel ils auront fait chef d'œuvre et non des autres. 

32. Item, nulle fausse œuvre desdits mestiers ne sera point 
brûlée ne arsé pour Thonneur et révérences des saints et saintes 
en rhonneur et révérence desquels elles sont faites. 

33. Item, que nul ne sera reçu au mestier de tailleur pour esire 
maistre et ne pourra et ne devra ouvrer en ladite ville et cité de 
Lyon, ny tenir nuls apprentifs jusqu'à ce qu'il ayt fait un des chefs 
d'œuvre qui cy après seront déclarés, et sera ledit chef d'œuvre 
chez un des maistres dudit mestier tel qu'il le voudra élire, et se 
fera ledjt chef d'œuvre aux despens dudit compagnon qui voudra 
passer maistre sans que le maistre dudit mestier lui doyve rien 
monstrer à le faire en quelque manière que ce soit, et ce sur peine 
de cent sols tournois, à appliquer la moitié à Monseigneur le car- 
dinal et à son aumosnier et l'autre à ladite confrairie de Mon- 
sieur saint Luc, et fera iceluy compagnon l'un des chefs d'œuvre 
qui s'ensuivent et celuy que lesdits maistres leur ordonneront. 
C'est à scavoir : un Jésu Christ de pierre tout nud monstrant ses 
plaies, un petit linge devant luy, ayant les plaies aux mains, costé 
et aux pieds, avec une couronne d'espine sur son chef, bonne con- 
tenance et piteuse comme il appartient à ladite image, laquelle 
image sera de cinq pieds et demy de haut et de bonne mesure selon 
la hauteur et tout après le naturel, ou une image de nosire Dame, 
tenant son enfant entre ses bras, de hauteur que dessus, bonne 
contenance, un maintien bien accoustré, bon drap, bonne pinteure 
et tout après le naturel, ou autres images simples de semblable 
hauteur, comme sainte Marguerite, sainte Barbe ou sainte Cathe- 
rine, ou une histoire de deux pieds et demy de hauteur et trois 
pieds de large à huict personnages bien taillés à taille ronde, et 



ET L^ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 237 

sera ladite histoire, une prise de Jésu Christ, ou un portement de 
Croix, ou un battement quand il fut chez Caïphe, ou quelqu'autre 
histoire de la Passion, ou quand il fut baptisé au fleuve du Jour- 
dain par saint Jehan Baptiste, remplis d'anges tenant ses habits, et 
le tout bonne contenance et piteuse, et tout a fait comme dessus, ou 
une nativité de Jésu Christ donné comme dessus. 

34. Item, un autre chef d'œuvre, un saint Georges à cheval, 
cinq pieds et demy de haut, tant luy que son cheval, une fille sur 
un rocher près de luy, un serpent près de ladite fille faisant conte- 
nance de la vouloir engloutir et gaster, Timage dudit saint Georges 
faisant aussy bonne contenance et manière de desiruire ledit ser- 
pent ou de la lance ou d'espée, et le tout fait comme dessus est dit. 

35. Item, quand ledit chef d'œuvre sera achevé, il sera visité 
par les maistres dudit mestier, s'il est bien et deuement fait comme 
il appartient, et comme il est dit, et s*il est ainsy comme estre doit, 
il sera reçu et passé maistre et demeurera ledit chef d'œuvre à ladite 
confrairie de Monsieur saint Luc, et si le compagnon qui aura fait 
ledit chef d'œuvre le veut acheter ou avoir, on luy livrera pour la 
moitié de ce qli'il vaudra, et l'argent qui en sera baillé demourera 
à ladite confrairie, et sera tenu et devra ledit compagnon donner 
à disner auxdits maistres tailleurs jurez bien et honnestement. 

36. Item, que nuls maistres desdits mestiers de peintrerie, tail- 
leurs ou verreries ne prendront nuls appreniifs que premièrement 
ne baille pour ladite confrairie demie livre de cire. 

37. Item, que tous compagnons venant de dehors ne besoigne- 
ront point à Lyon du mestier de tailleurs jusqu'à ce qu'ils ayent 
payé pour une fois demie livre de cire pour ladite confrairie, et 
s'ils n'ont point d'argent, les maistres chez lesquels demoureront 
pour lors après un mois que servis les auront et non devant, paye- 
ront pour eux si lesdits compagnons gaignent argent, et seront les 
premiers deniers allouez sur les gages et salaires desdits compa- 
gnons. 

38. Item, que nul ne suborne et ne prenne apprentifs ne servi- 
teurs l'un à l'autre, un bu plusieurs en quelque manière que ce 



238 RECHERCHES SUR LA VIE 



soit, si ce n'est par le congé, vouloir et consentement dudit maistre 
que ledit appreniif et compagnon aura servy, si ce n'est pour cause 
légitime ou l'apprentissage dudit apprentif, et le terme du service 
dudit compagnon soit achevé. 

39. Iiem, nul imager ne devra et ne pourra tailler images de 
bois qui soient d'un pied de long et au dessus, si ce n'est de bon 
bois, soit de noyer ou autre bois et non pas de mort bois, ni du 
tillier, si ce n'est pour patron faire et non pas pour mettre aux 
églises, pour ce que le mort bois est tout pourry et vermoulu, et ne 
pourroit endurer ny souffrir estre gratié ne rez pour iceluy peindre 
s'il en était besoing, et pourront besoigner en bonne terre, pourveu 
qu'elle soit après qu'elle sera taillée, cuite et ce sur peine de perdre 
ladite image et de vingt sols tournois à appliquer ladite image à 
ladite confrairie et lesdits vingt sols tournois à Monsieur le car- 
dinal, et l'autre moitié à ladite confrairie. 

40. Item, que nuls tailleurs d'images ne taillent images de bois 
trop vert, pour ce que les images se retireront depuis qu'elles seront 
peintes, et pour ce que la peinture s'escailleroit et ne dureroit 
point, et sur ladite peine de vingt sols à appliquer comme dessus. 

41. Item, que nuls images de bois quels qu'ils soient, d'un pied 
de long et au dessus, ne soient commencez à peindre jusqu'à ce que 
les fentes soient très bien remplies de bois et de bonne colle et 
retaillez, et ce sur la peine de vingt sols tournois à appliquer 
comme dessus. 

42. Item, que nuls imagers ne feront aucuns tabernacles à 
mettre corpus Domini, ne autres ouvrages, qui ne soient taillés de 
bon bois et sec et par espécial ceux à mettre corpus Domini et 
doivent être en voires fermans à clefs, et sera leur voire assis et 
enclavé, et bien et souffisamment anté. 

43. Item, que nul compagnon imager ne fasse images quelles 
quels soient, tendres ou dures, grandes ou petites, qui soient de 
presse, si ce n'est couronne ou mitre, ou en quelque chose sem- 
blable nécessaire et raisonnable et que ce soit assis à bons gouions 
à colle ou à mastre comme il appartient. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 289 



44. Item, que nulle image ne soit peinte jusqu'à ce que premiè- 
rement ladite image ayt esté veue et visitée par les maistres jurez 
dudit mestier pour sçavoir si elle est bien et deument faicte comme 
il appartient. 

45. Item, que nuls marchands ou ouvriers ne autres ne puissent 
vendre à Lyon aucunes images taillées et faites autre part qu'en 
ladite ville de Lyon, jusqu'à ce que lesdites images et besoignes 
soient visitées desdits maistres et jurez dudit mestier pour sçavoir 
si elles sont loyales, car Ton en porte souvent de fausses, et ceux qui 
les ponent ne les oseraient vendre en leur pays. Car îcelles images 
sont de mort bois et non loyal. 

46. Item, le compagnon verrier qui fera son chef d'œuvre sera 
tenu de faire deux panneaux en voire contenant chacun huit pieds, 
et dedans l'un desdits panneaux sera tenu de faire un mont de Cal- 
vaire fait de peinture et jointure et l'autre un trépassement nostre 
Dame de peinture et peint et recuit comme il appartient, et autres 
histoires telles que les maistres jurez dudit maistre de verrerie or- 
donneront, et sera tenu ledit compagnon de faire ledit chef d'œuvre 
chez un desdits maistres ou là où bon leur semblera et au despens 
dudit compagnon, et fera ledit chef d'œuvre iceluy parfait à ladite 
confrairie, et au cas que ledit compagnon le veuille avoir, il l'aura 
pour le prix que justement sera estimé, et l'argent qui pour ce en 
sera baillé sera délivré à ladite confrairie saint Luc, et en rendant 
son dit chef d'œuvre, et s'il veut maistre passer, fera un disner aux 
maistres verriers jurez dudit mestier bien et honnestement, et ledit 
compagnon sera tenu et devra demourer trois mois complets et sans 
interruption chez un desdits maistres verriers jurez, besoignant 
dudit mestier, moyennant salaire et payement souffisament s'il le 
sçait gaigner, afin que ledit maistre soit informé de la science et 
sçavoir dudit compagnon pour en faire le rapport auxdits maistres 
jurez et pour mieux connoistre les modes et façon pour mieux ser- 
vir les gens de Lyon, sinon qu'il ayt esté apprentif chez un desdits 
maistres de ladite ville de Lyon. 

47. Item, que nul verrier dudit Lyon ne livrera ny baillera 



240 RECHERCHES SUR LA VIE 



ouvrage quMl ne soit visité par les jurez dudit mestier, et ne mettra 
pièce de verre en œuvres qu^elle ne soit bien mise et recuite, et s'il 
faut armoirie sur voire, qu'elle ne soit grisée », et si lesdites armes 
sont si difficiles qu'on ne les puisse griser, le fera à sçavoir aux 
maistres jurez dudit mestier pour y pourveoir sur ladite peine à 
appliquer comme dessus, et s'il advient auxdits peintres, tailleurs et 
voiriers chose hastive à faire de leurs arts comme à entrées de 
Roys, Roynes, Princes ou Seigneurs spirituels ou temporels ou tous 
deux ensemble, où feintes peintures contre pones ou portes de ville, 
salles, chambres ou verreries lesquelles choses faudroit faire hasti- 
vement comme en une nuict ou plus tôt, dont en ce faisant lesdits 
maistres ne peuvent observer lesdits statuts et ordonnances, lesdits 
maistres ne seront pour lors repris de ladite besoîgne, neamendables. 

48. Item, se gardera de livrer un panneau de verre qu'il ne soit 
souldé d'un costé et d'autres, et s'il y a pièce de verre fendu, y 
mettra un plomb, et ce sur ladite peine de vingt sols tournois à 
appliquer comme dessus. 

49. Item, que les compagnons qui voudront passer maistres des- 
dits mestiers en ayant regard à un chacun d'iceux mestiers feront 
ajourner les maistres du mestier duquel il voudra passer à ladite 
cour séculière pour le voir admettre à faire son dit chef d'œuvre tel 
que ordonné luy sera, ou à dire causes pourquoi à ce ne sera admis 
et fait ledit chef d'œuvre seront tenus lesdits maistres venir en 
ladite cour et en jugement faire le rapport d'ycelluy, sil est tel que 
dessus est dit et de'claré, et en ce cas ledit rapport estre fait, et ledit 
compagnon soit souffisant comme dessus, en faisant le serment tel 
comme en tel cas appartient, en jugement ne sera passé maistre et 
receu et non autrement. 

50. Item, quiconque mesprendra en aucune des choses dessus 
dites, soient peintres, tailleurs ou verriers, payera pour la première 
fois vingt sols tournois d'amende, et s'il est trouvé de mesprendre 
coustumes aux choses dessus dites, ou que en icelles par sa faute se 

I. Creusée, c'est-à-dire pincée avec une peintres-vitriers d'alors n'employaient pas 
pince tout autour du morceau de verre; les le diamant pour couper le verre. 



ET L'ŒUVRE DE JEHAN PERREAL 241 



trouve fraude ou malice ou mauvaîsté digne de souvenance contre 
l'honneur, iceluy ouvrier sera puny par les officiers ordinaires de 
mondit Seigneur le cardinal, selon que le cas le requerra et droit et 
raison le voudront, desquelles amendes et chacune d'icelles mondit 
Seigneur Tarcevesque pour son aumosne aura la moitié et ladite 
confrérie pour l'augmentation et le décorement de ladite chapelle 
de Monsieur saint Luc, la moitié de Tautre moitié, et les maistres ju- 
rez desdits mestiers qui poursuivront la justice, estre faite des fautes 
dessus dites auront Tautre moitié. 

5i. Item, un chacun apprentif desdits mestiers de peinture, tail- 
lerie d'images et verrerie payera ou son maistre pour lui à son 
entrée et réellement baillera pour le luminaire de ladite confrairie 
demy livre de cire ou la valeur en argent. 

52. Item, toutes femmes veuves relaissées par le trépas de leurs 
maris, maistres jurez d'un desdits mestiers de peintrerie, taillerie 
d'images ou verrerie, pourra et devra tenir boutique, comme faisoit 
feu son mary en son vivant, du mestier duquel comme jurez se 
mestoit aux droits, privilèges et prérogatives dessus dites, si ce faire 
veut et ce tant qu'elle se gardera de se remarier, et non autrement, 
et tout ainsy que sont les veuves des maistres jurez de celte dite 
ville de Lyon, les noms desquels maistres et compagnons supplians 
les noms et surnoms s'ensuivent : Jehan de Paris, Jehan Prévost, 
Jehan Blie, Pierre de La Paix, Dominique du Jardin, Philibert 
Besson, Pierre Boutte, François Rochefort, Jehan de Saint Priest, 
Nicolas Leclerc, Guyaume Bayotte, Claude Guynet, Jacques de 
la Forest, maistre Gauthier et Gonin Navarre. 

Lesquels statuts, articles et ordonnances dessus transcrites, les- 
dits supplians nous ont très humblement fait supplier et requérir 
leur confirmer, ratiffier, louer et approuver et sur ce leur impartir 
nostre provision convenable, humblement requerrant icellcs. 
Pourquoy, nous, les choses dessus dites considérées et après que 
par lesdits officiers de la justice ordinaire de cette ville de Lyon 
avons esté deuement avertis lesdits statuts et articles estre bons, 

3i 



242 RECHERCHES SUR LA VIE 



justes et raisonnables pour lé bien, proffit et utilité desdits mestiers 
et de la chose publique de ladite ville et cité de Lyon inclinant libç- 
rallement à la supplication et requeste desdits supplians, iceux sta- 
tuts, articles et ordonnances dessus transcrits avons louez, gréez, 
ratifiez et approuvez et par la teneur de ces présentes de notre 
grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, louons, gréons, 
ratifions, confermons et approuvons, voulons et nous plaist que 
iceux supplians et leurs successeurs en jouissent entièrement, plai- 
nement et paisiblement et à tousjours, sans que en ce leur soit mis 
ou donné ores ne pour le temps à venir ni à Tun d'eux, aucun 
trouble, arrest ou empeschement au contraire en quelque manière 
que ce soit. Si donnons en mandement au Bailly Sénéchal de Lyon 
et à tous nos autres justiciers et officiers quMl appartiendra que de 
nos présentes grâce, confirmation, ratification, approbation et de 
tous le contenu esdits articles, ils facent, souffrent, et laissent les- 
dits supplians, et leurs successeurs jouir et user plainement et pai- 
siblement sans leur faire mettre ou donner aucun destourbier ou 
empeschement au contraire, et lesdits statuts, articles et ordon- 
nances entretiennent et gardent de poinct en poinct selon leur 
forme et teneur, ou contraignant ou faisant contraindre à ce faire 
et souffrir tous ceux qu'il appaniendra, et qui pour ce seront à 
contraindre par toutes voies et manières deues et raisonnables et en 
tel cas requises. Car ainsy nous plaist il estre fait, et afin que ce soit 
chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre Scel à 
ces présentes, sauf en autres choses nostre droit et Tautruy en toutes. 

Donné à Lyon au mois de décembre (21) Tan de grâce mil 
quatre cent quatre-vingt-seize et de nos règnes de France le 
XIIII', et de Sicile et Jérusalem le second. Ainsy signé par le Roy, 
maistre Pierre Cohardi, conseiller et advocat du Roy en sa cour 
de parlement à Paris et autres; présents Giraut... Visa... Con- 
tentor... Bude... 






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TABLE DES GRAVURES 



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Fiançailles de Charles VIII avec Anne de Bretagne Frontisp. 

Médaille offerte à Louis XII et à Anne de Bretagne par la ville de 

Lyon, en 1499 4^ 

Tombeau de François II et de Marguerite de Foix. Vue générale. . 52 

La Force, statue du tombeau de François II 58 

Tombeau de François II, duc de Bretagne, et de Marguerite de 

Foix (côté droit) 64 

Tombeau de Philibert le Beau, duc de Savoie, à Brou 88 

Portrait de Philippe le Beau, d'après les vitraux de Brou 94 

— de Marguerite d'Autriche. — — .... 100 

Le couronnement de la Vierge. — — .... 104 

Préparatifs de départ de Tarmée française iio 

La République de Gênes tient conseil avec la Noblesse , la Bour- 
geoisie et le Peuple 114 

Les Génois révoltés prennent le petit château 116 

Louis XFI marche contre les Génois 120 

Entrée triomphale du roi Louis XII dans la ville de Gênes. . . . 124 

Tristesse de la Ville de Gênes i3o 

Soumission de la Ville de Gênes i32 

Bataille d'Agnadel 126 

Louis XII dicte une lettre à son secrétaire Jehan Lemaire 134 



t 



244 TABLE DES GRAVURES 

La reine Anne remet à un messager une lettre pour le roi Louis XII. 1 36 

Portrait de Marie d'Angleterre i38 

Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, le roi et la reine 

vus de face 1 48 

Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne, à Saint-Denis. . . 1 52 

Clef de voûte de la chapelle de la Vierge , église de Brou io3 

Fac-similé d'une lettre écrite par Jehan Perreal 242 



TABLE DES MATIÈRES 



Préface. 



INTRODUCTION 

Considérations générales sur Pétat de la France à la fin du quinzième siècle 
au point de vue des arts, leur développement précoce dans la ville de Ljon 
et sur les bords du Rhône 3 

CHAPITRE PREMIER 

PREMIÈRES ANNÉES DE JEHAN PERREAL 
(i483-i5oo) 

Jehan Perreal prépare la joyeuse entrée de Charles VIII à Lyon et accom- 
pagne le roi à Paris. — Sa vie à la cour. — Anecdote racontée par la reine 
Marguerite de Navarre. — Les Fiançailles de Charles VIII avec Anne de 
Bretagne j premier tableau de sa main qu'on ait retrouvé. — Nécessité de 
rechercher ses œuvres. — Il organise l'entrée solennelle de la reine à Lyon. 
— Charles VIII emmène J. Perreal à Naples. — Lettre du roi, datée de 
Verceil, 1495, aux conseillers de Lyon pour faire exempter de toutes tailles 
J. Perreal. — Séjour de J. Perreal en Italie. — A son retour, il modifie sa 
manière. — Sous l'influence de J. Perreal le roi approuve les statuts des 
peintres, verriers et tailleurs d'images de Lyon. — J. Perreal est porté, en 
1498, sur l'état des officiers de la couronne comme peintre et valet de cham- 
bre du roi. — Mort du roi Charles VIII. — Première entrée du roi Louis XII 
à Lyon, en 1*499. •'• Perreal en dirige les fêtes. — En i5oo, il accompagne le 
roi en Italie 1 5 



246 TABLE DES MATIERES 

CHAPITRE II 
I" PÉRIODE DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE 

NANTES ET BROU (i502-l5l2) 

Anne de Bretagne demande à J. Perreal le modèle d'un tombeau pour son 
père, François II, et charge le sculpteur Michel Colombe de Texécution, i5o2. 

— Description du monument. — Son importance pour l'histoire de l'art 
français. — Mort de Philibert le Beau, duc de Savoie, en 1504. — Marguerite 
d'Autriche charge J. Perreal de lui faire le plan d'une église pour abriter ses 
restes et les siens. — En i5io, elle le nomme son peintre et valet de chambre. 

— Traité du sculpteur Michel Colombe pour l'exécution, à Brou, du tombeau 
selon l'ordonnance de J. Perreal. — Sa brouille avec la princesse, qui charge 
en 1 5 12 le maître maçon L. van Boghen de la construction et Conrad Meyt 
des travaux de sculpture. — Description des trois tombeaux de Brou. — 
Statuettes admirablement sculptées par des artistes lyonnais. — Leur impor- 
tance pour ^histoire de l'art national. — Vitraux de la plus grande beauté 
peints dans l'église de Brou 5x 

CHAPITRE III 

GUERRES D'ITALIE 

(1507-1529) 

Jehan Perreal accompagne le roi Louis XII dans son expédition contre 
Gênes, iSoy. — Description des tableaux de cette campagne peints par 
J. Perreal, d'après un manuscrit de la Bibliothèque nationale. — En iSog, 
Louis XII traverse de nouveau Lyon, où il laisse la reine; J. Perreal l'accom- 
pagne dans cette campagne contre les Vénitiens. — Lettre de J. Lemaire 
à messire Thomassin, à propos des peintures de J. Perreal, représentant 
les batailles et les sièges de cette campagne. — Haute position de J. Perreal à 
la cour. — En i5i2, nouvelle expédition contre les Vénitiens, ligués avec le 
pape Jules II. — Manuscrit de la bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, 
contenant la correspondance du roi et de la reine, ornée de miniatures de la 
main de J. Perreal. — Maladie et mort de la reine Anne. — J. Perreal dirige 
les funérailles. — Projet de mariage de Louis XII avec la sœur d'Henri VIII 
d'Angleterre. J. Perreal va à Londres, chargé de faire le portrait de la prin- 
cesse. — Mort du roi Louis XII. — J. Perreal exécute l'image du défunt et 



TABLE DES MATIERES 247 



dirige ses funérailles. — Tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne. — 
Description de ce monument. — J. Perreal figure encore en i523 sur Tétat 
des officiers de la cour, comme peintre et valet de chambre de François 1er. 
— Geoffroy Tory publie en 1329 un dessin de sa main. — Mort de J. Perreal 
arrivée peu de temps après " 109 

CHAPITRE IV 
NOTES SUR LA FAMILLE 

ET QUELQUES-UNS DES ÉLEVÉS DE JEHAN PERREAL 

Claude Perreal, son père, était valet de chambre du roi Louis XI. — Protégé 
par Marguerite d'Autriche, son fils fut admis à Tuniversité de Dôle. — Ses 
deux filles tinrent probablement le crayon dès leur enfance. — Éprises du 
talent de leur père, elles obtinrent par leurs ouvrages une brillante réputa- 
tion. — L'illustre Geoffroy Tory fut initié par Jehan Perreal dans Part du 
dessin, ainsi que Bernard Salomon. — Portrait de Renée de France, par 
L. Corneille, de Lyon, qui fut son plus brillant élève. — Anecdote racontée 
par Brantôme à propos d'une visite que lui fit à Lyon la reine Catherine 
de Médicis. — Jehan Clouet succéda à Jehan Perreal dans ses charges à la 
cour, en i523 ibj 

CONCLUSION 

Amoureux du beau et du naturel, Jehan Perreal transforma trois fois son 
style. — Ce qui donne à sa dernière transformation une puissante originalité, 
c'est qu'elle a toutes les qualités de la peinture d'histoire, sans aucun vestige 
d'influence flamande ou italienne. — Protégés par la cour, sous le règne du 
roi Louis XII, les artistes français furent nombreux. — Négligés par les histo- 
riens, ils ont disparu sans laisser leurs noms. — Ainsi que le triptyque de 
la cathédrale d'Aix, peint par Nicolas Froment, d'Avignon, en 1475, leurs 
œuvres furent et sont le plus souvent attribuées à des peintres flamands. — 
Plus qu'aucun autre. Part français a besoin de nouvelles et profondes études, 
pour éclairer et rectifier son histoire 169 

SUPPLÉMENT 

Jehan Perreal, auteur présumé du roman de Jehan de Paris 173 



248 TABLE DES MATIERES 



DOCUMENTS HISTORIQUES 

A. — Frère Claude à Marguerite d'Autriche i8i 

B. — Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche i8i 

C. — Extrait d'un registre aux ordonnances et mandements de Margue* 

rite d'Autriche i83 

D. — Lemaire de Belges à Madame Marguerite d'Autriche 184 

E. — Jehan Perreal à Louis Barangier, à Bourg 192 

F. — Jehan Perreal à Madame Marguerite d'Autriche 201 

G. — Marguerite d'Autriche à Jehan Perreal, dit de Paris 2o3 

H. — Lettre de Jean de Paris à X... (probablement à Louis Barangier). 204 

J. — Jehan Perreal à Louis Barangier 206 

L — Jehan Lemaire à Marguerite d'Autriche 210 

K. — Jehan Perreal à Madame 212 

L. — Écrit ou traité 214 

M. — Jehan Lemaire à Marguerite d'Autriche 219 

N. — Jehan de Paris à Marguerite d'Autriche 222 

O. — Jehan Perreal à Marguerite d'Autriche 224 

P. — Marguerite d'Autriche à X... (probablement au gouverneur de 

Bresse) 226 

Q. — Maître Louis Barangier à Marguerite d'Autriche 226 

Extrait des ordonnances des rois de France confirmant les statuts de 

la corporation de Saint-Luc, à Lyon, 21 décembre 1496 229 

Table des gravures 243 



FIN 




3 2044 034 792 820 



This book should be retumed to 
''he Library on or bef ore the last date 
•^pcd below. 

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