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Full text of "Journal asiatique"

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JOURNAL  ASIATIQUE 


NEUVIÈME    SÉiUE 


TOME  XIV 


JOURNAL  ASIATIQUE 

RECUEIL  DE  MÉMOIRES 

D'EXTRAITS  ET  DE  NOTICES 

BBUTiFS  À   L'HISTOIRE,  À  LA  PHILOSOPHIE,  AUX  LANGUES 
ET  À   LA   LITTÉRATURE    DES  PEUPLES  ORIENTAUX 


ET  PUBLIE  PAK  LA  SOCIETE  .ASIATIQUE 


NEUVIEME  SERIE 
TOME   XIV 


PARIS 

IMPRIMERIE    NATIONALE 

ERiSBST  LERUliX,  ÉDITEUR 

nUEBOmPAJlTK,!» 

M  DCCC   XCIX 


3^>^ 


JOURNAL  ASIATIQUE. 

JUILLET-AOÛT  1899. 
PROCÈS-VERBAL 

DE   U  SÉANCE  GÉNÉRALE  DU  20  JUIN  1899. 


La  séance  est  ouverte  à  2  heures  sous  la  présidence 
de  M.  Maspero ,  remplaçant  M.  Barbier  de  Meynard 
empêché. 

Etaient  présents  ;  MM.  Perruchon,  Weill,  J.  Ha- 
lévy,  Clément  Huart,  L.  Feer,  F.  Nau,  Mondon- 
Vidailhet,  Rubens  Duval,  Maurice  Courant,  Sylvain 
Lévi,  Grenard,  de  Charencey,  A.  Barth,  Houdas, 
de  Vogué,  J.-B.  Chabot,  membres; 

M.  Drouin,  secrétaire  adjoint. 

Le  procès-verbal  dé  la  séance  générale  du  21  juin 
j  898  est  lu  et  la  rédaction  en  est  adoptée. 

Le  procès-verbal  delà  séance  mensuelle  du  1 2  mai 
1899  est  lu  et  adopté. 

M.  Rubens  Duval  donne  lecture  du  rapport  de 
la  Commission  des  censeurs  pour  Texercice  1898. 
Des  remerciements  sont  adressés  aux  censeurs  ainsi 
qu'aux  membres  de  la  Commission  des  fonds. 


/ 


6  JUILLET-AOÛT   1899. 

Sont  élus  membres  de  la  Société  : 

MM.  le  général  Faure-Biguet,  commandant  la  di- 
rection d'artillerie  à  Lyon;  présenté  par 
MM.  Barbier  de  Meynard  et  Houdas. 

de  Rettel  (Stanislas),  drogman  de  2*  classe, 
demeurant  à  Paris,  5  rue  Corneille;  présenté 
•  par  MM.  Houdas  et  Clément  Huart. 

Sur  sa  demande ,  M.  J.  Oppert  est  nommé  délé- 
gué de  la  Société  asiatique  pour  le  Congrès  des 
orientalistes  qui  doit  se  tenir  à  Rome,  en  1899. 

M.  Maurice  Courant  présente,  delà  pai't  du  Col- 
lège français  de  Zi-Ka-Weï,  ime  brochure  :  la  ;Var/- 
gation  à  vapeursar  le  fleuve  Yang-tsé,  par  leR.  P.  Che- 
valier S.  J.  Chang-Haï,  1899;  in-/i^ 

M.  l'abbé  Nau  présente  à  la  Société  un  volume 
intitulé  :  Bardesane  V astrologue  y  Le  livre  des  lois  et  des 
pays,  texte  syriaque  et  traduction  française  (in- 8", 
Paris,  1899;  E.  Leroux).  M.  Nau  exprime  Topinion 
que  Bardesane  n'est  pas  un  gnostique,  c'est-à-dire 
un  hérétique  comme  on  Ta  cru ,  mais  un  simple  as- 
trologue ainsi  que  cela  résulte  de  ses  rares  écrits. 

Des  remerciements  sont  adressés  aux  donateurs. 

n  est  donné  lecture  d'une  lettre  du  Ministre  de 
l'iqstruction  publique  annonçant  l'ordonnancement 
d'une  somme  de  5 00  francs  à  titre  de  subvention 
pour  le  2*  trimestre  1899. 


k 


SÉANCE  GÉNÉRALE.  t 

Le  Conseil  autorise  l'échange  du  «  Journal  asia- 
tique î>  contre  les  publications  périodiques  de  l'Uni- 
versité catholique  de  S^int-Joseph ,  à  Beyrouth. 

M.  Clément  Huart  donne  lecture  dun  mémoire 
sur  le  Janissaire  Békir  agha,  maître  de  Baghdâd 
(1619-1623),  diaprés  un  document  inédit. 

M.  Feer  communique  ensuite  la  Notice  d'un  ma- 
nuscrit sur  olles ,  ayant  appartenu  au  premier  prési- 
dent Lamoignon. 

Enfin  M.  l'abbé  F.  Nau  lit  un  mémoire  sur  Bar- 
desane  Vastrologae ,  à  propos  de  l'ouvrage  dont  il  a 
fait  don  comme  on  l'a  vu  plus  haut.  Ces  différentes 
communications  seront  publiées  dans  ïe  Journal 
asiatique. 

H  est  procédé  au  dépouillement  du  scrutin  pour 
la  nomination  du  Bureau  et  du  Conseil.  Les  membres 
sortants  sont  réélus  à  l'unanimité. 

La  séance  est  levée  à  4  heures  et  demie. 


8  JUILLET-AOÛT  1899. 

RAPPORT 

DE   LA   COMMISSION   DES   CENSEURS 

SUR  LES  COMPTES  DE  L^EXEAGIGE  1898, 
LU  DANS  LA  SEANCE  GENERALE  DU  20  JUIN  1899. 


Messieurs, 

Pendant  l'exercice  de  1 898 ,  notre  Société  a  payé ,  en  de- 
hors des  frais  d'impression  de  son  Journal,  une  somme  de 
4,538  fr.  o5,  affectée  aux  publications  scientifiques  qu'elle 
encourage.  Cette  somme  ne  représente  qu'une  partie  de  l'ex- 
cédent des  recettes  ;  il  est  resté  en  plus ,  comme  fonds  dispo- 
nibles, 5,867  ^^'  ^^  ^^^  ^^*  ®*^  portés  au  crédit  de  notre 
compte  courant  à  la  Société  générale.  Le  solde  créditeur  de 
ce  compte  était,  au  3i  décembre  1897,  de  11,010  fr.  79; 
au  3i  décembre  dernier,  il  s'élevait  à  16,878  fr.  o3.  Nous 
pouvons  donc  compter  chaque  année ,  notre  Société  se  main- 
tenant dans  ]a  même  situation  financière,  sur  un  excédent 
de  10,000  francs  environ,  lequel,  suivant  le  vote  de  la  der- 
nière séance  générale  de  la  Société ,  doit  être  consacré  en 
partie  au  fonds  de  réserve  et  en  partie  aux  publications 
orientales. 

Le  fonds  de  réserve  n'a  pas  reçu,  Tannée  dernière,  de 
nouvel  accroissement.  Trois  obligations  de  la  Compagnie  des 
wagons-lits  sorties  au  tirage,  ont  été  remplacées  par  trois 
obligations  Omnium  russe  d'une  valeur  à  peu  près  égale. 

Les  dépenses  et  les  recettes  ordinaires  n'ont  présenté  rien 
d'anormal. 

R.    DUVAI.      O.    HOUDAS. 


Il  APPORT  DE  LA  COMMISSION  DES  FONDS.  9 


RAPPORT  DE  M.  SPECHT, 

AU  NOM  DE  LA  COMMISSION  DES  FONDS, 

ET  COMPTES  DE  L'ANNÉE  1898. 


Messieurs, 

Les  dépenses  de  cette  année  ont  été  plus  fortes  que  les 
nnnées  précédentes;  nous  avons  eu  à  payer  3,938  francs 
pour  les  frais  d'impression  de  la  traduction  par  M.  le  baron 
Carra  de  Vaux,  du  Livre  de  l'Avertissement  de  Macoudi.  Es- 
pcrons  que  ce  volume  de  la  Collection  d'ouvrages  orientaux 
sera  suivi,  l'année  prochaine,  par  une  nouvelle  publication. 

Nos  recettes  ont  diminué  de  64o  francs,  car  nous  n'avons 
reçu  cette  année  que  a  i  cotisations  arriérées  au  lieu  de  67 
que  nous  avions  touchées  en  1898.  Nos  cotisations  de  l'année 
sont  toujours  à  peu  près  les  mêmes  :  126  en  1897,  127  en 
1898,  sur  2^0  membres,  dont  65  à  vie.  Un  quart  des 
membres  ne  paye  donc  pas  régulièrement  leurs  cotisations. 
Trois  obligations  de  la  Compagnie  des  wagons-lits  ont  été 
remboursées  à  5oo  francs  chacune,  et  nous  avons  acheté 
trois  obligations  Omnium  russe,  qui  rapportent  4  p.  100  et 
qui  ont  coûté  i,485  fr.  60. 

Les  recettes  de  Tannée  1 898  se  sont  élevées  à  a  1 ,790  fr.  r>9' 
les  dépenses ,  à  16,937  fr.  76. 


10  JUILLKT-AOÛT  1899. 


COMPTES   1 


DEPENSES. 


oo' 


Honoraires  de  M.  E.  Leroux,  libraire,  pour  le  recouvre- 
ment des  cotisations 5o^' 

Frais  d'envoi  du  Journal  asiatiqae ^^i    oo 

Ports  de  lettres  et  de  paquets  reçus 5 1   oo 

Frais  de  bureau  du  libraire 99  oo 

Dépenses  diverses  soldées  par  le  libraire •  % .  t  aàô  90 

Honoraires  du  sous^bibliothécaire .  % . .    i^ioo  on 

Service  et  ëtrennes >  » aAa  00 

Chauffage ,  éclairage ,  frais  de  bufeau 1 3]    ^o 

Heliure  et   achat  de  livres  nouveaux    pour  compléter  \  r  i      t 

les  collections 3i8  60     '        «.oa.i  o5 

Contribution  mobilière.  ^ •        76  o5 

Contribution  des  portes  et  fenêtres 17  5o 

Assurance 67  ^o 

Frais  d'impression  du  Journal  asiatique  eu  1897» .  »  » .    7,35 1   85     \ 

Indemnité  au  rédacteur  du  Journal  asiatique *  * . .      Goo  00     i 

Frais  d'impression  de  la  traduction  du  Livre  rf«  l'Àvel'^  \       la.iJSq  00 

tissement 3«938  o5     [ 

Subvention  de  la  première  partie  du  troisième  volume  j 

de Se-ma-tsien ».      600  00     / 

Société  générais.  Droits  de  garde ,  timbres  ^  etc< % 58   10 

Total  des  dépenses  de  1898 ».>.»».....  ^  .>.  ». .       15,937  75 

Achat  de  3  obligations  Omnium  russe i,/i85  60 

Espèces  en  compte  courant  <i  la  Société  générale  au  3 1  décembre  1898^     16,878  o3 

Ensemble 3/i,3oi   38 


RAPPORT  DE  LA  COMMISSION  DES  FONDS.      U 


«ÉE  1898. 


RECETTES. 


is  de  1898. 
arriérées. . 


I  vie 

mis  au  Journal  asiatique 

blications  de  la  Société 

>nds  placés  : 

jur  l'Etat  3  p.  0/0 

—     3  j/2  p.  0/0  

anguinetti  (en rente  3  i/a  p.  0/0) 

[gâtions  de  l'Est  (  3  p.  0/0) 

gâtions  de  l'Est  (nouveau)  [3  p.  0/0]. . . 

Igations  d'Orléans  (  3  p.  0/0  ) 

igations  Lyon-fusion  (  3  p.  0/0  )  ancien . . 
—  —  —  nouveau. 

igations  de  l'Ouest 

igations  Crédit  foncier  i883  (3  p.  0/0). . 

ations  communales  1 880 

gâtions  Est- Algérien  (  3  p.  0/0) 

igations  Méchérin  ( 2*  semestre) 

gâtions  de  la  C"  des  wagons-lits 

ation  des  Messageries  maritimes 

■ations  Omnium  russe  (  k  p.  0/0  ) 

onds  disponibles  déposés  à  la  Société  gé- 

lu  Ministère  de  l'instruction  publique . . . 

par  l'Imprimerie  nationale  (pour  1897) 
ment  des  frais  d'impression  du  Journal 


3.810' 00" 
63o  00 
600  00 

2,600  00 
0^7   a  5 

1,800  00 

35o  00 

3i8  00 

268  72 

288  ÔÔ 

86 A  00 

779  57 

537  56 

86 'j  00 

i,io5  5o 

6A  80 

^32    00 

67A  5o 

1 70  00 

i5  84 

3o  00 

60  85 
9,000  00 

3»ooo  00 


8,167' 2  5* 


8,623  3/| 


5,000  00 


ïs  recettes  en  1 898 ai ,790  09 

it  de  3  obligations  de  la  C'°  des  wagons-lits i,5oo  00 

mpte  courant  à  la  Société  générale  au  3 1  décembre  de 

:éaente  (1897) 11,010  79 


^al  aux  dépenses  et  à  l'encaisse  au  3i  décembre  1898.. .     3A,3oi   38 


12  JUILLET-AOÛT  1899. 


ANNEXE  AU  PROCES-VERBAL. 
BARDESANE  L»ASTROLOGUE. 

M.  Fleury,  qui  publiait  en  1 69 1  une  Histoire  ecclésiastique 
en  vingt  volumes ,  à  laquelle  il  avait  travaillé  pendant  trente 
ans ,  y  présentait  de  la  manière  suivante  le  caractère  et  le 
rôle  de  Bardesane  ^  : 

Comme  les  hérésies  se  multipliaient  dans  la  Mésopotamie,  Bar- 
desane, (jui  était  arrivé  au  comble  de  la  science  des  Chaldéens*^  et  qui 
pariait  excdlemment  la  langue  syriaque ,  composa  des  dialogues  contre 
Marcion  et  quelques  autres  hérétiques.  Ses  œuvres  Jurent  si  estimées 
qu'on  les  traduisit  en  grec.  Il  y  avait  entre  autres  un  Traité  sur  le 
destin,  adressé  à  V empereur,  Bardesane  suivit  a  abord  l'hérésie  de 
Valentin  :  ensuite  il  s'en  retira;  mais  il  en  garda  toujours  quelque 
tache.  11  était  d'Ëdesse  et  ami  du  prince  Agbar  (51c)  ^  avec  qui  il 
s*était  instruit.  Apollonius  de  Calcédoine,  le  premier  des  stoïciens 
de  ce  temps-là  et  le  maître  de  l'empereur  Marc-Aurèle  *,  voulut  per- 
suader à  Bardesane  de  renier  la  religion  chrétienne  ;  Bardesane  lui 
résista  et  dit  qu'il  ne  craignait  pas  la  mort,  ne  la  pouvant  éviter, 
quand  même  il  ne  résisterait  pas  à  l'empereur.  Il  eut  un  fils  nommé 
Harmonius,  qui  étudia  à  Athènes  à  la  manière  des  Grecs,  et  com- 
posa plusieurs  écrits. 

Cette  notice  est  tirée,  cooune  l'indique  en  marge  M.  Fleu- 
ry, d'Eusèbe ,  d'Ëpiphane  et  de  Théodoret ,  et  elle  nous  donne 
cette  impression  que  Bardesane  fut  un  confesseur  de  la  foi , 
puisqu'il  fut  amené  à  dire  qu'il  préférait  la  mort  à  l'aposta- 
sie,  et  fut  un  père  de  l'Eglise ,  puisque ,  après  ses  erreurs  de 

•  ly,  9. 

*  C'est  l'astronomie  et  l'astrologie. 

*  Lire  Abgar.  Sans  doute  Abgar  IX,  roi  de  179  à  216.  Cf.  Rubens  Dii- 
val ,  Histoire  d'Kdesse,  p.  1  i/j. 

*  Le  texte  d'EpIphane  visé  ici  |)ar  Fleury  porte  seulement  :  «Apollonius 
familier  d'Autonin».  On  ne  j>cut  faire  que  des  conjectures  sur  cet  Antonin, 
car  Caracalla  et  Héliogabale  |)ortent  aussi  ce  nom. 


ANNEXE  AU  PROCES- VERBAL.         13 

jeunesse,  il  défendit  TÉglise  contre  Marcion  et  d autres  hé- 
rétiques. 

Si  nous  passons  du  xvi"  au  xix"  siècle,  nous  ne  reconnais- 
sons plus  notre  Bardesane.  Nous  trouvons  en  1819  un  Bar- 
desanes  gnosticus  étudié  et  décrit  par  M.  Hahn,  à  Leipzig  ^ 
puis,  en  i833  à  HildeburghusaB  (Heidelberg?),  des  divinités 
astrales  de  Bardesane  le  gnostique  (  Bardesanis  gnostici  numina 
astralia)^;  enfin,  en  i864,  M.  Hilgenfeld  nous  apprend,  à 
Leipzig  encQre ,  que  Bardesane  est  le  dernier  gnostique ,  Bar- 
desanes  der  letzte  Gnostikei\ 

Après  lecture,  nous  reconnaissons  que  ce  Bardesane  le 
gnostique  est  le  nôtre ,  et  nous  nous  demandons  quel  événe- 
ment survenu  au  xviii'  siècle  a  pu  transformer  le  père  de 
l'Eglise ,  le  confesseur  de  la  foi ,  en  un  hérétique ,  en  un  gnos- 
tique. Nous  découvrons  vite  que  les  principaux  arguments  de 
MM.  Hahn ,  Kuehner  et  Hilgenfeld  proviennent  d'une  édition 
des  œuvres  de  saint  Ephrem  *,  donnée  à  Rome  par  les  soins 
d'Assémani  de  1732  à  1746'.  Tel  est  l'événement  qui  a 
transformé ,  chez  nous  *,  Bardesane  en  un  hérésiarque  gnos- 
tique* 

Il  nous  faut,  dès  lors,  si  nous  voulons  nous  faire  une  opi- 
nion personnelle  sur  Bardesane ,  nous  reporter  à  saint  Ephrem 


*  Nous  ne  mentionnons  pas  ici  l'ouvrage  de  M.  Merx,  Bardesanes  von 
Edessa,  publié  à  Halle  en  i863  ,  parce  que,  d'après'cet  ouvrage,  Bai*dcsane 
cist  toujours  enfermé  dans  la  gnose  hérétique ,  mais  s'est  affranchi  des  traits 
caractéristiques  de  la  gnose ,  le  dualisme  et  la  théorie  de  l'émanation.  —  Cet 
ouvrage  nous  semble  donc  donner  de  Bardesane  une  idée  plus  exacte  qu'on 
ne  l'a  fait  par  ailleurs ,  et  nous  ne  voulons  pas  le  citer  en  mauvaise  part.  — ' 
M.  Harnack  a  fait  remarquer  aussi  avec  grande  raison  que  Bardesane  ne 
|)assa  pas  d'abord  pour  hérétique  { AltchristUche  Literalur,  1,  i8d). 

^  So  ist  undbkibt  die  Hauptqaelle  Ephrem  (Hilg. ,  p.  29). 
'  Six  volumes  in-folio.  Les  textes  contre  Bardesane  sont  tirés  du  tomo  II , 
des  Discours  contre  les  hérétiques. 

*  Car  nos  dictionnaires ,  bien  entendu ,  font  aussi  de  Bardesane  un  gnos- 
tique ,  y  compris  le  dernier  Dictionnaire  Larousse  qui  ignore  les  quatre  ou 
cinq  éditions  ou  traductions  des  Lois  des  p^ys ,  et  ne  connaît  que  le  frag- 
ment cité  par  Eusèbc. 


14  JUILLET-AOÛT   1899.    " 

et  analyser  se»  textes  et  ses  idées  quand  ils  ont  trait  à  notre 
question. 

Nous  trouvons  bien  vite  que  dans  certains  discours  contre 
les  hérésies,  saint  Ephrem  attaque  violemment  Bardesane. 

Un  bon  nombre  de  textes  renferment  de  pures  injures, 
par  exemple  :  Le  diable  a  donné  à  Bardesane  un  grenier  plein 
d'ivraie  qu'il  répand  dans  les  campagnes,  etc.  D'autres  nous 
semblent  très  obscurs.  Je  cite  la  traduction  éditée  par  Assé- 
mani  :  O  te  heatam  Christi  Ecclesiam  * . . .  Ta  spurcissimi  Barde- 
sanis  putida  mendacia  atque  judaicœ  culinœ  nidorem  diluisti . .  . 

nec  insani  Ulius  Marcionis  rétines  libros aut  codicem  ex- 

ecrandœ  mystagogiœ  Bardesanis  habes  :  gemina  duntaxat  tes- 
tamenta  Régis  Regisque  fdii  tua  recondit  arca^.  Quels  sont  ces 
«putida  mendacia»,  cette  odeur  de  cuisine,  ce  livre  «ex- 
ecrandœ  mystagogiœ  »  ? — Tout  en  nous  posant  ces  questions , 
nous  feuilletons  saint  Ëphrem,  et  nous  trouvons  à  chaque 
page  les  trois  noms  de  Marcion,  Bardesane,  Manès,  qui 
semblent,  pourrions-nous  dire,  cloués  à  un  même  pilori.  Et, 
après  avoir  répété  une  vingtaine  de  fois  :  Marcion ,  Barde- 
sane, Manès Manès,  Bardesane,  Marcion,  la  sugges- 
tion nous  gagne,  et  nous  cherchons,  partie  dans  Marcion, 
partie  dans  Manès,  l'explication  des  imputations  voilées  por- 
tées par  saint  Ephrem.  Si  à  ce  moment,  nous  nous  rappelons 
que ,  d'après  Eusèbe ,  Bardesane  participa  d'abord  aux  erreurs 
de  Valentin ,  nous  croyons  pouvoir  nous  écrier  :  eUtprfKa  !  Nous 
omettons  le  mot  d'abord  qui  est  gênant ,  et  faisons  de  Barde- 
sane un  gnostique  genre  Marcion-Manès ,  de  l'école  cepen- 
dant de  Valentin  et  mort ,  bien  entendu ,  dans  l'impénitence 
finale ,  puisque  saint  Ephrem  l'attaque  si  violemment. 

Mais  laissons  pour  un  instant  saint  Ephrem  (  nous  allons  y 
revenir),  et  cherchons  si  nous  ne  trouverions  pas  ailleurs 

'  Il ,  p.  438 ,  D.  On  trouvera  ce  texte  et  un  certain  nombre  d'autres  dans 
une  Biographie  inédite  de  Bardesane  l'astrologue ,  chez  Fontemoing. 

^  n,  |).  ô6o,  B.  On  remarquera  qu'ici  et  dans  bien  d'autres  endroits, 
saint  Ephrem  veut  limiter  la  science  du  clurétien  aux  saints  Livres.  C'est 
ce  que  prônait  aussi  son  contem{)orain  Julien  l'Ajwstat. 


ANOTXE  AU  PROCÈS-VERBAL.  15 

quelques  indications  sur  la  note  dominante  du  caractère  de 
Bardesane. 

Il  parait  tout  désigné  de  nous  adresser  d^abord  à  ses  écrits  : 
il  nous  reste  de  lui  un  dialogue  rédigé  par  un  de  ses  disciples  « 
et  un  fragment  conservé  par  Georges  des  Arabes  \ 

Dans  le  dialogue  intitulé  :  Des  bis  des  pays,  on  ne  trouve 
aucune  idée  gnostique,  mais  constamment  de  Tastronomie 
et  de  Tastrologie.  Je  ne  développe  pas  cette  idée ,  qui  Test 
suffisamment  dans  la  présente  publication  '  ;  je  rappelle  seu- 
lement que  Bardesane  refuse  aux  astres  toute  influence  sur  la 
liberté  humaine,  mais  leur  accorde  tout  pouvoir  sur  le  corps, 
sur  la  santé  et  les  maladies,  la  vie  et  la  mort.  —  Dans  le  frag- 
ment conservé  par  Georges  des  Arabes,  Bardesane  donne  la 
durée  des  révolutions  des  diverses  planètes,  et  cherche,  en  com- 
binant ces  durées,  à  justifier  certaine  idée  eschatologique  qui 
avait  cours  dans  les  premiers  siècles  et  d'après  laquelle  le 
monde  actuel  ne  devait  durer  que  six  mille  ans  pour  faire 
ensuite  place  à  un  autre  plus  parfait. 

Si  nous  prenons  ensuite  Eusèbe ,  il  nous  apprend ,  comme 
l'a  traduit  Fleury,  que  Bardesane  était  arrivé  au  comble  de  la 
science  des  Clialdéens  ou  de  l'astrologie.  Bien  plus,  c'est  à  Ce 
titi'e  seul  qu'Eusèbe  le  cite .  et  nous  remarquons  que  s'il  re- 
produit toujours  les  passages  qui  prouvent  l'indépendance  de  la 
liberté  humaine  vis-à-vis  des  astres,  il  omet  toujours  ceux 
qui  attribuent  à  ces  mêmes  astres  quelque  influence  sur  le 
corps.  Nous  pouvons  nous  demander  incidemment  si  ce  n'est 
pas  dans  ces  derniers  passages  qu'il  voyait  une  trace  des  an- 

'  Traduit  dans  notre  édition  des  Lois  des  pays ,  p.  58. 

^  Bardesane  l'astrologue.  Le  livre  des  lois  des  pays ,  texte  syriaque  et  tra- 
duction française  avec  une  introduction  et  de  nombreuses  notes ,  chez  Le- 
roux 1899.  On  remarquera,  en  particulier,  que  Ton  a  cité  une  trentaine  de 
textes  de  Firmicas  Maternas  { Matheseos  ) ,  parallèles  à  autant  de  textes  de  Bar- 
desane. Nous  expliquons  aussi ,  p.  1 7-20  et  38,  d'après  leur  contexte ,  les  mots 

qui  semblaient  représenter  des  idées  gnostiques  :  JLi^«|  ;  ^i^;  JLaa.9a^»«»|  ; 

i^.?;  ii;;^^;  U^SâMfc;  J^?Vte;  )ÀL^^. 


16  JUILLET-AOÛT  1899. 

cîennes  erreurs  de  Bardesane,  et  si  ce  n*est  pas  par  là  qu*il 
le  rattache  à  Valentin. 

Avant  d*en  revenir  à  saint  Ephrem,  ouvrons  encore  la 
Doctrine  d'Adaï,  composée  à  Edesse  au  m"  siècle ,  entre  Bar- 
desane et  saint  Ephrem,  et  qui  était  comme  le  code  des  chré- 
tiens de  cette  ville.  Nous  y  lisons  :  «  Fuyez  le  mensonge ,  l'ho- 
micide ,  le  faux  témoignage ,  les  incantations ,  les  destins ,  les 
horoscopes,  les  étoiles  et  les  signes  du  zodiaqiie\  »  L'apôtre  Adaï 
voulait  par  là  prémunir  les  fidèles  contre  la  contagion  du 

culte  des  astres;  mais  ces  paroles  :  fuyez  Vhomicide, les 

étoiles  et  les  signes  du  zodiaque ,  prises  a  la  lettre  et  môme  dans 
leur  esprit,  étaient  la  condamnation  de  Bardesane. 

Reprenons  maintenant  saint  Ephrem  et  rappelons- nous 
que ,  de  son  temps ,  la  doctrine  d'Adaï  était  regardée  comme 
le  testament  authentique  de  l'apôtre.  Nous  y  trouvons  un  cer- 
tain nombre  de  textes  très  clairs ,  par  exemple  : 

Bardesane  ne  lisait  pas  les  prophètes,  sources  de  vérité,  mais  il 
feuilletait  assidûment  les  livres  qui  traitaient  des  signes  du  zodiaque 
(II,  p.  439,E). 

^  Et  ailleurs  : 

Ils  (les  Bardesanites]  observaient  les  mouvements  des  corps  (cé- 
lestes), divisaient  le  temps,  notaient  les  signes  célestes  et  en  dédui- 
saient des  significations  cachées ,  comparaient  la  pleine  Lune  au  signe 
du  zodiaque.  En  un  mot,  au  lieu  dagir  avec  l'Lglise  et  de  méditer 
avec  le  fidèle  les  livres  des  Saints,  ils  étudiaient  les  livres  les  plus 
funestes  (11,  p.  438,  F,  etc.)*. 

Mais  voilà  décrite  précisément ,  en  termes  aussi  clairs  que 
possible ,  l'hérésie  de  Bardesane  :  c*est  l'astrologie.  Et  nous 
pouvons  maintenant,  dans  cet  ordre  d'idées,  expliquer  la 
plupart  des  textes  obscurs,  sans  recourir  à  Valentin,   ni  à 

'   Ed.  Philips,  |).  35. 

*  On  trouvera  d'autres  textes  dans  une  Biographie  inédite  de  Bardesane 
l'aslrolo(jue ,  p.  7-10,  i-^-iS,  19-20,  et  dans  notre  «'Klition  du  ÏÀvre  des  loiê 
des  pnys ,  p.  2 1-2  3. 


ANNEXE  AU  PROCES-VERBAL.  17 

Manès.  Par  exemple,  nous  nous  demandions  au  commence- 
ment quel  pouvait  être  ce  livre  «  execrandœ  mystogogiaB».  Ce 
devait  être  un  ouvrage  dans  le  genre  «  des  livres  les  plus  fu- 
nestes » ,  dont  il  vient  d'être  question.  Or  ces  livres  traitaient 
des  mouvements  des  corps  célestes ,  de  la  division  du  temps , 
de  l'influence  de  la  Lune  sur  le  corps  et  ses  affections  sui- 
vant le  signe  du  zodiaque  dans  lequel  elle  est  placée.  Ce 
livre  «  execrandae  mystogogiae  »  pourrait  donc  être ,  à  la  ri- 
gueur, le  livre  Des  lois  des  pays,  où  il  est  pea  question  des 
Deuœ  Testaments ,  qui  doivent  seuls  occuper  les  chrétiens,  et 
beaucoup  des  signes  du  zodiaque  et  de  la  Lune  \ 

Nous  voyons  donc  que  saint  Ephrem  lui-même  condamne 
chez  Bardesane  l'astrologue  et  non  legnostique,  car  il  est 
remarquable  que,  dans  les  discours  contre  les  hérésies,  saint 
Ephrem  ne  dit  pas  une  seule  fois  que  Bardesane  appartînt  à 
l'école  de  Valentin. 

On  n'a  pas  mis  plus  tôt  en  relief,  dans  ce  siècle-ci ,  ce  ca- 
ractère de  Bardesane  parce  que,  d'une  part,  grâce  à  saint 
Ephrem ,  on  le  savait  hérétique ,  et ,  d'autre  part ,  on  savait 
que  l'astrologie  chez  nous  n'a  jamais  constitué  une  hérésie; 
on  oubliait  qu'elle  en  constituait  une  à  Edesse ,  et  on  négli- 
geait donc  les  textes  clairs,  comme  insignifiants,  pour  cher- 
cher l'hérésie  de  Bardesane  dans  les  vers  obscurs ,  car  l'ou- 


'  Pour  expliquer  saint  Ephrem,  on  se  rappellera  aussi  :  1°  que  son  ou- 
vrage est  écrit  en  vers ,  par  suite  il  ne  faut  pas  y  chercher  la  rigueur  que 
Ton  demande  à  une  prose  châtiée;  2"  que  l'ouvrage  de  Bardesane,  qu'il 
semble  seul  avoir  en  vue  (car  il  ne  cite  alors  que  celui-là),  est  un  recueil 
de  cent  cinquante  hymnes ,  et  est  donc  aussi  écrit  en  vers.  On  se  demandera 
donc  si  une  hyperbole  de  saint  Ephrem  ne  correspond  pas  déjà  précisément 
à  une  hyperbole  de  Bardesane ,  et  il  faudra  nous  garder  d'exagérer  encore  ; 
3°  que  l'éducation  et  la  vie  de  saint  Ephrem  furent  l'oppose  de  l'éducation 
et  de  la  vie  de  Bardesane,  ce  qui  l'exjwse  à  ne  pas  comprendre  son  ennemi  ; 
li°  que  l'art  (?),  avec  lequel  Marcion,  Bardesane  et  Manès  (jamais  Valen- 
tin) sont  mélanges  dans  les  Discours  contre  les  hérétiques  rend  diflBcile, 
sinon  impossible,  de  discerner  ce  qui  est  propre  à  chacun  lorsqu'ils  ne  sont 
pas  spéciGés.  De  là  vient,  à  notre  avis,  que  les  auteurs  syria([ues  posté- 
rieurs attribuent  les  mêmes  erreurs  à  Bardesane  et  à  Manès. 

XIV.  2 


18  JUILLET-AOÛT   1899. 

vrage  de  aaint  Ëphtem  est  écrit  en  vers ,  ce  qui  n'en  facilite 
pas  Tintelligence. 

Les  anciens  auteurs  syriaques  qui  connurent  toujours  saint 
Ëphrem ,  découvert  par  nous, pour  ainsi  dire ,  au  xviii'  siècle , 
tombèrent,  dès  leur  époque ,  dans  la  même  faute.  Ils  ne  soup- 
çonnèrent pas  que  l'astrologie  pouvait  être  une  hérésie ,  puis- 
qu'elle conduisait,  de  leur  temps,  à  la  fortune  et  aux  hon- 
neurs ;  ils  attribuèrent  donc  souvent  à  Bardesane  les  erreurs 
de  Manès  dont  saint  Ëphrem  le  rapprochait  toujours. 

Ajoutons,  poar  terminer,  que  l'épithète  d'astrologue,  que 
nous  donnons  à  Bardesane,  n'est  pas  pour  nous  limitative, 
comme  8*il  n'avait  jamais  fait  autre  chose,  mais  spécificative , 
conmie  nous  donnant  son  caractère  propre.  —  L'astrologie 
embrassait  toute  une  philosophie  naturelle  ^  que  Bardesane 
dut  apprendre  et  enseigner  avant  d'être  chrétien ,  comme  il 
semble  nous  le  dire  lui-même  ^  ;  il  devait  alors  faire  dépendre 
des  planètes  le  monde  entier,  sa  création ,  sa  conservation  et 
la  liberté  de  l'homme.  Devenu  chrétien ,  il  restreignit  leur 
influence  au  corps  ^.  C'est  une  erreur,  comme  Ta  déjà  vu  Eu- 
sèbe ,  mais  elle  lui  est  commune  avec  tant  de  bons  esprits  du 
moyen  âge ,  que  l'on  serait  mal  venu  de  la  lui  reprocher  trop 
vivement;  et  elle  aurait  vite  disparu,  si  Ton  avait  donné  à 
l'étude  des  sciences  naturelles  l'importance  qui  lui  revient 
de  droit;  la  science  aurait  vite  supplanté  la  fable,  et  l'on 
n'aurait  pas  langui  durant  tant  de  siècles  dans  les  vains  agen- 
cements de   mots   et   les  interminables  considérations  sur 

*  Lire ,  par  cx.emple ,  le  premier  livre  de  Firiuicus  Maternus.  Bardesane, 
élevé  avec  ie  roi  Abgar,  dut  aussi  connaître  la  pliilosophie  grecque.  Il  sem- 
ble suivre  plutôt  Platon  quWristotc. 

'  Cf.  Le  livre  des  lois  des  pays,  p.  87,  dernière  lig^nc  de  la  traduction. 

'  On  Taccnse  d'avoir  nié  la  résurrection  des  corps.  Voir,  cti  jtarticulier, 
Carwûna  Nisibena ,  Ll.  Il  est  certain ,  d'après  Le  Lvre  des  lois  des  pays ,  que 
Bardesane  euseignait  la  résurrection  de  rkonjme  et  le  jugement  dernier. 
Croyait-il  que  le  cor|i6,  dé{)endant  des  planètes,  n'était  |»as  essentiel  à 
riiomnie  ?  11  ne  le  dit  ]»as  clairement,  mais  c'ëiait  alors  une  tli<'*orie  |>hilo-' 
sophique  qu'il  (wt  peut-être  soutenir. 


OUVRAGES  OFFERTS.  10 

l^Ëcriture  •  préconisés  par  saint  Ëplirem  comme  la  seule  occu- 
pation intellectuelle  que  pouvait  se  permettre  un  chrétien  de 
son  temps  '. 

F.  Nau. 


OUVRAGES  OFFERTS  X  LA  SOCIÉTÉ. 
(Séance  annuelle  du  ao  juin  1899,) 

Par  rindia  Office  :  Madras  Government  Muséum,  Bulletin; 
vol.  U,  n°  3,  Madras,  1899;  in-8°. 

•^  Indian  Antiq uary,  JsLnuary  et  March,  1899.  Bombay; 
in-4". 

par  ia  Société  :  Atti  délia  R,  Accadeniia  dei  l,incei;  1898 
et  Gennajo.  1899.  Rome;  in-d". 

: —  Mémoires  de  la  Société  de  linguistique  de  Paris  ^  t.  XI, 
1"  fasc.  Paris,  1899;  in-8°. 

— '  Journal  asiatique ,  mars^avril  189g.  Paris;  in-8'. 

-^  Comptes  rendus  des  séances  de  la  Société  de  géographie. 
Paris ,  1 899 ,  in-8°. 

->^  Tke  Geographical  Journal,  September  1897  et  June 
1899.  J^ondon;  in-8". 

Par  le  Ministère  de  l'instruction  publique  ;  Bibliotlièque  des 

^  £n^n  on  remarque^ ,  que  dam  iwire  édition ,  I0  QinlêgiU  4h  l»i»  des 
piiys  est  distingué  du  crlôbrc  Dialogue  sur  le  destin  adressé  à  Antonio.  Car 
Ëusèbe  est  notre  seule  source  à  ce  stijct  :  or  il  nientionne  dans  son  Histoire 
(  cclésiastique ,  le  célèbre  dialogue  sur  le  destin  adressé  à  Antonin  et  d'autres 
dialogues.  .  .;  et  dans  la  Préparation  évangélique ,  il  nous  ap|)rend  que  le 
fragment  des  Lois  des  pays  cité  par  lui  est  tire  des  dialogues  de  Bardesane 
avec  sêf  disciples.  On  a  donc  eu  tort  de  dire  que  ce  fragment  était  tiré  du 
célèbre  dialogue  sur  le  destin  adressé  à  Antonin ,  car  Eusèbe  nous  apprend 
le  contraire  :  c'est  Tun  des  autres  dialogues.  . .  Du  reste,  le  destin  n*occu{x; 
que  les  deu&  tiers  de  Touvrage.  C^est  ce  qu'a  constaté  Epiphane  quand  il  a 
écrit  que  Bardesane  «disputa  sur  le  destin  contre  A  vida»» 

3 . 


âO  JUILLET-AOÛT  1899. 

Ecoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome;  Edmond  Courtaud, 
Le  bas-relief  romain  à  représentations  historiques,  Paris,  iSgg. 

Par  les  éditeurs  :  Revue  critique,  n"  19-3 5,  1899.  P^*'*^; 
in-8-. 

—  Bollettino,  n°*  221-233,  Firenze,  1899;  in-8'. 

—  Polybiblion^  parties  technique  et  littéraire,  mai  et 
juin  1899;  in-8". 

—  Al-'Zhiya,  mai  et  juin  1899.  ^®  Caire;  in-8". 

—  Al-Machriq,  1  et  i5  Hadran  1899.  Beyrouth;  in-8''. 

Par  les  auteurs:  American  Journal  of  archœology ,  Novem- 
ber-December  1898.  January-February  1899.  Nor^ood; 
in  8-. 

—  Le  Globe,  v*  série,  t.  IX,  n'  spécial  :  XII*  Congrès  des 
Sociétés  suisses  de  géographie ,  tenu  à  Genève  du  A  au  7  sep- 
tembre 1898;  in-8°. 

—  Bulletin  n"  1,  novembre  1898,  janvier  1899.  Genève; 
in-8-. 

—  Revue  archéologique,  mars-avril  1899,  Paris;  in-8°. 
Par  les  auteurs  :  J.  Rouvier,  Les  ères  de  Botrys  et  de  Berytc 

(extrait).  Athènes,  1899;  ^'^'^*' 

-—  F.  Nau,  Le  livre  des  lois  des  pays.  Paris,  1899;  in-8". 

—  R.  Gottheil,  Contributions  to  Syriac  Folk-Medicinc 
(extrait).  New  Haven,  1899;  in-8". 

*—  M.  Courant,  L'enseignement  de  la  langue  chinoise  (ex- 
trait), 1899;  in-8". 

—  Le  même ,  La  presse  périodique  japonaise  (  extrait  )  1 8  9  9  ; 
in.8-. 

—  Arthur  von  Rosthorn,  Die  Ausbreitung  de  Chinesischen 
Macht  in  sudwestlicher  Richtang  bis  zum  vierten  Jahrhundert 
nach  Christié  Leipzig,  1896;  in-8". 

—  Dr.  K.  Kern,  The  Aiyabhatîya  with  the  Commentary  of 
Pâramâdiçvara.  Leide ,  1 894  ;  gr.  in-^". 

—  H.  Suter,  Die  Kreisquadratur  des  Ibn-cl-Haitam  (ex- 
trait). Leipzig,  1899;  i"'^"' 


QUVRAGES  OFFERTS.  21 

Par  les  auteurs  :  S.  Chevalier,  La  navigation  sur  le  haut 
Yang-tse,  Chang-hai,  1899;  gr.  in-4°. 

—  Chr.  Garnier,  Méthode  de  transcription  rationnelle  des 
noms  géographiques,  Paùs  ,  i899;in-4°. 

—  Le  P.   P. -A.  Deiattre,  Les  pivgrès  de  Vassyriologie, 
Paris,  1899;  in-8". 

—  V.  Ding^estedt,  The  hydrography  of  the  Cancasus  (ex- 
trait), 189g;  in-8". 


22  JUILLET-AOÛT  1899. 


TABLEAU 

DU  CONSEIL  D'ADMINISTRATIOiN 

CONPORMBMBNT    AUX    NOMINATIONS    FAITES    DANS    RASSEMBLER    CRNERALE 

DU    20    JUIN     1899. 


PRESIDENT. 

M.  Barbier  de  Meynard. 

VICE-PRÉSIDENTS. 

MM.  E.  Senart. 
Maspero. 

SECRÉTAIRE. 

M.  Chavannes. 

SECRÉTAIRE  ADJOINT  ET  BIBLI0THÉCATÎ4B. 

M.  E.  Drouin. 

TRÉSORIER. 

M.  le  marquis  Melchior  de  Vogué. 

COMMISSION   DES   FONDS. 

MM.  Clermont-Ganneau. 
Drouin. 
Specht. 

CENSEURS. 

MM.  Rubens  Duval. 

HoUDAS. 


TABLEAU  DU  CONSKII.  D'ADMINISTRATION.  23 

COMMISSION    DU  JOURNAL. 

MM.  Devéria.  —  R.   Dlval.  —  Maspero.   — 
Oppert.  . —  K.  Senart. 

MEMBRES  DU  CONSEIL. 

V.  Henry. 

[i.  FiNOT. 

Moïse  Schwab. 

L.  Feer.  ,     „,  ç. 

T  ^r  >     Kius  en  loqo, 

J.  ViNSON.  i  ^^ 

Glimet. 
J.-B.  Chabot. 
Rubens  Duval. 

MM.  DE  Charencey. 
Aymonier. 
A.  Bartu. 
H.  Derenbourg. 
Sylvain  LÉvi. 
Clément  Huart. 
Carra  de  Vaux. 
Devéria. 

Oppert, 
J.  Halévy. 
Michel  Bréal. 
Ph.  Berger. 

HOUDAS. 

Cordier. 

Dieulafoy. 

Perruchox. 


Élus  en  1898. 


Élus  en  1897 


24  JUILLET-AOÛT  1^99. 


SOCIÉTÉ  ASIATIQUE. 


I 

LISTE  DES  MEMBRES  SOUSCRIPTEURS, 

PAR  ORDRE  ALPHABÉTIQUE. 

Nota,  Les  noms  marqués  d'un  *  sont  ceux  des  Membres  à  vie. 

L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

MM.  Allaoua  BEN  Yahia,    interprète  judiciaire  à 
Inkermann  (département  d'Oran.) 

Allotte  de  La  Fuye  ,  lieutenant-colonel ,  direc- 
teur du  génie,  à  Nantes. 

Alric,  consul  de  France,  secrétaire-interprète 
du  Gouvernement  pour  les  langues  orien- 
tales, rue  Saint- Jacques ,  i6o,  à  Paris. 

Assier  de  Pompignan,  lieutenant  de  vaisseau, 
rue  Saint-Jacques ,  4  4 ,  à  Marseille. 
*Aymonier  (E.),  directeur  de  TEcole  coloniale, 
avenue  de  TObservatoire ,  2 ,  à  Paris. 

Bibliothèque  Ambrosienne  ,  à  Milan. 
Bibliothèque  de  l'Université,  à  Utrecht. 


LISTE  DES  MEMBRES.  25 

Bibliothèque  universitaire,  à  Alger, 
Bibliothèque  Khédiviale,  au  Caire. 
MM.  Barbier  de  Meynard,  membre  de  Tlnstitut ,  pro- 
fesseur au  Collège  de  France,  administra- 
teur de  TEcole  des  langues  orientales  vi- 
vantes, rue  de  Lille,  2 ,  à  Paris. 

Barré  de  Lancy,  ministre  plénipotentiaire,  rue 
Caumartin ,  3  2  ,  à  Paris. 

Barth  (Auguste),   membre  de   l'Institut,  rue 
Garancière,  10,  à  Paris. 

Barthélémy,  vice-consul  de  France  à  Marache, 
par  Alexandrette  (Syrie). 

Basset  (René),  directeur  de  TEcole  des  lettres, 
rue  Michelet,  77,  à  TAgha  (Alger). 

Beauregard  (OUivier),  rue  Jacob,  3,  à  Paris. 

Beck  (l'abbé  Franz -Seignac),   au  château  de 
Bosredon,  par  Montcuq  (Lot). 

Belkassem  ben  Sedira  ,  professeur  à  l'Ecole  des 
lettres ,  à  Alger. 

Bénédite  (Georges),   conservateur  adjoint  au 
Musée  du  Louvre ,  rue  du  Val-de-Grâce ,  9 , 
à  Paris. 
*Berchem  (Max  van),  privat-docent  à  l'Univer- 
sité de  Genève ,  promenade  du  Pin ,    1 ,  à 

Genève. 

« 

Berger  (Philippe),  membre  de  l'Institut,  pro- 
fesseur au  Collège  de  France ,  quai  Voltaire , 
3 ,  à  Paris. 
M"®  Berthet  (Marie),  professeur  à  l'Ecole  norrfiale 
d'Alençon,  rue  des  Promenades,  9,  à  Alençon. 


26  JUILLET-AOCT  1899. 

'MM.  BouvAT  (Lucien),  élève  diplômé  deTEcole  des 
langues  orientales  vivantes,  boulevard  Sainl- 
Germain,  200,  à  Paris. 

Blanc  (Edouard),  explorateur  en  Asie,  rue  de 
Varennes,  82,  à  Paris. 

Blochet,  rue  de  TArbalète,  35,  à  Paris. 

Blonay  (Godefroy  de),   château  de  Grandson 
(Vaud),  Suisse. 
*Bœll  (Paul),  publiciste,  rue  Gay-Lussac,  26, 

à  Paris. 
*BoissiER  (Alfred),  cours   des  Bastions,  4,   à 
Genève. 

Bonaparte  (le  prince  Roland),  avenue  d'Iéna, 
1  o ,  à  Paris. 

BoNET  (Jean),  professeur  d'annamite  à  l'Ecole 
des  langues  orientales  vivantes,  rue  Gref- 
fulhe,  y,  à  Paris. 

BouRDAis  (l'abbé),  professeur  à  la  Faculté  libre 
d'Angers ,  rue  Belle-Poignée ,  a ,  à  Angers. . 
*BouRQLiN  (le  Rév.  A.),  à  Lausanne, 

BoYER  (le  P.  Auguste),  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  rue  de  Sèvres,  35,  à  Paris. 

Bréal  (Michel),  membre  de  l'Institut,  profes- 
seur au  Collège  de  France,  rue  d'Assas,  70, 
à  Paris. 

BuDGE  (E.  A.  Waliis),  litt.  D.  F.  S.  A.,  au  Bri- 
tish  Muséum ,  à  Londres. 
*  Bure  AU  (Léon),  rue  Gresset,  i5,  à  Nantes. 
*BuRGESs  (James),  Seton  place,  22,  à  Edim- 
bourg. 


\ 


LISTE   DES   MEMBRES.  27 

M.  BusHELL  (Dr.  Stephen-Wootton),  médecin  de 
la  légation  de  S.  M.  Britannique,  à  Pé- 
king. 

M"*^  A.  BuTENSCHŒN ,  35 ,  Engeltrehtegatun ,  à  Stock- 
holm. 

MM.  Cabaton  (Antoine),  rue  Popincourt,  82,  à 
Paris. 

Cahun  (Léon),  conservateur  adjoint  à  la  Bi- 
bliothèque  Mazarine,  rue  de  Seine,  1,  à 
Paris. 

Calassanti-Motylinski  (de),  interprète  mili- 
taire de  1"  classe  hcfrs  cadre,  professeur  à 
la  chaire  d'arabe ,  directeur  de  la  Médersa , 
à  Gonstantine. 

Casanova  (Paul),  membre  de  l'Institut  d ar- 
chéologie orientale,  au  Caire. 

Castries  (le  comte  Henry  de)  ,  rue  Vaneau  ,20, 
à  Paris. 

Caudel  (Maurice),  bibliothécaire  de  l'Ecole 
des  sciences  politiques,  rue  Le  Verrier,  5, 
à  Paris. 

Chabot  (M^*"  Alphonse),  curé  de  Pithiviers. 

Chabot  (l'abbé  J.-B.),  rue  Claude-Bernard ,  A 7. 
à  Paris. 

Charencey  (le  comte  de),  rue  Barbey-de-Jouy, 
25,  à  Paris. 

Chavannes  (Emiiîanuel-Edouard),  professeur 
au  Collège  de  France,  1,  rue  des  Ecoles,  à 
Fontenay-aux-Roses. 


* 
* 


28  JUILLET-AOÛT  1899. 

MM.  CiiEiKHo  (L.),  professeur  à  l'Université  Saint- 
Joseph,  à  Beyrouth  (Syrie). 
Chekîb  Arslan  (rémir),  chef  druse  à  Beyrouth. 
Chwolson,  professeur  à  l'Université  de  Sain l- 

Pétersbourg. 
*CiLLiÈRE  (Alph.),  consul  de  France   à  Salo- 

nique. 
GlaparÈde  (René),  à  Juvisy  (Seine-et-Oise). 
Clermont-Ganneau  ,  membre  de  l'Institut,  pre*- 

mier  secrétaire-interprète  du  Gouvernement , 

professeur  au  Collège  de  France,  avenue  de 

l'Aima,  1,  à  Paris. 
Cohen  Sol  al,  professeur  d'arabe  au  Lycée,  à 

Oran. 
Colin  (Gabriel),  professeur  d arabe  au  Lycée 

d'Alger. 
Colin  ET  (Philippe),  processeur  à  l'Université, 

place  de  l'Université,  8,  à  Louvain. 
Collège  français  de  Zi-Ka-Weï,  par  Shang- 
haï. 
*CoRDiER    (Henri),    professeur   à   l'Ecole    des 

langues  orientales  vivantes ,  rue  Nicolo  ,54, 

à  Paris. 
CouLBER,    commandant  en  retraite,   rue   de 

l'Académie,  à  Bruges. 
Courant  (Maurice),  interprète -chancelier  de 

légation,   rue  des   Sœurs,  à  Vineuil,   par 

Chantilly  (Oise). 
*Croizier    (le  marquis   de),    boulevard  de  la 

Saussaye ,  i  o ,  à  Neuilly. 


LISTE'^DES  MEMBRES.  29 

MMi*DANON  (Abraham),   directeur   du   Séminaire 

israéiite,  à  Constantinopie. 
* Darricarrère  (Théodore-Henri),  numismate, 

à  Beyrouth  (Syrie). 
Decourdemanche  (Jean- Adolphe),  rue  Taille- 
pied,  4,  à  Sarcelles  (Seine-et-Oise). 
Delattre  (le  P.),  rue  des  RécoHets,  1 1 ,  à  Lou- 

vain. 
*Delphin    (G.),    directeur  de    la   Médersa,   à 

Alger. 
*Derenbourg  (Hartwig),   professeur  à   TEcole 

des    langues    orientales    vivantes,    avenue 

Henri-Martin,  3o,  à  Paris. 
*Des  Michels  (Abel),  boulevard  Riondet,  i^, 

à  Hyères. 
DiEULAFOY  (Marcel),  membre  de  l'Institut,  rue 

Chardin,  i  2  ,*à  Paris. 
DiHiGO  (D'  Juan  M.),  professeur  de  langue 

grecque  à  l'Université  de  la  Havane  (Cuba). 
Donner,  professeur  de  sanscrit  et  de  philo- 
logie comparée  à  l'Université  de  Helsing- 

fors. 
DouTTÉ  (Edmond),  professeur  à  la  Médersa, 

à  Tlemcen. 
Drouin,    avocat,    rue    de    Verneuil,     11,    à 

Paris. 
DuKAS   (Jules),   rue   des   Petits -Hôtels,    9,   à 

Paris. 
DuMON  (Raoul),  élève  diplômé  de  l'Ecole  du 

Louvre ,  rue  de  la  Chaise ,  1  o ,  à  Paris. 


30  J0ÏL1.ET-AOÛT  1809. 

MM/DijRiGHELLo  (Joseph-Ange),  antiquaire,  à  Bey- 
routh (Syrie). 
*Plssai)D  (René),  rue  du  Midi,  i ,  à  Neuilly-sur- 
Seine. 
Ddtt  (Romesh  Chunder),  du  Service  civil  du 

Bengale,  3o,  Beadon  street,  à  Calcutta. 
Ddval    (Rubens),   professeur  au  Collège   de 
France ,  rue  de  Sontay,  1 1 ,  à  Paris. 

"Fargues  (F.),  route  de  Saint-Leu,  îi8,  à  En- 
ghien-les-Bains  (Seine-et-Oise). 

Faure-Biguet,  général,  directeur  de  lartillerie 
à  Lyon. 
*  Favre  (Léopold) ,  rue  des  Granges ,  6 ,  à  Genève. 

Feer  (Léon),  attaché  au  département  des  ma- 
nuscrits de  la  Bibliothèque  nationale,  rue 
Félicien-David ,  6 ,  à  Auteujl-Paris. 

Fell  (Winand),  professeur  à  l'Académie  de 
Munster. 

Ferrand   (Gabriel),  >ice-consul  de  France  à 
Oubone  (Siam). 
*FiNOT  (Louis),  directeur  de  l'Institut  archéo- 
logique à  Saigon. 

Fossey  (Ch.),  membre  delà  Mission  du  Caire, 
rue  des  Chartreux,  6,  à  Paris. 

FoLCHER  (A.),  maître  de  conférences  à  TEcole 
des  hautes  études,  inie  de  Staël,  i6,  à 
Paris. 

*Gantin,  ingénieur,  répétiteur  libre  à  TEcole 


LISTE  DES  MEMBRES.  31 

des  Langues  orientales  vivantes,  rue  de  la 
Pépinière ,  i ,  à  Paris. 
MM.  Gaddkproy-Demombynes,  secrétaire  de  TEcole 
des  Langues    orientales    vivantes,   rue  [de 
Lille ,  2  ,  à  Paris. 
Gauthier  (Léon),  processeur  à  la  Médersa,  rue 
Marengo ,  i  2  ,  à  Alger. 
*  Gautier    (Lucien),    professeur  de    théologie, 
roule  de  Chêne,  88,  à  Genève. 
Graffin  (M***),  professeur  de  syriaque  à  l'Uni- 
versité   catholique,    rue    d'Assas,     ^7,    à 
Paris. 
Greenup  (Rev.  A.  W.),  AUrough  Rectory,  Har- 

leston  (Norfolk),  (Angleterre). 
Grenard,    boulevard    des    Invalides,    20,    à 
Paris. 
*Groff  (William  N.),  à  Ghizeh  (Egypte). 
Grosset,  licencié  es  lettres ,  rue  Cuvier,  k ,  à 
Lyon. 
*GuiEYSSE  (Paul),  député,  ancien  ministre  des 
colonies,  ingénieur  hydrographe  de  la  ma- 
rine, rue  des  Ecoles,  ^2 ,  à  Paris. 
*GuiMET   (Emile),    au   Musée    Guimet,   place 
d'Iéna,  à  Paris. 

*Halévy  (J.),  professeur  à  TEcole  des  hautes 
études,  rue  Aumaire,  26,  à  Paris. 
Halphen  (Jules),  avenue  Victor-Hugo,  78,  à 
Paris. 
*Hamy  (le  D*^),  membre  de  llnstitut,  conserva- 


32  JUILLET-AOÛT  1899. 

teur  du  Musée  d'ethnographie,  rue  Geof- 
froy-Saint-Hilaire ,  36,  à  Paris. 
MM.*HAr.KAVY  (Albert),  bibliothécaire  de  la  Biblio- 
thèque impériale  publique,  à  Saint-Péters- 
bourg. 

Hebdelynck  (Adolphe),  recteur  de  l'Univer- 
sité, Louvain  (Belgique). 

Henry  (Victor),  professeur  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Paris,  rue  de  Penthièvre,  lo,  à  Sceaux. 

Hériot-Bunoust  (labbé  Louis),  Vicolo  del  Vil- 
lano,  2  ,  à  Rome. 

Hérold  (Ferdinand),  licencié  es  lettres,  an- 
cien élève  de  l'Ecole  des  chartes ,  rue  Greuze , 
•2  0,  à  Paris. 

lIoLAs  EiENDi  (V.),  rue  Asmali-Mesdjid ,  1 1,  à 
Constantinople. 

Ho UD AS,  professeur  à  l'Ecole  des  langues  orien- 
tales vivantes,  avenue  de  Wagram,  29,  à 
Paris. 

HuART  (Clément) ,  secrétaire-interprète  du  Gou- 
vernement; professeur  à  l'Ecole  des  Langues 
orientales  vivantes,  rue  Madame,  43,  à 
Paris. 

Hubert  (Henry),  agrégé  d'histoire,  rue  Claude- 
Bernard,  7 4,  à  Paris. 

Hyvernat^  (l'abbé),  professeur  à  l'Université 
catholique,  à  Washington. 

Jeanmer  (A.),  vice-consul  de  France  à  Larache 

(Maroc). 


LISTE  DES  MEMBRES.  33 

MM.  Jéquier   (Gustave),  faubourg  du  Crèt,   5,  à 
.    Neuchâtel. 

Karppe  (S.),  élève  de  TEcoIe  des  hautes  études, 
avenue  de  Messine,  lo,  à  Paris. 

Kemal  ALI,  secrétaire  d'ambassade,  rue  d'x\s- 
sas,  1  3o,  à  Paris. 

KÉRAVAL  (le  D'),  directeur  de  lasile  d'Armen- 
tières  (Nord). 

KouLiKOVSKi,  professeur  de  sanscrit  à  fllniver- 

sité  de  Kharkov. 

« 

La  MartIiMep.e  (H.  P.  de),  premier  secrétaire 
de  la  légation  de  France  au  Maroc,  à  Tan- 
ger. 

Lambert    (Mayer),    rue    Condorcet,    53,    à 
Paris. 
*LAiNDBERG  (Garlo ,  comlc  de) ,  docteur  es  lettres, 

au  château  de  Tùtzing  (Haute-Bavière). 
*Lanman    (Charles),  professeur   de   sanscrit   à 
Harvard  Collège,  à  Cambridge  (Massachu- 
setts). 

La  vallée -Poussin  (Gaston  de),  professeur  à 
rUniversité,  à  Gand. 

LeclÈre  (Adhémar),  résident  de  France  au 
Cambodge. 

Lecomte  (Georges),  élève -interprète  attaché 
à  Ja  Légation  de  France  à  Pékin. 

Ledoulx  (Alphonse),  vice-consul  de  France  à 
Siwas  (Turquie  d'Asie). 

xrv.  3 


IlirBllIRBIK    IAtlOatl.1. 


34  JUILLET-AOÛT   1899. 

MM.  Leduc  (Henri),  interprète  du  Gouvernement 
à  Pékin. 

Lefèvre  (André),  licencié  es  lettres, rue  Haute- 
feuille  ,  2 1 ,  à  Paris. 

Lefèvre-Pontalis  (Pierre),  secrétaire  d'ambas- 
sade, à  Luxembourg. 

Leriche  (Louis),  à  Mogador  (Maroc). 

Leroux  (Ernest),  éditeur,  rue  Bonaparte,  28, 
à  Paris. 

*  Lestrange  (Guy),  via  San  Francesco   Pove- 

rinô ,  3 ,  à  Florence. 
Levé  (Ferdinand),  rue  Cassette,  17,  à  Paris. 
LÉ VI  ( Sylvain  ) ,  professeur  au  Collège  de  France , 

rue  Guy-de-la-Brosse ,  9,  à  Paris. 
LiÉTARD  (leD*"),  médecin  inspecteur  des  eaux, 

à  Plombières. 
LoisY  (labbé),  aumônier,  rue  du  Château,  29, 

à  Neuilly  (Seine). 
Lorgeou  (Edouard),  professeur  à  TKcole  des 

Langues  orientales  vivantes,  à  Paris. 

*  Makhanoff,  professeur  au  Séminaire  religieux, 

à  Kazan. 

Mallet  (Dominique) ,  villa  Poirier,  9 ,  à  Paris- 
Vaugirard. 

Marçais    (VV.),   directeur  de   la   Médersa,  à 
Tlemcen. 
*Margoliouth  (David-Samuel),  professeur  d'a- 
rabe à  l'Université,  New-CoUege,  à  Oxford. 

Marrache,  rue  Laffon,  10,  à  Marseille. 


LISTE  DES  MEMBRES.  35 

MM/Maspero,  membre  de  Tlnstitut,  professeur  au 
Collège  de  France,  ancien  directeur  général 
des  Musées  d'Egypte,  avenue  de  l'Observa- 
toire ,  2  4 ,  à  Paris. 

Méchineau    (labbé),    rue    Monsieur,    i5,    à 
Paris. 

Mehren  (le  D*"),  professeur  de  langues  orien- 
tales, à  Fredensborg,  près  Copenhague. 

Meillet  (Antoine),  agrégé  de  grammaire,  di- 
recteur adjoint  de TEcole  des  hautes  études, 
boulevard  Saint-Michel ,  2  4 ,  à  Paris. 
M"''  Menant  (Delphine),  rue  Notre -Dame -des - 
Champs,  4A  ,  à  Paris. 
MM.  Mercier  (E.),  interprète-traducteur  assermenté, 
membre  associé  de  TEcole  des  lettres  d'Alger, 
rue  Desmoyen,  19,  à  Constantine. 

Mercier    (Gustave),    interprète    militaire,    à 
Constantine. 

Merx  (A.),  professeur  de  langues  orientales,  à 
Heidelberg. 

MidHEL   (Charles),   professeur  à  l'Université, 
avenue  d'Avroye ,  1 1  o ,  à  Liège. 

MicHELET,  colonel  du  génie  en  retraite ,  rue  de 
l'Orangerie,  38,  à  Versailles. 
*  Mission  archéologique  française,  au  Caire. 
MM.*MocAïTA  ( Frédéric -D.),   Connaught  place,  à 
Londres. 

Mohammed  ben  Braham,  interprète  judiciaire, 
à  Oued-Athménia  (Algérie). 

MoNDON-ViDAiLHEï,  chargé  de  cours  à  l'Ecole 

3. 


36  JUILLET-AOÛT  1899.    . 

des  Langues  orientales  vivantes,  avenue  de 

ViUiers,  20,  à  Paris. 
MM.  MoNTET    (Edouard),    professeur    de    langues 

orientales  à  l'Université  de  Genève,  villa  des 

Grottes. 
Morgan  (J.  de),  ancien  directeur  des  Musées 

d'Egypte,  à  Téhéran. 
Mum    (Sir  William),    Dean   Park   House,    à 

Edimbourg. 
*MuLLER  (Max),  professeur  à  Oxford. 

*Nau  (l'abbé),  docteur  es  sciences  mathéma- 
tiques, professeur  d'analyse  à  l'Institut  catho- 
lique, rue  de  Vaugirard,  7 4,  à  Paris. 

Nedjib  Açem  Efendi,  ancien  rédacteur  du  journal 
Ikàairiy  rue  Sublime -Porte,  à  Constanti- 
nople. 

New  Yorr-public  library,  à  New-York. 

Nicolas  (A.-Ii.-M.),  au  consulat  de  France, 
à  Smyrne. 

N1COLLE  (Henri),  lieutenant  au  i'""  régiment 
étranger,  commandant  le  poste  de  Nam- 
Nang,  cercle  de  Cao-Bang  (Tonkin). 

Nouet  (l'abbé  René),  chanoine,  rue  Saint-Vin- 
cent, 2  5,  au  Mans. 

*Oppert  (Jules),  membre  de  l'Institut,  profes- 
seur au  Collège  de  France,  rue  de  Sfax,  'i , 
à  Paris. 

^Ostrorog  (le  comte  Léon),  conseiller  légiste 


LISTE   DES  MEMBRES.  37 

au  Ministère  de  ragricullure ,  des  mines  et 
forêts,  à  Constanlinople. 
MM.*Ottavi  (Paul) ,  vice-consul  de  France  à  Mascate 
(Oman). 

Parisot  (Dom  Jean),  à  labbaye  de  Saint-Mar- 

tin-de-Ligugé  (Vienne). 
*Patorni,  interprète  principal  à  la  division,  à 

Oran. 
Pelliot   (Paul),   Grande-Rue,    69,   à   Saint- 

Mandé. 
Pereira  (Estèves),  capitaine  du  génie,  Rua*das 

Damas,  4,  à  Lisbonne. 
*Perruchon   (Jules),  élève  diplômé  de  TEcole 

des  hautes  études,  rue  de  Vaugirard,  i33, 

à  Paris. 
Pertsch  (W.),  bibliothécaire,  à  Gotha. 
Pfungst    (D**   Arthur),    Gaertnerweg,    2,    à 

Francfort-sur-le-Mein . 
*Philastre  (P.),  lieutenant  de  vaisseau,  inspec- 
teur des  affaires  indigènes  en  Cochinrhine, 

à  Cannes. 
Piehl  (le  D'  Kari),  professeur  d'égyptologie  à 

rUniversité,  directeur  du  Sphinx,  à  Upsal. 
*PiJN appel,  docteur  et  professeur  de  langues 

orientales,  à  Middelbourg. 
*PiNART  (Alphonse),  à  Paris. 
Pinches    (Th.-C),    Assyrian   department,  au 

British  Muséum,  à  Londres. 
Pognon,  consul  de  France,  à  Alep. 


38  JUILLET-AOÛT  1899. 

MiVI.*PoMMiER ,  juge  au   tribunal  civil,  au  Blanc, 
(Indre). 

*  PoDssiÉ  (le  D'),  rue  de  Valois,  2 ,  à  Paris. 
Pr/Etorius    (Frantz),     Franckestrasse ,     2,     à 

Halle. 
*Prym  (le  professeur  E.),  à  Bonn. 

Quentin  (l'abbé),  au  Plessis-Chenet  (Seine-et- 
Oise). 

Raboisson  (Tabbé) ,  rue  de  Villiers,  80,  à  Levai- 
lois. 

Rat  (G.),  secrétaire  de  la  Chambre  de  com- 
merce, à  Toulon. 

Ravaisse  (P.),  chargé  de  cours  à  l'Ecole  des 
Langues  orientales  vivantes ,  rue  des  Quatre- 
Cheminées,  7,  à  Billancourt. 

Réau  (Raphaël),  vice- consul  de  France  à 
Bangkok  (Siam). 

Regnaud  (Paul),  professeur  de  sanscrit,  à  la 
Faculté  des  lettres,  à  Lyon. 

*  Régnier  (Adolphe),  sous-bibliothécaire  de  Tlji- 

stitut ,  rue  de  Seine ,  1 ,  à  Paris. 
Rettel  (Stanislas  de),  drogman  de  2**  classe, 

rue  Corneille,  5,  à  Paris. 
Reuter  (le  ly  J.  N.),  docent  de  sanscrit  et  de 
philologie  comparée,  à  l'Université  de  Hel- 
singfors. 
*Revillout  (E.),  rue  du  Bac,  128,  à  Paris. 
^RiMiniD,  rue  do  l'Ermitage,  16,  h  Versailles. 


LISTE  DES   MEMBRES.  39 

MM.  Robert  (A.),  administrateur  de  la  commune 
mixte  d'Aïn  Miila  (département  de  Constan- 
tine). 

*  Rolland  (E.  ) ,  rue  des  Fossés-Saint-Bernard ,  6 , 

à  Paris. 

Roqde-Ferrier  ,  à  Erzeroum  (Turquie  d'Asie). 

RosNY   (Léon   de),    professeur  à   l'Ecole   des 
Langues  orientales  vivantes,  rue  Mazarine, 
28,  à  Paris. 
*RousE  (W.  H.  D.),  Christs  Collège,  à  Cam- 
bridge. 

RouviER  (Jules),  docteur  en  médecine,  pro- 
fesseur à  la  Faculté  française  de  médecine 
de  Beyrouth. 

Sarbathier,    agrégé   de   l'Université,   rue   du 

Cardinal-Lemoine,  i5,  à  Paris. 
Sainson  (Camille),  chancelier  du  consulat  de 

France  à  Tien-Tsien  (Chine). 
Salmon  (Georges),  élève  diplômé  de  l'Ecole 

des  Langues  orientales  vivantes,  avenue  de 

Laumière,  20,  à  Paris. 

*  Saussure  (L.  de),  lieutenant  de  vaisseau,  rue 

Poulie,  i4i  à  Brest. 
ScHEiL  (le  P.),  rue  du  Bac,  9 A,  à  Paris. 
ScHMmT  (Valdemar),  à  Copenhague, 
Schwab  (M.),  bibliothécaire  à  la  Bibliothèque 

nationale ,  cité  Trévise ,  1 4 ,  à  Paris. 
Senart   (Emile),    membre   de   l'Institut,   rue 

François  P',  1 8 ,  à  Paris. 


40  JUILLET-AOÛT  1899. 

Serruys  (Washington),  attaché  au  Consulat  de 

Belgique,  à  Beyrouth. 
*SiMOiNSEN,  grand  rabbin,  à  Copenhague. 
SiouFFi,  consul  de  France,  en  retraite,  à  Ba- 

abda ,  près  Beyrouth. 
Si  saïd  boulifa,  professeur  à  TEcole  normale 

primaire,  à  la  Bouzaréa,  près  Alger. 
SociN,    professeur    à    l'Université,    Schreber- 

strasse ,  5 ,  à  Leipzig. 
SoNNECK  (C),  professeur  à  l'Ecole  coloniale, 

rue  de  Vaugirard,  63,  à  Paris. 
Specht   (Edouard),   rue   du  Faubourg-Sain l- 

Honoré,  igS,  à  Paris. 
Spiro  (Jean),  professeur  à  l'Université  de  Lau- 

zanne,  à  Vufllens-la-Ville  (Suisse). 
Stein  (D*"  m.  Aurel),   principal   du   Collège 

oriental,  à  Lahore. 
Strehly,  professeur  au  lycée  Louis-le-Grand , 

rue  de  Vaugirard ,  1 6 ,  à  Paris. 
Strong  (Arthur),  36,  Grosvenor  Road,  Lon- 

don,  S.  W. 
Syad  Muhammad  Latif,  district  judge,  Jallan- 

dhar  City  (Penjab). 

Taillefer  (Amédée),  conseiller  à  la  Cour 
d'appel,  rue  Cassette,  27,  à  Paris. 

Textor  de  Ravisi  (le  baron),  rue  de  Turin, 
38,  à  Paris. 

Thatcher  (G.  W.),  professeur,  Mansfield  Col- 
lège, Oxford. 


LISTE   DES  MEMBRES.  41 

MM.  Theillet,   attaché  au  consulat  de  France,  à 
Alep. 

Thibaut  (E.),  surveillant  général  au  Lycée,  à 
Alger. 

Thureau-Dangin    (F.),   élève  de  TEcole   des 
Hautes  Etudes,  rue  Garancière,  1 1,  à  Paris. 

TouHAMi  BEN  Larbi  ,  interprète  judiciaire  asser- 
menté à  Ksar-et-Tir,  Sétif  (Algérie). 
*TuRRETTiNi  (François),  rue  de  THôtel-de-Ville, 
8 ,  à  Genève. 

Vasconcellos-Abreu  (de),  professeur  desanscrit, 

rua  Castilho,  SA,  à  Lisbonne. 
Vaux  (Baron  Carra  de),  rue  Saint-Guillaume, 

1  /i ,  à  Paris  et  au  château  de  Rieux ,  par 

Montmirail  (Marne). 
Vernes  (Maurice),  directeur  adjoint  à  TEcolc 

des  Hautes  Etudes,  rue  Notre -Dame- des- 

Champs,  97*",  à  Paris. 
ViLBERT  (Marcel),  secrétaire  général  à  la  di- 
rection des  phares  ottomans,  à  Gonstanti- 

nople. 
ViNsoN    (Julien),    professeur    à    l'Ecole    des 

Langues  Orientales  Vivantes ,  rue  de  TUni- 

versité,  58,  à  Paris. 
VissiÈRE  (Arnold),  consul  de  France,  premier 

interprèle  de  la  légation  de  France,  à  Pékin. 
Vogué  (le  marquis  Melchior  de),  membre  de 

rinstitut,  ancien  ambassadeur  de  France  à 

Vienne,  rue  Fabert,  2,  à  Paris. 


42  JUILLET-AOÛT  1899. 

MM.  WiLHELM  (Eug.),  professeur,  à  l'Université  dTéna. 
*WiTTON    Davies  (T.),    principal  de  Midland 

Baptist  Collège,  à  Nottingham. 
*Wyse  (L.-N.  Bonaparte),  villa  Isthmia,  au  Cap- 
Brun,  par  Toulon. 
Weil  (Raymond),  lieutenant  au  5*  régiment 
du  génie ,  à  Versailles. 

Zeky  (Salih)  Efendi,  directeur  de  TObserva- 
toire  Impérial  Ottotoan,  à  Pèra  (Constanti- 
nople). 

"ZoGRAPHOS  (S.  Exe.  Christaki  Efendi),  avenue 
Hoche,  2Q  ,  à  Paris. 


II 

MEMBRES  ASSOCIÉS  ÉTRANGERS 

SUIVANT  L'ORDRE  DES  NOMINATIONS. 

MM.  Weber  ,  professeur  à  TUniversité  de  Berlin. 
Salisbury  (E.),  membre  de  la  Société  orien- 
taie  américaine,  2  37,  Church  street,  à  New 
Haven  (Etats-Unis). 


LISTE  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES  ET  DES  REVUES.    43 


III 

LISTE  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES  ET  DES  REVUES 

1 

AVEC  LESQUELLES 

LA  SOGI^Té  ASIATIQUE  ÉCHANGE  SES  PUBLICATIONS. 

Académie  de  Lisbonne. 

Académie  de  Saint-Pétersbourg. 

Royal  Asiatic  Society  of  London. 

Royal  Asiatic  Society  of  Bengal,  Park-Street,  67, 

à  Calcutta. 
Deutsche  morgenlandische  Gesellschaft,  à  Halle. 
American  Oriental  Society,  à  New-Haven   (Etats- 
Unis). 
Royal  Asiatic  Society  of  Japan  ,  à  Tokio. 
Bombay  branch  of  the  Royal  Asiatic  Society,   à 

Bombay. 
China   branch   of   the   Royal   Asiatic  Society,    à 

Shanghaï. 
The  Peking  Oriental  Society,  à  Pékin. 
SociETA  AsiATicA  Italiana  ,  à  FloFencc. 
Société  des  Etudes  juives  ,  rue  Saint-Georges ,  1 7 ,  à 

Paris. 
Société  des  Bollandistes  ,  rue  des  Ursulines ,  1 4 ,  à 

Bruxelles. 
Harpers  University  (American  Journal  of  semitic 

languages  and  literatures),  à  Chicago. 
ARCHiEOLOGicAL  Institute  OF  America  ,  38,  Quincy 

Street,  Cambridge  (États-Unis). 


44  JUILLET-AOÛT  1899. 

Reale  AccadExMia  DEi  LiNCEi,  à  Rome. 

John  Hopkins  University,  à  Baltimore  (Etats-Unis). 

Société  finno-ougrienne,  à  Hclsingfors. 

Société  de  géographie  de  Paris. 

Société  de  géographie  de  Genève. 

Royal  Geographical  Society,  à  Londres. 

Société  des  sciences  de  BvTAvrA. 

Société  historique  algérienne. 

Deutsche  Gesellschaft  fur    Natur-  und  Voelker 

kunde  Ostasiens,  à  Tokio. 
Société  de  philologie,  à  Paris. 
Provincial  Muséum,  à  Lukhnow. 
Indian  Antiquary,  à  Bombay. 

POLYBIBLION  ,  à  Parfs. 

Revue  de  l  Histoire  des  religions. 

American  Journal  of  Arch^eology,  à  Princeton. 

The  Japan  Society,  20, Hannover  square,  h  Londres. 

Revue  de  l'Orient  chrétien,  rue  du  Regard,  20,  à 
Paris. 

Société  de  linguistique,  à  la  Sorbonne,  à  Paris. 

Ecole  française  d^Athenes. 

Revue  biblique  ,  au  Couvent  de  Saint-Etienne,  a  Jé- 
rusalem. 

Université  royale,  à  Upsal  (Suède). 


Ministère  de  l'instruction  publique. 
Ecole  des  langues  orientales  vivantes,  rue  de  Taille  . 
2 ,  à  Paris. 


i 


LISTE  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES  ET  DES  REVUES.    45 

SÉMINAIRE  DES  MISSIONS  ETRANGERES ,  FUC  du  BaC  ,128, 

à  Paris. 

Séminaire  de  Saint-Sulpice  ,  à  Paris. 

Bibliothèque  du  Ministère  de  la  guerre. 

Bibliothèque  du  Chapitre  métropolitain,  à  1  église 
Notre-Dame,  à  Paris. 

Bibliothèque  de  l* Arsenal  ,  rue  de  Sully,  1 ,  à  Paris. 

Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  place  du  Panthéon, 
à  Paris. 

Bibliothèque  Mazarine,  quai  Conti,  2  3,  à  Paris. 

Bibliothèque  de  l'Université  ,  à  la  Sorbonne. 

Bibliothèque  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  rue 
de  BufFon ,  2  ,  à  Paris. 

Bibliothèque  du  Collège  de  France. 

Ecole  normale  supérieure,  rue  d'Ulm,  /i5,  à  Paris. 

Bibliothèque  nationale. 

Séminaire  Israélite  ,  rue  Vauquelin ,  9 ,  à  Paris. 

Faculté  de  droit,  place  du  Ptinthéon ,  à  Paris. 

Parlement  de  Québec  (Ganada)t 

Les  bibliothèques  d'Aix  (en  Provence),  —  de  Mou- 
lins, —  DE  Rennes,  —  d* Annecy,  —  de  Laon, 

DE    PÉRIGUEUX,    DE    SaINT-MaLO,    DES 

Bénédictins  de  Solesmes,  —  de  Toulouse,  — 

DE  BeAUVAIS,  DE  ChAMBÉRY,  DE  NiCE ,  DE 

Reims,  —  de  Rouen,  —  de  lile  de  la  Réunion, 

—  de  Strasbourg,  —  de  Bourges,  —  de  Tours, 

—  de  Metz,  —  de  Nancy,  —  de  Nantes,  —  de 
Narbonne  ,  —  d^Orléans  ,  —  DE  Pau  ,  —  d'Ar- 

RAS, universitaire  DE  LyON  ,  DE  MARSEILLE, 

—  DE  Montpellier  (Faculté  de  médecine  et  Bi- 


46  JUILLET-AOÛT  1899. 

bliothèque  publique),  —  de  Montauban,  —  de 

ValENCIENNES,    DE    VERSAILLES,    DE    ClER- 

MONT-FeRRAND  , DE  CoNSTANTINE,  DE  DiJON  , 

—  DE  Grenoble,  —  du  Havre,  —  de  Lille,  — 
DE  Douai  ,  —  d'Aurillac  ,  —  de  Besançon  ,  —  de 
Bordeaux  (Bibliothèque  publique  et  Université), 

—  DE  Poitiers,  —  de  Caen,  —  de  Carcas- 

SONNE,     de    CaRPENTRAS,     d'AjACCIO,     

D* Amiens,  —  d'Angers,  —  de  Troyes,  — 
d'Avignon,  —  de  Chartres,  —  d'Alger,  — 
d'Avranches. 

IV 
LISTE  DES  OUVRAGES 

PUBLIÉS   PAR   LA  SOCIÉTÉ   ASIATIQUE. 


En  vente  chez  M.  Ernest  Leroux,  éditeur,  rue  Bonaparte,  28 , 

à  Paris. 


Journal  asiatique,  publié  depuis  1822.  La  collection  est  en 
partie  épuisée. 

Chaque  année 2  5  fr. 


Choix  de  fables  arménienkes  du  docteur  Vartan,  en  armé- 
nien et  en  français,  par  J.  Saint-Martin  et  Zohrab.  1825, 
în-8'* 3fr. 

Eléments  de  la  grammaire  japonaise,  par  le  P.  Rodriguez, 
traduits  du  portugais  par  M.  C.  Landresse,  elc.  Paris, 
1 826 ,  in-8**.  —  Supplément  à  la  grammaire  japonaise ,  etc. 
Paris,  i8a6,  in-8'*.  (Épuisé.) 7  fr.  5o 


OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE.     47 

ESSAI  SUR  LE  PÂLI,  OU  langue  sacrée  de  la  prcsqu  île  au  delà 
du  Gange,  par  MM.  £.  Burnoufet  Lassen.  Paris,  i8a6, 
in-8^  (Épuisé.) 1 5  fr. 

Meng-tseu  vel  Mengium  ,  latina  interpretatione  ad  interpre- 
tationem  tartaricam  utramque  recensita  instruxit ,  et  per- 
pétue commentario  e  Sinicis  deprompto  illusttavit  Stanis- 
las Julien.  Latetiœ  Parisiorum ,  182^,  1  vol.  in-8°. .  .    9  fr. 

Yadjnadattabadha,  ou  la  Mort  dTadjnadatta,  épisode 
extrait  du  Râmâyana,  poème  épique  sanscrit,  donné  avec 
le  texte  gravé,  une  analyse  grammaticale  très  détaillée, 
une  traduction  française  et  des  notes,  par  A.-L.  Chézy,  et 
suivi  dune  traduction  latine  littérale,  par  J.-L.  Burnouf. 
Paris,  1826,  in-4**i  avec  quinze  planches 7  fr.  5o 

Vocabulaire  de  la  langue  géorgienne,  par  J.  Klaproth. 
Paris,  1827,  in-8** 7  fr.  5o 

Elégie  sur  la  Prise  d'ëdesse  par  les  Musulmans,  parNer- 
sès  Klaietsi,  patriarche  d'Arménie,  puhliée  pour  la  pre- 
mière fois  en  arménien,  revue  par  le  docteur  Zohrah. 
Paris,  1828,  in-8» 4  Tr.  5o 

La  Reconnaissance  de  Sacountalâ,  drame  sanscrit  et  prà- 
crit  de  CâUdâsa,  publié  pour  la  première  fois  sur  un  ma- 
nuscrit unique  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  accompagné 
d*une  traduction  française,  de  notes  philologiques,  cri- 
tiques  et  littéraires,  et  suivi  d*un  appendice,  par  A.-L. 
Chézy.  Paris,  i83o,  in-4%  avec  une  planche 10  fr. 

Chronique  géorgienne,  traduite  par  M.  Brosset.  Paris,  Im- 
primerie royale,  i83o,  grand  in-8** 9  fr. 

Chrestomathie  chinoise  (publiée  par  Klaproth).  Paris, 
i833,  in-8' 7  fr.  5o 

Eléments  de  la  langue  géorgienne,  par  M.  Brosset.  Paris, 
Imprimerie  royale,  1837,  in-8'' 9  fr. 

GÉOGRAPHIE  d'Abou'lféda,  tcxtc  arabe  publié  par  Reinaud 
et  le  baron  tie  îSlane.  Paris,  Imprimerie  royale,  i84o, 
ïn-à" ^ 24  fr. 


48  JUILLET-AOÛT  1899. 

Râdjataranginî,  ou  Histoire  des  rois  du  Kachmir,  publié 
en  sanscrit  et  traduit  en  français,  par  M.  Troyer.  Paris ^ 
Imprimerie  nationale,  3  forts  vol.  in-8° 20  fr. 

Précis  de  législation  musulmane,  suivant  le  rite  malckile, 
par  Sidi  Khalil,  publié  sous  les  auspices  du  Ministre  de  la 
guerre.  Nouvelle  édition  (sous  presse). 


COLLECTION  D'AUTEURS  ORIENTAUX. 

Les  Voyages  d*Ibn  Batoutah,  texte  arabe  el  traduction  par 
MM.  C.  Defrémery  et  Sanguinelti.  Paris ,  Imprimerie  na- 
tionale, 4  vol.  in-8^  Cliaque  volume 7  fr.  5o 

Table  alphabétique  des  Voyagks  d'Ibn  Batoutah.  Paris, 
1 859 ,  in-S" 3  fr. 

Les  Prairies  d'or  de  Maçoudi,  texte  arabe  et  traduction 
par  M.  Barbier  de  Meynard  (les  trois  premiers  volumes 
en  collaboration  avec  M.  Pavet  de  Courteille).  9  vol.  in-S". 
(Le  tome  IX  comprenant  l'Index.)  Cbaque  vol. . .  7  fr.  5o 

Maçoudi.  Le  livre  de  l'Avertissement  [Kitah  ct-ienhîh)^  traduit 
et  annoté  par  le  baron  Carra  de  Vaux.  1  fort  vol.  in-S". 
Prix 7  fr.  5o. 


Le  Mahàvastu  ,  texte  sanscrit,  publié  pour  la  première  fois, 
avec  des  Introductions  et  un  Commentaire,  par  M.  Em. 
Senarl.  Volumes  I,  If ,  III.  3  forts  volumes  in-8*'.  Chaque 
volume 2  5  fr. 

Chants  popUf.aii\es  des  Afghans,  recueillis,  publiés  et  tra- 
duits par  James  Darmesteter.  Précédés  d'une  Introduction 
sur  la  langue,  l'histoire  et  la  littérature  des  Afghans. 
1  fort  vol.  in-8** 20  fr. 


OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE.     49 

Journal  d'un  voyage  en  Arabie  (i883-i884),  par  Charles 
Huber.  Un  fort  volume  in-8*,  illustré  de  dessins  dans  le 
texte  et  accompagné  de  planches  et  croquis 3o  fr. 


Publication  encouragée  par  la  Société  asiaticpie  : 

Les  mémoires  historiques  de  Se-ma  Tsien,  traduits  du  chi- 
nois et  annotés  par  Edouard  Chavannes,  professeur  au 

Collège  de  France.  Tome  I",  in-S" 1 6  fr. 

Tome  II,  in-8° 20  fr. 

Tome  III ,  première  partie ,  in-8** 1  o  fr. 

Nota,  Les  membres  de  la  Sociélé  qui  s'adresseront  directement 
au  libraire  de  la  Société,  M.  Ernest  Leroux,  rue  Bonaparte,  28,  à 
Paiis,  auront  droit  à  une  remise  de  33  p.  0/0  sur  les  prix  de  tous 
les  ouvrages  ci-dessus,  à  l'exception  du  Journal  asiatique. 


XIV.  !i 

IMmiMEKIB    lATIOIIALB. 


50  JOILLET-AOCT  1899. 

LES 

PREMIÈRES  nVASIONS  ARABES 

DANS  L  AFRIQUE  DU  NORD 

21-lOOH.  — 051-718  J.-C), 

PAR 

M.  CALDEL. 


w 


SI  ITE.  ) 


Les  Arabes  appelèrent  Tépoque  qui  précéda  la 
révélation  islamique  el  Djahiliya  «  Tignorance  »  et  en 
parlèrent  toujours  comme  d'un  temps  fâcheux  qu'ils 
étaient  heureux  de  voir  reculer  dans  le  passé.  Les 
traditions  familiales  et  guerrières  que  rappelait  ce 
temps  tinrent  toujours  une  grande  place  dans  leurs 
mémoires  et  avivèrent  leur  orgueil,  mais  ils  n ai- 
mèrent jamais  parier  de  Tidolàtrie  qui  avait  souillé 
les  âmes  de  leurs  pères.  Ils  auraient  eu  peu  de  chose 
à  en  dire.  Les  tribus  avaient  des  dieux  de  bois  ou  de 
pierre,  que  leur  \-ie  errante  les  obligeait  à  faire  faci- 
lement transportables .  et  qu'elles  traînaient  après  elles 
sans  leur  rendre ,  semble-t-il ,  un  culte  bien  sérieux.  On 
les  \it,  à  rapproche  de  la  mission  de  Mohammed, 
réunir  les  idoles  dans  la  Ka'aba,  ce  qui  facilita  sin- 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  51 

gulièrement  l'exécution  sommaire  qu  en  fit  le  Pro- 
phète, lors  de  sa  rentrée  triomphale  à  la  Mekke. 

Le  dieu  de  la  tribu  de  Kelb ,  Woudd ,  avait  forme 
himfiaine;  Yauk  avait  l'apparence  dun  cheval;  Ya- 
*  ghout,  celle  dun  lion;  Nasr,  celle  d'un  aigle.  Au  dire 
d'El-Harassi ,  la  Kaaba  renfermait  aussi  «  des  figures 
d'anges,  celles  des  prophètes,  l'arbre,  Abraham, 
l'ami  de  Dieu  tenant  dans  ses  mains  les  flèches  du 
sort,  puis  encore  une  figure  de  Jésus,  fils  de  Marie, 
avec  sa  mère  ». 

Les  Arabes  antéislamiques  étaient  ignorants  et 
vaguement  curieux  de  l'avenir,  aussi  croyaient-ils  aux 
devins.  Ils  étaient  crédules,  craignaient  les  sortilèges 
et  interrogeaient  le  sort  dans  la  Ka'aba ,  en  tirant  au 
hasard ,  d'un  sac  rempli  de  flèches ,  qui  portaient  cha- 
cune un  signe,  l'une  d'elles,  dont  la  marque  disait 
ce  qui  serait.  *Abd  Allah ,  père  de  Mohammed ,  faillit 
être  immolé,  sur  la  réponse  que  donna  ce  singulier 
oracle  à  la  question  que  lui  posait  *Abd  el  Mot't'aleb. 
On  voyait  aussi  des  femmes  devineresses ,  et  c'est  à 
l'une  d'elles ,  el  Kahinah  «  la  devineresse  » ,  que  ce 
dernier  en  appela  de  la  sentence  portée  par  les  flèches. 
La  foi  dans  les  devins  et  la  croyance  aux  sortilèges  se 
maintinrent  après  l'Islam.  *Ali ,  le  quatrième  et  le  der- 
nier des  khalifes  parfaits,  passait  pour  posséder  la 
science  de  l'avenir  et  des  livres  cachés.  Les  Musul- 
mans prétendent  «  que  le  dépôt  en  est  conservé  dans 
un  ouvrage  mystérieux  appelé  Gefr.  Le  mot  Gefr  est 
arabe  et  se  dit  vulgairement  d'une  espèce  de  mem- 
brane ,  mais  ici  il  désigne  une  grande  feuille  couverte 

4. 


52  JUILLET-AOÛT  1899. 

de  caractères  et  de  figures  magiques ,  et  contenant  Tex- 
plication  du  passé,  du  présent  et  de  l'avenir.  Les 
uns  disent  que  ce  livre  est  resté  entre  les  mains  des 
descendants  d*Ali  et  qu'à  eux  seuls  en  est  réservée  la 
connaissance;  les  autres  croient  que  la  possession  en 
est  commune  à  tous  et  qu'il  est  libre  à  chacun  dy 
recourir.  Les  sultans  mamlouks  d'Egypte  avaient 
entre  les  mains  une  copie  de  cet  ouvrage,  qui  a  passé 
au  pouvoir  des  sultans  de  Gonstantinople.  Il  en  existe 
plusieurs  versions.  Les  Persans,  et  en  général  les 
partisans  des  droits  d'Ali,  y  ont  une  foi  aveugle  et  le 
consultent  assez  souvent  ^  »  On  ouvre  rarement  un 
manuscrit  arabe,  récemment  acquis  d'un  indigène, 
sans  trouver,  entre  les  feuillets ,  quelque  morceau  de 
papier  divisé  par  des  traits  parallèles,  dans  les  deux 
sens,  en  petits  carrés  qui  renferment  chacun  une 
lettre  de  l'alphabet  ou  un  mot  quelconque,  tandis 
qu'une  légende  enroulée  autour  du  damier  apprend 
quelles  prières  il  faut  dire  et  quels  rites  on  doit 
accomplir  pour  voir  ses  désirs  se  réaliser.  A  tout  cela 
rien  d'étonnant  ni  de  particulier.  La  grande  ignorance 
humaine  a  toujours  cherché  et  toujours  cherchera 
tant  que  se  tairont  la  raison  et  la  science,  la  solution 
de  l'énigme  du  lendemain  dans  des  pratiques  de  ce 
genre. 

Mais  le  problème  de  l'au-delà  tourmentait  trop 
les  Arabes  pour  qu'ils  se  contentassent  de  semblables 
oracles;  quand  l'oppression  de  l'inconnu  augmentait, 

*  Des  vergers ,  p.  2  7 1 . 


LES  PRKMIERKS  INVASIONS  ARABES.  53 

un  homme  se  levait,  qui  croyait  avoir  compris  et 
pariait  aux  autres.  Il  y  eut  ainsi  beaucoup  de  pro- 
phètes. Avant  Mohammed,  Cho'aïb,  fils  de  Dou 
Madham,  instruisit  les  Hadhouras  du  Yemen,  et 
Houd,  les  Adites  du  Hadramaout.  Saleh  fit,  devant 
les  Béni  Thamoud,  un  miracle  :  «  Un  rocher  de  gra- 
nit s'entr  ouvrit  à  son  commandement  et  il  en  sortit 
une  chamelle  pleine  qui  mit  bas  son  petit.  Ce  pro- 
dige s'opérait  à  la  demande  des  Reni  Thamoud; 
cependant  il  ne  put  les  convaincre;  non  seulement 
ils  persistèrent  dans  leur  idolâtrie,  mais  ils  tuèrent  la 
chamelle,  dont  la  présence  était  pour  eux  un  re- 
proche incessant  de  désobéissance  et  d^opiniâtreté. 
La  vengeance  céleste  ne  se  fit  pas  attendre  :  le  sol 
trembla,  les  montagnes  se  fendirent  et  tous  les  gens 
de  la  tribu  tombèrent  morts,  la  face  contre  terre  ^  » 
Houd  avait  été  battu  de  verges  par  les  Adites.  Il  fal- 
lait aux  prophètes  une  âpre  volonté  et  im  vigoureux 
esprit  de  prosélytisme  pour  affronter  la  barbarie  de 
leurs  frères,  et  leurs  appels  restaient  vains.  Au  temps 
même  de  Mohammed,  el  Asoued,  Mous'aïlamah  ibn 
Habib  et  Toulaiha  ibn  Khouwaïled  tentaient,  sans 
plus  de  succès,  d'élever  la  pensée  arabe,  qui  se  refu- 
sait et  retombait  inerte.  Elle  voulait  voir  pour  croire  ; 
il  lui  fallait  des  miracles  qui,  une  fois  accomplis,  ne 
paraissaient  jamais  assez  probants.  Lart  du  thauma- 
turge n  en  imposait  pas  à  des  esprits  aussi  pratiques 
et  aussi  soupçonneux  et  faisait  fausse  route  en  s  adres- 

*  Desvergers,  p.  49. 


54  JUILLET-AOÛT  1899. 

sant  à  des  sens  aiguisés ,  excitables  jusqu'à  la  souf- 
france, ébranlés  déjà  de  sensations  trop  vives,  tandis 
que  la  conscience  intime  dormait.  —  Tout  changea 
quand  parut  Mohammed. 

Mohammed  ibn  'Abd  Allah  ibn  'Abdj  el  MotValeb 
était  im  orphelin  sans  fortune.  La  famille  des  Hachi- 
mites ,  à  laquelle  il  appartenait ,  était  pauvre  *  ;  il  dut , 
pour  vivre ,  se  faire  berger.  On  confiait  généralement 
le  soin  de  garder  les  troupeaux  aux  filles  et  aux  es- 
claves^. Le  futur  prophète  abandonna  cette  condi- 
tion servile  pour  devenir  chamelier  et  fut  assez  heu- 
reux pour  épouser  une  riche  Mekkoise,  Khadidjah, 
veuve d'im  commerçant  et  dont  il  avait  géré  les  affaires. 
Aquarantft  ans ,  Mohammed  a  beaucoup  voyagé ,  visité 
les  diverses  régions  de  TArabie ,  entrevu  la  civilisation 
grecque,  fait  un  peu  la  guerre  et  beaucoup  trafiqué 
et  appris  de  droite  et  de  gauche,  par  lambeaux,  les 
traditions  de  son  peuple  et  de  quelques-unes  des  na- 
tions voisines.  Il  n  est  pas  plus  savant  que  les  hommes 
de  Qoraïch  qui  Tentourent^  et  n  a  jamais  quitté  le 
milieu  arabe.  Une  inquiétude  le  saisit  :  il  devient  taci- 
turne et  recherche  la  solitude ,  gagne  souvent  les  mon- 
tagnes voisines  de  la  ville  et  y  demeure  des  journée > 

^  Sprenger,  Dos  Leben  des  Mohammadj  1,  p.  i4i. 

'  Ibid,,  p.  147. 

'  «  Die  geistige  Bildung  der  Mekkaner  oder  Koreischiten  wie  sie 
sich  nannten,  war  bedeutend.  Die  ineisten  konnten  leHen  und 
schreiben  ;  sie  hatten  sichauf  ihren  Geschâfst-reisen  nicht  zu  unter- 
schàtzende  Kenntnisse  erworbcn  und  konnten  sich  dem  Proplieten 
gegenûber  auf  ibr  Wissen  bùsten»  (Sprenger,  Mohammed  und  der 
Kornn^  ^i. 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  55 

entières ,  absorbé  dans  la  contemplation.  Le  fait  n  éton- 
nait pas  son  entourage;  les  Arabes  étaient  coutumiers 
des  longues  courses  solitaires  et  leur  goût  pour  les 
cc^itations  intimes,  loin  du  monde,  en  quelque  coin 
sombre ,  suffisait  à  leur  expliquer  les  subites  dispari- 
tions de  Mohammed.  Au  retour  d  une  de  ces  excur- 
sions, celui-ci  commença  à  prophétiser,  d  abord  avec 
discrétion,  dans  le  petit  cercle  de  ses  intimes,  puis 
devant  tous  ceux  qui  prêtaient  Toreille  à  ses  discours. 
Ce  prophétisme  ne  dut  pas ,  non  plus ,  étonner  beau- 
coup ;  il  n'était  pas  rare  dans  la  péninsule ,  et  les  noms 
cités  tout  à  rheure  suffisent  à  prouver  que  plus  d  un 
inspii'é  avait  déjà  pris  la  parole,  sous  les  tentes  d(»s 
tribus,  avant  l'apparition  du  «  Sceau  des  prophètes  ». 
Le  prophétisme  était,  en  Arabie,  à  l'état  endé- 
mique. La  vie  solitaire,  les  longues  réflexions  vides, 
la  contemplation  d'une  nature  brutale  et  pesante,  la 
suggestion  des  mirages,  la  tension  nerveuse  déve- 
loppée par  les  fatigues,  les  dangers  et  les  privations, 
tout  poussait  l'homme  à  rêver  et,  rêvant,  à  imaginer 
la  fin  des  choses  dans  une  formule  très  simple  qui 
lui  épargnât  la  fatigue  de  chercher.  Le  saut  était  aussi 
brusque ,  dans  l'intelligence ,  de  la  complète  ignorance 
à  la  clarté  parfaite  de  tout,  qu'était  rapide,  dans  le 
système  nerveux,  la  transition  de  la  sensation  à  la 
conception.  C'était  toujours  la  même  brutalité,  la 
même  absence  de  gradation  et  de  nuances.  La  lueur 
qui  avait  illuminé  l'esprit  prenait  une  apparence  sur- 
naturelle, et  l'homme  sentait  passer  en  lui  un  soufïle 
qu'il  attribuait  à  l'esprit  d'En  Haut.  La  formule  trou- 


56  JUILLET-AOÛT  1899. 

vée,  il  fallait  la  répandre;  Thomme  y  travaillait 
comme  il  faisait  toutes  choses,  sans  calcul  ni  mesure  : 
c'était  un  prophète  de  plus. 

Mohammed ,  inspiré ,  parla.  Ses  sectateurs  recueil- 
lirent ses  paroles ,  car  c'était  Dieu  qui ,  par  sa  bouche , 
leur  transmettait  la  vérité,  et  la  vérité,  celte  fois,  se 
répandit.  Pourquoi  le  nouveau  prophète  réussit-il  là 
où  les  autres  avaient  échoué.^  Le  hasard  lui  fut  sans 
doute  favorable;  peut-être  aussi  puisa-t-il  une 
grande  force  dans  la  pureté  naïve  de  sa  doctrine  et 
la  cadence  aisée  de  ses  discours.  Il  fut  intelligible  et 
éloquent,  et  ses  compatriotes  prisaient  fort  les  beaux 
diseurs;  il  s'attaqua  aux  sentiments  au  lieu  de  s'adres- 
ser aux  sens,  et  fit  vibrer  dans  le  cœur  des  siens  des 
cordes  nouvelles  au  lieu  de  leur  exhiber  des  prodiges. 
Ses  prédécesseurs  avaient  été  des  thaumaturges;  il  fut 
simplement  un  prédicateur  et  se  défendit  toujours 
de  faire  des  miracles.  On  en  cite  peu  à  son  actif.  A 
Hodaïbiya,  il  fit  couler  de  l'eau  d'une  source  desséchée 
en  y  plongeant  une  flèche;  c'est,  disent  les  historiens 
arabes,  le  miracle  le  plus  avéré  qui  ait  été  constaté; 
pur  incident  dans  la  vie  du  Prophète,  qui  dut  son 
succès  à  d'autres  causes. 

Il  se  présentait  comme  «l'envoyé  du  Seigneur,  le 
sceau  des  prophètes  ^  —  Tous  les  peuples  eurent 
des  prophètes  qui  les  jugèrent  avec  équité  2.  —  11 
n'est  point  de  nation  qui  n'ait  eu  son  apôtre^. — 

»  Qoran,  XXXIII,  4o. 
2  Qoran,  II.  /i8. 
•»  Qoran,  XXXV,  9.9.. 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  57 

Chaque  peuple  a  eu  son  guide  '  »,  il  est  celui  du 
peuple  arabe.  —  «  Je  suis  un  homme  comme  vous , 
ajoute-t-il,  mais  jai  été  favorisé  des  révélations 
divines  2.  »  —  Le  Dieu  qui  lui  parie  est  unique  :  «  11 
n  y  a  pas  d'autre  Dieu  que  le  Dieu  unique.  »  C'est 
la  fonnule  fondamentale  de  la  nouvelle  croyance. 
C'est  Allah  er-raK  mân  er-roKim  «  Miserator  et  Miseri- 
cors  Dominus  ».  «  Il  est  le  commencement  et  la  fin^. 
—  Le  centre  où  tout  se  réunira^,  —  .  .le  terme 
de  toutes  choses^ —  ...  il  est  un,  il  est  éternel.  11  n'a 
point  enfanté  et  n'a  point  été  enfanté.  11  n'a  point 
d'égal^  —  Il  tient  entre  ses  mains  les  clefs  de  l'ave- 
nir, Lui  seul  le  connaît.  Il  sait  ce  qui  est  sur  la  terre 
et  au  fond  des  mers.  Il  ne  tombo  pas  une  feuille 
qu'il  n'en  ait  connaissance"^.  —  Si  trois  personnes 
s'entretiennent  ensemble,  il  est  le  quatrième.  Si  cinq 
personnes  sont  réunies  pour  converser,  il  est  le 
sixième^.  »  Voilà  qui  explique  le  monde  et  nous  tous, 
voilà  qui  satisfait  à  la  première  curiosité  de  l'homme  : 
connaître  ses  origines.  Mais'  autre  chose  le  tourmente 
davantage  :  où  va-t-il?  qu'y  a-t-il  derrière  la  morl.^ 
«  Toute  âme  doit  goûter  la  mort  ^ .  .  .   jusqu'au 


»  Qoran,  XIII,  8. 

»  Qoran,  XVIII,  101. 

•^  Qoran,  LVir,  3. 

*  Qoran,  ÏII,  io/|. 

'^  Qoran,  XL,  3. 

«  Qoran ,  CXII ,  1 ,  /| . 

'  Qoran,  VI,  60. 

8  Qoran,  L VIII,  8. 

«  Qoran,  III,  iSf?;  XXI,  36;  XXIX,  67. 


58  JUILLET-AOÛT  1899. 

jour  de  ia  résurrection  et  du  jugement.  .  .  jusqu'à 
ce  que  Dieu  ait  prononcé  entre  nous ,  car  il  est  le 
meilleur  des  juges ^  —  .  .  .c'est  le  jour  où  chaque 
âme  vient  plaider  pour  elle-même^.  —  Au  jour  de 
résurrection ,  la  terre  entière  ne  forme  qu'une  seule 
poignée  et  les  cieux  sont  roulés  dans  sa  main  droite 
(de  Dieu)  ^  —  Un  jour  nous  vaquerons  à  votre  juge- 
ipent,  ô  hommes*!  —  En  ce  jour-là,  à  chaque 
homme  suffira  son  affaire^.  »  On  fait  alors  paraître 
devant  les  hommes  «  un  livre  immense  qui  obstrue 
tout  lespace  entre  l'Orient  et  l'Occident.  Toutes  les 
actions  des  hommes  y  sont  inscrites  ^.  —  Il  n'y  a  au- 
cune petite  faute  ni  aucun  grand  crime  qui  ne  s'y 
trouvent  enregistrés.  Ils  y  trouvent  présent  tout 
ce  qu'Us  ont  commis  et  son  Seigneur  ne  fait  tort  à 
personne  '^.  »  Les  actions  de  chacun  parlent  pour 
lui ,  les  bons  sont  reçus  dans  le  paradis  et  les  mé- 
chants vont  dans  l'enfer.  A  chacun  de  veiller  sur 
soi  pour  mériter  le  premier  et  éviter  le  second;  les 
prières  du  voisin  ne  le  sauveront  pas  s'il  n'a  lui- 
même  travaillé  à  son  salut  et  d'abord  professé  la 
foi  musulmane. —  «  La  religion  de  Dieu  est  l'Islam^  » , 
c'est-à-dire  le  fait  de  chercher  son  salut  en  Dieu,  de 


1  Qoran,  VU,  85. 
^  Qoran,  XVI,  112. 
^  Qoran,  XXXIX,  67. 
*  Qoran,  LV,  3i. 
'  Qoran,  LXXX,  07. 
®  Ghazzâii,  67. 
'  Qoran,  XVllI,  li-j. 
®  Qoran,  III,  17. 


\ 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  59 

se  résigner  à  sa  volonté;  ceux  qui  agissent  ainsi  sont 
dits  MousUmoan  y  dont  nous  avons  fait  Musulmans. 
Pour  confesser  la  foi,  il  suffît  de  prononcer  avec  con- 
viction et  h  haute  voix  la  formule  :  «  Il  n'y  a  pas 
d autre  dieu  que  le  Dieu  (Unique)  et  Mohammed  est 
le  prophète  de  Dieu;  je  porte  témoignage  qui!  n'y  a 
pas  d'autre  dieu  que  Lui  et  que  Mohammed  est  son 
prophète  et  son  serviteur.  »  Celui  qui  a  dit  cela  et  qui 
pratique  le  culte  est  un  bon  musulman.  De  culte,  il 
n'y  en  a  guère,  et  il  est  presque  tout  personnel  :  il 
faut ,  cinq  fois  par  jour,  dire  la  prière ,  après  avoir  fait 
ses  ablutions,  et  la  prière  doit  être  dite  en  langue 
arabe,  car  cest  dans  cet  idiome  que  le  Seigneur  a 
révélé  son  livre ,  qui  ne  peut  être  traduit  en  aucun 
autre;  il  faut  jeûner  pendant  le  mois  du  Ramadhan , 
faire  l'aumône,  payer  la  dîme  et  aller  en  pèlerinage 
à  la  Mekke.  Mais  aucune  de  ces  prescriptions  n'est 
ni  bien  lourde  ni  strictement  obligatoire  :  la  prière 
est  courte  et,  en  cas  d'oubli  ou  d'impossibilité,  peut 
être  dite  à  une  autre  heure  que  celle  prévue  par  la  loi  ; 
le  jeûne  ne  dure  que  pendant  le  jour  et  n'entraîne 
qu'une  modification  gênante  dans  la  manière  de 
vivre,  et  ainsi  du  reste.  D'une  façon  générale,  le 
culte  nest  pas  obligatoire  en  cas  de  danger  \ 

Rien  dans  tout  cela  qui  ne  soit  simple ,  compré- 
hensible et  doucement  attirant,  comme  toutes  les 
doctrines  vagues  et  faciles,  qui  laissent  l'esprit  évo- 
luer à  l'aise  dans  l'ampleur  de  leurs  formules.  Rien 

^  Voir    dans  la   Grande    Encyclopédie  l'article   Islamisme,    par 
M.  Houdas. 


60  JUILLET-AOUT  1899. 

qui  contraigne  la  pensée  à  lutter  contre  le  doute,  en 
édifiant  une  muraille  de  raisonnement  autour  dun 
dogme  qui  défie  la  raison;  rien  qui  empêche  la  libre 
expansion  de  la  nature  physique,  en  mortifiant  les 
sens  ;  rien  qui  soumette  la  pensée  à  Tautorité  d  une 
pensée  voisine,  en  donnant  à  un  clergé  la  suprématie 
sur  les  âmes.  Les  ignorances  se  fondent  en  adora- 
tions naïves;  les  curiosités  s'abîment  en  contempla- 
tions muettes;  les  sens  et  les  passions  jouent  à  Taise 
sous  le  manteau  religieux  et  sassoupissent  douce- 
meut  dans  une  jouissance  mesurée,  placide  et  lé- 
gitime. 

Tout  homme  peut  saisir  ces  concepts  et  professer 
cette  foi;  mieux  que  toute  autre,  elle  lui  fera  con 
naître  Dieu.  Nos  consciences  aryennes  ont,  de  la  di- 
vinité, une  idée  spéciale;  elles  la  conçoivent  vive- 
ment mais,  tout  aussitôt,  prennent  sa  mesure.  C'est 
toujours  notre  même  façon  de  penser,  décrivant 
tout  autour  du  sujet  une  limite,  portant  sans  cesse 
le  regard  de  fesprit,  du  centre  à  la  périphérie.  Nous 
adorons  Dieu  profondément,  mais  nous  le  discutons 
avec  passion.  D'abord,  nous  le  voulons  près  de 
nous  ;  l'intermédiaire  prophétique  ne  nous  suffit  pas 
et  notre  orgueil  exige  qu'il  prenne  notre  apparence, 
comme  dans  la  mythologie  antique,  et  descende  sur 
Ja  terre,  ou  au  moins  quil  envoie  une  émanation 
de  sa  personne,  qui  entre  en  contact  avec  nous.  Nous 
nous  complaisons  à  ce  rapprochement;  il  flatte  notre 
vanité  en  remettant  le  Créateur  presque  dans  la 
créature.  Ce  Dieu  tout  proche,  nous  ne  f acceptons 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  61 

que  sous  bénéfice  d'inventaire,  nous  le  chicanons 
sur  les  hyposthases,  nous  lui  disputons  les  attributs 
et,  avant  de  Tadorer,  nous  le  détaillons;  il  y  a  du 
syllogisme  dans  notre  prière;  nos  actes  de  foi  re- 
cèlent des  réticences  ;  la  raison  et  la  foi  disputent 
sans  cesse  en  nous,  et  la  foi  ne  Temporte  que  si 
la  raison  est  satisfaite  par  les  preuves  multiples 
qu'elle  découvre  de  Texistence  de  Dieu. 

Dieu  existe-t-il?  Voilà  une  question  que  le  sé- 
mite ne  songe  pas  à  se  poser.  Là,  comme  ailleurs, 
il  commence  par  où  nous  finissons,  et  adore 
pour  raisonner  ensuite,  s'il  en  a  le  loisir.  Il  accepte 
naïvement,  à  conscience  grande  ouverte,  la  révéla- 
tion que  nous  contrôlons  soigneusement,  et  son  ima- 
gination grandit  encore  et  exalte  ce  que  notre  logi- 
que tatillonne  rapetisse  et  rabaisse.  Il  s'absorbe 
dans  la  divinité  et  cherche  à  se  modeler  sur  elle, 
tandis  que  nous  la  ramenons  à  nous;  il  lui  demande 
non  seulement  une  foi,  mais  une  loi,  et  n'accepte 
pour  roi  sur  cette  terre  que  l'homme  qu'elle  a  mar- 
qué de  son  sceau. 

La  loi  se  trouve  dans  le  Qoran  «  la  lecture  » , 
dicté  par  Dieu  au  prophète,  qui  l'a  transmis  aux  hom- 
mes. Il  est  sorti  par  lambeaux  des  lèvres  de  l'envoyé, 
du  resoul,  et  chaque  morceau  a  été  soigneusement 
joint  au  précédent,  à  mesure  que  la  révélation  opé- 
rait, avec  un  beau  dédain  de  l'ordre  et  de  la  mé- 
thode. Si  l'on  veut  avoir  l'image  fidèle  de  l'espril 
arabe,  c'est  dans  le  livre  qu'il  faut  l'aller  chercher; 
de  brefs  aphorismes  lances  à  toute  volée,  des  com- 


62  JUILLET-AOÛT  1899. 

mandements  impérieux  qui  ne  souffrent  pas  la  con- 
tradiction, des  conseils  qui  éclatent  dans  la  phrase 
sonore  et  rythmée  comme  des  ordres  de  bataille, 
des  formules  obscures  qui  dénotent  une  pensée  ab- 
sorbée et  dédaigneuse  de  la  réalité,  des  images  saisis- 
santes ,  des  menaces  terrifiantes  et  de  tendres  objur- 
gations; tout  cela  haché,  haletant,  âpre  et  scandé 
d'exclamations  véhémentes  qui  achèvent  de  broyer 
les  résistances  et  de  détendre  les  âmes.  C'est  bien  ce 
qu'il  fallait  à  l'esprit  arabe ,  qu'on  peut  briser,  mais 
non  ployer  ;  c'est  ce  qu'il  fallait  pour  les  âmes  simples 
et  obscures  que  la  propagande  arabe  conquit  à  l'Islam. 
La  doctrine  musulmane,  après  avoir  subjugué  les 
âmes  arabes,  en  conquit  beaucoup  d'autres  et  en 
conquiert  encore  chaque  jour,  parce  qu'elle  est  per- 
suasive, convaincante  et  simple.  Elle  est  faite  pour 
des  peuples  enfants  qui  n'ont  pas  beaucoup  de  loisir 
pour  penser,  ni  beaucoup  d'intelligence  pour  rai- 
sonner et  qui ,  cependant ,  rêvent  volontiers  et  aspirent 
il  quelque  idéal.  Elle  les  touche  par  tous  les  points 
sensibles  et  satisfait  toutes  leurs  aspirations. 

Et  d'abord  elle  parle  à  leur  imagination  en  lui 
faisant  du  monde  futur  un  tableau  saisissant  de  réa- 
lisme, tel  qu'elle  peut  le  concevoir,  et  satisfait 
ainsi  le  besoin  inné  qu'éprouve  l'homme,  quelque 
bas  qu'il  soit  placé  sur  l'échelle  de  la  civilisation,  de 
connaître  le  sort  qin  l'attend  après  le  trépas. 

Elle  donne  aussi  un  aliment  à  la  passion  d'idéal 
qui  tourmente  l'humanité,  en  lui  parlant  d'un  Dieu 
puissant  et  juste  qui  châtie  ou  récompense,  redresse 


^ 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  63 

ce  que  le  monde  a  brisé ,  guérit  les  blessures  qu  il  a 
faites  et  pardonne  les  fautes  des  pécheurs  repen- 
tants; Dieu  placé  très  haut,  presque  inaccessible, 
qu'on  verra  cependant  un  jour  dans  un  rayon  de 
gloire  et,  qu'en  attendant,  on  doit  prier  sans  cesse. 
La  conception  que  le  croyant  peut  s'en  faire  est 
simple  et  ne  laisse  pas  de  place  au  doute.  Nulle  part, 
du  reste,  celui-ci  n'a  d'accès  dans  la  foi  islamique; 
il  faut  croire  tout  ou  ne  rien  admettre,  mais  discuter 
est  impossible  ;  il  n'y  a ,  ici ,  ni  dogmes  qui  ouvrent 
la  porte  à  la  controverse,  ni  rites  qu'on  puisse  in- 
terpréter de  façons  différentes. 

La  foi  emplit  l'âme  tout  entière  et  laisse  le  phy- 
sique libre;  elle  n'exige  pas  les  renoncements  qui 
coûtent  tant  aux  natures  primitives.  Sous  elle,  les 
sens  jouent  au  large  et  se  satisfont  sans  contrainte. 
Le  croyant  peut  user  à  Taise  de  la  vie  de  ce  monde 
sans  compromettre  son  salut  dans  l'autre;  la  jouis 
sance  terrestre  est  un  avant-goût  très  licite  des  joies 
du  paradis.  Cette  morale  fort  large  laisse  aux  facultés 
physiques  tout  leur  jeu,  et  la  foi,  loin  de  les  con- 
traindre, suscite  leur  effort. 

On  chercherait  vainement  ailleurs  une  religion 
plus  élevée  dans  son  concept  et  d'une  pratique  plus 
facile ,  qui  respecte  mieux  les  passions  physiques  en 
satisfaisant  les  aspirations  morales  et  qui  sache 
mieux  tirer  de  l'effort  du  physique,  suscité  parle 
moral,  un  maximum  d'effet  utile. 

Elle  donna  à  la  race  à  laquelle  Dieu  la  révéla  le 
seul  sens  qui  lui  manquait  pour  faire  de  grandes 


64  JUILLET-AOÛT  1899. 

choses  :  le  sens  de  lunité  et  de  la  coordination, 
unité  de  la  pensée  et  coordination  des  actions.  Elle 
fut  le  souffle  qui  anime  la  matière ,  le  moteiu*  qui  met 
la  machine  en  marche;  comme  tous  les  sentiments 
de  Tâme  arabe,  elle  fut  exubérante;  la  passion  exal- 
tait les  sens,  surmenait  les  corps  et  les  brisait  plutôt 
que  de  céder;  la  foi  religieuse  éperonna  la  race,  la 
jeta  à  corps  perdu  dans  la  carrière,  lui  fit  donner 
tout  son  eftbrt,  Tépuisa  et  la  laissa  poussive  pour 
toujours.  Mais,  dans  sa  chevauchée,  la  foi  avait  ren- 
contré d'autres  peuples  et  enlevé  d'assaut  d'autres 
consciences. 

Loin  de  périr,  elle  progresse  plus  lentement  et 
plus  sûrement  et  grandit  encore  aujourd'hui.  Mais 
il  faut,  avec  l'Arabe,  se  défier  des  retours  subits. 
Mohammed  ne  fut  pas  toujours  suivi  fidèlement  : 
«  Souviens-toi ,  fait-il  dire  à  Dieu  dans  le  Qoran ,  du 
moment  où  Dieu  te  lit  sortir  de  ta  demeure  pour  la 
mission  de  vérité,  lorsqu'une  partie  des  croyants  ne 
te  suivaient  qu'à  contre-cœur  et  qu'ils  discutaient  avec 
toi  comme  si  on  les  eût  conduits  à  la  mort.  » 

Lorsque,  le  8  juin  632  (i3  Rebi  el  Eouel  de 
l'an  11  de  l'hégire),  le  prophète  rendit  l'àme,  son 
œuvre  fut  sm'  le  point  de  périr.  Les  Arabes  aban- 
donnèrent l'Islamisme ,  et  les  seules  villes  de  la 
Mekke,  Médine  et  Taïef  persistèrent  dans  la 
croyance ^  Les  renégats  disaient  que,  si  Mohammed 
avait  été  vraiment  le  prophète  de  Dieu,  il  ne  serait 

^  Ahou'l  PVda,  Ann.  I,  p.  181». 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  65 

pas  mort,  et,  sur  ce  beau  prétexte,  ils  refusèrent  de 
payer  la  dîme  aumônière ,  car,  toujours ,  dans  l'histoire 
arabe,  Imtérêt  matériel  qui  met  en  mouvement  les 
hommes  se  découvre  vite.  Les  fidèles  cherchèrent 
en  vain  à  les  convaincre  que.  tous  les  prophètes  an- 
térieurs, dont  nul  ne  contestait  la  mission  divine, 
étaient  morts,  le  propos  détenniné  des  tribus  de  ne 
pas  payer  Timpôt  les  affermit  dans  leur  hérésie  et  il 
fallut  envoyer  contre  elles  des  troupes  qui  les  sou- 
mirent^. Ce  ne  fut  qu'une  émotion  passagère,  et 
bientôt  un  intérêt  plus  puissant,  et  matériel  aussi, 
unit  fortement  les  tribus.  Mohammed  leur  avait  re- 
commandé la  guerre  sainte,  le  Djihâd;  elles  s  y  je- 
tèrent avec  la  frénésie  de  néophytes  et  Tâpreté  de 
coureurs  de  grands  chemins. 

Lorsqu'Abou  Bekr  proposa  à  Khaled  le  com- 
mandement des  troupes  qu'il  voulait  envoyer  contre 
les  Grecs  :  «  J'ai  déjà  commandé  deux  fois  l'armée 
des  musulmans,  répondit-il,  deux  fois  j'ai  dû  mé- 
nager ma  vie,  car  la  vie  du  général  c'est,  pour  son 
armée,  la  condition  du  triomphe;  il  est  bien  temps 
que,  simple  soldat,  je  puisse  aller  chercher  la  mort; 
la  mort,  c'est  le  paradis^.  » 

Moqaouqas,  gouverneur  de  l'Egypte,  avait  envoyé 
des  parlementaires  aux  envahisseurs.  Lorsqu'ils  re- 
vinrent, il  leur  demanda  :  «Que  sont  ces  gens  là? 
' —  Nous  avons  vu,  lui  répondirent-ils,  une  troupe 
où  chaque  homme  préfère  la  mort  à  Ja  vie  et  la 

^  Ibn  et-Tiqt'aqab ,  Fahkri  90  du  texte  (éd.  de  Greifswald). 
^  N.  Desvergers,  p.  /joa. 

XIV.  5 

IMfRIMKRIB    lATIOSALt. 


66  JUILLET-AOÛT  1899. 

simplicité  à  la  grandeur.  Ils  n  ont  nulle  convoitise  et 
nulle  concupiscence  en  ce  monde;  ils  s'asseyent 
dans  la  poussière  et  mangent  sur  leur  selle.  Leur 
chef  ressemble  au  dernier  des  soldats  ;  on  ne  peut 
distinguer  dans  leur  troupe  le  noble  du  manant,  ni 
le  serviteur  du  maître.  Quand  vient  l'heure  de  la 
prière,  aucun  d'eux  ne  manque  de  faire  ses  ablu- 
tions et  de  sMiuniilier  dans  ses  oraisons  ^.  » 

*Ibâdah  ibn  es'-S'àmet,  envoyé  par  ^Amribn  el  'As 
au  mêmeMoqaouqas,  lui  disait  :  «Grâce  à  Dieu^  je 
ne  crains  pas  cent  ennemis  m'attaquant  ensemble  et 
mes  compagnons  sont  comme  moi.  Notre  seul  désir, 
notre  seul  souci  est  de  faire  la  guerre  sainte  et  de 
mériter  par  là  les  faveurs  de  Dieu.  Nous  ne  combat- 
tons pas  lennemi  de  Dieu  pour  acquérir  les  biens 
de  ce  monde  et  nous  ne  les  recherchons  que  si  Dieu 
nous  le  permet  ;  il  a  déclaré  licite  le  butin  que  nous 
faisons  sur  Tennemi,  mais  nul  d'entre  nous  ne  se 
soucie  de  savoir  s'il  possède  un  qint*ar  d'or  ou  seu- 
lement un  seul  dirhem.  Il  ne  se  préoccupe  que  du 
pain  quotidien  et  de  TétofTe  qui  lui  fera  un  vête- 
ment; n'eut-il  que  cela,  c'est  assez,  et  s'il  possède  un 
qint'ar  d'or,  il  le  dépensera  en  bonnes  œuvres  pour 
obéir  à  Dieu  (qu'il  soit  exalté)  et  il  restreindra  à 
cela  son  souci  des  biens  de  ce  monde,  parce  que  les 
jouissances  de  ce  monde  ne  sont  pas  des  jouissances 
et  que  l'abondance  des  biens  de  ce  monde  n'est  pas 
une  richesse.  Jouissances  et  richesses  sont  dans  l'au- 

'  Ahou'l  Maliasin,  p.  i3. 


i 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  67 

tre  monde.  Voilà  ce  que  nous  a  dit  notre  Seigneur 
par  la  bouche  de  son  envoyé  ^  »  —  «  Il  n  y  a  pas  parmi 
nous  un  seul  homme,  ajoutait-il,  qui  ne  supplie 
matin  et  soir  le  Seigneur  de  lui  accorder  comme  une 
faveur  le  martyre  [ech-chikadah,  la  mort  dans  la 
bataille  livrée  à  Tinfidèle)  et  qui  ne  lui  demande  de 
ne  jamais  revoir  ni  sa  patiie,  ni  sa  tribu,  ni  ses 
enfants.  Aucun  de  nous  ne  se  soucie  de  ce  qu'il 
a  laissé  derrière  lui,  car  il  a  confié  famille  et  enfants 
à  la  garde  de  Dieu.  Notre  unique  préoccupation 
est  devant  nous^.  » 

*Abd  allah  ibn  ez-Zobaïr,  un  des  conquérants  de 
TAfrique,  puis  prétendant  au  Khalifat,  assiégé  par 
les  troupes  de  son  rival  dans  la  Mekke  et  sur  le  point 
de  périr,  monte,  avant  le  dernier  assaut,  dans  la 
chaire  et  dit  :  «  Louange  à  Dieu  à  qui  seul  appar- 
tiennent la  puissance  de  créer  et  le  pouvoir  su- 
prême. O  Dieu  !  vous  donnez  et  vous  ôtez  Tempire 
à  qui  il  vous  plaît.  .  .  Pour  nous,  si  nous  périssons, 
nous  ne  mourions  pas  d'hydropisie ,  comme  meu- 
rent les  fils  d'Alas ,  car  aucim  d  eux ,  ni  sous  le  pa- 
ganisme, ni  depuis  Tislamisme,  na  péri  de  mort 
violente  ;  pour  nous ,  nous  ne  périssons  que  percés 
par  les  lances  ou  succombant  sous  les  coups  du 
glaive^.  » 

Les  Arabes  ont  toujours  aimé  la  guerre  et  n  ont 
jamais  craint  la  mort.  Avant  l'Islam ,  ils  faisaient  la 

^  Abou'l  Mahasin,  p.  i4. 
*  Abou'l  Mahasin,  p.  16. 
*''  N.  Desvergers,  p.  3o8. 


68  JUILLET-AOÛT  1899. 

guerre  par  plaisir;  après,  ils  la  firent  par  devoir. 
Avant  risiam,  ils  affrontaient  ia  mort  sans  [trembler  ; 
après,  ils  coururent  au  devant  d*elle.  a  Si  vous 
mourez  ou  si  vous  êtes  tués  en  défendant  la  foi , 
songez  que  la  miséricorde  divine  vaut  mieux  que  les 
richesses  que  vous  aurez  amassées  ^  —  Ne  croyez 
pas  que  ceux  qui  ont  succombé  dans  le  combat  soient 
morts  ;  au  contraire ,  ils  vivent  et  reçoivent  leur  nour- 
riture des  mains  du  Tout-Puissant  ^.  —  Les  croyants 
qui  s'arracheront  du  sein  de  leurs  familles  pour  se 
ranger  sous  les  étendards  de  Dieu,  sacrifiant  leurs 
biens  et  leurs  vies,  auront  les  places  les  plus  hono- 
rables dans  le  royaume  des  Cieux  ^.  » 

Tous  les  Arabes  partirent  pour  la  guerre  sainte 
qui ,  ouvrant  une  carrière  à  leur  activité  fébrile  et 
permettant  à  leur  foi  religieuse  toute  neuve  de  s  é- 
pandre,  satisfaisait  et  leurs  passions  brutales ,  et  leurs 
appétits  terrestres,  et  leurs  aspirations  morales. 
Aboul  Mahasin,  que  je  citais  tout  à  fheure,  met 
dans  la  bouche  de  ses  guerriers  des  discours  acadé- 
micjues  qui  ne  valent  que  par  l'intention  et  le  senti- 
ment qu'ils  impliquent.  L'auteur  écrivait  huit  cents 
ans  après  les  invasions.  Mais  s'il  ne  sut  pas  mieux  que 
nous  ne  savons  nous-mêmes  ce  que  disaient  exacte- 
ment les  soldais  d'Amr  au  gouverneur  de  l'Egypte, 
il  eut  le  sens  des  choses  et  comprit  très  bien  ce  que 
ces  hommes- là  pensaient  et  ce  qui  les  faisait  agir. 

'  Qoran,  m,  v.  i5o. 
-  Qoran,  m,  v.  1G2. 
*  Qoran,  i\,  v.  20. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  69 

Son  ouvrage  nest,  du  reste,  quune  compilation 
d'œuvres  beaucoup  plus  anciennes.  Ne  sommes-nous 
pas  tous  d  accord  pour  admettre  que  Tite-Live ,  qui 
écrivait  deux  cents  ans  après  Cannes,  rendit  fidèle- 
ment, dans  les  discours  quil  fait  prononcer  aux  gé- 
néraux romains,  sinon  le  texte  exact,  du  moins  la 
pensée,  l'idée,  le  sentiment?  Mais  à  de  telles  dis- 
tances, la  pensée  s  affine,  l'idée  se  resserre,  le  sen- 
timent gagne  en  profondeur  ce  qu'il  perd  en  variété 
et ,  de  même  que  Tite-Live  ne  nous  présente  guère 
le  dictateur  romain  que  sous  une  face,  de  même 
rhistorien  arabe  ne  voit  plus  dans  le  guerrier  de 
jadis  que  le  religieux  mystique  qui  combat  pour  la 
foi  et  rien  que  pour  elle.  Dans  les  deux  cas,  le  phé- 
nomène psychique  est  le  même ,  la  mémoire  ne  voit 
plus  que  Timpulsion  principale  qui  faisait  marcher 
les  hommes  et  oublie  les  multiples  impressions  à  côté 
qui  travaillaient  avec  elle.  L'histoire  n  est-elle  pas , 
après  tout,  autre  chose  que  ce  grossissement,  peut- 
être  exagéré,  toujours  nécessaire,  souvent  voulu,  de 
la  cause  principale  aux  dépens  de  l'accessoire?  Aboul 
Mahasin  oublie  l'amour  du  butin  qui  fut  pour 
quelque  chose  dans  l'expansion  de  l'Arabe  hors  de 
ses  frontières ,  et  il  a  raison  de  l'oublier,  car  l'Arabe 
avait  été  de  tout  temps  âjtre  au  gain  et  n'était  pas 
pour  cela  sorti  de  chez  lui  ;  la  passion  religieuse  seule 
réussit  à  l'entraîner-,  c'est  donc  bien  elle  qui  anime 
notre  guerrier  et  non  pas  l'ardeur  au  pillage. 

Lé  Djihâd  !  Encore  un  fait  que  nos  esprits  occi- 
dentaux comprennent  peu.  Nos  pères,  im  jour,  con- 


70  JUILLET-AOÛT  1899. 

nurent  cela  lorsque,  éperonnés  par  la  prédication 
d'un  moine  et  sollicités  par  leur  humeur  aventureuse , 
il  se  croisèrent  pour  reconquérir  les  lieux  saints  que 
possédaient  ces  mêmes  hommes  dont  nous  nous  oc- 
cupons maintenant.  Mais  ce  ne  fut  quun  instant; 
l'enthousiasme  religieux  s'éteignit  vite  ,  d'autres  pré- 
occupations se  firent  jour;  la  nostalgie  du  sol  natal, 
le  vague  soupçon  d'autres  destinées  à  poursuivre  ra- 
menèrent les  Francs  vers  les  climats  d'où  ils  étaient 
sortis.  Ils  avaient  connu  durant  un  temps  f  état  d'âme 
que  l'Islam  faisait  à  leurs  adversaires ,  mais  leur  es- 
prit inquiet  d'évolution  s'était  tourné  vers  d'autres 
buts.  Ce  qui  était  pour  l'Arabe  un  état  permanent 
n'avait  été  pour  l'occidental  qu'une  phase,  car  il 
change  constamment ,  s'ingénie  et  se  contourne  en 
mille  formes  diverses ,  tandis  que  l'autre  reste  im- 
muable. Et  maintenant  que  ces  temps  de  croisades 
sont  loin  et  que  nous  avons  beaucoup  pensé  à  d'autres 
choses,  si,  par  hasard,  nous  songeons  au  djihdd,  il 
nous  paraît  une  guerre  méthodique  et  raisonnée, 
l'effort  puissant,  brutal  et  mesuré  d'une  race  et  d'une 
religion  entêtées,  à  travers  les  temps  et  les  espaces, 
à  la  conquête  du  monde.  Nous  prêtons  à  des  hommes 
et  à  une  foi  que  nous  ne  connaissons  pas  des  sen- 
timents ,  des  volontés ,  deS  facultés  qui  sont  nôtres , 
sans  songer  que,  si  ces  sentiments  et  ces  volontés 
avaient  été  dans  ces  hommes ,  et  que  si  cette  foi  avait 
eu  pareille  puissance ,  ils  l'eussent  emporté  et  balayé 
tout  le  reste  de  la  surface  de  la  terre.  Mais  leurs 
eflbrts  étaient  aussi  courts  que  prodigieux,  leurs  vo- 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  71 

lontés  étaient  aussi  instables  qu  impératives ,  et  leur 
foi ,  si  elle  était  profonde ,  vibrait  en  eux-mêmes  et  ga- 
gnait plus  au  dehors  par  sa  vertu  propre  que  par  l'ac- 
tion des  prosélytes.  L'Arabe  a  subi  son  histoire  et  ne  l'a 
pas  faite.  Jamais  il  ne  songea  à  préparer  le  lendemain 
et  quand  il  combattit,  ce  fut  au  jour  le  jour,  sans 
souci  de  savoir  si ,  du  revers  de  son  sabre ,  il  taillait 
un  empire  ou  conquérait  seulement  vine  tente. 

Il  avait  toujours  aimé  la  guerre  et  l'avait  faite  à 
tort  et  à  travers.  Le  moindre  prétexte  lui  était  bon 
et  la  lutte,  engagée,  durait  longtemps;  chaque  meurtre 
réclamait  une  nouvelle  vengeance  et  les  représailles 
en  appelaient  d'autres  ;  de  vendetta  en  vendetta ,  les 
guerres  s'éternisaient.  Koulaïb,  chef  des  Taghlibites, 
aux  temps  de  l'ignorance ,  tue  la  chamelle  d'une 
femme  appelée  Baçous;  le  beau-frère  de  Koulaïb, 
hôte  de  cette  femme ,  veut  venger  l'injure  faite  à 
celle  qu'il  protège  et  tue  Koulaïb  ;  la  guerre  s'engage 
entre  les  Benou-Bekr  et  les  Taghlibites;  elle  dure 
quarante  ans. 

«Zohaïr,  fils  de  Djazimah,  était  le  chef  de  la 
tribu  d'Abs,  issue  de  Ghatafan,  et,  depuis  long- 
temps, les  tribus  des  Benou-Hawazin  lui  payaient 
un  impôt.  Une  vieille  femme,  appartenant  à  cetle 
dernière  famille,  était  venue  lui  apporter  un  pot  de 
beurre,  seul  tribut  que  la  sécheresse  qui  était  vçnue 
frapper  le  pays  lui  eût  permis  d'offrir.  Zohaïr  goûta 
le  beurre  et  le  trouva  mauvais.  Furieux  de  la  mau- 
vaise qualité  d'un  si  mince  présent ,  il  renversa  la 
vieille  en  la  poussant  du  bout  de  son  arc  et  cette 


72  JUILLET-AOÛT  1899. 

malheureuse  femme  tomba  dune  manière  qui  offensa 
Ja  décence.  Telle  fut  la  cause  du  meurtre  deZohaïr. 
Un  arabe  de  Hawazîn,  nommé  Khalid^  témoin  de 
la  chute  de  cette  femme,  qui  lui  parut  une  offense 
mortelle  pour  sa  tribu,  s'écria  :  «  Par  Dieu,  je  lèverai 
«mon  bras  jusquà  ce  que  je  tue  ou  sois  tué.  .  .  » 
Quelquesjours  après,  Zohaïr,  attaqué  par  surprise  dans 
les  montagnes,  succombait  sous  les  coups  de  Khalid  ^  » 
Et  voilà  Ja  guerre  allumée.  Harith,  de  la  tribu  de 
Ghatafan ,  tue  Khalid  et  n'échappe  que  par  ruse  aux 
poursuites  acharnées  dos  vengeurs  de  ce  dernier.  — 
Chaque  tribu  a  quelque  meurtre  de  ce  genre  à  re- 
procher à  ses  voisines ,  et  tous  les  hommes  de  la  tribu 
doivent  s'unir  pour  laver  Tinsulte  dans  le  sang. 
Constamment  des  combats  singuliers  s'engagent,  en 
plein  désert,  entre  des  guerriers  que  le  hasard  met 
en  présence,  et  il  faut  toute  la  rigueur  des  lois  de 
l'hospitalité  pour  que  les  tentes  ne  soient  pas  souillées 
de  sang  chaque  fois  qu'un  étranger  y  pénètre.  Si 
les  peuplades  se  réunissent  dans  quelque  marché 
fréquenté,  on  les  désarme  pour  empêcher  les  rixes. 
«  Les  Arabes,  lorsqu'ils  venaient  à  Okadh  (une  des 
grandes  foires  d'Arabie)  remettaient  leurs  armes  à 
Ebn-Djodhan  et  les  laissaient  entre  ses  mains  jusqu'à 
cequeles  marchés  fussentfixésetlepélerinage  terminé; 
puis,  au  moment  de  leur  départ,  Ebn-Djodhan  les 
leur  rendait.  C'était  un  homme  puissant,  riche  et 
sage'^.  »  Pour  empêcher  les  guerres  perpétuelles,  cer- 

*  \.  Desvergers,  p.  ii3. 

*  Kitab  el-Aghâni,  cité  par  N.  Desvergers,  p.  126. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  73 

tains  mois  de  l'année  furent  déclarés  sacrés;  c'était 
une  trêve  de  Dieu,  semblable  à  celle  que  connut 
notre  féodalité.  Malgré  ces  précautions,  on  se  battait 
toujours  et  partout,  et  la  trêve  laissait  à  peine  aux 
tribus  le  temps  de  se  refaire.  Celles  qui  se  trouvaient 
sur  les  frontières  de  la  péninsule  inquiétaient  les 
pays  voisins;  les  ix)is  de  Ghassan  razziaient  les  terres 
des  empereurs  de  Perse;  les  rois  de  Hira  faisaient  de 
même  sur  le  territoire  byzantin,  ou  bien  ils  louaient 
leurs  services  aux  empereurs  et  assouvissaient  les 
uns  sur  les  autres  leur  rage  de  combat. 

C'était  la  guerre  perpétuelle,  acharnée  et  stérile, 
engagée  sans  raison,  conduite  sans  méthode,  pour- 
suivie sans  mesure,  cruelle  sans  grandeur,  sanglante 
sans  résultat,  guerre  d'homme  à  homme,  de  clan 
contre  clan,  Thomme  entraîné  pour  soutenir  Thon- 
neur  du  clan,  le  clan  mobilisé  pour  venger  Tinsulte 
faite  à  Thomme ,  l'homme  frappant  aveuglément ,  par- 
tout où  il  le  rencontre,  l'adversaire  qu'une  sauvegarde 
ne  couvre  pas, le  clan  traquanlpartout l'homme  delà 
tribu  ennemie;  guerre  faite  pour  voir  couler  le  sang, 
et  qui  ressemble  plus  à  une  série  de  combats  singu- 
liers qui ,  souvent ,  sont  des  assassinats ,  qu'à  une  suite 
de  batailles  rangées.  L'anéantissement  de  l'un  des 
adversaires,  plus  souvent  l'épuisement  des  deux, 
amènent  seuls  la  fin  de  la  lutte.  Commencée  dans 
une  pousséebrutale  d'orgueil  farouche  et  de  vigueur 
physique  exubérante,  elle  s'éteint  dans  l'hébétement 
des  grandes  fatigues  ou  la  satisfaction  repue  qui  suit 
les  massacres. 


74  JUILLET-AOÛT  18Q9. 

L'Arabe  est  à  la  guerre  ce  qu'il  est  ailleurs  et  tou- 
jours :  impétueux,  véhément,  inconstant  et  insou- 
ciant. Le  conduire  est  une  rude  tâche  et  on  peut  rare- 
ment se  flatter  de  le  commander.  La  révolte  est  à  Tétat 
endémique  dans  les  armées  :  si  la  tribu  marche ,  c'est 
que  l'esprit  de  corps  la  mène  et  que  la  vie  en  com- 
mun a  donné  à  ses  membres  comme  une  âme  unique 
qui  dirige  l'action  à  l'insu  du  chef;  si  les  armées  des 
invasions  marchent,  c'est  que  l'Islam  a  donné  aux 
soldats  un  esprit  du  même  genre  et  le  fugitif  soupçon 
d'une  œuvre  à  poursuivre.  Mais  le  vieux  levain  d'in- 
dépendance fermente  toujours  et  la  moindre  occa- 
sion le  fait  lever.  Alors  le  chef,  méconnu,  est  trahi 
ou  abandonné,  l'armée  se  disloque,  devient  une 
foule  qui  recule ,  tourbillonne  et  se  disperse.  Rien  ne 
peut  conjurer  cet  «  esprit  d'imprudence  et  d'erreur  » 
qui  saisit  tout  à  coup  la  masse  et  abolit  en  elle  toute 
action.  L'Arabe  paye  d'un  seul  coup  la  rançon  de 
son  audacieuse  fatuité  et  de  sa  brutale  imprévoyance. 
La  fatigue,  l'égarement  d'une  minute  lui  font  perdre 
le  fruit  de  cent  combats.  Mais  il  n'en  a  cure  et  son 
esprit  inconstant  se  tourne  aussitôt  vers  d'autres  ob- 
jets sans  mesurer,  dans  un  retour  sur  lui-même,  la 
perte  éprouvée.  Avec  de  pareils  hommes,  l'autorité 
suprême  est  toujours  précaire.  Le  plus  parfait  des 
quatre  premiers  Khalifes,  le  gendre  et  le  neveu  du 
prophète,  Ali,  n'est  pas  mieux  obéi  que  les  autres. 
Un  gouverneur  de  province  se  révolte  et  lui  conteste 
l'empire.  Sa  propre  armée,  mutinée,  lui  impose  un 
arbitrage  et  des  arbitres  et,  finalement,  il  succombe 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  75 

dans  la  lutte.  Ses  successeurs  ne  purent  plus  compter 
que  sur  des  obéissances  relatives  et  des  fidélités  hé- 
sitantes, mesurées  juste  à  la  crainte  qu  ils  inspiraient 
et  aux  salaires  qu'ils  pouvaient  donner;  si  bien  que, 
au  premier  succès,  la  crainte,  fouaillant  les  obéis- 
sances, et  lapreté  au  gain,  suscitant  les  fidélités, 
montaient  i^pidement  à  son  faite  une  puissance  que 
le  premier  revers  faisait  écrouler  et  projetait  dans 
un  abîme  d*abjection. 

Seul,  Mohammed  fut  obéi, au  grand  ëtonnement 
des  Arabes  eux-mêmes.  L  ambassadeur  envoyé  par 
les  Qoreïcbites  auprès  de  lui ,  quand  il  était  à  Médine , 
leur  dit  en  revenant  :  «J'ai  visité  César  et  Chosroès 
dans  leurs  palais,  mais  je  n ai  jamais  vu  de  souve- 
rain vénéré  par  son  peuple  comme  Mohammed  l'est 
par  ses  compagnons.  »  Ses  successeurs  n*héritèrent 
pas  de  son  autorité.  Ils  purent  déterminer  de 
grandes  actions,  mais  nen  furent  pas  les  maîtres, 
et  trois,  des  quatre  premiers ,  périrent  sous  les  coups 
de  leurs  sectateurs.  Avant  Tlslam,  les  Arabes 
n  avaient  pas  eu  de  chef;  de  là  leur  impuissance  et 
leur  inaction.  Llslam  leur  en  donna  un  qui  fut 
suivi  aveuglément  et  d  autres  qui  le  furent  beaucoup 
moins,  assez  cependant  pour  les  tenir  en  corps  et 
diriger  la  guerre  sainte. 

Les  armées  musulmanes  n'eurent  jamais  d'effec- 
tifs bien  considérables.  Les  historiens  les  réduisent 
peut-être  pour  grandir  les  succès  qu'elles  remportè- 
rent; elles  ne  durent  cependant  pas  compter  beau- 
coup plus  d'hommes  qu'ils  ne  leur  en  attribuent. 


76  JUILLET-AOÛT  1899. 

Mohammed,  dans  son  expédition  do  Syrie,  avait 
avec  lui  10,000  cavaliers,  20,000  fantassins  et 
12,000  chameaux.  En  63 1,  lors  du  grand  pèleri- 
nage, il  harangua  au  mont  Ârafa  1 1^,000  musul- 
mans ^  On  peut  évaluer  approximativement  à 
200,000  le  nombre  des  guerriers  valides  qui  sorti- 
ront de  la  péninsule;  beaucoup  d'entre  eux  périrent 
dans  les  combats  très  sanglants  qu  ils  livrèrent  en 
Syrie  et  en  Perse,  et  dans-  les  guerres  civiles  qui 
suivirent;  ainsi  s  expliquent  les  effectifs  de  20  à 
3o,ooo  hommes  que  les  annalistes  donnent  aux  ar- 
mées qui  entrèrent  en  Egypte  et  en  Afrique. 

fiCs  foudroyants  succès  quelles  remportèrent 
peuvent  être  expliqués  par  la  faiblesse  relative  de 
Tennemi,  mais  leur  tactique  y  fut  aussi  pour  une 
grande  part;  elles  surent  marcher  vite,  attaquer  avec 
décision,  reculer  sans  hésitation,  faire  tête  ou  se 
dérober  suivant  les  lieux  et  les  circonstances,  et 
tout  cela  d'intuition ,  sans  plan  préconçu ,  au  hasard 
de  l'accident.  Si  elles  eurent  une  tactique ,  c'est-à-dire 
un  ensemble  de  procédés  habituels  dans  l'attaque  et 
dans  la  défense ,  elles  n'eurent  pas  de  plan  d'opéra- 
tions combiné,  et  cela,  surtout,  déconcerta  l'adver- 
saire. 

L'armée  arabe  comptait  beaucoup  de  cavaliers; 
les  fantassins,  équipés  à  la  légère,  marchaient  vite, 
et  les  convois  de  chameaux  qui  suivaient  leur  per- 
mettaient de  se  transporter  encore  plus  rapidement 

*  Depont  ot   Coppalani ,    Les   confréries   religienses    musulmanes , 
p.  25. 


V 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  77 

en  montant,  A  tour  de  rôle,  surles  bêtes  de  somme. 
Souvent  même,  le  cheval  était  réservé  pour  le  com- 
bat. Tout  Tensemble  élait  extrêmement  mobile  et 
cohérent,  deux  conditions  nécessaires  pour  faire 
avec  succès  la  guerre  de  surprises  et  d'embuscades 
que  pratiquaient  les  gens  du  temps  de  V Ignorance. 
Qu'il  s'agisse  d'attaquer  une  tribu  du  voisinage  ou 
les  étrangers  des  frontières,  le  but  est  le  même  : 
tomber  sur  Tennemi  à  Timproviste,  annihiler  mo- 
mentanément la  défense,  razzier  les  troupeaux,  et 
revenir  vivement  en  arrière  pour  se  soustraire  aux 
retours  offensifs  d'adversaires  souvent  très  puissants 
que  la  surprise  a  étourdis  mais  non  abattus.  Il  n'est 
pas  question  de  s'installer  sur  le  sol  envahi;  dans  la 
péninsule ,  il  ne  vaut  pas  assez  cher  et  est  trop  large- 
ment ouvert  pour  qu'on  puisse  songer  à  l'occuper  ;  sur 
les  frontières ,  il  est  commandé  par  des  places  que  la 
surprise  n'a  pas  fait  tomber  et  qui  rendent  la  posi- 
tion intenable.  L'incursion  arabe  est  éphémère; elle 
passe  sur  le  territoire  sans  y  laisser  de  traces. 

Les  procédés  ne  changent  pas  plus  que  le  but  à 
atteindre  :  dérober  son  approche  à  l'ennemi ,  en  allant 
vite,  par  des  routes  peu  fréquentées,  ou  même  à 
travers  le  désert,  et,  en  marchant  la  nuit,  battre  le 
pays  en  tous  sens  pour  savoir  où  sont  la  troupe  en- 
nemie qu'il  faut  éviter  et  le  campement  de  la  tribu 
qu'il  faut  razzier;  écarter  par  des  ruses  adroites 
celle-là  de  celui-ci  pour  payer  la  victoire  le  moins 
cher  possible;  ramasser  dans  un  coup  de  filet  les 
troupeaux  sans  défense,  et  les  emmener  rapidement 


78  JUILLET-AOÛT  1899. 

hors  des  atteintes  de  leurs  propriétaires,  voilà  qui 
réduit  la  tactique  à  une  combinaison  de  marches  et 
de  contre-marches.  Toutes  les  saisons  ne  sont  pas 
propices  à  ces  mouvements;  les  Arabes  partaient  au 
printemps,  quand  les  ondées  hivernales  avaient 
rempli  les  puits ,  et  rentraient  chez  eux  dès  que  Tété 
commençait  à  les  tarir.  Voilà  qui  fait  de  la  guerre 
une  simple  expédition  de  pillage. 

Procope  nous  dit  de  Mondhir  III,  roi  de  Hira, 
que  «  les  ennemis  ne  pouvaient  jamais  le  joindre 
quand  ils  étaient  en  force,  car  il  était  toujours  par- 
faitement informé  de  leur  marche  et  il  mettait  tant 
de  promptitude  dans  ses  expéditions  qu  il  revenait 
chargé  de  butin  avant  qu'on  eût  le  moindre  soupçon 
de  ses  mouvements.  Si  parfois  il  rencontrait  quelque 
corps  de  troupes  envoyé  à  sa  recherche,  il  fondait 
sur  lui  avant  qu'il  eût  pu  se  reconnaître  et  le  mettait 
en  déroute  ^  ». 

Les  batteurs  d  estrade  tiennent  sans  cesse  larmée 
au  courant  des  mouvements  de  lennemi;  celui-ci 
est-il  au  loin ,  les  escadrons  s'éparpillent  et  jettent  de 
grands  coups  de  filet  sur  le  pays  découvert;  sentent- 
ils  le  contact  de  l'adversaire ,  ils  se  replient  et  se 
massent  pour  battre  en  retraite ,  s'ils  jugent  la  ba- 
taille inutile,  ou  pour  attaquer  s'ils  se  sentent  en 
force. 

Les  engagements  sont  acharnés  ;  ils  commencent 
souvent  par  des  combats  singuliers  et  ne  cessent  que 

'  Ck>inp»  N.  Desvergers,  p.  82. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  79 

lorsque  Tun   des  adversaires  plie.  Les  deux  lignes 
s'abordent  de  front  et  se  jettent  Tune  sur  Tautre, 
s  écartent,  puis  reviennent;  c'est  «  el  kerr  ou  ITerr  » 
lattaque  et  la  retraite,  familières  aux  armées  musul- 
manes de  tous  les  temps ,  qui  ont  heurté  les  escadrons 
du  prince  Eugène  à  Peterwardein  et  tournoyé  autour 
des  carrés  républicains  aux  Pyramides.  Quand  deux 
troupes  arabes  s  abordent ,  leur  mobilité  rend  la  ba- 
taille peu  sanglante;  la  ligne  faible  plie  vite  el  sa 
fuite  rapide  la  soustrait  au  massacre  si  elle  ne  se 
laisse  pas  culbuter,  envelopper  et  anéantir.  (A  Nahr- 
wan,  les  û,ooo  Khaouaridj  révoltés  contre  Ali,  fu- 
rent tués  presque  jusqu'au  dernier)  ;  quand  les  armées 
des  Khalifes  rencontrèrent  celles  de  Byzance,  ce  fut 
autre  chose.  Nous  avons  vu  quelle  était  la  tactique 
des  Grecs,  combien  ils  étaient  méthodiques  dans 
leurs  marches ,  solides  et  massifs  dans  leur  ordre  de 
bataille.  Il  fallut  aux  Arabes  tout  Tenthousiasme  qui 
les  animait  pour  entamer  celui-ci ,  et  ils  durent  ris- 
quer plus  dune  attaque  avant  dy  réussir.  Tls  ne 
semblent  pas  avoir  pris  de  dispositions  spéciales  pour 
rompre  fennemi ;  ils  chargèrent  de  front,  perdirent 
sûrement  beaucoup  d'hommes,  mais  revinrent  sans 
se  lasser,   jusqu'au    moment  où  le   Grec  céda   le 
terrain.  Ils  ne  durent  la  victoire  quà  leur  indomp- 
table ardeur.  Ils  étaient  insaisissables  et  harcelaient 
sans  cesse  l'ennemi;  celui-ci  rompu,  la  retraite  pou- 
vait facilement  tourner  en  déroute.  La  bataille  de 
Qadisïah   dura    trois   jours;    celle    de    Fihl    coûta 
80,000  hommes  auxRoums.  Ces  derniers»  eussent- 


80  JUILLET-AOÛT  1899. 

ils  été  vainqueurs,  n auraient  trouvé  le  lendemain 
devant  eux  que  la  plaine  déserte  et  auraient  eu ,  le 
surlendemain,  à  soutenir  un  combat  plus  furieux 
que  le  premier.  La  mobilité  des  Arabes  ne  permet- 
tait pas  de  les  atteindre;  on  ne  pouvait  les  frapper 
que  de  deux  façons  :  en  faisant  une  pointe  hardie 
sur  leurs  propres  territoires,  en  les  razziant  comme 
ils  razziaient  les  autres;  ce  fut  la  tactique  des  Ro- 
mains et  la  nôtre  en  Afrique;  le  Grec,  en  Syrie,  ne 
pouvait  faire  de  même;  ou  en  lenveloppaiit,  ce  qui 
nécessitait  dans  les  mouvements  une  plus  grande  ra- 
pidité qu'il  n'en  avait  lui-même,  condition  impos- 
sible à  remplir.  Une  fois  pris  au  piège,  il  se  fût,  du 
reste ,  défendu  jusqu  à  la  mort ,  et  la  victoire  eût  coûté 
cher,  car  s'il  ne  voit  aucun  déshonneur  à  plier  vi- 
vement en  retraite  devant  une  troupe  supérieure 
en  nombre,  il  fait  souvent  tête  aussi,  tient  jusqu'au 
bout  et  ne  consent  jamais  à  se  rendre.  «  Attaqués  à 
Dhou-Kar  par  les  troupes  de  Chosroès,  les  Benou- 
Bekr  renoncèrent  à  fiiir.  Handhalah,  fils  de  Tha- 
labah ,  pour  anéantir  chez  les  siens  toute  pensée  de 
retraite,  coupa  les  sangles  qui  retenaient  les  litières 
des  femmes  sur  le  dos  des  chameaux  ^  »  Surpris  à 
Tahouda,  *Oqbah  ibnNafi*  brise  le  fourreau  de  son 
sabre,  ses  compagnons  l'imitent  et  tous  meurent  en 
confessant  l'Islam. 

L'heureuse  issue  de  la  bataille  rangée  a  livré  à 
l'Arabe  le  plat  pays;  il  y  répand  ses  troupes,  rafraî* 

'  N.  Desvergrrs,  p.  86. 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  81 

chit  ses  montures ,  puis  revient  au  pied  des  places 
fortes;  là,  les  difficultés  commencent.  Un  bel  élan 
suffisait  pour  bousculer  l'ennemi  en  rase  campagne  ; 
il  faut,  pour  s'emparer  des  villes,  une  science  et  des 
moyens  qui  font  défaut  au  vainqueur;  aussi  se  con- 
tente-t-il  de  les  bloquer.  Nourri  grassement  par  le 
pays,  il  attend  la  chute  inévitable  dune  place  que 
nul  ne  songe  à  secourir.  Mo^aouïah  ibn  Abi  Sofiân 
guetta  ainsi  pendant  quatre  ans  la  reddition  de  Qaï- 
sariah.  Souvent  un  heureux  hasard  livre  la  ville. 
Damas  succomba  de  la  sorte  après  quelques  mois 
d'investissement.  Les  sièges  sont  le  côté  faible  de  la 
tactique  arabe;  une  cité  qui  tient  peut  inquiéter 
beaucoup  Tenvahisseur  et,  en  combinant  ses  sorties 
avec  une  autre  place,  lobliger  à  quitter  le  pays.  Il 
s  y  résoudra,  il  est  vrai,  volontiers,  car  la  conquêle 
nest  pas  le  but  de  son  expédition.  Ce  qui  l'attire 
avant  tout,  c'est  le  butin  et,  pourvu  qu'il  puisse  l'em- 
porter, il  se  tiendra  pour  satisfait. 

La  gro5se  affaire,  après  la  bataille,  c'est  le  par- 
tage des  prises.  Le  prophète  lui-même  l'avait  réglé. 
«  Le  lendemain  du  combat  de  Bedr,  Mohammed 
donna  Tordre  de  rassembler  et  de  lui  présenter  tout 
ce  qui  avait  été  enlevé  à  l'ennemi.  Chacun  s'em- 
pressa d'apporter  devant  lui  les  objets  qu'il  avait  re- 
cueillis. De  vives  discussions  s'engagèrent  alors  sur 
le  partage.  Ceux  qui  avaient  fait  le  butin  disaient  : 
«  Il  est  à  nous.  »  Ceux  qui  ne  s'étaient  occupes  qu'à 
combattre  et  à  poursuivre  les  Mekkois  répondaient  : 


XIV. 


iiirKiMi'.aii;  «aiioali.. 


82  JUILLET-AOUT  1899. 

«  Sans  nous  vous  n auriez  rien  pris.  »  Enfin,  les  An- 
sars,  qui  avaient  gardé  Mohammed,  réclamaient' 
leurs  droits  en  disant  :  «  Nous  aurions  pu  également 
«  combattre  avec  les  uns  ou  piller  avec  les  autres  si 
«  Tintérêt  de  la  sûreté  du  prophète  ne  nous  eut  re- 
«  tenus  ici.  »  Afin  de  terminer  ces  débats,  Mohammed 
déclara  que  le  butin  appartenait  à  Dieu  et  que  son 
prophète  en  disposerait.  Plus  tard ,  il  le  répartît  par 
portions  égales  entre  tous  les  musulmans  qui  l'avaient 
accompagné  dans  cetle  expédition  ^  »  Lors  de  la  cam 
pagne  contre  les  lîenou  Koraïzhah,  il  inaugura  une 
autre  pratique  on  prélevant  le  quint  de  Dieu  (Khoums) 
et  en  donnant  les  quatre  autres  cinquièmes  aux  mu- 
sulmans, à  raison  de  trois  parts  par  cavalier  et  d'une 
part  par  fantassin  ;  la  même  proportion  fut  observée 
lors  de  la  prise  de  Khaïbar;  le  prophète  voulait  dé- 
velopper la  cavalerie,  qui,  lors  des  premières  expé- 
ditions, était  très  faible  dans  Tarmée  de  Tlslam.  On 
suivit  toujours  plus  tard  cette  même  règle  pour  le 
partage. 

Butin  sous -entend  pillage  et  évoque  la  ruine  des 
populations  vaincues.  .Celles-ci  cependant  ne  furent 
pas  généralement  maltraitées.  Les  habitants  du  plat 
pays  durent  endurer  de  cruelles  souffrances,  mais 
dès  que  les  Arabes  trouvèrent  devant  eux  une  cité 
populeuse  ou  une  province  organisée  capables  d'op- 
poser une  résistance  sérieuse,  ils  préférèrent  traiter. 
Kn  envoyant  S(»s  troupes  contre  Sergius,  Ahou-Bekr 

^   (laussin  de  Pcircxal,  Jnurn.  <isiat. ,  l'évr.  1839. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  83 

avait  dit  aux  chefs  :  «  Fidèles  serviteurs  de  Dieu  et 
de  son  prophète,  gardez-vous  de  traiter  durement 
vos  soldats,  car  vos  soldats  sont  mes  enfants.  Rendez 
à  tous  une  égale  justice  ;  les  injustes  ne  prospéreront 
pas.  Combattes  vaillamment  et  mourez,  s'il  le  faut, 
la  face  tournée  vers  Tennemi ,  mais  qu  il  ne  vous  voie 
jamais  fuir  devant  lui.  Si  vous  êtes  vainqueurs,  épar- 
gnez les  vieillards,  les  enfants  et  les  femmes.  Ne 
, coupez  pas  les  palmiers,  ne  brûlez  pas  les  moissons, 
et  ne  prenez  du  bétail  que  ce  qu'il  en  faudra  pour 
votre  nourriture.  »  Ces  prescriptions  ne  furent  pas 
toujours  obseiTées  au  pied  de  la  lettre;  cependant 
nous  voyons  Abou  ^Obeïdah  accorder  aux  habitants 
de  Damas  la  vie  sauve ,  la  disposition  de  leurs  biens 
particuliers  et  la  permission  de  conserver  sept  églises 
pour  la  célébration  de  leur  culte.  ^Ornar,  visitant  le 
Saint-Sépulcre  «  s  aperçut  que  l'heure  de  la  prière 
était  proche.  Il  demanda  au  patriarche  où  il  pouvait 
sacquitter  de  ce  devoir  et  refusa  de  le  faire  dans 
féglise  même,  ainsi  que  le  lui  proposait  Sophronius  : 
«  Si  je  ne  veux  pas  prier  dans  une  église  chrétien- 
«  ne,  lui  dit-il ,  c'est  dans  votre  intérêt,  car  les  musui- 
«  mans  s'empareraient  aussitôt  de  ce  temple  et  rien 
«  ne  pourrait  les  empêcher  de  prier  à  leur  tour  dans 
«  le  lieu  où  leur  Khalife  aurait  fait  sa  prière.  »  Il  se 
retira  «n  conséquence  sur  les  degrés  extérieurs  de 
l'église  et,  s'étant  tourné  du  côté  de  la  Mekke,  il  ré- 
cita le  Naînaz  ^ 


'  N.  Desvergers,  p.  233. 


84  JUILLET-AOÛT  1899. 

Souvent  le  général  passa  des  traités  en  forme 
avec  des  cités  ou  des  populations.  Emèse  et  Ki- 
nésrine  achetèrent  la  paix  à  Abou  ^Obaïdah  moyennant 
10,000  pièces  d'or  et  200  robes  de  soie;  il  remet- 
lait  en  liberté  les  habitants  qui  s'engageaient  à  ne 
pas  reprendre  les  armes  et  à  payer  le  tribut. 

Les  villes  prises  servaient  de  base  aux  nouvelles 
opérations  militaires.  Souvent  aussi  les  envahisseurs 
construisirent  des  réduits  mieux  placés  à  leur  con- 
venance que  les  cités  existantes.  Ils  les  appelaient 
Ribats,  C'étaient  de  petits  postes  assez  semblabl  s  à 
ceux  que  nous  avons  trouvés  chez  les  Berbers,  et  qui 
protégeaient  la  frontière  de  la  maison  de  V Islam  contre 
les  retours  offensifs  des  hommes  de  la  maison  de  la 
guerre.  «Un  historien  arabe  rapporte  que,  de  son 
temps ,  il  y  avait  une  ligne  non  interrompue  de  ribats , 
sur  la  frontière  musulmane ,  depuis  TOcéan  Atlan- 
tique jusqu'à  la  Chine  ^  »  Si  le  réduit  était  plus 
important  et  placé  dans  une  position  plus  centrale, 
il  prenait  le  nom  de  Qairoaân,  Basrah  n'est  pas  autre 
chose  qu'une  place  de  ce  genre,  fondée  par  ^Otbah 
ibn  Ghazouan  sur  l'ordre  du  Khalife  *Omar.  Les 
Arabes  n'eurent  pas  lieu  d'établir  beaucoup  de  postes 
nouveaux  ;  ils  trouvèrent  à  peu  près  partout  les  points 
stratégiques  déjà  fortifiés  et  n'eurent  qu'à  les  occu- 
per. Le  fait  contraire  se  produisit  cependant  en 
Afrique. 

*  Ibn  Klial{I;)un,  J,  p.  >^'^, 


\ 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  85 

Les  Arabes  ne  firent  jamais  qu'une  guerre  d  aven- 
tures. La  foi  religieuse  les  poussait  à  travers  les 
obstacles;  ils  les  franchissaient,  toujours  insoucieux 
du  lendemain ,  jusqu'à  celui  qui  devait  les  arrêter,  et 
revenaient  en  arrière,  sans  fausse  honte  ni  grands 
regrets,  marris  seulement  du  pillage  manqué  et 
conservant  au  fond  de  leurs  cœurs  de  grands  enfants 
Fespoir  d'une  vague  revanche,  quand  les  temps  se- 
raient meilleurs  et  que  Dieu  le  permettrait.  Un  fait, 
peu  observé  jusqu'ici,  contribua  puissamment,  avec 
la  pente  naturelle  de  leur  caractère ,  à  les  faire  si  in- 
stables :  c'est  qu'ils  se  battirent  toujoiu's,  ou  peu  s'en 
faut,  dans  le  même  climat,  et  qu'aucune  attraction 
plus  puissante  que  le  prosélytisme  et  le  pillage  ne 
les  sollicita.  En  Mésopotamie  et  en  Afrique,  dans 
le  Ma-ouera-oun-Neher  comme  en  Espagne,  ils  re- 
trouvent le  même  soleil  qui  chauffe  leurs  passions 
indécises,  et  la  même  lumière  qui  baigne  leurs  nerfs 
tour  à  tour  trop  tendus  et  trop  lâches.  C'est  partout 
le  même  sol  et  partout  la  même  vie.  En  tout  lieu ,  ils 
se  trouvent  bien;  ils  sont  toujours  chez  eux  et  nulle 
part  ils  ne  savent  se  faire  une  patrie,  parce  que  par- 
tout ils  retrouvent  la  lumière,  la  chaleur  et  la  vie 
facile.  Les  barbares,  nos  pères,  ont  battu,  pendant 
quatre  cents  ans  et  plus,  les  frontières  de  Rome,  de 
coups  mesurés,  lents  et  tenaces;  ils  venaient  du  Nord 
o!  ils  avaient  froid  ;  ils  venaient  de  plaines  stériles  et 
ils  avaient  faim;  ils  voyaient,  à  travers  les  murs 
d'Hadrien  ou  de  Trajan ,  briller  la  splendeur  de  l'Em- 
pire, et  ils  en  voulaient  leur  part;  la  chaleur  du 


86  JUILLET-AOÛT  1899. 

Midi ,  sa  fécondité  et  son  luxe  les  attiraient  invinci- 
blement et,  toujours  repoussés,  ils  revenaient  tou- 
jours plus  ardents.  Le  froid,  la  faim,  le  désir  de  l'or 
leur  inspirèrent  une  volonté,  des  idées  stratégiques, 
des  ruses  et  des  expédients ,  et  finalement  ils  rempor- 
tèrent. Une  fois  installés  au  foyer  liunineux  qu*ils 
avaient  si  longtemps  souhaité,  ils  le  défendirent 
jalousement  contre  les  autres  envahisseurs,  se  ter- 
rèrent en  leur  coin  et  n'en  voulurent  plus  sortir. 
Chaque  tribu  s'attacha  au  canton  qu'elle  avait  con- 
quis, en  fit  sa  patrie  et  tous  ses  efforts  nont  plus 
tendu,  depuis,  qu'à  protéger  le  sol  occupé,  à  l'agran- 
dir et  à  l'embellir.  C'est  de  propos  délibéré  que  les 
barbares  mirent  le  siège  devant  la  citadelle  impé- 
riale; ils  l'investirent  méthodiquement  et,  une  fois 
prise ,  l'aménagèrent  à  leur  guise  pour  y  rester  tou- 
jours. On  peut,  A  travers  les  temps,  mesurer  leurs 
cheminements,  observer  leurs  efforts  d'organisation, 
déterminer  leurs  ambitions  et  leurs  procédés,  suivre 
pas  à  pas  leiur  lente,  patiente,  invincible  marche 
vers  le  progrès.  C'est  qu'ils  ont ,  au  fond  d'eux-mêmes , 
latente  et  obscure  chez  la  plupart,  claire  et  ribrante 
chez  quelques-uns  «  Timpression  nette  de  la  tradition 
qu'il  faut  respertei*  et  la  conception  précise  de  l'a- 
venir qu'il  faut  atteindre. 

Rien  de  tout  cela  chez  l'Arabe,  mais  une  impul- 
sion subite,  irrésistible;  en  lui-même,  une  grande 
force;  chez  l'adversaire ,  une  grande  faiblesse. ^Ibadah 
l'a  dit  :  «  sa  préoccupation  est  devant  lui  » ,  entre  ciel 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  87 

et  terre,  et  1  appelle  toujours;  il  y  répond  et  brûle 
sa  vie  pour  atteindre  plus  tôt  à  la  félicité  suprême; 
ce  bas  monde  l'intéresse  peu  et  il  ne  se  soucie  guère 
de  l'ordonner  :  sa  législation  est  simple  et  son  gou- 
vernement est  primitif. 

(  La  suite  au  prochain  cahier.  ) 


i*>(^ 


..    lui    li    . 


mI'HU/ 


J 

I  • 


88  JUILLET-AOUT   1899. 


LES 


SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA 


PAU 


M.  RENÉ  BASSET, 


CORRESPONDANT  DE  I/INSTITUT, 
DIRECTEUR  DE  L'ECOLE  SUPERIEURE  DES  LETTRES  D'ALGER. 


(suite  et  fin.) 


53.  U oratoire  de  Masloiiken. 

m 

Maslouken  était  d'Imersaoun  ;  il  était  extrêmement 
hospitalier  pour  les  cheïkhs  et  les  docteurs  du  Dje- 
bel Nefousa.  Ech  Chemmâkhi  cite  plusieurs  mi- 
racles dont  il  fut  Tobjet.  Un  jour  qu*il  était  allé 
visiter  la  sainte  célèbre  Zoughah  el  Irdjânyah,  il 
s'arrêta  pendant  une  journée  à  Adjelazen,  lava  ses 
vêtements,  fit  rôtir  une  brebis,  la  mit  sur  une  nappe 
et  pria  Dieu  de  lui  pardonner  ses  péchés  et  de  lui  en 
donner  la  preuve  par  un  miracle  :  à  savoir  qu'il 
trouverait  le  chien  de  Zoughah  mort  ou  absent,  et 
son  mari  à  Edh  Dhârah  ;  en  outre ,  que  la  première 
chose  qu'elle  mangerait  serait  telle  part  du  mouton 
qu'il  plaça  en  dessous.  Tout  se  passa  comme  il  l'avait 
souhaité  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  5rVir,  p.  ifio). 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  89 

54.  U oratoire  d*Abou  Meïmoun  à  Idjeitâl, 
Idjeitâl  est  un  qsar  de  Rahibat ,  dans  le  moudiriah 
dlfren.  Au  milieu  de  ruines,  et  à  Test,  est  une  mos- 
quée  qui  porte  le  même  norn.  Quant  au  qsar  actuel, 
il  est  divisé  en  deux  parties  :  celle  de  Test  est  peu- 
plée  moitié  d'Abadhites,  moitié  d'Arabes;  celle  de 
Touest  ne  renferme  que  des  Arabes.  Le  qsar  compte 
en  tout  i5o  maisons  (Brahim  en  Nefousi,  Relation 
da  Djebel  Nefoasa,  p.  rï^-rc;  de  Motylinski ,  Le  Dje- 
bel Nefoasay  p.  95-96).  On  trouve  ce  nom  écrit  de 
diverses  façons  :  JUaAs^!,  jUa^c^,  Jlka^!  et  même 
Jlk^.  L  ethnique  est  JtMl.  De  ce  qsar,  important 
au  moyen  âge,  sont  originaires  un  certain  nombre  de 
personnages  célèbres  :  0mm  ZâVour,  femme  d'Abou 
^Obeïdah  et  Tighermini,  dont  Ech  Chemmâkhi  rap- 
porte plusieurs  miracles  [Kitâb  es  5iar,  p.  249).  — 
Abou  Tâher  Isma^ïl  ben  Mousa  el  Djitâli,  auteur 
de  plusieurs  traités  :  -Uw^!  *>^l^,  commenté  par 
Abou  ^Abdallah  Mohammed  el  Kosbi,  autographié 
au  Qaire;  ^IJJiJ!,  également  autographié  au  Qaire; 
un  commentaire  en  trois  volumes  sur  le  poème  en 
noan,  composé  sur  les  fondements  de  la  religion  par 
Abou  Nasr  Fath  ben  Nouh  de  ïamlouchaït  (voir 
n®  22);  un  traité  sur  le  compte  et  le  partage  des 
successions;  un  livre  du  pèlerinage;  des  poésies  où 
il  célèbre  Abou'l  ^Abbâs  Ibn  el  Mekki ,  souverain  de 
Gabès,  dont  l'intervention  le  tira  de  la  prison  de 
Tripoli  où  Tavait  fait  jeter  Témir  de  cette  ville,  Ibn 
Thâbit.  La  prise  de  Tripoli  (77 5  de  Thégire,  i354 
de  J.-C.)  par  Roger  de  Loria,  arrivée  peu  après,  fut 


90  JUILLET-AOÛT   1899. 

considérée  comme  TefFet  de  la  malédiction  d'IsmaHl. 
En  sortant  de  prison,  il  se  rendit  à  Djerbah  où  il 
fut  bien  accueilli  par  les  cheikhs.  A  cette  époque, 
on  ny  abordait  qu'en  bateau,  jusqu'à  ce  quune 
chaussée  fut  construite  sous  le  règne  de  *Abd  el  *Aziz 
Abou  Fârès.  Il  s'installa  dans  la  grande  mosquée  où 
il  enseigna  et  mourut  en  Tan  ySo  (iS/ig-iSSo  de 
J.-C.)  (Ech  Ghemmâkhi,  Kitâb  es  SioTy  p.  556-559; 
Abou  Ras,  Description  et  histoire  de  Vile  de  Djerba^, 
p.  8;  Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Nef oiisa  y 
p.  rjc;  de  Motylinski ,  Le  Djebel  Nefoasa ,  p.  9^-96, 
note  3).  —  Ayoub  el  Djitâli  suivit  d  abord  les  le- 
çons dlsmaM;  puis,  quand  celui-ci  fut  parti  pour 
Tripoli  et  Djerba,  celles  d'Abou  Sâken  ech  Ghem- 
mâkhi, avec  qui  il  lut  le  traité  d'Abou  Ya^qoub  You- 
sof  ben  Ibrahim  de  Ouai^la;  c'est  ainsi  que  la  trans- 
mission n'en  fut  pas  perdue.  Un  jour  qu'il  avait  sept 
disciples  étrangers  à  loger,  il  les  conduisit  à  la  mos- 
quée et  invoqua  la  générosité  des  fidèles.  L'un  d'eux, 
qui  n'avait  pas  d'enfants,  ofiBit  de  s*en  charger;  pour 
l'en  récompenser,  Dieu  lui  accorda  sept  fils  grâce  à 
la  bénédiction  du  cheikh  (Ech  Ghemmâkhi,  Kitâb 
es  Siar,  p.  562-563). 

55.  On  va  ensaite  à  un  oratoire  à  Foum  Ghâràh. 

56.  L'oratoire  d'Abou  Solaimân  el  Ineri, 

Abou  Solaïmân  el  Ineri  était  un  personnage  ver- 

*  Ed.  Exiga;  Tunis,  i884,  petit  in-8".  La  date  de  780  donnée 
par  Abou  Râs  doit  être  rectifiée. 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEPOUSA.  91 

tueux,  très  lié  avec  Ahou  Zakarya  ben  ^Abdallah. 
D après  une  anecdote,  citée  par  Ech  Chemmâkhi, 
sur  ses  relations  avec  le  cheïkh  Abou  Haroun  Mousa 
ben  Haroun,  il  paraît  avoir  été  dun  caractère  assez 
peu  charitable  et  porté  à  l'exagération  religieuse  (Ài- 
tâb  es  SiaVy  p.  34o-34i). 

57.  La  caverne  de  Taoukit, 

Cet  endroit  est  déjà  mentionné  par  Ech  Cheni- 
mâkhi  :  c'est  là  qu  Abou  Zakaryâ  envoya  \bou  Ha- 
roun Mousa  ben  Haroun  faire  pénitence  pour  le 
réconcilier  avec  Abou  Solaïmân  el  Ineri  [Kitâb  es 
iSior,  p.  34o). 

58.  Uéglise  de  Temezda. 

Temezda  est  située  au  sommet  dune  berge,  à 
louest  de  Regreg ,  dans  le  moudiriah  de  Fosato ;  au 
nord  et  à  Touest  de  ce  qsar  on  voit  deux  mosquées 
dont  lune  est  appelée  apostolique  (i^^t^^).  Dans  les 
vei^ers  qui  entourent  Temezda,  il  existe  deux  mos- 
quées ,  dont  lune ,  d'origine  ancienne ,  porte  aussi  le 
nom  de  «  grande  mosquée  apostolique  »  ;  c'est  sans 
doute  d'elle  qu'il  est  question  ici.  On  y  voit  des 
piliers  portant  des  inscriptions  incompréhensibles  et 
les  tolba  racontent  qu  elles  sont  dues  à  des  popula- 
tions païennes  antérieures  à  Mohammed.  Le  qsar 
comprend  200  maisons  (Brahim  en  Nefousi,  Rela- 
tion du  Djebel  Nefousa,  p.  r^;  de  Motylinski,  Le  Dje- 
bel Nefousa,  p.  91-94).  Quand  l'imâm  rostemide  de 
Tiharet  'Abd  el  Ouahhàb  voulut  faire  le  pèlerinage. 


02  JUILLET-AOÛT  1899. 

après  avoir  purifié  ses  Etals,  il  fut  retenu  par  les 
Abadhites  du  Djebel  Nefousa  qui  craignaient  pour 
lui  les  *Abbâsides  de  Baghdâd.  Il  envoya  un  homme 
de  Temezda  consulter  les  deux  cheikhs  les  plus  vé- 
nérés :  Abou  *Omar  er  Rabi^  ben  Habib  et  Ibn  *Ab- 
bâd.  La  réponse  fut  qu'il  devait  s'abstenir.  Alors  il 
chargea  un  homme  de  Temezda  de  faire  le  pèleri- 
nage à  sa  place  et  resta  sept  ans  au  Djebel  Nefousa 
à  sinstiTiire  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  1 58- 
iSg;  Abou  Zakaryà,  Chronique  y  p.  121-126;  de 
Motylinski ,  Le  Djebel  Nefousa ,  p.  gS,  note  1).  C'est 
à  Temezda  que  fut  enterré  Abou  Zakaryâ  Yahya  ben 
'Omar  ben  .\bou  Mansour  Elyâs,  petit-fiîs  du  célèbre 
gouverneur  du  Djebel  Nefousa  (Ech  Chemmâkhi, 
Kitdb  es  Sinr,  p.  82  1). 

59.  On  se  dirige  ensuite  vers  un  oratoire  à  Tenzadj, 
près  du  tombeau.. 

60.  Sept  (monuments)  consacrés  à  Abou  Zeïd  el 
Mezghourti. 

Timezghourah  est  un  qsar  du  moudiriah  de  Fo- 
sato,  divisé  en  deux  bourgades,  au  milieu  de  ruines. 
On  y  voit  encore  la  mosquée  construite  par  Abou 
Mansour  Elyâs  ^  Le  qsar  compte  100  maisons  (Bra- 


'  La  biographie  cl*Abou  Mansour  Elyas  a  été  écrite  par  Ed-Der- 
(Ijini  dans  le  Kitâb  et  Tabaqât  (cf.  A.  de  Motylinski ,  Les  livres  sacrés 
de  la  secte  abadJiite,  p.  3i).  11  était  originaire  de  Tendemira.  La 
bénédiction  d'Abou  Mirdâs  Mohâser  lui  porta  bonheur.  Elyâs  le  ren- 
contra un  jour  allant  à  Tidji  les  pieds  nus  et  ensan^antés  par  les 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  93 

him  en  Nefousi,  Relation  da  Djebel  Nefoasa,  p.  rr; 
de   Motylinski,  Le  Djebel  Nefoiisa,  p.  gj-gi).  Ce 

épines  et  lui  donna  ses  sandales.  «Que  Dieu  écarte  de  toi  ce  qui  le 
mécontenterait,  dit  le  cheïkh,  qu'il  t'accorde  ce  qui  le  satisfera!» 
Le  jeune  homme  se  sentit  alors  un  vif  désir  d'atteindre  le  plus  haut 
degré  de  la  science  et  des  honnes  œuvres.  Après  la  mort  d'Ahou 
Dzarr  ben'Ahân,  il  fut  nommé  gouverneur  du  Djebel  Nefousa  par 
rimâm  Abou'l  Yaqzhân  Mohammed  ben  Aflah,  et,  en  cette  qualité, 
il  dut  continuer  la  lutte  contrôle  61s  de  Khalef  ben  Samah  qui  avait 
hérité  des  prétentions  de  son  père  sur  le  Djebel  Nefousa  et  était 
appuyé  par  les  Zouâghah.  Il  s'avança  contre  lui  jusque  Himou,  dans 
les  environs  de  Tripoli,  et  les  dissidents  ayant  repoussé  les  propo- 
sitions d'un  homme  des  Benou  Yahrasen  pour  terminer  la  l.itte  sans 
effusion  de  sang,  un  combat  s'engagea  dans  lequel  le  fils  de  Khalef 
fut  vaincu.  Ils  se  retirèrent  avec  lui  à  Djerbah ,  mais  Abou  Man- 
sour  ne  leur  donna  pas  le  temps  de  fomenter  de  nouveaux  troubles, 
n  acheta  pour  loo  dinars  le  Zouaghi  qui  protégeait  le  fils  de  Klia- 
lef  et  qui ,  en  recevant  l'argent ,  n'hésita  pas  à  avouer  :  «  Quand  tu 
serais  venu  nous  demander  même  nos  enfants,  nous  te  les  aurions 
livrés  (à  ce  prix).»  Le  fils  de  Khalef  fut  amené  au  Djebel  Nefousa 
et  on  lui  coupa  le  pied  après  l'avoir  consulté,  en  sa  qualité  de 
cheïkh,  sur  l'endroit  où  devait  avoir  lieu  l'amputation.  Le  bruit 
courut  qu'il  était  revenu  ensuite  à  la  pure  doctrine  abadhite,  à  la 
suite  de  cette  opération.  Plus  tard,  El  'Abbâs,  fils  d'Ahmed  ben 
Touloun,  souverain  presque  indépendant  de  l'Egypte,  profita  de 
l'absence  de  son  père,  occupé  à  guerroyer  en  Syrie,  pour  marcher 
avec  800  cavaliers  et  10,000  fantassins  nègres  à  la  conquête  de  la 
Tripolitaine  et  de  l'Ifriqyah,  au  milieu  de  djomâda  i"  2G6  de  l'hcg. 
(880  de  J.-C).  il  battit  Mohammed  Ibn  Qorhob,  gouverneur  aghla* 
bite  de  Tripoli,  s'empara  de  Lebdah  et  vint  assiéger  Tripoli.  Les 
habitants  ou,  suivant  d'autres,  Ibn  Qorhob,  ne  comptant  plus  sur 
les  secours  de  l'Ifriqyah ,  s'adressèrent  à  Abou  Mansour  Elyâs ,  car 
le  royaume  abadhite  était  aussi  menacé  qu'eux  en  cas  de  succès  des 
Egyptiens,  11  arriva  avec  12,000  Nefousa,  battit  El  'Abbâs  à  Qasr 
Hatim  et  l'obligea  à  rétrograder.  Abou  Mansour  eut  pour  successeur 
dans  son  gouvernement  El  Adah  ben  El  'Abbàs  qui  fut  vaincu  à  Ma- 
non (cf.  EcIj  Cliemmàkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  22 '1-2 25;  Abou  Zakaryà, 
Chronique,  p.    188-19'»;   Ibn  'Ad/.ari,   Histoire  de  l'Afrique  et   de 


94  .      JUJLLET-AOÛT  1899. 

nom  se  trouve  aussi  écrit  i)jày^  pour  f^jy^y*  On 
cite  comme  personnages  célèbres  de  ce  qsar  :  Abou 
Mousa  ben  *Isa  et  Termesi,  qui  ne  se  maria  pas 
pour  s'adonner  tout  entier  à  ia  science,  alla  vers  la 
fin  de  700  de  iliégire  (i3oi  de  J.-C.)  s'établira 
Mezghoura,  fit  ie  pèlerinage  en  704  (i3o6'i3o5)  et 
mourut  en  722  (i322-i3a3)  (Ech  Ghenîmâkbi, 
Kitâb  es  Siar,  p.  553).  —  D'après  Abou  *Abd  .\llah 
ibn  ech  Gheïkh,  la  mosquée  de  Mezgboura  réunit 
quelque  temps  les  trois  plus  illustres  cheikhs  du  Ne- 
fousa  :  Abou  *Aziz ,  Abou  Tàher  IsmaM  et  Idrâsen 
(Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  556).  Abou 
Tâher  Isma*ïl  (voir  n°  53)  s  était  fixé  à  Mezgboura  et 
refusa  de  la  quitter  malgré  la  guerre  qui  éclata  entre 
cette  ville  et  la  sienne.  Aux  démarches  faites  par  les 
siens,  par  fintermédiaire  d'un  Arabe,  il  répondît  : 
«  Que  Dieu  \  eus  disperse  par  un  nuage  de  pluie  ».  Bs 

fEspatfne,  l.  I.  p.  ii2-ii3;  Maqrizi,  Kltiiat,  Bouiaq,  1370  de 
rii/'g. ,  3  %oi.  in-foi. ,  t.  I.  p.  330-32  1;  Tarikhi  Monadjdjim  Baehi^ 
Constantinopl(\  is85  de  i'bég.,  3  voL  in-4*,  t.  Il,  p.  333;  Ibn 
Khaldoan,  Histoire  de  C Afrique  et  de  la  Sicile,  p.  56  du  teite,  138 
de  la  trad.;  Jbii  el  Athir,  kàrnil ,  L  Vil,  p.  139;  Ai>oul  Mafaasin 
Ihn  Tagriberdi,  En  \odjoum  e:h  Zhùhinik,  éd.  Juynboll,  Lejde, 
i852-i86i,  3  vol.  iii-8%  t.  II,  p.  4i  et  non  3^1,  comme  il  est  dit 
par  erreur  dans  une  note  crailleurs  incomplète  de  la  Revue  afri- 
caine, 1898,  p.  35o,  note  1;  El  Ya'qoubi,  Descriptio  al  Magribi, 
«'•d.  de  Goeje,  p.  v,  trad.  p.  56  et  note  1,  p.  56-07;  Ibn  Sa*îd,  Frag- 
mente aus  dem  Magrih ,  <»d.  Vollers,  Berlin,  1894,  in-8%  p.  f'-M; 
Weil,  Geschichte  der  Chalijen,  Mannheini,  18.^6,  3  vol.  in-8*,  t.  H, 
p.  i  3  9  ;  Roorda ,  Ahul  A  bkasi  Amedis ,  Tulonidarum  primi ,  vita ,  I>eyde , 
1 83Ô ,  in-A*,  p.  37-38  (citant  Kn  Nouaïri ,  p.  8.*i-85  )  ;  Mercier,  Histoire 
de  l* Afrique  septentrionale ,  t.  I,  p.  291-292;  Fournel,  Ijes  Berhers , 
t.  I ,  p.  563-560  ;  de  Motyliuski ,  Ia.'  Djebel  ^efousa.  p.  9 1-93 ,  noti*  5. 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  95 

se  montrèrent  si  consternés  que  le  messager  ne  put 
s'empêcher  de  leur  dire  :  «  Et  qu  eussiez -vous  donc 
fait  s'il  vous  avait  dit  :  par  un  nuage  de  pierres  ?  »  (Ech 
Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  558-559). 

61.  Les  sept  monuments  d'Aboa  ^Obeîdah  ^Abd  cl 
Hamid  el  Djenaouni, 

El  Djenaouni  est  l'ethnique  arabisé  d'Ignaoun, 
qui  parait  être  le  pluriel  d'agnaou  «noir»,  y  GlN^ 
Ce  qsar  existe  encore  dans  le  moudiriah  de  Fosato , 
mais  déchu  de  son  ancienne  prospérité.  Il  est  bâti  au 
fond  d'une  gorge  et  entouré  de  tous  côtés  par  le 
rocher.  On  y  cultive  des  palmiers  et  point  d'oliviers, 
alors  qu'au  temps  d'Ech  Chemmâkhî  la  source 
d'Ignaoun  arrosait  ia,ooo  de  ces  arbres.  Lemaqâm 
d'Abou  ^Obeïdah  existe  encore  aujourd'hui ,  près  de 
celui  de  *Ammi  Yahya,  au  dessus  du  qsar(Brahim 
en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Nefousa,  p.  M;  de 
Motylinski,  Le  Djebel  Nefoasa,  p.  88). 

Abou  *Obeïdah  'Abd  el  Hamid  el  Djenaouni  était 
à  Ignaoun  pendant  le  long  séjour  qu'y  fit  l'imâm 
rostemide  *Abd  el  Ouahhâb  au  lieu  d'aller  en  pèleri- 
nage, et  conseilla  aux  Abadhites  de  garder  les  enfants 
nés  des  gens  de  la  suite  de  l'imâm  et  des  femmes  du 
pays.  Ech  Chemmâkhi  fait  mention  de  sept  mosquées 
où  chaque  nuit  il  priait  Dieu  :  le  souvenir  s'en  est 
conservé  dans  cette  station  de  visites  pieuses.  A  la 
mort  d'Es  Samh  ben  'Abd  el  A*la,  gouverneur  du 

'   Cf.  mon  mémoire  sur  h's  noms  des  couleurs  el  des  ituHaujc  che: 
les  Berbères,  Paris,  1890,  in-8",  p.  29-30. 


96  JUILLET^AOÛT   1899. 

Djebel  Nefousa  pour  ^\bd  el  Ouàhhâb,  celui-ci 
refusa  d'accepter  la  désignation  de  Khalef,  fils  du 
défunt,  pour  remplacer  son  père  et  choisit  Aboul 
Hasan  Ayoub,  qui  mourut  peu  après.  L'imàni 
confirma  alors  le  choix  fait  par  les  Nefousa  d'Abou 
'Obeïdah  ^\bd  el  Hamid  :  celui-ci  fit  d'abord  des  difïi- 
cultes,  se  retranchant  derrière  sa  faiblesse,  mais 
fimâm  repoussa  ses  excuses  et  maintint  sa  décision , 
en  conseillant  au  nouveau  gouverneur  de  s'adresser, 
s'il  manquait  de  science,  à  Abou  Zakaryâ  Yahya,  et, 
s'il  manquait  d'argent,  au  trésor  des  Musulmans. 
Khalef  n'accepta  pas  la  décision  qui  le  privait  de  la 
succession  de  son  père  et  commença  les  hostilités. 
Sur  le  conseil  de  ^\bd  el  Ouahhâb  et  de  son  succes- 
seur El  Aflah,  Abou  'Obeïdah  essaya  d'abord  de  la 
patience,  mais  Khalef,  encouragé  par  ce  qu'il  prenait 
pour  de  la  faiblesse,  augmenta  d'audace,  pilla  les 
biens  de  ses  adversaires  et  tua  ceux  qu'il  put  saisir. 
Abou  ^Obeïdah  le  vainquit  à  Idref,  et,  dans  une 
seconde  bataille,  il  remporta  la  victoire  avec  700 
hommes  contre  /io,ooo,  le  i3  de  redjeb  221  de 
l'hégire  (2  juillet  836  de  J.-Ç.).  Khalef  se  retira  à 
Tamti ,  où  il  mourut.  .\bou  ^Obeïdah  fut  remplacé 
après  sa  mort  par  El  ^\bbàs  ben  Ayoub  (Abou  Za- 
karyâ, Chronique,  p.  1 44-173;  Ech  Chemmâkhi, 
Kitâb  es  Siar,  p.  179-189;  de  Motylinski ,  Le  Djebel 
Nefousa  y  p.  88,  note  2).  Sur  un  miracle  dont  l'ora- 
toire d'Abou  ^Obeidah  fut  le  théàlre  après  sa  mort, 
>oirn°86. 

Parmi  les  autres  personnages  célèbres  d'fgnaoun, 


LES  SANCTUAffiES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  97 

on  connaît  Aboui  Leïth  el  Djenaouni;  toutefois 
quelques-uns  disent  qu  il  était  Berbère  et  non  Ne- 
fousi  d'origine,  mais  qu'il  habitait  ce  qsar.  Un  jour, 
sa  femme  lui  annonça  que  le  lait  de  leur  vache  dimi- 
nuait; il  reconnut  que  ce  fait  provenait  de  l'affai- 
blissement de  la  justice  \  monta  à  Djadou  où  il  trouva 
le  gouverneur  du  Djebel  Nefousa,  Abou  Mansour 
Elyâs  (voir  note  i  du  n**  60) ,  qui  frappait  un  homme 
à  cause  d  une  lettre  venue  de  Taimati.  Il  intervint  en 
disant  ;  «  Tu  frappes  les  gens  pour  du  noir  sur  du 
papier,  Elyâs  !  »  (^Ult  b  ^Ul!  oyà3  fjJiaJi  ^  :^y>^), 
et  il  lui  conseilla  de  renvoyer  l'homme  en  prison  et 
de  faire  rechercher  par  des  gens  sûrs  si  le  fait  dénoncé 
dans  la  lettre  était  vrai.  Il  se  trouva  qu'il  était  faux 
(Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  2^2).  —  Le 
cheïkh  Ibn  Moghtir  el  Djenaouni,  contemporain  de 
l'imam  ^Abd  elOuahhâb;  il  est  le  héros  dune  anec- 
dote tronquée  dans  Ech  Chemmâkhi  [Kitâb  es  Siar^ 
p.  i43),  mais  donnée  dune  façon  plus  complète 
dans  Abou  Zakaryâ  [Chronique ,  p.  127-128).  —  Le 
cheïkh  Abou  Ma^bed  el  Djenaouni  quitta  sa  ville 
natale  pour  étudier  à  Qantrarah  sous  la  direction 
de  SaM  ben  Younèsi  II  refusa  ainsi  que  ce  dernier 
d'aller  à  Manou  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  SiaVy 
p.  242-243).  —  Abou'l  Kheïr  Touzin  el  Djenaouni, 

*  On  trouve  une  anecdote  seniblable  dans  Et  Tortouchi,  Sirâdj 
cl  Molouk  (Boulaq,  1289,  *n-8^  p.  77),  citant  Ibn 'Abbâs;  elle  a 
été  reproduite  par  Ahmed  el  Ibchihi,  Kitâb  el  Mostalref,  Boulaq, 
1292  de  l'hég. ,  2  vol.  in-/i°,  t.  I,  p.  126;  et  d'après  ce  dernier,  par 
Belkassem  ben  Sedira,  Cours  de  littérature  arabe,  Alger,  1879, 
in-12 ,  p.  57. 

XIV.  7 

IlirBIMlIBIlt    «ATIOXiLE. 


98  JUILLET-AOÛT  1899. 

dont  les  prières  étaient  exaucées;  Ma'bad  el  Dje- 
naouni  et  son  fiis  qui  étudia  à  Qaïrouân ,  où  les  tolba 
abadhites  étaient  en  grand  nombre  (Ech  Ghem- 
mSkhi ,  Kitâb  es  Siar,  p.  3 3 8-3 3 9).  —  Abou  Zakaryâ 
Yahya  ben  El  Kheïr  ben  Aboul  KheïreJ  Djenaouni, 
qui  étudia  longtemps  auprès  d'Abour  Rebi^  So- 
laïniân  dans  la  mosquée  d'Abnain  ((j^Ià^I).  A  cette 
époque  on  tendait  dans  les  mosquées  du  Djebel  Ne- 
fousa  un  voile  qui  les  séparait  en  deux,  et  derrière 
lequel  se  plaçaient  les  femmes  qui  venaient  assister 
aux  leçons  et  à  la  prière.  Abou  Zakaryâ  Yahya  acquit 
une  grande  réputation  de  science  et  de  piété  :  con- 
sulté par  une  foule  de  personnes,  il  rendait  sur-le- 
champ  sans  hésiter  des  décisions,  quel  que  fût  le 
nombre  des  consultants  et  quel  que  fût  le  sujet  de 
la  demande.  Parmi  ses  ouvrages,  on  cite  un  traité 
en  sept  parties  :  sur  le  jeûne,  sur  le  mariage  et  le 
divorce,  sur  les  testaments,  sur  les  jugements,  sur 
les  salaires,  sur  le  droit  de  préemption  et  sur  le 
nantissement.  La  seconde  partie  a  servi  de  base  à  la 
rédaction  du  chapitre  correspondant  du  Kitâb  en  Nil  y 
qui  est  encore  aujourd'hui  le  code  des  Abadhites 
d'Algérie.  Un  fragment  de  cette  partie,  copie  datée 
de  mohan^m  1  1 83 ,  existe  à  Ouargla  (cf.  R.  Basset, 
Les  manuscrits  arabes  des  bibliothèques  des  Zaouias  de 
Ain-Madhi  et  Temacin,  Alger,  i885,  in-8°,  p.  36; 
cf.  la  Risâlah,  d'El  Berrâdi,  ap.  de  Motylinski, 
Les  livres  de  la  secte  abadhite ,  p.  1  2  ;  Ech  Chemmâkhi , 
Kitâb  es  Siar,  p.  53r)-r)37);  de  Motylinski,  Le  Djebel 
Nefousa,  p.  8c),  note  1).  —  Abou  Yahya  Taoufiq 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  99 

el  Djenaouni,  auteur  de  plusieurs  ouvrages,  dans 
1  un  desquels  il  énumère  divers  miracles  du  Djebel 
Nefousa,  relatifs  au  sang  des  martyrs  (Ech  Chem- 
mâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  543-545). 

62.  Oratoire  de  Touzin ,  dans  la  forêt. 

Deux  personnages  ont  porté  ce  nom  :  Abou'l 
Kheïr  Touzin  el  Djenaouni  (voir  n'*  6i),  el  Aboul 
Kheïr  Touzin  ez  Zouâghi  (voir  n**  yi).  Jl  s*agit  pro- 
bablement du  premier. 

63.  La  mosquée  de  Mesrata, 

Mesrata  est  la  forme  arabe  du  berbère  Iniesraten. 
C'est  dans  cette  mosquée  qu'Abou  Ishaq  el  Ichareni 
(voir  n*'  83)  enferma  Abou  Zakkâr  d'Aghereni  Inan, 
gendre  du  gouverneur  Aboti  Mohammed  *Obeïdab 
ben  Zarotir  et  Taghermini,  pour  lui  apprendre  à 
garder  ses  troupeaux  dans  les  linïîtes  (Kch  Chein- 
mâkhif  Kitâb  es  Siar,  p.  2  48). 

64*  Gharghar  en  Mâder  cm  en  Bâder. 

05.  U oratoire  de  Tekermin, 

66.  U  oratoire  de  Taliouin, 

67.  L'oratoire  de  Gharghar  NouKyân, 

68.  La  maison  des  Benoii  ^Abd  Allah. 

Elle  était  située  à  Djadou.  On  enterra  en  face  le 


JPO  JUILLET-AOÛT  1899. 

gouverneur  de  Djadou,  Abou  Mohainined  ed  Derfi 
(voir  n'*  S!\). 

69.  IJ oratoire  d'Ibn  Saadali,  appelé  par  d'autres 
Abou  Saaxlali, 

70.  L oratoire  d'Abou  Yahya  Bâli. 

7 1 .  L  oratoire  d'Aboul  Kheir  ez  Zouâghi,  à  Mâder. 
Abou'l  Kheïr  ïouzin  ez  Zouâghi,  contemporain 

du  prince  zeirite  Abou  Temim  el  Mo^izz  ben  Bàdis 
(4o6-/i53  de  rhégire;  ioi5-ioi6,  1061-1062  de 
J.-C).  C'était  un  homme  vertueux  et  obéissant  à 
Dieu,  qui  le  préserva  de  tout  manquement.  Tam- 
soult  (oJ^AâuSf),  affranchi  de  ce  prince,  layant  taxé 
à  100  dinars,  il  alla  trouver  son  ami  Abou  *Ali  el 
Fosatoui  et  lui  dit  :  «  Demande  pour  moi  cette 
somtne  au  cheïkh  des  Nefousa  et  aux  gens  bienfai- 
sants, pour  que  je  ne  sois  pas  tourmenté  par  ce 
tyran.  »  Abou  *Ali  lui  répondit  :  «  Je  n'intercéderai 
pas  pour  toi  pour  une  somme  de  100  dinars,  car 
je  les  ai.  »  Il  les  lui  donna  et  Abou'l  Kheïr  les  porta 
à  ïamsoult.  La  nuit  venue ,  celui-ci  vit  sa  maison  se 
transformer  en  dragons  et  en  serpents.  Il  demanda 
ses  gardes  qui  furent  chargés  d'amener  le  cheikh. 
Ils  le  cherchèrent  à  sa  place  habituelle  sans  le  trouver. 
On  avertit  Tamsoult  qu'il  était  à  faire  ses  dévotions 
sur  le  rivage  et  qu'il  avait  une  marque  à  laquelle  on 
le  reconnaîtrait  :  c'était  l'éternuement.  H  lui  rendit 
les  100  dinars.  Aboul  Kheïr  voyageait  souvent  du 

:• .;  •••  •••  •  - 

•  •     •  • 


LES  SANCTUAIRES  D[i  DJEBEL  NEFOUSA.  101 

pays  des  Zouâghah  au  Djebel  Nefousa.  Son  neveu  rap- 
porte que  des  personnages  invisibles  lui  fournissaient 
en  voyage  de  la  nourriture  pour  lui  et  ses  compa- 
gnons de  route ,  et  qu'il  s'entretenait  avec  eux.  Quand 
il  descendait  chez  les  Zouâghah ,  il  mettait  un  mor- 
ceau de  fer  sur  une  fenêtre,  et,  quand  il  le  voyait 
rouillé,  il  disait  :  «  Mon  cœur  est  également  rouillé  ». 
Alors  il  montait  au  Djebel  Nefousa  pour  le  polir  par 
les  avertissements  et  la  fréquentation  des  cheikhs. 
Ayant  un  jour  aperçu  de  la  lumière  sur  l'oratoire 
d'Abou*Obeïdah(voir  n*  86),  il  s'y  rendit  et  trouva 
une  femme  vertueuse,  nommée  MoHiqah,  en  prières. 
Elle  était  entourée  d'êtres  pareils  à  des  hommes 
vêtus  de  blanc.  «  Arrête  » ,  lui  dirent-ils.  11  attendit  jus- 
qu'à ce  qu'elle  eût  terminé  sa  prière  et  prononcé  les 
salutations  finales;  alors  il  lui  demanda  de  l'eau  à 
boire.  Elle  lui  en  donna  :  c'était  du  lait.  Après  avoir 
bu,  il  lui  demanda  de  l'eau  pour  faire  ses  ablutions. 
«  Prends  dans  le  vase  où  tu  as  bu  »,  lui  dit-elle.  Il  le 
fit,  c'était  de  l'eau.  —  Plus  tard,  il  rêva  qu'elle  de- 
venait sa  femme.  Il  lui  trouva  un  mari  qui  mourut; 
elle  en  épousa  un  autre ,  mais  enfin  le  rêve  s'accom- 
plit et  elle  devint  sa  femme  (Ech  Chemmâkhi ,  Kitdb 
es  SioTy  p.  336-338). 

72.   La  mosquée  de  Temidal. 

Temidal ,  en  berbère ,  signifie  «  les  magasins  » 
(pluriel  de  tamdelt,  oJ*Xjf  ).  C'est  dans  cette  mosquée 
qu'Abou  Younès  et-Temidali  aurait  vu  s'ouvrir  la 
toiture  et  aperçu  les  cieux  :  il  aurait  alors  prié  son 


102  JUILLET-AOÛT  1899. 

oncle,  Abouch  Cha^tha  (voir  n°  78),  de  demander 
à  Dieu  que,  jusqu'au  jour  de  la  résurrection,  le 
sabré  des  Abbasides  ne  prévalût  pas  sur  le  Djebel 
Nefousa  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  2^2 ). 

73.  L'oratoire  de  ^Ammi  Tâher,  à  Acheji, 
Achefi,  quon  trouve  écrit  tantôt  j-ût,  tantôt  ^^1, 
est  situé  dans  le  nioudiriah  de  Fosato  ;  actuellement 
il  nest  plus  peuplé  que  d'Arabes.  La  mosquée  de 
*Ammi  Tâher  existe  au  milieu  dun  ravin  entouré 
d  oliviers  (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel 
Nefoïua,  p.  IV;  de  Motylinski ,  Le  Djebel  Nefousa, 

p.  86)* 

D  après  le  cheikh  Moqqor  (vàr.  Moqrin)  ben 
Mohammed  el  Boghtouri ,  'Ammi  Tâher  ben  Yousof 
était  originaire  du  Sahel  de  Mahadia,  de  Herougha; 
il  vivait  au  temps  d'El  Mo'izz  ben  Bâdis.  Il  possé- 
dait des  vergers  d'oliviers;  mais  l'impôt  de  70  qafiz 
d'huile  qu'il  payait  ayant  été  porté  à  700,  il  résolut 
de  (|uitter  l'Ifriqyah  «  qui  était  comme  un  lac  de 
sang  »,  sans  doute  par  suite  de  l'invasion  des  Arabes 
Hilaliens.  Il  se  dirigea  vers  le  Djebel  Nefousa,  s'ar- 
rêta à  Djerbah  où  sa  femme  perdit  la  fortune  qu'ils 
possédaient;  puis  à  Ifren,  qui  n'était  peuplé  que  de 
dissidents  :  Ouahabyah,  Khaiefyah,  Hasanyah  et 
Mestaouah ,  et  non  d'Abadhites.  Ils  lui  firent  cepen- 
dant bon  accueil  et  lui  donnèrent  3oo  boisseaux 
d'orge;  mais  un  songe  où  il  se  vit  poursuivi  par  un 
fleuve  de  poix  et  un  fleuve  de  goudron  le  détermina 
à  quitter  Ifren.  Il  se  rendit  à  Taghma,  puis  à  Tar- 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  103 

(laït;  le  cheikh  Abou  Mousa  Isa  ben  Mohriz  le  con- 
duisit à  Djâdou  et  lui  fit  assigner  par  les  habitants 
un  secours  de  56  dinâis;  il  alla  ensuite  à  Ignaoun 
où  on  lui  donna  4o  qafiz  d'huile,  puis  à  Charous 
au  temps  d'Abou  ^Amr  Maïmoun  ben  Mohammed; 
il  y  reçut  ^o  dinars.  Enfin  il  s'établit  à  Achefi,  où  il 
vécut  comme  un  saint  dont  les  prières  étaient  exau- 
cées (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  342-343; 
De  Motylinski,  Le  Djebel  Nefousa,  p.  y 6,  note  i). 
Auprès  de  son  oratoire,  on  voit  dans  la  roche  les 
traces  d  une  chamelle ,  d  une  bête  de  somme  et  d'un 
chien  qui  lui  auraient  appartenu  (Ech  Chemmâkhi, 
Kitâbes  SioTy  p.  544;  R.  Basset,  Les  empreintes  mer- 
veilleuses,  $  xxvni  ^). 

74.  L'oratoire  d'Aoarir  Amoqrân,  à  Tardait. 
Aourir  Amoijrân  signifie  en  berbère  «  la  grande 

colline  ».  Le  qsar  des  At  Tardait  existe  encore  aujour- 
d'hui dans  le  moudiriah  de  Fosato;  il  se  compose 
de  deux  parties  entre  lesquelles  se  trouvent  des 
ruines  provenant  des  anciens  habitants.  L'oratoire 
dont  il  est  question  est  peut-êti^  la  mosquée  de 
*Ammi  Yahya  et-Tardaiti,  qui  est  située  au  haut 
^  d'une  berge,  en  avant  du  grand  qsar  (Brahim  en 
Nefousi,  Relation  du  Djebel  Nefousa,  p.  iv;  de  Mo- 
tylinski, Le  Djebel  Nefoasay  p.  85-86), 

75.  On  se  dirige  vers  la  mosquée  de  Tondjin. 

^  lievue  des  traditions  populaires,  l.  VIIl,  iSgS,  p.  ^99. 


104  JUILLET-AOÛT  1899. 

76.  U église  de  Taoakit. 

De  Taoukit  est  originaire  Abou  Zakaryâ  Isalten  et 
Taoukiti,  contemporain  de  Timâm  rostemide  ^Abd 
ei  Ouahhâb,  et  célèbre  par  sa  science,  au  point 
quun  Abadhite  d'Orient  qui  se  trouvait  à  Tiharet 
disait  :  «  Le  Djebel  (Nefousa)  est  Abou  Zakaryâ,  et 
Abou  Zakaryâ  est  le  Djebel  Nefousa»  (Ech  Chem- 
mâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  1 78-1  79;  de  Motylinski, 
Le  Djebel  Nefousa,  p.  96,  note  1).  Sa  biographie  a 
été  donnée  par  Ed  Derdjini  dans  le  Kitâb  et  Tabaqât 
(cf.  de  Motylinski,  Les  livres  de  la  secte  abadhite, 
p.  3i).  La  mosquée  d'Abou  Zakaryâ  et-Taoukiti 
existe  encore  non  loin  de  Temezda,  dans  le  moudi- 
riah  de  F'osato ,  au  bord  d  un  ravin  planté  d'oliviers 
et  près  de  la  mosquée  (Téglise  apostolique)  de  Te- 
mezda  (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Ne- 
foasa,  p.  rh'-Mc;  de  Motylinski,  Le  Djebel  Nefousa, 
p.  94). 

78.  Les  trois  monuments  commémoratifs  d'Abouch 
ChaUha  es  Sentouti. 

Sentout,  écrit  tantôt  i^yu^^,  tantôt  c:>y3j,  est  un 
qsar  du  moudiriah  de  Fosato,  à  lest  d'El  Gholth,  au 
sommet  d  un  rocher  escarpé  en  dos  d'âne  auquel  on 
arrive  par  1  ouest.  On  y  voit  xme  grande  mosquée. 
Les  habitants  tirent  leur  eau  d  un  puits  unique  creusé 
au  pied  dun  rocher  (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du 
Djebel  Nefousa,  p.  M;  de  Motylinski,  Le  Djebel  Ne- 
fousa, p.  85).  Abouch  Cha^a  était  un  personnage 
pieux  dont  ies  prières  étaient  toujours  exaucées.  Les 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  105 

scrupules  qu  il  manifesta  en  plusieurs  occasions  sont 
les  sujets  de  divers  récits  d'Ech  Chemmâkhi.  Les 
femmes  de  Tadinah  assistaient  à  ses  leçons  avec  leurs 
enfants  et  rentraient  ensuite  chez  elles,  ce  qui  pas- 
sait pour  un  miracle,  car  la  distance  de  Sentout  à 
Tadinah  est  de  2 4  milles  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb 
esSiar,  p.  2^6-247). 

79.  L'oratoire  de  Tadjloatet, 

80.  On  se  dirige  vers  l'oratoire  de  Tazrout  (ia  petite 
roche). 

8 1 .  Vers  l'oratoire  de  Tadjdimet, 

82 .  La  mosquée  d'Icharen . 

Icharen,  aujourd'hui  Charen,  dont  la  mosquée 
est  encore  célèbre  de  nos  jours,  est  située  à  lest  des 
ruines  d'Idref,  dans  le  moudiriah  de  Fosato;  les 
habitants  possèdent  beaucoup  de  palmiers  et  de  bre- 
bis (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Nefousa, 
p.  i5;  de  Motylinski,  Le  Djebel  Nefousa,  p.  8/i). 

83.  La  mosquée  d'Abou  Ishaq, 

Il  s'agit  dWbou  Ishaq  el  Ichareni ,  homme  instruit , 
vertueux  et  inflexible.  Quand,  de  retour  de  son  tra- 
vail, il  allait  à  la  mosquée  et  ne  trouvait  personne, 
il  disait  :  «  Qu'est-ce  que  cela  ?  gens  d'fcharen  ;  vous 
êtes  devenus  peu  nombreux  »  ^jLû!  Jjt\  L  \S^  U 
^jLû!  ^yàa  (jouant  sur  le  sens  du  mot  achchar  «  peu 


100  JUILLET-AOÛT  1899. 

nombreux»  en  berbère;  plur.  ichcharen).  Un  jour 
qu  avec  sa  femme  Hafsah  il  allait  à  El  Djezirab  (voir 
n°  3 1  ) ,  ils  eurent  .pour  compagnons  de  route  un 
lion  et  une  lionne,  qui  les  escortèrent  à  droite  et  à 
gauche  jusqu'à  leur  destination  (Ech  Ghemmâkhi, 
Kitâb  es  Siar,  p.  247-2/18;  de  Motylinski ,  Le  Djebel 
NefoasUy  p.  8/i ,  note  1). 

84.   On  se  dirige  vers  l'oratoire  d'Idref. 

Les  ruines  dldref  existent  encore  à  l'ouest  de 
Charous,  dans  le  moudiriah  de  Fosato;  on  y  voit 
une  mosquée  grande  et  ancienne  au  milieu  de  plan- 
tations :  cest  sans  doute  celle  dont  H  est  question 
ici  (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Nefousa, 
p.  i5;  de  Motylinski,  Le  Djebel  Nefoasa,  p.  84, 
note  2  ).  Ce  bourg  fut  ravagé  une  première  fois  dans 
]a  guerre  d'Abou  'Obeïdah  contre  Khalef  ben  Samh 
qui  y  envoya  ses  partisans  et  ses  clients  au  nombre 
de  4 00  cavaliers  :  Idref  fut  pillé  et  dix  de  ses  habi- 
tants tués  (Ech  Ghemmâkhi,  Kitâb  esSiar,  p.  i84; 
Abou  Zakaryâ,  Chronique,  p.  iSy).  Plus  tard,  au 
temps  du  cheikh  Abou  Yahya  (fin  du  iv®  siècle  de 
ITiégire),  ce  qsar  fut  détruit  par  1,000  cavaliers  zé- 
nata,  rassemblés  par  Medjdouel  ben  Yousof  et-Ter- 
misi  (Ech  Ghemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  288). 

Dldref  sont  originaires  plusieurs  personnages 
célèbres  chez  les  Nefousa  :  Abou  Daoud  ed  Derfi, 
dont  l'aïeul  avait  fait  des  miracles  et  qui  reçut  une 
leçon  dWbou  *Imrân  Mousa  El  Andamouni  (Ech 
Ghemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  255-256).  —  Abou 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEF.  NEFOUSA.  107 

Mohammed  ed  Derfi,  dont  le  nom  était  Mali  d'après 
Aboul  ^Abbâs  ed  Derdjini,  qui  a  écrit  sa  biographie 
dans  le  Kitâb  et  Tabaqât  (cf.  de  Motylinski,  Les  livres 
de  la  secte  abadliite,  p.  29),  —  et,  suivant  le  Siar  en 
Nefousa ,  Zeïd  ben  Fasit ,  étail  un  homme  instruit ,  ver- 
tueux, sévère  jusqu'au  scrupule.  Il  était  gouverneur 
de  Djâdou;  son  administration  fut  marquée  par  des 
querelles  avec  des  gens  de  Fosato,  dont  le  chef,  Ibn 
Akbah,  fut  tué.  H  montra  une  égale  sévérité  contre 
son  fds  Abou  Yahya  Yousof,  qui  ne  priait  pas.  Un 
jour,  un  cheïkh'de  Temidjâr  étant  venu  visiter  Abou 
Mohammed ,  celui-ci  lui  dit  :  «  Tu  passeras  la  nuit 
chez  moi.  —  Non ,  car  tu  as  un  fils  qui  ne  prie  pas  »  ; 
et  il  partit.  Son  hôte  mit  Une  corde  au  cou  de  son 
fils  et  le  traîna  en  prison  en  disant  :  «  On  n'a  trouvé 
chez  moi  d'autre  péché  que  ton  manque  de  prières; 
choisis  :  ou  la  prière ,  ou  une  prison  perpétuelle ,  ou 
tu  monteras  sur  un  chameau  et  je  ne  te  reverrai 
plus.  »  Abou  Yahya  choisit  la  prière  et  son  repentir 
en  imposa  à  ses  anciens  compagnons  de  débauche, 
n  se  mit  dès  lors  à  étudier  sous  la  direction  d'Abou 
Mohammed  el  Kabaoui.  Quant  à  Abou  Mohammed 
ed  Derfi ,  atteint  de  la  maladie  dont  il  mourut ,  il 
s'évanouit  sur  le  marché  de  Djâdou;  on  le  transpor- 
tait dans  sa  demeure  quand  il  revint  à  lui  et  voulut 
être  reporté  là  où  il  avait  été  trouvé;  il  mourut  dans 
la  maison  des  Benou  'Abd  Allah  et  fut  enterré  en 
face.  La  nuit  venue ,  dit  le  cheikh  Abou  Zakaryà  el 
Lâlouti,  je  sortis  pour  voir  le  tombeau  du  cheïkh 
et  j'aperçus,  tout  autour,   des   rangées   d'hommes 


108  JOILLET-AOCT  1899. 

vêtus  de  blanc.  Outre  Abou  Yahya,  Abou  Mo- 
hammed ed  Derfi  eut  deux  fils  :  Abou  Daoud  So- 

• 

laïmân  et  Abou^Abd  AHah  Mohammed ,  qui  devinrent 
gouverneurs  de  Zeminour  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb 
es  Siar,  p.  28/1-286).  —  Abou  'Isa  ed  Derfi,  qui 
périt  dans  une  bataille  contre  les  'Abbasides  (Ech 
Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  2^4). 

85.  La  mosquée  d'Ed  Dibâdj, 

86.  On  se  dirige  vers  l'oratoire  de ^ Abdel  Hamid 
devant  Taghermin ,  à  Matkoadasen. 

Il  s  agit  d'Abou  'Obeïdah  *Abd  el  Hamid  el  Dje- 
naouni,  gouverneur  du  Djebel  Nefousa  (voir  n°  61). 
Taghermin  est  un  qsar  aujourd'hui  en  ruines ,  à  Test 
de  Zentan,  dans  le  Djebel  Nefousa,  moudiriah  de 
Fosato  (Brahim  en  Nefousi,  Relation  du  Djebel  Ne- 
fousa ,  p.  iK'  ;  de  MotyUnski ,  Le  Djebel  Nefousa ,  p.  8  a  ). 
De  cet  endroit  sont  originaires  :  Abou  Mohammed 
'Obeïdah  ben  ZaVour  et  Taghermini ,  mari  de  deux 
femmes  dont  lune  voulut  empoisonner  lautre,  0mm 
ZaVour.  Il  épousa  aussi  une  troisième  femme,  0mm 
Yahya,  dont  les  réponses  pleines  de  sens  l'avaient 
séduit.  Il  eut  quatre  fils  :  ZaVour,  Abou  'Abd  Allah 
Touzin,  disciple  d'Abou  ^4bd  Allah  el  Boghtouri,  et 
Mousa,  Le  second ,  le  plus  vertueux  des  hommes  de 
son  temps ,  eut  deux  fils  qui  périrent  dans  une  attaque 
des  Senhadja  contre  Taghermin  (Ech  Chemmâkhi, 
Kitâb  es  Siar,  p.  248-252).  —  Abou 'Imrân  Mousa 
el  Andemâni  et  Taghermini,  un  des  plus  humbles 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.         109 

envers  les  croyants,  des  plus  énergiques  envers  les 
hypocrites;  le  relâchement  s'était  introduit  de  son 
temps  dans  le  Djebel  Nefousa,  car  un  jour  le  cheïkh 
flaira  l'odeur  du  vin  chez  un  homme  qui  lavait  reçu 
et  brisa  les  jarres  qui  le  contenaient.  Son  contact 
guérit  une  blessure  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siat\ 
p.  204-255).  —  Aboul  Qâsem  Moumenin  et  Ta- 
ghermini,  qui  avait  aussi  le  don  des  miracles  (Ech 
Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar^  p.  257-258);  un  autre 
Aboul  Qâsem  et  Taghermini  (Ech  Chemmâkhi, 
Kitâb  es  SiaVy  p.  333).  —  Abou  Mousa  Usa  ben  So- 
laïman,  qui  habitait  avec  son  frère  Aboul  Uzz,  à 
Taghermin.  C'est  un  de  ceux  qui  travaillèrent  au  Siar 
des  Nefousa  :  il  le  termina,  d'après  FI  Boghtouri, 
en  599  de  l'hégire  (1 202-1 2o3)  à  Ignaoun,  en  so- 
ciété d'Abou  ^  ahya  Taoufiq  ben  Yahya.  Il  mourut 
de  la  morsure  d'un  chien  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es 
Siar,  p.  55i). 

Le  nom  de  Matkoudâsen  (^^t:j^53a^)  se  rencontre 
avec  des  variantes  provenant  sans  doute  de  pronon- 
ciations dialectales  :  ainsi  Abou  Midoul  ez  Zenzelî 
Maskoudâsen  (^^l:>jX»â^,  Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es 
Siar,  p.  4 18)  est  appelé  Abou  Mekdoul  (pour  Meg- 
doul;  cf.  le  nom  du  saint  qui,  par  altération,  est 
devenu  Mogador  au  Maroc  *  )  Matkoudâzen  (  ^jb^CiLo) 
ez  Zenzefi  dans  le  Kitâb  et  Tabaqât  d'Ed  Derdjini  (cf. 
de  Motylinski ,  Les  livres  de  la  secte  abadhite,  p.  32); 
Abou  Ibrahim  Maskoudâsen  (^^t:>^iC«A«^  Ech  Chem- 

^  Sur  le  cbangement  de  g  en  k,  cf.  mon  Etude  sur  Ici  dialectes 
berbères j  Paris,  189^,  in-8",  p.  3(j-/io. 


110  JUILLET-AOÛT  1809. 

mâkhi,  Kitâb  es  Smr,  p.  5o3)  est  appelé  Matkou- 
(lâsen  [^JM^s^JSi^)  dans  lenumération  des  chefs 
ouahabites,  publiée  à  la  suite  dxiKitâb  esSiar,  p.  Sga. 
Ce  mot  semble  composé  de  deux  éléments  comme 
les  suivants  :  Semdâsen  ((^^tiX-^w)  Abou  'Abd  es 
Selam ben  Ikhlef  el  Maghraoui  [Kitâb esSiar, p.  5o3 ) ; 
Yêindjâsen  (^^U^L) ,  d  où  vient  Tethnique  El  Yândjâ- 
seni  [Kitâb  es  Siar,  p.  5 1  o )  ;  Ibn  Djellidd^^/ï  ((^j^t  Jyc^. , 
en  berbère  Agellidasen  y  (^!«X-J^!)  Abou^Abd  Allah 
Mohammed  el  Lalouti  [Kitâb  es  Siar^  p.  32g),  où 
Ton  reconnaît  le  mot  berbère  Agellid,  *x^t  (var. 
Adjellid,  «isjJLai.!  ;  ajellid,  «x^jl)  «  roi  »  ;  c'est  sans  doute 
le  même  nom  cpie  lalidasen,  porté  par  un  chef 
maure  cité  par  Corippus,  Jo/iannid^",  VII,  ^36*;  Ibn 
Irsoukd5<?n  ((j^l^>^)  Abou  Ya*qoub  Yousof  (Ech 
Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  52  3);  Mersoukrbm 
(  0*M»l^^jj*)  es  Saouini  [Kitâb  es  Siar,  p.  53 1);  Islâ9m, 
^^Uwaj,  var.  l.slâtcriy  ^Uwaj),  nom  d'une  tribu  ber- 
bère (El  Edrisi,  Description  de  rAfriijae  et  de  VEs- 
pacjne,  p.  5 y;  Ibn  Khaldoun,  Histoire  des  Berbères, 
t.  I,  p.  2 1x6;  le  texte  du  Qaire  porte  la  variante 
^j^y^u^);  OuTseûâsen  [ç^'^Kk^^^,  var.  ^^5Uu»j^,  Ibn 
Khaldoun,  ibid.);^\s{eTâsen  (^j^LiUa^,  var.  ^jpl^JUdi^, 
Ibn  Khaldoun,  ibid,)\  Yaghmord^en,  porté  par  le 
fondateur   de  la  dynastie  des  'Abd  el  Ouadites^  à 


'   VA.  Petscheiiig,  Bcriin,  i886,  in-S'*. 

"'  Je  ne  cite  pas  Mad^liâsen,  nom  d'un  célèbre  nionunoent  près 
(le  *Aïn  Yaqoiil),  dans  le  département  de  Constantine,  car  il  paraît 
être  le  pluriel  d'un  singulier  .\fmlgliis,  nom  iVun  ancêtre  légendaire 
des  Berbères.  Il  est  à  remarcpier  qne  ce  nom  est  devenu  l'ethnique 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  1 1 1 

Tlemcen.  D  après  la  tradition  \  ce  mot  s'explique- 
rait par  «  rétalon  [lar'mow)  d'eux  [dsen)  ».  Ce  der- 
nier élément  serait  donc  le  pronom  personnel  suffixe 
masculin  pluriel  complément  dun  nom.  Mais,  dans 
les  dialectes  berbères  actuels,  la  forme  asen  ne  se 
joint  qu'aux  verbes  comme  complément  indirect,  et 
non  aux  substantifs  pour  lesquels  on  emploie  ensen. 
Je  ne  connais  pas,  du  reste,  en  berbère,  un  mot 
iarmoar  signifiant  «  l'étalon  »  ;  le  seul  qui  ne  soit  pas 
d'origine  arabe  s'est  conservé  en  touareg  :  atnaliy 
•|Q.  On  ne  peut  nier  cependant  que  les  mots  cités 
plus  haut  se  composent  de  deux  éléments ,  puisqu'on 
trouve  l'un  d'eux  isolé  :  Yaghmor  ben  'Abdel  Melik 
(Ibn  Khaldoun ,  Histoire  des  Berbères ,  t.  III ,  p.  121), 
Yaghmor  ben  Mousa  [ibid.y  p.  /jo);  pour  Matkou- 
dasen,  nous  rencontrons  Matkoad  (:>^5lLaj»),  Abou 
Mohammed  'Abd  Allah  ben  Matkoud  (Ech  Chem- 
makhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  3/i3);  Abou  Nouh  Sa^d 
ben  Zengbil  el  Matkoudi  (^:>^XlkJlt,  Kitâb  es  Siar, 

de  plusieurs  cheikhs  du  Djebel  Nefousa  :  Abou'l  Hasan  Aflah  el 
Madgfaâseni  (^^L«j4J),  qui  gouverna  pendant  plusieurs  années  les 
B.  Ourtizlan  ((^^^^)  de  la  part  d*Abou  'Ahd  Allah  Mohammed 
(Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  5 18);  Sa'ad  ben  Ikhlef  el  Ma- 
dghâseni  {Kitâb  es  Siar,  p.  467);  Ikhlef  hen  Zakaryâ  el  Madghâ- 
seni  [Kitâb  es  Siar,  p.  468).  Je  ne  mentionne  pas  non  plus  des 
noms  comme  Idrâsen  (ç^';;'^»)  ♦  lahrâsen  (  ^^\y^,) ,  Israsen  (^j-i*«i*->*o ) , 
Oungâsen  [^jMtl>ij^)  ^lzna.cen  ^  qui  paraissent  être  des  pluriels  comme 
Madghâsen. 

*  Baltes,  Complément  de  l' histoire  des  Béni  Zeiyàn,  Paris,  1887, 
in-8*,  p.  5,  note  1.  Et-Tidjâni,  dans  le  récit  d(î  son  voyage,  men- 
tionne près  de  Gabès  la  station  de  Ghamorâsen  (^^-wt^è  JjJU),  qui 
appartient  à  la  n»énHî  racine  (Rousseau,  Voyiuje  du  sclieîkli  Et-Ti- 
djâni, Paris,  i8ô3,  in-8",  p.  i53). 


112  JUILLET-AOÛT  1899. 


p.  3  5  y).  On  trouve  aussi  Maskoud  (:>^5C»a«)  et  même 
Mathkoud  (:>^Juuo)  dans  le  nom  dun  personnage 
d'où  vient  celui  de  Souaïqah  ibn  Mathkoud  [mj^^ 
:>jSuJ»  (j^l),  petite  ville  située  chez  les  Berbères 
Hoouâra,  entre  Lebda  et  Mesrata  (El  Ëdrisi,  Descrip- 
tion de  l'Afrique  et  de  V Espagne,  p.  120,  i33;  des 
manuscrits  présentent  aussi  les  variantes  :>^Xjl«  et 
:>^jjû«,  cf.  la  note  i  de  la  page  1 33  du  texte)  .11  y  a  lieu 
de  rapprocher  du  second  élément  de  cette  catégorie 
de  noms  la  terminaison  asen  ou  asan ,  qu  on  trouve 
dans  un  certain  nombre  de  noms  propres  berbères 
cités  dans  la  Johannide  de  Corîppus  :  Hîsdreasen  (IV, 
634;  V,  202,  209,  2i3)  ou  plutôt  Isdreasen  (33); 
Laumasan  (V,  110),  Macurasen  (V,  3i  1;  peut-être 
mokliorasen,  ^^Lajo,  de  la  racine  y/MK*  R),  Mano- 
nasan  (V,  34 1),  Manzerasen  (V,  120);  Nacusan 
(  V,  3 1  o  )  Ml  y  a  aussi  im  parallélisme  à  établir  entre 
ces  terminaisons  en  asen  et  celles  en  ten,  suffixe 
direct  des  verbes  qu  on  retrouve  dans  plusieurs  noms 
propres.  Si  Ton  décompose  les  mots  cités  plus  haut 
en  deux  éléments,  on  ne  peut,  comme  la  avancé 
M.  Partsch  [op,  laad.),  les  classer  dans  les  noms  in- 
déclinables terminés  par  n. 

87.   On  se  dirige  vers  l'oratoire  dldhiren  (les  pi- 
geons). 

'  Cf.  PartHch  »  Die  Berberen  in  der  Dichtung  des  Corîppus ,  Breslati , 
iSgG»  in-H",  p.  19.  Je  nv  crois  pas,  malgrtV  l'opinion  de.  Mazuc- 
rlicili,  ivproduile  par  Ik'kkrr  (Merobandcs  et  Corippus,  Bonn,  i836f 
in-8",  p.  '2()&) ,  qu'IsdiTascn  soit  à  rapprocher  de  ÈaStXaaav  de  Pro- 
cope  (De  bcllo  Vandalico ,  II,  10,  i'j). 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  113 

A  Idbiren  se  trouvait  Toratoire  d*Abou  Moham- 
med ,  où  la  pieuse  0mm  ZaVour  vit  prier  des  ran- 
gées d'êtres  pareils  à  des  hommes  vêtus  de  blanc, 
miracle  fréquent  au  Djebel  Nefousa  (Ech  Chem- 
màkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  2  5  4). 

88.  Uoratoire  de^Ammi  Djenaoan. 

Plusieurs  personnages  ont  porté  ce  nom  :  Abou 
Sâlih  Djenaoun  ben  Imryân ,  un  des  pôles  de  la  reli- 
gion qui  avait  le  don  des  miracles,  mais  qui  ne  paraît 
pas  avoir  été  heureux  en  ménage.  Un  jour  il  reçut 
de  sa  femme,  en  train  de  pétrir  du  pain,  un  vigou- 
reux soufflet  qui  laissa  des  traces  sur  son  visage. 
Il  alla  se  plaindre  à  son  chef  Abou  Ya*qoub  et-Tarfi 
qui  Texhorta  à  la  patience ,  ce  qu'il  pratiqua  depuis. 
Suivant  le  Kitâh  el  Mo^aïlacjât,  il  trouva  sa  femme 
morte  en  rentrant  à  la  maison.  Le  Kitâh  es  Siar  cite 
plusieurs  exemples  de  sa  générosité.  Il  passa  la  fin 
de  sa  vie  à  Ouargla  et  donna  son  nom  à  un  cime- 
tière où  on  enterra  le  dernier  des  Rostemides ,  chassé 
de  Tiharet  par  les  Fatimites ,  Ya^qoub  ben  El  Aflah , 
et  il  eut,  sur  des  questions  religieuses,  des  querelles 
avec  Abou  Solaïmân,  fils  de  ce  Ya^qoub  (Abou  Za- 
karya.  Chronique,  p.  a6o-2()5;  Ech  Chemmâkhi, 
Kitâb  es  Siar,  p.  362-365).  —  Le  cheïkh  Djenaoun 
ben  ^Ali ,  dont  l'autorité  est  citée  dans  les  Mo^allcujât , 
ouvrage  anonyme  contenant  divers  récits  sur  les 
compagnons  de  la  doctrine,  et  dont  l'auteur  est  in- 
connu (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  482-483). 

siv.  8 


114  JUILLET-AOÛT  1899. 

—  Djenaoun  ben  Serghin,  qui  avait  le  don  des  mi- 
racles et  eut  une  vision  la  nuit  d'El  Qadr  ^ 

89.  L'oratoire  d'El  Qasr. 

90.  L'oratoire  aa-dessus  d'El  Qasr. 

91.  L'oratoire  d'Onim  Zaîd, 

La  pieuse  0mm  Zaïd  est  mentionnée  dans  le 
Kitâb  es  Siar  comme  une  amie  d'Omm  ZaVour  (Ech 
Ghemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  aSA). 

92.  On  se  dirige  vers  le  rocher  de  la  vallée. 

93.  On  se  dirige  vers  l'oratoire  de  Djillizet. 

94.  Vers  téglise  de  Masin. 

G  est  le  Masif  (ubuNut  pour  ç^yj^M*^)  mentionné  par 
Ibn  Haouqal  (  Viœ  et  régna,  p.  67  '^) ,  comme  une  des 
villes  du  Djebel  Nefousa.  Ses  ruines  existent  encore 
aujourd'hui  et  on  y  voit  une  mosquée  à  une  demi- 
heure  de  marche  dldjeital,  dans  le  moudiriah  de 
Fosato  (  Brahim  en  Nefousi ,  Relation  du  Djebel  Nefoasa , 
p.  rô;  de  Molylinski,  Le  Djebel  Nefoasa,  p.  96). 
C'est  dans  ce  qsar  qu'on  apporta  pour  la  première 
fois,  dans  le  Djebel  Nefousa,  le  Kitâb  el  Khalil  e§ 

*  Cf.  sur  les  mérites  de  la  nuit  d*£l  Qadr,  El  Bokhâri,  Sahih, 
le  Qaire,  i3o6  de  Thég.,  2  vol.  in- 4°,  t.  I,  p.  226;  Paulz,  Mu- 
hanvnedis  Lehre ,  Leipzig,  1898,  in-8*,  p.  3o-33. 

*  Éd.  de  Goeje,  f^cyde,  1873,  in-8". 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.  115 

Satih  (Ech  Chemmâkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  a  35).  C  est 
à  Masin  (var.  (j^a*<»^!)  qu'habitait  le  cheïkh  Abou 
Yousof  Ya^qoub  ben  Ahmed  ei  Ifreni  el  Midiouni; 
il  y  mourut  et  y  fat  enterré  {Nisbah  Un  el  Moslemin, 
à  la  suite  du  Kitdb  es  SioTy  p.  679;  de  Motylinski, 
Le  Djebel  Nefousa,  p.  96,  note  1). 

95.  On  se  dirige  vers  la  mosqaée  du  quartier  des 
Benou  Ankâsen. 

96.  L oratoire  d'Omm  Djelditi  à  Tounriret. 

Cette  0mm  Djeldin  était  la  mère  du  mufti  Abou 
^Obeïdah  ei  Boghtouri,  disciple  d'Abou  *Abd  Allah 
ben  Djellidâsen  qui  habita  Gharous  pendant  quatre 
mois;  il  devint  le  plus  savant  de  son  temps  (Ech 
Chemmâkhi,  Kitâh  es  5iar,  p.  3  2  8-3 3 o).  0mm 
Djeldin  ne  souhaitait  que  trois  choses  :  visiter  la 
pieuse  0mm  ZaVour,  voir  les  ohviers  de  Taghermin 
et  avoir  les  prières  d'Abou  Mohammed  sur  son  tom- 
beau (de  Motylinski ,  Le  Djebel  Nefousa^  p.  82, 
note  2). 

97.  On  se  dirige  vers  l'oratoire  vis-à-vis  du  tombeau 
d'Abou  Hâtem. 

C'est  Abou  Hâtem  Ya^qoub  ben  Lebid  (Ibn 
^Adzari  :  ben  Lebib;  Ibn  Khaldoun  :  ben  Habib) 
ben  Midian  b.  Itououeft  el  Hoouâri  el  Melzouzi.  El 
Belâdzori  [Liber  expugnationis ,  p.  233^)  lui  donne 

^  Éd.  de  Goeje,  Leyde,  i8G3,  in-4".  Je  n'ai  pas  cm  devoir  con- 

8. 


116  JUILLET-AOÛT  1899. 

le  surnom  d'Es  Sedrati ,  peut-être  par  confusion  avec 
*Asiin;  cest  ce  dernier  qui  commandait  les  Sedrata 
au  siège  de  Qairouân.  Après  avoir  gouverné  Tripoli 
de  redjeb  ilxo  (novembre -décembre  ySy)  à  i44 
(761-762),  il  fut  élevé  à  Timâmah  après  la  mort 
d'Aboul  Khattab.  Il  commença  par  réprimer  une 
dissidence  peu  considérable,  puis  il  mit  en  déroute 
près  de  Gabès  une  armée  envoyée  de  Tlfriqyah 
contre  lui.  Le  succès  ne  paraît  pas  avoir  été  décisif 
car  Abou  Hâtem  revînt  à  Tripoli  et  y  resta  quelques 
mois.  L'ordre  et  la  tranquillité  ayant  été  rétablis,  il 
profita  du  départ  de  Qairouân  du  gouverneur  ^abba- 
side  de  rifriqyah  *Omar  ibn  Hezarmard,  pour  re- 
commencer la  guerre.  Il  rassembla  une  armée  consi- 
dérable, dans  laquelle  servait  *Asem  es  Sedrati  (voir 
n°  4),  et  à  laquelle  se  joignirent  les  Berbères  héré- 
tiques du  Maghreb  :  Abou  Qorrah ,  Timâm  des  So- 
fritesqui  résidait  à  Tlemcen,  amena  4  0,000  hommes; 
^Abd  er  Rahmân,  Timâm  rostemide  de  Tiharet, 
6,000  Abadhites;  El  Misouar  ben  Hani,  10,000 
Kharedjites  ;  Djerir  ben  Mas*oud  arriva  avec  un  con- 
tingent des  Midiouni  et  ^Abd  el  Melik  ibn  Sekerdid 
avec  2,000  Sanhadja.  Cette  armée  vint  bloquer  à 
Tobna  ^Omar  ibn  Hezarmard,  que  le  khalife  El  Man- 
sour  avait  chargé  de  rebâtir  cette  ville,  laissant  pour 
gouverner  Qairouân  en  son  absence  un  de  ses  pa- 

server  la  lecture  a^ICJLLM  ,  rethnique  étant  tiré  du  nom  berbère  de 
Sedrata  (iC?I^OsXv,  Isedraten)  qui  existe  encore  aujourd*Lui.  Ibn 
Khaldoun  d'ailleurs  [Histoire  des  Berbères,  1,  33 2]  admettes  deux 
formes. 


LES  SANCTUAIRES  Dl]  DJEBEL  NEFOUSA.  117 

rents,  Abou  Hâzem  Habib  b.  Habib  b.  Yezid  el  Mo- 
hallebi.  *Omar  n'avait  que  1 5,5oo  hommes  à  opposer 
à  la  multitude  de  ses  adversaires;  sur  le  conseil  de 
ses  officiers,  il  eut  recours  à  la  ruse,  /i 0,000  dirhems 
décidèrent  Abou  Qorrah,  ou,  suivant  d'autres,  son 
frère  à  battre  en  retraite  avec  les  Sofrites  en  aban- 
donnant leurs  alliés;  en  même  temps  le  corps  d'ar- 
mée de  ^Abd  Allah  ben  Rostem  subissait  un  échec 
à  Tehouda  ;  *Omar  sortit  de  Tobna  avec  ses  troupes 
et  marcha  contre  Abou  Hâtem ,  mais  ce  n'était  qu'une 
feinte  pour  se  dégager;  il  trompa  son  adversaire,  re- 
vint en  toute  hâte  à  Qaïrouân ,  où  il  laissa  une  gar- 
nison ,  et  se  retourna  contre  les  Berbères  qui  le  pour- 
suivaient. Vaincu  par  eux  il  retourna  s'enfermer 
dans  la  ville ,  en  attendant  les  secours  demandés  au 
khalife,  lis  se  firent  attendre;  pendant  ce  temps  le 
blocus  continuait,  interrompu  par  des  sorties  quoti- 
diennes qui  ne  rétablissaient  pas  les  communications 
avec  le  dehors.  La  famine  devint  telle  qu'on  mangea 
les  bêtes  de  somme ,  les  chiens  et  les  chats  et  que  le 
sel  se  vendait  un  dirheiii  fonce.  Sur  ces  entrefaites, 
^Omar  apprit  qu'une  armée  abbaside  arrivait,  mais 
qu'elle  était  commandée  par  Yezid  ben  Hâtem  que 
le  khalife  lui  donnait  pour  successeiu™.  Désespéré  de 
sa  disgrâce,  il  se  fit  tuer  dans  une  sortie  au  milieu 
de  dzou'l  hidjdjah  i54^  (décembre  770).  Djamil 

*  La  date  de  i53,  donnée  par  Tabari  et  Ibn  Qattân  dans  le 
Nazlim  el  Djomân  est  inexacte  et  combattue  par  Ibn  er  Raqiq, 
'Arib,  Ibn  Hammâdah,  Ibn  Khaldoun  et  les  historiens  abadhites. 
De  même  Ibn  el   Abbâr   (Hollat  es  Sinra,   p.    207)   prétend  que 


118  JUILLET-AOÛT   1899. 

ben  Sakhr,  qui  le  remplaça  provisoirement,  traita  de 
la  reddition  de  la  ville  avec  Abou  Hâtem,  qui  se 
montra  généreux  et  accorda  aux  ennemis  une  capi- 
tulation honorable  ;  il  leur  fournit  des  vivres ,  mais  il 
les  expulsa  de  Qaïrouân.  Il  marcha  ensuite  contre 
1  armée  abbaside  qui  venait  de  l'Orient ,  mais  il  dut 
revenir  sur  ses  pas  pour  réprimer  une  insurrection 
des  gens  de  Qaïrouân  commandés  par  *Omar  ben 
'Othmân  el  Fihri  el  El  Mokhâriq  ben  Ghifâr.  Ceux-ci 
furent  vaincus  et  s  enfuirent  à  Djidjelli,  poursuivis 
par  Djerir  ben  Mas  oud  el  Midiouni ,  pendant  qu  A- 
bou  Hâtem  retournait  au-devant  de  Yezid  ben  Hâtem 
el  Mohallebi.  Celui-ci,  d après  des  récits  probable- 
ment exagérés,  amenait  6o,ooo  hommes  du  Kho- 
rasân,  6o,ooo  de  Koufah,  de  Basrah  et  de  Syrie, 
auxquels  se  joignirent  les  garnisons  fugitives  de 
rifriqyah,  des  Berbères  des  Mlila,  faction  des  Ho- 
ouâra ,  commandés  par  Yousof  el  Fartiti ,  et  même 
des  dissidents  du  Djebel  Nefousa  conduits  par 'Omar 
ben  Matkoud.  Le  chef  de  lavant-garde  'abbaside 
était  Salim  ben  Souadah  et  Temimi;  il  fut  battu  et 
mis  en  fuite  par  Abou  Hâtem  à  Maghmadas  ;  mais , 
dans  la  grande  bataille  qui  fut  ensuite  livrée  à  Djenbi 
le  a 7  de  rebi  i*  i55  (y  mars  772),  les  Abadhites 
furent  complètement  défaits  :  3o,ooo  hommes  pé- 
rirent avec  Abou  Hâtem  et,  à  1  endroit  où  ils  succom- 
bèrent, les  légendes  du  Nefousa  signalent  Tappari- 


Yezid  ben  Hâtem  fut  nommr  gouverneur  de  Tlfriqyah  en  1 44  :  il 
faut  lire  i54. 


LES  SANCTUAIRES  DU  DJEBEL  NEFOUSA.         119 

tion,  tous  les  jeudis,  dune  lumière  miraculeuse.  Ce 
fat  le  dernier  des  3  7  5  combats  livrés  par  les  Ber- 
bères aux  troupes  'abbasides  depuis  qu'ils  avaient 
déclaré  la  guerre  à  *Omar  ibn  Hazarmard.  (Cf.  Ech 
Chemmàkhi,  Kitâb  es  Siar,  p.  i3/i-i38;  Ibrahim  el 
Berrâdi,  Kitâb  el  Djaouâher,  p.  1 73  ;  Abou  Zakaryâ, 
Chronique,  p.  lii-lig;  lauteur  du  Kachf  el  Ghommah 
a  aussi  consacré  un  chapitre  à  Abou  Hâtem,  sans 
doute  d'après  Abou  Zakaryâ  ;  cf.  Sachau ,  Ueber  eine 
arabische  Chronik  aus  Zanzibar,  p.  1 2  *  ;  El  Belâdzori , 
Liber expugnationis regionum ,  p.  23a-233;  IbnKhal* 
doun,  Kitâb  el  Iber,  t.  VI,  p.  1 12-1 13;  Histoire  des 
Berbères,  t.  1,  p.  221-223;  Histoire  de  l'Afrique  et 
de  la  Sicile,  éd.  Desvergers,  p.  2  3-2  6  du  texte,  62- 
68  de  la  trad.  ;  En  Nouaïri,  cité  par  Des  vergers, 
op.  laud.,  p.  64-66,  note;  de  Goeje,  Descriptio  Al 
Magribi,  p.  83-84;  Ibn  ^\dzari,  Histoire  de  l'Afrique 
et  de  l'Espagne,  t.  I,  p.  64-69;  Ibn  el  *Abbâr, 
Hollat  es Siara,  p.  207-208^;  Tabari,  Annales,  t.  III, 
2" part. ,  p.  370-373^;  Aboul  Mahasin  Ibn  Tagri- 
berdi.  En  Nodjoum  ez  Zâhirah,  t.  I,  p.  4i  i-4i2; 
Ibn  el  Athir,  t.  V,  p.  283-285;  lauteur  des  notes 
de  la  traduction  fragmentaire  publiée  dans  la 
Revue  africaine  [1897,  P*  ^34-236]  ne  cite  que 
les    sources   qui   sont    mentionnées    par    Fournel; 


^  Mittheilungen  des  Seminarsfûr  orientalische  Sprachen,  1"  année, 
1898,  fasc.  I. 

*  Ap,  M.-J.  MùUer,  Beitrœgcinr  Geschichte  der  westlichen  Araber, 
Munich,  1866-1878,  in-8\ 

»  Leyde,  1880,  in-8''. 


120  JUILLET-AOÛT  1899. 

Ibn  Abi  Dinar  ei  Qaïrouâni,  Kitâb  el  Moanis^, 
p.  45;  Fournel,  Les  Berbères,  t.  I,  p.  Syo-SSo; 
Mercier,  Histoire  de  l'Afrique  septentrionale,  t.  I, 
p.  25o-25/i). 

*  Tunis,  1286  de  l'hég.,  petit  in-4". 


SIX  CHANSONS  ARABF.S  EN  DIAF.ECTK  MAGHREBIN.     121 


SIX  CHANSONS  ARABES 

EN  DIALECTE  MAGHREBIN, 

PUBLII^ES,   TRADUITES  ET  ANNOTEES 


PAR 


M.  C.  SONINECK. 

(suite.) 


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168 


LES  AISSAOUA  A  PARIS. 

l.  Venez  voir  ce  qui  est  arrivé  en  cette  année  de 
malheur  :  le  tremblement  de  terre  a  démoli  les  mai- 
sons et  les  a  presque  rasées;  criquets  et  sauterelles 
nont  rien  laissé  après  eux^ 

4.  Ecoutez  ce  qui  est  advenu  cette  annSe  du  fait 
de  ces  coquins  de  negros,  de  ces  chenapans  de  mu- 
siciens ^  et  d'un  lot  d'Aïssaoua.  Ils  ne  parlaient  chaque 
jour  que  de  leur  projet.  Malheur  à  l'homme  qui 
manque  de  sincérité  ! 

7.  En  apprenant  le  voyage  de  Ràyyâto^,  ils  se 
mirent  à  crier  et  à  courir,  les  uns  nu-pieds,  les  autres 
chaussés  de  souliers.  Dieu  les  a  bien  affligés  en  ce 
monde  !  Il  n  est  jusqu'aux  nègres  qui  badigeonnent 
les  maisons^  qui  ne  les  aient  suivis  en  tumulte. 

*  V.  1.  L'année  1867  fut  pour  TAlgérie  une  année  funeste  :  le 
2  janvier,  un  tremblement  de  terre  détruisit  tous  les  villages  entre 
Blida  et  Cherchel;  la  sécheresse  et  les  sauterelles  firent  manquer  les 
récoltes;  le  choléra  sévit  avec  une  extrême  violence  et  le  typhus 
vint  s  ajouter  à  tous  ces  malheurs. 

*  V.  5.  ZôrnâM,  artiste  qui  joue  de  la  z6ma,  instrument  à 
anche  de  la  famille  du  hautbois.  Zorna,  mot  turc,  est  passé  en 
arabe  sous  les  formes  les  plus  diverses. 

'  V.  7.  Mustapha  Raïato,  marchand  de  curiosit<^s  algériennes. 

*  V.  9.  A  Alger,  dans  la  ville  mauresque,  le  métier  de  badigeon 
neur  est  à  peu  près  exclusivement  exercé  par  des  nègres. 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     141 

10.  Le  chrétien  a  nom  Salvador.  C*est  lui  qui  les 
a  embarqués  sur  le  bateau  à  vapeur.  L'un  d'eux, 
sentant  le  cœur  lui  tourner,  dit  :  «  J'ai  envie  de  vo- 
mir!» V^aryfa^  répand  des  aromates  sur  le  feu  et 
embaume  Tair  autour  d'elle. 

13.  Ils  sont  partis  pour  Paris,  où  ils  vont  voir 
*Abd-el-*Azyz^.  Le  chrétien  les  avait  parqués  comme 
des  bandes  de  criquets  entre  la  mer  cl  l'église^.  Il 
les  a  emmenés  en  leur  promettant  monts  et  mer- 
veilleâ  ;  il  les  conduit  à  la  mendicité. 

16.  Il  les  mène  dans  son  pays  pour  les  montrer 
au  maître  de  ses  maîtres^.  Il  espère  recevoir  un  ca- 
deau et  les  rétribuer  au  moyen  d  un  présent.  Mais 
s'il  le  garde  pour  lui,  il  réglera  avec  eux  à  partir  des 
préliminaires  du  voyage^. 

.19.  Peut-être  se  montreront-ils  sur  un  théâtre  ou 
en  tout  autre  endroit  que  voudra  sa  fantaisie?  Les 
nègres  commencent  à  danser^  au  bruit  de  toutes  les 

^  V.  1  a.  On  appelle  'arffa  la  négresse  qui  préside  aux  danses 
de^  femmes  aïssaoua. 

*  V.  i3.  Le  sultan  de  Constantinople,  venu  à  Paris  à  Toccasion 
de  TExposition. 

*  V.  i4.  Sur  le  port. 

*  V.  i6.  L'empereur  Napoléon  UI. 

*  V.  i8.  Il  leur  avait  avancé  pour  leuri  préparatifs  dj  voyage 
une  certaine  somme  d'argent. 

^  V.  2 G.  \^yloLz^,,  Ce  verbe,  qui  signifie  •  frapper»,  a  ici  le  sens 
de  «  taper  des  talons  en  cadence  » ,  comme  le  font  les  nègres  dans 
leurs  danses.   Le  langage  populaire  aime  ces  redoublements  de 


m  JIU llUV,TrAOtiT  U09. 

castagnettes.  Les  chrétiens  ouvrent  do»  paris  sur  ce 
que  deviendra  iaffiiire. 

22 .  Ou  dit  qu  une  lettre  dWy  Mt  arrivée ,  aimocir 
çant  qu*ils  ont  supprimé  i'aUution  et  la  priera.  L'iin 
d'eux  a  été  très  malade  :  a  Je  ne  sais  ce  que  J9i», 
disait'il.  La  cause  de  son  mal,  cei^t  quil  avait  tré- 
buché sur  les  brûla-parfums  qu  avait  waportéi  la 
prêtresse  ^ 

25.  Pour  imam  Uê  ont  pris  Y^aryfa  qui  sent  mau- 
vais comme  une  charogne.  Avec  ses  petites  boites 
dans  un  petit  couflBn  et  sa  tunique  pendante  ^^r  venez 
voir  ce  beau  tableau  •— r-  ne  dirait-on  pas  un  apeetipe? 

28.  Le  chrétii»n  les  ei^ploite  tous  s  1%  phiptrt  sont 
remplis  de  foh'e.  Voulez-vous  49onnattfî|i  lu  premier 
d'entre  eux,  Messieurs  ?  C'est  Et-Try,  le  fils  d'El-Qer- 
meslyya  ^,  qui  n'eut  jamais  souei  de  bien  S^ra  et  ne 
vit  que  pour  le  mal  et  le  péché. 

lettres:  en  dit  dôkhhhAn  pour  ^U^»,  rëbbâr  pour  ^t^.  Bmwtiiiip 
de  mots  empruntés  à  des  langues  européennes  subissent  aussi  ces 
réduplieations  t  «capele»  de¥)afiC  gëbboét;  «dép4^ie«  dékhfêk,  etc. 

^  V.  a  4.  11  y  a  là  un  jeu  de  mots  sur  hoûryya  qai  si^pîâtt  c  né- 
gresse •,  mais  qui ,  étant  données  ies  fonctions  apëcialw  de  cette 
femme ,  est  employé  dans  cette  strophe  comme  un  lémkidi  fiuiM*' 
siste  du  mot  français  <  curé  »  ;  c'est  pour  cela  qife  je  f  ai  traduit  par 
fl  prétresse  ». 

Le  fait,  pour  des  gens  qui  ont  délaissé  l'ablation  et  ia  prière,  de 
trébucher  en  rentrant  chez  eux  parmi  les  objets  qui  forment  1^  wth 
biiier  de  leur  habitation  indique  cjairemeni  ia  ostnrf  de  Tindispo- 
sition  du  «alade. 

'  V.  «9.  El  qérmêzlyya  fia  cran^M^iet,  çest-Àrdir»  «ceUe 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     143 

31.  Le  mérkânty  fait  sur  eux  du  bénéfice.  Et-Try 
leur  sert  de  truchement.  Le  chrétien  doit  leur  faire 
gagner  cette  année  mille  [douros?].  Je  prie  Dieu 
d  emporter  ces  deux  hommes  et  de  {q$  envoyer  en 
présent  au  fen  de  i  enfer  ! 

34.  Cest^Aly  Et-Try  qui  est  leur  pourvoyeur;  ii 
court  chaque  jour  du  matin  au  soir.  Le  chrétien  les 
a  enfermés  dans  une  écurie  et  les  fa(t  sortir  eu 
troupe  comme  des  soldats;  il  les  traite  comme  des 
boeufs  :  il  n  y  man(jue  que  les  cris  des  toucheurs. 

37.  Considérez  cette  déconfiture  d'Ould  Sa*yd 
aux  grandes  mâchoires  :  ii  a  gagné  dix  mille  francs 
et  les  a  perdus  au  jeu.  De  tout  son  avoir,  ii  ne  lui 
reste  que  les  bancs  ou  du  marc  de  café  bouilli. 

40.  Le  chef  des  musiciens,  complètement  gâ- 
teux et  dont  la  barbe  est  plus  blanche  que  la  laine, 
est  allé  à  Paris  «  pour  voir  »  (Puisse-t-il  finir  sa  jour- 
née dans  le  feu  de  1  enfer  I  ) ,  et  s  ii  revient  déçu ,  du 
moins  sa  renommée  viyra-t-elle  dans  le  monde. 

43.  Sydy  *Aly,  le  hauboïste,  était  barbier  et  cafe- 
tier. Il  est  avide  de  mouvement  et  désireux  de  se 
botirror  de  pièces  d  w  i  «  Ce  voyagea,  «441  dit  k  ses 
oompognon»,  est  mon  pèlerinage;  il  m  y  manifoera 
que  Ja  teihyya.  « 

les  joues  sont  rendues  rouges  par  ie  fard  ».  Ce  mot  est  pris  dans  un 
sens  désobligeant. 


144  JUILLET-AOÛT  1899. 

46.  «  Je  voyageais  jadis,  toujours  content.  J'étais 
le  Maître,  j'étais  l'artiste  applaudi.  Je  dirigeais  la 
noâba  dans  la  cour  à  l'époque  du  Gouvernement 
turc.  Maintenant,  je  fais  des  tours  de  baladin  et  j'en 
ai  le  cœur  brisé.  La  mort!  mon  Dieu,  où  est  la 
mort!» 

49.  «J'ai  laissé  un  ouvrier  dans  ma  boutique 
pour  ne  pas  tarir  mes  moyens  d'existence.  Je  vais 
aller  montrer  ma  musette;  peut-être  quelqu'un  me 
fera-t-il  demander?  C'était  anciennement  mon  ha- 
bitude de  voyager  avec  les  musiciens.  » 

52.  Quel  étrange  ouvrier!  Dieu  le  bénisse!  Il 
parle  à  tous  les  chalands  qui  passent.  Il  les  fait  entrer 
clans  la  boutique,  leur  explique  la  situation  et  leur 
dit  :  «Je  suis  ici  provisoirement».  Puis  il  entame 
l'éloge  de  son  patron  qui,  dit-il,  s'est  muni  d'un 
cadeau  pour  lui. 

55.  Son  lieutenant  est  un  idiot,  nommé  Oulyd 
el  Hâdj  Ouâly,  (jui  croit  sa  parole  supérieure  à  tout 
el  se  figure  que  personne  en  ce  monde  ne  l'égale. 
Quand  il  sera  allé  là-bas  et  en  sera  revenu,  il  sera 
parfait  ! 

58.  Il  contredit  tous  ceux  qui  parlent  et  ne  sup- 
porte même  pas  qu'ils  lèvent  le  doigt.  11  n'aime  pas 
ceux  qui  s'expriment  avec  franchise;  mais  il  fait  bon 
accueil  aux  menteurs  et  leur  dit  :  «  Approchez-vous 
de  moi  n. 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     145 

6 1 .  Il  dit  :  ((  Mon  enfance  a  été  dorlotée  » ,  et  s'em- 
porte si  Ton  paraît  en  douter.  I)  ne  se  nourrit  que 
de  semoule  grossière  et  sa  panse  vide  pend  toute 
flasque.  Chaque  jour  cependant,  faisant  l'important, 
il  vient  dire  :  «  J  ai  mangé  telle  et  telle  chose  ». 

64.  u  J  ai  découvert,  dit-ii,  une  certaine  semoule 
arrivée  tout  nouvellement  chez  un  Maltais  qui  de- 
meure loin  d'ici;  on  n'a  jamais  vu  la  pareille.  J'en 
ferai  faire  le  pain  de  la  Fête  et  un  peu  de  meqroât^.  *» 

67.  Le  long  El-Hâdj  Mostëfa  a  été  entraîné  par 
les  nombreux  mensonges  qu'il  a  entendus  et  aussi 
par  l'amour  du  gain.  Si  Dieu  ne  l'avait  pas  aban- 
donné, il  fabriquerait  encore  des  formes  pour  les 
cordonniers;  mais  c'e^  la  foule  qui  l'a  induit  en  ten- 
tation .  .  . ,  et  voilà  comme  ca  s'est  fait  ! 

70.  Avec  eux  est  Hamyda  au  visage  d'âne,  qui 
vendait  des  fleurs  sur  la  place.  Il  n'a  rien  laissé  aux 
siens  pour  vivre,  leur  disant  seulement  :  «Modérez 
l'allure;  à  mon  retour,  je  vous  achèterai  une  maison 
et  notre  existence  sera,  à  l'avenir,  bien  tranquille.» 

73.  On  voit  aux  mains  de  SJdy  Ahmed  Et  Isoqba 
des  timbales  grosses  comme  des  outres;  il  veut  ap- 
prendre à  jouer  en  partie;  mais  il  est  l'opprobre  des 

*  V.  66.  On  appelle  meqroût  pour  meqroûd  (permutation  algé- 
rienne du  Je»  en  b),  des  gâteaux  de  semoule  fourrés  de  confitures, 
coupés  en  losanges  et  frits  dans  du  beurre. 

XIV.  10 


146  JUILLET-AOÛT   1899. 

musiciens,  car  il  ne  connaît  aucun  rythme.  «  O  mon 
semblable,  à  moi .  ^ .  P  » 

76.  Le  cœur  de  Sydy  Ahmed  est  ardemment 
épris  d'^Ayn  boû  zelloûf^,  qui  concevra  cette  année. 
Je  lui  souhaite  que  les  soucis  et  Jes  syncopes  le 
fassent  enfler,  ou  qu'il  devienne  jaune  comme  une 
carotte  ! 

79.  J'aime  Sydy-t-Tàyyeb  quand  il  se  met  à  tam- 
bouriner et  à  chanter.  Mes  yeux  n'ont  jamais  vu  pa- 
reille laideur  :  on  dirait  d'un  bouffon  au  milieu  d  une 
société.  «Personne  ne  me  vaincrait,  dit-il,  si  je 
n'étais  un  peu  malade.  » 

82.  Qâddoûr,  le  petit  coq,  timbalier,  qui  ici, 
badigeonnait  les  maisons ,  suspendu  par  des  cordes 
aux  murs  élevés ,  ou  en  compagnie  des  goudronneurs 
de  terrasses,  dit  :  «J'ai  fait  ce  voyage  au  petit  bon- 
heur, uniquement  pour  prendre  l'air.  » 

85.  Koûtchoûk  est  resté  ici,  il  n'est  pas  parti;  il 
vend  des  abricots  sur  la  place  :  «  Le  repos ,  déclare- 
t-il ,  est  le  meilleur  des  aliments ,  et  mon  petit  cœur 

^  V.  7$.  Dicton  qui  correspond  à  notre  expression  :  «S'il  en 
trouvait  un  plus  béte  que  lui  il  le  tuerait  ». 

^  V.  76.  *Ayn  bon  zellouf  est  un  sobriquet  signifiant  «qui  a  les 
yeux  à  fleur  de  tété  comme  une  tête  de  mouton  bouillie  et  parée 
au  fer  chaud  (  boû  zelloûf)  ».  Ce  mets  était  connu  de  la  vieille  cui- 
sine française  :  <  Chefs  de  belin  dorez ,  autrement  appeliez  perdrix 
de  la  tnianderie»  (Noél  du  Fail,  Propos  rustiques  et  facétieux,  XV). 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     147 

demeurera  en  paix.  »  Ahmed,  ie  boulanger,  lui  aussi 
ne  demande  que  la  tranquillité. 

88.  Lorsque  *Abd  el-Qâder,  le  fds  du  laveur  de 
morts ,  tombe  dans  ses  extases  de  folie,  il  ceint  sa  taille 
dune  corde  et  ny  va  pas  de  main  morte.  Cependant 
on  voit  les  scorpions  dans  la  main  d'^Allâl,  châouch 
des  Aïssaoua. 

91.  Farâdjy  ^  ce  petit-maître,  mange  du  feu  et 
des  feuilles  de  figuiers  de  Barbarie,  tandis  que  Ha- 
sân  le  rat  Texcitc  au  bruit  du  tambourin  de  tout 
son  cœur,  de  tout  son  pouvoir  et  de  toute  son  âme. 
Ils  nous  ont  ravagé  les  haies  d'El-Qëttâr^  pour  en 
faire  hommage  à  TEmpereur. 

94.  Ben  Zerfa,  ce  dameret,  qui  ici,  hachait  de  la 
graine  de  hachy ch ,  dit  :  «  Nous  avons  cet  été  une 
bonne  aubaine,  je  payerai  mes  dettes.  J'exécuterai 
les  exercices  de  la  massue  et  du  sabre  et  je  servirai 
mon  cheykh  de  mon  mieux.  » 

97.  Si  vous  aviez  vu  Ben  Zerfa  comme  il  courait 
légèrement,  portant  sur  ses  épaules  un  coufiBn  plein 
de  je  ne  sais  quoi  I  U  paraît  que  c'étaient  des  ra- 
quettes de  cactus.  . .  Mais  son  panier  était  toujours 
fermé! 

« 

^  V.  91.  Farâdjy  était  un  nègre  de  la  troupe. 
*  V.  93.  El  Qêttâr  est  le  nom  d'un  quartier  suburbain  d'Alger 
où  se  trouve  un  cimetière  musulman  enclos  de  cactus. 


10. 


148  JUILLET-AOÛT  J899. 

100.  Voyez  1  extase  insipide  d'El-Hâdj  Batâta^  : 
la  chemise  débraillée  et  sans  col ,  la  calotte  sur  les 
yeux,  au  ronflement  des  tambours,  il  montre  sa 
houppe  dégarnie  de  cheveux. 

103.  n  nest  pas  jusqu^à  Mostêfa  ben  el-Mëddâh 
qui  n'ait  eu  envie  d'aller  faire  fortime  à  Paris  :  «  A 
mon  retour,  dit-il,  j'achèterai  une  lampe,  un  plateau 
à  café  et  un  sucrier.  J'achèterai  aussi  un  grand  et  un 
petit  matelas,  un  tapis  et  une  carpette.  » 

106.  Es  Snybla^,  la  figure  en  soufflet,  qui  était 
employé  chez  le  maire,  est  allé  à  Paris  faire  du  café 
pour  les  soldats.  Quand  il  reviendra ,  ayant  beaucoup 
gagné,  il  sera  plus  riche  qu'un  négociant. 

109.  «Soyez  le  bienvenu,  Sydy  ^Omar!  Tout 
Paris  est  ravi  de  vous  voir;  tout  le  monde  proclame 
votre  gloire,  ô  Snybla,  mon  chéri!  (S'il  pouvait  s'en 
aller  au  Mexique ,  c'est  ça  qui  serait  un  bon  débar- 
ras!) 

112.  Il  est  cafetier  et  son  fils  boulanger.  Il  a  pour 
associé  Sydy  *Aly  Mëhrâz,  qui  fait  ses  affaires  en  en- 
fourchant un  aiguillon  ;  il  mérite  nos  compliments  ! 
Tous  trois  sont  vêtus  de  coutil,  à  la  mode  des  chré- 
tiens. 

115.  De  Merzoûg,  on  dit  qu'il  est  bon;  mais  on 

'  V.  loo.  Batât^a  (esp.  patata),  est  ici  un  sobriquet. 
*  V.  io6.  Snyhla  est  le  diminutif  de  JuJLiw  «jacinthe». 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     149 

le  craint  parce  qu  il  est  grossier.  Juste  Dieu  !  Quand 
il  commence  à  crier  et  que  son  jargon  nègre  ^  lui 
monte  aux  lèvres ,  il  y  a  de  quoi  vous  faire  fuir  jus- 
qu'au tiers  inhabité  de  la  terre  2. 

118.  Oulyd  ben  Za^moûm  a  vu  s  augmenter  ses 
soucis.  Depuis  qu'il  est  musicien ,  le  monde  est  dé- 
livré de  lui.  Et  quand  il  se  met  à  jouer  sur  la  chan- 
terelle et  que  la  juive  commence  à  crier ! 

121.  Avec  lui  sont  partis  deux  juifs;  les  pareils 
ne  se  trouveraient  pas  dans  le  monde  :  l'un  ressemble 
à  un  hérisson,  l'autre  n'y  voit  pas  d'un  œil.  Quand 
on  n'a  jamais  entendu  jouer  du  luth,  il  faut  écouter 
ce  prélude ^  ! 

124.  Quelques  personnes  entendirent  de  loin 
mon  histoire,  parmi  lesquelles  Oulyd  Sydy  Sa^yd  et 
Bryhmât,  qui  riait  tant  et  plus,  et  avec  eux  le  chef 
de  Miliana.  Ils  étaient  assis  sur  un  banc  de  fer,  dans 
la  boutique  de  droite*. 

^  V.  1 1 6.  El  Gênnâouiya ,  le  dialecte  des  nègres  de  Djenné  ; 
mais,  en  général,  le  langage  des  Soudanais. 

*  V.  1 17  y^  ^;ljJ  ^ûUà,  yl^  «i*B  j.Lc  Hj^ç^  ï;«--«-»  W^  J»;^' 
^Us*  ti^3  Sj^SL^  (El  ]Vfas*oûd^,  Les  Prairies  d'or,  Edit.  Barbier 
de  Meynard,  I,  368). 

'  V.  133.  HtsJb^  n.  d*act.  de  ^^  «tracer  des  dessins,  des  ara^ 
besques,  damasquiner»  (comp.  l'esp.  atoua;ia ],  équivaut  à  ce  que 
nous  nommons  en  musique  «agréments,  fioritures »;  d*où  son  sens 
de  «préludo». 

^  V.  12  4-1  a  6.  OuKd  S^d^  Sa*M  était  assesseur  à  la  Cour  imp(^« 


150  JUILLET-AOÛT   1899. 

127.  Ils  m'appelèrent.  J'allai  à  la  boutique,  où 
je  fus  régalé  de  café  et  de  confiture.  Invité  à  fumer, 
je  restai  confus  :  «  Impossible!  répondis-je  :  j'ai  étudié 
sous  Sydy  Hasàn  Sydy  Khelyl  et  la  Senoùsyya  ^  » 

130.  Ben  ^Aysa^  vint  vers  moi,  l'air  furieux  : 
«  L'Antéchrist,  me  dit-il,  naîtra  de  ta  postérité!  J'ai 
vu  dans  le  livre  qni  est  chez  toi  son  histoire  fidèle- 
ment narrée.  —  Vous  avez  raison,  répondis-je,  grand 
merci  !  »  Et ,  tout  en  riant ,  je  le  regardai  en  tournant 
les  yeux. 

133.  Il  me  dit  :  «  Ceci  n'est  pas  une  action  digne 
d'un  homme.  »  Il  se  fâcha  et ,  frémissant  de  rage ,  il 
me  regardait,  hagard,  avec  des  yeux  grands  comme 
des  tasses.  Et  sa  roupie  lui  pendait  au  nez  et  son  vi- 
sage était  devenu  bleu  comme  une  aubergine.  Il 
voulait  passer  sur  moi  sa  colère^. 

136.  Avec  lui  était  mon  oncle  Mohammed  ben 


riale  ;  Sy  Hasân  ben  Bryhmât ,  directeur  de  la  Medersa  et  président 
du  Conseil  de  droit  musulman;  «le  chef  de  Miliana»  était  l'aga  S^ 
Slymân  ben  Syâm. 

«  La  boutique  de  droite  » ,  située  sur  le  côté  droit  de  la  rue ,  était 
un  lieu  de  réunion. 

^  V.  1 29.  Tout  le  monde  connaît,  au  moins  de  nom ,  l'ouvrage  de 
S^dy  Khelyl.  Es  Senoûsyya  est  le  nom  que  l'on  donne  couramment 
à  la  petite  ^Aqfda  d'Abou  'Abd  Allah  Mohammed  ben  Yoûsef  es  Se- 
noûsy,  traité  de  théologie  très  en  faveur  dans  le  Maghreb. 

*  V.  i3o.  C'était  le  mufti  de  Dellys;  il  louchait,  ce  qui  explique 
le  second  hémistiche  du  vers  i32. 

^  V.  i35.  Litt.  :  «Il  voulait  refroidir  sur  moi  son  courroux». 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     151 

el-HàflFâf ,  qui  passe  sa  journée  en  prières.  En  enten- 
dant ce  prélude ^  il  leur  dit  :  «Ce  nest  pas  une 
afiFaire!  —  Ne  craignez  rien,  lui  répondirent-ils,  on 
vous  mettra  aussi  dans  la  chanson  !  • 

139.  11  se  glorifie  des  éloges  des  gamins  qui  le 
traitent  de  maître  en  polissonnerie.  —  «  C'est  fini 
pour  toi  de  monter  aux  mâts,  ajoutent-ils,  tu  nés 
plus  qu'un  objet  de  dérision 2.  C'est  assez  resté  ici; 
va-t-en  chez  les  Sahâry  apprendre  à  lire  aux  bœufs 
sauvages  I  » 

1 42.  Lorsque  je  débitai  ces  vers  à  Sy  Mohammed 
Oulyd  el-imam,  qui  possède  au  suprême  degré  le 
don  detre  ennuyeux,  il  me  dit  :  «  C'est  une  compo- 
sition fade  ».  Les  souris ,  dans  sa  boutique ,  aussi  nom- 
breuses que  les  nuées ,  lui  ont  mangé  une  once  de 
laine. 

145.  Il  s'installe  dans  la  salle  d'El-Boûkhâry^, 
dans  la  posture  d'un  homme  qui  étudie,  ayant  entre 
les  mains  de  la  laine  bleu  de  ciel  :  «C'est,  dit-il, 
pour  en  faire  des  mules  ou  des  chaussons  pour  les 
petits  enfants,  car  je  n'ai  que  peu  de  laine.  » 

*  V.  1 37.  Banchrâf  «  prélude  » ,  mot  persan  introduit  en  Maghreb 
avec  les  autres  termes  musicaux.  On  le  trouve  le  plus  souvent 
sous  la  forme  altérée  bechrâf. 

*  V.  1 4o.  Mohammed  ben  el  Hâ£Pàf  avait  été  marin  dans  sa  jeu- 
nesse. 

'  V.  i45.  La  salle  d'Ël  Boul^âr^  est  la  bibliothèque  de  la  mos- 
quée de  S^dy  'Abd  er  Rahmân  ettsaMeb^. 


152  JUILLET-AOÛT  1899. 

148.  Quand  j'eus  terminé  ce  dithyrambe,  et 
qu*Ei-Hâdj  ben  er  Rëbha  en  eut  connaissance,  il  se 
mit  à  rire,  tout  en  égrenant  son  chapelet:  «Voilà 
une  excellente  chanson  !  »  me  dit-il ,  et  il  tira  de  sa 
sacoche  sa  décoration  qui  y  était  serrée. 

151.  Ma  chanson  se  répandit;  on  la  trouva  sa- 
voureuse ^  C'est,  honorables  auditeurs,  le  dernier 
vendredi  du  mois  d'El-Mouloûd  de  Tannée  mil  deux 
cent  quatre-vingt-quatre  que  j'achevai  ce  récit  fan- 
taisiste 2. 

154.  Voulez-vous  savoir  mon  nom  ?  Je  suis  Qâd- 
doûr,  de  tous  connu,  relieur  à  Sydy  Boû  Gdoûr,  vêtu 
d'une  qéchchâbyya^.  Si  mon  dos  n'était  pas  difiForme, 
personne  ne  pourrait  me  résister. 

1 57.  On  m'a  dit  :  «  Quand  ils  reviendront,  cache- 
toi,  dans  la  crainte  qu'ils  ne  te  donnent  quelque 
mauvais  coup;  ils  t'écraseraient  ta  bosse  et  te  déli- 
vreraient des  soucis  d'ici-bas.  —  Je  saurai  bien  me 
sauver,  ai-je  répondu,  ou  bien  je  me  plaindrai  à  la 
police.  » 

160.  Si  je  n'étais  très  occupé,  j'aurais  encore 

^  V.  i5i.  Qâddoûr  joue  sur  le  mot  ^^jJ^  «savoureux».  On  a  vu 
qu'il  se  nomme  Ben  Ben^na. 

^  V.  i53.  C'est-à-dire  le  26  juillet  1867. 

^  V.  1 54-1 55.  S^d^  Boû  Gdoûr  est  un  quartier  de  la  haute  ville. 
Sur  le  saint  homme  qui  lui  a  donné  son  nom,  cf.  A.  Devoulx  ;  Les 
édifices  religieux  de  l'ancien  Alger,  p.  aiio»  Alger,  1870. 

On  appelle  qêchchâbyya  une  grande  hlouse  en  laine  épaisse. 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     153 

bien  des  choses  à  dire.  Ceux  qui  ont  entendu  mon 
bavardage  le  disent  agréable.  C'est  aussi  lavis  des 
chanteuses  et  des  musiciens,  y  compris  Ez  Zohra 
bent  el  Foûl  qui,  de  sa  fenêtre,  m'adresse  des  com- 
pliments. 

163.  Celui  qui  n'a  en  vue  rien  d'utile  trouvera 
dans  cette  chanson  ce  qu'il  lui  faut.  Mais  s'il  sou- 
haite y  voir  quelque  chose,  étendez-le  sous  le  bâton, 
et  qu'il  se  régale  de  mille  coups  sur  le  ventre;  puis 
menez-le  au  médecin  qui  saura  bien  lui  soutirer  une 
once  [d'or]. 

166.  Que  votre  cœur  ne  soit  pas  attristé,  mes 
frères,  de  ce  que  je  vous  aie  ainsi  plaisantes.  Je  me 
suis  mis  au  milieu  de  vous  pour  ne  pas  encourir 
votre  blâme;  je  vous  ai  dit  ma  difformité  et  je  vous 
ai  dévoilé  toutes  mes  misères. 

^*^  Ancien  élève  de  la  Medersa  d'Alger,  relieur,  luthier  el 
copiste  de  manuscrits,  Qâddoûr  ben  *Omar  ben  Benyna,  plus 
connu  de  ses  coreligionnaires  sous  le  nom  de  Qâddoùr  el  Hâd- 
by  (le  bossu),  mort  pendant  Thiver  1897-1898,  a,  pendant 
trente  ans ,  chansonné  tous  les  personnages  en  vue  de  la  haute 
ville. 

Ce  morceau  vif  et  gai ,  produit  d'une  verve  raUleuse  qui 
lui  donne  des  allures  de  chanson  française,  a  été  composé 
par  lui  a  l'occasion  du  voyage  à  Paris  d'une  troupe  de  musi- 
ciens, de  chanteurs  et  d'Aïssaoua  qui  figura  à  l'Exposition 
de  1867,  sous  la  direction  d'un  professeur  de  musique  nom- 
mé Salvador  Daniel  (voir  sur  ce  personnage  la  notice  que  lui 
consacre  la  Grande  encyclopédie,  t.  III,  p.  855).  Il  est  versifié 
en  mosèddes,  c'est-à-dire  en  couplets  de  six  hémistiches. 


J54  JUILLET-AOÛT  1899. 

On  remarquera  le  grand  nombre  de  mots  d'origine  espa- 
gnole que  renferme  cette  pièce  —  le  langage  des  villes  ma- 
ritimes en  fourmiUe  —  et  cette  particularité  orthographique 
que  quand  le  e  doit  être  prononcé  g  dur,  il  est  remplacé  par 
le  J  surmonté  de  trois  points. 

Je  dois  faire  observer  aussi  que  la  traduction,  qui  nuit 
toujours  beaucoup  à  la  poésie  arabe ,  est  impuissante  à  rendre 
tout  l'effet  comique  des  vers  du  relieur. 


NOTES  DU  TEXTE. 

V.  8.  )^LZmx9,  bsêbbâtou  est  pour  id^Ujâ^.  Les  nécessités  de  la 
rime  ont  fait  changer  le  »  en  \y.  Toutes  ces  syllabes  finales  sont 
brèves  ;  on  doit  prononcer  comme  s'il  y  avait  bLlê ,  ^^.  i  b^^^A^  ) 

V.  9.  l>klo  est  pour  J^Ar.;,!  (y^ili  «blanchir  au  lait  de  chaux, 
badigeonner»).  Ce  changement  du  dâd  en  ta  est  assez  fréquent  à 
Alger. 

V.  1  o.   Vâpoûr,  de  Tesp.  vapor  «  bateau  à  vapeur  ». 

V.  12.  (S^  «de,  du.,  de  la,  des»,  indiquant  la  possession,  la 
relation ,  la  matière ,  la  provenance ,  est  le  relatif  sémitique  ^«S ,  l«> , 
(^S .  Particularité  à  noter  :  ce  mot  n'est  employé  que  dans  le  massif 

littorid ,  du  Maroc  à  la  Tunisie.  Les  gens  de  l'intérieur  se  servent 
plus  volontiers  de  l'état  construit  concurremment  avec  »Lxa  . 

V.  1 3.  Pâr^z  pour  Paris  est  la  prononciation  d'un  indigène  déjà 
familiarisé  avec  notre  langue.  On  dit  généralement  Bârfz  :  citadins 
et  Bédouins  prononçant  di£Bciiement  le  p, 

V.  17.  Kâdoû  est  le  fr.  «cadeau». 

V.  19.  Tyâtroû  (esp.  teatro),  H  est  à  remarquer  qu'au  lieu  de 
transcrire  le  t  par  le  u»  qui  est  son  homophone,  les  Arabes  em- 
ploient le  L?,  lettre  très  emphatique;  ils  en  usent  de  même  dans 
toutes  leurs  transcriptions. 

y.  3i.  fjAjlSyM  (esp.  mercante)  «commerçant,  négociant». 

y.  35.  Dans  koûry  on  reconnaît  le  fr.  «écurie». 
—      hèlkonpàaya  «  en  rangs ,  en  bon  ordre  » ,  comme  une  «  com- 
pagnie »  de  soldats. 

V.  38.  Frank  «franc»,  a  été  transformé  en  frâk  pour  la  rime; 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     155 

cette  orthographe  est  d^aiilcurs  pi  as  voisine  de  la  vraie  prononciation. 
Les  Arabes  rendent  di£Bcilement  les  syllabes  nasales  et  les  font  vo- 
lontiers disparaître  quand  ils  les  rencontrent  dans  des  mots  étran- 
gers à  leur  langue.  An,  en,  in  et  un  sont  le  plus  souvent  remplacés 
par  un  d  long;  ainsi  «Durand»  devient  Dourâ,  «content»  konntâ, 
«Martin»  Martâ,  «Vincent»  Fansa,  tandis  que  on  se  change  en  où  : 
«Avignon»  Fenyoû,  «planton»  blâtoâ, 

V.  39.  Elabnâk  «  les  bancs  ».  Quand  il  leur  faut  mettre  au  pluriel 
un  mol  étranger,  les  Arabes  se  servent  des  procédés  de  leur  langue. 
Ainsi  bougâtou  (esp.  abogado,  fr.  «avocat»),  en  a  deux  :  un  pluriel 
en  *=>!,  bougâiouât ,  en  sa  qualité  de  mot  d'origine  étrangère;  c'est 
la  forme  qu'ont  choisie  les  citadins.  Les  Bédouins ,  fidèles  au  pluriel 
brisé,  si  éminemment  arabe,  ont  préféré  bouâget  avec  terkh^m  du 
onâon  final). 

V.  47.  Elhoûr  «la  cour  du  palais  du  pacha». 

V.  55.  On  ne  fait  pas  sentir  dans  le  langage  le  second  dj^m  du 
mot  ^L^  hâddj, 

V.  70.  Plâsa  est  Tesp.  plaza, 

V.  84.  Arya,  ital.  aria  «air»,  ^^i)  «xi^Lî  est  un  gsdlicisme. 

V.  93.  <s^y^^  errày  (esp.  el  rej«le  roi»).  Les  indigènes  algériens 
habitués  depuis  i83o  à  se  servir  de  ce  mot  pour  désigner  le  Chef 
de  l'Etat ,  l'ont  conservé  pendant  toute  la  durée  de  l'empire.  Ainsi 
Oah^l  errày  a  successivement  signifié  «  Procureur  du  roi  et  Procu- 
reur impérial». 

V.  106.  Elnvfr  (fr.  «le  maire»).  Ce  mot  reproduit  exactement 
l'altération  populaire  du  mot  ^^). 

V.  109.  dLoest  pour  db.  Ici  cette  sdtération  est  motivée  par  la 
rime,  mais  on  la  retrouve  partout,  car  il  est  d'usage  d'allonger  la 
voyelle  brève  des  particules  d'une  seule  lettre  <_»,  d,  J.  On  emploie 
aussi  cette  façon  d'écrire,  en  vue  d'obtenir  une  reproduction  fidèle 
de  la  prononciation ,  pour  les  personnes  des  verbes  concaves  ou  dé- 
fectueux qui  devraient  grammaticalement  perdre  leur  lettre  faible  ; 
ainsi  on  dit  et  on  écrit  Oy&  pour  UU;,  (^y^\  pour  y^\, 

V.  1 1 1 .  Miksyk ,  transcription  de  «  Mexique  ».  L'emploi  de  ce  mot 
pourrait,  à  défaut  de  date,  fixer  l'âge  de  cette  chanson.  Il  est  em- 
ployé ici  comme  équivalent  de  «au  bout  du  monde,  au  diable». 

V.  112.  31^4*  est  pour  o*»lv^  «mortier».  Ce  mot  el  le  mot^L^y^ 
«bâton  pointu ,  aiguillon»,  sont  pris  ici  dans   un  sens  équivoque. 

y.  119.  owoU^I .  La  forme  populaire  Jlxi\  marque  les  modifi- 


156  JUILLET-AOÛT   1899. 

cations  que  ie  sujet  subit  dans  son  état  ou  dans  sa  manière  d'être, 
en  acquérant  la  qualité  indiquée  par  le  radical;  ex.  :  Jl^l  «s'al- 
longer», jLiAf  c devenir  fou».  M.  Beaussier  (Dictionnaire  pratique 
arabe-français,  Alger,  1871)  ia  nomme  tx*  moderne.  Je  préfère  y 
voir  avec  M.  Gorguos  (Cours  Carabe  vulgaire,  a*  édit.,  p.  168, 
Paris,  1857),  ^^^  altération  de  la  xi' :  toutes  deux  désignent  les 
couleurs  et  les  défieiuts  physiques,  celle-ci  avec  plus  d'intensité  que 
celle-là;  toutes  deux  voient,  suivant  la  règle  propre  au  langage, 

disparaître  le  redoublement  de  la  troisième  radîcde  :  Jjii!  =  Jjiil  ; 

Jlx>!  =  Jlx>!  (comp.  Ji'  M  =  3:^ Ml;  ^U.  Ad^  =  gU.  hâdd[j. 

Mais ,  quoiqu'aucune  grammaire  n'attribue  à  la  xi*  forme  cette  si- 
gnification spéciale ,  le  vocabulaire  en  renferme  quantité  d'exemples  : 

^  «  reunir  sur  un  seul  point  »  ;  ^>o  )  «  se  ramasser,  se  contracter 

pour  tenir  le  moins  de  place  possible»;  yàs  «écaille,  épiderme», 

IwÂSt  =  jL&S)  usjLâJl  «avoir  le  frisson,  la  chair  de  poule»,  etc.; 
pourquoi  dors  se  mettre  dans  la  nécessité  de  chercher  une  expli- 
cation à  l'addition  d'un  alif  k  la  ix'  dors  que  le  paradigme  de 
la  xi'  donne  tout  naturellement  satisfaction  ? 

V.  149.  i  0  fA  tf  mendahha  est  la  prononciation  nsudlc  de  L» 
V.  iSg.  Poûlfsya»  esp.  policia. 


[La  suite  au  prochain  cahier.) 


LA  KAÇtDAH  D'AVICENNE  SUR  L'ÂME.  157 

LA 

KAÇÎDAH  D'AVICENNE 

SUR  L'Ame, 

PAR 

M.  LE  Bo«  CARRA  DE  VAUX. 


AVANT-PROPOS. 

Il  existe  un  petit  poème  sur  1  ame ,  uiïiverseliement  attribué 
à  Avicenne,  et  dont  les  manuscrits  né  sont  pas  rares.  L'in- 
térêt de  ce  poème  vient  de  ce  que  la  langue  en  est  belle ,  et 
de  ce  que  la  pensée  y  a  un  tour  énîgmatique  qui  laisse  le 
lecteur  hésitant  entre  des  interprétations  diverses.  Il  parait 
que  cette  kaçidah  est  connue  en  Orient.  Un  élève  du  lycée 
de  Galata  Serai,  —  M.  G.  Kendirdjy,  notre  collaborateur 
dans  le  présent  travail ,  —  nous  a  dit  que  les  maîtres  de  cette 
institution  la  faisaient  apprendre  aux  élèves  comme  morceau 
classique ,  sans  oser  en  fournir  d'explication  nette. 

La  Bibliothèque  nationale  de  Paris  possède  cinq  manu- 
scrits de  la  kaçidah  sur  Tâme,  portant  les  n**'  i6ao,  23a  2, 
a5o2,  254it  3171. 

Le  ms.  3171  contient  le  poème  seul,  sans  commentaire; 
le  vers  1 9  y  est  déplacé  et  transporté  avant  le  vers  1 6.  Le 
ms.  a  3  21 2  contient,  avec  le  poème,  mi  commentaire  attribué 
à  ^Abd  er-Rahman  es-Soufî.  L'auteur  connu  de  ce  nom ,  qui 
a  écrit  un  catalogue  des  étoiles,  est  mort  en  376  de  l'hégire, 
et  n'a  pas  pu  commenter  un  ouvrage  d'Avicenne  mort  en  428 
à  un  âge  assez  peu  avancé.  Il  faut  donc ,  ou  que  l'attribution 
soit  fausse,  ou  qu'il  s'agisse  d'un  homonyme  inconnu.  Ce 


158  JUILLET-AOÛT   1899. 

manuscrit  est  d'ailleurs  mauvais  et  écrit  avec  une  extrême 
nég^gence.  Les  trois  autres  manuscrits  renferment  un  com- 
mentaire qui  n*est  pas  identique  au  précédent ,  et  dont  Tau- 
teur  n'est  pas  nommé.  On  lit  dans  VHistoire  des  dynasties 
d'Abou'l-Faradj  qu'un  certain  Mohammed  fils  d"Abd  es- 
Salâm  el-Mokaddasi  el-Mâridîni,  homme  fort  savant  mais 
qui  n'aimait  point  écrire,  et  qui  mourut  en  5 94  de  l'hégire, 
«  laissa  comme  unique  ouvrage  un  conmientaire  de  la  poésie 
d'Avicenne  qui  commence  par  ces  mots  :  ^i^Jî  oia.îj6 .  »  C'est 
notre  kaçîdah.  Il  se  peut  que  le  commentaire  qui  l'accom- 
pagne soit  un  abrégé  de  celui  d^Abd  es-Salâm.  Ce  qui  est 
certain,  c'est  qu'il  n'a  pas  une  très  grande  valeur,  et  que 
l'incognito  sied  bien  à  son  auteur.  Cependant ,  en  une  pareille 
matière,  le  conmientaire  le  plus  médiocre  a  son  utilité  et 
constitue  un  secours  qu'on  aurait  tort  de  négliger. 

Nous  éditerons  le  texte  et  la  glose  de  la  Kaçidah  d'après 
le  ms.  254i«  avec  quelques  emprunts  au  ms.  1620.  La  glose 
attribuée  à  *Abd  er-Rahman  es-Soufi,  plus  mal  écrite  que 
celle-là,  n'est  pas  plus  développée  et  parait  peu  originale. 
Nous  la  laisserons  tout  à  fait  de  côté.  Après  avoir  traduit  le 
poème ,  nous  en  donnerons  nous-même  un  commentaire  en 
nous  inspirant  de  celui  du  texte. 


LA  KAÇiDÂH  D'AVICENNE  SUR  L'ÂME.  159 


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160  JUILLET-AOÛT   1899. 


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LA  KAÇÎDAH  D'AVICENNE  SUR  L'AME.  161 

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XIV.  1  1 


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162  JUILLËT-AOÛT   1809. 

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LA  KAÇÎDAH  D'AVICENNE  SUR  L'AME.  103 

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^;^ji)i  <-AxxUt  4XÂJ1  ^  ci4^ 


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164  JUILLET-AOÛT    1899. 

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s.r^..^^    s':*^. 


'  Ed.  Ablwardl,  pièce  1,  vers  28. 


LA  KACIDAH  D'AVICENNE  SUR  L'ÂME.  165       « 


i  yJiy^  yLSEjJI^UlJ,  yL.yi  ^jA  (j^i  ^b  ^  ijyù^  COjX  ^ 
iW^  ^JP)  f^\yù  (s^y?.  ^  (S^^  yjyUL  ^yJ^  yO^^  ,j-*^l  Jt»a3l  JU^ 

^LxJ!  yL.)  Jl  iu--jJb  l^jJD  ïjsîo^  oJlS'y!^  yO^L?  j^JUJl  JUsI 
jL-w^^3  JtK-^  JlOï  Ax^l^  J!  ^UJ!  Jîrffjo  ^^  ^1  ooill  Jl  J^Sll  ^^ 

jJxj^î  31,   yO^I    ^^    .jLcJI    ^^1    c>JlIa5   ^  Jtjjl    ylS"  y!^  vUJ^l 

Quelques  manuscrits  ajoutent  ce  vers  : 


'      160  JUILLET-AOÛT   18Q9. 


II 

LA  KAÇÎDAH  ATTRIBUÉE  AU  CHEÏKH 
ABOU  ^ALI  IBN  SÎnA. 

1.  Il  est  tombé  vers  toi,  du  lieu  suprême,  une 
colombe  de  couleur  cendrée,  pleine  de  chasteté  et 
de  réserve , 

2.  Invisible  à  Toeil  même  du  savant.  Et  pour- 
tant elle  était  dévoilée  et  n^était  pas  couverte  du 
bourqa*. 

3.  Elle  est  parvenue  avec  répugnance  jusqu'à  toi  ; 
mais  peut-être  aussi  elle  te  quittera  avec  peine,  et 
elle  en  sera  dans  la  désolation. 

4.  Elle  était  pure,  sans  amitié  pour  personne. 
Puis  quand  elle  s  est  unie  à  toi,  elle  s'est  acclimatée 
au  voisinage  des  déserts  et  des  ruines. 

5.  On  dirait  quelle  a  oublié  les  promesses  du 
foyer,  et  les  demeures  qu  elle  a  quittées  contre  leur 
gré; 

6.  De  sorte  que,  après  s*être  séparée  du  mîm  de 
son  centre,  pour  s'attacher  au  hâ  de  sa  chute  sur 
une  terre  desséchée, 

7.  Elle  est  tombée  dans  la  dépendance  du  thâ  de 


LA  KAÇtDAH  D'AVICENNE  SUR  lIME.  167 

la  lourdeur;  et  elle  s'eut  trouvée  entre  len  veitiges 
des  routes  et  les  traces  misérables  des  campements, 

8.  Elle  pleure,  lorsqu'elle  se  rappelle  les  pro- 
messes de  son  foyer,  des  larmes  qui  ooident  et  ne 
tarissent  pas  ; 

0.  Elle  passe  son  temps  à  gémir  sur  les  traces 
noircies  que  dissémine  le  va  «et'*  vient  des  quatre 
vents. 

10.  Car  le  iao  serré  la  retient,  et  sa  faiblesse 
Tempôche  d'atteindre  l'apogée  vaste ,  pareil  au  pâtu- 
rage du  printemps. 

1 1 .  Lorsqu'enfm  son  départ  va  la  rapprocher  du 
foyer,  et  son  voyage  la  ramener  dans  la  vid^  spjN 
cieux, 

12.  Elle  se  sépare  de  tout  ce  qui,  en  arriére 
d'elle,  reste  dans  la  poussière,  ne  l'accompagnant 
pas. 

13.  Elle  s'assoupit,  et  alors,  le  voile  s'étant  sou- 
levé, elle  voit  ce  que  ne  perçoivent  pas  les  yeux  en- 
dormis. 

14.  EHe  se  met  à  roucouler  au  sommet  d'une 
montagne  élevée.  Car  la  science  élève  quiconque 
était  en  bas. 


108  JUILLET-AOÛT    1899. 

15.  Pourquoi  donc  est-elle  tombée  du  pic  ardu 
jusqu  au  fond  déprimé  du  sol  ? 

16.  Si  c  est  Dieu  qui  la  précipitée  par  un  principe 
de  raison,  ce  principe  est  resté  caché  à  Thomme  in- 
telligent, subtil,  spirituel; 

17.  Et  si  sa  chute  a  été  TefiFet  d'un  coup  fatal, 
afin  qu'elle  entendît  ce  qu  elle  n'avait  pas  encore  en- 
tendu , 

18.  Et  qu'elle  devînt  savante  dans  tous  les  secrets 
des  deux  mondes,  la  lacune  qu'elle  portait  en  elle 
n'a  pas  été  comblée. 

19.  Le  destin  lui  a  coupé  sa  route,  elle  s'est  cou- 
chée pour  ne  plus  se  relever. 

20.  Elle  est  comme  un  éclair  qui  brille  dans  la 
vallée,  puis  qui  s'éteint;  et  c'est  comme  s'il  n'avait 
jamais  lui. 

III 

Il  est  clair  que  l'auteur  de  ce  poème  a  entendu 
décrire  la  chute  de  l'âme,  d'un  monde  supérieur  vers 
le  coi'ps ,  puis  sa  rupture  d'avec  le  corps  par  la  mort , 
et  que ,  dans  les  derniers  vers ,  il  a  posé  la  question 
de  la  cause  de  cette  chute.  Les  détails  de  l'interpré- 
tation ne  sont  pas  aussi  aisés. 


LA  KACÎDAH  DAVICENNE  SUR  L'ÂME.  109 

Le  vers  i  montre  lame,  sous  la  forme  d'une 
colombe,  tombant  dun  lieu  élevé.  Ce  lieu  est  le 
monde  spirituel,  et  le  commentateur  avertit  qu'il 
s'agit  de  Tâme  raisonnable  iUldtjJI  ^jwJLJI,  qu'il  ne 
faut  en  effet  pas  confondre  avec  l'âme  animale  ou 
avec  l'âme  végétale.  L'âme  vient  d'en  haut  pour  tous 
les  Musulmans  ;  mais  selon  la  philosophie  du  cheïkh , 
elle  n'existe  pas,  avant  le  corps,  pure  de  matière; 
et,  si  l'on  veut  mettre  ce  vers  d'accord  avec  sa  doc- 
trine, il  faut  entendre  par  la  chute  de  l'âme  sa  rela- 
tion avec  le  corps,  qui  est  une  relation  de  gouver- 

nement  et  de  possession  :  ôyâxJI^  Yi^*>^l  {j^  ;  ces 
mots  sont  techniques. 

Lame  est  invisible,  dit  le  vers  2;  et  cependant 
chacun  connaît  l'existence  de  son  âme.  —  Il  faut 

remarquer  dans  ce  vers  l'inversion  des  mots  J^  ^JS> 
ôjUilXjL»,   qui  doivent  être  compris  comme  s'il  y 

avait  :  c3;U  J6  iUjU  ^JS>.  Le  boiirqa\  c'est  le  voile  des 
femmes. 

En  entrant  dans  le  corps  (vers  3),  l'âme,  essence 
spirituelle ,  a  éprouvé  le  dégoût  de  la  matière  corpo- 
relle; mais  peut-être  quittera-t-elle  le  corps  avec 
regret  parce  qu'elle  ne  sera  pas  sûre  d'atteindre  le 
bonheur,  ou  qu'elle  aura  perdu  le  goût  des  choses 
supérieures. 

Le  corps  (vers  Ix)  est  comparable  à  un  lieu  vide 
et  désert,  parce  que,  en  tant  que  corps,  il  est  vide 
des  facultés  de  l'âme.  Cependant  l'âme,  en  se  liant 


170  JUILLET.AOÛT    1809. 

avoe  lui,  oublie  lei  demeures  supérieurea  qu'elle  a 
quittées  (vers  5). 

Dans  les  deux  vers  suivants  (6  et  y),  Tauteur  se 
sert  des  initiales  M,  mtm ,  thd  des  trois  mots  l»^  «  la 
chute  » ,  yL»  a  le  centre  » ,  Juiî  «  la  lourdeur  ».  H  y  a 
plusieurs  interprétations  de  ces  images,  dont  la  plus 
juste  est  celle-ci  :  le  hâ  de  la  chute  désigne  l'entrée 
en  relation  de  Tâme  avec  le  corps;  le  mim  de  son 
centre  est  le  moment  où  elle  apparaît  dans  Je  monde 
spirituel,  et  le  tM  de  la  lourdeur,  ce  sont  les  parties 
du  corps  qui  viennent  les  premières  en  contact  avec 
Tâme ,  c'est-à-dire  le  cœur  et  l'esprit  animal.  Cette  in- 
terprétation suppose  que,  conformément  à  la  doctrine 
d'Avicenne,  lame  est  produite  en  môme  temps  que 
le  corps. 

Viennent  ensuite,  dan«»  les  vers  7,  8  et  9,  des 
images  familières  à  la  poésie  arabe,  oix  ion  voit 
lame  se  lamenter  sur  les  traces  de  campements 
abandonnés.  Ici  les  cendres  et  les  débris  noircis  que 
dispersent  les  quatre  vents ,  doivent  être  considérés 
comme  signifiant  les  parties  du  corps  mues  en  sens 
divers  par  les  quatre  qualités  essentielles  :  le  chaud, 
le  froid,  fhumide  et  le  sec.  Le  corps  est  aussi  vil, 
aussi  fragile  que  ces  minces  débris;  il  offre  à  l'âme 
un  séjour  dont  elle  peut  déplorer  la  tristesse. 

L  ame  (vers  1  o)  est  retenue  dans  les  liens  corporels 
comme  Toiseau  dans  les  lacs  du  chasseur.  Cette  fai- 
blesse qui  l'empêche  d'atteindre  à  son  apogée  vient 
de  ses  attaches  avec  le  corps  et  des  imperfections  de 


LA  KAÇÎDAH  D'AVICENNE;  SUR  L'AME.  171 

h  matière,  Lg  Hou  que  ie  poète  symboiige  par  ces 
bellea  images  d\  apogée  vaste  »  et  de  «  pâturage  prin- 
tanier  »,  c'est  toujours  le  monde  spirituel, 

Mais  enfin  vient  le  temps  de  la  mort,  où  Tâme  va 
remonter  dans  son  atmosphère  et  retuurner  vers  son 
foyer  (vers  n),  s'étant  débarrassée  du  corps  et  de 
ses  facultés  qui  restent  en  bas,  vouées  à  la  poussière 
(vers  i  Q  ).  Alors  elle  voit  les  essences  véritables  que 
n'atteignent  pas  les  yeux  endormis  du  corps;  elle 
entre  dans  cet  état  auquel  Ali  faisait  allusion  lors- 
qu'il disait  :  «Si  le  voile  s  était  levé,  ma  certitude 
n'eût  pas  été  plus  grande  »  (vers  1 3), 

Revenue  dans  le  monde  de  Tesprit,  lame  se  ré' 
jouit,  chante  comme  une  oolorabe  sur  une  montagne 
élevée  (vers  i/i).  Qu est-ce  qui  la  fait  remonter  vers 
ces  sommets?  C'est  la  science.  Et  le  commentateur, 
expliquant  cette  ascension  dit  :  Elle  s  est  élevée  suc- 
cessivement de  Tintelligence  matérielle  ij^^^i  JJbJI 
à  Tintelligence  de  possession  dX)JL\j  JJUJt ,  de  celle-ci 
à  l'intelligence  en  acte  JjûJI^  JJUJt ,  puis  à  Tintelli- 
gence  acquise  ^UxamII  JJuJI  qui  est  le  plus  haut  état 
de  l'intellect  humain.  Nous  ne  pouvons  pas  déve- 
lopper  ici  le  sens  de  ces  termes  qui  a  un  peu  varié 
selon  les  philosophes.  On  les  rencontre  dans  les  ou- 
vrages d'Avicenne  et  dans  ceux  de  Farabi  qui  les  a 
tirés  d'Alexandre  d'Aphrodise^ 

*  Voir  h  iVa((/d(  d'Avicenne ,  traité  de  Tome,  uqction  sur  1a  fa- 
culté spéculative,  f»îiyiàjJ\  s^\;  —  et  Al-Farabi,  Plnhiophischc 
Abhandlungen ,  éd.  Fr.  Dieterici,  p.  Sg;  traité  sur  les  sens  du  mol 
«intelligence». 


172  JUILLET-AOÛT   1899. 

Le  cycle  que  doit  parcourir  lame  étant  ainsi 
décrit ,  lepoètepose  cette  question  troublante  (vers  1 5- 
2o)  :  Pourquoi  lame  est-elle  tombée?  Si  elle  est 
tombée  pour  un  motif  rationnel  autre  que  celui  d'ob- 
tenir la  perfection ,  ce  motif  est  resté  caché  aux  plus 
sages;  et  si  elle  est  tombée  pour  obtenir  la  perfec- 
tion, pourquoi  se  trouve-t-elle  soudain  séparée  du 
corps,  au  hasard  de  la  destinée,  avant  quelle  ait 
atteint  cette  fin ,  qu'elle  ait  achevé  sa  route ,  qu  elle 
ait  comblé  la  Jacune  de  son  ignorance,  recousu  ses 
fentes  ou  bouché  ses  fissures  ?  A  ce  dilemme  posé  en 
termes  si  nets  le  poète  ne  sait  point  répondre.  11  pré- 
voit que  quelques-uns  chercheront  à  résoudre  la  dif- 
ficulté en  ayant  recours  à  la'  métempsycose  :  cette 
vie  a  laissé  Tœuvre  du  salut  de  lame  incomplète; 
elle  a  été  trop  courte,  insuffisante,  manquée;  mais 
1  ame  pourra  être  plus  heureuse  dans  des  vies  subsé- 
quentes. —  Il  n  en  est  rien  ;  le  corps  usé  par  la  vie 
est  bien  usé,  consumé  pour  toujours;  la  mort  est  un 
coucher  qui  ne  sera  pas  suivi  dun  second  lever 
(vers  19).  Si  courte  soit  la  vie,  elle  est  unique  et 
définitive  ;  on  ne  doit  pas  chercher  à  l'expliquer  en 
la  répétant.  Tout  son  sens  tient  dans  ce  rapide  instant 
où,  au  sein  de  Téternité,  lame  passe  dans  le  monde 
de  la  chair,  pareille  à  Téclaii*  qui  luit  un  moment 
entre  les  collines  et  s'éteint  à  jamais  (vers  20). 

Faut-il  voir  dans  cette  énigme  une  intention  pessi- 
miste ?  La  vraie  pensée  de  l'auteur  est-elle  que  la  vie 
est  une  œuvre  mal  faile,  une  institution  mal  venue. 


LA  KAÇÎDAH  D'AVICENNE  SUR  L'ÀME.  173 

incapable  de  répondre  à  son  but,  ou  bien  encore 
que  ce  but  même  ne  saurait  être  celui  que  pensent 
les  sages  et  qu'il  est  ignoré?  Ces  quelques  lignes 
nous  révèlenl-elles  un  Avicenne  pessimiste  ou  agnos- 
tique? Nous  croyons  qu'il  faut  éviter  de  tirer  dun 
si  court  fragment  des  conséquences  si  graves  relati- 
vement à  un  auteur  qui  est  d'ailleurs  connu  par  des 
ouvrages  considérables.  Au  fond,  la  kaçîdah  sur 
l'âme  exprime  plutôt  une  impression  qu'une  pensée. 
En  tous  cas  son  véritable  sens ,  s'il  nous  échappe ,  ne 
nous  sera  pas  fourni  par  le  vers  assez  plat  que  quel- 
ques scribes  ont  cru  devoir  ajouter  au  poème  : 
«  Pouvez- vous  répondre  ?  Moi ,  je  n'en  suis  pas  capable  ; 
mais  le  feu  de  la  science  a  ses  illuminations.  » 


174  JUILLET-AOÛT  1899. 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES. 


BULLETIN  D'^PIGRAPHIE   SEMITIQUE. 

Dans  la  séance  de  rÂcadëmie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres  du  i"  septembre  1899,  ^*  ^®  marquis  de  Vogué, 
président  de  ia  Commission  du  Corpus  Iiiscriptionam  Semiti- 
cavam ,  a  annoncé  que  cette  Commission  avait  pris  la  résolu- 
tion de  publier,  à  partir  du  1"  janvier  1900,  des  Bulletins 
périodiques  d'épigraphie  sémitique ,  qui  enregistreront  au  fur 
et  à  mesure ,  toutes  les  nouvelles  découvertes  épigraphiqnes , 
qui  noteront  et  analyseront  toutes  les  publications  relatives 
à  Tépigraphie,  et  serviront  ainsi  tout  à  la  fois  de  complé- 
ment aux  volumes  déjà  parus  du  Corpus,  en  signalant  les 
corrections  ou  améliorations  que  les  nouvelles  découvertes 
pourront  permettre  d*y  apporter,  et  de  préparation  aux 
volumes  futurs ,  en  mettant  immédiatement  à  la  disposition 
des  savants  les  textes  nouveaux ,  et  en  facilitant  leur  discus- 
sion et  leur  étude  avant  qu'ils  ne  soient  insérés  définitive- 
ment au  Corpus. 

Voici  d'ailleurs  les  termes  mêmes  du  Rapport  de  M.  de 
Vogué.  Après  avoir  dit  que  le  nouveau  recueil ,  dont  le  pro- 
jet remonte  à  plusieurs  années ,  serait  conçu  à  peu  près  sur 
le  plan  de  VEphemeris  epigrapkica  Latina,  il  ajoute  : 

0  Cette  publication ,  que  les  auteurs  du  C.  /.  L,  ont  jugée 
indispensable  à  la  bonne  préparation  de  leur  recueil,  est 
encore  plus  nécessaire  à  l'élaboration  des  futurs  volumes  du 
C.  /.  S,  Le  moment  approche  en  effet,  où  la  Commission 
aura  définitivement  publié  tous  les  textes  découverts  avant 
sa  constitution,  ou  mis  au  jour  pendant  ses  travaux.  Ses 
futures  publications  seront  alimentées  par  les  découvertes 


NOUVELLES  ET   MÉLANGES.  175. 

nouvelles,  lesquelles  étant  nécessairement  intermittentes  et 
irrégulièrement  espacées,  Tobligeront  à  mettre  un  assez  grand 
intervalle  entre  Tapparition  des  volumes  qu'elle  préparera.  De 
là,  la  nécessité  dune  publication  supplémentaire  qui  enre- 
gistre les  découvertes  et  mette  immédiatement  les  textes  à  la 

disposition  des  savants » 

«  Les  sacrifices  considérables  que  l'Académie  s*est  imposés 
pour  le  Corpus,  ont  permis  d'apporter  à  son  exécution  tout 
le  soin ,  toute  la  précision ,  et  on  peut  ajouter  le  luxe ,  qui 
placent  cet  ouvrage  au  premier  rang  parmi  les  publications 
orientales  qui  ont  vu  le  jour  jusqu'à  présent.  Nous  devons  à 
l'Académie  de  ne  reculer  devant  aucun  effort  pour  main- 
tenir son  œuvre  à  la  bauteur  où  elle  a  été  placée ,  et  main- 
tenir au  milieu  d'elle  le  centre  des  études  d'épigraphie 
orientale » 

Nous  sommes  certains  que  les  lecteurs  du  Journal  asiatique 
apprendront  avec  plaisir  l'apparition  prochaine  de  cette  publi- 
cation, qui  est  une  nouvelle  marque  de  la  sollicitude  de 
l'Académie  des  Inscriptions  pour  les  études  orientales  et  qui, 
sous  son  haut  patronage,  et  sous  la  direction  de  la  Com- 
mission du  Corpus,  ne  peut  manquer  de  devenir  un  organe 
important  de  l'orientalisme.  , 


LE  JANISSAIRE  Bl^HIR-AGHA ,  MaItRE  DE  BAGHDAD  (iGig-lGaS) . 

D'APRÀS  UN  DOCUMENT  INEDIT. 

Comme  on  le  sait ,  les  Ottomans  ont  conquis  deux  fois  la 
ville  de  Baghdad  :  la  première  fois  en  iô3/i«  sous  le  règne 
du  sultan  Suléïman  le  Législateur  ou  le  Magnifique;  la  se* 
conde  fois  en  i638,  sous  le  sultan  Moorad  IV.  La  première 
conquête  eut  lica  de  la  façon  suivante  :  L'ancienne  capitale 
des  khalifes  abbassides,  qui  jusque-là  relevait  de  la  dynastie 
des  Turcomans  du  Mouton-Blanc,  avait  été  prise  en  i5o8 


176  JUILLET-AOÛT   1899. 

par  Lâlà-Hoséïn,  général  de  Châh-Ismail  le  Çafavidc;  depuis 
lors ,  sauf  l'enlreprise  éphémère  de  Dliou'l-Fiqàr,  chef  d'une 
tribu  kurde,  cette  ville  était  restée  sous  la  domination  per- 
sane, lorsque  le  sultan  Suléïman,  poursuivant  le  cours  de 
ses  campagnes  contre  la  Perse,  songea,  après  Toccupation 
de  l'Adherbaïdjan ,  à  conquérir  la  vallée  du  Tigre  ;  son  grand- 
vizir  et  généralissime  Ibrahim-pacha,  fds  d'un  matelot  de 
Parga ,  enlevé  par  des  corsaires  et  vendu  comme  esclave ,  et 
dont  la  bonne  mine  et  l'habileté  sur  le  violon  avaient  fait 
toute  la  fortune ,  avait  été  envoyé  en  avant-garde  et  suivi  de 
près  par  le  souverain;  le  gouverneur  persan  s'étant  enfui, 
la  ville  s'était  rendue  (i534). 

Depuis  lors,  la  domination  ottomane  n'avait  plus  été  in- 
terrompue que  pendant  quinze  ans,  de  1628  à  i638,  pé- 
riode pendant  laquelle  Baghdad  était  retombé  sous  le  joug 
des  Çafavides.  La  cause  principale  de  ceUc  interruption,  qui 
motiva  la  campagne  de  Mourad  IV,  fut  la  révolte  d'un  simple 
janissaire  de  la  garnison  turque,  Békir-agha,  devenu  çoâ- 
bâchy  ou  chef  de  la  police ,  qui  fut  le  réel  maître  de  la  ville 
pendant  cinq  ans,  trahit  son  souverain  en  entretenant  des 
intelligences  avec  les  Persans,  se  repentit  trop  tard  de  sa 
trahison ,  et  périt  de  la  main  des  nouveaux  maîtres  qu'il  avait 
cherchés. 

Békir-agha  est  connu  par  les  pages  que  lui  a  consacrées 
Hammer-Purgstall  [Histoire  de  l'Empire  ottoman,  t.  IX,  p.  5 
à  2 1  de  la  traduction  française  de  J.-J.  Hellert) ,  qui  a  tiré 
surtout  ses  renseignements  de  l'historien  turc  Nalmâ.  Si  nous 
revenons  sur  ce  personnage  et  sur  le  rôle  qu'il  a  joué ,  c'est 
que  nous  pouvons  citer,  à  côté  de  l'historiographe  officiel 
ottoman,  un  manuscrit  turc  inédit  de  notre  collection  qui 
contient  l'histoire  de  Baghdad,  depuis  la  chute  du  khalifat 
abbasside  en  1 268  jusqu'en  1677.  Cet  ouvrage  a  été  composé 
probablement  à  la  fin  du  xvii"  siècle  et  postérieurement  à 
1 683 ,  date  la  plus  récente  citée  dans  le  corps  du  texte ,  par 
un  auteur  inconnu. 

Lorsque  Chàh-'Abbâs  1"  s'empara  de  Baghdad,  la  plupart 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  177 

des  TuiTs  émigrèrent  ;  le  père  de  notre  auteur  se  devisa  en 
derviche,  après  être  resté  caché  quelques  jours,  et,  accom* 
pagné  de  sa  seule  mère,  tète  et  pieds  nus,  sans  provisions, 
i^ussit  à  gagner  Y  Asie  Mineure  en  remontant  le  cours  de 
TËuphrate,  et  à  se  l'éfugier  auprès  du  général  HÀiyz  Ahmed 
pacha  qu*il  connaissait  et  qui  tenta  en  vain  de  reprendi^e  la 
ville  des  Khalifes. 

Les  renseignements  que  nous  donne  notre  auteui*  ano- 
nyme sur  le  janissaire  Békir-agha,  il  les  tenait  de  son  père, 
témoin  oculaire ,  et  il  est  intéressant ,  à  ce  titre ,  de  les  com- 
parer avec  ceux  de  Nalmâ  utilisés  par  Hanimer.  Voici  donc 
ce  qu'il  nous  dit  sur  cette  période  : 

«  A  la  mort  du  sultan  A^med  I",  celui-ci  fut  remplacé  par 
son  frère  Moçtafâ  I*'  qu'on  déposa  au  hout  de  trois  mois  et 
qui  vit  monter  sur  le  trône  son  neveu  *Osmân  II ,  iils  d'Ai^- 
med  I"  (1618).  Sous  le  règne  désordonné  de  cdui~ci,  en 
1 61 9 ,  un  individu  nommé  Bëkir,  simple  janissaire  de  la  gar> 
nison  de  Baghdad,  devenu  ensuite  çou-hâchy,  puis  agha  de 
cette  troupe,  et  qui  conserva  toujours  ce  surnom  de  çoâ- 
bâchy,  vit  croître  son  influence  à  tel  point  qn*il  devint  le  vi^ai 
maître  de  la  province.  Toutes  les  nominations  de  fonction- 
naires locaux  passaient  entre  ses  mains ,  et  les  affaires  étaient 
réglées  suivant  son  avis.  » 

Cette  influence  de  Békir  n'était  pas  pour  plaire  à  tout  le 
monde  ;  un  corps  de  troupes ,  les  Azahs ,  se  mirent  contre  lui 
et  complotèrent  sa  perte.  Ces  Azahs  avaient  à  Baghdad 
même  un  agha ,  nommé  Mohammed  Qanhèr,  qui  fat  i*àme 
de  cette  machination,  et  profita  de  ce  qu'en  1631,  certaines 
trihus  bédouines  s' étant  révoltées  dans  les  régions  éloignées 
de  la  province,  Bddr  marcha  en  personne  contre  dUes,  en 
laissant  à  sa  place  un  lieutenant  nommé  Mohammed.  «  Qan- 
hèr, dit  notre  auteur,  invita  chez  lui  les  chefs  des  Azahs  et  les 
chérifs  de  la  ville ,  et  tint  conseil  avec  eux  pour  détruire  l'om- 
nipotence du  parvenu  qui  s'était  élevé  au  rang  de  tyran.  Tons 
approuvèrent  sa  manière  de  voir  et  se  conjurèrent  avec  kd  ; 
ils  se  mirent  à  chercher  le  moyen  de  rétablir  l'ordre  dans  la 

IV.  la 

IMHIHKias  ii«nos«L>. 


178         '  JUILLET-AOÛT    1899. 

province  en  détruisant  le  çoû-bàchy  et  les  acolytes  qui  sou- 
tenaient son  pouvoir.  »  Mais  Békir  avait  laissé  dans  la  ville 
des  gens  qui  lui  étaient  dévoués  et ,  parmi  eux ,  son  kiaya 
*Omar.  Celui-ci  songea ,  pour  gagner  -du  temps ,  à  suggérer 
aux  Azabs  l'idée  de  se  mettre  d'accord  avec  le  gouverneur  de 
la  province,  Yousouf- pacha,  que  l'autorité  de  Békir  avait 
réduit  à  n'être  plus  qu'un  fantôme,  et  a  s*appuyer  sur  lui 
pour  arriver  à  ses  fins.  Il  se  rendit  auprès  de  Mohamme4 
Qanbèr,  et  lui  fit  des  offres  de  service  pour  amener  l'abaisse- 
ment du  pouvoir  du  çoù-bàchy,  en  s'appuyant  sur  le  repré- 
sentant de  l'autorité  du  sultan,  qui  habitait  la  forteresse 
connue  sous  le  nom  de  citadelle  intérieure  [Itck-Qafe], 

Cette  forteresse  a  joué  un  grand  rôle  dans  les  sièges  et  les 
séditions  dont  Baghdad  a  été  le  théâtre  jusque  dans  des 
temps  très  rapprochés  de  nous;  elle  était  bâtie  de  belles 
pierres  blanches,  d'après  Thévenot;  du  temps  de  Niebuhr 
elle  servait  encore  d'arsenal  et  de  magasin  à  poudre.  Elle 
était  située  au  nord-ouest  de  la  ville ,  dans  l'angle  formé  par 
la  rencontre  des  remparts  et  de  la  rive  du  fleuve;  elle  fiit 
totalement  détruite  lors  des  troubles  qui  marquèrent  la  chute 
du  gouverneur  général  Daoud-pacha  en  i83i.  C'était  là  que 
se  trouvaient  le  palais  du  gouverneur,  les  demeures  des  ja- 
nissaires, et  sa  possession  était  la  marque  visible  de  l'occu- 
pation de  la  ville. 

Mohammed  Qanbèr,  au  lieu  de  s'emparer  du  kiaya  'Omar 
qui  était  venu  se  mettre  entre  ses  mains ,  ainsi  qu'on  le  lui 
conseillait ,  accueillit  ses  avis  et  le  fit  reconduire  chez  lui  avec 
des  honneurs  particuliers;  puis  il  se  rendit  auprès  du  gou- 
verneur Yousouf- pacha,  qui  accueillit  favorablement  les  ou- 
vertures du  chef  des  Azabs ,  approuva  son  projet  et  s'entendit 
avec  lui  pour  mettre  fin  à  la  domination  occulte  du  chef  des 
janissaires;  mais  par  insouciance  ou  peut-être  pour  se  mé- 
nager des  appuis  dans  l'autre  camp,  il  négligea  de  faire  ar- 
rêter le  kiaya  *Omar  et  s'occupa  au  contraire  de  lui  conférer 
une  promotion  de  grade. 

Le  kiaya  'Omar  profita  immédiatement  du  répit  qui  lui 


NOUVKLLKS  RT  MKLANGËS.  179 

était  maladroitement  laissé;  il  réunit  les  partisans  de  Békir, 
qui  se  procurèrent  des  armes,  fermèrent  les  portes  des  quar- 
tiers et  des  rues,  et  se  saisirent  des  points  stratégiques  sur 
lesquels  ils  voulaient  s'appuyer;  ils  attaquèrent  la  citadelle, 
devant  laquelle,  sur  le  Méïdan  ou  place  publique,  étaient 
massées  les  troupes  du  gouverneur  et  de  Mohammed  Qanbèr  ; 
ils  firent  pleuvoir  sur  elles  une  grêle  de  balles ,  en  mirent  la 
plus  grande  partie  hors  de  combat;  les  rebelles  restèrent 
maîtres  du  terrain  et  installèrent  immédiatement,  pour  battre 
les  murailles  de  la  citadelle ,  des  batteries  de  canons  sur  des 
cavaliers  qu'ils  élevèrent  sans  tarder. 

L'événement  ayant  tourné  contrairement  à  ses  espérances , 
et  les  partisans  de  Békir  étant  maîtres  de  la  ville ,  Moham- 
med Qanbèr  se  souvint  que  son  fils,  Abdallah-Réïs,  accom- 
pagnait alors  Békir  dans  sa  campagne  contre  les  Bédouins 
révoltés  ;  il  lui  écrivit  pour  lui  reconmiander  de  soulever  les 
Azabs  qui  l'accompagnaient,  de  prendre  par  surprise  Békir 
et  ses  gens,  de  les  anéantir  et  d'envoyer  le  reste  des  troupes 
en  hâte  à  Baghdad.  Cette  lettre  fut  remise  à  un  courrier 
arabe  qui  traversa  le  Tigre  par  une  nuit  obscure  ;  ce  courrier, 
trouvant  que  la  gratification  que  Qanbèr  lui  avait  remise  à 
son  départ  était  trop  mince ,  n'hésita  pas  à  se  rendre  auprès 
du  chef  des  janissaires  et  à  lui  remettre  le  message  de 
Qanbèr. 

Békir  était  un  homme  énergique  et  d'une  décision  prompte. 
Il  s'empara  d'Abdallah-Réïs ,  le  fils  de  Qanbèr,  le  destinataire 
du  message  trahi ,  pendant  son  sommeil ,  et  le  fit  mettre  à 
mort  en  sa  présence  malgré  ses  protestations  d'innocence; 
les  Azabs  qui  l'entouraient  s'enfuirent,  et  Békir,  maître  de 
la  situation,  leva  le  camp,  revint  en  hâte  à  Baghdad,  s'éta- 
blit à  l'occident  de  la  ville  et  s'occupa  de  jeter  un  pont  de 
bateaux  sur  le  Tigre  ;  c'est  pendant  qu'il  surveillait  l'installa- 
tion des  canons  destinés  à  déjouer  cette  manœuvre ,  que  le 
gouverneur  Yousouf- pacha  fut  tué  par  une  balle  partie  de 
la  rive  opoosée ,  et  que  disparut  le  représentant  de  l'autorité 
centrale 

13. 


180  JUILLET-AOÛT    1899. 

Les  assiégés,  renfermés  dans  la  citadelle,  résistèrent  en- 
core quelques  jours;  mais,  réduits  au  désespoir,  ils  se  ren- 
dirent à  discrétion.  Les  vainqueurs  pillèrent  Tarsenal  con- 
servé depuis  la  conquête  du  sultan  Suléïman ,  ainsi  que  tous 
les  biens  des  particuliers  ;  ils  mirent  le  feu  à  Imtérieur  et  à 
l'extérieur  de  la  forteresse;  des  habitants  de  la  citadelle,  les 
uns  s*enfuirent  dans  le  désert,  les  autres  restèrent  prison- 
niers. Au  nombre  de  ces  derniers  se  trouvait  Mohammed 
Qanbèr,  qui  fut  conduit  devant  Békir;  le  janissaire  le  fit 
attacher  sur  un  pilori,  dans  une  barque  menée  par  deux 
hommes,  enduire  de  naphte,  et  brûler  vif  au  milieu  du 
Tigre. 

Les  partisans  de  Qanbèr  furent  recherchés,  poursuivis, 
punis  de  supplices  variés;  «ces  atrocités,  dit  notre  auteur, 
rappelèrent  aux  habitants  de  Baghdad  les  temps  d'Houlagou 
et  de  Timour  ».  Le  mufti  lui-même,  Molla-agha,  qui  avait  des 
parents  parmi  les  Azabs ,  n'échappa  pas  au  ressentiment  du 
çoù-bâchy  et  tomba  sous  les  coups  de  ses  bourreaux. 

C'est  ainsi  que  le  çoù-bâchy  Békir  devint  maître  incontesté 
et  indépendant  de  Baghdad.  Cependant  il  ne  tarda  pas  à 
réfléchir  aux  suites  de  l'imprudence  qu'il  avait  commise  en 
rompant  toutes  relations  avec  la  Sublime  Porte.  Le  sidtan 
Mourad  IV  venait  d'être  intronisé  (1622).  Békir  s'adressa  à 
Hàfyz  Ahmed -pacha,  gouverneur  militaire  de  Diarbékir, 
pour  obtenir,  par  son  entremise ,  son  pardon  et  sa  nomination 
comme  gouverneur  de  la  province  de  Baghdad  ;  mais  le  Di- 
van ,  très  au  courant  de  ce  qui  s'était  passé ,  refusa  d'entrer 
dans  les  vues  du  rebelle ,  désigna ,  contrairement  à  ses  dé- 
sirs, Suléïman-pacha  comme  gouverneur,  et  chargea  Hà^ 
Ahmed-pacha  de  l'installer  par  la  force.  Celui-ci  prit  avec 
lui  20,000  hommes  de  cavalerie  et  des  troupes  kurdes,  vint 
camper  dans  le  village  de  Yénidjé  et  bloqua  Baghdad,  dont 
les  habitants  sou£Praient  déjà  de  la  disette  à  cause  des  mau- 
vaises récoltes  provenant  de  la  sécheresse  et  des  désordres 
qui  avaient  troublé  la  province. 

Cependant  plusieurs  mois  se  passèrent,  et  Hâfyz  Ahmed- 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  181 

pacha  n'avançait  à  rien  ;  il  quitta  sa  position  de  Yéfiidjë  et 
vint  planter  ses  tentes  en  face  des  bourgades  de  Behroûz 
et  de  Bà*qoubâ ,  qui  furent  pillées  et  dévastées.  A  la  nouvelle 
de  ce  changement  de  front ,  Békir,  pour  protéger  les  villages 
situés  de  ce  côté ,  envoya  son  kiaya  *Omar  à  la  tête  de  7,000 
à  8,000  hommes.  Une  rencontre  eut  lieu  dans  l'endroit 
nommé  Qobâb-Léïth;  le  gouverneur  de  Rerkoùk,  Boustân- 
pacha,  qui  commandait  à  5, 000  hommes,  fut  blessé  dans  la 
lutte;  les  Ottomans,  découragés,  s'apprêtaient  à  s'enfuir, 
lorsque  le  lendemain'  Hâfyz  Ahmed -pacha  apparut  sur  le 
champ  de  bataille,  et  attaqua  les  rebelles  de  quatre  côtés  à 
la  fois;  la  résistance  dura  jusqu'au  soir,  mais  elle  fut  finale- 
ment vaincue;  3,700  hommes  restèrent  sur  le  terrain;  2,5oo 
furent  faits  prisonniers  et  amenés  devant  Ahmed-pacha ,  qui 
avait  eu  fort  à  se  plaindre  de  ces  gens  quand  il  avait  été 
gouverneur  de  cette  même  province ,  peu  de  temps  avant  la 
révolte  de  Békir;  il  les  sacrifia  sans  pitié. 

Békir  fut  profondément  aflligé  de  la  défaite  de  ses  troupes  ; 
il  réunit  les  principaux  de  son  entourage,  et  leur  expliqua 
que  la  disette  d'approvisionnements  et  la  faiblesse  de  son 
armée  en  déroute  empêchaient  toute  résistance;  dans  une 
pareille  situation ,  on  résolut  de  se  mettre  sous  la  protection 
du  chah  de  Perse  et  de  lui  livrer  la  ville.  Abbâs  l"  était  alors 
en  campagne  dans  la  région  de  Qandahâr  ;  on  lui  fit  porter 
les  clefs  de  la  forteresse.  Le  Chah  accueillit  favorablement 
les  ouvertures  des  révoltés ,  et  désigna  immédiatement  Çaft- 
qouly-khân,  gouverneur  de  Hamadan,  pour  aller  prendre 
possession  de  Baghdad. 

Hâfyz  Ahmed  pacha ,  à  la  nouvelle  de  la  marche  des  Per- 
sans, reconnut  qu'il  lui  serait  impossible  de  s'y  opposer, 
parce  que  son  armée  était  fatiguée  de  la  guerre  et  dégoûtée 
de  la  campagne ,  et  hors  d'état  de  résister  à  une  sortie  de  la 
garnison  si  elle  se  produisait  en  même  temps  que  l'attaque 
de  l'ennemi.  11  eut  recours  à  la  ruse,  et  voulut  ramener 
Békir  du  côté  des  Turcs  ;  il  lui  envoya  une  lettre  amicale  et 
flatteuse  qui  lui  promettait  sa  confirmation  dans  le  gouver- 


182  JUILLET-AOÛT    1899. 

nement  de  la  province,  avec  pardon  entier  et  l'envoi  de  pré- 
sents de  la  part  du  Stdtan.  o  Le  passé  est  passé  ;  qu'on  n*en 
parie  plus  ;  Baghdad  vous  est  promis  sans  changement  ni  refus. 
Protégez  la  province  impériale  contre  les  étrangers,  sinon 
vous  serez  cause  de  la  destruction  du  monde  entier.  »  Puis  il 
se  mit  en  sûreté. 

Békir,  heureux  d*étre  débarrassé  de  la  présence  des  Otto- 
mans, flatté  peut-être  de  la  marque  de  confiance  que  lui 
donnait  le  représentant  du  Sultan ,  en  le  chargeant  officiel- 
ment  de  la  défense  de  Baghdad  contre  les  Persans,  com- 
prit retendue  et  la  portée  de  la  trahison  à  laquelle  il 
s'était  livré,  lui  un  vieux  janissaire;  il  se  repentit  de  ce 
qu'il  avait  fait,  et,  se  sentant  incapable  de  défendre  la 
place  contre  l'armée  des  Gafa vides ,  il  résolut  de  gagner  du 
temps  en  employant  la  ruse.  «  Il  commença ,  dit  notre  au- 
teur anonyme,  par  envoyer  à  la  rencontre  du  général  per- 
san Gaf î-qouly-khàn ,  qui  avait  réuni  ses  troupes  à  Khâ- 
niqin  entre  Ramadan  et  Baghdad,  et  en  était  déjà  parti, 
plusieurs  personnages  de  son  entourage  revêtus  du  carac- 
tère de  mihmândâr  ou  fourriers,  par  lesquels  il  le  fit  féli- 
citer amicalement;  il  lui  fit  préparer  un  logement  du  côté 
de  la  porte  de  Qara-qapou  (la  porte  noire),  appelée  aussi 
Qaranlyq-qapou  (la  porte  obscure),  au  sud  de  la  ville,  ou 
l'attendait  un  festin  destiné  à  durer  trois  jours  et  où  on 
lui  présenta  les  cadeaux  d'usage.  Il  écrivit  au  général  persan 
une  lettre  amicale  remplie  de  compliments  de  bienvenue, 
lui  disant  qu'il  était  plein  de  reconnaissance  pour  l'aide 
qu'il  était  venu  lui  apporter,  et  il  lui  faisait  tenir  en  même 
temps  quelques  bourses  d'argent  à  titre  de  frais  de  route, 
et  rien  de  plus. 

«  Çafi-qoidi-khân ,  qui  s'attendait  à  la  reddition  pure  et 
simple  de  la  place,  fut  tout  agité  à  la  lecture  de  cette 
lettre  et  entra  dans  une  violente  colère;  il  comprit  qu'il 
n'y  avait  là  qu'une  ruse  pour  gagner  du  temps;  il  s'écria: 
«  Ce  n'est  pas  pour  recevoir  des  honneurs  et  amasser  de 
«l'argent  que  nous  avons   supporte  tant  de  difficultés  et 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  183 

«  affronté  tant  de  périls  ;  je  vais  faire  savoir  ce  qui  se  passe 
«  au  chah  de  Perse.  » 

Châh-Ahbâs  avait  terminé  la  campagne  de  Qandahâr  et 
s'était  déjà  installé  à  Ispahan,  où  il  attendait  justement 
des  nouvelles  de  Baghdad  ;  c'est  là  que  le  trouva  le  messager 
qui  venait  lui  apprendre  que  Békir  avait  rompu  rengage- 
ment souscrit.  Saisi ,  lui  aussi ,  d*une  colère  violente ,  il  en- 
voya immédiatement  des  courriers  avec  Tordre  de  réunir 
les  troupes  du  Khorasân,  de  la  Géorgie,  du  Gîlan  et  du 
Mazandéran ,  ce  qui  constitua  une  armée  considérable  avec 
laquelle  il  se  mit  lui-même  en  route.  Il  ne  tarda  pas  à 
arriver  a  Baghdad  et  il  s'installa  sous  les  murs  de  la  cita- 
delle. 

A  l'arrivée  du  Chah ,  Çaf î-qouly-khân  passa  sur  la  rive  oc- 
cidentale du  Tigre  pour  s'en  saisir,  ce  qui  terrifia  Békir; 
pour  essayer  d'entraver  le  mouvement  tournant  des  troupes 
persanes ,  il  mit  son  kiaya  *Omar  à  la  tète  de  cpielques  sol- 
dats, les  fit  passer  par  le  pont  sur  la  rive  occidentale;  le 
combat  qui  s'y  livra  se  termina  par  la  déroute  des  troupes 
de  Baghdad  ;  le  kiaya  'Omar  et  plusieurs  grands  personnages 
tombèrent  aux  mains  de  l'ennemi. 

Dès  son  arrivée,  Châh-Abbâs  avait  fait  élever  des  para- 
pets et  des  cavaliers,  et  creuser  des  mines  devant  la  cita- 
delle. Eln  outre  des  dommages  causés  à  la  ville  par  son  feu , 
la  disette  qui  y  régnait  depuis  longtemps  amena  une 
horrible  famine.  La  misère  fut  telle  que,  profitant  de 
Tobscurité  de  la  nuit,  nombre  de  désespérés  descendirent 
des  murailles  et  se  rendirent  à  l'armée  persane.  Békir  se 
trouva  très  faible ,  sans  armée  et  sans  munitions. 

C'est  alors  que  se  noua  le  comploj;  qui  devait  livrer  la 
viUe  aux  assiégeants.  «  Voyant  cette  situation  et  poussé  par 
les  mauvais  conseils  du  désespoir,  Mohammed,  fils  aîné  de 
Békir,  qui  était  chargé  de  la  garde  de  la  citadelle  intérieure 
et  de  repousser  l'ennemi  de  ce  côté-là,  se  résolut  à  trahir 
la  cause  de  son  père.  £n  i6a3,  ayant  encore  à  peine  la 
force  de  résister  et  après  avoir  attendu  quelque  temps  une 


184  JUILLET-AOÛT   1899. 

délivrance  qui  ne  venait  pas,  il  profita  d*une  nuit  sombre 
pour  envoyer  un  messager  au  camp  persan,-  en  vue  d'ob- 
tenir la  promesse  du  gouvernement  de  Baghdad  pour  lui- 
même  en  offrant  de  livrer  la  citadelle.  Or,  au  même  mo- 
ment, un  chef  persan,  noomié  Isâ-khân,  s'emparait  sans 
aucune  peine  de  la  citadelle  intérieure  en  s*y  introduisant 
du  côté  de  la  campagne  avec  quelques  milliers  de  Persans. 
Au  matin,  les  citadins,  en  entendant  les  appels  de  trom- 
pettes sur  les  tours  et  les  murailles,  comprirent  ce  qui 
s'était  passé.  On  prétend  que  la  terreur  qui  se  répandit  fut 
si  grande ,  que  des  fenunes  enceintes  avortèrent  et  que  plu- 
sieurs personnes  rendirent  Tâme  de  saisissement. 

«Une  fois  la  viUe  prise,  de  nombreux  sunnites  furent 
jetés  au  cachot  ;  Nouri-Ëfendi ,  mufti  de  la  province ,  fut  mis 
à  mort  ;  les  soldats  appartenant  au  corps  des  janissaires  in- 
digènes (qoal-tâ^èsi)  furent  soumis  à  toutes  sortes  de  tor- 
tures pour  révéler  les  cachettes  de  leur  fortune,  et  enfin 
mis  à  mort. 

«  On  revêtit  Mohanuned,  fils  de  Békir,  et  ses  partisans  de 
vêtements  d'honneur  pour  les  récompenser  de  leurs  ofires 
de  service  ;  Békir  et  son  frère  *Omar-Efendi  furent  faits  pri- 
sonniers et  torturés  pendant  deux  mois  au  moyen  d'un 
supplice  qui  consistait  à  les  empêcher  de  dormir,  et  dont 
ils  moururent.  Après  ces  exécutions ,  on  proclama  un  pardon 
générai  :  les  prisonniers  furent  relâchés,  et  l'abondance 
recommença  à  régner  pour  les  pauvres  affamés  ». 

Telle  fut  la  fin  misérable  du  çoû-bâchy  Békir,  qui  fut 
cinq  ans  maître  de  Baghdad,  et  emporté  par  l'orgueil  et 
son  ressentiment  contre  ses  ennemis,  craignit  de  rester 
sous  l'obéissance  du  sidtan  de  Constantinople ,  se  tourna 
vers  Châh-'Abbâs,  comprit  trop  tard  l'étendue  de  sa  faute 
et  ne  sut  pas  la  racheter  par  l'énergie  de  sa  défense.  Les 
suites  de  sa  domination  néfaste  se  firent  sentir  pendant 
longtemps  :  «  la  ville  était  à  moitié  démolie ,  dit  notre  au- 
teur ;  les  médressés  et  les  mosquées ,  souvenirs  des  khalifes 
abbassides,  tombaient  en  ruines  et  étaient  transformées  en 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.       185 

écuries;  les  maisons  des  simples  particuliers  avaient  été 
mises  à  sac  le  jour  de  Tassant.  »  En  outre ,  le  sultan  Mourad  IV, 
pour  reprendre  Baghdad,  fut  obligé  à  une  des  expéditions 
les  plus  considérables  entreprises  par  TEmpire  ottoman,  à 
la  suite  d*une  tentative  infructueuse  faite  par  le  serdâr 
Hàfyz  Ahmed-pacha ,  en  16  2  5;  Châh-*Abbàs  était  mort  en 
1629  et  avait  eu  pour  successeur  son  petit-fils  Çafl-Mirzâ;  ce 
ne  fut,  comme  on  sait,  qu*à  la  fin  de  i638  que  Baghdad  re- 
tomba sous  la  domination  ottomane,  cette  fois  pour  n*en 
plus  sortir. 

Voici,  en  résumé ,  les  principsdes  différences  qui  séparent 
le  récit  qui  précède  de  celui  de  Na'imâ,  qui  a  servi  de  base 
à  Hammer  et  à  Jouannin  : 

1°  L'historiographe  ottoman  donne  pour  raison  de  la 
tentative  malheureuse  de  Mohammed ,  dont  il  ignore  le  sur- 
nom de  Qanbër,  son  désir  de  satisfaire  sa  vieiUe  inimitié 
contre  Békir,  tandis  que  notre  auteur  anonyme  attribue  l'ori- 
gine du  complot  au  besoin  que  ressentait  ce  personnage , 
soutenu  en  cela  par  les  chefs  des  Azabs  et  les  chérifs,  de 
mettre  fin  à  l'omnipotence  du  çoû-bâchy. 

2°  Na*îmâ  dit  que  Tagha  des  Azabs  eut  l'imprudence  de 
confier  ses  projets  au  kiaya  'Omar;  d'après  l'auteur  anonyme , 
c'est  celui-ci  qui  eut  l'initiative  de  la  ruse  qui  le  mettait  au 
courant  des  projets  des  ennemis  de  Békir,  ce  qui  est  beau- 
coup plus  vraisemblable. 

3"  Les  historiens  attribuent  une  trop  grande  activité  à 
Yousouf-pacha ,  le  gouverneur,  qui  parait  au  contraire ,  dans 
notre  texte ,  comme  absolument  annihilé  tantôt  par  l'autorité 
de  Békir,  lantôt  par  celle  de  Mohammed  Qanbèr  après  sa 
révolte  ;  enfin  ce  n'est  pas  pendant  qu'il  était  occupé  à  exercer 
des  canonniers  qu'il  fut  atteint  de  la  baUe  qui  le  tua ,  mais 
pendant  qu'il  faisait  mettre  en  batterie  des  canons  pour 
abattre  le  pont  de  bateaux  que  faisait  construire  Békir. 

4*  Hammer  affirme  (t.  IX,  p.  i3)  que  Châh-*Abbâs  n'at- 
tendait qu'une  occasion  pour  s'emparer  d'une  province  aussi 
importante;  le  récit  de  notre  auteur  montre  au  contraire 


18C  JUILLET-AOÛT   1899. 

qu*il  n'y  songeait  nullement ,  occupé  qu'il  était  à  faire  cam- 
pagne en  Afghanistan  ;  la  remise  des  clefs  de  la  forteresse  le 
surprit ,  mais ,  à  dire  vrai ,  il  saisit  immédiatement  roccasion 
qui  s'offrait  et  désigna  un  général  pour  aller  prendre  pos- 
session de  la  viUe. 

S""  n  est  bien  certain  que  Moliammed,  le  fils  de  Békir, 
avait  comploté  avec  les  Persans  la  remise  de  la  citadelle; 
mais  notre  auteur  nous  fait  connaître  que  la  nuit  même  où 
s'achevaient  les  négociations ,  «  un  chef  persan ,  nommé  Isa- 
khân,  s'emparait  sans  aucune  peine  de  la  citadelle  en  s'y 
introduisant  du  côté  de  la  campagne  ». 

6"  Il  faut  rejeter  définitivement  le  récit  des  historiens 
ottomans  qui  représente  Békir  périssant  du  même  supplice 
qu'il  avait  infligé  à  Mohammed  Qanbèr,  le  chef  des  Azabs; 
au  lieu  d'être  placé  sur  une  barque  enduite  de  naphte  et 
abandonnée  toute  en  flanunes  au  courant  du  Tigre,  Békir 
mourut  parce  que,  pendant  deux  mois,  on  l'empêcha  de 
dormir.  Si  Békir  avait  péri  dans  les  flanunes ,  le  parallèle  de 
son  exécution  avec  celle  de  sa  victime  n'aurait  pas  manqué 
de  frapper  vivement  l'imagination  des  habitants  de  Baghdad , 
et  nous  en  aurions  l'écho  dans  notre  auteur,  dont  le  père 
avait  vu  tous  ces  événements  et  qui  les  écrivait  une  soixan- 
taine d'années  plus  tard. 

Ce  ne  sont,  si  l'on  veut,  que  des  détails;  cela  ne  change 
rien  aux  grandes  lignes  de  l'histoire;  mais,  pour  ce  qui 
concerne  la  ville  de  Baghdad,  notre  document  explique 
mieux  que  les  historiens  les  causes  qui  amenèrent,  au  début 
du  XVII*  siècle ,  son  occupation  par  les  Persans  et  sa  reprise 
par  les  Turcs. 

Cl.    HUART. 


Le  gérant  : 
KUBENS    DUVAL. 


188  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

la  précise  ou  la  complète,  c'est  la  Sounnah;  Ten- 
semble  constitue  la  législation  qoranique. 

Elle  marqua  sur  Tordre  de  choses  antérieur  un 
réel  progrès.  Elle  releva  la  femme,  adoucit  1  autorité 
du  père  de  famille  et  donna  à  Tensemble  du  Code 
une  allure  plus  rationnelle,  plus  précise  et  plus 
douce,  parce  quelle  éleva  le  concept  de  la  justice 
et  chercha  en  Dieu  sa  propre  source.  La  révélation 
la  fixa  sur  des  bases  inébranlables.  Les  hommes 
ont,  depuis,  multiplié  les  formules,  accumulé  les 
distinctions  et  élevé,  autour  de  la  masse  primitive, 
comme  un  taillis  de  règles  secondaires,  de  coutumes 
dérivées,  de  pratiques  détournées;  ils  n'ont  pas  pu, 
comme  ailleurs,  transformer  l'édifice  législatif  lui- 
même,  ni  forienter  vers  les  lumières  nouvelles. 

La  loi  primitive  n'était  pas  simple;  l'esprit  d'Allah, 
qui  l'avait  dictée,  était  vraisemblablement  sémite 
et  s'inspirait  souvent  des  coutumes  antérieures;  en 
d'autres  termes,  et  faisant  abstraction  de  la  révéla- 
tion, Mohammed  donna,  dans  les  versets  du  Qo- 
rân,  ime  forme  plus  précise  et  souvent  adoucie, 
mais  rarement  nouvelle,  des  anciennes  coutumes. 
Celles-ci  étaient  compliquées,  formalistes  et  par- 
tiales comme  toute  législation  primitive.  La  loi  qo- 
ranique  fiit  moins  formaliste  et  moins  partiale.  D 
ne  faudrait  cependant  pas  s'exagérer  sa  simplicité; 
ce  serait  méconnaître  une  des  caractéristiques  les 
plus  tranchées  de  l'esprit  arabe,  qui  ne  voit  pas 
simple,  évolue  facilement  au  milieu  des  difficultés 
juridiques,  et  attache  trop  de  prix  aux  biens  ma- 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  189 

tériels  pour  ne  pas  en  discuter  âprement  la  jouis- 
sance et  la  dévolution.  Les  Ismaïlites  ont  pu,  dans 
un  accès  subit  de  passion  religieuse,  se  jeter  sur  le 
monde,  sans  autre  souci  que  Tacquisition ,  au  prix 
de  leur  sang,  des  joies  de  Tau -delà  (et  ce  fut,  à 
nen  pas  douter,  le  moteur  qui  les  mit  en  marche), 
mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  abaisser  leurs  regards 
vers  la  terre,  et  Téclat  du  butin  qu'ils  faisaient  en 
tous  lieux  trouva  vite  le  chemin  de  leurs  yeux.  Ils 
surent,  du  reste,  faire  habilement  au  ciel  sa  part 
dans  leurs  préoccupations  journalières,  sans,  pour 
cela,  négliger  le  temporel  :  les  primitifs  et  les  com- 
plexes ont  de  ces  habiletés  que,  du  reste,  beaucoup 
d autres,  qui  se  croient  plus  affinés  et  plus  simples, 
possèdent  souvent  aussi,  à  un  rare  degré,  à  leur 
insu.  Ces  hommes  primitifs  et  complexes  surent  tou- 
jours allier  une  conception  très  élevée  de  Tau-delà 
au  souci  très  pressant  des  choses  de  ce  bas  monde; 
ils  eurent,  du  grec,  la  faculté  religieuse,  et,  du  ro- 
main, Tespril  juridique.  De  là  un  code  très  com- 
pliqué qui  ne  le  cède  en  rien  aux  compilations  des 
Papinien  et  des  Gaïus.  En  feuilletant  un  de  leurs 
recueils  de  jurisprudence,  on  retrouve  presque  tous 
les  titres  des  InstituteSy  avec  des  définitions,  des 
distinctions  et  des  controverses  aussi  fouillées,  pe- 
sées, serrées  que  celles  des  juristes  de  Rome,  et  ce 
code  ne  semble  pas  mieux  fait  que  le  leur  pour  pé- 
nétrer la  nation  barbare  qui  avait  mal  supporté  ou 
refusé  le  premier  et  qui,  cependant,  adopta  celui-ci. 
G  est  que  les  deux  lois,  semblables  en  apparence, 

i3. 


190  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

présentent  des  difiFérences  considérables  qui  chan- 
gent leur  caractère,  leur  action  et  leur  portée. 

La  loi  du  Bas-Empire  est  humaine;  ce  sont  des 
hommes,  que  Ton  connaît  bien,  qui  Tout  faite,  de 
même  que  d'autres  hommes  la  défont  et  la  refont 
chaque  jour,  et  l'imposent  autour  d'eux  en  même 
temps  que  leur  autorité.  Elle  se  ressent  de  la  haine 
que  le  vaincu  a  pour  le  conquérant,  et  ce  n'est  qah  la 
longue,  quand  le  temps  a  si  bien  confondu  l'un  et 
l'autre  qu'il  est  inipossible  de  les  distinguer  dans  la 
nation  devenue  homogène ,  que  la  loi  déracine  les  cou- 
tumes locales  et  s'implante  k  demeure  ;  si,  avant  que 
l'heure  de  l'union  ait  sonné,  le  vaincu  se  soulève,  il 
chasse  la  loi  en  même  temps  que  l'oppresseur  et  se  dé- 
livre des  deux  à  la  fois.  —  La  loi  arabe  est  d'origine 
divine;  celui  qui  l'apporte,  loin  de  l'imposer  au 
vaincu,  se  défend  de  l'appliquer  à  un  homme  qui 
ne  pratique  pas  sa  foi;  c'est  une  loi  de  privilégiés, 
que  tout  le  monde  ne  peut  invoquer  et  qui  confère 
à  ceux  qui  l'observent  de  grands  avantages.  Le  con- 
quérant, ici,  ne  va  pas  au-devant  du  conquis;  il 
attend  qu'il  vienne  k  lui  et  qu'il  demande  comme 
une  faveur  ce  que  le  romain  imposait  comme  une 
obligation.  On  le  sait  de  reste  :  l'homme  est  ainsi 
fait  qu'il  désire  ardemment  ce  qu'on  lui  refuse,  fût-ce 
peu  de  chose,  et  repousse  avec  dédain  ce  qu'on 
lui  offre.  Les  aristocraties  soucieuses  de  conserver 
leurs  privilèges,  les  tribus  inquiètes  pour  leurs 
terres  de  parcours  et  leur  antique  renommée,  les 
individus  isolés,  attirés  par  le  désir  de  se  joindre 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  191 

aux  armées  d'invasion  dans  la  chasse  au  butin, 
se  précipitèrent  vers  Tlsiam,  qui  ne  leur  demandait 
qu  une  profession  de  foi  et  leur  donna  en  (échange 
une  loi  nouvelle;  ils  la  reçurent  à  leur  insu,  enve- 
loppée dans  les  feuilles  du  Qorân,  et  Tobservèrent , 
parce  que,  à  leurs  yeux  de  nouveaux  convertis,  elle 
était  la  parole  de  Dieu. 

La  loi  romaine  était  enfermée  dans  des  recueils 
nombreux,  coûteux  et  rares  qui,  à  un  certain  mo- 
ment, devinrent  si  coûteux  et  si  rares  que  les  ju- 
ristes eux-mêmes  ne  pouvaient  plus  se  les  procurer; 
on  la  codifia;  mais,  pour  être  enfermée  dans  un  di- 
geste, elle  n'en  fut  pas  beaucoup  plus  claire,  et 
resta  toujours  lettre  morte  pour  l'ignorant,  l'homme 
du  commun,  le  commerçant,  le  soldat,  tous  ceux 
qui  n'étaient  ni  juges,  ni  fonctionnaires.  Nous  savons 
trop  ce  qu'est  une  loi  de  ce  genre  ;  l'ignorant,  c est- 
à-dire  tout  le  monde,  la  considère  avec  crainte, 
comme  une  machine  dangereuse  qui  tranche  un  peu 
en  tous  sens,  sans  qu'on  sache  jamais  pourquoi, 
qui  entre  en  mouvement  sans  qu'on  la  sollicite  et 
s'arrête  parfois  quand  on  la  voudrait  voir  nuuxher. 
On  la  craint,  comme  beaucoup  d'autres  choses  en  ce 
monde,  parce  qu'on  l'ignore,  et  on  l'ignore  parce 
que  personne  n'a  jamais  songé  à  l'apprendre  à  tous, 
autrement  que  par  bribes  insignifiantes  et  rares 
échappées,  en  insistant  toujours  sur  la  complexité 
de  ses  dispositions,  et  en  épaississant  l'obscurité  des 
textes  par  la  phraséologie  technique  des  définitions. 
La  loi  arabe  est  écrite  dans  le  livre  saint,  que  tout 


192  SEPTEMBRE-OCTORRE  1899. 

bon  musulman  doit  apprendre  par  cœur  et  qu'il 
finit  du  reste  par  connaître  sans  le  vouloir,  en  enten- 
dant résonner  chaque  jour  k  son  oreille  les  versets 
qui  le  composent.  Le  néophyte  apprend  là  loi  comme 
Tenfant,  chez  nous,  se  pénètre  des  préceptes  de  la 
morale  en  étudiant  son  catéchisme.  Certes,  cette 
connaissance  est  relative  et  satisferait  peu  aux  né- 
cessités courantes  de  Texistence;  le  juriste  est  là, 
qui  éclaircil  les  points  controversés  et  ordonne  les 
raisonnements  subtils  et  les  distinctions  nécessaires; 
mais  la  loi  est  connue  de  tous ,  elle  est  répandue  à 
des  milliers  d  exemplaires  entre  toutes  les  mains  et 
s  offre  à  qui  veut  Tétudier,  tandis  que  notre  légis- 
lation se  cache  dans  des  livres  spéciaux ,  fermés  aux 
profanes.  On  s'étonne  parfois  de  trouver  chez  l'Arabe 
de  rares  qualités  juridiques ,  un  goût  spécial  pour 
la  controverse  et  une  connaissance  approfondie  du 
droit;  l'explication  du  fait  est  facile  à  donner.  Dès 
l'enfance,  on  l'a  mis  en  présence  de  la  loi;  il  Ta 
apprise  par  cœur,  copiée  et  recopiée,  récitée  dans 
ses  prières  et  psalmodiée  à  la  mosquée;  il  a  vécu  avec 
elle,  pour  elle,  par  elle;  comment  ne  serait-il  pas 
soucieux  de  la  mieux  connaître  encore  et  d'analyser 
l'esprit  d'un  texte  dont  il  possède  si  bien  la  lettre? 
Enfin  la  loi  romaine,  nous  lavons  déjà  vu,  est  le 
domaine  du  juge,  du  fonctionnaire.  Cette  machine, 
compliquée  et  quinteuse,  ne  marche  que  s'ils  l'or- 
donnent et  qu'autant  qu'ils  le  veulent  ou  qu'autant 
que  le  veut  celui  qui  leur  commande  à  tous  :  l'Etat. 
C'est  l'Etat  qui  fait  la  loi  et  la  met  en  action.  De  là 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  193 

cette  défiance  incurable  du  sujet,  qui  craint  toujours, 
s'il  s  approche  trop  près,  d'être  pris  dans  un  engre- 
nage qu  il  ignore.  —  La  loi  musulmane  est  appliquée 
par  le  qâd'i,  jurisconsulte  éprouvé,  que  la  confiance 
du  prince  investit  du  pouvoir  de  rendre  la  justice, 
mais  qui  reste  supérieur  au  prince  de  toute  la  hauteur 
dont  le  domine  la  loi  elle-même ,  que  nul  ne  peut 
modifier.  Le  prince  ne  consei^ve  que  la  juridiction 
criminelle.  La  procédure  du  qâd'i  est  simple  ;  chacun 
peut  la  suivre  sans  peine  et  Fentamer  sans  frais,  quand 
le  magistrat  est  intègre.  S^l  ne  Test  pas ,  l'application 
de  la  loi  peut  être  faussée,  son  esprit  reste  intact  et 
le  plaideur  lésé ,  qui  sait  cela ,  ne  songe  pas  à  imputer 
à  la  loi  la  faute  de  l'homme.  Le  plaignant  trouve 
prompte  justice  à  sa  porte,  car  les  qâd'is  sont  nom- 
breux, et  ils  expédient  les  affaires  rapidement  et 
sans  frais,  avantage  inestimable  en  tous  pays,  mais 
surtout  chez  des  peuples  primitifs,  qui  préfèrent 
souvent  une  sentence  un  peu  boiteuse,  mais  vite 
rendue  et  pas  trop  coûteuse,  à  un  arrêt  impeccable 
poursuivi  durant  des  années,  à  grand  renfort  d'ar- 
tifices de  procédure  et  de  frais  écrasants,  devant 
une  série  interminable  de  juridictions. 

Je  le  répète ,  les  deux  législations  qui  se  succèdent 
en  Afrique,  car  c'est  toujours  l'Afrique  qui,  dans 
cette  étude,  nous  préoccupe,  présentent  des  ressem- 
blances trompeuses  et,  au  fond,  diffèrent  essentielle- 
ment. La  législation  antique  est  une  œuvre  humaine 
et  ne  s'impose  pas  facilement  aux  hommes  ;  elle  est 
le  domaine  du  juge  et  inquiète  f esprit  ignorant; 


194  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

elle  est  compliquée  et  formaliste  et  décourage  les 
plaideurs  les  plus  sûrs  de  leur  droit.  La  législation 
arabe  est  d'essence  divine  et  commande  impérieu- 
sement; elle  est  voisine  de  l'homme,  qui  vit  presque 
en  elle;  le  juge  aussi  est  proche  et  expéditif.  Elle 
est  autoritaire  et  approximative,  et  ces  défauts 
mêmes  sont  des  qualités  aux  yeux  des  hommes  qui 
lui  obéissent. 

Le  Gouvernement  arabe,  présente,  lui  aussi,  des 
caractères  propres  et,  sous  de  spécieuses  ressem- 
blances, des  particularités  remarquables.  En  cette 
matière,  comme  en  beaucoup  d'autres,  le  mot  fran- 
çais, précis  et  évocateur  d'idées  nettes,  trahit  l'au- 
teur qui  veut  parier  du  monde  sémite.  Il  peut 
craindre  que,  dès  l'abord,  un  malentendu  ne  s'élève 
entre  le  lecteur,  qui  attend  des  notions  techniques, 
et  lui,  qui  ne  peut  fournir  que  des  données  vagues. 
J'emploie  le  mot  de  gouvernement  faute  d'un  plus 
mauvais,  qui  dise  moins  en  laissant  supposer  davan- 
tage, et  qui  signifie  une  autorité  suprême,  impé- 
rieuse et  toujours  contestée,  dominatrice  et  sans 
cesse  menacée,  écrasante  aujourd'hui  et  demain  ré- 
duite à  rien,  quelque  chose  comme  le  Parlement 
d'Angleterre  à  Westminster  avec,  au-dessous,  dans 
les  caves,  Guy  Fawkes,  mèche  allumée,  à  côté  de 
sa  machine  infernale. 

L'esprit  d'indépendance  et  d'égalité  de  la  race  a 
toujours  condamné  le  gouvernement  à  n'êlre  que 
cela. 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  195 

Lorsque  Mo^aouïah,  gouveineur  de  la  Syrie,  se 
préparait  à' disputer  le  Khalifat  à  *AU,  il  demanda  à 
lun  de  ses  fidèles,  officier  de  sa  garde,  Nos'aïr,  de 
raccompagner  dans  lexpédition  qui  devait  se  ter- 
miner à  Sifïin.  Nos'aïr  refusa  en  disant  ;  «  Tu  renies 
celui  qui  mérite  plus  de  louanges  que  toi  :  Dieu,  qu'il 
soit  exalté ,  et  je  ne  m  associerai  pas  à  ton  infidélité.  » 
Mo^aouïah  ne  répliqua  pas  et  laissa  Nos'aïr  libre  d'agir 
à  sa  guise  ^  Voilà  comment  on  peut  compter  sur 
eux. 

Mohammed  à  peine  mort,  la  plupart  des  tribus 
refiisent  l'impôt  et  répudient  Tlslam,  et  il  faut  les 
ramener  par  la  force  dans  le  giron  de  l'Eglise. 

Au  moment  où  *Ali  combat  son  compétiteur 
Ma^aouïah,  une  troupe  de  fanatiques,  forte  de  plu- 
sieurs milliers  d'hommes  et  campée  dans  la  basse 
Mésopotamie,  se  soulève  contre  le  Khalife,  sous  le 
prétexte  de  réformer  l'Islam,  et  V\li,  désespérant  d'en 
venir  à  bout  par  d'autres  moyens,  les  massacre 
presque  jusqu'au  dernier.  Il  en  épargne  cependant, 
car  en  65  H.  ils  se  révoltent  encore  dans  l'Iraq  contre 
le  gouverneur  de  ^Abd  Allah  ibn  ez-Zobaïr,  et  Mo- 
hallab  ibn  Abi  S'ofrah  el  Azdi  en  tue  4,800  dans  le 
Khorassan. 

Après  la  mort  de  'Oqbah ,  en  Afrique,  H'anach  es'- 
S'anâni,  suivant  quelques  traditionnistes^,  enlève  à 
Zohaïr  el  Balaoui  le  commandement  de  l'armée  et 
l'oblige  à  battre  en  retraite. 

'   Ibn  al  Al'ir.  Kamil,  [V,  p.  ''117. 
^  Foumeî,  [,  180. 


196  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

Nous  retrouverons  bientôt  des  faits  pareils  à 
foison  ;  c  est  partout  et  toujours  la  tnénie  chose  :  la 
détente  nerveuse  pousse  l'homme  dans  un  sens;  il 
ny  sait  pas  résister  et  marche  droit  devant  lui, 
tranche,  abat,  détruit  sans  souci  de  lautorité  qu'il 
méconnaît,  qui!  jalouse,  et  que,  du  reste,  il  ne  ren- 
verse que  pour  la  rétablir  à  son  profit.  C'est  qu'il  a 
aussi  un  remarquable  esprit  égalitaire ,  qui  fait  de  lui 
le  frère  de  quiconque  et  l'émule  des  plus  puissants. 

En  Tan  20  H.,  *Amr  parlementa  avec  Moqaouqas, 
gouverneur  de  l'Egypte ,  lui  envoya  dix  Arabes  et , 
parmi  eux,  ^Ibadah  ibn  es'-S'amet,  qui  était  noir. 
Moqaouqas  refusa  de  lui  parler.  Ils  dirent  tous  : 
«  Cet  homme  noir  est  le  plus  avisé  et  le  plus  sage 
d'entre  nous.  C'est  lui  qui  nous  conseille  et  nous 
conduit;  nous  suivons  toujours  ses  avis  et  notre 
émir  nous  enjoint  d'obéir  à  ses  ordres  et  de  ne  point 
contrecarrer  ses  opinions  ni  ses  dires.  —  Comment , 
dit  Moqaouqas,  admettez-vous  que  ce  noir  soit  votre 
supérieur  ?  Il  devrait  vous  être  soumis.  —  Bien  au 
contraire,  répondirent-ils  ;  il  a  beau  être  noir,  comme 
tu  le  vois,  il  est  notre  supérieur  par  le  grade,  par 
le  rang,  par  l'intelligence  et  parle  conseil;  car, 
chez  nous ,  les  noirs  ne  sont  pas  méprisés  ^  »  En  efiFet , 
ils  n'atlachent  aucune  importance  à  la  différence  de 
race  et  de  teinte;  la  profession  de  foi  musidmane 
met  tous  les  hommes  qui  l'ont  faite  sur  le  même 
pied.  Mais  ces  égaux  ont  \m  même  désir  d'indépen- 

^  Abou'l  Mabasin,  p.  i3. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  197 

dance  et  un  dédain  suprême  pour  Tautorité  qui,  si 
elle  ne  sait  pas  se  faire  craindre,  se  condamne  à 
périr.  Soldats  et  officiers  sont  également  insubor- 
donnés; les  officiers  entraînent  leurs  hommes;  les 
soldats  poussent  les  officiers  à  la  rébellion  ou  pren- 
nent lun  deux,  plus  intelligent  et  plus  audacieux 
que  le  reste  de  la  troupe,  pour  les  conduire  à  Tas- 
saut  du  pouvoir.  L  armée  est  la  vraie  force  d  une 
autorité  implantée  par  hasard  en  pays  étranger,  sur 
des  populations  pacifiques,  indifférentes  ou  hostiles. 
Si  1  aimée  désobéit,  fautorilé  s  effondre.  L'armée,  à 
Tépoque  qui  nous  occupe,  c'est  toute  la  nation 
arabe,  car  la  nation  ne  vit  que  par  la  guerre  et  pour 
la  guerre.  Le  chef  du  gouvernement  est  un  général  ; 
il  a  la  toute-puissance  du  commandement  militaire, 
la  décision  du  chef  de  bande  qui  mène  lexpédition 
pour  le  bien  de  ses  hommes  et  pour  son  propre  bé- 
néfice. Tant  que  les  intérêts  des  soldats  et  du  chef 
sont  les  mêmes ,  l'accord  subsiste  et  permet  de  faire 
de  grandes  choses;  si  les  intérêts  viennent  è  diffé- 
rer, et  cela  arrive  fatalement  le  jour  où,  la  conquête 
finie,  le  général  s'érige  en  souverain  ou  au  moins 
en  gouverneur,  et  administre  au  heu  de  combattre , 
les  soldats,  encore  enfiévrés  par  la  bataille,  mal 
assis  sur  une  conquête  qu'ils  dédaignent  déjà,  im- 
patients d'en  faire  d'autres  ou  aigris  par  quelque 
récent  échec ,  s'en  prennent  à  leur  chef  de  l'inaction 
qui  leur  pèse  ou  de  la  défaite  qui  les  humilie  ;  ils 
cherchent  un  autre  homme  qui  les  mène  ailleurs  ou 
satisfasse  à  leurs  désirs  :  c'est  la  révolte.  Le  nouveau 


198  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

chef,  porté  au  pouvoir  par  les  troupes ,  est  feur  in- 
strument plutôt  que  leur  guide  ;  au  premier  faux  pas , 
au  premier  revers,  il  est  déposé  à  son  tour  et  rem- 
placé par  un  autre  :  voilà  toute  f  histoire  arabe ,  per- 
pétuel recommencement  de  faits  que  rien  n  a  pré- 
parés et  qui  n'ont  pas  de  lendemain.  La  révolte  mi- 
litaire n'a  pas  d'idée ,  elle  ne  vise  qu'à  l'acquisition 
d'un  pouvoir  qui  sera  ce  qu'était  l'ancien  ;  elle  ne 
songe  ni  à  transformer  ni  à  réformer,  mais  seule- 
ment à  jouir,  et  considère  le  gouvernement  comme 
une  proie,  non  comme  une  charge.  C'est  le  pronan- 
ciamientOy  sans  l'appui  ni  l'aveu  des  populations, 
qui  restent  impassibles ,  car  tout  se  passe  au-dessus 
d'elles;  elles  ne  souffrent  ni  ne  profitent  des  chan- 
gements d'un  pouvoir  qui  reste  toujours  à  leur  égard 
naïvement  autoritaire  dans  la  forme,  et,  dans  le 
fond,  indolemment  paternel. 

Mohammed,  en  mourant,  n'avait  pas  désigné 
l'homme  qui  devait ,  après  lui ,  prendre  le  comman- 
dement des  Arabes.  Il  ne  pouvait  être  question  de 
lui  donner  un  successeur  dans  des  fonctions  pro- 
phétiques qui  avaient  été  pour  lui  un  don  spécial 
de  Dieu,  que  Celui-ci  ne  devait  pas  renouveler; 
Mohammed  était  le  sceau  des  prophètes.  Mais  il  fallait 
trouver  un  homme  qui  exerçât  n  sa  place  l'autorité 
temporelle  et  présidât  à  l'exercice  du  culte.  Les 
grands  chefs  avaient,  dès  cette  époque,  l'habitude, 
qu'ils  ont  toujours  conservée,  de  choisir,  parmi  leurs 
officiers  les  plus  dévoués  et  les  plus  renommés,  et 
souvent  même .  dans  leur  propre  famille ,  un  lieute- 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  199 

nant  qui  pût  les  remplacer  en  cas  d'absence  et  les 
aider  dans  Texpédition  des  affaires  ou  la  conduite 
des  opérations  militaires  ;  cet  officier,  soldat  éprouvé 
et  administrateur  habile,  mais  toujours  subordonné, 
s'appelle  aujoui'd'hui  encore  le  Khalifah,  On  ne  vou- 
lut pas,  même  dans  Tordre  temporel,  donner  à  Mo- 
hammed un  successeur  qui  eût  été  un  égal  ;  on  lui 
chercha  un  Khalifah.  Le  choix  fut  difficile  et  peu 
s'en  fallut  qu'une  scission  irrémédiable  ne  rompît, 
dès  fabord,  l'unité  du  peuple  arabe.  L'accord  se  fit 
cependant  sur  le  choix  d'Abou  Bekr  qui ,  plus  avisé 
que  le  Prophète,  eut  soin,  quand.il  sentit  sa  fin 
prochaine,  de  désigner  clairement  'Omar  comme 
son  successeur,  en  le  chargeant  de  faire  la  prière 
•  solennelle  dans  la  mosquée  durant  sa  maladie. 

*Omar,  en  mourant,  confia  à  six  des  plus  célèbres 
et  des  plus  anciens  compagnons  de  Mohammed  le 
soin  de  lui  choisir  un  successeur.  Ce  furent  *Ali, 
'Abd  er-Rah'mân  ibn  *Aouf ,  Talhah  ibn  *Abd  Allah , 
Zobaïr  ibn  *Aouam ,  ^Otsmân  ibn  V\ffân  et  Sa^d  ibn 
Abi  Ouaqqâs'.  Il  avait,  en  outre,  stipulé  que ,  si  au  bout 
de  trois  jours  les  électeurs  n'étaient  pas  tombés  d'ac- 
cord ,  on  devrait  préférer  le  candidat  de  *Abd  er-Rah'- 
mân.  Bien  lui  en  prit ,  car  les  notables  étaient  à  peine 
réunis  que  chacun  d'eux ,  par  un  singulier  oubli  des 
devoirs  qui  lui  incombaient,  fit  valoir  ses  propres 
mérites  et  posa  sa  candidature  au  Khalifat.  La  situa- 
tion n'avait  pas  d'autre  issue  que  celle  qu'avait  pré- 
vue *Omar  et,  au  bout  de  trois  jours,  *Abd  er-Rah'- 
niàn  fit  proclamer  *Otsmân. 


200  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

La  mort  violente  de  celui-ci  ne  lui  permit  pas  de 
prendre,  comme  ses  prédécesseurs,  des  mesures 
pour  la  nomination  de  son  remplaçant.  Les  chefs, 
assemblés  à  Médine,  tombèrent  bientôt  d'accord 
pour  porter  à  la  magistrature  suprême  le  gendre  du 
prophète ,  *Ali  ;  mais  le  nouveau  Khalife  trouva  bien- 
tôt un  compétiteur  dans  le  gouverneur  de  la  Syrie, 
Mo^aouïah  ibn  Abi  Sofiân,  qui,  finalement,  rem- 
porta, et  qui,  après  un  règne  long  et  glorieux,  laissa 
le  pouvoir  à  son  fils;  il  fondait  ainsi  une  dynastie 
et  faisait  du  Rhalifat,  jadis  électif,  un  titre  héré- 
ditaire qui  resta  dans  sa  famille  durant  quatre-vingt- 
dix  ans. 

En  somme,  les  règles  de  dévolution  du  pouvoir 
n'avaient  pas  été  fixées  d'une  façon  satisfaisante  ;  le 
système  électif  fut  le  résultat  de  circonstances  etiion 
l'application  d'une  coutume  dès  longtemps  admise, 
et  la  pente  naturelle  de  l'esprit  arabe  ramena  le 
peuple  au  régime  héréditaire  qu'on  eût  vu  rétabli 
même  sans  la  révolte  de  Mo^aouïah,  car  une  partie 
de  la  nation  considéra  longtemps  et  toute  une  bran- 
che de  l'Islam  considère  encore  aujourd'hui  le  fds 
aîné  de\\li,  el  H'asân,  puis  son  second  fds  el  H'osaïn 
et  la  descendance  de  ce  dernier,  comme  les  légitimes 
héritiers  du  pouvoir  suprême. 

Les  Khalifes  étaient  les  suppléants  de  Mohammed. 
A  ce  titre ,  ils  devaient  veiller  à  l'observation  de  la 
loi  que  Dieu  avait  révélée  à  leur  prédécesseur,  loi  à 
la  fois  religieuse  et  séculière ,  qui  les  faisait  monter 
dans  la  chaire  pour  dire  la  prière  au  peuple  et  diri- 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  201 

ger  les  armées  lancées  sur  les  frontières  des  in- 
fidèles. C'étaient  là  leurs  doux  principales  attribu- 
tions. Les  trois  premiers  Khalifes  ne  quittèrent  pas 
les  lieux  quavait  illuminés  la  présence  de  Moham- 
med; ils  séjournèrent  à  Médine  ou  à  la  Mekke, 
peut-être  dans  lespoir  de  conserver  plus  pure  la 
tradition  religieuse  et  de  maintenir  plus  absolue 
lautorilé  séculière  que  leur  avait  transmises  le  Pro- 
phète, en  demeurant  où  lui-même  avait  prêché  et 
agi.  Ils  ne  prirent  même  pas,  comme  il  l'avait  fait, 
la  direction  des  expéditions  militaires,  et  se  conten- 
tèrent d  en  confier  le  commandement  à  des  officiers 
éprouvés. 

Ce  fut  la  ruine  du  régime  électif  qui,  du  reste, 
ne  fonctionna  que  pour  les  deux  derniers  des  «  Kha- 
lifes parfaits  ».  Le  choix  du  chef  mourant  ou  le  suf- 
frage des  notables  se  portèrent  sur  de  vieux  compa- 
gnons du  Prophète ,  qui  avaient  suivi  pas  à  pas  sa 
prédication  et  en  avaient  pleinement  saisi  le  sens. 
Quand  ils  montèrent  dans  la  chaire,  Abou  Bekr  et 
*Oraar  étaient  des  hommes  dage  mûr,  ^Otsmân  et 
*Ali  étaient  des  vieillards.  Tous  les  quatre,  Arabes 
d'Arabie ,  n  étaient  pas  sortis  de  leur  pays  et  n'en 
sortirent  guère  durant  leur  règne.  Abou  Bekr  et 
*Otsmàn  y  restèrent  toujours  ;  *Omar  n'alla  qu'à  Jé- 
rusalem, et  *Ali  ne  se  rendit  en  Mésopotamie  que 
pour  combattre  la  révolte  de  Mo^aouïah.  Le  souci 
d'interpréter  sagement  la  loi  de  Mohammed  et  de 
l'appliquer  avec  justice,  de  pratiquer  rigoureuse- 
ment son    culte  et  de  maintenir  l'orthodoxie,  les 


202  SEPTEMBRE  OCTOBRE  1899. 

préoccupait  avant  tout.  Ce  furent  des  pontifes  plus 
que  des  chefs  d'Etat. 

Ils  répugnaient  à  l'étiquette  des  cours  et  aux  ti- 
tres pompeux.  *Omar,  le  premier,  prit  le  titre  d'Emir 
el  Moumenin ,  «  Commandeur  des  Croyants  » ,  à  l'in- 
stigation d'elMoghaïrah  ibn  Chol)ah,  disent  les  uns, 
de  *Amr  ibn  el  *Asi,  disent  les  autres,  deux  chefs 
qui  avaient  combattu  les  Grecs  et  appris  d'eux  le 
formalisme  byzantin.  Mais  nous  avons  vu  déjà  en 
quel  simple  appareil  le  même  Khalife  se  rendit  à 
Jérusalem.  «  Une  nuit  que^Abd  er-Rah'màn  ibn^Aouf 
était  occupé  chez  lui  à  faire  ses  prières,  il  fut  tout 
étonné  de  voir  arriver  le  Khalife  et  lui  demanda 
quelle  pouvait  être  la  cause  qui  le  faisait  sortir  à 
une  heure  si  avancée.  —  J'ai  su,  répondit  *Omar,  que 
des  étrangers,  arrivés  tard  dans  la  ville,  reposent 
dans  les  alentours  du  marché ,  et  j'ai  craint  qu'ils  ne 
fussent  victimes  de  quelque  vol  ;  viens  m'aider  à 
veiller  sur  eux.  Tous  deux,  en  effet,  s  entretenant 
ensemble,  et  assis  dans  un  coin  de  la  place  publi- 
que, assurèrent  par  leur  vigilance,  pendant  toute  la 
nuit,  le  repos  des  voyageurs  ^»  Abou  Bekr  avait 
donné  tout  son  bien  aux  pauvres.  Il  prélevait,  pour 
vivre,  trois  dirhems  par  jour  sur  le  trésor  public  et, 
avec  cette  faible  somme,  s'entretenait,  lui  et  sa  fa- 
mille, et  trouvait  encore  le  moyen  de  faire  l'aumône. 
A  sa  mort,  il  ne  laissa  que  l'habit  qu'il  portait,  un 


^  Abou'l    Feda,    Ann.    Moslem.  p.   250-202;   cp.    Desvergers, 
p.  2^7. 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  203 

chameau  et  un  esclave.  «  Quant  à  l'apparence  des 
premiers  Khalifes ,  dit  Ibn  et'-T'iqt'aqah ,  ils  menaient 
une  vie  rude,  mangeaient  frugalement  et  s'habil- 
laient pauvrement.  On  vit  l'un  d'eux  aller  à  pied 
dans  les  marchés,  vêtu  d'une  chemise  usée  et  re- 
troussée jusqu'à  mi -jambe  ^  »  «  Le  prince  des 
croyants,  *Ali,  tirait  de  ses  terres  un  revenu  considé- 
rable, mais  il  le  partageait  entre  les  pauvres  et  les 
déshérités  et  se  contentait,  pour  lui  et  les  siens,  de 
vêtements  de  toile  grossière  et  de  pains  d'orge'-.  » 
Après  la  bataille  du  Chameau,  il  partagea  le  trésor 
de  Basrah  entre  ses  soldats.  Chacun  d'eux  eut  cinq 
cents  dirhems  et  lui-même  n'eut  pas  une  part  plus 
forte;  il  la  donna  du  reste  à  un  homme  arrivé  en 
retard  ^.  Il  dédaigna  toujours  la  richesse.  «  Monnaie 
jaune,  monnaie  blanche,  était-il  accoutumé  de  dire, 
allez  séduire  d'autres  que  moi^.  » 

Mais,  pendant  que  ces  hommes  de  bien  édifiaient, 
par  leurs  vertus,  le  peuple  des  villes  saintes,  les  gé- 
néraux et  les  armées  arabes  gagnaient  au  large  et 
perdaient  peu  à  peu  le  contact  avec  eux;  les  géné- 
raux se  laissaient  séduire  par  les  biens  que  méprisait 
^\li,  prenaient  le  goût  et  le  faste  du  pouvoir,  et  de- 
venaient moins  maniables,  de  chefs  de  troupes  tour- 
nant condottieri  et  combattant  volontiers  pour  leur 
compte.  Les  armées  changeaient  aussi  de  caractère  : 

^  Fakhri,  p.  7(). 

■^  Fakhri,  p.  90. 

^  Maçoudi,  l.  IV,  ]).  :')3G. 

*  Ibii  Khalcloim. 

XIV.  1 1\ 


204  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

parties  pleines  d'enthousiasme  religieux ,  elles  arri- 
vaient aux  limites  de  Tempire  fatiguées  de  luttes, 
lourdes  de  butin ,  énervées  par  lappoint  de  soldats 
étrangers  recrutés  au  hasard,  et  que  les  profits  de 
rfslam  attiraient  plus  que  ses  beautés  spirituelles. 
Imaginez  un  pape  qui  ne  fût  pas  un  Jules  II,  lan- 
çant sur  des  États  gagnés  à  la  Réforme  dix  ou  douze 
Castruccio  Castracani,  bons  chrétiens  et  grands 
pillards,  et  vous  n aurez  quune  idée  aifaiblie  de  la 
position  d abord  difficile,  et  bientôt  intenable  des 
Khalifes  de  Médine.  Ils  sentent,  chaque  jour,  dimi- 
nuer leur  ascendant  sur  les  gouverneurs  auxquels 
ils  confient  les  provinces  conquises,  ou  sur  les  gé- 
néraux auxquels  ils  remettent  le  soin  d'en  conquérir 
d'autres,  et,  à  fintérieur,  ils  nont,  pour  tenir  en 
bride  les  passions  instables  et  la  volonté  exaltée  des 
Arabes  restés  chez  eux,  qu'une  autorité  purement 
morale  qui,  elle  aussi,  baisse  à  mrsure  que  s'efface 
dans  un  passé,  cependant  bien  |)roche  encore,  la 
grande  figure  du  Prophète.  —  «  'Omar  avait  reçu 
des  toiles  rayées  du  Yémen  ;  il  les  distribua  entre 
les  Musulmans;  chacun  en  eut,  pour  sa  part,  une 
pièce,  et  'Omar  fut  partagé  comme  les  autres.  Il 
s'en  fit  faire  un  habit,  puis,  revêtu  de  cet  habit ,  il 
monta  en  chaire  et  harangua  les  Musulmans  pour 
les  exhorter  à  faire  la  guerre  aux  infidèles.  Un  homme 
de  l'assemblée,  se  levanl,  l'interrompit  et  lui  dit  : 
«  Nous  ne  t'obéirons  pas.^  —  Poiîrquoi  cela?  lui  de- 
«  manda  'Omar.  —  Parce  que ,  lui  répondit  cet 
homme,  lorsque  tu  as  partagé  entre  les  Musul- 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  205 

n  inans  ces  toiles  du  Yémen,  chacun  en  a  eu  une 
«  pièce  et  tu  en  as  eu  de  même  pour  toi  une  seule 
«  pièce.  Cela  ne  peut  suffire  pour  te  faire  un  habit, 
«  et  cependant  nous  voyons  aujourd'hui  que  tu  en 
«  as  un  habit  complet.  Tu  es  d'une  grande  taille  et, 
«  si  tu  n  avais  pas  pris  pour  toi  une  part  plus  consî- 
«  dérable  que  celle  que  tu  nous  as  donnée,  tu  nau- 
«  rais  pas  pu  en  avoir  une  robe.  »  ^Omar  se  retourna 
vers  son  fils  ^Abd  Allah  et  lui  dit  :  «^Abd  Allah,  rë- 
«  ponds  à  cet  homme.»  ^4bd  Allah,  se  levant,  dit 
alors  :  «  Lorsque  le  prince  des  croyants ,  ^Omar,  a 
«  voulu  se  faire  faire  un  habit  de  sa  pièce  de  toile, 
«elle  s'est  trouvée  insuffisante.  En  conséquence,  je 
«  lui  ai  donné  une  partie  de  la  mienne  pour  complé- 
«ter  son  habit.  —  A  la  bonne  heure,  lui  dit  cet 
«  homme;  à  présent,  nous  t'obéirons^  » 

Une  obéissance  aussi  mesurée  et  soupçonneuse  ne 
sera  pas  de  longue  durée.  *Omar  est  poignardé  par 
un  esclave  persan,  Firouz(24  H.-644);  son  succes- 
seur, *Otsmàn,  est  massacré,  malgré  le  Qorân  qu'il 
serre  sur  sa  poitrine,  par  les  rebelles  de  Tarmée 
d'Egypte,  venus  à  Mëdine  pour  arracher  au  vieux 
Khalife  la  destitution  de  *Abd  Allah  ibn  Sa*d,  leur 
chef  (26  H.-656);  ^Ali  est  à  peine  monté  dans  la 
chaire  du  Prophète  qu'il  lui  faut  lutter,  non  plus 
contre  un  soulèvement  passager,  mais  contre  uil  mou- 
vement militaire,  dès  longtemps  organisé,  qui  suscite 
contre  lui  toutes  les  forces  de  la  Syrie,  et  il  est  loin 

^  Cihrestomathie  arabe  de   Sacy,    t.  II,  p.  58-59;  cp.  besvcr- 
^tît*8,  p.  229. 


206  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

de  regagner  le  terrain  perdu,  quand  le  Kharedjite 
*Abd  er-Rah'mân  ibn  Moldjem  le  tue  dans  la  mos- 
quée de  Koufah  [[\i  H.-661).  Son  fils,  el  H'asan, 
préféra  renoncer  au  titre  de  Khalife,  qui  passa  à  Mo- 
'aouïsth  (4i  H.-661).  Avec  ce  dernier  triomphait  le 
parti  militaire,  le  parti  des  gouverneurs,  des  expa- 
triés ,  qui  bientôt  n'auront  plus  connu  de  l'Arabie  que 
ce  cpi'ils  en  auront  vu  lors  du  pèlerinage,  et  des  vertus 
du  Prophète  que  ce  qu'en  rapporteront  les  tradi- 
tions, mais  qui,  en  revanche,  connaîtront  bien  la 
guerre,  aimeront  les  plaisirs,  la  poésie  et  le  vin, 
les  richesses  et  les  femmes ,  et  surtout  le  pouvoir, 
qui  donne  tout  cela  à  l'audacieux  qui  sait,  s'il  est 
fort,  ourdir  un  complot,  enlever  une  troupe  hési- 
tante, soulever  une  province,  et,  s'il  est  faible,  obéir 
à  propos  et  désobéir  à  point. 

La  vie  de  ces  chefs  est  toujours  la  même.  Pre- 
nons l'un  d'eux,  des  plus  célèbres,  qui  nous  in- 
téresse d'autant  plus  qu'il  prit  part  aux  expéditions 
contre  l'Afrique,  \'\bd  Allah  ibn  ez-Zobaïi*.  Tout 
jeune,  il  part  avec  'Amr  ibn  el  *As',  assiste  à  la  prise 
de  l'Egypte  et,  à  la  tête  d'un  corps  de  troupes,  mène 
une  expédition  heureuse  contre  Sabrah.  *Amr  lui 
donne  un  commandenK  nt  dans  l'armée  levée  eh  27 
pour  envahir  rifriqïah;  il  tue,  de  sa  main,  si  l'on  en 
croit  la  légende,  le  patrice  Grégoire  et,  si  Ton  n'ac- 
cepte pas  cette  tradition  contestable,  se  couvre  au 
moins  de  gloire  en  combat  tan  t  les  Rouui  ;  aussi  l'envoie- 
t-on  à  Médine  annoncer  l'heureuse  issue  de  l'expé- 
dition au  Khalife,  qui  le  fait  monter  dans  la  chaire 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  207 

pour  qu  il  raconte  lui-même  au  peuple  les  incidents 
de  la  campagne.  Dix -huit  ans  plus  tard,  nous  le 
trouvons  encore  en  Afrique,  où  il  bat  le  patrice  Ni- 
céphore  sous  les  murs  de  Sousse;  puis,  revenu  en 
Arabie,  réfugié  à  la  Mekke,  car  il  craint  la  haine 
des  Omïades ,  il  prend  le  titre  de  Khalife  à  la  mort 
de  Yezid  et  reçoit  le  serment  de  fidélité  des  habi- 
tants de  la  ville  sainte,  du  Hidjâz  et  des  provinces 
soumises  ;  il  envoie  des  gouverneurs  en  Egypte,  en 
Iraq,  àKoufah,  à  Basrah,  exerce  effectivement  le 
pouvoir  et  ne  succombe  qu  après  dix  ans  de  lutte 
(63-73  H.). 

Les  chefs  ne  songeaient  pas  tous ,  comme  le  fils 
de  Zobaïr,  au  pouvoir  suprême ,  mais  ils  méditaient 
au  moins  le  refus  d'obéissance  et  la  fondation ,  dans  la 
province  qu'ils  occupaient,  d  un  petitEtat  indépendant 
en  fait,  s'il  restait  en  droit  soumis  à  fautorité  reli- 
gieuse du  Khalife.  Car  ils  ne  pensaient  pas  un  instant 
à  se  soustraire  au  pouvoir  spirituel  de  ce  dernier,  pas 
plus  qu'un  prince  gibelin  ne  songera  plus  tard, 
dans  d'autres  lieux  et  d'autres  circonstances,  à  se 
faire  élire  pape.  Les  pouvoirs  spirituels,  plus  ou 
moins  teintés  d'autorité  temporelle,  offrent  cette 
particularité ,  quels  que  soient  les  temps  et  les  hom- 
mes, de  permettre  à  l'ambition  locale  de  s'étendre, 
sans  rien  perdre,  au  moins  en  apparence,  de  leur 
propre  éclat.  Les  gouverneurs  rebelles  feront  dire  la 
prière  dans  la  mosquée  au  nom  du  Khalife,  et  les 
apparences  seront  sauves.  Pour  le  moment,  ils  ne 
pensent  qu'à  vivre  à  l'aise  dans  leur  domaine,  sans 


208  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

méconnaître  ia  suprématie  des  successeurs  du  Pro- 
phète. 

Ceux-ci,  dans  les  premiers  temps,  eurent  sur  les 
chefs  d'armées  et  sur  les  gouverneurs  ime  grande  au- 
torité. Ils  choisissaient  des  hommes  de  guerre  comme 
Khaled,  'Amr  ibn  el  ^As',  'Abd  Allah  ibn  SaM ,  des 
fds  de  grande»  fajiiille  comme  Mo^aouïah  ibn  Abi 
Sofiân  ;  bientôt,  ils  prirent  aussi  leurs  propres  pa- 
rents et  Ton  vit  ^(Jtsmân  nommer  à  Basrah  son 
cousin  'Abd  Allah  ibn  *Amir  ibn  Koraïz.  Le  même 
Khalife  donna  trop  souvent,  dans  Tattribution  des 
grades,  ia  preuve  dun  favoritisme  sénile  qui  lui 
aliéna  les  cœurs,  détermina  des  révoltes,  comme  à 
Roufah,  et  entraîna  sa  perte.  On  n'est  bien  servi  que 
par  ceux  en  qui  Ion  a  confiance  et ,  aux  yeux  du  prince , 
le  mérite  de  l'homme  consiste  plus  dans  sa  fidélité 
que  dans  des  qualités  qui  lui  portent  d'autant  plus 
d'ombrage  qu'elles  sont  plus  éclatantes.  Cela  était 
vrai  surtout  pour  des  souverains  qui  n'avaient  point 
eux-mêmes  de  pouvoir  effectif,  et  qui  remettaient 
les  armées  aux  soins  de  leurs  lieutenants.  Ils  devin- 
rent vite  jaloux  des  succès  de  ces  derniers  et  les 
destituèrent  au  milieu  de  leurs  triomphes.  Khaled 
reçoit  la  nouvelle  de  son  rappel  et  de  la  nomination 
d'Abou  ^Obaïdah  au  poste  qu'il  occupe ,  au  moment 
où  il  vient  de  conquérir  la  Syrie.  Il  se  soumet  sans 
murmurer  et  dit  à  son  successeur  :  «  J'obéirais  à  un 
enfant,  si  le  Khalife  lui  avait  donné  le  commande- 
ment de  l'armée,  et  à  vous,  Abou  *Obaïdah,  je  vous 
dois  obéissance  et  respect ,  car  vous  m'avez  précédé 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARARKS.  200 

dans  votre  conversion  à  Tlslamisme.  »  De  si  beaux: 
exemples  de  soumission  sont  rares,  et  le  même^Omar, 
qui  faisait  si  brutalement  rentrer  dans  le  rang  Yépée 
de  VIslam,  dut,  à  la  même  époque,  envoyer  Moham- 
med ibn  Maslamah  el  Ans'âri  pour  requérir,  des  gou- 
verneurs de  provinces  et  surtout  de  ^Amr  ibn  el^As', 
les  sommes  qu'ils  avaient  perçues  et  qu'ils  mettaient 
peu  d'empressement  à  transmettre  au  Commandeur 
des  Croyants. 

^Amr  nous  représente  à  merveille  le  type  du  gou- 
verneur seconde  manière,  enflé  par  ses  succès  mi- 
litaires, convaincu  de  son  importance  d'homme 
nécessaire,  sûr  d'une  troupe  qui  le  connaît  mieux 
quelle  ne  connaît  le  chef  suprême  de  la  nation, 
confiant  dans  les  ressources  dont  il  dispose ,  con- 
scient du  rôle  qu'il  peut  jouer.  Il  conquiert  l'Egypte , 
en  est  nommé  gouverneur;  destitué,  puis  rétabli  «  il 
exerce  longtemps  le  commandement  et  le  pouvoir, 
de  militaire  devient  homme  d'Etat,  apprend,  au 
contact  des  Grecs ,  l'art  du  gouvernement  et  les  ruses 
de  la  diplomatie.  Peu  à  peu,  sa  foi,  qui,  vraisem- 
blablement n'avait  jamais  été  des  plus  vives ,  s'affaiblit 
encore ,  et  son  ambition  augmente  ;  en  fiéquentant  les 
hommes,  il  apprend  à  les  juger  à  leur  valeur  et  à  ne 
les  apprécier  qu'à  leur  puissance.  Son  parti  est  pris 
quand  ^Ali  monte  sur  le  trône  ;  il  soutient  contre  le 
Khalife  le  rebelle  Mo^aouïah.  On  peut  suivre,  durant 
les  quinze  ans  qui  s'écoulent  entre  la  conquête  de 
l'Egypte  et  l'avènement  de*Ali,  les  transformations 
insensibles  qui  font  du  général  musulman  un  intri- 


210  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

gant  et  un  révolté.  Nous  savons  combien  les  impres- 
sions sont  fugitives  chez  ces  gens-là.  Chaque  année 
passée  loin  des  villes  saintes  affaiblit  le  souvenir  de 
la  prédication  du  Prophète  et  l'homme,  parti  servi- 
teur fidèle,  enflammé  de  passions  religieuses,  dé- 
daigneux des  biens  de  ce  monde,  nous  revient  hau- 
tain et  cassant,  fier  de  sa  puissance  toute  neuve  et 
impatient  de  Tautorité  khalifienne. 

Les  Khalifes  savaient  tout  cela  ;  ils  voyaient  croî- 
tre le  danger  et,  pour  le  conjurer,  n avaient  quun 
moyen  :  «changer  souvent  les  gouverneurs.  *Ali,  en 
montant  au  trône ,  en  nomma  partout  de  nouveaux  et 
changea  encore  ses  agents  par  la  suite.  Dès  Tan  38  H. , 
il  destitua  Qaïs  ibn  Sa*d  ibn  Ibadah  el  Ans'âri, 
gouverneur  de  l'Egypte ,  et  le  remplaça  par  el  Achtar 
en-Nakhaï.  Ce  dernier  finit  fort  mal.  Mo^aouïah,  le 
prétendant  au  Khalifat,  le  fit  empoisonner  peu  après, 
lors  de  son  passage  à  Qolzoum.  C'est  le  grand  moyen 
auquel  on  recourt ,  faute  d'autre  et  souvent  de  pré- 
férence à  tout  autre ,  parce  qu'il  est  expéditif  et  ne 
coûte  que  l'effort  d'une  ruse  bien  ourdie. 

Destitués,  empoisonnés  ou  massacrés,  les  gou- 
verneurs se  succèdent  avec  une  incroyable  rapidité. 
Voyons,  par  exemple,  ce  qui  se  passe  à  Basrah.  Vers 
fan  i6  H.,  nous  y  trouvons  un  Arabe,  Choraïb  ibn 
*Amir,  de  la  tribu  de  Sa*d  ibn  Bekr,  qui  gouverne 
le  pays  et  est  tué  par  les  Persans.  Sa*d  ibn  Abi 
Ouaqqàs',  après  s'être  emparé  de  Djaloula ,  de  Tahert 
et  des  autres  châteaux  forts  de  la  région,  envoie, 
par  ordre  du  Khalife,  *Oqbah  ibn  Ghazouân,  avec 


LES  PREMIERES  LNVASIONS  ARABES.  211 

ordre  de  fonder  un  Qaîrouân  ^  ;  Tannée  suivante 
(16),  le  gouverneur  s'appelle  el  Moghaïrah  ibn 
Cho^bah;  en  1-7,  c'est  Abou  Mousâ  al  AchWi;  en 
28  ou  29,  *Abd  Allah  ibn  ^Amiribn  Koraïz;  en  36, 
*Ali  nomme  *Otsmân  ibn  Honaïf ,  puis ,  dans  la  même 
année,  *Abd  Allah  ibn  ^Abbâs.  Mo^aouïah  lui  donne 
pour  successeur  Zïâd,  puis  Samorali  ibn  Djondob, 
puis  *Obaïd  Allah  ibn  Zïâd ,  et  je  ne  prétends  pas 
que  la  liste  soit  complète. 

Il  semble  qu'une  pareille  instabilité  de  l'autorité 
locale  dût  sérieusement  compromettre  l'œuvre  de 
la  conquête  et  de  l'assimilation.  Il  n'en  est  rien  :  la 
conquête  avançait  dans  tous  les  sens  avec  une  étrange 
facilité,  et  l'assimilation  s'opérait  d'elle-même.  Voilà 
qui  pourrait  nous  prouver,  si  nous  n'en  étions  déjà 
intimement  convaincus,  que  l'action  délibérée  des 
hommes  n'est  pas  tout  en  histoire  et  qu'il  faut  faire 
à  côté  d'elle  une  large  place  à  la  fatalité,  ou  au 
hasard,  ou  à  la  Providence,  trois  mots  qui,  bien 
souvent,  désignent  une  même  chose.  Belle  matière 
à  réflexion  pour  le  philosophe  que  le  spectacle  du 
Byzantin  qui  s'ingénie,  organise,  calcule,  combine, 
met  un  esprit  inventif,  volontaire  et  patient  au  ser- 
vice d'une  politique  méthodique  et  savante,  et  n'ar- 
rive à  rien,  et  celui  de  l'Arabe  qui,  sans  préparation , 
sans  plan  préconçu,  sans  idée  et  sans  ingéniosité, 
édifie  un  empire  qui  durera  longtemps  et  fonde  une 
société  qui,  aujourd'hui,  vit  encore. 

^  Tabari,  ch.  xxxv,  l.  111,  p.  i3. 


212  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

Les  gouverneurs  arabes,  quelque  fugitive  que  fût 
leur  autorité  et  quelque  précaire  que  fût  leur  pou- 
voir, travaillaient  tous  dans  le  même  sens  et  toujours 
dans  le  sens  de  l'histoire  ;  aussi  bien  leurs  attribur 
tions  étaient-elles  simples  et  leur  personnalité  jouait- 
elle  un  rôle  assez  mince  dans  l'action  générale.  Ils 
n'avaient  qu'à  faire  la  guerre,  lever  l'impôt  et  ren- 
dre la  justice  en  matière  pénale.  Nous  savons  com- 
ment ils  menaient  les  opérations  militaires.  Dans 
les  premiers  temps,  ils  ne  les  engageaient  jamais 
sans  l'autorisation  du  Khalife,  et  nous  les  voyons 
très  souvent  discuter  avec  lui  l'opportunité  d'une 
expédition  qu'il  contestait  souvent.  Plus  tard ,  quand 
ils  furent  dans  des  régions  éloignées,  ils  mar- 
chèrent d'eux-mêmes,  sans  autorisation.  Le  soir 
même  de  la  bataille,  le  guerrier  cédait  chez  eux 
la  place  au  traitant,  l'esprit  positif  du  sémite  re- 
prenait le  dessus  et  la  journée,  commencée  par 
le  combat,  finissait  dans  des  comptes  de  caisse.  Le 
contraste  est  grand,  dans  ces  expéditions,  entre 
le  décousu  de  la  tactique  et  la  régularité  des  opéra- 
tions financières.  11  faut  d'abord  rassembler  le  butin, 
en  mettre  de  côté  la  cinquième  partie ,  destinée  au 
trésor  public ,  et  partager  le  reste  entre  les  combat- 
tants ,  à  raison  d'une  part  pour  le  fantassin  et  de  trois 
pour  le  cavalier.  C'est  le  chef  qui  préside  au  partage; 
des  hommes  versés  dans  la  loi  l'assistent  pour  tran- 
cher les  différends  possibles.  Il  faut,  après  cela,  faire 
payer  le  tribut  aux  vaincus  qui  ne  se  font  pas  musul- 
mans. Seuls,  les  chrétiens  et  les  juifs  conservaient 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  213 

la  faculté  de  pratiquer  leur  culte.  On  tuait  les  ido- 
lâtres qui  refusaient  d'embrasser  Tlslam^  Les  infi- 
dèles étaient  soumis  au  payement  d'un  impôt  spécial , 
pour  marquer  leur  état  de  sujétion.  «  Les  infidèles 
ne  sont  soumis  au  tribut,  a  dit  le  Khalife  *Ali,  que 
pour  mettre  au  même  niveau  leur  sang  avec  notre 
sang,  leurs  biens  avec  nos  biens.  »  C'était  la  capita- 
tion  (djiziah),  qui  difierait  suivant  que  le  pays  était 
devenu  terre  d'Islam  après  un  traité  ou  par  la  reddi- 
tion sans  conditions.  Les  indigènes  avaient-ils  obtenu 
une  capitulation ,  l'acte  fixait  le  montant  de  Timpôt 
exigible ,  qui  devenait  taxe  de  répartition  ;  avaient-ils 
été  soumis  par  la  force,  le  tribut  était  une  taxe  de 
quotité  dont  le  maximum  était  de  ko  dirhems.  La 
loi  exemptait  les  vieillards,  les  femmes  et  les  en- 
fants ^. 

Le  sujet  doit,  en  outre,  payer  le  Kharadj,  pour  la 
terre  dont  on  lui  laisse  la  jouissance.  Comme  la  ca- 
pitation ,  le  Kharadj  est,  suivant  qu'il  y  a  eu  ou  non 
capitulation ,  de  répartition  ou  de  quotité.  Le  taux 
maximum  en  est  fixé  à  5o  p.  o/o  des  produits,  mais, 
à  défaut  de  stipulation ,  le  chef  militaire  en  déter- 
mine le  montant. 

*  N.  Desvergers,  p.  îîi8. 

^  La  capitation  est  un  impôt  personnel.  Sa  dénomination  vient 
du  mot  djeza ,  récompense ,  attendu  que  cet  impôt  est  payé  par  les 
infidèles  en  récompense  de  la  sûreté  et  de  la  protection  que  les 
musulmans  leur  promettent  et  leur  accordent.  Elle  est  établie 
d'après  le  texte  du  Koran ,  qui  dit  :  «  Opprimez-les  jusqu'à  ce  qu'ils 
payent  la  capitation  et  qu'ils  soient  humiliés.»  (ix,  v.  3o.) 

(Abou'l  H'asàn  'Ali  ibn  Moh'ammed  ibn  H'aleb  Mawardi,  cp. 
N.  Desvergers,  p.  4o'i.) 


214  SEPTEMBRE. OCTOBRE  1899. 

Le  revenu  va  au  trésor  public,  c est-à-dire  au 
Khalife ,  qui  en  a  la  gestion  ;  le  gouverneur  en  est 
comptable  et  une  administration  qui ,  sous  les  Abbas- 
sides,  sera  très  puissante,  surveille  les  rentrées.  A 
lavènement  d'el  Mamoun,  Barqah  payait  de  la 
sorte  1  million  de  dirhems  par  an  et  TAfrique  versait 
1 3  millions  de  dirhems  et  1 2  o  pièces  de  drap  de 
laine.  Les  musulmans  aussi  payent  des  taxes  :  la 
dîme  pour  les  terres  qu  ils  occupent  et  Timpôt  dit 
Zekkat,  le  seul  qu'ait  prévu  le  Kôran  (Lvm,  i4)  et 
qui  frappe  tous  les  autres  biens. 

C  est  encore  le  gouverneur  qui  procède  à  la  per- 
ception et  à  lattribution  du  produit  de  cette  taxe,  à 
raison  de  deux  neuvièmes  distribués  aux  indigents, 
un  neuvième  aux  gens  dans  la  gêne,  un  neuvième 
aux  infidèles  employés  à  l'espionnage,  un  neuvième 
affecté  au  rachat  des  esclaves  infirmes ,  un  neuvième 
aux  débiteurs  honnêtes  dans  Tembarras ,  un  neuvième 
pour  la  guerre  sainte ,  un  neuvième  pour  le  rapatrie- 
ment des  étrangers,  un  neuvième  aux  collecteurs  ^ 

En  somme ,  musulmans  et  dzimmi ,  tous  payent 
plus  ou  moins,  les  mis  par  observance  religieuse, 
les  autres  par  ordre  du  vainqueur  ou  en  exécution 
d'un  traité.  Dès  le  premier  jour,  les  registres  du 
diwân  s'ouvrent  et  les  dinars  prennent  le  chemin  de 
la  capitale;  c'est  la  mise  en  coupe  réglée  qui  ne  se 
farde  pas  du  prétexte  d'un  intérêt  public  à  assurer . 
ou  d'une  amélioration  à  effectuer,  mais  tire  de  la 

*  Voyt'/.  Hondas,  arlirlr  Impôts  arabes^  dans  la  Grande  Encyclo' 
pctlie. 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  215 

province  la  taxe,  comme  le  propriétaire  touche  le 
revenu  de  sa  terre,  et,  là-bas,  le  propriétaire  est  exi- 
geant et  la  terre  vite  épuisée.  Le  pouvoir  central  est 
très  loin,  connaît  mal  les  provinces,  leurs  ressources 
et  leurs  misères;  il  compte  sur  Timpôt  comme  sur 
une  rente  certaine,  il  le  lui  faut  à  jour  fixe;  pour  le 
satisfaire  et  pour  son  propre  compte,  le  gouverneur 
réclame  le  double,  pressure  et  prévarique;  les  col- 
lecteurs en  font  autant,  et,  pour  chaque  pièce  d*or 
entrée  dans  le  trésor,  trois  ou  quatre  autres  restent  aux 
mains  des  intermédiaires.  La  question  financière  fut 
pour  beaucoup  dans  la  rapide  décadence  de  l'em- 
pire arabe.  Après  avoir  été  une  entreprise  de  con- 
quêtes, assez  mal  dirigée  du  reste,  et  favorisée  sur- 
tout par  la  faillite  des  sociétés  rivales,  il  tourna 
rapidement  à  Tentreprise-  financière,  maison  d(» 
banque  mal  tenue  qui  confiait  le  maniement  de  ses 
fonds  à  des  commis  d'une  improbité  flagrante ,  tirait 
de  ses  succursales,  pour  les  accumuler  au  siège  so- 
cial, tous  les  bénéfices  nets,  et  les  gaspillait  en  ex- 
travagantes folies. 

Les  succursales,  c'est  à-dire  les  provinces,  se  fati- 
guèrent de  payer;  les  commis,  j'entends  les  gouver- 
neurs, profitèrent  du  désaiToi  pour  empocher  les 
bénéfices  et  monter  une  maison  à  leur  compte,  et 
l'empire  s'écroula,  comme  craquent  nos  sociétés 
financières  quand  elles  sont  mal  gérées.  L'âpreté 
au  gain  de  l'Arabe,  son  incurie  administrative,  son 
imprévoyance  dissipatrice  ruinèrent,  en  peu  de 
temps,  l'édifice  de  la  conquête. 


216  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

Les  gouverneurs  étaient  tenus  pour  insubordon- 
nés et  capables  de  se  réyolter  sous  le  moindre 
prétexte  ;  les  Khalifes  Omïades ,  établis  à  Damas  et 
devenus  des  princes  très  temporels ,  les  soupçonnaient 
et  les  destituaient  au  premier  symptôme  d'indé- 
pendance. Le  gouverneur  restait-il  inactif  dans  sa 
capitale ,  les  revenus  baissaient ,  le  Khalife  le  jugeait 
incapable  et  le  rappelait  ;  faisait-il  des  conquêtes  et 
en  envoyait-il  le  produit  à  Damas ,  son  succès  portail 
ombrage  au  prince,  qui  le  rappelait  encore  et,  sou- 
vent, le  punissait  de  ses  victoires  par  le  plus  indigne 
traitement.  Soulaïmàn  fait  battre  de  verges  et  mettre 
au  pilori  Mousà  ibn  Nos'aïr,  le  conquérant  de 
TEspagne,  le  condamne  à  payer  une  amende  de 
100,000  mitskals  d'or  et  lui  montre  la  tête  de  soil 
111s  ^Abd  el  ^Aziz  quon  a  assassiné,  sur  son  ordre,  à 
Séville.  Voilà  le  traitement  réservé  à  ceux  qui  ser- 
vent le  Khalife.  Il  est  peu  fait  pour  encourager  les 
bonnes  volontés  et  raffermir  les  fidélités  vacillantes. 
Si  la  province  est  lointaine  et  surtout  si  le  nerf  du 
gouvernement  central  saflfaiblit,  le  gouverneur  se 
révolte.  En  Chaoual  35,  Mohammed  ibn  Abi  Ho- 
dzaïfah  se  rend  en  Egypte ,  chasse  ^Oqbah  ibn  ^Amir 
el-Djohani  qui  l'administrait,  et  se  déclare  gouver- 
neur de  la  province.  Il  faut  que  deux  générant 
éprouvés,  Mo'aouïah  ibn  Hodaïdj  et,  après  lui, 
Mo^aouîah  ibn  Abi  Sofiân ,  lui  fassent  Une  guerre  en 
règle  pour  le  soumettre.  La  révolte  éclate  bientôt 
au  siège  même  de  Tempire.  En  69,  'Amr  ibn  Sa^id 
ibn  el  ^\s^  gouverneur    de    Damas,   profite  d*an 


LES  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  217 

voyage  de  Whd  el  Melik  dans  llraq  pour  se  faire  pro- 
clamer; 'Abd  el  Melik  revient  et  le  fait  tuer  sous  ses 
yeux.  Enfin ,  peu  après,  des  parents  mêmes  du  prince 
donnent  l'exemple  de  l'indiscipline  :  au  moment  où 
Abou  DjaYar  el  Mans'our,  le  deuxième  Khalife  Ab- 
basside,  est  appelé  au  trône,  son  oncle,  ^Abd  -^ah 
ibn  'Ali,  gouverneur  de  la  Syrie,  lui  dispute  le  pou- 
voir. Gela  finit  forcément  par  la  guerre  el  le  meur- 
tre, et  la  grande  habileté  consiste  à  éviter  la  guerre 
en  tuant  à  propos.  Les  procédés  de  gouvernement 
sont  toujours  simples  et  deviennent  vite  atroces;  le 
meurtre  provoque  la  vengeance,  la  perfidie  appelle 
la  trahison ,  l'histoire  roule  un  fleuve  de  sang  tou- 
jours plus  large,  et  c'est  le  sang  le  plus  pur  de  la 
nation  qui  coule.  Le  meurtre  fi:'appe  rarement 
l'homme  de  rien  qui  vit  dans  son  coin  ;  il  grandit 
rarement  jusqu'au  massacre  organisé  d'une  race  ou 
d'une  population,  mais  il  s'acharne  sur  les  nobles, 
sur  ceux  qui  peuvent  porter  ombrage  au  prince. 

Comment  un  tel  gouvernement  a-t-il  pu  se  main- 
tenir, fractionné,  il  est  vrai,  mais  encore  puissant 
et  actif?  Ses  imperfections  mêmes  le  servirent,  son 
impuissance  et  son  inertie  furent  ses  meilleures  sau- 
vegardes. 11  agit  par  à-coups,  sans  suite,  avec  de 
longs  intervalles  de  repos,  et  cela  satisfit  un  sujet 
plus  jaloux  de  son  indépendance  que  soucieux  d'une 
bonne  administration;  il  exigea  relativement  peu, 
souvent  ne  demanda  rien  du  tout,  et  ne  réclama 
jamais  que  ce  qu'il  pouvait  obtenir;  l'impôt  rentrait 
quand  le  chef  de  l'Etat  était  capable  de  le  lever.  S'il 


218  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

ne  ie  pouvait  pas,  un  gouverneur  le  faisait  à  sa 
place,  la  province  semblait  vivre  d'une  vie  à  part, 
raais,  dans  les  mosquées,  on  disait  toujours  la  prière 
au  nom  du  Khalife,  et  le  principe  de  Tunité  de  l'em- 
pire était  sauf. 

Cette  autorité  tint  surtout  parce  qu'elle  ne  fut 
pas  délibérément  tyrannique  et  qu  elle  respecta  les 
consciences. 

Byzantins  et  Persans  sont  Aryens.  Leur  autorité 
est  tatillonne  et  oppressive,  jalouse  de  ses  préroga- 
tives et  soucieuse  de  les  exercer;  elle  comprime  len- 
tement l'individu,  le  déforme  sous  sa  pression  sans 
cesse  accrue,  le  garrotte  chaque  jour  davantage  et 
en  veut  autant  à  sa  conscience  qu'à  sa  personne; 
la  suprématie  sur  les  corps  ne  lui  suffit  pas,  il  lui 
faut  la  domination  des  âmes,  et,  quand  elle  a  fait  de 
la  personne  une  machine,  elle  ne  se  tient  pour  sa- 
tisfaite qu'en  faisant  de  son  âme  une  esclave  inof- 
fensive, obéissante  et  molle.  En  Orient,  la  personne 
ne  sut  pas  se  défendre  contre  les  entreprises  de 
l'Etiit  et  se  laissa  subjuguer;  les  âmes,  plus  subtiles 
qu'en  d'autres  pays,  en  apparence  plus  débiles, 
mais  au  fond  plus  nerveuses  et  plus  fuyantes,  ne  se 
laissèrent  jamais  soumettre.  Toute  la  vigueur  de  ces 
corps  émaciés  se  réfugia  dans  l'esprit,  citadelle  inex- 
pugnable qu'aucun  souverain  ne  put  démanteler.  A 
vouloir  les  gagner  à  ses  dogmes  ou  à  ses  hérésies, 
l'Etat  perdit  sa  peine  et  se  compromit,  et  quand 
sonna  l'heure  de  défendre  ses  institutions  et  son 
existence ,  les  bras  se  trouvèrent  trop  faibles  et  les 


L£S  PREMIERES  INVASIONS  ARABES.  219 

consciences  trop  hésitantes.  S'il  est  un  reproche  à 
faire  à  notre  race  et  aux  gouvernements  qu'elle  s*est 
donnés  dans  les  différents  pays  quelle  occupe,  c'est 
de  n'avoir  pas  su,  pendant  trop  longtemps,  et  de  ne 
pouvoir  peut-êlrejamais ,  en  certains  coins  du  monde , 
faire  la  part  assez  large  à  rindividti  libre  dans  l'Etat 
agrandi  et  entiché  d'omnipotence.  Les  familles  su- 
périeures de  la  race  n'ont  compris  cette  nécessité  et 
relativement  atteint  ce  but  qu'après  de  longs  détours 
dans  l'histoire ,  de  singulières  fortunes  et  de  pénibles 
efiForts;  les  autres,  faute  delan,  de  confiance  et  de 
volonté ,  n'y  sont  point  parvenues ,  et  l'Etat  qu'elles 
ont  constitué  les  écrase  sous  sa  masse  inerte  que 
gouvernants  et  gouvernés  ne  peuvent  plus  mouvoir. 


IX 


La  Grèce  antique,  Rome,  Byzance,  avaient 
monté  l'humanité  trop  haut.  Par  un  de  ces  longs 
efiForts  soutenus  et  tenaces  que  notre  monde  seul 
sait  fournir,  eDes  avaient  guindé  les  hommes,  qu'ils 
le  voulussent  ou  non,  à  des  sommets  veitigineux, 
où  l'air  raréfié  manquait  à  leurs  poumons;  la  fatigue 
vint,  puis  l'angoisse,  et  le  nombre  grandit  de  ceux 
qui  voulaient  descendre.  Tous  étaient  las,  décon- 
certés, indécis;  ils  sentaient  battre  dans  leurs  poi- 
trines des  cœurs  trop  étroits  et  voyaient  baisser  dans 
leurs  cerveaux  la  flamme  de  l'intelligence.  Ils  répé- 
taient   cependant    les   gestes  de  leurs  pères,    mais 

XIV.  i5 


IXI'KKII  DM      NàrllMtl.t. 


320  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1890. 

comme  des  automates  miment  le  personnage  vivant; 
ils  combattaient  parce  quon  les  attaquait,  enrou* 
laient  de  nouveaux  sophismes  autour  de.  vieilles 
pensées  et  chauffaient  malaisément  leurs  âmes  au 
foyer  d  une  religion  que  trop  de  controverses  étouf- 
faient. Plus  de  ressort  et  pas  de  quoi  en  faire  un.  fls 
se  laissaient  vivre  :  heure  grave  dans  la  vie  d  un 
peuple ,  car  cela  sous-entend  l'abandon ,  le  renonce- 
ment, les  petites  lâchetés  individuelles  accumulées 
en  ime  formidable  paresse,  la  fatigue  de  chaque 
cellule  qui  refuse  le  service,  se  détend,  se  déforme 
et  provoque  la  décomposition  du  corps  entier.  De 
cette  pourriture  du  vaste  organisme  antique  naîtra 
plus  tard,  en  quelques  points,  quelque  chose»  mai» 
rien,  au  moment  où  nous  sommes,  ne  fait  prévoir 
la  renaissance  future,  et,  sans  rémission,  sans  arrêt, 
Timmense  orgueil  romain  s'affaisse. 

KArabe,  alors,  monte  du  désert.  C'est  un  sauvage 
ignorant,  grossier,  brutal,  vindicatif,  cruel,  mais 
c'est  im  caractère.  Il  veut  âprement  ;  il  a  son  but  qui 
est  grandiose  et  taillé  à  la  mesure  de  sôs  moyens,  qui 
sopt  simples  et  puissants.  Le  but  est  de  porter  par- 
tout la  foi  que  Dieu  lui  a  révélée;  les  moyens 
sont  l'attaque  brutale,  l'écrasement  de  tout  ce  qui 
résiste,  la  charge  sur  tous  les  obstacles,  le  dédain 
pour  tout  ce  qui  plie  et  s'incline.  A  ce  jeu,  on  broie 
ou  on  est  broyé.  L'Arabe  l'emporta  et  ne  s*arrât« 
que  devant  des  bastions  naturels  qu'il  ne  put  enlever 
et   lorsqu'il   rencontra,    au   bout  du  monde,   des 


LES  PREMIÈRES  INVASIONS  ARABES.  281 

hommes  d  une  autre  race  qui ,  eux  aussi ,  avaient  une 
volonté  et  des  bras  vigoureux. 

L'empire  grec  résista.  Les  éléments  le  défendaient , 
la  diplomatie  et  la  science  vinrent  à  son  secours; 
mais  il  perdit  ses  plus  belles  provinces,  tout  ce  qui 
n  était  pas  proprement  romain  ni  grec  et  n  avait  pas 
été  aussi  fortement  charpenté  que  la  carcasse  cen- 
trale. Nous  veiTons  bientôt  comment  il  perdit 
TAfricpic. 

L'Arabe  n'avait  ni  plan  concerté,  ni  tactique  sa- 
vante, ni  sagesse,  ni  prudence;  il  dut  les  conquêtes 
quil  fit  à  son  caractère.  J'ai  tenté  d'en  donner  tout 
à  l'heure  une  esquisse.  Elle  est  incomplète,  car  cet 
esprit  est  ondoyant  sous  une  apparente  fixité ,  et  fiigi- 
tive ,  parce  que  ce  caractère ,  sous  un  faux  semblant 
d'unité  et  de  permanence ,  est  profondément  divers 
et  changeant.  J'ai  voulu  le  décrire  tel  qu'il  devait  être 
au  vu"  siècle  de  notre  ère.  Si,  la  tâche  terminée,  nous 
jetons  un  coup  d'oeil  d'ensemble  sur  l'ébauche,  nous 
voyons  un  être  tout  en  nerfs  qui  agit  avant  de  penser, 
rêve  quand  il  n'agit  pas ,  et  oscille  constamment  de 
l'action  immodérée  à  l'atonie  absolue;  une  intelli- 
gence qui  ne  perçoit  que  des  réalités  et  conçoit  à 
merveille  l'irréel,  se  perd  dans  le  détail  des  unes 
et  s'absorbe  dans  la  contemplation  de  l'autre;  un 
esprit  qui  estime  par  livres  et  deniers  tous  les  biens 
de  ce  monde ,  et  oublie  d'évaluer  Dieu.  Imprévu , 
contraste,  disproportion ,  véhémence ,  inconstance, 
tout  nous  choque  en  lui.  Soucieux  de  belle  ordon- 

i5. 


222  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

nance,  épris  de  notre  méthode,  nous  avions  entamé 
cette  étude  dans  Tespoir  qu'elle  nous  mènerait  à 
une  conclusion,  et  voilà  que  nous  n*en  trouvons 
point,  sinon  que  TArabe  est  irréductible  et  fuyant 
et  que  ses  destins  fm^ent  accomplis,  hors  de  sa 
portée,  par  la  foi  qu'il  reçut  de  son  Prophète. 


FIN    DE    LA   PREMIERE   PARTIE. 


SrX  CHANSONS  ARABES  KN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     223 

SIX  CHANSONS  ARABES 

EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN, 

PUBLIÉES,  TRADUITES  ET  ANNOTEES 

PAR 

M.  C.   SONNECK. 

(suite.) 


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224 


SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 


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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     225 


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220 


SEPTEMBREOCTOBRE  1899. 


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SIX  CHANSONS  AKABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     227 


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SE^TEMBRE-OCTOBRR  1899. 


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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     229 


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1 .  Mon  esprit  souffre  des  rigueurs  dont  je  suis 
l'objet,  n  ne  peut  oublier  la  gazelle,  aux  yeux  noirs. 
Le  feu  qu'elle  a  allumé  dans  mon  cœur  brûle  mes 
entrailles  ;  mon  corps  dépérit  et  se  flétrit.  Où  est  ton 
remède ,  ô  tâleb  ? 

4.  Je  ne  trouve  pas  de  médecin  qui  guérisse  de 
lamour,  c'est  en  vain  que  je  cherche.  Celle  qui  cause 
ma  souffrance  est  Fâtema ,  aux  khelkhâl  teintés  d'in- 
digo. Mon  cœur  endure  les  tourments  de  la  passion 
et  mon  mal  se  prolonge.  Où  est  ton  remède ,  ô  tâleb  ? 
Ton  remède  est  perdu ,  seigneur  tàleb  ! 


230  SEPTEMBRK-OCTOBRK  1899. 

7 .  O  tâleb ,  implore  Dieu  pour  moi.  Mais  com- 
ment guérir  le  malade  d'amour  ?  remède  et  science, 
tout  est  perdu  !  Je  me  meurs  sans  trouver  la  force 
de  supporter  mes  épreuves.  C'est  à  toi  que  je  me 
confie,  médecin  qui  dois  rendre  le  repos  à  mon 
cœur,  car  un  tison  brûle  dans  mon  sein.  Si  tu  es 
perspicace  et  habile  étudie  et  rends-toi  compte  des 
symptômes. 

1 1 .  Cherche  pour  moi  dans  ton  livre  et  calcule. 
Si  tu  éteins  ce  brandon  qui  est  en  moi,  ce  que  tu 
stipuleras  sera  obligatoire  et  je  deviendrai,  sans 
qu'il  t'en  coûte  rien,  ton  serviteur  et  ton  esclave;  tu 
me  garderas  ou  tu  me  feras  vendre  à  l'encan.  Où  est 
ton  remède,  ô  tâleb P  Ton  remède  est  perdu,  sei- 
gneur tâleb  ! 

1 5.  Le  tâleb  regarda  et  me  dit  :  «  Courage  !  amou- 
reux, courage!  Tu  as  déjà  goûté  à  la  coupe  de  la 
mort  et  il  ne  te  reste  plus  longtemps  à  vivre.  Mais 
écoute  mon  conseil  :  patiente  ;  la  patience  te  sera  un 
soutien.  Tu  obtiendras  les  bienfaits  de  Celui  qui  seul 
connaît  l'avenir,  et  tes  destinées  s'accompliront 
comme  l'aura  fixé  la  volonté  du  Seigneur.  » 

19.  «Adresse-toi  au  Dieu  généreux,  supplie-le 
instamment;  il  écoute  avec  bienveillance  et  voit  dans 
les  âmes;  il  ne  repousse  point  celui  qui  Timplore;  il 
observe  le  fond  des  cœurs.  Supporte  ses  décisions 
avec  la  même  patience  que  montrent  les  chameaux  : 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     231 

ils  cheminent  par  les  contrées,  espérant  déposer 
enfin  leurs  fardeaux.  »  Où  est  ton  remède,  ô  tâleb? 
Ton  remède  est  perdu ,  seigneur  tâleb  ! 

23.  O  tâleb,  cherche  dans  le  livre  les  lettres  qui 
font  naître  Imclination  et  famitié.  Ecris-les  moi  et 
sois  habile ,  pour  que  Dieu  en  fasse  la  cause  de  mon 
bonheur,  qull  inspire  à  celle  qui  est  semblable  à  la 
gazelle  de  me  pardonner  et  que  tous  mes  chagrins 
se  dissipent.  Mon  supplice  a  trop  duré;  je  suis  las 
d'attendre.  Il  n'est  point  d'aventure  plus  étrange  que 
la  mienne. 

27 .  Mes  soucis  se  prolongent  et  je  me  suis  fatigué 
dans  d'opiniâtres  efforts;  mais  la  peine  que  j'ai  prise 
pour  mériter  cette  belle  a  été  pour  moi  comme 
celle  de  l'homme  qui ,  ayant  entrepris  le  commerce , 
s  en  revient  dépouillé,  sans  bénéfice  ni  capital, 
n'ayant  récolté  que  fatigue  et  lassitude.  Où  est  ton 
remède,  ô  tâleb P  Ton  remède  est  perdu,  seignem' 
lâleb  ! 

31.  Le  tâleb  répondit  :  «  Supporte  ses  rigueurs. 
Ecoute-moi;  je  te  donnerai  de  profitables  conseils. 
Détourne  ton  cœur  de  son  souvenir  et  oublie-la 
comme  elle  t'a  oublié.  Courage  !  Son  abandon  te  fait 
dépérir  et  ton  visage,  ô  amoureux,  a  changé  de  cou- 
leur. Tu  as  pour  elle  délaissé  tes  intérêts  et  sacrifié 
une  partie  de  tes  jours.  » 

35.   «  Suis  mon  avis  et  ne  me  traite  pas  d'impos- 


232  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

teiir.  Ecoute  ce  que  disent  les  sages  en  leurs  pro- 
verbes :  Ce  qui  est  amer  ne  peut  devenir  doux. 
Laisse  là  celui  dont  le  commerce  est  pénible  et  re- 
cherche celui  qui  a  un  caractère  facile.  Supporte 
patiemment  le  tourment  de  ton  amour  jusqu'à  ce 
qu'il  se  dissipe.  »  Où  est  ton  remède,  ô  tMeb?  Ton 
remède  est  perdu ,  seigneur  tâleb  ! 

39.  0  tâleb,  si  tu  es  puissant,  agrée  mon  excuse 
et  viens  en  aide  à  ma  cause.  Ton  discours  n  est  que 
paroles  vaines;  il  fait  empirer  et  augmenter  mon 
mal.  Je  n'oublierai  cette  beauté  accomplie  que 
si  mon  existence  s'évanouit.  Je  l'aime,  la  reine  des 
belles;  elle  est  mon  âme  et  la  limiière  de  mes  yeux. 

43.  Ah!  combien  grandit  mon  amour!  Je  servi- 
rais un  esclave,  j'obéirais  à  un  homme  méprisé. 
Peut-être  ce  qui  est  éloigné  se  rapprochera-t-il  ?  Et 
si  arrive  le  moment,  tu  le  sais,  toi  qui  connais  les 
adages  :  celui  qui  est  bien  portant  périra  et  le  ma- 
lade retrouvera  la  santé.  Où  est  ton  remède ,  ô  tâleb? 
Ton  remède  est  perdu ,  seigneur  tâleb  ! 

47 .  Le  tâleb  repartit  :  «  Tu  t'es  pris  dans  les  rets 
de  Qëys  —  tu  sais  !  —  ;  il  pourchassait  Leyla  et  l'at- 
tendait frémissant  au  rendez-vous.  Toi,  tu  poursuis 
depuis  deux  ans  ta  bien-^aimée  et  elle  ne  veut  se 
laisser  attendrir;  tu  n'as  trouvé  aucun  moyen  de  lui 
parler.  Dieu  veuille ,  toi  et  moi ,  nous  favoriser  !  » 

51.  Dieu  est  généreux;  il  observe.  Si  le  trouble 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  PIALECTE  MAGHRÉBIN.     233 

se  met  dans  mon  esprit,  il  réparera  ce  désordre. 
Mon  sort  est  triste  et  je  m'en  vais  apeuré.  Si  je  di* 
sais  mes  soucis  aux  hautes  montagnes  elles  fondraient 
au  récit  de  mes  souffrances  et  se  changeraient  en 
sable.  Où  est  ton  remède ,  ô  tâleb  ?  Ton  remède  est 
perdu,  seigneur  tâleb? 

55.  O  tàleb,  si  je  contais  ma  peine  à  un  sabre 
de  rinde/  il  fondrait  en  entendant  mes  plaintes.  Mon 
cœur  ne  peut  supporter  mes  chagrins  et  le  feu  dé- 
vore mes  entrailles. 

57.  Mon  discours  est  fini;  j'ai  achevé  mes  vers 
et  je  publie  mon  nom  dans  ma  chanson  :  c'est  Ben 
Sabla.  Je  ne  cache  pas  comment  je  me  nomme  et, 
dans  mon  désespoir,  je  ne  cesse  de  me  lamenter. 

59.  0  vous  qui  avez  goûté  les  tourments  de 
famour,  excusez-moi  et  ne  me  blâmez  pas  dans  cette 
circonstance.  Je  vais  mourir,  vaincu  par  le  mal,  et 
le  médecin  de  mon  cœur  recule  sans  cesse  le  terme 
de  ma  souffrance.  Il  ne  me  guérit  pas  et  ne  tr^incbe 
pas  complètement  le  fd  de  mes  jovu:s?  Où  est  ton 
remède ,  ô  tâleb  ?  Ton  remède  est  perdu ,  seigneur 
tâleb  ! 

^*^  Les  ëtemelles  lamentations  de  f  amant  malheureux  -^ 
ou  du  soufyte  qui  soupire  après  Dieu  —  constituent  le  fond 
du  répertoire  des  villes.  Cette  élégie ,  à  laquelle  sa  formé  dia- 
loguée  donne  de  la  vjç,  est  l'œuvre  d'un  cbeykli  célébra  de 
Tlemcen ,  Mohammed  ben  Sahla ,  dont  on  peut,  en  se  défiant 


234  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

des  écai*ts  chronologiques  des  indigènes ,  qui  lui  attribueraient 
une  longévité  biblique,  placer  la  période  de  production  dans 
la  première  moitié  du  xviii*  siècle.  Auteur  fécond,  il  s*est 
surtout  adonné  au  genre  sacré  et  aussi  au  genre  erotique, 
que  les  doctrines  soufytes  permettent  de  considérer  comme 
une  variété  de  la  poésie  religieuse.  Malheureusement,  ses 
(euvres  ont  beaucoup  souffert  et  ne  nous  sont  parvenues 
qu*avec  de  graves  altérations,  ce  qui  est  d'ailleurs  le  cas  de 
toutes  les  pièces  qui  remontent  un  peu  haut. 

Mohammed  ben  Sahla  laissa  un  fds ,  Boû  Mediën ,  qui  hé- 
rita de  son  lalent  poétique  et  vécut ,  parait-il ,  jusqu'aux  der- 
nières années  de  la  domination  turque.  Leurs  descendants 
habitent  encore  un  petit  hameau ,  voisin  de  Tlemcen ,  nommé 
Fëddân  ës-Seba^ 


NOTES  DL  TEX.TE. 

V.  lo.  h^^^t  'Essêbbêb  est  mis  pour  tm*.:^^^  imp.  de  ia  5*  forme. 
On  sait  (cf.  de  Sacy,   Grammaire  arabe,  2"  édit.,  I,  220,S454) 

que  cette  forme  se  change  quelquefois  en  JLx3t  et  que  son  impé- 
ratif devient  alors  JLxii .  Il  faut  aussi  remarquer  que  dans  le  lan- 
gage  le  ta  disparait  fréquemment  dans  le  voisinage  du  s^;  ainsi 
(^Am^ ystenna ,  formé  de  J^Lx^st  «il  attend»,  se  prononce j^senna. 

V.  17.  Dans  la  poésie  populaire,  l'adjectif  démonstratif  est  le 
plus  souvent  écrit  )•>,  quels  que  soient  le  genre  et  le  nombre  du 
nom  qu'il  détermine.  Cet  alif  est  lui-même  à  peu  près  sans  valeur 
car  le  •>  s'articule  toujours  avec  Ye  muet,  vers  lequel  tendent  les 
trois  voydles  arabes. 

V.  20.  Le  premier  hémistiche  offre  la  variante  v>^'  i  ^  >^^ 
h^t^ .  Cette  quasi -homophonie  s*explique  tout  naturdlement  si  Ton 
tient  compte  que  ces  textes  se  transmettent  surtout  par  tradition 
orale. 

V.  28.  Les  participes  passifs  des  verbes  hamzés  fa,  qui  se 
changent  fréquemment  dans  le  langage  en  assimilés  par  onoon,  et 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     235 

ceux  des  assimilés  par  ouaou  sont  parfois  d'un  type  J^JuL«,  in- 

connu  à  la  langue  classique,  ^^y»  est  ici  pour  «S^L«,  4X^t  étant 
considéré  comme  s'il  était  devenu  «S^â.^  ;  mais  on  trouve  f»3«N^  pour 

l»3.>U  «gras,  graisseux»  (rad.  m,>\)  et  ^y**-*:^  pour  ^y^y»  «marqué, 
distingué»  (rad.  m)* 

V.  37,  Jl«^  est  mis  pour  la  rime  au  lieu  de  J^.^>i> 


XIV.  1 6 


(«raiHKaiE  satioxali. 


236  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1809. 

VI  (*) 

j'Hy^  jUw  jti  ^  Lj5j  c-^M  (5  "  «  -y 

;tj:i:^l  iC^%  JJU]I  5;lk^        4 


SJX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     237 

;lX^t  !^U^  ^^  yt  p^     lO 


f^-^jH'  (s^^y^^  c»La-*J  liL-fcH!-*  c>*!3 

i5 


b^*xi      17 


238  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

;|js45  jJà»  >^  JbU  ^t^     20 


ILmJI  c^l^â     3  1 

pj-UJI  <5-^y^>  VjJ^-J'  ^ImJ  ^iLfA^  c)^l^ 


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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     239 

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340  SEPTEMBAE.OCTOBRE  1800. 

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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     241 

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242  SKPTEMBREOCTOBRE    1899. 

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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     243 

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SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 


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SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     245 

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246  SEPTEMBRE. OCTOBRE  1899. 

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LE  DEBAT  DE  LA  CITADINE  ET  DE  LA  BEDOUINE. 

1.  Otoi  qui  nVécoutes,  je  dis  une  de  ces  histoires 
dans  lesquelles  je  suis  maître  incontesté;  ce  sont  des 
histoires  vraies.  Par  elles  j'émeus  les  amants  épris 
comme  toi,  je  les  divertis  par  d agréables  récits. 
Comme  je  les  ai  entendues  je  les  rapporte,  et  elles 
plaisent  à  mes  auditeurs  par  la  légèreté  de  l'esprit  et 
l'éloquence  des  pensées.  Je  conte  le  difiFérend  des 
belles.  Mes  vers  sont  composés  dans  la  perfection. 

5.  Je  cheminais,  ne  pensant  k  rien,  le  jour  où  je 
venais  rendre  visite  à  celles  dont  la  beauté  m'égare, 
celles  dont  je  n'ai  jamais  vu  les  pareilles  ni  dans  les 
campagnes  ni  dans  les  villes.  J'eusse  dit  qu'elles 
étaient  le  Soleil  et  la  Lune  et  que  les  jeunes  filles  de 
ce  temps  n'étaient  que  des  étoiles,  surpassant  les 
Pléiades.  Les  astres  se  portent  envie  dans  leurs  fir- 
maments et,  s'ils  s'approchent  l'un  de  l'autre,  leur 
jalousie  se  manifeste,  et  l'on  assiste  à  ces  éclipses 
connues  de  la  Lune  et  du  Soleil.  Mon  récit  est  vrai. 
Comme  les  astres,  les  femmes  se  jalousent.  Le  jour 
où  je  les  vis,  les  deux  jeunes  vierges  s'étaient  ren- 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     247 

contrées  ;  ceiie-ci  jalousa  ceiie-ià  et  ce  fut  pour  eiies 
une  malheureuse  journée. 

11.  La  citadine  dit  à  la  bédouine  :  «  Regarde  tes 
semblables,  tu  ne  verras  en  elles  que  des  campa- 
gnardes ,  vrais  chiens  du  douar.  Qu'es-tu  auprès  des 
filles  élevées  à  la  ville?  Tu  es  une  bédouine.  Ne 
songes-tu  pas  aux  outres  qu'il  te  faut  remplir  le  ma- 
tin ,  à  la  charge  de  bois  que  tu  dois  couper  chaque 
jour  et  comment  tu  passes  la  nuit  à  faire  tourner 
sans  cesse  la  meule  du  moulin ,  fatiguée  et  harassée  ? 
Tes  pieds,  toujours  nus,  se  fendillent  et  sont  cou- 
verts de  crevasses.  Ta  tête  ne  goûte  jamais  le  sou- 
lagement d  être  découverte ,  et  tu  t'en  vas ,  brisée  de 
fatigue,  te  coucher  sur  la  terre,  dans  la  suie,  comme 
un  serpent  enroulé  sur  lui-même.  Tu  te  couvres 
avec  l'envers  de  vieux  lambeaux  de  tente  et  tu  re- 
poses ta  tête  sur  les  pierres  du  foyer.  Vêtue  de  hail- 
lons, tu  dors  d'un  lourd  sommeil,  puis  tu  te  lèves 
et  ta  journée  s'écoule  stupide.  Telle  est  la  vie  des 
gens  du  dehors,  la  tienne  comme  la  leur.  Qu'es-tu 
donc  à  côté  de  ceux  qui  vivent  à  l'ombre ,  à  ral)ri  des 
murs,  qui  ont  des  mosquées  pour  les  prêches  et  la 
prière,  où  les  questions  se  discutent  et  où  l'on  ré- 
dige les  actes  ?  » 

21.  L'Arabe  parla  et  dit  à  la  citadine  —  ô  toi 
qui  comprends  leurs  discours  —  :  «  Va-t-en  !  tu  res- 
sembles à  une  chouette  dans  une  caverne.  Qu'es-tu 
à  côté  dos  filles  des  Arabes,  des  filles  de  ces  tribus 


248  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

qui  groupent  sous  leurs  étendards  des  cohortes  dé 
cavaliers  ?  Tu  es  une  citadine.  Regarde  tes  semblables  i 
le  médecin  ne  les  quitte  jamais  :  sans  maladie,  elles 
sont  fanées  et  blêmes.  Le  poison  de  la  chaux  ^  t'a  pé- 
nétrée et  un  empoisonné  même  n  a  pas  ton  visage. 
Tu  es  morte,  quoique  vivante  en  apparence,  toi  qui 
n  as  pas  vu  nos  Arabes  et  leurs  prouesses,  nos  Arabes 
qui  ramènent  la  prospérité  dans  les  déserts  par  letirs 
glaives  tranchants.  Si  tu  voyais  notre  tribu  quand 
nos  cavaliers  chargent  contre  une  troupe  ennemie, 
montés  sur  des  chevaux  de  race  entourés  de  soins, 
armés  de  lances  et  de  boudiers  pour  s  abriter  des 
coups  de  leurs  adversaires  !  Ceux  qui  leur  ressemblent 
sont  renommés  et  glorifiés.  Ce  sont  des  hôtes  géné- 
reux, des  hommes  au  caractère  libéral.  Dans  de» 
mosquées  qu'ils  ont  bâties  sont  des  logements  pour 
les  tolba  et  pour  les  hôtes.  Tous  ceux  qui  viennent 
chez  eux  les  quittent  emportant  des  marques  de  leur 
bienfaisance  et  en  font  des  éloges.  Par  quoi  seraient* 
ils  attirés  vers  les  villes ,  où  tout  s'achète  îi  prix  d'ar- 
gent ?  » 

31.  La  citadine  reprit  :  «O  bédouine!  oublies-tu 
donc  ce  que  tu  fais  ?  Tu  t'en  vas  de  maison  en  mai- 
son avec  des  mauves ,  des  cardons  ^  et  de  ces  sal- 

^  V.  2  4.  Les  bédouins  attribuent  la  pâleur  des  citadins  à  un 
principe  nuisible  renfermé  dans  la  chaux  dont  ils  badigeonnent 
leurs  maisons. 

^  V.  32.  iUib,  mot  berbère  qu'on  retrouve  dans  TAurès  sous  ia 
forme  c^^Jub,  désigne  une  sorte  d'artichaut  sauvage  (Carduncellus 
primatus,  Prax,  dans  Beaussicr). 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     240 

sifîs  sauvages  si  connus.  Tu  es  toute  graisseuse;  la 
graisse  s'infiltre  dans  tes  vêtements  au  point  de  les 
imprégner  complètement.  C'est  ainsi  que  tu  vis 
chaque  jour.  Je  ne  fais  pas  de  comparaisons  pour.ce 
qui  est  caché.  Laisse-donc  tes  médisances.  Qu  as-tU 
à  dire  de  moi  ?  Mieux  que  toi  je  suis  les  préceptes 
de  la  Sojina;  j'observe  plus  fidèlement  les  moments 
canoniques.  Cachée  par  mon  voile,  aucun  œil  ne 
m'a  vue.  Je  ne  suis  pas,  ainsi  que  toi,  toujours  dans 
les  champs;  je  vais  par  les  rues  et  je  m'y  promène. 
Qu'es-tu  donc  auprès  de  moi?  Je  ne  garde  pas  les 
vaches,  passant,  comme  tu  le  fais,  la  journée  à  les 
suivre.  Tu  te  nourris  d'oseille  sauvage  et  de  cœur  de 
palmier  nain.  Tes  pieds  se  fatiguent  à  marcher  et  tes 
mains  à  creuser  la  terre  pour  en  arracher  le  palmier 
nain.  » 

39.  «Qui  vous  pousse,  qui  vous  amène,  dit  la 
bédouine  à  la  citadine,  à  nous  outrager  et  à  nous 
adresser  de  méchants  propos ,  vous  qui  êtes  les  pires 
des  créatures  et  en  qui  sont  rassemblés  tous  les  vices  1 
Toutes  vous  êtes  des  pécheresses ,  et  Satan  n'oserait 
citer  nombre  de  vos  actions;  toutes  vous  êtes  des 
magiciennes  et  des  débauchées.  Vous  trahiriez  votre 
propre  frère;  à  plus  forte  raison  trompez- vous  vos 
époux.  Aucune  de  vous  ne  se  garde;  vous  sortez  sans 
vos  maris  et  sans  leur  assentiment.  Vous  reniez  votre 
foi  et  il  n'est  point  d'impie  qui  vous  soit  comparable; 
la  malédiction  du  Ciel  pèsera  sur  vous  jusqu'à  ce 
que  vous  reveniez  au  Créateur.  Nulle  de  vous  n'est 


250  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

honnête.  O  femmes  qui  ne  vouiez  pas  voir,  d'où 
donc  vient  votre  aveuglement?  Toutes  vous  suivez 
des  pratiques  réprouvées ,  et  celle  que  ne  préoccupe 
pas  Tamour  des  hommes  recherche  Tamour  des 
femmes.  Vous  violez  la  loi  divine  et  combien  peu 
parmi  vous  craignent  leur  Seigneur  !  C'est  dans  les 
campagnes,  au  milieu  des  champs,  que  sont  les 
femmes  qui  craignent  Dieu.  Pourquoi  dis-tu  que, 
seules,  celles  des  villes  sont  pieuses?  Accomplis- tu 
pour  moi  les  devoirs  de  la  religion  ?  » 

49.  «Quel  agrément  ont  tes  pareilles?  reprit  la 
citadine  ;  elles  ne  goûtent  aucun  plaisir  et  ne  voient 
jamais  ce  qui  divertit  les  yeux.  Elles  ne  teignent  pas 
de  henné  les  mains  qui  terminent  un  bras  arrondi. 
Elles  ne  portent  pas  les  riches  costumes  qui  coûtent 
des  centaines  [de  pièces  d'argent],  ni  les  nombreux 
vêtements  rehaussés  de  pierreries  et  pénétrés  de  par- 
fums suaves;  elles  ne  se  coiffent  pas  de  foulards  à 
fleurs  de  brocart,  ni  de  voiles,  ni  de  mouchoirs  de 
soie  alourdis  par  des  fils  d'or  de  fabrication  chré- 
tienne. Elles  n'ont  pas  une  négresse  qui  élève  les 
enfants  et  va  et  vient  dans  la  maison  et  dans  le  ha- 
rem. Elles  se  vantent  plus  que  ne  le  ferait  un  fan- 
faron. Pourquoi  m'accuser  de  mener  une  vie  blâ- 
mable quand  ta  conduite  mérite  la  réprobation  ?  La 
saleté  règne  chez  les  campagnards;  où  leur  fait-^e 
défaut  ?  Chez  vous  l'eau  croupit  l'hiver  dans  un  cretix 
de  rocher  ;  elle  vous  manque  l'été  pour  la  boisson ,  à 
plus  forte  raison  pour  vous  baigner.  On  ne  voit  pas 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHREBIN.     251 

parmi  vous  une  femme  propre  :  les  poux  et  les  puces 
sont  leur  couche  et  leur  couverture;  votre  lit  cest 
la  terre  et  la  poussière  ;  le  millet  est  votre  nourriture , 
ou  bien  Torge  et  le  blé  échauffé.  » 

59.  L'Arabe  reprit  la  parole  et  dit  à  la  citadine  ; 
«  Qui  sont  ceux  dont  tu  descends  P  Quelle  est  ta  tribu 
parmi  celles  qui  peuplent  les  contrées?  Vous  n'êles 
que  des  Beny  Leqyt,  ramas  de  gens  de  toute  sorte. 
Tu  te  prétends  citadine;  que  sont  les  citadins  !  Tes 
seigneurs  ne  les  déchirent  pas  ;  seuls  ceux  qui  viennent 
comme  toi  on  ne  sait  d*oii  ont  ton  insolence.  Et  tu 
m'insultes,  toi  qui  appartiens  à  des  gens  dont  la 
considération  est  partout  décriée  !  Et  tu  braves  une 
Qoreychyte,  une  Hâchemyte  glorieuse  de  ses  an- 
cêtres et  des  éloges  qu'ils  ont  su  mériter  !  Il  convient 
à  la  femme  issue  d  une  souche  illustre  de  s'enor- 
gueillir de  ses  origines;  mais  toi  qui  n'es  que  la  fille 
des  masures,  la  descendante  d'une  race  vaincue. . .! 
Tu  te  prétends  sonnyte  et  tu  ne  connais  pas  les  trois 
grandes  choses  dont  leur  auteur,  Celui  qui  sait  tous 
les  secrets ,  nous  a  gratifiés  :  le  Paradis ,  le  Qoran  et 
le  Prophète  illustre ,  abrogateur  des  fausses  croyances , 
intercesseur  *  des  créatures.  Quiconque  l'aime  aime 
aussi  les  Arabes  et  s'attache  à  eux.  Qui  les  hait  bait 
l'Elu  de  Dieu  et  qui  hait  Ta  Hâ  hait  aussi  incontes- 
tablement l'Eternellement  vivant,  le  Dieu  immuable. 
Tu  le  hais,  toi,  car  tu  calomnies  mes  ancêtres,  tu 
ravales  leur  rang  et  déprécies  leur  honneur.  Songe 
k  tes  mauvaises  actions  pour  le  jour  où  tu  seras 

\iv.  17 


iiiraiJieaiB  raxiosalb. 


252  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

mise  au  tombeau  et  pour  celui  où  tu  seras  ressuscitée , 
ô  insulteuse  des  Arabes,  desquels  est  sorti  le  Sei- 
gneur des  peuples  !  » 

71.  «  Je  ne  méconnais  pas  les  Apabes ,  dit  la  cita- 
dine, et  je  n'offense  pas  leur  honneur,  et  sans  toi  je 
n  eusse  pas  mal  parié  d'eux;  mais  c  est  toi  qtii  as  in- 
jurié les  miens  et  exalté  ceux  de  ta  race.  C'est  celui 
qui  commence  qui  commet  l'excès  et  celui  qui  l'imite 
ne  mérite  pas  le  blâme ,  ô  toi  qui  leur  as  cherché 
querelle  !  Demande  pour  moi  pardon  au  Dieu  indul- 
gent et  miséricordieux,  comme  je  l'implore  moi- 
même,  et  je  n'attaquerai  plus  les  Arabes.  Et  s'ils 
m'offensent,  je  leur  pardonnerai  et  je  les  approuverai 
par  respect  pour  le  Prophète  pur  et  purifié.  Je  re- 
cevrai le  Paradis  ;  c'est  d'eux  qu'on  l'acquiert  et  il  est 
sans  prix.  Ceux-ci,  franchement,  je  les  aime  plus 
que  moi-même,  je  les  aime  passionnément.  Celui 
qui  aime  un  peuple  ressuscitera  avec  lui,  et  c'est  ici 
le  terme  des  propos  désobligeants  et  des  reproches 
échangés  entre  nous.  » 

79.  Je  leur  dis  que  le  devoir  m'incombait  de  les 
réconcilier  et  je  les  rendis  aussi  pures'  d'intentions 
quç  je  désirais  qu'elles  le  fussent.  Je  les  rapatriai  et 
je  leur  rendis  cette  journée  agréable.  Ainsi  que  le 
souhaitaient  ces  belles,  je  dissipai  leurs  soucis  par 
la  bonté  et  la  douceur. 

J'ai  composé  les  vers  de  ce  morceau;  le  sens  en  est 
plus  délicat  que  le  parfum  de  la  fleur  d'oranger,  plus 


SIX  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     253 

doux  que  le  sucre ,  pour  les  cœurs  de  ceux  qui  aiment 
à  pardonner.  Quant  aux  méchants,  ils  goûteront  le 
zeqqoûm.  Ma  chanson  est  ornée  de  fleurs  de  rhéto- 
rique; telle  une  jeune  vierge  dont  la  poitrine  est 
parée  de  pierreries  qui  étincellent  comme  les  étoiles 
du  firmament.  Les  paroles  en  sembleront  amères  aux 
censeurs.  Je  les  ai  cueillies  comme  un  bouquet  dans 
le  parterre  des  allusions.  Que  les  lions  courageux, 
que  les  hommes  à  Tesprit  pénétrant,  aimés  de  Dieu 
et  objets  de  ses  bontés,  reçoivent  nos  salutations 
aussi  longtemps  que  se  prolongeront  les  existences, 
salutations  innombrables,  et,  parvînt-on  à  les  dé- 
nombrer, ajoutées  les  unes  aux  autres. 

87.  Je  dois  faire  connaître  mon  nom  à  celui  qui 
est  soumis  aux  Chërfa  et  reconnaît  leur  puissance  : 
le  mym  précède,  puis  vient  le  hd  dans  l'écriture.  Le 
mym  et  le  dâl  le  complètent  et  le  rendent  compré- 
hensible au  lecteur  [MoHaM{M)eD].  Dieu  me  par- 
donne cette  œuvre  futile  et  aussi  mes  fautes  et  mes 
erreurs.  Je  mets  ma  confiance  en  mon  créateur,  in- 
dulgent à  tous  les  péchés,  et  j'espère  en  sa  miséri- 
corde ,  car  quiconque  l'attend  en  reçoit  les  effets. 

91.  La  bédouine  et  la  citadine  en  désaccord  se 
présentèrent  devant  le  juge  demandant  une  sentence  ; 
elles  en  vinrent  aux  invectives  et  se  complurent  dans 
l'échange  de  ces  propos.  Mais  après  le  débat  de  ces 
belles,  je  m'empressai  de  les  réconcilier. 


17 


254  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

^*^  La  chanson  révèle  la  physionomie  d'un  pays  et  Tânie 
de  ses  habitants;  plusieurs  causes  contribuent  à  donner  à 
celle  du  Maroc  un  caractère  particulier. 

L*esprit  massif  du  Berbère  manie  avec  peine  une  langue 
qui  n'est  pas  la  sienne.  Tous  les  morceaux  marocains  que 
j'ai  lus  ou  entendus  sont  le  résultat  de  laborieux  efforts;  ils 
sont  tout  imprégnés  de  ce  sentiment  religieux  resté  si  vif 
dans  l'Empire  des  Ghéryfs ,  mais  l'inspiration ,  qui  se  mani- 
feste si  intense  dans  les  vers  du  moindre  des  trouvères  bé- 
douins ,  leur  fait  à  peu  près  complètement  défaut. 

Le  poète  marocain  se  cantonne  presque  exclusivement 
dans  le  genre  érotico-mystique  cher  aux  Soufytes.  Son  tem- 
pérament religieux  n'en  est  cependant  pas  Tunique  cause.  Le 
pays  est  triste,  mais  dune  tristesse  spéciale,  à  laquelle  son 
état  social  n'est  pas  étranger  :  il  n*est  pas  prudent ,  au  Maroc , 
de  dire  tout  ce  que  l'on  pense ,  encore  moins  de  le  chanter. 
Les  rares  chansons  politiques ,  satiriques  on  simplement  gaies 
que  composent  de  ci  de  là  quelques  faqyh  railleurs  ou  plai- 
sants, ne  se  chantent  que  portes  closes,  et  s'il  est  impossible 
aux  étrangers  de  les  entendre ,  à  plus  forte  raison  ne  peuvent- 
ils  songer  à  en  avoir  des  copies. 

La  pièce  que  je  reproduis  ici  et  qui  clôt  la  série  de  mes 
extraits  est  d'un  Cheryf  du  Tafylâlt  nommé  Sydy  Mohammed 
ben  *Aly  Ou  Rezyn,  né  en  ii54»  mort  en  1287  {^7^-^' 
1833),  sur  lequel  je  n'ai  aucun  autre  renseignement.  On 
voit  qu'il  n'a  pas  échappé  à  l'influence  dominante  et  qu'il 
n'a  pu  achever  son  morceau  sans  y  faire  intervenir  Dieu  et 
son  Prophète. 

NOTES  DU   TEXTE. 

L'examen  dn  texte  donne  lieu  à  quelques  observations  : 
La  première  rime  intérieure  en  d  long  [yâ  men  tesra  ijyâ)  né- 
cessite, en  vue  d'un  son  unique,  une  modiGcation  de  l'orthographe 
des  mots  qui  la  constituent  :  un  alif  remplace  le  ta  merboûta  des 
noms  et  des  adjectifs;  un  alif  s'ajoute  au  pronom  adixe  de  la  pre- 
mière personne  du  singulier. 


Sî\  CHANSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     255 

Quoique  le  dialogue  se  poursuive  entre  deux  femmes,  les  deux 
genres  sont  employés  dans  les  verbes.  L'indifférence  en  matière  d'or- 
thographe est  la  seule  cause  de  ces  anomalies. 

V.  l'y.  ^JaJisijS lùtetretta  «tu  te,  couvres».  Ai  s'emploie  explétive- 
ment  au  Maroc  devant  les  personnes  de  l'aoriste  exprimant  le  pré- 
sent de  l'indicatif. 

V.  27.  I>3kosj  yddergoû  «ils  sont  abrités,  ils  s'abritent •  est  pour 
]^sô'jLji  jtdergoû.  Le  langage  ne  se  sert  pas  pour  exprimer  le  passif 

du  verbe  primitif  de  la  forme  classique  Jj3;  il  a  recours  à  un  type 
à  la  fois  passif  et  réfléchi,  mais  plus  passif  que  réfléchi,  qui  est 
jLJub  pour  le  prétérit  et  Jmx^  pour  l'aoriste. 

Ce  phénomène  a  été  signalé  par  M.  Cherbonneau  dans  le  Journal 
asiatujue  (avril  i852,  p.  379,  et  1861,  p.  9)  et  par  M.  Gorguos 
dans  son  Cours  d'arabe  t)w/^rtïrr(2*édit.,  Paris,  1857,  p.  167).  Leurs 
observations,  qui  se  complètent,  ont  parfaitement  déterminé  les 
modifications  que  cette  forme  apporte  au  sens  de  l'idée  exprimée 
par  le  verbe  primitif  actif;  mais  tous  deux  se  sont  mépris  sur  son 
caractère  grammatical. 

M.  Cherbonneau  y  voit  une  altération  de  la  8*  forme  parce  que , 
vraisemblablement  trompé  par  une  orthographe  défectueuse,  qui 
rend  l'erreur  très  excusable,  il  a  pris  l'aoriste  pour  le  prétérit  :  en 
effet,  le  y  a  pronominal  de  la  3*"  personne  du  masculin  singulier  de 
l'aoriste,  à  laquelle  les  verbes  de  cette  forme  sont  le  plus  fréquem- 
ment employés,  est  souvent  remplacé  par  un  hamza  dans  l'ortho- 
graphe populaire;  ainsi  ^^3l  pour  *^^t  =  ^^ix^  ytefekem  «ceci  se 

comprend;  c'est  intelligible». 

Mais  le  déplacement  du  ta  formatif  qui ,  abandonnant  son  rang 
entre  la  première  et  la  seconde  radicale,  aurait  franchi  cette  pre- 
mière radicale  pour  venir  se  placer  devant  elle  et  de  JjcJL^.  faire 
JudUj,  n'est  pas  expliqué;  et  quant  au  redoublement  dont  M.  Cher- 
bonneau le  dit  être  l'objet,  il  est  loin  d'être  la  règle  générale.  On 
ne  le  constate  que  devant  des  verbes  ayant  un  ta  pour  première 
radicale,  ce  qui  n'a  rien  d'anormal,  et  quelquefois  au  prétérit, 
après  cet  alif  prostkétique ,  sans  valeur  grammaticale,  dont  les  Ma- 
ghrébins font  un  si  abusif  emploi  et  qui  n'est  autre  chose  que  l'équi- 
valent de  ïe  mnet  introduit  par  notre  langage  populaire  devant 
nombre  de  mots.  Ne  dit-on  pas  chez  nous  :  une  tranche  eci'melon , 
fj'peux  pas,  par  e/'chemin  du  haut,  etc.?  Cet  alif  favorise  par- 


256  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

fois,  il  est  vrai,  une   réduplication,  comme  par  exemple  dans 

tyjC^I  êssektôn,  qui  est  !yJC«wI  eshtôu  o taisez- vous!».  Mais  ces  faits, 
qui  sont  du  domaine  de  la  phonétique,  ne  peuvent  être  invoques 
comme  principes  grammaticaux. 

Tout  ceci  put-il  d'ailleurs  demeurer  sujet  à  controverse,  que  le 
seul  examen  du  prétérit  suffirait  à  dissiper  toute  incertitude.  De 
très  nombreux  exemples  établissent  qu'il  ne  faut  voir  dans  cette 
forme  autre  chose  qu'un  paradigme  jLxJb  :  J'y*3  té*azel  «il  a  été 
révoqué  >  ;  JixJb  téijetel  «  il  a  été  tué  »  ;  y»S3  têkeser  «  il  s'est  cassé 
[un  membre]»;  l^kxSjj  iêketeb  «il  s'est  inscrit  [comme  soldat],  il 
s'est  engagé  »,  etc. 

De  son  coté ,  M.  Gorguos  fait  de  Jixi:»  une  «  5'  forme  allégée  » , 
c'est-à-dire  privée  du  chedda  de  la  seconde  radicale.  Mais  les  exemples 
mêmes  qu'il  donne  à  l'appui  de  son  opinion  démontrent  qu  elle  ne 
saurait  ^-Ire  acceptée  :  fg^  J^^^î  ^  vW'  '«^  «cette  porte  ne 
«s'ouvre  point»;  ^-iJI  A^î^.  ^I«xS  «combien  se  vend  le  blé?».  Si 
la  racine  est  sourde,  ajoute-t-il,  le  verbe  est  alors  sourd  à  la 
5"  forme,  ce  qui  n'a  pas  lieu  à  la  5"  forme  régulière  (lisez  litté> 
raie).  Si  le  verbe  est  concave,  la  lettre  faible  se  change  en  alif  à 

l'aoriste »  Si  ces  verbes  étaient  à  la  5'  forme ,  ils  feraient , 

d'après  la  règle  commune  à  la  langue  littéraire  et  au  langage  usuel , 

JJL^C^.  et  ^X.^^..  Or  il  nous  reste,  le  ta  initial  supprimé,  J<ag  et 
^L^ ,  qui  sont  précisément  les  aoristes  passifs  de  la  première  forme. 
Si  l'on  considère  enfin  que  les  deux  voix  active  et  passive  ne  se 
distinguent  dans  la  langue  régulière  que  par  des  voydles,  et  que 
dans  le  langage  ces  voyelles ,  considérablement  assombries ,  tendent 
toutes  vers  un  même  son  incolore  e  muet,  on  constate  qu'il  était 
impossible  au  langage  de  rendre  le  passif  au  moyen  de  la  seule 

forme   grammaticale  Ja»,  et   Ton  s'explique  comment   il  a   été 

amené  à  recourir,  pour  y  parvenir,  à  un  procédé  artificiel.  Le  ta, 
qui  caractérisait  déjà  des  formes  passives  et  réfléchies ,  s'offrait  natu- 
rellement à  lui  ;  il  en  a  fait  le  signe  du  passif  populaire. 

Il  est  surprenant  que  depuis  l'époque  déjà  lointaine  où  ces  deux 
savants  publiaient  leurs  consciencieuses  et  intéressantes  observa- 
tions, cette  forme ,  cependant  très  usitée,  n'ait  attiré  l'attention  d'au- 
cun arabisant  algérien  et  ait  été  laissée  dans  un  oubli  profond;  car 
on  n'apprendra  pas  sans  étonnement  que  les  nombreuses  méthodes 
pour  l'étude  de  l'arabe  parié  mises  à  la  disposition  du  public  n'en 
font  absolument  pas  mention.  Un  seul  auteur  en  parie  très  topera 


SIX  CHAiNSONS  ARABES  EN  DIALECTE  MAGHRÉBIN.     257 

ficieliement  et  encore  y  voit-il,  à  rimitation  de  M.  Gorguos,  une 
5*  forme  altérée.  Il  serait  désirable  que  cette  lacune  fût  comblée. 

V.  34.  Les  nécessités  de  la  rime  ont  forcé  l'auteur  à  transformer 
c^^^,  pi.  de  iu^  «propos  désobligeant,  médisance»,  en  f*>^.  On 
a  déjà  vu  (II,  vers  2  et  3)  que  Ton  peut  faire  rimer  deux  sifflantes 
sâd  et  syn  ;  ici ,  c'est  entre  deux  labiales  bâ  et  m^m  que  s'est  faite 
la  permutation. 

V.  6 1 .  *^  est  devenu  ^li  pour  la  rime. 

V.  69.  «-^JîJB  «critiquer,  blâmer,  censurer,  médire»,  qui  est  dans 
le  langage  un  verbe  trilitère  régulier,  semble  avoir  été  formé  de 
<^\a£\  (VIII,  de  v^  ^-  i«)'  ^^^  ^  ^®  même  sens.  Il  ne  faut  pas 
perdre  de  vue,  cependant,  que  «^^ocjb  a  une  signification  identique 
et  que  le  »  et  le  »  ou  permutent  ou  sont  employés  simultanément. 

V.  7g.  ^l^xâJ  est  pour  m ^.',4" »-'''. 

V.  86.  ^Ct^Uw,  lisez  sêlâmàlla,  par  suite  de  l'insertion  du  noûn 
du  tanouyn  dans  le  lâm  de  là. 


ERRATA. 


p.  475 ,1.  1 ,  au  lieu  de  ^J9J  s,  lire  ,j>,  s, 

P.  ^77,  1.  9,  au  lieu  de  tdxU,  lire  dlxJLs. 

P.  499,  1.  8,  au  lieu  de  Ju-^.,  lire  iL^\y 

P.  620,  1.  10,  au  lieu  de  J^^yj^  lire  jij^l. 

P.  laS,  1.  10,  au  lieu  de  s^^Ué.,  lire  s^jU.. 

P.  137,  av.-dern.  1.,  au  lieu  de  JL^U,  lire  dL^, 


258  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 


NOTE 


SUR  QUATRE  SYSTÈMES  TURCS 


DE 


NOTATION  NUMÉRIQUE  SECRETE, 


PAR 


M.  J.  A.  DEGOURDEMANGHE. 


Chez  les  Turcs,  il  a  été  usé  de  la  cryptographie 
avec  une  abondance  particulière.  Les  manuscrits 
mathématiques,  médicaux  ou  relatifs  aux  sciences 
occultes,  composés  ou  traduits  par  des  Ottomans, 
fourmillent  d'alphabets  et  de  systèmes  numériques 
secrets.  Pour  les  constituer,  les  Turcs  ont  mis  à  con- 
tribution tous  les  alphabets  dont  ils  ont  pu  avoir 
connaissance.  Us  les  ont,  le  plus  souvent,  utilisés 
dans  la  forme  où  ils  les  rencontraient,  mais  parfois 
ils  les  ont  modifiés  ou  transformés ,  sinon  volontaire- 
ment, du  moins  par  la  dégénérescence  graduelle 
inhérente  à  la  reproduction  par  voie  de  copies  suc- 
cessives. 

Une  opinion  généralement  admise  est  que  les  Mu- 


NOTATIONS  NUMÉRIQUES  SECRÈTES  TURQUES.     259 

sulmans  ignorent  et  ont  toujours  ignoré  les  écritures 
an  té-islamiques.  C'est  peut-être  là  une  erreur.  Citons 
un  exemple. 

Dans  la  séance  de  llnstitut  égyptien  du  2  4  dé- 
cembre 1880,  sous  le  titre  de  :  Le  Blason  chez  les 
princes  musulmans  de  l'Egypte  et  de  la  Syrie, M,  Edward 
Thomas  Rogers-bey  a  fait,  à  cette  société,  une  com- 
munication ,  d'où  il  résulte  que  : 

1°  Les  divers  souverains  de  TKgypte  et  leurs  prin- 
cipaux officiers ,  depuis  les  Ayoubites  jusqu'aux  der- 
niers sultans  mamelouks,  ont  eu  chacun  un  blason 
nommé  Aj^,  au  pluriel  dyj,  du  mot  persan  Jô^ 
a  coideur  ». 

2°  Nombre  de  ces  blasons  souverains  portent  des 
caractères  hiéroglyphiques ,  dont  les  plus  fréquents 

sont  ^  ^ ,  qui  représentent  les  mots  Ra  neb  teta 
«  Soleil  des  deux  horizons  ».  C'est  là  un  titre  vrai- 
ment royal  dont  il  serait  invraisemblable  de  sup- 
poser le  choix  comme  né  d'un  pur  hasard. 

Sans  insister  sur  cet  exemple,  il  laisse  à  penser 
qu'on  pourrait  retrouver  des  alphabets  anciens  parmi 
ceux  employés,  chez  les  peuples  musulmans,  à  des 
usages  cryptographiques. 

En  tous  cas,  la  reproduction  de  cryptogrammes 
turcs  aurait  toujours  une  utilité  :  celle  de  faciliter 
la  lecture  de  certains  manuscrits. 

Nous  n  entreprendrons  pas,  dans  la  présente  note, 
une  étude   d'ensemble   sur  les   systèmes   ottomans 


iôO  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

d'écriture  secrète;  nous  nous  bornerons,  pour  res- 
treindre notre  sujet,  aux  notations  numéricpes  et, 
parmi  ces  dernières,  à  celles  militaires. 

Il  s'en  présente  quatre  principales. 


PREMIER  SYSTEME. 

11  consiste  à  représenter  les  neuf  chiflGres ,  autres 
que  le  zéro,  par  autant  de  signes;  ce  sont  là  les 
unités.  Puis  un  zéro,  sous  la  forme  dun  petit  cercle, 
est  joint  à  chacun  des  signes  des  monades  pour  for- 
mer les  décades;  un  second  zéro  joint  constitue  les 
centuries  et  un  troisième  les  chiliades. 

Voici  ces  signes  : 


i     iOQO 

%     100 

?      iO 

1     i 

oi    8:000 

oS     200 

3     20 

J     2 

^     3000 

^     300 

^      30 

-1      3 

?^4000 

f^400 

ro^o 

r  4 

^5000 

toSOO 

LoSO 

L  5 

^    eooo 

A      600 

H      60 

H    e 

T7000 

^^700 

T70 

T  7 

4^8000 

A     800 

h  80 

Ha 

oiodooo  o^^oo  ^90 


iNOTATlONS  NUMÉRIQUES  SECRÈTES  TURQUES.     261 

Cette  numération  est  dénommée  jJUj^fc^a^a/r/tt , 
du  mot  sihy^  «  registre  » ,  plus  spécialement  «  som- 
mier ».  Elle  était  employée  surtout  poiu*  dresser  les 
rôles  des  résultats  de  la  levée  dliommes  appelée 
x^yij^  devcharmé  «  la  presse  »>,  opérée  sur  les  jeunes 
gens  chrétiens  pour  le  recrutement. 

Parfois  une  variation  se  produit  dans  la  forme 
des  signes  reproduits  plus  haut  :  le  petit  cercle  est 
remplacé  par  un  trait,  ajouté  à  la  hampe  du  signe, 
soit  à  droite  soit  à  gauche.  Ainsi  Ton  écrit  toujours 
un  par  I,  mais  dix  est  1  ou  h,  trois  1  devient  IK  trente, 
et  quatre  f  devient  /f"  queutante. 


SECOND  SYSTEME. 

Ce  mode  de  numération  est  fondé  sur  Yabondjed 
«juAM,  ou  oriental,  lequel,  comme  on  le  sait,  est  divisé 
en  huit  mots  techniques,  ainsi  disposés  : 

876  5  4321 

Dans  le  système  dont  nous  parlons,  on  ajoute,  à 
une  hampe ,  un  trait  à  droite  pour  les  chiffres-lettres 
qui  sont  tirés  du  premier  mot,  deux  traits  pour  ceux 
issus  du  deuxième  mot,  en  continuant  ainsi  jusqu'à 
huit  traits  à  droite  pour  le  huitième  mot.  A  gauche 
on  trace  un  trait  pour  la  première  lettre  du  mot, 
deux  pour  la  seconde ,  etc. 


262 


SEPTEMBRE. OCTOBRE    L899. 


Par  suite ,  le  système  complet  se  présente  comme 
suit  : 


u  r 


J  d 


;  -? 


z 


LJ 


\ 


mi  n^  m  fTTT 


5o     ho    3o    ao 


lo     9      8 


765 


h       3       -j       1 


là 


f  leo"        *   Z 


1000  900  800     700  600  ôoo 


4oo  3oo  Qoo  100     90  80  70  60 


Indifféremment,  les  traits  ajoutés  à  la  hampe  sont 
tracés  descendants  ou  ascendants. 

Ce  système,  à  la  fois  numérique  et  alphabétique, 
c'est-à-dire  utilisé  à  écrire  tantôt  des  nombres,  tan- 
tôt des  mots ,  —  les  signes  ont  alors  la  valeur  pho- 
nétique des  lettres  qu'ils  représentent  — ,  est  dé- 
nommé (S^^)^^  ordoni  «  de  Tarmée  ».  Comme  valeur 
numérique,  il  servait  surtout  dans  les  états  d'ef- 
fectifs. 

Quand  il  s'agissait,  dans  ces  états,  d'exprimer  des 
nombres  relatifs ,  non  plus  au  personnel ,  mais  à  la 
comptabilité  matières  :  vivres,  fournitures,  équipe- 
ment, etc. ,  il  prenait  la  dénomination  technique  de 
>^  iS^^^^^  ordouï  cheîla  «  des  choses  de  l'armée  »,  et 
subissait  alors  une  transformation. 

Comme  précédemment,  une  hampe  est  tracée 
mais,  à  droite,  est  ajouté  un  trait  pour  les  unités, 


NOTATIONS  NUMÉRIQUES  SECRÈTES  TURQUES.     263 

deux  traits  pour  les  dizaines,  trois  pour  les  centaines, 
quatre  pour  les  milliers.  Ensuite  un  trait  est  ajouté 
à  gauche  pour  signifier  2  ,  deux  pour  3 ,  pour  ainsi 
continuer  jusquà  9,  qui  comprend  huit  traits;  les 
traits  ou  barbes  vont,  ad  libitum,  de  bas  en  haut  ou 
de  haut  en  bas. 

La    notation  précédente,   ainsi  transformée,  se 
présente  avec  les  formes  suivantes  : 


i»      « 


yo      80       70      60       5o       4o       3o       ao       lo 

ff ffllf 


900  800  700  600  ôoo  '100  3oo  a 00  100 


f  f  T  T  f 


gooo  8000  7000  60U0  ôouo  4ooo  3ouo  aooo  luoo 


f  f  f  I F 


Si  les  deux  notations  sont  employées  concur- 
remment, la  première  avec  une  valeur  alphabétique, 
la  seconde  avec  une  valeur  numérique,  les  barbes 
de  Tune  sont  tracées  du  haut  vers  le  bas  et  celles  de 
l'autre  de  bas  en  haut. 


264  SEPTEMBRE-OCTOBRE  189Q. 

On  remarquera  certainement  l'intérêt  présenté 
par  la  double  transformation  linéraire  ci -dessus, 
de  nature  à  aider  à  l'explication  d'autres  systèmes 
linéaires ,  alphabétiques  ou  numériques ,  absolument 
étrangers  aux  Musulmans. 

Il  ne  serait  pas  impossible,  par  exemple,  que 
l'alphabet  ogam,  qui  a  coexisté  avec  l'alphabet  ru- 
nicpie  et  se  trouve  constitué  par  des  traits  placés  à 
droite,  à  gauche  ou  au  travers  d'une  hampe,  soit  la 
transformation  linéaire  d'un  alphabet  relié  au  système 
général  issu  des  lettres  phéniciennes. 

Si  l'on  veut  bien  se  reporter  dans  ïHistoire  de 
t écriture  dans  Vantiqaité,  par  Philippe  Berger  (Paris, 
in-4°,  1891),  au  chapitre  consacré  à  l'écriture  oga- 
mique,  —  notamment  p.  3^5,  1.  i5  à  p.  346, 
1.  6 ,  —  on  pourra  démontrer  que  les  trois  forma- 
tions linéaires  ogamiques  données  pour  le  mot  korvi, 
cité  comme  exemple,  sont  constituées  par  la  trans- 
formation ,  —  d'après  un  procédé  absolument  iden- 
tique à  celui  du  système  turc,  décrit  plus  haut, 
—  de  l'alphabet  runique,  préalablement  divisé  en 
trois  sections  de  huit  lettres  chacune.  Cette  consta- 
tation est  de  nature  à  faciliter  la  transcription,  en 
lettres  runiques ,  de  certaines  inscriptions  ogamiques , 
linéaires  ou  constituées  par  des  points. 

TROISIÈME  SYSTÈME. 

Il  s'agit  ici  d'une  numération  appelée  jJbU^  dam- 
gain ,  c'est-à-dire  «  de  contrôle  »  ou  a  de  poinçonnage  ». 


NOTATIONS  NUMÉRIQUES  SECRÈTES  TURQUES.     265 

Elle  était  employée  surtout  à  marquer  les  objets 
d'équipement  militaire.  Mais,  notamment  dans  la 
marine  de  guerre,  elle  était,  de  plus,  utilisée  à  la 
fois  comme  écriture  de  numération  et  comme  écri- 
ture cryptographique.  Selon  qu'il  s'agissait  de  la  ma- 
rine ou  de  l'armée,  la  notation  prenait  les  formes 
ci-après ,  toutes  composées  de  traits  et  de  points ,  au 
nombre  de  quatre  éléments  : 

:     ~:      ~  -T-     :     =^^ZII^=:-L  =  -7-III==  marine 


armée 


70  60  5o  4o  3o  20   lo    9     8     7     6     5     /i     3     2     1     valeur 

A  ce  point,  les  seize  combinaisons  à  tirer  de  la 
variation  de  quatre  éléments  étant  épuisées,  douze 
autres  sont  constituées  en  reprenant  les  douze  pre- 
mières formes  :  on  les  souscrit  d'un  r  quand  la  base 
du  signe  est  un  trait,  d'un  lj  non  ponctué  quand 
cette  base  est  un  point.  Parfois,  cependant,  on 
souscrit  d'un  r  quand  la  tête  est  un  trait;  ce  détail 
est  laissé  à  la  fantaisie  du  copiste.  Ainsi  l'on  a  : 

t    ^  cF  ^    t  ^  "^  ^  ^    a  C^  ^ 

•  ■■  •         —  ■  ■  I      ■  ■  I  ■         •  •         ■  »-         •  •  •  • 

:       ~r==:IEI===F^-r-    =    I^IïI=     marine 

t      '^^^'      f    LJ    Lj    i~j     Y      f     i^     t 

-T-     I^-r"_i_J_'T"=F-i-^^    =    =     armée 

Y         i^       i~J       *^        f'       LJ       i^        ^         f  f        LJ       f 

1000  900  800  700  600  5oo  4oo  3oo  200  100    90    80     valeur 

Dans  la  pratique,  les  marques  se  modifiaient  sou- 


266  SEPTEMBRE-OCTOBRE  18Q9. 

vent  par  un  resserrement  sur  la  gauche ,  qui  faisait 
toucher,  par  leur  extrémité  gauche,  les  barres  ou 
traits  du  signe.  Alors  les  points  se  trouvaient  placés 
soit  entre,  soit  contre  les  barres.  Souvent  aussi  la 
figure  angulaire  ainsi  formée  a  sa  pointe  en  haut« 
Ainsi  étaient  constitués  les  Lut  ou  guidons  régi- 
mentaires ,  où  les  barres  étaient  représentées  par  des 
cordes  de  passementerie  et  les  points  par  des  corde- 
lettes plus  courtes,  terminées  par  un  gros  nœud. 
Ces  Ujf  indiquaient  ainsi,  en  signes ^^XjU^,  le  numéro 
du  régiment.  Ils  étaient  formés  de  cordes  et  de 
cordelettes  de  couleurs  variées,  mais  non  choisies 
au  hasard,  car  chaque  couleur  avait  une  signification 
en  quelque  sorte  héraldique.  Les  ortas  ^l^ycû  avaient', 
dans  leur  Ujf ,  une  corde  ou  cordelette  rouge;  les 

ortas  JjJtf^Lk.  en  avaient  une  verte,  les  ^UiC»»»  en 
avaient  une  jaune. 

Ainsi  le  système  ^Xjto:>  en  arrive  à  ressembler,  par 
certains  côtés,  aux  Quippos  péruviens,  dont  parle 
M.  Philippe  Berger  dans  son  ouvrage  déjà  cité, 
ch.  I. 

Selon  toute  apparence,  la  notation ^XjU^  est  issue 
d  un  alphabet  de  seize  lettres  seulement. 

Les  noms  des  mois  sont  exprimés  comme  suit 
dans  ce  système  :  Moharrem,  IE~;  Sefer,  =;  Rébi 
el  ewel,  =;  Rébi  el  akher,  -f-;  Djemazi  el  ewel,  T; 
Djemazi  el  akher,  4-;  Redjeb,  =;  Chabân,  =  =  ; 
Ramazan,  ^;  Chewal,  ih;  Zoul-Qadé,  =7=;  enfin 
Zoulédjé,  :i^. 


NOTATIONS  NUMÉRÏQIKS  SECRÈTES  TURQUES.     267 


QUATRIEME  SYSTEME. 

Usité  comme  nmnération  et  comme  écriture  se- 
crête,  ce  système  était  employé  surtout  en  Egypte, 
en  Syrie  et  sur  les  côtes  barbaresques  ;  les  traités 
arithmétiques  turcs  le  nomment  yiy*»j^  «  égyptien  » , 
ceux  égyptiens  l'appellent  ^^\JU  ou  ^^u^Ui  «  syrien  », 
enfin  les  documents  syriens,  (^ytiXi'  «de  Palmyre  ». 
Je  ne  vois  pas  d'autre  traduction  possible  pour  ce 
dernier  mot. 


Voici  les  formes  de  cet  alphabet  ; 


7i 


^ 


J        J 


Les  secondes  formes  d'une  même  lettre  sont  celles 
finales ,  sauf  pour  ô ,  dont  la  première  forme  équi- 
vaut à  (-» . 

V 

Il  n'y  avait  là  que  les  vingt-deux  lettres  fondamen- 
tales mais,  comme  le  disent  explicitement  les  auteurs 

xrv.  i8 


MraiHEUe    «AVIOBALK. 


2Ô8  SEPTKMRRK-OCTOBHE  181)9. 

turcs,  il  en  a  été  ajouté  six  autres^  pour  compléter  et 
la  correspondance  avec  Talphabet  arabe  et  la  numé- 
ration de  1  à  1,000.  Voici  ces  six  lettres  : 

^        là        ^       i»         3        o 

^«^  !>•  5    W  ^ 

Ce  système  a  été  utilisé  jusqu'en  des  temps  très 
voisins  du  nôtre;  donnons  un  exemple,  . 

En  1869,  en  vue  de  faire  établir  pour  nos  ofiB- 
ciers  une  comparaison  entre  l'expédition  avortée  de 
Charles  III  d'Espagne  contre  Alger  et  l'expédition 
française  de  i83o,  le  Ministère  de  la  guerre  fil 
venir  d'Afrique  à  Paris  l'original ,  en  turc ,  du  rapport 
militaire  (le  la  Régence  d'Alger  à  la  Porte  sur  l'ex- 
pédition de  Charles  III.  Ce  document  fut  confié  à 
un  interprète  militaire  chargé  de  le  résumer. 

Le  manuscrit,  que  j'ai  vu  alors,  portait  le  timbre 
d'une  bibliothèque  d'Alger.  Après  toute  une  liasse  de 
comptabilité  venait  le  rapport  de  la  Régence.  Aux 
annexes  justificatives,  placées  à  la  suite,  figurait, 
(Mitre  autres  pièces,  une  longue  lettre  d'espion  tracée 
en  espagnol  dans  le  caractère  hébraïque  dit  h  ,■!> 
cpl^j^t.  La  signature  était  formée  au  moyen  de 
l'alphabet  tadmoari  et  portait  (nous  employons  pour 
la  transcrire  l'alphabet  turc)  : 

Felipe,  rabbina  loiiLSiiuCbcn  Azcr,  nacido  en  Grenada* 


NOTATJONS  MMKIUQLES  SECHÈÏES  TlKQLUvS.     :200 

Ensuite  venait,  sur  des  feuilles  de  tous  points 
identiques  au  papier  de  la  lettre,  un  état  détaillé  des 
forces  espagnoles  de  terre  et  de  mer,  écrit  en  carac- 
tère tadmouri.  Comme  cet  état  se  trouvait  reproduit 
ligne  pour  ligne  et  en  caractèries  turcs  usuels  dans 
le  rapport  de  la  Régence,  il  me  fut  facile  de  me 
rendre  compte  de  la  valeur  de  chacun  des  signes 
du  tadmonri. 

A  titre  d'échantillon,  voici  la  reproduction,  en 
lettres  arabes ,  de  la  première  ligne  de  l'état  de  forces 
fourni  par  l'espion,  soit  pour  l'armée,  soit  pour  la 
marine  : 

«  l\egiiiiento  (del)  Hey,    i8r>  (hoimiies)»  ^  «  j  .l^  U  :  ^  L=wJ^ 

(année); 
nEl  Velasco,  70  (canons)»      fr^.tu»^pt      (marine). 

Depuis  lors  je  me  suis  trouvé  avoir  un  exemplaire 
de  l'ouvrage  turc  de  lexicographie  intitulé  :  ;^*>JI 
»;^^j^t  cpliaJUJt  ^:^l  i  »;>iU'  «oLacUJL!  comnmné- 
ment  dénommé  Galathaii  Méchouhré,  iujprimé  à 
Constîmtinople  en  1  9.5  1 .  Il  contient,  de  la  page  SSy 
à  la  page  3 60,  toute  uncî  série  d'alphabets ,  en  clair 
ou  cryptographiques,  européens  ou  orientaux. 
D'après  cet  ouvrage,  où  se  retrouvent  la  plupart  des 
notations  données  dans  la  présente  note ,  nous  avons 
reproduit  plus  haut  le  tadmouri;  l'invention  de  ce 
caractère  y  est  attribuée  au  prophète  Moïse,  celle 
de  l'alphabet  grec  à  Jésus,  celle  de  larménien  à 
Daniel,  et  c(»lle  du  latin  à  Isaac.  Inutile  d'insister. 


18. 


.« 


270  SIOPTEMBHK-OCTOBHK   1899. 


DE  L'ABOUDJED  SEGLIR. 

Ne  quittons  pas  les  notations  numériques  sans 
donner  ïaboudjed  sé^uir  des  mathématiciens  turcs, 
lequel  (comme  le  système  sanscrit  fourni  par  Pihan, 
p.  16  de  son  Exposé  des  sicjnes  de  numération  usités 
chez  les  peuples  orientaux)  sert  à  la  fois  et  à  calculer 
et  à  composer  des  expressions  techniques  et  mnémo- 
niques pour  les  nombres  compliqués.  Voici  cet  abou- 
djed  : 


LrufJ^t^^c)-5*^S 


o 


/i       G       8       10       9       8      7     G      5      4      3       2      1 
48      A      08        4        o84        0       8 


On  remarquera  Tabondance  avec  laquelle  les 
chilfres  ^  et  8  sont  représentés  dans  cet  aboudjed; 
ils  s'y  présentent  six  fois  chacun.  Cela  s'explique. 
L\ihoudjed  séguir  est  employé  surtout  au  calcul  des 
Fractions,  où  les  quarts  et  les  huitièmes  se  présentent 
avec  une  fréquence  particulière.  Grâce  à  la  variété 
des  lettres  susceptibles  de  représenter  quatre  et  huit , 
la  notation  des  quarts  et  des  huitièmes  est  spéciale- 
ment simplifiée.  Ainsi  des  expressions  comme  i/4  A 
et  i//i  B  se  rencontrent  très  souvent  dans  le  calcul 
des  angles.  Pour  exprimer  d'un  seul  signe  le  diviseur 
4  et  la  concrétante  A,  le  calculateur  oriental  écrira 
simplement  la  lettre  :>,  qui  est  la  première  forme 


NOTATIONS  NUMÉRIQUES  SECRÈTES  TURQUES.     271 

de  4.  De  même,  pom^  rendre  avec  un  seul  caractère 
4  et  B,  il  emploiera  la  lettre  p,  soit  la  seconde  forme 

de  4. 

Notons  que  les  mathématiciens  musulmans 
nomment  d'ordinaire  le  zéro  IajUm  saqith  ou  manque. 
Il  prend  toutefois  le  nom  de  tyft)  ou  »y^j  zehra  ou 
zehré  quand  il  s'agit  de  la  division ,  —  particulière- 
ment de  la  division  planétaire  — ,  et  que  le  reste  est 
zéro.  Alors  le  nombre  dont  il  s'agit  est  considéré 
comme  s'appliquant  à  zehra  ou  zehré  soit  à  la  planète 
Vénus,  car  tel  est  le  second  sens  de  zehra  ou  zehré, 
dont  le  premier  est  brillant  et  paraît  s'appliquer 
parfaitement  à  une  opération  de  résultat  absolument 
satisfaisant  comme  est  celle  sans  reste.  Il  s'agit  vrai- 
semblablement là  d'un  calembourg. 

Soit,  par  exemple,  le  nombre  planétaire  98,  à 
diviser  par  1  4  ;  le  dividende  sera  7  et  le  reste  zéro. 
C'est  ce  zéro ,  indicatif  de  l'absence  de  reste  à  la  di- 
vision, qui  prend  le  nom  de  zehra.  Il  y  a  là  une 
nuance  de  signification  avec  le  IajLm,  zéro  qui  joue 
le  rôle  de  chiffre  de  position,  comme  dans  10  ou 
2o4,  et  n'est  pas  alors  dénué  de  valeur  numérique. 


272  SEPTRMBRE-OCTOBRK  1899. 


LE  BODHISATTVA 

ET  LA   FAMILLE   DE  TIGRES, 


PAU 


M.  L.   FEER 


Dans  sii  Grammaire  mongole,  publiée  à  Saint-IV»- 
tersbourg,  en  i83i,  I.-J.  Sclimidt  donnait ,  comme 
«  Exercices  de  lecture  »(p.  128-176),  deux  récits 
mongols  de  l'épisode  du  Bodhisattva  livrant  son 
corps  en  pâture  à  une  tigresse  affamée ,  pour  sauver 
les  petits  qu  elle  venait  de  mettre  bas  et  était  sur  le 
point  de  dévorer.  CVst,  je  pense,  la  première  fois 
qu'on  entendit  parler,  en  Europe,  de  cet  exploit  du 
futur  Buddha ,  et  peut-être  n'eut-il  pas  alors  tout  le 
succès  qu'il  aurait  pu  obtenir,  s'il  avait  été  imprimé 
ailleurs  que  dans  une  grammaire,  et  dans  la  gram- 
maire d'une  langue  qui  n'a  jamais  compté  un  bien 
grand  nombre  d'amateurs. 

Depuis,  différents  auteurs,  Schmidt  lui-même, 
sont  revenus  sur  ce  sujet  dans  des  publications, 
traductions,  analyses  de  textes  sanscrits,  tibétains, 
chinois;  de  sorte  que  cette  manifestation  de  la  pitié 
du  Buddha  pour  tous  les  êtres  est  devenue  célèbre. 
Néanmoins  on  ne  la  connaît  qu'en  bloc;  les  détails, 


LE  BODHISATTVA.  273 

qui  varient  plus  ou  moins  avec  les  divers  récits, 
sont  généralement  ignorés.  Il  me  parait  utile  et  inté- 
ressant de  recueillir  ces  diverses  données,  de  les 
rapprocher  les  unes  des  autres  et  de  présenter  ainsi 
un  ensemble  aussi  complet  que  possible  de  cette  cu- 
rieuse légende. 

1.    JiéGENDE  SEPTENTHIONALE. 

IjC  premier  point  à  signaler,  c'est  qu'elle  nous  est 
connue  seulement  par  des  textes  sanscrits,  tibétains, 
mongols,  chinois.  Ni  le  Jâtaka  pâli,  ni  le  Cariya-pi- 
taka  (très  semblable  par  son  élendue  et  sa  composi- 
tion au  Jataka-mâlâ  sanscrit  où  notre  épisode  se 
trouve)  ne  nous  en  disent  rien.  Il  ne  paraît  pas  im- 
possible qu'on  la  découvre  dans  quelque  recueil  mé- 
ridional inconnu  ou  imparfaitement  exploré.  Mais 
cela  est  peu  probable  ;  car  l'épisode  a  trop  d'impor- 
tance et  frappe  trop  l'esprit  pour  ne  pas  avoir  trouvé 
place  dans  les  principaux  écrits  de  la  littérature  du 
Sud ,  si  cette  littérature  l'a  vraiment  accueilli.  Dans 
l'état  actuel  de  nos  connaissances,  il  est  spécial  h  la 
littérature  bouddhique  du  Nord  '. 

2.    OlIVBAGES  où  EÎ.LE  SE  TROUVE. 

Notre  légende  se  trouve  dans  deux  ouvrages  du 
Kandjour,  le  Daniamûko  ou  Dzafhlun  (Mdo  xxvni) 

*  1^0  fait  a  déjà  été  signalé  par  M.  Speyer,  dans  um»  note  dp  so 
Iracliiclion  ans^laiso  cju  Jâlaka-mâlâ, 


274  SEPTExMBRE-OCTOBRE   1899. 

et  le  Suvarna-prabhâsa  (Rgyud  xii),  ainsi  que  dans 
deux  ouvrages  non  canoniques,  le  Jâtaka-mâlâ  et 
rAvadâna-Kalpalatâ.  Enfin  Hiouen-Thsang  et  son 
biographe  en  font  mention.  Voilà  donc  cinq  sources 
pour  l'étude  de  cet  épisode. 

Les  textes  non  canoniques  formenl  un  groupe  à 
part.  Bs  sont  très  sobres  de  détails  :  la  partie  naiTa- 
tive  y  est  réduite  à  fort  peu  de  chose,  tandis  que  les 
réflexions  de  l'auleur  et  du  héros,  1  éloge  de  son  sa- 
crifice, Télément  sentencieux,  laudatif,  admiratif, 
en  un  mot ,  prend  presque  toute  la  place.  C'est  par 
cet  épisode  que  commence  le  Jâtaka-mâlâ ,  dont 
M.  Kern,  de  Leyde,  a  publié  le  texte  ^  et  M.  Spe- 
yer,  de  Groningue,  une  traduction  anglaise;  on  ne 
connaît  pas  de  version  tibétaine  de  ce  recueil.  Jj'Ava- 
dâna-Kalpalatà ,  dont  il  exisie  une  traduction  tibé- 
taine que  publie  actuellement,  avec  le  texte  sanscrit, 
\si  Bibliotheca  Indica,  mentionne  en  un  çloka  notre 
légende  dans  son  premier  pallava  et  la  raconte  tout 
au  long  dans  la  deuxième  partie  du  5 1  %  M,  Speyer 
en  a  fait  la  remarque  et  a  comparé  sommairement 
le  récit  de  TAv.-Kalp*  avec  celui  du  Jât.-M.  dans  la 
note  déjà  citée,  mise  à  la  fin  du  premier  récit  du 
Jât.-M. ,  dans  sa  traduction  de  cet  ouvrage. 

Des  deux  ouvrages  canoniques  le  Diah-liin  est 
bien  connu  par  la  publication  du  texte  tibétain  et  de 
la  traduction  allemande  [Der  tVeise  and  der  Thor) 

• 

'  Vol.  1  dtî  la  Uarward  Oriental  Séries,  publiée  par  les  soins 
de  M.  Lannian  de  l'Université  Harward  à  Cambridge  (  États- 
Unis). 


LE   BODHISATTVA.  275 

que  Schmidt  en  a  données  en  i843  ;  cest  à  la  ver- 
sion mongole  de  ce  recueil  qu  est  emprunté  le  pre- 
mier des  deux  récits  imprimés  dans  sa  grammaire  en 
i83i.  L'original  indien  semble  perdu,  et  la  traduc- 
tion tibétaine  paraît  même  avoir  été  faite  sur  une 
version  chinoise  ^  Le  second  récit  inséré  dans  la 
Grammaire  mongole  de  Schmidt  est  extrait  du  Siivar- 
iia-prabhâsay  un  des  neuf  Dharmas  du  Népal,  sur 
lequel  nous  avons  une  courte  notice  de  Wassilief - 
et  surtout  une  analyse  très  complète ,  chapitre  par 
chapitre,  de  Burnouf^.  Cet  ouvrage  présente  des 
particularités  qui  nous  contraignent  de  nous  y  arré- 
un  instant. 

3.  JjK  Suvarna-prabhâsa. 

«  On  doit  tenir  pour  certain,  dit  Burnouf,  qu'il  y 
a  deux  rédactions  dfe  cet  ouvrage.  »  Avons-nous  en 
sanscrit  ces  «deux  rédactions»?  J'en  doute  beau- 
coup. H  existe  huit  copies  du  Suv.-pr.,  dont  six  pro- 
viennent de  Hodgson  et  se  trouvent,  trois  à  Paris, 
deux  à  Calcutta,  une  à  Londres;  deux  autres,  rap- 
portées du  Népal  par  M.  D.  Wright  sont  à  Cam- 
bridge. Les  trois  manuscrits  de  Paris  (Soc.  Asiat.; 
Burnouf,  82  et   i3i),  de    120  feuillets  chacun ^*\ 

^  Le  n**  i32  2  de  Bunyiu  Nanjio,  Hien  ju  in-jouen-Kin(j  (Cat.  de 
Beal,  p.  85),  est  une  traduction  de  cet  ouvrage;  H  n'est  pas  à  ma 
portée. 

-  Der  Buddhismus ,  etc.  Allgenieine  Uebersicht,  p.  i53. 

'  Introduction ,  etc.,  p.  471-477  (réimpression). 

^  Le  manuscrit  de  la  Société  asiatique  en  a  en  réalité  121, 
deux  feuillets  portant  le  n"  11 5. 


270  SEPTEMBRIÙ-OCTOBRE  1899. 

nous  donnent  le  même  texte  découpé  en  20  cha- 
pitres. La  table  des  chapitres  du  manuscrit  de 
Londres  (Asiat.  Soc),  donnée  par  MM.  Cowell  et 
Eggeling  ^^\  celle  des  manuscrits  de  Cambridge  (Add. 
875  et  i342-^'),  donnée  par  M.  Bendall,  con- 
cordent entre  elles  et  avec  celles  des  manuscrits  de 
Paris.  Tout  porte  à  croire  cjue  ces  six  manuscrits, 
ayant  d^ailleurs  le  même  titre  :  Siivarnaprahhâsotta- 
masiitrendrarâja ,  reproduisent  un  seul  et  même 
texte.  Je  ne  puis  rien  dire  des  manuscrits  de  Calcutta  ; 
mais  je  pense  qu'ils  ne  difïÏTent  pas  des  précédents , 
les  manuscrits  qui  viennent  de  Hodgson  paraissant 
dériver  tous  d  une  seule  et  même  copie.  Il  serait  ce- 
pendant bon  de  s'assurer  si  les  huit  manuscrits  ap- 
partiennent bien  tous  à  la  même  «  rédaction  ». 

En  tibétain  les  «deux  rédactions»  existent;  elles 
remplissent  le  volume  XII  dui\gyud.  La  première, 
donnée  comme  traduite  du  chinois ,  compte  3 1  cha- 
pitres et  occupe  les  folios  1-208;  la  seconde,  de 
29  chapitres,  occupe  les  folios  2o8-385 ,  soit  1  yy  fo- 
lios, une  trentaine  de  folios  et  deux  chapitres  de 
moins  que  la  précédente.  11  est  évident,  à  première 
vue,  que  nous  nous  trouvons  en  présence  de  deux 
textes  distincts.  Les  matières  traitées  sont  les  mêmes, 
les  titres  des  chapitres  coïncident  en  général,  quoi- 
que plus  longs  dans  la  première  version.  Mais  le 
dualisme  est  manifeste.  La  seconde  version  a  le  même 

'     isiatic  Journal^  vol.  III  (new  wries). 

-  Catalogue  of  the   Buddhist  .ikr,  mss  in   the   Univpr»ity  library: 
Cambridge,  i883. 


LE    BODHISATTVA.  277 

titre  sanscrit  que  les  manuscrits  de  Cambridge, 
Londres  et  Paris  cités  plus  haut;  mais  le  texte  tibé- 
tain est  loin  de  correspondre  exactement  au  sanscrit. 
On  en  verra  des  preuves. 

Le  Tripitaka  chinois  nous  offre  trois  versions  dis- 
tinctes, numérotées  126,  i^y,  i3o  dans  le  Cata- 
logue de  Bunyiu  Nanjio^  Le  n°  126,  qui  remplit 
19/i  feuillets,  a  3i  chapitres  comme  la  première 
version  tibétaine  dont  il  paraît  être  foriginai; 
il  a  aussi  le  même  titre  :  Kin-kwang-ming-tsoiiï-chinq' 
wancj'king'^  (Suvarna-prahhâsa  -  uttama-vijaya-ràja- 
sùtra).  La  plupart  des  chapitres  correspondent  par 
leur  titre  à  cette  première  version  tibétaine.  Le 
n°  127,  intitulé  simplement  Kin-kwang-wing  -king 
(Suvarna-prabhàsa-sûtra)  n'a  que  96  feuillets  et 
18  chapitres,  ce  qui  le  rapproche  du  texte  sanscrit; 
il  paraît  correspondre  à  la  seconde  version  tibétaine 
comme  le  126  à  la  première,  et  avec  aussi  peu 
rrexactitude.  Le  n°  i3o,  ayant  le  même  titre  que 
12 y,  précédé  seulement  des  mots  Ho-po,  semble 
tenir  le  milieu  entre  126  et  127;  il  occupe  i65 
feuillets  et  se  compose  de  'ik  chapitres,  dont  18 
(les  n**'  1,  2,  4,  7,  8,  10,  12-2  3)  concordent 
par  leur  texte  comme  par  leurs  titres,  avec  les  18 
du  n"  127.  On  remarque  seulement  quelques  va- 


*  Ces  n"',  126,  127,  i3o  sont  représentés,  à  la  Bibliothèque 
nationale,  par  les  n"*  383 1 ,  3833 ,  3833  du  Nouveau  fonds  chinois. 

-  Le  titre  chinois  transcrit  dans  le  Kandjour  et  reproduit  par 
Csoma,  est  fautif.  Je  le  rectiGe  comme  suit  :  Ta-çifi  (grand  véhi- 
cule )  kin-hwan-min-dzvi-çin-wan-hin. 


278  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

riantes  dans  le  texle  et  ie  développement  de  certains 
chapitres;  ainsi  ie  septième  de  12-7  n'a  que  sept 
lignes  qui,  dans  son  correspondant,  le  douzième  de 
i3o,  sont  suivies  de  beaucoup  d'autres  lignes  jus- 
qu'à remplir  cinq  feuillets.  Les  chapitres  3,5,6, 
9,  1 1  ,  24  de  i3o  sont  ajoutés  :  i3o  ne  serait  donc 
que  1  27  complété  et  augmenté.  Bunyin  Nanjio  nous 
le  fait  entendre  en  disant  que  i3o  est  une  compi- 
lation, faite  par  Pao-Kweï  et  Jiïânagupta,  de  trois 
traductions  incomplètes  :  celles  de  Dharmaraxa  (le 
n*"  127)  «  la  plus  populaire  en  Chine  »,  —  de  Para- 
mârtha,  qui  comptait  22  chapitres,  —  de  Yaço- 
gupta,  qui  en  comptait  20.  De  là  vient  sans  doute 
la  présence  des  mots  Ho-po  (parties  réunies  ?)  en 
tête  du  titre  de  i  3o.  Bunyiu  Nanjio  ajoute  que  les 
traductions  de  Paramârtha  et  de  Yaçogupta  «  n'ont 
plus  d'existence  indépendante  »;  il  n'en  subsisterait 
donc  que  ce  que  nous  ont  conservé  les  compilateurs 
de  i3o. 

Pour  le  sujet  qui  nous  occupe,  il  n'y  a  pas  de 
différence  à  faire  entre  127  et  i3o;  c'est,  à  quel- 
ques variantes  près,  un  seul  et  même  texte  que  je 
désigne  par  le  chiffre  combiné  1  27-30. 

Les  «  deux  rédactions  »  doivent  exister  en  mongol 
comme  en  tibétain;  mais  je  ne  sais  rien  de  positif 
à  cet  égard.  Tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  que  le 
texte  donné  par  Schmidt  dans  sa  grammaire 
correspond  à  la  première  version  tibétaine;  et,  ce- 
pendant, j'ai  noté  sur  plus  d'un  point  des  diffé- 
rences. 


LE    BODHISATTVA.  i>79 

L'épisode  qui  fait  Tobjet  'de  la  présente  étude 
forme  le  i  y*  chapitre  du  texte  sanscrit  intitulé  Vyâ- 
(jhri-fanvariia  (chapitre  de  la  Tigresse),  — le  26* 
chapitre  des  deux  versions  tibétaines  intilulé  [*S7a^- 
mo-ld\  las  yongs-sa  htan-va  «abandon  du  corps  [à 
une  tigresse]  »,  stag-mo  la  ne  se  trouvant  que  dans 
la  première  rédaction;  —  enfin  le  26*  chapitre  de 
I  26  chinois,  le  1  y*"  de  127,  et  le  22'' de  i3o,sous 
le  titre  commun  che  chin  «  abandonner  le  coi^ps  ». 
Nous  avons  donc  ici,  en  réunissant,  comme  il  a  été 
dit,  1  27  et  1  3o  chinois,  et  en  ajoutant  le  mongol, 
six  versions  de  notre  épisode.  Mais  il  se  trouve  qu  il 
y  en  a  douze  en  récilité,  parce  que  chacun  de  ces 
chapitres  nous  donne  un  double  récit.  D'après 
fusage,  le  second  récit  doit  être  versifié;  et  il  en  est 
ainsi  dans  le  tibétain,  le  chinois  et  le  mongol;  mais 
dans  le  sanscrit,  à  part  une  gâthâ^  qui  s'intercale 
entre  les  deux  récits,  comme  pour  servir  de  con- 
clusion au  premier  et  d'introduction  au  second,  je 
ne  découvre  dans  le  second  récit  aucune  trace  de 
versification.  Les  deux  récits  de  chaque  chapitre  des 
diverses  versions  son!  notablement  différents  l'un 
de  Fautre,  de  même  que  les  chapitres  de  ces  ver- 
sions le  sont  entre  eux;  et  nos  douze  récits,  malgré 
une  teinle  uniforme  et  un  air  de  famille  frappant, 
se  distinguent  tous  par  quelques  pcirticularilés  qui 
leur  sont  propres. 


•280  SKPÏKMBRE-OCTOBRE   1890. 

4.  Le  Dzan-lun. 

Le  Dzah-lun  est  loin  de  présenter  une  complica- 
tion semblable  à  celle  du  Suv.-pr,  Le  récit,  sans  être 
aussi  exubérant,  y  est  très  suffisamment  développé. 
Il  est  double,  lui  aussi,  mais  tout  autrement  que 
dans  les  autres  textes;  car  il  a  ceci  de  spécial  et  de 
caractéristique  d'être  un  Jâtaka  en  règle.  Notre  épi- 
sode est,  du  reste,  un  véritable  Jataka;  et  les  Jata- 
kas,  on  le  sait,  se  composent  essentiellement  dun 
récit  du  temps  présent,  d'un  récit  du  temps  passé 
fait  à  propos  de  Tautre ,  plus  d'un  Samodhâna  don- 
nant ridentification  des  héros  de  lune  et  l'autre  his- 
toin».  Le  Dzaù-lun,  étant  un  recueil  d'Avadânas, 
genre  d'écrits  apparenté  de  très  près  aux  Jâtakas, 
remplit,  et  remplit  seul ,  cette  condition.  Le  Sav.-pr. 
qui  est  un  Sùlra,  el  non  un  Avadâna,  ne  nous  donne 
pas  de  récit  du  temps  présent;  et  cependant  il  con- 
clut par  un  Samodhâna  très  complexe,  mis  à  la 
suite  de  son  second  récit;  car  le  premier  se  termine 
par  la  simple  identification  du  héros  de  Tépisode 
avec  le  Buddha.  C'est  par  ce  même  Samodhâna, 
très  simple,  que  concluent  les  deux  textes  non  cano- 
niques qui  ne  voient  rien  en  dehors  du  futur  Bud- 
dha. 

5.   Récapitulation  des  sodrces. 

En  récapitulant  les  diverses  versions  de  notre  épi- 
sode, nous  en  trouvons  douze  fournies  par  le  Sav,- 


LE   BODIIISATTVA.  281 

pf\ ,  une  par  le  Dz.-L ,  deux  par  des  ouvrages  non 
canoniques,  deux  par  Hiouen-Thsang  et  son  bio- 
graphe, au  total  :  17.  Notre  intention  n'est  pas  de 
faire  une  comparaison  minutieuse  et  complète  de 
ces  nombreux  textes.  Nous  nous  bornerons  à  insis- 
ter sur  un  certain  nombre  de  points,  en  disant  ce 
que  les  divers  récits  nous  en  apprennent. 

6.     CoNUniON   DL    BoDH[SAlTVA. 

Les  textes  non  canoniques  font  du  Bodhisattva 
un  brahmane  de  haut  parage,  né  «  dans  une  grande 
famille  brahmanique  »  [mahati  brâhmanakale) ,  dit  le 
Jât.  M. y  «fils  d*un  brahmane  d'une  famille  riche 
et  puissante.  .  .  ,  honoré  de  tout  le  monde  [mahâ- 
(jdlakalasya  brâhmanasya  putratâm  yâtah  .  .  .  jana- 
samniatah),  dit  l'^t'.  Kalp.  Il  renonça  au  monde 
et  alla  «orner  (de  sa  présence)  une  forêt  élevée» 
[vanaprastham  alamcahâra),  selon  le  Jât.  M.,  «s'en 
alla,  jeune  encore,  dans  le  bois  des  mortifications» 
[(jaivii  sa  yuvaiva  tapovanam),  pour  parler  comme 
\Av,  Kalp. 

Mais  les  textes  canoniques  et  Hiouen-Thsang  sont 
d'accord  pour  le  présenter  comme  un  fils  de  roi. 
Son  père  s'appelait  Mahâratha  «Grand  char»;  il 
avait  deux  frères,  Mahâ-pranâda  «Grand  bruit»  et 
Mahâdeva  «  Grand  dieu  ».  On  ne  donne  pas  le  nom 
de  sa  mère,  quoiqu'elle  figure  dans  tous  les  récits  et 
que  sa  douleur  y  soit  longuement  décrite;  elle  est 
simplement  appelée  «la  reine»  [Devi,  en  sanscrit; 


282  SEPTEMBHK-OCTOBRR    18U9. 

Btsun-mOy  en  tibétain;  Khatiin,  en  mongol; /oa-^/Vn, 
taifou-jiny  en  chinois). 

Le  Bodhisattva  était  le  plus  jeune  des  trois  frères. 
Les  textes  ont  généralement  soin  de  nolerque  Mahâ- 
pranâda  était  Taîné;  Mahâdeva,  le  cadet;  le  Bodhi- 
sattva, le  puîné;  et  ils  les  énumèrent  habituellement 
dans  cet  ordre.  Toutefois  le  second  récit  sanscrit 
met  Mahâdeva  avant  Mahâ-pranâda;  et  les  seconds 
récits  de  chaque  version  citent  en  premier  le  Bodhi- 
sattva, le  qualifiant  même  de  prince  royal,  mais  ils 
déclarent  ensuite  ou  laissent  entendre  qu  il  était  en 
réalité  le  plus  jeune.  Tous  les  textes,  sans  le  dire  po- 
sitivement, le  présentent  comme  un  enfant;  et  ses 
frères,  quoique  plus  avancés  en  âge,  n'étaient, 
semble-t-il,  que  des  adolescents. 

Les  noms  précités  sont  exactement  traduits  eu 
tibétain,  Mahâratha  par  Çih-rta-chen-po ,  Mahâpra- 
nâda  par  Sgra-chen-pOy  Mahâdeva  par  Llia-chen-po. 
Le  mongol  ne  traduit  pas;  il  transcrit  et  donne  pour 
le  nom  du  frère  aîné  Malià-nada  au  lieu  de  Mahâ- 
pranâda.  Les  versions  chinoises  transcrivent  ou  tra- 
duisent, et  font  quelquefois  l'un  et  l'autre;  l'iy-So 
transcrit  le  nom  du  roi  par  Mo-ho-lo-t'oy  tant  en  vers 
qu'en  prose;  au  contraire,  126  traduit  par  Ta-iche, 
Le  nom  de  Mahâdeva  est  transcrit  Mo-ho-ti-po  dans 
la  prose,  et  traduit  Ta-thien  dans  les  vers  des  deux 
versions.  Mais,  pour  le  frère  aîné,  ces  versions 
donnent  un  autre  nom  que  celui  de  Pranâda. 

Il  est,  en  r^ifet,  appelé  Mo-ho-po-na-lo  dans  les  vers 


LK   BODlllSATTVA.  283 

de  l'i-y-So,  ce  qui  suppose  un  sanscrit  Mahd-pra- 
nâla;  i  26  le  donne  dans  sa  prose  sous  la  forme  Mo- 
lio-polo,  à  laquelle  doit  manquer  le  caractère  na; 
mais,  dans  les  vers  de  cette  même  version  126,  on 
lit  la  traduction  Ta-KU.  Or  ku^  «  canal,  confluent» 
rend  précisément  le  sanscrit  Pranâla.  Il  y  avait  donc 
pour  le  nom  de  Pranâda,  une  variante  Pranâla,  con- 
servée par  les  versions  chinoises,  si  toutefois  les  tra- 
ducteurs chinois  n'ont  pas  eux-mêmes,  par  inadver- 
tance ou  sciemment,  altéré  le  nom*^. 

Mais  quel  était  le  nom  du  Bodhisattva  ? 


7.  Nom  du  Bodhisattva. 

IjAv.  Kalp.  lui  donne  celui  de  Satyavrata  (voué  à 
la  vérité);  le  Jât  M.  ne  lui  en  donne  aucun. 

Dans  le  Dz.  /.,  il  s  appelle  Sems-can  chen-po,  tra- 
duction du  nom  bien  connu  Mahâsativa  «  Grand 
être  »  (chinois  :  Mo-ho-sa-to).  Ce  même  nom  lui  est 
attribué  par  tous  les  textes  du  Suv.  pr. ,  au  moins 
connne  qualificatif;  cest  aussi  celui  qu'il  a  chez 
Hiouen-Thsang.  Toutefois  plusieurs  versions  du  Sav. 
pr.  lui  donnent,  avec  plus  ou  moins  de  persistance, 
un  autre  nom  qui  varie  dans  chacune  d'elles.  Seules 

^  Ce  nom  se  rencontre  huit  fois  dans  le  Vyâghrî-parivartla  ;  il  est 
constamment  écrit  Pranâda  dans  les  trois  manuscrits  de  Paris: 
Burn.  1 3 1  a  une  fois  Praçâda.  Jamais  le  d  n*est  remplacé  par  L 

XIV.  19 


iKraiMRUi  wmoiAii. 


284  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

la  mongole  et  la  chinoise  isy-So  restent  invaria- 
blement attachées  au  nom  de  Mahâsattva. 

Voici  comment  s  exprime  le  Sav.  pr.  sanscrit  au 
début  de  la  seconde  partie  : 

Mahàratho  nâina  babhûva  râjâ .  .  .  tasyâpi  putro  Mahâtyâ- 
gavanto  nâmnâ  mahâsattvavaro  babhdva .  . . 

11  y  eut  un  roi  du  nom  de  Mahâratha  ;  il  avait  un  fils  nom- 
mé Mahâtyàgavanto ,  le  meilleur  des  Grands  êtres. 

Dans  cette  phrase,  Mahâsattva  n'est  qu'un  quali- 
ficatif; le  nom  du  personnage  est  bien  Mahâtyàga- 
vanto «  doué  du  grand  abandon  »,  et  cependant  il  ne 
reparaît  plus  dans  la  suite  du  récit  où  le  héros  est 
toujours  appelé  Mahâsattva.  Le  terme  Mahâtyàga- 
vanto se  retrouve  (avec  le  léger  changement  ""vanta) 
dans  le  Lalitavistara^,  associé  à  Sthâmavanta  comme 
qualificatif  de  Sutasoma  (nom  du  Bodhisattva  dans 
les  jâtakas  pâlis  5^5  et  53^),  et  très  exactement 
rendu  dans  la  traduction  tibétaine  par  Gtoii-va-che^ 
Idan.  Or,  dans  la  phase  du  second  Siiv.  pr.  tibétain 
correspondant  à  la  phrase  sanscrite  ci-dessus,  ce 
même  terme  se  retrouve,  mais  seulement  comme 
qualificatif  de  Snin-stobs-chen-po,  nom  du  Bodhi- 
sattva, que  je  crois  pouvoir  restituer  en  sanscrit  sous 
la  forme  Mahâkarunâbala  «  qui  a  la  force  de  la  Grande 
compassion  »,  prenant  sfiih  dans  le  sens  de  «com- 
passion »,  quoiqu'il  n'ait  proprement  cette  significa- 

'  Ëditioa  de  la  Bibliotkeca  Mica,  p.  199,  dernière  ligne* 


LK   HODHISATTVA.  iîSf) 

tion  que  par  fadjonction  du  mot  rdjc\  Voici,  du 
reste,  les  padas  tibétains  correspondant  à  la  phrase 
précitée  avec  Téquivalent  sanscrit  : 

C in-rta'chen-pO'jeS'hyai  ngyaUpo-byiin .  o . 
Mahâratho  nânia  ràjà  babhù>a.  .  . 

He-la  bu  ni  Glon-va-clie-ldan-pa .  . . 
lasyàpi  piitro  Mahatyàgavanto .  .  . 

Snin-stobs-clie  jes  bya-va  dam-pu  yod ,  . . 
Mahâkarunabalo  iiâiimâ  varo  babhùva .  .  . 

Mahâtyâgavanto  et  varo  font  ici  le  même  office  que 
Mahâsattvavaro  dans  la  phrase  sanscrite  à  laquelle 
correspondent  les  padas  tibétains  que  je  suppose  en 
être  la  traduction,  traduction  très  libre. 

Le  nom  de  Snin-stobs-chen-po  est  constamment 
donné  au  Bodhisattva  dans  la  seconde  rédaction  ti- 
bétaine ,  et  celui  de  Mahâsattva  semble  en  être  banni. 
Il  paraît  cependant  une  fois  dans  la  partie  versifiée  : 
un  ministre,  venant  rapporter  au  roi  ce  qui  s'est 
passé,  désigne  le  Bodhisattva  parie  nom,  ou  plutôt 
par  le  qualificatif  de  Sems-can  clien-po  «Grand 
être  ». 

Le  premier  Suv,  pr.  tibétain ,  dans  le  passage  de 
sa  partie  versifiée  correspondant  à  la  phrase  sanscrite 
qui  nous  occupe,  donne  au  Bodhisattva  un  autre 
nom  qui,  de  même  que  Mahâfyâgavanto,  ne  repa- 
rait pas;  c'est  celui  de  Dpa-vo  a  héros»  (skr.  Vira). 
Or  l'équivalent  chinois  de  ce  terme  se  trouve  dans 
1  26  ;  et,  comme  il  y  a  là  trois  padas  chinois  s'adap- 

19- 


286  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

tant  parfaitement  à  trois  padas  tibétains,  —  qui 
doivent  en  être  la  traduction ,  —  je  les  reproduis  ici 
en  chinois  et  en  tibétain,  avec  la  restitution  hypo- 
thétique de  l'original  sanscrit  que  nous  n'avons  pas  : 

KWE  WANG  MING  Ta-TCHE.  .  . 

Yul-bdag  Çin-rtajes  hya  va,  ,  , 
Dececvaro  Mahâratho  nàma.  .  . 

WaNG-TSEU  MING  YOUNG-MOUNG.  .  . 

Rgyul-ba  Dpah-vojes  bya-va,  .  . 
Kuniàro  Vîro  nâma . .  . 

ÏCHANG  CHI  SIN  WOL-LIN  .  .  . 

rta(j'par  sbyin-gton  ser-sna-med .  .  . 
Nityaiîi  dânalyâgo  (?)  vimatsarah .  . . 

Dpah'Vo  est,  je  n'en  doute  pas,  la  traduction  de 
YouNG-MOLNG,  qui  sc  trouvc  ainsi  être  celle  de  \îra. 
Mais,  est-ce  bien  Vira  qui  était  dans  l'original  in- 
dien? Le  composé  chinois  Yoang^  «brave,  coura- 
geux», Tnoung^  «sévère,  cruel»,  peut,  sans  doute, 
être  la  traduction  de  Vira;  mais,  il  peut  aussi  être 
celle  de  Sfiin  stobsy  si  nous  prenons  Snin  dans  le  sens 
de  «cœur,  courage»;  ce  qui  nous  amènerait  à  re- 
monter de  Snin-stobs-chen-po  à  un  composé  sanscrit 
tel  que  Mahâhrdayabala.  Dans  ce  cas ,  les  doux  termes 
tibétains  Dpah-vo  et  Sfdh-stohs-chen-po  seraient  deux 
équivalents  d'un  nom  sanscrit  que  nous  ne  pouvons 
restituer  avec  certitude,  mais  qui  exprimerait  le  cou- 


LE  BODHISATTVA.  287 

rage,  un  courage  extraordinaire,  extravagant,  plutôt 
que  la  compassion* 

Je  m'en  tiens  cependant  à  la  restitution  que  j  ai 
proposée  d abord,  parce  que  c'est  la  compassion 
qu  on  veut  surtout  mettre  en  relief  dans  ce  récit 
où  le  mot  kdranâ  revient  constamment  dans  des 
expressions  telles  que  Karanâmaya,  Karanânidhù  Je 
m  y  sens  d'autant  plus  autorisé  que  le  mot  Mahakâra- 
nyabala  se  trouve  dans  les  textes,  sans  y  être  donné , 
il  est  vrai,  comme  nom  propre.  Dans  le  passage 
déjà  cité  du  second  récit  sanscrit,  le  ministre  qui 
vient  annoncer  au  roi  la  triste  nouvelle  lui  dit  que 
le  «  meilleur  des  grands  êtres  »  s'est  fait  dévorer  par 
une  tigresse  «  après  avoir  produit  une  grande  force 
de  compassion  »  [mahamta[m]  Kârunyabalam  janetvâ); 
ce  que  la  première  rédaction  tibétaine  rend  par  : 

Rgya  l'po  sems-can-chen-po-yis 
Le  prince  roval  Mahâsattva 

thiigs-ije  cheii'pol  sems  hskyed-di' 

ayant  produit  une  pensée  de  grîinde  compassion. 

tandis  qu'on  lit  dans  la  seconde  rédaction  : 

Sniii-rje  chen-po-ldan-pai  *  sems-bs/cyed-de 

ayant  produit  la  pensée  de  celui  qui  possède  la  grande 
compassion. 

En  résumé,   les  textes  canoniques  nous  donnent 

^  Je  lis  Idan-pai  au  lieu  de  Idan-pas. 


288  SEPTKMIUIE-OCTOBHK  1890. 

trois  noms  pour  le  Bodhisattva  :  Mahâsattva,  qui  se 
trouve  dans  tous ,  même  dans  le  second  tibétain ,  soit 
comme  nom ,  soit  comme  épithète;  —  Mahâ-karunâ- 
bala  (original  supposé  de  Shih'Stohs-chen-po)^  spécial 
au  second  tibétain;  —  Vira  (original  supposé  du 
tibétain  Dpa-vo  et  du  chinois  Yoang-moung) ,  fourni 
par  le  premier  tibétain.  La  deuxième  appellation, 
constamment  répélée  dans  le  second  tibétain  me 
paraît  être  le  véritable  nom;  la  troisième  serait  une 
sorte  de  variante.  Quant  au  mot  Mahâsattva,  j  y  vois 
un  simple  qualificatif,  qui  aurait  fini  par  sup- 
planter les  autres  dénominations  et  devenir  un  nom 
propret 

8.  Circonstances  de  l'événement. 

Au  cours  d'une  promenade  que  le  roi  faisait  avec 
ses  femmes,  ses  ministres,  ses  enfants,  —  ceux-ci, 
s'écartant  pour  cueillir  des  fleurs,  s'engagèrent  dans 
un  fourré  où  ils  aperçurent  une  tigresse  exténuée, 
aflbmée,  sur  le  point  de  mourir  ou  de  dévorer  les 
petits  qu'elle  avait  mis  bas  depuis  plusieurs  jours,  dit 
le  Dz.  /. ,  depuis  sept  jours  dit  le  Sav.  pr.  Le  Bodhi- 
sattva  questionna  ses  frères  sur  les  moyens  de  sauver 
cette  intéressante  famille.  Une  fois  renseigné ,  il  les 
pria  de  continuer  leur  chemin  disant  qu'il  ne  tarde- 
rait pas  à  les  rejoindre.  Alors  il  se  débarrassa  de  son 
vêtement  de  dessus  qu'il   accrocha   aux  branches 

^  On  sait  que  le  mot  Maliàsaltva  accompagne  souvent  le  terme 
Bodhisativa  comme  simple  qualificatif. 


LE   BODHISAÏTVA.  289 

(run  arbre;  puis,  après  avoir  fait  un  pranidhâna 
(vœu)  pour  la  Bodhi,  il  «  tomba  devant  la  tigresse  » 
[vyâghryâ  abhimukham  prapatitah),  dit  le  Suv.  pr,;  la 
traduction  tibétaine  et  le  Dz.  l.  disent  :  «  il  se  cou- 
cha u  (nal).  Mais  la  bête  était  trop  faible  pour  saisir 
la  proie  qui  s'offrait  à  elle  ;  il  se  releva  donc  et  prit 
lin  éclat  de  bois  «pointu»,  dit  le  Dz,  L  tibétain, 
((  sec  »  dit  le  mongol.  D*après  le  Suv,  pr. ,  il  chercha 
d'abord  une  arme  [çastram);  nen  trouvant  pas,  il 
prit  un  «  morceau  de  bambou  »,  —  de  pinuda,  dit  la 
version  mongole,  —  «  extrêmement  fort  ot  vieux  de 
cent  ans  »  [atibalâm  varsaçatikâm  grliitvâ),  dit  le  Suv. 
pi\  sanscrit,  fidèlement  traduit  par  la  deuxième  ré- 
daction tibétaine;  puis,  se  perçant  la  gorge,  tomba 
devant  la  tit^resse  qui,  ranimée  par  le  sang  coulant 
de  la  blessure,  Teut  bientôt  dévoré. 

Ces  détails  sont  puisés  dans  la  première  partie 
du  chapitre  du  Sav.  pr,  qui  raconte  longuement  cette 
histoire  et  concorde  pour  fensemble  avec  le  Dz.  L 
La  seconde  partie  ne  la  relate  que  très  brièvement 
en  trois  ou  quatre  lignes,  et  cependant  indique, 
plutôt  qu  elle  rie  décrit ,  un  autre  procédé.  Voici  le 
texte  sanscrit  : 

.  .  .  Patitaccâsit  tadâ  sa  Mahârathasuto  M ahàsattvah .  . . 
(Irstvâ  ca  vyâghrim  xudhârtlâm  vyâghrasutamoxa- 
nârtham  karunàmaye  patite .  .  . 

...  Et  il  tomba  alors ,  le  fils  de  Mahâratha ,  le  grand 
être  ;  et  quand ,  pour  avoir  vu  une  tigresse  tourmen- 
tée par  la  faim ,  celui  qui  était  fait  de  compassion  fut 
tombé  pour  sauver  les  petits  tif(re8 , ,  . 


290  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

On  nous  dit'  deux  fois  qu'il  «  tomba  ».  Gomment 
tomba-t-il?  Il  parait  que  ce  fut  en  se  précipitant  du 
haut  d'une  montagne.  Je  n  eusse  jamais  tiré  ce  sens 
de  la  phrase  sanscrite  ci-dessus;  mais  la  traduction 
tibétaine,  qui  est  loin  d'être  littérale,  ne  laisse  aucun 
doute.  On  y  lit  : 

thar-va  bya-phyir  snin-rdje-yis 
inoxanârtham  karunava 

ri-nos  gzar-va  mckons-pa 
giri-parçva-prapâtât(?)  patitah 

«  Pour  sauver  (les  petits  tigres)  par  compassion ,  il  sauta 
du  haut  de  la  montagne.  » 

Du  reste,  le  texte  sanscrit  se  commente  lui-même 
dans  la  suite  du  récit;  car  le  passage  vraiment  pré- 
cieux, déjà  plusieurs  fois  cité,  dans  lequel  le  mi- 
nistre annonce  au  roi  ce  qui  s*est  passé,  contient 
cette  phrase  :  patito  Mahâsaitvo  giritatât  «  Mahâsat- 
tva  (ou  le  Grand  être)  tomba  du  sommet  de  la  mon- 
tagne »,  très  exactement  reproduite  en  tibétain  par 
la  phrase  ri-nos-gzar-naS'mcJwnS'pa,  qui  nest  que  la 
répétition  de  celle  que  nous  avons  donnée  ci-dessus  ^ 

Il  y  a  donc  deux  versions  :  d*après  Tune,  le  Bo- 
dhisattva  tombe  devant  la  tigresse  en  se  perçant  la 
gorge  avec  une  branche  d'arbre;  c'est  celle  du  jDz.  /. 
et  de  la  première  partie  du  chapitre  du  Sav.  pr, 
sanscrit-tibétain.  D'après  le  seconde,  il  se  précipite 

^  La  variciiite  Gzcu'-nas,  au  lieu  de  Gzar-va,  est  plus  correcte. 


LE   BODHISAÏTVA.  291 

du  haut  d'une  montagne  de  manière  à  tomber  de- 
vant la  tigresse;  c'est  celle  de  la  seconde  partie  du 
chapitre  du  Sav,  pr.  sanscrit  et  de  la  seconde  ré- 
daction tibétaine. 

Mais  il  existe  une  troisième  version  qui  consiste 
à  réunir  les  deux  procédés  :  la  blessure  à  la  gorge 
et  le  saut  du  haut  de  la  montagne.  CVst  la  première 
rédaction  tibétaine  qui  nous  présente,  dans  sa  partie 
versifiée,  ce  singulier  amalgame.  Je  traduis  les 
quatre  padas  qui  se  lisent  au  folio  i  gg  (lignes  4-5) 
du  volume  XII  du  Rgyud  : 

Etant  monté  au  sommet  de  la  montagne  , 

il  projeta  son  corps  devant  la  tigresse  afFamée. 

Comme  elle  était  exténuée  au  point  d'être  Incapable  de 

manger, 
avec  un  bambou  il  avait  fait  jaillir  du  sang  de  sa  gorge. 

La  version  mongole  correspond  à  la  seconde  ré- 
daction tibétaine;  il  n  y  est  toutefois  pas  dit  qu'il 
«  gravit  »  la  montagne  ;  il  s'y  trouvait  et  se  précipita 
dans  le  vide. 

Les  versions  chinoises  offrent  ce  trait  particulier 
que  la  blessure  h  la  gorge  n'y  figure  pas  isolément, 
tandis  que  c'est  le  contraire  pour  le  saut  du  haut  de 
la  montagne.  C'est  la  version  12^-30  qui  nous  pré- 
sente l'épisode  de  cette  double  façon.  On  y  lit,  en 
effet ,  dans  la  partie  en  prose  : 

Alors,  se  levant,  il  chercha  une  arme  tout  à  fentour.  N'en 
trouvant  pas ,  il  se  perça  la  gorge  avec  un  bambou  sec  de  ma- 


292  SEPTEMBKE-OCTOBRE  1899. 

nière  à  faire  jaillir  le  sang,  et  se  précipita  du  haut  de  la 
montagne  devant  la  tigresse. 

et  dans  la  partie  versifiée  : 

Alors ,  gravissant  un  lieu  é\e\v , 

il  se  jeta  devant  la  tigresse  ; 

celle-ci ,  que  la  faim  tourmentait , 

en  profita  (?)  pour  se  lever  et  (le)  dévorer. 

La  version  126,  dans  les  vers  comme  dans  la 
prose,  mêle  toujours  les  deux  actes;  mais,  contrai- 
rement à  l'iy-So,  elle  place  la  blessure  à  la  gorge 
après  le  saut  meurtrier  et  a  soin  d'accentuer  l'in- 
vraisemblance  de  cette  combinaison.  Car  elle  dit, 
dans  sa  prose  : 

Alors  il  gravit  une  montagne  élevée  et  se  jeta  à  terre; 
puis  il  fit  cette  relie  «on  :  «Actuellement,  cette  tigresse  ex- 
ténuée est  trop  fai])le  pour  pouvoir  manger;  je  me  lèverai 
donc  et  chercherai  une  arme.  »  N'en  trouvant  pas,  il  se  perça 
la  gorge  avec  un  bambou  sec  et  en  fit  sortir  du  sang  à  proxi- 
mité du  lieu  où  était  la  tigresse. 

Les  vers  disent  la  même  chose  sous  une  forme 
plus  brève  et,  par  suite,  moins  choquante  : 

Alors  il  se  rendit  sur  le  sommet  d'une  haute  montagne 
et  se  précipita  devant  la  tigresse  adamée. 

La  tigresse  ne  pouvant  manger  à  cause  de  sa  faiblesse , 
il  se  fit  un  trou  à  la  gorge  avec  un  bambou. 

Les  auteurs  des  textes  non  canoniques  ont  eu  le 
bon  esprit  de  ne  pas  concilier  les  deux  versions; 


LK   RODHfSATTVA.  293 

mais  ils  se  partagent.  VAv,  Kalp.  adopte  la  première, 
la  saignée  à  la  gorge  : 

Dhyâtveti  nyapatat  vyâghryâh  sa  purah  karunânidhi 
îjaladraktam  sale  krtvâ  xatam  venucalâkavâ. 

«Ces  réflexions  faites,  il  tomba  devant  la  tigresse,  ce 

trésor  de  compassion , 
«  après  avoir  fait  couler  du  sang  de  sa  gorge  par  une 

blessure  faite  avec  une  branche  de  bambou.  » 

11  est  à  remarquer  que,  d'après  ce  texte,  par  un 
raffinement  singulier,  le  Bodhisattva  «  donna  son 
corps  ))^  sept  jours  avant,  et  non  après  la  mise  bas  de 
la  tigresse,  agissant  ainsi  non  pour  arracher  des 
nouveau-nés  à  un  péril  imminent,  mais  pour  sau 
ver  des  êtres  qui  n'existaient  pas  encore  d  un  danger 
futur,  deviné  à  l'avance. 

Le  Jât.  M.  nous  donne  l'autre  version.  De  la  forêt 
«  élevée»  où  il  se  trouvait,  le  B.  aperçut  la  tigresse 
dans  une  caverne  [girigahvare) ,  et  il  chargea  son 
disciple  Ajita,  qui  lui  tenait  compagnie,  de  chercher 
de  la  nourriture  pour  la  pauvre  béte.  Ajita  parti,  il 
a  lança  son  corps»  [tanum  atsasarja).  Quand  Ajita 
revint  après  d'inutiles  recherches,  il  ne  trouva  plus 
son  maître;  mais  en  bas  de  la  montagne  la  tigresse 
prenait  son  repas.  Il  vit,  comprit  et  admira. 

Quant  h  Hiouen-Thsang ,  il  reproduit  la  version 
du  Bodhisattva  Mahâsattva  «  se  perçant  le  corps  avec 
un  morceau  de  bambou  desséché  ». 

1  Dattarh  çariram:  vers  io8  du  premier  Pallava  de  VAv,  Kalp. 
(cité  par  M.  Speyer  dans  sa  traduction  du  JàU'M.,  p.  7). 


2n  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

Je  considère  cette  version ,  la  saignée  à  la  gorge , 
comme  primitive.  Le  saut  du  haut  de  la  montagne 
et,  à  plus  forte  raison,  la  conciliation  des  deux  ver- 
sions doivent  être  des  inventions  postérieures. 

9.  Découverte  df  l  événement. 

Le  B.  avait  accompli  son  sacrifice  sans  témoins. 
Dans  le  Jât  Af. ,  il  écarte  son  disciple;  dans  les 
textes  canoniques,  il  écarte  ses  frères.  Mais  le 
tremblement  de  terre  et  les  autres  prodiges  qui 
accompagnent  son  action  la  révèlent,  et  ses  frères 
sont  les  premiers  à  découvrir  ce  qui  s'est  passé; 
seulement  leur  émotion  est  telle,  qu'ils  perdent  con- 
naissance. Ici  il  y  a  une  série  d'incidents  dans  le 
détail  desquels  je  ne  pourrais  entrer  sans  grossir 
démesurément  cette  étude,  et  qui,  d*aiUeurs,  ne 
tiennent  pas  spécialement  au  sujet  que  je  traite. 
C'est  le  Suv,  pr,y  où  ils  sont  plus  nombreux  dans  la 
seconde  partie  du  chapitre  que  dans  la  première, 
qui  nous  les  fournit  :  car  le  récit  du  DzA.  est  bien 
moins  surchargé. 

Je  signalerai  cependant,  parmi  tous  ces  détails, 
les  rêves ,  visions ,  hallucinations  de  la  mère  du  Bo- 
dhisattva  au  moment  où  le  sacrifice  se  consomme. 
Ainsi  ses  trois  fils  lui  apparurent  comme  trois  petites 
colombes,  dont  la  plus  jeune  fut  ravie,  presque 
entre  ses  bras,  pai'  un  oiseau  de  proie;  ce  trait  est 
le  seul  qui  se  trouve  dans  le  DzA.  Le  Sav,  pr.  ajoute, 
dans  le  premier  récit,  les  «  seins  tranchés  »  (Stanaa 


à 


LE  BODHISATTVA.  295 

chidyamduau) ,  les  «dents  tombées»  [daritaatpâtanam 
cakriyamânam);  ce  qui  est  remplacé,  dans  le  second 
récit,  par  le  «  lait  s'épanchant  des  mamelles  »  [ubhâ- 
bhyâm  stanamukhâbhyâm  xiram  pramuktam) ,  des 
«  piqûres  sur  tout  le  corps  semblant  produites  par  des 

aiguilles»  [sarvâiïgam sdcibhir  avabhidyamânà). 

Tous  les  textes  sont  d'accord,  si  ce  n'est  que, 
d'après  la  seconde  version  tibétaine,  le  lait  coulant 
des  deux  seins  «  se  changeait  en  sang  »  (o.  ma.  khraq, 
du  byah)  K  Le  chinois  1 27-80  ne  parle  pas  précisé- 
ent  de  sang  ;  on  y  lit  :  kâ-chi  tchi  tchou  «  à  chaque 
instant  du  jus  s'en  échappait».  Le  mot  employé 
tchi^  désigne  du  «jus  »,  du  «jus  de  viande»,  et  ne 
s'applique  spécialement  ni  au  sang  ni  au  lait. 

Toute  cette  partie  de  l'histoire  manque  dans  les 
textes  non  canoniques,  le  B.  y  étant  un  solitaire  qui 
n'a  plus  de  famille  et  à  qui  personne  ne  s'intéresse. 

10.     ApPAHITÏO^   DL  DÉFUNT  ET  SEPULTURE. 

Le  B.  dévoré  par  la  tigi^esse  avait  immédiatement 
repris  naissance  parmi  les  dieux  et  savait  ce  qui  se 


'  Schmidt  dit,  dans  sa  traduction,  que  ic  lait  «coulait  en 
bouillonnant»  (sprudelnd);  mais  je  ne  retrouve  pas  ce  sens  dans 
le  texte.  Kowalewski ,  qui  cite  la  phrase  comme  un  exemple ,  traduit  : 
«  le  lait  découlait  des  mamelons  »  [Dict.,p.  93i);  et  les  verbes 
mongols  qui  expriment  l'action  du  lait  khulghorizu. ,  Asuburibai 
signifient  littéralement  «coulait  en  glissant»,  d'après  le  sens  qui 
leur  est  attribué  dans  le  Dictionnaire  de  Schmidt  aussi  bien  que 
dans  celui  de  Kowalewski. 


296  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

passait  sur  la  terre.  Ses  parents,  sa  famille,  tout  le 
peuple  se  lamentait  sur  son  sort.  Pour  mettre  un 
terme  à  la  désolation  universelle,  il  descendit  vers 
les  affligés  et,  sans  venir  jusque  sur  le  sol,  se  tenant 
dans  Tair,  il  se  fit  connaître  et  prononça  des  paroles 
de  consolation  et  d encouragement.  Après  quoi,  il 
remonta  dans  la  demeure  des  dieux.  Cet  épisode, 
dont  les  Avadânas  nous  offrent  plusieurs  exemples , 
ne  se  trjQuve  que  dans  le  Dzahlan. 

Après  s  être  bien  lamentés  sur  le  sort  de  leur  fils , 
le  roi  et  la  reine  lui  rendirent  les  honneurs  funèbres 
et  déposèrent  ses  restes  —  les  os  et  les  cheveux 
que  la  tigresse  avait  laissés  —  «  au  lieu  même  »  où 
l'événement  s*était  passé ,  «  dans  un  caitya  en  or  » 
(tasmùh  prthivipradeçe  sœvanuunaye  caitye),  d'après  le 
premier  récit  du  Sav.  pr.  sanscrit;  selon  le  second 
récit,  dans  «  un  stupa  formé  en  cet  endroit  de  sept 
pierres  précieuses  »  [asmim  pradeçe  saptaratnama- 
yastûpah),  La  seconde  rédaction  tibétaine  est  con- 
forme, dans  sa  partie  versifiée,  au  récit  sanscrit,  si 
ce  n'est  qu'elle  emploie  le  mot  Mcliod-rten^  traduc- 
tion ordinaire  de  Caitya;  dans  la  partie  en  prose,  on 
ne  trouve  rien  qui  corresponde  à  savarnamaye  caitye; 
on  lit  seuk»ment  sa-phyogs  'dir  (tasmim  prthivipra- 
deçe). 

En  chinois,  je  ne  découvre  qu'une  seule  mention 
de  la  sépulture  dans  la  version  i  sy-So;  elle  est  vers 
la  fin  en  ces  termes  : 

jtt  tseii  tchu       ky^  thsi  pao  ta 

in  hoc  loco  ercMTiint  (c\)  septem  getnmis  turrini 


LE   BODHISATTVA.  297 

eo  qui  répond  au  premier  récit  sanscrit,  ta  (turris) 
étant  l'équivalent  de  stupa.  La  version  126,  au  con- 
traire, mentionne  deux  fois  la  sépuîture  et  déclare, 
chacjue  fois,  que  les  restes  furent  déposés  dans  un 
soU'toa-po  (stupa),  ajoutant,  la  seconde  fois,  que  ce 
sou-toa-po  était  fait  de  «  sept  pierres  précieuses  »  [thsi 
pao).  On  voit  par  là  que  les  versions  sanscrites, 
tibétaines,  chinoises  concordent  bien  entre  elles, 
mais  non  avec  une  exactitude  absolue. 

D  après  le  Dzah-lun,  les  sept  pierres  précieuses 
formaient  le  cercueil  (pii  contenait  les  restes  et  sur 
lequel  on  érigea  un  mchod-rten  [caitya);  Schmidt 
traduit  «  eine  Pyramide  (stûpa)  ». 

Quant  aux  textes  non  canoniques,  ils  ne  disent 
naturellement  pas  un  mot  de  la  sépulture. 

11.    Du  iNOMBRE  DES  PETITS  TIGRES. 

A  combien  de  petits  tigres  le  B.  avait-il  sauvé  la 
vie?  A  deux,  dit  le  Dz.-L;  à  cinq,  répond  le  Sav. 
pr.  sanscrit  et  tibétain  second;  à  sept,  selon  le  pre- 
mier tibétain  et  Hiouen-Thsang.  Les  ouvrages  non 
canoniques  se  taisent  sur  ce  point. 

Cette  question  du  nombre  des  petits  tigres  se 
rattache  à  fidentification  des  personnages  qui  est  la 
fin  obligée  de  tout  jatâka  ou  avadâna;  car  les  per- 
sonnages du  récit  du  temps  présent  ne  sont  autres 
que  ceux  du  récit  du  temps  passé  revenus  à  la  vie. 
JjC  Dzan-hm  étant  le  seul  texte  qui  associe  l'histoire 
de  la  tigrosse  et  de  ses  petits  à  un  fait  contemporain 


298  SEPTEMBRE-OCTOBRK  1899. 

(lu  Buddha,  il  importe  de  faire  connaître  tout  d'abord 
cet  épisode. 

12.   Les  tigres  du  Dzan-lun. 

Le  Buddha  se  trouva  un  jour  sur  le  chemin  de 
deux  voleurs  condamnés  à  mort  que  Ton  menait  au 
supplice;  îeur  mère  les  sui^ait.  Les  trois  inforlimés 
implorèrent  la  pitié  du  Buddha,  qui  obtint  îa  grâce 
des  coupables.  Ceux-ci  avec  leur  mère  devinrent 
des  disciples  de  leur  compatissant  protecteur;  les 
fils  amvèrent  à  l'état  d'Arhat,  la  mère  à  celui  d'Anâ- 
gâmî  ^  Or  cette  femme  avait  été  jadis  la  tigresse 
par  laquelle  le  Bodhisattva  s'était  fait  dévorer;  ses 
deux  fils  étaient  les  petits  tigres  sauvés  de  la  dent  de 
leur  mère.  Le  Bodhisattva  avait  arraché  ces  trois 
êtres  à  la  mort;  le  Buddha  les  affranchissait  des 
misères  de  la  transmigration. 

13.  Le  SamodhÀna  du  Sdvarna-prabhâsa. 

Ce  Samodhâna  du  Dzan-lan  n'a  rien  de  commun 
avec  celui  du  Suvania-prabhâsa ,  qui,  nous  favons 
déjà  dit,  n'a  pas  de  récit  du  temps  présent,  mais 
n'en  fournit  pas  moins  une  identificalion  des  per- 
sonnages toujours  facile ,  puisqu'il  n'y  a  qu'à  choisir 
dans  l'entourage  du  Buddha. 

*  On  peut  lire  Thistoire  tout  au  long  dans  Schmidt  [Der 
IV fisc  und  der  Thor,  p.  21-26;  cl  Grnmmatik  dor  mongolischen 
Sprachc,  p.  137-1/12). 


LE    BODHISATTVA.  299 

Le  Samodhâiia  du  Suv,  pr.  se  trouve  à  la  lin  du 
chapitre,  par  conséquent  du  second  récit;  il  n'y  a, 
à  la  fin  du  premier,  que  Tidentification  du  Buddha. 
Le  second  tibétain  dit  positivement  que  la  tigresse 
était  «  entourée  de  cinq  petits  »  [bii-Utas  bskor  te).  Le 
sanscrit  nest  pas  si  explicite;  il  ne  donne  pas  for- 
mellement le  nombre  des  petits  tigres;  mais  il  le 
fait  connaître  indirectement  en  disant,  dans  le  Samo- 
dhâna ,  d'accord  avec  le  tibétain ,  que  les  petits  tigres 
étaient,  au  temps  du  Buddha,  les  «cinq  bhixus», 
les  cinq  premiers  disciples  en  date  de  Çâkyamuni, 
signalés  parmi  les  auditeurs  du  sûtra. 

La  première  rédaction  tibétaine  prétend  que  «  la 
tigresse  avait  mis  bas  sept  petits  »  [stag-mojig  babdun 
btsas-nas),  et,  pour  parfaire  son  Samodhàna,  elle 
na  qu'à  ajouter  aux  cinq  premiers  disciples  en  date, 
les  deux  premiers  disciples  en  mérite,  les  agraçrâ- 
vakâ  Çâriputra  et  Maudgalyâyana. 

Les  deux  versions  chinoises  sont  d'accord  pour 
donner  sept  petits  à  la  tigresse;  mais,  ce  qui  est 
extraordinaire,  elles  sont  aussi  d'accord  pour  ne  pas 
donner  de  Samodhàna.  On  s'explique  l'absence  du 
Samodhàna  dans  le  Savarna-prabhâsa ,  qui  est  un 
sùtra  et  où  l'histoire  de  la  tigresse  et  de  ses  petits, 
bien  qu'elle  soit  en  réalité  un  Jâtaka,  se  présente 
comme  un  épisode,  et  non  sous  la  forme  classique 
des  Jâtakas.  Mais  ce  qu'on  a  peine  à  expliquer,  c'est 
que  le  Samodhàna,  élément  essentiel  des  Jâtakas,  soit 
dans  certaines  versions  et  manque  dans  d'autres.  Les 
versions  chinoises  ont-elles  été  faites  sur  des  textes 

XIV.  20 


300  SEPTEMBRE  OCTOBRE    1899. 

indiens  où  le  Samodhâna  ne  se  trouvait  pas?  ou  bien 
les  traducteurs  de  ces  versions  ont-iîs  pris  sur  eux 
de  le  retrancher?  Je  ne  saurais  me  prononcer;  mais 
l'hypothèse  que  le  Samodhâna  ne  se  trouvait  pas 
dans  la  rédaction  primitive  et  serait  une  addition 
postérieure  ne  me  paraît  pas  improbable. 

Quant  à  Hiouen-Thsang,  ce  n'est  pas  lui  qui 
parle  des  sept  petits  tigres,  c'est  son  biographe.  Car, 
dans  îes  Mémoires  du  pèlerin  chinois ,  il  est  simple- 
ment question  d'un  tigre,  dont  le  soxe  n'est  pas 
même  spécifié,  et  qu'on  peut  prendre,  comme  l'a 
fait  le  traducteur,  pour  un  mâle.  L'auteur  de  la  vie 
de  Hioijen-ïhsang  cite  la  tigiesse  et  ses  sept  petits, 
mais  sans  s'inquiéter  de  les  identifier  avec  des  per- 
sonnages quelconques  ^ 

Cependant  le  Suv.  pr.  ne  restreint  pas  son  Samo- 
dhâna aux  êtres  sauvés  par  le  Bodhisattva.  Tous  les 
personnages  (jui  jouent  un  rôle  dans  ce  drame  sont 
des  contemporains  de  Çâkyamuni.  Le  roi  Mahâratha 
est  son  père  Çuddhodana ;  la  reine  (qu'on  ne  nomme 
pas)  est  sa  mère  Mâyàdevî;  les  deux  princes  Mahâ- 
Pranâda  et  Mahâdeva  sont,  le  premier,  le  bodhisattva 
Maitreya,  futur  buddha,  successeur  immédiat  de 
Çâkyamuni;  le  second,  le  bodhisattva  Manjuçrî- 
kumâra-bhùta.  Enfin  la  tante  de  Çâkyamuni,  par 
qui  il  (ut  élevé.  Mahâprajâpati  Gautamî,  est  la  ti- 
gresse  de  la  légende.  L'identification  de  cette  tigresse 
dans  le  Dzafi-lun  est  simple  et  naturelle,  fournie  par 

'   Viv  dv  Hiouen'Thsaiiff  [trad.  Julien),  p.  89. 


LE   BODHISATTVA.  301 

les  donni^es  du  récit.  Ici  elle  est  forcée,  arbitraire, 
comme  la  plupart  des  éléments  de  ce  Samodhâna 
compliqué  et  surchargé  ;  ce  qui  vient  à  Tappui  de 
l'hypothèse  émise  plus  haut  que  le  Samodhâna  du 
Suv.  pr.  pourrait  bien  être  une  addition  postérieure. 

14.  Le  lieu  de  la  scène. 

En  quel  lieu  ce  grand  acte  de  dévouement  s  esl-il 
accompli?  Les  textes,  si  bien  renseignés  sur  les  noms 
de  tous  les  personnages,  excepté  toutefois  celui  de  la 
reine,  ne  nous  le  font  pas  connaîlre.  Le  Dz,  /.,  en 
disant  que  c'est  le  Jambudvipa,  le  Sav,  pr.,  en  di- 
sant ,  dans  sa  première  partie ,  «  un  certain  pays  » 
[yal'cig.),  dans  sa  deuxième,  «un  grand  pays»  [yal- 
chenjig),  ne  nous  apprennent  rien.  Le  seul  rensei- 
gnement que  nous  ayons  nous  est  fourni  parHiouen- 
Thsang  qui  a  vu  le  monument  commémoratif  du 
fait,  et  ne  relate  sommairement  la  légende  qu'à  l'oc- 
casion de  ce  monument. 

Ce  lieu  remarquable  se  trouve  donc  à  200  U  au. 
sud-est  de  l'Indus,  lorsqu'on  la  franchi  à  la  hauteur 
des  frontières  septentrionales  du  royaume  de  Taxa- 
çîlâ.  Il  y  a  une  «  grande  porte  en  pierre  »  [ta  chi-men) 
élevée  «  à  l'endroit  où  le  prince  royal  Mahâsattva, 
abandonna  son  corps  pour  noiu*rir  un  tigre  affamé  ». 
—  «A  i4o  ou  i5o  pas,  au  midi  de  cet  endroit,  il 
y  a  un  stûpa  en  pierre  [yeoa-chi  sou-toa-po)  au  lieu  où 
le  Mahâsattva,  par  compassion  pour  le  tigre  se  perça 
le  corps  avec  un  moi*ceau  de  bambou  dessédbé  et  le 

20. 


302  SEPTEMBHt:-OCTOBHE  1899. 

nourrit  de  son  sang.  »  Le  narrateur  ajoute  que  les 
arbrisseaux  du  lieu  ont  une  teinte  rougeâtre,  et  que, 
en  foulant  ce  sol ,  on  croit  ressentir  comme  des  pi- 
qûres d*épines ,  et  on  y  «  éprouve  un  sentiment  de 
tristesse  et  de  douleur  ». 

Les  expressions  «  abandonner  son  corps  »,  «  se  per- 
cer le  corps  avec  un  morceau  de  bambou  »  désignent 
un  seul  et  même  acte;  Hionen-Thsang  en  fait  deux 
actes  distincts ,  mat  qnés  fun  par  une  «  porte  »,  Tautre 
par  un  monument  de  forme  CDnique,  qui  se  seraient 
accomplis  à  i/io  ou  i5o  pas  Tun  de  l'autre.  La  dis- 
tance indiquée  est  insignifiante;  mais  la  dilinction 
établie  par  le  voyageur  chinois  ne  se  comprend  pas. 
Les  textes,  notamment  ceux  du  Suv.  pr.,  disant  que 
le  stupa  (ou  caifya)  a  élé  élevé  au  lieu  même  où  le 
prince  avait  été  dévoré,  le  «  stupa  en  pierre  »  désigné 
par  Hiouen-Thsang  doit  marquer  la  place  où  le  fait 
s*est  passé.  On  Tavait  sans  doute  entouré  d'une  en- 
ceinte ,  et  la  «  porte  de  pierre  »  par  laquelle  passa  le 
voyageur  chinois,  devait  être  l'entrée  de  l'enclos. 
La  courte  mention  fiiite  par  Hiouen-Thsang  de  ce  cé- 
lèbre jâtaka  nous  indique  au  moins  le  lieu  où  cette 
légende  se  conservait  dans  la  mémoire  des  hommes. 

15.  Conclusion. 

Il  est  clair  qu'il  y  a  deux  versions  sur  la  manière 
dont  le  Bodhisaltva  a  fait  «  l'abandon  de  son  corps  », 
en  d'autres  termes,  a  opéré  son  sacrifice.  Le  Dzan- 
lun  me  paraît  être  le  texte  qui  se  rapproche  le  plus 


LE   BODHISATTVA.  303 

de  la  forme  primitive  de  la  légende;  le  Savarna-pra- 
bhâsa,  qui  adopte  les  deux  versions,  les  racontant 
successivement,  puis  cherchant  à  les  concilier  en  les 
réunissant,  est  évidemment  le  résultat  d'un  travail 
ultérieur.  Dans  les  remaniements  dont  les  textes 
sanscrits,  tibétains,  chinois,  mongols  de  ce  sûtra 
ont  conservé  la  trace,  il  est  difficile  de  retrouver  (au 
moins  pour  le  Vjâghri'parivartta ,  la  seule  partie  du 
sûtra  dont  je  m'occupe)  les  «deux  rédactions»  si- 
gnalées par  Burnouf.  Ces  «  deux  rédaclions  »  existent 
certainement  dans  le  Kandjour;  mais  le  rapproche- 
ment de  tous  les  textes  laisse  plutôt  l'impression  que 
chaque  auteur,  écrivain  original  ou  traducteur,  tout 
en  subissant  l'influence  d'une  tradition  qu'il  ne  son- 
geait pas  à  repousser,  s'est  efforcé  d'ajouter  quelque 
trait  nouveau  ou  d'apporter  une  modification  quel- 
conque aux  données  de  la  légende. 


304  SEPTEMBRK-OCTOBRK    1899. 


NOTICE 

SUR  LE  CHEIKH 

MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI 

DE  MASCARA 

(extraits  de  son  autobiographie) 

PAR 

LE   GÉNÉRAL   G.  FAURE-BIGUET. 


Le  n°  62  de  la  Revae  africaine  (1867,  p.  i3o) 
contient  un  intéressant  article  du  général  Dastugue, 
alors  lieutenant-colonel  directeur  des  aOaires  indi- 
gènes à  Oran,  sur  la  bataille  de  Casr-el-Kebir,  où 
périt  Don  Sébastien  de  Portugal.  Cet  article  donne 
la  traduction  de  deux  passages  empruntés  lun  au 
Nozhat-el-Hadi  de  Mohammed-es-Ser*ir,  lautre  au 
cheikh  Mohammed  Abou-Ras  de  Mascara.  Dans  une 
note  contenant  des  détails  siu*  ce  dernier,  le  colonel 
annonçait  qu  il  recueillait  dans  une  autobiographie 
écrite  de  la  main  même  de  Bou-Ras,  les  morceaux 
les  plus  propres  à  faire  connaître  ce  personnage ,  et 
quil  espérait  les  publier  un  jour.  Malheureusement 
cette  publication  n  a  pas  eu  lieu. 


XOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOCl  RAS  EN  NASRf.       305 

C'est  un  travail  analogue  que  je  me  suis  proposé 
avec  Taide  et  les  conseils  de  M.  Delphin,  directeur 
de  la  Medersa  d'Alger.  J  ai  extrait  de  Tautobiographie 
dont  le  manuscrit  se  trouve  à  la  bibliothèque  uni- 
versitaire d'Alger,  sous  le  n"  5 002,  tous  les  détails 
ayant  un  caractère  personnel;  je  les  ai  mis,  autant 
que  possible ,  dans  l'ordre  des  dates ,  ce  qui  n'a  pas 
toujovirs  été  facile,  attendu  que  ces  renseignements 
sont  épars  dans  le  livre  sans  aucun  souci  de  la  chro- 
nologie, au  milieu  de  dissertations  de  diverses  na- 
tures. J'y  ai  introduit  un  passage  biographique  extrait 
d'un  autre  ouvrage  du  même  auteur,  traduit  par 
M.  l'interprète  principal  Arnaud,  sous  le  titre  Voyages 
extraordinaires  et  nouvelles  agréables. 

Une  biographie  des  auteurs  magh'rébins,  que 
M.  Delphi n  a  bien  voulu  me  communiquer,  contient 
un  article  svir  Bou-Ras  ;  mais  il  est  emprunté  presque 
entièrement  k  son  autobiographie.  Les  quelques  ren- 
seignements qui  ne  sont  pas  extraits  de  cet  ouvrage 
seront  donnés  plus  loin  en  note  à  leurs  dates. 

J'avais  d'abord  projeté  de  publier  l'autobiographie 
complète,  texte  et  traduction,  mais  j'ai  dû  y  re- 
noncer. Cet  ouvrage  est  composé,  pour  les  trois 
quarts,  soit  d'interminables  éloges  des  professeurs 
ou  autres  personnages  avec  lesquels  l'auteur  a  été  en 
relation,  soit  des  discussions  auxquelles  il  a  pris 
part  sur  les  sujets  théologiques  les  plus  ardus.  Ces 
dissertations  sont  extrêmement  arides;  elles  se  com- 
posent presque  exclusivement  de  citations.  Ma  tra- 


306  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

duction  contient  encore  quelques  lacunes.  Pour  la 
rendre  tout  à  fait  exacte,  il  aurait  faîlu  faire  une 
étude  complète  de  chaque  question  et  vérifier  les 
citations.  Je  suis  persuadé  que  personne  n'aurait  eu 
la  patience  de  la  lire.  D'ailleurs  les  personnes  qui 
s'intéressent  aux  arguties  de  la  théologie  musulmane 
auront  tout  avantage  à  recourir  directement  aux  ou- 
vrages connus,  qui  sont  les  sources  auxquelles  notre 
cheikh  a  puisé. 

En  effet,  Bou-Ras  était  par-dessus  tout  un  érudit, 
et  il  voulait  le  montrer.  Dans  les  quelques  ouvrages 
que  nous  connaissons  de  lui,  il  fait  étalage  de  son 
érudition,  vraiment  très  grande,  mais  toujours  par 
des  citations;  ses  opinions  personnelles  ne  se  font 
presque  jamais  jour,  et  c'est  regrettable,  parce  que, 
dans  les  rares  occasions  où  il  s'exprime  pour  son 
compte,  ses  jugements  sont  judicieux  et  pleins  de 
bon  sens. 

Son  mérite  littéraire  a  été  assez  sévèrement  ap- 
précié. Un  article  de  M.  (iorguos,  paru  dans  le 
n°  26  de  la  Revue  africaine  (1861,  p.  1  1  ^i),  contient 
un  extrait  d'un  commentaire  composé  par  l'auteur 
sur  sa  cacida  relative  à  la  prise  d'Oran.  C'est  ce 
même  commentaire  dont  la  traduction  a  été  plus 
tard  publiée  in  extenso  par  M.  Arnaud  sous  le  titre 
Voyages  extraordinaires  y  etc.  M.  (iorguos  se  proposait 
de  donner  seulement  les  passages  intéressant  l'his- 
toire des  peuples  du  Nord  de  l'Afrique.  Mais  ce  tra- 
vail n'a  pas  été  poussé  plus  loin  que  le  commentaire 
des  quatre  premiers  vers.  M.  Gorguos  n'a  pas  tra- 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       307 

duit  les  vers  parce  que ,  dit-il  assez  dédaigneusement , 
ils  n  en  valent  pas  la  peine. 

Si  les  vers  de  Bou-Ras  sont  médiocres,  par  contre 
ils  sont  difficiles  et  souvent  obscurs.  On  y  trouve 
par  exemple  ^  Tyr  pour  désigner  T Angleterre,  non 
pas  par  suite  d'une  assimilation  de lesprit  de  négoce 
des  fils  dWlbion  avec  celui  des  habitants  de  l'antique 
Sidon,  mais  par  une  audacieuse  abréviation  de  En- 
(jlatira.  Sans  le  commentaire,  un  contre-sens  serait 
bien  excusable. 

Dans  l'article  cité  plus  haut,  le  colonel  Dastugue 
appréciait  ainsi  les  œuvres  de  Bou-Ras  :  «  L'écrivain 
mascariote  était  doué  d'une  grande  mémoire;  il  avait 
beaucoup  lu  et  sans  doute  beaucoup  retenu  ;  mais , 
trop  confiant  peut-être  dans  la  précieuse  faculté  dont 
il  jouissait,  il  s'est  rarement  donné  îa  peine  de  reviser 
ses  compositions,  et  semble  avoir  été  plutôt  pré- 
occupé d'en  multiplier  le  nombre.  »  Il  est  impossible, 
à  mon  avis,  de  formuler  une  meilleure  appréciation. 
Les  exempîes  de  négligence  et  de  rapidité  de  rédac- 
tion sont  malheureusement  trop  visibles  dans  les 
œuvres  de  Bou-Ras  que  nous  connaissons.  Son  auto- 
biographie contient  deux  anecdotes  répétées  chacune 
deux  fois  ;  elles  sont  citées  plus  loin.  Dans  la  nomen- 
clature des  titres  de  ses  ouvrages,  il  a  pîusieurs  fois 
omis  des  mots.  Dans  un  des  commentaires  de  sa 
cacida ,  il  répète  deux  fois  une  anecdote  attribuée  au 
sultan  almohade  Abd-el-Moumen;  mais  le  plus 
grave ,  c'est  que  les  vers  qu'il  met  dans  la  bouche  de 
son  héros  ne  sont  pas  les  mêmes  dans  les  deux  cas, 


308  SEPTEMBRE-OCTOBRE    189«. 

ce  qui  a  pour  effet  de  nous  inspirer  bien  des  doutes 
sur  leur  authenticité.  Il  lui  arrive  quelquefois  dans 
ses  commentaires  d'expliquer  des  mots  dont  il  ne 
s'est  pas  servi,  mais  qui  sont  synonymes  de  ceux 
qu'il  a  réellement  employés. 

Cependant  notre  auteur  vaut  mieux  quon  ne 
pourrait  le  croire  d'après  ce  qui  vient  d'être  dit. 
Quand  il  parle  pour  son  compte ,  ses  jugements  sont , 
comme  je  l'ai  dit,  pleins  de  bon  sens  et  d'une  sorte 
d'humour.  Son  langage  est  toujours  pur  et  correct. 
Quand  son  sujet  l'échauffé,  il  arrive  à  une  certaine 
éloquence.  A  la  fm  du  deuxième  commentaire  de  sa 
cacida,  tout  un  passage  relatif  au  pic  de  Heïdour, 
que  couronne  le  fort  Santa-Cruz  à  Oran,  est  animé 
d'un  vrai  souffle  poétique.  Le  sujet  qui  l'anime  le 
plus  est  la  haine  de  l'infidèle  et  l'admiration  pour  la 
guerre  sainte.  Malheureusement  l'usage  très  fréquent 
de  la  prose  rimée  l'entraîne  à  employer  de  nom- 
breuses chevilles;  quand  ces  chapelets  de  rimes 
tombent  sur  l'éloge  d'un  personnage ,  ils  deviennent 
d'une  fadeur  insupportable. 

En  revanche ,  le  nombre  de  ses  œuvres  fut  très 
considérable.  Dans  sa  biographie,  il  en  cite  63,  tant 
grandes  que  moyennes,  dit-il.  D'après  la  notice  sur 
les  auteurs  magh'rébins,  ce  nombre  fut  de  iSy,  On 
connaît  les  titres  d'un  certain  nombre  d'ouvrages 
non  cités  dans  l'autobiographie  ;  j'ai  pu  en  trouver 
vingt,  qui  seront  donnés  plus  loin. 

On  peut  s'étonner  que  malgré  une  pareille  fécon- 
dité les  œuvres  de  notre  hafid  se  soient  presque  toutes 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRT.       309 

perdues.  Cela  peut  tenir  à  une  circonstance  men- 
tionnée à  la  fin  de  la  notice  sur  les  auteurs  magh  ré- 
bins  citée  plus  haut.  Bon  nombre  de  familles  de  la 
plame  de  Gh  ris  ^  prétendaient  être  chérifiennes.  Or 
Bou-Ras,  qui  prétendait  lui-même  descendre  du 
Prophète ,  composa  un  ouvrage  où  il  passait  au  crible 
ces  noblesses  douteuses.  L'amour-propre  est  tout 
aussi  chatouilleux  sous  ce  rapport  parmi  les  Arabes 
qu'en  France;  il  en  résulta  contre  le  censeur  une 
animosité  qui  se  poursuivit  après  sa  mort,  et  qui 
eut  pour  effet  une  sorte  de  boycottage  intellectuel. 
On  s  abstint  de  recopier  ses  œuvres ,  qui  se  perdirent 
peu  à  peu.  La  plupart  ont  disparu  ou  sont  enfouies 
dans  des  bibliothèques  particulières.  La  conquête 
française ,  survenue  sept  ans  seidement  après  la  mort 
du  cheikh,  en  donnant  pour  longtemps  un  autre 
covirs  aux  idées,  et  faisant  disparaître  le  goût  des 
lettres  chez  les  Arabes,  a  également  contribué  à  ce 
résultat. 

On  ne  possède  plus  guère  aujourd'hui  que  les 
ouvrages  suivants  : 

1°  L'autobiographie,  dont  on  va  voir  des  extraits; 

2°  Plusieurs  commentaires  de  la  cacida  composée 
par  lui  au  sujet  de  la  prise  d'Oran  par  le  bey  Mo- 
hammed   ben   Otmân    el-Kebir^,   intitulée   :  JXÂ 

^  Aux  portes  de  Mascara. 

^  Le  tombeau  de  ce  bey  se  trouve  dans  la  petite  mosquée  qui  a 
donné  son  nom  au  quartier  de  ia  Mosquée  à  Ortn.  Ce  petit  édifice 


310  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

iûu^J^Xj^t  »y^^  fjy^^  ytû  ^  iouyJOuJt  «  Lcs  maii- 
teaux  de  soie  fine,  au  sujet  d'Oran  et  la  Péninsule 
espagnole  ».  Il  parait  qu  on  la  trouve  aussi  sous  le 
titre  :  ^'y^  ^  ^  ij^^  ^^-««h^  «  La  perle  précieuse 
reîative  à  la  conquête  d*Oran  ». 

Il  est  assez  difficile  de  connaître  le  nombre  des 
commentaires  que  Bou-Ras  a  composés  pour  ce 
poème.  C'est  une  (juestion  qui  a  été  fréquemment 
agitée  en  Algérie.  D'après  l'article  déjà  cité,  le  co- 
lonel Dastugue  en  connaissait  deux,  dont  l'un  pos- 
sédait trois  titres  diHérents.  Quelques  personnes 
pensent  qu'il  y  a  eu  quatre  commentaires.  Un  examen 
attentif  de  la  question  m'a  conduit  aux  conclusions 
suivantes  : 

Bou-Ras  a  composé  peu  de  temps  après  la  prise 
d'Oran,  et  certainement  avant  1798,  un  premier 
commentaire  intitulé  :  ^Ly^^t  Ui^jiai^  ^Uiuw^l  <^.,>L^ 
«  Voyages  extraordinaires  et  nouvelles  agréables  ». 
Dans  cet  ouvrage,  cpii  a  été  traduit  par  M.  l'inter- 
prète principal  Arnaud,  la  cacida  contient  1 1 7  vers. 
Le  commentaire  est  principalement  consacré  à  ITiis- 
toire  de  l'Afrique  du  Nord.  Il  en  existe  ime  variante 

a  été  transformé  en  salle  de  bains  pour  la  troupe  et  sert  probable- 
ment encore  à  cet  usage.  Il  serait  à  désirer  qu'on  pût  lui  trouver 
une  plus  noble  destination.  Mohammed  el-Kebir  fut  un  homme 
vraiment  remarquable  pour  son  temps  et  son  pays.  On  connaît  ces 
belles  paroles  qu'il  prononça  en  diminuant  la  contribution  exigée 
par  les  Musulmans  pour  transporter  au  port  les  bagages  des  Espa- 
gnols »  au  moment  de  l'évacuation  de  la  ville  :  «  Les  Chrétiens  sont 
vaincus,  et  plus  ils  ont  été  malheureux  plus  vous  devez  vous  mon- 
trer charitables.»  Sentiments  bien  rares  à  cette  époque,  autant  chez 
les  Chrétiens  que  chez  les  Musulmans. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        311 

dans  Je  manuscrit  n"*  liSiS  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale. Quelques  vers  et  quelques  parties  du  com- 
mentaire diffèrent  de  ceux  de  Touvrage  traduit  par 
M.  Arnaud. 

Plus  tard,  pendant  un  séjour  au  Maroc  en  1 802  , 
Tauteur  fit  cadeau  au  sultan  Soleïmân  d  un  commen- 
taire portant  le  titre  :  ^^g»^^  M-lA^'  ^t^JUJt  HJô^^ 
JijiojJ  «  Jardin  de  la  consolation  composé  dans  le 
port  de  Tetouan  ».  Ce  ne  fut  probablement  qu'une 
copie  du  premier  plus  ou  moins  remaniée ,  et  décorée 
d'un  nouveau  titre  pour  la  circonstance. 

Plus  tard  encore,  et  après  181 /i,  il  refit  presque 
entièrement  sa  cacida,  porta  le  nombre  des  vers  à 
1 35  ,  et  lui  composa  un  nouveau  commentaire  tout 
différent  du  premier,  intitulé  :  wo^t  ç^^  ç^yJtUjJi 
c-y^-xJL!  j^ji.>>  j*J4>ô^U  JUÎ  <-^^!  «  Récit  surprenant 
propre  à  élucider  les  choses  arrivées  en  Espagne  et 
dans  les  places  du  MaghVeb  ».  Le  manuscrit  de 
celui-ci,  probablement  autographe,  existe  à  la  Bi- 
bliothèque nationale  sous  le  n°  /iGig.  Il  est  surtout 
consacré  à  Thistoire  d'Espagne;  mais  on  y  trouve  un 
peu  de  tout.  L'auteur,  qui  était  déjà  d'un  âge  mûr, 
y  parle  de  tout  ce  qu'il  sait  :  de  Bonaparte,  du 
schisme  de  Samarie,  de  Londres,  de  la  Flandre,  etc. 
Les  vers  ne  sont  pour  lui  qu'un  prétexte  pour  don- 
ner carrière  à  son  érudition. 

Enfin  je  connais  un  autre  commentaire  dans 
lequel  la  cacida  comprend  1*77  vers.  C'est  un  com- 
posé des  deux  précédents  avec  de  nombreuses  va- 


312  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

riantes,  mais  qui  ne  peut  être  considéré  comme  une 
œuvre  distincte.  Il  est  probable  que  Bou-Ras  a  dû 
recopier  plusieurs  fois  ses  deux  commentaires  types 
en  les  modiiiant  ou  les  combinant  selon  les  idées 
qui  se  prc'-sentaient  à  lui ,  et  en  introduisant  de  nou- 
veaux vers  quand  il  trouvait  une  nouvelle  rime. 
L'autobiographie  est   intitulée  :  ^^  MiUy  i^^\  ^ 

*^*!5  (s^j  J^»^  e>4X^t  ft  Faveur  et  grâce  divines  ayant 
pour  but  de  célébrer  la  bonté  et  les  bienfaits  de 
Dieu  (à  mon  égard)  ».  Elle  a  dû  être  composée  après 
1818,  car  il  y  est  fait  mention  d  un  cheikh  mort  au 
Caire  à  cette  date.  Célébrer  les  bontés  de  Dieu  re- 
vient, pour  Bou-Ras,  à  vanter  son  propre  mérite,  et 
il  ne  s'en  fdit  pas  fîiute  en  s'autorisant  de  Texemple 
de  nombreux  savants. 

L'ouvrage  comprend  cinq  chapitres  : 

1°  Mes  débuts.  —  Ce  chapitre  contient  un  assex 
grand  nombre  de  renseignements  généalogiqujBS  et 
biographiques  que  Ton  trouvera  plus  loin. 

♦i°  Mes  professew^s,  —  Bou-Ras  nous  apprend 
que  Timam  Malik  eut  1,000  professeurs,  et  Chafaï 
i,3oo.  Quant  à  lui,  il  en  accuse  modestement  38; 
mais  le  nom  de  chacun  d'eux  est  accompagné  d  une 
véritable  litanie  de  qualificatifs  élogieux,  variant  de- 
puis un  simple  superlatif  jusqu'à  une  phrase  entière. 
Le  cheikh  Mecherfien  a  pour  sa  part  plus  de  110. 
Malgré  la  ricliesse  de  la  langue  arabe,  les  répétitions 
sont  nécessairement  fréquentes  et  rendent  cette  énu- 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  KAS  EN  NASRI.       313 

mération  très  fastidieuse.  Néanmoins,  on  y  trouve 
quelques  détails  biographiques. 

3""  Mes  voyages,  —  Ce  chapitre,  qui  semblait 
devoir  être  le  plus  intéressant ,  est  au  conlraî.*'e  très 
insignifiant  pour  nous.  Pas  un  mot  sur  les  pays  ni 
sur  leurs  usages.  Il  est  uniquement  question  de 
cheikhs,  cadis  ou  muftis  que  lauteur  a  rencontrés 
dans  ses  voyages,  et  des  questions  qu'il  a  traitées  avec 
eux.  Les  chapelets  d'éloges  recommencent.  Le  sul- 
tan Soleïmân  a,  pour  sa  part,  cinquante  qualifica- 
tifs; d'autres  en  ont  plus  encore.  Ce  chapitre  qui  ne 
répond  guère  à  son  tilre,  pourrait  être  supprimé  et 
réparti  entre  le  précédent  et  le  suivant. 

4°  Des  (jaestions  qui  m'ont  été  posées.  —  Ce  cha- 
pitre forme  à  lui  seul  les  deux  cinquièmes  de 
l'autobiographie.  L'auteur  y  énumère  les  réponses 
victorieuses  qu'il  a  faites  aux  i8  questions  indi- 
quées ci-après  qui  lui  ont  été  posées  au  cours  de  ses 
voyages.  Bien  entendu ,  ce  sont  toujours  des  citations  ; 
jamais  ou  presque  jamais  un  avis  personnel  : 

1 .  Comment  comprendre  ces  paroles  du  cheikh  Abou 
Mohammed  Abdallah  ben  AbiZeid:  «  Dieu  est  en  per- 
sonne au-dessus  de  son  trône  sublime»,  paroles 
qui  rappellent  une  idée  exprimée  dans  le  Coran, 
vn,  02;  X,  3;  xni,  2  ;  xiv,  60;  xxn,  3;  Lvn,  4? 

i .   (jomment  comprendre  ces  paroles  de  Gh*azali  : 


314  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

«  11  n  est  pas  possible  qu'il  y  ait  quelque  chose  de 
plus  nouveau  que  ce  qui  existe  »? 

3.  Le  taouhid. 

II.  Origine  de  tontes  les  sciences  et  lear  classification. 

5.  Le  tekouîn, 

6.  La  ouahdania  et  le  taouliid, 

7 .  Discassions  entre  les  cheikhs  Snoassi  et  Ahmed  ben 
Zekri. 

8.  Les  articles  de  la  foi  :  (!leci  est  une  sorte  de  pro- 
IVssioii  de  foi  contenant  les  louangcîs  d(î  Dieu  et  de 
ses  attributs  :  puissance ,  science ,  volonté ,  audition 
et  vision,  paroles,  actions.  Ce  sont  des  pages  en- 
traînantes, animées  d'un  vrai  souffle  religieux,  ne 
contenant  aucune  subtilité.  Je  les  aurais  reproduites 
bien  volontiers,  si  j'avais  été  sûr  quelles  fussent 
l'œuvre  de  notre  auteur.  J'ai  été  arrêté  par  la  crainte 
de  ne  faire  que  reproduire  des  citations. 

g .  Jïoà  vient  le  nom  de  Mekki  donné  au  soufite  Abou 
Taleb  Mohammed  ben  Ali  ben  Atia  el  Harti?  C'est  en 
réalité  une  longue  dissertation  sur  le  soufisme  dont 
Bou-Ras  était  un  fervent  admirateur. 

1  o.  Quels  sont  les  cheiktts  soujites  qui  sont  considérés 
comme  des  pôles?  Très  longues  dissertations  sur  le 
même  sujet. 

1  1 .  Quels  sont  les  savants  qui  ont  abandonné  un 
rite  pour  un  autre*}  Discussion  sur  les  divers  rites  or- 
thodoxes. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       315 
1  2 .  Uétat  de  pureté  et  (Timpureté. 

1 3.  Que  signifient  ces  paroles  de  Hasan  ben  Zyad  : 
«Je  mange  des  animaux  morts  (sans  avoir  été  tués 
selon  les  rites),  j'aime  la  séduction,  je  déleste  ce 
qui  est  certain  et  je  témoigne  de  ce  que  je  n  ai  pas 
vu?»  (Je  mange  les  sauterelles  et  les  poissons, 
jaime  les  enfants  et  les  richesses,  je  déleste  la 
mort  et  je  témoigne  de  l'unité  de  Dieu.) 

1  /|.  Usage  du  café  et  du  tabac.  —  Moyens  dejaire 
cesser  Vimpureté. 

1  5.  Usage  du  mot  Çahha  «  santé  »  adressé  aux  bu- 
veurs. 

i6.    Usage  des  cuillers. 

1  y.  Sens  de  ce  verset  du  Coran  :  «  Les  mécréants 
disent  au  sujet  des  croyants  :  Si  le  Corail  était 
quelque  chose  de  bon ,  ils  ne  nous  auraient  pas  de- 
vancés pour  Tembrasser»  (lxvi,  lo). 

1 8.  Manière  de  voyeller  le  verbe  ô^^. 

On  trouvera  dans  Fautobiographie  les  iS*"  et 
i6"  questions. 

5"  Liste  de  mes  ouvrages.  —  Cette  liste  est  donnée 
plus  loin.  Elle  ne  contient,  dit  fauteur,  que  ses  ou- 
vrages grands  ou  moyens;  les  opuscules  ny  figurent 
donc  pas. 

Parmi  les  ouvrages  de  Bou-Ras  devenus  très 
rares,  que  Ton  ne  trouve  plus  que  dans  quelques  bi- 

MV.  îî  l 

■«rillWIIIIB    RATtOSktB. 


316  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

bliolhèques  particulières ,  on  peut  citer  iuLo^l  il^ jJî 
«  La  perle  de  prix  »,  commentaire  sur  l'Aqiqa  (Cor- 
naline) ,  dont  le  titre  figure  sous  le  n°  5 1  dans  la  liste 
qui  termine lautobiographie.  M.  Delphin  en  possède 
une  excellente  copie.  L'aqiqa  est  une  cacida  due  au 
cheikh  Abou  Otmân  Saïd  ben  Abdallah  de  Tlemccn 
dont  la  famille  était  originaire  de  Mendès^  ce  qui 
lui  a  valu  le  surnom  de  Mendasi.  Ce  cheikh  mourut 
au  Maroc  au  commencement  du  xviif  siècle;  son 
poème  comprend  290  vers  en  Thonneur  du  Pro- 
phète ec  de  ses  compagnons.  Suivant  lusage  assez 
singulier  de  certains  poètes  arabes,  usage  qui  a  reçu 
fapprobation  du  Prophète ,  fauteur  a  consacré  près 
de  la  moitié  de  son  poème  à  échauffer  sa  muse  et, 
en  quelque  sorte,  à  se  mettre  en  train,  en  figurant 
les  mérites  de  son  héros  par  les  beautés  de  la  femme; 
f admiration  qu  il  inspire  est  figurée  par  fivresse  de 
f amour  ou  par  celle  du  vin.  C'est  ce  qu'on  appelle- 
rait aujourd'hui  une  œuvre  symbolique;  ausssi  est- 
elle  très  difficile  à  comprendre.  Bou-Ras  a  cru 
nécessaire  d'en  expliquer  à  peu  près  tous  les  mots, 
et  il  a  composé  pour  l'Aqiqa  sept  commentaires.  Le 
poème  est  écrit  en  langage  ^^^J^,  incorrect,  qui  est 
à  peu  près  f  idiome  vulgaire,  mélangé  d'un  peu 
d'arabe  correct.  Sous  f  influence  des  nécessités  de  la 
mesure,  f  orthographe  est  des  plus  bizarres.  Ainsi 

tesmots  Jj!i  ^\  signifient  ni  L»y^^^  Ce  genre  d'ou- 


^  Village  situé  à  l'est  de  la  Mina,  entre  Mascara   et  Sidi-bd- 
Abbès. 


^>- 


NOTICE  SUK  MOllVMMbll)  ABOU  RAS  EN  NASKl.        317 

vrages  écrits  intentionnellement  en  idiome  vulgaire 
par  des  savants  distingués  n'était  pas  rare.  En  voici 
un  exemple  rapporté  par  Bou-Ras  dans  ce  même 
commentaire  et  dans  Tautobiographie.  Le  savant 
Mohammed  el-Haouari,  une  des  célébrités  d'Oran  ^ 
avait  composé  un  ouvrage  dans  ce  langage  incorrect. 
Le  livre  étant  parvenu  entre  les  mains  du  cheikh 
Moqlach ,  celui-ci  s'empressa  d'en  corriger  toutes  les 
fautes  et  d'en  informer  fauteur.  Mais  Haouari,  très 
mécontent,  refusa  de  reconnaître  son  œuvre  et  ré- 
pondit :  «  Ce  que  tu  me  montres  là  est  le  livre  de 
Moqlaclî;  nuiis,  quant  au  livre  des  humbles,  il  res- 
tera avec  son  langage  incorrect.  » 

Avant  de  céder  la  parole  au  cheikh ,  j'ajouterai 
([uelques  renseignements  qu'il  ne  pouvait  nous  don 
lier  lui-même. 

D'abord  un  petit  portrait  physique  dû  à  un  ha 
bitant  de  Mascara,  dont  le  père  avait  connu  des 
contemporains  et  amis  de  Bou-Ras  :  celui-ci  était  de 
taille  moyenne,  maigre,  ayant  la  peau  blanche,  la 
barbe  rare  sur  les  joues,  les  yeux  petits,  le  nez  long 
et  mince,  la  tête  large  et  développée;  il  ressemblait 
extraordinairemeiit  à  son  père. 

En  second  lieu,  une  plaisante  aventure  qui  lui  est 
arrivée  pendant  son  séjour  au  Maroc;  elle  est  ex- 
traite de  fouvrage  de  M.  Delphin  :  Fès  et  son  univer- 
sité, et  provient  d'un  indigène  musulman  qui  avait 
connu  Bou-Ras.  Elle  prouve  la  mémoire  prodigieuse 

*   Son  loinbeuii  esl  (tans  la  jM^lite  niosqutM*  située  ])rès  des  bui*eaiix 
(l(i  l'Intendance  à  Oran. 

1 1  . 


318  SKÏ>TEMBRl":-OCTOBRË  1899. 

dont  jouissaient  ia  plupart  des  tolbas.  On  verra  plus 
tard  que,  lors  de  ce  voyage ,  Bou-Ras  fit  hommage  de 
plusieurs  ouvrages  au  Sultan.  Il  paraît  qu'il  avait 
l'intention  de  lui  offrir  un  ouvrage  de  droit;  mais 
les  savants  de  la  ville  où  il  se  trouvait  lui  jouèrent 
un  bon  tour.  Ils  avaient  loué  une  chambre  contiguë 
à  celle  que  devait  occuper  le  savant  étranger,  et  ils 
avaient  pratiqué  une  petite  ouverture  à  peine  visible 
dans  la  cloison  qui  séparait  les  deux  pièces.  Dès 
Farrivée  de  Bou-Ras,  l'un  d'eux  vint  hypocritement 
le  saluer,  se  fit  montrer  les  manuscrits,  et  fit  adroi- 
tement passer  l'ouvrage  de  droit  par  le  trou  de  la 
cloison.  Les  complices  qui  attendaient  de  Tautre 
côté,  s'en  emparent,  se  partagent  les  cahiers;  les 
copient,  et  font  repasser  le  manuscrit  par  le  même 
chemin,  après  en  avoir  changé  le  titre  d'une  ma- 
nière burlesque,  le  tout  en  une  demi-heure;  puis  ils 
apprennent  l'ouvrage  en  une  nuit. 

fje  lendemain,  quand  Bou-Ras  voulut  leur  réciter 
son  œuvre,  il  fut  arrêté  dès  les  premiers  mots,  cha- 
cun s'écriant  :  «  Mais  c'est  archi-connu ,  cela  a  déjà 
été  dit  cent  fois  ».  Il  jeta  un  coup  d'oeil  sur  son  ma- 
nuscrit, vit  le  changenient  ridicule  du  titre,  et  se  re- 
tira furieux.  D'après  le  narrateur,  il  quitta  la  ville  le 
jour  même. 

Cette  anecdote  a  bien  pu  s'embellir  en  passant 
par  plusieurs  bouches.  Bou-Ras  n'en  dit  pas  un  mot 
dans  l'autobiographie;  cela  n'est  pas  étonnant,  car, 
habitué  à  parler  de  lui-même  avec  complaisance,  il 
n'aurait  pas  aimé  à  raconter  au  public  comment  on 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.        319 

lavait  mystifié.  Mais,  au  fond,  Taventure  doit  être 
vraie;  seulement  elle  ne  s  est  pas  passée  à  Fès, 
comme  le  dit  le  narrateur,  mais  probablement  à 
Taza^  En  effet,  Bou-Ras  ne  se  plaint  nullement  des 
savants  de  Fès  parmi  lesquels  il  fit  un  séjour  assez 
long,  tandis  quon  verra  quil  s'était  brouillé  avec 
ceux  de  Taza,  où  il  avait  dû  passer  en  venant  au 
Maroc  par  terre.  Alors  que  partout  ailleurs  il  cite 
avec  de  pompeux  éloges  les  noms  des  savants  qu  il  a 
rencontrés,  il  se  borne  à  décocher  un  trait  à  ceux 
de  Taza  en  mentionnant  une  lettre  que  leur  écrivit 
un  cheikh  de  Fès  pour  leur  reprocher  d  avoir  man- 
qué d'égards  envers  un  homme  aussi  distingué  que 
Bou-Ras. 

Enfin  terminons  par  sa  mort  :  «  Bou-Ras  mourut 
le  jeudi  i5  chabân  i  288  (fin  avril  i8a3).  Le  grand 
savant  Si  Ahmed  ben  Rabah  pria  sur  son  corps;  il  y 
eut  une  grande  émotion  à  son  enterrement ,  et  il  fut 
admirablement  loué.  Il  fut  enterré  près  de  sa  maison 
et  de  sa  mosquée,  dans  le  faubourg  de  Baba-Ali,  à 
Mascara.  On  éleva  sur  son  tombeau^  un  dôme  qui 
fut  appelé  «  Goubba  des  quatre  rites  »  :  car  il  jugeait 
suivant  le  cas,  selon  Tune  quelconque  des  quatre 
doctrines.  Mais,  après  sa  mort,  il  s'éleva  contre  lui 
une  certaine  animosité  parmi  les  Beni-Rached ,  parce 
qu'il  avait  composé  un  livre  dans  lequel  il  avait  éta- 
bli la  noblesse  des  vrais  chérifs,  en  les  distinguant 


'   Ville  du  Maroc  à  égaie  distance  entre  Fès  et  la  Moulouya. 
^  Aux  frais  du  bey  Hasân ,  dit  le  colonel  Dastugue. 


:j2()  .ski>tkmbri:-oct()brI':  i89u. 

des  faux.  »  (Extrait  de  la  biographie  des  auteurs  ma- 
ghVebins.) 

Voilà  tout  ce  que  j  ai  pu  recueillir  sur  le  compte 
de  notre  hafid.  De  plus  longues  recherches,  lors 
même  qu'elles  devraient  aboutir,  me  paraîtraient  peu 
utiles.  La  statue  doit  être  proportionnée  à  la  taille 
du  héros,  et,  comme  le  dit  très  bien  Bou-Ras  en  par- 
lant de  lui-même,  et  en  se  comparant  aux  anciens  : 
«  Il  y  a  (les  paroles  pour  chaque  rang;  il  y  a  des 
hommes  pour  chaque  époque  ». 


VITOBIOGRVPHIE   DE  B()L-R\S. 

J'appartiens  à  une  famille  d'hommes  distingués 
par  leur  science  et  leur  piété.  Voici  ma  généalogie  : 
Je  m'appelle  Mohammed  Abou-Ras  ben  Ahmed  ben 
\bd  el-Qader  ben  Mohammed  ben  Ahmed  ben  en- 
Nacir  ben  Ali  ben  \bd  el-Adim  ben  Marouf  ben 
Vbdallah  ben  Abd  el-Djalil. 

Cette  généalogie  se  prolonge  jusqu'à  Omar  ben 
Kdris  ben  Abdallah  el-Kamil  ben  el-Hasan  el-Motni 
ben  el-Hasan  es-Sebti  qui  fut  fds  d'Ali  et  de  Fatima 
fille  du  Prophète  (saluts)^ 

Mon  père ,  mon  aïeul  et  mon  bisaïeul  étaient  de 
savants  lecteurs  du  Coran.  Mon  bisaïeul,  le  cheiidh 
Mohammed,  était  cité  pour  sa  science  du  droit,  sur- 

^  Cette  lacune  est  ainsi  comblée  )^ar  le  biographe  des  cheikhs 
magb'rebins  :  Abd  el-Djaiil  ben  Obeïd  ben  Ali  ben  Omar,  etc. 


NOTICK  SLR  VIOHAMMKD  ABOU  RAS  EN  .\ASRI.       321 

tout  pour  celle  des  successions.  Un  jour,  il  était  assis 
avec  son  père,  le  cheikh  Ahmed  ben  en-Nacir;  ii  y 
avait  là  des  savants  des  Beni-Arner  ^  entre  lesquels 
s'était  élevée  une  vive  discussion;  Tun  d'eux  disait  aux 
autres  :  «  L'esclave  de  cet  homme  a  péché  intention- 
nellement en  présence  de  mon  esclave.  —  Hé  bien  ! 
messieurs  les  savants,  dit  mon  bisaïeul,  faites  com- 
paraître l'esclave  fautif,  car  personne  que  lui  ne  peut 
répondre  de  la  faute  qu'il  a  commise.  »  De  même 
que  son  père,  il  avait  une  prédilection  pour  le  com- 
mentaire du  cheikh  Abd  el-Qader  ben  Aqtit,  connu 
parmi  les  savants  sous  le  nom  de  Soadani. 

Mon  trisaïeul,  le  cheikh  Ahmed,  était  un  homme 
vertueux ,  au  cœur  doux ,  peu  soucieux  des  biens  de 
ce  monde.  On  pouvait  dire  de  lui  ce  qu'Abou  1  Hasân 
el-R'orab  a  dit  de  quelqu'un  dont  il  faisait  l'éloge  : 
«Il  est  riche  en  piété,  et  pauvre  en  péchés».  Il  ne 
faisait  aucune  difl'érence  entre  les  choses  de  ce  bas 
monde,  et  ne  savait  pas  distinguer  un  objet  de  prix 
d'un  autre.  Vinsi,  ayant  aperçu  un  jour,  dans  un  coin 
de  sa  chambre ,  une  outre  où  étaient  mélangés  de  la 
graisse  et  du  miel,  il  crut  que  c'était  des  ordures  que 
l'on  avait  mises  de  côté;  il  porta  l'outre  au  ruisseau 
d'ibn  Sououaq,  la  nettoya  et  la  rapporta  à  sa  femme, 
à  qui  il  adressa  une  verte  semonce.  Celle-ci,  étonnée 
d'une  pareille  ignorance ,  fronça  les  sourcils  et  s'écria  : 

^  Les  Beni-Amer,  qui  habitaient  à  l'ouest  de  Mascara,  s*étaieat 
mis  au  service  des  Espagnols,  ce  qui  leur  valut  bien  des  reproches 
de  la  part  de  leurs  compatriotes.  Plus  tard ,  ils  furent  des  premiers 
à  soutenir  la  révolte  des  Derqaoua, 


322  SEPTEMBRE-OCTOBRE  1899. 

«  Tu  as  fait  perdre  aux  enfants  lassaisonnement  de 
leur  déjeuner».  Cette  aventure  fit  rire  tous  ceux 
qui  en  eurent  connaissance.  Dieu  ait  son  âme  ! 

C'est  à  son  père ,  le  célèbre  cheikh  en-Nacir,  que 
nous  devons  notre  nom.  C'est  lui  qui  fonda  notre 
cimetière  à  Ouizer  t.  On  y  voit  des  tombes  bénies 
qui  sont  un  lieu  de  pèlerinage  important.  Les  prières 
y  sont  exaucées  et  on  y  recueille  des  bénédictions. 
Nous  avions  là  une  médersa  dont  on  voit  encore  les 
traces  en  dessous  du  cimetière,  à  Touest  d'Ouizer't. 

J'ai  entendu  dire  à  plusieurs  hommes  dignes  de 
foi  que  nous  avions  autrefois  dans  ce  pays  sept 
medjles  dont  le  premier  fondateur  fut  notre  ancêtre 
En-Nacir  ^ 

Abd  el-Àdim  fut  un  saint  dont  le  tombeau  a  été 
le  théâtre  de  plusieurs  miracles.  En  voici  deux 
exemples  très  connus.  Quiconque  venait  visiter  son 
tombeau,  à  quelque  heure  du  jour  ou  de  la  nuit  que 
ce  fût,  recevait  de  Dieu  de  quoi  faire  son  repas.  Un 
jom*,  im  pieux  visiteur  avait  commencé  à  lire  les  Da- 
laïl-el-Kheirat  près  du  tombeau.  Arrivé  au  milieu , 
il  voulut  s'en  aller;  mais  il  entendit  une  voix  qui  lui 


^  Au  dire  des  indigènes,  voici  ce  qu'il  faut  entendre  par  là  :  les 
tribus  et  même  les  familles  arabes  aiment  à  se  solidariser  entre  elles 
t't  à  se  distinguer  le  plus  possible  les  unes  des  autres.  Dans  ce  but , 
une  famille  adopte  un  lieu  de  réunion  où  elle  vient  traiter  ses 
aiFaires,  et  où  les  gens  qui  y  ont  affaire  à  un  de  ses  membres 
savent  qu'ils  pourront  le  trouver.  Ces  endroits  finissent  par  prendre 
le  nom  de  la  famille  :  on  dit  le  medjles  des  Béni  Foulâu.  La  fa- 
mille de  Bou-Kas  aurait  donc  eu  successivement  ou  simultanément 
sent  de  ces  medjles ,  dont  le  premier  fut  choisi  par  En-Nacir. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       323 

disait  :  Areriy  c  est-à-dire  «  continue  ».  Il  se  remit  donc 
à  lire  jusqu'à  ce  qu'il  eût  terminé  le  livre. 

L'obscurité  étant  venue,  il  se  coucha,  et  un  gros 
lièvre  entra  dans  sa  tente;  il  Tégorgea,  le  fit  rôtir  et 
en  fil  son  repas.  i 

La  second  miracle  arriva  à  deux  pèlerins  qui, 
passant  la  nuit  près  de  son  tombeau,  lui  adressèrent 
cette  invocation  :  «  O  cheikh  des  hommes  pieux , 
toi  qui  nourris  tes  hôtes,  nous  sommes  affamés!  » 
Là-dessus,  s'étant  endormis,  ils  virent  arriver  un 
esclave  portant  un  plat  rempli  de  nourriture.  Us 
mangèrent  à  satiété,  et  s'endormirent  après  avoir 
mis  en  ordre  ce  qui  restait,  ainsi  que  de  Feau.  Le 
lendemain  matin,  ils  ne  trouvèrent  plus  rien,  pas 
même  des  miettes  à  terre.  Ce  tonïbeau  se  trouve 
dans  un  grand  bois  situé  à  l'ouest  de  l'oued  Hou- 
net,  et  très  abondant  en  lions.  Les  gens  qui  viennent 
en  pèlerinage  voient  souvent  quelqu'un  de  ces  ani- 
maux assis  ou  couché  sur  leur  passage;  mais  ceux- 
ci  ne  leur  font  aucun  mal,  bien  qu'ils  soient  réputés 
pour  leur  férocité.  Autour  du  tombeau,  une  vaste 
étendue  de  terrain  a  été  érigée  en  fondation  pieuse. 
Tout  revient  à  Dieu  ! 

Un  autre  de  mes  aïeux  également  nommé  Abd  el- 

A 

Adim  est  enterré  vis-à-vis  des  collines  de  Roneïn,  et 
faisant  face  à  celles  des  Mechmacha.  Son  tombeau 
est  connu;  tous  ceux  qui,  éprouvant  quelque  em- 
barras, font  une  tresse  d'alfa  vert,  en  frottent  le  té- 
n)()in  de  pierre  placé  pr^s  de  la  tête  du  saint,  et  la 


3^4  SEPTKMimivOCTOBRE  1899. 

laissent  sur  le  tombeau,  voient  leurs  affaires  s  arran- 
ger à  leur  gré. 

Mon  ancêtre  Abd  el-Djalil  est  enterré  à  Ouizer  t; 
mais  on  ne  connaît  pas  remplacement  de  son  tom- 
beau. C/est  lui  qui  a  fondé  la  medersa  dont  il  est 
question  plus  haut. 

J  ai  eu  également  parmi  mes  ancêtres  un  autre 
Abd  el-Djalil,  qui  est  enterré  dans  le  cimetière  du 
cheikh  Abou-Djelal,  preNs  de  Ouendjal,  où  quarante 
saints  sont  enterrés;  cest  ce  qui  a  fait  dire  ii  ceux 
qui  connaissent  notre  famille  que  nous  comptons 
parmi  nos  aïeux  deux  Adim  et  deux  Djalil^ 

Tout  ceci  m\i  été  affirmé  par  deux  cheikhs  égale- 
ment vénérés  :  Mostafa  ben  el-Mokhtar  et  Si  Abd 
el-Qader  ben  es-Snousi.  Ce  dernier  avait  une  telle 
réputation,  que  les  cheikhs  de  l'Orient  se  levaient 
pour  le  recevoir. 

Ma  mère  appartenait  à  une  bonne  famille  du  Sud. 
Elle  s  appelait  Zoula ,  fille  d'Omar  ben  Abd-el-Qader 
et-Todjani,  qui  est  enterré  dans  la  montagne  de 
Toumiat,  vis-à-vis  Hosna.  Son  tombeau  et  l'habita- 
tion de  ses  enfants  sont  un  lieu  de  pèlerinage.  Ma 
mère  était  citée  en  proverbe  pour  la  générosité  et  la 
vertu  comme  Rabia  FAdite  '-.  Mon  aïeule  maternelle 
Zeïneb  bent  Si  Abd  el-Djalil ,  était  connue  pour  sa 
sainteté  ^. 

^  Jeu  de  mots  sur  Adim  et  Djalil  qui  signifient  «  grand  »  et  <  puis- 
sant». 

^  Rabia  bent  Ismaîl  i'Aflite  est  citée  pour  sa  piété  dans  la  qua- 
rantième séance  de  Hariri.  Elle  faisait  miUe  génuflexions  par  jour. 

^  La  biographie  des  cbeikhs  magh'rebins  complète  ainsi  les  ren- 


NOTICK  SUR  VÎOHAVIMKD  ABOI    RAS  EN  \ASRI.       :^25 

Voilà  ce  qui  concerne  mon  origine,  ma  noblesse 
et  la  pure  source  de  mes  mérites.  Les  habitants  du 
Drâ,  ayant  fait  le  pèlerinage  dans  le  vnf  siècle, 
revinrent  de  THedjaz  avec  les  chérifs  dont  sont  sor- 
tis les  princes  saadiens ,  de  même  que  les  gens  de 
Tafilala  étaient  revenus  dans  le  vu*  siècle  avec  un 
chérif  de  Yambo  et  d  un  campement  des  Beni-Ibra- 
him.  Or  nos  Saadiens,  étant  arrivés  à  Tunis,  ne 
quittèrent  cette  ville  qu'après  avoir  eu  soin  de  se 
faire  délivrer  une  attestation  de  leur  noblesse  par 
le  cadi  Ibn  Abd  es-Salam,  Ibn  Haroun,  Ibn  Hattab 
et  Ibn  Ârfa.  Un  jour  qu'ils  étaient  entrés  dans  une 
maison ,  Abou  Tahar,  homme  de  la  noblesse  du  Ta- 
filala, de  la  famille  duquel  est  sorti  le  sultan  Ismaïl  ^ 
leur  demanda  leur  origine.  Ils  exhibèrent  les  pa- 
piers des  savants  tunisiens.  Alors  il  cinit  à  leur  no- 
blesse, et  les  fit  connaître  dans  tout  le  MaghVeb, 
Louange  à  Dieu!  Quant  à  moi,  pauvre  pécheur, 
serviteur  de  mon  Dieu,  les  savants  de  mon  temps 
ont  écrit  en  ma  faveur.  Il  y  a  des  paroles  pour 
chaque  rang;  il  y  a  des  hommes  pour  chaque  époque. 
Louange  à  Dieu  ! 

Je  suis  né  entre  les  montagnes  de  Kersout  et  de 

seignements  génralogiques  :  Bou-Ras  appartenait  aux  familles  ham- 
raoudites  et  alides  qui  ont  régné  en  Espagne  après  les  Oméyades.  li 
était  chérif  des  deux  côtes,  car  sa  mère  était  la  chéiifa  Zoula,  fille 
de  Sidi  ei-Ferah ,  fils  du  pôle  le  chérif  Omar  ben  Abd  el-Qader, 
un  des  saints  de  la  tribu  des  Yaqoubia. 

^  Abou-Nacer  Ismaïl,  dit  Moule^-hmaîl ,  sultan  hassanide  de  1672 
à  1727,  dont  la  famille  originaire  de  Sidjilmassa  (Tafilala)  règne 
encore  au  Maroc. 


32fi  SEPTEMBREOCTOBHE    1899. 

Hounet,  ie  8  safar  ii65  (27  décembre  lySi)^, 
ainsi  que  me  Ta  appris  la  noble  et  vertueuse  dame 
ma  sœur  Haliiîta.  Que  Dieu  donne  la  fraîcheur  à  sa 
tombe  ! 

Mon  père  et  ma  mère  me  portèrent  au  cheikh 
Ali  ben  Mousa  el-Leboukhi,  du  pays  des  Yaqoubia*-^, 
qui  me  bénit  et  prédit  que  je  serais  professeur  de 
tolbas,  homme  considéré,  ayant  une  école,  exer- 
çant la  justice  et  les  fonctions  de  cadi.  Il  en  fut 
comme  il  lavait  dit.  Il  est  dit  dans  le  Coran  (lxxh, 
q6,  2*7)  :  «Il  connaît  les  choses  cachées  et  ne  les 
révèle  à  personne,  excepté  au  Prophète  qu'il  agrée.  » 
Les  savants  ajoutent  :  ou  à  un  saint.  Ceci  est  ana- 
logue à  ce  qui  se  passe  quand  le  sultan  envoie  un 
ordre  à  son  vizir;  il  faut  qu'il  le  fasse  accompagner 
par  quelques-uns  de  ses  gardes  du  corps.  Hé  bien  ! 
le  sultan  c  est  Allah  ;  le  vizir  c  est  le  Prophète  (saluts), 
et  les  gardes  du  corps  ce  sont  les  saints. 

Mon  père  nous  emmena  dans  la  Mitidja  ^,  où  .ma 
mère  mourut.  Dieu  lui  fasse  miséricorde  !  Après  la 
mort  de  ma  mère,  je  restai  dans  la  tente  de  mon 
père  avec  mon  frère  Abd  el-Qader;  puis  nous  fûmes 
rejoints  par  mon  frère  aîné  Ibn  Omar,  et  mon  père 
nous  ramena  dans  Fouest  au  pays  des  Fehadja.  Mon 
père  marchait  à  pied  et  me  portait  sur  son  col,  à 

*  Cette  date  est  extraite  d'une  note  de  M.  Gorguos ,  lievue  afri- 
caine, 1867,  P*  ^^^*  ^^^  biographie  des  cheikhs  magh'rebins  dit 
qu'il  naquit  le  vendredi  1  3 ,  sans  rien  ajouter. 

^  Grande  tribu  qui  s'étend  au  sud  de  Mascara  et  jusqu'au  sud  de 
Frenda  et  de  Saïda. 
Près  d'Alger. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       327 

cause  de  ma  grande  jeunesse.  Mon  père,  revenu  au 
pays,  s'adonna  à  la  lecture  du  Coran,  épousa  plu- 
sieurs femn^es  et  mourut.  Son  tombeau  est  à  Oum- 
ed-Deroua,  dans  le  jardin  du  cheikh  Ahmed  ben 
Abdallah. 

Je  lisais  déjà  moi-même  le  Coran.  Mon  premier 
professeur  avait  été  mon  père,  le  cheikh  Ahmed.  Il 
me  fit  lire  jusqu'à  ce  verset  :  «  Nous  élevâmes  les 
prophètes  les  uns  au-dessus  des  autres»  (n,  2  5/i). 
J  avais  commencé  par  la  sourat  :  «  Lorsque  les  cieux 
s'entrouvriront»  (lxxxiv).  Le  souvenir  de  ce  qui 
suit  se  grava  dans  ma  mémoire  sans  aucun  enseigne- 
ment. Personne  ne  m'apprit  lalphabet.  Bien  plus ,  à 
partir  de  la  sourat  en  question,  je  commençai  à 
écrire  de  ma  main. 

Je  séjournai  ensuite  dans  les  écoles  avec  mon 
frère,  qui  me  portait  sur  ses  épaules,  ainsi  que  je 
l'ai  déjà  dit.  11  me  conduisit  chez  le  cheikh  Ali  et-Ta- 
laoui  ;  mais  comme  je  ne  traçais  pas  bien  la  lettre  o  » 
il  me  donna  une  tape  sur  la  tête,  et  depuis  lors  je 
n'ai  plus  jamais  lu  chez  aucun  maître  d'école  d'en- 
fants. Je  me  mis  à  écrire  auprès  des  tolbas  qui  étu- 
diaient le  droit;  et,  au  bout  de  peu  de  temps,  c'est 
moi  qui  leur  donnais  des  explications.  En  route,  un 
d'eux  me  portait  sur  ses  épaules,  et  cependant  c'est 
moi  qui  les  faisais  lire  et  qui  débrouillais  leurs  plan- 
chettes. Je  mendiais  leur  nourriture  dans  les  maisons 
et  les  jours  où  je  ne  pouvais  le  faire,  ils  me  battaient. 
Je  passai  dix  années  déguenillé,  presque  sans  vête- 


328  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

ments;  je  ne  commençai  à  porter  des  chaussures 
qu  à  Tâge  du  jeûne. 

Quand  je  pus  marcher,  je  commençai  par  de- 
mander dans  les  maisons;  puis  je  fis  un  peu  de 
commerce;  enfin  je  m'attachai  au  cheikh  Mançour 
ed-Darir^  J'apportais  Teau  dans  sa  maison;  j'ap- 
prenais à  lire  à  ses  enfants;  chaque  jour  je  cherchais 
leurs  poux-.  Il  me  souhaita  un  heureux  caractère, 
et  Dieu  la  exaucé.  Je  devins  auprès  de  lui  très  ha- 
bile dans  la  lecture  du  Coran;  j'avais  cinq  profes- 
seurs; car  il  m'avait  dit  :  «  Commence  par  faire  cor- 
riger tes  planchettes  par  eux ,  et  tu  me  les  apporteras 
ensuite  ».  J'étais  sans  cesse  au  milieu  de  sa  famille 
et  de  ses  enfants.  J'avais  ainsi  huit(?)  professeurs 
pour  le  Coran;  mais  quant  aux  Ahkam,  je  ne  les 
lisais  jamais  que  devant  le  maître  lui-même. 

C'est  grâce  à  la  faveur  et  à  la  bienveillance  de 
mes  professeurs  que  j'ai  rencontré  chez  chacun  d'eux 
une  connaissance  à  laquelle  je  me  suis  adonné. 

Le  professeur  répand  l'utilité  autour  de  lui.  On 
peut  mesurer  la  terre  par  les  pas  que  l'on  fait  en  se 
rendant  chez  lui.  Quelqu'un  dit  un  jour  à  Alexandre 
le  Grand  :  «  Tu  as  vraiment  plus  d'estime  pour  ton 
précepteur  Aristote  que  pour   ton  père.  —  Mon 


^  Il  est  probable  que  c'est  à  Mascara  où  le  jeune  Bou-Ras  était 
venu  se  fixer. 

-  Le  texte  dit  littéralement  :  «  Je  cherchais  pour  lui  les  poux  ». 
Il  faut  comprendre  pour  l'honneur  du  cheikh  Mancour  que  Bou- 
Ras  le  remplaçait  pour  chercher  les  poux  des  enfants. 


NOTJCE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       329 

père,  répondit-il,  nVa  donné  cette  vie  périssable. 
Aristote  m'a  donné  une  vie  durable  ^  » 

L'imam  Saïdi  raconte  que  ie  Démondit  un  jour  à 
Jésus  (salut  sur  lui!):  «Dis  ces  mots  :  Il  ny  a  de 
Dieu  que  Dieu.  —  Je  le  dirai,  répondit  Jésus,  mais 
non  pas  en  répétant  tes  paroles,  ô  maudit».  Il  avait 
en  effet  compris  que  s'il  répétait  les  paroles  de  Satan , 
celui-ci  deviendrait  son  professeur,  et  que  dès  lors 
il  ne  pourrait  plus  désobéir  aux  ordres  de  son  maître. 
Or  on  sait  que  le  Démon  n'ordonne  que  des  turpi- 
tudes et  notamment  l'idolâtrie.  Dieu  préserva  Jésus 
de  ce  danger. 

L'imam  Chafaî  se  trouvant  un  jour  dans  sa  classe 
au  milieu  de  ses  élèves,  vit  entrer  un  homme  et  se 
leva  pour  lui  faire  honneur.  Or,  cet  individu  était 
un  homme  du  commun.  Comme  on  s'étonnait, 
l'imam  dit  :  «  L'homme  vraiment  noble  est  celui  qui 
garde  la  reconnaissance  en  son  cœur,  ne  fût-ce  que 
pour  un  regard ,  et  qui  honore  celui  dont  il  a  reçu 

*  Cette  apecdote  est  connue  de  tout  le  monde.  En  voici  une 
moins  connue,  qui  est  racontée  dans  le  commentaire  de  VAqiqa  el 
qui  prouve  à  ia  fois  la  fécondité  de  l'imagination  des  Arabes,  et 
leur  confiance  dans  la  perspicacité  du  grand  philosophe  grec.  Pen- 
dant l'expédition  d'Alexandre  dans  l'Inde ,  son  armée  campa  quelque 
temps  auprès  d'un  certain  puits.  Tous  les  soldats  qui  y  regardaient 
tombaient  immédiatement  morts.  Alexandre  fit  consulter  Aristote 
qui  répondit  en  envoyant  un  miroir,  et  en  recommandant  de  le 
présenter  pendant  quelque  temps  à  l'orifice  du  puits.  C'est  ce  que 
l'on  fit;  et  les  soldats  purent  ensuite  y  regarder  sans  accident.  Aris- 
tote avait  deviné  que  le  puits  était  habité  par  un  basilic,  serpent 
dont  le  regard  tue  comme  chacun  sait.  Quand  on  présenta  le 
miroir  à  la  bouche  du  puits,  le  basilic  y  darda  son  regard  qui  lui 
fut  remové  el  le  lua  net. 


330  SEPTEMBKEOCTOBRE  1899. 

quelque  chose,  ne  fût-ce  qu'une  parole.  —  En  quoi, 
demanda-t-on ,  ce  rustre  a-t-il  pu  fêlre  utile?  — 
J'ignorais  à  quel  signe  on  reconnaît  que  le  chien  est 
adulte;  cet  homme  m'a  appris  que  c'est  quand  il 
lève  la  patte  pour  pisser.  » 

J'étudiai  ensuite  le  droit  chez  divers  professeurs; 
d'abord  chez  le  cadi  de  Mascara,  Si  Mohammed  ben 
Sahnouh.  Puis  je  me  rendis  à  la  Guetna^  Un  jour 
que  je  quêtais  aux  portes  pour  la  nourriture  des 
tolbas,  je  m'arrêtai  à  la  porte  de  la  mosquée,  qui 
était  une  grande  construction  pourvue  de  son  mih- 
rab  ;  à  droite  était  la  chambre  du  cheikh  Mecherfi  ; 
j'étais  vêtu  de  haillons  usés,  rapiécés  avec  des 
épingles.  Personne  ne  daigna  jeter  les  yeux  sur  moi. 
Je  me  rendis  alors  à  la  ville  du  cheikh  Ibn  Moham- 
med où  je  trouvai  le  cheikh  Si  el-Bachir  ben 
Mohammed  faisant  sa  leçon,  je  ne  me  rappelle  plus 
sur  quoi.  L'amîn  des  maçons  touché  de  mon  aspect 
misérable,  et  étonné  de  mon  savoir,  me  prit  chez 
lui  et  se  chargea  de  moi.  Je  dormais  au  milieu  de 
sa  famille. 

Vers  l'époque  où  je  jeûnai  pour  la  première  fois, 
les  tolbas  m'ayant  beaucoup  parlé  de  Mazouna^  je 
me  rendis  dans  cette  ville.  Ma  jeunesse  fut  cause 
que  j'eus  les  pieds  fendus.  Mais  c'est  là  une  chose 
qui  arrive  quand  on  voyage  pour  s'instruire.  Il  est 
dit  dans  le  Coran  (vjh,  6 1  )  :  «  Moïse  dit  à  son  fds  : 

*  Localité  située  à  une  vingtaine  de  kilomètres  à  l'est  de  Mas- 
cara. 

-  Entre  ïénôs  et  Mostauaneni ,  au  nord  du  Chélif. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       331 

Apporte-nous  notre  repas ,  car  ce  voyage  nous  a  fa- 
tigués. » 

Sur  ma  route,  je  passai  près  du  cheikh  Abou 
Abdallah  Mohammed  ben  Lobna.  Que  Dieu  console 
la  sohtude  de  son  tombeau  !  11  était  simplement  vêtu 
d'une  chemise  et  dun  bernous;  c'est  là  une  simpli- 
cité bien  fréquente  chez  les  saints.  Nous  le  trou- 
vâmes occupé  à  une  bonne  œuvre  :  on  plantait  un 
jardin  pour  une  œuvre  pieuse.  Il  me  demanda  où 
j  allais.  «A  Mazouna,  répondis -je.  —  Pourquoi 
faire  ?  —  Pour  étudier  le  droit.  —  Et  le  Coran  ?  — 
Je  le  connais  ainsi  que  tout  ce  qui  s  y  rapporte; 
beaucoup  de  tolbas  ont  profité  de  ce  que  je  leur  ai 
appris  à  ce  sujet.  »  Le  cheikh  i^mpli  de  joie  et 
d'étonnement ,  me  considéra  alors  avec  bienveil- 
lance et  attention. 

Quand  je  vis  que  son  àme  et  son  cœur  venaient 
ainsi  vers  moi,  je  lui  demandai  une  prière  qui  pût 
me  faciliter  le  retour,  bien  que  l'homme  ne  puisse 
compter  que  sur  ses  propres  efforts.  Il  fit  alors  pour 
moi  une  invocation  en  disant  avec  un  regard  de  côté 
bienveillant  :  «  J'ai  fait  que  les  œuvres  de  Khelil  et 
d'autres  encore  soient  pour  toi  comme  une  bouchée 
dans  le  gosier  ».  En  même  temps  son  regard  de  côté 
semblait  me  désigner.  Cette  invocation  se  vérifia 
pleinement  pour  moi. 

En  arrivant,  je  m'arrêtai  au  village  de  R'irân, 
sur  un  des  côtés  de  Bou-Aloufa.  Pendant  le  jour  je 
lisais,  et  la  nuit  je  pourvoyais  à  ma  nourriture.  Je 
travaillai  auprès  de  quatre  professeurs;  puis  je  mè 

XIV.  2  2 


332  SEPTEMBRE-OCTOBRE   L899. 

rendis  auprès  de  ceux  de  Mazouna.  Je  me  présentai 
d'abord  chez  le  cheikh  Ibn  Aii  ;  je  m'assis  à  l'extrémité 
du  cercle,  contre  le  marbre  dur,  dans  un  poste  étroit 
et  dédaigné;  mais  à  la  fm  je  m'assis  devant  le  maître. 
C'était  moi  qui  pendant  la  classe  lisais  ie  texte  qu'il 
devait  commenter.  J'étais  alors  adulte. 

Je  suivis  les  cours  de  difiFérents  professeurs ,  et  en 
particulier  de  El-Arbi  ben  Nafila,  près  de  qui  je 
travaillai  pendant  trois  ans.  Son  fils  Si  Ahmed  fut 
également  un  de  mes  professeurs;  il  était  parfait 
dans  ses  explications  et  ses  réflexions.  M^eureuse> 
ment  il  bégayait.  Mais  je  dois  dire  que  je  ne  suivis 
que  pendant  trois  jours  les  leçons  du  cheikh  Mo- 
hammed Abou  Taleb  de  la  famille  du  cheikh  Abd- 
el-Aziz  el-Beldaoui,  à  cause  des  affectations  hypo- 
crites de  sainteté  grâce  auxquelles  il  amassa  un  bien 
considérable.  J'assistai  avec  le  plus  grand  fruit  aux 
audiences  du  premier  cadi  de  Mazouna. 

J'appris  par  cœur  le  Mokhtacer  (de  Sidi  Khalil) 
dont  je  compris  le  sens  et  les  paroles.  Dès  la  pre- 
mière année  je  lisais  aux  tolbas  le  traité  des  succes- 
sions que  je  maniais  aussi  bien  que  le  dompteur 
manie  le  cheval  fougueux. 

La  seconde  année  je  vis  venir  vers  moi  notre 
saint  et  vertueux  frère  Mohammed  el-Guendouz, 
habitant  Mostaganem ,  mais  Tunisien  d'origine.  Avec 
l'aide  de  quelques  tolbas,  nous  lui  lûmes  au  com- 
mencement de  la  seconde  année  jusqu'au  chapitre 
de  rinsensé,  ainsi  que  le  livre  du  Mariage.  La  troi- 
sième année  j'étais  devenu  sans  égal  sur  le  Moçannif. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       33a 

Une  nuit  je  dormais;  il  me  sembla  être  sm^  un 
marché  où  je  rencontrai  un  homme  aux  yeux  bleus, 
vêtu  dune  chemise  et  d'un  bernons,  qui  me  parut 
porter  sur  la  tête  une  calotte  de  palmier  nain.  Il  te- 
nait à  la  main  un  couffin  de  même  substance,  con- 
tenant deux  grappes  de  raisin ,  lune  douce  et  l'autre 
acide  :  «  Est-ce  que  tu  vends  ces  deux  grappes ,  de- 
mandai-je?  —  Oui.  —  Et  combien?  —  Une  once. 
—  Mais  celle-ci  est  mûre  et  l'autre  ne  l'est  pas.  — 
Comment  t'appelles-tu?  demanda-t-il.  —  Un  tel.  — 
Hé  !  que  Dieu  fasse  de  toi  pour  le  Moçannif  ce  qu  est 
le  moulin  pour  le  blé.  »  Je  me  réveillai  alors  et  me 
dis  :  Ce  songe  et  Imvocation  du  cheikh  Ibn  Lobna 
diffèrent  par  les  mots,  mais  sont  semblables  par  le 
sens.  Cela  rappelle  le  mot  de  Moaouïa  au  sujet  des 
testaments  de  sa  mère  Hinda  et  de  son  père  Âbou 
Sofiân,  quand  il  prit  le  pouvoir  en  Syrie:  «Je  suis 
étonné  de  voir  la  différence  des  mots  et  la  concor- 
dance des  sens.  » 

Ma  réputation  ayant  commencé  à  s'établir  je  quit- 
tai Mazouna  pour  revenir  à  Mascara^.  Je  ne  possé- 
dais absolument  rien  que  ma  connaissance  du  droit. 
Je  me  rendis  d'abord  près  du  cheikh  Si  Abd  el-Qa- 
der  ben  Abdallah  el-Mecherfi. 

C'était  un  homme  éminent  à  qui  on  offrit  pla- 


'  Il  est  probable  qu'il  ne  revint  pas  à  Mascara  même;  en  e£fet, 
nous  le  voyons  s'arrêter  pendant  plusieurs  années  auprès  de  Me- 
chcrfi,  qui,  ainsi  qu'on  Ta  vu  plus  haut,  demeurait  à  la  Guetna,  à 
quelque  dislance  de  Mascara.  Plus  tard ,  après  la  mort  de  ce  même 
Mecherfi ,  nous  le  verrons  se  mettre  à  enseigner  à  Mascara. 

2-2  . 


334  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1809. 

sieurs  fois  les  fonctions  de  cadi,  mais  il  les  refusa 
constamment.  II  lui  arriva  défaire  des  prodiges  dont 
voici  un  exemple  qu  il  m'a  raconté  lui-même  ;  «  Je 
conduisais,  me  dit-il,  des  chèvres  au  cheikh  Amer. 
Or  il  faut  savoir  que  El-Hadj  Mohammed  ben  Mech- 
ref  et  El-Arbi  ben  Bekkân  el-Mehadji  étaient  en  ri- 
valité; je  rencontrai  tout  à  coup  un  homme  rouge, 
gros,  pieds  nus,  ressemblant  à  un  homme  de  Kalaa. 
«  Qui  es-tu?  lui  dis-je.  —  Je  suis  un  homme ,  répondit- 
«  il.  —  Tu  es  bien  plutôt  un  démon  que  Si  el-Arbi  ben 
«  Bekkân  envoie  à  El-Hadj  Mohammed  ben  Mechref 
«pour  le  tourmenter.  »  —  Là-dessus,  cet  homme  se 
transforma  en  un  énorme  taureau  et  chargea  comme 
aurait  fait  un  cheval.  Sa  queue  se  dressait  plus  haut 
que  sa  tète.  Il  disparut  près  de  Tarbre  du  cheikh 
Amer  ben  Ata  ». 

Voici  d'autres  faits  non  moins  prodigieux  :  le 
khalifa  de  Tagha  Haroual  avait  pris  un  convoi  d'orge 
appartenant  à  un  des  élèves  de  Mecherfi.  Celui-ci 
envoya  d'abord  parier  à  Haroual,  mais  inutilement. 
Alors  il  fit  dire  à  l'agha  :  «  Si  tu  ne  rends  pas  ce 
grain,  Dieu  te  prendra  avant  demain  matin.  Ne 
sommes-nous  pas  proches  du  matin?  »  L'agha  effrayé 
rendit  le  grain.  S'il  ne  l'avait  pas  rendu,  disait  Me- 
cherfî,  il  lui  serait  infailliblement  arrivé  ce  que 
j'avais  prédit. 

Il  lui  arriva  quelque  chose  d'analogue  dans  le  Tes- 
sala^  près  d'un  campement  où  on  n'avait  pas  voulu 

'  Montagne  située  entre  la  sebkha  d'Oran  et  Sidi^bel-Âbbès. 


NOTICK  SUH   MOHAMMED  ABOIJ  BAS  EN   NASHI.        335 

le  recevoir  pendant  une  nuit  de  mauvais  temps,  bien 
qu  il  eût  dit  :  «  Voilà  un  hôte  de  Dieu  devant  notre 
campement  ». 

\  une  époque  où  je  faisais  lire  les  tolbas  à  sa  place, 
on  me  vola  un  manuscrit  précieux;  quand  je  lui  en 
rendis  compte ,  il  me  dit  :  «  Il  reviendra  sous  peu  ». 
En  effet,  on  le  retrouva  dans  une  boutique  à  Mas- 
cara. 

Lin  malfaiteur  des  Hachem',  nommé  Abd  er-Rah- 
màn,  lui  avait  volé  des  moutons.  Mecherfi  alla  chez 
cet  homme  et  le  trouva  occupé  à  partager  la  viande 
des  moutons.  Le  malfaiteur  s  étant  mis  à  Tinjurier, 
Mecherli  lui  dit  :  «  Dieu  te  prendra».  En  effet,  peu 
de  jours  après,  cet  homme  reconnu  coupable  de 
quelque  autre  méfait  était  exposé  sur  le  marché  de 
Mascara,  les  pieds  et  les  mains  coupés. 

Le  caïd  de  Mascara  fit  un  jour  attacher  avec  une 
corde  un  certain  nombre  de  notables.  Mecherfi  alla 
trouver  le  bey  KheliP,  mais  ne  put  en  obtenir  ia 
mise  en  liberté  de  ces  hommes.  Alors  il  souffla  sur 
le  bey,  qui  fut  pris  immédiatement  d'une  violente 
douleur  et  faillit  en  mourir.  Il  s'empressa  d'ordonner 
la  délivrance  des  notables. 

Quelqu'un  m'a  raXîonté  qu'étant  allé  visiter  Me- 


'  Celte  tribu  de  la  plaine  de  Gh'ris ,  près  de  Mascara ,  avait  tou- 
jours rcsislé  aux  Turcs  et  était  devenae  le  refuge  des  vauriens  de  ia 
contrée.  Elle  fut  châtiée  et  soumise  par  le  bey  Mohammed  el-Kebir. 

-  Hadj  Khclil,  de  177G  à  1779,  prédécesseur  de  Mohammed  el 
Kebir. 


336  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

cherfi,  et  lui  ayant  porté  un  rial<  il  avait  trouvé  le 
même  jour  sur  son  chemin  sept  riais. 

Son  neveu,  Si  Abdallah  ben  Ahmed,  ayant  été 
nommé  secrétaire  du  bey  contre  la  volonté  du  ckeikh , 
celui-ci  fit  une  invocation  contre  lui,  et  deux  se- 
maines ne  s'étaient  pas  écoulées  que  Si  Abdallah 
était  mort. 

Voici  un  autre  prodige  qu'il  ma  raconté  lui-même, 
et  qui  est  dû  à  son  professeur  Menouar  :  «  Un  jour, 
me  dit-il,  nous  étions  dans  Técole  quand  vint  un 
homme  qui  avait  perdu  une  vache  ou  un  âne.  «  Si 
«  Abd  el-Qader,  me  dit  Menouar,  écris  telle  chose 
«  sur  ton  ongle.  »  Je  le  fis,  et  aussitôt  Dieu  me  fit  voir 
ce  qui  était  perdu,  » 

Il  m*a  également  raconté  qu  un  jour,  ayant  dit  à 
son  professeur,  le  cheikh  Izz  ed-Din  el-Azr  ar  :  «  Je 
voudrais  habiter  dans  un  endroit  appelé  Aboul 
Aouïnat  »,  le  professeur  lui  répondit  :  «  Le  mérite,  ô 
Si  Abd  el-Qader,  réside  dans  Thabitant  et  non  dans 
f  habitation  ». 

Ceci  rappelle  ce  quon  raconte  de  la  guêpe  qui 
dit  un  jour  à  fabeille  :  u  Apprends-moi  à  faire  les 
rayons  pour  le  miel  ».  L'abeille  le  lui  enseigna.  La 
guêpe  se  mit  alors  à  mépriser  sa  rivale,  à  s'enor- 
gueillir et  à  lui  dire  :  «Je  suis  plus  habile  que  toi; 
mes  rayons  sont  mieux  faits  que  les  tiens,  et  tu  n  as 
aucune  supériorité  sur  moi.  —  Tu  peux  être  aussi 
habile  que  moi  et  même  plus,  pour  faire  les  rayons, 
répondit  Tabeille;  mais  où  est  ton  miel?  »  La  guêpe 
réfléchit,  mais  elle  ne  put  arriver  à  faire  un  mid 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       337 

comme  celui  de  TabeiUe.  CeUe-ci  lui  dit  alors  : 
«  Sache,  ô  guêpe,  que  le  mérite  réside  dans  l'habitant 
et  non  dans  l'habitation  ». 

Quant  à  moi ,  je  me  mis  dès  Tabord  à  prendre  une 
part  active  aux  discussions  qui  avaient  lieu  dans 
Técole  de  Mecherfi.  Le  cheikh ,  étonné  de  mon  savoir, 
ne  me  faisait  aucun  reproche  sur  les  fautes  dont 
j  emaillais  mon  langage.  Aux  tolbas  qui  s  en  éton- 
naient, H  répondait  :  «C'est  une  habitude  des  gens 
de  Mazouna  ».  Que  Dieu  le  bénisse!  Il  savait  amener 
chacun  à  reconnaître  ses  défauts  sans  jamais  employer 
de  sobriquet,  ni  faire  d'affront.  Un  jour,  je  discutais 
avec  les  principaux  de  ces  tolbas ,  et  j'eus  l'avantage 
sur  eux.  Alors  il  sourit  et  dît  :  «  Si  le  Mokhtacer  dis- 
paraissait, personne  que  lui  ne  pourrait  le  savoir  et 
en  faire  la  lecture,  car  il  en  a  bourré  sa  besace  et 
rempli  son  outre.  »  Cependant ,  en  raison  de  ma  jeu- 
nesse, il  m'imposait  de  nombreuses  corvées.  Je  lavais 
ses  vêtements  et  ceux  de  ses  enfants;  après  les  avoir 
passés  au  savon,  j'en  battais  les  doublures  afin  de 
faire  disparaître  les  plis  et  les  fronces. 

Je  me  rendis  ensuite  chez  ma  sœur  à  l'oued  Arzem 
chez  les  petits-enfants  de  mon  aïeul  maternel  Omar 
ben  Abd  el-Qader  dont  le  tombeau  est  à  Toumîat. 
J'y  eus  pour  élèves  pendant  deux  ans  les  enfants  de 
l'auteur  de  la  Roatya^  et  de  l'ouvrage  intitulé  :  ^Iqd 
en-Nefis  (Collier  précieux)  sur  les  grands  du  pays  de 
GKris^,  J'exerçai  ensuite  dans  cette  région  les  fonc- 

'  D après  cela,  1  auteur  de  ces  deux  ouvrages  que  Bou-Ras  ne 
nomme  pas  aurait  été  à  peu  près  son  contemporain.  Mais,  d'après 


338  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

tîons  de  cadi,  au  nom  du  cadi  de  Mascara,  Si  Mo- 
hammed ben  Mouley  Ali.  A  cette  époque,  je  de- 
mandai en  mariage  la  fille  du  cheikh  Mohammed 
ben  Yahia  ;  je  Tobtins  et  je  dressai  ma  tente.  Abouti 
01a  a  dit  :  «  Il  y  a  deux  choses  d  une  beauté  sans 
égale  :  un  hémistiche  de  vers  et  une  tente  de  poils 
de  chameau.  » 

Mais  je  ne  tardai  pas  à  m^apercevoir  que  le  séjour 
de  la  campagne  est  funeste  pour  la  science.  Je  me 
rappelai  ces  mots  adressés  à  Chafaï  par  Timam 
Malik  dans  les  recommandations  qu  il  lui  fit  au  mo- 
ment de  son  départ  :  «  N'habite  pas  la  campagne,  tu 
y  perdrais  tout  ton  savoir  ».  Je  revins  donc  à  Mas- 
cara, où  je  me  livrai  nuit  et  jour  à  renseignement. 
Cela  dura  pendant  trente-six  années  où  je  ne  m  abs- 
tins pas  un  jour,  le  lundi  excepté.  Je  voyais  com- 
plètement le  Moçannif  huit  fois  dans  Tannée  :  quatre 
fois  la  première  partie,  puis  quatre  fois  la  seconde. 
Je  les  lisais  ensuite  ensemble  à  lautomne. 

Cer laines  années,  j'ai  réuni  jusqu'à  -700  élèves. 
Il  faut  dire  cependant  que  le  cheikh  soufite,  Timam 
Djanidi  ne  parlait  quà  18  auditeurs  au  plus.  Eyoub 
el-Mahacabi  et  d'autres  encore  abandonnaient  la 
partie  quand  le  nombre  de  leurs  élèves  dépassait 
trois.  Cependant  ils  étaient  plus  aptes  que  moi  à 

des  renseignements  que  je  tiens  de  M.  Delphin,  fauteur  de  VIdq 
en  Nejis  fut  Abou-Zeïd  AM  er-rahmân  et-Todjini,  qui  vécut  un 
peu  plus  tôt,  au  11"  siècle  de  Thégire.  Il  s'agirait  donc  ici  de  ses 
petits-enfants.  Son  ouvrage  fut  complété  par  un  nommé  I>jouzi 
ben  Mohammed.  Voir  sous  le  n**  33  le  titre  du  commentaire  com- 
posé par  Bou-Ras  à  ce  sujet. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASR[.       339 

pareille  besogne.  Le  cercle  des  auditeurs  de  l'imam 
Malik  étant  devenu  trop  considérable,  il  fit  un  choix 
parmi  eux. 

Je  m'asseyais  pour  professer,  et  après  avoir  com- 
mencé au  chapitre  de  l'assiduité  à  la  mosquée,  je  ne 
me  levais  plus  avant  d'arriver  au  chapitre  de  la  ma- 
nière d'égorger,  sans  m'arrêter  un  seul  instant,  ni 
laisser  un  point  douteux ,  malgré  l'importance ,  la 
longueur  et  la  difficulté  du  chapitre  du  pèlerinage, 
malgré  le  nombre  de  mes  élèves  et  l'épaisseur  de 
leurs  files  '. 

Jamais  je  n'ai  apporté  un  livre  à  mon  cours,  et 
personne  n'y  a  lu,  à  moins  que  ce  n'ait  été  en  ca- 
chette. Quelquefois,  quand  on  n'était  pas  d'accord, 
les  tolbas  demandaient  un  livre.  «  Quand  nous  au- 
rons fini,  disais-je,  vous  en  demanderez  un.»  On 
vérifiait,  et  c'était  toujours  moi  qui  avais  raison. 

Pas  un  seul  des  sept  jurisconsultes  ne  possédait 
un  livre.  En  effet,  la  science  est  une  chose  que  l'on 
doit  posséder  par  cœur.  On  chargerait  des  chameaux 
avec  ce  qu'a  dicté  El-Anhari,  et  cependant  il  n'avait 
pas  un  livre.  De  même,  el-Foura  dictait  ce  qu'il  sa- 
vait par  cœur,  tandis  que  devant  sa  porte  étaient  les 
montures  de  ses  700  élèves,  parmi  lesquels  il  y 
avait  80  cadis. 

Charmasahi  était  allé  du  Caire  à  Bagh'dad  pour 
faire  le  commerce  des  joyaux.  Les  jurisconsultes  lui 
demandèrent  :  «  Combien  connais-tu  d'espèces  de 

'  Bou-Ras  expliquait  donc  dans  une  seule  leçon  les  6"  et  7"  cha- 
pitres de  Sidi  Khelil. 


340  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

ventes  à  terme ^?  —  Quatre-vingt  mille,  répondit- 
il.  »  Comme  on  paraissait  trouver  ce  nombre  exa- 
géré ,  on  voulut  le  mettre  à  Tépreuve  en  lui  faisant 
lire  ses  textes.  On  alla  donc  à  la  grande  mosquée. 
Quand  il  fut  arrivé  à  8,000  citations,  les  savants 
lui  firent  grâce  du  reste. 

Au  milieu  de  mes  leçons,  je  citais  des  historiettes 
et  des  anecdotes  piquantes ,  pour  distraire  un  instant 
les  esprits  et  les  cœurs.  Malgré  toute  sa  pureté  et 
son  austérité,  Châba  mêlait  d'anecdotes  son  ensei- 
gnement sur  les  hadits.  Un  jour,  ayant  aperçu  Abou 
Zeidel-Ançariy  il  lui  dit:  «  Viens  donc  auprès  de  nous.  » 
Ils  se  mirent  à  se  réciter  des  vers,  à  citer  tantôt 
des  prédications  attendrissantes ,  tantôt  des  histoires 
risibles.  Les  tolbas  lui  dirent  alors  :  «  Nous  avons 
fatigué  nos  montures  pour  venir  te  demander  l'en- 
seignement des  hadits,  et  voilà  que  tu  nous  quittes 
pour  t'occuper  de  choses  qui  ue  nous  concernent 
pas.  —  Par  Allah,  répondit-il,  je  m'acquitte  ainsi 
de  ce  que  vous  me  demandez^.  » 

Mon  enseignement  arriva  ainsi  à  être  solide  et 
fin ,  si  bien  que  ma  science  fut  citée  dans  les  diverses 
contrées ,  et  qu'elle  faisait  oublier  les  écoles  d'Egypte, 
de  Syrie  et  de  l'Iraq.  Les  beys  souverains  de  notre 
pays  entendirent  parler  du  grand  nombre  et  de 
l'empressement  de  mes  élèves;  car,  comme  on  Ta 

^  Il  faut  sans  doute  comprendre  :  •  combien  connais-ta  de  textes 
sur  les  ventes  à  terme?» 

*  Jeu  de  mots  .«ur  hadits:  le  professeur  dit  plaisamment  à  ses 
âèves  :  Vous  êtes  venus  me  demander  de  la  conversation»  En  voilà. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       341 

dit,  on  se  presse  autour  de  Tabreuvoir  d'eau  fraîche 
et  pure.  Us  m'offrirent  alors  une  chaire  qui  me  lut 
d'un  grand  secours  pour  l'enseignement. 

Cependant  je  faisais  toujours  des  fautes  de  lan- 
gage. Je  citais  à  ce  sujet  à  mes  élèves  le  célèbre 
grammairien  Chaloubîn^  et  d'autres  qui  en  avaient 
toujours  fait;  mais  ils  insistaient  en  ftie  disant  :  «Il 
faut  absolument  que  tu  apprennes  la  grammaire. 
—  Mais,  répondis-je,  une  mauvaise  prononciation 
ne  nuit  en  rien  à  l'homme  pieux.  —  Cela  ne  fait 
rien,  il  le  faut.  »  Alors  je  me  mis  à  réfléchir  sérieu- 
sement à  ce  qu'ils  venaient  de  me  dire.  Je  m'en- 
dormis et  tout  à  coup,  ma  chambre  se  trouva  illu* 
minée.  Je  crus  d'abord  que  c'était  des  lumières 
placées  en  dehors;  mais  il  n'en  était  rien.  Je  compris 
alors  que  c'était  une  inspiration  de  Dieu  poiu*  me 
pousser  à  l'étude  de  la  grammaire.  Le  lendemain, 
quand  je  fus  allé  à  mon  cours  et  me  fus  assis  dans 
ma  chaire,  un  taleb  appelé  Si  Abd  el-Qader  ben 
Slimân  me  dit  :  «  J'ai  rêvé,  cette  nuit,  que  tu  ensei- 

^  Abou  Ali  Omar,  natif  de  Salobrena.  Voici  comment  Bou-Ras 
s'exprime  sur  le  compte  des  Maures  espagnols  dans  un  passage  de 
son  second  commentaire  qui  a  toutes  les  apparences  d'une  citation  : 
Bien  que  les  Espagnols  fussent  très  forts  en  grammaire,  et  qu'ils 
aient  fait  progresser  celte  science,  on  rencontre,  même  dans  le 
langage  des  hommes  distingués,  et  à  plus  forte  raison  dans  celui 
du  vulgaire,  des  choses  qui  s'écartent  des  rè^es  de  la  langue  arabe. 
C'est  au  point  que  si  un  Arabe  avait  entenda  parier  Chaloubin,  il 
aurait  éclata  de  rire  en  entendant  ses  fautes.  Si  un  homme  dis- 
tingué parle  exactement  suivant  les  règles  de  la  grammaire,  on  le 
traite  de  pédant ,  bien  qu'on  méprise  les  gens  qui  ne  connaissent 
pas  ces  règles. 


:ri2  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

gnais  aux  îolbas  le  chapitre  du  Sujet.  —  S*il  plaît  à 
Dieu,  rêpondis-je.  je  le  ferai*.»  Je  me  mis  donc 
avec  ardeur  à  1  étude;  quelques-uns  de  mes  élèves 
m'aidèrent ,  et  Dieu  massista  tellement  que  j'arrivai 
à  composer  deux  gloses  sur  le  commentaire  de  JUa- 
koudi. 

Quand  on  eut  commencé  à  rendre  justice  à  mon 
mérite,  les  cheikhs  me  demandèrent  pour  enseigner 
soit  dans  leurs  écoles,  soit  à  leurs  enfants.  Je  choisis 
d'abord  Abd  el-Qader  ben  Mecherfi.  Malgré  ma  jeu- 
nesse, ce  cheikh  me  tenait  en  haute  estime  et  me 
donnait  du  blé,  de  forge,  de  largent,  de  la  graisse 
et  des  moutons.  Malheureusement,  la  mort  le  sur- 
prit le  lo  du  mois  de  ramadan  1192  (1778).  B 
mavait  recommandé  à  ses  enfants  ;  mais  au  bout  de 
deux  ans  ceux-ci  manquèrent  à  ses  recommandations. 
Que  Dieu  leur  en  tienne  compte  I 

Après  sa  mort,  je  me  rendis  auprès  du  cheikh  Si 
Mohammed  ben  -\bi  Aïni ,  chez  qui  j'enseignai  pen- 
dant ime  année;  puis  chez  notre  élève  Si  Abd  el- 
Qader  ben  Otmàn.  Enfin  je  me  mis  à  enseigner  à 
Mascara'-. 

A  la  Gn  du  siècle  (1780  ou  17 86),  je  joignis  YAl^ 
tya  à  uion  enseignement. 

*  Jea  de  mots  sur  Jl£  o  qui  est  pris  la  première  fois  dans  le  sens 
de  sujet  du  verbe,  et  la  seconde  dans  celai  de  t faisant». 

-  On  peut  entendre  par  là  que  Bou-Ras  enseignait  anparairuit 
dans  les  Zaouîas  du  pays  de  Mascara,  mais  non  dans  la  ville  méoie: 
ou  bien  que  jusqu'alors  il  n*avait  enseigné  qœ  comme  profiesMor 
adjoint  chei  différents  cheikhs,  et  qu'à  partir  de  ce  moment  ii  se 
mit  à  enseigner  pour  v>n  compte. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       343 

Mon  premier  voyage  fat  pour  me  rendre  à  Alger' . 
Que  Dieu  la  préserve  du  fléau  des  vicissitudes  !  J'y 
rencontrai  le  mufti  Si  Mohammed  ben  Djadoun,  qui 
me  dit  :  «Quel  fut  ton  professeur?  — Mecherfi,  ré- 
pondis-je.  — -  11  est  venu  autrefois  chez  nous,  pour- 
suivit-il, ainsi  que  son  professeur  le  cheikh  Moham- 
med el-Menouar.  —  Hé  bien ,  demandai-je ,  comment 
as-tu  trouvé  ce  dernier  quand  tu  Tas  interrogé?  — 
Je  nai  trouvé  personne  qui  lui  fût  comparable  pour 
Texactitude  et  pour  la  connaissance  de  la  Koubra'^. 

Je  rencontrai  également  le  cadi  d'Alger  à  cette 
époque,  le  cheikh  Mohammed  ben  Malik.  Il  m'offrit 
rhospitalité  et  réunit  plusieurs  savants.  Nous  nous 
fîmes  maintes  questions  jusqu'à  ce  que  l'aurore  fut 
près  de  paraître.  Alors  entra  le  cadi  de  Guerouma, 
Sidi  el-tladi;  il  vint  à  blâmer  l'usage  des  vêtements 
de  soie  parmi  les  gens  du  commun.  Je  répondis  à 
ce  sujet  :  «  Le  cheikh  Ibrahim  ben  Abdallah  el  Mizi 
de  Grenade  était  tolérant  pour  les  vêtements  de  soie. 
—  Par  qui  a-t-il  été  cité,  me  demanda-t-il?  —  Par 
le  cheikh  Ahmed  Baba  dans  sa  Kifaîet  el-Mouhadj .  » 

Le  matin  qui  suivit  cette  même  nuit,  j'étais  assis 
dans  la  boutique  d'un  taleb,  qtiand  vint  un  savant 
très  connu,  nommé  Sidi  Abd  er-Rahmân  el-Bedoui 
el-Gueroumi.  Les  personnes  présentes  me  dirent  : 

'  La  date  de  ce  voyage  n'est  pas  indiquée;  il  se  peut  qu'il  ait  été 
la  première  étape  du  pèlerinage  dont  il  va  être  parlé.  Les  deux 
anecdotes  qui  s'y  rapportent  sont  assez  insignifiantes;  cependant 
elles  ont  un  caractère  plus  personnel  au  narrateur  que  toutes  celles 
que  j'ai  supprimées. 

-  Grand  commentaire  de  Snoussi  sur  son  Aqiddé 


344  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

«  Celui-ci  est  un  de  nos  grammairiens  ».  Je  lui  adres- 
sai quelques  questions,  mais  il  ne  répondit  absolu- 
ment rien.  Je  racontai  alors  Tanecdote  suivante  : 
Les  frappeurs  de  monnaie  se  plaignirent  un  jour  au 
gouverneur  Ismaïl  ben  Abbad,  vizir  de  Moizz  ed-Doula 
ben  Boueih  le  Deïlamite^  Ils  lui  avaient  écrit  au 
sujet  d'une  affaire  pour  laquelle  ils  le  priaient  de 
demander  au  sultan  un  allégement  en  leur  faveur. 
A  la  fin  de  la  lettre,  l'écrivain  avait  mis  :  «Le  salut 
sur  notre  seigneur  le  vizir,  de  la  part  de  la  réunion 
de  tous  les  frappeurs.  »  Le  vizir  se  borna  à  écrire 
au-dessous  ces  paroles  :  «  Sur  un  fer  froid  »  2.  Puis  il 
rendit  la  lettre  à  celui  qui  la  lui  avait  remise.  Les 
tolbas  se  mirent  à  rire ,  ainsi  que  le  Gueroumi  qui 
comprit  le  sens  de  mon  apologue  et  n'ajouta  pas 
un  mot. 

J'y  rencontrai  également  le  mufti  et  Khatib  Si  el- 
Hadj  Ali  ben  el-Amîn  ;  Si  Ahmed  ben  Amar,  auteur 
d'une  rihala  ;  le  mufti  Si  Mohammed  ben  el  Haffaf. 

Enfin,  en  1  ao4  (1790),  je  fis  mon  premier  pèle- 
rinage. A  cet  effet,  je  m'embarquai  pour  l'Egypte. 
Les  savants  de  l'Orient  me  traitèrent  avec  beaucoup 
de  déférence. 

Dans  ce  voyage  je  m'arrêtai  d'abord  à  Tunis.  C'est 
là  que  des  tolbas  vinrent  me  trouver  un  vendredi, 
alors  que  j'étais  occupé  de  mon  départ  qui  devait 

^  Moizz  ed-Doula  le  Bouhide  détrôna  le  khalife  abbasside  £l-BIot- 
tacfi  en  334  (9^6). 

'  On  sait  que  frapper  sur  un  fer  froid  est  synonyme  de  se  donner 
une  peine  inutile. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       345 

avoir  lieu  le  jour  même.  «  Hé  quoi  !  me  dirent-iis,  tu 
ne  viens  pas  à  rassemblée  du  vendredi.  »  Je  répon- 
dis :  «  Le  voyageur  n  y  est  pas  obligé;  il  ne  doit  s  y 
rendre  que  quand  ses  affaires  ne  l'en  empêchent 
pas.  »  Ils  se  mirent  à  crier,  à  s'écarter  de  moi  et  à 
me  blâmer  fortement;  ils  ajoutèrent,  dans  Tinten- 
tion  de  me  blesser  :  «  Qui  a  dit  cela.»^  —  Avez-vous, 
demandai-je,  le  petit  commentaire  du  cheikh  Kha- 
rachi?  —  Nous  l'avons  tous,  répondirent-ils.»  Ces 
gens-là,  pensai -je,  portent  leur  science  comme  un 
âne  porte  son  fardeau  ;  puis  j'ajoutai  :  «  Vous  y 
trouverez  des  paroles  qui  vous  expliqueront  ce  qu'il 
me  serait  trop  long  de  vous  dire.  —  Et  en  quel  en- 
droit? —  A  propos  de  ces  paroles  du  Moçannif  dans 
le  chapitre  du  vendredi  :  «  L'esclave,  ou  celui  qui  est 
«  soumis  aux  ordres  de  quelqu'un ,  lorsqu'ils  reçoivent 
«  des  ordres  de  leur  seigneur,  etc.  »  Ils  se  hâtèrent  de 
regarder  leurs  livres  et  y  trouvèrent  ce  que  j'avais 
dit.  Ils  m'apportèrent  alors  dix  chéchias  et  me  de- 
mandèrent de  prier  pour  eux. 

Je  me  rendis  ensuite  au  Caire  où  je  reçus  les 
leçons  du  cheikh  Abou'l  Feid  Mortada.  Un  jour, 
j'étais  assis  dans  la  grande  mosquée.  On  causait  et 
discutait;  les  assistants  me  dirent  :  «Quand  on  s'ap- 
pelle le  hajid^,  on  doit  se  distinguer  par  quelque 

^  L'auteur  nous  fait  connaître  en  diiTérents  endroits  qu'il  a  fait 
deux  pèlerinages  ;  ii  en  donne  exactement  les  dates ,  ainsi  que  celles 
de  son  voyage  à  Fès.  Mais,  dans  le  chapitre  des  Voyages,  il  ne  paraît 
pas  s'être  soucié  Jes  dates  ;  il  mentionne  seulement  une  fois  celle  du 
deuxième  pèlerinage  à  propos  des  cheikhs  ouahabites.  Toutes  les 
anecdotes,  y  compris  la  rencontre  avec  Mortada,  sont  racontées 


346  SEPTEMBRE-OCTOBHE    1899. 

chose.  »  Je  citai  alors  successivement  beaucoup  de 
choses  que  je  savais  par  cœur;  mais  ils  me  répon- 
daient toujours  en  disant  qu'ils  avaient  rencontré  des 
gens  qui  en  savaient  autant  et  phis  que  moi.  A  la 
fin,  étant  venu  à  dire  que  je  savais  combien  il  y  a 
de  vers  dans  chaque  chapitre  de  ÏAlfyUy  on  s'exclama 
et  on  voulut  me  mettre  à  l'épreuve.  Quelqu'un  prit 
un  exemplaire  de  cet  ouvrage,  l'ouvrit  vers  la  fin  et 
tomba  sur  le  chapitre  des  diminutifs  :  «  Combien  y 
a-t-il  de  vers,  demanda-t-il .^ — Vingt-deux,  répon- 
dis-je.  »  On  compta  et  on  en  trouva  vingt-trois  ;  on 
se  mit  à  rire  et  à  se  moquer  de  moi.  «  Donnez-moi 
le  livre  » ,  repris-je.  Je  l'examinai  attentivement,  et  je 
vis  qu'un  des  vers  appartenait  au  pluriel  rompu.  En 
regardant  de  très  près,  je  vis  au  commencement  et  à 
la  fin  les  lettres  ^  et  b  qui,  suivant  l'usage  des  tolbas, 
indiquent  une  erreur  de  copie.  Mes  contradicteurs 
examinèrent;  mais  ils  ne  se  rendirent  à  l'évidence 
qu'après  avoir  vu  ce  même  vers  dans  le  chapitre  du 
])luriel  rompu,  et  même  après  s'être  fait  apporter 
plusieurs  exemplaires  corrects  de  YAlfya, 

apirs  iv.  voNage  à  Fès;  elles  scimbler lient  donc  être  postérieures  à  co 
voyage,  et  par  conséquent  au  premier  pèlerinage;  mais  cela  est  im- 
j)()ssible,  puisque  Morlada  mourut  à  la  fin  de  ce  premier  pèlerinage. 
H  \  a  donc  incertitude  sur  la  date  de  plusieurs  anecdotes.  Celle-ci 
paraîtrait  tout  d'abord  devoir  être  rapportée  au  second  pèlerinage, 
parce  que  Bou-Ras  y  est  qualifié  de  hafid,  surnom  qui  lui  fut  donné 
à  Fès  en  1801,  comme  on  le  verra  plus  loin.  Je  crois  cependant 
qu  il  faut  la  rapporter  au  premier,  parce  que  la  qualité  de  hajid  lui 
est  déjà  donnée  dans  le  diplôme  qui  lui  fut  délivré  par  Mortada 
en  1791,  et  parce  que  plus  lard  il  était  devenu  un  homme  plus  im- 
portant dont  on  discutait  moins  âprement  les  opinions. 


NOTICE  SLR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       347 

J'ai  dit  que  je  reçus  les  leçons  du  grand  cheikh 
Mortada;  voici  une  preuve  de  sa  dignité  et  du  haut 
rang  quil  occupait  :  les  émirs  d'Egypte  venaient  en 
grand  nombre  vers  lui;  par  dignité,  il  ne  se  levait 
pas  pour  eux.  Voilà  une  chose  extraordinaire;  mais, 
ce  qui  l'est  encore  plus ,  c'est  que  le  sultan  Osmanli 
Selim  l'ayant  invité  à  se  rendre  auprès  de  lui,  il  prit 
pour  prétexte  qu'il  était  malade,  âgé  et  ne  pouvait 
pas  voyager.  Il  lui  écrivit  à  ce  sujet  une  lettre  telle 
que  personne,  en  y  mettant  un  mois,  n'aurait  pu 
arriver  à  faire  la  pareille.  Le  pacha  du  Caire,  malgré 
toute  la  majesté  de  son  autorité,  venait  à  pied  le  féli- 
citer aux  deux  grandes  fêtes  de  l'année. 

Au  bout  de  quelque  temps,  il  me  donna  un  di- 
plôme dont  voici  un  extrait  :  «  Je  donne  diplôme  au 
jurisconsulte  savant  dans  diverses  branches,  au  hafid 
un  tel.  »  Et  un  peu  plus  loin  :  «  11  m'a  donné  des  con- 
seils sur  des  questions  importantes.  »  Admirez  cette 
équité  et  les  belles  épithètes  dont  il  s'est  servi.  Com- 
ment un  homme  comme  moi  pouvait-il  lui  donner 
des  avis?  J'en  jure  par  le  maître  de  l'Orient  et  de 
l'Occident,  j'étais  devant  ce  professeur  comme  le 
passereau  devant  le  griffon  de  la  fable. 

x\vec  le  diplôme,  il  me  remit  une  lettre  de  recom- 
mandation pour  le  bey  de  Suez\  Je  m'embarquai 


^  Dans  son  autobiographie,  Bou-Ras  ne  parle  pas  de  ia  prise 
d'Oran  ;  il  n'était  pas  possible  de  passer  sous  silence  ce  fait  impor- 
tant. Tout  le  passage  suivant,  jusqu'à  la  chute  d'Oran  incluse,  a 
été  emprunté,  en  le  résumant  beaucoup,  aux  Voyages  extraordi- 
nairps ,  traduction  Arnaud,  p.  199  à  iqS,  20/i  et  219.  L*anecdote 

\IV.  «  23 


tMVBIIIKBIK    lATIOBALCi 


5ii»  SEPTEMBRE'OCTOBRË   1899. 

pour  Djedda  et  j*arrivai  à  la  montagne  d*Ara&i,  un 
vendredi  de  Tannée  i  ao5  (i  79 1  ).  Au  mois  de  doul 
cada ,  j*entrai  à  la  Mekke.  A  peine  le  temple  se  dé- 
couvrit-il à  moi ,  que  mes  yeux  en  virent  les  portes 
ouvertes;  j  augurai  bien  de  cette  circonstance.  Je 
restai  à  la  Mekke  pour  remplir  les  devoirs  du  pèle* 
rinage ,  et  étudier  auprès  des  savants  cheikhs  de  cette 
ville.  Au  Caire,  je  retrouvai  mon  professeur  Mortada 
qui  me  donna  encore  quelques  leçons.  Voici  une 
preuve  de  sa  clairvoyance  :  après  que  j'eus  lu  devant 
lui  une  partie  seulement  de  Bokhari,  de  Moslim  et 
de  quelques  autres  ouvrages,  il  me  dispensa  du  reste* 
Je  lui  dis  alors  :  «  Je  vais  rester  auprès  de  toi.  —  Non , 
me  répondit-il,  retourne  auprès  de  ta  famille.  »  Je  ne 
savais  pas  pourquoi;  je  m  embarquai  sur  la  mer,  et 
j*appris  qu  il  était  mort  avant  que  je  fusse  débarqué. 
Je  compris  alors  la  cause  de  son  refus.  Ceci  se  pas- 
sait en  i2o5  (1791)^ 

Quand  nous  fûmes  en  vue  de  Hle  d^Amdoudjât^ 
nous  croisâmes  un  navire  qui  venait  de  Sfax,  et  qui 
nous  apprit  le  siège  d'Oran  par  le  bey  Mohammed 
ben  Otmân.  Nous  étions  dans  le  mois  de  chabân 
iao5  (1791]'  «Combien  est  grand  mon  bonheur! 
m'écriaî-je;  pèlerinage  un  vendredi,  guerre  sainte 
ensuite^!  »  A  Sousse,  à  Monastir,  à  Sfax  on  s  entre- 
relative  à  la  clairvoyance  de  Mortada  est  seule  empruntée  à  Tauto- 
biographio. 

*  Dans  les  Voyages  extraordinaires ,  il  est  dit  :  «  Il  mourut  environ 
rinq  mois  après  notre  séparation». 

^  rn)bahlemont  Lampedusa. 

'  \  <M'H  extraits  de  la  cacida  des  Voydnvs  rxlraordinaires» 


NOTICE  SDR  MOHAMMED  ABOU  HAS  EN  NASHl.       Wà 

tenait  de  cet  événement;  à  Djerba  il  était  connu,  car 
une  personne  de  cette  localité  m'en  avait  parlé  un 
jour  avant  notre  atterrissage. 

De  retour  à  Tunis  ^  et  remis  des  fatigues  de  la 
mer,  je  rencontrai  les  savants  que  j'avais  vus  à  mon 
premier  passage.  Les  nouvelles  de  la  guerre  sainte 
entreprise  contre  Oran  causaient  une  grande  émotion 
dans  toute  T Afrique.  A  mon  arrivée  dans  la  province 
de  Constanline,  les  campagnes  et  la  ville  étaient 
pleins  de  bruits  belliqueux. 

Au  mois  de  choual  i  2o5  (1791),  j'entrai  à  Mas- 
cara; mais  je  ne  m'y  attardai  pas.  Le  bruit  du  canon 
emplissait  mes  oreilles  et  me  poussait  à  la  guen^e 
sainte.  Je  ne  repris  mon  calme  qu'au  milieu  de 
notre  armée  victorieuse,  auprès  du  bey  qui,  campé 
en  personne  sousiebordj  El  Aïoun-el-Djedid^  faisait 
un  feu  terrible  contre  les  chrétiens.  Enfin  Dieu  nous 
facilita  la  victoire.  Notre  entrée  à  Oran  eut  lieu  le 
lundi  matin  5  de  redjeb  1206  (mars  1792). 

Revenu  à  Mascara,  je  fus  nommé  mufti,  puis 
cadi  et  prédicateur;  mais  je  fus  dépouillé  de  ces 
fonctions  en  1211  (1796).  Je  me  mis  alors  à  com- 
poser deux  commentaires  sur  Hariri. 

*  Bou-Ras  fut  honorablement  reçu  par  Hamouda-Pacha;  mais 
comme  ce  bey  régnait  à  l'époque  des  deux  pèlerinages  du  cheikh , 
je  ne  sais  auquel  rapporter  cette  réception  qui  n'offre ,  du  reste ,  rien 
de  particulier.  Je  l'ai  rattachée  au  second  pèlerinage  où  Bou-Ras 
jouissait  de  plus  de  notoriété. 

<*^  Le  bordj  El-Aïoun ,  situé  au  sud  du  fort  Saint-Philippe,  pro- 
tégeait la  prise  d'eau  de  la  ville  dans  le  Ras-el-Aïn;  il  s*est  appdé 
aussi  «San  Fernando».  On  le  confond  quelquefois  avec  le  fort  Snint- 
Philippe  auquel  il  était  contigu. 


23. 


350  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

En  1216  (1800),  j^étais  à  Alger,  où  j  eus  Tocca- 
sion  de  faire  une  remarquable  dissertation  sur 
Tusage  du  tabac  et  du  café,  dans  le  medjles  qui  se 
tient  le  jeudi  dans  la  grande  mosquée.  Dans  cette 
même  ville ,  un  haut  fonctionnaire ,  ayant  un  fils  qui 
venait  de  terminer  la  sourate  de  la  Vache,  donna  le 
festin  habituel  en  pareil  cas  ^  Il  m'envoya  inviter  par 
le  précepteur  de  fenfant.  Il  y  avait  là  des  savants  et 
des  personnages  de  manpie  de  la  ville.  Quand  je 
fus  assis  et  que  les  mets  commencèrent  à  circuler, 
comme  quelques-uns  d'entre  eux  étaient  liquides,  le 
pédagogue  me  dit  :  «  Je  ne  te  donnerai  cette  cuiller 
que  quand  tu  m'am^as  appris  les  règles  au  sujet  de 
rhabitude  de  s'en  servir  pour  manger  ».  Or  j'avais 
vu  en  marge  d'un  livre,  à  Mazouna,  que  cet  usage 
était  une  innovation  heureuse  attribuée  souvent  à 
Ibn  Yammoiim,  C'est  ce  que  je  répondis  à  mon  inter- 
locuteur, qui  me  tendit  aussitôt  la  cuiller.  A  partir 
de  ce  moment,  je  me  mis  à  chercher  avec  ardeur 
un  texte  authentique  au  sujet  de  l'usage  de  cet  ins- 
trument pendant  autant  de  temps  que  Qaraji^  en 
mit  à  chercher  la  différence  entre  le  témoignage  des 
yeux  et  celui  de  la  parole.  Au  bout  de  huit  ans,  il 
trouva  dans  le  Doiirhan  el  Mofassal  la  solution  donnée 
par  Mazari,  De  même  moi ,  le  seniteur  de  Dieu, 


^^'  Celle  anecdote  esl  racontée  deux  fois  dans  Tautobiographie. 

^')  Abou  1  Abbès  Abmed  ben  Edris  ben  Abderrahman  le  Cinha- 
djile,  savant  du  Caire  surnommé  le  Qarafi  parce  qu'en  venant  faire 
sou  cours,  il  arrivait  toujours  du  coté  du  cimetière  de  Qarafa, 
mort  en  1  î>.8ô. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.       351 

après  le  même  laps  de  temps ,  je  trouvai  une  solu- 
tion dans  le  Madkhel  et  la  voici  :  «  11  convient  de  ne 
pas  manger  avec  ces  instruments|((3x^  avec  le  J 
avant  le  t)  ^  ni  avec  aucun  autre,  et  cela  pour  trois 
motifs  :  le  premier  est  qu'on  s'écarte  de  la  manière 
de  faire  des  anciens;  le  second,  c'est  qu'en  introdui- 
sant la  cuiller  dans  sa  bouche  et  la  renvoyant  en- 
suite au  plat ,  on  peut  y  laisser  quelque  parcelle  de 
nourriture,  ce  qui  dégoûte  ie  mangeur  lui-même  et 
ceux  qui  le  voient;  si  cela  lui  arrive  par  mégarde, 
il  doit  laver  la  cuiller;  le  même  inconvénient  se  pro- 
duit pour  celui  qui  introduit  ses  doigts  dans  sa 
bouche.  Le  troisième ,  c'est  qu'il  y  a  là  une  espèce 
de  raffinement  de  gourmandise.  On  peut  cependant 
admettre  cet  instrument  s'il  y  a  quelque  excuse 
pour  ceia;  car  on  sait  qu'il  y  a  des  règles  spéciales 
pour  les  gens  qui  ont  des  excuses  à  faire  valoir.  ■ 


(1) 


L*auteur   insiste   avec  raison  sur  Torthographe  de   ce  mot 
^ ,  plus  correct  que  ^Jl»^  qui  est  employé  vulgairement ,  sur- 


tout  dans  le  Magh'reb. 


[La fin  au  prochain  cahier.) 


:ir)5>  SKPTEMBRE-OCÏOBHK    1899. 


=■ .—c 


NOUVELLES  ET  MÉLAfJGES 


LE  MANUSCRIT  SUR  OLLES 
DU  PREMIER  PRÉSIDENT  LAMOIGNON ,  PAR  M.  L.  FRER. 

Le  Premier  président  au  Parieiuent  de  Paris,  Guillaume 
de  Lamoignon ,  possédait  un  manuscrit  sur  oUes  ou  feuilles 
de  palmier,  dont  il  désirait  naturellement  connaître  la  pro- 
venance et  le  contenu.  Dn  médecin  juif,  nommé  Daquin, 
lui  avait  dit  que  ce  manuscrit  était  en  écriture  et  en  langue 
samaritaine,  et  avait  même  poussé  l'obligeance  ou  la  four- 
berie jusqu'à  lui  en  faire  une  traduction  latine. 

Tout  ce  que  Lamoignon  avait  pu  constater  par  lui-même , 
c'est  que  «  les  caractères  gravés  sur  les  monnaies  qu*il  pos* 
sédait  des  Indes ,  de  la  Cocbincbine ,  du  Japon  et  de  quel- 
ques nations  voisines,  n'avaient  rien  de  commun  avec  les 
caractères»  de  son  manuscrit;  et  comme,  selon  sa  propre 
remarque ,  «  les  Indiens  se  servent  des  lettres  persiques  sur 
leurs  monnaies  aussi  bien  que  dans  tout  ce  qu'ils  font  de 
plus  authentique  »,  et  qu'il  ne  reconnaissait  pas  ces  lettres 
dans  celles  dudit  manuscrit,  il  n'avait  aucune  raison  de 
croire  qu'il  vînt  de  l'Inde,  de  sorte  qu'il  commença  par 
ajouter  foi  au  dire  de  Daquin ,  lequel ,  comme  on  le  verra 
plus  loin ,  n'était  pas  dépourvu  de  valeur  scientifique. 

Toutefois ,  ayant  conçu  des  doutes  sur  la  bonne  foi ,  sinon 
sur  la  science,  de  son  informateur,  il  jugea  prudent  de  con- 
trôler les  assertions  de  Daquin  en  consultant  des  savants 
versés  dans  la  langue  samaritaine,  notamment  Samuel  Bo- 
chart,  qui  exerçait  à  Caen  le  ministère  évangélique  et  s'était 
rendu  célèbre  par  d'importants  travaux  sur  les  langues  et  les 
questions  bibliques.  De  la  correspondance  qui  s'établit,  à 


NOUVKLLES  ET  MELANGES.  353 

celle  occasion ,  entre  l'illustre  magistrat  et  Tëminent  orien- 
taliste, il  subsiste  trois  lettres,  deux  de  Bochart,  datées  de 
Caen,  4  septembre  i664  et  lo  janvier  i665,  et  une  de 
Lamoignon,  datée  de  Paris,  17  novembre  i664.  Billes  se 
trouvent  dans  la  portion  des  papiers  de  Samuel  Bochart 
conservée  à  la  Bibliothèque  nationale,  sous  les  n***  ad88 
(fol  101-110)  et  2^89  (fol.  1 32-1 35)  des  nouvelles  acqui- 
sitions du  Fonds  français.  Les  pièces  qui  se  trouvent  dans  le 
II"  2489  ne  sont  que  la  reproduction ,  avec  quelques  modi- 
fications et  additions,  des  deux  lettres  de  Bochart.  Ces  docu- 
ments sur  lesquels  mon  attention  a  été  appelée  par  mon 
collègue,  M.  Omont,  permettent  de  reconstituer  un  petit 
épisode  assez  curieux,  semble-t-il,  de  l'histoire  de  l'orien- 
talisme. 

I 

Sur  la  description  qu'il  en  avait  lue  dans  les  lettres  de  La- 
moignon et  de  l'archéologue-numismate  Boulerie ,  qui  fut 
mêlé  à  cette  affaire ,  Bochart  avait  averti  le  Premier  président 
que  son  manuscrit  devait  être  indien ,  et  par  conséquent ,  ne 
pouvait  être  et  n'était  pas  samaritain.  Il  fut  encore  plus  affir- 
matif  quand  il  eut  vu  l'objet  que  Lamoignon  lui  fit  passer 
par  l'intermédiaire  d'un  évêque  (  l'évèque  de  Bayeux ,  appa- 
remment).  Bochart,  en  effet,  n'y  reconnut  pas  les  carac- 
tères samaritains;  mais  il  y  reconnut  sans  peine  un  manuscrit 
répondant  tout  à  fait  à  la  description  des  manuscrits  indiens 
donnée  par  les  voyageurs  et  les  historiens.  La  description 
qu'il  en  fait  lui-même,  dans  sa  lettre  du  4  septembre  i664* 
est  bien  celle  d'un  manuscrit  indien. 

a  En  cette  pièce,  dit-il,  il  y  a  huict  feuilles  d*escorces 
longues  de  plus  d'un  pied  et  demi  et  larges  de  deux  ou  trois 
pouces,  percées  en  deux  endroits  vers  les  bouts,  avec  une 
neufiesme  plus  estroite  et  plus  courte,  et  plus  espaisse  que 
les  huict  autres.  Et  cette  neufiesme  est  escrite  des  deux 
costés  avec  un  poinçon  qui  grave  les  lettres  sans  y  donner 


354  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

nulle  couleur ,  au  lieu  que  les  huict  ne  sont  escrites  que  d*un 
costé  et  d*un  encre  Fort  noir,  avec  certaines  fanfreluches 
peintes  aux  première  et  dernière  feuilles  au  commencement 
des  lignes  et  à  la  fm.  Et  Tescriture  de  ces  huict  n*a  rien  de 
semblable  à  celle  do  la  neufiesme.  Pour  joindre  ces  feuilles 
ensemble  et  en  faire  un  liure,  après  les  avoir  égalées  et  ar- 
rangées et  bien  ajustées,  on  les  a  percées  aux  deux  bouts  et 
couvertes  de  deux  tablettes  de  bois  bien  polies ,  de  mesme 
longueur  et  largeur  et  percées  en  mesme  lieu  que  les  feuilles. 
Et  par  les  deux  trous  se  passent  des  fiscelles  ou  cordelettes 
qui ,  après  avoir  fait  plusieurs  tours  autour  du  livre ,  se  lient 
pour  le  fermer  et  se  laschent  pour  le  rouvrir.  » 

Cette  description  faite,  Bochart  invoque  Tautorité  de  dif- 
férents auteurs  qui  ont  parlé ,  dans  leurs  écrits ,  des  livres  in- 
diens, —  Louis  Leroy  (Regius),  Mandelslo,  Osorio,  —  et 
discute  plusieurs  difficultés  que  soulèvent,  soit  leurs  témoi- 
gnages ,  soit  la  forme  du  manuscrit  soumis  à  son  examen. 
Et,  d*abord,  de  quelle  matière  sont  les  feuilles  qui  le  com- 
posent? D'après  Mandelslo,  ce  devrait  être  des  «  escorces  de 
cocos»,  d*après  Osorio  des  «feuilles»  de  cet  arbre;  d*aprës 
Louis  Leroy  des  «  feuilles  de  palme  ».  Et  Bochart  conclut  : 
«  Par  ces  feuilles  de  palme,  ils  entendent  que  les  feuilles  de 
leurs  livres  se  font  d*escorce  de  palme,  ou  les  Indiens  se 
servent  et  de  Tescorce  et  des  feuilles ,  au  lieu  de  papier, 
comme  on  fait  aussi  de  la  mouelle  de  ce  mesme  arbre  qu'on 
appelle  o//a».  L*obser\'ation  relative  à  la  moelle  désignée 
sous  le  nom  d!olla,  qui,  pour  nous,  désigne  simplement  les 
feuilles  coupées  et  préparées  pour  Técriture,  est  empruntée 
à  Mandelslo.  Pour  ce  qui  est  de  Técorce  et  de  la  feuille,  Bo* 
chart  hésite  entre  Tune  et  Tautre.il  ne  sait  Irop  si  les  manu- 
scrits sont  formés  de  la  feuille  ou  de  Técorcc  et  pense  que  ce 
peut  être  soit  de  Tune ,  soit  de  Tautre.  On  était  généralement 
disposé  à  y  voir  des  écorces;  et  Lamoignon  ne  donne  pas 
d*autre  nom  aux  feuilles  de  son  manuscrit. 

Une  seconde  difficulté  qui  embarrasse  Bochart,  et  à  très 
juste  titre,  c*est  la  présence  de  ces  huit  feuilles  écritci  à 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  355 

l'encre  contre  une  gravée  au  stylet;  et  il  écrit  sur  ce  point  à 
Lamoignon  ; 

«  Les  Indiens  escrivent  sans  enr.re  avec  un  poinçon  qui 
grave  les  lettres  soit  sur  les  feuilles  ou  sur  Tescorce  du  cocos. 
Car  c'est  ainsi  qu'est  escrile  l'une  des  feuilles  de  vostre  livret. 
Si  les  autres  sont  escrites  d*encre ,  il  ne  faut  pas  s'étonner 
puisqu'on  s'en  sert  à  la  Chine,  au  Japon  et  aux  Indes  mes- 
mes.  D'où  j'ay  veu  en  Hollande  des  volumes  ou  rouleaux  es- 
crits  d'encre  noir.  Mais  c'est  ce  que  les  voyageurs  ne  remar- 
quent pas,  parce  que  cette  façon  d'escrire  ne  leur  est  pas 
particulière  comme  celle  d'escrire  sans  encre.  » 

Certainement,  il  ne  faut  pas  s'étonner,  comme  le  dit 
Bochart,  si  certaines  feuilles  de  manuscrits  indiens  sont 
écrites  à  l'encre.  Mais  ce  qui  est  étonnant,  ce  dont  Bochart 
lui-même  s'étonne,  quoiqu'il  ne  le  dise  pas,  ce  dont  je  m'é- 
tonne ,  moi  qui  ai  eu  sous  les  yeux  beaucoup  plus  de  manu- 
scrits sur  feuilles  de  palmier  que  Bochart  n'en  a  pu  voir, 
c'est  que,  dans  un  manuscrit  venant  de  l'Inde,  il  y  ait  huit 
feuilles  écrites  à  l'encre  contre  une  seule  gravée  au  stylet. 
J'aurais  attendu  le  contraire.  Je  m'explique  huit  feuilles 
écrites  au  stylet  complétées  par  une  feuille  écrite  à  l'encre. 
Je  ne  m'explique  pas  la  proportion  inverse. 

11  est  certain  que  la  règle  est  de  graver  les  lettres  au 
poinçon  sur  les  feuilles  de  palmier ,  mais  il  n'est  pas  douteux 
qu'on  fait  aussi  usage  de  l'encre.  Tous  les  manuscrits  sanscrits 
sur  olles  de  la  Bibliothèque  nationale  (il  y  en  a  près  d'une 
centaine ,  tous ,  à  deux  ou  trois  exceptions  près ,  en  caractères 
bengalis)  sont  écrits  à  l'encre  ;  les  sept  livres  du  «  Boromat  » , 
de  l'écriture  desquels  Burnouf  a  donné  un  spécimen  dans 
Y  Essai  sur  le  Pâli  sont  écrits  à  l'encre.  Parmi  les  54  manu- 
scrits javanais  sur  olles  faisant  partie  du  Fonds  malais-java- 
nais, un  seul  est  écrit  à  l'encre.  Dans  la  collection  de 
Manuscrits  pâlis  acquis  des  Missions  étrangères  par  la  Biblio- 
thèque nationale  en  1869,  i^  y  ^  i^i^  certain  nombre  de 
feuilles  écrites  à  l'encre;  mais  ce  sont  des  fragmients  in- 
cohérents ,  des  feuilles  de  rebut ,  sur  lesquels  on  ne  trouve 


:i5()  SKPTKMIUIK-OCTOBRK    1899. 

que  des  caractères  siamois  vulgaires  ou  cambodgiens  cursils. 
Il  est  à  noter  que ,  conformément  à  la  remarque  de  Bochart , 
ces  olles  écrites  à  Tencre  sont,  en  général,  plus  minces  que 
celles  qui  sont  gravées  au  poinçon.  On  serait  tenté  de  croire 
de  quelques-unes  d'entre  elles  au  moins  qu'elles  ne  pro- 
viennent pas  du  même  arbre. 

Si  nombreux  qu'ils  soient  encore,  les  manuscrits  sur 
feuilles  de  palmier  écrits  à  l'encre  ne  sont  qu'une  très  faible 
minorité,  et  le  cas  du  manuscrit  Lamoignon  est  tout 
k  fait  exceptionnel  pour  ne  pas  dire  anormal. 

Bochart  n'insiste  pas  sur  la  particularité,  notée  par  lui, 
que  les  huit  feuilles  écrites  à  l'encre  n'ont  d'écriture  que 
d'un  seul  côté.  Elle  m'étonne  beaucoup  et  j'ai  peine  à  me 
l'expliquer.  Sans  les  «  fanfreluches  »  des  première  et  der- 
nière feuilles,  lesquelles  semblent  indiquer  un  commen- 
cement et  une  fin ,  je  considérerais  volontiers  les  six  autres 
olles  comme  étant  chacune  la  dernière  ou  la  première  d'un 
manuscrit;  et  même,  malgré  les  fanfreluches,  je  ne  suis 
pas  sûr  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi. 

Il 

A  ce  manuscrit,  visiblomeni  indien,  était  jointe,  dit 
Bochart ,  «  pour  étiquette  une  lisière  de  parchemin  disant 
qu'en  ces  tables  d'escorcc  sont  escrits  en  langue  samaritaine  les 
secrets  et  enseignements  de  Nador  de  Samarie  selon  Vintei^préta- 
lion  du  sieur  d^Aquin,  grand  médecin  juif.  Après  avoir  pris 
connaissance  de  cette  interprétation,  que  Lamoignon  lui 
communiqua,  il  n'a  pas  de  peine  à  démontrer  l'imposture. 
Ce  Nador,  «parfaitement  inconnu»,  comme  dit  Bochart, 
déclare  aux  Samaritains  qu'il  a  été  chargé  par  Moïse  en  per- 
sonne de  leur  transmettre  ses  enseignements,  c'est-à-dire 
de  leur  enseigner  par  anticipation  le  Christianisme.  H  paiie 
beaucoup  d'un  certain  Sadalazar,  «  aussi  inconnu  que  Nador 
lui-même  » ,  qui  a  péri  avec  tous  ceux  de  son  parti ,  donnant 
à  entendre  aux  Samaritains  que  le  même  sort  les  attend  s'ils 


NOUVELLES  ET  MELANGES.       357 

n'acceptent  pas  la  prédication  que  Nador  leur  adresse  de  la 
part  de  Moïse. 

Inutile  de  reproduire  les  raisons  que  Bochart  apporte 
pour  rendre  la  fraude  manifeste,  mais  il  importe  de  dire 
qu'il  faisait  un  certain  cas  de  l'auteur  de  cette  prétendue 
version,  a  C'est,  écrit-il,  un  savant  homme,  comme  je  le 
voy  par  le  dictionnaire  ébreu  qu'il  a  fait  imprimer  chez  Vi- 
tray  l'an  1629,  et  dédié  à  Monsieur  le  Cardinal  de  Riche- 
lieu; duquel  dictionnaire  je  me  suis  quelquefois  servi  bien 
utilement  en  mon  dernier  livre.  »  Aussi,  bien  qu'il  voie  par- 
faitement la  fraude  dont  ce  savant  s'est  rendu  coupable ,  et 
(ju'il  la  mette  à  découvert,  Bochaii;  tient,  par  excès  de  scru- 
pule ,  peut-être  aussi  un  peu  par  curiosité ,  à  la  constater 
d'ime  manière  irréfragable.  Il  avait  bien  eu  la  version  et  le 
manuscrit  entre  les  mains,  mais  non  simultanément.  Le 
manuscrit  avait  été  déjà  retourné  à  son  possesseur  quand  la 
\  ersion  lui  fut  remise  ;  il  n'avait  donc  pu  faire  du  texte  et  de 
la  prétendue  traduction  une  confrontation  attentive,  dont  il 
attendait  un  résidtat  certain ,  par  l'examen  des  noms  propres 
cités  dans  la  version  qu'il  aurait  tâché  de  retrouver  dans  le 
manuscrit  et  par  la  reconstitution  du  texte  samaritain  que 
la  version  supposait.  C'est  poussé  par  le  désir  de  faire  cette 
épreuve  qu'il  écrivait*,  le  10  janvier  i665  :  «J'attendray 
pourtant ,  Monseigneur,  à  décider  plus  absolument  tant  que 
j'aye  colla tionné  l'original  avec  la  version,  si  vous  me  faites 
la  grâce  de  me  renvoyer  l'un  et  l'autre  ».  Lamoignon  lui 
lit-il  cette  «  grâce  »  ?  Nous  l'ignorons;  mais,  s'il  se  prêta  à  ce 
désir,  ce  ne  put  être  que  par  obligeance  pour  Bochart;  car 
il  n'est  pas  douteux  qu'il  savait  depuis  longtemps  déjà  à  quoi 
s'en  tenir  sur  la  valeiu'  des  renseignements  fournis  par 
Daquin. 

111 

Et  maintenant,  que  faut-il  penser  du  manuscrit  Lamoi- 
gnon ?  Qu'était-il  ?  Que  valait-il  ? 

Nous  ne  savons  ce  qu'il  est  devenu.  S'il  evisto  encore,  il 


358  SEPTKMBRE-OCTOBRE    1899. 

doit  être  en  Angleterre  où  l'on  dit  que  la  bibliothèque  de  la 
famille  Lamoignon  a  été  transportée.  Nous  ne  pouvons  donc 
en  parler  de  visu,  et  sommes  réduits  aux  maigres  données 
que  nous  fournit  la  correspondance  de  Bochart  et  de  La- 
moignon. 

Tout  d abord,  cette  association  de  feuilles  si  différentes, 
l'une  plus  épaisse  et  de  dimensions  plus  petites,  écrite  au 
stylet  sur  les  deux  côtés ,  les  autres  plus  grandes ,  plus  minces , 
écrites  à  l'encre ,  sur  im  seul  côté ,  avec  des  caractères  dif- 
férents ,  indique  un  objet  hétérogène  formé  de  pièces  rap- 
portées. L'espèce  de  cohésion  extérieure  que  semblent  avoir 
les  huit  feuilles  écrites  à  l'encre ,  d'un  seul  côté ,  parait  sus- 
pecte, d'après  les  réflexions  présentées  ci-dessus,  d'autant 
plus  que  c'est  sur  cette  partie  du  manuscrit,  la  plus  considé- 
rable ,  que  nous  avons  le  moins  de  renseignements.  En  effet , 
Lamoignon  termine  comme  il  suit,  sa  lettre  du  17  no- 
vembre 1 664  adressée  à  Bochart  : 

«  J'ay  faict  voir  aujourdhuy  ces  escorces  à  un  Père  jésuite 
qui  a  été  rxG  ans  aux  Indes  et  à  la  Chine.  Il  dit  que  les  lettres 
gravées  sans  couleur  sur  la  neuviesme  escorce  qui  est  plus 
petite  que  les  aultres  sont  des  lettres  Malabarroises  ;  et  qu'ils 
escrivent  en  ce  pais  là  de  ceste  manière  ;  mais  il  ne  sçait  pas 
lire  l'escriture.  Pour  les  aultres  huict  tables  escrites  avec  de 
l'encre  et  sans  graueure,  il  n'en  cognoit  point  du  tout  les 
caractères.  Je  doute  fort  que  personne  nous  en  puisse  donner 
l'esclaircissement.  » 

Que  faut-il  entendre  par  ces  mots  :  lettres  malabarroises  ? 
D'après  notre  nomenclature  géographique  actuelle ,  ce  de- 
vrait être  l'alphabet  Malayalam.  Mais  les  missionnaires  et  les 
voyageurs  du  xviii'  siècle  donnent  constamment  le  nom  de 
Malabar  à  des  pays  et  à  des  gens  de  langue  tamoule ,  et  le 
n"  1 89  du  fonds  tamoul  de  la  Bibliothèque  nationale  est  un 
volume  écrit  sur  papier  par  un  missionnaire  à  Pondichéry, 
en  1728,  sous  ce  titre  :  Grammaire  pour  apprendre  la  langue 
tamoul,  ditte  vulgairement  le  Malabar,  Nous  pouvons  donc 
avîuicer,  avec  une  certaine  assurance,  que  la  «neuviesme 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  359 

escorce  »  du  manuscrit  Lamoignon  avait  appartenu  à  un  ma- 
nuscrit tamoui.  Pour  les  huit  autres  feuilles,  le- jésuite  do 
Lamoignon  ne  pouvant  donner  aucune  indication,  il  nous 
est  impossible  de  faire  une  conjecture  quelconque ,  et  nous 
nous  bornons  à  constater ,  non  sans  étonnement ,  la  pauvreté 
des  renseignements  fournis  par  un  homme  qui,  ayant  vrai- 
semblablement séjourné  plusieurs  années  dans  l'Inde ,  comme 
on  est  en  droit  de  l'induire  du  langage  de  Lamoignon ,  était 
tout  au  plus  capable  de  reconnaître  l'alphabet  tamoul ,  en 
lui  donnant  une  qualification  qui  prête  au  doute  et  qui  est , 
en  réalité ,  inexacte.  On  s'est  mis ,  au  xviii"  siècle ,  à  l'étude 
du  tamoul;  mais  au  xvii',  les  langues  de  l'Inde  étaient  lettres 
closes  pour  les  Européens ,  et  Lamoignon  avait  bien  lieu  de 
désespérer  qu'on  pût  lui  donner  des  éclaircissements  sur 
son  manuscrit,  puisque  Bochart  se  récusait  naturellement 
pour  l'interprétation  d'une  langue  sur  laquelle  il  n'avait  aucune 
donnée,  et  que  des  gens  qui  avaient  visité  l'Inde  n'étaient 
pas  plus  avancés  dans  la  linguistique  indienne  que  les  savants 
d'Europe. 

Tout  considéré ,  il  nous  semble  que  le  manuscrit  Lamoi 
gnon  était  sans  valeur,  ou  du  moins  qu'un  manuscrit  sem- 
blable le  serait  aujourd'hui.  Mais,  à  cette  époque-là,  et  sur- 
tout en  France ,  c'était  un  objet  rare  et  partant  précieux. 
11  l'était  d'autant  plus  qu'il  s'y  attachait  une  sorte  de  mystère , 
puisqu'il  pouvait  donner  lieu  à  des  supercheries  dont  on  ne 
s'aviserait  plus  de  nos  jours.  Et  c'est  peut-être  cela  qui  ferait 
tout  le  mérite  de  ce  manuscrit,  si  nous  le  possédions  encore; 
car  la  perte  en  est  après  tout  regrettable ,  aussi  bien  que  celle 
de  la  version  de  Daquin.  Cette  version ,  Lamoignon  tenait  à 
la  conserver.  En  la  transmettant  à  Bocharl ,  il  lui  écrit  : 

«Je  vous  envoie  la  version  de  ce  prétendu  interprète 
d'Aquin ,  quoique  je  ne  doute  pas  que  ce  ne  soit  une  pure 
supposition  de  ce  personnage,  puisqu'il  fait  une  si  insigne 
menterie  dès  le  commencement  du  tiltre ,  en  faisant  passer 
ce  qui  est  escrit  sur  ces  escorces  pour  du  samaritain  ;  quoique 
vous  et  quelques  aultres  qui  ont  cognoissance  de  cette  langue 


360  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

m'aiez  esclairci  du  contraire.  Comme  c*est  l'original  signé  de 
ce  d'Aquin-,  je  vous  prie  de  me  le  renvoier  quand  vous  l'au- 
rez veu.  » 

Nous  partageons  le  sentiment  de  Lamoignon  et  nous  sou- 
haiterions d  avoir  cette  version.  Elle  ne  ferait  pas  mauvaise 
figure  à  côté  de  celle  que  Fourmont  a  donnée  du  feuillet 
tibétain  provenant  du  pillage  d'Ablaï-kit  envoyé  par  Pierre 
le  Grand  à  TAcadémie  des  inscriptions.  U  y  a  cependant  entre 
ces  deux  élucubrations  une  différence  notable.  Fourmont, 
aidé  d  un  méchant  glossaire ,  avait  fait  une  traduction  inin- 
telligible d'un  texte  dont  il  ne  connaissait  pas  la  langue  ;  mais 
il  n  y  avait  pas  mis  de  malice  ;  sa  bonne  foi  égalait  son  igno- 
rance et  sa  témérité.  D'Aquin ,  Jui ,  s'est  positivement  joué 
du  président  Lamoignon.  Qu'il  ait  donné  sa  prétendue  tra- 
duction pour  «  ne  pas  demeurer  sans  response  » ,  comme  le 
pense  Bochart,  ou  qu'il  se  soit  plu  à  mystifier  le  premier 
magistrat  de  France  ;  qu'il  ait  fabriqué  sa  version  de  toutes 
pièces,  ou,  comme  le  suppose  encore  Bochart,  qu'il  en  ait 
puisé  les  éléments  dans  quelque  ouvrage  composé  par  un 
juif  devenu  chrétien ,  il  est  clair  qu'il  a  voulu  tromper  le 
Premier  président.  Il  y  réussit  un  instant ,  mais  son  succès 
fut  de  courte  durée  ;  Lamoignon  sut  se  renseigner  en  bon 
lieu.  L'affaire  ne  parait  pas  avoir  fait  du  bruit  à  l'époque  ;  elle 
ne  put  donner  lieu  à  aucune  discussion  ni  polémique ,  car 
Daquin  était  déjà  mort  quand  la  fraude  fut  démasquée.  Y31e 
resta  donc  un  secret  entre  les  deux  illustres  correspondants 
et  les  quelques  personnes  qui  leur  servirent  d'intermédiaires. 
Aussi  serait-elle  tombée  entièrement  dans  l'oubli ,  si  la  trace 
n'en  subsistait  dans  la  portion  des  papiers  de  Samuel  Bochart 
conservée  à  la  Bibliothèque  nationale.  H  valait  peut-être  ia 
peine  de  l'en  tirer  pour  lui  donner  une  modeste  publicité 
posthume. 


NOUVKLLES   ET   MELANGES.  3ftl 


BIBLIOGRAPHIE. 


Grammaire  élémentaire  de  la  langue  persane  , 
par  CL  Huart.  Paris,  Leroux,  1899,  iii-12;  m  et  i5o  pages. 

Dans  une  courte  préface ,  Fauteur  expose  avec  netteté  le 
but  qu'il  s'est  proposé  en  ajoutant  une  nouvelle  contribution 
aux  nombreux  ouvrages  didat^tîques  dont  le  persan  a  été 
l'objet.  Laissant  de  côté  toute  recherche  scientifique ,  tout  rap- 
prochement linguistique ,  —  et  ce  sacrifice  a  dû  coûter  à  son 
érudition ,  —  M.  Huart  se  borne  à  exposer  dans  leurs  traits 
essentiels  les  règles  de  la  langue  officielle;  et  il  aurait  eu  le 
droit  d'ajouter  de  la  langue  vulgaire,  celle  de  l'Iran. mo- 
derne. 

Ce  plan  est  fidèlement  suivi.  Toutes  les  parties  du  discours 
sont  traitées  ici  avec  ordre ,  précision  et  clarté ,  rien  d'essen- 
tiel n'est  omis ,  aucune  irrégularité  ou  exception  n'est  laissée 
dans  l'ombre.  A  vrai  dire ,  la  langue  persane  se  prête  peut- 
être  mieux  que  tout  autre  idiome  de  l'Orient  musulman  à 
une  exposition  rapide  :  phonétique ,  morphologie ,  syntaxe , 
tout  peut  tenir  en  un  petit  nombre  de  pages ,  à  la  condition 
de  marcher  de  pair  avec  l'explication  d'un  texte  de  lecture 
courante.  Mais  cette  simplicité  même  des  formes  grammati- 
cales exige  un  surcroit  d'exactitude  pour  écarter  toute  cause 
d'incertitude  ou  de  confusion.  C'est  ce  que  l'auteur  de  la 
nouvelle  grammaire  a  parfaitement  compris  et,  dans  ses 
limites  étroites ,  son  livre  restera  un  des  meilleurs  instruments 
de  travail. 

Sous  prétexte  que  la  connaissance  du  persan  suppose  celle 
de  l'arabe,  M.  Huart  ne  s'est  pas  cru  obligé  d'ajouter  un 
résumé  de  grammaire  arabe,  comme  l'ont  fait  plusieurs  de 
ses  devanciers.  Nous  ne  saurions  trop  l'en  féliciter,  tout 
abrégé  de  ce  genre  est  inévitablement  incomplet  et  ne  peut 


362  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

qu'eflVayer  le  débutant,  sans  le  dispenser  de  revenir  tôt  ou 
tard  à  un  traité  spécial.  D'ailleurs  Texpérience  démontre  que 
l'étude  de  l'arabe ,  pour  être  fructueuse ,  doit  précéder  celle 
du  persan  et  que  l'ordre  inverse,  dans  ce  genre  de' prépara- 
tion, est  une  cause  certaine  d'insuccès. 

Etant  donné  le  caractère  pratique  de  ce  manuel ,  on  poui'- 
rait  s'étonner  au  premier  abord  d'y  trouver  un  chapitre  con- 
sacré à  la  prosodie ,  c'est-à-dire  à  une  étude  compliquée  et 
qui  relève  plutôt  de  l'enseignement  de  la  langue  littéraire. 
La  prosodie  persane ,  quoique  empruntée  à  celle  de  l'arabe, 
a  renchéri  sur  celle-ci  par  la  variété  des  sous-genres  de  chaque 
mètre,  et  en  particulier  du  hèzèdj.  L'emploi  facultatif  de 
Vizafet  comme  voyelle  longue  ou  brève  introduit  dans  la 
scansion  du  vers  persan  un  vague  qui  n'existe  pas  en  arabe. 
On  ne  saurait  cependant  blâmer  M.  Huart  d'avoir  donné  les 
règles  prosodiques  les  plus  indispensables,  et  ajouté  à  la 
nomenclature  des  mètres  principaux  quelques  vers  qui  en 
démontrent  le  mécanisme.  Je  ne  veux  pas  dire  pour  cela  que 
Téludiant  saura  distinguer  à  première  vue  la  mesure  des 
rouhayi  ou  quatrains  qui  terminent  presque  tous  les  divans 
persans,  mais  il  sera  déjà  mis  en  éveil  et  mieux  préparé  à 
considter  un  traité  complet  comme  est  celui  de  Garcin  de 
Tassy. 

La  seconde  partie  renferme  des  dialogues  hemeusement 
choisis  et  bien  adaptés  aux  nécessités  de  la  vie  ou  du  voyage 
en  Orient.  Puis  viennent  quelques  lettres  familières  d'un 
style  peut-être  trop  uniforme ,  et  pour  terminer,  une  suite  de 
proverbes,  produits  de  la  sagesse  (?)  populaire  et,  par  là, 
modèles  plus  exacts  de  la  langue  vivante.  ^ 

L'impression  du  livre  est  bonne ,  et  les  caractères  arabes 
assez  élégants ,  mais  le  tirage  est  défectueux  et  un  trop  grand 
nombre  de  points  diacritiques  ont  disparu  pendant  la  mise 
sous  presse. 

L'exactitude, je  le  répète, étant  un  des  principaux  mérites 
de  cet  utile  petit  livre ,  je  ne  trouve  que  quelques  points  très 


NOUVELLES   ET  MÉLANGES.  365 

secondaires  où  je  ne  «uis  pas  tout  à  fait  d'accord  avec  l'au- 
teur. 

P.  3  1 .  IJ  y  a  toujours  quelque  danger  à  dresser  une  liste 
de  mots  parce  qu'ils  sont  plus  usités.  Par  exemple ,  dans  la 
série  des  adjectifs  donnés  ici ,  kcldn  n'a  pas  le  droit  de  figurer 
a  côté  de  hoiizourg  «  ^^rand  » ,  comme  terme  usuel,  ni  hengoft 
«épais»  au  lieu  de  kouloufi,  seul  employé  dans  le  Langage 
courant. 

P.  3  3.  Zirrin  «doré»  aurait  dû  être  mentionné  à  côté  de 
zerîn. 

P.  37.  La  transcription  rèsiden  me  semble  plus  exacte  que 
rasiden  et  ses  dérivés,  c'est  celle  de  Téhéran  et  du  nord  de 
la  Perse  qui,  à  tort  ou  à  raison,  fait  loi  et  doit  être  préférée 
dans  un  Manuel  de  langue  vivante.  J'adopte  d'ailleurs  l'en- 
semble des  vues  de  l'auteur  sur  la  prononciation  des  vovelles ,. 
p.  147. 


P.  60.  La  remarque  relative  à  l'emploi  du  mot  w*j^Lo  lais- 
serait croire  qu'il  n'est  jamais  suivi  du  rapport  d'annexion 
que  les  grammairiens  arabes  nomment  izajet,  La  vérité  est 
que  ïizafet  n  est  supprimé  que  dans  deux  ou  trois  expres- 
sions très  usitées  et  considérées  comme  mots  composés ,  par 
exemple  çaheb-khané  «  maître  de  maison  n ,  çaheb-mâl  «  riche  »  ; 
mais ,  dans  la  plupart  des  cas ,  ce  mot  est  soumis  à  la  règle 
d'annexion ,  comme  dans  çaheb-é-doolei  «  chef  du  gouverne- 
ment » ,  çalieb-é  mevadjeb  «  salarié  ») ,  etc. 

P.  68.  Dans  l'exemple  donné  hgne  10,  je  cherche  en  vain 
l'emploi  de  Tindicatif. 

P.  1 20.  L'auteur  de  la  nouvelle  grammaire  me  permettra 
de  lui  proposer  une  autre  traduction  pour  le  vers  cité  à  la 
fin  de  cette  page  :  ^z*^\  tf)W  «>*3  *^  ^^éA,u  J^U,  qu'il  traduit 
ainsi  :  «  Ne  reste  pas  insouciant,  car  c'est  le  temps  de  jouer  ». 

XIV.  3  4 


isruiikiii»  .làiiontiB. 


36'i  SEPTKMBHK-OCTOBRE    1899. 

Or,  dans  la  phrase  qui  précède ,  le  rédacteur  de  la  lettre  pré- 
munit son  fils  contre  la  dissipation  et  lui  dit  :  «  Ne  passez 
pas  votre  temps  au  jeu,  n'ayez  pas  d'inclination  pour  le 
jeu,  etc.».  Le  vers  qui  suit  semblerait  donc  en  opposition 
avec  ces  sages  conseils.  Je  crois  que  pour  éviter  cette  contra- 
diction ,  il  faut  donner  à  la  particule  *j  le  sens  qu'elle  a  sou- 
vent quand  elle  précède  le  discours  direct ,  et  traduire  :  «  Ne 
reste  pas  négligent  (en  disant  ou  sous  prétexte)  que  c'est  le 
temps  de  jouer  ». 

Le  peu  d'importance  des  remarques  qui  précèdent ,  prouve 
avec  quel  soin  le  savant  professeur  de  persan  à  l'Ecole  des 
langues  orientales  s'est  acquitté  de  sa  tâche.  Je  le  remercie 
d'avoir  fourni  à  nos  élèves  une  excellente  méthode  d'initia- 
tion à  la  plus  attrayante  des  langues  musulmanes.  Malgré  son 
titre  modeste ,  ce  petit  livre  lui  fera  autant  d'honneur  que 
les  travaux  dont  il  enrichit  depuis  longtemps  le  domaine  de 
l'érudition. 

B.  M. 


Abhandlvngen  zur  arabischen  Philologie, 
\on  Jgnaz  Goldziher.  Zweiter  Theil,  Leide,  Brill  1899. 

Dans  cette  deuxième  livraison  des  Traités  philologiques, 
M.  Goldziher  nous  donne  d'abord  une  édition  du  Kitâb  al- 
Mouammarîn  ou  «  Livre  des  personnes  douées  de  longévité  » 
par  Abou  Hàtim  al-Sidjistàni.  Ce  livre  contient  les  poèmes 
plus  ou  moins  authentiques  de  vieillards  décrivant  toutes 
les  misères  du  grand  âge  et  spécialement  exprimant  le  regret 
de  ne  pouvoir  plus  participer  aux  expéditions  glorieuses  de 
la  tribu,  comme  autrefois.  Le  seul  manuscrit  connu  de  ce 
livre,  acquis  en  Orient  par  Burckhardt,  se  trouve  à  Cam- 
bridge. 11  n*est  pas  daté ,  mais ,  d*après  le  colophon  de  la  fin , 
il  a  été  collationné  en  daS  de  l'hégire  sur  un  autre  manu- 
scrit plus  ancien^  et  l'écriture  appartient  au  iv*  ou  au  v*  siède. 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  365 

Le  livre  paraît  avoir  été  rare ,  même  en  Orient ,  car 
M.  Goidziher  n'en  a  trouvé  de  citations  que  dans  le  Ghorar 
al-fawâid,  ouvrage  du  célèbre  auteur  et  bibliophile  chfite  Al- 
Chérif  al-Mourtadhâ  (355-436  de  l'iiégire)  et  beaucoup  plus 
tard,  dans  Vlçâba  dlbn  Hadjar  (t  85^)  et  la  Khizânat  al 
adab  de'Abd  al-Qâdir  (environ  i  loo).  11  n'est  pas  sans  inté- 
rêt d'ajouter  que  le  manuscrit  de  Cambridge  est  le  même 
dont  cet  'Abd  al-Qàdir  et  son  maître ,  le  célèbre  Al-Rhafàdjî 
(t  1069),  ont  fait  usage.  M.  Goldziher  a  donné  de  ce  livre 
une  édition  digne  de  tout  éloge.  M.  le  professeur  A.  A.  Bevan 
ayant  fait  photographier  le  manuscrit  pour  l'usage  de 
M.  Goldziher,  les  syndics  de  ia  bibliothèque  de  l'Université 
de  Cambridge  en  ont  fait  exécuter  dix  lithographies  dont  ils 
ont  eu  la  bonté  de  m'envoyer  un  exemplaire.  J'ai  donc  pu 
comparer  le  texte  de  M.  Goldziher  avec  le  manuscrit,  et  je 
suis  fondé  à  déclarer  que  l'édition  a  été  faite  avec  le  plus 
grand  soin.  M.  Goldziher  l'a  enrichie  de  notes  critiques  et 
explicatives  qui  contiennent  une  masse  d'observations  utiles 
et  d'un  index  des  noms  et  des  mots  expliqués. 

L'auteur  ne  s'est  pas  contenté  de  ce  labeur.  Dans  une  in- 
troduction de  92  pages,  il  nous  donne  premièrement  tout 
ce  (ju'il  a  pu  découvrir  sur  le  manuscrit,  sur  l'auteur  Abou 
Hàtim  et  sur  l'éditeur  Abou  Rauq  qui  a  ajouté  à  l'ouvrage 
de  son  maître  plusieurs  notes  et  quelques  corrections.  Puis 
il  entre  dans  l'examen  du  terme  inouammar  qui,  d'abord 
assez  vague,  avait  au  temps  d'Abou  Hâtim  la  signification  de 
«vieillard  âgé  de  [)lus  de  120  ans»,  et  signale  le  penchant 
des  peuples ,  en  particidier  des  Arabes  à  attribuer  une  extrême 
vieillesse  à  leurs  héros  et  à  leurs  sages.  H  fait  observer 
qu'Abou  Hatim  est  loin  d'épuiser  le  nombre  des  ntouam- 
marin  célèbres.  Le  but  de  cet  auteur  est  de  recueillir  les 
poèmes  et  les  dictons  qu'on  leur  attribuait.  Quoiqu'une 
bonne  partie  de  ces  citations  soient  d'une  authenticité  fort 
discutable  et  qu'elles  n'aient  (qu'une  faible  valeur  poétique, 
elles  ne  manquent  pourtant  pas  d'intérêt  comme  variété  du 

34. 


366  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

•(eiire  littéraire  et  nous  permettent  de  mieux  connaître  la 
condition  des  vieillards  dans  la  société  arabe. 

Un  petit  recueil  de  poésies  des  mouammarîn  se  trouve 
dans  la  Hamàsa  de  Bohtorî.  Mais  la  source  principale  de 
renseignements  sur  ce  sujet,  dans  les  livres  à'Adah,  est  Tou- 
vrage,  cité  plus  haut,  du  chérif  Al-Mourtadhâ  qui ,  a  côté  du 
livre  d'Abou  Hâtim,  avait  à  sa  disposition  d'autres  recueils 
du  même  genre. 

La  croyance  que  certaines  personnes  ont  atteint  un  âge 
déj)assant  de  beaucoup  Tàge  ordinaire  a ,  pour  la  dogmatique 
religieuse  des  Chi'ites ,  une  valeur  tout  exceptionnelle ,  comme 
argument  du  dogme  de  Yîmâm  makioam.  Ce  dogme  enseigne 
que  le  douzième  imâm  disparu  eu  266  de  Thégire  vit  tou- 
jours, dérobé  aux  regards  des  hommes,  attendant  le  moment 
do  sa  réapparition  comme  le  Mahdi  qui  remplira  le  monde 
de  justice.  Pour  combattre  les  sarcasmes  et  les  blasphèmes 
des  Sonnites  qui  se  permettaient  môme  de  dire  en  proverbe  : 
«  Plus  retardataire  que  le  mahdi  des  Chfites  et  que  le  cor- 
beau de  Noé  »,  les  Chî'ites  citaient,  outre  les  légendes  d*Al- 
Khadir  [al-Khidr) ,  le  Juif-errant  des  Musulmans ,  et  de  Dhoul- 
Qarneïn,  toutes  ces  histoires  de  Mouammarîn  qui  ne 
cessaient  de  croître  en  exagération  comme  en  nombre.  Au 
commencement  du  iv'  siècle  de  Thégire ,  un  honune  parut 
qui  prétendait  avoir  connu  le  Prophète  personnellement  et 
pris  part  à  la  bataille  de  Çiffin  avec  Alî  contre  Mo'âwia.  Il 
mourut  en  827,  mais  bon  nombre  de  Chiites  persistaient  à 
croire  qu'il  continuait  à  vivre.  Comment  douter  de  l'exis- 
tence réelle  de  Timâm  maktoum  après  ces  exemples  de  lon- 
gévité ? 

Un  intérêt  spécial  s'attache  à  la  ({uestion  des  mouam' 
marin  pour  déterminer  la  valeur  des  isnâd,  c'est-à-dire  de  la 
chaîne  des  Traditionnaires.  L'autorité  d'une  tradition  s'ac- 
croît à  mesure  que  le  nombre  de  témoins  dignes  de  confiance 
qui  l'ont  transmise  est  plus  restreint,  ce  qui  a  lieu  quand  une 
ou  plusieurs  de  ces  personnes  ont  atteint  un  très  grand  âge. 
Les  savants  qui  s'occupaient  de  la  science  des  traditions  fai- 


NOUVELLKS  ET  MELANGES.  367 

saient  des  recherches ,  par  exemple  sur  l'âge  des  contempo- 
rains du  Prophète,  afin  de  pouvoir  contrôler  la  véracité  d'une 
tradition  émanant  directement  de  l'un  d'eux  au  ii°  siècle  de 
l'hégire ,  et  d'éliminer  les  faux  moaammarîn. 

Le  même  intérêt  s'attache  aux  personnages  de  cette  classe 
dans  les  isnud  des  ordres  religieux  et  ceux  des  corporations 
de  métier.  M.  Goidziher  donne  sur  ces  dernières  des  détails 
très  intéressants  tirés  en  partie  d'un  livre  du  xi'  siècle  de 
l'hégire,  dont  la  hibliothèque  de  Gotha  possède  une  copie. 
Le  dernier  paragraphe  de  l'introduction  contient  quelques 
légendes  de  moiiammarîn  juifs  et  chrétiens,  qui  ont  cours 
chez  les  Musulmans. 

Le  résumé  qui  précède  suffira  à  donner  une  idée  de  l'im- 
portance du  travail  de  M.  Goidziher.  En  lisant  le  livre  je  n'ai 
relevé  en  marge  que  quelques  minuties  :  le  vers  sur  Amânât 
(p.  xxxviii)  se  trouve  aussi  chez  ïabari,  III ,  p.  2362  et  suiv.  ; 
le  nom  des  Berbères  Hoggar  (p.  xlii,  n.  i)  n'a  rien  de  com- 
mun avec  celui  des  Kurdes  Hekkar;  p.  lxvih,  n.  3,  1.  5  : 

JU.0JI  0sj3  ioU  ^JA  doit  être  lu  âXjU  ^^  «  de  l'espèce  de  »  ;  la 
légende  de  llàjidh  ibn  Châloum  (p.  xc)  a  été  empnmtée  par 
Yaqout  au  livre  de  Moqaddasi,  p.  21.  A  propos  de  ce  der- 
nier, je  crois  pouvoir  protester  courtoisement  contre  la  cou- 
tume de  M.  Goidziher  et  d'autres  savants,  de  le  citer  sous 
la  l'orme  Maqdisi,  tant  qu'ils  ne  seront  pas  en  état  de  prouver 
que  l'auteur  lui-même  prononçait  ainsi  son  surnom.  C'est 
leu  M.  Sprenger,  qui  le  premier,  a  l'ait  connaître  cet  auteur 
sous  le  nom  de  Moqaddasi.  Comme  on  peut  former  le  nom 
relatif  également  bien,  de  ,j-oJUI  c^-o  et  de  jj<-.xim  o^^o,  jai 
cm  devoir  m'en  tenir  à  son  exemple,  n'ayant  pu  trouver  la 
moindre  indication  que  l'auteur  ait  préféré  l'autre  forme. 

M.  J.   DE  GOEJE. 


368  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

Répertoire  des  articles  relatifs  à  l'histoire  et  à  la  littérature  juives 
parus  dans  les  périodiques  de  1783  à  1898 »  par  Moïse  Schwab; 
publié  sous  les  auspices  de  la  Société  des  études  juives.  Paris , 
Durlacher,  1899.  En  autograpLie,  impartie,  x-4o8  pages. 

En  publiant  cet  ouvrage,  M.  Schwab,  notre  savant  con- 
l'rère ,  a  rendu  un  sei^vice  inappréciable ,  non  seulement  aux 
études  juives,  et  par  là-même  aux  études  orientales,  mais  à 
la  science  en  général,  parce  qu'il  a  donné  un  exemple  que 
nous  voudrions  voir  suivi  par  d'autres  érudits  et  surtout  par  les 
bibliothécaires.  Lorsqu'on  veut  traiter  un  sujet  quelconque , 
on  est  souvent  arrêté  par  la  difficulté  de  savoir  ce  qui  a  déjà 
été  écrit  sur  la  matière.  Les  dictionnaires  bibliographiques 
ne  contiennent  que  la  liste  des  livres  ou  des  brochures ,  mais 
comment  faire  pour  trouver  les  articles  (jui  ont  paru  dans  des 
périodiques  ou  des  recueils  ?  On  est  obligé  de  feuilleter  toutes 
les  tables  de  matières  (quand  elles  existent)  des  journaux 
et  des  revues,  ou  toute  la  série  des  publications  bibliogra- 
phiques, sans  même  qu'on  soit  sûr  de  n'avoir  pas  perdu  son 
temps  inutilement  dans  ces  recherches  fastidieuses.  Ou,  si 
l'on  se  dispense  de  cette  besogne  ingrate,  on  risque  de  s'atte- 
ler à  une  tâclie  déjà  faite  et  d'être  accusé  de  plagiat.  M.  Schwab 
a  voulu  épargner  cette  fatigue  ou  ce  danger  à  ceux  qui  s'oc- 
cupent d'histoire  et  de  littérature  juives;  et  il  a  dressé  un 
répertoire  de  tous  les  articles  scientifiques  ayant  paru  dans 
les  périodiques  depuis  leur  origine  jusqu'à  nos  jours. 
xM.  Schwab  a  dépouillé  quatre-vingt-quatorze  revues,  jour- 
naux ou  recueils,  et  rédigé  de  30,000  à  3o,ooo  fiches.  On 
peut  se  faire  ainsi  une  idée  de  la  patience  et  du  courage 
(jue  M.  Schwab  a  montrés. 

La  pi  emière  partie ,  la  plus  considérable  de  l'ouvrage  vient 
de  paraître.  Elle  contient  la  liste  alphabétique  des  noms 
d'auteurs  avec  le  titre  des  articles.  La  seconde  et  la  troisième 
renfermeront  deux  tables  des  matières,  l'une  pour  les  articles 
en  langues  modernes,  l'autre  pour  les  articles  en  hébreu.  Ces 
deux  tables  paraîtront  à  la  lin  de  Tannée.  L'ouvrage  entier 


NOUVELLES  ET  MELANGES.       369 

sera  mis  en  vente  au  prix  de  12  fr.  5o,  ce  qui,  on  en  cou^ 
viendra ,  n'a  rien  d'exagéré. 

Un  travail  de  cette  taille  est  forcément  incomplet,  et  il  est 
impossible  d'éviter  des  erreurs  de  genres  divers.  M.  Schwab 
en  a  lui-même  signalé  quelques-unes  dans  son  introduction. 
Avec  une  modestie  qui  l'honore,  notre  collègue  n*a  voulu 
voir  dans  son  œuvre  qu'un  essai  et  il  l'a  publiée  en  autogra- 
phie. Il  fait  appel  à  toutes  les  bonnes  volontés  pour  lui  si- 
gnaler les  inexactitudes  ou  omissions  qu'on  y  remarquerait. 
Nous  espérons  que  bientôt  une  nouvelle  édition  sera  donnée 
en  impression ,  et  qu'on  évitera  ainsi  les  inconvénients  in- 
hérents à  l'autographie ,  notamment  le  tirage  défectueux  de 
certains  feuillets. 

Puiscjue  M.  Schwab  a  compris  les  recueils  de  dissertations 
dans  son  répertoire,  peut-être  aurait-il  dû  ajouter  la  Biblio- 
thèque et  le  Repertorium  d'Eichhorn,  les  Morgenlàndische 
Forscluingen ,  les  Orientalia,  etc.  Tel  qu'il  est,  le  Répertoire 
est  un  excellent  outil  que  M.  Schwab  a  mis  dans  la  main  des 
travailleurs.  Nous  lui  adressons  tous  nos  remerciements  ainsi 
qu'à  la  Société  des  études  juives,  qui  lui  a  accordé  son  con- 
cours, et  nous  exprimons  encore  une  fois  le  souhait  que 
NI.  Schwab  trouve  des  imitateurs  dans  toutes  les  branches 
des  études  orientales,  et  en  général  dans  tous  les  ordres  de 
reclierches  scientifiques. 

Mayer  Lambert. 


Tlie  Heurt  oj  As'ia,  a  History  of  Russian  Turkestaii  and  the  Cen- 
tral Asian  Khanatcs  from  the  carliest  times  —  par  F.H.  Skrine 
et  E.  Denison  Ross; in- 18.  London  ,  Methuen  et  C"  1899;  ^^^  P*» 
2  cartes  et  34  illustrations  en  phototypie. 

Sous  ce  titre  «  IjC  cœur  de  l'Asie»,  les  auteurs  nous 
donnent  l'histoire  et  la  géographie  du  Turkestan  depuis 
l'époque  la  plus  ancienne  jusqu'à  nos  jours.  L'ouvrage  se 
divise  en  deux  parties.  La  première,  qui  est  purement  his- 


370  SEPTEMBRE-OCTOBRE   1899. 

torique  est  due  à  M.  Ross,  professeur  de  persan  à  l'Univer- 
sité de  Londres,  i'un  des  traducteurs  du  Tarlkh-i  Rasliidi; 
la  seconde,  qui  est  plutôt  politique,  a  été  rédigée  par 
\f .  Skrine  ancien  fonctionnaire  anglais  dans  Tlnde.  La  partie 
historique  est  celle  qui  intéresse  le  plus  nos  études.  Leïur- 
kestan  russe  actuel  comprend,  comme  Ton  sait,  Tancienne 
Hyrcanie  (Khvârizni),  la  Sogdiane,  la  Transoxiane  et  la 
Transirdariane ,  c'est-à-dire  tout  le  pays  entre  la  mer  Cas- 
pienne et  la  frontière  chinoise  sur  une  étendue  de  plus  de 
six  cents  lieues.  Son  histoire  première  se  confond  avec  celle 
de  l'Iran  jusqu'à  la  conquête  arabe.  C*est  par  les  auteurs 
classiques  que  nous  connaissons  les  Scythes ,  les  Massagètes, 
les  Sakas  et  les  expéditions  de  Cyrus,  de  Darius  et 
d'Alexandre,  jusqu'au  delà  de  TYaxarte;  puis  arrivent  les 
conquêtes  des  rois  de  la  Bactriane  qui  ont  été  en  rapports 
constants  avec  les  Yue-tchi  ou  Kouchans ,  les  Ephthalites  et 
enfin  les  Turcs  qui  apparaissent  au  milieu  du  vi*  siècle. 
Toute  cette  première  période  de  l'histoire  du  Turkestan  est 
résumée  avec  beaucoup  de  netteté ,  trop  résumée  peut-être , 
car  c'est  la  moins  connue.  Et  cependant,  aujourd'hui,  les 
documents  commencent  à  se  produire  :  les  médailles,  les 
inscriptions ,  les  annales  chinoises ,  les  découvertes  récentes 
en  Sibérie  et  en  Kashgarie  nous  font  entrevoir  plus  de  lu- 
mière sur  les  origines  des  différents  peuples  qui  ont  succes- 
sivement peuplé  la  Sogdiane ,  sur  leurs  mouvements ,  leurs 
conquêtes  et  enfin  sur  l'intervention  de  la  Chine  dans  les 
affaires  de  leurs  frontières  occidentales. 

Un  autre  point  fort  intéressant  que  l'auteur  a  aussi  négligé 
est  la  ((uestion  de  l'origine  de  l'écriture  dans  ces  contrées. 
L'écriture  était- elle  connue  en  Sogdiarie  avant  l'arrivée 
d'Alexandre  et,  à  partir  de  l'invasion  macédonienne  jusqu'à 
celle  des  Arabes,  quels  sont  les  divers  alphabets  qui  ont  été 
usités  ?  Sans  entrer  dans  trop  de  détails  à  cet  égard,  on  au- 
rait pu  expliquer  qu'après  les  guerres  de  Bahrâm  V  Gour 
contre  les  Ephthalites,  le  monnayage  fut  introduit  chez  ces 
derniers  avec  le  type  sassanide,  mais  avec  des  légendes  écrites 


NOUVELLES  ET   MELANGES.  371 

en  un  alphabet  particulier,  d'origine  araméenne,  qui  s'était 
développé  dans  le  Touràn  en  même  temps  que  le  pehlvi  dans 
l'Iran,  à  une  époque  bien  antérieure  aux  Ephtlialites ,  mais 
dont  nous  n'avons  pas  de  traces  avant  les  monnaies  frappées 
par  eux.  Le  monnayage  sogdien  a  persisté  plus  de  deux  siècles 
après  la  conquête  musulmane.  Les  historiens  chinois  nous 
ont  fourni  également  des  renseignements  sur  l'extension  de 
l'Empire  céleste  vers  l'occident.  Nous  savons  par  exemple 
que  pendant  les  six  à  sept  premiers  siècles ,  la  Sogdiane ,  la 
Bactriane  et  tout  le  pays  jusqu'à  l'Yaxarte  ont  été  soumis  à 
la  famille  des  Tchao-wu,  qui  se  prétendait  alliée  aux  Rou- 
chans  et  qui  se  divisait  en  plusieurs  branches,  chacune 
d'elles  à  la  tête  d'une  principauté.  Les  inscriptions  de  l'Or- 
khon  mentionnent  les  Sogdiens  soumis  aux  six  Tchao-wu; 
Taschkend  et  le  Khvârizm  en  faisaient  partie.  Dans  l'his- 
toire de  la  conquête  de  Bokhara,  qui  est  racontée  avec  dé- 
tail ,  M.  Ross  aurait  pu  mentionner  les  nouvelles  indications 
que  nous  fournissent  les  inscriptions  en  vieux  turc  de  l'Or- 
khon  pour  les  années  701  et  suivantes.  11  y  avait  aussi  à 
identifier  les  noms  propres  que  nous  ont  laissés  les  médailles , 
les  écrivains  chinois  et  les  auteurs  musulmans  pour  les 
princes  turcs  et  ceux  d'origine  yue-tchi  qui  luttaient  pour 
leur  indépendance.  Il  y  avait  à  Bokhara  une  littérature  in- 
digène très  florissante,  des  livres  écrits  en  caractères  ara- 
méens ,  mais  tout  a  été  détruit  par  l'invasion  arabe.  Tous  ces 
faits  étaient  assez  intéressants  pour  être  mis  en  lumière. 

Le  Turkestan  tombe  sous  l'autorité  des  khalifes,  mais  en 
810,  Thâher  fonde  la  première  des  dynasties  indépendantes 
qui  se  sont  succédé  d'abord  jusqu'à  l'occupation  mongole , 
puis  jusqu'à  nos  jours.  Leur  histoire  est  beaucoup  plus 
connue  grâce  aux  écrivains  musulmans;  elle  est,  il  est  vrai, 
quelque  peu  embrouillée,  mais  M.  Ross  a  su  la  rendre 
claire  et  intéressante.  C'est  une  sorte  de  précis  historique 
qui  manquait  à  notre  histoire  de  l'Orient  et  qui  trouvera 
désormais  sa  place  dans  les  bibliothèques. 

Dans  la  seconde  partie  de  l'ouvrage,  M.   Skrine  prend  la 


372  SEPTEMBRE-OCTOBRE    1899. 

Russie  à  ses  premiei's  rapports  avec  les  races  tartares ,  et  ra- 
conte ses  luttes  contre  les^ Mongols,  ses  conquêtes  successives 
(le  rOural,  de  la  Sibéiie,  de  la  Semiretchie  et  enfin  du 
Turkestan  en  1867.  L'auteur  a  fait  la  description  de  cette* 
contrée  depuis  l'occupation  russe  et  a  donné  des  détails  nou- 
veaux et  curieux  sur  les  principales  villes  comme  Askhabad, 
Merv,  Bokhara  et  Samarcànde.  Le  dernier  chapitre  est  inti- 
tulé Friends  or  Foes  :  les  Russes  et  les  Anglais  si  voisins  l'un 
de  l'autre  seront-ils  amis  ou  ennemis?  Dans  l'intérêt  de  la 
science  et  de  nos  études  orientales ,  nous  ne  pouvons  que 
désirer  l'union  et  la  concorde  entre  les  deux  grands  peuples. 
I/ouvrage  est  accompagné  de  deux  cartes  et  de  nom- 
breuses pliotographies  de  types  ethnographiques  et  de  mo- 
numents. A  propos  du  tombeau  de  Tamerlan  à  Samarcànde 
les  notices  de  MM.  E.  Bianc  et  Blochet  ne  sont  pas  men- 
tionnées. Si  j'ai  signalé  quelques  lacunes,  je  dois  d'un  autre 
côté  rendre  un  juste  hommage  aux  auteurs  :  le  volume  de 
MM.  Ross  et  Skrine  est  un  travail  bien  fait;  c'est  un  livre  à 
la  fois  scionti[i(|ue  et  de  vulgarisation  qui  rendra  des  services 
et  mettra  ta  la  portée  de  tous  l'histoire  de  l'Asie  centrale. 

E.  Drouin. 


RECUEIL  D'ARCIiléOLOGIE   ORIENTALE 
PAR  M.  CLERMONT-(i ANNEAU  '. 


SOMMAIRE  DES  MATIERES  CONTENUES  DANS  LE  TOME  UI  [  EVeC  plancllCS 

et    gravures),   en    cours    do   publication;  livraisons  1 4   à  21, 
1899. 

S  39.  Une  «éponge  américaine»  du  vi*  siècle  avant  notre  ère. 
—  S  4o.  Orphée-Nebo  à  Mabhoug  et  Apollon.  —  S  /ii.  Lettre  de 
Jésus  au  roi  Abgar.  —  S  42.  La  Palestine  au  commencement  du 

'  Paris,  E.  Leroux;  prix  des  volumes  I  et  II,  2 5  francs;  prix  do  vo- 
lume m,  souscrit  d*avaucc  et  à  recevoir  par  livraisons:  30  francs. 


NOUVELLES   ET  MÉLAN    ES.  373 

Yi'  siède  et  les  Pbrophories  de  Jean  Kiifus,  évêque  de  Maîoumas. 

—  S  43.  Noies  d'épigraphie  palmyrénienne.  —  S  44.  Inscription 
grecque  d'Édesse.  —  S  45.  Le  voyage  du  suHan  Qâït-Bâyen  Syrie. 

—  S  46.  Itinéraire  d'un  pèlerin  français  du  xiv*  siècle  de  Damas 
il  Naplouse.  —  S  47.  Gezer  et  ses  environs.  —  S  48.  Création  d'un 
fonds  spécial  poui-  l'acquisition  d'antiquités.  —  S  49.  Jébovah, 
seigneur  du  Sinaï.  —  S  5o.  Gath  et  Gath-Rimmon.  —  S.  5i. 
Le  tombeau  de  Dja'far.  —  S  62.  Nouveau  lychnarion  à  inscription 
coufique.  —  S  53.  Une  inscription  du  khalife  Hichâm  (an  1 10  H.), 

—  S  54.  El-Kalif  et  la  Caverne  des  Sept-Dormants.  —  S  55.  Ta- 
bella  devotionis  à  inscription  punique.  —  S  56.  Note  «ur  la  création, 
en  Syrie,  d'une  station  d'arcliéologie  orientale  dépendant  de  l'Ecole 
du  Caire.  —  S  07.  Les  inscriptions  néo-puniques  de  Maktar  (à 
suivre  j. 


Le  gérant  : 
RUBENS  DuVAL. 


/ 


JOURNAL  ASIATIQUE 

NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1 899. 


NOTICE 

SUR   GABRIEL  DEVÉRIA, 

PAR 

ÉD.  CHVVANNES. 


Messieurs  , 

Après  la  mort  de  M.  Gabriel  Devéria,  mort  sou- 
daine qui  nous  a  tous  consternés ,  votre  président  a 
bien  voulu  me  demander  une  notice  nécrologique 
destinée  au  Journal  asiatique;  j'ai  volontiers  accepté 
cette  tâche;  c'était  pour  moi  un  devoir  de  rendre  un 
dernier  hommage  à  Thomme  de  bien,  au  savant 
loyal  pour  lequel  j'avais  une  respectueuse  amitié. 

Gabriel  Devéria,  né  en  1 84i  ,  était  le  fils  d'Achille 
Devéria  et  le  neveu  d'Eugène,  qui  tous  deux  furent 
des  peintres  célèbres  de  la  première  moitié  de  ce 
siècle.  Ayant  perdu  son  père  à  l'âge  de  treize  ans, 
il  trouva  un  appui  matériel  et  moral  en  son  frère 
aîné,  Théodule  Devéria,  égyptologue  de  premier 
ordre  qui  aurait  pris  place  parmi  Jes  maîtres  de  la 
science  s'il  n'avait  pas  succombé  à  quarante  ans  à  la 
maladie  de  poitrine  qui  le  minait  depuis  longtemps. 

XIV.  25 


tHmiMKBlr     «ATIUXALr.. 


376  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1809. 

Gabriel  Devéria  a  dédié  à  la  mémoire  de  ce  frère 
quil  chérissait  ime  biographie  qu^on  ne  peut  lire 
sans  émotion  1. 

A  seize  ans ,  Devéria  partit  pour  la  Chine  en  qua- 
lité d'élève  interprète;  il  devait  y  rester  vingt  ans, 
il  acquit  ainsi  cette  connaissance  pratique  de  la 
langue  chinoise  qui  fit  de  lui  un  professeur  émérite 
lorsqu'il  fut  appelé  en  1889  à  la  chaire  de  chinois 
de  l'Ecole  des  langues  orientales.  Cet  enseignement, 
destiné  à  former  la  majeure  partie  de  notre  per- 
sonnel consulaire  en  Extrême-Orient,  est  étroite- 
ment lié  à  nos  intérêts  politiques  ;  Devéria  le  fonda 
sur  une  base  inébranlable;  sans  se  laisser  absorber 
par  les  recherches  d'érudition  qui  le  sollicitaient, 
li  consacra  une  grande  partie  de  son  temps  à  ses 
élèves;  sous  sa  direction,  nous  avons  vu  se  préparer 
des  jeunes  hommes  qui  sauront  rendre  plus  vigou- 
reuse et  plus  durable  l'influence  française  dans  ces 
vastes  contrées  où  se  trouvent  aux  prises  tant  d'ar- 
dentes compétitions.  Jusqu'au  dernier  moment, 
Devéria  ne  déserta  pas  son  poste  de  combat;  malgré 
la  pleurésie  qui  avait  fortement  ébranlé  sa  santé 
l'hiver  dernier,  il  avait  voulu  reprendre  sa  tâche; 
voici  ce  qu'il  m'écrivait  le  ly  mai  1899,  ^^^^^  ^^ 
deux  mois  avant  sa  mort  :  «  Ma  douleur  dans  le  dos, 
bien  que  diminuée,  est  encore  très  gênante  quand 

'  Notice  bio^aphiqne   sur   Théodule  Devéria  (1831-1871),  par 
G.  Devéria  (chez  Leroux,  tir.  à  part,   iSgS);  a  paru  en  tête  des 
Mémoires  ci  fragments  de  Throdule  Devéria ,  pub!,  par  G.  Maspero 
(  chei  I^ropx,  1896). 


NOTICE  SUR  GABRIEL  DEVÉRIA.  377 

je  nie  tiens  autrement  que  couché  ou  debout.  Mes 
cours  se  font  quand  même ,  mais  me  fatiguent  énor- 
mément. A  parler  une  heure,  je  ressens  dans  le  pou- 
mon gauche  des  sifflements  et  des  râles  odieux .  .  . 
On  veut  m'envoyer  à  Ems;  je  le  veux  bien,  mais  je 
n  ai  pas  la  foi.  »  Ce  fut  au  Mont-Dore  qu'on  l'envoya; 
c  est  là  que  la  mort  vint  Tabattre  à  Timproviste  dans 
une  chambre  d'hôtel,  seul,  pendant  la  nuit. 

Les  premiers  travaux  de  Devéria  furent  des  notes 
sur  Péking  et  le  nord  de  la  Chine  S  puis  une 
description  du  cérémonial  qui  fut  observé  lors  du 
mariage  de  l'empereur  Tong-tche  en  1872^.  On  y 
remarque  déjà  ce  souci  de  l'exactitude,  cet  amour 
du  détail  nouveau,  qui  font  que  rien  de  ce  qu'il  a 
écrit  n'est  négligeable.  D'autres  ouvrages  de  plus 
longue  haleine  furent  consacrés  à  élucider  des  ques- 
tions qui  présentent  un  côté  politique  en  même 
temps  qu'elles  ont  un  intérêt  scientifique;  dans  son 
Histoire  des  relations  de  la  Chine  avec  VAnnam-Viêtnam 
du  XVI*  au  XIX*  siècle^ ^  Devéria  se  proposait  de  fournir 
à  nos  hommes  d'État  des  renseignements  précis  sur 
les  relations  de  vassal  à  suzerain  qui  ont  existé  entre 
l'Annam  et  la  Chine;  ^rv  sdi  Description  de  la  frontière 

^  Pékin  et  le  nord  de  la  Chine ,  par  T.  Ghoutzé  (pseudonyme  de 
Devëria).  Ces  arlid^'S  ont  paru  dans  Le  Tour  du  Monde  (XXXI, 
p.  3o5-368,  et  XXXII,  p.  193-256),  1873. 

^  Un  mariage  impérial  chinois,  par  M.  G.  Devéria  (chez  Leroux, 
1887).  Quoique  cet  ouvrage  n*ait  été  publié  quen  1887,  il  paraît 
avoir  été  conçu  et  exécuté  peu  après  187a. 

^  Cliez  Leroux ,  1880  ;  forme  le  vol.  XIFl  de  la  1"  série  det  Publi- 
cations  de  l'Ecole  des  langues  orientales, 

25. 


378  NOVëMBRëDëGEMBRË  1899. 

sino-amiamite^,  il  collaborait  à  la  tâche  longue  et 
difficile  de  la  Commission  d*abornement  du  Tonkin. 
Mais ,  tout  en  étant  d'une  utilité  immédiate ,  ces  livres 
ont  aussi  une  portée  scientifique;  le  premier  nous 
raconte  la  lutte  des  dynasties  rivales  en  Annam  pen- 
dant le  XVII*  et  le  xviii'  siècle;  il  nous  montre"  la 
politique  astucieuse  des  empereurs  de  Chine,  qui 
cherchent  incessamment  à  profiter  des  difficultés  de 
la  cour  de  Hanoï  ou  de  Hué  pour  faire  recomiaître 
leur  suprématie.  Quant  à  fiétude  sur  la  frontière  sino- 
annamite,  outre  les  indications  précieuses  qu'elle 
fournit  à  la  géographie ,  il  faut  signaler  la  valeur  ex- 
ceptionnelle des  notes  ethnographiques  qui  en 
forment  la  seconde  partie.  Francis  Garnier,  dans  son 
Voyage  d'eocploration  en  Indo-Chine ,  avait  appelé  l'at- 
tention du  monde  savant  sur  les  tribus  non  chinoises 
qui  se  trouvent  disséminées  dans  la  Chine  méridio- 
nale ,  débris  de  races  presque  éteintes  dont  les  ori- 
gines sont  obscures ,  vestiges  d  un  passé  dont  la  mé- 
moire des  hommes  n  a  gardé  qu  un  souvenir  confiis. 
Devéria  a  donné,  d  après  les  auteurs  chinois,  Ténu- 
mération  minutieuse  et  la  distribution  par  districts 
de  ces  peuplades;  il  préparait  ainsi  le  terrain  aux  re- 
cherches historiques  et  philologiques,  qui  permet- 
tront une  classification  plus  rationnelle;  après  lui, 
MM.E.-H.  Parker  2,  Pierre  Lefevre-Pontalis^,  F.-W.- 

^  Chez  Leroux,  i886;  forme  le  vol.  I  de  la  V  série  des  Publi' 
cations  de  l'Ecole  des  langues  orientales, 

*  The  Muong  languaye  [Cliina  Review,  vol.  XIX,  p.  367-280). 
^  Notes  sur  tjueltfues  populations  du  nord  de  l' Indo-Chine  [Journal 


NOTICE  SUR  GABRIEL  DEVÉRIA.  379 

K.  Millier  *  et  le  P.  Vial^ont  ouvert  la  voie  qui  nous 
mènera  à  la  solution  définitive  de  ce  problème  si 
complexe. 

En  passant  en  revue  les  peuples  non  chinois  de 
la  frontière  sino-annamite ,  Devéria  avait  Toccasion 
de  parler  des  manuscrits  en  langues  pa-i,  lolo  et 
mosso ,  et  de  revenir  ainsi  à  une  étude  qui  lui  était 
chère,  celle  des  écritures  étrangères  dont  les  spé- 
cimens nous  ont  été  conservés  en  Chine.  Il  avait  eu 
autrefois  l'intention  de  traiter  ce  sujet  dans  toute 
son  ampleur  en  écrivant  une  histoire  du  Collège  des 
interprètes;  ce  collège,  que  nous  trouvons  existant 
dès  Tannée  lAoy  sous  le  nom  de  Se  i  koan,  était 
destiné  à  enseigner  les  langues  des  barbares  avec 
lesquels  le  Gouvernement  chinois  entretenait  des 
relations;  on  y  conservait  des  vocabulaires  et  des 
textes  qui  sont,  en  ce  qui  concerne  deux  ou  trois 
de  ces  idiomes,  la  seule  clef  que  nous  possédions 
pour  les  lire  et  pour  les  comprendre.  Devëria  avait 


asiatique,  mars-avril  1892,  p.  237-269;  juillet-août  1896,  p.  129- 
i5/i;  sept.-ocl.  1896,  p.  29i-3o3).  —  Etude  sur  quelques  alphabets 
et  vocabulaires  thaïs  [Toung  pao,  vol.  111,  p.  39-64). —  L'invasion 
thaïe  en  Indo-Chine  [Toung  pao,  vol.  VIII,  p.  53-78). 

*  Vocabularien  der  Pa-yi  nnd  Pah-poh  Sprachen  ans  dent  Hua-i-yi- 
yû  [Toung  pao,  vol.  III,  p.  i-38).  —  Ein  Brief  in  Pa-yi  Schrift 
[Toung pao,  vol.  V,  p.  329-333). 

^  De  la  langue  et  de  U écriture  indigènes  au  Yûn-nân  (Angers, 
1890).  —  Les  Lolos  (Chang-haî,  Impr.  de  la  mission  catholique, 
1898).  —  A  propos  de  la  première  de  ces  brochures,  Devéria  lui- 
même  avait  écrit  un  article  intitulé  :  T^es  Lolos  et  les  Miao-tze  [Jour- 
nal asiat.,  sept.-oct.  1891,  p.  356-369);  il  y  donnait  un  texte  miao> 
tze  qu  il  avait  trouvé  dans  un  ouvrage  chinois. 


380  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    1899. 

imprimé  quelques  feuilles  de  son  travail  et  avait  fait 
tirer  un  certain  nombre  de  planches,  mais  il  ne  les 
publia  jamais.  Peut-être  a-t-il  jugé  qu*une  œuvre 
densemble  était  prématurée  et  qu'il  convenait  de 
diviser  la  difficulté  en  considérant  séparément  cha- 
cune des  écritures  inconnues  dont  on  voulait  obtenir 
le  déchiffrement.  Il  entreprit  lui-même  de  faire 
quelques-unes  de  ces  monographies,  et  les  pages 
qu'il  leur  a  consacrées  resteront  au  nombre  de  ses 
plus  beaux  titres  scientifiques. 

Il  débuta  dans  cet  ordre  de  recherches  par  son 
article  sur  la  stèle  de  Yen-t'ai^,  qui  assurait  un  point 
de  départ  certain  à  la  lecture  de  Técriture  joutchen. 
Les  Joutchen  ou  Djourtchen  sont  étroitement  appa- 
rentés aux  Mandchous  actuels;  ils  régnèrent  sur  le 
nord  de  la  Chine  de  1 1  i5  à  i23/i  sous  ie  nom  de 
dynastie  Kin;  avant  d'adopter  la  langue  et  Técriture 
chinoises,  ils  avaient  eu  une  écriture  nationale; 
Abel  Rémusat  en  avait  deviné  l'existence  dès  i8ao 
dans  ses  Recherches  sur  les  langues  tartares,  mais  en 
regrettant  de  n'avoir  aucun  monument  épigraphique 
sur  lequel  il  pût  fonder  des  déductions  rigoureuses. 
P(»ndant  les  soixante  années  qui  suivirent,  on  ne 
parvint  à  signaler  que  deux  textes  réputés  joutchen; 
lun  était  la  stèle  dite  de  Salikan,  qui  date  de  Tan- 
née 1  i3/i ,  et  qui  nous  a  été  conservée  dans  deux 

'  G.  Ilevéria,  Examen  de  la  stèle  de  Yen- t'ai.  Dissertation  sur  les 
caractères  d'écriture  employés  par  les  Tartares  Jou-tchen,  Extraits  du 
Hounij-hu£-in-yuan  traduits  et  annotés  [Hevue  de  l' Extrême- Orient , 
l.  1,  p.  173-186). 


NOTrCE  SUR  GABRIEL  DEVÉRIA.  381 

recueils  chinois  d'épigraphie  ^  ;  le  second  était , 
croyait- on,  une  des  six  rédactions  de  ia  fameuse 
inscription  de  Kia-yong  koan^.  Devéria  découvrit 
une  nouvelle  piste  en  mettant  la  main  sur  une  dis- 
sertation dun  érudit  mandchou,  qui  n'est  autre 
que  le  père  de  l'ancien  ambassadeur  en  Russie, 
Tch'ong-heoa,  le  négociateur  malheureux  du  traité 
de  Livadia.  Ce  Mandchou,  d'illustre  extraction, 
s  était  préoccupé  de  savoir  ce  qu'était  l'écriture  des 
Joutchen,  ancêtres  de  sa  race;  il  en  avait  retrouvé 
un  spécimen  dans  une  inscription  dont  il  citait  les 
premiers  mots;  Devéria  compléta  le  texte  au  moyen 
d'un  ouvrage  épigraphique  chinois.  Ce  monument 
était  aussi  différent  de  la  stèle  de  Salikan  et  de  l'écri- 
ture indéchiffrée  de  Kia-yong  koan  que  ces  deux 
inscriptions  le  sont  l'une  de  l'autre;  Devéria  établit 
que,  dans  l'indécision  où  Ton  se  trouvait,  c'était 
l'inscription  de  Yen-t'ai  qui  devait  être  considérée 
comme  écrite  en  joutchen  authentique.  Son  opinion 
reçut  une  éclatante  confirmation  quatorze  ans  plus 
tard,  lorsque  M.  Grube^  publia  le  vocabulaire  et  les 
suppliques  en  joutchen  que  M.  Hirth  avait  eu  la 
bonne  fortune  de  découvrir  en  Chine;  il  fut  avéré 

^  Neumann.  Asiatische  Studien ,  p.  4i  (1837).  —  Wylie,  On  aw 
ancient  inscription  in  the  Neu-chih  langvuige  (1860,  Journal  oj  the 
Royal  Asiat.  Soc,  vol.  XVII,  p.  33i-345). 

^  Wylie ,  On  an  ancient  Baddhist  inscription  at  Keuryung  kwan  in 
North-China  (1870,  Journal  of  the  Royal  Asiat,  Soc,  N.  S»,  vol,  V, 
p.  i4-44). 

^  D"^  Wilhelm  Grube,  Die  Sprache  und  Schrift  der  JvLcen  (Leipzig  , 
Harrassowitz ,  1896). 


382  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

que  ia  stèle  de  Yen-t'ai  était  bien  un  texte  joutchen  ; 
M.  Grube  dédia  son  ouvrage  à  M.  Devéria  comme 
au  précurseur  qui  avait  ie  premier  reconnu  Técriture 
joutchen  ià  où  elle  se  trouvait  réellement  ^ 

Restaient  les  inscriptions  de  Salikan  et  de  JSSa- 
yong  koan,  qu'on  avait  cru  être  écrites  en  joutchen. 
Pour  l'inscription  de  Salikan,  le  problème  reste 
entier^;  on  admet,  jusqu'à  plus  ample  informé, 
qu'elle  est  écrite  en  caractères  dits  grands  joutchen^ 
c  est-à-dire  plus  compliqués  que  ceux  du  vocabulaire 
du  Se-i  koan  et  de  la  stèle  de  Yen-t'ai.  Quant  à  l'in- 
scription de  Kiu-yong  koan,  c'est  encore  à  M.  Devéria 
que  devait  revenir  l'honneur,  en  même  temps  qu'à 


^  M.  le  D'  Georg  Hnth  a  tradnit  le  titre  de  l'inscription  de  Yen- 
t'ai  [Zur  Entzifferung  der  Niûci-Inschrift  von  Yen-t'ai,  dans  Bulletin 
de  l'Acad,  imp,  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg ,  1896,  déc.,  t.  V, 
n°  5,  p.  375-378).  —  D'autre  part,  au  commencement  de  Tannée 
1896,  M.  Shewelew  a  découvert  à  Tyr,  à  100  kilomètres  en  amont 
de  NikolaîevsL ,  sur  la  rive  droite  de  l'Amour,  une  inscription  qui 
contient  un  certain  nombre  de  lignes  en  écriture  joutchen. 
M.  W.  Grube  a  pu  y  déchiffrer  la  formule  :  om  mani  padme  hum 
[  Vorlàufifje  Mittheilnng  ûber  die  bei  Nikolajewsk  am  Amur  aufgefnn- 
denen  Jucen  Inschriften ;  3  pages  datées  de  Berlin,  2  déc.  1896).  — 
Enfin,  dans  les  Actes  du  XF  Congres  international  des  Orienta- 
listes, 1897  (^*  section,  p.  io-35),  M.  S.  W.  Bushdl  a  publié  un 
article  de  première  importance ,  intitulé  :  Inscriptions  in  tke  Jucen 
and  allied  scripts;  il  y  reproduit  un  estampage  de  l'inscription  de 
Yen-t'ai,  dont  on  a  ainsi  pour  la  première  fo's  le  texte  exact,  et  un 
médaillon  avec  qudques  caractères  joutchen. 

^  Dans  l'article  précité,  M.  S.  W.  Bushell  donne  le  fac-similé 
d'un  insigne  en  forme  de  poisson ,  sur  lequel  on  voit  quelques  carac- 
tères analogues  à  ceux  de  l'inscription  de  Salican  ;  il  laisse  ouverte 
la  question  de  savoir  si  cette  écriture  est  l'écriture  khitane  ou  Té-ri- 
tun^  grand  joutchen. 


NOTICE  SUR  GABRIEL  DEVÉRIA.  383 

M.  BushelP,  de  montrer  que  Técriture  inconnue 
était,  non  celle  du  peuple  joutchen,  mais  celle  du 
royaume  de  Si-hia,  ou  Tangout^.  Une  inscription 
bilingue,  qui  a  été  découverte  à  Leang-tcheou ,  en 
plein  pays  Si-hia,  et  qui  présente  un  spécimen  in- 
contestable de  récriture  si-hia,  prouve  en  effet 
jusqu'à  Févidence  que  le  texte  mystérieux  de  Kia- 
yong  koan  appartient  au  même  système.  Devéria 
publia  la  stèle  de  Leang-tcheou  en  en  traduisant  la 
partie  chinoise. 

Ces  travaux  de  Devéria  ont  une  valeur  considé- 
rable; ils  ouvrent  un  chapitre  nouveau  dans  Thistoire 
de  récriture,  qui  devra  désormais  étudier  les  tenta- 
tives faites  par  Tesprit  humain  pour  composer,  avec 
les  caractères  chinois  mi-idéographiques,  mi -phoné- 
tiques ,  et  s*appliquant  à  une  langue  monosyllabique , 
des  écritures  qui  expriment  des  langues  polysylla- 
biques et  qui  paraissent  être  purement  phonétiques. 
Ces  écritures,  d'ailleurs,  sont  vraisemblablement 
appelées  à  nous  révéler,  dans  un  avenir  prochain  des 
peuples  jusqu'ici  mal  connus;  des  textes  joutchen 
et  si-lna  ne  peuvent  manquer  d'être  mis  au  jour  et 
ne  tarderont  pas  à  livrer  leur  secret.  Nous  avons  le 

^  S.  W.  Bushell,  The  Si  Hsia  dynasty  of  Tangut,  tkeir  mon&y 
and  pcculiar  script  [Journal  of  the  China  Branch  of  the  Royal  Asiat, 
Soc,  vol.  XKX,  p.  1/12-160). 

-  G.  Devéria,  Stcle  Si-hia  de  Leang-tcheou,  avec  une  note  de 
S.  W.  RushoH  [Journal  ewiat. ,  janv.-févr.  1898,  p.  53-7/1).  —  G.  De- 
véria, L'écriture  du  royaume  de  Si-hia  ou  Tangout  (extrait  des  Mé- 
moires présentés  par  divers  savants  à  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres,  1'"  simÛo,  t.  XI,  1"  partie,  1898). 


384  .NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1800. 

droit  d'entretenir  un  tel  espoir,  quand  nous  venons 
d'assister  au  merveilleux  décliiffrement  des  inscrip- 
tions de  rOrkhon  par  MM.  Thomsen  et  Radloff; 
nous  lisons  maintenant  les  stèles  sur  lesquelles ,  de- 
puis  onze  cents  ans ,  les  anciens  khagans  turcs  per- 
pétuent leur  rêve  de  gloire  brutale;  la  brume  qui 
les  voilait  à  nos  yeux  se  déchire,  et  voici  qu'appa- 
raissent à  travers  cette  échappée ,  droits  en  selle  sur 
leurs  chevaux  qui  s  ébrouent,  les  rudes  batailleurs 
dont  nous  avons  troublé  le  sommeil  millénaire.  De- 
véria  prit  part  aux  premières  recherches  que  suscita 
la  découverte  de  ces  monuments  ^  ;  lorsque  Texpédi- 
tion  finlandaise  rapporta  ses  estampages  des  bords 
de  rOrkhon ,  c'est  à  lui  qu'elle  s'adressa  pour  avoir 
l'explication  de  la  stèle  très  endommagée  du  khagan 
Mékilien  et  de  divers  fragments  qui  furent  reconnus 
plus  tard  appartenir  à  la  seule  et  même  inscription 
de  Kara-balgassoun. 

Parmi  les  écritures  étrangères  dont  on  trouve  la 
trace  en  Chine ,  une  de  celles  qui  excitèrent  le  plus 
tôt  la  curiosité  des  érudits  eiu'opéens  fut  celle  que  le 
lama  tibétain  'Phags-pa  inventa  en  1269  et  que  les 
souverains  mongols  de  Chine  adoptèrent  conune 
écriture  nationale  depuis  Koubilaï  khan  jusqu'à  la 
fin  de  leur  dynastie.  Pendant  son  séjour  en  Chine, 
Devéria  avait  rassemblé  cinq  estampages  de  textes 

'  (r.  Devéria,  Transcription,  analyse  et  traduction  des  fragments 
chinois  du  second  et  du  troisième  monument  (forme  les  pages  xxvn- 
wxTiii  de  Touvrage  publié  en  1892  à  Helsingfors,  sous  le  titre  : 
Inscriptions  de  l'Orkhon  recueillies  par  l' expédition  Jinnoise ,  1890). 


^     NOTICE  SUR  GABRIEL  DEVÉRIA.  385 

en  écriture  phags-pa  dont  les  uns  étaient  accompa- 
gnés de  leur  traduction  chinoise,  tandis  que  d'au- 
tres étaient  de  simples  transcriptions  du  chinois;  ces 
estampages  restèrent  dans  ses  cartons  jusqu'au  jour 
où  le  prince  Roland  Bonaparte ,  avec  la  libéralité  qui 
lui  a  valu  depuis  longtemps  la  reconnaissance  du 
monde  savant,  s'offrit  à  les  reproduire  en  même 
temps  que  les  estampages  de  la  grande  inscription 
de  Kiu-yong  koan;  c'est  ainsi  que  le  recueil  des  Do- 
cuments de  r époque  mongole,  publié  en  1896  par  le 
prince  Roland  Bonaparte,  se  trouve  contenir  la  plus 
riche  collection  de  textes  en  écriture  'phags-pa  qui 
ait  jamais  vu  le  jour. 

Dans  deux  articles  du  Journal  asiatique^,  Devéria 
donna  la  traduction  de  la  partie  chinoise  de  ces 
cinq  inscriptions.  L'une  de  ces  stèles  présentait 
Toriginal  mongol  du  fameux  édit  de  1 3 1  /i  par  le- 
quel Bouiantou  khan  exemptait  des  taxes  les  reli- 
gieux bouddhistes,  chrétiens  et  taoïstes;  Devéria  le 
commenta  en  y  joignant  une  série  de  témoignages 
qui ,  de  1221  à  iSyi,  attestent  l'existence  continue 
des  chrétiens  en  Chine  et  jettent  quelque  lumière 
sur  leur  situation  vis-à-vis  du  Gouvernement  mongol. 
Ce  travail  devra  être  consulté  par  tous  ceux  qui 
s'occuperont  des  premières  destinées  du  christia- 
nisme en  Chine. 

La  propagation  des  religions  étrangères  en 
Extrême-Orient  était  un  des  sujets  qui  attiraient  le 

^  G.  Devéria:  Notes  d'épigraphie  mongole-chinoise  (Jbnm.  asiaU, 
juillet-août  1896,  p.  94-128,  et  nov.-déc.  1896,  p.  395-4d3). 


386  NOVEMBRE-DEGEMBRE  1899.    « 

plus  Tesprit  investigateur  de  Devéria;  il  cherchait  à 
surprendre  l'instant  oii  les  croyances  venues  d'Occi- 
dent faisaient  leur  apparition  en  Chine;  l'oreille  at- 
tentive, il  écoutait  tomber  goutte  à  goutte  dans  le 
vieil  Empire  ces  infdtrations  lentes  d'oii  se  forment 
plus  tard  les  grands  courants  d'idées  et  de  passions 
qid  entraînent  les  cœurs  et  les  esprits  des  foules  et 
qui  menacent  d'emporter  un  jom*  l'édifice  suranné 
delà  morale  confucéenne.  Au  moment  du  centenaire 
de  l'Ecole  des  langues  orientales ,  Devéria  publia  un 
mémoire  *  dans  lequel ,  à  l'occasion  du  récit  de 
voyage  d'un  pèlerin  musulman  chinois  en  Arabie 
(i84i-i848),  il  faisait  la  critique  des  traditions  in- 
digènes relatives  à  l'introduction  du  mahométisme 
dans  l'Empire  du  Milieu  et  citait  les  textes  histori- 
ques qui  précisent  la  date  des  plus  anciennes  rela- 
tions des  Arabes  avec  les  Chinois. 

Un  des  derniers  articles  qu'ait  écrits  Devéria  est 
encore  consacré  à  un  point  d'histoire  religieuse^. 
Dans  une  inscription  de  l'année  176/i,  l'empereur 
K'ien-long  identifie  les  ancêtres  spirituels  des  musul- 
mans avec  les  Mo-ni  dont  il  est  question  à  diverses 
reprises  dans  l'histoire»  chinoise.  Devéria  publia  cette 
inscription  et  la  traduisit  ;  il  la  fit  suivre  d'une  dis- 

'  G.  Devéria  :  Origine  de  l'islamisme  en  Chine  (Centenaire  de 
l'Ecole  des  langues  orientales  vivantes,  p.  3o5-355;  iSgS). 

*  G.  Devéria  :  Musulmans  et  manichéens  chinois  [Journ,  asiat., 
nov.-dér.  1897,  P-  ^^^•^^^)'  —  L'identité  des  Mo-ni  et  des  Mani- 
chéens a  été  aussi  soutenue  avec  de  bonnes  raisons  par  J.  Mar- 
(|uart  :  Historische  Glossen  zu  den  alttùi'kischen  Inschriften  (  fViener 
Zeitschrift  fur  die  kunde  des  Morgenlandes ,  vol.  XII,  p.  1  «y  3- 180.] 


.  xXOTICE  SUR  GABRIEL  DEVERIA.  387 

sertation  dans  laquelle  il  s'attachait  à  prouver  que 
les  Mo -ni  n'étaient  par  des  musulmans,  mais  des 
manichéens;  il  systématisait  les  quelques  renseigne- 
ments qu'on  peut  glaner  dans  les  auteurs  chinois 
sur  la  religion  de  Mo-ni  et  en  tirait  un  résumé  de 
l'histoire  du  manichéisme  en  Chine. 

Je  terminerai  ici  cette  courte  notice.  Devéria  n'a 
pas  voulu  qu'on  prononçât  de  discours  sur  sa 
tombe;  je  crois  ne  pouvoir  mieux  parler  de  lui  qu'en 
donnant  à  ces  pages  la  brièveté  des  textes  lapidaires 
dont  il  fut  si  curieux  de  son  vivant.  En  tous  lieux  et 
en  tous  temps,  les  inscriptions  les  plus  fréquentes 
sont  les  inscriptions  funéraires  et  i'épigraphie  n'est 
le  plus  souvent  que  l'exploration  dune  vaste  cité  des 
morts;  cette  nécropole,  les  hommes  l'ont  édifiée  en 
gravant  sur  la  pierre  leurs  regrets  et  leurs  louanges 
pour  que  l'oubli  ne  les  recouvre  pas  de  ses  vagues 
silencieuses  ;  et  nous  de  même,  avant  de  poursuivre 
plus  solitaires  le  pèlerinage  au  cours  duquel  nous 
tomberons  à  notre  tour  quand  notre  heure  sera . 
venue,  nous  avons  voulu  dresser,  à  la  place  où  nous 
a  quittés  notre  compagnon  de  route ,  la  stèle  qui 
commémore  la  tristesse  de  la  séparation. 


388  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899.. 


NOTICE 

SUR  LE  CHEIKH 

MOHAMMED   ABOU   RAS  EN   NASRI 

DE  MASCARA 
(extraits  de  son  autobiographie) 

PAR 

LE   GÉNÉRAL   G.  FAURE-BIGUET. 

(suite.) 


En  iîi6  (1801),  je  me  rendis  à  Fès,  où  je  fis  la 
connaissance  de  tous  les  savants  de  la  ville;  c'est  là 
qu'on  me  donna  le  surnom  de  hcifid. 

Un  jour,  un  des  plus  considérables  d'entre  eux 
me  pria  de  lui  prêter  mon  commentaire  de  Kharachi 
intitulé  La  Perle  des  gloses.  Quelque  chose  m'avait  in- 
disposé, en  sorte  que  je  refusai  d'abord  ;  puis  comme 
il  insistait,  je  prêtai  le  livre  en  disant  :  «  C'est  peu 
de  chose  en  regard  de  ton  mérite  ;  le  consentement 
efface  en  un  instant  toute  faute  ».  Il  se  mit  alors  à 
travailler,  à  examiner,  à  critiquer  et  à  couvrir  de  ses 
observations  la  marge  de  ma  glose  qui  fut  toute 
abîmée.  Combien  l'imam  Ël-Gabsi  a  raison  de  dire  : 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       389 

«  H  n'y  a  de  meilleur  cheval  pour  changer  que  celui 
qu'on  a  emprunté  ».  Quant  à  moi,  je  n*eus  pas  de 
peine  à  rétorquer  victorieusement  toutes  les  objec- 
tions. Les  autres  cheikhs  blâmèrent  la  manière  de 
faire  de  ce  savant,  qui  me  redemanda  le  livre  et  se 
mit  à  coiTiger,  effacer  et  gratter  avec  tant  d'ardeur 
qu'il  fit  un  trou  au  papier.  On  peut  le  voir  encore 
aujourd'hui. 

A  quelques  jours  de  là,  il  m'invita  à  un  grand 
repas.  «  Celui  qui  est  invité ,  me  dis-je ,  doit  accepter.  » 
Je  me  rendis  donc  à  cette  invitation.  Pendant  que 
les  mets  circulaient,  quelqu'un  s'étant  mis  à  boire, 
je  m'empressai  de  lui  dire  :  Çahha  (  santé)  ^  On  se 
mit  à  rire.  «  De  quoi  riez-vous,  demandai-je?  —  Tu 
viens  d'employer  un  mot  qui  n'est  usité  que  chez 
les  gens  du  commun.  »  J'étais  mécontent  au  point 
que  les  dents  me  claquaient  de  mauvaise  humeur. 
«  Hé  bien!  repris-je,  que  pouvez-vous  dire  au  sujet 
de  cette  règle  de  politesse  à  laquelle  tout  le  monde 
se  conforme  ?  —  C'est  un  usage.  —  Hé  quoi  !  vous 
ne  connaissez  aucun  texte,  aucune  citation  à  ce  sujet? 
—  Quel  texte,  demanda-t-on ?  — Khafadji^  a  écrit 
que  c'était  une  règle  de  la  soanna,  tandis  que  l'au- 
teur du  Madkhel  soutient  que  c'est  une  innovation  : 
et  vous  ne  connaissez  rien  de  ces  deux  textes!  Vous 
vous  appuyez  seulement  sur  l'usage!  »  Or  il  y  avait 
là  l'illustre  cheikh  Tayeb  ben  Queirân.  Cette  discus- 

(^^  Cette  anecdote  est  racontée  deux  fois  dans  Tautobiographie. 
(^^   Ahmed  ben  Mohammed  ben  Omar  Cbebab  ed-dîn  el-Khafadji , 
cadi  des  cadis,  savant  du  Caire  mort  en  1669. 


390  NOVEMBRE-DECEMBRE 'J899. 

sion  Tennuyait,  et  il  était  appuyé  sur  le  côté.  Quand 
il  m  entendit  parler  de  textes  et  de  citations,  il  se 
redressa  sur  son  séant,  comme  fît  El-Mamoun  qui 
se  redressa  également  sur  son  séant  quand  il  fut 
repris  pour  une  faute  de  langage,  lui  qui  avait  la 
prétention  d'être  un  puriste ,  par  Nader  ben  Ghamii. 

Je  leur  citai  alors  ce  récit  à'Oammou  Aimana,  es- 
clave du  Prophète ,  rapporté  par  Khajadji  :  «  Le  Pro- 
phète (saluts) ,  s'étant  levé  pendant  la  nuit,  alla  uriner 
dans  une  jarre  qui  était  dans  un  coin  de  la  chambre. 
M'étant  levée  moi-même,  comme  j'avais  soif,  je  bus 
le  contenu  de  la  jarre,  sans  soupçonner  ce  que 
c'était.  Quand  le  matin  fut  venu,  le  Prophète  me 
dit  :  «  Lève-toi  Oummou  Aïmana,  et  jette  le  contenu 
de  «  cette  jarre.  —  Mais ,  répondis-je ,  j'ai  bu  ce  qu'il  y 
«  avait  dedans.  »  Alors  le  Prophète  se  mit  à  rire  et 
me  dit  :  «  Par  Allah  !  tu  n'auras  jamais  mal  au 
ventre.  »En  effet,  cette  femme  ne  fut  jamais  malade 
jusqu'au  jour  de  sa  mort. 

Je  citai  également  les  opinions  d'ibn  Djauzi ,  d'Ibn 
Dahih ,  et  ce  qu'on  lit  dans  le  Madkhel.  Suivant  les 
uns ,  cette  esclave  ne  s'appelait  pas  Omnmou  Aïmana , 
mais  Barqa  ;  suivant  d'autres ,  ce  furent  bien  là  deux 
esclaves  différentes,  à  chacime  desquelles  il  arriva 
une  aventure  analogue.  On  a  fait  observer  que  la 
plupart  des  accidents  sont  dus  à  l'excès  du  boire  et 
du  manger,  et  que  dès  lors,  il  est  naturel  de  faire 
un  souhait  pour  écarter  ces  accidents.  Mais  on  a 
l'ail  également  remarquer,  que  le  souhait  du  Pro- 
phète s'appliquait  à  un  cas   tout  particulier  :  son 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRÏ.        391 

esclave  avait  bu  de  lurine  qui  pouvait  la  rendre  ma- 
lade, etc. 

On  rendit  alors  justice  à  l'exactitude  de  mes  ci- 
tations. 

J'eus  un  jour  une  conversation  avec  ce  cheikh 
Tayeb  ben  Queirân  au  sujet  de  ces  paroles  du  Pro- 
phète :  «  Trois  choses  me  plaisent  en  ce  monde  : 
les  femmes  et  les  parfums ,  et  j'ai  mis  ma  consolation 
dans  la  prière.  »  Il  prenait  ce  hadits  dans  son  sens 
apparent,  mais  j'objectai  :  «  La  prière  nest  pas  une 
chose  de  ce  monde  ;  la  troisième  chose  dont  a  voulu 
parler  le  Prophète ,  c'est  de  manger  par  exemple  des 
sauterelles.  C'est  tout  à  fait  un  usage  des  Arabes  de 
mentionner  plusieurs  choses  en  général ,  et  d'en  dé- 
tailler seulement  une  partie.  Il  est  dit  dans  le  Coran  : 
«Vous  y  verrez  les  traces  de  miracles  évidents;  là 
«  est  la  station  d'Abraham  (m,  91).  »  Aucune  autre 
chose  n'est  mentionnée ,  comme  pourraient  l'être  ce 
fait,  que  les  oiseaux  ne  se  posent  pas  en  cet  endroit, 
ou  la  mort  des  oppresseurs ,  ou  la  réunion  des  gens 
qui  y  viennent  de  toutes  les  parties  du  monde  habité. 
Un  poète  a  dit  de  même  : 

«  Temim  est  formé  de  trois  parties  :  un  tiers  est 
«  formé  par  les  esclaves ,  et  un  tiers  par  leurs 
«  maîtres.  »    . 

• 

H  n'indique  pas  quel  est  le  troisième  tiers ,  qui  est 
formé  par  les  nobles  de  la  tribu.  Un  autre  poète 
a  dit  : 

«  Trois   choses   auxquelles  j'étais    autrefois   très 

xi\.  26 


IVrnINKME    fATIIt»AlV. 


302  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1809. 

«adonné,  ont  mangé  mon  bien  :  le  vin,  la  viande 
«bien  grasse  accommodée  de  safran;  je  n*ai  pas 
«  cessé  de  les  aimer  passionnément.  » 

Il  s'abstient  de  citer  la  troisième  chose  qui  n'est 
autre  que  le  blé.  Le  ^  qui  précède  le  mot  «  ac- 
commodée » ,  est  un  y  d'état;  il  signifie  l'état  de  la 
viande  assaisonnée  de  safran. 

Là  dessus ,  Tayeb  ben  Queirân  se  tut. 

Quand  ce  cheikh  mourut,  Fès  fut  bouleversé* 
tout  le  monde  fut  affligé  ;  chacun  prononça  son  orai- 
son funèbre  et  ses  louanges.  Le  sultan  et  tous  ses 
courtisans  assistèrent  à  l'enterrement.  C'est  bien 
ainsi  qu'ont  été  traités  les  grands  savants  dans  tous 
les  pays.  Quand  Ismaïl  ben  Abbad  mourut,  le  std- 
tan  suivit  à  pied  son  enterrement,  et  s'assit  pour 
entendre  la  consolation.  Il  en  fut  de  même  à  la 
mort  du  chérif  Tlemsani  et  de  bien  d'autres. 

Je  me  rencontrais  souvent  dans  le  medjles  du 
caïd  de  Fès  avec  un  des  grands  de  la  ville ,  le  cheikh 
Hamdoun  aussi  distingué  comme  littérateur  que 
comme  jurisconsulte  ;  nous  nous  récitions  des  vers. 
Le  caïd  ayant  entendu  de  ma  bouche  im  grand 
nombre  de  finesses  et  de  choses  agréables,  me  fit 
cadeau  d'un  excellent  étalon  de  ses  haras,  l'éhte  de 
ce  qu'il  possédait.  Que  Dieu  maintienne  la  fraîcheur 
sur  son  tombeau  ! 

J'eus  l'occasion  de  m'adresser  pour  diverses  ques- 
tions au  cheikh  Abd  el-Qader  ben  Cheqroun  qui 
était  à  la  fois  un  grammaiiûen  solide  et  un  fin  litté- 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       3W 

rateur.  Il  ne  s  arrêtait  pas  longtemps  à  réfléchir  et 
allait  plus  vite  que  la  demande  même  du  question- 
neur. Ayant  appris  que  les  savants  de  Taza  s'étaient 
brouillés  avec  moi,  il  leur  écrivit  :  «  Gomment  pou- 
vez-vous  ne  pas  honorer  un  hafid  qui  est  connu 
dans  tout  le  Levant?  »  Il  m'écrivit  ime  lettre  que  j'ai 
encore  actuellement,  et  dans  laquelle  il  loue  mon 
grand  commentaire  des  sécunces  de  Hariri. 

Pendant  ce  séjour  à  Fès  ,  je  fis  hommage  au  sul- 
tan Soleïmân  d'un  de  mes  commentaires  sur  Hariri, 
ainsi  que  de  l'Aqiqa,  et  j'en  reçus  en  récompense  un 
.riche  cadeau.  Un  jour  que  je  me  trouvais  dans  son 
medjles,  il  me  dit  :  «Un  pèlerin  m'a  assuré  que 
l'imam  Abou  Hanifa  est  enterré  au  Caire.  —  Dieu 
te  donne  la  victoire,  répondis-je.  Celui  qui  est  en- 
terré au  Caire  est  le  cheikh  Mohammed  el-Hanefi , 
qui  est  un  grand  saint  du  rite  hanéfite  du  vin*  siècle , 
contemporain  du  cheikh  Ali  ben  Mohammed. 
Quant  à  l'imam  Abou  Hanifa,  il  est  mort  à  Baghdad 
et  fut  enterré  dans  l'ouest  du  Kheirazân  en  l'an  io5 

(7^3). 

Il  me  questionna  un  jour  sur  la  limite  du  Magh- 
reb extrême.  Je  lui  répondis  :  «  Ibn  Khaldoun ,  la 
place  à  Oudjda.  Cette  limite  a  été  fixée  à  nouveau 
par  ton  aïeul  le  sultan  Ismaïl,  et  par  les  Turcs 
d'Alger  au  commencement  du  xii*  siècle.  —  Quant 
à  moi,  me  dit-ii,  mon  avis  est  que  cette  limite  est 
la  ïafna  ».  Puis  il  se  tut^ 

^  Le  sultan  Soleimàn  aurait  donc  voulu   pousier  ses  limites  à 

a6. 


394  NOVEMBRE-DËGEMBRE   1899. 

Il  me  questionna  également  sur  les  rois  saadiens , 
sur  les  Beni-Ouattâs  ^  et  sur  certains  personnages  re- 
ligieux. Je  lui  répondis  ce  que  je  savais,  et  je  vis 
qu'il  avait  des  connaissances  étendues  sur  la  chrono- 
logie, la  généalogie  et  Thistoire  des  Arabes,  sciences 
dont  se  nourrissaient  autrefois  les  princes.  Je  lui  dis 
que  le  royaume  des  Saadiens  s'effondra  en  loSg 
(i65o).  Peut-être  quelqu'un  d'entre  eux  a-t-il  sub- 
sisté. «Il  en  est  resté  deux,  me  répondit-il,  dans 
Fès  le  neuf;  je  ne  connais  que  ces  deux  hommes  qui 
aient  survécu  dans  la  misère  à  la  chute  de  la  puis- 
sance de  leur  famille.  » 

Quand  vint  le  moment  du  départ,  je  me  rendis 
pour  m'embarquer  à  Martil  qui  sert  de  port  à  Té- 
touân;  mais  il  fallut  attendre  un  vent  favorable,  et 
pour  utiliser  mes  loisirs,  je  mis  au  net^  un  com- 
mentaire de  mon  poème  Les  Manteaux  de  soie,  sur 
la  prise  d'Oran,  et  je  l'intitulai  :  Jardin  de  la  consola- 
tion composé  dans  le  port  de  Tétoaân.  Je  l'envoyai  au 
sultan  Soleïmân  qui  me  fit  parvenir  une  riche  ré- 
compense par  l'intermédiaire  du  gouverneur  de 
Tétouân. 

Je  revins  à  Mascara  où  ma  présence  était  désirée 
par  le  Bey  ;  que  Dieu  lui  donne  la  victoire  '  !  Je 

Test  de  manière  à  posséder  tout  le  territoire  compris  entre  notre 
frontière  actuelle  et  la  Tafna. 

'  Branche  des  souverains  mérinides  du  Maroc. 

^  vsm2io  «je  copiai,  je  mis  au  net»;  peut  aussi  simplifier  «je  com- 
posai ». 

^  Le  retour  à  Mascara  dut  a>oir  lieu  en  1S02,  année  qui  suivit 
celle  du  départ  pour  Fès.  Or  en  i8o;i,  le  hey  Otmân  fut  remplacé 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        395 

passai  d'abord  par  Tlemcen  (probablement  en  1 802). 
J'ai  entendu  dire  que  l\ooo  savants  sont  enterrés 
dans  cette  ville.  Un  jour  j'étais  assis  avec  le  descen- 
dant de  l'un  deux,  et  il  vit  le  mot  Jôi  écrit  à  tort 
avec  un  ^.  «  C'est  une  faute ,  dit-il ,  on  doit  l'écrire 
avec  un  là .  »  Je  regardai  le  Camous,  et  vis  qu'il 
avait  raison.  Dieu  est  le  plus  savante 

Plus  tard  nous  fûmes  enveloppés  dans  la  sédition 
des  Derqaoua^  qui  commença  à  la  fin  de  safar  1220 
(mai  i8o5).  Nous  n'y  étions  cependant  pour  rien. 
Alors  se  succédèrent  pour  moi  la  crainte ,  la  faim  et 
l'épouvante;  je  jetais  de  côté  mes  livres  sur  lesquels 
l'oubli  passa  à  un  tel  point  que  les  araignées  y  tis- 
sèrent leurs  toiles.   Puis  le  ciel  s'éclaircit,  et  je  me 


remis  à  écrire. 


par  Mostafa  el-Manzali.  Il  s'agit  donc  ici  d'un  de  ces  deux  beys  ;  je 
penche  plutôt  pour  le  second.  Il  est  vrai  que  Bou-Ras  a  placé  dans 
ses  Voyages  extraordinaires  un  éloge  d'Otmân.  Mais  d* abord  cet 
éloge  ne  tire  pas  à  conséquence  ;  en  second  lieu ,  quand  il  fut  com- 
posé ,  Otmân  n'était  pas  encore  bey,  et  n*avait  pas  encore  révélé  les 
tristes  qualités  qu'il  montra  depuis.  Au  contraire,  Bou-Ras  était  en 
bons  termes  avec  Mostafa  qui  lui  donna  une  somme  pour  bâtir  sa 
bibliothèque.  Il  est  vrai  que  Mostafa  ne  fut  pas  un  guerrier  victo- 
rieux: mais  le  souhait  de  victoire  ne  tire  pas  non  plus  à  consé- 
quence. 

'  J'ai  cité  cette  anecdote  insignifiante  parce  que  la  leçon  n'a  pas 
profité  à  Bou-Ras.  Il  a  continué  à  faire  la  même  faute  dans  les  ma- 
nuscrits que  nous  croyons  être  de  lui,  et  a  été  fidèlement  imité  par 
les  copistes.  La  confusion  des  deux  lettres  est  fréquente  dans  l'ouest, 
où  elle  est  favorisée  par  la  prononciation  locale. 

-  Secte  tirant  son  nom  de  Sidi  el-Arbi  né  à  Derqa,  près  Fès. 
Après  avoir  été  maîtres  de  tout  le  beylik  de  Touest,  moins  Oran, 
en  i8o5,  ïh  furent  chassés  ou  détruits  par  le  bey  Mohammed  Mc- 
Lailech. 


a06  NOVKMBRË-DÉGEMBRE  180Q. 

En  1  aa6  ( 1 88 1),  je  partis  une  seconde  fois  pour 
le  pèlerinage.  Je  passai  de  nouveau  par  Tunis  où  je 
descendis  chez  le  mufti  Si  Mohammed  ben  d-Mah- 
djoub.  C'est  dans  cette  ville  que  Si  Ibrahim  er- 
Riahi,  après  avoir  iu  certaines  de  mes  œuvres, 
composa  en  mon  honneur  une  admirable  cacida  de 
cinquante-huit  vers.  Le  sultan  de  Tunis  lui  avait 
offert  les  fonctions  de  cadi,  et  lui  en  avait  envoyé 
Tinvestiture;  mais  il  refusa  et  renvoya  le  tout.  Voitii 
le  comble  de  la  piété  et  du  désintéressement. 

Le  bey  Hamouda-Pàcha,  ayant  entendu  parier  de 
moi,  voulut  bien  me  faire  appeler;  il  me  fit  asseoir 
et  me  questionna  sur  divers  sujets  où  je  le  satisfis 
complètement.  Mais  certains  savants,  ayant  connu 
les  honneurs  que  je  recevais,  en  conçurent  de  la  ja- 
lousie et  de  la  haine.  Leur  aniroosité  se  montrait 
dans  leurs  paroles,  mais  ce  qui  se  cachait  dans  leurs 
cœurs  était  bien  pis  encore.  Que  Dieu  leur  fasse  mi- 
séricorde .  et  purifie  leurs  vêtements  de  Fordure  de 
envie  1 

Je  revis  également  le  Caire  où  j'eus  de  nombreux 
entretiens  avec  les  savants  de  la  ville.  C'est  dans  celle 
ville  que  je  vis  It*  ckeikh  malékite  Mohammed  d- 
tlmir,  natif  de  Mazouna,  mais  qui  (ut  élevé  en 
hlgypte  et  qui  y  mourut  en  iq33  (i8i8).  Voici  qaî 
prouve  son  grand  savoir,  sa  sainteté  et  sa  vertu.  Le 
pacha  du  Caire,  malgré  la  majesté  de  son  autorité 
et  sa  haute  situation,  venait  à  pied  le  féliciter  aux 
(It^ux  grandes  fêtes  de  Tannée.  Voilà  bien  conunent 
les  savants  ont  été  traités  par  les  sultans,  les  énùrs 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.       397 

et  même  les  khalifes  qui  étaient,  sans  conteste,  au- 
dessus  de  tout.  Haroun  er-Rachid ,  qui  commandait 
à  tant  d'hommes,  venait  avec  ses  deux  fils  El-Amin  et 
El-Mamoun  chez  Malik. 

Çalah  ed-din  (Saladin)  vint  avec  empressement  à 
Alexandrie  pour  y  entendre  les  hadits  de  la  bouche 
du  hafid  Selfi. 

J'eus  également  pour  professeur  le  chaféite  Si  Abd- 
allah Cherqaoui,  cheikh  de  la  mosquée  d'El-Azhar 
qui  fut  construite  en  369  (883).  Quand  les  infidèles 
entrèrent  au  Caire  et  imposèrent  aux  Musulmans 
un  sequin  par  fenêtre  ^  il  protégea  ses  concitoyens 
de  toute  sa  force  et  de  tout  son  pouvoir.  Ses  bons 
conseils  ne  firent  point  défaut.  H  n'eut  de  haine  que 
contre  les  infidèles;  au  contraire,  il  suivit  toujours  la 
voie  de  l'honneur  jusqu'au  jour  où,  après  trois  an 
nées ,  Dieu  délivra  les  habitants  qui  pendant  tout  ce 
temps  avaient  été  dans  la  soufi&*ance  et  dans  l'op- 
pression. 

Ce  fut  dans  ce  second  pèlerinage  que  je  rencontrai 
à  la  Mekke  des  savants  ouahabites.  Après  de  longues 
conversations  avec  eux,  je  m'aperçus  que,  pour  les 
règles  pratiques ,  ils  s'éloignent  des  quatre  rites  ortho- 
doxes; mais,  pour  les  principes,  ils  sont  hanba- 
lites. 

Je  me  rendis  ensuite  à  Médine,  et  là,  avec  les 
savants  de  la  ville,  j'allais  bien  souvent  au  tombeau 

'  On  voit  par  ce  détail  peu  connu  que  notrç  première  importa- 
tion en  bjgypte  pendant  la  campagne  de  Bonaparte  fut  Timp^t  des 
portes  et  fenêtres. 


co98  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

du  Prophète  (saluts),  ainsi  qu'à  ceux  de  ses  compa- 
gnons Abou  Bekr  et  Omar.  Dieu  les  accueille  ! 

De  là  je  me  rendis  en  Syrie  où  j  eus  Toccasion  de 
m'entretenir  avec  des  savants  au  sujet  d'une  question 
de  legs  pieux ,  sur  laquelle  a  écrit  le  cheikh  Abou- 
Zakaria  ben  el-Khattab  (Dieu  lui  fasse  miséricorde  !  ). 
Notre  examen  de  cette  question  dura  longtemps;  à 
la  fin ,  ils  se  rangèrent  à  mon  avis  et  me  donnèrent 
raison  ;  c'est  ainsi  qu'agissent  les  vrais  savants.  Enfin , 
quand  je  voulus  partir,  ils  réunirent  pour  moi  beau- 
coup d'argent  et  de  provisions,  et  ils  m'accompa- 
gnèrent en  me  faisant  leurs  adieux. 

Je  visitai  ensuite  Ramla,  puis  R'azza,  où  nous 
visitâmes  le  tombeau  de  notre  seigneur  Hachim, 
bisaïeul  du  Prophète  (saluts).  Les  savants  et  les 
principaux  personnages  de  cette  ville  me  donnèrent 
l'hospitalité  et  me  traitèrent  avec  distinction.  Quand 
nous  eûmes  discuté  un  certain  temps ,  ils  reconnurent 
mon  mérite,  ma  science  et  mon  érudition.  On  ap- 
pelait autrefois  cette  ville  R'azza  de  Hachim ,  comme 
on  le  voit  dans  le  vers  suivant  d'Abou  Nouas  : 

...  se  dirigeant  eo  troupe  vers  R*azza  de  Hachim. 

Ce  nom  s'écrit  avec  un  fatha  sur  le  J. 

De  là ,  je  me  rendis  à  El-Arich  ;  mais  je  n'y  trouvai 
aucun  savant  à  qui  je  pusse  m'adresser  ou  demander 
assistance.  Je  visitai  aussi  Jérusalem. 

L'année  suivante  1227  (1 8 1  a) ,  je  revins  du  pèle- 
rinage. Qu'on  me  permette  de  placer  ici  quelques 
mots  sur  ma  bibliothèque  qui  éveille  en  moi  le  sou- 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        399 

venir  de  la  générosité  de  deux  beys.  Cette  masria  fut 
élevée  par  mon  ami  généreux  et  bienfaiteur  chéri, 
le  bey  Mostafa ,  aujourd'hui  enterré  à  Médéa.  Que 
Dieu  parfume  et  rafraîchisse  son  tombeau  !  J  y  en- 
voyai par  un  de  mes  élèves  une  pièce  où  se  trouvait 
la  phrase  suivante  :  «  Que  Dieu  te  construise  une 
demeure  dans  le  Paradis,  comme  tu  as  construit 
pour  moi  une  bibh'othèque ,  sans  me  faire  sentir  ce 
bienfait  par  aucun  mauvais  procédé  !  » 

Cette  bibliothèque  a  été  lobjet  de  la  cacida  sui- 
vante ,  composée  par  un  de  mes  élèves  : 

Dieu ,  quelle  goubba  !  Sa  beauté  et  son  éclat  sont  incom- 
parables ;  la  plus  brillante  appartient  au  plus  brillant  ; 

L'air  semble  rabaissé  par  son  élévation  ;  on  y  contemple  la 
beauté  vêtue  et  à  nu  ; 

Les  Gémeaux  lui  tendent  leurs  mains  pour  serrer  la  sienne  ; 
la  lune  qui  brille  au  sommet  du  ciel  en  est  voisine  ; 

E^e  dit  à  celui  qui  y  vient  avec  ravissement  :  Contemple 
ma  perfection  et  tu  éprouveras  une  douce  joie  ; 

J*ai  été  construite  pour  les  travaux  de  la  science  et  pour 
sa  propagation  parmi  ceux  qui  viennent  le  soir  ou  le  matin 
me  visiter; 

Interroge  qui  tu  voudras,  tu  apprendras  aussitôt  que  je 
suis  { comme  )  l'onagre  dont  la  chasse  est  la  plus  émouvante 
de  toutes  ; 

Je  surpasse  les  goubbas  d'Ibn  Nasr  et  de  Nacir,  bien  que 
par  leurs  dimensions  elles  défient  toute  ressemblance  ; 

U  y  a  une  grande  différence  entre  ce  qui  n*a  été  élevé  que 
pour  le  plaisir,  et  ce  dont  on  compte  les  mérites  sans  en 
trouver  la  fin  ] 

Que  peut-on  comparer  à  la  science  pour  la  puissance  et 
l'élévation  ?  On  la  voit  habiter  dans  mes  flancs  et  y  recevoir 
l'hospitalité  ; 


400  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    I80tt. 

Mon  maître  bien-aimé  Abou-Ras  en  est  le  propagateur;  U 
m'en  a  parfumée ,  U  en  parfume  quiconque  s'adresse  à  loi; 

Il  est  sans  conteste  le  plus  grand  auteur  de  ce  siède  ;  il 
abreuve  les  altérés  avec  Teau  limpide  de  la  science  ; 

Il  en  est  aussi  rhistorien,  le  grammairien,  Timam,  le  ha- 
ûd.  La  première  place  lui  appartient; 

J*en  atteste  les  principaux  parmi  les  Arabes,  ainsi  que  l«i 
chefs  parmi  les  sectateurs  des  rites  orthodoxes; 

Que  le  salut  de  EHeu  soit  sur  lui ,  tant  qu'il  paraîtra  comime 
le  soleil  levant,  tant  qu'il  éclairera  de  sa  lumière  la  terre  et 
les  hommes  ! 

Quand  je  voulus  la  faire  blanobir  à  neuf  et  réparer 
certaines  parties  détériorées ,  j'en  parlai  au  bey  Mo- 
hammed ben  Otmân^.  Celui-ci  m'envoya  cent  riais 

Ml  y  a  ici  un  anachronisme  dont  ia  rectification  eit  difficile.  Les 
beys  qui  se  succédèrent  à  Oran  à  cette  époque  furent  : 

1802-1805,  Mostafa  el-Manzaii  ; 

i8o5-i8o7«  Mohammed  Mekdech,  fils  de  Mohammed  ei-Kebir, 
étranglé  pour  sa  mauvaise  conduite  ; 

1807,  Mostafa  une  seconde  fois; 

1807-1812,  Mohammed  Bou-Kahous,  célèbre  par  sa  férocité  et 
sa  fin  tragique; 

1813-1817,  Ali  Kara-Bargii,  gendre  de  Mohammed  ben  Otmân 
(el-Kebir),  excellent  hey  qui  aima  à  s'entourer  de  savants. 

Quand  Rou-Ras  revint  de  son  second  pèlerinage  en  1819,  Mo- 
hammed hen  Otmân  était  mort  depuis  quatorze  ans  ;  il  ne  put  donc 
pas  donner  à  cette  épocpe  les  cent  mahboubs.  Voici  une  hypothèie 
qui,  sans  être  complètement  satisfaisante,  permettrait  d'expliquer 
cette  contradiction.  Mostafa  ût  construire  la  goubba  étant  bey,  entrt 
1802  et  i8o5.  Vers  1810,  Bou-Ras  s'adressa  pour  les  réparations 
à  Ali  Kara  qui  n'était  pas  encore  bey,  mais  auquel  il  donna  néan- 
moins ce  titre  parce  qu'il  Tobtint  plus  tard  ;  il  en  reçut  les  cent 
riais;  seulement  par  un  lapsus  extraordinaire,  il  lui  substitue  le 
nom  de  son  beau-père  Mohammed  ben  Otmftn ,  qui  n*avait  pu  être 
pour  rien  dans  aucun  des  dons.  Enfin  en  181 3 ,  au  retour  du  pèle- 
rinage ,  il  trouve  son  bienfaiteur  Ali  Kara  devenu  bey,  et  il  ap  ob- 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.        401 

qui  suffirent  complètement  à  la  restauration.  C'était 
avant  que  je  le  quittasse  pour  aller  en  pèlerinage. 
Dieu  lui  fasse  miséricorde  ! 

Quand  je  revins  du  pèlerinage  en  lasy  (1812), 
il  me  donna  cent  mahboubs  (sequins).  Après  sa 
mort,  je  me  rendis  à  son  tombeau,  je  pleurai  et 
j'invoquai  la  miséricorde  divine,  en  disant  entre 
autres  choses  :  «  Salut  sur  toi ,  ô  Iman ,  qui  es  abrité 
dans  la  maison  du  salut!  Tu  as  bu  à  la  coupe  à  la- 
quelle boivent  tous  les  hommes;  tu  t'es  trouvé  le 
front  humilié  et  la  force  affaiblie  en  suivant  la  même 
règle  que  ton  père  et  ton  aïeul.  Après  la  destruction 
de  tes  espérances,  tu  n'as  plus  trouvé  que  tes  bonnes 
actions.  Je  demande  à  Dieu  qu'il  te  console  dans  ton 
isolement,  qu'il  arrange  pour  toi,  dans  l'autre  vie, 
ce  qui  t'a  peiné  dans  celle-ci ,  etc.  » 

Me  voici  arrivé  à  la  fin  de  ma  rihala.  Louange  à 
Dieu  qui  m'a  guidé  jusqu'à  ce  point  !  Je  n'aurais  pas 
suivi  une  bonne  voie ,  si  je  ne  l'avais  pas  eu  pour 
guide.  Les  messages  de  Dieu  m'ont  apporté  la  vérité; 
mes  ouvrages  le  citent  fréquemment.  Dieu  est  celui 
qui  nous  approuve. 

Je  donnerai  maintenant  ia  liste  des  ouvrages 
grands  ou  moyens  que  j'ai  composés  ^  : 

tient  les  cent  mahboubs.  L'éloge  funèbre  du  mort  apporte  peu  de 
lumière.  J'en  ai  cité  la  seule  partie  qui  l'écarte  un  peu  de  ia  ba- 
nalité habituelle.  Bou-Ras  semble  y  faire  ailuaion  à  des  maibeun. 
Or  rinfortuné  Ali-Kara  fut  étranglé  par  ordre  du  dey  Omar,  à 
cause  de  ses  vertus  mômes.  Bou-Ras  dit  qu'il  se  rendit  à  son  tom- 
beau, mais  ii  ne  dit  pas  où. 

'  Ceci  indique  que  les  opuscules  ne  sont  pas  cités.  Lm  mots  placés 


402  NOVEMBRE-DËCEMBRE  1899. 

Le  Coran. 

1.  J^-hOJ  J-fJJl  ^  (5^^*)s^t  jUa^^  ^j^\^ 
yXMé.xx}\  Is.  JI^^AAMJûJI  ^  Ja)«>JI  «  La  réunion  des  deux 
mers  et  le  lever  des  deux  astres^,  par  la  grâce  du 
Tout-Puissant  en  faveur  de  son  humble  serviteur, 
pour  faciliter  la  science  de  l'explication  du  Coran  », 
im  trois  tomes  comprenant  chacun  vingt  chapitres. 
Jy  ai  fait  de  grands  emprunts  à  i'Aoufya ,  à  Zamakh- 
chariy  à  Beïdaoïiiy  à  Ibn  Atia  et  à  d'autres  encore. 

2.  2;ljJaJt^  2-*'>^'  Ji;*^'^  }}r^  ^  "^^^  "  Les 
perles  étincelantes  et  les  broderies,  notes  sur  El- 

Kherraz  ». 

Les  Hadits. 

3.  *^]^^  Js>^^  ^j^  45>  cjUXJI  v::>L>^l  «  Les  signes 
manifestes^,  commentaire  des  Dalaïï  el-Kheirat  ». 

entre  parenthèses  dans  certains  titn»s  ne  ligunml  pas  dans  l*aiito- 
biop[raphie ,  où  ils  paraissent  avoir  été  oubliés ,  car  ils  sont  néces- 
saires ail  sens.  Ils  ont  été  relevés  dans  des  listes  difféi*entes  de  cet 
ouvrage. 

*  On  peut  entendre  que  les  deux  mers  et  les  deux  astres  sont 
quatre  commentateurs  différents,  ou  simplement  les  deux  plus 
connus,  Zamakhchari  et  Beïdaoui. 

^  Ce  titre  ainsi  donné  dans  Tautobiographie  a  été  reproduit  par 
les  copistes;  mais  il  me  paraît  inversé;  il  est  probable  qu'il  faudrait 
le  lire  comme  il  a  été  traduit  :j)yll  Jb£  *Xt^«ub  '^\^\y  ^1^^  ))^  • 
Abou  Abdallah  Mohammed  ben  Mohammed  Ibrahim  ech-Cherichi 
(de  Jerez),  connu  sous  le  nom  de  El-Kherraz,  est  Taute.ur  du 
poème  intitulé  :  ^^\yiJ\  ^\  ^  (jl«ji^)  ù^y»  «  Abreuvoir  de  rhommp 
altéré  sur  le  texte  du  Coran». 

*  Ces  trois  mots  sont  tirés  du  (x)ran,  ii    Oi'S, 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.        403 

UUjw  ^  «  Les  clefs  du  Paradis  et  sa  sublimité,  au 
sujet  des  hadits  sur  le  sens  desquels  les  savants  ne 
sont  pas  d'accord  ». 

«  Le  glaive  dégainé ,  au  sujet  des  hadits  que  j'ai 
rapportés  sur  l'autorité  du  cheikh  Mortada^  ». 

Le  Droit. 


perie  du  collier  des  gloses  sur  le  cou  des  commen- 
taires de  Zerqani  et  de  IQiarachi  »,  en  six  volumes. 
J'ai  rapporté  dans  cet  ouvrage  les  opinions  de  plu- 
sieurs grands  savants,  entre  autres  le  cheikh  Mos- 
tafa  et  Mohammed  ben  el-Hasan  el-Benani,  com- 
mentateur de  Zerqani. 


7.  J;t^JLJi  (j^  ^  45?  J)\y  plî^ilt  «  Jugements 
solides  sur  quelques  affaires  juridiques  ». 


«  Poème  remarquable  sur  des  règles  pratiques  de 
droit  qui  sont  rarement  citées  dans  les  textes ,  mais 
dont  l'application  est  fréquente.  » 

9.  ^^Js^-b  ^1  ^  (^JiXJI  caS^I  «  L'astre  brillant, 
au  sujet  de  la  variole ,  vice  rédhibitoire  •>. 

'  On  a  vu  que  Mortada  babitait  le  Caiixï,  el  qu'il  délivra  à  Bou- 
Uas  un  diplôme  flatteur. 


404  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1809. 

10.    ^^iyi;L^I  ^  C;)>^t>>t  «Iji;  ^  (<KJU»)«  (SoUTCe 

authentique)  de  ce  que  disent  les  savants  au  sujet 
de  la  peste  ». 


11.  ^^t  jU!^  iMuH^  ^1  xà*  o.A^  ^  iu^ 

^U  ^Uyi  ^Â3  c.^^  (s^  «  Quelques  mots  d^une  haute 
portée  sur  lexposition  de  la  doctrine  d'Abou  Ha- 
nifa ,  et  Les  fruits  de  Tintelligence ,  sur  l'exposition  de 
la  doctrine  de  Timam  Malik  »  *. 

La  Grammaire. 

12.  Lçi3  I4J  ^  ^  ^t  iUuJt  »;«3JI  «  La  perle  in- 
comparable et  sans  prix  »,  grande  glose  sur  le  com- 
mentaire de  Makoudi. 

13.  x^uï^^l  Ju^  ^:>^t  ^j^  M^'  ^î=^'  «  Les 
signes  probants^,  sur  le  commentaire  de  Makoudi 
sur  TAlfiya  ».  Petite  glose. 


lidité  des  approvisionnements  au  sujet  de  la  manière 
de  voyeller  ^  yS^  et  ^tj  ^  «4^^  ». 


^  n  y  a  peut-être  là  deux  ouvrages  distincts. 

-  On  pourrait  aussi  comprendre  IjPs  nombreux  botis  mots;  mais 
lin  savant  indigène,  familier  avec  les  subtilités  de  Bou-Ras,  pense 
quMl  faut  prendre  0X3  dans  le  sens  de  «  signes  tracés  par  terre  avec 
le  doigt». 

'  Bou-Ras  nous  apprend  qu  un  jour,  à  Oran ,  devant  le  bey  Mo- 
hammed el-Kebir,  il  lui  arriva  de  dire  ^^.û^vS'avec  un  fatha.  Un 
haut  fonctionnaire  nommé  Si  Mohammed  hen  el-Hasan,  qui  était 


..tis^jalik' 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        405 

15.  i^^  ^y  Jjia^\  ^  kJ^aiL  ^  «  La  satis- 
faction  du  besoin  » ,  pour  la  connaissance  des  pré- 
faces de  l'Alfya. 

Les  Rites. 

16.  A^^î  C35Vxâi.t  ^J^  iUilt  Â^^  «La  miséricorde 
pour  les  peuples  «  au  sujet  des  différences  entre  les 
imams  ». 

17.  ^LjT^t  «>,>L«^  ^  ^U^l  sji^t^J^  «  L  ornement 
de  1  entendement,  au  sujet  des  questions  sur  les- 
quelles on  est  généralement  d'accord  ». 


«  L'abondance  des  dons,  au  sujet   des  différences 
entre  les  quatre  rites  ». 


1 9.  ^L4JûE^I  ^  iUOoU  ^  dU^^I  ^^  «  Le  fond 
du  ravin  ou  Les  sens  profonds  pour  enhardir  (le  sa- 
vant) dans  ses  efforts  ». 

Le  Taouhid  et  le  Soufisme. 

20.  S^yl\  ^  »y^t  ^  3^  ^  ^yi  ^  ^1  ^; 
aMI  Ik^  ^1  ^^  Jt  «  Les  fleurs  des  coteaux  » ,  com- 
mentaire   des   apophtegmes,  ou   Faveur  de  Diêu 

présent,  le  reprit,  et  cela  lui  donna  l'occasion  de  composer  cet  ou- 
vrage. On  trouve  cotnme  variante  du  litre  î  ^bUI  I^Jk^  «Satisfaction 
du  désir». 


406  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

pour  conduire   à   Texplication   de  louvrage   d'Ibn 
Ata  Allah. 


21.  pLJ^:iH3  o>^t^  ^N^yJt  (^  *M  i^M  V^^' 
(S,^XJii\^  «  Recueil  concernant  une  partie  du  taouhid 
et  du  soufisme,  les  saints  et  les  fetoua  ». 

22.  JsJLuJlt  SJSjy  jJomU  i^U^  (c  La  satisfaction  du 
croyant  et  la  dure  épreuve  du  critique  »  sur  le  grand 
commentaire  de  Snoussi,  qui  lui-même  a  été  com- 
menté par  le  cheikh  El-Hasan  el-Yousi. 

J'ai  marché  dans  son  chemin  et  coulé  dans  son 
moule. 


j*^^  pLJ^t  ^  ^^Lftilt  ^i>  ^  if^\  («  Éclaircisse- 
ment de  Tobscurité  »)  ou  («Lumière  de  Jupiter», 
variante);  «  commentaire  de  Y^lqd-en-Nefis  («  collier 
précieux  »)  sur  les  principaux  personnages  parmi  les 
saints  de  la  plaine  de  GhVis  »  \ 

24.  (jl^yt  «>'^  ^^^  J^ '^  "^  ZT^  '^  Connnentaire 
de  la  perle  d  argent  du  cheikh  Abd  er-Rahmân  ». 


25.  ^  .C-^^  i|;-r?LM  JbutI  ^  oL^'  ^j^  oljull  v^ 
»ytL«Les  voiles  enlevés  et  les  rideaux  écartés,  au 
sujet  des  proverbes  courants,  des  belles  sentences 
el  des  prédications  entraînantes  »  dus  au  cheikh  Si 

^  Voir  lu  note  de  la  page  i8  au  sujet  de  V'L/d-en-NeJis,  ainsi 
que  rou>rage  numéroté  45. 


>iOTlCE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        407 

Moslim  ben  Abd  ei-Qader,  et  mis  en  ordre  alpha- 
bétique. 

26.  C3yâx!t  L^S^  Jl  c»ySéJù\  «  Coup  dœil  sur  les 
règles  du  soufisme  ». 

Lexicologie. 

27.  fjéjjùixi\  oU^  Jl^  O^^IàII  pLuiô  «  La  lumière  du 
flambeau  sur  le  Camous.  » 


<^y5^3  «  La  solidité  sur  les  fondements  du  Camous, 
abrégé  de  Azhari  et  de  Djaouhari.  »  Le  premier  de 
ces  ouvrages  n  a  pas  été  terminé  à  cause  de  la  rareté 
des  matériaux  permettant  d  atteindre  le  but  désiré. 

29.  ^UJt  ^:^^\  iûiî  ^  jLê^\  2*;  «  Le  prix  élevé, 
au  sujet  des  termes  employés  pour  les  huit  espèces 
de  festins.  » 

Eloquence. 

30.    [sic)  âj^-XjJt  ^jJt  .Sx^y^XJ^  Js,  jLtilt    Jui 

«  L'obtention  des  désirs  »  sur  fabrégé  de  Sâd  ed-Dîn 
et-Taftazani. 

Logique. 

3  I .  i^JéJ\  ^j^  ^  Jk^Jl!  JyiJI  «  Le  pur  langage, 
commentaire  du  Soulam.  » 

\iv.  .37 

iMraiMi'.KiE  «ATioxâi.r. 


408  NOYEMBRE-DÉGEMBRE  1899. 


Les  Principes. 

Quand  j'ai  écrit  pour  commenter  Mahalli  et  les 
Ouçoul ,  Dieu  ma  donné  la  mémoire  et  les  moyens 
nécessaires  pour  arriver  à  écrire  ces  feuilles,  dans 
Tespoir  qu'elles  seraient  mises  au  net  le  jour  terrible 
(du  Jugement  dernier)  ^ 

La  Prosodie. 

j\j  «  La  niche  des  lumières,  dont  la  lampe  (littérale- 
ment rhuile)  éclaire  sans  qu  aucun  feu  Tait  touchée  » , 
au  sujet  du  poème  El  Armaz  el  Aoaafi  sur  la  science 
du  mètre  et  des  rimes. 

Histoire. 

33.  gj^l  ^  (^  gjU>:ult  iyt^j  «  La  ileur  des  ra- 
meaux dattiers ,  sur  la  science  de  Thistoire.  »  J^ai 
suivi  Ibn  Khaldoun  et  d'autres. 

34.  J^l  »^  Jt  AjuXil  jy  ^  4^1^  ^1  «  Les 
vœux  et  les  demandes  s' étendant  depuis  la  création 
jusqu'à  la  mission  du  Prophète  » ,  avec  des  récits  sur 
les  génies  tels  que  Tahdis  et  Serdjân. 


*  Bou-Has  aurait  donc  écrit  sur  les  OuçouI  im  ouvrage  dont  il 
ne  nous  donne  pas  le  titre. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        409 

35.  oLâP^I  ^  c^i^ill  Jc^^  (j4ry>  4jl^*NJt  Jâ  «  L'on- 
dée des  nuages,  au  sujet  des  compagnon»  du  Pro- 
phète qui  sont  venus  dans  le  MaghVeb.  » 

36.  il^LijJsJl  L^^y^  ^  ii^tjLiJt  p^à  «  L'écartement 
du  malheur,  au  sujet  des  guerres  des  Derqaôua.  » 
Ces  guerres  commencèrent  à  la  fin  de  safar  lîaao 
(mai  i8o5).  Dieu  nous  garde  de  toute  révolte  ou- 
verte ou  cachée  M 

37.  ijLàJI  (JyJI  J.^  iCJt*>J!  ^Ull  «Les  signes  in- 
dicateurs, sur  les  nations  égarées.  » 

38.  JjîLiJt  MyMA  Jl  JjLéj}\  «  Le  moyen  de  parve- 
nir à  la  connaissance  (de  la  filiation)  des  tribus.  » 

39.  Le  poème  intitulé  :  ^^  Un3  aaamJouJI  JJLiL 
i^sMj4Xi^l  5^4Xa]I^  «Les  manteaux  de  soie  fine,  au 
sujet  de  ce  qui  s'est  passé  de  l'autre  côté  du  détroit 
en  Espagne 2.  »  Et  ses  deux  commentaires  intitulés, 
le  premier  : 


^  On  a  vu  que  Bou-Ras  avait  souffert  des  suites  de  dette  sédition , 
bien  qu'il  en  fût  lout  à  fait  innocent,  assure-t-il. 

^  Cest  là  le  titre  donné  dans  l'autobiographie.  Dans  le  commen- 
taire II,  on  trouve  :  JL^jJ^I  <y.)43  u'r^3  iJ^  <s9  ^■^JsJi.^H  JJiL 
«les  manteaux  de  soie  fine,  au  sujet  d'Oran  et  de  la  Pé&instde 
espagnole»'^  ce  titre  est  plus  exact,  puisqu'il  est  parié  d'Oran  dans 
la  cacida  qui  a  précisément  pour  but  de  c^ébrer  la  prise  de  cette 
ville.  On  trouve  aussi  la  variante  :  ^«xi^L^  ^«».  i^fkf  (^^U^t  ^jt^^ 
^)yftjl9  «  la  perie  précieuse ,  sur  ce  qui  s'est  passé  en  Espagne  et  à 
Oran.  » 

27- 


410  NOVEMBRE-DECEMBRE   1899. 

'ijyàA  ^yô^  «  Récits  surprenants  propres  à  élucider 
ce  qui  s  est  passé  en  Espagne  et  dans  les  places  du 
Magh  reb  »  ;  et  le  second  : 


Cl  Histoire   extraordinaire   de   ce   qui   s*est  passé    à 
Oran  et  en  Espagne  par  le  fait  des  infidèles  »  ;  et  : 

^I^Lbu  f^i^,  iôOJil  ^tjXwJt  iijiô^^  «  Jardin  de  la  con- 
solation composé  dans  le  port  de  Tetouân  ^  ». 

42.  ^^^  ^L-uM^jij  ^^  pLiU^t  pUl  (s^^^t  i^Ljj 
pUmI  ^^  ^ti^ju  ^j^A«.^l  «  Avertissement  aux  contempo- 
rains ignorants  par  Thistoire  des  princes  et  des 
chefs,  avec  indication  de  ceux  qui  furent  bons  ou 
mauvais  ». 

43.  jj«llô^  (s^  «4^  45*  ^JJiayÂi\  Joi  «  La  suite  du 
Cartas,  au  sujet  des  rois  des  Beni-Ouattâs.  » 

44.  ibOsjuJI  J^UI  ^  ib2»^^l  ^j^^  ^  ^^  tieuT  du 
rosier,  histoire  des  rois  saadiens  »  de  Tan  g  1 8  (i  5 1  a) 
à  fan  loSg  (1649). 


45.  Ji  ^^^  s*  ■*^.  *>  Jt  (^  »«x-A->  45-?  t-^«^*iJI  ^3j* 
«-^^3  4^^t  c^v^Jt  «Les  monnaies  d'or  de  bon  aloi, 

'  11  est  certain  que  ce  dernier  ouvrage  est  un  commentaire  de 
la  cacida.  L'auteur,  après  avoir  annoncé  deux  commentaires,  donne 
trois  titres;  il  faut  que  le  troisième  titre  soit  une  variante  pour  le 
second  comm(uitairc. 


NOTICE  SUR  MOHAIVIMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        411 

contenant  un  peu  de  généalogie,  et  des  renseigne- 
ments sur  les  personnes  qui  se  piquent  de  noblesse  ^  » 

46.  fl^t  ^^  U^  ^^.x^t  (:r^  J^  ^  p^t  ^ 

-^JLiJI  V  Le  Récit  certain,  au  sujet  de  tous  ceux  qui 
ont  inventé  quelque  chose  dans  une  branche  quel- 
conque de  la  science.  » 

Poésie. 

47.  :>LxJL  ooL  ^^  ^  ùLiu^\^  jjL«-^!  «  Bonnes 
nouvelles  et  heureux  événements,  commentaire  de 
Banet  Souâd  ».  Dans  ce  commentaire  de  Toeuvre  du 
célèbre  poète  Kab  ben  Zoheïr,  j'ai  suivi  Jbn  Hicham 

pt  Abd  el-Latif. 

48.  t^j^JfJ^  x-A-^^  zj^  (^  V;^'  J^  «  L'Obtention 
des  choses  nécessaires,  commentaire  de  la  Lamiet 

el-Arab  »  de  Chanfara.  Toute  la  chasse  est  dans  le 
ventre  de  ronagre'-. 

49.  ^\  '»^^  »Jwâ3  ^  ^^t  AJ|)t   «  La  Fin  de 

^  Ce  furent  sans  doute  cet  ouvrage  et  celui  porté  sous  le  n**  23, 
qui  blessèrent  les  vanités  nobiliaires  des  concitoyens  de  Bou-Ras. 
Le  premier  sens  qui  se  présente  à  Tesprit  est  :  «les  prairies  d'or»; 
mais ,  d'après  les  indigènes ,  ^3v»  doit  être  pris  ici  avec  le  sens  de 
«  lingots  »  qui  n'est  pas  donné  par  les  dictionnaires.  Je  pense  qu'il 
faut  lire  ^  jy*  «  monnaie  de  bon  aloi  » ,  titre  qui  convient  bien  à 
un  ouvrage  ayant  pour  but  de  faire  un  triage  dans  la  noblesse. 

^  Ce  proverbe  équivaut  à  :  C'est  le  dessus  du  panier.  Il  est  placé 
là  pour  rimer  avec  Chanfara. 


413  NOV£MBa£-D£C£MBRE    18Q0. 

rhéiitation  au  sujet  de  la  Lamiet  el-Adjem  »  de 
Toghraï.  Combien  de  savant»  iont  oommentéal 
Combien  de  conteurs  l'ont  citée  ! 

50.  JsjuâJI  AiljXM»  vijjM  ^J^  «Nju^yi  a  Le  seuil  » , 
commentaire  de  la  Selouanet  es-Cid  ^ . 

51.  iuuÂxJt  '^yiè  ^  iUuS^t  5;jJI  ((  La  perle  pré- 
cieuse, commentaire  de  TA^i^a»'^. 

52.  Second  commentaire  du  même  ouvrage  : 
^I«>ul1I  iitXjuAii  (^t^t  zy^ S^J^  «Broderie,  com- 
mentaire du  Mirdasi  sur  la  cacida  de  Mendasi  ». 

53.  Troisième  commentaire  :  ^^  ^  k^^I  ^ 
aMI  «x^  ^t  AJUÂ^  «  L'assistance  de  Dieu,  commen- 
taire sur  VAqiqa  dlbn  Abdallah  ». 

54.  Quatrième  commentaire  :  «X-^uuJt  gçLlI  ^j*<JI 
j^^uuw  à^âJI  AÂAÀ^  ^yi^  ^  «  La  course  profitable  et 
heureuse,  commentaire  sur  YAqiqa  du  cheikh  Saïd  »• 

55.  Cinquième  commentaire  :  ^  iôJsjou*JI  iUUL 
ib«>uuuMJI  ff4KAA4i}l  ^JSé»Le  manteau  fortuné,  com- 
mentaire  de  la  cacida  de  Saïd  ». 

56.  Sixième  commentaire  :  ««Xjuâi  ^ym  ^  ^U4t 
^Jjè^^  ^1  «  La  perle  d  argent,  commentaire  de  la 
cacida  d'Abou  Otmân  ». 

'  Poème  où  il  ast  question  de  la  rhasse. 

^  Voir  pagt)  xi,  qiitdquns   renseignernents  sur  VAqiqa  et    son 

iuileur. 


\OTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        413 

57.  Septième  commentaire   :    {^j^  c,%»»fî!  iJl^) 

(«Le  divertissement  de  Tami,  commentaire  du) 
poème  du  littérateur  au  mérite  personnel,  qui  ré- 
unit les  éloges  ordinaires  avec  ceux  en  forme  amou- 
reuse M ,  soit  au  commencement  du  poème ,  soit 
ailleurs  ^ 

Voilà  sept  commentaires;  mais  le  oheikh  Resszouq 
en  a  composé  plus  de  vingt  pour  les  Hikam  d'Ibn 
Atallah.  Le  cheikh  Ahmed  Baba  a  dit,  dans  sa 
Satisfaction  de  celui  qui  en  a  besoin  pour  le  Deil  ed 
Dihadj  :  «  Parmi  ces  commentaires,  je  me  suis  arrêté 
surtout  sur  les  1 4',  i  5'  et  i  y®.  » 

58.  Hi^yl]  ^jm  Ajyô^t  Jol^yiw  Les  parterres  agré- 
ables, commentaire  de  la  GKoutya  ». 

59.  '»j)^  ilJy^l  ZJ&  ^  hI^^^  Oly^t)  «Les 
lumières  du  descendant  de  Djalil,  commentaire 
de  la  cacida  de  IQielil  «^  . 

60.  ^lAdît  iliXft  ^  ^l^t  v^  «  Le  meilleur  de  mes 
écuelles,  sur  le  nombre  de  mes  professeurs  ». 


^  Cet  éloge  bizarre  n'est  pas  dû  seulement  aux  nécessités  de  la 
rime.  Il  s'explique  aussi  par  la  forme  étrange  que  l'auteur  de 
VAqiqa  a  donnée  à  la  louange  de  ses  héros.  Voir  ce  qui  a  été  dit  à 
ce  sujet ,  page  xi. 

^  On  a  vu  que  deux  ancêtres  de  Bou-Rtt  t'appelaient  Djdil. 


4J4  NOVEMBRE. DÉCEMBRE  1899. 


6 1 .  (s^^)  ^«^^^'  (^  d>^  3  cs^^  ^  ^^^  vêtement 
et  mon  présent,  au  sujet  du  nombre  de  mes 
voyages  ». 

62.  &V.CU  A^>^^l  (^  iUxi^t  ^\j^i\  «  Les  profits 
écrasants,  au  sujet  des  réponses  qui  ferment  la 
bouche  à  toute  objection  ». 

63.  A  *i  y  y  -k  t^  ^^t  pl«Xx«  ^  x^\S\^  y^\  »ôyj 
«Quelques  calices  de  fleurs,  au  sujet  de  mes 
points  de  départ  et  d'arrivée  ». 

J'avais  écrit  au  sujet  de  la  cacida  d'Amroul  Qaîs 
dont  le  commencement  est  JcaJ  \xà  en  faisant  des  ci- 

tations  d'après  les  grammairiens  \  ainsi  que  sur  la 
maqçoura  d'ibn  Doreïd,  mais  ces  ouvrages  ont  été 
détruits  avant  d'être  mis  au  net.  Que  Dieu  me  guide 
dans  ce  qui  viendra  plus  tard,  par  la  protection  de 
mes  ancêtres  !  S'il  accomplit  mon  désir  en  retardant 
pour  moi  le  trépas,  je  ferai  sur  le  Çahih  de  Bokhari 
un  commentaire  qui  sera  comme  un  torrent  large  et 
rapide. 

Maintenant  j'ai  mis  à  cette  robe  les  enjolivements 
de  la  fin.  Elle  contient  quelques  fleurs  avec  leurs 
calices,  au  sujet  de  mes  débats  et  de  mon  point 
d'arrivée. 


'  D'après  un  biographe,  cet  ouvrage  s'appelait  :  fj^\  ••^iCît 
viJ^j  ^L5  j--JUi  y\  Âjï^i)  ^ wi  ^»  «La  parole  >irtorieuse,  commen- 
taire de  la  Ldniia  d'Amrou'l  Qaïs  :  Qifa  nebki.  » 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRI.        415 

Si  j'ai  énuméré  mes  ouvrages  et  Tensembie  de 
mes  compositions ,  c  est  à  Texempie  de  Timam  Soyouti, 
En  effet,  il  a  énuméré  ses  œuvres  dans  les  beautés 
de  la  discussion  sur  les  Chroniques  de  TEgypte  et 
du  Caire.  Elles  sont  au  nombre  d'environ  3oo, 
depuis  dix  volumes  jusqu'à  un  seul  feuillet.  Après 
lui,  je  ne  connais  personne  qui  ait  fait  plus  d'ou- 
vrages que  moi.  La  perfection  appartient  à  Dieu;  à 
Lui  la  louange  et  la  gloire.  Soyouti  mourut  (Dieu 
lui  fasse  miséricorde)  au  point  du  jour,  le  ven- 
dredi 1  7  de  Djomad  el  Ououel  8 1  i  (  1 4o8)  à  l'âge 
de  6i  ans  lo  mois  et  i8  jours.  Le  jour  de  sa 
mort,  une  foule  considérable  se  réunit  pour  son 
enterrement. 

J'ajouterai  que,  si  j'ai  cité  mes  ouvrages  par  leurs 
noms,  ainsi  que  les  éloges  dont  ils  ont  été  l'objet,  ce 
n'est  pas  par  orgueil,  mais  pour  célébrer  la  bonté 
de  Dieu  à  mon  égards  Quel  est  en  ce  bas  monde 
la  chose  qu'on  pourrait  désirer  par  orgueil?  Le  mo- 
ment du  départ  approche;  la  vieillesse  a  commencé, 
la  meilleure  partie  de  la  vie  est  passée.  Il  n'y  a  de 
force  qu'en  Dieu;  louange  à  Lui!  Il  est  le  maître  des 
mondes. 

Fin  de  l'Autobiographie. 


^  En  effet ,  dans  l'autobiographie ,  Bou-Ras  cite  complaisamment 
les  éloges  adressés  à  ses  ouvrages,  et  notamment  trois  longues  ca- 
cidas  en  son  honneur.  L'une  d'elles  est  dans  la  forme  amoureuse, 
c'est-à-dire  que  les  qualités  de  noire  cheikh  sont  assimilées  aux 
beautés  de  la  femme  et  vantées  avec  toutes  les  banalités  qui  rem- 
plissent les  poésies  arabes  du  même  genre. 


416  NOVEMBRE. DECEMBRE    180Q. 


TITRES  DIS  QUELQUES  OUVRAGES  DE  BOURRAS 
NON  CIT^S  DANS  UAUTOBIOOBAPHIB. 

des  frères  pour  expliquer  les  familles  et  les  tiîbiu 
des  génies  ». 

2.  p^t^  J^t  jLh^!  4  pjjJlt  oUim  <  Le  Chemin 
désiré  au  sujet  de  Thistoire  des  Turcs  et  des  Chré- 
tiens ». 

3.  UmuJ;^!  JjJL*  s  ptiMjuJI  AA^  «  Le  Cadeau  des 
hommes  distingués ^  au  sujet  des  rois  de  France». 

â.  ^  t'^J^\  (j^  ^^^y  f^^  ^  cf*AM*U]l  Jt^l  <t  Pa- 
roles fondamentales,  au  sujet  de  ce  qui  est  arrivé 
des  Français  et  de  ce  qui  en  arrivera  ». 

5.  (jx^)^  (s^  J^^i  4  (j^t  jMi\  «  La  Puissanoe 
solide  au  sujet  des  rois  mérinides  ». 


«  La  Faveur  du  généreux  au  sujet  des  différences 
entre  les  Zyanites  et  les  Abd-el-Ouadites.  Il  s*agit 
des  Zyanites.  rois  de  Tlemcen  ». 


•»-  f 


^  Bou-Ras  a  donné  la  forroe  yUi»  au  pluriel  de  j>»4^  et  de 
qui  en  réalité  est  jmUj  . 


NOTICE  S[]R  MOHAMMED  ABOU"  RAS  EN  NASRI.        417 

7.  iLj^iUUI  JjJUi^U^I  4  iM^UJI  i^ji\  «  La 
Fieur  céleste,  histoire  des  rois  alides  ». 

8.  iL>^,.C.M^irH  J)l3jJl  4  A^>îi  :>yuJI  a  Les  Colliers 
de  pierres  précieuses  au  sujet  des  événements  im- 
portants de  Mascara  ». 

9.  j-U^^I  ^  j-Jo.  jTd^j^à  4  j-Ljciill  jj^ 
«  La  Lumière  qui  s'allume  au  sujet  des  rois  de 
toutes  les  nations  ». 

10.  erl^l^^l^  ^jai^UjLi.1  4  ^UjJI  ^\ 
j^jAi\  4  ^jJt  Jt  iU^il  «Jv  (:^  «  Paroles  courantes 
sur  rhistoire  des  villes ,  villages  et  tribus ,  depuis  le 
commencement  du  monde  jusqu'à  la  trompette  du 
Jugement  dernier». 

11.  IJsib  Jl  ^^^^^  ^U)  ^  (^  4  J^ji\  ^ 
^UJI  «  La  Faveur  du  miséricordieux  au  sujet  de 
îa  noblesse  des  Beni-Zyân,  et  indications  de  leurs 
diverses  branches  jusqu'à  nos  jours  ». 

12.  vy^'  oUt«id  4  ^.ôj^l  yyii\  a  La  Lumière  écla- 
tante au  sujet  des  diverses  catégories  d* Arabes  ». 

13.  iUb)^^^.^!  ^  4  ^^ÎAjUâJI  o«^'  «Récits 
instructifs  au  sujet  des  Berbers  et  des  Zenata.  » 


^  Tous  les  copistes  écrivent  iUUi  ;  c'est  évidemment  une  erreur, 
car  ii  faut  un  mot  qui  rime  nvec  ^f^ij'^ , 


418  NOVEMBRE-DECEMBRE   1899. 

14.  Lj^\  ^yy^y  Jyo\  ^U^l  ^  o^^l  Jyi\  «  Fran- 
ches paroles  au  sujet  des  tiges  et  des  rameaux  des 
Arabes.  » 

15.  iuukMb^KjiJI  ^«3saJI  ^j^  4  ^hh'muJjo^I  j-'^'^^l  «  Les 
Eléments  des  Amlisi,  commentaire  de  la  lune  de 

Farisi  (?)!.)) 

16.  ^U^oJl  *.6^  ^yi  4  JôUl  JyUI  «  Les  Pa- 
roles stimulantes  commentaire  de  la  Lamia  de  Da- 
miati  ». 

1 7.  *-fvJyi  Jô^  J^  4  ilfJll  Jlyill  «  Douces  pa- 
roles sur  le  poème  :  les  conditions  du  festin.  » 

18.  jJÉj^^l  *-«5;  ^j^  4  jl>3^l  (j*H-*  '*  L'Embrase- 
ment des  lumières,  commentaire  du  Parterre  de 
fleurs  ». 


19.   Jhs»-*»'  C:^'  Ç^^  zf^  4  JyuuJI  JyUt  «  La  pa- 
role fortunée,  commentaire  du  Mpqna  dlbn  Saidn. 


20.  ^t^  J^b  ^  JOL^  p^l  JUajt  4  dlUt  iCJI;» 
JJLJI  J^l  «Cessation  de  lobscurité,  au  sujet  de  la 
rupture  du  jeûne  chez  ceux  qui  se  conforment  à 
l'avis  des  astronomes  ». 

Fiufm ,  pour  terminer,  mentionnons  un  opuscule 

*  Amlisi  est  le  nom  d'une  tribu  marocaine. 


NOTICE  SUR  MOHAMMED  ABOU  RAS  EN  NASRl.        419 

de  Bou-Ras  qui,  réuni  à  des  ouvrages  d'autres  au 
leurs,  forme  le  volume  461 4  des  Manuscrits  arabes 
de  la  Bibliothèque  nationale.  Cet  opuscule  dont  le 
titre  n'est  pas  donné ,  est  relatif  à  Thistoire  d'Alger. 
Il  est  probablement  tiré  dun  commentaire,  car  dès 
le  commencement  l'auteur  renvoie  à  l'explication 
d'un  mot  donnée  précédemment. 

Quand  on  a  parcouru  cette  longue  liste  des  ou- 
vrages de  Bou-Ras,  sur  la  plupart  des  branches  du 
savoir  humain,  théologie,  histoire,  grammaire,  poésie, 
astronomie,  géographie  et  jusqu'à  l'art  vétérinaire, 
quand  on  s'est  fait  une  idée  de  leur  contenu  par  la 
quantité  extraordinaire  de  détails  de  toute  nature  que 
renferment  ceux  que  nous  connaissons ,  on  est  frappé 
par  le  travail  énorme  qu'ont  exigé  tant  de  recherches. 
On  est  surpris  en  même  temps  de  l'état  florissant 
des  études  à  cette  époque  dans  les  états  barbaresques. 
La  poésie  était  chose  courante  et  très  appréciée; 
malgré  l'état  constamment  troublé  du  pays ,  le 
nombre  des  jeunes  gens  s'adonnant  à  l'étude  était 
considérable;  Tlemcen,  Mascara,  Mazouna  étaient 
des  centres  scientifiques  importants.  Le  défaut  de 
livres  stimulait  la  mémoire  des  élèves;  nous  avons 
vu  que  notre  cheikh  ne  tolérait  pas  un  seul  livre  à 
ses  cours. 

Bou-Ras  apparaît  comme  le  principal  personnage 
et  l'illustration  de  ce  monde  intellectuel.  Aussi  son 
souvenir  s'est-il  conservé  très  vivace  dans  toute  la 
région  oranaise,  et  quoique  ses  œuvres  soient  peu 


420  NOVtiMBRE. DECEMBRE  1800. 

répandues,  on  n  en  parie  qu'avec  la  plus  haute  es^ 
time.  Son  activité  fut  vraiment  extraordinaire  ;  il  ne 
voulait  rester  étranger  à  aucune  science;  il  était  pas- 
sionné pour  celle  de  Thistoire.  Pour  Tétendue  et  la 
variété  de  ses  connaissances,  on  pourrait  le  com- 
parer à  Ibn  Khaldoun ,  auquel  cependant  il  est  très 
inférieur. 

Pourquoi,  malgré  son  esprit  pénétrant,  son  tra- 
vail acharné ,  sa  mémoire  prodigieuse  et  son  talent 
littéraire,  na-t-il  réellement  fait  progresser  aucune 
des  sciences  auxquelles  il  a  touché?  C'est  parce 
qu'il  lui  manquait  comme  à  beaucoup  dautetirs 
arabes  deux  qualités  essentielles  dont  Ibn  Khaldoun 
n  était  pas  dépourvu  :  Tindépendance  de  Tesprit  qui 
permet  à  une  saine  critique  de  choisir  ses  maté- 
riaux, den  comparer  la  valeur,  et  d  arriver  à  des 
conclusions  personnelles;  la  méthode  qui  permet 
tout  au  moins  de  classer  les  matériaux  dans  un  ordre 
logique,  en  laissant  à  d'autres  le  soin  et  la  facilité 
d'en  tirer  parti. 


LE  CROISÉ  LORRAIN  GODEFHOY  DE  ASCHA.      421 


LE  CROISÉ  LORRAIN 

GODEFROY  DE  ASCHA, 

D'APRÈS 
DEUX  DOCUMENTS  SYRIAQUES  DU  XIP    SIECLE, 

PAR 

M.  F.  NAU. 


I    ' 

M.  Marlîn  a  publié  dans  le  Journal  asiatique  '  deux 
textes  syriaques  écrits  les  i  o  février  et  26  août  1 1 38 
et  relatifs  surtout  à  un  seigneur  franc,  Tun  des  chefs 
de  la  première  croisade,  que  nous  nous  proposons 
d'identifier. 

1°  Ce  seigneur  se  nommait  Gonfré,  c'est-à-dire 
Godefroy  ^. 

^  Nov.-dée.  1888,  p.  471-4911  et  janvier  1889,  p.  33-8o. 

^  Dan»  le  premier  texte,  on  lit  quatre  fois  MiJLfCh^  (p*  43, 1.  4; 
p.  44f  i.  9;p.  45il«  9;p*  47,  L  6),  et  anefoi»»au^  (p«  49«1.  a), 
ce  qui  doit  se  lire,  semble-t-il,  Gonfroi  (ou  Gonfri),  d'où  GoffrCn 
et  Godfroi.  Le  second  texte  porte  seulement  |3^a^«  Gonfré  •  (p.  Sa, 
1.  7).  M.  Martin  a  transcrit  ce  nom  propre  par  Gonnejar,  ce  qui  eftt 
certainement  inexact,  puisqu'il  ne  transcrit  pas  la  dernièfe  lettre; 
il  propose  (p.  479  )  de  lire  Gattjfier  (de  La  Tour,  chevalier  originaire 


422  NOVEMBRE-DECEMBRE   1899. 

•2°  11  faisait  partie  de  la  première  croisade,  dont 
il  était  lun  des  chefs ,  et  contribua  à  la  prise  de  Jé- 
rusalem ^ . 

3''  C'était  un  seigneur  très  puissant,  qui  faisait 
échec  au  roi  Foulques  et  à  la  reine  Mélissende  eux- 
mêmes  2. 

Ix""  Il  était  «  parent  et  proche  »  de  Godefroy  de 
Bouillon  et  de  son  frère  Baudouin^. 

Enfin,  ajoutons,  comme  détail  intéressant,  que 

des  environs  de  Limoges);  il  aurait  dû  dire  Gaaffré,  car  la  con- 
sonne r  précède  l'i  ou  iV,  et  aurait  trouvé  que  Gauffré  (en  latin  de 
l'époque,  Gaufficdus  ou  Goffredus)  donne  encore  Godefroy.  —  Il 
suflit  de  parcourir  les  tables  des  Historiens  des  Croisades  (  voir  sur- 
tout Hist.  occid.,  1. 1,  JV  et  V)  pour  voir  que  le  d  du  mot  Godefroi 
tombait  très  souvent,  car  on  ne  trouvera  pas  moins  de  quinze  fois 
les  formes  Gaufridus,  Gojredus ,  Gaujredus, 

^  Journal  asiatique,  janyier  1889,  p.   ^2,1.  i/|.  ^  ^m.   U^%B 

j^^ioji  o^a^t^}  yajo»  JLâo*iD  JLiA«f  «un  Franc,  l'un  de  ces  pre- 
miers princes  qui  s'emparèrent  de  Jérusalem».  Cf.  p.  61,  1.  21  : 
«  Ce  prince . .  .  s'empara  des  endroits  et  du  pays  situés  tout  autour 
de  nos  fermes  de  Betb-*Arif  et  de  *Adecieh »,  et  p.  45,  1.  12,  ^ 
loo»  «oftoJB^I  |L»;Ud  loriOAfto  «  il  était  des  plus  célèbres  ». 

^  Cf.  p.  6G-G9.  Le  roi  Foulques,  pressé  par  la  reine  Mélissende 
d'être  favorable  aux  Jacobites,  ne  put  rien  obtenir  de  Godefroy, 
sinon  de  différer  le  jugement;  il  dit  alors  à  l'évéque  jacobite  :  «Tu 
ne  te  délivreras  pas  aisémeat  de  cet  homme.  Il  vaut  donc  mieux 
faire  à  présent  ce  que  tu  seras  obligé  de  faire  plus  tard ,  même  axfec 
mon  appui.  » 

^  P.  /|3,  I.  7  :  Udf  oo»dt  Ld^âd^  «a«w9o  liJ^-  moio^I  «Il  était 
parent  (ajpnis)  et  proche  du  roi  qui  régnait  alors».  Ceci  se  passait 
Ncrs  1 100,  donc  sous  le  règne  de  Godefroy  de  Bouillon,  ou  plutôt 
sous  celui  de  son  frère  Baudouin  1"  (1100-1118). 


LE  CHOlSt:  LORRALN  GODEFROY  DE  ASCHA.      423 

ce  Gonfré  ou  Godefroy  eut  en  Palestine,  vers  i  i  o/i , 
un  neveu  qui  hérita  de  ses  biens  et  que  sa  femme 
et  une  partie  de  sa  famille  semblent  établis  dans 
ce  pays  vers  i  i  35  *. 


II 


Si  nous  ouvrons  maintenant  les  Historiens  des 
croisades,  nous  trouvons  un  seigneur  —  et  pour 
l'inslant  nous  n'en  trouvons  quun  seul  —  qui 
réalise  toutes  ces  conditions. 

Il  se  nomme  Godefroy  de  Ascha,  ou  encore  Go- 
defroy, du  château  de  Ascha,  et  fut  avec  son  frère 
Henry  Tun  des  premiers  qui  prirent  la  croix  à  la 
suite  de  Godefroy  de  Bouillon,  duc  de  Lorraine. 

Ces  deux  seigneurs  de  Ascha  ne  sont  pas  men- 
tionnés moins  de  dix  fois  par  Albert  d'Aix  et  huit 
fois  par  Guillaume  de  Tyr^;  ils  figurent  toujours  à 
côté  des  chefs  de  la  croisade  et  parmi  les  guerriers 
les  plus  courageux.  En  particulier  Godefroy  de  Ascha 
qui  était  ex  nominatissimis  et  capitaneis  viris,  fut 
chargé ,  par  le  duc  de  Lorraine,  de  négocier  avec  le 
roi  de  Hongrie  le  passage  des  croisés  à  travers  ses 
Etats  ^    et  plus  tard  d'aller   trouver  Tempereur  de 


'  Cf.  p.  72  »  1.  lo,  et  p.  64,  1.  5. 

-  Voir,  dans  les  Historiens  occidentaux  îles  Croisades  ^  les  tables 
relatives  à  Guillaume  de  Tyr  et  à  Albert  d'Aix. 

•''  Cf.  Guillaume  de  Tyr,  II,  i,  p.  72,  et  Albert  d'Aix,  II,  n, 
j).  3oo.  (Les  pages  indiquées  sont  relatives  à  l'édition  in-folio  des 
Historiens  des  Croisades,) 

XIV.  28 


iMrniMRBie  a*Tio»*i.K. 


424  NOVEMBRE-DÉCëMBRE  1899. 

Constantinople  ^  Durant  le  siège  d'Antioche  en 
1097,  «  Cuno  de  Montaigu,  Henry  de  Ascha  et  son 
frère  Godefroy,  soldats  qui  causèrent  toujours  de 
grandes  pertes  aux  ennemis,  s'attachèrent  à  em- 
pêcher les  Turcs  de  sortir  d'Antioche  ou  dy  entrer. 
C'est  à  eux  qu'incombait  le  travail  le  plus  continu 
et  le  plus  pénible-.  » 

Ënfm  Albert  d'Aix  nous  apprend  que  «  Henry,  du 
château  de  Ascha ,  était  fils  de  Frédelon ,  an  des  coHa- 
téraux  da  dac  Godefroy  u^.  Ainsi  les  deux  seigneurs 
de  Ascha  étaient  parents  de  Godefroy  de  Bouillon 
et  de  Baudouin,  comme  l'auteur  syriaque  nous  a  dit 
que  l'était  Gonfré.  Ce  fait,  croyons-nous,  ne  doit 
laisser  aucun  doute  sur  l'identification  que  nous 
proposons.  On  remarquera  encore  que  Henry  par- 
tagea la  table  du  duc  de  Lorraine,  dont  il  était 
«l'homme»  (Albert  d'Aix,  IV,  54,  p.  427). 

Ajoutons  que,  d'après  les  Historiens  des  croisades, 
Henry  de  Ascha  mourut  de  la  peste  à  Turbessel  *. 
D'ailleurs  il  avait  emmené  avec  lui  un  certain  train 
de  maison ,  car,  d'après  Albert  d'Aix  et  Guillaume 
de  Tyr,  il  construisit  à  ses  frais  une  machine  de 
guerre  sous  les  murs  de  Nicée  et  la  garnit  de  ses 

*  Cf.  Albert  d'Aix,  II,  \i,  p.  3o6.  —  Guillaume  de  Tyr,  H,  vii, 
donne  ici  Henry  au  lieu  de  Godefroy  de  Ascha,  mais  il  confond 
deux  faits  :  Henry  alla  aussi  à  Constantinople,  mais  dans  une  autre 
occasion.  Cf.  Albert  d'Aix,  II,  viii,  p.  3o5. 

*  Albert  d'Aix,  III,  \xxix,  p.  366. 
^  Albert  d'Aix,  IV,  \xxv,  p.  4i3. 

Guillaume  de  Tyr,  VII,  i,  p.  278.  Albert  d'Aix,  V,  IV,  p.  439. 


LK  CROISE  LORRAIN  GODEFROY  DE  ASCHA.      425 

hommes  ^  II  put  donc  avoir  avec  lui  un  jeune  fils 
qui  serait  ainsi  devenu  son  héritier  et,  plus  tard, 
celui  de  Godefroy,  comme  nous  Ta  appris  lauteur 
syrien.  Après  la  prise  de  Jérusalem,  il  est  vraisom- 
hlable  que  Godefroy  de  Ascha,  fds  de  l'un  des  colla- 
téraux du  duc  de  Lorraine  devenu  roi ,  dut  se  créer 
un  fief  important. 

III 

Cherchons  maintenant  à  déterminer  le  lieu  d*ori- 
gine  de  Henry  et  Godefroy  de  Ascha.  Le  nom  Ascha 
est  très  fréquent  en  Lorraine  ^,  car  il  n'est  qu'une 
forme  dérivée  du  latin  Aqaœ  qui  donna  Aix,  Esch^, 
Asche,  Ache,  Aachen.  Aussi  nous  connaissons  déjà 
trois  villages  qui,  en  vertu  de  la  similitude  du  nom, 
revendiquent  les  seigneurs  Godefroy  et  Henry  de 
Ascha.  C'est  d'abord  Ouden-Esch ,  sur  laSalm,  cercle 
de  Witllich.  Ces  seigneurs  d'Esch  sont  originaires 

'  11  sV'tait  associé  pour  ce  travail  avecle  comte  Hennann  «unuii 
(le  majoribiis  Alemaniac».  Albert  d'Aix,  il,  xxx,  p.  332;  —  Guil- 
laume de  Tyr,  111,  vi,  p.  ii8. 

'^  11  existe  aussi  dans  la  NieJer-Bavière  un  village  de  Ascha  dont 
il  est  drjà  question  en  1220.  Cf.  Monumenta  Germaniœ  historica  : 
Epistolœ  saîculi  xiir,  Berlin,  i883,  p.  82.  Les  noms  propres 
Aesche,  Acli,  Esche  se  trouvent  souvent  aussi  dans  les  Necrologia 
Germaniœ,  Berlin,  1888,  dans  les  Mon.  Gcrm,  historica;  mais  il 
est  certain  que  les  Ascha,  parents  et  compagnons  de  Godefroy,  sont 
Lorrains  (Lotharingiens). 

^'  Nous  pouvons  témoigner  qu'une  ville  dénommée  Esch  sur  toutes 
les  cartes  (Esch-sur  l'Alzette,  grand-duché  de  Luxembourg)  eit 
toujours,  en  patois,  appelée  âclie  par  les  habitants  des  environs. 

28. 


426  NOVEMBRE-DECEMBRE  1899. 

■ 

de  Téleclorat  de  Trêves,  dont  ils  furent  fieffés, 
chambellans  héréditaires,  etc.  C  est  ensuite  Eschsar 
la-Sûre,  dans  le  grand-duché  de  Luxembourg ^  et 
enfin  Assche,  village  situé  dans  Je  Brabant  entre 
Bruxelles  et  Gand'^.  11  nous  semble  que,  pour  faire 
ces  identifications ,  on  n'a  pas  tenu  assez  compte  d'un 
passage  d'Albert  d'Aix  et  de  Guillaume  de  Tyr,  où 
il  est  dit  que  deux  parents  de  Henry  de  Ascha,  tués 
à  côté  de  lui  à  Antioche ,  étaient  «  de  Mechela ,  sur 
la  Meuse  »^.  Il  est  donc  naturel  de  chercher  le  lieu 
d'origine  des  Ascha  à  côté  de  celui  de  leurs  parents 
qui  les  avaient  accompagnés  en  Terre-Sainte.  Or  on 
ne  signale  qu'un  village  de  ce  nom  sur  la  Meuse  : 
c'est  Mechelen,  près  de  Maestricht.  Ajoutons  que 

^  Cf.  Publications  de  la  Section  historique  de  l'Institut  vojrcd  grand- 
ducal  de  Luxenibour(j ,  t.  XXXI ,  1876 ,  p.  1 49-309.  Histoire  du  bourg 
lit  Esclï-sur-Sùre ,  par  A.  Neyeu.  M.  Neven  réfute  au  même  endroit, 
p.  181,  l'opinion  qui  place  les  seigneurs  de  Ascha  à  Ouden-Esch. 

*  Cf.  Biographie  nationale  publiée  par  l'Académie  royale  des  science», 
lettres  et  beaux-arts  de  Belgique,  t.  1,  186G,  au  mot  assche.  Car  le 
biographe  belge,  pour  le  besoin  de  sa  cause,  écrit  Godejroy  de 
ASSCHA,  bien  que  ce  double  s  ne  se  trouve  ni  dans  Albert  d*Aix,  ni 
dans  Guillaume  de  Tjr.  —  On  trouve  dans  Albert  d'Aix  (H,  wwii, 
p.  327)  qu'une  religieuse  du  couvent  de  Sainte-Marie  ad  horrea,  à 
Trêves ,  reconnaît  en  Palestine  Henr\  de  Ascha ,  et  le  prie  d'inter- 
céder pour  elle.  On  ne  peut  cependant  ])as  en  conclure  que  Henry 
fût  du  pays  de  Trêves,  car  on  remarquera  qu'il  n'intercède  pas 
auprès  de  l'archevêque  de  Trêves,  qu'il  semble  ainsi  ne  pas  con- 
naître, mais  bien  auprès  du  duc  de  Lorraine,  pour  le  prier  d'agir 
sur  l'archevêque. 

^  Albert  d'Aix,  1\,  \x\Y,  p.  'ii3,  et  Guillaume  de  Tyr,  VI,  viii, 
p.  :î47.  M.  N'eyen,  pour  le  besoin  de  sa  cause,  change  sans  doute 
Mechela  sur  la  Meuse  en  Mechera  sur  la  Moselle ,  car  il  sup]M)S(!  qu'il 
s'agit  là  d(*  Greven -Mâcher,  village  situé  sur  la  Moselle. 


LK  CROISK  LORRAIN  GODEFROY  DE  ASCHA.      427 

Godefroy  et  Henry  de  Ascha  signèrent  comme  té- 
moins, dans  l'église  de  Saint-Gervais,  à  Maestricht, 
i  acte  de  vente  par  lequel  Ide  de  Boulogne  et  ses 
deux  fils  Godefroy  de  Bouillon  et  Baudouin  trans- 
portèrent au  chapitre  de  Sainte-Gertrude  de  Ni- 
velles, en  1 096,  les  alleux  de  Blaisy  et  de  Genappe  ^ 
11  semble  donc  à  nouveau  quils  devaient  habiter 
aux  environs  de  Maestricht  et  que  c'est  précisément 
à  cause  de  cette  proximité  de  leur  résidence  qu'ils 
signèrent  un  acte  passé  dans  cette  ville  ^. 

Ainsi,  à  notre  avis,  c'est  Godefroy,  né  dans  un 
château  de  Ascha,  aux  environs  de  Maestricht  (par 

'   D'après  la  biographie  belge  déjà  citée. 

-  On  peut  encore  remarquer  :  1°  qu'Albert  d'Aiv  est  notre  seule 
source  pour  l'histoire  des  y45cAa^  car  Guillaume  de  Tyr,  dans  les  pas- 
sages correspondants,  reproduit  Albert  d'Aix:  il  ne  lui  ajoute  en 
effet  aucun  récit  et  en  omet  ou  en  reproduit  mal  un  certain  nombre, 
par  exemple  les  visites  faites  par  Henry  et  Godefroy  de  Ascha  à 
Constantinople  et  la  construction  du  renard  dixx  siège  de  Nlcée.  Citons 
la  phrase  d'Albert  :  «Heinricus  de  Ascha,  Hartmanus  comes,  unus 
de  majoribus  Alemaniae»,  qui,  par  un  léger  changement,  devient  dans 
Guillaume  de  Tyr  :  «  comes  Hermannus  et  Henricus  de  Ascha  de 
regno  Theutonicorum  » ,  ce  qui  est  faux ,  car  Hermann  seul  était 
du  royaume  des  Teutons;  2°  qu Albert  d'Aix  nous  donne  de  minu- 
tieux détails  sur  ces  Ascha;  il  les  mentionne  plus  de  dix  fois,  nous 
apprend  que  leur  père  se  nommait  Fredelo,  nous  donne  les  noms. 
Franco  et  Sîgcmar,  dé  leurs  parents  tués  à  Antioche,  ensuite  nous 
apprend  que  ces  derniers  étaient  de  Mechela  sur  la  Meuse.  —  On 
pourra  peut-être  conclure  de  ces  remarques  que  les  Ascha  devaient 
habiter  non  loin  d'Albert  d'Aix ^  que  l'on  place  maintenant  à  Aix-la- 
ChapeUe ,  et  par  suite  devaient  bien  habiter  vers  Aix-la-Chapelle  et 
Maestricht.  On  s'explique  ainsi  que  cet  historien  ait  consacré  tant 
(le  pages  et  de  détails  à  ses  compatriotes.  —  Cet  argument  suppose 
qu'Albert  était  chanoine  d'Aix-la-Chapelle  et  non  d'Aix -en- PiX)- 
v(^nce. 


428  NOVEMBRE-DECEMBRE  1899. 

exemple  à  Ach  en-Campine),  qui  fut  prisonnier  en 
Egypte  durant  trente-trois  ans  et  eut,  avec  les  Jaco- 
bites ,  les  dénfièlés  racontés  jadis ,  dans  le  Journal  asia- 
tique^  d'après  les  deux  scribes  syriens  du  xn*  siècle. 

IV 

Terminons  par  quelques  remarques  sur  la  publi- 
cation de  M.  labbé  Martin. 

1°  Journal  asiatique,  nov.-déc.  i888,  p.  48i  : 
L'évêque  jacobite  de  Jérusalem  nommé  Thomas  est 
mentionné  dans  le  Catalogue  des  manuscrits  syriaques 
de  M.  Wright  (t.  T,  p.  ^65  et  267),  sous  les  années 
1007  et  j  006. 

2**  Ibid,y  p.  683,  et  janvier  1889,  p.  yS  :  Saba- 
barek  est,  d après  le  Dictionnaire  de  Payne  Smith, 
la  ville  actuelle  de  Suwerik  ^ 

y  Ibid.  p.  6 1 .  Le  village  nommé  par  M.  Martin 
^Adecieh  n'est  appelé  ainsi,  dans  le  syriaque,  qu'en 
un  seul  endroit  p.  43  , 1.  5 ,  om£0^.  Ailleurs,  p.  45, 
1.  6  et  p.  46,  1.  3,  il  est  appelé  i jp»v  .  Enfin  p.  5i, 
1.  'i  on  trouve  o%£oS^ .  M.  Martin  a  écrit  à  tort  en 
cet  endroit  ç^Tee^^  ^  car  le  yod  n*est  pas  dans  le  ma- 
nuscrit. 11  faut  donc  lire  IJadsé.  Or  dans  le  cartulaire 
du  Saint-Sépulcre  de  Jérusalem^,  on  trouve  mention 

^  Cf.  Bar  Hc'îbrt'us,  ('chronique  syriaque,  éd.  Bedjan,  p.  217,  I.  3, 
et  Chron.  ecclés,,  I ,  col.  499* 

-  P.  221,  n"  118.  Dans  Migne,  Patrol.  Int.,  t.  CLV,  col.  iai3. 


LE  CHOISI':  LORRAIN  GODEFROY  DE  ASCHA.      429 

d  une  controverse ,  entre  les  chanoines  du  Saint-Sé- 
pulcre et  1rs  moines  jacobites  de  Sainte-Marie-Ma- 
deleine de  Jérusalem ,  au  sujet  de  Ramathe  et  Hadesse 
vers  Tannée  1160.  C'est  bien  là  le  village  de  Hadsé, 
et  il  faut  donc,  semble-t-il,  le  chercher  près  d'un 
Ramath.  C'est  donc,  à  notre  avis,  Adasa  qui  figure 
sur  la  carte  de  Palestine  de  M.  Guérin ,  à  côté  d'un 
village  nommé  Ramah'.  Ce  ^âllage  (comme  nous 
l'apprend  aussi  l'auteur  syriaque)  était  exposé  aux 
incursions  des  Arabes  qui  partaient  du  rivage  de  la 
mer  et  poussaient  des  pointes  jusqu'aux  environs  de 
Jérusalem.  En  particulier,  c'est  près  de  Ramleh  que , 
vers  1  io3,  trois  cenls  Francs  furent  faits  prisonniers 
par  les  Egyptiens.  Nous  pouvons  croire  que  Godefroy 
de  Ascha  était  du  nombre,  car  1°  c'est  vers  cette 
époque  qu'il  fut  fait  prisonnier  puisqu'il  l'était  depuis 
à  peu  près  trente-trois  ans,  vers  1 1 36- 1 1 87  ;  et  2°  il 
est  vraisemblable  que  Baudouin  «  accouru  de  Jéru- 

^  Palestine,  t.  III,  p.  5-6.  C'est  kSaad,  I  Macch.,  VII,  ho.  Josèphe 
nous  apprend  que  ce  village  était  à  trente  stades  (tlt^is  ou  quatre  ki- 
lomètres) de  Bethoron,  Ant.  juives,  XH,  x,  5.  —  Quant  au  village 
jacobite  do  *^^  J^^d  (Beth  'Arif),  nous  n'avons  trou>é  qu'un  nom 
analogue  :  c'est  la  forme  syriaque  du  nom  de  Betharam  (tribu  de  Cad) 
Betliarani  ifuœ  a  Syris  dicitur  Bethramplitlia,  dit  saint  Jérôme  dAM 
ïOnoniaslicon;  Josèphe  écrit  EridapafiÇdoi  Ant.  juives,  XVIII,  ii,  1. 
—  Il  serait  plus  naturel  de  chercher  «A«w^  JDmia  aUx  environs  d'Â- 
dasa  et  par  suite  de  Bethoron;  on  remarquera  que  le  nom  de  Be- 
thoron supérieure,  UyUl  ^^  0.0  (Beit-A'our  el-Fouka)  renferme 
tous  les  éléments  du  nom  Betli-*Arif  qui  pourrait  donc  en  être  une 
variante  populaire  abrégée.  Lo  scribe  écrivit  en  syriaque  d'Après  le 
î$on  (  Beth-Aour-ef ,  d'où  Beth-Ar-éf  ) ,  sans  compléter  le  mot  d'après 
les  règles  de  l'étymologie.  Beth  *Arif  ne  serait-il  pas  aussi  un  autr6 
nom  de  «  Ramathe  »  P 


430  NOVEMBRE-DECEMBRE  1898. 

salem  avec  un  corps  de  sept  cents  hommes  [Hist, 
orientaux,  III,  p.  525)»,  pour  repousser  Tannée 
égyptienne ,  ne  manqua  pas ,  vu  sa  pénurie  de  troupes , 
d  emmener  son  parent  Godefroy  avec  lui.  —  L'his- 
torien cité  raconte  que,  de  ces  sepi  cents  hommes, 
Baudoin  et  trois  autres  seigneurs  échappèrent  seuls 
aux  Égyptiens. 

4°  P.  yS ,  note  2,  et  p.  54  ,  note  1 ,  JLiiiD  dans  ces 
textes  semble  signifier  étangs  ou  citernes  \ 

5"  P.  "j'i.  Au  lieu  de  :  «  par  suite  de  la  jalousie  », 
traduire  :  «  à  cause  de  son  zèle  ». 

6°  P.  77.  Metsidta  est  Mopsueste^. 

y*"  Ibid,  Au  lieu  de  :  «  Il  s'empara  de  Alboun 
(Alep)  et  des  environs  »,  il  faut  traduire  :  Il  prit  le 
pays  de  Leboun  et  Leboun  lai-même.  Ce  roi  arménien 
jhv  AeSovvrjv  ts  Apfxevias  ^pxj^,  disent  Nicétas  et  Cin- 
namus,  est  bien  connu.  Bar  Hébréus  (C/iron.  syr.  éd, 
Bedjan,  p.  3oi)  l'appelle  Léon  et  dit  aussi  quil  fut 
pris  avec  sa  femme  et  ses  enfants  par  Jean  Gom- 
nène. 

8*"  Dans  le  texte  syriaque ,  p.  5o,  1.  8  el  note  2  : 

'  Ce  sont  ces  étangs  que  M.  Guérin  retrouve  et  si^ale  sur  \e% 
emplacements  de  chaque  village. 

^  Cette  campagne  de  Cilicie  est  racontée  par  Nicétas  et  Cinnamas. 
Voir  aussi  riuillaumo  de  Tyr,  L.  \1V,  cbap.  xxiv,  et  Bar  Hébn»us, 
Chronique  syriaque ,  »'d.  I^djan,  p.  3oi. 


LE  CROISÉ  LORRAIN  GODEFROY  DE  ASCEiA.      /431 

après  ^«^J^"^?  il  faut  ajouter  JL^^^ud  timide;  c'est  le 
JL^M^o  du  manuscrit.  —  Ibid.  Au  lieu  deJL^o^^, 
lire  JL^o^.  —  P.  5 1 ,  1.  2 ,  lire  o^^  ;  1.  12,  au 
lieu  de  JbaA.9,  on  peut  lire  JL^»^Ar^  —  P.  82 ,  1.  4, 
au  lieu  de  ;^)l),  lire  ^;^  |l).  —  P.  53,  1.  8  et 
note  1,  au  lieu  de  «^«^1),  lire  ^J^.«t)  quand  il  fut 
orphelin;  1.  g-i  o,  au  lieu  de  )oo)  ^fn^iin  ,  lire  <y.<innjo 
loo»  «  Et  était  répandue  »  sur  lui  toute  la  grâce  de  Dieu; 

1.  10,  au  lieu  dco$^,  lire  ot^;  1.  16,  au  lieu  de 
)9J(s«flaxî^,  lire  t;ni/N^ ,  couvent  connu  (voir  Bar 
Hébréus,  Chron.  ecclés.,  I,  col.  476).  —  P.  55, 
dernière  ligne,  on  peut  supposer  que  le  mot  illisible 
est  pj^o  usurrexityi  et  rediit.  —  P.  56,  1.  2,  au 
lieu  de  |JLI,^£d,  lire  iJl^i»  une  multitude.  —  P.  56 , 
1.  3,  au  lieu  de  )to»A^,  lire  )ttcH"^">.  —  P.  56, 
1.  i5,  au  lieu  de  )J(s^^ijl,  lire  )J(«i^a^  il  mourut  au 
matin  «  du  samedi  » ,  et  non  «  à  l'heure  »  de  complies. 
Ainsi  Ignace  tomba  malade  le  jeudi,  mourut  le  sa- 
medi matin ,  et  son  corps  arriva  à  Jérusalem  le  lundi 
suivant. 


432  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

NOUVEL 

ESSAI  D'INTERPRÉTATION 

DE  LA  SECONDE  INSCRIPTION  ARAMÉENNE 

DE  NIRAB, 

PAR 

M.  PAUL  DE  KOKOWZOFF. 


Parmi  les  précieuses  trouvailles  faites  pendant 
ces  dernières  années  dans  le  domaine  de  Tarchéo- 
logie  sémitique,  une  des  plus  intéressantes,  sans 
contredit ,  est  la  découverte  des  débris  antiques  de 
Tancienne  civilisation  araméenne  à  Zendchirly  et 
Nirab-flaleb  en  Syrie.  Grâce  à  un  heureux  hasard , 
nous  nous  trouvons  tout  dun  coup  en  présence 
d'ass(*z  nombreux  monuments  provenant  de  Tancien 
Aram  de  la  Bible,  et  dont  lauthenticité  ne  peut  être 
contestée  d'aucune  façon.  En  faisant  ressusciter 
devant  nos  yeu\  cet  ancien  monde  araméen  qui 
semblait  avoir  échappé  pour  toujours  à  la  curiosité 
des  savants,  en  permettant  de  le  saisir,  pour  ainsi 
dire,  de  nos  mains  mêmes,  les  trouvailles  de  Zend- 
chirly et  de  Nirab  ont  incontestablement  une  valeur 
inappréciable. 


SECONDE  INSCRIPTION  ARAMEENNK  DE  \JRAB.     433 

Mais  ce  qui  constitue  particulièrement  leur  in- 
térêt tout  exceptionnel,  ce  sont,  à  notre  avis,  certai- 
nement les  inscriptions  sculptées  ou  gravées  sur 
quelques-uns  des  monuments  et  présentant  d'inté- 
ressants spécimens  des  idiomes  parlés  par  ces  Ara- 
méens  de  la  Haute-Syrie.  Nous  possédons  enfin  des 
textes  araméens  plus  ou  moins  anciens  qui,  en 
même  temps,  sont  assez  étendus  pour  enrichir  sous 
plusieurs  rapports  nos  bien  insuffisantes  connais- 
sances de  Taraméen  du  vin''  et  du  vn**  siècle  av.  J.-C. 
C'est  le  mérite  qui  appartient,  en  outre,  presque 
uniquement  aux  inscriptions  de  deux  stèles  funé- 
raires de  Nirab ,  car  ces  inscriptions  seules  sont  ré- 
digées en  un  langage  réellement  araméen.  Les  in- 
scriptions de  Zendchirly,  plus  anciennes  que  celles 
de  Nirab,  représentent  une  langue  très  remarquable 
d'ailleurs,  mais  qui,  comme  on  le  sait,  en  dehors 
de  quelques  formes  grammaticales  vraiment  ara- 
méennes,  ne  diffère  pas  essentiellement  de  f  ancien 
hébreu  ou  du  phénicien.  On  ne  serait  donc  pas  bien 
fondé  à  appeler  la  langue  des  inscriptions  de  Zend- 
chirly tout  simplement  araméenne,  à  moins  qu'on 
ne  donne  à  ce  terme  technique  une  signification  tout 
à  fait  difierente  de  celle  qui  est  reçue  et  usitée.  Car 
certainemi^nt  une  langue  qui  emploie,  pour  dire 
«tuer»,  le  mot  3in;  pour  «prendre»,  np'?;  pour 
«  donner  »,  jn:  (même  au  prétérit,  au  lieu  de  aiT»); 
pour  «  labourer  »,  12:;;  pour  «  aussi  »,  D3,  etc. ,  n'est 
évidemment  qu'un  dialecte  chananéen. 

En  revenant  aux  inscriptions  de  Nirab ,  il  reste  à 


434  NOVEMBRE-DÉGEMBRË  1899. 

ajouter  que,  d après  les  considérations  paiéographi- 
ques  qui,  en  l'absence  de  quelque  date  plus  ou 
moins  précise  ou  de  quelques  allusions  historiques, 
nous  semblent  seules  avoir  une  valeur  décisive,  il 
est  presque  certain ,  aussi  certain  que  peuvent  l'être 
en  général  les  déductions  paléographiques ,  que  ces 
inscriptions  appartiennent  plutôt  au  vn*  siècle  qu'à 
la  période  paléographique  suivante,  commençant 
avec  le  \f  siècle.  Ce  sont  donc,  relativement  à  la 
langue  araméenne ,  les  plus  anciens  monuments  ayant 
une  étendue  considérable. 

On  comprendra  bien  toute  la  valeur  de  pareils 
textes,  si  Ton  se  rappelle  Timportance  des  études 
araméennes  aussi  bien  pour  la  philologie  sémitique 
que  pour  l'exégèse  biblique  et  la  critique  des  livres 
de  TAncion  Testament.  Il  serait  naturellement  yi- 
ulilo  de  s'étendre  longuement  sur  ce  sujet,  d'autant 
plus  que  les  inscriptions  de  Nirab  ont  déjà  été 
l'objet  d'études  détaillées  et  minutieuses  de  plusieurs 
savants  éminents  qui  ont  parfaitement  su  en  appré- 
cier la  valeur.  Ce  que*  je  veux  constater  ici  après  les 
travaux  bien  connus  de  MM.  Clermont-Ganneau, 
Halévy  et  G.  Hofimann ,  (r'est  qu'il  me  semble  qu'on 
n'a  pas  encore  tiré  de  ces  précieuses  pages  aramé- 
ennes tout  le  profit  scientifique  possible.  Par  exemple, 
l'examen  attentif  de  quelques  passages  qui  restent  en- 
core jusqu'à  présent  obscurs  et  dont  les  interpréta- 
tions paraissent,  rigoureusement  parlant,  rien  moins 
que  satisfaisantes,  cet  examen,  pensons-nous,  peut 
ajouter  quelque  chose  d'intéressant  et  vraiment  im- 


SECONDE  JNSCRIPTION  ARAMEENNE  DE  NJRAB.     435 

portant  à  nos  connaissances  de  lancien  araméen,  et 
par  conséquent  à  la  philologie  sémitique  en  général. 

Je  veux  prouver  cette  thèse  en  présentant  ici  un 
nouvel  essai  d'interprétation  dun  de  ces  passages 
obscurs ,  notamment  de  celui  de  la  seconde  inscrip- 
tion de  Nirab ,  c'est-à-dire  de  l'inscription  sur  la  stèle 
funéraire  du  prêtre  Agbar  (lignes  5-6).  Cet  essai, 
qui  outre  le  mérite  qu'il  a  de  donner  à  l'ensemble 
un  sens  plus  naturel  sans  recourir  aux  expressions  et 
formes  grammaticales  plus  ou  moins  hardies,  sinon 
tout  à  fait  fantaisistes,  nous  met  en  possession  de 
deux  locutions  araméennes  archaïques,  extrême- 
ment intéressantes  non  seulement  pour  la  philologie, 
mais  aussi  pour  l'archéologie  sémitique. 

On  voudra  bien  se  rappeler  la  partie  principale 
de  la  seconde  inscription  de  Nirab,  la  partie  qui 
commence  par  les  paroles  suivantes  du  prêtre  dé- 
funt : 

""7  ^DD  nnD  nv2  ^iDv  "]-)Km  dû  dv  '':dî:;  niDip  Tipisn 

C'est-à-dire  : 

A  cause  de  ma  juste  conduite  devant  lui,  il  m'a  donné  un 
bon  renom  et  il  a  prolongé  mes  jours;  au  jour  de  la  mort, 
ma  liouche  n'était  pas  fermée  et  sans  paroles,  et  de  mes 
yeux  j'ai  vu  les  fils  de  la  quatrième  génération. 

Jusqu'ici  le  sens  du  texte  ne  paraît  pas,  en  gé- 
ntTal,  être  douteux,  quoique  certains  mots,  par 
exemple  :?D^  au  singulier  dans  ym  ^an  (au  sens  de 


430  NOVEMRRK-DKCKMBRE  1899. 

D^2?5n  de  la  Bible),  non  moins  que  nînD  au  pael^ 
présentent  encore  des  diflicullés  sérieuses  au  point 
de  vue  du  lexique  aranié(Mi.  Assurément,  le  défunt 
a  voulu  dire  simplement  cela,  que  jusquau  moment 
de  sa  mort  il  avait  joui,  <^râce  à  la  faveur  de  son 
dieu,  do  la  meilleure  santé  c»t  qu après  avoir  atteint 
la  vieillesse  il  mourut  subitemr»nt  sans  voir  ses  forces 
corporelles  diminu(»r  sensiblement  ou  même  laban- 
donner  com])lètement.  Une  pareille  mort  subite 
parait  être  considérée  comme  le  conïble  du  bonheur 
aussi  par  les  anciens  Hébreux,  à  en  juger,  par 
exemple,  par  ce  passage  du  livre  de  Job  (xxi,  i3)  : 

inn'»  hM(V  ^^a-im  DiT'D''  mo3  'ou  ^hi^)  l'js'» 

C'est-à-dire  : 

Ils  passent  leurs  jours  dans  la  bonne  chère  et  ils  descen- 
dent dans  ie  Clie'ol  en  un  moment. 

il  n'y  a  aucun  doute  possible,  à  notre  avis,  que 
c'est  cette  idée  même  qu'a  voulu  exprimer  lancien 
prêtre  de  Nirab  dans  notre  passage,  et  c'est  le  sens 
le  plus  naturel  de  cette  partie  de  l'inscriplion. 

Mais  ce  qui  vient  immédiatement  après,  à  savoir 
la  fin  de  la  ligne  5  (le  mot  jira)  et  particulière- 
ment la  première  moitié  de  la  ligne  6  (les  lettres 
iDnpN^rinr),  ré^^iste  jusqu'à  ce  jour  à  tous  les  efforts 
qu  on  a  faits  pour  en  découvrir  le  véritable  sen§.  Il 
est  presque  cerlain  d'abord  que  cette  partie  de  fin- 
scription,  commençant  avec  le  verbe  "*J^Z2  «  ils  mont 
pleuré»,  no  peut  d'aucune  façon,  au  point  de  vue 


SECONDE  INSCRIPTION  AÏUMEENNE  DE  NIKAB.     437 

de  la  syntaxe,  être  rattachée  (dans  un  morceau  pro- 
saïque comme  celui  dont  nous  nous  occupons)  à 
la  phrase  précédente.  Elle  paraît  présenter  une 
nouvelle  phrase,  tout  à  fait  indépendante  de  ce  qui 
précède,  et  qui  s'étend,  comme  nous  allons  le  voir, 
jusqu'au  commencement  de  la  ligne  y.  Cette  partie 
de  notre  inscription  contient  donc  d'abord  le  verbe 
au  prétérit  '•aiDS,  au  sens  de  «  ils  m'ont  pleuré  »,  puis 
les  neuf  lettres  énigmatiques  iDnnNDim  et  ensuite 
une  phrase  commençant  par  la  conjonction  «  et  »  (i) 
et  signifiant  :  «  et  ils  n'ont  mis  avec  moi  aucun  vase 
d'argent  ou  d'airain  )>.  La  difficulté  consiste  à  détermi- 
ner le  sens  de  ces  lettres  embarrassantes  :  iDnnwim 
qui  se  trouvent  entre  les  deux  prétérits,  à  savoir  le 
prétérit  "«iiDS  («  ils  m'ont  pleuré  »)  et  le  prétérit  it:^  Si 
(«  et  ils  n'ont  pas  mis  »,  etc.).  Gomme  nous  l'avons 
déjà  dit,  une  interprétation  satisfaisante  n'en  est  pas 
encore  donnée,  je  veux  dire  l'interprétation  qui, 
s'adaptant  bien  au  contexte ,  ne  sortirait  pas  en  même 
temps  du  domaine  de  l'araméen  sinon  réellement 
existant,  du  moins  le  plus  probable.  Notre  interpré- 
tation, reposant  sur  un  arrangement  des  mots  tout 
différent  de  celui  de  nos  prédécesseurs,  remplit, 
qu'il  nous  soit  permis  de  le  croire,  les  deux  condi- 
tions indiquées. 

Je  prends  pour  base  le  verbe  au  prétérit  "«aiDa, 
qu'on  obtient  en  joignant  au  groupe  jiDa ,  qui  ter- 
mine la  ligne  5,  le  "^  commençant  la  ligne  6.  L'exis- 
tence dans  notre  passage  de  cette  forme  verbale 
avec  1(»  suffixe  de  la  i"*  pers.  sing.  est  absolument 


438  NOVEMBRE-DECEMBRE  1899. 

hors  de  doute  pour  nous  et,  quant  à  lorthographe 
du  suffixe  •»:  avec  un  *» ,  elle  nous  est  parfaitement 
confirmée  parla  forme  analogue  "'ilD^ ,  qui  se  trouve 
un  peu  plus  loin  (1.  y)  dans  notre  inscription.  Il  est 
à  regretter  que  presque  tous  les  savants  qui  se  sont 
occupés  avant  nous  de  Tinscription ,  en  partant  du 
fait,  que  les  mots  ne  se  coupent  ordinairement  pas 
à  la  Hgne  dans  les  inscriptions  de  Nirab ,  pour  cette 
seule  raison  aient  refusé  de  détacher  ce  "^  commen- 
çant la  Hgne  6  de  ce  qui  suit,  et  préféré  augmenter 
ainsi  les  difficultés  du  passage  en  créant  des  mots 
extrêmement  embarrassants  pD3  et  ^rïV ,  qu  ils  n  ont 
pu,  jusqu'à  ce  jour,  interpréter  eux  mêmes  dune 
manière  satisfaisante. 

Le  prétérit  '•jIDD  n^étant  pas  formellement  lié  par 
quelque  conjonction  ou  par  un  pronom  relatif  quel- 
conque au  précédent,  il  nous  semblait  plus  (pie 
probable  dans  notre  cas,  que  ce  verbe  devait 
commencer  une  nouvelle  phrase  indépendante. 
D'autre  part,  la  phrase  qui  suit  immédiatement 
les  lettres  énigmatiques  iDnnNDim ,  ayant  la  con- 
jonction 1  en  tête,  doit  être  regardée  évidemment 
comme  faisant  suite  à  la  phrase  qui  commence  par 
le  verbe  ''iiDS  et  comprend  les  neuf  lettres  iDnnKDim 
au  commencement  de  la  ligne  6.  Or  il  est  à  observer 
que  la  dernière  des  lettres  en  question  présente  un 
1,  elle  peut  donc  appartenir  à  un  pronom  ou  k  un 
suffixe  pronominal ,  par  exemple  ion ,  comme  l'ont 
admis  tous  nos  prédécesseurs;  mais,  aussi  bien  cette 
lettre  peut  apparlenir  à  quelque  forme  verbale,  par 


SECONDE  liNSCRIPTlON  ARAMÉENNE  DE  NIRAB.     439 

exemple  à  quelque  prétérit  analogue  au  prétérit  "«iisa, 
qui  le  précède ,  et  au  prétéri  IDC^  qui  le  suit.  Je  me 
suis  donc  demandé ,  en  examinant  pour  la  première 
fois  notre  passage,  si  ces  neuf  lettres  énigmatîques  : 
lOnriNDim ,  au  lieu  de  présenter  un  pronom  ou  bien 
quelque  forme  nominale  avec  un  suffixe,  comme 
par  exemple  celle  qu'ont  proposée  quelques-uns  de 
nos  prédécesseurs,  à  savoir  iDnnND  au  sens  de  «  leur 
centaine»  (ihrer  hundert),  si  ces  lettres,  dis-je,  ne 
cacheraient  pas  plutôt  une  forme  verbale  qui  serait, 
au  point  de  vue  du  sens  et  de  la  syntaxe,  étroite- 
ment liée  aux  verbes  '•:'I33  et  iDC^bl. 

Partant  de  cette  idée,  j'ai  essayé  de  couper  diffé- 
remment les  mots  au  commencement  de  Id  ligne  6 
et  après  quelques  tâtonnements  je  suis  arrivé,  à  nia 
grande  surprise,  à  la  découverte  de  deux  anciens 
mots  araméens  s'adaptant  à  merveille  au  contexte 
et,  ce  qui  est  non  moins  important,  dont  Texistence 
réelle  dans  Tancienne  langue  araméenne  est  infini- 
ment plus  probable  que,  par  exemple,  l'existence 
dun  mot  comme  ^r^v,  admis  par  nos  prédécesseurs. 

C'est  le  verbe  au  prétérit  de  la  forme  réfléchie, 
iDnriN,  que  jai  eu  d'abord  la  chance  de  relever,  une 
forme  rigoureusement  parallèle  aux  verbes  "'iisa  et 
iDC^bi .  Il  ne  restait  après  cela  qu  à  déterminer  le 
sens  des  quatre  premières  lettres  de  la  ligne  6,  for- 
mant le  groupe  Dim.  Nous  y  avons  aussitôt  reconnu 
la  conjonction  i  et  l'ancienne  forme  isolée  du  pro- 
nom personnel  de  la  3°  pers.  plur.  oin.  Cette  forme 
110  s'est  conservée  isolée  dans  aucun  dialecte  araméen; 

M  \  .  29 

lurnlMI'IIIF.     SATIil%«l.1.. 


440  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

mais  son  existence  comme  suffixe  est  siiffisamment 
attestée  par  les  plus  anciens  documents  de  la  langue 
araméenne.  Le  suffixe  on  (mn)  est  employé  souvent, 
comme  on  le  sait,  dans  les  parties  aiaméennes  du 
livre  d*Esdras;  puis  il  se  trouve  dans  le  fragment 
araméen,  encore  plus  ancien  peut-être,  du  livre  de 
Jérémie  (chap.  x ,  v.  1 1  :  Q^n'?)  et  se  rencontre  enfin 
dans  les  Targums  dits  palestiniens.  Il  est  admis  aussi 
que  ce  suffixe  est  employé  généralement  dans  les 
inscriptions  nabatéennes,  et  son  existence  dans  Tan- 
cien  araméen  nous  est  parfaitement  attestée  par  un 
passage  de  la  seconde  inscription  de  Barrekhab  de 
Zendchirly,  Si  même,  d'ailleurs,  il  n'en  était  plus 
resté  de  trace  dans  tous  les  lextes  connus ,  il  faudrait 
bien  admettre  l'existence  d'une  pareille  forme  dans 
l'ancien  araméen  a  priori.  Car  le  pronom  personnel 

on  (mn),  correspondant  à  l'hébreu  on  et  à  l'arabe 

îr,  ne  pourrait  nullement,  à  notre  avis,  manquer 

au  rameau  araméen  des  langues  sémitiques.  Bien 
entendu,  l'existence  réelle  du  suffixe  araméen  on, 
démontrée  par  les  anciens  textes  araméen  s,  suffit 
pour  faire  admettre  l'existence  d'une  forme  isolée  du 
même  pronom,  correspondant  à  la  forme  suffixe. 
Cette  forme  isolée  paraît  avoir  de  bonne  heure  cessé 
d'être  en  usage,  après  avoir  été  reniplacée  dans  dif- 
férents dialectes  araméens  par  des  formes  allongées 
(composées),  comme  par  exemple  :  iOn  (équivalant 

à  l'hébreu  non)  dans  le  dialecte  du  livre  d'Esdras, 

firsn  dans  celui  du  livre  de  Daniel,  p:N  et  ^|  dans 


SECONDE  INSCRIPTION  ARAMÉENNE  DE  NIRAB.     441 

ceiui  des  Targums  et  dans  le  dialecte  d'Edesse,  etc. 
Assurément,  on  est  un  peu  surpris  de  voir  le  pro- 
nom mn  écrit  plene,  avec  un  waw  qui  paraît  indi- 
quer dans  ce  mot  Texistence  d'une  voyelle  primitive 
longue,  ou  même,  ce  qui  est  aussi  bien  possible,  la 
prononciation  du  waw  comme  consonne. 

Cette  orthographe  n'est  attestée,  il  est  vrai,  nulle 
part  sur  le  terrain  sémitique;  mais  il  ne  faut  pas 
oublier  :  i°  que  nous  ne  connaissons  pas  encore  la 
forme  primitive  (simple)  araméenne  du  pronom  per- 
sonnel de  la  3^  pers.  masc.  plur.  ;  et  a°  que  nous  ne 
savons  presque  rien  de  certain  jusqu'à  présent  sur 
l'origine  des  pronoms  personnels  dans  les  langues 
sémitiques.  Par  conséquent,  à  l'heure  qu'il  est, 
l'existence  d'une  voyelle  longue  dans  la  forme  pri- 
mitive du  pronom  sétoitique  en  question  ne  pouvait 
être  sérieusement  contestée  a  priori.  Nous  ferons  re- 
marquer, à  ce  propos,  que  précisément  une  pareille 
forme  avec  une  voyelle  longue,  à  savoir  /lâna,  avait 
été  proposée  depuis  longtemps  par  le  savant  pro- 
fesseur de  Rostock,  M.  Philippi  [Wesen  and  Ursprang 
des  Status  Constr,  im  Hebràischen,  etc.,  p.  i83),  et 
qu'une  voyelle  longue  se  trouve  encore  dans  la  forme 
du  suffixe  correspondant  en  éthiopien  [hômâ).  Pour- 
quoi l'ancien  araméen  n'aurait-ii  pas  pu  nous  con- 
server seul  la  forme  primitive  du  pronom  en  ques- 
tion ,  c'est  ce  qui  ne  nous  paraît  pas  évident.  Ainsi 
nous  n'avons  point  de  doute  que,  si  notre  inter- 
prétation du  passage  (1.  6)  est  juste,  le  sentiment 
de  défiance  avec  lequel  sera  naturellement  acceptée 

29. 


442  NOVEMBRE. DÉCEMBRE  1899. 

d abord  lapparition  du  pronom  archaïque  araniéen 
Din  ne  se  change  ensuite  peu  à  peu  en  la  pleine  con- 
viction que  cette  forme  pût  exister  et  a  réellement 
existé  dans  le  plus  ancien  araméen. 

En  dehors  de  cette  curieuse  trouvaille  d  un  ancien 
pronom  sémitique,  nous  avons  eu  la  bonne  fortune 
d*obtenir  simultanément  un  ancien  verbe  araméen 
iDnriN,  qui  parait  avoir  presque  totalement  disparu 
des  dialectes  araméens.  Il  s  est  conservé,  autant  que 
nous  sachions,  uniquement  dans  le  dialecte  desTar- 
gums ,  où  lexpression  hébraïque  i"ânn  «  se  faire  des 
incisions,  des  blessures  en  l'honneur  du  niort»  se 
rend  toujours  (mais  seulement  dans  ce  sens  rituel) 
par  le  même  verbe  D!:nnK,  signifiant  lui-même  «  se 
faire  des  blessures  » ,  comme  on  peut  le  voir  par  le 
passage  I  Rois,  wiii,  28  :  pD'^Da  pn''DiD'':D  iDDnDKi 
pn"»*?:^  Nirri  t^dp^nt  ly  pnonai .  H  n  y  a  point  de 
doute  pour  nous  que  ('(^st  bien  à  ce  verbe  des  ïar- 
gums  que  nous  avons  affaire  dans  notre  passage  de 
la  deuxième  inscription  de  Nirab.  I^a  forme  iDnnx 
serait  ainsi  Téquivalant  du  iDCnriN  des  Targums 
(cf.  I  Rois,  wni,  28;  Jér. ,  \li\,  3),  au  sens  de  l'hé- 
breu niilnn ,  c'est-à-dire  «  ils  se  sont  fait  des  incisions 
dans  leur  chair  ». 

Nous  lisons  donc  et  traduisons  ainsi  le  passage 
difficile  de  notre  inscription  :  lOC;  bl  'ii^nPH  Dini  ^3123 
^nji  î^DD  JND  "'D:^  «  Us  m'ont  pleuré  et  ils  se  sont  même 
fait  [ou  en  se  faisant  même)  des  incisions  pour  moi , 
mais  ils  n'ont  nus  avec  moi  aucun  \ase  d'argent  ou 
d'airain  ». 


ShXONDE  INSCRIPTION   ÀRAMKKNNK  DE  NIRAB.     W,\ 

On  connaît  bien  cet  ancien  usage  très  répandu 
de  se  faire  des  mutilations  sur  le  corps  en  signe  de 
propitiation  envers  des  chefs  et  des  parents  décé- 
dés. Ce  rite  funéraire  paraît  avoir  été  un  usage  gé- 
néral chez  les  peuples  sémitiques  de  la  Syrie,  et 
avoir  été  pratiqué  même  par  les  anciens  Hébreux ,  à 
en  juger  par  plusieurs  passages  de  l'Ancien  Testa- 
ment, comme  par  exemple  Deut. ,  xiv,  i  :  «  Vous  êtes 
les  enfants  de  TEternel  votre  Dieu.  Ne  vous  faites  au- 
cune incision  et  ne  vous  rasez  point  entre  les  yeux 
pour  aucun  mort  »,  ou  Jér. ,  xvi,  6  :  «  Et  les  grands 
et  les  petits  mourront  en  ce  pays;  ils  ne  seront  point 
ensevelis,  et  on  ne  les  pleurera  point  et  personne  ne 
se  fera  aucune  incision,  ni  ne  se  rasera  pour  eux.  » 
Il  n'y  a  donc  rien  de  surprenant  à  voir  dans  notre 
inscription  funéraire  un  ancien  prêtre  araméen  du 
vn*  siècle  avant  J.-C.  nous  raconter  qu'après  sa  mort 
ses  enfants  l'avaient  pleuré ,  et  qu'ils  avaient  accompli 
aussi  le  rite  non  moins  nécessaire  des  mutilations , 
pour  dire  tout  simplement  qu'on  avait  accompli 
pour  lui  tous  les  principaux  rites  funéraires  généra- 
lement usités.  A  côté  de  l'expression  "'i'iDD,  qui  paraît 
elle-même  présenter  au  pael  un  terme  essentielle- 
ment rituel  (cf.  Ezéch.,  viii,  \t\  :  TiDnn  riN  niDaD; 
l'inscription  sur  la  stèle  de  Panammou,  1.  i  7  :  îT'rai 
'^Wii  iVd  nN")D  njHD  nrfDm  nn'^N),  la  présence  d'une 
autre  expression  rituelle  comme  lOnnN  au  sens  de 
iDDnnx  des  Targums  (=n"|ânn)  est  on  ne  peut  plus 
en  situation.  Etant  un  terme  purement  rituel,  ce  mot, 
par  suite  do  l'abolition  du  rite  correspondant,  a  été 


\M  NOVEMBRE. DKCEMBRE  1899. 

lui-même  probablement  peu  à  peu  oublié,  et  cest 
ainsi  quon  pourrait  bien,  il  nous  semble,  s'expliquer 
la  disparition  du  verbe  DCnnK  des  lexiques  araméens. 
Si  nous  avons  deviné  lo  vrai  sens  du  passage  obscur 
dont  nous  nous  occupons  ici ,  la  seconde  inscription 
de  Nirab  nous  donne  pour  la  première  fois  une 
preuve  documentale  positivi*  de  l'existence  de  Tan- 
rien  usage  des  mutilations  fimc^raires  chez  les  anciens 
\raméen.s  de  la  Syrie,  et  elle  est  en  conséquence 
extrêmement  intéressante  au  point  de  vue  de  Tar- 
chéologie  >émitiqiie. 

li  nous  reste  encore  à  expliquer  Tabsence  du  se- 
cond mém  dans  notre  forme  icnnK  et  è  justifier  ainsi 
notre  identiiication  de  cette  forme  avec  iCDnnN  des 
Targums.  On  sait  parfaitement  qu'en  araméen  les 
verbes  géminés  ou  v"y  maintiennent  d  ordinaire 
(même  dans  la  forme  simple  qal)  les  deux  radicales 
semblables,  quoique  Ton  trouve  aussi  souvent  des 
exemples  du  contraire ,  je  veux  dire  des  formes  con- 
tnictée^,  dans  dliférents  dialectes  araméens.  Nous 
préférons  pourtant,  dans  notre  cas,  admettre  une 
omission  accidentelle,  ou,  pour  mieux  dire,  une 
erreur  du  lapicide,  pareille  à  celle  (|Uon  peut  voir 
dans  lorthographe  du  nom  32*^3  (au  lieu  dé  aama), 
dans  une  des  inscriptions  de  Zendcliirly.  Nous  croyons 
même  avoir  une  indication  du  fait  dans  la  petite  barre 
horizontale,  gravée  très  clairement  au  dessus  du 
mêtu  dans  notre  mot.  Cette  barre  qu  on  pourrait  bien 
(considérer  connue  une  fissure  purement  accidentelle 
dans  la  pierre,  nous  parait  présenter  plutôt  un  signe 


SECONDE  INSCRIPTION  ARAMÉENNE  DE  NIRAB.     ^M^ 

intentionnel,  ayant  pour  but  d attirer  lattention  des 
lecteurs  sur  le  mot  ou  le  passage  défectueux.  Nous 
rappellerons,  à  ce  propos,  l'usage  assez  fréquent  et 
bien  connu  d  une  barre  horizontale  placée  également 
au-dessus  des  lettres  dans  Jes  manuscrits  samaritains, 
(jui  n'a  pas  non  plus,  comme  on  la  reconnu  depuis 
longtemps,  un  rôle  strictement  déterminé  et  qui 
olfre  une  des  plus  frappantes  analogies  avec  la  barre 
de  notre  inscription. 

Nous  concluons ,  en  donnant  ici  notre  traduction 
de  Tensemble  de  la  deuxième  inscription  de  Nirab  : 

De  Agbar,  prêtre  de  Sahr  à  Nerab.  Voici  son  image.  A 
cause  de  ma  juste  conduite  devant  lui ,  il  m'a  donné  un  bon 
renom  et  a  prolongé  mes  jours;  au  jour  de  ma  mort  ma 
bouche  n'était  pas  fermée  ,  sans  paroles ,  et  de  mes  yeux  j'ai 
vu  les  fils  de  la  quatrième  génération.  Us  m'ont  pleuré  et  ils 
se  sont  même  fait  des  incisions  (oa  en  se  faisant  des  inci- 
sions), mais  ils  n'ont  mis  avec  moi  aucun  vase  d'argent  ou 
d'airain.  Ils  m'ont  mis  avec  mes  vêtements  seuls  pour  que 
mon  lit  funéraire  ne  soit  pas  volé  par  quelque  autre.  Toi,  qui 
m'opprimerais  et  me  pillerais  ^  puissent  Sahr,  Nikkai  et 
Nousk  le  laisser  mourir  de  mauvaise  mort  et  puisse  sa  pos- 
tériter  périr  ! 

^  (X  daDs  le  Targum  d'Onkelos,  Lévit. ,  xix,  i3  : 


446  NOVEMBRK-DÉCEMBRE  1899. 


HOMÉLIE  DE  NARSÈS 


SFR 


LES    TROIS   DOCTEURS   NESTORIEIVS, 

PAR 

M.   L'/VBBÉ  F.   MiRTIlN. 


Narsès  nacpiit  dans  la  première  moitié  du  v"  siècle ,  à  MaaI- 
tha,  au  nord  de  Mossoul.  Il  vint  étudier  puis  enseigner  à 
Edessc,  dans  la  célèbre  école  des  Perses.  Les  commentaires 
de  Théodore  de  Mopsueste  y  jouissaient  d  une  grande  vogue. 
Narsès  y  puisa  les  principes  de  Thérésie  nestorîenne.  A  la 
mort  de  Tévéque  Ibas ,  en  457  \  il  dut  quitter  Edesse,  connue 
les  autres  partisans  de  Tévèque  défunt.  Avec  Barsauma,  il  se 
retira  à  Nisibe.  Barsauma  devint  évêque  de  la  ville  et  y  fonda 
une  école  que  Narsès  dirigea  pendant  cinquante  ans,  sauf 
une  courte  interruption.  Narsès  avait  passé  auparavant  vingt 
années  à  Edesse.  11  mourut  en  507. 

Pendant  cette  longue  vie  d'étude ,  le  professeur  nestorien 
composa  de  nombreux  ouvrages  sur  la  Bible ,  la  liturgie ,  etc. , 
et  en  particulier  beaucoup  d'homélies ,  36o ,  dit-on. 

Nous  n*avons  qu*une  partie  de  ces  homélies,  conservées 
dans  un  manuscrit  de  Mossoul.  Le  Musée  Borgia ,  à  Rome  • 
et  la  Bibliothèque  royale  de  Berlin  possèdent  chacun  une 

^  M.  Rubens  Duval  a  établi  cette  date  dans  sa  Liltérature  tyrieufue, 
Paris,  1899,  |).  3/|5  et  .'{'iG.  Voir  ibifl.,  les  raisons  qui  lui  ont  fait  placer 
ta  mort  de  Naniès  en  ^07. 


HOMELIE    DE   NARSES.  \M 

copie  de  ce  manuscrit.  L'homélie  dont  je  publie  ici  le  texte 
et  la  traduction,  a  été  copiée  sur  le  manuscrit  du  Musée 
Borgia\  Siriac,  K.  VI-5,  p,  169-1 84.  Ce  manuscrit,  comme 
celui  de  Berlin,  est  très  richement  vocalisé.  Je  n'ai  pas  cru 
devoir  en  reproduire  tous  les  points- voyelles.  Les  anciens 
manuscrits  contenaient  peu  de  points  diacritiques  ;  leur  sur- 
abondance dans  notre  texte  est  due  à  des  copistes  modernes. 
De  plus ,  cette  vocalisation  est  parfois  erronée  ;  souvent  elle 
donne  la  prononciation  plus  ou  moins  corrompue  des  Nesto- 
riens  actuels  et  non  la  prononciation  ancienne  du  temps  de 
\arsès. 

Kn  attendant  la  publication  des  œuvres  complètes  de 
Narsès ,  j'ai  cru  que  la  connaissance  de  ce  discours  ne  serait 
pas  sans  intérêt  pour  l'étude  des  grandes  hérésies  du  v*  siècle 
et  pour  celle  de  ]a  littérature  syriaque. 

L'homélie  a  pour  sujet  l'éloge  des  «  Pères  docteurs  »  Dio- 
dore  de  Tarse,  Théodore  de  Mopsueste  et  Nestorius.  Les 
deux  premiers  n'avaient  pas  été,  à  proprement  parler,  des 
apôtres  du  nestorianisme ;  ils  étaient  morts  avant  que  l'hé- 
résie ne  se  manifestât  au  grand  jour.  Mais  leur  enseignement, 
surtout  celui  de  Théodore ,  contenait  en  germe  la  doctrine 
que  Nestorius  devait  afficher  avec  tant  d'éclat. 

Narsès  proclame  l'excellence  de  cette  doctrine ,  et  cherche 
a  la  venger  des  attaques  «  des  pervers  »,  de  «  l'Egyptien  »  et 
de  ses  partisans,  c'est-à-dire  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie  et 
des  autres  évéques  catholiques,  (ju'il  accuse  de  monophy- 
sisine  et  qu'il  assimile  aux  hérétiques  du  temps.  Pour  lui ,  ce 
fut  la  jalousie  de  Cyrille  qui  causa  tous  les  malheurs  de  Nes- 
torius. «L'Egyptien  »,  appuyé  sur  des  femmes,  Pulchérie  et 


'  M.  R.  Duval  u  bien  voulu  mettri'  à  ma  disposition  une  copie  qu'il 
avait  fait  exécuter  au  Musée  Borgla.  Je  tiens  aussi  à  remercier  mon  excel- 
lent maître  des  conseils  et  des  encouragements  qu'il  m'a  donnés  à  cette 
occasion.  C'est  à  lui  que  revient  tout  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  dans  ce 
travail.  —  Je  signalerai  les  variantes  du  manuscrit  de  Berlin,  Catalogue 
Sachnti ,  n"  07,  [).  190  et  suiv. ,  d'après  la  roll»"ction  faîte  par  M.  Joseph 
Horovii/,.  Dans  les  fjoirs,    \  -.11=  ms.  de  Rome,  B  =  ms.  de  Berlin. 


448  NOVKMBRE-DÉCRMBRE    1899. 

ses  sœurs ,  le$  vierijes  reines ,  fit  convoquer  le  concile  d'Ëphèae 
(  43 1  )  et  obtint  la  condamnation  de  la  doctrine  «  des  justes  •• 
Mais,  en  résdité,  cette  condamnation  n'atteignit  ni  Diodore 
et  Théodore  qui  étaient  morts,  ni  Nestorius  qui  ne  s*était 
pas  présenté  au  concile.  E^e  était  d'ailleurs  sans  valeur  pnrce 
(ju'elle  contredisait  la  doctrine  de  TËglise ,  et  jetait  le  trouble 
dans  tous  les  esprits.  Et ,  pour  le  prouver,  Narsès  fait  ressortir 
haf)iiement  la  confusion  produite  par  la  lutte  qui  se  livra 
autour  des  analhématismes  de  saint  Cyrille.  11  conclut  que  les 
trois  «justes  »  ont  été  opprimés  injustement  par  des  hommes 
suscités  par  Satan ,  mais  que  la  victoire  leur  est  demeurée 
malgré  tout. 

L'homélie  est  écrite  en  vers  de  douze  syllabes,  groupés 
en  strophes ,  deu\  par  deux.  Il  ne  faut  pas  y  chercher  un  mo- 
dèle de  l'application  des  règles  oratoires  telles  que  nous  les 
entendons  aujourd'hui.  Les  conceptions  des  Syriens  n'étaient 
pas  les  nôtres.  La  longueur  et  les  répétitions,  qui  nous  pa- 
raissent si  fastidieuses ,  leur  plaisaient  beaucoup.  Narsès  s*est 
gardé  de  les  éviter.  Loin  de  s'astreindre  à  suivre  la  marche 
des  événements,  il  laisse  sa  parole  errer  au  gré  de  sa  pensée, 
de  la  vie  de  ses  héros  à  l'histoire  du  concile  d'Ephèse,  pour 
recommencer  la  biographie  des  trois  docteurs  au  moment 
où  nous  attendrions  la  conclusion  du  discours. 

Son  œuvre  n'en  est  pas  moins  un  des  meilleurs  morceaux 
du  genre ,  et  un  excellent  spécimen  de  la  littérature  syriaque. 
Elle  appartient  à  la  bonne  époque ,  à  Tépoque  classique ,  et 
ne  porte  pas  de  traces  de  l'influence  étrangère.  Surtout  die 
est  écrite  avec  verve.  Narsès  n'est  pas  seulement  un  contem- 
porain des  grandes  luttes  christologiques  du  v*  siècle  ;  il  en 
est  un  acteur.  Sa  fortune  a  subi  le  contre-coup  de  la  con- 
damnation de  Nestorius  et  de  ses  erreurs  par  le  concile 
d'Ephèse.  Lui  aussi,  il  se  place  parmi  les  «justes»  que  le 
démon  cherche  à  opprimer  depuis  Torigine  du  monde.  En 
la  personne  des  docteurs  nestoriens,  il  venge  la  sienne.  Ces 
ressentiments  donnent  à  sa  parole  une  àpreté  mais  aus»i  un 


HOMÉLIE  DE   NARSÈS.  449 

intérrtque  nous  ne  sommes  guère  habitués  à  rencontrer  dans 
ce  genre  de  composition. 

Après  le  récit  de  rhomélie  venait  le  chant  de  la  soagîlha, 
on  cantique  alternant,  sur  le  même  sujet.  La  sougitha  sur 
les  trois  docteurs  nestoriens  a  été  déjà  publiée ,  avec  les  autres 
sougithas  de  Narsès ,  par  Feldmann ,  d'après  le  manuscrit  de 
Berlin  ^  Néanmoins  j*en  reproduirai  le  texte  à  la  suite  de 
l'homélie,  avec  laquelle  elle  forme  un  tout. 

Elle  se  compose  de  deux  parties,  un  prologue  et  un  dia- 
logue entre  Cyrille  et  Nestorius.  Comme  Thomélie,  elle  est 
écrite  en  vers,  mais  en  vers  de  sept  syllabes,  ou  vers  de 
saint  Ephrem.  Dans  chaque  ligne  il  y  a  deux  vers ,  qui  forment 
ce  que  les  Syriens  appelaient  une  «  maison  ».  Le  dialogue  est 
alphabétique  et  comprend  vingt-deux  divisions.  Dans  chaque 
division,  il  y  a  deux  strophes  comprenant  chacune  deux 
lignes  et  quatre  vers,  et  commençant  toutes  les  deux  par  la 
même  lettre  de  l'alphabet. 

Une  strophe  est  placée  dans  la  bouche  de  Cyrille,  l'autre 
dans  celle  de  Nestorius.  La  tournure  du  dialogue,  favorisée 
par  la  brièveté  du  vers,  est  très  vive,  beaucoup  plus  vive  que 
celle  de  l'homélie.  Narsès  fait  discuter  les  deux  adversaires 
avec  la  passion  qui  l'animait  lui-même.  Il  est  remarquable 
que,  dans  cette  sougitha  au  moins,  Narsès  n'appuie  pas  sa 
doctrine  sur  des  raisons  philosophiques.  Il  ne  met  dans  la 
bouche  de  saint  Cyrille  et  de  Nestorius  que  des  arguments 
tirés  de  l'Ecriture  sainte. 


'   Franz-   Fridmanii ,  Syrische  fFechseltieder  von  Narsès,  Fiolpsig,  1896, 
p.  i9-:î."i. 


4r>0  NOVKMBRK-DKCEMBRË   1899 


j 


i»u 


5Jûo-v\  >-vsna  ^sstxè^^û^ 


:  >^xo  >>ijaAVA  1^1^!^  AVvi'ai  i^i^!^  t^uj^ 


'^y^  XiC3    ■  »  fAi>*T  fVI'^  Xb\31  ^^^CMnLaJ"\)(UkB 


•  •• 


i<1!Îi<1à  ^jcr\A\^  x^zn^a  ^a^ti^^ 


10  

:  ^^^cn.A'sft  <Yx*">  i<!=n\\\  ^me^-^im  i^v\V,rnc3ii  vyt^ 


li 


• 


â<nVâA>\y&.=3  t<^\»A  oâoi  i^Ijm 


••     •• 


HOMÉLIE   DE  NARSÈS.  451 

~~~  • 

:  yÙ€^y^-\  r^x^xj^  r^r^€k\m  r^\>\  «^Aoiian  i^Xx^aoA 

•       ^~- 


:  ^Vv^oâ^i  i&^Vvro  '^vLro  i^Vv^oâAza 


•:•  i<1!Îk1à-:\  r^*T\^  9<ncA.!Li-:\  i^*Ai^^^i^':vi.  •^^oiiaci  15 

•  ••  •        — • 
:  K^r^  ^oVvA  i^'Hoje.  ^ro  €nju\  oûn 

:  vc^'t^-:\  i^'V^cwra  AjcaoaA  qni\\^r>  i^'Vcûcs'a  i^a^i<1=» 


B  i<=aACi"v . 


10 


452  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

:  â^i^osA  oxusx  ^s^a»  >mi^^  i^VvasooAojlra 


•:•  1^ Ar32L.-:\  i^n*T>v,  >\i^t\  oa^.'\\\  i^Ara^sw  aa'^r^«^»o 

••  •    •  •       ^  •  •  ••   •   • 

• 
•  •      •     • 

Cy9L=3  1&V=3  t^A'Si 

20  .:.  <nV\ax=73âi^-3i  i<Aam  i^aikso  KfVvH.^o 


A 


HOMÉLIE   DE   NARSÈS.  453 


••  • 
:  i^\.A*n  r^ra>.Vak  i^v*n>\:\  t^ua  i^'*\\*\-:\  K^nl^h^ 

•:•  •^^Âro  "Tjtxjotx  i^vrD\  ciin  vyi^  A\xrn  >\a€i 
:  r^S\^!sk  ><n€i^(vn\  T^vv'A.ie.-:\  cicioA  i^=nV\rv  i^^(vnv=3 

••  • 

:  i^Vvcoaïî^  ^nj3  r^jOA  %ss^r^  asrkcvi  r^jtïv^a  i^Vui^ 
•:•  r^S.\^a  i^^tAro  r^-Sjo^syaA  t^jatï^  ^jjjIa  •^^ciooi-^  15 

.:.  ^\^  rsA  i^sa^ci  t^stjVv^  i^H\<fx.  ^Xjcnj^  i^cna 

>^»  •  •       • 

:  i^-K^^ci  i^X^j73  1^-uÂje.  a^»  i^oirococ  A.vxr3  20 


454  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899.  ^ 

:  r^lxïx^  yskx^TD  r^ïi^  ox'H.a^i^'^v  i^VAro  ^m  i^^oi 


••• 


1  ô  :  t^o<3F3jA^\  ckâ.\  •^ACTixiâ.ra  encan  i^^coi^  caôs 

20  •:•  1^\^  CY>  K^Î^CI  1^Jt>Vv2k  i^^\<fx.  CyUJOJC^  yOOOuAÂo 

•    •  ••  •  » 

:  kV^i  >jjLi^  w^&^ ^ja.v\x  i^Vvae»^  KfV\\so 


••• 


t\  i<!Aj^  r^xnjL  o\r\ry  as^  i^\o 


HOMELIE    DE   NAllSES.  Vj5 

•:•  is^tu^  ^*^^  ^\y^  a><ui  i^'KcnckXian  vyi^o 
:  y^xïY^ci  v^Vui^'sv  ^^JElci^-SÀ  ':v^':\  r^\\r^  yi^om  x^xasl 

:  k1\!^^  ^^k^-^  ^nm  ^  Aa.  rd\:s^i<!!IîVv^^â':vsA 
»vyi  yo-sij^  \^^^\r^r^  ><no\*Tn  is;^jj3(vA-:\  vyi^a 

•:•  T^^xjccua  >mLXi-\  y^lxir^  <naV\^  X»i^vvjcajca 
:  <nA>w.n  i^fYxVf\  a\.raJO  c^^  ^^A  -:\ftvAi  rd\iL^ 


•:•   r^-^jcïxi  jp  cn^cncu  \»<ï3an  r^^tnas  civvi  i^^ci 
:  \»cns  •^^rd  y<lm^  r^xrjyjL-sy  cn'Hcncu  cicn  ^•=vm  t^A 

:  ^-\V\n  r^'\»v\  9A^.a^^  cnVvÀtN'H  i^Xx.oj3  V\Am  20 


•:•  rUssJc^  t^^Vv-^  t^ifVra  t^jaîsf  cnA  ,»\»fn*n  i^<no 

••  •  ^^       • 

:  rdijjt.  VA^nA  i<!*îi<!=k  <nci-A\2^  \raAn  i^ra^HouA 


'  I>  Jn.s/  Aa.  —  -  \\  9<nckr^'v^,  —  '  B  r^\»axi, 

\i\.  3o 


i«ir>iiifcMii  aiTiokALK* 


456  NOVEMBKK-DËCEMBRE  1899. 


15 


20 


••• 


:  \<ùâtKi  ^?^^  i<l^j^  oxn  K^'n^Vj^aciÂra  ^lm 


:  1^ W-V3  ,».:\*n  >vi>:^^^  i^!\!^<7)V\ai3'H  A*u 


i^Sâ.^«  «.m  AaTs^^  t  ffn>vV\  os'Hxk*  «isVvma 


jC3â 


•  •" 


:  <nyu?fc*ioAci  <n.u.^\  i<r\\^  t^^^jjt 


•:•  ^  «^^oâ^*yA  Vui^jcaou  y*f^«^V^\^^%^ 
:  KS&ci'Kâ  i^-Âj^tv  i^^tva=3  \\Yii  ^iso  K^m  r^lxA^ 


•:•  v^VvAVv  i^ai20jc  rC^ro'^V-*^  r^-=\rkT\\  «^^o^iî^  «^aaoio 


HOMKLIE    DK    NAKSÈS,  /|57 

:  ^<w^\^  1^0113  1^-vjjcai.  cvXzra^^^  i^jqamjc  i<l^.srx2b. 

•:•  Y^^Aî^i  i^lX^b^  «^A^i^  âxVâk  x^yJTyyjCi 

•  •  — ■      .    •   •  •• 

:  \%\3r,  %v\\^\  rc^A^  o\»  KlM^a  \<^\v^ 

•:•  K^i^mcA.^  ^cn-^  cn^ivl^w  ><n  i^i2o-:\  «^^^m^-a  X»L=3a 

—  ••  ^^^«^  —  •• 

•:•  <\zrK\\^<i  ox^tti^  Vv^rôr^-^  ^iAqqA  A^  ^=n  n^Xaci 

•:•  r^Vxvi€i^-:\  r^\  r^cioA  ><7)âÀX  r^-kx^yL  ^ro  ^iO^<^  ^^ 
:  QÀ^C^F3i\  r^ni^x.  ^'%!k!m  r^\£a: 


"A  i^Jîir^\  ^uDOâOO  nji-vûoc3^r3â 


m  r  r 


3o. 


•    •    •• 


45<S  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 


ï) 


— ■     •   •  •       • 


T^\*T>  ,\^<\ry>  i^V"3Ô  *i^\->ii  «Jb^.n3  «^oocQJ^ 


rdjkx^^  x^xir^  <\zn\\j-\  \\\sor^  r^\^  ro  r^jtxiH 


^roci  rgjsni>\  Yy  corn  luLXj^^  13*^x0 
•  :  âAjc^  eacoLâ^-^x  «^^^r^  r^okâ^  r^'^  >sn»\\^ 

•  •  •  •• 

:  k^k2S&^^-:\  >Aâ^ci2^^  cnci'KVvx»  i^VvaexuQ  jjCASaN 

•:•  oaoooÀ  V\\ro-:\  i^Vvojjc»  no^v»  ci«v^  on^iY>  t^\o 

•  ^  •     •  • 


ITOMKIJE    DE   xNàRSKS.  W.) 


•:•  Aàsci^ci  .rrn  x<l^-s\  r^^\  uv^  A\^V\i^  oxraa 

^  j  •  ^"^ —  ••  • 

•:•  r^x^rd  .^^VvaA  ^vx^ma  i^ncnca  «^ûji^  -pl^  acnci 

:  QûCLCûÀoaoo  >o3l»âj3€i  aimjt\  i^'\^V\À  -^iasJ3i^  i^ci«tv 
:  \^i> V wcwra-^  kI^â^A  cn'K'^vx^  ^L»'\a\.  trw  y\rjy 

■7>^    rdr^'Ki^^  a*^\*73A  .^^aii^  -Knjto  15 
^03l>^(vWv\  r^raou  >m'\i^  ts^*i<vv\a  i^I^ 

:  <^o'\o-M^V\':\  ><na\20C3  i^acn  i^-ttx^  y^slaû^  i^vm'\ 
•:•  r^\u  i^S^Xa^  <nmy*i  *;70jl^-:\  i^":\t'^  ain  -^pjt.r3 


•    s 


•:•  Y<!fto\r3  *7Exa(\  i^Isk'A  i^Vi^zn  ,^^011^  m: 


.A  r^.^-\ak-^  ^^ji^^  <n.&'A^  i^^a-vra  -^xaca 
•••r^VvoVui^  i^n^  i^Vv\^  i^côaoLX.  i^Sjq^a  ol^i^a  25 


D 


2r) 


••• 


460  NOVEMBRE  DECEMBRE  L899. 

^oaûkJ^Àra  r^am  x<i^J^  a^  <n\i3  yf^am  Aam^ 

•  •  •       \. 


••• 


20  '••  T^^*3i^^  ôii^m-^i  i^V\n\ji  uv^  oiciaacsVii^o  aahi»\o 


:  r^^A^\  1^V^^\  <73\si&':\  1^^\kV1  1^€lâ>  OUCoVv  t^SQk^  Ol^ 

^J  ••     •  •  • 

••  •  •  X  • 

:  <nV\â^<n^  i^Vrn  AiLcL^  i^oo)  "SAwri  i<!bak&  oi^ 

•  •  • 


fIOVIÉL[E  T)E   NARSÈS.  'lOl 

*Aà  ^po  \»oxm-\  t^U3V\t\  cTUôm  i^om  \>oiro  i^sn^  oi^ 
•:•  oxsouo  r^V^  i^At\  i^om  9J^>xsot\  -^tvso  pL'n>3f,  t^A-:\ 

:  r^\jj4  Vvjjjbo  i^am  V\\Knm  i^sâa  »<nl  ai^ 


-:•  YÙ€^Y^ek  r^^t^se.'si  v^^nt^^  ^nX^i  X&\o  VvîjtobM-:\ 


••  •  • 

••• 


^%        ■•  •• 

•  •      •        •  ••  • 

•:•  i^SV\<VM  >Â2Lrno  i<l<3i&  'sJj^  rs^r^  y<n€kX^La> 

•      •  •  • 

:  i^Vvjlox»  \€i\&  T^ocnan  mkiSfX^  i^Xaccua  ^(Aro  20 

••       •  • 

•:•  Y^l^i^\  âAsoa  i^iA^n  \^t\<\  ><nôi<f'Sj3  we^\X  ^/% 
•:•  T^ncnoi  t<!ajo^ci  \<!âJCM  ^mai^-^js  i^S^cajA^v 


'  B^ 


A  Aa  ^m.  —  *  B  cuojc^-A.  —  »  A  i^L-mn. 


462  NOVICMBRE-DKCKMBRE   I  S99. 


9f> 


5  •'•• 


m 
•  •• 


•:•  t^  iSKoxmafn-sK  i^^oj^-i  i^Laatc^  ci-vi3.^>o 

•  • 

:  t^XW  t^Aâ^a  «^oit^  VmLû9  t^-vskMJ=»  r^imâ^ 

'  —         ••       •  • 

Y^'3\  X<^X<^  «JL^t^Zn  w^OCIOSlI'^ 


••  •  •• 

•!•  \^\V\rn  i^^'A.^.-^  t^XK^\i73  o2^-\  4V»i^-VKi»\o 

o^lsolx^  w.oâ^mLX^  VcA-ri  i^\n  V\r3  yôoA 


•:•  .V^V^  t^A^ra  -Ka^jc^  Si^^oA  «^^oit^  Ài^rcfo 

'  •       ••  —         '    ••  • 

:  o-XTiÂmA  r^uaVOi  cnV^*n  i^Vm  Vkx»':vso 

:  t^Xs&caa  XAm-^  t^-\-Hjc\  yoaujra  Vv»i^Q«âJA 
•:•  T^x^^x^'-^cn'A  T^scïL\x^  i^^dJco  ydOKia^vi  t^A*:! 


HOMKLfK    DR   XARSKS.  K»3 

•  ••  • 


;) 


cTxXftvra  Y<^-\jajiL^  cir>.V^  t^-Hjacue.-^  t^'^ôxi» 

•:•  ^ors^-^v  c73J^Ar3  AravsK^  ^"^ra-^-A  Y^sa^'s  mrd  ocn^ra 

■  •  •  ••  ••  • 

: C7xm\2^  A^y'n  r^r^  VvA*n%\  cnVi\^r»  i^VxVut^ 
:  rd^i^\-:\  \<S«tvr3  rd^t^ix-:!  i<^<nr^  oS^^^jif  x^Làii 

\^  •  •    ••  •       • 

'  :  t^jjt^  ^m  -VraA  t^i<!^  cajo^-^x  Y<Se.\M  i^^fA^   15 
•:•  K^Vxcai^a^  A^    cnAo  y3^\\<^  x^JatL\^^  r^\j  a^o 

••  •  •  • 

•       \^         •  ^^  •  ••  • 

:  x^axi^  V\Am  ^n*Ti^    ^^  ovm  v^côr^  Vviâi.  o^ 

:  cn^caoa^  ^m  \<l&ax^  >09cua^^  XtY^\â^  , 


>    Cod.  add.  :  ^.ro  -K  *T>  \  k1a1^*\  \  OXO^-^  1^!sc\m  ^^\     "A^O 


464  NOVEMBRR-DÉCKMBHE   1899. 


:  ^sAoa  ^\r73t^  Xtrd&K^  aA-:!  S^t^-ri  Xtt^  «-^^^ 


•  •• 


••  •      •     ^^^» 

:  i^ÎKf  \:7Dt^  .raoVxo  ^cn  ^\:Âi^  fcnAii'yisoA 

:  'liXso  Aj3>.oa\  K^^tA^o  ^mr^i-^  t^^jsoti  Vvj^  VviA 
10  •:•  '  i^Xsô  «JOÀ-rv 


-^ 


\^^L^  CCS^SsoA  «^oVÛt^  »A!k»^ 


•  •• 


^u  «^jtn-A  cn^\.s>  ■  >m  v^kso  i^fi^  \sot^  1^7;^ 

15  :  t^^-\Vv\  fOXijL^  i^Tfjca  r^sarsf-si  rdsuza  i^solÂo^ 

^^  •  •  • 

:  x^\^zx^  ^\M  -SfcSy  ■  i^lfioi<!sô^  <»V\\i7y^  t^\CV,^ 
20  •:•  i^xsnAcu.1  ^lix  r^ijjâ-^  t^VAso  cnA  VvSSif  ■  t^^o 


••      •• 


1 

•  _       • 


ÏJOMF^LIE   DE    WRSÈS.  465 


•:•  rdâAm  Vvi^nro  -xri^-rv  fOixN^^Ta  >cn  r^i.m  A^^'n-ry 

:  q»^t\a\i>^v*^  i^br\<Yxv\  A.3Cv\  v^V'M'^  i^XiLoso     5 

•  •    •  •• 

••  • 

•••  y^j^^sKCi  K^Si^vv^i  Qoo'A<nLiQ^£û  *-puc=3  «^ca^   oxrnjca 
:  cn^caoxr^  ^p  t^r^âA  oxnj^-^  i<^ijt.<u^  t^cn 

:  r^.ic^i  rd!&A.\  i^AsiLi  oiA  o\mA,  i^AsiLi  t^JA 

:  T^VvmcL^KM'A  gyarx  fAvv.N  À^  €n^^^\i3  ^cn 

••     ••  • 

.:.  Sx^  i<Atvr3  T^v^  rd&oaâA  cncnA^  t^p^"^ 
:   cn^cuosA  ^m  pcw^  T^axr^-A  ^ocn  \^i^2k  oA 
•:•  cTiX^'A  w^ouaa  T^X^Oâ^'A  r<^am  pWx  i<Aa  20 

•  •  • 

•  •  •  • 


B  i^'"v»'\at..  —  =*  A  A.=njcci.  —  ^  A  cn^cuK^  ^p^  pcuaÀi 


•   • 


5 


W)  NOVRMBRE-DÉCEMBRE    1899. 

:  i^=3\x\  €n^(VsL&V  Xtrd&r^  (v\n  -ViTsi^-ri  Xtvcf  ««^vdo 

••  •  ^^^ 


•:•  T^*T>Vv\  ^JN^t^  ar\ikV\  Y^icFaA  ^ats^amto  t^^A^ 

10  .:.  x^ytiv^rx,  \<!lx»r\  ^^ca^  .rx^yi-^  \sntî^'^  *xiy^VviAci 

:  r^Xbi.anjA  t^sA  >\.\^h;,  ^ulzo  i^coA 

:  w^gcTXilAso  A^    tdArô'A  ^X^^ra  X^*i%  i<!A  r^m 

—  ••  •  •  ■• 


.:•  ^Vx^ibVv  V\cA  rd&ox^  xjÂ^  i^^vjsoà  i<!Aq 

•    •  ••  • 

•  •• 

:  ^cujlA-)A_^oj3  i^âAm  ^mosca  xx^^m^  ^u 

:  ^ksd^'AK^^'^  cnovmôjca  ^ocn  ^^icv^i  J3Cid\  o<» 
•  ••     • 


A  r^cn .  --  ^  A  (Irest  xiî^.  —  '  B  ^uo 


IlOMKLIfc:    DE   NAUSÈS.  467 

••  •  '  ■ —  j  • 

:  r^^caje.\\  aam  cckido  r<l^  ^^\i[\r=\  ^ndkx,  coaca 


.;.•  i<^f'A^  rdocox^  w^oii^  ^"Vn  1^^*^  ><n  r^ikvv^  ^-ï 


•:•  K^-\A^jc^  *T^s>.  t^^if.^i  >Jij^  i^uvra  ^^i^o 

•  \^  ••  • 


•        ••     •  ••         ^^  ^^     •• 


OOSljl. 


j\i73  ^jsa^  i<!x=nL3t.'A  oajxs-A  S^cTxi  r^^  ^cn-^ 


^ 


••      ••    ^^  • 


^^  ••  •• 

r^vr3\  aoaca'A  "^^  V  ^^^•=^  oaca'ÂJC^    >v*-%^^  .raoV  •^..j<jci 

:  ^.^ro  ffna^^AàysK  i<a.Vâ  VcA  ^acn  J3^\3a  y^^  20 

x^^^  •    •  •  •     • 

*:*  ^oscvij'A  A>*^  ^^Y^*""^^  t^A^^    Y^ocn  AX^h»^  y03C3 


:  r^icTX^  a\2i^.û»':\  K^'Acn  ^Js^Y^f  ,\*73jc^    -^oVvm  ..m  oxso 


•  •  •  •    • 

r^-K-ÂJC-  •^cicuxi-A  0^00=3  i<lSka^\À  ..soci  25 

•   ••  ^3 

••  ••  A  ••     • 


468  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    189Q. 

—  ••     •  \r        •• 

•    •  ••        •       ^^ 

••  • 


J  0       .:.  T^i^^^cLm-^  i^=nix^  •H.mrif'A  *  ^-^i  ^so  -^lo^  am  "tiSaxto*:! 

•:•  ^VxocnA^o  t^'S^^  'S.soi^'xv  ,\^Aif  ,  sLir^  \^\^ 

:  ^lAcn  •SLznjc'^  \<S«^  A.ra.)a  Ajâ^n»  r^lisn 

•:•  i^'ticcT»  t^^-^a  -SjAx^  K^-^oro-^  K^t^  '^SjkàSO':! 

I  :>  :  ^%Vv\rC^  fN/v>^  \<lkr^^  -^  fU"yfc  Â^^xo  i^iro  i<<» 

•    •       • 

•  ••  •  • 

:  ^*\^*-^Vj5^-=^  f <i)am-VAi  f  \j&a  i<!|ia'^  r<iam  ^^<^ 

•:•  «.^caK^  AXt^*^  K^âi^l^^  .racuxi-:!  V\a<»  i^t^^  t^\o 

:  >€ncvm-v^  ArajacA  t<îmACY>v\  t^ocn  -^.rxbb.  r^^'\  i^xoSy^o 

^0  •:•  i^m-vu  -S^^no  i^Iro->^  ^t^^  'Si^àA,r^  »ok\\^\mo 

:  ^  t^AjçaV  t<StiA,  c'en  ■\A'v\  i^Iso^mcs  i^sfsSm 

*  ••     •  • 

:  <n\.r^Q>p^':\  ..m  v^n\Ai  x.oS^'a  ^vâjcrn  xj!t^ 


HOMKLIE  DE   NARSÈS.  4ft9 

••  ••         —  ^^ 


•  ••  """'*" 

•  \  •  ^. 

•:•  axzryjc^  vdwjjtro  \<!*^K3  i^sn\*i  Xit^S^^o    '•^ 
•:•  T<r^(Vaexa3'A  i^uSoi^ra  -S  aS.v  ■•  t^'AÂmA  «^.a.»  x^^  Kl!ia 

•:•  rdjci^  Vxgjcica  Vâ^..^  tcSto-a  >!^c»  ^"Hcn^a 

••    ••  "^*  •  ••  • 

•    ••  •  •• 

:  t^^o^k^s  K^T^sLsoA  t^VAm  rc^uaA  €n\  p^jxA  >\cy> 

•    • 


\  •   ••  •      • 

•:•  i^\=ô  ^aXa'Â'a  i^\d^  ^=n  ^Ajcl^  i<!iro  A.^^^JTa-^ 
iLcï)  T^saïï;^  cvWro-A  Vv!kdojt^  ^t^^  i^A-^  t^W.=nco  20 

••        • 


B  cnVvadfcX.'k.       ^  B  >kAx.â.  —  »  B  t<^\A-AC>. 


•  « 


;> 


10 


IT) 


'a70  novembre. DECEMBRE   1899. 

•:•  ^^cai^^  ^rn  ^\«^:=)  t^^A^  ^^mV^  ^io  \^j^ 

••      •  ••  • 

••  ~^k«  •  •  •• 

•:•  «^AoxsÛKyi  am\jc^  i^Xj^oa  i^&oaca  ^K^  J^  t^cn 

•:•  v^Soi^  K^'AcnA  *  cncocS-A  i^vva\jc^  ^\ci-\ak  r^m 


:  oxia-vx^  ><ncc3Vv^  r^XsÀu^  t^^-A  yVvsoo  i^ncA 
:  cn^coa^^  " i<l\i^  r^A^^  y<^\t\*^  t^mLi^-k  âtd  Ai^ 


:20  :  A'^^':\  x^%r<!  ^nro  Aô'^^^  ^\a-\âA  w^ooaA 


r^\.^^a  t^^sOlso-^  i<^'\a!^  cc3^\^  w^ox»'^.^  fA*i  r^tn-si 
li  «^âiLsXm.  —  -  B  cncL-at-S-A-rx.  —   '  A  Kf'Âom    %   \.  — 


i 


B 


IIOMKLIE   DE   NAKSÈS.  471 


l'A  i^fA*\^  Ara^raVu  i<l\':\  aj&\à  y^vs[& 


iLcï)  ^An.:^  ^csvvVra  «^^cnAn  K^'^cn  »<n  r^yma 

:  r^\»vs,.  W....03A  »cnat<liL^  "AgyA^i  oc»  t<iAA2L.->€n  ^^ 
:•  r^\^a  ^îtAro^i  t^Xt-AoVx  *  t^^VM  cA^tajo  ccia-  y^Ao 

:  T<r^ca-H\^\  (sic)  <nc3JC^  i^m\xi  i^LljaômkjuM 
•:•  rcfXijar^  ^rcf  (sîc)  P^scA  i<l^<<n  vy^o  15 

■   ••  • 

•:•  Y<f  V\aVv4Y<f  *7X3A  cnLmjtra  yS^ca-ti  i^»^t^  cA^^tî^o  25 

'    ••  •• 

A  nj^.  —  ^  B  Y^fifxocnAi^'A. 


KWalMBalB    XATIItUtL». 


M2  NOVEMBRE-DÉGEMURK  1899. 


'    •  •   •  ••  ^    ••        •  • 

•        •  •• 

—  •     • 


•  •• 

•:•  i^\=3o  t^3t^t\  t<lsocâj3  .^o  AmA  yoaLftni&â  ^S^io 

X  •  •     •  • 

•:.  >.M,i^t^o  Ail  i^9a\:3  cA*:!  oam  ^\rnK^ 


HOMKLIE   DE  NAHSÈS.  473 

%xkx^!^D  a\\^r<^^  i/^Wjl^  K^^q  S^âj&o 

•:•  r^^-\Vv\  asFsA^  Xtrd&v^  cA'^  w^o^i^  ÙÊ^-^ar^is^    Ti 


:  i<v\^  7°^^—  t<r -u-vx-  0-:\*^Ni     lC=3-\  tC=3-V3a 

:  oocHc^^^  i^am  ,\.Ajo  ^^o  ■  i>\  y.^  i<1jÔjc« 

\f   ^  \^  •        ••         • 

\/  '  • 

•:-  i^l\<\^^  >'^\^n,\  w^m^  ^om  i^'Sjc^  ^t^^^so^o 


gcn^cisajAi^  cliA  i^ocn  ^<mm  ^^*^.-*^^  %ss^r^a 


3i. 


'20 


:2r> 


47^  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    1899. 

•:•  <nu^<»'\^  ^VxfikTo  oxAx.'A  i^mn.^.  %^jLa  ^  y^^o 

>  •:•  r^^EXoA^^m  ^V<\*at>ro  *^dcl>  cnA  i^oôâ  ac^^  i<l!\o 

:  ^|0^  i^^iX^'^i  <i)X=n<î»  CLsa\jL  \<lxy%x\3L  t^^St^nca 

1  u  :  i^acn  ^ardâVvso  oocAoÀ  ^(vXron  t^^a&\  9011A 

•   •  •  • 

:  \si^je.  ^<»'H'^  i^jcsjA  i^lm*:!  ^^ik&\  oKf 


X        ••  •  •     • 


:  ■l'fA'\^  K^vM^oA  '7xLj!Ùm^  r^snsk  r^sr\%'\vv\  oKf 


^cnoAm-^  T<!=y>\^^  vsAiTsVxrcf  r^^  i<Vii^.  «S  vd^ 


flOMKlJE    DK   NARSES.  /i7r> 

—  •  ••      • 

L  J  •  ••  • 

^/         ^^^  ••         •■ 
••    •  •  •• 

:  r^Xsô'A  r^\i73i^3o  .^^Y^f'A  >i^^r>.^  cnÂ^^^i'A  ^V\\i^. 

•  •  •  ^  \ 

••\  .        ^^  _^      ^^y  .      y     ^     \    -     *   ,  ^ 

^^  •  ••  ~-  •• 

1  BifxSi. 


^476 


iNOVEMBRE. DÉCEMBRE  1899. 


10 


15 


2Q 


•••  ^V\\.mii  K^-Sjc\  ojlI  rilyp^ 


:  rd&Xbi.<in3n  tdAsb  >x."i\  r^r(!  \^jc\ 


m 
•  •• 


!  cca^fvakA  t^f^SfAT»  azaiS^VÀn  A.2k  cca^rtsk  Xti^sojâ^ 

•   •  ••  •   •  •   • 

•:•  «^^0ijjâjc.c\!^i3  t^soom  ya^xnoA-A  i^sojâji^  XAo 


••• 


:  ^^  \^^^  ^ou'K^  Kf  Vv^i.'^v*  i<L»n  r^jjoa 


•:•  K^sc^n  t^jjûo^  t^=3K^  o\X^^aJLû»n  f<n 

~~-        •       ••  ^  •  •• 

kO  T<^)(v\ro-A  i^^(Va&a&  •jjCi'SÂro^ 


^moXt^n  Kîm  ,^n  \.£ûj^  x^^  atn  aà  oaA 

^^  •        •  ••  • 


oivj^  ckro-\ 


V  •  ^_l       r 


HOMÉLIE   DE    NARSÈS.  477 


^  a»aû  «^  Aâ^-A  «jjCftèv;^  *<   *^  ^^^    5 


:  Y^i<nj^-:\  i^K^JL^  «^_cai^  VxnnJbi.^  i^X^^^  yih  rcfnoa 


^       •  •    ••  •     • 


—  •    •  •  •• 

—  •         •  •  • 

•:•  %>.^oijA?a.v.  jâ\  Si>^jf.  i<!!iVu  Jk.ni  xxr^  i^l\o 

^^^  ^%      •  ••  • 


•:•  T^^oVvrs  i^':\\a'^  os'KaÎA  i^'KVm^  oxA=3<n3  \<i\':vr3 

••  •  • 

:  ci-Kie^VwcT  rd!mA.  K^r^  K^a^ii  ^^ftcnjAmcw.  rcfoa 

^  B  ^oiin.  —  -  A 


10 


20 


478  iNOVEMBRR-DÉCEMBRE    1899. 

:  i<jaï<r  A-ra-rtcA  x^^r^  a\^..£û  initia  r^jtxr^  ovm  r^m 

••  •• 


ooiyro-ti  x^xjyjL^  <\\â>.ib  ^ra.»  t<l\  ncoaXra  t<£\aLtt 

■• 
•  \/  —    • 


••• 


09d\JLmn  YCX>^  -\v^^ 

15  : rcf^n.^^  clV^  m^n  ,^^e^rd  Vvi3.^A  •..^-vro-^  094 

:  «^A^vCT  ,23coeAx.in  «^^  ÂjoA  i^Ï^Imo  t^ivi^*n  ^(xaso^^ra 

— •      • 

:  rdyA.i  9<nà\sk  i^x.iî<f  ^sco^  rcf^S  n>\a>*i^A 


•:•  K^v  ^  cv>  ^jN^Kf  Kf  V\je.oj3  îk^^'^A  Kf^-vo  ^AAi^'i^ 
:  i^tJâii.  w^cnca  .^^aircf  >ibk.rcf  K^i\^cv>  '  vO^ 

•:•  l^ïl^^-:!  1^\.^.^J=3  09^^  V\^^  ^"^^ 


•  Bv^o. 


II()\IKLIE   DE    NARSKS.  479 


rx^^-^  i^^'HrCjcxrs  rcf ^ojoâ {vxu*i  <n»^\  n^(V^o 

-—  ••  • 

>-\^ûarD  •^^aoxsooAra  K^utrn  i^\Xp'^'=^  Kf-\Y^^^ 
:  v^*\^^  -^jcArD  ,;3Ô"\.ka.i'^  i^^Jrs  i^Vvse.ca3  ^-x'svjûaX 


•^a.vv\n  rcfaM.m  <n\^  Vieocjca  10 


:  <nr3k.»cA-  vs.»i^  <n\^  -Kom^^aA  Kfom  ^i^f^^  ^^^ 
:  r^-vs^ac^  -:va^  903a^>-\a^  y^^Soà  i^ocn  VuKf  o^Kfo 

4^ 


:  *  \^it\cv»\\^  >i\  cnA  oocn  t  »*\;  "^  t^TTi>\^-\<wc3  20 

:  T^ïr^  Ai3Pa\  r^\^»  »  oiA  Kf*n\^  r^V^»  » 

'  •     •  • 

•         •  • 


480  NOV£MBRB-D£C£MBKE    1899. 

•:•  o9^a3ijim  K^Acnuso  •^^oocnii'^v  i^WN'^  ojcSo 

••  •       •  ■•  • 

:  rcf  VvrâoM  t<l\so  Kfaij^v\  i^vu  <iaV\amk»n\ 

••  • 

•:•  i<l^eu^09  "^cvâ.r3  mViSjsp  t^lûA^C^  \50\soVvso  i^oao 

^  j  •  •• 

•:•  t^jLoX^^  "^ojca  a»v^  oxv^x»  1^0  <vy\^o  ax3\^»^ 


15 


^n^ofcf'A  t^joA.^  «^^cnL^k  ojÀotS^o  Ari>\\,  r^tn 
:•  usXb'a  i^'^i.âM^  i^tvj-v^  x^\Six^  •^^ciaj.zo  *  «Â  11^0 


20  :  i<S^.  tJT»  ÂrsA  «..cai^  ^-^àX-  r^x^  Vv^Iso 

•:•  ^o-^ono^n  Xjcan  i^^'K  i<^v.v\^  Vui^\j2^ao 


•    • 


•    ••    • 


"ta- 

^  A  vsA .  —  *  A  ^jzoojcso  ^:x> 


.  —  ^  B  9 


4 


B 


HOMÉLIE   DE   NARSÈS.  481 


"^  Y^.^-\i^jcxr3  osni,»  «  ^ dvrovvo  Oâ'vx-*  fdvroi^-A 

••  • 

"■^~-  ••  • 

•:•  ^cu-Hrcf  VvjC3-:\  r^^x^x  JkàsASO 

x^r^sk  x^limsJ^  w^cai^  ÀÂ-Ko    5 


». 
••• 


0009  aiJC3\  KLxn-^  i^Ar3\ 

•  •       • 

:  Y^Srav  Ara,Pft\  w^cai^  -^ajl^  i^jvr3\  i^Âdo 

^*~*-  •• 

•:•  t^AX33  Y^^-\K^ja\  t^vV\S  ^*^V^  i^aArn  ^Aso^vra 

:  r^^jÎA^  t^vAs  «^^oxaX^Wi-^  i^xrav  i^ocn  K^xn  1 0 

•  •  -  •  •  • 

:  n^ij.2h^-\Kf  T^^-Ki^^  o^sol^ji  r^^oâixA  àx^ 

•:•  i<rV\o^Ajk=F3A  ^<Ibh.'Ki^=3  ôaascHo  \^^n\^\  9€nea.^ûS^a 

•  •         • 

:  aa^mi^»  p^aujc-^  t^kinoi^  ciA'K^n  v^i<!>^a9A  01^.20 


:  \^kvài.-\i^n  •^ocnSrao'^  t^Xso  i^^-H  rd\<r^ 


'    B  T^j^rOLSC-^O . 


.) 


W2  NOVEMBRE-DÉCEMBHK   1899. 

(51c)  :  •..^oi.rvrDO'^  K^^i^n  >iorcfl^.  «^A<i9i»-\rao^ 


—  •    ••  •    ^«  • 


•:•  i^^^v  cvx'VTa-^  kI^jt)  n^orcfn  >3ji^S  a^^^^o 

\»»       •  •     • 

AA  i^^(VA^^ae.V\  Vvs^is^  x^rd  t^^'K  yi^\  ?i^o 


]  T)  :  i^-va^a  *t>:s^':\  y^Xj>09  Y^jarn  ■\*tiv\  y^A'^  1^^ 

:  no'svm  A^  ^m  i^->jSjc  aroi^-K  r^lxir^-^K  r^jAà\ 
•:•  i^s^-\ro  ^m  i^s^xra  ft\.*n>ô  K^î<f  .\\^*:oo 

•      ~~> —  ••  •  •  •  •• 

:  ^  ^1^^^^."%  nD'^vjd  x^ytxi  %is^r<!  ya^^^os  w^oia'VraQAra 


'  Br^atxi.  — *  B  ^V>>»,'\. 


HOMKLIE   DE   NARSES.  483 


cn.i'w^ckTD  .^i^^A  YCXt-^  dVjca  ooi=3  i^.^-\:idu  \<l^'s\ 


484  NOVEMBRE  DÉCEMBRE    1899. 


•• 


••  •  •  •    • 


:  A^\  i^xîcaA  i^Sj^'si  oi\»v\*^ 


••     •• 


:  ro-vro  «.ro  o:^je&a\rco  ail: 


••  •    •• 


:  .^aaA  r^-Kn  i<!mi  Aâ^'\=3  10 

••  • 

.  >oaa.Kr3LfcVvi':\  cniAi  Kfoc»  &"VÀ 

20 


HOMÉLIE   DE   NARSÈS.  485 


:  itNÂrorcf'sx  «yi^  r^rcf  "Hrôi^  •^-ï?^   "\r 
.  Kfooa  n^-Kcvxr^  i<^r^A  oa^aljrn'^i 


^xi 


:  i^oo)  1^-VMCD  r^IxmoX=n  refera 
10  •:•  t<lW\  aajc^  kI^vsjo  dC^H  A.^wO 


cn-vra^^-^ 


Kl  : 


••• 


:  ViâLmiat.  x^^-^k  \\Ii^  rcf  •Hmo'^i       "non  -^ 


••  • 


4«6  NOVKMBRË-DKCKMBRE  189U. 


"-\ca3  03 


•  • 
•• 

•:•  3t=a.\  i^-S-^^A  r^r^rdr\  os-S^dA 

••  • 

\i  <v>\  CI  :  1^009  i<^K^\  oaVv^mn  ooxii^ 

••         ••       ^^ 


HOMKIJK    l)K    \  \KSKS.  487 


••        •  ^       •  • 


••       • 
.  v^a<n  Xs^ic\r3  i^rsK^-ri  '09^x^=73-^ 

•  •• 


••  • 


:  Kf-^y^Vi^  x^  \^w=v=o  Vvi>\\^  ^\^fA^  ^ 

. "TcwX,  rcf ^0=73  i^Vvjco  i^vxzn-^ 

^   »•  ^^  •  ••    • 


.  cnA^FiL^  009A  i^ocn  i^^i.»  i^l\ 


:  i^Vv^.o\  ^73  A^-AO  oaA  ^-K^ 

•:•  nax^xi  09':v»i^  Aâ.\30  A-^^-^i 

••     • 

\IV. 

:i2 

IHPalHiaiB    MATIOUALI.. 


\;mi| 


u^ 


\  ^^*  A 


.•nojo  ya 


488  NOVKMBREDÉCEMBRE  1899. 

:  «^^09^13  AZnhSii.'n  ^30^  I^jlZO  ài^o 

m  • 


••  • 


:^x\a^ 


••• 


••  • 


• 


009':\  iCJCCkSnL^  9 


•p  ^ 


:  \roi^n  Vv^j^niae.  i^-Sza^ 


•  •  •    • 


"^n  *  1^-V^21  1^  «W]LSO^ 


5 


HOMÉLIE  DE  NARSÈS.  489 

:  y^am  -Kroi^n  Vv^\*  ctiizo  "X^-oûj  "T» 


10  ••^=?-^^^ 

2  y^Ckfh  fXiXJSû  i«dv!3o  am  rcf  V\\=73  •^i<jci 

•  •  '  — 

•        •  • 

••  •     ••      •  •• 


••  •• 

••  •  •• 


^  B  o\«0^i.  ;  A  deest  009 . 

32. 


^90  NOVEMBRË-DKCKMBKk   ISQO. 


Deest  qol>Sa\-  ml  .^. 


'J 


-\ca3  p 


'V*^^ 


"Y^mi  À  :  i^Ison  ôr^  UNja':iv<^  ma^    >* 


•     •• 


009-^ 

•        •• 
••  •• 

.  V\CK»  axrn-^i  y^xm  «^j\&^r3 
,  SÂxs^i^ Ài^Xaco  t^baAi^'i^ 


A  aocn 


10 


20 


HOMÉLIE   DE    NARSES.  491 


.^xi 


B  i^cno .  —  -  B  i^icsaI-^. 


492  NOVEMBRE-DÉGëMBHE   1899. 


LES  [NSCREPTIONS  DU  PREAH  PEÂN.  403 


LES 

INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÂN 

(\NGKOR  VAT), 

PAR 

M.  ETIENNE  AYMONIER. 


Dans  un  mémoire  présente  au  Congres  de»  Orien- 
talistes, session  de  Paris,  1 89*7,  je  crois  avoir  précisé 
l'époque  où  commencèrent  les  grandes  constructions 
religieuses  des  anciens  Cambodgiens  ;  ce  fut  au  règne 
de  Jayavarman  II,  qui  monta  sur  le  trône  en  72/i 
saka  =  802  A.  D.  Je  pense  avoir  aussi  établi  les 
dates  approximatives  de  la  fondation  de  la  capitale 
Angkor  Thom  et  de  son  superbe  temple ,  le  Bayon  ; 
ces  travaux  colossaux  furent  probablement  conçus  et 
entrepris  pendant  le  long  règne  de  ce  grand  roi ,  mais 
ils  ne  furent  achevés  et  inaugurés  que  par  ses  suc- 
cesseurs :  le  Bayon ,  par  Indravarman ,  vers  880  A.  D. , 
et  Angkor  Thom,  par  Yas'ovarman,  le  premier  roi 
qui  fixa  sa  résidence  à  cette  nouvelle  capitale,  vers 
l'an  900  de  notro  ère. 

L'édification  des  grands  monuments  se  poursuivit, 
avec  dos  alternatives  diverses ,  pendant  les  règnes  des 


494  NOVEMBKE-DKCEMBRE  1899. 

trois  siècles  suivants.  Mais  on  doit  admettre,  quoique 
la  fin  de  cette  brillante  période  soit  plus  obscure 
que  ses  débuts,  que  ces  constructions  colossales, 
œuvres  de  puissance  et  de  prospérité,  s'arrêtèrent  en 
même  temps  que  les  documents  épigraphiques  qui 
les  célébraient.  Des  uns  aux  autres ,  la  connexité  est 
évidente.  Or  les  anciennes  inscriptions  cessent  brus- 
quement au  règne  de  Jayavarman  VII,  avant  la  fin  du 
\H*  siècle  saka ,  donc  vers  le  milieu  de  notre  \ni'  siècle. 

Entre  tous  ces  grands  monuments ,  les  deux  plus 
récents  semblent  bien  être  Angkor  Vat,  Tincompa- 
parable  et  gigantesque  temple  qui  célèbre  et  résume 
la  splendeur  de  tout  un  siècle,  et  Ta  Prom,  chef- 
d'œuvre  de  délicatesse  et  de  grâce  sculpturale,  il  est 
vrai ,  mais  édilice  dont  le  défaut  de  solidité ,  —  encore 
qu'il  fût  plan ,  —  semble  accuser  le  caractère  de  déca- 
dence de  la  conception  architecturale. 

L'inscription  sanscrite  de  Ta  Prom  datant  du 
règne  de  Jayavarman  VII,  il  est  très  probable  que  ce 
temple  fut  construit  entre  i  o84  saka,  année  de  i'avè- 
nement  de  ce  roi ,  et  i  1 08 ,  date  de  ce  dernier  de  tous 
les  anciens  documents  épigraphiques,  c'est-à-dire 
entre  1162  et  1186  A.  D.  Après,  c'est  une  nuit 
épaisse  où  tout  parait  sombrer.  Le  grand  Cambodge 
finit  donc  avec  notre  xii®  siècle,  et  le  xm"  dût-étre 
une  triste  période  de  faiblesse,  de  troubles  et  de  ré- 
volutions. 

Si  Ta  Prom  est  le  moins  ancien  des  grands  mo- 
numents cambodgiens,  Angkor  Vat,  qui  a  dû  le  pré- 
céder, remonte,  à  mon  avis,  au  temps  de  Suryavar- 


LKS  INSCRIPTIONS  DU  PRKAH  PEÂ.N.  495 

nian  II,  prince  qui  saisit  le  sceptre  en  io34  saka 
-=  1 1 1 2  A.  D.  et  dont  le  long  règne,  une  quaran- 
taine d'années,  semble  se  distinguer  par  une  recru- 
descence d'activité  religieuse,  de  ferveur  brahma- 
nique, —  on  pourrait  peut-être  même  ajouter  de 
mysticisme  exagéré,  —  dernières  lueurs  dun  feu 
({iii  devait  bientôt  s'éteindre  dans  les  cataclysmes  que 
provoquèrent  les  excès  du  système  et  Taftaiblisse- 
ment  irrémédiable  de  l'empire  qui  en  résulta.  Il  est 
à  présumer  que  Suryavarman  II  est  le  roi  qui  reçut 
ce  nom  posthume  de  Paramavisnuloka  que  les  in- 
scriptions khmères  de  la  galerie  des  Varman  d'Angkor 
Vat  donnent  au  fondateur  probable  de  ce  temple ^ 

On  ne  peut  guère  remonter  plus  haut.  Nous  con- 
naissons en  effet  les  noms  posthumes  de  tous  les  rois 
depuis  Jayavarman  II  jusqu'à  Suryavarman  P' inclus, 
et  aucun  de  ces  noms  ne  ressemble  à  celui-ci,  sauf 
celui  de  Visnuloka  donné  à  Jayavarman  111,  jeune 
homme  dont  le  règne  très  court  est  beaucoup  trop 
ancien  pour  qu'on  puisse  songer  à  lui  attribuer  l'é- 
rection d'Angkor  Vat.  Quant  aux  rois  à  intercaler 
entre  les  deux  Suryavarman ,  ils  ne  semblent  pas  avoir 
eu  des  règnes  assez  longs  et  même  suffisamment 
prospères  pour  faire  exécuter  une  œuvre  aussi  colos- 
sale. 

D'un  autre  côté,  il  parait  difhcile  de  descendre 
plus  bas  ;  le  successeur  immédiat  de  Suryavarman  II 
n'eut  qu'un  règne  bref  et  incolore,  et  le  deuxième 

'    Voir  noti-e  Etude  xur  1rs  inscriptions  khmrrrs  (Journal  asiatiane , 

1  ^83y. 


4Q6  NOVEMBRE. DÉCRMBKK  189«. 

successeur  fut  ce  Jayavarman  VU  qui  fit  vraisembia- 
biement  construire  le  temple  de  Ta  Prom.  Nous 
avons  déjà  fait  remarquer  que  tout  cesse  après  ce 
dernier  prince;  outre  cette  raison  très  péremptoire 
de  la  décadence  de  Tempire  qui  nous  empêche  d'at- 
tribuer au  xin"  siècle  saka  la  construction  d*Ang^or 
Vat,  nous  devons  tenir  compte  de  la  forme  gra- 
phique des  inscriptions  qui  ont  été  burinées  sur  ia 
face  méridionale,  galerie  des  Varman  et  galerie  des 
Enfers.  Cette  forme  étant  celle  des  documents  épi* 
graphiques  du  xii*  siècle,  le  temple  était  évidemment 
construit  à  la  fin  de  ce  siècle. 

Bref  nous  plaçons  l'édification  d'Angkor  Vat  dans 
le  dernier  des  grands  règnes  de  cet  ancien  Cambodge 
que  nous  a  révélé  Tétude  de  son  épigraphie. 

Selon  toute  vraisemblance ,  le  temple  fut  primiti- 
vement atfecté  au  culte  sivaïte ,  religion  officielle  de 
Suryavarnian  II.  Il  est  vrai  que  le  bouddhisme  avait 
déjà  été  très  florissant,  particulièrement  sous  les 
règnes  de  Jayavarman  V  et  de  Suryavarman  I*.  (Le 
nom  posthume  de  ce  dernier,  JSirvânapada,  permet 
même  de  croire  quil  mourut  dans  cette  croyance.) 
Mais  nous  savons  que  cet  ancien  bouddhisme  du  Cam- 
bodge était  celui  du  Crand  Véhicule,  de  TEg^se  du 
Nord,  et  avait  le  sanscrit  pour  langue  rehgieuse.  Le 
bouddhisme  du  sud,  dont  les  canons  étaient  écrits  en 
pâli,  ne  fut  probablement  reçu  que  par  Tintermé- 
diaire  des  Siamois  déjà  affranchis  de  la  domination 
cambodgienne ,  et  son  triomphe  sur  les  deux  anciens 
cultes  du  royaume,  bralimanisme  et  bouddhisme  du 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAU  PEAN.  497 

Nord ,  dût  coïncider  au  \iif  siècle  avec  les  troubles 
et  la  décadence  profonde  du  Cambodge.  Angkor  Vat , 
temple  superbe  et  à  peu  près  tout  neuf,  dût  être  dés- 
affecté dès  cette  époque. 

Il  est  à  remarquer  toutefois  qu  il  ne  reçut  aucune 
inscription  pendant  les  deux  ou  trois  siècles  qui  sui- 
virent. Aux  xvf  et  \Nif  siècles  on  y  burina  une  qua- 
rantaine d'inscriptions  votives;  puis  ces  documents 
redevinrent  excessivement  rares  pendant  nos  xviii*  et 
XIX*  siècles.  De  telle  sorte  que  nous  y  avons  trouvé 
et  estampé,  outre  les  courtes  légendes  du  xii*  siècle 
que  nous  avons  étudiées  dès  i88a,  quarante-deux 
inscriptions  modernes  :  soit  vingt-huit  dans  le  Preah 
Peàn  ou  galeries  croisées  du  premier  étage,  treize 
sur  les  piliers  du  Bakan  ou  troisième  étage  et  une 
isolée,  très  grande,  dans  une  chambre  de  la  face 
orientale  de  la  galerie  des  bas-reliefs. 

Dans  ces  documents  modernes  on  peut  relever  des 
expressions  archaïques ,  des  formes  graphiques  tom- 
bées en  désuétude ,  mais  les  pensées,  les  théories ,  les 
doctrines,  les  pratiques  et  usages,  les  notions  reli- 
gieuses ou  littéraires  dont  ils  s'inspirent,  leur  sens 
général ,  tout  nous  transporte  brusquement  dans  Tétat 
social  et  religieux  du  Cambodge  contemporain. 

Nous  nous  proposons  d'étudier  aujourd'hui  les 
vingt- huit  inscriptions  du  Preah  Peân.  Ce  nom,  qui 
signifie  aies  mille  Bouddhas»,  a  été  donné  par  les 
indigènes  aux  galeries  croisées  du  premier  étage  parce 
qu'on  y  trouve  d'innombrables  statues  entassées  dans 
une  de  leurs  chambres.  Sauf  une  seule,  ces  inscrip- 


498  NOVEMBRE-DECEMBRE  1899. 

lions  sont  toutes  burinées  sur  les  piliers  de  ces  ga- 
leries. 

A  divers  points  de  vue,  celle  qui  fait  exception 
doit  être  considérée  à  part.  Elle  compte  six  lignes 
gravées  sur  le  socle  dune  statue  du  Bouddha. 
Quelques  lettres  sont  effacées.  L'écriture ,  qui  est  très 
fine ,  ne  diffère  aucunement  de  Técriture  monumen- 
tale ou  sacrée  des  manuscrits  actuels.  L'inscription 
est,  en  effet,  toute  récente,  datée  de  Tan  2899  de 
Tère  bouddhique,  soit  i856  A.  D.  KUe  relate  férec- 
lion  de  la  statue  du  Bouddha  par  le  dignitaire  Anak 
Banâ  Srï  Râja  Tejo  Jai  Abhai  bhiri  Pârâkrama  Bâhu, 
titres  d'un  gouverneur  de  province  siamoise  qui 
appartiennent  peut-être  à  celui  de  Siem  Réap.  H  de- 
mande que  ses  fautes  soient  effacées,  quil  obtienne 
le  Nirvana,  ou  tout  ou  moins  quil  évite  les  catwrâ- 
paya  «  quatre  lieux  de  punition  » ,  qu'il  obtienne  les 
inyapatlia  «  quatre  bonnes  postures  » ,  qu'il  acquière 
la  foi,  la  vertu  et  des  mérites  dans  chacune  de  ses 
vies  futures,  afin  d*atteindre  finalement  le  Nirvana, 
ce  lieu  de  félicité  suprême. 

Les  vingt- s(îpt  autres  inscriptions  du  Preah  Peén 
oftVent  presque  tout(»s  entre  elles  de  grandes  ressem- 
blances. On  les  a  entièrement  burinées  siur  les  faces 
des  nombreux  piliers  des  galeries,  entre  les  filets  et 
dessins  de  fleurs,  d'arabesques,  qui  ornaient  —  dès 
l'édification  du  monument  —  les  angles  de  ces  co- 
lonnes carrées ,  alors  que  les  faces  avaient  été  laissées 
finistes.  Une  face  porte  rarement  plus  d'une  inscrip- 
tion; plus  rarement  encore  une  inscription  occupe 


LKS  INSCKIPTlOxNS  DU  PKEAH  PKVN.  499 

les  deux  faces  d'un  pilier.  On  peut  donc  dire  que  le 
nombre  des  faces  gravées  est,  à  peu  de  chose  près, 
celui  des  inscriptions. 

Les  piliers  mesurent  o  m.  4 -y  à  o  m.  48  centi- 
juètres  de  largeui';  mais  les  dessins  des  angles 
avaient  réduit  à  o  m.  ko  environ  la  place  laissée 
disponilile  pour  les  inscriptions  futures,  et  telle  est 
la  largeur  moyenne  de  nos  documents.  La  hauteur 
et  le  nombre  des  lignes  sont  essentiellement  va- 
riables. Une  inscription  très  mal  écrite  ne  contient 
que  doux  lignes;  au  sui'plus  elle  paraît  être  le  com- 
mencement dun  texte  abandonné.  Toutes  les  autres 
ont  au  moins  qumze  ou  \dngt  lignes ,  et  quelques- 
unes,  très  longues,  comptent  70,  80  lignes  et  plus, 
atteignent  2  mètres,  2  m.  5o  de  hauteur;  dans  ce 
dernier  cas  les  dernières  lignes  sont  coupées  en  deux 
parties  par  le  dessin  triangulaire  qui  décorait  le  bas 
des  piliers  dès  leur  mise  en  place,  lors  de  rédilica- 
tion  du  monument. 

Gravées  peu  profondément  et  par  des  mains  in- 
habiles, ces  inscriptions  d'une  époque  de  décadence 
sont  généralement  assez  mal  écrites.  Leur  état  de 
conservation  laisse  A  désirer,  mais  c'est  plutôt  par 
suite  de  leur  mauvais  tracé  :  deux  seulement  ayant 
réellement  souffert  de  l'usure  de  la  pierre.  Quoique 
quelques-uns  de  ces  textes  soient  un  peu  mieux 
soignés  que  les  autres ,  les  traits  sont  rarement  nets 
et  réguliers.  Cette  écriture  est  tout-à-fait  moderne, 
les  chiffres  aussi.  Les  lettres  parasites,  ce  fléau  de 
récriture  actuelle,  abondent  et  ne  contribuent  pas  à 


500  NOVËMBRE-DÉGRMBRË  1890. 

faciliter  la  lecture.  La  dégénérescence  orthographi 
que  est  très  accentuée  ;  ainsi  Mahâ  «  grand  »  est  sou- 
vent écrit  Mhâ;  pavitra  «  purifié ,  pureté  » ,  et  qualifica- 
tif de  haute  distinction  honorifique,  devient  pabitra, 
pabita,  pâbitra. 

Presque  toutes  ces  inscriptions  débutent  par 
rinvocation  pâlie  bouddhique  «  Subham  astu  i  ou 
«  Subham  astu  mangala  jaiyâtireka  »,  ou  encore 
«  Subham  astu  suasti  srîyâbhimangala  bahûia  cesta 
jaiyâtireka  »  que  nous  transcrivons  avec  les  incoi^ 
rections  habituelles  des  scribes  indigènes.  L'invoca- 
tion est  suivie  de  la  date  en  chiffres  au  miliésime  de 
la  grande  ère  (mahâsakarâja)  qui  n'est  autre  que 
fancienne  ère  saka,  78  A.  D.  Le  nom  cyclique  de 
Tannée  est  ensuite  indiqué*  et  cet  élément,  très  po- 
sitif aux  yeux  des  indigènes  malgré  le  caractère  vague 
dû  à  ses  continuelles  répétitions,  offre  Tavantage  de 
confirmer  ou  de  rectifier  la  lecture  des  chi£Bres  :  le 
4  et  le  5  pouvant  être  confondus,  par  exemple. 
Très  peu  de  ces  inscriptions  n'ont  pas  reçu  ou  ont 
perdu  leur  date, 

'  En  grande  partie ,  elles  ont  pour  objet  d'attester 
les  dons  faits  au  temple  en  statues  du  Bouddha ,  — 
statues  d'or,  d'argent,  de  cuivre,  de  bronze  ou  de 

^  On  sait  quil  y  a,  pour  le  cycle,  douze  noms  d^animanz  qm 
ne  sont  empruntés  ni  au  siamois  ni  au  cambodgien,  qaoiqa*ili 
soient  communs  aux  deux  peuples.  D'après  leur  nature  nous  sup- 
posons qu'ils  appartiennent  à  un  dialecte  de  la  Chine  méridioniJe 
dont  les  marchands  ou  émigrants  introduisirent  probablement  Ttiflage 
en  Tndo-Ghine,  vers  Ir  \iiî*  ou  le  trv*  siède. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÂN.  501 

bois,  —  et  de  certifier  l'œuvre  pie  de  iaffiranchisse- 
ment  des  esclaves.  Quelques-unes,  cependant,  con- 
tiennent incidemment  des  renseignemenls  histo- 
riques qui  pourraient  être  utilisés  dans  une  histoire 
du  pays  pour  cette  période  qui  va  du  milieu  de 
notre  xvi''  siècle  au  commencement  du  xvin®.  Mais 
nous  verrons  que  leur  grand  intérêt  est  ailleurs. 

La  libération  des  esclaves  est  toujours  suivie, 
peut-on  dire,  dune  formule  maudissant  les  gens, 
parents,  descendants,  individus  quelconques,  qui 
molesteraient  ultérieurement  ces  affranchis,  qui  les 
revendiqueraient  indûment;  malédiction  aussi  sur 
les  mandarins  qui  donneraient  à  ces  prétentions 
l'appui  de  leur  autorité.  Les  formules  les  plus 
usuelles  sont  les  suivantes  : 

«  Que  les  Buddhas,  passés  ou  futurs,  en  nombre 
égal  aux  grains  de  sable,  ne  sauvent  pas  ceux-là! 
Que  ces  maudits  tombent  aux  enfers,  aux  lieux  de 
châtiment,  pendant  5oo  naissances,  5oo  fois  mille 
naissances,  des  millions  de  naissances,  jusqu'à  la 
fin  des  mondes,  sans  jamais  connaître  les  biens  cé- 
lestes !  » 

Ou  bien  :  «  Que  la  foudre  de  tous  les  mondes 
sans  limites  [ananta  cakraval)  frappe  ces  maudits  et 
non  les  arbres  des  forêts  !  » 

Ou  encore  :  «  Qu  ils  périssent  le  jour  même  de 
cur  inique  revendication  !  » 


502  NOVKMBRK-DECËMBKE  1890. 

I^es  luandarins  prévaricateurs,  sont  quelquefois 
voués  à  la  surdité. 

[1  arrive  aussi  qu'on  souhaite  le  Nirvana  à  ceux 
qui  viendront  en  aide  à  la  juste  cause  des  afiranchis. 
On  peut  encore  rencontrer  ce  souhait  final:  «QuHIs 
soient  efficaces,  ces  vœux  faits  selon  les  enseigne- 
ments du  Bouddha  !  » 

Une  particularité  qui  ne  sera  pas  passée  sous  si- 
lence est  que  ces  inscriptions  sont  quelquefois  si- 
gnées en  ces  termes  :  «  Un  tel  a  fait  finscription 
(carika)  »  ou  encore  :  «  L'inscription  a  été  achevée 
par  un  tel,  tel  jour  ». 

Le  clergé,  appelé  collectivement  driya  sangh  ou 
Brah  driya  sangh  «  sainte  et  noble  assemblée  »  ou  en- 
core anak  yœn  ^  «  les  nôtres  »,  joue  naturellement  un 
grand  rôle  dans  ces  inscriptions  votives  qui  prennent 
le  soin  d'énmnérer  les  titres  et  les  qualités  des 
prêtres  présents.  Les  chefs  des  grandes  pagodes  sont 
qualifiés  samtec,  forme  fautive  et  siamoise  du  vieux 
mot  cambodgien  samtdc  «  seigneur  »  qui  remplaça  lui- 
même  l'antique  terme  kamraten;  on  les  appelle  aussi 
anak  samtec  «  celui  qui  est  le  seigneur»,  ou  encore 
anak  stec  (pour  stac)  qui  a  à  peu  près  le  même  sens. 
D'autres  qualifications,  Brah  y  anak  Brah  et  anah, 
doivent  désigner  des  chefs  religieux  d'ordre  inférieur. 
C(\s  appellations  générales,  quelles  quelles  soient, 
sont  toujours  suivies  de  plusieurs  titres  personnels 

^  yoen  «uous»  est  soinenl  rcrit  sous  sa  lorim*  uiili(|iir,  j^eiî. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÂN.  503 

généralement  empruntés  au  pâli  ou  au  sanscrit, 
langues  dont  les  mois  sont  plus  ou  moins  dé- 
formés par  les  Cambodgiens.  Nous  pouvons  citer, 
parmi  les  cent  titres  que  nous  avons  relevés  : 

Le  Samtec  Brah  S'rî  sar  (=  sâra  )  Bej  (==  vajra  )  Brah  Bu- 
ddha. 

Le  Samtec  Brah  Sumangala  Mahâ  Sangharâja  pubitra. 

L'Anak  stec  Brah  Indra  debba  Cakra. 

Le  Brah  Mahâ  ihera  âriya  udaiy. 

L'Anak  Brah  âriya  pubitra. 

Le  Brah  Sugandha  Mahâ  Sangharâja. 

L*Anak  Mahâ  Thera  pavara  gâthâ  niaha  pâli. 

L'Anak  Vinayadhara  pubitra. 

Etc.,  etc. 

A  la  suite  des  dignitaires  ainsi  mentionnés  indi- 
viduellement, Tensembie  des  autres  religieux  est 
désigné  par  Tune  des  phrases  suivantes,  (nous 
nous  bornons  à  indiquer  entre  guillemets  le  sens 
des  mots  cambodgiens  :  les  autres  se  trouvant  dans 
les  dictionnaires  sanscrits  ou  pâlis  :) 

Ariya  theranuthera  bhikkhu  sRns{  pour  sangha)  phon  «  en- 
semble ». 

Nu  ïs  a  et  tous  »  theranuthera  bhikkhu  susangha. 

Is  «  tous  »  samtec  «  seigneur  »  brâh  «  sacrés  »  gru  (=  guni) 
theranuthera  samnera  phon  «  ensemble  ». 

Les  laïques  [gralias  pour  grihas)  sont  qualifiés  gé- 
XIV.  33 


t«tMlMBMI>    JiATlOilILR. 


504  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

néralement  :  les  hommes ,  des  appellations  eau 
«  sieur  »,  anak  «  sieur»,  quelquefois  brah,  terme  qui 
doit  être  spécial  à  la  caste  des  Brah  vansa  ou 
memhres  éloignés  de  la  famille  royale  ;  on  rencontre 
même  un  ta  «grand-père,  vieillard»;  les  femmes, 
nân  «dame»;  les  enfants  et  les  esclaves  mâles,  à; 
les  femmes  et  fdles  esclaves ,  nié.  Tous  ces  appellatifs 
sont  en  usage  aujourd'hui  au  Cambodge. 

Les  mandarins  sont  des  okhà,  ukhâ,  descaa  bcûiâ, 
des  okhluhy  akhlaan^  tels  que  Tokiiâ  Senâdhipati , 
lukûà  Bej  safigrâma,  le  eau  Banâ  Jaiyâdhipati , 
Tohluii  Abhai  râja;  et  les  Jamdâv  ou  femmes  de  ces 
dignitaires  sont,  par  exemple,  la  Jamdâv  Sri  Raina 
Kesara,  la  Jamdâv  Kanà  Kesara.  Parmi  les  rois, 
possesseurs  d'une  kyrielle  de  titres  qui  les  distin> 
guent  d'autant  moins  que  ces  titres  se  répètent  avec 
peu  de  variantes  d'un  prince  à  l'autre,  nous  ne  ci- 
terons que  le  Samtec  Brah  Pâda  Paramanàtha  Brâh 
Pâda  Parama  Pubitra  (qui  régnait  en  17^7  A.  D.). 

Les  noms  de  lieu  offrent  plus  d'intérêt.  Le  Kam- 
bujades'a  est  le  Cambodge  comme  le  Kambujarâs- 
tra  est  le  peuple  cambodgien.  Il  n'y  a  pas  à  insister 
sur  Samron  Sen,  le  SamrongSên  que  nous  connais- 
sons ,  ni  sur  Pandây  Bréj ,  prononcé  Bantéai  Préch , 
ou  sur  le  Sruk  Kaêk  dam  «  le  pays  du  corbeau  pei^ 
chant»;  ces  deux  localités  restent  à  identifier.  La 
ville  ou  forteresse  de  Lovêk  est  appelée  Lanvek, 
Lunvêk,  Pandây  Lunvêk.  Candapura  est  le  Ghan- 
taboun  des  cartes;  Krun  Deb  Brah  Mahâ  Nagara  est 
le  nom  de  la  capitale  siamoise,  Ayuthia.  Brah  Dhât 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN.  505 

A.thvâ  n'est  autre  que  le  monument  d'Alhvéa  à  trois 
ou  quatre  lieues  dans  le  sud.  On  rencontre  le  nom 
actuel ,  Brah  Bân  prononcé  Preah  Peân ,  des  galeries 
où  sont  burinés  ces  textes;  on  le  lit  aussi  sous  ces 
deux  formes  :  Brah  Bândh  et  Brah  Bân  Kambaja- 
purâna  a  les  mille  Buddhas  de  Tantique  Cambodge  ». 

Il  y  a  une  certaine  confusion  enlre  Angkor  Vat, 
le  temple ,  et  Angkor  Thom ,  Tancienne  capitale  voi- 
sine, qui  devait  avoir  quelque  popidation  à  Tépoque 
de  ces  inscriptions;  Angkor  Tliom  y  est  appelé 
tantôt  d'une  expression  équivalente,  Mahânagara, 
tantôt  Angara  Indipras,  ou  Indipath  mahâ  nagara, 
ou  Brah  mahâ  nagara  Indraprastha,  ou  Brah  Na- 
gara Indipras*.  Or  cette  dernière  expression  est  aussi 
employée  quand  il  s'agit  du  temple ,  qui  est  beaucoup 
plus  exactement  désigné  par  cette  autre,  Brah  Na- 
gara vàt.  Le  temple  est  encore  appelé  Brah  Bisnu- 
loka  ou  Indipatha  maha  nagara  Sri  Sundara  pavara 
Bisnuloka. 

O  singulier  nom  de  Bisnuloka,  =  Visnuloka, 
semble  même  désigner  tantôt  Tensemble  du  temple, 
tantôt  le  premier  étage  seidement  :  cest-à-dire  le 
Pr<udi  Peân  où  sont  ces  inscriptions,  et  les  galeries 
des  bas -reliefs  où  ce  nom  de  Visnidoka  est  écrit 
deux  fois  dans  les  petites  inscriptions  du  xii*  siècle. 
Nous  lisons  ces  passages,  par  exemple  :  Inscription 

burinée  au  Brah  Bisnuloka ;  Brah  Bisnidoka, 

lieu  de  réunion  des  troupes  des  devatas,  grand  do- 
maine (mahâksetra)  des  Brahmarsis  et  des  génies 
(devaraks);  ou  encore  :  Pandày  Brah  Bisnuloka  Kam- 

33. 


506  NOVEMBRE-DÉCEMBRE.  1899. 

buja  pûrâna  «  enceinte  ou  forteresse  du  saint  Visnu- 
ioka  de  l'antique  Cambodge  ».  • 

Mais  ii  se  trouve  aussi  que  Bisnuioka  est  resté  le 
nom  de  i architecte  légendaire  du  temple;  à  ce  pas- 
sage ,  par  exemple  :  «  Nous  invoquons  Brah  Bisnu- 
ioka ».  Dans  le  plus  ancien  de  ces  textes ,  on  rencontre 
même  ceci  :  «  Adorer  les  Brah  anga  (les  statues  du 
Buddha)  que  Brah  Indrâdhirâjaloka  a  fait  élever 
par  Brah  Bisnuioka  pour  Tédification  du  monde  ». 
Incontestablement,  il  y  a  à  retenir  le  nom  posthume 
à  forme  antique  donné  au  roi  qui  est  déclaré  ici  ie 
fondateur  du  temple.  Mais  combien  déjà  les  vieilles 
réminiscences  sont  vagues  et  confuses  !  Combien  les 
traditions  sont  devenues  légendes!  Visnidoka,  roi  et 
fondateur  probable,  dans  les  textes  épigraphiques 
du  xii"  siècle ,  n  est  plus ,  au  milieu  du  xvi*,  que  l'ar- 
chitecte du  temple. 

Cette  étude  préliminaire  sur  rensenible  des  vingt- 
sept  inscriptions  des  piliers  du  Preah  Peân  nous 
permet  de  résumer  très  rapidement  leur  traduction. 
Nous  les  numérotons  en  les  classant  autant  que  pos- 
sible par  ordre  de  date. 

1 .  En  1 483 1  année  kur (duPorc) ,  le 8  Kcet-^d'Asâ- 
dha,  samedi,  TAnak  Samtec  Brah  Muni  Kusala  pu- 

^  Il  doit  y  avoir  ici  une  erreur  de  chiffres.  L'année  du  Porc  est , 
non  i483,  mais  i/i85,  soit  i563  A..  D. 

^  Kœt  (Ket),  est  le  numéral  des  jours  de  la  première  quinzaine 
du  mois;  Roj  (Roc),  des  jours  de  la  seconde  quinzaine. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN.  507 

bitra  brah  Ang  ^  est  venu  adorer  les  Brah  Aiig  (les 
saints  Buddhas  ou  saintes  divinités)  que  Brah  Indrâ- 
dhirâjaloka  a  fait  élever  par  Brah  Bisnuloka  pour 
l'édification  du  monde.  Il  est  venu  de  Vat  Anluh 
Tatok  ;  plein  de  zèle ,  il  a  fait  réciter  les  prières  par 
les  bonzes,  au  Brah  Bandha,  et  il  a  donné  à  ces  re- 
ligieux des  cadeaux  d  argent  et  de  vêtements. 

2.  En  iSai,  année  Kur,  jeudi,  pleine  lune  de 
Mâghasira  [sic,  décembre  iSgg  A.  D.),  TOkhlun 
\bhairâja  vint  avec  d'autres  personnages  au  Brah 
Bisnuloka,  séjour  des  dévatas,  des  Brahmarsis  et 
des  génies.  Le  cœur  plein  de  piété,  il  fit  élever  des 
tours,  ériger  une  grande  statue  du  Buddha  et  pré- 
parer des  offrandes  en  invoquant  Brah  Bisnuloka. 
Le  mérite  de  ces  bonnes  œuvres,  il  le  reporte  sur  ses 
parents.  Il  fait  un  acte  de  renoncement  aux  maladies, 
aux  dangers.  Il  fait  le  vœu  que  les  devatas  (divi- 
nités) repoussent  les  ennemis  de  la  religion  boud- 
dhique ,  ainsi  que  les  ennemis  du  roi  qui  viendraient 
attaquer  le  Kambujadesa.  Que  le  peuple  de  ceKam- 
bujadesa  soit  toujours  heureux!  Il  termine  par  des 
reconnnandations  à  ses  descendants  qui  sont  actuel- 
lement effacées. 

3.  L'Oknâ  Smau  fait  œuvre  pie  en  affranchissant 
des  esclaves.  Pas  de  date^. 

'  Ce  dignitaire  religieux  était  peut-être  un  prince  du  sang,  brah 

^  Cette  courte  inscription  de  deux  lignes  semble  être  le  début 
d'un  texte  inachevé. 


508  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

4.  En  i539  (*6^7  ^'  ^^O»  ^^^^  (Serpent), 
a  Kœt  du  mois  intercalaire  d'Asadh  (juillet-août), 
mardi ,  ce  même  Oknâ  Sman  provoque  une  assem- 
blée des  chefs  religieux ,  des  bonzes  et  des  disciples. 
Ses  parents  laïques  sont  également  témoins  que, 
plein  de  ferveur,  il  affranchit  deux  fdles  esclaves  en 
les  chargeant  de  la  garde  des  vivres  des  chefs  des 
bonzes.  Malédictions  sur  ceux  qui  tenteront  de  re 
prendre  ces  femmes. 

5.  En  lôliQ  (=  1627  A.  D.),  année  Thoh  (du 
Lièvre),  cet  Oknâ  Sman  et  la  dame  Ep  (sa  femme, 
sans  doute),  ont  fait  des  préparatifs  et  ont  invité  les 
religieux  à  venir  consacrer  des  statues  du  Buddha. 
Pleins  de  foi  et  pénétrés  de  Tidée  de  la  périssabiiité 
de  toutes  choses,  ils  ont  pris  la  résolution  de  faire 
entrer  en  religion  le  nommé  Sman,  qui  reçoit  les 
ordres  complets  (devient  donc  libre  ipso-fcLcto) ^  et 
d'affranchir  en  même  temps  la  fdle  et  le  petit-fils  de 
cet  homme.  Plusieurs  chefs  religieux,  de  nombreux 
bonzes  et  de  nombreux  laïques  sont  les  témoins  de 
ces  actes.  Malédictions  sur  les  fds ,  petit-fils  et  autres 
membres  de  la  famille  qui  revendiqueraient  ces 
affranchis,  sur  les  mandarins  qui  prêteraient  leur 
autorité  h  ces  revendications.  L'oknâ  Sman  a  fait 
lui-même  Tinscription. 

6.  En  1547,  ^^^^^  Chlûv  (du  Bœuf),  le  4  roj 
de  Mâgha,  (donc  en  février  1626  A.  D.),  un 
dimanche,  l'Ukhluan  In  Sén,  en  présence  d'autres 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÂN.  509 

Ukhluan,  de  chefs  religieux  et  de  nombreux  laïques, 
fait  constater  la  libération  de  trois  hommes,  de 
leurs  femmes  et  de  leurs  enfants;  ils  sont  affranchis 
par  un  autre  Ukhluah,  le  Râjâ  Tejah.  Le  procès  de 
ces  gens  était  pendant  depuis  vingt-quatre  ans,  de- 
puis Tannée  Khal  (du  Tigre,  i5a4==»i6o2  A.  D.), 
et  dura  jusqu'à  cette  année  Chlùv;  ils  avsuent  à  se 
défendre  contre  les  revendications  des  Cau  Mœaii 
(chefs  territoriaux  de  petits  districts).  Les  Juges  du 
Tribunal  royal  avaient  transmis  la  cause,  après 
examen,  au  Cau  Banâ  Surena  Indrarâjàdhipati  Sri 
Anga  êka  agasena  Yodhâbhimuka  d*Angar  Indiprâs 
(c est-à-dire,  selon  toute  vraisemblance,  le  gouver- 
neur de  la  province  d'Angkor).  Ce  haut  dignitaire, 
ayant  décidé  en  faveur  de  Taifranchissement,  chargea 
riJkhluan  Cakri  In  Sen,  dmviter  les  Brah  Ariya 
Sahgh  (les bonzes),  et  de  faire  une  inscription.  Cette 
inscription  fut  burinée  au  Brah  Bisnuloka,  sous  la 
présidence  du  chef  des  religieux,  et  en  présence 
d  une  vingtaine  d  autres  chefs ,  de  bonzes  et  de  dis- 
ciples ,  tous  témoins  irrécusables  de  cet  affranchisse- 
ment. Malédictions  contre  ceux  qui  revendiqueraient 
ces  gens.  L'Anak  Okhluan  Cakkri  In  Sen  Brahma 
Vansa  (titres  complets  de  lauteur),  et  TAnak  Stec 
Brah  Inkila  (un  chef  de  bonzes)  ont  fait.  .  .  (l'in- 
scription,  sans  doute.  Cette  fin  est  perdue). 

7.  En  i55o^  année  Roh  (du  Dragon),  dixième 

'   On  pourrait  lire   i45o,  le  5  des  centaines  étant  mal  tracé. 


510  NOVEMBRE-DÉCEMBRE  1899. 

de  la  décade  (1628  A.  D.)  en  bîsâk  (mai),  eut  lieu 
une  réunion  de  TAssemblée  des  Religieux  et  de 
nombreux  laïques,  tous  témoins  irrécusables  des 
œuvres  pies  du  Cau  (sieur)  Udai  Smat  et  de  dame 
Mâh,  au  cœur  pur,  qui  font  consacrer  trois  statues  du 
Buddha  dans  le  Brah  Bân,  qui  libèrent  le  Cau  Bhis 
Sûra  et  la  Mé  Non.  Malédiction  sur  ceux  qui  reven- 
diqueraient ces  affranchis. 

8.  En  i55o,  année  Ron  (du  Dragon),  ie  6  roj 
de  Pus  (donc  janvier  1629  A.  D.),  un  samedi,  eut 
lieu  la  réunion  de  plusieurs  hommes  et  femmes 
venus  du  pays  appelé  Pandây  Bréj  visiter  leurs 
parents  au  Mahâ  Nagara  (Angkor  Thom).  Reins  de 
foi  et  de  piété ,  ils  ont  donné  deux  statues  du  Buddha 
en  or,  trois  statues  du  Buddha  en  argent,  deux  grandes 
oriflammes  ;  ils  ont  fait  entrer  deux  de  leurs  fiis  en 
religion ,  et  invité  les  bonzes  à  réciter  des  prières  au 
Brah  Bân  du  Kambùjapûrâna.  Etaient  présents  les 
chefs  des  bonzes  qui  ont  lu  les  livres  saints.  Après 
lordination ,  ces  gens  ont  encore  fait  àes  dons  d'ar- 
gent, d'objets  et  de  fleurs,  dans  cette  Pandây  (forte- 
resse) du  Brah  Bisnidoka  du  Kambùjapûrâna  (c'est- 
à-dire  dans  le  temple  d' Angkor  Vat),  superbe  et 
célèbre  en  tous  lieux.  Cérémonies  et  lectures  furent 
achevées  le  dimanche  (le  lendemain). 

9.  En  i552,  année  Mami  (du  Cheval),  10  roj 

Mais  i45o  est  année  du  Rat,  tandis  que  i55o  est  effectivement 
année  du  Dragon. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN.  511 

de  Jés  (juin  i63o),  mardi,  en  présence  de  TAssem- 
blée  des  chefs  religieux  et  des  bonzes,  quatre  laïques, 
hommes  et  femmes ,  au  cœur  pur,  offrent  cinq  statues 
du  Buddha  en  argent ,  une  oriflamme ,  un  dais  ;  ils 
affranchissent  un  esclave  qu'ils  rachètent  de  ses 
maîtres  au  prix  de  2  livres  et  3  onces  d'argent.  Cette 
somme  '  fut  remise  séance  tenante.  Mais  l'un  des 
vendeurs  rendît  une  once  d'argent,  désireux  qu'il 
était  de  participer  h  l'œuvre  pie  en  faveur  d'un  pa- 
rent défunt.  Noms  des  témoins  laïques.  Imprécations 
finales. 

10.  Le  3  kot  de  Jés  i553,  année  Mamê  fde  la 
Chèvre,  donc  juin  i63i),  un  lundi,  en  présence  de 
l'Assemblée  des  bonzes  tenue  sous  la  présidence  de 
trois  chefs  religieux,  le  Ta  (aïeul)  Yas  Râj  affranchit 
l'esclave  Jl  Jai ,  à  la  connaissance  de  tous  ses  parents 
des  sept  degrés.  On  retrouve  le  nom  de  ce  Ta  Yas 
Râj  parmi  les  témoins  laïques.  Malédiction  sur  les 
parents  qui  reprendraient  cet  homme. 

11.  En  i553,  Mamê  (Chèvre,  i63i  A.  D.), 
2  ket  de  Karttika  (octobre),  les  chefs  religieux  et 
les  bonzes  réunis  en  Assemblée,  tous  témoins  irré- 

* 

cusables,  aident  et  assistent  trois  autres  religieux 
venus  spécialement  pour  les  funérailles  (l'incinéra- 
tion) de  dame  Brah  Yas.  Sur  son  lit  de  mort,  cette 
femme  avait  recommandé  à  cinq  personnes  (qui  sont 

'  L'once  est  de  37  grammes  environ.  Il  y  en  a  16  à  la  livre. 


512  NOVEMBREDEGEMBRE    1899. 

nommées  et  qui  étaient  sans  doute  ses  héritien) 
d*affranchir  par  piété,  sans  restrictions,  1  esclave 
A  Gan.  Dame  Brah  Yas  termina  par  l'imprécation 
usuelle. 

12.  En  i553,  Mamê,  8  roj  Mâgha  (donc 
février  1 682),  vendredi,  TAnak  Samtec  Arisudham- 
ma  donna  par  piété  une  statue  du  Buddha  en  or, 
et  36  statues  du  Buddha  en  bois.  En  outre,  il  invita 
sept  chefs  religieux,  les  bonzes  et  les  disciples,  tous 
témoins  irrécusables  de  lalfranchissement  complet 
et  sans  restrictions  de  fesclave  Suas.  Imprécations 
contre  ceux  qui  revendiqueraient  cet  homme ,  contre 
les  mandarins  qui  favoriseraient  ces  revendications. 
La  femme  Dom  n  avait  pu  se  racheter  complète- 
ment; le  Samtec  parfait  la  somme,  donne  la  liberté 
à  cette  femme,  et  la  charge  de  garder  les  statues. 
Quiconque  la  reprendrait  est  également  menacé  des 
peines  de  Tenfer  ^ 

13.  Invocations  bouddhiques  du  sieur  Jet  et  de 
la  dame  Suas  (son  épouse),  accompagnés  de  leurs 
frères  aines  et  cadets ,  de  leurs  fils ,  petit-fils  et  parents. 
Le  cœur  rempli  de  piété  et  d'allégresse,  ils  adorent 
le  Buddha,  seigneur  de  tous  les  êtres,  qui  nous  fait 
traverser  la  mer  des  transmigrations,  afin  de  nous 


^  Vers  1876  nous  avions  déjà  donné  un  essai  de  traduction  de 
cette  inscription  fait  d'après  un  moulage  et  qui  a  paru  dans  ie 
Voyage  au  Cambodge,  de  M.  Delaporte,  p.  4i9« 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN.  513 

conduire  au  grand  royaume  du  Nirvana  (Mahâ  Na- 
gara  Nirbbâna).  Us  ont  fait  faire  29  statues  du  Bud- 
dha.  Us  ont  amené  leur  famille  au  Brah  Nagara  Vât 
(Angkor  Vat),  et  en  i55/i,  année  Vak  (du  Singe, 
1632),  à  la  pleine  lune  d'Asadh  (juillet),  ils  ont 
provoqué  la  réunion  de  huit  chefs  religieux,  des 
bonzes  et  de  plusieurs  laïques  qui  sont  nommés. 
Leur  famille  y  assiste.  Par  piété ,  ce  Jet  et  sa  femme 
Suas  affranchissent  sans  restrictions  Tesclave  A  Suas. 
Pleins  de  foi,  ils  sont  venus  au  Brah  Bisnuloka, 
séjour  des  dieux  et  des  Brahmarsis.  Affranchissant 
Suas,  ils  offrent  cet  homme  au  Buddha,  au  Triple 
Joyau.  Ils  offrent  aussi  divers  objets  et  des  parfums. 
Ils  font  plusieurs  invocations  pâlies  ou  khmères, 
dont  lune  est  en  faveur  de  la  gloire  et  de  la  puis- 
sance du  Seigneur  de  la  terre  (du  Roi  ).  Ils  demandent 
à  suivre  Brah  Srï  Ari  Mai  tri  (le  futur  Buddha).  Im- 
précation finale  contre  les  membres  de  la  famille  qui 
revendiqueraient  Suas  pour  esclave,  contre  les  man- 
darins qui  prêteraient  leur  autorité  à  cet  impie  déni 
de  justice.  Soient  efficaces  ces  vœux  faits  selon  les 
enseignements  du  Buddha  ! 

14.  En  1 554,  année  Vak  (du  Singe,  iGS?.  A.D.), 
le  i5  roj  de  Bhadrapada  (octobre),  lundi,  en  pré- 
sence de  f  Assemblée  formée  par  trois  chefs  religieux 
et  de  nombreux  bonzes,  plusieurs  personnes  (dont 
les  noms  sont  donnés),  dont  le  cœur  est  pur  et  qui 
sont  pénétrées  de  Tidëe  de  la  périssabiiité  de  toutes 
choses,  donnent   19   statues  du  Buddha  qui  sont 


514  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

consacrées  en  (ce  lieu)  Indipatha  Mahâ  Nagara  Sil 
Sundhara  Pavara  Bisnuloka  (Angkor  Vat.). 

15.  En  i555,  annéeRakâ  (duGoq,  i633  A.  D.), 
le  vendredi  2  roj  de  Bîsâk  (mai),  quelques  laïques, 
en  présence  de  T Assemblée  des  chefs  religieux,  des 
bonzes  et  de  plusieurs  autres  laïques,  donnent  des 
Buddhas ,  des  oriflammes ,  des  dais  ;  ils  affirançhissent 
d  un  commim  accord  et  sans  restriction  une  femme 
esclave.  Tous  les  assistants  en  sont  témoins.  Malé- 
diction sur  les  fils  ou  parents  qui  revendiqueraient 
cette  femme,  sur  quiconque  refuserait  de  témoigner 
en  sa  faveur,  tandis  que  les  récompenses  futures 
sont  promises  à  ceux  qui  lui  donneront  leur  témoi- 
gnage. Llnscription  fut  achevée  par  le  Nây  SaA,  le 
dimanche  3  Ket  (soit  seize  jours  après  lacté  qu'elle 
relate  ). 

16.  En  i555  Rakâ  (Coq,  i633),  a  Ket  de  Jës 
(  mai-juin  ) ,  le  samedi ,  Assemblée  des  religieux.  Le 
sieur  Brahm  Vicita  et  la  dame  Sar  (sa  femme),  pé- 
nétrés de  ridée  de  Timpermanence ,  ont  donné 
k  Buddhas  d'argent,  i  de  bronze,  i  oriflamme, 
1  dais;  et  pour  la  consécration  ils  ont  convoqué 
trois  autres  parents  :  une  sœur  ainée,  un  neveu, 
une  nièce.  Les  cinq  ont  offert  d'un  commun  accord 
en  Taffranchissant,  la  femme  Suas  (qui  devient 
libre)  comme  si  elle  était  la  propre  fille  du  sieur 
Brahm.  Sont  témoins  :  quatre  chefs  de  bonzes, 
beaucoup  d'autres  religieux  et  disciples,  des  laïques. 


LES  INSCRlPTIOiNS  DU  PREAH  PEAN.  515 

mandarins,  particuliers  et  des  femmes.  Imprécation 
finale.  L*inscription  fut  faite  (achevée)  le  samedi 
9  Ket  (soit  sept  jours  après  la  cérémonie)  par  le  Nây 
San  (qui  avait  déjà  gravé  la  précédente). 

17.  En  iSSy,  année  Kur  (du  Porc,  i635),  le 
dimanche  lo  roj  de  Jais  (juin),  devant  les  chefs  re- 
ligieux et  les  bonzes,  tous  témoins  irrécusables,  se 
sont  présentés  les  laïques  :  sieur  Suas,  sieur  Brah, 
femme  Kev,  ainsi  que  le  bonze  Anak  Maha  Thera 
Pavara  Dakkhina.  (Ces  personnages)  au  cœur  pur, 
désireux  de  faire  œuvre  pie  (dont  les  mérites  seront) 
offerts  à  défunte  dame  Tiy,  affranchissent  deux 
esclaves  :  un  homme  et  une  femme.  Des  laïques, 
hommes  et  femmes,  tous  nommés,  sont  aussi  té- 
moins que  Suas  et  Brah  libèrent  ces  deux  esclaves. 
Imprécation  finale.  Cet  af&anchissement  a  lieu  sous 
le  règne  de  Brah  Paramarâjâdhirâjâ  Pubitra.  (Ces 
titres  peuvent  s'appliquer  à  n  importe  quel  souve- 
rain.) L'inscription  fiit  achevée  le  vendredi  6  roj 
(presque  un  mois  après  l'acte). 

18.  En  l'année  Khal  (du  Tigre),  dernière  de  la 
décade^,  vendredi,  pleine  lune  d'Asâdh  (juillet), 
plusieurs  hommes  et  femmes  se  réunirent  pour 
libérer  un  esclave.  Cette  libération  fiit  acceptée  par 
tous  les  enfants  du  Cau  Hlun  Thikabansa  (adhi- 
kavansa),  qui  donnèrent  aussi  des  (statues  du)  Bud- 

*  Pas  d'autres  indications.   On  peut  donc  hésiter  entre   1578, 
iC38  et  1698,  A.  D.  Jusqu'à  nouvel  exanaen  je  suppose  i638. 


516  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1890. 

dha,  de  largent.  Ces  œuvres  pies  furent  fiBÛtes  à 
Brah  Dhât  Athvâ  (le  monument  d'Athvéa  à  quatre 
lieues  au  sud).  L  esclave  libéré  fera  les  corvées  du 
service  royal  à  la  place  de  son  maître,  et  le  ffls  de 
cet  esclave  est  libéré  sans  restrictions.  Sont  témoins 
des  chefs  de  religieux,  des  bonzes,  des  laïques  en 
nombre  et  tous  nommés.  Imprécation  finide.  In- 
scription faite  par  le  Pandi(t)  Nai ...  ? 

19.  Nous  plaçons  ici  la  traduction  sonunaire  de 
lune  de  ces  inscriptions  dont  la  date  a  disparu  et 
qui  a  beaucoup  souffert.  Elle  appartient  probable- 
ment à  la  première  moitié  de  notre  xvn"  siède.  Il 
y  eut  réimion  des  bonzes  pour  assister  à  l'œuvre  pie 
de  TAk  Hlun  Mano  Uden  afiranchissant  quatre  es- 
claves qu'il  affectait  au  service  du  Brah  Nagara  In- 
dipràs  (expression  qui  désignerait  Angkor  Thom, 
mais  qui  doit,  dans  la  circonstance,  s'appUquer  à 
Angkor  Vat).  Imprécation  suivie  d'une  invocation 
bouddhique  où  le  donateur  prie  pour  ses  ancêtres 
des  sept  générations  précédentes  et  leur  oflBre  les 
mérites  (de  son  œuvre  pie).  Pour  lui,  il  aspire  au 
Nirvana  et  il  termine  en  demandant  que  ces  invo- 
cations, faites  selon  les  enseignements  du  Buddha, 
soient  exaucées. 

20.  En  i56i,  année  Tho  (du  Lièvre),  le  mardi 
7  roj  de  Phalguna  (mars,  donc  au  commencement 
de  i6/io),  devant  l'Assemblée  de  cinq  chefs  reli- 
gieux et  de  plusieurs  bonzes,  tous  témoins  irrécu- 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN.  517 

sables,  en  présence  de  plusieurs  autres  témoins 
laïques,  trois  femmes  et  trois  hommes  ont  donné 
un  Buddha  d'or  et  trois  Buddhas  d'argent.  D*un 
commun  accord,  ils  ont  libéré  et  fait  entrer  en  re- 
ligion le  Jï  U  que  lune  des  trois  femmes  prend  dès 
lors  pour  fils  (adoptif).  Imprécation  contre  ceux  qui 
le  revendiqueront,  contre  les  mandarins  qui  se 
prêteraient  à  cette  impie  iniquité. 

21.  En  1 565  ,  année  Mamê  (Chèvre,  i663),  le 
vendredi  7  roj  de  Bhadrapada  (octobre),  la  femme 
Ma  et  ses  enfants  furent  affranchis  en  présence  d'une 
nombreuse  réunion  de  chefs  religieux ,  de  bonzes , 
disciples  et  élèves,  de  Kramakàr  (fonctionnaires), 
d'autres  laïques ,  de  la  famille  et  de  plusieurs  femmes. 
Imprécation  contre  ceux  qui  revendiqueront  les  li- 
bérés. Quant  aux  fonctionnaires  présents  et  témoins, 
qu'ils  soient  atteints  de  surdité  s'ils  affectent  d'ignorer 
(en  cas  de  contestation)  cet  affranchissement;  mais 
qu'ils  jouissent  des  cieux  s'ils  le  reconnaissent! 

22.  En  i584,  année  Khal  (du  Tigre),  8  roj  de 
Pus  (janvier,  donc  au  commencement  de  i663 
A.  D.),  en  présence  de  cinq  samtec  et  d'autres  chefs 
religieux,  des  anciens,  des  bonzes,  des  disciples,  en 
présence  de  nombreux  laïques,  tous  témoins,  un 
chef  de  bonzes  (Mahà  Sangharâja)  ainsi  que  divers 
couples,  en  tout  quinze  personnes,  hommes  et 
femmes  qui  sont  pieusement  unis  à  ce  prêtre, 
affranchissent  deux  femmes  esclaves  et  leurs  enfants. 


518  NOVEMBRE-DECEMBRE   1899. 

Imprécation  finale.  L'inscription  est  faite  par  TAnak 
Mahâ  Thera  Pana  Vinai  (un  bonze  évidemment). 

23.  En  i6o5,  année  Kur  (du  Porc),  7  roj  de 
Cetra  (avril  1 683) ,  la  dame  Hœm  affiranchit  l'esclave 
A  Sin  en  présence  des  religieux ,  des  laïques ,  honunes 
et  femmes ,  tous  témoins  irrécusables. 

24.  En  1612,  année Mami( du  Cheval),  samedi, 
iti  Ket  de  Cet  (mars-avril  1690),  en  présence  des 
chefs  religieux,  des  laïques,  hommes  et  femme$, 
tous  témoins,  l'Anak  Avat  et  TAk  Hmœn  Ji  Amnâ, 
femme  Nù,  donnent,  dun  cœur  pur,  un  Buddha 
d'or,  un  Buddha  de  cuivre,  deux  Buddhas  d'argent 
et  des  sommes  d'argent;  en  outre  ils  affranchissent 
sans  restriction  la  femme  Pus.  Imprécation  finale. 

Entre  toutes  ces  inscriptions  du  Preah  Peân  nous 
avons  réservé  pour  la  fin  les  trois  plus  grandes  dont 
l'esprit  diffère  sensiblement  de  celui  des  précédentes 
qui  sont  toutes,  avons-nous  vu,  simplement  votives, 
tandis  que  ces  trois  dernières  font  l'historique  des 
personnages  et  racontent  des  événements  contem7 
porains.  Au  surplus,  deux  de  ces  inscriptions  se 
trouvent  placées  quand  même  selon  l'ordre  chrono- 
logique. 

25.  Ce  document,  que  nous  verrons  daté  de 
1  y 01  de  notre  ère,  compte  7 7  lignes,  il  débute  pair 
une  invocation  en  langue  pâlie  faite  au  nom  du 


\A:S  inscriptions  du  PREAH  PEAN.  519 

défunt  Uknà  Paradesa  et  de  sa  veuve,  la  Jamdàv 
Kanâ  Kesara,  qui  est  l'auteur  de  l'inscription  et  qui 
raconte  ensuite  que  les  deux  époux  avaient  autrefois 
érigé  plusieurs  statues  du  Buddha  en  or  ou  en  ar- 
gent, donné  des  sommes  aux  bonzes,  affranchi  cinq 
esclaves  pour  les  faire  entrer  en  religion,  et  donné 
même  leurs  propres  enfants  (au  Buddha)  afin  d'avoir 
le  mérite  de  les  racheter  moyennant  finances.  Elle 
ajoute  que  le  roi  ayant  octroyé  la  dignité  de  Brah 
Ghlàn  (chef  des  magasins)  à  son  mari,  celui-ci  entra 
en  religion  pour  la  seconde  fois  et  donna  derechef 
deux  Buddhas  d'or,  deux  Buddhas  d'argent,  un  dais 
et  une  oriflamme.  Plus  tard  encore,  ayant  reçu  la 
dignité  de  Kosa  (trésorier,  chef  du  trésor)  il  entra  de 
nouveau  dans  les  ordres,  où  il  fit  entrer  en  même 
temps,  en  qualité  de  disciples,  sept  fils,  beaux-fils  ou 
enfants  d'adoption;  à  cette  occasion,  il  fit  encore 
des  dons  en  Buddhas  d'or,  d'argent,  de  cuivre,  en 
dais  et  parasols.  Enfin,  S.  M.  l'ayant  nommé  aux 
hautes  fonctions  de  Kralahom  (ministre  des  trans- 
ports fluviaux,  de  la  marine),  if  entra  encore  en  reli- 
gion et  y  fit  entrer  ses  fils.  Telles  furent  les  bonnes 
œuvres  de  l'Okiiâ  Paradesa,  alors  qu'il  était  le  ser- 
viteur du  roi  (c'est-à-dire  pendant  sa  vie). 

Après  (la  mort  de)  cet  Oknâ,  la  Jamdâv  Kanâ 
Kesara  vint  faire  ses  funérailles  à  Indipath  Mahâ  Na- 
gara  et  elle  donna  beaucoup  d'ustensiles  et  de  vê- 
tements aux  bonzes  qui  récitèrent  (la  prière  funèbre 
dite]  Pan  Skàla  (-=  Pamsakâlam  «  haillons  poudreux  », 
les  premiers  mots  de  cette  prière  pâlie). 

XIV.  3/i 


lurmit'.Bir.   «atiudal»  . 


520  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    189Q. 

Puis  en  1622  ,  année  Ron  (du Dragon),  le  8  Kœt 
de  Mâgha  (février  1701),  eut  lieu  une  grande  ré- 
union de  chefs  religieux,  parmi  lesquels  on  comptait 
dix  Samtec  et  trois  Brah ,  accompagnés  de  nombreux 
Bhikkhus,  Thera  et  Samner  (religieux,  anciens  et 
disciples).  Parmi  les  laïques,  on  remarquait  TOkââ 
Senâdhipati,  TOknâ  Desanâyuk,  les  femmes  et  les 
enfants  du  défunt  Oknâ,  tous  témoins  irrécusables 
de  la  Jamdâv  Kafiâ  Kesara  qui  fît,  d'un  cœur  pur 
et  pieux,  de  bonnes  œuvres  dont  les  mérites 
étaient  offerts  au  défunt  Oknâ  Sena  Paradesa.  Elle 
donna  un  Buddha  d'or  de  dix  onces,  un  Buddha 
d'argent  de  six  onces  et  sLx  sliii  ^ ,  des  oriflammes 
et  dais;  elle  libéra  cinq  couples  et  un  célibataire, 
au  total ,  onze  esclaves  qui  devaient  être  «  le  champ 
de  l'œuvre  pie  » ,  chargés  de  garder  cette  JamdâY 
Kafiâ  Kesara'-.  Après  sa  mort,  tous  seront  libreis, 
et  nul  n'aura  rien  à  leur  réclamer.  Suit  une  malédic- 
tion sur  ceux  qui  viendront  les  molester.  Quand  ces 
onze  esclaves  furent  affranchis,  les  bonzes  récitèrent 
(des  passages)  du  Brah  Abhidharma  (la  métaphy- 
sique) du  Brah  Sûta  (les  sermons)  du  Brah  Vinai  (la 
discipline) ,  et  ils  reçurent  des  cadeaux  de  vêtements, 
de  livres,  d'ustensiles  et  de  nattes. 

L'inscription  continue  par  un  acte  de  foi  boud- 
dhique et  par  lénumération  d'autres  dons  qui  fiirent 

'  Le  slin  est  le  seizième  de  l'once ,  soit  un  peu  plus  de  2  grammes. 

^  Sans  doute  Us  devaient  servir  cette  femme,  qui  comptait 
peul-èti'c  passer  le,  reste  de  ses  jours  dans  une  sorte  de  retraite  reli- 
gieuse. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÂN.  521 

faits  à  l'occasion  dune  fête  annuelle.  Elle  rappelle 
que  rOknâ  est  mort  au  Sruk  Kaêk  Dum  (pays  du 
corbeau  perchant).  Elle  énunière  d'autres  dons  et 
mentionne  encore  raffranchissement  de  cinq  es- 
claves. La  donatrice  reporte  tous  les  mérites  de  ces 
diverses  bonnes  œuvres  sur  (son  défunt  époux)  rOknâ 
Sena  Paradesa  et  elle  demande  à  lui  être  unie  dans 
chaque  vie  future,  jusqu'à  leur  entrée  simultanée  au 
Nirvana. 

26.  Inscription  de  y 6  lignes,  mal  écrite,  mal 
conservée,  qui  se  relie  à  la  précédente  en  ce  sens 
que  son  auteur  était  l'un  des  fds  de  l'Okilâ  Paradesa 
et  de  la  Jamdâv  Kana  Kesara.  Elle  est  datée  de  Mà- 
ghasira  1669,  '^'^^^^  Thoh  (du  Lièvre),  c'est-à-dire 
de  la  fin  de  17/17  A.  D. 

Elle  relate,  en  débutant,  la  réunion  d'une  Assem- 
blée de  chefs  religieux  et  d'autres  bonzes  provo- 
quée par  rUknâ  Vansâggarâja  (un  grand  mandarin; 
de  nos  jours  il  est  le  grand  justicier  de  la  seconde 
Maison  princière)  et  par  sa  femme,  la  Jamdâv  Sri 
Hatna  Kesara,  qui  vinrent  tous  les  deux,  le  cœur 
pur  et  enflammé  d'un  pieux  zèle,  faire  bonnes 
œuvres  et  aumônes  au  Brah  Ban. 

Ce  début  est  suivi  d'un  historique  rétrospectif  re- 
montant à  l'époque  oii  ce  dignitaire  était  encore  Cau 
Bânâ  Mantri  Sangrâma.  Alors  S.  M.  le  roi  du  Cam- 
bodge vint  de  Krun  Dep  Mahâ  Nagara,  (Ayu- 
thia,  capitale  du  Siam)  à  Candapura  (Chantaboun), 
d'où  KUe  envoya  ce  Cau  Banà  à  la  forteresse  de  Lan- 

34. 


522  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

vêk  auprès  (?  il  y  a  là  mie  lacune)  du  prince  le 
Sanitec  Brah  Kêv  Hvâ. 

En  i  année  Masàn  (du  Serpent,  ce  peut  être  1714, 
1726  ou  1735  de  notre  ère),  au  mois  de  Màgha, 
il  était  pauvre  et  sans  ressources  \  sa  tante  lui  tissa 
un  samba t  [langoati,  le  vêtement  indispensable)  et 
un  habit.  De  Lanvek  ce  Cau  Bana  s  enfuit  à  SaniroA 
Sên  (la  station  préhistorique  très  connue),  où  il  se 
rencontra  avec  plusieurs  princes ,  princesses  et  divers 
membres  de  sa  famille.  Là ,  il  prit  pour  femme  dame 
Bau  ([ui  était  riche  en  biens  et  en  esclaves.  Il  retourna 
alors  à  la  forteresse  (de  Lovêk)  où  le  prince  royal 
lui  donna  la  dignité  d'Ukiià  Surindrâdhipati  et  à  sa 
femme,  dame  Bau,  le  titre  de  Jamdâv  Siï  Batna 
fcesara.  Le  Roi  père  ou  Grand  roi  lui  conféra  ensuite 
la  dignité  d'Uknâ  Vansâggarâja  et  TenvOya  lever  une 
armée  pour  réprimer  une  rébellion  qui  s'étendait, 
semble-t-il ,  dans  les  provinces  de  Poursat  au  sud 
du  Grand  Lac.  Il  parait  a\oir  réussi  dans  cette  tâche. 
Plus  tard,  S.  M.  Jaiy  jesthâdhiràja  Tenvoya  réprimer 
une  autre  réb(*llion  dirigée  par  une  princesse,  fille 
du  Samtac  Brah  Kev  Hvâ.  Il  mit  en  fuite  cette  prin- 
cesse ,  s'empara  de  ses  esclaves  et  de  ses  biens  qu'il 
offrit  au  roi.  Celui-ci  semble  avoir  voulu^  lui  con- 
férer la  dignité  d'Okna  Teja  a\ec  neuf  provinces, 
mais  il  aurait  supplié  le  roi  de  n'en  rien  faire  (?).  et 


'   Peut  èlrc  était-il  itUmiu  prisonnier  à  J^aûxèk  ouLovëL? 
-  Ce  passage,  très  ahinié,  ne  jmîuI  être  traduit  avec  complète  cer- 
titude. 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEÀN.  523 

S.  M.  lui  aurait  conféré  le  droit  d  avoir  quatre  para- 
sols d'honneur. 

Cet  Uknâ  prit  alors  congé  du  roi  pour  venir  faire 
œuvre  pie  au  Brah  Bân.  li  y  fit  entrer  en  religion  sa 
tante  la  Jamdâv  Ratna  Kana,  sa  femme  la  Jamdâv 
Sri  Ratna  Kesara  et  trois  autres  personnes  :  une  bru 
et  deux  nièces;  toutes  furent  bonzesses  [an  Jï).  Fai- 
sant œuvre  pie,  lui  et  toutes  ces  personnes  invitèrent 
les  bonzes  à  venir  réciter  la  prière  funèbre  du  Pamn 
Skûla  Aniccâ  [sic)^  pour  la  Jamdâv  Ratna  Kana,  la 
tante;  étaient  présents  sept  chefs  religieux  et  onze 
bonzes.  On  invita  ensuite  les  bonzes  à  réciter  la  prière 
Pan  Skûla  Aniccâ  pour  TOkiia  Vansà  aggarâja  lui- 
même;  étaient  présents  deux  chefs  et  six  ou  sept  re- 
ligieux. Kncore  une  fois,  on  invita  les  bonzes  avenir 
réciter  cette  prière  pour  la  Jamdâv  Sri  Ratna  Kesara , 
sa  femme  ;  étaient  présents  trois  chefs  et  six  religieux. 
Tous  ces  bonzes  reçurent  des  présents  d  argent  pro- 
portionnés à  leur  rang.  Et  les  disciples,  au  nombre 
de  yo,  qui  récitèrent  des  prières,  reçurent  aussi  de 
Targi^nt.  Les  bonzes  furent  ensuite  invités  à  faire  la 
lecture  des  Jatakas.  L'oknâ  offrit  en  cette  circon- 
stance un  (Us  k  la  Loi  (*t  le  racheta  au  prix  de 
"j  onces  dargent.  Il  invita  les  bonzes  à  réciter  les 
prières  Anisan  (de  bénédiction)  et  leur  donna  en- 
core de  1  argent,  des  boîtes,  des  vêtements,  dune 
valeur  totale  de  33  livres  dargent^. 

Tous  ces  présents  furent  faits  par  rUknâ  Vansa 

^    «JlaiHons  {\c  misère  el  périssabililé». 
■^  Environ  20  kiloijraniîines. 


524  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    1899. 

aggarâja,  fils  de  TAnak  Uknâ  Kralâhom  Sâna  Para- 
desa  et  de  TAnak  Camdâv  (pour  Jamdâv)  Kana  Ke- 
sara  ^  qui  sont  la  mère  et  le  père  de  rUkna  VaAsâgga- 
râja^,  par  la  Camdâv  Sri  Ratna  Kesara  et  par  (les 
enfants  ou  nièces)  Hin,  Bram  et  Gun.  Tous,  d'un 
cœur  pur  et  rempli  de  piété ,  acquièrent  des  mérites 
qu'ils  offrent  aux  mères ,  aux  pères ,  aux  parents  des 
sept  degrés  (ou  générations)  qui  fiu*ent  fidèles  obser- 
vateurs de  la  Loi  sainte.  Us  demandent  en  outre 
longue  vie ,  vie  de  cinq  mille  ans ,  avec  fintelligence 
et  les  richesses  de  Jottika  Sesthï.  Ils  demandent  en- 
core à  être  empereurs  universels  (Brah  Mahâ  Para- 
macakkabatirâja),  à  jouir  continuellement  du  bon- 
heur et  de  la  paix  jusqu  à  leur  entrée  au  Nirvana. 

27.  Celle  de  ces  inscriptions  du  Preah  Peân  que 
nous  plaçons  ici  la  dernière  aurait  pu  avoir,  au  point 
de  \Tie  chronologique ,  le  n"  2  :  la  date  quelle  donne, 
1 5o  1  =  1079  A.  D.,  la  mettant  après  notre  n**  1  qui 
est  daté  de  i563,  et  avant  notre  n°  2,  iSgg  A.  D. 
Elle  est  la  plus  longue  de  toutes; 'elle  occupe  deux 
faces  d'un  pilier  où  elle  compte  82  +  43  lignes.  Sur 
la  première  de  ces  faces,  l'écriture  est  irréguiière, 
mal  tracée,  tantôt  grande,  tantôt  fine;  mais,  sur  ia 
seconde  face,  l'inscription  est  si  bien  biuînée  qu'elle 
se  distingue  entre  toutes  Jes  autres  inscriptions  de  ce 
Preah  P(»ân,  et  cju'elle  rappelle,  malgré  la  grande 

'   On  voit  que.  ce  son!  «tFecti\emenl  les  deux  |)e.rsonnages  de  U 
précédente  inscription. 

-  Cette  répétition  est  bien  cambodgienne. 


r.KS  fNSCRIPTTONS  DU  PREAU  PEAN.  525 

tliUerencp  des  lettres,  la  sûreté  de  main  des  su- 
[)(Tbes  documents  épigraphiques  du  monument  de 
Jjoleï,  au  ix^  siècle.  Elle  n  est  pas  moins  remarquable 
par  l'ardeur  de  son  mysticisme  bouddhique  et  par 
ses  réminiscences  du  passé,  peu  exactes,  plus  ou 
moins  vaj^ues,  mais  assez  curieuses  et  bien  caracté- 


risées. 


Elle  débute  par  une  invocation  bouddhique  en 
langue  pâlie,  mêlée  de  mots  cambodgiens,  faite  au 
nom  d'un  roi,  le  Samtec  Brah  Jaiyya  (=  Jaya)  Jes- 
thâdhirâja  Râmâdhipati  qui  porte,  en  outre,  une 
longue  kyrielle  de  titres  dont  nous  ne  retiendrons 
que  les  derniers  parce  qu  ils  reviennent  à  plusieurs  re- 
prises dans  le  corps  du  document;  c'est  le  Samtec 
Brah  Mahâ  Upâsaka  (fidèle  laïque)  Maharaja  Pu- 
bitra.  Il  adore  les  pieds  sacrés  du  Samtec  Brah 
Mahâ  Srï  Ratna  traiy  Parama  Pabitra  (le  Bouddha); 
et  il  rappelle  que,  lorsqu'il  monta  autrefois  sur  le 
trône,  ayant  en  vue  la  glorification  de  la  religion  du 
Brah  Tathâgata,  il  construisit^  les  grandes  tours  du 
Brah  Bisnuloka,  fit  monler  les  pierres,  édifia  les 
sommets  à  neuf  pointes  (ou  plutôt  les  neuf  sommets) 
des  bcîlles  tours,  les  recouvrit  d'or,  y  érigea  ensuite 
un  Brah  Mahâ  Sârika  Dhâtu  (un  reliquaire),  le  con- 
sacra en  offrant  les  mérites  royaux  aux  quatre  Samtec 
Brah  Jï  (ses  aïeux  prédécesseurs)  et  au  Samtec  Brah 
Varapitâdhirâja  (le  roi  son  père)  défunt,  en  pre- 
mier lieu,  ainsi  qu'à  ses  augustes  parents  des  sept 

'  San  «ronstruire».  Mais  l'expression  ne  peut  évidemment  s*ap' 
plicjiKM"  qu'à  une  restauration  de  Tantique  temple. 


526  NOVEMBRE-DECEMBRE    1899. 

degrés  (ou  générations).  En  outre,  afin  d'établir  soli- 
dement [sân  «édifier»)  la  religion  du  Brah  Tathâ- 
gala  dans  ce  Kambujadesa,  afin  de  glorifier  la  fa- 
mille royale,  afin  de  maintenir  perpétuellement  la 
Loi  sainte,  il  demanda  bonheur,  force,  fermeté  et 
durée  (longévité). 

Au  début  de  la  grossesse  de  la  Samtec  Brah  Bha- 
gavati,  sa  première  reine  (qui  a  aussi  plusieurs  au- 
tres titres),  il  émit  un  vœu  ardent,  disant  :  «  Prince 
ou  princesse ,  j'offre  cet  enfant  au  Buddha  comme 
upâsaka  ou  upâsika,  fidèle  serviteur  de  la  sainte  re- 
ligion du  Brah  Tathâgata  qu'il  ne  doit  jamais  aban- 
donner. Prince,  il  sera  le  fils  du  Buddha  qui  est  le 
grand  refiige,  le  premier  de  tous  les  Brah  Afig, 
Avant  de  monter  sur  le  trône,  il  entrera  dans  les 
ordres  et  je  souhaite  qu  il  serve  ardemment  le  Bud- 
dha. » 

Grâce  à  la  vertu ,  grâce  aux  mérites  du  Samtec 
Brah  Mahâ  upâsaka  Maha  Râja  Pabitra  (le  roi  auteur 
du  document)  qui  ne  s'était  jamais  écarté  du  Triple 
Joyau,  un  dieu  descendit  des  cieux  pour  s'incarner 
dans  le  sein  de  la  Samtec  Brah  Râja  Debi,  pleine 
de  grâces;  et  cet  enfant,  doué  de  qualités  suprêmes, 
vint  au  monde  à  une  heure  propice,  i5oi,  année 
Thoh  (du  Lièvre,  1079  A.  D.),  le  i4  roj  d'Asâdha 
(août),  mercredi.  Au  dimanche,  douzième  jour, 
dans  un  conseil  tenu  par  la  Samtec  Brah  Râja  Mâtâ 
(la  mère)  Pabilra  et  les  royaux  gurus,  horas,  brah- 
manes, àcâryas,  on  fit  le  Jâtikarma  (acte  ou  céré- 
monie  de  la    naissance);   le  royal  père   donna   au 


•  »  . 


LES  INSCRIPTIONS  DU  PREAH  PEAN. 


527 


royal  fils  le  saint  nom  béni  de  Samtec  Brah  Parama 
Râjâdhirâja  Pabitra.  Le  royal  père  conduisit  ensuite 
ce  royal  fils  au  Brah  Bisnuloka ,  ce  lieu  de  réunion 
des  Devatas,  ce  grand  domaine  [mahâJcsetra)  des 
Mahâ  Brahmarsis ,  des  puissants  génies  et  des  troupes 
d  ancêtres.  Dans  sa  foi  pieuse ,  le  roi  oflHt  ce  prince 
comme  upâsaka  du  Seigneur,  du  Triple  Joyau.  Le 
roi  fit  préparer  toutes  sortes  d'offrandes  et  invita  les 
bonzes  [brah  sangh)  vertueux,  de  mérite,  les  royaux 
gurus  et  âcâryas  à  venir  faire  les  grandes  cérémo- 
nies de  bénédiction  et  d'offrandes  aux  ancêtres  (Bid- 
dhi  =  vidhi,  tarppana  dvâdasa  pinda  asthotta- 
rasa),  offrant  les  fruits  des  arbres,  fleurs,  parfums, 
objets  du  Panca  Yajna  (quintuple  sacrifice)  d'après 
les  règles  des  antiques  livres,  adressant  ces  ofii*andes 
aux  ancêtres  des  sept  degrés,  à  tous  les  êtres  qui 
errent  dans  les  quatre  lieux  de  punition  et  (qui 
errent)  jusqu'au  plus  haut  des  cieux  [akkhanittha 
brahma),  au  dessous  jusqu'à  (l'enfer)  Avicï,  et  laté- 
ralement jusqu*à  (l'extrémité  des)  dusa  saharssa 
(pour  sahasra)  cakkravâla.  A  tous  ceux-là  furent 
instantanément  offeris  les  fruits  des  mérites  du 
Samtec  Brah  Mahâ  upâsaka  Maha  Bâja  Pabitra, 
dont  le  cœur  débordait  de  reconnaissance  et  de 
gratitude.  Si,  errants,  ils  sont  tombés  dans  les  catu- 
râpay  (les  quatre  lieux  de  punition),  que  la  force  de 
ces  mérites  les  sauve  et  les  conduise  au  bonheur  su- 
prême !  Que  tous  aillent  jouir  du  bonheur  céleste  ^  ! 


L'inscription  passe  ici  de  la  première  à  ia  seconde  face. 


528  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

Que  la  vertu  des  mérites  acquis  ici  les  fasse  jouir  de 
la  félicité  complète  des  cieux,  jusqu'à  ce  qu'ils  par- 
viennent au  séjour  de  ia  délivrance  {moksa)^  au 
grand  royaume  de  Nirvana  ! 

Par  la  puissance  du  Seigneur  du  Triple  Joyau, 
parla  puissance  des  Devatas  Mahâ  ksetra  qui  gardent 
et  vénèrent  ici  la  sainte  Loi,  nous  demandons  que 
tous  se  rassemblent  afin  de  veiller  sur  le  Brah  Anga 
Samtec  Brah  Parama  Râjâdhirâja ,  le  saint  fils  royal, 
lui  faire  obtenir  bénédiction,  prospérité,  longue  durée 
et  plénitude  de  pouvoir  pour  le  service  et  la  gloire 
de  la  sainte  religion,  selon  la  parole  sacrée  (du  roi 
son  père).  Que  les  Devatas  s'unissent  pour  protéger 
ce  prince,  le  sauver  des  peines,  chagrins,  périls  et 
malheurs  !  Qu'il  ait  longue  vie!  Qu'il  règne  bientôt! 
Qu  il  soit  le  Dharmikarâja  tenant  haut  et  ferme  l'éten- 
dard de  la  sainte  religion  du  Brah  Tathâgata  parmi 
ce  peuple  du  Cambodge  [Kambaja  ràstràjl  Qu'il 
procure  (à  ce  peuple)  bonheiu*  et  prospérité  comme 
au  temps  où  l'antique  et  sainte  famille  royale  fonda 
le  Brah  Mahâ  Nagara  Indraprastha  (Angkor  Thom) 
et  le  Brah  Bisnuloka  (Angkor  Val.  De  même  que 
furent  ou  seront  fondés)  tous  les  temples^  de  tous 
les  lieux  de  ce  Kambujadesa  et  de  tous  les  temps 
jusqu'à  la  fin  du  monde  ! 

Paroles,  souhaits  et  invocations  du  Samtec,  etc. 
(le  roi).  Que  la  puissance  des  mérites  de  ce  roi  touche 
les  Devatas  Mahâ  Ksetra  et  la  troupe  des  Pères  !  Que 

'  Pràhâra  «sorte,  espèce,  article»;  ne  peut  s*entendre  ici  qae 
des  édifices  religieux. 


LES  I.NSCRfPTIOxNS  DU  PREAH  PEÂN.  529 

les  Devatas  s  unissent  pour  sauver  ie  roi  et  la  reine, 
pour  sauver  ces  deux  saints  princes,  pour  sauver  ie 
fils  royal  et  sa  royale  mère,  pour  sauver  les  femmes 
et  les  suivantes .  pour  sauver  les  royaux  gurus,  brah- 
manes, âcâryas,  mantri,  mukha  (principaux),  les 
quatre  piliers  [stambha,  ministres  du  royaume),  les 
fonctionnaires,  les  Pandits,  etc.  !  Que  tous  soient  pré- 
servés des  peines ,  misères ,  maladies ,  périls ,  malheurs 
de  toute  espèce  !  Qu'ils  prospèrent  en  toutes  sortes  de 
bonheur  et  de  félicité  jusqua  la  fin  des  mondes! 
Qu  ils  aient  la  victoire  sur  tous  leurs  ennemis  !  Si 
des  ennemis  du  roi  viennent  d'une  région  quel- 
conque avec  fintention  d  attaquer  ce  Kambujadesa, 
de  détruire  la  sainte  religion  du  Brah  Mahâ  Sârikâ 
Dhâtu  (des  reliques  du  Buddha),  nous  demandojjs, 
parles  mérites  acquis  ici ,  que  les  Devatas  adoucissent 
le  cœur  de  ces  ennemis  du  royaume,  afin  qu'ils  n'at- 
taquent ni  ce  Kambujadesa,  ni  cette  religion  du 
Buddha  '  Nous  demandons  que  tous  les  sujets  [rdstra) 
de  l'intérieur  de  ce  Kambujadesa  soient  en  paix, 
heureux  et  sans  troubles!  0  Pureté,  nous  souhai- 
tons Tefficaté  de  ces  invocations,  de  ces  vœux  (faits 
selon)  les  Paroles  du  Grand  et  Saint  Omniscient,  du 
Buddha  Notre  Seigneur! 

[La  suite  aa  prochain  cahier,) 


530  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    1899. 


NOUVELLES  ET  MELANGES. 


SEANCE  DU  VENDREDI  10  NOVEMBRE  1899. 

La  séance  est  ouverte  à  [\  heures  et  demie,  par  M.  Barbier 
de  Meynard,  président. 

Etaient  présents  : 

MM.  Cliavannes,  secrcLaire;  Houdas,  Schwab,  Decour- 
demanche ,  Duval ,  Mo ndon- Vidai lliet ,  V.  Henry,  M"^'  Graffin , 
Tabbé  F.  'Nau,  Mayer-Lambert,  Feer,  Cl.  Huart,  Foucher, 
Sylvain  Lévi,  llégnier,  M.  Courant,  Halévy,  Oppert,  Dieu- 
lafoy,  Weil ,  Grenard ,  membres  ;  Drouin ,  secrétaire  adjoint. 

Le  procès-verbal  de  la  séance  annuelle  de  juin  1899  est 
lu  et  la  rédaction  en  est  adoptée. 

M.  le  Président  prononce  quelques  paroles  de  condoléance 
à  l'occasion  de  la  perte  que  la  Société  asiatique  a  faite,  cette 
année,  en  la  personne  de  plusieurs  de  ses  membres,  fl  rap- 
[)elle  en  termes  émus  les  services  rendus  à  la  science  par 
MM.  G.  Devéria,  décédé  au  Mont-Dore,  et  M*'  de  Harlez, 
décédé  à  Louvain  en  juillet  dernier.  Il  associe  à  ces  regrets 
la  mémoire  de  M.  l'abbé  Quentin ,  décédé  au  Plessis-Chenet 
au  mois  d'août,  et  de  M.  Menant,  ancien  membre  de  la  So- 
ciété, décédé  à  Paris  au  mois  d'août. 

Est  reçu  membre  de  la  Société  : 

M.  l'abbé  François  Martin,  professeur  à  TUniversitë 
catholique ,  demeurant  à  Paris ,  rue  de  Vaugirard ,  49  ^ 
présenté  par  MM.  Duval  et  Halévy. 


NOUVELLES  ET  MELANGES.       531 

Sur  la  proposition  de  M.  le  Président,  la  Société  accorde 
une  subvention  de  5oo  francs  à  M.  Rat,. notre  confrère  de 
Toulon ,  pour  la  traduction  du  second  volume  de  l'ouvrage 
arabe  Al-Moslalraf,  en  cours  d'impression. 

M.  Oppert  donne  quelques  détails  sur  le  Xlll'  Congrès 
international  des  Orientalistes ,  qui  s'est  tenu  à  Rome  au  mois 
d'octobre  dernier,  et  auprès  duquel  il  était  délégué  de  la 
Société.  Il  annonce  que  le  prochain  congrès  international 
aura  lieu  en  1902  ,  et  se  tiendra  à  Hambourg. 

Il  est  donné  lecture  : 

D'une  lettre  du  Ministre  des  affaires  étrangères,  en  date 
du  1 7  août  dernier,  annonçant  l'envoi  d'une  traduction  faite 
par  M.  Beauvais ,  interprète ,  d'une  partie  du  Kouang-Si-Tong- 
Tcheu,  livre  chinois  contenant  des  renseignements  officiels 
sur  la  province  du  Kouang-Si  ; 

D'une  lettre  du  Minisire  du  commerce,  en  date  du  1 5  juillet 
dernier,  invitant  la  Société  asiatique  à  prendre  part  au  Con- 
grès international  de  Numismatique  cpii  se  tiendra  à  Paris 
au  mois  de  juin  1900.  Pareille  invitation  pour  le  Congrès 
des  Sociétés  savantes,  qui  aura  lieu  à  la  Sorbonne  en  1900, 
a  été  faite  par  le  Ministre  de  l'instruction  publique  ; 

De  deux  dépêches  émanant  du  même  Ministère  ,  annon- 
çant l'allocation  d'une  somme  de  1 ,000  francs  à  titre  de  sub- 
vention  pour  les  troisième  et  quatrième  trimestres  de  1899. 

M.  le  Président  rappelle  que ,  sur  la  proposition  de  M.  Dou- 
mer,  gouverneur  général  de  l'Indo  Chine,  il  a  été  créé  dans 
cette  contrée,  au  commencement  de  l'année  1899,  une 
mission  scientifique  sous  les  auspices  de  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles-lettres.  «  Cette  mission ,  placée  sous  le 
contrôle  immédiat  de  l'Académie,  a  pour  objet  :  1°  l'explo- 
ration archéologique  et  philologique  de  la  presqu'île  Indo- 
Chinoise;  histoire,  monuments,  idiomes,  etc.;  2°  là  colla- 
boration aux  travaux  d'érudition  concernant  les  contrées 
et  ]os  civilisations  voisines,  telles  que  l'Inde,  le  Siam,  le 
(Cambodge  et  la  Malaisie. 


532  NOVEMBREDÉCEMBRE   1899. 

(cC*est  à  un  de  nos  confrères,  M.  Finot,  que  rAcadëmie 
a  confié  la  direction  de  cette  importante  mission.  H  a  été 
nommé  directeur  pour  une  période  de  six  ans  et  sera  assisté 
de  trois  collaborateurs  qui  auront  le  titre  de  «  pensionnaires!. 
Deux  viennent  d'être  nommés  :  MM.  Cabaton ,  de  Ja  Biblio- 
thèque nationale,  et  Peliot,  ancien  élève  de  rÉcole  des 
langues  orientales.  M.  Finot  s'est  mis  en  route  au  mois  de 
février  1899  et  nous  a,  depuis,  donné  plusieurs  fois  de  ses 
nouvelles.  Nous  savons,  par  une  de  ses  dernières  lettres, 
qu'il  a  passé  trois  ou  quatre  mois  au  Cambodge  où  il  a 
réussi  à  former  une  collection  de  textes  khmer,  environ  trois 
cents  volumes  qui  embrassent  l'ensemble  de  la  littérature 
cambodgienne ,  en  particulier  les  Jatakas  ou  récits  des  exis- 
tences successives  du  Bouddha.  Notre  savant  confrère  se  pro- 
posait de  visiter  successivement  l' Annam ,  le  Tonkin ,  le  Laos 
et  Java  avant  d'organiser  définitivement  la  mission.  La  So- 
ciété asiatique ,  suivant  l'exemple  de  l'Académie  des  Inscrip 
tions ,  de  l'Ecole  des  langues  orientales  et  du  Ministère  de 
l'instruction  publique ,  lui  a  fait  parvenir  ses  principales  pu- 
blications pour  contribuer  à  la  formation  de  la  Bibliothèque 
indispensable  aux  travaux  de  nos  explorateurs  en  Indo-Chine^ 
M.  Finot ,  ajoute  M.  Barbier  de  Meynard,  m'a  chargé  de  vous 
transmettre  ses  remerciements.  On  peut  attendre  de  son 
savoir  et  de  son  zèle  les  meilleurs  résultats  ;  il  n'oubliera  pas 
les  ol)ligations  qu'il  a  envers  la  Société  et  tiendra  à  honneur 
d'entretenir  avec  elle  des  rapports  qui  seront  tout  profit  pour 
la  science.  » 

Sont  offerts  à  la  Société  : 

Par  M.  Barbier  de  Meynard  :  Un  poète  arabe  da  11*  siècle 
de  lliégire,  notice  publiée  dans  les  Actes  du  Congrès  des  Orien- 
talistes; Paris,  1897; 

Par  M.  ra])]3é  Nau  :  1°  Les  opuscules  maronites:  Œuvres 
inédites  de  Jean  Maron,  Chronique  syriaque  maronite, 
Ficrits  de  controverse,  etc.,  texte  syriaque  et  traduction 
française;  2°  un  tirage  à  part  du  Traité  de  l'astrolube  plan  de 


NOUVELLES  ET   MÉLANGES.  533 

Sévère  Sabohht ,  écrit  au  vu*  siècle ,  texte  syriaque  et  traduc- 
tion Iraiicaise  parus  dans  le  Journal  asiatique; 

Par  ^L  Clément  Huart,  deux  Mémoires  extraits  des  Actes 
(la  CoïKjres  des  Orientalistes  tenu  à  Paris  en  1897  :  Les  Zin- 
dîqs  en  droit  musulman ,  et  le  Dialecte  de  Chirâz  dans  Sa'di  ; 

Par  M.  Moïse  Schwab  :  1°  le  Répertoire  des  articles  relatifs 
à  l'histoire  et  à  la  littérature  juives  parus  dans  les  périodiques 
de  1783  à  1898;  2°  un  supplément  à  son  précédent  Mé- 
moire sur  UAngélologie. 

M.  Cha vannes  lit  une  Notice  nécrologique  sur  M.  G.  De- 
véria  qui  sera  imprimée  dans  le  Journal, 

M.  Maurice  Courant  donne  la  suite  de  son  travail  sur  La 
musique  en  Chine, 

M.  l'abbé  Nau  communique  une  Note  sur  un  prince  croisé, 
d'après  les  documents  syriaques. 

M.  Halévy  expose  le  sens  de  quelques  termes  sémitiques 
et  en  propose  Tétymologie  (ces  communications  paraîtront 
dans  le  Journal  asiatique, 

La  séance  est  levée  à  6  heures. 


ANNEXE  AU  PROCES  VERBAL. 
(Séance  du  8  novembre  1899.) 

ESDRAS,  II,  65  c. 

Les  versets  6^-67  du  second  chapitre  d'Esdras  fixent  à 
/i2,36o  le  nombre  des  hommes  libres  qui  sont  retournés  de 
Babylonie  en  Palestine  sous  la  conduite  de  Zorobabel.  Les 
rapatriés  amenèrent  avec  eux  7,337  esclaves  des  deux  sexes, 
200  chanteurs  et  chanteuses,  736  chevaux,  2^5  mules, 
435  chameaux  et  6,720  ânes.  L'énumération  des  chantres  et 
des  chanteuses,  n1*n"it^D^  D^*)'^t2^D,  entre  les  esclaves  et  les 

•         •  •         * 

chevaux  (65  c  ) ,  a  paru  anormale  à  certains  critiques  qui  ont 


534  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

cm  éviter  la  difficulté  en  voyant  dans  ces  mots  une  correc- 
tion faite  postérieurement  par  un  scribe  ignorant  an  liea  du 
groupe  primitir  ri1*lD^  D^*1112;^  «  des   bœufs  et  des   vaches  ■. 

Cette  correction  introduit  dans  la  caravane  des  bêtes  à  bou- 
cherie qui  n'auraient  pas  trouvé  de  quoi  se  nourrir  pendant 
la  longue  traversée  du  désert.  Il  est  infiniment  plus  probable 
que  les  pèlerins  ne  se  sont  servis  que  de  bêtes  de  somme 
pour  transporter  les  enfants  et  les  malades.  Il  faut  donc  con- 
server la  leçon  traditionnelle  sans  y  rien  changer.  Mais  il  est 
certain  d'autre  part  qu'il  ne  peut  pas  être  question  des  chan- 
tres lévitiques  qui  sont  mentionnés  aux  versets  il  et  70  de 
ce  même  chapitre ,  et  cela  pour  cette  raison  péremptoire  que 
les  femmes  étaient  exclues  de  la  liturgie  du  temple.  En 
réalité .  il  s'agit  d'une  classe  d'esclaves  que  les  riches  acqué- 
raient pour  satisfaire  à  leur  goût  pour  le  chant  et  la  musique. 
Les  jeunes  chanteuses  finissaient  naturellement  par  devenir 
les  concubines  plus  ou  moins  intermittentes  de  leurs  maî- 
tres; cela  résuite  de  l'araméen  rï2T}^  «concubine»  rapproché 
(le  l'arabe  ^j.lL  «  cliant,  note  musicale  »  ;  Thébreu  IT^It^D  par- 
ticipe de  cette  double  conception. 

pî,  pî,  n:p 

En  hébreu  l'idée  de  la  transaction  commerciale  d'achat  et 
do  vente  s'exprime  imr  deux  verbes  différents  :  nip  «  ache- 
ter«  et  "^^p  «  vendre  »;  dans  les  langues  sémitiques,  les  deux 
t)pération.s  sont  désignées  par  le  même  verbe  :  arabe  «Lj 
«  vendre  » ,  cUjI  «  acheter,  acquérir  »  ;  éthiop.  «^Ill  «  vendre  • , 

't'Hfiifï  «acheter»;  araméen  pT  «acheter»,  J3Î  «vendre». 
La  racine  arabe  ^U  semble  contenir  l'idée  générale  de  «  alié- 
ner » ,  et  ne  peimet  pas  d'aller  plus  loin  pour  en  déterminer 
le  [)<>iiil  de  départ  concret.  Les  autres  racines  se  prêtent  au 
contraiie  à  une  pareille  tentative.  La  possibilité  de  faire  un 
pas  en  a\ant  nous  est  donnée  par  l'hébreu  n^p  «acheter». 


NOUVELLES   ET  MELANGES.  535 

dont  la  connexion  avec  le  substantif  nip  «  canne ,  Iwirre  »  ne 
souffre  pas  de  doute.  L'achat  est  donc  conçu  comme  une  opé- 
ration qui  se  fait  au  moyen  de  la  canne,  apparemment  au 
moins ,  comme  un  outil  servant  à  mesurer  les  étoffes.  L'ara- 
raéen  pT  n'a  pas  été  expliqué  jusqu'à  présent,  mais  je  crois 
pouvoir  le  rapprocher  de  l'assyrien  zibanitu  «  balance  »  et  de 

l'arabe  iLjL>;  «les  deux  lances  de  la  constellation  de  la  Ba- 
..    .^ 

lance  » ,  de  (j^;  «  frapper  un  coup  rude ,  donner  une  impul- 
sion ».  D'autre  part  l'éthiopien  «^^  rappelle  avec  force  le 
syriaque  lÛXD  «faire  pencher,  dévier».  Ces  coïncidences 
donnent  à  penser  que  chez  ces  peuples  l'idée  du  trafic  repose 
sur  la  propulsion  subie  par  les  bras  de  la  balance  au  moment 
du  pesage,  et  alors  il  est  à  présumer  que  l'hébreu  nip  ne 
vient  pas  non  plus  de  la  canne  du  mesurage ,  mais  de  la  canne 
horizontale,  c'est-à-dire  des  deux  bras  de  la  balance.  Cela 
est  d'autant  plus  vraisemblable  que  n^î^  désigne  en  hébreu 
même  l'avant-bras  (Job ,  xxxi ,  22  ). 

Grâce  à  la  conception  de  mouvement  qui  se  rattache  insé- 
parablement au  verbe  pî,  le  substantif  Ni  :j]  désigne  l'idée 
du  temps ,  probablement  comme  résultat  du  mouvement  des 
corps  célestes.  Dans  l'araméen  de  Palestine  on  prononçait 
KjDT,  mot  hébraïsé  en  ]DT,  d'où  l'arabe  ^^U^  «temps»,  C'est 

à  tort  que  ce  dernier  vocable  est  regardé  comme  dérivé  du 
zend  zervaii,  lequel  signifie  proprement  «antiquité»;  cf.  le 
grec  yépœv. 

En  arabe  «  poète  »  se  dit  ^Lâ  (au  pluriel  JCi-i)  et  «  poésie  » 
Jus .  Le  verbe  ^x^  signifie  «  savoir  »,  mais  en  quoi  consiste  la 
sagessse  particulière  du  poète  ?  M.  Goldziher  incline  à  voir 
l'art  magique  qu'on  attribuait  aux  poètes  que  Ton  consul- 
tait pour  entendre  d'eux  l'interprétation  des  pronostics  rela- 
tifs aux  événements  futurs.  Cette  explication  se  heurte  à 
l'impossibilité  de  signaler  une  conception  analogue  dans  les 

xiv.  35 


IVrRIMKKIK    «ATIOIIAI.C  . 


536  NOVEMBRë-DëGËMBRE  1800. 

langues  congénères ,  car  Thébreu  ^y{^l\  >  orade  venant  d  un 
mort  » ,  tout  en  dérivant  de  3^1^  «  savoir  »,  a  un  sens  trop  rea- 
treint  pour  être  mis  sur  la  même  ligne  que  le  mot  arabe 
JLâ .  A  mon  avis ,  tout  dépend  de  la  solution  qa*on  donne  â 

la  question  de  savoir  si  l'application  des  mots  JLû  et  y^La  k  la 
poésie  est  vraiment  ancienne..  Le  doute  m'a  été  involontai- 
rement inspiré  par  la  frappante  analogie  qu'ils  présentent 
respectivement  avec  les  termes  grecs  ywhiuff  «sentence, 
gnome  »  et  yveofAiHÔs  «  poète  qui  parie  en  sentences ,  gnomique 
ou  moraliste  ».  La  formation  sous  l'impulsion  étrangère  du 
terme  technique  laisse  intacte,  on  a  à  peine  besoin  de  le 
dire ,  Toiiglnalité  des  proverbes  et  de  la  poésie  arabes  en 
général. 

J.  Halbvy. 


OUVRAGES  OFFERTS  X  LA  SOCIÉTÉ, 
(Séance  du  lo  novembre  1899.] 

Par  rindia  Office,  Archœological  Survey  of  India  :  Ute 
Moghal  Architecture  of  Fathpur-Sakri ,  described  and  illus- 
tra ted  by  Edmund-W.  Smith. 

Archœological  Survey,  North-Western  Provinces  and  OmJk  : 
Part  m,  AHahabad,  1897;  Part  IV,  1898);  in-4*. 

—  Archœological  Survey  of  Northern  India  :  Monographon 
Buddha  Sakyamunis  birth- place  in  the  Nepalese  Tarai,  by 
A.  Fûhrer.  Aliahahad,  1897  ;  in-4*. 

—  Archœological  Survey  of  Western  India,  Vol.  IV,  On  ihe 
Mohammadan  Architecture  of  Bharoch,  Camhay,  Dholka, 
Champanir  and  Mahmadabad  in  Gujarat,  by  James  Burgess. 
London,  1896;  in-4°. 

—  James  Burgess,  The  Gandhara  Sculptures.  Vol.  VIII, 
April  and  July  1898.  London;  gr.  in-4°. 

—  Sacred  Books  oftheEast.  Vol.  XXXVUI.  XLlIelXLV. 
London,  1895-1897;  in-8°. 

—  Epigraphia  Indica,  July  1899.  Calcutta;  gr.  in-4"- 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.       537 

Par  rindia  Office  :  Indian  Antiquary,  December  1898; 
February,  April,  June,  July-October,  1899.  Bombay;  gr. 

—  Journal  of  the  Asiatic  Society  of  BengaL  New  séries; 
May,  June,  July,  August  1899.  Calcutta;  in-8°. 

—  Proceedings  of  the  Asiatic  Scciety  of  Bengal,  April ,  July 
1899.  Calcutta;  in-8°. 

—  Bibliolheca  Indica.  New  séries,  n"  952-936  et  938- 
()48.  Calcutta,  1899;  in-8". 

—  Catalogue  of  the  Sanskrit  Manuscripts  of  the  Jndia  Of 
fice.  Part  VI.  London,  1899;  in-4**. 

—  Annual  Report  of  the  Forest  Department  (June  1898). 
Madras,  i899;in-fol. 

—  Judicial  and  administrative  Statistics  for  British  India 
for  1891-1898.  Calcutta,  1899;  in-fol. 

—  Report  of  the  trial  hy  jury  in  Courts  of  session  in  the 

JV/o/flA-.v«/ (1890-1897).  Calcutta,  1899;  i'^"^*^^' 

—  Annual  Progress  Report  of  the  Archœological  Survey 
Clrcle,  North -Western  Provinces  and  Oudh.  June  1899; 
in-fol. 

Par  la  Société  ;  The  Journal  of  the  Royal  Asiatic  Society, 
July,  October  1899.  London;  in-8'*. 

^  Zeitschrifl  der  deutschen  morgenlàndischen  Gesellschaft  » 
53"  Baiid,  II  Heft.  Leipzig,  1899;  in-8". 

—  Revue  des  études  juives ,  avril-juin  1899.  Paris;  in-8°. 

—  Notulen.  DeelXXXVl,  Afi.  4,  1898.  Batavia;  in-S". 

—  Dugh  Register,  ann.  1 63 1-1 634.  S*Gravenhage ,  1 898  ; 
in-fol. 

—  Actes  du  XI'  Congrès  international  des  Orientalistes, 
Paris,  1897;  3  vol.  in^". 

—  Bulletin  de  la  Société  de  géographie,  2*  trim.  1899. 
Paris  ;  in-8\ 

—  Comptes  rendus  de  la  Société  de  géographie ,  mai-Jnin- 
juillel  1899.  Paris;  in-8'*. 

—  Journal  asiatique,  mai-juin,  1899;  in-8'*. 

35. 


538  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

Par  la  Société  :  Transactions  of  the  Asiatic  Society  afJapan , 
December  1897;  iii-8°. 

—  Jornale  délia  Societa  asiatica  italiatia,  1899.  Roma-Fi- 
renze-Torino  ;  in-S". 

—  Journal  de  la  Société Jinno-ougrienne,  XVI.  Helsingîssa, 
j  899  ;  in-S". 

—  Mémoires  de  la  Société  de  linguistique  de  Paris,  t.  XI, 
2'  fasc.  Paris,  1899:  in-S". 

—  Bulletin  de  la  Société  de  linguistique  de  Paris ,  juillet 
1899.  Paris;  in-8*', 

—  Journal  of  the  China  hranch  of  the  Royal  Asiatic  So- 
ciety, Vol.  XXX,  1895-1896.  Shanghaï,  1899;  in-8*. 

—  Tijdschriji.  Deel  XLI,  afl.  I  et  II.  Batavia,  1899; 
in-8°. 

—  Revue  des  études  juives  »  ^vàHeiseftembre  1899.  Paris; 
in-8% 

—  Bulletin  de  la  Société  de  géographie  de  Paris ,  3*  trim. 
1899;  in-8°. 

Par  les  éditeurs  :  Revue  critique,  n''*2  7-39,  4o,  4i-4d« 
Paris,  1899;  in-8". 

—  Revue  de  l'histoire  des  religions,  janvier- février  et  mars- 
avril  1899.  Paris;  in-8°. 

—  Bibliothèque  de  V Ecole  des  hautes  études.  ia3*  fasc. 
Paris,  1899;  in-8". 

—  Le  Mii^eow,  juin  1899.  Louvain;  in-8''. 

—  Transactions  and  proceedings  of  the  Japon  Society, 
Vol.  IV,  part  IV.  London  ;  in-8". 

—  Nouvelles  archives  des  missions  scientifiques  et  littéraires; 
Choix  de  rapports  et  instructions  publiés  sous  les  auspices  du 
Ministère  de  l'instruction  publique  et  des  beaux-arts»  T.  IX. 
Paris,  1899;  in-8". 

—  Al-Machriq,  tammouz  - 1 "  tichrîn  1899.  J^yrouth; 
in  8". 

—  Observatorio  de  Manila .  Boletin  mensual,  1898 ,  1"  trim. 
1899;  in-4°. 


NOUVELLES  ET   MÉLANGES.  539 

Par  ies  éditeurs  :  Revue  Africaine,  2*"  et  3'  trim.  1899. 
Alger;  in-8". 

—  T/ic  American  Journal  of  Semitic  languages  and  litera- 
tares  (Behràicai),  July,  October.  Chicago,  1899;  in-8''. 

—  BoUettino,  n°*  324-338.  Firenze,  1899;  in-8°. 

—  The  Geographical  Journal,  July,  September,  August, 
November  1899.  London  in-8°. 

—  Revue   archéologique,   mai-juin   et   juillet-août    1899. 
Paris  ;  in-8". 

—  Revue  biblique,  juillet  et  octobre  1899.  Paris;  in-8'*. 

—  Rendiconti  délia  Reale  Accademia  dei  Lincei,  Séria  quiata. 
VoL  V^III,  fasc.  3-6.  Roma,  1899;  in-8°. 

—  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres,  mars-avril.  Paris,  i899;in-8°. 

—  Journal  des  Savants,  mai-juin,  juillet-août  1899.  Paris; 
^v.  in-4^ 

—  The  American  Journal  ofphilology.  January-March  et 
April-.Tune  1899.  Baltimore  ;  in-8°. 

—  Analecta  BoUandiana.  T.  XVIfl,  fasc.  m.  Bruxelles, 
1 898  ;  in-8^ 

—  Revue  de  l Orient  chrétien,  4*  année,  n°*  2  et  3.  Paris, 
1  899  ,  in-8°. 

—  ^/-Z/it)'«.  Juin-avril  1899.  Le  Caire  ;  in-8°. 

—  Polybiblion,    parties  technique    et   littéraire;  juillet- 
octobre.  Paris,  i899;in-8°. 

—  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lellrcs,  mars-avril  et  juillet-août  1899;  ^^^"^°* 

—  Mittheilungen   der   deutschen    Gesellschaft    zu    Tokyo, 
1899;  in-8*'. 

—  Bulletin  de  correspondance  hellénique ,  janvier-juin  1 899 . 
Paris;  in^**. 

—  Revue  illustrée  d'Extrême-Orient,  Paris,  1899;  iï^"8*« 

—  Bulletin  archéologique  du  Comité  des  travaux  historiques 
et  fcientijiques.  Année  1898,  3'  livraison.  Paris;  in-8'. 

—  Ricordo  di  Guiseppe  Turrini ,  pubblicato  a  cura  del  Mu- 
nicipio  di  Avio.  Trento,  1899;  in-8'. 


540  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1890. 

Par  le  Ministère  de  rinstruction  publique  :  Auguste  Patie, 
Mission  Pavie ,  Indo-Chine ,  Etudes  diverses,  si  vol.  Paris,  1898; 

in-4'. 

—  Publications  de  FEcole  des  langues  oiientdies  vivantes: 
Jean  Bonet,  Dictionnaire  annamite-français  »T.  l(A-M).  Paris, 

—  Même  recueil  :  Clément  liuart ,  Le  livre  de  la  Création 
et  dv  Vhistoire  d'Abou-Zeïd  Ahmed  ben  Sahl  el-Balkhi.  T.  I. 
Paris,  1899  ;  gr.  in-8°. 

—  Même  recueil  :  Tedzkeret  enrNinân  fi  akhhâr  Molouk 
es-Soadân,  texte  arabe,  édité  par  O.  Houdas  et  E.  Benoist. 
Paris,  1899;  gr.  in-8°. 

—  Musée  de  l'Algérie  et  de  la  Tunisie,  2*  série;  Musée 
Lavigerie.  Paris,  1899. 

Par  les  éditeurs  :  Mission  scientifique  dans  la  Haute-Asie, 
Atlas  des  cartes,  par  F.  Grenard.  Paris,  1898. 

—  Atti  délia  Reale  Accademia  dei  Lincei,  Febbraio- 
Giugno  i899;in-4°. 

—  T)ie  Woche,  Heft  32.  Beriin,  1899;  gr.  in-i". 

—  Le  Globe,  juin  et  octobre  1899.  Genève,  in-S". 

Par  les  auteiu*s  :  P.  José  Algue ,  Las  nuhes  en  êl  Arckipié- 
lago  Filipino,  1°  Junio  1896-31  de  Jdlia  1897.  ^lûia; 
in>. 

—  Ig.  Goldziher,  Abhandlnngen  zur  arabischen  PhûtÀoffie, 
2"Theil.  Leide,  1899;  in-8\ 

—  Emir  Chekib  Arslân ,  RisAil  a^-Sabi,  V(d.  I .  Ba'abda 
(Liban),  1898;  in-8-. 

—  .L  Chunder  Dutt,  Kings  of  Kashmira^  a  translation  of 
a  sanskrit  work ;  3  vol.  Calcutta,  1878-1898;  in- 18. 

—  Adhémar  Leclère,  Les  Codes  cambodgiens,  a  vol.  Paris» 
1 898  ;  in-8*. 

—  M.  Jastrow,  Religion  of  Babylonia  and  Assyria,  Boston, 
i898;in-8\ 

—  Mabell  Duff ,  The  Chronology  of  India  from  the  earliest 
limes.  Westminster,  1899;  ^'^"8**» 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  541 

Par  les  auteurs  :  M.  Hartmann,  The  Arabie  Press  of 
Erjypt.  London ,  1 899  ;  in-8". 

—  Margaret  Dunlop  Gibson,  Studia  Sinaitica,  n'  viii. 
London,  1899;  in-4^ 

—  Hrishikar  Sastri  et  Siva  Chandra  Gui ,  A  descriptive  Ca- 
talofjue  of  Sanskrit  manuscripts  in  the  Library  of  the  Calcutta 
Sanskrit  Collège.  Calcutta,  1899;  in-8°. 

—  Wil.  Popper,   The  Censorship  of  Hehrew  books,  New 

York,  1899;  ^^'^''' 

—  E.  Drouin ,  Monnaies  tangoataniennes  ou  Si-hia  (  extrait  ). 
Paris,  1899;  in-8°. 

—  Le  P.  Louis  Gaillard,  Plan  de  Nankin,  Chang-haï, 
1  899  ;  in-8°. 

—  H.  Vambéry,  Noten  za  den  alttûrkischen  Inschrifïen  der 
Mongolei  und  Sibiriens,  Helsingfors,  1899;  ^'^"^*'' 

—  Barbier  de  Meynard,  Un  poète  arabe  du  11'  siècle  de 
l'hégire,  1897.  Paris;  in-8°. 

—  J.  Halévy,  Revue  sémitique,  juillet  et  octobre  1899. 
Paris  ;  in-8\ 

—  Esteves  Pereira ,  Historia  dos  martyres  de  Nagran,  Lis- 
bonne ,  1 899  ;  in-S". 

—  Ed.  Sachau ,  Mittheilungen  des  Seminarsfàr  Orientalische 
Sprachen  an  der  kôniglichen  Friedrich  Wilhelms-Universitàt  zu 
Berlin.  Berlin  und  Stuttgart,  1899;  in-8'*. 

—  J.  Perruchon,  Aperçu  grammatical  de  la  langue  amha- 
rique.  Louvain,  1899;  in-8''. 

—  Richard  Schmidt,  Die  Sukasaptate  (textus  omantior), 
aus  dem  Sanskrit  ubersetzt.  Stuttgart,  1899,  i^'^'* 

—  L.  Bonelli,  Elementi  de  grammatica  turca  osmanli, 
Milano,  i899;in-i2. 

—  Villi.  Thomsen,  Remarques  sur  la  parenté  de  la  langue 
fW^^Me.  Copenhague,  i899;in-8°. 

—  Karl  Piehl ,  «  Sphinx  » ,  Revue  critique  embrassant  le  do- 
maine entier  de  l'égyptologie.  V.  I-lIl,  f.  1.  Paris,  i899;in-8°. 

—  J.  Rouvier,  Les  ères  de  Gébal-Byblos{ entrait).  Athènes^ 
1899;  in-8". 


542  iNOVEMBRE-DKCEMBRE   1899. 

Par  les  auteurs  :  D.  H.  Miller,  Die  sàdarahische  Expédi- 
tion der  kaiserlichen  Akademie  der  Wissenschafien  in  Wien, 
1899;  m-8*. 

—  John  Whitehead,  Grammar  and  dictionary  qfthe  bo- 
hanrji  langnage.  London,  1899;  "^'^*' 

—  Ed.  Seli,  The  historical  development  ofthe  Kurân,  Ma- 
dras, 1898;  in-8°. 

—  J.  Perrucbon ,  La  Grammaire  de  la  langue  abyssine  de 
M.  Mondon-  Vidailhet,  Paris ,  1 899  ;  in-8°. 

—  H.  Suter,  Localas  Archimedius,  Leipzig,  1899;  in-8*. 

—  Ch.  Clermont-Gauneau ,  Recueil  d'archéologie  orien- 
tale. T.  111,  livraisons  i4à  18.  Paris,  1899;  in-8*. 

—  L.  de  Longraire,  /.  de  Morgan  :  Travaux  archéologi- 
ques exécutés  en  Perse.  Paris,  1899;  in-8''. 

—  P.  Peterson,  A  sirth  Report  of  opérations  in  search  of 
Sanscrit  Mss.  in  the  Romb'ay  Circle,  April  1895-March  1898. 
Bombay,  1899;  in-8''. 


SÉ\NCE  DU  VENDREDI  8  DÉCEMBRE  1899. 

La  séance  est  ouverte  à  A  heures  et  demie,  sous  la  prési- 
dence de  M.  Barbier  de  Meynard. 

Etaient  présents  : 

MM.  Chavannes ,  secrétaire  ;  CL  Huart,  Guimet,  R.  Du- 
vai,  Decourdemanche ,  M.  Schwab,  le  P.  Boyer,  Foucher, 
Mayer-Lambert,  Perruchon,  Carra  de  Vaux,  V.  Henry,  Gre- 
nard,  Aymonier,  J.  Halévy,  membres;  Drouin,  secrétaire 
adjoint. 

Le  procès- verbal  de  la  séance  du  mois  de  novembre  der- 
nier est  lu  et  la  rédaction  est  adoptée. 

Est  reçu  membre  de  la  Société  ; 
M.  Paul  de  Kokowroff,  professeur  d'hébreu  à  TUniveraité 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  543 

impériale  de  Saint-Pétersbourg,  présenté  par  MM.  Cler- 
niont-Ganneau  et  Schwab. 

Sont  offerts  à  la  Société  : 

Par  le  Directeur  de  l'Imprimerie  nationale ,  le  cinquième 
et  dernier  volume  in-folio  de  la  traduction  du  Bhâgavata  Pu- 
rânu,  par  M.  l'abbé  Roussel.  Le  premier  volume  de  cette 
traduction  remonte  à  i84o,  le  second  parut  en  i844  et  le 
troisième  en  1 8^7  ;  tous  les  trois  ont  été  publiés  par  Eugène  ^ 
Rurnouf.  Un  intervalle  de  près  de  quarante  ans  s'est  écoidé 
avant  la  publication  (en  i884)  du  quatrième  volume  par  les 
soins  de  \L  Hauvette-Resnault ,  qui  avait  été  chargé  de  la 
continuation  du  travail,  à  la  demande  de  M.  Adolphe  Ré- 
gnier, précédemment  désigné.  C*est  M.  l'abbé  Roussel  qui  a 
i)ien  voulu  se  charger,  après  la  mort  de  M.  Hauvette-Bes- 
nault,  de  terminer  la  traduction  de  ce  grand  poème  hindou 
(livres  X,  XI  et  Xll  avec  un  index); 

Par  M.  E.  Leroux,  les  ouvrages  suivants  qu'il  a  édités, 
savoir  : 

La  correspondance  d'Aménophis  III  et  d'Aménophis  IV,  tran- 
scrite et  traduite  par  M.  Halévy,  avec  un  index  par  M.  J.  Per- 
ruclion,  1899,  in-8°; 

Le  neuvième  volume  du  Mahâbhârata,  intitulé  :  Calya- 
par  va,  traduction  du  sanscrit  par  M.  le  docteur  L.  Ballin, 
1899,  in-8^ 

Mémoires  sur  l'Annam,  traduction  du  chinois  par  M.  Ca- 
mille Sainson,  consul  de  France  à  Mondzeu  (Yunnan);  Pé- 
king,  1896,  in-8°; 

Grammaire  élémentaire  de  la  langue  persane,  par  M.  Clé- 
ment Huart,  professeur  de  persan  à  l'Ecole  des  langues 
orientales;  Paris,  1899,  iï^"S°î 

Par  M.  A.  Barth  : 

Le  Bulletin  des  religions  de  Vlnde,  suite  de  ses  études  sur 
la  matière  (extrait  de  la  Revue  de  l'histoire  des  religions, 
1899);  et  trois  articles  parus  dans  le  Journal  des  Savants, 


544  NOVEMBRE-DÉCEMBRE    1899. 

1899,  contenant  un  compte  rendu  critique  da  troinème  vo- 
lume du  Mahâvastu. 

Par  M.  Barbier  de  Meynard,  au  nom  de  Tauteor,  M.  Gas- 
ton Mercier  Etude  sur  la  toponymie  berbère  de  la  région  de 
rAurès,  (Extrait  des  Actes  du  XI'  Congrès  des  orientalistes 

>897)- 

M.  Chavannes  présente  à  ia  Société  la  seconde  partie  da 
tome  III  de  sa  traduction  des  Mémoires  historiques  de  Se^ma* 
tsien,  1899,  in-S", 

11  est  ensuite  procédé  à  la  nomination  d*un  membre  de 
la  commission  du  Journal  asiatique,  en  remplacement  de 
M.  Devéria ,  décédé.  Sur  la  proposition  de  M.  le  Président , 
M.  Drouin  est  élu  membre  de  cette  commission  qui  se  trouve 
être  ainsi  constituée  :  MM.  Duval,  Maspero,  Oppert,  Senart 
et  Drouin. 

Il  est  également  procédé  à  la  nomination  d'un  membre 
du  conseil  à  la  place  de  M.  Devéria.  Le  conseil  ait  provi- 
soirement M.  Fouciier;  cette  nomination  sera  soumise  k  la 
ratification  de  la  prochaine  assemblée  générale. 

Il  est  donné  lecture  d\ine  lettre  du  Ministre  du  commerce , 
en  date  de  septembre  dernier,  invitant  la  Société  asiatique 
à  prendre  part  au  Congrès  international  des  sciences  ethno- 
graphiques (}ui  doit  se  tenir  à  Paris  au  mois  d*aoùt  1 900. 

M.  Chavannes  fait  un  rapport  oral  sur  la  traduction  du 
KouangSi'Tong -Tcheu  par  M.  Beauvais  (voir  le  procès-veibal 
de  la  dernière  séance),  et  signale  l'importance  de  cet  ou- 
vrage qui  donne  des  renseigncmenis  sur  Thistoire,  la  géo- 
graphie ,  la  description  des  villes  et  des  monuments ,  comme 
sur  l'organisation  administrative  de  la  province  de  Kouang*Si. 

M.  Aymonier  fait  la  communication  suivante  : 

«Le  P.  Durand,  missionnaire  au  Binh  Dinh  (Annam), 
nous  a  envoyé  quelques  estampages  d'une  inscription  qni 
n'est  pas  en  khmer,  ni  en  cambodgien,  comme  on  le  croit, 


NOUVELLES   ET  MÉLANGES.  545 

mais  en  langue  tcham.  La  stèle ,  trouvée  dans  le  voisinage  du 
petit  village  de  Kon  Tra,  sur  le  bord  du  Ga  Xom,  haut 
affluent  de  la  rivière  de  Qui  Nhon  et  non  loin  de  neuf  belles 
cascades  que  les  Annamites  appellent  «  les  Neuf  Frangés  » , 
est  une  pierre  mesurant  i  m.  70  de  hauteur  sur  o  m.  90  de 
largeur.  L'inscription  compte  onze  lignes  gravées  sur  une 
seule  face,  au-dessous  du  signe  mystique  Om  et  de  Tinvoca- 
tion  sanscrite  om  namaséivâya  «  hommage  à  Si  va  ».  En  outre , 
le  texte,  en  langue  vulgaire ,  est  précédé  des  formules  Swcwfi , 
Jaya,  Siddhi,  Kdrya,  Sans  être  très  nette  sur  les  estam- 
pages, cette  inscription  sera  lisible  dans  son  ensemble.  A 
première  vue ,  elle  ne  nous  a  pas  paru  datée  ;  mais  la  forme 
des  lettres  permet  de  dire  qu  elle  appartient  à  la  dernière 
période  des  documents  épigraphiques  du  Tchampa  et  qu'elle 
ne  remonte  pas  au  delà  du  xii*  siècle  de  notre  ère  » 

M.  Halévy  continue  la  communication  de  ses  recherches 
étymologiques  sur  plusieurs  expressions  sémitiques. 

La  séance  est  levée  à  6  heures. 


ANNEXE  AD  PROCES  VERBAL. 

(Séance  du  8  décombro  1899.) 

Pour  construire  le  temple  de  Yahwé  à  Jérusalem  Salomon 
obtint  de  Hiram,  roi  deTyr,  la  livraison  dans  un  port  judéen 
du  bois  nécessaire  à  la  construction.  Le  roi  tyrien  dit  :  «  Les 
arbres , cèd/es  et  cyprès,  tirés  du  mont  Liban, seront  mis  en 
mer  sous  forme  de  radeaux,  ri113*î,  jusqu'au  lieu  que  tu 
m'indiqueras  »  (I  Rois,  v,  tiS).  Le  même  fait  est  raconté  dans 
11  Chroniques ,  11 ,  1 5 ,  mais  le  mot  employé  pour  «  radeaux  »  y 
est  nil&D").  Ce  second  synonyme  est  demeuré ,  jusqu'à  pré- 
sent, sans  la  moindre  explication  acceptable.  Pour  le  pre- 


546  NOVKMBRE-DÉCKMBRE    1899. 

mîcr,  la  chose  est  plus  facile.  Si  Ton  admet  la  leçon  massorë- 
tique  D131D  W^V^D  I^IT  (Isaïe,  v,  17),  on  obtient  un  mot 
13^  ayant  le  sens  de  «  pâturage  »  ou  de  «  habitude  >,  sens  qui 
peut  se  concilier  avec  celui  de  ^2112  «  désert  » ,  primitive- 
ment «  Heu  où  Ton  conduit  les  troupeaux».  De  telle  façon,  le 
participe  féminin  m_3^  dont  D^'IS^  est  le  pluriel  désigne- 
rait le  radeau  comme  un  véhicule  qui  conduit ,  et  laraméen 
121  «construire»  appuierait  cette  explication.  miDDI  a,  au 
contraire,  l'air  de  venir  d'un  singulier  lÔD'l  qui  résiste  à 

toute  interprétation  raisonnable ,  car  la  tentative  de  l'envi- 
sager comme  un  mot  composé  de  llD^"DÇ'i,  llD"»"nÇ1 ,  pro- 
longé de  DD1  ou  élargi  de  1D*1 ,  est  de  la  plus  haute  fantaisie. 
Quelques  lexicographes  parlent  bien  de  la  possibilité  d*une 
origine  étrangère ,  mais  ils  n'ont  jamais  pu  Tindiquer  d'une 
manière  précise.  Je  pense  plutôt  que  sous  cette  forme  im- 
possible et  évidemment  corrompue,  se  cache  en  réalité  un 
vocable  ancien  qui  nous  est  révélé  par  la  désignation  assy- 
rienne du  radeau,  savoir  raksuti,  dont  la  forme  hébraïque 
est  niDD*l  et  qui  vient  de  rakasu  =  DDl  «  lier,  attacher  ».  D^DDl , 

forme  abstraite  comparable  à  D173a,  D^niîa  et  fl^DTD  dont 
le  pluriel  est  régulièrement  D^'>d'7D,  se  dit  également  au  plu- 
riel DVCD^i  ,  et  c'est  précisément  cette  forme  qui  a  été  altérée 
en  n'îluD'i  par  les  scribes  postérieurs.  La  grande  similitude 
(le  D  avec  D  et  de  "»  avec  1  sont  la  cause  de  cette  concision. 
Il  va  sans  dire  que  cette  erreur  même  atteste  l'antiquité  de 
Tarchétype  dont  le  chroniqueur  s'est  servi  dans  sa  rédaction. 

xnpn 

Ce  mot  judéo-araméen  qui  signifie  «  pain,  galette  de  pain  » 
est  dérivé  par  les  lexicographes  de  la  racine  >)T)  dont  le  sens 
n'est  même  pas  déterminé.  C'est  une  erreur.  J'ai  montré  der- 
nièrement dans  la  Revue  sémitique  que  l'araméen  MOim^ 
(=■  néo-héb.  mrina)  =  assyrien  nuhatimmu  «boulanger»  si- 


NOUVELLES   ET   M'ÉLAxNGES.  547 

^aiilie  proproi lient  «faiseur  de  sceaux,  trempreinles ».  Cette 
désignation  populaire  vient  ce  ce  qu'en  Babylonie  on  cuisait 
les  galettes  de  pain  sur  des  briques  chauffées  au  rouge,  et 
comme  les  briques  de  ce  pays  portaient  presque  toujoure  les 
signatures  do  leurs  propriétaires  ou  de  leurs  fabricants,  le 
pain  cuit  dessus  reproduisait  ces  empreintes.  L*usage  de  la 
hri(|ue  poui*  la  cuisson  du  pain  se  retrouve  aussi  dans  le  mot 
précité  kVriD"'^  ((ui  présente  la  contraction  de  KriD"'y'i ,  dérivé 

de  XDi?*^ ,  Pl^^^  «  brique  ».  Ceci  explique  en  même  temps  l'arabe 
vJU£>  «  galette  ronde  et  mince  de  pain  » ,  mot  qui  se  montre 
ainsi  comme  ayant  été  emprunté  à  l'araméen. 

Nnnnnc 

T  :     -  : 

D'où  vient  le  nom  syriaque  de  la  chauve-souris  )fOf«»iA? 
1/idée  d'y  reconnaître  la  composition  Xm  +  ITIS  «  volant -f 
ver»  a  été  rejetée  avec  raison  par  M.  \oeldeke,  mais  une  in- 
terprétation quelque  peu  vraisemblable  n'en  est  pas  encore 
donnée.  Je  pense  que,  malgré  la  vocalisation,  KinniD  la 

lettre  1  n'est  qu'un  élément  adventice  à  l'instar  de  ceux  qui 
figurent  dans  les  mots  X'?Î*15?  «cabane»  ('?Ty),  D^lp.  ((•3'^'^» 
Dlp)  «hache»  ^^^p  (^l^t^,  ^^C)  «pensée»,  etc.  (^ant  à  la 
s>nahe  finale,  elle  est  le  résultat  du  redoublement  de  la  der- 
nière radicale  (|ui  forme  la  série  des  mots  comme  ?l?3t?, 
'?'!'?SC ,  plpnn ,  nn"»r  ,  etc. ,  lesquels  semblent  comporter  une 
conception  du  diminutif.  K"mmD  élargi  de  îCmnD  se  rat- 
lac  lie  donc  à  la  racine  TDD  «  craindre  »  et  le  sens  fondamental 
du  nom  s>riaque  de  la  chauve-souris  est  «  le  petit  craintif». 


La  particule  éthiopienne  9^^  yogi  «peut-être,  p.our  que 
lion  »  a  été  envisagée  par  Dillmann  comme  étant  composée  de 
p«  _j_  «1^;  Yo  serait  contracté  de  *\n'^  «  il  sera  » ,  et  </e l'équivalent 


548  NOVëMBR-ë-DÉCëMBRE   1899. 

de  ^2  «  que  ».  Il  ajoute  que  yo  pourrait  au&si  élre  l'adoucis- 

seiiient  de  l^ ,  ).},  de  manière  que  f>^  signifierait  au  propre 

«  si  que  »  (  ^!  p).  Les  dîiricultës  de  cette  étymologie  sont  trop 
frappantes  pour  qu'on  ait  besoin  d*y  insister.  En  considérant 
que  la  particule    dubitative  hébraïque  fSa,  die  aussi,  le 

double  sens  de  la  particule  éthiopienne  en  question,  il  est 
permis  de  supposer  aux  deux  une  même  origine  sémantique. 
Maintenant,  étant    donné   que   l'hébreu  JD  vient  de    n^D 

«tourner,  se  tourner,  se  retirer»,  etc.,  on  ne  se  tnmipera 
guère  en  voyant  dans  yogi  un  verbe  substantif  dérivé  de  la 
racine  sémitique  ^3T  qui  se  présente  dans  Thébreu  t^2^^  (I! 
Samuel,  xx,  i3)  «être  retiré».  Notons  encore  que  la  racine 
purement  arabe  n:il ,  t^^  a  absolument  la  même  signification 
et  répond  comme  substantif  à  l'hébreu  D"»iB  «  face  ». 


Ce  terme  se  trouve  plusieurs  fois  au  chapitre  xxvii  du  Lé- 
vitique ,  et  la  ponctuation  montre  clairement  que  la  tradition 
y  reconnaît  le  mot  "îjiy  «  estimation  » ,  augmenté  du  suffixe 

possessif  de  la  2*  personne  :  «  ton  estimation  ».  Toutefois  Tim- 
possibilité  de  conserver  ce  sens  dans  la  plupart  des  passages 
où  figure  cette  forme  a  déjà  été  reconnue  par  les  Septante. 
Non  seulement  le  suffixe  de  la  2*  personne  est  inutile  en  plu  • 
sieurs  endroits,  mais  on  trouve  deux  fois  la  forme  déter- 
minée IDiyn  en  contradiction  avec  la  grammaire  hébraïque, 
voire  la  grammaire  sémitique  en  général,  d'après  laquelle 
les  mots  pourvus  de  suffixes  possessifs  ne  peuvent  pas  re- 
cevoir l'article.  Les  traducteurs  grecs  se  sont  tirés  d'aflEaire , 
tantôt  en  substituant  au  suffixe  de  la  2*  personne  celui  de  la  3* 
(^  Ti(iYf  avToô),  tantôt  en  le  neigeant  entièrement.  Mais 
ce  traitement  embarrassé  garantit  précisément  l'antiquité  de 
la  forme  du  texte  massorétique.  En  vérité ,  la  charpente  con- 
sonantiquc  est  irréprochable ,  la  vocalisation  seiâe  doit  être 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  549 

modifiée  :  il  faut  lire  simplement  "îj^'IV ,  forme  à  la  dernière 
radicale  redoublée  dont  j'ai  parlé  dan»  Favant-dernier  pa- 
ragraphe. Avec  cette  modification  insignifiante,  toutes  les 
difficultés  précitées  disparaissent  et  le  sens  de  «estimation, 
évaluation  régulière  »  s'adapte  on  ne  peut  mieux  à  tous  les 
passages  sans  exception. 

Proverbes,  xvni,  19. 
Verset  rempli  d'incohérence;  le  texte  hébreu  porte  : 

non»  nnns  D'':nD^     î^  nnpo  vc^d:  n» 

Mot  à  mot  ; 

Un  frère  devenu  infidèle  est  plus  qu'une  ville  forte 
Et  les  disputes  sont  comme  le  verrou  d*un  palais. 

Les  Septante  offrent  :  kheX^ds  wttô  âSeA^oô  ^orjdoiyLSvos 
ûûs  "cràXis  o)(ypà  Kai  v^iXrj ,  icrxiist  hè  dii<rîrep  redefieXiùû(iévov 
^0L(TiXeiov  «  Un  frère  aidé  par  un  frère  est  comme  une  ville 
fortifiée  et  élevée,  il  est  fort  comme  un  palais  fondé»;  le 
sens  ne  brille  guère  par  la  clarté,  mais  on  voit  néanmoins 
qu'ils  ont  lu  : 

îlDnîc  1DM22  Ti?*»  non  lir  nnps  fnîCDl  ::v):  nn  ' 

•  I-  -  8  T  TT  -|''iLt"J  T  T 

La  \  iilgato  rejette  les  mots  xai  v'^iXrj  du  premier  hémi- 
stiche ,  et  suit  une  nouvelle  voie  dans  le  second  :  Frater  qui 
adjuvatnr  a  Jratre,  quasi  civitax  firma ;  et  jiidicia  quasi  vectes 
nrbiam;  ce  gui  repose  sur  la  lecture  D^"iy  Tl^*)33  D^i"'lD^ 
(de  p")  ).  La  platitude  de  reiiseinble  ne  disparait  pas  dan»  les 
traductions  modernes,  dont  celle  de  Luther  :  Ein  verletzter 
Brader  hait  liàrter  denn  eine  feste  Stadt,  und  Zank  hàlt  hàrter 
demi  ein  Ricgid  ani  Pallast  «  Un  frère  blessé  tient  plus  dure- 
iiieiit  (piune  ville  forte,  et  la  dispute  tient  plus  durement 


r)50  NOVEMBRE-DECEMBRE    1899. 

qu*uii  verrou  au  palais  ».  Je  propose  la  lecture  suivante  qui 
aplanit  toutes  les  difllcultës  : 

îlDnK  ••nnnD  D'^yiD^     Ti?  n'>ir>2  Scfo:  nK 

Un  frère  ressemble  à  une  ville  forte  (où  l'on  se  réfiigie  devant 

l'attaque  de  l'ennemi), 
Et  les  amis  (ressemblent)  aux  verroux  (qui  ferment)  Tentréed'iui 

palais. 

Pour  3  ^C^Dj,  voir  Psaumes,  xlix,  i3,  21;  le  singulier 
y")Ç  «ami»  se  trouve  dans  Proverbe»,  xix,  7,  et  le  pluriel 
D^y^lÇ  dans  Juges,  xiv,  11. 

ISAÎE ,  L.UII  ,11. 

Ce  verset  tripartite  a  donné  lieu  à  beaucoup  de  correc- 
tions, les  unes  aussi  violentes  que  les  autres,  sans  cependant 
aboutir  à  un  sens  satisfaisant  :  ^ 

:  't     -  V  :  '•  :  t    -  ••  - 

Les  Septante  n'y  ont  déjà  pas  compris  grand'chose;  ils 
mettent  nt^Û  en  état  construit  avec  ^DV  «Moïse  de  son 
peuple  [MeaiJarj  Xaov  aîirov)  »,  lisent  nSvDn  au  lieu  de  dS^ÇH 
en  considérant  )^H^  ny*)  DiC  comme  le  complément  direct  de 

ce  verbe  :  «  Où  est  celai  cjui  a  fait  monter  de  la  mer  le  pas- 
teur de  ses  brebis  ?  »  (lIoO  à  àva^àcras  èx  r^  ^'aXéurtn^s  rà» 
73oi{LévaL  Tùdv  isfpoSâTœv  atÎTOÔ  ) ,  et  D3"1p3  au  lieu  de  13ipa 

(èv  oLVTots),  M.Duhm  suit  strictement  cette  voie  et  efface, de 
plus ,  entièrement  les  mots  IDy  n^*D  qui  seraient  une  interpo- 
lation postérieure;  il  croit  même  (jue  la  partie  h  fait  allusion  à 
la  délivrance  de  Moïse  enfant  jeté  dans  le  Nil  (  Exode,  11 ,  a-5). 


NOUVELLES  ET   MELANGES.  551 

Un  auteur  plus  récent  change  "l^T^l  en  1DTÎC1  et  IDy  en  M2^ , 
et  place  liîCS  ny^  riK  immédiatement  après  :  «  Je  me  sou- 
viens des  anciens  jours  de  Moïse  son  serviteur,  le  pasteur  de 
son  troupeau  » ,  sans  réfléchir  que  la  particule  D^  s'oppose 
absolument  à  une  pareille  construction  (R.  E.  /.,  1899, 
p.  38).  Cependant  la  Vulgate  était,  à  un  point  près,  sur  la 
bonne  voie  :  «  Et  recordatus  est  dierum  saeculi  Moysi  et  po- 
puli  sui  (corriger  :  populas  saas)it;  les  mots  ntî^D  D?iy  "♦D"» 
forment  un  groupe  uni  par  l'état  construit  tout  comme  J^^S 

bi<ip:  c;*!]?  (ïsaïe,  Lx,  i4  =^Nit2?''  vip  ■)'»y  |rx)  =  '»D'' 

nUtD  ''D^  □'?1i* .  Le  sujet  du  verbe  est  naturellement  ItDy ,  nom 
collectif  qui  permet  le  pluriel  dans  Db^Dn,  forme  qui,  loin 
d'être  fautive  (Duhm),  est  d'une  classicité  irréprochable; 
(omp.  T)p"»^lDn  (Deut.,  viii,  i5)  et  DDÇ^aSçn  (II  Samuel, 

1,  34  : 

El  son  peuple  (le  peuple  de  Yaliwé)  se  rappelant  les  anciens  jours 

de  Moïse  dit  : 
Oii  est  celui  (=  Yahwé)  qui  les  a  fait  monter  de  la  mer  avec  le 

pasteur  de  ses  brebis? 
Où  est  relui  qui  a  mis  en  lui  (en  Moïse)  son  esprit  saint? 

Le  peuple  plongé  dans  les  misères  de  la  captivité  désire 
ardemment  le  renouvellement  des  miracles  de  l'ancienne 
époque  mosaïque. 

J.  Halévy. 


OUVRAGES  OFFERTS  X  LA   SOCIETE. 
(Séance  du  8  décembre  1899.) 

Par  les  éditeurs  :  J.  Halévy,  La  correspondance  d'Améno- 
phis  m  et  d'Aménophis  IV;  lettres  babyloniennes  trouvées  à  El- 
4 marna,  transcrites  et  traduites,  Paris,  1899;  in-8°. 

—  Polybibllon ,  parties  technique  et  littéraire;  novembre 
1899.  Paris;  in-8". 

MX.  36 

iMraiMRMIK     KATIOSALS 


552  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

Par  les  éditeurs  :  Annuaire  de  V Ecole  pratique  des  hautes 
études,  Paris ,  1 900  ;  in-8". 

—  Al -Machriq s  ^lùivin  2.  Beyroath,  1899;  in-8*. 

—  Bollettino,  333,  334.  Firenze,  1899;  iii-8'. 

—  Revue  ciitique,  ii"45,  46;  à'j.  Paris,  1899;  ^'S*. 

—  Toung-Pao ,  mai-octobre ,  avec  Supplément  par  M.  Cor- 
dier.  Leide,  1899;  in-S.**. 

—  Journal  des  Savants,  septembre-octobre  1899.  Paris; 

in-4". 

—  Upsala  Universitets  Arsskrift,  1876,  I.  Upsala;  in-S". 

—  The  Sanskrit  critical  Journal,  May-July-Scptember  1 899 . 
Woking;  in-8". 

—  Le  Bhâyavata  Purâna,  lûstoire  poétique  de  Krichna, 
traduit  et  publié  par  E.  Burnouf;  t.  V,  par  M.  Hauvette- 
Besnault  et  le  R.  P.  Roussel  de  l'Oratoire.  Paris,  1898; 
in-fol. 

—  Atti  délia  Reale  Accademia  dei  Lincei,  Giugno  1899. 
Roma  ;  in-4°. 

—  Rendiconti  délia  Reale  Accademia  dei  Lincei ,  V,  vol.  V1I[ , 
fasc.  7  et  8.  Roma;  in-8°. 

—  Revue  archèoloqique y  septembre-octobre  1899.  Paris; 
iii-8^ 

—  Bulletin  archéologique,  année  1899,  1"  livr.  Paris; 
in-8^ 

—  The  Geographical  Journal,  December  1899.  I^oJ^don; 
in-8^ 

—  Annuaire  de  l'Ecole  pratique  des  hautes  études.  Paris, 
1900;  in-8\ 

—  Le  Muséon,  septembre  1899.  Louvain;  in-8°. 

Par  la  Société  biblique  :  Une  collection  de  livres  i*eligieux 
en  diverses  langues.  London,  1899,  in-8*'. 

—  Transactions  of  the  Asiatic  Society  of  Japan.  December 

i  898  ;  io-8^ 

Par  les  auteurs  :  J.  F.  M.  Pereij'a,  Ta-si-yang-kao,  Archivos 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  553 

et  Atiales    do   Eœtremo    Oriente   Portaguez.  Lisboa,  1899; 

—  E.  Drouin,   Une  drachme  arsacide,  Bruxelles,  1899; 
in-8^ 

—  Le  même,  Sur  t origine  du  titre  BourtXeiis  BwrtXécùv, 
Bruxelles,  1899;  i'ï'8"- 

—  H.  Gordier,  Deux  voyeurs  dans  VExtrême-Oiient,  Leide , 
1899;  ïnS\ 

—  K.  L.  Tallquist,  Die  Sprache  der  Contracte  Naba-ndids. 
I  lelsingfors ,  1 890  ;  in-8°. 

—  OlafMolin,  Ont  prepositionen  }D  i  Bibelhebreiskan,  Vf- 
sala,  1893;  in-8". 

—  J.  A.  Lundel,  Etude  sur  la  prononciation  russe,  Upsaia, 
i89o;in-8°. 

—  Erik  Stave,  Om  Uppkonisten  af  gamla  Testamentets  Ka- 
non.  Upsaia,  1891;  in-8*'. 

—  0.  E.  Lindberg ,  Studien  ôfoer  de  semitiska  Ijade  w  ochy, 
Lund,  1898;  in-S**. 

—  Karl  Fries,  Weddâsê  Màryâm  (texte  éthiopien  et  tra- 
duction). Upsaia,  1892;  in-8°. 

—  K.  U.  Nylander,  Inleding  till  Psalteren,  Upsaia  ;  1 894  ; 
in-8\ 

—  Le  même.  On  Kasasàndebema  i  Hebreiskan,  Upsaia, 
l882;in-8^ 

—  Le  même.  Orient alistkongressen  i  Stockholm-Christiana. 
Upsaia,  1890;  in-8°. 

—  K.  G.  Nordlander,  Die  Inschrift  des  Kônigs  Mesa  von 
Moab.  Leipzig,  i896;in-8°. 

—  H.  Almquist,  Om  det  sanskritiska  aham.  Upsaia,  1879; 
in-8\ 

—  Le  même,  Mechilta  Bo  Pesachtraktaten,  Lund,  189a; 
in-8". 

—  Le  même ,  Ein  samaritaniscker  Brief  an  Kônig  Oskar, 
Upsaia,  1897;  in-8°. 

—  Le  même,  Ibn  Batutas  resa  genom  Maghrib.  Upsaia, 
l866;in-8^ 

36. 


554  NOVEMBRE-DÉCEMBRE   1899. 

Par  les  auteurs  :  J.  Selîgniann,  Prooimiam  et  spécimen 
lexici  arabici  Atthaalibii;  1896;  in-8°. 

—  S.  Aberstén,  Gittin  i  den  hahyloniska  TaJmad,  Gôte- 
borg,  1896;  in-8°. 

—  Anton  Haclin ,  Prepositionen  is  etymologi  och  anvàndiriff 
i  Hebreiskan,  Upsala,  1886;  in-8'*. 

—  J.  T.  Nordling,  D:msvaga  rerb-bildningen  i  Hebreiskan. 
Upsula,  i879;in-8'*. 

—  Le  même ,  De  allmànna  vokalfôràndringarna  i  Hebreiska 
Sprâket,  "^  Upl  Upsala,  1879;  î""^"- 

—  R.  A.  Brandel ,  Om  och  Ur  den  arabiske  geogmfen  Idrisi, 
Upsala,  189^;  in-8". 

—  Olaf  O.  Celsino,  Bibliothecœ  Upsaliensis  historia,  Up 
sala ,  1 745  ;  in-8*'. 

—  K.  Loftman ,  OJversàttning  och  Komnientar  till  Profeten 
Hoseas  bok,  Linkôping,  1896;  in-8'*. 

—  Le  même ,  Kritisk  undersôkning  afden  masoretiska  Texlen 
till  Profeten  Hoseas  bok.  Upsala ,  1 896  ;  in-8*. 

—  K.  B.  WilÀund^  Enttvurfeiner  Urlappixchen  Laatlehrel. 
Ilelsingfors,  1896;  in-8°. 

—  O.  Fr.  Tuliberg ,  Stôdda  anmàrkningar  rvrande,  Indien 
och  Sanskrit  litleraturen,  Upsala ,  1 889  ;  in-8". 

—  Le  même,  De  linguœ  aramœœ  dialeclis.  Upsala,  i843; 
m-8". 

—  Le  même ,  Gregorii  bar  Hebrœi  in  Jesaiam  scholia.  Up- 
saliae,  1842;  in-4°. 

—  Le  même,  Malavika  et  Agnindtra,  fasc.   1.  Bonne, 
1894;  in-4". 

—  Jean  Gabr.  Sparuenfeldius ,  Catalogus  Centariœ  Ubroram 
rarissiniorum.  Upsalia» ,  1 706  ;  in-8°. 

—  H.   Paasonen,   Mordvinische    Lautlehre.    Helsingfors, 
1893,  in-8". 

—  G.  ,1.  Tornberg,  Codices  arabici,  persici  et  tarcici  biblio- 
iheca*  regiœ  Universitatis  Upsaliensis,  Lundœ;  in-A". 

—  K.  V.  Zetterstéen ,  Ja/ya  bin  Abd-el-Muti  ez-Zattéftis 
Eddnra  el-Alfije  fî  dm  el-arabija.  Leipzig,  1896;  în^8*. 


NOUVELLES  ET  MELANGES.  555 

Par  les  auteurs  :  F.  Nau,  Opuscules  maronites,  i"  part. 
Paris,  1899;  in-8". 

—  Le  même ,  Traité  de  l'astrolabe  plan  de  Sévère  Sahokht 
(extrait).  Paris,  1899;  in-8*'. 

—  M.  Schwab,  Répertoire  des  articles  relatifs  à  l'histoire  et 
à  la  littérature  juives  parus  dans  les  périodiques  de  1 183  à  1898. 
Paris;  in-8*'. 

—  CL  Huart,  Le  dialecte  de  Chirâz  dans  Sadi  (extrait), 
(îenève,  1897;  in-8''. 

—  Le  même,  Les  Zindîqs  en  droit  musulman  (extrait).  Ge- 
nève, 1897  »  ^^"8"- 

—  Le  même ,  Grammaire  élémentaire  de  la  langue  persane. 
Paris,  1899,  in-8". 

—  M .  A.  Stein ,  Notes  on  the  monetarv  System  of  ancient 
Kasniir,  London,  1899;  ^'^"8*'« 

—  P.  Cheikho,  Notice  sur  un  ancien  manuscrit  arabe,  Bey- 
routh, 1899;  in-8". 

—  A.  Barth,  Le  Maliâvastu,  texte  sanscrit  publié  pour  la 
première  fois  et  accompagné  d'introductions  et  d'un  com- 
mentaire par  E.  Senart,  3  vol.,  1882-1897  (extrait);  in-4°' 

—  Le  même.  Bulletin  des  religions  de  Vlnde.  Paris,  1899 
in-8". 

—  E.  Durant -Lapie,  Le  comte  d'Esca^rac  ae  Lauture. 
Paris,  1899;  i""8". 


SUR  LA  DATE  DV  NIRVANA  ,  PAR  M.  LEON  FEKR. 

Dans  le  Journal  de  la  Société  orientale  allemande  (vol.  LUI , 
|).  120-124),  M.  Speyer  a  récemment  discute  la  date  de  la 
mort  du  Buddha  d'après  l'Avadàna-Çataka  et  montré  qu'elle 
so  place  cent  ans  avant  le  règne  d'Açoka  et  non  deux  cents  ans 
comme  l'a  dit  Burnouf  et  comme  je  l'ai  répété  après  lui.  J'ai 
bien  mis  dans  ma  traduction  :  «  Dans  le  deuxième  siècle . . .  » , 
mais  j'aurais  du  dire  «le  troisième,..  »,  car  je  suivais  Bur- 
nouf. 


550  NOVËMBRË-DÉGËMBRE  1899. 


I 

Le  centième  récit  de  VAv.  Çai,,  où  se  trouve  la  mention 
contestée,  se  compose  de  deux  parties  :  un  récit  de  la  mort 
du  Buddha  finissant  par  une  stance,  et  le  récit  d'un  fait  an 
temps  d'Açoka;  ]e  second  récit  est  soudé  au  premier,  sans 
que  rien  les  sépare.  Cette  union  étroite  est  surtout  manifeste 
dans  ie  manuscrit  de  Paris.  Voici ,  en  e£Fet ,  comment  le  pada 
final  de  la  stance  et  le  commencement  du  deuxième  récit  y 
sont  présentés  : 


Due  I  civare  tatra  naiva  dagdha  abhyantaram  hàkyam  atJka  dvi- 
ttycuh  vaifaçataparinirvrte  buddhe  bhagavati   .... 

Burnouf  rattachant  athadviiiyam  à  var^açata. .  .  traduit  : 
«  Deux  cents  uns  après  que  le  bienheureux  Buddha  fut  entré 
dans  le  Nirvana  complet...  »  [Introd,,  p.  385).  Mais  M.  Speyer 
montre  que  les  mots  aiha  dvitiyam  appartiennent  non  au 
second  récit ,  mais  au  premier,  et  qu^îls  complètent  le  dernier 
pada  de  la  stance  ;  mots  de  remplissage ,  il  est  vrai ,  ajoutés 
pour  parfaire  le  vers,  mais  en  faisant  partie  intégrante.  Ce 
vers  se  traduit  donc  littéralement  ainsi  : 

Duœ  vestes  illic  non  ecjuidem  ustœ,  interior  extenor  nuiic  secundo. 

Alors  le  deuxième  récit  commence  par  varsaçata...  «cent 
ans  après.  .  .  ». 

11 

La  traduction  tibétaine  donne  raison  à  M.  Speyer.  Voici, 
en  effet ,  le  texte  du  Kandjour.  (Je  mets  sous  chaque  mot  tibé- 
tain son  équivalent  sanscrit.) 

Der      ui     bzat't-jin     naii    da/i    pkyi-rol   gyi    rnam-pa     anii    ni 
Tatra  p\ a    civare  (?)  abhyantaram     bâhyam  dvitîyani  (?) 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  557 

ts'uj  pa  yons  ma-gynr   sai'is-rcfyas    hchom-ldan- das  yons^su.  mya-nan- 
dagdha  eva     na...        buddhe  bhagavati  parinirvrte 

las  'das  nas   lo   brgya   Ion  dei  tsé 
varsacata 

L'espèce  de  cheville  aiha  dvitiyam  qui  a  causé  Terreur  de 
Burnouf  n'est  pas  représentée  dans  le  tibétain,  ou,  si  eUe 
l'est  par  les  mots  rnam-pa  gnis,  c'est  d*une  façon  douteuse, 
insuffisante,  et  qui,  dans  tous  les  cas,  place  clairement  les 
mots  atha  dvitiyam  dans  la  stance  et,  par  conséquent,  dans 
le  premier  récit.  Et  la  date  du  Nirvana  se  trouve,  avec  plus 
de  clarté  encore,  indiquée  par  les  mots  lo-hrgya  (sanscrit 
varsacata)  «  cent  ans  »  ;  les  termes  tibétains  Ion  «  écoulés  » ,  dei- 
Ise  «  en  ce  temps -là  » ,  ne  correspondent  à  aucune  expression 
sanscrite. 

III 

M.  Speyer  fait  observer  que  son  interprétation  met  d'accord 
Y Avadâna-Çataka  et  d'autres  recueils  tels  que  YAçoka-  et  le 
Divya-avadâna,  qui  placent  le  règne  d'Açoka  cent  ans  seule- 
ment après  le  Nirvana.  J'ajouterai  le  DzaA-lan,  où  la  même 
assertion  (dont  j'aurais  dû  me  souvenir)  se  trouve,  dans  le 
xxvii*  chapitre ,  en  ces  mots  : 

na  mya  nan-laj-  'das-te  lo-brgyadon'pai  og-ta  rgyal'po  A*Ç0'ha, 
Cent  ans  écoulés  après  mon  Nirvana,  le  roi  Açoka.  .  .^ 

H  paraît  donc  bien  établi  que  l'assertion  d'après  laquelle 
ÏAv,  Çat.  mettrait  deux  siècles  entre  le  Nirvana  et  le  règne 
d'Acoka  est  le  résultat  d'une  méprise ,  que  les  textes  népalais 
sont  d'accord  pour  réduire  cet  intervalle  à  un  siècle,  et  que 
la  rectification  proposée  par  M.  Speyer  est  parfaitement 
juste. 

L.  Feer. 

'    Der  ffeise  und  der  Thor,  p.   218,  1.  7. 


SOVKMBBK-DIvCEMBRR  I8«9, 


E  SUR  UNE  NOUVILLE  UONNAIB  TANGOUTAIHB. 


Le  Joarnal  a.<iatùjae  a  bien  voulu  paUîer  en  i8g8,  ma 
Notice  sur  uae  monnaie  à  légende  en  écriture  Ungontaiiie, 
émise  par  un  prince  de  la  dynastie  de  Si-Hia,  qui  s  régné 
sur  les  IVontières  nord-ouest  de  la  Chine,  de  lood  ^  1327, 
et  doni  la  capitale  était  Hia-tcbeou  (aujpurd'hni  Ning-hia- 
fou)  sur  la  rive  gauchedufleuve  Jaune.  Cette  notice  contient 
le  déchilTrement ,  en  chinois,  de  la  légende  tangontaine. 

Depuis  mon  retour  à  Péking,  j'ai  eu  l'occasion  d'ajouter  à 
ma  collection ,  une  autre  monnaie  de  la  même  série  nomû- 
matii^ue  qui  n'a  pas  encore  été  publiée.  J'en  donne  id  le 
dessin ,  avec  les  équivalents ,  en  chinois ,  de  la  légende  langou- 
taine;  je  les  ai  déterminés  comme  pour  la  précédente  mon- 
naie, à  l'aide  des  iuscriptious  en  tangout  qui  se  trouvent 
sur  la  pagode  bouddhiste  de  Leang-tcheon  dans  la  province 
du  Kansu  et  sur  la  porte  de  Kiu-yong-boao  près  Péking, 
dont  j'ai  parié  dans  ma  première  notice. 

Voici  la  description  de  cette  nouvelle  pièce  dont  le  revers 
est  an  épigraphe. 

Niius  avons  déjà  deux  caractères,  au-dessons  et  à  gauche 
du  trou  central .  qui  nous  sont  connus,  étant  les  mêmes  que 
ceux  de  la  première  monnaie.  Ce  sont  les  deux  signes  tan- 
goutains  que  j'ai  transcrils  en  chinois  par  >tÊ  ^^  poo  U'im 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.       550 

«  monnaie  précieuse  ».  Il  reste  à  déterminer  les  deux  autres 
signes. 

Le  premier,  celui  qui  est  au-dessus  du  trou  central,  se 
rencontre  fréquemment  dans  la  partie  tangoutaine  des  deux 
inscriptions  de  Leang-tcheou  et  de  Kiu-yong-koan ,  où  il  est 
l'équivalent  du  mot  chinois  t'ien  «ciel»  ^Ç»  Unie  suffira  de 
signaler  la  dernière  colonne  de  la  stèle  de  Leang-tcheou  en 
tête  de  laquelle  on  voit  ce  caractère  qui  est  le  premier  du 
o-roupe  T'ien-yoïi-min-ngan,  nom  de  la  période  dans  la  cin- 
quième année  de  laquelle  (an  logi  de  J.-C.)  le  monument 
a  été  élevé.  Si  Ton  se  reporte  au  tahleau  des  souverains  de 
la  dynastie  Si-Hia  dressé  par  M.  Devéria  \  on  voit  que,  durant 
les  règnes  des  trois  monarques  canonisés  sous  les  noms  de 
\  isong  (lO/ig-ioGS),  Hoeï  tsong  (1068-1087)  et  Tchong 
tsong  (1087-1 1  Ao),  il  n'y  a  pas  moins  de  cinq  nien-hao  com- 
mençant par  t'ien  «ciel».  Mais  quatre  d'entre  eux  doivent 
être  éliminés,  car  le  nien-hao  T'ien-i-tche-p*ing  (1087-1089) 
nous  est  donné  au  complet  (en  plus  du  nien-hao  T'ien-you- 
min-ngan)  dans  le  texte  tangoutain  de  la  stèle  de  Leang- 
tcheou,  tandis  que  les  seconds  caractères  des  nien-hao  T'ien- 
you-tch'oei-cheng  (io5o-io52)  et  T' ien-ngan-li-ting  (1086) 
sont  respectivement  identiques  au  second  et  au  quatrième 
caractères  de  la  période  précitée  T'ien-you-min-ngan;  il  ne 
reste  donc  que  le  nien-hao,  en  chinois,  t'ien-tze-li-cheng- 
koao-k'ing  (1070-1075)  (jui  soit  applicahle  ici. 

Le  second  signe  tangoutain,  celui  qui  est  à  droite  du  trou 
central ,  se  rencontre  aussi  sur  la  dernière  colonne  du  texte 
tangoutain  de  la  stèle  de  Leang  tcheou  où  il  parait  avoir  le 
sens,  si  on  le  prend  avec  le  caractère  qui  le  précède,  de 
«par  faveur  impériale»  ^fi  (le  monument  a  été  érigé).  Le 
texte  cliinois  conduit  au  même  sens ,  si  Ton  tient  compte 
d'une  lacune  qui  est  entre  la  date  et  le  signe  kien  «  érigé  ». 

Les  mêmes  deux  caractères  tangoutains  dont  le  second  se 


'    Dovéria,    Ij  écriture  du    royaume  de  Si-Hia  ou   Tangout  dans  les  Mém. 
(Ir  /'  \c<id.  dos  inscr.  el  lullex-lettres ,  Savants  étrangers,  t.  XI,  1898. 


560  NOVEMBRE-DECEMBRE   1890. 

trouve  seul  sur  notre  monnaie,  se  rencontrent  sur  le  petit 
texte  du  côté  orientai  de  la  porte  de  Riu-yong-koan  dans 
une  phrase  qui  doit  signifier  suivant  moi  t  construit  par  &- 
veur  impériale».  On  peut  encore  les  rencontrer  deux  fois 
dans  les  titres  des  commissaires  impériaux  mentionnés  sur 
la  stèle  de  Leang-tcheou  avec  un  contexte  qoi  fait  qu'on 
peut  bien  s'attendre  à  trouver  le  caractère  chinois  conres- 
pondant  tze  ^ .  L* ensemble  de  la  légende  tangoutaine  peut 
donc  être  considéré  comme  équivalent  au  chinois  t*ien  tz'e 
pao  isicn  «monnaie  précieuse  de  (la  période)  t'ien  tz'ei. 
(]es  deux  derniers  signes  sont  d'ailleurs  une  abréviation  dn 
groupe  t*ien'tz'e-li'ckeng-koaO'k*ingj  second  nien-hao  (  1070- 
1076)  du  règne  du  souverain  Si-Hia  qui  a  été  canonisé  sons 
le  nom  de  Hoei  tsong.  La  monnaie  qui  a  été  publiée  dans 
ma  précédente  notice  a  été  frappée  pendant  le  nien-hao  sui- 
vant ia-ngan  (1075-1086).  Les  deux  pièces  appartiennent 
donc  au  même  empereur  Hoei  tsong. 

D'  S.  W.  BUSHBLL. 

Légation  Ae.  S.  M.  Britannique  à  Péking,  août  1899. 


BIBLIOGRAPHIE. 


DtE  Handschriften-Verzeichnissb  dbr  Koeniquchmn  Bimuo- 
THEK  zu  BERLf.y.  XXIIl"  Band ,  Verzeichniss  der  sjrischen 
Handschriften  von  Eduard  Sach\u;  Abtheiiung  I-II,  Beriîn, 
Ashor,  1899,  in-4^  p.  942  ;  préface  I-XJV;  fac-similés  I-DL 

Le  fonds  syriaque  des  manuscrits  de  la  BiUiothèque 
royale  de  Berlin,  qui  doit  son  importance  à  la  collection 
dont  M.  Sacliau  l'a  enrichi  depuis  son  retour  d*Orieut, 
n'était  connu  que  par  la  nomenclature  sommaire  que  ce  sa- 
vant professeur  avait  publiée  en  i885  (^nr^z^ei   Vêrzmchni$$ 


NOUVELLES   ET  MELANGES.  561 

der  Sacliauschen  Samnilung  nebst  Uebersicht  des  alten  Be^ 
standes).  Aujourd'hui  le  catalogue  analytique  qui  vient  de 
paraître  par  les  soins  de  M.  Sachau,  permet  aux  travailleurs 
de  mieux  apprécier  la  valeur  littéraire  et  historique  des 
œuvres  des  Syriens  conservées  à  la  Bihliothèque  de  Berlin. 

Le  catalogue  renferme  une  description  très  complète  de 
chaque  manuscrit ,  et ,  quand  il  s'agit  d'un  ouvrage  nouveau 
pour  nous  ou  peu  connu ,  de  longs  extraits  et  parfois  un  texte 
entier  avec  une  traduction  allemande.  Un  travail  fait  avec 
un  soin  si  minutieux  a  coûté  de  longues  années  avant  de  voir 
le  jour  et  l'auteur  n'a  pu  mentionner  les  publications  sy- 
riaques qui  avaient  eu  lieu  pendant  l'impression  du  cata- 
logue. 11  n'a  pas  cru  devoir  y  revenir  dans  les  Addenda  ni 
ajouter  quelques  autres  publications  antérieures  qui  lui 
avaient  échappé  et  qui  sont  de  peu  d'importance. 

Le  nouveau  catalogue  de  Berlin  forme  la  suite  et  le  com- 
plément des  catalogues  syriaques  de  Rome,  de  Paris,  de 
Londres  et  d'Oxford,  grâce  auxquels  l'œuvre  littéraire  des 
Syriens  commence  à  être  mieux  connue.  U  apportera,  lui 
aussi ,  son  contingent  à  la  source  de  l'inédit  qui  semblait 
près  de  tarir. 

Au  lieu  de  suivre  purement  et  simplement  l'ordre  des 
matières  adopté  par  ses  devanciers,  le  rédacteur  du  cata- 
logue a  divisé  les  manuscrits  en  trois  groupes  d'après  leur 
écriture  :  estranghélos ,  nesloriens  et  jacobites.  Ce  classement 
se  justifie  en  un  sens ,  parce  que  les  manuscrits  estranghélos 
de  Berlin  représentent  les  manuscrits  anciens  (quelques-uns 
remontent  au  v"  et  au  vi*  siècle);  les  manuscrits  nestoriens 
et  jacobites  sont,  au  contraire,  de  basse  époque  (plusieurs 
d'entre  eux  ne  sont  que  des  copies  récefites  de  manuscrits 
qui  se  trouveni  en  Orient).  Mais  cette  méthode  a  ses  incon- 
vénients. J^e  travailleur  qui  s'adresse  à  un  texte  spécial  devra 
c(3nsiilter  l'index  des  matières  et  l'index  des  auteurs  pour 
savoir  si  ce  texte  est  représenté  dans  une  ou  plusieurs  caté- 
<;ories  du  catalogue.  En  outre  un  manuscrit  nestorien  peut 
contenir  une  œuvre  jacobite  (n"  33)  ou,  en  sens  inverse,  un 


562  NOVKMBRE-DECEMBRE    1899. 

manuscrit  jacobite  reproduira  un  livre  nestorien  (n"  171, 
s«38-232,  si36). 

Les  récentes  éditions  de  textes  syriaques  tirés  de  ia  Biblio- 
thèque de  Berlin  ont  mis  en  évidence  la  videur  des  mana- 
scrits  de  cette  bibliothèque.  Le  catalogue,  de  son  côté,  nous 
apprend  que  tous  les  genres  littéraires  y  sont  représentés  par 
plusieurs  manuscrits  :  versions  et  commentaires  bibliques, 
apocryphes  et  légendes ,  actes  des  saints ,  théologie ,  patris> 
tique  syriaque  et  grecque,  livres  liturgiques,  philosophie, 
grammaire,  lexicographie,  etc.  Quelques  ouvrages  ne  se 
trouvent  en  Europe  qu'à  Beiiin.  La  collection  néo-syriaque 
(Fellihi  et  Tôrânî)  est  unique  en  son  genre. 

\,e  catalogue  compte  346  numéros  et ,  en  plus ,  deux  nou- 
velles acquisitions  mentionnées  à  la  un  de  la  préface  :  une 
chaîne  des  Pères ,  incomplète  au  commencement  et  à  la  fin , 
intitulée  :  La  jardin  des  délices,  et  Le  livre  des  Scolies  de  Théo- 
dore bar  Koni ,  suivi  de  deux  écrits  de  Tévéque  Silvanos. 

Cependant ,  sous  le  rapport  du  nombre  et  de  rimportance 
des  manuscrits  anciens,  la  Bibliothèque  de  Beriin  ne  vient 
(juVn  dernière  ligne  après  les  autres  grandes  bibliothèques  de 
l'Europe.  Les  manuscrits  estranghélos ,  presque  tons  incom- 
plets et  en  mauvais  état,  ne  comprennent  que  a  a  numéros; 
les  antres  manuscrits,  nestoriens,  jacobites  et  melkitc»,  sont 
modernes.  Les  copies  des  manuscrits  nestoriens  demeurés 
en  Orient  n'ont  pas  toutes  la  même  valeur;  quelques-unes 
(n***  77,  79,  80,  81,  93,  101)  ontété  écrites  en  188a  et 
i883  par  un  certain  Franz  fils  de  Giwargis  qui  a  parfob 
maltraité  son  original  d'une  manière  pitoyable*. 

'  (ionij)aror  Baetbgcp,  Congres  des  OrienlaUslcs  de  Stockholm^  ëectiùH 
séinilu^ue ,  p.  107-1 1(),  rt  J.-B.  Chabot,  Joiirna/  o^ûifiifa^,  jaiilrl-*oAt, 
189^,  |).  189,  )K)ur  ce  qui  concerne  le  n°  80  (rotf.  Sackau,  s  17)  oonl^ 
nunt  ie  commentaire  de  Théodore  de  Mopoueste  sur  rÉvangîle  de  «dnt 
Jean;  —  Rahlfs,  Goettingische  gelehrte  Anzeigen,  1893,  n"  s5,  p.  9S41 
nu  sujet  du  n"  101  [CoU,  Sachau,  -n^  et  »i3)  contenant  le  Iraqno  dr 
Bar  Baldoul. 

\  pro[)os  du  n°  '^29  (  Coll.  Sachau,  iQ^)*  noos  a^'ons  U  MtiifiMtMm  de 
constater  que  ia  description  quVn  fait  M.  Sachau  (p.  711)  jiutîfip  lo 


NOUVELLES   ET   MÉLANGES.  563 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'ajouter  que  ce  catalogue  a  été 
rédigé  avec  une  rare  compétence;  le  nom  de  Tauteur  est  le 
meilleur  garant  de  Texactitude  de  la  reproduction  des  ex- 
traits imprimés ,  de  leur  traduction  et  du  commentaire  qui 
suit  la  description  de  chaque  manuscrite 

Jja  préface  commence  par  une  esquisse  très  réussie  de 
l'histoire  de  \a  littérature  syriaque.  A  la  lin  de  Touvrage , 
luiit  indices  :  une  revue  des  différentes  collections  qui  com- 
posent le  fonds  syriaque  de  la  Bibliothèque  de  Berlin  ;  une 
liste  des  manuscrits  datés;  un  index  des  auteurs;  un  autre 
des  copistes;  un  Index  geographicus ;  un  index  des  noms  de 
personnes;  un  [ndeœ  reram;  et  un  index  des  évêchés.  Suit 
une  liste  des  Corrigenda  et  addenda  à  laquelle  M.  Goussen  a 
collaboré.  Les  fac-similés  de  manuscrits  forment  une  utile 
contribution  à  la  paléographie  syriaque. 

L'exécution  typographique  est  admirable.  Les  caractères 
estranghélos ,  nestoriens  et  jacobites  appartiennent  à  la  meil- 
leure catégorie  des  types  syriaques  en  ftsage  dans  les  impri- 
meries. 

R.  DUVAL. 


smu'iit  que  nous  avions  fait  de  ce  manuscrit  parmi  les  Codices  tnfxli  com- 
(josés  de  gloses  de  Bar  Bahloui «  de  Bar  Ali  et  d'autn^s  lexicographes, 
(voir  notre  édition  de  Bar  Babloul,  Préface,  p.  iii).  M.  Gottheii  avait 
décrit  ce  manuscrit  comme  étant  un  Bar  Ali  ordinaire  et  M.  Rahlfs  nous 
avait  rej)roché  sévèrement  la  soi-disant  confusion  que  nous  avions  commise. 
M.  Sacliuu  dit  de  ce  manuscrit  Thesaums  linguœ  syriacœ  von  Bar  Ali, 
Bar  Bahiul  und  anderen ,  von  der  Catégorie  der  Codices  mixli.  Après 
avoir  rappelé  mon  classement  de  ce  manuscrit  et  celui  de  M.  Gotlbeil, 
il  ajoute  :  lu  tP^ahrheit  ist  rs  eine  compilation  mts  Bar  AU,  Bar  Bahiul  und 

(inderen  QucUen. 

■I     II **       ** 

'    W  717,   i.    >-3  de    la    :{*  colonne,    les  mots  ^QN■■J^>Aao  P^  JuO  J^a^ 

signifient  les  mots  (fui  ne  diffèrent  pus  {pur  la  forme  mais  jmr  le  sens),  lï 
s'agit  d'un  traité  De  ceifuilitteris. 


504  NOVKMBHK-DKCKMBRE  1899. 


JSgann  nasn  tchk  llo  ^  ^  J^  s.  Mémoires  slb  lWn.n^m. 
Traduction  arr()inpa*;iM'r  d'un  lexique  ge'*ographique  et  historique, 
par  (^.amiHf  S\insc)n.  Péking,  imprimerie  des  Lazaristes  au  Pé 
t'aiiî^,  iS()6;  in-8"*  de  yn-ôSi  pages.  Kn  vente  chez  Leroux. 

Si  l'on  fait  abstraction  des  textes  qu'on  peut  glaner  dans  les 
historiens  chinois,  le  nomi)re  des  ouvrages  écrits  en  Chine 
sur  le  royaume  d'Annam  est  fort  restreint  ;  le  plus  ancien  et 
le  plus  important  est  celui  qui  fut  puhiié  par  un  certain  Li 
Tso,  au  commeurement  du  \i\*  siècle  de  notre  ère,  sous  le 
titre  de  Ngau-nan-tche-luo;  l'année  de  la  publication  est  in- 
certaine; la  préface  do  l'auteur  est  datée  de  i335,  mais  ou 
trouve  dans  le  livre  la  mention  d'événements  qui  se  passèrent 
en  i.S.K);  c'est  donc  vers  1 3/io  que  la  rédaction  définitive 
dut  être  terminée.  Les  e\em[)laires  chinois  du  Nyan-nan-tche- 
luo  étaient  devenus  de  nos  jours  introuval)les ,  quand  un  Japo- 
nais eut  riienreuse  idée  d'en  faire  une  réimpression;  c'est 
de  cette  édition  japonaise  de  i884  que  s'est  servi  M.  Sainson 
pour  nous  donner  une  traduction  française  qui  mérite  tous 
les  èlo^'es. 

Ll  Tso  était  un  noble  annamite  (jui  se  réfugia  en  iq85  en 
Chine;  il  est  le  contemporain  de  ^hlrco  Polo,  qui  parait 
avoir  accompa^'^né  en  i  :>.85  ou  en  i  ^88  (ap.  Yule)  les  envoyés 
de  Khoubilaï  Khan  dans  le  Tchampa.  Li  Tso  employa  les 
loisirs  de  sa  retraite  à  écrire  une  description  géographique 
et  historicjne  de  son  pays.  La  partie  géographique  n'est  pas 
très  détaillée,  quoicpie  l'on  v  puisse  trouver  des  notions  im- 
|)ortanles  sur  les  divisions  administratives  de  TAnnam  à 
l'époque  des  i  ueii  et  sur  les  traditions  (|ui  se  perj)étuent  dans 
certaines  localités;  on  lira  avec  intérêt  les  pages  (p.  SS-gS) 
relatives  aux  coutumes  annamites.  Mais  le  livre  de  Li  Tso  est 
moins  un  traité  sur  1'  Vnnam  qu'un  recueil  de  documents 
sur  les  relations  de  la  Chine  et  de  lAnnam,  principalement 
à  l'épofpie  moni^ole.  Nous  avons  ici  toute  la  correspondance 
ofFicielle  (pie  les  rois  d'Annam  échangèrent  avec  Khoubilaï 


NOUVELLES   ET  MÉLANGES.  565 

Khan  et  ses  successeurs  ;  les  expéditions  militaires  et  les  am- 
bassades que  la  Chine  envoya  au  delà  de  sa  frontière  méri- 
dionale y  sont  énumérées;  tous  les  Chinois  qui  jouèrent 
quelque  rôle  en  Annam  et  tous  les  Annamites  qui  furent  en 
rapports  avec  le  gouvernement  chinois  y  ont  leur  biographie. 

Parmi  les  lettres  des  rois  d' Annam,  il  en  est  une  (p.  agS- 
29^)  qui  fut  écrite  entre  1295  et  1809  pour  demander  à 
l'empereur  plus  de  i5,ooo  livres  bouddhiques;  le  roi  d' An- 
nam y  expose  que  le  boucidlûsme  a  été  apporté  en  Annom 
par  les  Chinois  sous  les  dynasties  T'ang  et  Song,  mais  cpie 
les  ravages  des  armées  impériales  ont  détruit  ou  réduit  en 
cendres  les  écritures  sacrées;  il  supplie  Oeuldjaïtou  Khan  de 
ne  pas  lui  refuser  la  parole  sainte ,  de  lui  ouvrir  largement 
les  trésors  bouddhiques.  Sa  requête  lui  fut  octroyée  et  les 
livres  demandés  furent  expédiés  par  les  soins  du  grand  Con- 
seil. Ainsi,  malgré  sa  situation  méridionale,  TAnnam  ne 
reçut  point  le  bouddhisme  directement  de  Tlnde;  c'est  tou- 
jours par  l'intermédiaire  de  la  Chine  qu'il  fut  instruit  dans 
la  foi  bouddhique ,  et  ce  fait  montre  combien  profondément 
il  subit  l'influence  intellectuelle  de  l'Empire  du  Milieu. 

Le  hvre  de  Li  Tso  abonde  en  renseignements  dignes  d'in- 
térêt; il  éclaire  d'un  jour  nouveau  les  intrigues  de  la  politique 
chinoise  et  annamite  ;  il  nous  apporte  le  témoignage  sur  d'un 
homme  qui  fut  souvent  acteur  en  même  temps  que  spectateur 
dans  les  événements  qu'il  raconte.  M.  Sainson ,  qui  a  poussé 
le  dévouement  scientifique  jusqu'à  imprimer  sa  traduction  à 
ses  propres  frais ,  a  rendu  un  service  signalé  aux  études  sino- 
logicpies;  son  ouvrage  suppose  une  somme  de  travail  consi- 
dérable :  il  sera  de  la  plus  grande  utilité  à  tous  ceux  qui 
voudront  étudier  l'histoire  de  TAnnam. 

Ed.  Chavannes. 


M.  de  Harlez vient  de  publier  dans  le  T'oung-pao  (vol.  IX, 
n"  o  )  un  court  article  dont  l'intention  est  intéressante  :  l'au- 
teur y  recherche,  d'après  le  Yi  li,  ^  )jjj|,    rituel  contem- 


566  NOVEMBRE-DECEMBRE    1899. 

porain  de  la  dynastie  des  Tcheou,  des  ii*aces  de  la  langue 
parlée  au  vi*'  siècle  avant  J.-C.  Si  Ton  admet,  comme  il 
semble  naturel,  que  les  odes  des  Koefong,  S|  JSL*  sont  des 
chants  populaires,  que  les  hymnes  des  trois  autres  parties  dii 
Chi  king ,  ||f  fM  i  sont  écrits  dans  la  même  langue ,  il  en  résul- 
terait que ,  jusque  dans  la  première  période  des  Tcheoa ,  la 
langue  parlée  était  aussi  celle  qui  s'écrivait  ;  peut-être ,  si  en 
comparant  ce  livre  canonique  avec  les  chapitres  contem- 
porains du  Chou  king ,  ^  i^ ,  on  trouvait  des  divergences 
de  style,  pourrait-on  les  attribuer  à  la  différence  naturdle 
entre  la  prose  et  la  poésie.  Au  contraire ,  celui  qui  étudie  le 
développement  ultérieur  du  chinois  trouve ,  à  partir  des  Song, . 
une  démarcation  bien  nette  entre  la  langue  parlée  et  la 
langue  écrite ,  démarcation  qui  n*a  fait  que  s'accentuer  de- 
puis lors.  A  quelle  époque  ces  divergences  ont-elles  paru 
d'abord  ?  C'est  une  question  de  nature  à  intéresser  les  esprits 
curieux. 

A  l'aide  de  divers  documents,  on  pourrait  tenter  de 
résoudre  le  problème.  Pour  l'époque  des  Han  par  exemple , 
la  comparaison  entre  le  Fang  yen ,  ;^  g* ,  de  Yang  Hiong , 
^  ^ ,  (53  avant  J.-C.  —  1 8  après  J.-C.) ,  et  divers  ouvrages 
liistoriques ,  philosophiques  ou  autres ,  permettrait  au  moins 
de  reconnaître  le  vocabulaire  spécial  à  plusieurs  dialectes  de 
la  langue  parlée;  pour  l'époque  moyenne  des  Tcheou,  le 
Tso  tchoan,  ^  '(^ ,  elles  Koeya,  ^  ^,  où  l'écrivain  tan- 
tôt rédige  en  son  propre  nom,  tantôt  cite  des  paroles  et  des 
discours,  rendraient  peut-être  des  services  analogues;  on 
pourrait  faire  la  même  épreuve  avec  les  livres  dassiques, 
Minuj  tseu,  "^  ^  y  et  Loen  Jm,  Ift  |p  ,  d'une  part,  Ta  hio, 
^  ^1  y  et  Tchong  yong  »  ^  ^  •>  àe  l'autre. 

C'est  une  compai^aison  de  ce  genre  que  M.  de  Harlei  tente 
avec  \e  Yi  II,  qu'il  fait  remonter  au  vi*  siècle  avant  notre 
ère  :  si  ce  texte  date  certainement  des  Tcheou,  je  ne  vois 
ce[)endant  pas  de  raisons  décisives  pour  en  fixer  la  i*édactîon 
(le  préférence  au  vi"  sièchv,  M.  de  Haiiez  ne  nous  donne  pas 
Je  motif  (|ui  Tîi  détemiiné;  d'ailleurs  les  Chinois  sont,  sur  ce 


NOUVELLES   ET   MELANGES.  507 

point ,  moins  utïirmatifs  que  lui.  Parmi  les  formules  qui  étaient 
prononcées  dans  les  cérémonies  et  que  M.  de  Harlez  tient 
[)our  être  de  la  langue  parlée ,  je  dois  faire  des  réserves  pour 
celles  auxquelles  il  donne  les  n°'  i ,  2 ,  3,  8  et  9  :  non  seule- 
mont  elles  offrent  une  coupe  rythmique  très  marquée 
(phrases  de  >4  caractères),  mais  elles  présentent  sinon  de 
vraies  rimes  telles  que  les  rimes  modernes,  tout  au  moins 
des  assonances  non  douteuses  disposées  avec  une  certaine 
régularité  (1  et  2  ,  Jll<  f^  TJS  ,  au  ton  rentrant  avec  finale  A*; 
3 ,  ilK  6*  iÊ^  comme  plus  haut ,  '^  et  ^  au  ton  descendant , 
en  infj;  8,  ^  ^  )S ,  à  la  rime  P^  ;  9,  ^  3Ë  ;è.  >  ont  une 
sorte  d'z  final,  une  fois  au  ton  descendant,  deux  fois  au  ton 
é<;al).  Ce  ne  sont  vraiment  pas  là  les  caractères  de  la  langue 
parlée,  mais,  bien  au  contraire,  d'une  versification  plus  ou 
moins  libre. 

Quant  aux  autres  formules  ,  elles  sont  sans  doute  en  prose , 
et  la  thèse  de  M.  Harlez  s'applique  ici  mieux  que  tout  à 
riicuie.  Encore  resterait-il  à  savoir  si  cette  prose  est  bien 
celle  (le  la  langue  (jue  l'on  parlait  journellement  dans  cette 
antiquité  reculée.  L'écrivain  chinois,  en  transcrivant  ces  for- 
mules, ne  les  a-t-il  pas  récrites,  comme  ont  pu  le  faire  pour 
leurs  discours  et  mots  célèbres  les  rédacteurs  des  livres  clas- 
siques, et  T!so  pour  son  commentaire,  et  les  autres  historiens 
pour  leurs  histoires  ?  Bien  plus,  les  formules  rituelles,  celles 
de  la  simple  politesse  sont,  très  souvent  en  Chine.,  de  langue 
écrite  beaucoup  plus  (jue  de  langue  parlée  :  le  ^  ^ ,  le 
fE  fS  »  1^*  ^f-  ^  '  ^^^  fil  ^  ^^^  présentations  et  des  visites 
ont- ils  rien  de  la  langue  parlée  moderne  et  seraient-ils  intel- 
ligibles, n'était  l'usage  qui  les  consacre  ? 

Il  ne  semble  donc  pas  que  la  thèse  de  ^L  de  Harlez  soit 
suffisamment  établie;  mais,  comme  je  le  disais  en  commen- 
çant, la  tentiitive  est  intéressante. 

Depuis  que  ces  lignes  ont  été  écrites,  les  Orientalistes  ont 
eu  à  déplorer  la  perle  de  M.  de  Harlez,  qui  dans  sa  vie  de 
labeur  a  abordé   phisieurs  branches  de  leurs  études  et  y  a 

\iv.  37 

iviaïuhafe   KAriJA«i.r. 


568  NOVEMBHË-DëGEMBKë  .1899. 

porté  une  activité  infatigable ,  une  curiosité  toujours  en  éveil. 
Quelles  que  soient  les  divergences  d  opinion  qui  puissent  me 
séparer  de  Tauteur  des  Religions  de  la  Chine,  du  traducteur 
(lu  Yi  II  et  du  Yi  king,  je  tiens  à  m*associer  aux  regrets  qu'a 
causés  sa  mort. 

Maurice  Courant. 


Lks  religions  et  les  philosophies  DAys  lAsme  centrale,  par 
le  comte  de  Gobineau,  '.V  édit.  —  Paris,  Leroux,  igoo,  i  vol. 

iii-S",  X  et  743  pages. 

La  réimpression  de  ce  livre ,  le  meilleur  sans  contredit  qui 
soit  dû  à  la  plume  de  feu  M.  de  Gobineau,  sera  accuefllie 
en  France  avec  une  satisfaction  qui  n'ira  pas  sans  un 
lé^^er  remord.  C'est  à  la  généreuse  initiative  de  l'étranger, 
que  nous  sommes  redevables  de  cette  nouvelle  édition.  Je 
surprendrai  assurément  un  grand  nombre  de  mes  confrères 
en  leur  révélant  l'existence  d'un  groupe  de  lettrés  (jui  pro- 
fessent pour  notre  spirituel  et  regretté  compatriote  une  ad- 
miration voisine  du  fanatisme.  Une  société  s'est  constituée 
dans  le  grand-duché  de  Bade ,  à  Fribourg,  sous  le  vocable  de 
Société  Gobineau,  M.  Schemann ,  qui  en  est  l'âme  dirigeante 
no  s'est  pas  contenté  de  la  créer  ,  d'y  recruter  des  adhérents, 
d'en  accroître  les  ressources ,  il  a  publié  successivement  une 
traduction  allemande  des  Nouvelles  asiatiques,  âe  la  Renais- 
sance et  de  ï Essai  sur  l'inégalité  des  race^  humaines.  Nous  téH- 
citons  sincèrement  le  savant  traducteur  du  succès  que  cette 
tentative,  en  apparence  téméraire,  a  obtenu  en  AUemagne, 
el  ce  succès,  il  est  facile  de  l'expliquer. 

Par  ceii;ains  côtés,  Gobineau  appartient  à  ce  pays  :  il  a  le 
^^oiH  de  la  haute  spéculation ,  le  large  idéal  et  en  même  temps 
le  \ague.  l'imprécis  des  penseurs  d'outre-Rhin.  Ces  qualités 
et  ces  défauts  se  montrent  principalement  dans  son  Essai  sur 
les  nwcs  humaines  et  aussi,  mais  à  un  moindre  degré,  dans 
les  doux  libres  cju'il  a  consacrés  à  l'étude  de  l'Orient  mo- 


VOUVKLLKS  I:T  MÉLANGES.        569 

derne,  je  veux  dire  les  Trois  ans  en  Asie,  et  le  charmant  ou- 
vrage que  la  société  fribonrgeoise  vient  de  rééditer.  Le  pre- 
mier de  ces  deux  livres  est  le  récit  coloré,  humoristique, 
[)arfols  paradoxal  du  voyage  accompli  eu  Perse  piar  la  Mission 
Bourée.  On  y  rencontre  à  chaque  pas  des  scènes  prises  sur 
le  vif,  des  tableaux  tracés  dal  vero  et  de  main  de  maître; 
partout  de  Tespiit ,  de  la  verve  à  pleins  bords.  La  Perse  y  est 
décrite  avec  un  optimisme  où  perce  cependant  je  ne  sais 
(|uel  imperceptible  dédain  pour  ce  monde  oriental  que  Fau- 
teur oppose  à  notre  vieille  civilisation  occidentale. 

Ces  iniprossious  de  vo\age  se  doivent  lire  avant  les  Reli- 
cjlons  et  philosopliics ,  qui  les  dépassent  de  beaucoup  en  pro- 
londeur  de  vue,  en  ricliesse  d'observation.  Celui  qui  écrit  ces 
li^»^nes  a  l)ien  connu  le  comte  de  Gobineau;  il  a  été  son 
compagnon  de  route,  son  collègue  de  carrière;  il  a  assisté  à 
l'élaboration  de  ce  charmant  livre, écrit  en  partie  sous  la 
dictée  de  Mirzas  persans,  mais  pensé  par  un  disciple  de 
Hegel  et  parfois  aussi  par  un  adepte  désabusé  de  Schopen- 
liauer.  La  collaboration  des  lettrés  de  Téhéran  y  est  vdsible 
dans  les  chapitres  qui  traitent  des  origines  et  du  dévelop- 
pement du  chiisme  en  Perse  ;  on  la  constate  également  dans 
les  pages  pleines  d'émotion  où  l'auteur  raconte  la  naissance 
du  bahvsine,  son  développement,  sa  résistance  au  pouvoir 
royal.  Gobineau  fut  presque  le  témoin  oculaire  et  c'est  pour 
cela  qu'il  reslera  l'historien  le  plus  véridique  de  cette  lutte 
héroïque  qui  rappelle  par  des  traits  d'une  étonnante  gran- 
deur l'épopée  du  christianisme  naissant.  \'est-ce  pas  aussi 
M.  de  Gobineau ,  qui  nous  a  fait  connaître  les  tazyès,  c'est-à- 
dire  les  m> stères  religieux  de  la  Perse,  dont  on  ne  possédait 
(|ue  de  courts  aperçus,  des  fragments  insuffisants  pour  en 
révéler  le  caractère  génial. 

Quand  le  livre  des  Reliifions  et  Philosophies  ht  son  appa- 
rition en  1 866 ,  il  obtint  non  seulement  parmi  les  orienta- 
listes, mais  dans  le  monde  des  lettres,  un  succès  de  bon 
aloi,  quoique  peu  reientissanl.  La  Société  asiatique  fut  une 
des  premières  à  en  proclamer  les  mérites.  Elle  décerna  vo* 

37. 


570  NOVëMBRë-DëCëMBRË  1809. 

iontiers  à  la  peinture  séduisante  de  la  Perse  contempondne 
le  tribut  d'éloges  qu*en  conscience  elle  ne  pouvait  accorder 
au  déchiffrenient  des  inscriptions  cunéiformes  fondé  sur  le 
système  de  la  cabale.  Si  1  orientaliste ,  au  sens  technique  du 
mot  fut  sévèrement  critiqué,  le  voyageur  diplomate,  le 
fm  causeur  fut  apprécié  à  sa  juste  valeur.  Nous  insistons 
sur  ce  point  parce  que  M.  Scliemann  s*étonne  avec  une  cer- 
taine vivacité  de  langage  de  ce  qu'il  appelle  notre  indifférence 
pour  celui  qu'il  considère  «  comme  un  des  premiers  écrivains 
du  xix*"  siècle  ».  «  Pendant  un  séjour  à  Paris,  c'est  M.  Sclie- 
mann qui  parle,  je  lis  même  la  découverte  attristante  que 
le  comte  de  Gobineau  était  sinon  oublié  du  moins  complè- 
tement délaissé  par  la  France  d'aujourd'hui.  Ses  ouvrages 
encore  en  vente  ne  trouvaient  que  de  rares  acheteurs  et 
aucun  éditeur  ne  se  souciait  de  réimprimeries  autres»  (Pré- 
face, p.  VI  ).  Ce  qui  n'empêche  pas  le  fervent  éditeur  d*avouer 
quelques  lignes  plus  haut,  que  plusieurs  des  ouvrages  de 
M.  de  Gobineau  étaient  épuisés  et  introuvables. 

11  faudrait  cependant  s'entendre  et  remettre  les  choses  au 
point.  G)mme  orientaliste ,  U'.us  le  répétons,  Gobineau  n'au- 
rait jamais  songé  à  s'arroger  une  compétence  que  ni  ses 
études  spéciales ,  ni  même  son  séjour  en  Perse  ne  pouvaient 
lui  donner.  11  avait  appris  le  persan  parlé  grâce  à  la  fréqneiir 
tatioii  de  certains  lettrés  indigènes  comme  il  s'en  rencontre 
là-bas  dans  toutes  les  légations  em*opéennes  :  ses  fonctions 
oiHcielles  ne  lui  auraient  pas  permis  de  l'étudier  aux  sources 
mêmes  de  la  vie  populaire^  La  connaissance  de  l'arabe  lui 
faisait  défaut  et  cette  lacuue  enlève  à  son  étude  sur  les  livres 
babys  la  précision  et  le  cachet  de  certitude  qu*on  voudrait 
y  trouver.  Quelle  di£Përence  entre  ces  interprétations  par  â 
peu  près  et  la  solide  version  qu'un  savant  professeur  de  TUni- 
versité  de  Cambridge  nous  a  donnée  quelques  années  pins 
taixi !  Donc  de  ce  côté ,  le  demi-silence ,  lapprobation  dis- 
crète et  non  sans  réserves  avec  lesqu^  les  essais  scienti- 
fiques de  M.  de  Gobineau  furent  accueillis ,  s'expliquent  par- 
faitement. 


NOUVELLES  ET  MÉLANGES.  571 

Reste  le  penseur,  l'écrivain.  Nons  navons  pas  qualité 
pour  apprécier  ici  son  système  d'ethnographie ,  qui ,  comme 
tous  les  systèmes,  eut  son  apogée  et  son  déclin.  L'ingénieux 
romancier  de  ia  Renaissance  a  été  justement  rapproché  de 
Vitet ,  et,  s'il  n'a  pas  été  mis  tout  à  fait  an  môme  rang,  c'est 
peut-être  à  cause  de  cette  imagination  débordante  qui  faisait 
de  Gobineau  un  causeur  merveilleux  et  un  écrivain  peu  me- 
suré. Son  style  se  déroule  en  longues  périodes  semées  de 
traits  charmants,  de  saillies  étinceiantes ;  mais  on  y  cherche 
en  vain  cet  art  de  composition ,  cette  juste  pondération ,  cette 
symétrie  parfaite  qui  dénotent  l'écrivain  de  race.  Pai'  là  en- 
core ,  il  est  plus  près  de  l'Allemagne  que  de  la  France  du 
grand  siècle  et  du  nôtre. 

Nous  devions  cette  explication  aux  reproches  d'ingrati- 
tude que,  dans  un  excès  d'enthousiasme,  la  Société  de  Fri- 
bourg  vient  de  nous  adresser.  Cet  enthousiasme,  nous  au- 
rions d'ailleurs  mauvaise  grâce  de  le  lui  reprocher,  puisqu'il 
remet  en  lumière  un  de  nos  compatriotes,  observateur  sa 
gace  et  d'infiniment  d'esprit  qui  aurait  dû,  nous  le  recon- 
naissons sans  peine ,  trouver  un  meilleur  accueil  chez  les  édi- 
teurs parisiens.  L'initiative  prise  par  ces  amateurs  d'élite  est 
une  bonne  fortune  pour  nous  et,  quel  cpie  soit  le  sort  qui  lui 
est  réservé,  nous  serions  véritablement ,  cette  fois,  des  ingrals 
si  nous  n'adressions  à  M.  Schemann  et  à  ses  collaborateurs 
nos  plus  sincères  remerciements. 

B.  M. 


CONGRES    INTERNATIONAL  D'HISTOIRE  DBS  RELIGIONS. 

Cv  Congrès  se  réunira  à  Paris  du  3  au  9  septembre  1900,  à 
Toc  ras  ion  de  l'Pjxposition  universelle. 

Il  a  Hé  organisé  sur  l'initiative  des  professeurs  de  la  Section 
drs  srienoes  religieuses  de  l'Ecole  pratique  des  hautes  études  et 
sous  les  auspices  du  Ministère  du  commerce  et  de  l'industrie,  qui  a 


572  NOVEMBRE-DKGKMBRE   1899. 

la  liHUtc  direction  de  TExposition.   Le  Congrès  est  divisé  en    huit 
sections,  qui  s'occuperont  des  matières  suivantes  : 

Religion  des  peuples  non  civilisés.  —  Religions  de  rExtrême- 
Orient.  —  Histoire  des  religions  de  l'Egypte,  —  de  Tlnde  et  de 
riran ,  —  de  la  (irèce  et  de  Rome ,  —  des  Germains ,  des  Celtes 
et  des  Slaves,  des  religions  dites  xémitique»  et  Histoire  du  christia- 
nisme. 

Pour  connaître  les  conditions  d'adhésion  et  le  programme  dé- 
taillé des  travaux,  s'adressera  M.  Jean  Réville,  secrétaire  du  Comitt* 
d'organisation,  à  l'Ecole  des  hautes  études  (Sciences  religieuses), 
Sorhon  ne-Pari  s. 


Le  tférant  : 
RlBENS    DUVAL. 


T4BLE  DES  MATIERES 

CONTKMIKS  DANS  LE    TOME  XIV,   I\^  SERIE. 


MEMOIRES  ET  TRAlDUGTIONS. 

%  Pafjes. 

Procès-verbal  de  la  séance  générale  du  3 o  juin  1899 5 

Itapport  de  la  Commission  des  censeurs  sur  les  comptes  de 
l'exercice  1898 ,  lu  dans  la  séance  générale  du  aojuin  1899 .        8 

Rapport  de  M.  Specht,  au  nom  de  la  Commission  des  fonds, 
et  comptes  de  Tannée  1 89S 9 

Annexe  au  procès- verbal  :  Bardesane  l'astrologue  (M.  F.  Nau).      12 

Ouvrages  oflerts  à  la  Société  (séance  du  20  juin  1899) 19 

Tableau  du  Conseil  d'administration  conformément  aux  no- 
minations failes  dans  l'assemblée  générale  du  îîo  juin  1899  •      ^^ 

Liste  des  membres  souscripteurs  par  ordre  alphabétique.  ...      2/1 

Liste  (les  membres  associés  <;trangers  suivant  l'ordre  des  nomi- 
nations        /j  2 

Liste  des  sociétés  savantes  et  des  revues  avec  lesquelles  la  So- 
ciété asiati(pic  échange  ses  publications 43 

Liste  des  ouvrages  pul)liés  par  la  Société  asiatique 46 

Collection  d'auteurs  orientaux 48 

t.<es    premières    invasions    arabes    dans     l'Afrique    du    Nord 
'  M.  Caudkl).  ^Suite.] ôo 

Les  sanctuaires  du  Djebel  Nefousa  (M.  R.  Basset).  [Fin.]..  .  .      88 

Six  chansons  arabes  en  dialecte  maghrébin  (M.  C.  Sonneck). 
\  Suite.  ] » 121 

La  Kacîdah  d'Avicenne  sur  Tâme  (M.  C\rra  de  Vaux) 157 

Les    premières    invasions    arabes    dans    l'Afrique    du    Nord 
^  M.  Cvudel).  [  Pin.  ] 187 


574  NOVEMBRË-bÉCEMBRE   1899. 

Six  chansons  arabes  en  dialecte  maghrébin  (M.  G.  Sonnegk.]. 
[Fin.] 333 

Note  sur  quatre  systèmes  turcs  de  notation  numéricjae  secrète 
(M.  J.-A.  Degourdemanchb). 358 

Le  Bodhisattva  et  la  famille  de  tigres  (M.  L.  Fskr) 373 

Notice  sur  le  cheikh  Mohammed  Abou  Ras  en-Nasri  de  Mas- 
cara (G*'  G.  Faure-Bigdbt) 3o4 

Notice  sur  Gabriel  Devéria  (M.  Éd.  Chav/lnnes) 875 

Notice  sur  le  cheikh  Mohammed  Abou  Ras  en-Nasri  de  Mas- 
cara (G'^  G.  Faure-Biguet).  [Fin.] 388 

Le  croisé  lorrain  Godefroy  de  Ascha,  d'après  deux  documents 
syriaques  du  xii*  siècle  (M.  F.  Nau) 43i 

Nouvel  essai  d*interprétation  de  la  seconde  inscription  ara- 
méenne  de  Nirab  (M.  P.  de  Kokowzopp) d33 

Hom^e  de  Narsès  sur  les  trois  docteurs  nestoriens  (  texte  sy- 
riaque) [M.  Tabbé  F.  Martin] 446 

Les  inscriptions  du  Preah  Peân  (Angkor  Vat).  [M.  E.  Atmo- 
iViER.] 493 

^NOUVELLES  ET  MÉLANGES. 

Numéro  de  juillet-août  1 899 174 

Bulletin  d*épigraphie  sémitique 174 

Le  janissaire  Békir-Agfaa,  maître  do  Baghdad  (Cl.  Hqart) 178 

Numéro  de  septembre-octobre  1899 ^^^ 

Le  manuscrit    sur    «toiles»    du   Premier   président    Lamoîgnon 
(  L.  Fbeb) 35s 

Bibliographie  :   Grammaire  élémentaire  de  la  langue  persane, 

f>ar  M.  Cl.  Huart.  ( B.  M.)  —  Abhandhmgen  sur  araoûoien  Vhàr 
ologie,  von  Ignaz  Goldsiher.  (J.  de  Gorjb.)  —  Répertoire  des 
artides  relatifs  à  l'histoire  et  à  la  littérature  juives  parus  dans 
les  périodiques  de  1788  à  1898,  par  Moïse  Schwab.  (Matu  Lam- 
bert.) —  The  Hoart  of  Asia,  by  F.  H.  Skrine  and  E.  Denison 
Ross.  (E.  Drouin.)  —  Rocucil  d*archéologie  orientale,  par  M.  Cler- 
mont-Gannrau.  (Sommaire  des  matières  contenues  dans  le 
tome  m.) 36i  i  373 

Numéro  de  novembre^écembre  1899 53o 

Procès-verlial  de  la  séance  du  1  o  novembre  1 899 53o 


TABLE  DES  MATIERES.  575 

Annexe  au  procès-verbal  :  Étymologies  bibliques  (J.  Halkvy).  533 

Ouvrages  offerts  à  la  Société 536 

Procès- verbal  de  la  séance  du  8  décembre  1899 5^2 

Annexe  au  procès-verbal  :  J^ltymologies  bibliques  (J.  Halévy).   545 

Ouvrages  offerts  à  la  Société 55i 

Note  sur  la  date  du  Nirvana  (  L.  Fber  ) 555 

Notice   sur  une;  nouvelle  monnaie  tangoutaine   (D'  S.    \V.  Bu- 

ï>IIKLL  ) 558 

Blblio««;raphi<»  :  Die  Handschriflten-Verzeichnisse  der  kœniglichen 
Bibliotlick  zu  Berlin,  von  Ed.  Sachau.  (R.  Du  val.  )  —  Ngann-nann- 
khc-luo.  Mémoires  sur  l'Annam ,  par  Cam.  Sainson.  (Éd.  Cha- 
vANNEs.  )  —  Note  sur  un  article  cle  M.  de  llarlez  j)aru  dans  le 
icT'oiing-pao» ,  j)ar  M.  de  Harlez.  (M.  M.  Courant.)  —  Les  reli- 
erions et  les  pliilosophies  dans  l'Asie  centrale  par  le  comte  de 
(jobliieau.  (B.  M.)  —  Congrès  international  dmstoire  des  reli- 
«>;ious 56o  à  568 


i     i 


JOURNAL  ASIATIQUE 

ou 

RECUEIL  DE   MÉMOIRES 

D'EXTRAITS  ET  DE  NOTICES 

RBLATIl'S  X  L'HISTOIRE,  X  LA  HIlILOSOPUUi .  AUX  LANGUES 
ET  \  L\  LITIliRArUHË  OBS  PBfll'LliS  CyHlErHAlit 


(iirnii'r,  xtDiic\4  avyit,,  t.  M^tm,  sto. 
F.T   l'UnLlF;  l'AR   LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQIIK 

NEUVIÈME  SÉRIE 

TOME  XIV 
N'  3  —  NOVE>IIitlE-DÊCEMBfiB   180U 


Tableau  dsa  jours  de  séance  pour  l'année  1S99. 

Us  bfatuxa  acL  liËU  11!  itKoad  vi!udr«ll  du  muii.  à  !t  Ueuret  cl  denùc, 
au  ûàge  de  U.  SobLÉW,  rue  du  SeioB,  n"  l. 

,„„.^ 

.1..... 

.... 

..... 

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10 

8 

13 

10 

10 

14 

12 

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— 

BlbiioUièque. 
La  BiHiolliJque  de  la  Soriit*,  rue  dt  Sdte,  ..•  i.  «t  m.ei(e  lam  )«( 
«amcdû.  de  1  L<^u»s  i  C  Ufure». 

PARIS 

ERNEST  LEBOUX.,  EDITEUK 


ERIXEST    LEROUX,    EDITBU, 


OUVRAGES  PUULIKS  PAR  LA  SOCIIÎTÉ  ASIATIQUE. 

Jouhnal  tsuTiQGE.  pablid  clppui>  18*3. 

Abonoemcnt  annuel.   Paris  !  3  5  fr,  —  DéparteiMnii  '  ■*^  fr,  So.   — 
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Mepuwd  (Ieï  trois  premiers  vdiimes  en  cullHlioriition  avte  M.  Pimrt  th 

CourUilU).  1861-1877,  y  vol.  in-8° Q7  fr.  5o 

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OuAKTs  P0PU1.AIBES  DES  Afguan»,  recueillis,  publiés  et  traduit*  par  Jantrs 
Ditniiesteter.  PrécÉdéa  d'uuc  inlroduclioD  sur  la  langue,  l'hiaUiire  el  1s  lilll^ 
cBlure  des  Afghans.  1B90.  1  fort  »o].  in-S" an  fr. 

Le  MAniTASTr,  teite  sanscrit  publié _poiir  Ik  premièrû  foU.iiTK  de*  intradut^ 

lions  et  UQ  commentaire,  pw  M.  Em.  Senarl, 

Tomel,      1685,  Jn-8" aî  Fl-. 

Tome  II.     1890,  in-B" »5  fr. 

Tome  ni,  i8y8,  io-8° lô  fr. 

JounnAi.  d'hic  toïage  eh  Arabie  (i883m8SS),  par  Chtuiei- Itaitf,  i  Cm. 
«al.  io-S"  iUustré  de  clirhi^s  dans  le  ta>te  ol  «l'^Dmfiujjod  de  pUncbet  el 
cr(»t|iiiî Jo  &. 


PbiÏci«  iir  jiiHiBI>nrnEnr.Ruii8iii.MANB.  suivHUll^riteniHlâkltH.  ptr  SiiUShaUL 
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traduite  en  Iran^is,  par  M.  Troyer.  3  vol.  in-8° 10  fr. 


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Les  Mémoihbs  de  Se-ha  Tsien  ,  traduits  du  chiDois  et  unnotâi  par  &daa»rii 
Ckavannes ,  professeur  au  Collège  de  France,  ta  raluiuRi  îd.S'  'no  court 
de  publicnlion]. 

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erm;si   ij:i;uiix,  kditekr, 

nui'.   B0IV.P.I.1L..,  K-  ï8. 


GHROWIQDE  DE   MICHEL   LE    8\B1KN, 

PATRIAllCDB  JACOBiTB  H'ÀNTIOUne  {1166-II99), 
MilÊG  pour  la  pTfnÏBK^  loit  l'I  Uailuilo  un  ftungU) 

TAU  J.B.  CHABOT. 


I,ES   MONUMESTS  HISTORIOL'ES  PE  LA  TLTilSlE. 

I».,  («f  MM.  H-  C*>r.*T,  J(-  rimlilnl,  ri  1'.  C*ii.;Ktl 
raiton  t,  in  Ifmpl/t  pafeiii,  iii>i',  avi'i'  rignri-a  Pi  3i  [iliiiirliu ,  en  du  carlun.. . , 
Deniièpie  s^fït.  MommmU  i(  intiripliom  ariiU4,  pic  MM-  B>  Rat.  iccrilurf  g^rd  il»  Goni*. 


RECCEIL  DE  LA  LEGISLATION 

EM  VIGUEUR  EH  ANNAM  ET  AU  TONKIN, 

l"  MAI    1895  Al)    1"  JAXVIBB  189g. 

PAR  D,  GANTEH, 


CONGRES  INTERNATIONAL  DES  ORIENTALISTES. 

XI' SKXSIQN. PaHIK,  SBPTBHDJie  1897 

Ar,ta  du  Conjrii.  i  valnmM  in-B',  av«  Gj^ium,  {dinchu  et  cirici. 

Kona  rapptiona  à  Mmicnis  Ivs  Miiiiii)mi   du  Conart*   que    oc*  i  voluinci  jwavi'nt   (Im 

Irais  i  la  librairie  Ernat  I.cr«ui,  ou  çlfiftnciW»  Jraiiia  ,  ptt  cuUi  |hhUui,  en  fdvugn  d'nu  nand 
pMlaJ  de  3,  le  60.  Toiu  U>  eiciu[ikiR9  dxùteiil  ft»  i^ducB^i  ilnut  un  lUlii  df  ûi  n"'