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JOURNAL ASIATIQUE
NEUVIÈME SÉiUE
TOME XIV
JOURNAL ASIATIQUE
RECUEIL DE MÉMOIRES
D'EXTRAITS ET DE NOTICES
BBUTiFS À L'HISTOIRE, À LA PHILOSOPHIE, AUX LANGUES
ET À LA LITTÉRATURE DES PEUPLES ORIENTAUX
ET PUBLIE PAK LA SOCIETE .ASIATIQUE
NEUVIEME SERIE
TOME XIV
PARIS
IMPRIMERIE NATIONALE
ERiSBST LERUliX, ÉDITEUR
nUEBOmPAJlTK,!»
M DCCC XCIX
3^>^
JOURNAL ASIATIQUE.
JUILLET-AOÛT 1899.
PROCÈS-VERBAL
DE U SÉANCE GÉNÉRALE DU 20 JUIN 1899.
La séance est ouverte à 2 heures sous la présidence
de M. Maspero , remplaçant M. Barbier de Meynard
empêché.
Etaient présents ; MM. Perruchon, Weill, J. Ha-
lévy, Clément Huart, L. Feer, F. Nau, Mondon-
Vidailhet, Rubens Duval, Maurice Courant, Sylvain
Lévi, Grenard, de Charencey, A. Barth, Houdas,
de Vogué, J.-B. Chabot, membres;
M. Drouin, secrétaire adjoint.
Le procès-verbal dé la séance générale du 21 juin
j 898 est lu et la rédaction en est adoptée.
Le procès-verbal delà séance mensuelle du 1 2 mai
1899 est lu et adopté.
M. Rubens Duval donne lecture du rapport de
la Commission des censeurs pour Texercice 1898.
Des remerciements sont adressés aux censeurs ainsi
qu'aux membres de la Commission des fonds.
/
6 JUILLET-AOÛT 1899.
Sont élus membres de la Société :
MM. le général Faure-Biguet, commandant la di-
rection d'artillerie à Lyon; présenté par
MM. Barbier de Meynard et Houdas.
de Rettel (Stanislas), drogman de 2* classe,
demeurant à Paris, 5 rue Corneille; présenté
• par MM. Houdas et Clément Huart.
Sur sa demande , M. J. Oppert est nommé délé-
gué de la Société asiatique pour le Congrès des
orientalistes qui doit se tenir à Rome, en 1899.
M. Maurice Courant présente, delà pai't du Col-
lège français de Zi-Ka-Weï, ime brochure : la ;Var/-
gation à vapeursar le fleuve Yang-tsé, par leR. P. Che-
valier S. J. Chang-Haï, 1899; in-/i^
M. l'abbé Nau présente à la Société un volume
intitulé : Bardesane V astrologue y Le livre des lois et des
pays, texte syriaque et traduction française (in- 8",
Paris, 1899; E. Leroux). M. Nau exprime Topinion
que Bardesane n'est pas un gnostique, c'est-à-dire
un hérétique comme on Ta cru , mais un simple as-
trologue ainsi que cela résulte de ses rares écrits.
Des remerciements sont adressés aux donateurs.
n est donné lecture d'une lettre du Ministre de
l'iqstruction publique annonçant l'ordonnancement
d'une somme de 5 00 francs à titre de subvention
pour le 2* trimestre 1899.
k
SÉANCE GÉNÉRALE. t
Le Conseil autorise l'échange du « Journal asia-
tique î> contre les publications périodiques de l'Uni-
versité catholique de S^int-Joseph , à Beyrouth.
M. Clément Huart donne lecture dun mémoire
sur le Janissaire Békir agha, maître de Baghdâd
(1619-1623), diaprés un document inédit.
M. Feer communique ensuite la Notice d'un ma-
nuscrit sur olles , ayant appartenu au premier prési-
dent Lamoignon.
Enfin M. l'abbé F. Nau lit un mémoire sur Bar-
desane Vastrologae , à propos de l'ouvrage dont il a
fait don comme on l'a vu plus haut. Ces différentes
communications seront publiées dans ïe Journal
asiatique.
H est procédé au dépouillement du scrutin pour
la nomination du Bureau et du Conseil. Les membres
sortants sont réélus à l'unanimité.
La séance est levée à 4 heures et demie.
8 JUILLET-AOÛT 1899.
RAPPORT
DE LA COMMISSION DES CENSEURS
SUR LES COMPTES DE L^EXEAGIGE 1898,
LU DANS LA SEANCE GENERALE DU 20 JUIN 1899.
Messieurs,
Pendant l'exercice de 1 898 , notre Société a payé , en de-
hors des frais d'impression de son Journal, une somme de
4,538 fr. o5, affectée aux publications scientifiques qu'elle
encourage. Cette somme ne représente qu'une partie de l'ex-
cédent des recettes ; il est resté en plus , comme fonds dispo-
nibles, 5,867 ^^' ^^ ^^^ ^^* ®*^ portés au crédit de notre
compte courant à la Société générale. Le solde créditeur de
ce compte était, au 3i décembre 1897, de 11,010 fr. 79;
au 3i décembre dernier, il s'élevait à 16,878 fr. o3. Nous
pouvons donc compter chaque année , notre Société se main-
tenant dans ]a même situation financière, sur un excédent
de 10,000 francs environ, lequel, suivant le vote de la der-
nière séance générale de la Société , doit être consacré en
partie au fonds de réserve et en partie aux publications
orientales.
Le fonds de réserve n'a pas reçu, Tannée dernière, de
nouvel accroissement. Trois obligations de la Compagnie des
wagons-lits sorties au tirage, ont été remplacées par trois
obligations Omnium russe d'une valeur à peu près égale.
Les dépenses et les recettes ordinaires n'ont présenté rien
d'anormal.
R. DUVAI. O. HOUDAS.
Il APPORT DE LA COMMISSION DES FONDS. 9
RAPPORT DE M. SPECHT,
AU NOM DE LA COMMISSION DES FONDS,
ET COMPTES DE L'ANNÉE 1898.
Messieurs,
Les dépenses de cette année ont été plus fortes que les
nnnées précédentes; nous avons eu à payer 3,938 francs
pour les frais d'impression de la traduction par M. le baron
Carra de Vaux, du Livre de l'Avertissement de Macoudi. Es-
pcrons que ce volume de la Collection d'ouvrages orientaux
sera suivi, l'année prochaine, par une nouvelle publication.
Nos recettes ont diminué de 64o francs, car nous n'avons
reçu cette année que a i cotisations arriérées au lieu de 67
que nous avions touchées en 1898. Nos cotisations de l'année
sont toujours à peu près les mêmes : 126 en 1897, 127 en
1898, sur 2^0 membres, dont 65 à vie. Un quart des
membres ne paye donc pas régulièrement leurs cotisations.
Trois obligations de la Compagnie des wagons-lits ont été
remboursées à 5oo francs chacune, et nous avons acheté
trois obligations Omnium russe, qui rapportent 4 p. 100 et
qui ont coûté i,485 fr. 60.
Les recettes de Tannée 1 898 se sont élevées à a 1 ,790 fr. r>9'
les dépenses , à 16,937 fr. 76.
10 JUILLKT-AOÛT 1899.
COMPTES 1
DEPENSES.
oo'
Honoraires de M. E. Leroux, libraire, pour le recouvre-
ment des cotisations 5o^'
Frais d'envoi du Journal asiatiqae ^^i oo
Ports de lettres et de paquets reçus 5 1 oo
Frais de bureau du libraire 99 oo
Dépenses diverses soldées par le libraire • % . t aàô 90
Honoraires du sous^bibliothécaire . % . . i^ioo on
Service et ëtrennes > » aAa 00
Chauffage , éclairage , frais de bufeau 1 3] ^o
Heliure et achat de livres nouveaux pour compléter \ r i t
les collections 3i8 60 ' «.oa.i o5
Contribution mobilière. ^ • 76 o5
Contribution des portes et fenêtres 17 5o
Assurance 67 ^o
Frais d'impression du Journal asiatique eu 1897» . » » . 7,35 1 85 \
Indemnité au rédacteur du Journal asiatique * * . . Goo 00 i
Frais d'impression de la traduction du Livre rf« l'Àvel'^ \ la.iJSq 00
tissement 3«938 o5 [
Subvention de la première partie du troisième volume j
de Se-ma-tsien ». 600 00 /
Société générais. Droits de garde , timbres ^ etc< % 58 10
Total des dépenses de 1898 ».>.»»..... ^ .>. ». . 15,937 75
Achat de 3 obligations Omnium russe i,/i85 60
Espèces en compte courant <i la Société générale au 3 1 décembre 1898^ 16,878 o3
Ensemble 3/i,3oi 38
RAPPORT DE LA COMMISSION DES FONDS. U
«ÉE 1898.
RECETTES.
is de 1898.
arriérées. .
I vie
mis au Journal asiatique
blications de la Société
>nds placés :
jur l'Etat 3 p. 0/0
— 3 j/2 p. 0/0
anguinetti (en rente 3 i/a p. 0/0)
[gâtions de l'Est ( 3 p. 0/0)
gâtions de l'Est (nouveau) [3 p. 0/0]. . .
Igations d'Orléans ( 3 p. 0/0 )
igations Lyon-fusion ( 3 p. 0/0 ) ancien . .
— — — nouveau.
igations de l'Ouest
igations Crédit foncier i883 (3 p. 0/0). .
ations communales 1 880
gâtions Est- Algérien ( 3 p. 0/0)
igations Méchérin ( 2* semestre)
gâtions de la C" des wagons-lits
ation des Messageries maritimes
■ations Omnium russe ( k p. 0/0 )
onds disponibles déposés à la Société gé-
lu Ministère de l'instruction publique . . .
par l'Imprimerie nationale (pour 1897)
ment des frais d'impression du Journal
3.810' 00"
63o 00
600 00
2,600 00
0^7 a 5
1,800 00
35o 00
3i8 00
268 72
288 ÔÔ
86 A 00
779 57
537 56
86 'j 00
i,io5 5o
6A 80
^32 00
67A 5o
1 70 00
i5 84
3o 00
60 85
9,000 00
3»ooo 00
8,167' 2 5*
8,623 3/|
5,000 00
ïs recettes en 1 898 ai ,790 09
it de 3 obligations de la C'° des wagons-lits i,5oo 00
mpte courant à la Société générale au 3 1 décembre de
:éaente (1897) 11,010 79
^al aux dépenses et à l'encaisse au 3i décembre 1898.. . 3A,3oi 38
12 JUILLET-AOÛT 1899.
ANNEXE AU PROCES-VERBAL.
BARDESANE L»ASTROLOGUE.
M. Fleury, qui publiait en 1 69 1 une Histoire ecclésiastique
en vingt volumes , à laquelle il avait travaillé pendant trente
ans , y présentait de la manière suivante le caractère et le
rôle de Bardesane ^ :
Comme les hérésies se multipliaient dans la Mésopotamie, Bar-
desane, (jui était arrivé au comble de la science des Chaldéens*^ et qui
pariait excdlemment la langue syriaque , composa des dialogues contre
Marcion et quelques autres hérétiques. Ses œuvres Jurent si estimées
qu'on les traduisit en grec. Il y avait entre autres un Traité sur le
destin, adressé à V empereur, Bardesane suivit a abord l'hérésie de
Valentin : ensuite il s'en retira; mais il en garda toujours quelque
tache. 11 était d'Ëdesse et ami du prince Agbar (51c) ^ avec qui il
s*était instruit. Apollonius de Calcédoine, le premier des stoïciens
de ce temps-là et le maître de l'empereur Marc-Aurèle *, voulut per-
suader à Bardesane de renier la religion chrétienne ; Bardesane lui
résista et dit qu'il ne craignait pas la mort, ne la pouvant éviter,
quand même il ne résisterait pas à l'empereur. Il eut un fils nommé
Harmonius, qui étudia à Athènes à la manière des Grecs, et com-
posa plusieurs écrits.
Cette notice est tirée, cooune l'indique en marge M. Fleu-
ry, d'Eusèbe , d'Ëpiphane et de Théodoret , et elle nous donne
cette impression que Bardesane fut un confesseur de la foi ,
puisqu'il fut amené à dire qu'il préférait la mort à l'aposta-
sie, et fut un père de l'Eglise , puisque , après ses erreurs de
• ly, 9.
* C'est l'astronomie et l'astrologie.
* Lire Abgar. Sans doute Abgar IX, roi de 179 à 216. Cf. Rubens Dii-
val , Histoire d'Kdesse, p. 1 i/j.
* Le texte d'EpIphane visé ici |)ar Fleury porte seulement : «Apollonius
familier d'Autonin». On ne j>cut faire que des conjectures sur cet Antonin,
car Caracalla et Héliogabale |)ortent aussi ce nom.
ANNEXE AU PROCES- VERBAL. 13
jeunesse, il défendit TÉglise contre Marcion et d autres hé-
rétiques.
Si nous passons du xvi" au xix" siècle, nous ne reconnais-
sons plus notre Bardesane. Nous trouvons en 1819 un Bar-
desanes gnosticus étudié et décrit par M. Hahn, à Leipzig ^
puis, en i833 à HildeburghusaB (Heidelberg?), des divinités
astrales de Bardesane le gnostique ( Bardesanis gnostici numina
astralia)^; enfin, en i864, M. Hilgenfeld nous apprend, à
Leipzig encQre , que Bardesane est le dernier gnostique , Bar-
desanes der letzte Gnostikei\
Après lecture, nous reconnaissons que ce Bardesane le
gnostique est le nôtre , et nous nous demandons quel événe-
ment survenu au xviii' siècle a pu transformer le père de
l'Eglise , le confesseur de la foi , en un hérétique , en un gnos-
tique. Nous découvrons vite que les principaux arguments de
MM. Hahn , Kuehner et Hilgenfeld proviennent d'une édition
des œuvres de saint Ephrem *, donnée à Rome par les soins
d'Assémani de 1732 à 1746'. Tel est l'événement qui a
transformé , chez nous *, Bardesane en un hérésiarque gnos-
tique*
Il nous faut, dès lors, si nous voulons nous faire une opi-
nion personnelle sur Bardesane , nous reporter à saint Ephrem
* Nous ne mentionnons pas ici l'ouvrage de M. Merx, Bardesanes von
Edessa, publié à Halle en i863 , parce que, d'après'cet ouvrage, Bai*dcsane
cist toujours enfermé dans la gnose hérétique , mais s'est affranchi des traits
caractéristiques de la gnose , le dualisme et la théorie de l'émanation. — Cet
ouvrage nous semble donc donner de Bardesane une idée plus exacte qu'on
ne l'a fait par ailleurs , et nous ne voulons pas le citer en mauvaise part. — '
M. Harnack a fait remarquer aussi avec grande raison que Bardesane ne
|)assa pas d'abord pour hérétique { AltchristUche Literalur, 1, i8d).
^ So ist undbkibt die Hauptqaelle Ephrem (Hilg. , p. 29).
' Six volumes in-folio. Les textes contre Bardesane sont tirés du tomo II ,
des Discours contre les hérétiques.
* Car nos dictionnaires , bien entendu , font aussi de Bardesane un gnos-
tique , y compris le dernier Dictionnaire Larousse qui ignore les quatre ou
cinq éditions ou traductions des Lois des p^ys , et ne connaît que le frag-
ment cité par Eusèbc.
14 JUILLET-AOÛT 1899. "
et analyser se» textes et ses idées quand ils ont trait à notre
question.
Nous trouvons bien vite que dans certains discours contre
les hérésies, saint Ephrem attaque violemment Bardesane.
Un bon nombre de textes renferment de pures injures,
par exemple : Le diable a donné à Bardesane un grenier plein
d'ivraie qu'il répand dans les campagnes, etc. D'autres nous
semblent très obscurs. Je cite la traduction éditée par Assé-
mani : O te heatam Christi Ecclesiam * . . . Ta spurcissimi Barde-
sanis putida mendacia atque judaicœ culinœ nidorem diluisti . . .
nec insani Ulius Marcionis rétines libros aut codicem ex-
ecrandœ mystagogiœ Bardesanis habes : gemina duntaxat tes-
tamenta Régis Regisque fdii tua recondit arca^. Quels sont ces
«putida mendacia», cette odeur de cuisine, ce livre «ex-
ecrandœ mystagogiœ » ? — Tout en nous posant ces questions ,
nous feuilletons saint Ëphrem, et nous trouvons à chaque
page les trois noms de Marcion, Bardesane, Manès, qui
semblent, pourrions-nous dire, cloués à un même pilori. Et,
après avoir répété une vingtaine de fois : Marcion , Barde-
sane, Manès Manès, Bardesane, Marcion, la sugges-
tion nous gagne, et nous cherchons, partie dans Marcion,
partie dans Manès, l'explication des imputations voilées por-
tées par saint Ephrem. Si à ce moment, nous nous rappelons
que , d'après Eusèbe , Bardesane participa d'abord aux erreurs
de Valentin , nous croyons pouvoir nous écrier : eUtprfKa ! Nous
omettons le mot d'abord qui est gênant , et faisons de Barde-
sane un gnostique genre Marcion-Manès , de l'école cepen-
dant de Valentin et mort , bien entendu , dans l'impénitence
finale , puisque saint Ephrem l'attaque si violemment.
Mais laissons pour un instant saint Ephrem ( nous allons y
revenir), et cherchons si nous ne trouverions pas ailleurs
' Il , p. 438 , D. On trouvera ce texte et un certain nombre d'autres dans
une Biographie inédite de Bardesane l'astrologue , chez Fontemoing.
^ n, |). ô6o, B. On remarquera qu'ici et dans bien d'autres endroits,
saint Ephrem veut limiter la science du clurétien aux saints Livres. C'est
ce que prônait aussi son contem{)orain Julien l'Ajwstat.
ANOTXE AU PROCÈS-VERBAL. 15
quelques indications sur la note dominante du caractère de
Bardesane.
Il parait tout désigné de nous adresser d^abord à ses écrits :
il nous reste de lui un dialogue rédigé par un de ses disciples «
et un fragment conservé par Georges des Arabes \
Dans le dialogue intitulé : Des bis des pays, on ne trouve
aucune idée gnostique, mais constamment de Tastronomie
et de Tastrologie. Je ne développe pas cette idée , qui Test
suffisamment dans la présente publication ' ; je rappelle seu-
lement que Bardesane refuse aux astres toute influence sur la
liberté humaine, mais leur accorde tout pouvoir sur le corps,
sur la santé et les maladies, la vie et la mort. — Dans le frag-
ment conservé par Georges des Arabes, Bardesane donne la
durée des révolutions des diverses planètes, et cherche, en com-
binant ces durées, à justifier certaine idée eschatologique qui
avait cours dans les premiers siècles et d'après laquelle le
monde actuel ne devait durer que six mille ans pour faire
ensuite place à un autre plus parfait.
Si nous prenons ensuite Eusèbe , il nous apprend , comme
l'a traduit Fleury, que Bardesane était arrivé au comble de la
science des Clialdéens ou de l'astrologie. Bien plus, c'est à Ce
titi'e seul qu'Eusèbe le cite . et nous remarquons que s'il re-
produit toujours les passages qui prouvent l'indépendance de la
liberté humaine vis-à-vis des astres, il omet toujours ceux
qui attribuent à ces mêmes astres quelque influence sur le
corps. Nous pouvons nous demander incidemment si ce n'est
pas dans ces derniers passages qu'il voyait une trace des an-
' Traduit dans notre édition des Lois des pays , p. 58.
^ Bardesane l'astrologue. Le livre des lois des pays , texte syriaque et tra-
duction française avec une introduction et de nombreuses notes , chez Le-
roux 1899. On remarquera, en particulier, que Ton a cité une trentaine de
textes de Firmicas Maternas { Matheseos ) , parallèles à autant de textes de Bar-
desane. Nous expliquons aussi , p. 1 7-20 et 38, d'après leur contexte , les mots
qui semblaient représenter des idées gnostiques : JLi^«| ; ^i^; JLaa.9a^»«»| ;
i^.?; ii;;^^; U^SâMfc; J^?Vte; )ÀL^^.
16 JUILLET-AOÛT 1899.
cîennes erreurs de Bardesane, et si ce n*est pas par là qu*il
le rattache à Valentin.
Avant d*en revenir à saint Ephrem, ouvrons encore la
Doctrine d'Adaï, composée à Edesse au m" siècle , entre Bar-
desane et saint Ephrem, et qui était comme le code des chré-
tiens de cette ville. Nous y lisons : « Fuyez le mensonge , l'ho-
micide , le faux témoignage , les incantations , les destins , les
horoscopes, les étoiles et les signes du zodiaqiie\ » L'apôtre Adaï
voulait par là prémunir les fidèles contre la contagion du
culte des astres; mais ces paroles : fuyez Vhomicide, les
étoiles et les signes du zodiaque , prises a la lettre et môme dans
leur esprit, étaient la condamnation de Bardesane.
Reprenons maintenant saint Ephrem et rappelons- nous
que , de son temps , la doctrine d'Adaï était regardée comme
le testament authentique de l'apôtre. Nous y trouvons un cer-
tain nombre de textes très clairs , par exemple :
Bardesane ne lisait pas les prophètes, sources de vérité, mais il
feuilletait assidûment les livres qui traitaient des signes du zodiaque
(II, p. 439,E).
^ Et ailleurs :
Ils (les Bardesanites] observaient les mouvements des corps (cé-
lestes), divisaient le temps, notaient les signes célestes et en dédui-
saient des significations cachées , comparaient la pleine Lune au signe
du zodiaque. En un mot, au lieu dagir avec l'Lglise et de méditer
avec le fidèle les livres des Saints, ils étudiaient les livres les plus
funestes (11, p. 438, F, etc.)*.
Mais voilà décrite précisément , en termes aussi clairs que
possible , l'hérésie de Bardesane : c*est l'astrologie. Et nous
pouvons maintenant, dans cet ordre d'idées, expliquer la
plupart des textes obscurs, sans recourir à Valentin, ni à
' Ed. Philips, |). 35.
* On trouvera d'autres textes dans une Biographie inédite de Bardesane
l'aslrolo(jue , p. 7-10, i-^-iS, 19-20, et dans notre «'Klition du ÏÀvre des loiê
des pnys , p. 2 1-2 3.
ANNEXE AU PROCES-VERBAL. 17
Manès. Par exemple, nous nous demandions au commence-
ment quel pouvait être ce livre « execrandœ mystogogiaB». Ce
devait être un ouvrage dans le genre « des livres les plus fu-
nestes » , dont il vient d'être question. Or ces livres traitaient
des mouvements des corps célestes , de la division du temps ,
de l'influence de la Lune sur le corps et ses affections sui-
vant le signe du zodiaque dans lequel elle est placée. Ce
livre « execrandae mystogogiae » pourrait donc être , à la ri-
gueur, le livre Des lois des pays, où il est pea question des
Deuœ Testaments , qui doivent seuls occuper les chrétiens, et
beaucoup des signes du zodiaque et de la Lune \
Nous voyons donc que saint Ephrem lui-même condamne
chez Bardesane l'astrologue et non legnostique, car il est
remarquable que, dans les discours contre les hérésies, saint
Ephrem ne dit pas une seule fois que Bardesane appartînt à
l'école de Valentin.
On n'a pas mis plus tôt en relief, dans ce siècle-ci , ce ca-
ractère de Bardesane parce que, d'une part, grâce à saint
Ephrem , on le savait hérétique , et , d'autre part , on savait
que l'astrologie chez nous n'a jamais constitué une hérésie;
on oubliait qu'elle en constituait une à Edesse , et on négli-
geait donc les textes clairs, comme insignifiants, pour cher-
cher l'hérésie de Bardesane dans les vers obscurs , car l'ou-
' Pour expliquer saint Ephrem, on se rappellera aussi : 1° que son ou-
vrage est écrit en vers , par suite il ne faut pas y chercher la rigueur que
Ton demande à une prose châtiée; 2" que l'ouvrage de Bardesane, qu'il
semble seul avoir en vue (car il ne cite alors que celui-là), est un recueil
de cent cinquante hymnes , et est donc aussi écrit en vers. On se demandera
donc si une hyperbole de saint Ephrem ne correspond pas déjà précisément
à une hyperbole de Bardesane , et il faudra nous garder d'exagérer encore ;
3° que l'éducation et la vie de saint Ephrem furent l'oppose de l'éducation
et de la vie de Bardesane, ce qui l'exjwse à ne pas comprendre son ennemi ;
li° que l'art (?), avec lequel Marcion, Bardesane et Manès (jamais Valen-
tin) sont mélanges dans les Discours contre les hérétiques rend diflBcile,
sinon impossible, de discerner ce qui est propre à chacun lorsqu'ils ne sont
pas spéciGés. De là vient, à notre avis, que les auteurs syria([ues posté-
rieurs attribuent les mêmes erreurs à Bardesane et à Manès.
XIV. 2
18 JUILLET-AOÛT 1899.
vrage de aaint Ëphtem est écrit en vers , ce qui n'en facilite
pas Tintelligence.
Les anciens auteurs syriaques qui connurent toujours saint
Ëphrem , découvert par nous, pour ainsi dire , au xviii' siècle ,
tombèrent, dès leur époque , dans la même faute. Ils ne soup-
çonnèrent pas que l'astrologie pouvait être une hérésie , puis-
qu'elle conduisait, de leur temps, à la fortune et aux hon-
neurs ; ils attribuèrent donc souvent à Bardesane les erreurs
de Manès dont saint Ëphrem le rapprochait toujours.
Ajoutons, poar terminer, que l'épithète d'astrologue, que
nous donnons à Bardesane, n'est pas pour nous limitative,
comme 8*il n'avait jamais fait autre chose, mais spécificative ,
conmie nous donnant son caractère propre. — L'astrologie
embrassait toute une philosophie naturelle ^ que Bardesane
dut apprendre et enseigner avant d'être chrétien , comme il
semble nous le dire lui-même ^ ; il devait alors faire dépendre
des planètes le monde entier, sa création , sa conservation et
la liberté de l'homme. Devenu chrétien , il restreignit leur
influence au corps ^. C'est une erreur, comme Ta déjà vu Eu-
sèbe , mais elle lui est commune avec tant de bons esprits du
moyen âge , que l'on serait mal venu de la lui reprocher trop
vivement; et elle aurait vite disparu, si Ton avait donné à
l'étude des sciences naturelles l'importance qui lui revient
de droit; la science aurait vite supplanté la fable, et l'on
n'aurait pas langui durant tant de siècles dans les vains agen-
cements de mots et les interminables considérations sur
* Lire , par cx.emple , le premier livre de Firiuicus Maternus. Bardesane,
élevé avec ie roi Abgar, dut aussi connaître la pliilosophie grecque. Il sem-
ble suivre plutôt Platon quWristotc.
' Cf. Le livre des lois des pays, p. 87, dernière lig^nc de la traduction.
' On Taccnse d'avoir nié la résurrection des corps. Voir, cti jtarticulier,
Carwûna Nisibena , Ll. Il est certain , d'après Le Lvre des lois des pays , que
Bardesane euseignait la résurrection de rkonjme et le jugement dernier.
Croyait-il que le cor|i6, dé{)endant des planètes, n'était |»as essentiel à
riiomnie ? 11 ne le dit ]»as clairement, mais c'ëiait alors une tli<'*orie |>hilo-'
sophique qu'il (wt peut-être soutenir.
OUVRAGES OFFERTS. 10
l^Ëcriture • préconisés par saint Ëplirem comme la seule occu-
pation intellectuelle que pouvait se permettre un chrétien de
son temps '.
F. Nau.
OUVRAGES OFFERTS X LA SOCIÉTÉ.
(Séance annuelle du ao juin 1899,)
Par rindia Office : Madras Government Muséum, Bulletin;
vol. U, n° 3, Madras, 1899; in-8°.
•^ Indian Antiq uary, JsLnuary et March, 1899. Bombay;
in-4".
par ia Société : Atti délia R, Accadeniia dei l,incei; 1898
et Gennajo. 1899. Rome; in-d".
: — Mémoires de la Société de linguistique de Paris ^ t. XI,
1" fasc. Paris, 1899; in-8°.
— ' Journal asiatique , mars^avril 189g. Paris; in-8'.
-^ Comptes rendus des séances de la Société de géographie.
Paris , 1 899 , in-8°.
->^ Tke Geographical Journal, September 1897 et June
1899. J^ondon; in-8".
Par le Ministère de l'instruction publique ; Bibliotlièque des
^ £n^n on remarque^ , que dam iwire édition , I0 QinlêgiU 4h l»i» des
piiys est distingué du crlôbrc Dialogue sur le destin adressé à Antonio. Car
Ëusèbe est notre seule source à ce stijct : or il nientionne dans son Histoire
( cclésiastique , le célèbre dialogue sur le destin adressé à Antonin et d'autres
dialogues. . .; et dans la Préparation évangélique , il nous ap|)rend que le
fragment des Lois des pays cité par lui est tire des dialogues de Bardesane
avec sêf disciples. On a donc eu tort de dire que ce fragment était tiré du
célèbre dialogue sur le destin adressé à Antonin , car Eusèbe nous apprend
le contraire : c'est Tun des autres dialogues. . . Du reste, le destin n*occu{x;
que les deu& tiers de Touvrage. C^est ce qu'a constaté Epiphane quand il a
écrit que Bardesane «disputa sur le destin contre A vida»»
3 .
âO JUILLET-AOÛT 1899.
Ecoles françaises d'Athènes et de Rome; Edmond Courtaud,
Le bas-relief romain à représentations historiques, Paris, iSgg.
Par les éditeurs : Revue critique, n" 19-3 5, 1899. P^*'*^;
in-8-.
— Bollettino, n°* 221-233, Firenze, 1899; in-8'.
— Polybiblion^ parties technique et littéraire, mai et
juin 1899; in-8".
— Al-'Zhiya, mai et juin 1899. ^® Caire; in-8".
— Al-Machriq, 1 et i5 Hadran 1899. Beyrouth; in-8''.
Par les auteurs: American Journal of archœology , Novem-
ber-December 1898. January-February 1899. Nor^ood;
in 8-.
— Le Globe, v* série, t. IX, n' spécial : XII* Congrès des
Sociétés suisses de géographie , tenu à Genève du A au 7 sep-
tembre 1898; in-8°.
— Bulletin n" 1, novembre 1898, janvier 1899. Genève;
in-8-.
— Revue archéologique, mars-avril 1899, Paris; in-8°.
Par les auteurs : J. Rouvier, Les ères de Botrys et de Berytc
(extrait). Athènes, 1899; ^'^'^*'
-— F. Nau, Le livre des lois des pays. Paris, 1899; in-8".
— R. Gottheil, Contributions to Syriac Folk-Medicinc
(extrait). New Haven, 1899; in-8".
*— M. Courant, L'enseignement de la langue chinoise (ex-
trait), 1899; in-8".
— Le même , La presse périodique japonaise ( extrait ) 1 8 9 9 ;
in.8-.
— Arthur von Rosthorn, Die Ausbreitung de Chinesischen
Macht in sudwestlicher Richtang bis zum vierten Jahrhundert
nach Christié Leipzig, 1896; in-8".
— Dr. K. Kern, The Aiyabhatîya with the Commentary of
Pâramâdiçvara. Leide , 1 894 ; gr. in-^".
— H. Suter, Die Kreisquadratur des Ibn-cl-Haitam (ex-
trait). Leipzig, 1899; i"'^"'
QUVRAGES OFFERTS. 21
Par les auteurs : S. Chevalier, La navigation sur le haut
Yang-tse, Chang-hai, 1899; gr. in-4°.
— Chr. Garnier, Méthode de transcription rationnelle des
noms géographiques, Paùs , i899;in-4°.
— Le P. P. -A. Deiattre, Les pivgrès de Vassyriologie,
Paris, 1899; in-8".
— V. Ding^estedt, The hydrography of the Cancasus (ex-
trait), 189g; in-8".
22 JUILLET-AOÛT 1899.
TABLEAU
DU CONSEIL D'ADMINISTRATIOiN
CONPORMBMBNT AUX NOMINATIONS FAITES DANS RASSEMBLER CRNERALE
DU 20 JUIN 1899.
PRESIDENT.
M. Barbier de Meynard.
VICE-PRÉSIDENTS.
MM. E. Senart.
Maspero.
SECRÉTAIRE.
M. Chavannes.
SECRÉTAIRE ADJOINT ET BIBLI0THÉCATÎ4B.
M. E. Drouin.
TRÉSORIER.
M. le marquis Melchior de Vogué.
COMMISSION DES FONDS.
MM. Clermont-Ganneau.
Drouin.
Specht.
CENSEURS.
MM. Rubens Duval.
HoUDAS.
TABLEAU DU CONSKII. D'ADMINISTRATION. 23
COMMISSION DU JOURNAL.
MM. Devéria. — R. Dlval. — Maspero. —
Oppert. . — K. Senart.
MEMBRES DU CONSEIL.
V. Henry.
[i. FiNOT.
Moïse Schwab.
L. Feer. , „, ç.
T ^r > Kius en loqo,
J. ViNSON. i ^^
Glimet.
J.-B. Chabot.
Rubens Duval.
MM. DE Charencey.
Aymonier.
A. Bartu.
H. Derenbourg.
Sylvain LÉvi.
Clément Huart.
Carra de Vaux.
Devéria.
Oppert,
J. Halévy.
Michel Bréal.
Ph. Berger.
HOUDAS.
Cordier.
Dieulafoy.
Perruchox.
Élus en 1898.
Élus en 1897
24 JUILLET-AOÛT 1^99.
SOCIÉTÉ ASIATIQUE.
I
LISTE DES MEMBRES SOUSCRIPTEURS,
PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE.
Nota, Les noms marqués d'un * sont ceux des Membres à vie.
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
MM. Allaoua BEN Yahia, interprète judiciaire à
Inkermann (département d'Oran.)
Allotte de La Fuye , lieutenant-colonel , direc-
teur du génie, à Nantes.
Alric, consul de France, secrétaire-interprète
du Gouvernement pour les langues orien-
tales, rue Saint- Jacques , i6o, à Paris.
Assier de Pompignan, lieutenant de vaisseau,
rue Saint-Jacques , 4 4 , à Marseille.
*Aymonier (E.), directeur de TEcole coloniale,
avenue de TObservatoire , 2 , à Paris.
Bibliothèque Ambrosienne , à Milan.
Bibliothèque de l'Université, à Utrecht.
LISTE DES MEMBRES. 25
Bibliothèque universitaire, à Alger,
Bibliothèque Khédiviale, au Caire.
MM. Barbier de Meynard, membre de Tlnstitut , pro-
fesseur au Collège de France, administra-
teur de TEcole des langues orientales vi-
vantes, rue de Lille, 2 , à Paris.
Barré de Lancy, ministre plénipotentiaire, rue
Caumartin , 3 2 , à Paris.
Barth (Auguste), membre de l'Institut, rue
Garancière, 10, à Paris.
Barthélémy, vice-consul de France à Marache,
par Alexandrette (Syrie).
Basset (René), directeur de TEcole des lettres,
rue Michelet, 77, à TAgha (Alger).
Beauregard (OUivier), rue Jacob, 3, à Paris.
Beck (l'abbé Franz -Seignac), au château de
Bosredon, par Montcuq (Lot).
Belkassem ben Sedira , professeur à l'Ecole des
lettres , à Alger.
Bénédite (Georges), conservateur adjoint au
Musée du Louvre , rue du Val-de-Grâce , 9 ,
à Paris.
*Berchem (Max van), privat-docent à l'Univer-
sité de Genève , promenade du Pin , 1 , à
Genève.
«
Berger (Philippe), membre de l'Institut, pro-
fesseur au Collège de France , quai Voltaire ,
3 , à Paris.
M"® Berthet (Marie), professeur à l'Ecole norrfiale
d'Alençon, rue des Promenades, 9, à Alençon.
26 JUILLET-AOCT 1899.
'MM. BouvAT (Lucien), élève diplômé deTEcole des
langues orientales vivantes, boulevard Sainl-
Germain, 200, à Paris.
Blanc (Edouard), explorateur en Asie, rue de
Varennes, 82, à Paris.
Blochet, rue de TArbalète, 35, à Paris.
Blonay (Godefroy de), château de Grandson
(Vaud), Suisse.
*Bœll (Paul), publiciste, rue Gay-Lussac, 26,
à Paris.
*BoissiER (Alfred), cours des Bastions, 4, à
Genève.
Bonaparte (le prince Roland), avenue d'Iéna,
1 o , à Paris.
BoNET (Jean), professeur d'annamite à l'Ecole
des langues orientales vivantes, rue Gref-
fulhe, y, à Paris.
BouRDAis (l'abbé), professeur à la Faculté libre
d'Angers , rue Belle-Poignée , a , à Angers. .
*BouRQLiN (le Rév. A.), à Lausanne,
BoYER (le P. Auguste), de la Compagnie de
Jésus, rue de Sèvres, 35, à Paris.
Bréal (Michel), membre de l'Institut, profes-
seur au Collège de France, rue d'Assas, 70,
à Paris.
BuDGE (E. A. Waliis), litt. D. F. S. A., au Bri-
tish Muséum , à Londres.
* Bure AU (Léon), rue Gresset, i5, à Nantes.
*BuRGESs (James), Seton place, 22, à Edim-
bourg.
\
LISTE DES MEMBRES. 27
M. BusHELL (Dr. Stephen-Wootton), médecin de
la légation de S. M. Britannique, à Pé-
king.
M"*^ A. BuTENSCHŒN , 35 , Engeltrehtegatun , à Stock-
holm.
MM. Cabaton (Antoine), rue Popincourt, 82, à
Paris.
Cahun (Léon), conservateur adjoint à la Bi-
bliothèque Mazarine, rue de Seine, 1, à
Paris.
Calassanti-Motylinski (de), interprète mili-
taire de 1" classe hcfrs cadre, professeur à
la chaire d'arabe , directeur de la Médersa ,
à Gonstantine.
Casanova (Paul), membre de l'Institut d ar-
chéologie orientale, au Caire.
Castries (le comte Henry de) , rue Vaneau ,20,
à Paris.
Caudel (Maurice), bibliothécaire de l'Ecole
des sciences politiques, rue Le Verrier, 5,
à Paris.
Chabot (M^*" Alphonse), curé de Pithiviers.
Chabot (l'abbé J.-B.), rue Claude-Bernard , A 7.
à Paris.
Charencey (le comte de), rue Barbey-de-Jouy,
25, à Paris.
Chavannes (Emiiîanuel-Edouard), professeur
au Collège de France, 1, rue des Ecoles, à
Fontenay-aux-Roses.
*
*
28 JUILLET-AOÛT 1899.
MM. CiiEiKHo (L.), professeur à l'Université Saint-
Joseph, à Beyrouth (Syrie).
Chekîb Arslan (rémir), chef druse à Beyrouth.
Chwolson, professeur à l'Université de Sain l-
Pétersbourg.
*CiLLiÈRE (Alph.), consul de France à Salo-
nique.
GlaparÈde (René), à Juvisy (Seine-et-Oise).
Clermont-Ganneau , membre de l'Institut, pre*-
mier secrétaire-interprète du Gouvernement ,
professeur au Collège de France, avenue de
l'Aima, 1, à Paris.
Cohen Sol al, professeur d'arabe au Lycée, à
Oran.
Colin (Gabriel), professeur d arabe au Lycée
d'Alger.
Colin ET (Philippe), processeur à l'Université,
place de l'Université, 8, à Louvain.
Collège français de Zi-Ka-Weï, par Shang-
haï.
*CoRDiER (Henri), professeur à l'Ecole des
langues orientales vivantes , rue Nicolo ,54,
à Paris.
CouLBER, commandant en retraite, rue de
l'Académie, à Bruges.
Courant (Maurice), interprète -chancelier de
légation, rue des Sœurs, à Vineuil, par
Chantilly (Oise).
*Croizier (le marquis de), boulevard de la
Saussaye , i o , à Neuilly.
LISTE'^DES MEMBRES. 29
MMi*DANON (Abraham), directeur du Séminaire
israéiite, à Constantinopie.
* Darricarrère (Théodore-Henri), numismate,
à Beyrouth (Syrie).
Decourdemanche (Jean- Adolphe), rue Taille-
pied, 4, à Sarcelles (Seine-et-Oise).
Delattre (le P.), rue des RécoHets, 1 1 , à Lou-
vain.
*Delphin (G.), directeur de la Médersa, à
Alger.
*Derenbourg (Hartwig), professeur à TEcole
des langues orientales vivantes, avenue
Henri-Martin, 3o, à Paris.
*Des Michels (Abel), boulevard Riondet, i^,
à Hyères.
DiEULAFOY (Marcel), membre de l'Institut, rue
Chardin, i 2 ,*à Paris.
DiHiGO (D' Juan M.), professeur de langue
grecque à l'Université de la Havane (Cuba).
Donner, professeur de sanscrit et de philo-
logie comparée à l'Université de Helsing-
fors.
DouTTÉ (Edmond), professeur à la Médersa,
à Tlemcen.
Drouin, avocat, rue de Verneuil, 11, à
Paris.
DuKAS (Jules), rue des Petits -Hôtels, 9, à
Paris.
DuMON (Raoul), élève diplômé de l'Ecole du
Louvre , rue de la Chaise , 1 o , à Paris.
30 J0ÏL1.ET-AOÛT 1809.
MM/DijRiGHELLo (Joseph-Ange), antiquaire, à Bey-
routh (Syrie).
*Plssai)D (René), rue du Midi, i , à Neuilly-sur-
Seine.
Ddtt (Romesh Chunder), du Service civil du
Bengale, 3o, Beadon street, à Calcutta.
Ddval (Rubens), professeur au Collège de
France , rue de Sontay, 1 1 , à Paris.
"Fargues (F.), route de Saint-Leu, îi8, à En-
ghien-les-Bains (Seine-et-Oise).
Faure-Biguet, général, directeur de lartillerie
à Lyon.
* Favre (Léopold) , rue des Granges , 6 , à Genève.
Feer (Léon), attaché au département des ma-
nuscrits de la Bibliothèque nationale, rue
Félicien-David , 6 , à Auteujl-Paris.
Fell (Winand), professeur à l'Académie de
Munster.
Ferrand (Gabriel), >ice-consul de France à
Oubone (Siam).
*FiNOT (Louis), directeur de l'Institut archéo-
logique à Saigon.
Fossey (Ch.), membre delà Mission du Caire,
rue des Chartreux, 6, à Paris.
FoLCHER (A.), maître de conférences à TEcole
des hautes études, inie de Staël, i6, à
Paris.
*Gantin, ingénieur, répétiteur libre à TEcole
LISTE DES MEMBRES. 31
des Langues orientales vivantes, rue de la
Pépinière , i , à Paris.
MM. Gaddkproy-Demombynes, secrétaire de TEcole
des Langues orientales vivantes, rue [de
Lille , 2 , à Paris.
Gauthier (Léon), processeur à la Médersa, rue
Marengo , i 2 , à Alger.
* Gautier (Lucien), professeur de théologie,
roule de Chêne, 88, à Genève.
Graffin (M***), professeur de syriaque à l'Uni-
versité catholique, rue d'Assas, ^7, à
Paris.
Greenup (Rev. A. W.), AUrough Rectory, Har-
leston (Norfolk), (Angleterre).
Grenard, boulevard des Invalides, 20, à
Paris.
*Groff (William N.), à Ghizeh (Egypte).
Grosset, licencié es lettres , rue Cuvier, k , à
Lyon.
*GuiEYSSE (Paul), député, ancien ministre des
colonies, ingénieur hydrographe de la ma-
rine, rue des Ecoles, ^2 , à Paris.
*GuiMET (Emile), au Musée Guimet, place
d'Iéna, à Paris.
*Halévy (J.), professeur à TEcole des hautes
études, rue Aumaire, 26, à Paris.
Halphen (Jules), avenue Victor-Hugo, 78, à
Paris.
*Hamy (le D*^), membre de llnstitut, conserva-
32 JUILLET-AOÛT 1899.
teur du Musée d'ethnographie, rue Geof-
froy-Saint-Hilaire , 36, à Paris.
MM.*HAr.KAVY (Albert), bibliothécaire de la Biblio-
thèque impériale publique, à Saint-Péters-
bourg.
Hebdelynck (Adolphe), recteur de l'Univer-
sité, Louvain (Belgique).
Henry (Victor), professeur à la Faculté des lettres
de Paris, rue de Penthièvre, lo, à Sceaux.
Hériot-Bunoust (labbé Louis), Vicolo del Vil-
lano, 2 , à Rome.
Hérold (Ferdinand), licencié es lettres, an-
cien élève de l'Ecole des chartes , rue Greuze ,
•2 0, à Paris.
lIoLAs EiENDi (V.), rue Asmali-Mesdjid , 1 1, à
Constantinople.
Ho UD AS, professeur à l'Ecole des langues orien-
tales vivantes, avenue de Wagram, 29, à
Paris.
HuART (Clément) , secrétaire-interprète du Gou-
vernement; professeur à l'Ecole des Langues
orientales vivantes, rue Madame, 43, à
Paris.
Hubert (Henry), agrégé d'histoire, rue Claude-
Bernard, 7 4, à Paris.
Hyvernat^ (l'abbé), professeur à l'Université
catholique, à Washington.
Jeanmer (A.), vice-consul de France à Larache
(Maroc).
LISTE DES MEMBRES. 33
MM. Jéquier (Gustave), faubourg du Crèt, 5, à
. Neuchâtel.
Karppe (S.), élève de TEcoIe des hautes études,
avenue de Messine, lo, à Paris.
Kemal ALI, secrétaire d'ambassade, rue d'x\s-
sas, 1 3o, à Paris.
KÉRAVAL (le D'), directeur de lasile d'Armen-
tières (Nord).
KouLiKOVSKi, professeur de sanscrit à fllniver-
sité de Kharkov.
«
La MartIiMep.e (H. P. de), premier secrétaire
de la légation de France au Maroc, à Tan-
ger.
Lambert (Mayer), rue Condorcet, 53, à
Paris.
*LAiNDBERG (Garlo , comlc de) , docteur es lettres,
au château de Tùtzing (Haute-Bavière).
*Lanman (Charles), professeur de sanscrit à
Harvard Collège, à Cambridge (Massachu-
setts).
La vallée -Poussin (Gaston de), professeur à
rUniversité, à Gand.
LeclÈre (Adhémar), résident de France au
Cambodge.
Lecomte (Georges), élève -interprète attaché
à Ja Légation de France à Pékin.
Ledoulx (Alphonse), vice-consul de France à
Siwas (Turquie d'Asie).
xrv. 3
IlirBllIRBIK IAtlOatl.1.
34 JUILLET-AOÛT 1899.
MM. Leduc (Henri), interprète du Gouvernement
à Pékin.
Lefèvre (André), licencié es lettres, rue Haute-
feuille , 2 1 , à Paris.
Lefèvre-Pontalis (Pierre), secrétaire d'ambas-
sade, à Luxembourg.
Leriche (Louis), à Mogador (Maroc).
Leroux (Ernest), éditeur, rue Bonaparte, 28,
à Paris.
* Lestrange (Guy), via San Francesco Pove-
rinô , 3 , à Florence.
Levé (Ferdinand), rue Cassette, 17, à Paris.
LÉ VI ( Sylvain ) , professeur au Collège de France ,
rue Guy-de-la-Brosse , 9, à Paris.
LiÉTARD (leD*"), médecin inspecteur des eaux,
à Plombières.
LoisY (labbé), aumônier, rue du Château, 29,
à Neuilly (Seine).
Lorgeou (Edouard), professeur à TKcole des
Langues orientales vivantes, à Paris.
* Makhanoff, professeur au Séminaire religieux,
à Kazan.
Mallet (Dominique) , villa Poirier, 9 , à Paris-
Vaugirard.
Marçais (VV.), directeur de la Médersa, à
Tlemcen.
*Margoliouth (David-Samuel), professeur d'a-
rabe à l'Université, New-CoUege, à Oxford.
Marrache, rue Laffon, 10, à Marseille.
LISTE DES MEMBRES. 35
MM/Maspero, membre de Tlnstitut, professeur au
Collège de France, ancien directeur général
des Musées d'Egypte, avenue de l'Observa-
toire , 2 4 , à Paris.
Méchineau (labbé), rue Monsieur, i5, à
Paris.
Mehren (le D*"), professeur de langues orien-
tales, à Fredensborg, près Copenhague.
Meillet (Antoine), agrégé de grammaire, di-
recteur adjoint de TEcole des hautes études,
boulevard Saint-Michel , 2 4 , à Paris.
M"'' Menant (Delphine), rue Notre -Dame -des -
Champs, 4A , à Paris.
MM. Mercier (E.), interprète-traducteur assermenté,
membre associé de TEcole des lettres d'Alger,
rue Desmoyen, 19, à Constantine.
Mercier (Gustave), interprète militaire, à
Constantine.
Merx (A.), professeur de langues orientales, à
Heidelberg.
MidHEL (Charles), professeur à l'Université,
avenue d'Avroye , 1 1 o , à Liège.
MicHELET, colonel du génie en retraite , rue de
l'Orangerie, 38, à Versailles.
* Mission archéologique française, au Caire.
MM.*MocAïTA ( Frédéric -D.), Connaught place, à
Londres.
Mohammed ben Braham, interprète judiciaire,
à Oued-Athménia (Algérie).
MoNDON-ViDAiLHEï, chargé de cours à l'Ecole
3.
36 JUILLET-AOÛT 1899. .
des Langues orientales vivantes, avenue de
ViUiers, 20, à Paris.
MM. MoNTET (Edouard), professeur de langues
orientales à l'Université de Genève, villa des
Grottes.
Morgan (J. de), ancien directeur des Musées
d'Egypte, à Téhéran.
Mum (Sir William), Dean Park House, à
Edimbourg.
*MuLLER (Max), professeur à Oxford.
*Nau (l'abbé), docteur es sciences mathéma-
tiques, professeur d'analyse à l'Institut catho-
lique, rue de Vaugirard, 7 4, à Paris.
Nedjib Açem Efendi, ancien rédacteur du journal
Ikàairiy rue Sublime -Porte, à Constanti-
nople.
New Yorr-public library, à New-York.
Nicolas (A.-Ii.-M.), au consulat de France,
à Smyrne.
N1COLLE (Henri), lieutenant au i'"" régiment
étranger, commandant le poste de Nam-
Nang, cercle de Cao-Bang (Tonkin).
Nouet (l'abbé René), chanoine, rue Saint-Vin-
cent, 2 5, au Mans.
*Oppert (Jules), membre de l'Institut, profes-
seur au Collège de France, rue de Sfax, 'i ,
à Paris.
^Ostrorog (le comte Léon), conseiller légiste
LISTE DES MEMBRES. 37
au Ministère de ragricullure , des mines et
forêts, à Constanlinople.
MM.*Ottavi (Paul) , vice-consul de France à Mascate
(Oman).
Parisot (Dom Jean), à labbaye de Saint-Mar-
tin-de-Ligugé (Vienne).
*Patorni, interprète principal à la division, à
Oran.
Pelliot (Paul), Grande-Rue, 69, à Saint-
Mandé.
Pereira (Estèves), capitaine du génie, Rua*das
Damas, 4, à Lisbonne.
*Perruchon (Jules), élève diplômé de TEcole
des hautes études, rue de Vaugirard, i33,
à Paris.
Pertsch (W.), bibliothécaire, à Gotha.
Pfungst (D** Arthur), Gaertnerweg, 2, à
Francfort-sur-le-Mein .
*Philastre (P.), lieutenant de vaisseau, inspec-
teur des affaires indigènes en Cochinrhine,
à Cannes.
Piehl (le D' Kari), professeur d'égyptologie à
rUniversité, directeur du Sphinx, à Upsal.
*PiJN appel, docteur et professeur de langues
orientales, à Middelbourg.
*PiNART (Alphonse), à Paris.
Pinches (Th.-C), Assyrian department, au
British Muséum, à Londres.
Pognon, consul de France, à Alep.
38 JUILLET-AOÛT 1899.
MiVI.*PoMMiER , juge au tribunal civil, au Blanc,
(Indre).
* PoDssiÉ (le D'), rue de Valois, 2 , à Paris.
Pr/Etorius (Frantz), Franckestrasse , 2, à
Halle.
*Prym (le professeur E.), à Bonn.
Quentin (l'abbé), au Plessis-Chenet (Seine-et-
Oise).
Raboisson (Tabbé) , rue de Villiers, 80, à Levai-
lois.
Rat (G.), secrétaire de la Chambre de com-
merce, à Toulon.
Ravaisse (P.), chargé de cours à l'Ecole des
Langues orientales vivantes , rue des Quatre-
Cheminées, 7, à Billancourt.
Réau (Raphaël), vice- consul de France à
Bangkok (Siam).
Regnaud (Paul), professeur de sanscrit, à la
Faculté des lettres, à Lyon.
* Régnier (Adolphe), sous-bibliothécaire de Tlji-
stitut , rue de Seine , 1 , à Paris.
Rettel (Stanislas de), drogman de 2** classe,
rue Corneille, 5, à Paris.
Reuter (le ly J. N.), docent de sanscrit et de
philologie comparée, à l'Université de Hel-
singfors.
*Revillout (E.), rue du Bac, 128, à Paris.
^RiMiniD, rue do l'Ermitage, 16, h Versailles.
LISTE DES MEMBRES. 39
MM. Robert (A.), administrateur de la commune
mixte d'Aïn Miila (département de Constan-
tine).
* Rolland (E. ) , rue des Fossés-Saint-Bernard , 6 ,
à Paris.
Roqde-Ferrier , à Erzeroum (Turquie d'Asie).
RosNY (Léon de), professeur à l'Ecole des
Langues orientales vivantes, rue Mazarine,
28, à Paris.
*RousE (W. H. D.), Christs Collège, à Cam-
bridge.
RouviER (Jules), docteur en médecine, pro-
fesseur à la Faculté française de médecine
de Beyrouth.
Sarbathier, agrégé de l'Université, rue du
Cardinal-Lemoine, i5, à Paris.
Sainson (Camille), chancelier du consulat de
France à Tien-Tsien (Chine).
Salmon (Georges), élève diplômé de l'Ecole
des Langues orientales vivantes, avenue de
Laumière, 20, à Paris.
* Saussure (L. de), lieutenant de vaisseau, rue
Poulie, i4i à Brest.
ScHEiL (le P.), rue du Bac, 9 A, à Paris.
ScHMmT (Valdemar), à Copenhague,
Schwab (M.), bibliothécaire à la Bibliothèque
nationale , cité Trévise , 1 4 , à Paris.
Senart (Emile), membre de l'Institut, rue
François P', 1 8 , à Paris.
40 JUILLET-AOÛT 1899.
Serruys (Washington), attaché au Consulat de
Belgique, à Beyrouth.
*SiMOiNSEN, grand rabbin, à Copenhague.
SiouFFi, consul de France, en retraite, à Ba-
abda , près Beyrouth.
Si saïd boulifa, professeur à TEcole normale
primaire, à la Bouzaréa, près Alger.
SociN, professeur à l'Université, Schreber-
strasse , 5 , à Leipzig.
SoNNECK (C), professeur à l'Ecole coloniale,
rue de Vaugirard, 63, à Paris.
Specht (Edouard), rue du Faubourg-Sain l-
Honoré, igS, à Paris.
Spiro (Jean), professeur à l'Université de Lau-
zanne, à Vufllens-la-Ville (Suisse).
Stein (D*" m. Aurel), principal du Collège
oriental, à Lahore.
Strehly, professeur au lycée Louis-le-Grand ,
rue de Vaugirard , 1 6 , à Paris.
Strong (Arthur), 36, Grosvenor Road, Lon-
don, S. W.
Syad Muhammad Latif, district judge, Jallan-
dhar City (Penjab).
Taillefer (Amédée), conseiller à la Cour
d'appel, rue Cassette, 27, à Paris.
Textor de Ravisi (le baron), rue de Turin,
38, à Paris.
Thatcher (G. W.), professeur, Mansfield Col-
lège, Oxford.
LISTE DES MEMBRES. 41
MM. Theillet, attaché au consulat de France, à
Alep.
Thibaut (E.), surveillant général au Lycée, à
Alger.
Thureau-Dangin (F.), élève de TEcole des
Hautes Etudes, rue Garancière, 1 1, à Paris.
TouHAMi BEN Larbi , interprète judiciaire asser-
menté à Ksar-et-Tir, Sétif (Algérie).
*TuRRETTiNi (François), rue de THôtel-de-Ville,
8 , à Genève.
Vasconcellos-Abreu (de), professeur desanscrit,
rua Castilho, SA, à Lisbonne.
Vaux (Baron Carra de), rue Saint-Guillaume,
1 /i , à Paris et au château de Rieux , par
Montmirail (Marne).
Vernes (Maurice), directeur adjoint à TEcolc
des Hautes Etudes, rue Notre -Dame- des-
Champs, 97*", à Paris.
ViLBERT (Marcel), secrétaire général à la di-
rection des phares ottomans, à Gonstanti-
nople.
ViNsoN (Julien), professeur à l'Ecole des
Langues Orientales Vivantes , rue de TUni-
versité, 58, à Paris.
VissiÈRE (Arnold), consul de France, premier
interprèle de la légation de France, à Pékin.
Vogué (le marquis Melchior de), membre de
rinstitut, ancien ambassadeur de France à
Vienne, rue Fabert, 2, à Paris.
42 JUILLET-AOÛT 1899.
MM. WiLHELM (Eug.), professeur, à l'Université dTéna.
*WiTTON Davies (T.), principal de Midland
Baptist Collège, à Nottingham.
*Wyse (L.-N. Bonaparte), villa Isthmia, au Cap-
Brun, par Toulon.
Weil (Raymond), lieutenant au 5* régiment
du génie , à Versailles.
Zeky (Salih) Efendi, directeur de TObserva-
toire Impérial Ottotoan, à Pèra (Constanti-
nople).
"ZoGRAPHOS (S. Exe. Christaki Efendi), avenue
Hoche, 2Q , à Paris.
II
MEMBRES ASSOCIÉS ÉTRANGERS
SUIVANT L'ORDRE DES NOMINATIONS.
MM. Weber , professeur à TUniversité de Berlin.
Salisbury (E.), membre de la Société orien-
taie américaine, 2 37, Church street, à New
Haven (Etats-Unis).
LISTE DES SOCIÉTÉS SAVANTES ET DES REVUES. 43
III
LISTE DES SOCIÉTÉS SAVANTES ET DES REVUES
1
AVEC LESQUELLES
LA SOGI^Té ASIATIQUE ÉCHANGE SES PUBLICATIONS.
Académie de Lisbonne.
Académie de Saint-Pétersbourg.
Royal Asiatic Society of London.
Royal Asiatic Society of Bengal, Park-Street, 67,
à Calcutta.
Deutsche morgenlandische Gesellschaft, à Halle.
American Oriental Society, à New-Haven (Etats-
Unis).
Royal Asiatic Society of Japan , à Tokio.
Bombay branch of the Royal Asiatic Society, à
Bombay.
China branch of the Royal Asiatic Society, à
Shanghaï.
The Peking Oriental Society, à Pékin.
SociETA AsiATicA Italiana , à FloFencc.
Société des Etudes juives , rue Saint-Georges , 1 7 , à
Paris.
Société des Bollandistes , rue des Ursulines , 1 4 , à
Bruxelles.
Harpers University (American Journal of semitic
languages and literatures), à Chicago.
ARCHiEOLOGicAL Institute OF America , 38, Quincy
Street, Cambridge (États-Unis).
44 JUILLET-AOÛT 1899.
Reale AccadExMia DEi LiNCEi, à Rome.
John Hopkins University, à Baltimore (Etats-Unis).
Société finno-ougrienne, à Hclsingfors.
Société de géographie de Paris.
Société de géographie de Genève.
Royal Geographical Society, à Londres.
Société des sciences de BvTAvrA.
Société historique algérienne.
Deutsche Gesellschaft fur Natur- und Voelker
kunde Ostasiens, à Tokio.
Société de philologie, à Paris.
Provincial Muséum, à Lukhnow.
Indian Antiquary, à Bombay.
POLYBIBLION , à Parfs.
Revue de l Histoire des religions.
American Journal of Arch^eology, à Princeton.
The Japan Society, 20, Hannover square, h Londres.
Revue de l'Orient chrétien, rue du Regard, 20, à
Paris.
Société de linguistique, à la Sorbonne, à Paris.
Ecole française d^Athenes.
Revue biblique , au Couvent de Saint-Etienne, a Jé-
rusalem.
Université royale, à Upsal (Suède).
Ministère de l'instruction publique.
Ecole des langues orientales vivantes, rue de Taille .
2 , à Paris.
i
LISTE DES SOCIÉTÉS SAVANTES ET DES REVUES. 45
SÉMINAIRE DES MISSIONS ETRANGERES , FUC du BaC ,128,
à Paris.
Séminaire de Saint-Sulpice , à Paris.
Bibliothèque du Ministère de la guerre.
Bibliothèque du Chapitre métropolitain, à 1 église
Notre-Dame, à Paris.
Bibliothèque de l* Arsenal , rue de Sully, 1 , à Paris.
Bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Panthéon,
à Paris.
Bibliothèque Mazarine, quai Conti, 2 3, à Paris.
Bibliothèque de l'Université , à la Sorbonne.
Bibliothèque du Muséum d'histoire naturelle, rue
de BufFon , 2 , à Paris.
Bibliothèque du Collège de France.
Ecole normale supérieure, rue d'Ulm, /i5, à Paris.
Bibliothèque nationale.
Séminaire Israélite , rue Vauquelin , 9 , à Paris.
Faculté de droit, place du Ptinthéon , à Paris.
Parlement de Québec (Ganada)t
Les bibliothèques d'Aix (en Provence), — de Mou-
lins, — DE Rennes, — d* Annecy, — de Laon,
DE PÉRIGUEUX, DE SaINT-MaLO, DES
Bénédictins de Solesmes, — de Toulouse, —
DE BeAUVAIS, DE ChAMBÉRY, DE NiCE , DE
Reims, — de Rouen, — de lile de la Réunion,
— de Strasbourg, — de Bourges, — de Tours,
— de Metz, — de Nancy, — de Nantes, — de
Narbonne , — d^Orléans , — DE Pau , — d'Ar-
RAS, universitaire DE LyON , DE MARSEILLE,
— DE Montpellier (Faculté de médecine et Bi-
46 JUILLET-AOÛT 1899.
bliothèque publique), — de Montauban, — de
ValENCIENNES, DE VERSAILLES, DE ClER-
MONT-FeRRAND , DE CoNSTANTINE, DE DiJON ,
— DE Grenoble, — du Havre, — de Lille, —
DE Douai , — d'Aurillac , — de Besançon , — de
Bordeaux (Bibliothèque publique et Université),
— DE Poitiers, — de Caen, — de Carcas-
SONNE, de CaRPENTRAS, d'AjACCIO,
D* Amiens, — d'Angers, — de Troyes, —
d'Avignon, — de Chartres, — d'Alger, —
d'Avranches.
IV
LISTE DES OUVRAGES
PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE.
En vente chez M. Ernest Leroux, éditeur, rue Bonaparte, 28 ,
à Paris.
Journal asiatique, publié depuis 1822. La collection est en
partie épuisée.
Chaque année 2 5 fr.
Choix de fables arménienkes du docteur Vartan, en armé-
nien et en français, par J. Saint-Martin et Zohrab. 1825,
în-8'* 3fr.
Eléments de la grammaire japonaise, par le P. Rodriguez,
traduits du portugais par M. C. Landresse, elc. Paris,
1 826 , in-8**. — Supplément à la grammaire japonaise , etc.
Paris, i8a6, in-8'*. (Épuisé.) 7 fr. 5o
OUVRAGES PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 47
ESSAI SUR LE PÂLI, OU langue sacrée de la prcsqu île au delà
du Gange, par MM. £. Burnoufet Lassen. Paris, i8a6,
in-8^ (Épuisé.) 1 5 fr.
Meng-tseu vel Mengium , latina interpretatione ad interpre-
tationem tartaricam utramque recensita instruxit , et per-
pétue commentario e Sinicis deprompto illusttavit Stanis-
las Julien. Latetiœ Parisiorum , 182^, 1 vol. in-8°. . . 9 fr.
Yadjnadattabadha, ou la Mort dTadjnadatta, épisode
extrait du Râmâyana, poème épique sanscrit, donné avec
le texte gravé, une analyse grammaticale très détaillée,
une traduction française et des notes, par A.-L. Chézy, et
suivi dune traduction latine littérale, par J.-L. Burnouf.
Paris, 1826, in-4**i avec quinze planches 7 fr. 5o
Vocabulaire de la langue géorgienne, par J. Klaproth.
Paris, 1827, in-8** 7 fr. 5o
Elégie sur la Prise d'ëdesse par les Musulmans, parNer-
sès Klaietsi, patriarche d'Arménie, puhliée pour la pre-
mière fois en arménien, revue par le docteur Zohrah.
Paris, 1828, in-8» 4 Tr. 5o
La Reconnaissance de Sacountalâ, drame sanscrit et prà-
crit de CâUdâsa, publié pour la première fois sur un ma-
nuscrit unique de la Bibliothèque du Roi, accompagné
d*une traduction française, de notes philologiques, cri-
tiques et littéraires, et suivi d*un appendice, par A.-L.
Chézy. Paris, i83o, in-4% avec une planche 10 fr.
Chronique géorgienne, traduite par M. Brosset. Paris, Im-
primerie royale, i83o, grand in-8** 9 fr.
Chrestomathie chinoise (publiée par Klaproth). Paris,
i833, in-8' 7 fr. 5o
Eléments de la langue géorgienne, par M. Brosset. Paris,
Imprimerie royale, 1837, in-8'' 9 fr.
GÉOGRAPHIE d'Abou'lféda, tcxtc arabe publié par Reinaud
et le baron tie îSlane. Paris, Imprimerie royale, i84o,
ïn-à" ^ 24 fr.
48 JUILLET-AOÛT 1899.
Râdjataranginî, ou Histoire des rois du Kachmir, publié
en sanscrit et traduit en français, par M. Troyer. Paris ^
Imprimerie nationale, 3 forts vol. in-8° 20 fr.
Précis de législation musulmane, suivant le rite malckile,
par Sidi Khalil, publié sous les auspices du Ministre de la
guerre. Nouvelle édition (sous presse).
COLLECTION D'AUTEURS ORIENTAUX.
Les Voyages d*Ibn Batoutah, texte arabe el traduction par
MM. C. Defrémery et Sanguinelti. Paris , Imprimerie na-
tionale, 4 vol. in-8^ Cliaque volume 7 fr. 5o
Table alphabétique des Voyagks d'Ibn Batoutah. Paris,
1 859 , in-S" 3 fr.
Les Prairies d'or de Maçoudi, texte arabe et traduction
par M. Barbier de Meynard (les trois premiers volumes
en collaboration avec M. Pavet de Courteille). 9 vol. in-S".
(Le tome IX comprenant l'Index.) Cbaque vol. . . 7 fr. 5o
Maçoudi. Le livre de l'Avertissement [Kitah ct-ienhîh)^ traduit
et annoté par le baron Carra de Vaux. 1 fort vol. in-S".
Prix 7 fr. 5o.
Le Mahàvastu , texte sanscrit, publié pour la première fois,
avec des Introductions et un Commentaire, par M. Em.
Senarl. Volumes I, If , III. 3 forts volumes in-8*'. Chaque
volume 2 5 fr.
Chants popUf.aii\es des Afghans, recueillis, publiés et tra-
duits par James Darmesteter. Précédés d'une Introduction
sur la langue, l'histoire et la littérature des Afghans.
1 fort vol. in-8** 20 fr.
OUVRAGES PUBLIÉS PAR LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 49
Journal d'un voyage en Arabie (i883-i884), par Charles
Huber. Un fort volume in-8*, illustré de dessins dans le
texte et accompagné de planches et croquis 3o fr.
Publication encouragée par la Société asiaticpie :
Les mémoires historiques de Se-ma Tsien, traduits du chi-
nois et annotés par Edouard Chavannes, professeur au
Collège de France. Tome I", in-S" 1 6 fr.
Tome II, in-8° 20 fr.
Tome III , première partie , in-8** 1 o fr.
Nota, Les membres de la Sociélé qui s'adresseront directement
au libraire de la Société, M. Ernest Leroux, rue Bonaparte, 28, à
Paiis, auront droit à une remise de 33 p. 0/0 sur les prix de tous
les ouvrages ci-dessus, à l'exception du Journal asiatique.
XIV. !i
IMmiMEKIB lATIOIIALB.
50 JOILLET-AOCT 1899.
LES
PREMIÈRES nVASIONS ARABES
DANS L AFRIQUE DU NORD
21-lOOH. — 051-718 J.-C),
PAR
M. CALDEL.
w
SI ITE. )
Les Arabes appelèrent Tépoque qui précéda la
révélation islamique el Djahiliya « Tignorance » et en
parlèrent toujours comme d'un temps fâcheux qu'ils
étaient heureux de voir reculer dans le passé. Les
traditions familiales et guerrières que rappelait ce
temps tinrent toujours une grande place dans leurs
mémoires et avivèrent leur orgueil, mais ils n ai-
mèrent jamais parier de Tidolàtrie qui avait souillé
les âmes de leurs pères. Ils auraient eu peu de chose
à en dire. Les tribus avaient des dieux de bois ou de
pierre, que leur \-ie errante les obligeait à faire faci-
lement transportables . et qu'elles traînaient après elles
sans leur rendre , semble-t-il , un culte bien sérieux. On
les \it, à rapproche de la mission de Mohammed,
réunir les idoles dans la Ka'aba, ce qui facilita sin-
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 51
gulièrement l'exécution sommaire qu en fit le Pro-
phète, lors de sa rentrée triomphale à la Mekke.
Le dieu de la tribu de Kelb , Woudd , avait forme
himfiaine; Yauk avait l'apparence dun cheval; Ya-
* ghout, celle dun lion; Nasr, celle d'un aigle. Au dire
d'El-Harassi , la Kaaba renfermait aussi « des figures
d'anges, celles des prophètes, l'arbre, Abraham,
l'ami de Dieu tenant dans ses mains les flèches du
sort, puis encore une figure de Jésus, fils de Marie,
avec sa mère ».
Les Arabes antéislamiques étaient ignorants et
vaguement curieux de l'avenir, aussi croyaient-ils aux
devins. Ils étaient crédules, craignaient les sortilèges
et interrogeaient le sort dans la Ka'aba , en tirant au
hasard , d'un sac rempli de flèches , qui portaient cha-
cune un signe, l'une d'elles, dont la marque disait
ce qui serait. *Abd Allah , père de Mohammed , faillit
être immolé, sur la réponse que donna ce singulier
oracle à la question que lui posait *Abd el Mot't'aleb.
On voyait aussi des femmes devineresses , et c'est à
l'une d'elles , el Kahinah « la devineresse » , que ce
dernier en appela de la sentence portée par les flèches.
La foi dans les devins et la croyance aux sortilèges se
maintinrent après l'Islam. *Ali , le quatrième et le der-
nier des khalifes parfaits, passait pour posséder la
science de l'avenir et des livres cachés. Les Musul-
mans prétendent « que le dépôt en est conservé dans
un ouvrage mystérieux appelé Gefr. Le mot Gefr est
arabe et se dit vulgairement d'une espèce de mem-
brane , mais ici il désigne une grande feuille couverte
4.
52 JUILLET-AOÛT 1899.
de caractères et de figures magiques , et contenant Tex-
plication du passé, du présent et de l'avenir. Les
uns disent que ce livre est resté entre les mains des
descendants d*Ali et qu'à eux seuls en est réservée la
connaissance; les autres croient que la possession en
est commune à tous et qu'il est libre à chacun dy
recourir. Les sultans mamlouks d'Egypte avaient
entre les mains une copie de cet ouvrage, qui a passé
au pouvoir des sultans de Gonstantinople. Il en existe
plusieurs versions. Les Persans, et en général les
partisans des droits d'Ali, y ont une foi aveugle et le
consultent assez souvent ^ » On ouvre rarement un
manuscrit arabe, récemment acquis d'un indigène,
sans trouver, entre les feuillets , quelque morceau de
papier divisé par des traits parallèles, dans les deux
sens, en petits carrés qui renferment chacun une
lettre de l'alphabet ou un mot quelconque, tandis
qu'une légende enroulée autour du damier apprend
quelles prières il faut dire et quels rites on doit
accomplir pour voir ses désirs se réaliser. A tout cela
rien d'étonnant ni de particulier. La grande ignorance
humaine a toujours cherché et toujours cherchera
tant que se tairont la raison et la science, la solution
de l'énigme du lendemain dans des pratiques de ce
genre.
Mais le problème de l'au-delà tourmentait trop
les Arabes pour qu'ils se contentassent de semblables
oracles; quand l'oppression de l'inconnu augmentait,
* Des vergers , p. 2 7 1 .
LES PRKMIERKS INVASIONS ARABES. 53
un homme se levait, qui croyait avoir compris et
pariait aux autres. Il y eut ainsi beaucoup de pro-
phètes. Avant Mohammed, Cho'aïb, fils de Dou
Madham, instruisit les Hadhouras du Yemen, et
Houd, les Adites du Hadramaout. Saleh fit, devant
les Béni Thamoud, un miracle : « Un rocher de gra-
nit s'entr ouvrit à son commandement et il en sortit
une chamelle pleine qui mit bas son petit. Ce pro-
dige s'opérait à la demande des Reni Thamoud;
cependant il ne put les convaincre; non seulement
ils persistèrent dans leur idolâtrie, mais ils tuèrent la
chamelle, dont la présence était pour eux un re-
proche incessant de désobéissance et d^opiniâtreté.
La vengeance céleste ne se fit pas attendre : le sol
trembla, les montagnes se fendirent et tous les gens
de la tribu tombèrent morts, la face contre terre ^ »
Houd avait été battu de verges par les Adites. Il fal-
lait aux prophètes une âpre volonté et im vigoureux
esprit de prosélytisme pour affronter la barbarie de
leurs frères, et leurs appels restaient vains. Au temps
même de Mohammed, el Asoued, Mous'aïlamah ibn
Habib et Toulaiha ibn Khouwaïled tentaient, sans
plus de succès, d'élever la pensée arabe, qui se refu-
sait et retombait inerte. Elle voulait voir pour croire ;
il lui fallait des miracles qui, une fois accomplis, ne
paraissaient jamais assez probants. Lart du thauma-
turge n en imposait pas à des esprits aussi pratiques
et aussi soupçonneux et faisait fausse route en s adres-
* Desvergers, p. 49.
54 JUILLET-AOÛT 1899.
sant à des sens aiguisés , excitables jusqu'à la souf-
france, ébranlés déjà de sensations trop vives, tandis
que la conscience intime dormait. — Tout changea
quand parut Mohammed.
Mohammed ibn 'Abd Allah ibn 'Abdj el MotValeb
était im orphelin sans fortune. La famille des Hachi-
mites , à laquelle il appartenait , était pauvre * ; il dut ,
pour vivre , se faire berger. On confiait généralement
le soin de garder les troupeaux aux filles et aux es-
claves^. Le futur prophète abandonna cette condi-
tion servile pour devenir chamelier et fut assez heu-
reux pour épouser une riche Mekkoise, Khadidjah,
veuve d'im commerçant et dont il avait géré les affaires.
Aquarantft ans , Mohammed a beaucoup voyagé , visité
les diverses régions de TArabie , entrevu la civilisation
grecque, fait un peu la guerre et beaucoup trafiqué
et appris de droite et de gauche, par lambeaux, les
traditions de son peuple et de quelques-unes des na-
tions voisines. Il n est pas plus savant que les hommes
de Qoraïch qui Tentourent^ et n a jamais quitté le
milieu arabe. Une inquiétude le saisit : il devient taci-
turne et recherche la solitude , gagne souvent les mon-
tagnes voisines de la ville et y demeure des journée >
^ Sprenger, Dos Leben des Mohammadj 1, p. i4i.
' Ibid,, p. 147.
' « Die geistige Bildung der Mekkaner oder Koreischiten wie sie
sich nannten, war bedeutend. Die ineisten konnten leHen und
schreiben ; sie hatten sichauf ihren Geschâfst-reisen nicht zu unter-
schàtzende Kenntnisse erworbcn und konnten sich dem Proplieten
gegenûber auf ibr Wissen bùsten» (Sprenger, Mohammed und der
Kornn^ ^i.
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 55
entières , absorbé dans la contemplation. Le fait n éton-
nait pas son entourage; les Arabes étaient coutumiers
des longues courses solitaires et leur goût pour les
cc^itations intimes, loin du monde, en quelque coin
sombre , suffisait à leur expliquer les subites dispari-
tions de Mohammed. Au retour d une de ces excur-
sions, celui-ci commença à prophétiser, d abord avec
discrétion, dans le petit cercle de ses intimes, puis
devant tous ceux qui prêtaient Toreille à ses discours.
Ce prophétisme ne dut pas , non plus , étonner beau-
coup ; il n'était pas rare dans la péninsule , et les noms
cités tout à rheure suffisent à prouver que plus d un
inspii'é avait déjà pris la parole, sous les tentes d(»s
tribus, avant l'apparition du « Sceau des prophètes ».
Le prophétisme était, en Arabie, à l'état endé-
mique. La vie solitaire, les longues réflexions vides,
la contemplation d'une nature brutale et pesante, la
suggestion des mirages, la tension nerveuse déve-
loppée par les fatigues, les dangers et les privations,
tout poussait l'homme à rêver et, rêvant, à imaginer
la fin des choses dans une formule très simple qui
lui épargnât la fatigue de chercher. Le saut était aussi
brusque , dans l'intelligence , de la complète ignorance
à la clarté parfaite de tout, qu'était rapide, dans le
système nerveux, la transition de la sensation à la
conception. C'était toujours la même brutalité, la
même absence de gradation et de nuances. La lueur
qui avait illuminé l'esprit prenait une apparence sur-
naturelle, et l'homme sentait passer en lui un soufïle
qu'il attribuait à l'esprit d'En Haut. La formule trou-
56 JUILLET-AOÛT 1899.
vée, il fallait la répandre; Thomme y travaillait
comme il faisait toutes choses, sans calcul ni mesure :
c'était un prophète de plus.
Mohammed , inspiré , parla. Ses sectateurs recueil-
lirent ses paroles , car c'était Dieu qui , par sa bouche ,
leur transmettait la vérité, et la vérité, celte fois, se
répandit. Pourquoi le nouveau prophète réussit-il là
où les autres avaient échoué.^ Le hasard lui fut sans
doute favorable; peut-être aussi puisa-t-il une
grande force dans la pureté naïve de sa doctrine et
la cadence aisée de ses discours. Il fut intelligible et
éloquent, et ses compatriotes prisaient fort les beaux
diseurs; il s'attaqua aux sentiments au lieu de s'adres-
ser aux sens, et fit vibrer dans le cœur des siens des
cordes nouvelles au lieu de leur exhiber des prodiges.
Ses prédécesseurs avaient été des thaumaturges; il fut
simplement un prédicateur et se défendit toujours
de faire des miracles. On en cite peu à son actif. A
Hodaïbiya, il fit couler de l'eau d'une source desséchée
en y plongeant une flèche; c'est, disent les historiens
arabes, le miracle le plus avéré qui ait été constaté;
pur incident dans la vie du Prophète, qui dut son
succès à d'autres causes.
Il se présentait comme «l'envoyé du Seigneur, le
sceau des prophètes ^ — Tous les peuples eurent
des prophètes qui les jugèrent avec équité 2. — 11
n'est point de nation qui n'ait eu son apôtre^. —
» Qoran, XXXIII, 4o.
2 Qoran, II. /i8.
•» Qoran, XXXV, 9.9..
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 57
Chaque peuple a eu son guide ' », il est celui du
peuple arabe. — « Je suis un homme comme vous ,
ajoute-t-il, mais jai été favorisé des révélations
divines 2. » — Le Dieu qui lui parie est unique : « 11
n y a pas d'autre Dieu que le Dieu unique. » C'est
la fonnule fondamentale de la nouvelle croyance.
C'est Allah er-raK mân er-roKim « Miserator et Miseri-
cors Dominus ». « Il est le commencement et la fin^.
— Le centre où tout se réunira^, — . .le terme
de toutes choses^ — ... il est un, il est éternel. 11 n'a
point enfanté et n'a point été enfanté. 11 n'a point
d'égal^ — Il tient entre ses mains les clefs de l'ave-
nir, Lui seul le connaît. Il sait ce qui est sur la terre
et au fond des mers. Il ne tombo pas une feuille
qu'il n'en ait connaissance"^. — Si trois personnes
s'entretiennent ensemble, il est le quatrième. Si cinq
personnes sont réunies pour converser, il est le
sixième^. » Voilà qui explique le monde et nous tous,
voilà qui satisfait à la première curiosité de l'homme :
connaître ses origines. Mais' autre chose le tourmente
davantage : où va-t-il? qu'y a-t-il derrière la morl.^
« Toute âme doit goûter la mort ^ . . . jusqu'au
» Qoran, XIII, 8.
» Qoran, XVIII, 101.
•^ Qoran, LVir, 3.
* Qoran, ÏII, io/|.
'^ Qoran, XL, 3.
« Qoran , CXII , 1 , /| .
' Qoran, VI, 60.
8 Qoran, L VIII, 8.
« Qoran, III, iSf?; XXI, 36; XXIX, 67.
58 JUILLET-AOÛT 1899.
jour de ia résurrection et du jugement. . . jusqu'à
ce que Dieu ait prononcé entre nous , car il est le
meilleur des juges ^ — . . .c'est le jour où chaque
âme vient plaider pour elle-même^. — Au jour de
résurrection , la terre entière ne forme qu'une seule
poignée et les cieux sont roulés dans sa main droite
(de Dieu) ^ — Un jour nous vaquerons à votre juge-
ipent, ô hommes*! — En ce jour-là, à chaque
homme suffira son affaire^. » On fait alors paraître
devant les hommes « un livre immense qui obstrue
tout lespace entre l'Orient et l'Occident. Toutes les
actions des hommes y sont inscrites ^. — Il n'y a au-
cune petite faute ni aucun grand crime qui ne s'y
trouvent enregistrés. Ils y trouvent présent tout
ce qu'Us ont commis et son Seigneur ne fait tort à
personne '^. » Les actions de chacun parlent pour
lui , les bons sont reçus dans le paradis et les mé-
chants vont dans l'enfer. A chacun de veiller sur
soi pour mériter le premier et éviter le second; les
prières du voisin ne le sauveront pas s'il n'a lui-
même travaillé à son salut et d'abord professé la
foi musulmane. — « La religion de Dieu est l'Islam^ » ,
c'est-à-dire le fait de chercher son salut en Dieu, de
1 Qoran, VU, 85.
^ Qoran, XVI, 112.
^ Qoran, XXXIX, 67.
* Qoran, LV, 3i.
' Qoran, LXXX, 07.
® Ghazzâii, 67.
' Qoran, XVllI, li-j.
® Qoran, III, 17.
\
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 59
se résigner à sa volonté; ceux qui agissent ainsi sont
dits MousUmoan y dont nous avons fait Musulmans.
Pour confesser la foi, il suffît de prononcer avec con-
viction et h haute voix la formule : « Il n'y a pas
d autre dieu que le Dieu (Unique) et Mohammed est
le prophète de Dieu; je porte témoignage qui! n'y a
pas d'autre dieu que Lui et que Mohammed est son
prophète et son serviteur. » Celui qui a dit cela et qui
pratique le culte est un bon musulman. De culte, il
n'y en a guère, et il est presque tout personnel : il
faut , cinq fois par jour, dire la prière , après avoir fait
ses ablutions, et la prière doit être dite en langue
arabe, car cest dans cet idiome que le Seigneur a
révélé son livre , qui ne peut être traduit en aucun
autre; il faut jeûner pendant le mois du Ramadhan ,
faire l'aumône, payer la dîme et aller en pèlerinage
à la Mekke. Mais aucune de ces prescriptions n'est
ni bien lourde ni strictement obligatoire : la prière
est courte et, en cas d'oubli ou d'impossibilité, peut
être dite à une autre heure que celle prévue par la loi ;
le jeûne ne dure que pendant le jour et n'entraîne
qu'une modification gênante dans la manière de
vivre, et ainsi du reste. D'une façon générale, le
culte nest pas obligatoire en cas de danger \
Rien dans tout cela qui ne soit simple , compré-
hensible et doucement attirant, comme toutes les
doctrines vagues et faciles, qui laissent l'esprit évo-
luer à l'aise dans l'ampleur de leurs formules. Rien
^ Voir dans la Grande Encyclopédie l'article Islamisme, par
M. Houdas.
60 JUILLET-AOUT 1899.
qui contraigne la pensée à lutter contre le doute, en
édifiant une muraille de raisonnement autour dun
dogme qui défie la raison; rien qui empêche la libre
expansion de la nature physique, en mortifiant les
sens ; rien qui soumette la pensée à Tautorité d une
pensée voisine, en donnant à un clergé la suprématie
sur les âmes. Les ignorances se fondent en adora-
tions naïves; les curiosités s'abîment en contempla-
tions muettes; les sens et les passions jouent à Taise
sous le manteau religieux et sassoupissent douce-
meut dans une jouissance mesurée, placide et lé-
gitime.
Tout homme peut saisir ces concepts et professer
cette foi; mieux que toute autre, elle lui fera con
naître Dieu. Nos consciences aryennes ont, de la di-
vinité, une idée spéciale; elles la conçoivent vive-
ment mais, tout aussitôt, prennent sa mesure. C'est
toujours notre même façon de penser, décrivant
tout autour du sujet une limite, portant sans cesse
le regard de fesprit, du centre à la périphérie. Nous
adorons Dieu profondément, mais nous le discutons
avec passion. D'abord, nous le voulons près de
nous ; l'intermédiaire prophétique ne nous suffit pas
et notre orgueil exige qu'il prenne notre apparence,
comme dans la mythologie antique, et descende sur
Ja terre, ou au moins quil envoie une émanation
de sa personne, qui entre en contact avec nous. Nous
nous complaisons à ce rapprochement; il flatte notre
vanité en remettant le Créateur presque dans la
créature. Ce Dieu tout proche, nous ne f acceptons
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 61
que sous bénéfice d'inventaire, nous le chicanons
sur les hyposthases, nous lui disputons les attributs
et, avant de Tadorer, nous le détaillons; il y a du
syllogisme dans notre prière; nos actes de foi re-
cèlent des réticences ; la raison et la foi disputent
sans cesse en nous, et la foi ne Temporte que si
la raison est satisfaite par les preuves multiples
qu'elle découvre de Texistence de Dieu.
Dieu existe-t-il? Voilà une question que le sé-
mite ne songe pas à se poser. Là, comme ailleurs,
il commence par où nous finissons, et adore
pour raisonner ensuite, s'il en a le loisir. Il accepte
naïvement, à conscience grande ouverte, la révéla-
tion que nous contrôlons soigneusement, et son ima-
gination grandit encore et exalte ce que notre logi-
que tatillonne rapetisse et rabaisse. Il s'absorbe
dans la divinité et cherche à se modeler sur elle,
tandis que nous la ramenons à nous; il lui demande
non seulement une foi, mais une loi, et n'accepte
pour roi sur cette terre que l'homme qu'elle a mar-
qué de son sceau.
La loi se trouve dans le Qoran « la lecture » ,
dicté par Dieu au prophète, qui l'a transmis aux hom-
mes. Il est sorti par lambeaux des lèvres de l'envoyé,
du resoul, et chaque morceau a été soigneusement
joint au précédent, à mesure que la révélation opé-
rait, avec un beau dédain de l'ordre et de la mé-
thode. Si l'on veut avoir l'image fidèle de l'espril
arabe, c'est dans le livre qu'il faut l'aller chercher;
de brefs aphorismes lances à toute volée, des com-
62 JUILLET-AOÛT 1899.
mandements impérieux qui ne souffrent pas la con-
tradiction, des conseils qui éclatent dans la phrase
sonore et rythmée comme des ordres de bataille,
des formules obscures qui dénotent une pensée ab-
sorbée et dédaigneuse de la réalité, des images saisis-
santes , des menaces terrifiantes et de tendres objur-
gations; tout cela haché, haletant, âpre et scandé
d'exclamations véhémentes qui achèvent de broyer
les résistances et de détendre les âmes. C'est bien ce
qu'il fallait à l'esprit arabe , qu'on peut briser, mais
non ployer ; c'est ce qu'il fallait pour les âmes simples
et obscures que la propagande arabe conquit à l'Islam.
La doctrine musulmane, après avoir subjugué les
âmes arabes, en conquit beaucoup d'autres et en
conquiert encore chaque jour, parce qu'elle est per-
suasive, convaincante et simple. Elle est faite pour
des peuples enfants qui n'ont pas beaucoup de loisir
pour penser, ni beaucoup d'intelligence pour rai-
sonner et qui , cependant , rêvent volontiers et aspirent
il quelque idéal. Elle les touche par tous les points
sensibles et satisfait toutes leurs aspirations.
Et d'abord elle parle à leur imagination en lui
faisant du monde futur un tableau saisissant de réa-
lisme, tel qu'elle peut le concevoir, et satisfait
ainsi le besoin inné qu'éprouve l'homme, quelque
bas qu'il soit placé sur l'échelle de la civilisation, de
connaître le sort qin l'attend après le trépas.
Elle donne aussi un aliment à la passion d'idéal
qui tourmente l'humanité, en lui parlant d'un Dieu
puissant et juste qui châtie ou récompense, redresse
^
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 63
ce que le monde a brisé , guérit les blessures qu il a
faites et pardonne les fautes des pécheurs repen-
tants; Dieu placé très haut, presque inaccessible,
qu'on verra cependant un jour dans un rayon de
gloire et, qu'en attendant, on doit prier sans cesse.
La conception que le croyant peut s'en faire est
simple et ne laisse pas de place au doute. Nulle part,
du reste, celui-ci n'a d'accès dans la foi islamique;
il faut croire tout ou ne rien admettre, mais discuter
est impossible ; il n'y a , ici , ni dogmes qui ouvrent
la porte à la controverse, ni rites qu'on puisse in-
terpréter de façons différentes.
La foi emplit l'âme tout entière et laisse le phy-
sique libre; elle n'exige pas les renoncements qui
coûtent tant aux natures primitives. Sous elle, les
sens jouent au large et se satisfont sans contrainte.
Le croyant peut user à Taise de la vie de ce monde
sans compromettre son salut dans l'autre; la jouis
sance terrestre est un avant-goût très licite des joies
du paradis. Cette morale fort large laisse aux facultés
physiques tout leur jeu, et la foi, loin de les con-
traindre, suscite leur effort.
On chercherait vainement ailleurs une religion
plus élevée dans son concept et d'une pratique plus
facile , qui respecte mieux les passions physiques en
satisfaisant les aspirations morales et qui sache
mieux tirer de l'effort du physique, suscité parle
moral, un maximum d'effet utile.
Elle donna à la race à laquelle Dieu la révéla le
seul sens qui lui manquait pour faire de grandes
64 JUILLET-AOÛT 1899.
choses : le sens de lunité et de la coordination,
unité de la pensée et coordination des actions. Elle
fut le souffle qui anime la matière , le moteiu* qui met
la machine en marche; comme tous les sentiments
de Tâme arabe, elle fut exubérante; la passion exal-
tait les sens, surmenait les corps et les brisait plutôt
que de céder; la foi religieuse éperonna la race, la
jeta à corps perdu dans la carrière, lui fit donner
tout son eftbrt, Tépuisa et la laissa poussive pour
toujours. Mais, dans sa chevauchée, la foi avait ren-
contré d'autres peuples et enlevé d'assaut d'autres
consciences.
Loin de périr, elle progresse plus lentement et
plus sûrement et grandit encore aujourd'hui. Mais
il faut, avec l'Arabe, se défier des retours subits.
Mohammed ne fut pas toujours suivi fidèlement :
« Souviens-toi , fait-il dire à Dieu dans le Qoran , du
moment où Dieu te lit sortir de ta demeure pour la
mission de vérité, lorsqu'une partie des croyants ne
te suivaient qu'à contre-cœur et qu'ils discutaient avec
toi comme si on les eût conduits à la mort. »
Lorsque, le 8 juin 632 (i3 Rebi el Eouel de
l'an 11 de l'hégire), le prophète rendit l'àme, son
œuvre fut sm' le point de périr. Les Arabes aban-
donnèrent l'Islamisme , et les seules villes de la
Mekke, Médine et Taïef persistèrent dans la
croyance ^ Les renégats disaient que, si Mohammed
avait été vraiment le prophète de Dieu, il ne serait
^ Ahou'l PVda, Ann. I, p. 181».
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 65
pas mort, et, sur ce beau prétexte, ils refusèrent de
payer la dîme aumônière , car, toujours , dans l'histoire
arabe, Imtérêt matériel qui met en mouvement les
hommes se découvre vite. Les fidèles cherchèrent
en vain à les convaincre que. tous les prophètes an-
térieurs, dont nul ne contestait la mission divine,
étaient morts, le propos détenniné des tribus de ne
pas payer Timpôt les affermit dans leur hérésie et il
fallut envoyer contre elles des troupes qui les sou-
mirent^. Ce ne fut qu'une émotion passagère, et
bientôt un intérêt plus puissant, et matériel aussi,
unit fortement les tribus. Mohammed leur avait re-
commandé la guerre sainte, le Djihâd; elles s y je-
tèrent avec la frénésie de néophytes et Tâpreté de
coureurs de grands chemins.
Lorsqu'Abou Bekr proposa à Khaled le com-
mandement des troupes qu'il voulait envoyer contre
les Grecs : « J'ai déjà commandé deux fois l'armée
des musulmans, répondit-il, deux fois j'ai dû mé-
nager ma vie, car la vie du général c'est, pour son
armée, la condition du triomphe; il est bien temps
que, simple soldat, je puisse aller chercher la mort;
la mort, c'est le paradis^. »
Moqaouqas, gouverneur de l'Egypte, avait envoyé
des parlementaires aux envahisseurs. Lorsqu'ils re-
vinrent, il leur demanda : «Que sont ces gens là?
' — Nous avons vu, lui répondirent-ils, une troupe
où chaque homme préfère la mort à Ja vie et la
^ Ibn et-Tiqt'aqab , Fahkri 90 du texte (éd. de Greifswald).
^ N. Desvergers, p. /joa.
XIV. 5
IMfRIMKRIB lATIOSALt.
66 JUILLET-AOÛT 1899.
simplicité à la grandeur. Ils n ont nulle convoitise et
nulle concupiscence en ce monde; ils s'asseyent
dans la poussière et mangent sur leur selle. Leur
chef ressemble au dernier des soldats ; on ne peut
distinguer dans leur troupe le noble du manant, ni
le serviteur du maître. Quand vient l'heure de la
prière, aucun d'eux ne manque de faire ses ablu-
tions et de sMiuniilier dans ses oraisons ^. »
*Ibâdah ibn es'-S'àmet, envoyé par ^Amribn el 'As
au mêmeMoqaouqas, lui disait : «Grâce à Dieu^ je
ne crains pas cent ennemis m'attaquant ensemble et
mes compagnons sont comme moi. Notre seul désir,
notre seul souci est de faire la guerre sainte et de
mériter par là les faveurs de Dieu. Nous ne combat-
tons pas lennemi de Dieu pour acquérir les biens
de ce monde et nous ne les recherchons que si Dieu
nous le permet ; il a déclaré licite le butin que nous
faisons sur Tennemi, mais nul d'entre nous ne se
soucie de savoir s'il possède un qint*ar d'or ou seu-
lement un seul dirhem. Il ne se préoccupe que du
pain quotidien et de TétofTe qui lui fera un vête-
ment; n'eut-il que cela, c'est assez, et s'il possède un
qint'ar d'or, il le dépensera en bonnes œuvres pour
obéir à Dieu (qu'il soit exalté) et il restreindra à
cela son souci des biens de ce monde, parce que les
jouissances de ce monde ne sont pas des jouissances
et que l'abondance des biens de ce monde n'est pas
une richesse. Jouissances et richesses sont dans l'au-
' Ahou'l Maliasin, p. i3.
i
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 67
tre monde. Voilà ce que nous a dit notre Seigneur
par la bouche de son envoyé ^ » — « Il n y a pas parmi
nous un seul homme, ajoutait-il, qui ne supplie
matin et soir le Seigneur de lui accorder comme une
faveur le martyre [ech-chikadah, la mort dans la
bataille livrée à Tinfidèle) et qui ne lui demande de
ne jamais revoir ni sa patiie, ni sa tribu, ni ses
enfants. Aucun de nous ne se soucie de ce qu'il
a laissé derrière lui, car il a confié famille et enfants
à la garde de Dieu. Notre unique préoccupation
est devant nous^. »
*Abd allah ibn ez-Zobaïr, un des conquérants de
TAfrique, puis prétendant au Khalifat, assiégé par
les troupes de son rival dans la Mekke et sur le point
de périr, monte, avant le dernier assaut, dans la
chaire et dit : « Louange à Dieu à qui seul appar-
tiennent la puissance de créer et le pouvoir su-
prême. O Dieu ! vous donnez et vous ôtez Tempire
à qui il vous plaît. . . Pour nous, si nous périssons,
nous ne mourions pas d'hydropisie , comme meu-
rent les fils d'Alas , car aucim d eux , ni sous le pa-
ganisme, ni depuis Tislamisme, na péri de mort
violente ; pour nous , nous ne périssons que percés
par les lances ou succombant sous les coups du
glaive^. »
Les Arabes ont toujours aimé la guerre et n ont
jamais craint la mort. Avant l'Islam , ils faisaient la
^ Abou'l Mahasin, p. i4.
* Abou'l Mahasin, p. 16.
*'' N. Desvergers, p. 3o8.
68 JUILLET-AOÛT 1899.
guerre par plaisir; après, ils la firent par devoir.
Avant risiam, ils affrontaient ia mort sans [trembler ;
après, ils coururent au devant d*elle. a Si vous
mourez ou si vous êtes tués en défendant la foi ,
songez que la miséricorde divine vaut mieux que les
richesses que vous aurez amassées ^ — Ne croyez
pas que ceux qui ont succombé dans le combat soient
morts ; au contraire , ils vivent et reçoivent leur nour-
riture des mains du Tout-Puissant ^. — Les croyants
qui s'arracheront du sein de leurs familles pour se
ranger sous les étendards de Dieu, sacrifiant leurs
biens et leurs vies, auront les places les plus hono-
rables dans le royaume des Cieux ^. »
Tous les Arabes partirent pour la guerre sainte
qui , ouvrant une carrière à leur activité fébrile et
permettant à leur foi religieuse toute neuve de s é-
pandre, satisfaisait et leurs passions brutales , et leurs
appétits terrestres, et leurs aspirations morales.
Aboul Mahasin, que je citais tout à fheure, met
dans la bouche de ses guerriers des discours acadé-
micjues qui ne valent que par l'intention et le senti-
ment qu'ils impliquent. L'auteur écrivait huit cents
ans après les invasions. Mais s'il ne sut pas mieux que
nous ne savons nous-mêmes ce que disaient exacte-
ment les soldais d'Amr au gouverneur de l'Egypte,
il eut le sens des choses et comprit très bien ce que
ces hommes- là pensaient et ce qui les faisait agir.
' Qoran, m, v. i5o.
- Qoran, m, v. 1G2.
* Qoran, i\, v. 20.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 69
Son ouvrage nest, du reste, quune compilation
d'œuvres beaucoup plus anciennes. Ne sommes-nous
pas tous d accord pour admettre que Tite-Live , qui
écrivait deux cents ans après Cannes, rendit fidèle-
ment, dans les discours quil fait prononcer aux gé-
néraux romains, sinon le texte exact, du moins la
pensée, l'idée, le sentiment? Mais à de telles dis-
tances, la pensée s affine, l'idée se resserre, le sen-
timent gagne en profondeur ce qu'il perd en variété
et , de même que Tite-Live ne nous présente guère
le dictateur romain que sous une face, de même
rhistorien arabe ne voit plus dans le guerrier de
jadis que le religieux mystique qui combat pour la
foi et rien que pour elle. Dans les deux cas, le phé-
nomène psychique est le même , la mémoire ne voit
plus que Timpulsion principale qui faisait marcher
les hommes et oublie les multiples impressions à côté
qui travaillaient avec elle. L'histoire n est-elle pas ,
après tout, autre chose que ce grossissement, peut-
être exagéré, toujours nécessaire, souvent voulu, de
la cause principale aux dépens de l'accessoire? Aboul
Mahasin oublie l'amour du butin qui fut pour
quelque chose dans l'expansion de l'Arabe hors de
ses frontières , et il a raison de l'oublier, car l'Arabe
avait été de tout temps âjtre au gain et n'était pas
pour cela sorti de chez lui ; la passion religieuse seule
réussit à l'entraîner-, c'est donc bien elle qui anime
notre guerrier et non pas l'ardeur au pillage.
Lé Djihâd ! Encore un fait que nos esprits occi-
dentaux comprennent peu. Nos pères, im jour, con-
70 JUILLET-AOÛT 1899.
nurent cela lorsque, éperonnés par la prédication
d'un moine et sollicités par leur humeur aventureuse ,
il se croisèrent pour reconquérir les lieux saints que
possédaient ces mêmes hommes dont nous nous oc-
cupons maintenant. Mais ce ne fut quun instant;
l'enthousiasme religieux s'éteignit vite , d'autres pré-
occupations se firent jour; la nostalgie du sol natal,
le vague soupçon d'autres destinées à poursuivre ra-
menèrent les Francs vers les climats d'où ils étaient
sortis. Ils avaient connu durant un temps f état d'âme
que l'Islam faisait à leurs adversaires , mais leur es-
prit inquiet d'évolution s'était tourné vers d'autres
buts. Ce qui était pour l'Arabe un état permanent
n'avait été pour l'occidental qu'une phase, car il
change constamment , s'ingénie et se contourne en
mille formes diverses , tandis que l'autre reste im-
muable. Et maintenant que ces temps de croisades
sont loin et que nous avons beaucoup pensé à d'autres
choses, si, par hasard, nous songeons au djihdd, il
nous paraît une guerre méthodique et raisonnée,
l'effort puissant, brutal et mesuré d'une race et d'une
religion entêtées, à travers les temps et les espaces,
à la conquête du monde. Nous prêtons à des hommes
et à une foi que nous ne connaissons pas des sen-
timents , des volontés , deS facultés qui sont nôtres ,
sans songer que, si ces sentiments et ces volontés
avaient été dans ces hommes , et que si cette foi avait
eu pareille puissance , ils l'eussent emporté et balayé
tout le reste de la surface de la terre. Mais leurs
eflbrts étaient aussi courts que prodigieux, leurs vo-
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 71
lontés étaient aussi instables qu impératives , et leur
foi , si elle était profonde , vibrait en eux-mêmes et ga-
gnait plus au dehors par sa vertu propre que par l'ac-
tion des prosélytes. L'Arabe a subi son histoire et ne l'a
pas faite. Jamais il ne songea à préparer le lendemain
et quand il combattit, ce fut au jour le jour, sans
souci de savoir si , du revers de son sabre , il taillait
un empire ou conquérait seulement vine tente.
Il avait toujours aimé la guerre et l'avait faite à
tort et à travers. Le moindre prétexte lui était bon
et la lutte, engagée, durait longtemps; chaque meurtre
réclamait une nouvelle vengeance et les représailles
en appelaient d'autres ; de vendetta en vendetta , les
guerres s'éternisaient. Koulaïb, chef des Taghlibites,
aux temps de l'ignorance , tue la chamelle d'une
femme appelée Baçous; le beau-frère de Koulaïb,
hôte de cette femme , veut venger l'injure faite à
celle qu'il protège et tue Koulaïb ; la guerre s'engage
entre les Benou-Bekr et les Taghlibites; elle dure
quarante ans.
«Zohaïr, fils de Djazimah, était le chef de la
tribu d'Abs, issue de Ghatafan, et, depuis long-
temps, les tribus des Benou-Hawazin lui payaient
un impôt. Une vieille femme, appartenant à cetle
dernière famille, était venue lui apporter un pot de
beurre, seul tribut que la sécheresse qui était vçnue
frapper le pays lui eût permis d'offrir. Zohaïr goûta
le beurre et le trouva mauvais. Furieux de la mau-
vaise qualité d'un si mince présent , il renversa la
vieille en la poussant du bout de son arc et cette
72 JUILLET-AOÛT 1899.
malheureuse femme tomba dune manière qui offensa
Ja décence. Telle fut la cause du meurtre deZohaïr.
Un arabe de Hawazîn, nommé Khalid^ témoin de
la chute de cette femme, qui lui parut une offense
mortelle pour sa tribu, s'écria : « Par Dieu, je lèverai
«mon bras jusquà ce que je tue ou sois tué. . . »
Quelquesjours après, Zohaïr, attaqué par surprise dans
les montagnes, succombait sous les coups de Khalid ^ »
Et voilà Ja guerre allumée. Harith, de la tribu de
Ghatafan , tue Khalid et n'échappe que par ruse aux
poursuites acharnées dos vengeurs de ce dernier. —
Chaque tribu a quelque meurtre de ce genre à re-
procher à ses voisines , et tous les hommes de la tribu
doivent s'unir pour laver Tinsulte dans le sang.
Constamment des combats singuliers s'engagent, en
plein désert, entre des guerriers que le hasard met
en présence, et il faut toute la rigueur des lois de
l'hospitalité pour que les tentes ne soient pas souillées
de sang chaque fois qu'un étranger y pénètre. Si
les peuplades se réunissent dans quelque marché
fréquenté, on les désarme pour empêcher les rixes.
« Les Arabes, lorsqu'ils venaient à Okadh (une des
grandes foires d'Arabie) remettaient leurs armes à
Ebn-Djodhan et les laissaient entre ses mains jusqu'à
cequeles marchés fussentfixésetlepélerinage terminé;
puis, au moment de leur départ, Ebn-Djodhan les
leur rendait. C'était un homme puissant, riche et
sage'^. » Pour empêcher les guerres perpétuelles, cer-
* \. Desvergers, p. ii3.
* Kitab el-Aghâni, cité par N. Desvergers, p. 126.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 73
tains mois de l'année furent déclarés sacrés; c'était
une trêve de Dieu, semblable à celle que connut
notre féodalité. Malgré ces précautions, on se battait
toujours et partout, et la trêve laissait à peine aux
tribus le temps de se refaire. Celles qui se trouvaient
sur les frontières de la péninsule inquiétaient les
pays voisins; les ix)is de Ghassan razziaient les terres
des empereurs de Perse; les rois de Hira faisaient de
même sur le territoire byzantin, ou bien ils louaient
leurs services aux empereurs et assouvissaient les
uns sur les autres leur rage de combat.
C'était la guerre perpétuelle, acharnée et stérile,
engagée sans raison, conduite sans méthode, pour-
suivie sans mesure, cruelle sans grandeur, sanglante
sans résultat, guerre d'homme à homme, de clan
contre clan, Thomme entraîné pour soutenir Thon-
neur du clan, le clan mobilisé pour venger Tinsulte
faite à Thomme , l'homme frappant aveuglément , par-
tout où il le rencontre, l'adversaire qu'une sauvegarde
ne couvre pas, le clan traquanlpartout l'homme delà
tribu ennemie; guerre faite pour voir couler le sang,
et qui ressemble plus à une série de combats singu-
liers qui , souvent , sont des assassinats , qu'à une suite
de batailles rangées. L'anéantissement de l'un des
adversaires, plus souvent l'épuisement des deux,
amènent seuls la fin de la lutte. Commencée dans
une pousséebrutale d'orgueil farouche et de vigueur
physique exubérante, elle s'éteint dans l'hébétement
des grandes fatigues ou la satisfaction repue qui suit
les massacres.
74 JUILLET-AOÛT 18Q9.
L'Arabe est à la guerre ce qu'il est ailleurs et tou-
jours : impétueux, véhément, inconstant et insou-
ciant. Le conduire est une rude tâche et on peut rare-
ment se flatter de le commander. La révolte est à Tétat
endémique dans les armées : si la tribu marche , c'est
que l'esprit de corps la mène et que la vie en com-
mun a donné à ses membres comme une âme unique
qui dirige l'action à l'insu du chef; si les armées des
invasions marchent, c'est que l'Islam a donné aux
soldats un esprit du même genre et le fugitif soupçon
d'une œuvre à poursuivre. Mais le vieux levain d'in-
dépendance fermente toujours et la moindre occa-
sion le fait lever. Alors le chef, méconnu, est trahi
ou abandonné, l'armée se disloque, devient une
foule qui recule , tourbillonne et se disperse. Rien ne
peut conjurer cet « esprit d'imprudence et d'erreur »
qui saisit tout à coup la masse et abolit en elle toute
action. L'Arabe paye d'un seul coup la rançon de
son audacieuse fatuité et de sa brutale imprévoyance.
La fatigue, l'égarement d'une minute lui font perdre
le fruit de cent combats. Mais il n'en a cure et son
esprit inconstant se tourne aussitôt vers d'autres ob-
jets sans mesurer, dans un retour sur lui-même, la
perte éprouvée. Avec de pareils hommes, l'autorité
suprême est toujours précaire. Le plus parfait des
quatre premiers Khalifes, le gendre et le neveu du
prophète, Ali, n'est pas mieux obéi que les autres.
Un gouverneur de province se révolte et lui conteste
l'empire. Sa propre armée, mutinée, lui impose un
arbitrage et des arbitres et, finalement, il succombe
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 75
dans la lutte. Ses successeurs ne purent plus compter
que sur des obéissances relatives et des fidélités hé-
sitantes, mesurées juste à la crainte qu ils inspiraient
et aux salaires qu'ils pouvaient donner; si bien que,
au premier succès, la crainte, fouaillant les obéis-
sances, et lapreté au gain, suscitant les fidélités,
montaient i^pidement à son faite une puissance que
le premier revers faisait écrouler et projetait dans
un abîme d*abjection.
Seul, Mohammed fut obéi, au grand ëtonnement
des Arabes eux-mêmes. L ambassadeur envoyé par
les Qoreïcbites auprès de lui , quand il était à Médine ,
leur dit en revenant : «J'ai visité César et Chosroès
dans leurs palais, mais je n ai jamais vu de souve-
rain vénéré par son peuple comme Mohammed l'est
par ses compagnons. » Ses successeurs n*héritèrent
pas de son autorité. Ils purent déterminer de
grandes actions, mais nen furent pas les maîtres,
et trois, des quatre premiers , périrent sous les coups
de leurs sectateurs. Avant Tlslam, les Arabes
n avaient pas eu de chef; de là leur impuissance et
leur inaction. Llslam leur en donna un qui fut
suivi aveuglément et d autres qui le furent beaucoup
moins, assez cependant pour les tenir en corps et
diriger la guerre sainte.
Les armées musulmanes n'eurent jamais d'effec-
tifs bien considérables. Les historiens les réduisent
peut-être pour grandir les succès qu'elles remportè-
rent; elles ne durent cependant pas compter beau-
coup plus d'hommes qu'ils ne leur en attribuent.
76 JUILLET-AOÛT 1899.
Mohammed, dans son expédition do Syrie, avait
avec lui 10,000 cavaliers, 20,000 fantassins et
12,000 chameaux. En 63 1, lors du grand pèleri-
nage, il harangua au mont Ârafa 1 1^,000 musul-
mans ^ On peut évaluer approximativement à
200,000 le nombre des guerriers valides qui sorti-
ront de la péninsule; beaucoup d'entre eux périrent
dans les combats très sanglants qu ils livrèrent en
Syrie et en Perse, et dans- les guerres civiles qui
suivirent; ainsi s expliquent les effectifs de 20 à
3o,ooo hommes que les annalistes donnent aux ar-
mées qui entrèrent en Egypte et en Afrique.
fiCs foudroyants succès quelles remportèrent
peuvent être expliqués par la faiblesse relative de
Tennemi, mais leur tactique y fut aussi pour une
grande part; elles surent marcher vite, attaquer avec
décision, reculer sans hésitation, faire tête ou se
dérober suivant les lieux et les circonstances, et
tout cela d'intuition , sans plan préconçu , au hasard
de l'accident. Si elles eurent une tactique , c'est-à-dire
un ensemble de procédés habituels dans l'attaque et
dans la défense , elles n'eurent pas de plan d'opéra-
tions combiné, et cela, surtout, déconcerta l'adver-
saire.
L'armée arabe comptait beaucoup de cavaliers;
les fantassins, équipés à la légère, marchaient vite,
et les convois de chameaux qui suivaient leur per-
mettaient de se transporter encore plus rapidement
* Depont ot Coppalani , Les confréries religienses musulmanes ,
p. 25.
V
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 77
en montant, A tour de rôle, surles bêtes de somme.
Souvent même, le cheval était réservé pour le com-
bat. Tout Tensemble élait extrêmement mobile et
cohérent, deux conditions nécessaires pour faire
avec succès la guerre de surprises et d'embuscades
que pratiquaient les gens du temps de V Ignorance.
Qu'il s'agisse d'attaquer une tribu du voisinage ou
les étrangers des frontières, le but est le même :
tomber sur Tennemi à Timproviste, annihiler mo-
mentanément la défense, razzier les troupeaux, et
revenir vivement en arrière pour se soustraire aux
retours offensifs d'adversaires souvent très puissants
que la surprise a étourdis mais non abattus. Il n'est
pas question de s'installer sur le sol envahi; dans la
péninsule , il ne vaut pas assez cher et est trop large-
ment ouvert pour qu'on puisse songer à l'occuper ; sur
les frontières , il est commandé par des places que la
surprise n'a pas fait tomber et qui rendent la posi-
tion intenable. L'incursion arabe est éphémère; elle
passe sur le territoire sans y laisser de traces.
Les procédés ne changent pas plus que le but à
atteindre : dérober son approche à l'ennemi , en allant
vite, par des routes peu fréquentées, ou même à
travers le désert, et, en marchant la nuit, battre le
pays en tous sens pour savoir où sont la troupe en-
nemie qu'il faut éviter et le campement de la tribu
qu'il faut razzier; écarter par des ruses adroites
celle-là de celui-ci pour payer la victoire le moins
cher possible; ramasser dans un coup de filet les
troupeaux sans défense, et les emmener rapidement
78 JUILLET-AOÛT 1899.
hors des atteintes de leurs propriétaires, voilà qui
réduit la tactique à une combinaison de marches et
de contre-marches. Toutes les saisons ne sont pas
propices à ces mouvements; les Arabes partaient au
printemps, quand les ondées hivernales avaient
rempli les puits , et rentraient chez eux dès que Tété
commençait à les tarir. Voilà qui fait de la guerre
une simple expédition de pillage.
Procope nous dit de Mondhir III, roi de Hira,
que « les ennemis ne pouvaient jamais le joindre
quand ils étaient en force, car il était toujours par-
faitement informé de leur marche et il mettait tant
de promptitude dans ses expéditions qu il revenait
chargé de butin avant qu'on eût le moindre soupçon
de ses mouvements. Si parfois il rencontrait quelque
corps de troupes envoyé à sa recherche, il fondait
sur lui avant qu'il eût pu se reconnaître et le mettait
en déroute ^ ».
Les batteurs d estrade tiennent sans cesse larmée
au courant des mouvements de lennemi; celui-ci
est-il au loin , les escadrons s'éparpillent et jettent de
grands coups de filet sur le pays découvert; sentent-
ils le contact de l'adversaire , ils se replient et se
massent pour battre en retraite , s'ils jugent la ba-
taille inutile, ou pour attaquer s'ils se sentent en
force.
Les engagements sont acharnés ; ils commencent
souvent par des combats singuliers et ne cessent que
' Ck>inp» N. Desvergers, p. 82.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 79
lorsque Tun des adversaires plie. Les deux lignes
s'abordent de front et se jettent Tune sur Tautre,
s écartent, puis reviennent; c'est « el kerr ou ITerr »
lattaque et la retraite, familières aux armées musul-
manes de tous les temps , qui ont heurté les escadrons
du prince Eugène à Peterwardein et tournoyé autour
des carrés républicains aux Pyramides. Quand deux
troupes arabes s abordent , leur mobilité rend la ba-
taille peu sanglante; la ligne faible plie vite el sa
fuite rapide la soustrait au massacre si elle ne se
laisse pas culbuter, envelopper et anéantir. (A Nahr-
wan, les û,ooo Khaouaridj révoltés contre Ali, fu-
rent tués presque jusqu'au dernier) ; quand les armées
des Khalifes rencontrèrent celles de Byzance, ce fut
autre chose. Nous avons vu quelle était la tactique
des Grecs, combien ils étaient méthodiques dans
leurs marches , solides et massifs dans leur ordre de
bataille. Il fallut aux Arabes tout Tenthousiasme qui
les animait pour entamer celui-ci , et ils durent ris-
quer plus dune attaque avant dy réussir. Tls ne
semblent pas avoir pris de dispositions spéciales pour
rompre fennemi ; ils chargèrent de front, perdirent
sûrement beaucoup d'hommes, mais revinrent sans
se lasser, jusqu'au moment où le Grec céda le
terrain. Ils ne durent la victoire quà leur indomp-
table ardeur. Ils étaient insaisissables et harcelaient
sans cesse l'ennemi; celui-ci rompu, la retraite pou-
vait facilement tourner en déroute. La bataille de
Qadisïah dura trois jours; celle de Fihl coûta
80,000 hommes auxRoums. Ces derniers» eussent-
80 JUILLET-AOÛT 1899.
ils été vainqueurs, n auraient trouvé le lendemain
devant eux que la plaine déserte et auraient eu , le
surlendemain, à soutenir un combat plus furieux
que le premier. La mobilité des Arabes ne permet-
tait pas de les atteindre; on ne pouvait les frapper
que de deux façons : en faisant une pointe hardie
sur leurs propres territoires, en les razziant comme
ils razziaient les autres; ce fut la tactique des Ro-
mains et la nôtre en Afrique; le Grec, en Syrie, ne
pouvait faire de même; ou en lenveloppaiit, ce qui
nécessitait dans les mouvements une plus grande ra-
pidité qu'il n'en avait lui-même, condition impos-
sible à remplir. Une fois pris au piège, il se fût, du
reste , défendu jusqu à la mort , et la victoire eût coûté
cher, car s'il ne voit aucun déshonneur à plier vi-
vement en retraite devant une troupe supérieure
en nombre, il fait souvent tête aussi, tient jusqu'au
bout et ne consent jamais à se rendre. « Attaqués à
Dhou-Kar par les troupes de Chosroès, les Benou-
Bekr renoncèrent à fiiir. Handhalah, fils de Tha-
labah , pour anéantir chez les siens toute pensée de
retraite, coupa les sangles qui retenaient les litières
des femmes sur le dos des chameaux ^ » Surpris à
Tahouda, *Oqbah ibnNafi* brise le fourreau de son
sabre, ses compagnons l'imitent et tous meurent en
confessant l'Islam.
L'heureuse issue de la bataille rangée a livré à
l'Arabe le plat pays; il y répand ses troupes, rafraî*
' N. Desvergrrs, p. 86.
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 81
chit ses montures , puis revient au pied des places
fortes; là, les difficultés commencent. Un bel élan
suffisait pour bousculer l'ennemi en rase campagne ;
il faut, pour s'emparer des villes, une science et des
moyens qui font défaut au vainqueur; aussi se con-
tente-t-il de les bloquer. Nourri grassement par le
pays, il attend la chute inévitable dune place que
nul ne songe à secourir. Mo^aouïah ibn Abi Sofiân
guetta ainsi pendant quatre ans la reddition de Qaï-
sariah. Souvent un heureux hasard livre la ville.
Damas succomba de la sorte après quelques mois
d'investissement. Les sièges sont le côté faible de la
tactique arabe; une cité qui tient peut inquiéter
beaucoup Tenvahisseur et, en combinant ses sorties
avec une autre place, lobliger à quitter le pays. Il
s y résoudra, il est vrai, volontiers, car la conquêle
nest pas le but de son expédition. Ce qui l'attire
avant tout, c'est le butin et, pourvu qu'il puisse l'em-
porter, il se tiendra pour satisfait.
La gro5se affaire, après la bataille, c'est le par-
tage des prises. Le prophète lui-même l'avait réglé.
« Le lendemain du combat de Bedr, Mohammed
donna Tordre de rassembler et de lui présenter tout
ce qui avait été enlevé à l'ennemi. Chacun s'em-
pressa d'apporter devant lui les objets qu'il avait re-
cueillis. De vives discussions s'engagèrent alors sur
le partage. Ceux qui avaient fait le butin disaient :
« Il est à nous. » Ceux qui ne s'étaient occupes qu'à
combattre et à poursuivre les Mekkois répondaient :
XIV.
iiirKiMi'.aii; «aiioali..
82 JUILLET-AOUT 1899.
« Sans nous vous n auriez rien pris. » Enfin, les An-
sars, qui avaient gardé Mohammed, réclamaient'
leurs droits en disant : « Nous aurions pu également
« combattre avec les uns ou piller avec les autres si
« Tintérêt de la sûreté du prophète ne nous eut re-
« tenus ici. » Afin de terminer ces débats, Mohammed
déclara que le butin appartenait à Dieu et que son
prophète en disposerait. Plus tard , il le répartît par
portions égales entre tous les musulmans qui l'avaient
accompagné dans cetle expédition ^ » Lors de la cam
pagne contre les lîenou Koraïzhah, il inaugura une
autre pratique on prélevant le quint de Dieu (Khoums)
et en donnant les quatre autres cinquièmes aux mu-
sulmans, à raison de trois parts par cavalier et d'une
part par fantassin ; la même proportion fut observée
lors de la prise de Khaïbar; le prophète voulait dé-
velopper la cavalerie, qui, lors des premières expé-
ditions, était très faible dans Tarmée de Tlslam. On
suivit toujours plus tard cette même règle pour le
partage.
Butin sous -entend pillage et évoque la ruine des
populations vaincues. .Celles-ci cependant ne furent
pas généralement maltraitées. Les habitants du plat
pays durent endurer de cruelles souffrances, mais
dès que les Arabes trouvèrent devant eux une cité
populeuse ou une province organisée capables d'op-
poser une résistance sérieuse, ils préférèrent traiter.
Kn envoyant S(»s troupes contre Sergius, Ahou-Bekr
^ (laussin de Pcircxal, Jnurn. <isiat. , l'évr. 1839.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 83
avait dit aux chefs : « Fidèles serviteurs de Dieu et
de son prophète, gardez-vous de traiter durement
vos soldats, car vos soldats sont mes enfants. Rendez
à tous une égale justice ; les injustes ne prospéreront
pas. Combattes vaillamment et mourez, s'il le faut,
la face tournée vers Tennemi , mais qu il ne vous voie
jamais fuir devant lui. Si vous êtes vainqueurs, épar-
gnez les vieillards, les enfants et les femmes. Ne
, coupez pas les palmiers, ne brûlez pas les moissons,
et ne prenez du bétail que ce qu'il en faudra pour
votre nourriture. » Ces prescriptions ne furent pas
toujours obseiTées au pied de la lettre; cependant
nous voyons Abou ^Obeïdah accorder aux habitants
de Damas la vie sauve , la disposition de leurs biens
particuliers et la permission de conserver sept églises
pour la célébration de leur culte. ^Ornar, visitant le
Saint-Sépulcre « s aperçut que l'heure de la prière
était proche. Il demanda au patriarche où il pouvait
sacquitter de ce devoir et refusa de le faire dans
féglise même, ainsi que le lui proposait Sophronius :
« Si je ne veux pas prier dans une église chrétien-
« ne, lui dit-il , c'est dans votre intérêt, car les musui-
« mans s'empareraient aussitôt de ce temple et rien
« ne pourrait les empêcher de prier à leur tour dans
« le lieu où leur Khalife aurait fait sa prière. » Il se
retira «n conséquence sur les degrés extérieurs de
l'église et, s'étant tourné du côté de la Mekke, il ré-
cita le Naînaz ^
' N. Desvergers, p. 233.
84 JUILLET-AOÛT 1899.
Souvent le général passa des traités en forme
avec des cités ou des populations. Emèse et Ki-
nésrine achetèrent la paix à Abou ^Obaïdah moyennant
10,000 pièces d'or et 200 robes de soie; il remet-
lait en liberté les habitants qui s'engageaient à ne
pas reprendre les armes et à payer le tribut.
Les villes prises servaient de base aux nouvelles
opérations militaires. Souvent aussi les envahisseurs
construisirent des réduits mieux placés à leur con-
venance que les cités existantes. Ils les appelaient
Ribats, C'étaient de petits postes assez semblabl s à
ceux que nous avons trouvés chez les Berbers, et qui
protégeaient la frontière de la maison de V Islam contre
les retours offensifs des hommes de la maison de la
guerre. «Un historien arabe rapporte que, de son
temps , il y avait une ligne non interrompue de ribats ,
sur la frontière musulmane , depuis TOcéan Atlan-
tique jusqu'à la Chine ^ » Si le réduit était plus
important et placé dans une position plus centrale,
il prenait le nom de Qairoaân, Basrah n'est pas autre
chose qu'une place de ce genre, fondée par ^Otbah
ibn Ghazouan sur l'ordre du Khalife *Omar. Les
Arabes n'eurent pas lieu d'établir beaucoup de postes
nouveaux ; ils trouvèrent à peu près partout les points
stratégiques déjà fortifiés et n'eurent qu'à les occu-
per. Le fait contraire se produisit cependant en
Afrique.
* Ibn Klial{I;)un, J, p. >^'^,
\
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 85
Les Arabes ne firent jamais qu'une guerre d aven-
tures. La foi religieuse les poussait à travers les
obstacles; ils les franchissaient, toujours insoucieux
du lendemain , jusqu'à celui qui devait les arrêter, et
revenaient en arrière, sans fausse honte ni grands
regrets, marris seulement du pillage manqué et
conservant au fond de leurs cœurs de grands enfants
Fespoir d'une vague revanche, quand les temps se-
raient meilleurs et que Dieu le permettrait. Un fait,
peu observé jusqu'ici, contribua puissamment, avec
la pente naturelle de leur caractère , à les faire si in-
stables : c'est qu'ils se battirent toujoiu's, ou peu s'en
faut, dans le même climat, et qu'aucune attraction
plus puissante que le prosélytisme et le pillage ne
les sollicita. En Mésopotamie et en Afrique, dans
le Ma-ouera-oun-Neher comme en Espagne, ils re-
trouvent le même soleil qui chauffe leurs passions
indécises, et la même lumière qui baigne leurs nerfs
tour à tour trop tendus et trop lâches. C'est partout
le même sol et partout la même vie. En tout lieu , ils
se trouvent bien; ils sont toujours chez eux et nulle
part ils ne savent se faire une patrie, parce que par-
tout ils retrouvent la lumière, la chaleur et la vie
facile. Les barbares, nos pères, ont battu, pendant
quatre cents ans et plus, les frontières de Rome, de
coups mesurés, lents et tenaces; ils venaient du Nord
o! ils avaient froid ; ils venaient de plaines stériles et
ils avaient faim; ils voyaient, à travers les murs
d'Hadrien ou de Trajan , briller la splendeur de l'Em-
pire, et ils en voulaient leur part; la chaleur du
86 JUILLET-AOÛT 1899.
Midi , sa fécondité et son luxe les attiraient invinci-
blement et, toujours repoussés, ils revenaient tou-
jours plus ardents. Le froid, la faim, le désir de l'or
leur inspirèrent une volonté, des idées stratégiques,
des ruses et des expédients , et finalement ils rempor-
tèrent. Une fois installés au foyer liunineux qu*ils
avaient si longtemps souhaité, ils le défendirent
jalousement contre les autres envahisseurs, se ter-
rèrent en leur coin et n'en voulurent plus sortir.
Chaque tribu s'attacha au canton qu'elle avait con-
quis, en fit sa patrie et tous ses efforts nont plus
tendu, depuis, qu'à protéger le sol occupé, à l'agran-
dir et à l'embellir. C'est de propos délibéré que les
barbares mirent le siège devant la citadelle impé-
riale; ils l'investirent méthodiquement et, une fois
prise , l'aménagèrent à leur guise pour y rester tou-
jours. On peut, A travers les temps, mesurer leurs
cheminements, observer leurs efforts d'organisation,
déterminer leurs ambitions et leurs procédés, suivre
pas à pas leiur lente, patiente, invincible marche
vers le progrès. C'est qu'ils ont , au fond d'eux-mêmes ,
latente et obscure chez la plupart, claire et ribrante
chez quelques-uns « Timpression nette de la tradition
qu'il faut respertei* et la conception précise de l'a-
venir qu'il faut atteindre.
Rien de tout cela chez l'Arabe, mais une impul-
sion subite, irrésistible; en lui-même, une grande
force; chez l'adversaire , une grande faiblesse. ^Ibadah
l'a dit : « sa préoccupation est devant lui » , entre ciel
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 87
et terre, et 1 appelle toujours; il y répond et brûle
sa vie pour atteindre plus tôt à la félicité suprême;
ce bas monde l'intéresse peu et il ne se soucie guère
de l'ordonner : sa législation est simple et son gou-
vernement est primitif.
( La suite au prochain cahier. )
i*>(^
.. lui li .
mI'HU/
J
I •
88 JUILLET-AOUT 1899.
LES
SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA
PAU
M. RENÉ BASSET,
CORRESPONDANT DE I/INSTITUT,
DIRECTEUR DE L'ECOLE SUPERIEURE DES LETTRES D'ALGER.
(suite et fin.)
53. U oratoire de Masloiiken.
m
Maslouken était d'Imersaoun ; il était extrêmement
hospitalier pour les cheïkhs et les docteurs du Dje-
bel Nefousa. Ech Chemmâkhi cite plusieurs mi-
racles dont il fut Tobjet. Un jour qu*il était allé
visiter la sainte célèbre Zoughah el Irdjânyah, il
s'arrêta pendant une journée à Adjelazen, lava ses
vêtements, fit rôtir une brebis, la mit sur une nappe
et pria Dieu de lui pardonner ses péchés et de lui en
donner la preuve par un miracle : à savoir qu'il
trouverait le chien de Zoughah mort ou absent, et
son mari à Edh Dhârah ; en outre , que la première
chose qu'elle mangerait serait telle part du mouton
qu'il plaça en dessous. Tout se passa comme il l'avait
souhaité (Ech Chemmâkhi, Kitâb es 5rVir, p. ifio).
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 89
54. U oratoire d*Abou Meïmoun à Idjeitâl,
Idjeitâl est un qsar de Rahibat , dans le moudiriah
dlfren. Au milieu de ruines, et à Test, est une mos-
quée qui porte le même norn. Quant au qsar actuel,
il est divisé en deux parties : celle de Test est peu-
plée moitié d'Abadhites, moitié d'Arabes; celle de
Touest ne renferme que des Arabes. Le qsar compte
en tout i5o maisons (Brahim en Nefousi, Relation
da Djebel Nefoasa, p. rï^-rc; de Motylinski , Le Dje-
bel Nefoasay p. 95-96). On trouve ce nom écrit de
diverses façons : JUaAs^!, jUa^c^, Jlka^! et même
Jlk^. L ethnique est JtMl. De ce qsar, important
au moyen âge, sont originaires un certain nombre de
personnages célèbres : 0mm ZâVour, femme d'Abou
^Obeïdah et Tighermini, dont Ech Chemmâkhi rap-
porte plusieurs miracles [Kitâb es 5iar, p. 249). —
Abou Tâher Isma^ïl ben Mousa el Djitâli, auteur
de plusieurs traités : -Uw^! *>^l^, commenté par
Abou ^Abdallah Mohammed el Kosbi, autographié
au Qaire; ^IJJiJ!, également autographié au Qaire;
un commentaire en trois volumes sur le poème en
noan, composé sur les fondements de la religion par
Abou Nasr Fath ben Nouh de ïamlouchaït (voir
n® 22); un traité sur le compte et le partage des
successions; un livre du pèlerinage; des poésies où
il célèbre Abou'l ^Abbâs Ibn el Mekki , souverain de
Gabès, dont l'intervention le tira de la prison de
Tripoli où Tavait fait jeter Témir de cette ville, Ibn
Thâbit. La prise de Tripoli (77 5 de Thégire, i354
de J.-C.) par Roger de Loria, arrivée peu après, fut
90 JUILLET-AOÛT 1899.
considérée comme TefFet de la malédiction d'IsmaHl.
En sortant de prison, il se rendit à Djerbah où il
fut bien accueilli par les cheikhs. A cette époque,
on ny abordait qu'en bateau, jusqu'à ce quune
chaussée fut construite sous le règne de *Abd el *Aziz
Abou Fârès. Il s'installa dans la grande mosquée où
il enseigna et mourut en Tan ySo (iS/ig-iSSo de
J.-C.) (Ech Ghemmâkhi, Kitâb es SioTy p. 556-559;
Abou Ras, Description et histoire de Vile de Djerba^,
p. 8; Brahim en Nefousi, Relation du Djebel Nef oiisa y
p. rjc; de Motylinski , Le Djebel Nefoasa , p. 9^-96,
note 3). — Ayoub el Djitâli suivit d abord les le-
çons dlsmaM; puis, quand celui-ci fut parti pour
Tripoli et Djerba, celles d'Abou Sâken ech Ghem-
mâkhi, avec qui il lut le traité d'Abou Ya^qoub You-
sof ben Ibrahim de Ouai^la; c'est ainsi que la trans-
mission n'en fut pas perdue. Un jour qu'il avait sept
disciples étrangers à loger, il les conduisit à la mos-
quée et invoqua la générosité des fidèles. L'un d'eux,
qui n'avait pas d'enfants, ofiBit de s*en charger; pour
l'en récompenser, Dieu lui accorda sept fils grâce à
la bénédiction du cheikh (Ech Ghemmâkhi, Kitâb
es Siar, p. 562-563).
55. On va ensaite à un oratoire à Foum Ghâràh.
56. L'oratoire d'Abou Solaimân el Ineri,
Abou Solaïmân el Ineri était un personnage ver-
* Ed. Exiga; Tunis, i884, petit in-8". La date de 780 donnée
par Abou Râs doit être rectifiée.
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEPOUSA. 91
tueux, très lié avec Ahou Zakarya ben ^Abdallah.
D après une anecdote, citée par Ech Chemmâkhi,
sur ses relations avec le cheïkh Abou Haroun Mousa
ben Haroun, il paraît avoir été dun caractère assez
peu charitable et porté à l'exagération religieuse (Ài-
tâb es SiaVy p. 34o-34i).
57. La caverne de Taoukit,
Cet endroit est déjà mentionné par Ech Cheni-
mâkhi : c'est là qu Abou Zakaryâ envoya \bou Ha-
roun Mousa ben Haroun faire pénitence pour le
réconcilier avec Abou Solaïmân el Ineri [Kitâb es
iSior, p. 34o).
58. Uéglise de Temezda.
Temezda est située au sommet dune berge, à
louest de Regreg , dans le moudiriah de Fosato ; au
nord et à Touest de ce qsar on voit deux mosquées
dont lune est appelée apostolique (i^^t^^). Dans les
vei^ers qui entourent Temezda, il existe deux mos-
quées , dont lune , d'origine ancienne , porte aussi le
nom de « grande mosquée apostolique » ; c'est sans
doute d'elle qu'il est question ici. On y voit des
piliers portant des inscriptions incompréhensibles et
les tolba racontent qu elles sont dues à des popula-
tions païennes antérieures à Mohammed. Le qsar
comprend 200 maisons (Brahim en Nefousi, Rela-
tion du Djebel Nefousa, p. r^; de Motylinski, Le Dje-
bel Nefousa, p. 91-94). Quand l'imâm rostemide de
Tiharet 'Abd el Ouahhàb voulut faire le pèlerinage.
02 JUILLET-AOÛT 1899.
après avoir purifié ses Etals, il fut retenu par les
Abadhites du Djebel Nefousa qui craignaient pour
lui les *Abbâsides de Baghdâd. Il envoya un homme
de Temezda consulter les deux cheikhs les plus vé-
nérés : Abou *Omar er Rabi^ ben Habib et Ibn *Ab-
bâd. La réponse fut qu'il devait s'abstenir. Alors il
chargea un homme de Temezda de faire le pèleri-
nage à sa place et resta sept ans au Djebel Nefousa
à sinstiTiire (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 1 58-
iSg; Abou Zakaryà, Chronique y p. 121-126; de
Motylinski , Le Djebel Nefousa , p. gS, note 1). C'est
à Temezda que fut enterré Abou Zakaryâ Yahya ben
'Omar ben .\bou Mansour Elyâs, petit-fiîs du célèbre
gouverneur du Djebel Nefousa (Ech Chemmâkhi,
Kitdb es Sinr, p. 82 1).
59. On se dirige ensuite vers un oratoire à Tenzadj,
près du tombeau..
60. Sept (monuments) consacrés à Abou Zeïd el
Mezghourti.
Timezghourah est un qsar du moudiriah de Fo-
sato, divisé en deux bourgades, au milieu de ruines.
On y voit encore la mosquée construite par Abou
Mansour Elyâs ^ Le qsar compte 100 maisons (Bra-
' La biographie cl*Abou Mansour Elyas a été écrite par Ed-Der-
(Ijini dans le Kitâb et Tabaqât (cf. A. de Motylinski , Les livres sacrés
de la secte abadJiite, p. 3i). 11 était originaire de Tendemira. La
bénédiction d'Abou Mirdâs Mohâser lui porta bonheur. Elyâs le ren-
contra un jour allant à Tidji les pieds nus et ensan^antés par les
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 93
him en Nefousi, Relation da Djebel Nefoasa, p. rr;
de Motylinski, Le Djebel Nefoiisa, p. gj-gi). Ce
épines et lui donna ses sandales. «Que Dieu écarte de toi ce qui le
mécontenterait, dit le cheïkh, qu'il t'accorde ce qui le satisfera!»
Le jeune homme se sentit alors un vif désir d'atteindre le plus haut
degré de la science et des honnes œuvres. Après la mort d'Ahou
Dzarr ben'Ahân, il fut nommé gouverneur du Djebel Nefousa par
rimâm Abou'l Yaqzhân Mohammed ben Aflah, et, en cette qualité,
il dut continuer la lutte contrôle 61s de Khalef ben Samah qui avait
hérité des prétentions de son père sur le Djebel Nefousa et était
appuyé par les Zouâghah. Il s'avança contre lui jusque Himou, dans
les environs de Tripoli, et les dissidents ayant repoussé les propo-
sitions d'un homme des Benou Yahrasen pour terminer la l.itte sans
effusion de sang, un combat s'engagea dans lequel le fils de Khalef
fut vaincu. Ils se retirèrent avec lui à Djerbah , mais Abou Man-
sour ne leur donna pas le temps de fomenter de nouveaux troubles,
n acheta pour loo dinars le Zouaghi qui protégeait le fils de Klia-
lef et qui , en recevant l'argent , n'hésita pas à avouer : « Quand tu
serais venu nous demander même nos enfants, nous te les aurions
livrés (à ce prix).» Le fils de Khalef fut amené au Djebel Nefousa
et on lui coupa le pied après l'avoir consulté, en sa qualité de
cheïkh, sur l'endroit où devait avoir lieu l'amputation. Le bruit
courut qu'il était revenu ensuite à la pure doctrine abadhite, à la
suite de cette opération. Plus tard, El 'Abbâs, fils d'Ahmed ben
Touloun, souverain presque indépendant de l'Egypte, profita de
l'absence de son père, occupé à guerroyer en Syrie, pour marcher
avec 800 cavaliers et 10,000 fantassins nègres à la conquête de la
Tripolitaine et de l'Ifriqyah, au milieu de djomâda i" 2G6 de l'hcg.
(880 de J.-C). il battit Mohammed Ibn Qorhob, gouverneur aghla*
bite de Tripoli, s'empara de Lebdah et vint assiéger Tripoli. Les
habitants ou, suivant d'autres, Ibn Qorhob, ne comptant plus sur
les secours de l'Ifriqyah , s'adressèrent à Abou Mansour Elyâs , car
le royaume abadhite était aussi menacé qu'eux en cas de succès des
Egyptiens, 11 arriva avec 12,000 Nefousa, battit El 'Abbâs à Qasr
Hatim et l'obligea à rétrograder. Abou Mansour eut pour successeur
dans son gouvernement El Adah ben El 'Abbàs qui fut vaincu à Ma-
non (cf. EcIj Cliemmàkhi, Kitâb es Siar, p. 22 '1-2 25; Abou Zakaryà,
Chronique, p. 188-19'»; Ibn 'Ad/.ari, Histoire de l'Afrique et de
94 . JUJLLET-AOÛT 1899.
nom se trouve aussi écrit i)jày^ pour f^jy^y* On
cite comme personnages célèbres de ce qsar : Abou
Mousa ben *Isa et Termesi, qui ne se maria pas
pour s'adonner tout entier à ia science, alla vers la
fin de 700 de iliégire (i3oi de J.-C.) s'établira
Mezghoura, fit ie pèlerinage en 704 (i3o6'i3o5) et
mourut en 722 (i322-i3a3) (Ech Ghenîmâkbi,
Kitâb es Siar, p. 553). — D'après Abou *Abd .\llah
ibn ech Gheïkh, la mosquée de Mezgboura réunit
quelque temps les trois plus illustres cheikhs du Ne-
fousa : Abou *Aziz , Abou Tàher IsmaM et Idrâsen
(Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 556). Abou
Tâher Isma*ïl (voir n° 53) s était fixé à Mezgboura et
refusa de la quitter malgré la guerre qui éclata entre
cette ville et la sienne. Aux démarches faites par les
siens, par fintermédiaire d'un Arabe, il répondît :
« Que Dieu \ eus disperse par un nuage de pluie ». Bs
fEspatfne, l. I. p. ii2-ii3; Maqrizi, Kltiiat, Bouiaq, 1370 de
rii/'g. , 3 %oi. in-foi. , t. I. p. 330-32 1; Tarikhi Monadjdjim Baehi^
Constantinopl(\ is85 de i'bég., 3 voL in-4*, t. Il, p. 333; Ibn
Khaldoan, Histoire de C Afrique et de la Sicile, p. 56 du teite, 138
de la trad.; Jbii el Athir, kàrnil , L Vil, p. 139; Ai>oul Mafaasin
Ihn Tagriberdi, En \odjoum e:h Zhùhinik, éd. Juynboll, Lejde,
i852-i86i, 3 vol. iii-8% t. II, p. 4i et non 3^1, comme il est dit
par erreur dans une note crailleurs incomplète de la Revue afri-
caine, 1898, p. 35o, note 1; El Ya'qoubi, Descriptio al Magribi,
«'•d. de Goeje, p. v, trad. p. 56 et note 1, p. 56-07; Ibn Sa*îd, Frag-
mente aus dem Magrih , <»d. Vollers, Berlin, 1894, in-8% p. f'-M;
Weil, Geschichte der Chalijen, Mannheini, 18.^6, 3 vol. in-8*, t. H,
p. i 3 9 ; Roorda , Ahul A bkasi Amedis , Tulonidarum primi , vita , I>eyde ,
1 83Ô , in-A*, p. 37-38 (citant Kn Nouaïri , p. 8.*i-85 ) ; Mercier, Histoire
de l* Afrique septentrionale , t. I, p. 291-292; Fournel, Ijes Berhers ,
t. I , p. 563-560 ; de Motyliuski , Ia.' Djebel ^efousa. p. 9 1-93 , noti* 5.
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 95
se montrèrent si consternés que le messager ne put
s'empêcher de leur dire : « Et qu eussiez -vous donc
fait s'il vous avait dit : par un nuage de pierres ? » (Ech
Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 558-559).
61. Les sept monuments d'Aboa ^Obeîdah ^Abd cl
Hamid el Djenaouni,
El Djenaouni est l'ethnique arabisé d'Ignaoun,
qui parait être le pluriel d'agnaou «noir», y GlN^
Ce qsar existe encore dans le moudiriah de Fosato ,
mais déchu de son ancienne prospérité. Il est bâti au
fond d'une gorge et entouré de tous côtés par le
rocher. On y cultive des palmiers et point d'oliviers,
alors qu'au temps d'Ech Chemmâkhî la source
d'Ignaoun arrosait ia,ooo de ces arbres. Lemaqâm
d'Abou ^Obeïdah existe encore aujourd'hui , près de
celui de *Ammi Yahya, au dessus du qsar(Brahim
en Nefousi, Relation du Djebel Nefousa, p. M; de
Motylinski, Le Djebel Nefoasa, p. 88).
Abou *Obeïdah 'Abd el Hamid el Djenaouni était
à Ignaoun pendant le long séjour qu'y fit l'imâm
rostemide *Abd el Ouahhâb au lieu d'aller en pèleri-
nage, et conseilla aux Abadhites de garder les enfants
nés des gens de la suite de l'imâm et des femmes du
pays. Ech Chemmâkhi fait mention de sept mosquées
où chaque nuit il priait Dieu : le souvenir s'en est
conservé dans cette station de visites pieuses. A la
mort d'Es Samh ben 'Abd el A*la, gouverneur du
' Cf. mon mémoire sur h's noms des couleurs el des ituHaujc che:
les Berbères, Paris, 1890, in-8", p. 29-30.
96 JUILLET^AOÛT 1899.
Djebel Nefousa pour ^\bd el Ouàhhâb, celui-ci
refusa d'accepter la désignation de Khalef, fils du
défunt, pour remplacer son père et choisit Aboul
Hasan Ayoub, qui mourut peu après. L'imàni
confirma alors le choix fait par les Nefousa d'Abou
'Obeïdah ^\bd el Hamid : celui-ci fit d'abord des difïi-
cultes, se retranchant derrière sa faiblesse, mais
fimâm repoussa ses excuses et maintint sa décision ,
en conseillant au nouveau gouverneur de s'adresser,
s'il manquait de science, à Abou Zakaryâ Yahya, et,
s'il manquait d'argent, au trésor des Musulmans.
Khalef n'accepta pas la décision qui le privait de la
succession de son père et commença les hostilités.
Sur le conseil de ^\bd el Ouahhâb et de son succes-
seur El Aflah, Abou 'Obeïdah essaya d'abord de la
patience, mais Khalef, encouragé par ce qu'il prenait
pour de la faiblesse, augmenta d'audace, pilla les
biens de ses adversaires et tua ceux qu'il put saisir.
Abou ^Obeïdah le vainquit à Idref, et, dans une
seconde bataille, il remporta la victoire avec 700
hommes contre /io,ooo, le i3 de redjeb 221 de
l'hégire (2 juillet 836 de J.-Ç.). Khalef se retira à
Tamti , où il mourut. .\bou ^Obeïdah fut remplacé
après sa mort par El ^\bbàs ben Ayoub (Abou Za-
karyâ, Chronique, p. 1 44-173; Ech Chemmâkhi,
Kitâb es Siar, p. 179-189; de Motylinski , Le Djebel
Nefousa y p. 88, note 2). Sur un miracle dont l'ora-
toire d'Abou ^Obeidah fut le théàlre après sa mort,
>oirn°86.
Parmi les autres personnages célèbres d'fgnaoun,
LES SANCTUAffiES DU DJEBEL NEFOUSA. 97
on connaît Aboui Leïth el Djenaouni; toutefois
quelques-uns disent qu il était Berbère et non Ne-
fousi d'origine, mais qu'il habitait ce qsar. Un jour,
sa femme lui annonça que le lait de leur vache dimi-
nuait; il reconnut que ce fait provenait de l'affai-
blissement de la justice \ monta à Djadou où il trouva
le gouverneur du Djebel Nefousa, Abou Mansour
Elyâs (voir note i du n** 60) , qui frappait un homme
à cause d une lettre venue de Taimati. Il intervint en
disant ; « Tu frappes les gens pour du noir sur du
papier, Elyâs ! » (^Ult b ^Ul! oyà3 fjJiaJi ^ :^y>^),
et il lui conseilla de renvoyer l'homme en prison et
de faire rechercher par des gens sûrs si le fait dénoncé
dans la lettre était vrai. Il se trouva qu'il était faux
(Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 2^2). — Le
cheïkh Ibn Moghtir el Djenaouni, contemporain de
l'imam ^Abd elOuahhâb; il est le héros dune anec-
dote tronquée dans Ech Chemmâkhi [Kitâb es Siar^
p. i43), mais donnée dune façon plus complète
dans Abou Zakaryâ [Chronique , p. 127-128). — Le
cheïkh Abou Ma^bed el Djenaouni quitta sa ville
natale pour étudier à Qantrarah sous la direction
de SaM ben Younèsi II refusa ainsi que ce dernier
d'aller à Manou (Ech Chemmâkhi, Kitâb es SiaVy
p. 242-243). — Abou'l Kheïr Touzin el Djenaouni,
* On trouve une anecdote seniblable dans Et Tortouchi, Sirâdj
cl Molouk (Boulaq, 1289, *n-8^ p. 77), citant Ibn 'Abbâs; elle a
été reproduite par Ahmed el Ibchihi, Kitâb el Mostalref, Boulaq,
1292 de l'hég. , 2 vol. in-/i°, t. I, p. 126; et d'après ce dernier, par
Belkassem ben Sedira, Cours de littérature arabe, Alger, 1879,
in-12 , p. 57.
XIV. 7
IlirBIMlIBIlt «ATIOXiLE.
98 JUILLET-AOÛT 1899.
dont les prières étaient exaucées; Ma'bad el Dje-
naouni et son fiis qui étudia à Qaïrouân , où les tolba
abadhites étaient en grand nombre (Ech Ghem-
mSkhi , Kitâb es Siar, p. 3 3 8-3 3 9). — Abou Zakaryâ
Yahya ben El Kheïr ben Aboul KheïreJ Djenaouni,
qui étudia longtemps auprès d'Abour Rebi^ So-
laïniân dans la mosquée d'Abnain ((j^Ià^I). A cette
époque on tendait dans les mosquées du Djebel Ne-
fousa un voile qui les séparait en deux, et derrière
lequel se plaçaient les femmes qui venaient assister
aux leçons et à la prière. Abou Zakaryâ Yahya acquit
une grande réputation de science et de piété : con-
sulté par une foule de personnes, il rendait sur-le-
champ sans hésiter des décisions, quel que fût le
nombre des consultants et quel que fût le sujet de
la demande. Parmi ses ouvrages, on cite un traité
en sept parties : sur le jeûne, sur le mariage et le
divorce, sur les testaments, sur les jugements, sur
les salaires, sur le droit de préemption et sur le
nantissement. La seconde partie a servi de base à la
rédaction du chapitre correspondant du Kitâb en Nil y
qui est encore aujourd'hui le code des Abadhites
d'Algérie. Un fragment de cette partie, copie datée
de mohan^m 1 1 83 , existe à Ouargla (cf. R. Basset,
Les manuscrits arabes des bibliothèques des Zaouias de
Ain-Madhi et Temacin, Alger, i885, in-8°, p. 36;
cf. la Risâlah, d'El Berrâdi, ap. de Motylinski,
Les livres de la secte abadhite , p. 1 2 ; Ech Chemmâkhi ,
Kitâb es Siar, p. 53r)-r)37); de Motylinski, Le Djebel
Nefousa, p. 8c), note 1). — Abou Yahya Taoufiq
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 99
el Djenaouni, auteur de plusieurs ouvrages, dans
1 un desquels il énumère divers miracles du Djebel
Nefousa, relatifs au sang des martyrs (Ech Chem-
mâkhi, Kitâb es Siar, p. 543-545).
62. Oratoire de Touzin , dans la forêt.
Deux personnages ont porté ce nom : Abou'l
Kheïr Touzin el Djenaouni (voir n'* 6i), el Aboul
Kheïr Touzin ez Zouâghi (voir n** yi). Jl s*agit pro-
bablement du premier.
63. La mosquée de Mesrata,
Mesrata est la forme arabe du berbère Iniesraten.
C'est dans cette mosquée qu'Abou Ishaq el Ichareni
(voir n*' 83) enferma Abou Zakkâr d'Aghereni Inan,
gendre du gouverneur Aboti Mohammed *Obeïdab
ben Zarotir et Taghermini, pour lui apprendre à
garder ses troupeaux dans les linïîtes (Kch Chein-
mâkhif Kitâb es Siar, p. 2 48).
64* Gharghar en Mâder cm en Bâder.
05. U oratoire de Tekermin,
66. U oratoire de Taliouin,
67. L'oratoire de Gharghar NouKyân,
68. La maison des Benoii ^Abd Allah.
Elle était située à Djadou. On enterra en face le
JPO JUILLET-AOÛT 1899.
gouverneur de Djadou, Abou Mohainined ed Derfi
(voir n'* S!\).
69. IJ oratoire d'Ibn Saadali, appelé par d'autres
Abou Saaxlali,
70. L oratoire d'Abou Yahya Bâli.
7 1 . L oratoire d'Aboul Kheir ez Zouâghi, à Mâder.
Abou'l Kheïr ïouzin ez Zouâghi, contemporain
du prince zeirite Abou Temim el Mo^izz ben Bàdis
(4o6-/i53 de rhégire; ioi5-ioi6, 1061-1062 de
J.-C). C'était un homme vertueux et obéissant à
Dieu, qui le préserva de tout manquement. Tam-
soult (oJ^AâuSf), affranchi de ce prince, layant taxé
à 100 dinars, il alla trouver son ami Abou *Ali el
Fosatoui et lui dit : « Demande pour moi cette
somtne au cheïkh des Nefousa et aux gens bienfai-
sants, pour que je ne sois pas tourmenté par ce
tyran. » Abou *Ali lui répondit : « Je n'intercéderai
pas pour toi pour une somme de 100 dinars, car
je les ai. » Il les lui donna et Abou'l Kheïr les porta
à ïamsoult. La nuit venue , celui-ci vit sa maison se
transformer en dragons et en serpents. Il demanda
ses gardes qui furent chargés d'amener le cheikh.
Ils le cherchèrent à sa place habituelle sans le trouver.
On avertit Tamsoult qu'il était à faire ses dévotions
sur le rivage et qu'il avait une marque à laquelle on
le reconnaîtrait : c'était l'éternuement. H lui rendit
les 100 dinars. Aboul Kheïr voyageait souvent du
:• .; ••• ••• • -
• • • •
LES SANCTUAIRES D[i DJEBEL NEFOUSA. 101
pays des Zouâghah au Djebel Nefousa. Son neveu rap-
porte que des personnages invisibles lui fournissaient
en voyage de la nourriture pour lui et ses compa-
gnons de route , et qu'il s'entretenait avec eux. Quand
il descendait chez les Zouâghah , il mettait un mor-
ceau de fer sur une fenêtre, et, quand il le voyait
rouillé, il disait : « Mon cœur est également rouillé ».
Alors il montait au Djebel Nefousa pour le polir par
les avertissements et la fréquentation des cheikhs.
Ayant un jour aperçu de la lumière sur l'oratoire
d'Abou*Obeïdah(voir n* 86), il s'y rendit et trouva
une femme vertueuse, nommée MoHiqah, en prières.
Elle était entourée d'êtres pareils à des hommes
vêtus de blanc. « Arrête » , lui dirent-ils. 11 attendit jus-
qu'à ce qu'elle eût terminé sa prière et prononcé les
salutations finales; alors il lui demanda de l'eau à
boire. Elle lui en donna : c'était du lait. Après avoir
bu, il lui demanda de l'eau pour faire ses ablutions.
« Prends dans le vase où tu as bu », lui dit-elle. Il le
fit, c'était de l'eau. — Plus tard, il rêva qu'elle de-
venait sa femme. Il lui trouva un mari qui mourut;
elle en épousa un autre , mais enfin le rêve s'accom-
plit et elle devint sa femme (Ech Chemmâkhi , Kitdb
es SioTy p. 336-338).
72. La mosquée de Temidal.
Temidal , en berbère , signifie « les magasins »
(pluriel de tamdelt, oJ*Xjf ). C'est dans cette mosquée
qu'Abou Younès et-Temidali aurait vu s'ouvrir la
toiture et aperçu les cieux : il aurait alors prié son
102 JUILLET-AOÛT 1899.
oncle, Abouch Cha^tha (voir n° 78), de demander
à Dieu que, jusqu'au jour de la résurrection, le
sabré des Abbasides ne prévalût pas sur le Djebel
Nefousa (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 2^2 ).
73. L'oratoire de ^Ammi Tâher, à Acheji,
Achefi, quon trouve écrit tantôt j-ût, tantôt ^^1,
est situé dans le nioudiriah de Fosato ; actuellement
il nest plus peuplé que d'Arabes. La mosquée de
*Ammi Tâher existe au milieu dun ravin entouré
d oliviers (Brahim en Nefousi, Relation du Djebel
Nefoïua, p. IV; de Motylinski , Le Djebel Nefousa,
p. 86)*
D après le cheikh Moqqor (vàr. Moqrin) ben
Mohammed el Boghtouri , 'Ammi Tâher ben Yousof
était originaire du Sahel de Mahadia, de Herougha;
il vivait au temps d'El Mo'izz ben Bâdis. Il possé-
dait des vergers d'oliviers; mais l'impôt de 70 qafiz
d'huile qu'il payait ayant été porté à 700, il résolut
de (|uitter l'Ifriqyah « qui était comme un lac de
sang », sans doute par suite de l'invasion des Arabes
Hilaliens. Il se dirigea vers le Djebel Nefousa, s'ar-
rêta à Djerbah où sa femme perdit la fortune qu'ils
possédaient; puis à Ifren, qui n'était peuplé que de
dissidents : Ouahabyah, Khaiefyah, Hasanyah et
Mestaouah , et non d'Abadhites. Ils lui firent cepen-
dant bon accueil et lui donnèrent 3oo boisseaux
d'orge; mais un songe où il se vit poursuivi par un
fleuve de poix et un fleuve de goudron le détermina
à quitter Ifren. Il se rendit à Taghma, puis à Tar-
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 103
(laït; le cheikh Abou Mousa Isa ben Mohriz le con-
duisit à Djâdou et lui fit assigner par les habitants
un secours de 56 dinâis; il alla ensuite à Ignaoun
où on lui donna 4o qafiz d'huile, puis à Charous
au temps d'Abou ^Amr Maïmoun ben Mohammed;
il y reçut ^o dinars. Enfin il s'établit à Achefi, où il
vécut comme un saint dont les prières étaient exau-
cées (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 342-343;
De Motylinski, Le Djebel Nefousa, p. y 6, note i).
Auprès de son oratoire, on voit dans la roche les
traces d une chamelle , d une bête de somme et d'un
chien qui lui auraient appartenu (Ech Chemmâkhi,
Kitâbes SioTy p. 544; R. Basset, Les empreintes mer-
veilleuses, $ xxvni ^).
74. L'oratoire d'Aoarir Amoqrân, à Tardait.
Aourir Amoijrân signifie en berbère « la grande
colline ». Le qsar des At Tardait existe encore aujour-
d'hui dans le moudiriah de Fosato; il se compose
de deux parties entre lesquelles se trouvent des
ruines provenant des anciens habitants. L'oratoire
dont il est question est peut-êti^ la mosquée de
*Ammi Yahya et-Tardaiti, qui est située au haut
^ d'une berge, en avant du grand qsar (Brahim en
Nefousi, Relation du Djebel Nefousa, p. iv; de Mo-
tylinski, Le Djebel Nefoasay p. 85-86),
75. On se dirige vers la mosquée de Tondjin.
^ lievue des traditions populaires, l. VIIl, iSgS, p. ^99.
104 JUILLET-AOÛT 1899.
76. U église de Taoakit.
De Taoukit est originaire Abou Zakaryâ Isalten et
Taoukiti, contemporain de Timâm rostemide ^Abd
ei Ouahhâb, et célèbre par sa science, au point
quun Abadhite d'Orient qui se trouvait à Tiharet
disait : « Le Djebel (Nefousa) est Abou Zakaryâ, et
Abou Zakaryâ est le Djebel Nefousa» (Ech Chem-
mâkhi, Kitâb es Siar, p. 1 78-1 79; de Motylinski,
Le Djebel Nefousa, p. 96, note 1). Sa biographie a
été donnée par Ed Derdjini dans le Kitâb et Tabaqât
(cf. de Motylinski, Les livres de la secte abadhite,
p. 3i). La mosquée d'Abou Zakaryâ et-Taoukiti
existe encore non loin de Temezda, dans le moudi-
riah de F'osato , au bord d un ravin planté d'oliviers
et près de la mosquée (Téglise apostolique) de Te-
mezda (Brahim en Nefousi, Relation du Djebel Ne-
foasa, p. rh'-Mc; de Motylinski, Le Djebel Nefousa,
p. 94).
78. Les trois monuments commémoratifs d'Abouch
ChaUha es Sentouti.
Sentout, écrit tantôt i^yu^^, tantôt c:>y3j, est un
qsar du moudiriah de Fosato, à lest d'El Gholth, au
sommet d un rocher escarpé en dos d'âne auquel on
arrive par 1 ouest. On y voit xme grande mosquée.
Les habitants tirent leur eau d un puits unique creusé
au pied dun rocher (Brahim en Nefousi, Relation du
Djebel Nefousa, p. M; de Motylinski, Le Djebel Ne-
fousa, p. 85). Abouch Cha^a était un personnage
pieux dont ies prières étaient toujours exaucées. Les
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 105
scrupules qu il manifesta en plusieurs occasions sont
les sujets de divers récits d'Ech Chemmâkhi. Les
femmes de Tadinah assistaient à ses leçons avec leurs
enfants et rentraient ensuite chez elles, ce qui pas-
sait pour un miracle, car la distance de Sentout à
Tadinah est de 2 4 milles (Ech Chemmâkhi, Kitâb
esSiar, p. 2^6-247).
79. L'oratoire de Tadjloatet,
80. On se dirige vers l'oratoire de Tazrout (ia petite
roche).
8 1 . Vers l'oratoire de Tadjdimet,
82 . La mosquée d'Icharen .
Icharen, aujourd'hui Charen, dont la mosquée
est encore célèbre de nos jours, est située à lest des
ruines d'Idref, dans le moudiriah de Fosato; les
habitants possèdent beaucoup de palmiers et de bre-
bis (Brahim en Nefousi, Relation du Djebel Nefousa,
p. i5; de Motylinski, Le Djebel Nefousa, p. 8/i).
83. La mosquée d'Abou Ishaq,
Il s'agit dWbou Ishaq el Ichareni , homme instruit ,
vertueux et inflexible. Quand, de retour de son tra-
vail, il allait à la mosquée et ne trouvait personne,
il disait : « Qu'est-ce que cela ? gens d'fcharen ; vous
êtes devenus peu nombreux » ^jLû! Jjt\ L \S^ U
^jLû! ^yàa (jouant sur le sens du mot achchar « peu
100 JUILLET-AOÛT 1899.
nombreux» en berbère; plur. ichcharen). Un jour
qu avec sa femme Hafsah il allait à El Djezirab (voir
n° 3 1 ) , ils eurent .pour compagnons de route un
lion et une lionne, qui les escortèrent à droite et à
gauche jusqu'à leur destination (Ech Ghemmâkhi,
Kitâb es Siar, p. 247-2/18; de Motylinski , Le Djebel
NefoasUy p. 8/i , note 1).
84. On se dirige vers l'oratoire d'Idref.
Les ruines dldref existent encore à l'ouest de
Charous, dans le moudiriah de Fosato; on y voit
une mosquée grande et ancienne au milieu de plan-
tations : cest sans doute celle dont H est question
ici (Brahim en Nefousi, Relation du Djebel Nefousa,
p. i5; de Motylinski, Le Djebel Nefoasa, p. 84,
note 2 ). Ce bourg fut ravagé une première fois dans
]a guerre d'Abou 'Obeïdah contre Khalef ben Samh
qui y envoya ses partisans et ses clients au nombre
de 4 00 cavaliers : Idref fut pillé et dix de ses habi-
tants tués (Ech Ghemmâkhi, Kitâb esSiar, p. i84;
Abou Zakaryâ, Chronique, p. iSy). Plus tard, au
temps du cheikh Abou Yahya (fin du iv® siècle de
ITiégire), ce qsar fut détruit par 1,000 cavaliers zé-
nata, rassemblés par Medjdouel ben Yousof et-Ter-
misi (Ech Ghemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 288).
Dldref sont originaires plusieurs personnages
célèbres chez les Nefousa : Abou Daoud ed Derfi,
dont l'aïeul avait fait des miracles et qui reçut une
leçon dWbou *Imrân Mousa El Andamouni (Ech
Ghemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 255-256). — Abou
LES SANCTUAIRES DU DJEBEF. NEFOUSA. 107
Mohammed ed Derfi, dont le nom était Mali d'après
Aboul ^Abbâs ed Derdjini, qui a écrit sa biographie
dans le Kitâb et Tabaqât (cf. de Motylinski, Les livres
de la secte abadliite, p. 29), — et, suivant le Siar en
Nefousa , Zeïd ben Fasit , étail un homme instruit , ver-
tueux, sévère jusqu'au scrupule. Il était gouverneur
de Djâdou; son administration fut marquée par des
querelles avec des gens de Fosato, dont le chef, Ibn
Akbah, fut tué. H montra une égale sévérité contre
son fds Abou Yahya Yousof, qui ne priait pas. Un
jour, un cheïkh'de Temidjâr étant venu visiter Abou
Mohammed , celui-ci lui dit : « Tu passeras la nuit
chez moi. — Non , car tu as un fils qui ne prie pas » ;
et il partit. Son hôte mit Une corde au cou de son
fils et le traîna en prison en disant : « On n'a trouvé
chez moi d'autre péché que ton manque de prières;
choisis : ou la prière , ou une prison perpétuelle , ou
tu monteras sur un chameau et je ne te reverrai
plus. » Abou Yahya choisit la prière et son repentir
en imposa à ses anciens compagnons de débauche,
n se mit dès lors à étudier sous la direction d'Abou
Mohammed el Kabaoui. Quant à Abou Mohammed
ed Derfi , atteint de la maladie dont il mourut , il
s'évanouit sur le marché de Djâdou; on le transpor-
tait dans sa demeure quand il revint à lui et voulut
être reporté là où il avait été trouvé; il mourut dans
la maison des Benou 'Abd Allah et fut enterré en
face. La nuit venue , dit le cheikh Abou Zakaryà el
Lâlouti, je sortis pour voir le tombeau du cheïkh
et j'aperçus, tout autour, des rangées d'hommes
108 JOILLET-AOCT 1899.
vêtus de blanc. Outre Abou Yahya, Abou Mo-
hammed ed Derfi eut deux fils : Abou Daoud So-
•
laïmân et Abou^Abd AHah Mohammed , qui devinrent
gouverneurs de Zeminour (Ech Chemmâkhi, Kitâb
es Siar, p. 28/1-286). — Abou 'Isa ed Derfi, qui
périt dans une bataille contre les 'Abbasides (Ech
Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 2^4).
85. La mosquée d'Ed Dibâdj,
86. On se dirige vers l'oratoire de ^ Abdel Hamid
devant Taghermin , à Matkoadasen.
Il s agit d'Abou 'Obeïdah *Abd el Hamid el Dje-
naouni, gouverneur du Djebel Nefousa (voir n° 61).
Taghermin est un qsar aujourd'hui en ruines , à Test
de Zentan, dans le Djebel Nefousa, moudiriah de
Fosato (Brahim en Nefousi, Relation du Djebel Ne-
fousa , p. iK' ; de MotyUnski , Le Djebel Nefousa , p. 8 a ).
De cet endroit sont originaires : Abou Mohammed
'Obeïdah ben ZaVour et Taghermini , mari de deux
femmes dont lune voulut empoisonner lautre, 0mm
ZaVour. Il épousa aussi une troisième femme, 0mm
Yahya, dont les réponses pleines de sens l'avaient
séduit. Il eut quatre fils : ZaVour, Abou 'Abd Allah
Touzin, disciple d'Abou ^4bd Allah el Boghtouri, et
Mousa, Le second , le plus vertueux des hommes de
son temps , eut deux fils qui périrent dans une attaque
des Senhadja contre Taghermin (Ech Chemmâkhi,
Kitâb es Siar, p. 248-252). — Abou 'Imrân Mousa
el Andemâni et Taghermini, un des plus humbles
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 109
envers les croyants, des plus énergiques envers les
hypocrites; le relâchement s'était introduit de son
temps dans le Djebel Nefousa, car un jour le cheïkh
flaira l'odeur du vin chez un homme qui lavait reçu
et brisa les jarres qui le contenaient. Son contact
guérit une blessure (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siat\
p. 204-255). — Aboul Qâsem Moumenin et Ta-
ghermini, qui avait aussi le don des miracles (Ech
Chemmâkhi, Kitâb es Siar^ p. 257-258); un autre
Aboul Qâsem et Taghermini (Ech Chemmâkhi,
Kitâb es SiaVy p. 333). — Abou Mousa Usa ben So-
laïman, qui habitait avec son frère Aboul Uzz, à
Taghermin. C'est un de ceux qui travaillèrent au Siar
des Nefousa : il le termina, d'après FI Boghtouri,
en 599 de l'hégire (1 202-1 2o3) à Ignaoun, en so-
ciété d'Abou ^ ahya Taoufiq ben Yahya. Il mourut
de la morsure d'un chien (Ech Chemmâkhi, Kitâb es
Siar, p. 55i).
Le nom de Matkoudâsen (^^t:j^53a^) se rencontre
avec des variantes provenant sans doute de pronon-
ciations dialectales : ainsi Abou Midoul ez Zenzelî
Maskoudâsen (^^l:>jX»â^, Ech Chemmâkhi, Kitâb es
Siar, p. 4 18) est appelé Abou Mekdoul (pour Meg-
doul; cf. le nom du saint qui, par altération, est
devenu Mogador au Maroc * ) Matkoudâzen ( ^jb^CiLo)
ez Zenzefi dans le Kitâb et Tabaqât d'Ed Derdjini (cf.
de Motylinski , Les livres de la secte abadhite, p. 32);
Abou Ibrahim Maskoudâsen (^^t:>^iC«A«^ Ech Chem-
^ Sur le cbangement de g en k, cf. mon Etude sur Ici dialectes
berbères j Paris, 189^, in-8", p. 3(j-/io.
110 JUILLET-AOÛT 1809.
mâkhi, Kitâb es Smr, p. 5o3) est appelé Matkou-
(lâsen [^JM^s^JSi^) dans lenumération des chefs
ouahabites, publiée à la suite dxiKitâb esSiar, p. Sga.
Ce mot semble composé de deux éléments comme
les suivants : Semdâsen ((^^tiX-^w) Abou 'Abd es
Selam ben Ikhlef el Maghraoui [Kitâb esSiar, p. 5o3 ) ;
Yêindjâsen (^^U^L) , d où vient Tethnique El Yândjâ-
seni [Kitâb es Siar, p. 5 1 o ) ; Ibn Djellidd^^/ï ((^j^t Jyc^. ,
en berbère Agellidasen y (^!«X-J^!) Abou^Abd Allah
Mohammed el Lalouti [Kitâb es Siar^ p. 32g), où
Ton reconnaît le mot berbère Agellid, *x^t (var.
Adjellid, «isjJLai.! ; ajellid, «x^jl) « roi » ; c'est sans doute
le même nom cpie lalidasen, porté par un chef
maure cité par Corippus, Jo/iannid^", VII, ^36*; Ibn
Irsoukd5<?n ((j^l^>^) Abou Ya*qoub Yousof (Ech
Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 52 3); Mersoukrbm
( 0*M»l^^jj*) es Saouini [Kitâb es Siar, p. 53 1); Islâ9m,
^^Uwaj, var. l.slâtcriy ^Uwaj), nom d'une tribu ber-
bère (El Edrisi, Description de rAfriijae et de VEs-
pacjne, p. 5 y; Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères,
t. I, p. 2 1x6; le texte du Qaire porte la variante
^j^y^u^); OuTseûâsen [ç^'^Kk^^^, var. ^^5Uu»j^, Ibn
Khaldoun, ibid.);^\s{eTâsen (^j^LiUa^, var. ^jpl^JUdi^,
Ibn Khaldoun, ibid,)\ Yaghmord^en, porté par le
fondateur de la dynastie des 'Abd el Ouadites^ à
' VA. Petscheiiig, Bcriin, i886, in-S'*.
"' Je ne cite pas Mad^liâsen, nom d'un célèbre nionunoent près
(le *Aïn Yaqoiil), dans le département de Constantine, car il paraît
être le pluriel d'un singulier .\fmlgliis, nom iVun ancêtre légendaire
des Berbères. Il est à remarcpier qne ce nom est devenu l'ethnique
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 1 1 1
Tlemcen. D après la tradition \ ce mot s'explique-
rait par « rétalon [lar'mow) d'eux [dsen) ». Ce der-
nier élément serait donc le pronom personnel suffixe
masculin pluriel complément dun nom. Mais, dans
les dialectes berbères actuels, la forme asen ne se
joint qu'aux verbes comme complément indirect, et
non aux substantifs pour lesquels on emploie ensen.
Je ne connais pas, du reste, en berbère, un mot
iarmoar signifiant « l'étalon » ; le seul qui ne soit pas
d'origine arabe s'est conservé en touareg : atnaliy
•|Q. On ne peut nier cependant que les mots cités
plus haut se composent de deux éléments , puisqu'on
trouve l'un d'eux isolé : Yaghmor ben 'Abdel Melik
(Ibn Khaldoun , Histoire des Berbères , t. III , p. 121),
Yaghmor ben Mousa [ibid.y p. /jo); pour Matkou-
dasen, nous rencontrons Matkoad (:>^5lLaj»), Abou
Mohammed 'Abd Allah ben Matkoud (Ech Chem-
makhi, Kitâb es Siar, p. 3/i3); Abou Nouh Sa^d
ben Zengbil el Matkoudi (^:>^XlkJlt, Kitâb es Siar,
de plusieurs cheikhs du Djebel Nefousa : Abou'l Hasan Aflah el
Madgfaâseni (^^L«j4J), qui gouverna pendant plusieurs années les
B. Ourtizlan ((^^^^) de la part d*Abou 'Ahd Allah Mohammed
(Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 5 18); Sa'ad ben Ikhlef el Ma-
dghâseni {Kitâb es Siar, p. 467); Ikhlef hen Zakaryâ el Madghâ-
seni [Kitâb es Siar, p. 468). Je ne mentionne pas non plus des
noms comme Idrâsen (ç^';;'^») ♦ lahrâsen ( ^^\y^,) , Israsen (^j-i*«i*->*o ) ,
Oungâsen [^jMtl>ij^) ^lzna.cen ^ qui paraissent être des pluriels comme
Madghâsen.
* Baltes, Complément de l' histoire des Béni Zeiyàn, Paris, 1887,
in-8*, p. 5, note 1. Et-Tidjâni, dans le récit d(î son voyage, men-
tionne près de Gabès la station de Ghamorâsen (^^-wt^è JjJU), qui
appartient à la n»énHî racine (Rousseau, Voyiuje du sclieîkli Et-Ti-
djâni, Paris, i8ô3, in-8", p. i53).
112 JUILLET-AOÛT 1899.
p. 3 5 y). On trouve aussi Maskoud (:>^5C»a«) et même
Mathkoud (:>^Juuo) dans le nom dun personnage
d'où vient celui de Souaïqah ibn Mathkoud [mj^^
:>jSuJ» (j^l), petite ville située chez les Berbères
Hoouâra, entre Lebda et Mesrata (El Ëdrisi, Descrip-
tion de l'Afrique et de V Espagne, p. 120, i33; des
manuscrits présentent aussi les variantes :>^Xjl« et
:>^jjû«, cf. la note i de la page 1 33 du texte) .11 y a lieu
de rapprocher du second élément de cette catégorie
de noms la terminaison asen ou asan , qu on trouve
dans un certain nombre de noms propres berbères
cités dans la Johannide de Corîppus : Hîsdreasen (IV,
634; V, 202, 209, 2i3) ou plutôt Isdreasen (33);
Laumasan (V, 110), Macurasen (V, 3i 1; peut-être
mokliorasen, ^^Lajo, de la racine y/MK* R), Mano-
nasan (V, 34 1), Manzerasen (V, 120); Nacusan
( V, 3 1 o ) Ml y a aussi im parallélisme à établir entre
ces terminaisons en asen et celles en ten, suffixe
direct des verbes qu on retrouve dans plusieurs noms
propres. Si Ton décompose les mots cités plus haut
en deux éléments, on ne peut, comme la avancé
M. Partsch [op, laad.), les classer dans les noms in-
déclinables terminés par n.
87. On se dirige vers l'oratoire dldhiren (les pi-
geons).
' Cf. PartHch » Die Berberen in der Dichtung des Corîppus , Breslati ,
iSgG» in-H", p. 19. Je nv crois pas, malgrtV l'opinion de. Mazuc-
rlicili, ivproduile par Ik'kkrr (Merobandcs et Corippus, Bonn, i836f
in-8", p. '2()&) , qu'IsdiTascn soit à rapprocher de ÈaStXaaav de Pro-
cope (De bcllo Vandalico , II, 10, i'j).
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 113
A Idbiren se trouvait Toratoire d*Abou Moham-
med , où la pieuse 0mm ZaVour vit prier des ran-
gées d'êtres pareils à des hommes vêtus de blanc,
miracle fréquent au Djebel Nefousa (Ech Chem-
màkhi, Kitâb es Siar, p. 2 5 4).
88. Uoratoire de^Ammi Djenaoan.
Plusieurs personnages ont porté ce nom : Abou
Sâlih Djenaoun ben Imryân , un des pôles de la reli-
gion qui avait le don des miracles, mais qui ne paraît
pas avoir été heureux en ménage. Un jour il reçut
de sa femme, en train de pétrir du pain, un vigou-
reux soufflet qui laissa des traces sur son visage.
Il alla se plaindre à son chef Abou Ya*qoub et-Tarfi
qui Texhorta à la patience , ce qu'il pratiqua depuis.
Suivant le Kitâh el Mo^aïlacjât, il trouva sa femme
morte en rentrant à la maison. Le Kitâh es Siar cite
plusieurs exemples de sa générosité. Il passa la fin
de sa vie à Ouargla et donna son nom à un cime-
tière où on enterra le dernier des Rostemides , chassé
de Tiharet par les Fatimites , Ya^qoub ben El Aflah ,
et il eut, sur des questions religieuses, des querelles
avec Abou Solaïmân, fils de ce Ya^qoub (Abou Za-
karya. Chronique, p. a6o-2()5; Ech Chemmâkhi,
Kitâb es Siar, p. 362-365). — Le cheïkh Djenaoun
ben ^Ali , dont l'autorité est citée dans les Mo^allcujât ,
ouvrage anonyme contenant divers récits sur les
compagnons de la doctrine, et dont l'auteur est in-
connu (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. 482-483).
siv. 8
114 JUILLET-AOÛT 1899.
— Djenaoun ben Serghin, qui avait le don des mi-
racles et eut une vision la nuit d'El Qadr ^
89. L'oratoire d'El Qasr.
90. L'oratoire aa-dessus d'El Qasr.
91. L'oratoire d'Onim Zaîd,
La pieuse 0mm Zaïd est mentionnée dans le
Kitâb es Siar comme une amie d'Omm ZaVour (Ech
Ghemmâkhi, Kitâb es Siar, p. aSA).
92. On se dirige vers le rocher de la vallée.
93. On se dirige vers l'oratoire de Djillizet.
94. Vers téglise de Masin.
G est le Masif (ubuNut pour ç^yj^M*^) mentionné par
Ibn Haouqal ( Viœ et régna, p. 67 '^) , comme une des
villes du Djebel Nefousa. Ses ruines existent encore
aujourd'hui et on y voit une mosquée à une demi-
heure de marche dldjeital, dans le moudiriah de
Fosato ( Brahim en Nefousi , Relation du Djebel Nefoasa ,
p. rô; de Molylinski, Le Djebel Nefoasa, p. 96).
C'est dans ce qsar qu'on apporta pour la première
fois, dans le Djebel Nefousa, le Kitâb el Khalil e§
* Cf. sur les mérites de la nuit d*£l Qadr, El Bokhâri, Sahih,
le Qaire, i3o6 de Thég., 2 vol. in- 4°, t. I, p. 226; Paulz, Mu-
hanvnedis Lehre , Leipzig, 1898, in-8*, p. 3o-33.
* Éd. de Goeje, f^cyde, 1873, in-8".
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 115
Satih (Ech Chemmâkhi, Kitâb es Siar, p. a 35). C est
à Masin (var. (j^a*<»^!) qu'habitait le cheïkh Abou
Yousof Ya^qoub ben Ahmed ei Ifreni el Midiouni;
il y mourut et y fat enterré {Nisbah Un el Moslemin,
à la suite du Kitdb es SioTy p. 679; de Motylinski,
Le Djebel Nefousa, p. 96, note 1).
95. On se dirige vers la mosqaée du quartier des
Benou Ankâsen.
96. L oratoire d'Omm Djelditi à Tounriret.
Cette 0mm Djeldin était la mère du mufti Abou
^Obeïdah ei Boghtouri, disciple d'Abou *Abd Allah
ben Djellidâsen qui habita Gharous pendant quatre
mois; il devint le plus savant de son temps (Ech
Chemmâkhi, Kitâh es 5iar, p. 3 2 8-3 3 o). 0mm
Djeldin ne souhaitait que trois choses : visiter la
pieuse 0mm ZaVour, voir les ohviers de Taghermin
et avoir les prières d'Abou Mohammed sur son tom-
beau (de Motylinski , Le Djebel Nefousa^ p. 82,
note 2).
97. On se dirige vers l'oratoire vis-à-vis du tombeau
d'Abou Hâtem.
C'est Abou Hâtem Ya^qoub ben Lebid (Ibn
^Adzari : ben Lebib; Ibn Khaldoun : ben Habib)
ben Midian b. Itououeft el Hoouâri el Melzouzi. El
Belâdzori [Liber expugnationis , p. 233^) lui donne
^ Éd. de Goeje, Leyde, i8G3, in-4". Je n'ai pas cm devoir con-
8.
116 JUILLET-AOÛT 1899.
le surnom d'Es Sedrati , peut-être par confusion avec
*Asiin; cest ce dernier qui commandait les Sedrata
au siège de Qairouân. Après avoir gouverné Tripoli
de redjeb ilxo (novembre -décembre ySy) à i44
(761-762), il fut élevé à Timâmah après la mort
d'Aboul Khattab. Il commença par réprimer une
dissidence peu considérable, puis il mit en déroute
près de Gabès une armée envoyée de Tlfriqyah
contre lui. Le succès ne paraît pas avoir été décisif
car Abou Hâtem revînt à Tripoli et y resta quelques
mois. L'ordre et la tranquillité ayant été rétablis, il
profita du départ de Qairouân du gouverneur ^abba-
side de rifriqyah *Omar ibn Hezarmard, pour re-
commencer la guerre. Il rassembla une armée consi-
dérable, dans laquelle servait *Asem es Sedrati (voir
n° 4), et à laquelle se joignirent les Berbères héré-
tiques du Maghreb : Abou Qorrah , Timâm des So-
fritesqui résidait à Tlemcen, amena 4 0,000 hommes;
^Abd er Rahmân, Timâm rostemide de Tiharet,
6,000 Abadhites; El Misouar ben Hani, 10,000
Kharedjites ; Djerir ben Mas*oud arriva avec un con-
tingent des Midiouni et ^Abd el Melik ibn Sekerdid
avec 2,000 Sanhadja. Cette armée vint bloquer à
Tobna ^Omar ibn Hezarmard, que le khalife El Man-
sour avait chargé de rebâtir cette ville, laissant pour
gouverner Qairouân en son absence un de ses pa-
server la lecture a^ICJLLM , rethnique étant tiré du nom berbère de
Sedrata (iC?I^OsXv, Isedraten) qui existe encore aujourd*Lui. Ibn
Khaldoun d'ailleurs [Histoire des Berbères, 1, 33 2] admettes deux
formes.
LES SANCTUAIRES Dl] DJEBEL NEFOUSA. 117
rents, Abou Hâzem Habib b. Habib b. Yezid el Mo-
hallebi. *Omar n'avait que 1 5,5oo hommes à opposer
à la multitude de ses adversaires; sur le conseil de
ses officiers, il eut recours à la ruse, /i 0,000 dirhems
décidèrent Abou Qorrah, ou, suivant d'autres, son
frère à battre en retraite avec les Sofrites en aban-
donnant leurs alliés; en même temps le corps d'ar-
mée de ^Abd Allah ben Rostem subissait un échec
à Tehouda ; *Omar sortit de Tobna avec ses troupes
et marcha contre Abou Hâtem , mais ce n'était qu'une
feinte pour se dégager; il trompa son adversaire, re-
vint en toute hâte à Qaïrouân , où il laissa une gar-
nison , et se retourna contre les Berbères qui le pour-
suivaient. Vaincu par eux il retourna s'enfermer
dans la ville , en attendant les secours demandés au
khalife, lis se firent attendre; pendant ce temps le
blocus continuait, interrompu par des sorties quoti-
diennes qui ne rétablissaient pas les communications
avec le dehors. La famine devint telle qu'on mangea
les bêtes de somme , les chiens et les chats et que le
sel se vendait un dirheiii fonce. Sur ces entrefaites,
^Omar apprit qu'une armée abbaside arrivait, mais
qu'elle était commandée par Yezid ben Hâtem que
le khalife lui donnait pour successeiu™. Désespéré de
sa disgrâce, il se fit tuer dans une sortie au milieu
de dzou'l hidjdjah i54^ (décembre 770). Djamil
* La date de i53, donnée par Tabari et Ibn Qattân dans le
Nazlim el Djomân est inexacte et combattue par Ibn er Raqiq,
'Arib, Ibn Hammâdah, Ibn Khaldoun et les historiens abadhites.
De même Ibn el Abbâr (Hollat es Sinra, p. 207) prétend que
118 JUILLET-AOÛT 1899.
ben Sakhr, qui le remplaça provisoirement, traita de
la reddition de la ville avec Abou Hâtem, qui se
montra généreux et accorda aux ennemis une capi-
tulation honorable ; il leur fournit des vivres , mais il
les expulsa de Qaïrouân. Il marcha ensuite contre
1 armée abbaside qui venait de l'Orient , mais il dut
revenir sur ses pas pour réprimer une insurrection
des gens de Qaïrouân commandés par *Omar ben
'Othmân el Fihri el El Mokhâriq ben Ghifâr. Ceux-ci
furent vaincus et s enfuirent à Djidjelli, poursuivis
par Djerir ben Mas oud el Midiouni , pendant qu A-
bou Hâtem retournait au-devant de Yezid ben Hâtem
el Mohallebi. Celui-ci, d après des récits probable-
ment exagérés, amenait 6o,ooo hommes du Kho-
rasân, 6o,ooo de Koufah, de Basrah et de Syrie,
auxquels se joignirent les garnisons fugitives de
rifriqyah, des Berbères des Mlila, faction des Ho-
ouâra , commandés par Yousof el Fartiti , et même
des dissidents du Djebel Nefousa conduits par 'Omar
ben Matkoud. Le chef de lavant-garde 'abbaside
était Salim ben Souadah et Temimi; il fut battu et
mis en fuite par Abou Hâtem à Maghmadas ; mais ,
dans la grande bataille qui fut ensuite livrée à Djenbi
le a 7 de rebi i* i55 (y mars 772), les Abadhites
furent complètement défaits : 3o,ooo hommes pé-
rirent avec Abou Hâtem et, à 1 endroit où ils succom-
bèrent, les légendes du Nefousa signalent Tappari-
Yezid ben Hâtem fut nommr gouverneur de Tlfriqyah en 1 44 : il
faut lire i54.
LES SANCTUAIRES DU DJEBEL NEFOUSA. 119
tion, tous les jeudis, dune lumière miraculeuse. Ce
fat le dernier des 3 7 5 combats livrés par les Ber-
bères aux troupes 'abbasides depuis qu'ils avaient
déclaré la guerre à *Omar ibn Hazarmard. (Cf. Ech
Chemmàkhi, Kitâb es Siar, p. i3/i-i38; Ibrahim el
Berrâdi, Kitâb el Djaouâher, p. 1 73 ; Abou Zakaryâ,
Chronique, p. lii-lig; lauteur du Kachf el Ghommah
a aussi consacré un chapitre à Abou Hâtem, sans
doute d'après Abou Zakaryâ ; cf. Sachau , Ueber eine
arabische Chronik aus Zanzibar, p. 1 2 * ; El Belâdzori ,
Liber expugnationis regionum , p. 23a-233; IbnKhal*
doun, Kitâb el Iber, t. VI, p. 1 12-1 13; Histoire des
Berbères, t. 1, p. 221-223; Histoire de l'Afrique et
de la Sicile, éd. Desvergers, p. 2 3-2 6 du texte, 62-
68 de la trad. ; En Nouaïri, cité par Des vergers,
op. laud., p. 64-66, note; de Goeje, Descriptio Al
Magribi, p. 83-84; Ibn ^\dzari, Histoire de l'Afrique
et de l'Espagne, t. I, p. 64-69; Ibn el *Abbâr,
Hollat es Siara, p. 207-208^; Tabari, Annales, t. III,
2" part. , p. 370-373^; Aboul Mahasin Ibn Tagri-
berdi. En Nodjoum ez Zâhirah, t. I, p. 4i i-4i2;
Ibn el Athir, t. V, p. 283-285; lauteur des notes
de la traduction fragmentaire publiée dans la
Revue africaine [1897, P* ^34-236] ne cite que
les sources qui sont mentionnées par Fournel;
^ Mittheilungen des Seminarsfûr orientalische Sprachen, 1" année,
1898, fasc. I.
* Ap, M.-J. MùUer, Beitrœgcinr Geschichte der westlichen Araber,
Munich, 1866-1878, in-8\
» Leyde, 1880, in-8''.
120 JUILLET-AOÛT 1899.
Ibn Abi Dinar ei Qaïrouâni, Kitâb el Moanis^,
p. 45; Fournel, Les Berbères, t. I, p. Syo-SSo;
Mercier, Histoire de l'Afrique septentrionale, t. I,
p. 25o-25/i).
* Tunis, 1286 de l'hég., petit in-4".
SIX CHANSONS ARABF.S EN DIAF.ECTK MAGHREBIN. 121
SIX CHANSONS ARABES
EN DIALECTE MAGHREBIN,
PUBLII^ES, TRADUITES ET ANNOTEES
PAR
M. C. SONINECK.
(suite.)
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LES AISSAOUA A PARIS.
l. Venez voir ce qui est arrivé en cette année de
malheur : le tremblement de terre a démoli les mai-
sons et les a presque rasées; criquets et sauterelles
nont rien laissé après eux^
4. Ecoutez ce qui est advenu cette annSe du fait
de ces coquins de negros, de ces chenapans de mu-
siciens ^ et d'un lot d'Aïssaoua. Ils ne parlaient chaque
jour que de leur projet. Malheur à l'homme qui
manque de sincérité !
7. En apprenant le voyage de Ràyyâto^, ils se
mirent à crier et à courir, les uns nu-pieds, les autres
chaussés de souliers. Dieu les a bien affligés en ce
monde ! Il n est jusqu'aux nègres qui badigeonnent
les maisons^ qui ne les aient suivis en tumulte.
* V. 1. L'année 1867 fut pour TAlgérie une année funeste : le
2 janvier, un tremblement de terre détruisit tous les villages entre
Blida et Cherchel; la sécheresse et les sauterelles firent manquer les
récoltes; le choléra sévit avec une extrême violence et le typhus
vint s ajouter à tous ces malheurs.
* V. 5. ZôrnâM, artiste qui joue de la z6ma, instrument à
anche de la famille du hautbois. Zorna, mot turc, est passé en
arabe sous les formes les plus diverses.
' V. 7. Mustapha Raïato, marchand de curiosit<^s algériennes.
* V. 9. A Alger, dans la ville mauresque, le métier de badigeon
neur est à peu près exclusivement exercé par des nègres.
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 141
10. Le chrétien a nom Salvador. C*est lui qui les
a embarqués sur le bateau à vapeur. L'un d'eux,
sentant le cœur lui tourner, dit : « J'ai envie de vo-
mir!» V^aryfa^ répand des aromates sur le feu et
embaume Tair autour d'elle.
13. Ils sont partis pour Paris, où ils vont voir
*Abd-el-*Azyz^. Le chrétien les avait parqués comme
des bandes de criquets entre la mer cl l'église^. Il
les a emmenés en leur promettant monts et mer-
veilleâ ; il les conduit à la mendicité.
16. Il les mène dans son pays pour les montrer
au maître de ses maîtres^. Il espère recevoir un ca-
deau et les rétribuer au moyen d un présent. Mais
s'il le garde pour lui, il réglera avec eux à partir des
préliminaires du voyage^.
.19. Peut-être se montreront-ils sur un théâtre ou
en tout autre endroit que voudra sa fantaisie? Les
nègres commencent à danser^ au bruit de toutes les
^ V. 1 a. On appelle 'arffa la négresse qui préside aux danses
de^ femmes aïssaoua.
* V. i3. Le sultan de Constantinople, venu à Paris à Toccasion
de TExposition.
* V. i4. Sur le port.
* V. i6. L'empereur Napoléon UI.
* V. i8. Il leur avait avancé pour leuri préparatifs dj voyage
une certaine somme d'argent.
^ V. 2 G. \^yloLz^,, Ce verbe, qui signifie • frapper», a ici le sens
de « taper des talons en cadence » , comme le font les nègres dans
leurs danses. Le langage populaire aime ces redoublements de
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castagnettes. Les chrétiens ouvrent do» paris sur ce
que deviendra iaffiiire.
22 . Ou dit qu une lettre dWy Mt arrivée , aimocir
çant qu*ils ont supprimé i'aUution et la priera. L'iin
d'eux a été très malade : a Je ne sais ce que J9i»,
disait'il. La cause de son mal, cei^t quil avait tré-
buché sur les brûla-parfums qu avait waportéi la
prêtresse ^
25. Pour imam Uê ont pris Y^aryfa qui sent mau-
vais comme une charogne. Avec ses petites boites
dans un petit couflBn et sa tunique pendante ^^r venez
voir ce beau tableau •— r- ne dirait-on pas un apeetipe?
28. Le chrétii»n les ei^ploite tous s 1% phiptrt sont
remplis de foh'e. Voulez-vous 49onnattfî|i lu premier
d'entre eux, Messieurs ? C'est Et-Try, le fils d'El-Qer-
meslyya ^, qui n'eut jamais souei de bien S^ra et ne
vit que pour le mal et le péché.
lettres: en dit dôkhhhAn pour ^U^», rëbbâr pour ^t^. Bmwtiiiip
de mots empruntés à des langues européennes subissent aussi ces
réduplieations t «capele» de¥)afiC gëbboét; «dép4^ie« dékhfêk, etc.
^ V. a 4. 11 y a là un jeu de mots sur hoûryya qai si^pîâtt c né-
gresse •, mais qui , étant données ies fonctions apëcialw de cette
femme , est employé dans cette strophe comme un lémkidi fiuiM*'
siste du mot français < curé » ; c'est pour cela qife je f ai traduit par
fl prétresse ».
Le fait, pour des gens qui ont délaissé l'ablation et ia prière, de
trébucher en rentrant chez eux parmi les objets qui forment 1^ wth
biiier de leur habitation indique cjairemeni ia ostnrf de Tindispo-
sition du «alade.
' V. «9. El qérmêzlyya fia cran^M^iet, çest-Àrdir» «ceUe
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 143
31. Le mérkânty fait sur eux du bénéfice. Et-Try
leur sert de truchement. Le chrétien doit leur faire
gagner cette année mille [douros?]. Je prie Dieu
d emporter ces deux hommes et de {q$ envoyer en
présent au fen de i enfer !
34. Cest^Aly Et-Try qui est leur pourvoyeur; ii
court chaque jour du matin au soir. Le chrétien les
a enfermés dans une écurie et les fa(t sortir eu
troupe comme des soldats; il les traite comme des
boeufs : il n y man(jue que les cris des toucheurs.
37. Considérez cette déconfiture d'Ould Sa*yd
aux grandes mâchoires : ii a gagné dix mille francs
et les a perdus au jeu. De tout son avoir, ii ne lui
reste que les bancs ou du marc de café bouilli.
40. Le chef des musiciens, complètement gâ-
teux et dont la barbe est plus blanche que la laine,
est allé à Paris « pour voir » (Puisse-t-il finir sa jour-
née dans le feu de 1 enfer I ) , et s ii revient déçu , du
moins sa renommée viyra-t-elle dans le monde.
43. Sydy *Aly, le hauboïste, était barbier et cafe-
tier. Il est avide de mouvement et désireux de se
botirror de pièces d w i « Ce voyagea, «441 dit k ses
oompognon», est mon pèlerinage; il m y manifoera
que Ja teihyya. «
les joues sont rendues rouges par ie fard ». Ce mot est pris dans un
sens désobligeant.
144 JUILLET-AOÛT 1899.
46. « Je voyageais jadis, toujours content. J'étais
le Maître, j'étais l'artiste applaudi. Je dirigeais la
noâba dans la cour à l'époque du Gouvernement
turc. Maintenant, je fais des tours de baladin et j'en
ai le cœur brisé. La mort! mon Dieu, où est la
mort!»
49. «J'ai laissé un ouvrier dans ma boutique
pour ne pas tarir mes moyens d'existence. Je vais
aller montrer ma musette; peut-être quelqu'un me
fera-t-il demander? C'était anciennement mon ha-
bitude de voyager avec les musiciens. »
52. Quel étrange ouvrier! Dieu le bénisse! Il
parle à tous les chalands qui passent. Il les fait entrer
clans la boutique, leur explique la situation et leur
dit : «Je suis ici provisoirement». Puis il entame
l'éloge de son patron qui, dit-il, s'est muni d'un
cadeau pour lui.
55. Son lieutenant est un idiot, nommé Oulyd
el Hâdj Ouâly, (jui croit sa parole supérieure à tout
el se figure que personne en ce monde ne l'égale.
Quand il sera allé là-bas et en sera revenu, il sera
parfait !
58. Il contredit tous ceux qui parlent et ne sup-
porte même pas qu'ils lèvent le doigt. 11 n'aime pas
ceux qui s'expriment avec franchise; mais il fait bon
accueil aux menteurs et leur dit : « Approchez-vous
de moi n.
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 145
6 1 . Il dit : (( Mon enfance a été dorlotée » , et s'em-
porte si Ton paraît en douter. I) ne se nourrit que
de semoule grossière et sa panse vide pend toute
flasque. Chaque jour cependant, faisant l'important,
il vient dire : « J ai mangé telle et telle chose ».
64. u J ai découvert, dit-ii, une certaine semoule
arrivée tout nouvellement chez un Maltais qui de-
meure loin d'ici; on n'a jamais vu la pareille. J'en
ferai faire le pain de la Fête et un peu de meqroât^. *»
67. Le long El-Hâdj Mostëfa a été entraîné par
les nombreux mensonges qu'il a entendus et aussi
par l'amour du gain. Si Dieu ne l'avait pas aban-
donné, il fabriquerait encore des formes pour les
cordonniers; mais c'e^ la foule qui l'a induit en ten-
tation . . . , et voilà comme ca s'est fait !
70. Avec eux est Hamyda au visage d'âne, qui
vendait des fleurs sur la place. Il n'a rien laissé aux
siens pour vivre, leur disant seulement : «Modérez
l'allure; à mon retour, je vous achèterai une maison
et notre existence sera, à l'avenir, bien tranquille.»
73. On voit aux mains de SJdy Ahmed Et Isoqba
des timbales grosses comme des outres; il veut ap-
prendre à jouer en partie; mais il est l'opprobre des
* V. 66. On appelle meqroût pour meqroûd (permutation algé-
rienne du Je» en b), des gâteaux de semoule fourrés de confitures,
coupés en losanges et frits dans du beurre.
XIV. 10
146 JUILLET-AOÛT 1899.
musiciens, car il ne connaît aucun rythme. « O mon
semblable, à moi . ^ . P »
76. Le cœur de Sydy Ahmed est ardemment
épris d'^Ayn boû zelloûf^, qui concevra cette année.
Je lui souhaite que les soucis et Jes syncopes le
fassent enfler, ou qu'il devienne jaune comme une
carotte !
79. J'aime Sydy-t-Tàyyeb quand il se met à tam-
bouriner et à chanter. Mes yeux n'ont jamais vu pa-
reille laideur : on dirait d'un bouffon au milieu d une
société. «Personne ne me vaincrait, dit-il, si je
n'étais un peu malade. »
82. Qâddoûr, le petit coq, timbalier, qui ici,
badigeonnait les maisons , suspendu par des cordes
aux murs élevés , ou en compagnie des goudronneurs
de terrasses, dit : «J'ai fait ce voyage au petit bon-
heur, uniquement pour prendre l'air. »
85. Koûtchoûk est resté ici, il n'est pas parti; il
vend des abricots sur la place : « Le repos , déclare-
t-il , est le meilleur des aliments , et mon petit cœur
^ V. 7$. Dicton qui correspond à notre expression : «S'il en
trouvait un plus béte que lui il le tuerait ».
^ V. 76. *Ayn bon zellouf est un sobriquet signifiant «qui a les
yeux à fleur de tété comme une tête de mouton bouillie et parée
au fer chaud ( boû zelloûf) ». Ce mets était connu de la vieille cui-
sine française : < Chefs de belin dorez , autrement appeliez perdrix
de la tnianderie» (Noél du Fail, Propos rustiques et facétieux, XV).
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 147
demeurera en paix. » Ahmed, ie boulanger, lui aussi
ne demande que la tranquillité.
88. Lorsque *Abd el-Qâder, le fds du laveur de
morts , tombe dans ses extases de folie, il ceint sa taille
dune corde et ny va pas de main morte. Cependant
on voit les scorpions dans la main d'^Allâl, châouch
des Aïssaoua.
91. Farâdjy ^ ce petit-maître, mange du feu et
des feuilles de figuiers de Barbarie, tandis que Ha-
sân le rat Texcitc au bruit du tambourin de tout
son cœur, de tout son pouvoir et de toute son âme.
Ils nous ont ravagé les haies d'El-Qëttâr^ pour en
faire hommage à TEmpereur.
94. Ben Zerfa, ce dameret, qui ici, hachait de la
graine de hachy ch , dit : « Nous avons cet été une
bonne aubaine, je payerai mes dettes. J'exécuterai
les exercices de la massue et du sabre et je servirai
mon cheykh de mon mieux. »
97. Si vous aviez vu Ben Zerfa comme il courait
légèrement, portant sur ses épaules un coufiBn plein
de je ne sais quoi I U paraît que c'étaient des ra-
quettes de cactus. . . Mais son panier était toujours
fermé!
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^ V. 91. Farâdjy était un nègre de la troupe.
* V. 93. El Qêttâr est le nom d'un quartier suburbain d'Alger
où se trouve un cimetière musulman enclos de cactus.
10.
148 JUILLET-AOÛT J899.
100. Voyez 1 extase insipide d'El-Hâdj Batâta^ :
la chemise débraillée et sans col , la calotte sur les
yeux, au ronflement des tambours, il montre sa
houppe dégarnie de cheveux.
103. n nest pas jusqu^à Mostêfa ben el-Mëddâh
qui n'ait eu envie d'aller faire fortime à Paris : « A
mon retour, dit-il, j'achèterai une lampe, un plateau
à café et un sucrier. J'achèterai aussi un grand et un
petit matelas, un tapis et une carpette. »
106. Es Snybla^, la figure en soufflet, qui était
employé chez le maire, est allé à Paris faire du café
pour les soldats. Quand il reviendra , ayant beaucoup
gagné, il sera plus riche qu'un négociant.
109. «Soyez le bienvenu, Sydy ^Omar! Tout
Paris est ravi de vous voir; tout le monde proclame
votre gloire, ô Snybla, mon chéri! (S'il pouvait s'en
aller au Mexique , c'est ça qui serait un bon débar-
ras!)
112. Il est cafetier et son fils boulanger. Il a pour
associé Sydy *Aly Mëhrâz, qui fait ses affaires en en-
fourchant un aiguillon ; il mérite nos compliments !
Tous trois sont vêtus de coutil, à la mode des chré-
tiens.
115. De Merzoûg, on dit qu'il est bon; mais on
' V. loo. Batât^a (esp. patata), est ici un sobriquet.
* V. io6. Snyhla est le diminutif de JuJLiw «jacinthe».
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 149
le craint parce qu il est grossier. Juste Dieu ! Quand
il commence à crier et que son jargon nègre ^ lui
monte aux lèvres , il y a de quoi vous faire fuir jus-
qu'au tiers inhabité de la terre 2.
118. Oulyd ben Za^moûm a vu s augmenter ses
soucis. Depuis qu'il est musicien , le monde est dé-
livré de lui. Et quand il se met à jouer sur la chan-
terelle et que la juive commence à crier !
121. Avec lui sont partis deux juifs; les pareils
ne se trouveraient pas dans le monde : l'un ressemble
à un hérisson, l'autre n'y voit pas d'un œil. Quand
on n'a jamais entendu jouer du luth, il faut écouter
ce prélude ^ !
124. Quelques personnes entendirent de loin
mon histoire, parmi lesquelles Oulyd Sydy Sa^yd et
Bryhmât, qui riait tant et plus, et avec eux le chef
de Miliana. Ils étaient assis sur un banc de fer, dans
la boutique de droite*.
^ V. 1 1 6. El Gênnâouiya , le dialecte des nègres de Djenné ;
mais, en général, le langage des Soudanais.
* V. 1 17 y^ ^;ljJ ^ûUà, yl^ «i*B j.Lc Hj^ç^ ï;«--«-» W^ J»;^'
^Us* ti^3 Sj^SL^ (El ]Vfas*oûd^, Les Prairies d'or, Edit. Barbier
de Meynard, I, 368).
' V. 133. HtsJb^ n. d*act. de ^^ «tracer des dessins, des ara^
besques, damasquiner» (comp. l'esp. atoua;ia ], équivaut à ce que
nous nommons en musique «agréments, fioritures »; d*où son sens
de «préludo».
^ V. 12 4-1 a 6. OuKd S^d^ Sa*M était assesseur à la Cour imp(^«
150 JUILLET-AOÛT 1899.
127. Ils m'appelèrent. J'allai à la boutique, où
je fus régalé de café et de confiture. Invité à fumer,
je restai confus : « Impossible! répondis-je : j'ai étudié
sous Sydy Hasàn Sydy Khelyl et la Senoùsyya ^ »
130. Ben ^Aysa^ vint vers moi, l'air furieux :
« L'Antéchrist, me dit-il, naîtra de ta postérité! J'ai
vu dans le livre qni est chez toi son histoire fidèle-
ment narrée. — Vous avez raison, répondis-je, grand
merci ! » Et , tout en riant , je le regardai en tournant
les yeux.
133. Il me dit : « Ceci n'est pas une action digne
d'un homme. » Il se fâcha et , frémissant de rage , il
me regardait, hagard, avec des yeux grands comme
des tasses. Et sa roupie lui pendait au nez et son vi-
sage était devenu bleu comme une aubergine. Il
voulait passer sur moi sa colère^.
136. Avec lui était mon oncle Mohammed ben
riale ; Sy Hasân ben Bryhmât , directeur de la Medersa et président
du Conseil de droit musulman; «le chef de Miliana» était l'aga S^
Slymân ben Syâm.
« La boutique de droite » , située sur le côté droit de la rue , était
un lieu de réunion.
^ V. 1 29. Tout le monde connaît, au moins de nom , l'ouvrage de
S^dy Khelyl. Es Senoûsyya est le nom que l'on donne couramment
à la petite ^Aqfda d'Abou 'Abd Allah Mohammed ben Yoûsef es Se-
noûsy, traité de théologie très en faveur dans le Maghreb.
* V. i3o. C'était le mufti de Dellys; il louchait, ce qui explique
le second hémistiche du vers i32.
^ V. i35. Litt. : «Il voulait refroidir sur moi son courroux».
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 151
el-HàflFâf , qui passe sa journée en prières. En enten-
dant ce prélude ^ il leur dit : «Ce nest pas une
afiFaire! — Ne craignez rien, lui répondirent-ils, on
vous mettra aussi dans la chanson ! •
139. 11 se glorifie des éloges des gamins qui le
traitent de maître en polissonnerie. — « C'est fini
pour toi de monter aux mâts, ajoutent-ils, tu nés
plus qu'un objet de dérision 2. C'est assez resté ici;
va-t-en chez les Sahâry apprendre à lire aux bœufs
sauvages I »
1 42. Lorsque je débitai ces vers à Sy Mohammed
Oulyd el-imam, qui possède au suprême degré le
don detre ennuyeux, il me dit : « C'est une compo-
sition fade ». Les souris , dans sa boutique , aussi nom-
breuses que les nuées , lui ont mangé une once de
laine.
145. Il s'installe dans la salle d'El-Boûkhâry^,
dans la posture d'un homme qui étudie, ayant entre
les mains de la laine bleu de ciel : «C'est, dit-il,
pour en faire des mules ou des chaussons pour les
petits enfants, car je n'ai que peu de laine. »
* V. 1 37. Banchrâf « prélude » , mot persan introduit en Maghreb
avec les autres termes musicaux. On le trouve le plus souvent
sous la forme altérée bechrâf.
* V. 1 4o. Mohammed ben el Hâ£Pàf avait été marin dans sa jeu-
nesse.
' V. i45. La salle d'Ël Boul^âr^ est la bibliothèque de la mos-
quée de S^dy 'Abd er Rahmân ettsaMeb^.
152 JUILLET-AOÛT 1899.
148. Quand j'eus terminé ce dithyrambe, et
qu*Ei-Hâdj ben er Rëbha en eut connaissance, il se
mit à rire, tout en égrenant son chapelet: «Voilà
une excellente chanson ! » me dit-il , et il tira de sa
sacoche sa décoration qui y était serrée.
151. Ma chanson se répandit; on la trouva sa-
voureuse ^ C'est, honorables auditeurs, le dernier
vendredi du mois d'El-Mouloûd de Tannée mil deux
cent quatre-vingt-quatre que j'achevai ce récit fan-
taisiste 2.
154. Voulez-vous savoir mon nom ? Je suis Qâd-
doûr, de tous connu, relieur à Sydy Boû Gdoûr, vêtu
d'une qéchchâbyya^. Si mon dos n'était pas difiForme,
personne ne pourrait me résister.
1 57. On m'a dit : « Quand ils reviendront, cache-
toi, dans la crainte qu'ils ne te donnent quelque
mauvais coup; ils t'écraseraient ta bosse et te déli-
vreraient des soucis d'ici-bas. — Je saurai bien me
sauver, ai-je répondu, ou bien je me plaindrai à la
police. »
160. Si je n'étais très occupé, j'aurais encore
^ V. i5i. Qâddoûr joue sur le mot ^^jJ^ «savoureux». On a vu
qu'il se nomme Ben Ben^na.
^ V. i53. C'est-à-dire le 26 juillet 1867.
^ V. 1 54-1 55. S^d^ Boû Gdoûr est un quartier de la haute ville.
Sur le saint homme qui lui a donné son nom, cf. A. Devoulx ; Les
édifices religieux de l'ancien Alger, p. aiio» Alger, 1870.
On appelle qêchchâbyya une grande hlouse en laine épaisse.
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 153
bien des choses à dire. Ceux qui ont entendu mon
bavardage le disent agréable. C'est aussi lavis des
chanteuses et des musiciens, y compris Ez Zohra
bent el Foûl qui, de sa fenêtre, m'adresse des com-
pliments.
163. Celui qui n'a en vue rien d'utile trouvera
dans cette chanson ce qu'il lui faut. Mais s'il sou-
haite y voir quelque chose, étendez-le sous le bâton,
et qu'il se régale de mille coups sur le ventre; puis
menez-le au médecin qui saura bien lui soutirer une
once [d'or].
166. Que votre cœur ne soit pas attristé, mes
frères, de ce que je vous aie ainsi plaisantes. Je me
suis mis au milieu de vous pour ne pas encourir
votre blâme; je vous ai dit ma difformité et je vous
ai dévoilé toutes mes misères.
^*^ Ancien élève de la Medersa d'Alger, relieur, luthier el
copiste de manuscrits, Qâddoûr ben *Omar ben Benyna, plus
connu de ses coreligionnaires sous le nom de Qâddoùr el Hâd-
by (le bossu), mort pendant Thiver 1897-1898, a, pendant
trente ans , chansonné tous les personnages en vue de la haute
ville.
Ce morceau vif et gai , produit d'une verve raUleuse qui
lui donne des allures de chanson française, a été composé
par lui a l'occasion du voyage à Paris d'une troupe de musi-
ciens, de chanteurs et d'Aïssaoua qui figura à l'Exposition
de 1867, sous la direction d'un professeur de musique nom-
mé Salvador Daniel (voir sur ce personnage la notice que lui
consacre la Grande encyclopédie, t. III, p. 855). Il est versifié
en mosèddes, c'est-à-dire en couplets de six hémistiches.
J54 JUILLET-AOÛT 1899.
On remarquera le grand nombre de mots d'origine espa-
gnole que renferme cette pièce — le langage des villes ma-
ritimes en fourmiUe — et cette particularité orthographique
que quand le e doit être prononcé g dur, il est remplacé par
le J surmonté de trois points.
Je dois faire observer aussi que la traduction, qui nuit
toujours beaucoup à la poésie arabe , est impuissante à rendre
tout l'effet comique des vers du relieur.
NOTES DU TEXTE.
V. 8. )^LZmx9, bsêbbâtou est pour id^Ujâ^. Les nécessités de la
rime ont fait changer le » en \y. Toutes ces syllabes finales sont
brèves ; on doit prononcer comme s'il y avait bLlê , ^^. i b^^^A^ )
V. 9. l>klo est pour J^Ar.;,! (y^ili «blanchir au lait de chaux,
badigeonner»). Ce changement du dâd en ta est assez fréquent à
Alger.
V. 1 o. Vâpoûr, de Tesp. vapor « bateau à vapeur ».
V. 12. (S^ «de, du., de la, des», indiquant la possession, la
relation , la matière , la provenance , est le relatif sémitique ^«S , l«> ,
(^S . Particularité à noter : ce mot n'est employé que dans le massif
littorid , du Maroc à la Tunisie. Les gens de l'intérieur se servent
plus volontiers de l'état construit concurremment avec »Lxa .
V. 1 3. Pâr^z pour Paris est la prononciation d'un indigène déjà
familiarisé avec notre langue. On dit généralement Bârfz : citadins
et Bédouins prononçant di£Bciiement le p,
V. 17. Kâdoû est le fr. «cadeau».
V. 19. Tyâtroû (esp. teatro), H est à remarquer qu'au lieu de
transcrire le t par le u» qui est son homophone, les Arabes em-
ploient le L?, lettre très emphatique; ils en usent de même dans
toutes leurs transcriptions.
y. 3i. fjAjlSyM (esp. mercante) «commerçant, négociant».
y. 35. Dans koûry on reconnaît le fr. «écurie».
— hèlkonpàaya « en rangs , en bon ordre » , comme une « com-
pagnie » de soldats.
V. 38. Frank «franc», a été transformé en frâk pour la rime;
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 155
cette orthographe est d^aiilcurs pi as voisine de la vraie prononciation.
Les Arabes rendent di£Bcilement les syllabes nasales et les font vo-
lontiers disparaître quand ils les rencontrent dans des mots étran-
gers à leur langue. An, en, in et un sont le plus souvent remplacés
par un d long; ainsi «Durand» devient Dourâ, «content» konntâ,
«Martin» Martâ, «Vincent» Fansa, tandis que on se change en où :
«Avignon» Fenyoû, «planton» blâtoâ,
V. 39. Elabnâk « les bancs ». Quand il leur faut mettre au pluriel
un mol étranger, les Arabes se servent des procédés de leur langue.
Ainsi bougâtou (esp. abogado, fr. «avocat»), en a deux : un pluriel
en *=>!, bougâiouât , en sa qualité de mot d'origine étrangère; c'est
la forme qu'ont choisie les citadins. Les Bédouins , fidèles au pluriel
brisé, si éminemment arabe, ont préféré bouâget avec terkh^m du
onâon final).
V. 47. Elhoûr «la cour du palais du pacha».
V. 55. On ne fait pas sentir dans le langage le second dj^m du
mot ^L^ hâddj,
V. 70. Plâsa est Tesp. plaza,
V. 84. Arya, ital. aria «air», ^^i) «xi^Lî est un gsdlicisme.
V. 93. <s^y^^ errày (esp. el rej«le roi»). Les indigènes algériens
habitués depuis i83o à se servir de ce mot pour désigner le Chef
de l'Etat , l'ont conservé pendant toute la durée de l'empire. Ainsi
Oah^l errày a successivement signifié « Procureur du roi et Procu-
reur impérial».
V. 106. Elnvfr (fr. «le maire»). Ce mot reproduit exactement
l'altération populaire du mot ^^).
V. 109. dLoest pour db. Ici cette sdtération est motivée par la
rime, mais on la retrouve partout, car il est d'usage d'allonger la
voyelle brève des particules d'une seule lettre <_», d, J. On emploie
aussi cette façon d'écrire, en vue d'obtenir une reproduction fidèle
de la prononciation , pour les personnes des verbes concaves ou dé-
fectueux qui devraient grammaticalement perdre leur lettre faible ;
ainsi on dit et on écrit Oy& pour UU;, (^y^\ pour y^\,
V. 1 1 1 . Miksyk , transcription de « Mexique ». L'emploi de ce mot
pourrait, à défaut de date, fixer l'âge de cette chanson. Il est em-
ployé ici comme équivalent de «au bout du monde, au diable».
V. 112. 31^4* est pour o*»lv^ «mortier». Ce mot el le mot^L^y^
«bâton pointu , aiguillon», sont pris ici dans un sens équivoque.
y. 119. owoU^I . La forme populaire Jlxi\ marque les modifi-
156 JUILLET-AOÛT 1899.
cations que ie sujet subit dans son état ou dans sa manière d'être,
en acquérant la qualité indiquée par le radical; ex. : Jl^l «s'al-
longer», jLiAf c devenir fou». M. Beaussier (Dictionnaire pratique
arabe-français, Alger, 1871) ia nomme tx* moderne. Je préfère y
voir avec M. Gorguos (Cours Carabe vulgaire, a* édit., p. 168,
Paris, 1857), ^^^ altération de la xi' : toutes deux désignent les
couleurs et les défieiuts physiques, celle-ci avec plus d'intensité que
celle-là; toutes deux voient, suivant la règle propre au langage,
disparaître le redoublement de la troisième radîcde : Jjii! = Jjiil ;
Jlx>! = Jlx>! (comp. Ji' M = 3:^ Ml; ^U. Ad^ = gU. hâdd[j.
Mais , quoiqu'aucune grammaire n'attribue à la xi* forme cette si-
gnification spéciale , le vocabulaire en renferme quantité d'exemples :
^ « reunir sur un seul point » ; ^>o ) « se ramasser, se contracter
pour tenir le moins de place possible»; yàs «écaille, épiderme»,
IwÂSt = jL&S) usjLâJl «avoir le frisson, la chair de poule», etc.;
pourquoi dors se mettre dans la nécessité de chercher une expli-
cation à l'addition d'un alif k la ix' dors que le paradigme de
la xi' donne tout naturellement satisfaction ?
V. 149. i 0 fA tf mendahha est la prononciation nsudlc de L»
V. iSg. Poûlfsya» esp. policia.
[La suite au prochain cahier.)
LA KAÇtDAH D'AVICENNE SUR L'ÂME. 157
LA
KAÇÎDAH D'AVICENNE
SUR L'Ame,
PAR
M. LE Bo« CARRA DE VAUX.
AVANT-PROPOS.
Il existe un petit poème sur 1 ame , uiïiverseliement attribué
à Avicenne, et dont les manuscrits né sont pas rares. L'in-
térêt de ce poème vient de ce que la langue en est belle , et
de ce que la pensée y a un tour énîgmatique qui laisse le
lecteur hésitant entre des interprétations diverses. Il parait
que cette kaçidah est connue en Orient. Un élève du lycée
de Galata Serai, — M. G. Kendirdjy, notre collaborateur
dans le présent travail , — nous a dit que les maîtres de cette
institution la faisaient apprendre aux élèves comme morceau
classique , sans oser en fournir d'explication nette.
La Bibliothèque nationale de Paris possède cinq manu-
scrits de la kaçidah sur Tâme, portant les n**' i6ao, 23a 2,
a5o2, 254it 3171.
Le ms. 3171 contient le poème seul, sans commentaire;
le vers 1 9 y est déplacé et transporté avant le vers 1 6. Le
ms. a 3 21 2 contient, avec le poème, mi commentaire attribué
à ^Abd er-Rahman es-Soufî. L'auteur connu de ce nom , qui
a écrit un catalogue des étoiles, est mort en 376 de l'hégire,
et n'a pas pu commenter un ouvrage d'Avicenne mort en 428
à un âge assez peu avancé. Il faut donc , ou que l'attribution
soit fausse, ou qu'il s'agisse d'un homonyme inconnu. Ce
158 JUILLET-AOÛT 1899.
manuscrit est d'ailleurs mauvais et écrit avec une extrême
nég^gence. Les trois autres manuscrits renferment un com-
mentaire qui n*est pas identique au précédent , et dont Tau-
teur n'est pas nommé. On lit dans VHistoire des dynasties
d'Abou'l-Faradj qu'un certain Mohammed fils d"Abd es-
Salâm el-Mokaddasi el-Mâridîni, homme fort savant mais
qui n'aimait point écrire, et qui mourut en 5 94 de l'hégire,
« laissa comme unique ouvrage un conmientaire de la poésie
d'Avicenne qui commence par ces mots : ^i^Jî oia.îj6 . » C'est
notre kaçîdah. Il se peut que le commentaire qui l'accom-
pagne soit un abrégé de celui d^Abd es-Salâm. Ce qui est
certain, c'est qu'il n'a pas une très grande valeur, et que
l'incognito sied bien à son auteur. Cependant , en une pareille
matière, le conmientaire le plus médiocre a son utilité et
constitue un secours qu'on aurait tort de négliger.
Nous éditerons le texte et la glose de la Kaçidah d'après
le ms. 254i« avec quelques emprunts au ms. 1620. La glose
attribuée à *Abd er-Rahman es-Soufi, plus mal écrite que
celle-là, n'est pas plus développée et parait peu originale.
Nous la laisserons tout à fait de côté. Après avoir traduit le
poème , nous en donnerons nous-même un commentaire en
nous inspirant de celui du texte.
LA KAÇiDÂH D'AVICENNE SUR L'ÂME. 159
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LA KAÇÎDAH D'AVICENNE SUR L'AME. 103
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164 JUILLET-AOÛT 1899.
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jtiLS'oLs^l 3^,...iûy* ^j^li'yl /jJp byûJ!, hyAJ\ v'>e- ^7^
s.r^..^^ s':*^.
' Ed. Ablwardl, pièce 1, vers 28.
LA KACIDAH D'AVICENNE SUR L'ÂME. 165 «
i yJiy^ yLSEjJI^UlJ, yL.yi ^jA (j^i ^b ^ ijyù^ COjX ^
iW^ ^JP) f^\yù (s^y?. ^ (S^^ yjyUL ^yJ^ yO^^ ,j-*^l Jt»a3l JU^
^LxJ! yL.) Jl iu--jJb l^jJD ïjsîo^ oJlS'y!^ yO^L? j^JUJl JUsI
jL-w^^3 JtK-^ JlOï Ax^l^ J! ^UJ! Jîrffjo ^^ ^1 ooill Jl J^Sll ^^
jJxj^î 31, yO^I ^^ .jLcJI ^^1 c>JlIa5 ^ Jtjjl ylS" y!^ vUJ^l
Quelques manuscrits ajoutent ce vers :
' 160 JUILLET-AOÛT 18Q9.
II
LA KAÇÎDAH ATTRIBUÉE AU CHEÏKH
ABOU ^ALI IBN SÎnA.
1. Il est tombé vers toi, du lieu suprême, une
colombe de couleur cendrée, pleine de chasteté et
de réserve ,
2. Invisible à Toeil même du savant. Et pour-
tant elle était dévoilée et n^était pas couverte du
bourqa*.
3. Elle est parvenue avec répugnance jusqu'à toi ;
mais peut-être aussi elle te quittera avec peine, et
elle en sera dans la désolation.
4. Elle était pure, sans amitié pour personne.
Puis quand elle s est unie à toi, elle s'est acclimatée
au voisinage des déserts et des ruines.
5. On dirait quelle a oublié les promesses du
foyer, et les demeures qu elle a quittées contre leur
gré;
6. De sorte que, après s*être séparée du mîm de
son centre, pour s'attacher au hâ de sa chute sur
une terre desséchée,
7. Elle est tombée dans la dépendance du thâ de
LA KAÇtDAH D'AVICENNE SUR lIME. 167
la lourdeur; et elle s'eut trouvée entre len veitiges
des routes et les traces misérables des campements,
8. Elle pleure, lorsqu'elle se rappelle les pro-
messes de son foyer, des larmes qui ooident et ne
tarissent pas ;
0. Elle passe son temps à gémir sur les traces
noircies que dissémine le va «et'* vient des quatre
vents.
10. Car le iao serré la retient, et sa faiblesse
Tempôche d'atteindre l'apogée vaste , pareil au pâtu-
rage du printemps.
1 1 . Lorsqu'enfm son départ va la rapprocher du
foyer, et son voyage la ramener dans la vid^ spjN
cieux,
12. Elle se sépare de tout ce qui, en arriére
d'elle, reste dans la poussière, ne l'accompagnant
pas.
13. Elle s'assoupit, et alors, le voile s'étant sou-
levé, elle voit ce que ne perçoivent pas les yeux en-
dormis.
14. EHe se met à roucouler au sommet d'une
montagne élevée. Car la science élève quiconque
était en bas.
108 JUILLET-AOÛT 1899.
15. Pourquoi donc est-elle tombée du pic ardu
jusqu au fond déprimé du sol ?
16. Si c est Dieu qui la précipitée par un principe
de raison, ce principe est resté caché à Thomme in-
telligent, subtil, spirituel;
17. Et si sa chute a été TefiFet d'un coup fatal,
afin qu'elle entendît ce qu elle n'avait pas encore en-
tendu ,
18. Et qu'elle devînt savante dans tous les secrets
des deux mondes, la lacune qu'elle portait en elle
n'a pas été comblée.
19. Le destin lui a coupé sa route, elle s'est cou-
chée pour ne plus se relever.
20. Elle est comme un éclair qui brille dans la
vallée, puis qui s'éteint; et c'est comme s'il n'avait
jamais lui.
III
Il est clair que l'auteur de ce poème a entendu
décrire la chute de l'âme, d'un monde supérieur vers
le coi'ps , puis sa rupture d'avec le corps par la mort ,
et que , dans les derniers vers , il a posé la question
de la cause de cette chute. Les détails de l'interpré-
tation ne sont pas aussi aisés.
LA KACÎDAH DAVICENNE SUR L'ÂME. 109
Le vers i montre lame, sous la forme d'une
colombe, tombant dun lieu élevé. Ce lieu est le
monde spirituel, et le commentateur avertit qu'il
s'agit de Tâme raisonnable iUldtjJI ^jwJLJI, qu'il ne
faut en effet pas confondre avec l'âme animale ou
avec l'âme végétale. L'âme vient d'en haut pour tous
les Musulmans ; mais selon la philosophie du cheïkh ,
elle n'existe pas, avant le corps, pure de matière;
et, si l'on veut mettre ce vers d'accord avec sa doc-
trine, il faut entendre par la chute de l'âme sa rela-
tion avec le corps, qui est une relation de gouver-
nement et de possession : ôyâxJI^ Yi^*>^l {j^ ; ces
mots sont techniques.
Lame est invisible, dit le vers 2; et cependant
chacun connaît l'existence de son âme. — Il faut
remarquer dans ce vers l'inversion des mots J^ ^JS>
ôjUilXjL», qui doivent être compris comme s'il y
avait : c3;U J6 iUjU ^JS>. Le boiirqa\ c'est le voile des
femmes.
En entrant dans le corps (vers 3), l'âme, essence
spirituelle , a éprouvé le dégoût de la matière corpo-
relle; mais peut-être quittera-t-elle le corps avec
regret parce qu'elle ne sera pas sûre d'atteindre le
bonheur, ou qu'elle aura perdu le goût des choses
supérieures.
Le corps (vers Ix) est comparable à un lieu vide
et désert, parce que, en tant que corps, il est vide
des facultés de l'âme. Cependant l'âme, en se liant
170 JUILLET.AOÛT 1809.
avoe lui, oublie lei demeures supérieurea qu'elle a
quittées (vers 5).
Dans les deux vers suivants (6 et y), Tauteur se
sert des initiales M, mtm , thd des trois mots l»^ « la
chute » , yL» a le centre » , Juiî « la lourdeur ». H y a
plusieurs interprétations de ces images, dont la plus
juste est celle-ci : le hâ de la chute désigne l'entrée
en relation de Tâme avec le corps; le mim de son
centre est le moment où elle apparaît dans Je monde
spirituel, et le tM de la lourdeur, ce sont les parties
du corps qui viennent les premières en contact avec
Tâme , c'est-à-dire le cœur et l'esprit animal. Cette in-
terprétation suppose que, conformément à la doctrine
d'Avicenne, lame est produite en môme temps que
le corps.
Viennent ensuite, dan«» les vers 7, 8 et 9, des
images familières à la poésie arabe, oix ion voit
lame se lamenter sur les traces de campements
abandonnés. Ici les cendres et les débris noircis que
dispersent les quatre vents , doivent être considérés
comme signifiant les parties du corps mues en sens
divers par les quatre qualités essentielles : le chaud,
le froid, fhumide et le sec. Le corps est aussi vil,
aussi fragile que ces minces débris; il offre à l'âme
un séjour dont elle peut déplorer la tristesse.
L ame (vers 1 o) est retenue dans les liens corporels
comme Toiseau dans les lacs du chasseur. Cette fai-
blesse qui l'empêche d'atteindre à son apogée vient
de ses attaches avec le corps et des imperfections de
LA KAÇÎDAH D'AVICENNE; SUR L'AME. 171
h matière, Lg Hou que ie poète symboiige par ces
bellea images d\ apogée vaste » et de « pâturage prin-
tanier », c'est toujours le monde spirituel,
Mais enfin vient le temps de la mort, où Tâme va
remonter dans son atmosphère et retuurner vers son
foyer (vers n), s'étant débarrassée du corps et de
ses facultés qui restent en bas, vouées à la poussière
(vers i Q ). Alors elle voit les essences véritables que
n'atteignent pas les yeux endormis du corps; elle
entre dans cet état auquel Ali faisait allusion lors-
qu'il disait : «Si le voile s était levé, ma certitude
n'eût pas été plus grande » (vers 1 3),
Revenue dans le monde de Tesprit, lame se ré'
jouit, chante comme une oolorabe sur une montagne
élevée (vers i/i). Qu est-ce qui la fait remonter vers
ces sommets? C'est la science. Et le commentateur,
expliquant cette ascension dit : Elle s est élevée suc-
cessivement de Tintelligence matérielle ij^^^i JJbJI
à Tintelligence de possession dX)JL\j JJUJt , de celle-ci
à l'intelligence en acte JjûJI^ JJUJt , puis à Tintelli-
gence acquise ^UxamII JJuJI qui est le plus haut état
de l'intellect humain. Nous ne pouvons pas déve-
lopper ici le sens de ces termes qui a un peu varié
selon les philosophes. On les rencontre dans les ou-
vrages d'Avicenne et dans ceux de Farabi qui les a
tirés d'Alexandre d'Aphrodise^
* Voir h iVa((/d( d'Avicenne , traité de Tome, uqction sur 1a fa-
culté spéculative, f»îiyiàjJ\ s^\; — et Al-Farabi, Plnhiophischc
Abhandlungen , éd. Fr. Dieterici, p. Sg; traité sur les sens du mol
«intelligence».
172 JUILLET-AOÛT 1899.
Le cycle que doit parcourir lame étant ainsi
décrit , lepoètepose cette question troublante (vers 1 5-
2o) : Pourquoi lame est-elle tombée? Si elle est
tombée pour un motif rationnel autre que celui d'ob-
tenir la perfection , ce motif est resté caché aux plus
sages; et si elle est tombée pour obtenir la perfec-
tion, pourquoi se trouve-t-elle soudain séparée du
corps, au hasard de la destinée, avant quelle ait
atteint cette fin , qu'elle ait achevé sa route , qu elle
ait comblé la Jacune de son ignorance, recousu ses
fentes ou bouché ses fissures ? A ce dilemme posé en
termes si nets le poète ne sait point répondre. 11 pré-
voit que quelques-uns chercheront à résoudre la dif-
ficulté en ayant recours à la' métempsycose : cette
vie a laissé Tœuvre du salut de lame incomplète;
elle a été trop courte, insuffisante, manquée; mais
1 ame pourra être plus heureuse dans des vies subsé-
quentes. — Il n en est rien ; le corps usé par la vie
est bien usé, consumé pour toujours; la mort est un
coucher qui ne sera pas suivi dun second lever
(vers 19). Si courte soit la vie, elle est unique et
définitive ; on ne doit pas chercher à l'expliquer en
la répétant. Tout son sens tient dans ce rapide instant
où, au sein de Téternité, lame passe dans le monde
de la chair, pareille à Téclaii* qui luit un moment
entre les collines et s'éteint à jamais (vers 20).
Faut-il voir dans cette énigme une intention pessi-
miste ? La vraie pensée de l'auteur est-elle que la vie
est une œuvre mal faile, une institution mal venue.
LA KAÇÎDAH D'AVICENNE SUR L'ÀME. 173
incapable de répondre à son but, ou bien encore
que ce but même ne saurait être celui que pensent
les sages et qu'il est ignoré? Ces quelques lignes
nous révèlenl-elles un Avicenne pessimiste ou agnos-
tique? Nous croyons qu'il faut éviter de tirer dun
si court fragment des conséquences si graves relati-
vement à un auteur qui est d'ailleurs connu par des
ouvrages considérables. Au fond, la kaçîdah sur
l'âme exprime plutôt une impression qu'une pensée.
En tous cas son véritable sens , s'il nous échappe , ne
nous sera pas fourni par le vers assez plat que quel-
ques scribes ont cru devoir ajouter au poème :
« Pouvez- vous répondre ? Moi , je n'en suis pas capable ;
mais le feu de la science a ses illuminations. »
174 JUILLET-AOÛT 1899.
NOUVELLES ET MÉLANGES.
BULLETIN D'^PIGRAPHIE SEMITIQUE.
Dans la séance de rÂcadëmie des Inscriptions et Belles-
Lettres du i" septembre 1899, ^* ^® marquis de Vogué,
président de ia Commission du Corpus Iiiscriptionam Semiti-
cavam , a annoncé que cette Commission avait pris la résolu-
tion de publier, à partir du 1" janvier 1900, des Bulletins
périodiques d'épigraphie sémitique , qui enregistreront au fur
et à mesure , toutes les nouvelles découvertes épigraphiqnes ,
qui noteront et analyseront toutes les publications relatives
à Tépigraphie, et serviront ainsi tout à la fois de complé-
ment aux volumes déjà parus du Corpus, en signalant les
corrections ou améliorations que les nouvelles découvertes
pourront permettre d*y apporter, et de préparation aux
volumes futurs , en mettant immédiatement à la disposition
des savants les textes nouveaux , et en facilitant leur discus-
sion et leur étude avant qu'ils ne soient insérés définitive-
ment au Corpus.
Voici d'ailleurs les termes mêmes du Rapport de M. de
Vogué. Après avoir dit que le nouveau recueil , dont le pro-
jet remonte à plusieurs années , serait conçu à peu près sur
le plan de VEphemeris epigrapkica Latina, il ajoute :
0 Cette publication , que les auteurs du C. /. L, ont jugée
indispensable à la bonne préparation de leur recueil, est
encore plus nécessaire à l'élaboration des futurs volumes du
C. /. S, Le moment approche en effet, où la Commission
aura définitivement publié tous les textes découverts avant
sa constitution, ou mis au jour pendant ses travaux. Ses
futures publications seront alimentées par les découvertes
NOUVELLES ET MÉLANGES. 175.
nouvelles, lesquelles étant nécessairement intermittentes et
irrégulièrement espacées, Tobligeront à mettre un assez grand
intervalle entre Tapparition des volumes qu'elle préparera. De
là, la nécessité dune publication supplémentaire qui enre-
gistre les découvertes et mette immédiatement les textes à la
disposition des savants »
« Les sacrifices considérables que l'Académie s*est imposés
pour le Corpus, ont permis d'apporter à son exécution tout
le soin , toute la précision , et on peut ajouter le luxe , qui
placent cet ouvrage au premier rang parmi les publications
orientales qui ont vu le jour jusqu'à présent. Nous devons à
l'Académie de ne reculer devant aucun effort pour main-
tenir son œuvre à la bauteur où elle a été placée , et main-
tenir au milieu d'elle le centre des études d'épigraphie
orientale »
Nous sommes certains que les lecteurs du Journal asiatique
apprendront avec plaisir l'apparition prochaine de cette publi-
cation, qui est une nouvelle marque de la sollicitude de
l'Académie des Inscriptions pour les études orientales et qui,
sous son haut patronage, et sous la direction de la Com-
mission du Corpus, ne peut manquer de devenir un organe
important de l'orientalisme. ,
LE JANISSAIRE Bl^HIR-AGHA , MaItRE DE BAGHDAD (iGig-lGaS) .
D'APRÀS UN DOCUMENT INEDIT.
Comme on le sait , les Ottomans ont conquis deux fois la
ville de Baghdad : la première fois en iô3/i« sous le règne
du sultan Suléïman le Législateur ou le Magnifique; la se*
conde fois en i638, sous le sultan Moorad IV. La première
conquête eut lica de la façon suivante : L'ancienne capitale
des khalifes abbassides, qui jusque-là relevait de la dynastie
des Turcomans du Mouton-Blanc, avait été prise en i5o8
176 JUILLET-AOÛT 1899.
par Lâlà-Hoséïn, général de Châh-Ismail le Çafavidc; depuis
lors , sauf l'enlreprise éphémère de Dliou'l-Fiqàr, chef d'une
tribu kurde, cette ville était restée sous la domination per-
sane, lorsque le sultan Suléïman, poursuivant le cours de
ses campagnes contre la Perse, songea, après Toccupation
de l'Adherbaïdjan , à conquérir la vallée du Tigre ; son grand-
vizir et généralissime Ibrahim-pacha, fds d'un matelot de
Parga , enlevé par des corsaires et vendu comme esclave , et
dont la bonne mine et l'habileté sur le violon avaient fait
toute la fortune , avait été envoyé en avant-garde et suivi de
près par le souverain; le gouverneur persan s'étant enfui,
la ville s'était rendue (i534).
Depuis lors, la domination ottomane n'avait plus été in-
terrompue que pendant quinze ans, de 1628 à i638, pé-
riode pendant laquelle Baghdad était retombé sous le joug
des Çafavides. La cause principale de ceUc interruption, qui
motiva la campagne de Mourad IV, fut la révolte d'un simple
janissaire de la garnison turque, Békir-agha, devenu çoâ-
bâchy ou chef de la police , qui fut le réel maître de la ville
pendant cinq ans, trahit son souverain en entretenant des
intelligences avec les Persans, se repentit trop tard de sa
trahison , et périt de la main des nouveaux maîtres qu'il avait
cherchés.
Békir-agha est connu par les pages que lui a consacrées
Hammer-Purgstall [Histoire de l'Empire ottoman, t. IX, p. 5
à 2 1 de la traduction française de J.-J. Hellert) , qui a tiré
surtout ses renseignements de l'historien turc Nalmâ. Si nous
revenons sur ce personnage et sur le rôle qu'il a joué , c'est
que nous pouvons citer, à côté de l'historiographe officiel
ottoman, un manuscrit turc inédit de notre collection qui
contient l'histoire de Baghdad, depuis la chute du khalifat
abbasside en 1 268 jusqu'en 1677. Cet ouvrage a été composé
probablement à la fin du xvii" siècle et postérieurement à
1 683 , date la plus récente citée dans le corps du texte , par
un auteur inconnu.
Lorsque Chàh-'Abbâs 1" s'empara de Baghdad, la plupart
NOUVELLES ET MÉLANGES. 177
des TuiTs émigrèrent ; le père de notre auteur se devisa en
derviche, après être resté caché quelques jours, et, accom*
pagné de sa seule mère, tète et pieds nus, sans provisions,
i^ussit à gagner Y Asie Mineure en remontant le cours de
TËuphrate, et à se l'éfugier auprès du général HÀiyz Ahmed
pacha qu*il connaissait et qui tenta en vain de reprendi^e la
ville des Khalifes.
Les renseignements que nous donne notre auteui* ano-
nyme sur le janissaire Békir-agha, il les tenait de son père,
témoin oculaire , et il est intéressant , à ce titre , de les com-
parer avec ceux de Nalmâ utilisés par Hanimer. Voici donc
ce qu'il nous dit sur cette période :
« A la mort du sultan A^med I", celui-ci fut remplacé par
son frère Moçtafâ I*' qu'on déposa au hout de trois mois et
qui vit monter sur le trône son neveu *Osmân II , iils d'Ai^-
med I" (1618). Sous le règne désordonné de cdui~ci, en
1 61 9 , un individu nommé Bëkir, simple janissaire de la gar>
nison de Baghdad, devenu ensuite çou-hâchy, puis agha de
cette troupe, et qui conserva toujours ce surnom de çoâ-
bâchy, vit croître son influence à tel point qn*il devint le vi^ai
maître de la province. Toutes les nominations de fonction-
naires locaux passaient entre ses mains , et les affaires étaient
réglées suivant son avis. »
Cette influence de Békir n'était pas pour plaire à tout le
monde ; un corps de troupes , les Azahs , se mirent contre lui
et complotèrent sa perte. Ces Azahs avaient à Baghdad
même un agha , nommé Mohammed Qanhèr, qui fat i*àme
de cette machination, et profita de ce qu'en 1631, certaines
trihus bédouines s' étant révoltées dans les régions éloignées
de la province, Bddr marcha en personne contre dUes, en
laissant à sa place un lieutenant nommé Mohammed. « Qan-
hèr, dit notre auteur, invita chez lui les chefs des Azahs et les
chérifs de la ville , et tint conseil avec eux pour détruire l'om-
nipotence du parvenu qui s'était élevé au rang de tyran. Tons
approuvèrent sa manière de voir et se conjurèrent avec kd ;
ils se mirent à chercher le moyen de rétablir l'ordre dans la
IV. la
IMHIHKias ii«nos«L>.
178 ' JUILLET-AOÛT 1899.
province en détruisant le çoû-bàchy et les acolytes qui sou-
tenaient son pouvoir. » Mais Békir avait laissé dans la ville
des gens qui lui étaient dévoués et , parmi eux , son kiaya
*Omar. Celui-ci songea , pour gagner -du temps , à suggérer
aux Azabs l'idée de se mettre d'accord avec le gouverneur de
la province, Yousouf- pacha, que l'autorité de Békir avait
réduit à n'être plus qu'un fantôme, et a s*appuyer sur lui
pour arriver à ses fins. Il se rendit auprès de Mohamme4
Qanbèr, et lui fit des offres de service pour amener l'abaisse-
ment du pouvoir du çoù-bàchy, en s'appuyant sur le repré-
sentant de l'autorité du sultan, qui habitait la forteresse
connue sous le nom de citadelle intérieure [Itck-Qafe],
Cette forteresse a joué un grand rôle dans les sièges et les
séditions dont Baghdad a été le théâtre jusque dans des
temps très rapprochés de nous; elle était bâtie de belles
pierres blanches, d'après Thévenot; du temps de Niebuhr
elle servait encore d'arsenal et de magasin à poudre. Elle
était située au nord-ouest de la ville , dans l'angle formé par
la rencontre des remparts et de la rive du fleuve; elle fiit
totalement détruite lors des troubles qui marquèrent la chute
du gouverneur général Daoud-pacha en i83i. C'était là que
se trouvaient le palais du gouverneur, les demeures des ja-
nissaires, et sa possession était la marque visible de l'occu-
pation de la ville.
Mohammed Qanbèr, au lieu de s'emparer du kiaya 'Omar
qui était venu se mettre entre ses mains , ainsi qu'on le lui
conseillait , accueillit ses avis et le fit reconduire chez lui avec
des honneurs particuliers; puis il se rendit auprès du gou-
verneur Yousouf- pacha, qui accueillit favorablement les ou-
vertures du chef des Azabs , approuva son projet et s'entendit
avec lui pour mettre fin à la domination occulte du chef des
janissaires; mais par insouciance ou peut-être pour se mé-
nager des appuis dans l'autre camp, il négligea de faire ar-
rêter le kiaya *Omar et s'occupa au contraire de lui conférer
une promotion de grade.
Le kiaya 'Omar profita immédiatement du répit qui lui
NOUVKLLKS RT MKLANGËS. 179
était maladroitement laissé; il réunit les partisans de Békir,
qui se procurèrent des armes, fermèrent les portes des quar-
tiers et des rues, et se saisirent des points stratégiques sur
lesquels ils voulaient s'appuyer; ils attaquèrent la citadelle,
devant laquelle, sur le Méïdan ou place publique, étaient
massées les troupes du gouverneur et de Mohammed Qanbèr ;
ils firent pleuvoir sur elles une grêle de balles , en mirent la
plus grande partie hors de combat; les rebelles restèrent
maîtres du terrain et installèrent immédiatement, pour battre
les murailles de la citadelle , des batteries de canons sur des
cavaliers qu'ils élevèrent sans tarder.
L'événement ayant tourné contrairement à ses espérances ,
et les partisans de Békir étant maîtres de la ville , Moham-
med Qanbèr se souvint que son fils, Abdallah-Réïs, accom-
pagnait alors Békir dans sa campagne contre les Bédouins
révoltés ; il lui écrivit pour lui reconmiander de soulever les
Azabs qui l'accompagnaient, de prendre par surprise Békir
et ses gens, de les anéantir et d'envoyer le reste des troupes
en hâte à Baghdad. Cette lettre fut remise à un courrier
arabe qui traversa le Tigre par une nuit obscure ; ce courrier,
trouvant que la gratification que Qanbèr lui avait remise à
son départ était trop mince , n'hésita pas à se rendre auprès
du chef des janissaires et à lui remettre le message de
Qanbèr.
Békir était un homme énergique et d'une décision prompte.
Il s'empara d'Abdallah-Réïs , le fils de Qanbèr, le destinataire
du message trahi , pendant son sommeil , et le fit mettre à
mort en sa présence malgré ses protestations d'innocence;
les Azabs qui l'entouraient s'enfuirent, et Békir, maître de
la situation, leva le camp, revint en hâte à Baghdad, s'éta-
blit à l'occident de la ville et s'occupa de jeter un pont de
bateaux sur le Tigre ; c'est pendant qu'il surveillait l'installa-
tion des canons destinés à déjouer cette manœuvre , que le
gouverneur Yousouf- pacha fut tué par une balle partie de
la rive opoosée , et que disparut le représentant de l'autorité
centrale
13.
180 JUILLET-AOÛT 1899.
Les assiégés, renfermés dans la citadelle, résistèrent en-
core quelques jours; mais, réduits au désespoir, ils se ren-
dirent à discrétion. Les vainqueurs pillèrent Tarsenal con-
servé depuis la conquête du sultan Suléïman , ainsi que tous
les biens des particuliers ; ils mirent le feu à Imtérieur et à
l'extérieur de la forteresse; des habitants de la citadelle, les
uns s*enfuirent dans le désert, les autres restèrent prison-
niers. Au nombre de ces derniers se trouvait Mohammed
Qanbèr, qui fut conduit devant Békir; le janissaire le fit
attacher sur un pilori, dans une barque menée par deux
hommes, enduire de naphte, et brûler vif au milieu du
Tigre.
Les partisans de Qanbèr furent recherchés, poursuivis,
punis de supplices variés; «ces atrocités, dit notre auteur,
rappelèrent aux habitants de Baghdad les temps d'Houlagou
et de Timour ». Le mufti lui-même, Molla-agha, qui avait des
parents parmi les Azabs , n'échappa pas au ressentiment du
çoù-bâchy et tomba sous les coups de ses bourreaux.
C'est ainsi que le çoù-bâchy Békir devint maître incontesté
et indépendant de Baghdad. Cependant il ne tarda pas à
réfléchir aux suites de l'imprudence qu'il avait commise en
rompant toutes relations avec la Sublime Porte. Le sidtan
Mourad IV venait d'être intronisé (1622). Békir s'adressa à
Hàfyz Ahmed -pacha, gouverneur militaire de Diarbékir,
pour obtenir, par son entremise , son pardon et sa nomination
comme gouverneur de la province de Baghdad ; mais le Di-
van , très au courant de ce qui s'était passé , refusa d'entrer
dans les vues du rebelle , désigna , contrairement à ses dé-
sirs, Suléïman-pacha comme gouverneur, et chargea Hà^
Ahmed-pacha de l'installer par la force. Celui-ci prit avec
lui 20,000 hommes de cavalerie et des troupes kurdes, vint
camper dans le village de Yénidjé et bloqua Baghdad, dont
les habitants sou£Praient déjà de la disette à cause des mau-
vaises récoltes provenant de la sécheresse et des désordres
qui avaient troublé la province.
Cependant plusieurs mois se passèrent, et Hâfyz Ahmed-
NOUVELLES ET MÉLANGES. 181
pacha n'avançait à rien ; il quitta sa position de Yéfiidjë et
vint planter ses tentes en face des bourgades de Behroûz
et de Bà*qoubâ , qui furent pillées et dévastées. A la nouvelle
de ce changement de front , Békir, pour protéger les villages
situés de ce côté , envoya son kiaya *Omar à la tête de 7,000
à 8,000 hommes. Une rencontre eut lieu dans l'endroit
nommé Qobâb-Léïth; le gouverneur de Rerkoùk, Boustân-
pacha, qui commandait à 5, 000 hommes, fut blessé dans la
lutte; les Ottomans, découragés, s'apprêtaient à s'enfuir,
lorsque le lendemain' Hâfyz Ahmed -pacha apparut sur le
champ de bataille, et attaqua les rebelles de quatre côtés à
la fois; la résistance dura jusqu'au soir, mais elle fut finale-
ment vaincue; 3,700 hommes restèrent sur le terrain; 2,5oo
furent faits prisonniers et amenés devant Ahmed-pacha , qui
avait eu fort à se plaindre de ces gens quand il avait été
gouverneur de cette même province , peu de temps avant la
révolte de Békir; il les sacrifia sans pitié.
Békir fut profondément aflligé de la défaite de ses troupes ;
il réunit les principaux de son entourage, et leur expliqua
que la disette d'approvisionnements et la faiblesse de son
armée en déroute empêchaient toute résistance; dans une
pareille situation , on résolut de se mettre sous la protection
du chah de Perse et de lui livrer la ville. Abbâs l" était alors
en campagne dans la région de Qandahâr ; on lui fit porter
les clefs de la forteresse. Le Chah accueillit favorablement
les ouvertures des révoltés , et désigna immédiatement Çaft-
qouly-khân, gouverneur de Hamadan, pour aller prendre
possession de Baghdad.
Hâfyz Ahmed pacha , à la nouvelle de la marche des Per-
sans, reconnut qu'il lui serait impossible de s'y opposer,
parce que son armée était fatiguée de la guerre et dégoûtée
de la campagne , et hors d'état de résister à une sortie de la
garnison si elle se produisait en même temps que l'attaque
de l'ennemi. 11 eut recours à la ruse, et voulut ramener
Békir du côté des Turcs ; il lui envoya une lettre amicale et
flatteuse qui lui promettait sa confirmation dans le gouver-
182 JUILLET-AOÛT 1899.
nement de la province, avec pardon entier et l'envoi de pré-
sents de la part du Stdtan. o Le passé est passé ; qu'on n*en
parie plus ; Baghdad vous est promis sans changement ni refus.
Protégez la province impériale contre les étrangers, sinon
vous serez cause de la destruction du monde entier. » Puis il
se mit en sûreté.
Békir, heureux d*étre débarrassé de la présence des Otto-
mans, flatté peut-être de la marque de confiance que lui
donnait le représentant du Sultan , en le chargeant officiel-
ment de la défense de Baghdad contre les Persans, com-
prit retendue et la portée de la trahison à laquelle il
s'était livré, lui un vieux janissaire; il se repentit de ce
qu'il avait fait, et, se sentant incapable de défendre la
place contre l'armée des Gafa vides , il résolut de gagner du
temps en employant la ruse. « Il commença , dit notre au-
teur anonyme, par envoyer à la rencontre du général per-
san Gaf î-qouly-khàn , qui avait réuni ses troupes à Khâ-
niqin entre Ramadan et Baghdad, et en était déjà parti,
plusieurs personnages de son entourage revêtus du carac-
tère de mihmândâr ou fourriers, par lesquels il le fit féli-
citer amicalement; il lui fit préparer un logement du côté
de la porte de Qara-qapou (la porte noire), appelée aussi
Qaranlyq-qapou (la porte obscure), au sud de la ville, ou
l'attendait un festin destiné à durer trois jours et où on
lui présenta les cadeaux d'usage. Il écrivit au général persan
une lettre amicale remplie de compliments de bienvenue,
lui disant qu'il était plein de reconnaissance pour l'aide
qu'il était venu lui apporter, et il lui faisait tenir en même
temps quelques bourses d'argent à titre de frais de route,
et rien de plus.
« Çafi-qoidi-khân , qui s'attendait à la reddition pure et
simple de la place, fut tout agité à la lecture de cette
lettre et entra dans une violente colère; il comprit qu'il
n'y avait là qu'une ruse pour gagner du temps; il s'écria:
« Ce n'est pas pour recevoir des honneurs et amasser de
«l'argent que nous avons supporte tant de difficultés et
NOUVELLES ET MÉLANGES. 183
« affronté tant de périls ; je vais faire savoir ce qui se passe
« au chah de Perse. »
Châh-Ahbâs avait terminé la campagne de Qandahâr et
s'était déjà installé à Ispahan, où il attendait justement
des nouvelles de Baghdad ; c'est là que le trouva le messager
qui venait lui apprendre que Békir avait rompu rengage-
ment souscrit. Saisi , lui aussi , d*une colère violente , il en-
voya immédiatement des courriers avec Tordre de réunir
les troupes du Khorasân, de la Géorgie, du Gîlan et du
Mazandéran , ce qui constitua une armée considérable avec
laquelle il se mit lui-même en route. Il ne tarda pas à
arriver a Baghdad et il s'installa sous les murs de la cita-
delle.
A l'arrivée du Chah , Çaf î-qouly-khân passa sur la rive oc-
cidentale du Tigre pour s'en saisir, ce qui terrifia Békir;
pour essayer d'entraver le mouvement tournant des troupes
persanes , il mit son kiaya *Omar à la tète de cpielques sol-
dats, les fit passer par le pont sur la rive occidentale; le
combat qui s'y livra se termina par la déroute des troupes
de Baghdad ; le kiaya 'Omar et plusieurs grands personnages
tombèrent aux mains de l'ennemi.
Dès son arrivée, Châh-Abbâs avait fait élever des para-
pets et des cavaliers, et creuser des mines devant la cita-
delle. Eln outre des dommages causés à la ville par son feu ,
la disette qui y régnait depuis longtemps amena une
horrible famine. La misère fut telle que, profitant de
Tobscurité de la nuit, nombre de désespérés descendirent
des murailles et se rendirent à l'armée persane. Békir se
trouva très faible , sans armée et sans munitions.
C'est alors que se noua le comploj; qui devait livrer la
viUe aux assiégeants. « Voyant cette situation et poussé par
les mauvais conseils du désespoir, Mohammed, fils aîné de
Békir, qui était chargé de la garde de la citadelle intérieure
et de repousser l'ennemi de ce côté-là, se résolut à trahir
la cause de son père. £n i6a3, ayant encore à peine la
force de résister et après avoir attendu quelque temps une
184 JUILLET-AOÛT 1899.
délivrance qui ne venait pas, il profita d*une nuit sombre
pour envoyer un messager au camp persan,- en vue d'ob-
tenir la promesse du gouvernement de Baghdad pour lui-
même en offrant de livrer la citadelle. Or, au même mo-
ment, un chef persan, noomié Isâ-khân, s'emparait sans
aucune peine de la citadelle intérieure en s*y introduisant
du côté de la campagne avec quelques milliers de Persans.
Au matin, les citadins, en entendant les appels de trom-
pettes sur les tours et les murailles, comprirent ce qui
s'était passé. On prétend que la terreur qui se répandit fut
si grande , que des fenunes enceintes avortèrent et que plu-
sieurs personnes rendirent Tâme de saisissement.
«Une fois la viUe prise, de nombreux sunnites furent
jetés au cachot ; Nouri-Ëfendi , mufti de la province , fut mis
à mort ; les soldats appartenant au corps des janissaires in-
digènes (qoal-tâ^èsi) furent soumis à toutes sortes de tor-
tures pour révéler les cachettes de leur fortune, et enfin
mis à mort.
« On revêtit Mohanuned, fils de Békir, et ses partisans de
vêtements d'honneur pour les récompenser de leurs ofires
de service ; Békir et son frère *Omar-Efendi furent faits pri-
sonniers et torturés pendant deux mois au moyen d'un
supplice qui consistait à les empêcher de dormir, et dont
ils moururent. Après ces exécutions , on proclama un pardon
générai : les prisonniers furent relâchés, et l'abondance
recommença à régner pour les pauvres affamés ».
Telle fut la fin misérable du çoû-bâchy Békir, qui fut
cinq ans maître de Baghdad, et emporté par l'orgueil et
son ressentiment contre ses ennemis, craignit de rester
sous l'obéissance du sidtan de Constantinople , se tourna
vers Châh-'Abbâs, comprit trop tard l'étendue de sa faute
et ne sut pas la racheter par l'énergie de sa défense. Les
suites de sa domination néfaste se firent sentir pendant
longtemps : « la ville était à moitié démolie , dit notre au-
teur ; les médressés et les mosquées , souvenirs des khalifes
abbassides, tombaient en ruines et étaient transformées en
NOUVELLES ET MÉLANGES. 185
écuries; les maisons des simples particuliers avaient été
mises à sac le jour de Tassant. » En outre , le sultan Mourad IV,
pour reprendre Baghdad, fut obligé à une des expéditions
les plus considérables entreprises par TEmpire ottoman, à
la suite d*une tentative infructueuse faite par le serdâr
Hàfyz Ahmed-pacha , en 16 2 5; Châh-*Abbàs était mort en
1629 et avait eu pour successeur son petit-fils Çafl-Mirzâ; ce
ne fut, comme on sait, qu*à la fin de i638 que Baghdad re-
tomba sous la domination ottomane, cette fois pour n*en
plus sortir.
Voici, en résumé , les principsdes différences qui séparent
le récit qui précède de celui de Na'imâ, qui a servi de base
à Hammer et à Jouannin :
1° L'historiographe ottoman donne pour raison de la
tentative malheureuse de Mohammed , dont il ignore le sur-
nom de Qanbër, son désir de satisfaire sa vieiUe inimitié
contre Békir, tandis que notre auteur anonyme attribue l'ori-
gine du complot au besoin que ressentait ce personnage ,
soutenu en cela par les chefs des Azabs et les chérifs, de
mettre fin à l'omnipotence du çoû-bâchy.
2° Na*îmâ dit que Tagha des Azabs eut l'imprudence de
confier ses projets au kiaya 'Omar; d'après l'auteur anonyme ,
c'est celui-ci qui eut l'initiative de la ruse qui le mettait au
courant des projets des ennemis de Békir, ce qui est beau-
coup plus vraisemblable.
3" Les historiens attribuent une trop grande activité à
Yousouf-pacha , le gouverneur, qui parait au contraire , dans
notre texte , comme absolument annihilé tantôt par l'autorité
de Békir, lantôt par celle de Mohammed Qanbèr après sa
révolte ; enfin ce n'est pas pendant qu'il était occupé à exercer
des canonniers qu'il fut atteint de la baUe qui le tua , mais
pendant qu'il faisait mettre en batterie des canons pour
abattre le pont de bateaux que faisait construire Békir.
4* Hammer affirme (t. IX, p. i3) que Châh-*Abbâs n'at-
tendait qu'une occasion pour s'emparer d'une province aussi
importante; le récit de notre auteur montre au contraire
18C JUILLET-AOÛT 1899.
qu*il n'y songeait nullement , occupé qu'il était à faire cam-
pagne en Afghanistan ; la remise des clefs de la forteresse le
surprit , mais , à dire vrai , il saisit immédiatement roccasion
qui s'offrait et désigna un général pour aller prendre pos-
session de la viUe.
S"" n est bien certain que Moliammed, le fils de Békir,
avait comploté avec les Persans la remise de la citadelle;
mais notre auteur nous fait connaître que la nuit même où
s'achevaient les négociations , « un chef persan , nommé Isa-
khân, s'emparait sans aucune peine de la citadelle en s'y
introduisant du côté de la campagne ».
6" Il faut rejeter définitivement le récit des historiens
ottomans qui représente Békir périssant du même supplice
qu'il avait infligé à Mohammed Qanbèr, le chef des Azabs;
au lieu d'être placé sur une barque enduite de naphte et
abandonnée toute en flanunes au courant du Tigre, Békir
mourut parce que, pendant deux mois, on l'empêcha de
dormir. Si Békir avait péri dans les flanunes , le parallèle de
son exécution avec celle de sa victime n'aurait pas manqué
de frapper vivement l'imagination des habitants de Baghdad ,
et nous en aurions l'écho dans notre auteur, dont le père
avait vu tous ces événements et qui les écrivait une soixan-
taine d'années plus tard.
Ce ne sont, si l'on veut, que des détails; cela ne change
rien aux grandes lignes de l'histoire; mais, pour ce qui
concerne la ville de Baghdad, notre document explique
mieux que les historiens les causes qui amenèrent, au début
du XVII* siècle , son occupation par les Persans et sa reprise
par les Turcs.
Cl. HUART.
Le gérant :
KUBENS DUVAL.
188 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
la précise ou la complète, c'est la Sounnah; Ten-
semble constitue la législation qoranique.
Elle marqua sur Tordre de choses antérieur un
réel progrès. Elle releva la femme, adoucit 1 autorité
du père de famille et donna à Tensemble du Code
une allure plus rationnelle, plus précise et plus
douce, parce quelle éleva le concept de la justice
et chercha en Dieu sa propre source. La révélation
la fixa sur des bases inébranlables. Les hommes
ont, depuis, multiplié les formules, accumulé les
distinctions et élevé, autour de la masse primitive,
comme un taillis de règles secondaires, de coutumes
dérivées, de pratiques détournées; ils n'ont pas pu,
comme ailleurs, transformer l'édifice législatif lui-
même, ni forienter vers les lumières nouvelles.
La loi primitive n'était pas simple; l'esprit d'Allah,
qui l'avait dictée, était vraisemblablement sémite
et s'inspirait souvent des coutumes antérieures; en
d'autres termes, et faisant abstraction de la révéla-
tion, Mohammed donna, dans les versets du Qo-
rân, ime forme plus précise et souvent adoucie,
mais rarement nouvelle, des anciennes coutumes.
Celles-ci étaient compliquées, formalistes et par-
tiales comme toute législation primitive. La loi qo-
ranique fiit moins formaliste et moins partiale. D
ne faudrait cependant pas s'exagérer sa simplicité;
ce serait méconnaître une des caractéristiques les
plus tranchées de l'esprit arabe, qui ne voit pas
simple, évolue facilement au milieu des difficultés
juridiques, et attache trop de prix aux biens ma-
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 189
tériels pour ne pas en discuter âprement la jouis-
sance et la dévolution. Les Ismaïlites ont pu, dans
un accès subit de passion religieuse, se jeter sur le
monde, sans autre souci que Tacquisition , au prix
de leur sang, des joies de Tau -delà (et ce fut, à
nen pas douter, le moteur qui les mit en marche),
mais ils ne tardèrent pas à abaisser leurs regards
vers la terre, et Téclat du butin qu'ils faisaient en
tous lieux trouva vite le chemin de leurs yeux. Ils
surent, du reste, faire habilement au ciel sa part
dans leurs préoccupations journalières, sans, pour
cela, négliger le temporel : les primitifs et les com-
plexes ont de ces habiletés que, du reste, beaucoup
d autres, qui se croient plus affinés et plus simples,
possèdent souvent aussi, à un rare degré, à leur
insu. Ces hommes primitifs et complexes surent tou-
jours allier une conception très élevée de Tau-delà
au souci très pressant des choses de ce bas monde;
ils eurent, du grec, la faculté religieuse, et, du ro-
main, Tespril juridique. De là un code très com-
pliqué qui ne le cède en rien aux compilations des
Papinien et des Gaïus. En feuilletant un de leurs
recueils de jurisprudence, on retrouve presque tous
les titres des InstituteSy avec des définitions, des
distinctions et des controverses aussi fouillées, pe-
sées, serrées que celles des juristes de Rome, et ce
code ne semble pas mieux fait que le leur pour pé-
nétrer la nation barbare qui avait mal supporté ou
refusé le premier et qui, cependant, adopta celui-ci.
G est que les deux lois, semblables en apparence,
i3.
190 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
présentent des difiFérences considérables qui chan-
gent leur caractère, leur action et leur portée.
La loi du Bas-Empire est humaine; ce sont des
hommes, que Ton connaît bien, qui Tout faite, de
même que d'autres hommes la défont et la refont
chaque jour, et l'imposent autour d'eux en même
temps que leur autorité. Elle se ressent de la haine
que le vaincu a pour le conquérant, et ce n'est qah la
longue, quand le temps a si bien confondu l'un et
l'autre qu'il est inipossible de les distinguer dans la
nation devenue homogène , que la loi déracine les cou-
tumes locales et s'implante k demeure ; si, avant que
l'heure de l'union ait sonné, le vaincu se soulève, il
chasse la loi en même temps que l'oppresseur et se dé-
livre des deux à la fois. — La loi arabe est d'origine
divine; celui qui l'apporte, loin de l'imposer au
vaincu, se défend de l'appliquer à un homme qui
ne pratique pas sa foi; c'est une loi de privilégiés,
que tout le monde ne peut invoquer et qui confère
à ceux qui l'observent de grands avantages. Le con-
quérant, ici, ne va pas au-devant du conquis; il
attend qu'il vienne k lui et qu'il demande comme
une faveur ce que le romain imposait comme une
obligation. On le sait de reste : l'homme est ainsi
fait qu'il désire ardemment ce qu'on lui refuse, fût-ce
peu de chose, et repousse avec dédain ce qu'on
lui offre. Les aristocraties soucieuses de conserver
leurs privilèges, les tribus inquiètes pour leurs
terres de parcours et leur antique renommée, les
individus isolés, attirés par le désir de se joindre
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 191
aux armées d'invasion dans la chasse au butin,
se précipitèrent vers Tlsiam, qui ne leur demandait
qu une profession de foi et leur donna en (échange
une loi nouvelle; ils la reçurent à leur insu, enve-
loppée dans les feuilles du Qorân, et Tobservèrent ,
parce que, à leurs yeux de nouveaux convertis, elle
était la parole de Dieu.
La loi romaine était enfermée dans des recueils
nombreux, coûteux et rares qui, à un certain mo-
ment, devinrent si coûteux et si rares que les ju-
ristes eux-mêmes ne pouvaient plus se les procurer;
on la codifia; mais, pour être enfermée dans un di-
geste, elle n'en fut pas beaucoup plus claire, et
resta toujours lettre morte pour l'ignorant, l'homme
du commun, le commerçant, le soldat, tous ceux
qui n'étaient ni juges, ni fonctionnaires. Nous savons
trop ce qu'est une loi de ce genre ; l'ignorant, c est-
à-dire tout le monde, la considère avec crainte,
comme une machine dangereuse qui tranche un peu
en tous sens, sans qu'on sache jamais pourquoi,
qui entre en mouvement sans qu'on la sollicite et
s'arrête parfois quand on la voudrait voir nuuxher.
On la craint, comme beaucoup d'autres choses en ce
monde, parce qu'on l'ignore, et on l'ignore parce
que personne n'a jamais songé à l'apprendre à tous,
autrement que par bribes insignifiantes et rares
échappées, en insistant toujours sur la complexité
de ses dispositions, et en épaississant l'obscurité des
textes par la phraséologie technique des définitions.
La loi arabe est écrite dans le livre saint, que tout
192 SEPTEMBRE-OCTORRE 1899.
bon musulman doit apprendre par cœur et qu'il
finit du reste par connaître sans le vouloir, en enten-
dant résonner chaque jour k son oreille les versets
qui le composent. Le néophyte apprend là loi comme
Tenfant, chez nous, se pénètre des préceptes de la
morale en étudiant son catéchisme. Certes, cette
connaissance est relative et satisferait peu aux né-
cessités courantes de Texistence; le juriste est là,
qui éclaircil les points controversés et ordonne les
raisonnements subtils et les distinctions nécessaires;
mais la loi est connue de tous , elle est répandue à
des milliers d exemplaires entre toutes les mains et
s offre à qui veut Tétudier, tandis que notre légis-
lation se cache dans des livres spéciaux , fermés aux
profanes. On s'étonne parfois de trouver chez l'Arabe
de rares qualités juridiques , un goût spécial pour
la controverse et une connaissance approfondie du
droit; l'explication du fait est facile à donner. Dès
l'enfance, on l'a mis en présence de la loi; il Ta
apprise par cœur, copiée et recopiée, récitée dans
ses prières et psalmodiée à la mosquée; il a vécu avec
elle, pour elle, par elle; comment ne serait-il pas
soucieux de la mieux connaître encore et d'analyser
l'esprit d'un texte dont il possède si bien la lettre?
Enfin la loi romaine, nous lavons déjà vu, est le
domaine du juge, du fonctionnaire. Cette machine,
compliquée et quinteuse, ne marche que s'ils l'or-
donnent et qu'autant qu'ils le veulent ou qu'autant
que le veut celui qui leur commande à tous : l'Etat.
C'est l'Etat qui fait la loi et la met en action. De là
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 193
cette défiance incurable du sujet, qui craint toujours,
s'il s approche trop près, d'être pris dans un engre-
nage qu il ignore. — La loi musulmane est appliquée
par le qâd'i, jurisconsulte éprouvé, que la confiance
du prince investit du pouvoir de rendre la justice,
mais qui reste supérieur au prince de toute la hauteur
dont le domine la loi elle-même , que nul ne peut
modifier. Le prince ne consei^ve que la juridiction
criminelle. La procédure du qâd'i est simple ; chacun
peut la suivre sans peine et Fentamer sans frais, quand
le magistrat est intègre. S^l ne Test pas , l'application
de la loi peut être faussée, son esprit reste intact et
le plaideur lésé , qui sait cela , ne songe pas à imputer
à la loi la faute de l'homme. Le plaignant trouve
prompte justice à sa porte, car les qâd'is sont nom-
breux, et ils expédient les affaires rapidement et
sans frais, avantage inestimable en tous pays, mais
surtout chez des peuples primitifs, qui préfèrent
souvent une sentence un peu boiteuse, mais vite
rendue et pas trop coûteuse, à un arrêt impeccable
poursuivi durant des années, à grand renfort d'ar-
tifices de procédure et de frais écrasants, devant
une série interminable de juridictions.
Je le répète , les deux législations qui se succèdent
en Afrique, car c'est toujours l'Afrique qui, dans
cette étude, nous préoccupe, présentent des ressem-
blances trompeuses et, au fond, diffèrent essentielle-
ment. La législation antique est une œuvre humaine
et ne s'impose pas facilement aux hommes ; elle est
le domaine du juge et inquiète f esprit ignorant;
194 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
elle est compliquée et formaliste et décourage les
plaideurs les plus sûrs de leur droit. La législation
arabe est d'essence divine et commande impérieu-
sement; elle est voisine de l'homme, qui vit presque
en elle; le juge aussi est proche et expéditif. Elle
est autoritaire et approximative, et ces défauts
mêmes sont des qualités aux yeux des hommes qui
lui obéissent.
Le Gouvernement arabe, présente, lui aussi, des
caractères propres et, sous de spécieuses ressem-
blances, des particularités remarquables. En cette
matière, comme en beaucoup d'autres, le mot fran-
çais, précis et évocateur d'idées nettes, trahit l'au-
teur qui veut parier du monde sémite. Il peut
craindre que, dès l'abord, un malentendu ne s'élève
entre le lecteur, qui attend des notions techniques,
et lui, qui ne peut fournir que des données vagues.
J'emploie le mot de gouvernement faute d'un plus
mauvais, qui dise moins en laissant supposer davan-
tage, et qui signifie une autorité suprême, impé-
rieuse et toujours contestée, dominatrice et sans
cesse menacée, écrasante aujourd'hui et demain ré-
duite à rien, quelque chose comme le Parlement
d'Angleterre à Westminster avec, au-dessous, dans
les caves, Guy Fawkes, mèche allumée, à côté de
sa machine infernale.
L'esprit d'indépendance et d'égalité de la race a
toujours condamné le gouvernement à n'êlre que
cela.
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 195
Lorsque Mo^aouïah, gouveineur de la Syrie, se
préparait à' disputer le Khalifat à *AU, il demanda à
lun de ses fidèles, officier de sa garde, Nos'aïr, de
raccompagner dans lexpédition qui devait se ter-
miner à Sifïin. Nos'aïr refusa en disant ; « Tu renies
celui qui mérite plus de louanges que toi : Dieu, qu'il
soit exalté , et je ne m associerai pas à ton infidélité. »
Mo^aouïah ne répliqua pas et laissa Nos'aïr libre d'agir
à sa guise ^ Voilà comment on peut compter sur
eux.
Mohammed à peine mort, la plupart des tribus
refiisent l'impôt et répudient Tlslam, et il faut les
ramener par la force dans le giron de l'Eglise.
Au moment où *Ali combat son compétiteur
Ma^aouïah, une troupe de fanatiques, forte de plu-
sieurs milliers d'hommes et campée dans la basse
Mésopotamie, se soulève contre le Khalife, sous le
prétexte de réformer l'Islam, et V\li, désespérant d'en
venir à bout par d'autres moyens, les massacre
presque jusqu'au dernier. Il en épargne cependant,
car en 65 H. ils se révoltent encore dans l'Iraq contre
le gouverneur de ^Abd Allah ibn ez-Zobaïr, et Mo-
hallab ibn Abi S'ofrah el Azdi en tue 4,800 dans le
Khorassan.
Après la mort de 'Oqbah , en Afrique, H'anach es'-
S'anâni, suivant quelques traditionnistes^, enlève à
Zohaïr el Balaoui le commandement de l'armée et
l'oblige à battre en retraite.
' Ibn al Al'ir. Kamil, [V, p. ''117.
^ Foumeî, [, 180.
196 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Nous retrouverons bientôt des faits pareils à
foison ; c est partout et toujours la tnénie chose : la
détente nerveuse pousse l'homme dans un sens; il
ny sait pas résister et marche droit devant lui,
tranche, abat, détruit sans souci de lautorité qu'il
méconnaît, qui! jalouse, et que, du reste, il ne ren-
verse que pour la rétablir à son profit. C'est qu'il a
aussi un remarquable esprit égalitaire , qui fait de lui
le frère de quiconque et l'émule des plus puissants.
En Tan 20 H., *Amr parlementa avec Moqaouqas,
gouverneur de l'Egypte , lui envoya dix Arabes et ,
parmi eux, ^Ibadah ibn es'-S'amet, qui était noir.
Moqaouqas refusa de lui parler. Ils dirent tous :
« Cet homme noir est le plus avisé et le plus sage
d'entre nous. C'est lui qui nous conseille et nous
conduit; nous suivons toujours ses avis et notre
émir nous enjoint d'obéir à ses ordres et de ne point
contrecarrer ses opinions ni ses dires. — Comment ,
dit Moqaouqas, admettez-vous que ce noir soit votre
supérieur ? Il devrait vous être soumis. — Bien au
contraire, répondirent-ils ; il a beau être noir, comme
tu le vois, il est notre supérieur par le grade, par
le rang, par l'intelligence et parle conseil; car,
chez nous , les noirs ne sont pas méprisés ^ » En efiFet ,
ils n'atlachent aucune importance à la différence de
race et de teinte; la profession de foi musidmane
met tous les hommes qui l'ont faite sur le même
pied. Mais ces égaux ont \m même désir d'indépen-
^ Abou'l Mabasin, p. i3.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 197
dance et un dédain suprême pour Tautorité qui, si
elle ne sait pas se faire craindre, se condamne à
périr. Soldats et officiers sont également insubor-
donnés; les officiers entraînent leurs hommes; les
soldats poussent les officiers à la rébellion ou pren-
nent lun deux, plus intelligent et plus audacieux
que le reste de la troupe, pour les conduire à Tas-
saut du pouvoir. L armée est la vraie force d une
autorité implantée par hasard en pays étranger, sur
des populations pacifiques, indifférentes ou hostiles.
Si 1 aimée désobéit, fautorilé s effondre. L'armée, à
Tépoque qui nous occupe, c'est toute la nation
arabe, car la nation ne vit que par la guerre et pour
la guerre. Le chef du gouvernement est un général ;
il a la toute-puissance du commandement militaire,
la décision du chef de bande qui mène lexpédition
pour le bien de ses hommes et pour son propre bé-
néfice. Tant que les intérêts des soldats et du chef
sont les mêmes , l'accord subsiste et permet de faire
de grandes choses; si les intérêts viennent è diffé-
rer, et cela arrive fatalement le jour où, la conquête
finie, le général s'érige en souverain ou au moins
en gouverneur, et administre au heu de combattre ,
les soldats, encore enfiévrés par la bataille, mal
assis sur une conquête qu'ils dédaignent déjà, im-
patients d'en faire d'autres ou aigris par quelque
récent échec , s'en prennent à leur chef de l'inaction
qui leur pèse ou de la défaite qui les humilie ; ils
cherchent un autre homme qui les mène ailleurs ou
satisfasse à leurs désirs : c'est la révolte. Le nouveau
198 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
chef, porté au pouvoir par les troupes , est feur in-
strument plutôt que leur guide ; au premier faux pas ,
au premier revers, il est déposé à son tour et rem-
placé par un autre : voilà toute f histoire arabe , per-
pétuel recommencement de faits que rien n a pré-
parés et qui n'ont pas de lendemain. La révolte mi-
litaire n'a pas d'idée , elle ne vise qu'à l'acquisition
d'un pouvoir qui sera ce qu'était l'ancien ; elle ne
songe ni à transformer ni à réformer, mais seule-
ment à jouir, et considère le gouvernement comme
une proie, non comme une charge. C'est le pronan-
ciamientOy sans l'appui ni l'aveu des populations,
qui restent impassibles , car tout se passe au-dessus
d'elles; elles ne souffrent ni ne profitent des chan-
gements d'un pouvoir qui reste toujours à leur égard
naïvement autoritaire dans la forme, et, dans le
fond, indolemment paternel.
Mohammed, en mourant, n'avait pas désigné
l'homme qui devait , après lui , prendre le comman-
dement des Arabes. Il ne pouvait être question de
lui donner un successeur dans des fonctions pro-
phétiques qui avaient été pour lui un don spécial
de Dieu, que Celui-ci ne devait pas renouveler;
Mohammed était le sceau des prophètes. Mais il fallait
trouver un homme qui exerçât n sa place l'autorité
temporelle et présidât à l'exercice du culte. Les
grands chefs avaient, dès cette époque, l'habitude,
qu'ils ont toujours conservée, de choisir, parmi leurs
officiers les plus dévoués et les plus renommés, et
souvent même . dans leur propre famille , un lieute-
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 199
nant qui pût les remplacer en cas d'absence et les
aider dans Texpédition des affaires ou la conduite
des opérations militaires ; cet officier, soldat éprouvé
et administrateur habile, mais toujours subordonné,
s'appelle aujoui'd'hui encore le Khalifah, On ne vou-
lut pas, même dans Tordre temporel, donner à Mo-
hammed un successeur qui eût été un égal ; on lui
chercha un Khalifah. Le choix fut difficile et peu
s'en fallut qu'une scission irrémédiable ne rompît,
dès fabord, l'unité du peuple arabe. L'accord se fit
cependant sur le choix d'Abou Bekr qui , plus avisé
que le Prophète, eut soin, quand.il sentit sa fin
prochaine, de désigner clairement 'Omar comme
son successeur, en le chargeant de faire la prière
• solennelle dans la mosquée durant sa maladie.
*Omar, en mourant, confia à six des plus célèbres
et des plus anciens compagnons de Mohammed le
soin de lui choisir un successeur. Ce furent *Ali,
'Abd er-Rah'mân ibn *Aouf , Talhah ibn *Abd Allah ,
Zobaïr ibn *Aouam , ^Otsmân ibn V\ffân et Sa^d ibn
Abi Ouaqqâs'. Il avait, en outre, stipulé que , si au bout
de trois jours les électeurs n'étaient pas tombés d'ac-
cord , on devrait préférer le candidat de *Abd er-Rah'-
mân. Bien lui en prit , car les notables étaient à peine
réunis que chacun d'eux , par un singulier oubli des
devoirs qui lui incombaient, fit valoir ses propres
mérites et posa sa candidature au Khalifat. La situa-
tion n'avait pas d'autre issue que celle qu'avait pré-
vue *Omar et, au bout de trois jours, *Abd er-Rah'-
niàn fit proclamer *Otsmân.
200 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
La mort violente de celui-ci ne lui permit pas de
prendre, comme ses prédécesseurs, des mesures
pour la nomination de son remplaçant. Les chefs,
assemblés à Médine, tombèrent bientôt d'accord
pour porter à la magistrature suprême le gendre du
prophète , *Ali ; mais le nouveau Khalife trouva bien-
tôt un compétiteur dans le gouverneur de la Syrie,
Mo^aouïah ibn Abi Sofiân, qui, finalement, rem-
porta, et qui, après un règne long et glorieux, laissa
le pouvoir à son fils; il fondait ainsi une dynastie
et faisait du Rhalifat, jadis électif, un titre héré-
ditaire qui resta dans sa famille durant quatre-vingt-
dix ans.
En somme, les règles de dévolution du pouvoir
n'avaient pas été fixées d'une façon satisfaisante ; le
système électif fut le résultat de circonstances etiion
l'application d'une coutume dès longtemps admise,
et la pente naturelle de l'esprit arabe ramena le
peuple au régime héréditaire qu'on eût vu rétabli
même sans la révolte de Mo^aouïah, car une partie
de la nation considéra longtemps et toute une bran-
che de l'Islam considère encore aujourd'hui le fds
aîné de\\li, el H'asân, puis son second fds el H'osaïn
et la descendance de ce dernier, comme les légitimes
héritiers du pouvoir suprême.
Les Khalifes étaient les suppléants de Mohammed.
A ce titre , ils devaient veiller à l'observation de la
loi que Dieu avait révélée à leur prédécesseur, loi à
la fois religieuse et séculière , qui les faisait monter
dans la chaire pour dire la prière au peuple et diri-
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 201
ger les armées lancées sur les frontières des in-
fidèles. C'étaient là leurs doux principales attribu-
tions. Les trois premiers Khalifes ne quittèrent pas
les lieux quavait illuminés la présence de Moham-
med; ils séjournèrent à Médine ou à la Mekke,
peut-être dans lespoir de conserver plus pure la
tradition religieuse et de maintenir plus absolue
lautorilé séculière que leur avait transmises le Pro-
phète, en demeurant où lui-même avait prêché et
agi. Ils ne prirent même pas, comme il l'avait fait,
la direction des expéditions militaires, et se conten-
tèrent d en confier le commandement à des officiers
éprouvés.
Ce fut la ruine du régime électif qui, du reste,
ne fonctionna que pour les deux derniers des « Kha-
lifes parfaits ». Le choix du chef mourant ou le suf-
frage des notables se portèrent sur de vieux compa-
gnons du Prophète , qui avaient suivi pas à pas sa
prédication et en avaient pleinement saisi le sens.
Quand ils montèrent dans la chaire, Abou Bekr et
*Oraar étaient des hommes dage mûr, ^Otsmân et
*Ali étaient des vieillards. Tous les quatre, Arabes
d'Arabie , n étaient pas sortis de leur pays et n'en
sortirent guère durant leur règne. Abou Bekr et
*Otsmàn y restèrent toujours ; *Omar n'alla qu'à Jé-
rusalem, et *Ali ne se rendit en Mésopotamie que
pour combattre la révolte de Mo^aouïah. Le souci
d'interpréter sagement la loi de Mohammed et de
l'appliquer avec justice, de pratiquer rigoureuse-
ment son culte et de maintenir l'orthodoxie, les
202 SEPTEMBRE OCTOBRE 1899.
préoccupait avant tout. Ce furent des pontifes plus
que des chefs d'Etat.
Ils répugnaient à l'étiquette des cours et aux ti-
tres pompeux. *Omar, le premier, prit le titre d'Emir
el Moumenin , « Commandeur des Croyants » , à l'in-
stigation d'elMoghaïrah ibn Chol)ah, disent les uns,
de *Amr ibn el *Asi, disent les autres, deux chefs
qui avaient combattu les Grecs et appris d'eux le
formalisme byzantin. Mais nous avons vu déjà en
quel simple appareil le même Khalife se rendit à
Jérusalem. « Une nuit que^Abd er-Rah'màn ibn^Aouf
était occupé chez lui à faire ses prières, il fut tout
étonné de voir arriver le Khalife et lui demanda
quelle pouvait être la cause qui le faisait sortir à
une heure si avancée. — J'ai su, répondit *Omar, que
des étrangers, arrivés tard dans la ville, reposent
dans les alentours du marché , et j'ai craint qu'ils ne
fussent victimes de quelque vol ; viens m'aider à
veiller sur eux. Tous deux, en effet, s entretenant
ensemble, et assis dans un coin de la place publi-
que, assurèrent par leur vigilance, pendant toute la
nuit, le repos des voyageurs ^» Abou Bekr avait
donné tout son bien aux pauvres. Il prélevait, pour
vivre, trois dirhems par jour sur le trésor public et,
avec cette faible somme, s'entretenait, lui et sa fa-
mille, et trouvait encore le moyen de faire l'aumône.
A sa mort, il ne laissa que l'habit qu'il portait, un
^ Abou'l Feda, Ann. Moslem. p. 250-202; cp. Desvergers,
p. 2^7.
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 203
chameau et un esclave. « Quant à l'apparence des
premiers Khalifes , dit Ibn et'-T'iqt'aqah , ils menaient
une vie rude, mangeaient frugalement et s'habil-
laient pauvrement. On vit l'un d'eux aller à pied
dans les marchés, vêtu d'une chemise usée et re-
troussée jusqu'à mi -jambe ^ » « Le prince des
croyants, *Ali, tirait de ses terres un revenu considé-
rable, mais il le partageait entre les pauvres et les
déshérités et se contentait, pour lui et les siens, de
vêtements de toile grossière et de pains d'orge'-. »
Après la bataille du Chameau, il partagea le trésor
de Basrah entre ses soldats. Chacun d'eux eut cinq
cents dirhems et lui-même n'eut pas une part plus
forte; il la donna du reste à un homme arrivé en
retard ^. Il dédaigna toujours la richesse. « Monnaie
jaune, monnaie blanche, était-il accoutumé de dire,
allez séduire d'autres que moi^. »
Mais, pendant que ces hommes de bien édifiaient,
par leurs vertus, le peuple des villes saintes, les gé-
néraux et les armées arabes gagnaient au large et
perdaient peu à peu le contact avec eux; les géné-
raux se laissaient séduire par les biens que méprisait
^\li, prenaient le goût et le faste du pouvoir, et de-
venaient moins maniables, de chefs de troupes tour-
nant condottieri et combattant volontiers pour leur
compte. Les armées changeaient aussi de caractère :
^ Fakhri, p. 7().
■^ Fakhri, p. 90.
^ Maçoudi, l. IV, ]). :')3G.
* Ibii Khalcloim.
XIV. 1 1\
204 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
parties pleines d'enthousiasme religieux , elles arri-
vaient aux limites de Tempire fatiguées de luttes,
lourdes de butin , énervées par lappoint de soldats
étrangers recrutés au hasard, et que les profits de
rfslam attiraient plus que ses beautés spirituelles.
Imaginez un pape qui ne fût pas un Jules II, lan-
çant sur des États gagnés à la Réforme dix ou douze
Castruccio Castracani, bons chrétiens et grands
pillards, et vous n aurez quune idée aifaiblie de la
position d abord difficile, et bientôt intenable des
Khalifes de Médine. Ils sentent, chaque jour, dimi-
nuer leur ascendant sur les gouverneurs auxquels
ils confient les provinces conquises, ou sur les gé-
néraux auxquels ils remettent le soin d'en conquérir
d'autres, et, à fintérieur, ils nont, pour tenir en
bride les passions instables et la volonté exaltée des
Arabes restés chez eux, qu'une autorité purement
morale qui, elle aussi, baisse à mrsure que s'efface
dans un passé, cependant bien |)roche encore, la
grande figure du Prophète. — « 'Omar avait reçu
des toiles rayées du Yémen ; il les distribua entre
les Musulmans; chacun en eut, pour sa part, une
pièce, et 'Omar fut partagé comme les autres. Il
s'en fit faire un habit, puis, revêtu de cet habit , il
monta en chaire et harangua les Musulmans pour
les exhorter à faire la guerre aux infidèles. Un homme
de l'assemblée, se levanl, l'interrompit et lui dit :
« Nous ne t'obéirons pas.^ — Poiîrquoi cela? lui de-
« manda 'Omar. — Parce que , lui répondit cet
homme, lorsque tu as partagé entre les Musul-
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 205
n inans ces toiles du Yémen, chacun en a eu une
« pièce et tu en as eu de même pour toi une seule
« pièce. Cela ne peut suffire pour te faire un habit,
« et cependant nous voyons aujourd'hui que tu en
« as un habit complet. Tu es d'une grande taille et,
« si tu n avais pas pris pour toi une part plus consî-
« dérable que celle que tu nous as donnée, tu nau-
« rais pas pu en avoir une robe. » ^Omar se retourna
vers son fils ^Abd Allah et lui dit : «^Abd Allah, rë-
« ponds à cet homme.» ^4bd Allah, se levant, dit
alors : « Lorsque le prince des croyants , ^Omar, a
« voulu se faire faire un habit de sa pièce de toile,
«elle s'est trouvée insuffisante. En conséquence, je
« lui ai donné une partie de la mienne pour complé-
«ter son habit. — A la bonne heure, lui dit cet
« homme; à présent, nous t'obéirons^ »
Une obéissance aussi mesurée et soupçonneuse ne
sera pas de longue durée. *Omar est poignardé par
un esclave persan, Firouz(24 H.-644); son succes-
seur, *Otsmàn, est massacré, malgré le Qorân qu'il
serre sur sa poitrine, par les rebelles de Tarmée
d'Egypte, venus à Mëdine pour arracher au vieux
Khalife la destitution de *Abd Allah ibn Sa*d, leur
chef (26 H.-656); ^Ali est à peine monté dans la
chaire du Prophète qu'il lui faut lutter, non plus
contre un soulèvement passager, mais contre uil mou-
vement militaire, dès longtemps organisé, qui suscite
contre lui toutes les forces de la Syrie, et il est loin
^ Cihrestomathie arabe de Sacy, t. II, p. 58-59; cp. besvcr-
^tît*8, p. 229.
206 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
de regagner le terrain perdu, quand le Kharedjite
*Abd er-Rah'mân ibn Moldjem le tue dans la mos-
quée de Koufah [[\i H.-661). Son fils, el H'asan,
préféra renoncer au titre de Khalife, qui passa à Mo-
'aouïsth (4i H.-661). Avec ce dernier triomphait le
parti militaire, le parti des gouverneurs, des expa-
triés , qui bientôt n'auront plus connu de l'Arabie que
ce cpi'ils en auront vu lors du pèlerinage, et des vertus
du Prophète que ce qu'en rapporteront les tradi-
tions, mais qui, en revanche, connaîtront bien la
guerre, aimeront les plaisirs, la poésie et le vin,
les richesses et les femmes , et surtout le pouvoir,
qui donne tout cela à l'audacieux qui sait, s'il est
fort, ourdir un complot, enlever une troupe hési-
tante, soulever une province, et, s'il est faible, obéir
à propos et désobéir à point.
La vie de ces chefs est toujours la même. Pre-
nons l'un d'eux, des plus célèbres, qui nous in-
téresse d'autant plus qu'il prit part aux expéditions
contre l'Afrique, \'\bd Allah ibn ez-Zobaïi*. Tout
jeune, il part avec 'Amr ibn el *As', assiste à la prise
de l'Egypte et, à la tête d'un corps de troupes, mène
une expédition heureuse contre Sabrah. *Amr lui
donne un commandenK nt dans l'armée levée eh 27
pour envahir rifriqïah; il tue, de sa main, si l'on en
croit la légende, le patrice Grégoire et, si Ton n'ac-
cepte pas cette tradition contestable, se couvre au
moins de gloire en combat tan t les Rouui ; aussi l'envoie-
t-on à Médine annoncer l'heureuse issue de l'expé-
dition au Khalife, qui le fait monter dans la chaire
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 207
pour qu il raconte lui-même au peuple les incidents
de la campagne. Dix -huit ans plus tard, nous le
trouvons encore en Afrique, où il bat le patrice Ni-
céphore sous les murs de Sousse; puis, revenu en
Arabie, réfugié à la Mekke, car il craint la haine
des Omïades , il prend le titre de Khalife à la mort
de Yezid et reçoit le serment de fidélité des habi-
tants de la ville sainte, du Hidjâz et des provinces
soumises ; il envoie des gouverneurs en Egypte, en
Iraq, àKoufah, à Basrah, exerce effectivement le
pouvoir et ne succombe qu après dix ans de lutte
(63-73 H.).
Les chefs ne songeaient pas tous , comme le fils
de Zobaïr, au pouvoir suprême , mais ils méditaient
au moins le refus d'obéissance et la fondation , dans la
province qu'ils occupaient, d un petitEtat indépendant
en fait, s'il restait en droit soumis à fautorité reli-
gieuse du Khalife. Car ils ne pensaient pas un instant
à se soustraire au pouvoir spirituel de ce dernier, pas
plus qu'un prince gibelin ne songera plus tard,
dans d'autres lieux et d'autres circonstances, à se
faire élire pape. Les pouvoirs spirituels, plus ou
moins teintés d'autorité temporelle, offrent cette
particularité , quels que soient les temps et les hom-
mes, de permettre à l'ambition locale de s'étendre,
sans rien perdre, au moins en apparence, de leur
propre éclat. Les gouverneurs rebelles feront dire la
prière dans la mosquée au nom du Khalife, et les
apparences seront sauves. Pour le moment, ils ne
pensent qu'à vivre à l'aise dans leur domaine, sans
208 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
méconnaître ia suprématie des successeurs du Pro-
phète.
Ceux-ci, dans les premiers temps, eurent sur les
chefs d'armées et sur les gouverneurs ime grande au-
torité. Ils choisissaient des hommes de guerre comme
Khaled, 'Amr ibn el ^As', 'Abd Allah ibn SaM , des
fds de grande» fajiiille comme Mo^aouïah ibn Abi
Sofiân ; bientôt, ils prirent aussi leurs propres pa-
rents et Ton vit ^(Jtsmân nommer à Basrah son
cousin 'Abd Allah ibn *Amir ibn Koraïz. Le même
Khalife donna trop souvent, dans Tattribution des
grades, ia preuve dun favoritisme sénile qui lui
aliéna les cœurs, détermina des révoltes, comme à
Roufah, et entraîna sa perte. On n'est bien servi que
par ceux en qui Ion a confiance et , aux yeux du prince ,
le mérite de l'homme consiste plus dans sa fidélité
que dans des qualités qui lui portent d'autant plus
d'ombrage qu'elles sont plus éclatantes. Cela était
vrai surtout pour des souverains qui n'avaient point
eux-mêmes de pouvoir effectif, et qui remettaient
les armées aux soins de leurs lieutenants. Ils devin-
rent vite jaloux des succès de ces derniers et les
destituèrent au milieu de leurs triomphes. Khaled
reçoit la nouvelle de son rappel et de la nomination
d'Abou ^Obaïdah au poste qu'il occupe , au moment
où il vient de conquérir la Syrie. Il se soumet sans
murmurer et dit à son successeur : « J'obéirais à un
enfant, si le Khalife lui avait donné le commande-
ment de l'armée, et à vous, Abou *Obaïdah, je vous
dois obéissance et respect , car vous m'avez précédé
LES PREMIÈRES INVASIONS ARARKS. 200
dans votre conversion à Tlslamisme. » De si beaux:
exemples de soumission sont rares, et le même^Omar,
qui faisait si brutalement rentrer dans le rang Yépée
de VIslam, dut, à la même époque, envoyer Moham-
med ibn Maslamah el Ans'âri pour requérir, des gou-
verneurs de provinces et surtout de ^Amr ibn el^As',
les sommes qu'ils avaient perçues et qu'ils mettaient
peu d'empressement à transmettre au Commandeur
des Croyants.
^Amr nous représente à merveille le type du gou-
verneur seconde manière, enflé par ses succès mi-
litaires, convaincu de son importance d'homme
nécessaire, sûr d'une troupe qui le connaît mieux
quelle ne connaît le chef suprême de la nation,
confiant dans les ressources dont il dispose , con-
scient du rôle qu'il peut jouer. Il conquiert l'Egypte ,
en est nommé gouverneur; destitué, puis rétabli « il
exerce longtemps le commandement et le pouvoir,
de militaire devient homme d'Etat, apprend, au
contact des Grecs , l'art du gouvernement et les ruses
de la diplomatie. Peu à peu, sa foi, qui, vraisem-
blablement n'avait jamais été des plus vives , s'affaiblit
encore , et son ambition augmente ; en fiéquentant les
hommes, il apprend à les juger à leur valeur et à ne
les apprécier qu'à leur puissance. Son parti est pris
quand ^Ali monte sur le trône ; il soutient contre le
Khalife le rebelle Mo^aouïah. On peut suivre, durant
les quinze ans qui s'écoulent entre la conquête de
l'Egypte et l'avènement de*Ali, les transformations
insensibles qui font du général musulman un intri-
210 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
gant et un révolté. Nous savons combien les impres-
sions sont fugitives chez ces gens-là. Chaque année
passée loin des villes saintes affaiblit le souvenir de
la prédication du Prophète et l'homme, parti servi-
teur fidèle, enflammé de passions religieuses, dé-
daigneux des biens de ce monde, nous revient hau-
tain et cassant, fier de sa puissance toute neuve et
impatient de Tautorité khalifienne.
Les Khalifes savaient tout cela ; ils voyaient croî-
tre le danger et, pour le conjurer, n avaient quun
moyen : «changer souvent les gouverneurs. *Ali, en
montant au trône , en nomma partout de nouveaux et
changea encore ses agents par la suite. Dès Tan 38 H. ,
il destitua Qaïs ibn Sa*d ibn Ibadah el Ans'âri,
gouverneur de l'Egypte , et le remplaça par el Achtar
en-Nakhaï. Ce dernier finit fort mal. Mo^aouïah, le
prétendant au Khalifat, le fit empoisonner peu après,
lors de son passage à Qolzoum. C'est le grand moyen
auquel on recourt , faute d'autre et souvent de pré-
férence à tout autre , parce qu'il est expéditif et ne
coûte que l'effort d'une ruse bien ourdie.
Destitués, empoisonnés ou massacrés, les gou-
verneurs se succèdent avec une incroyable rapidité.
Voyons, par exemple, ce qui se passe à Basrah. Vers
fan i6 H., nous y trouvons un Arabe, Choraïb ibn
*Amir, de la tribu de Sa*d ibn Bekr, qui gouverne
le pays et est tué par les Persans. Sa*d ibn Abi
Ouaqqàs', après s'être emparé de Djaloula , de Tahert
et des autres châteaux forts de la région, envoie,
par ordre du Khalife, *Oqbah ibn Ghazouân, avec
LES PREMIERES LNVASIONS ARABES. 211
ordre de fonder un Qaîrouân ^ ; Tannée suivante
(16), le gouverneur s'appelle el Moghaïrah ibn
Cho^bah; en 1-7, c'est Abou Mousâ al AchWi; en
28 ou 29, *Abd Allah ibn ^Amiribn Koraïz; en 36,
*Ali nomme *Otsmân ibn Honaïf , puis , dans la même
année, *Abd Allah ibn ^Abbâs. Mo^aouïah lui donne
pour successeur Zïâd, puis Samorali ibn Djondob,
puis *Obaïd Allah ibn Zïâd , et je ne prétends pas
que la liste soit complète.
Il semble qu'une pareille instabilité de l'autorité
locale dût sérieusement compromettre l'œuvre de
la conquête et de l'assimilation. Il n'en est rien : la
conquête avançait dans tous les sens avec une étrange
facilité, et l'assimilation s'opérait d'elle-même. Voilà
qui pourrait nous prouver, si nous n'en étions déjà
intimement convaincus, que l'action délibérée des
hommes n'est pas tout en histoire et qu'il faut faire
à côté d'elle une large place à la fatalité, ou au
hasard, ou à la Providence, trois mots qui, bien
souvent, désignent une même chose. Belle matière
à réflexion pour le philosophe que le spectacle du
Byzantin qui s'ingénie, organise, calcule, combine,
met un esprit inventif, volontaire et patient au ser-
vice d'une politique méthodique et savante, et n'ar-
rive à rien, et celui de l'Arabe qui, sans préparation ,
sans plan préconçu, sans idée et sans ingéniosité,
édifie un empire qui durera longtemps et fonde une
société qui, aujourd'hui, vit encore.
^ Tabari, ch. xxxv, l. 111, p. i3.
212 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Les gouverneurs arabes, quelque fugitive que fût
leur autorité et quelque précaire que fût leur pou-
voir, travaillaient tous dans le même sens et toujours
dans le sens de l'histoire ; aussi bien leurs attribur
tions étaient-elles simples et leur personnalité jouait-
elle un rôle assez mince dans l'action générale. Ils
n'avaient qu'à faire la guerre, lever l'impôt et ren-
dre la justice en matière pénale. Nous savons com-
ment ils menaient les opérations militaires. Dans
les premiers temps, ils ne les engageaient jamais
sans l'autorisation du Khalife, et nous les voyons
très souvent discuter avec lui l'opportunité d'une
expédition qu'il contestait souvent. Plus tard , quand
ils furent dans des régions éloignées, ils mar-
chèrent d'eux-mêmes, sans autorisation. Le soir
même de la bataille, le guerrier cédait chez eux
la place au traitant, l'esprit positif du sémite re-
prenait le dessus et la journée, commencée par
le combat, finissait dans des comptes de caisse. Le
contraste est grand, dans ces expéditions, entre
le décousu de la tactique et la régularité des opéra-
tions financières. 11 faut d'abord rassembler le butin,
en mettre de côté la cinquième partie , destinée au
trésor public , et partager le reste entre les combat-
tants , à raison d'une part pour le fantassin et de trois
pour le cavalier. C'est le chef qui préside au partage;
des hommes versés dans la loi l'assistent pour tran-
cher les différends possibles. Il faut, après cela, faire
payer le tribut aux vaincus qui ne se font pas musul-
mans. Seuls, les chrétiens et les juifs conservaient
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 213
la faculté de pratiquer leur culte. On tuait les ido-
lâtres qui refusaient d'embrasser Tlslam^ Les infi-
dèles étaient soumis au payement d'un impôt spécial ,
pour marquer leur état de sujétion. « Les infidèles
ne sont soumis au tribut, a dit le Khalife *Ali, que
pour mettre au même niveau leur sang avec notre
sang, leurs biens avec nos biens. » C'était la capita-
tion (djiziah), qui difierait suivant que le pays était
devenu terre d'Islam après un traité ou par la reddi-
tion sans conditions. Les indigènes avaient-ils obtenu
une capitulation , l'acte fixait le montant de Timpôt
exigible , qui devenait taxe de répartition ; avaient-ils
été soumis par la force, le tribut était une taxe de
quotité dont le maximum était de ko dirhems. La
loi exemptait les vieillards, les femmes et les en-
fants ^.
Le sujet doit, en outre, payer le Kharadj, pour la
terre dont on lui laisse la jouissance. Comme la ca-
pitation , le Kharadj est, suivant qu'il y a eu ou non
capitulation , de répartition ou de quotité. Le taux
maximum en est fixé à 5o p. o/o des produits, mais,
à défaut de stipulation , le chef militaire en déter-
mine le montant.
* N. Desvergers, p. îîi8.
^ La capitation est un impôt personnel. Sa dénomination vient
du mot djeza , récompense , attendu que cet impôt est payé par les
infidèles en récompense de la sûreté et de la protection que les
musulmans leur promettent et leur accordent. Elle est établie
d'après le texte du Koran , qui dit : « Opprimez-les jusqu'à ce qu'ils
payent la capitation et qu'ils soient humiliés.» (ix, v. 3o.)
(Abou'l H'asàn 'Ali ibn Moh'ammed ibn H'aleb Mawardi, cp.
N. Desvergers, p. 4o'i.)
214 SEPTEMBRE. OCTOBRE 1899.
Le revenu va au trésor public, c est-à-dire au
Khalife , qui en a la gestion ; le gouverneur en est
comptable et une administration qui , sous les Abbas-
sides, sera très puissante, surveille les rentrées. A
lavènement d'el Mamoun, Barqah payait de la
sorte 1 million de dirhems par an et TAfrique versait
1 3 millions de dirhems et 1 2 o pièces de drap de
laine. Les musulmans aussi payent des taxes : la
dîme pour les terres qu ils occupent et Timpôt dit
Zekkat, le seul qu'ait prévu le Kôran (Lvm, i4) et
qui frappe tous les autres biens.
C est encore le gouverneur qui procède à la per-
ception et à lattribution du produit de cette taxe, à
raison de deux neuvièmes distribués aux indigents,
un neuvième aux gens dans la gêne, un neuvième
aux infidèles employés à l'espionnage, un neuvième
affecté au rachat des esclaves infirmes , un neuvième
aux débiteurs honnêtes dans Tembarras , un neuvième
pour la guerre sainte , un neuvième pour le rapatrie-
ment des étrangers, un neuvième aux collecteurs ^
En somme , musulmans et dzimmi , tous payent
plus ou moins, les mis par observance religieuse,
les autres par ordre du vainqueur ou en exécution
d'un traité. Dès le premier jour, les registres du
diwân s'ouvrent et les dinars prennent le chemin de
la capitale; c'est la mise en coupe réglée qui ne se
farde pas du prétexte d'un intérêt public à assurer .
ou d'une amélioration à effectuer, mais tire de la
* Voyt'/. Hondas, arlirlr Impôts arabes^ dans la Grande Encyclo'
pctlie.
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 215
province la taxe, comme le propriétaire touche le
revenu de sa terre, et, là-bas, le propriétaire est exi-
geant et la terre vite épuisée. Le pouvoir central est
très loin, connaît mal les provinces, leurs ressources
et leurs misères; il compte sur Timpôt comme sur
une rente certaine, il le lui faut à jour fixe; pour le
satisfaire et pour son propre compte, le gouverneur
réclame le double, pressure et prévarique; les col-
lecteurs en font autant, et, pour chaque pièce d*or
entrée dans le trésor, trois ou quatre autres restent aux
mains des intermédiaires. La question financière fut
pour beaucoup dans la rapide décadence de l'em-
pire arabe. Après avoir été une entreprise de con-
quêtes, assez mal dirigée du reste, et favorisée sur-
tout par la faillite des sociétés rivales, il tourna
rapidement à Tentreprise- financière, maison d(»
banque mal tenue qui confiait le maniement de ses
fonds à des commis d'une improbité flagrante , tirait
de ses succursales, pour les accumuler au siège so-
cial, tous les bénéfices nets, et les gaspillait en ex-
travagantes folies.
Les succursales, c'est à-dire les provinces, se fati-
guèrent de payer; les commis, j'entends les gouver-
neurs, profitèrent du désaiToi pour empocher les
bénéfices et monter une maison à leur compte, et
l'empire s'écroula, comme craquent nos sociétés
financières quand elles sont mal gérées. L'âpreté
au gain de l'Arabe, son incurie administrative, son
imprévoyance dissipatrice ruinèrent, en peu de
temps, l'édifice de la conquête.
216 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Les gouverneurs étaient tenus pour insubordon-
nés et capables de se réyolter sous le moindre
prétexte ; les Khalifes Omïades , établis à Damas et
devenus des princes très temporels , les soupçonnaient
et les destituaient au premier symptôme d'indé-
pendance. Le gouverneur restait-il inactif dans sa
capitale , les revenus baissaient , le Khalife le jugeait
incapable et le rappelait ; faisait-il des conquêtes et
en envoyait-il le produit à Damas , son succès portail
ombrage au prince, qui le rappelait encore et, sou-
vent, le punissait de ses victoires par le plus indigne
traitement. Soulaïmàn fait battre de verges et mettre
au pilori Mousà ibn Nos'aïr, le conquérant de
TEspagne, le condamne à payer une amende de
100,000 mitskals d'or et lui montre la tête de soil
111s ^Abd el ^Aziz quon a assassiné, sur son ordre, à
Séville. Voilà le traitement réservé à ceux qui ser-
vent le Khalife. Il est peu fait pour encourager les
bonnes volontés et raffermir les fidélités vacillantes.
Si la province est lointaine et surtout si le nerf du
gouvernement central saflfaiblit, le gouverneur se
révolte. En Chaoual 35, Mohammed ibn Abi Ho-
dzaïfah se rend en Egypte , chasse ^Oqbah ibn ^Amir
el-Djohani qui l'administrait, et se déclare gouver-
neur de la province. Il faut que deux générant
éprouvés, Mo'aouïah ibn Hodaïdj et, après lui,
Mo^aouîah ibn Abi Sofiân , lui fassent Une guerre en
règle pour le soumettre. La révolte éclate bientôt
au siège même de Tempire. En 69, 'Amr ibn Sa^id
ibn el ^\s^ gouverneur de Damas, profite d*an
LES PREMIERES INVASIONS ARABES. 217
voyage de Whd el Melik dans llraq pour se faire pro-
clamer; 'Abd el Melik revient et le fait tuer sous ses
yeux. Enfin , peu après, des parents mêmes du prince
donnent l'exemple de l'indiscipline : au moment où
Abou DjaYar el Mans'our, le deuxième Khalife Ab-
basside, est appelé au trône, son oncle, ^Abd -^ah
ibn 'Ali, gouverneur de la Syrie, lui dispute le pou-
voir. Gela finit forcément par la guerre el le meur-
tre, et la grande habileté consiste à éviter la guerre
en tuant à propos. Les procédés de gouvernement
sont toujours simples et deviennent vite atroces; le
meurtre provoque la vengeance, la perfidie appelle
la trahison , l'histoire roule un fleuve de sang tou-
jours plus large, et c'est le sang le plus pur de la
nation qui coule. Le meurtre fi:'appe rarement
l'homme de rien qui vit dans son coin ; il grandit
rarement jusqu'au massacre organisé d'une race ou
d'une population, mais il s'acharne sur les nobles,
sur ceux qui peuvent porter ombrage au prince.
Comment un tel gouvernement a-t-il pu se main-
tenir, fractionné, il est vrai, mais encore puissant
et actif? Ses imperfections mêmes le servirent, son
impuissance et son inertie furent ses meilleures sau-
vegardes. 11 agit par à-coups, sans suite, avec de
longs intervalles de repos, et cela satisfit un sujet
plus jaloux de son indépendance que soucieux d'une
bonne administration; il exigea relativement peu,
souvent ne demanda rien du tout, et ne réclama
jamais que ce qu'il pouvait obtenir; l'impôt rentrait
quand le chef de l'Etat était capable de le lever. S'il
218 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
ne ie pouvait pas, un gouverneur le faisait à sa
place, la province semblait vivre d'une vie à part,
raais, dans les mosquées, on disait toujours la prière
au nom du Khalife, et le principe de Tunité de l'em-
pire était sauf.
Cette autorité tint surtout parce qu'elle ne fut
pas délibérément tyrannique et qu elle respecta les
consciences.
Byzantins et Persans sont Aryens. Leur autorité
est tatillonne et oppressive, jalouse de ses préroga-
tives et soucieuse de les exercer; elle comprime len-
tement l'individu, le déforme sous sa pression sans
cesse accrue, le garrotte chaque jour davantage et
en veut autant à sa conscience qu'à sa personne;
la suprématie sur les corps ne lui suffit pas, il lui
faut la domination des âmes, et, quand elle a fait de
la personne une machine, elle ne se tient pour sa-
tisfaite qu'en faisant de son âme une esclave inof-
fensive, obéissante et molle. En Orient, la personne
ne sut pas se défendre contre les entreprises de
l'Etiit et se laissa subjuguer; les âmes, plus subtiles
qu'en d'autres pays, en apparence plus débiles,
mais au fond plus nerveuses et plus fuyantes, ne se
laissèrent jamais soumettre. Toute la vigueur de ces
corps émaciés se réfugia dans l'esprit, citadelle inex-
pugnable qu'aucun souverain ne put démanteler. A
vouloir les gagner à ses dogmes ou à ses hérésies,
l'Etat perdit sa peine et se compromit, et quand
sonna l'heure de défendre ses institutions et son
existence , les bras se trouvèrent trop faibles et les
L£S PREMIERES INVASIONS ARABES. 219
consciences trop hésitantes. S'il est un reproche à
faire à notre race et aux gouvernements qu'elle s*est
donnés dans les différents pays quelle occupe, c'est
de n'avoir pas su, pendant trop longtemps, et de ne
pouvoir peut-êlrejamais , en certains coins du monde ,
faire la part assez large à rindividti libre dans l'Etat
agrandi et entiché d'omnipotence. Les familles su-
périeures de la race n'ont compris cette nécessité et
relativement atteint ce but qu'après de longs détours
dans l'histoire , de singulières fortunes et de pénibles
efiForts; les autres, faute delan, de confiance et de
volonté , n'y sont point parvenues , et l'Etat qu'elles
ont constitué les écrase sous sa masse inerte que
gouvernants et gouvernés ne peuvent plus mouvoir.
IX
La Grèce antique, Rome, Byzance, avaient
monté l'humanité trop haut. Par un de ces longs
efiForts soutenus et tenaces que notre monde seul
sait fournir, eDes avaient guindé les hommes, qu'ils
le voulussent ou non, à des sommets veitigineux,
où l'air raréfié manquait à leurs poumons; la fatigue
vint, puis l'angoisse, et le nombre grandit de ceux
qui voulaient descendre. Tous étaient las, décon-
certés, indécis; ils sentaient battre dans leurs poi-
trines des cœurs trop étroits et voyaient baisser dans
leurs cerveaux la flamme de l'intelligence. Ils répé-
taient cependant les gestes de leurs pères, mais
XIV. i5
IXI'KKII DM NàrllMtl.t.
320 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1890.
comme des automates miment le personnage vivant;
ils combattaient parce quon les attaquait, enrou*
laient de nouveaux sophismes autour de. vieilles
pensées et chauffaient malaisément leurs âmes au
foyer d une religion que trop de controverses étouf-
faient. Plus de ressort et pas de quoi en faire un. fls
se laissaient vivre : heure grave dans la vie d un
peuple , car cela sous-entend l'abandon , le renonce-
ment, les petites lâchetés individuelles accumulées
en ime formidable paresse, la fatigue de chaque
cellule qui refuse le service, se détend, se déforme
et provoque la décomposition du corps entier. De
cette pourriture du vaste organisme antique naîtra
plus tard, en quelques points, quelque chose» mai»
rien, au moment où nous sommes, ne fait prévoir
la renaissance future, et, sans rémission, sans arrêt,
Timmense orgueil romain s'affaisse.
KArabe, alors, monte du désert. C'est un sauvage
ignorant, grossier, brutal, vindicatif, cruel, mais
c'est im caractère. Il veut âprement ; il a son but qui
est grandiose et taillé à la mesure de sôs moyens, qui
sopt simples et puissants. Le but est de porter par-
tout la foi que Dieu lui a révélée; les moyens
sont l'attaque brutale, l'écrasement de tout ce qui
résiste, la charge sur tous les obstacles, le dédain
pour tout ce qui plie et s'incline. A ce jeu, on broie
ou on est broyé. L'Arabe l'emporta et ne s*arrât«
que devant des bastions naturels qu'il ne put enlever
et lorsqu'il rencontra, au bout du monde, des
LES PREMIÈRES INVASIONS ARABES. 281
hommes d une autre race qui , eux aussi , avaient une
volonté et des bras vigoureux.
L'empire grec résista. Les éléments le défendaient ,
la diplomatie et la science vinrent à son secours;
mais il perdit ses plus belles provinces, tout ce qui
n était pas proprement romain ni grec et n avait pas
été aussi fortement charpenté que la carcasse cen-
trale. Nous veiTons bientôt comment il perdit
TAfricpic.
L'Arabe n'avait ni plan concerté, ni tactique sa-
vante, ni sagesse, ni prudence; il dut les conquêtes
quil fit à son caractère. J'ai tenté d'en donner tout
à l'heure une esquisse. Elle est incomplète, car cet
esprit est ondoyant sous une apparente fixité , et fiigi-
tive , parce que ce caractère , sous un faux semblant
d'unité et de permanence , est profondément divers
et changeant. J'ai voulu le décrire tel qu'il devait être
au vu" siècle de notre ère. Si, la tâche terminée, nous
jetons un coup d'oeil d'ensemble sur l'ébauche, nous
voyons un être tout en nerfs qui agit avant de penser,
rêve quand il n'agit pas , et oscille constamment de
l'action immodérée à l'atonie absolue; une intelli-
gence qui ne perçoit que des réalités et conçoit à
merveille l'irréel, se perd dans le détail des unes
et s'absorbe dans la contemplation de l'autre; un
esprit qui estime par livres et deniers tous les biens
de ce monde , et oublie d'évaluer Dieu. Imprévu ,
contraste, disproportion , véhémence , inconstance,
tout nous choque en lui. Soucieux de belle ordon-
i5.
222 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
nance, épris de notre méthode, nous avions entamé
cette étude dans Tespoir qu'elle nous mènerait à
une conclusion, et voilà que nous n*en trouvons
point, sinon que TArabe est irréductible et fuyant
et que ses destins fm^ent accomplis, hors de sa
portée, par la foi qu'il reçut de son Prophète.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE.
SrX CHANSONS ARABES KN DIALECTE MAGHRÉBIN. 223
SIX CHANSONS ARABES
EN DIALECTE MAGHRÉBIN,
PUBLIÉES, TRADUITES ET ANNOTEES
PAR
M. C. SONNECK.
(suite.)
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1 . Mon esprit souffre des rigueurs dont je suis
l'objet, n ne peut oublier la gazelle, aux yeux noirs.
Le feu qu'elle a allumé dans mon cœur brûle mes
entrailles ; mon corps dépérit et se flétrit. Où est ton
remède , ô tâleb ?
4. Je ne trouve pas de médecin qui guérisse de
lamour, c'est en vain que je cherche. Celle qui cause
ma souffrance est Fâtema , aux khelkhâl teintés d'in-
digo. Mon cœur endure les tourments de la passion
et mon mal se prolonge. Où est ton remède , ô tâleb ?
Ton remède est perdu , seigneur tàleb !
230 SEPTEMBRK-OCTOBRK 1899.
7 . O tâleb , implore Dieu pour moi. Mais com-
ment guérir le malade d'amour ? remède et science,
tout est perdu ! Je me meurs sans trouver la force
de supporter mes épreuves. C'est à toi que je me
confie, médecin qui dois rendre le repos à mon
cœur, car un tison brûle dans mon sein. Si tu es
perspicace et habile étudie et rends-toi compte des
symptômes.
1 1 . Cherche pour moi dans ton livre et calcule.
Si tu éteins ce brandon qui est en moi, ce que tu
stipuleras sera obligatoire et je deviendrai, sans
qu'il t'en coûte rien, ton serviteur et ton esclave; tu
me garderas ou tu me feras vendre à l'encan. Où est
ton remède, ô tâleb P Ton remède est perdu, sei-
gneur tâleb !
1 5. Le tâleb regarda et me dit : « Courage ! amou-
reux, courage! Tu as déjà goûté à la coupe de la
mort et il ne te reste plus longtemps à vivre. Mais
écoute mon conseil : patiente ; la patience te sera un
soutien. Tu obtiendras les bienfaits de Celui qui seul
connaît l'avenir, et tes destinées s'accompliront
comme l'aura fixé la volonté du Seigneur. »
19. «Adresse-toi au Dieu généreux, supplie-le
instamment; il écoute avec bienveillance et voit dans
les âmes; il ne repousse point celui qui Timplore; il
observe le fond des cœurs. Supporte ses décisions
avec la même patience que montrent les chameaux :
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 231
ils cheminent par les contrées, espérant déposer
enfin leurs fardeaux. » Où est ton remède, ô tâleb?
Ton remède est perdu , seigneur tâleb !
23. O tâleb, cherche dans le livre les lettres qui
font naître Imclination et famitié. Ecris-les moi et
sois habile , pour que Dieu en fasse la cause de mon
bonheur, qull inspire à celle qui est semblable à la
gazelle de me pardonner et que tous mes chagrins
se dissipent. Mon supplice a trop duré; je suis las
d'attendre. Il n'est point d'aventure plus étrange que
la mienne.
27 . Mes soucis se prolongent et je me suis fatigué
dans d'opiniâtres efforts; mais la peine que j'ai prise
pour mériter cette belle a été pour moi comme
celle de l'homme qui , ayant entrepris le commerce ,
s en revient dépouillé, sans bénéfice ni capital,
n'ayant récolté que fatigue et lassitude. Où est ton
remède, ô tâleb P Ton remède est perdu, seignem'
lâleb !
31. Le tâleb répondit : « Supporte ses rigueurs.
Ecoute-moi; je te donnerai de profitables conseils.
Détourne ton cœur de son souvenir et oublie-la
comme elle t'a oublié. Courage ! Son abandon te fait
dépérir et ton visage, ô amoureux, a changé de cou-
leur. Tu as pour elle délaissé tes intérêts et sacrifié
une partie de tes jours. »
35. « Suis mon avis et ne me traite pas d'impos-
232 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
teiir. Ecoute ce que disent les sages en leurs pro-
verbes : Ce qui est amer ne peut devenir doux.
Laisse là celui dont le commerce est pénible et re-
cherche celui qui a un caractère facile. Supporte
patiemment le tourment de ton amour jusqu'à ce
qu'il se dissipe. » Où est ton remède, ô tMeb? Ton
remède est perdu , seigneur tâleb !
39. 0 tâleb, si tu es puissant, agrée mon excuse
et viens en aide à ma cause. Ton discours n est que
paroles vaines; il fait empirer et augmenter mon
mal. Je n'oublierai cette beauté accomplie que
si mon existence s'évanouit. Je l'aime, la reine des
belles; elle est mon âme et la limiière de mes yeux.
43. Ah! combien grandit mon amour! Je servi-
rais un esclave, j'obéirais à un homme méprisé.
Peut-être ce qui est éloigné se rapprochera-t-il ? Et
si arrive le moment, tu le sais, toi qui connais les
adages : celui qui est bien portant périra et le ma-
lade retrouvera la santé. Où est ton remède , ô tâleb?
Ton remède est perdu , seigneur tâleb !
47 . Le tâleb repartit : « Tu t'es pris dans les rets
de Qëys — tu sais ! — ; il pourchassait Leyla et l'at-
tendait frémissant au rendez-vous. Toi, tu poursuis
depuis deux ans ta bien-^aimée et elle ne veut se
laisser attendrir; tu n'as trouvé aucun moyen de lui
parler. Dieu veuille , toi et moi , nous favoriser ! »
51. Dieu est généreux; il observe. Si le trouble
SIX CHANSONS ARABES EN PIALECTE MAGHRÉBIN. 233
se met dans mon esprit, il réparera ce désordre.
Mon sort est triste et je m'en vais apeuré. Si je di*
sais mes soucis aux hautes montagnes elles fondraient
au récit de mes souffrances et se changeraient en
sable. Où est ton remède , ô tâleb ? Ton remède est
perdu, seigneur tâleb?
55. O tàleb, si je contais ma peine à un sabre
de rinde/ il fondrait en entendant mes plaintes. Mon
cœur ne peut supporter mes chagrins et le feu dé-
vore mes entrailles.
57. Mon discours est fini; j'ai achevé mes vers
et je publie mon nom dans ma chanson : c'est Ben
Sabla. Je ne cache pas comment je me nomme et,
dans mon désespoir, je ne cesse de me lamenter.
59. 0 vous qui avez goûté les tourments de
famour, excusez-moi et ne me blâmez pas dans cette
circonstance. Je vais mourir, vaincu par le mal, et
le médecin de mon cœur recule sans cesse le terme
de ma souffrance. Il ne me guérit pas et ne tr^incbe
pas complètement le fd de mes jovu:s? Où est ton
remède , ô tâleb ? Ton remède est perdu , seigneur
tâleb !
^*^ Les ëtemelles lamentations de f amant malheureux -^
ou du soufyte qui soupire après Dieu — constituent le fond
du répertoire des villes. Cette élégie , à laquelle sa formé dia-
loguée donne de la vjç, est l'œuvre d'un cbeykli célébra de
Tlemcen , Mohammed ben Sahla , dont on peut, en se défiant
234 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
des écai*ts chronologiques des indigènes , qui lui attribueraient
une longévité biblique, placer la période de production dans
la première moitié du xviii* siècle. Auteur fécond, il s*est
surtout adonné au genre sacré et aussi au genre erotique,
que les doctrines soufytes permettent de considérer comme
une variété de la poésie religieuse. Malheureusement, ses
(euvres ont beaucoup souffert et ne nous sont parvenues
qu*avec de graves altérations, ce qui est d'ailleurs le cas de
toutes les pièces qui remontent un peu haut.
Mohammed ben Sahla laissa un fds , Boû Mediën , qui hé-
rita de son lalent poétique et vécut , parait-il , jusqu'aux der-
nières années de la domination turque. Leurs descendants
habitent encore un petit hameau , voisin de Tlemcen , nommé
Fëddân ës-Seba^
NOTES DL TEX.TE.
V. lo. h^^^t 'Essêbbêb est mis pour tm*.:^^^ imp. de ia 5* forme.
On sait (cf. de Sacy, Grammaire arabe, 2" édit., I, 220,S454)
que cette forme se change quelquefois en JLx3t et que son impé-
ratif devient alors JLxii . Il faut aussi remarquer que dans le lan-
gage le ta disparait fréquemment dans le voisinage du s^; ainsi
(^Am^ ystenna , formé de J^Lx^st «il attend», se prononce j^senna.
V. 17. Dans la poésie populaire, l'adjectif démonstratif est le
plus souvent écrit )•>, quels que soient le genre et le nombre du
nom qu'il détermine. Cet alif est lui-même à peu près sans valeur
car le •> s'articule toujours avec Ye muet, vers lequel tendent les
trois voydles arabes.
V. 20. Le premier hémistiche offre la variante v>^' i ^ >^^
h^t^ . Cette quasi -homophonie s*explique tout naturdlement si Ton
tient compte que ces textes se transmettent surtout par tradition
orale.
V. 28. Les participes passifs des verbes hamzés fa, qui se
changent fréquemment dans le langage en assimilés par onoon, et
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 235
ceux des assimilés par ouaou sont parfois d'un type J^JuL«, in-
connu à la langue classique, ^^y» est ici pour «S^L«, 4X^t étant
considéré comme s'il était devenu «S^â.^ ; mais on trouve f»3«N^ pour
l»3.>U «gras, graisseux» (rad. m,>\) et ^y**-*:^ pour ^y^y» «marqué,
distingué» (rad. m)*
V. 37, Jl«^ est mis pour la rime au lieu de J^.^>i>
XIV. 1 6
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236 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1809.
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242 SKPTEMBREOCTOBRE 1899.
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246 SEPTEMBRE. OCTOBRE 1899.
^Ludl I^Uy^ li^^Uî (^ 9»
LE DEBAT DE LA CITADINE ET DE LA BEDOUINE.
1. Otoi qui nVécoutes, je dis une de ces histoires
dans lesquelles je suis maître incontesté; ce sont des
histoires vraies. Par elles j'émeus les amants épris
comme toi, je les divertis par d agréables récits.
Comme je les ai entendues je les rapporte, et elles
plaisent à mes auditeurs par la légèreté de l'esprit et
l'éloquence des pensées. Je conte le difiFérend des
belles. Mes vers sont composés dans la perfection.
5. Je cheminais, ne pensant k rien, le jour où je
venais rendre visite à celles dont la beauté m'égare,
celles dont je n'ai jamais vu les pareilles ni dans les
campagnes ni dans les villes. J'eusse dit qu'elles
étaient le Soleil et la Lune et que les jeunes filles de
ce temps n'étaient que des étoiles, surpassant les
Pléiades. Les astres se portent envie dans leurs fir-
maments et, s'ils s'approchent l'un de l'autre, leur
jalousie se manifeste, et l'on assiste à ces éclipses
connues de la Lune et du Soleil. Mon récit est vrai.
Comme les astres, les femmes se jalousent. Le jour
où je les vis, les deux jeunes vierges s'étaient ren-
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 247
contrées ; ceiie-ci jalousa ceiie-ià et ce fut pour eiies
une malheureuse journée.
11. La citadine dit à la bédouine : « Regarde tes
semblables, tu ne verras en elles que des campa-
gnardes , vrais chiens du douar. Qu'es-tu auprès des
filles élevées à la ville? Tu es une bédouine. Ne
songes-tu pas aux outres qu'il te faut remplir le ma-
tin , à la charge de bois que tu dois couper chaque
jour et comment tu passes la nuit à faire tourner
sans cesse la meule du moulin , fatiguée et harassée ?
Tes pieds, toujours nus, se fendillent et sont cou-
verts de crevasses. Ta tête ne goûte jamais le sou-
lagement d être découverte , et tu t'en vas , brisée de
fatigue, te coucher sur la terre, dans la suie, comme
un serpent enroulé sur lui-même. Tu te couvres
avec l'envers de vieux lambeaux de tente et tu re-
poses ta tête sur les pierres du foyer. Vêtue de hail-
lons, tu dors d'un lourd sommeil, puis tu te lèves
et ta journée s'écoule stupide. Telle est la vie des
gens du dehors, la tienne comme la leur. Qu'es-tu
donc à côté de ceux qui vivent à l'ombre , à ral)ri des
murs, qui ont des mosquées pour les prêches et la
prière, où les questions se discutent et où l'on ré-
dige les actes ? »
21. L'Arabe parla et dit à la citadine — ô toi
qui comprends leurs discours — : « Va-t-en ! tu res-
sembles à une chouette dans une caverne. Qu'es-tu
à côté dos filles des Arabes, des filles de ces tribus
248 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
qui groupent sous leurs étendards des cohortes dé
cavaliers ? Tu es une citadine. Regarde tes semblables i
le médecin ne les quitte jamais : sans maladie, elles
sont fanées et blêmes. Le poison de la chaux ^ t'a pé-
nétrée et un empoisonné même n a pas ton visage.
Tu es morte, quoique vivante en apparence, toi qui
n as pas vu nos Arabes et leurs prouesses, nos Arabes
qui ramènent la prospérité dans les déserts par letirs
glaives tranchants. Si tu voyais notre tribu quand
nos cavaliers chargent contre une troupe ennemie,
montés sur des chevaux de race entourés de soins,
armés de lances et de boudiers pour s abriter des
coups de leurs adversaires ! Ceux qui leur ressemblent
sont renommés et glorifiés. Ce sont des hôtes géné-
reux, des hommes au caractère libéral. Dans de»
mosquées qu'ils ont bâties sont des logements pour
les tolba et pour les hôtes. Tous ceux qui viennent
chez eux les quittent emportant des marques de leur
bienfaisance et en font des éloges. Par quoi seraient*
ils attirés vers les villes , où tout s'achète îi prix d'ar-
gent ? »
31. La citadine reprit : «O bédouine! oublies-tu
donc ce que tu fais ? Tu t'en vas de maison en mai-
son avec des mauves , des cardons ^ et de ces sal-
^ V. 2 4. Les bédouins attribuent la pâleur des citadins à un
principe nuisible renfermé dans la chaux dont ils badigeonnent
leurs maisons.
^ V. 32. iUib, mot berbère qu'on retrouve dans TAurès sous ia
forme c^^Jub, désigne une sorte d'artichaut sauvage (Carduncellus
primatus, Prax, dans Beaussicr).
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 240
sifîs sauvages si connus. Tu es toute graisseuse; la
graisse s'infiltre dans tes vêtements au point de les
imprégner complètement. C'est ainsi que tu vis
chaque jour. Je ne fais pas de comparaisons pour.ce
qui est caché. Laisse-donc tes médisances. Qu as-tU
à dire de moi ? Mieux que toi je suis les préceptes
de la Sojina; j'observe plus fidèlement les moments
canoniques. Cachée par mon voile, aucun œil ne
m'a vue. Je ne suis pas, ainsi que toi, toujours dans
les champs; je vais par les rues et je m'y promène.
Qu'es-tu donc auprès de moi? Je ne garde pas les
vaches, passant, comme tu le fais, la journée à les
suivre. Tu te nourris d'oseille sauvage et de cœur de
palmier nain. Tes pieds se fatiguent à marcher et tes
mains à creuser la terre pour en arracher le palmier
nain. »
39. «Qui vous pousse, qui vous amène, dit la
bédouine à la citadine, à nous outrager et à nous
adresser de méchants propos , vous qui êtes les pires
des créatures et en qui sont rassemblés tous les vices 1
Toutes vous êtes des pécheresses , et Satan n'oserait
citer nombre de vos actions; toutes vous êtes des
magiciennes et des débauchées. Vous trahiriez votre
propre frère; à plus forte raison trompez- vous vos
époux. Aucune de vous ne se garde; vous sortez sans
vos maris et sans leur assentiment. Vous reniez votre
foi et il n'est point d'impie qui vous soit comparable;
la malédiction du Ciel pèsera sur vous jusqu'à ce
que vous reveniez au Créateur. Nulle de vous n'est
250 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
honnête. O femmes qui ne vouiez pas voir, d'où
donc vient votre aveuglement? Toutes vous suivez
des pratiques réprouvées , et celle que ne préoccupe
pas Tamour des hommes recherche Tamour des
femmes. Vous violez la loi divine et combien peu
parmi vous craignent leur Seigneur ! C'est dans les
campagnes, au milieu des champs, que sont les
femmes qui craignent Dieu. Pourquoi dis-tu que,
seules, celles des villes sont pieuses? Accomplis- tu
pour moi les devoirs de la religion ? »
49. «Quel agrément ont tes pareilles? reprit la
citadine ; elles ne goûtent aucun plaisir et ne voient
jamais ce qui divertit les yeux. Elles ne teignent pas
de henné les mains qui terminent un bras arrondi.
Elles ne portent pas les riches costumes qui coûtent
des centaines [de pièces d'argent], ni les nombreux
vêtements rehaussés de pierreries et pénétrés de par-
fums suaves; elles ne se coiffent pas de foulards à
fleurs de brocart, ni de voiles, ni de mouchoirs de
soie alourdis par des fils d'or de fabrication chré-
tienne. Elles n'ont pas une négresse qui élève les
enfants et va et vient dans la maison et dans le ha-
rem. Elles se vantent plus que ne le ferait un fan-
faron. Pourquoi m'accuser de mener une vie blâ-
mable quand ta conduite mérite la réprobation ? La
saleté règne chez les campagnards; où leur fait-^e
défaut ? Chez vous l'eau croupit l'hiver dans un cretix
de rocher ; elle vous manque l'été pour la boisson , à
plus forte raison pour vous baigner. On ne voit pas
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHREBIN. 251
parmi vous une femme propre : les poux et les puces
sont leur couche et leur couverture; votre lit cest
la terre et la poussière ; le millet est votre nourriture ,
ou bien Torge et le blé échauffé. »
59. L'Arabe reprit la parole et dit à la citadine ;
« Qui sont ceux dont tu descends P Quelle est ta tribu
parmi celles qui peuplent les contrées? Vous n'êles
que des Beny Leqyt, ramas de gens de toute sorte.
Tu te prétends citadine; que sont les citadins ! Tes
seigneurs ne les déchirent pas ; seuls ceux qui viennent
comme toi on ne sait d*oii ont ton insolence. Et tu
m'insultes, toi qui appartiens à des gens dont la
considération est partout décriée ! Et tu braves une
Qoreychyte, une Hâchemyte glorieuse de ses an-
cêtres et des éloges qu'ils ont su mériter ! Il convient
à la femme issue d une souche illustre de s'enor-
gueillir de ses origines; mais toi qui n'es que la fille
des masures, la descendante d'une race vaincue. . .!
Tu te prétends sonnyte et tu ne connais pas les trois
grandes choses dont leur auteur, Celui qui sait tous
les secrets , nous a gratifiés : le Paradis , le Qoran et
le Prophète illustre , abrogateur des fausses croyances ,
intercesseur * des créatures. Quiconque l'aime aime
aussi les Arabes et s'attache à eux. Qui les hait bait
l'Elu de Dieu et qui hait Ta Hâ hait aussi incontes-
tablement l'Eternellement vivant, le Dieu immuable.
Tu le hais, toi, car tu calomnies mes ancêtres, tu
ravales leur rang et déprécies leur honneur. Songe
k tes mauvaises actions pour le jour où tu seras
\iv. 17
iiiraiJieaiB raxiosalb.
252 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
mise au tombeau et pour celui où tu seras ressuscitée ,
ô insulteuse des Arabes, desquels est sorti le Sei-
gneur des peuples ! »
71. « Je ne méconnais pas les Apabes , dit la cita-
dine, et je n'offense pas leur honneur, et sans toi je
n eusse pas mal parié d'eux; mais c est toi qtii as in-
jurié les miens et exalté ceux de ta race. C'est celui
qui commence qui commet l'excès et celui qui l'imite
ne mérite pas le blâme , ô toi qui leur as cherché
querelle ! Demande pour moi pardon au Dieu indul-
gent et miséricordieux, comme je l'implore moi-
même, et je n'attaquerai plus les Arabes. Et s'ils
m'offensent, je leur pardonnerai et je les approuverai
par respect pour le Prophète pur et purifié. Je re-
cevrai le Paradis ; c'est d'eux qu'on l'acquiert et il est
sans prix. Ceux-ci, franchement, je les aime plus
que moi-même, je les aime passionnément. Celui
qui aime un peuple ressuscitera avec lui, et c'est ici
le terme des propos désobligeants et des reproches
échangés entre nous. »
79. Je leur dis que le devoir m'incombait de les
réconcilier et je les rendis aussi pures' d'intentions
quç je désirais qu'elles le fussent. Je les rapatriai et
je leur rendis cette journée agréable. Ainsi que le
souhaitaient ces belles, je dissipai leurs soucis par
la bonté et la douceur.
J'ai composé les vers de ce morceau; le sens en est
plus délicat que le parfum de la fleur d'oranger, plus
SIX CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 253
doux que le sucre , pour les cœurs de ceux qui aiment
à pardonner. Quant aux méchants, ils goûteront le
zeqqoûm. Ma chanson est ornée de fleurs de rhéto-
rique; telle une jeune vierge dont la poitrine est
parée de pierreries qui étincellent comme les étoiles
du firmament. Les paroles en sembleront amères aux
censeurs. Je les ai cueillies comme un bouquet dans
le parterre des allusions. Que les lions courageux,
que les hommes à Tesprit pénétrant, aimés de Dieu
et objets de ses bontés, reçoivent nos salutations
aussi longtemps que se prolongeront les existences,
salutations innombrables, et, parvînt-on à les dé-
nombrer, ajoutées les unes aux autres.
87. Je dois faire connaître mon nom à celui qui
est soumis aux Chërfa et reconnaît leur puissance :
le mym précède, puis vient le hd dans l'écriture. Le
mym et le dâl le complètent et le rendent compré-
hensible au lecteur [MoHaM{M)eD]. Dieu me par-
donne cette œuvre futile et aussi mes fautes et mes
erreurs. Je mets ma confiance en mon créateur, in-
dulgent à tous les péchés, et j'espère en sa miséri-
corde , car quiconque l'attend en reçoit les effets.
91. La bédouine et la citadine en désaccord se
présentèrent devant le juge demandant une sentence ;
elles en vinrent aux invectives et se complurent dans
l'échange de ces propos. Mais après le débat de ces
belles, je m'empressai de les réconcilier.
17
254 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
^*^ La chanson révèle la physionomie d'un pays et Tânie
de ses habitants; plusieurs causes contribuent à donner à
celle du Maroc un caractère particulier.
L*esprit massif du Berbère manie avec peine une langue
qui n'est pas la sienne. Tous les morceaux marocains que
j'ai lus ou entendus sont le résultat de laborieux efforts; ils
sont tout imprégnés de ce sentiment religieux resté si vif
dans l'Empire des Ghéryfs , mais l'inspiration , qui se mani-
feste si intense dans les vers du moindre des trouvères bé-
douins , leur fait à peu près complètement défaut.
Le poète marocain se cantonne presque exclusivement
dans le genre érotico-mystique cher aux Soufytes. Son tem-
pérament religieux n'en est cependant pas Tunique cause. Le
pays est triste, mais dune tristesse spéciale, à laquelle son
état social n'est pas étranger : il n*est pas prudent , au Maroc ,
de dire tout ce que l'on pense , encore moins de le chanter.
Les rares chansons politiques , satiriques on simplement gaies
que composent de ci de là quelques faqyh railleurs ou plai-
sants, ne se chantent que portes closes, et s'il est impossible
aux étrangers de les entendre , à plus forte raison ne peuvent-
ils songer à en avoir des copies.
La pièce que je reproduis ici et qui clôt la série de mes
extraits est d'un Cheryf du Tafylâlt nommé Sydy Mohammed
ben *Aly Ou Rezyn, né en ii54» mort en 1287 {^7^-^'
1833), sur lequel je n'ai aucun autre renseignement. On
voit qu'il n'a pas échappé à l'influence dominante et qu'il
n'a pu achever son morceau sans y faire intervenir Dieu et
son Prophète.
NOTES DU TEXTE.
L'examen dn texte donne lieu à quelques observations :
La première rime intérieure en d long [yâ men tesra ijyâ) né-
cessite, en vue d'un son unique, une modiGcation de l'orthographe
des mots qui la constituent : un alif remplace le ta merboûta des
noms et des adjectifs; un alif s'ajoute au pronom adixe de la pre-
mière personne du singulier.
Sî\ CHANSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 255
Quoique le dialogue se poursuive entre deux femmes, les deux
genres sont employés dans les verbes. L'indifférence en matière d'or-
thographe est la seule cause de ces anomalies.
V. l'y. ^JaJisijS lùtetretta «tu te, couvres». Ai s'emploie explétive-
ment au Maroc devant les personnes de l'aoriste exprimant le pré-
sent de l'indicatif.
V. 27. I>3kosj yddergoû «ils sont abrités, ils s'abritent • est pour
]^sô'jLji jtdergoû. Le langage ne se sert pas pour exprimer le passif
du verbe primitif de la forme classique Jj3; il a recours à un type
à la fois passif et réfléchi, mais plus passif que réfléchi, qui est
jLJub pour le prétérit et Jmx^ pour l'aoriste.
Ce phénomène a été signalé par M. Cherbonneau dans le Journal
asiatujue (avril i852, p. 379, et 1861, p. 9) et par M. Gorguos
dans son Cours d'arabe t)w/^rtïrr(2*édit., Paris, 1857, p. 167). Leurs
observations, qui se complètent, ont parfaitement déterminé les
modifications que cette forme apporte au sens de l'idée exprimée
par le verbe primitif actif; mais tous deux se sont mépris sur son
caractère grammatical.
M. Cherbonneau y voit une altération de la 8* forme parce que ,
vraisemblablement trompé par une orthographe défectueuse, qui
rend l'erreur très excusable, il a pris l'aoriste pour le prétérit : en
effet, le y a pronominal de la 3*" personne du masculin singulier de
l'aoriste, à laquelle les verbes de cette forme sont le plus fréquem-
ment employés, est souvent remplacé par un hamza dans l'ortho-
graphe populaire; ainsi ^^3l pour *^^t = ^^ix^ ytefekem «ceci se
comprend; c'est intelligible».
Mais le déplacement du ta formatif qui , abandonnant son rang
entre la première et la seconde radicale, aurait franchi cette pre-
mière radicale pour venir se placer devant elle et de JjcJL^. faire
JudUj, n'est pas expliqué; et quant au redoublement dont M. Cher-
bonneau le dit être l'objet, il est loin d'être la règle générale. On
ne le constate que devant des verbes ayant un ta pour première
radicale, ce qui n'a rien d'anormal, et quelquefois au prétérit,
après cet alif prostkétique , sans valeur grammaticale, dont les Ma-
ghrébins font un si abusif emploi et qui n'est autre chose que l'équi-
valent de ïe mnet introduit par notre langage populaire devant
nombre de mots. Ne dit-on pas chez nous : une tranche eci'melon ,
fj'peux pas, par e/'chemin du haut, etc.? Cet alif favorise par-
256 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
fois, il est vrai, une réduplication, comme par exemple dans
tyjC^I êssektôn, qui est !yJC«wI eshtôu o taisez- vous!». Mais ces faits,
qui sont du domaine de la phonétique, ne peuvent être invoques
comme principes grammaticaux.
Tout ceci put-il d'ailleurs demeurer sujet à controverse, que le
seul examen du prétérit suffirait à dissiper toute incertitude. De
très nombreux exemples établissent qu'il ne faut voir dans cette
forme autre chose qu'un paradigme jLxJb : J'y*3 té*azel «il a été
révoqué > ; JixJb téijetel « il a été tué » ; y»S3 têkeser « il s'est cassé
[un membre]»; l^kxSjj iêketeb «il s'est inscrit [comme soldat], il
s'est engagé », etc.
De son coté , M. Gorguos fait de Jixi:» une « 5' forme allégée » ,
c'est-à-dire privée du chedda de la seconde radicale. Mais les exemples
mêmes qu'il donne à l'appui de son opinion démontrent qu elle ne
saurait ^-Ire acceptée : fg^ J^^^î ^ vW' '«^ «cette porte ne
«s'ouvre point»; ^-iJI A^î^. ^I«xS «combien se vend le blé?». Si
la racine est sourde, ajoute-t-il, le verbe est alors sourd à la
5" forme, ce qui n'a pas lieu à la 5" forme régulière (lisez litté>
raie). Si le verbe est concave, la lettre faible se change en alif à
l'aoriste » Si ces verbes étaient à la 5' forme , ils feraient ,
d'après la règle commune à la langue littéraire et au langage usuel ,
JJL^C^. et ^X.^^.. Or il nous reste, le ta initial supprimé, J<ag et
^L^ , qui sont précisément les aoristes passifs de la première forme.
Si l'on considère enfin que les deux voix active et passive ne se
distinguent dans la langue régulière que par des voydles, et que
dans le langage ces voyelles , considérablement assombries , tendent
toutes vers un même son incolore e muet, on constate qu'il était
impossible au langage de rendre le passif au moyen de la seule
forme grammaticale Ja», et Ton s'explique comment il a été
amené à recourir, pour y parvenir, à un procédé artificiel. Le ta,
qui caractérisait déjà des formes passives et réfléchies , s'offrait natu-
rellement à lui ; il en a fait le signe du passif populaire.
Il est surprenant que depuis l'époque déjà lointaine où ces deux
savants publiaient leurs consciencieuses et intéressantes observa-
tions, cette forme , cependant très usitée, n'ait attiré l'attention d'au-
cun arabisant algérien et ait été laissée dans un oubli profond; car
on n'apprendra pas sans étonnement que les nombreuses méthodes
pour l'étude de l'arabe parié mises à la disposition du public n'en
font absolument pas mention. Un seul auteur en parie très topera
SIX CHAiNSONS ARABES EN DIALECTE MAGHRÉBIN. 257
ficieliement et encore y voit-il, à rimitation de M. Gorguos, une
5* forme altérée. Il serait désirable que cette lacune fût comblée.
V. 34. Les nécessités de la rime ont forcé l'auteur à transformer
c^^^, pi. de iu^ «propos désobligeant, médisance», en f*>^. On
a déjà vu (II, vers 2 et 3) que Ton peut faire rimer deux sifflantes
sâd et syn ; ici , c'est entre deux labiales bâ et m^m que s'est faite
la permutation.
V. 6 1 . *^ est devenu ^li pour la rime.
V. 69. «-^JîJB «critiquer, blâmer, censurer, médire», qui est dans
le langage un verbe trilitère régulier, semble avoir été formé de
<^\a£\ (VIII, de v^ ^- i«)' ^^^ ^ ^® même sens. Il ne faut pas
perdre de vue, cependant, que «^^ocjb a une signification identique
et que le » et le » ou permutent ou sont employés simultanément.
V. 7g. ^l^xâJ est pour m ^.',4" »-'''.
V. 86. ^Ct^Uw, lisez sêlâmàlla, par suite de l'insertion du noûn
du tanouyn dans le lâm de là.
ERRATA.
p. 475 ,1. 1 , au lieu de ^J9J s, lire ,j>, s,
P. ^77, 1. 9, au lieu de tdxU, lire dlxJLs.
P. 499, 1. 8, au lieu de Ju-^., lire iL^\y
P. 620, 1. 10, au lieu de J^^yj^ lire jij^l.
P. laS, 1. 10, au lieu de s^^Ué., lire s^jU..
P. 137, av.-dern. 1., au lieu de JL^U, lire dL^,
258 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
NOTE
SUR QUATRE SYSTÈMES TURCS
DE
NOTATION NUMÉRIQUE SECRETE,
PAR
M. J. A. DEGOURDEMANGHE.
Chez les Turcs, il a été usé de la cryptographie
avec une abondance particulière. Les manuscrits
mathématiques, médicaux ou relatifs aux sciences
occultes, composés ou traduits par des Ottomans,
fourmillent d'alphabets et de systèmes numériques
secrets. Pour les constituer, les Turcs ont mis à con-
tribution tous les alphabets dont ils ont pu avoir
connaissance. Us les ont, le plus souvent, utilisés
dans la forme où ils les rencontraient, mais parfois
ils les ont modifiés ou transformés , sinon volontaire-
ment, du moins par la dégénérescence graduelle
inhérente à la reproduction par voie de copies suc-
cessives.
Une opinion généralement admise est que les Mu-
NOTATIONS NUMÉRIQUES SECRÈTES TURQUES. 259
sulmans ignorent et ont toujours ignoré les écritures
an té-islamiques. C'est peut-être là une erreur. Citons
un exemple.
Dans la séance de llnstitut égyptien du 2 4 dé-
cembre 1880, sous le titre de : Le Blason chez les
princes musulmans de l'Egypte et de la Syrie, M, Edward
Thomas Rogers-bey a fait, à cette société, une com-
munication , d'où il résulte que :
1° Les divers souverains de TKgypte et leurs prin-
cipaux officiers , depuis les Ayoubites jusqu'aux der-
niers sultans mamelouks, ont eu chacun un blason
nommé Aj^, au pluriel dyj, du mot persan Jô^
a coideur ».
2° Nombre de ces blasons souverains portent des
caractères hiéroglyphiques , dont les plus fréquents
sont ^ ^ , qui représentent les mots Ra neb teta
« Soleil des deux horizons ». C'est là un titre vrai-
ment royal dont il serait invraisemblable de sup-
poser le choix comme né d'un pur hasard.
Sans insister sur cet exemple, il laisse à penser
qu'on pourrait retrouver des alphabets anciens parmi
ceux employés, chez les peuples musulmans, à des
usages cryptographiques.
En tous cas, la reproduction de cryptogrammes
turcs aurait toujours une utilité : celle de faciliter
la lecture de certains manuscrits.
Nous n entreprendrons pas, dans la présente note,
une étude d'ensemble sur les systèmes ottomans
iôO SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
d'écriture secrète; nous nous bornerons, pour res-
treindre notre sujet, aux notations numéricpes et,
parmi ces dernières, à celles militaires.
Il s'en présente quatre principales.
PREMIER SYSTEME.
11 consiste à représenter les neuf chiflGres , autres
que le zéro, par autant de signes; ce sont là les
unités. Puis un zéro, sous la forme dun petit cercle,
est joint à chacun des signes des monades pour for-
mer les décades; un second zéro joint constitue les
centuries et un troisième les chiliades.
Voici ces signes :
i iOQO
% 100
? iO
1 i
oi 8:000
oS 200
3 20
J 2
^ 3000
^ 300
^ 30
-1 3
?^4000
f^400
ro^o
r 4
^5000
toSOO
LoSO
L 5
^ eooo
A 600
H 60
H e
T7000
^^700
T70
T 7
4^8000
A 800
h 80
Ha
oiodooo o^^oo ^90
iNOTATlONS NUMÉRIQUES SECRÈTES TURQUES. 261
Cette numération est dénommée jJUj^fc^a^a/r/tt ,
du mot sihy^ « registre » , plus spécialement « som-
mier ». Elle était employée surtout poiu* dresser les
rôles des résultats de la levée dliommes appelée
x^yij^ devcharmé « la presse »>, opérée sur les jeunes
gens chrétiens pour le recrutement.
Parfois une variation se produit dans la forme
des signes reproduits plus haut : le petit cercle est
remplacé par un trait, ajouté à la hampe du signe,
soit à droite soit à gauche. Ainsi Ton écrit toujours
un par I, mais dix est 1 ou h, trois 1 devient IK trente,
et quatre f devient /f" queutante.
SECOND SYSTEME.
Ce mode de numération est fondé sur Yabondjed
«juAM, ou oriental, lequel, comme on le sait, est divisé
en huit mots techniques, ainsi disposés :
876 5 4321
Dans le système dont nous parlons, on ajoute, à
une hampe , un trait à droite pour les chiffres-lettres
qui sont tirés du premier mot, deux traits pour ceux
issus du deuxième mot, en continuant ainsi jusqu'à
huit traits à droite pour le huitième mot. A gauche
on trace un trait pour la première lettre du mot,
deux pour la seconde , etc.
262
SEPTEMBRE. OCTOBRE L899.
Par suite , le système complet se présente comme
suit :
u r
J d
; -?
z
LJ
\
mi n^ m fTTT
5o ho 3o ao
lo 9 8
765
h 3 -j 1
là
f leo" * Z
1000 900 800 700 600 ôoo
4oo 3oo Qoo 100 90 80 70 60
Indifféremment, les traits ajoutés à la hampe sont
tracés descendants ou ascendants.
Ce système, à la fois numérique et alphabétique,
c'est-à-dire utilisé à écrire tantôt des nombres, tan-
tôt des mots , — les signes ont alors la valeur pho-
nétique des lettres qu'ils représentent — , est dé-
nommé (S^^)^^ ordoni « de Tarmée ». Comme valeur
numérique, il servait surtout dans les états d'ef-
fectifs.
Quand il s'agissait, dans ces états, d'exprimer des
nombres relatifs , non plus au personnel , mais à la
comptabilité matières : vivres, fournitures, équipe-
ment, etc. , il prenait la dénomination technique de
>^ iS^^^^^ ordouï cheîla « des choses de l'armée », et
subissait alors une transformation.
Comme précédemment, une hampe est tracée
mais, à droite, est ajouté un trait pour les unités,
NOTATIONS NUMÉRIQUES SECRÈTES TURQUES. 263
deux traits pour les dizaines, trois pour les centaines,
quatre pour les milliers. Ensuite un trait est ajouté
à gauche pour signifier 2 , deux pour 3 , pour ainsi
continuer jusquà 9, qui comprend huit traits; les
traits ou barbes vont, ad libitum, de bas en haut ou
de haut en bas.
La notation précédente, ainsi transformée, se
présente avec les formes suivantes :
i» «
yo 80 70 60 5o 4o 3o ao lo
ff ffllf
900 800 700 600 ôoo '100 3oo a 00 100
f f T T f
gooo 8000 7000 60U0 ôouo 4ooo 3ouo aooo luoo
f f f I F
Si les deux notations sont employées concur-
remment, la première avec une valeur alphabétique,
la seconde avec une valeur numérique, les barbes
de Tune sont tracées du haut vers le bas et celles de
l'autre de bas en haut.
264 SEPTEMBRE-OCTOBRE 189Q.
On remarquera certainement l'intérêt présenté
par la double transformation linéraire ci -dessus,
de nature à aider à l'explication d'autres systèmes
linéaires , alphabétiques ou numériques , absolument
étrangers aux Musulmans.
Il ne serait pas impossible, par exemple, que
l'alphabet ogam, qui a coexisté avec l'alphabet ru-
nicpie et se trouve constitué par des traits placés à
droite, à gauche ou au travers d'une hampe, soit la
transformation linéaire d'un alphabet relié au système
général issu des lettres phéniciennes.
Si l'on veut bien se reporter dans ïHistoire de
t écriture dans Vantiqaité, par Philippe Berger (Paris,
in-4°, 1891), au chapitre consacré à l'écriture oga-
mique, — notamment p. 3^5, 1. i5 à p. 346,
1. 6 , — on pourra démontrer que les trois forma-
tions linéaires ogamiques données pour le mot korvi,
cité comme exemple, sont constituées par la trans-
formation , — d'après un procédé absolument iden-
tique à celui du système turc, décrit plus haut,
— de l'alphabet runique, préalablement divisé en
trois sections de huit lettres chacune. Cette consta-
tation est de nature à faciliter la transcription, en
lettres runiques , de certaines inscriptions ogamiques ,
linéaires ou constituées par des points.
TROISIÈME SYSTÈME.
Il s'agit ici d'une numération appelée jJbU^ dam-
gain , c'est-à-dire « de contrôle » ou a de poinçonnage ».
NOTATIONS NUMÉRIQUES SECRÈTES TURQUES. 265
Elle était employée surtout à marquer les objets
d'équipement militaire. Mais, notamment dans la
marine de guerre, elle était, de plus, utilisée à la
fois comme écriture de numération et comme écri-
ture cryptographique. Selon qu'il s'agissait de la ma-
rine ou de l'armée, la notation prenait les formes
ci-après , toutes composées de traits et de points , au
nombre de quatre éléments :
: ~: ~ -T- : =^^ZII^=:-L = -7-III== marine
armée
70 60 5o 4o 3o 20 lo 9 8 7 6 5 /i 3 2 1 valeur
A ce point, les seize combinaisons à tirer de la
variation de quatre éléments étant épuisées, douze
autres sont constituées en reprenant les douze pre-
mières formes : on les souscrit d'un r quand la base
du signe est un trait, d'un lj non ponctué quand
cette base est un point. Parfois, cependant, on
souscrit d'un r quand la tête est un trait; ce détail
est laissé à la fantaisie du copiste. Ainsi l'on a :
t ^ cF ^ t ^ "^ ^ ^ a C^ ^
• ■■ • — ■ ■ I ■ ■ I ■ • • ■ »- • • • •
: ~r==:IEI===F^-r- = I^IïI= marine
t '^^^' f LJ Lj i~j Y f i^ t
-T- I^-r"_i_J_'T"=F-i-^^ = = armée
Y i^ i~J *^ f' LJ i^ ^ f f LJ f
1000 900 800 700 600 5oo 4oo 3oo 200 100 90 80 valeur
Dans la pratique, les marques se modifiaient sou-
266 SEPTEMBRE-OCTOBRE 18Q9.
vent par un resserrement sur la gauche , qui faisait
toucher, par leur extrémité gauche, les barres ou
traits du signe. Alors les points se trouvaient placés
soit entre, soit contre les barres. Souvent aussi la
figure angulaire ainsi formée a sa pointe en haut«
Ainsi étaient constitués les Lut ou guidons régi-
mentaires , où les barres étaient représentées par des
cordes de passementerie et les points par des corde-
lettes plus courtes, terminées par un gros nœud.
Ces Ujf indiquaient ainsi, en signes ^^XjU^, le numéro
du régiment. Ils étaient formés de cordes et de
cordelettes de couleurs variées, mais non choisies
au hasard, car chaque couleur avait une signification
en quelque sorte héraldique. Les ortas ^l^ycû avaient',
dans leur Ujf , une corde ou cordelette rouge; les
ortas JjJtf^Lk. en avaient une verte, les ^UiC»»» en
avaient une jaune.
Ainsi le système ^Xjto:> en arrive à ressembler, par
certains côtés, aux Quippos péruviens, dont parle
M. Philippe Berger dans son ouvrage déjà cité,
ch. I.
Selon toute apparence, la notation ^XjU^ est issue
d un alphabet de seize lettres seulement.
Les noms des mois sont exprimés comme suit
dans ce système : Moharrem, IE~; Sefer, =; Rébi
el ewel, =; Rébi el akher, -f-; Djemazi el ewel, T;
Djemazi el akher, 4-; Redjeb, =; Chabân, = = ;
Ramazan, ^; Chewal, ih; Zoul-Qadé, =7=; enfin
Zoulédjé, :i^.
NOTATIONS NUMÉRÏQIKS SECRÈTES TURQUES. 267
QUATRIEME SYSTEME.
Usité comme nmnération et comme écriture se-
crête, ce système était employé surtout en Egypte,
en Syrie et sur les côtes barbaresques ; les traités
arithmétiques turcs le nomment yiy*»j^ « égyptien » ,
ceux égyptiens l'appellent ^^\JU ou ^^u^Ui « syrien »,
enfin les documents syriens, (^ytiXi' «de Palmyre ».
Je ne vois pas d'autre traduction possible pour ce
dernier mot.
Voici les formes de cet alphabet ;
7i
^
J J
Les secondes formes d'une même lettre sont celles
finales , sauf pour ô , dont la première forme équi-
vaut à (-» .
V
Il n'y avait là que les vingt-deux lettres fondamen-
tales mais, comme le disent explicitement les auteurs
xrv. i8
MraiHEUe «AVIOBALK.
2Ô8 SEPTKMRRK-OCTOBHE 181)9.
turcs, il en a été ajouté six autres^ pour compléter et
la correspondance avec Talphabet arabe et la numé-
ration de 1 à 1,000. Voici ces six lettres :
^ là ^ i» 3 o
^«^ !>• 5 W ^
Ce système a été utilisé jusqu'en des temps très
voisins du nôtre; donnons un exemple, .
En 1869, en vue de faire établir pour nos ofiB-
ciers une comparaison entre l'expédition avortée de
Charles III d'Espagne contre Alger et l'expédition
française de i83o, le Ministère de la guerre fil
venir d'Afrique à Paris l'original , en turc , du rapport
militaire (le la Régence d'Alger à la Porte sur l'ex-
pédition de Charles III. Ce document fut confié à
un interprète militaire chargé de le résumer.
Le manuscrit, que j'ai vu alors, portait le timbre
d'une bibliothèque d'Alger. Après toute une liasse de
comptabilité venait le rapport de la Régence. Aux
annexes justificatives, placées à la suite, figurait,
(Mitre autres pièces, une longue lettre d'espion tracée
en espagnol dans le caractère hébraïque dit h ,■!>
cpl^j^t. La signature était formée au moyen de
l'alphabet tadmoari et portait (nous employons pour
la transcrire l'alphabet turc) :
Felipe, rabbina loiiLSiiuCbcn Azcr, nacido en Grenada*
NOTATJONS MMKIUQLES SECHÈÏES TlKQLUvS. :200
Ensuite venait, sur des feuilles de tous points
identiques au papier de la lettre, un état détaillé des
forces espagnoles de terre et de mer, écrit en carac-
tère tadmouri. Comme cet état se trouvait reproduit
ligne pour ligne et en caractèries turcs usuels dans
le rapport de la Régence, il me fut facile de me
rendre compte de la valeur de chacun des signes
du tadmonri.
A titre d'échantillon, voici la reproduction, en
lettres arabes , de la première ligne de l'état de forces
fourni par l'espion, soit pour l'armée, soit pour la
marine :
« l\egiiiiento (del) Hey, i8r> (hoimiies)» ^ « j .l^ U : ^ L=wJ^
(année);
nEl Velasco, 70 (canons)» fr^.tu»^pt (marine).
Depuis lors je me suis trouvé avoir un exemplaire
de l'ouvrage turc de lexicographie intitulé : ;^*>JI
»;^^j^t cpliaJUJt ^:^l i »;>iU' «oLacUJL! comnmné-
ment dénommé Galathaii Méchouhré, iujprimé à
Constîmtinople en 1 9.5 1 . Il contient, de la page SSy
à la page 3 60, toute uncî série d'alphabets , en clair
ou cryptographiques, européens ou orientaux.
D'après cet ouvrage, où se retrouvent la plupart des
notations données dans la présente note , nous avons
reproduit plus haut le tadmouri; l'invention de ce
caractère y est attribuée au prophète Moïse, celle
de l'alphabet grec à Jésus, celle de larménien à
Daniel, et c(»lle du latin à Isaac. Inutile d'insister.
18.
.«
270 SIOPTEMBHK-OCTOBHK 1899.
DE L'ABOUDJED SEGLIR.
Ne quittons pas les notations numériques sans
donner ïaboudjed sé^uir des mathématiciens turcs,
lequel (comme le système sanscrit fourni par Pihan,
p. 16 de son Exposé des sicjnes de numération usités
chez les peuples orientaux) sert à la fois et à calculer
et à composer des expressions techniques et mnémo-
niques pour les nombres compliqués. Voici cet abou-
djed :
LrufJ^t^^c)-5*^S
o
/i G 8 10 9 8 7 G 5 4 3 2 1
48 A 08 4 o84 0 8
On remarquera Tabondance avec laquelle les
chilfres ^ et 8 sont représentés dans cet aboudjed;
ils s'y présentent six fois chacun. Cela s'explique.
L\ihoudjed séguir est employé surtout au calcul des
Fractions, où les quarts et les huitièmes se présentent
avec une fréquence particulière. Grâce à la variété
des lettres susceptibles de représenter quatre et huit ,
la notation des quarts et des huitièmes est spéciale-
ment simplifiée. Ainsi des expressions comme i/4 A
et i//i B se rencontrent très souvent dans le calcul
des angles. Pour exprimer d'un seul signe le diviseur
4 et la concrétante A, le calculateur oriental écrira
simplement la lettre :>, qui est la première forme
NOTATIONS NUMÉRIQUES SECRÈTES TURQUES. 271
de 4. De même, pom^ rendre avec un seul caractère
4 et B, il emploiera la lettre p, soit la seconde forme
de 4.
Notons que les mathématiciens musulmans
nomment d'ordinaire le zéro IajUm saqith ou manque.
Il prend toutefois le nom de tyft) ou »y^j zehra ou
zehré quand il s'agit de la division , — particulière-
ment de la division planétaire — , et que le reste est
zéro. Alors le nombre dont il s'agit est considéré
comme s'appliquant à zehra ou zehré soit à la planète
Vénus, car tel est le second sens de zehra ou zehré,
dont le premier est brillant et paraît s'appliquer
parfaitement à une opération de résultat absolument
satisfaisant comme est celle sans reste. Il s'agit vrai-
semblablement là d'un calembourg.
Soit, par exemple, le nombre planétaire 98, à
diviser par 1 4 ; le dividende sera 7 et le reste zéro.
C'est ce zéro , indicatif de l'absence de reste à la di-
vision, qui prend le nom de zehra. Il y a là une
nuance de signification avec le IajLm, zéro qui joue
le rôle de chiffre de position, comme dans 10 ou
2o4, et n'est pas alors dénué de valeur numérique.
272 SEPTRMBRE-OCTOBRK 1899.
LE BODHISATTVA
ET LA FAMILLE DE TIGRES,
PAU
M. L. FEER
Dans sii Grammaire mongole, publiée à Saint-IV»-
tersbourg, en i83i, I.-J. Sclimidt donnait , comme
« Exercices de lecture »(p. 128-176), deux récits
mongols de l'épisode du Bodhisattva livrant son
corps en pâture à une tigresse affamée , pour sauver
les petits qu elle venait de mettre bas et était sur le
point de dévorer. CVst, je pense, la première fois
qu'on entendit parler, en Europe, de cet exploit du
futur Buddha , et peut-être n'eut-il pas alors tout le
succès qu'il aurait pu obtenir, s'il avait été imprimé
ailleurs que dans une grammaire, et dans la gram-
maire d'une langue qui n'a jamais compté un bien
grand nombre d'amateurs.
Depuis, différents auteurs, Schmidt lui-même,
sont revenus sur ce sujet dans des publications,
traductions, analyses de textes sanscrits, tibétains,
chinois; de sorte que cette manifestation de la pitié
du Buddha pour tous les êtres est devenue célèbre.
Néanmoins on ne la connaît qu'en bloc; les détails,
LE BODHISATTVA. 273
qui varient plus ou moins avec les divers récits,
sont généralement ignorés. Il me parait utile et inté-
ressant de recueillir ces diverses données, de les
rapprocher les unes des autres et de présenter ainsi
un ensemble aussi complet que possible de cette cu-
rieuse légende.
1. JiéGENDE SEPTENTHIONALE.
IjC premier point à signaler, c'est qu'elle nous est
connue seulement par des textes sanscrits, tibétains,
mongols, chinois. Ni le Jâtaka pâli, ni le Cariya-pi-
taka (très semblable par son élendue et sa composi-
tion au Jataka-mâlâ sanscrit où notre épisode se
trouve) ne nous en disent rien. Il ne paraît pas im-
possible qu'on la découvre dans quelque recueil mé-
ridional inconnu ou imparfaitement exploré. Mais
cela est peu probable ; car l'épisode a trop d'impor-
tance et frappe trop l'esprit pour ne pas avoir trouvé
place dans les principaux écrits de la littérature du
Sud , si cette littérature l'a vraiment accueilli. Dans
l'état actuel de nos connaissances, il est spécial h la
littérature bouddhique du Nord '.
2. OlIVBAGES où EÎ.LE SE TROUVE.
Notre légende se trouve dans deux ouvrages du
Kandjour, le Daniamûko ou Dzafhlun (Mdo xxvni)
* 1^0 fait a déjà été signalé par M. Speyer, dans um» note dp so
Iracliiclion ans^laiso cju Jâlaka-mâlâ,
274 SEPTExMBRE-OCTOBRE 1899.
et le Suvarna-prabhâsa (Rgyud xii), ainsi que dans
deux ouvrages non canoniques, le Jâtaka-mâlâ et
rAvadâna-Kalpalatâ. Enfin Hiouen-Thsang et son
biographe en font mention. Voilà donc cinq sources
pour l'étude de cet épisode.
Les textes non canoniques formenl un groupe à
part. Bs sont très sobres de détails : la partie naiTa-
tive y est réduite à fort peu de chose, tandis que les
réflexions de l'auleur et du héros, 1 éloge de son sa-
crifice, Télément sentencieux, laudatif, admiratif,
en un mot , prend presque toute la place. C'est par
cet épisode que commence le Jâtaka-mâlâ , dont
M. Kern, de Leyde, a publié le texte ^ et M. Spe-
yer, de Groningue, une traduction anglaise; on ne
connaît pas de version tibétaine de ce recueil. Jj'Ava-
dâna-Kalpalatà , dont il exisie une traduction tibé-
taine que publie actuellement, avec le texte sanscrit,
\si Bibliotheca Indica, mentionne en un çloka notre
légende dans son premier pallava et la raconte tout
au long dans la deuxième partie du 5 1 % M, Speyer
en a fait la remarque et a comparé sommairement
le récit de TAv.-Kalp* avec celui du Jât.-M. dans la
note déjà citée, mise à la fin du premier récit du
Jât.-M. , dans sa traduction de cet ouvrage.
Des deux ouvrages canoniques le Diah-liin est
bien connu par la publication du texte tibétain et de
la traduction allemande [Der tVeise and der Thor)
•
' Vol. 1 dtî la Uarward Oriental Séries, publiée par les soins
de M. Lannian de l'Université Harward à Cambridge ( États-
Unis).
LE BODHISATTVA. 275
que Schmidt en a données en i843 ; cest à la ver-
sion mongole de ce recueil qu est emprunté le pre-
mier des deux récits imprimés dans sa grammaire en
i83i. L'original indien semble perdu, et la traduc-
tion tibétaine paraît même avoir été faite sur une
version chinoise ^ Le second récit inséré dans la
Grammaire mongole de Schmidt est extrait du Siivar-
iia-prabhâsay un des neuf Dharmas du Népal, sur
lequel nous avons une courte notice de Wassilief -
et surtout une analyse très complète , chapitre par
chapitre, de Burnouf^. Cet ouvrage présente des
particularités qui nous contraignent de nous y arré-
un instant.
3. JjK Suvarna-prabhâsa.
« On doit tenir pour certain, dit Burnouf, qu'il y
a deux rédactions dfe cet ouvrage. » Avons-nous en
sanscrit ces «deux rédactions»? J'en doute beau-
coup. H existe huit copies du Suv.-pr., dont six pro-
viennent de Hodgson et se trouvent, trois à Paris,
deux à Calcutta, une à Londres; deux autres, rap-
portées du Népal par M. D. Wright sont à Cam-
bridge. Les trois manuscrits de Paris (Soc. Asiat.;
Burnouf, 82 et i3i), de 120 feuillets chacun ^*\
^ Le n** i32 2 de Bunyiu Nanjio, Hien ju in-jouen-Kin(j (Cat. de
Beal, p. 85), est une traduction de cet ouvrage; H n'est pas à ma
portée.
- Der Buddhismus , etc. Allgenieine Uebersicht, p. i53.
' Introduction , etc., p. 471-477 (réimpression).
^ Le manuscrit de la Société asiatique en a en réalité 121,
deux feuillets portant le n" 11 5.
270 SEPTEMBRIÙ-OCTOBRE 1899.
nous donnent le même texte découpé en 20 cha-
pitres. La table des chapitres du manuscrit de
Londres (Asiat. Soc), donnée par MM. Cowell et
Eggeling ^^\ celle des manuscrits de Cambridge (Add.
875 et i342-^'), donnée par M. Bendall, con-
cordent entre elles et avec celles des manuscrits de
Paris. Tout porte à croire cjue ces six manuscrits,
ayant d^ailleurs le même titre : Siivarnaprahhâsotta-
masiitrendrarâja , reproduisent un seul et même
texte. Je ne puis rien dire des manuscrits de Calcutta ;
mais je pense qu'ils ne difïÏTent pas des précédents ,
les manuscrits qui viennent de Hodgson paraissant
dériver tous d une seule et même copie. Il serait ce-
pendant bon de s'assurer si les huit manuscrits ap-
partiennent bien tous à la même « rédaction ».
En tibétain les «deux rédactions» existent; elles
remplissent le volume XII dui\gyud. La première,
donnée comme traduite du chinois , compte 3 1 cha-
pitres et occupe les folios 1-208; la seconde, de
29 chapitres, occupe les folios 2o8-385 , soit 1 yy fo-
lios, une trentaine de folios et deux chapitres de
moins que la précédente. 11 est évident, à première
vue, que nous nous trouvons en présence de deux
textes distincts. Les matières traitées sont les mêmes,
les titres des chapitres coïncident en général, quoi-
que plus longs dans la première version. Mais le
dualisme est manifeste. La seconde version a le même
' isiatic Journal^ vol. III (new wries).
- Catalogue of the Buddhist .ikr, mss in the Univpr»ity library:
Cambridge, i883.
LE BODHISATTVA. 277
titre sanscrit que les manuscrits de Cambridge,
Londres et Paris cités plus haut; mais le texte tibé-
tain est loin de correspondre exactement au sanscrit.
On en verra des preuves.
Le Tripitaka chinois nous offre trois versions dis-
tinctes, numérotées 126, i^y, i3o dans le Cata-
logue de Bunyiu Nanjio^ Le n° 126, qui remplit
19/i feuillets, a 3i chapitres comme la première
version tibétaine dont il paraît être foriginai;
il a aussi le même titre : Kin-kwang-ming-tsoiiï-chinq'
wancj'king'^ (Suvarna-prahhâsa - uttama-vijaya-ràja-
sùtra). La plupart des chapitres correspondent par
leur titre à cette première version tibétaine. Le
n° 127, intitulé simplement Kin-kwang-wing -king
(Suvarna-prabhàsa-sûtra) n'a que 96 feuillets et
18 chapitres, ce qui le rapproche du texte sanscrit;
il paraît correspondre à la seconde version tibétaine
comme le 126 à la première, et avec aussi peu
rrexactitude. Le n° i3o, ayant le même titre que
12 y, précédé seulement des mots Ho-po, semble
tenir le milieu entre 126 et 127; il occupe i65
feuillets et se compose de 'ik chapitres, dont 18
(les n**' 1, 2, 4, 7, 8, 10, 12-2 3) concordent
par leur texte comme par leurs titres, avec les 18
du n" 127. On remarque seulement quelques va-
* Ces n"', 126, 127, i3o sont représentés, à la Bibliothèque
nationale, par les n"* 383 1 , 3833 , 3833 du Nouveau fonds chinois.
- Le titre chinois transcrit dans le Kandjour et reproduit par
Csoma, est fautif. Je le rectiGe comme suit : Ta-çifi (grand véhi-
cule ) kin-hwan-min-dzvi-çin-wan-hin.
278 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
riantes dans le texle et ie développement de certains
chapitres; ainsi ie septième de 12-7 n'a que sept
lignes qui, dans son correspondant, le douzième de
i3o, sont suivies de beaucoup d'autres lignes jus-
qu'à remplir cinq feuillets. Les chapitres 3,5,6,
9, 1 1 , 24 de i3o sont ajoutés : i3o ne serait donc
que 1 27 complété et augmenté. Bunyin Nanjio nous
le fait entendre en disant que i3o est une compi-
lation, faite par Pao-Kweï et Jiïânagupta, de trois
traductions incomplètes : celles de Dharmaraxa (le
n*" 127) « la plus populaire en Chine », — de Para-
mârtha, qui comptait 22 chapitres, — de Yaço-
gupta, qui en comptait 20. De là vient sans doute
la présence des mots Ho-po (parties réunies ?) en
tête du titre de i 3o. Bunyiu Nanjio ajoute que les
traductions de Paramârtha et de Yaçogupta « n'ont
plus d'existence indépendante »; il n'en subsisterait
donc que ce que nous ont conservé les compilateurs
de i3o.
Pour le sujet qui nous occupe, il n'y a pas de
différence à faire entre 127 et i3o; c'est, à quel-
ques variantes près, un seul et même texte que je
désigne par le chiffre combiné 1 27-30.
Les « deux rédactions » doivent exister en mongol
comme en tibétain; mais je ne sais rien de positif
à cet égard. Tout ce que je puis dire, c'est que le
texte donné par Schmidt dans sa grammaire
correspond à la première version tibétaine; et, ce-
pendant, j'ai noté sur plus d'un point des diffé-
rences.
LE BODHISATTVA. i>79
L'épisode qui fait Tobjet 'de la présente étude
forme le i y* chapitre du texte sanscrit intitulé Vyâ-
(jhri-fanvariia (chapitre de la Tigresse), — le 26*
chapitre des deux versions tibétaines intilulé [*S7a^-
mo-ld\ las yongs-sa htan-va «abandon du corps [à
une tigresse] », stag-mo la ne se trouvant que dans
la première rédaction; — enfin le 26* chapitre de
I 26 chinois, le 1 y*" de 127, et le 22'' de i3o,sous
le titre commun che chin « abandonner le coi^ps ».
Nous avons donc ici, en réunissant, comme il a été
dit, 1 27 et 1 3o chinois, et en ajoutant le mongol,
six versions de notre épisode. Mais il se trouve qu il
y en a douze en récilité, parce que chacun de ces
chapitres nous donne un double récit. D'après
fusage, le second récit doit être versifié; et il en est
ainsi dans le tibétain, le chinois et le mongol; mais
dans le sanscrit, à part une gâthâ^ qui s'intercale
entre les deux récits, comme pour servir de con-
clusion au premier et d'introduction au second, je
ne découvre dans le second récit aucune trace de
versification. Les deux récits de chaque chapitre des
diverses versions son! notablement différents l'un
de Fautre, de même que les chapitres de ces ver-
sions le sont entre eux; et nos douze récits, malgré
une teinle uniforme et un air de famille frappant,
se distinguent tous par quelques pcirticularilés qui
leur sont propres.
•280 SKPÏKMBRE-OCTOBRE 1890.
4. Le Dzan-lun.
Le Dzah-lun est loin de présenter une complica-
tion semblable à celle du Suv.-pr, Le récit, sans être
aussi exubérant, y est très suffisamment développé.
Il est double, lui aussi, mais tout autrement que
dans les autres textes; car il a ceci de spécial et de
caractéristique d'être un Jâtaka en règle. Notre épi-
sode est, du reste, un véritable Jataka; et les Jata-
kas, on le sait, se composent essentiellement dun
récit du temps présent, d'un récit du temps passé
fait à propos de Tautre , plus d'un Samodhâna don-
nant ridentification des héros de lune et l'autre his-
toin». Le Dzaù-lun, étant un recueil d'Avadânas,
genre d'écrits apparenté de très près aux Jâtakas,
remplit, et remplit seul , cette condition. Le Sav.-pr.
qui est un Sùlra, el non un Avadâna, ne nous donne
pas de récit du temps présent; et cependant il con-
clut par un Samodhâna très complexe, mis à la
suite de son second récit; car le premier se termine
par la simple identification du héros de Tépisode
avec le Buddha. C'est par ce même Samodhâna,
très simple, que concluent les deux textes non cano-
niques qui ne voient rien en dehors du futur Bud-
dha.
5. Récapitulation des sodrces.
En récapitulant les diverses versions de notre épi-
sode, nous en trouvons douze fournies par le Sav,-
LE BODIIISATTVA. 281
pf\ , une par le Dz.-L , deux par des ouvrages non
canoniques, deux par Hiouen-Thsang et son bio-
graphe, au total : 17. Notre intention n'est pas de
faire une comparaison minutieuse et complète de
ces nombreux textes. Nous nous bornerons à insis-
ter sur un certain nombre de points, en disant ce
que les divers récits nous en apprennent.
6. CoNUniON DL BoDH[SAlTVA.
Les textes non canoniques font du Bodhisattva
un brahmane de haut parage, né « dans une grande
famille brahmanique » [mahati brâhmanakale) , dit le
Jât. M. y «fils d*un brahmane d'une famille riche
et puissante. . . , honoré de tout le monde [mahâ-
(jdlakalasya brâhmanasya putratâm yâtah . . . jana-
samniatah), dit l'^t'. Kalp. Il renonça au monde
et alla «orner (de sa présence) une forêt élevée»
[vanaprastham alamcahâra), selon le Jât. M., «s'en
alla, jeune encore, dans le bois des mortifications»
[(jaivii sa yuvaiva tapovanam), pour parler comme
\Av, Kalp.
Mais les textes canoniques et Hiouen-Thsang sont
d'accord pour le présenter comme un fils de roi.
Son père s'appelait Mahâratha «Grand char»; il
avait deux frères, Mahâ-pranâda «Grand bruit» et
Mahâdeva « Grand dieu ». On ne donne pas le nom
de sa mère, quoiqu'elle figure dans tous les récits et
que sa douleur y soit longuement décrite; elle est
simplement appelée «la reine» [Devi, en sanscrit;
282 SEPTEMBHK-OCTOBRR 18U9.
Btsun-mOy en tibétain; Khatiin, en mongol; /oa-^/Vn,
taifou-jiny en chinois).
Le Bodhisattva était le plus jeune des trois frères.
Les textes ont généralement soin de nolerque Mahâ-
pranâda était Taîné; Mahâdeva, le cadet; le Bodhi-
sattva, le puîné; et ils les énumèrent habituellement
dans cet ordre. Toutefois le second récit sanscrit
met Mahâdeva avant Mahâ-pranâda; et les seconds
récits de chaque version citent en premier le Bodhi-
sattva, le qualifiant même de prince royal, mais ils
déclarent ensuite ou laissent entendre qu il était en
réalité le plus jeune. Tous les textes, sans le dire po-
sitivement, le présentent comme un enfant; et ses
frères, quoique plus avancés en âge, n'étaient,
semble-t-il, que des adolescents.
Les noms précités sont exactement traduits eu
tibétain, Mahâratha par Çih-rta-chen-po , Mahâpra-
nâda par Sgra-chen-pOy Mahâdeva par Llia-chen-po.
Le mongol ne traduit pas; il transcrit et donne pour
le nom du frère aîné Malià-nada au lieu de Mahâ-
pranâda. Les versions chinoises transcrivent ou tra-
duisent, et font quelquefois l'un et l'autre; l'iy-So
transcrit le nom du roi par Mo-ho-lo-t'oy tant en vers
qu'en prose; au contraire, 126 traduit par Ta-iche,
Le nom de Mahâdeva est transcrit Mo-ho-ti-po dans
la prose, et traduit Ta-thien dans les vers des deux
versions. Mais, pour le frère aîné, ces versions
donnent un autre nom que celui de Pranâda.
Il est, en r^ifet, appelé Mo-ho-po-na-lo dans les vers
LK BODlllSATTVA. 283
de l'i-y-So, ce qui suppose un sanscrit Mahd-pra-
nâla; i 26 le donne dans sa prose sous la forme Mo-
lio-polo, à laquelle doit manquer le caractère na;
mais, dans les vers de cette même version 126, on
lit la traduction Ta-KU. Or ku^ « canal, confluent»
rend précisément le sanscrit Pranâla. Il y avait donc
pour le nom de Pranâda, une variante Pranâla, con-
servée par les versions chinoises, si toutefois les tra-
ducteurs chinois n'ont pas eux-mêmes, par inadver-
tance ou sciemment, altéré le nom*^.
Mais quel était le nom du Bodhisattva ?
7. Nom du Bodhisattva.
IjAv. Kalp. lui donne celui de Satyavrata (voué à
la vérité); le Jât M. ne lui en donne aucun.
Dans le Dz. /., il s appelle Sems-can chen-po, tra-
duction du nom bien connu Mahâsativa « Grand
être » (chinois : Mo-ho-sa-to). Ce même nom lui est
attribué par tous les textes du Suv. pr. , au moins
connne qualificatif; cest aussi celui qu'il a chez
Hiouen-Thsang. Toutefois plusieurs versions du Sav.
pr. lui donnent, avec plus ou moins de persistance,
un autre nom qui varie dans chacune d'elles. Seules
^ Ce nom se rencontre huit fois dans le Vyâghrî-parivartla ; il est
constamment écrit Pranâda dans les trois manuscrits de Paris:
Burn. 1 3 1 a une fois Praçâda. Jamais le d n*est remplacé par L
XIV. 19
iKraiMRUi wmoiAii.
284 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
la mongole et la chinoise isy-So restent invaria-
blement attachées au nom de Mahâsattva.
Voici comment s exprime le Sav. pr. sanscrit au
début de la seconde partie :
Mahàratho nâina babhûva râjâ . . . tasyâpi putro Mahâtyâ-
gavanto nâmnâ mahâsattvavaro babhdva . . .
11 y eut un roi du nom de Mahâratha ; il avait un fils nom-
mé Mahâtyàgavanto , le meilleur des Grands êtres.
Dans cette phrase, Mahâsattva n'est qu'un quali-
ficatif; le nom du personnage est bien Mahâtyàga-
vanto « doué du grand abandon », et cependant il ne
reparaît plus dans la suite du récit où le héros est
toujours appelé Mahâsattva. Le terme Mahâtyàga-
vanto se retrouve (avec le léger changement ""vanta)
dans le Lalitavistara^, associé à Sthâmavanta comme
qualificatif de Sutasoma (nom du Bodhisattva dans
les jâtakas pâlis 5^5 et 53^), et très exactement
rendu dans la traduction tibétaine par Gtoii-va-che^
Idan. Or, dans la phase du second Siiv. pr. tibétain
correspondant à la phrase sanscrite ci-dessus, ce
même terme se retrouve, mais seulement comme
qualificatif de Snin-stobs-chen-po, nom du Bodhi-
sattva, que je crois pouvoir restituer en sanscrit sous
la forme Mahâkarunâbala « qui a la force de la Grande
compassion », prenant sfiih dans le sens de «com-
passion », quoiqu'il n'ait proprement cette significa-
' Ëditioa de la Bibliotkeca Mica, p. 199, dernière ligne*
LK HODHISATTVA. iîSf)
tion que par fadjonction du mot rdjc\ Voici, du
reste, les padas tibétains correspondant à la phrase
précitée avec Téquivalent sanscrit :
C in-rta'chen-pO'jeS'hyai ngyaUpo-byiin . o .
Mahâratho nânia ràjà babhù>a. . .
He-la bu ni Glon-va-clie-ldan-pa . . .
lasyàpi piitro Mahatyàgavanto . . .
Snin-stobs-clie jes bya-va dam-pu yod , . .
Mahâkarunabalo iiâiimâ varo babhùva . . .
Mahâtyâgavanto et varo font ici le même office que
Mahâsattvavaro dans la phrase sanscrite à laquelle
correspondent les padas tibétains que je suppose en
être la traduction, traduction très libre.
Le nom de Snin-stobs-chen-po est constamment
donné au Bodhisattva dans la seconde rédaction ti-
bétaine , et celui de Mahâsattva semble en être banni.
Il paraît cependant une fois dans la partie versifiée :
un ministre, venant rapporter au roi ce qui s'est
passé, désigne le Bodhisattva parie nom, ou plutôt
par le qualificatif de Sems-can clien-po «Grand
être ».
Le premier Suv, pr. tibétain , dans le passage de
sa partie versifiée correspondant à la phrase sanscrite
qui nous occupe, donne au Bodhisattva un autre
nom qui, de même que Mahâfyâgavanto, ne repa-
rait pas; c'est celui de Dpa-vo a héros» (skr. Vira).
Or l'équivalent chinois de ce terme se trouve dans
1 26 ; et, comme il y a là trois padas chinois s'adap-
19-
286 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
tant parfaitement à trois padas tibétains, — qui
doivent en être la traduction , — je les reproduis ici
en chinois et en tibétain, avec la restitution hypo-
thétique de l'original sanscrit que nous n'avons pas :
KWE WANG MING Ta-TCHE. . .
Yul-bdag Çin-rtajes hya va, , ,
Dececvaro Mahâratho nàma. . .
WaNG-TSEU MING YOUNG-MOUNG. . .
Rgyul-ba Dpah-vojes bya-va, . .
Kuniàro Vîro nâma . . .
ÏCHANG CHI SIN WOL-LIN . . .
rta(j'par sbyin-gton ser-sna-med . . .
Nityaiîi dânalyâgo (?) vimatsarah . . .
Dpah'Vo est, je n'en doute pas, la traduction de
YouNG-MOLNG, qui sc trouvc ainsi être celle de \îra.
Mais, est-ce bien Vira qui était dans l'original in-
dien? Le composé chinois Yoang^ «brave, coura-
geux», Tnoung^ «sévère, cruel», peut, sans doute,
être la traduction de Vira; mais, il peut aussi être
celle de Sfiin stobsy si nous prenons Snin dans le sens
de «cœur, courage»; ce qui nous amènerait à re-
monter de Snin-stobs-chen-po à un composé sanscrit
tel que Mahâhrdayabala. Dans ce cas , les doux termes
tibétains Dpah-vo et Sfdh-stohs-chen-po seraient deux
équivalents d'un nom sanscrit que nous ne pouvons
restituer avec certitude, mais qui exprimerait le cou-
LE BODHISATTVA. 287
rage, un courage extraordinaire, extravagant, plutôt
que la compassion*
Je m'en tiens cependant à la restitution que j ai
proposée d abord, parce que c'est la compassion
qu on veut surtout mettre en relief dans ce récit
où le mot kdranâ revient constamment dans des
expressions telles que Karanâmaya, Karanânidhù Je
m y sens d'autant plus autorisé que le mot Mahakâra-
nyabala se trouve dans les textes, sans y être donné ,
il est vrai, comme nom propre. Dans le passage
déjà cité du second récit sanscrit, le ministre qui
vient annoncer au roi la triste nouvelle lui dit que
le « meilleur des grands êtres » s'est fait dévorer par
une tigresse « après avoir produit une grande force
de compassion » [mahamta[m] Kârunyabalam janetvâ);
ce que la première rédaction tibétaine rend par :
Rgya l'po sems-can-chen-po-yis
Le prince roval Mahâsattva
thiigs-ije cheii'pol sems hskyed-di'
ayant produit une pensée de grîinde compassion.
tandis qu'on lit dans la seconde rédaction :
Sniii-rje chen-po-ldan-pai * sems-bs/cyed-de
ayant produit la pensée de celui qui possède la grande
compassion.
En résumé, les textes canoniques nous donnent
^ Je lis Idan-pai au lieu de Idan-pas.
288 SEPTKMIUIE-OCTOBHK 1890.
trois noms pour le Bodhisattva : Mahâsattva, qui se
trouve dans tous , même dans le second tibétain , soit
comme nom , soit comme épithète; — Mahâ-karunâ-
bala (original supposé de Shih'Stohs-chen-po)^ spécial
au second tibétain; — Vira (original supposé du
tibétain Dpa-vo et du chinois Yoang-moung) , fourni
par le premier tibétain. La deuxième appellation,
constamment répélée dans le second tibétain me
paraît être le véritable nom; la troisième serait une
sorte de variante. Quant au mot Mahâsattva, j y vois
un simple qualificatif, qui aurait fini par sup-
planter les autres dénominations et devenir un nom
propret
8. Circonstances de l'événement.
Au cours d'une promenade que le roi faisait avec
ses femmes, ses ministres, ses enfants, — ceux-ci,
s'écartant pour cueillir des fleurs, s'engagèrent dans
un fourré où ils aperçurent une tigresse exténuée,
aflbmée, sur le point de mourir ou de dévorer les
petits qu'elle avait mis bas depuis plusieurs jours, dit
le Dz. /. , depuis sept jours dit le Sav. pr. Le Bodhi-
sattva questionna ses frères sur les moyens de sauver
cette intéressante famille. Une fois renseigné , il les
pria de continuer leur chemin disant qu'il ne tarde-
rait pas à les rejoindre. Alors il se débarrassa de son
vêtement de dessus qu'il accrocha aux branches
^ On sait que le mot Maliàsaltva accompagne souvent le terme
Bodhisativa comme simple qualificatif.
LE BODHISAÏTVA. 289
(run arbre; puis, après avoir fait un pranidhâna
(vœu) pour la Bodhi, il « tomba devant la tigresse »
[vyâghryâ abhimukham prapatitah), dit le Suv. pr,; la
traduction tibétaine et le Dz. l. disent : « il se cou-
cha u (nal). Mais la bête était trop faible pour saisir
la proie qui s'offrait à elle ; il se releva donc et prit
lin éclat de bois «pointu», dit le Dz, L tibétain,
(( sec » dit le mongol. D*après le Suv, pr. , il chercha
d'abord une arme [çastram); nen trouvant pas, il
prit un « morceau de bambou », — de pinuda, dit la
version mongole, — « extrêmement fort ot vieux de
cent ans » [atibalâm varsaçatikâm grliitvâ), dit le Suv.
pi\ sanscrit, fidèlement traduit par la deuxième ré-
daction tibétaine; puis, se perçant la gorge, tomba
devant la tit^resse qui, ranimée par le sang coulant
de la blessure, Teut bientôt dévoré.
Ces détails sont puisés dans la première partie
du chapitre du Sav. pr, qui raconte longuement cette
histoire et concorde pour fensemble avec le Dz. L
La seconde partie ne la relate que très brièvement
en trois ou quatre lignes, et cependant indique,
plutôt qu elle rie décrit , un autre procédé. Voici le
texte sanscrit :
. . . Patitaccâsit tadâ sa Mahârathasuto M ahàsattvah . . .
(Irstvâ ca vyâghrim xudhârtlâm vyâghrasutamoxa-
nârtham karunàmaye patite . . .
... Et il tomba alors , le fils de Mahâratha , le grand
être ; et quand , pour avoir vu une tigresse tourmen-
tée par la faim , celui qui était fait de compassion fut
tombé pour sauver les petits tif(re8 , , .
290 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
On nous dit' deux fois qu'il « tomba ». Gomment
tomba-t-il? Il parait que ce fut en se précipitant du
haut d'une montagne. Je n eusse jamais tiré ce sens
de la phrase sanscrite ci-dessus; mais la traduction
tibétaine, qui est loin d'être littérale, ne laisse aucun
doute. On y lit :
thar-va bya-phyir snin-rdje-yis
inoxanârtham karunava
ri-nos gzar-va mckons-pa
giri-parçva-prapâtât(?) patitah
« Pour sauver (les petits tigres) par compassion , il sauta
du haut de la montagne. »
Du reste, le texte sanscrit se commente lui-même
dans la suite du récit; car le passage vraiment pré-
cieux, déjà plusieurs fois cité, dans lequel le mi-
nistre annonce au roi ce qui s*est passé, contient
cette phrase : patito Mahâsaitvo giritatât « Mahâsat-
tva (ou le Grand être) tomba du sommet de la mon-
tagne », très exactement reproduite en tibétain par
la phrase ri-nos-gzar-naS'mcJwnS'pa, qui nest que la
répétition de celle que nous avons donnée ci-dessus ^
Il y a donc deux versions : d*après Tune, le Bo-
dhisattva tombe devant la tigresse en se perçant la
gorge avec une branche d'arbre; c'est celle du jDz. /.
et de la première partie du chapitre du Sav. pr,
sanscrit-tibétain. D'après le seconde, il se précipite
^ La variciiite Gzcu'-nas, au lieu de Gzar-va, est plus correcte.
LE BODHISAÏTVA. 291
du haut d'une montagne de manière à tomber de-
vant la tigresse; c'est celle de la seconde partie du
chapitre du Sav, pr. sanscrit et de la seconde ré-
daction tibétaine.
Mais il existe une troisième version qui consiste
à réunir les deux procédés : la blessure à la gorge
et le saut du haut de la montagne. CVst la première
rédaction tibétaine qui nous présente, dans sa partie
versifiée, ce singulier amalgame. Je traduis les
quatre padas qui se lisent au folio i gg (lignes 4-5)
du volume XII du Rgyud :
Etant monté au sommet de la montagne ,
il projeta son corps devant la tigresse afFamée.
Comme elle était exténuée au point d'être Incapable de
manger,
avec un bambou il avait fait jaillir du sang de sa gorge.
La version mongole correspond à la seconde ré-
daction tibétaine; il n y est toutefois pas dit qu'il
« gravit » la montagne ; il s'y trouvait et se précipita
dans le vide.
Les versions chinoises offrent ce trait particulier
que la blessure h la gorge n'y figure pas isolément,
tandis que c'est le contraire pour le saut du haut de
la montagne. C'est la version 12^-30 qui nous pré-
sente l'épisode de cette double façon. On y lit, en
effet , dans la partie en prose :
Alors, se levant, il chercha une arme tout à fentour. N'en
trouvant pas , il se perça la gorge avec un bambou sec de ma-
292 SEPTEMBKE-OCTOBRE 1899.
nière à faire jaillir le sang, et se précipita du haut de la
montagne devant la tigresse.
et dans la partie versifiée :
Alors , gravissant un lieu é\e\v ,
il se jeta devant la tigresse ;
celle-ci , que la faim tourmentait ,
en profita (?) pour se lever et (le) dévorer.
La version 126, dans les vers comme dans la
prose, mêle toujours les deux actes; mais, contrai-
rement à l'iy-So, elle place la blessure à la gorge
après le saut meurtrier et a soin d'accentuer l'in-
vraisemblance de cette combinaison. Car elle dit,
dans sa prose :
Alors il gravit une montagne élevée et se jeta à terre;
puis il fit cette relie «on : «Actuellement, cette tigresse ex-
ténuée est trop fai])le pour pouvoir manger; je me lèverai
donc et chercherai une arme. » N'en trouvant pas, il se perça
la gorge avec un bambou sec et en fit sortir du sang à proxi-
mité du lieu où était la tigresse.
Les vers disent la même chose sous une forme
plus brève et, par suite, moins choquante :
Alors il se rendit sur le sommet d'une haute montagne
et se précipita devant la tigresse adamée.
La tigresse ne pouvant manger à cause de sa faiblesse ,
il se fit un trou à la gorge avec un bambou.
Les auteurs des textes non canoniques ont eu le
bon esprit de ne pas concilier les deux versions;
LK RODHfSATTVA. 293
mais ils se partagent. VAv, Kalp. adopte la première,
la saignée à la gorge :
Dhyâtveti nyapatat vyâghryâh sa purah karunânidhi
îjaladraktam sale krtvâ xatam venucalâkavâ.
«Ces réflexions faites, il tomba devant la tigresse, ce
trésor de compassion ,
« après avoir fait couler du sang de sa gorge par une
blessure faite avec une branche de bambou. »
11 est à remarquer que, d'après ce texte, par un
raffinement singulier, le Bodhisattva « donna son
corps ))^ sept jours avant, et non après la mise bas de
la tigresse, agissant ainsi non pour arracher des
nouveau-nés à un péril imminent, mais pour sau
ver des êtres qui n'existaient pas encore d un danger
futur, deviné à l'avance.
Le Jât. M. nous donne l'autre version. De la forêt
« élevée» où il se trouvait, le B. aperçut la tigresse
dans une caverne [girigahvare) , et il chargea son
disciple Ajita, qui lui tenait compagnie, de chercher
de la nourriture pour la pauvre béte. Ajita parti, il
a lança son corps» [tanum atsasarja). Quand Ajita
revint après d'inutiles recherches, il ne trouva plus
son maître; mais en bas de la montagne la tigresse
prenait son repas. Il vit, comprit et admira.
Quant h Hiouen-Thsang , il reproduit la version
du Bodhisattva Mahâsattva « se perçant le corps avec
un morceau de bambou desséché ».
1 Dattarh çariram: vers io8 du premier Pallava de VAv, Kalp.
(cité par M. Speyer dans sa traduction du JàU'M., p. 7).
2n SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Je considère cette version , la saignée à la gorge ,
comme primitive. Le saut du haut de la montagne
et, à plus forte raison, la conciliation des deux ver-
sions doivent être des inventions postérieures.
9. Découverte df l événement.
Le B. avait accompli son sacrifice sans témoins.
Dans le Jât Af. , il écarte son disciple; dans les
textes canoniques, il écarte ses frères. Mais le
tremblement de terre et les autres prodiges qui
accompagnent son action la révèlent, et ses frères
sont les premiers à découvrir ce qui s'est passé;
seulement leur émotion est telle, qu'ils perdent con-
naissance. Ici il y a une série d'incidents dans le
détail desquels je ne pourrais entrer sans grossir
démesurément cette étude, et qui, d*aiUeurs, ne
tiennent pas spécialement au sujet que je traite.
C'est le Suv, pr,y où ils sont plus nombreux dans la
seconde partie du chapitre que dans la première,
qui nous les fournit : car le récit du DzA. est bien
moins surchargé.
Je signalerai cependant, parmi tous ces détails,
les rêves , visions , hallucinations de la mère du Bo-
dhisattva au moment où le sacrifice se consomme.
Ainsi ses trois fils lui apparurent comme trois petites
colombes, dont la plus jeune fut ravie, presque
entre ses bras, pai' un oiseau de proie; ce trait est
le seul qui se trouve dans le DzA. Le Sav, pr. ajoute,
dans le premier récit, les « seins tranchés » (Stanaa
à
LE BODHISATTVA. 295
chidyamduau) , les «dents tombées» [daritaatpâtanam
cakriyamânam); ce qui est remplacé, dans le second
récit, par le « lait s'épanchant des mamelles » [ubhâ-
bhyâm stanamukhâbhyâm xiram pramuktam) , des
« piqûres sur tout le corps semblant produites par des
aiguilles» [sarvâiïgam sdcibhir avabhidyamânà).
Tous les textes sont d'accord, si ce n'est que,
d'après la seconde version tibétaine, le lait coulant
des deux seins « se changeait en sang » (o. ma. khraq,
du byah) K Le chinois 1 27-80 ne parle pas précisé-
ent de sang ; on y lit : kâ-chi tchi tchou « à chaque
instant du jus s'en échappait». Le mot employé
tchi^ désigne du «jus », du «jus de viande», et ne
s'applique spécialement ni au sang ni au lait.
Toute cette partie de l'histoire manque dans les
textes non canoniques, le B. y étant un solitaire qui
n'a plus de famille et à qui personne ne s'intéresse.
10. ApPAHITÏO^ DL DÉFUNT ET SEPULTURE.
Le B. dévoré par la tigi^esse avait immédiatement
repris naissance parmi les dieux et savait ce qui se
' Schmidt dit, dans sa traduction, que ic lait «coulait en
bouillonnant» (sprudelnd); mais je ne retrouve pas ce sens dans
le texte. Kowalewski , qui cite la phrase comme un exemple , traduit :
« le lait découlait des mamelons » [Dict.,p. 93i); et les verbes
mongols qui expriment l'action du lait khulghorizu. , Asuburibai
signifient littéralement «coulait en glissant», d'après le sens qui
leur est attribué dans le Dictionnaire de Schmidt aussi bien que
dans celui de Kowalewski.
296 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
passait sur la terre. Ses parents, sa famille, tout le
peuple se lamentait sur son sort. Pour mettre un
terme à la désolation universelle, il descendit vers
les affligés et, sans venir jusque sur le sol, se tenant
dans Tair, il se fit connaître et prononça des paroles
de consolation et d encouragement. Après quoi, il
remonta dans la demeure des dieux. Cet épisode,
dont les Avadânas nous offrent plusieurs exemples ,
ne se trjQuve que dans le Dzahlan.
Après s être bien lamentés sur le sort de leur fils ,
le roi et la reine lui rendirent les honneurs funèbres
et déposèrent ses restes — les os et les cheveux
que la tigresse avait laissés — « au lieu même » où
l'événement s*était passé , « dans un caitya en or »
(tasmùh prthivipradeçe sœvanuunaye caitye), d'après le
premier récit du Sav. pr. sanscrit; selon le second
récit, dans « un stupa formé en cet endroit de sept
pierres précieuses » [asmim pradeçe saptaratnama-
yastûpah), La seconde rédaction tibétaine est con-
forme, dans sa partie versifiée, au récit sanscrit, si
ce n'est qu'elle emploie le mot Mcliod-rten^ traduc-
tion ordinaire de Caitya; dans la partie en prose, on
ne trouve rien qui corresponde à savarnamaye caitye;
on lit seuk»ment sa-phyogs 'dir (tasmim prthivipra-
deçe).
En chinois, je ne découvre qu'une seule mention
de la sépulture dans la version i sy-So; elle est vers
la fin en ces termes :
jtt tseii tchu ky^ thsi pao ta
in hoc loco ercMTiint (c\) septem getnmis turrini
LE BODHISATTVA. 297
eo qui répond au premier récit sanscrit, ta (turris)
étant l'équivalent de stupa. La version 126, au con-
traire, mentionne deux fois la sépuîture et déclare,
chacjue fois, que les restes furent déposés dans un
soU'toa-po (stupa), ajoutant, la seconde fois, que ce
sou-toa-po était fait de « sept pierres précieuses » [thsi
pao). On voit par là que les versions sanscrites,
tibétaines, chinoises concordent bien entre elles,
mais non avec une exactitude absolue.
D après le Dzah-lun, les sept pierres précieuses
formaient le cercueil (pii contenait les restes et sur
lequel on érigea un mchod-rten [caitya); Schmidt
traduit « eine Pyramide (stûpa) ».
Quant aux textes non canoniques, ils ne disent
naturellement pas un mot de la sépulture.
11. Du iNOMBRE DES PETITS TIGRES.
A combien de petits tigres le B. avait-il sauvé la
vie? A deux, dit le Dz.-L; à cinq, répond le Sav.
pr. sanscrit et tibétain second; à sept, selon le pre-
mier tibétain et Hiouen-Thsang. Les ouvrages non
canoniques se taisent sur ce point.
Cette question du nombre des petits tigres se
rattache à fidentification des personnages qui est la
fin obligée de tout jatâka ou avadâna; car les per-
sonnages du récit du temps présent ne sont autres
que ceux du récit du temps passé revenus à la vie.
JjC Dzan-hm étant le seul texte qui associe l'histoire
de la tigrosse et de ses petits à un fait contemporain
298 SEPTEMBRE-OCTOBRK 1899.
(lu Buddha, il importe de faire connaître tout d'abord
cet épisode.
12. Les tigres du Dzan-lun.
Le Buddha se trouva un jour sur le chemin de
deux voleurs condamnés à mort que Ton menait au
supplice; îeur mère les sui^ait. Les trois inforlimés
implorèrent la pitié du Buddha, qui obtint îa grâce
des coupables. Ceux-ci avec leur mère devinrent
des disciples de leur compatissant protecteur; les
fils amvèrent à l'état d'Arhat, la mère à celui d'Anâ-
gâmî ^ Or cette femme avait été jadis la tigresse
par laquelle le Bodhisattva s'était fait dévorer; ses
deux fils étaient les petits tigres sauvés de la dent de
leur mère. Le Bodhisattva avait arraché ces trois
êtres à la mort; le Buddha les affranchissait des
misères de la transmigration.
13. Le SamodhÀna du Sdvarna-prabhâsa.
Ce Samodhâna du Dzan-lan n'a rien de commun
avec celui du Suvania-prabhâsa , qui, nous favons
déjà dit, n'a pas de récit du temps présent, mais
n'en fournit pas moins une identificalion des per-
sonnages toujours facile , puisqu'il n'y a qu'à choisir
dans l'entourage du Buddha.
* On peut lire Thistoire tout au long dans Schmidt [Der
IV fisc und der Thor, p. 21-26; cl Grnmmatik dor mongolischen
Sprachc, p. 137-1/12).
LE BODHISATTVA. 299
Le Samodhâiia du Suv, pr. se trouve à la lin du
chapitre, par conséquent du second récit; il n'y a,
à la fin du premier, que Tidentification du Buddha.
Le second tibétain dit positivement que la tigresse
était « entourée de cinq petits » [bii-Utas bskor te). Le
sanscrit nest pas si explicite; il ne donne pas for-
mellement le nombre des petits tigres; mais il le
fait connaître indirectement en disant, dans le Samo-
dhâna , d'accord avec le tibétain , que les petits tigres
étaient, au temps du Buddha, les «cinq bhixus»,
les cinq premiers disciples en date de Çâkyamuni,
signalés parmi les auditeurs du sûtra.
La première rédaction tibétaine prétend que « la
tigresse avait mis bas sept petits » [stag-mojig babdun
btsas-nas), et, pour parfaire son Samodhàna, elle
na qu'à ajouter aux cinq premiers disciples en date,
les deux premiers disciples en mérite, les agraçrâ-
vakâ Çâriputra et Maudgalyâyana.
Les deux versions chinoises sont d'accord pour
donner sept petits à la tigresse; mais, ce qui est
extraordinaire, elles sont aussi d'accord pour ne pas
donner de Samodhàna. On s'explique l'absence du
Samodhàna dans le Savarna-prabhâsa , qui est un
sùtra et où l'histoire de la tigresse et de ses petits,
bien qu'elle soit en réalité un Jâtaka, se présente
comme un épisode, et non sous la forme classique
des Jâtakas. Mais ce qu'on a peine à expliquer, c'est
que le Samodhàna, élément essentiel des Jâtakas, soit
dans certaines versions et manque dans d'autres. Les
versions chinoises ont-elles été faites sur des textes
XIV. 20
300 SEPTEMBRE OCTOBRE 1899.
indiens où le Samodhâna ne se trouvait pas? ou bien
les traducteurs de ces versions ont-iîs pris sur eux
de le retrancher? Je ne saurais me prononcer; mais
l'hypothèse que le Samodhâna ne se trouvait pas
dans la rédaction primitive et serait une addition
postérieure ne me paraît pas improbable.
Quant à Hiouen-Thsang, ce n'est pas lui qui
parle des sept petits tigres, c'est son biographe. Car,
dans îes Mémoires du pèlerin chinois , il est simple-
ment question d'un tigre, dont le soxe n'est pas
même spécifié, et qu'on peut prendre, comme l'a
fait le traducteur, pour un mâle. L'auteur de la vie
de Hioijen-ïhsang cite la tigiesse et ses sept petits,
mais sans s'inquiéter de les identifier avec des per-
sonnages quelconques ^
Cependant le Suv. pr. ne restreint pas son Samo-
dhâna aux êtres sauvés par le Bodhisattva. Tous les
personnages (jui jouent un rôle dans ce drame sont
des contemporains de Çâkyamuni. Le roi Mahâratha
est son père Çuddhodana ; la reine (qu'on ne nomme
pas) est sa mère Mâyàdevî; les deux princes Mahâ-
Pranâda et Mahâdeva sont, le premier, le bodhisattva
Maitreya, futur buddha, successeur immédiat de
Çâkyamuni; le second, le bodhisattva Manjuçrî-
kumâra-bhùta. Enfin la tante de Çâkyamuni, par
qui il (ut élevé. Mahâprajâpati Gautamî, est la ti-
gresse de la légende. L'identification de cette tigresse
dans le Dzafi-lun est simple et naturelle, fournie par
' Viv dv Hiouen'Thsaiiff [trad. Julien), p. 89.
LE BODHISATTVA. 301
les donni^es du récit. Ici elle est forcée, arbitraire,
comme la plupart des éléments de ce Samodhâna
compliqué et surchargé ; ce qui vient à Tappui de
l'hypothèse émise plus haut que le Samodhâna du
Suv. pr. pourrait bien être une addition postérieure.
14. Le lieu de la scène.
En quel lieu ce grand acte de dévouement s esl-il
accompli? Les textes, si bien renseignés sur les noms
de tous les personnages, excepté toutefois celui de la
reine, ne nous le font pas connaîlre. Le Dz, /., en
disant que c'est le Jambudvipa, le Sav, pr., en di-
sant , dans sa première partie , « un certain pays »
[yal'cig.), dans sa deuxième, «un grand pays» [yal-
chenjig), ne nous apprennent rien. Le seul rensei-
gnement que nous ayons nous est fourni parHiouen-
Thsang qui a vu le monument commémoratif du
fait, et ne relate sommairement la légende qu'à l'oc-
casion de ce monument.
Ce lieu remarquable se trouve donc à 200 U au.
sud-est de l'Indus, lorsqu'on la franchi à la hauteur
des frontières septentrionales du royaume de Taxa-
çîlâ. Il y a une « grande porte en pierre » [ta chi-men)
élevée « à l'endroit où le prince royal Mahâsattva,
abandonna son corps pour noiu*rir un tigre affamé ».
— «A i4o ou i5o pas, au midi de cet endroit, il
y a un stûpa en pierre [yeoa-chi sou-toa-po) au lieu où
le Mahâsattva, par compassion pour le tigre se perça
le corps avec un moi*ceau de bambou dessédbé et le
20.
302 SEPTEMBHt:-OCTOBHE 1899.
nourrit de son sang. » Le narrateur ajoute que les
arbrisseaux du lieu ont une teinte rougeâtre, et que,
en foulant ce sol , on croit ressentir comme des pi-
qûres d*épines , et on y « éprouve un sentiment de
tristesse et de douleur ».
Les expressions « abandonner son corps », « se per-
cer le corps avec un morceau de bambou » désignent
un seul et même acte; Hionen-Thsang en fait deux
actes distincts , mat qnés fun par une « porte », Tautre
par un monument de forme CDnique, qui se seraient
accomplis à i/io ou i5o pas Tun de l'autre. La dis-
tance indiquée est insignifiante; mais la dilinction
établie par le voyageur chinois ne se comprend pas.
Les textes, notamment ceux du Suv. pr., disant que
le stupa (ou caifya) a élé élevé au lieu même où le
prince avait été dévoré, le « stupa en pierre » désigné
par Hiouen-Thsang doit marquer la place où le fait
s*est passé. On Tavait sans doute entouré d'une en-
ceinte , et la « porte de pierre » par laquelle passa le
voyageur chinois, devait être l'entrée de l'enclos.
La courte mention fiiite par Hiouen-Thsang de ce cé-
lèbre jâtaka nous indique au moins le lieu où cette
légende se conservait dans la mémoire des hommes.
15. Conclusion.
Il est clair qu'il y a deux versions sur la manière
dont le Bodhisaltva a fait « l'abandon de son corps »,
en d'autres termes, a opéré son sacrifice. Le Dzan-
lun me paraît être le texte qui se rapproche le plus
LE BODHISATTVA. 303
de la forme primitive de la légende; le Savarna-pra-
bhâsa, qui adopte les deux versions, les racontant
successivement, puis cherchant à les concilier en les
réunissant, est évidemment le résultat d'un travail
ultérieur. Dans les remaniements dont les textes
sanscrits, tibétains, chinois, mongols de ce sûtra
ont conservé la trace, il est difficile de retrouver (au
moins pour le Vjâghri'parivartta , la seule partie du
sûtra dont je m'occupe) les «deux rédactions» si-
gnalées par Burnouf. Ces « deux rédaclions » existent
certainement dans le Kandjour; mais le rapproche-
ment de tous les textes laisse plutôt l'impression que
chaque auteur, écrivain original ou traducteur, tout
en subissant l'influence d'une tradition qu'il ne son-
geait pas à repousser, s'est efforcé d'ajouter quelque
trait nouveau ou d'apporter une modification quel-
conque aux données de la légende.
304 SEPTEMBRK-OCTOBRK 1899.
NOTICE
SUR LE CHEIKH
MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI
DE MASCARA
(extraits de son autobiographie)
PAR
LE GÉNÉRAL G. FAURE-BIGUET.
Le n° 62 de la Revae africaine (1867, p. i3o)
contient un intéressant article du général Dastugue,
alors lieutenant-colonel directeur des aOaires indi-
gènes à Oran, sur la bataille de Casr-el-Kebir, où
périt Don Sébastien de Portugal. Cet article donne
la traduction de deux passages empruntés lun au
Nozhat-el-Hadi de Mohammed-es-Ser*ir, lautre au
cheikh Mohammed Abou-Ras de Mascara. Dans une
note contenant des détails siu* ce dernier, le colonel
annonçait qu il recueillait dans une autobiographie
écrite de la main même de Bou-Ras, les morceaux
les plus propres à faire connaître ce personnage , et
quil espérait les publier un jour. Malheureusement
cette publication n a pas eu lieu.
XOTICE SUR MOHAMMED ABOCl RAS EN NASRf. 305
C'est un travail analogue que je me suis proposé
avec Taide et les conseils de M. Delphin, directeur
de la Medersa d'Alger. J ai extrait de Tautobiographie
dont le manuscrit se trouve à la bibliothèque uni-
versitaire d'Alger, sous le n" 5 002, tous les détails
ayant un caractère personnel; je les ai mis, autant
que possible , dans l'ordre des dates , ce qui n'a pas
toujovirs été facile, attendu que ces renseignements
sont épars dans le livre sans aucun souci de la chro-
nologie, au milieu de dissertations de diverses na-
tures. J'y ai introduit un passage biographique extrait
d'un autre ouvrage du même auteur, traduit par
M. l'interprète principal Arnaud, sous le titre Voyages
extraordinaires et nouvelles agréables.
Une biographie des auteurs magh'rébins, que
M. Delphi n a bien voulu me communiquer, contient
un article svir Bou-Ras ; mais il est emprunté presque
entièrement k son autobiographie. Les quelques ren-
seignements qui ne sont pas extraits de cet ouvrage
seront donnés plus loin en note à leurs dates.
J'avais d'abord projeté de publier l'autobiographie
complète, texte et traduction, mais j'ai dû y re-
noncer. Cet ouvrage est composé, pour les trois
quarts, soit d'interminables éloges des professeurs
ou autres personnages avec lesquels l'auteur a été en
relation, soit des discussions auxquelles il a pris
part sur les sujets théologiques les plus ardus. Ces
dissertations sont extrêmement arides; elles se com-
posent presque exclusivement de citations. Ma tra-
306 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
duction contient encore quelques lacunes. Pour la
rendre tout à fait exacte, il aurait faîlu faire une
étude complète de chaque question et vérifier les
citations. Je suis persuadé que personne n'aurait eu
la patience de la lire. D'ailleurs les personnes qui
s'intéressent aux arguties de la théologie musulmane
auront tout avantage à recourir directement aux ou-
vrages connus, qui sont les sources auxquelles notre
cheikh a puisé.
En effet, Bou-Ras était par-dessus tout un érudit,
et il voulait le montrer. Dans les quelques ouvrages
que nous connaissons de lui, il fait étalage de son
érudition, vraiment très grande, mais toujours par
des citations; ses opinions personnelles ne se font
presque jamais jour, et c'est regrettable, parce que,
dans les rares occasions où il s'exprime pour son
compte, ses jugements sont judicieux et pleins de
bon sens.
Son mérite littéraire a été assez sévèrement ap-
précié. Un article de M. (iorguos, paru dans le
n° 26 de la Revue africaine (1861, p. 1 1 ^i), contient
un extrait d'un commentaire composé par l'auteur
sur sa cacida relative à la prise d'Oran. C'est ce
même commentaire dont la traduction a été plus
tard publiée in extenso par M. Arnaud sous le titre
Voyages extraordinaires y etc. M. (iorguos se proposait
de donner seulement les passages intéressant l'his-
toire des peuples du Nord de l'Afrique. Mais ce tra-
vail n'a pas été poussé plus loin que le commentaire
des quatre premiers vers. M. Gorguos n'a pas tra-
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 307
duit les vers parce que , dit-il assez dédaigneusement ,
ils n en valent pas la peine.
Si les vers de Bou-Ras sont médiocres, par contre
ils sont difficiles et souvent obscurs. On y trouve
par exemple ^ Tyr pour désigner T Angleterre, non
pas par suite d'une assimilation de lesprit de négoce
des fils dWlbion avec celui des habitants de l'antique
Sidon, mais par une audacieuse abréviation de En-
(jlatira. Sans le commentaire, un contre-sens serait
bien excusable.
Dans l'article cité plus haut, le colonel Dastugue
appréciait ainsi les œuvres de Bou-Ras : « L'écrivain
mascariote était doué d'une grande mémoire; il avait
beaucoup lu et sans doute beaucoup retenu ; mais ,
trop confiant peut-être dans la précieuse faculté dont
il jouissait, il s'est rarement donné îa peine de reviser
ses compositions, et semble avoir été plutôt pré-
occupé d'en multiplier le nombre. » Il est impossible,
à mon avis, de formuler une meilleure appréciation.
Les exempîes de négligence et de rapidité de rédac-
tion sont malheureusement trop visibles dans les
œuvres de Bou-Ras que nous connaissons. Son auto-
biographie contient deux anecdotes répétées chacune
deux fois ; elles sont citées plus loin. Dans la nomen-
clature des titres de ses ouvrages, il a pîusieurs fois
omis des mots. Dans un des commentaires de sa
cacida , il répète deux fois une anecdote attribuée au
sultan almohade Abd-el-Moumen; mais le plus
grave , c'est que les vers qu'il met dans la bouche de
son héros ne sont pas les mêmes dans les deux cas,
308 SEPTEMBRE-OCTOBRE 189«.
ce qui a pour effet de nous inspirer bien des doutes
sur leur authenticité. Il lui arrive quelquefois dans
ses commentaires d'expliquer des mots dont il ne
s'est pas servi, mais qui sont synonymes de ceux
qu'il a réellement employés.
Cependant notre auteur vaut mieux quon ne
pourrait le croire d'après ce qui vient d'être dit.
Quand il parle pour son compte , ses jugements sont ,
comme je l'ai dit, pleins de bon sens et d'une sorte
d'humour. Son langage est toujours pur et correct.
Quand son sujet l'échauffé, il arrive à une certaine
éloquence. A la fm du deuxième commentaire de sa
cacida, tout un passage relatif au pic de Heïdour,
que couronne le fort Santa-Cruz à Oran, est animé
d'un vrai souffle poétique. Le sujet qui l'anime le
plus est la haine de l'infidèle et l'admiration pour la
guerre sainte. Malheureusement l'usage très fréquent
de la prose rimée l'entraîne à employer de nom-
breuses chevilles; quand ces chapelets de rimes
tombent sur l'éloge d'un personnage , ils deviennent
d'une fadeur insupportable.
En revanche , le nombre de ses œuvres fut très
considérable. Dans sa biographie, il en cite 63, tant
grandes que moyennes, dit-il. D'après la notice sur
les auteurs magh'rébins, ce nombre fut de iSy, On
connaît les titres d'un certain nombre d'ouvrages
non cités dans l'autobiographie ; j'ai pu en trouver
vingt, qui seront donnés plus loin.
On peut s'étonner que malgré une pareille fécon-
dité les œuvres de notre hafid se soient presque toutes
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRT. 309
perdues. Cela peut tenir à une circonstance men-
tionnée à la fin de la notice sur les auteurs magh ré-
bins citée plus haut. Bon nombre de familles de la
plame de Gh ris ^ prétendaient être chérifiennes. Or
Bou-Ras, qui prétendait lui-même descendre du
Prophète , composa un ouvrage où il passait au crible
ces noblesses douteuses. L'amour-propre est tout
aussi chatouilleux sous ce rapport parmi les Arabes
qu'en France; il en résulta contre le censeur une
animosité qui se poursuivit après sa mort, et qui
eut pour effet une sorte de boycottage intellectuel.
On s abstint de recopier ses œuvres , qui se perdirent
peu à peu. La plupart ont disparu ou sont enfouies
dans des bibliothèques particulières. La conquête
française , survenue sept ans seidement après la mort
du cheikh, en donnant pour longtemps un autre
covirs aux idées, et faisant disparaître le goût des
lettres chez les Arabes, a également contribué à ce
résultat.
On ne possède plus guère aujourd'hui que les
ouvrages suivants :
1° L'autobiographie, dont on va voir des extraits;
2° Plusieurs commentaires de la cacida composée
par lui au sujet de la prise d'Oran par le bey Mo-
hammed ben Otmân el-Kebir^, intitulée : JXÂ
^ Aux portes de Mascara.
^ Le tombeau de ce bey se trouve dans la petite mosquée qui a
donné son nom au quartier de ia Mosquée à Ortn. Ce petit édifice
310 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
iûu^J^Xj^t »y^^ fjy^^ ytû ^ iouyJOuJt « Lcs maii-
teaux de soie fine, au sujet d'Oran et la Péninsule
espagnole ». Il parait qu on la trouve aussi sous le
titre : ^'y^ ^ ^ ij^^ ^^-««h^ « La perle précieuse
reîative à la conquête d*Oran ».
Il est assez difficile de connaître le nombre des
commentaires que Bou-Ras a composés pour ce
poème. C'est une (juestion qui a été fréquemment
agitée en Algérie. D'après l'article déjà cité, le co-
lonel Dastugue en connaissait deux, dont l'un pos-
sédait trois titres diHérents. Quelques personnes
pensent qu'il y a eu quatre commentaires. Un examen
attentif de la question m'a conduit aux conclusions
suivantes :
Bou-Ras a composé peu de temps après la prise
d'Oran, et certainement avant 1798, un premier
commentaire intitulé : ^Ly^^t Ui^jiai^ ^Uiuw^l <^.,>L^
« Voyages extraordinaires et nouvelles agréables ».
Dans cet ouvrage, cpii a été traduit par M. l'inter-
prète principal Arnaud, la cacida contient 1 1 7 vers.
Le commentaire est principalement consacré à ITiis-
toire de l'Afrique du Nord. Il en existe ime variante
a été transformé en salle de bains pour la troupe et sert probable-
ment encore à cet usage. Il serait à désirer qu'on pût lui trouver
une plus noble destination. Mohammed el-Kebir fut un homme
vraiment remarquable pour son temps et son pays. On connaît ces
belles paroles qu'il prononça en diminuant la contribution exigée
par les Musulmans pour transporter au port les bagages des Espa-
gnols » au moment de l'évacuation de la ville : « Les Chrétiens sont
vaincus, et plus ils ont été malheureux plus vous devez vous mon-
trer charitables.» Sentiments bien rares à cette époque, autant chez
les Chrétiens que chez les Musulmans.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 311
dans Je manuscrit n"* liSiS de la Bibliothèque na-
tionale. Quelques vers et quelques parties du com-
mentaire diffèrent de ceux de Touvrage traduit par
M. Arnaud.
Plus tard, pendant un séjour au Maroc en 1 802 ,
Tauteur fit cadeau au sultan Soleïmân d un commen-
taire portant le titre : ^^g»^^ M-lA^' ^t^JUJt HJô^^
JijiojJ « Jardin de la consolation composé dans le
port de Tetouan ». Ce ne fut probablement qu'une
copie du premier plus ou moins remaniée , et décorée
d'un nouveau titre pour la circonstance.
Plus tard encore, et après 181 /i, il refit presque
entièrement sa cacida, porta le nombre des vers à
1 35 , et lui composa un nouveau commentaire tout
différent du premier, intitulé : wo^t ç^^ ç^yJtUjJiÂ
c-y^-xJL! j^ji.>> j*J4>ô^U JUÎ <-^^! « Récit surprenant
propre à élucider les choses arrivées en Espagne et
dans les places du MaghVeb ». Le manuscrit de
celui-ci, probablement autographe, existe à la Bi-
bliothèque nationale sous le n° /iGig. Il est surtout
consacré à Thistoire d'Espagne; mais on y trouve un
peu de tout. L'auteur, qui était déjà d'un âge mûr,
y parle de tout ce qu'il sait : de Bonaparte, du
schisme de Samarie, de Londres, de la Flandre, etc.
Les vers ne sont pour lui qu'un prétexte pour don-
ner carrière à son érudition.
Enfin je connais un autre commentaire dans
lequel la cacida comprend 1*77 vers. C'est un com-
posé des deux précédents avec de nombreuses va-
312 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
riantes, mais qui ne peut être considéré comme une
œuvre distincte. Il est probable que Bou-Ras a dû
recopier plusieurs fois ses deux commentaires types
en les modiiiant ou les combinant selon les idées
qui se prc'-sentaient à lui , et en introduisant de nou-
veaux vers quand il trouvait une nouvelle rime.
L'autobiographie est intitulée : ^^ MiUy i^^\ ^
*^*!5 (s^j J^»^ e>4X^t ft Faveur et grâce divines ayant
pour but de célébrer la bonté et les bienfaits de
Dieu (à mon égard) ». Elle a dû être composée après
1818, car il y est fait mention d un cheikh mort au
Caire à cette date. Célébrer les bontés de Dieu re-
vient, pour Bou-Ras, à vanter son propre mérite, et
il ne s'en fdit pas fîiute en s'autorisant de Texemple
de nombreux savants.
L'ouvrage comprend cinq chapitres :
1° Mes débuts. — Ce chapitre contient un assex
grand nombre de renseignements généalogiqujBS et
biographiques que Ton trouvera plus loin.
♦i° Mes professew^s, — Bou-Ras nous apprend
que Timam Malik eut 1,000 professeurs, et Chafaï
i,3oo. Quant à lui, il en accuse modestement 38;
mais le nom de chacun d'eux est accompagné d une
véritable litanie de qualificatifs élogieux, variant de-
puis un simple superlatif jusqu'à une phrase entière.
Le cheikh Mecherfien a pour sa part plus de 110.
Malgré la ricliesse de la langue arabe, les répétitions
sont nécessairement fréquentes et rendent cette énu-
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU KAS EN NASRI. 313
mération très fastidieuse. Néanmoins, on y trouve
quelques détails biographiques.
3"" Mes voyages, — Ce chapitre, qui semblait
devoir être le plus intéressant , est au conlraî.*'e très
insignifiant pour nous. Pas un mot sur les pays ni
sur leurs usages. Il est uniquement question de
cheikhs, cadis ou muftis que lauteur a rencontrés
dans ses voyages, et des questions qu'il a traitées avec
eux. Les chapelets d'éloges recommencent. Le sul-
tan Soleïmân a, pour sa part, cinquante qualifica-
tifs; d'autres en ont plus encore. Ce chapitre qui ne
répond guère à son tilre, pourrait être supprimé et
réparti entre le précédent et le suivant.
4° Des (jaestions qui m'ont été posées. — Ce cha-
pitre forme à lui seul les deux cinquièmes de
l'autobiographie. L'auteur y énumère les réponses
victorieuses qu'il a faites aux i8 questions indi-
quées ci-après qui lui ont été posées au cours de ses
voyages. Bien entendu , ce sont toujours des citations ;
jamais ou presque jamais un avis personnel :
1 . Comment comprendre ces paroles du cheikh Abou
Mohammed Abdallah ben AbiZeid: « Dieu est en per-
sonne au-dessus de son trône sublime», paroles
qui rappellent une idée exprimée dans le Coran,
vn, 02; X, 3; xni, 2 ; xiv, 60; xxn, 3; Lvn, 4?
i . (jomment comprendre ces paroles de Gh*azali :
314 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
« 11 n est pas possible qu'il y ait quelque chose de
plus nouveau que ce qui existe »?
3. Le taouhid.
II. Origine de tontes les sciences et lear classification.
5. Le tekouîn,
6. La ouahdania et le taouliid,
7 . Discassions entre les cheikhs Snoassi et Ahmed ben
Zekri.
8. Les articles de la foi : (!leci est une sorte de pro-
IVssioii de foi contenant les louangcîs d(î Dieu et de
ses attributs : puissance , science , volonté , audition
et vision, paroles, actions. Ce sont des pages en-
traînantes, animées d'un vrai souffle religieux, ne
contenant aucune subtilité. Je les aurais reproduites
bien volontiers, si j'avais été sûr quelles fussent
l'œuvre de notre auteur. J'ai été arrêté par la crainte
de ne faire que reproduire des citations.
g . Jïoà vient le nom de Mekki donné au soufite Abou
Taleb Mohammed ben Ali ben Atia el Harti? C'est en
réalité une longue dissertation sur le soufisme dont
Bou-Ras était un fervent admirateur.
1 o. Quels sont les cheiktts soujites qui sont considérés
comme des pôles? Très longues dissertations sur le
même sujet.
1 1 . Quels sont les savants qui ont abandonné un
rite pour un autre*} Discussion sur les divers rites or-
thodoxes.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 315
1 2 . Uétat de pureté et (Timpureté.
1 3. Que signifient ces paroles de Hasan ben Zyad :
«Je mange des animaux morts (sans avoir été tués
selon les rites), j'aime la séduction, je déleste ce
qui est certain et je témoigne de ce que je n ai pas
vu?» (Je mange les sauterelles et les poissons,
jaime les enfants et les richesses, je déleste la
mort et je témoigne de l'unité de Dieu.)
1 /|. Usage du café et du tabac. — Moyens dejaire
cesser Vimpureté.
1 5. Usage du mot Çahha « santé » adressé aux bu-
veurs.
i6. Usage des cuillers.
1 y. Sens de ce verset du Coran : « Les mécréants
disent au sujet des croyants : Si le Corail était
quelque chose de bon , ils ne nous auraient pas de-
vancés pour Tembrasser» (lxvi, lo).
1 8. Manière de voyeller le verbe ô^^.
On trouvera dans Fautobiographie les iS*" et
i6" questions.
5" Liste de mes ouvrages. — Cette liste est donnée
plus loin. Elle ne contient, dit fauteur, que ses ou-
vrages grands ou moyens; les opuscules ny figurent
donc pas.
Parmi les ouvrages de Bou-Ras devenus très
rares, que Ton ne trouve plus que dans quelques bi-
MV. îî l
■«rillWIIIIB RATtOSktB.
316 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
bliolhèques particulières , on peut citer iuLo^l il^ jJî
« La perle de prix », commentaire sur l'Aqiqa (Cor-
naline) , dont le titre figure sous le n° 5 1 dans la liste
qui termine lautobiographie. M. Delphin en possède
une excellente copie. L'aqiqa est une cacida due au
cheikh Abou Otmân Saïd ben Abdallah de Tlemccn
dont la famille était originaire de Mendès^ ce qui
lui a valu le surnom de Mendasi. Ce cheikh mourut
au Maroc au commencement du xviif siècle; son
poème comprend 290 vers en Thonneur du Pro-
phète ec de ses compagnons. Suivant lusage assez
singulier de certains poètes arabes, usage qui a reçu
fapprobation du Prophète , fauteur a consacré près
de la moitié de son poème à échauffer sa muse et,
en quelque sorte, à se mettre en train, en figurant
les mérites de son héros par les beautés de la femme;
f admiration qu il inspire est figurée par fivresse de
f amour ou par celle du vin. C'est ce qu'on appelle-
rait aujourd'hui une œuvre symbolique; ausssi est-
elle très difficile à comprendre. Bou-Ras a cru
nécessaire d'en expliquer à peu près tous les mots,
et il a composé pour l'Aqiqa sept commentaires. Le
poème est écrit en langage ^^^J^, incorrect, qui est
à peu près f idiome vulgaire, mélangé d'un peu
d'arabe correct. Sous f influence des nécessités de la
mesure, f orthographe est des plus bizarres. Ainsi
tesmots Jj!i ^\ signifient ni L»y^^^ Ce genre d'ou-
^ Village situé à l'est de la Mina, entre Mascara et Sidi-bd-
Abbès.
^>-
NOTICE SUK MOllVMMbll) ABOU RAS EN NASKl. 317
vrages écrits intentionnellement en idiome vulgaire
par des savants distingués n'était pas rare. En voici
un exemple rapporté par Bou-Ras dans ce même
commentaire et dans Tautobiographie. Le savant
Mohammed el-Haouari, une des célébrités d'Oran ^
avait composé un ouvrage dans ce langage incorrect.
Le livre étant parvenu entre les mains du cheikh
Moqlach , celui-ci s'empressa d'en corriger toutes les
fautes et d'en informer fauteur. Mais Haouari, très
mécontent, refusa de reconnaître son œuvre et ré-
pondit : « Ce que tu me montres là est le livre de
Moqlaclî; nuiis, quant au livre des humbles, il res-
tera avec son langage incorrect. »
Avant de céder la parole au cheikh , j'ajouterai
([uelques renseignements qu'il ne pouvait nous don
lier lui-même.
D'abord un petit portrait physique dû à un ha
bitant de Mascara, dont le père avait connu des
contemporains et amis de Bou-Ras : celui-ci était de
taille moyenne, maigre, ayant la peau blanche, la
barbe rare sur les joues, les yeux petits, le nez long
et mince, la tête large et développée; il ressemblait
extraordinairemeiit à son père.
En second lieu, une plaisante aventure qui lui est
arrivée pendant son séjour au Maroc; elle est ex-
traite de fouvrage de M. Delphin : Fès et son univer-
sité, et provient d'un indigène musulman qui avait
connu Bou-Ras. Elle prouve la mémoire prodigieuse
* Son loinbeuii esl (tans la jM^lite niosqutM* située ])rès des bui*eaiix
(l(i l'Intendance à Oran.
1 1 .
318 SKÏ>TEMBRl":-OCTOBRË 1899.
dont jouissaient ia plupart des tolbas. On verra plus
tard que, lors de ce voyage , Bou-Ras fit hommage de
plusieurs ouvrages au Sultan. Il paraît qu'il avait
l'intention de lui offrir un ouvrage de droit; mais
les savants de la ville où il se trouvait lui jouèrent
un bon tour. Ils avaient loué une chambre contiguë
à celle que devait occuper le savant étranger, et ils
avaient pratiqué une petite ouverture à peine visible
dans la cloison qui séparait les deux pièces. Dès
Farrivée de Bou-Ras, l'un d'eux vint hypocritement
le saluer, se fit montrer les manuscrits, et fit adroi-
tement passer l'ouvrage de droit par le trou de la
cloison. Les complices qui attendaient de Tautre
côté, s'en emparent, se partagent les cahiers; les
copient, et font repasser le manuscrit par le même
chemin, après en avoir changé le titre d'une ma-
nière burlesque, le tout en une demi-heure; puis ils
apprennent l'ouvrage en une nuit.
fje lendemain, quand Bou-Ras voulut leur réciter
son œuvre, il fut arrêté dès les premiers mots, cha-
cun s'écriant : « Mais c'est archi-connu , cela a déjà
été dit cent fois ». Il jeta un coup d'oeil sur son ma-
nuscrit, vit le changenient ridicule du titre, et se re-
tira furieux. D'après le narrateur, il quitta la ville le
jour même.
Cette anecdote a bien pu s'embellir en passant
par plusieurs bouches. Bou-Ras n'en dit pas un mot
dans l'autobiographie; cela n'est pas étonnant, car,
habitué à parler de lui-même avec complaisance, il
n'aurait pas aimé à raconter au public comment on
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 319
lavait mystifié. Mais, au fond, Taventure doit être
vraie; seulement elle ne s est pas passée à Fès,
comme le dit le narrateur, mais probablement à
Taza^ En effet, Bou-Ras ne se plaint nullement des
savants de Fès parmi lesquels il fit un séjour assez
long, tandis quon verra quil s'était brouillé avec
ceux de Taza, où il avait dû passer en venant au
Maroc par terre. Alors que partout ailleurs il cite
avec de pompeux éloges les noms des savants qu il a
rencontrés, il se borne à décocher un trait à ceux
de Taza en mentionnant une lettre que leur écrivit
un cheikh de Fès pour leur reprocher d avoir man-
qué d'égards envers un homme aussi distingué que
Bou-Ras.
Enfin terminons par sa mort : « Bou-Ras mourut
le jeudi i5 chabân i 288 (fin avril i8a3). Le grand
savant Si Ahmed ben Rabah pria sur son corps; il y
eut une grande émotion à son enterrement , et il fut
admirablement loué. Il fut enterré près de sa maison
et de sa mosquée, dans le faubourg de Baba-Ali, à
Mascara. On éleva sur son tombeau^ un dôme qui
fut appelé « Goubba des quatre rites » : car il jugeait
suivant le cas, selon Tune quelconque des quatre
doctrines. Mais, après sa mort, il s'éleva contre lui
une certaine animosité parmi les Beni-Rached , parce
qu'il avait composé un livre dans lequel il avait éta-
bli la noblesse des vrais chérifs, en les distinguant
' Ville du Maroc à égaie distance entre Fès et la Moulouya.
^ Aux frais du bey Hasân , dit le colonel Dastugue.
:j2() .ski>tkmbri:-oct()brI': i89u.
des faux. » (Extrait de la biographie des auteurs ma-
ghVebins.)
Voilà tout ce que j ai pu recueillir sur le compte
de notre hafid. De plus longues recherches, lors
même qu'elles devraient aboutir, me paraîtraient peu
utiles. La statue doit être proportionnée à la taille
du héros, et, comme le dit très bien Bou-Ras en par-
lant de lui-même, et en se comparant aux anciens :
« Il y a (les paroles pour chaque rang; il y a des
hommes pour chaque époque ».
VITOBIOGRVPHIE DE B()L-R\S.
J'appartiens à une famille d'hommes distingués
par leur science et leur piété. Voici ma généalogie :
Je m'appelle Mohammed Abou-Ras ben Ahmed ben
\bd el-Qader ben Mohammed ben Ahmed ben en-
Nacir ben Ali ben \bd el-Adim ben Marouf ben
Vbdallah ben Abd el-Djalil.
Cette généalogie se prolonge jusqu'à Omar ben
Kdris ben Abdallah el-Kamil ben el-Hasan el-Motni
ben el-Hasan es-Sebti qui fut fds d'Ali et de Fatima
fille du Prophète (saluts)^
Mon père , mon aïeul et mon bisaïeul étaient de
savants lecteurs du Coran. Mon bisaïeul, le cheiidh
Mohammed, était cité pour sa science du droit, sur-
^ Cette lacune est ainsi comblée )^ar le biographe des cheikhs
magb'rebins : Abd el-Djaiil ben Obeïd ben Ali ben Omar, etc.
NOTICK SLR VIOHAMMKD ABOU RAS EN .\ASRI. 321
tout pour celle des successions. Un jour, il était assis
avec son père, le cheikh Ahmed ben en-Nacir; ii y
avait là des savants des Beni-Arner ^ entre lesquels
s'était élevée une vive discussion; Tun d'eux disait aux
autres : « L'esclave de cet homme a péché intention-
nellement en présence de mon esclave. — Hé bien !
messieurs les savants, dit mon bisaïeul, faites com-
paraître l'esclave fautif, car personne que lui ne peut
répondre de la faute qu'il a commise. » De même
que son père, il avait une prédilection pour le com-
mentaire du cheikh Abd el-Qader ben Aqtit, connu
parmi les savants sous le nom de Soadani.
Mon trisaïeul, le cheikh Ahmed, était un homme
vertueux , au cœur doux , peu soucieux des biens de
ce monde. On pouvait dire de lui ce qu'Abou 1 Hasân
el-R'orab a dit de quelqu'un dont il faisait l'éloge :
«Il est riche en piété, et pauvre en péchés». Il ne
faisait aucune difl'érence entre les choses de ce bas
monde, et ne savait pas distinguer un objet de prix
d'un autre. Vinsi, ayant aperçu un jour, dans un coin
de sa chambre , une outre où étaient mélangés de la
graisse et du miel, il crut que c'était des ordures que
l'on avait mises de côté; il porta l'outre au ruisseau
d'ibn Sououaq, la nettoya et la rapporta à sa femme,
à qui il adressa une verte semonce. Celle-ci, étonnée
d'une pareille ignorance , fronça les sourcils et s'écria :
^ Les Beni-Amer, qui habitaient à l'ouest de Mascara, s*étaieat
mis au service des Espagnols, ce qui leur valut bien des reproches
de la part de leurs compatriotes. Plus tard , ils furent des premiers
à soutenir la révolte des Derqaoua,
322 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
« Tu as fait perdre aux enfants lassaisonnement de
leur déjeuner». Cette aventure fit rire tous ceux
qui en eurent connaissance. Dieu ait son âme !
C'est à son père , le célèbre cheikh en-Nacir, que
nous devons notre nom. C'est lui qui fonda notre
cimetière à Ouizer t. On y voit des tombes bénies
qui sont un lieu de pèlerinage important. Les prières
y sont exaucées et on y recueille des bénédictions.
Nous avions là une médersa dont on voit encore les
traces en dessous du cimetière, à Touest d'Ouizer't.
J'ai entendu dire à plusieurs hommes dignes de
foi que nous avions autrefois dans ce pays sept
medjles dont le premier fondateur fut notre ancêtre
En-Nacir ^
Abd el-Àdim fut un saint dont le tombeau a été
le théâtre de plusieurs miracles. En voici deux
exemples très connus. Quiconque venait visiter son
tombeau, à quelque heure du jour ou de la nuit que
ce fût, recevait de Dieu de quoi faire son repas. Un
jom*, im pieux visiteur avait commencé à lire les Da-
laïl-el-Kheirat près du tombeau. Arrivé au milieu ,
il voulut s'en aller; mais il entendit une voix qui lui
^ Au dire des indigènes, voici ce qu'il faut entendre par là : les
tribus et même les familles arabes aiment à se solidariser entre elles
t't à se distinguer le plus possible les unes des autres. Dans ce but ,
une famille adopte un lieu de réunion où elle vient traiter ses
aiFaires, et où les gens qui y ont affaire à un de ses membres
savent qu'ils pourront le trouver. Ces endroits finissent par prendre
le nom de la famille : on dit le medjles des Béni Foulâu. La fa-
mille de Bou-Kas aurait donc eu successivement ou simultanément
sent de ces medjles , dont le premier fut choisi par En-Nacir.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 323
disait : Areriy c est-à-dire « continue ». Il se remit donc
à lire jusqu'à ce qu'il eût terminé le livre.
L'obscurité étant venue, il se coucha, et un gros
lièvre entra dans sa tente; il Tégorgea, le fit rôtir et
en fil son repas. i
La second miracle arriva à deux pèlerins qui,
passant la nuit près de son tombeau, lui adressèrent
cette invocation : « O cheikh des hommes pieux ,
toi qui nourris tes hôtes, nous sommes affamés! »
Là-dessus, s'étant endormis, ils virent arriver un
esclave portant un plat rempli de nourriture. Us
mangèrent à satiété, et s'endormirent après avoir
mis en ordre ce qui restait, ainsi que de Feau. Le
lendemain matin, ils ne trouvèrent plus rien, pas
même des miettes à terre. Ce tonïbeau se trouve
dans un grand bois situé à l'ouest de l'oued Hou-
net, et très abondant en lions. Les gens qui viennent
en pèlerinage voient souvent quelqu'un de ces ani-
maux assis ou couché sur leur passage; mais ceux-
ci ne leur font aucun mal, bien qu'ils soient réputés
pour leur férocité. Autour du tombeau, une vaste
étendue de terrain a été érigée en fondation pieuse.
Tout revient à Dieu !
Un autre de mes aïeux également nommé Abd el-
A
Adim est enterré vis-à-vis des collines de Roneïn, et
faisant face à celles des Mechmacha. Son tombeau
est connu; tous ceux qui, éprouvant quelque em-
barras, font une tresse d'alfa vert, en frottent le té-
n)()in de pierre placé pr^s de la tête du saint, et la
3^4 SEPTKMimivOCTOBRE 1899.
laissent sur le tombeau, voient leurs affaires s arran-
ger à leur gré.
Mon ancêtre Abd el-Djalil est enterré à Ouizer t;
mais on ne connaît pas remplacement de son tom-
beau. C/est lui qui a fondé la medersa dont il est
question plus haut.
J ai eu également parmi mes ancêtres un autre
Abd el-Djalil, qui est enterré dans le cimetière du
cheikh Abou-Djelal, preNs de Ouendjal, où quarante
saints sont enterrés; cest ce qui a fait dire ii ceux
qui connaissent notre famille que nous comptons
parmi nos aïeux deux Adim et deux Djalil^
Tout ceci m\i été affirmé par deux cheikhs égale-
ment vénérés : Mostafa ben el-Mokhtar et Si Abd
el-Qader ben es-Snousi. Ce dernier avait une telle
réputation, que les cheikhs de l'Orient se levaient
pour le recevoir.
Ma mère appartenait à une bonne famille du Sud.
Elle s appelait Zoula , fille d'Omar ben Abd-el-Qader
et-Todjani, qui est enterré dans la montagne de
Toumiat, vis-à-vis Hosna. Son tombeau et l'habita-
tion de ses enfants sont un lieu de pèlerinage. Ma
mère était citée en proverbe pour la générosité et la
vertu comme Rabia FAdite '-. Mon aïeule maternelle
Zeïneb bent Si Abd el-Djalil , était connue pour sa
sainteté ^.
^ Jeu de mots sur Adim et Djalil qui signifient « grand » et < puis-
sant».
^ Rabia bent Ismaîl i'Aflite est citée pour sa piété dans la qua-
rantième séance de Hariri. Elle faisait miUe génuflexions par jour.
^ La biographie des cbeikhs magh'rebins complète ainsi les ren-
NOTICK SUR VÎOHAVIMKD ABOI RAS EN \ASRI. :^25
Voilà ce qui concerne mon origine, ma noblesse
et la pure source de mes mérites. Les habitants du
Drâ, ayant fait le pèlerinage dans le vnf siècle,
revinrent de THedjaz avec les chérifs dont sont sor-
tis les princes saadiens , de même que les gens de
Tafilala étaient revenus dans le vu* siècle avec un
chérif de Yambo et d un campement des Beni-Ibra-
him. Or nos Saadiens, étant arrivés à Tunis, ne
quittèrent cette ville qu'après avoir eu soin de se
faire délivrer une attestation de leur noblesse par
le cadi Ibn Abd es-Salam, Ibn Haroun, Ibn Hattab
et Ibn Ârfa. Un jour qu'ils étaient entrés dans une
maison , Abou Tahar, homme de la noblesse du Ta-
filala, de la famille duquel est sorti le sultan Ismaïl ^
leur demanda leur origine. Ils exhibèrent les pa-
piers des savants tunisiens. Alors il cinit à leur no-
blesse, et les fit connaître dans tout le MaghVeb,
Louange à Dieu! Quant à moi, pauvre pécheur,
serviteur de mon Dieu, les savants de mon temps
ont écrit en ma faveur. Il y a des paroles pour
chaque rang; il y a des hommes pour chaque époque.
Louange à Dieu !
Je suis né entre les montagnes de Kersout et de
seignements génralogiques : Bou-Ras appartenait aux familles ham-
raoudites et alides qui ont régné en Espagne après les Oméyades. li
était chérif des deux côtes, car sa mère était la chéiifa Zoula, fille
de Sidi ei-Ferah , fils du pôle le chérif Omar ben Abd el-Qader,
un des saints de la tribu des Yaqoubia.
^ Abou-Nacer Ismaïl, dit Moule^-hmaîl , sultan hassanide de 1672
à 1727, dont la famille originaire de Sidjilmassa (Tafilala) règne
encore au Maroc.
32fi SEPTEMBREOCTOBHE 1899.
Hounet, ie 8 safar ii65 (27 décembre lySi)^,
ainsi que me Ta appris la noble et vertueuse dame
ma sœur Haliiîta. Que Dieu donne la fraîcheur à sa
tombe !
Mon père et ma mère me portèrent au cheikh
Ali ben Mousa el-Leboukhi, du pays des Yaqoubia*-^,
qui me bénit et prédit que je serais professeur de
tolbas, homme considéré, ayant une école, exer-
çant la justice et les fonctions de cadi. Il en fut
comme il lavait dit. Il est dit dans le Coran (lxxh,
q6, 2*7) : «Il connaît les choses cachées et ne les
révèle à personne, excepté au Prophète qu'il agrée. »
Les savants ajoutent : ou à un saint. Ceci est ana-
logue à ce qui se passe quand le sultan envoie un
ordre à son vizir; il faut qu'il le fasse accompagner
par quelques-uns de ses gardes du corps. Hé bien !
le sultan c est Allah ; le vizir c est le Prophète (saluts),
et les gardes du corps ce sont les saints.
Mon père nous emmena dans la Mitidja ^, où .ma
mère mourut. Dieu lui fasse miséricorde ! Après la
mort de ma mère, je restai dans la tente de mon
père avec mon frère Abd el-Qader; puis nous fûmes
rejoints par mon frère aîné Ibn Omar, et mon père
nous ramena dans Fouest au pays des Fehadja. Mon
père marchait à pied et me portait sur son col, à
* Cette date est extraite d'une note de M. Gorguos , lievue afri-
caine, 1867, P* ^^^* ^^^ biographie des cheikhs magh'rebins dit
qu'il naquit le vendredi 1 3 , sans rien ajouter.
^ Grande tribu qui s'étend au sud de Mascara et jusqu'au sud de
Frenda et de Saïda.
Près d'Alger.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 327
cause de ma grande jeunesse. Mon père, revenu au
pays, s'adonna à la lecture du Coran, épousa plu-
sieurs femn^es et mourut. Son tombeau est à Oum-
ed-Deroua, dans le jardin du cheikh Ahmed ben
Abdallah.
Je lisais déjà moi-même le Coran. Mon premier
professeur avait été mon père, le cheikh Ahmed. Il
me fit lire jusqu'à ce verset : « Nous élevâmes les
prophètes les uns au-dessus des autres» (n, 2 5/i).
J avais commencé par la sourat : « Lorsque les cieux
s'entrouvriront» (lxxxiv). Le souvenir de ce qui
suit se grava dans ma mémoire sans aucun enseigne-
ment. Personne ne m'apprit lalphabet. Bien plus , à
partir de la sourat en question, je commençai à
écrire de ma main.
Je séjournai ensuite dans les écoles avec mon
frère, qui me portait sur ses épaules, ainsi que je
l'ai déjà dit. 11 me conduisit chez le cheikh Ali et-Ta-
laoui ; mais comme je ne traçais pas bien la lettre o »
il me donna une tape sur la tête, et depuis lors je
n'ai plus jamais lu chez aucun maître d'école d'en-
fants. Je me mis à écrire auprès des tolbas qui étu-
diaient le droit; et, au bout de peu de temps, c'est
moi qui leur donnais des explications. En route, un
d'eux me portait sur ses épaules, et cependant c'est
moi qui les faisais lire et qui débrouillais leurs plan-
chettes. Je mendiais leur nourriture dans les maisons
et les jours où je ne pouvais le faire, ils me battaient.
Je passai dix années déguenillé, presque sans vête-
328 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
ments; je ne commençai à porter des chaussures
qu à Tâge du jeûne.
Quand je pus marcher, je commençai par de-
mander dans les maisons; puis je fis un peu de
commerce; enfin je m'attachai au cheikh Mançour
ed-Darir^ J'apportais Teau dans sa maison; j'ap-
prenais à lire à ses enfants; chaque jour je cherchais
leurs poux-. Il me souhaita un heureux caractère,
et Dieu la exaucé. Je devins auprès de lui très ha-
bile dans la lecture du Coran; j'avais cinq profes-
seurs; car il m'avait dit : « Commence par faire cor-
riger tes planchettes par eux , et tu me les apporteras
ensuite ». J'étais sans cesse au milieu de sa famille
et de ses enfants. J'avais ainsi huit(?) professeurs
pour le Coran; mais quant aux Ahkam, je ne les
lisais jamais que devant le maître lui-même.
C'est grâce à la faveur et à la bienveillance de
mes professeurs que j'ai rencontré chez chacun d'eux
une connaissance à laquelle je me suis adonné.
Le professeur répand l'utilité autour de lui. On
peut mesurer la terre par les pas que l'on fait en se
rendant chez lui. Quelqu'un dit un jour à Alexandre
le Grand : « Tu as vraiment plus d'estime pour ton
précepteur Aristote que pour ton père. — Mon
^ Il est probable que c'est à Mascara où le jeune Bou-Ras était
venu se fixer.
- Le texte dit littéralement : « Je cherchais pour lui les poux ».
Il faut comprendre pour l'honneur du cheikh Mancour que Bou-
Ras le remplaçait pour chercher les poux des enfants.
NOTJCE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 329
père, répondit-il, nVa donné cette vie périssable.
Aristote m'a donné une vie durable ^ »
L'imam Saïdi raconte que ie Démondit un jour à
Jésus (salut sur lui!): «Dis ces mots : Il ny a de
Dieu que Dieu. — Je le dirai, répondit Jésus, mais
non pas en répétant tes paroles, ô maudit». Il avait
en effet compris que s'il répétait les paroles de Satan ,
celui-ci deviendrait son professeur, et que dès lors
il ne pourrait plus désobéir aux ordres de son maître.
Or on sait que le Démon n'ordonne que des turpi-
tudes et notamment l'idolâtrie. Dieu préserva Jésus
de ce danger.
L'imam Chafaî se trouvant un jour dans sa classe
au milieu de ses élèves, vit entrer un homme et se
leva pour lui faire honneur. Or, cet individu était
un homme du commun. Comme on s'étonnait,
l'imam dit : « L'homme vraiment noble est celui qui
garde la reconnaissance en son cœur, ne fût-ce que
pour un regard , et qui honore celui dont il a reçu
* Cette apecdote est connue de tout le monde. En voici une
moins connue, qui est racontée dans le commentaire de VAqiqa el
qui prouve à ia fois la fécondité de l'imagination des Arabes, et
leur confiance dans la perspicacité du grand philosophe grec. Pen-
dant l'expédition d'Alexandre dans l'Inde , son armée campa quelque
temps auprès d'un certain puits. Tous les soldats qui y regardaient
tombaient immédiatement morts. Alexandre fit consulter Aristote
qui répondit en envoyant un miroir, et en recommandant de le
présenter pendant quelque temps à l'orifice du puits. C'est ce que
l'on fit; et les soldats purent ensuite y regarder sans accident. Aris-
tote avait deviné que le puits était habité par un basilic, serpent
dont le regard tue comme chacun sait. Quand on présenta le
miroir à la bouche du puits, le basilic y darda son regard qui lui
fut remové el le lua net.
330 SEPTEMBKEOCTOBRE 1899.
quelque chose, ne fût-ce qu'une parole. — En quoi,
demanda-t-on , ce rustre a-t-il pu fêlre utile? —
J'ignorais à quel signe on reconnaît que le chien est
adulte; cet homme m'a appris que c'est quand il
lève la patte pour pisser. »
J'étudiai ensuite le droit chez divers professeurs;
d'abord chez le cadi de Mascara, Si Mohammed ben
Sahnouh. Puis je me rendis à la Guetna^ Un jour
que je quêtais aux portes pour la nourriture des
tolbas, je m'arrêtai à la porte de la mosquée, qui
était une grande construction pourvue de son mih-
rab ; à droite était la chambre du cheikh Mecherfi ;
j'étais vêtu de haillons usés, rapiécés avec des
épingles. Personne ne daigna jeter les yeux sur moi.
Je me rendis alors à la ville du cheikh Ibn Moham-
med où je trouvai le cheikh Si el-Bachir ben
Mohammed faisant sa leçon, je ne me rappelle plus
sur quoi. L'amîn des maçons touché de mon aspect
misérable, et étonné de mon savoir, me prit chez
lui et se chargea de moi. Je dormais au milieu de
sa famille.
Vers l'époque où je jeûnai pour la première fois,
les tolbas m'ayant beaucoup parlé de Mazouna^ je
me rendis dans cette ville. Ma jeunesse fut cause
que j'eus les pieds fendus. Mais c'est là une chose
qui arrive quand on voyage pour s'instruire. Il est
dit dans le Coran (vjh, 6 1 ) : « Moïse dit à son fds :
* Localité située à une vingtaine de kilomètres à l'est de Mas-
cara.
- Entre ïénôs et Mostauaneni , au nord du Chélif.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 331
Apporte-nous notre repas , car ce voyage nous a fa-
tigués. »
Sur ma route, je passai près du cheikh Abou
Abdallah Mohammed ben Lobna. Que Dieu console
la sohtude de son tombeau ! 11 était simplement vêtu
d'une chemise et dun bernous; c'est là une simpli-
cité bien fréquente chez les saints. Nous le trou-
vâmes occupé à une bonne œuvre : on plantait un
jardin pour une œuvre pieuse. Il me demanda où
j allais. «A Mazouna, répondis -je. — Pourquoi
faire ? — Pour étudier le droit. — Et le Coran ? —
Je le connais ainsi que tout ce qui s y rapporte;
beaucoup de tolbas ont profité de ce que je leur ai
appris à ce sujet. » Le cheikh i^mpli de joie et
d'étonnement , me considéra alors avec bienveil-
lance et attention.
Quand je vis que son àme et son cœur venaient
ainsi vers moi, je lui demandai une prière qui pût
me faciliter le retour, bien que l'homme ne puisse
compter que sur ses propres efforts. Il fit alors pour
moi une invocation en disant avec un regard de côté
bienveillant : « J'ai fait que les œuvres de Khelil et
d'autres encore soient pour toi comme une bouchée
dans le gosier ». En même temps son regard de côté
semblait me désigner. Cette invocation se vérifia
pleinement pour moi.
En arrivant, je m'arrêtai au village de R'irân,
sur un des côtés de Bou-Aloufa. Pendant le jour je
lisais, et la nuit je pourvoyais à ma nourriture. Je
travaillai auprès de quatre professeurs; puis je mè
XIV. 2 2
332 SEPTEMBRE-OCTOBRE L899.
rendis auprès de ceux de Mazouna. Je me présentai
d'abord chez le cheikh Ibn Aii ; je m'assis à l'extrémité
du cercle, contre le marbre dur, dans un poste étroit
et dédaigné; mais à la fm je m'assis devant le maître.
C'était moi qui pendant la classe lisais ie texte qu'il
devait commenter. J'étais alors adulte.
Je suivis les cours de difiFérents professeurs , et en
particulier de El-Arbi ben Nafila, près de qui je
travaillai pendant trois ans. Son fils Si Ahmed fut
également un de mes professeurs; il était parfait
dans ses explications et ses réflexions. M^eureuse>
ment il bégayait. Mais je dois dire que je ne suivis
que pendant trois jours les leçons du cheikh Mo-
hammed Abou Taleb de la famille du cheikh Abd-
el-Aziz el-Beldaoui, à cause des affectations hypo-
crites de sainteté grâce auxquelles il amassa un bien
considérable. J'assistai avec le plus grand fruit aux
audiences du premier cadi de Mazouna.
J'appris par cœur le Mokhtacer (de Sidi Khalil)
dont je compris le sens et les paroles. Dès la pre-
mière année je lisais aux tolbas le traité des succes-
sions que je maniais aussi bien que le dompteur
manie le cheval fougueux.
La seconde année je vis venir vers moi notre
saint et vertueux frère Mohammed el-Guendouz,
habitant Mostaganem , mais Tunisien d'origine. Avec
l'aide de quelques tolbas, nous lui lûmes au com-
mencement de la seconde année jusqu'au chapitre
de rinsensé, ainsi que le livre du Mariage. La troi-
sième année j'étais devenu sans égal sur le Moçannif.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 33a
Une nuit je dormais; il me sembla être sm^ un
marché où je rencontrai un homme aux yeux bleus,
vêtu dune chemise et d'un bernons, qui me parut
porter sur la tête une calotte de palmier nain. Il te-
nait à la main un couffin de même substance, con-
tenant deux grappes de raisin , lune douce et l'autre
acide : « Est-ce que tu vends ces deux grappes , de-
mandai-je? — Oui. — Et combien? — Une once.
— Mais celle-ci est mûre et l'autre ne l'est pas. —
Comment t'appelles-tu? demanda-t-il. — Un tel. —
Hé ! que Dieu fasse de toi pour le Moçannif ce qu est
le moulin pour le blé. » Je me réveillai alors et me
dis : Ce songe et Imvocation du cheikh Ibn Lobna
diffèrent par les mots, mais sont semblables par le
sens. Cela rappelle le mot de Moaouïa au sujet des
testaments de sa mère Hinda et de son père Âbou
Sofiân, quand il prit le pouvoir en Syrie: «Je suis
étonné de voir la différence des mots et la concor-
dance des sens. »
Ma réputation ayant commencé à s'établir je quit-
tai Mazouna pour revenir à Mascara^. Je ne possé-
dais absolument rien que ma connaissance du droit.
Je me rendis d'abord près du cheikh Si Abd el-Qa-
der ben Abdallah el-Mecherfi.
C'était un homme éminent à qui on offrit pla-
' Il est probable qu'il ne revint pas à Mascara même; en e£fet,
nous le voyons s'arrêter pendant plusieurs années auprès de Me-
chcrfi, qui, ainsi qu'on Ta vu plus haut, demeurait à la Guetna, à
quelque dislance de Mascara. Plus tard , après la mort de ce même
Mecherfi , nous le verrons se mettre à enseigner à Mascara.
2-2 .
334 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1809.
sieurs fois les fonctions de cadi, mais il les refusa
constamment. II lui arriva défaire des prodiges dont
voici un exemple qu il m'a raconté lui-même ; « Je
conduisais, me dit-il, des chèvres au cheikh Amer.
Or il faut savoir que El-Hadj Mohammed ben Mech-
ref et El-Arbi ben Bekkân el-Mehadji étaient en ri-
valité; je rencontrai tout à coup un homme rouge,
gros, pieds nus, ressemblant à un homme de Kalaa.
« Qui es-tu? lui dis-je. — Je suis un homme , répondit-
« il. — Tu es bien plutôt un démon que Si el-Arbi ben
« Bekkân envoie à El-Hadj Mohammed ben Mechref
«pour le tourmenter. » — Là-dessus, cet homme se
transforma en un énorme taureau et chargea comme
aurait fait un cheval. Sa queue se dressait plus haut
que sa tète. Il disparut près de Tarbre du cheikh
Amer ben Ata ».
Voici d'autres faits non moins prodigieux : le
khalifa de Tagha Haroual avait pris un convoi d'orge
appartenant à un des élèves de Mecherfi. Celui-ci
envoya d'abord parier à Haroual, mais inutilement.
Alors il fit dire à l'agha : « Si tu ne rends pas ce
grain, Dieu te prendra avant demain matin. Ne
sommes-nous pas proches du matin? » L'agha effrayé
rendit le grain. S'il ne l'avait pas rendu, disait Me-
cherfî, il lui serait infailliblement arrivé ce que
j'avais prédit.
Il lui arriva quelque chose d'analogue dans le Tes-
sala^ près d'un campement où on n'avait pas voulu
' Montagne située entre la sebkha d'Oran et Sidi^bel-Âbbès.
NOTICK SUH MOHAMMED ABOIJ BAS EN NASHI. 335
le recevoir pendant une nuit de mauvais temps, bien
qu il eût dit : « Voilà un hôte de Dieu devant notre
campement ».
\ une époque où je faisais lire les tolbas à sa place,
on me vola un manuscrit précieux; quand je lui en
rendis compte , il me dit : « Il reviendra sous peu ».
En effet, on le retrouva dans une boutique à Mas-
cara.
Lin malfaiteur des Hachem', nommé Abd er-Rah-
màn, lui avait volé des moutons. Mecherfi alla chez
cet homme et le trouva occupé à partager la viande
des moutons. Le malfaiteur s étant mis à Tinjurier,
Mecherli lui dit : « Dieu te prendra». En effet, peu
de jours après, cet homme reconnu coupable de
quelque autre méfait était exposé sur le marché de
Mascara, les pieds et les mains coupés.
Le caïd de Mascara fit un jour attacher avec une
corde un certain nombre de notables. Mecherfi alla
trouver le bey KheliP, mais ne put en obtenir ia
mise en liberté de ces hommes. Alors il souffla sur
le bey, qui fut pris immédiatement d'une violente
douleur et faillit en mourir. Il s'empressa d'ordonner
la délivrance des notables.
Quelqu'un m'a raXîonté qu'étant allé visiter Me-
' Celte tribu de la plaine de Gh'ris , près de Mascara , avait tou-
jours rcsislé aux Turcs et était devenae le refuge des vauriens de ia
contrée. Elle fut châtiée et soumise par le bey Mohammed el-Kebir.
- Hadj Khclil, de 177G à 1779, prédécesseur de Mohammed el
Kebir.
336 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
cherfi, et lui ayant porté un rial< il avait trouvé le
même jour sur son chemin sept riais.
Son neveu, Si Abdallah ben Ahmed, ayant été
nommé secrétaire du bey contre la volonté du ckeikh ,
celui-ci fit une invocation contre lui, et deux se-
maines ne s'étaient pas écoulées que Si Abdallah
était mort.
Voici un autre prodige qu'il ma raconté lui-même,
et qui est dû à son professeur Menouar : « Un jour,
me dit-il, nous étions dans Técole quand vint un
homme qui avait perdu une vache ou un âne. « Si
« Abd el-Qader, me dit Menouar, écris telle chose
« sur ton ongle. » Je le fis, et aussitôt Dieu me fit voir
ce qui était perdu, »
Il m*a également raconté qu un jour, ayant dit à
son professeur, le cheikh Izz ed-Din el-Azr ar : « Je
voudrais habiter dans un endroit appelé Aboul
Aouïnat », le professeur lui répondit : « Le mérite, ô
Si Abd el-Qader, réside dans Thabitant et non dans
f habitation ».
Ceci rappelle ce quon raconte de la guêpe qui
dit un jour à fabeille : u Apprends-moi à faire les
rayons pour le miel ». L'abeille le lui enseigna. La
guêpe se mit alors à mépriser sa rivale, à s'enor-
gueillir et à lui dire : «Je suis plus habile que toi;
mes rayons sont mieux faits que les tiens, et tu n as
aucune supériorité sur moi. — Tu peux être aussi
habile que moi et même plus, pour faire les rayons,
répondit Tabeille; mais où est ton miel? » La guêpe
réfléchit, mais elle ne put arriver à faire un mid
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 337
comme celui de TabeiUe. CeUe-ci lui dit alors :
« Sache, ô guêpe, que le mérite réside dans l'habitant
et non dans l'habitation ».
Quant à moi , je me mis dès Tabord à prendre une
part active aux discussions qui avaient lieu dans
Técole de Mecherfi. Le cheikh , étonné de mon savoir,
ne me faisait aucun reproche sur les fautes dont
j emaillais mon langage. Aux tolbas qui s en éton-
naient, H répondait : «C'est une habitude des gens
de Mazouna ». Que Dieu le bénisse! Il savait amener
chacun à reconnaître ses défauts sans jamais employer
de sobriquet, ni faire d'affront. Un jour, je discutais
avec les principaux de ces tolbas , et j'eus l'avantage
sur eux. Alors il sourit et dît : « Si le Mokhtacer dis-
paraissait, personne que lui ne pourrait le savoir et
en faire la lecture, car il en a bourré sa besace et
rempli son outre. » Cependant , en raison de ma jeu-
nesse, il m'imposait de nombreuses corvées. Je lavais
ses vêtements et ceux de ses enfants; après les avoir
passés au savon, j'en battais les doublures afin de
faire disparaître les plis et les fronces.
Je me rendis ensuite chez ma sœur à l'oued Arzem
chez les petits-enfants de mon aïeul maternel Omar
ben Abd el-Qader dont le tombeau est à Toumîat.
J'y eus pour élèves pendant deux ans les enfants de
l'auteur de la Roatya^ et de l'ouvrage intitulé : ^Iqd
en-Nefis (Collier précieux) sur les grands du pays de
GKris^, J'exerçai ensuite dans cette région les fonc-
' D après cela, 1 auteur de ces deux ouvrages que Bou-Ras ne
nomme pas aurait été à peu près son contemporain. Mais, d'après
338 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
tîons de cadi, au nom du cadi de Mascara, Si Mo-
hammed ben Mouley Ali. A cette époque, je de-
mandai en mariage la fille du cheikh Mohammed
ben Yahia ; je Tobtins et je dressai ma tente. Abouti
01a a dit : « Il y a deux choses d une beauté sans
égale : un hémistiche de vers et une tente de poils
de chameau. »
Mais je ne tardai pas à m^apercevoir que le séjour
de la campagne est funeste pour la science. Je me
rappelai ces mots adressés à Chafaï par Timam
Malik dans les recommandations qu il lui fit au mo-
ment de son départ : « N'habite pas la campagne, tu
y perdrais tout ton savoir ». Je revins donc à Mas-
cara, où je me livrai nuit et jour à renseignement.
Cela dura pendant trente-six années où je ne m abs-
tins pas un jour, le lundi excepté. Je voyais com-
plètement le Moçannif huit fois dans Tannée : quatre
fois la première partie, puis quatre fois la seconde.
Je les lisais ensuite ensemble à lautomne.
Cer laines années, j'ai réuni jusqu'à -700 élèves.
Il faut dire cependant que le cheikh soufite, Timam
Djanidi ne parlait quà 18 auditeurs au plus. Eyoub
el-Mahacabi et d'autres encore abandonnaient la
partie quand le nombre de leurs élèves dépassait
trois. Cependant ils étaient plus aptes que moi à
des renseignements que je tiens de M. Delphin, fauteur de VIdq
en Nejis fut Abou-Zeïd AM er-rahmân et-Todjini, qui vécut un
peu plus tôt, au 11" siècle de Thégire. Il s'agirait donc ici de ses
petits-enfants. Son ouvrage fut complété par un nommé I>jouzi
ben Mohammed. Voir sous le n** 33 le titre du commentaire com-
posé par Bou-Ras à ce sujet.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASR[. 339
pareille besogne. Le cercle des auditeurs de l'imam
Malik étant devenu trop considérable, il fit un choix
parmi eux.
Je m'asseyais pour professer, et après avoir com-
mencé au chapitre de l'assiduité à la mosquée, je ne
me levais plus avant d'arriver au chapitre de la ma-
nière d'égorger, sans m'arrêter un seul instant, ni
laisser un point douteux , malgré l'importance , la
longueur et la difficulté du chapitre du pèlerinage,
malgré le nombre de mes élèves et l'épaisseur de
leurs files '.
Jamais je n'ai apporté un livre à mon cours, et
personne n'y a lu, à moins que ce n'ait été en ca-
chette. Quelquefois, quand on n'était pas d'accord,
les tolbas demandaient un livre. « Quand nous au-
rons fini, disais-je, vous en demanderez un.» On
vérifiait, et c'était toujours moi qui avais raison.
Pas un seul des sept jurisconsultes ne possédait
un livre. En effet, la science est une chose que l'on
doit posséder par cœur. On chargerait des chameaux
avec ce qu'a dicté El-Anhari, et cependant il n'avait
pas un livre. De même, el-Foura dictait ce qu'il sa-
vait par cœur, tandis que devant sa porte étaient les
montures de ses 700 élèves, parmi lesquels il y
avait 80 cadis.
Charmasahi était allé du Caire à Bagh'dad pour
faire le commerce des joyaux. Les jurisconsultes lui
demandèrent : « Combien connais-tu d'espèces de
' Bou-Ras expliquait donc dans une seule leçon les 6" et 7" cha-
pitres de Sidi Khelil.
340 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
ventes à terme ^? — Quatre-vingt mille, répondit-
il. » Comme on paraissait trouver ce nombre exa-
géré , on voulut le mettre à Tépreuve en lui faisant
lire ses textes. On alla donc à la grande mosquée.
Quand il fut arrivé à 8,000 citations, les savants
lui firent grâce du reste.
Au milieu de mes leçons, je citais des historiettes
et des anecdotes piquantes , pour distraire un instant
les esprits et les cœurs. Malgré toute sa pureté et
son austérité, Châba mêlait d'anecdotes son ensei-
gnement sur les hadits. Un jour, ayant aperçu Abou
Zeidel-Ançariy il lui dit: « Viens donc auprès de nous. »
Ils se mirent à se réciter des vers, à citer tantôt
des prédications attendrissantes , tantôt des histoires
risibles. Les tolbas lui dirent alors : « Nous avons
fatigué nos montures pour venir te demander l'en-
seignement des hadits, et voilà que tu nous quittes
pour t'occuper de choses qui ue nous concernent
pas. — Par Allah, répondit-il, je m'acquitte ainsi
de ce que vous me demandez^. »
Mon enseignement arriva ainsi à être solide et
fin , si bien que ma science fut citée dans les diverses
contrées , et qu'elle faisait oublier les écoles d'Egypte,
de Syrie et de l'Iraq. Les beys souverains de notre
pays entendirent parler du grand nombre et de
l'empressement de mes élèves; car, comme on Ta
^ Il faut sans doute comprendre : • combien connais-ta de textes
sur les ventes à terme?»
* Jeu de mots .«ur hadits: le professeur dit plaisamment à ses
âèves : Vous êtes venus me demander de la conversation» En voilà.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 341
dit, on se presse autour de Tabreuvoir d'eau fraîche
et pure. Us m'offrirent alors une chaire qui me lut
d'un grand secours pour l'enseignement.
Cependant je faisais toujours des fautes de lan-
gage. Je citais à ce sujet à mes élèves le célèbre
grammairien Chaloubîn^ et d'autres qui en avaient
toujours fait; mais ils insistaient en ftie disant : «Il
faut absolument que tu apprennes la grammaire.
— Mais, répondis-je, une mauvaise prononciation
ne nuit en rien à l'homme pieux. — Cela ne fait
rien, il le faut. » Alors je me mis à réfléchir sérieu-
sement à ce qu'ils venaient de me dire. Je m'en-
dormis et tout à coup, ma chambre se trouva illu*
minée. Je crus d'abord que c'était des lumières
placées en dehors; mais il n'en était rien. Je compris
alors que c'était une inspiration de Dieu poiu* me
pousser à l'étude de la grammaire. Le lendemain,
quand je fus allé à mon cours et me fus assis dans
ma chaire, un taleb appelé Si Abd el-Qader ben
Slimân me dit : « J'ai rêvé, cette nuit, que tu ensei-
^ Abou Ali Omar, natif de Salobrena. Voici comment Bou-Ras
s'exprime sur le compte des Maures espagnols dans un passage de
son second commentaire qui a toutes les apparences d'une citation :
Bien que les Espagnols fussent très forts en grammaire, et qu'ils
aient fait progresser celte science, on rencontre, même dans le
langage des hommes distingués, et à plus forte raison dans celui
du vulgaire, des choses qui s'écartent des rè^es de la langue arabe.
C'est au point que si un Arabe avait entenda parier Chaloubin, il
aurait éclata de rire en entendant ses fautes. Si un homme dis-
tingué parle exactement suivant les règles de la grammaire, on le
traite de pédant , bien qu'on méprise les gens qui ne connaissent
pas ces règles.
:ri2 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
gnais aux îolbas le chapitre du Sujet. — S*il plaît à
Dieu, rêpondis-je. je le ferai*.» Je me mis donc
avec ardeur à 1 étude; quelques-uns de mes élèves
m'aidèrent , et Dieu massista tellement que j'arrivai
à composer deux gloses sur le commentaire de JUa-
koudi.
Quand on eut commencé à rendre justice à mon
mérite, les cheikhs me demandèrent pour enseigner
soit dans leurs écoles, soit à leurs enfants. Je choisis
d'abord Abd el-Qader ben Mecherfi. Malgré ma jeu-
nesse, ce cheikh me tenait en haute estime et me
donnait du blé, de forge, de largent, de la graisse
et des moutons. Malheureusement, la mort le sur-
prit le lo du mois de ramadan 1192 (1778). B
mavait recommandé à ses enfants ; mais au bout de
deux ans ceux-ci manquèrent à ses recommandations.
Que Dieu leur en tienne compte I
Après sa mort, je me rendis auprès du cheikh Si
Mohammed ben -\bi Aïni , chez qui j'enseignai pen-
dant ime année; puis chez notre élève Si Abd el-
Qader ben Otmàn. Enfin je me mis à enseigner à
Mascara'-.
A la Gn du siècle (1780 ou 17 86), je joignis YAl^
tya à uion enseignement.
* Jea de mots sur Jl£ o qui est pris la première fois dans le sens
de sujet du verbe, et la seconde dans celai de t faisant».
- On peut entendre par là que Bou-Ras enseignait anparairuit
dans les Zaouîas du pays de Mascara, mais non dans la ville méoie:
ou bien que jusqu'alors il n*avait enseigné qœ comme profiesMor
adjoint chei différents cheikhs, et qu'à partir de ce moment ii se
mit à enseigner pour v>n compte.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 343
Mon premier voyage fat pour me rendre à Alger' .
Que Dieu la préserve du fléau des vicissitudes ! J'y
rencontrai le mufti Si Mohammed ben Djadoun, qui
me dit : «Quel fut ton professeur? — Mecherfi, ré-
pondis-je. — - 11 est venu autrefois chez nous, pour-
suivit-il, ainsi que son professeur le cheikh Moham-
med el-Menouar. — Hé bien , demandai-je , comment
as-tu trouvé ce dernier quand tu Tas interrogé? —
Je nai trouvé personne qui lui fût comparable pour
Texactitude et pour la connaissance de la Koubra'^.
Je rencontrai également le cadi d'Alger à cette
époque, le cheikh Mohammed ben Malik. Il m'offrit
rhospitalité et réunit plusieurs savants. Nous nous
fîmes maintes questions jusqu'à ce que l'aurore fut
près de paraître. Alors entra le cadi de Guerouma,
Sidi el-tladi; il vint à blâmer l'usage des vêtements
de soie parmi les gens du commun. Je répondis à
ce sujet : « Le cheikh Ibrahim ben Abdallah el Mizi
de Grenade était tolérant pour les vêtements de soie.
— Par qui a-t-il été cité, me demanda-t-il? — Par
le cheikh Ahmed Baba dans sa Kifaîet el-Mouhadj . »
Le matin qui suivit cette même nuit, j'étais assis
dans la boutique d'un taleb, qtiand vint un savant
très connu, nommé Sidi Abd er-Rahmân el-Bedoui
el-Gueroumi. Les personnes présentes me dirent :
' La date de ce voyage n'est pas indiquée; il se peut qu'il ait été
la première étape du pèlerinage dont il va être parlé. Les deux
anecdotes qui s'y rapportent sont assez insignifiantes; cependant
elles ont un caractère plus personnel au narrateur que toutes celles
que j'ai supprimées.
- Grand commentaire de Snoussi sur son Aqiddé
344 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
« Celui-ci est un de nos grammairiens ». Je lui adres-
sai quelques questions, mais il ne répondit absolu-
ment rien. Je racontai alors Tanecdote suivante :
Les frappeurs de monnaie se plaignirent un jour au
gouverneur Ismaïl ben Abbad, vizir de Moizz ed-Doula
ben Boueih le Deïlamite^ Ils lui avaient écrit au
sujet d'une affaire pour laquelle ils le priaient de
demander au sultan un allégement en leur faveur.
A la fin de la lettre, l'écrivain avait mis : «Le salut
sur notre seigneur le vizir, de la part de la réunion
de tous les frappeurs. » Le vizir se borna à écrire
au-dessous ces paroles : « Sur un fer froid » 2. Puis il
rendit la lettre à celui qui la lui avait remise. Les
tolbas se mirent à rire , ainsi que le Gueroumi qui
comprit le sens de mon apologue et n'ajouta pas
un mot.
J'y rencontrai également le mufti et Khatib Si el-
Hadj Ali ben el-Amîn ; Si Ahmed ben Amar, auteur
d'une rihala ; le mufti Si Mohammed ben el Haffaf.
Enfin, en 1 ao4 (1790), je fis mon premier pèle-
rinage. A cet effet, je m'embarquai pour l'Egypte.
Les savants de l'Orient me traitèrent avec beaucoup
de déférence.
Dans ce voyage je m'arrêtai d'abord à Tunis. C'est
là que des tolbas vinrent me trouver un vendredi,
alors que j'étais occupé de mon départ qui devait
^ Moizz ed-Doula le Bouhide détrôna le khalife abbasside £l-BIot-
tacfi en 334 (9^6).
' On sait que frapper sur un fer froid est synonyme de se donner
une peine inutile.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 345
avoir lieu le jour même. « Hé quoi ! me dirent-iis, tu
ne viens pas à rassemblée du vendredi. » Je répon-
dis : « Le voyageur n y est pas obligé; il ne doit s y
rendre que quand ses affaires ne l'en empêchent
pas. » Ils se mirent à crier, à s'écarter de moi et à
me blâmer fortement; ils ajoutèrent, dans Tinten-
tion de me blesser : « Qui a dit cela.»^ — Avez-vous,
demandai-je, le petit commentaire du cheikh Kha-
rachi? — Nous l'avons tous, répondirent-ils.» Ces
gens-là, pensai -je, portent leur science comme un
âne porte son fardeau ; puis j'ajoutai : « Vous y
trouverez des paroles qui vous expliqueront ce qu'il
me serait trop long de vous dire. — Et en quel en-
droit? — A propos de ces paroles du Moçannif dans
le chapitre du vendredi : « L'esclave, ou celui qui est
« soumis aux ordres de quelqu'un , lorsqu'ils reçoivent
« des ordres de leur seigneur, etc. » Ils se hâtèrent de
regarder leurs livres et y trouvèrent ce que j'avais
dit. Ils m'apportèrent alors dix chéchias et me de-
mandèrent de prier pour eux.
Je me rendis ensuite au Caire où je reçus les
leçons du cheikh Abou'l Feid Mortada. Un jour,
j'étais assis dans la grande mosquée. On causait et
discutait; les assistants me dirent : «Quand on s'ap-
pelle le hajid^, on doit se distinguer par quelque
^ L'auteur nous fait connaître en diiTérents endroits qu'il a fait
deux pèlerinages ; ii en donne exactement les dates , ainsi que celles
de son voyage à Fès. Mais, dans le chapitre des Voyages, il ne paraît
pas s'être soucié Jes dates ; il mentionne seulement une fois celle du
deuxième pèlerinage à propos des cheikhs ouahabites. Toutes les
anecdotes, y compris la rencontre avec Mortada, sont racontées
346 SEPTEMBRE-OCTOBHE 1899.
chose. » Je citai alors successivement beaucoup de
choses que je savais par cœur; mais ils me répon-
daient toujours en disant qu'ils avaient rencontré des
gens qui en savaient autant et phis que moi. A la
fin, étant venu à dire que je savais combien il y a
de vers dans chaque chapitre de ÏAlfyUy on s'exclama
et on voulut me mettre à l'épreuve. Quelqu'un prit
un exemplaire de cet ouvrage, l'ouvrit vers la fin et
tomba sur le chapitre des diminutifs : « Combien y
a-t-il de vers, demanda-t-il .^ — Vingt-deux, répon-
dis-je. » On compta et on en trouva vingt-trois ; on
se mit à rire et à se moquer de moi. « Donnez-moi
le livre » , repris-je. Je l'examinai attentivement, et je
vis qu'un des vers appartenait au pluriel rompu. En
regardant de très près, je vis au commencement et à
la fin les lettres ^ et b qui, suivant l'usage des tolbas,
indiquent une erreur de copie. Mes contradicteurs
examinèrent; mais ils ne se rendirent à l'évidence
qu'après avoir vu ce même vers dans le chapitre du
])luriel rompu, et même après s'être fait apporter
plusieurs exemplaires corrects de YAlfya,
apirs iv. voNage à Fès; elles scimbler lient donc être postérieures à co
voyage, et par conséquent au premier pèlerinage; mais cela est im-
j)()ssible, puisque Morlada mourut à la fin de ce premier pèlerinage.
H \ a donc incertitude sur la date de plusieurs anecdotes. Celle-ci
paraîtrait tout d'abord devoir être rapportée au second pèlerinage,
parce que Bou-Ras y est qualifié de hafid, surnom qui lui fut donné
à Fès en 1801, comme on le verra plus loin. Je crois cependant
qu il faut la rapporter au premier, parce que la qualité de hajid lui
est déjà donnée dans le diplôme qui lui fut délivré par Mortada
en 1791, et parce que plus lard il était devenu un homme plus im-
portant dont on discutait moins âprement les opinions.
NOTICE SLR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 347
J'ai dit que je reçus les leçons du grand cheikh
Mortada; voici une preuve de sa dignité et du haut
rang quil occupait : les émirs d'Egypte venaient en
grand nombre vers lui; par dignité, il ne se levait
pas pour eux. Voilà une chose extraordinaire; mais,
ce qui l'est encore plus , c'est que le sultan Osmanli
Selim l'ayant invité à se rendre auprès de lui, il prit
pour prétexte qu'il était malade, âgé et ne pouvait
pas voyager. Il lui écrivit à ce sujet une lettre telle
que personne, en y mettant un mois, n'aurait pu
arriver à faire la pareille. Le pacha du Caire, malgré
toute la majesté de son autorité, venait à pied le féli-
citer aux deux grandes fêtes de l'année.
Au bout de quelque temps, il me donna un di-
plôme dont voici un extrait : « Je donne diplôme au
jurisconsulte savant dans diverses branches, au hafid
un tel. » Et un peu plus loin : « 11 m'a donné des con-
seils sur des questions importantes. » Admirez cette
équité et les belles épithètes dont il s'est servi. Com-
ment un homme comme moi pouvait-il lui donner
des avis? J'en jure par le maître de l'Orient et de
l'Occident, j'étais devant ce professeur comme le
passereau devant le griffon de la fable.
x\vec le diplôme, il me remit une lettre de recom-
mandation pour le bey de Suez\ Je m'embarquai
^ Dans son autobiographie, Bou-Ras ne parle pas de ia prise
d'Oran ; il n'était pas possible de passer sous silence ce fait impor-
tant. Tout le passage suivant, jusqu'à la chute d'Oran incluse, a
été emprunté, en le résumant beaucoup, aux Voyages extraordi-
nairps , traduction Arnaud, p. 199 à iqS, 20/i et 219. L*anecdote
\IV. « 23
tMVBIIIKBIK lATIOBALCi
5ii» SEPTEMBRE'OCTOBRË 1899.
pour Djedda et j*arrivai à la montagne d*Ara&i, un
vendredi de Tannée i ao5 (i 79 1 ). Au mois de doul
cada , j*entrai à la Mekke. A peine le temple se dé-
couvrit-il à moi , que mes yeux en virent les portes
ouvertes; j augurai bien de cette circonstance. Je
restai à la Mekke pour remplir les devoirs du pèle*
rinage , et étudier auprès des savants cheikhs de cette
ville. Au Caire, je retrouvai mon professeur Mortada
qui me donna encore quelques leçons. Voici une
preuve de sa clairvoyance : après que j'eus lu devant
lui une partie seulement de Bokhari, de Moslim et
de quelques autres ouvrages, il me dispensa du reste*
Je lui dis alors : « Je vais rester auprès de toi. — Non ,
me répondit-il, retourne auprès de ta famille. » Je ne
savais pas pourquoi; je m embarquai sur la mer, et
j*appris qu il était mort avant que je fusse débarqué.
Je compris alors la cause de son refus. Ceci se pas-
sait en i2o5 (1791)^
Quand nous fûmes en vue de Hle d^Amdoudjât^
nous croisâmes un navire qui venait de Sfax, et qui
nous apprit le siège d'Oran par le bey Mohammed
ben Otmân. Nous étions dans le mois de chabân
iao5 (1791]' «Combien est grand mon bonheur!
m'écriaî-je; pèlerinage un vendredi, guerre sainte
ensuite^! » A Sousse, à Monastir, à Sfax on s entre-
relative à la clairvoyance de Mortada est seule empruntée à Tauto-
biographio.
* Dans les Voyages extraordinaires , il est dit : « Il mourut environ
rinq mois après notre séparation».
^ rn)bahlemont Lampedusa.
' \ <M'H extraits de la cacida des Voydnvs rxlraordinaires»
NOTICE SDR MOHAMMED ABOU HAS EN NASHl. Wà
tenait de cet événement; à Djerba il était connu, car
une personne de cette localité m'en avait parlé un
jour avant notre atterrissage.
De retour à Tunis ^ et remis des fatigues de la
mer, je rencontrai les savants que j'avais vus à mon
premier passage. Les nouvelles de la guerre sainte
entreprise contre Oran causaient une grande émotion
dans toute T Afrique. A mon arrivée dans la province
de Constanline, les campagnes et la ville étaient
pleins de bruits belliqueux.
Au mois de choual i 2o5 (1791), j'entrai à Mas-
cara; mais je ne m'y attardai pas. Le bruit du canon
emplissait mes oreilles et me poussait à la guen^e
sainte. Je ne repris mon calme qu'au milieu de
notre armée victorieuse, auprès du bey qui, campé
en personne sousiebordj El Aïoun-el-Djedid^ faisait
un feu terrible contre les chrétiens. Enfin Dieu nous
facilita la victoire. Notre entrée à Oran eut lieu le
lundi matin 5 de redjeb 1206 (mars 1792).
Revenu à Mascara, je fus nommé mufti, puis
cadi et prédicateur; mais je fus dépouillé de ces
fonctions en 1211 (1796). Je me mis alors à com-
poser deux commentaires sur Hariri.
* Bou-Ras fut honorablement reçu par Hamouda-Pacha; mais
comme ce bey régnait à l'époque des deux pèlerinages du cheikh ,
je ne sais auquel rapporter cette réception qui n'offre , du reste , rien
de particulier. Je l'ai rattachée au second pèlerinage où Bou-Ras
jouissait de plus de notoriété.
<*^ Le bordj El-Aïoun , situé au sud du fort Saint-Philippe, pro-
tégeait la prise d'eau de la ville dans le Ras-el-Aïn; il s*est appdé
aussi «San Fernando». On le confond quelquefois avec le fort Snint-
Philippe auquel il était contigu.
23.
350 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
En 1216 (1800), j^étais à Alger, où j eus Tocca-
sion de faire une remarquable dissertation sur
Tusage du tabac et du café, dans le medjles qui se
tient le jeudi dans la grande mosquée. Dans cette
même ville , un haut fonctionnaire , ayant un fils qui
venait de terminer la sourate de la Vache, donna le
festin habituel en pareil cas ^ Il m'envoya inviter par
le précepteur de fenfant. Il y avait là des savants et
des personnages de manpie de la ville. Quand je
fus assis et que les mets commencèrent à circuler,
comme quelques-uns d'entre eux étaient liquides, le
pédagogue me dit : « Je ne te donnerai cette cuiller
que quand tu m'am^as appris les règles au sujet de
rhabitude de s'en servir pour manger ». Or j'avais
vu en marge d'un livre, à Mazouna, que cet usage
était une innovation heureuse attribuée souvent à
Ibn Yammoiim, C'est ce que je répondis à mon inter-
locuteur, qui me tendit aussitôt la cuiller. A partir
de ce moment, je me mis à chercher avec ardeur
un texte authentique au sujet de l'usage de cet ins-
trument pendant autant de temps que Qaraji^ en
mit à chercher la différence entre le témoignage des
yeux et celui de la parole. Au bout de huit ans, il
trouva dans le Doiirhan el Mofassal la solution donnée
par Mazari, De même moi , le seniteur de Dieu,
^^' Celle anecdote esl racontée deux fois dans Tautobiographie.
^') Abou 1 Abbès Abmed ben Edris ben Abderrahman le Cinha-
djile, savant du Caire surnommé le Qarafi parce qu'en venant faire
sou cours, il arrivait toujours du coté du cimetière de Qarafa,
mort en 1 î>.8ô.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 351
après le même laps de temps , je trouvai une solu-
tion dans le Madkhel et la voici : « 11 convient de ne
pas manger avec ces instruments|((3x^ avec le J
avant le t) ^ ni avec aucun autre, et cela pour trois
motifs : le premier est qu'on s'écarte de la manière
de faire des anciens; le second, c'est qu'en introdui-
sant la cuiller dans sa bouche et la renvoyant en-
suite au plat , on peut y laisser quelque parcelle de
nourriture, ce qui dégoûte ie mangeur lui-même et
ceux qui le voient; si cela lui arrive par mégarde,
il doit laver la cuiller; le même inconvénient se pro-
duit pour celui qui introduit ses doigts dans sa
bouche. Le troisième , c'est qu'il y a là une espèce
de raffinement de gourmandise. On peut cependant
admettre cet instrument s'il y a quelque excuse
pour ceia; car on sait qu'il y a des règles spéciales
pour les gens qui ont des excuses à faire valoir. ■
(1)
L*auteur insiste avec raison sur Torthographe de ce mot
^ , plus correct que ^Jl»^ qui est employé vulgairement , sur-
tout dans le Magh'reb.
[La fin au prochain cahier.)
:ir)5> SKPTEMBRE-OCÏOBHK 1899.
=■ .—c
NOUVELLES ET MÉLAfJGES
LE MANUSCRIT SUR OLLES
DU PREMIER PRÉSIDENT LAMOIGNON , PAR M. L. FRER.
Le Premier président au Parieiuent de Paris, Guillaume
de Lamoignon , possédait un manuscrit sur oUes ou feuilles
de palmier, dont il désirait naturellement connaître la pro-
venance et le contenu. Dn médecin juif, nommé Daquin,
lui avait dit que ce manuscrit était en écriture et en langue
samaritaine, et avait même poussé l'obligeance ou la four-
berie jusqu'à lui en faire une traduction latine.
Tout ce que Lamoignon avait pu constater par lui-même ,
c'est que « les caractères gravés sur les monnaies qu*il pos*
sédait des Indes , de la Cocbincbine , du Japon et de quel-
ques nations voisines, n'avaient rien de commun avec les
caractères» de son manuscrit; et comme, selon sa propre
remarque , « les Indiens se servent des lettres persiques sur
leurs monnaies aussi bien que dans tout ce qu'ils font de
plus authentique », et qu'il ne reconnaissait pas ces lettres
dans celles dudit manuscrit, il n'avait aucune raison de
croire qu'il vînt de l'Inde, de sorte qu'il commença par
ajouter foi au dire de Daquin , lequel , comme on le verra
plus loin , n'était pas dépourvu de valeur scientifique.
Toutefois , ayant conçu des doutes sur la bonne foi , sinon
sur la science, de son informateur, il jugea prudent de con-
trôler les assertions de Daquin en consultant des savants
versés dans la langue samaritaine, notamment Samuel Bo-
chart, qui exerçait à Caen le ministère évangélique et s'était
rendu célèbre par d'importants travaux sur les langues et les
questions bibliques. De la correspondance qui s'établit, à
NOUVKLLES ET MELANGES. 353
celle occasion , entre l'illustre magistrat et Tëminent orien-
taliste, il subsiste trois lettres, deux de Bochart, datées de
Caen, 4 septembre i664 et lo janvier i665, et une de
Lamoignon, datée de Paris, 17 novembre i664. Billes se
trouvent dans la portion des papiers de Samuel Bochart
conservée à la Bibliothèque nationale, sous les n*** ad88
(fol 101-110) et 2^89 (fol. 1 32-1 35) des nouvelles acqui-
sitions du Fonds français. Les pièces qui se trouvent dans le
II" 2489 ne sont que la reproduction , avec quelques modi-
fications et additions, des deux lettres de Bochart. Ces docu-
ments sur lesquels mon attention a été appelée par mon
collègue, M. Omont, permettent de reconstituer un petit
épisode assez curieux, semble-t-il, de l'histoire de l'orien-
talisme.
I
Sur la description qu'il en avait lue dans les lettres de La-
moignon et de l'archéologue-numismate Boulerie , qui fut
mêlé à cette affaire , Bochart avait averti le Premier président
que son manuscrit devait être indien , et par conséquent , ne
pouvait être et n'était pas samaritain. Il fut encore plus affir-
matif quand il eut vu l'objet que Lamoignon lui fit passer
par l'intermédiaire d'un évêque ( l'évèque de Bayeux , appa-
remment). Bochart, en effet, n'y reconnut pas les carac-
tères samaritains; mais il y reconnut sans peine un manuscrit
répondant tout à fait à la description des manuscrits indiens
donnée par les voyageurs et les historiens. La description
qu'il en fait lui-même, dans sa lettre du 4 septembre i664*
est bien celle d'un manuscrit indien.
a En cette pièce, dit-il, il y a huict feuilles d*escorces
longues de plus d'un pied et demi et larges de deux ou trois
pouces, percées en deux endroits vers les bouts, avec une
neufiesme plus estroite et plus courte, et plus espaisse que
les huict autres. Et cette neufiesme est escrite des deux
costés avec un poinçon qui grave les lettres sans y donner
354 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
nulle couleur , au lieu que les huict ne sont escrites que d*un
costé et d*un encre Fort noir, avec certaines fanfreluches
peintes aux première et dernière feuilles au commencement
des lignes et à la fm. Et Tescriture de ces huict n*a rien de
semblable à celle do la neufiesme. Pour joindre ces feuilles
ensemble et en faire un liure, après les avoir égalées et ar-
rangées et bien ajustées, on les a percées aux deux bouts et
couvertes de deux tablettes de bois bien polies , de mesme
longueur et largeur et percées en mesme lieu que les feuilles.
Et par les deux trous se passent des fiscelles ou cordelettes
qui , après avoir fait plusieurs tours autour du livre , se lient
pour le fermer et se laschent pour le rouvrir. »
Cette description faite, Bochart invoque Tautorité de dif-
férents auteurs qui ont parlé , dans leurs écrits , des livres in-
diens, — Louis Leroy (Regius), Mandelslo, Osorio, — et
discute plusieurs difficultés que soulèvent, soit leurs témoi-
gnages , soit la forme du manuscrit soumis à son examen.
Et, d*abord, de quelle matière sont les feuilles qui le com-
posent? D'après Mandelslo, ce devrait être des « escorces de
cocos», d*après Osorio des «feuilles» de cet arbre; d*aprës
Louis Leroy des « feuilles de palme ». Et Bochart conclut :
« Par ces feuilles de palme, ils entendent que les feuilles de
leurs livres se font d*escorce de palme, ou les Indiens se
servent et de Tescorce et des feuilles , au lieu de papier,
comme on fait aussi de la mouelle de ce mesme arbre qu'on
appelle o//a». L*obser\'ation relative à la moelle désignée
sous le nom d!olla, qui, pour nous, désigne simplement les
feuilles coupées et préparées pour Técriture, est empruntée
à Mandelslo. Pour ce qui est de Técorce et de la feuille, Bo*
chart hésite entre Tune et Tautre.il ne sait Irop si les manu-
scrits sont formés de la feuille ou de Técorcc et pense que ce
peut être soit de Tune , soit de Tautre. On était généralement
disposé à y voir des écorces; et Lamoignon ne donne pas
d*autre nom aux feuilles de son manuscrit.
Une seconde difficulté qui embarrasse Bochart, et à très
juste titre, c*est la présence de ces huit feuilles écritci à
NOUVELLES ET MÉLANGES. 355
l'encre contre une gravée au stylet; et il écrit sur ce point à
Lamoignon ;
« Les Indiens escrivent sans enr.re avec un poinçon qui
grave les lettres soit sur les feuilles ou sur Tescorce du cocos.
Car c'est ainsi qu'est escrile l'une des feuilles de vostre livret.
Si les autres sont escrites d*encre , il ne faut pas s'étonner
puisqu'on s'en sert à la Chine, au Japon et aux Indes mes-
mes. D'où j'ay veu en Hollande des volumes ou rouleaux es-
crits d'encre noir. Mais c'est ce que les voyageurs ne remar-
quent pas, parce que cette façon d'escrire ne leur est pas
particulière comme celle d'escrire sans encre. »
Certainement, il ne faut pas s'étonner, comme le dit
Bochart, si certaines feuilles de manuscrits indiens sont
écrites à l'encre. Mais ce qui est étonnant, ce dont Bochart
lui-même s'étonne, quoiqu'il ne le dise pas, ce dont je m'é-
tonne , moi qui ai eu sous les yeux beaucoup plus de manu-
scrits sur feuilles de palmier que Bochart n'en a pu voir,
c'est que, dans un manuscrit venant de l'Inde, il y ait huit
feuilles écrites à l'encre contre une seule gravée au stylet.
J'aurais attendu le contraire. Je m'explique huit feuilles
écrites au stylet complétées par une feuille écrite à l'encre.
Je ne m'explique pas la proportion inverse.
11 est certain que la règle est de graver les lettres au
poinçon sur les feuilles de palmier , mais il n'est pas douteux
qu'on fait aussi usage de l'encre. Tous les manuscrits sanscrits
sur olles de la Bibliothèque nationale (il y en a près d'une
centaine , tous , à deux ou trois exceptions près , en caractères
bengalis) sont écrits à l'encre ; les sept livres du « Boromat » ,
de l'écriture desquels Burnouf a donné un spécimen dans
Y Essai sur le Pâli sont écrits à l'encre. Parmi les 54 manu-
scrits javanais sur olles faisant partie du Fonds malais-java-
nais, un seul est écrit à l'encre. Dans la collection de
Manuscrits pâlis acquis des Missions étrangères par la Biblio-
thèque nationale en 1869, i^ y ^ i^i^ certain nombre de
feuilles écrites à l'encre; mais ce sont des fragmients in-
cohérents , des feuilles de rebut , sur lesquels on ne trouve
:i5() SKPTKMIUIK-OCTOBRK 1899.
que des caractères siamois vulgaires ou cambodgiens cursils.
Il est à noter que , conformément à la remarque de Bochart ,
ces olles écrites à Tencre sont, en général, plus minces que
celles qui sont gravées au poinçon. On serait tenté de croire
de quelques-unes d'entre elles au moins qu'elles ne pro-
viennent pas du même arbre.
Si nombreux qu'ils soient encore, les manuscrits sur
feuilles de palmier écrits à l'encre ne sont qu'une très faible
minorité, et le cas du manuscrit Lamoignon est tout
k fait exceptionnel pour ne pas dire anormal.
Bochart n'insiste pas sur la particularité, notée par lui,
que les huit feuilles écrites à l'encre n'ont d'écriture que
d'un seul côté. Elle m'étonne beaucoup et j'ai peine à me
l'expliquer. Sans les « fanfreluches » des première et der-
nière feuilles, lesquelles semblent indiquer un commen-
cement et une fin , je considérerais volontiers les six autres
olles comme étant chacune la dernière ou la première d'un
manuscrit; et même, malgré les fanfreluches, je ne suis
pas sûr qu'il n'en soit pas ainsi.
Il
A ce manuscrit, visiblomeni indien, était jointe, dit
Bochart , « pour étiquette une lisière de parchemin disant
qu'en ces tables d'escorcc sont escrits en langue samaritaine les
secrets et enseignements de Nador de Samarie selon Vintei^préta-
lion du sieur d^Aquin, grand médecin juif. Après avoir pris
connaissance de cette interprétation, que Lamoignon lui
communiqua, il n'a pas de peine à démontrer l'imposture.
Ce Nador, «parfaitement inconnu», comme dit Bochart,
déclare aux Samaritains qu'il a été chargé par Moïse en per-
sonne de leur transmettre ses enseignements, c'est-à-dire
de leur enseigner par anticipation le Christianisme. H paiie
beaucoup d'un certain Sadalazar, « aussi inconnu que Nador
lui-même » , qui a péri avec tous ceux de son parti , donnant
à entendre aux Samaritains que le même sort les attend s'ils
NOUVELLES ET MELANGES. 357
n'acceptent pas la prédication que Nador leur adresse de la
part de Moïse.
Inutile de reproduire les raisons que Bochart apporte
pour rendre la fraude manifeste, mais il importe de dire
qu'il faisait un certain cas de l'auteur de cette prétendue
version, a C'est, écrit-il, un savant homme, comme je le
voy par le dictionnaire ébreu qu'il a fait imprimer chez Vi-
tray l'an 1629, et dédié à Monsieur le Cardinal de Riche-
lieu; duquel dictionnaire je me suis quelquefois servi bien
utilement en mon dernier livre. » Aussi, bien qu'il voie par-
faitement la fraude dont ce savant s'est rendu coupable , et
(ju'il la mette à découvert, Bochaii; tient, par excès de scru-
pule , peut-être aussi un peu par curiosité , à la constater
d'ime manière irréfragable. Il avait bien eu la version et le
manuscrit entre les mains, mais non simultanément. Le
manuscrit avait été déjà retourné à son possesseur quand la
\ ersion lui fut remise ; il n'avait donc pu faire du texte et de
la prétendue traduction une confrontation attentive, dont il
attendait un résidtat certain , par l'examen des noms propres
cités dans la version qu'il aurait tâché de retrouver dans le
manuscrit et par la reconstitution du texte samaritain que
la version supposait. C'est poussé par le désir de faire cette
épreuve qu'il écrivait*, le 10 janvier i665 : «J'attendray
pourtant , Monseigneur, à décider plus absolument tant que
j'aye colla tionné l'original avec la version, si vous me faites
la grâce de me renvoyer l'un et l'autre ». Lamoignon lui
lit-il cette « grâce » ? Nous l'ignorons; mais, s'il se prêta à ce
désir, ce ne put être que par obligeance pour Bochart; car
il n'est pas douteux qu'il savait depuis longtemps déjà à quoi
s'en tenir sur la valeiu' des renseignements fournis par
Daquin.
111
Et maintenant, que faut-il penser du manuscrit Lamoi-
gnon ? Qu'était-il ? Que valait-il ?
Nous ne savons ce qu'il est devenu. S'il evisto encore, il
358 SEPTKMBRE-OCTOBRE 1899.
doit être en Angleterre où l'on dit que la bibliothèque de la
famille Lamoignon a été transportée. Nous ne pouvons donc
en parler de visu, et sommes réduits aux maigres données
que nous fournit la correspondance de Bochart et de La-
moignon.
Tout d abord, cette association de feuilles si différentes,
l'une plus épaisse et de dimensions plus petites, écrite au
stylet sur les deux côtés , les autres plus grandes , plus minces ,
écrites à l'encre , sur im seul côté , avec des caractères dif-
férents , indique un objet hétérogène formé de pièces rap-
portées. L'espèce de cohésion extérieure que semblent avoir
les huit feuilles écrites à l'encre , d'un seul côté , parait sus-
pecte, d'après les réflexions présentées ci-dessus, d'autant
plus que c'est sur cette partie du manuscrit, la plus considé-
rable , que nous avons le moins de renseignements. En effet ,
Lamoignon termine comme il suit, sa lettre du 17 no-
vembre 1 664 adressée à Bochart :
« J'ay faict voir aujourdhuy ces escorces à un Père jésuite
qui a été rxG ans aux Indes et à la Chine. Il dit que les lettres
gravées sans couleur sur la neuviesme escorce qui est plus
petite que les aultres sont des lettres Malabarroises ; et qu'ils
escrivent en ce pais là de ceste manière ; mais il ne sçait pas
lire l'escriture. Pour les aultres huict tables escrites avec de
l'encre et sans graueure, il n'en cognoit point du tout les
caractères. Je doute fort que personne nous en puisse donner
l'esclaircissement. »
Que faut-il entendre par ces mots : lettres malabarroises ?
D'après notre nomenclature géographique actuelle , ce de-
vrait être l'alphabet Malayalam. Mais les missionnaires et les
voyageurs du xviii' siècle donnent constamment le nom de
Malabar à des pays et à des gens de langue tamoule , et le
n" 1 89 du fonds tamoul de la Bibliothèque nationale est un
volume écrit sur papier par un missionnaire à Pondichéry,
en 1728, sous ce titre : Grammaire pour apprendre la langue
tamoul, ditte vulgairement le Malabar, Nous pouvons donc
avîuicer, avec une certaine assurance, que la «neuviesme
NOUVELLES ET MELANGES. 359
escorce » du manuscrit Lamoignon avait appartenu à un ma-
nuscrit tamoui. Pour les huit autres feuilles, le- jésuite do
Lamoignon ne pouvant donner aucune indication, il nous
est impossible de faire une conjecture quelconque , et nous
nous bornons à constater , non sans étonnement , la pauvreté
des renseignements fournis par un homme qui, ayant vrai-
semblablement séjourné plusieurs années dans l'Inde , comme
on est en droit de l'induire du langage de Lamoignon , était
tout au plus capable de reconnaître l'alphabet tamoul , en
lui donnant une qualification qui prête au doute et qui est ,
en réalité , inexacte. On s'est mis , au xviii" siècle , à l'étude
du tamoul; mais au xvii', les langues de l'Inde étaient lettres
closes pour les Européens , et Lamoignon avait bien lieu de
désespérer qu'on pût lui donner des éclaircissements sur
son manuscrit, puisque Bochart se récusait naturellement
pour l'interprétation d'une langue sur laquelle il n'avait aucune
donnée, et que des gens qui avaient visité l'Inde n'étaient
pas plus avancés dans la linguistique indienne que les savants
d'Europe.
Tout considéré , il nous semble que le manuscrit Lamoi
gnon était sans valeur, ou du moins qu'un manuscrit sem-
blable le serait aujourd'hui. Mais, à cette époque-là, et sur-
tout en France , c'était un objet rare et partant précieux.
11 l'était d'autant plus qu'il s'y attachait une sorte de mystère ,
puisqu'il pouvait donner lieu à des supercheries dont on ne
s'aviserait plus de nos jours. Et c'est peut-être cela qui ferait
tout le mérite de ce manuscrit, si nous le possédions encore;
car la perte en est après tout regrettable , aussi bien que celle
de la version de Daquin. Cette version , Lamoignon tenait à
la conserver. En la transmettant à Bocharl , il lui écrit :
«Je vous envoie la version de ce prétendu interprète
d'Aquin , quoique je ne doute pas que ce ne soit une pure
supposition de ce personnage, puisqu'il fait une si insigne
menterie dès le commencement du tiltre , en faisant passer
ce qui est escrit sur ces escorces pour du samaritain ; quoique
vous et quelques aultres qui ont cognoissance de cette langue
360 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
m'aiez esclairci du contraire. Comme c*est l'original signé de
ce d'Aquin-, je vous prie de me le renvoier quand vous l'au-
rez veu. »
Nous partageons le sentiment de Lamoignon et nous sou-
haiterions d avoir cette version. Elle ne ferait pas mauvaise
figure à côté de celle que Fourmont a donnée du feuillet
tibétain provenant du pillage d'Ablaï-kit envoyé par Pierre
le Grand à TAcadémie des inscriptions. U y a cependant entre
ces deux élucubrations une différence notable. Fourmont,
aidé d un méchant glossaire , avait fait une traduction inin-
telligible d'un texte dont il ne connaissait pas la langue ; mais
il n y avait pas mis de malice ; sa bonne foi égalait son igno-
rance et sa témérité. D'Aquin , Jui , s'est positivement joué
du président Lamoignon. Qu'il ait donné sa prétendue tra-
duction pour « ne pas demeurer sans response » , comme le
pense Bochart, ou qu'il se soit plu à mystifier le premier
magistrat de France ; qu'il ait fabriqué sa version de toutes
pièces, ou, comme le suppose encore Bochart, qu'il en ait
puisé les éléments dans quelque ouvrage composé par un
juif devenu chrétien , il est clair qu'il a voulu tromper le
Premier président. Il y réussit un instant , mais son succès
fut de courte durée ; Lamoignon sut se renseigner en bon
lieu. L'affaire ne parait pas avoir fait du bruit à l'époque ; elle
ne put donner lieu à aucune discussion ni polémique , car
Daquin était déjà mort quand la fraude fut démasquée. Y31e
resta donc un secret entre les deux illustres correspondants
et les quelques personnes qui leur servirent d'intermédiaires.
Aussi serait-elle tombée entièrement dans l'oubli , si la trace
n'en subsistait dans la portion des papiers de Samuel Bochart
conservée à la Bibliothèque nationale. H valait peut-être ia
peine de l'en tirer pour lui donner une modeste publicité
posthume.
NOUVKLLES ET MELANGES. 3ftl
BIBLIOGRAPHIE.
Grammaire élémentaire de la langue persane ,
par CL Huart. Paris, Leroux, 1899, iii-12; m et i5o pages.
Dans une courte préface , Fauteur expose avec netteté le
but qu'il s'est proposé en ajoutant une nouvelle contribution
aux nombreux ouvrages didat^tîques dont le persan a été
l'objet. Laissant de côté toute recherche scientifique , tout rap-
prochement linguistique , — et ce sacrifice a dû coûter à son
érudition , — M. Huart se borne à exposer dans leurs traits
essentiels les règles de la langue officielle; et il aurait eu le
droit d'ajouter de la langue vulgaire, celle de l'Iran. mo-
derne.
Ce plan est fidèlement suivi. Toutes les parties du discours
sont traitées ici avec ordre , précision et clarté , rien d'essen-
tiel n'est omis , aucune irrégularité ou exception n'est laissée
dans l'ombre. A vrai dire , la langue persane se prête peut-
être mieux que tout autre idiome de l'Orient musulman à
une exposition rapide : phonétique , morphologie , syntaxe ,
tout peut tenir en un petit nombre de pages , à la condition
de marcher de pair avec l'explication d'un texte de lecture
courante. Mais cette simplicité même des formes grammati-
cales exige un surcroit d'exactitude pour écarter toute cause
d'incertitude ou de confusion. C'est ce que l'auteur de la
nouvelle grammaire a parfaitement compris et, dans ses
limites étroites , son livre restera un des meilleurs instruments
de travail.
Sous prétexte que la connaissance du persan suppose celle
de l'arabe, M. Huart ne s'est pas cru obligé d'ajouter un
résumé de grammaire arabe, comme l'ont fait plusieurs de
ses devanciers. Nous ne saurions trop l'en féliciter, tout
abrégé de ce genre est inévitablement incomplet et ne peut
362 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
qu'eflVayer le débutant, sans le dispenser de revenir tôt ou
tard à un traité spécial. D'ailleurs Texpérience démontre que
l'étude de l'arabe , pour être fructueuse , doit précéder celle
du persan et que l'ordre inverse, dans ce genre de' prépara-
tion, est une cause certaine d'insuccès.
Etant donné le caractère pratique de ce manuel , on poui'-
rait s'étonner au premier abord d'y trouver un chapitre con-
sacré à la prosodie , c'est-à-dire à une étude compliquée et
qui relève plutôt de l'enseignement de la langue littéraire.
La prosodie persane , quoique empruntée à celle de l'arabe,
a renchéri sur celle-ci par la variété des sous-genres de chaque
mètre, et en particulier du hèzèdj. L'emploi facultatif de
Vizafet comme voyelle longue ou brève introduit dans la
scansion du vers persan un vague qui n'existe pas en arabe.
On ne saurait cependant blâmer M. Huart d'avoir donné les
règles prosodiques les plus indispensables, et ajouté à la
nomenclature des mètres principaux quelques vers qui en
démontrent le mécanisme. Je ne veux pas dire pour cela que
Téludiant saura distinguer à première vue la mesure des
rouhayi ou quatrains qui terminent presque tous les divans
persans, mais il sera déjà mis en éveil et mieux préparé à
considter un traité complet comme est celui de Garcin de
Tassy.
La seconde partie renferme des dialogues hemeusement
choisis et bien adaptés aux nécessités de la vie ou du voyage
en Orient. Puis viennent quelques lettres familières d'un
style peut-être trop uniforme , et pour terminer, une suite de
proverbes, produits de la sagesse (?) populaire et, par là,
modèles plus exacts de la langue vivante. ^
L'impression du livre est bonne , et les caractères arabes
assez élégants , mais le tirage est défectueux et un trop grand
nombre de points diacritiques ont disparu pendant la mise
sous presse.
L'exactitude, je le répète, étant un des principaux mérites
de cet utile petit livre , je ne trouve que quelques points très
NOUVELLES ET MÉLANGES. 365
secondaires où je ne «uis pas tout à fait d'accord avec l'au-
teur.
P. 3 1 . IJ y a toujours quelque danger à dresser une liste
de mots parce qu'ils sont plus usités. Par exemple , dans la
série des adjectifs donnés ici , kcldn n'a pas le droit de figurer
a côté de hoiizourg « ^^rand » , comme terme usuel, ni hengoft
«épais» au lieu de kouloufi, seul employé dans le Langage
courant.
P. 3 3. Zirrin «doré» aurait dû être mentionné à côté de
zerîn.
P. 37. La transcription rèsiden me semble plus exacte que
rasiden et ses dérivés, c'est celle de Téhéran et du nord de
la Perse qui, à tort ou à raison, fait loi et doit être préférée
dans un Manuel de langue vivante. J'adopte d'ailleurs l'en-
semble des vues de l'auteur sur la prononciation des vovelles ,.
p. 147.
P. 60. La remarque relative à l'emploi du mot w*j^Lo lais-
serait croire qu'il n'est jamais suivi du rapport d'annexion
que les grammairiens arabes nomment izajet, La vérité est
que ïizafet n est supprimé que dans deux ou trois expres-
sions très usitées et considérées comme mots composés , par
exemple çaheb-khané « maître de maison n , çaheb-mâl « riche » ;
mais , dans la plupart des cas , ce mot est soumis à la règle
d'annexion , comme dans çaheb-é-doolei « chef du gouverne-
ment » , çalieb-é mevadjeb « salarié ») , etc.
P. 68. Dans l'exemple donné hgne 10, je cherche en vain
l'emploi de Tindicatif.
P. 1 20. L'auteur de la nouvelle grammaire me permettra
de lui proposer une autre traduction pour le vers cité à la
fin de cette page : ^z*^\ tf)W «>*3 *^ ^^éA,u J^U, qu'il traduit
ainsi : « Ne reste pas insouciant, car c'est le temps de jouer ».
XIV. 3 4
isruiikiii» .làiiontiB.
36'i SEPTKMBHK-OCTOBRE 1899.
Or, dans la phrase qui précède , le rédacteur de la lettre pré-
munit son fils contre la dissipation et lui dit : « Ne passez
pas votre temps au jeu, n'ayez pas d'inclination pour le
jeu, etc.». Le vers qui suit semblerait donc en opposition
avec ces sages conseils. Je crois que pour éviter cette contra-
diction , il faut donner à la particule *j le sens qu'elle a sou-
vent quand elle précède le discours direct , et traduire : « Ne
reste pas négligent (en disant ou sous prétexte) que c'est le
temps de jouer ».
Le peu d'importance des remarques qui précèdent , prouve
avec quel soin le savant professeur de persan à l'Ecole des
langues orientales s'est acquitté de sa tâche. Je le remercie
d'avoir fourni à nos élèves une excellente méthode d'initia-
tion à la plus attrayante des langues musulmanes. Malgré son
titre modeste , ce petit livre lui fera autant d'honneur que
les travaux dont il enrichit depuis longtemps le domaine de
l'érudition.
B. M.
Abhandlvngen zur arabischen Philologie,
\on Jgnaz Goldziher. Zweiter Theil, Leide, Brill 1899.
Dans cette deuxième livraison des Traités philologiques,
M. Goldziher nous donne d'abord une édition du Kitâb al-
Mouammarîn ou « Livre des personnes douées de longévité »
par Abou Hàtim al-Sidjistàni. Ce livre contient les poèmes
plus ou moins authentiques de vieillards décrivant toutes
les misères du grand âge et spécialement exprimant le regret
de ne pouvoir plus participer aux expéditions glorieuses de
la tribu, comme autrefois. Le seul manuscrit connu de ce
livre, acquis en Orient par Burckhardt, se trouve à Cam-
bridge. 11 n*est pas daté , mais , d*après le colophon de la fin ,
il a été collationné en daS de l'hégire sur un autre manu-
scrit plus ancien^ et l'écriture appartient au iv* ou au v* siède.
NOUVELLES ET MÉLANGES. 365
Le livre paraît avoir été rare , même en Orient , car
M. Goidziher n'en a trouvé de citations que dans le Ghorar
al-fawâid, ouvrage du célèbre auteur et bibliophile chfite Al-
Chérif al-Mourtadhâ (355-436 de l'iiégire) et beaucoup plus
tard, dans Vlçâba dlbn Hadjar (t 85^) et la Khizânat al
adab de'Abd al-Qâdir (environ i loo). 11 n'est pas sans inté-
rêt d'ajouter que le manuscrit de Cambridge est le même
dont cet 'Abd al-Qàdir et son maître , le célèbre Al-Rhafàdjî
(t 1069), ont fait usage. M. Goldziher a donné de ce livre
une édition digne de tout éloge. M. le professeur A. A. Bevan
ayant fait photographier le manuscrit pour l'usage de
M. Goldziher, les syndics de ia bibliothèque de l'Université
de Cambridge en ont fait exécuter dix lithographies dont ils
ont eu la bonté de m'envoyer un exemplaire. J'ai donc pu
comparer le texte de M. Goldziher avec le manuscrit, et je
suis fondé à déclarer que l'édition a été faite avec le plus
grand soin. M. Goldziher l'a enrichie de notes critiques et
explicatives qui contiennent une masse d'observations utiles
et d'un index des noms et des mots expliqués.
L'auteur ne s'est pas contenté de ce labeur. Dans une in-
troduction de 92 pages, il nous donne premièrement tout
ce (ju'il a pu découvrir sur le manuscrit, sur l'auteur Abou
Hàtim et sur l'éditeur Abou Rauq qui a ajouté à l'ouvrage
de son maître plusieurs notes et quelques corrections. Puis
il entre dans l'examen du terme inouammar qui, d'abord
assez vague, avait au temps d'Abou Hâtim la signification de
«vieillard âgé de [)lus de 120 ans», et signale le penchant
des peuples , en particidier des Arabes à attribuer une extrême
vieillesse à leurs héros et à leurs sages. H fait observer
qu'Abou Hatim est loin d'épuiser le nombre des ntouam-
marin célèbres. Le but de cet auteur est de recueillir les
poèmes et les dictons qu'on leur attribuait. Quoiqu'une
bonne partie de ces citations soient d'une authenticité fort
discutable et qu'elles n'aient (qu'une faible valeur poétique,
elles ne manquent pourtant pas d'intérêt comme variété du
34.
366 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
•(eiire littéraire et nous permettent de mieux connaître la
condition des vieillards dans la société arabe.
Un petit recueil de poésies des mouammarîn se trouve
dans la Hamàsa de Bohtorî. Mais la source principale de
renseignements sur ce sujet, dans les livres à'Adah, est Tou-
vrage, cité plus haut, du chérif Al-Mourtadhâ qui , a côté du
livre d'Abou Hâtim, avait à sa disposition d'autres recueils
du même genre.
La croyance que certaines personnes ont atteint un âge
déj)assant de beaucoup Tàge ordinaire a , pour la dogmatique
religieuse des Chi'ites , une valeur tout exceptionnelle , comme
argument du dogme de Yîmâm makioam. Ce dogme enseigne
que le douzième imâm disparu eu 266 de Thégire vit tou-
jours, dérobé aux regards des hommes, attendant le moment
do sa réapparition comme le Mahdi qui remplira le monde
de justice. Pour combattre les sarcasmes et les blasphèmes
des Sonnites qui se permettaient môme de dire en proverbe :
« Plus retardataire que le mahdi des Chfites et que le cor-
beau de Noé », les Chî'ites citaient, outre les légendes d*Al-
Khadir [al-Khidr) , le Juif-errant des Musulmans , et de Dhoul-
Qarneïn, toutes ces histoires de Mouammarîn qui ne
cessaient de croître en exagération comme en nombre. Au
commencement du iv' siècle de Thégire , un honune parut
qui prétendait avoir connu le Prophète personnellement et
pris part à la bataille de Çiffin avec Alî contre Mo'âwia. Il
mourut en 827, mais bon nombre de Chiites persistaient à
croire qu'il continuait à vivre. Comment douter de l'exis-
tence réelle de Timâm maktoum après ces exemples de lon-
gévité ?
Un intérêt spécial s'attache à la ({uestion des mouam'
marin pour déterminer la valeur des isnâd, c'est-à-dire de la
chaîne des Traditionnaires. L'autorité d'une tradition s'ac-
croît à mesure que le nombre de témoins dignes de confiance
qui l'ont transmise est plus restreint, ce qui a lieu quand une
ou plusieurs de ces personnes ont atteint un très grand âge.
Les savants qui s'occupaient de la science des traditions fai-
NOUVELLKS ET MELANGES. 367
saient des recherches , par exemple sur l'âge des contempo-
rains du Prophète, afin de pouvoir contrôler la véracité d'une
tradition émanant directement de l'un d'eux au ii° siècle de
l'hégire , et d'éliminer les faux moaammarîn.
Le même intérêt s'attache aux personnages de cette classe
dans les isnud des ordres religieux et ceux des corporations
de métier. M. Goidziher donne sur ces dernières des détails
très intéressants tirés en partie d'un livre du xi' siècle de
l'hégire, dont la hibliothèque de Gotha possède une copie.
Le dernier paragraphe de l'introduction contient quelques
légendes de moiiammarîn juifs et chrétiens, qui ont cours
chez les Musulmans.
Le résumé qui précède suffira à donner une idée de l'im-
portance du travail de M. Goidziher. En lisant le livre je n'ai
relevé en marge que quelques minuties : le vers sur Amânât
(p. xxxviii) se trouve aussi chez ïabari, III , p. 2362 et suiv. ;
le nom des Berbères Hoggar (p. xlii, n. i) n'a rien de com-
mun avec celui des Kurdes Hekkar; p. lxvih, n. 3, 1. 5 :
JU.0JI 0sj3 ioU ^JA doit être lu âXjU ^^ « de l'espèce de » ; la
légende de llàjidh ibn Châloum (p. xc) a été empnmtée par
Yaqout au livre de Moqaddasi, p. 21. A propos de ce der-
nier, je crois pouvoir protester courtoisement contre la cou-
tume de M. Goidziher et d'autres savants, de le citer sous
la l'orme Maqdisi, tant qu'ils ne seront pas en état de prouver
que l'auteur lui-même prononçait ainsi son surnom. C'est
leu M. Sprenger, qui le premier, a l'ait connaître cet auteur
sous le nom de Moqaddasi. Comme on peut former le nom
relatif également bien, de ,j-oJUI c^-o et de jj<-.xim o^^o, jai
cm devoir m'en tenir à son exemple, n'ayant pu trouver la
moindre indication que l'auteur ait préféré l'autre forme.
M. J. DE GOEJE.
368 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Répertoire des articles relatifs à l'histoire et à la littérature juives
parus dans les périodiques de 1783 à 1898 » par Moïse Schwab;
publié sous les auspices de la Société des études juives. Paris ,
Durlacher, 1899. En autograpLie, impartie, x-4o8 pages.
En publiant cet ouvrage, M. Schwab, notre savant con-
l'rère , a rendu un sei^vice inappréciable , non seulement aux
études juives, et par là-même aux études orientales, mais à
la science en général, parce qu'il a donné un exemple que
nous voudrions voir suivi par d'autres érudits et surtout par les
bibliothécaires. Lorsqu'on veut traiter un sujet quelconque ,
on est souvent arrêté par la difficulté de savoir ce qui a déjà
été écrit sur la matière. Les dictionnaires bibliographiques
ne contiennent que la liste des livres ou des brochures , mais
comment faire pour trouver les articles (jui ont paru dans des
périodiques ou des recueils ? On est obligé de feuilleter toutes
les tables de matières (quand elles existent) des journaux
et des revues, ou toute la série des publications bibliogra-
phiques, sans même qu'on soit sûr de n'avoir pas perdu son
temps inutilement dans ces recherches fastidieuses. Ou, si
l'on se dispense de cette besogne ingrate, on risque de s'atte-
ler à une tâclie déjà faite et d'être accusé de plagiat. M. Schwab
a voulu épargner cette fatigue ou ce danger à ceux qui s'oc-
cupent d'histoire et de littérature juives; et il a dressé un
répertoire de tous les articles scientifiques ayant paru dans
les périodiques depuis leur origine jusqu'à nos jours.
xM. Schwab a dépouillé quatre-vingt-quatorze revues, jour-
naux ou recueils, et rédigé de 30,000 à 3o,ooo fiches. On
peut se faire ainsi une idée de la patience et du courage
(jue M. Schwab a montrés.
La pi emière partie , la plus considérable de l'ouvrage vient
de paraître. Elle contient la liste alphabétique des noms
d'auteurs avec le titre des articles. La seconde et la troisième
renfermeront deux tables des matières, l'une pour les articles
en langues modernes, l'autre pour les articles en hébreu. Ces
deux tables paraîtront à la lin de Tannée. L'ouvrage entier
NOUVELLES ET MELANGES. 369
sera mis en vente au prix de 12 fr. 5o, ce qui, on en cou^
viendra , n'a rien d'exagéré.
Un travail de cette taille est forcément incomplet, et il est
impossible d'éviter des erreurs de genres divers. M. Schwab
en a lui-même signalé quelques-unes dans son introduction.
Avec une modestie qui l'honore, notre collègue n*a voulu
voir dans son œuvre qu'un essai et il l'a publiée en autogra-
phie. Il fait appel à toutes les bonnes volontés pour lui si-
gnaler les inexactitudes ou omissions qu'on y remarquerait.
Nous espérons que bientôt une nouvelle édition sera donnée
en impression , et qu'on évitera ainsi les inconvénients in-
hérents à l'autographie , notamment le tirage défectueux de
certains feuillets.
Puiscjue M. Schwab a compris les recueils de dissertations
dans son répertoire, peut-être aurait-il dû ajouter la Biblio-
thèque et le Repertorium d'Eichhorn, les Morgenlàndische
Forscluingen , les Orientalia, etc. Tel qu'il est, le Répertoire
est un excellent outil que M. Schwab a mis dans la main des
travailleurs. Nous lui adressons tous nos remerciements ainsi
qu'à la Société des études juives, qui lui a accordé son con-
cours, et nous exprimons encore une fois le souhait que
NI. Schwab trouve des imitateurs dans toutes les branches
des études orientales, et en général dans tous les ordres de
reclierches scientifiques.
Mayer Lambert.
Tlie Heurt oj As'ia, a History of Russian Turkestaii and the Cen-
tral Asian Khanatcs from the carliest times — par F.H. Skrine
et E. Denison Ross; in- 18. London , Methuen et C" 1899; ^^^ P*»
2 cartes et 34 illustrations en phototypie.
Sous ce titre « IjC cœur de l'Asie», les auteurs nous
donnent l'histoire et la géographie du Turkestan depuis
l'époque la plus ancienne jusqu'à nos jours. L'ouvrage se
divise en deux parties. La première, qui est purement his-
370 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
torique est due à M. Ross, professeur de persan à l'Univer-
sité de Londres, i'un des traducteurs du Tarlkh-i Rasliidi;
la seconde, qui est plutôt politique, a été rédigée par
\f . Skrine ancien fonctionnaire anglais dans Tlnde. La partie
historique est celle qui intéresse le plus nos études. Leïur-
kestan russe actuel comprend, comme Ton sait, Tancienne
Hyrcanie (Khvârizni), la Sogdiane, la Transoxiane et la
Transirdariane , c'est-à-dire tout le pays entre la mer Cas-
pienne et la frontière chinoise sur une étendue de plus de
six cents lieues. Son histoire première se confond avec celle
de l'Iran jusqu'à la conquête arabe. C*est par les auteurs
classiques que nous connaissons les Scythes , les Massagètes,
les Sakas et les expéditions de Cyrus, de Darius et
d'Alexandre, jusqu'au delà de TYaxarte; puis arrivent les
conquêtes des rois de la Bactriane qui ont été en rapports
constants avec les Yue-tchi ou Kouchans , les Ephthalites et
enfin les Turcs qui apparaissent au milieu du vi* siècle.
Toute cette première période de l'histoire du Turkestan est
résumée avec beaucoup de netteté , trop résumée peut-être ,
car c'est la moins connue. Et cependant, aujourd'hui, les
documents commencent à se produire : les médailles, les
inscriptions , les annales chinoises , les découvertes récentes
en Sibérie et en Kashgarie nous font entrevoir plus de lu-
mière sur les origines des différents peuples qui ont succes-
sivement peuplé la Sogdiane , sur leurs mouvements , leurs
conquêtes et enfin sur l'intervention de la Chine dans les
affaires de leurs frontières occidentales.
Un autre point fort intéressant que l'auteur a aussi négligé
est la ((uestion de l'origine de l'écriture dans ces contrées.
L'écriture était- elle connue en Sogdiarie avant l'arrivée
d'Alexandre et, à partir de l'invasion macédonienne jusqu'à
celle des Arabes, quels sont les divers alphabets qui ont été
usités ? Sans entrer dans trop de détails à cet égard, on au-
rait pu expliquer qu'après les guerres de Bahrâm V Gour
contre les Ephthalites, le monnayage fut introduit chez ces
derniers avec le type sassanide, mais avec des légendes écrites
NOUVELLES ET MELANGES. 371
en un alphabet particulier, d'origine araméenne, qui s'était
développé dans le Touràn en même temps que le pehlvi dans
l'Iran, à une époque bien antérieure aux Ephtlialites , mais
dont nous n'avons pas de traces avant les monnaies frappées
par eux. Le monnayage sogdien a persisté plus de deux siècles
après la conquête musulmane. Les historiens chinois nous
ont fourni également des renseignements sur l'extension de
l'Empire céleste vers l'occident. Nous savons par exemple
que pendant les six à sept premiers siècles , la Sogdiane , la
Bactriane et tout le pays jusqu'à l'Yaxarte ont été soumis à
la famille des Tchao-wu, qui se prétendait alliée aux Rou-
chans et qui se divisait en plusieurs branches, chacune
d'elles à la tête d'une principauté. Les inscriptions de l'Or-
khon mentionnent les Sogdiens soumis aux six Tchao-wu;
Taschkend et le Khvârizm en faisaient partie. Dans l'his-
toire de la conquête de Bokhara, qui est racontée avec dé-
tail , M. Ross aurait pu mentionner les nouvelles indications
que nous fournissent les inscriptions en vieux turc de l'Or-
khon pour les années 701 et suivantes. 11 y avait aussi à
identifier les noms propres que nous ont laissés les médailles ,
les écrivains chinois et les auteurs musulmans pour les
princes turcs et ceux d'origine yue-tchi qui luttaient pour
leur indépendance. Il y avait à Bokhara une littérature in-
digène très florissante, des livres écrits en caractères ara-
méens , mais tout a été détruit par l'invasion arabe. Tous ces
faits étaient assez intéressants pour être mis en lumière.
Le Turkestan tombe sous l'autorité des khalifes, mais en
810, Thâher fonde la première des dynasties indépendantes
qui se sont succédé d'abord jusqu'à l'occupation mongole ,
puis jusqu'à nos jours. Leur histoire est beaucoup plus
connue grâce aux écrivains musulmans; elle est, il est vrai,
quelque peu embrouillée, mais M. Ross a su la rendre
claire et intéressante. C'est une sorte de précis historique
qui manquait à notre histoire de l'Orient et qui trouvera
désormais sa place dans les bibliothèques.
Dans la seconde partie de l'ouvrage, M. Skrine prend la
372 SEPTEMBRE-OCTOBRE 1899.
Russie à ses premiei's rapports avec les races tartares , et ra-
conte ses luttes contre les^ Mongols, ses conquêtes successives
(le rOural, de la Sibéiie, de la Semiretchie et enfin du
Turkestan en 1867. L'auteur a fait la description de cette*
contrée depuis l'occupation russe et a donné des détails nou-
veaux et curieux sur les principales villes comme Askhabad,
Merv, Bokhara et Samarcànde. Le dernier chapitre est inti-
tulé Friends or Foes : les Russes et les Anglais si voisins l'un
de l'autre seront-ils amis ou ennemis? Dans l'intérêt de la
science et de nos études orientales , nous ne pouvons que
désirer l'union et la concorde entre les deux grands peuples.
I/ouvrage est accompagné de deux cartes et de nom-
breuses pliotographies de types ethnographiques et de mo-
numents. A propos du tombeau de Tamerlan à Samarcànde
les notices de MM. E. Bianc et Blochet ne sont pas men-
tionnées. Si j'ai signalé quelques lacunes, je dois d'un autre
côté rendre un juste hommage aux auteurs : le volume de
MM. Ross et Skrine est un travail bien fait; c'est un livre à
la fois scionti[i(|ue et de vulgarisation qui rendra des services
et mettra ta la portée de tous l'histoire de l'Asie centrale.
E. Drouin.
RECUEIL D'ARCIiléOLOGIE ORIENTALE
PAR M. CLERMONT-(i ANNEAU '.
SOMMAIRE DES MATIERES CONTENUES DANS LE TOME UI [ EVeC plancllCS
et gravures), en cours do publication; livraisons 1 4 à 21,
1899.
S 39. Une «éponge américaine» du vi* siècle avant notre ère.
— S 4o. Orphée-Nebo à Mabhoug et Apollon. — S /ii. Lettre de
Jésus au roi Abgar. — S 42. La Palestine au commencement du
' Paris, E. Leroux; prix des volumes I et II, 2 5 francs; prix do vo-
lume m, souscrit d*avaucc et à recevoir par livraisons: 30 francs.
NOUVELLES ET MÉLAN ES. 373
Yi' siède et les Pbrophories de Jean Kiifus, évêque de Maîoumas.
— S 43. Noies d'épigraphie palmyrénienne. — S 44. Inscription
grecque d'Édesse. — S 45. Le voyage du suHan Qâït-Bâyen Syrie.
— S 46. Itinéraire d'un pèlerin français du xiv* siècle de Damas
il Naplouse. — S 47. Gezer et ses environs. — S 48. Création d'un
fonds spécial poui- l'acquisition d'antiquités. — S 49. Jébovah,
seigneur du Sinaï. — S 5o. Gath et Gath-Rimmon. — S. 5i.
Le tombeau de Dja'far. — S 62. Nouveau lychnarion à inscription
coufique. — S 53. Une inscription du khalife Hichâm (an 1 10 H.),
— S 54. El-Kalif et la Caverne des Sept-Dormants. — S 55. Ta-
bella devotionis à inscription punique. — S 56. Note «ur la création,
en Syrie, d'une station d'arcliéologie orientale dépendant de l'Ecole
du Caire. — S 07. Les inscriptions néo-puniques de Maktar (à
suivre j.
Le gérant :
RUBENS DuVAL.
/
JOURNAL ASIATIQUE
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1 899.
NOTICE
SUR GABRIEL DEVÉRIA,
PAR
ÉD. CHVVANNES.
Messieurs ,
Après la mort de M. Gabriel Devéria, mort sou-
daine qui nous a tous consternés , votre président a
bien voulu me demander une notice nécrologique
destinée au Journal asiatique; j'ai volontiers accepté
cette tâche; c'était pour moi un devoir de rendre un
dernier hommage à Thomme de bien, au savant
loyal pour lequel j'avais une respectueuse amitié.
Gabriel Devéria, né en 1 84i , était le fils d'Achille
Devéria et le neveu d'Eugène, qui tous deux furent
des peintres célèbres de la première moitié de ce
siècle. Ayant perdu son père à l'âge de treize ans,
il trouva un appui matériel et moral en son frère
aîné, Théodule Devéria, égyptologue de premier
ordre qui aurait pris place parmi Jes maîtres de la
science s'il n'avait pas succombé à quarante ans à la
maladie de poitrine qui le minait depuis longtemps.
XIV. 25
tHmiMKBlr «ATIUXALr..
376 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1809.
Gabriel Devéria a dédié à la mémoire de ce frère
quil chérissait ime biographie qu^on ne peut lire
sans émotion 1.
A seize ans , Devéria partit pour la Chine en qua-
lité d'élève interprète; il devait y rester vingt ans,
il acquit ainsi cette connaissance pratique de la
langue chinoise qui fit de lui un professeur émérite
lorsqu'il fut appelé en 1889 à la chaire de chinois
de l'Ecole des langues orientales. Cet enseignement,
destiné à former la majeure partie de notre per-
sonnel consulaire en Extrême-Orient, est étroite-
ment lié à nos intérêts politiques ; Devéria le fonda
sur une base inébranlable; sans se laisser absorber
par les recherches d'érudition qui le sollicitaient,
li consacra une grande partie de son temps à ses
élèves; sous sa direction, nous avons vu se préparer
des jeunes hommes qui sauront rendre plus vigou-
reuse et plus durable l'influence française dans ces
vastes contrées où se trouvent aux prises tant d'ar-
dentes compétitions. Jusqu'au dernier moment,
Devéria ne déserta pas son poste de combat; malgré
la pleurésie qui avait fortement ébranlé sa santé
l'hiver dernier, il avait voulu reprendre sa tâche;
voici ce qu'il m'écrivait le ly mai 1899, ^^^^^ ^^
deux mois avant sa mort : « Ma douleur dans le dos,
bien que diminuée, est encore très gênante quand
' Notice bio^aphiqne sur Théodule Devéria (1831-1871), par
G. Devéria (chez Leroux, tir. à part, iSgS); a paru en tête des
Mémoires ci fragments de Throdule Devéria , pub!, par G. Maspero
( chei I^ropx, 1896).
NOTICE SUR GABRIEL DEVÉRIA. 377
je nie tiens autrement que couché ou debout. Mes
cours se font quand même , mais me fatiguent énor-
mément. A parler une heure, je ressens dans le pou-
mon gauche des sifflements et des râles odieux . . .
On veut m'envoyer à Ems; je le veux bien, mais je
n ai pas la foi. » Ce fut au Mont-Dore qu'on l'envoya;
c est là que la mort vint Tabattre à Timproviste dans
une chambre d'hôtel, seul, pendant la nuit.
Les premiers travaux de Devéria furent des notes
sur Péking et le nord de la Chine S puis une
description du cérémonial qui fut observé lors du
mariage de l'empereur Tong-tche en 1872^. On y
remarque déjà ce souci de l'exactitude, cet amour
du détail nouveau, qui font que rien de ce qu'il a
écrit n'est négligeable. D'autres ouvrages de plus
longue haleine furent consacrés à élucider des ques-
tions qui présentent un côté politique en même
temps qu'elles ont un intérêt scientifique; dans son
Histoire des relations de la Chine avec VAnnam-Viêtnam
du XVI* au XIX* siècle^ ^ Devéria se proposait de fournir
à nos hommes d'État des renseignements précis sur
les relations de vassal à suzerain qui ont existé entre
l'Annam et la Chine; ^rv sdi Description de la frontière
^ Pékin et le nord de la Chine , par T. Ghoutzé (pseudonyme de
Devëria). Ces arlid^'S ont paru dans Le Tour du Monde (XXXI,
p. 3o5-368, et XXXII, p. 193-256), 1873.
^ Un mariage impérial chinois, par M. G. Devéria (chez Leroux,
1887). Quoique cet ouvrage n*ait été publié quen 1887, il paraît
avoir été conçu et exécuté peu après 187a.
^ Cliez Leroux , 1880 ; forme le vol. XIFl de la 1" série det Publi-
cations de l'Ecole des langues orientales,
25.
378 NOVëMBRëDëGEMBRË 1899.
sino-amiamite^, il collaborait à la tâche longue et
difficile de la Commission d*abornement du Tonkin.
Mais , tout en étant d'une utilité immédiate , ces livres
ont aussi une portée scientifique; le premier nous
raconte la lutte des dynasties rivales en Annam pen-
dant le XVII* et le xviii' siècle; il nous montre" la
politique astucieuse des empereurs de Chine, qui
cherchent incessamment à profiter des difficultés de
la cour de Hanoï ou de Hué pour faire recomiaître
leur suprématie. Quant à fiétude sur la frontière sino-
annamite, outre les indications précieuses qu'elle
fournit à la géographie , il faut signaler la valeur ex-
ceptionnelle des notes ethnographiques qui en
forment la seconde partie. Francis Garnier, dans son
Voyage d'eocploration en Indo-Chine , avait appelé l'at-
tention du monde savant sur les tribus non chinoises
qui se trouvent disséminées dans la Chine méridio-
nale , débris de races presque éteintes dont les ori-
gines sont obscures , vestiges d un passé dont la mé-
moire des hommes n a gardé qu un souvenir confiis.
Devéria a donné, d après les auteurs chinois, Ténu-
mération minutieuse et la distribution par districts
de ces peuplades; il préparait ainsi le terrain aux re-
cherches historiques et philologiques, qui permet-
tront une classification plus rationnelle; après lui,
MM.E.-H. Parker 2, Pierre Lefevre-Pontalis^, F.-W.-
^ Chez Leroux, i886; forme le vol. I de la V série des Publi'
cations de l'Ecole des langues orientales,
* The Muong languaye [Cliina Review, vol. XIX, p. 367-280).
^ Notes sur tjueltfues populations du nord de l' Indo-Chine [Journal
NOTICE SUR GABRIEL DEVÉRIA. 379
K. Millier * et le P. Vial^ont ouvert la voie qui nous
mènera à la solution définitive de ce problème si
complexe.
En passant en revue les peuples non chinois de
la frontière sino-annamite , Devéria avait Toccasion
de parler des manuscrits en langues pa-i, lolo et
mosso , et de revenir ainsi à une étude qui lui était
chère, celle des écritures étrangères dont les spé-
cimens nous ont été conservés en Chine. Il avait eu
autrefois l'intention de traiter ce sujet dans toute
son ampleur en écrivant une histoire du Collège des
interprètes; ce collège, que nous trouvons existant
dès Tannée lAoy sous le nom de Se i koan, était
destiné à enseigner les langues des barbares avec
lesquels le Gouvernement chinois entretenait des
relations; on y conservait des vocabulaires et des
textes qui sont, en ce qui concerne deux ou trois
de ces idiomes, la seule clef que nous possédions
pour les lire et pour les comprendre. Devëria avait
asiatique, mars-avril 1892, p. 237-269; juillet-août 1896, p. 129-
i5/i; sept.-ocl. 1896, p. 29i-3o3). — Etude sur quelques alphabets
et vocabulaires thaïs [Toung pao, vol. 111, p. 39-64). — L'invasion
thaïe en Indo-Chine [Toung pao, vol. VIII, p. 53-78).
* Vocabularien der Pa-yi nnd Pah-poh Sprachen ans dent Hua-i-yi-
yû [Toung pao, vol. III, p. i-38). — Ein Brief in Pa-yi Schrift
[Toung pao, vol. V, p. 329-333).
^ De la langue et de U écriture indigènes au Yûn-nân (Angers,
1890). — Les Lolos (Chang-haî, Impr. de la mission catholique,
1898). — A propos de la première de ces brochures, Devéria lui-
même avait écrit un article intitulé : T^es Lolos et les Miao-tze [Jour-
nal asiat., sept.-oct. 1891, p. 356-369); il y donnait un texte miao>
tze qu il avait trouvé dans un ouvrage chinois.
380 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
imprimé quelques feuilles de son travail et avait fait
tirer un certain nombre de planches, mais il ne les
publia jamais. Peut-être a-t-il jugé qu*une œuvre
densemble était prématurée et qu'il convenait de
diviser la difficulté en considérant séparément cha-
cune des écritures inconnues dont on voulait obtenir
le déchiffrement. Il entreprit lui-même de faire
quelques-unes de ces monographies, et les pages
qu'il leur a consacrées resteront au nombre de ses
plus beaux titres scientifiques.
Il débuta dans cet ordre de recherches par son
article sur la stèle de Yen-t'ai^, qui assurait un point
de départ certain à la lecture de Técriture joutchen.
Les Joutchen ou Djourtchen sont étroitement appa-
rentés aux Mandchous actuels; ils régnèrent sur le
nord de la Chine de 1 1 i5 à i23/i sous ie nom de
dynastie Kin; avant d'adopter la langue et Técriture
chinoises, ils avaient eu une écriture nationale;
Abel Rémusat en avait deviné l'existence dès i8ao
dans ses Recherches sur les langues tartares, mais en
regrettant de n'avoir aucun monument épigraphique
sur lequel il pût fonder des déductions rigoureuses.
P(»ndant les soixante années qui suivirent, on ne
parvint à signaler que deux textes réputés joutchen;
lun était la stèle dite de Salikan, qui date de Tan-
née 1 i3/i , et qui nous a été conservée dans deux
' G. Ilevéria, Examen de la stèle de Yen- t'ai. Dissertation sur les
caractères d'écriture employés par les Tartares Jou-tchen, Extraits du
Hounij-hu£-in-yuan traduits et annotés [Hevue de l' Extrême- Orient ,
l. 1, p. 173-186).
NOTrCE SUR GABRIEL DEVÉRIA. 381
recueils chinois d'épigraphie ^ ; le second était ,
croyait- on, une des six rédactions de ia fameuse
inscription de Kia-yong koan^. Devéria découvrit
une nouvelle piste en mettant la main sur une dis-
sertation dun érudit mandchou, qui n'est autre
que le père de l'ancien ambassadeur en Russie,
Tch'ong-heoa, le négociateur malheureux du traité
de Livadia. Ce Mandchou, d'illustre extraction,
s était préoccupé de savoir ce qu'était l'écriture des
Joutchen, ancêtres de sa race; il en avait retrouvé
un spécimen dans une inscription dont il citait les
premiers mots; Devéria compléta le texte au moyen
d'un ouvrage épigraphique chinois. Ce monument
était aussi différent de la stèle de Salikan et de l'écri-
ture indéchiffrée de Kia-yong koan que ces deux
inscriptions le sont l'une de l'autre; Devéria établit
que, dans l'indécision où Ton se trouvait, c'était
l'inscription de Yen-t'ai qui devait être considérée
comme écrite en joutchen authentique. Son opinion
reçut une éclatante confirmation quatorze ans plus
tard, lorsque M. Grube^ publia le vocabulaire et les
suppliques en joutchen que M. Hirth avait eu la
bonne fortune de découvrir en Chine; il fut avéré
^ Neumann. Asiatische Studien , p. 4i (1837). — Wylie, On aw
ancient inscription in the Neu-chih langvuige (1860, Journal oj the
Royal Asiat. Soc, vol. XVII, p. 33i-345).
^ Wylie , On an ancient Baddhist inscription at Keuryung kwan in
North-China (1870, Journal of the Royal Asiat, Soc, N. S», vol, V,
p. i4-44).
^ D"^ Wilhelm Grube, Die Sprache und Schrift der JvLcen (Leipzig ,
Harrassowitz , 1896).
382 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
que ia stèle de Yen-t'ai était bien un texte joutchen ;
M. Grube dédia son ouvrage à M. Devéria comme
au précurseur qui avait ie premier reconnu Técriture
joutchen ià où elle se trouvait réellement ^
Restaient les inscriptions de Salikan et de JSSa-
yong koan, qu'on avait cru être écrites en joutchen.
Pour l'inscription de Salikan, le problème reste
entier^; on admet, jusqu'à plus ample informé,
qu'elle est écrite en caractères dits grands joutchen^
c est-à-dire plus compliqués que ceux du vocabulaire
du Se-i koan et de la stèle de Yen-t'ai. Quant à l'in-
scription de Kiu-yong koan, c'est encore à M. Devéria
que devait revenir l'honneur, en même temps qu'à
^ M. le D' Georg Hnth a tradnit le titre de l'inscription de Yen-
t'ai [Zur Entzifferung der Niûci-Inschrift von Yen-t'ai, dans Bulletin
de l'Acad, imp, des sciences de Saint-Pétersbourg , 1896, déc., t. V,
n° 5, p. 375-378). — D'autre part, au commencement de Tannée
1896, M. Shewelew a découvert à Tyr, à 100 kilomètres en amont
de NikolaîevsL , sur la rive droite de l'Amour, une inscription qui
contient un certain nombre de lignes en écriture joutchen.
M. W. Grube a pu y déchiffrer la formule : om mani padme hum
[ Vorlàufifje Mittheilnng ûber die bei Nikolajewsk am Amur aufgefnn-
denen Jucen Inschriften ; 3 pages datées de Berlin, 2 déc. 1896). —
Enfin, dans les Actes du XF Congres international des Orienta-
listes, 1897 (^* section, p. io-35), M. S. W. Bushdl a publié un
article de première importance , intitulé : Inscriptions in tke Jucen
and allied scripts; il y reproduit un estampage de l'inscription de
Yen-t'ai, dont on a ainsi pour la première fo's le texte exact, et un
médaillon avec qudques caractères joutchen.
^ Dans l'article précité, M. S. W. Bushell donne le fac-similé
d'un insigne en forme de poisson , sur lequel on voit quelques carac-
tères analogues à ceux de l'inscription de Salican ; il laisse ouverte
la question de savoir si cette écriture est l'écriture khitane ou Té-ri-
tun^ grand joutchen.
NOTICE SUR GABRIEL DEVÉRIA. 383
M. BushelP, de montrer que Técriture inconnue
était, non celle du peuple joutchen, mais celle du
royaume de Si-hia, ou Tangout^. Une inscription
bilingue, qui a été découverte à Leang-tcheou , en
plein pays Si-hia, et qui présente un spécimen in-
contestable de récriture si-hia, prouve en effet
jusqu'à Févidence que le texte mystérieux de Kia-
yong koan appartient au même système. Devéria
publia la stèle de Leang-tcheou en en traduisant la
partie chinoise.
Ces travaux de Devéria ont une valeur considé-
rable; ils ouvrent un chapitre nouveau dans Thistoire
de récriture, qui devra désormais étudier les tenta-
tives faites par Tesprit humain pour composer, avec
les caractères chinois mi-idéographiques, mi -phoné-
tiques , et s*appliquant à une langue monosyllabique ,
des écritures qui expriment des langues polysylla-
biques et qui paraissent être purement phonétiques.
Ces écritures, d'ailleurs, sont vraisemblablement
appelées à nous révéler, dans un avenir prochain des
peuples jusqu'ici mal connus; des textes joutchen
et si-lna ne peuvent manquer d'être mis au jour et
ne tarderont pas à livrer leur secret. Nous avons le
^ S. W. Bushell, The Si Hsia dynasty of Tangut, tkeir mon&y
and pcculiar script [Journal of the China Branch of the Royal Asiat,
Soc, vol. XKX, p. 1/12-160).
- G. Devéria, Stcle Si-hia de Leang-tcheou, avec une note de
S. W. RushoH [Journal ewiat. , janv.-févr. 1898, p. 53-7/1). — G. De-
véria, L'écriture du royaume de Si-hia ou Tangout (extrait des Mé-
moires présentés par divers savants à l'Académie des inscriptions et
belles-lettres, 1'" simÛo, t. XI, 1" partie, 1898).
384 .NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1800.
droit d'entretenir un tel espoir, quand nous venons
d'assister au merveilleux décliiffrement des inscrip-
tions de rOrkhon par MM. Thomsen et Radloff;
nous lisons maintenant les stèles sur lesquelles , de-
puis onze cents ans , les anciens khagans turcs per-
pétuent leur rêve de gloire brutale; la brume qui
les voilait à nos yeux se déchire, et voici qu'appa-
raissent à travers cette échappée , droits en selle sur
leurs chevaux qui s ébrouent, les rudes batailleurs
dont nous avons troublé le sommeil millénaire. De-
véria prit part aux premières recherches que suscita
la découverte de ces monuments ^ ; lorsque Texpédi-
tion finlandaise rapporta ses estampages des bords
de rOrkhon , c'est à lui qu'elle s'adressa pour avoir
l'explication de la stèle très endommagée du khagan
Mékilien et de divers fragments qui furent reconnus
plus tard appartenir à la seule et même inscription
de Kara-balgassoun.
Parmi les écritures étrangères dont on trouve la
trace en Chine , une de celles qui excitèrent le plus
tôt la curiosité des érudits eiu'opéens fut celle que le
lama tibétain 'Phags-pa inventa en 1269 et que les
souverains mongols de Chine adoptèrent conune
écriture nationale depuis Koubilaï khan jusqu'à la
fin de leur dynastie. Pendant son séjour en Chine,
Devéria avait rassemblé cinq estampages de textes
' (r. Devéria, Transcription, analyse et traduction des fragments
chinois du second et du troisième monument (forme les pages xxvn-
wxTiii de Touvrage publié en 1892 à Helsingfors, sous le titre :
Inscriptions de l'Orkhon recueillies par l' expédition Jinnoise , 1890).
^ NOTICE SUR GABRIEL DEVÉRIA. 385
en écriture phags-pa dont les uns étaient accompa-
gnés de leur traduction chinoise, tandis que d'au-
tres étaient de simples transcriptions du chinois; ces
estampages restèrent dans ses cartons jusqu'au jour
où le prince Roland Bonaparte , avec la libéralité qui
lui a valu depuis longtemps la reconnaissance du
monde savant, s'offrit à les reproduire en même
temps que les estampages de la grande inscription
de Kiu-yong koan; c'est ainsi que le recueil des Do-
cuments de r époque mongole, publié en 1896 par le
prince Roland Bonaparte, se trouve contenir la plus
riche collection de textes en écriture 'phags-pa qui
ait jamais vu le jour.
Dans deux articles du Journal asiatique^, Devéria
donna la traduction de la partie chinoise de ces
cinq inscriptions. L'une de ces stèles présentait
Toriginal mongol du fameux édit de 1 3 1 /i par le-
quel Bouiantou khan exemptait des taxes les reli-
gieux bouddhistes, chrétiens et taoïstes; Devéria le
commenta en y joignant une série de témoignages
qui , de 1221 à iSyi, attestent l'existence continue
des chrétiens en Chine et jettent quelque lumière
sur leur situation vis-à-vis du Gouvernement mongol.
Ce travail devra être consulté par tous ceux qui
s'occuperont des premières destinées du christia-
nisme en Chine.
La propagation des religions étrangères en
Extrême-Orient était un des sujets qui attiraient le
^ G. Devéria: Notes d'épigraphie mongole-chinoise (Jbnm. asiaU,
juillet-août 1896, p. 94-128, et nov.-déc. 1896, p. 395-4d3).
386 NOVEMBRE-DEGEMBRE 1899. «
plus Tesprit investigateur de Devéria; il cherchait à
surprendre l'instant oii les croyances venues d'Occi-
dent faisaient leur apparition en Chine; l'oreille at-
tentive, il écoutait tomber goutte à goutte dans le
vieil Empire ces infdtrations lentes d'oii se forment
plus tard les grands courants d'idées et de passions
qid entraînent les cœurs et les esprits des foules et
qui menacent d'emporter un jom* l'édifice suranné
delà morale confucéenne. Au moment du centenaire
de l'Ecole des langues orientales , Devéria publia un
mémoire * dans lequel , à l'occasion du récit de
voyage d'un pèlerin musulman chinois en Arabie
(i84i-i848), il faisait la critique des traditions in-
digènes relatives à l'introduction du mahométisme
dans l'Empire du Milieu et citait les textes histori-
ques qui précisent la date des plus anciennes rela-
tions des Arabes avec les Chinois.
Un des derniers articles qu'ait écrits Devéria est
encore consacré à un point d'histoire religieuse^.
Dans une inscription de l'année 176/i, l'empereur
K'ien-long identifie les ancêtres spirituels des musul-
mans avec les Mo-ni dont il est question à diverses
reprises dans l'histoire» chinoise. Devéria publia cette
inscription et la traduisit ; il la fit suivre d'une dis-
' G. Devéria : Origine de l'islamisme en Chine (Centenaire de
l'Ecole des langues orientales vivantes, p. 3o5-355; iSgS).
* G. Devéria : Musulmans et manichéens chinois [Journ, asiat.,
nov.-dér. 1897, P- ^^^•^^^)' — L'identité des Mo-ni et des Mani-
chéens a été aussi soutenue avec de bonnes raisons par J. Mar-
(|uart : Historische Glossen zu den alttùi'kischen Inschriften ( fViener
Zeitschrift fur die kunde des Morgenlandes , vol. XII, p. 1 «y 3- 180.]
. xXOTICE SUR GABRIEL DEVERIA. 387
sertation dans laquelle il s'attachait à prouver que
les Mo -ni n'étaient par des musulmans, mais des
manichéens; il systématisait les quelques renseigne-
ments qu'on peut glaner dans les auteurs chinois
sur la religion de Mo-ni et en tirait un résumé de
l'histoire du manichéisme en Chine.
Je terminerai ici cette courte notice. Devéria n'a
pas voulu qu'on prononçât de discours sur sa
tombe; je crois ne pouvoir mieux parler de lui qu'en
donnant à ces pages la brièveté des textes lapidaires
dont il fut si curieux de son vivant. En tous lieux et
en tous temps, les inscriptions les plus fréquentes
sont les inscriptions funéraires et i'épigraphie n'est
le plus souvent que l'exploration dune vaste cité des
morts; cette nécropole, les hommes l'ont édifiée en
gravant sur la pierre leurs regrets et leurs louanges
pour que l'oubli ne les recouvre pas de ses vagues
silencieuses ; et nous de même, avant de poursuivre
plus solitaires le pèlerinage au cours duquel nous
tomberons à notre tour quand notre heure sera .
venue, nous avons voulu dresser, à la place où nous
a quittés notre compagnon de route , la stèle qui
commémore la tristesse de la séparation.
388 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899..
NOTICE
SUR LE CHEIKH
MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI
DE MASCARA
(extraits de son autobiographie)
PAR
LE GÉNÉRAL G. FAURE-BIGUET.
(suite.)
En iîi6 (1801), je me rendis à Fès, où je fis la
connaissance de tous les savants de la ville; c'est là
qu'on me donna le surnom de hcifid.
Un jour, un des plus considérables d'entre eux
me pria de lui prêter mon commentaire de Kharachi
intitulé La Perle des gloses. Quelque chose m'avait in-
disposé, en sorte que je refusai d'abord ; puis comme
il insistait, je prêtai le livre en disant : « C'est peu
de chose en regard de ton mérite ; le consentement
efface en un instant toute faute ». Il se mit alors à
travailler, à examiner, à critiquer et à couvrir de ses
observations la marge de ma glose qui fut toute
abîmée. Combien l'imam Ël-Gabsi a raison de dire :
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 389
« H n'y a de meilleur cheval pour changer que celui
qu'on a emprunté ». Quant à moi, je n*eus pas de
peine à rétorquer victorieusement toutes les objec-
tions. Les autres cheikhs blâmèrent la manière de
faire de ce savant, qui me redemanda le livre et se
mit à coiTiger, effacer et gratter avec tant d'ardeur
qu'il fit un trou au papier. On peut le voir encore
aujourd'hui.
A quelques jours de là, il m'invita à un grand
repas. « Celui qui est invité , me dis-je , doit accepter. »
Je me rendis donc à cette invitation. Pendant que
les mets circulaient, quelqu'un s'étant mis à boire,
je m'empressai de lui dire : Çahha ( santé) ^ On se
mit à rire. « De quoi riez-vous, demandai-je? — Tu
viens d'employer un mot qui n'est usité que chez
les gens du commun. » J'étais mécontent au point
que les dents me claquaient de mauvaise humeur.
« Hé bien! repris-je, que pouvez-vous dire au sujet
de cette règle de politesse à laquelle tout le monde
se conforme ? — C'est un usage. — Hé quoi ! vous
ne connaissez aucun texte, aucune citation à ce sujet?
— Quel texte, demanda-t-on ? — Khafadji^ a écrit
que c'était une règle de la soanna, tandis que l'au-
teur du Madkhel soutient que c'est une innovation :
et vous ne connaissez rien de ces deux textes! Vous
vous appuyez seulement sur l'usage! » Or il y avait
là l'illustre cheikh Tayeb ben Queirân. Cette discus-
(^^ Cette anecdote est racontée deux fois dans Tautobiographie.
(^^ Ahmed ben Mohammed ben Omar Cbebab ed-dîn el-Khafadji ,
cadi des cadis, savant du Caire mort en 1669.
390 NOVEMBRE-DECEMBRE 'J899.
sion Tennuyait, et il était appuyé sur le côté. Quand
il m entendit parler de textes et de citations, il se
redressa sur son séant, comme fît El-Mamoun qui
se redressa également sur son séant quand il fut
repris pour une faute de langage, lui qui avait la
prétention d'être un puriste , par Nader ben Ghamii.
Je leur citai alors ce récit à'Oammou Aimana, es-
clave du Prophète , rapporté par Khajadji : « Le Pro-
phète (saluts) , s'étant levé pendant la nuit, alla uriner
dans une jarre qui était dans un coin de la chambre.
M'étant levée moi-même, comme j'avais soif, je bus
le contenu de la jarre, sans soupçonner ce que
c'était. Quand le matin fut venu, le Prophète me
dit : « Lève-toi Oummou Aïmana, et jette le contenu
de « cette jarre. — Mais , répondis-je , j'ai bu ce qu'il y
« avait dedans. » Alors le Prophète se mit à rire et
me dit : « Par Allah ! tu n'auras jamais mal au
ventre. »En effet, cette femme ne fut jamais malade
jusqu'au jour de sa mort.
Je citai également les opinions d'ibn Djauzi , d'Ibn
Dahih , et ce qu'on lit dans le Madkhel. Suivant les
uns , cette esclave ne s'appelait pas Omnmou Aïmana ,
mais Barqa ; suivant d'autres , ce furent bien là deux
esclaves différentes, à chacime desquelles il arriva
une aventure analogue. On a fait observer que la
plupart des accidents sont dus à l'excès du boire et
du manger, et que dès lors, il est naturel de faire
un souhait pour écarter ces accidents. Mais on a
l'ail également remarquer, que le souhait du Pro-
phète s'appliquait à un cas tout particulier : son
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRÏ. 391
esclave avait bu de lurine qui pouvait la rendre ma-
lade, etc.
On rendit alors justice à l'exactitude de mes ci-
tations.
J'eus un jour une conversation avec ce cheikh
Tayeb ben Queirân au sujet de ces paroles du Pro-
phète : « Trois choses me plaisent en ce monde :
les femmes et les parfums , et j'ai mis ma consolation
dans la prière. » Il prenait ce hadits dans son sens
apparent, mais j'objectai : « La prière nest pas une
chose de ce monde ; la troisième chose dont a voulu
parler le Prophète , c'est de manger par exemple des
sauterelles. C'est tout à fait un usage des Arabes de
mentionner plusieurs choses en général , et d'en dé-
tailler seulement une partie. Il est dit dans le Coran :
«Vous y verrez les traces de miracles évidents; là
« est la station d'Abraham (m, 91). » Aucune autre
chose n'est mentionnée , comme pourraient l'être ce
fait, que les oiseaux ne se posent pas en cet endroit,
ou la mort des oppresseurs , ou la réunion des gens
qui y viennent de toutes les parties du monde habité.
Un poète a dit de même :
« Temim est formé de trois parties : un tiers est
« formé par les esclaves , et un tiers par leurs
« maîtres. » .
•
H n'indique pas quel est le troisième tiers , qui est
formé par les nobles de la tribu. Un autre poète
a dit :
« Trois choses auxquelles j'étais autrefois très
xi\. 26
IVrnINKME fATIIt»AlV.
302 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1809.
«adonné, ont mangé mon bien : le vin, la viande
«bien grasse accommodée de safran; je n*ai pas
« cessé de les aimer passionnément. »
Il s'abstient de citer la troisième chose qui n'est
autre que le blé. Le ^ qui précède le mot « ac-
commodée » , est un y d'état; il signifie l'état de la
viande assaisonnée de safran.
Là dessus , Tayeb ben Queirân se tut.
Quand ce cheikh mourut, Fès fut bouleversé*
tout le monde fut affligé ; chacun prononça son orai-
son funèbre et ses louanges. Le sultan et tous ses
courtisans assistèrent à l'enterrement. C'est bien
ainsi qu'ont été traités les grands savants dans tous
les pays. Quand Ismaïl ben Abbad mourut, le std-
tan suivit à pied son enterrement, et s'assit pour
entendre la consolation. Il en fut de même à la
mort du chérif Tlemsani et de bien d'autres.
Je me rencontrais souvent dans le medjles du
caïd de Fès avec un des grands de la ville , le cheikh
Hamdoun aussi distingué comme littérateur que
comme jurisconsulte ; nous nous récitions des vers.
Le caïd ayant entendu de ma bouche im grand
nombre de finesses et de choses agréables, me fit
cadeau d'un excellent étalon de ses haras, l'éhte de
ce qu'il possédait. Que Dieu maintienne la fraîcheur
sur son tombeau !
J'eus l'occasion de m'adresser pour diverses ques-
tions au cheikh Abd el-Qader ben Cheqroun qui
était à la fois un grammaiiûen solide et un fin litté-
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 3W
rateur. Il ne s arrêtait pas longtemps à réfléchir et
allait plus vite que la demande même du question-
neur. Ayant appris que les savants de Taza s'étaient
brouillés avec moi, il leur écrivit : « Gomment pou-
vez-vous ne pas honorer un hafid qui est connu
dans tout le Levant? » Il m'écrivit ime lettre que j'ai
encore actuellement, et dans laquelle il loue mon
grand commentaire des sécunces de Hariri.
Pendant ce séjour à Fès , je fis hommage au sul-
tan Soleïmân d'un de mes commentaires sur Hariri,
ainsi que de l'Aqiqa, et j'en reçus en récompense un
.riche cadeau. Un jour que je me trouvais dans son
medjles, il me dit : «Un pèlerin m'a assuré que
l'imam Abou Hanifa est enterré au Caire. — Dieu
te donne la victoire, répondis-je. Celui qui est en-
terré au Caire est le cheikh Mohammed el-Hanefi ,
qui est un grand saint du rite hanéfite du vin* siècle ,
contemporain du cheikh Ali ben Mohammed.
Quant à l'imam Abou Hanifa, il est mort à Baghdad
et fut enterré dans l'ouest du Kheirazân en l'an io5
(7^3).
Il me questionna un jour sur la limite du Magh-
reb extrême. Je lui répondis : « Ibn Khaldoun , la
place à Oudjda. Cette limite a été fixée à nouveau
par ton aïeul le sultan Ismaïl, et par les Turcs
d'Alger au commencement du xii* siècle. — Quant
à moi, me dit-ii, mon avis est que cette limite est
la ïafna ». Puis il se tut^
^ Le sultan Soleimàn aurait donc voulu pousier ses limites à
a6.
394 NOVEMBRE-DËGEMBRE 1899.
Il me questionna également sur les rois saadiens ,
sur les Beni-Ouattâs ^ et sur certains personnages re-
ligieux. Je lui répondis ce que je savais, et je vis
qu'il avait des connaissances étendues sur la chrono-
logie, la généalogie et Thistoire des Arabes, sciences
dont se nourrissaient autrefois les princes. Je lui dis
que le royaume des Saadiens s'effondra en loSg
(i65o). Peut-être quelqu'un d'entre eux a-t-il sub-
sisté. «Il en est resté deux, me répondit-il, dans
Fès le neuf; je ne connais que ces deux hommes qui
aient survécu dans la misère à la chute de la puis-
sance de leur famille. »
Quand vint le moment du départ, je me rendis
pour m'embarquer à Martil qui sert de port à Té-
touân; mais il fallut attendre un vent favorable, et
pour utiliser mes loisirs, je mis au net^ un com-
mentaire de mon poème Les Manteaux de soie, sur
la prise d'Oran, et je l'intitulai : Jardin de la consola-
tion composé dans le port de Tétoaân. Je l'envoyai au
sultan Soleïmân qui me fit parvenir une riche ré-
compense par l'intermédiaire du gouverneur de
Tétouân.
Je revins à Mascara où ma présence était désirée
par le Bey ; que Dieu lui donne la victoire ' ! Je
Test de manière à posséder tout le territoire compris entre notre
frontière actuelle et la Tafna.
' Branche des souverains mérinides du Maroc.
^ vsm2io «je copiai, je mis au net»; peut aussi simplifier «je com-
posai ».
^ Le retour à Mascara dut a>oir lieu en 1S02, année qui suivit
celle du départ pour Fès. Or en i8o;i, le hey Otmân fut remplacé
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 395
passai d'abord par Tlemcen (probablement en 1 802).
J'ai entendu dire que l\ooo savants sont enterrés
dans cette ville. Un jour j'étais assis avec le descen-
dant de l'un deux, et il vit le mot Jôi écrit à tort
avec un ^. « C'est une faute , dit-il , on doit l'écrire
avec un là . » Je regardai le Camous, et vis qu'il
avait raison. Dieu est le plus savante
Plus tard nous fûmes enveloppés dans la sédition
des Derqaoua^ qui commença à la fin de safar 1220
(mai i8o5). Nous n'y étions cependant pour rien.
Alors se succédèrent pour moi la crainte , la faim et
l'épouvante; je jetais de côté mes livres sur lesquels
l'oubli passa à un tel point que les araignées y tis-
sèrent leurs toiles. Puis le ciel s'éclaircit, et je me
remis à écrire.
par Mostafa el-Manzali. Il s'agit donc ici d'un de ces deux beys ; je
penche plutôt pour le second. Il est vrai que Bou-Ras a placé dans
ses Voyages extraordinaires un éloge d'Otmân. Mais d* abord cet
éloge ne tire pas à conséquence ; en second lieu , quand il fut com-
posé , Otmân n'était pas encore bey, et n*avait pas encore révélé les
tristes qualités qu'il montra depuis. Au contraire, Bou-Ras était en
bons termes avec Mostafa qui lui donna une somme pour bâtir sa
bibliothèque. Il est vrai que Mostafa ne fut pas un guerrier victo-
rieux: mais le souhait de victoire ne tire pas non plus à consé-
quence.
' J'ai cité cette anecdote insignifiante parce que la leçon n'a pas
profité à Bou-Ras. Il a continué à faire la même faute dans les ma-
nuscrits que nous croyons être de lui, et a été fidèlement imité par
les copistes. La confusion des deux lettres est fréquente dans l'ouest,
où elle est favorisée par la prononciation locale.
- Secte tirant son nom de Sidi el-Arbi né à Derqa, près Fès.
Après avoir été maîtres de tout le beylik de Touest, moins Oran,
en i8o5, ïh furent chassés ou détruits par le bey Mohammed Mc-
Lailech.
a06 NOVKMBRË-DÉGEMBRE 180Q.
En 1 aa6 ( 1 88 1), je partis une seconde fois pour
le pèlerinage. Je passai de nouveau par Tunis où je
descendis chez le mufti Si Mohammed ben d-Mah-
djoub. C'est dans cette ville que Si Ibrahim er-
Riahi, après avoir iu certaines de mes œuvres,
composa en mon honneur une admirable cacida de
cinquante-huit vers. Le sultan de Tunis lui avait
offert les fonctions de cadi, et lui en avait envoyé
Tinvestiture; mais il refusa et renvoya le tout. Voitii
le comble de la piété et du désintéressement.
Le bey Hamouda-Pàcha, ayant entendu parier de
moi, voulut bien me faire appeler; il me fit asseoir
et me questionna sur divers sujets où je le satisfis
complètement. Mais certains savants, ayant connu
les honneurs que je recevais, en conçurent de la ja-
lousie et de la haine. Leur aniroosité se montrait
dans leurs paroles, mais ce qui se cachait dans leurs
cœurs était bien pis encore. Que Dieu leur fasse mi-
séricorde . et purifie leurs vêtements de Fordure de
envie 1
Je revis également le Caire où j'eus de nombreux
entretiens avec les savants de la ville. C'est dans celle
ville que je vis It* ckeikh malékite Mohammed d-
tlmir, natif de Mazouna, mais qui (ut élevé en
hlgypte et qui y mourut en iq33 (i8i8). Voici qaî
prouve son grand savoir, sa sainteté et sa vertu. Le
pacha du Caire, malgré la majesté de son autorité
et sa haute situation, venait à pied le féliciter aux
(It^ux grandes fêtes de Tannée. Voilà bien conunent
les savants ont été traités par les sultans, les énùrs
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 397
et même les khalifes qui étaient, sans conteste, au-
dessus de tout. Haroun er-Rachid , qui commandait
à tant d'hommes, venait avec ses deux fils El-Amin et
El-Mamoun chez Malik.
Çalah ed-din (Saladin) vint avec empressement à
Alexandrie pour y entendre les hadits de la bouche
du hafid Selfi.
J'eus également pour professeur le chaféite Si Abd-
allah Cherqaoui, cheikh de la mosquée d'El-Azhar
qui fut construite en 369 (883). Quand les infidèles
entrèrent au Caire et imposèrent aux Musulmans
un sequin par fenêtre ^ il protégea ses concitoyens
de toute sa force et de tout son pouvoir. Ses bons
conseils ne firent point défaut. H n'eut de haine que
contre les infidèles; au contraire, il suivit toujours la
voie de l'honneur jusqu'au jour où, après trois an
nées , Dieu délivra les habitants qui pendant tout ce
temps avaient été dans la soufi&*ance et dans l'op-
pression.
Ce fut dans ce second pèlerinage que je rencontrai
à la Mekke des savants ouahabites. Après de longues
conversations avec eux, je m'aperçus que, pour les
règles pratiques , ils s'éloignent des quatre rites ortho-
doxes; mais, pour les principes, ils sont hanba-
lites.
Je me rendis ensuite à Médine, et là, avec les
savants de la ville, j'allais bien souvent au tombeau
' On voit par ce détail peu connu que notrç première importa-
tion en bjgypte pendant la campagne de Bonaparte fut Timp^t des
portes et fenêtres.
co98 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
du Prophète (saluts), ainsi qu'à ceux de ses compa-
gnons Abou Bekr et Omar. Dieu les accueille !
De là je me rendis en Syrie où j eus Toccasion de
m'entretenir avec des savants au sujet d'une question
de legs pieux , sur laquelle a écrit le cheikh Abou-
Zakaria ben el-Khattab (Dieu lui fasse miséricorde ! ).
Notre examen de cette question dura longtemps; à
la fin , ils se rangèrent à mon avis et me donnèrent
raison ; c'est ainsi qu'agissent les vrais savants. Enfin ,
quand je voulus partir, ils réunirent pour moi beau-
coup d'argent et de provisions, et ils m'accompa-
gnèrent en me faisant leurs adieux.
Je visitai ensuite Ramla, puis R'azza, où nous
visitâmes le tombeau de notre seigneur Hachim,
bisaïeul du Prophète (saluts). Les savants et les
principaux personnages de cette ville me donnèrent
l'hospitalité et me traitèrent avec distinction. Quand
nous eûmes discuté un certain temps , ils reconnurent
mon mérite, ma science et mon érudition. On ap-
pelait autrefois cette ville R'azza de Hachim , comme
on le voit dans le vers suivant d'Abou Nouas :
... se dirigeant eo troupe vers R*azza de Hachim.
Ce nom s'écrit avec un fatha sur le J.
De là , je me rendis à El-Arich ; mais je n'y trouvai
aucun savant à qui je pusse m'adresser ou demander
assistance. Je visitai aussi Jérusalem.
L'année suivante 1227 (1 8 1 a) , je revins du pèle-
rinage. Qu'on me permette de placer ici quelques
mots sur ma bibliothèque qui éveille en moi le sou-
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 399
venir de la générosité de deux beys. Cette masria fut
élevée par mon ami généreux et bienfaiteur chéri,
le bey Mostafa , aujourd'hui enterré à Médéa. Que
Dieu parfume et rafraîchisse son tombeau ! J y en-
voyai par un de mes élèves une pièce où se trouvait
la phrase suivante : « Que Dieu te construise une
demeure dans le Paradis, comme tu as construit
pour moi une bibh'othèque , sans me faire sentir ce
bienfait par aucun mauvais procédé ! »
Cette bibliothèque a été lobjet de la cacida sui-
vante , composée par un de mes élèves :
Dieu , quelle goubba ! Sa beauté et son éclat sont incom-
parables ; la plus brillante appartient au plus brillant ;
L'air semble rabaissé par son élévation ; on y contemple la
beauté vêtue et à nu ;
Les Gémeaux lui tendent leurs mains pour serrer la sienne ;
la lune qui brille au sommet du ciel en est voisine ;
E^e dit à celui qui y vient avec ravissement : Contemple
ma perfection et tu éprouveras une douce joie ;
J*ai été construite pour les travaux de la science et pour
sa propagation parmi ceux qui viennent le soir ou le matin
me visiter;
Interroge qui tu voudras, tu apprendras aussitôt que je
suis { comme ) l'onagre dont la chasse est la plus émouvante
de toutes ;
Je surpasse les goubbas d'Ibn Nasr et de Nacir, bien que
par leurs dimensions elles défient toute ressemblance ;
U y a une grande différence entre ce qui n*a été élevé que
pour le plaisir, et ce dont on compte les mérites sans en
trouver la fin ]
Que peut-on comparer à la science pour la puissance et
l'élévation ? On la voit habiter dans mes flancs et y recevoir
l'hospitalité ;
400 NOVEMBRE-DÉCEMBRE I80tt.
Mon maître bien-aimé Abou-Ras en est le propagateur; U
m'en a parfumée , U en parfume quiconque s'adresse à loi;
Il est sans conteste le plus grand auteur de ce siède ; il
abreuve les altérés avec Teau limpide de la science ;
Il en est aussi rhistorien, le grammairien, Timam, le ha-
ûd. La première place lui appartient;
J*en atteste les principaux parmi les Arabes, ainsi que l«i
chefs parmi les sectateurs des rites orthodoxes;
Que le salut de EHeu soit sur lui , tant qu'il paraîtra comime
le soleil levant, tant qu'il éclairera de sa lumière la terre et
les hommes !
Quand je voulus la faire blanobir à neuf et réparer
certaines parties détériorées , j'en parlai au bey Mo-
hammed ben Otmân^. Celui-ci m'envoya cent riais
Ml y a ici un anachronisme dont ia rectification eit difficile. Les
beys qui se succédèrent à Oran à cette époque furent :
1802-1805, Mostafa el-Manzaii ;
i8o5-i8o7« Mohammed Mekdech, fils de Mohammed ei-Kebir,
étranglé pour sa mauvaise conduite ;
1807, Mostafa une seconde fois;
1807-1812, Mohammed Bou-Kahous, célèbre par sa férocité et
sa fin tragique;
1813-1817, Ali Kara-Bargii, gendre de Mohammed ben Otmân
(el-Kebir), excellent hey qui aima à s'entourer de savants.
Quand Rou-Ras revint de son second pèlerinage en 1819, Mo-
hammed hen Otmân était mort depuis quatorze ans ; il ne put donc
pas donner à cette épocpe les cent mahboubs. Voici une hypothèie
qui, sans être complètement satisfaisante, permettrait d'expliquer
cette contradiction. Mostafa ût construire la goubba étant bey, entrt
1802 et i8o5. Vers 1810, Bou-Ras s'adressa pour les réparations
à Ali Kara qui n'était pas encore bey, mais auquel il donna néan-
moins ce titre parce qu'il Tobtint plus tard ; il en reçut les cent
riais; seulement par un lapsus extraordinaire, il lui substitue le
nom de son beau-père Mohammed ben Otmftn , qui n*avait pu être
pour rien dans aucun des dons. Enfin en 181 3 , au retour du pèle-
rinage , il trouve son bienfaiteur Ali Kara devenu bey, et il ap ob-
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 401
qui suffirent complètement à la restauration. C'était
avant que je le quittasse pour aller en pèlerinage.
Dieu lui fasse miséricorde !
Quand je revins du pèlerinage en lasy (1812),
il me donna cent mahboubs (sequins). Après sa
mort, je me rendis à son tombeau, je pleurai et
j'invoquai la miséricorde divine, en disant entre
autres choses : « Salut sur toi , ô Iman , qui es abrité
dans la maison du salut! Tu as bu à la coupe à la-
quelle boivent tous les hommes; tu t'es trouvé le
front humilié et la force affaiblie en suivant la même
règle que ton père et ton aïeul. Après la destruction
de tes espérances, tu n'as plus trouvé que tes bonnes
actions. Je demande à Dieu qu'il te console dans ton
isolement, qu'il arrange pour toi, dans l'autre vie,
ce qui t'a peiné dans celle-ci , etc. »
Me voici arrivé à la fin de ma rihala. Louange à
Dieu qui m'a guidé jusqu'à ce point ! Je n'aurais pas
suivi une bonne voie , si je ne l'avais pas eu pour
guide. Les messages de Dieu m'ont apporté la vérité;
mes ouvrages le citent fréquemment. Dieu est celui
qui nous approuve.
Je donnerai maintenant ia liste des ouvrages
grands ou moyens que j'ai composés ^ :
tient les cent mahboubs. L'éloge funèbre du mort apporte peu de
lumière. J'en ai cité la seule partie qui l'écarte un peu de ia ba-
nalité habituelle. Bou-Ras semble y faire ailuaion à des maibeun.
Or rinfortuné Ali-Kara fut étranglé par ordre du dey Omar, à
cause de ses vertus mômes. Bou-Ras dit qu'il se rendit à son tom-
beau, mais ii ne dit pas où.
' Ceci indique que les opuscules ne sont pas cités. Lm mots placés
402 NOVEMBRE-DËCEMBRE 1899.
Le Coran.
1. J^-hOJ J-fJJl ^ (5^^*)s^t jUa^^ ^j^\^
yXMé.xx}\ Is. JI^^AAMJûJI ^ Ja)«>JI « La réunion des deux
mers et le lever des deux astres^, par la grâce du
Tout-Puissant en faveur de son humble serviteur,
pour faciliter la science de l'explication du Coran »,
im trois tomes comprenant chacun vingt chapitres.
Jy ai fait de grands emprunts à i'Aoufya , à Zamakh-
chariy à Beïdaoïiiy à Ibn Atia et à d'autres encore.
2. 2;ljJaJt^ 2-*'>^' Ji;*^'^ }}r^ ^ "^^^ " Les
perles étincelantes et les broderies, notes sur El-
Kherraz ».
Les Hadits.
3. *^]^^ Js>^^ ^j^ 45> cjUXJI v::>L>^l « Les signes
manifestes^, commentaire des Dalaïï el-Kheirat ».
entre parenthèses dans certains titn»s ne ligunml pas dans l*aiito-
biop[raphie , où ils paraissent avoir été oubliés , car ils sont néces-
saires ail sens. Ils ont été relevés dans des listes difféi*entes de cet
ouvrage.
* On peut entendre que les deux mers et les deux astres sont
quatre commentateurs différents, ou simplement les deux plus
connus, Zamakhchari et Beïdaoui.
^ Ce titre ainsi donné dans Tautobiographie a été reproduit par
les copistes; mais il me paraît inversé; il est probable qu'il faudrait
le lire comme il a été traduit :j)yll Jb£ *Xt^«ub '^\^\y ^1^^ ))^ •
Abou Abdallah Mohammed ben Mohammed Ibrahim ech-Cherichi
(de Jerez), connu sous le nom de El-Kherraz, est Taute.ur du
poème intitulé : ^^\yiJ\ ^\ ^ (jl«ji^) ù^y» « Abreuvoir de rhommp
altéré sur le texte du Coran».
* Ces trois mots sont tirés du (x)ran, ii Oi'S,
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 403
UUjw ^ « Les clefs du Paradis et sa sublimité, au
sujet des hadits sur le sens desquels les savants ne
sont pas d'accord ».
« Le glaive dégainé , au sujet des hadits que j'ai
rapportés sur l'autorité du cheikh Mortada^ ».
Le Droit.
perie du collier des gloses sur le cou des commen-
taires de Zerqani et de IQiarachi », en six volumes.
J'ai rapporté dans cet ouvrage les opinions de plu-
sieurs grands savants, entre autres le cheikh Mos-
tafa et Mohammed ben el-Hasan el-Benani, com-
mentateur de Zerqani.
7. J;t^JLJi (j^ ^ 45? J)\y plî^ilt « Jugements
solides sur quelques affaires juridiques ».
« Poème remarquable sur des règles pratiques de
droit qui sont rarement citées dans les textes , mais
dont l'application est fréquente. »
9. ^^Js^-b ^1 ^ (^JiXJI caS^I « L'astre brillant,
au sujet de la variole , vice rédhibitoire •>.
' On a vu que Mortada babitait le Caiixï, el qu'il délivra à Bou-
Uas un diplôme flatteur.
404 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1809.
10. ^^iyi;L^I ^ C;)>^t>>t «Iji; ^ (<KJU»)« (SoUTCe
authentique) de ce que disent les savants au sujet
de la peste ».
11. ^^t jU!^ iMuH^ ^1 xà* o.A^ ^ iu^
^U ^Uyi ^Â3 c.^^ (s^ « Quelques mots d^une haute
portée sur lexposition de la doctrine d'Abou Ha-
nifa , et Les fruits de Tintelligence , sur l'exposition de
la doctrine de Timam Malik » *.
La Grammaire.
12. Lçi3 I4J ^ ^ ^t iUuJt »;«3JI « La perle in-
comparable et sans prix », grande glose sur le com-
mentaire de Makoudi.
13. x^uï^^l Ju^ ^:>^t ^j^ M^' ^î=^' « Les
signes probants^, sur le commentaire de Makoudi
sur TAlfiya ». Petite glose.
lidité des approvisionnements au sujet de la manière
de voyeller ^ yS^ et ^tj ^ «4^^ ».
^ n y a peut-être là deux ouvrages distincts.
- On pourrait aussi comprendre IjPs nombreux botis mots; mais
lin savant indigène, familier avec les subtilités de Bou-Ras, pense
quMl faut prendre 0X3 dans le sens de « signes tracés par terre avec
le doigt».
' Bou-Ras nous apprend qu un jour, à Oran , devant le bey Mo-
hammed el-Kebir, il lui arriva de dire ^^.û^vS'avec un fatha. Un
haut fonctionnaire nommé Si Mohammed hen el-Hasan, qui était
..tis^jalik'
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 405
15. i^^ ^y Jjia^\ ^ kJ^aiL ^ « La satis-
faction du besoin » , pour la connaissance des pré-
faces de l'Alfya.
Les Rites.
16. A^^î C35Vxâi.t ^J^ iUilt Â^^ «La miséricorde
pour les peuples « au sujet des différences entre les
imams ».
17. ^LjT^t «>,>L«^ ^ ^U^l sji^t^J^ « L ornement
de 1 entendement, au sujet des questions sur les-
quelles on est généralement d'accord ».
« L'abondance des dons, au sujet des différences
entre les quatre rites ».
1 9. ^L4JûE^I ^ iUOoU ^ dU^^I ^^ « Le fond
du ravin ou Les sens profonds pour enhardir (le sa-
vant) dans ses efforts ».
Le Taouhid et le Soufisme.
20. S^yl\ ^ »y^t ^ 3^ ^ ^yi ^ ^1 ^;
aMI Ik^ ^1 ^^ Jt « Les fleurs des coteaux » , com-
mentaire des apophtegmes, ou Faveur de Diêu
présent, le reprit, et cela lui donna l'occasion de composer cet ou-
vrage. On trouve cotnme variante du litre î ^bUI I^Jk^ «Satisfaction
du désir».
406 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
pour conduire à Texplication de louvrage d'Ibn
Ata Allah.
21. pLJ^:iH3 o>^t^ ^N^yJt (^ *M i^M V^^'
(S,^XJii\^ « Recueil concernant une partie du taouhid
et du soufisme, les saints et les fetoua ».
22. JsJLuJlt SJSjy jJomU i^U^ (c La satisfaction du
croyant et la dure épreuve du critique » sur le grand
commentaire de Snoussi, qui lui-même a été com-
menté par le cheikh El-Hasan el-Yousi.
J'ai marché dans son chemin et coulé dans son
moule.
j*^^ pLJ^t ^ ^^Lftilt ^i> ^ if^\ (« Éclaircisse-
ment de Tobscurité ») ou («Lumière de Jupiter»,
variante); « commentaire de Y^lqd-en-Nefis (« collier
précieux ») sur les principaux personnages parmi les
saints de la plaine de GhVis » \
24. (jl^yt «>'^ ^^^ J^ '^ "^ ZT^ '^ Connnentaire
de la perle d argent du cheikh Abd er-Rahmân ».
25. ^ .C-^^ i|;-r?LM JbutI ^ oL^' ^j^ oljull v^
»ytL«Les voiles enlevés et les rideaux écartés, au
sujet des proverbes courants, des belles sentences
el des prédications entraînantes » dus au cheikh Si
^ Voir lu note de la page i8 au sujet de V'L/d-en-NeJis, ainsi
que rou>rage numéroté 45.
>iOTlCE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 407
Moslim ben Abd ei-Qader, et mis en ordre alpha-
bétique.
26. C3yâx!t L^S^ Jl c»ySéJù\ « Coup dœil sur les
règles du soufisme ».
Lexicologie.
27. fjéjjùixi\ oU^ Jl^ O^^IàII pLuiô « La lumière du
flambeau sur le Camous. »
<^y5^3 « La solidité sur les fondements du Camous,
abrégé de Azhari et de Djaouhari. » Le premier de
ces ouvrages n a pas été terminé à cause de la rareté
des matériaux permettant d atteindre le but désiré.
29. ^UJt ^:^^\ iûiî ^ jLê^\ 2*; « Le prix élevé,
au sujet des termes employés pour les huit espèces
de festins. »
Eloquence.
30. [sic) âj^-XjJt ^jJt .Sx^y^XJ^ Js, jLtilt Jui
« L'obtention des désirs » sur fabrégé de Sâd ed-Dîn
et-Taftazani.
Logique.
3 I . i^JéJ\ ^j^ ^ Jk^Jl! JyiJI « Le pur langage,
commentaire du Soulam. »
\iv. .37
iMraiMi'.KiE «ATioxâi.r.
408 NOYEMBRE-DÉGEMBRE 1899.
Les Principes.
Quand j'ai écrit pour commenter Mahalli et les
Ouçoul , Dieu ma donné la mémoire et les moyens
nécessaires pour arriver à écrire ces feuilles, dans
Tespoir qu'elles seraient mises au net le jour terrible
(du Jugement dernier) ^
La Prosodie.
j\j « La niche des lumières, dont la lampe (littérale-
ment rhuile) éclaire sans qu aucun feu Tait touchée » ,
au sujet du poème El Armaz el Aoaafi sur la science
du mètre et des rimes.
Histoire.
33. gj^l ^ (^ gjU>:ult iyt^j « La ileur des ra-
meaux dattiers , sur la science de Thistoire. » J^ai
suivi Ibn Khaldoun et d'autres.
34. J^l »^ Jt AjuXil jy ^ 4^1^ ^1 « Les
vœux et les demandes s' étendant depuis la création
jusqu'à la mission du Prophète » , avec des récits sur
les génies tels que Tahdis et Serdjân.
* Bou-Has aurait donc écrit sur les OuçouI im ouvrage dont il
ne nous donne pas le titre.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 409
35. oLâP^I ^ c^i^ill Jc^^ (j4ry> 4jl^*NJt Jâ « L'on-
dée des nuages, au sujet des compagnon» du Pro-
phète qui sont venus dans le MaghVeb. »
36. il^LijJsJl L^^y^ ^ ii^tjLiJt p^à « L'écartement
du malheur, au sujet des guerres des Derqaôua. »
Ces guerres commencèrent à la fin de safar lîaao
(mai i8o5). Dieu nous garde de toute révolte ou-
verte ou cachée M
37. ijLàJI (JyJI J.^ iCJt*>J! ^Ull «Les signes in-
dicateurs, sur les nations égarées. »
38. JjîLiJt MyMA Jl JjLéj}\ « Le moyen de parve-
nir à la connaissance (de la filiation) des tribus. »
39. Le poème intitulé : ^^ Un3 aaamJouJI JJLiL
i^sMj4Xi^l 5^4Xa]I^ «Les manteaux de soie fine, au
sujet de ce qui s'est passé de l'autre côté du détroit
en Espagne 2. » Et ses deux commentaires intitulés,
le premier :
^ On a vu que Bou-Ras avait souffert des suites de dette sédition ,
bien qu'il en fût lout à fait innocent, assure-t-il.
^ Cest là le titre donné dans l'autobiographie. Dans le commen-
taire II, on trouve : JL^jJ^I <y.)43 u'r^3 iJ^ <s9 ^■^JsJi.^H JJiL
«les manteaux de soie fine, au sujet d'Oran et de la Pé&instde
espagnole»'^ ce titre est plus exact, puisqu'il est parié d'Oran dans
la cacida qui a précisément pour but de c^ébrer la prise de cette
ville. On trouve aussi la variante : ^«xi^L^ ^«». i^fkf (^^U^t ^jt^^
^)yftjl9 « la perie précieuse , sur ce qui s'est passé en Espagne et à
Oran. »
27-
410 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
'ijyàA ^yô^ « Récits surprenants propres à élucider
ce qui s est passé en Espagne et dans les places du
Magh reb » ; et le second :
Cl Histoire extraordinaire de ce qui s*est passé à
Oran et en Espagne par le fait des infidèles » ; et :
^I^Lbu f^i^, iôOJil ^tjXwJt iijiô^^ « Jardin de la con-
solation composé dans le port de Tetouân ^ ».
42. ^^^ ^L-uM^jij ^^ pLiU^t pUl (s^^^t i^Ljj
pUmI ^^ ^ti^ju ^j^A«.^l « Avertissement aux contempo-
rains ignorants par Thistoire des princes et des
chefs, avec indication de ceux qui furent bons ou
mauvais ».
43. jj«llô^ (s^ «4^ 45* ^JJiayÂi\ Joi « La suite du
Cartas, au sujet des rois des Beni-Ouattâs. »
44. ibOsjuJI J^UI ^ ib2»^^l ^j^^ ^ ^^ tieuT du
rosier, histoire des rois saadiens » de Tan g 1 8 (i 5 1 a)
à fan loSg (1649).
45. Ji ^^^ s* ■*^. *> Jt (^ »«x-A-> 45-? t-^«^*iJI ^3j*
«-^^3 4^^t c^v^Jt «Les monnaies d'or de bon aloi,
' 11 est certain que ce dernier ouvrage est un commentaire de
la cacida. L'auteur, après avoir annoncé deux commentaires, donne
trois titres; il faut que le troisième titre soit une variante pour le
second comm(uitairc.
NOTICE SUR MOHAIVIMED ABOU RAS EN NASRI. 411
contenant un peu de généalogie, et des renseigne-
ments sur les personnes qui se piquent de noblesse ^ »
46. fl^t ^^ U^ ^^.x^t (:r^ J^ ^ p^t ^
-^JLiJI V Le Récit certain, au sujet de tous ceux qui
ont inventé quelque chose dans une branche quel-
conque de la science. »
Poésie.
47. :>LxJL ooL ^^ ^ ùLiu^\^ jjL«-^! « Bonnes
nouvelles et heureux événements, commentaire de
Banet Souâd ». Dans ce commentaire de Toeuvre du
célèbre poète Kab ben Zoheïr, j'ai suivi Jbn Hicham
pt Abd el-Latif.
48. t^j^JfJ^ x-A-^^ zj^ (^ V;^' J^ « L'Obtention
des choses nécessaires, commentaire de la Lamiet
el-Arab » de Chanfara. Toute la chasse est dans le
ventre de ronagre'-.
49. ^\ '»^^ »Jwâ3 ^ ^^t AJ|)t « La Fin de
^ Ce furent sans doute cet ouvrage et celui porté sous le n** 23,
qui blessèrent les vanités nobiliaires des concitoyens de Bou-Ras.
Le premier sens qui se présente à Tesprit est : «les prairies d'or»;
mais , d'après les indigènes , ^3v» doit être pris ici avec le sens de
« lingots » qui n'est pas donné par les dictionnaires. Je pense qu'il
faut lire ^ jy* « monnaie de bon aloi » , titre qui convient bien à
un ouvrage ayant pour but de faire un triage dans la noblesse.
^ Ce proverbe équivaut à : C'est le dessus du panier. Il est placé
là pour rimer avec Chanfara.
413 NOV£MBa£-D£C£MBRE 18Q0.
rhéiitation au sujet de la Lamiet el-Adjem » de
Toghraï. Combien de savant» iont oommentéal
Combien de conteurs l'ont citée !
50. JsjuâJI AiljXM» vijjM ^J^ «Nju^yi a Le seuil » ,
commentaire de la Selouanet es-Cid ^ .
51. iuuÂxJt '^yiè ^ iUuS^t 5;jJI (( La perle pré-
cieuse, commentaire de TA^i^a»'^.
52. Second commentaire du même ouvrage :
^I«>ul1I iitXjuAii (^t^t zy^ S^J^ «Broderie, com-
mentaire du Mirdasi sur la cacida de Mendasi ».
53. Troisième commentaire : ^^ ^ k^^I ^
aMI «x^ ^t AJUÂ^ « L'assistance de Dieu, commen-
taire sur VAqiqa dlbn Abdallah ».
54. Quatrième commentaire : «X-^uuJt gçLlI ^j*<JI
j^^uuw à^âJI AÂAÀ^ ^yi^ ^ « La course profitable et
heureuse, commentaire sur YAqiqa du cheikh Saïd »•
55. Cinquième commentaire : ^ iôJsjou*JI iUUL
ib«>uuuMJI ff4KAA4i}l ^JSé»Le manteau fortuné, com-
mentaire de la cacida de Saïd ».
56. Sixième commentaire : ««Xjuâi ^ym ^ ^U4t
^Jjè^^ ^1 « La perle d argent, commentaire de la
cacida d'Abou Otmân ».
' Poème où il ast question de la rhasse.
^ Voir pagt) xi, qiitdquns renseignernents sur VAqiqa et son
iuileur.
\OTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 413
57. Septième commentaire : {^j^ c,%»»fî! iJl^)
(«Le divertissement de Tami, commentaire du)
poème du littérateur au mérite personnel, qui ré-
unit les éloges ordinaires avec ceux en forme amou-
reuse M , soit au commencement du poème , soit
ailleurs ^
Voilà sept commentaires; mais le oheikh Resszouq
en a composé plus de vingt pour les Hikam d'Ibn
Atallah. Le cheikh Ahmed Baba a dit, dans sa
Satisfaction de celui qui en a besoin pour le Deil ed
Dihadj : « Parmi ces commentaires, je me suis arrêté
surtout sur les 1 4', i 5' et i y®. »
58. Hi^yl] ^jm Ajyô^t Jol^yiw Les parterres agré-
ables, commentaire de la GKoutya ».
59. '»j)^ ilJy^l ZJ& ^ hI^^^ Oly^t) «Les
lumières du descendant de Djalil, commentaire
de la cacida de IQielil «^ .
60. ^lAdît iliXft ^ ^l^t v^ « Le meilleur de mes
écuelles, sur le nombre de mes professeurs ».
^ Cet éloge bizarre n'est pas dû seulement aux nécessités de la
rime. Il s'explique aussi par la forme étrange que l'auteur de
VAqiqa a donnée à la louange de ses héros. Voir ce qui a été dit à
ce sujet , page xi.
^ On a vu que deux ancêtres de Bou-Rtt t'appelaient Djdil.
4J4 NOVEMBRE. DÉCEMBRE 1899.
6 1 . (s^^) ^«^^^' (^ d>^ 3 cs^^ ^ ^^^ vêtement
et mon présent, au sujet du nombre de mes
voyages ».
62. &V.CU A^>^^l (^ iUxi^t ^\j^i\ « Les profits
écrasants, au sujet des réponses qui ferment la
bouche à toute objection ».
63. A *i y y -k t^ ^^t pl«Xx« ^ x^\S\^ y^\ »ôyj
«Quelques calices de fleurs, au sujet de mes
points de départ et d'arrivée ».
J'avais écrit au sujet de la cacida d'Amroul Qaîs
dont le commencement est JcaJ \xà en faisant des ci-
tations d'après les grammairiens \ ainsi que sur la
maqçoura d'ibn Doreïd, mais ces ouvrages ont été
détruits avant d'être mis au net. Que Dieu me guide
dans ce qui viendra plus tard, par la protection de
mes ancêtres ! S'il accomplit mon désir en retardant
pour moi le trépas, je ferai sur le Çahih de Bokhari
un commentaire qui sera comme un torrent large et
rapide.
Maintenant j'ai mis à cette robe les enjolivements
de la fin. Elle contient quelques fleurs avec leurs
calices, au sujet de mes débats et de mon point
d'arrivée.
' D'après un biographe, cet ouvrage s'appelait : fj^\ ••^iCît
viJ^j ^L5 j--JUi y\ Âjï^i) ^ wi ^» «La parole >irtorieuse, commen-
taire de la Ldniia d'Amrou'l Qaïs : Qifa nebki. »
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRI. 415
Si j'ai énuméré mes ouvrages et Tensembie de
mes compositions , c est à Texempie de Timam Soyouti,
En effet, il a énuméré ses œuvres dans les beautés
de la discussion sur les Chroniques de TEgypte et
du Caire. Elles sont au nombre d'environ 3oo,
depuis dix volumes jusqu'à un seul feuillet. Après
lui, je ne connais personne qui ait fait plus d'ou-
vrages que moi. La perfection appartient à Dieu; à
Lui la louange et la gloire. Soyouti mourut (Dieu
lui fasse miséricorde) au point du jour, le ven-
dredi 1 7 de Djomad el Ououel 8 1 i ( 1 4o8) à l'âge
de 6i ans lo mois et i8 jours. Le jour de sa
mort, une foule considérable se réunit pour son
enterrement.
J'ajouterai que, si j'ai cité mes ouvrages par leurs
noms, ainsi que les éloges dont ils ont été l'objet, ce
n'est pas par orgueil, mais pour célébrer la bonté
de Dieu à mon égards Quel est en ce bas monde
la chose qu'on pourrait désirer par orgueil? Le mo-
ment du départ approche; la vieillesse a commencé,
la meilleure partie de la vie est passée. Il n'y a de
force qu'en Dieu; louange à Lui! Il est le maître des
mondes.
Fin de l'Autobiographie.
^ En effet , dans l'autobiographie , Bou-Ras cite complaisamment
les éloges adressés à ses ouvrages, et notamment trois longues ca-
cidas en son honneur. L'une d'elles est dans la forme amoureuse,
c'est-à-dire que les qualités de noire cheikh sont assimilées aux
beautés de la femme et vantées avec toutes les banalités qui rem-
plissent les poésies arabes du même genre.
416 NOVEMBRE. DECEMBRE 180Q.
TITRES DIS QUELQUES OUVRAGES DE BOURRAS
NON CIT^S DANS UAUTOBIOOBAPHIB.
des frères pour expliquer les familles et les tiîbiu
des génies ».
2. p^t^ J^t jLh^! 4 pjjJlt oUim < Le Chemin
désiré au sujet de Thistoire des Turcs et des Chré-
tiens ».
3. UmuJ;^! JjJL* s ptiMjuJI AA^ « Le Cadeau des
hommes distingués ^ au sujet des rois de France».
â. ^ t'^J^\ (j^ ^^^y f^^ ^ cf*AM*U]l Jt^l <t Pa-
roles fondamentales, au sujet de ce qui est arrivé
des Français et de ce qui en arrivera ».
5. (jx^)^ (s^ J^^i 4 (j^t jMi\ « La Puissanoe
solide au sujet des rois mérinides ».
« La Faveur du généreux au sujet des différences
entre les Zyanites et les Abd-el-Ouadites. Il s*agit
des Zyanites. rois de Tlemcen ».
•»- f
^ Bou-Ras a donné la forroe yUi» au pluriel de j>»4^ et de
qui en réalité est jmUj .
NOTICE S[]R MOHAMMED ABOU" RAS EN NASRI. 417
7. iLj^iUUI JjJUi^U^I 4 iM^UJI i^ji\ « La
Fieur céleste, histoire des rois alides ».
8. iL>^,.C.M^irH J)l3jJl 4 A^>îi :>yuJI a Les Colliers
de pierres précieuses au sujet des événements im-
portants de Mascara ».
9. j-U^^I ^ j-Jo. jTd^j^à 4 j-Ljciill jj^
« La Lumière qui s'allume au sujet des rois de
toutes les nations ».
10. erl^l^^l^ ^jai^UjLi.1 4 ^UjJI ^\
j^jAi\ 4 ^jJt Jt iU^il «Jv (:^ « Paroles courantes
sur rhistoire des villes , villages et tribus , depuis le
commencement du monde jusqu'à la trompette du
Jugement dernier».
11. IJsib Jl ^^^^^ ^U) ^ (^ 4 J^ji\ ^
^UJI « La Faveur du miséricordieux au sujet de
îa noblesse des Beni-Zyân, et indications de leurs
diverses branches jusqu'à nos jours ».
12. vy^' oUt«id 4 ^.ôj^l yyii\ a La Lumière écla-
tante au sujet des diverses catégories d* Arabes ».
13. iUb)^^^.^! ^ 4 ^^ÎAjUâJI o«^' «Récits
instructifs au sujet des Berbers et des Zenata. »
^ Tous les copistes écrivent iUUi ; c'est évidemment une erreur,
car ii faut un mot qui rime nvec ^f^ij'^ ,
418 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
14. Lj^\ ^yy^y Jyo\ ^U^l ^ o^^l Jyi\ « Fran-
ches paroles au sujet des tiges et des rameaux des
Arabes. »
15. iuukMb^KjiJI ^«3saJI ^j^ 4 ^hh'muJjo^I j-'^'^^l « Les
Eléments des Amlisi, commentaire de la lune de
Farisi (?)!.))
16. ^U^oJl *.6^ ^yi 4 JôUl JyUI « Les Pa-
roles stimulantes commentaire de la Lamia de Da-
miati ».
1 7. *-fvJyi Jô^ J^ 4 ilfJll Jlyill « Douces pa-
roles sur le poème : les conditions du festin. »
18. jJÉj^^l *-«5; ^j^ 4 jl>3^l (j*H-* '* L'Embrase-
ment des lumières, commentaire du Parterre de
fleurs ».
19. Jhs»-*»' C:^' Ç^^ zf^ 4 JyuuJI JyUt « La pa-
role fortunée, commentaire du Mpqna dlbn Saidn.
20. ^t^ J^b ^ JOL^ p^l JUajt 4 dlUt iCJI;»
JJLJI J^l «Cessation de lobscurité, au sujet de la
rupture du jeûne chez ceux qui se conforment à
l'avis des astronomes ».
Fiufm , pour terminer, mentionnons un opuscule
* Amlisi est le nom d'une tribu marocaine.
NOTICE SUR MOHAMMED ABOU RAS EN NASRl. 419
de Bou-Ras qui, réuni à des ouvrages d'autres au
leurs, forme le volume 461 4 des Manuscrits arabes
de la Bibliothèque nationale. Cet opuscule dont le
titre n'est pas donné , est relatif à Thistoire d'Alger.
Il est probablement tiré dun commentaire, car dès
le commencement l'auteur renvoie à l'explication
d'un mot donnée précédemment.
Quand on a parcouru cette longue liste des ou-
vrages de Bou-Ras, sur la plupart des branches du
savoir humain, théologie, histoire, grammaire, poésie,
astronomie, géographie et jusqu'à l'art vétérinaire,
quand on s'est fait une idée de leur contenu par la
quantité extraordinaire de détails de toute nature que
renferment ceux que nous connaissons , on est frappé
par le travail énorme qu'ont exigé tant de recherches.
On est surpris en même temps de l'état florissant
des études à cette époque dans les états barbaresques.
La poésie était chose courante et très appréciée;
malgré l'état constamment troublé du pays , le
nombre des jeunes gens s'adonnant à l'étude était
considérable; Tlemcen, Mascara, Mazouna étaient
des centres scientifiques importants. Le défaut de
livres stimulait la mémoire des élèves; nous avons
vu que notre cheikh ne tolérait pas un seul livre à
ses cours.
Bou-Ras apparaît comme le principal personnage
et l'illustration de ce monde intellectuel. Aussi son
souvenir s'est-il conservé très vivace dans toute la
région oranaise, et quoique ses œuvres soient peu
420 NOVtiMBRE. DECEMBRE 1800.
répandues, on n en parie qu'avec la plus haute es^
time. Son activité fut vraiment extraordinaire ; il ne
voulait rester étranger à aucune science; il était pas-
sionné pour celle de Thistoire. Pour Tétendue et la
variété de ses connaissances, on pourrait le com-
parer à Ibn Khaldoun , auquel cependant il est très
inférieur.
Pourquoi, malgré son esprit pénétrant, son tra-
vail acharné , sa mémoire prodigieuse et son talent
littéraire, na-t-il réellement fait progresser aucune
des sciences auxquelles il a touché? C'est parce
qu'il lui manquait comme à beaucoup dautetirs
arabes deux qualités essentielles dont Ibn Khaldoun
n était pas dépourvu : Tindépendance de Tesprit qui
permet à une saine critique de choisir ses maté-
riaux, den comparer la valeur, et d arriver à des
conclusions personnelles; la méthode qui permet
tout au moins de classer les matériaux dans un ordre
logique, en laissant à d'autres le soin et la facilité
d'en tirer parti.
LE CROISÉ LORRAIN GODEFHOY DE ASCHA. 421
LE CROISÉ LORRAIN
GODEFROY DE ASCHA,
D'APRÈS
DEUX DOCUMENTS SYRIAQUES DU XIP SIECLE,
PAR
M. F. NAU.
I '
M. Marlîn a publié dans le Journal asiatique ' deux
textes syriaques écrits les i o février et 26 août 1 1 38
et relatifs surtout à un seigneur franc, Tun des chefs
de la première croisade, que nous nous proposons
d'identifier.
1° Ce seigneur se nommait Gonfré, c'est-à-dire
Godefroy ^.
^ Nov.-dée. 1888, p. 471-4911 et janvier 1889, p. 33-8o.
^ Dan» le premier texte, on lit quatre fois MiJLfCh^ (p* 43, 1. 4;
p. 44f i. 9;p. 45il« 9;p* 47, L 6), et anefoi»»au^ (p« 49«1. a),
ce qui doit se lire, semble-t-il, Gonfroi (ou Gonfri), d'où GoffrCn
et Godfroi. Le second texte porte seulement |3^a^« Gonfré • (p. Sa,
1. 7). M. Martin a transcrit ce nom propre par Gonnejar, ce qui eftt
certainement inexact, puisqu'il ne transcrit pas la dernièfe lettre;
il propose (p. 479 ) de lire Gattjfier (de La Tour, chevalier originaire
422 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
•2° 11 faisait partie de la première croisade, dont
il était lun des chefs , et contribua à la prise de Jé-
rusalem ^ .
3'' C'était un seigneur très puissant, qui faisait
échec au roi Foulques et à la reine Mélissende eux-
mêmes 2.
Ix"" Il était « parent et proche » de Godefroy de
Bouillon et de son frère Baudouin^.
Enfin, ajoutons, comme détail intéressant, que
des environs de Limoges); il aurait dû dire Gaaffré, car la con-
sonne r précède l'i ou iV, et aurait trouvé que Gauffré (en latin de
l'époque, Gaufficdus ou Goffredus) donne encore Godefroy. — Il
suflit de parcourir les tables des Historiens des Croisades ( voir sur-
tout Hist. occid., 1. 1, JV et V) pour voir que le d du mot Godefroi
tombait très souvent, car on ne trouvera pas moins de quinze fois
les formes Gaufridus, Gojredus , Gaujredus,
^ Journal asiatique, janyier 1889, p. ^2,1. i/|. ^ ^m. U^%B
j^^ioji o^a^t^} yajo» JLâo*iD JLiA«f «un Franc, l'un de ces pre-
miers princes qui s'emparèrent de Jérusalem». Cf. p. 61, 1. 21 :
« Ce prince . . . s'empara des endroits et du pays situés tout autour
de nos fermes de Betb-*Arif et de *Adecieh », et p. 45, 1. 12, ^
loo» «oftoJB^I |L»;Ud loriOAfto « il était des plus célèbres ».
^ Cf. p. 6G-G9. Le roi Foulques, pressé par la reine Mélissende
d'être favorable aux Jacobites, ne put rien obtenir de Godefroy,
sinon de différer le jugement; il dit alors à l'évéque jacobite : «Tu
ne te délivreras pas aisémeat de cet homme. Il vaut donc mieux
faire à présent ce que tu seras obligé de faire plus tard , même axfec
mon appui. »
^ P. /|3, I. 7 : Udf oo»dt Ld^âd^ «a«w9o liJ^- moio^I «Il était
parent (ajpnis) et proche du roi qui régnait alors». Ceci se passait
Ncrs 1 100, donc sous le règne de Godefroy de Bouillon, ou plutôt
sous celui de son frère Baudouin 1" (1100-1118).
LE CHOlSt: LORRALN GODEFROY DE ASCHA. 423
ce Gonfré ou Godefroy eut en Palestine, vers i i o/i ,
un neveu qui hérita de ses biens et que sa femme
et une partie de sa famille semblent établis dans
ce pays vers i i 35 *.
II
Si nous ouvrons maintenant les Historiens des
croisades, nous trouvons un seigneur — et pour
l'inslant nous n'en trouvons quun seul — qui
réalise toutes ces conditions.
Il se nomme Godefroy de Ascha, ou encore Go-
defroy, du château de Ascha, et fut avec son frère
Henry Tun des premiers qui prirent la croix à la
suite de Godefroy de Bouillon, duc de Lorraine.
Ces deux seigneurs de Ascha ne sont pas men-
tionnés moins de dix fois par Albert d'Aix et huit
fois par Guillaume de Tyr^; ils figurent toujours à
côté des chefs de la croisade et parmi les guerriers
les plus courageux. En particulier Godefroy de Ascha
qui était ex nominatissimis et capitaneis viris, fut
chargé , par le duc de Lorraine, de négocier avec le
roi de Hongrie le passage des croisés à travers ses
Etats ^ et plus tard d'aller trouver Tempereur de
' Cf. p. 72 » 1. lo, et p. 64, 1. 5.
- Voir, dans les Historiens occidentaux îles Croisades ^ les tables
relatives à Guillaume de Tyr et à Albert d'Aix.
•'' Cf. Guillaume de Tyr, II, i, p. 72, et Albert d'Aix, II, n,
j). 3oo. (Les pages indiquées sont relatives à l'édition in-folio des
Historiens des Croisades,)
XIV. 28
iMrniMRBie a*Tio»*i.K.
424 NOVEMBRE-DÉCëMBRE 1899.
Constantinople ^ Durant le siège d'Antioche en
1097, « Cuno de Montaigu, Henry de Ascha et son
frère Godefroy, soldats qui causèrent toujours de
grandes pertes aux ennemis, s'attachèrent à em-
pêcher les Turcs de sortir d'Antioche ou dy entrer.
C'est à eux qu'incombait le travail le plus continu
et le plus pénible-. »
Ënfm Albert d'Aix nous apprend que « Henry, du
château de Ascha , était fils de Frédelon , an des coHa-
téraux da dac Godefroy u^. Ainsi les deux seigneurs
de Ascha étaient parents de Godefroy de Bouillon
et de Baudouin, comme l'auteur syriaque nous a dit
que l'était Gonfré. Ce fait, croyons-nous, ne doit
laisser aucun doute sur l'identification que nous
proposons. On remarquera encore que Henry par-
tagea la table du duc de Lorraine, dont il était
«l'homme» (Albert d'Aix, IV, 54, p. 427).
Ajoutons que, d'après les Historiens des croisades,
Henry de Ascha mourut de la peste à Turbessel *.
D'ailleurs il avait emmené avec lui un certain train
de maison , car, d'après Albert d'Aix et Guillaume
de Tyr, il construisit à ses frais une machine de
guerre sous les murs de Nicée et la garnit de ses
* Cf. Albert d'Aix, II, \i, p. 3o6. — Guillaume de Tyr, H, vii,
donne ici Henry au lieu de Godefroy de Ascha, mais il confond
deux faits : Henry alla aussi à Constantinople, mais dans une autre
occasion. Cf. Albert d'Aix, II, viii, p. 3o5.
* Albert d'Aix, III, \xxix, p. 366.
^ Albert d'Aix, IV, \xxv, p. 4i3.
Guillaume de Tyr, VII, i, p. 278. Albert d'Aix, V, IV, p. 439.
LK CROISE LORRAIN GODEFROY DE ASCHA. 425
hommes ^ II put donc avoir avec lui un jeune fils
qui serait ainsi devenu son héritier et, plus tard,
celui de Godefroy, comme nous Ta appris lauteur
syrien. Après la prise de Jérusalem, il est vraisom-
hlable que Godefroy de Ascha, fds de l'un des colla-
téraux du duc de Lorraine devenu roi , dut se créer
un fief important.
III
Cherchons maintenant à déterminer le lieu d*ori-
gine de Henry et Godefroy de Ascha. Le nom Ascha
est très fréquent en Lorraine ^, car il n'est qu'une
forme dérivée du latin Aqaœ qui donna Aix, Esch^,
Asche, Ache, Aachen. Aussi nous connaissons déjà
trois villages qui, en vertu de la similitude du nom,
revendiquent les seigneurs Godefroy et Henry de
Ascha. C'est d'abord Ouden-Esch , sur laSalm, cercle
de Witllich. Ces seigneurs d'Esch sont originaires
' 11 sV'tait associé pour ce travail avecle comte Hennann «unuii
(le majoribiis Alemaniac». Albert d'Aix, il, xxx, p. 332; — Guil-
laume de Tyr, 111, vi, p. ii8.
'^ 11 existe aussi dans la NieJer-Bavière un village de Ascha dont
il est drjà question en 1220. Cf. Monumenta Germaniœ historica :
Epistolœ saîculi xiir, Berlin, i883, p. 82. Les noms propres
Aesche, Acli, Esche se trouvent souvent aussi dans les Necrologia
Germaniœ, Berlin, 1888, dans les Mon. Gcrm, historica; mais il
est certain que les Ascha, parents et compagnons de Godefroy, sont
Lorrains (Lotharingiens).
^' Nous pouvons témoigner qu'une ville dénommée Esch sur toutes
les cartes (Esch-sur l'Alzette, grand-duché de Luxembourg) eit
toujours, en patois, appelée âclie par les habitants des environs.
28.
426 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
■
de Téleclorat de Trêves, dont ils furent fieffés,
chambellans héréditaires, etc. C est ensuite Eschsar
la-Sûre, dans le grand-duché de Luxembourg ^ et
enfin Assche, village situé dans Je Brabant entre
Bruxelles et Gand'^. 11 nous semble que, pour faire
ces identifications , on n'a pas tenu assez compte d'un
passage d'Albert d'Aix et de Guillaume de Tyr, où
il est dit que deux parents de Henry de Ascha, tués
à côté de lui à Antioche , étaient « de Mechela , sur
la Meuse »^. Il est donc naturel de chercher le lieu
d'origine des Ascha à côté de celui de leurs parents
qui les avaient accompagnés en Terre-Sainte. Or on
ne signale qu'un village de ce nom sur la Meuse :
c'est Mechelen, près de Maestricht. Ajoutons que
^ Cf. Publications de la Section historique de l'Institut vojrcd grand-
ducal de Luxenibour(j , t. XXXI , 1876 , p. 1 49-309. Histoire du bourg
lit Esclï-sur-Sùre , par A. Neyeu. M. Neven réfute au même endroit,
p. 181, l'opinion qui place les seigneurs de Ascha à Ouden-Esch.
* Cf. Biographie nationale publiée par l'Académie royale des science»,
lettres et beaux-arts de Belgique, t. 1, 186G, au mot assche. Car le
biographe belge, pour le besoin de sa cause, écrit Godejroy de
ASSCHA, bien que ce double s ne se trouve ni dans Albert d*Aix, ni
dans Guillaume de Tjr. — On trouve dans Albert d'Aix (H, wwii,
p. 327) qu'une religieuse du couvent de Sainte-Marie ad horrea, à
Trêves , reconnaît en Palestine Henr\ de Ascha , et le prie d'inter-
céder pour elle. On ne peut cependant ])as en conclure que Henry
fût du pays de Trêves, car on remarquera qu'il n'intercède pas
auprès de l'archevêque de Trêves, qu'il semble ainsi ne pas con-
naître, mais bien auprès du duc de Lorraine, pour le prier d'agir
sur l'archevêque.
^ Albert d'Aix, 1\, \x\Y, p. 'ii3, et Guillaume de Tyr, VI, viii,
p. :î47. M. N'eyen, pour le besoin de sa cause, change sans doute
Mechela sur la Meuse en Mechera sur la Moselle , car il sup]M)S(! qu'il
s'agit là d(* Greven -Mâcher, village situé sur la Moselle.
LK CROISK LORRAIN GODEFROY DE ASCHA. 427
Godefroy et Henry de Ascha signèrent comme té-
moins, dans l'église de Saint-Gervais, à Maestricht,
i acte de vente par lequel Ide de Boulogne et ses
deux fils Godefroy de Bouillon et Baudouin trans-
portèrent au chapitre de Sainte-Gertrude de Ni-
velles, en 1 096, les alleux de Blaisy et de Genappe ^
11 semble donc à nouveau quils devaient habiter
aux environs de Maestricht et que c'est précisément
à cause de cette proximité de leur résidence qu'ils
signèrent un acte passé dans cette ville ^.
Ainsi, à notre avis, c'est Godefroy, né dans un
château de Ascha, aux environs de Maestricht (par
' D'après la biographie belge déjà citée.
- On peut encore remarquer : 1° qu'Albert d'Aiv est notre seule
source pour l'histoire des y45cAa^ car Guillaume de Tyr, dans les pas-
sages correspondants, reproduit Albert d'Aix: il ne lui ajoute en
effet aucun récit et en omet ou en reproduit mal un certain nombre,
par exemple les visites faites par Henry et Godefroy de Ascha à
Constantinople et la construction du renard dixx siège de Nlcée. Citons
la phrase d'Albert : «Heinricus de Ascha, Hartmanus comes, unus
de majoribus Alemaniae», qui, par un léger changement, devient dans
Guillaume de Tyr : « comes Hermannus et Henricus de Ascha de
regno Theutonicorum » , ce qui est faux , car Hermann seul était
du royaume des Teutons; 2° qu Albert d'Aix nous donne de minu-
tieux détails sur ces Ascha; il les mentionne plus de dix fois, nous
apprend que leur père se nommait Fredelo, nous donne les noms.
Franco et Sîgcmar, dé leurs parents tués à Antioche, ensuite nous
apprend que ces derniers étaient de Mechela sur la Meuse. — On
pourra peut-être conclure de ces remarques que les Ascha devaient
habiter non loin d'Albert d'Aix ^ que l'on place maintenant à Aix-la-
ChapeUe , et par suite devaient bien habiter vers Aix-la-Chapelle et
Maestricht. On s'explique ainsi que cet historien ait consacré tant
(le pages et de détails à ses compatriotes. — Cet argument suppose
qu'Albert était chanoine d'Aix-la-Chapelle et non d'Aix -en- PiX)-
v(^nce.
428 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
exemple à Ach en-Campine), qui fut prisonnier en
Egypte durant trente-trois ans et eut, avec les Jaco-
bites , les dénfièlés racontés jadis , dans le Journal asia-
tique^ d'après les deux scribes syriens du xn* siècle.
IV
Terminons par quelques remarques sur la publi-
cation de M. labbé Martin.
1° Journal asiatique, nov.-déc. i888, p. 48i :
L'évêque jacobite de Jérusalem nommé Thomas est
mentionné dans le Catalogue des manuscrits syriaques
de M. Wright (t. T, p. ^65 et 267), sous les années
1007 et j 006.
2** Ibid,y p. 683, et janvier 1889, p. yS : Saba-
barek est, d après le Dictionnaire de Payne Smith,
la ville actuelle de Suwerik ^
y Ibid. p. 6 1 . Le village nommé par M. Martin
^Adecieh n'est appelé ainsi, dans le syriaque, qu'en
un seul endroit p. 43 , 1. 5 , om£0^. Ailleurs, p. 45,
1. 6 et p. 46, 1. 3, il est appelé i jp»v . Enfin p. 5i,
1. 'i on trouve o%£oS^ . M. Martin a écrit à tort en
cet endroit ç^Tee^^ ^ car le yod n*est pas dans le ma-
nuscrit. 11 faut donc lire IJadsé. Or dans le cartulaire
du Saint-Sépulcre de Jérusalem^, on trouve mention
^ Cf. Bar Hc'îbrt'us, ('chronique syriaque, éd. Bedjan, p. 217, I. 3,
et Chron. ecclés,, I , col. 499*
- P. 221, n" 118. Dans Migne, Patrol. Int., t. CLV, col. iai3.
LE CHOISI': LORRAIN GODEFROY DE ASCHA. 429
d une controverse , entre les chanoines du Saint-Sé-
pulcre et 1rs moines jacobites de Sainte-Marie-Ma-
deleine de Jérusalem , au sujet de Ramathe et Hadesse
vers Tannée 1160. C'est bien là le village de Hadsé,
et il faut donc, semble-t-il, le chercher près d'un
Ramath. C'est donc, à notre avis, Adasa qui figure
sur la carte de Palestine de M. Guérin , à côté d'un
village nommé Ramah'. Ce ^âllage (comme nous
l'apprend aussi l'auteur syriaque) était exposé aux
incursions des Arabes qui partaient du rivage de la
mer et poussaient des pointes jusqu'aux environs de
Jérusalem. En particulier, c'est près de Ramleh que ,
vers 1 io3, trois cenls Francs furent faits prisonniers
par les Egyptiens. Nous pouvons croire que Godefroy
de Ascha était du nombre, car 1° c'est vers cette
époque qu'il fut fait prisonnier puisqu'il l'était depuis
à peu près trente-trois ans, vers 1 1 36- 1 1 87 ; et 2° il
est vraisemblable que Baudouin « accouru de Jéru-
^ Palestine, t. III, p. 5-6. C'est kSaad, I Macch., VII, ho. Josèphe
nous apprend que ce village était à trente stades (tlt^is ou quatre ki-
lomètres) de Bethoron, Ant. juives, XH, x, 5. — Quant au village
jacobite do *^^ J^^d (Beth 'Arif), nous n'avons trou>é qu'un nom
analogue : c'est la forme syriaque du nom de Betharam (tribu de Cad)
Betliarani ifuœ a Syris dicitur Bethramplitlia, dit saint Jérôme dAM
ïOnoniaslicon; Josèphe écrit EridapafiÇdoi Ant. juives, XVIII, ii, 1.
— Il serait plus naturel de chercher «A«w^ JDmia aUx environs d'Â-
dasa et par suite de Bethoron; on remarquera que le nom de Be-
thoron supérieure, UyUl ^^ 0.0 (Beit-A'our el-Fouka) renferme
tous les éléments du nom Betli-*Arif qui pourrait donc en être une
variante populaire abrégée. Lo scribe écrivit en syriaque d'Après le
î$on ( Beth-Aour-ef , d'où Beth-Ar-éf ) , sans compléter le mot d'après
les règles de l'étymologie. Beth *Arif ne serait-il pas aussi un autr6
nom de « Ramathe » P
430 NOVEMBRE-DECEMBRE 1898.
salem avec un corps de sept cents hommes [Hist,
orientaux, III, p. 525)», pour repousser Tannée
égyptienne , ne manqua pas , vu sa pénurie de troupes ,
d emmener son parent Godefroy avec lui. — L'his-
torien cité raconte que, de ces sepi cents hommes,
Baudoin et trois autres seigneurs échappèrent seuls
aux Égyptiens.
4° P. yS , note 2, et p. 54 , note 1 , JLiiiD dans ces
textes semble signifier étangs ou citernes \
5" P. "j'i. Au lieu de : « par suite de la jalousie »,
traduire : « à cause de son zèle ».
6° P. 77. Metsidta est Mopsueste^.
y*" Ibid, Au lieu de : « Il s'empara de Alboun
(Alep) et des environs », il faut traduire : Il prit le
pays de Leboun et Leboun lai-même. Ce roi arménien
jhv AeSovvrjv ts Apfxevias ^pxj^, disent Nicétas et Cin-
namus, est bien connu. Bar Hébréus (C/iron. syr. éd,
Bedjan, p. 3oi) l'appelle Léon et dit aussi quil fut
pris avec sa femme et ses enfants par Jean Gom-
nène.
8*" Dans le texte syriaque , p. 5o, 1. 8 el note 2 :
' Ce sont ces étangs que M. Guérin retrouve et si^ale sur \e%
emplacements de chaque village.
^ Cette campagne de Cilicie est racontée par Nicétas et Cinnamas.
Voir aussi riuillaumo de Tyr, L. \1V, cbap. xxiv, et Bar Hébn»us,
Chronique syriaque , »'d. I^djan, p. 3oi.
LE CROISÉ LORRAIN GODEFROY DE ASCEiA. /431
après ^«^J^"^? il faut ajouter JL^^^ud timide; c'est le
JL^M^o du manuscrit. — Ibid. Au lieu deJL^o^^,
lire JL^o^. — P. 5 1 , 1. 2 , lire o^^ ; 1. 12, au
lieu de JbaA.9, on peut lire JL^»^Ar^ — P. 82 , 1. 4,
au lieu de ;^)l), lire ^;^ |l). — P. 53, 1. 8 et
note 1, au lieu de «^«^1), lire ^J^.«t) quand il fut
orphelin; 1. g-i o, au lieu de )oo) ^fn^iin , lire <y.<innjo
loo» « Et était répandue » sur lui toute la grâce de Dieu;
1. 10, au lieu dco$^, lire ot^; 1. 16, au lieu de
)9J(s«flaxî^, lire t;ni/N^ , couvent connu (voir Bar
Hébréus, Chron. ecclés., I, col. 476). — P. 55,
dernière ligne, on peut supposer que le mot illisible
est pj^o usurrexityi et rediit. — P. 56, 1. 2, au
lieu de |JLI,^£d, lire iJl^i» une multitude. — P. 56 ,
1. 3, au lieu de )to»A^, lire )ttcH"^">. — P. 56,
1. i5, au lieu de )J(s^^ijl, lire )J(«i^a^ il mourut au
matin « du samedi » , et non « à l'heure » de complies.
Ainsi Ignace tomba malade le jeudi, mourut le sa-
medi matin , et son corps arriva à Jérusalem le lundi
suivant.
432 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
NOUVEL
ESSAI D'INTERPRÉTATION
DE LA SECONDE INSCRIPTION ARAMÉENNE
DE NIRAB,
PAR
M. PAUL DE KOKOWZOFF.
Parmi les précieuses trouvailles faites pendant
ces dernières années dans le domaine de Tarchéo-
logie sémitique, une des plus intéressantes, sans
contredit , est la découverte des débris antiques de
Tancienne civilisation araméenne à Zendchirly et
Nirab-flaleb en Syrie. Grâce à un heureux hasard ,
nous nous trouvons tout dun coup en présence
d'ass(*z nombreux monuments provenant de Tancien
Aram de la Bible, et dont lauthenticité ne peut être
contestée d'aucune façon. En faisant ressusciter
devant nos yeu\ cet ancien monde araméen qui
semblait avoir échappé pour toujours à la curiosité
des savants, en permettant de le saisir, pour ainsi
dire, de nos mains mêmes, les trouvailles de Zend-
chirly et de Nirab ont incontestablement une valeur
inappréciable.
SECONDE INSCRIPTION ARAMEENNK DE \JRAB. 433
Mais ce qui constitue particulièrement leur in-
térêt tout exceptionnel, ce sont, à notre avis, certai-
nement les inscriptions sculptées ou gravées sur
quelques-uns des monuments et présentant d'inté-
ressants spécimens des idiomes parlés par ces Ara-
méens de la Haute-Syrie. Nous possédons enfin des
textes araméens plus ou moins anciens qui, en
même temps, sont assez étendus pour enrichir sous
plusieurs rapports nos bien insuffisantes connais-
sances de Taraméen du vin'' et du vn** siècle av. J.-C.
C'est le mérite qui appartient, en outre, presque
uniquement aux inscriptions de deux stèles funé-
raires de Nirab , car ces inscriptions seules sont ré-
digées en un langage réellement araméen. Les in-
scriptions de Zendchirly, plus anciennes que celles
de Nirab, représentent une langue très remarquable
d'ailleurs, mais qui, comme on le sait, en dehors
de quelques formes grammaticales vraiment ara-
méennes, ne diffère pas essentiellement de f ancien
hébreu ou du phénicien. On ne serait donc pas bien
fondé à appeler la langue des inscriptions de Zend-
chirly tout simplement araméenne, à moins qu'on
ne donne à ce terme technique une signification tout
à fait difierente de celle qui est reçue et usitée. Car
certainemi^nt une langue qui emploie, pour dire
«tuer», le mot 3in; pour «prendre», np'?; pour
« donner », jn: (même au prétérit, au lieu de aiT»);
pour « labourer », 12:;; pour « aussi », D3, etc. , n'est
évidemment qu'un dialecte chananéen.
En revenant aux inscriptions de Nirab , il reste à
434 NOVEMBRE-DÉGEMBRË 1899.
ajouter que, d après les considérations paiéographi-
ques qui, en l'absence de quelque date plus ou
moins précise ou de quelques allusions historiques,
nous semblent seules avoir une valeur décisive, il
est presque certain , aussi certain que peuvent l'être
en général les déductions paléographiques , que ces
inscriptions appartiennent plutôt au vn* siècle qu'à
la période paléographique suivante, commençant
avec le \f siècle. Ce sont donc, relativement à la
langue araméenne , les plus anciens monuments ayant
une étendue considérable.
On comprendra bien toute la valeur de pareils
textes, si Ton se rappelle Timportance des études
araméennes aussi bien pour la philologie sémitique
que pour l'exégèse biblique et la critique des livres
de TAncion Testament. Il serait naturellement yi-
ulilo de s'étendre longuement sur ce sujet, d'autant
plus que les inscriptions de Nirab ont déjà été
l'objet d'études détaillées et minutieuses de plusieurs
savants éminents qui ont parfaitement su en appré-
cier la valeur. Ce que* je veux constater ici après les
travaux bien connus de MM. Clermont-Ganneau,
Halévy et G. Hofimann , (r'est qu'il me semble qu'on
n'a pas encore tiré de ces précieuses pages aramé-
ennes tout le profit scientifique possible. Par exemple,
l'examen attentif de quelques passages qui restent en-
core jusqu'à présent obscurs et dont les interpréta-
tions paraissent, rigoureusement parlant, rien moins
que satisfaisantes, cet examen, pensons-nous, peut
ajouter quelque chose d'intéressant et vraiment im-
SECONDE JNSCRIPTION ARAMEENNE DE NJRAB. 435
portant à nos connaissances de lancien araméen, et
par conséquent à la philologie sémitique en général.
Je veux prouver cette thèse en présentant ici un
nouvel essai d'interprétation dun de ces passages
obscurs , notamment de celui de la seconde inscrip-
tion de Nirab , c'est-à-dire de l'inscription sur la stèle
funéraire du prêtre Agbar (lignes 5-6). Cet essai,
qui outre le mérite qu'il a de donner à l'ensemble
un sens plus naturel sans recourir aux expressions et
formes grammaticales plus ou moins hardies, sinon
tout à fait fantaisistes, nous met en possession de
deux locutions araméennes archaïques, extrême-
ment intéressantes non seulement pour la philologie,
mais aussi pour l'archéologie sémitique.
On voudra bien se rappeler la partie principale
de la seconde inscription de Nirab, la partie qui
commence par les paroles suivantes du prêtre dé-
funt :
""7 ^DD nnD nv2 ^iDv "]-)Km dû dv '':dî:; niDip Tipisn
C'est-à-dire :
A cause de ma juste conduite devant lui, il m'a donné un
bon renom et il a prolongé mes jours; au jour de la mort,
ma liouche n'était pas fermée et sans paroles, et de mes
yeux j'ai vu les fils de la quatrième génération.
Jusqu'ici le sens du texte ne paraît pas, en gé-
ntTal, être douteux, quoique certains mots, par
exemple :?D^ au singulier dans ym ^an (au sens de
430 NOVEMRRK-DKCKMBRE 1899.
D^2?5n de la Bible), non moins que nînD au pael^
présentent encore des diflicullés sérieuses au point
de vue du lexique aranié(Mi. Assurément, le défunt
a voulu dire simplement cela, que jusquau moment
de sa mort il avait joui, <^râce à la faveur de son
dieu, do la meilleure santé c»t qu après avoir atteint
la vieillesse il mourut subitemr»nt sans voir ses forces
corporelles diminu(»r sensiblement ou même laban-
donner com])lètement. Une pareille mort subite
parait être considérée comme le conïble du bonheur
aussi par les anciens Hébreux, à en juger, par
exemple, par ce passage du livre de Job (xxi, i3) :
inn'» hM(V ^^a-im DiT'D'' mo3 'ou ^hi^) l'js'»
C'est-à-dire :
Ils passent leurs jours dans la bonne chère et ils descen-
dent dans ie Clie'ol en un moment.
il n'y a aucun doute possible, à notre avis, que
c'est cette idée même qu'a voulu exprimer lancien
prêtre de Nirab dans notre passage, et c'est le sens
le plus naturel de cette partie de l'inscriplion.
Mais ce qui vient immédiatement après, à savoir
la fin de la ligne 5 (le mot jira) et particulière-
ment la première moitié de la ligne 6 (les lettres
iDnpN^rinr), ré^^iste jusqu'à ce jour à tous les efforts
qu on a faits pour en découvrir le véritable sen§. Il
est presque cerlain d'abord que cette partie de fin-
scription, commençant avec le verbe "*J^Z2 « ils mont
pleuré», no peut d'aucune façon, au point de vue
SECONDE INSCRIPTION AÏUMEENNE DE NIKAB. 437
de la syntaxe, être rattachée (dans un morceau pro-
saïque comme celui dont nous nous occupons) à
la phrase précédente. Elle paraît présenter une
nouvelle phrase, tout à fait indépendante de ce qui
précède, et qui s'étend, comme nous allons le voir,
jusqu'au commencement de la ligne y. Cette partie
de notre inscription contient donc d'abord le verbe
au prétérit '•aiDS, au sens de « ils m'ont pleuré », puis
les neuf lettres énigmatiques iDnnNDim et ensuite
une phrase commençant par la conjonction « et » (i)
et signifiant : « et ils n'ont mis avec moi aucun vase
d'argent ou d'airain )>. La difficulté consiste à détermi-
ner le sens de ces lettres embarrassantes : iDnnwim
qui se trouvent entre les deux prétérits, à savoir le
prétérit "«iiDS (« ils m'ont pleuré ») et le prétérit it:^ Si
(« et ils n'ont pas mis », etc.). Gomme nous l'avons
déjà dit, une interprétation satisfaisante n'en est pas
encore donnée, je veux dire l'interprétation qui,
s'adaptant bien au contexte , ne sortirait pas en même
temps du domaine de l'araméen sinon réellement
existant, du moins le plus probable. Notre interpré-
tation, reposant sur un arrangement des mots tout
différent de celui de nos prédécesseurs, remplit,
qu'il nous soit permis de le croire, les deux condi-
tions indiquées.
Je prends pour base le verbe au prétérit "«aiDa,
qu'on obtient en joignant au groupe jiDa , qui ter-
mine la ligne 5, le "^ commençant la ligne 6. L'exis-
tence dans notre passage de cette forme verbale
avec 1(» suffixe de la i"* pers. sing. est absolument
438 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
hors de doute pour nous et, quant à lorthographe
du suffixe •»: avec un *» , elle nous est parfaitement
confirmée parla forme analogue "'ilD^ , qui se trouve
un peu plus loin (1. y) dans notre inscription. Il est
à regretter que presque tous les savants qui se sont
occupés avant nous de Tinscription , en partant du
fait, que les mots ne se coupent ordinairement pas
à la Hgne dans les inscriptions de Nirab , pour cette
seule raison aient refusé de détacher ce "^ commen-
çant la Hgne 6 de ce qui suit, et préféré augmenter
ainsi les difficultés du passage en créant des mots
extrêmement embarrassants pD3 et ^rïV , qu ils n ont
pu, jusqu'à ce jour, interpréter eux mêmes dune
manière satisfaisante.
Le prétérit '•jIDD n^étant pas formellement lié par
quelque conjonction ou par un pronom relatif quel-
conque au précédent, il nous semblait plus (pie
probable dans notre cas, que ce verbe devait
commencer une nouvelle phrase indépendante.
D'autre part, la phrase qui suit immédiatement
les lettres énigmatiques iDnnNDim , ayant la con-
jonction 1 en tête, doit être regardée évidemment
comme faisant suite à la phrase qui commence par
le verbe ''iiDS et comprend les neuf lettres iDnnKDim
au commencement de la ligne 6. Or il est à observer
que la dernière des lettres en question présente un
1, elle peut donc appartenir à un pronom ou k un
suffixe pronominal , par exemple ion , comme l'ont
admis tous nos prédécesseurs; mais, aussi bien cette
lettre peut apparlenir à quelque forme verbale, par
SECONDE liNSCRIPTlON ARAMÉENNE DE NIRAB. 439
exemple à quelque prétérit analogue au prétérit "«iisa,
qui le précède , et au prétéri IDC^ qui le suit. Je me
suis donc demandé , en examinant pour la première
fois notre passage, si ces neuf lettres énigmatîques :
lOnriNDim , au lieu de présenter un pronom ou bien
quelque forme nominale avec un suffixe, comme
par exemple celle qu'ont proposée quelques-uns de
nos prédécesseurs, à savoir iDnnND au sens de « leur
centaine» (ihrer hundert), si ces lettres, dis-je, ne
cacheraient pas plutôt une forme verbale qui serait,
au point de vue du sens et de la syntaxe, étroite-
ment liée aux verbes '•:'I33 et iDC^bl.
Partant de cette idée, j'ai essayé de couper diffé-
remment les mots au commencement de Id ligne 6
et après quelques tâtonnements je suis arrivé, à nia
grande surprise, à la découverte de deux anciens
mots araméens s'adaptant à merveille au contexte
et, ce qui est non moins important, dont Texistence
réelle dans Tancienne langue araméenne est infini-
ment plus probable que, par exemple, l'existence
dun mot comme ^r^v, admis par nos prédécesseurs.
C'est le verbe au prétérit de la forme réfléchie,
iDnriN, que jai eu d'abord la chance de relever, une
forme rigoureusement parallèle aux verbes "'iisa et
iDC^bi . Il ne restait après cela qu à déterminer le
sens des quatre premières lettres de la ligne 6, for-
mant le groupe Dim. Nous y avons aussitôt reconnu
la conjonction i et l'ancienne forme isolée du pro-
nom personnel de la 3° pers. plur. oin. Cette forme
110 s'est conservée isolée dans aucun dialecte araméen;
M \ . 29
lurnlMI'IIIF. SATIil%«l.1..
440 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
mais son existence comme suffixe est siiffisamment
attestée par les plus anciens documents de la langue
araméenne. Le suffixe on (mn) est employé souvent,
comme on le sait, dans les parties aiaméennes du
livre d*Esdras; puis il se trouve dans le fragment
araméen, encore plus ancien peut-être, du livre de
Jérémie (chap. x , v. 1 1 : Q^n'?) et se rencontre enfin
dans les Targums dits palestiniens. Il est admis aussi
que ce suffixe est employé généralement dans les
inscriptions nabatéennes, et son existence dans Tan-
cien araméen nous est parfaitement attestée par un
passage de la seconde inscription de Barrekhab de
Zendchirly, Si même, d'ailleurs, il n'en était plus
resté de trace dans tous les lextes connus , il faudrait
bien admettre l'existence d'une pareille forme dans
l'ancien araméen a priori. Car le pronom personnel
on (mn), correspondant à l'hébreu on et à l'arabe
îr, ne pourrait nullement, à notre avis, manquer
au rameau araméen des langues sémitiques. Bien
entendu, l'existence réelle du suffixe araméen on,
démontrée par les anciens textes araméen s, suffit
pour faire admettre l'existence d'une forme isolée du
même pronom, correspondant à la forme suffixe.
Cette forme isolée paraît avoir de bonne heure cessé
d'être en usage, après avoir été reniplacée dans dif-
férents dialectes araméens par des formes allongées
(composées), comme par exemple : iOn (équivalant
à l'hébreu non) dans le dialecte du livre d'Esdras,
firsn dans celui du livre de Daniel, p:N et ^| dans
SECONDE INSCRIPTION ARAMÉENNE DE NIRAB. 441
ceiui des Targums et dans le dialecte d'Edesse, etc.
Assurément, on est un peu surpris de voir le pro-
nom mn écrit plene, avec un waw qui paraît indi-
quer dans ce mot Texistence d'une voyelle primitive
longue, ou même, ce qui est aussi bien possible, la
prononciation du waw comme consonne.
Cette orthographe n'est attestée, il est vrai, nulle
part sur le terrain sémitique; mais il ne faut pas
oublier : i° que nous ne connaissons pas encore la
forme primitive (simple) araméenne du pronom per-
sonnel de la 3^ pers. masc. plur. ; et a° que nous ne
savons presque rien de certain jusqu'à présent sur
l'origine des pronoms personnels dans les langues
sémitiques. Par conséquent, à l'heure qu'il est,
l'existence d'une voyelle longue dans la forme pri-
mitive du pronom sétoitique en question ne pouvait
être sérieusement contestée a priori. Nous ferons re-
marquer, à ce propos, que précisément une pareille
forme avec une voyelle longue, à savoir /lâna, avait
été proposée depuis longtemps par le savant pro-
fesseur de Rostock, M. Philippi [Wesen and Ursprang
des Status Constr, im Hebràischen, etc., p. i83), et
qu'une voyelle longue se trouve encore dans la forme
du suffixe correspondant en éthiopien [hômâ). Pour-
quoi l'ancien araméen n'aurait-ii pas pu nous con-
server seul la forme primitive du pronom en ques-
tion , c'est ce qui ne nous paraît pas évident. Ainsi
nous n'avons point de doute que, si notre inter-
prétation du passage (1. 6) est juste, le sentiment
de défiance avec lequel sera naturellement acceptée
29.
442 NOVEMBRE. DÉCEMBRE 1899.
d abord lapparition du pronom archaïque araniéen
Din ne se change ensuite peu à peu en la pleine con-
viction que cette forme pût exister et a réellement
existé dans le plus ancien araméen.
En dehors de cette curieuse trouvaille d un ancien
pronom sémitique, nous avons eu la bonne fortune
d*obtenir simultanément un ancien verbe araméen
iDnriN, qui parait avoir presque totalement disparu
des dialectes araméens. Il s est conservé, autant que
nous sachions, uniquement dans le dialecte desTar-
gums , où lexpression hébraïque i"ânn « se faire des
incisions, des blessures en l'honneur du niort» se
rend toujours (mais seulement dans ce sens rituel)
par le même verbe D!:nnK, signifiant lui-même « se
faire des blessures » , comme on peut le voir par le
passage I Rois, wiii, 28 : pD'^Da pn''DiD'':D iDDnDKi
pn"»*?:^ Nirri t^dp^nt ly pnonai . H n y a point de
doute pour nous que ('(^st bien à ce verbe des ïar-
gums que nous avons affaire dans notre passage de
la deuxième inscription de Nirab. I^a forme iDnnx
serait ainsi Téquivalant du iDCnriN des Targums
(cf. I Rois, wni, 28; Jér. , \li\, 3), au sens de l'hé-
breu niilnn , c'est-à-dire « ils se sont fait des incisions
dans leur chair ».
Nous lisons donc et traduisons ainsi le passage
difficile de notre inscription : lOC; bl 'ii^nPH Dini ^3123
^nji î^DD JND "'D:^ « Us m'ont pleuré et ils se sont même
fait [ou en se faisant même) des incisions pour moi ,
mais ils n'ont nus avec moi aucun \ase d'argent ou
d'airain ».
ShXONDE INSCRIPTION ÀRAMKKNNK DE NIRAB. W,\
On connaît bien cet ancien usage très répandu
de se faire des mutilations sur le corps en signe de
propitiation envers des chefs et des parents décé-
dés. Ce rite funéraire paraît avoir été un usage gé-
néral chez les peuples sémitiques de la Syrie, et
avoir été pratiqué même par les anciens Hébreux , à
en juger par plusieurs passages de l'Ancien Testa-
ment, comme par exemple Deut. , xiv, i : « Vous êtes
les enfants de TEternel votre Dieu. Ne vous faites au-
cune incision et ne vous rasez point entre les yeux
pour aucun mort », ou Jér. , xvi, 6 : « Et les grands
et les petits mourront en ce pays; ils ne seront point
ensevelis, et on ne les pleurera point et personne ne
se fera aucune incision, ni ne se rasera pour eux. »
Il n'y a donc rien de surprenant à voir dans notre
inscription funéraire un ancien prêtre araméen du
vn* siècle avant J.-C. nous raconter qu'après sa mort
ses enfants l'avaient pleuré , et qu'ils avaient accompli
aussi le rite non moins nécessaire des mutilations ,
pour dire tout simplement qu'on avait accompli
pour lui tous les principaux rites funéraires généra-
lement usités. A côté de l'expression "'i'iDD, qui paraît
elle-même présenter au pael un terme essentielle-
ment rituel (cf. Ezéch., viii, \t\ : TiDnn riN niDaD;
l'inscription sur la stèle de Panammou, 1. i 7 : îT'rai
'^Wii iVd nN")D njHD nrfDm nn'^N), la présence d'une
autre expression rituelle comme lOnnN au sens de
iDDnnx des Targums (=n"|ânn) est on ne peut plus
en situation. Etant un terme purement rituel, ce mot,
par suite do l'abolition du rite correspondant, a été
\M NOVEMBRE. DKCEMBRE 1899.
lui-même probablement peu à peu oublié, et cest
ainsi quon pourrait bien, il nous semble, s'expliquer
la disparition du verbe DCnnK des lexiques araméens.
Si nous avons deviné lo vrai sens du passage obscur
dont nous nous occupons ici , la seconde inscription
de Nirab nous donne pour la première fois une
preuve documentale positivi* de l'existence de Tan-
rien usage des mutilations fimc^raires chez les anciens
\raméen.s de la Syrie, et elle est en conséquence
extrêmement intéressante au point de vue de Tar-
chéologie >émitiqiie.
li nous reste encore à expliquer Tabsence du se-
cond mém dans notre forme icnnK et è justifier ainsi
notre identiiication de cette forme avec iCDnnN des
Targums. On sait parfaitement qu'en araméen les
verbes géminés ou v"y maintiennent d ordinaire
(même dans la forme simple qal) les deux radicales
semblables, quoique Ton trouve aussi souvent des
exemples du contraire , je veux dire des formes con-
tnictée^, dans dliférents dialectes araméens. Nous
préférons pourtant, dans notre cas, admettre une
omission accidentelle, ou, pour mieux dire, une
erreur du lapicide, pareille à celle (|Uon peut voir
dans lorthographe du nom 32*^3 (au lieu dé aama),
dans une des inscriptions de Zendcliirly. Nous croyons
même avoir une indication du fait dans la petite barre
horizontale, gravée très clairement au dessus du
mêtu dans notre mot. Cette barre qu on pourrait bien
(considérer connue une fissure purement accidentelle
dans la pierre, nous parait présenter plutôt un signe
SECONDE INSCRIPTION ARAMÉENNE DE NIRAB. ^M^
intentionnel, ayant pour but d attirer lattention des
lecteurs sur le mot ou le passage défectueux. Nous
rappellerons, à ce propos, l'usage assez fréquent et
bien connu d une barre horizontale placée également
au-dessus des lettres dans Jes manuscrits samaritains,
(jui n'a pas non plus, comme on la reconnu depuis
longtemps, un rôle strictement déterminé et qui
olfre une des plus frappantes analogies avec la barre
de notre inscription.
Nous concluons , en donnant ici notre traduction
de Tensemble de la deuxième inscription de Nirab :
De Agbar, prêtre de Sahr à Nerab. Voici son image. A
cause de ma juste conduite devant lui , il m'a donné un bon
renom et a prolongé mes jours; au jour de ma mort ma
bouche n'était pas fermée , sans paroles , et de mes yeux j'ai
vu les fils de la quatrième génération. Us m'ont pleuré et ils
se sont même fait des incisions (oa en se faisant des inci-
sions), mais ils n'ont mis avec moi aucun vase d'argent ou
d'airain. Ils m'ont mis avec mes vêtements seuls pour que
mon lit funéraire ne soit pas volé par quelque autre. Toi, qui
m'opprimerais et me pillerais ^ puissent Sahr, Nikkai et
Nousk le laisser mourir de mauvaise mort et puisse sa pos-
tériter périr !
^ (X daDs le Targum d'Onkelos, Lévit. , xix, i3 :
446 NOVEMBRK-DÉCEMBRE 1899.
HOMÉLIE DE NARSÈS
SFR
LES TROIS DOCTEURS NESTORIEIVS,
PAR
M. L'/VBBÉ F. MiRTIlN.
Narsès nacpiit dans la première moitié du v" siècle , à MaaI-
tha, au nord de Mossoul. Il vint étudier puis enseigner à
Edessc, dans la célèbre école des Perses. Les commentaires
de Théodore de Mopsueste y jouissaient d une grande vogue.
Narsès y puisa les principes de Thérésie nestorîenne. A la
mort de Tévéque Ibas , en 457 \ il dut quitter Edesse, connue
les autres partisans de Tévèque défunt. Avec Barsauma, il se
retira à Nisibe. Barsauma devint évêque de la ville et y fonda
une école que Narsès dirigea pendant cinquante ans, sauf
une courte interruption. Narsès avait passé auparavant vingt
années à Edesse. 11 mourut en 507.
Pendant cette longue vie d'étude , le professeur nestorien
composa de nombreux ouvrages sur la Bible , la liturgie , etc. ,
et en particulier beaucoup d'homélies , 36o , dit-on.
Nous n*avons qu*une partie de ces homélies, conservées
dans un manuscrit de Mossoul. Le Musée Borgia , à Rome •
et la Bibliothèque royale de Berlin possèdent chacun une
^ M. Rubens Duval a établi cette date dans sa Liltérature tyrieufue,
Paris, 1899, |). 3/|5 et .'{'iG. Voir ibifl., les raisons qui lui ont fait placer
ta mort de Naniès en ^07.
HOMELIE DE NARSES. \M
copie de ce manuscrit. L'homélie dont je publie ici le texte
et la traduction, a été copiée sur le manuscrit du Musée
Borgia\ Siriac, K. VI-5, p, 169-1 84. Ce manuscrit, comme
celui de Berlin, est très richement vocalisé. Je n'ai pas cru
devoir en reproduire tous les points- voyelles. Les anciens
manuscrits contenaient peu de points diacritiques ; leur sur-
abondance dans notre texte est due à des copistes modernes.
De plus , cette vocalisation est parfois erronée ; souvent elle
donne la prononciation plus ou moins corrompue des Nesto-
riens actuels et non la prononciation ancienne du temps de
\arsès.
Kn attendant la publication des œuvres complètes de
Narsès , j'ai cru que la connaissance de ce discours ne serait
pas sans intérêt pour l'étude des grandes hérésies du v* siècle
et pour celle de ]a littérature syriaque.
L'homélie a pour sujet l'éloge des « Pères docteurs » Dio-
dore de Tarse, Théodore de Mopsueste et Nestorius. Les
deux premiers n'avaient pas été, à proprement parler, des
apôtres du nestorianisme ; ils étaient morts avant que l'hé-
résie ne se manifestât au grand jour. Mais leur enseignement,
surtout celui de Théodore , contenait en germe la doctrine
que Nestorius devait afficher avec tant d'éclat.
Narsès proclame l'excellence de cette doctrine , et cherche
a la venger des attaques « des pervers », de « l'Egyptien » et
de ses partisans, c'est-à-dire de saint Cyrille d'Alexandrie et
des autres évéques catholiques, (ju'il accuse de monophy-
sisine et qu'il assimile aux hérétiques du temps. Pour lui , ce
fut la jalousie de Cyrille qui causa tous les malheurs de Nes-
torius. «L'Egyptien », appuyé sur des femmes, Pulchérie et
' M. R. Duval u bien voulu mettri' à ma disposition une copie qu'il
avait fait exécuter au Musée Borgla. Je tiens aussi à remercier mon excel-
lent maître des conseils et des encouragements qu'il m'a donnés à cette
occasion. C'est à lui que revient tout ce qu'il y a de meilleur dans ce
travail. — Je signalerai les variantes du manuscrit de Berlin, Catalogue
Sachnti , n" 07, [). 190 et suiv. , d'après la roll»"ction faîte par M. Joseph
Horovii/,. Dans les fjoirs, \ -.11= ms. de Rome, B = ms. de Berlin.
448 NOVKMBRE-DÉCRMBRE 1899.
ses sœurs , le$ vierijes reines , fit convoquer le concile d'Ëphèae
( 43 1 ) et obtint la condamnation de la doctrine « des justes ••
Mais, en résdité, cette condamnation n'atteignit ni Diodore
et Théodore qui étaient morts, ni Nestorius qui ne s*était
pas présenté au concile. E^e était d'ailleurs sans valeur pnrce
(ju'elle contredisait la doctrine de TËglise , et jetait le trouble
dans tous les esprits. Et , pour le prouver, Narsès fait ressortir
haf)iiement la confusion produite par la lutte qui se livra
autour des analhématismes de saint Cyrille. 11 conclut que les
trois «justes » ont été opprimés injustement par des hommes
suscités par Satan , mais que la victoire leur est demeurée
malgré tout.
L'homélie est écrite en vers de douze syllabes, groupés
en strophes , deu\ par deux. Il ne faut pas y chercher un mo-
dèle de l'application des règles oratoires telles que nous les
entendons aujourd'hui. Les conceptions des Syriens n'étaient
pas les nôtres. La longueur et les répétitions, qui nous pa-
raissent si fastidieuses , leur plaisaient beaucoup. Narsès s*est
gardé de les éviter. Loin de s'astreindre à suivre la marche
des événements, il laisse sa parole errer au gré de sa pensée,
de la vie de ses héros à l'histoire du concile d'Ephèse, pour
recommencer la biographie des trois docteurs au moment
où nous attendrions la conclusion du discours.
Son œuvre n'en est pas moins un des meilleurs morceaux
du genre , et un excellent spécimen de la littérature syriaque.
Elle appartient à la bonne époque , à Tépoque classique , et
ne porte pas de traces de l'influence étrangère. Surtout die
est écrite avec verve. Narsès n'est pas seulement un contem-
porain des grandes luttes christologiques du v* siècle ; il en
est un acteur. Sa fortune a subi le contre-coup de la con-
damnation de Nestorius et de ses erreurs par le concile
d'Ephèse. Lui aussi, il se place parmi les «justes» que le
démon cherche à opprimer depuis Torigine du monde. En
la personne des docteurs nestoriens, il venge la sienne. Ces
ressentiments donnent à sa parole une àpreté mais aus»i un
HOMÉLIE DE NARSÈS. 449
intérrtque nous ne sommes guère habitués à rencontrer dans
ce genre de composition.
Après le récit de rhomélie venait le chant de la soagîlha,
on cantique alternant, sur le même sujet. La sougitha sur
les trois docteurs nestoriens a été déjà publiée , avec les autres
sougithas de Narsès , par Feldmann , d'après le manuscrit de
Berlin ^ Néanmoins j*en reproduirai le texte à la suite de
l'homélie, avec laquelle elle forme un tout.
Elle se compose de deux parties, un prologue et un dia-
logue entre Cyrille et Nestorius. Comme Thomélie, elle est
écrite en vers, mais en vers de sept syllabes, ou vers de
saint Ephrem. Dans chaque ligne il y a deux vers , qui forment
ce que les Syriens appelaient une « maison ». Le dialogue est
alphabétique et comprend vingt-deux divisions. Dans chaque
division, il y a deux strophes comprenant chacune deux
lignes et quatre vers, et commençant toutes les deux par la
même lettre de l'alphabet.
Une strophe est placée dans la bouche de Cyrille, l'autre
dans celle de Nestorius. La tournure du dialogue, favorisée
par la brièveté du vers, est très vive, beaucoup plus vive que
celle de l'homélie. Narsès fait discuter les deux adversaires
avec la passion qui l'animait lui-même. Il est remarquable
que, dans cette sougitha au moins, Narsès n'appuie pas sa
doctrine sur des raisons philosophiques. Il ne met dans la
bouche de saint Cyrille et de Nestorius que des arguments
tirés de l'Ecriture sainte.
' Franz- Fridmanii , Syrische fFechseltieder von Narsès, Fiolpsig, 1896,
p. i9-:î."i.
4r>0 NOVKMBRK-DKCEMBRË 1899
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452 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
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•:• 1^ Ar32L.-:\ i^n*T>v, >\i^t\ oa^.'\\\ i^Ara^sw aa'^r^«^»o
•• • • • ^ • • •• • •
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A
HOMÉLIE DE NARSÈS. 453
•• •
: i^\.A*n r^ra>.Vak i^v*n>\:\ t^ua i^'*\\*\-:\ K^nl^h^
•:• •^^Âro "Tjtxjotx i^vrD\ ciin vyi^ A\xrn >\a€i
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•• •
: i^Vvcoaïî^ ^nj3 r^jOA %ss^r^ asrkcvi r^jtïv^a i^Vui^
•:• r^S.\^a i^^tAro r^-Sjo^syaA t^jatï^ ^jjjIa •^^ciooi-^ 15
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454 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899. ^
: r^lxïx^ yskx^TD r^ïi^ ox'H.a^i^'^v i^VAro ^m i^^oi
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HOMELIE DE NAllSES. Vj5
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•:• rUssJc^ t^^Vv-^ t^ifVra t^jaîsf cnA ,»\»fn*n i^<no
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456 NOVEMBKK-DËCEMBRE 1899.
15
20
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•:• ^ «^^oâ^*yA Vui^jcaou y*f^«^V^\^^%^
: KS&ci'Kâ i^-Âj^tv i^^tva=3 \\Yii ^iso K^m r^lxA^
•:• v^VvAVv i^ai20jc rC^ro'^V-*^ r^-=\rkT\\ «^^o^iî^ «^aaoio
HOMKLIE DK NAKSÈS, /|57
: ^<w^\^ 1^0113 1^-vjjcai. cvXzra^^^ i^jqamjc i<l^.srx2b.
•:• Y^^Aî^i i^lX^b^ «^A^i^ âxVâk x^yJTyyjCi
• • — ■ . • • ••
: \%\3r, %v\\^\ rc^A^ o\» KlM^a \<^\v^
•:• K^i^mcA.^ ^cn-^ cn^ivl^w ><n i^i2o-:\ «^^^m^-a X»L=3a
— •• ^^^«^ — ••
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•:• r^Vxvi€i^-:\ r^\ r^cioA ><7)âÀX r^-kx^yL ^ro ^iO^<^ ^^
: QÀ^C^F3i\ r^ni^x. ^'%!k!m r^\£a:
"A i^Jîir^\ ^uDOâOO nji-vûoc3^r3â
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45<S NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
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• • • ••
: k^k2S&^^-:\ >Aâ^ci2^^ cnci'KVvx» i^VvaexuQ jjCASaN
•:• oaoooÀ V\\ro-:\ i^Vvojjc» no^v» ci«v^ on^iY> t^\o
• ^ • • •
ITOMKIJE DE xNàRSKS. W.)
•:• Aàsci^ci .rrn x<l^-s\ r^^\ uv^ A\^V\i^ oxraa
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•:• r^x^rd .^^VvaA ^vx^ma i^ncnca «^ûji^ -pl^ acnci
: QûCLCûÀoaoo >o3l»âj3€i aimjt\ i^'\^V\À -^iasJ3i^ i^ci«tv
: \^i> V wcwra-^ kI^â^A cn'K'^vx^ ^L»'\a\. trw y\rjy
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: <^o'\o-M^V\':\ ><na\20C3 i^acn i^-ttx^ y^slaû^ i^vm'\
•:• r^\u i^S^Xa^ <nmy*i *;70jl^-:\ i^":\t'^ ain -^pjt.r3
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•:• Y<!fto\r3 *7Exa(\ i^Isk'A i^Vi^zn ,^^011^ m:
.A r^.^-\ak-^ ^^ji^^ <n.&'A^ i^^a-vra -^xaca
•••r^VvoVui^ i^n^ i^Vv\^ i^côaoLX. i^Sjq^a ol^i^a 25
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460 NOVEMBRE DECEMBRE L899.
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20 '•• T^^*3i^^ ôii^m-^i i^V\n\ji uv^ oiciaacsVii^o aahi»\o
: r^^A^\ 1^V^^\ <73\si&':\ 1^^\kV1 1^€lâ> OUCoVv t^SQk^ Ol^
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: <nV\â^<n^ i^Vrn AiLcL^ i^oo) "SAwri i<!bak& oi^
• • •
fIOVIÉL[E T)E NARSÈS. 'lOl
*Aà ^po \»oxm-\ t^U3V\t\ cTUôm i^om \>oiro i^sn^ oi^
•:• oxsouo r^V^ i^At\ i^om 9J^>xsot\ -^tvso pL'n>3f, t^A-:\
: r^\jj4 Vvjjjbo i^am V\\Knm i^sâa »<nl ai^
-:• YÙ€^Y^ek r^^t^se.'si v^^nt^^ ^nX^i X&\o VvîjtobM-:\
•• • •
•••
^% ■• ••
• • • • •• •
•:• i^SV\<VM >Â2Lrno i<l<3i& 'sJj^ rs^r^ y<n€kX^La>
• • • •
: i^Vvjlox» \€i\& T^ocnan mkiSfX^ i^Xaccua ^(Aro 20
•• • •
•:• Y^l^i^\ âAsoa i^iA^n \^t\<\ ><nôi<f'Sj3 we^\X ^/%
•:• T^ncnoi t<!ajo^ci \<!âJCM ^mai^-^js i^S^cajA^v
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A Aa ^m. — * B cuojc^-A. — » A i^L-mn.
462 NOVICMBRE-DKCKMBRE I S99.
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5 •'••
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•:• t^ iSKoxmafn-sK i^^oj^-i i^Laatc^ ci-vi3.^>o
• •
: t^XW t^Aâ^a «^oit^ VmLû9 t^-vskMJ=» r^imâ^
' — •• • •
Y^'3\ X<^X<^ «JL^t^Zn w^OCIOSlI'^
•• • ••
•!• \^\V\rn i^^'A.^.-^ t^XK^\i73 o2^-\ 4V»i^-VKi»\o
o^lsolx^ w.oâ^mLX^ VcA-ri i^\n V\r3 yôoA
•:• .V^V^ t^A^ra -Ka^jc^ Si^^oA «^^oit^ Ài^rcfo
' • •• — ' •• •
: o-XTiÂmA r^uaVOi cnV^*n i^Vm Vkx»':vso
: t^Xs&caa XAm-^ t^-\-Hjc\ yoaujra Vv»i^Q«âJA
•:• T^x^^x^'-^cn'A T^scïL\x^ i^^dJco ydOKia^vi t^A*:!
HOMKLfK DR XARSKS. K»3
• •• •
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cTxXftvra Y<^-\jajiL^ cir>.V^ t^-Hjacue.-^ t^'^ôxi»
•:• ^ors^-^v c73J^Ar3 AravsK^ ^"^ra-^-A Y^sa^'s mrd ocn^ra
■ • • •• •• •
: C7xm\2^ A^y'n r^r^ VvA*n%\ cnVi\^r» i^VxVut^
: rd^i^\-:\ \<S«tvr3 rd^t^ix-:! i<^<nr^ oS^^^jif x^Làii
\^ • • •• • •
' : t^jjt^ ^m -VraA t^i<!^ cajo^-^x Y<Se.\M i^^fA^ 15
•:• K^Vxcai^a^ A^ cnAo y3^\\<^ x^JatL\^^ r^\j a^o
•• • • •
• \^ • ^^ • •• •
: x^axi^ V\Am ^n*Ti^ ^^ ovm v^côr^ Vviâi. o^
: cn^caoa^ ^m \<l&ax^ >09cua^^ XtY^\â^ ,
> Cod. add. : ^.ro -K *T> \ k1a1^*\ \ OXO^-^ 1^!sc\m ^^\ "A^O
464 NOVEMBRR-DÉCKMBHE 1899.
: ^sAoa ^\r73t^ Xtrd&K^ aA-:! S^t^-ri Xtt^ «-^^^
• ••
•• • • ^^^»
: i^ÎKf \:7Dt^ .raoVxo ^cn ^\:Âi^ fcnAii'yisoA
: 'liXso Aj3>.oa\ K^^tA^o ^mr^i-^ t^^jsoti Vvj^ VviA
10 •:• ' i^Xsô «JOÀ-rv
-^
\^^L^ CCS^SsoA «^oVÛt^ »A!k»^
• ••
^u «^jtn-A cn^\.s> ■ >m v^kso i^fi^ \sot^ 1^7;^
15 : t^^-\Vv\ fOXijL^ i^Tfjca r^sarsf-si rdsuza i^solÂo^
^^ • • •
: x^\^zx^ ^\M -SfcSy ■ i^lfioi<!sô^ <»V\\i7y^ t^\CV,^
20 •:• i^xsnAcu.1 ^lix r^ijjâ-^ t^VAso cnA VvSSif ■ t^^o
•• ••
1
• _ •
ÏJOMF^LIE DE WRSÈS. 465
•:• rdâAm Vvi^nro -xri^-rv fOixN^^Ta >cn r^i.m A^^'n-ry
: q»^t\a\i>^v*^ i^br\<Yxv\ A.3Cv\ v^V'M'^ i^XiLoso 5
• • • ••
•• •
••• y^j^^sKCi K^Si^vv^i Qoo'A<nLiQ^£û *-puc=3 «^ca^ oxrnjca
: cn^caoxr^ ^p t^r^âA oxnj^-^ i<^ijt.<u^ t^cn
: r^.ic^i rd!&A.\ i^AsiLi oiA o\mA, i^AsiLi t^JA
: T^VvmcL^KM'A gyarx fAvv.N À^ €n^^^\i3 ^cn
•• •• •
.:. Sx^ i<Atvr3 T^v^ rd&oaâA cncnA^ t^p^"^
: cn^cuosA ^m pcw^ T^axr^-A ^ocn \^i^2k oA
•:• cTiX^'A w^ouaa T^X^Oâ^'A r<^am pWx i<Aa 20
• • •
• • • •
B i^'"v»'\at.. — =* A A.=njcci. — ^ A cn^cuK^ ^p^ pcuaÀi
• •
5
W) NOVRMBRE-DÉCEMBRE 1899.
: i^=3\x\ €n^(VsL&V Xtrd&r^ (v\n -ViTsi^-ri Xtvcf ««^vdo
•• • ^^^
•:• T^*T>Vv\ ^JN^t^ ar\ikV\ Y^icFaA ^ats^amto t^^A^
10 .:. x^ytiv^rx, \<!lx»r\ ^^ca^ .rx^yi-^ \sntî^'^ *xiy^VviAci
: r^Xbi.anjA t^sA >\.\^h;, ^ulzo i^coA
: w^gcTXilAso A^ tdArô'A ^X^^ra X^*i% i<!A r^m
— •• • • ■•
.:• ^Vx^ibVv V\cA rd&ox^ xjÂ^ i^^vjsoà i<!Aq
• • •• •
• ••
: ^cujlA-)A_^oj3 i^âAm ^mosca xx^^m^ ^u
: ^ksd^'AK^^'^ cnovmôjca ^ocn ^^icv^i J3Cid\ o<»
• •• •
A r^cn . -- ^ A (Irest xiî^. — ' B ^uo
IlOMKLIfc: DE NAUSÈS. 467
•• • ' ■ — j •
: r^^caje.\\ aam cckido r<l^ ^^\i[\r=\ ^ndkx, coaca
.;.• i<^f'A^ rdocox^ w^oii^ ^"Vn 1^^*^ ><n r^ikvv^ ^-ï
•:• K^-\A^jc^ *T^s>. t^^if.^i >Jij^ i^uvra ^^i^o
• \^ •• •
• •• • •• ^^ ^^ ••
OOSljl.
j\i73 ^jsa^ i<!x=nL3t.'A oajxs-A S^cTxi r^^ ^cn-^
^
•• •• ^^ •
^^ •• ••
r^vr3\ aoaca'A "^^ V ^^^•=^ oaca'ÂJC^ >v*-%^^ .raoV •^..j<jci
: ^.^ro ffna^^AàysK i<a.Vâ VcA ^acn J3^\3a y^^ 20
x^^^ • • • • •
*:* ^oscvij'A A>*^ ^^Y^*""^^ t^A^^ Y^ocn AX^h»^ y03C3
: r^icTX^ a\2i^.û»':\ K^'Acn ^Js^Y^f ,\*73jc^ -^oVvm ..m oxso
• • • • •
r^-K-ÂJC- •^cicuxi-A 0^00=3 i<lSka^\À ..soci 25
• •• ^3
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468 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 189Q.
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• • •• • ^^
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J 0 .:. T^i^^^cLm-^ i^=nix^ •H.mrif'A * ^-^i ^so -^lo^ am "tiSaxto*:!
•:• ^VxocnA^o t^'S^^ 'S.soi^'xv ,\^Aif , sLir^ \^\^
: ^lAcn •SLznjc'^ \<S«^ A.ra.)a Ajâ^n» r^lisn
•:• i^'ticcT» t^^-^a -SjAx^ K^-^oro-^ K^t^ '^SjkàSO':!
I :> : ^%Vv\rC^ fN/v>^ \<lkr^^ -^ fU"yfc Â^^xo i^iro i<<»
• • •
• •• • •
: ^*\^*-^Vj5^-=^ f <i)am-VAi f \j&a i<!|ia'^ r<iam ^^<^
•:• «.^caK^ AXt^*^ K^âi^l^^ .racuxi-:! V\a<» i^t^^ t^\o
: >€ncvm-v^ ArajacA t<îmACY>v\ t^ocn -^.rxbb. r^^'\ i^xoSy^o
^0 •:• i^m-vu -S^^no i^Iro->^ ^t^^ 'Si^àA,r^ »ok\\^\mo
: ^ t^AjçaV t<StiA, c'en ■\A'v\ i^Iso^mcs i^sfsSm
* •• • •
: <n\.r^Q>p^':\ ..m v^n\Ai x.oS^'a ^vâjcrn xj!t^
HOMKLIE DE NARSÈS. 4ft9
•• •• — ^^
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•:• axzryjc^ vdwjjtro \<!*^K3 i^sn\*i Xit^S^^o '•^
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•• •• "^* • •• •
• •• • ••
: t^^o^k^s K^T^sLsoA t^VAm rc^uaA €n\ p^jxA >\cy>
• •
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•:• i^\=ô ^aXa'Â'a i^\d^ ^=n ^Ajcl^ i<!iro A.^^^JTa-^
iLcï) T^saïï;^ cvWro-A Vv!kdojt^ ^t^^ i^A-^ t^W.=nco 20
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B cnVvadfcX.'k. ^ B >kAx.â. — » B t<^\A-AC>.
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10
IT)
'a70 novembre. DECEMBRE 1899.
•:• ^^cai^^ ^rn ^\«^:=) t^^A^ ^^mV^ ^io \^j^
•• • •• •
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•:• «^AoxsÛKyi am\jc^ i^Xj^oa i^&oaca ^K^ J^ t^cn
•:• v^Soi^ K^'AcnA * cncocS-A i^vva\jc^ ^\ci-\ak r^m
: oxia-vx^ ><ncc3Vv^ r^XsÀu^ t^^-A yVvsoo i^ncA
: cn^coa^^ " i<l\i^ r^A^^ y<^\t\*^ t^mLi^-k âtd Ai^
:20 : A'^^':\ x^%r<! ^nro Aô'^^^ ^\a-\âA w^ooaA
r^\.^^a t^^sOlso-^ i<^'\a!^ cc3^\^ w^ox»'^.^ fA*i r^tn-si
li «^âiLsXm. — - B cncL-at-S-A-rx. — ' A Kf'Âom % \. —
i
B
IIOMKLIE DE NAKSÈS. 471
l'A i^fA*\^ Ara^raVu i<l\':\ aj&\à y^vs[&
iLcï) ^An.:^ ^csvvVra «^^cnAn K^'^cn »<n r^yma
: r^\»vs,. W....03A »cnat<liL^ "AgyA^i oc» t<iAA2L.->€n ^^
:• r^\^a ^îtAro^i t^Xt-AoVx * t^^VM cA^tajo ccia- y^Ao
: T<r^ca-H\^\ (sic) <nc3JC^ i^m\xi i^LljaômkjuM
•:• rcfXijar^ ^rcf (sîc) P^scA i<l^<<n vy^o 15
■ •• •
•:• Y<f V\aVv4Y<f *7X3A cnLmjtra yS^ca-ti i^»^t^ cA^^tî^o 25
' •• ••
A nj^. — ^ B Y^fifxocnAi^'A.
KWalMBalB XATIItUtL».
M2 NOVEMBRE-DÉGEMURK 1899.
' • • • •• ^ •• • •
• • ••
— • •
• ••
•:• i^\=3o t^3t^t\ t<lsocâj3 .^o AmA yoaLftni&â ^S^io
X • • • •
•:. >.M,i^t^o Ail i^9a\:3 cA*:! oam ^\rnK^
HOMKLIE DE NAHSÈS. 473
%xkx^!^D a\\^r<^^ i/^Wjl^ K^^q S^âj&o
•:• r^^-\Vv\ asFsA^ Xtrd&v^ cA'^ w^o^i^ ÙÊ^-^ar^is^ Ti
: i<v\^ 7°^^— t<r -u-vx- 0-:\*^Ni lC=3-\ tC=3-V3a
: oocHc^^^ i^am ,\.Ajo ^^o ■ i>\ y.^ i<1jÔjc«
\f ^ \^ • •• •
\/ ' •
•:- i^l\<\^^ >'^\^n,\ w^m^ ^om i^'Sjc^ ^t^^^so^o
gcn^cisajAi^ cliA i^ocn ^<mm ^^*^.-*^^ %ss^r^a
3i.
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:2r>
47^ NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
•:• <nu^<»'\^ ^VxfikTo oxAx.'A i^mn.^. %^jLa ^ y^^o
> •:• r^^EXoA^^m ^V<\*at>ro *^dcl> cnA i^oôâ ac^^ i<l!\o
: ^|0^ i^^iX^'^i <i)X=n<î» CLsa\jL \<lxy%x\3L t^^St^nca
1 u : i^acn ^ardâVvso oocAoÀ ^(vXron t^^a&\ 9011A
• • • •
: \si^je. ^<»'H'^ i^jcsjA i^lm*:! ^^ik&\ oKf
X •• • • •
: ■l'fA'\^ K^vM^oA '7xLj!Ùm^ r^snsk r^sr\%'\vv\ oKf
^cnoAm-^ T<!=y>\^^ vsAiTsVxrcf r^^ i<Vii^. «S vd^
flOMKlJE DK NARSES. /i7r>
— • •• •
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•• • • ••
: r^Xsô'A r^\i73i^3o .^^Y^f'A >i^^r>.^ cnÂ^^^i'A ^V\\i^.
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1 BifxSi.
^476
iNOVEMBRE. DÉCEMBRE 1899.
10
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: rd&Xbi.<in3n tdAsb >x."i\ r^r(! \^jc\
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! cca^fvakA t^f^SfAT» azaiS^VÀn A.2k cca^rtsk Xti^sojâ^
• • •• • • • •
•:• «^^0ijjâjc.c\!^i3 t^soom ya^xnoA-A i^sojâji^ XAo
•••
: ^^ \^^^ ^ou'K^ Kf Vv^i.'^v* i<L»n r^jjoa
•:• K^sc^n t^jjûo^ t^=3K^ o\X^^aJLû»n f<n
~~- • •• ^ • ••
kO T<^)(v\ro-A i^^(Va&a& •jjCi'SÂro^
^moXt^n Kîm ,^n \.£ûj^ x^^ atn aà oaA
^^ • • •• •
oivj^ ckro-\
V • ^_l r
HOMÉLIE DE NARSÈS. 477
^ a»aû «^ Aâ^-A «jjCftèv;^ *< *^ ^^^ 5
: Y^i<nj^-:\ i^K^JL^ «^_cai^ VxnnJbi.^ i^X^^^ yih rcfnoa
^ • • •• • •
— • • • ••
— • • • •
•:• %>.^oijA?a.v. jâ\ Si>^jf. i<!!iVu Jk.ni xxr^ i^l\o
^^^ ^% • •• •
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•• • •
: ci-Kie^VwcT rd!mA. K^r^ K^a^ii ^^ftcnjAmcw. rcfoa
^ B ^oiin. — - A
10
20
478 iNOVEMBRR-DÉCEMBRE 1899.
: i<jaï<r A-ra-rtcA x^^r^ a\^..£û initia r^jtxr^ ovm r^m
•• ••
ooiyro-ti x^xjyjL^ <\\â>.ib ^ra.» t<l\ ncoaXra t<£\aLtt
■•
• \/ — •
•••
09d\JLmn YCX>^ -\v^^
15 : rcf^n.^^ clV^ m^n ,^^e^rd Vvi3.^A •..^-vro-^ 094
: «^A^vCT ,23coeAx.in «^^ ÂjoA i^Ï^Imo t^ivi^*n ^(xaso^^ra
— • •
: rdyA.i 9<nà\sk i^x.iî<f ^sco^ rcf^S n>\a>*i^A
•:• K^v ^ cv> ^jN^Kf Kf V\je.oj3 îk^^'^A Kf^-vo ^AAi^'i^
: i^tJâii. w^cnca .^^aircf >ibk.rcf K^i\^cv> ' vO^
•:• l^ïl^^-:! 1^\.^.^J=3 09^^ V\^^ ^"^^
• Bv^o.
II()\IKLIE DE NARSKS. 479
rx^^-^ i^^'HrCjcxrs rcf ^ojoâ {vxu*i <n»^\ n^(V^o
-— •• •
>-\^ûarD •^^aoxsooAra K^utrn i^\Xp'^'=^ Kf-\Y^^^
: v^*\^^ -^jcArD ,;3Ô"\.ka.i'^ i^^Jrs i^Vvse.ca3 ^-x'svjûaX
•^a.vv\n rcfaM.m <n\^ Vieocjca 10
: <nr3k.»cA- vs.»i^ <n\^ -Kom^^aA Kfom ^i^f^^ ^^^
: r^-vs^ac^ -:va^ 903a^>-\a^ y^^Soà i^ocn VuKf o^Kfo
4^
: * \^it\cv»\\^ >i\ cnA oocn t »*\; "^ t^TTi>\^-\<wc3 20
: T^ïr^ Ai3Pa\ r^\^» » oiA Kf*n\^ r^V^» »
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• • •
480 NOV£MBRB-D£C£MBKE 1899.
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HOMÉLIE DE NARSÈS. 481
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HOMKLIE DE NARSES. 483
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HOMÉLIE DE NARSÈS. 485
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HOMÉLIE DE NARSÈS. 489
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HOMÉLIE DE NARSES. 491
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492 NOVEMBRE-DÉGëMBHE 1899.
LES [NSCREPTIONS DU PREAH PEÂN. 403
LES
INSCRIPTIONS DU PREAH PEÂN
(\NGKOR VAT),
PAR
M. ETIENNE AYMONIER.
Dans un mémoire présente au Congres de» Orien-
talistes, session de Paris, 1 89*7, je crois avoir précisé
l'époque où commencèrent les grandes constructions
religieuses des anciens Cambodgiens ; ce fut au règne
de Jayavarman II, qui monta sur le trône en 72/i
saka = 802 A. D. Je pense avoir aussi établi les
dates approximatives de la fondation de la capitale
Angkor Thom et de son superbe temple , le Bayon ;
ces travaux colossaux furent probablement conçus et
entrepris pendant le long règne de ce grand roi , mais
ils ne furent achevés et inaugurés que par ses suc-
cesseurs : le Bayon , par Indravarman , vers 880 A. D. ,
et Angkor Thom, par Yas'ovarman, le premier roi
qui fixa sa résidence à cette nouvelle capitale, vers
l'an 900 de notro ère.
L'édification des grands monuments se poursuivit,
avec dos alternatives diverses , pendant les règnes des
494 NOVEMBKE-DKCEMBRE 1899.
trois siècles suivants. Mais on doit admettre, quoique
la fin de cette brillante période soit plus obscure
que ses débuts, que ces constructions colossales,
œuvres de puissance et de prospérité, s'arrêtèrent en
même temps que les documents épigraphiques qui
les célébraient. Des uns aux autres , la connexité est
évidente. Or les anciennes inscriptions cessent brus-
quement au règne de Jayavarman VII, avant la fin du
\H* siècle saka , donc vers le milieu de notre \ni' siècle.
Entre tous ces grands monuments , les deux plus
récents semblent bien être Angkor Vat, Tincompa-
parable et gigantesque temple qui célèbre et résume
la splendeur de tout un siècle, et Ta Prom, chef-
d'œuvre de délicatesse et de grâce sculpturale, il est
vrai , mais édilice dont le défaut de solidité , — encore
qu'il fût plan , — semble accuser le caractère de déca-
dence de la conception architecturale.
L'inscription sanscrite de Ta Prom datant du
règne de Jayavarman VII, il est très probable que ce
temple fut construit entre i o84 saka, année de i'avè-
nement de ce roi , et i 1 08 , date de ce dernier de tous
les anciens documents épigraphiques, c'est-à-dire
entre 1162 et 1186 A. D. Après, c'est une nuit
épaisse où tout parait sombrer. Le grand Cambodge
finit donc avec notre xii® siècle, et le xm" dût-étre
une triste période de faiblesse, de troubles et de ré-
volutions.
Si Ta Prom est le moins ancien des grands mo-
numents cambodgiens, Angkor Vat, qui a dû le pré-
céder, remonte, à mon avis, au temps de Suryavar-
LKS INSCRIPTIONS DU PRKAH PEÂ.N. 495
nian II, prince qui saisit le sceptre en io34 saka
-= 1 1 1 2 A. D. et dont le long règne, une quaran-
taine d'années, semble se distinguer par une recru-
descence d'activité religieuse, de ferveur brahma-
nique, — on pourrait peut-être même ajouter de
mysticisme exagéré, — dernières lueurs dun feu
({iii devait bientôt s'éteindre dans les cataclysmes que
provoquèrent les excès du système et Taftaiblisse-
ment irrémédiable de l'empire qui en résulta. Il est
à présumer que Suryavarman II est le roi qui reçut
ce nom posthume de Paramavisnuloka que les in-
scriptions khmères de la galerie des Varman d'Angkor
Vat donnent au fondateur probable de ce temple ^
On ne peut guère remonter plus haut. Nous con-
naissons en effet les noms posthumes de tous les rois
depuis Jayavarman II jusqu'à Suryavarman P' inclus,
et aucun de ces noms ne ressemble à celui-ci, sauf
celui de Visnuloka donné à Jayavarman 111, jeune
homme dont le règne très court est beaucoup trop
ancien pour qu'on puisse songer à lui attribuer l'é-
rection d'Angkor Vat. Quant aux rois à intercaler
entre les deux Suryavarman , ils ne semblent pas avoir
eu des règnes assez longs et même suffisamment
prospères pour faire exécuter une œuvre aussi colos-
sale.
D'un autre côté, il parait difhcile de descendre
plus bas ; le successeur immédiat de Suryavarman II
n'eut qu'un règne bref et incolore, et le deuxième
' Voir noti-e Etude xur 1rs inscriptions khmrrrs (Journal asiatiane ,
1 ^83y.
4Q6 NOVEMBRE. DÉCRMBKK 189«.
successeur fut ce Jayavarman VU qui fit vraisembia-
biement construire le temple de Ta Prom. Nous
avons déjà fait remarquer que tout cesse après ce
dernier prince; outre cette raison très péremptoire
de la décadence de Tempire qui nous empêche d'at-
tribuer au xin" siècle saka la construction d*Ang^or
Vat, nous devons tenir compte de la forme gra-
phique des inscriptions qui ont été burinées sur ia
face méridionale, galerie des Varman et galerie des
Enfers. Cette forme étant celle des documents épi*
graphiques du xii* siècle, le temple était évidemment
construit à la fin de ce siècle.
Bref nous plaçons l'édification d'Angkor Vat dans
le dernier des grands règnes de cet ancien Cambodge
que nous a révélé Tétude de son épigraphie.
Selon toute vraisemblance , le temple fut primiti-
vement atfecté au culte sivaïte , religion officielle de
Suryavarnian II. Il est vrai que le bouddhisme avait
déjà été très florissant, particulièrement sous les
règnes de Jayavarman V et de Suryavarman I*. (Le
nom posthume de ce dernier, JSirvânapada, permet
même de croire quil mourut dans cette croyance.)
Mais nous savons que cet ancien bouddhisme du Cam-
bodge était celui du Crand Véhicule, de TEg^se du
Nord, et avait le sanscrit pour langue rehgieuse. Le
bouddhisme du sud, dont les canons étaient écrits en
pâli, ne fut probablement reçu que par Tintermé-
diaire des Siamois déjà affranchis de la domination
cambodgienne , et son triomphe sur les deux anciens
cultes du royaume, bralimanisme et bouddhisme du
LES INSCRIPTIONS DU PREAU PEAN. 497
Nord , dût coïncider au \iif siècle avec les troubles
et la décadence profonde du Cambodge. Angkor Vat ,
temple superbe et à peu près tout neuf, dût être dés-
affecté dès cette époque.
Il est à remarquer toutefois qu il ne reçut aucune
inscription pendant les deux ou trois siècles qui sui-
virent. Aux xvf et \Nif siècles on y burina une qua-
rantaine d'inscriptions votives; puis ces documents
redevinrent excessivement rares pendant nos xviii* et
XIX* siècles. De telle sorte que nous y avons trouvé
et estampé, outre les courtes légendes du xii* siècle
que nous avons étudiées dès i88a, quarante-deux
inscriptions modernes : soit vingt-huit dans le Preah
Peàn ou galeries croisées du premier étage, treize
sur les piliers du Bakan ou troisième étage et une
isolée, très grande, dans une chambre de la face
orientale de la galerie des bas-reliefs.
Dans ces documents modernes on peut relever des
expressions archaïques , des formes graphiques tom-
bées en désuétude , mais les pensées, les théories , les
doctrines, les pratiques et usages, les notions reli-
gieuses ou littéraires dont ils s'inspirent, leur sens
général , tout nous transporte brusquement dans Tétat
social et religieux du Cambodge contemporain.
Nous nous proposons d'étudier aujourd'hui les
vingt- huit inscriptions du Preah Peân. Ce nom, qui
signifie aies mille Bouddhas», a été donné par les
indigènes aux galeries croisées du premier étage parce
qu'on y trouve d'innombrables statues entassées dans
une de leurs chambres. Sauf une seule, ces inscrip-
498 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
lions sont toutes burinées sur les piliers de ces ga-
leries.
A divers points de vue, celle qui fait exception
doit être considérée à part. Elle compte six lignes
gravées sur le socle dune statue du Bouddha.
Quelques lettres sont effacées. L'écriture , qui est très
fine , ne diffère aucunement de Técriture monumen-
tale ou sacrée des manuscrits actuels. L'inscription
est, en effet, toute récente, datée de Tan 2899 de
Tère bouddhique, soit i856 A. D. KUe relate férec-
lion de la statue du Bouddha par le dignitaire Anak
Banâ Srï Râja Tejo Jai Abhai bhiri Pârâkrama Bâhu,
titres d'un gouverneur de province siamoise qui
appartiennent peut-être à celui de Siem Réap. H de-
mande que ses fautes soient effacées, quil obtienne
le Nirvana, ou tout ou moins quil évite les catwrâ-
paya « quatre lieux de punition » , qu'il obtienne les
inyapatlia « quatre bonnes postures » , qu'il acquière
la foi, la vertu et des mérites dans chacune de ses
vies futures, afin d*atteindre finalement le Nirvana,
ce lieu de félicité suprême.
Les vingt- s(îpt autres inscriptions du Preah Peén
oftVent presque tout(»s entre elles de grandes ressem-
blances. On les a entièrement burinées siur les faces
des nombreux piliers des galeries, entre les filets et
dessins de fleurs, d'arabesques, qui ornaient — dès
l'édification du monument — les angles de ces co-
lonnes carrées , alors que les faces avaient été laissées
finistes. Une face porte rarement plus d'une inscrip-
tion; plus rarement encore une inscription occupe
LKS INSCKIPTlOxNS DU PKEAH PKVN. 499
les deux faces d'un pilier. On peut donc dire que le
nombre des faces gravées est, à peu de chose près,
celui des inscriptions.
Les piliers mesurent o m. 4 -y à o m. 48 centi-
juètres de largeui'; mais les dessins des angles
avaient réduit à o m. ko environ la place laissée
disponilile pour les inscriptions futures, et telle est
la largeur moyenne de nos documents. La hauteur
et le nombre des lignes sont essentiellement va-
riables. Une inscription très mal écrite ne contient
que doux lignes; au sui'plus elle paraît être le com-
mencement dun texte abandonné. Toutes les autres
ont au moins qumze ou \dngt lignes , et quelques-
unes, très longues, comptent 70, 80 lignes et plus,
atteignent 2 mètres, 2 m. 5o de hauteur; dans ce
dernier cas les dernières lignes sont coupées en deux
parties par le dessin triangulaire qui décorait le bas
des piliers dès leur mise en place, lors de rédilica-
tion du monument.
Gravées peu profondément et par des mains in-
habiles, ces inscriptions d'une époque de décadence
sont généralement assez mal écrites. Leur état de
conservation laisse A désirer, mais c'est plutôt par
suite de leur mauvais tracé : deux seulement ayant
réellement souffert de l'usure de la pierre. Quoique
quelques-uns de ces textes soient un peu mieux
soignés que les autres , les traits sont rarement nets
et réguliers. Cette écriture est tout-à-fait moderne,
les chiffres aussi. Les lettres parasites, ce fléau de
récriture actuelle, abondent et ne contribuent pas à
500 NOVËMBRE-DÉGRMBRË 1890.
faciliter la lecture. La dégénérescence orthographi
que est très accentuée ; ainsi Mahâ « grand » est sou-
vent écrit Mhâ; pavitra « purifié , pureté » , et qualifica-
tif de haute distinction honorifique, devient pabitra,
pabita, pâbitra.
Presque toutes ces inscriptions débutent par
rinvocation pâlie bouddhique « Subham astu i ou
« Subham astu mangala jaiyâtireka », ou encore
« Subham astu suasti srîyâbhimangala bahûia cesta
jaiyâtireka » que nous transcrivons avec les incoi^
rections habituelles des scribes indigènes. L'invoca-
tion est suivie de la date en chiffres au miliésime de
la grande ère (mahâsakarâja) qui n'est autre que
fancienne ère saka, 78 A. D. Le nom cyclique de
Tannée est ensuite indiqué* et cet élément, très po-
sitif aux yeux des indigènes malgré le caractère vague
dû à ses continuelles répétitions, offre Tavantage de
confirmer ou de rectifier la lecture des chi£Bres : le
4 et le 5 pouvant être confondus, par exemple.
Très peu de ces inscriptions n'ont pas reçu ou ont
perdu leur date,
' En grande partie , elles ont pour objet d'attester
les dons faits au temple en statues du Bouddha , —
statues d'or, d'argent, de cuivre, de bronze ou de
^ On sait quil y a, pour le cycle, douze noms d^animanz qm
ne sont empruntés ni au siamois ni au cambodgien, qaoiqa*ili
soient communs aux deux peuples. D'après leur nature nous sup-
posons qu'ils appartiennent à un dialecte de la Chine méridioniJe
dont les marchands ou émigrants introduisirent probablement Ttiflage
en Tndo-Ghine, vers Ir \iiî* ou le trv* siède.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEÂN. 501
bois, — et de certifier l'œuvre pie de iaffiranchisse-
ment des esclaves. Quelques-unes, cependant, con-
tiennent incidemment des renseignemenls histo-
riques qui pourraient être utilisés dans une histoire
du pays pour cette période qui va du milieu de
notre xvi'' siècle au commencement du xvin®. Mais
nous verrons que leur grand intérêt est ailleurs.
La libération des esclaves est toujours suivie,
peut-on dire, dune formule maudissant les gens,
parents, descendants, individus quelconques, qui
molesteraient ultérieurement ces affranchis, qui les
revendiqueraient indûment; malédiction aussi sur
les mandarins qui donneraient à ces prétentions
l'appui de leur autorité. Les formules les plus
usuelles sont les suivantes :
« Que les Buddhas, passés ou futurs, en nombre
égal aux grains de sable, ne sauvent pas ceux-là!
Que ces maudits tombent aux enfers, aux lieux de
châtiment, pendant 5oo naissances, 5oo fois mille
naissances, des millions de naissances, jusqu'à la
fin des mondes, sans jamais connaître les biens cé-
lestes ! »
Ou bien : « Que la foudre de tous les mondes
sans limites [ananta cakraval) frappe ces maudits et
non les arbres des forêts ! »
Ou encore : « Qu ils périssent le jour même de
cur inique revendication ! »
502 NOVKMBRK-DECËMBKE 1890.
I^es luandarins prévaricateurs, sont quelquefois
voués à la surdité.
[1 arrive aussi qu'on souhaite le Nirvana à ceux
qui viendront en aide à la juste cause des afiranchis.
On peut encore rencontrer ce souhait final: «QuHIs
soient efficaces, ces vœux faits selon les enseigne-
ments du Bouddha ! »
Une particularité qui ne sera pas passée sous si-
lence est que ces inscriptions sont quelquefois si-
gnées en ces termes : « Un tel a fait finscription
(carika) » ou encore : « L'inscription a été achevée
par un tel, tel jour ».
Le clergé, appelé collectivement driya sangh ou
Brah driya sangh « sainte et noble assemblée » ou en-
core anak yœn ^ « les nôtres », joue naturellement un
grand rôle dans ces inscriptions votives qui prennent
le soin d'énmnérer les titres et les qualités des
prêtres présents. Les chefs des grandes pagodes sont
qualifiés samtec, forme fautive et siamoise du vieux
mot cambodgien samtdc « seigneur » qui remplaça lui-
même l'antique terme kamraten; on les appelle aussi
anak samtec « celui qui est le seigneur», ou encore
anak stec (pour stac) qui a à peu près le même sens.
D'autres qualifications, Brah y anak Brah et anah,
doivent désigner des chefs religieux d'ordre inférieur.
C(\s appellations générales, quelles quelles soient,
sont toujours suivies de plusieurs titres personnels
^ yoen «uous» est soinenl rcrit sous sa lorim* uiili(|iir, j^eiî.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEÂN. 503
généralement empruntés au pâli ou au sanscrit,
langues dont les mois sont plus ou moins dé-
formés par les Cambodgiens. Nous pouvons citer,
parmi les cent titres que nous avons relevés :
Le Samtec Brah S'rî sar (= sâra ) Bej (== vajra ) Brah Bu-
ddha.
Le Samtec Brah Sumangala Mahâ Sangharâja pubitra.
L'Anak stec Brah Indra debba Cakra.
Le Brah Mahâ ihera âriya udaiy.
L'Anak Brah âriya pubitra.
Le Brah Sugandha Mahâ Sangharâja.
L*Anak Mahâ Thera pavara gâthâ niaha pâli.
L'Anak Vinayadhara pubitra.
Etc., etc.
A la suite des dignitaires ainsi mentionnés indi-
viduellement, Tensembie des autres religieux est
désigné par Tune des phrases suivantes, (nous
nous bornons à indiquer entre guillemets le sens
des mots cambodgiens : les autres se trouvant dans
les dictionnaires sanscrits ou pâlis :)
Ariya theranuthera bhikkhu sRns{ pour sangha) phon « en-
semble ».
Nu ïs a et tous » theranuthera bhikkhu susangha.
Is « tous » samtec « seigneur » brâh « sacrés » gru (= guni)
theranuthera samnera phon « ensemble ».
Les laïques [gralias pour grihas) sont qualifiés gé-
XIV. 33
t«tMlMBMI> JiATlOilILR.
504 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
néralement : les hommes , des appellations eau
« sieur », anak « sieur», quelquefois brah, terme qui
doit être spécial à la caste des Brah vansa ou
memhres éloignés de la famille royale ; on rencontre
même un ta «grand-père, vieillard»; les femmes,
nân «dame»; les enfants et les esclaves mâles, à;
les femmes et fdles esclaves , nié. Tous ces appellatifs
sont en usage aujourd'hui au Cambodge.
Les mandarins sont des okhà, ukhâ, descaa bcûiâ,
des okhluhy akhlaan^ tels que Tokiiâ Senâdhipati ,
lukûà Bej safigrâma, le eau Banâ Jaiyâdhipati ,
Tohluii Abhai râja; et les Jamdâv ou femmes de ces
dignitaires sont, par exemple, la Jamdâv Sri Raina
Kesara, la Jamdâv Kanà Kesara. Parmi les rois,
possesseurs d'une kyrielle de titres qui les distin>
guent d'autant moins que ces titres se répètent avec
peu de variantes d'un prince à l'autre, nous ne ci-
terons que le Samtec Brah Pâda Paramanàtha Brâh
Pâda Parama Pubitra (qui régnait en 17^7 A. D.).
Les noms de lieu offrent plus d'intérêt. Le Kam-
bujades'a est le Cambodge comme le Kambujarâs-
tra est le peuple cambodgien. Il n'y a pas à insister
sur Samron Sen, le SamrongSên que nous connais-
sons , ni sur Pandây Bréj , prononcé Bantéai Préch ,
ou sur le Sruk Kaêk dam « le pays du corbeau pei^
chant»; ces deux localités restent à identifier. La
ville ou forteresse de Lovêk est appelée Lanvek,
Lunvêk, Pandây Lunvêk. Candapura est le Ghan-
taboun des cartes; Krun Deb Brah Mahâ Nagara est
le nom de la capitale siamoise, Ayuthia. Brah Dhât
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN. 505
A.thvâ n'est autre que le monument d'Alhvéa à trois
ou quatre lieues dans le sud. On rencontre le nom
actuel , Brah Bân prononcé Preah Peân , des galeries
où sont burinés ces textes; on le lit aussi sous ces
deux formes : Brah Bândh et Brah Bân Kambaja-
purâna a les mille Buddhas de Tantique Cambodge ».
Il y a une certaine confusion enlre Angkor Vat,
le temple , et Angkor Thom , Tancienne capitale voi-
sine, qui devait avoir quelque popidation à Tépoque
de ces inscriptions; Angkor Tliom y est appelé
tantôt d'une expression équivalente, Mahânagara,
tantôt Angara Indipras, ou Indipath mahâ nagara,
ou Brah mahâ nagara Indraprastha, ou Brah Na-
gara Indipras*. Or cette dernière expression est aussi
employée quand il s'agit du temple , qui est beaucoup
plus exactement désigné par cette autre, Brah Na-
gara vàt. Le temple est encore appelé Brah Bisnu-
loka ou Indipatha maha nagara Sri Sundara pavara
Bisnuloka.
O singulier nom de Bisnuloka, = Visnuloka,
semble même désigner tantôt Tensemble du temple,
tantôt le premier étage seidement : cest-à-dire le
Pr<udi Peân où sont ces inscriptions, et les galeries
des bas -reliefs où ce nom de Visnidoka est écrit
deux fois dans les petites inscriptions du xii* siècle.
Nous lisons ces passages, par exemple : Inscription
burinée au Brah Bisnuloka ; Brah Bisnidoka,
lieu de réunion des troupes des devatas, grand do-
maine (mahâksetra) des Brahmarsis et des génies
(devaraks); ou encore : Pandày Brah Bisnuloka Kam-
33.
506 NOVEMBRE-DÉCEMBRE. 1899.
buja pûrâna « enceinte ou forteresse du saint Visnu-
ioka de l'antique Cambodge ». •
Mais ii se trouve aussi que Bisnuioka est resté le
nom de i architecte légendaire du temple; à ce pas-
sage , par exemple : « Nous invoquons Brah Bisnu-
ioka ». Dans le plus ancien de ces textes , on rencontre
même ceci : « Adorer les Brah anga (les statues du
Buddha) que Brah Indrâdhirâjaloka a fait élever
par Brah Bisnuioka pour Tédification du monde ».
Incontestablement, il y a à retenir le nom posthume
à forme antique donné au roi qui est déclaré ici ie
fondateur du temple. Mais combien déjà les vieilles
réminiscences sont vagues et confuses ! Combien les
traditions sont devenues légendes! Visnidoka, roi et
fondateur probable, dans les textes épigraphiques
du xii" siècle , n est plus , au milieu du xvi*, que l'ar-
chitecte du temple.
Cette étude préliminaire sur rensenible des vingt-
sept inscriptions des piliers du Preah Peân nous
permet de résumer très rapidement leur traduction.
Nous les numérotons en les classant autant que pos-
sible par ordre de date.
1 . En 1 483 1 année kur (duPorc) , le 8 Kcet-^d'Asâ-
dha, samedi, TAnak Samtec Brah Muni Kusala pu-
^ Il doit y avoir ici une erreur de chiffres. L'année du Porc est ,
non i483, mais i/i85, soit i563 A.. D.
^ Kœt (Ket), est le numéral des jours de la première quinzaine
du mois; Roj (Roc), des jours de la seconde quinzaine.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN. 507
bitra brah Ang ^ est venu adorer les Brah Aiig (les
saints Buddhas ou saintes divinités) que Brah Indrâ-
dhirâjaloka a fait élever par Brah Bisnuloka pour
l'édification du monde. Il est venu de Vat Anluh
Tatok ; plein de zèle , il a fait réciter les prières par
les bonzes, au Brah Bandha, et il a donné à ces re-
ligieux des cadeaux d argent et de vêtements.
2. En iSai, année Kur, jeudi, pleine lune de
Mâghasira [sic, décembre iSgg A. D.), TOkhlun
\bhairâja vint avec d'autres personnages au Brah
Bisnuloka, séjour des dévatas, des Brahmarsis et
des génies. Le cœur plein de piété, il fit élever des
tours, ériger une grande statue du Buddha et pré-
parer des offrandes en invoquant Brah Bisnuloka.
Le mérite de ces bonnes œuvres, il le reporte sur ses
parents. Il fait un acte de renoncement aux maladies,
aux dangers. Il fait le vœu que les devatas (divi-
nités) repoussent les ennemis de la religion boud-
dhique , ainsi que les ennemis du roi qui viendraient
attaquer le Kambujadesa. Que le peuple de ceKam-
bujadesa soit toujours heureux! Il termine par des
reconnnandations à ses descendants qui sont actuel-
lement effacées.
3. L'Oknâ Smau fait œuvre pie en affranchissant
des esclaves. Pas de date^.
' Ce dignitaire religieux était peut-être un prince du sang, brah
^ Cette courte inscription de deux lignes semble être le début
d'un texte inachevé.
508 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
4. En i539 (*6^7 ^' ^^O» ^^^^ (Serpent),
a Kœt du mois intercalaire d'Asadh (juillet-août),
mardi , ce même Oknâ Sman provoque une assem-
blée des chefs religieux , des bonzes et des disciples.
Ses parents laïques sont également témoins que,
plein de ferveur, il affranchit deux fdles esclaves en
les chargeant de la garde des vivres des chefs des
bonzes. Malédictions sur ceux qui tenteront de re
prendre ces femmes.
5. En lôliQ (= 1627 A. D.), année Thoh (du
Lièvre), cet Oknâ Sman et la dame Ep (sa femme,
sans doute), ont fait des préparatifs et ont invité les
religieux à venir consacrer des statues du Buddha.
Pleins de foi et pénétrés de Tidée de la périssabiiité
de toutes choses, ils ont pris la résolution de faire
entrer en religion le nommé Sman, qui reçoit les
ordres complets (devient donc libre ipso-fcLcto) ^ et
d'affranchir en même temps la fdle et le petit-fils de
cet homme. Plusieurs chefs religieux, de nombreux
bonzes et de nombreux laïques sont les témoins de
ces actes. Malédictions sur les fds , petit-fils et autres
membres de la famille qui revendiqueraient ces
affranchis, sur les mandarins qui prêteraient leur
autorité h ces revendications. L'oknâ Sman a fait
lui-même Tinscription.
6. En 1547, ^^^^^ Chlûv (du Bœuf), le 4 roj
de Mâgha, (donc en février 1626 A. D.), un
dimanche, l'Ukhluan In Sén, en présence d'autres
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEÂN. 509
Ukhluan, de chefs religieux et de nombreux laïques,
fait constater la libération de trois hommes, de
leurs femmes et de leurs enfants; ils sont affranchis
par un autre Ukhluah, le Râjâ Tejah. Le procès de
ces gens était pendant depuis vingt-quatre ans, de-
puis Tannée Khal (du Tigre, i5a4==»i6o2 A. D.),
et dura jusqu'à cette année Chlùv; ils avsuent à se
défendre contre les revendications des Cau Mœaii
(chefs territoriaux de petits districts). Les Juges du
Tribunal royal avaient transmis la cause, après
examen, au Cau Banâ Surena Indrarâjàdhipati Sri
Anga êka agasena Yodhâbhimuka d*Angar Indiprâs
(c est-à-dire, selon toute vraisemblance, le gouver-
neur de la province d'Angkor). Ce haut dignitaire,
ayant décidé en faveur de Taifranchissement, chargea
riJkhluan Cakri In Sen, dmviter les Brah Ariya
Sahgh (les bonzes), et de faire une inscription. Cette
inscription fut burinée au Brah Bisnuloka, sous la
présidence du chef des religieux, et en présence
d une vingtaine d autres chefs , de bonzes et de dis-
ciples , tous témoins irrécusables de cet affranchisse-
ment. Malédictions contre ceux qui revendiqueraient
ces gens. L'Anak Okhluan Cakkri In Sen Brahma
Vansa (titres complets de lauteur), et TAnak Stec
Brah Inkila (un chef de bonzes) ont fait. . . (l'in-
scription, sans doute. Cette fin est perdue).
7. En i55o^ année Roh (du Dragon), dixième
' On pourrait lire i45o, le 5 des centaines étant mal tracé.
510 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
de la décade (1628 A. D.) en bîsâk (mai), eut lieu
une réunion de TAssemblée des Religieux et de
nombreux laïques, tous témoins irrécusables des
œuvres pies du Cau (sieur) Udai Smat et de dame
Mâh, au cœur pur, qui font consacrer trois statues du
Buddha dans le Brah Bân, qui libèrent le Cau Bhis
Sûra et la Mé Non. Malédiction sur ceux qui reven-
diqueraient ces affranchis.
8. En i55o, année Ron (du Dragon), ie 6 roj
de Pus (donc janvier 1629 A. D.), un samedi, eut
lieu la réunion de plusieurs hommes et femmes
venus du pays appelé Pandây Bréj visiter leurs
parents au Mahâ Nagara (Angkor Thom). Reins de
foi et de piété , ils ont donné deux statues du Buddha
en or, trois statues du Buddha en argent, deux grandes
oriflammes ; ils ont fait entrer deux de leurs fiis en
religion , et invité les bonzes à réciter des prières au
Brah Bân du Kambùjapûrâna. Etaient présents les
chefs des bonzes qui ont lu les livres saints. Après
lordination , ces gens ont encore fait àes dons d'ar-
gent, d'objets et de fleurs, dans cette Pandây (forte-
resse) du Brah Bisnidoka du Kambùjapûrâna (c'est-
à-dire dans le temple d' Angkor Vat), superbe et
célèbre en tous lieux. Cérémonies et lectures furent
achevées le dimanche (le lendemain).
9. En i552, année Mami (du Cheval), 10 roj
Mais i45o est année du Rat, tandis que i55o est effectivement
année du Dragon.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN. 511
de Jés (juin i63o), mardi, en présence de TAssem-
blée des chefs religieux et des bonzes, quatre laïques,
hommes et femmes , au cœur pur, offrent cinq statues
du Buddha en argent , une oriflamme , un dais ; ils
affranchissent un esclave qu'ils rachètent de ses
maîtres au prix de 2 livres et 3 onces d'argent. Cette
somme ' fut remise séance tenante. Mais l'un des
vendeurs rendît une once d'argent, désireux qu'il
était de participer h l'œuvre pie en faveur d'un pa-
rent défunt. Noms des témoins laïques. Imprécations
finales.
10. Le 3 kot de Jés i553, année Mamê fde la
Chèvre, donc juin i63i), un lundi, en présence de
l'Assemblée des bonzes tenue sous la présidence de
trois chefs religieux, le Ta (aïeul) Yas Râj affranchit
l'esclave Jl Jai , à la connaissance de tous ses parents
des sept degrés. On retrouve le nom de ce Ta Yas
Râj parmi les témoins laïques. Malédiction sur les
parents qui reprendraient cet homme.
11. En i553, Mamê (Chèvre, i63i A. D.),
2 ket de Karttika (octobre), les chefs religieux et
les bonzes réunis en Assemblée, tous témoins irré-
*
cusables, aident et assistent trois autres religieux
venus spécialement pour les funérailles (l'incinéra-
tion) de dame Brah Yas. Sur son lit de mort, cette
femme avait recommandé à cinq personnes (qui sont
' L'once est de 37 grammes environ. Il y en a 16 à la livre.
512 NOVEMBREDEGEMBRE 1899.
nommées et qui étaient sans doute ses héritien)
d*affranchir par piété, sans restrictions, 1 esclave
A Gan. Dame Brah Yas termina par l'imprécation
usuelle.
12. En i553, Mamê, 8 roj Mâgha (donc
février 1 682), vendredi, TAnak Samtec Arisudham-
ma donna par piété une statue du Buddha en or,
et 36 statues du Buddha en bois. En outre, il invita
sept chefs religieux, les bonzes et les disciples, tous
témoins irrécusables de lalfranchissement complet
et sans restrictions de fesclave Suas. Imprécations
contre ceux qui revendiqueraient cet homme , contre
les mandarins qui favoriseraient ces revendications.
La femme Dom n avait pu se racheter complète-
ment; le Samtec parfait la somme, donne la liberté
à cette femme, et la charge de garder les statues.
Quiconque la reprendrait est également menacé des
peines de Tenfer ^
13. Invocations bouddhiques du sieur Jet et de
la dame Suas (son épouse), accompagnés de leurs
frères aines et cadets , de leurs fils , petit-fils et parents.
Le cœur rempli de piété et d'allégresse, ils adorent
le Buddha, seigneur de tous les êtres, qui nous fait
traverser la mer des transmigrations, afin de nous
^ Vers 1876 nous avions déjà donné un essai de traduction de
cette inscription fait d'après un moulage et qui a paru dans ie
Voyage au Cambodge, de M. Delaporte, p. 4i9«
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN. 513
conduire au grand royaume du Nirvana (Mahâ Na-
gara Nirbbâna). Us ont fait faire 29 statues du Bud-
dha. Us ont amené leur famille au Brah Nagara Vât
(Angkor Vat), et en i55/i, année Vak (du Singe,
1632), à la pleine lune d'Asadh (juillet), ils ont
provoqué la réunion de huit chefs religieux, des
bonzes et de plusieurs laïques qui sont nommés.
Leur famille y assiste. Par piété , ce Jet et sa femme
Suas affranchissent sans restrictions Tesclave A Suas.
Pleins de foi, ils sont venus au Brah Bisnuloka,
séjour des dieux et des Brahmarsis. Affranchissant
Suas, ils offrent cet homme au Buddha, au Triple
Joyau. Ils offrent aussi divers objets et des parfums.
Ils font plusieurs invocations pâlies ou khmères,
dont lune est en faveur de la gloire et de la puis-
sance du Seigneur de la terre (du Roi ). Ils demandent
à suivre Brah Srï Ari Mai tri (le futur Buddha). Im-
précation finale contre les membres de la famille qui
revendiqueraient Suas pour esclave, contre les man-
darins qui prêteraient leur autorité à cet impie déni
de justice. Soient efficaces ces vœux faits selon les
enseignements du Buddha !
14. En 1 554, année Vak (du Singe, iGS?. A.D.),
le i5 roj de Bhadrapada (octobre), lundi, en pré-
sence de f Assemblée formée par trois chefs religieux
et de nombreux bonzes, plusieurs personnes (dont
les noms sont donnés), dont le cœur est pur et qui
sont pénétrées de Tidëe de la périssabiiité de toutes
choses, donnent 19 statues du Buddha qui sont
514 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
consacrées en (ce lieu) Indipatha Mahâ Nagara Sil
Sundhara Pavara Bisnuloka (Angkor Vat.).
15. En i555, annéeRakâ (duGoq, i633 A. D.),
le vendredi 2 roj de Bîsâk (mai), quelques laïques,
en présence de T Assemblée des chefs religieux, des
bonzes et de plusieurs autres laïques, donnent des
Buddhas , des oriflammes , des dais ; ils affirançhissent
d un commim accord et sans restriction une femme
esclave. Tous les assistants en sont témoins. Malé-
diction sur les fils ou parents qui revendiqueraient
cette femme, sur quiconque refuserait de témoigner
en sa faveur, tandis que les récompenses futures
sont promises à ceux qui lui donneront leur témoi-
gnage. Llnscription fut achevée par le Nây SaA, le
dimanche 3 Ket (soit seize jours après lacté qu'elle
relate ).
16. En i555 Rakâ (Coq, i633), a Ket de Jës
( mai-juin ) , le samedi , Assemblée des religieux. Le
sieur Brahm Vicita et la dame Sar (sa femme), pé-
nétrés de ridée de Timpermanence , ont donné
k Buddhas d'argent, i de bronze, i oriflamme,
1 dais; et pour la consécration ils ont convoqué
trois autres parents : une sœur ainée, un neveu,
une nièce. Les cinq ont offert d'un commun accord
en Taffranchissant, la femme Suas (qui devient
libre) comme si elle était la propre fille du sieur
Brahm. Sont témoins : quatre chefs de bonzes,
beaucoup d'autres religieux et disciples, des laïques.
LES INSCRlPTIOiNS DU PREAH PEAN. 515
mandarins, particuliers et des femmes. Imprécation
finale. L*inscription fut faite (achevée) le samedi
9 Ket (soit sept jours après la cérémonie) par le Nây
San (qui avait déjà gravé la précédente).
17. En iSSy, année Kur (du Porc, i635), le
dimanche lo roj de Jais (juin), devant les chefs re-
ligieux et les bonzes, tous témoins irrécusables, se
sont présentés les laïques : sieur Suas, sieur Brah,
femme Kev, ainsi que le bonze Anak Maha Thera
Pavara Dakkhina. (Ces personnages) au cœur pur,
désireux de faire œuvre pie (dont les mérites seront)
offerts à défunte dame Tiy, affranchissent deux
esclaves : un homme et une femme. Des laïques,
hommes et femmes, tous nommés, sont aussi té-
moins que Suas et Brah libèrent ces deux esclaves.
Imprécation finale. Cet af&anchissement a lieu sous
le règne de Brah Paramarâjâdhirâjâ Pubitra. (Ces
titres peuvent s'appliquer à n importe quel souve-
rain.) L'inscription fiit achevée le vendredi 6 roj
(presque un mois après l'acte).
18. En l'année Khal (du Tigre), dernière de la
décade^, vendredi, pleine lune d'Asâdh (juillet),
plusieurs hommes et femmes se réunirent pour
libérer un esclave. Cette libération fiit acceptée par
tous les enfants du Cau Hlun Thikabansa (adhi-
kavansa), qui donnèrent aussi des (statues du) Bud-
* Pas d'autres indications. On peut donc hésiter entre 1578,
iC38 et 1698, A. D. Jusqu'à nouvel exanaen je suppose i638.
516 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1890.
dha, de largent. Ces œuvres pies furent fiBÛtes à
Brah Dhât Athvâ (le monument d'Athvéa à quatre
lieues au sud). L esclave libéré fera les corvées du
service royal à la place de son maître, et le ffls de
cet esclave est libéré sans restrictions. Sont témoins
des chefs de religieux, des bonzes, des laïques en
nombre et tous nommés. Imprécation finide. In-
scription faite par le Pandi(t) Nai ... ?
19. Nous plaçons ici la traduction sonunaire de
lune de ces inscriptions dont la date a disparu et
qui a beaucoup souffert. Elle appartient probable-
ment à la première moitié de notre xvn" siède. Il
y eut réimion des bonzes pour assister à l'œuvre pie
de TAk Hlun Mano Uden afiranchissant quatre es-
claves qu'il affectait au service du Brah Nagara In-
dipràs (expression qui désignerait Angkor Thom,
mais qui doit, dans la circonstance, s'appUquer à
Angkor Vat). Imprécation suivie d'une invocation
bouddhique où le donateur prie pour ses ancêtres
des sept générations précédentes et leur oflBre les
mérites (de son œuvre pie). Pour lui, il aspire au
Nirvana et il termine en demandant que ces invo-
cations, faites selon les enseignements du Buddha,
soient exaucées.
20. En i56i, année Tho (du Lièvre), le mardi
7 roj de Phalguna (mars, donc au commencement
de i6/io), devant l'Assemblée de cinq chefs reli-
gieux et de plusieurs bonzes, tous témoins irrécu-
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN. 517
sables, en présence de plusieurs autres témoins
laïques, trois femmes et trois hommes ont donné
un Buddha d'or et trois Buddhas d'argent. D*un
commun accord, ils ont libéré et fait entrer en re-
ligion le Jï U que lune des trois femmes prend dès
lors pour fils (adoptif). Imprécation contre ceux qui
le revendiqueront, contre les mandarins qui se
prêteraient à cette impie iniquité.
21. En 1 565 , année Mamê (Chèvre, i663), le
vendredi 7 roj de Bhadrapada (octobre), la femme
Ma et ses enfants furent affranchis en présence d'une
nombreuse réunion de chefs religieux , de bonzes ,
disciples et élèves, de Kramakàr (fonctionnaires),
d'autres laïques , de la famille et de plusieurs femmes.
Imprécation contre ceux qui revendiqueront les li-
bérés. Quant aux fonctionnaires présents et témoins,
qu'ils soient atteints de surdité s'ils affectent d'ignorer
(en cas de contestation) cet affranchissement; mais
qu'ils jouissent des cieux s'ils le reconnaissent!
22. En i584, année Khal (du Tigre), 8 roj de
Pus (janvier, donc au commencement de i663
A. D.), en présence de cinq samtec et d'autres chefs
religieux, des anciens, des bonzes, des disciples, en
présence de nombreux laïques, tous témoins, un
chef de bonzes (Mahà Sangharâja) ainsi que divers
couples, en tout quinze personnes, hommes et
femmes qui sont pieusement unis à ce prêtre,
affranchissent deux femmes esclaves et leurs enfants.
518 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
Imprécation finale. L'inscription est faite par TAnak
Mahâ Thera Pana Vinai (un bonze évidemment).
23. En i6o5, année Kur (du Porc), 7 roj de
Cetra (avril 1 683) , la dame Hœm affiranchit l'esclave
A Sin en présence des religieux , des laïques , honunes
et femmes , tous témoins irrécusables.
24. En 1612, année Mami( du Cheval), samedi,
iti Ket de Cet (mars-avril 1690), en présence des
chefs religieux, des laïques, hommes et femme$,
tous témoins, l'Anak Avat et TAk Hmœn Ji Amnâ,
femme Nù, donnent, dun cœur pur, un Buddha
d'or, un Buddha de cuivre, deux Buddhas d'argent
et des sommes d'argent; en outre ils affranchissent
sans restriction la femme Pus. Imprécation finale.
Entre toutes ces inscriptions du Preah Peân nous
avons réservé pour la fin les trois plus grandes dont
l'esprit diffère sensiblement de celui des précédentes
qui sont toutes, avons-nous vu, simplement votives,
tandis que ces trois dernières font l'historique des
personnages et racontent des événements contem7
porains. Au surplus, deux de ces inscriptions se
trouvent placées quand même selon l'ordre chrono-
logique.
25. Ce document, que nous verrons daté de
1 y 01 de notre ère, compte 7 7 lignes, il débute pair
une invocation en langue pâlie faite au nom du
\A:S inscriptions du PREAH PEAN. 519
défunt Uknà Paradesa et de sa veuve, la Jamdàv
Kanâ Kesara, qui est l'auteur de l'inscription et qui
raconte ensuite que les deux époux avaient autrefois
érigé plusieurs statues du Buddha en or ou en ar-
gent, donné des sommes aux bonzes, affranchi cinq
esclaves pour les faire entrer en religion, et donné
même leurs propres enfants (au Buddha) afin d'avoir
le mérite de les racheter moyennant finances. Elle
ajoute que le roi ayant octroyé la dignité de Brah
Ghlàn (chef des magasins) à son mari, celui-ci entra
en religion pour la seconde fois et donna derechef
deux Buddhas d'or, deux Buddhas d'argent, un dais
et une oriflamme. Plus tard encore, ayant reçu la
dignité de Kosa (trésorier, chef du trésor) il entra de
nouveau dans les ordres, où il fit entrer en même
temps, en qualité de disciples, sept fils, beaux-fils ou
enfants d'adoption; à cette occasion, il fit encore
des dons en Buddhas d'or, d'argent, de cuivre, en
dais et parasols. Enfin, S. M. l'ayant nommé aux
hautes fonctions de Kralahom (ministre des trans-
ports fluviaux, de la marine), if entra encore en reli-
gion et y fit entrer ses fils. Telles furent les bonnes
œuvres de l'Okiiâ Paradesa, alors qu'il était le ser-
viteur du roi (c'est-à-dire pendant sa vie).
Après (la mort de) cet Oknâ, la Jamdâv Kanâ
Kesara vint faire ses funérailles à Indipath Mahâ Na-
gara et elle donna beaucoup d'ustensiles et de vê-
tements aux bonzes qui récitèrent (la prière funèbre
dite] Pan Skàla (-= Pamsakâlam « haillons poudreux »,
les premiers mots de cette prière pâlie).
XIV. 3/i
lurmit'.Bir. «atiudal» .
520 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 189Q.
Puis en 1622 , année Ron (du Dragon), le 8 Kœt
de Mâgha (février 1701), eut lieu une grande ré-
union de chefs religieux, parmi lesquels on comptait
dix Samtec et trois Brah , accompagnés de nombreux
Bhikkhus, Thera et Samner (religieux, anciens et
disciples). Parmi les laïques, on remarquait TOkââ
Senâdhipati, TOknâ Desanâyuk, les femmes et les
enfants du défunt Oknâ, tous témoins irrécusables
de la Jamdâv Kafiâ Kesara qui fît, d'un cœur pur
et pieux, de bonnes œuvres dont les mérites
étaient offerts au défunt Oknâ Sena Paradesa. Elle
donna un Buddha d'or de dix onces, un Buddha
d'argent de six onces et sLx sliii ^ , des oriflammes
et dais; elle libéra cinq couples et un célibataire,
au total , onze esclaves qui devaient être « le champ
de l'œuvre pie » , chargés de garder cette JamdâY
Kafiâ Kesara'-. Après sa mort, tous seront libreis,
et nul n'aura rien à leur réclamer. Suit une malédic-
tion sur ceux qui viendront les molester. Quand ces
onze esclaves furent affranchis, les bonzes récitèrent
(des passages) du Brah Abhidharma (la métaphy-
sique) du Brah Sûta (les sermons) du Brah Vinai (la
discipline) , et ils reçurent des cadeaux de vêtements,
de livres, d'ustensiles et de nattes.
L'inscription continue par un acte de foi boud-
dhique et par lénumération d'autres dons qui fiirent
' Le slin est le seizième de l'once , soit un peu plus de 2 grammes.
^ Sans doute Us devaient servir cette femme, qui comptait
peul-èti'c passer le, reste de ses jours dans une sorte de retraite reli-
gieuse.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEÂN. 521
faits à l'occasion dune fête annuelle. Elle rappelle
que rOknâ est mort au Sruk Kaêk Dum (pays du
corbeau perchant). Elle énunière d'autres dons et
mentionne encore raffranchissement de cinq es-
claves. La donatrice reporte tous les mérites de ces
diverses bonnes œuvres sur (son défunt époux) rOknâ
Sena Paradesa et elle demande à lui être unie dans
chaque vie future, jusqu'à leur entrée simultanée au
Nirvana.
26. Inscription de y 6 lignes, mal écrite, mal
conservée, qui se relie à la précédente en ce sens
que son auteur était l'un des fds de l'Okilâ Paradesa
et de la Jamdâv Kana Kesara. Elle est datée de Mà-
ghasira 1669, '^'^^^^ Thoh (du Lièvre), c'est-à-dire
de la fin de 17/17 A. D.
Elle relate, en débutant, la réunion d'une Assem-
blée de chefs religieux et d'autres bonzes provo-
quée par rUknâ Vansâggarâja (un grand mandarin;
de nos jours il est le grand justicier de la seconde
Maison princière) et par sa femme, la Jamdâv Sri
Hatna Kesara, qui vinrent tous les deux, le cœur
pur et enflammé d'un pieux zèle, faire bonnes
œuvres et aumônes au Brah Ban.
Ce début est suivi d'un historique rétrospectif re-
montant à l'époque oii ce dignitaire était encore Cau
Bânâ Mantri Sangrâma. Alors S. M. le roi du Cam-
bodge vint de Krun Dep Mahâ Nagara, (Ayu-
thia, capitale du Siam) à Candapura (Chantaboun),
d'où KUe envoya ce Cau Banà à la forteresse de Lan-
34.
522 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
vêk auprès (? il y a là mie lacune) du prince le
Sanitec Brah Kêv Hvâ.
En i année Masàn (du Serpent, ce peut être 1714,
1726 ou 1735 de notre ère), au mois de Màgha,
il était pauvre et sans ressources \ sa tante lui tissa
un samba t [langoati, le vêtement indispensable) et
un habit. De Lanvek ce Cau Bana s enfuit à SaniroA
Sên (la station préhistorique très connue), où il se
rencontra avec plusieurs princes , princesses et divers
membres de sa famille. Là , il prit pour femme dame
Bau ([ui était riche en biens et en esclaves. Il retourna
alors à la forteresse (de Lovêk) où le prince royal
lui donna la dignité d'Ukiià Surindrâdhipati et à sa
femme, dame Bau, le titre de Jamdâv Siï Batna
fcesara. Le Roi père ou Grand roi lui conféra ensuite
la dignité d'Uknâ Vansâggarâja et TenvOya lever une
armée pour réprimer une rébellion qui s'étendait,
semble-t-il , dans les provinces de Poursat au sud
du Grand Lac. Il parait a\oir réussi dans cette tâche.
Plus tard, S. M. Jaiy jesthâdhiràja Tenvoya réprimer
une autre réb(*llion dirigée par une princesse, fille
du Samtac Brah Kev Hvâ. Il mit en fuite cette prin-
cesse , s'empara de ses esclaves et de ses biens qu'il
offrit au roi. Celui-ci semble avoir voulu^ lui con-
férer la dignité d'Okna Teja a\ec neuf provinces,
mais il aurait supplié le roi de n'en rien faire (?). et
' Peut èlrc était-il itUmiu prisonnier à J^aûxèk ouLovëL?
- Ce passage, très ahinié, ne jmîuI être traduit avec complète cer-
titude.
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEÀN. 523
S. M. lui aurait conféré le droit d avoir quatre para-
sols d'honneur.
Cet Uknâ prit alors congé du roi pour venir faire
œuvre pie au Brah Bân. li y fit entrer en religion sa
tante la Jamdâv Ratna Kana, sa femme la Jamdâv
Sri Ratna Kesara et trois autres personnes : une bru
et deux nièces; toutes furent bonzesses [an Jï). Fai-
sant œuvre pie, lui et toutes ces personnes invitèrent
les bonzes à venir réciter la prière funèbre du Pamn
Skûla Aniccâ [sic)^ pour la Jamdâv Ratna Kana, la
tante; étaient présents sept chefs religieux et onze
bonzes. On invita ensuite les bonzes à réciter la prière
Pan Skûla Aniccâ pour TOkiia Vansà aggarâja lui-
même; étaient présents deux chefs et six ou sept re-
ligieux. Kncore une fois, on invita les bonzes avenir
réciter cette prière pour la Jamdâv Sri Ratna Kesara ,
sa femme ; étaient présents trois chefs et six religieux.
Tous ces bonzes reçurent des présents d argent pro-
portionnés à leur rang. Et les disciples, au nombre
de yo, qui récitèrent des prières, reçurent aussi de
Targi^nt. Les bonzes furent ensuite invités à faire la
lecture des Jatakas. L'oknâ offrit en cette circon-
stance un (Us k la Loi (*t le racheta au prix de
"j onces dargent. Il invita les bonzes à réciter les
prières Anisan (de bénédiction) et leur donna en-
core de 1 argent, des boîtes, des vêtements, dune
valeur totale de 33 livres dargent^.
Tous ces présents furent faits par rUknâ Vansa
^ «JlaiHons {\c misère el périssabililé».
■^ Environ 20 kiloijraniîines.
524 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
aggarâja, fils de TAnak Uknâ Kralâhom Sâna Para-
desa et de TAnak Camdâv (pour Jamdâv) Kana Ke-
sara ^ qui sont la mère et le père de rUkna VaAsâgga-
râja^, par la Camdâv Sri Ratna Kesara et par (les
enfants ou nièces) Hin, Bram et Gun. Tous, d'un
cœur pur et rempli de piété , acquièrent des mérites
qu'ils offrent aux mères , aux pères , aux parents des
sept degrés (ou générations) qui fiu*ent fidèles obser-
vateurs de la Loi sainte. Us demandent en outre
longue vie , vie de cinq mille ans , avec fintelligence
et les richesses de Jottika Sesthï. Ils demandent en-
core à être empereurs universels (Brah Mahâ Para-
macakkabatirâja), à jouir continuellement du bon-
heur et de la paix jusqu à leur entrée au Nirvana.
27. Celle de ces inscriptions du Preah Peân que
nous plaçons ici la dernière aurait pu avoir, au point
de \Tie chronologique , le n" 2 : la date quelle donne,
1 5o 1 = 1079 A. D., la mettant après notre n** 1 qui
est daté de i563, et avant notre n° 2, iSgg A. D.
Elle est la plus longue de toutes; 'elle occupe deux
faces d'un pilier où elle compte 82 + 43 lignes. Sur
la première de ces faces, l'écriture est irréguiière,
mal tracée, tantôt grande, tantôt fine; mais, sur ia
seconde face, l'inscription est si bien biuînée qu'elle
se distingue entre toutes Jes autres inscriptions de ce
Preah P(»ân, et cju'elle rappelle, malgré la grande
' On voit que. ce son! «tFecti\emenl les deux |)e.rsonnages de U
précédente inscription.
- Cette répétition est bien cambodgienne.
r.KS fNSCRIPTTONS DU PREAU PEAN. 525
tliUerencp des lettres, la sûreté de main des su-
[)(Tbes documents épigraphiques du monument de
Jjoleï, au ix^ siècle. Elle n est pas moins remarquable
par l'ardeur de son mysticisme bouddhique et par
ses réminiscences du passé, peu exactes, plus ou
moins vaj^ues, mais assez curieuses et bien caracté-
risées.
Elle débute par une invocation bouddhique en
langue pâlie, mêlée de mots cambodgiens, faite au
nom d'un roi, le Samtec Brah Jaiyya (= Jaya) Jes-
thâdhirâja Râmâdhipati qui porte, en outre, une
longue kyrielle de titres dont nous ne retiendrons
que les derniers parce qu ils reviennent à plusieurs re-
prises dans le corps du document; c'est le Samtec
Brah Mahâ Upâsaka (fidèle laïque) Maharaja Pu-
bitra. Il adore les pieds sacrés du Samtec Brah
Mahâ Srï Ratna traiy Parama Pabitra (le Bouddha);
et il rappelle que, lorsqu'il monta autrefois sur le
trône, ayant en vue la glorification de la religion du
Brah Tathâgata, il construisit^ les grandes tours du
Brah Bisnuloka, fit monler les pierres, édifia les
sommets à neuf pointes (ou plutôt les neuf sommets)
des bcîlles tours, les recouvrit d'or, y érigea ensuite
un Brah Mahâ Sârika Dhâtu (un reliquaire), le con-
sacra en offrant les mérites royaux aux quatre Samtec
Brah Jï (ses aïeux prédécesseurs) et au Samtec Brah
Varapitâdhirâja (le roi son père) défunt, en pre-
mier lieu, ainsi qu'à ses augustes parents des sept
' San «ronstruire». Mais l'expression ne peut évidemment s*ap'
plicjiKM" qu'à une restauration de Tantique temple.
526 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
degrés (ou générations). En outre, afin d'établir soli-
dement [sân «édifier») la religion du Brah Tathâ-
gala dans ce Kambujadesa, afin de glorifier la fa-
mille royale, afin de maintenir perpétuellement la
Loi sainte, il demanda bonheur, force, fermeté et
durée (longévité).
Au début de la grossesse de la Samtec Brah Bha-
gavati, sa première reine (qui a aussi plusieurs au-
tres titres), il émit un vœu ardent, disant : « Prince
ou princesse , j'offre cet enfant au Buddha comme
upâsaka ou upâsika, fidèle serviteur de la sainte re-
ligion du Brah Tathâgata qu'il ne doit jamais aban-
donner. Prince, il sera le fils du Buddha qui est le
grand refiige, le premier de tous les Brah Afig,
Avant de monter sur le trône, il entrera dans les
ordres et je souhaite qu il serve ardemment le Bud-
dha. »
Grâce à la vertu , grâce aux mérites du Samtec
Brah Mahâ upâsaka Maha Râja Pabitra (le roi auteur
du document) qui ne s'était jamais écarté du Triple
Joyau, un dieu descendit des cieux pour s'incarner
dans le sein de la Samtec Brah Râja Debi, pleine
de grâces; et cet enfant, doué de qualités suprêmes,
vint au monde à une heure propice, i5oi, année
Thoh (du Lièvre, 1079 A. D.), le i4 roj d'Asâdha
(août), mercredi. Au dimanche, douzième jour,
dans un conseil tenu par la Samtec Brah Râja Mâtâ
(la mère) Pabilra et les royaux gurus, horas, brah-
manes, àcâryas, on fit le Jâtikarma (acte ou céré-
monie de la naissance); le royal père donna au
• » .
LES INSCRIPTIONS DU PREAH PEAN.
527
royal fils le saint nom béni de Samtec Brah Parama
Râjâdhirâja Pabitra. Le royal père conduisit ensuite
ce royal fils au Brah Bisnuloka , ce lieu de réunion
des Devatas, ce grand domaine [mahâJcsetra) des
Mahâ Brahmarsis , des puissants génies et des troupes
d ancêtres. Dans sa foi pieuse , le roi oflHt ce prince
comme upâsaka du Seigneur, du Triple Joyau. Le
roi fit préparer toutes sortes d'offrandes et invita les
bonzes [brah sangh) vertueux, de mérite, les royaux
gurus et âcâryas à venir faire les grandes cérémo-
nies de bénédiction et d'offrandes aux ancêtres (Bid-
dhi = vidhi, tarppana dvâdasa pinda asthotta-
rasa), offrant les fruits des arbres, fleurs, parfums,
objets du Panca Yajna (quintuple sacrifice) d'après
les règles des antiques livres, adressant ces ofii*andes
aux ancêtres des sept degrés, à tous les êtres qui
errent dans les quatre lieux de punition et (qui
errent) jusqu'au plus haut des cieux [akkhanittha
brahma), au dessous jusqu'à (l'enfer) Avicï, et laté-
ralement jusqu*à (l'extrémité des) dusa saharssa
(pour sahasra) cakkravâla. A tous ceux-là furent
instantanément offeris les fruits des mérites du
Samtec Brah Mahâ upâsaka Maha Bâja Pabitra,
dont le cœur débordait de reconnaissance et de
gratitude. Si, errants, ils sont tombés dans les catu-
râpay (les quatre lieux de punition), que la force de
ces mérites les sauve et les conduise au bonheur su-
prême ! Que tous aillent jouir du bonheur céleste ^ !
L'inscription passe ici de la première à ia seconde face.
528 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
Que la vertu des mérites acquis ici les fasse jouir de
la félicité complète des cieux, jusqu'à ce qu'ils par-
viennent au séjour de ia délivrance {moksa)^ au
grand royaume de Nirvana !
Par la puissance du Seigneur du Triple Joyau,
parla puissance des Devatas Mahâ ksetra qui gardent
et vénèrent ici la sainte Loi, nous demandons que
tous se rassemblent afin de veiller sur le Brah Anga
Samtec Brah Parama Râjâdhirâja , le saint fils royal,
lui faire obtenir bénédiction, prospérité, longue durée
et plénitude de pouvoir pour le service et la gloire
de la sainte religion, selon la parole sacrée (du roi
son père). Que les Devatas s'unissent pour protéger
ce prince, le sauver des peines, chagrins, périls et
malheurs ! Qu'il ait longue vie! Qu'il règne bientôt!
Qu il soit le Dharmikarâja tenant haut et ferme l'éten-
dard de la sainte religion du Brah Tathâgata parmi
ce peuple du Cambodge [Kambaja ràstràjl Qu'il
procure (à ce peuple) bonheiu* et prospérité comme
au temps où l'antique et sainte famille royale fonda
le Brah Mahâ Nagara Indraprastha (Angkor Thom)
et le Brah Bisnuloka (Angkor Val. De même que
furent ou seront fondés) tous les temples^ de tous
les lieux de ce Kambujadesa et de tous les temps
jusqu'à la fin du monde !
Paroles, souhaits et invocations du Samtec, etc.
(le roi). Que la puissance des mérites de ce roi touche
les Devatas Mahâ Ksetra et la troupe des Pères ! Que
' Pràhâra «sorte, espèce, article»; ne peut s*entendre ici qae
des édifices religieux.
LES I.NSCRfPTIOxNS DU PREAH PEÂN. 529
les Devatas s unissent pour sauver ie roi et la reine,
pour sauver ces deux saints princes, pour sauver ie
fils royal et sa royale mère, pour sauver les femmes
et les suivantes . pour sauver les royaux gurus, brah-
manes, âcâryas, mantri, mukha (principaux), les
quatre piliers [stambha, ministres du royaume), les
fonctionnaires, les Pandits, etc. ! Que tous soient pré-
servés des peines , misères , maladies , périls , malheurs
de toute espèce ! Qu'ils prospèrent en toutes sortes de
bonheur et de félicité jusqua la fin des mondes!
Qu ils aient la victoire sur tous leurs ennemis ! Si
des ennemis du roi viennent d'une région quel-
conque avec fintention d attaquer ce Kambujadesa,
de détruire la sainte religion du Brah Mahâ Sârikâ
Dhâtu (des reliques du Buddha), nous demandojjs,
parles mérites acquis ici , que les Devatas adoucissent
le cœur de ces ennemis du royaume, afin qu'ils n'at-
taquent ni ce Kambujadesa, ni cette religion du
Buddha ' Nous demandons que tous les sujets [rdstra)
de l'intérieur de ce Kambujadesa soient en paix,
heureux et sans troubles! 0 Pureté, nous souhai-
tons Tefficaté de ces invocations, de ces vœux (faits
selon) les Paroles du Grand et Saint Omniscient, du
Buddha Notre Seigneur!
[La suite aa prochain cahier,)
530 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
NOUVELLES ET MELANGES.
SEANCE DU VENDREDI 10 NOVEMBRE 1899.
La séance est ouverte à [\ heures et demie, par M. Barbier
de Meynard, président.
Etaient présents :
MM. Cliavannes, secrcLaire; Houdas, Schwab, Decour-
demanche , Duval , Mo ndon- Vidai lliet , V. Henry, M"^' Graffin ,
Tabbé F. 'Nau, Mayer-Lambert, Feer, Cl. Huart, Foucher,
Sylvain Lévi, llégnier, M. Courant, Halévy, Oppert, Dieu-
lafoy, Weil , Grenard , membres ; Drouin , secrétaire adjoint.
Le procès-verbal de la séance annuelle de juin 1899 est
lu et la rédaction en est adoptée.
M. le Président prononce quelques paroles de condoléance
à l'occasion de la perte que la Société asiatique a faite, cette
année, en la personne de plusieurs de ses membres, fl rap-
[)elle en termes émus les services rendus à la science par
MM. G. Devéria, décédé au Mont-Dore, et M*' de Harlez,
décédé à Louvain en juillet dernier. Il associe à ces regrets
la mémoire de M. l'abbé Quentin , décédé au Plessis-Chenet
au mois d'août, et de M. Menant, ancien membre de la So-
ciété, décédé à Paris au mois d'août.
Est reçu membre de la Société :
M. l'abbé François Martin, professeur à TUniversitë
catholique , demeurant à Paris , rue de Vaugirard , 49 ^
présenté par MM. Duval et Halévy.
NOUVELLES ET MELANGES. 531
Sur la proposition de M. le Président, la Société accorde
une subvention de 5oo francs à M. Rat,. notre confrère de
Toulon , pour la traduction du second volume de l'ouvrage
arabe Al-Moslalraf, en cours d'impression.
M. Oppert donne quelques détails sur le Xlll' Congrès
international des Orientalistes , qui s'est tenu à Rome au mois
d'octobre dernier, et auprès duquel il était délégué de la
Société. Il annonce que le prochain congrès international
aura lieu en 1902 , et se tiendra à Hambourg.
Il est donné lecture :
D'une lettre du Ministre des affaires étrangères, en date
du 1 7 août dernier, annonçant l'envoi d'une traduction faite
par M. Beauvais , interprète , d'une partie du Kouang-Si-Tong-
Tcheu, livre chinois contenant des renseignements officiels
sur la province du Kouang-Si ;
D'une lettre du Minisire du commerce, en date du 1 5 juillet
dernier, invitant la Société asiatique à prendre part au Con-
grès international de Numismatique cpii se tiendra à Paris
au mois de juin 1900. Pareille invitation pour le Congrès
des Sociétés savantes, qui aura lieu à la Sorbonne en 1900,
a été faite par le Ministre de l'instruction publique ;
De deux dépêches émanant du même Ministère , annon-
çant l'allocation d'une somme de 1 ,000 francs à titre de sub-
vention pour les troisième et quatrième trimestres de 1899.
M. le Président rappelle que , sur la proposition de M. Dou-
mer, gouverneur général de l'Indo Chine, il a été créé dans
cette contrée, au commencement de l'année 1899, une
mission scientifique sous les auspices de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres. « Cette mission , placée sous le
contrôle immédiat de l'Académie, a pour objet : 1° l'explo-
ration archéologique et philologique de la presqu'île Indo-
Chinoise; histoire, monuments, idiomes, etc.; 2° là colla-
boration aux travaux d'érudition concernant les contrées
et ]os civilisations voisines, telles que l'Inde, le Siam, le
(Cambodge et la Malaisie.
532 NOVEMBREDÉCEMBRE 1899.
(cC*est à un de nos confrères, M. Finot, que rAcadëmie
a confié la direction de cette importante mission. H a été
nommé directeur pour une période de six ans et sera assisté
de trois collaborateurs qui auront le titre de « pensionnaires!.
Deux viennent d'être nommés : MM. Cabaton , de Ja Biblio-
thèque nationale, et Peliot, ancien élève de rÉcole des
langues orientales. M. Finot s'est mis en route au mois de
février 1899 et nous a, depuis, donné plusieurs fois de ses
nouvelles. Nous savons, par une de ses dernières lettres,
qu'il a passé trois ou quatre mois au Cambodge où il a
réussi à former une collection de textes khmer, environ trois
cents volumes qui embrassent l'ensemble de la littérature
cambodgienne , en particulier les Jatakas ou récits des exis-
tences successives du Bouddha. Notre savant confrère se pro-
posait de visiter successivement l' Annam , le Tonkin , le Laos
et Java avant d'organiser définitivement la mission. La So-
ciété asiatique , suivant l'exemple de l'Académie des Inscrip
tions , de l'Ecole des langues orientales et du Ministère de
l'instruction publique , lui a fait parvenir ses principales pu-
blications pour contribuer à la formation de la Bibliothèque
indispensable aux travaux de nos explorateurs en Indo-Chine^
M. Finot , ajoute M. Barbier de Meynard, m'a chargé de vous
transmettre ses remerciements. On peut attendre de son
savoir et de son zèle les meilleurs résultats ; il n'oubliera pas
les ol)ligations qu'il a envers la Société et tiendra à honneur
d'entretenir avec elle des rapports qui seront tout profit pour
la science. »
Sont offerts à la Société :
Par M. Barbier de Meynard : Un poète arabe da 11* siècle
de lliégire, notice publiée dans les Actes du Congrès des Orien-
talistes; Paris, 1897;
Par M. ra])]3é Nau : 1° Les opuscules maronites: Œuvres
inédites de Jean Maron, Chronique syriaque maronite,
Ficrits de controverse, etc., texte syriaque et traduction
française; 2° un tirage à part du Traité de l'astrolube plan de
NOUVELLES ET MÉLANGES. 533
Sévère Sabohht , écrit au vu* siècle , texte syriaque et traduc-
tion Iraiicaise parus dans le Journal asiatique;
Par ^L Clément Huart, deux Mémoires extraits des Actes
(la CoïKjres des Orientalistes tenu à Paris en 1897 : Les Zin-
dîqs en droit musulman , et le Dialecte de Chirâz dans Sa'di ;
Par M. Moïse Schwab : 1° le Répertoire des articles relatifs
à l'histoire et à la littérature juives parus dans les périodiques
de 1783 à 1898; 2° un supplément à son précédent Mé-
moire sur UAngélologie.
M. Cha vannes lit une Notice nécrologique sur M. G. De-
véria qui sera imprimée dans le Journal,
M. Maurice Courant donne la suite de son travail sur La
musique en Chine,
M. l'abbé Nau communique une Note sur un prince croisé,
d'après les documents syriaques.
M. Halévy expose le sens de quelques termes sémitiques
et en propose Tétymologie (ces communications paraîtront
dans le Journal asiatique,
La séance est levée à 6 heures.
ANNEXE AU PROCES VERBAL.
(Séance du 8 novembre 1899.)
ESDRAS, II, 65 c.
Les versets 6^-67 du second chapitre d'Esdras fixent à
/i2,36o le nombre des hommes libres qui sont retournés de
Babylonie en Palestine sous la conduite de Zorobabel. Les
rapatriés amenèrent avec eux 7,337 esclaves des deux sexes,
200 chanteurs et chanteuses, 736 chevaux, 2^5 mules,
435 chameaux et 6,720 ânes. L'énumération des chantres et
des chanteuses, n1*n"it^D^ D^*)'^t2^D, entre les esclaves et les
• • • *
chevaux (65 c ) , a paru anormale à certains critiques qui ont
534 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
cm éviter la difficulté en voyant dans ces mots une correc-
tion faite postérieurement par un scribe ignorant an liea du
groupe primitir ri1*lD^ D^*1112;^ « des bœufs et des vaches ■.
Cette correction introduit dans la caravane des bêtes à bou-
cherie qui n'auraient pas trouvé de quoi se nourrir pendant
la longue traversée du désert. Il est infiniment plus probable
que les pèlerins ne se sont servis que de bêtes de somme
pour transporter les enfants et les malades. Il faut donc con-
server la leçon traditionnelle sans y rien changer. Mais il est
certain d'autre part qu'il ne peut pas être question des chan-
tres lévitiques qui sont mentionnés aux versets il et 70 de
ce même chapitre , et cela pour cette raison péremptoire que
les femmes étaient exclues de la liturgie du temple. En
réalité . il s'agit d'une classe d'esclaves que les riches acqué-
raient pour satisfaire à leur goût pour le chant et la musique.
Les jeunes chanteuses finissaient naturellement par devenir
les concubines plus ou moins intermittentes de leurs maî-
tres; cela résuite de l'araméen rï2T}^ «concubine» rapproché
(le l'arabe ^j.lL « cliant, note musicale » ; Thébreu IT^It^D par-
ticipe de cette double conception.
pî, pî, n:p
En hébreu l'idée de la transaction commerciale d'achat et
do vente s'exprime imr deux verbes différents : nip « ache-
ter« et "^^p « vendre »; dans les langues sémitiques, les deux
t)pération.s sont désignées par le même verbe : arabe «Lj
« vendre » , cUjI « acheter, acquérir » ; éthiop. «^Ill « vendre • ,
't'Hfiifï «acheter»; araméen pT «acheter», J3Î «vendre».
La racine arabe ^U semble contenir l'idée générale de « alié-
ner » , et ne peimet pas d'aller plus loin pour en déterminer
le [)<>iiil de départ concret. Les autres racines se prêtent au
contraiie à une pareille tentative. La possibilité de faire un
pas en a\ant nous est donnée par l'hébreu n^p «acheter».
NOUVELLES ET MELANGES. 535
dont la connexion avec le substantif nip « canne , Iwirre » ne
souffre pas de doute. L'achat est donc conçu comme une opé-
ration qui se fait au moyen de la canne, apparemment au
moins , comme un outil servant à mesurer les étoffes. L'ara-
raéen pT n'a pas été expliqué jusqu'à présent, mais je crois
pouvoir le rapprocher de l'assyrien zibanitu « balance » et de
l'arabe iLjL>; «les deux lances de la constellation de la Ba-
.. .^
lance » , de (j^; « frapper un coup rude , donner une impul-
sion ». D'autre part l'éthiopien «^^ rappelle avec force le
syriaque lÛXD «faire pencher, dévier». Ces coïncidences
donnent à penser que chez ces peuples l'idée du trafic repose
sur la propulsion subie par les bras de la balance au moment
du pesage, et alors il est à présumer que l'hébreu nip ne
vient pas non plus de la canne du mesurage , mais de la canne
horizontale, c'est-à-dire des deux bras de la balance. Cela
est d'autant plus vraisemblable que n^î^ désigne en hébreu
même l'avant-bras (Job , xxxi , 22 ).
Grâce à la conception de mouvement qui se rattache insé-
parablement au verbe pî, le substantif Ni :j] désigne l'idée
du temps , probablement comme résultat du mouvement des
corps célestes. Dans l'araméen de Palestine on prononçait
KjDT, mot hébraïsé en ]DT, d'où l'arabe ^^U^ «temps», C'est
à tort que ce dernier vocable est regardé comme dérivé du
zend zervaii, lequel signifie proprement «antiquité»; cf. le
grec yépœv.
En arabe « poète » se dit ^Lâ (au pluriel JCi-i) et « poésie »
Jus . Le verbe ^x^ signifie « savoir », mais en quoi consiste la
sagessse particulière du poète ? M. Goldziher incline à voir
l'art magique qu'on attribuait aux poètes que Ton consul-
tait pour entendre d'eux l'interprétation des pronostics rela-
tifs aux événements futurs. Cette explication se heurte à
l'impossibilité de signaler une conception analogue dans les
xiv. 35
IVrRIMKKIK «ATIOIIAI.C .
536 NOVEMBRë-DëGËMBRE 1800.
langues congénères , car Thébreu ^y{^l\ > orade venant d un
mort » , tout en dérivant de 3^1^ « savoir », a un sens trop rea-
treint pour être mis sur la même ligne que le mot arabe
JLâ . A mon avis , tout dépend de la solution qa*on donne â
la question de savoir si l'application des mots JLû et y^La k la
poésie est vraiment ancienne.. Le doute m'a été involontai-
rement inspiré par la frappante analogie qu'ils présentent
respectivement avec les termes grecs ywhiuff «sentence,
gnome » et yveofAiHÔs « poète qui parie en sentences , gnomique
ou moraliste ». La formation sous l'impulsion étrangère du
terme technique laisse intacte, on a à peine besoin de le
dire , Toiiglnalité des proverbes et de la poésie arabes en
général.
J. Halbvy.
OUVRAGES OFFERTS X LA SOCIÉTÉ,
(Séance du lo novembre 1899.]
Par rindia Office, Archœological Survey of India : Ute
Moghal Architecture of Fathpur-Sakri , described and illus-
tra ted by Edmund-W. Smith.
Archœological Survey, North-Western Provinces and OmJk :
Part m, AHahabad, 1897; Part IV, 1898); in-4*.
— Archœological Survey of Northern India : Monographon
Buddha Sakyamunis birth- place in the Nepalese Tarai, by
A. Fûhrer. Aliahahad, 1897 ; in-4*.
— Archœological Survey of Western India, Vol. IV, On ihe
Mohammadan Architecture of Bharoch, Camhay, Dholka,
Champanir and Mahmadabad in Gujarat, by James Burgess.
London, 1896; in-4°.
— James Burgess, The Gandhara Sculptures. Vol. VIII,
April and July 1898. London; gr. in-4°.
— Sacred Books oftheEast. Vol. XXXVUI. XLlIelXLV.
London, 1895-1897; in-8°.
— Epigraphia Indica, July 1899. Calcutta; gr. in-4"-
NOUVELLES ET MÉLANGES. 537
Par rindia Office : Indian Antiquary, December 1898;
February, April, June, July-October, 1899. Bombay; gr.
— Journal of the Asiatic Society of BengaL New séries;
May, June, July, August 1899. Calcutta; in-8°.
— Proceedings of the Asiatic Scciety of Bengal, April , July
1899. Calcutta; in-8°.
— Bibliolheca Indica. New séries, n" 952-936 et 938-
()48. Calcutta, 1899; in-8".
— Catalogue of the Sanskrit Manuscripts of the Jndia Of
fice. Part VI. London, 1899; in-4**.
— Annual Report of the Forest Department (June 1898).
Madras, i899;in-fol.
— Judicial and administrative Statistics for British India
for 1891-1898. Calcutta, 1899; in-fol.
— Report of the trial hy jury in Courts of session in the
JV/o/flA-.v«/ (1890-1897). Calcutta, 1899; i'^"^*^^'
— Annual Progress Report of the Archœological Survey
Clrcle, North -Western Provinces and Oudh. June 1899;
in-fol.
Par la Société ; The Journal of the Royal Asiatic Society,
July, October 1899. London; in-8'*.
^ Zeitschrifl der deutschen morgenlàndischen Gesellschaft »
53" Baiid, II Heft. Leipzig, 1899; in-8".
— Revue des études juives , avril-juin 1899. Paris; in-8°.
— Notulen. DeelXXXVl, Afi. 4, 1898. Batavia; in-S".
— Dugh Register, ann. 1 63 1-1 634. S*Gravenhage , 1 898 ;
in-fol.
— Actes du XI' Congrès international des Orientalistes,
Paris, 1897; 3 vol. in^".
— Bulletin de la Société de géographie, 2* trim. 1899.
Paris ; in-8\
— Comptes rendus de la Société de géographie , mai-Jnin-
juillel 1899. Paris; in-8'*.
— Journal asiatique, mai-juin, 1899; in-8'*.
35.
538 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
Par la Société : Transactions of the Asiatic Society afJapan ,
December 1897; iii-8°.
— Jornale délia Societa asiatica italiatia, 1899. Roma-Fi-
renze-Torino ; in-S".
— Journal de la Société Jinno-ougrienne, XVI. Helsingîssa,
j 899 ; in-S".
— Mémoires de la Société de linguistique de Paris, t. XI,
2' fasc. Paris, 1899: in-S".
— Bulletin de la Société de linguistique de Paris , juillet
1899. Paris; in-8*',
— Journal of the China hranch of the Royal Asiatic So-
ciety, Vol. XXX, 1895-1896. Shanghaï, 1899; in-8*.
— Tijdschriji. Deel XLI, afl. I et II. Batavia, 1899;
in-8°.
— Revue des études juives » ^vàHeiseftembre 1899. Paris;
in-8%
— Bulletin de la Société de géographie de Paris , 3* trim.
1899; in-8°.
Par les éditeurs : Revue critique, n''*2 7-39, 4o, 4i-4d«
Paris, 1899; in-8".
— Revue de l'histoire des religions, janvier- février et mars-
avril 1899. Paris; in-8°.
— Bibliothèque de V Ecole des hautes études. ia3* fasc.
Paris, 1899; in-8".
— Le Mii^eow, juin 1899. Louvain; in-8''.
— Transactions and proceedings of the Japon Society,
Vol. IV, part IV. London ; in-8".
— Nouvelles archives des missions scientifiques et littéraires;
Choix de rapports et instructions publiés sous les auspices du
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Paris, 1899; in-8".
— Al-Machriq, tammouz - 1 " tichrîn 1899. J^yrouth;
in 8".
— Observatorio de Manila . Boletin mensual, 1898 , 1" trim.
1899; in-4°.
NOUVELLES ET MÉLANGES. 539
Par ies éditeurs : Revue Africaine, 2*" et 3' trim. 1899.
Alger; in-8".
— T/ic American Journal of Semitic languages and litera-
tares (Behràicai), July, October. Chicago, 1899; in-8''.
— BoUettino, n°* 324-338. Firenze, 1899; in-8°.
— The Geographical Journal, July, September, August,
November 1899. London in-8°.
— Revue archéologique, mai-juin et juillet-août 1899.
Paris ; in-8".
— Revue biblique, juillet et octobre 1899. Paris; in-8'*.
— Rendiconti délia Reale Accademia dei Lincei, Séria quiata.
VoL V^III, fasc. 3-6. Roma, 1899; in-8°.
— Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, mars-avril. Paris, i899;in-8°.
— Journal des Savants, mai-juin, juillet-août 1899. Paris;
^v. in-4^
— The American Journal ofphilology. January-March et
April-.Tune 1899. Baltimore ; in-8°.
— Analecta BoUandiana. T. XVIfl, fasc. m. Bruxelles,
1 898 ; in-8^
— Revue de l Orient chrétien, 4* année, n°* 2 et 3. Paris,
1 899 , in-8°.
— ^/-Z/it)'«. Juin-avril 1899. Le Caire ; in-8°.
— Polybiblion, parties technique et littéraire; juillet-
octobre. Paris, i899;in-8°.
— Comptes rendus de l'Académie des inscriptions et belles-
lellrcs, mars-avril et juillet-août 1899; ^^^"^°*
— Mittheilungen der deutschen Gesellschaft zu Tokyo,
1899; in-8*'.
— Bulletin de correspondance hellénique , janvier-juin 1 899 .
Paris; in^**.
— Revue illustrée d'Extrême-Orient, Paris, 1899; iï^"8*«
— Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques
et fcientijiques. Année 1898, 3' livraison. Paris; in-8'.
— Ricordo di Guiseppe Turrini , pubblicato a cura del Mu-
nicipio di Avio. Trento, 1899; in-8'.
540 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1890.
Par le Ministère de rinstruction publique : Auguste Patie,
Mission Pavie , Indo-Chine , Etudes diverses, si vol. Paris, 1898;
in-4'.
— Publications de FEcole des langues oiientdies vivantes:
Jean Bonet, Dictionnaire annamite-français »T. l(A-M). Paris,
— Même recueil : Clément liuart , Le livre de la Création
et dv Vhistoire d'Abou-Zeïd Ahmed ben Sahl el-Balkhi. T. I.
Paris, 1899 ; gr. in-8°.
— Même recueil : Tedzkeret enrNinân fi akhhâr Molouk
es-Soadân, texte arabe, édité par O. Houdas et E. Benoist.
Paris, 1899; gr. in-8°.
— Musée de l'Algérie et de la Tunisie, 2* série; Musée
Lavigerie. Paris, 1899.
Par les éditeurs : Mission scientifique dans la Haute-Asie,
Atlas des cartes, par F. Grenard. Paris, 1898.
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Giugno i899;in-4°.
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maine entier de l'égyptologie. V. I-lIl, f. 1. Paris, i899;in-8°.
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Bombay, 1899; in-8''.
SÉ\NCE DU VENDREDI 8 DÉCEMBRE 1899.
La séance est ouverte à A heures et demie, sous la prési-
dence de M. Barbier de Meynard.
Etaient présents :
MM. Chavannes , secrétaire ; CL Huart, Guimet, R. Du-
vai, Decourdemanche , M. Schwab, le P. Boyer, Foucher,
Mayer-Lambert, Perruchon, Carra de Vaux, V. Henry, Gre-
nard, Aymonier, J. Halévy, membres; Drouin, secrétaire
adjoint.
Le procès- verbal de la séance du mois de novembre der-
nier est lu et la rédaction est adoptée.
Est reçu membre de la Société ;
M. Paul de Kokowroff, professeur d'hébreu à TUniveraité
NOUVELLES ET MELANGES. 543
impériale de Saint-Pétersbourg, présenté par MM. Cler-
niont-Ganneau et Schwab.
Sont offerts à la Société :
Par le Directeur de l'Imprimerie nationale , le cinquième
et dernier volume in-folio de la traduction du Bhâgavata Pu-
rânu, par M. l'abbé Roussel. Le premier volume de cette
traduction remonte à i84o, le second parut en i844 et le
troisième en 1 8^7 ; tous les trois ont été publiés par Eugène ^
Rurnouf. Un intervalle de près de quarante ans s'est écoidé
avant la publication (en i884) du quatrième volume par les
soins de \L Hauvette-Resnault , qui avait été chargé de la
continuation du travail, à la demande de M. Adolphe Ré-
gnier, précédemment désigné. C*est M. l'abbé Roussel qui a
i)ien voulu se charger, après la mort de M. Hauvette-Bes-
nault, de terminer la traduction de ce grand poème hindou
(livres X, XI et Xll avec un index);
Par M. E. Leroux, les ouvrages suivants qu'il a édités,
savoir :
La correspondance d'Aménophis III et d'Aménophis IV, tran-
scrite et traduite par M. Halévy, avec un index par M. J. Per-
ruclion, 1899, in-8°;
Le neuvième volume du Mahâbhârata, intitulé : Calya-
par va, traduction du sanscrit par M. le docteur L. Ballin,
1899, in-8^
Mémoires sur l'Annam, traduction du chinois par M. Ca-
mille Sainson, consul de France à Mondzeu (Yunnan); Pé-
king, 1896, in-8°;
Grammaire élémentaire de la langue persane, par M. Clé-
ment Huart, professeur de persan à l'Ecole des langues
orientales; Paris, 1899, iï^"S°î
Par M. A. Barth :
Le Bulletin des religions de Vlnde, suite de ses études sur
la matière (extrait de la Revue de l'histoire des religions,
1899); et trois articles parus dans le Journal des Savants,
544 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
1899, contenant un compte rendu critique da troinème vo-
lume du Mahâvastu.
Par M. Barbier de Meynard, au nom de Tauteor, M. Gas-
ton Mercier Etude sur la toponymie berbère de la région de
rAurès, (Extrait des Actes du XI' Congrès des orientalistes
>897)-
M. Chavannes présente à ia Société la seconde partie da
tome III de sa traduction des Mémoires historiques de Se^ma*
tsien, 1899, in-S",
11 est ensuite procédé à la nomination d*un membre de
la commission du Journal asiatique, en remplacement de
M. Devéria , décédé. Sur la proposition de M. le Président ,
M. Drouin est élu membre de cette commission qui se trouve
être ainsi constituée : MM. Duval, Maspero, Oppert, Senart
et Drouin.
Il est également procédé à la nomination d'un membre
du conseil à la place de M. Devéria. Le conseil ait provi-
soirement M. Fouciier; cette nomination sera soumise k la
ratification de la prochaine assemblée générale.
Il est donné lecture d\ine lettre du Ministre du commerce ,
en date de septembre dernier, invitant la Société asiatique
à prendre part au Congrès international des sciences ethno-
graphiques (}ui doit se tenir à Paris au mois d*aoùt 1 900.
M. Chavannes fait un rapport oral sur la traduction du
KouangSi'Tong -Tcheu par M. Beauvais (voir le procès-veibal
de la dernière séance), et signale l'importance de cet ou-
vrage qui donne des renseigncmenis sur Thistoire, la géo-
graphie , la description des villes et des monuments , comme
sur l'organisation administrative de la province de Kouang*Si.
M. Aymonier fait la communication suivante :
«Le P. Durand, missionnaire au Binh Dinh (Annam),
nous a envoyé quelques estampages d'une inscription qni
n'est pas en khmer, ni en cambodgien, comme on le croit,
NOUVELLES ET MÉLANGES. 545
mais en langue tcham. La stèle , trouvée dans le voisinage du
petit village de Kon Tra, sur le bord du Ga Xom, haut
affluent de la rivière de Qui Nhon et non loin de neuf belles
cascades que les Annamites appellent « les Neuf Frangés » ,
est une pierre mesurant i m. 70 de hauteur sur o m. 90 de
largeur. L'inscription compte onze lignes gravées sur une
seule face, au-dessous du signe mystique Om et de Tinvoca-
tion sanscrite om namaséivâya « hommage à Si va ». En outre ,
le texte, en langue vulgaire , est précédé des formules Swcwfi ,
Jaya, Siddhi, Kdrya, Sans être très nette sur les estam-
pages, cette inscription sera lisible dans son ensemble. A
première vue , elle ne nous a pas paru datée ; mais la forme
des lettres permet de dire qu elle appartient à la dernière
période des documents épigraphiques du Tchampa et qu'elle
ne remonte pas au delà du xii* siècle de notre ère »
M. Halévy continue la communication de ses recherches
étymologiques sur plusieurs expressions sémitiques.
La séance est levée à 6 heures.
ANNEXE AD PROCES VERBAL.
(Séance du 8 décombro 1899.)
Pour construire le temple de Yahwé à Jérusalem Salomon
obtint de Hiram, roi deTyr, la livraison dans un port judéen
du bois nécessaire à la construction. Le roi tyrien dit : « Les
arbres , cèd/es et cyprès, tirés du mont Liban, seront mis en
mer sous forme de radeaux, ri113*î, jusqu'au lieu que tu
m'indiqueras » (I Rois, v, tiS). Le même fait est raconté dans
11 Chroniques , 11 , 1 5 , mais le mot employé pour « radeaux » y
est nil&D"). Ce second synonyme est demeuré , jusqu'à pré-
sent, sans la moindre explication acceptable. Pour le pre-
546 NOVKMBRE-DÉCKMBRE 1899.
mîcr, la chose est plus facile. Si Ton admet la leçon massorë-
tique D131D W^V^D I^IT (Isaïe, v, 17), on obtient un mot
13^ ayant le sens de « pâturage » ou de « habitude >, sens qui
peut se concilier avec celui de ^2112 « désert » , primitive-
ment « Heu où Ton conduit les troupeaux». De telle façon, le
participe féminin m_3^ dont D^'IS^ est le pluriel désigne-
rait le radeau comme un véhicule qui conduit , et laraméen
121 «construire» appuierait cette explication. miDDI a, au
contraire, l'air de venir d'un singulier lÔD'l qui résiste à
toute interprétation raisonnable , car la tentative de l'envi-
sager comme un mot composé de llD^"DÇ'i, llD"»"nÇ1 , pro-
longé de DD1 ou élargi de 1D*1 , est de la plus haute fantaisie.
Quelques lexicographes parlent bien de la possibilité d*une
origine étrangère , mais ils n'ont jamais pu Tindiquer d'une
manière précise. Je pense plutôt que sous cette forme im-
possible et évidemment corrompue, se cache en réalité un
vocable ancien qui nous est révélé par la désignation assy-
rienne du radeau, savoir raksuti, dont la forme hébraïque
est niDD*l et qui vient de rakasu = DDl « lier, attacher ». D^DDl ,
forme abstraite comparable à D173a, D^niîa et fl^DTD dont
le pluriel est régulièrement D^'>d'7D, se dit également au plu-
riel DVCD^i , et c'est précisément cette forme qui a été altérée
en n'îluD'i par les scribes postérieurs. La grande similitude
(le D avec D et de "» avec 1 sont la cause de cette concision.
Il va sans dire que cette erreur même atteste l'antiquité de
Tarchétype dont le chroniqueur s'est servi dans sa rédaction.
xnpn
Ce mot judéo-araméen qui signifie « pain, galette de pain »
est dérivé par les lexicographes de la racine >)T) dont le sens
n'est même pas déterminé. C'est une erreur. J'ai montré der-
nièrement dans la Revue sémitique que l'araméen MOim^
(=■ néo-héb. mrina) = assyrien nuhatimmu «boulanger» si-
NOUVELLES ET M'ÉLAxNGES. 547
^aiilie proproi lient «faiseur de sceaux, trempreinles ». Cette
désignation populaire vient ce ce qu'en Babylonie on cuisait
les galettes de pain sur des briques chauffées au rouge, et
comme les briques de ce pays portaient presque toujoure les
signatures do leurs propriétaires ou de leurs fabricants, le
pain cuit dessus reproduisait ces empreintes. L*usage de la
hri(|ue poui* la cuisson du pain se retrouve aussi dans le mot
précité kVriD"'^ ((ui présente la contraction de KriD"'y'i , dérivé
de XDi?*^ , Pl^^^ « brique ». Ceci explique en même temps l'arabe
vJU£> « galette ronde et mince de pain » , mot qui se montre
ainsi comme ayant été emprunté à l'araméen.
Nnnnnc
T : - :
D'où vient le nom syriaque de la chauve-souris )fOf«»iA?
1/idée d'y reconnaître la composition Xm + ITIS « volant -f
ver» a été rejetée avec raison par M. \oeldeke, mais une in-
terprétation quelque peu vraisemblable n'en est pas encore
donnée. Je pense que, malgré la vocalisation, KinniD la
lettre 1 n'est qu'un élément adventice à l'instar de ceux qui
figurent dans les mots X'?Î*15? «cabane» ('?Ty), D^lp. ((•3'^'^»
Dlp) «hache» ^^^p (^l^t^, ^^C) «pensée», etc. (^ant à la
s>nahe finale, elle est le résultat du redoublement de la der-
nière radicale (|ui forme la série des mots comme ?l?3t?,
'?'!'?SC , plpnn , nn"»r , etc. , lesquels semblent comporter une
conception du diminutif. K"mmD élargi de îCmnD se rat-
lac lie donc à la racine TDD « craindre » et le sens fondamental
du nom s>riaque de la chauve-souris est « le petit craintif».
La particule éthiopienne 9^^ yogi «peut-être, p.our que
lion » a été envisagée par Dillmann comme étant composée de
p« _j_ «1^; Yo serait contracté de *\n'^ « il sera » , et </e l'équivalent
548 NOVëMBR-ë-DÉCëMBRE 1899.
de ^2 « que ». Il ajoute que yo pourrait au&si élre l'adoucis-
seiiient de l^ , ).}, de manière que f>^ signifierait au propre
« si que » ( ^! p). Les dîiricultës de cette étymologie sont trop
frappantes pour qu'on ait besoin d*y insister. En considérant
que la particule dubitative hébraïque fSa, die aussi, le
double sens de la particule éthiopienne en question, il est
permis de supposer aux deux une même origine sémantique.
Maintenant, étant donné que l'hébreu JD vient de n^D
«tourner, se tourner, se retirer», etc., on ne se tnmipera
guère en voyant dans yogi un verbe substantif dérivé de la
racine sémitique ^3T qui se présente dans Thébreu t^2^^ (I!
Samuel, xx, i3) «être retiré». Notons encore que la racine
purement arabe n:il , t^^ a absolument la même signification
et répond comme substantif à l'hébreu D"»iB « face ».
Ce terme se trouve plusieurs fois au chapitre xxvii du Lé-
vitique , et la ponctuation montre clairement que la tradition
y reconnaît le mot "îjiy « estimation » , augmenté du suffixe
possessif de la 2* personne : « ton estimation ». Toutefois Tim-
possibilité de conserver ce sens dans la plupart des passages
où figure cette forme a déjà été reconnue par les Septante.
Non seulement le suffixe de la 2* personne est inutile en plu •
sieurs endroits, mais on trouve deux fois la forme déter-
minée IDiyn en contradiction avec la grammaire hébraïque,
voire la grammaire sémitique en général, d'après laquelle
les mots pourvus de suffixes possessifs ne peuvent pas re-
cevoir l'article. Les traducteurs grecs se sont tirés d'aflEaire ,
tantôt en substituant au suffixe de la 2* personne celui de la 3*
(^ Ti(iYf avToô), tantôt en le neigeant entièrement. Mais
ce traitement embarrassé garantit précisément l'antiquité de
la forme du texte massorétique. En vérité , la charpente con-
sonantiquc est irréprochable , la vocalisation seiâe doit être
NOUVELLES ET MÉLANGES. 549
modifiée : il faut lire simplement "îj^'IV , forme à la dernière
radicale redoublée dont j'ai parlé dan» Favant-dernier pa-
ragraphe. Avec cette modification insignifiante, toutes les
difficultés précitées disparaissent et le sens de «estimation,
évaluation régulière » s'adapte on ne peut mieux à tous les
passages sans exception.
Proverbes, xvni, 19.
Verset rempli d'incohérence; le texte hébreu porte :
non» nnns D'':nD^ î^ nnpo vc^d: n»
Mot à mot ;
Un frère devenu infidèle est plus qu'une ville forte
Et les disputes sont comme le verrou d*un palais.
Les Septante offrent : kheX^ds wttô âSeA^oô ^orjdoiyLSvos
ûûs "cràXis o)(ypà Kai v^iXrj , icrxiist hè dii<rîrep redefieXiùû(iévov
^0L(TiXeiov « Un frère aidé par un frère est comme une ville
fortifiée et élevée, il est fort comme un palais fondé»; le
sens ne brille guère par la clarté, mais on voit néanmoins
qu'ils ont lu :
îlDnîc 1DM22 Ti?*» non lir nnps fnîCDl ::v): nn '
• I- - 8 T TT -|''iLt"J T T
La \ iilgato rejette les mots xai v'^iXrj du premier hémi-
stiche , et suit une nouvelle voie dans le second : Frater qui
adjuvatnr a Jratre, quasi civitax firma ; et jiidicia quasi vectes
nrbiam; ce gui repose sur la lecture D^"iy Tl^*)33 D^i"'lD^
(de p") ). La platitude de reiiseinble ne disparait pas dan» les
traductions modernes, dont celle de Luther : Ein verletzter
Brader hait liàrter denn eine feste Stadt, und Zank hàlt hàrter
demi ein Ricgid ani Pallast « Un frère blessé tient plus dure-
iiieiit (piune ville forte, et la dispute tient plus durement
r)50 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
qu*uii verrou au palais ». Je propose la lecture suivante qui
aplanit toutes les difllcultës :
îlDnK ••nnnD D'^yiD^ Ti? n'>ir>2 Scfo: nK
Un frère ressemble à une ville forte (où l'on se réfiigie devant
l'attaque de l'ennemi),
Et les amis (ressemblent) aux verroux (qui ferment) Tentréed'iui
palais.
Pour 3 ^C^Dj, voir Psaumes, xlix, i3, 21; le singulier
y")Ç «ami» se trouve dans Proverbe», xix, 7, et le pluriel
D^y^lÇ dans Juges, xiv, 11.
ISAÎE , L.UII ,11.
Ce verset tripartite a donné lieu à beaucoup de correc-
tions, les unes aussi violentes que les autres, sans cependant
aboutir à un sens satisfaisant : ^
: 't - V : '• : t - •• -
Les Septante n'y ont déjà pas compris grand'chose; ils
mettent nt^Û en état construit avec ^DV «Moïse de son
peuple [MeaiJarj Xaov aîirov) », lisent nSvDn au lieu de dS^ÇH
en considérant )^H^ ny*) DiC comme le complément direct de
ce verbe : « Où est celai cjui a fait monter de la mer le pas-
teur de ses brebis ? » (lIoO à àva^àcras èx r^ ^'aXéurtn^s rà»
73oi{LévaL Tùdv isfpoSâTœv atÎTOÔ ) , et D3"1p3 au lieu de 13ipa
(èv oLVTots), M.Duhm suit strictement cette voie et efface, de
plus , entièrement les mots IDy n^*D qui seraient une interpo-
lation postérieure; il croit même (jue la partie h fait allusion à
la délivrance de Moïse enfant jeté dans le Nil ( Exode, 11 , a-5).
NOUVELLES ET MELANGES. 551
Un auteur plus récent change "l^T^l en 1DTÎC1 et IDy en M2^ ,
et place liîCS ny^ riK immédiatement après : « Je me sou-
viens des anciens jours de Moïse son serviteur, le pasteur de
son troupeau » , sans réfléchir que la particule D^ s'oppose
absolument à une pareille construction (R. E. /., 1899,
p. 38). Cependant la Vulgate était, à un point près, sur la
bonne voie : « Et recordatus est dierum saeculi Moysi et po-
puli sui (corriger : populas saas)it; les mots ntî^D D?iy "♦D"»
forment un groupe uni par l'état construit tout comme J^^S
bi<ip: c;*!]? (ïsaïe, Lx, i4 =^Nit2?'' vip ■)'»y |rx) = '»D''
nUtD ''D^ □'?1i* . Le sujet du verbe est naturellement ItDy , nom
collectif qui permet le pluriel dans Db^Dn, forme qui, loin
d'être fautive (Duhm), est d'une classicité irréprochable;
(omp. T)p"»^lDn (Deut., viii, i5) et DDÇ^aSçn (II Samuel,
1, 34 :
El son peuple (le peuple de Yaliwé) se rappelant les anciens jours
de Moïse dit :
Oii est celui (= Yahwé) qui les a fait monter de la mer avec le
pasteur de ses brebis?
Où est relui qui a mis en lui (en Moïse) son esprit saint?
Le peuple plongé dans les misères de la captivité désire
ardemment le renouvellement des miracles de l'ancienne
époque mosaïque.
J. Halévy.
OUVRAGES OFFERTS X LA SOCIETE.
(Séance du 8 décembre 1899.)
Par les éditeurs : J. Halévy, La correspondance d'Améno-
phis m et d'Aménophis IV; lettres babyloniennes trouvées à El-
4 marna, transcrites et traduites, Paris, 1899; in-8°.
— Polybibllon , parties technique et littéraire; novembre
1899. Paris; in-8".
MX. 36
iMraiMRMIK KATIOSALS
552 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
Par les éditeurs : Annuaire de V Ecole pratique des hautes
études, Paris , 1 900 ; in-8".
— Al -Machriq s ^lùivin 2. Beyroath, 1899; in-8*.
— Bollettino, 333, 334. Firenze, 1899; iii-8'.
— Revue ciitique, ii"45, 46; à'j. Paris, 1899; ^'S*.
— Toung-Pao , mai-octobre , avec Supplément par M. Cor-
dier. Leide, 1899; in-S.**.
— Journal des Savants, septembre-octobre 1899. Paris;
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— Upsala Universitets Arsskrift, 1876, I. Upsala; in-S".
— The Sanskrit critical Journal, May-July-Scptember 1 899 .
Woking; in-8".
— Le Bhâyavata Purâna, lûstoire poétique de Krichna,
traduit et publié par E. Burnouf; t. V, par M. Hauvette-
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— Rendiconti délia Reale Accademia dei Lincei , V, vol. V1I[ ,
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in-8^
— The Geographical Journal, December 1899. I^oJ^don;
in-8^
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Par la Société biblique : Une collection de livres i*eligieux
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i 898 ; io-8^
Par les auteurs : J. F. M. Pereij'a, Ta-si-yang-kao, Archivos
NOUVELLES ET MÉLANGES. 553
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36.
554 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1899.
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— Le même, De linguœ aramœœ dialeclis. Upsala, i843;
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Eddnra el-Alfije fî dm el-arabija. Leipzig, 1896; în^8*.
NOUVELLES ET MELANGES. 555
Par les auteurs : F. Nau, Opuscules maronites, i" part.
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à la littérature juives parus dans les périodiques de 1 183 à 1898.
Paris; in-8*'.
— CL Huart, Le dialecte de Chirâz dans Sadi (extrait),
(îenève, 1897; in-8''.
— Le même, Les Zindîqs en droit musulman (extrait). Ge-
nève, 1897 » ^^"8"-
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Paris, 1899, in-8".
— M . A. Stein , Notes on the monetarv System of ancient
Kasniir, London, 1899; ^'^"8*'«
— P. Cheikho, Notice sur un ancien manuscrit arabe, Bey-
routh, 1899; in-8".
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première fois et accompagné d'introductions et d'un com-
mentaire par E. Senart, 3 vol., 1882-1897 (extrait); in-4°'
— Le même. Bulletin des religions de Vlnde. Paris, 1899
in-8".
— E. Durant -Lapie, Le comte d'Esca^rac ae Lauture.
Paris, 1899; i""8".
SUR LA DATE DV NIRVANA , PAR M. LEON FEKR.
Dans le Journal de la Société orientale allemande (vol. LUI ,
|). 120-124), M. Speyer a récemment discute la date de la
mort du Buddha d'après l'Avadàna-Çataka et montré qu'elle
so place cent ans avant le règne d'Açoka et non deux cents ans
comme l'a dit Burnouf et comme je l'ai répété après lui. J'ai
bien mis dans ma traduction : « Dans le deuxième siècle . . . » ,
mais j'aurais du dire «le troisième,.. », car je suivais Bur-
nouf.
550 NOVËMBRË-DÉGËMBRE 1899.
I
Le centième récit de VAv. Çai,, où se trouve la mention
contestée, se compose de deux parties : un récit de la mort
du Buddha finissant par une stance, et le récit d'un fait an
temps d'Açoka; ]e second récit est soudé au premier, sans
que rien les sépare. Cette union étroite est surtout manifeste
dans ie manuscrit de Paris. Voici , en e£Fet , comment le pada
final de la stance et le commencement du deuxième récit y
sont présentés :
Due I civare tatra naiva dagdha abhyantaram hàkyam atJka dvi-
ttycuh vaifaçataparinirvrte buddhe bhagavati ....
Burnouf rattachant athadviiiyam à var^açata. . . traduit :
« Deux cents uns après que le bienheureux Buddha fut entré
dans le Nirvana complet... » [Introd,, p. 385). Mais M. Speyer
montre que les mots aiha dvitiyam appartiennent non au
second récit , mais au premier, et qu^îls complètent le dernier
pada de la stance ; mots de remplissage , il est vrai , ajoutés
pour parfaire le vers, mais en faisant partie intégrante. Ce
vers se traduit donc littéralement ainsi :
Duœ vestes illic non ecjuidem ustœ, interior extenor nuiic secundo.
Alors le deuxième récit commence par varsaçata... «cent
ans après. . . ».
11
La traduction tibétaine donne raison à M. Speyer. Voici,
en effet , le texte du Kandjour. (Je mets sous chaque mot tibé-
tain son équivalent sanscrit.)
Der ui bzat't-jin naii da/i pkyi-rol gyi rnam-pa anii ni
Tatra p\ a civare (?) abhyantaram bâhyam dvitîyani (?)
NOUVELLES ET MÉLANGES. 557
ts'uj pa yons ma-gynr sai'is-rcfyas hchom-ldan- das yons^su. mya-nan-
dagdha eva na... buddhe bhagavati parinirvrte
las 'das nas lo brgya Ion dei tsé
varsacata
L'espèce de cheville aiha dvitiyam qui a causé Terreur de
Burnouf n'est pas représentée dans le tibétain, ou, si eUe
l'est par les mots rnam-pa gnis, c'est d*une façon douteuse,
insuffisante, et qui, dans tous les cas, place clairement les
mots atha dvitiyam dans la stance et, par conséquent, dans
le premier récit. Et la date du Nirvana se trouve, avec plus
de clarté encore, indiquée par les mots lo-hrgya (sanscrit
varsacata) « cent ans » ; les termes tibétains Ion « écoulés » , dei-
Ise « en ce temps -là » , ne correspondent à aucune expression
sanscrite.
III
M. Speyer fait observer que son interprétation met d'accord
Y Avadâna-Çataka et d'autres recueils tels que YAçoka- et le
Divya-avadâna, qui placent le règne d'Açoka cent ans seule-
ment après le Nirvana. J'ajouterai le DzaA-lan, où la même
assertion (dont j'aurais dû me souvenir) se trouve, dans le
xxvii* chapitre , en ces mots :
na mya nan-laj- 'das-te lo-brgyadon'pai og-ta rgyal'po A*Ç0'ha,
Cent ans écoulés après mon Nirvana, le roi Açoka. . .^
H paraît donc bien établi que l'assertion d'après laquelle
ÏAv, Çat. mettrait deux siècles entre le Nirvana et le règne
d'Acoka est le résultat d'une méprise , que les textes népalais
sont d'accord pour réduire cet intervalle à un siècle, et que
la rectification proposée par M. Speyer est parfaitement
juste.
L. Feer.
' Der ffeise und der Thor, p. 218, 1. 7.
SOVKMBBK-DIvCEMBRR I8«9,
E SUR UNE NOUVILLE UONNAIB TANGOUTAIHB.
Le Joarnal a.<iatùjae a bien voulu paUîer en i8g8, ma
Notice sur uae monnaie à légende en écriture Ungontaiiie,
émise par un prince de la dynastie de Si-Hia, qui s régné
sur les IVontières nord-ouest de la Chine, de lood ^ 1327,
et doni la capitale était Hia-tcbeou (aujpurd'hni Ning-hia-
fou) sur la rive gauchedufleuve Jaune. Cette notice contient
le déchilTrement , en chinois, de la légende tangontaine.
Depuis mon retour à Péking, j'ai eu l'occasion d'ajouter à
ma collection , une autre monnaie de la même série nomû-
matii^ue qui n'a pas encore été publiée. J'en donne id le
dessin , avec les équivalents , en chinois , de la légende langou-
taine; je les ai déterminés comme pour la précédente mon-
naie, à l'aide des iuscriptious en tangout qui se trouvent
sur la pagode bouddhiste de Leang-tcheon dans la province
du Kansu et sur la porte de Kiu-yong-boao près Péking,
dont j'ai parié dans ma première notice.
Voici la description de cette nouvelle pièce dont le revers
est an épigraphe.
Niius avons déjà deux caractères, au-dessons et à gauche
du trou central . qui nous sont connus, étant les mêmes que
ceux de la première monnaie. Ce sont les deux signes tan-
goutains que j'ai transcrils en chinois par >tÊ ^^ poo U'im
NOUVELLES ET MÉLANGES. 550
« monnaie précieuse ». Il reste à déterminer les deux autres
signes.
Le premier, celui qui est au-dessus du trou central, se
rencontre fréquemment dans la partie tangoutaine des deux
inscriptions de Leang-tcheou et de Kiu-yong-koan , où il est
l'équivalent du mot chinois t'ien «ciel» ^Ç» Unie suffira de
signaler la dernière colonne de la stèle de Leang-tcheou en
tête de laquelle on voit ce caractère qui est le premier du
o-roupe T'ien-yoïi-min-ngan, nom de la période dans la cin-
quième année de laquelle (an logi de J.-C.) le monument
a été élevé. Si Ton se reporte au tahleau des souverains de
la dynastie Si-Hia dressé par M. Devéria \ on voit que, durant
les règnes des trois monarques canonisés sous les noms de
\ isong (lO/ig-ioGS), Hoeï tsong (1068-1087) et Tchong
tsong (1087-1 1 Ao), il n'y a pas moins de cinq nien-hao com-
mençant par t'ien «ciel». Mais quatre d'entre eux doivent
être éliminés, car le nien-hao T'ien-i-tche-p*ing (1087-1089)
nous est donné au complet (en plus du nien-hao T'ien-you-
min-ngan) dans le texte tangoutain de la stèle de Leang-
tcheou, tandis que les seconds caractères des nien-hao T'ien-
you-tch'oei-cheng (io5o-io52) et T' ien-ngan-li-ting (1086)
sont respectivement identiques au second et au quatrième
caractères de la période précitée T'ien-you-min-ngan; il ne
reste donc que le nien-hao, en chinois, t'ien-tze-li-cheng-
koao-k'ing (1070-1075) (jui soit applicahle ici.
Le second signe tangoutain, celui qui est à droite du trou
central , se rencontre aussi sur la dernière colonne du texte
tangoutain de la stèle de Leang tcheou où il parait avoir le
sens, si on le prend avec le caractère qui le précède, de
«par faveur impériale» ^fi (le monument a été érigé). Le
texte cliinois conduit au même sens , si Ton tient compte
d'une lacune qui est entre la date et le signe kien « érigé ».
Les mêmes deux caractères tangoutains dont le second se
' Dovéria, Ij écriture du royaume de Si-Hia ou Tangout dans les Mém.
(Ir /' \c<id. dos inscr. el lullex-lettres , Savants étrangers, t. XI, 1898.
560 NOVEMBRE-DECEMBRE 1890.
trouve seul sur notre monnaie, se rencontrent sur le petit
texte du côté orientai de la porte de Riu-yong-koan dans
une phrase qui doit signifier suivant moi t construit par &-
veur impériale». On peut encore les rencontrer deux fois
dans les titres des commissaires impériaux mentionnés sur
la stèle de Leang-tcheou avec un contexte qoi fait qu'on
peut bien s'attendre à trouver le caractère chinois conres-
pondant tze ^ . L* ensemble de la légende tangoutaine peut
donc être considéré comme équivalent au chinois t*ien tz'e
pao isicn «monnaie précieuse de (la période) t'ien tz'ei.
(]es deux derniers signes sont d'ailleurs une abréviation dn
groupe t*ien'tz'e-li'ckeng-koaO'k*ingj second nien-hao ( 1070-
1076) du règne du souverain Si-Hia qui a été canonisé sons
le nom de Hoei tsong. La monnaie qui a été publiée dans
ma précédente notice a été frappée pendant le nien-hao sui-
vant ia-ngan (1075-1086). Les deux pièces appartiennent
donc au même empereur Hoei tsong.
D' S. W. BUSHBLL.
Légation Ae. S. M. Britannique à Péking, août 1899.
BIBLIOGRAPHIE.
DtE Handschriften-Verzeichnissb dbr Koeniquchmn Bimuo-
THEK zu BERLf.y. XXIIl" Band , Verzeichniss der sjrischen
Handschriften von Eduard Sach\u; Abtheiiung I-II, Beriîn,
Ashor, 1899, in-4^ p. 942 ; préface I-XJV; fac-similés I-DL
Le fonds syriaque des manuscrits de la BiUiothèque
royale de Berlin, qui doit son importance à la collection
dont M. Sacliau l'a enrichi depuis son retour d*Orieut,
n'était connu que par la nomenclature sommaire que ce sa-
vant professeur avait publiée en i885 (^nr^z^ei Vêrzmchni$$
NOUVELLES ET MELANGES. 561
der Sacliauschen Samnilung nebst Uebersicht des alten Be^
standes). Aujourd'hui le catalogue analytique qui vient de
paraître par les soins de M. Sachau, permet aux travailleurs
de mieux apprécier la valeur littéraire et historique des
œuvres des Syriens conservées à la Bihliothèque de Berlin.
Le catalogue renferme une description très complète de
chaque manuscrit , et , quand il s'agit d'un ouvrage nouveau
pour nous ou peu connu , de longs extraits et parfois un texte
entier avec une traduction allemande. Un travail fait avec
un soin si minutieux a coûté de longues années avant de voir
le jour et l'auteur n'a pu mentionner les publications sy-
riaques qui avaient eu lieu pendant l'impression du cata-
logue. 11 n'a pas cru devoir y revenir dans les Addenda ni
ajouter quelques autres publications antérieures qui lui
avaient échappé et qui sont de peu d'importance.
Le nouveau catalogue de Berlin forme la suite et le com-
plément des catalogues syriaques de Rome, de Paris, de
Londres et d'Oxford, grâce auxquels l'œuvre littéraire des
Syriens commence à être mieux connue. U apportera, lui
aussi , son contingent à la source de l'inédit qui semblait
près de tarir.
Au lieu de suivre purement et simplement l'ordre des
matières adopté par ses devanciers, le rédacteur du cata-
logue a divisé les manuscrits en trois groupes d'après leur
écriture : estranghélos , nesloriens et jacobites. Ce classement
se justifie en un sens , parce que les manuscrits estranghélos
de Berlin représentent les manuscrits anciens (quelques-uns
remontent au v" et au vi* siècle); les manuscrits nestoriens
et jacobites sont, au contraire, de basse époque (plusieurs
d'entre eux ne sont que des copies récefites de manuscrits
qui se trouveni en Orient). Mais cette méthode a ses incon-
vénients. J^e travailleur qui s'adresse à un texte spécial devra
c(3nsiilter l'index des matières et l'index des auteurs pour
savoir si ce texte est représenté dans une ou plusieurs caté-
<;ories du catalogue. En outre un manuscrit nestorien peut
contenir une œuvre jacobite (n" 33) ou, en sens inverse, un
562 NOVKMBRE-DECEMBRE 1899.
manuscrit jacobite reproduira un livre nestorien (n" 171,
s«38-232, si36).
Les récentes éditions de textes syriaques tirés de ia Biblio-
thèque de Berlin ont mis en évidence la videur des mana-
scrits de cette bibliothèque. Le catalogue, de son côté, nous
apprend que tous les genres littéraires y sont représentés par
plusieurs manuscrits : versions et commentaires bibliques,
apocryphes et légendes , actes des saints , théologie , patris>
tique syriaque et grecque, livres liturgiques, philosophie,
grammaire, lexicographie, etc. Quelques ouvrages ne se
trouvent en Europe qu'à Beiiin. La collection néo-syriaque
(Fellihi et Tôrânî) est unique en son genre.
\,e catalogue compte 346 numéros et , en plus , deux nou-
velles acquisitions mentionnées à la un de la préface : une
chaîne des Pères , incomplète au commencement et à la fin ,
intitulée : La jardin des délices, et Le livre des Scolies de Théo-
dore bar Koni , suivi de deux écrits de Tévéque Silvanos.
Cependant , sous le rapport du nombre et de rimportance
des manuscrits anciens, la Bibliothèque de Beriin ne vient
(juVn dernière ligne après les autres grandes bibliothèques de
l'Europe. Les manuscrits estranghélos , presque tons incom-
plets et en mauvais état, ne comprennent que a a numéros;
les antres manuscrits, nestoriens, jacobites et melkitc», sont
modernes. Les copies des manuscrits nestoriens demeurés
en Orient n'ont pas toutes la même valeur; quelques-unes
(n*** 77, 79, 80, 81, 93, 101) ontété écrites en 188a et
i883 par un certain Franz fils de Giwargis qui a parfob
maltraité son original d'une manière pitoyable*.
' (ionij)aror Baetbgcp, Congres des OrienlaUslcs de Stockholm^ ëectiùH
séinilu^ue , p. 107-1 1(), rt J.-B. Chabot, Joiirna/ o^ûifiifa^, jaiilrl-*oAt,
189^, |). 189, )K)ur ce qui concerne le n° 80 (rotf. Sackau, s 17) oonl^
nunt ie commentaire de Théodore de Mopoueste sur rÉvangîle de «dnt
Jean; — Rahlfs, Goettingische gelehrte Anzeigen, 1893, n" s5, p. 9S41
nu sujet du n" 101 [CoU, Sachau, -n^ et »i3) contenant le Iraqno dr
Bar Baldoul.
\ pro[)os du n° '^29 ( Coll. Sachau, iQ^)* noos a^'ons U MtiifiMtMm de
constater que ia description quVn fait M. Sachau (p. 711) jiutîfip lo
NOUVELLES ET MÉLANGES. 563
Il n'est pas nécessaire d'ajouter que ce catalogue a été
rédigé avec une rare compétence; le nom de Tauteur est le
meilleur garant de Texactitude de la reproduction des ex-
traits imprimés , de leur traduction et du commentaire qui
suit la description de chaque manuscrite
Jja préface commence par une esquisse très réussie de
l'histoire de \a littérature syriaque. A la lin de Touvrage ,
luiit indices : une revue des différentes collections qui com-
posent le fonds syriaque de la Bibliothèque de Berlin ; une
liste des manuscrits datés; un index des auteurs; un autre
des copistes; un Index geographicus ; un index des noms de
personnes; un [ndeœ reram; et un index des évêchés. Suit
une liste des Corrigenda et addenda à laquelle M. Goussen a
collaboré. Les fac-similés de manuscrits forment une utile
contribution à la paléographie syriaque.
L'exécution typographique est admirable. Les caractères
estranghélos , nestoriens et jacobites appartiennent à la meil-
leure catégorie des types syriaques en ftsage dans les impri-
meries.
R. DUVAL.
smu'iit que nous avions fait de ce manuscrit parmi les Codices tnfxli com-
(josés de gloses de Bar Bahloui « de Bar Ali et d'autn^s lexicographes,
(voir notre édition de Bar Babloul, Préface, p. iii). M. Gottheii avait
décrit ce manuscrit comme étant un Bar Ali ordinaire et M. Rahlfs nous
avait rej)roché sévèrement la soi-disant confusion que nous avions commise.
M. Sacliuu dit de ce manuscrit Thesaums linguœ syriacœ von Bar Ali,
Bar Bahiul und anderen , von der Catégorie der Codices mixli. Après
avoir rappelé mon classement de ce manuscrit et celui de M. Gotlbeil,
il ajoute : lu tP^ahrheit ist rs eine compilation mts Bar AU, Bar Bahiul und
(inderen QucUen.
■I II ** **
' W 717, i. >-3 de la :{* colonne, les mots ^QN■■J^>Aao P^ JuO J^a^
signifient les mots (fui ne diffèrent pus {pur la forme mais jmr le sens), lï
s'agit d'un traité De ceifuilitteris.
504 NOVKMBHK-DKCKMBRE 1899.
JSgann nasn tchk llo ^ ^ J^ s. Mémoires slb lWn.n^m.
Traduction arr()inpa*;iM'r d'un lexique ge'*ographique et historique,
par (^.amiHf S\insc)n. Péking, imprimerie des Lazaristes au Pé
t'aiiî^, iS()6; in-8"* de yn-ôSi pages. Kn vente chez Leroux.
Si l'on fait abstraction des textes qu'on peut glaner dans les
historiens chinois, le nomi)re des ouvrages écrits en Chine
sur le royaume d'Annam est fort restreint ; le plus ancien et
le plus important est celui qui fut puhiié par un certain Li
Tso, au commeurement du \i\* siècle de notre ère, sous le
titre de Ngau-nan-tche-luo; l'année de la publication est in-
certaine; la préface do l'auteur est datée de i335, mais ou
trouve dans le livre la mention d'événements qui se passèrent
en i.S.K); c'est donc vers 1 3/io que la rédaction définitive
dut être terminée. Les e\em[)laires chinois du Nyan-nan-tche-
luo étaient devenus de nos jours introuval)les , quand un Japo-
nais eut riienreuse idée d'en faire une réimpression; c'est
de cette édition japonaise de i884 que s'est servi M. Sainson
pour nous donner une traduction française qui mérite tous
les èlo^'es.
Ll Tso était un noble annamite (jui se réfugia en iq85 en
Chine; il est le contemporain de ^hlrco Polo, qui parait
avoir accompa^'^né en i :>.85 ou en i ^88 (ap. Yule) les envoyés
de Khoubilaï Khan dans le Tchampa. Li Tso employa les
loisirs de sa retraite à écrire une description géographique
et historicjne de son pays. La partie géographique n'est pas
très détaillée, quoicpie l'on v puisse trouver des notions im-
|)ortanles sur les divisions administratives de TAnnam à
l'époque des i ueii et sur les traditions (|ui se perj)étuent dans
certaines localités; on lira avec intérêt les pages (p. SS-gS)
relatives aux coutumes annamites. Mais le livre de Li Tso est
moins un traité sur 1' Vnnam qu'un recueil de documents
sur les relations de la Chine et de lAnnam, principalement
à l'épofpie moni^ole. Nous avons ici toute la correspondance
ofFicielle (pie les rois d'Annam échangèrent avec Khoubilaï
NOUVELLES ET MÉLANGES. 565
Khan et ses successeurs ; les expéditions militaires et les am-
bassades que la Chine envoya au delà de sa frontière méri-
dionale y sont énumérées; tous les Chinois qui jouèrent
quelque rôle en Annam et tous les Annamites qui furent en
rapports avec le gouvernement chinois y ont leur biographie.
Parmi les lettres des rois d' Annam, il en est une (p. agS-
29^) qui fut écrite entre 1295 et 1809 pour demander à
l'empereur plus de i5,ooo livres bouddhiques; le roi d' An-
nam y expose que le boucidlûsme a été apporté en Annom
par les Chinois sous les dynasties T'ang et Song, mais cpie
les ravages des armées impériales ont détruit ou réduit en
cendres les écritures sacrées; il supplie Oeuldjaïtou Khan de
ne pas lui refuser la parole sainte , de lui ouvrir largement
les trésors bouddhiques. Sa requête lui fut octroyée et les
livres demandés furent expédiés par les soins du grand Con-
seil. Ainsi, malgré sa situation méridionale, TAnnam ne
reçut point le bouddhisme directement de Tlnde; c'est tou-
jours par l'intermédiaire de la Chine qu'il fut instruit dans
la foi bouddhique , et ce fait montre combien profondément
il subit l'influence intellectuelle de l'Empire du Milieu.
Le hvre de Li Tso abonde en renseignements dignes d'in-
térêt; il éclaire d'un jour nouveau les intrigues de la politique
chinoise et annamite ; il nous apporte le témoignage sur d'un
homme qui fut souvent acteur en même temps que spectateur
dans les événements qu'il raconte. M. Sainson , qui a poussé
le dévouement scientifique jusqu'à imprimer sa traduction à
ses propres frais , a rendu un service signalé aux études sino-
logicpies; son ouvrage suppose une somme de travail consi-
dérable : il sera de la plus grande utilité à tous ceux qui
voudront étudier l'histoire de TAnnam.
Ed. Chavannes.
M. de Harlez vient de publier dans le T'oung-pao (vol. IX,
n" o ) un court article dont l'intention est intéressante : l'au-
teur y recherche, d'après le Yi li, ^ )jjj|, rituel contem-
566 NOVEMBRE-DECEMBRE 1899.
porain de la dynastie des Tcheou, des ii*aces de la langue
parlée au vi*' siècle avant J.-C. Si Ton admet, comme il
semble naturel, que les odes des Koefong, S| JSL* sont des
chants populaires, que les hymnes des trois autres parties dii
Chi king , ||f fM i sont écrits dans la même langue , il en résul-
terait que , jusque dans la première période des Tcheoa , la
langue parlée était aussi celle qui s'écrivait ; peut-être , si en
comparant ce livre canonique avec les chapitres contem-
porains du Chou king , ^ i^ , on trouvait des divergences
de style, pourrait-on les attribuer à la différence naturdle
entre la prose et la poésie. Au contraire , celui qui étudie le
développement ultérieur du chinois trouve , à partir des Song, .
une démarcation bien nette entre la langue parlée et la
langue écrite , démarcation qui n*a fait que s'accentuer de-
puis lors. A quelle époque ces divergences ont-elles paru
d'abord ? C'est une question de nature à intéresser les esprits
curieux.
A l'aide de divers documents, on pourrait tenter de
résoudre le problème. Pour l'époque des Han par exemple ,
la comparaison entre le Fang yen , ;^ g* , de Yang Hiong ,
^ ^ , (53 avant J.-C. — 1 8 après J.-C.) , et divers ouvrages
liistoriques , philosophiques ou autres , permettrait au moins
de reconnaître le vocabulaire spécial à plusieurs dialectes de
la langue parlée; pour l'époque moyenne des Tcheou, le
Tso tchoan, ^ '(^ , elles Koeya, ^ ^, où l'écrivain tan-
tôt rédige en son propre nom, tantôt cite des paroles et des
discours, rendraient peut-être des services analogues; on
pourrait faire la même épreuve avec les livres dassiques,
Minuj tseu, "^ ^ y et Loen Jm, Ift |p , d'une part, Ta hio,
^ ^1 y et Tchong yong » ^ ^ •> àe l'autre.
C'est une compai^aison de ce genre que M. de Harlei tente
avec \e Yi II, qu'il fait remonter au vi* siècle avant notre
ère : si ce texte date certainement des Tcheou, je ne vois
ce[)endant pas de raisons décisives pour en fixer la i*édactîon
(le préférence au vi" sièchv, M. de Haiiez ne nous donne pas
Je motif (|ui Tîi détemiiné; d'ailleurs les Chinois sont, sur ce
NOUVELLES ET MELANGES. 507
point , moins utïirmatifs que lui. Parmi les formules qui étaient
prononcées dans les cérémonies et que M. de Harlez tient
[)our être de la langue parlée , je dois faire des réserves pour
celles auxquelles il donne les n°' i , 2 , 3, 8 et 9 : non seule-
mont elles offrent une coupe rythmique très marquée
(phrases de >4 caractères), mais elles présentent sinon de
vraies rimes telles que les rimes modernes, tout au moins
des assonances non douteuses disposées avec une certaine
régularité (1 et 2 , Jll< f^ TJS , au ton rentrant avec finale A*;
3 , ilK 6* iÊ^ comme plus haut , '^ et ^ au ton descendant ,
en infj; 8, ^ ^ )S , à la rime P^ ; 9, ^ 3Ë ;è. > ont une
sorte d'z final, une fois au ton descendant, deux fois au ton
é<;al). Ce ne sont vraiment pas là les caractères de la langue
parlée, mais, bien au contraire, d'une versification plus ou
moins libre.
Quant aux autres formules , elles sont sans doute en prose ,
et la thèse de M. Harlez s'applique ici mieux que tout à
riicuie. Encore resterait-il à savoir si cette prose est bien
celle (le la langue (jue l'on parlait journellement dans cette
antiquité reculée. L'écrivain chinois, en transcrivant ces for-
mules, ne les a-t-il pas récrites, comme ont pu le faire pour
leurs discours et mots célèbres les rédacteurs des livres clas-
siques, et T!so pour son commentaire, et les autres historiens
pour leurs histoires ? Bien plus, les formules rituelles, celles
de la simple politesse sont, très souvent en Chine., de langue
écrite beaucoup plus (jue de langue parlée : le ^ ^ , le
fE fS » 1^* ^f- ^ ' ^^^ fil ^ ^^^ présentations et des visites
ont- ils rien de la langue parlée moderne et seraient-ils intel-
ligibles, n'était l'usage qui les consacre ?
Il ne semble donc pas que la thèse de ^L de Harlez soit
suffisamment établie; mais, comme je le disais en commen-
çant, la tentiitive est intéressante.
Depuis que ces lignes ont été écrites, les Orientalistes ont
eu à déplorer la perle de M. de Harlez, qui dans sa vie de
labeur a abordé phisieurs branches de leurs études et y a
\iv. 37
iviaïuhafe KAriJA«i.r.
568 NOVEMBHË-DëGEMBKë .1899.
porté une activité infatigable , une curiosité toujours en éveil.
Quelles que soient les divergences d opinion qui puissent me
séparer de Tauteur des Religions de la Chine, du traducteur
(lu Yi II et du Yi king, je tiens à m*associer aux regrets qu'a
causés sa mort.
Maurice Courant.
Lks religions et les philosophies DAys lAsme centrale, par
le comte de Gobineau, '.V édit. — Paris, Leroux, igoo, i vol.
iii-S", X et 743 pages.
La réimpression de ce livre , le meilleur sans contredit qui
soit dû à la plume de feu M. de Gobineau, sera accuefllie
en France avec une satisfaction qui n'ira pas sans un
lé^^er remord. C'est à la généreuse initiative de l'étranger,
que nous sommes redevables de cette nouvelle édition. Je
surprendrai assurément un grand nombre de mes confrères
en leur révélant l'existence d'un groupe de lettrés (jui pro-
fessent pour notre spirituel et regretté compatriote une ad-
miration voisine du fanatisme. Une société s'est constituée
dans le grand-duché de Bade , à Fribourg, sous le vocable de
Société Gobineau, M. Schemann , qui en est l'âme dirigeante
no s'est pas contenté de la créer , d'y recruter des adhérents,
d'en accroître les ressources , il a publié successivement une
traduction allemande des Nouvelles asiatiques, âe la Renais-
sance et de ï Essai sur l'inégalité des race^ humaines. Nous téH-
citons sincèrement le savant traducteur du succès que cette
tentative, en apparence téméraire, a obtenu en AUemagne,
el ce succès, il est facile de l'expliquer.
Par ceii;ains côtés, Gobineau appartient à ce pays : il a le
^^oiH de la haute spéculation , le large idéal et en même temps
le \ague. l'imprécis des penseurs d'outre-Rhin. Ces qualités
et ces défauts se montrent principalement dans son Essai sur
les nwcs humaines et aussi, mais à un moindre degré, dans
les doux libres cju'il a consacrés à l'étude de l'Orient mo-
VOUVKLLKS I:T MÉLANGES. 569
derne, je veux dire les Trois ans en Asie, et le charmant ou-
vrage que la société fribonrgeoise vient de rééditer. Le pre-
mier de ces deux livres est le récit coloré, humoristique,
[)arfols paradoxal du voyage accompli eu Perse piar la Mission
Bourée. On y rencontre à chaque pas des scènes prises sur
le vif, des tableaux tracés dal vero et de main de maître;
partout de Tespiit , de la verve à pleins bords. La Perse y est
décrite avec un optimisme où perce cependant je ne sais
(|uel imperceptible dédain pour ce monde oriental que Fau-
teur oppose à notre vieille civilisation occidentale.
Ces iniprossious de vo\age se doivent lire avant les Reli-
cjlons et philosopliics , qui les dépassent de beaucoup en pro-
londeur de vue, en ricliesse d'observation. Celui qui écrit ces
li^»^nes a l)ien connu le comte de Gobineau; il a été son
compagnon de route, son collègue de carrière; il a assisté à
l'élaboration de ce charmant livre, écrit en partie sous la
dictée de Mirzas persans, mais pensé par un disciple de
Hegel et parfois aussi par un adepte désabusé de Schopen-
liauer. La collaboration des lettrés de Téhéran y est vdsible
dans les chapitres qui traitent des origines et du dévelop-
pement du chiisme en Perse ; on la constate également dans
les pages pleines d'émotion où l'auteur raconte la naissance
du bahvsine, son développement, sa résistance au pouvoir
royal. Gobineau fut presque le témoin oculaire et c'est pour
cela qu'il reslera l'historien le plus véridique de cette lutte
héroïque qui rappelle par des traits d'une étonnante gran-
deur l'épopée du christianisme naissant. \'est-ce pas aussi
M. de Gobineau , qui nous a fait connaître les tazyès, c'est-à-
dire les m> stères religieux de la Perse, dont on ne possédait
(|ue de courts aperçus, des fragments insuffisants pour en
révéler le caractère génial.
Quand le livre des Reliifions et Philosophies ht son appa-
rition en 1 866 , il obtint non seulement parmi les orienta-
listes, mais dans le monde des lettres, un succès de bon
aloi, quoique peu reientissanl. La Société asiatique fut une
des premières à en proclamer les mérites. Elle décerna vo*
37.
570 NOVëMBRë-DëCëMBRË 1809.
iontiers à la peinture séduisante de la Perse contempondne
le tribut d'éloges qu*en conscience elle ne pouvait accorder
au déchiffrenient des inscriptions cunéiformes fondé sur le
système de la cabale. Si 1 orientaliste , au sens technique du
mot fut sévèrement critiqué, le voyageur diplomate, le
fm causeur fut apprécié à sa juste valeur. Nous insistons
sur ce point parce que M. Scliemann s*étonne avec une cer-
taine vivacité de langage de ce qu'il appelle notre indifférence
pour celui qu'il considère « comme un des premiers écrivains
du xix*" siècle ». « Pendant un séjour à Paris, c'est M. Sclie-
mann qui parle, je lis même la découverte attristante que
le comte de Gobineau était sinon oublié du moins complè-
tement délaissé par la France d'aujourd'hui. Ses ouvrages
encore en vente ne trouvaient que de rares acheteurs et
aucun éditeur ne se souciait de réimprimeries autres» (Pré-
face, p. VI ). Ce qui n'empêche pas le fervent éditeur d*avouer
quelques lignes plus haut, que plusieurs des ouvrages de
M. de Gobineau étaient épuisés et introuvables.
11 faudrait cependant s'entendre et remettre les choses au
point. G)mme orientaliste , U'.us le répétons, Gobineau n'au-
rait jamais songé à s'arroger une compétence que ni ses
études spéciales , ni même son séjour en Perse ne pouvaient
lui donner. 11 avait appris le persan parlé grâce à la fréqneiir
tatioii de certains lettrés indigènes comme il s'en rencontre
là-bas dans toutes les légations em*opéennes : ses fonctions
oiHcielles ne lui auraient pas permis de l'étudier aux sources
mêmes de la vie populaire^ La connaissance de l'arabe lui
faisait défaut et cette lacuue enlève à son étude sur les livres
babys la précision et le cachet de certitude qu*on voudrait
y trouver. Quelle di£Përence entre ces interprétations par â
peu près et la solide version qu'un savant professeur de TUni-
versité de Cambridge nous a donnée quelques années pins
taixi ! Donc de ce côté , le demi-silence , lapprobation dis-
crète et non sans réserves avec lesqu^ les essais scienti-
fiques de M. de Gobineau furent accueillis , s'expliquent par-
faitement.
NOUVELLES ET MÉLANGES. 571
Reste le penseur, l'écrivain. Nons navons pas qualité
pour apprécier ici son système d'ethnographie , qui , comme
tous les systèmes, eut son apogée et son déclin. L'ingénieux
romancier de ia Renaissance a été justement rapproché de
Vitet , et, s'il n'a pas été mis tout à fait an môme rang, c'est
peut-être à cause de cette imagination débordante qui faisait
de Gobineau un causeur merveilleux et un écrivain peu me-
suré. Son style se déroule en longues périodes semées de
traits charmants, de saillies étinceiantes ; mais on y cherche
en vain cet art de composition , cette juste pondération , cette
symétrie parfaite qui dénotent l'écrivain de race. Pai' là en-
core , il est plus près de l'Allemagne que de la France du
grand siècle et du nôtre.
Nous devions cette explication aux reproches d'ingrati-
tude que, dans un excès d'enthousiasme, la Société de Fri-
bourg vient de nous adresser. Cet enthousiasme, nous au-
rions d'ailleurs mauvaise grâce de le lui reprocher, puisqu'il
remet en lumière un de nos compatriotes, observateur sa
gace et d'infiniment d'esprit qui aurait dû, nous le recon-
naissons sans peine , trouver un meilleur accueil chez les édi-
teurs parisiens. L'initiative prise par ces amateurs d'élite est
une bonne fortune pour nous et, quel cpie soit le sort qui lui
est réservé, nous serions véritablement , cette fois, des ingrals
si nous n'adressions à M. Schemann et à ses collaborateurs
nos plus sincères remerciements.
B. M.
CONGRES INTERNATIONAL D'HISTOIRE DBS RELIGIONS.
Cv Congrès se réunira à Paris du 3 au 9 septembre 1900, à
Toc ras ion de l'Pjxposition universelle.
Il a Hé organisé sur l'initiative des professeurs de la Section
drs srienoes religieuses de l'Ecole pratique des hautes études et
sous les auspices du Ministère du commerce et de l'industrie, qui a
572 NOVEMBRE-DKGKMBRE 1899.
la liHUtc direction de TExposition. Le Congrès est divisé en huit
sections, qui s'occuperont des matières suivantes :
Religion des peuples non civilisés. — Religions de rExtrême-
Orient. — Histoire des religions de l'Egypte, — de Tlnde et de
riran , — de la (irèce et de Rome , — des Germains , des Celtes
et des Slaves, des religions dites xémitique» et Histoire du christia-
nisme.
Pour connaître les conditions d'adhésion et le programme dé-
taillé des travaux, s'adressera M. Jean Réville, secrétaire du Comitt*
d'organisation, à l'Ecole des hautes études (Sciences religieuses),
Sorhon ne-Pari s.
Le tférant :
RlBENS DUVAL.
T4BLE DES MATIERES
CONTKMIKS DANS LE TOME XIV, I\^ SERIE.
MEMOIRES ET TRAlDUGTIONS.
% Pafjes.
Procès-verbal de la séance générale du 3 o juin 1899 5
Itapport de la Commission des censeurs sur les comptes de
l'exercice 1898 , lu dans la séance générale du aojuin 1899 . 8
Rapport de M. Specht, au nom de la Commission des fonds,
et comptes de Tannée 1 89S 9
Annexe au procès- verbal : Bardesane l'astrologue (M. F. Nau). 12
Ouvrages oflerts à la Société (séance du 20 juin 1899) 19
Tableau du Conseil d'administration conformément aux no-
minations failes dans l'assemblée générale du îîo juin 1899 • ^^
Liste des membres souscripteurs par ordre alphabétique. ... 2/1
Liste (les membres associés <;trangers suivant l'ordre des nomi-
nations /j 2
Liste des sociétés savantes et des revues avec lesquelles la So-
ciété asiati(pic échange ses publications 43
Liste des ouvrages pul)liés par la Société asiatique 46
Collection d'auteurs orientaux 48
t.<es premières invasions arabes dans l'Afrique du Nord
' M. Caudkl). ^Suite.] ôo
Les sanctuaires du Djebel Nefousa (M. R. Basset). [Fin.].. . . 88
Six chansons arabes en dialecte maghrébin (M. C. Sonneck).
\ Suite. ] » 121
La Kacîdah d'Avicenne sur Tâme (M. C\rra de Vaux) 157
Les premières invasions arabes dans l'Afrique du Nord
^ M. Cvudel). [ Pin. ] 187
574 NOVEMBRË-bÉCEMBRE 1899.
Six chansons arabes en dialecte maghrébin (M. G. Sonnegk.].
[Fin.] 333
Note sur quatre systèmes turcs de notation numéricjae secrète
(M. J.-A. Degourdemanchb). 358
Le Bodhisattva et la famille de tigres (M. L. Fskr) 373
Notice sur le cheikh Mohammed Abou Ras en-Nasri de Mas-
cara (G*' G. Faure-Bigdbt) 3o4
Notice sur Gabriel Devéria (M. Éd. Chav/lnnes) 875
Notice sur le cheikh Mohammed Abou Ras en-Nasri de Mas-
cara (G'^ G. Faure-Biguet). [Fin.] 388
Le croisé lorrain Godefroy de Ascha, d'après deux documents
syriaques du xii* siècle (M. F. Nau) 43i
Nouvel essai d*interprétation de la seconde inscription ara-
méenne de Nirab (M. P. de Kokowzopp) d33
Hom^e de Narsès sur les trois docteurs nestoriens ( texte sy-
riaque) [M. Tabbé F. Martin] 446
Les inscriptions du Preah Peân (Angkor Vat). [M. E. Atmo-
iViER.] 493
^NOUVELLES ET MÉLANGES.
Numéro de juillet-août 1 899 174
Bulletin d*épigraphie sémitique 174
Le janissaire Békir-Agfaa, maître do Baghdad (Cl. Hqart) 178
Numéro de septembre-octobre 1899 ^^^
Le manuscrit sur «toiles» du Premier président Lamoîgnon
( L. Fbeb) 35s
Bibliographie : Grammaire élémentaire de la langue persane,
f>ar M. Cl. Huart. ( B. M.) — Abhandhmgen sur araoûoien Vhàr
ologie, von Ignaz Goldsiher. (J. de Gorjb.) — Répertoire des
artides relatifs à l'histoire et à la littérature juives parus dans
les périodiques de 1788 à 1898, par Moïse Schwab. (Matu Lam-
bert.) — The Hoart of Asia, by F. H. Skrine and E. Denison
Ross. (E. Drouin.) — Rocucil d*archéologie orientale, par M. Cler-
mont-Gannrau. (Sommaire des matières contenues dans le
tome m.) 36i i 373
Numéro de novembre^écembre 1899 53o
Procès-verlial de la séance du 1 o novembre 1 899 53o
TABLE DES MATIERES. 575
Annexe au procès-verbal : Étymologies bibliques (J. Halkvy). 533
Ouvrages offerts à la Société 536
Procès- verbal de la séance du 8 décembre 1899 5^2
Annexe au procès-verbal : J^ltymologies bibliques (J. Halévy). 545
Ouvrages offerts à la Société 55i
Note sur la date du Nirvana ( L. Fber ) 555
Notice sur une; nouvelle monnaie tangoutaine (D' S. \V. Bu-
ï>IIKLL ) 558
Blblio««;raphi<» : Die Handschriflten-Verzeichnisse der kœniglichen
Bibliotlick zu Berlin, von Ed. Sachau. (R. Du val. ) — Ngann-nann-
khc-luo. Mémoires sur l'Annam , par Cam. Sainson. (Éd. Cha-
vANNEs. ) — Note sur un article cle M. de llarlez j)aru dans le
icT'oiing-pao» , j)ar M. de Harlez. (M. M. Courant.) — Les reli-
erions et les pliilosophies dans l'Asie centrale par le comte de
(jobliieau. (B. M.) — Congrès international dmstoire des reli-
«>;ious 56o à 568
i i
JOURNAL ASIATIQUE
ou
RECUEIL DE MÉMOIRES
D'EXTRAITS ET DE NOTICES
RBLATIl'S X L'HISTOIRE, X LA HIlILOSOPUUi . AUX LANGUES
ET \ L\ LITIliRArUHË OBS PBfll'LliS CyHlErHAlit
(iirnii'r, xtDiic\4 avyit,, t. M^tm, sto.
F.T l'UnLlF; l'AR LA SOCIÉTÉ ASIATIQIIK
NEUVIÈME SÉRIE
TOME XIV
N' 3 — NOVE>IIitlE-DÊCEMBfiB 180U
Tableau dsa jours de séance pour l'année 1S99.
Us bfatuxa acL liËU 11! itKoad vi!udr«ll du muii. à !t Ueuret cl denùc,
au ûàge de U. SobLÉW, rue du SeioB, n" l.
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BlbiioUièque.
La BiHiolliJque de la Soriit*, rue dt Sdte, ..• i. «t m.ei(e lam )«(
«amcdû. de 1 L<^u»s i C Ufure».
PARIS
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OuAKTs P0PU1.AIBES DES Afguan», recueillis, publiés et traduit* par Jantrs
Ditniiesteter. PrécÉdéa d'uuc inlroduclioD sur la langue, l'hiaUiire el 1s lilll^
cBlure des Afghans. 1B90. 1 fort »o]. in-S" an fr.
Le MAniTASTr, teite sanscrit publié _poiir Ik premièrû foU.iiTK de* intradut^
lions et UQ commentaire, pw M. Em. Senarl,
Tomel, 1685, Jn-8" aî Fl-.
Tome II. 1890, in-B" »5 fr.
Tome ni, i8y8, io-8° lô fr.
JounnAi. d'hic toïage eh Arabie (i883m8SS), par Chtuiei- Itaitf, i Cm.
«al. io-S" iUustré de clirhi^s dans le ta>te ol «l'^Dmfiujjod de pUncbet el
cr(»t|iiiî Jo &.
PbiÏci« iir jiiHiBI>nrnEnr.Ruii8iii.MANB. suivHUll^riteniHlâkltH. ptr SiiUShaUL
In-iS' 0 fr^
GfooiiAPiiiK ti'Anun'i.vÉDA , teite srabe, puhlii! par Dniini^ pt it Slànb
In-4-.. si II'.
BJniATAiiANGniI . ou Histoire des rois du Kadimir, publlie an lantHrit el
traduite en Iran^is, par M. Troyer. 3 vol. in-8° 10 fr.
PUBLICATION ENCODRAGÉE PAU LA SOCIÉTÉ.
Les Mémoihbs de Se-ha Tsien , traduits du chiDois et unnotâi par &daa»rii
Ckavannes , professeur au Collège de France, ta raluiuRi îd.S' 'no court
de publicnlion].
Tome I. I fort volume in-8* i6 &,
Tomen. 1 fort ïolume in.8' 10 Ip.
Tome III. premitre partie. In-8' m fr.
deuiièm G partie. In-8", . ... . i<] fr.
erm;si ij:i;uiix, kditekr,
nui'. B0IV.P.I.1L.., K- ï8.
GHROWIQDE DE MICHEL LE 8\B1KN,
PATRIAllCDB JACOBiTB H'ÀNTIOUne {1166-II99),
MilÊG pour la pTfnÏBK^ loit l'I Uailuilo un ftungU)
TAU J.B. CHABOT.
I,ES MONUMESTS HISTORIOL'ES PE LA TLTilSlE.
I»., («f MM. H- C*>r.*T, J(- rimlilnl, ri 1'. C*ii.;Ktl
raiton t, in Ifmpl/t pafeiii, iii>i', avi'i' rignri-a Pi 3i [iliiiirliu , en du carlun.. . ,
Deniièpie s^fït. MommmU i( intiripliom ariiU4, pic MM- B> Rat. iccrilurf g^rd il» Goni*.
RECCEIL DE LA LEGISLATION
EM VIGUEUR EH ANNAM ET AU TONKIN,
l" MAI 1895 Al) 1" JAXVIBB 189g.
PAR D, GANTEH,
CONGRES INTERNATIONAL DES ORIENTALISTES.
XI' SKXSIQN. PaHIK, SBPTBHDJie 1897
Ar,ta du Conjrii. i valnmM in-B', av« Gj^ium, {dinchu et cirici.
Kona rapptiona à Mmicnis Ivs Miiiiii)mi du Conart* que oc* i voluinci jwavi'nt (Im
Irais i la librairie Ernat I.cr«ui, ou çlfiftnciW» Jraiiia , ptt cuUi |hhUui, en fdvugn d'nu nand
pMlaJ de 3, le 60. Toiu U> eiciu[ikiR9 dxùteiil ft» i^ducB^i ilnut un lUlii df ûi n"'