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Full text of "Journal asiatique"

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JOURNAL ASIATIQUE 



TOME ccvin 



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JOURNAL ASIATIQUE 

RECUEIL DE MÉMOIRES 

ET DE NOTICES 
RELATIFS AUX ÉTUDES ORIENTALES 

PUBLIA PAR LA SOCIÉTIÉ ASIATIQUE 



TOME CCVIII 



PARIS 
IMPRIMERIE NATIONALE 

LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL 6EUTHNER 
RUE JACOB, N" 13 (VD 

HDCGCGXXVI 



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JOURNAL ASM^KJPE 

RECUEIL DE MÉMOIRES 

fjEc 23 me 

ET DE NOTICES 
RELATIFS AUX ÉTUDES ORIENTALES 



PUBLIE PAB LA SOCIETE ASIATIQUE 



TOME CGVlll 



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N» 1. — JANVIER-MARS 1926 



Tableau des jours de séance pour l'année 1926. 

Les séaDces ont lieu )e second vendredi du mois à k heures et demie, 
au siège de la Société, rue de Seine, u* i. 


J&IVIBI. 

8 


rtfvBIEB. 


■ AU. 


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JVIK. 


J«II.L.-AeAT.'IIPT.*0€T. 


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10 


12 


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VieasM*. 


12 


BibUothèque. 

La Bibliothèque de la Société , nie de Seine , n* i, est ouverte le vendredi , 
de 9 heures à k heures, et le samedi, de 3 heures à 6 heures. 



PARIS 
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER 



LiBBAIBE DU Là SOCIETE ASIATIQUE 
RUE JACOB, n" 13 (Vl*^ 



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JOURNAL ASIATIQUE. 

JANVIER-MARS 1926. 



UN 

ANCIEN PEUPLE DU PENJAB 
LES UDUMBARA, 

PAR 

J. PRZYLUSKI. 



Les fouilles effectuées récemment dans Tlnde à Harappa et 
à Mohen-jo-Daro ont révélé l'existence de plusieurs civilisations 
disparues ^^l Des monuments, de nombreux objets ont été ex- 
humés. Mais qu'étaient les populations contemporaines de ces 
choses? Nous l'ignorons encore. Entre les civilisations entrevues 
à Harappa et à Mohen-jo-Daro et celle que nous font connaître 
les plus anciens textes védiques, l'écart est sans doute considé- 
rable. Afin de diminuer l'intervalle qui , dans nos connaissances, 
sépare l'histoire de la préhistoire , je me propose de grouper 
un certain nombre de faits concernant les populations anciennes 
du Penjab. J'étudierai surtout les Udumbara dont le mon- 
nayage abondant atteste la prospérité avant les débuts de l'ère 
chrétienne. 



(*) Cf. niustrated London News, numéros des 20 et 27 septembre et /i oc- 
tobre 193/»; arlicies de Sir J. Marshaii, et de MM. A. H. Sayce, G. J. Gadd 
et Sydney Smith. En outre S. K. Ghattekji , Dravidian origins and the hegin- 
nings ofindian civilisation, in Modem Review, 192/i , p. 665 et suiv. 



iMraiiiKMi 



62347^ ^ , 

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2 JANVIER-MARS 1926. 

Depuis qu'en 1891 A. Cunningham consacrait une notice 
aux Udumbara ^'^ dans son ouvrage sur les monnaies de Tlnde 
ancienne (^Coîns of AncierU India, p. 66-70), nos connais- 
sances sur ce sujet n'ont pas fait de sensibles progrès. Cunning- 
ham décrit et reproduit (pi. IV) une série de monnaies des 
Udumbara trouvées au Penjab septentrional, principalement 
dans le district de Palhânkot ^^î. Ces pièces d'argent ou de 
cuivre, ornées de divers symboles et de légendes en brâhmi et 
en kharosthï, nous font connaître les noms de huit souverains 
locaux. Plusieurs de ces monnaies ayant été trouvées avec des 
demi-drachmes d'ApoUodotus, Cunningham admettait qu'elles 
pouvaient dater de 100 av. J,-C. environ. Les mêmes données 
sont résumées dans le manuel de E. J. Rapson [Indian Coins 
S/i3). Récemment enfin, dans The Cambridge history of India, 
1999, vol. I,p. 528-029, E. J. Rapson situait dans la 
deuxième moitié du i**^ siècle avant notre ère le règne de 
Dharâghosa, roi d'Udumbara, dont le monnayage est imité de 
celui du roi âaka Azilisês. En somme notre information, très 
sommaire, est principalement numismatique. Les quelques 
textes utilisés jusqu'ici ne font guère que nommer les Udum- 
bara; les monnaies donnent en outre quelques indications 
chronologiques, des noms, des figures et des symboles. 

Avant de chercher à éclairer certains points de l'histoire reli- 
gieuse et économique des Udumbara, il est nécessaire d'étudier 

(') Les habitants du pays d' Udumbara sont appelés en sanskrit : A udumbara 
et Udumbara. Dans le prâkrit des monnaies, la forme constante est Odumbara 
et c'est cette dernière que Cunningham a adoptée. 

Les légendes de ces monnaies ont été déchiffrées par Cunningham d'une 
manière souvent imparfaite et il convient de corriger les lectures qu'il en a 
données en tenant compte des travaux plus récents de Bergny et de Rapson. 
Cf. notamment J, R, A. S, 1900, p. /no-Aag. 

(*J Noter en outre la remarque suivante de V. A. Smith , Catalogue of the 
Coins in the Indian Muséum Calcutta, vol. I, p. 161 : wl learn from M. Raw- 
lins that Odumbara coins of Bhanumitra are trquite common» at the foot of 
the Manaswâl plateau, Hoshyârpur District r». 



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U^ ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 3 

au moins sommairement la toponymie (jlu haut Peûjab. Nous 
aurons ensuite à rechercher quelle était la langue des Udum- 
bara et la solution de ce problème entraînera plusieurs consé- 
quences importantes concernant révolution linguistique des 
langues indo-aryennes et le peuplement de Tin de avant Tère 
chrétienne, voire même à Tépoque préhistorique. 



LÀ ROUTE DU GANGE AU CACHEMIRE. 



Le Vinaya des Mûla-Sarvâstivâdin^^^ raconte la légende de 
Jîvaka et notamment son voyage au nord-ouest de l'Inde. Lç 
fameux médecin prend congé du roi de Taksasilâ et se rend 
dans la ville de Bhadramkara ^^^ où il passe Tété. Puis, voyageant 
au pays d'Udumbara^^^, il y guérit un malade, parvient ensuite 
au pays de Rohitaka^^^ et de là à Mathurâ [Dul-va, III, p. 99* 
et suiv. et cf. Ralston, Ttbetan taies, p. 99 et suiv.). La ville 
de Bhadramkara est nommée à plusieurs reprises dans un 
autre récit du même Vinaya, la légende de Men^haka (^Dulva, 
III, /is'; Divyâvadànaj IX et X, p. 1 a3 et suiv.; cf. Burnouf, 
Introduction à l'histoire du Bouddhisme Indien, a^ édition, p. 1 69 
et suiv.). Avantde se rendre dans cette ville, le Bu<ldha recom- 
mande aux religieux qui l'accompagneront d'emporter des vê- 
tements (^Divyâv., p. 13 5), sans doute parce que la température 



(^) En rédigeant la partie géographique de Ce mémoire, j'ai utilisé plusieurs 
fiches provenant d'un dépoui iement du Vinaya des Mûiasv". L'analyse détaillée 
de ce Vinaya, que M"" Marcelle Lalou a accepté d'entreprendre avec moi, pa- 
raîtra dans les Documents et travaux pour l'étude du Bouddhisme. 

(^) Tihet. bzan-byed. 

('») Tibet. U-dum-borva, 

f'^) Tibet. Ro-hi-ta-ka, 



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k JANVIER-MARS 1926. 

y était froide. Peut-être pour la même raison Jivaka choisit-il 
d'y passer Tété; il serait ensuite descendu dans des régions plus 
chaudes en traversant le pays d'Udumbara. 

Burnouf {^Introduction, p. 169 n. 1») a proposé d'identifier 
Bhadramkara au district actuel de Bahraitch (nord d'Aoude). 
Cette conjecture lui était suggérée par un texte que Wilford 
avait extrait du Brahmânda-purâna et qui cite les Bhadrakâra 
au nombre des tribus habitant, le Madhyadesa. Mais il ressort 
du texte du Divyâvadâna^p. 126) que les Tïrthya, chassés du 
Madhyadesa, s'étaient retirés à Bhadramkara. Ce nom ne peut 
donc désigner une ville du Madhyadesa au moins au IX*" cha- 
pitre du Divyâvadâna. 

Les Bhadrakâra sont également nommés dans le Mahàbhâ- 
rata{lly i4, v. Bgo) parmi les peuples qui fuirent la domi- 
nation de Jarâsandha. Il ne semble pas douteux que Burnouf a 
eu raison de rapprocher le nom de ville Bhadramkara et le 
nom de peuple Bhadrakâra. Il est vrai que la ville était au 
nord-ouest de l'Inde tandis que le Brahmânda-purâna place les 
Bhadrakâra dans le Madhyadesa, mais ceci n'est pas une dif- 
ficulté sérieuse. On verra plus loin que les Udumbara sont 
localisés dans les textes tantôt au nord-ouest , tantôt au Madhya- 
desa et qu'en fait, des tribus appartenant à un même peuple 
ont dû être dispersées dans plusieurs régions de l'Inde. 

L'ethnique Bhadrakâra fait songer aux Madrakâra qui, sui- 
vant d'anciennes traditions, étaient une tribu des Sàlva ou 
éâlva : 

Udumbarâs Tilakhalâ Madrakâra Yugandharâh 
Bhulingâh Saradandâé ca Sâlvâvayavasamjnkâh 

ff Udumbara, Tilakhalâ, Madrakâra, Yugandhara, 
Bhulinga et Saradanda, telles senties divisions des Sâlva«. 

[Candravrtti sur Candra, 11^ 6, io3.) 
Ce vers associe les Madrakâra aux Udumbara et cite en ter- 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 5 

minant les Bhulinga et les ISaradanda. D'autre part, dans le 
Râfnâyana, éd. bengalie, II, 70, i5, les messagers envoyés 
par Vasistha pour rappeler Bharata du pays des Kekaya fran- 
chissent la rivière Sarasvatî, puis la rivière Saradanda et entrent 
ensuite dans la ville de Bhulinga ^*l La rivière ISaradanda est 
sans doute la éatadru, leZaradros des Grecs ^^\ La rivière et la 
ville que rencontrent d'abord les envoyés, après qu'ils ont pé- 
nétré au Penjab par le sud-est, portent précisément les noms 
de deux tribus des Sâlva: éaradanda et Bhulinga. Jïvaka venant 
du nord-ouest arrive également au Penjab et son itinéraire 
, mentionne Bhadramkara (cf. l'ethnique Bhadrakâra) et Udum- 
bara. Or les Madrakâra et les Udumbara figurent parmi les 
tribus des ISâlva. Il semble donc que Bhadrakâra et Madrakâra 
désignent soit une même population, soit des populations voi- 
sines. 

On pourrait être tenté de considérer la variante bh/m comme 
une simple confusion graphique '^^ ; mais la forme Madrakâra 
n'est pas uniquement attestée dans la Candravrtti; le même 
vers se retrouve dans la Kâiikavrtti avec la leçon Madrakâra et 
d'autre part le peuple bien connu des Madraka ou Madra est 
associé aux Kekaya du Penjab par le Mahàhhàrata (II, 53, 

(') M. Sylvain Lévi, qui a étudie ce passage dans Pré-^ryen et Pré-dravidien 
(J. A., 1993, I, p. 17), admet que la forme bhulinga de la recension bengalie 
doit ôtre préiérée à kulinga qui figure dans la recension de Bombay et dans 
celle du Sud. Je ne vois aucune raison de préférer Bhulinga à Kulinga et 
i^alternance bhujku me parait aussi instructive que toutes celles qu'on observe 
dans les toponymes indiens. Cette alternance est d'autant plus digne de rete- 
nir l'attention qu elle reparait dans les recensions du Mahàbhârata où bhu- 
linga et kulinga désignent tous deux une espèce d'oiseau (Mahabh., Il y /i&, 
V. i545 et cf. recens, du Sud, II, 67, v. a 8). Il semble que le bhuUngalkuUn- 
ga était l'oiseau ëponyme des Bhulinga/Kulinga. 

t') Pour l'élargissement de certains mots sanskrits par une terminaison -nda, 
ef. 8ikha=séikhanda. 

î*^ Cf. la remarque suivante de M. Sylvain Lévi : «Les Madra (Bhadra n'en 
est évidemment qu'une variante fautive) sont célèbres dans les tradition^ 
épiques;. . • n {Pour l'hittoire du Râmâyana, J. A., 1918* I, p. ii3). 



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6 JANVIER-MARS 1926. 

V. 1870; VI, 6i, V. 9691, etc,)'^l Le MaÀâiAârato (II, 5a , 
V. 1870) mentionne les Bhadra, mais seulement dans larecen- 
sion de Bombay; la recension de Calcutta a Madra. Un autre 
fait de nature à prouver que les formes Bhadra et Madra ont 
une existence indépendante, se trouve dans la légende de 
Bbadrâ Kâksïvatï, épouse de Vyusitâéva [Mlib., I, isi, 
V. A 696 et suiv.). Cette reine aurail eu sept enfants : trois Sâl- 
va et quatre Madra. Si Ton admettait que les Madra avaient eu 
pour ancêtre une reine nommée Bhadra, c'est que les deux 
formes bh^m!' existaient séparément et qu'on avait conscience 
de leur parenté. Et sans doute considérait-on les Madra comme , 
une division des Bhadra. 

Cette opinion est renforcée par un récit du Vinaya des Sar- 
vâstivâdin qui montre le Buddha voyageant au pays de Sieou- 
^^ ^ fS^ (ou Sou-mo ^ I , variante de l'édition des Ming). 
Dans ce pays il y a deux villes, Tune appelée Fo-t'i |^ H, 
l'autre appelée Mi ^ (ChesongUu, XVI, 4, p. 67'). On verra 
plus loin que Fo-fi n'est autre que Bhadraipkara. Mi, qui 
transcrit le nom de l'autre ville en chinois, est un ancien *TnaS 
qui représente sans doute un original Mad(ra). Les deux formes 
Bhadra% Madra% désigneraient donc, d'après le Che song liu, 
deux localités distinctes d'un même pays habitées par deux 
tribus d'un même peuple. 

Il semble que Bhadra et xMadra représentent, non des va- 
riantes graphiques d'un même nom, mais plutôt deux pronon- 
ciations dialectales différentes. Ces formes ont pu tantôt s'appli- 
quer concurremment au même peuple, tantôt être affectées à 
des tribus voisines qui se nommaient elles-mêmes, l'une 
Madra, l'autre Bhadra ^^i. Ainsi s'expliquerait le fait que le Che 

Le Jâtaka pâli les associe également. Cf. éd. Fausbôll, VI, p. >j8o, 
V. 90 : Maddâ saha Kekakehi . . . 

'-^ En Indochine, par exemple, Tethnique fai est prononcé toi ou t'ai, sui- 
vant les régions, pai^ les tribus Tai elles-mêmes. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 7 

so}ig liu distingue deux toponymes: Bhadra et Madra, tandis 
que dans Ténuméralion des tribus des Sâlva, les Madrakâra 
seuls sont nommés. 

Quoi qui! en soit, un point par ailleurs est certain : la prin- 
cipale ville des Madra était oâkala (cf. Mahâbhâr., II, 82, 
V, 1 196; dans le JàtakafAiy éd. FausbôU, IV, p. 2 3o,l. 20, 
V, p. 283, 1. 26, etc. et dans le Dhammapadatthakathâ, II, 
p. 1 1 6 , la capitale du royaume des Madda est appelée Sâgala). 
Cette ville glorieuse dans le passé de Tlnde, que Fleet a iden- 
tifiée au moderne Sialkol (^Actes du XIV' Cordés des Orienta- 
listes, 1905, p. i64), était précisément sur la route entre 
Taksasiiâ et le pays des Udumbara. C'était la grande ville de 
cette région et Jivaka ne pouvait manquer d'y passer. Son iti- 
néraire ne mentionne en cette partie du voyage que la ville de 
Bhadramkara. Les textes s'accordent donc pour suggérer que 
Bhadramkara est un autre nom de oàkaia. Les Bhadrakâra 
étaient sans doute appelés ainsi parce que tel était le nom de 
leur capitale, de même que Kâsi, autre nom d« Bénarès, dési- 
gnait en même temps les habitants de cette ville. 

L'identification de Bhadramkara à Sâkala permet de mieux 
comprendre le début de la liste géographique des yaksa dans 
la Mahâmâyûn (éd. Sylvain Lévi dans /. A., 1915, vers 1-2 ) : 

Krakucchandah Pâtalïputre Sthûnâyâm cÀparàjitah 
Saito Bhadrapure yaksa Uttarâyâm ca Mânavah 

Le commentaire de M. Sylvain Lévi [ibid., p. 58) suggère 
la traduction suivante : 

Krakucchanda réside à Pâtalïputra et Aparâjita à Sthûnt; 

le yak§a Saila à Bhadrapura,et, dans la région du nord, Mânava. 

Après cette stance, la liste énumère des villes célèbres, 
sanctifiées par la légende du Buddba : Râjagrha, Kapilavastu, 
Srâvasti, etc. On attendrait, tout au début du texte, des villes 



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8 JANVIER-MARS 1926. 

au moins aussi fameuses. Si Bhadrapura est une ville secon- 
daire, sa place étonne; la mention de Sthùnâ dans le second 
pâda n'est pas moins inattendue : ce toponyme désigne un 
«village de brahmanes» (Sylvain Lévi, ibid. , p. 58). Admet- 
tons que Bhadrapura n'est autre que Sâkala^*^; on aperçoit 
aussitôt que cette capitale est mise en quelque sorte en paral- 
lèle avec Pâtalîputra; Tune et l'autre à cause de leur importance 
ont apparemment deux yaksa et sthûnâyàrfi dans le premier 
hémistiche, comme uttarâyàni, dans le second, ne sert proba- 
blement qu'à préciser la position du second génie. Skr. sthûnâ, 
comme pah thûnâ^^\ peut désigner le poteau du sacrifice; c'est 
un lieu qui convient à un yaksa. Sâkala , exposée du côté du nord 
à l'invasion étrangère, pouvait avoir dans sa banlieue septen- 
trionale un second temple de yaksa protecteur^^^ Je propose 
donc la traduction suivante : 

Krakucchanda réside à Pâtalîputra et aussi Aparâjita , près du poteau du 

sacrifice ; 
le yaksa Saila est à Bhadrapura et aussi Mâna va au nord (de la ville). 

Ainsi comprise, cette première stance éclaire le texte tout 
enlier. Elle place au premier plan, même avant les villes les 

(*) On objectera peut-être que Sâkala est nommée plus loin dans le même 
texte (v. 35). Mais ceci ne fait pas difficulté. Pâtalîputra est nommée deux 
fois (y. 1 et 67); Sâkala pourrait également reparaître une seconde fois. 
D'ailleurs, au vers a5 la leçon Sàkale n'est pas certaine (var. Sâkale , Mâlave , 
Sâkate). 

(*J Cf. Rhis Davids et Stedb, Pali-engliih dictwnary, s. v. thûnâ, La traduc- 
tion tibétaine ka-ba <( pilier» suggère un original ithûnà, 

(') Dans A-yu wang tchouan et A-yu wang king, quand le Buddha prescrit 
aux quatre Grands Rois de veiller sur sa Loi, il ne dit aux trois premiers que 
quelques mots ; mais , lorsqu'il s'adresse à Kubera , il insiste sur la nécessité 
de bien garder la Loi au Nord car elle sera menacée de ce cAlé par des rois 
cruels (Légende de l'Empereur Açoka, p. 3i3, n. /i). Les populations du Nord- 
Ouest se sentaient toujours menacées du côté du Nord. Cette crainte ne doit 
pas être étrangère au développement dans cette région du culte de Kubera , le 
roi des yùfifa, préposé au Septefttrion, 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 9 

plus saintes, la métropole des rois grecs qu'elle compare impli- 
citement à la capitale d'Aéoka. C'est un indice dont il convien- 
dra de tenir compte quand on voudra déterminer l'époque et 
le lieu de rédaction de la Mahâinâyûn. ' 



Bhadra , Madra sont des ethniques en quelque sorte officiels , 
attestés dans la littérature épique et religieuse. On peut se 
demander si des noms plus populaires n'étaient pas en usage 
à côté de ces formes savantes. 

L'un des récits de la vie du Buddha fournit peut-être sur ce 
point un indice de quelque valeur. 

L'épisode des marchands Trapusa et Bhallika est raconté 
dans le Dulva tibétain où le nom de Bhallika est traduit Ezan- 
po, «bon», ce qui suppose une forme sanskrite Bhadrika. En 
fait, à un groupe -dr- du skr. peut correspondre -//- en prâkrit 
(Pischel, Grammatik. . .^ S 3 9 4). On trouve même en skr. 
quelques mots ou -llr^c-dr" : ksulla, autre forme de ksudra, 
existe dans l'Atharvaveda et bhalla <z bhadra a été introduit en 
skr. classique ( J. Bloch , Formation de la langue marathe, S 1 A 1 ). 
Bhalla est d'ailleurs signalé comme terme «villageois» par Và- 
mana (cf. Regnaud, Rhét, SansL, p. i4i et J. Bloch, ibid,, 
index, s. v. bhala). L'adjectif bhadra devait donc être considéré 
comme l'équivalent aristocratique delà forme populaire bhalla. 
L'ethnique Bhalla n'est pas non plus inconnu. Il est cité notam- 
ment dans leGanapâtha(sur Pânini, 4,3, 76), avant Malla et 
Mâla. Malla manque, il est vrai, à la Kâsikâ; on ne saurait donc 
dire s'il a, dès le principe, fait partie du Ganapâtha. En tout 
cas Bhalla est à Bhadra comme Malla est à Madra et puisque 
nous trouvons associés, voire même confondus, Bhadra et Ma- 
dra , il n'est pas surprenant de trouver côte à côte Bhalla et 
Malla (ou Mâla). 



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10 JANVIER-MARS 1926. 

Les Malla (ou Mâla) du nord-ouest sont sans doute les Mal 
loi des écrivains grecs. Arrien tes cite parmi les confédérés qui 
résistèrent à Alexandre dans la région de Sungala. D'autre 
part le témoignage des monnaies oblige à situer les Màlava 
quelque part au nord du Penjab ^^l Dans la même région Pâ- 
nini (5, 3, 1 1&) connaît également les Mâlava, groupe («ai/i- 
gha) vivant du métier des armes et faisant partie des Vâhîka. 
La Paramaùhajottkâ en pâli connaît en outre un roi nommé 
Maddavo qui règne à Sàgala dans le royaume de Madda ^'^L 
Malla, Mâla et Màlava du skr., Madda et Maddava en pâli 
forment une série onomastique dont tous les termes se loca- 
lisent au Penjab. 

La Brhatsarjihîtà qui distribue les peuples de Tlnde suivant 
les divers orients, sans trop s'inquiéter peut-être de leur situa- 
tion réelle, place au nord-ouest les Madra, [Parâéara les omet, 
mais nomme en revanche les Malla], au nord les Madraka [que 



(^) Je ne puis mieux laire que reproduire ici la remarquable conclusion de 
M. Ë. J. Rapson, dans son article sur The Kulutai, a people of Northern India, 
J. R, A, S. 1900, p. 599 et suiv. : «rThe exact détermination of the territorv 
of the Màlavas is a well-known puzzie in Indian topography. The évidence of 
coins, associatin^r them with the Yaudheyas and Arjunâyanas, tends to place 
them soraewhere in the north of the Penjab. They are placud by Varâhamihira 
in the northern division , and in every case but one in which they are mentio- 
ned in the Brhat-samhilâ they are associa ted with northern peoples. M. Fleet 
solves thîs diffîculty boldiy by saying : cr Varâhamihira places them too much to 
«rthe north; as they are undoubtedly the people of Mâlwa, from whom (see 
vind. AnL, vol. XX, p. /io4)the Vikrama era derivedits original appellation». 
But is it not just possible that there may really bave been two peoples — tlie 
Màlava of the north represented by the MaAAoi of the Greek writers, by the 
coins having the inscription Mâlavànàtn jaya[h] , by the Malaya of the Mu- 
drâraksam, and by the Mo-lo-io ( Mo-îo-po) of Hiouen Thsang; and the better- 
known Màlava of the south called Mo-lo-po by Hiouen Thsang ?7) 

(*) Cf. Paramatthajotikà, éd. Helmer Smith, II, p. 69* : Maddarat^he Sâga- 
lanagaraifï agamaifiiu, Sàgalanagare Maddavo nàma ràjâ . . . Noter en outre que 
dans le Mahàbhàrata, Màlava est le nom d'un roi des Màlava et Mâlavî celui 
dp réponse d* As vapati , roi des Madra (Mahàbhâr., VII, 17, v. 691 et III, 
293, V. 16637). 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. U 

Paràsara nomme Madra] et au nord-est les Bhalia, ceux-ci 
venant immédiatement après les Kauninda qui sont, en fait, 
un peuple du Penjab- Le Mârkandeya-purâna donne une liste 
analogue à celle de la Brhcitsarj^hitâ mais substitue aux Bhalia 
les Pahlava (cf. Kirfel, Die Kosmographie der Inder, p. 87- 

En regard de la série Malla, Màla, Malava, ôii -âl est l'équi- 
valent de -a//-, on est tenté d'écrire parallèlement Bhalia, 
*Bhallava. Et dès lors se pose la question suivante : *Bhallava 
n'est-il pas le chaînon qui relie Bhalia et Pahlava cités tous 
deux à la même place, l'un dans la Brhatsarjihùâ, l'autre dans 
le Mârkandeya-purâna ? 

M. T, Grahame Bailey nous apprend (^Ltnguistic studies rom 
the Himalayas, 1920, p. ii5) que, dans la zone himalàyenne 
voisine du Penjab, l'aspiration recule parfois au delà de la 
voyelle. On a au Gamba : bhât, ghdr, ghâra, et à Simla : bàht, 
gàuhr, gôhro.En penjabi septentrional la sonore aspirée initiale 
perd son souffle comme à Simla , mais ce phénomène s'accom- 
pagne d'un assourdissement de la sonore bh^p. 

Un procès analogue pourrait avoir produit la forme Bâhlïka : 
l'ancienne sonore aspirée se serait également dédoublée et le 
souffle aurait reculé après la voyelle sans toutefois que celle-ci 
fût assourdie. On pourrait donc poser en regard de Bahlika un 
autre dérivé de Bhalia : Bhallika heureusement conservé en 
sanskrit et en pâli comme nom d'un célèbre caravanier. 

En fait, dans le Râmâyana et dans les Purâna, Bâhlïka dé- 
signe non seulement le pays de Balkh, mais encore un peuple 
du Penjab dont le nom est souvent altéré en Bâhika (cf. Par- 
giler, 57, 35, et Sylvain Lévi, Pour Vhist. du Râmâyana, 
p. ii3). Bàhlikï est dans le Mahâbhârata (I, i95, v. 4886) 
un autre nom de Màdri, reine des Madra. 

On voit que la grande épopée, si riche en noms propres, 
marque souvent la parenté qui unit les formes l'une à Tautre : 



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12 JANVIER-MARS 1926. 

Mâlavî est Tépouse du roi des Madra; Bhadrà est mère des 
Madra: Bâhiikî est un autre nom de Mâdrî, reine des Madra. 
Si l'on groupe les formes comparables que fournit l'ono- 
mastique du Nord-Ouest, on obtient le tableau suivant limité 
aux noms les plus caractéristiques : 



Bhadra. 


Madra. 


Bhadrika. 




BhaUa. 


MaDa. 


Bhallika. 


Mâiava. 


Bâiiii. 




Bâhlîka. 








Bâhîka. 





Ce n'est pas ici le iieu de discuter Torigine de ces noms ni 
d'en tirer tous les enseignements qu'ils comportent ^*l On voit 
du moins qu'un même ethnique Bëblîka était répandu au 
Penjabet au nord de l'Afghanistan. Cette rencontre peut s'ex- 
pliquer de diverses manières. On admettra difficilement qu elle 
soit fortuite. Ilest plus vraisemblable que les Bàhlîka du Pen- 
jab et ceux de Bactres étaient réellement apparentés : la fron- 
tière du nord-ouest de l'Inde, si souvent franchie aux temps 
historiques, doit l'avoir été à toutes les époques, et ceci pour- 
rait expliquer la présence des Bâhlïka en deçà et au delà. Le 
Mahâbhârata fournit d'ailleurs un curieux indice en faveur de 
cette thèse. Bhadrâ, l'aïeule légendaire des Madra et des Sâlva, 
aurait été l'épouse du roi Vyusitàsva, Ce dernier nom rappelle 
les composés iraniens en -aspa et en particulier Vistâspa, nom 
du père de Darius et aussi du roi fameux que la tradition fait 
régner dans l'Iran oriental et qui fut le protecteur de Zoroastre. 



(*^ J'admettrais volontiers que vx. perso bâxtri, avest. bâxSî, skr. bhadra 
reproduisent imparfaitement un même ethnique dont la forme originale reste 
à déterminer et dont le caractère indo-européen n'est rien moins que certain. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES DDDMBARA. 13 

Si Bhadra, Madra, etc., désignent un peuple apparente 
aux Bactriens, on comprend que ces étrangers aient été méprisés 
parles défenseurs de Torthodoxie brahmanique ( cf. ^aA/îMâr., 
vin, /io,v. i835 et Sylvain Lévi, B.E.F.E.^0., i9o4,p. 56). 
Cette aversion doit avoir contribué à changer Bâhlika en Bâ- 
hîka par un jeu de mots auquel se prétait ce nom propre : 
bâhtka signifie «qui est du dehors, de l'extérieur ». Les Bac- 
trions étaient peut-être d'autant plus exécrés qu'ils semblaient 
avoir défiguré les dieux aryens et modifié les traditions les plus 
vénérables. C'étaient aussi des voisins dangereux. Pânini, 5, 
3 , 1 1 /( , fait allusion aux habitudes belliqueuses des Bâhîka ■ 
et les historiens ont noté la résistance des Malla lorsque 
Alexandre voulut s'emparer de Sâkala. Il semble que, long- 
temps avant les invasions des Indo-Scythes et des oâka, anté- 
rieurement même à l'expédition d'Alexandre, des fiactriens, 
descendus de l'Afghanistan, avaient déjà pénétré dans l'Inde 
et conquis au moins le Penjab ^^K 

Parce que les oâlva prétendaient avoir pour ancêtres Vyu- 
sitàéva et Bhadrâ, faut-il conclure que les peuples de cette 
confédération : Udumbara, Tilakhala, etc., étaient tous de 
race iranienne ? Ce serait aller beaucoup trop loin. Il est vrai- 

^^^ Si certaines tribus — apparemment iranisées , mais dont rien ne permet 
d'aflGrmer qu'elles fussent indo-européennes — s'avancèrent avant Alexandre 
au sud de l'Hindou-Kouch , on s^explique mieux la diffusion de plusieurs noms 
ethniques ou géographiques et certaines anomalies phonétiques qui apparaissent 
sporadiquement au nord de Tlnde et dans llran. Sâkala, qui paraît bien dé- 
rivé de Sâka (Scythe), est un nom ancien de la capitale du Penjab. L'alter- 
nance Bhadra/lVIadra n'est pas sans équivalents dans l'onomastique iranienne. 
Rappelons seulement (S)merdis (= Bardiya). Les Kasmiri, qui ont donné leur 
nom au Cachemire, sont déjà nommés dans le Rg Yeda. Ptolémée situe à l'est 
du Bidaspés le pays des Kaspiraioi, la Kaspiria, où sont notamment les villes 
de Batanagra et de Kaspeira. D'autre part, la Caspienne était appelée Kaspe- 
ria, et M. Autran a déjà rapproché de ce dernier nom celui de Caspiri, «que 
les Sabins donnent les premiers aux Perses 77 (BabyUmioLca , VIII, p. i/i5). 
Il semble donc qu'un même nom (avec alternance /)/m) jalonne la route qui 
conduisait de Scythie au Penjab. 



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J 



U JANVIER-MARS 1926. 

sèmblabie que des Bactriens avaient organisé ces tribus, mais il 
ne semble pas que les masses ainsi encadrées fussent ira- 
niennes ou indo-aryennes. On verra plus loin qu'elles avaient 
au contraire d'étroites affinités avec les populations kol (ou 
munda) qui se sont maintenues jusqu'à nos jours dans la ré- 
gion de Chota-Nagpur. 

* 

Dans la section des Remèdes du Vinaya pâli, le dernier 
bhànavàra ou « portion de récitation » se compose d'une série 
d'épisodes encadrés dans le récit d'un voyage du Buddha. Le 
Bienheureux va d'abord de Vesâlï h Bhaddiya-nagara (vi, 347 
lo), puis il se rend à Sâvattbî en passant par Anguttarâpa, 
Àpana, Kusinârâ et Àlumâ^*^ Le même voyage est raconté 
dans la version tibétaine du Vinaya des Mûlasarvâstivâdin 
(^Dulrva,'in, iâ'), mais fait défaut dans la version chinoise du 
même Vinaya par Yi-tsing. L'original sanskrit du premier épi- 
sode, celui de Mendhaka, constitue les chapitres ix et x du 
Divyàvadâna. Enfin le Vinaya des Sarvâstivâdin contient un 
récit comparable (CAe song bu, xvi, 4, p. 67' et suiv.). 

La ville où se rend d'abord le Buddha est appelée : en pâli, 
Bhaddiya-nagara; en sanskrit, Bhadramkara et dans le Che 
song liu, Fo't'i. Cette transcription chinoise est plus voisine 
du pâli Bhaddiya que du sanskrit Bhadramkara, mais il s'agit 
certainement de la même ville comme Tindiquent sa place 
dans l'itinéraire et l'analogie des trois noms. M. Sylvain Lévi 
admet qu'elle était située « à lest de Pâtalïputra , vers le delta 
du Gange w (^Catalogue géographique des Yaksa, J. A,, igiB, 
p. 60). Celte localisation est impossible pour plusieurs rai- 



(^) Pour un itinéraire analogue, cf. Mahâvagga, V, S 8 et 9. Le Buddha 
se rend de Bénarès à Bhaddiya et de là à Sâvatthî. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. tS 

sons^^l On a vu plus haut que Jlvaka, se rendant de Taksaéilâ 
au pays des Udumbara, passe Tété h fihadramkara, ville du 
Hfiut-Penjab. Dans l'épisode de Mendhaka, il s'agit encore 
d'une ville du Nord-Ouest, puisque le Buddha en partant de 
Bhadramkara pour revenir vers ISrâvastî traverse un pays où 
il reçoit une offrande de raisins (^Che song liu, xvi, 4, p. 68", 
col. 19; cf. Dul-^a, m, Bg*"). La vigne ne pousse pas dans 
rinde orientale. Le caravanier Mendaka qui demeure à 
Bhaddiya possède des moutons précieux ^^\ animaux fabuleux 
sans doute, mais ce trait est bien à sa place dans un pays pro- 
ducteur de laine et voisin de l'Himalaya, tandis qu'il serait 
déplacé dans le delta du Gange. 

Nous n'avons pas à étudier ici tout l'itinéraire du Buddha. 
Il suffira (l'indiquer, d'après les divers textes, les étapes voi- 
sines de Bhadramkara. Dans le Dul-va, la première région 
nommée après celte ville est le pays de U-du-ma. Or, dans 
Vavadâna de Jîvaka, ce médecin, après avoir quitté Bhadram- 
kara, pénétrait au pays des Udumbara. On peut admettre 
que U-durma est une transcription imparfaite ou tronquée de 
Udumbara ^^^. 

Dans le Commentaire du Dhammapada (III, p. 363), le 
Buddha avant d'arriver à Bhaddiya traverse le pays des Angut 
tara. Dans le Mahâvagga pâli il passe à Angultarâpa après 

(^) Cette remarque s'applique uniquement à la ville dont il est question 
dans les avadàna de Mendhaka et de Jîvaka. Bien .entendu , je ne prétends 
pas afErmer qu'il n'existait pas ailleurs d'autres villes portant le même nom , 
ou à peu près le même nom. Dans la liste des yaksa de la Mqhàmâyûrî, la 
première stance mentionne la ville de Bhadrapura qui n'est autre que Bha- 
dramkara et plus loin (vers 66) il est question d'une ville nommée Bhadrikà. 
M. Sylvain Lévi admet que Bhadrikà est probablement identique à Bhadra- 
pura (ibid., p. 99), mais ceci me parait impossible. Bhadrapura est une ville 
du Nord-Ouest tandis que Bhadrikà est voisine de Pàtalîputra. 

^*J Cf. Dkammapadatthakathâ , III, p. 363, et IV, p. 'J17. 

(^^ Le récit du Che song liu est aberrant. 11 mentionne toutefois l'offrande 
de raisins (p. 68'» col. 19). 



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16 JANVIER-MARS 1926. 

avoir quitté Bhaddiya pour revenir vers l'Est. Anguttarâpa et 
Anguttara sont probablement calqués sur un même toponyme 
déformé par les auteurs bouddhiques^^^. 

Le Vinaya pâli, au récit du deuxième concile, indique les 
principales étapes du voyage de Revata (^Cullavagga , xii, 9), 
Le Vénérable en quittant Kannakujja se rend à Udumbara, à 
Aggafapura ^^), puis àSahajâti. On vient de voir qu'après avoir 
quitté Bhaddiya-nagara, le Buddha, se dirigeant vers l'Est, 
passait à Anguttarâpa. Jïvaka voyageant dans le même sens 
passe à Bhadramkara et traverse le pays des Udumbara. Enfin 
Revata, après Udumbara, atteint Aggalapura. Si Anguttarâpa 
est la déloimation dun ancien toponyme, Aggalapura ne 
peut*il dériver du même original? De "^râpa à ""pura, ou inver- 
sement, ia transition est aisée dans le domaine où s'exerce la 
fantaisie populaire. Afigutta et Aggaja sont également voisins 
et Vu qui manque à Aggaja se relrouve précisément dans'^pura. 

Anguttarâpa et Aggalapura se trouvent tous deux dans le 
Vinaya pâli. Un autre itinéraire qui a été étudié par M. Syl- 
vain Lévi contient peut-être la transcription chinoise du nom 
sanskrit de la même ville. «Tche Mang en se rendant de Sa- 
kala à Robîtâka, c'est-à-dire de Sialkot à Rohtak, passe par 
Pin-k'i-po4o, 'Pp^Ka m-he et i4-A;/fl-/oti-^ o==Agroda (le Fan- 
lan-yu explique Ce^«in pAr t'i yi Jan f^ -^ ^ «bouillie de 
première qualité» «a Agrodana; finterprétation est fantaisiste). 



('^ Dans un autre récit de DhammapadaUhakathà (I, p. 385), la ville de 
Bhaddiya est localisée au pays des Aiiga. Puisqu'il existait non loin de Pâtalî- 
putra une ville nommée Bhadrikâ (cf. iupra, p. i5, n. 1), on conçoit faci- 
lement que les commentateurs du Dhammapada aient pu confondre cette 
ville avec son homonyme du Nord-Ouest. Une confusion analogue , due à la 
ressemblance des noms, explique à mon sens que dans Paramatthajotikâ , 
Anguttarâpa soit localisée au pays des Anga. 

(*) Udumbara et Aggalapura ne figurent pas dans Titinéraire de Revata au 
récit correspondant du Vinaya des Mûlasv. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 17 

Sur la route de Siaikot à Rohtak , à i'ouest-nord-ouest de Roh- 
tak, se trouve Agroha, «ancienne ville, dit le Gazetteer de 
Hunier, à i3 milles nord-ouest de Hissar; c'est le siège ori- 
ginal des Agarwala Baniyas; la place a été jadis de grande 
importance . . • Depuis que Shahab-ud-din Ghori s'en em- 
para en 119a, les Agarwala Baniyas se sont dispersés dans 
toute la péninsule. Le clan comprend plusieurs des hommes 
les plus riches de Tlnde. » Nous pouvons donc affirmer que 
Agrodaka^^^ (ou Agrotaka) est la bourgade actuelle d'Agroha» 
(Le Catalogue géographique des Yaksa, /• 4., igiB, 1. 1, p. 65- 
66). Agroda (ou Agrodaka), qui vient avant Rohitaka dans 
l'itinéraire de Tche Wang, c'est-à-dire sur la grande route du 
Nord-Ouest, paraît être le nom sanskrit de la ville qui est 
appelée en pâli Aggalapura ou Anguttarâpa. Angutta®, Agga- 
la* et Agroda** dériveraient alors d'un même toponyme modifié 
par l'étymologie populaire pour obtenir un sens en pâli ou en 
sanskrit : ahguttara, aggala-\-pura, agra-\-udaka. 

Cette hypothèse trouve contirmation dans un des autres iti- 
néraires précédemment analysés. Dans la version tibétaine du 
Vinaya des Mûla-Sarvâstivâdin, le Buddha quitte Bhadram- 
kara, réside au pays d'U-du-ma (Udumbara), puis à *bab chu 
rab'tu bzah-nw'i 'gram-du, c'est-à-dire «au bord de la Rivière 
Excellente» [Dul-va, in, ôa**). L'original sanskrit portait 
probablement *Agrodake, «à Agrodaka». Les traducteurs tibé- 
tains ont cru qu'il s'agissait d'un cours d'eau et ils ont traduit 
udaka par *bab chu «eau courante, rivière» et agra par rab-tu 
bzan-mo «excellente»; enfin la marque du locatif a été inter- 
prétée 'gram-^u « au bord de ». 

Avant de parvenir à Agroda(ka), Tche Mang venant de 
Sâkala passait à P'o-tcKa na-kie. Cette transcription suppose 
un original tel que *Batanagara ou *Bathanagara. Or Cunnin- 

(^) Agrodaka est la leçon de la Mahdmâyûrî. 



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18 



JANVIER. MARS 1926. 



gham a noté qu'en iBg/i, dans l'ancien pays des Udumbara, 
Vasu Deva Zaminkâr (Râja) de Man et Palhân se rovolla 
contre Akbar (Cunningham, Earty Coins, p. 67). Le râja local 
tirait son litre du nom du dislriçt de Pathân. Le même nom 
se retrouve aujourd'hui dans Pathànkot, localité où l'on a 
trouvé de nombreuses monnaies des Udumbara et Cunningham 
a proposé d'identifier Pathân ou Pathâna au Batanagra de 
Plolémée (ibid,, p. 67), Fo-icKa na-kte, de l'itinéraire de 
Tche Mang, paraît cal(|ué sur le même original que reproduit 
Ptolémée; et le pays des Udumbara était précisément situé 
entre Sâkala et Agrodaka. 

En somme, exception faite pour Revata qui fait un voyage 
circulaire, les voyageurs que nous avons suivis empruntent 
tous la même route et, malgré les omissions ou les erreurs 
des textes, ce sont toujours an fond les mêmes noms qui re- 
paraissent. Le tableau suivant permet de mieux s'en rendre 
compte : 



Avad. de Jîvaka. 


Bhadram- 
kara. 


Udumbara. 




Rohitaka. 
Rohîtaka. 


IDul'Va, 
Avad, de\ 


Bhadram - 
kara. 


Udmna. 


'bab èhu rab-tu 

bzan-nw, 

(Agrodaka?) 

Angutlarâpa. 


dhaka. / Vmaya 


Rhaddiya. 




liin.de Tche Mang. 


Sâkala. 


P*o-tch^a na-kie, 
( BathaDagara ?) 

Udumbara. 


Agroda(ka). 
Aggalapura. 


Voyage de Revata. 



Uavadâna de Mendbaka est le récit de l'introduction du 
bouddhisme à Bhadramkara. Le Buddha se rend dans cette 
ville habitée par les hérétiques et, grâce à l'appui du riche 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 19 

caravanier Mrndhaka^^^, il réussit à y (établir la Bonne Loi. Ce 
récit prétend ennoblir les événements en les reportant au temps 
du Buddha, mais ses auteurs s'inspirent évidemment de tradi- 
tions moins anciennes. 

J'ai indiqué dans un précédent ouvrage comment les mar- 
chands ont dû contribuer à la diffusion du bouddhisme le long 
des grandes voies commerciales de ilnde, notamment sur la 
route qui, par Mathurâ, relie la basse vallée du Gan};e au 
Cachemire (La Légende de l'Empereur Açoka, p. lo et suiv.). 
Unvadâna de Mendhaka illustre cette expansion d'une manière 
singulièrement vivante. En outre le douzième chapiire du 
Cullavagga pronyie qu'avant la rédaction du Vinaya pâli, cesl- 
à-dire vraiseniblablempnt avant le début de notre ère, la capi- 
ta'e des Udumbara et la ville d'Aggajapura comptaient parmi 
les citadelles du bouddhisme dans les régions du Nord-Ouest. 

Le témoignage des monnaies et celui des textes bouddhiques 
relatifs aux Udumbara sont donc concordants. Ils nous révèlent 
l'existence et ia position géographique d'un peuple parvenu à 
un assez haut degré de culture et de prospérité matérielle 
avant le début de l'ère chrétienne. Il en sort deux faits essen- 
tiels : les Udumbara sont établis sur la grande route de com- 
merce qui, par iSâkala, Agrodaka, Rohitaka, conduit de 
Taksasilâ dans la vallée du Gange; de plus, convertis au 
bouddhisme, ils sont parmi les champions de l'Eglise dans les 
régions occidentales. 

A quelle époque ce peuple entre-t-il dans l'histoire? Il est 
impossible de le préciser. Le Ganapâtha sur Pânini (4,2, 
53) classe les Udumbara près des Jâlandharâyana. Mais ceci 

(*) Merdhaka, auquel correspond Mendaka en paii, signifie «bélier». Aja, 
qui dés'gne le bouc, a servi à former le nom d'un roi des Udumbara : Aja- 
mitra (cf. Cdnningham, Coins of Ancient India, p. 69). D'autre part, Sâlva, 
roi des Sâlva, est une incarnation de TAsura Ajaka (cf. Mahàbh,, I, p. 67, 
vers 9 653). 



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20 JANVIER-MARS 1926. 

ne nous apprend pas si les Udumbara formaient un état indé- 
pendant lorsque le Ganapâtha fut composé. 11 n'est pas inutile 
de consulter sur ce point les historiographes d'Alexandre. 
Après avoir narré la défaite de Porus, Arrien (livre V, chap. v) 
raconte comment Alexandre parvint à THydraotés (Irâvatï) et 
détacha une partie de son armée pour subjuguer les popula- 
tions qui habitaient les bords de ce fleuve et les ajouter aux 
états de Porus. 11 apprit qu'un grand nombre de peuples indé- 
pendants Taltendaient sous les murs de Sangala (Sâkala) et 
marcha contre eux. Il ressort de tout ce chapitre qu'au temps 
de l'invasion d'Alexandre, Porus et Abisarés n'avaient pas 
réussi à établir leur hégémonie sur les peuples du Haut-Indus 
et que le Penjab était divisé en plusieurs petits états. Parmi 
ces populations indépendantes figuraient sans doute les Udum- 
bara qui ne sont pas nommées par Arrien, mais que connaii 
le Ganapâtha. 

Comment s'explique la prospérité matérielle de ce peuple 
attestée par l'abondance relative de monnaies qui portent son 
nom? Il faut évidemment tenir compte de sa situation avan- 
tageuse sur la grande route du Magadha au Cachemire. En 
outre, établis au débouché de plusieurs vallées himalayennes, 
les Udumbara étaient les intermédiaires obligés entre la mon- 
tagne et la plaine. Aujourd'hui encore Pathânkot, tête de ligne 
du chemin de fer d'Amritsar, est le point où se joignent les 
routes commerciales de Chamba, Nùrpur et Kângra (Hunter, 
Gazetteer of India, s. v. Pathânkot). 

Les industries locales constituaient sans doute une autre 
source de richesses. On sait que les plateaux himalayens nour- 
rissent des troupeaux dont la fine toison (jpashmina) sert à 
fabriquer des étoffes précieuses. De tout temps ces lainages 
ont été l'un des principaux objets d'échange entre les habitants 
des hautes vallées et ceux des plaines [Le Parinirvâna et les funé- 
railles duBuddha, J. A,, igao. p. iqo-iqi). La persistance 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 21 

dans cette région des industries domestiques survivant aux 
bouleversements politiques nous permet d'induire de l'état 
présent' ce qui se faisait autrefois. Or le Gazetteer de Hunter 
signale une florissante industrie de lainages et de châles dans 
la ville actuelle de Pathânkot , c'est-à-dire dans un des princi- 
paux sites de l'ancien pays des Udumbara. Ceci montre de 
quel côté nous devons poursuivre notre enquête. Ce que les 
avadâna ont omis de dire concernant l'activité économique des 
Udumbara, les textes relatifs au commerce des étoffes vont 
nous l'apprendre. 

II 

Les ÉTOFFES/DE KODUMBARA. 

Entre toutes les villes du Penjab, Sâkala ou Sigala eut une 
destinée particulièrement brillante. Ville forte au temps 
d'Alexandre, elle est alors le centre de la résistance du Haut- 
Penjab, mais ne peut échapper au conquérant. Vers 180 avant 
notre ère, le roi grec Demetrios conquiert le pays et fixe sa 
capitale à iSâkala qu'il appelle Euthydemia en souvenir de son 
père Euthydemos ^^^ Après une période troublée, Ménandre 
rétablit, vers 1 55 , l'empire de Demetrios et fixe probablement 
sa capitale à ISâkala. Dans le Milinda Pahha qui met en pré- 
sence ce roi grec et le patriarche Nâgasena, la description de 
Sâgala est instructive. L'auteur insiste sur la richesse de la 
ville et cite, parmi les marchandises précieuses qui y affluent, 
les étoffes de Kâsi et celles de Kotumbara, hâsika-kotumhara- 



(') Cambridge Hist. oj India, p. 4ii5-6/i6et5i9. M. Bapson considère comme 
conjecturale la correction de Evdvjxi^t^/a (PtoL, I, /i6) en -ê-nfiia. Cf. toutefois 
la leçon EvdvS^ftsia (Nonn., XXVI, 338) citée par L. Renou, La Géographie 
de PtoUmée, p. 80. 



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22 JAMVIEH-MAHS 1926. 

kâdi-nânâvidha-vailhâpnna'Sampannani . . . (éd. Trenckner, p. a). 
Ces tissus sont également mentionnés dans le Vessantara 
Jâtaka kâsikânt ca dharelvâ khomakodumbarâni ca. * . «ayant 
porté des étoffes de Kâsi, de lin et de Kodumbara . , . v 
(FausbôH, Jât., VI, n** 667, vers 117). Le même mot re- 
parait parmi des noms d'éloffes dans le Mahâjanaka Jâtaka 
kappâsakoseyywn khomakotumbarâm ca « des étoffes de coton , 
de soie, de lin et de Kolumbara» (FausbôU, VI, p. 4 7, 
vers 166). Le commentateur glose ainsi ce dernier passage : 

Kopimbarâniti Kotumbara-ratthe utthita-vatthàni. 

Les Kotumbara sont des étoflfes produites dans le royaume de Kotum- 
barat*). 

On voit que la forme du mot était mal fixée en pâli. Les 
scribes hésitent entre towmWa et kodumbara^^K D'autre part, 
le mot sanskrit correspondant fait défaut dans nos dictionnaires 
européens mais il est facile de le reconnaître sous les transcrip- 
tions chinoise et tibétaine. 

Le Vinaya des Mûlasarv. énumère à plusieurs reprises les 
étoffes dont les religieux sont autorisés à se vêtir. Le sixième 
article de cette liste est, en tibétain, ko-tam-pa auquel corres- 
pond en chinois kao-tchan-po-kia Mt^MM (cf. Dul-va, I, 
p. 84', et Yi-tsing, XVI, 8, p. 87% col. 7). Après cette tran- 
scription, Yi-tsing ajoute la glose suivante : J: ^^% «étoffe 
de laine de qualité supérieure ». Le dictionnaire japonais Ekô, 

(^) Le commentaire sur Vessantara-jâlaka , vers 117, explique de même : 
khomakodumbaraniti Kodumbararatlhe uppannâni. 

(*) En lisant Tédition de Kausbôli , on pouvait se demander si kotumbara 
n'était pas une leçon singalaise tandis que kodumbara aurait été conforme à 
la tradition birmane. M. Dines Andersen, à qui j'exprime ici mes vifs remer- 
ciements, a bien voulu consulter sur ce point le manuscrit Rask de Copen- 
hague, le meilleur représentant de la tradition singalaise qui se trouve en 
Europe. 'Au passage correspondant à Jàt., VI, p. 5oo-5oi, ce manuscrit a 
kodumbara dans le texte, mais kodumbara, deux fois, dans le commentaire. 
La tradition singalaise a donc également connu -d- à côté de -t-. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 23 

p. 9 16, reproduit la liste d'étoffes du Vinaya des Mûlasarv. et 
pour l'explication de kao-tchan-po-kîa, il rerivoie à \di Mahâvyut- 
palli, p. 980, 5, qui donne l'original : kotamhaka. 

De ce que ce mot sanskrit manque à nos dictionnaires, il 
ne faudrait pas se hAter d'induire qu'il fait défaut dans les 
textes. Il se peut que les éditeurs n'aient pas su le reconnaître 
et qu'une lecture plus attentive des manuscrits nous permette 
de l'y retrouver. Dans son édition du Saddharmapundarîka 
(p. 89, V. 89), Kern écrit : . . . koccairbakahamalaksanaih et 
comprend (traduction, p. 88) : «choice carpets showing the 
images of crânes and swans. » Il est vrai qu'en note, dans son 
édition, Kern avoue : «our reading conjectural, cf. kocca 
(^Divyâv., index 678), paliAoccAa, skr. kûrcaji. Pour légitimer 
sa lecture, Kern emprunte au Divyâv. un mot kocca dont 
l'existence esl douteuse. On lit bien à l'index de cet ouvrage : 
koccaka, perliaps = pali koccham, couch (or pillow according 
to Dickson); mais si l'on se reporte au texte du Divyâv., on 
constate que les manuscrits ont le plus souvent kocava auquel 
les éditeurs ont substitué koccaka de leur propre autorité. Or 
kocava peut répondre au pâli kojava «couverture ou tapis de 
haute laine ïî. Le kocca de Kern est donc* doublement conjec- 
tural. En fait les manuscrits du Saddharmapundarîka donnent : 
kotyai, koUa, kodam, kotâ, kot, koUâm, où reparaît constam- 
ment une cérébrale d ou t simple ou géminée. Je propose donc 
de lire : kotamhakair harnsa-laksanaih ^ des étoffes kotamhaka 
ornées d'images de flamants )). 

On voit par ce qui précède que, dans l'Inde ancienne, cer- 
tains lainages de qualité supérieure étaient appelés en pâli 
kotumbara, kodum"*, et en sanskrit kotamhaka. Le commentaire 
pâli explique la première de ces formes en la faisant dériver 
d'un nom de pays : Kotumbara. 

Où était situé ce royaume ? UAhhîdharma-mahàvtbhàsà, dont 
il existe deux traductions chinoises, mentionne le *Kutumba 



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24 JANVIER-MARS 1926. 

parmi les affluents de i'Oxus. M. Sylvain Lévi, après avoir cité 
ce texte (^Pour rhisioire du Ràmâyam, /. i4«. , 1 9 1 8 , 1 , p. 1 5 1 ) , 
ajoute : ^he Kutumba ou Kudumba, le dernier des «subor- 
donnés» de i'Oxus, rappelle d'une manière saisissante le pays 
de KteoU'lieou-mo Ruduma, que la version chinoise du Sp. 
range à la fin de la liste des peuples du Nord; le tibétain écrit 
kutuka, et les manuscrits sanskrits de la recension A lisent kad- 
vola, vatvaka, katuna, . . » Avons-nous le droit de rapprocher 
le nom de la rivière *Kutumba, celui du pays *Kuduma, celui 
des étoffes kotumbara et d'en conclure que ces étoffes étaient 
produites dans la région de TOxus? Ceci paraît fort douteux. 
Rien ne prouve que le pays *Kuduma fût situé dans cette ré- 
gion ni qu'il ait jamais produit des lainages. Le mot *Kuduma 
d'autre part est une restitution douteuse que ne confirment ni 
le tibétain kutuka ni les leçons des manuscrits sanskrits. Quant 
au passage précité de X Abhidharma-mahàvthhâsâ , il est difficile 
de lui attribuer une grande valeur géographique. Pour chacun 
des quatre fleuves qui sortent du lac mythique Anavatapta, ce 
traité de métaphysique énumère quatre «subordonnés». Les 
affluents de I'Oxus peuvent avoir reçu des noms de fantaisie. 
On sait qu'à défaut de notions précises sur la géographie des 
pays étrangers, les écrivains bouddhiques ont fréquemment 
puisé dans la nomenclature indienne les noms qu'ils distribuent 
sur l'étendue des autres continents. C'est ainsi que la ville de 
Kauruka s'est doublée d'une seconde cité légendaire, portant 
le même nom, et située quelque part en Asie Centrale. Dési- 
reux d'énumérer quatre «subordonnés» de I'Oxus pour faire 
pendant aux quatre affluents de l'Indus, les auteurs de XAbhi- 
dharma-maliâmbhâsà ont pu emprunter au Penjab le nom d'un 
pays producteur de lainages et s'en servir pour désigner un 
fleuve imaginaire. Une autre éventualité peut être envisagi'e. 
Kotab est le nom moderne, et qui semble bien iranien, d'un 
affluent de I'Oxus. Le nom de cette rivière, où l'on est tenté 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 25 

d'isoler la finale -ab, peut-il venir de Kotumba? Quoi qu'il en 
soit de ces conjectures, tout ce que nous savons du commerce 
dos étoffes dans l'Inde ancienne ^^^ invite plutôt à chercher dans 
la zone subhimalayenne le pays producteur des lainages pré- 
cieux mentionnés dans la littérature bouddhique sous les noms 
de kotumbara, kodumbara^^\ 

Dès lors une constatation s'impose. L'écart n'est pas grand 
entre Rodumbara et Odumbara. Si, comme le suggère le com- 
mentaire du Jâtaka pâli, les étoffes de Kodumbara portent le 
nom du pays producteur, ne faut-il pas songer tout d'abord au 
pays des Odumbara, situé dans la zone subhimalayenne et 
qui produit encore aujourd'hui des châles réputés ? On verra 
plus loin que l'absence du k initial ne fait pas difficulté. Mais 
avant de poser l'égalité Kodumbara = Odumbara, il est néces- 
saire de discuter une question préjudicielle. 

III 

Kodumbara, Odumbara. 

Dans une série d'arlicles publiés dans les Mémoires et le 
Bulletin de la Société de Linguistique et dont le premier remonte 
à 1920, j'ai commencé de montrer ce que le vocabulaire 
indo-aryen doit aux langues austroasiatiques ^^\ Chemin faisant 

t^î Cf. Le Parinirvâna et les Funérailles de Buddha, p. lao-iai. 

(*) Dans le MiUndapanha, p. 33i, Kotumbara est cité entre Pàtheyya et Ma- 
dhurâ. 

^^) En pariant ici de langues n austroasiatiques t? je donne à ce mot un sens 
d^une ampleur inusitée puisque je Tutiiise pour désigner une famille linguis- 
tique qui déborde singulièrement les limites de TÂsie australe. Il est difficile 
de trouver un terme géographique assez général pour englober des langues 
parlées , non seulement en Asie orientale , mais encore dans une grande partie 
de rOcéanie, en Afrique (Madagascar), et sans doute à date ancienne au 
nord même du Pacifique. «rAustroasiatiqueT) est motivé par Thypothèse que 
TAsie australe est la région d^où les peuples qui parienl ces langues paraissent 



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26 JANVIER-MARS 1926. 

j'ai signalé dans ces langues un certain nombre de mots dont 
l'initiale s'est amuie ou a complètement disparu. Gest ainsi 
que pour rtfils, enfant» on a les formes suivantes : 

kon klion hân^^K 

Dans hân la gulturnie initiale est réduite à un souffle. 

D'autre part, en khmer, ambas çç coton w provient d'un an- 
cien *hamhas dont l'initiale gutturale a complètement disparu 
[Bulletin de la Société de Linguistique , igâi, p. 70). La compa- 
raison des noms de l'homme et de la femme dans les langues 
munda révèle un phénomène analogue : 

«homme» korOj har, hôrôl, hara, har. 
«femme» kûri^ kori, êrà. 

Ici nous avons pour une même racine les divers états de Tini- 
tiale k, h, zéro. 11 serait facile de montrer que le même phé- 
nomène a lieu pour d'autres initiales dans la même famille de 
langues. Ainsi pour ce sel» on a : 



tampotng, empoya, ambang 



(2) 



Pour «dos, reins» le cam a deux formes : barauh et arann. 
En santali YHibiscus mbdariffa est appelé bambara ou ambaro. 

avoir essaimé. Telle était déjà l'opinion de H. Kern qui admettait Torigine con- 
tinentale des peuples malayo-polynésiens. (iette hypothèse n'a été jusqu'ici in- 
firmée par aucun fait. Le P. W. Schmidt qui le premier a parlé de n langues 
auslroasiatiques» limite ce terme aux langues du continent et fait des langues 
rraustroasiatiques» une subdivision des langues ffauslriquesn. Ce dernier terme 
a l'inconvénient de sembler limiter à l'hémisphère austral des langues qui sont 
encore largement répandues au nord de l'Equateur. Peut-être pourrait-on ré- 
server (raustrique)) pour désigner les langues parlées en Océanie avant l'arrivée 

olynésiens. 

-es de la Société de Linguiêtique , 1991, p. 909. La forme hàn est 

)lusieurs langues munda : mundari , santali , etc. 

tAT et Blagdew, Pagan race» ofihe Malay penintida. II, p. 70*^. 



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UJN AiNClEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 27 

A hrang «noir» du bahnar (^<%erang) correspond heram 
dans les parlers de la Péninsule Malaise, hirëng en kawi et 
/r^wg^ en javanais. 

II serait facile de naultiplier les exemples. Le principe une 
fois connu, les difficultés commencent lorsqu'on veut en tirer 
des conséquences. 

Rusinârâ est le nom sanskrit d'une bourgade rendue cé- 
lèbre par le pannirvâi^a du Buddha, et le Mahâbluïrata (VIII, 
5, V. 187; XII, 101, V. 3786) connaît le peuple des Usinara. 
Ces noms forment un couple dont les éléments sont à peu près 
superposables, la différence la plus notable étant, due à la 
perle de l'initiale dans le second, phénomène fréquent dans les 
langues austroasiatiques. Pouvons-nous en induire que le 
couple est emprunté a cette famille de langues? Ce serait sans 
doute imprudent. L'aphérèse ne s'observe pas dans une seule 
famille linguistique. C'est un fait phonétique susceptible de se 
produire dans les langues les plus diverses. Le sumérien en 
offre des exemples (Autran, Langues du Monde, p. 978) et 
certains mots sanskrits sont précisément suspects de lui avoir 
été empruntés, 

A supposer même que le sumérien doive être mis hors de 
cause et que, parmi les langues anciennement en contactavec 
Tindo-aryen, celles qui appartenaient à la famille auslroasia- 
tique fussent les seules à présenter des phénomènes d'aphé- 
rèse, il serait encore imprudent d'affirmer que les mots qui ont 
perdu leur initiale en sanskrit sont nécessairement d'origine 
austroasiatique. L'amuissoment de l'initiale A:>A paraît dAau 
fait que, dans les dialectes où il se produit, la prononciation de 
l'occlusive comportait un souffle fort. La même prononciation 
a pu se maintenir et produire les mêmes effets après que les 
populations anaryennes de l'Inde eurent appris à parler des 
langues indo-aryennes et, dès lors, certains mots d'origin»^ 
indo-européenne ont pu perdre leur initiale. 



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28 JANVIER-MARS 1926. 

En somme, ia chute de Tinitiale dans certains mots des 
langues de l'Inde ne saurait prouver l'origine austroasiatique 
de ces mots. Je ne puis donc admettre sans réserve la formule 
suivante dans laquelle M. Sylvain Lévi résumait récemment les 
résultats de ses recherches sur certains noms géographiques 
indiens : «Pulinda-Kulinda, Mekala-Utkala (avec le groupe 
Udra-Pundra-Mun(îa), Kosala-Tosala , Anga-Vanga, Kalinga- 
Tilinga forment les anneaux d'une longue chaîne qui s'étend 
des conGns orientaux du Cachemire jusqu'au cœur de la pénin- 
sule. L'ossature de ce système ethnique est constituée |»ar les 
hauteurs du plateau central; il participe à la vie de tous les 
grands fleuves de l'Inde, excepté l'Indus vers l'Ouest, la Ka- 
veri vers le Sud. Chacun de ces groupes fait un ensemble bi- 
naire; chacun des ensembles binaires est soudé à un autre 
membre du système. Dans chaque paire d'ethniques, les ju- 
meaux portent le même nom, différencié seulement par l'ini- 
tiale : k et t; k etp; zéro et v, ou m, ou p. Ce procédé de for- 
mation est étranger à l'indo-européen; il est étranger au 
dravidien ; il est au contraire caractéristique de la vaste famille 
de langues qu'on appelle austro-asiatiques et qui englobe dans 
l'Inde le groupe des langues munda, souvent appelées aussi 
kolariennesw (^Pré-aryen et pré-dravidien » . . , J. A., tgaS, 
p. 3o). 

La différence entre Afiga et Vanga ou entre U^ra et Pundra 
n'est nullement comparable à celle qui existe entre Pulinda et 
Kulinda, Kosala et Tosala. Il ne peut être question dans tous 
ces cas d'un même «procédé de formation». Dans le groupe 
Vanga-Anga il s'agit, à mon sens, d'un même mot qui a con- 
servé ou perdu son initiale, et l'aphérèse , phénomène purement 
phonétique, ne nous apprend rien de certain sur l'origine de 
Vanga ou de Anga. Il en est de même du groupe Udra-Pun- 
dra-Munda, si tant est que ces mots puissent être légitimement 
rapprochés. Par contre les groupes Pulinda-Kulinda, Kosala- 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 29 

Tosala diffèrent par la permutation de deux préfixes ^ti et ku, 
ko et to et ce phénomène, d'ordre morphologique, est de na- 
ture à prouver l'origine austroasiatique des mots oh. on l'ob- 
serve. 

On voit maintenant que cette discussion de principe était 
nécessaire avant d'examiner la signification du groupe Kodum- 
hara-Odumbara. Nous savons maintenant que la présence ou 
l'absence de l'initiale k ne prouve pas qu'il s'agisse de noms 
austroasiatiques. Avant d'aller plus loin, il convient d'exami- 
ner un second problème qui est étroitement rattaché au pre- 
mier. 

A priori rien n'empêche de dire : Kulinda«K + blinda; si 
j'ai écarté celte façon de raisonner, c'est qu'en fait les langues 
austroasiatiques présentent des dérivés du type Ku-linda. Ka 
est un préfixe fréquent dans ces langues et la voyelle u y rem- 
place normalement a. (leci nous indique la voie que nous de- 
vons suivre. Si Kodumbara-Odumbara forment un couple en 
moyen-indien, auquel correspond Udumbara en sanskrit, c'est 
de la forme ^Kudumbara ^^^ qu'il faut partir. Isolant le préfixe 
ku-, on verra si l'élément dumbara est susceptible d'explication 
dans tel groupe de langues anaryennes. Bref il s'agit de re- 
chercher si *kudumbara dérive normalement d'une racine 
austroasiatique par préfixation de kun. 



La flore de l'Inde possède une sorte de coloquinte que les 
botanistes appellent lagenaria vulgaris et qui , comme un grand 
nombre de cucurbitacées, est sans doute originaire de l'Asie 
orientale. En sanskrit le nom de la plante est tumbà; on a aussi 
tumbt et lumbuka. On ne peut guère en séparer le mot godumba 

(^) De même que pkr. odun^ara dérive de skr. udumbara, il est probable 
que pâli kodumbara provient de *kudumbara. 



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30 JANVIER-MARS 1996. 

qui désigne le melon d'eau et aussi ^une sorte de concombre. 
Godumha est sans doute de la même famille que tumbà; la pa- 
renté de ces mots s'explique par l'analogie des deux fruits. 

On sait d'autre part que plusieurs peuples austroasiatiques 
prétendent être issus d'une courge ou d'un melon dont chaque 
graine aurait donné naissance à un homme ^^l Le même 
mythe a passé dans la tradition indienne. L'épouse de Sa- 
gara, roi d'Ayodhyâ, nommée Sumati, à qui 60.000 fils 
avaient été promis, accoucha d'une courge d'où sortirent 
60.000 enfants (Râmây., I, 38: cf. Mahâbluir., III, 1 06; Bhô- 
gav. Pur., IX, 8 , 8). Iksvâku, nom sanskrit de la courge ou du 
concombre, désigne également l'ancêtre des rois d'Ayodhyâ. 
Le mythe austroasiati(|ue de la courge-ancêtre a visiblement 
été transposé dans les légendes de Sumati et d'iksvâku locali- 
sées toutes deux à Ayodhyâ. Mais, comme il arrive fréquem- 
ment clans la littérature indienne, il semble que, dans le se- 
cond cas, les écrivains aient modifié le mythe pour l'ennoblir. 
Les poètes épiques ne pouvaient se satisfaire d'une courge 
donnant naissance à une dynastie glorieuse. Iksvâku, qui dé- 
signe au propre une cucurbitacée , a donc été personnifié sous 
l'aspect d'un héros, fils de Manu Vaivasvata (^Râmây,, I, 70, 
V. 20-2 1 ; Mahâbhâr,, I, 78 , v. 3 1 4o) ou fils du rsi Gautama 
(cf. Rockhill, Life of the Buddha, p. 10-1 1). Dans le récit du 
Dul-va analysé par Rockhill, on s'efforce même d'expliquer le 
nom d'Iksvàku par le fait que les enfants du rsi Gautama au- 
raient été trouvés dans un champ de canne à sucre (^iksu). Ce 
jeu de mots ne peut faire illusion et le désaccord des tradi- 
tions épique et bouddhique relatives n Iksvâku indique jusqu'à 
quel point elles s'écartent l'une et l'autre de la croyance po- 
pulaire. 



^*J Cf. BoNiFACT, Cour» d'ethnographie indochinoUe , Hanoi, 1919, p. û5; et 
CoGHRANE, TheShana^ Rangoon, 1915, I,p. 190. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. B1 

Puisque tumbà est le nom d'une coloquinte et que, dans les 
traditions communes à Tlnde et à l'Indochine, l'ancêtre d'une 
famille ou d'une tribu peut être une cucurbitacée , il n'est pas 
surprenant que le Mahâbhârata connaisse les Tumbuma ou 
Tumbura. Ce nom de peuple dérive apparemment de tumba 
au moyen des affixes ra ou ma dont le premier est particuliè- 
rement fréquent dans les noms indo-aryens. Quant à l'affixe 
ma^ j*aî montré ailleurs qu'il est préfixé ^^^ dans un certain 
nombre de mots empruntés par l'indo-aryen aux langues austro- 
asiatiques. 

Si nous ignorions complètement les langues préaryennes, 
nous pourrions déjà supposer que kudumbara est un emprunt 
à ces langues et dérive du nom d'une cucurbitacée. Mais notre 
information n'est pas limitée au sanskrit. En malais, labu 
désigne la gourde, la citrouille et d'autres cucurbitacées 
(exemple ; labu merah t^cucurbita moschatav). Les formes cor- 
respondantes sont : 

Péninsule malaise labu, labo 

Kbmer Ibow 

Batak tabu 

Malgache tavu 

D'autre part, on a en sanskrit lâbû, alàbu, àlâbu^d, pâli 
lâpu, alâpu) ^lagmaria vulgaris, citrouille, gourde». L'indéci- 
sion de ces formes est déjà l'indice d'une origine anaryeune. 
La comparaison avec le malais, le khmer, etc. confirme que 
ces mots ont été empruntés aux lang^ues austroasiatiques. 

Puisque les noms indo-aryens de la hgenaria vulgaris sont 
du type : 

tumba, labu, 

'») Cf. Bull. Soc, Ung., t. XXVI, p. 98 et suiv. 



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32 JANVIER-MARS 1926. 

il n'est pas indifférent qu'on ait à l'Est : 

batak : tabu malais : labu 

Il semble que sur les deux domaines insulaire et continen- 
tal / initial permute avec t. On est tenté de supposer à Tori- 
gine de toutes ces formes un mot austroasiatique tel que *tumba 
avec cérébrale initiale. En fait, les langues austroasiatiques 
possédaient, ou possèdent encore, une série de cérébrales et 
cette constatation est d'importance pour l'étude des langues 
indo-aryennes. Quelque rôle qu'on attribue au substrat dans 
le développement de la cérébralisation en indo-aryen, 
l'existence d'une série de cérébrales dans les langues austro- 
asiatiques est un fait qu'on ne saurait négliger. 

La cérébrale apparaît d'ailleurs dans skr. godumha «con- 
combre». Ce mot s'explique aisément à partir d'un ancien 
*tumba par adjonction d'un préfixe à gutturale initiale et par 
sonorisation du -/- intervocalique ^^K Dans les langues indoné- 
siennes, les noms du concombre cucumis salivus sont d'ailleurs 
comparables : 

Javanais, malais, soundanais. . . timun 

Javanais, malais katimun 

Madourais • antemon 

La racine d'où dérivent tumba, etc., reparaît dans timun, 
où la première voyelle a changé de timbre et où wè>m. Le 
préfixe à gutturale initiale de godumba se retrouve dans ka-it- 
munet, sans doute avec aphérèse, dans antemon {^<c*kant€mony 
Va initial de skr. alàbu est probablement aussi le résidu d'un 
ancien préfixe. 

(^) La cérébrale de *tumba qui a disparu en skr. au début du mot tumba 
s'est maintenue à Tintérieur du mot godumha. De même, dans certaines 
langues austroasiatiques, Tannamite par exemple, t initial ancien est devenu i 
tandis qu^il se maintenait à la fin du mot. On notera également que le sans- 
krit possède très peu de mots à cérébrale initiale. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 33 

En javanais, walu est la forme qui correspond au m«)lais 
labu;walu provient sans doute, par métalhèse, de *luwa (<r*ttim- 
ba). On peut en rapprocher plusieurs aulres noms indochinois 
de la citrouille : bahnar puol; rongao puol; kha par, et même 
annamite bau fxhgenaria vulgam^ courge, citrouille w. 

On voit combien la même racine s'est divcrsilice sur le vaste 
domaine oii nous la trouvons répandue. Il est peu probable 
que ces variations soient <lues uni(|uement au jeu normal des 
lois phonétiques. On sait que les mots ayant une valeur reli- 
gieuse sont sujets à des déformations systémaii(|ues : le mot 
élant interdit sous sa forme normale, on continue à remployer 
en le changeant peu ou prou. Le mythe de la courge-mère 
explique sulfisamment la crainte respectueuse quinspirait le 
nom de ce fruit et les modilications qu'il a subies. 

En somme, il semble qu'une racine austroasiatique telle 
que *fumba, accompagnée ou non d'alfixes, ail servi à dési- 
gner des cucurbitacées, c'est-à-dire des végétaux dont le fruit 
contient dans sa pulpe un grand nombre de graines. A la 
même famille appartiennent les emprunts sanskrits : tumbà, 
lumbi, tumbuka, godumba, lâbû, alàbu, âlâbû. La même racine 
explique encore d'autres noms indo-aryens. 

Udumbara est le nom sanskrit du feus glomerata, arbre qui 
serait originaire de Birmanie et qu'on trouve dans l'Inde, 
principalement dans la zone subhimalayenne (Watt, Diclionnry 
of économie producls of Indîa, s. Vjicus glomerala). Le fruit de 
cet arbre ressemble à la figue de nos pays avec cette différence 
qu'il est ovoïde et sensiblement plus petit. Sa forme est exacte- 
ment comparable à celle de certaines petites coloquintes et les 
nombreux grains contenus dans la pulpe ajoutent à la ressem- 
blance ^^L Il n'est donc pas étonnant de constater une évidente 

(^) L^abondancc des graines était certainement aux yeux des Austroasiates le 
trait caractéristique de ces fruits comme le prouve le mythe de la courge-mère 
aux nombreux fils. 

CCYIII. 3 

■MtKIMCRIF liTIOSALB. 



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34 JANVIER-MARS 1926. 

analogie entre le nom de la coloquinte : sanskrit tumbà, et ce- 
lui du Jictis glomerata : sanskrit udumhara. On notera d'ailleurs 
(|ue la cérébrale de *tumba reparaît dans la forme du skr. clas- 
sique udumhara. La légitimité de ces rapprochements est attes- 
tée par les noms mêmes de Tiidumbara dans les langues mo- 
dernes de rinde : santali, hwa; chota nagpur, dumer; kher- 
warien, dumer; oriya, dimeri; népal, dumri. Entre kbu, nom 
malais de diverses cucurbitacées, l'équivalent sanskrit lâbu, walu 
nom correspondant en javanais et lowa nom du Jicu>s glomerata 
en santali, la ressemblance est aussi exacte que possible et 
s'explique très bien sémantiquement. 

Que représente u initial dans sanskrit udumbara ? Ce ne 
peut être que le résidu d'un ancien préfixe ayant perdu son 
initiale et l'analogie de ketimun, godumha, suggère ici une an- 
cienne gutturale. Udumbara/udumbara proviendrait alors d'un 
ancien *kutumbara/*kutumbara et nous sommes ainsi ramenés 
par un détour à une hypothèse déjà formulée plus haut ^^K 

C'est probablement dans la même famille de mots d'où 
proviennent skr. tumba, udumbara, etc., qu'il faut chercher 
l'origine de plusieurs noms d'instruments de musique et d'un 
nom de caste de l'Inde. Lâbukl, nom d'une sorte de luth, est 
sans doute dérivé de skr. làbu « gourde »^^l Damaru est le nom 
sanskrit et bengali d'un petit tambour qui joue un rôle im- 
portant dans l'iconographie indienne comme attribut de plu- 
sieurs divinités ( cf. Curt Sachs , Die Musikinsirumente Indien» 
und Indonésiens , 9* édit. , p. 7 5). L'instrument qui est appelé 
en marathe ddmru, en hindi damrû, etc., ressemble à un sa- 
blier, c'est-à-dire à une gourde à deux renflements qu'on au- 
rait coupée de manière à ne conserver que deux hémisphères. 

(^) Des deux formes voisines qui dési(ynent de fins lainages en paii , l'une a 
une cérébrale : kotumbara et l'autre n'en a pas : kodumbara. 

(^) Cf. également le nom d'une sorte de violon bengali appelé cdàbu sàrangi 
( Curt Sacbs, p. i3i). 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 35 

L'analogie des noms de ce tambour avec ceux qui désignent 
ie fruit de Yudumbara dans les langues de l'Inde s'explique 
donc par une ressemblance commune avec certaines cucurbi- 
tacées. Tmphurâ est le nom marathe d'une sorte de vinâ com- 
posée essentiellement d'un tube auquel sont suspendues deux 
calebasses qui servent de caisse de résonance (Curt Sachs, 
ibid., p. 9/1). Il ne paraît pas douteux que l'instrument doit 
son nom à ces deux appendices ventrus qui sont suspendus au 
tube comme des citrouilles à leur tige ^^l Enfin , domha désigne 
en sanskrit un homme de basse caste gagnant sa vie par le 
chant et la musique. Le mot figure sous la forme Domva 
(pova) dans une liste des Mleccha empruntée par Weber aux 
textes jaina (^Indische Studien, XVI, p. 882 ). Dans les langues 
modernes de l'Inde, domey dhombe, dombar, dombari, dumbar, 
dumbaru désignent des aborigènes dégradés dispersés dans 
rinde entière (Hobson-Jobson, s. v" dombe). Il semble qu'un 
même mot anaryen ou des variantes de ce mot aient servi à 
désigner un instrument de musique en forme de gourde ou de 
calebasse, les musiciens aborigènes qui jouaient de cet instru- 
ment et la caste où se recrutaient ces humbles ménétriers. 



(*) Cette cithare ne doit pas être confondue avec un luth qui porte à peu 
près le même nom : hindi iamburà (Curt Sachs, ibid., p. 139 et fig. 90), 
mais qui ressemble à une mandoline dont le corps serait en forme de grosse 
calebasse. M. C. Sachs est dWis que le nom de cet instrument est ie même 
que persan tanbur lequel dériverait par métathèse de pandur, nom du luth 
dans rOrient proche. Llnde aurait reçu le tanbûr de ses voisins occidentaux 
et en aurait modifié le nom par analogie avec celui de Tumburu , le roi des 
musiciens célestes. 11 semble en effet que hindi tamburâ désigne un instrument 
importé d^Occident dans Tlnde, mais il est difficile de décider si la forme 
hindie pamburâ est due à une contamination avec le nom de Tumburu ou avec 
celui de la cithare appelée tatfiburâ en marathe. Ce dernier instrument parait 
être indigène dans Tlnde et son nom peut s'expliquer par les deux calebasses 
qui y sont suspendues. Il n'est d'ailleurs pas impossible que Tumburu ait dû 
primitivement son nom à un instrument de musique en forme de citrouille ou 
de calebasse; dans cette hypothèse le nom du roi des gandh4irva appartiendrait 
lui aussi à la famille : tumba, udumbara, etc. 

3- 



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36 JANVIEB-MARS 1926. 

En somme, udumbara, nom sanskrit An ficus glomeraia , fait 
partie d'une nombreuse série de mots empruntas par les 
langues indo-aryennes aux langues austroasiatiques. Udum- 
bara désigne également une contrée du Penjab et les habi- 
tants de cette région. On a déjà observé que, dans les pays 
voisins des Mers du Sud, les noms de peuples ou de pays sont 
fréquemmenJ empruntés au règne végétal ^^^ Si le mot Wttm- 
hara est d'origine ausiroasiatique, il n'est pas surprenant que 
ce nom d'arbre désigne en même temps un pays et un peuple. 
D'autre part, l'histoire économique et la linguistique nous in- 
terdisent d'en séparer kodumhara, nom d'une variété de lai- 
nage et du peuple qui façonnait ces tissus. On peut donc ad- 
mettre que Udumbara, Odumbara , Kodumbara , sont les 
variantes d'un même nom désignant un peuple austroasiatîque 
du Nord de l'Inde. 

IV 

LE MONDE AUSTROASIATIQUE ET LA GRÈGE. 

On sait, grâce aux travaux de M. T. Graharae Bailey, que le 
nord du Penjab et la zone montagneuse voisine constituent la 
seule région de llnde aryenne où los mots soient susceptibles 
d'intonation régulière. Le phénomène a été étudié récemment 
par M. J. Bloch dans un pénétrant article : Lintonalion en pen- 
jabi (^Mélapge9 Vendryès, p. 5 7 olsuiv.), dont la conclusion est 
la suivante : «On est amené ainsi à poser pour les parlers indo- 
aryens en queslion le problème du substrat; et cela d'autant 
plus nécessairemcnl, semblc-t-il, que ces parlers ap|)arlion- 
nent, ainsi qu'il a été dit au début, h des groupes linguisti- 

C*) Cf. G. Ferrand, Malaka, \e Malâyu et Malâyur, /. i4., 1918, IF, p. 108, 
n. 5; et H* T. Hadghton, Noten on nameë of Places m ihe itland of Singapore 
and its vicinity (Journal oj the Strails Branch of R. A, Soc, n" 5o, p. 76-83). 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 37 

quement dislincls. Malheureusement rîen ne nous permet de 
penser que Tindo-aryen soit d'importation récente dans les ré- 
gions intéressées, ou que la population y ait été renouvelée à 
date basse. . . Il serait étonnant que ce pays, très ancienne- 
nement colonisé, parcouru, le long de THimalaya précisément, 
par la grande roule menant du Gange au Cachemire et à Tlran, 
soit resté (ou redevenu) si tard habité par des populations de 
langue non indienne, sans que la chose ait été signalée. En 
l'état de confusion où sont, malgré les recherches des ethno- 
logues et des historiens, nos connaissances sur les populations 
du Penjab, force est donc, jusqu'à plus ample informé, de 
renoncer h une explication historique des faits étudiés ici» 

(p. 66-67). 

Le problème du substrat ne se pose plus de la même façon 
après ce que nous venons de dire concernant les Udumbara du 
Haut-Penjab. Si ces populations parlaient une langue austro- 
asiatique, on doit admettre l'existence d'un substrat anaryen 
dans la région qu'elles habitaient. On m'objectera sans doute 
que les faits signalés en penjabi «supposent la langue arrivée 
h l'état moderne : tout le développement du moyen-indien est 
présupposé par son aspect phonétique, et le vocabulaire affecté 
comprend des mots d'origine persane» (J. Bloch, ibid., p. 66). 
Or, dira-t-on, les Udumbara étaient déjà fortement hindouisés 
au i" siècle avant notre ère puisque les légendes de leurs mon- 
naies sont rédigées en prâkrit. Il semble donc qu'un intervalle 
de plusieurs siècles ait séparé la disparition des anciens habi- 
tants du pays et l'apparition de l'intonation. 

Cette objection ne me parait pas décisive. Les souverains de 
certains états. himalayens font rédiger depuis des siècles des 
inscriptions en indo-aryen tandis que la masse populaire parle 
encore aujourd'hui une langue anaryenne. Le même contraste 
entre la langue de la cour et celle du peuple peut avoir persisté 
longtemps chez les Udumbara. Il est permis de supposer que 



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38 JANVIER-MARS 1926. 

la survivance du langage ancien a été favorisée par le maintien 
de principautés locales jouissant d^une certaine autonomie. 
Tel était peut-être cet état de Dabmeri dontCunningham a iden- 
ti6é le nom à l'ancien Udumbara (cf. les noms indiens de 
Xudumhara : oriya dimeri, chutia nagpur dumer, nepal dumri). 
En outre, parce que les tons affectent certains mots penjabis 
d'origine persane , on n'a pas le droit d'affirmer que l'intonation 
n^existait pas à l'époque oii ces mots furent empruntés. Quand 
utïe langue possède un système de tons, les mois étrangers 
qu'elle emprunte prennent nécessairement un ton déterminé. 
Lorsqu'un Chinois prononce le nomade Napoléon, ce mot est 
dit avec une modulation de la voix qui est constante. Dira- 
t-on qu'en chinois l'intonation est postérieure au sacre de Na- 
poléon ? 

Où commençait le pays des Udumbara? Fut-il de tout temps 
limité à la zone suhhimalayenne ou, sinon , jusqu'où s'étendait- 
il dans la plaine? Nos documents sont muets a ce sujet. Mais, 
si l'ancien substrat explique l'intonation des voyelles en peoja- 
bi, les limites de ce phénomène peuvent avoir une signification 
ethnique; et, puisqu'on l'observe dans la plaine depuis le 
nord d'Amritsar, il est permis de penser que les Austroasiates 
se sont maintenus longtemps dans cette zone avec leur langage 
particulier. 

L'étude des toponymes confirme d'ailleurs cette induction et 
laisse deviner une extension encore plus large de l'habitat des 
Udumbara. En descendant la Râvï (l'ancienne Iràvatî), on 
rencontre sur la rive droite, par 38^*28' de latitude et 72** 9' 
de longitude, une ville près de laquelle est une forteresse rui- 
née, probablement détruite par Tamerlanen 1898. Cette ville 
appelée Tulumba dans le Gazetteer de Tbornton, Tulamba et 
Talamba dans celui de Hunter, est le centre du commerce lo- 
cal et est encore aujourd'hui réputée pour ses tapis (Tbornton, 
Gazetteer oj the countnes adjacent to India, II, p. 2 27 ; et Hunter, 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 39 

Gazetteer of Indta, i^ édit. : Tulamba, y" édit. Talamba). La 
forteresse voisine décrite par Gunningham date sans doute d'une 
époque très reculée car elle est construite en briques du type 
le plus ancien. Les noms Tulumba, Tulamba, Talamba rap- 
pellent inévitablement les formes analysées plus haut et no- 
taaiment alàbu, s'il est vrai que, dans ce mot, l'élément -â^ 
^<i'amb- correspondant à -umb- de tumba. 

Descendant le fleuve jusqu'à la mer on trouve enfin une ré- 
gion très basse, émergeant à peine des eaux, appelée pour cette 
raison Kaccha (moderne : Kacch). Dans cette contrée, Pline 
signale un peuple qu'il appelle Odonbeores (^HisL Nat., VI , S 7 5 ). 
Il n^est pas douteux qu'au temps de Pline — ou du moins à 
l'époque où vivaient ses informateurs — les Udumbara se 
maintenaient encore dans les marais voisins des bouches de 
l'Indus. 

Loin d'être confiné dans un district montagneux , ce peuple 
parait donc s'être largement répandu dans ie bassin de l'Indus, 
et le nom de ville Tulumba peut être un vestige de sa domina- 
tion. Chassés d^abord de la moyenne vallée, puis refoulées vers 
le Nord-Est et vers la mer parla pénétration aryenne, les Udum- 
bara se maintenaient sans doute encore, environ le début de 
l'ère chrétienne, près du littoral et dans le Haut-Penjab. 

L'hypothèse du refoulement des Udumbara, séparés en deux 
tronçons par la poussée aryenne, permet de meftre d'accord 
des textes qui pouvaient sembler contradictoires. Le Mahâbhâ" 
rata (II, 5q , v. 1 869) nomme les Audumbara à côté des Vairâ- 
maka avec les Kasmira et d'autres peuples du Nord-Ouest. Par 
contre, la liste géographique des Yaksa dans la Mahàmàyûn 
( v. 5 1 dans l'édition de Sylvain Lévi ,/. 4.,i9i5,I, p.iiAet 
cf. p. 9Â-95) les nomme avec les peuples du Madhyadeia; et 
de même le Mârkandeya-puràça (58, 6-10), d'accord avec la 
Brhaisaifihitâ (i4, 2-4; cf. Kirfel, Die Kosmographie der Inder, 
p. 8 a ). n ne semble pas qu'on doive récuser aucun de ces témoi- 



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àO JANVIER. MARS 1926. 

gnafrcs. Le Mahâbhîrata a cerlainoment en vue les Udumbara 
du Penjnb, et H est vraisomblahlo que les autres autours enten- 
daient désigner, au contraire, les Udumbara méridionaux. 

On peut expliquer de la môme manière le désaccord appa- 
rent entre le Dioynvadnna qui nous monlre la ville de Bhadrain- 
kara occupée par des hérétiques chnssés du Madhyadesa, et le 
Brahmânrja'purnm qui cite les Bhadrakâra au nombre des tribus 
habitant le Madhyadeéa {supra, p. 4). S'il est permis d'iden- 
tifier, comme Ta déjà Uni Burnouf , le nom delà ville et le nom 
du peuple, la différence de localisation serait analogue à celle 
qui sépare les Udumbara du Mahàbhârata et ceux du Mârkan- 
deya-purâna. En effet, j'ai montré plus haut que la ville de 
Bhadramkara était située au nord du Penjab. 

Les mômes divergences de localisation s'observent fréquem- 
ment dans les témoignages indiens relatifs aux peuples austro- 
asialiquos. Tel est le cas des Kosala localisés tantôt au nord du 
Gange, tantôt au sud entre le Behar et TOrissa : les premiers 
étaient les Kosala du Nord (Ullarak'*) et les autres les Koéala du 
Sud (Daksinak**). Les Bollngae sont cités par Pline (VI, 20) 
parmi les pefiples du Haut-Indus; le Râmâyana (rec. bengalie, 
K, 70, i5) situe la ville de Bhulinga dans la môme région. 
Par contre, Plolémée (Vil, 1, 69) place les Bôlingaih lest du 
mont Ouindion (Vindhya) [Sylvain Lévi, Pré-aryen et pré-dravi- 
dien dans l'Inde, /. ^4., 1 928, p. 17]. 

En somme, si Ton trace une ligne idéale coupant Tlndus dans 
sa vallée moyenne et suivant le cours moyen du Gange, on 
constate que les mêmes ethniques anaryensse répondent qu «si 
symétriquement au nord et au sud de cette ligne qui représente 
vraisemblablement Taxe de la pénétration arjenne dans l'Inde 
du Nord. Tout se passe comme si les peuples austroasiatiques, 
Udumbara et autres ^^\ anciennement établis dans les vallées 

(^ ' Ces remarques ne concernent pas les Bhadrakâra , Madrakâra , Maila , efcc. , 
qni, nous l'avons vu, ne sont probablement pas uniquement des Austro- 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UBUMBARA. Al 

du Gange et de Tlndus, avaient été divisés par ia poussée 
aryenne en fractions distinctes qui continuèrent à porter le 
même nom longtemps après leur séparation. On ne saurait 
d'ailleurs conclure de cetle communauté de nom h une an- 
cienne unité politique mais uni<|uement à des affinités linguis- 
tiques et ethniques. 

Que le nord de Tlnde ait été peuplé jadis par des hommes 
différents des Aryens et des Dravidiens,la linguistique n'est pas 
seule à nous l'apprendre. Le témoignage d'Horodote (III, 98- 
1 oâ ) est sur ce point d'une importance capitale. II dislingue, du 
Nord au Sud , plusieurs catégories d'Indiens. Ceux qui habitent 
au Nord, près des déserts de sable, et dont les mœurs appro- 
chent beaucoup de celles des Bactriens, sont sans doute les 
Indo-aryens. Au Sud , habitent des hommes fort éloignés des 
Perses, qui ont la peau noire et ressemblent aux Ethiopiens : 
on a déjà reconnu en ceux-ci les Dravidiens (Rawlinson, Intêr- 
course belween Ind'a and tlie Western world, p. 21); mais on ne 
semble pas avoir prêté une attention suffisante aux Indiens 
qu'Hérodote situe entre les Aryens du Nord et les Dravidiens du 
Sud. Dans cette zone moyenne, l'historien grec distingue deux 
types humains : des pêcheurs ichtyophages vivant dans les ma- 
rais du littoral et se déplaçant sur les terres inondées grâce à 
leurs embarcations de bambou et, derrière eux, les Padaioi no- 
mades qui se nourrissent de chair crue et vont jusqu'à 
manger les vieillards. Ce dernier trait est nettement mélané- 
sien ^^K L'opposition entre les faciès continental et côtier de 

adates cl dont les textes ne permettent gaère de préciser Texpansion territo- 
riale. 

(*) Le folklore bouddhique parait avoir conservé long^temps le souvenir de 
cette coutume. Dans un conte du Tsa peu) tsang king (Ghàvanhbs, Cinq cents 
contes^ . . n" âoo) il est question d'un «royaume dont le nom était K'i-lao 
(rejeter-vieillards); dans ce pays, toutes les fois qu*il y avait un vieillard on 
le chassait au loinr). Il semble qu*à partir d*une certaine époque ou dans cer- 
taines tribus on ait chassé les vieillards au lieu de les manger. Une donnée 



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2 JANVIER-MARS 1926. 

cette civilisation rappelle inévitablement le contraste enti'e Da- 
yaks de terre et de mer à Bornéo, entre Jakun de terre et Ja- 
kun de mer à Malaca. Le nom des Padaioi lui-même paraît 
calqué sur un ethnique dont il est facile de trouver des équi- 
valents anciens et modernes (cf. supra, p. 18). Quoi qu'il en 
soit de ces indices secondaires, un grand fait se dégage de Ten- 
semble du texte : Hérodote connaît des Indiens qui ne sont ni 
Aryens ni Dravidiens; il les signale notamment dans la zom^ 
marécageuse oii Pline situera plus tard les Odonbeores; il les 
décrit plus longuement que les autres Indiens, sans doute 
parce que ses informateurs les connaissent mieux. 

Cette insistance d'Hérodote à parler des populations que 
nous appelons «austroasiatiquesw est de nature à prouver qu'au 
v" siècle avant notre ère le contact était déjà établi entre ces 
populations et la Grèce. D'ailleurs certains faits linguistiques 
viennent appuyer ce que je crois pouvoir induire du témoi- 
gnage d'Hérodote, 

En grec xdpnàaos désigne une gaze fine et un vêtement de 
gaze; le mot apparaît tard et rarement dans les textes, mais il 
ne s'en suit pas qu'il soit tardif dans la langue : certains mots 
de métier, sans doute très anciens, n'apparaissent en français 
que dans la littérature du xix** siècle. Lemot latin correspondant 
à xdpTTàaos est carbàsus qui désigne une sorte de lin , une gaze , 
un vêlement de gaze, une voile de navire. Le mot est ancien : 
on le trouve déjà dans Ënrûus. En hébreu karpas désigne une 
étoffe légère et se trouve dans le livre d'Esther; il serait donc 
postexilique. On admet généralement que xdpnàcros est un em- 
prunt au sanskrit karpàsah «coton». M. R. Fohalle, qui a dis- 
cuté récemment la question, conclut en ces termes : «De toute 

analogue se retrouve dans un autre conte du même recueil (Tripit, Tôk,, XIV, 
10, p. 7) analysé par Ghavannes (ibid,, III, p. i3) : avant rintroduction du 

. bouddhisme, la loi prescrivait d'enterrer vivants les vieillards dans le royaume 

..de Bénarès. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. A3 

façon, que le mot soit, originaire de la langue méditerranéenne 
— comme le croit M. Cuny (/. c, remarquer le cr intervoca- 
Iic[ue) — ou qu'il soit sémitique (cf. Hehn, i63 «mit dem 
phônizischen Worte carbasusn), ou même qu'il soit venu de 
TFnde, il me paraît certain que le latin ne l'a pas emprunté au 
grec : s'il a été apporté aux deux peuples classiques c'est par 
l'intermédiaire de marchands , sans doute phéniciens — en tout 
cas non grecs. . . v (^Mélanges Vendryès, p. 17 4). J'ai montré 
d'autre part que sanskrit karpâmh, grec xapTrào-of, etc. re- 
produisent le nom du coton dans les langues austroasiatiques 
et sont sans doute des emprunts à ces langues {^Bulletin de In 
Société de Linguistique, 1 9 ai , p. 69 et suiv.). Comment un mot 
qui désignait primitivement le coton a-t-il fini par désigner une 
étoffe de lin dans le monde méditerranéen? Le sens commun 
à l'hébreu et aux langues classiques est celui de gaze très fine. 
Certaines qualités de coton indien se prêtaient beaucoup mieux 
que le lin à la fabrication de gazes transparentes extrêmement 
légères. Ces étoffes précieuses, importées en Occident, proba- 
blement par l'intermédiaire des marchands mésopotamiens et 
cananéens, gardèrent l'ancien nom austroasiatique et ce nom 
fut également conservé quand, par suite de la rareté du coton 
dans le monde méditerranéen, on fit avec le lin le plus fin des 
imitations de l'ancienne gaze de coton <^^. On comprend, dans 

(^) Le coton étant devenu plus abondant que le lin sur le marché occiden- 
tal, on constate aujourd'hui en français un phénomène inverse : le trlinonn 
dont le nom dérive de «lin?) était autrefois une étoffe de fil. Actuellement le 
mot fflinonn s'applique couramment à une étofiFe de coton qui est une imita- 
tion du trlinouT) de fil. L'expression «linon de cotons? en usage aujourd'hui en 
♦ français est donc comparable à Xivov Hopitdaiov du grec. — Noter qu'en fait 
on a commencé, dans l'antiquité, à fabriquer la gaze de lin là où le lin était 
particulièrement fin. Le lin de Tarraco (Espagne) était renommé pour son 
éclat. «Il n'était pas moins recommandabie pour sa finesse ; aussi est-ce là que 
l'on commença à fabriquer la batiste appelée carbasum, nom qui d'ailleurs 
s'appliquait aussi au coton [carbasuê] (Darembkkg, Saglio et Pottieû, Diction, 
des AfUiq,, 8. y" lirmm). 



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M JAiNVlER-MARS 1926. 

ces conditions, que le nom austroasiaiique du colon ait pu pé- 
nétrer de bonne heure, sans Tintermcdiaire du sanskrit, dans 
les langues méditerranéennes et que les Latins et les Grecs 
l'aient appris des marchands phéniciens ou autres. «Si le mol 
vient de llnde, ohjecte M. Fohalle, pourquoi a-t-on la forme 
en karp' du sanskrit, et non une forme en kapp- du moyen in- 
dien ?99 [ibfd., p. 1 7&). La difficulté disparait si l'on admet qu*d 
s*agit d'un emprunt direct aux langues auslroas?aliques qui 
possèdent précisément un préfixe kar. D'ailleurs le flottement 
dans le traitement b/p de Tocclusive labiale peut également 
indiquer que le mot dérive, non du sanskrit karpàsah, mais 
directement des langues austroasiatiques où le nom du coton 
contenait, àdate ancienne, une labiale mi-sonore intermédiaire 
entre la sourde et la sonore. 

Le nom du cognassier, autre produit exotique, appartient à 
la catégorie des mots où une sourde remplace en latin la sonore 
du grec. M. R. Fohalle lui a consacré une notice que je repro- 
duis intégralement : nxvS^iov (Aokovy). Sans élymologie (voir 
Boisacq, s. v°); le cognassier provenant de l'Arménie et de 
l'Asie Mineure (Hehn-Schrtider®, 3&3 ; Schrader, 646 ; Hoops, 
Waldbàutneund Kulturpjlanzen, bli^ s.), il faut probablement 
considérer le mot comme d'origine asianique : xoSv{(JLakov) 
(AIcman, yr. 90 de Bergk) serait la forme authentique elxvSpi- 
viov résulterait d'une étymologie populaire, le nom ayant été 
associé au nom de 'K.vScûvtaL^ ville de Crète (voir le détail dans 
Boisacq; Huber, De lingua . . . , p. 19, fait remarquer que l'élé- 
ment Kv apparaît dans toute une série de mots non grecs). Il 
est possible que le latin mala cotonea soit dû en partie à une 
contamination avec coiana, cottana, petite figue» (^Mélanges' 
Vendryès, p. 170). 

Discutant le même problème avec une rigoureuse précision, 
M. Nehring [ZumNamen der Quitte dans Glotla, XIII, p. 1 1 et 
suiv.), aboutit à des conclusions analogues. Il admet comme 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PKNJAB : LES UDUMBARA. 45 

vraisemblable que latin cotonea ne peut être ramené au grec xv- 
Sc&vta par rintermëdiairc de TcHrusque, que Tun et l'autre mot 
aussi bien que xoSvfiaXov^ proviennent d'Asie Mineure, et que 
cotonea est un emprunt direct du latin à une langue méditerra- 
néenne {ib'd., p. 16). 

Quel que soit le rapport entre xvSaivia et cotonea, il est cer- 
tain que le nom du coing apparaît aussi dans la littérature 
grecque sous la forme xoSvfAoXov et il est très probable qut^ ce 
dernier mot est également asianique. Enfin la question se pose 
de savoir si latin cotana, cottana «sorte de petite figue 79, qui 
semble à première vue contenir la môme racine, est apparenté 
à cotonea, 

La différence n'est pas grande entre kodumalon et (J()udum' 
hara, kotumbara; le passage de mi à m et rallernance l/r sont 
des faits courants dans l'Inde et hors de l'Inde. {JC)udumbara , 
nom d'un fruit indien, a pu voyager vers l'Ouest et, comme le 
nom du coton, être attribué en cours de roule h un autre 
produit. Mais dans le cas du coton et du lin le transfert du 
nom s'explique par la ressemblance des étoffes obtenues avec 
ces textiles, tandis que kodumalon et [k)udumbara désignent 
deux arbres ou deux fruits qui n ont, à première vue, rien de 
commun. Cette difficulté n'est pas insoluble. 

Ctesias qui vécut au iv' siècle av. J.-C, fut attaché à la cour 
des rois de Perse en qualité de médecin. S'il est vriii que son 
histoire de l'Inde contient des fables incroyables, on peut 
admettre que, par nécessité professionnelle, il savait de la 
flore de l'Inde ce qu'on connaissait de son temps. Or Ctesias 
décrit (S i/i) un arbre qui pousse dans les montagnes de 
l'Inde, répand comme le pin et l'amandier des larmes qui dur- 
cissent dans l'eau, et porte des fruits en grappe. Tous ces 
traits définissent exactement Yudumbara, arbre de la zonesub- 
himalayenne doù sort un lalox épaix analogue à la résine et 
qui doit à ses fruits en grappe son nom botanique : ficus glome- 



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â6 JaNVIKR-MABS 1926. 

rata, Ctesias qui nomme cet arbre siptacharas^^^ ajoute (S ig- 
âîî ) que son suc durci est Tambre jaune, que le pays produit 
encore diverses variétés de pourpre ^^^ et que les habitants, les 
Cynocéphales, exportent, en échange d'autres denrées, la 
pourpre , l'ambre et les fruits du siptachoras. Notons en passant 
que les étoffes de laine teintes en pourpre comptaient parmi les 
plus précieux produits des pays du Nord-Ouest, et que le pays 
des Udumbara produisait des lainages réputés. Les Cynocé- 
phales qui exportaient la pourpre et les fruits de Yudumbara ne 
seraient donc pas différents des Anaryens de la zone subhima- 
layenne. Le fait qu'ils exportaient la pourpre n'est pas pour 
surprendre; mais les fruits de Vudumbara sont peu nourris- 
sants; Tes Indiens modernes n'en mangent guère qu'en temps 
de famine (Watt, Dicttonary of économie produds oflndia). Par 
contre ces fruits sont utilisés fréquemment dans la pharma- 
copée indienne. On les emploie comme astringents et anti- 
hémorragiques; l'écorce est également astringente et guérit 
les blessures et les morsures; la racine est anti-dysentérîque et 
le latex mélangé à l'huile de séeame passe pour guérir, le 
cancer (Watt, ibid.). La section des médicaments dans les Vi- 
naya bouddhiques réglemente l'emploi du sirop Vudumbara 

(') Pline, Hiêt, NaL, XXXVII, â, ^9 reproduit le nom donné par Ctesias, 
XIV, 1 : arbores ea* siptachoras vocari, qiM ad/pellatùme significetur praedulcis 
suavitas. «Je serais très tenté, m'écrit M. Benveniste, de voir dans t^ta- i'av. 
xiwipta- «lait» (penser au latex et à suattitcu). Le groupe xhv- est rendu 
dans les transcriptions grecques par $• ou par o-. -chora{t) est moins clair : 
j'hésite entre un dérivé nominal de yJx^ar «rboirew («boisson») et une défor- 
mation de *x'ar9zar «doux» (l'Avesta n'a que le superlatif x^ardziitck-y Le 
second rapprochement («doux [conune le] lait»?) s'accorderait assez bien 
avec la glose de Pline.» Skr. iîtaphala = udumbara. Il semble que Ctesias ait 
connu une adaptation iranienne de éitaphala. 

<*^ Ctesias ( XIV, 3 ) note qu'une des variétés de pourpre se prépare en 
broyant des scarabées qui vivent sur le siptachoras. Ce renseignement est 
confirmé par le témoignage de Watt qui dit à propos du ficus glomerata : 
«the lac insect is reported to occasionally fréquent the tree» (cf. skr. krmi, 
«vers, insecte, laque rouge produite par des insectes»). 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. kl 

(cf. Dul'Va, III, 59*' et Yi-tsing, A record of tlie Btiddhist re- 
ligion, Irad. Takakusu, p. s«âi). 

On comprend maintenant pourquoi le médecin Gtesias décrit 
avec soin Yudumbara^ son pays d'origine et le trafic auquel il 
donne lieu. Exportés de la zone subhimalayenne, ses fruits et 
les drogues tirées de Yudumbara étaient sans doute employés 
dans l'empire des Achéménides où Gtesias a eu l'occasion de 
les connaître. Ces produits ont cessé depuis lors d'être utilisés, 
au moins hors de l'Inde, probablement parce qu'on leur a 
préféré des remèdes plus facilement accessibles et jugés aussi 
efficaces. Le coing est sans doute une des drogues qui ont 
remplacé Yudumbara. Il est originaire de l'Orient proche et sa 
culture s'est généralisée en Europe tandis que celle de YuAum- 
bara ne dépassait guère le Penjab; si la médecine européenne 
lui a finalement substitué d'autres produits, il est encore très 
apprécié dans les campagnes et les classes populaires con- 
tinuent à l'employer. C'est pourquoi dans les langues clas- 
siques, le coing, fruit exotique connu pour ses qualités 
astringentes, peut porter le nom d'un fruit encore plus lointain 
possédant les mêmes propriétés. 

Voici comment le nom a pu passer d'une plante à l'autre. 
Les fruits du (kjudumbara, exportés de l'Inde vers l'Occident 
pour leurs propriétés astringentes et antidysentériques, s'y 
trouvèrent en concurrence avec un autre fruit, le coing, 
jouissant de propriétés analogues et appelé d'un nom tel que 
kutânia. Entre des mots comparables désignant des denrées simi- 
laires une confusion était presque inévitable. Kodumalon<:ku- 
dumbara est devenu un autre nom du coing et, sous cette 
forme, a passé en grec ainsi que .Ârttïdma. Kodumalon provien- 
drait alors directement des langues austroasiatiques, indé- 
pendamment du sanskrit où le nom du ficus glorrtjprala se 
présente toujours sans initiale : udumbara. D'autre part, si le 
nom austroasiatique de ce fruit est devenu un nom du 



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A8 JANVIER-MARS 1926. 

coing dans certaines langues asianiques, un transfert ana- 
logue a pu se produire en sens inverse : un mot asiani(|ue de 
la famille des noms du coing cotana, coitana, aurait servi a dé- 
sifjnerle {vm\. An ficus glomerala c'est-à-dire «une sorle de pe- 
tite figue» (cf. Hesych, : xMclvql' elSo§ avxcov (xixp63v). Ceci 
est une simple conjecture que des recoupements ultérieurs 
rendront peul-étre plus probable. 

L'histoire du coton-lin et celle de IWi^mèara-roing seraient 
alors exactement comparables. Il s'agirait dans les deux cas 
d'un produit végétal de l'Inde qui, dès une époque fort an- 
cienne, aurait été exporté vers TOccident en conservant son 
nom austroasiatique. Plus tard le même mol aurait servi à dé- 
signer des produits analogues : une autre gaze fine dans le cas 
de HOLpTràoroç et une autre drogue astringente dans le cas de 
xoSvimkov. Si ces vues sont exactes, il est permis «l'espérer que 
d'autres faits viendront les confirmer prouvant ainsi l'existence 
d'un courant d'échanges entre l'Inde anarycnne et le monde 
méditerranéen. 



CONCLUSION. 

L'enquôle que nous venons de poursuivre concernant les 
populations, la langue et le commerce du Haut-Penjab n'a pas 
uniquement servi à faire sortir de l'ombre les anciens Udum- 
bara. Nos conclusions ont une portée qui dépasse les fron- 
tières de ce peuple. Elles laissent au moins entrevoir la solution 
de divers problèmes linguisti(|ues, historiques et préhisto- 
riques. 

Au point de vue phonétique, lei) langues austroasiatiques, 
et en particulier celles de l'Inde, sont caractérisées notamment 
par le souffle qui accompagne certaines occlusives : les aspi- 
rées y sont nombreuses et remarquables par leur force et leur 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 49 

durée ^^^; souvent, comme en khasi cl dans le groupe munda^ 
il existe, outre la série des aspirées sourdes, une série d'as- 
pirées sonores. Ces faits entrainent plusieurs conséquences 
importantes. 

On a vu plus haut que, dans certains mots austroasiatiques 
une occlusive initiale pouvait se réduire à un souffle, puis dis* 
paraitre entièrement. Cel amuissement parait dû au fait que, 
dans certains parlers, ia prononciation de l'initiale s'accom- 
pagnait d'un souffle. Le phénomène peut être observé actuel- 
lement en khasi où une initiale kh correspond régulièrement à 
k des autres langues mon-khmères. Ceci expliquerait la chute 
de l'articulation et le maintien du souffle. Étant donnée la ten- 
dance à abréger les mots par le commencement aussi bien que 
par ia fin, tendance qui aboutit au monosyllabisme dans cer- 
taines langues modernes, une partie de l'initiale, à savoir 
l'articulation, pouvait tomber la première, tandis que le 
souffle survivait, provisoirement ou non. 

On sait d'autre part que, parmi les langues indo-euro- 
péennes, rindo-aryen est la seule qui ait conservé, jusqu'à 
l'époque historique, les anciennes aspirées sonores ^^l Cette 
persistance singulière est due, sans doute, à l'influence du 
substrat. Il semble en eâ*et que les Indo-aryens colonisant ia 
vallée de Tlndus s'assimilèrent d'abord des populations qui 
pariaient des langues austrosiatiques, c'est-k-dire des langues 
possédant comme le munda une série d'aspirées sonores. Dans 
la mesure où le substrat pouvait, dès cette époque, influencer 
la prononciation initiale des Indo-aryens, son action devait 
donc tendre à conserver, sinon à renforcer, la prononciation 
des occlusives aspirées. Les aspirées sonores se sont en fait 

' Pour le khasi, cf. Linguistic Sui^ey ofindia, II, p. 7. Pour le santali, 
cf. P. 0. BoDDiMG, Materials for a santali p'ammar, I, S 5i-5A. 

'>^) Pour des traces de ces phonèmes en celtique et en arménien, voir' 
Meillkt, Dialectes tndo-ew'opéens, q' éd., avant^propos , p. ia-i3. 



t ■AnoaAi.i. 



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60 JANVIER-MARS 1926. 

maintenues en sanskrit, tandis qu^elles disparaissaient partout 
aiUeurs. 

En outre, au nord du Penjab, l^élément austroasiatique 
paraît s'être maintenu longtemps et ainsi s'explique k mon 
sens l'intonation des voyelles en penjabi. M. J. Bloch obsen^e 
qu'en cette langue l'intonation «dépend de la présence d'un 
souffle sonore à côté de la voyelle» (^Mélanges Vendryès, p. 6s). 
Ce souffle aurait recommencé par se dissocier de l'occlusive 
proprement dite» [tbid., p. 63), puis, ajoutant ses vibrations 
à celles de la voyelle accentuée, il aurait ainsi déterminé l'into- 
nation. Soit, par exemple, la syllabe initiale *ghe^ devenue Arf" 
en penjabi septentrional. M. J. Bloch admet (\uegh s'est scindé 
en g*+A, que h souffle sonore s'ajoutant à la voyelle a déter- 
miné l'intonation et que celle-ci a finalement eu pour consé- 
quence l'assourdissement de l'occlusive : gz> k. 

Cette théorie est ingénieuse. Elle soulève toutefois une ob- 
jection : est-il exact que la sonore aspirée se résolve en sonore 
+ souffle? Ne se scinde-t-elle pas plutôt en articulation -f- 
souffle sonore ? Sans doute, la graphie ^A se compose bien de 
g+h, mais la réalité phonétique est différente. En fait, une 
sonore aspirée gh se compose de trois éléments : articulation , 
vibrations sonores et souffle. Du moment où le souffle tendait 
à se dissocier de l'occlusive, cet élément, prolongé en son 
vocalique, pouvait entraîner du côté delà voyelle les vibrations 
sonores homogènes à celle-ci, ne laissant d'autre part qu'une 
articulation dépourvue de vibrations glottales. L'évolution 
^a>/[:a s'expliquerait alors comme une conséquence de la dis- 
jonction du souffle sonore ^^K Tout se passe comme si l'énergie 
nécessaire pour produire Tintonation élait empruntée à la con- 
sonne voisine qui, dès lors, cesse d'être aspirée et s'assourdit. 

(*) li est vrai que les initiales sont seules assourdies. Gomme le suggère 
M. J. Bioch (i6i(i., p. 6h), les sonores intérieures ont pu être protéig^s p6r 
le fait qu^elles sont entourées d'éléments vocaliques. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 51 

Je vietis déraisonner en supposant, comme Ta fait M . J. Blorh , 
que l'intonation est ian;pih^nor]ièiM3 récent, e:xplicable par d'évo- 
lution idu penjabi ; mais ce postulat lui-même paraît douteux ^^\ 
Il «est proltaiMe ^ue la 1;cndance à moduler les voyelles est une 
donnée antérieure au penjabi, extérieure à lattilo-aryea et 
i fsut peul-èlne renoncer à expliquer l'intonation par le déve- 
Icppcmont de ce dernier. Il est troublant en effet de constater 
^u'au Chaoïba rintonation existe sans que se produise aucun 
des faits qui sont «ensés lui avoir donné naissance en penjabi : 
-0X1 a hhâl, ghér, ghira. Ici iitito nation existe et ccpend^int le 
souffle n^a pas disparu; il ne s'est pas dissocié de la consonne 
ni n'est venu «ajouter ses vibrations à celles de la voyelle»; la 
consonne ne s'est pas assoardîe. Dajas l'état acluel dos con- 
naissances, il -est difficile de faire autre chose que des hypo- 
tbèFes pks ou moins vraisemblables. Ce que jai voulu indi- 
'qufr,<;'est que rinlonation peut être très ancienne «u Pcnjab 
•et qu'^iHcienne ou récente, elle pose des problèmes qu'on 
devra résoudre en tenant compte de la nature du substrat. 

L'ihistoire de la civilisation indienne s'éclaia-e également 
quand on étudie les ireflueftces austroasiatiques. L'avènement 
des Sianga., ik^ers 180 avant notre èrc^ paraît avoir été le pré- 
lude d'une violente réaction brahmanique dirigée contre les 
religions hétérodoxes et particulièrement contre le bouddhisme. 
€ctte restauration des anciens cultes aryens s'effectue avec 
succès da^is le Madhyadesa^ mais elle échoue à la périphérie; 
au Nord-Ouest, elle s'arrête à Sâkala; au Sud, elle n'entame 
pas sérieusement la vice-royauté de Vidisa^^l Désormais le 
bouddhisme prendra principalement appui sur les populations 
allogènes refoulées, par la poussée aryenne, autour du Ma- 
dhyade$a;il seretire du centre vers les frontières de l'Inde : 

(») Cf. supi-a, p. 38. 

W Cf. BoRNODF, Introduction, 3* éd., p. 38'A, et Légende de Vempei^eur Âçoka, 
p. 93-9Û et 3oa-^S. 



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52 JANVIER-MARS 1926. 

Sâkala, le Gandhâra et le Cachomire remplacent Mathura; 
Ujjayinî et Ceylan supplantent Kausâmbï. Le bouddhisme 
paraît n'avoir poussé de profondes racines que dans les régions 
où Télémenlanaryen n'avait encore qu'imparfaitement assimilé 
la civilisation brahmanique. 

Le Rlahâbhârala d'autre part est le récit de la lutte des Kaur 
rava et des Pândava. Les uns et les autres ont d'étroites affi- 
nilés avec les populations austroasialiques, ainsi qu'on témoi- 
gnent certains de leurs noms et leurs coutumes. Parmi les 
plus anciens épisodes de la grande épopée, quelques-uns ra- 
content sans doute les guerres qui mirent aux prises les popu- 
lations anaryennes de l'Inde. 11 n'est peut-être pas exagéré de 
dire que Ihistoire de la formation du Mahâbhârata est à 
reprendre en discutant ces nouveaux problèmes. 

L'étude des faits économiques peut également tirer profit 
de nos recherches. N'est-il pas significatif que, maîtres de la 
vallée de l'indus, les Indo-aryens aient si longtemps négligé 
de s'installer définitivement au Haul-Penjab, laissait un tron- 
çon de la grande route commerciale de Taksasilâ au Gange au 
pouvoir des Bhadra et des Udumbara? Il semble qu'on ne 
puisse expliquer le fait autrement que par une certaine incurie 
ou incapacité commerciale dont on trouverait aisément d'autres 
exemples dans l'histoire ancienne des peuples indo-européens. 
On savait déjà que les brahmanes répugnaient au commerce 
maritime. Il ne semble pas qu'ils aient été davantage attirés par 
le grand commerce continental. Le développement du boud- 
dhisme le long des routes de commerce aurait alors élé favorisé 
par l'origine iranienne ou anaryennc des caravaniers. De ce 
point de vue, l'histoire de Mencjhaka, l'épisode des marchands 
Trapusa et lîhallika s'imposent décidément à l'attention de 
l'historien. 

Il n'est pas jusqu'à la préhistoire de l'Inde qui ne trouve ici 
sa part. On a vu plus haut que les Indo-aryens ont dû pénétrer 



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ON ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 53 

ail centre de la masse anstro?îsiatique' et s'avancer peu h peu 
dans la direction du Sud-Est. Il ne paraît pas douteux qu'anté- 
rieurement à celte pénétration, la vallée de llndus était, 
comme celle du Gange, peuplée d'Austroasiates, depuis la 
zone himalayenne jusqu'à la mer. Au temps d'Hérodote, les 
Dravidiens étaient cantonnés au Sud. Devons-nous admettre 
qu'il en fut ainsi de toute antîi(uité? On sait que le brahui, 
langue parlée au Beloutchistan, appartient sans doute à la 
famille dravidienne ^^^. L'ilot brahui paraît être le témoin d'une 
très ancienne couche linguistique dont l'extension est malaisée 
à déterminer. On peut supposer que celte couche dravidienne, 
qui s'étendait primitivement du Beloutchistan au Dekhan et 
peut-être sur l'Inde entière, a été partiellement recouverte par 
une couche austroasiatique. Les Austroasiates continentaux 
auraient refoulé les Dravidiens des plaines vers les hauteurs, 
leur laissant les montagnes du Beloutchistan et tout ou partie 
du Dekhan. Cette hypothèse me paraît la plus vraisemblable 
en l'état actuel des connaissances. Si les Dravidiens avaient été 
de force à repousser les Austroasiates, ils se seraient sans doute 
installés ou maintenus dans les riches vallées du bassin de 
rindus. Mais, puisqu'aujourd'hui encore on les trouve au Nord 
et ou Sud de cette région, il y a grand'chance qu'ils aient été 
chassés de l'espace intermédiaire. J'ai commencé de montrer 
ailleurs que les Indo-aryens avaient emprunté, dès l'époque 
védique ^^^ un certain nombre de mots aux langues austroasia- 
tiques. Par contre, aucun emprunt du sanskrit au dravidien 
n'a pu jusqu'ici, être prouvé d'une façon certaine ^^K II semble 



(') Voir la notice sur le brahui dans Linguittie Survey of India, lY, p. 619 
et 8uiv. 

<*) Cf. Mém, Soc, Ling., 1931, p. 908; BuU» Soc. Ling., 199a, p. 119 et 
soiv., et i9iiii, p. 69* 

('>' CL J. BioGH, Sanskrit et dravidûm, dana BulL Soc. Ling., 199/^ , p. 10- 

91. •...•...-....•.. . ./.... 



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54 J AN V 1ER- M'A R S 19 2 6* 

que, dans les régions ôÙ s'éfablirent d'aboré lea concipérantaL 
aryt^ns, L^s Aiislroasiats avaient précédemmeni imposé leur 
langue et sans doute aussi leur domination. En attendant ies 
d4>cuments nouveaux que Turchéulogie préhisloriqtt« ne sanirait 
inan(|uer de nous apporter, voici eonirmeHt on? peut, prroviao^ 
rement, se représenter les choses. La répartition des populations 
de rinde avant Alexandre aurait été h résultai de trois invan 
sions successives. D'abord lesAuslvoasiales recouvrent en paiv 
tie Télément dravidien et ne laissent guère émerger cpie: niol 
brahui ^^^ au Noré et les masses du Dekhan ait Sud, Puis tes 
Aryens, descendus dans l'Inde par le Mord-Ouest, s'étahlisseni 
progressivement dans les vallée» moyennes de Tlndjus^ de la 
Yamunâ , du Gange , et rayonnent autour de ces foyers â» cul- 

(*) Je- ne vois pas qu'on ait jamais proposé ane étymoibgîë saiisfaisanUi 
du mot braliui et îli ne semble pas que cet ethnique soit explicable par ie 
dravidien ni par l'indo-aryen. Par contre, il est possible de lui attribuer un 
sens si Ton admet qu^il a pu être donne aux abon|{ènes par les envahisseurs 
austroasia tiques. On classe parmi les lan^^ue» munda ou kol plusieurs dia- 
lectes appelés ifiihdr {Ling. Surv» India, IV, p. toa et soS). Bin'hâr aignii» 
homme (hdr) de la forêt (bir). C'est d'après Risley tra small Dravidian tribe 
ofChola Nagpur who llve in the jungle in tiny buts mado of branches of 
trees and leaves. . . n (cité par Ling. Surv. hdia, IV, p. lo»). Brahui ou ZK- 
rahui (les deux noms existent) est à mon sens une autre fenne du ménia 
nom. Pour te traitement de bira :>'bra, cf. supra, p. 37, i% i-3. On trou- 
vera également plus haut, p. 26, quelques - unes des formes nombreuses 
qu'a prises la racine kol, kur «r homme» en munda. Le rapprochement dé 
bù^har et de brahui, s'il est justiiié, est instructif, parce qu'il noua moni^e 
deux tribus dravidienues fortement influencées, bien qu'a des degrés divers, 
par leurs voisins au<«troasiatcs. Sur les Birhâr Tinfluence a été si profonde 
qu'ils parlent aujourd''hui une langue munda. Les Brahui, s'ils parlent isme 
langue dravidienne, auraient du moins adopté le nom que leur donnèrent 
leurs voisins, probablement longtemps avant le début de notre ère. De 
tels tails soni de nature à confirmes l'hypothèse de i'empriaa de«; Austro- 
asiates sur les Dravidiens conquis et refoulés. On notera en outre qu8> lea 
Malto (populations draviidienncs qui vi¥ent au contact dea JSjak) ae souviennent 
apparemment de l'invasion de la contrée par les Gol (c(L Ltng. iSiinL Zn^îs, 
IV, p. 456). Bien: que le mat GoL aoib aujourd'hui am&idévà comme ayant le 
sens vague de Hindou , sa ressemblance avec Kol est frappante. 



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UJN ANCIEN PEUPLE Db PEiNJAB : LES UDDMBAHA. bh 

ture brahmanique. Plus tard enfin, les Bâhlika, venus de 
riran oriental, s'infiltrent , marchands et aventuriers , chez les 
tribus. austroa^^ialiques laissées à VécdJ't pin le$. Brahmanes; en 
organisant de vastes conf(^'déralions comme celle des oâlva et 
en faisant circuler de FOuest à l'Est leurs caravanes, iis prë^ 
parent la formutioa des futurs empires et assurent la tiaisan de 
rinde et de TOccidtîOt. 



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56 



J.VNVIEB.MARS 1926. 



LISTE DES MOTS INDO-ARYENS D'ORIGINE ANARYENNE. 



alâpu, 3i. 

alàbû, 3 1-33, Sg. 

udumbara, 34. 

karpâsa, ha ei stiîv. 

kolambiika, 93. 

kolumbara, 9s-a5, 34, 45. 

kodumbara, aa, a5, ag, 34, 36. 

godumba, 99 et soi v. 

lamburâ, 35. 

damaru, 34. 

dàmru, 34. 

damrû, 34. 

domba, 35. 

tambarâ, 35. 

tumbft, ag, 33-35, 39. 



tumbt, ag, 33. 
tiimbuka, 99, 33. 
Tumbuma, 3i. 
Tumbura, 3i. 
Tiimliuru, 35. 
dumbcir, 35. 
dumbaru, 35. 
dumri, 34, 38. 
donie, 35. 
dombar, 35. 
dombarî, 35. 
dhômbo, 35. 
lâpu, 3i. 
lâbu, 3i, 33, 34. 
lâbuki, 34. 



INDEX DES NOMS PROPRES. 



Abisarôs, 90. 
Agarwala Baniyas, 17. 
Aggalapura, 16 et sulv. 
Agroda, 16. 
Agrodaka , 1 7 et suiv. 
Agrodana, 16. 
Agroha, 17. 
Agrotaka, 17. 
Ajaka, 19. 
Ajamitra, 19. 
Akbar, 18. 
A-kia-loi^t'o , 16. 
Amritsar, ao. 
Aiiga, 16, a 8. 
Aaguttara, i5, 16. 
Aùgutlaripa, i4 et suiv. 
Apaaa, i4. 
Aparàjila, 7, 8. 
Apollodotos, 9. 



Aivapati, 10. 
Âtumâ, i4. 
Audumbara, a, 39. 
Azillsés, 9. 

Bâhîka, 19, i3. 
fiâbli, 19. 
Bâh^a, 11-13,55. 
Bâhlîkî, 11, 19. 
Batanagara, i3, 18. 
Balhanagara, 17, 18. 
Bhaddiya-nagara , 1 4 et suiv. 
Bbadra, 5-7, 9, la, i3, 5a. 
Bbadrâ (Kâbîvatî), 6, ta, i3. 
Bhadrakâra, 4, 5, 7, 4o. 
Bhadramkara , 3-7, i4-i8, 4o. 
Bbadrapura, 7, 8. 
Bhadrika, 9, 19. 
Bhadrikâ, 16. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PMUB : LES UDUMBARA. 



57 



BhaHa,^-s9i 
Bhallika, 9, 1 1, 19, 5s. 
Blianumllra, a. 
Bharata, 5. 
BhuUnga, /i, 5, 60. 
Bidaspés, i3. 
Bolingac, /io. 
Bôlingal, ko. 

Cachemire* 19* ao, 37, 5a. 
Camba, 11. 
Gaspiri, i3. 
Ghamba, ao, 5i. 

Dabmeri, 38. 
Daksmaktsalà, Ao. 
Dayaks, kù. 
Dcmetrios, ai. 
Dharàghosa, a. 

Eutbydémia, ai. 
Eulhydcmos, ai. 

Gandbâre^ 5a. 
Gautama, 3o. 
Gol, 54. 

Harappa, 1. 
Hindou-Kouch, i3. 
Hydraotés, ao. 
Uissar, 17. 

Iksvâku, 3o. 

Indus, a8, 39-/11, /19, 5a et suiv. 

Irâvatï, ao, 38. 

Jnkun, A a. 
JâiaDdharâyana , 19. ^ 
. Jarâsandha , U. . 
Jîvaka, 3-5, 7, i5, 16, 18. . 

Kaccha, 39. 
Kaliïiga, a 8. 
Kannakujja, 16. 



Kângra, ao. 

Kap'l.-ivasiu, 7. 

Kaiminda, 11. 

Kâsi, 7, ai, aa. 

Kasmira, 39. 

Kasmirî, i3. 

Kaspeira, i3. 

Kaspiraioi, i3. 

Kasperia, i3. 

Kaspiria, i3. 

Kaurava, 5a. 

Kausambî, 59. 

Kieou-lieou-mo y a 6. 

K'inlao, 4i. 

Kekaya, 5. 

Kodumbara, ai, aa, a5, a9, 36. 

Kol, 5/i. 

Kosala, a8, 60. 

Kotab, a 4. 

Kolumbara, ai, aa, a3, a5. 

Krakucchanda, 7, 8. 

Kuduma, a4. 

Ktiliiiga, 5. 

Kiilinda, a8, a9. 

Kulumba, a&. 

Kuslnârâ. i/i, a7. 

Madda, 6, 7, 10.. 

Maddava, 10. 

Madliurâ, a 5. 

Madhyadcsa, 6, 39, /io, 5i. 

Madra, 5-7, 9-1 3.. 

Madraka, 5, 10. 

Madtakâra, 6, 5, 7, 60. . 

Mâdrî, 1 1, la. 

Mngadba, ao. 

Mâla ,9,10,11. 

Mâlava, 10-1 a. 

Màlavî, 10, 12. 

Malaya, 10. 

Malla, 9-1 a, 4o. . . 

Malloi, 10. 

Malto, oh. 

Manu Vaivasvata, 3o. 



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ffS 



Jl&NVfEfi-MARS 192^«. 



Mànava, 7, 8. 

Matliurâ, 19, 59. 

Mekala, a8. 

Mcndaka, i5, 19. 

Mendhaka, 3, i/î, 18, 19, âb. 

Mi', 6. 

Ménandre, ai. 

Mlecrha, 35. 

Mohen-jo-Daro, 1. 

Mo-^o-po, 10. 

Mo-lo-io, 10. 

Munda, a 8. 

Nâgasena, 91. 
Nûrpur, 90. 

Odonbeoros, 39, 69. 
Odumbara, 9, 95, ag^ «^. 
Ouindiou, ho. 
Oxus, a4. 

Padnioi, 41-^9. 

PaMava, 11. 

Panda va, Sa. 

Pâlalîpiitra, 7, 8, i4, i<6. 

PaihàD, 18. 

Pathâna, 18. 

Pathânkot, a, 18, Adt-ai. 

Pàlhcyya, 9 5. 

Pin-k'ûp'tt-lo, 16. 

Porus, a». 

P*(y-tch*a norkie, i^-8. 

Fo-t'i, 6, i/i. 

Pulinda, a8. 

Pundra, a 8. 

Râjagrha, 7. 
Râvî, 38. 
Beva a, 16 , 18. 
Rohitaka, 3, 16-19. 
Rolitak, iG, 17. 

Saîla, 7, 8. 
Sâka, i3. 



Sâkala, 7, 8, i3, 17-94, 5i,lb. 
Sâlva, /î, 5, i3, 19, 55. 
Saradanda, /i, 5. 
Sa'adru, 5. 
Srâvaslî, 7, i5. 
Suiiga, 5i. 

Sâgala, 7, 10, ai. 

Sagara, 3o. 

Saliajâll, i6. 

Sâkala, 16, 18. 

Sâlva, 4, 7, la. 

Sangala, 10, 90. 

Sarasvalî, 5. 

Sâvatthî, i4. 

Shahab-ud-din Ghori, 17.^ 

Siaikot, 7, 16, 17. 

Sieourmo, 6. 

Simla, il. 

Sou-mti, 6. 

Sthûnâ, 7, 8. 

Siimati, 3o. 

Taksai$ilâ, 3, 7, i5, i(^., &*. 
Talamha, 38, 39. 
Tamcrian, 38. 
Tilakbala, 4, i3. 
Tilinga, a8. 
Tosala, 98. 
Trapiisa, 9, 5a. 
Tulamba, 38, 39. 
Tuliimba, 38. 
Tiimbiima, 3i. 
Tumbura, 3i. 
Tumbaru, 35. 

Udra, 98. 

U-du-ma, i5, 17, t.8. 

Udumbara, 1-7, i3, <5-«i,<36*iH0., 

46, 48, 5a. 
Ujja^inî, 59. 
Ulkala, 98. 
Uttarakosala, 4o. 
Uslnara, 97. 



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UN ANCIEN PEUPLE DU PENJAB : LES UDUMBARA. 59 

Vâhïka, 10. Vidisa, 5i. 

Yairâmaka, dg. Yyti8itâ^va, 6, i^, i3. 

Vaaga, a8. ., . _, 

Vasistha, 5. ^ ii , 

,T_v . -' * I utfandhara , a . 
Viôtâspa, 13. n » 

Yesâlî, i4. Zaradros, 5. 



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LES 

EXPÉDITIONS DES ARABES 
CONTRE CONSTANTINOPLE 

DANS L'HISTOÏRE ET DANS LA LÉGENDE, 

PAR 

MARIUS CANARD. 



Après la destruction de rempire perse, les Arabes, repre- 
nant à leur compte la lutte séculaire de l'Orient contre l'Occi- 
dent, dirigèrent contre l'empire byzantin de nombreuses expé- 
ditions dont quelques-unes les amenèrent jusque sous les 
murs de Constantinople. Elles furent particulièrement impor- 
tantes sous les Omeyyades et continuèrent avec moins de fré- 
quence et de succès sous les Abbasides. Après le déclin du 
califat abbaside, Sayf al-Daula, le Hamdanide d'Alep, fait 
encore des incursions sur le territoire de l'empire t^^. Mais il a 
affaire à forte partie : Nicépbore Phocas va s'emparer de sa 
capitale, et les grands empereurs de la dynastie macédonienne 
arrivent h reconquérir une grande partie de leurs anciennes 

(^) Lors de la fameuse expédition du saut, en 339/960, il s'avança jusqu'à 
sept jours de marche de Constantinople. Frbytag, Zeit. der deutsch. morgenl. 
GeselUchaft , XI, 1857, p. t88. Cf. Sohlumbergbr, Nicéphore Phocas. 

GCVlll. 5 



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fti JANVIER-MARS 1926. 

possessions. Puis viennent les Croisades. La marche sur 
Constantinople paraît inlerrpmpue. Elle ne sera reprise, cette 
fois avec succès, que par les Turcs. 

Les guerres arabo-byzantines ont été étudiées, d'un point 
de vue strictement historique et chronologique, par Well- 
hausen^*^, pour la période omeyyade. Brooks^^^, d'autre part, 
a traduit et annoté un certain nombre de passages extraits des 
historiens arabes et relatifs aux luttes qui eurent lieu entre les 
années 64 1 et 81 3 de l'hégire. Nous ne nous occuperons ici 
que des expéditions qui ont atteint Constantinople ou ont eu 
pour but la conquête de la capitale byzantine. Nous examine- 
rons, à côté des traditions historiques, les traditions plus ou 
moins légendaires éparses dans les annalistes musulmans ou 
chrétiens, dans les géographes arabes, dans le Kilâb al-Agânï 
ou rikd al-Farïd, dans le hadit. Leur abondance atteste le 
travail de l'imagination populaire autour des faits historiques : 
la légende d'Abû Ayyùb al-Ansârï, par exemple, s'est singuliè- 
rement développée. Peut-être ce travail n'a-t-il pas été sans 
influer sur la formation des contes héroïques de la geste musul- 
mane, et nous serons amené en terminant, à passer briève- 
ment en revue les romans de chevalerie, oii l'on trouve le 
thème de la lutte contre les Byzantins, et en particulier de 
l'expédition contre Constantinople. 

Lbs Omeyyades. 

Les expéditions contre Constantinople exigeaient une flotte. 
Elles eurent donc lieu principalement à l'époque où les Arabes 



<^) Die Kàmpfe der Araber mit den Romàem in der Zeit der Umaijiden (Nachr, 
derkgi GeselL der Wia»,, de Gôttingen, l%il. hist. Kl., 1901, p. U\U et suiv.) 

(*) Journal of Hellenic Sludies, XVIII, 1898, p. 182 à 208; XÏX, 1899, 
p. 19 à 33. Èngliêh histoiical Review, XV, 1900, p. 788-7/17; XVI, 1901, 
p. 84-9». 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTTNOPLE. 63 

pouvaient mettre sur pied une niarine importante. Mas^ûdî le 
fait justement remarquer : «C'est par cette entrée du déiroît 
(Abydos) que fut assiégée Constantinople au temps où les 
Musulmans possédaient une flotte et envoyaient des expédi- 
tions contre les Boums, des frontières de la Syrie et de 
l'Egypte ti). 

Mdawiya. 

L'expédition de 34/655. — Mu^âwiya, qui fut Tâme des 
premières guerres contre les Byzantins, avait compris l'impor- 
tance d'une flotte et d'expéditions maritimes auxquelles répu- 
gnaient les Arabes. Après l'expédition de Chypre, au temps où 
il était gouverneur de Syrie sous le calife Otmân , il en dirigea 
une contre Constantinople même. L'événement principal en fut 
une rencontre navale entre la flotte grecque et la flotte égyp- 
tienne, commandée par ^Abd Allah bin Abï Sarh^^)^ ^Àle est 
connue sous le nom de Bataille des Mâts (Dât al-Sawâfî). 
Wellhausen a montré ^^^ qu'elle eut lieu en 34/655 t^^, et non 
en 3i, date indiquée par Wâkidî^^^ comme il ressort de la 

(*) Mas'ûbI, Livre de VAverttBsement, trad. Carra de Vaux, p. 196; texte, 
p. 1 /il. Cf. Prairies, II, 3iB. 

(>) Et non Abu' 1-AVar, comme le dit Théophane {Chronographia, éd. 
de Boor, A. M., 61&6, p. 345), k€ovXa6dp, 

t'^ Op. dt, p. /iao. 

(*) Théophane, i4.Af., 61/16. La date de Sh est celle que donnent égale- 
ment Abu Ma'kir apud TabarT, éd. de Goeje, I, 9865; Mas'ïidî, Avertissement, 
p. 917; Ibn 'Abd al-Hakam , éd. Toirey, p. 189-1 g 1 (cf. Mai^rizT, Mawâ'iz, 
éd. Wiet, III, a* part., p. i63 et suiv., où Makrizï reproduit le récit d'Ibn 
'Abd al-Hakam). Selon d'autres traditions, il y eut également une expédition 
contre Constantinople en 39 : TabarT, I, 9888 (expédition de Mu'âwiya avec 
sa femme 'Âtika ou Fâhita). Ya'kûbT, éd. Houtsma, II, 196; TArménien 
Sbbbos, HisU d'Heraclius, trad. Macler, III, 36. Ce dernier montre Mu'âwiya, 
qui était venu par terre, entrant à Chalcédoine, et la flotte détruite par une 
tempête en vue de cette ville. Il y a confusion avec une expédition postérieure. 
U s'agit peut-être dans tous ces faits d'une seule et même expédition. La con- 
fusion tient à ce qu'il y eut tous les ans des raids plus ou moins importants. 

(') Apud Tabarï, I, 9868. 



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64 JANVIER-MARS 1926. 

comparaison avec les mêmes faits rapportés par Théo- 
phane ^^K 

Les Grecs, avec l'empereur Conslans, fils d'Héraclius, furent 
battus sur la côte de Lycie, à un endroit nommé Phœnix. Ce 
fut une défaite retentissante que les annalistes chrétiens né 
dissimulent pas. Théophane la compare à la catastrophe du 
Yarmûk^^^ Chacun des deux partis se prépara à la lutte pen- 
dant la nuit par des prières ^^l Le combat fut violent : des deux 
côtés on constate qu^il y eut un grand nombre de tués et que 
le sang couvrit la mer^*^. L'empereur Constans dut 8*enfuir 
honteusement sous un déguisement ^^l La tradition arabe dit 
même qu'il fut blessé : mais cela tient à ce que, d'après 
Théophane, les Arabes prirent pour l'empereur Thornme qui 
s'était revêtu des vêtements impériaux pour favoriser la fuite 
de Constans ^*l Théophane fait aussi ressortir le dévouement 
d'un jeune chrétien de Tripoli, qui, après avoir essayé de 
détruire les préparatifs arabes en Syrie, s'était enfui chez les 
Grecs : dans la bataille, ce fut lui qui fit passer l'empereur sur 
un autre navire, et montant sur le navire impérial, y combattit 
courageusement jusqu'à la mort. 

La défaite de Constans lui avait d'ailleurs été annoncée par 



(») P. 345 et suiv. 
W P. 33a. 

<3) TaBARÎ, I, 2870 : i^jyla^ ijyJ^»^\ \yiLy j^lyjJli y>^^ [1^^] '>^^ 

•^) Th^ophamb, p. 3/16 : arryxtpvàrai H QéXaaaa r^ oljpiaTi TâHv PmftaUtp. 
Tabarî, I, 9868 : *U1 cU t-JLiJl joJI ij\ — l^yhs pUI c^ ^U^Iojcs^; 

C*) Théophane, p. 344, cf. Michel le Syrien, trad. Chabot, II, p. 445- 
446; Gedbends, P. G., Migne, p. 123 : êtaaudeit vvétrlpt^e y^tt* aiaxj^vit* ip 
KctpalapTipotncoXgt II s'enfuit à Constantmopie et non en Sicile comme le 
disent Ibn 'Abd al-Hakam (p. 191, seconde tradition), Mas'ûdï, Avertiste- 
tnent, p. 317 et Agapius de Mkmïj , Patrologie orientale, VIII , p. 484. Cf. Théo- 
phane, A. M,, 6160, p. 35i-35â. 

(«) Théophane, 346, 16. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE GONSTANTINOPLE. 65 

un songe : il avait rêvé qu'il se trouvait à Thessalonique, et ce 
nom avait été considéré comme de mauvais augure, car on 
pouvait l'interpréter par Q-è$ SXk(p vUtfv ^ laisse à un autre la 
victoire »^^^ 

Cette victoire semble avoir surpris les Arabes. Us étaient 
inquiets avant d'engager la bataille. La moitié des hommes 
étaient descendus à terre quand on annonça l'arrivée de la flotte 
grecque ^^^ L'émir était désemparé : ce fut un Médinois qui le 
réconforta. On commença par lancer des traits, puis des 
pierres; enfin les navires furent attachés les uns aux autres 
par des chaînes pour que l'on pût combattre à l'épée. Le navire 
de l'émir faillit ainsi être entraîné par un navire ennemi et ne 
fiit sauvé que grâce à un nommé ^Alkaraa bin Yazîd qui parvint 
à couper la chaîne d'un coup d'épée^'^ Mais ce mode de combat 
était à l'avantage des Arabes : dès que Gonstans en eut été 
informé, il eut le sentiment de la défaite irrémédiable -^l 

D'après Wâkidï^^^ ce fut en vertu d'une convention que les 
navires furent attachés ensemble, un grec et un arabe. La pro- 
position dut sans doute venir des Arabes, qui voulaient trans- 
former le combat naval en un combat terrestre, car ils se sen- 
taient plus soldats que marins ^^\ D'après une autre tradition , 
également rapportée par Tabarî, ils auraient offert de com- 
battre sur terre, mais les Grecs auraient préféré la mer. Peut- 
être y eut -il aussi un combat sur terre : le récit très bref 



(^) Id., ibid,, è ^aotXêv^ eïdois fiil éx(H(i0ffs, fciJTC Spetpop êHu ta yàp 
étpai 90 ip SêcoaXùùpUri «Q-és dXXip plxnpyt êyxpipeTcu, tn^ M% mp6t x6p 
ê/ôpàp crou i v/xir TpéiteiM, 

^*^ Ibn *An> AL-HiKAM, p. 190, 3-/i, avec Busr bÎD Abî Artât 

(*) ÏBH *Abd al-Hakah, 190, 93. 

(*) Ih, y ibid., 190, 18-19 : iJ> ) . f .>é J (Li fjyLi y. t.,» J»»^ t<jAtt> ^lymM ]^i^ 

W TiBABï, I, a868. 

^") Cf. sur Taversion des Musulmans pour la mer, P finaud, /. A., IV* série, 
ta, i848, p. a39. 



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r>6 JANVIER-MARS 1U26. 

d'Agapius de Manbïj semble l'indiquer; il montre Gonslans 
marchant (par terre sans doute) contre Abu rtJd qui était entré 
à Phœnix et avait ravagé le pays, et envoyant par mer son 
frère Yakùt( Théodore ?)(!). 

Dans la tradition turque que donne Leunclavius ^^^ il s'agit 
d'une bataille à la fois navale et terrestre; il la place inexacte- 
ment à la fin de l'expédition postérieure où mourut Abu Ayyùb, 
et qui, dit-il, dura sept ans. Mais l'exposé des faits montre 
bien qu'il s'agit de la rencontre de Dât al-Sawârï. Les Arabes, 
après avoir levé le siège de Constantinople, furent poursuivis 
par la flotte grecque et livrèrent un combat naval qui dura un 
jour et une nuit. Comtnandés par *Abd Allah bin Abï Sarfe 
(Abdulla Sarchae filius), ils accrochèrent les vaisseaux grecs à 
l'aide de grappins et s'emparèrent de plusieurs. Le combat fut 
sanglant ^^^. A la fin, les Grecs, cernés sur mer, voulurent s'en- 
fuir en débarquant. Mais les Arabes abordèrent également et 
les poursuivirent sur terre. Ce fut pour les Grecs un désastre 
tel que l'empereur se serait tué de colère et de douleur en 
apprenant la nouvelle. 11 s'agit donc bien là de la bataille de 
Dât al-Sawârï, bien que l'auteur ait déjà parlé d'un combat à 
Phœnix dans son récit de la première expédition arabe ^*^. 

Le nom de Dât al-Sawârï ou Dû'1-Sawârî (Ibn *Abd al- 
Hakam) est expliqué par Wellhausen comme un nom de lieu^^^ : 

(^) AoAPius DE ManbîI, Patrologie orientale, VIII, p. 480. 

î*) Leukclavius (Lôwenkiau), Historiée musultnanœ Turcorum libri iriii , 
Francfort, 1696, p. Sg et suîv. Leunclavîus est un savant allemand mort en 
1693 qui vécut longtemps en Turquie. Cité dans Mobdtmann, Encyclopédie de 
VUlam» I, p. 889-890. Cf. Der hlam, Xïll, p. i53. 

t*) «Utipsa maris superficies, prœ sanguinis effusa copia, purpureum colo- 
rem indueret.» 

(^) LBDNGLAYins, p. 87. Plus loiu il signale aussi un grand combat naval et ter- 
restre lors de la poursuite de Maslama , battant en retraite , par les Grecs. Ceux- 
ci furent bousculés et jetés à la mer après trois jours de lutte. (Pour Mastama, 
cf. in/ra, p. 80 et suiv.) 

(^^ P. 420, d'après Théophane, 385 (cf. Nicéphobe, Breviarium, éd. de 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 67 

c'est le pays des mâts. Les Arabes rentendent tantôt comme 
un nom de lieu^^^ tantôt comme le nom de l'expédition elle- 
même ^^\ Cette appellation reste obscure. On pourrait invoquer 
en faveur du nom de lieu la tradition qui veut qu'un combat 
ait eu lieu aussi sur terre. 

Il ne semble pas que Mu^âwiya ait profité de celte victoire 
pour attaquer Gonstanlinople,bien que l'expédition fût dirigée 
contre la capitale ^^^ Théophane dit seulement que Mu^âwiya 
marcha sur Césarée de Cappadoce. Aussi ne peut-on parler à 
cette occasion d'un siège de Constantinople par Mu^âwiya^^^ 
Mais désormais, la route était ouverte pour de nouvelles expé- 
ditions et la force des Arabes bien démontrée. 

L'expédition de Yazïd et Abu Ayyûb. 48-4 9/6 68-669. — ^^^^ 
passons maintenant sur une autre expédition, celle de Busr 
bin Abî Artât, qui, d'après Wâkidi^^^ aurait poussé jusqu'à 
Constantinople en 43/663, pour arriver à celle que firent 

Boor, p. 5o). Phœnix est le pays des mâts, un lieu couvert de cyprès d'où les 
Arabes tiraient du bois pour leurs navires , et que les Grecs avaient pour cette 
raison un intérêt particulier à ne pas laisser tomber entre leurs mains. C'est ce 
nom, dit Wellbausen, qui a sans doute induit Wâ^dî à dire que les navires 
furent attachés par les mâts. (TabarI, I, 9868 : ^^\yo ^^O 

(^) Ibn *Abd al-Hakam, p. 190, 3 : (£^\yoJ\ \S Jj3 U. TabarT, I, 0870, a 
et 1 1. 

W Ma8*ûdî, Avertiisement, p. 917; ïbn *Abd al-Hakah, p. 190, 1 : I^ 
^^lyâJtti; MAfRîzï, op. du, y, p. 70 et n. 8 : <£p\yAJ\ (£S ïy^ g»...»,M> U^l 
l^LjLai^J^ *-s51 ^l (£^\yo A^sSi). M. Wiet a eu Tobligeance de nous commu- 
niquer les bonnes feuilles de son tome V de Makrîzî d'où nous tirons cette 
citation. Nous le remercions également de nous avoir signalé les hadît sur la 
conquête de Constantinople du Muntahab Kanz al-*Ummâl (infra). 

t») Th^ophanb, p. 345, 17. (Cf. Tabarî, I, 3888.) 

î*) Guy Le Strakgk, Eaitem Caliphate, p. 137. «Mu'âwiya raided across Asia 
Minor and attempted to take Constantinople, first by assault, and then by 
siège, which last he had to raise when news came of Uie murder of the calife 
Othman.» 

<*) TabarI, n, 97. Cf. Ya*|:ubT, II, 386 : ce dernier ne dit pas qu'il soit 
allé jusqu'à Constantinople. De même Agipids, Pair, Or., VIII, p. bg\. 



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«8 JANVIER-MARS 1926. 

Fadâla, puis Yazïd, fils de Mu^âwiya accompagné de Abu 
Ayyûb al-Ansârï. Elle est célèbre dans les annales de rislâna 
et parait être la première en date qui aboutit à un siège de 
Gonslantinople^^^. 

D'après Wellhausen^^), les faits historiques se réduisent a 
ceci : Mu^âwiya en 48, envoya une expédition conduite par 
Fadâla bin ^Uhayd al-Ansârî pour porter secours au stratège 
d'Arménie, Saborios, révolté contre Constans. Mais quand il 
arriva, Sabonos était mort ^*^ la concorde rétablie parmi les 
Grecs et Constantin IV Pogonal proclamé empereur. Il hiverna 
à Chalcédoine et réclama du secours. MuWiya lui envoya son 
fils Yazïd. De concert, ils assiégèrent la ville pendant tout le 
printemps de l'année 4 9 et repartirent pendant l'été sans avoir 
obtenu de succès. 

Théophane^*^ dans le récit de ces événements, ne parle pas 
d'un siège de Constantinople. Les Arabes pillèrent seulement 
Chalcédoine, dit-iU^^. Il s'étend surtout sur la rébellion de 
Saborios et sur les tractations qui eurent lieu entre Mu^âwiya 
d'une part, et les envoyés respectifs de Saborios et de Con- 
stantin, le futur empereur, d'autre part. Il rapporte quelques 
traits curieux. Au moment où Sergios , l'envoyé de Saborios, 
est assis, en conversation avec Mu^âwiya, arrive le cubiculaire 
Andréas, ambassadeur de Constantin. Sergios, par habitude, 

(^i Cf. Mas'ûdî, Avertisiement, p. 198. 

(^) P. /ta 3. 

^^) Victime d'un accident de cheval. Théophame, A. M., ôiSg, p. 35o, 
•j3-36. 

(*) P. 348 et8uiv.,i. M., 61 69. 

(*) Cf. AvJAPins, Patr. Or., VIII, p. 488. Il ressort cependant des sources 
citées par Weilhausen, p. 4a 2, et notamment de la chronique syriaque de 
Noldeke (Z, D. M , 1875, p. 96 et suiv.) qu'il y eut bien un siège, 
puisqu'on voit la foulo des rëhigiés faisant une sortie hors de Constantinople 
malgré l'empereur et décimés par les Arabes. B faut observer pourtant 
qu'aucune source ne parle d'une flotte arabe, pourtant nécessaire au passage 
du détroit. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 69 

se lève quand îl entre. MuWiya s^en étonne et, nprès Tentre- 
vue, lui en fait reproche. Le lendemain Sergios change d'atti- 
tude ^^l Mu^âwiya promet sans pudeur son concours à celui qui 
lui offre le plus; il demande beaucoup ^^^ et c'est finalement le 
rebelle qui l'emporte. 

L'armée arabe, à Chalcédoine, souffrit beaucoup de la 
famine et de la maladie. C'est à ce moment que se place l'épi- 
sode bien connu de Yazïd, rapporté par de nombreux auteurs 
arabes ^^l Yazïd préférait les douceurs de l'arrière aux dangers 
du front. Dans sa résidence de Dayr Murrân^*^ il déclamait les 
vers suivants qu'à une autre époque, on eût pu qualifier de 
défaitistes : «Mollement étendu sur des tapis, vidant à Dayr 
Murrân la coupe du matin, à côté de'Umm Kultùm, — je me 
soucie, ma foi, fort peu des ravages de la vérole et de la fièvre 
parmi nos troupes à Chalcédoine^^l» Les sentiments de Yazïd 
auraient indisposé MuWîya, qui les jugeait sans doute peu 
dignes d'un futur calife, et il envoya à son fils Tordre de 
rejoindre le camp du Bosphore. 

L'armée de Yazïd, réunie à celle de Chalcédoine, alla 
assiéger Gonstantinople. Il y eut devant une porte de la ville, 
des combats auxquels prit part Yazïd, selon le récit du Kitâb 
al-Agânî. «Yazïd aperçut deux tentes recouvertes de brocart ^^l 

t^) THioPHAME, p. 349 : (tiiKéri vpoaxvvi/iarit rf kpêpét^, èvêlovSèv aivéaets, 
dit Mu*âwiya à Sergios. Le lendemain celui-ci dit à Andréas : oUx iveytipoftal 
(Toi, Su oÙK dviip el, oCêè yvvi^. Cf. Michel le Syrien, II, p. 65 1 et suiv. 

(*^ Tiiy» ei(y<popàp -v&v hfiuofjidùv vapéy^Bîv roîs kpa->l/tp. Cf. Lbbbau, HisU du 
Bas-Empire, XI, p. /ioo-/io/i. 

(3) YA'fûBT, II, 279; *Ikd al^Farid, éd. du Caire, II, i3i6, aiS; Kitâb 
al-Agàni, 9* éd., XVI, 33; Mas'ûdT, Prairies , V, 62 ; Ibn al-Atîr, éd. du Caire, 
]3oi, III, â3i ; Yaçùt, Geogr. Wârterbuch, éd. Wùstenfeldt, II, 697. Cf. Lam- 
MEKS, MéL de la Fac. Or. de Beyrouth, III, 1, p. 3 06. 

(*î Dans le voisinage de Damas Voir l'article du P. Lammens dans VEncyclo- 
pédie de Vhlam, 

W Trad. Lammbns, M, F. O.B., III, 1, p. 3o6. Sur 'Umm Kultûm, Tépouse 
de Yazïd , voir le même passage. 

(^) ^Li^«>. Cf. Babbier db Metnard, J. A,, 9, 1907, p. 38 1. 



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70 JANVIER. MARS 1926. 

Toutes les fois que les musulmans chargeaient l'ennemi, il 
s'élevait de Tune des tentes des bruits de tambourins, de tim- 
bales et de flûtes. Quand les Roums chargeaient, les mêmes 
bruits s'élevaient de l'autre tente. Yazîd ayant demandé ce que 
cela signifiait, on lui dit : « L^une des tentes est celle de la fille 
«du roi des Rouras, l'autre celle de la fille de Jabala bin al- 
tcAyham; chacune d'elles témoigne sa joie des exploits de son 
« parti (^). — Eh bien , dit Yazïd , je vais donner de la joie à la fille 
et de Jabala! 99 Et aussitôt, rassemblant ses troupes, il chargea, 
mit les Houms en fuite et les força à se réfugier dans la ville. 
Il frappa la porte de la ville de la massue qu'il avait à la main , 
de coups si répétés, qu'elle se fendit. Une plaque d'or y fut 
clouée qui s'y trouve encore aujourd'hui ^^l» C'est là une 
légende amusante; elle ne suffît pas pour faire décerner à Yazîd 
le titre de «falâ al-*Arab» qui lui est donné dans des traditions 
rapportées par Ibn al-Âtïr et Ibn Hajar pour sa conduite devant 
Gonstantinople^*^. 

La légende d'Abû Ayyùb. — Avec Yazid étaient partis pour 
Gonstantinople plusieurs personnages illustres de l'islamisme, 

(^) Cf. un trait semblable à la bataille du Yarmûk à propos d'Abû Sufyân 
faisant des vœux pour la victoire des Grecs. TabarT, I, a348-a349 (Cabtani, 
AnnaU, III, p. 55i ); Agàni, VI, 96. 

W Kitâbal-AgânifXyi, 33. — Jabala bln al-Aybam est un descendant de 
la famille des phylarques gassanides de Jafna. Il combattit au Yarmûl^ du côté 
des Grecs (cf. Noldekb, Die ghassanischen Fûrsten aui dem Haute Gajna*9 dans 
Abhandl. der Berl. Ak. der \V,, 1887, II, p. 4 5-4 6). L'histoire de sa conver- 
sion à rislàm au temps d"Omar, de son abjuration , de sa fuite à Gonstanti- 
nople et de ses regrets est contée de façon romanesque dans VAgânî, XIV, 
4-7, et Y'Ikd,!^ 100-101. Aucun de ces deux textes ne parle de sa fille. *Omar, 
puis Mu'âwiya, se seraient efforcés sans sucxîès de le faire rentrer en pays 
musulman. D'après Nôldeke, son séjour à Gonstantinople est incertain , d'autres 
sources indiquant qu'il s'était retiré en Gappadoce. Gf. Gabtami, Annalif III, 
p. 55 1 et suiv., 56a, 936; IV, p. 5o6; V, p. 196 et suiv. 

(^) Ibn al-AtTr, III, a3i ; Ibn HaJar, éd. de la BibL indica, II, i3 , not. 3779. 
Ce titre lui est décerné à propos de la mort héroïque devant Gonstantinople 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE COiNSTANTINOPLE. 71 

Ibn *Abbas , Ibn ^Omar, Ibn al-Zubayr et Abu Ayyùb al- 
Ansârî^^l Autour de ce deniier devait se former un important 
tissu de légendes. 

Abu Ayyùb avait hébergé le prophète à Médine. Il avait pris 
part, au temps de Mohammed, à toutes les expéditions sauf 
une et ne se pardonnait pas d'avoir une fois manqué à son 
devoir '^^. Aussi accepta-t-il, malgré son grand âge, de partir avec 
Yazïd. Celui-ci espérait ainsi attirer une bénédiction spéciale 
sur son expédition ^^^; peut-être Temmenait-il aussi parce qu'un 
hadît prédisait que Gonstantinople serait prise au temps d'un 
des compagnons du Prophète ^*l 

Abu Ayyùb tomba malade en cours de route. Il dit alors a 
Yazid qui était venu le voir : «Quand je serai mort, emporte- 
moi avec toi aussi loin qu'il te sera possible d'avancer en terri- 
toire ennemi, et lorsque tu ne pourras aller plus loin, enterre- 
moi sur place ^^l» D'après une autre tradition, Abu Ayyùb 
tomba malade quand l'armée arriva au détroit, et dit à Yazîd : 
«Conduis-moi aussi loin que tu pourras dans le pays des enne- 
mis, car j'ai entendu l'Envoyé de Dieu dire qu'un saint homme 
serait enterré sous les murs de Constantinople, et j'espère que 
je serai cet homme ^^\ » Il fut enterré sous les murs de la ville ^''l 

d'*Abd ai-'Azïz bin Zuréra. Quand Mu'âwiya annonça la mort de ce dernier à 
son père, il Iiii dit : vr^' c^ ^^ • — Lequel ? répondit le père, mon fils ou le 
tien ? — Un combat devant la porte de Constantinople est également men- 
tionné dans Ibn Hajar, I, p. 833, not. d^Abû Ayyûb. Quant au trait de Yazîd 
frappant la porte de sa massue, cf. infra, p. 9^, n. a, Tépisode d'*Abd AUali 
bin Tayyib lors du siège de Maslama. 

(1) Tabahî, II, 86; Ibn al-AtTr, 111, a3i. 

W Ira Sa*d, Tabakât, III, a, p. Ag-ôo. CL Ibn Hajar, I, 83a. 

t*^ KaramInT, Ahbar at-Duwal, en marge d'Ibn al-Atir, éd. du Caire, lago, 
VI, p. a : S^^ j^j^I ^ii^yjÂJ ài^y^ ^ji Os»j,î a»^ »»Xâ-J y^. 

W TiBMiDÏ, Sahih, II. 36 : (^\ v^I J^ u^; c** [ ^ AJ^-Um. i .M ] o.*SA>i , 
cité par Lammbns, M. F. 0. B., III, i, p. 3o8. 

(') Ibn Sa'd, Ibv HaIab, loc, cit, 

W *i^,II, ai3. 

(7) Ibn Sa'd,III, a, 5o; TababI, III, a3a&; 'Hfd, II, ai3; Ibn Kdtatba, 



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7-2 JANVIER-MARS 1926. 

D'après certaines traditions, Yazïd fit passer la cavalerie à l'en- 
droit où ii fut inhumé ^^^ pour dissimuler sa tombe aux ennemis. 
La mort d'Abû Ayyûb n'échappa pas aux ennemis, dont le roi 
exprima son étonnement que Yazid laissât là le corps d'un des 
compagnons du Prophète et fit entendre que, aussitôt les 
Arabes partis, la tombe serait profanée. Yazïd répliqua que, 
en ce cas, il se vengerait sur les chrétiens de son pays : «Si 
j'apprends qu'il a été exhumé et qu'on a mutilé son corps, je 
ne laisserai pas en terre arabe un seul chrétien vivant ni une 
seule église debout ^^\ » L'empereur promit alors de respecter 
la tombe; il l'orna ensuite d'un monument à coupole qu'on ne 
cessa d'embellir. Beaucoup d'auteurs signalent que son tom- 
beau fut l'objet d'une grande vénération et de visites pieuses 
de la part des Grecs. Ils s'y rendaient pour y faire des prières 
à l'effet d'obtenir de la pluie en temps de sécheresse et mettaient 
le tombeau à découvert, comme cela se pratique en pays mu- 
sulman, afin de faciliter l'intercession d'un saint auprès de 
Dieu (3). 

Il n'est pas étrange que les Arabes attribuent aux chrétiens 
le rite de l'istiskâ' ou prières pour la pluie. Cette coutume 
n'est pas spécialement musulmane. Mais il est curieux qu'ils 
fassent vénérer leurs héros par leurs propres ennemis. Cepen- 
dant le fait n'est pas isolé. «Al-Battâl est un des musulmans 

Kttâb al-Ma'ârif, lUo; Ma8*ûdI, Praiiies, V, 62; Ibn al-AtIr, III, a3i. De 
méùie : Motahhar bin Tihir al-Ma^disï, Livre de la Création et de VHiitoire, 
trad. Huart , V, p. la^ : p. laa ; Karamanî, loc. cit. 

(^) Ibn Kutayba, loc. cit.; Ibn al-AtIr, 'Utd al-Gâba, V, i/i3; cf. Ibn Sa*d, 

p. 49 : «iCalJôi 01^ j>JL»^U ^OoJ! ^Sil^lta 13!. 

(') Tkd; cf. Ibn Kutayba; Karamânï. 

(3) Tabarî, m, p. 33-24 (cf. Ibn Sa'd, lll, 2-5o) : y>^^ ^^ ^ ^y^^ 
\^Lji. 131 »i ^^jt...Y.M./^ »^; Ibn Kutatba, loc, cit. : ^ iyLâ5 i^JLs:) 31 ^itXi 
I^Jai «W.J. De même : Livre de la Créatûm et de l'Histoire, V, laa. Sur ces 
pratiques, et en particulier ceiie d*une ouverture au Bonunet du tombeau, 
voir GoLDziHER, Mohammedanische SttuUen , II, p. 3i3, cf. Mélangée Noldeke, 
I, 3o8. 



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LES EXPÉDITTOISS DES ARABES (.ONTRE CONSTANTINOPLE. 73 

illustres dont les chrétiens ont la statue dans une de leurs 
églises» dit Mas^ûdi^^l Un trait semblable à celui d'Abû Ayyûb 
est signalé à propos d'^Abd al-Ra^man bin Rabî^a , qui fut tué 
en 3 2 au cours d'une bataille contre les Turcs et les Hazar 
dans la région de fialanjar (Portes Caspiennes). Les Turcs 
s'emparèrent de son corps, qui devint l'objet, de leur part, de 
prières d'istiskâ' ^^K 

Le tombeau d'Abù Ayyûb fut miraculeusement retrouvé 
après la conquête de Gonstantinople par les Turcs en i453 '^\ 
Le sayh Ak Sams al-Dïn ayant vu, en un certain endroit des 
rayons de lumière sortir de terre, pensa que c'était là l'empla- 
cement de la sépulture d'Abù Ayyûb. S'étant approcbé, il 
entendit le héros qui lui pariait, le félicitait au sujet de la 
conquête de la ville et remerciait Dieu d'être enfin délivré des 
infidèles. Le sultan se rendit au lieu désigné. Sur les indica- 
tions du sayh, on creusa la terre et l'on mit au jour une dalle 
de marbre portant une inscription attestant que c'était bien là 
le tombeau d'Abù Ayyûb al-Ansâri. L'émotion du sultan fut 
telle qu'il faillit tomber à terre. II ordonna qu'on construisit 
une coupole, puis une mosquée sur l'emplacement ^^^. Les 
sultans ottomans ont pris l'habitude d'y venir ceindre l'épée 
d'Osman à leur avènement. 

La mort d'Abù Ayyûb est également rapportée par des tra- 
ditions turques dont l'une fournit une version singulière ^^^. 

(^) Prairies d*or, VllI, 7/1, cité par Gaodefboy-Dbmombtnes, îoî nuits, p. i3o. 

^'J Tababî, I, *j669 et 2790; Ibn al-Atïb, III, p. 64; Ibn Uajab, II, p. 967, 
not. 9/186. 

(^) Cf. Hammeb, Histoire de Vempire ottoman, Paris, i835, XVIII, 67. 

(*) Ce récit se trouve dans. Kabamânï, op. cit., IV, 8-9. Le texte dit que 
Tinscription trouvée était en caractères hébraïques : ^pi^-^c i^^ JuXc -U.^ . 
Gela porte à croire que la légende remonte à une autre source et qu*elle a été 
appliquée telle quelle à Abu Ayyûb. — La mosquée fut «construite cinq ans 
après la conquête (Hammbb, lue. cit.). 

(^) Dans Lkunclavius, op. dL, p. 89 et suiv. Cité par Mobtdhann . Encycl. de 
r Islam, I, p. 890. 



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74 JANVIER-MARS 1926. 

Les données chronologiques y sont fausses ^et le siège en ques- 
tion est représenté comme ayant duré sept ans. 

D'après une première tradition , qui se rapproche par cer- 
tains côtés des récits arabes, Abu Ayyùb frappé au cours d'un 
combat d'une flèche à la tête (ou à la main), et sur le point de 
mourir, aurait ramené à l'assaut les troupes musulmanes qui 
s'enfuyaient; il aurait recoûamandé à ses compagnons de l'en- 
sevelir sur pkce de telle façon que les ennemis ne pussent 
remarquer l'emplacement de sa sépulture. L'empereur fit dire 
aux Arabes qu'il ne lui avait pas échappé, quelque soin qu'ils 
eussent mis à le dissimuler, qu'un de leurs grands chefs était 
mort^^^ Là-dessus, les Arabes, voyant que les chrétiens étaient 
renseignés, firent la paix, échangèrent des présents avec l'em- 
pereur, et prirent le chemin du retour par terre et par mer. 
Mais les Grecs les poursuivirent et leur flotte livra combat à la 
flotte arabe. Le récit de la bataille navale montre qu'il y a con- 
fusion avec celle de Dât al-Sawârî^^^ 

Vient ensuite l'histoire de la découverte du tombeau , par les 
Grecs, sous Constantin Pogonat, en des traits qui font songer 
à la même découverte par les Turcs. Des rayons de lumière 
apparurent sur l'emplacement de la sépulture ^^l Etonné de ce 
fait merveilleux, Tempereur y fit construire un monument à 
coupole. La foule, accourue pour voir le prodige, fut témoin 
d'un nouveau miracle : une source jaillit, dont les eaux se 
révélèrent douées de propriétés bienfaisantes. On en emplit 
des flacons et on en fit même un grand commerce dans tout 
l'empire : le tombeau d'Abû Ayyùb resta vénéré par les 
Grecs. 



(^) 11 n'est fait aucune allusion ici aux menaces chrétiennes de déterrer le 
corps et à la réponse des Musulmans. 

(*) Cf. supra, p. 66. 

l^) ((Lux quaedam ad ignotum Christianis Zubi-Ensaris sepulcrum radios 
suos emittere cœpit.?} 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 75 

D'après une seconde tradition ^*^, la mort d'Abù Ayyûb se 
produisit dans des circonstances difiérentes. Au cours du siège, 
les Grecs firent dire aux Arabes que la ville ne se rendrait 
jamais et qu'ils feraient mieux de renoncer à leur entreprise. 
Si toutefois ils désiraient autre chose que la prise de la ville , 
on pourrait peut-être accéder à leurs vœux. Les Arabes répon- 
dirent qu'ils ne voulaient qu'invoquer Dieu dans l'église de 
Sainte-Sophie, car le Prophète avait dit que ceux qui pour- 
raient chanter deux hymnes dans ce temple, iraient au Para- 
dis. Les Grecs acceptèrent de laisser entrer deux groupes de 
5 00 hommes, à condition qu'ils abordassent du côté de la 
mer. Abu Ayyùb conduisit un des groupes. On enleva leurs 
armes aux Arabes, en leur promettant de les leur rendre 
^ensuite; puis ils entrèrent à Sainte-Sophie, y firent la prière 
et visitèrent l'église. Mais après cela, les Grecs voulurent traî- 
treusement se débarrasser de leurs adversaires. A l'instiga- 
tion d'un certain moine, au lieu de ramener les Musulmans 
vers la mer, ils les invitèrent à parcourir la ville et les atta- 
quèrent après avoir fait fermer et garder les portes de la ville. 
Les Arabes se défendirent vaillamment, avec tous les objets 
qui leur tombaient sous la main, et réussirent à passer une 
enceinte par une porte restée miraculeusement ouverte. Abu 
Ayyûb frappé d'une pierre entre les épaules, fut emporté par 
ses hommes, mais atteint bientôt d'un coup de flèche mortel. 
C'est alors qu'il fut rapidement enterré entre les deux murs de 
la ville, et que les musulmans, toujours combattant, foulèrent 
le sol de leurs pieds pour efi'acer toute trace de la sépulture. 
La plupart des musulmans furent tués, un petit nombre réus- 
sit à s'échapper, et l'armée leva le siège, poursuivie par les 
Grecs. 

^^) Tirée d'un manuscrit, dit Leunciavius, traduit d'un ouvrage turc datant 
du sultan Bayazïd II (i/i8i-i5ia) : Verantianus Codex. Voir au sujet de ce 
manuscrit Mobdtmann, Der Islam, XII, p. 19a, et X, p. 160. 



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76 JANVIER-MARS 1926. 

Le thème principal de cette seconde tradition est l'entrée 
pacifique de Musulmans à Constantinople , au cours d'un 
siège. Nous retrouverons plus loin ce motif légendaire à pro- 
pos de Maslama. Peut-êlre se cache-t-il là-dessous une idée de 
prise de possession magique de la ville, à défaut d'une con- 
quête par les armes qui se révélait impossible ou tout au 
moins fort difficile. 

Telle est cette curieuse légende d'Abû Ayyùb qui aboutit à 
faire d'un des compagnons du Prophète un héros vénéré à la 
fois par les Arabes, les Grecs et les Turcs, et qui ne repose 
guère sur des faits historiques. Il semble bien, d'après les 
auteurs arabes qu'Abû Ayyub soit mort avant d'arriver à Con- 
stantinople. Il eût désiré lui-même mourir les armes à la 
main, mais sa vieillesse et la maladie l'en empêchant, il de- 
manda qu'on attendît un combat^^^ pour lui rendre les mêmes 
honneurs qu'aux martyrs auxquels un hadît recommande de^ 
donner comme sépulture le lieu même de leur lutte ^^^. Si on a 
enterré Abu Ayyûb sous les murs de Constantinople, c'est 
peut-être qu'on a voulu, par une pieuse supercherie, lui confé- 
rer davantage l'auréole du martyre et l'apparence d'avoir suc- 
combé sous les murs de Constantinople ^^^. Ainsi sont nés les 
développements postérieurs de la légende représentant Abu 
Ayyùb comme ayant combattu devant la ville. Il apparaît aussi 
qu'on a voulu dissimuler la trace de sa sépulture, ce qui laisse 
difficilement croire que sa tombe ait pu être retrouvée et soit 
à l'emplacement traditionnel marqué par la mosquée d'Ayyûb. 
Cette découverte est accompagnée de trop de faits merveilleux 
pour être réelle. Elle fait songer à celle du tombeau d'al- 



(0 Supra, p. 7 a, n. 1. 

^*) *lo^4AJj = ^i^^La^ i J^-^1 1^3 1. SoyûtI, Jâmi' alSaglr, dans le com- 
menlaire d'al-Hafhï, I, 5i. 

(^) D'ailleurs Abu Ayyûb était considéré comme martyr par le seul fait qu'ii 
était mort, même de maladie, au cours d'une expédition. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 77 

Battâl, le héros d'un roman de chevalerie turc bien connu, 
par l'épouse du dernier sultan seldjoukide d'Iconium. On voit 
d'abord des rayons de lumière sortant du sol , puis al-Battâl 
apparaît en songe à la sultane, et quand celle-K;i descend dans 
l'anfractuosité qui s'est creusée miraculeusement dans le sol, le 
héros lui-même lui parle, comme Abu Ayyûb parle au sayh 
Àk Sams al-Dïn^^l C'est un thème légendaire appHcable à 
n'importe quel héros. Les auteurs chrétiens d'ailleurs semblent 
ignorer Abu Ayyùb et la légende de sa mort au cours du siège. 
Les auteurs arabes ne nous donnent pas de renseignements 
sur la manière dont se termina le siège de Yazid. Ils se bornent 
à dire qu'il y eut des combats devant Constantinople et que 
Yazid revint en Syrie. 

L'expédition de sept ans (6/1-60/674-680). — Une autre 
expédition , principalement maritime, eut lieu à la lin du règne 
de Mu^âwiya. 

D'après Théophane^^^ les Arabes, dont la flotte s'était mise 
en mouvement dès l'année 616/1/673/53, firent, d'avril à sep- 
tembre de l'année suivante, des tentatives infructueuses contre 
Constantinople. En septembre, les Arabes s'en retournèrent, 
mais pour s'installer à Cyzique oii ils hivernèrent. Au prin- 
temps suivant, ils recommencèrent à harceler les Grecs sur 
mer. Pendant sept ans, ils firent le môme manoge, passant 
l'hiver à Cyzique et reprenant la guerre au printemps ^^^ Ils 
éprouvèrent de lourdes pertes au cours de cette longue cam- 
pagne, et finalement prirent le parti de s'en aller. Au retour 

(^) ^histoire de la découverte du tombeau d'Al-Battàl se trouve dans l'intro- 
duction du roman. Voir Fleischer, Kleinere Schnlten, lll, p. 326 et suiv. (ou 
Berkhu ûher dte Verhûndl. der kgL iàchs, Ges. der W,, 1848, II, p. 35 et 
suiv.). 

W P. 353-354. 

(3) THéoPHANE, p. 354 : tià èi^à Se éiv là aM teXéaapTee, etc. Cf. Nic^ 
PHORE^ Brêviarium, éd. de Boor, p. 3*i. 

GGVIU. 6 

IVmMBEIK ■*T10!«*I.» 



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78 JANVIER-MARS 1926. 

leur flotte fut détruite par la tempête sur la côte de Pamphilie. 
C'est dans cette expédition qu'ils souffrirent particulièrement 
du feu grégeois, dont Finvention avait été apportée par un 
certain Kallinikos, réfugié de Syrie. La paix qui eut lieu après 
cette longue et infructueuse tentative, fut signée, d'après Théo- 
phane et Nicéphore , du vivant de Mu^âwiya ; d'après les Arabes 
le traité serait un peu postérieur^*). 

Les historiens arabes sont obscurs. Selon Tabari, rappor- 
tant une tradition de Wâkidî^^^, Jumâda bin Abî Umayya al- 
Azdî prit en hli/6jh une tle proche de Gonstanlinople et appe- 
lée Arwàd. Les Arabes y restèrent sept ans, ajoute-t-on, et n'en 
partirent qu'après la mort de Mu*âwiya sur l'ordre de Yazïd. 
Le livre de la création et de l'histoire dit, sans indiquer de 
date précise : «A l'époque de Mu*âwiya, fut conquise sur les 
Roums Rûdûs, située à deux jours de Constantinople, et les 
Arabes y restèrent sept ans^^^. » 

Si l'on s'en tient aux textes arabes, on peut penser, comme 
Brooks^*\ qu'Arwâd n'est autre chose que Rhodes, et que le 
texte de f abarï n'est qu'une simple répétition de l'histoire de 
la prise de Rhodes par Jumâda en 5 3/6 7 3 ^'^ oii l'on trouve 
les mêmes indications relatives à l'abandon de cette île par 
Yazîd. La proximité de Constantinople ne suffit pas à faire 
écarter cette hypothèse, car la précision géographique des 
Arabes est souvent fantaisiste. Mais d'après Théophane, la con- 
quête de Rhodes et la vente du Colosse à un juif d'Ëdesse sont 



(^) Voir pour tous ces faits Wbllhadskn, op, cit., p. Uab. 

W Tabarî, II, p. i63 : ^^ iL^yi y^\ i ïyjty^ S^\ al j^ KjU^ ^ 

î*) Brooks, Journal of hellenic studiesy XVIII, 1898, p. 187, d. 3, (cf. XIX, 
1899, p. 33, 1. '20 et suiv., où il cite le texte de Bela^orî relatif aux mêmes 
événements). 

W TababI, II,p. 157. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 79 

antérieures d'environ vingt ans^^^. Aussi Wellbausen pense-t-ii 
que nie rt'Arwàd dont parle Wâkidï n'est autre que la Cyzique 
de Théophane^^). Il est difficile de trancher la question, car il 
y a eu certainement dans Tesprit des Arabes, une confusion 
entre Rhodes et Arwâd^^l 

Il faut retenir de cette expédition deux détails importants. 
D'une part, c'est à cette époque que les Grecs employèrent le 
feu grégeois. Agapius de Manbij, qui donne souvent les mêmes 
indications queThéophane, dit qu'en l'année ta de Muawiya, 
donc vers 56, les Arabes firent une campagne par mer jus-* 
qu'en Lycie, où ils débarquèrent. Les Grecs, venus à leur ren- 
contre, leur tuèrent 3 0,000 hommes, et les survivants se 
réembarquèrent. Une fois, en pleine mer, un Grec les rejoi- 
gnit avec son navire et incendia leur flotte. Il ajoute que les 
Grecs furent les premiers à faire usage du feu grégeois et qu'ils 
s'en servirent habituellement ^*î. '^D'autre part, l'expédition 
aurait duré sept ans. Est-ce par une simple coïncidence que 
Grecs et Arabes parlent de sept ans? Le débarquement à 
Rhodes pourrait n'être qu'un épisode du début de cette expé- 
dition. En tout cas, la tradition s'est conservée d'une cam- 



(^) A. M., 61 45, p. 345, 8 et suiv. (Wbllhausbn, p. 4 19). 

(*) Wbllhausbn, p. 4a5. Gyzîqae avait déjà été un lieu d'hivernage pour 
une expédition arabe (TaéoPHAiiB, A. M,, 6169, p. 353, 7). Notons que ]a 
tradition turque rapportée par Eviiya Ëffendi (TraveU, trad. Hammer, 1, p. 5 
et soiv.), parie d*un siège au cours duquel ies Arabes auraient hiverné à 
Cyzique : cfEn l'année 97/716, Maslama hiverna à Beikis-Ana près d'Aïdinjik 
(Cyzique) avant de mettre le siège devant Gonstanlinople au printemps 
suivant.» 

(^) Cf. le passage de BeladorI cité par Broois, tupra, n. 4. 

'«^) AoAPius, Pair, Or., VIII, p. 49a. Le texte parait corrompu : ^LUI ^^l 

J3I ^ iUuJi sJuA i ilsJliJ) y yUàJU p3^) c»)U 3 l^oâ^jc^li (sic) ^^ i 
ïùLet A^J C9 Lo y ^bJ\ ^yàJ ^. Le traducteur Vassiliev renvoie à Michel le 
Syrien, éd. Chabot, II, 455. Agapius ne parle à cette occasion ni d'Arwâd, ni 
de Constantinople. Peut-être s*agitril d'une expédition différente. 

6. 



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80 JANVIER-MARS 1926. 

pagne ou d'un siège de cette durée. Pour Karamânî^^), ce fut 
le siège de Masiama, pour Leunclavius, c'est celui de Yazîd et 
Abu Ayyab^2)^ 

SULAYMÂN BfN *AbD AL-MaLIK. 

L'expédition de Maslama (97-99/715-717). — Après 
Mu^âwiya'^^^ les incursions arabes continuent, mais nous ne 
trouvons plus d'expéditions de grande envergure jusqu'à Sulay- 
mân bin 'Abd al-Malik qui monte sur le trône en 96/715. 
Son prédécesseur Walid P' avait fait de grands préparatifs sur 
terre et sur mer contre Constantinople en 96. Un ambassa- 
deur, envoyé au calife par l'empereur Anastase II, en avait 
rapporté la nouvelle ^''^. Mais Walïd mourut sans avoir pu réa- 
liser son dessein. 

Son successeur Sulaymâii reprit l'idée. 11 envoya sous les 
ordres de son frère Maslama l)in 'Abd al-Malik une expédition 
dont nous possédons de nombreux récits ^5^. La chronologie en 

W Op. cit., IV, p. ai 5. 

W Op, dL, p. 37. Lebkau, HUl du Bat-Empire, éd. i83o, XI, p. AiS et 
suiv., et MoRDTMANN, Encycl. de VUlàm, I, p. 890, attribuent également une 
durée de sept ans au siège de Yazïd. 

(') Pour cette période intermédiaire, voir Wkllhausen, p. AâS et suiv. 

(*) Thbophank, A,èi,, 6ao6, p. 38^4, 5-6. 

<*) Tabarî, II, p. i3i/i et suiv.; Mas'udï, Avriitiement^ p. 3j6; lÀvre de 
la eréatûm et de Phietoire, VI, p. A3 du texte, p. A .5 de la traduction; Kitàb^ 
al-'Uyvn (anonyme, et non Ibn Miskaweyh, comme le dit Morotmanm, Encyel. 
de riilàm, I, p. 889} dans Fragmenta hist. arah,, éd. de Goeje, Leyde, 1869, 
p. 3/1 à 33; Ibn al-At!r, éd. du Caire, i3oi, V, p. lâ et suiv.; KaramInî (en 
marge d'IeN al-AtTr, éd. du Caire, 1390), IV, p. 91 4 et suiv. Du côté chré- 
tien : Théophanr, a, m., 6907-6210, p. 384 et suiv.; Niciéphorb, Ereviarium, 
éd. de Boor, p. 5a et suiv.; Agapius de Manb!j, Pair, w., Vlll, p. 5oi et 
suiv.; Michel le Syrien, trad. Chabot, II, p. 483 et suiv.; Ps.-Denys de Tbll- 
Mahré, trad. Chabot, Paris, 1895, dans Bibl, de l*E. des H. E., fasc. 1 la, p. ta 
et suiv. (cette dernière chronique attribuée à Denys, lui est en réalité antérieure 
et faite vers 775; d'après Rcbrns Duval, Lia. êyriaque, V éd., Paris, 1907, 
p. 196, apud Laurent, U Arménie, Paris, 191^, p. 36o); chronique tyriaque 
de Tannée 846 : Brooks, Z.D.MM,, 1897, p. 583. — Brooks a traduit le pa&- 



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LES EXPEDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 81 

a été nettement fixée par Welihausen dont nous adopterons 
les dates et à la discussion duquel nous renvoyons ^^l 

Cette expédition s'étend sur les années 6208, 6209, 6210 
de Théophane. Maslaroa part au début de Tannée 97 ^^\ qui 
commence le 5 septembre 7 1 5. Il met le siège devant Gonstan- 
tinople en 98, an mois d'août 716, et il le lève au début de 
l'année 99, vers l'époque de la mort du calife Sulaymân qui 
survint en septembre 717 (second mois de l'année 99 com- 
mençant le 1 4 août 7 1 7)^^^. 

Dans l'exposé des événements de cette importante expédi- 
tion, nous prendrons comme point de départ, d'un côté Théo- 
phane, de l'autre le Kitâb al-'Uynn qui donnent un récit 
détaillé et suivi. 

Théophane (^A.M,, 6207, p. 384-386), expose d'abord 
comment l'empereur Artemios ou Anastase II fut remplacé par 
Théodose. Celui-ci, obscur collecteur d'impôts, est proclamé 
empereur par la flotte envoyée pour gêner les préparatifs des 
Arabes en Lycie, et qui s'est révoltée. Anastase abdique, se 
fait moine et est relégué à Thessalonique^^^. Léon, le futur em- 
pereur, alors stratège d'Anatolie, ne se soumet pas à Théodose. 

(4. M., 6208, p. 386-371). Maslama marche sur Constan- 
tinople, précédé de ses deux lieutenants, Sulaymân sur terre, 



sage de Tabari et ia longue relation du Kitâb atr-'Uyûn, J. H. S., XVÏII, 1898 
p. 194-196, XiX, 1899, p. 30 et suiv. 

(') Wkllhausen, p. lifxo-Uhû, 

^*) Ou un peu avant, suppose Welihausen. 

(3) Voir une chronoiogie différente dans Brooks, J,H»S,, XX.X, 1899, 
p. -^o. 

W Dans Agapius, op. cit., p. 5oi. Masiama se met en marche dès ia pre- 
mière année du règne de Sniaymàn ben 'Abd ai-Maiilc, ce qui confirme 
i'hypothèse de Welihausen qu^ii partit avant le début de l^année 97. Anastase, 
s Fannonce de la rébellion des troupes, se réfvigie à Nicée. De là, il envoie des 
messagers à Masiama en le jniant de demander à Sulaymân (sans doute le 
lieutenant de Masiama plutôt que le calife) de le secourir avec les troupes 
arabes. 



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82 JANViElUMARS i926. 

^Omar sur mer. Théophane s^étend ensuite longuement sur la 
négociation de Léon avec Sutaymân et un nommé Baccharos 
devant Amorium^*^. Les Arabes, connaissant son différend avec 
Théodose et avec les habitants d'Amorium, qui soutiennent 
ce dernier, saluent Léon du titre d'empereur, mais tout en 
semblant laider à conquérir l'empire, ils s'efforcent en réalité 
de s'emparer d'Amorium et de lui. Léon est en butte à leurs 
ruses qu'il parvient à déjouer. Les Arabes, s'impatientant 
d'assiéger la ville sans résultat et désireux d'aller ailleurs faire 
du butin, obtiennent de Sulaymân qu'il lève le siège. Aussitôt 
Léon se réconcilie avec les habitants d'Amorium, fait entrer 
des secours dans la ville et s'enfuit en Pisidie. Maslama est 
déçu d'apprendre que la place d'Amorium a pris le parti de 
Léon. Mais il reste en pourparlers avec lui, et espérant, en 
favorisant Léon, s'emparer grâce à lui de toute la Remanie, il 
interdit qu'on ravage le territoire qu'il gouverne. Léon semble 
entrer dans ses vues, mais il poursuit avant tout son propre 
but, marche sur Nicomédîe, et y saisit le fils de Théodose ^^^ 
Tandis que les Arabes hivernent, Maslama en Asie Mineure^'^, 
'Omar en Cilicie (Théophane ne parle plus de Sulaymân), 
Théodose, à Constantinople, abdique entre les mains de Léon 
qui devient empereur. Maslama s'empare de Pergame. 

[A. M., 6209, p. 391-898.) Théophane, après un retour 
en arrière sur les origines de Léon, nous montre Maslama 

(^) Sur cette cité, voir Ramsat, Hiitorical Geography of Atia Minar, p. a3o 
et 33 1. 

(*) Dans Agapids, p. 5oi, il n*est pas question d'Amorium. Maslama, pré- 
cédé de ses lieutenants Sulaymân bia Mu'âd et Bahtâri ben al-Hasan (ci. le 
hdnxoLpos de Théophane) s'avance jusqu'à Nicée. Puis Léon a une entrevue, 
sans doute vers Nicée, avec Sulaymân bin Mu'âd qui l'introduit auprès de 
Maslama. Après cela, il marche sur Nicomédie, met en déroute les troupes de 
Théodose et tue son fils. Ses partisans à Constantinople le proclament empe- 
reur. Alors Léon attaque la ville, y entre et monte sur le trône. 

(') Àff/a, dans le sens restreint que lui donnent les Bysantins. Cf. Rahsay, 
op. cit., p. 47, io4, etc. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE GONSTANTINOPLE. 83 i 

attendant vainement un mot de Léon. Voyant enfin qu'il a été 
joué par lui, il marche sur Abydos et passe en Thrace, puis se 
dirige sur Gonstantinople et met le siège en août devant la 
ville '^). La flotte arabe qu'il a mandée, arrive en septembre, 
conduite par un certain Sulaymân^^^. Mais un grand nombre 
de navires est incendié par le feu grégeois; le reste s'éloigne, 
intimidé par une ruse de Léon qui a fait enlever la chaîne bar- 
rant la Corne-d'Or, comme pour inviter les Arabes k y entrer. 
*Geux-ci souffrent également d'un hiver très rigoureux. Au 
printemps, ils reçoivent des renforts : une flotte égyptienne 
commandée par Sufyân, puis une flotte africaine conduite par 
Yazïd^^). Mais les matelots chrétiens désertent et renseignent 
Léon sur les lieux de mouillage, ce qui permet à ce dernier 
de causer beaucoup de dommages à la flotte arabe. Une armée 
arabe de secours, venant de Bithynie, et qui s'était avancée 
jusqu'à Nicée et Nicomédie, avec un nonmié Mardasan, tombe 
dans une embuscade et est dispersée (^). Les Arabes, éprouvés 
par les combats, la famine et la peste, sont en outre attaqués 
par les Bulgares et subissent de lourdes pertes. 

Enfin (i4. A/. ^J 6910, p. 398-399), ^Omar (bin ^Abd al» 



^^) Théophane ne parie pas encore d*ime flotte, et on ignore comment Mas- 
lama a pu passer le détroit Mas*ûdT, PrairUê, II, 317, dit que la flotte vint 
retrouver Maslama à Abydos. Corriger ainsi le jJoô(^ da texte; Migbbl lb 
Stribr, p. 685, parie bien d^une traversée. 

(^) P. 395, 33 et suiv. Il y a ici au sujet du chef de cette flotte une confu- 
sion de Thdophane sur laquelle nous reviendrons. semble croire qu^il s^agit 
du calife {rà» «parroot^fA^oyAo»). Un peu plus loin, ce Sulaymân meurt et est 
remplacé par un certain *Omar. 

('> On ne trouve pas cet noms dans la tradition arabe. Ces flottes sont men 
tionnées aussi par Nici^raoRB, Brtviarium, p. 54. 

C*) Ps.-DniTS DB Tbll MabaM, p. i3 : frLéon envoya une armée pour couper 
les routes pouvant livrer passage à une armée venant de Syrie; il fit aussi 
détruire le pont de bateaux et le coupa.» Cf. Micbbl lb Stribm, II, p. &85 
les Arabes sont attaqués de l*autre côté de la mer par les éeiaireurs des Ro- 
mains. 



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Sa JANVIER-MARS 1926. 

'AzîK, successeur de Sulaymân bin 'Abd al-Malik), donne 
Tordre à Maslama de revenir. Le retour est encore un dé- 
sastre. La tempête et les Grecs détruisent presque entièrement 
ce qui reste de la flotte. Cinq navires seulement arrivent en 
Syrie. 

La relation du Kitab al-^Uyiin^'^ est très intéressante et aussi 
vivante que celle de Théophane. Le récit suivi contraste avec 
la manière ordinaire des annalistes arabes. Nous laisserons de 
côté les digressions quelle contient sur la géographie des 
détroits, sur les inconvénients que présente pour Gonstanti- 
nople le voisinage de la Thrace, pays fertile où peut facile- 
ment en temps normal se ravitailler une armée ennemie assié- 
geant la ville, sur les origines de Léon, ancien cabaretier, et 
le songe merveilleux de sa femme, point de départ de sa for- 
tune. 

Après avoir rapporté le hadït qui aurait, dit-on, déterminé 
l'expédition ^^), car il paraissait promettre k Sulaymân bin 
'Abd al-Malik la prise de Constantinople, l'auteur parle des 
préparatifs arabes : approvisionnements, machines de guerre, 
naf)hte^^^. Maslama, misa la tête des forces de terre et de mer, 
rassemble ses troupes à Dâbik dans la région d'Alep^*^ et se 
dirige sur Mar'as. Puis il hiverne à Afik^^^, et l'hiver passé 

(') P. 24 à 33. Brooks, J,H,S,, XIX, 1899, p. ao et suiv. 

(*) Constantinople devait être prise par un calife portant ie nom d'un pro- 
phète. G était le cas pour Sulaymân : Salomon. jLàjoh. i^^lil J3 UJ ^^L^.(fL>^ ^1 
t^r^. ^ 9 ir^ 0^^ *^1 iuJLJauJa--JL^I ^ <^jj| Âi^JJL Jl^l *t#JbJl ^ JuïUa. 
1^ ^^jAi 9y^ ^ ^1 j(^t ^ jLa\ (^ J^ i, 

^^) Brooks, p. âi, n. a, semble croire que le naphie nest employé que 
pour la défense d'une ville et non pour Tattaque. Voir cependant ie siège de 
Markab par Baybârs dans Voyage en Syrie, par Van Bbrchem et Ed. Fatio, 
Mém.de l'Inst.Jr. d'arch. or., t. 87, 1, p. 3i5. On l'emploie même en bataille 
rangée : Quatremere, H. tk% S. Mamlouks, II, a, 1A7. 

^*) Cf. Ya^;ùt, Geogr, Worterhucht II, 5i3, et Ya'<:dbî, aptui Brooks, 
y.ff.À\,XVIlI. 1898, p. 194,5. 

^^) Ville non identifiée. Brooks, p. 21, n. A. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 8b 

marche sur ^Ammûriya (Amoriiim)^^^ Devant cette ville, il 
entre en relations avec le patrice Léon^^^ originaire de Mar'as^'^ 
Ce dernier lui promet de laider a prendre Constantinople où 
règne alors Tîdùs (Théodose). Léon était alors en difficultés 
avec les habitants d'Amorium qui ne voulaient pas le recon- 
naître comme patrice, eu égard à sa basse extraction ^^^ Mais 
il triomphe de leurs hésitations en leur montrant les dangers 
qu'ils courent du fait des troubles de l'empire et de la présence 
deMaslama^^l 

Déjà Léon trompe Maslama. Celui-ci continue sa marche, 
passe le détroit à Abydos et vient assiéger Constantinople. Il 
a constitué des montagnes d'approvisionnements ^^K Les assiégés 
discutent avec Maslamo qui tantôt presse le siège, tantôt mo- 
dère ses attaques. Enfin, persuadé qu'il va bientôt s'emparer 
de la ville, il mande Léon, resté h Amorium en lui disant qu'il 
va le faire roi de Constantinople ^^^ Quand Léon est arrivé, il 



^') Ceci est en contradiction avec Théophane , pour qui l'hivernage n'a lieu 
qu après l'épisode d'Amorium. 

W Dans Théophane, c'est avec Sulaymân et non Maslama qu'il a des entre- 
vues devant Amorium. 

(^) Mas'cdï, I\-afriês, II, p. 336; Ps.-Dbnys de Tsll-Mahr^, p. lâ : il était 
Syrien de race; Théophane, p. 39 1, 5-6 : ix rn^ Tepfiapixéwf xatay6(i8vof , 
rrf àhfiiUf. 3è èx riff taavpias* (Pour Mar*a§ = Germanikeia , voir Ramsat, op. 
cit., p. 331 et 3oi; Isauria ou Gilicia Tracheia, ibid,^ p. 36 1.) H avait été 
transplanté en Thrace avec ses parents, ibid., 1. 7. 

(*) P. a5, 14 : yJL ^^ \^y^A^^Lo; ^ a J : ^^ ^^^^ dL3i) U^ il 5JUu 
vyj) bUi) Gela ne veut pas dire que Léon soit Nabatéon (Brooks, p. 3!j, 
n. 1). Gf. Caetani, Annaliy III, 69 : «rplebeo, gente comune e contadini?»; et 
Der lêlam, 1 4, 67 : le mot a simplement un sens péjoratif. 

(^) Suit un passage sur le remplacement d'Anastase par Théodose. 

(0) Cf. TabarI, 11, i3i5, où l'on voit Maslama défendre à ses hommes de 
toucher à ces vivres. Us font des semailles, et en attendant la. récolte, vivent de 
raizias. Ps.-Denys de Tell-Maubé. p. i3 : Maslama ordonna de planter de la 
vigne î 

^^) Il y a ici quelque confusion. La proposition en question a été faite devant 
Amorium :Thisophane, p. 386-387 (cf. Brooks, p. a 4, n. 3). Notre auteur 



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86 JANVIER. MARS 1926. 

renvoie à Constantinople , accompagné d'hommes de confiance, 
et fait dire aux habitants qu'il ne lèvera pas le siège tant qu'ils 
n auront pas proclamé roi son protégé. Mais Léon , une fois 
dans la place , travaille pour son propre compte et promet 
aux Grecs, que, s'ils le mettent à leur tête, il se retournera 
contre Maslama. Dès maintenant, il se fait fort d'obtenir de ce 
dernier tout ce qu'il voudra. Il continue ce manège pendant quel- 
que temps, disant è Maslama le contraire de ce qu'il dit ai\x 
Grecs. 11 est accompagné dans ses allées et venues par Sulay- 
mân bin Mu ad al-Antakî et ^Abd Allah al-Battàl , chef des gardes 
de Maslama. 

Les Grecs cependant hésitent à se donner à Léon, craignant 
qu'il les livre à Maslama. Mais il réussit à convaincre les pa- 
trices et l'évêque, et, sûr de son fait alors, il retourne vers 
Maslama et lui dit : « 11 n'y a qu'un moyen de les convaincre. 
Us ne croient pas que nous ayons engagé une lutte sérieuse 
avec eux et se figurent en voyant tes approvisionnements con- 
sidérables , que tu traîneras les choses en longueur. Si tu don- 
nais l'ordre de les brûler, ils comprendraient que tu vas com- 
battre sérieusement et au bout de deux ou trois jours , ils en 
passeraient par où tu voudrais, d Maslama accepte cette bizarre 
invitation et fait brûler la plus grande partie de ses vivres ^*l 

Alors Léon entre à Constantinople, après que Maslama lui 
a fait jurer de la façon la plus solennelle qu'il lui livrera tous 
les trésors de l'empire et toutes les armes et qu'il payera la 
capilation (jizya). Il est proclamé empereur. Au bout de trois 
jours Sulaymân bin Mu'âd demande à Léon pourquoi il ne se 
rend pas auprès de l'émir. Alors Léon se démasque , avoue 

semble ignorer que Léon est entré à Constantinople avant que Maslama ait 
passé le détroit. • 

(») P. 39, 7 : i^JU ^^M-^l i! 6iU^Ï dJb ijJ^L^ ^1 3. Cf. TabarT, II, 

l3l6 : JoULe pULJl ,.).> U j^^^U^ ^1 3 JUill ^^^iûsAO^' ^ «Jjl ^^\ JU OsS 
Ai^U *4,Psil^ t>laet Jm^I pUWl o^^t ^j 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 87 

cyniquement qu'il n'a fait toutes ces promesses que pour con- 
quérir ie trône et se glorifie de sa ruse. «Tu m'as tué, dit Su- 
laymàn , car l'émir me rendra responsable de tout cela ^^K — 
J aime mieux ta mort que l'abandon de mon royaume , ré- 
plique l'autre. Vous figurez-vous que je vais vous donner tout 
ce qu'ont amassé nos rois jusqu'à aujourd'hui ?» Et il se vante 
d'avoir réduit les Arabes à la dernière extrémité en leur faisant 
brûler leurs approvisionnements. Ils ne peuvent recevoir aucun 
secours. Et avec une ironique générosité, il offre de ne pas 
inquiéter la retraite de Maslama. 

Sulaymân et ses compagnons reviennent atterrés auprès de 
Maslama. Ce dernier s'enquiert auprès d'^Âbd Allah al-Battâl 
qui laisse entendre que Sulaymân a été sinon complice de 
Léon, du moins au courant de ses desseins. Aussitôt celui-ci se 
suicide en avalant un poison contenu dans le chaton de sa 
bague et Maslama fait suspendre son corps au gibet. 

Le siège continue. Maslama dispose encore d'une petile 
quantité d'approvisionnements qu'il avait gardés pour effrayer 
l'ennemi. Mais la famine commence à se faire sentir; les bétes 
de somme meurent. Les musulmans éprouvent des pertes seii> 
sibles. 

Alors les Grecs députent auprès de Maslama un patrice qui 
a pleins pouvoirs pour négocier avec lui et l'amener à lever ie 
siège. Il porte le nom bizarre de « l'homme aux quarante cou- 
dées »^^^ Maslama refuse de recevoir l'envoyé de Léon sous 
prétexte que son mattre est un usurpateur, un félon et un 
homme de basse naissance. 'Omar bin Hubayra est chargé de 
s'entretenir avec lui. L'ambassadeur, qui se prétend l'envoyé 



(1) P. 99, a af: ^^ l^ ^LxJU» ùJJ 4»\y ^ S)t iJsift (^^ :à ÂW« ^1 ^\ 
La trad. de Brooks, p. a5, i. 8 aj, n^est pas exacle .* «rlf the Âmir Maslama 
does not ieam this except from me, by God, be wiil kill me, Léo.» 

(S) Voir la note de Brooks, p. 96, n. 9 , sur ce persomiage qui serait un juif 
mentionné dans les Actes du 7* synode (Mansi, t3, p. 197-900). 



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8M JANVIER-MARS 1926. 

du peuple et non de Léon, propose à 'Omar de payer un dinar 
par tête d'homme en âge de porter les armes. 'Omar presse 
Maslama d'accepter cette offre avantageuse <*^. Mais Maslama 
refuse. Alors t l'homme aux quarante coudées t^ se relire en 
annonçant que les Grecs mèneront maintenant une guerre 
sans merci pour la défense de leur pays et de leur religion et 
en prédisant aux Arabes un hiver rigoureux au cours duquel 
viendra une grande pluie appelée al-jurâf qui emportera tout 
sur son passage. 

Maslama a refusé parce qu'il veut prendre Constantin ople : 
h calife lui a en effet donné Tordre de rester jusqu'à ce qu'il 
s'en empare ou qu'il soit expressément rappelé ^^K L'hiver qui 
est le deuxième depuis le début de la campagne arrive. Les 
Grecs, après avoir souffert de la famine quand Maslama re- 
gorgeait de vivres auxquels il ne touchait pas ^^^ sont maintenant 
. ravitaillés. En effet, Léon, au moment où il obtenait de Masla- 
ma qu'il brûlât ses approvisionnements, lui a demandé de 
laisser entrer un ou deux baleaux de vivres dans la ville ^^\ et il 
est parvenu par ruse h en transporter une quantité considérable. 
Les assiégés ont repris courage el attaquent. Pour supporter 

('J II est fait une courte allusion à cette tractation dans Ibn al-Atîk, V, p. i a. 
Mais elle est placée avant l'accession au trône de Léon et la destruction des 
approvisonnements de Maslama. Dans Tabakï, p. i36 inprinc., il y a quelque 
chose de semblable au cours d'une entrevue entre Léon et*Omar, avec les mêmes 
détails sur le refus de Maslama , réveillé de sa sieste et ne comprenant pas ce 
qu'on lui dit. Ce fait doit se placer à une date antérieure, cf. Brooks^ p. 37, 
n. 1. 

(^) Cf. Tabarï, II. i3i/i. 

"î Cf. supra, p. 19, n. 3. 

(*) Cf. Tabarï, II, i3i6, et Ibn Al-Atîr, V, 12. Cela, sous prétexte de 
montrer aux Grecs que Maslama et lui poursuivent le même but et que les ha- 
bitants n'ont rien à craindre. Ces vivres sont pris, semble-t-il, sur ceux de 
Maslama. Cf. é|^alement Mas*ûdî, Avertissement, 996. Dans Th^opbane, p. 897, 
1. 90 et suiv. , les assiégés sont ravitaillés par des bateaux qui parviennent à 
aller- chercher des approvisionnements sur la cote de Bithynie et par le pro- 
duit de la pêche. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 89 

l'hiver, Maslama a été obligé de faire construire des bara- 
quements ^^^ ou creuser des abris souterrains. La détresse est 
grande parmi les Musulmans qui mangent leurs bétes de 
somme, des racines et jusqu'au cuir de leurs harnache- 
ments ^^\ 

Pendant ce temps, Sulaymân, de Dâbik, ne peut envoyer 
aucun secours à Maslama. Enfin, le calife meurt. 'Omar bin 
'Abd al-'Aziz lui succède et fait partir immédiatement le gou- 
verneur deMélitène pour enjoindre à Maslama de rentrer ^'^ Si 
ce dernier refuse, l'envoyé devra publier l'ordre parmi les 
troupes. C'est à grand'peine que Maslama se laisse convaincre : 
il demande quelques jours de délai, disant qu'il est sur le 
point de prendre la ville. Enfin il cède et bat en retraite avec 
ses hommes en piteux état^^l 

Tel est ce long récit du Kitâb al-^Uyiln. Il est par endroits 
assez confus ^^\ mais beaucoup plus détaillé et complet que les 
traditions de Tabarî. Il est certain que l'auleur a utilisé des 
sources autres que les sources arabes. La mention de «l'homme 



(^) Cf. Tabarî, II, i3i4. 

(') Mêmes détails dans Tabarî, II, i3i6; Ibn Al-Atïr, V, lûfla Chronique 
9yriaque, Z.DM.G,, 5i, 583; Le Ldvre de la créât, et de VHiit., etc. Ibn al- 
Âtîr dit que les hommes n'osaient sortir du camp sans être accompagnés. Le 
Ps.-Dents db Tell Mahré, p. i3, précise : ils s'attaquaient mutuellement 
[pour se dérober leurs vivres] au point que personne n'osait aller seul. 

^*^ Théophane s'accorde sur ce point avec la tradition arabe. Mais cela 
semble contredire la date qu'il donne de la levée du siège, comme Ta montré 
Wellhausen, p. 46 1. Aussi ce dernier pense-t-il que le siège fut levé avant 
Tavènement d"Omar bin *Abd aPAzïz et que ce n'est pas le changement de 
calife qui amena les Arabes à abandonner une entreprise sans issue. ( Cf. Kara- 
MÀNï, op. cit,, p. 31 8 où Maslama reçoit la lettre d"Omar au retour, à mi- 
chemin de Damas , infra , p. 3 1 .) 

(^) Cette curieuse obstination de Maslama à rester malgré tous ses déboires 
est .également signalée par Michel le Syrien, op. cit. Prévoyant que la mort de 
Sulaymân entraînera un ordre de retour, il cache à ses troupes la mort du 
calife. De même, il fait des rapports mensongers au calife : II, p. 485. 

^^) Cf. Brooks, p. 90, 1. 10 et suiv. et p. 99, n. 1. (Cf. p. 93, n. 4.) 



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90 JANVIER. MARS 1926. 

aux quarante coudées 79, celle de Sulaymân bin M u'àd incon- 
nue à la tradition arabe et qui semble bien être le Sulaymân 
de Théophane, les détails sur les origines de Léon, etc., le 
prouvent. Un trait curieux, assez rare, mais non sans exemple 
dans les Annales de llslâm est le suicide de Sulaymân ^^K Cet 
homme est originaire d*Aniioche. Peut-être est-ce un musulman 
de fraîche date, car Maslama ne semble pas beaucoup se fier à 
lui et Taccuse vite de trahison ^^\ 

Il n'est pas fait mention dans ce récit d'une flotte ni des 
renforts envoy<^s aux Arabes. Ibn *Abd al-Hakam parle des 
flottes , mais les noms de leurs chefs ne correspondent pas à 
ceux que donne Théophane, à savoir Sufyân et Yazid^'^ 
Ya*kùbi signale des renforl8<*\ Tabari , d'après Wâkidi, dit qu'en 
Tannée 98, des renforts furent envoyés par le calife avec 
Mas^ada ou ^Amr bin Kays et qu'ils furent attaqués par les habi- 
tants de la n ville des Slaves 79. Ibn al-Atîr en parle aussi mais 
sans indiquer le nom du chef de ces troupes''^ 

. Notre auteur ignore également l'attaque bulgare. D'après 
l'abarî et Théophane (^), ce sont les Bulgares qui attaquent 



(*) Cf. Suidde de Sahm al-Dîn Isa dans Matériaux pour servir à la Géogr. 

de l'Égyte, Maspbro et Wibt, Mém. de l' lnst.fr. di'arcL or,, l. XXXVI, p. i44. 

(*) P. 3, get suiv. ^ 3 ^:^\ Juc 1^ ^ (^oJue oJI JUL^JJ [i^K^ JU» y 

Ij^ jU 3J u'^^ \^ ^\ J4* »;>^J 0-» •,# J-» 
^') Ibn 'Abd al Hakam, éd. Torrey, p. 119 : 3 (j^ iJ^ i^â^^yt ^^^ e*AXi 

jJcsJl? i^i*Nll J^l J^ «•>^«-e >?1 y 'iya^ ^Ji yS Jjjill ^ji^\ (pour le sens 
transitif de Uû, cf. id,, p. 43). 

(*) Apud Brooks, /. H, S., XVIII, 1898, p. 194, avec *Amr bin Kays. 

W Tabarï, II, 1317. Ibn al-âtTr, V, 12. Ce Mas'ada est peut-être le Mar- 
dasan de Tiiëophane («upra, p. 83). Pour «la ville des Slaves 7)s=Loulon, voir 
Brooks, XVIII, 194, n. 6. Dana le Kttâb alr^Uyûn, p. s 5, 3, Maslama la prend 
aussitôt après Mar*a§. 

(•) Tabarï, II, i3i7, Théophane, AM,, 6909, p. 897, L 4 a/. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRK CONSTANTINOPLE. 91 

Maslama; dans Nicéphore^^), Léon fait appel aux Bulgares 
contre les Arabes. D'après la chronique syriaque de 846, c'est 
un nomnfié ^Ubayda ^^^ qui attaque les Bulgares dans leur propre 
pays et est battu par eux. Dans Michel le Syrien , Maslama est 
attaqué par les Bulgares à l'instigation de Léon, tandis qu'il 
marche sur Constantinople. Il doit ensuite protéger son camp, 
établi en face de la Porte dorée, par un fossé, contre les Bul- 
gares qui continuent à le harceler ^'\ 

Il règne dans les différents récits examinés une assez grande 
confusion sur les noms des personnages qui prirent part à l'ex- 
pédition. D'après Théophane, les lieutenants de Maslama sont 
^Omar et Sulaymân. Le premier commande la flotte qui hiverne 
en Cilicie; le second traite avec Léon devant Amorium. Puis 
nous voyons un autre Sulaymân confondu par Théophane avec 
le calife, arriver avec une flotte. Il meurt bientôt et est rem- 
placé par^Omar^*^ On ne sait de quels personnages il s'agit. 
La similitude des noms de ces lieutenants de Maslama avec 
ceux des deux califes Sulaymân bin ^Abd al-Malik et ^Omar bin 
^Abd al-Azîz, son successeur, est évidemment pour les auteurs 
chrétiens une source de confusion ^^l Dans Tabarï, nous trou- 
vons seulement ^Omar bin Hubayra, et c'est lui qui assiège 
Amorium; dans le Kitâb al-^Uyûn, Sulaymân bin Mu ad al- 
Antakî, *Abd Allah al-Battâl^^^ et 'Omar bin Hubayra. Agapius 
de Manbîj dont le texte présente malheureusement beaucoup 

^*^ Breviarium, p. 55. 

(') Brooks, Z,D,M,G., 1897, 5i, p. 583. Brooks pense que 'Ubayda désigne 
*Omar bin Hubayra. Mais d*après Ibn 'Abd al-Hakam (tupra, p. 90, n. 3) il 
y a dans cette campagne un Abu *llbayda , chef des Médinois. 

(') Michel lk Striin, II, p. 685. 

(^) ThéEophame, 397, 9 3- a 4. 

(^) Même confusion de ce Sulaymân avec le calife du môme nom dans Mi- 
cHKL LB Syrien, p. 683. Nic^phorr, p. 53, ne connaît qu^un Soliman, chef de 
la flotte. Brooks, J,H,S., XIX, 1899, p. 26, n. 1, pense qu'il a pu exister si- 
multanément trois Sulaymân, le calife et les deux autres. 

^') Al'Battâi joue un rôle important dans Karamànî (injra, p. 100). 



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92 JANVIER-MARS 1926. 

(le lacunes indique 'Omar bin Hubayra comme chef de lu flotte, 
et comme lieutenants sur terre Sulnymân bin Mu'âd et un cer- 
tain Bahtârî bin al-Hasan. La tradition purement arabe semble 
ne connaître que Masiaraa et 'Omar, comme le fait remarquer 
Wellhausen (et Abu 'Ubayda faut-il ajouter d'après Ibn 'Abd 
al-Hakam). Il se pourrait qu'ailleurs le nom de Sulaymân ne 
fût dû qu'à une confusion avec le nom du calife. 

Le nom complet de Sulaymân bin Muad n*est donné que 
par Agapius et le Kitâb al-'Uyûn: celui de Bahlârï, s'il doit, 
comme il est probable, être identifié avec le Baccfaaros (Bax- 
X^pos) deThéophane, qui participe avec Sulaymân aux négo- 
ciations devant Amoriiim , n'est donné que par Agapius et Théo- 
phane^^^ Il est curieux aussi de trouver dans le Kitâb al-'Uyùn 
le nom d"Abd Allah al-Battâl, le futur héros d'un roman de 
chevalerie turc. 

Si maintenant on veut porter un jugement sur le rôle des 
deux protagonistes, Léon et Maslama, le premier apparaît 
comme bien supérieur à l'autre. Il triomphe, comme le sou- 
ligne Gelzer, parce qu'il possède d'excellentes troupes anato- 
lionnes et arméniennes ^^^, mais aussi grâce aux innombrables 
ressources de son esprit retors. Parlant larabe aussi bien que 
le grec^^^, il berne les Arabes d'un bout à l'autre et réussit non 
seulement à s'emparer du pouvoir, mais encore à défendre 
victorieusement l'empire et à chasser l'envahisseur. Il porte, 
semble-l-il, un coup morlel à la puissance arabe qui ne se fera 

^^) Agapids, Patr, Or., VIII, p. 595; ThMophanb, A.M., 6ao8, p. 386 avant- 
dernière ligne. Cette identité prouve que Théophane et Agapius ont puisé a la 
même source (cf. Der hlam, III, p. 395, dans le compte rendu fait par Bec- 
ker de l'édition d^ Agapius). 

t*) Gklzbr, Pergamon unter Byz. und Osmanen (Abhandl der kgl, Berl, Ak. dei- 
W., Phil. hisl. kl., 1903, p. SA). Il ne faut pas oublier non plus que Léon a 
pour lui le feu grégeois, et en somme, ia faiblesse maritime des Arabes dont 
les navires sont montés par des matelots chrétiens. 

^^^ Kitâb al-'Uyûn, 357 af: **i^^J\ y S^ysJ^ ^^>y^ ij^ y* 



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LES EXPÉDrnONS DES ARABES CONTRE GONSTANTINOPLE. 93 

plus sentir sous les murs mêmes deConstanlinople. Les Arabes 
maudissent à l'envi sa duplicilé et sa perfidie, et daubenl sur sa 
basse extraction. Us nous le r<»présentent comme un félon et un 
parjure. Mais il s'agit pour lui de défendre le christianisme et 
Tempire^^), et pour ce noble but, toui^ les moyens lui sont 
bons^^^ D'ailleurs n'a-t-il pas, comme le montre Thoophane, 
failli être lui-uïême victime de la ruse des Arabes, qui, devant 
Amorium, au cours d'un banquet qu'il offrait à leurs chefs, 
faisaient entourer son camp par trois mille cavaliers, sous 
prétexte de rechercher un esclave voleur et fugitif ^^^ ? 

En face de lui , Maslama fait vraiment piètre figure. Il se 
laisse prendre à des ruses qui nous paraissent pourtant aisées 
à déjouer. Il est peu probable que Léon ait obtenu de Masla- 
ma la destruction de ses approvisionnements, et une tradition 
rapportée par Ibn al-Atir^*^ réduit la ruse de Léon au ravitail- 
lement de Gonstantinople. Mais il n'en est pas moins vrai (]u'il 
se laisse duper facilement et Léon se rend compte qu'il fait 
de lui ce qu'il veut^^^ L'auteur du Kitab al-^Uyûn le juge à sa 
juste mesure quand il dit que Maslama était un incapable. La 
bravoure chevaleresque, reconnue dans le même passage et 
vantée parles Arabes ne compensait pas un tel défaut, aggravé 
encore par le manque de solides conseillers ^^^ Bref, si Masla- 

fi) Tababi, II, i3i5. 

<*) Kitàb aWUyûn, 39, 3 af; cf. Crêhtion et Histoire, VI, p. 45 : Le roi des 
Grecs ne prête passeraient d'être iidèle : ««UjJLd ^IfJL ^ r>yi iilLè. 
(=») TnMoPHANB, AM., 6ao8, p. 887, l. 8 a/. 
(*) V, 19 : JJ -LiulcJ! ^^ jLiJsrf u' *^^ U^ **^-- O^^ t^^ ^'^ J^ ^ 

W Kitâb aVUyûn, 28, la : 4^1 U jo* JUl Ul; 27, 6 et suiv. : ij\S ^ 

W p. 97, dernière iigne : i i) 3 vj-^ i *^ tf'; ^ ^y-^^ iL^— w» yLS'^ 
tjL^Ui (^^IS'jLf «^i ^yit ^1; aJ ^^ AjL^p) . Maslama , dans VAgànt, 9 éd., VIII , 
p. 1/17, i5, est appelé <^y»J\ ^. 



IviniMMU* ■ITtOIAI.B. 



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95 JANVIER-MARS 1926. 

ma échoue en vue du port , s'il lui faut , la rage au cœur, 
abandonner l'entreprise si bien commencée , il le doit autant 
à sa faiblesse qu'à la supériorité de Léon. 

fjES SOUVENIRS LEGENDAIRES LAISSAS PAR l'eIpEdITIÔN DE MaSLAMA. 

La MosQuiÉE DE GoNSTANTiNOPLE. — Une expédition aussi impor- 
tante devait laisser des traces dans la légende. 

Tabarï nous rapporte un mot que Ton citait et qui contient 
une allusion h la quantité de vivres que Maslama avait fait 
emporter à ses cavaliers dans leurs sacoches pour constituer 
ses approvisionnements de siège : deux mudd par homme. 
Aussi disait-on d'une femme enceinte : « Elle porte ses deux 
mudd et les deux mudd de Maslama ^^K v 

La tradition musulmane a conservé aussi le nom d'un com- 
pagnon de Maslama, 'Abd Allah bin Tayyib, qui aurait éié 
le premier à tirer l'épée contre la porte de Constantinople 
et à lancer les appels du mueddin dans le pays deô Roums. 
ç^ César voulut le tuer; mais 'Abd Allah lui dit : «Si tu me tues, 
«nous détruirons toutes les églises dans le pays d'islam ^^^w 
Ce trait semble n'être qu'une répétition de l'épisode déjà rap- 
porté au sujet de Yazîd et Abu Ayyùb. De telles représailles 
sont tout à fait compréhensibles. Les chrétiens devaient en user 
aussi contre les mosquées de leur territoire. Le calife fâtimite 
al-Hàkim ne s'arrêta dans sa .rage de destruction des églises 
que parce qu'il craignait pour le sort des mosquées en pays 
chrétiens ^^\ 

Le nom de Maslama est resté attaché à une mosquée qu'il 
aurait fait construire à Constantinople. Les géographes arabes 



(^) TaBARI, II, l3l5, A^Wm* (^Jo«^ U,>Os^ Jua^. 

^*) Ibn KoTAYBA, Kitâh aUMa^ârif, 276 (cité dans Mordtmann, £«cyc/. de 
l'hlâm, 1, p. 890). 

('^ Al-Kal1nisI, Târih, 58, apiid Lamheks, La Syrie, I, p. 101. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 95 

parlent d'une source et d'une mosquée deMaslama à Abydos^*^ 
Plus nombreux sont les textes relatifs à la mosquée de Con- 
stantinople dont un l;^adît prédit la construction à la suite 
d'une expédition ^^\ 

D après Mukaddasi^^î, qui écrivait en 986, quand Maslama 
entra à Gonstantinople, il imposa à l'empereur de faire bâtir 
une maison destinée à abriter les prisonniers arabes de marque , 
en face de son palais. C'est ainsi que fut érigé le « dâr al-ba- 
lât» en face du «dâr al-mulk?? de Tautre côté du maydân (hip- 
podrome). Bien que Mukaddasi ne le dise pas, il est probable 
que cette maison devait contenir une mosquée ou tout au moins 
une salle de prières. 

Abù'l Magasin ^*^ signale que sous le règne du calife fâti- 
mite al-Hakim (386-4 1 1/996-1020) on faisait dans la mos- 
quée de Constantinople la hotba fâtimile. Sous son successeur 
ai-Zâhir, après une trêve avec l'empereur, ce dernier rétablit 
la mosquée, y installa un mueddin et la hotba y fut prononcée 
au nom d'al-Zâhir, en 418/1027 ^^l 

Elle est plusieurs fois mentionnée à propos de Togrulbeg , 
le sultan seldjoukide de Tlrâk. En 44 1/1 069 dit Ibn al-Atïr, 



(*) Source: Ibn HobdIdbeh, B,G,A., VI, io3-io4; Mas^ûdî, /^mtng«, 11, 
317 (là où Maslama s^établit pour assiéger Constantinople clou la flotte mu- 
sulmane vint le retrouver. Corriger j*J.xjL? en j-^^oot^). Mosquée : Yaçûç, I, 
37/1; Ibn al-Fa(îh, 1/10, i5. — Ibn HobdIdbeh, 106, signale également dans 
Téglise d^Ephèse une plaque commémorative de feutrée de Maslama dans le 
pays des Roums. 

(*> Infra, p. 111, n. 1. 

W B.GA., m, 1/17 (cité dans Mobdtmann, Encycl de Vhlâm, l, 890). Cf. 
ÏAfÛT, l, 709 : ^ la U i«X-fà JLâ.>> 3 ^jy^\ jJ^ 1^ O JuUI «Xax ^ Âl^dMw* ^t 
m 01^-ôil! 3 *y-s^y-i\ t 4.Î; * }. tjlû^ï i *faS »Î)U^I.> *Ub *^^\ i-JlS' Jlc ]oyjb 

W Nujûm, éd. Popper, II, p. 4o, apud Lamhbns, Im Syrie, l, p. i5i. 
t'ï Ma^iïzî, trad. Casanova, M. de VlnsU Jr. d'arck. or,, IV, p. 26, texte, 
p. 355. 



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<>6 JANVIER-MARS 1926. 

IVmpereur Constantin Monomaque (io/ia-îo54)fit rebâtir la 
mosquée pour exprimer sa reconnaissance à Togrulbeg d'avoir 
fait relâcher sans rançon le roi des Âbhâz. On y fit la prière 
et la hotba au nom de Togrulbeg. Un autre passage précise 
qu'il s'agit de la mosquée que fit construire Maslama^^^. 
D'après Makrîzï^^^, le calife fâtimite Al-Mustansir billah envoya 
en 447/1055 à Constantinople un ambassadeur, qui y trouva 
un envoyé de Togrulbeg avec une lettre priant le souverain de 
Constantinople (l'impératrice Théodora io54-io56) de per- 
mettre à l'ambassadeur de faire la prière à la mosquée' de 
Constantinople. 11 le lui permit, et la prière et la hotba du 
vendredi v furent faites au nom du calife abbaside al-Kâ'im 
billah. 

C'est évidemment de la même mosquée qu'il est question 
dans les négociations de 585/1189 entre Saladin et Isaac 
l'Ange au sujet de la croisade de l'empereur allemand, et qui 
sont rapportées par Abu Sâma , le biographe de Saiadin. La célé- 
bration de la prière du vendredi y fut réglée par un traité. Un 
ambassadeur du sultan amena avec lui plusieurs mueddin et 
lecteurs du Coran , un prédicateur et une chaire. La prière et 
la hotba furent faites au nom du calife abbaside par devant un 
grand nombre de fidèles et de marchands résidants. L'em[)e- 
reur, écrivant au sultan, dont il sollicitait l'appui, lui rappelait 
qu'il l'avait laissé maître d'établir la prière publique et la hotba 
dans la mosquée de Constantinople^^). 



(*) Jbn al-AîIb, op, ciu, IX, p. a3i,et X, p. 11. 

W MifBîzT, Casanova, III, 276 (corriger dans la note Isaac Comnène en 
Isaac TAn^e). Ibn Hallikân, éd. Bûlâk, lï, 69, parlant des mêmes faits, sou- 
ligne le désappointement do. l'envoyé du calife l'âtimite. 

(3) Ard SiMA, Kitàb al Raudatayn (HitL or. des Cr., IV, p. li^o-k^i); Cf. 
Ma^rTzî, [litt. d'Egypte, trad. IJIochet dans Revue de l'Orient latin, IX, 190a , 
p. 5i. Dans ce dernier texte Tédifice e^t appelé la \ieille mosquée, ce qui 
laisserait entendre qu^il y en avait peut-être une autre à Constantinople à ce 
moment. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE GONSTANTINOPLE. 97 

En 66o/i 3 1 â , le sultan Baybars envoya à lempereur Mi- 
chel Paléologue, sur sa demande, un patriarche pour les chré- 
tiens melkites', qui fut accompagné par un émir. L^empereur 
montra à ce dernier la mosquée qu il avait fait construire à 
Constanlinople. L'émir rappoi*ta cela au sultan qui fit parvenir 
à la mosquée des nattes, des chandeliers dor, des rideaux, 
lapis, eicJ^K 

Enfin, en i453, d'après Karamânï ^^ï, îes Turcs pénétrant 
à Conslantinople, s'empressèrent de se rendre à la vieille 
mosquée, qui avait été construite par Maslama quand il 
assiégea la ville et que les Infidèles avaient transformée en 



Les musulmans ne sont pas seuls à posséder cette tradition. 
Constantin Porphyrogénète ^^^ (913-959) dit que la mosquée 
des Sarrasins fut construite sur la demande de Maslama, dans 
le Praetorium. Cela s'accorde bien avec le texte de Mukaddasî, 
car le Praetorium, comme nous le voyons d'après le Livre des 
Cérémonies ^^) servait de lieu de détention pour les prisonniers 
arabes. 

Les historiens grecs et latins savent qu'il en fut question 
dans le traité conclu entre Saladin et Isaac Ange(i 185-1196). 
Isaac fit reconstruire la mosquée à la demande de Saiddin; 
aussi les Latins considèrent-ils cet empereur comme le fonda- 

U) QoATBBMiBB, Htst, de$ $ulta$umanUoukê,l^ i** part., p. 177. 

(') KarahIkT. op, cit., IV, p. 9. — Hiiii Halfa, Taiœim, an 97, et Dimi&iT, 
397, vont jusqu*à attribuera Maslama Tun T'Arab jâmi' de Galata, Tautre la 
tour de Galata (Mobotmann, EncycL de VUlâm, I, p. 890); KabahJLuT, IV, 
p. ai 5, lui lait même fonder Gaiala {infra, p. 100, n. 3). 

(') De admirUêtrando imperio, chap. 91, Miqbr, P.G,, vol. ii3, p. 309-310 
(cf. Recueil des hiet, gr. des Cr,,U^ p. 56o) : ô MaaaXftag . . . a^t9oe xai 
êi* alHoeen inriaOn rà t&p ^apoMiivth payhhop ip rf ^aoihxqi vpewMpi^. 

(*) CoRST. PoBPH. , lÂb. de Cerim., Il, chap. i5 relatif à la réception des 
ambassades chargf^es de négocier le rachat des captifs arabes : . . . xai xoU ip 
tf npoiTwp/y ipavoiuipamp ieapUue, Éd. Reiske, Bonn, 1839, I, p. 693, 
61 S et 767. 



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98 ^ JANVIER-MARS 1926. 

teur de la mosquée elle pape Innocent III lui en fait grief ^^^ 
D'après l'historien grec Niketas Ghoniates, qui la place égale- 
ment dans le Praetorium, elle fut détruite dans une sédition 
sous Alexis Ange (iigB-iaoS), puis reslaurée^^^. Enfin, le 
même historien en raconte la destruction par une troupe de 
Pisans et de Vénitiens, quand les Croisés vinrent au secours 
d'Isaac Ange (i9o4) : elle fut pillée et incendiée, malgré la 
défense des Sarrasins qui s'y trouvaient et le secours que leur 
prêtèrent les Grecs ^^^ : ce fut par là, dit-il, que commença 
l'incendie de la ville, et il indique à ce propos l'emplacement 
de la mosquée ^^\ 

Ainsi nous pouvons suivre l'histoire mouvementée de cette 
mosquée, car elle paraît avoir été souvent détruite et rebâtie, 
dans les auteurs grecs et arabes à partir du x* siècle. Les deux 
auteurs les plus anciens, Mukaddasî et Constantin Porphyro- 
génète, sont d'accord pour l'atlribuer à Maslama, qui en im- 
posa ou en demanda la construction. Mukaddasî parle d'une 
maison, le «dâr al-balât». Le terme ynrétovy par lequel les 
Grecs la désignent à l'époque de la quatrième croisade et qui 
parait obscur à l'auteur de la note du Recueil des Historiens des 
Croisades^^\ car ce mot, issu du latin metatum, s'emploie pour 
un édifice en général (Du Gange : mansichdomus) et non pour 
une mosquée, qui se dit yuctylaStov^ devient compréhensible 
si on le rapproche du texte de l'auteur arabe. 

'^) Rec. dei H. gr. des Cr,, II, p. 56o. 

(^) Id., ibid., citation extraite de la Vie d'Alexis Ange. 

(^) Id., I, p. 367 : T^ t£v è^ ^yotp avvayûryiqt XdiBptf, ènêtaisiislouatpy S ^ai 

(*) Id. , I , p. 369 : ÛpSoLTO fièv oZv il xspi&vii roO tsvpdf é^ ànà tov avva- 
yùtylov tûùv 'j^apoLHHvûùv {là S* èall uarà rd 'sfpàç QrdXaaaap èiftxXivét ^àpgtov 
Hépos Tf?; 'sféXeoH xat x(fi rfpLémt iyyiiop 6 iis* èvéfteni rfjs âyias ^pi^vjfs 
ièpvrou). Cette église de Sainte- Irène, attribuée à Marcien, était située sur la 
mer aa UépaftoL, c'est-à-dire à l'endroit où Ton traversait la Corne d'Or, sans 
doute à Temboucbure du golfe (Ebersolt, Leê agi. de Conêtantinople , p. 55 , n. i)* 

W lD.,lI,p. 56o. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTIN OPLE. 99 

La tradition turque renchérit encore sur la tradition arabe. 
Le chef de l'expédition en question est pour elle ^Omar bin ^Abd 
al-Azîz. Il fait bâtir deux mosquées à Galata et obtient le droit 
pour les Musulmans de s'établir dans la ville à des endroits 
déterminés. A son départ, il laisse Sulaymân bin *Abd al-Malik 
comme gouverneur de Galata , avec Maslama comme vizir. Dans 
un siège postérieur, attribué à Merwân, la construction d'une 
mosquée est également signalée (^). La chronologie est évidem- 
ment ici tout à fait fantaisiste, ^Omar bin ^Abd al-^Azïz étant le 
successeur de Sulaymân bin ^Abd al-Malik. Il se peut qu'il y 
ait encore là la même confusion que nous avons signalée entre 
^Omar et Sulaymân, lieutenants de Maslama, et les deux 
califes. D'autre part, les Turcs ont certainement mêlé des faits 
de leur propre histoire à celle de l'histoire des Arabes. En effet, 
le sultan Bayazîd P' assiégea Gonslantinople de 1 3^6 à 1 4oo , 
avec une interruption pendant laquelle il alla combattre l'armée 
franco-hongroise de Sigismond I" à Nicopolis. Quand il leva le 
siège en i/ioo, il imposa à l'empereur la cession d'un quartier 
de Gonstantinople, l'institution d'un kâdî et la construction 
d'une mosquée ^^l 

Bref, si l'existence ancienne d'une mosquée à Gonstanti- 
nople parait établie, rien ne permet d'affirmer qu'elle soit due 
à Maslama. La construction en fut sans doute accordée de bonne 
heure par les empereurs pour les besoins des nombreux Musul- 
mans qui séjournaient à Gonstantinople, captifs, exilés, mar- 
chands ou voyageurs, et l'amour-propre musulman se plut à la 
rattacher à une prétendue victoire de Maslama. 

L'entrée de Maslama 1 Gonstantinople. — La légende raconte 
aussi que Maslama entra dans Gonstantinople. Gette tradition 



(^) Etlita ëffbndi, TravpU, p. 5 et suiv. 
^*^ MoBDTMANN, EncyoL de l'iêlam, I, B9.0. 



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100 JANVIEB-MARS 1926. 

est àé'jk ancienne, puisque nous la trouvons dans le Pseudo- 
Denys de Teli-]\laliré^^^ «Mastama, y est^ii dit, après avoir 
reçu la lettre d**Omar bin *Abd aU^Azîz lui enjoignant de reve- 
nir, demanda à Léon de pénétrer dans la vill«^ pour la visiter. 
Il y entra avec trente cavaliers, y circula trois jours et admira 
les œuvres royales.» Celte légende est bien plus développée 
dans Karamânî, qui fait un véritable roman de l'expédition de 
Masiama ^^\ 

Elle commence pour lui sous le califat d'^Abd al-Mnlik bin 
Merwân (65-86/683-7o5) et continue jusqu'à la (in du règne 
de Sulaymân. Masiama passe huit mois sur le détroit h prépa- 
rer la traversée, puis, après une bataille navale de trois jours, 
il arrive devant «Hle dans laquelle se trouve Constantinoplev. 
Là, il fait construire par les habitants des pays qu'il a soumis 
une ville de deux para^angos sur deux, qu'il appelle Madinat 
al-Kahr et qui est aujourd'hui Galata^'^ Il y reste sept ans, 
semant et récollan* , livrant chaque jour des combats où al- 
Battâl fait des hécatombes de chrétiens. Léon, fatigué de la 
lutte, oiïre un tribut considérable à Masiama. Mais ce dernier 
ne veut pas se retirer et les combats continuent. Alors Léon 
demande à Masiama ce qu'il désire. «Je suis fermement résolu 
à ne pas m en allor avant d'être entré dans ta ville, dit-il. — 
Entres-y tout seul, répond Léon, je t'accorde un sauf-conduit. 
— A la condition, n'^plique Ma<^lama, qu'al-Battâl se tienne 
avec ses compagnons h la porte de la ville, qui restera ouverte. » 
Il en est ainsi décidé. Masiama recommande à al-Rattâl de 



(^) Op. du, p. i3. Cf. Mukaddasî {tupra, p. a6, n. 6) : ^1 t*ki6 J^^ U. 

W Op, cit., p. 2i/i-âi8. Karamânî indique sa source : le àayh al-akbar Mu- 
hyi al-Dîn dans ses Muêàmarât. \\ s^agit de Muhyi al-Dïn ibn al-'Arabi : Muhâ- 
darat al-abrâr wa Musâmaral al-ahyâr; éd. 1906, II, 993-â 3. Le récit est 
semblable à celui de Karamânî, sauf, en plus, un passage sur les combats en 
Asie Mineure el un autre sur le retouc de Masiama,. à qui 'Omar reproche de 
s^étre obslin'S par vaine gloire, devant Constaminople. 

^^) Même tradition dans Lbunclavius, op. cit. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES l^OiNTRE CONSTANTINOPLE. 101 

Tatlendre jusqu*à la prière de T^asr. «Si je ne reviens pas, 
précipite-loi dans la ville avec tous tes cavaliers et tuez tout ce 
que vous rencontrerez. Mo|^ammed b. Merwân prendra ma 
place à votre tête.» Et il part, à rheval, vêtu de blanc, tur- 
ban en tête, ceint de deux épées et la lance à la main. Il entre 
par la porte d'Andrinople^^^ et s'avance jusqu'à Sainte-Sophie 
entre une double haie de cavaliers grecs, devant un peuple 
stupéfait de sa bravoure et de son audace. Léon l'accueille à la 
porte de l'église et lui baise la main. Maslama pénètre à Sainte- 
Sophie, à cheval, au milieu d'une vive émotion. Il se dirige 
vers un grand crucifix richement orné et posé sur un trône 
d'or, le prend et le place sur l'arçon de sa selle. Devant les 
protestations des moines, Léon avertit Maslama du méconten- 
tement de la foule. Mais ce dernier jure qu'il ne partira qu'avec 
la croix. Alors Léon apaise les Grecs en leur promettant une 
croix semblable et leur rappelant qu al-Battâl est prêt à entrer 
dans la ville avec ses cavaliers si son chef tarde trop. Enfin 
Maslama sort, précédé de Léon, la croix à la pointe de sa 
lance. Le temps de la prière de l'^asr était déjà passé et les 
Arabes désespéraient de revoir Maslama, Il l'accueillent par 
un formidable takblr qui fait trembler la terre. 

Après quoi, Léon envoie le tribut promis. Maslama décide 
alors de partir. Il passe trois mois à préparer ses navires. Enfin 
ses troupes s'embarquent. Mais Maslama reste encore avec 
cent cavaliers, s'avance jusqu'à la porte de Gonstantinople, où 
Léon vient lui apporter ses hommages, que le chef arabe 
reçoit avec hauteur. Puis il s'embarque à son tour, passe le 
détroit et s'en retourne avec ses troupes. A mi-chemin de la 
Syrie, il reçoit la lettre d"OrY)ar bin *Abd al-*Azïz lui annon- 
çant la mort de Sulaymân bin 'Abd al-Malik et l'invitant à 

^^) iJyùl uj^i ^jM, Cf. Edimè Kapû. Sur les deux épées (la sienne et celle 
d^'Abd al-MalilL, dit Muhyi al-cûn), voir Goldzihbb, Zwei Schwerter, Der 
Ulam, XII, p. 198. 



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102 JANVIER-MARS 1926. 

revenir. Parti de Damas avec 80,000 hommes, il en ramène 
3o,ooo. 

Ce récit est à rapprocher de celui que fait Leunolavius de 
l'entrée d'Abù Ayyûb à Sainte-Sophie [supra, p. 76). Il pro- 
cède sans doute de sources purement légendaires. Ici s'aflSrme 
encore davantage l'idée d une prise de possession de la ville. 
Léon se fait humble devant Maslama. En entrant à Sainte- 
Sophie à cheval, par une sorte de défi à tout un peuple stupé- 
fait, le chef arabe se pose en vainqueur de l'empire et du 
christianisme, et en maître de Gonstantinople. 

Les Abbasides. 

L'expédition d'Hârûn. — Avec Maslama se terminent les en- 
treprises omeyyades contre la capitale même, caries incursions 
en Asie Mineure continueront ^^^ Nous ne retrouvons une ex- 
pédition atteignant, sinon Gonstantinople, du moins le Bos- 
phore, que sous le calife abbaside al-Mahdî (158-169/775- 
785). Elle fut commandée par son fils Hârûn. 

Ya^kùbï la signale en 1 6^/781 et dit que c'est k la suite de 
cette campagne qu'Hârun devint héritier présomptif et reçut le 
nom d'al-Rasïd^^l Tabari la place en 1 65 et raconte qu'après 
un engagement avec Niketas, comte des comtes, il marcha 
contre le Domestique àNicomédie et arriva jusqu'au Bosphore. 
A ce moment, à Gonstantinople, Irène, veuve de Léon IV 
(775-780), que Tabari appelle d'après son titre Augusta, 
avait la régence au nom de son fils Gonstantin VI (780-797). 
Elle fut contrainte à faire la paix et à payer un tribut annuel (*l 
Tabari cité ensuite deux vers de Merwân bin Abî Hafsa, qui, 

(^) Wbllhausbn, p. /i/ia-/i/i5. 

(') Cf. Kitâb al-'Uyûn, p. 378-979, qui place lexpédition en i63. 
••"^) TababT, IIT, 5o3-5o/i. Niketas : âim^\^\ j--«y». Le Domestique ou com- 
mandant des frontières : ^L*4I k«**.L«. Cf. Ibn al-Atîr, VI, 37. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 103 

pris à la lettre , laisseraient entendre que la victoire d'Hârûn 
fut plus importante qu'elle ne Ta été en réalité. <rTu as fait le 
tour de la Constantinople des Grecs en appuyant ta lance sur 
elle et ses murs ont été revêtus d'humiliation —r- Tu n'as pas 
désiré la prendre et tu t'es contenté de recevoir de ses rois le 
tribut tandis que bouillaient les marmites de la guerre ^^l» 

Pour Théophane, Hârùn s'avança jusqu'à Chrysopolis, sur 
le Bosphore, tandis que ses lieutenants opéraient en Asie Mi- 
neure. Mais sa retraite fut menacée d'être coupée par suite de 
la prise par les Grecs de Baris ^^\ Ce serait même des Arabes 
que seraient venues les premières propositions de paix. En 
somme, les deux partis furent forcés de faire la paix^^^. Pour 
Michel le Syrien, les Arabes tombèrent dans un piège et deman- 
dèrent la paix^^^ Néanmoins les Grecs durent payer un tribut, 
. Les expéditions continuèrent à travers l'Asie Mineure, mais 
sans plus jamais parvenir au Bosphore, sous Hârûn al-Rasid 
devenu calife. L'expédition qui amena la prise d'Héraclée, en 
190/806, sous le règne de Nicéphore (809-811), a donné 
lieu à de nombreuses légendes qu'on trouvera dans Mas'ùdï : 
Hàrûn, désespérant de prendre Héraclée, aurait fait construire 
une ville en face de la place, en attendant qu'elle se rendit de 

U^ JjJl >jci5i j^ UjD) I4J1 ù. i JS, ; ^^jJ\ <?>,L.la;l^M.g: i^JU\ 

Le premier vers est également dans Ibn Hordâdbbh, 10 3. lis se trouvent 
tous les deux dans le Livre de la Création et de l'Hittoire, Yl, p. 9Ô, avec le 
texte : LilJt 14^1 tjJU^w* et L^^^jsi JJO vr*^' (pour cette dernière imag(^ 
cf. ibid., p. 18 : l4JU.!j-» jLx3 ÂJLx* (£^\ ^\). Corriger la traduction fautive de 
Bbooks, Engl. hist. Review, XY, 1900, p. 737 : trthou hurledst no stone 
against itn pour : i^x^^'U. 

W Th^ophamb, a, m,, 637/», p. 456 (Baris =riiv Bavijv, d'après Ramsay, 
Hiêt, geogr. ofAna Mirwr, p. 169, à Tembouchure du Granique). 

^*) Id., ibid, : i€tdaBn<rav dpt^ôrtpa rà fiépm xov 'stutvi<Tm e/pifyify. 

(*) Apud Brooks, loc, cit. Michbl, III, p. a. 



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104 JANVlER-iMAnS 1926. 

guerre lasse; lors du partage du butin, échut à Hârûn la fille 
d'un patrice, qu'il aima et pour laquelle il fit bâtir une cita- 
delle quil appela Héraclée. Mas^ûdî rapporte également un 
long é|)isode ,de combat singulier livré par un chevalier nommé 
al-Jurzi à un Grec^^l 

Ces luttes entre Hârûn et les Grecs prennent une grosse 
importance dans la tradition turque. Evliya Effendt^*^ attribue 
à Hârûn deux sièges de Gonstantinople. Dans le premier, il se 
contente de faire la paix à la condition de recevoir autant de 
sol que pourra en recouvrir une peau de bœuf et, renouvelant 
la ruse de Didon, il obtient un vaste emplacement sur lequel 
il construit un véritable château fort^^\ Dans le second, Hârûn, 
revenu pour venger les musulmans de Gonstantinople massa- 
crés par les Grecs, fait pendre h Sainte-Sophie l'empereur 
Yakfur (Nicéphore). 

L'expédition d'Hârûn parait être la dernière expédition arabe 
contre Gonstantinople. En résumé, il y en eut cinq, trois sous 
Mu^âwiya, en 34/655, 48/668 et 54/674, une sous Sulaymân 
bin ^Abd al-Malik en 97/115, et une sous al-Mahdi en i65/ 
789. De ces cinq campagnes, deux comportent réellement un 
siège de Gonstantinople, celle de Yazîd et Abu Ayyûb en 48 
et celle de Masiama en 97. Elles se transforment en sept ou 
neuf sièges dans la tradition turque, qui confond siège, expé- 

^^) Mas^ûbT, Prairiei, II, p. 887 et siiiv. TabarT, III, 709 ne donne aucune 
légende sur le «iège même , mais il parie aussi de la jeune Grecque. Cf. infra ^ 
p. 116, n. 1. 

W TraveU, p. 5 et suiv. 

(') LMilstoire de la peau de bœuf ainsi utilisée par Harûn se trouve aussi 
dans Leunciavius (op. cit., p. 5A, EncycL de VIslàm, I, p. 889). Elle a d^ail- 
leurs fait fortune. KaramInI, op, cit,, IV, p. a et 3, l'attribue à Mahomet II au 
siège de Gonstantinople en i453 et la forteresse ainsi bâtie contribue puissam^ 
ment à la prise de la ville. Mordtmann {EncycL de flilâm, article cité) indique 
que la source d'Ëvliya Ëffendi diaprés Rieu (Gato/ogti«) est Muhyial-Din Jemilî. 
Gi. injra, p. 119. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 105 

dition et simple raid; on les dédouble, et on fait bon marcbé 
de la chronologie ^*l 

La conocêtb de Constantinople et les hadIt. — Les expédi- 
tions contre Constantinople, si l'on en croit les hadlt, auraifmt 
été annoncées par le Prophète lui-même. Mais personne ne 
songera sérieusement à établir que Mohammed a eu en vue la 
conquête de Constantinople. Les ftibricateurs de traditions se 
sont complu à mettre dans la bouche du Prophète toutes 
sortes de prédictions sur des événements qu'il ne pouvait avoir 
prévus, comme par exemple les changements de dynastie. 
Il était naturel qu'on lui fit prédire les expéditions contre Con- 
stantinople et la conquête de la capitale byzantine, et qu'on lui 
en ftt connaître par avance les moindres détails. Les nombreux 
hadît qui parlent de cet événement ne peuvent remonter jus- 
qu'à lui. Ils n'ont été mis en circulation que lorsque Constanti- 
nople est devenue un des buts de la politique musulmane, et 
les plus anciens mêmes doivent être postérieurs aux premières 
grandes expéditions omeyyades. Ils ont été forgés pour des 
buts déterminés. 

Les uns accusent une préoccupation politique. Us peuvent 
avoir été imaginés afin de légitimer les guerres lointaines et de 
renforcer le zèle des croyants. Tel est le ^adït de Umm Harâm 
sur les expéditions maritimes, pour lesquelles les Arabes 
éprouvaient une certaine répugnance. «Les premiers combat- 
tants de mon peuple, dit le Prophète, qui feront une expédi- 
tion en mer s'acquerront des mérites. — Je lui dis alors , poursui- 
vit Umm Harâm : «Serai-je parmi eux, Envoyé de Dieu? — 
Tu y seras, me répondil-il, et il ajouta : Les premiers de mon 

(^'^ Lbukclatius : 9; Etlita Epprndi : 9. Cf. Hammbr, Hiitoire de Vempire otto- 
man, II, p. 39/4, et note, p. 617 : 7. La tradition turque est seule à mentionner 
un siège au cours duquel, en iaQ/7/io, serait mort Sayyîd Battâl. 11 est bien 
mort en 19a (TababT, II, 1716), mais non devant Constantinople. 



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106 JANVIER-MARS 1926. 

peuple qui attaqueront la ville de César se verront pardonner 
leurs péchés. — Serai-je parmi eux, Envoyé de Dieu? — Non», 
me répondit- il ^^^ Tel encore celui-ci : «Vous conquerrez cer- 
tainement Constantinople. Excellents seront Témir et l'armée 
qui s'en empareront ^^^^ De même le curieux feadît rapporté 
par Ibn ^Âbd al-Hakam , où il est question à la fois de Home 
et de Constantinople : celle-ci tombera la première, le tour de 
Rome viendra ensuite ^^K 

De tels hadît servaient si bien les buts des conquérants qu'ils 
les ont utilisés pour encourager leurs troupes. C'est ainsi que 
Mahomet II, lors du siège de i453, passant ses soldats en 
revue avant de donner l'assaut, leur proclamait la parole du 
Prophète : «Certainement Constantinople sera prise, etcJ*l» 

D'autres sont à tendances plus particulièrement dynastiques. 
Ils visent à attribuer à telle ou telle dynastie la gloire de la 
conquête. La propagande abbaside se servait du hadït sui 
vaut : «Il y aura plus de trente califes abbasides. Six d'entre 
eux porteront un même nom, trois autres porteront un même 
nom. L'un d'eux conquerra Constantinople ^^\ » La prédiction 
ne devait pas se réaliser. Seul parmi les califes abbasides, 



(*) BoHiRï, Lei traditions islamiques, trad. Hondas et Marçals, JI, p. BSa. 
BoHlRî, teste, daDS le commentaire d'ai-Kastailânï, VI, p. aSo : ^^^ Ji-ï^ J3I 
*-^ ;3-«Â« yux(3 JUj^x» {:)yyi^. (s^\ . Cf. SoYûTî, Jâmi* al-Sagir, dans le conmien- 
taire d^al-Hafnï, I, 353. Les commentateurs disent que Yazïd, fils de Mu'â- 
wîya, est le premier qui ait attaqué Constantinople, et à ce sujet ils discutent 
la question de savoir si Yazîd, malgré sa qualité d'Omeyyade et la tragédie de 
Kerbela , doit être compris dans ceux auxquels est accordé le pardon. 

(*) Soydtî-Hapnï, 1, p. 260. Cf. MuntahdJ) Kanz al-'Umnml, MchakI, VI, 
is. 

W Ibn *Abd al-Hakam, Futûh Misr, éd. Torrey, p. 267. M. K, aWUmmâl, 
VI, i5. 

(*) Garcin de Tasst, Trad, de la relation du siège de iù53 par Vhistoi'ien turc 
Sa'd ul-Dïn (J. as., VIII, 1826, p. 3/n-3/»a et note 1 de la page 3^2). 

(^) Ibn 'AslKiR, III, 288. Le personnage qui cite le hadît est un mission- 
naire abbaside. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 107 

Hârûn al-Rasïd pourrait passer à la rigueur pour conquérant 
de Constantinople. C'est sans doute pour flatter le calife omey- 
yade Sulaymàn bin 'Abd al-Malik qu'on a fabriqué la tradi- 
tion suivant laquelle Constantinople serait prise par un calife 
portant le. nom d'un prophète. Sulaymàn (= Saloraon , consi- 
déré comme prophète par les musulmans) pensa que la con- 
quête de la ville lui était réservée et il envoya une expédition 
commandée par son frère Maslama^^l II se peut d'ailleurs aussi 
que ce hadît soit né après les faits nuxquels il semblerait faire 
allusion , pour expliquer l'expédition. 

Enfin, nous avons toute une série de feadil à tendances poli- 
tico-religieuses. Ce sont ceux où la prise de Constantinople est 
associée à la venue de la dernière heure et à l'apparition du 
Dajjâl ou Antéchrist musulman. La conquête de la ville est 
ainsi reculée à la fin des temps. 

Peut-êlre ces traditions ont-elles commencé à être mises en 
circulation pour faire prendre patience aux conquérants, déçus 
d'être toujours arrêtés devant les murs de Constantinople et 
de voir la puissance byzantine continuer à se maintenir en 
face de la puissance musulmane. Il s'agissait de faire prendre 
patience aux musulmans ^^K Nous trouvons un indice de cette 
préoccupation dans le (ladît suivant : « Si le monde n'avait plus 
qu'un jour à vivre, Dieu le prolongerait pour permettre à un 
homme de ma famille de soumettre les montagnes du Daylam 
et Constantinople ^^K » Cela signifie que ces deux centres de 
résistance tomberont certainement, mais qu'il faudra peut-être 
attendre longtemps. 



t*) Kitâb aWUyûn, op. cit., p. a A {supra, p. 86, n. 2). 

W Uhmbns, M.F,0,B., III, 1, p. 3o8. 

W SoieTî-HAFsï,.!!, p. 267 : ^^L*. àWI tJyJaJ j.^ 3Î) U-3jJl ^^ ^, ^ ^ 
SJs^JojJa^,»JU\ 3 h^ji^\ J^ (^ J^t ^^ Jâ.^ ^^^* ^ commentateur indique 
que f^ Jl^I (^ ô^^ désigne le Mahdl. On pourrait aussi songer à Hârun 
ai-Raifd, qui reçut la soumission du Daylam (TabarT, III, 706). 



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i08 JANYIER-MARS 1926. 

M. Casanova ^^^ montre que les l^adît, à Torigine, associaient 
à la venue de l'heure, non la prise de Conslantinople, maïs 
celle de M(^dine, considérée comme le but à atteindre par les 
premiers croyants. C'est plus tard seulement, quand l'idéai 
des musulmans fut Constantinopie, qu'on substitua dans les 
^adït ce nom h celui de Médiue. De toute façon, il est évident 
qu'il a été postériruremefit associé à la venue de l'heure, car 
dans la pensée de Mohammed la capitale byzantine n'avait rien 
à voir avec l'heure. 

Nombreux sont les l^adit de ce genre ^^K La prise de la ville 
sera précédée de l'apparition de la Malliama et suivie de celle 
du Dajjân'l Le tout se produira en sept mois^*^, ou bien il 
s'écoulera sept ans entre la prise de Constantinopie et l'appa- 
rition du Dajjâl ^^K C'est au moment où les musulmans seront 
en train de se partager les dépouilles que retentira le cri : le 
Dajjâl est chez vous. Alors ils laisseront tout ce qu'ils ont dans 
les mains et reviendront combattre le Dajjâl W. 

Ces l^adît apocalyptiques sont par eux-mêmes obscurs. Us 
le sont encore plus quand ils ajoutent aux données vagues sur 
la Malhama et le Dajjâl des indications plus précises sur les 
signes précurseurs de l'heure. C'est là que l'imagination des 



(^) Mohammed et h. fin du monde, p. /i6 et suiv. 

(^) fiRMipT, Sahil^^ il, 37 (apud Laiiiiens, op. cit., p. do8, n. 9); Création 
et Histoire, IV, p. 98; Ma^rTzi-Gasanova, ill, p. 271 (texte I, p. 334). 

î*î Ma^rTzI-Casanota , ibid. 

W SoyûtI-HapnI, II, 373; M. K. al-Ummâl, VI, 62. 

C^) Créât, et Hist., Il, i65; M. K. aUUmmàl, VI, 5 1. 

(®) Créât, et Hiit., II, i65; Moslim, Çahih (apud KastallànT, Comm. de 
Bohâin, avec en marge le $ahih de Moslim et le commentaire de MawawT, Xtl, 
p. 33o : y>*A.^3 *^ Jk5^^jj^5^ju4. M. K. al-'Ummàl, VI, ao et ai : ..^isil 

i fJiJ^ 0^ JL?«xJj (jl ^ya}\ ji»UJL* j,;iil Jl^i yiSL t;>M«* iu^iiU (^ 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTïNOPLE. 109 

fabricateurs de traditions s'est donné libre cours, lis ont 
accueilli de nombreux détails provenant de sources (rès 
diverses. 

Les uns peuvent être 1res anciens et provenir de sources 
judéo-chrétiennes comme la plupart de:> tudii sur la dernière 
heure, les fitan et les nialâhini^'). 

Ainsi la conquête de Constanlinople est associée à «la splen- 
deur de Jérusalem » ^^). Cela fait penser à la Jérusalem nouvelle 
dont parle l'Apocalypse. On y voit également la destruction de 
Yatreb, parce qu'un tadit d'autre part dit que iMédine sera le 
dernier pays de Tislâm k être détruit ^^^ Ailleurs, la prise de 
Constanlinople est attribuée à 70,000 fils dlsaac : « Avez-vous 
entendu parler d'une ville dont un côté donne sur la terre et 
l'autre sur la mer ? — Oui ! Envoyé de Dieu ! — La dernière 
heure ne viendra pas sans que 70,000 fils dlsaac ne 
l'attaquent. Quand ils l'assiégeront, ils ne combattront pas 
avec leurs armes et ne lanceront pas de traits. Ils diront : 
«Il n'y a de Dieu que Dieu, et Dieu est grand (le tablll et le 
Qctakbîr), et l'un des côtés de la ville tombera. Au troisième 
«cri, ils entreront dans la ville ^^). » Les commentateurs pensent 



(^) Cf. CA8iiio?A, Mohammed et la fin du monde, chapitre cité. 

W SotÛtï-Hafnï , II, p. 136 : Vj^ V*7*-3 V^ss V^j*- o-»Xill o^ U^y*^ 
JUm>J| ^3^ j^A*.:^*^'^^^» ^ iit. l ijAS]A,».jJ\ ^h k^AX\ ^^9 iU^i ^^ 
Même badît : M, K. aUUmmâl, VI, 43, et Ibn Hanbal, V, aSsi; Abu Dâwud, 
II, i36. 

C») SotûtT-HafnT, 1, p. 98. 

(*) MosLiM, op, cit., XII, p. 33o. G^est un badît qne citent les historiens 
turcs en m'me temp<< que «certainement Const^mtinople sera prise, etc.?) : 
HamMir, Hiitoire de ^empire ottmnan, 11, 39/1; BItlita Kppbndi, Traveli, 1, 5. 
Là il 8*agit de trois côtés do la ville. Voici le texte de Musiim : SiXà^ f^Jt^e*» 

IaUJI ^ ^ JU 4UI 4^; li^\y)i3 y^\ i L^ u^U.3 ^1 i l^L* v^U 

Sy^yi Jy ^3U^ I^Urf ^ \^-jj U;U. liU j^l i^ ^^ LU) y^*^ Lô,^ fs-^ 



IIMRBIK aJlT10.1Al.B. 



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110 JANVIER-MARS 1926. 

qu'il s'agit évidemment de Constantinopie. Peui-étre n'est-ce 
qu^une adaptation arabe de la légende biblique de la prise de 
Jéricho. L'expression (rfils d'Isaac^) n'embarrasse pas le com- 
mentateur Nawawî. C'est la même chose pour lui que les Bis 
d'Ismaél et cela désigne les Arabes. Les commentaires de ces 
badït sont parfois très ingénieux ^^\ 

D'autres peuvent provenir de l'histoire même des luttes 
arabo- byzantines ou des traditions qu'elles ont fait naître. 
Certains épisodes, réels ou légendaires, ont pu frapper les 
esprits au point qu'on s'est plu à penser qu'il s'en produirait 
de semblables à la iin des temps. 

Il est fait allusion ainsi à une paix ou trêve que les musul- 
mans concluront avec les chrétiens et après laquelle ils seront 
trahis par eux^^^; ils combattront un ennemi commun derrière 
Constantinopie (^^ Un ^adît parle de trois expéditions distin- 

L<6^Aâ.Jn^. Sur Tinterprétation turque, voir Der hlam, KIII, i63. 

(^) Voici comment al-Hafhi commente : »a*A^*^*"''-^i ^ et oh^ u^y-^ 

yjJAJJS ^^\ Oou ffi\ Xal^]r^lie^.nâJt\ ^; (II, ia6) JL».OsJ) ^^ J^ ÀaXa 

($«X4ll (II, 373) : ai-Hafnî est moderne. 

^2) Af. Jf. al-'Ummâl, V, 4o6 : JUI oMî iJ^-o j^^ J^ iUSli' JU-. «^ 

- W /&m/., V, 11 : ^\^ ^^ I3JSA ^3 |«j| (jujÂxà UuT LJm<» p,yi (^Uax^ 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 111 

guées chacune par des faits précis : ce Vous ferez contre Gonstan- 
tinopie trois expéditions. Dans ia première vous éprouverez un 
désastre; dans ia seconde vous conclurez avec les ennemis une 
paix stipulant que vous construirez dans leur ville une mos- 
quée : vous combattrez, vous et eux, un ennemi derrière 
Gonstantinople, puis vous reviendrez à Gonstantinople; dans 
la troisième, Dieu vous rendra victorieux par le simple effet 
du takbîr : un tiers de la ville sera détruit, le second tiers 
incendié par Dieu , et vous vous partagerez le troisième comme 
on mesure les grains (^^ 

Les Byzantins rompirent le traité de paix qu'ils avaient 
conclu avec les Arabes au temps de Mu^âwiya ou Yazîd et 
qu'^Abd al-Mâlik bin Merwân avait renouvelé ^*^; de même ils 
rompirent celui qui avait été signé entre Hàrûn et Irène ^^K La 
mosquée rappelle la légende de Maslama. L'ennemi derrière 
Gonstantinople pourrait bien être le Bulgare, le terrible 
adversaire des empereurs byzantins, avec qui Maslama eut 
maille à partir ^^^. 

Un autre l^iadîf dit que la conquête de Gonstantinople sera 

précédée d'une descente des Roums à Dâbik ou à al-A^mâk et 

d'un combat que leur livrera une armée venue de Médme^^^ 

Dâbik et al-A^mâk étaient les lieux de rassemblement des 

armées musulmanes lors des grandes expéditions omeyyades : 

ciilj ïyjb^ HiLà à^^ iLrfLc ^^It i ^yL3 ^ yyu-ç^ .•a-iUJ; Abu Dâ- 
wud, II, i36. 

W Ilnd., VI, ai : *>Lj ^ C».j>,..ai! J^J ^\yy£ ^^ i^jJL>Jl^.JU\ y^jis-- ^1 

(^3 f^^ t»>-*-^> lo^^v» A^ii^t^^ S \y^ i^A. ^ (•♦^^ '•^^ eJ>^ '4sJ'^J> 
^JUI iûJUdl (:j^WUL5| l^jULS' ^^3 C^ ^j,^ y^^SjJi^ ^J^ M\ 

W V^KUiHAusui, op, àt., p. 4a5, 4a8 et 43 1. 

« TabaiI,UI,A, i68. 

W Voir êupra, p. 9/1 et suiv., pour la mosquée; p. 90, pour les Bulgares. 

(^) MoauM, op, cU,, Xli, p. 309. M. K, aU(Jmmài,yif 9 et 10. 

8. 



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1 



1!2 JANVIEB-MARS 1926. 

ces localités étaient situées dans la région d'Alep ^^^. Il est peut- 
être fait allusion ici, soit aux campagnes de Nicéphore Phocas 
en Cilicie et Syrie qui aboutirent à une première prise d'Alep 
en 351/963, et à une seconde en 369/969 à la suite de 
laquelle Témir d'Alep fut un certain temps vassal de Byzance^^^ 
soit aux expéditions des croisés. Un autre l^adît décrit longue- 
ment les combats que se livreront les Roums et les Musul- 
mans ayant qu'apparaisse le Dnjjâl^'). C'est sans doute encore 
une allusion à un épisode quelconque des guerres arabo- 
byzantines. 

Il est peut-être vain, en somme, de vouloir cbercher dans 
les b'idït de ce genre des allusions à des événements bistoriques 
précis. Issus des profondeurs obscures des traditions judéo- 
cbréticnnes plus ou moins bien comprises par les Arabes, ils 
confinent à la pure légende. Le voile de merveilleux dont les 
Arabes enveloppaient la grande cité quasi-fabuleuse n'a sans 
doute pas été étranger à l'introduction de son nom dans ces 
badït à caractère un peu mystérieux, et a contribué à y faire 
accueillir les inventions les plus extraordinaires sur les événe- 
ments qui devaient accompagner sa cbute. 

Dans leur ensemble, les b^dît relatifs aux expéditions contre 
Gonstantinople et à sa conquête ont d'une part abouti à faire 
apparaître la prise de la ville comme inéluctable, et d'autre 
part contribué à créer autour d'elle une légende complexe. 

Les EXPEDITIONS CONTRE CoNSTANTINOPLB DANS LES ROMANS DE 

CHEVALERIE. — A côlé dcs traditions mi-historiqucs, mi-roma- 
nesqucs que nous avons étudiées (combats de Yazïd devant la 
porte de Gonstantinople, mort d'Abû Ayyub, mosquée de 



(') Pour Dâbik, cf. iupra, p. 8/i, n. 6; pour al-A'mâk, Ya^ût* I, 3 16. 
(*) Voir Frbttao, Z. D, M. G., XI, 1867, p. 177 et suiv. 
^^'^ MosuMf op. cit., &11, p. 3i3. 



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LES EXPÉDraONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLË. 113 

Masiama, entrée de ce dernier dans la ville), h côté de ce 
qu'on pourrait appeler la légende des hadit, nous avons dans 
les romans de chevalerie la légende héroïque ou épique. 

Le thème de l'expédition contre Constantinople et d'une 
façon générale de la luUe des Musulmans contre les Byzantins 
infidèles pouvait fournir matière à nombre de développements 
épiques. Il est donc naturel qu'on puisse les retrouver dans les 
romans de chevalerie et les contes héroïqu«*s de la geste musul- 
mane. Sans doute, ceux-ci ont-ils été inspirés avant tout par le 
grand mouvement des croisades. Les romans historiques, mis 
sous le nom de Wâkidï, que nous possédons sur les conquêtes 
de la Syrie, de la Mésopotamie, de TEgypte et du Magreb ont 
été composés assez tardivement, à Tépoque des croisades, 
«pour raviver l'esprit guerrier des musulmans en leur rappe- 
lant Fépoque brillante des conquêtes »^*^ Il en est de même 
pour les romans de chevalerie proprement dits. Mais il a dû 
exister de bonne heure des récils oraux relatifs aux exploits des 
preux musulmans dont on s'est souvenu à l'époque où ont été 
composés les contes héroK|ues. 

Un bref examen du contenu des romans de chevalerie per- 
mettra d'y découvrir à côté du souvenir plus récent des luttes 
contre les Francs, l'écho lointain des campagnes où s'illus- 
trèrent les Omeyyades. 

Dans les Mille et une Nuits, où l'on voit également le souve- 
nir des premières expéditions contre le Magreb (récits ayant 
trait à la ville de cuivre) ^^\ nous trouvons le conte d'^Omar 
alNoWn et de ses fils Sarrkân et Dû'lmakân^'î, où le thème 
principal est une expédition contre Constantinople. Le roi 
^Omar al-No^mân, ayant été assassiné dans son palais par une 
vieille femme chrétienne, h la suite des intrigues ourdies 

W HuART, Uuératur» arabe, p. 176. 

'^ Cent et une nuits, trad. Gaudefroy-Dcmombynes, p. ia8, note. 

(*) Mille et une nuiu, éd. du Caire, nuits ^& à 107 et 187 i thù. 



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114 JANVIER-MARS 1926. 

contre lui par le roi de Gonstanlinople Afrîdûn et le roi de 
Césarée Hardûb , ses fils Sarrkân et Dûlmakân entreprennent 
pour venger la mort de leur père, une expédition contre 
Constantinople. lis s'avancent à travers l'Asie Mineure, chas- 
sant devant eux les populations qui se réfugient dans la capi- 
tale. Sur un certain point de la côte d'Asie Mineure, ils en- 
gagent un combat avec les Byzantins venus par terre et par 
mer. Après plusieurs jours de lutte, les Grecs, dont ils font un 
grand carnage, sont rejetés à la mer. La plupart de leurs 
vaisseaux sont pris; vingt seulement s'échappent et ren- 
trent à Constantinople où ils apportent la nouvelle du dé- 
sastre, et sèment la désolation (nuits 89 à 98 de Tédition du 
Caire). 

Cet épisode pourrait être un vague souvenir des batailles 
que se livrèrent si souvent Grecs et Arabes sur la côte de 
Lycie, importante à cause de ses cyprès dont le bois servait 
aux navires, et dont la plus connue est celle de Dât al-l^awârï^^^ 
Les Grecs y subirent une retentissante défaite. La tradition 
rapportée par Leunclavius dit qu'il y eut un combat sur terre; 
dans le même auteur, il est question d'une bataille navale et 
terrestre qui aurait eu lieu entre Maslama, battant en retraite 
et les Grecs lancés à sa poursuite; le combat aurait duré trois 
jours; finalement, Grecs et Francs auraient été jetés à la mer, 
comme dans notre conte ^^K 

Les troupes de Sarrkân et Pu'lmakân arrivent ensuite 
devant Constantinople. Le roi de Césarée est tué en combat 
singulier par Sarrkân; mais ce dernier, dans une seconde ren- 
contre est blessé traîtreusement par Afrîdûn et meurt dans sa 



(^) Cf. supra, p. 63. 

(*) Leunglayiub, op. cit., p. 87 et suiv.; cf. tupra, p. 66, n. 4. Cette seconde 
bataille semble être dérivée de ia tradition de Dât al-Sawârî. Dans Agapius de 
Manbij (en 54, supra, p. 79), nous avons également vu un combat en Lycie, 
mais là les Arabes furent vaincus et durent se réembarquer. 



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LES EXPÉDmONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 116 

tente, victime d'une ruse de Dât al-Dawàhî déguisée en ascète 
musulman. Du Imakân assiège Gonstantinople » mais sans succès, 
et au bout de quelque temps, il lève le siège. A la fin du conte, 
le fils de Du Imakân, Kânmâkân, venge la mort de son oncle et 
de son grand-père sur la personne de Dât al-Dawâhî; d'après 
une autre version ^^\ il s'empara aussi d'Afrîdûn, mais lui laisse 
la vie sauve et se contente d'exiger de lui la jizya ^^K 

Ailleurs, nous trouvons le nom même des grands combat- 
tants de l'époque omeyyade. Un conte des Ceni et une Nuits a 
pour héros le calife Sulaymân bin ^Abd al-Malîk ^^K II est vrai 
que l'action se passe au Magreb, mais Suiaymân a pu aussi 
être choisi comme personnage principal d'un conte héroïque 
en raison de l'expédition qu'il envoya contre Gonstantinople. 
Un autre conte met en scène Maslama, général et frère du 
même calife. Nous le voyons pénétrer de vive force dans un 
couvent et en ramener Maria, fille du roi des Roums; il la rend 
ensuite dune façon très chevaleresque à son fiancé qui vient 
la rechercher, l'épée à la main ^^K 

Le thème de ïentrée dans un couvent est fréquent dans les 
romans de chevalerie et nous le trouvons deux fois dans ^Omar 
al-No'màn^^i. Il se pourrait qu'il y eût aussi là un souvenir de 
la générosité attribuée à Hârûn al-Rasîd après la prise d'Héra- 
clée ^^^ L'empereur Nicéphore lui envoya une lettre pour lui 
demander de lui remettre une esclave qui faisait partie des 

W Ms. de la Bibl. Nat., fonds arabe, n** 4679» nuits 966 à 1001. 

(>) Dans ce conte, il est question égsdement des Francs, alliés ou vassaux 
des Roums, ce qui est un souvenir des croisades, mais ce sont les Byzantins 
qui jouent le principal rôle et cela nous reporte à uue époque antérieure aux 
Croisades. 

(') Op. du, conte de Sulaymân bin *Al>d al-Malik, p. laB et suiv. 

(^) Cent et une nuitê, conte de Maslama, p. 978 et suiv. 

t*) Épisode de Sarrkân et Abriza, nuits U6 et suiv., et le raid contre un 
rouvent, nuits 96 et suiv. 

'•> A moins que ce ne soit la légende de Maslama qui ait inspiré celle 
d^Hârûn ai-Rai^îd. Pour le siège d'Héradée voir supra, ^, 10 3. 



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116 JANVIER-MAHS I9:>6. 

captives faites h Héraclée, et qui était destinée à son fils. 
Hârûn la lui renvoya avec d«'s cadeaux ^*^. 

Les noms de Maslama et de Sulaymân montrent qu'il a du 
exi^le^ autour de cerlains princes omeyyades, un cycle de lé- 
gendes héroïques. 

Le roman lurc d'al-Battâl et celui de Deihemma nous four- 
nissent également des échos des grandes expéditions contre 
Conslantino|)le. 

Al-Bal[âl est signalé par le Kilâh al^Uyûn comme le chef de 
la garde de iMaslama lors de l'expédition de ce dernier en 97; 
diins le récit de Karamàni, c'est lui qui se tient à la porte de 
Constantinople, prêt à entrer si Maslama ne revient pas de sa 
visite dans la ville ^^l II est le héros d'expéditions postérieures 
sous le calife Hisâm^^^ La tradition turque le fait mourir en 
laa/yio devant Constantinople^*^. 

Nous ne possédons aucun roman arabe de ce nom. Mais il 
a dû en exister un, qui était connu en E{]ypte au vi' siècle de 
rhégire^^^ et était assez célèbre pour que le sultan Baybârs pût 
être comparé à son héros ^®^. Dans le roman turc*^', les événe- 
ments auxquels prend part al-Ba(tâl sont placés à une époquo 



(^) Cette histoire, avec ie texte de la lettre de Nicéphore, se fcouve dans 
TabarT, m, 709, cf. Brooks, EngL hist, Review, XV, 1900, p. yAO. 

(^) Dans lo conte de Sulaymân Lia *Abd al-Malik des Cent ut unj nuits, 
ai-6altal joue également un rôle. Il est l'ambassadeur de Sulaymân auprès 
d'un roi mystérieux du Magreb, auquel il demande sa fille en mariage pour 
son maître. 

(*) TabarT^II, 1559, i56o, i56i, 1716; K. al-'OyOn^ p. 90, 91, 100. 

W Cf, supra, p. io5, n. 1. 

(^) Magdonald, Journal of the Royal Asiatic Society, 1936, p. 3 81. Cf. art. 
al-Battâl dans Encyclopédie de V Islam, I, p. 698. 

(<*) Kalila^andi, Subh al-Â'ia, éd. du Caire, i3t8; lY, p. i4o, 1. 9 (lettre 
sur la pri^e de Césarée). 

(^) Nous empruntons le résumé qui suit à Flkisciikr, Kleinere Schrijlm, 
IH, p. Qârt et suiv. (Berichte ûber die Verkandl. der Kgl. Sâchs. Ges, der W,, 
i848, vol. 2, p. 35 et suiv.). 



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LES EXPÉDITIONS. DES ARABES œ.NTRE CUMSTANTINOPLE. 117 

posldrienre, sous le rèfjne dos califes abbasides MuHasim^*^ et 
Wâtik billah (aiS-a-Sa « 833-8^7). Il n'en est pas moins 
vrai c|u'^al-Battal est d'abord un héros de l'époque omeyyade. 
li combat contre plusieurs empereurs successifs qu'il tue, fait 
prisonniers ou convertit : Heraciius , Constantin , Asator ; Tekfûr 
et Kanatûs (souvenir de Nicéphore I" ou de Nicéphore Phocas 
et de Conslantin Pogonat?) sont représentés comme musul- 
mans. Le dernier se révolte et c'est en luttant contre lui 
qu'al-Battal meurt, de façon accidentelle. Les combats ont lieu , 
non devant Conslantinople, mais devant Mélitènc, patrie 
d'al-Ballâi, contre laquelle les Grecs envoient sans relâche 
leurs armées. Notre héros enlre toutefois à plusieurs reprises 
à Constantinople, par ruse sous un déguisement, ou sur le dos 
d'un génie, parla voie des airs. 

Le roiïîin de Delhemma est apparenté h celui d'al BaUâl^^'. 
D'ailleurs c j dernier y joue un rôle. Mais le héros principal 
est ^Abd al-vVdihhâl)^^^ fils de la guerrière Delhemma : ses 
exploits O'jivjpont la dernière partie du roman. Or ce person- 
nage est enco*:e un héros de l'époque omeyyade, compagnon 
dal-Ba't?^il. Le calife Wâtik (cf. supra) s'empare de Conslan- 
tinople. Il veut y laisser comme gouverneur ^Âbd al-Wdbhâb^ 
comme ^Omar bin ^Abd al-^Azîz laisse Sulayman bin ^Abd 
al-Malik pour gouverner Galata, avec Maslama pour vizir, dans 
une tradition que nous avons signalée ^'^\ Mais le héros préfère 

(^) Pour les expéditions de Mu'lasim contre les Byzantins, voir TabarT, III. 
p. ia«3/i et suiv. 

i*) Dans In Gatalo(i;ue (UAfalwardi ( Vêrz. der arab. Handêchriften der Kgl, Bibl. 
tu Berlin, 8" Band, p. 107 et suiv., t. XX de la collection complote) le 
roman porte le titre : jUa^)^ B^\ yS . Nous empnmtons notre résumé à 
Ahiwardt. 

(*) 'Abd al-Wahhàb bin Buht, compagnon d'armes d*ai-Batlâl, TabarT, II, 
1559; Kilâb (U-Uy&m, 90. Dans le roman d'ai-Batlâl, 'Abdulwahhab est le 
porte^tendard du Prophète, dont Mohammed prolonge Tezistence, spéciale- 
ment pour en faire le compagnon d*al-Battâl. 

i*i P. 99. 



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118 JANVIER-MARS 1926. 

y mettre son fils Zâlim. Le calife, au bout d'un an envoie au 
gouverneur l'ordre de bâtir une grande mosquée à Gonstan- 
tinople avec le produit du tribut, et cela nous rappelle la mos- 
quée de Maslama et celle dont la construction est prédite dans 
un ^adît^^). Grâce à Taide d'un génie, ia mosquée est immé- 
diatement achevée. Le même génie transporte le calife à 
Gonstantinople pour inaugurer la mosquée, et le ramène à 
Bagdad. Après la mort du calife, les Grecs reconquièrent les 
pays musulmans, jusqu'à l'arrivée au pouvoir de la dynastie 
tcherkesse qui reprend Tavantage. 

Dans la première partie du roman, non résumée par Ahl- 
wardt, sont racontées les aventures d'al-Sa^sàf^, fils de Jun- 
daba et aïeul de Delhemma. Il est le héros d'une expédition 
contre Gonstantinople, qui n'est autre que celle de Maslama, 
et dont le récit occupe les sections trois, quatre et cinq de co 
long roman ^^K 

Le calife ^Abd al-Malik envoie contre Gonstantinople et 
l'empereur Léon, une armée commandée par Maslama et al- 
Sahsâh, dans laquelle se trouve également al-Battâl. Après un 
combat sur les bords de l'Euphrate, elle arrive au détroit, 
ayant soumis tout le territoire de l'Asie Mineure. Maslama 
fait construire une flotte par le roi de Kônya. Mais à peine les 
Musulmans sont-ils en possession de leurs vaisseaux, qu'ils 
sont attaqués sur terre et sur mer, voient leurs vaisseaux brûlés 
par le feu grégeois et sont poursuivis par les Grecs débarqués. 
Ils sont sauvés grâce à la valeur d'al-Ça^sâb» Les jours sui- 
vants, les combats continuent et les Grecs sont mis en déroute. 



U) Supra, p. g4 et i ii. 

(^) Sirat al-Amîra Dat al-Hemma (Le Caire, 1909, 70 sections en 7 vo- 
lumes), I, 3, 58 à I, 5, &3. De nombreux épisodes et détails, identiques à 
ceux d^'Omar ai-No'mâD, mais plus complets, donnent à penser que ce der- 
nier roman ne serait qu^une adaptation maladroite et écourléc du début de 
Delhemma , d'où aurait disparu le nom des Omeyyades. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. J19 

él leur flotte, tombant aux mains des Musulmans, va servir à 
ceux-ci pour le passage du détroit. Bientôt Constantinople est 
assiégée; une armée et une flotte franques de secours sont dis- 
persées. Mais le siège traîne en longueur. Alors Maslama fait 
construire une ville en face de Constantinople ^^\ et les Arabes ' 
y vivent tranquillement de l'agriculture et du commerce , at- 
tendant la capitulation. Ils anéantissent Tarmée de la reine des 
Géorgiens, venue à Taide de Léon. Alors, la famine se faisant 
sentir, Léon vient en personne offrir à Maslama une grosse 
somme pour qu'il se retire. Ce dernier pose comme conditions 
qu'il fera bâtir une mosquée à Constantinople et qu'il entrera 
à cheval à Sainte-Sophie. Léon accepte. On ne lui a demandé 
pour la mosquée qu'un emplacement de la dimension d'une 
peau de chameau. Mais al-Sal^sâh la fait découper en lanières 
et obtient un vaste terrain (^). La mosquée construite, les Mu- 
sulmans entrent dans la ville , font la prière et la hotba dans 
la mosquée et se rendent ensuite à Sainte -Sophie, qu'ils 
souillent des excréments de leurs chevaux. Puis ils chargent 
leur butin sur leurs vaisseaux et, protégés par Sat;isâ^ resté en 
arrière -garde, ils partent. Arrivés sur la rive asiatique, ils 
vendent les navires, achètent des chameaux et des mulets et 
rentrent en Syrie. 

Ce récit se rapproche surtout de ceux de Karamânî et de 
Mul;iyi al-Din, sa source. Comme on pouvait s'y attendre, la 
désastreuse expédition s'est transformée en un triomphe. 

Le rapide examen de ces romans de chevalerie ^^^ sur" 

(1) Cette constructloQ a peut-être un fondement historique dans le fait que 
Maslama édifia des baraquements (Kitâb al-*Uyûn), 

(*) De nouveau la légende de Didon (supra). Voir d^autres exemples dans 
MoBDTHANN, Der hlàm, XII, p. 194 et suiv.; rf. p. 197 et 1157; XIII, p. 10/1- 
4o5;XV, p. 160. 

(^) Il est aussi question de Constantinople dans le roman de Baybârs. 
AoLWÀBST, op, cit., p. 137, 1*^" cpi. in fine, : ^ji*.»..^\*t>M.t M v^^ ; p. i3o, 
a* coi., i. 9 a : *j. «j.LisU.iitH |«Xift. 



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120 JANVlËH-MAltS 1926. 

lesquels nous nous proposons de revenir, montre donc qu'ils 
ont quelque rapport avec les expéditions contre Constantinople 
et les guerres que soutinrent les califes omeyyades et abba- 
sîdes contre les empereurs byzantins. Nous voyons d'abord que 
certains héros de ces romans sont précisément ceux des grandes 
luttes arabo-byzanlines : Sulaymân bin ^Abd al-Malik et Mas- 
lama bin 'Abd al Malik [Cent et une Nuilsy^^; al-Bailâl et 'Abd 
al-Wahhâb (Sayyïd Battâl et Delhcmma). • Nous y trouvons 
ensuite le thème de l'expédition contre Constantinople ou de 
la prise de la ville (^Omar al-No^mân et Delhemma). Nous y 
découvrons enfin des épisodes rappelant des faits historiques 
de cette époque ou dérivés des traditions qui s'y ratlachent 
(la défaite grecque sur la côte d'Asie Mineure dans ^Omar al- 
No^mân, la construction d'une mosquée à Constantinople dans 
Delhemma, l'épisode delà jeune captive d'Hâriin dans le conte 
de Maslama). 

Il est évident que la riche floraison des romans de cheva- 
lerie a été surtout déterminée par les luttes entre musulmans 
et croisés et qu'on y trouverait facilement beaucoup plus de 
souvenirs de cette époque que de celle, plus lointaine, des 
premières guerres arabo-byzantines. De même, dans la Chan- 
son de Roland, il y a, d'après une théorie récente ^^^ beau- 
coup plus de souvenirs des croisades d'Espagne et de Terre 
Sainte que de la légende même de Charlemagne. Les légendes 
comme celles d'al Battâl , d'Abtl al-Wahhàb , d'Omar al-No^mân , 
doivent être bien antérieures à l'époque où ont été composés les 
romans de chevalerie arabes, de même que la légende de 
Roland et de Charlemagne est bien antérieure à l'époque où 
fut composée la Chanson éfe Roland. Elles vivaient encore au 
moment des croisades qui leur ont donné un nouvel essor, et 

(^) Et Delhemma. 

'^^ BoissoNNADB , Du nouveau sur la chatuon de Roland ^ Paris, 1 9 aS, Cham- 
pion , p. 9 et 3. 



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LES EXPÉDITIONS DES ARABES CONTRE CONSTANTINOPLE. 121 

les romans de chevalerie y onl pris des noms, des ihtmos, des 
épisodes, mais les ont transformés en leur faisant suhir des 
modificalions de toute sorte inspirées par le souvenir d'événe- 
ments plus récents. Ainsi les estpédillons contre Constantinople 
auxquell(*s remontent les légendes en question, n'ont |)as été 
sans influence sur la composition des romans de chevalerie de 
la ge.'^te musulmane, et il serait intéressant d'y déterminer la 
part respective des apports d'époques diflerentes : la période 
anté-islamique, la période des grandes conquêtes, et enfin 
celle des croisades. 



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LE ZEND-AVESTA, 
L'EXEMPLAIRE PERSONNEL D'ANQUETIL DUPERRON, 

PAR 

M. RAYMOND SCHWAB- 



Le 16 mai 1926, au musée Guimet, le savant docteur Ji- 
vanji Jamshedji Modi, au nom du Cama Institute de Bombay, 
venait remettre en dépôt temporaire à la Société asiatique un 
ZendrAvesiad'AsKiueiîl Duperron, quiavaitété l'exemplaire derau- 
teur : relique et document, ces trois volumes contiennent quelques 
matériaux destinés à une réédition et des notes personnelles. 

Diaprés quelques-unes d'entre elles, M. Modi reconstitua 
ritinéraire de ce livre : le i3 mai 18 61, Daniel Sharpe, géo- 
logue, le rendait à Jones Lee, docteur en droit canon de Cam- 
bridge et voyageur, qui le lui avait prêté. Jones Lee l'avait 
acheté aux libraires Howell et Stewart, de Londres, qui le 
comprenaient en 1838 dans le Supplément de leur Catalogue 
oriental. Après Lee, mort en 1866, les volumes passèrent 
dans la bibliothèque de la famille Leslie de Saram, à Colombo, 
où leur présence fut signalée, en décembre 19^3 , à M. Modi; 
ils sont aujourd'hui la propriété du Cama Institute ; ils y retour- 
neront, ayant refait jusqu'è nous le périple accompli jadis par 
Anquetil. 

Us ne tombèrent pas directement dans les mains des libraires 
anglais. Une note de Lanjuinais, sur la garde du tome 1, 
atteste que c'est lui qui les acheta à la vente d'Anquetil, en 
mai i8o5, pour liS francs. Ils furent reliés pour lui sans 
doute, avec insertion de divers papiers. 

M. Modi demandait comment ils échouèrent en vente pu- 
blique. Il est vrai que les manuscrits d'Anquetil sont à la Bi- 



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124 JANVIER-MARS 1956. 

bliolhè(]ue Nationale, legs de Silvestre de Sacy, qui en avait 
été rhéritier; ceux des manuscrits orientaux qu'à son retour 
Anquetil n'y avait pas déposés y vinrent de même à sa mort, 
après négociations menées par Sacy, exécuteur testamentaire. 
Mais tout le surplus de ses livres, indivis entre ses quatre frères 
survivants, fut vendu à leur profit par les soins de la librairie 
Tilliard, la même qui avait édité ïAreMta. Une lettre de Sacy, 
publiée par M. Dehérain, confirmée parla notice d'Anquetil 
aîné, témoigne que ces livres furent chaudement disputés : il 
en était de précieux, achetés à la vente des Jésuites en 176/1; 
surtout, la plupart avaient été par Anquetil couverts d'annota- 
tions; il n'est pas rare d'en rencontrer encore chez les bouqui- 
nistes do Paris et de province; la Nationale possède une His- 
toire des Perses de Hyde signée et annotée par Anquetil. 11 est 
normal que notre Zend-Avesla n'ait pas été plus excepté de la 
vente que tous ces autres imprimés qui , eux aussi, étaient pour 
partie des manuscrits. 

Au reste, par l'esprit, Lanjuinais était de la famille. Dès la 
publication de XOufnek'hat, il en donnait dans le Magasin ency- 
clopédique de Millin (i8o3-t8o/i) une longue analyse, repro- 
duite dans l'édition posthume de ses œuvres, analyse dont la 
fidélité est garantie par des lettres encore inédiles où l'on voit 
Lanjuinais en référer à Anquetil, qui les conserva avec soin. 
Le retentissement fut considérable : c'est de là que nous viennent 
la plupart des traits légendaires de la figure d'Anquetil. Da- 
cier, qui rédigea successivement pour llnstitut les notices de 
ses deux collègues morts , rapporte que l'opuscule de 1 08 pages 
de Lanjuinais et a certainement beaucoup plus contribué à 
faire connaître l'ouvrage indien aux philosophes et aux histo- 
riens modernes que les deux volumes in-i"* d'Anquetil Duper- 
ron». On préférait le français du traducteur au latin inac- 
cessible de ladaptateur. Dans son commentaire Lanjuinais 
donnait, du passage fameux où Anquetil trace pour les sages de 



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LE ZEND-AVESTA. 125 

rinde le tableau de sa vie ascétique, une version partout repro- 
duite; Anquetil la lui reprocha : il était choqué du trop d'im- 
portance attribué à sa personne. 

Leurs relations semblent avoir débuté par Silvestre de Sacy, 
leur ami commun, à l'occasion d'une longue et véhémente que- 
relle engagée par Anquetil contre l'archevêque de Besançon, 
Le Coz. Le Coz, lié avec Lanjuinais, avait publié, en 1802, 
une Défense de la révélation chrétienne en réponse à un ouvrage 
de M. de l'Isle de Salles qui portait ce titre saisissant : Mémoire 
en faveur de Dieu, et son article V mettait en question «la pré- 
tendue antiquité de la terre et de ses habitants au delà de 
l'époque indiquée par les livres saints». C'était un des pro- 
blèmes pour la solution desquels l'Europe savante et croyante 
avait si fiévreusement cherché en Orient les livres des premières 
religions. « Oui , écrivait Lanjuinais à Anquetil, le vrai motif 
qui m'attire à ces études, c'est d'y trouver les plus anciennes 
traditions du monde confirmant l'histoire de Moïse.» L'his- 
toire de Moïse! Plus d'une fois, ce fut d'après ce qu'elles en 
laissaient subsister qu'on jugea si les découvertes d'Anquetil 
pouvaient être tenues pour authentiques. Quant à lui, sa foi 
n'en était nullement troublée, mais confirmée. Dans la confor- 
mité essentielle qu'il établissait entre les doctrines de l'Orient 
et celle de l'Eglise, il dépassait les théologiens. Il s'acharnait à 
corroborer contre Le Coz , que d'ailleurs il accusait de tiédeur 
religieuse et de lâcheté politique, les calculs bibliques sur l'âge 
du monde et l'époque du déluge; et c'est l'archevêque qui 
répondait au disciple des brahmanes : « La question de l'âge 
du monde n'est que de curiosité : aucun de nos systèmes de 
chronologie ne tient à la foi. m 



Le récit du voyage d'Anquetil est suivi d'une dissertation 
établissant contre tous contradicteurs la nouveauté entière , pour 



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126 JANVIER-MARS 1926. 

TEurope, de TAvesta. On lui faisait deux sortes d'objections, 
également simples : ou bien TAvesla, jusqu'alors inconnu, était 
apocryphe; ou bien TAvesta n'avait nul intérêt, étant connu 
depuis longtemps. Dès juin 1 769 , il opposait à ses détracteurs 
un article du Journal des Savants, lu d'abord à l'Académie : 
« Malheur, disait-il , à celui qui passera les mers pour nous 
faire un pareil présent! A son retour, on le plaindra, et Ton 
rira de son ingénuité, s'il prétend que les ouvrages qu'il pré- 
sente sont authentiques . . . 7) Deux ans après paraît la lettre 
de William Jones, si aveuglément injurieuse. Et voici que, sur 
le faux titre d'un des volumes , Anquetil note seulement les 
dates où, en novembre 1771 et mai 177a, dans le même 
Journal des Savants, sont publiés un compte rendu du Zend- 
Avesta, puis la «réponse générale à la critique par M. de Gui- 
gnes». A lire entre les lignes de cette réponse, il semblerait 
que l'humeur de William Jones ne fût pas inspirée seulement 
par ses compatriotes qu'Anquetil avait pu malmener, mais qu'on 
y trouvât l'écho de jalousies parisiennes. 

Autre note : c'est un extrait du Catéchisme philosophique de 
l'abbé Flexier de Réval (édition de 1777); il y était affirmé 
que «la traduction fastueuse» de M. Anquetil du Perron «est 
un ouvrage de pure imagination, fait sur des manuscrits qui 
n'existent nulle part». Cette assertion, sur laquelle Anquetil 
reviendra encore trente ans plus tard , dans son commentaire 
du voyage du P. Paulin de Saint-Barthélémy, a l'intérêt de 
nous indiquer formellement l'origine de l'incréduUté opposée 
à l'Avesta : «M. Huet {Dém. évang., p. 78) prouve assez bien 
que Zoroastre est un personnage fabuleux, inventé d'après 
l'histoire de Moïse. » Toujours l'histoire de Moïse ! Et qu'on ne 
voie pas là étroitesse d'esprit particulière à l'obscur abbé qui 
signait Flexier de Réval : l'autorité de l'évêque Huet en la ma- 
tière était fournie par le Dictionnaire de Bayle, auquel Diderot 
l'avait déjà empruntée pour V Encyclopédie. Il était entendu, 



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f.E ZEND-AVESTA. 127 

une bonne fois, que ie personnage de Zoroasire avait été in- 
venté à l'époque d'Eusèbe. Ceux mf»mes qui s'obstinaient à y 
croire n'espéraient pas d'en retrouver aucune trace : Anquelil 
venait tout juste de s'embarquer pour la chercher au Gouzc- 
rate, lorsque l'abbé Foucher commença de lire, à l'Académie 
des Inscriptions, un travail immense sur le mazdéisme. 

Quand il fallut se rendre à l'évidence, TAvesta fut annexé, 
tantôt par les exégètes , tantôt par les déistes , et l'on voit ici 
Anquetil marquer de l'un et de l'autre son contentement ou 
son humeur : le 5 novembre 1788, nole-t-il, l'abbé Adhenet, 
chanoine de Notre-Dame, le consulte et lui apprend qu'un pré- 
dicateur a cité les Parses, à Notre-Dame, pour prouver que la 
croyance au Verbe est antérieure au christianisme. Vient la 
Révolution : «M. Cloots , Prussien , du club des Jacobins, rétracte 
une préface qu'il avait mise à une édition de TEvangile, prend 
de là occasion d'attaquer ce saint livre, et veut qu'on lui sub- 
stitue le Zend-Avesta. Le Courrier de l'Europe s é\h\e contre lui, 
appelle le Zend-Avesta mystique, et contre les Philosophail- 
leurs. Courrier de FEurope. 1 * février 1791 ^^^ » 

Avec certains prêtres il avait des difficultés, que nous 
atteste ici encore un curieux document. C'est une lettre du 
fia avril 1801, où Frederik Mûnter, professeur à TUniversilé 
de Copenhague, réclame respectueusement l'aide d*An(]Uctil 
pour déchiffrer des inscriptions de Persépolis. Il ne savait pas 
l'adresse de son confrère; elle a été ajoutée par une autre 
main. Là-dessus, Anquetil griffonne : «Je crois celte adresse 



''î Le Courrier de VEurope, gazette anglo-française, mdgcxgi. Volume vingt et 
unième. A Londres, chez E. Cox (Bibl. Nat., Nd. 36), p. 68 : trLe S' J. B. 
GlooBt vient de publier le désaveu d'une dédicace do Tévang'le qui lui est at- 
tribuée, et il est parti du désaveu de cette dédicace pour attaquer l'évangile 
même, et proposer de substituer à ce sainte livre le livre mystique du Zend a 
Vesla. Faut-il revenir encore à ce que nous avons dit vingt fois sur les nova- 
teurs qui. . .», etc. 11 s'agit, bien entendu, d'Anacharsis Cloots. 



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128 JANVfER-MARS 1926. 

de M. Grégoire, prêtre, qui aura refusé de me remettre la 
lettre.» L'abbé Grégoire, qui par son testament de 180 4 dési- 
gnait comme exécuteurs testamentaires Lanjuinais et Siivestre 
de Sacy, savait probablement par ses amis l'opinion d'Anquelil 
sur les curés trop révolutionnaires. Sans doute aussi y avait-ii 
eu entre eux, et vers cette date justement, une difficulté : car 
on voit par les papiers inédits d'Anquetil qu'en mars i8ot, 
c'est-à-dire un mois avant cette lettre, il demandait, par l'in- 
termédiaire de Camus, et vainement semble-t-il, qu'une an- 
nonce de YOupnek'hat fût insérée dans les Mémoires pour sennr 
â l'histoire de FÉglise, ou l'abbé Grégoire avait déjà fait passer 
le prospectus de la traduction du Traité de f Eglise' A^ Le Gros 
(faite par Anquetil et demeurée inédite). 

Nous sommes ramenés à la querelle de l'Avesta par un des 
papiers les plus importants que contiennent les volumes du 
Gama Institute. L'abbé Ladvocat, dans son Dictionnaire histo- 
rique portatif, tranchait qu'un manuscrit zend existait à la biblio- 
thèque du Roi bien avant l'expédition d'Anquetil , qui se place 
entre 1754 et 1762, puisque Otter, mort en 17/18, en avait 
commencé la traduction et ne. l'avait abandonnée que pour 
avoir, lui aussi, trouvé l'ouvrage trop fabuleux. Afin de couper 
court à ces légendes, Anquetil se fit délivrer le certificat qu'il 
a reproduit à la page 5oo du tome I : 

Je soussigné, garde des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, certifie 
que les seuls ouvrages connus sous le nom de Zoroastre, que possède 
maintenant la Bibliothèque du Roi, sont les livres zends et pehlvis qui 
y ont été déposés par M. Anquetil du Perron le i5 mars 1769; et que 
je nai point ouï dire qu'on y en ait jamais vu d'autres, ni que M. Ot- 
ter eût commencé la traduction d'aucun ancien manuscrit de ce genre. 
A Paris le a6 avril 1770. 

BijOT. 

J'atteste la même chose. A la Bibliothèque du Roi, ce a 6 avril 1770. 

Capperonnier. 



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LE ZEND-AVESTA. 129 

Or Anquetil n'est pas un homme moins soigneux que vif : 
maints documents conservés dans ses papiers viennent appuyer 
ses récits. Et voici, colié aux gardes du tome I, l'original du 
certificat de Béjot et Gapperonnier, de même que, dans ses 
volumes de correspondance, le chercheur découvre avec atten- 
drissement Toriginal des billets où M. Taillefert, à Surate en 
novembre 17 58, lui annonçait le manuscrit de TAvesta appar- 
tenant à Manscherdji. 

L'assertion de l'abbé Ladvocat n'a commencé de figurer 
dans le Dictionnaire portatif quhi Isl troisième édition, c'est-à- 
dire en 1760; la chose est fort simple : c'est qu'à cette date 
le monde savant vient d'apprendre, par Caylus et Barthélémy, 
à qui Anquetil lui-même l'a écrit, qu'il a retrouvé chez les 
Parsis de Surate le texte de Zoroastre. Anquetil prouve aisé- 
ment qu'il n'y a pas eu, avant les siens, de manuscrits zends 
à la Bibliothèque, et qu'au surplus Otter n'a pas su un mot 
de cette langue. Ces points, dit-il, emmènent à la conséquence 
suivante : savoir, que les Livres zends et pehlvis, que j'ai dé- 
posés à la Bibliothèque du Roi, le i5 mars 1762, sont les 
premiers, les seuls manuscrits de ce genre, les seuls ouvrages 
de Zoroastre qu'on y ait jamais vus; et que je suis le premier 
en France qui aie pensé à enrichir ma patrie de ces ouvrages, 
à les traduire, comme je suis le premier en Europe qui aie 
appris les langues dans lesquelles ils sont écrits». 

Ceci publié en 177t. Mais certaines calomnies ont la vie 
dure. Quatorze années plus tard, un autre petit feuillet est 
collé sur la garde du second volume : 

Le i5 février 1786. M. Béjot m'a dit à rAcadémie que des persooneA 
de FAcadëmie des sciences lui avaient dit que les livres de Zoroastre 
étaient à la Bibliothèque du Roi avant que je les apportasse; il ne leur 
a pas répondu. Ce sont les manuscrits des chrétiens de Saint-Jean ^^^ qu'on 
a jetés contre moi. 

<*^ Le nom de «chrétiens de Saint-Jean» était alors donné par erreur avx 



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130 JANVIER-MARS 1926. 

Anquetil-Duperron, toujours scrupuleux, colle un second 
polit papier sur le premier pour y consigner le texte même de 
la singulière conversation qu'on lui rapporte : 

(r — Il y a un secret à la Bibliothèque du Roi, que vous ne voulez pas 
nous ilire. 

— Ah oui! Mais quoi doDC?i> 

Puis, le lendemain : 

Mercredi 16 TévriPr lySS. J*ai dit la chose à M. de Guignes, qui m'a 
répondu : (r Lundi malin, une personne de l'Académie des Sciences m'a 
dit à l'audience de M. le baron de Breteuil que chez le ministre, en pleine 
table, quelqu'un avait dit que les gardes des manuscrits de la Biblio- 
thèque du Roi étaient si peu instruits, qu'ils ne savaient pas qu'avant 
que j'eusse apporté les ouvrages de Zoroastre, ils étaient déjà à In 
Bibliothèque du Roi.?) M. de Guignes lui dit : tr Tenez, voilà M. Béjot 
(à Taudif'nce), vous allez voir que cela est taux.r, Us ont été à M. Bé- 
jut, qui l'a affirmé. 

Je crois que cela a été dit chez le ministre contre moi , vu les circon- 
stances on cherche k m'anéantir. 

Quelles sont ces « circonstances «, je ne puis le dire avec 
certitude. Il y eut, entre 1776 et 1785, bien des raisons 
pour Ânquelil d*étre mal en cour : sans parler de pensions 
retirées ou refusées, les plans dont il harcelait Vergennes pour 



Sabéens. Les manuscrits auxquels Anquetil fait allusion ici sont toujours ceui 
d'Otter, comme le prouve la page xxi des Errata qu'il a placés en tête du 
tome I de son Zend-Avetta : « A la fin d'une liste de livres achetés en Perse et 
à Bansora par M. Otter, j'ai vu un in-folio et deux in-quarto SabéeHi.n Maure- 
pas et Gaylus venaient, dès son retour, de lui rapporter, pour la première 
fois, raffîrmation que Tabbé Sevin aurait acquis à Gonstantinople un manu- 
scrit de Zoroastre. Personne ne lui en avait parlé avant son voyage. 11 fit de 
minutieuses recherches à la Bibliothèque, et put conclure que ni Sevin ni 
Otter n'avaient (rapporté, ni cx)nnu les ouvrages de Zoroastren. Mais on voit 
que la l(^gende créée autour des manuscrits sabéens d'Otter dura, pour le 
moins, de 176a à 1786, et qu'elle avait été la première récompense préparée 
pour le retour du voyageur. 



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LE ZEND-AVESTA. 131 

sommer ia France de reprendre Tlnde aux Anglais ne devaient 
pas moins le desservir que l'ardeur avec laquelle il réclamait 
satisfaction pour son frère Anquetil de Briancoort, revenu 
ruiné de son consulat de Surate, et dont le ministère de la 
Marine discutait les comptes âprement. De plus, c'est en 1 782 
que se placent les singulières difficultés soulevées par la police 
à propos du livre qu'Anquetil, sous le titre de UInde en rapport 
avec FEvrope^ avait le tort de faire imprimer à Neuchâtel et qui 
ne put paraître que pendant la Révolution, Tan vu. 

Pour finir, ces deux détails : 

A la page 229 du premier volume, Anquetil avait raconté 
le supplice d'une jeune veuve marate, comme 8*il l'eût vu 
brûler. Il se rétracte dans la marge : 

Pai lu et j*ai appris des gens du pays les détails relatifs aux femmes 
hindoues qui se brûlent, mais je n'ai pas assiste à cette cërémonie bar- 
bare quoique religieuse, parce que ce qui regarde les Indous n*esl que 
secondaire dans mon plan. J'ai ajouté ce trait pour me délivrer des 
mille et une questions que l'on me faisait sur les usages du pays; en 
cela, j*ai manqué à la vérité. Le voyageur de retour a tout vu, assure 
tout, de peur d'affaiblir son témoignage dans ce qu'il sait réellement 
vrai. 

Note qui peint Anquetil dans son scrupule, dans sa critique 
de soi, dans son besoin de transformer les moindres constata- 
tions en connaissance générale. Il disait de même, dans son 
édition française du voyage du P. Paulin de Saint-Barthé- 

leiny : 

Les voyageurs (moi tout le premiei') aiment à porter des jugements 
généraux qui font portrait : on dirait qu'ils ont passé leur vie dans 
tontes les classes d'un peuple, étudié à fond, balancé toutes ses actions, 
approfondi ses intentions, ses inclinations . . . 

A la page 626, il avait imprimé : «Le Schampa porte une 



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132 JANVIER-MARS 1926. 

fleur jaune et blanche». Il écrit en marge : «et très odorifé- 
rante ». C'est bien la vivacité de souvenir et la précision d'images 
de celui qui, dans le même commentaire de Paulin de Saint- 
Barthélémy, parlant de la viande que Ton donne à manger aux 
soldats convalescents dans les hôpitaux de l'Inde, disait : «Si 
on en jette un morceau contre le mur, il y reste collé, v 

NOTE ADDITIONNELLE À LA PAGE 12&, L. 7. 

Dans The Journal of the K. fl. Cama Oriental Instùute, Bombay, n* 5 , 
1935, p. 54-1 1 9 , sous le titre de : A few notes on Anquetil du Perron'< 
own copy of his Zevd-Ayesta r^ l'ouvrage de loroasire-n recently diseovered 
in Colombo, M. Modi reproduit et commenle toutes les notes inscrites 
par Anquetil sur les gardes et dans les marges de ces trois volumes. 
Malheureusement sa lecture comporte des lacunes et n'a pu éviter des 
fautes nombreuses. J'ai connu l'article de M. Modi après avoir rédigé la 
présente note pour une lecture à la Soci(Hé asiatique. L'écriture d'An- 
quetil passe pour indéchiffrable ; il est bien des passajges dont je n'au- 
rais pu venir à bout sans l'aide très précieuse de M. Emile Benveniste. 



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COMPTES RENDUS. 



Pierre Montbt, IjBS scenbs de la vie privée dans les tombeaux égyptiens de 
l'ancien empire, fasc. iU des Publications de la Faculté des Lettres de 
rUniversité de Strasbourg. — Strasbourg et Paris, in-S**, 19a 5, xviii- 
Û39 pages, avec index des termes égyptiens, 48 figures dans le texte et 
sa planches hors texte. Librairie Istra. 

Ce beau volume ^^^ est divisé en onze chapitres : L La chasse et la 
|)éche dans les marais (la chasse au boumerang, la pèche au harpon, la 
pèche à la ligne et à Tépuisette, la pèche à la nasse, la pèche à la seine, 
la chasse au filet, la traversée du marais par les troupeaux, travaux et 
divertissements des mariniers ; la récolte du papyrus , confection d'objets 
tressés, construction des canots de papyrus, rixe des bateliers); II. La 
chasse dans le désert; III. L'élevage (les troupeaux dans la prairie et à 
récurie, l'élevage de la volaille); IV. Le recensement des troupeaux; 
V. La boucherie (le personnel et l'outillage, opérations préliminaires, la 
mise à mort et le dépeçage, les dialogues, épilogue); VIL Le lin et les 
céréales (les préparations du terrain, la récolte du lin, la moisson, l'en- 
lèvement de la récolte à dos d'âne , constructions des meules sur l'aire , 
le dépiquage, le nettoyage des grains); VII. Le pain et la bière (la mou- 
ture, la préparation de la pâte et la cuisson du pain, épilogue; la bière, 
la fabrication des pots); VIII. La culture dans les jardins, les ven- 
danges et la fabrication du vin (la culture des jardins, la chasse dans 
les vergers, la culture de la vigne et les vendanges, le pressurage); 

IX. Les métiers (les orfèvres, sculpteurs et fabricants de vases, les me- 
nuisiers, les noms du menuisier, l'outillage, les meubles, les dialogues; 
le dresseur de branches, tanneurs et cordonniers, scènes de marché): 

X. Les constructions navales et la navigation (constructions navales, les 

('^ Des circonstances indépendantes de ma volonté ne m'ont pas permis de 
rendre compte plus tôt des ouvrages qui m'ont été aimablement adressés par 
les auteurs ou les éditeurs. Je les prie de m'en excuser. 



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\U JANYIËR.MARS 1926. 

travaux préparatoires, l^assemblage, la navigation); XI. La munqae, la 
danse , exercice , jeax. 

Il n^est pas au monde d'autre pays que TËgypte dont on puisse recon- 
stituer dans les moindres détails la vie privée, c'est-à-dire la civilisation, 
ponr une époque aussi reculée que TAncien Empire. M. M. a réalisé son 
programme de façon parfaite, avec la pleine maîtrise de son sujet, et 
son travail doit être loué sans réserve. L'illustration qui accompagne son 
texte a été excellemment choi.^ie : elle est aussi concluante et décisive 
qu'il est possible. Les textes reproduits en hiéroglyphes sont traduits et 
commentés pour les égyplologues; à l'occasion, de nouvelles interpréta- 
tions sont présentées et discutées. Mais la grande importance de ce vo- 
lume est qu'il est accessible aux ethnographes auxquels on en conseille 
vivement la lecture; ils y trouveront ample matière à réflexion, surtout 
en ce qui concerne la technique des diflérents arts et métiers, déjà très 
pouFsée à cette haute époque. L'œuvre des artistes qui ont représenté 
dans les tombes ces scènes de la vie privée , est en tous points admirable 
et d'un rendu si remarquable qu'on assiste véritablement à toutes ces 
scènes qui datent de l'Ancien Empire. 

M. Montet dont on sait les belles et importantes découvertes à Byblos , 
a trouvé le temps, entre deux fouilles, de préparer et rédiger cette ma- 
gistrale étude sur les Scènes de la vie privie. Nous lui devons de la gra- 
titude tant pour ses travaux que pour ses heureuses et fécondes trou- 
vailles archéologiques. 

Gabriel Ferrard. 

CoNCORDàNTIAS CoBAHI ABABIOAB ad LITBBABUM OBDINBM MT VMBBOBOM BADICB8 

DiuoMBTMB DISP08IJIT Gustavius F1.DGBL, edîtîo stereotypa [igaS]. — Paris, 
in-6*; z-919 pages. Librairie orientaliste Paul Geuthner. 

L'édition des Concordances qui a été publiée à Leipzig en 18&9 était 
depuis longtemps épuisée et les rares exemplaires mis en vente attei- 
gnaient des prix très âevés, pratiquement inabordables aux islamisants 
des pays à change déprécié. M. Paul Geuthner a eu l'heureuse idée d'en 
faire faire une réimpression anastatique très bien venue. Qu'il soit ici 
remercié pour nous avoir rendu cet indispensable instrument de travail. 

Gabriel Fbrrand. 



Robert Koldewit, Das wibdeb bbstebebdb Babtlon, diê bi$h&ngen Ergêlmue 
ier deutschen Atugrabungen ; vierte, erweiterte Auflage, avec 370 illustra- 
tions et plans, dont 7 illustrations en couleur, et le portrait de l'auteur. — 



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COMPTES RENDUS. 135 

Leipzig, loaS; în-8', Tni + 33/i pages, avec index. J. C. HiniichsVhe 
Buchhandliing. 

Pendant deux très courts sëjoursà Babylone (3 et 4 juin 1887, ^9 
au 3i décembre 1897), Koldewey avait eu occasion de voir de nom- 
breux morceaux de briques émaill^es. Il en rapporta des échantillons h 
Berlin qui émerveillèrent le directeur des Musées royaux au point qu'une 
campagne de fouilles en fut décidée. Les fouilles commencées en mars 
1 899 se poursuivirent pendant les années suivantes jusqu^au 7 mars 1917 
où elles prirent fin. 

Le présent volume est, en somme, Thislorique des fouilles que de 
nombreux plans permettent de suivre dans le détail. Les principales 
trouvailles sont reproduites en photographie, y compris les inscriptions 
remises au jour. Les reproductions en couleur d'un lion (p. 38), du tau- 
reau de la porte dlstar (p. 43), d'un pan de mur avec le taureau 
(p. li&)^ du sirrus ou dragon de la porte d'Islar (p. ^7), de la décora- 
tion de la salle du trône (p. lo/i), d'un récipient (p. a3o), sont d'une 
parfaite venue et rendent on ne peut mieux la beauté de ces merveilleux 
morceaux. 

Ce livre bien connu en est à sa quatrième édition depuis 191s : c'est 
le plus bel éloge qu'on en puisse faire. L*auteurqui l'avait préparé, n'a 
pas pu le voir sous sa forme actuelle : il est malheureusement décédé le 
4 février 1936. 

Gabriel Pérrand. 



Prof. D' Cari Bbzolb, Ninivm und Babtlon, 4* édition parle prof. D' C. Frank, 
II -f 179 pages, avec iGo iliustpations dont 6 en couleur et une carte. — 
Bieiefeld et Leipzig, 1936; grand in-S*". Velhagcn et Klasing. 

Sous le titre général de Monographien zur Weltgeschichte et la direction 
du professeur Ed. Heyck, les éditeurs Velhagen et Klasing de Bieiefeld 
et Leipzig publient une série de monographies sur les hommes et les 
sujets les plus divers. Alexandre le Grand , l'empereur Auguste , la reine 
Elisabeth d'Angleterre y voisinent avec Guillaume d'Orange, le grand 
Frédéric, Luther, Mirabeau et Napoléon; la Florence des Médicis, l'an- 
cienne Venise avec la période de prospérité des Pharaons et les croisades. 
Le présent volume est le n"" 18 de la collection. En i3 chapitres, Bezold 
y a résumé les principaux faits dans tous les domaines de l'histoire géné- 
rale de Ninive et de Babylone : 1. Fouilles et déchiffrement des inscrip- 
tions; IL Commencement de l'histoire babylonienne et assyrienne; 



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136 JANVIER-MARS 1926. 

ni. L'ëpoque d'Amama ; IV. Le royaume assyrien de Teg^atpileser I" 
jusqu^à la chute des Sargonides ; V. Le royaume uëo-babyloniea ou chai- 
dëen; VI. La bibliothèque de Ninive; VIL Sources de Thistoire assy- 
rienne, les lettres et les traités; VIII. Interprétation des oracles, astro- 
logie et astronomie; IX. Médecine, exorcisation des démons et des 
sorcières; X. Épopées, mythes et légendes; XL Traités pour la lectuje 
des cunéiformes; XIL La religion assyro-babylonienne; XIII. L'art 
assyro-babylonien. Suivent un tableau chronologique général des dynas- 
ties de Babylone, d* Assyrie et de Ghaldée; un index générd et la liste 
des illustrations. 

Cest, en somme, un livre de haute vulgarisation tel qu^on pouvait 
l'attendre de Bezold. Les illustrations très variées ont été parfaitement 
choisies et sont bien reproduites. Les illustrations en couleur sont égale- 
ment bien rendues; Tune d'elles a été empruntée à l'ouvrage précédent. 
ISinive und Babylon en est à sa quatrième édition et son succès est plei- 
nement justifié. 

(îabi'iel FsRRAffD. 



Henri Cordieb, Mirabiliâ descripta. Le* merveilles de l'Asie, par le Pore 
Jourdain-Gatalani de Séverac de l'ordre des Frères Prêcheurs, évéque de 
GolumbuiD (xiv' siècle). Texte latin, faoslmile des 19 planches du manu- 
scrit latin de Londres et traduction française avec introduction, index et 
notes. — Paris, 19a 5 ; in-8^ ia5 pages -f 19 planches. Librairie orientaliste 
Paul Geuthner. 

Le manuscrit des Mirabiliâ deseripta appartenait à Walckenaer 
auquel il avait été donné par son ami Roullet en 1806. Coquebert- 
Montbret le publia en 1889 dans le tome IV du Recueil de voyages et de 
mémoires de la Société de géographie de Paris (p. i-64, texte latin : 
p. 37-64 ). En 1873, Yule traduisit en anglais ce texte édité, pour la 
Hdkhyt Society y sous le titre de Mirabiliâ descripta : The wonders of the 
East by Friar Jordanus, Mais une nouvelle édition s'imposait et Cordier 
l'entreprit en partant du ms. latin qui est reproduit en fac-simile, tran- 
scrit, traduit en français et excdlemment annoté. L'œuvre de l'ancien 
évéque de Golumbum, le moderne Quilon de nos cartes, sur la côte 
sud-occidentale de l'Inde, ne nous est sans doute pas parvenue en entier 
(cf. p. 43). Le début : Inter Siciltam autem et Calabriam. . ,, laisse 
supposer qu'un certain nombre de lignes ou de pages ont disparu. 
Suivent des chapitres de longueur variable sur la Gi'èce, rArménie:, la 



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COMPTES RENDUS. 137 

Perse, Tlnde mineure (c'est-à-dire Flode nord-occidentale), l'Inde ma- 
jeure ou Inde mëridionale; l'Inde troisième ou côle orientale d'Afrique; 
l'Arabie majeure et l'Ethiopie; le grand Tartare ou l'empereur de la 
Chine et son pays; la Chaldée; les pays d'Aran en Arménie, de Mogan, 
des monts Caspiens et de la Géorgie auxquels ne sont consacrées que 
quelques lignes; les distances entre différents pays; l'île de Ghio et la 
Turquie. 

Dans la note U de la page 6a, Cordier reproduit l'article sur la 
mangue du Hobson-Jobson (s. v** mango) ou il est dit que le nom de ce 
fruijt à Madagascar est inangka. L'information est inexacte : il faut lire 
manga et plus exactement man^a <c malais ^Ju manga. Sur ce fruit bien 
connu, cf. Garcia da Orta, Coloquios dos simples e drogas da India, éd. 
DE FiCALHo, t. II, Lisbonne, 1895, in-8% p. 19 et suiv.; S. R. Dalgado, 
Ghssario luso-asiatico , Coimbra , 1919-1921, s. v* manga. 

La notice consacrée à l'Inde majeure contient une information très 
importante que ni Yule, ni Cordier n'ont relevée et qui a trait à l'expres- 
sion de la latitude en doigt au lieu de degré. Ce passage figure dans la 
planche XI, 1" colonne, 1. i/i-i8(«p. 117, a* colonne, L 36-39 de la 
transcription; p. 81, 1. 10-12 de la traduction) : «rDe istâ Yndiâ, vide- 
tur Tramontana [= Étoile Polaire] multùm bassa, in tantùm quod fui 
in quodam loco quod non apparebat suprà terram vel mare, nisi per 
digitos duos." Le Fr. Jourdain rédigea peut-être ses Mirabilia h Avignon 
vers i33o (cf. p. 3a) après avoir voyagé dans l'Inde. Or, si on se 
repolie à la section des hauteurs polaires données par le muallim ou 
maître de navigation Sulaymân al-.Mahrî dans son i ^UJI ^U-^' i^LaS 
y^\'^\ y^\ i^(ms. 2559 du fonds arabe de la Bibliothèque nationale re- 
produit en pnototypie dans mes Instructions nautiques et routiers arabes et 
portugais des xv' et xf/' siècles, L II, Paris, 1926, in-8', fol. 64 v° et 
suiv.; cf. également mes Relations de voyages et textes géographiques arabes, 
persans etturks relatifs à l'Extrême-Orient, t. II , 191 4, p. 5i 5 et suiv.). 
on trouvera cité le port de Biiinjam ^►j^Ub par 2 isba ou tr doigts ?> de 
l'étoile polaire (fol. 69 v', 1. 9). Ce port qui faisait partie au xvi' siècle 
de l'ancien royaume de Kûlam (=Quilon), est mentionné par Barros 
{Da Asia, décade I, livre IX, chap. i, p. 298 de l'édition de 1777) sous 
le nom de Berinjan, Nous ignorons si le Fr. Jourdain le visita. Mais un 
I d'isba ou cr doigt» plus au Nord, c'est-à-dire par 2 isba f» g^*» d'après 
Sulaymân, le port de Kûlam = Quilon {ibid., fol. 69 v', 1. 3), le Colum- 
bum des Mirabilia; et c'est sans doute le quidam locus où fut le mission- 
naire et dont il devint plus tard Tévêque. Il y a lieu de remarquer, en 
efiet, que les tables de latitude de Sulaymân datent de la première 



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138 JANVIER-xMARS 1926. 

moilid du xyi" siècle et qu'elles reproduisent des tables anciennes rec- 
tifiées par son prédécesseur immédiat Ibu Mâjid et par lui-même. Celui- 
là insiste longuement sur les inexactitudes relevées dans les ouvrages 
nautiques de ses prédécesseurs. Il est donc possible que dans le premier 
quart du xiv* siècle, la situation de Kûlam-Qiiilon fut indiquée par 
2 doigts de l'étoile polaire et que de nouvelles observations' aient porté 
cette latitude à s doigts |. La conclusion à tirer de ce couit passage des 
Mirabilia est que la notation des latitudes par 1 étoile polaire était assez 
courante au xiv* siècle sur la côte occidentale de Tlnde. pour que la 
situation d'un lien ail été donnée en ces termes à un étranger dont la 
relation nous a heureusement conservé un témoignage décisif de ce sys- 
tème d'observation. 

A ce propos, Gordier a rappelé en note que Marco Polo indique éga- 
lement la latitude du Guzerate pcnr l'étoile polaire. Voici les indications que 
donne le céièbi*e voyageur vénitien pour le Guzerate, le Malabar et le 
cap Comorin : 



CoiDorin ... 


1 coudée. 


1 coudée. 


1 coudée. 


Malabar 


a brasses. 


3 coudées. 


a coudées. 


Guzerate .... 


G brasses. 


6 coudées. 


6 coudées. 



( Le texte de Ramusio est celui qui a été publié par G. B. Baldelli Boni , 
Il Millione di Messer Marco Polo, t. II, in-4*, Florence, 1827, p. blio. 
&/i3 et n. 90^, et 445 : pour Padthier, cf. Le livre de Marco Polo, t. II, 
Paris, i865,p. 6^3, 65 1 et656;pourYuLE, Marco Pofo, éd. H. Gordier, 
t. II, Londres, 1931, p. 38a, 389 et 39s.) 

La note de Gordier (p. 81, n. 1) est ainsi conçue : crAu royaume de 
Guzerat, Marco Polo nous dit, p. 32 5 : «ret de cest rogne se part encoi'e 
(rplus l'astoille de tramontaine, car elle semble estre haute bien six 
ffgovesT). (Yule traduit : ffThe north star rose to the apparent height of 
ffsix cubitsn. Il faut, je crois, corriger ^ove en ^oue : rr francisation du 
génois goa» Goiie, mesure de longueur fort en usage, dans les ports de 
l'Italie et de la Provence, pendant le moyen âge et depuis. Cette mesure 
avait 37 pouces (o m. 73), ou trois palmes de 9 pouces. . . (A. Jal, 
Glossaire nautique, s. v" goa eigoue)'n. Mais je ne connais pas ou plutAt 
je n'ai pas reliouxé encore un mode d'évaluation de la latitude qui ait à 
la base la coudée, la brasse ou la goiic; la mensuration à base de doigt 
est, au contraire, attestée par plusieurs textes concordants : les Mirabilia 9 
les Instructions nautiques de Ibn Mâjid, de Sulayman al-Mahrl et de 



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COMPTES RENDUS. 139 

leur tradacteur turk, Tainiral Sîdî 'Ali dans son Muhît; et le Wou pei 

Pour les trois endroits précités , le texte de Suiaymân al-Mabrî donne 
les hauteurs suivantes : 

Cap Comorin : i doigt -f de l'étoile polaire; Malabar : de a doigts à 
6 doigts 7; et le Guzerale : de 10 à 11 doigts (cetle dernière latitude est 
celle du cap Zagâd ou Jaked), 

Le texte de Marco Polo est sans doute ici fautif, car ses chiffres ne 
concordent pas avec ceux des maîtres de navigation arabes. La question 
est donc à reprendre; il suffit de signaler ces divergences que j*étudierai 
en détail ailleurs. 

On ferme ce livre avec tristesse : c'est le dernier qu'a publié Cordier 
après en avoir corrigé lui-même les épreuves. Cette longue et belle^ car- 
rière scientiGque de notre très regretté vice-président se termine par 
une édition de texte géographique qui devait être suivie d'autres publi- 
cations de même nature. Si la bibliographie de ses travaux est close, son 
souvenir nous reste ; une telle vie consacrée exclusivement à la science 
est en elle-même un précieux enseignement. 

Gabriel Fbbband. 



M. Chainb, La chronologib des temps chrétiens de l'Egypte et de l'Ethiopie. 
Historique et exposé du calendrier et du corn put de TÉgypte et de i'Éthio- 
pie depuis les débuts de l'ère chrétienne à nos jours , accompagnés de tables 
donnant pour chaque année, avec les caractéristiques du comput alexan- 
drin, les années correspondantes des principales ères orientales, suivis d'une 
concordance des années juliennes, grégoriennes, coptes et éthiopiennes avec 
les années musulmanes , et de plusieurs appendices pour servir a la chrono- 

(^) Cf. George Phillips, The seaports ofindiaand Ceylon described by chinese 
voyager» of the Jlfteenth century together with an account of chinese navigation , 
dans Joum, ofthe China branch of the R.A,S,, t. XXT, p. 309-226 avec repro- 
duction d'une carte du Wou pei tche ( Phillips a écrit par erreur Wou pei pi 
chou). D'après M. Pelliot, qui m'a signalé cette inexactitude, le Wou pei tche 
est de 1627 environ. Il est vraisemblable que la carte en question remonte aux 
voyages de l'eunuque Tcheng Houo. Sur ce dernier personnage, cf. W. W. Rogk- 
HiLL, Notes on the relations and tradeof China with the easlern archipelago and the 
coMt of the Indian Océan during the fourteenth century, dans Toung-pao, t. XVI , 

1915, p. 79-^^- Tcheng Houo rempHt sept missions diplomatiques dans 

l'océan Indien entre i4o5 et i^3o. 



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\àO JANVIER-MARS 1926. 

logie. — Paris, igaS; grand in-8°, x?i-3û6 pages. librairie orientaliste 

Paul Geuthner. 

La Chronologie se compose de trois parties : I. Historique du calen- 
drier et du comput de Tëglise copte^thiopienne d'Alexandrie (le calen- 
drier : période prë-chrétienne, les origines; les temps chrëtiens : les ères 
du monde, Tère de Dioclétien ou des Martyrs; le comput : les débuts du 
calcul pascal , les Quartodëcimans ; le comput du patriarche Démëtrius ; 
les Oclaétëis de saint Cyrille, les tables d'Hippolyle au m* siècle; le 
comput d'Anatole; la rè^e de Téquinoxe; la réforme du comput d'Ana- 
tole, te comput alexandrin; le comput romain au début du iv' siècle; le 
concile de Nicée et le calcul pascal ; TOrient et Rome après le concile de 
Nicëe; le comput romain au v* siècle, les tables de Victor d'Aquitaine, le 
comput de Denys le Petit; le comput universel). II. Exposé du calen- 
drier et du comput de Téglise copte-éthiopienne d'Alexandrie (le 
calendrier : Tannée, le mois, Tère; concordance du calendrier coptfi- 
éthiopien avec les calendriers julien et grégorien [règles générales], 
concordance du calendrier copte-éthiopien avec le calendrier Julien et 
avec le calendrier grégorien [ règles particulières ] ; tables de concordance 
des mois et des jours du calendrier copie-éthiopien avec le calendrier 
julien-grégorien; détermination du jour de la semaine d'une date selon 
le calendrier cople-élhîopien; le comput: ses sources, ses éléments, les 
caractéristiques annuelles, Evangélisles , Ëpacte, Matq^e, Tettî/o», l'ère 
du monde et les caractéristiques annuelles; les années de la Miséricorde 
et de la Grâce et les caractéristiques annuelles , les cycles ; détermination 
de la date des fêtes mobiles, le jeûne de Ninive, le carême, Pâques, 
Ascension, table perpétuelle des fêtes mobiles). 111. Chronologie du 
calendrier et du comput de l'église copte-éthiopienne d'Alexandrie 
(tableau des caractéristiques annuelles selon le comput alexandrin depuis 
les débuts de l'ère chrétienne à l'an igao; détermination du jour de 
semaine d'une date selon le calendrier julien-grégorien; la fête de 
Pâques d'après le calendrier grégorien depuis la réforme de iSSa à nos 
jours ; la fête de Pâques distribuée selon l'ordre des jours du 9 2 mars 
au 2 5 avril depuis l'an 286 A. D. à l'an 2000; tableau de concordance 
des années appartenant aux calendriers julien, grégorien, copte et éthio- 
pien, avec les années du calendrier musulman). 

Suivent 19 appendices : les empereurs de Rome et d'Orient, les sul- 
tans de Constantinople, les consuls romains depuis les origines chré- 
tiennes jusqu'à l'invasion perse en Egypte, les préfets d'Egypte depuis 
la conquête romaine jusqu'à la conquête musulmane; les gouverneurs, 
émirs, régents, vizirs, pachas, califes el sultans préposés au gouverne- 



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COMPTES RENDUS. 141 

ment de l'Egypte depuis 64o de notre ère; les négus qui ont régné sur 
l'Ethiopie depuis le xiii' siècle à nos jours ; les papes depuis saint Pierre ; 
les patriarches coptes et melkites d'Alexandrie ; les patriarches coptes et 
melkites d'Antioche ; les patriarches de Constantinople ; les patriarches de 
Jérusalem; les patriarches chaldéen's de Séleucie-Ctésiphon, les Mafria- 
nos de Tagrit, les Catholicos d'Etcbmiadzine; les métropolitains d'Ethio- 
pie ; les principales éclipses de soleil qui ont eu pour centre TÉgypte et 
l'Ethiopie ; le calendrier romain ; concordance de Tère arménienne avec 
l'ère dionysienne ; les rapports de concordance de quelques ères avec l'ère 
chrétienne. 

Le volume, qui est aussi complet que possible , se termine par un index 
des noms de personnes. 

Cette Chronologie est claire et d'un maniement facile , et c'est le plus 
bel éloge qu'on en puisse faire. Nous devons à M. G. de la gratitude 
pour avoir nettement établi les concordances de ces multiples calen- 
driers. Les historiens et les orientalistes lui sauront gré de leur avoir 
fourni cet excellent instrument de travail. 

Gabriel Ferrand. 



André Godabd, Ghazni, dans Syria, igaS, p. 58-6o; S. Fldrt, Le décob 
ipiGRAPHiQVB DES MONUMENTS DE Ghazna^ tbtd. , p. 61-90, avec 20 planches 
hors texte et 1 1 illustrations dans le texte. Tirage à part à la librairie orien 
taiiste Paul Geuthner. 

M. Godard , membre de la mission Foucher en Afganistan , a pu pas- 
ser une dizaine de jours à Ghazni, plus connue sous le nom de Ghazna '*\ 
en juillet 19s 3. D'heureuses circonstances qu'il a su habilement mettre 
à profit, lui ont permis de visiter et de photographier les mosquées, 
lieux saints et tombeaux de la ville et de ses alentours. L'entreprise est 
toujours malaisée, difficile, sinon impossible à réaliser en pays d'islam; 

('î D'après Yàkùt (Mu^jam al-buldàn, t. III, p. "^^^, s. v° ^'jf), le nom po- 
pulaire de cette ville est Gazna, mais les savants rappellent Gaznîn. Les géo- 
graphes arabes ont généralement Gazna, quelques-uns Gaznîn et rarement 
^jc Gazni. C'est cette dernière leçon que M. Godard a notée. Tchao Jou- 
koua dans son Tchou-fan-tche (trad. Hirth-Rockhill , p. t38) a "^^ W^ Jtt ^*" 
ts'i-^i qui représente certainement Gaznî comme l'ont indiqué les traducteurs 
(le point d'interrogation peut être, je crois, supprimé). Dans une note de la 
page 189, on en a rapproché 1^ f||P ^ j^ ICie-chà-na du Yeou-yang-tsa-tsou 
qui transcrit la leçon Gazna. — Gkazni est la forme afgane de ce toponyme. 

GGTIII. 1 

iHfUimn iAnofAi.a 



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142 JANVIER-MARS 1926. 

eile n'en est que plus méritoire en Afganîstaa où les manifeslations du 
fanalisinc religieux sont encore assez fréquentes. De Tétude de ces diOé- 
rents monuments qu il est le première avoir étudiés sur place. M. G. tire 
les conclusions suivantes : vers la fin du x* siècle de notre ère, à 1 époque 
où Subuktegîn fonde à Ghazna la dynastie des Ghaznévides, lart de 
cctle partie de rAfganistan est purement iranien. L'influence indienne 
apparaît ensuite sous le règne de son fils Mahmûd ( 388/998-/1 1 â/i o3o), 
à la suite des campagnes victorieuses de celui-ci dans Tlnde. Cette in- 
fluence s'afiîrmera sous les successeurs de ce dernier, particulièrement 
dans la tombe de son fils Masud I" (iai/ioSo-iSQ/io/io). Avec Tun 
de ses successeurs, Ibrahim (46 1/1 069-492/1 099), <rles dalles de revê- 
tement deviennent plus épaisses, les plans se multiplient. L*abondance 
et la surcharge indiennes ont tout à fait remplacé Télégance du décor 
iranien. C'est ia dernière période de Tart gbaznévide (p. 60).» 

M. F. a reproduit, traduit et parfaitement commenté les inscriptions 
photographiées par M. G. Elles proviennent des monuments suivants : 
tombeau de Subuktegîn, tour de Mahmûd, inscription au nom de 
Masud I", inscriptions au nom d'ibrâhïm, inscription au nom de 
Mas'ûd III (499/1099-608-1 1 1 4 ), inscription en nashiî du xf-xn" siècle; 
inscriptions coraniques de la seconde moitié du xi* siècle, de la fin du 
XI" ou du xu" siècle; tombeau d'un inconnu du xii* siècle, autre tombeau 
d un inconnu de la fin du xu* ou du commencement du xiu* siècle. 
L opinion concordante de MM. G. et F. en ce qui concerne la tombe 
actuelle de Mahmûd bin Subuktegîn, est que le socle du monument est 
seul contemporain de ce prince ; le prisme avec son inscription en nasljî 
est très vraispmblablement de date postérieure ; p. 87-89). 

Ces deux notes sont accompagnées de belles reproductions des photo- 
graphies prises par M. G. et d'un très intéressant commentaire illustré 
lie M. F. sur les inscriptions coufiques de Ghazna. Il est à souhaiter 
que M. G. nous donne bientôt un volume avec illustrations de sa fruc- 
tueuse cam[)agne archéologique en Afganistan. 

Gabriel Fërrand. 



Plotarque. /s/5 bt Osibis, traduction nouvelle avec avant-propos, prolégo- 
mènes et notes par Mario Meunier. — 3 36 pages, in-16, 1924. L'Artisan 
du Livre, a , rue de Fleurus. 

M. M. Meunier qui est un de nos meilleurs hellénistes auquel on doit 
déjà de bonnes traductions de Sophocle, Sappho, Nonnos, Platon et 



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COMPTES RENDUS. U3 

Ëixripide, a eu Theureuse pensée de nous donner une traduction nouvelle 
du De hide et Osiride, après Amyot (1674), Dominique RicanI (1783) 
et Victor Bétoiaud (1870). On sait {^importance du texte de Plutarque 
et il uy a pas lieu d'y insister. Leiébure a justement dit que rrsans le 
:»ecours précieux qu'ils (Uîodore, Hérodote, Plutarque sut tout) apportent 
h la science, ce serait presque aussi difficile de retrouver la clef des évé- 
Déments mythologiques du cycle osirien, que de refaire Thistoire du 
Christ en ne s aidant que des proses et des hymnes contenues dans les 
missels (p. ig).'» 

L^élégante traduction de M. M. diffère des précédentes en ce qu'elle est 

accompagnée de nombreuses et utiles noies oii ont été mis à profit les 

travaux les plus récents de Tégyptologie. Très bon livre qui vient à son 

heure, élégamment présenté par son éditeur. 

P. xkj, n. 1 . Pour Mi thra , renvoyer à farticle décisif de M. A. Meillet: 

Le dieu indo-iranlen Mitra, dans /. ils. ^ juillet-août 1907, p. lôS-iSg. 

n Mitra- n'est qu'une personnificatiou indo - iranienne du fr contrat» 

(p. 1 56), autrement dit le contrat divinisé, n 

Gabriel Ferrand. 



i\ichard Schmidt. Nacbtràgb xvm SanskriT'Wôrtbrbdch in kdbzbdbr Fassdng 
von Otto BôBTUHGK, Lioferuiig V. — Hannover, 1996. OrienlrBuchhandlung 
Heinz Lafaire. 

Celte publication a été annoncée dans le fascicule d'avril-juin 1925, 
p. 3io-3is. Quatre fascicules ont déjà paru. Le cinquième qui vient de 
me parvenir va de la page 198 ë la page â^o, de "jrmbhitaka à paksmnla. 
On peut donc espérer que paraîtront prochainement les dernières livrai- 
sons de cet important supplément au dictionnaire de Bôhllingk. 

Gabriel Fërrand. 



M™* A. R. DB Lens, Pbatiqvbs dbs harbms marocains : sorcellerie, médecine, 
beauté, avec une préface des D" Speder et Lépinay et un index. — Paris , 
1926; petit in- 4% xvi-95 pages. Librairie orientaliste Paul Geulhncr. 

Femme d'un fonctionnaire du service marocain , M*"* de L. s'est inté- 
ressée au milieu dans lequel elle vivait, a appris l'arabe et a poursuivi 
de fructueuses enquêtes dans les milieux féminins musulmans. Fille et 
petite-fille de médecins parisiens, elle s*est intéressée è la médecine in- 



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\àà JANVIER-MARS 1926. 

digène à l'instigation des D'* Speder et Lépinay : telle est la genèse de 
ce livre. 

Il est divise en huit chapitres : médecine générale , maladies véné- 
riennes, maladies infantiles; fécondité, stérilité, impuissance; maladies 
des femmes, recettes matrimoniales, recettes de beauté, recettes contre 
diverses calamités. L'auteur nous y révèle des procédés inconnus ou peu 
connus du plus haut intérêt. La pharmacopée, les parfums et la magie in- 
digènes utilisent un certain nombre de produits orientaux qu'on retrouve 
au Maroc et qui ont ainsi leur place dans l'histoire de l'exportation des 
drogues de l'Extrême-Orient jusqu'à l'Atlantique : ambre, benjoin, 
camphre, cannelle, girofle, cumin , galanga , muscade, etc. P. 79, 1. 3, 
infra, pour la confection d'un fard qui i*end le visage éblouissant, il est 
recommandé de ir faire fondre du beurre, y ajouter de la céruse, du car- 
min, du benjoin blanc, du bois de Comari {sic) piles». L'informatrice 
marocaine a dû dire ûd al-kotnâri, qu'il faut traduire par «raloès du 
Khmèr (cf. sur cette drogue bien connue mes Relations de voyages et 
Textes géographiques arabes, persans et turks relatifs à l' Extrême-OrieiU , à 
l'index du tome II, s. v*" aloès du Khtnèr)if. Ce nom qui manque dans 
l'index, est mentionné dans W. Maaçais, Textes arabes de Tanger, Paris, 
1911, p. 439, s. v'^. 

M*"* de Lens qui était si bien préparée pour ces délicates enquêtes, 
est récemment décédée. C'est une grande perte pour nos connaissances 
des milieux féminins de l'Idâm qui nous restent fermés et dont nos 
études auraient pu tirer tant d'informations de pi^mière importance. 
Mais qui continuera l'œuvre entreprise par l'auteur du présent volume ? 

Gabriel FERRiNo. 



Mauiavie Mohammed Bebbkbtullah de Bhopai, Le khalifat, — Paris, 193/1 ; 
in-8*, 10& pages. Librairie orientaliste Paul Geuthner. 

Ce plaidoyer d*un musulman de l'Inde en faveur de Tinstitution d'un 
khalifat exclusivement spirituel, ne semble pas avoir eu grand succès 
dans le monde islamique. L'auteur fondait de grandes espérances sur le 
congrès qui vient de se réunir au Caire; mais les correspondances des 
journaux laissent entendre qu'on y discuta longuement, quelquefois 
violemment, et que les congressistes se séparèrent sans avoir pris de 
décision : on espère qu'on s'entendra mieux au prochain congrès qui doit 
avoir lieu à la Mekke ! 



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COMPTES RENDUS. 145 

Il y a quelque temps, deux islamisants ëminents, un anglais el un 
des nôtres, s'entretenaient de la même question. Notre compatriote ré- 
suma son opinion par Texpression arabe qu'on applique aux morts : 
rahimahu Allah rr Qu'Allah soit miséricordieux au khalifat»; l'institution 
a vécu el il sera sans doute impossible de la faire revivre. Les musul- 
mans sincères qui souhaitent le rétablissement du khaiifat en dehors de 
toute arrière-pensée politique, y perdront vraisemblablement leur temps 
et leur peine. aM! 9^^ I 

Gabriel Ferrand. 



Rudi Paret, Sïrat Sàif ibn Dhi Jâian, ein arabiseher Volkiroman, — Ha- 
novre, 199/t; in -16, 190 pages, avec index en arabe des noms de per- 
sonnes et des pays et villes mentionnés dans la Sira, Orient-Buchhandlung 
Heinz Lafaire. 

La présente étude a été faite sur l'édition du Caire de 1 Sss/t 90/1-1905 
en quatre volumes, qui est divisée en dix-sept parties, chacune avec sa 
pagination spéciale. La longueur de ces divisions a été calculée pour 
remplir une soirée. M. P. a résumé son livre dans un article de VEney- 
clopédie de Vislâm (livraison B, igâS, p. 7A-75), U n'y a donc pas lieu 
d'y revenir ici. On sait que Sayf bin Dû Yazan appartenait a la famifle 
royale himyarite et qu'il parvint à chasser les Abyssins de l'Arabie méri- 
dionale vers 670 de notre ère, grâce à l'appui militaire que lui prêta le 
roi de Perse Hosraw Auôsarwân. 

Ce roman populaire qui suit les règles du genre , a dû être rédigé en 
Egypte au xiV ou xv* siècle : il y est en effet question d'une guerre en- 
treprise par Sayf contre le roi d'Abyssinie Sayfa Arad (p. 85 et suiv.). 
Or, celui-ci régna de i344 à 137-2; mais l'auteur anonyme de la Sïra 
n^ hésite pas à le faire attaijuer par un chef himyarite qui vivait quelque 
neuf cents ans plus tôt 1 

On ne saurait rappeler des péripéties qui ne peuvent être contées 
qu'en dix-sept soirées. Les aventures de tout genre y abondent avec le 
concours habituel en ces récits de magiciens, génies, animaux fantas- 
tiques qui nous sont bien connus par les Mille et une nuits que la Sira 
rappelle fréquemment; les intrigues amoureuses n'y font pas davantage 
défaut. 

D'après un passage de la Sira (p. 99, 98), les îles Wakwâk ou 
Wâkwâk (que l'auteur appelle : Wâk al-Wâk), sont au nombre de sept. 
Près de cet archipel se trouve l'île des Filles (p. 2 1, a a). 



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145 JÂiNVIER-MARS 1926. 

Le livre de H. P. a étë fait avec soin et mérite d^étre recommandé. Il 
constitue une bonne analyse de la Sira qui en permettra aisément Tuli- 
iisation par tous ceux qu'intéresse ce curieux roman populaire. 

Gabriel Ferrand. 



D' Ernst Hbbzfild, Einioe BôcnsRscHÀTtB in Psrsibn, dans Éphémérides 
orienlales, n" a8, janvier 1996, publiées par la librairie Otto Harrassowitz , 
Leipzig. 

Dans le fascicule d'octobre-décembre ig35(p. 33o),M. Sylvain Lévi 
constate è propos du tokharien B, plus exactement du koutchëen, que 
MM. Sieg et Siegling ignorent systématiquement les publications sur 
cette même langue antérieurement parues dans le Journal asiatique. 

Presque en même temps, Tun des rédacteurs de la Luzac's oriental Ust 
and hook review quarterly (t. XXXVII, n* 1, janvier-mars 1936, p. ^ 
infra) dit dans son compte rendu du Grundriss der Géographie und 
Geackichte des Alten Orients de Fritz Hommel : «r . . . Finally, German 
schoiars are neglecting, to tbeir own disadvanlage, tbe work of scbolars 
of other nationalities: and tboiigb tbere are many références in tbis book 
to Works ihat bave appeared in Ënglish, it is clear tbat tbey are only 
known to tbe writer at second or ihird band, for be neglects crucial 
facls ... 7) 

Après avoir énnméré ses trouvailles dans la bibliotbèqoe du palais 
de Téhéran, M. Herzfell passe ensuite à ses découveiles de Mecbbed. 
Elles sont, en effet, d'une extrême importance : le kitâb al-buldân de 
Ibn al-Fakîb dont De Goeje n'a connu et édité que le résumé fait par 
Al-vSayzarî, est là au complet; le Kitâb al masâlik wa'l^mamàlik de Jay- 
bSnî qui était considéré comme perdu; le rapport de l'ambassade en- 
voyée cbez les Bulgares de la Volga rédigé par Ibn Fa^lân. 

Ces dernières informations arrivent un peu tard : on les trouvera 
dans le Journal de janvier-mars igai, p. i5o, et Tbonneur de cette 
découverte revient à M. A. Z. Vaiidi. Il est curi^'ux qu'on lise si peu ou 
si mal le Journal asiatique en Allemagne, «rll y a là, pour reproduire la 
conclusion de M. Sylvain Lëvi, un nouvel indice d*une attitude d'esprit 
dans l'ordre scientiGque qu'il pourrait être fAcbeux d'igaorer.n 

Gabriel Feriând. 



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COMPTES RENDUS. t47 

SAifTAL FOLK TALES SDITBD BT P. 0. BoDoiNG , t. I , textes santâiii) et trftduc- 
tion anglaise avec une préface de Sten Konow, gr. in-8* carré, xti + 
369 pages. — Oslo, 1935 (série B, II de Tlnstitulet for sammenlignende 
kulturforskning). Librairie Honoré Champion à Paris. 

On sait la haute compétence de M. Sten Konow en ce qui concerne 
les langues, littérature, peuples et choses de Tlnde. Il nous informe 
dans sa préface que les contes traduits par M. B., ont été recueillis par 
un Sanlâll rrdont Thorizon était limité au pays et aux traditions santâlîs?). 
11 est sans doute facile d'y relever des traces de folklore arien; mais si 
le fonds de certains contes est d'origine étrangère, ici comme ailleurs, 
ils ont pris une forme locale et ont été accommodés à la mentalité des 
emprunteurs. Les Sanlâlîs appartiennent au groupe kotarien et en sont 
la tribu la plus importante. crCe sont, dit M. Sten Konow, les derniers 
survivants d'une race qui paraît avoir joué autrefois un rAle considérable 
dans rinde et dans les pays et îles de l'océan Indien.» Je le crois aussi 
et j'y reviendrai quelque jour. Nos confrères, MM. Sylvain Lévi et 
Przyluski, tant dans \e Journal asiatique que dans les Mémoires et le Bul- 
letin de la Société de linguistique de Paris ont signalé déjà de notables 
emprunts par le sanskrit au groupe linguistique malayo- polynésien, 
môn-khmer et kolarien. La question du peuplement de l'Asie orientale 
continentale et insulaire est à reprendre sur ces bases nouvelles. Quand 
M. Sten Konow dit : tWc would therefore expect to 6nd a Kolarian 
substratuui in the languages and in the civilisation of ludia , and a cri- 
lical examination of the remuants of the ancient population which hâve 
preserved their ancient speech and mentality till the présent day may 
be apt to throw light on severai questions connected with the deveiop- 
ment of India through the âges (p. yiii-ix)w, son excellente informa- 
tion habituelle est ici en défaut : l'enquête est commencée déjà depuis 
plusieurs années par les savants français précités et on sait qu'elle a déjà 
donné d'appréciables résultats. 

Mais d'autres découvertes mettent la question pur un plan infiniment 
plus étendu. A l'occasion du VIII* congrès international des orientalistes 
tenu à Stockholm et Christiania en 1889 , M. Hans Schnorr von Carulsfeld 
a fait une communication d'une exlrénie importance qui m'était in- 
connue tout récemment encore, intitulée : Uber die linguistùche Stellung 
der austraUsehen Sprachen ^^^ (Actes du VI ir Congrès intem. des Orient., 



t^) La présente communication, dit une note de la page 89, n^est qu^un ex- 
trait d'un travail plu» étendu, actudlement(i889) à Timpreesion dans lea 



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148 JANVIER-MARS 1926. 

4* partie, Leide, 1892, in-8% p. 89-41) et dont les conclusions sont les 
suivantes : tr Grossie Beachtung verdient endlich der Umstand, dass bei 
einer Anzahl von Wôrtern, besonders Bezeichnungen der Kôrpertbeile, 
aiso den urspriinglichsten Begriffen , sich den bisher behandelten Spra- 
chen auch die malayo-polynesischen anschiiessen , sodass die bereits von 
anlhropologischer Seite aufgestellte Vermuthung, dass aile Vôlker Ozea- 
niens eines Ursprungs seien, auch vom linguislischen Standpunkte aus 
Bericbtigung zu haben scheint; man vergleiche z. B. austral. tuUa 
/ZungeT), mit negr. dita, mal. lidah [malagassisch lela, -delà]; Nen- 
Hannover tugul rrArmr), mit austr. tungun, mal. taiigatui. 

En 1907, M. A. Trombetti a signalé des concordances de vocabulaire 
entre les langues Tson et de la Terre de Feu et l'australien, et conclut 
à la parenté des deux groupes ^^K 

Tout récemment, M. P. Rivet (Bu//, de la Soc, de Linguistique de Paris, 
t. XXXI, 1995, p. 23-63) a montré des parentés évidentes de voca- 
bulaire entre Taustralien, le malayo-polynésien et le groupe californien 
Hoka et a repris la thèse du savant italien ^*\ Les découvertes de Schnorr 
von Carolsfeld , Trombetti et Rivet précisent ainsi les limites géogra- 
phiques de cet immense domaine linguistique qui comprend sur le con- 

Sitzungsberichte der bayer. Ak. der Wiss. , Philos.-phiiol. Cl., 1890 , t. I, p. 3/17- 
399. Je n^ai pas connaissance de ce travail. 

(^) Corne si Ja la ci^itica di un Uhro, Bologne, 1907, p. 188-196; Elementi 
di gîottologia, Bologne, 1932-1923, 1. 1, p. 169-170. Je cite d'après Tarticle 
de Rivet dont il va être question, crll ne semble pas, dit Rivet, que Trombetti 
soit arrivé à convaincre le monde des linguistes {Bull, Soc. Linguistique de 
Paris, t. XXVI, 1935, p. 33, n. 4).j) 

(^) L^article de Rivet est intitulé : Les Australiens en Amérique, 11 conclut 
(p. 6 1-63) à une migration australienne en Amérique qui se serait produite 
il y a une trentaine de siècles. De ce que nous savons des Australiens mo- 
dernes, on peut affirmer qu'une telle migration ne s'est jamais produite, ni 
récemment, ni surtout au début du premier millénaire avant notre ère. Il est 
infiniment plus vraisemblable que l'Asie orientale, Tlndonésie, T Australie et 
les côtes américaines du Pacifique ont été anciennement peuplées par des 
peuples linguistiquement apparentés ( la race océanienne de Schnorr von Ca- 
rolsfeld), ce dont les vocabulaires modernes témoignent encore. D'autre part. 
Rivet parie de «r peuple méiano-polynésien». L'expression est impropre, car 
Mélanésiens et Polynésiens forment deux groupes distincts , sans doute appa- 
rentés, mais qu'il n'y a pas lieu de constituer en un groupe séparé. Linguis- 
tiquement surtout, bien qu'appartenant à la même famille, ceux-ci et ceux-là 
sont très nettement différenciés. Cf. également du même auteur : Les Mélano- 
polynésiens en Amérique, dans Anthropos, t. XX, 1935, p. 5i-5/i. 



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COMPTES RENDUS. U9 

tînent l*habitai des populations de langues kolariennes et môn-khmèr; 
dans focëan Indien et le Pacifique, les innombrables lies où sont paiiës 
des langues et dialectes malayo-polynësiens , de Madagascar à Tlle de 
Pâques et de Formose à Java; les langues australiennes et, enfin, cer- 
taines langues américaines de la Californie et de TAmérique du Sud. 
L*hypothèse de Schnorr von Carolsfeld que tous les peuples de TOcëanie 
ont une même origine est dès maintenant une certitude du point de vue 
linguistique et sur une plus grande échelle que ne le supposait Tauteur 
de la substantielle communication précitée. 

Tous les contes de ce volume sont donnés en texte et en traduction, ce 
dont il faut féliciter M. B. Pour le santâlî , je renverrai au tome IV du Lin- 
guistic survey of India où ce dialecte a été étudié. Afin de montrer le degré 
d'arianisation lexico graphique du santâlî, M. Sten Konow cite cet 
exemple : tfbicar paAtïtalinpen où les trois dernières syllabes en romain 
sont seules santâlîes, le reste étant arien. Des exemples de ce genre ne 
sont pas isoles. On peut ainsi citer en kawi ou vieux - javanais , cette 
phrase presque identique : rrtëmu n-àçrama dibya çobha ramyu-n où les 
deux premiers mots en romain sont seuls kawi et les quatre suivants, 
sanskrits. 

Le tome I des Santal folk taies contient quinze contes sur le chacal 
(p. i-âiy), des remarques sur la situation de la femme dans la société 
santâlïe (p. 321-227) ^* ^^^^ contes sur les femmes (p. 228-869). 
Tous ces contes ont été soigneusement annotés par M. B. qu'on ne sau- 
rait trop remercier de nous avoir donné ce beau volume de folklore. 
J*ai surtout envisagé ici Tintérét linguistique de sa publication et montré 
la place importante qu'elle occupe par ses textes dans le domaine océa- 
nien. Je reviendrai sur sa valeur folkloristique en rendant compte du 
volume suivant. 

Gabriel Fbrrand. 



Stanley Lanb-Poole. The mohammedan dynasties, chronological and genealogical 
tables wilh hittorical introduction. — Paris, 1925, in-16; xxyiii-36i pages, 
avec index des noms de souverains , 2" éd. Librairie orientale Paul Geuthner, 
Paris. 

La première édition de cet excellent ouvrage date de 1898 et était 
épuisée depuis longtemps. La dureté du temps présent n'a pas permis 
d'en faire une édition nouvelle avec les additions nécessaires; on s'est 
donc contenté de reproduire mécaniquement le texte publié il y a 



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IJU JAMVIËR.MARS 1926. 

quelque trente ans et la reproduction est en tous points parfaite. Aussi 
faut- il savoir gré à Tauteur et à rëdîleur d*avoir rendu accessibles les 
Mohammedan dynasties qui sont indispensables aux islamisants et aux 
historiens et géographes. 

Gabriel FERRirn). 



0. J. TiLLORBN. Los nOMBBBS ÀBÀBSS DB LAS BSTBBLLAS T LÀ TBANSCBIPCJOK 

ALFONSiNA (extrait de Houenajb a A/sJviiVDsz Pidal, t. II, p. 633-7 18), 
avec 6 planches reproduisant des extraits de trois manuscrits, un croquis 
linguistique dans le texte, deux cartes célestes hors texte et un index des 
mots arabes. — Madrid, igaS; in-S". Casa editorial Hernando. 

Le but de Tauteur est double : établir les leçons sûres du texte 
alphonsin par une méticuleuse étude des manuscrits (rauteur a exposé 
les résultats de son enquête dans un précédent article : Observations sur 
les manuscrits de l'Astronomie d'Alphonse X le Sage, roi de Castille, dans 
Yeuphilologische Mitteilungen, Helsiugfors, 1908, t. X, p. 110-1 1 4) et 
en déduire les lois phonétiques qui, au xin* siècle, étaient en vigueur 
en hispano-arabe (voir le croquis schématique de la p. 643). 

M. T. mentionne ensuite les 46 constellations des tables alphonsinef^ 
en donnant pour chaque astérisme le nom arabe tel qu'il est transcrit 
dans les tables, sa traduction française et son identification auxastérismes 
de Tastronomie moderne. 

A propos du nom arabe de la Polaire, les manuscrits espagnols ont 
gidit (sic), gedi et algedi. M. T. note justement qu'on attendait 
f^ù^A. judeyy, litt. rr cabri?), diminutif de (^o^^. Jadi Ae Capricorne^. La 
confusion entre jWt, le Capricorne du zodiaque et judayy, Tétoile po- 
laire, devait être fréquente dans les ouvrages d'astronomie arabe et a 
fortiori dans les traductions européennes, car dans la première de ses 
Instructions nautiques {ù^\yiJ\y ^^i ^ J^t i jolyUi Ljb6^ dans mes In- 
strtictions nautiques et routiers arabes et portugais des iv' et iri* siècles, 
t. I, Paris, 1923, in-8*, fol. 27 r% 1. i3 et sniv.), \emuallim ou maître 
de navigation Ibn Mâjid dit expressément : ^>j|E Al^-Judayy, c'est le gâh 
[nom persan arabisé de l'étoile polaire] (suit l'indication de la vocalisa- 
tion) et f^ùJf. al'jadi est [un des] signes [du zodiaque] qui a deux 
mansious lunaires et un tiers (*); c'est l'une des douze divisions du cercle 

(^) On sait que les douze signes du zodiaque sont répartis parmi les 98 man* 
sions lunaires à raison de deux mansions et un tiers par signe : i9Xa^=«98. 



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COMPTES RENDUS. 151 

céleste. . . t». La transcription gidit du Voeabuliata in arabico de Ram6n 
Martfn a été faîte sur OshXâk. qui est une simple corruption graphique 
de (^x»., ainsi que la noté Tauteur. 

P. 667, n* 7. ^50^-s-o de la Grande Ourse est une petite étoile de 5* ou 
6* grandeur qui sert k éprouver la portée de la vue. C'est un autre 
nom de Tétoile appelée généralement (s^^ as-suhà (cf. A. de G. Mo- 
TTLINSKI, Les manstons lunaires des Arabes, Alger, 1899, in-8% p. 91 et 
n. 1) qui est mentionnée à la page suivante, n** ao. 

Après avoir étudié chaque nom d'étoile, M. T. a résumé ses constata- 
tions dans un chapitre (p. 704-718) intitulé : phonétique de la tran- 
scription alphonsine. Elles sont fort intéressantes et devront être lues par 
les dialecloiogues. 

M. Oiva Johannes Tallgren est chargé de cours des langues romanes 
méridionales à l'université d'Helsingfors. Son élude est excellente, 
rédigée en bonne langue espagnole et sa méthode scientifique ne laisse 
rien à désirer. On ne peut que souhaiter de lui voir continuer ses 
recherches dans ce domaine. La transcription des mots arabes est seule 
critiquable. M. T. rend, par exemple, l'arabe ^ rrdosn par iâa^r (sic) ! 
G'est une complication typographique inutile. Pourquoi ne pas tran- 
scrire simplement zahr ? 

Gabriel Ferrand. 



Alfred Guillaume. Thb Thaditions of Islam, an introduction to the hadilh lite- 
rature. — Oxford, igaA; in-8*, i84 pages, avec glossaire des termes tech- 
niques employés dans là littérature des hadith et un index des noms pro- 
pres. Clarendon press. 

Ce livre est divisé en sept chapitres : 1. L'évolution des hadït; IL La 
période omeyyade; III. La période abbasside; IV. Critique des hadit par 
les musulmans; V. Choix de hadit; VL Emprunts à des documents chré- 
tiens et à la tradition chrétienne; VL Quelques aspects du prophète 
Muhammad dans la tradition; appendices : A. Le khalifat dans la tra- 
dition ; B. Traduction du Kitabu 'l-kadar du Sahih de Buhârî. 

L'ouvrage de M. G. contient l'essentiel sur le hadit; le lecteur anglais 
y trouvera la documentation suffisante et le livre est à recommander. 
L'auteur qui est bien au courant de la littérature du sujet, n'a pas 
manqué de rappeler les travaux antérieurs du regretté L Goldziher. 
Dans un excellent article de V Encyclopédie de l'Islam (t. II, s. v*" hadith, 
p. flo 1-306), M. Th. W. Juynboli s'exprime ainsi : «La plupart des 
traditions ne peuvent donc pas être considérées comme des informations 



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152 JANVIER-MARS 1926. 

vraiment historiques et dignes de foi concernant la sunna du Prophète. 
Elles expriment hien plutôt des opinions qui, dans les premiers siècles 
après la mort de Muhammed , se sont fait jour au sein des milieux diri- 
geants et que Ton n'a qu'alors attribuées au Prophète.» Sauf de très 
rares exceptions, l'expression : faux comme un hadit, est exacte; des 
musulmans eux-mêmes en conviennent. Il n'en est pas moins vrai que le 
hadit joue un rôle considérable dans la jurisprudence et ia vie ordinaire 
des croyants de l'Islam. 

Dans tous les pays musulmans, à côté des hadit classiques, ont cours 
des hadit qu'on pourrait appeler populaires et qui , autant que je sache , 
n'ont pas encore été recueillis de façon systématique. Us ont parfois 
trait aux choses les plus imprévues , ainsi qu'en témoigne le suivant : 
un pieux et savant sayh de Zanzibar me cita un jour celui-ci : ^La 
louange à Allah seul qui a créé furûj an-nisà^ et qui les a placés dans un 
endroit retiré pour l'usage de son serviteur î) I Gomme je demandais 
Visnâd de cet étrange hadit, mon sayli me répondit qu'il le tenait d'un 
saint personnage d'Aden et me donna imperturbablement une longue 
liste d'autorités remontant naturellement à un compagnon du Prophète. 
Je crois bien qu'il était sincère, et il est certain que son entourage et ses 
disciples ne doutaient pas de l'authenticité de la tradition. Des faits de 
ce genre portent en eux leur enseignement et en disent long sur la men- 
talité de certains musulmans modernes. Il y aurait , je crois , intérêt à ne 
pas l'ignorer. 

Gabriel Ferrand. 



A. S. Tritton. The bise of the imams of Sanàa. — Londres, 1936; in-8% 
i&i pages, avec trois appendices (sur la langue, le vocabulaire et les mon- 
naies, mesures et prix) et un index des noms propres. Humphrey Milford, 
Oiford university press. 

Initialement thèse de doctorat soutenue devant la faculté d'Ëdinbourg, 
le présent travail établi d'après les manuscrits orientaux SSag, 4583 et 
33o du British Muséum , a été ensuite revu et augmenté. Les quatre pre- 
miers chapitres en ont été publiés déjà dans le Journal of Indian Histoiy. 
Il s'agit des révoltes des Arabes de San a^ contre les Turks au xvn* siècle. 
Les faits qui ne valent pas d'être exposés en détail, se rangent sous les 
rubriques suivantes : première révolte; les Arabes sont battus; seconde 
révolte; fin de la première trêve; événements de 1096/1617 à io36/ 
1696; pnse de SanV en 1088/1638; Kânsuh et Zabîd; la Mekke. Suit 
un intéressant chapitre sur la vie religieuse et sociale des Yéménites. 



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COMPTES RENDUS. 158 

Dans un appendice, M. T. donne des renseignements sur la langue et 
les monnaies , mesures et prix du pays que les arabisants accueilleront 
avec plaisir. Après la grammaire et la synlaxe, le vocabulaire yéménite 
de ces manuscrits présente un certain nombre d'expressions nouvelles ou 
peu connues : 

v^osJLj^ participe de ^3JJb avec le sens de «rarmé d'un fusil 9). 

^3^*.= égyptien ^U? rr appartenant hy). 

j«X£. M. T. suggère très justement que 'adani doit élre rendu par 
er dans la direction de *Aden» . Dans les Instructions nautiques arabes dont je 
prépare la traduction , Tethnique est très fréquemment employé avec ce 
sens spécial, rr SI tu es tf^, ^k£-^, ^,a . . . ^, c'est-à-dire : «r si tu veux 
te rendre à Sihr, à Mascate, aux Maldives (fais ceci ou cela, prends telle 
telle ou route)'). Dans la langue nautique, celte expression se répète si 
fréquemment que j'ai pu en déterminer le sens avec certitude. Je suis 
heureux de ta rencontrer ici , ce qui montre qu'dle appartient au voca- 
bulaire général du yéménite. 

M. T., qui appartient à l'université musulmane de Aligarh, remarque 
à cette occasion que, au Yémen^ Sâm ne désigne pas la Syrie, mais le 
nord du Yémen. Il en est de même dans certains textes astronomiques 
on les mansions lunaires sont divisées en ^la et ;^Lc qu'on traduit par 
syriennes et yéménites, alors qu'il faut lire ^Lû = septentrional et 
"jlc = méridional. 

Pour le JU^\y^faràsila, prononcé à Aden et sur la c6te d'Afrique voi- 
sine : frâsila, frâsala, cf. mes Poids, mesures et monnaies des mers du 
Sud aux xvi' et xvn' siècles, dans J, A., juillet-septembre et octobre- 
décembre 1990, à l'index des poids. 

y^ avec le sens d'écorce de la graine de café est déjà dans Dozy, 
Supplément, s. v% d'après Burton. «Husks of the coffee*bean, dit M. T., 
and then the drink made from them; a commoner beverage tban coifee». 
A Aden et sur la c6le d'Afrique voisine, on fait une très grande consom- 
mation de ce breuvage qui est agréable au goût et a des propriétés diu- 
rétiques. J'en parle pour en avoir fait longtemps usage. 

Le travail de M. Tritlon a été fait avec soin et apporte de nouveaux 
documents sur les rapports, généralement mauvais, entre les Yéménites 
et les Turks au xvu* siècle. Cette contribulion à la petite histoire est 
pleine d'enseignements qui seront utiles aux historiens. Il faut savoir 
gré à l'auteur de nous les avoir fournis avec toute la compétence dési- 
rable. 

Gabriel Ferrand. 



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[bà JANVIER-MARS 1926. 

Jadunath Sàrkàs. Histort of Auràngzib beued an original tources, t. V, the 
closing ycars, 1689-1707. — Calcutta, 193/1; pet. in-8% vui-696 pages. 
M. G. Sarkar and sons. 

— ^ IIiSTORT OF AuRANGZiB hoted ùti Original source» , second édition , 
revised and cheaper issue, t. I et II (en un seul volume). — Calcutta, 
1936; pet. in-S*"; XTiii-f-^aA pages. Même librairie. 

MoGHAL ADMINISTRATION , secoud édition rewrilten wilhscven [Ure: 

eight] new chapters added. — t9a4; pet. in-S", ?in-36/i pages. Même 
librairie. 



Le tome V de ïllistoire de Aurengzeh a trait aux dernières années de 
ce ionç règne. Le souverain est né le â4 octobre 1618. En 1667, son 
père Sâb Jahân tombe gravement malade. Dara, Tuu des fils, fut dé- 
signé comme successeur de Tempereur; mais un autre Gis Murad Ba^s 
se proclame en même temps empereur el Aurengzeb fait également 
valoir ses droits. La guerre de succession s'ouvre qui se termine par le 
succès d' Aurengzeb, pendant que le vieil empereur tenu en surveillance 
mène une vie misérable et ne mourra qu*en 1666 (voir pour les quatre 
premiers volumes, J. A., fascicule d'avril-juin 193^, p. 383-â8&). 

ffLa vie d'Aurengzeb, dit Fauteur au début du tome V, a été une 
longue tragédie; c'est l'histoire dun homme combattant inutilement 
contre une invisible, mais inexorable destinée; Thistoire du plus formi- 
dable effort humain déjoué par les forces du temps : un énergique règne 
de cinquante ans se termine par une colossale faillite. Et cependant, 
ajoute M. J. S., ce roi fut Tun des plus grands souverains de lAsie par 
son intelligence, son caractère et son esprit d'entreprise.'» Sans doute, 
Aurengzeb eut de grandes qualités et la première moitié de son règne 
constitue pour Tlnde et pour lui-même une admirable période. Mais 
arrivé à 63 ans, le déclin commence, tr L'impitoyable Némésis, comme 
dans la tragédie grecque, suscite contre lui un ennemi sorti du sein même 
de sa famille. Le fils rebelle de Sâb Jahân ne jouira pas longtemps de son 
tnomphe parce qu il lui faut faire face à la révolte de son propre fils 
Muhammad Akbar, en 1681.^ La Némésis n'a rien h voir à l'afTaire; 
Muhammad Akbar impatient de gouverner l'Inde, suit simplement 
rexemj.le que lui a donné son père. Pour employer une expression tri- 
viale, le prince héritier impatient de monter sur le trône, suit la règle 
du jeu oiiental. L'aphorisme : tel père tel fils, ne lut jamais mieux 
adapté aux circonstances. En poursuivant le rebelle chez les Marathes, 
l'empereur est amené dans l'Inde méridionale où il passera les a 6 der- 



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COMPTES RENDUS. 155 

nières années de sa vie. Ce sont alors des campagnes de guerre ininter- 
rompues, victorieuses au début dont douze sièges heureux de 1699 à 
1705 (p. i5), qu'il doit conduire et diriger lui-même. Dune année 
h l'autre , ravagé par les Impériaux et les rebelles, le pays s'épuise; 
le commerce s'arrête; les impôts ne rentrent plus; 1h famine sévil; le 
pillage et le brigandage des uns et des autres entraînent la ruine com- 
plète de l'Inde. Aurengzeb a 80 ans passés en 1700. Le spectre de son 
père détrôné et durement traité par lui-même, l'obsède; mais son extra- 
ordinaii'e énergie le maintient au pouvoir et il mourra sur le trône 
quelques années plus tard, le ao février 1707, après 5o ans de règne, 
âgé de 89 ans. C'est sous son règne, en 1693 , que les Anglais établirent 
leur premier comptoir à Surate; ils étaient déjà au Bengale depuis 
i633. Le chapitre lx (p. 3t 9-358) est consacré aux débuts de la coloni- 
sation anglaise de l'Inde. Le chapitre suivant contient d Intéressants ren- 
seignements sur quelques provinces de l'Inde pendant le règne d'Aureng- 
zeb( Bengale, Malwa, Bundeikhand, Gundwana, Cachemire, Guzerate). 
Le dernier chapitre (p. 473-695) résume ces cinq volumes : M. J. S. 
rappelle le courage et le sang-froid d'Aurengzeb , sa culture étendue et sa 
préparation aux fonctions impériades , sa vie simple , sa moralité et son ab- 
sence de vices. C'est sans doute celte hygiène physique et morale qui lui 
permit de conserver jusqu'à 89 ans presque toutes ses facultés. Mais ce sou- 
verain énergique eut le défaut de ses qualités : il voulut gouverner l'Inde 
personnellement, sans laisser aucune initiative ni à ses gouverneurs ni à 
ses vice-rois; l'extrême centralisation de l'administration paralysait ainsi 
les fonctionnaires provinciaux, civils et militaires, qui ne furent plus 
que des machines attendant leur mise en marche de l'empereur. On 
connaît ailleurs que dans l'Inde les résultats d'une telle politique : un 
grand pays en reste désemparé pour longtemps. 

ff L'empire mogol, dit M. J. S. (p. 679), a fait beaucoup pour l'Inde 
de différentes façons, mais il n'a réussi ni à en faire une nation, ni à 
créer un État fort et durable.» C'est peut-être que la tâche n'est pas 
réalisable. Dans les pages suivantes, l'auteur en donne les raisons : la 
différence entre la manière d'être , le caractère et l'idéal des Hindous et 
des Musulmans rrend toute fusion impossible^ (p. 489): les peuples 
de l'Inde n'ont pas le sens du progrès, ce qui entraîne fatalement leur 
décadence (p. 693). Ces lignes ont été écrites en décembre 1994. Après 
une courte période d'entente, Hindous et Musulmans recommencent à 
se combattre ouvertement. Un siècle et demi de colonisation anglaise 
n'ont pas encore converti à la simple tolérance mutuelle ces frères 
ennemis. Telle est la conclusion d'un historien hindou et les événements 



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156 JANVIER-MARS 1926. 

actuels lai donnent tristement raison. J*ai reçu les confidences d'Hindous 
et de Musulmans de Tlnde : ce ne sont que récriminations de ceux-ci 
contre ceux-là et réciproquement. Les premiers reprochent aux autres 
leur brutalité séculaire; les Musulmans méprisent ces «r coupeurs de 
cheveux en quatre» que Torgueil de caste rend odieux. Et la liste est 
longue des deux côtés de ces incompatibilités de foi , de mœurs et de 
caractère. M. J. S. qui semble impartid, renvoie les parties dos à dos et 
les dédare également responsables de ce désaccord persistant. L'opinion 
d'un savant de Tlnde mérite d'être retenue par les politiques et mora- 
listes d'Europe. 

M. J. S. nous promet un index général des cinq volumes et une com- 
plète bibliographie de ses sources. Qu'il en soit à lavance remercié; 
ce sera l'indispensable complément de son excellent travail. UHistary oj 
Aurangzib est, en effet, à recommander pour ses qualités intrinsèques de 
bonne tenue scientifique , d'utilisation de sources inconnues jusqu'alors 
ou peu connues , pour Timpartiaiité de l'auteur dans l'éloge et le blâme 
vis-à-vis du souverain et des peuples de l'Inde; et son opinion nous in- 
téresse au plus haut degré puisqu'il s'agit de son pays et de son peuple. 
A ce point de vue , son livre sera un document d'importance pour l'his- 
torien d'Europe. Aussi lui devons-nous de la gratitude pour avoir con- 
sacré vingt années h la publication de son Histoire d'Aurengzeb. 

Le légitime succès de celte Histoire a été grand, car l'auleur en 
publie dès maintenant une nouvelle édition, revue, légèrement résumée 
et d'un prix moins élevé que celui de l'édition princeps. Les volumes I 
et II de VHistory of Aurangzib sont réunis en un seul tome de xvui 
H- 634 pages, toujours dans le même format. 

Dans le Journal asiatique d'avril-juin 1929 (p. 9 85), j'ai rendu 
compte de la première édition de Mughal administration. Aux six cha- 
pitres qui composaient cette édition, huit autres ont été ajoutés dans 
cdle-ci sur les sujets suivants : Vil. Les lois et l'administration de la jus- 
tice; VIII. Prérogatives de l'empereur: IX. Le souverain chef de la re- 
ligion; X. Situation de l'aristocratie, XL Industries d'état; XII. Lois 
promulguées par Aurengzeb pour la perception des impôts; XIII. Rè-- 
glements de la chancellerie impériale pour la correspondance ofiicielle: 
XIV, Indications des sources d'informations. Ces heureuses additions 
portent à quatorze le nombre des chapitres de Mughal administration et 
en font un volume entièrement nouveau et toujours plein d'intérêt. 

Gabriel Ferrand. 



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COMPTES RENDUS. 157 

William Irtink. Lâteb Mvgbals edited and augm^nted mth The Histobt of 
Nadir Sbah*s invasion by Jadunath Sarkar, t. II, 1719-1739. — Calcutta, 
M. C. Sarkar and sons; Londres, Luzac and C°, 1923, in-b*, ii-f- 
393 pages avec index pour les deux volumes. 

Pai rendu compte du tome l" dans le Journal asiatique d'avril-juin 
1999, p. 285. Les sept derniers chapitres du travail du regretté Wil- 
liam Irvine traitent des sujets suivants : 

VI. Proclamation le 38 septembre 1719 de Muhammad Sâh alors â^^fë 
de 17 ans sous la tutelle des Say^ids; VIII. Règne de Mohammad Sâh 
do 1790 à 1725; VIII. Les Marathes 9U Guzeral*», carrière de Sivaji^'^; 
IX. Le Bundelkhand et le Malwa; X. Continuation du i-ègne de Mu- 
hammad Sâh, affaires de la cour de 1721 à 1728; les Marathes dans le 
nord de l'Inde, 1782- 1788;. XL Situation intérieure de l'Inde en 1788, 
révolte et progiès de Nadir Sâh; XII. Invasion de Plnde par Nadir Sâh; 
XIII. Nadir Sâh à Dehli et son retour en Perse. Ces tmis derniers cha- 
pitres ont été ajoutés par M. J. S. au travail de VV. Irvine qu'ils com- 
plètent tiès heureusement. On sait que D.hli fut mis à sac par Nadir Sâh. 
Le secrétaire du souverain persan estime le butin à i5 kror de roupies 
(le kwr vaut 10 millions de rou|)ies), mais cttte somme serait très au- 
dessous de la réalité. D'après de bonnes sources, la valeur totale des 
prises s'élèverait plus exactement à 70 kror (p. 871) se divisant ainsi : 

Vaisselle d'or et d'argent et monnaies ZoUror, 

Bijcmx à^i 

Trône du Paon, neuf autres trônes, armes et objets cil 

richis de pierres précieuses ' , . 

Riches produits manufacturés *j 

Artillerie, vivres et meubles U 



70 h'or. 



soit 700 million» de roupies. A cette somme énorme pour l'époque, il faut 
ajouter encore 800 éléphants, 10,000 chevaux, autant de chameaux, et 
leB contnbutions de guerre payées par les commerçants et par le peuple 
qui sont estimées tantôt à 2, tantôt à k Aror (p. 872). 

Nous devons savoir doublement gré à M. J. S. d avoir publié le travail 

'') Sur ce chef marathe, cf. de Jadunath Sarkar, Shivaji and.hn timet 
{iSaj-tÔSo), dont on trouvera un compte rendu dans le Jownal asiatique 
ravril-juin 1921, p. 309-810. 



UKSIR IIATIUIIAI.R. 



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158 JANVIER-MARS 1926. 

posthume de W. Irvine et d'y avoii- ajouté trois chapitres qui le com- 
plètent très utilement. 

Gabriel Ferband. 



Mélanges publiée en l'honneur de M. Paul Boyeb. — Paris, igaô; in-S**, 
Ti-376 pages. Edouard Champion. 

(T Professeur qui a formé des travailleurs, dit M. André Mazon dans 
un court avant-propos, administrateur qui s'est consacré à organiser le 
développement des études slaves dans notre pays, M. Paul Boyer a droit 
à une reconnaissance dont ses amis et ses disciples lui apportent 
aujourd'hui, dans ce recueil d*arlicles, un témoignage beaucoup trop 
faible à leur gré» (p. v). On ne saurait mieux dire et l'éloge est pleine- 
ment justifié. H suffît de reproduire ici la table des matières de ce beau 
florilège pour en montrer toute l'importance : 

A. Mbillet, Le nom indo-européen delà meule; 

J. Vendryes, Le sillon et la frontière; 

M. Grammont, L'accent d'insistance; 

Ch. Bâlly, L'adverbe tout en français moderne; 

H. Cordier; Les débuts des relations des Russes avec l'Extrême- 
Orient; 

L. Lâmoughe. La transformation turque des noms de lieux slaves dans 
les anciennes provinces ottomanes ; 

J. Legras, Note sur un passage du Roman russe; 

Ch. Salohon; V Abécédaire de Tolstoï et Arvède Barine; 

L. EiSENHANN , Conrad von Hôtzendorf et Tisza : un épisode de la po- 
litique yougoslave de l'Autriche-Hongrie durant la guerre (octobre 191 5^ 
avril 1916); 

E. FooRNOL, De l'entrée des Slaves dans l'histoire de la musique; 

M. RoQDES, Sur trois fragments manuscrits de traductions roumaines 
de l'Ancien Testament: 

Ellis H. MiNNS, Saint Cyrill really knew hebrew; 

Jean Deny, Un mot slave emprunté au turc à date ancienne; 

A. Mazon , Le nom du chamir dans la légende vieux-russe de Salomon 
et Kitovras; 

V. P. KoNTCHALOvsKi , Quelques mots sur l'étude des langues vi- 
vantes ; 

L. RéAU, Les relations artistiques entre la France et la Russie; 



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COMPTES RENDUS. 169 

G. Gâuen, Le dëveloppement industriel de la Bulgarie; 

L. Beâulibux, Les rëcenies reformes de Torlhographe bulgare (19^1- 

1928); 

Gh. Qu^NET , Tchaadaev dans la Russie intellectuelle de la première 
moitié du xix' siècle ; 

Pierre Chasles, La difiérenciation des peuples slaves et la rëception 
du christianisme; 

Henriette Neymargk, Proverbes russes; 

F. DoMiNOis, Jozef Miioslav, Hurban, Rieger et Tunitë tchécoslovaque; 
A. Vaillant, Gérondif passé et participe prétérit en -/- en serbo- 
croate ; 

H. Grappin, Vers une altération du type flexionei en polonais; 

Lucien Tesnière , Du traitement t de ë en styrien ; 

Geoi'ges Cuendet, La traduction par explication en vieux-slave; 

Edmond Mendras, Remarques sur le vocabulaire de la révolution 
russe ; 

Antoine Martel, Un point d'histoire du vocabulaire russe : Poccifl, 
PyccKiS ; 

G. DuHéziL, Soukhmanti Odikhmantrevitch , le paladin aux coque- 
licots; 

René Martel , Xavier Marmier, un précurseur ignoré des études slaves 
en France ; 

Abel MiROGLio , La philosophie de Léontiev ; 

Marc Vby, Une préposition composée : ku,gu; 

M. GuiHOHARD, Des systèmes traditionnels de classement des verbes 
russes ; 

Vladimir Jankelevitch, Les thèmes mystiques dans la pensée russe 
contemporaine; 

Jean Fontenoy, De Tadjectif attribut au nominatif avec la copule 

B'blTb , 

L*enseignement de notre confrère Paul Boyer a depuis longtemps 
déjà porté ses fruits : plusieurs de ses anciens élèves devenus des maîtres, 
répandent ici et ailleurs sa méthode et sa doctrine scientiGques. L'école 
qu'il a créée reste, sous sa direction, vivante dans tous les domaines du 
russe et du slavisme. G'est le témoignage manifeste que son activité 
déjà longue a été bienfaisante et qu'elle se poursuit heureusement avec 
éclat. 

Gabriel Ferrand. 



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160 Ji^NVIER-MARS 1926. 

Kalika-Ranjan Qandngo. HiSTORY OF THB Jats , tt Contribution to the Hittory of 
Northern India, wîth a foreword by Jadunath Sarkar; vol. I, to the dealb 
of Mirza Najaf Khan, 1783. — Calcutta, M. G. Sarkar and sons, 19^5, pet. 
in-8^ TU -^ 358 pages. 

La région prioci paiement habitée par les Jats est limitée en gros : au 
Nord, par les basses chaînes de THimalaya; à TOuest, par flndus: au 
Sud, par une ligne s'étendanl de Uayderabad à Ajmiret Bhopal; à l'Est, 
par le Gange. Au delà de Tlndus, vivent quelques Jats h Peshawar, au 
Beloulchistan et même à Touest du «rSuIaiman range n. Enfin, au Ker- 
mân et en Irak, se trouve une population d'environ ao,ooo personnes 
composée de Jats et de Bohémiens mélis&és; 5o,ooo autres résident au 
Mekrân et en Afganislan. 

Doii viennent les Jats? M. Q. rappelle (p. i-a4 et 393-34o) les opi- 
nions courantes dont aucune n'est vraiment décisive. Les premières in- 
formations historiques où il en est question, nous sont fournis par les 
textes musulmans. On les trouvera relevés dans le travail bien connu de 
De Goeje : Mémoire sur les migrations des Tsiganes à travers /M«te(Leyde, 
igo3) dont M. Q. n'a pas eu connaissance et qui lui aurait fourni 
d'utiles indications ^^K 

Ils apparaissent politiquement dans l'histoire de l'Inde sous le règne 
d'Aurengzeb. En 1 669 , outrés par les exactions dont ils étaient victimes, 
les Jats des environs de Dehii se révoltent et entrent en campagne sous 
les ordres d'un des leurs, Gokla. Victorieux d'abord, les rebelles sont 
ensuite écrasés et leur chef lut martyrisé à Agra. Quinze ans après, un 
nouveau chef, Rajaram Jat se met à leur télé, mais il est tué d'un coup 
de mousquet en 168.8. D autres le remplacent (son vieux père Bhajja 
Singh de Sinsani, Churaman Jat (1695-1 7a 1) qui se suicida à cette der- 
nière date). A la mort de celui-ci, Thakur Badan Sing fonde la maison 
princière de Bharatpur que son fils Raja Suraj Mal consolide par ses 
succès contre les troupes impériales. Devenu maître du district de Ma- 
thura, il vient en aide aux Jais de Ballamgarh, fait campagne contre les 
Ruhelas, mais il est ensuite batlu par les Marathes auxquels il dut payer 
60 lahh ( = 6 millions) de roupies pour en obtenir l'évacuation du ler- 
riloirejal(p. 96). Suivent dos campagnes degnerre ou l'ami de la veille 
est l'ennemi du lerdemain et réciproquement, jusqu'à la fameuse défaite 
infligée aux Marathes à Panipat, par les troupes de Ahmad Sâh Dur- 

(*) Jat y persan oL»^ jât est passé en arabe sous la forme L>^ ZoH, prononcée 
à Damas Zatt. Je reprendrai ailleurs cttte question des Jais et de leurs mi- 
grations. 



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COMPTES RENDUS. 161 

rani en 1761. Suraj Mal donna asile aa\ soldats marathes vaincus. 
Ahmad Sâli projelait de punir le Jat de TaMe donnée à ses enn(*mis; 
mais pendant qu'on discutait sur les termes de la soumission qu'avait 
offerte Suraj Mal, ce dernier s'emparait d'Agra après un siège de 
20 jours et emportait 5o Iakh de roupies perçus pendant le pillage de la 
ville; cinq jours avant le départ du Sâh de Dahlijl forçait le kiladar de 
Akbarabad d'ëvacuer le foit et s'y installait (mal 1761). En guise de 
consolation, il versa un îakhde roupies en espèces è l'empereur Ahmad et 
lui signa un billet de cinq autres Iakh payables plus tard , c'est à-dire jamais 
(p. i4/i). Deux ans après, le prince jat livra bataille sur les bonis du 
Hindan (un petit affluent de la Yamuna, à environ 7 Âro« = une dizaine 
de milles anglais) de Dehii, aux Mongols et Béloulchis de NajibuM- 
davvla : il fut tuë le â5 décembre 1768. Raja Suraj Mal, crrœil et la lu- 
mière resplendissante de la tribu des Jats, le plus redoutable prince de 
l'Inde pendant ces quinze dernières années 1), disparaissait à l'âge de 
cinquante-cinq ans , n'ayant accompli que la moitié de sa lâche (p. i53). 

Il avait déshérité l'aîné de ses Gis : Jawahir Singh et indiqué Nahar 
Singh comme prince héritier. Mais celui-là put néanmoins se faire 
reconnaître comme souverain et prit le nom de Maharaja Sawai Jawahir 
Singh Bharatèndra. Il régna quatre ans seulement et fut assassiné en 
juillet 1768, après avoir fait montre de solides qualités militaires et ad- 
ministratives. Son jeune frère Raja Ralan Singh Jat lui succéda pendant 
quelques mois seulement :il fut assassiné par un derviche en avril 1769. 

Le prince héritier Kheri Singh était un enfant. Deux demi-frères de 
Jawahir Singh intriguaient chacun pour obtenir la régence et la guerre 
civile s'ensuivit. Les Marathes alliés aux Musulmans mirent à prolit les 
circonstances pour briser la puissance jat. Ils entrèrent en campagne et 
obtinrent des avantages. Nawal Singh qui fut enfin reconnu régent, 
comprit le danger et signa avec eux un traité de paix par lequel il s'en- 
gageait à payer 65 Iakh de roupies , sans compter les revenus provenant 
des provinces conquises par Najibu'd-dawla et les Marathes, un nazrâna 
on tribut annuel de 1 1 Iakh de roupies aux Marathes et à constituer un 
jàgir ou fief à vie de la valeur de 20 Iakh de roupies en faveur de son 
frère Ranjit Singh (8 septembre 1770, p. 236-287). 

Alors commence la décadence de la maison de Bharatpur. Nawal 
Singh meurt en août 1778 après cinq années de guerre qui épuisent 
lentement les Jats. Raja Ranjit Singh Jat succède à Nawal Singh. Il ré- 
gna de 1776 à i8o5. 

Ici s'arrêlc le tome I" de VHistoire des Jats où l'un des nôtres connu 
sous le litre de Nabab René Madec , joua un rôle fort honorable. M. Q. 



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16'i JAMVIëR-MâRS 1926. 

a consulté toates les sources qui lui ont été accessibles : persanes , ma- 
rathes et françaises. Son livre est bien ordonné , facile à lire malgré la 
complexité des événements. On ne peut que le féliciter d*avoir traité un 
sujet qui n^avait encore tenté personne et qui cependant était plein d'in- 
térêt. Souhaitons que le tome II ne se fasse pas trop attendre. 

Gabrid Fbrrand. 



Bbijendranath Bankrji. Bbgam Samrv, avec une préface du professeur Jadu- 
nath Sarkar. — Calcutta, M. G. Sarkar and sons. 19a 5; pet. in-8^ xv -|~ 
928 pages^ avec 8 planches hors texte; bibliographie des sources, index gé- 
néral. 

Dans la seconde moitié du xym* siècle , Tlnde fat la terre promise 
d'aventuriers européens qui y firent d'extraordinaires carrières au seiwice 
de princes du pays. L un d*eux , un Allemand du nom de Waltber Rein- 
hardt , servit d'abord dans les troupes françaises de Ghandemagor. Après 
la prise de cette ville par les Anglais en 1787, il parcourut le Bengale et 
entra ensuite au service du nawab du Bengale, Mir Kâsim. D*un carac- 
tère triste et maussade, ses camarades français lui avaient donné le so- 
briquet de Sombre dont les Hindous firent Samru et il ne fut plus désigné 
que sous ce dernier nom. rrll adopta, rapporte le major Polier (p. 5), 
les mœurs et coutumes du pays, prit le costume mongol et eut un 
harem. Il parlait couramment et assez correctement persan et arabe». 
Après de nombreuses péripéties, il mourut lé 30 mai 1778. 

En 1765, étant au siège de Dehli qu'assiégeait son maître de l'époque, 
le raja Jat jawafair Singh, il fit la connaissance d'une jeune fille d'origine 
arabe, charmante, de teint exceptionnellement clair et de haute intel- 
ligence qui fit sur lui une telle impression qu'il l'épousa en accomplis- 
sant tous les rites locaux d'un authentique mariage indigène. Gette jeune 
musulmane est connue dans l'histoire sous le nom et )e titre de Begam 
Samru «fia reine Sombrer de Sardhana et c'est l'une des héroïnes de 
l'ancienne Inde. Elle était née vers 1750 et avait donc une quinzaine 
d'années quand elle devint la compagne de Sombre-Reinhardt. 

A la mort de celui-ci — elle avait alors quelque 28 ans — l'em- 
pereur Sâh Alam 11 lui offrit le commandement des troupes qui étaient 
aux ordres de son mari. Elle accepta avec son esprit de décision habi- 
tuel et eut ainsi le statut de princesse régnante indépendante avec une 
armée à ses ordres. Trois ans après, en mai 1781, elle se convertit au 



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COMPTES RENDUS. 163 

catholicisme ainsi que son beau-fils ZaEsur-yab Khan , fils d'une autre 
femme musulmane de Sombre. 

Comme commandant en chef, la Begam fit preuve en maintes circon- 
stances d*un courage héroïque et d'une parfaite entente des opérations 
de guerre auxquelles elle prit part sur le terrain même des hostilités. 

Plus tard, elle avait, comme tous les autres princes de Tlnde, confié 
le commandement de ses armées à des officiers européens. En 1790, 
George Thomas, un Irlandais, était sou général en chef et son con- 
seiller. Sur ces entrefaites, uri jeune Français, Levassoult, entra au ser- 
vice de la reine. Très brave, aimable et bien élevé, il ne tarda pas à se 
faire apprécier. L'inclination que lui montra la fiegam porta ombrage 
à Thomas qui quitta le service vers 179a. Levassoult eut dès lors le 
champ libre. La reine qui, à ko ans passés, était restée belle, Tépousa 
secrètement rrpour ne pas compromettre sa situation d'héritière de 
Sombre, en épousant officiellement quelqu'un qui était au-dessous de 
son rang» (p. 89). Mais i'all'aire s'ébruita et une rébellion s'ensuivit. 
Attaquée par les rebelles, la Begam se donna un coup de poignard plu- 
tôt que de tomber vivante entre leurs mains et s'évanouit. Levassoult qui 
l'accompagnait, la voyant sans connaissance et ses vêlements tachés de 
sang, la crut morte et se suicida. Le jeune Français l'avait tendrement 
aimée. 

Begam Samru demanda ensuite la protection anglaise qui lui fut 
accordée. Ses dernières années se passèrent paisiblement , employées à 
protéger et répandre la religion catholique et à fonder des œuvres d'uti- 
lité publique, même au profit des Hindous et des Musulmans. A la suite 
d'une attaque de fièvre, elle expira doucement au bout de quelques 
jours de maladie, en pleine conscience de son état, le 37 janvier i836. 
Elle était âgée d'environ 86 ans. 

Telle est en résumé (on en trouvera le détail dans le présent livre), 
la longue carrière de cette noble femme qui reste hors de pair dans les 
domaines les plus variés. Elle fut une souveraine et un chef d'armée re- 
marquables; mais elle fut aussi honnête et loyale envers tous, et elle fut 
enfin d'une grande bonté envers tous ceux qui la servirent ou l'appro- 
chèrent. Les témoignages contemporains lui sont unanimement favo- 
rables et vantent à qui mieux mieux son charme et ses grandes qualités. 
Cette grande et noble figure de l'histoire de l'Inde méritait de ne pas 
être oubliée et il faut savoir gré à M. B. B de l'avoir fait revivre. L'au- 
teur a utilisé toutes les sources accessibles : manuscrits marathes, per- 
sans, anglais (p. an et suiv.), et les rares documents publiés qui ont 
trait à la Begaiu Sarara. Sqn liyre constitue une excellente monographie 



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164 JAiNVIER-MARS 1926. 

qui met à sa placr^ dons Thistoire la princesse de Sardhana. On sait enfin 
qu'elle a ëté popularisée par ie roman de Jules Verne : Les cinq millions 
de la Begum. 

Il restp h souhaiter que M. B. B. ne s'arrête pas en si beau chemin et 
continue ses recherches dans une voie ou il a si bien réussi. 

Gabriel FBRRiND. 



G. Wkssbls, Eahlt Jesoit tbaybllbrs en Central Asia, i6o3-ijai, with 
map, iilustralions and index. — La Haye, Martinus Nijhoff, 19214; in-S", 
XTi-344 pages. 

Après une liste des ouvrages cités (p. x-xvi), ce volume contient 
7 chiipitres Cvmsacrés h Bento de Goes (1602-1607), Antonio de An- 
drade (i6*:i4K la mission de Tsaparang (i695-i64o), Francisco de 
Azevedo (i63t-i633), Slephen Cacella et Jean Cabrai (1626-1633)^ 
Jean Grueber et Albert d'Orville (166 1-1 664), et Hippolyte Desideri 
(1714-17*^9). Suivent 5 appendices: I. Texte portugais de la relation 
de voyage de Azevedo, de Agra au Tibet; II. Texte portugais de la 
lettre du P. Eslevâo Cacrila au provincial du Malabar sur son voyage à 
destinalioQ du Catay (elle est datée du 4 octobre 1697); III. Texte 
poitiigais de la lettre de Jean Cabrai datée du 17 juin 1698; IV. Lettre 
en latin du P. Jean Grueber au P. Athanase Kircher à Kome, datée du 
i3 janvier 1670; V. Eulogie en latin sur le P. Jean Grueber. 

Ce livrp présente un grand intérêt. L'auteur, jésuite lui-même, a pu 
consulter d*anriennps publications dont quelques exemplaires seulement 
ont survccu, mais <rla plupart de ses informations, encore inédites, pro- 
viennent d'nn grand nombre de manuscrits qu il a eu la bonne fortune 
d'exhumer des archives de la Compagnie de Jésus (p. vi)»». Chaque cha- 
pitre est suivi (Pun sommaire chronologique détaillé des voyages de cha- 
cun des anciens missionnaires et des manuscrits inédits auxquels sont 
empruntés les renseignements utilisés. D*autre part, les publications 
modernes, jupqu aux plus récentes, ont été mises à contribution pour 
ideutiOer les noms géographiques mentionnés par les anciens mission- 
naires. L'appareil criti({ue est ainsi aussi complet qu*il est possible. 

Je ne vois à signaler que quelques lacunes. A propos de Bento de 
Goes, le chapitre vu, livre V, de la décade XII de Da Asia de Diogo de 
Côuto (p. 494 et sniv. de la petite édition de 1788), est à consulter. 
Noire regretté confrère ie colonel F. M. Esteves Pereira a publié, en 



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COMPTES RENDUS. 165 

1931, une nouvrlle édition de deux lettres de Antonio de Andrade dans 
les publications in-8* de l'Académie des sciences de Lisbonne : «r des- 
cobrimento do Tibet pelo P. Antonio de Andrade da Companbia de Jésus, 
eni 1636, narrado em duas cartas do mosmo religioso; osludo bisl6- 
ricoT) (43 pages d'inlroduclion + p. 44- 1 26 de texle des lettres + p. 127- 
187 de notes avec explication des termes tibétains par M. Sylvain Lévi). 

D'après la note t df la page 63, le P. Wessels,à la suite de H. Cordier 
(Les voyages en Asie au xiv' siècle du bienheureux frère Odoric le Por- 
DENONSy Paris, 1891, in -8*, p. 449 et suiv. [on a imprimé par erreur 
p. 49]), croit qu Odoric de Pordenone a visité le Tibet. Mais M. Berthold 
Laufer a repris la question et justement conclu par la négative ( Was 
Odoric of Pordenone ever in Tibet? dans T'oung pao, t. XV, 1914, 
p. 4o5-4i8). 

P. 36-27 • Age-Hanem est pour Hâjfi, titre des anciens pèlerins de 
la Mekke, et turk ^U. hâtium rr madame i). L^interprétation qui en est 
donnée est exacte à condition de lire princess-pUgrim [to Mekka], 

P. 28, 1. 6 : Yusce, et p. 3i , n. 1 : iusce sont pour chinois yuche ^ 
^, litt. ff pierre de jade»), mais qui désigne quelquefois des pierres 
autres que le jade. 

P. 39, 1. 4, in/ra : Agi-Afis est vraisemblablement pour Hâjjfi Hàfiz. 

P. 66, 1. 21 : Dans Padre Antonio Franguim, le dernier mot désigne 
en effet les Portugais dans Tlode. Il s'agit de Tépithète appliquée par les 
Musulmans aux Francs, c'est-à-dire aux chrétiens d'Europe : frangl 
+ ia finale nasale portugaise. 

Le P. Wessels a rendu un signalé service à nos études en publiant et 
commentant d'importants documents en partie inédits. Il est à désirer 
que les circonstances lui permettent de continuer ses rechei'ches et d'eœ- 
humer, selon sa propre expression, d'autres documents des riches ar- 
chives de la Compagnie de Jésus. 

Gabiiel Ferrand. 



Publications os l^Anjuman-i-taraqqi-b-vrdv. 

On sait que l'ourdou est cultivé dans le Décan an point que dans les 
états du Nizam par exemple, presque tout ce qui s'imprime est dans 
celle langue; l'éducation y est bien plus développée chez les Musul- 
mans que chez les Hindous^ qui forment la masse de la population , mais 
une masse exclusivement rurale. On ne saurait donc s'étonner qu'Au- 
rangabad, la brillante fondation musulmane du xvu* siècle, et la patrie 



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166 JAMVlËa-MAUS 1926. 

de Wali, le créateur de la littérature hindou8tanie, soit le siège d'une 
rr Société pour le progrès de l'ourdou», dont l'activité mérite d'être si- 
gnalée ici. 

Elle publie en premier lieu une revue trimestrielle, Urdu, l'une des 
meUleures revues littéraires de l'Inde; certes elle mériterait iien mieux 
que ses. trois cents abonnements, dont un quart est pris par le ministère 
de l'Instruction publique de Haiderabad. Si l'on parcourt les deux der- 
niers numéros qui nous sont parvenus , on sera frappé du sérieux et de 
la variété des articles; outre les pièces de poésie originales, on y lit des 
articles sur le roman suédois, sur la poésie japonaise, sur les débuts de 
l'Académie française; un article sur la religion de Firdousi; un autre, 
en persan avec traduction ourdoue en regard, sur la littérature persane 
contemporaine; en ce qui concerne l'Inde, une étude sur la Gîtânjalî 
de Tagore (mais ce poète national a été découvert par l'intermédiaire 
(le l'Angleterre : son nom s'écrit Tegorei non Thàkur), et plus particu- 
lièrement au sujet de l'ourdou, la traduction, qui fait partie d'une 
série, d'une leçon de Garcin de Tassy, un article où sont discutées (non 
sans partialité il faut le dire) les statistiques du Linguistic Survey con- 
cernant l'extension de l'hindoustani , et surtout deux articles sur un 
ouvrage inédit important, dont le premier annonce la découverte et 
donne l'analyse; il est dû à M. Abd-ul-Haq, le secrétaire delà Société 
et l'éditeur de la revue, qui est aussi un grammairien, un historien 
de la littérature et un dénicheur de manuscrits : il a découvert à Auran- 
gabad et à Bijapur deux copies d'une œuvre en prose de longue haleine , 
qu'il publiera plus tard : c'est le Sab ras — recueil de contes apparenté 
au célèbre Totâ kaâhni ffGonte du Perroquet» — et qui remonte à la 
seconde moitié du xvu* siècle; or l'histoire de Kerbela de Fazl i*Ali 
Fazlî écrite en lySâ, comptait jusqu'ici pour le plus ancien document 
de la prose ourdoue. 

Une partie importante de la revue est consacrée aux comptes rendus 
de livres ourdous; ils sont souvent développés, et ce qui ajoute à leur 
utilité, ne semblent pas de pure complaisance : ffl'éreintement» n'y 
manque pas. La plupart sont dus à M. Abd-ul-Haq lui-même. 

En outre la société publie une collection de livres, qui compte en ce 
moment une trentaine d ouvrages. Un grand nombre ne nous intéressent 
pas ici : livres de vulgarisation scientifique, traductions d'ouvrages eu- 
ropéens; mais on a plaisir à noter des extraits de Mïr et de Gâlib, les 
rrBons mots des poètes» de Mîr Taqî, l'rr Histoire des poètes ourdous» 
de Mir Hasan, qui est une nouveauté; et des ouvrages grammaticaux 
anciens comme l'ff Océan de l'Élégance» de Insâ, ou nouveaux comme 



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COMPTES RENDUS. ^ 167 

la grammaire oardoae de M. Abd-ui-Haq et le traite de la formation 
des mots de M. Wahiduddîn Salïm. 

Profitons de celle occasion pour signaler une publication utile , venue 
non d'Aurangabad , mais de Haiderabad, M. Mohamed E. Burny (Barnî), 
professeur à IVOsmania University ti , vient de donner la deuxième édi- 
tion de son Anthologie des poètes ourdous ; elle comprend plus de douze 
cents poèmes , d'environ deux cents auteurs ; ils sont répartis en trois 
séries de quatre fascicules chacune , selon les sujets ; ce sont : i " ma'àrij- 
e-miUat ou rrproblems of the community , coosacrés à la religion et à la 
morale; ^'^ jadhât-e-fitrat crnatural feelings and émotions?», la poésie 
pure; S° manàzir-e-qudrat trthe scènes and sights of nature», poésie 
descriptive. 

Jules Bloch. 



LALLivÂKTÂNi , or the wise sayings of Loi Dëd, edited by Sir George A. Gwek- 
soN and Lionel D. Barnett. — London (Asiatic Society Monographs, 
XVII), 1920; viii-aa5 pages in-8°. 

The fford ov Lalla the psophetess , done into English verse and annotated 
by Sir Richard Garnac Temple. — Cambridge, (Jniversity Press, 192/i; 
ziii-aga pages in-8®. 

Hatim's TALES, Kashmirt siories and songz, recorded with the assistance of 
Pandit Govind Kadl by Sir Aurel Stkin and edited by Sir G. A. Grierson. 
— London, JohnMurray, igaS; lxxxvi-5a7 pages in-8°. 

SifAPARiNATAB , apoem in the Kâshmiri language by Krsna Râjânaka (Râzdân), 
with a glots in sanskrit by Mahâmahop. Mukundarâma Sàstri, edited by 
Sir G. A. Gmemo^ {Bibliotheca Indica, n° aa4, igiS-iga^, ix-619 pages 
in-8«). 

A DICTIONARY OF THE Kâshmïrî LAN6UÀGB compUed partly from materials hjl 
by the late Pandit îévara Kaula, by Sir G. A. Grierson. — Part I, 19 lô, 
p. i-x, i-3ia; part II, 1936, p. xi-xviii , 3i3-64o, in-4". 

Si leLinguistie Survey suffit à la gloire d'un homme, celle de M. Grier- 
son ne se borne pas cependant à Tavoir organisé et publié. Sans parier de 
divers travaux particuliers très nombreux et très variés ^^\ on sait que 

(*^ Le dernier en date concerne le moyen-indien : The Prâkrit dhâttt-âdeéas 
aecording to the Western and the Easteim schools of prâkrit grammarian» (Mem. 
As. Soc. Bengal, VIII, -2, p. 77 à 170; 193^). C'est la liste des racines ver- 



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168 JANVIER-MARS 1926. 

M. Grierson est un initiateur et un spécialiste sur plusieurs terrains. En . 
particulier il y a longtemps* qu'il s attache k Tëtude de la langue parlée 
dans la vallée du Cachemire, parlée par deux millions d'hommes seule- 
mpnt;mais son intérêt dépnsse de beaucoup ce que la proportion numé- 
rique ferait supposer. Sa constitution, voisine de celle des langues indo- 
aryennes de THindoustan , en diffère cependant de façon notable; de plus 
ses caractères particuliers se retrouvent, et souvent plus marqués, dans 
les dialectes des pays proches du Cachemire : et ceci pose un problème 
historique spécial. Mais avant de donner des solutions à ce problème, il 
fallait connaître les faits : et dès 1896 M. Grierson, prenant la suite de 
Burkhard, publie quelques articles grammaticaux en s'appuyant sur le 
travail du pandit Içvar Kaul. Pendant dix ans il médite le Kashmiri Ma- 
nuat, paru en 1911 h la Ciarendon Press, et qui est une merveille de 
sobriété et de clarté. Dans Tintervalle il donne dans les Piiàca languageê 
(1906)868 conclusions sur le classement et l'histoire du groupe entier, 
et prépare le volume rrdarde» du Linguistic Survey (paru avec la date 
de 1919). 

Au moment où ce volume paraît, il n'y a de texte publié à l'euro- 
péenne que le Yusufel Zuiaikbade Burkhard. Parallèlement k ses éludes 
grammaticales et linguistiques , M. Grierson entreprend l'édition de textes : 
de là de nouvelles publications dont ces dernières années ont marqué 
l'achèvement. 

Les Lallâvâkyâni n'ont plus à être annoncés. Mais l'édition de M. Grier- 
son (avec la collaboration de M. Barnelt pour la partie philosophique) n 
servi de base au livre récent de M. Richard Temple. Les strophes où la 
femme ascète et poète a exprimé au xiv' siècle la religion çivaïte du Ca- 
chemire sous sa forme vivante, sont restées l'expression la plus popu- 
laire de la sapience aujourd'hui encore; le grand counaisseur des choses 
indiennes qu'est réditeur de VIndian Antiquary apensé qu'accompagnées 
d'un commentaire approprié , elles pouvaient être portées hors des fron- 
tières du Cachemire et môme de l'Inde, et donner au public non spécia- 
lisé une idée du contenu de la pensée hindoue. 11 a mis en vers anglais 
les rrdits de Grand' mère Lal^i, en les faisant précéder chaque fois d'un 
commentaire explicatif et en les complétant non seulement par un index 



baies du prâkrit que les grammairiens considèrent comme ne dérivant pas du 
sanskrit ou dont le sens a dévié depuis le sanskrit. Elles sont rangées ici 
d'après le type sanskrit et d'après ia forme prâkrite. L'objet de la publication 
est de faire apparaître ta variété des théories des grammairiens hindous et leur 
groupement en écoles. 



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COMPTES RENDUS. 169 

copieux et par un glossaire, mais par une longue introduction destinée 
à décrire Talmosphère intellecluelleoii se mouvait Lailâ — ce qui revient 
à donner un tableau complet de Tbindouisme — et è analyser le système 
|)biiosophique dont elle était nourrie. Il faut rendre bommage à Thabi- 
leté dont Sir R. Temple a fait preuve dans ce travail ; il est permis de 
rappeler avec lui ce qu'il doit è ses devanciers. 

Après les poèmes de Lai ded, les histoires de Hâtim. M. Stein, dont 
la curiosité ne sVst jamais bornée aux antiquités, profite en 1896 (c*est 
l'époque décisive pour les études cachemiriennes) d'un séjour en mon- 
tagne pour se faire raconter des histoires par un paysan qui est en même 
temps un conteur professionnel. M. Stein, qui nous fait un tableau 
charmant de ses entrevues avec Hatim, expose en même temps les ga- 
ranties d'exactitude de son édition : d'une part la précison delà mémoire 
du conteur, capable de reproduire à quatorze ans de distance un texte avec 
une fidélité littérale; d'autre part les deux transcriptions faites indépen- 
damment, en alphabet latin par M. Stein lui-même, en alphabet indigène 
par le pandit Govind Kaul (à qui M. Slein consacre une belle nécro- 
logie). Ces matériaux restent à Oxford, jusquau jour oii M. Grierson en 
reconnaît l'intéiêt et se charge de les publier; il donne les deux éditions 
côte à côte, celle du phonéticien et celle du pandit; avec chaque édition, 
un index séparé; avec chaque texte une traduction, courante pour l'un , 
juxtalinéaire pour l'autre; enfin un vocabulaire général, avec explications 
et renvois aux textes. Ce n'est pas tout : un appendice, dû à M. W. Crooke 
fournit un certain nombre de parallèles tires du folk-lore; M. Grierson 
lui-même consacre une quarantaine de pages à la langue des contes; en- 
fin M. Stein ajoute encore une note sur la métrique des chansons (il la 
décrit comme fondée sur le nombre des accents d'intensité et sur la 
rime, comportant d*ailleurs un certain laisser-aller). 

Grâce à ces deux publications, l'étudiant peut aborder facilement — 
presque trop facilement — l'étude appliquée des textes étendus. Il sera 
davantage livré à lui-même dans la lecture d'un poème d'un genre plus 
relevé, moins amusant aussi, le Sivaparinaya composé au xix* siècle par 
Krsna Râzdân, et dont la publication vient de s'achever. Ici, sauf les 
têtes de chapitres en anglais et une traduction mot à mot en sanskrit 
placée en regard du texte, le lecteur n'a aucun secours. 

Le pandit Mukundarâra SSstri qui a préparé cette traduction — et 
qui a dû frémir à l'aspect incohérent que M. Grierson lui a volontaire- 
ment donné, sacriGaut le stjle à la commodité de Tétudiant — est mort 
avant la fin du travail, comme Govmd Kaul est mort avant d'avoir vu 
paraître les Hatim's taies. Ni l'un m l'autre ne veriont donc — pas plus 



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170 JANVÏER-MARS 1926. 

que Içvar Kaul, qui en a été fiuitiateur — la fio du dictionoaire dont 
il reste à dire un mot , et auquel ils ont collaboré. 

Le premier volume de ce dictionnaire, date de 1916, est en réalité 
postérieur au volume » darde 'j du Linguistic Survey, où il n'est pas 
mentionné; le second volume vient de paraître et conduit jusqu'au mot 
nûn. C'est une œuvre monumentale , et sans doute le plus beau diction- 
naire existant d'une vernaculaire indienne. Il décrit à peu près exclusi- 
vement la langue moderne. Aux fiches des pandits, M. Grierson a ajouté 
ce qui se trouvait dans les vocabulaires et les recueils de proverbes exis- 
tants, dans les textes publiés par Burkhard et par lui-même; enûn le 
résultat du dépouillement de deux poèmes du xvni' siècle; ce qu'il y a 
de plus vieux, ce sont les archaïsmes de Lai ded : mais ce sont plutôt 
des vulgarismes que des antiquités. 

Le kaçmiri s'écrit soit en caractères arabes , soit en caractères çâradâ 
ou devanfigarî; la première transcription est constante, mais imprécise; 
la seconde suit davantage la réalité , mais elle est extrêmement instable. 
M. Grierson s'est résolu à adopter l'alphabet européen et à en suivre 
Tordre , du moins pour les consonnes qui sont l'élément le plus stable 
et le plus caractéristique ; les voyelles ne viennent qu'en second ; la tran- 
scription des pandits accompagne du reste régulièrement celle en alpha- 
bet latin. Outre la prononciation et le sens fondamental des mots, les ar- 
ticles donnent une grande richesse de détails sur les expressions où ils 
paraissent, avec des définitions très explicites. Ajoutons que la typogra- 
phie est d'une remarquable clarté. 

On remarquera que dans tout cela il n'est question ni d'histoire (on a 
vu pourquoi), ni d'étymologie. Plus qu'aucun autre, M. Grierson était 
en état , sinon d'expliquer tout le vocabulaire , au moins de l'éclairer en 
le comparant, soit aux autres dialectes frdardrsT), soit au sanskrit et aux 
langues de l'Hindoustan. Sans doute a-t-il pensé que le moment n'était 
pas encore venu , et qu'on ne peut guère aller an delà des règles et des 
équivalences qu'il a lui-même posées ailleurs. 

Peut-être sur un point aurait-on pu souhaiter quelques indications 
de plus. La population du Cachemire comprend plus de neuf musul- 
mans contre un hindou ; et l'on sait quelles conséquences cela comporte 
pour le vocabulaire. M. Grierson a renversé la proportion dans son dic- 
tionnaire, et puisque ce qui est proprement musulman est en réalité du 
persan, il a parfaitement raison. Mais le Survey nous avertit (p. s 36 
n. 1) qu'il y a entre les deux groupes des différences régulières de pro- 
nonciation. Or, pour reprendre les exemples cités dans le Survey, le dic- 
tionnaire donne bien bônth et brônth, gângal et gràngal comme des 



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COMPTES RENDUS. 171 

formes équivalentes, mais il est muet sur leur répartition, et la disposi- 
tion des artides n est pas systématique : dans un cas l'article principal 
est brônth, dans Tautre gângaL Même si les indications précises sur 
cet ordre de faits étaient rares, ne pouvaient-elles trouver place dans le 
dictionnaire quand elles étaient sûres? Sans doute les Gches des pandits 
n'en disaient rien ; nous aurions été reconnaissants à M. Grierson d'un 
peu moins de modestie. 

Jules Bloch. 



JatarIm Kati. ParnàlaparvataqrahanIkhtâna marâlhi bhasantara saha. — 
Pouna, i845 çaka; 8-5 o pages in-8*. 

Ce poème sanskrit en cinq chants, qui font environ 35o çiokas, cé- 
lèbre deux épisodes des guerres de Sivaji , la prise de Panhala par Sivaji 
lui-même, et la victoire remportée à Umrani un mois plus tard par ses 
généraux sur le roi de Bijapur. Les autres chroniques donnent très peu 
de détails sur ces deux événements ; M. S. M. Divekar, qui édite l'œuvre 
de Jayaram, en donne dans sa préface marathe un résumé qui forme en 
soi un récit dans la bonne tradition classique, précis et animé; il réserve 
pour d'autres publications la critique proprement historique. 

La partie la plus intéressante du poème est peut-être le début, et par 
les indications précises qu'il fournit sur le poète , et par sa mise en scène 
curieuse. Celui à qui il s'adresse est eka eva mahipatih, c'est-à-dire Ekoji 
ou Venkoji, le demi-frère plus jeune de Sivaji, qui réside dans le Sud, 
peut-être déjà à Tanjore. Le poète lui propose de reprendre pour lui le 
récit des exploits de Sivaji qu'il a fait déjà à Vengurla devant Sivaji lui- 
même. Mais Ekoji en connaît le commencement, et ne s'intéresse qu'aux 
trois dernières années. Sur quoi le poète se vante de composer en douze 
langues; il a débuté par le marathe; puis iï a célébré le second sac de 
Suraie {i^'jo) haindava mâkâràstra bhàsâyugmena; de même [mahârâs- 
trahindusthânabhàvena vai \ bhâsàyugmena) la prise de Karanja et cdle de 
Bhagalpur; puis il énumère — sans mentionner d'autres langues — 
une série d'autres forts occupés par les Mogols (tâmraih)... Ici en- 
core Venkoji l'arrête et demande à ouïr seulement la prise de Panhala 
(1673). Le poète entame ce récit au chant 11, en demandant pardon 
pour l'imperfection de ses œuvres antérieures et en choisissant le sans- 
krit comme la plus difficile des douze langues qu'il pratique, et dont il 
n'a pas donné la liste : 

tatrâpi samskrtaih kàvyam kartavyam tvatidurghalam. 



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172 JANVIER-MARS 1926. 

Le premier personnage qui apparaît dans le rëcit est comme il convient 
un étie de niveau quelque peu surliumaîn : cest le souverain de Dt^lln. 
Mais au lieu de prononcer un discours à la manière épique, il écrit à ses 
généraux: cet emploi des lettres rappelle Tusage des cliroui:iues marathes 
en prose de la même époque. 

Jayaram est en eflet bien à sa place parmi les bardes attachés à la 
personne des princes qu il chante. 11 y a plus : comme M. Divekar le fait 
observer, dans celte sorte de préface Venkoji parle de son «r frère atnén 
avec respect ; or la brouille entre les deux frères date au couronnement 
de Sivaji (1676) et le poème doit donc suivre à quelques mois près les 
événements qu'il raconte. 

Le texte sanskrit est accompagné d une traduction en marathe, due à 
M. R. D. Desai. 

Jules Bloch. 



Sted Nawab Ali and Gh. N. Seddon. The supplément to the MiRAT-i-AHUEm , 
translated from the Persian of Ali Muhammad Khan. — Baroda (Ëduca- 
tion departmenl), 1996; s-xit-955 pages in-8°. 

Ah Muhammad Khan, diwan de la province de Guzrate an moment 
des invasions marathes, occupait les loisirs que lui laissait cette épaque 
troublée à rédiger, eu coiliiburation avec un Hindou, une description de 
sa province. Le livre, terminé vers 1 760 , contient d'abord une partie his- 
torique, qui n'est guère qu'une compilation, ensuite un supplément, qui 
est une œuvre originale, et que pour celte raison M. Seddon a préféré 
traduire et publier (le texte persan est sons presse) en premier. 

Il débute par Thistoire de la fondation d'Ahmednbad, la description de 
la ville, de ses quartiers et de ses faubourgs, avec leurs jardins et leurs 
réservoirs. I^ second chapitre, de beaucoup le plus long, dnnne la liste 
des tombeaux des saints musulmans (en grande partie sou fis) en m^me 
temps que leur histoire, ignorée sans doute de la plupart des pèlerins 
qui visitent annuellement ces tombeaux. Viennent ensuite une liste 
détadlée des dillérentes castes (ffmusidmansw proprement dits, et 
«rbobrai» ou convertis, p. lai-ia/i: hindous, p. laA-iSA) et une 
description d<'s lieux sacrés du brahmanisme, bien plus courte que celle 
des lombes musulmanes. Les chapitres m à vi di nnent le tableau ad- 
ministraiif de la province. Dans le dernier chapitre on trouve d'abord 
la liste des 97 ports de grande navigation et des kh hara ou ports pour 
petits bateaux; celle des rivières; celle des montagnes; enQn celle des 



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COMPTES RENDUS. 173 

tr curiosités t) du pays où à côté de renseignements sur lès mines ou la 
pèche des peries se mêlent des histoires d'anneaux magiques, de pois- 
sons fondant au soleil, etc. 

On voit que dans ce livre au plan un peu déconcertant et sinueux 
A\i Mubammad a fouini une sorte de GazcUeer, plein de détails précis, 
difficiles à retrouver ailleurs, sur la vie d'une province florissante et sur 
l'histoire musulmane de Tlnde. 

Jules Blocb. 



K. A. G. Grbswell. The origin of tbb cbociform plan of Caiiœnb Madba- 
SAS. — Institut français, Le Caire, 193 a-, in-6% lâ planches. 

Id. AecbjBOLogical rbsbarchbs AT TBB ciTADBL OF Cairo, — Institut fraoçais. 
Le Caire, 193^; in-/i% 3o planches. 

M. Cresv\rell dans une étude importante qu'il a extraite du Bulletin de 
l'Institut du Caire, t. XXI, a repris la discussion d'une question d'archéo»- 
logie et d'étude architecturale que Max van Berchem avait jadis sou- 
mise à une sagace et profonde analyse {Corpus des inscriptions arabes, 
1. 1, p. s 5 /i), celle de Toriginedu plan cruciforme dans les madrasns du 
Caire. Ces écoles, qu'on voit apparaître en Perse dès le xi* siècle à Nicha- 
pur, puis sous les Seldjukides, s'implantent ensuite en Syrie et en Egypte 
avec Nûr-ad-din et Saladin, mais c'est (U Igypte, selon van Beix'hem, 
qu'on y voit apparaître en pleine application le plan cruciforme. Son 
origine syrienne avait été déjà aflirpiée par Stanley Lane Pool, approuvée 
par Marçais et par Saladin. 

M. Cresv^ell la conteste d'après des études poursuivies par lui en 
Syrie en 1919, portant sur huit madrasas, éditiées antérieurement à 
1S70, qui l'amènent à affirmer qu'aucune madrasa à 6 liwans n'avait 
existé en Syrie, et que la première qui ait présenté un plan cruciforme 
se rencontre en Egypte, et y fut originale; c'est la Nc(8iri}a, avec ses 
quatre bras consacrés aux quatre rites différents, et que Mohammed an- 
Nasirvit teiwinéeen 708/1 3o/i. Ce, sur quoi, dit M. Creswell, Max van 
Berchem était lonihé d'accord avec lui, au cours d'une de leurs dernières 
rencontres au Caire. 

11 est fort heureux que la guerre de 191^1 qni avait amené militaire- 
ment M. Cies^ieli en Palestine, l'ait déterminé à l'armistice h se fixer en 
Egypte. 11 y a apporté une cunobilé tt une activité de travail extraordi- 
naires. 

En 1919 le Bulletin de l'Institut français, t. XVI, publiait i4 brief 

CCYIII. 1 9. 



mPKIIlBIUK BATtO-tALC. 



i I 



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\7à JANVIER-MARS 1926. 

çhronology of ihe muhammadan monuments of Egypi , qaiestunclassenieiil 
ordonné et discuté, qui rend les plus grands services. L'intérêt avec 
lequel le roi d'Egypte a suivi ses recherches h la citadelle du Caire, où 
sa subtilité lui a fait découvrir, sans grands travaux, des ensembles d'ar- 
chitecture remarquables , depuis longtemps ignorés sous les déblais qui 
les avaient recouverts, a facilité la publication des Archœologicalresearches 
ai the citadel of Cairo {Bulletin de V Institut français , t. XXIII). 

Le grand travail que M. Greswell prépare, avec la collaboration de M. S. 
Flury, sur les monuments fatimîdes du Caire, les découvertes étonnantes 
faites aux mosquées d'el-Azhar et d al-Hakem , étayées par une documen- 
tation photographique considérable et parfaite , sera un grand événement 
prochain. 

Gaston Migeon. 



Laurence Binton, Uart asiatique au British Muséum {sculpture et pei»- 
TURs); Ar$ Asiatica, vol. VL — Van Oest, 1925 ; in-4* jësus, 7 4 pages, 
64 planches hors texte. 

M. Laurence Binyon, conservateur au British Muséum, signale dans 
rintroduction de ce VI' volume A'Ars Asiatica les richesses et les la- 
cunes des collections dont il a la charge et fait l'historique de leur for- 
mation. 

L'ouvrage présente plus de cent spécimens, admirablement repro- 
duits, choisis dans la sculpture indienne et chinoise, l'art bactrien, la 
peinture chinoise, japonaise, tibétaine, coréenne, persane, indienne 
(écoles mogole et rajpoutes), siamoise et birmane. Ces œuvres sont 
commentées utilement. 

Marcelle Lâlou. 



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^r f 



SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 



SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1925. 

La 8ëance est ouverte à 5 heures, sous la présidence de M. Sbrart. 

Étaient présents : 

MM. HuÂRT et S. Livi, vic&frésidenti; M"* de Wilhan-Grabowska; 
fti"*' Galland , HoHBURQER , LmossiER , Meyer ; MM. Bagchi, Benveniste, 
BéRiDz^, BouYAT, A.-M. BoYER, Gabaton, Chatterji, Coedès, Deia- 
fosse, Deny, Ferrand^de Genouillac, Grousset, Hadjibeyli, Madroi^le, 
Margouliès, h. Maspero, Masson-Oursel, Meillet, Minorsky, Nicolas, 
NiKrriNE, Pelliot, Pinasseau, Polain, Rappoport, Sidersky, Vosy-Boorbon, 
membres; Thdread-Dangin, iecrétaire. 

Assemblée générale. 

Le quorum n*ayant pas été atteint à l'assemblée du ii juin, les 
membres de la Société étaient de nouveau convoqués en assembléie jgféné- 
rale , à Teffet de fixer le montant de la cotisation. 

Sur la proposition du président , rassemblée prend à Tunanimité les 
décisions suivantes : 

La cotisation annuelle est de lao francs; elle est réduite à 6 o francs 
pour les pays à change déprécié dont le bureau est chargé de dresser la 
liste; le rachat des cotisations est suspendu jusqu'à nouvelle décision de 
rassemblée générale. L'assemblée donne en oulre pleins pouvoirs à 
M. Gabriel Ferrand de toucher toutes sommes allouées à la Société ou 
qui pourraient lui être allouées à Tavenir et d'en donner quittance. 



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,t76 JANVIER-MARS 1926. 



Séance mensuelle. 
Le procès-verbal de ia séance du 8 mal est la et adopté. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. G.-S. Colin , présenté par MM. Gaudefbot-Demohbtnes et Ferrand; 
G. DoiN, présenté par MM. Senart el Ferrand; 
J. H. Leiboyitch, présenté par MM. Hdart et Thureau-Dangin; 
P. Sbath, présenté par MM. Massignon et Bodyat; 
E. Takaîchvili, présenté par MM. Hdart et Thureau-Dangin ; 
Tarkhan Bek Baranowskt, présenté par MM. Hadjibeyu et 

BOUVAT. 

M. LE Président annonce la mort de M. Maître , conservateur adjoint 
du Musée Guimet, ancien directeur de l'Ecole d'Eitréme-Orient, et rap- 
pelle les services rendus à lorientalisme par ce très regretté confrère. 

La Société a paiement |)er<lu M. Adolphe Cattaui Bet, secrétaire gé> 
néral de la Société royale de Géographie du Caire et délégué de TEgypte 
aux fêtes de notre centenaire. 

M. Ferrand fait Téloge de M. Léopold de Saussure , récemment décédé, 
et de ses travaux. 

Diverses publications sont offertes par MM. Huart, Delafosse et Si- 

DERSKY. 

Les membres de la Commission du Journal sont réélus. 

M. Delafosse étudie Torigine des noms de monnaies usitées au Sou- 
dan. 

Observations de M. IIuart. 

M. Coedès fait une communication à propos du Tdmbralinga. 
Observations de MM. S. Léyi et Pelliot. 

La séance est levée à 6 heures i/a. 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 177 

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL. 
SUR L'ORIGINE DES NOMS DE MONNAIES USITES AU SOUDAN. 

Les monnaies en usage chez les Noirs de TAfrique sont très variées. 
Les unes sont des objets d*édiange ayant une valeur intrinsèque et 
pouvant être employés autrement que comme monnaies (barres de sel, 
télés de tabac, pièces d'étoffe, grains de corail, etc.); d'autres sont des 
monnaies proprement dites à valeur convenlionnelle; d'autres encore ne 
servent qu'à établir les comptes ou chiffrer les valeurs (barre de ((*r, 
gallon d'huile, pied de bétail, etc.). Je ne m'occuperai pas ici des ar- 
ticles d^écliange , non plus que des monnaies de compte et d'évaluation. 
Je laisserai également de côté les diverses monnaies, métalliques pour 
la plupart, qui sont fabriquées par des artisans locaux et ont cours sur- 
tout parmi les populations de la grande forêt et de la zone équatoriale 
(pioches ou lames de fer, anneaux de cuivre, etc.). 

Je m'en tiendrai aux monnaies usitées le plus généralement parmi les 
populations de la région dite soudanaise, c'est-à-dire comprise, dans 300 
ensemble, entre la forêt équatoriale et le Sahara. Ces monnaies sont de 
trois types : les cauries (ou cauris), la poudre d'or et les pièces d'argent 
ou de bronze introduites par i^s Européens. 

Ces pièces sont actuellement (1995) remplacées en grande partie par 
des billets ou jetons provisoires, mais les noms qu'elles portaient ont été 
maintenus pour désigner leur valeur. 



Cauries, — Les cauries, ces petits coquillages blancs uni valves {Cy- 
prœa moneta), originaires de l'océan Indien et particuUèrement des îles 
Maldives, ont servi longtemps de monnaie dans l'Ëxirême-Orient avant 
de jouer le même rôle dans l'Inde. Us ont vraisemblablement été im- 
portés sur la côte orientale d'Afrique par les marchands hindous, per- 
sans et arabes qui allaient commercer au pays des Zendj ou Zeng , c'est- 
à-dire des nègres. A de certaines époques, ils y ont été apportés aussi 
à pleins navires, par des Européens — des Portugais principalement — 
qui les achetaient à bas prix dans leurs établissements de l'Inde où il<? 
n'avaient plus cours et les revendaient avec bénéfice dans les escales de 
la côte orientale d'Afrique. 



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178 JANVIER-MARS 1926. 

C'est avec le nom qu'ils portent en bengali (kauri) que ces coquil- 
lages ont passe en Afrique. Ce nom se retrouve sans changement en 
souahili. 

Peu à peu et de proche en proche, ils ont gagné vers l'Ouest, augmen- 
tant de valeur à mesure qu'ils s'éloignaient de leur point d'origine. 
Actuellement, on les rencontre depuis l'océan Indien jusqu'à l'Atianlâque. 
Mais , alors qu'ils ne sont plus que des objets de parure dans l'Afrique 
orientale, qu'ils ne constituent qu'une monnaie fort dépréciée dans 
l'Afrique centrale (en Nigeria^ ils étaient en 1918 au taux moyen de 
6,000, 5,000 ou A, 000 pour 1 shilling; au Dahomey, de 6,000 pour 
1 franc )^ ils sont encore employés couramment, pour les menus 
achats, sur les marchés du Soudan occidental, où ils valaient en 1918, 
selon les régions, 1 franc les 1,000 (Haute-Volta et haute Côte d'Ivoire), 
1 franc les 800 (pays bambara) et 1 franc les 600 (pays malinké du 
Haut-Sénégal et de la Haute-Gambie). Us sont de plus en plus rares à 
mesure que l'on s'approche de l'Atlantique et leur valeur est de plus «n 
plus grande à mesure que l'on s'avance davantage vers l'Ouest. 

Le mot kauri ne semble pas avoir pénétré au delà du bief Nord-Sud 
du Niger, au moins pour désigner les cauries. Mais à Test de ce bief, 
en pleine Afrique centrale, on le retrouve — ou du moins on retrouve 
le radical qui lui a donné naissance — dans les pays de langue haoussa 
et dans les régions où cette langue sert d'idiome commercial. Il existe 
en haoussa trois mots différents pom* désigner les cauries : l'un (wuri), 
qui est employé pour le compte de la monnaie, provient probablement 
de la chute de la première syllabe de kauri, considérée comme préfixe 
accessoire ; toutefois , il semblerait également permis de rapprocher cette 
forme wuri du nom arabe du caurie {wada slly) et surtout du dimi- 
nutif usité dans r Afrique du Nord(a7tM^a Ma^.^^, en arabe parié); le 
deuxième (kurdi), qui est employé comme collectif, avec le sens de 
notre expression ffde l'argent?», peut aussi se rattacher à kauri, à moins 
qu'il ne faille le rapporter à la même source que le surdi de l'Algérie 
(latin solidum, italien solda, français crsoun); le troisième enfin [kawara 
ou alkawara), dont on se sert pour désigner l'unité (un caurie), rap- 
pelle, soit une sorte de pluriel arabisé de kauri, soit plutôt la forme 
arabisée kauda {ïSp) ou, précédée de l'article, alkauda, 

A l'ouest du bief Nord-Sud du Niger, on désigne en général les 
cauries par le mot indigène signifiant «r coquillage», par exemple akwe 
en dahoméen, kolo en mandingue , «te. Cependant il se pourrait que, 
dans le mot wôri ou wàri, qui sert actuellement eu inundiogue 'à -dési^ 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 179 

goer l'argent (métal ou monnaie), il convienne de retrouver le wuri du 

Ixaoussa ou tout au moins une origine analogue, mais rien n'est moins 

certain. 

Là où (rcaurie?) se traduit par le nom indigène du (r coquillage», on 

ne se sert de ce dernier que comme nom d'unitë ou comme collectif. 

Pour désigner un nombre déterminé de cauries , constituant une valeur 
de compte, on fait usage d'expressions spéciales, dans lesquelles le mot 
correspondant à rrcaurien n'est pas mentionné; ces expressions, toutes 
indigènes , varient selon la valeur à représenter. Toutes les valeurs sont 
à base de cinq cauries. Pour compter, on dispose les coquillages par 
petits tas de 5; â tas de 5, réunis, forment un tas de lo; 2 tas 
de 10 , mis ensemble, forment un tas de so ; 5 tas de âo font un tas de 
100; 10 tas de 90 font un tas de 900. Chacun de ces tas (de 5, de 10, 
de 90 , de 900) constitue une unité de compte et porte un nom spécial : 
en mandingue, le tas de 5 cauries ou sa valeur se dit daba-deh (enfapt 
de daba); le tas de 10 cauries s'appelle daba, c'est-à-dire «houeî), la 
valeur d'un fer de houe, qui servait d'unité monétaire avant l'introduc- 
tion des cauries, ayant été, lors de cette introduction, identifiée à 
10 cauries (depuis, les cauries ayant été dépréciés en raison de leur 
abondance, la valeur d'un fer de houe, exprimée en cauries, s'est plus 
que centuplée, mais le nom de la houe a continué à désigner 10 cauries) ; 
le tas de 90 cauries ou sa valeur se dit toko, d'un mot que les indigènes 
assurent être une légère déformation phonétique de té-ko «rprix d'un 
repas» [httéralement : affaire (ko) de pâte alimentaire (tJ)]; le tas de 
100 cauries ou sa valeur, représentant en 1918 10 centimes dans la 
haute Côte d'Ivoire, se dit dabor-tà (10 houes); enfin le tas de 900 cauries 
ou sa valeur se dit sira, c'est-à-dire rr chemin, route», parce que la taxe 
à payer par un étranger pour se faire ouvrir la route du pays à traverser 
était fixée autrefois à 900 cauries. 

Ces expressions ont pris la valeur de 5, 10, 90, 100 ou 900 unités 
monétaires, quelle que soit la nature de celles-ci , et l'on en fait couram- 
ment usage pour évaluer des sommes en monnaie frarï^aise. Par exemple, 
l'unité monétaire étant au Soudan la pièce de 5 francs et non le franc, 
une somme de 100 francs — c'est-à-dire 90 pièces de 5 firancs — se 
dit wun toAo», exactement comme 90 cauries, et 1,000 francs, c'est-à- 
dire 900 unités de compte à 5 francs l'unité, se dit «run «ra», tout 
comme 900 cauries. 11 suffit, pour s'y reconnaître, de savoir s'il est 
question de cauries ou de monnaie française, et ce procédé est extrê- 
mement commode pour traduire rapidement l'énoncé d'une somme 
élevée exprimée en fiancs, bt?auconp plus commode que la méthode qui 



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180 JAISVLËR.MAR8 1925. 

consiste à diviser cette somme par 5 et h l'exprimer ensuife en pièces de 
5 (rancs. 



Poudre d'or, — I^ poudre d'or, assez dt^daignée comme monnaie 
depuis l'introduction de pièces métalliques ou de billets d'origine euro- 
péenne, était encore couramment employée il y a une trentaine d'années. 
Les valeurs se décomptiient au poids et tous les marchands, ainsi que 
beaucoup de simples clienis, avaient chacun sa petite balance, h fléau 
et à plateaux en cuivre, et sa série de poids, ou ses séries, car on en 
possédait généralement deux, une pour les achats et une autre pour les 
ventes. Ces poids sont en cuivre, tantôt de fabrication locale, tantôt 
d'importation ; les petites valeurs sont pesées au moyen de graines végé- 
tales déterminées. 

Dans le Soudan, l'unité de poids adoptée est le frgrosn, avec son nom 
arabe {mithâl DUL) plus ou moins déformé : metikâle, mutukâle, mih- 
kàle, etc. Plus rarement, on fait usage de l'once, désignée aussi par son 
nom arabe {^ûkiyya J^\) habituellement prononcé wakiya. 

Mais plus au Sud, dans les régions d'où l'on extrait Tor et dans les 
provinces limitrophes, les unités de poids sont beaucoup plus nom- 
breuses et portent toutes des noms indigènes. Les principales, à la Côle 
d'Or et à la (iôie d'Ivoire, ainsi que dans les pnys qui sont en relations 
d affaires avec ces contrées, sont : le taku (o gr. i6), Vake (a gr.), le 
tra (7 gr.), le bari (9 gr.), le tya (12 gr.), Vanûi (i3 gr.), Vanâ 
(16 gr.), ïatakpi (36 gr.) et le to (5a gr.). Chacune de ces unités a 
ses fractions et ses multiples. Plusieurs de ces mots ont été utilisés , lors 
de l'introduction des monnaies européennes, pour désigner certaines de 
ces monnaies, au taux approximatif de 3 franco le gramme de poudire 
d'or : la pièce de 5o centimes, notamment, est souvent appelée taku. 

Quant au nom de l'or lui-même , il se présente le plus souvent sous l'es- 
pèce d'un mot d'origine indigène, appartenant à une racine négro-afri- 
cainc, très répandue, qui exprime l'idée de r pureté». Peut-être con- 
sidère-t-on l'or comme le métal pur par excellence; peut-être au contraii*e 
l'idJe de pureté est- elle évoquée par la mention de l'or et le nom donné 
à ce mêlai a-t-il été emprunté pour représenter le concept de pureté. On 
a ainsi : en peul kahhe nom ; en sarakoUé kahe «ror?» et «tobjet pnrv; en 
mandingue sâni ou sânu, avec ces deux significations; en soussou hèna 
(tovrt etsèni rrobjet pur^»; en mossi sânem rror«; enhaoussa tsâri crpun». 
On retrouve cette racine jusqu'en hottentot, sous la forme tsànuy avec le 
sens de «rpur'?. 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE, 181 

Il se peut d*aillears que le fait de désigner Tor à l*aide d*un mot si- 
gnifiant crobjet purn se rattache au phénomène de Tinterdit magique qui 
fi*ap|)e très souvent, chez les noirs, le nom de plusieurs métaux , en par- 
ticulier celui de 1 or et celui du fer. Ce nom étant considéré comme 
rr taboue , on lui substitue, soit un surnom à valeur qualiOcalive, comme 
wle pur?», soit une appellation d'origine étrangère. C'est ainsi qu'en 
haoussa on ne désigne l or, en tant que mêlai, que par le mot zinâria, 
visiblement dérivé dp l'arabe rfmâr jL'^^ «rdenier d'on» ou tout au moins 
ayant la même origine que dinar. Dans les langues des contrées aurifères , 
fie la (iôle d'Or et de la CfMe d'Ivoire, l'or se dit partout sika, mot que 
l'on ne manquera point de rapprocher du nom de la monnaie orientale 
bian connue, en arabe «/Ma ÙL»,, Il convient de rappeler qu'aux xiv% 
xv' et xvi' siècles, il circulait au Soudan une certaine quantité de 
monnaies d'or, d'origines et de valeurs diverses, qui étaient généralement 
désignées sous le nom de dinâri ou dinàru et sous celui de sika. 



Monnaies européennes. — En fait de monnaies d'or, on ne rencontrait 
guère au Soudan, avant la guerre mondiale de 191&-1918, que des 
livres sterling, dont le nom anrfais «rpound^) s'était déformé en ponu. 

Actuellement, les pièces de monnaie en usage dans les colonies fran- 
çaises de rÂfri(|ue occidentale, soit sous leur forme métallique, soit sous 
la forme de billets ou jetons représentant leur valeur fiduciaire, sont : 
la pièce de 5 francs, unité monétaire; la pièce de a francs; la pièce de 
1 franc; la pièce de 5o centimes; la pièce de âS centimes (le nom qu'on 
lui donne était employé, pour désigner sa valeur, bien avant Tintroduc- 
tion de la pièce); la pièce de 10 centimes; enfin la pièce de 5 centimes. 
Dans les colonies anglaises, les pièces de 1 shilling, de 6 pence, de 
1 penny et d'un demi-penny portent respectivement les mêmes noms 
que, dans les colonies françaises, les pièces de 1 franc, de 5o centimes, 
de 1 o centimes et de 5 centimes. 

Seule, la pièce de 5 francs porte quelquefois un nom indigène, tiré 
de sa forme : par exemple, chez les Toucuuleurs du Foûta sénégalais, 
on rappelle mbûdu «r galette 1). Souvent, on la désigne au moyen d'un 
augmentatif ou d'un dérivé du nom , généralement étranger, donné à 
toute monnaie d'argent (en mandingue wâri-ha rr grand argent» et dalà- 
si (r graine d'argent*», en baoulé darorkpri <? grand argent »>, etc.). Ces ex- 
pressions sont d'ailleurs d'un usage moins répandu que des mots em- 
pruntés à des langues étrangères, qui sont : dans l'Est, tahri (thaler), 



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1«2 JANVIER-MARS 1926. 

introduit en même temps que le thaler autrichien à l'effigie de Marie- 
Thérèse; dans le centre, et jusqu'à Tombouctou inclus, liâra (rëal arabe 
J^;, liai ou ffliard» de l'Inde); dans TOuest, dàràme ou derem, où l'on 
retrouve sans peine le dirhem "i^ù des Arabes (drachme). 

Les autres monnaies ou leurs valeurs sont uniquement désignées à 
l'aide de mots d'origine étrangère, origine présentant d'ailleurs une 
grande variété selon les monnaies. 

La pièce de â francs ou sa valeur se dît dubale ou dubali ( en songoï 
dubal). On a voulu voir dans ce mot le français rr double n, parce qu'il 
s'agit d'un rrdouble franc »>. Mais, outre que je ne sache point qu'on ait 
jamais appelé chez nous la pièce de 2 francs un w double», le mot sou- 
danais est certainement très antérieur à l'introduction au Soudan de 
notre pièce de 3 francs , introduction qui est très récente : on ne con- 
naissait pas cette pièce à Tombouctou avant notre occupation et , pour- 
tant, on s'y servait déjà du mot dubal pour désigner sa valeur. Je me 
demande s'il n'y aurait pas lieu de rattacher l'origine de ce mot au latin 
libra, qui a donné «rlivren en français. 

Il ne faut pas songer au mot «r doublon» (espagnol «rdoblon»), qui 
serait vraisemblablement passé dans les langues du Soudan sous la 
forme qu'il a prise en arabe {dublûn ^^o) et n'aurait guère pu donner 
une forme dépourvue de la syllabe finale. 

Quant à la différence entre la valeur de la monnaie représentée par le 
mot original et la valeur exprimée par le mot soudanais, elle ne saurait 
être invoquée comme argument contraire à l'élymologie suggérée, 
attendu qu'un même vocable a souvent servi, soit à la même époque, 
soit à des époques diverses, à désigner des monnaies de valeurs très dif- 
férentes et de composition métallique distincte (par exemple, le denier 
d'or, le denier d'argent et le denier de bronze). De plus, en passant d'un 
pays dans un autre, le même nom de monnaie a revêtu fréquemment 
des valeurs très éloignées l'une de l'autre (livre française et livre an- 
glaise). 

La pièce de 1 franc ou sa valeur se dit tama ou tamba (mandingue, 
peul, ouolof, etc.) ou tamà (samo, mossi, etc.) ou tamma (songoï, 
haoussa, etc.). Ce mot me paraît devoir être rapproché du toman persan 
et de plusieurs autres monnaies orientales dont le nom a peut-être la 
même origine, telles que le dam de l'Inde. Sur le bas Sénégal et à Dakar, 
on emploie tantôt tama, tantôt pistenn, qui semble se rapporter à 
(r piastre îî , tantôt et le plus souvent ^im, qui doit provenir d'une cor- 
ruption de ff peseta^; ces deux derniers mots, qui n'ont dépassé les 
aboi»ds de l'océan Atlantique qu'autant (|u'iis ont été véhiculés par les 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 188 

Ouolofe du bas Sénégal, ont été manifestement introduits par les navi- 
gateurs européens, à une époque bien postérieure à l'introduction du 
mot tatna. 

Quant au nom soudanais de la pièce de 5o centimes (tàka, tahka, 
tanga)^ le même dans toutes les langues d'un bout à Fautre du Soudan , 
il n'^y a pas de doute sur son origine orientale : il est bien connu dans 
rinde, la Perse, TArabie et la Turquie. 

Celui qui sert à désigner la valeur de 25 centimes et, depuis son im- 
portation très récente, la pièce de cette valeur, est pikini dans tout le 
Soudan. On a voulu rapprocher ce mot du portugais pequenho «petiiti 
ou du Pidgin-English picA;m, qui a le même sens que pequenho. Une 
telle ëlymologie me semble improbable, appliquée à un nom de 
monnaie, car je ne sache pas que le mot signiGant «r petit ?) ait jamais 
été usité par les Portugais pour représenter une monnaie quelconque. 
De plus, pikini paraît très ancien au Soudan et y est très employé. 
Je verrais plus volontiers dans ce vocable un vestige du latin pecunia, 
qui, en dépit de son étymologie bien connue, a servi, dans plusieurs 
provinces de TEmpire romain , à désigner la petite monnaie. 

Pour ce qui est des pièces ou valeurs de lo et de 5 centimes, elles 
sont représentées par des noms d*origine récente. La première se dit 
universellement koporo, mot qui provient sans aucun doute de l'anglais 
copper ffcuivren, lequel est usité tout le long des côtes d'Afrique comme 
synonyme de (r penny 9), pai* les Européens aussi bien que par les indi- 
gènes. La seconde se dit partout ^ (sou), mot qui semble constituer te 
seul emprunt fait k la langue française en fait de noms de monnaies. 

Peut-être n'est-il pas sans intérêt de dire un mot du nom donné à 
l'argent. C'est, presque toujours, un nom d'origine étrangère, ce qui 
s'explique aisément, le métal dont il s'agit n'existant pas au Soudan ou, 
tout au moins, n^ ayant pas été exploité jusqu'à ce jour. C'est aussi, 
en général, un nom de monnaie, l'argent n'ayant jamais été introduit 
chez les Noirs qu'à l'état monnayé. 

Il existe souvent dans la même laugue plusieurs mots complètement 
distincts pour désigner l'argent. Ainsi , en mandingue , on entend les 
trois mots wâri ou wôri^ dont il a été parlé plus haut et qu'il convient 
peut-être de rattacher au nom des cauries, dalâ ou darà et kdlisi. 

Le nom de l'argent le plus répandu an Soudan paraît être dalâ, darà, 
dara ou dellâ , qu'on peut être tenté de rapprocher du nom de la piastre 
darique (dara) ou de celui de la pièce d'argent dite dharana du système 
de Manou. On fait aussi beaucoup usage , notamment au Soudan occi- 
dental, du<BW>t^â/c>«v kâlis on halsa, qu'il faut évidemment rapporter 



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iSà JANVlËH-MAfiS 1925. 

à larabe hâlis jo^iJl (blanc, argent blanc, monnaie blanche), seul mot 
couramment employë par les Maures, du Sënëgal an Sud Marocain, 
pour désigner l'argent monnayé. Enfm, il convient de noter le terme 
azurûfa ou azur/a, usité chez les Ilaoussa et dans le Soudan central; on 
a proposé de le rapprocher du radical qui a donné (rSilbern en ail mand 
et (Tsilvern en anglais, qu*on retrouve également en slave et en ballique, 
et qui doit être d origine très reculée; toutefois, il semble plus probable 
de faire venir azurûfa, au moins en ligne diiecte, du nom de la 
monnaie orientale dite asrafi c,*Cl}l, qui est appelée parfois «rséraphin?) 
dans des relations d'anciens voyageurs français. Le fait que Vasraji était 
communément une monnaie d'or ne saurait avoir empêché son nom de 
devenir synonyme de monnaie d'argent, par suite du même processus 
qui nous fait dire <ril a de l'argent^) de qnelqu^un qui , en réalité, a sa 
furtime en or, en billets, en titres on en tout autres valeurs. 



L*étudedes noms donnés aux monnaies peut fournir d'utiles indications 
sur la provenance de celles-ci. C'est ainsi que l'origine hindoue dn nom 
donné aux cauries dans le Soudan oriental et central suffirait, si nous 
ne le savions par ailleurs, à prouver que ces coquillages ont été apportés 
en Afrique principalement par la voie de l'océan Indien. 

La poudre d'or est assurément inriigène. Mais la persistance des noms 
arabes donnés, dans le Soudan occidental, aux poids employés pour la 
peser montre que c'est avec l'Afrique du Nord que le commerce de i'or 
a été autrefois le plus actif dans cette région. Une autre preuve du même 
fait est donnée par l'emploi de mots tels que dinâri ou zinària pour 
désigner soit des pièces d'or soit l'or lui-même et de mots tels que 
dirhem ou ses dérivés pour désigner l'écu de 5 francs ou tels que kàUsi 
pour désigner l'argent. 

L'influence proprement orientale se révèle davantage par des mots 
comme darâ ou azurûfa pour l'argent , «iA:a pour l'or, liàra pour la pièce 
de 5 francs, tama et tàka pour les pièces de i franc et de 5o cen- 
times. 

Par ailleurs , les mot:4 dubale pour la pièce de s francs et pikini pour 
95 centimes, si les étymologies suggérées ci-dessus sont conlirmées, 
apporteraient de nouveaux arguments en faveur de la théorie, déjà 
assise du reste, de très vieilles influences de l'Europe méditerranéenne 
sur le nord du Soudan, par l'Intermédiaire de la Berbérie. 

Maurice Dslafosse. 



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SOCIÏITÉ ASîATlOnK. f«5 



SÉANCE DU 11 DÉCEMBRE 1925. 

La séance est ouverte à 5 heures sous la présidence de M. Senart. 

Étaient présents : 

MM. HoART et Sylvain Lévi, vice-présidents; M"* Massieu et de Wa-^ 
man-Grabowska; M"" Gallacd, Lalou et Linossier; MM. Bashadjian, 
Benveniste, Bodvat, a. -M. Boyer, Deny, Ferrand, de Genouillac, 
Grousset, Hadjirb^xi, Misgoni, NiKiTiNE, Pelliot, Polain, Przyluski, 
Rappoport, Vosy-Bourbon, membres. 

Le procès-verbal de la séance du 1 3 novembre est lu et adopté. 

M. LE Président souhaite la bienvenue k M. Gawronski, qui assiste » 
la séance. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. A. Bricteux, présenté par MM. Casanova et Polain; 

• le docteur B. ëisler et Ali Mardan Bek Toptchibachy, président 
du Parlement et de la Délégation de paix de TAzerbaïdjan , 
préhentés par MM. Huart et Bocvat. 

M. Deny communique h la Société le programme du Congrès de turco- 
iogie qui se tiendra à Bakou à la fin du mois. 

M. Baymond ScfBWAB lit une étude sur l'exemplaire du Zend Avesta 
annoté par Anqdetil Duperron, exemplaire qui, devenu la propriété du 
K. B. Cama Institutede Bombay, a été conûé provisoirement à la Société 
Asiatique par M. Mobi. 

M. J. Deny décrit un vieux tefsir ou commentaire du Kor*ân en turc, 
provenant de la Mosquée de Sedd-iil-Bahr (Dardanelles), qu'il a signalé 
précédemment {Grammaire turque, Paris, Leroux, 1920, p. xxi), mais 
qu'il identlBe actuellement d'une façon plus complète en démontrant 
qu'il est le commencement d'un ouvrage jugé d'abord anonyme et 
signalé par feu Seybold dans la Festseiui/t Suchau , Berlin , Beimer, 1 9 1 ô , 



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196 JANVIER-MARS 1926. 

p. 396 à 332. Cet ouvrage €st rEnfes-ùl-jevâtUr, traduction par Ebul- 
lazl Musa ben Hâji Huseyn ben Isa Ël-Iznîki , d'un original arabe intitulé 
Lubâbu't'ta^wil fi maànx-t-tanzil dû à la plume de 'Alâ-ud-dïn *Alï ben 
M ohammad ben Ibrâhïm al-Bagdâdi as-Sûfi , connu sous le nom d'Al-Hâzin 
(H.H.,V,a98). 

Une copie d'un autre volume (appartenant à Harrassowitz)dumême 
ouvrage a amené M. Richard Hartmann, travaillant de son côté, à expri- 
mer, sous forme d'hypothèse , la même opinion ( O.X.Z. , n*" 8 de sep- 
tembre 1926, coL ^97 à 5o3). 

M.Dent donne quelques indications sur les autres ouvrages dlznlki , 
d'après le regretté Brusalî Mehemed Tàhir {Tûrk Yurdu, du 10 tem- 
moux 1 3 3o= 23 juillet 119^^3* année, 6" tome, n* 70, p. 9329 à 
233i). 

Dans ces conditions et indépendamment des deux exemplaires, au 
nombre de volumes inconnu, qui se trouveraient à Stamboul et à 
Brousse, on peut identifier dès à présent les copies suivantes en Occi- 
dent (les années des copies sont indiquées entre crochets). 

T. 1" (sourats i à v), une copie, de Sedd-ûl-Bahr, actuellement à 
Paris [lAaô]. 

T. II (sourats vi à xviii, verset 26), inconnu. 

T. III (sourats xviii, verset 26, àxxxv), deux copies : Bibliothèque 
nationale de Paris [1 548-1 6/19] et Libraiiie Harrassowitz à Leipzig 

[iW/i]. 

T. IV et dernier (sourats xxxvi à la fin) , quatre copies : British Muséum 
[xvii* siècle (?)], Breslau [1679], Hambourg [i5/iij et Bibliothèque Na- 
tionale de Paris, Suppl. turc n* 23 [1679]. 

Une description plus complète du manuscrit de 1626 paraîtra dans le 
Journal Asiatique. 

M. J. Dent, actuellement au Caire, y a recueilli les nouveaux rensei- 
gnements suivants : 

11 existe au Caû'e un exemplaire du tome I" de ïEnfes-ul-Jevàhtr, 
paraissant dater de la (in du xv* siècle. Acquis en 1903 seulement, il 
ne figure pas au catalogue imprimé de la Bibliothèque khédiviale. 

Des recherches faites à la même bibliothèque ont permis d'établir en 
outre que, pontrairement à ce qu'avait fait croire une affiimation non 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 187 

contrôlée du regretté Mebemed Tâhir, cet ouvrage est ia traduction, 
non pas du Tafsîr d'al-Hâzîn, mais de Hui d'Ebû-l-Leyt (+ 876 H.). 
C^ette traduction comporte, d'ailleurs, de très nombreuses additions 
faites par Iznïki et est, au minimum, trois fois plus étendue que Tori- 
g^nal. Le passage, notamment, qui concerne les droits respectifs des 
époux et qui a été lu à la séance de la Société asiatique, est de la plume 
friznîki, ce qui en augmente Tintérét, au point de vue de la connais- 
sance des idées sociales du monde musulman de Turquie au commence- 
ment du XV* siècle. 

Observations de M. Huart. 

La séance est levée à 6 heures et demie. 



SÉANCE DU 8 JANVIER 1926. 

La séance est ouverte à 5 heures , sous la présidence de M. Sknart. 

Étaient présents : 

MM. HoART et S. L^vi, vice-présidents; M"* de Wilman-Grabowska ; 
M"" Gallaud, Lalod, Linossier; MM. Bacot, Bannerji, Basmadjian, 
Benvbniste, BÉRiDzé, Bloch, Bodvat, Chakrabarty, Chatterji, Con- 
TENAu, Deny, Elisséev, Fadeggon, Ferrand, de Genouillac, Godart, 
Grousset, Hackin, Hadjibeyli, Hariz, Lefevre-Pontalis, Ligeti, Ma- 
DROLLE, 6. Maspero, H. Maspero, Massignon, Misgoni, Mukrimin Kha- 
LiL Bey, Nicolas, Nikitine, Ort, Pelliot, Przyluski, Bappoport, Stern, 
ToPTcmBACHY, VosY-BooRBON, membres; Thdread-Dangin, secrétaire. 

Le procès-verbal de la séance du 1 1 décembre est lu et adopté. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. H. W. Ddda, présenté par MM. Deny et Ort; 
L. LiGETi, présenté par MM. Ferrand et Deny; 
Mukrimin Khalil Bey, présenté par MM. Huart et Deny; 
Yamada, présenté par MM. S. Lévi et Pelliot; 
H. Terrasse, présenté par MM. Ferrand et Basset; 
Le Kiu-LOCEN, présenté par MM. Pelliot et H. Maspero. 



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188 JANVIER-MARS 1926. 

Sur la proposition da Président, M. Gontenao est ëlu dëlég^ë de la 
Société au prochain congrès archéologique de Syrie et Palestine. 

M. Stern étudie la date du Bàyon d'Angkor-Thom et des monuments 
du même style. Il achèvera sa communication à la prochaine séance. 

M. Parhentier fait ressortir Tintérét de la communication de 
M. Stern. 

M. Hariz expose Tétat de la médecine arabe avant llslam. 

La séance est levée h 6 heures et demie. 



SÉANCE DU 12 FÉVRIER 1926. 
La séance est ouverte h 5 heures sous la présidence de M. Senart. 

Étaient présents : 

MM. liuART et S. Livi^ vice f résidents; M"" Gallaud, Lalou et LiNos- 
sier; mm. Benveniste, Bouvat, A.-M. Boyer, Duda, Eisler, Fadeggon, 

FëRRAND, de GeNOUILLAG, GrOUSSET, HaDJIREILI, LEFkVRE-PoNTALIS, 

G. Masprro, de Maydell, Mukrimin Khaul Bey, Nikitine, Paruentier, 
PoLAi-v, Przyldski, Sidersky, Stern, Toptchirachy, Vosy-Bourbon , mem^ 
bres; Tudreao-Dangin , secrétaire. 

Le procès-verbal de la séance du 8 janvier est lu et adopté. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. Th. DiEDRicHSEN, présenté par MM. Pelt.iot et H. Maspero; 
M. Z. SiDDiQi, présenté par MM. MassigiNO.v et Blocu. 

M. BonvAT offre ë la Société, au nom de M. Saturnino Xihenez, un 
volume intitulé L'Asie Mineure en ruines. 

Terminant une communication commencée à la séance précédente, 
M. Philippe Stern cherche à prouver que le Bàyon d'Angkor n*est pas , 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 1S9 

comme on le supposait jusqu'ici , de h fin du ix" siècle , mais qu'il a été édi- 
fié au xf siècle et terminé probablement entre loSo et io65. L'auteur 
s'appuie sur la distinction qu'il fait de deux styles dans la sculpture 
khmère d'ëpoque angkoréenne et sur des considérations relatives au 
Bouddha de Tép Pranàin , au caractère bouddhique des monuments du 
style du Bàyon ainsi qu'à une récente étude historique de M. Cœdès. 
Examinant les trois édifices qui s'élèvent vers le centre d'Angkor (Phïmà- 
nàkàs,Baphuon, Bàyon), il montre, par l'étude de leur style et des 
inscriptions les concernant, les difficultés rencontrées par la chronologie 
jusqu'ici admise, difficultés qui semblent disparaître avec la présente 
hypothèse. Il insiste sur ce point et sur les récentes découvertes archéo- 
logiques de M. Parmentier au Bàyon, qui fournissent un appui sérieux 
à l'idée qu'il expose. 

Quant aux conséquences de celle-ci , elles paraissent devoir conduire à 
une conception toute nouvelle de l'évolution générale de l'art khmer, 
beaucoup de monuments étant datés par similitude avec le Bàyon et un 
grand nombre par opposition avec lui. Des anomalies soulevées par la 
chronologie admise jusqu'ici concernant les levées de terre dans l'inté- 
rieur de l'enceinte d'Angkor, les tours des danseurs de corde , la terrasse 
des éléphants et le pavillon d entrée du Palais Boyal, l'apparition 
brusque du style du Bàyon , etc. , s'évanouissent. L'histoire de la ville 
d'Angkor se trouve modifiée : la ville de Yasovarman parait relativement 
modeste, avec le Phimânàkàs comme rrMont Central t), orienté par rap- 
port au Barày oriental et au Phnom Bàkhen, et on peut suivre le déve- 
loppement progressif de la cité jusqu'au Bàyon et aux autres grandes 
constructions du xi* siècle qui lui donnèrent, semble-t-il, son aspect ac- 
tuel. On voit en même temps se dessiner l'évolution de l'architecture 
(évolution des matériaux employés, du plan, de la galerie, du chapi- 
teau, du fronton, du linteau, de la colonnette) et l'évolution de la 
sculpture (naga, lion et surtout grands personnages sculptés en bas- 
relief sur les édifices). Ces résultats semblent montrer l'impossibilité de 
placer le Bàyon à la même époque que des monuments comme Lolei et 
le Phïmânàkàs et l'existence d'un lien entre l'art de Lolei et celui de Koh 
Kér d'une part, l'art du Bàyon et celui d'Angkor Vat d'autre part. Une 
étude sur le Bàyon d'Angkor et l'évolution de l'art khmer, qui doit pa- 
raître dans la bibliothèque de vulgarisation du Musée Guimet, donnera 
les détails de ces communications ainsi que les développements qui n'ont 
pu être indiqués de vive voix. 

Observations de MM. Parmentier, G. Mâspero et S. L^vi. 

ccviii. i3 



laPRiMiimir. lATiaiài 



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J 



190 JANVIER-MARS 1926. 

M. Hadjibeyli lit un exposé sur la presse en Azerbaïdjan. (Voir i an- 
nexe au procès-verbal. ) 

La séance est levée à 6 heures et demie. 



ANNEXE AU PBOCÈS-VERBAL. 



LA PRESSE EN AZERBAÏDJAN. 



Le premier journal en langue azérie fut fondé en 1876 à Bakou. Il 
portait le titre d'Akintchi rrLe Semeur ?) Son fondateur était Hassan bey 
Zerdabi, agronome et instituteur de profession. Akintchi paraissait deux 
à trois fois par mois. Il a été suspendu par les autorités russes en 1877, 
pendant la guerre russo-turque et la révolution au Daghestan, et Has- 
san bey fut déporté h Stavropol. Les rédacteurs permanents du premier 
journal azéri furent : Thistorien Âdiguezalof , le poète Hadji Seid Azim 
(ihirvani, le dramaturge Nadjaf bey Vesirof, le médecin Kerim bey Meh- 
mandarof, etc. Son tirage atteignait le chiffre de 600. Les questions 
spécialement traitées par Akintchi furent : Tagricullure, Tappei vers 
Témancipation et la critique des coutumes routinières et du fanatisme 
religieux. 

Le deuxième journal en langue azérie fut Zia rrLa lumière^ ^ fondé à 
Tîflis en 1879 par les frères Unsi zadé, théolo^ens. En 1 880 , le journal 
prit Je nom de Ziat Kavkaz, Le journal était bi-hebdomadaire. 11 a paru 
pendant trois ans. En i883, les mêmes frères Unsi zadé tondèrent un 
autre journal inlitidé Kachkul, qui ne dura que quelque temps. 

Les questions spécialement traitées dans ces organes sont : la refonte 
de Taiphabet arabe pour la transcription du turc azéri, le ehariat et la 
littérature. 

De i885 à 1908 les Azerbmdjaniens n'avaient pas leur presse natio- 
nale. Mais il y eut le journal Caspie en russe, paraissant à Bakou, qui, 
édité par Hadji Zeinal Abdine Taguief , défendait les intérêts des musul- 
mans de TAzerbaïdjan, surtout à l'époque où la direction du journal était 
entre les mains d'Ali Mardan bey Toptchibachi, avocat (1895-1907). 
En 1908, Caspie fut confié à un Russe, M. Veinberg, qui ne réussit 
pas à défendre la cause des Azerbaïdjaniens dans la mesure voulue. En 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 191 

1917, pendant la révolution de février, une page spéciale fiil cédée par 
radministralion du journal au Comité national musulman de Bakou, qui 
paraissait sous un autre titre et dont la direction fiit confiée k Djeyhoun 
bey Hadjibeyli. Pendant les massacres de mars 1918, le bureau du 
Caspie fut incendié. 

On a essayé, sans succès, de faire revivre ie Caspie sous ie Gouver- 
nement national azerbaïdjanien. 

En 1908, fut fondé à Tiflis un quotidien rédigé en turc : Charki- 
Rotis (rLa Russie orientale y», dirigé par Mohamed Agha Cbahtakhtinski; 
mais le journal ne dura pas longtemps et dut cesser sa publication faute 
de ressources. En dehors des rédacteurs azéris qui étaient peu nom- 
breux , y collaboraient des musulmans du Volga. Les questions spéciale- 
ment traitées étaient la refonte de Talphabet arabe et rémancipatioii 
des femmes. Le tirage était d'environ 600 exemplaires. 

Djeyhoun bey Hadjibeyli. 



SÉANCE DU 12 MARS 1926. 

La séance est ouverte à 5 heures , sous la présidence de M. Senâbt. 

Etaient présents : 

MM. H PART et Sylvain Lévi, vice-présidents; M"" Lagaze et Massieu; 
M"** HoMBDRGER et Mbyer; MM. Adtran, Bounan, Bodvat, Cabaton, 
Cohen, Contenac, Eisler, Elisséev, Ferrand, Hadjibeyli, Khaïrallah, 
L16ET1, Margoulies, Moret, Mukrihin Khalil Bey, Mus, Nikitine, Przy- 
LDSKi, Siderskt, Stern, Viau, Vosy-Bourbon , Ware, membres; Thureau- 
Danoin, secrétaire. 

Le procès-verbal de la séance du 1 2 février est lu et adopté. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. Ma-Ta présenté , par MM. Sio et Bodvat ; 

N. Matsomoto, présenté par MM. Pei.liot el Elisséev; 



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192 JANVIER. MARS 1926. 

MiM. A. Vincent, présente par MM. Hoart et Chabot; 

J. R. Ware, présenté par MM. S. Liévi et Vosy-Bourbon. 

M. leD'R. EiSLER fait une communication, illustrée de projections, 
sur la thalassocratie des Hyksos. 

La séance est levée h 6 heures et demie. 



Le gérant : 
Gabriel Ferrand. 



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LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER 

RUE JACOB, N** 13, PARIS (VI*). 



Ph. Dr. François le XA, 
professeur à l'Université Charles de Prague. 



LA MAGIE 

DANS L'EGYPTE ANTIQUE 

DE L'ANCIEN EMPIRE JUSQU'À L'ÉPOQUE COPTE 

3 volumes iri-/i° carré, 1926. Prix : 200 francs. 

tomej. exposé. 

•jâo pages, petit in-4° carré. 

1 I Le but de la magie. — A. Sorcelleries pour la vie terrestre. — B. Pour la vie post- 
hume. — G. Pour liT communication avec les dieux et les esprits des défunts. — II : Les 
moyens magiques : 1. Les formules magiques. — 2. Les remèdes magiques, les poisons 
et autres moyens matériels. — 3. Le corps subsidiaire. — 4. Les amulettes. — A. Réelles. 
B. Ecrites. Ç. Nouées. — 5. Les rites magiques. Sup. I. Les vrais noms dans la Magie 
des anciens Egyptiens. — Sup. II : La théorie des remèdes magiques. — III : La relation 
entre la Magie et la religion. — IV : La relation entre la Magie et la science. — 
Y : La Magie dans les belles-lettres des anciens Égyptiens. — VI : La Magie chez les 
Coptes. — 1. Le but. — a. Les moyens. — VII : La Magie dans les belles-lettres 
coptes. — VIII : La relation entre les magies égyptienne et grecque à l'époque gréco- 
romaine. — Supplément. — Index. 

Tome IL LES TEXTES MAGIQUES. 

335 pages, in-/i° carré, broché. 

Avant-propos. — Pyramides. — Tombeaux de l'Ancien Empire. — Cercueils du Moyen 
Empire. — Livre des Morts. -- Formides magiques pour la more et l'enfant. — Ostracon 
de Strasbourg. — Papyrus magique Harris. — Papyrus magiques de Turin. — Papyrus 
magiques de Leide. — Papyrus Sait, n" 32 5. — - Table de Metternich. — Livre du dragon 
Apop. — Livres de iMédecine. — Lettre d'un veuf à l'esprit de son épouse. — Procès-ver- 
baux judiciaires sur la révolte de palais contre Ramsès III. — Guérison miraculeuse de la 
princesse Bentresh. — (jriraoire démotique de Londres et Leyde. — Grimoire démotique 
du Louvre. — Formules, en ancien copte, du grimoire grec de la Bibliothèque Nationale 
à Paris. — Papyrus magiques coptes. — Livres de médecine copte. — Contes de magi- 
ciens, papyrus Westc-ar. — Conte des deux frères. — Conte démotique de Setna Khamous. 

— Conte démotique de Sioussire, lils de Setna. — Apophtcgmata Palrum Aegyptiorum. 

— La lutte de Tapa Moïse conire le démon Bes. — La destruction d'un temple païen. -- 
Actes des apôtres André et Paul. — Biographie de Tapa Slienoute. — Récit de Shelomo et 
la reine de Saba. 

Tome m. ATLAS. 
\\ pages cl LXXI planches, in-'i** carré, carloim '. 



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JOURNAL ASIATIQUE. 

AVRIL-JDIN 1926. 



ESSAI 
SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE, 

PAR 

LUCIEN BOUVAT. 



AVANT-PROPOS. 

La domination des successeurs de Timour, en Perse et dans 
l'Asie Centrale, présente un curieux contraste. Alors que la 
décadence politique et sociale, vainement enrayée par ChAh- 
Toukh, fera, à la mort de ce souverain, des progrès rapides et 
irrémédiables, la renaissance intellectuelle favorisée par Ti- 
mour brillera d'un vif éclat jusqu'à la fin de la dynastie. Jamais 
littérateurs, savants et artistes n^ont été plus nombreux; jamais 
le pouvoir ne leur a témoigné autant d'intérêt. 

Dans le tome VIII de YHistoire du Monde, publiée sous la 
direction de M. Eugène Cavaignac, professeur à l'Université 
de Strasbourg, nous exposerons les faits qui amenèrent la 
ruine de l'empire timouride. Les pages qui suivent donneront 
un aperçu de sa vie sociale et intellectuelle. Nous renverrons, 
pour l'énumération et la critique de nos sources, au travail 
que nous venons de citer, mentionnant toutefois, parmi les 
auteurs orientaux, Mtrkhond, Kbondémlr, Bâber, Mir 'Alt 
Chir et les InstihUes attribuées à Timour; parmi les Européens, 

CGTIIl. 1& 



taruMrKim KA*ioaAi,r. 



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in AVRIL-JUIN 1926. 

les anciens voyageurs tels que Clavijo , Belin , Vambéry, W. Heyd 
et, plus près de nous, MM. Browne et Biochet. 



I 
LES INSTITUTIONS ET LA VIE SOCIALE. 



Lot musulmane et loi mongole. 

En adoptant l'Islam et sa législation , les Mongols avaient 
toutefois conservé leurs propres lois, codifiées à plusieurs 
reprises. Le jour même de son avènement, Djenguiz Khan 
avait promulgué le Yasa (ou Yasak)^ ensemble de dispositions 
correspondant à la fois à une Constitution nationale, à nos 
codes civil et pénal, à la loi militaire, aux règlements d admi- 
nistration publique et aux ordonnances de police. Le Yasa 
posait les principes suivants ^^^ : 

i*" Tous jouissent de la liberté de conscience, à la condition 
de proclamer l'unité de Dieu; 

9** Le souverain devra être un descendant de Djenguiz Khan 
en ligne mâle , et avoir été reconnu par les princes ; 

3° On ne fera jamais la paix avant d'avoir vaincu l'ennemi; 

4* Les troupes sont divisées par détachements de lo, loo 
et 1,000 hommes. Les officiers délivrent les armes aux sol- 
dats qui, aussitôt la guerre terminée, les rapportent à l'arsenal, 
et ne peuvent les reprendre que l'hiver, pendant la durée de la 
chasse; 

5" Afin d'assurer la subsistance des grands et de l'armée, 
la chasse est interdite de mars à octobre; 

TiMouH, Institutei, trad. Langlès, p. 396-399. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMODRIDE. 195 

6** Le sang et les entrailles sont comestibles; 

7* Tous les non-combattants doivent apporter gratuitement 
leur concours aux travaux d'utilité publique; ils consacrent, de 
plus, un jour par semaine au service du souverain; 

S*" Le vol sera puni, soit de mort, soit de 7 à 700 coups 
de bâton; cette dernière peine pouvant être rachetée par une 
somme égale à neuf fois la valeur de l'objet dérobé; 

9° Aucun Mongol ou Tartare ne peut se faire servir par ses 
compatriotes. Celui qui aura pris chez lui l'esclave d'un autre, 
sans l'autorisation du propriétaire, ou n'aura pas ramené à 
son maître un esclave fugitif, sera puni de mort; 

1 0** Le mari achète sa femme , qui ne peut être sa parente 
au premier ou au deuxième degré. Il a d'ailleurs la faculté 
d'épouser autant de femmes et d'avoir autant d'esclaves qu'il 
peut en nourrir; 

11* L'adultère est puni de mort, et celui qui surprend les 
coupables en flagrant délit a ie droit de les tuer. Toutefois les 
habitants de la province de Kayoudon sont, comme par le passé, 
autorisés à livrer leurs femmes à leurs hôtes; 

19" Les parents peuvent, en observant les formes légales, 
marier valablement leurs enfants morts; 

i3^ Les espions, les faux témoins, les sodomites et les sor- 
ciers sont punis de mort; 

1 li^ Il en sera de même pour l'intendant coupable de mal- 
versations; toutefois, si sa faute est légère, il se présentera 
devant le khan, qui décidera; 

ib'* Les tarkhans^^^ conservent leur privilège de pouvoir 
commettre impunément, jusqu'à neuf fois, le même crime; 

(^) ff On appelle ainsi celui qui est exempt de toute espèce de charges , qui 
ne doit aucune dime pour le butin dont il s'empare, qui entre chez le roi 



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li)G AVRIL-JUIN 1926. 

i6" Très superstitieux, les Mongols se jetaient dans les 
rivières et dans les lacs quand il tonnait. Voulant leur faire 
croire que l'agitation de l'eau produisait la foudre, Djenguîa 
leur interdit de se laver ou de se baigner quand ils Tenten- 
daient. 

Au siècle suivant Timour remania et compléta les lois mon- 
goles, et aurait donné à leur recueil le titre de Tuzukât, terme 
que Langlès , qui a traduit Timour, rend par « Instilutes » , et qui 
est formé par l'adjonction, a une expression mongole, d'un 
pluriel arabe. Les Tuzukât restèrent en vigueur pendant toute 
la domination timouride : ce fut en vain que les émirs de Ptr 
Mohammed, alors révolté contre Châhroukh, voulurent les 
abroger et demander un diplôme d'investiture aux khalifes fati- 
mites d'Egy[)te. 

Organisation sociale, 

Timour avait partagé son entourage en douze classes^^^ : 

t** Les seyyeds ou descendants du Prophète, les savants, 
les cheikhs et les ulémas ou docteurs, tous amis intimes et 
conseillers du souverain ; 

â^ D'autres conseillers choisis parmi les hommes s'étant 
fait remarquer par leur intelligence, leur fermeté et leur 
sagesse, et parmi les vieillards renommés pour leur expé- 
rience; 

quand il le veut, qui n'est soumis à aucune enquête quand il commet une 
faute. Nom d'une tribu djagataï.n Pàyet db Goorteille. Dictionnaire turk 
m-iental, ai 3. L^hypothèse d'une parenté entre fétrusque et les langues ougro- 
finnoises a fait rapprocher ce terme du nom de Tarquin; cf. les études de 
M. H. Bbykridgb parues dans le Journal of the Royal Asiatic Society, The Mon- 
gol title Tarkhan (1917) et Tarkhan and Tarquiniui (1918), ainsi que Tindex 
générai des Mémoires de Baser, trad. Beybridgi, II, p. 85a (note). 
(^) Imtitute», trad. LiNeLàs, p. 3o-39. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TÎMOURIDE. 197 

3^ Des hommes pieux choisis dans Télite de la première 
classe : Timour avait recours à leurs prières, et déclare en avoir 
obtenu des résultats surprenants; 

4** Les émirs ou chefs militaires, dont le souverain prenait 
Tavis, et qu'il récompensait en leur accordant des dignités; 

5"* L'armée, qui devait toujours être sur le pied de guerre. 
Elle était soumise k une discipline sévère, mais traitée avec 
justice et recevait régulièrement sa solde, souvent payée 
d'avance. Toute action d'éclat était récompensée; 

6'' Les confidents du souverain, c'est-à-dire les meilleurs de 
ses conseillers ; 

7** Les vizirs et secrétaires, surnommés «les miroirs de 
l'Empire?»; ces mots disent assez ce que Timour attendait d'eux. 
Ils devaient le renseigner sur tout ce qui se passait, pourvoir 
à tout, assurer le bonheur des populations et encourager 
l'agriculture; 

8* Les médecins, astrologues et géomètres : ils sont utili- 
sés, pour le bien public, en raison de leurs capacités; 

9"" Les historiens, annalistes et chroniqueurs : le souverain 
se renseigne auprès d'eux sur le passé, pour pouvoir mieux 
satisfaire aux exigences du temps présent; 

to" f^es ascètes, religieux et théologiens : la vie future 
et les prescriptions divines sont leur seule préoccupation, et 
on leur attribue des pouvoirs miraculeux ; leurs enseignements 
ne sont pas moins utiles au souverain; 

11'' D'habiles ouvriers, auxquels on offrait des situations 
avantageuses pour travailler, soit au palais, soit dans les arse- 
naux et les corps de troupes, où ils entretenaient et réparaient 
les armes ; 

1 2° Les voyageurs de toutes les provinces et de tous les 



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198 AVRIL-JDIN 1926. 

pays : désireux d'avoir des renseignements sur les pays étran- 
gers, le souverain leur faisait toujours bon accueil, et chargeait 
des. marchands et des caravaniers de lui rapporter les objets 
rares de TEurope, de l'Asie et de l'Afrique, et de lui rendre 
compte de i'état de ces pays et, notamment, de la façon dont 
ils étaient gouvernés. Timour et ses successeurs furent, 
d'ailleurs, toujours très accueillants pour les étrangers, qu'ils 
prenaient volontiers à leur service et qu'ils récompensaient 
généreusement : le Bavarois Schiltberger devint ainsi fonction- 
naire de Châhroukh. Pîr Mohammed avait décidé que les voya- 
geurs entrant dans ses Etats ou en sortant seraient défrayés de 
tout par le trésor royal. 



Les tribus mongoles, au début du xy^ siècle, étaient au 
nombre de quarante, et douze d'entre elles formaient une 
élite; Timour leur avait accordé des iamgha, ou signes distinctifs, 
conférant à leurs chefs des grades militaires. Ces tribus 
étaient les suivantes : Barlas, Tarkhan, Arghoun, Djelaïr, 
Toulkatchi, Douldi, Moghol, Seldouz, Tougha, Kiptchak, 
Arlat et Tatar. Les chefs de vingt-huit tribus non pourvus de 
grades militaires étaient appelés aymak ^^\ 



De l'entourage du souverain nous passerons aux diverses 
classes de la société. Mir ^Ali Ghîr en a dressé la liste, dans la 
seconde moitié du xv* siècle. La voici : 

i*" Le souverain, au/^; 

Q** Les begs (en osmanli bey)^ ou princes : ce terme a été 

(*) Op. du, p. 97-100. 



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ESSAI SDR LA CIVIUSATION TIMODRIDE. 199 

remplacé plus tard par Tarabe énâr. Remarquons en passant 
que Charles VI a été appelé «grand émir», émîr-i kébir, et 
que le titre de bey a été donné par les Ottomans aux rois de 
France, aux autres souverains étrangers, aux ambassadeurs et 
aux consuls (^); 

3" Les nâîb <( suppléants 9 : ce sont les alter ego du souve- 
rain; 

4° Les vizirs ou ministres ; 

5^ Les sotidoûr (pluriel de l'arabe sadr), ou magistrats du 
plus haut rang ; 

6** Les yasaouls (synonyme de tchaouch, mot dont les Arabes 
d'Algérie ont fait chaouch)^ à la fois officiers de paix et ordon- 
nateurs des cérémonies publiques; 

7** La garde publique, yasaghlek (dite aussi kara tchérik ou 
karakolbuk); 

8** Les cadis , ou juges ; 

9"* Les muftis, ou interprètes supérieurs de la loi religieuse; 

1 G** Les professeurs de l'enseignement supérieur, muderris; 

1 1° Les médecins; 

12° Les poètes; 

i3'' Les copistes, foa/iï; 

i4® Les maîtres d'écoles; 

16'' Les imams, desservants de mosquées; 

16^ Les lecteurs du Coran, moukri; 

17** Les récitateurs du Coran, hâfiz; 



^^> BiLiN, Le» moraUëtet. . . dans le Journal oitatique, 1866, VII, p. 53o 

5dl. 



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200 AVRIL-JUIN 1926. 

18** Les conteurs; 

19" Les prédicateurs, mVz; 

9 0"* Les danseurs et chanteurs: 

Qi'* Les astrologues ; 

3 â° Les marchands du bazar ; 

âS"" Les débitants et artisans; 

ai'* Les chihné, commandants de la force publique; 

sS*" Les darogha, inspecteurs et chefs de police; 

a 6** Les gardes de nuit, W«; 

9 7** Les voleurs et les assassins ; 

a 8"" Les ghanbzâdè : on entend par là les saltimbanques , les 
bohémiens, les faiseurs de tours, elc; 

39"" Les mendiants; 

30"* Les fauconniers et les chasseurs ; 

3i® Les serviteurs; 

3a** Les cheikhs: 

33° Les derviches; 

34° Les gens mariés, hommes, ketkhodâ, et femmes, kei- 
bânoû. 

Le râle social et politiqm des femme$. 

Sous Timour les princesses prenaient part à toutes les fêtes 
et réceptions de la Cour; sous ses successeurs, elles exerceront 
souvent, en politique, une influence prépondérante ^^^ Le 

^^> Glavuo, chap. vi-vii. tr D'après Tusage reçu chez les Mongols, quel que 
fût le nombre des femmes que possédât le souverain, il y en avait toujours 
une qui occupait le premier rang et, quoi qu'elle pût faire aux autres femmes^ 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 201 

règne de Khaiii en est la preuve. Ce sont les femmes des 
émirs qui organisent la révolte contre lui, et sa passion pour 
Ghâdol-Molk lui fit perdre le trône. Après la mort de Châh- 
roukh, Gauber Châd engage 'Abdol-Latîf à prendre le pouvoir; 
et Aboû Sa*îd, qui la redoute, la fait mettre à mort. Ëmpri- 
' sonné à Samarkand en 858 (i/i54), Hoseïn Baykara doit la 
liberté à sa mère Fîroûzè Begum, venue exprès d'Hérat pour 
intercéder en sa faveur. A la bataille de Tchikman, Hoseïn 
Baykara est accompagné de ses femmes; il répudiera la seule 
d'entre elles qui ait refusé de descendre de sa litière pour le 
suivre à cheval, Cheher Bânoû Khânoum. Intrigante et ambi- 
tieuse, une autre de ses femmes, Khadîdjè Beguni, a la pré- 
tention de tout diriger; elle est la cause de la révolte des * 
princes et de la mort de l'un d'eux, Mohammed Mu^'min Mîrzâ. 
Bâber rapporte, dans ses Mémoires, qu'il fut reçu dans le 
palais de Hérat par Khadîdjè Agha, veuve de Aboû wSaid, 
qui, elle aussi, avait pris une grande part aux événements 
politiques. Quelques années auparavant, Zohrè Begum Agha, 
veuve de Sultan Mahmoud et mère de Sultan 'Alî, décida ce 
dernier à livrer Samarkand à Cheïbânî, qu'elle voulait 
épouser; Gheïbânt lui témoigna la plus noire ingratitude. 

A la c«ur des souverains turkmènes du Mouton-Blanc, les 
femmes n'avaient pas moins d'influence. Saraï Khatoun, mère 
de Ouzoun Hasan, travaillait a apaiser les rivalités de ses fils; 
elle aurait été envoyée en ambassade auprès de l'empereur de 
Trébizonde : on sait que Ouzoun Hasan épousa une Grecque. 

Ghez les Djelaïrides, nous voyons une femme, la princesse 
Tendoû, ou Dendi Sultane, occuper le pouvoir après la mort 
de Sultan Ahmed. Energique et ambitieuse, Tendoû régna 
plusieurs années dans le Kbouzistân. 



il ne lui disait jamais rien.» ABOÔVGHÀzi, Histoire des Mongols, éd. Des- 
maisons, p. i56 du texte et i65 de la traduction. 



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202 AVRIL-JUIN 1926. 

Le gouvernement. 

Le souverain , khakan ou sultan, qui , aux termes de la loi mon- 
gole, devait être élu par les princes, ainsi que son kalgha, ou 
successeur éventuel, ne prit pendant longtemps d'autre titre 
que celui de mîrzâ qui, venant après le nom, désigne les 
membres de la famille royale. On a cependant des monnaies 
de Châhroukh datées de 83o (liaG), avec la légende ïr Sultan 
suprême n y Sultan A^zam^^\ Bâber, le conquérant de l'Inde, fut 
le premier à se faire appeler pâdichâh : ce terme persan, équi- 
valent du turc khakan, pourrait se rendre par «empereurs et 
. s'appliquait aux souverains du Turkestan et de la Chine. 
Timour s'était fait appeler à la fois Sultan et Khakan. 

Dans tous les pays musulmans, et à toutes les époques, on 
a regardé la frappe des monnaies et la mention de son nom 
dans la khotba^ c'est-à-dire le prône du vendredi, comme des 
attributs de la souveraineté. Toutefois Sultan Hoseïn Baykara, 
dont l'autorité était limitée, usa de ces droits, et laissa même 
son vizir Behboûd faire apposer son nom sur les sceaux et sur 
les monnaies. Mlrzft Yâdgâr, dont le pouvoir était encore 
moins étendu que celui de Sultan Hoseïn Baykara, suivit cet 
exemple. Le sceau officiel pouvait être remplacé soit par le 
yarligh, empreinte de la main du souverain enduite de rouge 
et apposée sur le papier, soit par le tamgha, chiffre royal 
tracé, selon l'importance du sujet, à l'encre d'or, rouge ou 
noire, remplaçant ie yarligh en tête des firmans'^l 

Les vizirs, ou ministres, devaient être au moins quatre 

(^^ S^DiLLOT, Sur le sceau de Schah-Rokh, apud Matériaux. . ., I, 261- 
â6A. 

(') Le lion et le soleil, armes actuelles de la Perse, étaient aussi les armes 
de Timour; elles décoraient les palais de Samarkand avec les trois cercles 
représentant les trois parties du monde connu sur lesquelles régnait le sou- 
verain mongol; cf. Glavijo, chap. vi. 



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ESSAI SDR LA CIVIUSATION TIMOURIDE. 203 

pour pouvoir tenir conseil. Leur président était appelé dî- 
vânbeg. On distinguait le vizir des provinces et du peuple, 
chargé des questions politiques, économiques, financières et 
de police; le vizir de l'armée : toutes les affaires militaires 
étaient de sa compétence; le vizir des voyageurs et des biens 
abandonnés, de qui relevaient les successions en déshérence; 
le vizir de la maison royale; et enfin trois vizirs des frontières 
et de l'intérieur t*^ 

Un ^arzheg «maître des requêtes» était chargé de faire au 
Conseil des rapports sur toutes les questions importantes. Le 
chef du clergé, les deux grands juges (civil et religieux), un 
secrétaire particulier, plusieurs autres secrétaires pour les 
séances publiques, et un agent comptable de chaque service 
se tenaient à la disposition du Conseil, et les grands de l'État, 
suivant un ordre de préséance nettement délimité , assistaient à 
ses délibérations. Des distributions de pains et d'autres vivres 
étaient faites, à chaque séance, aux personnes qui s'y trou- 
vaient à un titre quelconque; pareille distribution était faite 
au peuple. Un nâr tuzuk présidait aux cérémonies (^^. 

L'administration provinciale ^^\ 

Timour avait pour politique de se concilier les populations 
conquises par de bons procédés. Il laissait les gouverneurs en 
fonctions, autorisait les provinces qui le désiraient à conserver 
leur système fiscal, faisait des avances aux marchands ruinés, 
donnait aux agriculteurs l'outillage nécessaire, incorporait les 
militaires dans son armée en leur conférant des grades en 



<« Op. cit., 98-96. 

(*) Ibidem i voir aussi p. 90, 93 et iio-u 9. Pour les détails de Tétiqaette 
mongole, cf. Tindex général de la traduction de M*"* Bitiridoi des Mémoires 
deBÎBER, II, 855-856. 

(') TiMOUB, Institutes, trad. Langlàs, 12 0-1 38. 



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204 AVRIL-JUIN 1926. 

rapport avec leur mérite, appelait les artistes à sa cour, four- 
nissait du travail aux ouvriers et venait en aide aux indigents. 
Tout concours utile était récompensé, moralement et matériel- 
lement; mais Timour était sans pitié pour les fourbes et les 
traîtres. 

L'empire était partagé en provinces de deux sortes : les plus 
importantes étaient dites vilâyèt, les autres tomân. Leur admi- 
nistration était, en petit, ce qu'était T^j dm inistration centrale. 
Le gouverneur était assisté de trois ministres : i® du peuple, 
pour les finances: 2° des soldats, à qui il payait leur solde; 
3"" des propriétés abandonnées ou en déshérence. Les provinces 
dont les revenus étaient grevés d'une pension avaient en 
outre deux intendants, l'un militaire, l'autre civil. 

Le service des renseignements était très développé : dans 
chaque localité on trouvait des agents chargés de correspondre 
avec l'administration centrale et de la renseigner sur tout ce 
qui se passait. Les porteurs de dépêches étaient au nombre de 
3,000, dont 1,000 à pied, 1,000 montés sur des chevaux, 
et autant montés sur des dromadaires. Toute négligence dans 
le service, toute fausse information , était punie avec la dernière 
sévérité. 

Timour, enfin, avait décidé que chaque ville aurait au 
moins une mosquée, une école, un couvent, un hospice, un 
hôpital, un hôtel de ville, un tribunal et des agents de police, 
kourtchL A la campagne, ce dernier terme s'appliquait aux 
gardiens des terres ensemencées. 

Les finances ^^\ 

La nature et le mode de perception des impôts n'étaient pas 
uniformes, Timour ayant accordé aux provinces conquises la 

fi) Op,ciL, 49-55, i3a-i38. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TÎMOURIDE. 205 

faculté de conserver leur système fiscal. En principe, il nV 
avait ni taille ni capitation, et Timpôt, fixé au tiers ou au 
quart des produits agricoles, selon le mode d'irrigation des 
terrains, n'était exigible qu'après la récolte. On le payait, soit 
en nature, soit en argent. Il n'y avait de percepteurs qu'aux 
endroits où ils étaient nécessaires; toute violence, tout acte 
d'arbitraire leur étaient sévèrement interdits. 

Ces prescriptions de Timour ne furent pas toujours ob- 
servées par ses successeurs, et des abus intolérables imposèrent 
à Pîr Mohammed des réformes radicales. Ce souverain soumit 
tout le personnel administratif, du vizir au percepteur, à une 
sélection rigoureuse. Abou Sa'îd et 'Omar Cheikh eurent 
aussi une politique financière de premier ordre. Celle de 
Sultan Mahmoud fut désastreuse et amena la ruine du com- 
merce. Medjd ed-Dîn Mohammed avait restauré les finances 
de Hoseïn Baykara, qui étaient en très mauvais état; mais, 
victime d'intrigues, le ministre réformateur fut disgracié. 

Des pensions de diverses natures, les dotations des établis- 
sements publics et des fondations pieuses étaient prélevés sur 
les impôts, dont les émirs et les mtngbachi «chefs de mille w 
se partageaient le produit. Si le canton assigné à un officier 
ne suffisait pas à payer sa solde, le trésor royal la complétait; 
en cas d'excédent, cet officier partageait les revenus du canton 
avec un autre. 

Les travaux publics ^^\ 

La plupart des souverains timourides, Châhroukh, Olough 
Beg, Sultan Ahmed et Hoseïn Baykara notamment, avaient la 
passion de construire : nombreux sont les palais, mosquées, 
medresès, hammams, caravansérails, etc., qu'ils firent con- 
struire. On sait que les grands personnages, Mîr ^Alî Chtr 

CO Op. cit., 1 28-1 38. 



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206 AVRIL-JUIN 1926. 

entre autres, suivirent cet exemple. L'entretien des canaux 
était à la charge de l'État, qui prenait également soin des 
tombeaux des saints personnages. Les travaux destinés à faci- 
liter les communications étaient l'objet dune attention spé- 
ciale : déjà Timour avait fait construire de nouveaux ponts, 
remettre en état ceux qui existaient, et construire sur les 
grandes routes, à des distances peu éloignées, des caravan- 
sérails dont l'Etat rétribuait les gardiens. On a vu que Châh- 
roukh faisait lui-même les frais de travaux d'utilité publique, 
pour lesquels il employait jusqu'à 7,000 ouvriers. 

U assistance publique. 

La suppression de la mendicité était l'une des grandes pré- 
occupations de Timour, qui multiplia les fondations ayant 
pour but d'assurer l'existence des indigents. Quand une nou- 
velle province était conquise, on en réunissait tous les men- 
diants, qui recevaient chaque jour leur nourriture et étaient 
obligés de porter un insigne spécial. S'ils continuaient à de- 
mander l'aumône, ils étaient bannis ou vendus. 

Chaque ville, nous l'avons vu, avait son hospice et son 
hôpital; un médecin était attaché, à demeure, à ce dernier 
établissement. 

La justice. 

Selon leur nature, les crimes et délits étaient déférés, soit 
à la justice religieuse , représentée par les cadis et leurs chefs, 
soudoûr, soit à la justice civile, qui appliquait le Yasa^ ou loi 
de Djenguiz Khan, dont nous avons fait connaître les dispo- 
sitions. En cas de conflit entre militaires et civils, c'était le 
chef de la justice qui décidait. 

Précurseur de la loi de sursis, Timour pardonnait volontiers 
une première faute, mais était impitoyable en cas de récidive. 



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ESSAI SUR LA CIVIUSATIOIN TIMOURIDE. 207 

Il avait la même indulgence pour ses fils révoltés, qui furent 
simplement mis en prison et dépouillés de leurs dignités. Les 
hauts fonctionnaires coupables étaient destitués ou rétrogrades. 
Le péculat, considéré comme une faute peu grave, n'exposait 
qu'à des sanctions pécuniaires les vizirs indélicats. Si la somme 
détournée n'excédait pas le montant de leur traitement, on la 
leur laissait à titre de gratification; si elle atteignait le 
double, leur traitement était supprimé; leurs biens étaient 
saisis, si elle atteignait le triple. La concussion et les agis- 
sements contraires à l'intérêt public entraînaient de fortes 
amendes. Le soldat qui commettait des actes de brutalité su- 
bissait la peine du talion. Tout bien extorqué devait être res- 
titué. L'amende ne pouvait être infligée sans que la culpabilité 
n'eût été afiirmée par quatre témoins; dans aucun cas elle 
n'était infligée en même temps qu'une peine corporelle. 

Hoseïn Baykara faisait observer la loi avec rigueur, sans 
tenir compte des personnes. Un de ses fils ayant commis un 
meurtre, il le renvoya devant le tribunal. 

La police. 

Chaque ville, et, dans les plus importantes d'entre elles, 
chaque quartier avait son chef de police, ketvâl; les agents placés 
sous leurs ordres étaient, à la ville comme à la campagne, 
appelés kourtchi. Il y avait en outre des chihnè, commandants 
de la force publique; des yasaoul, sorte d'ofliciers de paix, 
ordonnateurs des cérémonies; des mohtasih, autres officiers de 
paix, en même temps inspecteurs des marchés et vérificateurs 
des poids et mesures; des darogha, à la fois inspecteurs et chefs 
de police. Ces fonctionnaires avaient sous leurs ordres, en 
dehors des kourtchi, la garde publique, yasaghUk, dite aussi 
karatchèrik ou karakolhuk; les'ases «gardes de nuit?), et enfin 
les karasourân, sorte de gendarmerie chargée d'escorter les 



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20S AVRIL-JUIN 1926. 

voyageurs elles marchandises, responsable de leur sécurité et 
faisant la police des routes : cette dernière institution s'est 
maintenue en Perse, sous le même nom , jusqu\à notre temps. 

Luxe et débauche. 

Pîr Mohammed, après avoir été un vaillant guerrier, ter- 
mina son existence dans l'ivrognerie et les plaisirs, et Bay- 
sonkor mourut à 36 ans de ses excès. La débauche fut effrénée 
sous Sultan Mahmoâd;'les femmes mariées étaient outragées, 
les enfants enlevés par les pédérastes. Son frère, Sultan Mo- 
hammed, était aussi dissolu que cruel. 

Si brillant à tant d'égards, le règne de Hoseïn Baykara fut 
déplorable au point de vue des mœurs. Le souverain avait une 
quantité de concubines et de maîtresses. Ses fils, dont trois 
seulement étaient légitimes donnaient Texemple de la cor- 
ruption, et leur entourage se livrait à des exactions odieuses. 
Le grand juge Khâdjè ^AbdoUâh Morvârfd mourut de ses dé- 
bauches; le gouverneur de Bâber, Cheikh Mezîd Beg avait des 
mœurs contre nature. 

Hérat était alors une ville de luxe et de dissipation. Bâber, 
qui y passa l'hiver de9i2(i5o6),y voyait les fils de Hoseïn 
Baykara, luttant alors contre Gheïbânî, passer leur existence 
dans les festins et les parties de plaisir. La musique, le chant, 
la danse, leur faisaient oublier leurs intérêts et leurs devoirs. 
Ce fut à Hérat que Bâber contracta l'habitude de boire du vin. 

Débauchés et prodigues, les grands personnages se faisaient 
remarquer par leur faste. *Abdul-Al{ Tarkhan, gouverneur de 
Boukhârâ sous Sultan Ahmed, homme néfaste à la dynastie, 
était plein d'orgueil et de dureté; il en était de même de son 
lils Bakt, mort misérablement après sa révolte. Sous Hoseïn 
Baykara l'émir Djihânguîr Berlâs montrait un faste inouï. 

Un autre émir de Hoseïn Baykara, Mohammed Velî Beg, 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. '209 

peut être considéré comme le véritable type du courtisan. 
Arrivé à une haute situation, il avait élu domicile dans le 
palais de son maître et ne le quittait jamais, y faisant apporter 
sa nourriture, celle de ses clients et de ses chiens. 

Meurtres et supplices. 

Les actes de cruauté abondent dans l'histoire de cette 
époque. Les Timourides et leurs émirs font facilement mettre 
à mort leurs rivaux et les hommes dont ils se défient; quand 
ils ieur laissent l'existence, ils les font aveugler. C'est ainsi que 
sous Châhroukh, Mîrzû Roustem fait aveugler l'émir Sa'îd 
Berl&s. Bâber Mîrzâ ordonna de faire subir le même trai- 
tement à 'Alâ'od-Dooulè; cet ordre ne fut d'ailleurs pas exé- 
cuté; mais il fit mettre à mort Mohammed Mîrzâ. Sous son 
règne, Hindoukè tue Aboû Sa*îd Darogha, il est lui-même tué en 
combat singulier, et sa tête est envoyée à Hérat. Lâche, ingrat 
et cruel, le vizir Khosrô Chah devait sa situation à Sullân 
Mahmoud; il fit aveugler son fils et successeur Sultan Mas'oûd, 
et massacrer son frère Baysonkor, avec une partie de sa suite. 
Le premier acte de Sultan Mahmoud, arrivé au pouvoir, 
avait été d'ailleurs de faire massacrer les quatre fils de son 
frère et Sultan Mohammed, à son avènement, fit massacrer 
ses neveux. On avait souvent recours au poison : Sultan 
Veled, fils d'Aboû Sa'îd, aurait été empoisonné par l'un de 
ses officiers, et Mozaffer Berlâs, émir de Hoseïn Baykara, 
serait mort de même. A l'inverse de ce qui se voyait en Europe, 
la pendaison était considérée comme une mort honorable, et la 
décapitation avait un caractère infamant. 

Le meurtre amenait la vendetta. Voulant jouir d'une auto- 
rité absolue, Djihânchâh avait fait massacrer les confidents 
de 'Omar Mîrzâ. Vaincu et obligé de prendre la fuite, il se 
vengeait en faisant massacrer les fils de son rival, Cheïkb Mo- 

GCTIJI. l5 

iiiniiip.En sAnoaiLi. 



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210 AVRIL-JUIN 1926. 

hammed Touvadji; l'un d'eux, qui avait pu s'échapper, le tua. 
'Abdol-Latif avait fait assassiner son père Olough Beg, qui 
fut vengé par un serviteur de celui-ci. 

Châdol-Molk , l'amante de-Khaltl, aurait été promenée en- 
chaînée et insultée par la foule dans les rues de Samarkand. 
Mîrkhond prétend qu'à la prise d'Ourguendj, Mohammed 
Cheïbânî fît promener l'un de ses prisonniers, Tchîn Soûfî, 
attaché à la queue d'un âne, avant de le faire exécuter. On 
connaît la légende d'après laquelle Chfth Ismâ^il aurait fait 
faire une coupe du crâne de Cheïbânî. 

Les Turkmènes d'alors n'étaient pas moins cruels. Ouzoun 
Hasan fit exécuter son fils révolté; Khalil fit tuer son frère, et 
Ya'koûb mourut empoisonné. 

Livrognerie, 

Ce vice était extrêmement répandu, et les Mémoires de 
Bâber^^^, sans parler d'autres textes, en apportent à chaque 
instant le témoignage. Bâber mentionne diverses sortes de 
vins, les madjoûn, préparations enivrantes très appréciées et 
dont lui-même il fit grand usage, ainsi que d'autres boissons : 
de son temps on fabriquait plusieurs sortes de bières. Pîr Mo- 
hammed était adonné au vin ; Mîrânchâh en buvait au point 
que sa santé et sa raison en furent altérées : Timour con- 
damna à mort trois de ses compagnons de plaisir, et en fit 
exécuter deux. Djihânchâh était un ivrogne invétéré; Bay- 
sonkor, fils de Châhroukh, mourut de ses excès à 36 ans; 
Bâber Mîrzâ et l'un des fils de Hoseïn Baykara , Ibrahim Ho^eïn 
Mirzâ, périrent de même. Sultan Ahmed et sa femme Kou- 
touk Begum, Sultan Mahmoud, buvaient volontiers du vin, et 

(1) Voir l'iadex général de ia traduction Beteridge, II, 870. Voir aussi les 
chapitres vi et vu de la relation de Glavijo : les détails qu'ils donnent pré- 
sentent une analogie frappante avec ceux que l'on trouve dans Bâber. 



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ESSAI SUR LA aVIUSATION TIMOUIUDE. 211 

'Omar Cheikh n^y renonça que pour sWonner aux madjoûn. 
L'exemple donné par les souverains et leurs proches fut suivi 
par les autres classes de la population; les contemporains 
représentent le poète Seîf i Bokhâri comme un ivrogne éhonté. 

Ces mœurs se retrouvaient à la cour des souverains turk- 
mènes. Ouzoun Hasan était un grand buveur et un joyeux 
convive. Le sultan Ya'koûb s'adonnait aussi au vin. 

Rien, ou presque rien, ne fut fait pour enrayer les progrès 
de l'ivrognerie. C'est à peine si Ton peut citer l'exemple d'un • 
Seyyed Mortezâ Mohtaseb, pieux personnage qui, ennemi 
acharné des buveurs, les pourchassait impitoyablement, fai- 
sant répandre le vin et saccager les établissements oii on le 
vendait. 



Fêtes, divertissements et sparts 



(1) 



Les fêtes étaient fréquentes à la cour des Timourides. Celles 
que donna Aboû Sald lors de la circoncision de ses fils, en 
870 (i465-i466), ne durèrent pas moins de cinq mois. Les 
banquets, dans lesquels on faisait grand usage de vins et de 
préparations enivrantes, étaient également nombreux; BadiW 
Zemàn était un gastronome réputé. 

Nous verrons, dans un autre chapitre, que la musique 
vocale et instrumentale était fort appréciée; il y a de nombreux 
exemples de souverains, de ministres et de hauts personnages 
s'étant fait apprécier comme compositeurs ou comme exé- 
cutants. La danse était également vn faveur : on cite même un 
Seyyed, nommé Bedr, qui se rendit célèbre par son talent de 
danseur ^^^. On reprochait à Sultan Mahmoud de passer sa vie 
au milieu de bouffons et de gens méprisables. 



(^) Voir op. cit.. Il, 856. Glituo, dans les chapitres yi et yii de sa relation, 
décrit longuement les fêtes auxquelles il assista à la cour de Timour. 
<*) VAMBéBT. Gesch. Bochara'ê, II, 33. 

t5. 



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212 AVRIL-JUIN 11)26. 

Des différents jeux, le plus répandu était celui des échecs. 
Ccrlains personnages avaient pour lui une passion incroyable : 
Mîr Mourlâz, ascète, philosophe et mélaphysicien du temps de 
Hoseïn Baykara, doit moins sa célébrité à ces divers titres qu'à 
son habileté au jeu. Devtch Mohammed Tarkhan, émir de 
Sultan Ahmed, doit également sa célébrité aux échecs. *Omar 
Cheikh leur préférait le nerd, sorte de trictrac, dans lequel 
son émir Hasan Ya'koûb Beg excellait. 'Abdol-Latîf dissipa ses 
trésors au jeu. 

La chasse et la pêche étaient les sports préférés; il en est 
souvent question dans les Mémoires de Bâber. Parmi les 
meilleurs chasseurs d'alors, on cite Sultan Mahmoud, Chah 
Gharîb Mîrza, Dervîch Mohammed Tarkhan et Bakî Tarkin, 
émirs de Sultan Ahmed, et surtout Mohammed Berendoûk 
Berlâs, émir de Hoseïn Baykara, qui poussait jusqu'à l'extra- 
vagance le goût de la fauconnerie. Le tir à l'arc avait aussi ses 
fervents : Sultan Ahmed Djelaïr, Hasan Ya'koûb Beg, émir de 
'Omar Cheikh, Aboûl-Mouhsin Mîrzâ, Eslim Berlas, émir de 
Hoseïn Baykara. Pour l'escrime et le maniement du sabre, nul 
n'égaliiit ce dernier souverain. La lutte, enfin, était pratiquée 
par les émirs Djânîbeg Doulday, sous Sultan Ahmed, et 
Pehlvân Mohammed Boû Sa'îd, sous Hoseïn Baykara. 

Croyances et superstitions. 

On sait quel rôle jouait l'astrologie dans les cours d'Orient 
et d'Europe au xv' siècle. Chaque souverain avait au moins un 
astrologue attitré, souvent plusieurs, et nous donnerons 
quelques détails sur ce point dans un autre chapitre. Nous 
avons vu que le Yasa contenait des prescriptions contre cer- 
taines coutumes observées par les Mongols quand ils enten- 
daient la foudre. Il punissait également de mort les sorciers: 
mais cette dernière prescription semble avoir été rarement 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 213 

appliquée. La magie avait des adeptes dans tous les milieux : 
des auteurs estimés lui ont consacré des traités, et le Ghcï- 
banide Kliodja Mohammed, fils d'Aboul-Khaïr, prédisait aux 
femmes le sexe des enfants qu'elles attendaient, d'après la ma- 
nière dont la graisse, jetée dans le feu, pétillait. Les pierres 
passaient pour avoir des vertus mystérieuses : le jade, par 
exemple, pouvait provoquera pluie ^^l 

Les funérailles. 

Le mausolée de Gauherchâd, à Hérat, était la sépulture 
ordinaire des Timourides; nous parlerons ailleurs du Goûr-é 
Mîr, ou tombeau de Timour à Samarkand. Un deuil public, de 
durée variable, était prescrit à la mort d'un prince ou d'un 
grand de TEtat : il fut de quarante jours pour Baysonkor, de 
trois jours pour Mîr *Al{ Ghîr. Bâber Mirzâ voulut porter lui- 
même le cercueil du vénérable Glieikh Behâ El-Hakk vè'd- 
Dîn, et Hoseïn Baykara présida le service funèbre en l'honneur 
de Mir Alî Ghîr. Il était d'usage de donner, à la suite des funé- 
railles, un banquet pendant lequel on lisait le Goran : du 
temps de Timour, le grand tambour mongol battait sans in- 
terruption pendant le banquet; celui-ci terminé, on le mettait 
en pièces. Les vêtements de deuil étaient de couleur noire ou 
bleue; le feutre y remplaçait la fourrure pour les collets. 

II 
LA VIE INTELLECTUELLE. 

Au point de vue intellectuel, dit Vambéry^^^ la période li- 
mouride ne peut être comparée qu'à celle des Omeyyades 

(^) Cf. rindex géadrai des Mémoires de BIber, trad. Bkvbridgb, II, 856 
(Foiklope) et 8Go (Magic). 
W Geich, Bochara'ê, I, 39. 



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214 AVRIL-JUIN 1926. 

d'Espagne et des Abbasides de TArabistan. Elle est la résul- 
tante de révolution qui s'était opérée sous les derniers souve- 
rains mongols : les cours de Maragha, de Tauris et de Sultanié 
furent surpassées par celles d'Hérat et de Samarkand. Nous 
avons vu [dus haut que les souverains (imourides étaient, pour 
la plupart, des poètes, des savants, des artistes. Il nous suffira 
de rappeler les noms de Châhroukh, de Olough Bey, de Ho- 
seïn Baykara et du sultan Bâber. La littérature persane prend 
son essor; la littérature turque, bien que de création récente, 
rivalisera avec elle. 

L'emeignemenL 

Sous Timour et ses successeurs , l'enseignement a pour base 
la religion musulmane; l'étude et l'exégèse du Coran en sont 
les parties essentielles; aussi les medresès, collèges ou établis- 
sements d'enseignement supérieur, sont-elles, d'ordinaire, des 
dépendances des mosquées ou des couvents. Musulman con- 
vaincu, Timour avait fondé une medresè dans chaque ville, et 
assuré à son personnel des traitements lui permettant de vivre 
honorablement. Les grands personnages tenaient à honneur 
de faire les frais d'établissements semblables. Mîr *Alî Chîr, 
qui consacra une grande partie de sa fortune à des fondations 
pieuses, donna, dans le couvent de sa Medresè Ikhlâsiyè de 
Hératj l'hospitalité à Mtrkhond, qui y trouva tous les docu- 
ments nécessaires à ses travaux historiques. Mîr *Alî Chîr^^^ se 
faisait unehaute idée du rôle du muderris ou professeur : il le 
voulait fervent musulman, connaissant à fond les matières 
qu'il enseignait, menant une existence pleine de dignité, fré- 
quentant les gens pieux et les prenant pour modèles. 

Avec le Coran et ses divers commentaires, on étudiait, dans 

(') Mahboûbotd-Kouloûb , éd. de Gonstantinople , 38. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 215 

les medresès, les traditions relatives au Prophète, la langue 
arabe, la jurisprudence, la philosophie et la morale. Plusieurs 
professeurs sont restés célèbres, tels le savant théologien Mol- 
lâzâdè Mollâ 'Osman, contemporain de Sultan Hoseïn Baykara, 
qui aurait commencé à enseigner à l'âge de 1 4 ans , et possédé 
Yidjuhâd, ou pouvoir de trancher les questions théologiques en 
se basant sur le dogme et la tradition, sans en exercer les pré- 
rogatives; le cadi Djelâl ed-Dîn, fameux philosophe qui en- 
seigna longtemps à Chîrâz, et le maître de Mîr 'AU Chir, le 
juriste Khodja Djelâl ed-Dîn FeïzoUâh, de Hérat. 

Les écoles primaires désignées par le nom de mèktèb qu'elles 
portent aujourd'hui encore en Turquie et en Perse, étaient, 
elles aussi, des dépendances de la mosquée, et leur enseigne- 
ment avait pour base l'élude du Coran et des dogmes de l'Is- 
lam. Mîr 'Alî Ghîr^^ï a également une haute idée du rôle du 
mèktèbdâr «maître d'école» : il le veut ferme, énergique, juste, 
pénétré du sentiment de ses devoirs et ayant la volonté et les 
moyens de redresser les mauvaises natures. Maxima puero de- 
betur reverentia : Mîr 'Alî Chîr partage l'opinion de Sénèque et 
fait dépendre , de l'éducation des enfants, l'avenir de la société. 
Il conclut en disant : « Si le maître est satisfait de ses élèves , 
Dieu aussi en sera satisfait. » 

La littérature persane. 

L'activité littéraire de l'époque timouride a été remarquable. 
M. Browne^^^ a relevé dans le Habib'Os-Siyèr de Khondémîr 
3 1 1 notices d'écrivains : si on y ajoute celles qui ont été con- 
sacrées aux littérateurs protégés par les souverains des dy- 
nasties du Mouton-Blanc et du Mouton -Noir, on arrive à un 

(1) Op. cit., 35-36. 

(') Penian Literature under Tartar Domination, /lai. 



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1 



216 AVRIL-JUIN 1926. 

total de 974 biographies. C'est à la cour de Hérat, sous le 
règne de Hoseîn Baykara, que celte littérature atteignit son 
apogée. 

On peut toutefois reprocher aux auteurs d alors leur abus 
de la rhétorique : des pointes, des métaphores déplacées ou 
puériles gâlent des œuvres qui, sans elles, seraient sublimes, 
La littérature ottomane, créée à son imitation, et dont Djâmi 
et Mîr *Alî Chir furent les modèles préférés, en reproduit les 
qualités et les défijuts : comme elle, elle est subjective, arti- 
ficielle, de convention, et montre une habileté toujours crois- 
sante de l'artisan et de l'artiste ^'^ Il en est de même de la 
littérature musulmane dans l'Inde. La recherche et la précio- 
sité ont longtemps prévalu en Perse, surtout sous la domina- 
tion turco-mongole; mais il ne faut pas croire (u'elles soient 
particulières à la Perse : les Arabes, malgré leur goût de la 
concision, en offrent de nombreux exemples. Hoseîn Vâ^ez 
Kâchefi, parmi les poètes; Mirkhond et Khondémtr, parmi les 
prosateurs, sont les exemples les plus frappants de ces écri- 
vains diffus, aimant les énigmes et les jeux d'esprit, qui carac- 
térisent la fin de l'époque limouride, et d'après lesquels on au- 
rait tort déjuger la littérature persane ^^^ 

Souverains et princes poètes. 
Les poètes de cour. 

Sans être lui-même poète, Timour aimait beaucoup la 
poésie et savait citer des vers avec à-propos. La plupart de ses 
successeurs furent poètes, et parfois poètes de talent : tels 

(*) Op. cit., p. Aai-^aS. L'auteur renvoie à E. J.W. Gibb qui, dans le t. Il 
de son Histoi^ of Ottoman Poelinf, a décrit celte influence avec un peu d^exa- 
géralion peut-être, mais beaucoup de netteté. 

W Op. cit., p. 46 1. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 217 

Cbâhroukh, auteur d'un yourtouk célèbre sur le guerrier ^^^, 
Olougli Beg^ Sultan Iskender, Khalîl Sultan, c^ù a laissé un 
Divan, Babcr Mîrzâ, 'Abdol-Lalîf Mîrzâ, qui ne manquait pas 
de mérite, Seyyed Ahmed Mîrzâ et Sultan Ahmed Mîrzâ, tous 
les deux fils de Mîrânchuh, Baykara, Kitchik Mîrzâ, à la fois 
poète et prosateur, lettré et savant, Badî^oz-Zemân Mîrzâ et 
Ferîdoûn Hoseïn Mîrza , le fils de Sultan Hoseïn. 

Les souverains eurent des poètes attitrés, comme Khodja 
Ismet Bokharî, qui vivait h la cour de Khalll Sultan et fut le 
naaîlre de Olough Beg; Khodja Avhad Mostooufî, de Sebzé- 
uar, astronome et poète, panégyriste de Sultan Hoseïn Bay- 
kara; Khodja Mes'oûd Koûmî, qui aurait c^crit une histoire de 
ce souverain len 13,000 distiques; Mevlânâ Zemânî, le poète 
de cour de Badî^oz-Zèmàn, et MoUâ Binâï, dont nous repar- 
lerons, qui, après avoir été le protégé de Mahmoud Sultan, 
devint le poète officiel de Mohammed Gheïbânî. Nous parlerons 
également en détail du célèbre Mîr *Alî Chîr, quand nous 
aborderons la littérature turque. Poète et prosateur, artiste et 
savant, il fut aussi un homme d'Etat et un administrateur en 
vue. Son mérite, incontestable si on le considère comme poète 
turc, laisse place à la critique, si on considère ses œuvres 
persanes, dit M. Browne^^^ : ses idées sont parfois pauvres, et 
sa métrique défectueuse. Mîr 'Ali Chîr, qui nous a laissé, dans 
sa Khamsètul-Mutèhayyirîn, de précieux souvenirs sur Djâmî, 
a consacré aux souverains et aux princes poètes de la dynastie 
timouridele huitième livre de ses MèdjâUsun-Nvfâïs^^K 

(^) En voici la traduction donnée par Belin dans le Journal oêiatique de 
1861, t. XVn, p. 286 : «Le guerrier doit se jeter au milieu de la mêlée, du 
carnage; blessé il ne doit chercher d'autre lit que la crinière de son cheval; 
mérite de mourir de la mort d'un chien, le misérable qui, se disant homme, 
implore la pitié de Tennemi.» 

W P. 5o5-5o6. 

(') Publié et traduit par. Belin dans le Journal asiatique de 1861, XVll, 
p. aS 1-399. 



^ 



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218 AVRIL-JUIN 1926. 



Djâmî 



(1) 



Le plus grand nom de cette période est celui de Djâmi, ou 
MoUa Noûr ed-Dtn *Abdor-Rafainân Djâmt. Né à Djâm, en Kho- 
rassan, le 3 3 cha^bân 817 (7 novembre lAiA), mort à Hé- 
rat le 18 moharram 898 (9 novembre lAga), Djâmi, poète, 
savant et mystique, a traité avec succès les genres les plus di- 
vers. Dans la liste, probablement incomplète, de ses ouvrages, 
nous trouvons 46 titres. Il a écrit trois Divans, sept Mesnévis, 
un commentaire du Coran, des traités de théologie, de tradi- 
tions, d'hagiologie, de grammaire arabe, de prosodie, de 
musique, des recueils d'énigmes, de lettres, etc. 

Son œuvre poétique comprend, avec les Divans intitulés 
Fâtihatoch-Chabât «Les Débuts de la Jeunesse 79, Vâsitatolr^lkd 
te Le Milieu du Collier» et KhâtmatoIrHayât «La Conclusion 
de la Vie -n , un recueil dit Hèft Oourèng « Les Sept Trônes n , 
formé avec les poèmes suivants : 1** SèhèlatozrZahah « La Chaîne 
d'or», œuvre morale, religieuse et philosophique, un peu dé- 
cousue, mais attrayante, d'inspiration sunnite et mystique à 
la fois; s"* Salmân ou-Absâl, histoire allégorique d'un roi de 
Grèce d'une sagesse profonde, Salmân, et de son fils Âbsâl, à 
qui il sert de mentor. Ce poème étrange, traduit en anglais par 
M. Fitzgerald, en français par M. Bricteux, se termine par la 
mort d' Absâl et la purification de son père, qui est délivré de 
tous ses désirs; 3° Tohjatol-Ahrâr «Le Présent fait aux hommes 
libres » , œuvre didactique , morale et religieuse , faisant l'éloge 
du Prophète et terminée par des conseils au fils de l'auteur; 
4** Sobhatol'Abrâr «Le Rosaire des hommes pieux», poème 
du même genre que le précédent; 5** Yoûsouf ou-Zauldkhd : 
c'est l'histoire de Joseph et de la femme de Putiphar d'après 

(*) Bbowne, op. cit., p. 5 07-5 6 8. 



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ESSAI SUR LA CIVIUSATION TIMOUMDE. 219 

le Coran. Le sujet a été souvent traité par les poètes persans 
et turcs, et il existe plusieurs traductions, anglaises ou alle- 
mandes, de l'ouvrage de Djâmî; 6® Leïlâ ou-Medjnoûn : les 
amours de Leïla et de Medjnoûn sont bien connues, et ont 
inspiré plusieurs poètes; 7° Khirèdnâmèyé-Sikèndèrî ççLe livre 
de la safjesse d'Alexandre». 

Parmi ses œuvres en prose, il faut citer les Nafahâtol-Ons 
tt Souffles de l'amitié » , précieux recueil de biographies des 
soufis célèbres, le Bahâristân, traité de morale anecdotique à 
rinaitation du Gulistân de SaMî, et les Lavâyèh, livre demeuré 
inédit et qui est un admirable résumé des croyances musul- 
manes, touchant le Prophète, sa mission, ses compagnons et 
le châtiment de ses ennemis. 

Esprit indépendant, Djâmî, qui avait un grand respect pour 
ses maîtres spirituels, ne flattait pas les puissants, et avait la 
réplique vive pour ceux qui l'attaquaient. Sunnite convaincu , 
il se justifia, à son retour du pèlerinage, en 877-878(1473), 
des accusations des docteurs de Bagdad, qui lui reprochaient 
de pencher vers le Chiisme. 

Djâmî a été l'objet de l'admiration unanime des littérateurs 
persans, tant de ses contemporains que de ceux qui l'ont suivi. 
Mîr \Mî Chîr écrivit sa KhamsaiuUMutèhayyirin uniquement 
pour faire son éloge. Le sultan Bayézîd II, qui l'appréciait 
hautement, était en relations directes avec lui. Parmi ses bio- 
graphes, on doit citer, en Orient, Sâm Mîrzâ et surtout son 
disciple *Abdol-Ghafoûr Lârî; en Europe, Nassau Lees. 

Nous devons ici donner, avec l'opinion d'un lettré persan con- 
temporain, Mîrzâ Behroûz, recueillie par M. Browne, celle de 
M. Browne lui-même ^^^. Supérieur à Nizâmî pour la forme 
poétique, la douceur et la simplicité, Djâmî ne l'égale pas 
pour la profondeur, l'imagination et l'éloquence; pour bien 

(») Op. du, p. 560-548. 



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220 AVniL-JUlN 1926. 

comprendre Nizâml, il faut connaître à fond la langue per- 
sane; de là le succès de Djâmî en Turquie et dans llnde. NI- 
zâmî rivalise avec Firdoousî : bien que mystique, Djûmî ejt es- 
sentiellement orthodoxe, et la Perse ancienne Tattire beaucoup 
moins. On peut lui reprocher d'avoir suivi de trop près Nizâ- 
mî, et trop copié ses procédés. 

Mais Djâmî, conclut M. Browne, est un admirable poète ly- 
rique, le dernier des grands classiques persans, lun des plus 
remarquables et des plus féconds, et celui qui a su le mieux 
rendre le mysticisme et le panthéisme persans. Après les tra- 
vaux de Rosenszweig, Rûckert et Weckerhauser, ce ne serait 
pas trop d'un volume entier pour étudier son œuvre lyrique. 
Djâmî a pu être surpassé dans certains genres, mais aucun 
poète n'a pu aborder avec autant de bonheur des sujets aussi 
variés. 

La poésie religieuse et mystique. 

Le premier en date des poètes mystiques est Seyyed Ni^met- 
ollàh de Kermân,le fondateur de Tordre des Ni^meloUâhîs. On 
a dit de lui qu'il fut le roi des derviches et l'ami des rois. Des- 
cendant du khalife *Alî par Timam Bàkir, il était né à Alep en 
780 (i339-i33o) et mourut à Mâhân, près de Kermân, où 
se trouve son tombeau, en 834 (i43i). Disciple de Cheikh 
*Abdollâh Yâfi'î, il passa sept ans à la Mecque et habita Sa- 
markand, Hérat, Yezd, avant de se retirer à Mâhûn. Châh- 
roukh le protégea; un roi du Deccan, Ahmed Chah Bahmanî, 
fit venir son petit-fils à sa cour, et ses descendants épousèrent 
des princesses séfévies. Seyyed NiWtolIah est beaucoup plus 
connu comme mystique que comme poète : son Divan est d'ail- 
leurs plutôt médiocre et monotone, bien que les pièces pro- 
phétiques qu'il contient aient eu un immense succès; de nos 
jours les Babis eux-mêmes ont voulu y trouver des arguments. 



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ESSAI SDR LA CIVIUSATION TIMOURIDE. 221 

Ecrivain très fécond, il aurait composé, dit la tradition, plus 
de cinq cents traités relicieux ^^K 

Kâsimoi-Anvâr, autre Seyyed mystique non moins célèbre, 
était né à Sârâb, aux environs de Tauris, en 767 (i356). 
Après avoir reçu l'enseignement de Cheikh Sadr ed-Dîn Arde- 
bîlî, ancêtre des Séfévis, et de Cheikh Oouhad ed-Dîn Kermâ- 
nî, il alla en Guîlân et en Khorassan, et se fixa à Hérat où 
sous Timour et Châhroukh, il se fit de nombreux disciples. 
Accusé par Baysonkor d'avoir attenté à la vie de Châhroukh , 
il se réfugia à Samarkand, auprès de Olough Beg, revint en- 
suite en Khorassan et mourut à Khardjird en 887 (i433- 
i434). On le considérait comme hérétique et séditieux, parce 
que ses disciples, non pratiquants, avaient adopté une sorte 
de communisme; sans être lui -môme horoûfi, il avait subi 
l'influence des Horoûfîs, et ses ouvrages le montrent. Son in- 
timité avec les Séfévis, les futurs souverains de la Perse, ôst 
prouvée par une généalogie inédite de cette dynastie que pos- 
sède M. Browne. Ses œuvres comprennent un Divan inédit et 
plusieurs mèsnévîs en turc ou en dialecte du Gullân -^^ 

Arîfî de Hérat, né vers iSSc) et mort vers lAAg, a laissé, 
entre autres ouvrages, un Hâl-Nâmè «Livre de l'Extase w, 
poème de 5 00 vers assez insipides, malgré la réputation dont 
il jouit, et qui aurait été composé en quinze jours, en SAq 

(i438-i489)(»). 

Muvlânâ Hoseïn Kouberâï, descendant du célèbre Nedjm 
ed-Dîn Kouberâï tué par les Mongols a Ourguendj, a laissé. 



(^) Bbowne, </p. cit., p. 666-/173. 
w Op. cit., p. 663-473. 

^») Ibid,, p. 696. 



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222 AVRIL-JUIN 1926. 

avec des poésies mystiques, un Commentaire du Mèsnévt de 
Djelâl ed-Dîn Roûmi. 

Le mèsnévt. 

L'expression arabe mèsnéd «redoublé» désigne un poème 
de longue baleine, le plus souvent moral ou pbilosopfaique, 
mais parfois aussi épique ou historique ^^), dont cbaque vers 
rime avec le vers suivant. Djelâl ed-Dîn Roûmî, mort en 679 
(1378) a écrit le chef-d'œuvre du genre; à l'époque timouride 
Djâmt en a été le plus illustre représentant. Son neveu *Abd- 
ollâh Hâtift^^), surnommé mèmévigoûy «le diseur de mèsnévisT), 
a marché sur ses traces, mais en le suivant de trop près : aux 
Hèft'Péfguèr et au Khirèdnâmèyé-SikèndM correspondent les 
Hèft-Manzèr « Sept Loges » et le Timour-Nâmè « Livre de Ti- 
mour». Gomme son oncle, 'Abdollâh Hâtifi a traité le sujet de 
Lèilâ et Medjnoûn. 

KâtibîdeNichapourî»),mort en 838 (i434-t435), était un 
poète de grand mérite, vanté par Mtr *Alî Cbtr. Il avait com- 
mencé par s'adonner à la calligraphie sous la direction de Stmi 
qui, comme lui, était poète. Ses progrès trop rapides ayant 
excité la jalousie de son mattre, il quitta Nichapour et mena 
une vie errante, habitant tour à tour Hérat, Asterabad, le 
Chirvan, l'Azerbaïdjan et Recht, avant de retourner à Aster- 
abad où il acheva ses jours. Désabusé, il avait renoncé aux 
cours des souverains pour mener la vie ascétique. En dehors de 
ses mèsnévis, il a laissé une imitation de In Khamsè de Mizâmt 
et un Divan inédit. L'historien Cheref ed-Dtn 'Alî Yezdî était 
aussi un poète , et il a composé des mèsnévis. 

Le sultan Bâbèr avait écrit plusieurs mèsnévis, dont le 



(^) Gabgin de Tasst, Rhétorique et prosodie, a* éd., p. 375. 
W Brownb, op. cit,, p. 5Û9. 
W Op. cit., p. 687-/195. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 223 

recueil porte le titre de MuMn «L'Évident». On trouve, parmi 
ses contemporains, HèlâM^^), poète très fécond qui n^aurait pas 
composé moins de trente ou quarante mille distiques formant 
un Divan, des ghazals dont la forme vaut mieux que le fond, 
et un mèsnévî intitulé Chah ou-Dèrdch «Le roi et le derviche» , 
dans lequel on trouve de beaux vers, mais peu de profondeur, 
une structure défectueuse et des idées bizarres ou répugnantes : 
il prétend ainsi que la beauté de Thomme est supérieure à 
celle de la femme. A sa grande facilité poétique , Hèlâli joi- 
gnait une mémoire prodigieuse et une remarquable érudition 
en matière de prosodie. Ses opinions singulières lui ont valu de 
vives critiques de la part de Bâbèr. C'est à ce dernier que 
Mollâ Bakâï, poète excellent, dédia le recueil de mèsnévîs qu'il 
avait composé sur le mètre du MakhzènoUEsrâr. On trouve en- 
core, à la fin de l'époque timouride, Seyyed Ahmed Mlrzâ, fils 
de Mîrânchâh , connu pour son Lèiâjèt-Nâmè « Livre de grâce » , 
Fakhrod-Dln 'Ali, fils de Hoseïn Vâ'ez Kâchefl, auteur de Mah- 
moud ou- Ayâz; Binâï, de Hérat, qui a toutefois mieux réussi 
avec ses ghazals, et le célèbre Kâsimol-Anvâr, qui écrivait, 
soit dans le dialecte persan du Guilân, soit en turc : les mès- 
névîs de Mîr 'Alî Chtr sont également en turc. 

Lapologue. 

Gheïkhoum Soheïlî^^^, dit aussi Cheïkboum Beg, protégé 
de Aboû Sald et de Hoseïn Baykara , a traduit Bidpaï. C'était 
un poète de talent, mais il avait la manie de décrire des scènes 
terrifiantes. Seïft Bokhart^^^, personnage singulier qui vivait 
aussi sous Hoseïn Baykara, et qui, tout en posant au Mollâ, 
était un ivrogne éhonté, querelleur et brutal, a écrit beaucoup 

(1) Of. cit., p. 459. 
w Op, cit., p. 457. 
W Oji. ci'^, p. 438, 458. 



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224 AVRIL-JUIN 1926. 

d'apologues, sans parler de son Divan et de ses poésies didac- 
tiques. Mais ni Tun ni Tautre n'ont obtenu la réputation de Ho- 
sein Vâ^ez Kâchèfi, de son véritable nom Kèmâlod-Din, mort 
en 910 (i5o/i-i5o5). Littérateur apprécié et savant universel, 
à la fois théologien érudit et éloquent (il devait son surnom 
de «VûVz>? au fait qu'il était prédicateur de profession), tradi- 
tionniste, astronome, versé dans les sciences les plus variées, 
il doit sa célébrité surtout à la rédaction versifiée du livre de 
Kalila et Dimna qu il a intitulée Anvâr-é Sohéili «Les rayons de 
CanopeT), et dans laquelle un style fleuri et des métaphores 
continuelles ont complètement défiguré le texte original. Les 
Anvâr-é Soheïli, devenus classiques en Europe et dans Tlnde 
pour renseignement du persan , sont le modèle le plus typique 
de la littérature d'alors ^*i. 

Le ghazal. 

Le ghazal, poésie amoureuse toujours très courte ^^^ : elle ne 
peut avoir que cinq, sept ou neuf distiques, est un genre très 
en faveur chez les poètes persans. Ahî, qui vivait à la fin du 
règne de Hoseïn Baykara, y excellait; deux de ses contempo- 
rains dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, Mohammed 
Sâlih et Hèlâli, se sont fait une réputation avec leurs ghazals : 
mais, chez le premier, le style n'est pas toujours à la hauteur 
des idées; chez le second, au contraire, la forme l'emporte 
sur le fond. Chûh Hoseïn Kâmî, leur contemporain, devait sa 
réputation à ses ghazals, de même que Asaf Âsafi et que Binâî 
de Hérat. Ce dernier, auquel on doit encore un Divan et plu- 



(^) Cf. BnowNB, Literary Hittory ofPertia, II, p. 35o-353, et op. cit,, p. liki' 
/i/i3,5o3.5o/i. 

(') La réunion des ghazals d'un poète, disposés d'après l'ordre alphabétique 
des rimes, constitue le Divan. Cf. Garcin de TissT, op. ciL, p. 373, et du 
môme auteur, Histoire de la littérature hindoustanie , 9* éd., l,p. 3i. 



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ESSAI SUR lA CIVILISATION TIMOURIDE. 225 

sieurs mèsnévis, s'adonna sur le tard à la oiusique, et devint 
un remarquable compositeur. Railleur et caustique, ennemi de 
Mîr *Alî Ghîr, il endura beaucoup de persécutions et dut se ré- 
fugier, en *Irâk et en Azerbaïdjan, auprès de Ya^koûb Beg : 
celui-ci étant mort, Binâï revint h Hérat. 

La satire. 

Le sultan Bâber s'était longtemps adonné à la satire; il y 
renonça à la suite d'une grave maladie dans laquelle il voyait 
un châtiment divin, c? Je me remis donc de plus belle, dit-il, 
a implorer la miséricorde divine et à solliciter mon pardon, et, 
résolu à détourner mon esprit de ces pensées frivoles et de ces 
habitudes malsaines, je pris le parti de briser ma plume ^^^» 

La poésie didactique. 

Seïfî Bokhârî a laissé, entre autres ouvrages, des poèmes 
dans lesquels il décrit tous les métiers de son temps. 



Les énigmes 



(2). 



Le goût de la recherche et des subtilités, qui caractérise 
Tépoque timouride, avait donné beaucoup de vogue aux 
énigmes. Djâmi lui-même en composait. Il en était de même 
de Gheref ed-Dîn Alt Yezdî, l'historien de Timour. Mîr Hoseïn, 
dont les contemporains parlent comme d'un homme simple et 
inoffensif, ne fit jamais autre chose, et mérita ainsi le surnom 
de Mou'ammâï. Un familier de Bâbèr, MoUâ Mohammed Ba- 

(^) Mémoire*^ trad. Patbt db Goubt£Illb , II , i36; trad. Bevbbidge, U, 4A9- 
45o. 

^^) C'est ainsi que Ton rend d^ordinaire le terme mau'ammd : Gabcin de 
Tasst (op, ciU, 165-169 et 193-196) préférerait le traduire par «rlogogriphe» ; 
pour lui Ténigme, au sens propre du mot, est le loughz. 

GCYiii. 16 



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!2'J6 AVHIL-JUIN 1926. 

dakhchi, a laissé aussi un recueil d énigmes; ce fut son seul 
ouvrage. 

Correspondance. 

Parmi les œuvres de Djâmi on trouve un recueil de lettres; 
des Manuels de correspondance ont été écrits par Khâdjè 'Abd- 
oilâh Morvârîd Bèyânî, connu à la fois comme prosateur et 
comme poète, et par l'historien Mo'in ed-Din Mohammed 
dlsfizâr. 

Prosodie. 

Djâmi a écrit sur cette matière, qui était un objet de prédi- 
lection pour Bâber : ce souverain a consacré tant à la prosodie 
qu'à la rime, plusieurs traités, dont le Mufasstl « Détaillé t? est 
le meilleur. Son contemporain, Hèlâli, passait pour la plus 
grande autorité d'alors, et son érudition était prodigieuse; 
mais on lui reprochait de ne citer, comme exemples, que des 
vers de sa composition. Par contre , le traité de Seïfl Bokhârâ 
était fort peu estimé. Mir ^ÂtâoUâh de Mechhed, qui écrivait 
d'ordinaire en arabe, a composé en persan son traité sur la 
rime. 

Rhétorique. 

Sous le règne de Sultan Hoseïn Baykara, Mevlânâ Cheikh 
Hoseïn y excellait. Nous verrons qu'il était également philo- 
sophe et logicien. Ses œuvres étaient des modèles de conci- 
sion, et, dès le règne de Aboâ Sald, elles faisaient autorité. 
Inspecteur de police , Mevlânâ Cheikh Hoseïn était parvenu à 
une haute situation. 

Critique textuelle. 

Le fils de Châhroukh, Baysonlgor, fit entreprendre une édi- 
tion critique du Châh-Nâmè de Firdoousi; il est lui-même 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 227 

lauleur de la plus longue des deux préfaces qui ont été écrites 
pour ce poème ^^^ 

Les philosophes. 

Djâmi, qui n'est resté étranger à aucune branche du savoir 
humain, s'est fait connaître comme philosophe et comme 
moraliste. Sous le règne de Sultan Hoseïn Baykara , le philo- 
sophe le plus réputé était Djelâl ed-Din, né en 83o (1&26) 
au village de Davân, dans le Fârs, ou il mourut en 908 
(iBos). Fils de cadi, cadi lui-même, il enseigna, pendant la 
plus grande partie de son existence, à la medrèsè des Orphe- 
lins de Ghîrâz. On lui doit la «Morale Djelalîenne», Akhlâk-^ 
Djelâli, dont nous reparlerons ^^^ Le philosophe Ahoû'1-Bakâ 
était Tami de Bâber, qui en fait grand éloge ^'^ Connu à 
divers titres, Mir Mourtâz était à la fois métaphysicien, ascète 
et joueur d'échecs passionné. Quant à Mevlânâ Cheikh Hoseïn, 
sa spécialité était la logique. 

Les moralistes. 

Deux traités de philosophie pratique composés sous le 
règne de Hoseïn Baykara ont eu une vogue extraordinaire en 
Orient et aussi en Europe, où on les a adoptés comme textes 
d'enseignement et traduits en anglais. Ce sont la ce Morale 
Djelâlienne », /IMMi-^ Z)/eW/t, composée entre lAGy et 1^77 
et dédiée à Ouzoun Hasan par Djelâl ed-Dîn Davânî , dont nous 
venons de parler, et la «Morale mouhsinienne», Akhlâk-é 
Mouhsinî, dédiée à Hoseïn Baykara, en 900 (1494-1^95), 
par Hoseïn Vâ'ez Kâchefî. Ces deux ouvrages sont écrits dans 
un style très fleuri , et leur réputation semble quelque peu sur- 

(') GL Hdart, Encyel. de Vldam, I, 609. 

'*) Brownb, op, cit., UUa, 

^^^ Mémoireê, trad. Patbt de Gourteille, II, 463. 

16. 



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:>i8 AVRIL-JUIN 1926. 

faite ^^l Moiânâ Kemâi ed-Din Hoseïn a iaissé de nombreux 
traités de morale. Mir 'AU Chir est, lui aussi, Tun des plus 
remarquables moralistes d'alors : nous examinerons ses tra- 
vaux en abordant la littérature turque. N'oublions pas Djâmi, 
dont le Behâristân est un excellent ouvrage de philosophie pra- 
tique. 

Les historiens. 

Aux débuts de l'époque timouride se rattache le seul histo- 
rien de Timour qui ait été, du moins à notre connaissance, 
son contemporain : Mevlànà Nizâmod-Din Châmî^^^ qui, fait 
prisonnier à Alep par Timour, en 8o3 (iioo-i4oi), recevait 
de ce souverain, trois ans plus tard, l'ordre d'écrire l'histoire 
de son règne. Ecrite d'après les documents officiels, cette his- 
toire, intitulée Zafer-Nâmè «Le Livre de la victoire», s'arrête 
avec l'année 806 (i4o4), quelque temps avant la mort de 
Timour, survenue le 19 mars i/io5. Le style en est simple, 
et l'auteur a préféré la clarté et la concision à la recherche. 

Bien différente est l'histoire de Timour, portant le même 
titre, que composa en 828 (i/iaA-iAaô), Cheref ed-Dîn *Alî 
Yezdî^^l L'auteur, qui était poète, et comme tel s'était fait une 
spécialité des énigmes, abuse des ornements, et cite à tout 
propos des versets du Coran et des poésies. Malgré ses défauts, 
son livre a presque fait oublier celui de Mevlânâ Nizâmod-Dîn 
Ghâmî; il est vrai qu'il a, sur lui, l'avantage d'être plus com- 
plet, allant jusqu'à la fin du règne de Timour. Il a été traduit 
en français par Pétis de la Croix, en 1722, en anglais par 
J. Darby, l'année suivante. 

Châhroukh s'intéressait particulièrement aux études histo- 



î^) Browns, op. du, hU^'Uklx. 
^') Browne, op,ciL, 36i-36a. 
(') Op. cit., 36a-365. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURÏDE. 229 

riques. Nous avons un «Abrégé des chroniques dédié à Mo*fn 
od-Dounyâ vé-'d-Dîn», Montakhâbot-Tévârîkh Mo%î, qu'écrivit 
pour lui un auteur anonyme, au début de son règne ^^^ un 
Ziil DjâmCot'Tévârîkh «Appendice à la Réunion des chro- 
niques 77, destiné à compléter Touvrage dont le Montakhâh est 
le résumé ^*^, également sans nom d'auteur, un Mo^ezzol-An- 
sâb^^^ «Celui qui respecte les généalogies», rédigé par son 
ordre en 83o (i49 6-i4a7) et continué jusqu'au règne de 
Badfoz-Zéraân par des historiens anonymes, ouvrages pré- 
cieux pour l'histoire de Timour et de sa dynastie. Le fils de 
Châhroukh, Olough Beg, fit plus que favoriser les études 
historiques : il a lui-même écrit l'histoire de? quatre tribus, 
ouhus, issues de Djenguiz Khan, Oulous-é Arbè'èyé-Tchmgiiizî^^K 

Hâfiz Abroû est l'un des meilleurs historiens persans, et 
nous devons regretter, avec M. Browne^^^, que ses ouvrages, 
clairs, simples, bien écrits et remplis de renseignements pré- 
cieux, soient encore inédits. Une partie seulement en a été 
conservée : il ne reste que les deux premières sections de la 
Zobdatot-Tévârîkh «Crème des chroniques», histoire univer- 
selle achevée en 899 ou en 83o (1436-1/127) : les deux der- 
nière? traitaient des dynasties persanes postérieures à la con- 
quête musulmane; et que le premier volume d'un grand 
ouvrage historique écrit, quelques années plus tôt, sur Tordre 
de Châhroukh. Né à Hérat, et élevé à Hamadân, Hâfiz Abroû 
avait accompagné Timour dans ses campagnes; il serait mort 
en 833(i439-i43o). 

Fasîht de KhwâH®^, né vers 777 (1375-1376), acheva son 



(1) Bloghbt, Introduction à l' histoire des Mongols, 78 et suiv. 

« Op.cit,,']^. 

W Op. dt,, 86. 

(*) Ihid. 

<*) Brownb, op. dt,, u3 4-4a6 et k^^. 

'■^^ Op. et/., /i a 6-4 a 8. 



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230 AVRIL-JUIN 1926. 

Modjmel «Résumé», autre histoire générale allant des origines 
à l'époque où écrivait l'auteur, en 845 (i/iAi-i/iAa) : cette 
année même il tomba en disgrâce, après avoir parcouru une 
brillante carrière dans l'administration des finances, pour avoir 
offensé Gauher Châd Agha. La conclusion de ce livre ne nous est 
pas parvenue : elle était consacrée à la ville d'Hérat et à l'his- 
toire antéislamique. Dans le Mtiséon de 1 9 1 5 , M. Browne a 
consacré une importante notice à cet ouvrage, dont il n'existe 
que trois manuscrits. 

Kemal ed-Din 'Abdor-Razzâk^^^ était le fils d'un juge et 
imam militaire de Samarkand : de là son surnom de Samar- 
kand!, mais était né à Hérat. A l'âge de vingt-cinq ans, *Abdor- 
Razzâk succéda à son père, ayant attiré l'attention de Ghâh- 
roukh par sa science grammaticale. Il fut ensuite envoyé en 
ambassade auprès du roi de Bîdjânagar, dans l'Inde, fut 
chargé de mission au Guilân et, après la mort de Aboù Sa^td, 
se retira dans un couvent d'Hérat, où il finit ses jours en 887 
(1/189). Il n'a laissé qu'un grand ouvrage, la Matlaos-Sadèin 
«Conjonction des deux bonheurs», histoire allant de la mort 
du dernier souverain mongol de Perse, Aboû Sa^îd, à celle du 
souverain timouride portant le même nom, et embrassent, de 
la sorte, une période de 170 ans. Bien qu'elle soit basée en 
grande partie sur Hâfiz Abroû, elle a une importance réelle. 

Mo'în ed-Dîn Mohammed d'Isfizâr^^^, poète et auteur d'un 
traité de correspondance diplomatique, doit surtout sa réputa- 
tion à une précieuse histoire d'Hérat, Roouzatod-Djannat j\ 
Tartkh Madinat Hérât «Le Jardin du paradis : Histoire de la 
ville d'Hérat» , écrite pour Hoseïn Baykara et traduite par Bar- 
bier de Meynard dans le Journal asiatique. 

Mirkhond, de son vrai nom Mohammed ibn Khâvandchâh 



(1) Op. cit., /ia843o. 
W Op. cit., /i3o-/i3i. 



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ESSAI SUR LA CIVIUSATION TIMOURIDE. 231 

ibn Mahmoud ^^^ le plus connu des historiens persans; on l'a 
souvent publie et traduit; mais sa réputation est surfaite. Son 
Roouzat oS'Safâ « Jardin de la pureté t) , histoire générale musul- 
mane, est, dit M. Drowne, une compilation bizarre et médiocre 
qui ne dispense pas de recourir aux sources, écrite dans un 
style fleuri, prétentieux, assez ridicule. Il en existe un supplé- 
ment, fait au XIX* siècle par Rizâ Kouli Khan Lâlâ Bachi, qui 
est un bon et utile ouvrage. Fils d'un notable de Bokharâ, 
Seyyed Borhân ed-Dîn, émigré à Balkh où il mourut, Mir- 
khond, devenu le protégé de Mtr *Alî Chîr, habita presque tou- 
jours Hérat, où il mourut, âgé de soixante-six ans, le a dhoû'l- 
ka'da 908 (22 juin 1A98). Son ouvrage est divisé en sept 
livres : 1" Patriarches, prophètes et rois de Perse avant 
rislam ; â^ Mohammed et les premiers khalifes ; 3"* Les douze 
imams, les Omeyyades et les Abbasides; 4^ Dynasties musul- 
manes de Perse jusqu'à Timour; 5° Mongols et Tartares après 
Timour; 6® Timour et ses successeurs jusqu'en 878 (i468- 
1/169); T ^^^ Timourides jusqu'à la mort de Hoseïn Baykara ; 
ce dernier livre a été vraisemblablement continué par Khondé- 
mir et il forme, avec le sixième, la partie la plus importante 
de l'ouvrage. 

Khondémîr, ou plus exactement Khwândémîr^^), était le 
petit-fils et le disciple de Mirkhond et, comme lui, le protégé 
de Mîr 'AU Chîr. Il débuta en 906 (1/199-1500) avec sa Khou- 
lâsatoIrAkhbâr «Quintessence des information^», abrégé de 
l'œuvre de son grand-père. Mais son ouvrage capital est le 
HabibosStyèr «Ami des biographies», écrit au plus tôt, en 
929 (i5â3), recueil précieux pour l'époque des Timourides 
et des premiers Séfévis. Khondémîr mourut en 999 (1 534- 
i535). 

0) Op.cU., 431-433. 
^2' Op. cit., liU. 



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232 AVRIL-JUIN 1926. 

Les biographes. 

Nous devons à Djâmt un recueil de biographies de soufis 
célèbres des deux sexes : les NafahâtoUOns «Souffles de Tami- 
\\éri. Cet ouvrage, écrit avec sincérité et sans recherche, con- 
tient 6 1 1 notices disposées par ordre chronologique , pré- 
cédées dune introduction de 34 pages sur le Soufisme. Dans 
le Behâristân du même auteur on trouve deux chapitres con- 
sacrés aux biographies : i"* des saints; a* des poètes ^^^ 

Mais nous avons, sur ces derniers, un travail beaucoup plus 
complet : c*est le Tèzkéréyé-Cho^arâ c? Mémorial des poètes 79, 
écrit en 892 (1/187)^2) p^p Dooulèlchâh , que Mîr 'Alî Chtr 
décrit comme un pieux ascète et un grand travailleur, ayant 
renoncé au monde pour se consacrer à ses travaux littéraires^ 
Doouletchfth avait environ cinquante ans quand il composa son 
ouvrage, qui a été édité par les soins de M. Browne; il 
mourut huit ans plus tard. Le (c Mémorial 79 comprend une 
introduction sur la poésie, sept chapitres consacrés à autant 
de générations, tahakât, de poètes; et une conclusion qui est 
le panégyrique de Hosein Baykara. Nous parlerons plus loin 
des MéijâUsun-NefâM deMir 'Ali Chir, sur le même sujet. 

Les Médjâlisol'^Ochchâk «Assemblées des Amants »^^^ 
passent pour être de Hoseîn Baykara , bien que Bâber les attri- 
bue à un soi-disant soufi protégé par Mir *Alt Chtr, Kemâl ed- 
Dîn Hoseîn Gâzargâhi. Cet ouvrage bizarre, précédé d'une 
introduction sur l'amour, avec citations de poètes mystiques, 
comprend 76 biographies de saints et de rois, avec des épi- 
sodes amoureux à l'occasion. Il a été lithographie à Lucknow, 
et l'Université de Cambridge en possède le seul manuscrit 
connu. 

(») Op, Cl/., 435-436. 
W Op, du, 436. 
(•) Op. du, 439-440. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMODRIDE. 233 

Hoseîn Vâ*èz Kâchefî a consacre aux persécutions des pro- 
phètes et des imams, à celles de Hoseîn en particulier, un 
Roouzatoch'Chohadâ c? Jardin des Martyrs »'^^ Son fils, Fakhrod- 
Dîn *Alî, a parlé de la vie, des miracles, des disciples et des 
prédécesseurs de Khodja Ahrâr Nakchbèndî, dans ses Racha- 
hât-é ^Aïnol'Hayât «Gouttes de la source delà view '^\ Seule 
une traduction turque de cet ouvrage a été publiée; l'original 
persan est conservé au British Muséum. 

Mevlânâ Mo'ayyen de Ferrâh, mort en 916 (i5io), a, de 
son côté , écrit les vies du Prophète et des grands personnages 
de l'Islam. 

LA LITTÉRATURE TURQUE. 

Très cultivé aujourd'hui en Asie centrale, le persan l'était 
encore plus au moyen âge, et faisait dédaigner la littérature 
en turki, ou turc oriental, dont l'essor ne date que de Tépoque 
timouride. Ce fut Mîr *Alî Chîr qui eut le mérite de faire défi- 
nitivement du turki, sous le règne de Sultan Hoseîn Baykara, 
une langue littéraire. H fut lui-même le plus grand des écri- 
vains turcs. A côté de lui se place le sultan Bâbèr, dont les 
Mémoires ont, au point de vue littéraire comme au point de 
vue historique, une importance de premier ordre. 

Mîr 'AU Chir. 

La vie et Tœuvre du créateur de la littérature turque ont 
été étudiées en détail par Eugène Belin , dans le Journal asta- 
liqm de 186 1 ^'^ et de 1 866 ^^l Nous résumerons ici les notices 
qu'il leur consacre. 

(') Op.cit.,hhu 
(*) Op. cit., kki'kiia. 

(') T. XVn, p. 175-366 et 381-357 : Notice biographique et littéraire sur 
Mir Ah Chir Nhati, suivie d^extraUs des ceuvres du même auteur. 

W T. VII, p. 52 3-5 5a, et t. VIE, p. ia6-i54 : Moralistes orientaux. Carac- 



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234 AVRIL-JUIN 1926. 

Mir 'Ait Ghîr était né à Hérat en 844 (i4/io-i44i). Le 
nom de Chir (^lion?? qui lui fut donné est une allusion au kha- 
life 'Ait, «le lion d'AUâh», et montre qu'il était Chiite. Selon 
Tusage d'alors, il prit des tekheUous ou surnoms littéraires : 
dans ses poésies turques il se nomme Névâî; dans ses poésies 
persanes, Fénâyî ou plutôt Fânt Sa famille était au service des 
Timourides, et notamment des descendants de *Omar Cheikh; 
son père, Kèdjkina Bahâdour, avait joué un rôle important à la 
cour de Abou Sa'id et à celle de Bâbèr. On trouvait, parmi ses 
parents, de hauts dignitaires, des guerriers et des littérateurs, 
comme ses oncles paternels Mîr Sa'td Kâboulî, très en vue à la 
cour de Aboû Sa'îd, et Mohammed *Alt Ghourbett, brillant 
poète persan et turc, musicien et chanteur apprécié de Hoseïn 
Baykara, et Mtr Haïder Saboûht, successivement littérateur, 
guerrier et ascète. Mtr *Alî Chtr fut, dans son enfance, le con- 
disciple de Hoseïn Baykara : tous les deux, ils se promirent 
alors une amitié à laquelle ils restèrent fidèles. 

Châhroukh étant mort, la famille de Mtr 'Alt Chtr, qui avait 
alors six ans, émigra en Irak, oii elle fut en rapports avec le 
célèbre historien Chèrèf ed-Dtn 'Alt Ye/dt. Kèdjkina Bahâdour 
voyant les belles dispositions de son fils, lui fit donner une 
éducation aussi complète que possible. 

Mtr 'Alt Chtr servit d'abord Aboû'l-Kâsim Bâber et, après la 
mort de celui-ci, Aboû Sa'td. Disgracié, il alla à Samarkand 
étudier la jurisprudence et la théologie. Dès son avènement, 
Hoseïn Baykara le prit pour garde des sceaux, et lui conféra, 
trois ans plus tard, le titre d'émir avec prééminence sur tous 
les autres dignitaires ayant ce titre, le seul MozafFèr ed-Dtn 
Berlâs excepté. Simple et modeste, Mtr 'Alt Chtr qui, tout en 
restant l'ami et le conseiller écouté du souverain , ne voulait 



lève^ maximes et peméos de Mir AH Chir Nhati. Voir aussi Browne, op, cit., 
5o5-5o6. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 235 

avoir aucun titre officiel, avait vainement refusé cette distinc- 
tion. En 881 (1/176-1477) il obtenait de quitter le pouvoir 
pour se consacrer entièrement à la religion et à ses travaux 
littéraires; mais les événements l'obligèrent, plus d'une fois, 
à occuper de nouvelles charges ou à remplir, toujours avec 
succès, des missions difficiles, soit politiques , soit militaires. 
Gouverneur d'Hérat en 884 (1479-1480), du Djordjân huit 
ans plus tard, il n'eut pas de peine à se justifier des accusa- 
lions que portaient contre lui des ennemis acharnés comme le 
vizir Khodja Médjîd ed Dtn, organisa en 908 (1497-1498) la 
défense d'Hérat et, par ses efforts, amena la réconciliation de 
Hoseïn Baykara avec son fils révolté, Badfoz-Zémân. L'année 
suivante il demandait à faire le pèlerinage, mais les circon- 
stances ne permirent pas de donner suite à sa requête. 

Le travail et les austérités avaient ruiné la santé de Mîr ^Alî 
Ghlr. Quand Hoseïn Baykara rentra à Hérat, il voulut aller au 
devant de lui, mais tomba de faiblesse en le voyant. Mal soigné 
par ses médecins, il succombait quelques jours plus tard, le 
12 djoumâdhâ II 906 (4 janvier i5oi). Des funérailles so- 
lennelles lui furent faites ; le souverain lui-même présida le ser- 
vice funèbre, et il fut inhumé dans la grande mosquée qu'il 
avait construite à Hérat. 

Modeste, bienfaisant et désintéressé, Mir 'Alî Chtr, qui re- 
fusait titres et charges, n'accepta jamais aucune pension, et 
dépensait ses revenus en libéralités et en bonnes œuvres de 
toute sorte. Il fit construire ou restaurer à ses frais un grand 
nombre d'établissements religieux ou philanthropiques : 870 
dont 9 hôtelleries ou rtbât, assure-t-on , en Khorassan. A 
Hérat il avait fait construire nne mosquée et une medrèsè , ou 
école supérieure, avec couvent, hôpital et bains, sur des ter- 
rains que lui avait donnés Hoseïn Baykara, et déploya beau- 
coup de zèle pour répandre l'instruction. Ses contemporains 
en parlent comme d'un homme distingué, courtois et élégant 



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236 AVRIL-JUIN 1926. 

dont ni le bonheur ni l'adversité ne pouvaient altérer le carac- 
tère; Sam Mîrzâ renonce à faire Téloge de celui qu'il appelle 
«le bienfaiteur de l'humanité et le confident intime du roi 75. 
Administrateur et homme d'Etat de premier ordre, savant et 
artiste, versé dans la théologie et le droit, il était également 
peintre, sculpteur, calligrapbe, enlumineur de manuscrits et 
musicien réputé, grand bibliophile, protecteur des littéra- 
teurs ,|f des artistes et des érudits, de Djâmi, de Mîrkhond, de 
Khondémîr en particulier. Il fut surtout un grand écrivain qui 
traitait avec le même bonheur, la poésie et la philosophie, 
l'histoire et la morale. Ses maîtres préférés étaient Khosrô , 
Nizâmi et sustout Djâmî, pour lequel il avait une vénération 
sans bornes : dans ses MédjâUsun-Néfâïs il n'a pas osé, par 
humilité, faire la biographie de ce maître et s'est contenté de 
mentionner son nom «pour attirer sur son œuvre la bénédic- 
tion divines; mais plein de douleur à sa mort, il rassembla 
les souvenirs qu'il en conservait dans son ouvrage dont nous 
parierons plus loin. Clair et précis, il est d'une concision rare 
de son temps, et c'est en turc, sa langue maternelle, que le 
patriotisme lui faisait préférer et dont il fit une langue litté- 
raire, qu'il a donné toute h mesure de son talent. 

Réunies et classées à la fin de son existence, et sur la de- 
mande de Hoseïn Baykara , les poésies turques de Mîr Alî Chîr 
forment quatre Divans : le titre de chacun d'eux indique 
l'époque à laquelle il fut composé : 

Gharâebous-Seghr « Les Etrangetés de l'Enfance n ; 
Névâdtrmh-Chébâb «Les Raretés delà Jeunesse r? ; 
Bédaeoul-Vésat «Les Merveilles de l'Age mûrw; 
FévâedoulrKibèr «Les Utilités de la Vieillesse r?. 

L'œuvre" poétique de Mîr 'Alî Chîr comprend encore des 
romans : Ferhâd et Chirtn, Léilâ et Medjnoûn; l'Histoire, Kissè, 
de Cheikh San'ân; Seba-t Seyyârè «Les Sept planètes?), ou la 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 237 

vie du roi Babrâm Goûr; des traductions ou des imitations 
turques des mystiques persans, comme le MahboûboulnKouloûb 
«Aimé des cœurs», imité de VAnUol-Koloûb de Mîr Khosrô; cet 
ouvrage a été publié à Constantinople en 1 289 (1 873-1873) 
et a servi de base h Tétude de Belin sur les moralistes orien- 
taux, la Lisânout'Taïr «Langue des Oiseaux», traduction du 
Mantikot-Tair^ le célèbre ouvrage de Férid ed-Dln ^Attâr, et le 
Hatrètul-Ebrâr «Ëtonnement des gens pieux», dont la matière 
a été empruntée à divers auteurs; un recueil de poésies mys- 
tiques, Makhzénul-Esrâr «Le Trésor des Secrets», et des com- 
mentaires en vers d'ouvrages religieux. Historien, Mîr *Alî Cbîr 
a écrit une Histoire des rois de Perse et une Vie d'Alexandre; 
biograpbe, il a laissé deux œuvres de premier ordre, déjà 
connues de nos lecteurs : le KhamsétuUMutèhayyinn «Quin- 
tuple Etonnementw, recueil de ses souvenirs sur Djâmî, et les 
Medjâlisun-Néfâïs «Assemblées où l'on parle des cboses pré- 
cieuses», ou biographies des poètes de son temps; il a de 
plus traduit en turc et complété les Nafahâtol-Ons de Djâmî. 
Son œuvre en prose comprend enfin des traités de rédaction 
et de prosodie, et le Mohâkémètul-Loughètèm «Débat des deux 
langues», écrit un an avant sa mort, et dans lequel il s'at- 
tache à démontrer la supériorité du turc, sa langue mater- 
nelle, sur le persan. Dans le Journal asiatique de 1 90a ^^^ nous 
avons étudié cet ouvrage; résumons-en ici les données essen- 
tielles. Le turld, ou turc oriental , est plus facile à comprendre, 
plus clair, plus précis que le sarte ou persan; son vocabulaire 
est plus riche, sa flexion plus souple, sa prononciation plus 
douce. Il se prête mieux aux allitérations et aux jeux de mots 
si appréciés des Orientaux; il est concis comme l'arabe, et a, 
tant pour former de nouveaux mots que pour rendre les 
moindres nuances d'une idée, des ressources que l'on ne 

(') T. XIX. p. 367-872. 



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238 AVRIL-JUIN 1926. 

retrouve pas dans d'autres langues. Cet ardent plaidoyer se 
termine par l'éloge de la littérature turki, qui date de qua- 
rante ans à peine, et compte de nombreux et remai;quables 
représentants, et de son digne protecteur, le sultan Hoseîn 
Baykara. Dans son enthousiasme, l'auteur a commis des 
erreurs et des injustices, il a parfois exagéré les défauts du 
persan et méconnu ses qualités, mais le mépris injustifié 
qu'avaient ses compatriotes pour leur propre langue sera pour 
lui une excuse. 

Le sultan Bâber ^^l 

Zabir ed-Dir Mohammed, plus connu sous le nom de Bâber> 
ne fut pas seulement le conquérant de l'Inde et le fondateur 
de la dynastie dite des Grands-Mogols qui devait régner k 
Delhi pendant plusieurs siècles ; il fut aussi un lettré écrivant 
avec une égale facilité en persan et en turc, qui, au cours 
d'une existence mouvementée , put écrire un Divan turc « plein 
d'idées les plus neuves 97, disaient les connaisseurs, un recueil 
de mèsnévis, le Mubîn ci Évident»; une rédaction versifiée d'un 
traité mystique de Khodja Ahrftr, la VaUdiyè, plusieurs traités 
sur la prosodie et la rime, et enfin ces admirables Mémoires, 
dont le vrai titre est Bâhèr-Nâmè fxlÀyvQ de Bâber» , si précieux 
pour l'histoire des derniers souverains timourides. On peut 
leur reprocher quelques inégalités dans le style , provenant de 
ce que l'auteur dictait ses souvenirs à trois secrétaires diffé- 
rents, et aussi quelques lacunes provenant, soit de la vie aven- 

t^) Browne, op. ctt.^'A5a-A6o; cf. la notice de M. Ci. Huart dans VEn- 
cyclopédiê de l'Islam, I, 558. Le meilleur ouvrage européen à consulter sur 
Bâber est, de Tavis de M. Browne, celui de W. Erskinb, Hittory of India 
under the fir$i Sotêreigns of the Haute of Taimur, Bâber and Humayûn, Lon- 
don, i85A, a vol. in-8*. M"* Beybridob a publié, de 191a à iQai, une 
excellente traduction annotée des Mémoires de Bâber; cette traduction, 
pourvue d'index détaillés, a été précédée d'une longue série d'études; on 
doit également à M. H. Bbvbrioge d'importants travaux sur Babrr.* 



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ESSAI SUR LA CIVILlSATrON TIMOURIDE. 239 

lureuse qu'il menait, soit du désir de passer sous sileace des 
faits peu flatteurs; mais cette autobiographie pleine de sincé- 
rité, dit M. Browne, écrite d'un ton familier, simple et plein 
de vie, fait connaitre à la fois la vie et les pensées intimes d'un 
grand souverain, et il faut y voir plutôt des confessions que 
des mémoires. Elle contient, avec des descriptions minutieuses 
et exactes de toutes choses, de tous les pays visités, des pages 
importantes sur la cour littéraire de Hoseïn Baykara, et des 
renseignements biographiques précieux. 

Leyden et Erskine firent connaître en Europe les Mémoires 
de Bâber par leur traduction anglaise publiée en 1826 et 
faite, non point sur l'original, mais sur la version persane 
entreprise par Abder-Rahîm Mirzâ Khân, sur l'ordre de l'em- 
pereur Âkbar, et connue sous le titre de Vaktât (ou Tuzuk) -e 
BâbèH, en 1690. Le texte turc était publié à Kazan par 
Ilminski, en 1867; Pavet de Gourteille en donnait la traduc- 
tion française en 1871. M°* Annette Beveridge, qui, depuis 
une vingtaine d'années, se livre à une étude spéciale de ce 
texte, lui a consacré plusieurs mémoires dans le Journal of the 
Rayai Asiatic Society ^^\ a donné dans le E. /. W. Gibb Mémorial 
une reproduction fac-similé, accompagnée de deux index, de 
l'important manuscrit de Sir Salar Jang de Haïderabad, et en 
a publié, en 1921, la traduction anglaise. 

Une brève analyse de ces Mémoires en montrera la variété 
et l'intérêt. Dans le premier chapitre, Bâbèr déclare que, par 
la grâce d'AUâb, du Prophète et des quatre khalifes ortho- 
doxes, il devint roi du Ferghana à l'âge de douze ans , ie mardi 
5 ramadan 899 (10 juin 1494), et passe à la description de 
son royaume, suivie de la biographie de son père, *Omar 
Cheikh, de celle de Sultan Ahmed qui mourut la même 
année. Le règne de Sultan Mahmoud est raconté dans le cha- 

(^) Années 1909, igod et 190b. 



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240 AVRIL-JUIN 1926. 

pitre suivant; les expéditions de Hoseïn Baykara et de 
Baysonkor font l'objet du troisième et du quatrième. 

Avec le cinquième commence la carrière militaire de Bâber 
qui assiège et prend Samarkand, succès bientôt compensé, 
d'ailleurs, par la perte d'Endidjân. Samarkand, dont une 
description minutieuse est donnée, sera du reste ardemment 
disputée; Mohammed Gheïbânî obligera Bâber de l'évacuer et 
de se réfugier à Tachkent auprès du khan de la ville, son 
grand-père. De curieux détails sont donnés sur les hommes et 
les choses que vit Bâber, ainsi que sur l'organisation militaire 
des Mongols. 

De nouvelles expéditions ont bientôt lieu; Bâber ne-cache 
rien de ses échecs et de la misère qu'il connut dans le Kho- 
rassan,oii il s'était réfugié. La fortune, cependant, finit par 
lui sourire; le clan mongol se joint à lui , de même que Khosrev 
Chah; avec leur aide, il va s'emparer de Kaboul. Le récit de 
cette expédition et la description de l'Afghanistan occupent le 
onzième chapitre. Le douzième parle de l'expédition de Kan- 
dahâr, du congédiement d'un serviteur ingrat, Bâkî Djaghan- 
yâni, qui s'en va dans l'Inde; de là il passe au règne de Hoseïn 
Baykara, qui mourut à ce moment, en 911 (i5o5-i5o6), à 
sa famille, à ses émirs, aux littérateurs, savants et artistes, 
Mir ^Ali Ghîr notamment, qui fréquentaient sa cour. 

Diverses expéditions en Afghanistan ou en Khorassan, des 
luttes continuelles contre Cheïbânt, qui prend Hérat et Kan- 
dahar, mais doit évacuer cette dernière ville, l'envoi, fait en 
pure perte, d'une ambassade dans l'Inde pour réclamer des 
territoires ayant appartenu aux Timourides, une visite à 
Lemgân, le tout entremêlé de détails de mœurs, de récits de 
scènes d'ivrognerie par exemple, d appréciations très sévères 
sur les Indiens et les Afghans, sont l'objet des chapitres xm à 
xvn. Les cinq derniers sont consacrés à la conquête de Tlnde, 
à la description de ce pays et aux mœurs et coutumes de ses 



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f 
, ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 241 

habitants (très dur pour les Indiens, Bâber ne ieur reconnaît 
ni intelligence, ni grâce, ni élégance, ni esprit pratique), à la 
conversion de Bâber, qui renonça au vin et à la poésie sati- 
rique, à l'organisation de ses nouveaux Etats et au partage des 
trésors conquis entre les membres de sa famille. Sa mort, sur- 
venue près d'Agra le 6 djoumâdhâ l" 987 (26 décembre 
i53o), l'empêcha de mettre la dernière main à ces Mé- 
moires, dont le chapitre final ne comprend que quelques 
lignes. 

Un cousin de Bâber, Mîrzâ Haïdèr Doughlat, a laissé, sous 
le titre de Tarîkh-é Rachîdî, d'importants mémoires qui per- 
meltent de compléter et de contrôler ceux du conquérant de 
l'Inde. Publiés, avec des notes, par M. Ney Elias en 1898, ils 
ont été traduits en anglais par Sir Denison Ross. 

La rivalité du persan et du turc. 

Les khalifes arabes, dit Mîr 'Alî Chîr dans la conclusion du 
«Débat des deux langues», ont protégé les poètes de leur 
nation; après eux les sultans sartes ont favorisé les poètes 
persans. Les khans turcs, leurs successeurs, ont, a leur tour, 
encouragé les poètes de langue turque, dont les premiers 
firent leur apparition sous le règne de Ghâhroukh. Hoseïn 
Baykara, tout en favorisant les lettrés persans, ne cachait pas 
sa préférence pour ceux qui écrivaient en turc; il composait 
lui-même dans cette langue des vers que Mîr 'Alî Chîr déclarait 
supérieurs à ses propres vers. Parmi les plus brillants poètes 
turcs de la cour de Hérat, le «Débat des deux langues w 
nomme Sekkâkî, Haïder, Khârezmî, 'Ataï, Moukîmî, Yakînî, 
Emîrî et Kediiï. 'AbdoUâh-é Morvârîd, garde des sceaux et ému 
sous Hoseïn Baykara, a laissé des odes, des gbazals et des 
quatrains très estimés. Il mourut en 922 (i5t6) sans avoir 
pu achever son «Histoire royale», Târikh-4 Châhî, et son 

CCTIII. 17 

HtmiMCMlB lAVIOBALB. 



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24î> AVRIL-JUIN 1926. 

roman de Khosrô et Chîrîn'*^. Mohammed *Alî Ghourbèll et 
Mîr Ilaïder Saboûliî, parents de Mlr *A1{ Chtr, jouissaient 
d'une réputation mérilëc, de môme que Sourkh Vidâ'i, le 
familier de Bâber. Mohammed Sâlch, qui passa une grande 
partie de sa vie chez les Uzbeks, a célébré leurs exploits dans 
la «Chcïbaniade», CheihânUNâmè, épopée en 76 chants, 
publiée par Vambéry avec une traduction allemande et des 
notes (Vienne, i885) : le texte en a élé réédité à Saint- 
Pétersbourg par MM. Melioransky et Samoïlovitch (1908). 
Mohammed Suleh a composé de plus un Mèsnévt, beaucoup 
moins estimé. C'est en turc que le grand mystique Kûsimol- 
Envûr a composé une partie de ses poèmes. 

Mais l'Asie centrale devait à la Perse sa culture, et, quels 
que fussent leurs efforts, Mîr 'AH Chîr, Hoseïn Baykara et 
leurs émules ne purent se soustraire à l'emprise iranienne. 
Leurs poésies turques sont composées sur des modèles per- 
sans; ils ont fait plus, et une grande pariie de leurs œuvres 
pofHiques sont en persan. Nous reproduirons ici les lignes 
dans lesquelles Pavet de Courteille apprécie Mîr Haïder Medj- 
zoûb, poète de talent qui laissa un Makhzen «Trésor» dont 
Pavet de Courteille a donné des extraits à la fm de son édition 
du MtrAclj'Ndmè^^^ : ce qu'il dit de cet auteur s'applique éga- 
lement à ses contemporains : 

« . . .Je n'hésite même pas à déclarer que pour nous le 
poème de Mîr Haïder n'a qu'un intérêt secondaire, quant au 
fond qui est tout à fait persan pour les idées, .les tendances 
mystiques, les comparaisons, le style enfin; mais l'auteur, s'il 

0) Ci. HcART, Les calUgraphes , 100-101. 

W P. 55-9.5 du texte et 5^-72 de la traduction; la citation que nous don- 
nons ici est empruntée & la préface, p. xxix-xxxi. Mir Haïder, surnommé 
Mcdjzoûb trL'extatiquen, mourut avant 1^490, et nous ne savons à peu près 
rien de son existence. Il no doit pas être conl'ondu avec le parent de Mir 
'Ali Ghlr portant le même nom. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. ' 243 

a pensé en persan, a écrit en turc, et son habileté à manier 
cet idiome ne semble pas inférieure à celle de son illustre 
rival (Mir ^A\i Chir). Tous deux se sont inspirés aux sources 
persanes comme Tont fait les écrivains turcs qui ont brillé au 
XY* siècle d^ notre ère à la cour des princes timourides. y> 

• « 

La littérature ottomane doit beaucoup aux écrivains de 
l'Empire timouride, à Djfîmi et à Mîr^Alî Chîr en particulier. 
Bayézid III, comme nous l'avons vu, était en relations directes 
avec Djâmi et le philosophe Djclâl ed-Dîn Davânî. Plusieurs 
auteurs, et non des moindres, de l'empire ottoman, avaient 
étudié en Perse ou en Asie centrale; d'autres étaient originaires 
de ces pays ou des régions voisines, tels les théologiens 
mystiques Chîrvânii Seyyîd Yahyû Djelûl ed-Dîn, mort en 8^2 
(lASS-iASg), Yoûsouf Ziya'oud-Din Makhdoûm, grand- 
cadi de Chamakha, mort en 890 (i/i85-i/i86), et le célèbre 
Baba Ni'mètullâh Mahmoud Nakhitchévânt, l'une des gloires 
de l'ordre des Nakchbendiyè, mort h Ak-Chéhir en 902 
(1/196-1/197); le mathématicien Chîrvânii FathouUàh; le mé- 
decin Mcihmoûd ibn Mehmed Dilcliàd Chîrvânî, tous originaires 
de l'Azerbaïdjan^^î; à ce pnys on peut encore rattacher, bien 
qu'il soit hé en Mésopotamie, le poète Fuzoûli^-^. 

LES ARABISANTS. 

Au moyen âge l'arabe était, dans les pays musulmans, ce 
que le latin était alors chez nous : la langue des savants et des 
philosophes, des théologiens et des juristes. Les ouvrages reli- 



W YoôsocF Brk Vezibopp, Revuê du Monde Muiulman, igaa, L, ii3-iiA 
W Op. eiu, 107. 

17- 



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'2àà AVRIL-JUIN 1926. 

gieux ou scientifiques composés en Asie centrale, sous ia 
domination des Timourides, furent extrêmemen! nombreux ^^^; 
mais peu d'entre eux sont connus aujourd'hui. On cite, parmi 
les théologiens ayant écrit en arabe, *Abdol-Ghafoûr Lârî, le 
disciple et le commentateur de Djâmi, Mir 'AtâoUâh de 
Mechhed et Saïf ed-Dîn Ahmed, que Chah Ismâ'îl fit exécuter 
à Hérat parce qu'il refusait d'abandonner le Sunnisme. Djâmî 
a écrit sur la gramu)aire arabe; théologien et historien à la 
fois, Gheref ed-Din ^Alî Yezdi a commenté le poème arabe de 
la Borda. 

Persans ou Turcs, les savants d'alors écrivaient volontiers 
en arabe, mais il n'en était pas de même des littérateurs. Le 
sultan Ahmed Djelâïrî a composé des vers en arabe et en per- 
san; polyglotte remarquable, Fuzoûli, que le sultan Suleîmân 
emmena à Constantinople, maniait avec une égale facilité le 
turc azéri et osmanli , le persan et l'arabe; mais de tels exemples 
sont rares. 

LA THEOLOGIE. 

Généralités. 

Au moyen âge la philosophie et le droit se confondent avec 
la théologie. Il en est souvent de même de la littérature, et 
Ton ne pourrait comprendre l'évolution des idées religieuses 
dans les pays de culture iranienne, sans une étude approfondie 
des poètes persans. Ceux du xv" siècle sont, nous l'avons vu, 
pour la plupart des philosophes ou des moralistes, même 
quand ils doivent leur célébrité à des œuvres profanes; beau- 
coup, parmi eux, avaient étudié la théologie, et ont laissé des 
travaux sur le dogme, l'exégèse et les diverses sciences reli- 
gieuses. Djâmî est l'exemple le plus frappant de celte union 

(^) Skrinb et Denison Ross, The Heart of Asia, p. 180. Cf. Brownb, op. cit,, 

658. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 245 

des lettres et de la théologie : poète mystique et moraliste, il 
est en même temps, exégète, tradition niste et hagiographe. 
Nous avons parlé de ses biographies de saints musulmans, si 
précieuses pour l'histoire du Soufisme; une mention spéciale est 
due à ses Achi^^atol-Lamaât «Rayons des Flammes», commen- 
taire des Lamaât de *Irâkî publié en Perse : l'introduction en 
est suivie d'une longue dissertation sur certains points du mys- 
ticisme. Djâmî est encore l'auteur des Lavaih « Flammes n , Irailé 
de mysticisme en prose mêlée de quatrainsdontM.E.-H. Whin- 
field et Mirzâ Muhammad Qazwînî ont publié, en 1906, le 
texte en fac-similé, accompagné d'une traduction anglaise. 
Une prière extrêmement curieuse est placée en tête de cet ou- 
vrage ^^^. 

Mollâ 'Abdol-Ghafoûr Lârî, le fidèle disciple et le biographe 
de Djâmî, dont il a commenté les Nafahât, a été aussi un théo- 
logien remarquable. Esprit cultivé, il était très versé dans les 
sciences profanes. C'était un homme simple et sans prétentions, 
dont la vie s'écoula au milieu des théologiens ^^l 

Seïf ed-Dîn Ahmed fut le dernier Cheikhul-Islâm du Khoras- 
san ayant appartenu à la famille des Taftâzânt, chez qui cette 
dignité était en quelque sorte héréditaire. Théologien et litté- 
rateur estimé , il se faisait remarquer par son zèle : on assure 
que pendant soixante-dix ans il ne manqua pas une seule fois 
la prière du vendredi. Chûh Ismâ^îl le fit mettre à mort lors die 
la prise d'Hérat^^^. 

Mystique et savant, Khodja 'Obeïdallah Ahrâr, qui avait 
pour devise Al-fkr fakhrî «La pauvreté est ma gloire», mort 
à Koumaguirân en 896 (1^89), est le plus grand nom de 
Tordre des Nakchbendiyè. A Samarkand son tombeau est un 
lieu de pèlerinage, et son Tohjèyé-Ahrâr «Présent aux hommes 

0) Cf. Bbownb, op, du, 445-448. 
W Op, cit., 458. 
(») Ibidem. 



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246 AVRIL-JUIN 1926. 

libres» est un livre devenu classique. Fakhr ed-Dîn *Alî a écrit 
808 Rachahât d'après des notes prises dans les entretiens qu'il 
eut avec lui^*^ 

On trouve parmi les théologiens d'alors des souverains : 
01ouf;li B>*y, qui connaissait les sept lectures du Coran, et 
Hoscïn Baykara, ainsi que plusieurs hommes d'Elut, comme 
Mevlinâ UbdolHumîd et Meviânâ Djelûl cd-Dîn Yoûsouf Oii- 
babi, un merveilleux savant. Plusieurs d'entre eux passèrent 
leur existence dans les cours : ce fut le cas pour Mevidnâ Chems 
ed-Din Mohammed Emin, qui mourut, très âgé, sous Bâber, 
et Mîr Dervîch Mohammed Sàrbân, Tun des disciples préférés 
de Khodjâ Âhràr, et, en même temps, un brillant causeur. 

Les exigèles. 

Djâmi et Mîr ^Alî Ghir sont connus, le premier surtout, 
comme commentateurs. Ils avaient été précédés par Kemâl ed- 
Din Hoseïn ibn Hasan, auteur et traducteur fécond, né dans 
le Kharezm et tué par les Uzbeks entre 835 et %ko (i&3a- 
i/iSy). Disciple de Aboû'l-Véfû, il a laissé, entre autres ou- 
vrages, un Commentaire du Mèsnévi de Djelâl ed-Dîn Roûml 
dontrintroduction est précieuse pour la connaisssancc du Sou- 
fisme ^^^ Mevlûnâ Fasih cd-Dîn, protégé de Hoseïn Baykara et 
de Mîr *Alî Chîr, mort en 919 (i5i3), a composé de nom- 
breux commentaires d ouvrages relatifs aux dogmes : ses écrits 
sont, aujourd'hui encore, classiques en Asie centrale. Hoseïn 
Vâ*ez Kâchefî est l'auteur d'un commentaire persan du Coran, 
Mèvâhèlhé ^Aliyè «Les Dons sublimes», dédié à Mîr *AIÎ Chîr, 
et qui devait comprendre quatre volumes : revenu h des idées 
plus modestes, Tauteur réduisit à un seul les quatre volumes 
de cet ouvrage, oublié en Perse, mais encore très estimé dans 

w Op. du, iihi. 
w Op. cit., 44/1.445. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 247 

l'Inde t^^ Nous avons vu que ^Abdol-Ghafoûr Lûrî avait aussi 
écrit des commentaires. 



Les Iradîlwnmstes. 

L'élude des hadith, ou traditions relatives au Propbèlo, est 
devenue Fobjet d'une science très cidtivée dans tous les pays 
musulmans. MJr Djemal ed-Dîn Mokaddus est, pour répo(|ue 
timouride, le plus célèbre de ceux ([ui s'y sont adonnés. Il vivait 
encore, très âgé, du temps de Bàber. 

Les hagiographes. 

Parlant des travaux biographiques, nous avons signalé les 
œuvres de Djâmî, de Iloseïn Vâ'ez Kâchefi et do Movlûnâ 
Mo^ayyen de Ferrâh, et leur importance au point de vue reli- 
gieux. 

Le Horoûjistne. 

Les doctrines horoûfies, qui devaient se propager rapide- 
ment en Turquie, n'eurent guère de succès dans leur pays 
d'origine, la Perse. On ne peut guère citer, pour l'époque 
timouride, d'autre ouvrage boroAfî en langue persane que le 
Mahrem-Nâmè «Livre des Confidences», composé en 8a 8 

(i^âS) par Seyyed Isbâk; il a été publié et traduit par M. CL 
Huartî2). 

LE DROIT. 

Nombreux sont les traités de jurisprudence du xv* siècle : la 
plupart ont été composés en arabe. Mais leurs auteurs sont 



») Op.dt., khù. 

(*) Textes horoûfis, p. i3-58 des textes et 91-94 des traductions. 



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248 AVRIL-JUIN 1926. 

presque tous oubliés. On ne peut guère citer que Kâzî Ikhti- 
yâr, excellent magistral, ami fie Bâber qui lui enseigna Técri- 
lure bâberî : il a écrit plusieurs traités sur le droit et les expres- 
sions du Coran; Mollâ 'Abdol-Ghafoûr, le disciple de Djâml : 
c'était un juriste de valeur, et Khodja Djelâl FeïzoUah, de 
Hérat, le maître de Mîr'Alî Ghîr. Ce dernier comptait, parmi 
ses amis, le cadi isâ, à la fois jurisconsulte et poète, attaché à 
la cour de Ya*koûb Mirzâ : il lui donna un jour les œuvres 
complètes de Djâmî, ainsi que plusieurs autres ouvrages. Isa 
était un homme de mérite; mais ses exigences l'avaient rendu 
impopulaire, et le poète Cheïkh Nedjm, un autre ami de Mîr 
'Alî Chîr, usait de tout son pouvoir auprès de Ya^koûb Mîrzâ 
pour faire atténuer ses exigences ^^\ 

LES SCIENCES. 

Toutes les branches du savoir sont représentées, et le plus 
souvent de façon brillante, à l'époque timouride. Les mathé- 
matiques, et en particulier l'astronomie, attirent les cher- 
cheurs, et le premier nom qui vient à la pensée est celui dun 
souverain qui fut avant tout un savant : Olough Beg. On trouve 
encore, parmi les Timourides, un prince qui, véritable auto- 
didacte, étonnait par la profondeur et la variété de ses connais- 
sances : Kitchik Mirzâ. 

Olough Beg et rastronomie. 

Lettré et savant, Olough Beg s'adonna avec passion à l'as- 
tronomie, et ses recherches lui firent oublier plus d'une fois 
les exigences du pouvoir. En832(i4Q8),il faisait commencer 
à Samarkand , au bord du Kohik , la construction d'un obser- 

■^î Bblin, Notice. . . apud Journal Asiatique, 1861, XVIt, a 9 3. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 2A9 

valoire auquel furent attaches, avec de riches dotations, trois 
gavants venus de Kâchân : Hasan Tchélébi, dit Kâzîzâdè Roûmi, 
dont le fils, Meryem Tchélébi, commenta l'œuvre de Olough 
Beg; Ghiyâs ed-Dîn Djemchîd et iMo'ayyen ed-Dîn Kâchânt. 
Avec eux, un astrologue d'origine israélile, Salâh ed-Dîn, avait 
pris l'initiative de cette construction, dont ^Alî Kouchdje fut 
l'architecte. 

L'observatoire de Olough Beg, qui n'existe plus aujourd'hui, 
passait pour une des merveilles du monde, et la mère de son 
fondateur, Gauher Châd, fit le voyage de Samarkand pour le 
visiter. Olough Beg, dans les recherches auxquelles il se livrait 
avec les savants deKachan, avait inventé de nouveaux appareils 
astronomiques, et constaté que le comput de Ptolémée était 
en désaccord avec ses propres observations. Il voulut le corri- 
ger et ce fut là l'origine des « Tables nouvelles et sultaniennes », 
Zîdj-é Djedîd'é Soltânî, œuvre collective qui contient tout le 
savoir des astronomes du xv* siècle. Achevées en84i (1487), 
et divisées en quatre parties : 1* compuls et ères divers; 
2° connaissance du temps; 3* cours des astres; 4° position des 
étoiles fixes, ces Tables ont rendu Olough Beg célèbre en Eu- 
rope. Le premier, John Greaves (en latin Graevius)^ professeur 
d'Oxford, attira Taltention sur elles (t642-t 648); en i665 
Hyde en donnait une traduction latine revue, longtemps après, 
par Sharpe (t 767), et, de 1 8^7 à i853, Sédillot en a publié 
le texte accompagné d'une traduction française ^*l 

Greaves, que nous venons de citer, a fait connaître chez nous 
un autre astronome d'alors : Mahmoud Chah Kholdjî. Mais on 
peut dire qu'avec Olough Beg finit, pour longtemps du moins, 
la période des travaux astronomiques de l'Orient ^^^; si l'on en 
excepte Khodja Oouhad Mostooufî, le protégé de Mîr 'Alî Chîr, 



(^) Vambért, Ge»ch. Bochara's, II, 9-10; cf. Brownb, op. cit., 386, 5o8. 
'*) SEDILLOT, Prolégomènes, I, ggxxxii. 



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250 AVRIL-JUIN 1926. 

savant et poète h la fois, on ne verra plus guère d'astronomes à 
Tcpoque timouriJc. 

Les mathématiciens. 

Les ouvrafjes sur les malhérantiquos, sur rarilhmélîf[ue en 
particulier, sont exirémemcnt nombrcuï au xv* siècle. Olough 
Bi'g a laissé la rëpulntion d'un savant maihémalicien. Sous 
Châhroukh, Kavâmod-Dîn était regardé comme un géomèlre 
hors de pair. Un Azerbaïdjanîcn qui, après avoir étudié à 
Samarkand, alla se fixer chez les Ottomans, Chîrvânii Fathoul- 
lâh,morten 857(i453-i45/i), a laissé, sur l*»s mathématiques 
et la théologie, plusieurs ouvrages estimés; ils ont été com- 
mentés par son fils, FathouUàhzâdè. 

Uart militaire. 

Sous le règne de Hoseïn Baykara on vit un théologien chiite, 
Mohammed Mîr Yoûsouf, parvenu à la dignité de cheikhul- 
Islâm, s'éprendre des questions militaires au point de négliger 
comnlèlement, pour elles, les devoirs de sa charge. On sait 
que les Mémoires de Bâber, auxquels ces détails sont em- 
pruntés, sont des plus précieux pour l'histoire militaire du 
xv* siècle. 

La médecine. 

Azerbaïdjanien d'origine. Ottoman d'adoption, Mahmoud 
ibn Mehmed Dilchâd Chîrvanî, était à la fois médecin et miné- 
ralogiste : la Bibliothèque Mourûdiyède Magnésie possède son 
Abrégé de médecine et son Kèmâl-Nâmè «Livre de la Perfec- 
tion». Il écrivait en 84 1 (i 487-1 /i38)^^^ Dans ses Mémoires, 
Bâbcr parle de Mevlànâ Yoûsouf î, habile médecinj qu'il fit 

i^J YoLsouF Bbk VszinofF, op, cit., 1 13. 



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ESSAI SUR U CIVIUSATION TIMOURIDE. 251 

venir du Khorassan, el de son vizir Khodja Nizâmoud-Dîn 
Khalîfè qui, lui, étudia la médecine par goût. Un autre méde- 
cin en vue, à celle époque, était ^Abdul-Hayy, qui servait do 
messager à Hoseïn Raykara et à Mîr *Alî Chîr. Ce dernier, 
dans son Mahboûboul-Kotiloûb^^\ fait un curieux exposé des 
devoirs du médecin , à qui la science ne suffit pas pour remplir 
dignement sa mission : il doit, avant tout, être humain, com- 
patir aux souffrances de ses malades, les consoler, les encou- 
rager, et prendre autant de soin des âmes que des corps. 
Unie a la science, la bonlé accomj)lira des miracles compa- 
rables h ceux de Jésus, et fera de la fontaine de Jouvence une 
réalité. Mais le médecin inhumain, si grand que soit son savoir, 
ne peut être autre chose qu'un bourreau. 

Bâber, dans ses Mémoires, donne de curieux détails sur la 
médecine et la chirurgie de son temps ^^^ On employait comme 
remèdes les prunes sèches, les pastèques, le narcisse, Teau 
de rose, Topium, le mercure; les fumigations de poivre, les 
Ioniques, les contre-poisons, étaient également en usage. Les 
chirurgiens, appelés par les Mongols bakhchi, pratiquaient la 
trépanation. L'un deux, qui soigna Bâber blessé à la cuisse, 
appliqua un bandage sur sa plaie, sans y mettre de charpie, et 
lui fit prendre, une seule fois, une substance semblable à une 
veine (?). Ce chirurgien, nommé Abikè-Bakhchi , était d'une 
grande habileté : pour certaines blessures il se contentait do 
faire avaler des drogues; pour d'autres, il appli(|uait des em- 
plâtres. Ayant eu un jour à traiter un homme qui avait eu le 
pied broyé, il lui fit une incision, retira les esquilles, et mit à 
la place des os broyés une substance qui prit bientôt la consis- 
tance des os eux-mêmes : au bout de quelque temps le blessé 
fut complètement guéri ^^^ 

0) Éd. de Constantinoplc , 29. 

(*) Cf. la traduclion Bbtbridgb, II, 860. 

(^ Op. cit., I, 169-170, et trad. Pavbt db Gourteillk, 1, 936-237. 



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52 AVRIL-JUIN 1926. 



Les sciences naturelles. 



Nous avons du médecin Mahmoud ibn Mehmed Dilchàd 
Chirvâni un traité en turc osmanli sur les pierres précieuses 
dédié au sultan Mourâd, le Tuhfè-i Mourâdî; il en existe un 
manuscrit à la Bibliothèque du Musée de Constantinople^*^. 
Grand observateur, le sultan Bâber a noté, dans ses Mémoires, 
tout ce qui Tavait frappé dans la faune et la flore des pays 
qu'il avait vus : une étude sur les faits qu'il signale ne manque- 
rait pas d'intérêt <2). 

Géographie et ethnographie. 

Nous avons vu que Hâfiz Abroû avait, composé, pour Châh- 
roukh, un grand ouvrage géographique dont le premier vo- 
lume, encore inédit, a été conservé ^^^ De précieux renseigne- 
ments sur l'ethnographie de l'Asie se trouvent dans la relation 
de l'ambassade en Chine, faite également sur l'ordre de Châh- 
roukh, par Cheref ed-Dîn *Alî Yezdî, dans les questions et 
réponses sur l'Inde, de Djâmî^^^ et dans les Mémoires de 
Bâber. 

Les sciences occultes. 

Au moyen âge, chaque souverain avait ses astrologues. On 
a conservé le nom de 'Abdol-Kâder Maraghaï, chef des astro- 
logues de Châhroukh, et Bâber parle dà sien, Mohammed 
Cherîf, comme d'un homme méprisable dont il dut se séparer. 
Nous savons quelles furent, pour Baysonkor Mirzâ, les consé- 
quences des prévisions astrologiques. 

^*J Y0U8ODP Bkk Vezîbopp, loco eitalo, 

(') Cf. rindex général de la traduction Bb?bridgb, 11, 862-863. 

(') Bbownb, op,cit,, ^95. 

(*> Vambéry, op, cit., II, 3 1 (note). 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 253 

L'alchimie avait aussi de nombreux adeptes. Cheref ed-Dtn 
Alî Yezdi s'y iivrait avec ardeur; il a, en outre, écrit des traités 
de magie. L'un des émirs de *Omar Cheikh, ^Ali Dost Taghay, 
se vantait d'être magicien. 

LES ARTS. 

Généralités. 

Dans son magistral ouvrage, The Miniature Patnting and 
Painters ofPersia, India and Turkey^^\ M. F. R. Martin déclare 
que les Timourides furent les princes les plus artistes qui aient 
régné sur la Perse. Ils réparèrent brillamment les ruines 
laissées par leur aïeul. L'art persan atteignit, à leur époque, 
sa perfection. Poètes estimés, Baysonkor, Chahroukh, Olough 
Beg^ lioseïn Baykara furent aussi de grands bibliophiles, aux- 
quels les ducs de Bourgogne et le roi René d'Anjou ne furent 
pas supérieurs. Baysonkor fut l'un des premiers bibliophiles du 
monde. Les industries d'art : tapis, faïences, ivoires, armu- 
rerie, firent des progrès remarquables. Généreux Mécènes, les 
souverains timourides étaient toujours à la recherche du beau, 
et leurs cours rappelaient les meilleurs jours des Omeyyades 
et des Abbassides. 

L'influence chinoise est un des caractères essentiels de l'art 
timouride. Cette influence, conséquence naturelle de la con- 
quête mongole, était déjà ancienne : elle était prépondérante 
dans la seconde moitié du xni" siècle, époque à laquelle Hou- 
lagou fondait à ïauris et à Maragha des ateliers de céramique 
dont les ouvriers avaient été amenés de Chine; nous verrons 
quel rôle jouait la céramique dans l'ornementation architectu- 
rale d'alors. Peintres et miniaturistes, de leur côté, adoptent 
le style chinois. ^ 

(^) London, 191a, 1, 35-36; passage repiodutl dans Bbownb, 39^-397. 



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254 AVRIL-JUIN 1926. 

Une autre caraclérîslîque de celle <?poquc, c'est Fimporlance 
prise par les arts du livre. Plus que jamais, la calligraphie est 
un art ralFiné; Penluminure des manuscrits nous a valu 
d'admirables chefs-d'œuvre, de même que la reliure et les 
arls annexes. 

L'architecture. 

Un plan d'aspect massif, des voûtes peul-ôtre d'une construc- 
tion hardie, mais s'appuyant sur des murs dont l'épaisseur 
atteste l'inexpérience ou la prudence des architectes (ce car-ic- 
tère d'ailleurs ira en s'alténuant)^*^; de longues colonnes 
sculptées, fréquentes surtout dans les monuments du Tur- 
kestan, et qui rappellent ces piliers sculptés de bois de senteur 
recouverts de fourrures qui soutenaient les tentes de Djenguiz 
Khan et de Timour^^^, des revéterai^nts de céramique qui, dès 
le début, atteignirent presque la perfection ^^î, et où Ion 
remarque un emploi très judicieux des couleurs, sont les traits 
essentiels de l'architecture timouride. L'influence chinoise, si 
grande dans les arts d'alors, s'y fait nettement sentir : la mos- 
quée a emprunté à la p«igodc son dôme en forme de bulbe; 
les revêtements de céramique sont faits à l'imitation de la 
Chine î*). 

Le Goûr-é-Mlr, ou sépulture de Timour à Samark»nnd, 
construite par l'architecte Mohnmmed Ibn Mahmoud Isfabânî 
en 808 (1 4o5), est le plus célèbre des monuments d'alors. Le 
tombeau proprement dit comprend une salle en forme de 
croix, inscrite dans un octogone et composée de quatre grandes 
niches merveilleusement décorées de stalactites, et sur los- 

t*) Saladin et MiGGON, Manuel, I, 873. 
W Op,ciL,\, 43i-/i3a. 
t3) Op, cit.. I, 355. 

^*) Voir Télude de M. E. Blochet, Les inscriptims de Samarkand, I, Le 
Gour Emir, apud Revw archéologique, 1897, XXX, 67-77. 



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^ 



ESSAI SUR^LA CIVILISATION TIMODRIDE. 255 

quelles repose un double dôme, dont ia construction est à la 
fois ingénieuse et solide, et dont lornemenlalion extérieure 
est faite de côtes en briques émaillées formant rosace, avec des 
slalaclites h la base et une frise d'inscriptions en caraclères 
koufiques, surmontées de deux bandeaux d'attributs divers. 
A l'inlérieur, la salle centrale ne contient que des sarcophages 
figurés : les véritables tombeaux se trouvent dans une crypte 
fermée par une belle pierre de jade noir couverte d'inscriptions, 
et ils sont entourés d'une balustrade de panneaux de marbre 
percés à jour, avec une ornementation géométrique. Les murs 
sont couverts de jaspe et de faïence, avec des arabesques et 
des inscriptions. Deux mausolées servant de sépulture à des 
parents de Timour se trouvent à droite et à gauche du Goûr- 
é-RIîr, dans la cour d'entrée. On pénètre dans cette dernière 
par un grand portail qui, bien que ruiné, reste un des plus 
beaux spécimens de l'art timouridc. Les revôtemenls de céra- 
mique ont conservé tout leur éclat ^^^. 

Les plus remarquables des monuments édifiés, achevés 
ou restaurés sous les Timourides sont : à Samarkand, la 
mosquée de Bibi Khanoum, élevée de 1889 ^ i^'oS, et les 
édifices d*Olough Beg, comprenant un couvent, hhnnèkdh, dont 
la coupole dépassait en hauteur ctlle de tous les autres cou- 
vents (lu monde; les mosquées de Olough Beg et de Chah 
Zendè, achevées en SsS (1/120) et en 838 (i/i3/i) : la pre- 
mière était dite «mosquée découpée», mesdjid-é mohaiUi, en 
raison de Torncmentation à la chinoise, en bois découpé et 
colorié, qui en recouvrait le plafond et Irs murs; unemedrèsè 
construite en 8-28 (lAaA), doni le bain était orné de merveil- 
leuses mosaï([ues; le palais des Quarante colonnes, Tchehel 
Souloûn, construction à deux étages flanquée de quatre hautes 
tours et que décorait une imposante colonnade à ornemcnta- 

^^î Saladin, op. cit,, J, 359-363. 



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256 AVRIL-JUIN 1926. 

lîon droite el courbée; Ja Salle du Trône, Keurunuchkhânè , 
construite en blocs de marbre : le piédestal du trône était 
formé par un bloc de 8 aunes de largeur sur 1 5 de longueur 
et 1 d'épaisseur î^^ le Tchînîkhâné, pavillon dont les murs 
avaient été décorés à la fresque par uti artiste chinois, et enfin 
le célèbre observatoire, aujourd'hui détruit. A Amol: le tom- 
beau de Nâserol-Molk , daté de 86/i (i/i6o). A Ispaban : le 
Grand Portail ou Dervâzè Dèr-é-Kiochk , édifié en 901 (i 4 96). 
A Mechhed enfin, le tombeau de l'Imam Rezâ, construit à une 
époque que l'on ne peut préciser ^^^. 

La Mosquée Bleue de Tauris, construite de 1487 à 1/168 
sous le règne de Djihânchâh, souverain de la dynastie du 
Mouton-Noir, est décorée de mosaïques et de faïences de toute 
beauté, dans lesquelles on remarque une grande variété de 
procédés et dé motifs d'ornementation. Briques émaillées, 
mosaïques de brique et mosaïques de faïences taillées à la 
main recouvrent partiellement le porche et le portail, com- 
binés à l'occasion avec des stalactites de terre cuite. Quant aux 
sujets, ils consistent en inscriptions, médaillons, étoiles, fleu- 
rons, etc. Le bleu, qui présente une grande variété de nuances, 
domine dans les faïences, où l'on trouve aussi des tons vert 
foncé, feuille morte ou noir; les briques sont de couleur gris 
rose; des arabesques d'or et des lambris d'agate relèvent le 
tout. Les portes sont en albâtre, et deux dômes superposés: 
l'un mosaïque, l'autre de marbre blanc, surmontent l'édifice, 
dont Tavernier fait une longue description ^^^. 

Les auteurs de ces chefs-d'œuvre sont, pour la plupart, des 



^^î Ce bioc, qui a été endommagé par un coup reçu pendant son transport, 
n'est pas la fameuse Pierre bleue de Samarkand, que Vambéry décrit dans son 
Voyage, p. 167; les dimensions ne sont pas tes mêmes. 

l*) Bâber, Mémoires, trad. Pavet de Courteille, J, loo-ioa; Vambéry, Gesch. 
Bochara'ê, II, 8-9; Saladin et Migbon, op, cit., I, 435. 

t^î Saladin et Migeon, op. cit., I, 363-373. 



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ESSAI SUR LA GIVIUSATION TIMOURIDE. 257 

architectes inconnus. On n'a guère conservé d'autres noms que 
ceux de Mohammed ibn Mahmoud Isfahânl, déjà nommé, de 
*Alî Kouchdje, qui éleva l'observatoire de Olough Beg, et de 
Oustâd Kavâmod-Dîn, l'architecte de Ghahroûkh. 

Introduite dans l'Inde par les conquêtes de Bâber, l'archi- 
tecture timouride s'y propagea rapidement, donnant naissance, 
au sud de la rivière Nerbudda, à plusieurs écoles : i** des 
princes de Bidjapour(i 489-1660), au style presque entière- 
ment persan; 2° des monuments de Golconde, oii la déca- 
dence apparaît déjà (i5 12-1672); 3** des monuments du style 
mongol introduit par Bâber en lAg/i : les écoles précédentes 
s'y fondent, et il en est de môme pour celle de la dynastie 
Bahmanî à Kalburga (13A7) et Bidar (1A26), qui cesse 
d'exister en 1025; 4** des monuments du Sind, où le caractère 
persan est marqué; 5** et 6** d'Oude et de Mysore(xviii* siècle), 
où ce caractère se présente d'une façon moins nette ^^\ 



La pe{nt\ 



ure. 



La peinture fait son apparition en Perse avec les souverains 
mongols; une école de miniaturistes se fonde vers i365, lors 
de l'avènement de Timour, qui fait faire son portrait et ceux des 
membres de sa famille; cette école subsistera jusquà la mort 
du prince cheïbanide Nevroûz, c'est-à-dire jusqu'au milieu du 
XVI* siècle. Tous les Timourides favorisèrent les peintres : 
Cbâhroukh lui-même cultivait leur art, et il en était de même 
du vizir de Hoseïn Baykara, Mîr 'Alî Chîr. 

Gomme dans les autres arts, nous retrouvons ici l'influence 
chinoise. Les Ghinois ont été les maîtres des Persans, dit 
M. Gayet; dans les miniatures qui ornent quelques beaux ma- 
nuscrits de la Bibliothèque nationale, exécutés au xr* siècle, 

w Op. cit., n, 547. 

CGTIII. 18 



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25.S AVRIL-JUIN 1920. 

on reconnaît des types physiques extrême-orientaux, des nuages 
ayant la forme du tchi. C'est le cas, en particulier, pour le 
Mirâdj-Nâmè, ou récit de l'ascension du prophète Mohammed^*), 
manuscrit provenant de Hérat et datant des débuts du règne 
de Ghâhroukh : ses miniatures sont un peu monotones; mais 
on y remarque (fol. 5o) un bien beau paysage, attestant une 
rare compréhension de la nature. L'influence chinoise est en- 
core plus marquée dans le traité d'astronomie de ^Abd Er- 
Rahmân Soâfi, exécuté pour Olough Beg^^^ : le dessin en est 
beau, et la décoration désuète. Le manuscrit de Djoveïnt^^^ est 
un des plus beaux spécimens de Tart d alors; il est daté de 
1 /i 3 7 et a été exécuté à Hérat, comme le manuscrit des amours 
de Houmây et de Houmâyoûn, conservé à Vienne ^^^, et anté- 
rieur de dix ans. 

Plusieurs écoles de peinture se formèrent sous les Timou- 
rides : à Samarkand, à Boukhara, à Hérat; leurs productions 
sont de beaucoup supérieures à celles des écoles mongoles qui 
les précédèrent. Elles s'adressaient à un public plus raiEné , 
peu désireux de contempler des scènes de bataille et de car- 
nage; l'expansion artistique était libre, et le pouvoir favorisait 
les artistes. Des villes où elles avaient pris naissance, les tradi- 
tions timourides pénétrèrent en Perse et dans les États uzbeks, 
où elles se conservèrent longtemps. Mais, bien avant la dispa- 
rition des successeurs de Timour se produit une évolution à 
laquelle on devra une nouvelle école, dite séfévide, qui fait ses 
débuts à Hérat sous le règne de Hoseïn Baykara, entre 1/167 
et i5o5, et se distinguera par son abandon et sa grâce. Le 
Djâmî illustré par Mahmoud ^^^ et le merveilleux Divan de Mtr 

(^) Supplément turc, n° 190. 
W Arabe 5o36. 
^^^ Supplément persan, 206. 
W N" a8t. 

(^) Supplément persan de la Bibliothèque Nationale, 1/116. Il est daté de 
905(1/199). 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 259 

Aiî Ghtr^^^en sont des monuments caractéristiques ^^J. Behzâd 
devient le chef de la nouvelle école, qui atteindra son apogée 
sous Chah 'Âbbâs. 

Dans son savant ouvrage , Les calltgraphes et les mmaiurtstes 
de r Orient musulman ^^\ M. Cl. Huart a donné la succession des 
maîtres de Tépoque timouride. Des premiers, nous savons peu 
de chose. Oustâd Gong Nakvatol-Moharrirîn, le premier en 
date, forme Djihânguir ^Omdatol-Mosavverin, de Boukhara, 
qui est lui-même' le maître de Behzâd. Celui-ci, dont le véri- 
table nom était Kemâlod-Din , était originaire de Hérat, débuta 
sous Hoseîn Baykara et continua sa carrière sous Chah Ismâll, 
également favorisé des deux souverains. Il vivait encore en 1 5 â /i. 
Il y a une dizaine d'années, Mirza Muhammad Qazwini trou- 
vait dans le Nâmèyé-Nâmi, recueil manuscrit de pièces offi- 
cielles formé par Khondémîr et acquis par la Bibliothèque 
Nationale, deux pièces qui nous fournissent de nouvelles don- 
nées sur l'existence mal connue d*un peintre cependant célèbre. 
Ce sont : 1* la préface écrite par Khondémîr pour le recueil 
des œuvres de Behzâd; â"" le décret de Chah Ismâ^il nommant 
ce dernier directeur général de la Bibliothèque royale, et fai- 
sant de lui une sorte de surintendant des corporations artis- 
tiques dont nous parlerons plus loin^^^ Ce décret, dont Khon- 
démîr est également le rédacteur, porte la date de 928 (i San). 
Behzâd qui, d'après Bâber^^', avait un talent délicat, mais 
exagérait les lignes du menton dans les visages imberbes, et 
ne peignait avec perfection que les visages barbus, a formé, 

(^> Supplément turc de la Bibliothèque Nationale, 3 16. Il a été exécuté à 
Hérat en 98/1 (1627). 

(^) Saladin et M16BON, op, cit., II, 3 1-/10. 

(3) Voir p. 330-334. 

(*) Deux documents inédits relatifs à Behzâd, apud Revue du Monde musulman, 
191 &, t. XXVI, p. 1/16- 1 61 (texte et traduction, par MinzA MnHAMMAD 
Qaiwini et L. Bodtat). 

(') Mémoires, tràd. Pavet de Gourteille, I, /iia. 

18. 



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260 AVRIL-JUIN 1926. 

entre autres élèves, Cheikhzâdè, du Khorassan, et Mîr Mo- 
savver, do Sultanié, qui fut lui-même le maître de Mîr Zeïnol- 
^Abidln, d'Ispahan, de Aga Mlrek, chef d'école après Behzâd, 
de Mozaffer 'Alî, le décorateur des Tchehel Soutoûn, etc. 

Behzâd avait un rival très habile, mais qui mourut jeune, 
et au moment de son plus grand succès : Chah Mozaffer. 
Bâber, qui lui consacre quelques lignes (^), dit qu'il excellait 
surtout à rendre les chevelures, et qu'il a laissé un traité de 
mystique remarquable, mais dont les idées ne sont pas de 
lui. 

Siyâvouch le Géorgien, dont le maître, Oust&d Hasan, était 
doreur de profession , jouissait aussi d'une certaine renommée. 
Une curieuse figure, parmi les artistes d'alors, est celle de 
Hâdjî Mohammed Nakkâch, d'Ispahan, plus connu sous le 
nom de Mir Nakkâch. Bibliothécaire de Mir Ali Chir, il fit pour 
lui une curieuse horloge, devint doreur et fabriqua des porce- 
laines imitant celles de Chine. Directeur du musée de pein- 
tures de Chah Tahmâsp, il fut disgracié et dut se réfugier en 
Turquie, où Sultan Suleïmân lui accorda une pension. Un 
souverain djelaïride. Sultan Oveïs, était peintre lui-même, et 
il forma un élève : *Abdol-Hayy ^^^. 

Les pii;îces timourides amenèrent de Perse dans l'Inde des 
artistes qui fondèrent une belle école de miniaturistes, de 
dessinateurs et de portraitistes : un manuscrit de YAkbar- 
Nâmè, conservé au Soulh Kensington Muséum, contient les 
portraits des nombreux peintres qui vivaient à la cour d'Akbar ^^l 
Dans le Khorassan et leTurkest^m, les traditions artistiques se 
conservèrent jusqu'au début du xvii'' siècle, «jusqu'au jour où 
les tribus qui habitent cette vaste contrée retombèrent, et cette 
fois définitivement, dans la barbarie dont les Timourides du 

(1) Ibidem. 

(*) Cl. HuART, op, cit., 3a6. 

(^» CLHoART, op. ci«..338 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 261 

Khorasan et de ia Transoxiane avaient tenté de les faire 
sortir» ^*^ 

La calligraphie. 

Nous passons de la peinture à un art auquel elle est inti- 
mement liée. «En Orient, la miniature n'est que la servante 
de la calligraphie : c'est celle-ci que l'on a su apprécier, pour 
laquelle, à certaines époques, on a fait des folies qui ne 
peuvent se comparer qu'aux grands prix donnés chez nous aux 
chefs-d'œuvre de la peinture ^^^.» 

Baysonkor, ce petit -fils de Timour qui mourut en 887 
( i433-i 434) sans avoir régné, donna une impulsion remar- 
quable à 1^ calh'graphie et aux divers arts du livre : enlumi- 
nure, dorure, cartonnage, etc. Elève de Chems ed-Dîn Bay- 
sonkort, de Héral, il était devenu un calligraphe remarquable, 
et les Persans le considéraient comme un maître pour le thoulouth 
ou 8ulu8^^\ écriture de grandes dimensions employée surtout 
pour les litres d'ouvrages et les diplômes. Il s'était attaché 
quarante artistes de valeur qui, sans interruption, copiaient 
des manuscrits dans sa bibliothèque; plusieurs de leurs œuvres 
existent encore aujourd'hui dans les bibliothèques de Conslan- 
linople. Chems ed-Dîn , Hàdji Maksoûd , Turc d'Anatolie incom- 
parable pour le rika^'^\ et Ahmed Roûmî, étaient au nombre 
de ces calligraphes^^^ 

Plusieurs des artistes d'alors excellaient dans tous les genres. 
Tel fut le cas pour Sultan Ahmed Djelâïrî, tué en 8 1 3 (i 4 1 o) : 
élève de son père pour la calligraphie, il était de plus graveur, 



W Blochbt, Lei écoUt de -peinture en Perse, \ko. 

^') Cl. HuART, op. ciUt 3. 

W Cf. op. cit., a8-36. 

(*) Variété d^($criture dont les extrémités sont arrondies. Op. cit., 35. 

î-') Op. eiU, 97^98. 



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262 AVRIL-JUIN 1926. 

doreur, archer, musicien et littérateur; pour Khâdjè ^Âbdoi- 
Kâder Goûyendè, qui, du service de ce prince, passa à celui 
de Mtrânchâh, de Timour et de Châhroukh; pour AbdoUâh 
surnommé Achpèz ou Tabbâkh «le Cuisinier», en raison de 
son premier métier, homme simple et modeste que l'on disait 
seul comparable au maître Yàkoiit; pour Ibrahim Mirzâ, fils 
de Châhroukh, qui décora d'inscriptions les monuments de 
Samarkand, et ^Abdollâhè Morvârîd, qui écrivait de la main 
gauche avec la plus grande facilité : il était, de plus, bon 
poète, et son fils ^AbdoUâh devint émir sous Hoseïn Baykara. 
D'autres étaient des spécialistes : nous en avons nommé 
quelques-uns, et nous devons en citer encore : 

Mohammed Mou min, fonctionnaire du palais de Chah 
Ismâ'il et professeur de Sâm Mirzâ, spécialiste du naskh ou 
écriture classique arabe ^^^ et du sulus. À ces deux genres, 
Hakimod-Din, plus connu sous le nom de Idris de Bitlis, 
joignait le talîk, écriture persane dans laquelle les lettres 
semblent suspendues les unes aux autres ^^l Historien et poète, 
Idris fut d'abord au service des souverains de la dynastie du 
Mouton-Noir; les succès des Séfévis l'obligèrent de se réfugier 
en Turquie, où son fils Aboûl-Fazl, connu comme historien, 
devint deflerdâr, ou ministre des finances ^*^. ^AbdoUâh Kâteb 
Herevi, mort en8A9(i445), excellait dans le naskh, etNoûri 
Kemâl, de Transoxiane, qui florissait en 871 (1 566) était un 
virtuose du sultis. 

Au début du xvi* siècle, plusieurs calligraphes persans 
émigrèrent en Turquie, y apportant les traditions de l'art 
timouride. Idris de Bitlis ne fut pas le seul: le sultan Suleïmân 
emmena avec lui, à Constantinople, Chah Kâsem, de Tauris^*^ 

0) Cf. op. cit., 31-38. 
W Ci op. cit., 49-50- 

(*) Op. cit., 103. 

î'^ Op. cit., 99. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIiMOURIDE. 263 

et Zahîr ed-Dîn Kâdizâdè, de Ardébil, élève de Idrîs et traduc- 
teur persan de Ibn Khallikân^^^. 

L'écriture ouïgoure, dont les Turcs faisaient usage depuis 

plusieurs siècles, était en voie de disparition. Très défectueuse, 

n'ayant que seize caractères pour exprimer des sons beaucoup 

plus nombreux 9 elle ne pouvait soutenir une lutte inégale avec 

récriture arabe, dont elle avait tous les inconvénients sans en 

posséder les avantages. On trouve toutefois, à l'époque timou- 

ride, quelques manuscrits en caractères ouïgours : l'un d'eux, 

acheté à Constantinople par notre ambassadeur, le marquis 

de Nointel, et cédé par lui à Colbert, fait aujourd'hui partie 

de la Bibliothèque nationale (Supplément turc, 190). C'est 

une véritable merveille de calligraphie et d'enluminure , datée 

de84o(i436-i/i37),et contenant, avec le Mirâdj-Nâmè, ou 

récit de l'ascension de Mohammed au ciel, traduit de l'arabe, 

une version turque du «Mémorial des Saints», Tezkèrè-î-Evliyâ, 

de Ferîd ed-Dîn ^Atlâr. Pavet de Courteille a publié et traduit 

ces deux ouvrages ^^l 

Les arts d'ornementation. 

« L'art de la reliure s'est extrêmement développé sous les 
Timourides», dit M. Cl. Huart^^^ et les divers travaux quelle 
comporte : préparation du papier, écriture en couleurs, fabri- 
cation du carton, dessin des tableaux, vasU ou cartonnage, 
enlèvement des taches , dessin en bosse et en relief, chemsî ou 
motifs d'ornement en forme de boule ou de soleil, ronds et 
dorés, tracé des arabesques ou tarrâhî, incrustation, dorure 

^*) Of. cit., 101. 

W Mirâdj-Ndmek, publié pour la première fois d'après le niaîiuscrit ouïgour 
de la Bibliothèque Nationale, traduit et annoté, . . Paris, Ernest Leroux, 1882, 
gr. in-8*, facsimilé. — Tezkereh-i-Evliyd. Le Mémorial des Saints, traduit sur 
le manuscrit ouïgour de la Bibliothèque Nationale. . . Paris ^ Imprimerie Natio- 
nale, 1889-1890, s vol. in-fol. 

W Op. cit., 333. 



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2Ô4 AVRIL-JUIN 1926. 

et fabrication des divers ornements appelés nâderè « curiosités t) , 
firent de grands progrès. On donna des soins particuliers à la 
calligraphie , au découpage dn cuir et des feuilles. Les procédés 
de l'art persan furent introduits en Turquie par des relieurs 
venus de Perse; on les retrouve même dans les reliures fran- 
çaises et italiennes de la Renaissance ^^K 

On considère le peintre Kemâl, de Tauris, comme le créa- 
teur du dessin d'arabesques; son compatriote Mirzâ ^Âli aurait 
porté le nouvel art à sa perfection. Gbâh-Kouli Nakkâch et 
Mir Nakkâch d'Ispahan étaient de remarquables tarrâh «dessi- 
nateurs» : chef de Tateiler de peinture de Chah Tahmâsp, Mir 
Nakkâch fut attiré parle sultan Suleïmân à Constantinople, où 
son collègue Oustâd Veii Djân, comme lui venu de Perse, 
occupait aussi un emploi officiel. Plusieurs souverains et princes 
timourides : Ibrahim Sultan, Ahmed Sultan, Mirzâ Baysonkor, 
furent du nombre des tarrâh ^^l 

L'art de la découpure a été inventé par ^Abdollâh ibn Mir 
*Alî : la bibliothèque de Sainte-Sophie, à Constanlinople, pos- 
sède un divan de Hoseïn Bayknra décoré par lui, mais malheu- 
reusement mutilé. Son fils Doûst Mohammed fut son émule et 
forma un excellent élève, Seng ^Ali de Badakhchân; mais 
^Abdollâh, de Hérat, aurait surpassé tous les autres décou- 
peurs. Gomme le précédent, cet art a passé de Perse en 
Turquie ^^\ 

Parmi les doreurs célèbres on cite le maitre Siyâvouch, qui 
aurait formé Hasan de Bagdad, chef de l'atelier de peinture 
de Chah Tahmâsp^^), Mollâ ^Abdollâh, son contemporain, le 
peintre Mir Nakkâch et le sultan Ahmed Djelaîri. 

(') Edouard Fodihibb, L'art de la reliure en France aux derniers iiàcleê» 
a* éd., 108-109. 

<*) Cl. HoART, op. du, 3a4-3a.5. 
<*) Op. ci^,3a6-326. 
W Op. ci*., 339. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION HMOURIDE. 265 

Ces arts n'étaient pas les seuls. Le décret nommant Behzâd 
directeur de la Bibliothèque royale établissait son autorité, non 
seulement sur les calligraphes, kâtebân, peintres, nakkâchân, 
et doreurs, mozekhebân, mais aussi sur les encadreurs, d'edvel- 
kechân, fondeurs, hallkârân, batteurs d'or, zerkoûbân, el laveurs 
de lapis-lazuli, lâdjverdchoûyân ^^\ 



La céramique. 

Introduites en Perse par les céramistes chinois installés à 
Tauris et à Maragha par Houlagou, les traditions chinoises 
s'y conservèrent longtemps. Dans les faïences persanes de 
l'époque limouride, on retrouve les attributs bouddhiques et 
les motifs de l'ornementation chinoise reproduits avec une telle 
fidélité, qu'on serait tenté de leur attribuer une origine ex- 
trême-orientale. Nous avons vu quel rôle important elles 
jouaient dans l'architecture, où le carreau de faïence généra- 
lement bleue - — le bleu lapis alternant avec le bleu turquoise 
— avait remplacé la, brique vernissée. Les céramistes d'alors 
prenaient pour modèles les fabricants de tapis, reproduisant 
leurs dessins et se conformant à leurs méthodes, qui faisaient 
éliminer, avec la plus grande rigueur, tous les motifs défec- 
tueux ^^^^ Ils apportaient le même soin à la fabrication de la 
pâte, qui changea complèlement après la substitution à la 
brique du carreau de revêlement. Après de nombreuses expé- 
riences, ils imaginèrent d'interposer un enduit de silicate 
alcalin entre la terre et l'émail : c'est à cet enduit que les 
faïences persaues doivent leur éclat ('). 



(^) Revue du Mande muêulman, 191 4, XXVI, i53 (traduction) et 160 
(texte). 

t') SiLiDiir, op. cit., I, 355. 
(') Al. 61TBT, L'art persan, soi. 



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266 AVRIL-JUIN 1926. 



Tapis et tissus. 



apis 

Souvent veloutés, les tapis de l'époque timouride ont une 
ornementation qui rappelle celle de nos tapis de haute lisse : 
elle comprend d'ordinaire un grand médaillon central, avec 
coins et fond couvert, sauf pour les panneaux, qui présentent 
des forêts de lianes en lignes parallèles , les orbes d'arabesques 
étant remplacés par des sujets latéraux. Quelquefois on re- 
marque des personnages offrant le type indien ou chinois. 
Les teintes comprennent toutes les nuances du bleu, du rose 
et du vert, combinées avec le rouge cuivré et le bleu lapis sur 
un fond tissu d'or^^^. 

Divers tissus présentent une ornementation du même 
genre. Les plus communs sont le baldaquin, soierie historiée 
et brochée d or qui venait primitivement de Bagdad : haU 
dacchino ou haUekino est la déformation de baghdâdî, mais 
qu'on fabriquait aussi en Âhvâz, et qui s'exportait jusqu'en 
France et en Angleterre; le kimkhâ, autre soierie damassée et 
brochée d'or, d'invention chinoise, mais souvent fabriquée à 
Hérat, Nichapour et Tauris, et connue en Europe sous divers 
noms : camocato, camocan, camocas, en grec xafiovxSs', le da- 
maschino, fabrication de Damas introduite plus tard à Yezd : 
c'était une étoffe lourde à dessins tissés dans le corps de l'ou- 
vrage, et enfin le siglaton ou siklat (du grec xvxkds)^ tissu du 
même genre, le plus souvent de couleur rouge, et dont le 
principal centre de fabrication était Tauris. Dans cette ville, 
on faisait aussi du brocart d'or, nakhkh ou nekhkh, en itahen 
nacco ou nacchetto : le nassit ou nassith (de l'arabe nasîdj) n'en 
différait que par la nuance ^^\ 



(^^ Al. Gayet, Uart persan, 228. 

■*' Hbyd, Histoire du commerce du Levant, II, 697-700. 



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ESSAT SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 267 



Uarmurerie. 

Au XV* siècle, la décoration des armures subit une transfor- 
mation radicale, mais passagère. Toute damasquinerie dispa- 
raît; l'acier est simplement forgé ou ciselé, et l'on ne trouve 
plus de recherche que dans le dessin, qui atteint une précision 
remarquable. Mais au siècle suivant, l'or et l'argent reparaî- 
tront sur les armes, plus luxueuses que jamais (^). 

La musique. 

Le règne de Hoseïn Baykara fut, pour la musique, une 
époque brillante. Les compositeurs, instrumentistes et chan- 
teurs de talent y furent nombreux. 

On considère, comme le premier compositeur d'alors, 
Ghoulâm Châdi. Fils d'un chanteur, il était un instrumentiste 
remarquable. Mohammed Cheïbânî l'envoya chez le khan de 
Kazan, et on ignore quelle fut sa fin. On voyait également à 
la cour de Cheïbânî l'habile compositeur Hoseïn, également 
estimé comme chanteur et joueur de luth : vaniteux et capri- 
cieux, il s'attira une sévère correction de son maître. Pehievân 
Mohammed Bou Sa^îd, lutteur de premier ordre, d'où son sur- 
nom de Pehievân, poète et compositeur, était, au contraire, 
de rapports très agréables; il a laissé des productions char- 
mantes. Celles de Bannâï étaient aussi variées que remar- 
quables. Chah Kouli, le joueur de guidjek, sorte de guitare, 
venu de Tlrâk en Khorassan, était un travailleur acharné. 
Koul Mohammed était, lui aussi, estimé comme compositeur 
et joueur de guidjek et de luthî Mîr ^Alî Chîr, qui avait appris 
la musique de Khâdjè Yoûsouf Bourhân, parent de Djâmi (qui 

(^^ 41. Gayet, Uarl persan, aho. 



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268 AVRIL-JUIN 1926. 

a lui-même écrit sur la musique) a composé des préludes esti- 
més, et Khâdjè Yoûsouf mettait en musique les poésies de Mîr 
^AlîChîr^^l Les souverains timourides, uzbeks et turkmènes : 
Sultan Ahmed Djelâïrî en particulier, ne se bornaient pas à 
encourager les musiciens; plusieurs d'entre eux, tels que ^ 
Olough Beg et Bâber, furent des compositeurs. 

Flûtiste, joueur de lulh et de guidjek. Cheikh! n a presque 
rien composé, mais il était un exécutant remarquable, et sou 
érudition musicale, comme sa mémoire, était prodigieuse. 
Le poète *Abdollâh-é Morvârîd fut le premier joueur de kâ- 
noAn (sorte de psallérion) de son temps. 

III 
LA VIE RELIGIEUSE. 



Sunnites et Chiites. La religion et le pouvoir. 

Dans la deuxième moitié du xv* siècle se produit une évo- 
lution qui aboutira au triomphe du Ghiisme lors de Tavène- 
ment des Séfévis. Mais les Sunnites restent nombreux et in- 
fluents; ils représentent l'orthodoxie officielle et comptent 
parmi eux des théologiens, des savants, des littérateurs et des 
hommes d'Etat de premier ordre. Le plus célèbre écrivain 
d'alors, Djâmt, était un Sunnite fervent : bienveillant et doux 
à l'ordinaire, il devenait âpre et irritable toutes les fois que 
ses croyances étaient en jeu. Mais le plus illustre et le plus 
fidèle de ses disciples, Mlr 'Ali Chir, était Chiite. 

Les souverains d alors, qu'il s'agisse des Timourides ou des 
dynasties rivales, sont en général des Sunnites fervents. Elevé 

^^) Bblin, Notice, . . apud Journal aiiatique, 1861, XVII, 9aa-âa3. . 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 269 

par un Chiite, Baysonkor deviendra Chiite lui-même, mais ne 
le restera pas, et reviendra à la religion officielle. Hosoïn 
Baykara avait, lui aussi, des syiApathies pour le Chiisme; il fit 
apposer les noms des douze imams sur les monnaies et voulut 
les faire réciter dans le prône; Mîr ^Alî Chîr l'en dissuada, et, 
comme Baysonkor, Hosein Baykara, à la fin de sa vie, était 
un Sunnite convaincu. 

Châhroukh avait le goût des études théologiques et favori- 
sait le clergé; il supplia l'empereur de Chine d'embrasser 
rislam. Olough Beg savait par cœur le Coran et pouvait le 
réciter selon les sept modes de lecture; ^Abdol-Latîf était éga- 
lement théologien. Débauché et ivrogne, Bâber Mîrzâ mon- 
trait toutefois un grand respect pour les choses religieuses. 
Son successeur Aboû Sa^'d faisait de même; il rejela les pro- 
positions de paix de Ouzoun Hasan, parce qu'il les trouvait 
illégales. ^Omar Cheikh, sunnite et banélîte convaincu, 
aimait les lectures pieuses et la conversation des hommes 
religieux. 

Timour, nous l'avons vu, avait fait des prêtres et des reli- 
^gieux les conseillers et les confidents du souverain. A partir du 
règne de Sultan Ahmed, le clergé et les chefs uzbeks sont les 
maîtres du pouvoir, et leur rivalité perdra Baysonkor. Comme 
ce dernier, Hoseïn Baykara fut Chiite, puis revint à l'ortho- 
doxie; plein de zèle pour, le sunnisme, bien que débauché et 
peu pratiquant, il aimait à conférer avec les théologiens, était 
très généreux avec le clergé, pour lequel il fit de nombreuses 
fondations et construisit quantité d'édifices. 

Les exemples d'impiété ou d'hérésie sont rares. On ne peut 
guère citer, parmi les souverains timourides, que Sultan 
Mahmoud, qui traita indignement le vénérable Khodja Obeïd- 
ouUâh. Un fils de Hoseïn Baykara, Mohammed Hoseïn 
Mîrzâ, était un hérétique endurci; son contemporain Mîrzâ 
Yâdgâr, qui régnait en Khorassan, favorisait l'hérésie. Djihân 



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270 AVRIL-JUIN 1926. 

Chah, Tun des souverains de la dynastie du Mouton-Noir, 
était un athée notoire, débauché et cruel. Ouzoun Hasan, de 
la dynastie du Mouton-Blanc, s'était rendu odieux aux Otto- 
mans en s'engageant à protéger contre eux les Chrétiens de 
Trébizonde. 

Toutefois, aucune hérésie ne parvint à s'implanter dans 
l'Empire timouride. La curieuse doctrine horoûfie, inventée 
par FazloUâh, Karmate d'Asterâbâd exécuté par ordre de 
Mîrânchâh en 796 (iSgS-iSgi), et qui attribue aux lettres 
de l'alphabet arabe une puissance mystérieuse, trouva quel- 
ques adeptes en Perse, et put s'y conserver jusqu'à nos jours 
(les Bâbîs en ont adopté les principes), mais n'exerça aucune 
influence sur les idées. Par contre, elle eut beaucoup de succès 
en Asie Mineure et en Turquie, où elle fut adoptée à la fois 
par l'ordre des Bektachis et par les janissaires ^^\ 

Le clergé et la société religieuse. 

Le cheikhul-Islâm représente, dans la communauté musul- 
mane, la plus haute autorité religieuse. Il est le chef des 
muftis, ou interprètes supérieurs du dogme et de la loi, des 
imams, ou desservants des mosquées, des vaez «prédica- 
teurs», moukri et hâfiz, lecteurs et récitateurs du Coran. L'en- 
seignement est confié aux moderrès^ professeurs de medresè, 
c'est-à-dire de l'enseignement supérieur, et aux mektebdâr, ou 
maîtres d'école. Les cadis rendent la justice; ils ont pour su- 
périeurs les sadr (pluriel arabe soudoûr) , qui font les nomina- 
tions et tranchent les questions les plus importantes. Les mos- 
quées et les autres établissements religieux ont des motevellî 
pour administrer leurs biens temporels. 

î^î Cf. les Textes horoûfis, avec traduction, etc., édité» par Clément Hdart, 
suivis d^une Etude par le Dr. Rizd Tevfiq, Leyden, E. J. Brill, London, Luzac 
and Co., 1909, gr. in-8° (t. VUI du E. J. W. Gibb Mémorial) , et Bbownb, 
op. cit., 365-375 et lih^-dhi. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TTMOURIDE. 271 

Dans un chapitre des Nafahâtol-Om que Silvestre de Sacy a 
traduit t^^, Djâmî définit les différentes sortes de mystiques 
ayant renoncé au monde pour se rapprocher de la divinité. 
Les plus élevés sont des ce parvenus 99 et des «parfaits»; après 
eux viennent « ceux qui marchent dans la voie de la perfec- 
tion»; tous les autres hommes sont rangés dans ce ceux qui 
demeurent dans le terrain bas de Timperfection ». Les pre- 
miers de tous sont les cheikhs, ou supérieurs, des soufis, ayant 
reçu la mission de guider les hommes; d'autres aussi arrivent 
à la perfection, mais ne sont pas désignés pour l'apostolat. 
Au-dessous de ces soufis de haut rang sont placés les motasaV" 
vif, c'est-à-dire ceux qui aspirent au soufisme, et les malâmatî, 
hommes simples et modestes, désireux de mener une vie aussi 
pure que possible, et cachant au monde leurs bonnes actions 
et leurs extases. Ceux qui cherchent à obtenir la vie future 
sont de quatre espèces : 1* les zâhid «ascètes», méprisant ce 
bas monde et ne songeant qu'aux beautés de la vie future; 
2° les fakîr «pauvres», ainsi nommés parce qu'ils ont renoncé 
aux richesses et aux honneurs pour se concilier la grâce di- 
vine; 3** les khâMm, ou serviteurs volontaires Aqs faldr et des 
hommes religieux; 4* les ^âhid, littéralement «adorateurs». 
Musulmans pratiquants et zélés qui cherchent à gagner le ciel 
par leurs bonnes œuvres. Mais ces hommes vraiment pieux 
ont des imitateurs plus ou moins sincères : au-dessous du ma- 
lâmatî, on trouve le kalender; au-dessous du zâhid, le motazcJi- 
hid; au-dessous du khâdim, le motakhaddim; au-dessous du 
^âbid, le motaahhid, sans parler des hypocrites qui se donnent 
pour des hommes religieux afin de tromper leur entourage. 

Parmi les ascètes et les mystiques d'alors, on remarque, en 
dehors des fondateurs ou chefs d'ordre religieux dont nous 
allons parler, Moayyen ed-Dîn 'Alî, plus connu sous le nom 

W î^otices et Extraite, XII, 336-3/i5. 



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•272 AVRIL-JUIN 1926. 

de Kâsimol-Envâr, ie protégé de Châhroukh, mort à Samar- 
kand, où ii s'élaît retiré, en 887 (iA33); Mevlânâ Djelâl 
ed-Din Lotfoilâh, que Khondémir considère comme le plus 
grand saint d'alors; des souverains et des princes comme 
Sultan Ahmed Mirzâ, son fils Kitchik Mîrzâ et Aboû Tourâb 
Mirzà, fils de Hoseïn Baykara; des hommes d'Etat comme 
'Abdor-Razzâk Sainarkandi, historien et diplomate qui, après 
avoir été mêlé à tous les événements contemporains, mourut 
supérieur de couvent; Mîr *AIî Ghtr qui, par ses austérités, 
abrégea une existence qu'il aurait voulu consacrer entièrement 
à la religion; Khâdjè Nâser ed-Din ^ObeïdoUah, autre soufi 
diplomate qui, sous le règne de Bâber Mîrzâ, organise la dé- 
fense de Hérat; Dervich Mohammed Tarkhan, le premier beg 
de Sultan Ahmed, renommé pour sa vie ascétique; Djelâl 
ed-Dîn Yoûsouf Oubâht, célèbre à la fois comme mystique, 
comme savant et comme homme politique; des érudils comme 
Mevlânâ Rokn ed-Dîn Khvvâfi et Aboû' 1-Vefâyé Khârezmî; des 
poètes comme Djâmî. 

L'ordre des Ni^metollahîs était prospère alors. Son fonda- 
teur, Seyyed (ou Chah) Ni^meltollah de Kermân , mourut cen- 
tenaire en 834 (i43i); on voit encore son tombeau dans le 
village de Mâhân, près de Kermân ^^l L'ordre des Nakchben- 
diyè n'était pas moins florissant. Son fondateur Khâdjè Bahâ 
ed-Dîn, mourut en Perse en 867 (i453)^2^ et il eut pour 
plus illustre représentant Khâdjè ObeïdoUâh Ahrâr, qui appe- 
lait 'Omar Cheikh (cmon fils», et disait : ce La pauvreté est ma 
gloire, Al-fkr fakhrî.7) Il mourut en 896 (1Â89) ^ Samar- 
kand, oit son tombeau est resté un lieu de pèlerinage. Mir 
Dervîch Mohammed Sarbân, son disciple préféré, Baba Ni'me- 
toUah Mahmoud Nakhitcfaèvâni, mort en 902 (1^96-1 &97), 

(0 Bbowwb, 463-/173. 

(*) Cf. MiRzi MoBAMMBD Haîder Doogulat, Tarikh-i'Rathidi, noie de la 
page 67. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 273 

Ya'koûb Tcharkhî et Nizâna ed-Dîn Khâmoûch furent aussi des 
Nakchbendiyè célèbres. A ces ordres, il faut ajouter ceux, 
beaucoup pius anciens, des Kâdiriyè, des Mevleviyè et des 
Yasâviyè : ce dernier comptait de nombreux adeptes à la fois 
en Asie centrale et en Asie Mineure, et son influence subsiste 
encore aujourd'hui ^^K 

Les Seyyeds, ou descendants du Prophète, qui, à ce titre, 
recevaient des pensions de l'État, les théologiens, les ulémas 
ou docteurs, les membres du clergé et des ordres religieux et 
ceux qui, sans en faire partie, avaient adopté la vie religieuse, 
étaient déjà les conseillers écoutés de Timour; ils dominèrent 
plus ou moins la politique de ses successeurs; parfois m^me, 
ils la dirigèrent complètement. 

IV 
QUESTIONS ÉCONOMIQUES. 



Uorganisation du travail, 

Timour et la plupart de ses successeurs favorisèrent de tout 
leur pouvoir le commerce, l'industrie et l'agriculture. Ils fai- 
saient des avances aux marchands ruinés, donnaient aux culti- 
vateurs l'outillage nécessaire, assuraient du travail aux ou- 
vriers et, quand la main-d'œuvre était insuffisante, ils y 
remédiaient, soit en faisant venir de l'étranger, à prix d'ar- 
gent, des techniciens habiles, soit en prescrivant des déplace- 
ments d'office; c'est ainsi qu'il se forma à Samarkand et à 
Tauris de véritables colonies d'ouvriers venus de Syrie, de 

t^) Sur Khâdjè Ahmed Yasavî, fondateur de cet ordre, et son œuvre, 
cf. KiEUPUiLiZADi MsHMBD FouAD, Turk Edébtyâtmda ilk Mutèsawiflèr, 3 1-201, 
et notre compte rendu de cette publicalion dans la Revue du monde musulman , 
année 1930, XLIII, aSg-aôa. 

Gcyiu. 19 

IltrBIHEB» I&TIOHALI. 



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274 AVRIL-JUIN 192f». 

Chine ou de divers points de la Perse où l'industrie était plus 
développée. 

Les corporations étaient nombreuses et puissantes. Au mo* 
ment de partir pour cette expédition de Chine que la mort 
l'empêcha de mener à bien, Timour donna de grandes fêtes à 
l'occasion du mariage de ses enfants : en tête du cortège qui 
défila devant lui, venaient les artisans et les ouvriers les plus 
habiles, portant leurs instruments de travail et leurs chefs- 
d'œuvre professionnels; le clergé, les ulémas et les magistrats 
venaient ensuite, précédant la famille royale. Dans certains 
cas, les corporations intervenaient dans les affaires publiques : 
c'est ainsi que Ton voit leurs chefs, sous Bàber Mirzâ, contri- 
buer à organiser la défense de Samarkand. La réglementation 
à laquelle elles étaient soumises paraît avoir été sévère : au 
chapitre vi de sa relation, l'ambassadeur espagnol Clavijo nous 
apprend que Timour était sans pitié pour les commerçants 
malhonnêtes. 

Dans certains cas, plusieurs corporations similaires pou- 
vaient être réunies sous l'autorité d^un seul et même chef : 
nous en avons du moins un exemple avec le décret nommant 
Behzâd surintendant de tous les artistes et ouvriers d'art. 
Ce décret a été rendu par Chah Ismâll; mais il est vraisem- 
blable qu'il a eu des précédents. Même si leur valeur littéraire 
était médiocre ou nulle, les poèmes dans lesquels Seïfî Bo- 
kfaâri décrivait tous les métiers de son temps seraient précieux 
pour nous : ils contribueraient pour une large part à nous faire 
connaître les conditions d'existence des travailleurs d'alors. 

Les corporations et les marchés étaient placés sous la sur- 
veillance du mohtdseb. Ce magistrat, inférieur au cadi, avait 
cependant des attributions extrêmement étendues : chargé à 
la fois de maintenir l'ordre, de vérifier les poids et mesures, 
de réprimer toute fraude sur la nature et la qualité des mar- 
chandises, il devait, pour remplir dignement ses fonctions, 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 275 

dépioyer une activité infatigable, posséder une science juri- 
dique étendue, être d'une intégrité parfaite et, enfin, avoir 
des connaissances pratiques extrêmement variées lui permet- 
tant de reconnaître immédiatement les abus. Il devait sur- 
veiller à la fois les marchands de grains et de farine, les 
boulangers, les bouchers, les épiciers, les gargotiers, les pâ- 
tissiers, les confiseurs, les marchands d'huiles, de beurre, de 
graisse, de tissus de toute sorte, les teinturiers, les cordon- 
niers, les orfèvres, les changeurs, les maîtres d'écoles, les 
médecins, les apothicaires, les vétérinaires, les marchands 
d'esclaves et de bétail, les tisserands, les chaudronniers, etc. 
Il devait encore inspecter les bains, assurer Tordre dans les 
rues, veiller sur la conduite des Juifs et des Chrétiens. Cette 
charge, qui se retrouve dans tous les pays musulmans, a sur- 
vécu, en Espagne, à l'expulsion des Maures, et au xix' siècle 
le magistrat qui en était revêtu portait le titre, encore facile- 
ment reconnaissable, d^almolazen^^K 

En temps de guerre, l'autorité militaire avait le droit de 
réquisitionner, pour les services accessoires de l'armée, les 
non-combattants qui, en temps de paix, devaient un jour de 
travail par semaine au souverain. 

Uagricubure^^K 

On retrouvait, dans l'Empire timouride, la plupart des 
éléments de la flore et de la faune de l'ancien monde; la Perse 
était, à ce point de vue, des mieux partagées. «Par la nature 
variée de ses reliefs, par la diversité du climat de ses provinces. 



(0 Cf. Waiter fiBHRNAUSR , Mémoire sur les institutions de police des Arabes , 
des Persans et des Turcs, apud Journal asiatique, 1860-1861, XY, /i6 1-509; 
XVI, 114-190 et 3/17-393; XVII, 1-16. 

(') Cf. rindex générai de la traduction Beteridge des Mémoires de Babbr , 
n, 849. 

19- 



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276 AVRIL-JUIN 1926. 

la Perse présente les conditions les plus disparates pour le dé- 
veloppement delà végétation et, fréquemment, deux districts 
voisins présentent des aspects si divers qu'on a peine à se croire 
dans un seul et même pays ^^\ » Les principales cultures étaient^ 
pour les céréales, le blé, le riz, l'orge, le millet et le maïs; 
pour les légumineuses, les pois, les haricots, les ftves, les len- 
tilles, les oignons, les vesces, les citrouilles, les betteraves, 
les navets; pour les arbres fruitiers, le pommier, le poirier, le 
pêcher, l'abricotier, le brugnon , le figuier, Tamandier, le noi- 
setier; les vignes donnaient d'excellents produits, dont les rai- 
sins sans pépins dits hichmich, communs à la Perse et à l'Asie 
centrale; dans le Sud , on trouvait des palmiers, des orangers, 
des citronniers et des grenadiers. Les melons/ et les pastèques 
étaient très communs. Le coton, le chanvre, la garance, le 
safran. Tassa fœtida, le henné, le pavot étaient fournis par 
plusieurs provinces; la canne à sucre, cultivée dans la région 
du golfe Persique, était d'un rendement fructueux; l'indigo 
venait à la fois du Kerman et de la région de Kaboul; on cul- 
tivait en grand le mûrier pour l'élevage du ver à soie au bord 
de la Caspienne et en Sogdiane; les soies grèges de ces con- 
trées s'exportaient en Europe, où elles étaient très appréciées. 
Dans les jardins, on voyait surtout des rosiers, des jasmins, 
des œillets, des tulipes et des iris; dans les forêts, les essences 
les plus communes étaient le hêtre, le châtaignier, le chêne, 
le saule, le platane et le peuplier. Beaucoup de gommes et 
de produits résineux (galbanum, oppoponax, bdellium, sarco- 
colle, térébenthine) venaient de Perse. 

Alors comme aujourd'hui, l'irrigation était une question 
vitale pour les provinces composant l'Empire timouride : sur 
bien des points l'eau manque, ou n'arrive que d'une façon 
irrégulière. « On n'a pas assez remarqué, dit Jaubert de Plassa , 

'^} J. DE Morgan, Miêtion scientifique en Perte, I, 3i-33. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 277 

tout ce que Tagriculture eut de puissance dans les états asia- 
tiques et l'influence quelle exerça sur leurs destinées, lors- 
qu'elle fut secondée par des canaux d'arrosage et protégée par 
de bonnes lois. La guerre peut, en peu d années, anéantir 
l'industrie d*un pays, écraser son comnaerce, incendier de 
grandes villes; mais les irrigations sont des sources de richesses 
qu'on obtient si facilement et si rapidement que l'homme qui 
les a prati(|uées y reste toujours fidèle. , A^Kn Dès l'antiquité, 
la Perse et l'Asie centrale étaient couvertes de canaux d'irriga- 
tion; Timour et les Timourides les faisaient entretenir à leurs 
frais, et fixaient le taux des impôts fonciers d'après le mode 
d'irrigation des terres. On sait que l'abandon de ces mesures 
a amené la ruine de régions autrefois très prospères. 

L'élevage portait sur les animaux suivants : les chevaux, il 
en existait de nombreuses races; ceux du bord du golfe Per- 
sique étaient les plus estimés, et l'Inde en achetait beaucoup; 
les chameaux et dromadaires, très appréciés en Asie centrale; 
les ânes, mules et mulets; les bœufs, buffles et zébus; les mou- 
tons et les chèvres. Il est souvent question, dans les Mémoires 
de Bâber, de chasse et de pèche; alors comme aujourd'hui, le 
gibier était abondant, et les rivières étaient poissoneuses; la 
Caspienne l'est encore davantage, mais ce n'est que de nos 
jours qu'on a commencé à l'exploiter méthodiquement. 

L'industrie. 

La Perse est riche en produits minéraux de toute sorte; au 
moyen âge on y exploitait les gisements de mumia ou pisasphalte, 



(') Henri Moser, Uirrigatinn dam l'Asie centrale, Paris, Société d^éditions 
scientifiques, iSg/i, in-8% p. iAi-i/ia. Le chapitre ii (p. 1/11-179) de cet 
ouvrage est consacré à Thistoire de Tirrigation. Bâber, au chapitre xtiii de 
ses Mémoires, décrit longuement les systèmes d'irrigation en usage dans 
rinde. 



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278 AVRIL-JUIN 1926. 

sorte de goudron minerai dont la variété la plus estimée venait 
des environs de Darâbdjerd , et les -mines de turquoises. La 
tutie, c'est-à-dire le minerai de zinc et Toxyde qui s'attache aux 
cheminées des fourneaux oii Ton traite ce minerai, venait éga- 
lement en grande partie de Perse. Le Badakhchan fournissait 
des pierres précieuses : on retrouve son nom déformé dans 
l'expression «balais» donnée alors en Europe aux rubis qui en 
provenaient, et il exportait du lapis-lazuli dans le monde en- 
tier. 

Samarkand était, au xv"" siècle, un centre industriel de pre- 
mier ordre. Timour y avait installé des colonies d'ouvriers 
étrangers, amenés le plus souvent de force : tisserands de soie, 
armuriers, potiers et verriers de Damas, céramistes de Chine. 
On y fabriquait d'excellent papier et des velours rouges, ker- 
meziy très recherchés. 

L'industrie textile était en pleine prospérité. Nous ne revien- 
drons pas sur ce que nous avons dit des tissus d'art, si riches 
et variés, de l'époque timouride. Disons seulement quelques 
mots des tissus usuels. Le bticherame, dont le nom est la défor- 
mation européenne de celui de Boukhara , n'était pas le gros- 
sier bongran d'aujourd'hui; c'était, semble-t-il, une fine toile 
de lin dont il existait des fabriques à Ispahan. Le camelot (de 
l'arabe khaml) était une sorte de peluche à longs poils, fabri- 
quée dans plusieurs pays, le Kurdistan entre autres, et dont 
Tauris était l'un des principaux marchés. Les tapis, dont le 
nom est également d'origine orientale (il vient de ^AitâUya, 
nom d'un quartier de Bagdad), se fabriquaient dans tout 
l'Orient, et l'Europe faisait à cette industrie une concurrence 
sérieuse. Enfin la Perse possédait de nombreuses manufactures 
de soieries qui se vendaient jusqu'en Europe. 

La bijouterie d'or et d'argent faisait la richesse de Sullanié. 

L'armurerie était une industrie très active. Timour et ses 
successeurs recherchaient les spécialistes habiles et les fai- 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 279 

saient venir, au besoin, de l'étranger. Dans ses Mémoires ^^^, 
Bâber décrit, dans tous ses détails, la fonte d'un canon. 

La canne à sucre de Tlnde avait été introduite, de très bonne 
heure, dans le Khouzistân, qui, au viii* siècle de noire ère, 
payait aux khalifes un tribut annuel de 3o,ooo livres de sucre, 
et ce fut dans ce pays qu'on trouva le moyen de raffiner le jus 
de canne. Au moyen âge, on retrouve un peu partout la fabri- 
cation du sucre, fabrication dont les produits sont très variés : 
sucre candi, dont le nom, d'origine indienne, est venu chez 
nous par l'intermédiaire de la Perse et de l'Arabie , sucres en 
morceaux, en poudre, parfumés à l'essence de rose ou à la 
violette, etc. L'expression «miel sucré» désignait alors la me- 
nasse. Lefanîd, en latin moderne penidium, composé de sucre et 
d'huile d'amandes douces, était une spéciahté persane fabri- 
quée surtout dans le Mekrân, et dont la meilleure sorte venait 
de la ville de Masekân. .Ce produit, très estimé, s'exportait au 
loin, et servait de médicament. 

Le commerce. 

Marchands ou missionnaires, les voyageurs chrétiens qui se 
rendaient en Chine par l'Asie centrale furent longtemps très 
nombreux. Ils disparurent vers le miUeu du xiv* siècle, d'une 
manière à peu près complète, à la suite de la conversion des 
Mongols à l'Islam et de l'avènement, en Chine, de la dynastie 
xénophobe des Ming. 

Timour fit tous ses efforts pour restaurer le commerce. Ecri- 
vant à Charles VI , re dt Frama, il l'invitait à lui envoyer des 
marchands, car, disait-il, c'est par les marchands que le monde 
prospère. 11 fit de sa capitale, Samarkand, un grand centre 
commercial où les caravanes apportaient, avec les soieries de 

'^) Trad. Pavkt db Codrteille, II, 'j53-, trad. Bevbridge, II, 536. 



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280 AVRIL-JUIN 192f6. 

la Chine et de la Tartarie, les ëpices de l'Inde et'tous les pro- 
duits de l'ancien monde^^^. On y vendait quantité de diamants, 
de pierres précieuses, de musc et de rhubarbe, sans parler 
des objets, très recherchés au dehors, que fabriquaient à Sa- 
markand les ouvriers, de toutes nations, que Timour y avait 
amenés de gré ou de force. Toutefois , les Occidentaux ne sem- 
blent pas avoir fréquenté ce marché, du moins au début; Cla- 
vijo et Josafat Barbaro n'en mentionnent pas^*^ C'était à Tau- 
ris et à Sultanié qu'allaient, en grand nombre, Vénitiens et 
Génois. Depuis Houlagou , la première de ces villes était un 
important marché international; des caravanes y apportaient 
les produits de la Chine, amenés par terre, et ceux de l'Inde, 
débarqués à Ormuz. Dans les nombreux bazars de Tauris on 
vendait aussi les soies grèges du Guilân et du Chtrvân, qui 
alimentaient les manufactures de Lucques et s'écoulaient sur- 
tout en Syrie; des marchands persanç visitaient Alep, et les 
Syriens fréquentaient les marchés de l'Azerbaïdjân; la Syrie, 
d'ailleurs, était en relations directes avec l'Asie centrale. A 
Tauris encore se vendaient les soieries et les cotonnades de 
Chirâz et de Yezd, de l'indigo fin, de la gomme laque, pro- 
duit très estimé, des aromates^ du musc, des huiles, etc. Des 
caravanes parties de Tauris transportaient ces produits à Gon- 
stantinople, Alep et Brousse. Quant à Sultanié, ses fabriques 
de bijoux d'or et d'argent étaient célèbres, et leurs produits 
auraient suffi à assurer la prospérité du marché local. Chaque 
année, en juin, juillet et août, une grande foire s'y tenait; on 
y voyait de nombreux étrangers, des Syriens surtout, et aussi 
des Occidentaux venus par Caffa et Trébizonde. 

(^) Sur ce commerce par vole de terre, cf. Bàber, Mémoirei, chap. xi, xi?, 
XVI, XVII et xviii. 

W Glavijo dit avoir vu à Samarkand des Turcs, des Arabes, des Maures, 
des Arméniens, des Grecs, des Jacobites, des Chrétiens de divers rites et des 
adorateurs du feu (Brahmanes ou Parais?). Avec la Russie, la Chine et la 
Tartarie, la ville faisait beaucoup de commerce (trad. anglaise, p. 170). 



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ESSAI SUR U CIVIUSATION TIMOURIDE. 281 

Au moyen âge, l'Orient vend à l'Europe infiniment plus qu'il 
ne lui achète. Les tissus d'Occident étaient appréciés en Asie : 
dès le xni* siècle, les draps et les toiles de Milan étaient im- 
portés chez les Tartares, et les draps européens avaient un 
débit facile en Perse. L'orfèvrerie de Milan était également 
estimée. Les fils d'or et d'argent fabriqués à Chypre (d'où le 
nom «or de Chypre») et les verreries de Venise ne l'étaient 
pas moins. De provenance occidentale , le corail allait presque 
tout entier en Asie, et se vendait jusqu'en Chine. En dehors 
des produits déjà mentionnés, les principaux objets du com- 
merce du Levant étaient au moyen âge, pour les matières pre- 
mières : 

a. Les épices (clous de girofle, cannelle, galanga, noix 
muscade, poivre blanc et noir, poivre long). A lui seul, le 
poivre faisait, pour les deux tiers, les frais de ce commerce 
des épices qui amena une rivalité si violente entre Venise et le 
Portugal ; 

h. Les parfums ( ambre gris , musc , encens , benjoin , baume, 
santal); 

c. Divers produits végétaux, comme le camphre, l'aloès, le 
costus, la scamonée, la gomme laque, la gomme adragant, 
la manne, la casse, le mastic, le cardamome, le myroboian; 

d. Les matières textiles, et plus particulièrement la soie, le 
lin et le coton ; 

e. Les matières tinctoriales : indigo, cochenille, garance, 
noix de galle, bois du Brésil; 

/. Les pierres précieuses (diamants, rubis, turquoises, 
émeraudes, béryls, saphirs, spinelles) elles perles; 

g. L'ivoire; 

A. L'alun, objet d'un commerce actif. 



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282 AVRIL-JUIN 1926. 

Et, pour les produits fabriqués : 

a. Les tissus (draps, toiles, cotonnades, tapis); 

b. La verrerie : Timour avait envoyé à Samarkand les 
meilleurs ouvriers deChirâz et de Damas; 

c. La porcelaine de Chine , très recherchée en Europe comme 
en Asie, et qui, bien que très répandue, se vendait fort cher. 

Enfin les esclaves des deux sexes furent longtemps l'un des 
plus importants objets du trafic entre l'Orient et l'Europe, En 
Italie, on en trouvait de toutes les races; les Tartares étaient 
les plus appréciés de tous, et les Génois étaient au premier 
rang des importateurs. Malgré la condamnation formelle du 
pape Martin V, qui, en i495, décréta que les marchands d'es- 
claves seraient excommuniés, s'ils étaient chrétiens, et obligés 
de porter des marques infamantes, s'ils étaient juifs, et les 
difficultés de plus en plus grandes quil rencontrait en Orient, 
ce commerce, bien que ruiné vers le milieu du xv* siècle, sub- 
sista longtemps encore. A la fin du siècle, il restait à Venise 
près de 3,ooo esclaves. 



Directement ou indirectement, TEmpire timouride commu- 
niquait avec la plus grande partie de l'Asie au moyen des cara- 
vanes. Les marchandises de la Chine et le musc du Tibet 
arrivaient par Khotan et la Transoxiane, et parvenaient à Tana 
après avoir traversé toute l'Asie; celles de l'Inde, par Kaboul 
et Hérat. Tauris était le point d'aboutissement de plusieurs 
voies importantes conduisant à l'Est vers l'Asie centrale; à 
l'Ouest, vers Alep, Brousse, Bagdad et Constantinople; au 
Sud, vers Ormuz, d'où les caravanes apportaient en soixante 
jours les produits venus de l'Inde ou d'autres pays par mer. 
Les marchandises de l'Asie centrale allaient directement en 



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ESSAI SDR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 283 

Syrie, d'où elles étaient réexpédiées, par deux grandes routes 
de caravanes, soit sur Damas et le Caire, soit sur Jaffa, Bamlé 
et Jérusalem. Une grande ligne fluviale, empruntant le Tigre, 
assurait les transports entre Ormuz, Basra et Bagdad. 

L'Europe aussi communiquait avec le Levant, et par suite 
avec toutes les contrées de l'Asie, par voie de terre. Bagûse 
avait un service de caravanes qui, par les bouches du Danube , 
atteignait Constantinople. Vers i&5A les Génois, inquiets des 
progrès des Turcs , organisèrent avec Cafl'a un service de cour- 
riers n'empruntant pas la voie de mer. Quant aux marchands 
allemands, ils suivaient plusieurs routes, dont les prin- 
cipales étaient : 1° Venise-Frioul-Carinthie-Autriche; 2° Am- 
pezzo-Pusterthal-Brenner; 3° Valangana-vallée de l'Adige; 
A** Vérone-Boveredo-Trente ; par elles, ils gagnaient Lemberg 
et Gaffa, la Bussie et l'Orient. Entre i4i5 et 1620, l'empe- 
reur Sigismond, voulant ruiner le commerce vénitien, leur pro- 
posa de suivre la route de Hongrie pour aller au Levant. Le 
sud de l'Allemagne était ainsi ravitaillé par terre; nous verrons 
que le nord l'était par mer. 

Malacca et Ormuz sont, au xv* siècle, les grands ports 
d'échange de l'Asie. Les jonques chinoises ne vont plus au 
Malabar, mais à Malacca, d'où ont lieu des départs régu- 
liers pour Cambaye et Ormuz, chercher les produits de 
l'Indochine et de l'Insulinde. Tous les ports de l'Inde sont 
en relations directes avec Ormuz, d'où les marchandises 
sont réexpédiées en Asie antérieure et en Europe ^^l Les Arabes 
visitent Bornéo et l'Indochine, le golfe Persique et la mer 
Bouge; dans l'Inde, Diu est leur principal port d'attache. 
Aden sera très fréquenté jusqu'en 1 624 ; Djedda, qui le rem- 

(1) «rHormuK îb a vast emporium of ali the world; you fînd there people 
and goods of every description, and whatever thing is produced on earth you 
find it in Uormuz. But tbe du lies are higb, one tenth of everything. n Atba- 
nase Nikitinb, apud H. R. Major, India in tlie Jifteenth Cenfury, III, 19. 



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284 AVRIL-JUIN 1926. 

placera alors, recevra des vaisseaux persans, indiens et même 
chinois, dont les cargaisons seront transportées au Caire par 
des caravanes, ou embarquées pour Tor, si elles sont trop 
lourdes. Grâce à ses voisins, l'Egypte est en relations avec 
tout Tancien monde; le Caire est Tun des plus grands marchés 
d'alors, et Alexandrie un port de transit comparable à Ormuz, 
où Ton trouve les produits de l'Inde et de l'Extrême-Orient à 
côté de ceux de l'Europe. La route qui relie ces deux villes, 
si courte qu'elle soit, n'en est pas moins une voie commerciale 
de premier ordre. 

Des services de bateaux existaient sur la Caspienne; ils 
transportaient par exemple la garance de Géorgie qui, em- 
pruntant ensuite la voie déterre, allait jusque dans l'Inde. 

La mer Noire et la Méditerranée étaient parcourues par des 
vaisseaux européens, pour la plupart vénitiens et génois ^^). 
Grecs, Français et Italiens, qui avaient soutenu Byzance contre 
les Turcs, firent des avances a Timour, quand il eut vaincu ces 
derniers, afin d'obtenir sa protection. Toutefois le régent de 
l'Empire byzantin, Jean, profita de l'absence de l'empereur 
Manuel, hôte de Charles VI de France, pour passer, au nom 
de tous les États de Romanie, c'est-à-dire de Grèce, une con- 
vention commerciale à laquelle adhérèrent Venise, Gênes et les 
chevaliers de Rhodes (i Ao3). A cette époque, les nombreuses 
colonies européennes du Levant étaient tributaires, soit des 
Ottomans, soit des Turkmènes d'Asie Mineure, et dinsées par 
les rivalités de leurs métropoles avec qui, d'ailleurs, elles 
n'étaient pas toujours d'accord. Gên^s et Venise se livrèrent 

(^) Les Vénitiens avaient des services réguliers pour les différents ports du 
Levant, le Maghreb et i^Égypte : ils avaient parmi leurs ports d'attache Tunis 
et Alexandrie. On sait que les Génois avaient d'importantes colonies dans la 
mer Noire, où Michel Paiéologue permettait aux Égyptiens d'envoyer, chaque 
année, un vaisseau qui revenait avec une cargaison composée surtout d'es- 
claves. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 285 

longtemps des luttes acharnées (iSgB-iiio); la première 
était l'alliée de la France et cherchait par tous les moyens à se 
concilier les Turcs, auxquels Ancône et Raguse multipliaient 
les avances; Venise, au contraire, leur était hostile : elle par- 
ticipa en iâ53 h la défense de Constantinople; à ce moment, 
les Génois eurent une attitude équivoque. Après la prise de la 
ville, Vénitiens et Génois envoyèrent des ambassades au vain- 
queur; mais leur situation fut très amoindrie, et Mehmed II 
réserva sa bienveillance aux rivaux les plus acharnés des Véni- 
tiens : les Florentins. Il imposa en outre des tributs aux prin- 
cipautés de l'Archipel, qui passèrent bientôt sous sa domina- 
tion; en lASâ, Venise ne possédait plus une seule colonie et 
payait elle-même tribut. En 1698, les Turcs, excités par des 
villes italiennes rivales, lui déclaraient la guerre, et le traité 
qui la termina, cinq ans plus tard, fut désastreux pour Venise. 
Florence, qui s'était annexé Pise, était, au milieu du xv* siècle, 
une puissance maritime importante; à la fin du siècle, elle 
occupera le premier rang et organisera des départs réguliers 
pour l'Empire ottoman, la Syrie, la mer Noire, l'Egypte et le 
[Maghreb. Les sultans ottoipans se défiaient des grandes puis- 
sances maritimes, de Venise en particulier : cela explique 
leurs bonnes dispositions à l'égard de Florence, dont ils pen- 
saient n'avoir rien à craindre; à part une interruption de 
quelques années (1 465-1 672 ), les Florentins furent toujours 
bicn^vus à Constantinople. La politique des Turcs porta ses 
fruits : ayant peu de relations avec les peuples d'Asie, avec qui 
ils étaient souvent en guerre, ils n'importaient guère de pro- 
duits asiatiques, et ceux-ci, n'arrivant plus en Europe, y furent 
remplacés par des produits turcs. Notons enfin l'essor tardif 
de- Sienne ^^^ et surtout de Raguse, qui exportait beaucoup 
d'étofi'es. Ancône aussi avait sa marine. 

t*) Hetd, op. cit,, II, 355 et 8uiv. 



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286 AVRIL-JUIN;1926. 

Comme les Italiens , les Catalans perdirent leurs colonies de 
Grèce; mais ils conservèrent une situation de premier ordre à 
Constantinople et en Egypte. Chassés de ce dernier pays en 
i/i3â, ils y revinrent plus puissants que jamais. A la fin du 
XT*" siècle, la colonie européenne d'Alexandrie ne se cpmposait 
que de Catalans, de Vénitiens et de Génois. Par leur entre- 
mise, les verreries de Mésopotamie avaient un débit assuré en 
Espagne, et les produits espagnols pénétraient jusqu'au centre 
de TÂsie. Les bateaux de Florence et de Gènes faisaient aussi 
communiquer la Catalogne et l'Aragon avec le Maghreb et le 
Levant. On sait enfin que les pirates catalans parcouraient 
toute la Méditerranée. 

Bien qu'à peine représentée à Constantinople et à Péra, la 
France faisait beaucoup de commerce avec le Levant, mais le 
faisait surtout par l'intermédiaire des Vénitiens. Montpellier, 
Narbonne, Aigues-Mortes étaient ses ports les plus fréquentés; 
leur ensablement les fit remplacer par Marseille. En lASs, 
Jacques Cœur envoya des galères en Syrie et en Egypte; il 
avait de grands projets, que sa disgrâce ne lui permit pas de 
réaliser; toutefois les vaisseaux français, grâce à ses efforts, 
visitèrent longtemps l'Egypte. François II, duc de Bretagne, 
signa une convention commerciale avec ce payis en 1^79. De 
nombreux Orientaux fréquentaient les foires de Lyon, et les 
toiles de Champagne étaient très appréciées au Levant. Vou- 
lant enlever aux Italiens le commerce des épices, Louis XI en 
donna le monopole à un syndicat qui, tous les ans, armait 
quatre galères. Mais un rapprochement avec les Vénitiens eut 
lieu en 1/178; en lASA, les Etats Généraux proclamèrent la 
liberté du commerce , et la concurrence française disparut. 

Les marchandises de provenance orientale étaient appor- 
tées dans la mer du Nord par les Vénitiens et les Génois; les 
Allemands venaient les chercher à Gand et à Anvers, et la 



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ESSAÎ SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 287 

Hanse, qui avait un monopole de fait pour la navigation de 
la Baltique, les répartissait entre l'Allemagne du Nord, la Rus- 
sie et les pays Scandinaves. 



Le commerce d'Orient fut ruiné, à la fin du xv*" siècle : 
i"* par la disparition des colonies italiennes de la mer Noire: 
les Ottomans, qui s'en étaient emparés, ne laissaient plus de 
routes praticables entre l'Europe et la Perse du Nord ; 3° par 
la découverte, due aux Portugais, de la route maritime des 
Indes; elle eut pour conséquence la suppression du transit des 
épices par la Perse, et une âpre rivalité commerciale entre 
les Vénitiens, jusque-là importateurs des épices en Europe, 
et les Portugais, désormais mieux placés qu'eux pour se livrer 
à ce trafic. Venise, selon le moment, cherchera un terrain d'en- 
tente avec le Portugal, ou bien s'adressera au sultan d'Egypte 
pour ruiner la navigation de ses concurrents et soulever l'Inde 
contre eux. Diverses inlerventions se produisent : en i5o3, 
une Compagnie allemande est fondée pour le commerce avec 
l'Inde; des conflits avec les chevaliers de Rhodes provoquent 
des représailles dont les Vénitiens sont les premiers à souffrir, 
et les Français, alors en guerre avec eux, cherchent à prendre 
leur place : Louis XII enverra, en i5i2, un ambassadeur au 
Caire. Les Vénitiens venaient de rentrer en grâce auprès du 
sultan d'Egypte quand, en 1617, ce pays fut conquis par les 
Ottomans; ils eurent de la peine à obtenir des vainqueurs le 
maintien de leurs privilèges, et, sauf dans la mer Rouge, ne 
purent enrayer le brillant essor maritime et commercial des 
Portugais. Les deux catastrophes finales, comme les appelle 
Heyd, c'est-à-dire l'apparition des Portugais dans l'Inde et la 
conquête de TEgypte par les Ottomans, devaient changer du 



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288 AVRIL-JUIN 1926. 

tout au tout la vie économique de Tancien monde au début du 
xvi* siècle ^*l 

Ijes monnaies. 

De l'excellente notice consacrée par M. Stanley Lane Poole 
aux monnaies timourides ^^^^ il résulte que Ton ne frappait 
guère que des pièces d'argent. Celles de cuivre et de bronze 
sont rares, et le British Muséum ne possédait pas de monnaies 
timourides d'or, au moment où le savant numismate en faisait 
le catalogue. Le poids des pièces d'argent variait de i gr. 5 à 
6 grammes, et leur diamètre de i3 à 28 millimètres : celles 
de grande dimension sont restées le plus longtemps en usage. 
Le module des pièces de billon atteint toujours, et parfois 
dépasse, celui des monnaies d'argent de la plus forte valeur. 

En général, la frappe des monnaies timourides est dépour- 
vue d'élégance. L'un des côtés -porte la profession de foi mu- 
sulmane, suivie des noms des quatre premiers khalifes ; sur 
l'autre on lit le nom du souverain régnant, ses titres, une 
invocation en sa faveur, le nom de la ville où la pièce a été 
frappée, et la date. Sur les monnaies du British Muséum, 
M. Stanley Lane Poole a constaté l'existence de vingt-huit 
hôtels des monnaies répartis sur tous les points de l'empire. 

V 
LA VIE DOMESTIQUE. 

Uhahitation. 

Nous avons donné ailleurs un aperçu de l'architecture 
timouride; il suffira d'en rappeler, ici, les caractères essen- 
tiels; grands vestibules, porches très hauts, réduits non fer- 

(») Op. du, II, 5o/»-55a. 

'») Catalogue if Onental coint in the Brituh Muèeum, VU, XXVUI-XXXV. 



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ESSAI SUR LA GIVIUSATION TIMOURIDE. 289 

mes à l'entrée des voûtes, que décrit Clavijo. Plusieurs détails 
rappellent manifestement la lente sous laquelle les Mongols, 
peuple nomade et guerrier, passaient une partie de leur exis- 
tence : Tiniour et sa suite se déplaçaient volontiers, et Clavijo 
s'est longuement étendu sur son campement. La tente royale, 
supportée par trente-six piliers de bois de la grosseur d'un 
homme, décorée d'étoffes de soie et de tapis de couleurs vives, 
comprenait plusieurs salles et était entourée d'une barrière 
formée, elle aussi, d'étoffes de soie. Une mosquée démontable, 
construite en bois, peinte en bleu et or, accompagnait Timour 
dans ses voyages. Il est curieux de constater que ia description 
de son camp pourrait être, à fort peu de chose près, celle du 
camp de Feth^ali Chah, qui vivait quatre siècles plus tard. 
Notons aussi qu'à Samarkand la justice était rendue sous des 
tentes ^^K 

Les jardins, publics et privés, étaient nombreux dans les 
villes. A Samarkand , la plupart des maisons en étaient entou- 
rées; ils donnaient à la capitale l'aspect d'une immense agglo- 
mération de jardins. 

Sur l'ameublement, nous savons peu de chose. ;Bâber lui- 
même, qui parle volontiers des détails de la vie privée, men- 
tionne rarement des meubles ou ustensiles, et M'°* Beveridge, 
qui a analysé ses Mémoires de la façon la plus minutieuse, n'y 
a relevé que les termes suivants, empruntés à la vie domes- 
tique : porcelaine, décoration pour les fêles, coupe à boire, 
combustible, outre, gong, couteau, lampe, litière, cordage, 
éponge, cuillère, flambeau, nappe, cure-tlents. En tout et 
pour tout, quinze mots seulement ^2^. Clavijo nous apprend que 

<*) Cf. le chapitre ?i de Clayho, et la note de la page i6û de la traduction 
anglaise. 

•') Cf. la traduction des Mémoire», II, 855 (Index. III. General), s. v^^Do- 
mestic appliancesT). 



âO 

IHPmXMBBn lATIOSALl:. 



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290 AVRIL-JUIN 1926. 

Tor, Targent et les pierres précieuses étaient prodigués dans 
rornementalion de la demeure de Timour : il y vit, entre 
autres, un coffre d'or, une table d'or couverte d'émeraudes, un 
chêne d*or sur les branches duquel étaient des oiseaux du 
môme métal. Dans les repas, on ne se servait que d'uslcnsiles 
dor ou d'argent. 

Le costume. 

Après leur conversion à l'Islam les Mongols avaient, en 
général, conservé leur costume. Le turban n'était guère porté 
que par le clergé et les hommes de loi : Hoseïn Baykara en 
mettait parfois un , de petites dimensions et orné d*uae plume; 
mais il portait le plus souvent le bonnet mongol, burk, ou le 
kalpak turkmène. On distinguait, dans le costume, la tunique, 
tantôt longue, tantôt courte, et serrée par une ceinture, la 
veste, la pelisse, le manteau et le capuchon. Un vêtement 
complet était appelé ton; celui que portaient les militaires 
était dît arimak. 11 y avait des manteaux spéciaux pour la pluie 
et des vêtements de bain. La fourrure servait à la fois pour le 
bonnet et pour le reste du costume, qui était accompagné 
de divers ornements et accessoires : aigrettes, colliers, 
agrafes, etc. ^^K Le costume de cour exigeait des étoffes de prix : 
satin, velours et autres tissus de soie, et on l'ornait à profu- 
sion de perles et de pierres précieuses. Il en était de même 
pour les armes. 

Le costume des femmes n'était pas moins splendide. Clavijo 
nous parle de la haute coiffure (chèeukèlè)^ empruntée h l'an- 
cien Iran et au Khârezm; de la robe de soie rouge à plis et 
sans manche, fermce jusqu'au cou et pourvue dune longue 
traîne et décorée de pointes d'or; du voile accompagné d'un 
bonnet de drap rouge, en forme de casque, orné de perles, de 



U) 



Op. cit., II, 855. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 291 

rubis et d'émeraudes, et qu'accompagnaient de longues 
plumes blanches descendant sur les yeux : Vambéry a retrouvé 
ce dernier ornement dans la parure des femmes turkmènes du 
xix* siècle ^^l 

Bien que quelques Timouridcs, *Omar Cheikh surtout, 
aient donné Texemple de la simplicité, le goût du faste survé- 
cut à Timour. Hoseïn Baykara, notamment, affectait une 
grande élégance, imitée par son entourage. Même dans sa 
vieillesse, il portait des vêtements de soie de couleur voyante, 
rouge ou verte. A la cour du sultan Mahmoud, l'émir Eyyoûb 
était considéré comme un véritable arbiler elegantiarum. Le 
don d'une khiCai, c'est-à-dire d'un vôteraent porté par le souve- 
rain ou Tun des princes (c'était, d'ordinaire, une robe de soie 
richement ornée), était considéré comme une faveur insigne. 
Clavijo reçut de Timour plusieurs khiTal. 

La nourriture ^^\ 

Les Mongols étaient un peuple de chasseurs, et les pres- 
criptions du Yasa montrent qu'ils demandaient à la chasse, 
réglementée soigneusement, et pour laquelle les soldais pou- 
vaient faire usage de leurs armes, la partie essentielle de leur 
nourriture. La loi mongole déclarait comestibles le sang et les 
entrailles; on mangeait également le lièvre, bien que la loi 
musulmane le regarde comme impur. La viande de mouton 
était de consommation courante; celle de chameau Tétait aussi; 
quant à celle de bœuf, on en mangeait relativement peu. Il y 
avait plusieurs manières de les accommoder : en brochettes, en 
ragoût, etc.; on les mangeait généralement rôties, et parfois 
on les faisait sécher pour les conserver. La pêche était à la 



(*) Getch. Bochara's, II, 317 (note). 

^^ Cf. la traduclioQ des Mémoires de BIbeb par M*"* Betbridge, II, 856. 



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•29-2 AVRIL-JUIN 1926. 

fois un passe-temps et une ressource permettant de varier l'ali- 
menlation. 



Céréales, légumes et fruits de toute sorte abondent en 
Perse et dans l'Asie centrale, et ils y donnent des produits 
excellents. Bâber parie, entre autres mets, de la soupe de 
millet, de la conserve de mangues, des beignets, de plats pré- 
parés avec des^graines de lotus. Le lait et ses divers produits, 
le fromage surtout, et le miel, tenaient une place importante 
dans lalimentation. Des épices et des condiments étaient ache- 
tés dans rinde et en Extrême-Orient; on en faisait venir aussi 
du bétel. Très développée, l'industrie du sucre était une 
source importante de richesses, et ses produits, variés et de 
vente facile, faisaient l'objet d'un grand commerce. 

VI 

L'ARMÉE DE TIMOUR ET SES SUCCESSEURS ^'\ 



Recrutement et effectifs. 

Le noyau de l'armée était formé par les quarante tribus 
mongoles : elles étaient tenues de fournir, en temps de guerre, 
des contingents en rapport avec leur importance. Les douze 
tribus d'élite formaient la garde royale; les autres servaient 
dans la réserve ^^l Désireux d'augmenter ses effectifs, Timour 
incorpora dans son armée, non seulement ses nouveaux sujets, 
mais encore tous ceux des prisonniers de guerre qui acceptaient 
d'entrer à son service; il faisait remettre en liberté les autres, 



i^) Voir dans l'index général des Mémoires de BIbbr, trad. Bbteribgs, 
II, 86o-8r>t, la nomenclature des termes militaires. 
(*) TiMOijR, ïmtitutes, Irad. Langlâs, 98-100. 



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ESSAI SUR U CIVILISATION TIMOURIDE. 293 

et avait interdit de les tuer^^^ Chaque on-hachi «chef de dix» : 
c'était le premier grade militaire, était tenu de combler sans 
délai les vides qui se produisaient dans son escouade. Les 
recrues étaient incorporées sans distinction d'origine et sans 
condition de taille, et traitées sur un pied de parfaite égalité. 
Plusieurs fois les Timourides prirent à leur service des chefs 
et des cavaliers uzbeks; ils admettaient également dans leurs 
troupes les déserteurs des armées ennemies. 

Timour allant combattre Bayézid avait sous ses ordres 
800,000 hommes : ce chiffre semble avoir été un maximum 
qui ne fut jamais atteint dans la suite. Parmi les souverains 
rivaux, Hasan 'Alî, le dernier sultan de la dynastie du Mou- 
ton-Noir, disposait de 200,000 hommes, mercenaires recrutés 
à grands frais et qui d'ailleurs devaient le trahir; Ouzoun Hasan 
avait 5o, 000 cavaliers. Dans ses règlements militaires, Timour 
ne prévoyait pas de formations de plus de /i 0,000 hommes. 

En cas de besoin, on offrait aux recrues des avantages pécu- 
niaires, pour provoquer les engagements. 'Abdol-Latîf dépensa 
ainsi ses trésors. Lors d'un danger pressant, on avait recours 
à la levée en masse; en 855 (i/iSa), au cours de la lutte 
entre Bâber Mirzâ et Sultan Mohammed , les deux adversaires 
la décidèrent : à Samarkand on plaça, à chaque créneau, un 
Persan et deux Turcs, et tous les notables de la ville se con- 
certèrent pour organiser la défense. 



Hiérarchie, soldes et pensions 



(2) 



L'armée comprenait des soldats de la ligne et des soldats 
d'élite : ces derniers seuls portaient des armes défensives. Tous 
pouvaient prétendre aux grades, qui ne devaient être donnés 



<*) Op. cit., 4o, 4i, 77, 190, ia8. 
t*J Op. cit., 47-5a, 71-88. 



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294 AVRIL-JDIN 1926. 

qu'au mdrile : en principe toute action d'cSclat valait une pro- 
motion. Chaque oQicier nommait ses subordonnés immé- 
diats; il pouvait, non seulement les punir, mais encore les 
révoquer en cas d'indignité. Les chefs des douze tribus d'élite 
étaient pourvus de grades militaires; il n'y avait pas d'assimila- 
tion pareille pour les oyniak, ou chefs des vingt huit autres 
tribus. Les prisonniers de guerre et les sujets des provinces 
conquises admis dansTarmée recevaient des grades en rapport 
avec leur mérite. La hiérarchie était la suivante : 

1® On-hachi « chef de dix ?? ; 

3* YuZ'bachi «chef de cent», ou de kouchoun; 

3* M mg-bachi ^ chef de mille 7)^^^; 

A** Emirs ou généraux, au nombre de 3oo, dont loo on- 
hachi, 100 yuz-bachi et lOO ming-bachî; 

5® Emirs de premier rang, c'est-à-dire généraux en chef : 
ils étaient au nombre de douze, commandant chacun de i,ooo 
à 1 3,000 cavaliers; le douzième qui en avait i a,ooo sous ses 
ordres, était le lieutenant du généralissime; 

6** Le générah'ssime, èmtr ul-umèrâ, qui était lui-môme le 
lieutenant de Timour. 

Chaque officier général avait un adjoint, vèli ou keutil qui, 
en cas de vacance, lui succédait dans son grade et dans son 
emploi. 

La solde était payée tous les ans ou tous les six mois, sur 
les revenus des provinces, suivant une répartition rigoureuse- 

t*) Ces trois grades ont 6\6 conserves dans l'organisation militaire moderne 
de la Turquie et de TEgyptc : ils correspondent, dans Tarmée, à ceux de 
caporal, capitaine et major; dans la marine, à ceux de quartier-maître ^ lieu- 
tenant de vaisseau et capitaine de corvette. Ming-bachi se dit maintenant bin- 
bachû 



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ESSAI SUR U CIVILISATION TIMOURIDE. 295 

ment surveillée, et sur mandat de TEtat. Les intendants 
étaient chargés d'y veiller, et tous les trois ans une enquêta 
était faite : si la situation d'un fief militaire ^^^ était mauvaise, 
ToQicier qui en touchait les revenus ne recevait rien pendant 
les trois années suivantes. 

Le simple soldai était payé en raison du nombre et de 
la valeur de ses chevaux : il en possédait de un à (|uatre. Le 
on-bachi Tcccynii to payes de soldat; le yuz-bachi, 20, et le 
ming'hachi, 60. Le généralissime recevait 10 payes d'officier : 
c'était aussi le trailement du chef du Divan et dos vizirs. Les 
fils de soldats recevaient une paye spéciale. Les vieux soldats 
avaient droit à une pension : le régime des pensions et des 
soldes fut régularisé sous Châhroukh. 

Organisation générale et taciique^^K 

Timour, dans ses Institutes, nous donne la composition et 
l'ordre de bataille d'un corps de 13,000 cavaliers attaquant 
une force inférieure. Ce corps devait former () divisions : 1 de 
bataille, 3 de l'aile droite, 3 de l'aile gauche, 1 pour l'avant- 
garde et une autre placée en vedette. La veille du combat, le 
général commandant, que l'inspecteur général, âriz-i lêchkèr, 
avait toujours le droit de changer, traçait les lignes. Les 
instructions données devaient être exécutées ponctuellement, 
et les troupes abordaient l'ennemi en criant Allah akbar! ce Allah 
est très grand!». 

Avec Ao,ooo cavaliers, commandés par l'un des fils de 
Timour assisté de deux émirs et d'un état-major, on formait 
19 escadrons d'escorte commandés par des chefs de tribus, et 
i4 divisions, dont 6 pour l'aile droite (3 pour l'avant- garde 

^^) Timar, djâguîr ou yetùul, ce dernier mot signiiîant à la fois «terre», 
«domaine 9 et v pension». 
î«) Op, cit., 189-157. 



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296 AVRIL-JUIN 1926. 

et 3 pour Tarrière-garde), et 6 pour Taile gauche. La grande 
avanl-garde, placée derrière le corps de bataille, comprenait 
les archers, les soldais armés d'épées, les lanciers, une réserve 
d'hommes s'étant distingués par leur vaillance et les contin- 
gents des tribus ne faisant pas partie de l'élite. Aucun officier 
ne pouvait marcher sans ordres. L'attaque commençait par 
une charge à l'épée et un tir intense. Les divers mouvements 
étaient annoncés par des sonneries de trompettes. 

La garde du camp comprenait, en permanence, i a, ooo ca- 
valiers formant quatre divisions. Un ketaoul, grand prévôt, était 
chargé du maintien de Tordre; il disposait de quatre corps de 
tchapkounichi, sorte de gendarmerie mobile. Il y avait en outre 
des troupes légères, commandées par deskaraoul, des artilleurs, 
des techniciens chargés de la manœuvre des machines de 
guerre, catapultes ou mangoneaux, dont l'introduction de 
l'artillerie n'avait pas fait abandonner l'usage^^^, et des corps 
de pionniers : les mines et les tranchées avaient, dans les 
guerres d'alors, l'importance quelles ont reprise de nos jours. 
Les forteresses, confiées à des gouverneurs appelés ketaoulj 
étaient toujours mises en état de défense : Châhroukh avait 
relevé les défenses d'Hérat, et 'Omar Cheikh avait fait d'Akhsi, 
sa capitale, la place la plus forte de la région. 

Les adversaires des Timourides, Turkmènes du Mouton- 
Blanc ou du Mouton-Noir et Uzbeks, avaient recours volon- 
tiers aux guérillas, et cette méthode leur donnait de bons 
résultats. C'est en faisant la «guerre à la cosaque w, en privant 
l'ennemi de vivres et de fourrages, que Ouzoun Hasan put 
trionjpher de Aboû Sa'îd. Les Uzbeks vainquirent également 



^^^ D'autres moyens plus primitifs encore se retrouvent au xi* siècle. En 
867 (i/i53), les habitants de Samarkand repoussaient les assaillants en versant 
sur eux de l'huile bouillante, ou en leur lançant des matières enflammées. 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TIMOURIDE. 297 

Olough Beg et sWancèrent jusqu'à Khodjend, pillant tout sur 
leur passage. 

Le ravitaillement et le transport des bagages se faisaient au 
moyen de chariots et d'animaux de bât, parmi lesquels on 
employait le chameau et l'éléphant; ce dernier servait aussi à 
transporter le matériel de l'artillerie. Les armées en campagne 
avaient des ouvriers spéciaux pour réparer et entretenir Tar- 
mement; au besoin elles réquisitionnaient la population civile 
pour les services accessoires. Des ponts de bateaux faisaient 
partie de leur matériel. 

Discipline, récompenses et punitions ^^K 

TiaUour avait soumis ses troupes à une discipline très sévère, 
que ses successeurs ne surent pas toujours maintenir. Les ré- 
voltes, les désertions et les trahisons furent nombreuses, de 
même que les actes de pillage : les soldats de Nâsir Mîrzâ, fils 
de ""Omar Cheikh, et de 'Abdol-Latîf, en donnèrent l'exemple. 
Soub Hoseïn Baykara, le vizir Medjd ed-Dîn Mohammed avait 
réorganisé l'armée; mais il fut bientôt disgrAcié. Le sultan 
Bâber remit en vigueur les règlements de Timour, et se mon- 
tra notamment impitoyable pour les pillards. Un oiBcier qui 
enfreignait les ordres reçus était puni de mort; le même châ- 
timent attendait les révoltés. Hoseïn Baykara fit massacrer 
tous les prisonniers de guerre ayant pris le parti de son fils, 
Badroz-Zemân. Le Yasa punissait aussi de mort les espions. 

En dehors de l'avancement, le mérite faisait obtenir des 
récompenses, soit honorifiques, soit pécuniaires, telles que le 
titre de Behâdour «Vaillant», l'enseigne dite tough^^\ l'éten- 

^^i Op. dé,, 8o-b8. 

•*^ C'était une queue de yak, bos grumieiis de Pallas; cf. Defrémbrt, Jour- 



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298 AVHILJUIN 1926. 

dard et la timbale, le commandement dun corps d'armée, 
d'une proviace ou d'une ville, ou une pension. 

Equipement, armement el habillement ^^K 

Le simple cavalier avait de un à quatre chevaux; les offi- 
ciers en avaient un nombre beaucoup plus élevé, en rapport 
avec leur grade, et qui atteignait 3oo pour le généralissime. 
Les gradés avaient droit h une tente individuelle; les soldais 
d'élite, à une tente pour cinq hommes; ceux de la ligne, à 
une tenle pour dix-huit. 

Seuls, les officiers portaient la cotte de mailles; le casque 
et la cuirasse n'étaient donnés qu'aux troupes d'élite, et celles 
de la ligne n'avait pas d'armes défensives autres que le bou- 
clier ^^J. Timour perlait, dans les grandes occasions, une 
armure antique donnée par le roi de Géorgie et que, d'après 
la tradition, le roi David avait forgée de ses mains'*^. 

Les armes offensives étaient, du temps de Timour, l'épée, 
l'arc, les flèches, portées dans un carquois, la lance et la 
masse d'armes; on y ajouta plus tard le marteau d'armes, 
kulung. Au XV* siècle les armes h feu firent leur apparition dans 
l'armée mongole : le fu^il à mèche fut donné aux troupes; 
l'artillerie disposa de mortiers, depierriers et decouleuvrines^*^ 

nal de» Savants, 187a, p. 379, et la savante note donnée par M"* Bevbridgb 
daijs sa traduction de Bàber, Appendices, II, A5-A7. Plus tard on remplaça 
h queue de yak par une queue de cheval. Chez les Uzbeks le souverain était 
accotnpa|rné d'un cavalier portant uu étendard appelé chech tougha et une 
trompette dont, seul, il avait le droit do sonner. Le Umgh était fixé à une 
hampe et surmontait un pavillon trian^aire. 

^^ Op, cit., 88-90. 

'-) Les officiers faisaient porter le leur par un écuyer qui, comme le fabri- 
cant de boucliers, s'appMail kalkatchi. 

(') Iitëtituteê, trad. Langlks, 367. 

i*) Au siège de Couslantinople , en 1^53, les Ottomans disposaient de 
j3o bouches à feu de divers calibre et d'un canon géant, fondu à Andrinople 



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ESSAI SUR LA CIVILISATION TMOURIDE. 299 

mais les catapultes et les engins de guerre analogues restèrent 
en service de longues années encore. On s'en ser\'ait pour lan- 
cer sur Tennemi des blocs de pierre, des flèches empoisonnées, 
des r(5cipienls remplis de feu grégeois. En temps de paix, sauf 
pendant la période de la chasse, les armes étaient retirées aux 
troupes pour être réparées et conservées dans les arsenaux. 
Enfin les règlements de Timour portaient que chaque sol- 
dat devait être pourvu des outils et effets suivants : scie, alêne, 
sac, aiguilles à emballer et à coudre, havresac de cuir, bonnet, 
bottes, pantoufles, guêtres et bakdè : ce dernier terme dési- 
gnait, croit-on, une pièce de cuir recouvrant le pied de la 
botte. Aucun officier ou soldat ne pouvait se présenter au con- 
seil sans la tenue militaire complète, ni sans épéc. 

par un Hongrois nommé Urbain : trainë par quarante paires de boeufs, ce 
canon envoyait à 3,000 mètres un boulet de pierre pesant i,3oo livres, maïs 
ne pouvait tirer plus de sept ou buit coups par jour : après chaque décharge, 
il fallait le laisser refroidir. Les Ottomans avaient aussi des baiîstes et des 
tours roulantes pour donner Tassaut. Les Grecs, dont rartillerie était de 
beaucoup inférieure à celle des assiégeants , y 8Uf)pIéaient au moyen de plomb 
fondu, d'huile bouillante et de feu grégeois. Les bombes et les mortiers sont des 
inventions italiennes relativement récentes : ils datent de 1667. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 



1 

LES 

CHANSONS POPULAIRES TATARES 

ET LEUR FORMATION 

(RECUEIL D'ABDOULLAH MOUGINOV) 

PAR 

N. K. DMITRIEV. 



Cet article a pour base les chansons populaires tatares que 
j'ai transcrites il y a près de deux ans, sous la dictée d'Abdoul- 
lah Moufjinov, natif de l'ex -gouvernement d*Oufa, district de 
Bélébey, village de Yar-Moubanimed. Mouginov, éloigné de sa 
patrie par le cours des événements actuels, en a conservé le 
trésor peut-être le plus précieux : un grand nombre de modèles 
poétiques du folklore. Comme tous les Tatars, il ne chercbait 
pas à fixer le texte, conservant de mémoire ces poésies origi- 
nales. Il est vrai que l'idée de les transcrire et même de les 
éditer ne lui était pas étrangère, mais les textes écrits par lui 



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302 AVRIL-JUIN 1926. 

au mcyen des caractères arabes ont été égarés on ne sait où 
pendant les derniers événements. C'est pourquoi, lorsque jVlu- 
diai la langue tatare et que j'en vins aux productions du folk- 
lore, Abdoullah Mouginov me les flt connaître comme il l'au- 
rait fait s'il était resté dans le district de Bélébey et avait dicté 
ses cbansons à n'importe quel collectionneur de passage. Ses 
œuvres étaient d'une valeur indiscutable et j'ai décidé de les 
noter; mais, ayant alTuire à une prononciation vivante indivi* 
duelle, je me suis arrélé à l'emploi de la transcription phoné- 
tique. Toute une série d'hésitations s'éleva devant moi : à quel 
point avais-je le droit d'inscrire à Moscou les œuvres d'une lit- 
térature étrangère sur les paroles d'un homme venant d'un 
pays étranger et tombant de plus en plus sous l'influence d'une 
autre culture? Il semblait que, d'après la règle générale, des 
notations pareilles seraient un reflet inexact du folklore tatar 
et subiraient toute une série de changements dus à Timperfec- 
tion de la mémoire du narrateur ou a la stylisation consciente 
de sa part. En contrôlant cette loi durant la période de travail, 
je pus me convaincre que mon cas particulier ne convenait pas 
à la règle générale. Premièrement, de la grande quantité de 
chansons de Mouginov, je n'ai inscrit que celles qui se conser- 
vaient dans sa mémoire si fortement qu'il me les citait à diffé- 
rentes époques et dans différentes circonstances, et que les no- 
tations du môme texte étaient identiques. Secondement, il ne 
pouvait y avoir de défiguration consciente, parce qu'il aurait 
fallu un sentiment plus fin du rylbme et de la technique poé- 
tique que nous ne l'avons trouvé dans ce cas. Outre cela, j'ai 
considéré comme des garanties de l'exactitude du texte les hé- 
sitations phonétiques existant dans la langue (par l'alternance 
des consonnes initiales y et J, etc.), qui se remarquaient dans 
le texte avec toute l'incertitude de leur emploi; une main con- 
sciente aurait certainement cherché à les unifier, comme cela 
se fait, par exemple, dans les œuvres talares imprimées. Enfin 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 303 

les chansons réunies tant par les Russes que pnr les Tatars 
ont donné le même tableau quant au mètre et à toute une 
suite d'expressions et de métaphores. 

Etant persuadé de Tinlégrité du texle, j'en ai donné une 
traduction et, en même temps, je me suis mis à étudier l'his- 
toire des travaux concernant les chansons talares en général, 
El c'est alors que grâce h la comparaison des textes déjà édités 
avec le nôtre, la profonde originalité de ce dernier nous appa- 
rut. Ceci justifie notre tentative de le publier, parce que l'étude 
du folklore latar a commencé depuis peu et que tontes les 
nouvelles données sur ce sujet sent les bienvenues. En effet 
le premier essai critique sur la chanson populaire lalare semble 
se trouver dans ie Uvre curieux de Fuchs intitulé : Kaaan- 
CKie TaTapw bt> aTiiorpaoHHecKOMT» h CTaTucTHnecKOMi 
OTHOuieniH «Les Tatars de Razan au point de vue ethnogra- 
phique et statistique», Kazan, i8/i/i, et devenu maintenant 
une rareté bibliographique. En parlant de la question fémi- 
nine, l'auteur fait remarquer qu'autrefois, malgré tous les 
obstacles de la tradition musulmane, lui-même a joui de la 
bienveillance des femmes tatares et recevait leurs lettres ^^^; 
il cite à ce propos des vers d'amour (beaucoup d'entre eux d'un 
contenu stéréotypé, paraît-il). Plus loin, traitant de la poésie 
tatare en général, l'auteur nous donne les modèles des chan- 
sons populaires iaqmaq et murebba, comme il les appelle; en 
tout à peu près vingt poésies. A la lin du livre, parlant de la 
musique nationale et des jeux tatars, il cite comme exemple 
six chansons du répertoire de qurayci (p. iii). Tous les 
modèles ont été donnés par Fuchs en traduction russe et sans 
transcription. Celui-ci paraissait connaître la langue et s'atta- 
chait même à définir le mètre des chansons selon le schéma 



i'^) «Il y a uoe trentaine d'^années de cela», comme il dit. c^est-à-dire vers 
i8i4. 



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304 AVRIL-JUIN 1926. 

métrique arabe des cercles de Khalil, et H s'en tenait à ia me- 
sure de TeBe^HCT» {^hezej?). Mais tous ces renseignements 
ont un caractère fragmentaire, parce que le but principal de 
son livre a été autre. Une attention plus sérieuse a été donnée 
aux chansons dans les articles d*Acfamarine (Que/^t^x mots sur 
la littérature tatare, dans le Télégraphe de Kazan, iSgA, où 
l'auteur donne la caractéristique des chansons et la traduction 
des modèles les plus arlistiques) et dans l'aperçu de S. M. Mat- 
veyev (Bo^îKCKO-KaMCKiô Kpafi, 1895-1897). Les matériaux 
pour ses traductions, Achmarine les a puisés dans l'œuvre 
tatare éditée par Q. Nasïrov {^Fawâkih'uljulasà'), où ce der- 
nier a donné à ses textes une préface contenant un aperçu 
sur les chansons populaires au point de vue de la composition. 
Se basant sur les mêmes données de Nasïrov, Achmarine a 
publié plus tard dans les «Œuvres orientales éditées par l'In- 
stitut des Lazarev pour les langues orientales» son Aperçu sur 
la vie littéraire des Tatars musulmans de Kazan (OnepKT» Awne- 
paTypHoâ 4tflTe^bH0CTH KaaaucKHxnb TaTap-b-MOxaMMe^aHt, 
Moscou, 1901). Il a donné dans le chapitre du folklore le 
texte de 5i chansons avec la traduction, où sont entrés égale- 
ment les modèles qu'il avait déjà cités (mais sans le texte ori- 
ginal) dans le Télégraphe de Kazan, Un peu plus tôt, d'après 
l'ordre chronologique (en 1898), parut à Kazan une édition 
où l'étude des chansons populaires tatares avait été faile 
pour la première fois avec application d'une méthode purement 
scientillque. Dans les Matériaux pour l'étude de la langue 
tatare (MaTepia.«bi no Hayneuiio TaTapcKaro /i3biKa, h. i 
H 2 ) par N. fcatanov, en plus du texte tatare et de la traduc- 
tion, Tauteur avait donné pour la première fois une transcrip- 
tion phonétique (académique) et un aperçu de la phonétique 
au point de vue de la turcologie comparée. En même temps, il 
y ajoutait la bibhographie tant russe qu'étrangère (Vamberv, 
Das Tûrkenvolk . . . ^ Leipzig, 1 876 ; et Balint, Kdzani-tatdr sxâ- 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 305 

verek). Dans ia partie consacrée à la poésie lyrique, il a publié 
167 chansons, où ont trouvé place les textes empruntés au 
manuel russo-tatare par Vagapov (Kazan, 1899), au livre de 
Nasïrov déjà mentionné, et à d'autres. Tous les exemples 
lyriques ont été inscrits sous le titre commun de chansons; un 
chapitre à part contient les chansons des conscrits d'après le 
texte de l'éditeur hongrois Balint. 

En même temps que les éditions scientifiques, on publiait 
des éditions populaires en tatar ayant un but pratique. Un de 
ces recueils de chansons, intitulé f^uKjjXàJ )^j-s^, fut tiré à 
plusieurs éditions. J'ai eu entre les mains la quatrième édition, 
dont je me suis servi pour trouver les variantes des chansons 
éditées dans le recueil de Mouginov. 

Ce fut encore plus difficile de faire la bibliographie complète 
du sujet pour ces derniers temps, en ce qui concerne les édi- 
tions tant russes que latares. En général, on doit remarquer 
que ces éditions, en somme peu nombreuses, sont loin de pou- 
voir épuiser le trésor immense de la poésie populaire tatare et 
c'est par là, comme nous l'avons déjà dit, que chaque essai de 
donner le texte et les traductions des modèles inédits trouve sa 
justification. 

B 

La forme des poésies que nous donnons ne peut pas être 
considérée comme la marque exchjsive de la poésie lyrique 
tatare : les courtes chansons de quatre vers ont été fixées par 
les nombreuses personnes qui ont étudié la poésie de tous les 
peuples turcs; et il y a des raisons de croire que c'est le schéma 
le plus ancien de la versification turque ^^^ en général. Le pro- 

(^) Comparer i^opinîon de Radlov sur ce schéma des chansons populaires 
( Ueber die Farmen der gehundenen Rede bei den altaischen Tataren , dans Zeit- 
schrifïfùr Vôlkerptychologie und Sprachwiêienschaft, t. lY, io3). 



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300 AVRIL-JUIN 1926. 

fesseur V. D. Smirnov, dans son Traité de la littérature turque 
(= osmanlie), classant les chansons populaires osmanlies 
d*après leur forme extérieure, conclut que les chansons nom- 
mées mani, présentant de courts couplets de quatre vers, sont 
la forme primitive, une sorte d'» embryon de la poésie lyrique» 
(p. 16). Ces courtes chansons sont très répandues; les femmes 
turques ^^J les chantent quand elles tirent la bonne aventure le 
jour de Khïzr(ie aS avril) et on attribue à quelques-unes de 
ces chansons un pouvoir prophétique et magique. Des recueils 
entiers de ces chansons circulent dans les harems. Etymologi- 
quement, le mot mani provient de Tarabe ^^jm «sens», el, 
sur le sol osmanli, il a subi un changement tant graphique que 
sémantique. La forme graphique arabe, mais avec une autre 
signification^^) [quatrain) se trouve déjà dans un des plus an- 
ciens monuments turcs musulmans : Qutadgu Bilig, où sont 
cités beaucoup de ces mani^ surtout de caractère didactique ^'L 
La phase suivante de leur développement est le tayug ou tur- 
yuq, genre spécial de la poésie turque du moyen âge^^^. Le 
professeur Mélioranski avait déjà constaté le lien intime entre 
ces deux genres de la poésie lyrique turque dans son article : 
ÛTpbiBKH H3i> 4HBaHa AxMe4a BypxaH-84-4HHa CnBaccKaro 
(BocTOHHbifl aau'^TKH Cn6., 1 896 ) : «Il y a, dit-il, une forme 
nationale de quatrains qui est identique aux rubai, mais com- 

(^) La même coutume est répandue chez les Arméniens : les femmes s*oc- 
cupant de tirer la bonne aventure tirent des petites pierres d^une cruche en- 
fouie dans la terre et luttent à qui saura le plus de poésies pareilles. Ce qui 
est encore typique, c'est leur dénomination turque, i^yUi. (^i«i# ^^^iT). 
Ce fait m'a été communiqué par le professeur N. R. Karamian. 

(^) Le dictionnaire p^U^t jm^U donne la déOnition suivante du mot : 
<T mélodie composée de mesures séparées, chantée au commencement du iarqi 
(chanson longue) ou d'un de ses fra^pnentsT) (p. j 966). 

^^) Voir chez A. CaMoâjoBHi'b , ^exBepocTHmifl-TyfiyrH Elesan (Mycyjb- 
uaHCKiâ uipi», 1917, UeTporpaA'b). On y donne la traduction russe d'un 
d'entre eux sur le sang-froid et la victoire sur les passions. 

(*) Ibid. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 307 

posée sur un mètre tout à fait autre. Cette forme est répandue 
dans la littérature turque orientale et s'appelle toyug ou to- 
yuq. Elle n'a jamais pénétré dans la littérature écrite osmanlie, 
mais elle existe sous le nom de mani dans les poésies osman- 
lies populaires ^^l» Parmi les auteurs turcs méridionaux, cette 
forme spéciale n'est employée que par le cadi Bourhan-ed- 
din; dans la poésie tchagataï, elle devint très populaire (Mir 
Ali Ghir Névaï, Babour, etc.). 

Le procédé même de transformation du schéma simple popu- 
laire dans le schéma admis et littéraire du toyug s'est sans 
doute produit par le moyen de la métrique théorique arabo- 
persane, et il apparaît à Samoyiovitch de la manière suivante. 
Des quatrains populaires particuliers à tous les Turcs ^2^, dans 
le genre de Yaytïspa khïrgîz-kazak, du cïr^ des Tatars de 
la Crimée et du mani osmanli , cette forme s'est introduite dans 
la littérature usuelle et, depuis lors, a commencé à s'adapter, 
du point de vue métrique, aux formes idéales de la poésie 
persane. Comme les toyug ressemblaient naturellement aux 
rubâS, c'est sous ce rapport que le rapprochement se produi- 
sit. La différence fondamentale de la métrique (le principe syl- 
labique de la poésie turque et le principe quantitatif de la 
poésie persane) s'effaçait au profit de cette dernière. Et comme 
une évolution parallèle avait lieu sous le rapport du contenu, 
le caractère primitif de la poésie lyrique (défis, allusions per- 
sonnelles, etc.) disparaissait pou à peu. 

La littérature tchagataïe nous a conservé des modèles diffé- 
rents de cette évolution des toyug dont certains, par leur 
forme travaillée et par le jeu de rimes, ne se distinguent pas 
des poésie» persanes (Samoyiovitch, op. cit., p. 7). 

Le sort du schéma lyrique commun à tous les Turcs a été 

i^) Je dte diaprés raimoUition d^A. N. Samoyiovitch (p. 6). 
(') De caractère agonistique. Voir ci-dessus la définition de mani d'après 
Smimov. 



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308 AVlUL-JUliN 1926. 

un peu différent chez les Turcs où un abtme séculaire séparait 
la poésie populaire de celle des classes instruites, autant qu'elle 
se reflétait dans leur littérature : le peuple conservait ses mani 
traditionnels, qui n'excitaient que de l'aversion chez ceux de ses 
compatriotes qui, «Turcs de sang, pensaient en arabe et en 
persan 19; nous voulons dire les Turcs osmanlis. Les chansons 
populaires ont été exposées à beaucoup moins de danger chez 
les Talars de la Volga, 011 l'instruction en général et Tinslruc- 
tion arabo-persane en particulier a été beaucoup moins répan- 
due et où ridée même de la littérature tatare ne compte pas 
plus d'un demi-siècle d'existence. Ce fait a évité à la littérature 
populaire la concurrence des œuvres tatares de style élevé. 



Avant de passer à la caractéristique des poésies lyriques 
tatares, il est nécessaire de revenir à l'analogie avec Tosmanli, 
parce que l'œuvre poétique osmanlie a été étudiée beau- 
coup plus à fond que celle des Tatars, et de nombreuses con- 
clusions théoriques ont été tirées des données de textes poétiques 
osmanlis. En la circonstance, ce qui nous importe le plus, 
c'est la préface que le célèbre turcologue folkloriste Kûnos 
Ignacz a placée en tête de son recueil de lyrique osmanlie, 
inclus dans le huitième volume des Modèles de la littérature po- 
pulaire turque, par V. Radlov.. Ce trait distinctif du mani^ qui a 
été mentionné plusieurs fois : la pièce de quatre vers avec alter- 
nance des rimes, d'après le schéma a ah a, est fondamental et 
typique. I)'apiès les observations de Kùnos, les mam osmanlis 
se composent de quatre vers, dont chacun se décompose en 
8 syllabes avec une césure après la &• (4 + 4), plus rarement 
en 7 syllabes avec césure après la 3* ou la 4" (par conséquent 
S-f-^ ou 4 + 3), c'est-à-dire qu'ils ont la même position que 
l'académicien^ Rorch admettait comme primitive pour le vers 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 309 

turc en général ^^^. En vertu de leur principe syllabique, Kùnos 
proteste contre la manière de scander les mani osmanlis et 
contre leur mélange avec les sarqï artificiels, écrits avec des 
prétentions au principe quantitatif d après le schéma arabo- 
persan. Ce qui est encore très important, c'est l'indication de 
Kùnos que la formation rythmique des mani a beaucoup de 
ressemblance avec les proverbes rimes, formés de deux par- 
ties parallèles. Se basant sur cette loi, le professeur V. Gord- 
levskiy, dans son article Hai» Ha6^i04eHiH Ha4T> TypeqKoâ 
niîCHbK) (MocKBa, 1909, CTp. 9 ai.), a esquissé le schéma 
approximatif de l'évolution de l'élément primitif poétique com- 
mençant par la combinaison trîsyllabique jusqu'à celle de onze 
syllabes ^^). Les conclusions qu'il en a tirées ne sont pas seule- 
ment intéressantes parce qu'elles sont fondées sur les données 
du folklore strict, mais, d'après toute une série d'observa- 
teurs, chaque mant se divise, quant à son contenu, en deux 
parties, c'est-à-dire que deux vers seulement ont un lien logique 
entre eux (le 1" et le 2% le 3' et le 4'), et les vers des moi- 
tiés différentes comme le 3" et le 4^ peuvent n'avoir rien de 
commun entre eux^^l Cette particularité du mani expliquant 

^^) Quant à l^étude de M. Kowalski, Ze ttudjàw nad formq poezji ludow 
tureckich {Étuides sur la forme de la poésie des peuples turcs, w Krakowie, 
1922), que j'ai reçue après que mon article était déjà rédigé, ce travaii, 
bien intéressant au point de vue de son idée principale , ne contient aucune 
contradiction avec mon analyse formelle des chansons. Il est seulement à 
regretter que, dans le chapitre concernant la poésie tatare, Tauteur se soit 
servi des matériaux de Balint déjà anciens (1878) et insuffisants, comme ii 
l'observe lui-même (p. io/i-io5). Tous les travaux du même ordre de Nasï- 
rov, Achmarine , Katanov, Gordlevskiy, etc. , et toutes les éditions tatares du 
%i' siècle (il y en a eu plusieurs en dehors de ^^MoOLik) ;^^) sont passés 
inaperçus pour notre auteur. Le recueil de Bâlint contient, en outre, des 
fautes de transcription (atny[n, belersen, ikebezne, botot, etc.) et de traduc- 
tion (ak izêl — na brzegu kamy; mais voir la noie 6 , ibid.). 

t^) On ne rencontre pas de vers de onze syllabes dans les mani; ce vers est 
propre au second genre de la poésie populaire iarqt et tûrku. 

(-"*) Ce point de vue peut être considéré comme un peu ancien , parce que 



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3!0 AVRIL-JUIN 1926. 

son origine, est devenue plus tard un moyen littéraire : iei 
deux premières lignes contiennent en général la description d< 
la nature et les suivantes l'expression de l'émotion du chan 
teur. C'est pourquoi B. Fabo, dans son article Rhythmus utut 
Mélodie der tûrkischen Volkslieder [Keleti Szemle, t. VII, p. i q i 
et suiv.), prenant en considération Tabsence de rime dans le 
3' vers, a proposé de compter le 3* vers comme un refrain des 
deux premiers. D'après lui, la poésie fut d'abord de deux vers 
et, plus tard, se fondit avec son refrain (différent, bien entendu, 
de contenu); après quoi le 4* versa été ajouté; il est proche 
du 3* par le contenu et des deux premiers par la rime. La mé- 
trique arabo- persane avait aussi une strophe de quatre vers 
avec l'ordre de rimes a ah a; mais l'indépendance de ces deux 
systèmes peut être prouvée, non pas seulement par la diffé- 
rence du mètre {ruhê^i, qui est un mètre quantitatif), mais 
par l'existence du genre mani chez toute une série de peuples 
turcs ou, en général, chez les peuples «touraniens», d'après 
l'expression vieillie de Fab6, parmi lesquels aucune influence 
de la culture persane ne pouvait se faire sentir, comme par 
exemple chez les Hongrois, les Tchouvaches, les Ourankhas et 
d'autres encore. 

Mais, déjà sur le sol osmanli, on peut constater une modifi- 
cation dans l'ordre des rimes. V. Gordievskiy cite des cas où le 
premier vers ne rime plus avec les autres et où on a le schéma 
abcb. Dans d'autres cas, les vers pairs commencent à rimer 
avec les pairs et les impairs avec les impairs, c'est-à-dire d'après 
le schéma ah ah. On observe plus rarement le schéma a a ah 



le critère de la suite logique ne peut guère être appliqué aux œuvres du 
folklore. Le soulignement de la première et de la deuxième partie d^un qua- 
train est déjà une sorte de moyen artistique. Bien entendu, ie commence- 
ment stéréotypé de deux vers pourrait être ajouté aux deux lignes nouvelles 
et former un autre mani. L^hypothèse de Fabo, traitée plus loin, est citée 
seulement comme une étape historique de Tétude de ia question. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 311 

(op. cit., p. i4-i5). Telles sont en général les lois de la con- 
struction des mam osmanlis, qui, en qualité d'unité poétique 
primitive, font partie de chansons populaires plus compliquées 
des tûrkû. C'est à peu près le même tableau que nous offrent 
les œuvres de la lyrique populaire tatare. 

D 

Contrairement aux chansons populaires des autres Turcs, 
tels que les Osmanlis, les Tatars de Crimée, les Cosaques- 
Kirgiz, les Bachkirs, etc., celles des Tatars de la Volga ne 
sont en général pas longues et n'ont pas de refrain bagïnna 
(voir Fabo et Gordlevskij, op. cit.) : leur trésor lyrique est 
composé seulement de quatrains. Dans les Matériaux de Katanov 
comme dans V Aperçu d'Achmarine, ainsi que dans le livre de 
Fuchs, on ne parle pas de longues chansons lyriques qu'on 
pourrait comparer aux tûrkû et sarqî osmanlis. Abdoullah 
Mouginov m'a dit positivement que les chansons longues n'exis- 
tent pas chez les Tatars d'Oufa et que le mot chanson est tou- 
jours lié, pour eux, à l'idée de quatrain, ce qui est encore 
prouvé par la terminologie même (y^*)^^^ que les Tatars em- 
ploient dans ce cas; c'est un mot de signification générale 
(voir les dictionnaires de Radlov et de Boudagov), sans distinc- 
tion logique plus approfondie. Le 31^^ qui conservait et chan- 
tait ces quatrains est depuis longtemps passé dans le domaine 
de l'histoire ^^^, avec l'instrument de musique national, ^^, qui 
accompagnait les chansons ^'l Actuellement, les chanteurs pro- 



(0 Ourankha et aitaïque tr; jïr chez les Bachkirs et gïr chez ies Gosaqiies- 
Kirgîz. 

(') Déjà Fuchs indique l^absence de chanteurs populaires (p. 44). 

t^) Ou -yê^ qomûz (d'après Boudagov, «espèce de flûte ou chalumeau; 
instrument musical en fer employé par le peuple j»). De là provient KOÔsapB 
et Ko63a de TUkraine. 



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312 AVRIL.JUIN 1926. 

fessionnels n'existent plus, et les chansons se conservent par 
tout le monde à l'aide de l'interprétation orale; ellessont chaa- 
tées avec accompagnement d'accordéon. C'est l'unique intrusion 
de l'élément russe dans la lyrique ta tare, qui par ailleurs nous 
parait tout à fait indépendante, et c'est peut-être le genre le 
plus indépendant de tous les genres du folklore tatar ^^K C'est 
pourquoi il est naturel que les Tatars eux-mêmes repoussent 
avec indignation l'idée, exprimée par certains, de la parenté 
d'origine entre leur ^ et la ^acryoïKa russe actuelle. Outre 
l'aversion instinctive pour ce dernier genre poétique, les Ta- 
tars pourraient se fonder sur les arguments de culture et d'his- 
toire littéraire : d'abord, le milieu industriel où se créent les 
«lacTymKH n'est pas 1res familier même à la Tatarie contem- 
poraine, sans parler du passé, lorsque les chansons tatares 
étaient déjà fixées (voir Fuchs, qui a écrit son livre quelques 
années avant le milieu du siècle dernier); secondement, comme 
nous l'avons vu, le schéma des jïr mani est un embryon 
typique de la poésie turque générale et il n'y a pas à parler 
d'influence russe. 

Au sujet du vers, remarquons que la forme la plus courte 
dans notre recueil est celle de 6 syllabes, avec la césure après 
la 3-: 

Il (2) 

ày jamm | sm ûzih. 

Puis vient le vers de 7 syllabes, avec de grandes variations 
sous le rapport de la césure ^^^. Dans l'ordre des accentuations 



(') Sous-entendu : l'influence russe. Une autre question est celle de son 
originalité dans la lyrique populaire turque en général. 

(') Nous indiquerons conventionnellement les syllabes accentuées par le 
signe de la longue : _ et les non accentuées par le signe de la brève : ^. 

^^) Elle coïncide ordinairement avec la fin du mot. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 313 

correspondant à notre mesure trochaïque (avec le dernier pied 
coupé), on place la césure après la 3^ syllabe : 

ginjanî \\ iskà tstsàh. 
qattndin \\ qara kûzih. 
wot btzntn | uram uram. 

Dans Tordre mélangé, lorsque la première moitié du vers 
correspond à notre amphibraque et la seconde à notre ïambe 
dissyllabique, la césure se place au milieu, c'est-à-dire après la 
3* syllabe : 

KJ^^J II «^_V>_ 

qyntn-da || yaigîz basi 

Dans l'ordre mélangé, où, après le pied que nous nomme- 
rons îambique, vient le trochée de 3 syllabes, coupé : après la 
9* syllabe : 

*-»— Il T*-» — *-» — 

jamtn || ûzttnà kiràk. 
simh II sûylàgàn sûzth. 
kûrsàm | y9râgmjana, 

ou après la &*' syllabe, si la première moitié du vers est pour 
ainsi dire un ïambe dissyllabique et la seconde composée de 
deuï pieds trochaïques coupés : 

«^_v». Il .v/_ 

maiur qïzlar \\ su sipsâ, 
qoyaè kiMc || àylànip, 
attm kittt || kûl buylap, 
yqnffan ydràk j| yqiqttù. 

Il en est de même pour ce qu'on peut considérer comme un 
ïambe pur (le dernier pied coupé) : 



\j m-yj^. 



Bamawurth || quyarsin. 



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3U AVRIL-JUIN 1926. 

Le vers de 8 syllabes a une césure après la 4% si l'ordre des 
accentuations correspond à Hambe pur : 



SJ^.\J m^ 



btznth uram | uram-mint, 
par sandugar || sayrqgaindqy, 
janim yartp || hirtr-idtm, 

ou après la 3^ si Tordre des accentuations correspond à un 
trochée de quatre pieds : 



^KJ ^ I 1>_«^_«^ 



susasam || suiar icàrmin. 



Le vers de g syllabes, dont la prennière moitié correspond à 
notre ïambe dissyllabique et la seconde à un amphibraque joint 
h un ïambe, a la césure après la 4" syllabe : 

dus ts kirâk || danya htârgâ. 
btrjîrladîm || tàkàk iskândà. 

Enfin, le vers de lo syllabes correspond, selon Tordre des 
accentuations, à notre ïambe de cinq pieds, avec la césure après 
la 6-: 

qaragnordqy urman \\ qarah^î tan. 
aq idilkày alqïn || suwi salqtn. 

On doit remarquer que les pièces dont les quatre vers pré- 
sentent le môme nombre de syllabes sont exceptionnelles dans 
notre recueil (n''* 6, 7, 26, 99, 33). Le plus souvent, nous 
observons Talternance suivante 18:7:8:7 syllabes (n''' 1,2, 
7, 8, 19, t3, i5, 18, 19, 96, 97, 34, 35, 36, 38, 4t, 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 315 

43, 44, 45, 47, 48). H y a des quatrains où lun des vers 
présente une syllabe de plus ou de moins que les autres, ce 
qui donne une plus grande diversité à l'impression d'ensemble 
{n*"3,4, 5, 10, it, 17, 30, 31, 23, 26, 28, 83, 89, 43, 
46, 5i). Les chansons où les vers sont identiques deux à deux 
par le nombre des syllabes, tels que 7 : 7 ou 8 : 8 (n"" 9 , i4, 
3i), donnent l'idée qu'ils ont pu être formés de deux parties 
rimant isolément. En général, la manière dont les vers de 
différentes longueurs alternent dépend élroitement de Tordre 
des rimes. L'ancien schéma turc des rimes aaba est lié ordi- 
nairement à la conservation du même nombre de syllabes dans 
tous les vers (n" 6, 39, 33); les rimes dans l'ordre abcb 
accompagnent souvent Talternance du type 8:7:8:7 (n~ 2 , 
13, i3, 34, 4i, 43, 44, 48). C'est l'ordre normal du recueil 
(cf. les n"* 10, 17, 21, 4o, 5o). Les cas les plus rares sont : 
aiai(n"'36, 35, kb); aaab{n'' iS);abcc{if ili); abbb 
(n° i5)et aaûa(n® 39). 

Quant à la nature même des rimes, c'est ordinairement une 
rime masculine, parce que l'accent en talar se met en général 
sur la dernière syllabe. La rime féminine se forme lorsque la 
dernière syllabe n'a pas d'accent ou lorsque c'est une particule 
enclitique, etc. Par exemple : yûz' dtmïy; tûz' dtmïy, bar-idi, 
irtà-dip, ynq-idi, kicâr-min, ûsàr-min. Par la réunion de deux en- 
clitiques finales monosyllabiques, on obtient une rime dacty- 
lique, généralement rare dans la poésie turque : qûymasîn'tïy' 
masin (accent sur le premier ï), uram-mïm (accent sur a), etc. 

Quelquefois les éléments inaccentués qui transforment la 
rime masculine en une rime féminine ou dactylique sont iden- 
tiques dans plusieurs vers; ils forment alors ce qu'on appelle 
un vjb^^ dans la métrique arabo-persane, et la rime propre- 
ment dite les précède : 

1 • càqlar bâr-idi 2" yûz' dimiy. 

uramlar bdr-idt, tûz' 



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316 AVRIL-JUIN 1926. 

Essayons de caractériser nos chansons du point de vue de 
la langue. Phonétiquement, il est intéressant de renaarquer la 
présence du son w (bilabial) entre deux voyelles [sum, awur, - 
samawur)^ ainsi qu'au commencement et à la fin du mot [waqît^ 
wot [russe], saw, etc.). Dans certains cas, il provient du g (^) 
propre à toutes les langues turques et a une tendance à la vo- 
calisation («aw, awur), et, dans d'autres cas, il a une autre 
origine. Ce qui est encore intéressant, c'est l'alternance du son 
guttural fricatif y et de l'affriquée / (ij) devant voyelle au 
commencement du mol. D'après la formule de Radlov(PAone- 
uk,..,Tih. 1 , S â 1 â ) , le y primitif persiste dans la région mé- 
ridionale des contrées turques, tandis que dans les dialectes 
tatars septentrionaux il alterne avec les spirantes palatales ^^X 
La phonétique tatare est, sous ce rapport, à un stade moyen 
entre le bachkir, par exemple, qui garde y, et le cosaque-kir- 
giz, où nous avons partout ;. Dans les textes imprimés, les Ta- 
tars cherchent à éviter la transformation du y en /, mais, 
dans la conversation , on prononce volontairement le premier 
phonème ^^^. Notre texte présente souvent des doublets phoné- 
tiques du même mot avec le y et j initial {yuq-juq, yana-jana). 
Certains mots (et c'est la minorité) conservent \ey{yut, yatqïn, 
yçqtïy ydqîar, etc.); les autres présentent, au contraire, le ; 
(jïr ja^y En ce qui concerne ia transformation phonétique des 
mots d'emprunts, le ^ arabe, représenté normalement par g, 
tombe, par exemple dansttiwr^ «vie»; les mots *Lwfc.et ^^ja^^ 
(persan) sont prononcés hayla et wayrçn. Un groupe de con- 
sonnes à la fin des mots étrangers rejette la consonne finale : 
dus au lieu de dmt. Quelques mots russes intercalés dans le 



(') Â. N. Samoylovitch est dispoflé à admettre que cette aiternance est un 
signe de classification. Voir ses HeKOTopue 4ono.irHeHHfl k iuaccH4i»HKai|HH 
TypeqKHX asuROB, tlrrp., tgaa, X. 

^*) Même ie ^l^. (persan) se change en jar d'après l'analogie avec les mots 
puremtnt tatares. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 317 

texte se modifient d'après les régies de l'iiarmonie vocaiique 
(Radlov, Phonetik, I, SyA) : fitcàikà (nepqaTKa), samawur 
( caMOBapi» ) , ptriyûm ( npiesn» ) , etc. Le mot CTaHUtia , avec deux 
consonnes initiales, prend une voyelle prothétique, normale 
dans la langue iatare (comme dans les autres langues turques) : 
istansa. Quant à la morphologie, citons la forme tchagataïe de 
Tablatif , avec Taffixe din au lieu de dan/den, plus propre à la 
langue tatare {^qaiïhdtn, dustarnlm) et la particule interroga- 
tive : mini. Le lexique des chansons contient peu de barba- 
rismes : les mots arabo-persans sont inévitables, bien entendu, 
mais ils ne sont pas nombreux (en tout vingt-deux). Le pour- 
centage des mots russes est très petit. 

Dans le classement des chansons que nous voulons éditer 
et des chansons du peuple tatar en général, il est très difficile 
de s'en tenir à un principe unique. Si on se fonde sur la forme 
de la première phrase du premier vers et si on classe les chan- 
sons d'après ce signe extérieur, on peut alors , jusqu'à un cer- 
tain point, les diviser en cycles ^^^ (par exemple : le cycle com- 
mençant par Jjo! ^î, {jl^)^^ t^U, ^UUU (^), etc.); mais toute 
une série de poésies ne rentrent pas dans ce cadre. Quant h 
classer les chansons d'après leur contenu, ce système ne donne 
pas non plus grand'chose : après le classement comparative- 
ment facile des chansons spéciales comme celles des conscrits ^^^, 
nous nous trouverons devant une quantité innombrable de 
chansons d'amour et en général d(3 chansons lyriques qu'on 
ne peut faire entrer dans aucune catégorie.' Pour le recueil de 
Mouginov, nous adopterons, cependant, ce dernier système, 
en faisant remarquer d'avance son imperfection. La catégorie 
la plus intéressante est peut-être celle des chansons <le con- 
scrits, qui manquent complètement chez Fuchs, Achmarine et 
f^yy^^K^J ^:^jA, , et sont mal représentées chez Katanov. Abdoul- 

(») Voir ,^^yxs.\ ;5I^. 
(') Voir Katarot, op. cit. 



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318 AVRIL-JUIN 1926. 

lah MouginoY, au contraire, tenait justement à ces dernières, 
comme un homme ayant vécu lui-même de la vie militaire. Ses 
chansons nous retracent fidèlement Tétat d'esprit des jeunes 
gens tatars qui, quelques jours avant la conscription, cherchent 
Toubli dans une débauche sans frein. Les rues larges semblent 
étroites (i)^^^ les haies voisines craquent (3) et, au son de 
l'accordéon et des chansons folles, la bande effrénée tempête 
((d'un soir à l'autre et du soir au matin 79. Et puis, le matin 
atteler les chevaux. . ., la séparation d'avec la mère! Quelle 
vie ! « Pourquoi suis-je né , pourquoi ai-je grandi ? » ( 4 6 ). 

Mais ce n'est pas seulement dans ces cas exceptionnels que 
le chanteur exprime sa mélancolie : le Tatar est pessimiste de 
nature; comme l'Osmanli, il est prêt à croire que : 

Le sort qui m'a été tracé est plus noir que la suie ; 
Je n'ouvrais pas les yeux de douleur. 

(voir V. D. Smirnov, op. cit., p. 17). 

Voilà des chansons dans les pays étrangers. Le pays natal 
est devenu étranger {19); là-bas la vie bout (33), et ici la so- 
litude complète le poids de la séparation. Mais ce qui est 
encore plus pénible, c'est la séparation d'avec la bien-aimée : 
le cœur brûle de tristesse comme naguère il a brûlé d'émotion 
et du trop-plein de ses sentiments. On peut étancher la soif 
dans les ondes larges de TAk Idil , mais que doit-on faire contre 
l'angoisse? (Ag). L'amour malheureux, la solitude et la tris- 
tesse se reflètent dans toute une série de chansons, qu'on peut 
nommer pessimistes par excellence. Autour de soi, la nuit 
sombre, la forêt noire, les temps durs, beaucoup d'ennemis; 
j'ai pâli en remuant des pensées infinies (Ao). Et ainsi de 
jour en jour. Je regarde la lune — et sa tête est aussi soli- 
taire! (42 ). Et l'aurore naissante n'excite que des pensées 
tristes : elle fait verser des larmes, elle en fait verser ! (4i ). 

(^) On a indiqué entre parenthèses les numéros des chansons. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 319 

Les chansons ne donnent qu'une faible idée de la géogra- 
phie du pays. La rivière J*>ot ^T, le mont Bélékey, le ruisseau 
Isène, Kazan, telles sont les seules indications topographiques. 
Elles ne brillent pas davantage par leur forme extérieure ^^). 
Comparés à la poésie persane raffinée, les jïrlar ta tares pa- 
raissent pauvres. Le détachement mentionné des deux premiers 
vers des suivants les rend à première vue comme manquant 
de liaison avec la suite ^^^. Ils ne pourront jamais atteindre la 
force de perfection des rubai dans le genre de ceux qui ont 
été créés par Tesprit philosophique du Voltaire musulman 
(Omar Kheyyâm). Leur force consiste seulement en leur sim- 
plicité et leur manque d'artifice. Dans tous ces vers peu tra- 
vaillés, le lecteur rencontrera une ou deux images qui attire- 
ront son attention, deux ou trois expressions qu'il trouvera 
originales ^*\ Mais ce n'est pas le but des chansons tatares, et 
on ne les chante pas pour recevoir une approbation. Citons 
plutôt les paroles d'un poète tatar^*) : 

Mes brillantes chansons d'or je ne les 
chante pas pour la gloire 



(*) On ne peut citer que les allitérations et les rimes entre-croisées comme 
moyen rhétorique dans notre texte. 

i*) Certainement, ce point de vue est subjectif el ne peut changer qu'avec 
une modification des goûts littéraires. Mais les auteurs d'autrefois étaient très 
sévères à cet égard. D'après l'opinion de Fuchs, «les chansons tout à fait 
populaires n'ont aurune logique et sont la preuve de pensées sauvages» (p. 46). 
Achiparine trouvait que la liaison entre deux parties de la même chanson ne 
s'exprime que par i'ailitéralion et la rime , de sorte que la poésie perd beau- 
coup en traduction (Le Télégraphe de Kazan = KasaucKiM Tejerpa«i>, 1896 , 
n- 569). 

(^) Voici quelques exemples : «r Sur les bords de la rivière Byelaya , le lynx 
vient jouer. Quand est-ce que ta taille semblable à celle d'un lynx tombera 
s»ir ma poilrine?» (traduction d'Achmarine). — «Tes sourcils fins sont arqués 
fortement comme un. douga courbé à Kazan» (ibid.), — «Tes sourcils sont 
noirs conmie la couleur de l'encre du Coran» (Fuchs). 

(*) Recueil de» poète» tatarea contemporains, ^)^y^ J^*)^^ (Chansons de 



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320 AVRIL-JUIN 1926. 

Je les chante poar ma triba d*or, pour 
mon peuple à moi. 

Mes chansons pures comme l'argent, je ne 

les chante pas pour de Tor; 
Je ]es chante pour mon peuple, pur comme 

Targent, pur de cœur. 

Mes chansons ressemblent aux fleurs, je ne 
les chante pas pour Tamusement, — 

Je les chante pour mon peuple riche en 
jeunes filles ressemblant h des fleurs ! 

Mes chansons tumultueuses, bouSlonnantes 
je ne les chante pas pour le tumulte, 

Je les chante pour mon peuple éternellement 
joyeux , tumultueux et souriant. 

Je ne pleure pas parce que mes jours sont 

tristes, froids et désolés : 
Je pleure seulement pour mon pauvre 

peuple , dépouillé et misérable . . . 

Comme conclusion , nous voudrions faire remarquer que le 
jugement du folklore tatar et sa critique subjective, fondée 
seulement sur Testhétique, en dehors de la liaison avec les 
données de l'histoire de la culture, pécheraient contre la stricte 
méthode philologique et seraient un arrêt injuste pour toute 
une littérature malheureusement trop peu étudiée. . 

lutte), Kazan, igaB. Dans cette poésie appartenant à ^L? »ù\'^ ^ (Ghejh- 
zade Babiè), nous n^avons omis dans notre traduction que la dernière strophe. 
En russe; voir la revue Orient (Boctok), n* 5, 19a 5. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 321 

E 
TRANSCRIPTION ET TRADUCTION. 



ÀBBiviATIONS. 

On trouvera ci-dessous ia bibliographie des ouvrages cités 
au cours de ce mémoire, avec les abréviations correspon- 
dantes : 

Anji.=AmMapHH'b H. H. OiepKt winTepaTypnoâ 4'feflTe^b- 
HOCTH KaaaHCKHxi» TaTapi>-M0xaMMe4aHi> (MocKBa, 1901). 

Am^. = ÂmMapHH'b H. H. C6opHHKT> HyBamcKiix n'fecen'b 
(HaB'i^cTiH 0-Ba apxeo^oriii, HCTopin h dTHorpa<i»iH Ka- 
aaHCK. yHHBepcHTeTa, t. XIV, Bun. 4-6). 

KaT. = KaTaHOBi> H. 0. MaTepia^w no Hay^emio TaTapcKaro 
ASUKa (KasaHb, 1 896 , h. I-II). 

4>. = <ï>yKCT>. KaaaHCKie TaTapu (Kaaanb, i84/i). 

4». -=4»Mp«^ap ehTepici (j^u*jy;â.t jil^) [KaaaHb, 1918]. 



ccYiii. sta 



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322 AVRIL-JUIN 1926. 

I. Les chansons de conscrits. 

1. àytltrgàn (qqfar har-idi^^^ 
kih uramiar lar-i(U 

kih lirmniamï tar-itip 
yèrgàn caqlar bar-idu 

2. siznm vram uram-mïni (*' 
wot^^^ btmiH uram uram 
Jàygàn urinfari-bilân 
qtip cîgqrday buiam, 

3. ûmir Jtmtr^^^ qdymasîn 
uramga buy quymastn 
qhli km qïzïn tïysïn 
btini hsi lîymasin, 

4. ufïjnhïh tduinîn 
ûzm kûrdim tuzgqntn 
bilmiy qqldm sizmiy qqldîtn 
jàs umrummh uzgqnïn, 

5. qp-pqq ittp kirjuganfar 
qtymaga thp quygqniar 
btz kilàhn stz qqlasïz 
sqw bulîgîz tugatdar 

6. ày dustarîm dushrîm 
duslarîm ûz tsiàrtm ^*^ 
8iz dusfardin qyrîlgai 
yql^îz bqsim nisldnm. 



(^) Modèle d^une rimo dactylique. 
t*) Particule interrogative au lieu du simple s^ . 
^^) Mot russe emprunté (bott. «voici»). 

t*) Verbes svnonyraiques qui forment ensemble un doublet phonétique. 
(^} Du8-ii ((ami sincère» (cf. le russe Apyr'bnpiflTcxb). La variante de cette 
ligne 4>K., p. 6o et beaucoup d'autres. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 823 

L Les chansons de conserils. 

1 . Il fnt un temps où Ton parlait do nous ^^\ 

Les rues les plus larges étaient trop étroites pour nous 

Et rendant ^^) étroites les rues larges 

Nous nous y promenions. • . Il fut un temps ('). 

2. Votre rue est-elle une rue? 
La nAtre en voilà une rue I 
Avec le lit tout préparé 

Je Taurais emportée ^^^ au milieu de la me I 

3. Arrache et brise ses palissades # 
Qu'il n'en mette pas le long de la rue I 

Que celui qui a une fille lui donne des ordres 
A nous personne ne peut nous en donner I 

û. La poussière des grands chemins <'^ 
Moi-même je Tai vue tourbillonner. . . 
Je suis resté privé de raison, privé de sentiments 
En voyant couler ma jeune vie ^^K 

5. On blanchit bien le linge, on le lave 
Et on relaie sur les haies. 
Nous paiions et vous restez : 
Adieu, frères! 

6. mes amis , mes amis I 

Mes amis, mes camarades I 
• Dès que j'aurai quitté mes amis 
Que deviendra ma pauvre tête abandonnée ( solitaire )?^'^ 

(^) Plus exactement : «r quand nous faisions parier de nousn. 
(*) On parle également de mes trop étroites pour les ivrognes dans une 
chanson de soldat des Tchouvarbes (Am, GXXII). 

(') On s^est permis de faire un léger changement dans la construction. 

W GV-st-à-dire : la bicn-aiméc. 

(*) 11 est mention do la grandVoutc chez KaT. hh , etc. 

W On retrouve la variante de celte chanson chez Kax. 77. 

(7) littéralement : «que fcrai-je moi, pauvre léte abandonnée». 



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324 AVRIL-JUIN 1926. 

7. mtndtm btytk taw bastna 
yazû yazdim ^^^ tqsïna 
taga nilàr kitir-ikàn ^*^ 
mintm gaziz haèma, 

8. kità qqziar kàà qaziar 
kitàbiz abzïqayiar 
kitkàn qaziar kin qatfia 
qaytïrbïz abzïqayiar. 

9. atiarjtqttm arbaga 
jnriyëmga ^*^ barmaga 

hir bir haylà ^*^ tab-aimadïm 
boMunn' qitp ^^^ qqimaga. 

10. qiiarjtqtim arbaga 
qqbq' qcmtca ^*^ kit' ahniy 
pqtsa btznt aimîy ktmni qistn 
qïziar hzmàt k' aimiy. 

11. qayqS iîgar âylàmp 
qim* qgacqa bàylàmp ^^ 
isàn buisaq btr qqytîrbtz 
qdyqs ktbtk àylàmp. 

12. tstansaga^^^ bqrîpjitkàc 
mqsinqiar qt bxzgà 
àtkày ànkày ^^^ Jibàrmàsà 
kim jibànr hqt btzgà, 

(^) Cette tautologie se rencontre danfs les différentes langues turques. Quant 
à la variante des deux premières lignes, voir Kar. /la, 4"^., p. i36, 137. 

(') L^expression turque gépérale («tomber sur la tète de queiqu^un» s «ar- 
river à quelquW))). 

(^) Provient du mot russe npieiH} (=npB3biBi>). Le même terme chez les 
Tcbouvacbes : npHHOM Am, XIV. 

(*) Du mot arabe fJ^i^a^. 

(^) Élision : baimn' au lieu de bqiimnu 

^*) Au lieu de Texpression littéraire ql-miyin^. 

(') Variante de deux lignes, KaT. 98. 

(') Mot russe avec la voyelle protbétique. 

(') En osmanli, ordre des mots différent : anorbaba. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 325 

7. J'ai gravi le sommet d une haute montagne. 
J'ai tracé une inscription sur une pierre; 
Qu'est-ce qui arrivera encore 

A ma précieuse tête? 

8. Les oies s'envolent ^'\ les oies s'envolent. 
Nous partons, amis. 

Les oies qui sont envolées reviennent 
Et nous aussi nous reviendrons , amis I 

9. J'ai attelé des chevaux k la charrette 
Pour aller m'enrôler. 

Je n'ai pu trouver aucun détour 
Pour sauver ma tête ^*> et rester. 

10. J'ai attelé des chevaux à la charrette. 

On ne peut partir (de la maison) sans ouvrir le porche. 
Si le tzar ne nous enrôle, qui enrôlera-t-on ? 
Les jeunes filles ne peuvent faire le service. 

11. Le soleil se lève en faisant le tour 
Comme s'il fut attaché au pommier. 

Si nous restons vivants, un jour, nous reviendrons 
Faisant le tour comme le soleil. 

12. Lorsqu'on se rend à la gare et qu'on y arrive, 
Les trains sont nos chevaux. 

Si le père et la mère ne nous envoient de lettres , 
Qui est-ce qui nous en enverra , alors ? 



(^) Litt. : «partent». 
(*) Voir KûT. 45-48. 



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826 AVRIL-JUIN 1926. 

13. btz barasï^^^ qazarmamn 
tdàni lagir-m'ikân 
biznih gaziz hqsianbîz 
àylàntp qaylir-m'ikàn, 

lA. ànkày trtàn tarsrsïh 
samawurïh ^*^ qwjarsm 
samawurih qaytuUïrsih 
Or^p ktmm uygfatîrsih. 

15. ànkây mini tnffnn iqqta 
qq hilàwgà bilàgàn 

qq bilàwlàrgà bilàgàn 
bahtï buhïn dimàgàn. 

16. silrtp tôstëm bqqca^a^^^ 
bqstîm bqqïr qqcaga ^*^ 
durt yïi hizmàt iiàsim bar 
àUi éui'Uq pqûaga, 

II. Loin du pays natal. 

17. yqtîr-idtin yDqfar-idm 
yurgqntmm yqbïnîp 
yntsam yoqiqrim kibmy 
tugqn ihm sqgïnïp. 

Variante : 
êuljqnmnî sq^înip, 

18. qqzqnjtrqq qqzqnjïrq^ 
qqzqnihn màskàw jîrqq 
gaytir-idim ilm jïrqq 
qqytîmuuam jqmçnsiraq. 



(^) Diaprés l'explication de Mouginov, au lieu de bqraSaq* 
W Voir Kax. ia3, A^lI^, î i, samqwvr (mot russe-" bouilloire) M rencontre 
très souvent dans la poésie populaire tatare. 
(') La même chose chez Kar. 109. 
W Les deux premières lignes se trouvent dans Jf,m, 97. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 327 

13. Quand nous entrons dans les casernes, 
Le plancher y csl il uni? 
Nos léles précieuses 
Reviendronl-elles ayant fait le tour? 

lA.Mèrel Tu te lèveras tôt, 
Tu prépareras le samovar. 
Tu feras bouillir ton samovar, — 
Mais qui réveillcras-tu , lui disant : ir Lève-toi l« 

15. Lorsque ma mère m*a mis au monde 
Elle m^enveloppait de linge blanc; 
Quand elle m'enveloppait de linge blanc 
Elle ne disait pas : tr Qu'il soitbeureuxU 

16. J'ai sauté et je me suis trouvé dans un jardin. 
J'ai posé le pied sur une pièce de cuivre ^^\ 
Quatre années de celle inanièj'e 

Je dois servir encore le tzar. 

IL Loin du pays natal 

i7. Je me serais couché, j'aurais dormi 
Enveloppé de ma couverture. . . 
Si je me couche le sommeil me fuit^^ 
Je suis altrislé et angoissé. 

Variante : 
Je m'ennuie de ma belle. 

18. Kazan est loin, Kazan est loin 

Et Moscou est encore plus loin que Kazan ^'^ 
J'aurais voulu retourner, mais le pays natal est loin 
Et si je ne retourne pas, je serai encore plus triste. 



(^) Mauvais présaj^e. 

^') Lilt. : (tne vient pas». 

(^) Expressions typiques. Voir Kar. &8, Am. 3 , etc. 



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328 AVRIL-JUIN 1926. 

19. qqz qanatt qat qqt buia 
ir qanatt qt buia ^^^ 

cit iUàrdà kûp yërësàh 
tugan iUh jqt btda. 

20. triàn t^rdam irtà-dip ^*^ 
irtân azan âytà-dip 
azan àytà minftgHymn 
bqitm iilkà kità^^*K 

i\.j%rjilàg%qB-dip 
bai qusip bvhnas indt 
jqnim ktUt Ht iUàrgd 
yàm tqbtp buinuu indf, 

22. urqq ur^qn yirlàrm 
pièàn ëqpqqn yirlâritn 
kuk càckà-dày kûkràp qqidi 
tuf an ûskàn iUànm ^^K 

III. Amour. 

ii.jillàr tsà gëllàr ûià^*^ 
mqtur qtziar 9U sipsâ 
ëzëlà ûzàk Jana Jërâk 
sinjani^^^ Ukà tassa 

Variante : 
hàjqttï 

(^) Jim. 190 donne une variante : qqz qqnqti qq buia; ia deuxième ligne est 
la même (expression typique). 
(*) La même chanson, 4**^i* 
(') Quant à la variante, voir 4»* ^ ' 

jqnïm Htkà kitd-dip, 

W La même expression Kar. 19, etc. 

(*) Exemple d^une rime intérieure. Les deux premières lignes textuelle- 
ment 4»* B7. 

(*) Le texte semble légèrement corrompu, quoique Tédition 4** donne 
aussi comme variante «m Jani' (probablement au lieu de «tn janim). 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 329 

19. Les ailes de Foie (sauvage) sont doubles ^*\ 
Les ailes d*un homme c^est un coursier. 

Si on erre beaucoup sur la terre étrangère , 
Ton pays natal te devient étranger. 

20. Je me suis levé tôt et je pensais : il est tôt, 

J'ai pensé : comme on chante^** de bonne heure Tézanel 

On chante Tézane et moi je pleure : 

Ma tête (') s'en va dans les pays lointains. 

21. En un mot^^^ : la fraise est amère 
On ne peut y ajouter de miel. 

Ma belle est allée dans les pays lointains , 
Je ne retrouverai plus de beauté I 

22. La terre où j*ai moissonné avec la faucille, 
La terre où j'ai fauché le foin , — 

Elle est restée pleine de vie ^'^\ pareille à une fleur bleue , 
La terre où je suis né, où j*ai grandi. 

IIL Amour. 

23. Quand le vent souffle, les roses poussent 
Si (seulement) les belles filles les arrosent. 
Le cœur se déchire , l'âme brûle ^*) 

Si toi, ma bien-aimée, me reviens à la mémoire. 



(U G'est-À-dire : «rà deux rang»». 

(') Ici et plus loin, iitt : «lui (le muezzin) il lit i'ézane». 
(*) Traduction littérale. 
<*) Litt : ven disant. . . i». 
(*) Iitt. : « brillant (de vie)». 

W Locution typique dans les poésies orientales en général et dans les poé- 
sies tatares en particulier. 



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330 AVRIL-JUIN 1926. 

24. jilbirjilbir ^*> jdrgàn iaqta 
jiliàr qia quyïnïmm 
Janïm kâyip jêrgàn ëaqta 
dus'-ii aca kûmbmm. 



35. btzntn vram arqïH 
qga suwïh sqfqinî^^^ 
sqfqïn su sipëàn-dà sêntnty 
yqngqn yërâk yqiqîm. 

26. su buytna tâskàmm yuq 
ûskàn dilàp lai tiràk 
yqna disàh yqfqtnî yuq 
yqlqïnsh yqna yëràk. 

27. bâiàkâj tqwnih iiyàsi 
ptisà yirgà tiyàst 
isàn-m'ikàn sqwlqr ^'^-m 'ikàn 
qqpircàtkà^^^ iyàsi. 

28. Jqnîm ^*^ jqmm jqn siràk 
jqnîm siha ni kiràk 
Jqnim yqrtp bmr'idfm 
Jqmm ûzmà kiràk, 

29. ày Jqmm Jqnïm ^*^ 
ôstëhà nijabîyïm 
dzqq yqtip stiha qqisam 
nijqwaplar tqbiyîm. 



0) Expression usuelle (KaT. 67, etc.). Pour iee variantes de la fhansftn, 
voir 4»«9St KaT. 71. 

(^) Variante : Kar. ih'j. 

W Pluriel exigé par la forme métrique du vers. 

(*) Mot russe (nopqaTsa «rganti). 

W Jeu de mots sur les diverses significations de jqmm (voir la traduction). 

(<) Une ou deux syllabes semblent manquer ici. Doit-on lire : dy jânim; 
jqmm, jqniml 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 381 

26. Lorsque je marche vite, très vite, 
Les vents entr'ouvreot ma poitiine; 
Lorsque Târoe est embrasée. 

Ma bien-aimée ouvre mon cœur. 

25. Le long de notre rae 

Coule Teau la plus froide ^\ 

Si tn verses môme de Teau froide 

La flamme du cœur brûlant ne s'éteindra pas. 

36. Je n'ai pas longé la rivière 

Où, dit-on, croissent le saule et le peuplier. 

Si tu dis : «rÇa brûleln, — il n'y a pas de flamme. 

Le cœur brûle sans flamme. 

27. La cerise sur la montagne Bdlékey ^*^ 
Lorsqu'elle est mûre toucbe la terre. 
Est-elle vivante, est-elle heureuse , 
La maîtresse du gant blanc 7 ^'^ 

28. Ma bien-aimée, ma bien-aimée; l'âme est une chose rare. 
Ma bien-aimée, que veux-tu de moi? 

J'aurab donné mou âme, la partageant en deux, 
Mais j'ai besoin de mon âme moi-même. 

29. ma bien-aimée, bien-aimée I 
Avec quoi te couvrirai-je ? 

Si je reviens tai*d après être resté avec toi 
Quelle réponse (*' donuerai-je? 



^^) Litt : irle pins froid de l'eau*. 
(*> Nom d'une montagne dans rex-gouvernement d'Onfa. 
P) Celte chanson «chevaleresque)! fail allusion à la coutume tatare d'après 
laquelle les jeunes filles oflfrent à leurs amis toutes sortes de cadeau i. 
W Sons-entendu * <rà mes parents». 



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332 AVRIL-JUIN 1926. 

30. ày jantm sin ûzih 
qqsthdtn qara kûzth 

par^^^ sandugac sayrqgan^ay 
stnth suylàgàn sûzih. 

31. siktrtmà qqS hèdrà iwt 
ûpkàîàmà ûpmàgàc ^'^ 
ûpkàlàsàh ûpkàlàrsih ^*^ 
hudqym nqsîp itmàgài. 

33. qasm qqra qqsth qqra 
qqètndtn kûzih qqra 
ktrfigtndtn gèllàr tqma 
kûrsàm yàpàgtm jqna, 

33. btznth hqsû lûgàrâk 
ëctp yêrty kûbàlàk 
Hvijqnxm iskâ tassa 
hqbm Jtym cûgàlâp, 

3&. bqsma salsah tqi bqsma sqi 
tql bqsm'qyqk tqldxrmïy 
jqrm saysàh séy mqtumt 
mqtur fiattr qqldtrmty. 

35. tqi tirhàtkàntm Juq-idf 
tqidiray'xkàn bilàknt 
^îq tutqqntm yujfuB 
jqndiray-kàn yërâknu 

36. qy yqqtisi bigràk yqqti 
jqnïtn muntqlar yqqti 
muniqsînda qrqam cqpti 
qqytqqe qucaqiap yqtiï, 

(*) Mot rosse (napa) signifiant ici «couple, paire amoureuse». Cf. KaT. 47, 
W Exemple d'allitération. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 333 

30. Ta es mon âme — toi-même, 

Ton œil est plus noir que tes sourcils; 

Les mots quand tu parles ^^' 

Ressemblent aux couples de rossignols qui chantent. 

31. Des sourcils remuants, des cheveux frises I 
Ne sois pas fâchée si je ne fembrasse pas, 
Mais si tu te fâches, fais-le, 

Dès lors qu'Allah ne m*a pas donné le bonheur i 

32. Tes sourcils sont noirs, tes sourcils sont noirs, 
ton œil est plus noir que tes sourcils; 

De tes cils tombent les roses , 

Le cœur me brûle quand je te regarde. 

33. Notre champ est rond, 

Les papillons voltigent autour; 

Si je me souviens de ma bien-aimée, 

Je me repose accroupi ^*K 

M. Si tu bâtis un petit pont que ce soit un pont de saule — 
Le pont de saule ne fatigue pas Tâme; 
Si tu aimes, que ce soit une belle — 
La belle ne fatigue pas Tâme. 

35. Je n'ai pas eu à courber de saule 
Et pourtant il fatigue le bras ; 
Je n*ai pas éprouve d'amour 

Et pourtant il brûle le cœur. 

36. La lumière de la lune est une lumière brillante. 
Ma belle a chauffé le bain 

Et au bain elle m'a lavé le dos 

Et quand nous sonmies rentrés nous avons dormi dans les bras l'un 
de l'autre. 



(^) Litt. : cries mots que tu prononces». 
(') A la manière orientale. 



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334 AVRIL-JUIN 1926. 

37. hqgcaàa gëlîàr tUâr-mt ^^^ 
arasinda bïibïi ûlàr-mt 
ûzêhê'dà kûnp sûylàhnâgàè 
haliar yazip sàzlàr bitâr-m. 

38. aqlt kûlmàk ^^ tihtrgàn'si» 
jihth tar iUirgàn-^ih 
àiflàm sini bUc mnqliyiar 
maqlarUq bar ikàtirsih, 

39. êsàn buyqaytarï ay bufinda 
jîlqîiarim yârtj cabînda 
èjmahiarïn tërstn bir yqgïnda 
èîd bidinda yêrêgàn iqgïnda. 

IV. Pessimisme. 

60. qqra^a-day urman qqrahfjfi tan 
yqqà'at kiràk qnï ûlàrgâ 
zamanafar awur dosmanlar kàp 
du8-ià kiràk dënya kàlârgà. 

Refrain : 
qqra urman^a ^'^ ktrgàn iqqia 
qtim k\U% kûl buyhip 
â min Bqrgqydim kûpm Vjiqp, 

61. yirjilàgi aSïbula 
waqâinda^^^ pwnàsà 
kîh hahn ktst bilmiy 
ûz bqsîtia tësmàsà. 

62. sandugqctar su tqsï^*^ 
qayda bula su bqsî 

W Cf. Kax. 47, i35;4w.77. 

(*) On parle ici d'un habit de femme. Cf. Kût. a3 et O. {pastim). 

^^) Image très usuelle. Voir 4«. et Kar. ài, io3, 111, i/ia. 

^^) Vi intercalé est gardé pour le mètre. 

(*) Voir 4s* 9g. TqH au lieu de tqity. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES, 335 

37. Les roses ne poussent-elles pas dans le jat*dm? 
Les rossignols volent- ils enire elles? 

Si je ne te vois pas et ne puis le parler, 

Peut-on mettre une fin oui mois lorsqu'on t'écrit ? 

38. Tu as commandé qu'on te fasse une chemise blanche, 
Qu'on te fasse des manches étroites. 

Ce n'est pas pour rien qu'on te loue tant : 
Tu es vraiment digne de louange. 

39. Le long de la rivière Isène^^^ ho I sur la prairie 
Mes chevaux vont paître; 

Laisse de c^té ton ^^^ paradis 
Quand on longe cette prairie. 

IV. Pessimisme, 

40. Forêt sombre, nuit sombre, 

Il faut un bon coursier pour la traverser. 

Les circonstances sont dures, on a beaucoup d'ennemis. 

Il faut un ami fidèle pour vivre en ce monde ! 

Refrain : 
Ayant pénétré dans la forêt sombre 
Mon coursier longea le lac. 
Et moi, j'ai blêmi ('\ pensant de lourdes pensées. 

61. Il arrive que la fraise soit amère 
Quand elle ne mûrit point à temps. 

L'homme ne comprend pas la situation d'un autre. 
Tant que la même chose ne s'abat sur sa tête. 

62. Les rossignols portent l'eau, 
Où est la source du ruisseau? 



(^) Rivière dans le district de Bélébey. 

<*) C'estrà-dire : crne parie pas de ton paradis (qui n*ost rien en compa- 
raison)». On s^adresse ici à Mahomet, d'après Texplicalion d'A. Mouglnov. 
(*) Locution usuelle dans la poésie ta tare. 



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336 AVRIL-JUIN 1926. 

Uk gqftMam ayga qartm 
aymhrda yaigiz hasL 

k3. jigrtp tara ftgrip qayta 
aq kûgàrctn ^^^ budqythn 
yaigiz ttlàk qabui bvhnas 
xkâw ttbk kudaydm, 

66. taniar ata iulpqn qaîfa 
iutpan tqhm uygata 
stzHp taniar qtqan taqta 
jiffiata-da Jtglgta, 

&5. Uèqa it^im tasqa haaïtn 
tasmh saiqtniarina 
qidiaritnnî quyîp figitm 
bagrim yaiqîniartna ^*K 

k6. sikrtp tâstêm sular titm 
nigyd iëèlëm nig' titm 
bu hasràtnt kàrur buigai 
nigyà tugdim nig' ûsttm. 

67. aq idilgà tësà yazdim 
qui kUàgt tqs-ëcàn 
kàyranjamm wayran buidî 
9tz dushrïm haqq' êiën^^K 

68. qq idfldàn kêymà kilà 
këymàn bar tzt yuq 
hati kili sûzt kilà 
sûylàètrgà ûzt yuq ^*\ 

à9, qq idtUcàylàmt ày kiiàrmtn 
qslqjjayip iskàk iéàmm 



(») VoipKaT. 1Û6. 

(*) La poésie est remarquable par sop harmonie intérieure. 

(^) Presque le même texte 4** i* 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 337 

Si je suis par trop attriste je regarde la lune , 
Et sa tête est également solitaire. 

&3. Sautillant en avant, en arrière 

Le pigeon aux ailes blanches revient des blés. 
Une prière isolée ne sera pas acceptée. 
Supplions tons deux Allah. 

44. L'aube se lève, Tétoile matinale disparaît. 
L'étoile matinale réveille Taurore. 

Lorsque Taube apparaît et réveille les chansons , 
Elle nous fait verser des larmes, verser des larmes I 

45. Je suis sorti, j'ai posé le pied sur une pierre. 
Sur la plus froide des pierres. 

Je pleure posant les mains 
Sur les étincelles de mon cœur. 

46. J'ai sauté et je suis tombé; j'ai bu de Teaù. 
Pourquoi suis-je tombé, pourquoi ai-je bu? 
Si c'était mon destin d'éprouver ce malheur 
Pourquoi suis-je né , pourquoi ai-je grandi? 

47. J'ai failli tomber dans la rivière Blanche 

A cause d'une pierre grande comme la main. 
Mon âme ébranlée est toute dévastée 
A cause de vous , mes amis I 

48. Sur la rivière Blanche ^*^ vogue une barque. 

Il y a une barque, mais elle ne laisse pas de traces. 

Une lettre, des mots me viennent d'elle, 

Mais elle-même n'est pas ici pour qu'on puisse parler avec elle ! 

49. Hél Je traverserai la rivière Blanche, 

Je ramerai de toute la vigueur ^*^ de mes bras ; 

W Est très souvent mentionnée dans les chansons : Am, i et suiv. , Kar. s , 
69, ii4. 

(') Litt : ffde tout le déploiement». 

GGTUI. a 3 



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3a8 AYRIL-JOIN 1926. 

tusasatn sufar tiàrtmn 
Uk sa^îtuam nUlàvmn. 

50. aq idilkày alqin suwïsalqm 
aq ûrdàklàr qarèï yaz* ahmy 
tèlàrtm-dd pusa yaràgm jjqna 
hirjprhmy kûmhm Iûa* aimy. 

.51. ^; idiïkây ày^^^ kiikàndà 
btrfirladim iékàk ukàndà 
hrjiriadim dusfar bir Jiffladm 
ûtkdnlàrim Umà^^ tàikâ»dd 

Varidnte : 
$iz dudarim 



C^) Interjerlion intercalée pour io mètre. 
^^ En prose : ùimâ. 



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CHANSONS POPULAIRES TATABES. 330 

Si j'ai soir, je boirai de l*caii. 

Et que ferai-je si la Irislesse m^envabil? 

50. La rivière Blancbe écume, son eau est froide, 

Les canards blancs ne peuvent aller contre le courant. 
Je suis désolé, le cœur me brûle, 
L'âme ne peut se retenir de cbanter. 

51. Traversant la rivière Blanche 

J'ai entonné une chanson en ramant; 
J'ai chanté, mes amis, et puis j*ai pleuré 
Lorsque le passé m*est revenu à la mémoire. 

Variante : 
Lorsque vous, mes amis. . . 



i3. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. U\ 



11 

CHANSONS TATARES DE CRIMÉE, 

RECUEILLIES ET TRADUITES 

PAR M" 0. CHATSKAYA, 

AVEC INTRODUCTION 

DE N. K. DMITRIEV. 



M"" 0. Chalskaya (0. H. lUai^Kafl), envoyée pendant Tété 
1995 en mission ethnographique en Crimée, a recueilli entre 
autres matériaux des chansons tatares dont nous donnons ci- 
après des spécimens. La littérature populaire tatare n'a pas été 
étudiée jusqu'à présent: c'est pourquoi j'ai déféré à la demande 
de M™* Chatskaya en relisant sa traduction et en la faisant 
précéder d'une courte préface. Je me propose de noter dans 
cette dernière les caractéristiques les plus importantes de la 
langue des chansons, qui nous fournit des données précises 
sur ies dialectes tatars de la Crimée. J'ai voulu attirer égale- 
ment l'attention du lecteur sur la métrique tatare de cette région : 
on ne s'en est pas occupé jusqu'à présent dans la littérature 
spéciale. Quant aux questions de style et de composition des 
chansons, ainsi que des métaphores qui y sont employées, on 
remarquera que l'osmanli a exercé une influence considérable 



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342 AVRIL-JDIN 1926. 

sur la poésie populaire de la Crimée. La langue et la littéra- 
ture osmanlies sont un idéal pour la Crimée tatare. Vers cet 
idéal presque inconscient, la poésie talarese tourne involontai- 
rement. L'observateur pourra se rendre compte que le langage 
usuel échappe à celte emprise de Tosmanli. Mais chaque dis- 
cours, important aux yeux des indigènes, est toujours accom- 
pagné d'un changement de style et de sens calqué sur l'os- 
manli^^l Celte tendance est plus ou moins sensible suivant le 
degré de culture de chaque individu. Les femmes y sont moins 
sujettes : elles sont, peut-être, les gardiennes les plus fidèles 
delà langue tatare proprement dite. Toutes ces combinaisons 
originales et nuancées, ce dosage des éléments locaux et des 
éléments importés, constituent un fait pour ainsi dire biolo- 
gique, et celui qui étudie les chansons de la Crimée doit en 
tenir compte. 

Le problème de la dialectologie de la Crimée esquissé dans 
tous les systèmes de classification des langues turques ^^^ est 
assez compliqué. Les modèles poétiques recueillis par M"** Chats- 
kaya nous apportent, du moins, des données nous permettant 
de serrer davantage le problème en ce qui concerne les dia- 
lectes de Bakhlchisaraï etlouak^^^, les seuls sur lesquels ait 
porté son enquête. Les principales différences phonétiques et 
morphologiques de ces dialectes sont les suivantes : dans celui 
de Bakhlchisaraï, le son q se conserve partout, ainsi que le k 
inilial, et nous y trouvons des formes de conjugaison et de dé- 



0) Nous observons un fait semblable dans la littéralure tatare de Kazan, 
(pli, à la fin du xix* siècle, avait comme modèle les langues tchaghataïe et 
osmaniie. La iorce atlraclive de losmanli pour les jeunes langues (et littéra- 
tures) turques est assez connue et la plupart déciles ont vécu une époque 
(rpseudo-classiqueT) d^iroi talion de l^osmanii. 

(') Le dernier système appartient à M. Sahotlotitch, HenoTOpue 4ono.i- 
HeuHH K RjaccHooRauHH TypeqRHx asbiKoo ([IcTporpaAi iQsa). 

W C'est un village qui se trouve à ao versles de la ville d'Alouchta 
A^yuiTa). 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 343 

ciinaison du turc «sepientrional», tandis qu'à Tottak q se 
transforme toujours en h (x); k initial permute avec g (plutôt 
V>^y^\ et, dans la morphologie, c'est le type osmanli de 
conjugaison et de déclinaison qui domine. Quant au reste, les 
• deux dialectes ne diiïèrent pas beaucoup, ce qui donne la pos- 
sibilité d'esquisser leur caractéristique générale. Comme point 
de départ, on peut admettre le système grammatical osmanli, 
qu'adoptent les Tatars eux-mêmes. 

Sous le rapport de la phonétique, les traits essentiels sont : 

A. Vocalisme: 

1* Harmonie des voyelles (assimilation vocalique) : 

On y peut observer une dissimilation intensive, qui atteint 
•toute une série de voyelles; la dernière syllabe du mot et les 
affixes prennent souvent une voyelle appartenant à la catégo- 
rie opposée : 

anem (mais : babam), yaS-ierty ffiysah-a, gelsaiHiy y are (mais : ya- 
ram nmtk plaies à côté de yarem (rmon amien), yan-e, éorbaji-ler, aga- 
ler^ parh-yur, a^k^yur, etc. 

Il est intéressant de mettre en regard une tendance moins 
sensible mais vivante dans Tosmanli moderne, qui est le con- 
traire de la loi générale de l'harmonie vocalique : 

an-^ (9«Xi))> hajhte (SiN^L), qardcs (^b^li oa même ^H^^l^), 
haUtn (y«)L^), Uaimal-m {^\ 4x %i), halde (9«XJL^), mahaU-de 
(9jJbC),etc. 

En général , le rapport des voyelles antérieures et postérieures 
diflère légèrement de celui qui existe dans les radicaux osmanlis 
correspondants : la voyelle arrondie initiale a une tendance à 

(^) Dans la conversation, on peut rencontrer deux formes : celle avec k et 
celle avec g. 



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Uà AVRIL.JUIN 192t). 

perdre sa palatalisation , ce qui produit les combinaisons comme 
o(tt)-e, etc. : 

soyle, olmeden, guzet, guc, dort, buklep, osejegtm, guUer, gun\ koyûh 

Cf. Oa^iesib, nocAOBiii^bi h noroBopKH KpbiMCKnxi> Ta- 
Tapt (CHM<i>epono.«b, 1916, p. 3). 

3" La chute des voyelles dans un groupe de consonnes avec 
r, ainsi que dans la 1" syllabe : 

pcahlar, yaptrayim, sevdalgtm, hîriajah. 

&" Le changement de la qualité d'une voyelle dans les affixes 
(la voyelle « étroite » devient «large») se remarque dans yar-em 
«mon ami-e», au lieu de *yar-tm (pL?). Les formes analogiques 
sont yemurta [<zyumurta, sous TmAuence de yemek)^ odaman 
[<:atam(m, à côté de oda «^j'j. 

B. Cansonantisme : 

1° Les sons sonores et sourds [g/k, djt) alternent au com- 
mencement des mots (on sait qu'il n'y a pas non plus d'uni- 
formité sous ce rapport dans les dialectes osmanlis) : 

kitti, geldim; goz, koz; picah; tibinde; tasnï, dastna; girejekmiyim ; 
tus, tustûm; dûsûnûp, gémi; etc. 

Dans le parler du Sud (Touak) dominent plutôt les sons 
sonores, d'après le type de l'initiale osraanlie; au Nord (Bakh- 
tchisaraï), c'est le contraire. 

2° Dans le parler du Sud (Touak), ^r>A (x)^ d'après le 
type de la langue de l'azerbaïdjan et de quelques dialectes de 
l'Asie Mineure : 

rahî, arhardas, ahary han (yU), hïzy hoy {(£yi), hart, bahar, aicah. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 345 

hctAah, yohmuè, taharsth, parmah, toymah, huzu (i^y^), meyvaiïh^ tir- 
nahy hayrandt, kuiah, coh, uzahtaki,picah, hapu, hurtuidum, etc. 

Les formes de Bakhtchisaraî : 
qoqusun, qorvtmas, qonma, qoyup, aqan, yoq. 

3° Le son k inlervocalique se transforme en g {k'>g') : 
cicegty kapegi, osejiegim, okj'egim, egerkp, yarecigim, yûregimde, etc. 

Bey Oglu est pris de Tosmanli. 

ù^ Le son h disparaît dans toutes les positions : 
ani (c^Ia), siya (»Lu4»), er (yû), alih (dJl^), enuz (jj^JLA), em-em 

Dans les mots comme ^jl^, h se conserve : jihan (influence 
littéraire). 

Meryem (< ^y^) est une forme vulgaire. 

5® Le son n se trouve sous différentes formes (plus forte, 
par exemple dans bana, sana, et plus faible, au génitif et à la 
a* personne du singulier) : 

giysan-a, oldûhy hoynuha, boriamanu, son, taharsm, vefih, nane- 
nih, etc. 

Sa transformation : ogiinde [<:iiôJ^^^). 

6® En général , les mots provenant des langues étrangères 
s'altèrent : 

beter {<Zy>ô<»), qabirim (<::j^^), merekep (<:ca^), mis (< 
), etc. 

Quant à la morphologie, nous pouvons observer : 

i** Les types de déclinaison, qui sont celui du Nord et celui 
du Sud (le second domine) : 

bestk-ke, odam-a, hoiufia, tam-m, urmek-ni, yotiara, etc. 



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346 AVRIL-JUIN 1926. 

S* Le présent diaprés le type osmanli, ainsi que diaprés le 
type du Nord : 

parleyury bahfynr, sariyur^ agleyur^ biliyury isttyur, mais kitemin, ha-- 
haysm (avec un y intercalé, au lieu de bakasïh). « 

3" La présence de l'afljxe osmanli ^ô et ^j^» : 
ofdugumu, olejegim{i), mais kelgen. 

U'' L'aflixe osmanli jîut : 
yohmui, gebnii, ainûi. 

Quant aux traits de syntaxe, nous pouvons noter lemploi 
spécial des cas : 

mezarda girejehniyim, yàrmi yaiimda kelgetiy sizi dûiûnûp 

La structure métrique des chansons est assez variée. Les di- 
mensions du vers et la place de la césure pour chaque type 
peuvent être illustrées par les exemples suivants : 

t* Vers de i3 syllabes : 

-2l«^ 1 -/ — £ — /^ 
afiî bumu ufactq ujactq ufaiiq. 

/, /. I /. /. I _/.._/, 

qonma bûWûl qonma bûlbûl kiras iaiîna, 

a* Vers de 1 1 syllabes : 

ii oiur-mu dûnyada yardan toytnah. 
ne bafiarsm hapunuh arasîndan. 

akar banim afcar %\ya dashra, 
dohtur gelmis yaraian bahïyur. 



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CHANSONS POPULAffiES TATARES. 347 

3° Vers de i o syllabes : 

^L L \ -/ / 

mana dedikr Gurgur odaman. 

-L.L I _/_/_/ 
gwm gibi parîeyur jiarstma. 

A* Vers de 9 syllabes : 



„ /.-/ Il »./ 
anesi-de almïs fiïzmu 



5* Vers de 8 syllabes 



Jandan seven yareiigim. 
6** Vers de 7 syllabes : 

endim iesme baSïna, 
elij dedim be dedim. 
mektup yazdim oturup 

«/ 1 /.^ 

Jenke yarait J^dt. 

7* Vers de 6 syllabes : 

-^- Il — ^ 
èift&de fiapuyorn 

_./ 1 ..1 

hïzïnî ogûtler. 



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848 AVRIL-JUIN 1926. 

Sous le rapport de ia composition, les chansons suivantes 
sont les plus correctes : XI, XIII. Assez correctes sont égale- 
ment les n**' I, II, VIL Les autres présentent un type composé 
de vers différents. Les rimes sont assez variées. Les féminines et 
les dactyles sont naturellement rares et ne se produisent que 
par la conjonction des enclitiques et des aflfixes inaccentués. 

Exemples : 



gtysan-a — gelsan-a; 
osejegim — olejegim; 
parleyur — agleyur; 
haram-var — yaram-var; 
iuzr-ister — hît-ister; 
bortâmahîz — horiâtnahîz; 
olejékmiyim — gir^ékmiyim; 
ufactq — qaracîq; 
oturup — doidurup; 
daida haldt — yoida haldi; 
bay baiasi — ay batasï; 
basîna — dastna; 
bahar — yakar; etc. 

Quant au côté pittoresque, il faut noter des allitérations évi- 
dentes, fait typique de la poésie populaire turque. 

F^es chansons que nous donnons sont imprimées dans la 
transcription phonétique, avec traduction, appartenant à 
M""' Chatskaya. C'est à elle qu'appartiennent également les 
notes philologiques et ethnographiques accompagnant le texte. 
Comme conclusion, nous croyons utile d'indiquer la bibliogra- 
phie russe sur la question, connue jusqu'à présent : 

1° 0.^eCHHi;Kifi (A.), n-ÈCHH KpblMCKHXT» TypKOBT», MoCKBa , 

â** 0.iecHMqKiH (A.), Maxepiaabi no Hayneniio KpbiMCKOH 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 349 

Hapo4HOH nodam, Gn6. 191 3 (dans le BoctohhuS 

C6opHHKT> pyCCKHX'b OpieHTawIHCTOBl> , T. I, CTp. 45). 

GaMOHwiOBHvi'b (Â.), BaxHHcapaâcidfl ir]bBei^i>, nosT'b, 
^•feTOHHceq'b H MCTeopowiorb Xa6y6y.Ma KepeMi», 

CaMOH^OBH^l» (^0' n'ÈCHfl O RpbIMCKHXl> C06bITiAXl>, 

GHM<frepono.ib , 1913. 

GaMOHwIOBII^'B(A.), [l'ÈCHH RpbIMCKHXl> TaTapib IipO BTO- 

pyio oTenecTBeHHyio BOHHy, neTporpa4'b, 191 5. 

IIo(MOBni](bI , norOBOpKH n npHM'i^Tbl KpblMCKHX'b Ta- 

Tap'b . . . no4T> pe4. A. H. GaMoâ^oBH^a h II. A. Oa- 
acBa, GHM<&epono.«b, 1916 (ici, aux pages 28 et suiv., 
on trouvera la bibliographie précédente). 

rop4./[eBCKin (B. A.), San'IsMaHifl na « docwiOBiii^bi KpbiM- 
cKHxi> TaTapi» », H34aHHbiA n. A. OawieBbiMi» (3.B.O. , 

T. XXV). 



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850 AYRIL-JUIN 1926- 



I. Mekiup, 

mektup yazdïm oturup 
haé selandar doidurup 
mektup kitli men haidim 
yine sizi dùsûnûp, 

yavhffumuh ujima 
asïi sednf bagtadim 
yarem kilen yoHara 
ti^an etip af^aMm., 

mendilim datda kafdï 
gozlerim yoida haldi 
jandan seven yareeigim 
jenkle yaralî huidi* 

Variante : 
oi beiim yardigim 
adcer iUnde ^xidi. 



[Galizar VLxxHh Orner, de Tooak.] 



n 

riya iorap ffiysah-a 
ahSam bana gehah-a ^^^ 
benim sana aéïq oidugumif*^ 
gozlerimden duysah-a, 

mchup yazdim ajeh 
ai holuha ejele 
mekiup benim vcktKmrdir 
ai hoynuha gijele. 



(^) Au lieu do ffcheA^ et giyse^ , & c6lé de duyiaû^. 

W Deux syllabes de trop [benim) contre le schéma commun métrique; 
quant au sens de la phrase, il ne les eiijje pas, car la personne est déjà mar> 
quée {oîdugumu). 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 351 



I. UnekUrê. 

Pendant que fêtais assise j'ai écrit une lettre. 
Pleine de bons souhaits. 
La lettre est partie et je suis restée 
Et je pense toujours à vous. 

Dans le coin du moucboir 
J'ai noué de la vraie nacre. 
Mon cher ami s*est mis en route 
Et moi, je gémissais et pleurais. 

Mon mouchoir est resté sur une branche, 
Mes yeux sont restés sur la route 
Et mon cher ami que j'aime de tout mon cœur. 
Est resté blessé à la guerre. 

Variante : 
Et lui, mon bien-aimé. 
Est resté à Tarmée. 



II 

Tu devrais mettre tes bas noirs 
Et venir me voir ce soir. 
Gomme ^*^ je t'aime — 
Tu l'aurais su ^"^ d'après mes yeux. 

Je t'ai écrit une lettre à la hAte, 
Prends -la dans tes mains et déchiiïre-la; 
La lettre est mon confident. 
Prends-la dans tes mains et dors avec elle. 



W litt. : «que je t'aime». 
(*) Litt : «tu devrais savoirs. 



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352 AVRIL-JUIN 1926. 

bagiaiarda gui neni 
verem euih sen béni 
nasti verem ohnaytm 
elkr sartyur sent. 

yavhfiumda haram mr 
yûregimde yaram var 
ne sen oldûh ne ben hurttddum 
ne derdime ëare var. 

[Murtaza Veiijanov, de Touak.] 

m 

men bir htdu cicegim 
hapuha osejegim 
sevdaigvm t*> terk ohinmaz 
ahïbet oUjegim. 

bagcaiarda gui olur 
gun gelir odasu ohir 
sevilmesi bir sey degil 
ayriiman gui oiur. 

}ïaranfil hattr ohr 
bu sevda yeUr oiur 
aiajajisah ai bem 
olûmden beter oiur, 

[Mamedi Çadr Ali, de Touak. | 

IV. Araba hapu, 

araba hapu araiïh — aman — 
ne bafuiysih anaUh 
benim yarem bunda yo^ur 
dùnya baha fuirahli^. 



(1) 



Au lieu de sevdaîigim. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 353 

Dans les jardins il y a les roses — tient / ^^^ 

Et toi, tu m*as rendu tout hâve. ' 

Et Comment ne pas le devenir, 

(Si je vois comme) les autres ^embrassent! 

Sur mon mouchoir il y a la tache ^*^ noire, 
A mon coeur il y a une blessure 
Et tu n'es pas morte et je ne suis pas délivré ; 
Il n'y a pas de remède pour mes souffrances. 



III 

Je suis la fleur du pêcher — 
Je vais croître à ta porte. 
Je n'abandonnerai pas mon amour 
Et à la fin j'en mourrai. 

Dans les jardins il y a des roses, 

IjC soleil se lève et ils deviennent (comme) une demeure pour elles; 

Devenir sa bien-aimée n'est point difficile, 

Mais la séparation avec hii sera pénible. 

Les œillets deviennent un souvenir, — 
Assez de cet amour I ^ 

Si tu veux prendre une femme, prends-moi. 
Cela devient pire que la morti 



IV. Le porche. 

Par le porche ouvert, ah I 

Pourquoi regardes-tu, vieille? 

Mon amie nest pas ici, 

L'univers est (devenu) lugubre pour moi. 

t^) Refrain qui s^introduit pour être rime avec béni et tent. 

(^) Litt. : ffii y a mon noir», c'est-à-dire «la tache noire de sang». 

GCTIIl. -i^ 



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SbA AVRII.-JUIN 1920. 

har yagar aicaJdara — aman — 
savruiur saiaUara 
benim yarem benden beztnU 
safiatmn fiiaUara. 

su gelir gémi halhar — aman — 
icinden yarem bahar 
henm yarem cok guzel^ 
jumle jihani yahar. 

el uzatttm boynuha — aman — 
ai béni yarem hoynuiia 
sen almassah eller (dir 
gûnagxm oisun boynuha. 

istanAtd^^^ habaMart — aman — 
yesilrdir yapraUarï 
uzakor-ki yareèigmih^*^ 
èinlatin ^ulaldarî. 

yûkseklerden bahartth — aman — 
cifie guller tafyirsih 
sanki benim yarem yohmus 
senrde béni yaharsth, 

[Mnzafar Janqara, de Touak. 



hnait parmah yes ttmafi aitun uyma}i — flk, aj, a]il 
a ohir-mu dûnyada yardan toymafi — afi, ah^ ahl 



penjereye gun iiymes meyvaiïkan — afi,a}i, afi! 
em sarardtm em soldum sevdaiïlUan — ah, ah, a^ l 

(0 En osmanli, litambot ou Mambot 
î') Au lieu de yareÔigimm, 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 355 

La neige tombe sur les plaines, ahl 
S'étend sur les auvents. 
Mon amie s'est lassée de moi — 
Que les couteaux la transpercent I 

L'eau monte, le vaisseau s'élève, ahl 

(Et c'est) de là que mon amie me regarde, 

Ma bien-aimée est belle. 

Sa beauté enflamme l'univers. 

fax étendu la main vers ton cou, ah I 
Prends-moi dans tes bras. 
Si tu ne le veux pas , les autres le feront — 
Que mon péché retombe (plutôt) sur ton coul 

Les citrouilles de Stamboul , ah I 
Elles ont des feuilles vertes. 
Que les oreilles tintent 
A ma petite amie qui est loin I 

Tu me regardes de haut, ah I 
Piquant deux roses , 
Comme si je n'avais pas d'amie 
Mais tu me brûles (tout de même) I 



Petit doigt teint de henné, petit ongle de cuivre, dé d'or — ah, ah, 

ahl 
Pourrait-on dans ce monde éprouver de la satiété d'une amante — ah , 

ah, ahl 

Le soleil ne pénètre point par ma fenêtre à cause du verger — ah , ah , 

ahl 
Et moi, j'ai jauni, je suis desséché par l'amour — ah, ah, ah ! 



'ili. 



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356 AVRIL-JUIN 1926. 

aicah evih tepegin boriamahiz — ah, af^^ak! 
ben oksûzûm garthim hùriamantz — • al^, ah, ahl 

ne baharsm hapufwh arastndan — ah, ah, ah I 
aylanayîm gozûhûn harastndan — ah, ah, ah! 

ahîn tastan su icken bay baiott — (^, ah, ahl 

ay tibinde bir buhu ay baiasi — ah, ah, ahl 

em sarardim em soidum sevdaUhian — ah, ah, ahl ^^^ 

[Murtaza Vdigaoov, de Touak.] 



VI w 

ciqtïm Bey ogiu baéïna 
gunes gibi parieyur haréma 
elmas taraq yaplrayïm-tni 
guzel sirmaU saiina, 

endim cesme baètna 
sabun qoydum dasma 
sevda ne^rr bilmedim 
enuz gelai bastma, 

sekerîenmis dudaqiar 
mis qoqîyur elma gibi yanaqiar 
agzï burnu ufactq ufaèiq tifaêïq 
qasi gozû qaràcîq qaraèiq qaractq ^'^ 
bilseh neler istiyur su ufaq tnasqaractq. 

[Amed Ali Gafur, de Touak.] 

(^) Une variante se trouve chez OjecuHi;RiB, Il'bciiH KpuiicKEai> Typsom», 
p. 9. Dans la 1" strophe, les trois premières lignes sont identiques avec celles 
données par OaecHHUKÎfi. 

(') Cette chanson s'appelle trchanson osmanlien (oêmanîi tùrkûsû) et ccn- 
tient beaucoup de traits phonétiques de TosmanH. 

('^) Ici , Amed Ali Gafur a omis quelques lignes traitant de la beauté du 
corps féminin. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 357 

Ne faites pas blanchir le haut de la lûaison basse — ah , ah , ah I 

Je suis seul, je sais malheureux, ne me maltraitez pas — ah, ah, ah 

Pourquoi regardes-tu toujours par la porte — ah, ah, ah ! 
Je donnerais ma vie pour tes yeux noirs ^^^ — ah , ah , ah I 

L'enfant du tthai'» boit Teau dans une coupe d'or — ah, ah, ah 
Sous la lune — un nuage, enfant de la lune — ah, ah , ah I 
Et moi, j'ai jauni et je suis flétri par Tamour — ah , ah, ah I 



VI 



Je suis monté en haut de Péra — 

Elle britle devant moi comme le soleil ^'^ ; 

Ne me faut-il pas faire faire un peigne de diamant 

Pour ses beaux cheveux tressés en petites nattes ? 

Je suis descendu au bord d'une source, 
J'ai déposé le savon sur une pierre; 
Je ne savais pas ce que c'est que l'amour 
Et maintenant il s'est abattu sur ma tête I 

Ses lèvres sont sucrées. 

Ses joues semblables à une pomme embaument le musc. 

Sa bouche et son nez sont petits, petits, petits, 

Ses sourcils et ses yeux sont noirs, noirs, noirs, 

Si tu savais ce qu'elle veut, cette petite effrontée I 



(*) Litt. : apar le noir de tes yeux». 

(') Péra est une partie très élevée d^Gonstantinopie. 



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358 AVRIL-JOIN 1926. 



VIL Obana^'K 



obana baiam obana 
verme ^zm iobana 
oHr gider y obana 



coban penir yedirir 
vayvay anam dedirir 
penirsu yu tatli-dir 



èthtïm gaylaw bastna 
hoyum geUU harsima 
men Jioyumu garen son 
à^m geldi baètma. 

gaylaw baJsïfiiiïna 
aynatahra ^rt ana 
oynasah-da yaraêïr 
iôlde ioban magrastr, 

harabaè hoyun tut ister 
coban afiam Jûz ister 
harabas fioyga tuz-da yoh 
coban ahama jiîzrda yoh. 

coban 6olde mai bahar 
ca^maginen ot yafyir 
koydêii salajjfihr 
sacà^rdan ^z bakar. 



(^) Refrain. De cette manière, on s^adresae à son interlocuteur dans le par- 
ler vulgaire. La chanson s'appelle (tchafason de berger?) (ioban tiirkûêû). 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 359 

VIL Obana. 

Obana, mon enfant, obana, 

Ne marie pas ta fille à un v tchobann ^^^ 

Il la prendra et 8*en ira dans (on pays) étranger. 

Tchoban la nourrira de fromage, 
Il la fera dire : oh , ma mère I 
L'eau de fromage est douce 



Je suis monte au sommet du «rdjaylavr» ^'^ 
Mon troupeau ^^^ est venu à ma rencontre 
Dès que j'ai \u mon troupeau 
La raison m'est revenue. 

(Sur) le sommet du «rdjaylav» il y a une tempête 

Eh bien danse, vieille I 

Si tu danses, ce sera juste h point. 

Car dans la steppe le tchoban soufire. 

La brebis à tête noire demande du sel , 
Mon tchoban-akha ^*^ cherche ^*^ une jeune fille, 
Mais il n'y a pas de sel pour la brebis à tête noire, 
Il n'y a pas déjeune fille pour mon tchoban-akha I 

Le tchoban dans la steppe fait paître le troupeau , 

Avec le bricpiet il fait du feu 

Et les vauriens du village 

Du haut des toits regardent les jeunes filles. 

(^) Les (ftchobans» (bergers) habitent les montagnes, où ils mènent une 
vie tout à fait spéciale. Par leurs mœurs, ils diffèrent beaucoup des habitants 
de village. 

W Jaylaw, c'est un pâturage situé dans les montagnes; comme nom propre, 
ce sont les montagnes connues de la Grimée. Cf. Tosmanli Yayla» 

(3) Oq comprend ici hoy «mouton n comme un nom collectif. 

(*) Ainsi on appelle le chef des tchobans. 

t*) Litt. : «rveut» ou «r demande t). 



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360 AVRIL-JDTN 1926. 

coban cdlûn cièegi 
sohia koyûh kopegi 
hiz versen-da cobana ver 
coban côlûn cicegû 

tûà harabas tus gerke 
boynuzuh furlajah 
sorbafikr olejek 
maHari'da bize haiaja^. 



[Yusuf Veliganov, de Touak.) 



V1II<»> 

tnarui dediler Gurgur ^'^ odaman ^'^ 
(Uesim pek yanan (y aman f) 
men buraya bir geldim 
birde gelemam ^*\ 

atiar bagiandt pcafdar ^^^ hayrandi 
cifte-de hapuya 
fnen zan ettim yarem geldi 
gohlûmû aimaya, 

^pumuzun ogûnde a^akr^*^ 
strada sogutkr 
anesi'de ahnîè hïzini 
Juzini ogûtler, 

huzu suydu derler agaiar 
butùnnùrda ^'^ attiiar 

^') Le titre de cette chanson est tr chanson récitée par un tchoban». 

(') Ge nom propre s'emploie en osmànli; cf. Samy-Bey, 877, ^^^^ ^S^^ 
gouillement». 

(^) Étymoiogie populaire (<C oda cr chambre t») du mot atanum, 

^^) Au lieu de gêîemem, à cause de la rime. 

(') Cf. pHaJitàr dans IV. 

(") Dans la strophe suivante, qui a une autre rime, nous avons la forme 
plus régulière agatar, 

(') Au lieu de bûtûnûnû-da. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 361 

Le tchoban est une fleur de la steppe. 
Le sokhta ^^^ est le chien du village. 
Si tu maries ta fille, donne-la à un tchoban 
Car le tchoban est une fleur de la steppe. 

Descends, tête noire, descends, petite brebis — 
On te cassera les cornes I 
Quand les maîtres mourront. 
Leurs troupeaux nous reviendront. 



VIII 

On m'a surnomme Gourgour Tataman , 

Mon feu brûle très fort. 

Je suis venu ici une fois , 

(Mais) une autre fois je ne pourrai revenir. 

Les chevaux sont attachés, les couteaux sont aiguisés 
Près de la porte à deux battants , 
J'avais pense que c'était ma bien-aimée 
(Qui était) venue ravir mon cœur '^^K 

Mais devant notre porte les seigneurs aghas 
Se dressent comme des saules, 
La mère a pris sa Bile , 
Elle conseille sa fille. 

On dit que les seigneurs aghas ont égorgé une brebis 
Et l'ont toute ^'^ jetée dehors. 



<*) Élève d*un moulla. 

(') Dans la conversation , gmlùmû almaya signifierait plutôt : «pour amuser 
mon cœur, pour le remplir de joien. 

(') là. on compare une jeune fille, fiancée malheureuse de Gourgour, avec 
une brebis que les aghas ont tuée sans raison. 



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362 AVRIL-JUIN 1926. 

tatartar vay taiartar 
ne zalïm oiduiar. 

[Mamedi Hadr Ali , de Touak. ] 



^ra her-atitn ^'^ egerkp hay ! ithtîmjolga 
dort urmekni dort bukïep hay I aldïm hoiga 
tawm taSnt terk etip hay I cihtim joiga 
selamét tnenden ah aneyim sopha soyga ^'^ 
^h y^^rtm bagrima ^tymetU baiam 
sagiup fiaytsafi yasarmïz hayljiyin^a toyga 
tawni tasni terk etip kitemin orga ^*^ 
hoiayiih-^nen artha ie fuiytmam. 



[Ganime Ganqara, de Touak,] 



tzmer^*^ daglarinda ciiekler aiar^*^ 
akin gumûs elma sîrmalar saëar 
babasi èojMari bikn yazar 
rato boyle imis ey ^arip ^'^ ana 
janimfida okun sof vetana ^'^ 
izmer daglarinda oturduh haidth 
gaib olanlari deftere yazdth (bis). 

[Mamedi Hadr Ali, de Touak.] 

(^) Chanson noghaïe, comme l'attestait Ganime Janqara. 

(*) Au lieu de kir atim frmon coursier gris»; pour ie peupie, Iwr ot forme 
un seul mot auquel on ajoute encore une fois Tépithète hara, 

^^) Sop ioy correspond ici à Tosmanli ioy êop. 

(^) Or, limite de la Grimée, en russe nepeioni». 

(^) En osmanii hmir. 

(*) Nous attendrions plutôt a5tttr. 

(7) Cf. garip dans V. 

(*^ En osmanii moderne iu vatana. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 363 



Ah,taUirs, tatarsl 

GoHime ils sont devenus méchants I 



IX 



Ayant sellé mon coursier noir — ah 1 je me suis mis en route 

J'ai tordu quatre cordes en quatre et je les ai prises en main. 

J'ai quitté monts et rochers et ah I je me suis mis en route. 

Salut, ma mère, à ma famille et à ma tribu. 

Mon amie ^^\ cher enfant de mon cœur, 

Si nous revenons sains et saufs, vivons pour les festins et le mariage. 

Quittant les monts et les rochers , j'atteins Pérékope 

Et ce n'est pas facile pour moi d'en revenir ^'\ 



Sur les montagnes de Smyrne les fleurs s'ouvrent. 

Les pommes d'or et d'ai^ent répandent des fils argentés. 

Le père écrit avec ses enfants : 

Un temps est arrivé, 6 ma pauvre mère 1 

Que mon âme (ma vie) soit sacrifia pour celte pati'ie I 

Suries montagnes de Smyrne nous nous arrêtâmes pour toujours 

Et nous avons inscrit dans les annales ceux qui ont péri (bis). 



(^) Litt. : «rmon foie» (terme de caresse dans la poésie orientale). 

(') Ainsi chantaient les Noghaïs qui allaient à la guerre contre les Russes 
quand le Caucase et la Grimée n'étaient pas encore conquis. 

t*) Chanson des émigrés où est décrit le sort de la génération nouvelle qui 
a quitté la Crimée pour se rendre en Asie Mineure. 



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36A AYRIL-JUIN 1926. 



XI 



ineyhaneye vardim raht icmedim 
etraftmi dusman mrdt duymadtm 
arhardaHar^^^ bir su vérin ieeyim 
àhar hanîm ahar siya dasiara 
benden selam ohun arhardaslara. 



tneyhanenih siseleri parleyur 
do^ur gelmis yaraiari ba^yur 
anem habam bas ujunda agleyur 
soyle doktur soyie olejekmiyim 
olmeden mezarda ^'^ gtr^ekmiyim. 

er guv! dohtur gelip béni bafityur 
ajt meryem tatiï meryem sariyur 
benim bunda okjegim ^'^ biliyur 
soyle dohtur soyle olejekmiyim 
olmeden mezarda girejekmiyim. 



[Ganime Janqara, de Touak.] 



X»(*) 



qonma bûWûl qonma bûlbûl kiras datina 
yaJstigïmi vermez-idim dûnya maitna. 



qonma bûlbûl qonma bûlbûl tnezar dasïna 
sevda ne^ir bilmez^idim <hda keldi basima, 

(') Au lieu de arfyadaitar (forme vulgaire). 

(^) En osmaoli , on dirait mezara, ce qui ne diffère de mezarda que sous le 
rapport du mètre. 

(3) Forme contractée de oUjegimi. 
(*) Chanson artificielle. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 365 



XI 



Je suis ali^ au cabaret mais je n'ai pas bu d'eau-de-vie, 
Je n'ai pas remarqué comme les ennemis m'ont entouré. 
Camarades, apportez-moi de Teau pour que je boive I 
Mon sang coule, code sur les pierres noires 
Salut à mes camarades I 

Les bouteilles brillent au cabaret 
Le médecin est venu, il examine (mes) blessures, 
Mon père et ma mère pleurent à mon chevet. 
Dis-moi , docteur, dis-moi , mourrai-je bientôt ? 
Descendrai-je dans la tombe avant le terme ^^^ ? 

Le médecin vient chaqtie jour voir mes blessures, 

Il me fait des pansements doux et amers , 

Il sait que je vais mourir ici. 

Dis-moi, docteur, dis-moi, mourrai-je bientôt, 

Descendrai-je dans la tombe avant le terme ? 



XII 



Ne te pose pas, rossignol, ne te pose pas, rossignol, sur une branche 

de merisier, 
Je ne changerais pas ma jeunesse contre tous les biens du monde. 

Ne te pose pas, rossignol, ne te pose pas, rossignol, sur une pierre fu- 
néraire , 

Je ne savais pas ce que c'est que l'amour et le voilà qui s'est abattu ^'^ 
sur ma tête. 



^•) Litt. : tr avant le (vrai) mourir n. 
('ï Litt. : «est venu». 



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366 AVRIL-JUIN 1926. 

a^ su yaiinïh kenarinda oynar piyade 

ne anah sève ne babah sève benden ziyade. 



ah su yaiïnih kenarinda zeytun a^ajî 
yûregimde bvr yare var yohiur iktjfï, 

qonma bûlbûl qontna bûlbul dattm var benim 
huddam ^^^ kôzk qaraqasH yarem var benim. 



[Yakub Hayat, de Bakhtchisarai. ] 



XIII. Sepet yemurta. 

anem benir-mi togtih ^*^ 
beèikke qoyup baqtih 
yermi yastima kelgen 
sohra saidat dep sattm. 

sepet sepét yemurta ^'^ 
anem benim unuima 
anem benim unutfnas 
koz yasleri qorutmas. 

aq nane-yi^*^ hok nane 
hd oUum yane yane 
aq nanenih qoqusun 
vaz gecemem dogrusun ^'^ 

[Eminé Ablyakimova, de Bakhtchisaraï.] 



(') Mot étranger; peut-être Tarabe |*)«>^ hadddm, de pOuft. 
(') Au lieu de togdurdïn, on dit togtïn, comme dans la langue azérie. 
Cf. X,n. 6. 
(^) Au lieu de yumurta (peut-être contamination avec yemek «ilc?). 
(*) Yi est ajouté pour suppléer une syllabe qui manque. 
(^) Au lieu de dogruëunu. 



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CHANSONS POPULAIRES TATARES. 367 

I>e l'autre côté près du quai c'est un piyade ^'^ qui se balance ^*\ 
Ni ton père, ni ta mère ne t'aimeraient plus fort que moi. 

De Tautre cAtë près du qoai un olivier (s'élève), 
Mon cœur a une plaie, il n*y a point de remède. 

Ne te pose pas, rossignol, ne te pose pas, rossignol, moi aussi j'ai une 

branche. 
J'ai une amie aux sourcils noirs et aux regards exterminateurs. 



XIII. Un panier d'œufs. 

Ma mère, n'esl-ce pas toi qui m'as mis au monde ? 
Qui m'as déposé dans le berceau, qui m'as élevé ? 
Et quand j'atteignis mes vingt ans 
Tu m'as vendu pour être soldat ^^\ 

panier, panier d'œufs I 

Ma mère , ne m'oublie pas I 

Ma mère ne m'oubliera pas , 

Ne laissera pas sécher les larmes de ses yeux. 

Oh I menthe blanche, menthe bleue I 
Je suis devenu cendre, brûlé par le malheur. 
En vérité je ne pourrai jamais me séparer 
Du parfum de la menthe blanche. 



<*) «Espèce de barque extrêmement légère, étroite et longue» (Samy-Bey. 
p. 3a9, sous »>>L^). 

W Litt. : «joue» ou ff danse». 

^^) Légende : jusqu'au temps de l'empereur Nicolas, Bakhtchisarai fut 
exempté du service militaire. Quand Nicolas visita cette ville, le chef de po- 
lice lui présenta comme soldats un groupe de jeunes gens en disant : «r Bakh- 
tchisarai vous présente un panier d'œufs». 



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368 AVRIL-JUIN 1926. 



XIV «') 

eUf deditn be dedim 
anem saha ne dedim 
aqan suiar ^'^ merekep ^'^ oisa 
yaùhnas benitn derdim. 

anem desem anem yoq 
habam desem habam yoq 
gvrhéL keldim oksûz qaidtm 
aiih ne~dxr degen yoq. 

Variante : 
odama ^^^ hasta tukûm 
btr su veren kimsem yoq. 

elife (*) nohtaianeU 
az derdim cohcaiandi^*^ 
yetis anem yetis habam 
qabtrim ^'^ tahtaiandï. 

(*) Voir une variante de cette chanson chez OaecHHqRiH [op. cit., p. 3i), où 
elle est placée parmi les Coj/iaTCRifl nicHn. 

W Chez OjecHHi;idâ , xapa acbic cria mer Noire»; mais à Bakhtchisaraï, 
éloigné de la mer, on chante aqan ëutar. 

(^) Forme vulgaire de mûrekkeb. 

(^) Chez ÛjecHHi^RiA , KasapnaAa . . . T^mTyM. 

(^) Chez ÛJecHHqRii, «e^i^in» (sujet); chez nous, elife est dativuê commodi 
et nohtatandi une forme impersonnelle. 

^^^ A Bakhtchisaraï , nous attendrions plutôt êoqêaîandi. 

(^) Chez OjecHHqRifi, triieBapuiiT). 



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CHANSONS POPULAIRES TATARKS. 369 



XIV 

J'ai dit A, j'ai dit B, 

Ma mère que t'ai-je dit? 

Même si i'eau courante se changeait en encre. 

On ne pourrait décrire mes souffrances. 

J'aurais appelé ma mère, mais je n'ai pas de mère. 
J'aurais appelé mon père, mais je n'ai pas de père, 
Je suis parti loin et suis orphelin et seul 
Et je n'ai personne pour me dire : «r Qu'es-tu devenu In 

Variante : 
Je suis tombé malade dans ma chambre 
Et il n'y a personne pour m'apporter de l'eau. 

Sur Yelif on a mis un point. 

Mes souffrances se sont augmentées. 

Hâte-toi à mon secours, ma mère; hâte-toi à mou secours, mon père! 

On a entouré ma tombe de planches. 



25 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 



SEANCE DU 16 AVRIL 1926. 



La séance est ouverte à 5 heures sous la présidence de M. Senart. 

Étaient présents : 

MM. HuART et Sylvain Lin, vice-présidents; M""* de Wilhan-Grarowska ; 
MM. Bashadjun, Benteniste, Bouvat, Eliss]£ev, Faddegon, Ferrand, 
FiNOT, Gaudefrot-Dbhohbynes, de Genodillac, Hadjibeyli, Khaîrallah, 
Mayer Lahbert, Magler, Marqouliès, Matsdhoto, Nau, Nikitine, Ort, 
Pinasseau, Sidersky, Vost-Bodrbon, membres; Thurbau-Danjin, secré- 
taire. 

Le proeès-verbai de la séance du i s mars est lu et adopté. 

M. LE Pr]Ésident annonce que, depuis la dernière réunion, la mort a 
causé de nombreux vides dans les rangs de la Société et rend un hom- 
mage ému k la mémoire des disparus : Georges Ben^dite, Paul Casa- 
nova, Henri Basset, le commandant Malinjodd, Edouard Lorgbou, 
Witton Davies, Saleh Kombaz. 

Sont élus membres de la Société : 

MM. G. DossiN, présenté par le R. P. Scheil et M. Thureau-Dangln ; 
Haîdar Bbt Bahhate, présenté par MM. Hadjibeyli et Bodvat. 

M. HuART lit une note sur un informateur de Mahomet. ( Voir TAn- 
nexe au procès-verbal.) 



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372 AVRIL-JUIN 1926. 

M. Hadjibeyli analyse et commente les travaux et les résolutions du 
récent congrès de turcologie de Bakou. 

Observations de MM. Ferrand , Meillet et Nikitine. 
La séance est levée à 6 heures et demie. 

ANNEXE AU PROCES-VERBAL. 
UN INFORMATEUR DE MAHOMET. 

Depuis longtemps on s'est demandé à quelles sources avait puisé Ma- 
homet dans sa composition du texte du Qorân, livré à la publicité dans 
cet état de surexcitation que nous ont transmis les traditions islamiques. 
M. Nôldeke avait reconnu que le prophète , dans ses récits de l'Ancien 
Testament, avait eu recours à des informations verbales, ce qui expli- 
quait en partie les divergences constatées entre le texte du livre sacré 
des Musulmans et son prototype hébreu ; on a reconnu depuis que ses 
informateurs étaient surtout renseignés par les apocryphes de TAncien 
et du Nouveau Testament. D autre part, les lecteurs du Journal Asiatique 
se souviennent peut-être d'un mémoire, intitulé «rUne nouvelle source 
du Qorân « ^^\ dans lequel j'ai démontré qu'une partie au moins des an- 
ciennes légendes dont on trouve l'écho dans le Qorân , provenait de ces 
curieuses poésies anté- islamiques oii Oméyya ben Abi'ç-Çalt avait mis à 
la portée des Bédouins les récits qu'il avait tirés des textes bibliques. 

Quant aux informateurs eux-mêmes , on était resté dans l'incertitude. 
Il ne subsiste plus rien de la légende des voyages de Mahomet en 
Syrie et de sa rencontre avec un moine chrétien, nommé d'abord 
Nestor, puis Bahîrâ^*^ et enfin Sergius. Le prophète semble n'avoir jamais 
atteint la limite des possessions romaines. En revanche, sans compter 
les chrétiens de Nedjrân, il y avait à la Mecque même des chrétiens : 
Waraqa ben Naufal auquel Khadîdja avait fait part des hallucinations de 
Mahomet sur le mont Hirâ, et le charpentier Pacôme auquel le navire 

(^ï X* série, t. IV, juillet-août igo^i, p. laS et suiv. 

ï*ï M. l'abbé F. Nau veut bien me faire savoir que bahirâ, en syriaque, est 
l'épithète habituelle des anachorètes, crvénérabie». Cf. son article sur VEx- 
pansion nestoi-ienne en Asie, dans les Annales du Musée Guimet, Bibliothèque 
de vulgarisation, t. XL, 191A, p. ai^-aaS. 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 373 

grec ëchouë sur la côte de la mer Rouge avait fourni ies échafaudages 
nécessaires pour la reconstruction de la Ka'ba: mais rien n'indiquait 
que Mahomet ait eu des relations directes avec eux et ait recueilli, 
dans des conversations avec ces personnages , les renseignements utilises 
par lui pour la confection de ses élucubrations. 

Un passage, demeuré inconnu jusqu'ici, du moins je le crois, du Com- 
mentaire du Qorân écrit à la fin du ix* siècle de notre ère par Thistorien 
Tabarî permet de soulever un coin du voile. II est question des poly- 
théistes , à propos de Qor, x , 38 : 



Les polythéistes [sont de deux catégories], ceux qui disent que 

c est de la poésie et de Tart du devin , et ceux qui disent que Mahomet tire 
ses renseignements de Yahsan le Grec (Tabarî, Taftir, t. XI, p. 7/1, i. a 3). 

Tabarî ne cite aucune autorité relativement à ce renseignement; c'est 
donc que celui-ci avait cours dans les écoles d'exégètes à Bagdad, de son 
temps. Il est assez curieux de constater lexistence, à cette époque, à la 
fin du m* siècle de Tliégire, d'une tradition de ce genre, dont la trace a 
naturellement disparu des commentaires postérieurs ^^K 

Ainsi, d'après certains polythéistes de la Mecque (le chapitre x, sou- 
rate de Jonas , est mecquois , classé par Nôldeke dans la troisième pé- 
riode), c'est un certain Yahsan le Grec qui instruisait le prophète et lui 
fournissait des renseignements. Nous ne savons rien de ce personnage. 

î^) Dans un autre passage du Tafstr de Tabarî (t. XIV, p. 110) relatif à 
Qor,, XVI, io5, on trouve, d'après diverses sources, une énumération de sept 
personnages soupçonnés d'avoir été les informateurs du prophète. Ce seraient : 
1* Baram , forgeron ^^ chrétien à la Mecque (selon Modjâhid); a'* Ya'îch, 
esclave des Banou'l-Moghira (d'après Sofyân eth-Thaurî, qui die Ikrima) on 
des Banou'l-Hadrami (selon Qatàda); 3' Djabr, esclave des Banou-Bayâda ei- 
Hadrami, à Marwa (suivant Ibn-Ishaq); 4** Yasâr (et Djabr), des habitants de 
'Air (?) dans le Yémen , deux enfants , qui lisaient la Tôra ; 5° Selmân el-Fâ- 
rsî (suivant ed-Dahhâk), ce qui est impossible, Mahomet ne l'ayant connu 
qu'à Médine; 6* un esclave d'Ibn el-Hadramî (selon Modjâhid); comparer les 
n" a et 3 ci-dessus; 7" un esclave du prophète qui avait apostasie, qui écri- 
vait le Qorân sous sa dictée et fut accusé de transformer certaines formules 
& aies des versets (selon Sa'id ben al-Mosayyib). Ces renseignements sont fort 
écourtés dans BéioÂwi, Tafttr, éd. Fleischer, 1. 1, p. 517. 



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374 AVRIL-JUIN 1926. 

C'était peat-étre un esclave capturé dans les rapines de la frontière, 
comme ce Selmân el-Fârisî, probablement chrétien enlevé par une 
razzia sur le territoire du roi de Perse, dont il était le sujet, et qui a 
rendu à Mahomet le grand service de lui apprendre à fortiGer Yathi*eb , 
ville ouverte, en creusant un fossé sur une partie de son périmètre. En 
saurons-nous jamais davantage? Il serait périlleux de répondre néga- 
tivement. 

Cl. HUART. 



Nécrologie, 



T. Ganapati Sastri. 

Ganapali Sastri est mort le 3 avril dernier, dans sa 63' année. UInde 
contemporaine n'avait pas de nom plus célèbre ni plus respecté dans 
Tordre des études sanscrites; son souvenir restera associé à la décou- 
verte et à la publication de textes considérables. On me permettra d'évo- 
quer ici les circonstances qui nous avaient pour la première fois mis en 
rapport, il y a près de vingt-cinq ans. Ganapati Sastri était alors prin- 
cipal du Collège de Trivandrum, dans l'État de Travancore; il m'avait 
adressé sans me connaître, sans doute pour avoir trouvé mon nom sur 
une liste prise au hasard, je ne sais plus quelle publication insignifiante 
écrite dans un sanscrit raffiné jusqu'au pédantisme; mais sous l'apprêt 
laborieux de la forme j'avais cru deviner une intelligence réelle et posi- 
tive. Je lui conseillai, si j'ose dire, au petit bonheur, de rédiger dans 
une langue plus simple, accessible aux débutants, un petit manuel élé- 
mentaire d'indianisme dont je lui traçai le pian; il voulut bien suivre 
mes indications, et il publia en igoS le Bhâratânuvarçana avec une pré- 
face qu'il m'avait demandée. J'eus ainsi l'honneur d'éveiller en lui le 
goât de la recherche et l'intérêt pour le passé qui depuis dominèrent et 
dirigèrent toute son activité. 

Ganapati Sastri avait eu la bonne fortune d'entrer au service d'une 
des familles royales de l'Inde où la culture et la pratique de la poésie 
sanscrite ont toujours trouvé des adeptes fervents. Le Maharaja Râma 
Varma (iSSy-iga/i) décida en 190^ de créer à l'Imprimerie du Gou- 
vernement une section dévanagarie et d'y éditer les textes encore inédits 
conservés à la Bibliothèque du palais; il confia la direction de l'entre- 
prise à Ganapati Sastri. L'adoption du caractère dévanagari pour une 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 375 

coiiectîon publiée au Travancore marquait une phase nouvelle de l'Inde 
en voie de rf^aliser son unité. Le caractère local, le malayalim, risquait 
de rester lettre close pour plus de 99 p. 100 des lecteurs indiens; le 
dévanagari devient rapidement l'écriture nationale, accessible à tout 
le public cultivé. Par un sentiment délicat de convenance, Ganapati 
commença par publier hors série deux poèmes dus au grand-oncle du 
maharaja , Svâti Sri Râma Varma : Bhaktimanjarï et SySnandûrapuravar- 
nana. Puis, avec un traité grammatical, le Daiva, il inaugura cette ma- 
gni6que Trivandrum Sanskrit Séries, riche aujourd'hui de 84 volumes 
dont il ne sera pas superflu de donner ici la liste, distribuée par caté- 
gories : 

Grammaire. 

Daiva, avec le commentaire Purusakâra par Krsnalllâ^ukamuni (1). 
— Durghatavrtti, par Saranadeva (6). — Vârarucasangraha , avec la 
Dïpaprabhâ de Nârâyana (33). — Paribhâsâvrtti , par Nîlakai]itha 
I)ïk8ita(/i6). — Sphotasiddhinyâyavicâra (54). 

Poésie. 

Abhinavakaustubhamâlâet Daksinâmûrtistava , par Krsnalllâ^ukamuni 
(2). — Nalâbhyudaya, par Vâmanabhatta Bâna (3). — éivalïlârnava , 
par Nïlakaçtha Dîksita (4). — Nârâyanïya, par NârSyana Bhatta avec le 
commentaire de Desamangala Vârya (18). — Jânakïparîçaya , par 
Cakrakavi (24). — Kumârasambhava , avec deux commentaires : Pra- 
kâsikâ par Arunagirinâlha , et Vivarana par Nârâyana Pandita (27, 82, 
36). — Raghuvïracarita (67). — Laghustuti, par Laghubhattâraka , 
avec le commentaire de Râghavânanda (60). — Kirâtâijunîya , de Bhâ- 
ravi, avec le commentaire Sabdârthadîpikâ de Citrabhànu(63,sargal- 
3). — Meghasandeéa [Meghadûta], de Kàlidâsa, avec le commentaire 
de Daksinâvartanâtha (64). 

Alankâra (art poétique et composition). 

Vyaktiviveka, par Mahima Bhatta (5). — Alankârasûtra , par Râjâ- 
oaka Ruyyaka , avec le commentaire de Mankhuka et la glose de Samu- 
drabandha ( 4o). — Rasârnavasudhâkara, par Sing« Bhûpâla (5o). 

Théâtre. 

Pradyumnâbhyudaya, par RavivarmabhQpa (8). — Tapatoamva- 
raça, par Kulaéekharavarma , avec le commentaire de Sivaràma (11). 



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376 AVRIL-JUIN 1926. 

— Subhadrâdhananjaya par le même, avec commentaire du même 
(i3). — SvapnaYâsavadatla , de Bhâsa (i5). — Pratijnayaugandharâ- 
yana, de Bhâsa (16). — Pancaràtra, de Bhâsa (17). — Avimâraka, de 
Bhâsa (ao). — Bâlacarita, de Bhâsa (qi). — Madhyamavyâyoga , Dû- 
tavâkya, Dûtaghatotknca, Karçabhâra, Ûrubhanga, de Bhâsa (ââ). — 
Abhisekaaâtaka , de Bhâsa (a6). — Gâradatta, de Bhâsa (89). — Pre- 
timânâtaka, de Bhâsa (As). — Maltavilâsaprahasana , par Mahendra- 
vikramavarman (65). — Nfigftnanda, de orlharsa avec le commentaire 
de Sivarftma(59). 

Systèmes philosophiques. 

A. Vedftnta : Brahmatattvaprakâéikâ , par Sadftâvendra SarasvatI (7). 

— Virûpâksapancfiiikâ , par Virûpâksanâtha , avec le commentaire de 
Vidyâcakravartin (9). — Paramârihasâra, par Bhagavad Adiéesa, avec 
le commentaire de Râghavânanda (la). — Siddhântasiddhânjana , par 
KrsQânanda SarasvatI (&7*jï8, 58, 61). — Sftbdanirçaya , par Prakâ- 
^âtma yatindra (53). — Ûvarapratipattiprakâ^ , par Madhusndana 
SarasvatI (78). 

B. Nyâya : Kânâdasiddhftntacandrikâ, par Gangâdharasûri (a5). — 
Manidarpaça, par Râjacfl^âmani Makhin (Si). — Mapisâra, par Go- 
pinâtha (35). 

G. Mlmâifasâ : Mânameyodaya, par Nfirâyana Bhatta et Nârâyana 
Pai?çlita(i9). 

D. Sarvamata8angraha(63). 

Lexiques. 

Nfinârthfirnavasanksepa, par Keéavasvâmin (aS, 39, 3i). — Nâma- 
lingânu^âsana, par Amarasimha, avec les commentaires de Kçlrasvâmin 
et de Sarvfinanda Vandyaghatlya (38, &3, 5i, 5d). 

Politique. 

Nitisâra, par Kâmandaka, avec le commentaire de Sankarftrya (1/1). 

— Arthaéftstra, de Kautalya, avec le commentaire de Ganapati éâstrî 
(79,80,83). 

Rituel, législation, coutumes. 

Vaikhânasadjiarmapraéna (98). — Âiaucâstaka, par Vararuci (87). 

— Adhyâtmapatala , par Âpastamba, avec le commentaire de Sankara 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 377 

Bhagavatp&da (61). — Yâjnavalkyasmrti, avec le commentaire Bâla- 
krîçlâ par Viévarûpâcârya (7/1, 81). — Àévalâyana grhyasûtra avec îe 
commentaire Anâvila par Haradattâcârya (78). 

Tantra et Âgama. 

Tantraéuddha, par Bhattâraka Vedottama (44). — MahSrthaman- 
jarï, avec le commentaire Parimala par Mahe^varânanda (66). — ïéâ- 
nadevagurupaddhati (69, 72, 77, 83). — Tantrasamuccaya , parNârâ- 
yana, avec le commentaire VimaréinI par éankara (67, 71). 

Tattvaprakâ^a , par fihojadeva, avec le commentaire Tâtparyadïpîkâ , 
par Kumâra (68). 

Bouddhisme. 

Arya Manjuérîmûlakalpa (78, 76, 84). 

Techniques. 

A. Jyotisa : Goladîpikfi, par Parameévara (49). 

B. Silpa : Vâstûvidyâ (3o). — Manu8yâlayacandrikâ(56). — Maya- 
raata (65). — Silparatna (76). 

C. Gajalaksaça : Mâtangalîlâ, par Makantha (10). 

D. Général : Prapaiicahrdaya (45). 

On voit à cette simple énumération, la variété des matières repré- 
sentées dans la collection. Ganapati Sastri s'intéressait à tous les sujets , 
préparait avec le même soin scrupuleux tous les textes, en surveillait 
l'impression avec le même zèle. Grâce à lui, la Série Sanscrite de Trivan- 
drum s'est classée d'emblée au premier rang, et elle s'y est constam- 
ment maintenue; elle a remplacé, dans Tindologie, la belle série de la 
Kâvyamâld que l'indifférence de Tlnde a laissée disparaître, faute d'un 
nombre suffisant de souscripteurs. Avec quelle maîtrise Ganapati ma- 
niait le sanscrit, on peut le constater dans les introductions souvent dé- 
veloppées qu'il avait coutume de placer en tête de ses éditions; le com- 
mentaire qu'il avait tenu à composer lui-même pour accompagner son 
éditon de l'Arlha^âstra en est une autre preuve. On sait quel tumuite, 
encore inapaisé, a été déchaîné par la publication des ouvrages drama- 
tiques qu'il avait cru devoir attribuer à Bhâsa. Sa conviction, adoptée 
par la plupart des savants dans ITnde et en Occident , a rencontré aussi 
des adversaires passionnés. Adhuc sub judiee lia est. On peut présumer 
toutefois que Taccord s'établira sur une solution moyenne. Eu attirant 
l'attention sur l'étrange survivance du théâtre sanscrit au Malabar, 



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378 , AVRIL-JUIN 1926. 

Ganapati a enrichi d'un chapitre nouveau, et important, Thistoire du 
drame indien. Dans Tenthousiasme de sa trouvaille, Ganapati n*avait pas 
hésité à revendiquer pour (rShâsa?) une date antérieure même à Pânini. 
Formé à i'école de la tradition indigène , limité à la culture du sanscrit , 
étranger aux langues, aux littératures, à l'histoire des peuples du de- 
hors, Ganapati avait conservé les habitudes d'esprit d'un pandit rompu 
à ia dialectique et fermé à nos conceptions. J'en citerai un cas sai- 
sissant. 

Je lui avais signalé que le Nâlyadarpana, encore inédit, et dont un 
manuscrit m'avait été communiqué (cf. /. as. y igsS, II, 197 et suiv.), 
citait expressément un vei's tiré du trSvapnavâsavadatta composé par 
Bhâsan: or ce vers ne se retrouvait pas dans le drame de même titre 
publié par Ganapati. Cette divergence, combinée avec d'autres indices 
déjà relevés, rendait plus douteuse encore l'attribution à Bhâsa du drame 
anonyme. Ganapati préparait à ce moment une nouvelle édition de ce 
texte; il s'empressa d'y insérer le vers que je lui avais fait connaître, et 
dans une noie il prit soin d'avertir le lecteur que ce vers, disparu du 
texte par la faute des copistes, retrouvait enfin sa place légitime. 

L'édition du Manjusrîmûlakalpa , complétée a temps, peu de mois 
avant ia mort de Ganapati, est un service capital, et cependant peu ap- 
précié encore, que ce pandit orthodoxe aura rendu aux éludes boud- 
dhiques. Csoma de Korôs, dans son Analyse du Kandjour, avait signalé 
l'intérêt considérable de ce tantra rr fréquemment cité par les écrivains 
tibélains, et où sont introduits une foule de faits vraiment historiques 
relatifs à la vie des princes qui ont favorisé le bouddhisme ou persé- 
cuté les bouddhistes dans l'Inde'). Le texte publié par Ganapati concorde 
exaclement avec la traduction tibétaine; pour être établi sur un manu- 
scrit unique, on est surpris de trouver un ensemble d'aussi bonne tenue, 
et d'autant plus que Ganapati ignorait tout du bouddhisme. Le 53* pa- 
tala constitue sans aucun doute le tableau historique le plus complet que 
l'ïnde ancienne nous ait légué : une édition critique fondée sur la com- 
paraison du sanscrit et du tibétain et accompagnée d'une traduction 
s'impose comme une tâche urgente, et c'est à Ganapati qu'en remontera 
le mérite initial. 

Ganapati qui avait passé la soixantaine était encore plein de projets. 
Sur la couverture du dernier fascicule de la Trivandrum Sanskrit^ Séries 
(n** LXXXIV : Aryamanju^rlmûlakalpa, part IH), il annonçait comme 
étant sous presse : 

1. Kâvyaprakâ^, avec les commentaires de Vidyâcakravartin (Sam- 
pradâyaprakâéinï) et de Bhatta Gopâla (Sâhityacûdâmaçi). 



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s. 



SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 379 

VisQusamhitâ (Âgama). 
3. Slokavftrtika (Mlmâmsâ) avec la Kâéikâtikll de Siicaritamiéra. 
ix. Bharatacarita (Kâvya) de KrsçâcSrya. 

5 . Samgîtamayasâra , de Samgïtakara Pârsvadeva. 

6. Rasavaiéesika (Vaidya), par Bfaadanta Nâgârjuna, avec le bhâsya 
de Narasimha. 

En outre, étaient w en cours de préparation» : 

1 . Âévalâyanagrhyabfaâçya, avec le Bhâsya de Devasvâmin. 

a. Pramânalaksaça (Mîmâmsâ), par Sarvajnâtmapâda. 

3. Sarasvatïkanthâbharana , de Bhoja, avec la Vrtti de Nârâyana Dan- 
danlltha. 

U. Astângabrdaya , avec le commentaire Hrdayabodhikâ. 

5. Nyâyasârapadapancikâ , de Vâsudeva. 

6. Vedântaparîbhâsâ, avec le commentaire de Peçlçlâdîksita. 

7. Bbâmatîtilaka (Vedânta), par Allâlasûri. 

Une tâche aussi formidable laissait encore à Ganapali le loisir de col- 
laborer à d*autres collections; la semaine même de sa mort, la Gaekwad's 
Oriental Séries, publiée à Baroda sous les auspices du maharaja, éditait 
le second et dernier volume d'une encyclopédie de la constrnclion , Sa- 
marângana Sûtradhâra, attribuée au roi Bhoja. Le premier volume con- 
tenait, au chapitre xxxi, des descriptions de machines qui semblent 
déceler une technique vraiment extraordinaire , par exemple ffla machine 
ù voler, en forme d'oiseau, construite en bois léger, avec à i'intérienr 
un appareil à mercure, un foyer brûlant placé au-dessous; la puissance 
du mercure assoupi (corr. échauSé'i suptasya entaptasya) met en branle 
les deux ailes , et Thomme installé dans la machine va dans le ciel à de 
grandes distances» (v. 96-96). Ici aussi, la traduction intégrale s'im- 
pose; si le texte est authentique, l'Inde du xi* siècle aurait, sinon réalisé, 
tout an moins conçu des engins inattendus. Le seul manuscrib daté est 
du XVI* ou du xvn* siècle. J'avais écrit à Ganapati de donner des préci- 
sions sur les deux autres manuscrits , incomplets , dont l'un au moins , 
semble être aussi du xvi*-xvn' siècle. Au lieu de me répondre personnel- 
lement par lettre, Ganapati a voulu donner publiquement des explica- 
tions dans la préface du second volume; elles caractérisent trop sa ma- 
nière pour que je ne les reproduise pas ici : 

rrOn pourra dire que, comme les diverses machines mentionnées dans 
cet ouvrage n'ont jamais été connues auparavant de visu ou par ouï-dire , 
elles ne sont que des produits de Timagination , et qu'elles ne sont pas 



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380 AVBIL.JUIN 1926. 

des machines réelles, fabriquées et employées en pratique. Il n'en est pas 
ainsi , car même des choses qui ont existé en viennent avec le temps à 
être considérées comme irréelles parce qu'elles sont sorties de Tusage, et 
les choses qui valent beaucoup de trivail, de temps et d'argent sont ex- 
posées h sortir facilement de l'usage. 

rrOn peut demander aussi pourquoi le poète n'a pas décrit la méthode 
de construction des machines. Le poète répond lui-même au chapilre xxxi, 
V. 79: 

yantrânâm ghatanâ noktà guptyartham nâjnatàucJàt 
taira hetur ayath jneyo vyaktâ naite phaîapradàh. 

Le sens de ce vers, c'est que, si les méthodes sont révélées dans l'ou- 
vrage, alors le premier venu sans avoir reçu l'initiation d'un maître 
essaiera de construire les machines, et une tentative faite par une telle 
personne peut non seulement avorter, mais encore aboutir à des ennuis 
et des difficultés. Il n'est pas non plus si rare , dans le cas de machines 
d'utilité publique , que les méthodes pour les construire soient gardées 
secrètes. » 

El maintenant, que va devenir la Série Sanscrite de Trivandrum? Que 
vont devenir les matériaux recueillis par Ganapati pour les publications 
ultérieures? et, — qu'on m'excuse de poser la question, — que va 
devenir la famille de ce grand savant? J'ai le devoir d'en parler, car Ga- 
napati, qui n'avait vécu que pour l'étude, et qui recevait un salaire 
indigne de son mérite, se préoccupait tristement de l'avenir qui atten- 
dait les siens après lui. Ses titres même lui avaient valu des envieux qui 
travaillaient à sa perte. Le 27 octobre dernier, une décision de la Ma- 
harani chargée de la régence le mettait à la retraite. 11 m'annonçait la 
nouvelle sans commentaire : 

Bâiasyâtratyamahàrâjasya pratinidkibhûya gatavarsateptembaramâsâd àra^ 
hkya râjyath éâsalyâ érîMahàrâjhyâ adyaprabhrti râjakiyddhtkârâd vUramito' 
smlti vrttântaviiesai câvedyate. Subham bhûyât. 

ffQue tout soit pour le mieux In. Tel était le souhait qu'il exprimait 
après cette triste nouvelle. Tout sera pour le mieux , après cette perte 
douloureuse, si le Gouvernement de Travancore veut honorer dignement 
la mémoire d'un serviteur qui lui a fait tant d'honneur et qui a rendu 
le nom de Trivandrum cher à tous ceux qui aiment et qui cultivent les 
gloires du passé de i'tnde. 

[Je transcris ici, comme un spécimen du genre, la stance en sragdhara 



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SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 381 

que les fils de Ganapati ont envoyée en guise de faire part; on verra 
avec qaelle précision de détails astronomiques est fixé le moment exact 
de la mort; Tannée, comme c^est Tusage dans le Sud, n*est désignée que 
par la place qu'elle occupe dans le cycle de soixante ans (Brhaspatî 

cakra) : 

abde 'tnUn Krodhandkhye difuJerti kakubham ràjarSjoiya yâU 
mimkhyê màti krfne ëurapatibhayutê mandavâre ca fosthyâm 
antartàniprakàndam jagati êuvidito 'nekaiodgranlhakartâ 
tàto VaSi^éamânyo Ganapatikavirdd dhSma yàtaliparaih nahJ] 

Sylvain Livi. 



PERIODIQUES. 



Hespéris, t. V, 3' trimestre 19a 5 : 

E.-F. Gautier. Le moyen Allas (avec â fig., p. a5i-a6/i); L. Justi- 
NARD. Notes sur Thistoire du Sous au xix* siècle (p. aôô-ayô); J. Her- 
BER. Tatouages des prisonnier marocains (arabes, arabisés et berbères) 
(p. 377-809, avec une carie); Henri Basset et Henri Terrasse. Sanc- 
tuaires et forteresses almohades : 111. Le minaret de la Kotobîya (p. 3i 1- 
376, avec 4 planches: relevés et dessins de J. Hainâdt). 

4* trimestre 1936 : 

E.-F. Gautier. Les cavernes du Dir (p. 388-/109, avec 9 figures); 
Prosper Ricard. Le batik berbère (p. 4i i-iaô, avec 12 figures); Henri 
Basset. Les troglodytes de Taza (p. /137-4&S , avec 1 9 figures) ; G. Wiet. 
La bibliothèque de Max van Berchem (p. 443-44/1 ). Actes du V* Con- 
grès de rinslitut des Hautes-Études maiM)caines (p. 445-456); biblio- 
graphie marocaine pour 1934-1935 (p. 457-488). 

T. VI, t" trimestre 1936 : 

E. Lévi-Provençal. Henri Basset (p. i-4); E.-F. Gautier. Medinat-ou- 
Daï (p. 5-35, avec 1 figure); Eugène Tisserant et Gaston Wiet. Une 
lettre de lalmohade Murtadâ an pape Innocent IV (p. 37-53, avec 
3 planches); Georges-S. Colin. Etymologies magribines (p. 55-83, im- 



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382 AVRIL-JUIN 1926. 

portantes notes de dialectologie arabe, où cinquante-cinq ëtymologies 
sont ëtudiées); lieutenant Godoard. Tapis berbàres des Béni Alaham, 
Moyen Allas marocain (p. 83-88, avec ô figures); P. Ricard. Tapis 
berbères des Ait Ighezrane, Moyen Atlas marocain (p. 89-95, avec 
8 figures). 



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TABLE DES MATIÈRES 

CONTENUES DANS LE TOME CCVIII. 



MÉMOIRES ET TRADUCTIONS. 

Un ancien peuple du Penjab : Les Udumbara (M. J. Pbztluski) i 

Les expéditions des Arabes contre Gonstantinopie dans i^histoire et dans 
ia légende (M. M. Ganabd) 61 

Le Zend-Âvesta, Texemplaire personnel d^Anquetil-Duperron (M. R. 
Schwab) 1 a3 

Essai sur la civilisation timouhde (M. L. Bouyat) igS 

Chansons populaires tatares (M. N. K. Dmitbiet et M"* 0. Ghatseata). . 3oi 

COMPTES RENDUS. 

Janvier-mars igaô : P. Montet, Les scènes de la vie privée dans les 
tombeaux égyptiens de TAncien Empire ; - G. Flïgkl , Goncordantiae 
Corani ûrabicae ad literarum ordinem et verborum radiées ; - R. Kol- 
DEWBT, Das wieder erstehende Babylon ; - Prof. D' G. Bbzold , Ninive 
und Babylon; - H. Cobdibr, Mirabiiia descripta; - M. Ghainb, La 
chronologie des temps rbrétiens de TÉgypte et de TÉthiopie; - A. Go- 
dard, Ghazni; S. Fldrt, Le décor épigraphique des monuments de 
Ghazna; - Pldtarquk, Isis et Osiris; - R. Schmidt, Nachlrage zum 
Sanskrit - Wôrterbuch in kûrzerer Fassung von Otto Bôhtlingk ; - 
M"** A. R. DE Lbns, Pratiques des harems marocains; - Maulavie Mo- 
hammed Bbrbkbtdllah de Bhopal, Le khaiifat; - Rudi Parbt, Sûrat 
Saifibn Dhi Jazan; - D' Emst Hbrzfeld, Einige Bucherschàtze in 
Persien; - P. 0. Boddino, Santal folk taies; - Stanley Lanb-Poolb, 
The mohammedan dynasties; ~ 0. J. Tallgren, Los nombres arabes 
de las estrellas y la transcripcion alfonsina; - A. Guillaume , The 
Traditions of Islam; - A. S. Tritton, The rise of the imams of 
Sanaa; - Jadunath Sarkab. History of Aurangzib; Mughal adminis- 
tration; -William Irvine, Later Mughals; - Mélanges publiés en 
Thonneur de M. Paul Botbr; - Kaliea-Ranjan Qanumoo, History of 
theJats; - Brajendranath Banebji, Begam Samru; - G. Wbssels, 
Early Jesuit travellers in Gentral Asia, 1608-1731 (M. Gabriel Fbb 



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384 AVRIL-JUIN 1926. 

band). — Publications de i*Anjuman-i-taraqqi-e-urdu ; - Laiiâvâ- 
kyâoi; The word of 1^1 la the prophetess; Hatim^s taies; Sîvaparina- 
yah; A dictionary of the Kâshmîrî language; - JatarIm Kati, Parnâ- 
ïaparvatagrahapàldiyâDa; - Stbd Nawab Ali and Gh. N. Sbddon, The 
supplément to the Mirat-i-Abmedi (M. J. Blogh). — K. A. G. Grbs- 
WELL, The origin of the cruciiorm plan of Gairene Madrasas; Id., 
Archœoiogical researches at the dtadel of Gairo (M. 6. Miobom). — 
Laurence Binton« L^art asiatique au Britisb Muséum (M^^* Marcelle 
Lalou) ; i33 

SOCIÉTÉ ASIATIQUE. 

Procès-verbal de la séance du 1 3 novembre i gaS 1 76 

Annexe au procès-verbal : Sur Torigine des noms de monnaies usités au 
Soudan (M. M. Dblapossb) 177 

Procès-verbal de la séance du 1 ijjdécembre igad i85 

Procès-verbal de la séance du 8 janvier 1 936 187 

Procès-verbal de la séance du 19 février 1996 • 188 

Annexe au procès-verbal : La presse en Azerbaïdjan (M. Djeyhoun bey 
Hadjibbtli) 1 90 

Procès-verbal de la séance du 1 a mars 1996 191 

Procès-verbal de la séance du 16 avril 1936 •. 371 

Annexe au procès-verbal : Un informateur de Mahomet (M. Gl. Huabt). 879 

Nécrologie : T. Ganapati SasUi (M. S. Lin) 37/î 



Le gérant : 

Gabriel Ferrand. 



A 



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LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER 

Tél. : Fleums â5-i± RCK JACOB, N° 13, PARIS (VI*). R, C. Seine : 67,717, 

Viennent de paraître : 

Edouard NA VILLE 

professeur honoraire de l'Université de Genève , 
associé étranger de l'Institut do France. 



L'ECRITURE EGYPTIENNE 

ESSAI 

SUR L'ORIGINE ET LA FORMATION 

DE L'UNE PES PREMIÈRES ÉCRITURES MÉDITERRANÉENNES 

Un volume de ix et i/i3 pages petit in-8", 1926. 
Prix : France, 3o francs. — Etranger, 6 francs suisses. 

Chap. I. Les origines. — Chap. IL Le dessin. — Chap. JIÏ. Les commence nients de Técriture. 
— Chap. IV. Langue littéraire et jdiome local. — Gh^p. V. La figure. — Chap. Vl. Les 
voyelles. — Chap. VIL Les transcriptions et langues étrangères. — Chap. VIIL L'acro- 
phonie. — Chs^p. IX. Le déterminatif. — Chap. X. L'ordre des signes. — Chap. XL Direc- 
tion de récriture. — Ch«ip. XIL L^ transcription des hiéroglyphes. - ~ Chap. XÏIL L'écri- 
ture copte. 

A. KAMMERRR 

ministre plénipotentiaire. 



ESSAI 
SUR L'HISTOIRE ANTIQUE DE L'ABYSSINIE 

LE ROYAUME D'AKSUM 
ET SES VOISINS D'ARARIE ET DE MÉROÉ 

Un volume de k cartes, kh planches, 198 pages, in-8% KyiîS. 
Prix : France, 60 francs. — Etranger, la francs suisses. 

Avant-propos. — Chap. i. Les sources de Thistoire d*Ahyssinie. — Chap. 2. La période 
légendaire. — Chap. 3. La chronologie des rois. — Chap. h. Les populations primitives. 
— Chap. 5. Adulés et l'inscription de Cosmas Indicopleustes. — Chap. 6. Le royaume 

d'Aksum et les premières campaj^nes en Arahie. — Chap. 7. Aeiius Gallus en Arahie. 

Chap. 8. Aphilas et les inscriptions d'Adulés, campagnes en Afrique et en Arabie. 

Chap. 9. L'Abyssinio et le royaume de Méroé. — Chap. 10. iv* siècle : Ezana, le Constan- 
tin de TAbyssinie. — Chap. 11. L'introduction du christianisme en Abyssinie. — Chap. 13. 
EUesbaas-Kaleb en Arabie au ?i' siècle. — Chap. i3. Les Perses, puis Tlslam délopent 
les rois d'Aksum de TArabie. — Chaç. ik, La civilisation aksumite. — Annexe I : Expé- 
dition d'Aelius Gallus en Arabie (extrait de Strabon). — Annexe II : Guerre des Romains 
en Egypte et on Ethiopie (extrait de Strabon). — Annexe 111 : Description de TArabie 
(extrait de Pline). — Annexe IV : Les monnaies d'Aksum du Cabinet des Médailles de 

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